Villes : la nouvelle donne internationale
COUTARD, Olivier ;LEFEVRE, Christian
Auteur moral
France. Plan Urbanisme construction architecture
Auteur secondaire
Résumé
Alors qu’on assiste depuis une quinzaine d’années à une montée en puissance des villes sur la scène internationale sous diverses formes (marketing territorial, politiques d’attractivité de sièges d’organisations internationales et de grandes firmes globales, de touristes, de grands évènements politiques, culturels ou sportifs, migrations internationales), cette publication se propose d’éclairer cette nouvelle donne internationale pour les villes, en explorant les dynamiques d’internationalisation et de mondialisation à l’oeuvre sous l’angle des contraintes, des opportunités et des ressources qu’elles présentent pour les politiques urbaines. Les auteurs traitent notamment de l’action des gouvernements urbains en observant leur caractère éventuellement plus progressiste que les Etats, et leur utilisation de l’internationalisation comme opportunité et comme ressource. Ils examinent la relation réciproque entre organisations urbaines et action internationale qui se manifeste par des réorganisations internes et la multiplication des réseaux transnationaux.
Editeur
PUCA
Descripteur Urbamet
mondialisation
;métropole
;politique urbaine
;institution locale
;gouvernance
;image de la ville
;marketing
;tourisme
;migration
;recherche
Descripteur écoplanete
Thème
Aménagement urbain
Texte intégral
VILLES : LA NOUVELLE DONNE INTERNATIONALE
Olivier Coutard Christian Lefèvre
Collection Réflexions en partage
VILLES : LA NOUVELLE DONNE INTERNATIONALE
Olivier Coutard, Christian Lefèvre
Ministère de la Transition écologique Ministère de la Cohésion des Territoires et des Relations avec les collectivités territoriales Direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature Plan urbanisme construction architecture Grande Arche de La Défense 92055 La Défense Cedex Mars 2022 Directrice de la publication : Hélène Peskine, secrétaire permanente du PUCA Pilotage de l'action Lionel Martins, chargé de mission lionel.martins@developpement-durable.gouv.fr Tél. 01 40 81 24 40 Coordination éditoriale, mise en page Christophe Perrocheau, chargé de valorisation christophe.perrocheau@i-carre.net Tél. 01 40 81 24 33 Photo de couverture : Steven Wei sur Unsplash Site internet : www.urbanisme-puca.gouv.fr Twitter : @popsu_puca ISSN : 2649-4949 ISBN 978-2-11-138207-7
SOMMAIRE
05 09 15 15 18 22 24 27 31 31 37 45 45 47
55 61 67
Avant-propos Introduction PARTIE 1 | Une nouvelle donne internationale pour les villes ? Etat des lieux Les villes et la condition urbaine à l'âge de l'anthropocène Migrants internationaux et sociétés urbaines Les villes, hauts lieux du tourisme international La marchandisation de la ville La ville, objet d'évaluation internationale PARTIE 2 | Des gouvernements urbains qui agissent Des villes plus progressistes que les États ? L'internationalisation comme opportunité et comme ressource PARTIE 3 | Des organisations urbaines transformées par et pour l'action internationale Des réorganisations internes La multiplication des réseaux transnationaux
Conclusion Bibliographie À propos des auteurs
AVANT-PROPOS
On assiste depuis une quinzaine d'années à une montée en puissance des villes sur la scène internationale, notamment à travers l'émergence de formes de gouvernance en réseaux transnationaux venant bousculer un système international basé sur la prééminence des États et des organisations internationales. Tantôt espérée, tantôt subie, la dimension internationale n'a cessé de gagner du terrain dans l'agenda politique, et l'action, des gouvernements urbains : jumelages, coopérations décentralisées, marketing territorial, politiques d'attractivité (de sièges d'organisations internationales et de grandes firmes globales, de touristes, d'évènements politiques, culturels, sportifs à dimension internationale, de financements extranationaux) ou au contraire de « désubérisation » (notamment touristique), « paradiplomatie »1 climatique, « paradiplomatie » migratoire...autant de facettes d'une internationalisation croissante des villes qui anticiperaient une nouvelle donne internationale. Le XIXe siècle était un siècle d'empires, le XXe un siècle d'États-nations. Le XXIe siècle sera-t-il celui des villes ? Le Plan Urbanisme Construction Architecture (PUCA) ne s'était jamais emparé de l'internationalisation des villes comme d'un objet d'analyse en tant que tel. Si les flux engendrés par la mondialisation ont nourri nombre de travaux de recherche soutenus, si la question migratoire est toujours l'objet de son attention, c'est parce qu'il s'agit de mouvements qui se manifestaient de façon tangible au coeur même des sociétés urbaines et non en tant que nouveau mode d'existence des villes. De même, les politiques d'innovation, de rayonnement et de marketing territorial visant à inscrire certaines d'entre elles sur la carte d'un monde plus vaste qu'elles, justifiaient et justifient toujours une attention similaire.
Avant-propos
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Le programme de recherche L'international comme ressource et contrainte des modes de faire la ville-cité, mené avec le Laboratoire Techniques Territoires et Sociétés
1 Au sens du concept théorisé par Ivo Duchacek, soit une implication d'un gouvernement infranational (ici une ville, mais cela peut aussi être un département, une région ou Etat fédéré) dans les relations internationales (Duchacek, 1990).
(LATTS) de 2016 à 2018, et dont le présent ouvrage présente les principaux enseignements, a cherché à combler ce vide. Il s'agissait de dépasser la globalisation comme contexte ou comme processus pour en élargir la perspective et penser l'internationalisation comme nouveau régime de relation, comme ressource stratégique et comme changement de représentation de l'espace des villes. Plus avant, il s'agissait d'examiner comment les villes s'emparaient de cette dimension. Une quarantaine de chercheurs (dont bon nombre de chercheurs étrangers) ont été mobilisés dans le cadre de ce programme de recherche, notamment à travers un cycle international d'ateliers de travail portant sur des études de cas sur plus d'une quinzaine de villes à travers le monde, et convoquant des cadres d'analyse relevant de la science politique, de la géographie, de l'économie, de l'histoire, de l'urbanisme et de l'urban planning. Outre ce cycle, 4 recherches ont été conduites, sur le retour des villes dissidentes, sur la « consultocratie globalisée », sur la gouvernance urbaine à l'épreuve d'Airbnb, et enfin sur la paradiplomatie climatique des villes. Elles font chacune l'objet d'une publication au sein d'une « mini-collection » éditée par le PUCA, consacrée au programme de recherche L'international comme ressource et contrainte des modes de faire la ville-cité, et conclue par le présent ouvrage. Celui-ci fait le choix de la synthèse. Chaque chapitre thématique pourrait faire l'objet d'un livre à lui tout seul, chaque paragraphe se prolonger par des débats et des controverses. Mais c'est précisément l'intérêt du présent opuscule que de permettre une lecture transversale et ramassée de la question. Celle-ci mériterait sans doute d'être réexaminée à la lumière de la crise sanitaire ; une crise, c'est à signaler, postérieure aux travaux menés dans le cadre du programme. La pandémie n'a pas sonné le glas de l'internationalisation, bien au contraire, en mettant en lumière la circulation internationale tout à la fois du virus, des vaccins et, ce faisant, celle des réponses apportées en termes de politiques publiques certes nationales mais aussi locales. Vue sous ce jour, la restriction des mobilités tant locales que transnationales à laquelle elle a donné lieu apparaît moins comme une « désinternationalisation » que comme une internationalisation du repli et une exacerbation des tensions entre le local, le national et l'international. À ce titre, le présent ouvrage constitue une entrée en matière utile. Lionel Martins, Plan Urbanisme Construction Architecture
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INTRODUCTION
La période contemporaine est marquée par une amplification et une accélération des dynamiques de mondialisation économique, politique, culturelle et environnementale. Ces évolutions sont inégalement réparties et produisent ou reproduisent des inégalités considérables à toutes les échelles géographiques, mais la direction d'ensemble paraît irréversible et inexorable. L'intensification de la circulation internationale non seulement des biens et services, des capitaux et des personnes, mais aussi des imaginaires, des représentations et des normes sociales, transforme les rapports des sociétés à un espace de plus en plus mondialisé, dans un contexte marqué en outre par l'amplification et l'accélération des changements environnementaux planétaires. Face la plus visible des transformations à l'oeuvre, la métropolisation, a été largement étudiée dans ses processus et ses effets : concentration de populations, d'activités, d'infrastructures et de « fonctions de commandement » économiques dans de grandes régions urbaines, favorisant leur insertion dans les réseaux et les flux de l'économie mondialisée et renforcée en retour par cette insertion. Mais les conséquences de la mondialisation sur les espaces, les économies et les sociétés urbaines ne s'expriment pas toutes en termes de métropolisation. Elles affectent tous les niveaux du système urbain, pas seulement les plus grandes villes. Les « nouvelles » géographies de l'innovation, les flux transfrontaliers de l'économie collaborative, les migrations internationales, la circulation des normes culturelles, le développement du tourisme, la montée des acteurs internationaux dans la production urbaine, l'intensification et la diversification des formes de concurrence entre villes, les liens entre urbanisation et changements environnementaux planétaires... tous ces éléments concourent aux changements profonds affectant le phénomène urbain dans toutes ses dimensions et dont les villes ne sortent pas toutes gagnantes. En s'appuyant notamment sur les résultats du programme de recherche L'international comme ressource et contrainte des modes de faire la ville-cité, coordonné par
Introduction
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le LATTS et le PUCA (cf. encadré ci-dessous), cet ouvrage explore les dynamiques d'internationalisation et de mondialisation à l'oeuvre sous l'angle des contraintes, des opportunités et des ressources qu'elles présentent pour le développement des villes et les politiques urbaines1. En d'autres termes, il traite des tenants et aboutissants de l'action internationale des villes, en accordant une attention particulière à la fabrique urbaine contemporaine dans toutes ses dimensions : culturelle et imaginaire, matérielle et technologique, économique et financière, politique et sociale. Ce faisant, il aborde les processus relevant des mouvements sociaux ou de l'action privée, notamment celle des entreprises internationales, certes seulement de manière seconde, dans leurs relations avec l'action publique. l'international comme ressource et contrainte des modes de faire la ville-cité Entre l'automne 2016 et l'automne 2018, le LATTS (Olivier Coutard et Christian Lefèvre) et le PUCA (Lionel Martins) ont coordonné un programme de recherche et d'échanges scientifiques sur les formes contemporaines d'internationalisation des villes, désignant notamment par cette expression à la fois l'exposition croissante des sociétés urbaines à l'environnement international et la prise en compte croissante de cet environnement par les acteurs urbains, notamment les acteurs publics, pour s'adapter à ses contraintes, en saisir les opportunités et, dans une certaine mesure, le façonner. Les organisateurs se sont appuyés pour la conception et l'animation de ce programme sur un conseil scientifique composé d'Eric Charmes (ENTPE), Hadrien Dubucs (Université Paris Sorbonne), Cyria Emelianoff (Université du Maine), Ludovic Halbert (LATTS), Nicolas Maisetti (LATTS) et Gilles Pinson (Sciences Po Bordeaux). Ce programme a comporté deux volets : un cycle de journées d'étude ; des investigations plus approfondies sur des thèmes jugés particulièrement significatifs.
1 Nous tenons à remercier les membres du conseil scientifique du programme et Lionel Martins (PUCA) pour leur implication dans la conception et l'animation de ce programme. Nous les remercions également pour leur relecture d'une première version de ce texte, qui doit beaucoup à nos échanges au cours des deux années de mise en oeuvre du programme. Nous souhaitons également remercier François Ménard (PUCA) pour sa relecture attentive et exigeante du texte. Nous assumons bien sûr l'entière responsabilité des analyses développées dans les pages qui suivent.
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En 2016-17, le LATTS et le PUCA ont organisé cinq journées d'étude sur différentes facettes de l'internationalisation des villes. Après une journée introductive transversale, quatre thématiques ont été privilégiées : L'inscription des villes sur la carte du monde (coordonné par Christian Lefèvre et Nicolas Maisetti, novembre 2016) Néolibéralisation et internationalisation des villes (coordonné par Ludovic Halbert et Gilles Pinson, février 2017) La ville et ses migrants (coordonné par Eric Charmes et Hadrien Dubucs, mars 2017) La diplomatie climatique des villes (coordonné par Olivier Coutard et Cyria Emelianoff, mai 2017) Sur la base des premières réflexions menées et de la journée introductive du programme de séminaires, quatre thèmes d'approfondissement ont été identifiés par les organisateurs et le conseil scientifique du programme, et l'élaboration de notes de recherche a été confiée à des collègues spécialistes de ces thèmes : Les villes dissidentes (Nicolas Maisetti) Les consultants internationaux (Deborah Galimberti) La régulation des entreprises urbaines de plateforme (Francesca Artioli) Les villes face au changement climatique (Elsa Mor) Ces quatre études font chacune l'objet d'une publication dans la même collection que le présent ouvrage. Par ailleurs, les enregistrements vidéo de l'ensemble des journées d'étude, ainsi qu'un ensemble d'informations complémentaires sur le programme de ces journées, peuvent être consultés sur le site du PUCA. L'ouvrage s'attache d'abord à préciser en quoi consiste cette « nouvelle donne » internationale qui participe de la condition urbaine contemporaine (partie 1). Il examine ensuite les actions afférentes des gouvernements urbains pour étudier la manière dont ceux-ci se saisissent des contraintes et des opportunités qui découlent de ce contexte (partie 2). Il s'intéresse enfin à la traduction organisationnelle des stratégies internationales des villes, aux politiques publiques d'internationalisation
Introduction
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et aux formes d'organisation mises en place par les responsables urbains pour accroître leur capacité à faire face à ce contexte et le cas échéant à maîtriser, voire à façonner, cette nouvelle donne (partie 3). Formulons pour terminer trois remarques préalables à la lecture. D'abord, l'ouvrage s'intéresse à l'internationalisation et à la mondialisation en tant que contexte (dynamique) pour les espaces, les sociétés et les gouvernements urbains. Mais ce contexte est affecté en retour par l'urbanisation, et citadins ou responsables urbains cherchent parfois délibérément à l'influencer : il convient de considérer également cette rétroaction et ses implications sur l'action urbaine. Ensuite, l'accent est délibérément mis sur la nouvelle donne internationale comme opportunité et ressource pour les villes, et notamment les métropoles qui seront ici souvent les plus concernées. Les gouvernements urbains apparaissent, du moins certains d'entre eux et dans certains domaines, comme plus progressistes que les gouvernements nationaux en matière sociale ou environnementale. Dans le même temps, nombre d'entre eux s'attachent, dans un contexte dominant d'austérité, à pousser leur « avantage entrepreneurial » plus activement que les États, au risque d'aviver les inégalités au sein des sociétés urbaines. Cela nous amènera à une position nuancée sur l'ampleur de ce « progressisme urbain » et sur sa capacité à perdurer. Enfin, l'usage de l'adjectif « nouvelle » mérite une vigilance particulière, dans l'étude du changement social en général et en matière de changement urbain en particulier, tant celui-ci s'inscrit, au moins partiellement, dans des dynamiques de longue durée ayant trait à l'évolution de la forme des villes, de leur place dans les réseaux et flux internationaux, ou des cultures urbaines singulières. Il y a donc toujours du « pas si nouveau », et du « renouveau », dans le « nouveau » concernant les villes, tout comme les processus de mondialisation économique d'ailleurs, et, sans aucunement prétendre faire oeuvre d'historiens, nous nous sommes efforcés d'y être attentifs.
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PARTIE 1
Une nouvelle donne internationale pour les villes ? État des lieux
La prépondérance des (grandes) villes dans la circulation internationale d'informations, de biens et de services, de capitaux et de personnes et l'influence réciproque entre développement des villes et développement des échanges internationaux ne sont pas des phénomènes nouveaux, ni même récents. Ils sont ainsi presque consubstantiels à l'urbanisation. Il apparaît cependant qu'en ce début du XXIème siècle ce jeu d'influences réciproques revêt une intensité inédite, prend des formes renouvelées et soulève en partie des enjeux nouveaux. C'est à ce titre qu'il nous semble fondé de parler de nouvelle donne internationale pour les villes. Dans ce premier chapitre, ce diagnostic est précisé par l'examen successif de cinq facettes complémentaires et à certains égards interdépendantes du phénomène : les tenants et aboutissants urbains des changements environnementaux planétaires ; les liens entre croissance des migrations internationales et transformations des sociétés urbaines ; le développement massif du tourisme urbain ; la marchandisation des espaces, des aménités et des services urbains ; le développement des classements internationaux.
Les villes et la condition urbaine à l'ère anthropocène
Les villes, à la fois moteurs et réceptacles des changements environnementaux planétaires Les questions environnementales prennent en ville des formes, et souvent une intensité, singulières. Qu'il s'agisse de la qualité de l'air, de l'eau ou des sols, de l'environnement sonore, du climat, ou de l'accès aux espaces à caractère naturel (parcs et jardins, plans et cours d'eau, etc.), les espaces urbanisés présentent des caractéristiques et des enjeux spécifiques. En outre, les activités urbaines engendrent
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directement ou indirectement2 d'importants flux de ressources, de matériaux, de déchets et d'énergie -- ce que l'on nomme parfois le « métabolisme urbain » (Barles, 2002) -- qui affectent souvent profondément leur environnement proche et lointain. Ces spécificités des environnements urbains (les villes comme cadre et milieu de vie) et du métabolisme urbain sont consubstantielles à l'urbanisation. A l'ère des changements environnementaux planétaires et de l'urbanisation globale, elles prennent une nouvelle portée. La pollution de l'air urbain qui résulte souvent d'une exacerbation de la consommation locale d'énergie, les conflits autour des ressources en eau pour l'approvisionnement des grands centres urbains, les phénomènes d'îlot de chaleur qui accentuent les effets du réchauffement climatique au coeur des agglomérations sont autant d'indices de cette nouvelle donne environnementale urbaine. Certes, comme cela a été fréquemment noté, la majeure partie des émissions de gaz à effet de serre d'origine humaine trouve sa source « en ville ». Et une part considérable des ressources et des milieux naturels est affectée à la satisfaction des besoins et des consommations des populations citadines. Il n'est donc pas exagéré de dire que le mouvement global d'urbanisation façonne ou détermine en partie l'environnement planétaire et singulièrement, par rétroaction pour ainsi dire, les environnements urbains (Brugmann, 2009). Notons cependant d'emblée, avant d'y revenir plus en détail dans les parties suivantes, que si les activités urbaines jouent un rôle prépondérant dans les changements environnementaux planétaires, les sociétés urbaines constituent également des milieux particulièrement propices à l'expérimentation de réponses aux enjeux qui découlent de ces changements (partie 2). Les villes s'organisent d'ailleurs de manière nationale et transnationale pour favoriser ces expérimentations (partie 3). Les enjeux relatifs tant à la qualité des environnements urbains (les villes comme milieux de vie) qu'aux relations entre les agglomérations urbaines et l'environnement sont donc, de plus en plus, des enjeux globaux.
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La consommation indirecte désigne les flux de ressources, de matières et d'énergie incorporés dans les biens, services ou aliments consommés par les citadins et dans la production, la reproduction et la gestion des bâtiments et des infrastructures urbaines, ainsi que les flux de déchets et de polluants associés.
Des problèmes d'intensité croissante L'exposition des agglomérations aux effets négatifs des changements environnementaux planétaires s'accroît. Reprenons, pour les illustrer de manière plus précise, les exemples déjà évoqués, qui n'ont aucune prétention à l'exhaustivité. Exposition aux canicules. Le réchauffement tendanciel du climat est renforcé en ville par le phénomène d'îlot de chaleur, phénomène proprement urbain, et conduit à des températures plus élevées dans les espaces densément urbanisés par rapport aux espaces voisins moins urbanisés, du fait notamment de la moindre absorption de l'énergie solaire par la photosynthèse des plantes et le stockage du rayonnement solaire diurne dans la masse des bâtiments (pierres, brique, béton). A Paris, par exemple, la température nocturne moyenne est supérieure de 2,5°C à celle des zones rurales voisines, et cet écart était de 4 à 8°C lors de l'épisode caniculaire de 2003. Depuis le milieu du XXème siècle, les températures minimale et maximale à Paris s'accroissent de 0,3°C par décennie ; et le nombre de journées estivales (température maximale supérieure à 25°C) augmente en moyenne de 4 jours par an tous les 10 ans (Agence Parisienne du Climat, 2018). En outre, les épisodes caniculaires renforcent certains facteurs de dégradation de la qualité de l'air (ozone notamment). Le prolongement, et a fortiori l'accentuation, de ces tendances pose un problème d'habitabilité des espaces centraux des grandes agglomérations. Difficultés d'approvisionnement en eau. Une étude prospective, portant sur près de 500 des plus grandes agglomérations du monde et parue en janvier 2018 dans la revue Nature considère que la conjonction de l'accroissement de la population urbaine à l'échelle planétaire et la moindre disponibilité de ressources en eau de surface (liée notamment à la modification des régimes de précipitations et à l'imperméabilisation des sols) aboutiront à ce que le quart des villes étudiées, représentant une population cumulée de 233 millions d'habitants, rencontrent des problèmes d'approvisionnement en eau d'ici 2050 (Flörke, Schneider et McDonald, 2018). Accroissement de la population mondiale, développement généralisé de l'urbanisation et changements environnementaux planétaires se combinent ainsi dans l'exacerbation de ce problème majeur que constitue la satisfaction des consommations directes et indirectes en eau des citadins. Exacerbation des pressions sur les sols. Le développement contemporain de l'urbanisation s'inscrit dans un contexte de pressions croissantes sur les sols, résultant
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des besoins de production, pour une population mondiale en augmentation, de nourriture, de fibres et de carburants nécessaire induits par les modes de vie et de consommation au sein d'une planète de plus en plus urbanisée. Au niveau global, la déforestation et le développement de l'agriculture intensive et, notamment, de l'élevage, participent à la dégradation générale des sols (Cherlet et al., 2018). Dans ses modalités et ses formes contemporaines, l'urbanisation affecte pour sa part de manière disproportionnée les sols agricoles les plus fertiles et participe ainsi de l'accroissement des tensions pesant sur la production alimentaire à l'échelle globale. L'artificialisation des sols associée à l'urbanisation contribue en outre au phénomène d'îlot de chaleur et à la diminution des ressources en eaux de surface déjà évoquées, mais aussi à la diminution de la biodiversité par ses effets négatifs sur les habitats naturels, à l'accroissement des risques d'inondation et à la dégradation de l'air urbain par perte de la végétation (en particulier les grands arbres) qui joue un rôle important de filtrage de l'air. La préservation de la qualité des sols devient ainsi un enjeu essentiel de l'urbanisation.
Migrants internationaux et sociétés urbaines
Historiquement, les villes se sont développées par la venue de populations extérieures. A l'heure de la mondialisation, cette caractéristique est encore renforcée. L'appréhension quantitative du phénomène et les comparaisons internationales en la matière sont délicates du fait du manque de définition commune au plan international de ce qu'est une population étrangère, de la non-comparabilité des territoires pris en compte (commune vs. agglomération) et de la disponibilité inégale de données fiables et actualisées. Des rapports récents de l'ONU (ONU, 2015) et de l'OCDE (OCDE, 2013 ; OCDE, 2018 ; Arslan et al., 2016) s'attachent néanmoins à préciser les tendances récentes en matière de migrations. On peut en tirer quelques constats importants. Rappelons tout d'abord que le terme de migrations internationales recouvre des réalités extrêmement diverses, entre mobilité professionnelle des cadres d'entreprises mondiales, « migrations de modes de vie » (Benson et O'Reilly, 2009), mobilité étudiante, exil forcé de membres de minorités persécutées ou de groupes vivant dans le dénuement, ou départ de zones de guerre ou de grande pauvreté. Dans le débat public, différentes notions sont mises en avant, jamais de manière neutre. La
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catégorie de « migrant économique » , par exemple, est rarement employée pour désigner les cadres expatriés d'entreprises ou d'organisations internationales. La période récente est marquée par un accroissement relatif du nombre des migrants internationaux. Au niveau mondial, ce nombre est estimé par l'ONU à 173 millions en 2000, 220 millions en 2010 (soit une hausse de 27% par rapport à 2000) et 253 millions en 2017 (+ 15% par rapport à 2010). Notons à cet égard qu'il semble désormais établi que les facteurs classiques des migrations de subsistance (pauvreté, conflits armés, persécution de minorités par leurs autorités nationales...), dont l'influence reste prépondérante, sont renforcés par les conséquences de plus en plus sensibles des changements environnementaux planétaires (changement climatique, désertification et dégradation des sols) qui accroissent la pauvreté et aiguisent les tensions intra et internationales3. Une moitié de ces migrants réside dans une dizaine de pays seulement (OCDE, 2013), avec une concentration relative dans les pays riches. Ainsi, en 2010, les migrants internationaux représentent 11% de la population de l'OCDE (contre 3% de la population mondiale) ; notons cependant que, parmi ceux-ci, deux sur cinq proviennent d'autres pays de l'OCDE. Les proportions sont d'ailleurs comparables pour les pays de l'Union Européenne, dans lesquels résident (fin 2016) 54 millions de personnes nées à l'étranger (soit 10,5%), dont 19 millions nées dans un autre État membre. Les migrations vers les pays de l'OCDE (pays riches) ont augmenté de manière plus rapide dans la décennie 2000 (hausse de 38% entre 2000 et 2010 contre 27% pour les migrations internationales dans leur ensemble) ; mais la tendance semble s'être inversée depuis 2010 (hausse de 11% pour les migrations vers l'OCDE contre 15% pour l'ensemble). Les migrants internationaux dessinent donc une géographie nationale sélective. Ils se concentrent même spécifiquement dans quelques « villes mondiales » (Sassen, 1991). Selon l'ONU, un migrant international sur cinq résiderait dans une poignée de villes européennes et nord-américaines, même si la tendance récente en Europe semble aller dans le sens d'une installation plus fréquente des primo-arrivants dans les villes moyennes (ONU, 2015). La proportion de résidents étrangers dans les grandes villes est d'ailleurs relativement élevée, voire très élevée (figure 1).
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Le Monde daté du 12 septembre 2018 titre ainsi en une : « Le choc climatique aggrave la faim dans le monde ».
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population née à l'étranger dans certaines grandes villes
doubaï bruxelles toronto auckland sydney los angeles singapour londres new-york melbourne amsterdam francfort paris stockholm montréal rotterdam chicago madrid milan
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83% 62% 46% 39% 39% 39% 38% 37% 37% 35% 28% 27% 25% 23% 23% 22% 21% 20% 19% 9% 3,7% 3% 1,4% 0,5%
kuala lumpur séoul tokyo mumbai beijing
Source : ONU, 2015
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Au-delà des statistiques, une dimension essentielle concerne la place des migrants dans l'histoire, les sociétés et les cultures politiques des villes concernées. Certaines villes, comme New York, se sont principalement construites historiquement sur l'immigration extra-nationale. D'autres en revanche, à l'instar de Londres, Paris,
Toronto ou Turin, n'ont attiré les populations étrangères que plus récemment. Enfin, certaines villes, notamment la plupart des métropoles asiatiques, n'accueillent qu'une très faible population étrangère, principalement d'ailleurs en provenance d'autres pays asiatiques. Deux tendances sont notables. La première est que la part des populations extranationales dans de nombreuses métropoles a augmenté rapidement (et continue d'augmenter). Il en est ainsi, par exemple, de Toronto qui ne comptait que 14% d'étrangers résidents en 1981 mais près de la moitié aujourd'hui. Idem pour Londres qui n'accueillait que 20% d'étrangers en 1991 contre plus d'un tiers aujourd'hui. La seconde tendance concerne la diversité croissante des populations urbaines. L'internationalisation de ces populations joue dans cette diversification un rôle important, même s'il n'est pas exclusif4. Selon un groupe de chercheurs européens spécialistes des transformations des sociétés urbaines : "cities are not only diverse in socio-economic, social and ethnic terms, but that also many differences exist with respect to lifestyles, attitudes and activities. Increasing immigration, increasing diversity associated with this migration, different lifestyles within and between groups, spatial segregation in terms of ethnicity, and socio-economic variables, lead to a diversity of opportunities for different groups. [Hence] We will talk about cities of hyper-diversity". (Tasan-Kok et al., 2013) Cette « hyper-diversité », tant dans sa réalité statistique que dans sa réalité perçue et vécue, n'est pas sans implications politiques. Elle donne lieu à des débats, souvent vifs, sur les questions de multi-culturalisme, de cosmopolitisme et sur celle plus récente de « majorités minoritaires » ou de « minorités majoritaires »5.
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Au-delà de ses limites intrinsèques (liées notamment aux différences nationales en termes de définition de ce qu'est un étranger et en termes d'accès à la nationalité), le pourcentage d'étrangers dans une population ne permet d'appréhender qu'une fraction de la diversité des sociétés urbaines. En effet, cette diversité se joue également largement entre nationaux (voir par exemple les débats en France sur les « minorités visibles »). La connaissance de la proportion d'étrangers dans la population ne permet donc d'éclairer le débat public que de manière (très) partielle.
5 Pour certains auteurs, cette hyper-diversité peut aller jusqu'à se traduire par des espaces où les populations « minoritaires » sont de fait « majoritaires » (concepts de majority-minority ou de minority-majority), ce qui poserait des problèmes de représentation (voir par exemple Cameron et al., 1996) voire le problème de leur intégration en l'absence d'une « majorité » perçue comme homogène au sein de laquelle s'intégrer.
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En outre, ces évolutions ont des implications sur l'espace et les aménités urbaines : développement de commerces ethniques et de « marchés du monde », comme à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) ou à Turin qui affirme posséder le plus grand marché ethnique à ciel ouvert d'Europe, essor d'associations et d'activités culturelles portées par des groupes d'étrangers, évolution des ambiances urbaines. Elles s'accompagnent souvent de formes de regroupement de populations dans l'espace urbain sur des critères d'origine nationale, ethnique ou culturelle. Cette concentration de minorités peut constituer une ressource, comme dans les « quartiers tremplins » (Sanders, 2012) où le quartier devient un opérateur d'ascension sociale dès lors que par sa composition et sa régulation il facilite l'accès à l'activité économique et à la propriété selon des modalités favorables à ceux qui ne disposent pas du capital social et économique habituellement requis. Mais elle donne également lieu à des formes de ségrégation spatiale qui ne sont pas nouvelles, mais qui connaissent un renouveau et une intensification notables, sans même mentionner les bidonvilles et autres camps d'hébergement qui réapparaissent dans de nombreuses villes des pays du Nord. Les interdépendances entre ces deux facettes (le quartier comme espace d'opportunités et comme cadre contraignant) sont d'ailleurs patentes en contexte métropolitain du fait des liens entre attractivité métropolitaine, tensions sur les marchés fonciers et immobiliers et intensification des ségrégations résidentielles et des inégalités socio-spatiales intra-urbaines.
Les villes, hauts lieux du tourisme international
Le tourisme, dont les villes sont une « cible » privilégiée, connaît un développement sans précédent. Et le tourisme international y concourt de manière très significative, notamment dans les (plus grandes) villes. Il s'agit là d'une troisième facette de la nouvelle donne internationale. Ces activités touristiques, qu'il s'agisse de tourisme d'affaires ou de loisirs, induisent des flux de personnes de très grande ampleur qui le plus souvent se concentrent sur certains espaces urbains et certaines périodes très spécifiques. Toutes les villes ne sont pas concernées : l'attrait touristique suppose la présence de bâtiments et de paysage urbains remarquables, d'un patrimoine valorisé, d'ambiances et d'aménités accueillantes. Depuis quelques années, les classements mondiaux des villes en fonction de leur attrait touristique se sont multipliés, notamment dans les colonnes de la presse magazine. Dans l'un des plus connus, le Master Card Global Destination
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Villes : la nouvelle donne internationale
Index (2017), trois villes dominent quantitativement : Bangkok qui a accueilli plus de 21 millions de touristes, Londres avec près de 20 millions de visiteurs et Paris avec 18 millions. Il s'agit de très grandes métropoles qui sont aussi des hubs de transports et des portes d'entrée sur leurs propres continents, ce qui explique en partie leur attractivité. Mais l'on trouve également des villes beaucoup plus petites qui attirent des nombres de visiteurs tout aussi importants au regard de leur population : Vienne (avec près de 7 millions), Barcelone (6 millions), Prague (avec près de 6 millions) ou Lyon (5 millions). Certes la majorité de ces visiteurs sont des nationaux. Mais dans beaucoup de villes la part de touristes étrangers est significative et a tendance à s'accroître. Lyon a ainsi vu le nombre de visiteurs augmenter de 20% au cours des 5 dernières années avec une part d'étrangers qui aujourd'hui dépasse les 20%. Les grands événements peuvent jouer un rôle significatif à cet égard car ils induisent des flux de visiteurs parfois très importants et offrent à la ville hôte une visibilité internationale que les gouvernements urbains (et d'autres acteurs) vont pouvoir faire fructifier. Ainsi 5,6 millions de visiteurs se sont pressés à Saragosse en 2008 pour une Exposition Spécialisée6, 10 millions à Marseille en 2013 lorsque la ville était Capitale européenne de la culture, 20 millions à Milan en 2015 et plus de 42 millions à Séville en 1992 pour des Expositions Universelles. Du fait des flux de personnes qu'il induit, le développement massif du tourisme a un impact important sur l'économie urbaine, en termes de revenus et d'emplois. Pour reprendre le cas de Lyon, des spécialistes estiment que le nombre d'emplois directement concernés par le tourisme est de l'ordre de 35 000 et que ce volume augmente régulièrement (+ 5% entre 2015 et 2016 par exemple). Ce développement contribue également à transformer l'espace urbain par les infrastructures qu'il nécessite (musées, équipements sportifs et culturels, logements, lieux de restauration, réseaux de transports), la dé-résidentialisation d'une partie des secteurs centraux, la « touristification » des commerces et des services, et par les aménagements qu'il entraine (requalification des centres comme à Barcelone ou à Gênes,
6 Les Expositions Internationales sont de grandes expositions publiques organisées régulièrement à travers le monde par des pays depuis le milieu du XXème siècle pour être, hier, des vitrines des innovations technologiques et industrielles, aujourd'hui, des plateformes de discussion mondiale visant à trouver des solutions aux grands défis de l'humanité. Les Expositions Spécialisées ont un thème précis (par exemple « L'eau et le développement durable » à Saragosse en 2008) au contraire des Expositions Universelles qui traitent d'un sujet à caractère global, d'intérêt et d'actualité pour l'ensemble de l'humanité.
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amélioration des transports comme à Athènes ou Milan). Il affecte également les ambiances urbaines (avec des débats relatifs aux nuisances nocturnes dans les quartiers touristiques, à la muséification ou à la marchandisation des espaces publics urbains) et l'accès aux ressources urbaines, en particulier le logement, comme l'illustrent les controverses croissantes autour d'Airbnb (cf infra).
La marchandisation de la ville
Ainsi en matière d'environnement comme en matière touristique ou migratoire, les politiques publiques coexistent et interagissent avec d'autres formes d'action : celles des entreprises et celles de collectifs mobilisés pour ou contre tel phénomène. Les tensions et les controverses relatives au tourisme « de masse » (expression qui ne désigne, ou même ne dénonce, pas seulement le nombre élevé de touristes, mais aussi certaines pratiques touristiques) sont symptomatiques d'un enjeu plus général, celui de la marchandisation croissante des villes dans leur globalité comme des espaces, des aménités et des ressources urbaines. Dans les termes des études urbaines d'inspiration marxiste (Harvey, 2005 ; Brenner, 2004), la mondialisation exacerbe les tensions entre valeur d'usage et valeur d'échange de la ville. Pour ces auteurs, dans la mondialisation, la valeur d'échange de la ville prend le pas sur sa valeur d'usage, ce qui conduirait à la production d'une « ville néolibérale » (voir Pinson et Morel-Journel, 2017, pour une analyse des limites de cette notion). la thèse de la néolibéralisation des politiques urbaines
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Cette thèse part de l'idée que la mondialisation économique sape les bases de l'État-providence et produit un État néolibéral. Le sens donné au terme « néolibéral » varie d'un auteur à l'autre et renvoie tantôt à la marchandisation, tantôt à la concurrence, tantôt à la financiarisation. Le Galès (2016) attire ainsi l'attention sur le fait que le néolibéralisme se distingue du libéralisme classique par les éléments suivants : absence de correction des défaillances des marchés et des situations de monopoles, utilisation du pouvoir étatique pour contraindre les individus, démantèlement de l'État-providence et promotion des logiques de marché dans tous les domaines, délégitimation du politique. Dans ce contexte, on assiste à une diminution des capacités de régulation des Etats et des gouvernements locaux, qui s'opère avec le concours actif
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des représentants des institutions étatiques. La concurrence entre les villes devient la règle pour attirer populations et capitaux afin d'accroître leur valeur d'échange. On voit alors se développer des politiques dites entrepreneuriales (Harvey, 1989) de compétitivité qui progressivement prennent le pas sur les politiques sociales et tendent à accentuer inégalités et ségrégation sociospatiales. Ce faisant, les pouvoirs publics deviennent de plus en plus dépendants des forces économiques et leurs actions tendent à s'aligner sur les intérêts des grandes entreprises. Les villes se transforment et la valeur d'échange des aménités urbaines en vient progressivement à dominer leur valeur d'usage. La marchandisation de l'espace urbain résultant de la néo-libéralisation croissante des politiques urbaines est fortement liée à la nouvelle donne internationale : présence croissante d'acteurs économiques internationaux, influence du tourisme international, circulation internationale de modèles de développement urbain, concurrence internationale entre villes. Tout d'abord, il est clair que certaines villes sont des cibles privilégiées de ces processus et actions car elles bénéficient d'une attractivité ou d'aménités dont d'autres ne disposent pas. Ceci renvoie à la distinction faite par de nombreux consultants internationaux entre les lieux attractifs (hotspots, hopefull cities) et les lieux répulsifs (hopeless cities) (Galimberti, 2019). Les villes les plus « marchandisables » au niveau mondial sont alors les lieux où se manifestent le plus les processus de financiarisation de la production urbaine, du fait notamment de la densité élevée d'infrastructures intensives en capital et sans doute de l'anticipation d'une augmentation future des valeurs foncières et immobilières à même d'assurer des flux de revenus réguliers (Halbert et Attuyer, 2016), et où interviennent prioritairement des acteurs nouveaux comme les entreprises de services de plateforme, qui trouvent là des marchés privilégiés (voir par exemble Wachsmuth et Weisler, 2018, sur le cas d'Airbnb). Le processus de financiarisation de la ville indique une montée en puissance des acteurs de la finance, notamment internationale, dans la production urbaine (Halbert et Attuyer, 2016 ; Baraud-Serfaty, 2008). La ville est alors de plus en plus conçue comme un produit financier et voit intervenir des acteurs internationaux comme des fonds d'investissements (fonds de pension, fonds LBO). Ces acteurs, par la vision qu'ils ont de l'espace urbain et des produits spécifiques que cette vision in-
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duit, contribuent à la transformation de l'espace des villes. Guironnet montre bien dans sa thèse comportant des terrains d'enquête à Lyon et Saint-Ouen comment les acteurs de la finance internationale imposent de manière indirecte mais plus ou moins explicite des normes de construction qui concourent à une relative uniformisation de la fabrique urbaine (Guironnet, 2017). La transformation en assets financiers d'une partie des environnements construits, notamment dans les plus grandes villes, a d'autres implications sur le niveau des prix du marché immobilier, la pénurie de l'offre de logements et les phénomènes de vacance. Mais il est d'autres acteurs internationaux dont l'action est beaucoup plus médiatisée que celle des acteurs financiers, notamment parce qu'elle bouleverse de manière plus visible la vie quotidienne des habitants : les entreprises de services de plateforme (représentées de manière emblématique par Uber et Airbnb). L'arrivée dans les années 2010 de nombreuses plateformes numériques qui ciblent l'espace urbain comme lieu privilégié de leurs interventions vient en effet remettre en cause l'organisation et le fonctionnement de biens et de services jusque là régulés (plus ou moins bien) par la puissance publique. L'entreprise qui incarne le mieux aux yeux du public les nouveaux acteurs internationaux à même de tirer profit de la marchandisation de la ville est sans doute Airbnb. Celle-ci, en effet, déstabilise un marché du logement déjà peu performant au regard du nombre de citadins qui soit en sont exclus, soit y consacrent une part excessive de leurs revenus. En privilégiant des logements pour touristes et autres visiteurs occasionnels, Airbnb tend à rendre encore plus difficile l'accès au logement pour les résidents, notamment les plus modestes. En effet à travers la pratique de l'investissement locatif destiné aux locations à la nuitée (particuliers ou entreprises qui achètent des logements pour les louer de manière exclusive via des plateformes de type Airbnb), un volume conséquent de logements est retiré du marché locatif résidentiel. Certes cette activité est une source de revenus pour les citadins concernés. Mais le développement de ces pratiques a aussi des effets parfois problématiques sur l'espace urbain puisque la multiplication des logements Airbnb peut, au-delà d'un certain seuil, modifier la vie d'immeubles, de rues voire de quartiers entiers, en faisant disparaître des commerces et des services destinés à une population résidente au profit d'activités destinées à une population de passage. En outre, les opérateurs de plateforme ne font pas que rapprocher la demande et l'offre ; ils fabriquent une offre qui n'existait pas auparavant, ni en volume ni
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en nature. Des biens considérés pour leur valeur d'usage (logement, véhicule individuel...), et dont la valorisation sur le marché se faisait au moment de la revente, deviennent non seulement les actifs « liquides » de la financiarisation (pour le logement), mais aussi des biens valorisables tout au long de leur usage grâce à un opérateur capable de les transformer en service sans qu'il en soit le propriétaire. Ce qui pouvait passer comme un complément de revenu pour le salariat urbain propriétaire cède la place à un système qui génère son propre entrepreneuriat exclusif, précaire pour Uber, potentiellement lucratif pour Airbnb, mais qui, dans les deux cas, déstabilise la forme régulée (car intégrée aux infrastructures de transport et d'habitat) des services urbains. La fixation des prix échappe à la stricte négociation entre l'offreur et le demandeur au profit de l'opérateur de plateforme qui peut les faire varier selon des principes de maximisation du profit (yield management). C'est en ce sens que l'économie de plateforme participe à la marchandisation de la ville, et non simplement parce qu'elle en fait monter les prix par raréfaction des biens disponibles.
La ville, objet d'évaluation internationale
La concurrence interurbaine ou interterritoriale au plan international (comme paradigme et corollaire dominants de la mondialisation) et la compétitivité ou l'attractivité des villes (comme paradigme dominant des politiques et de l'action collective urbaines) ont engendré la production de nombreux travaux, études et rapports visant à comparer et à classer les villes entre elles, ce que la diffusion généralisée dans toutes les questions urbaines du terme anglo-saxon de benchmarking illustre bien (Bardet et Healy, 2015). Les villes sont ainsi devenues un objet d'évaluation internationale et les classements internationaux des villes ont fait florès. Dans un premier temps, l'accent a été mis sur les facteurs de compétitivité, puis d'attractivité, des villes au niveau mondial, confirmant et confortant ainsi la priorité mise sur ces dimensions par les acteurs économiques et politiques concernés. Jusqu'au début des années 2000, ces classements étaient quasi-exclusivement le fait d'entreprises privées de consulting comme Ernst and Young ou PricewaterhouseCoopers (PWC), mais progressivement certains acteurs urbains, privés ou publics comme les villes elles-mêmes, se sont lancés dans l'aventure car ils avaient besoin de données dont ils pouvaient contrôler le contenu et la fiabilité. Ainsi, dès 2007, le Partnership for New York City, qui regroupe les principales firmes globales de
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New York, a commandité l'étude « Cities of Opportunity », étude de benchmarking conduite désormais chaque année et visant à comparer leur ville à une trentaine d'autres métropoles estimées comme concurrentes sur tout un ensemble de secteurs. Il en est de même en Ile-de-France où régulièrement la chambre régionale de commerce publie des études de benchmarking international sur des sujets économiques. Très vite cependant, les classements internationaux se sont diversifiés. Si les facteurs de compétitivité économique restent bien présents, d'autres dimensions sont désormais prises en compte. Dans une étude publiée en 2013 (Clark et Moonen, 2013), la société de conseil Business in cities répertorie pas moins de 150 études de ce type qui couvrent les objets les plus divers comme l'environnement, la qualité de vie, la culture et la diversité et bien entendu l'attractivité économique... sans oublier les grands classements comme ceux de la Mori Memorial Foundation ou de Mercer qui couvrent un vaste ensemble de secteurs. On peut dire aujourd'hui que tous les thèmes sont admis pour classer les villes entre elles, y compris les thèmes comme la ville la plus cool ou la plus honnête, classements régulièrement produits par des magazines comme Slate ou le Reader's Digest. A tous ces classements internationaux, il faut ajouter certains travaux académiques, comme ceux de la DATAR pour l'Europe ou ceux du think tank Globalization and World Cities Research Network (GaWC) pour les grandes villes mondiales. Fondé en 1998 par le géographe Peter Taylor, le GaWC a établi l'un des classements de villes mondiales les plus réputés, actualisé tous les deux ans, classant les villes en trois grandes catégories (alpha, beta, gamma) en fonction de leur degré de « mondialité » estimé à partir de l'importance des secteurs de la finance et des services aux entreprises (banking, accountancy, legal et advertising). A l'issue de ce bref panorama, on peut donc effectivement conclure, nous semblet-il, à l'existence d'une nouvelle donne internationale pour les villes, qui résulte non seulement de l'intensification d'un ensemble de processus ayant chacun des racines historiques plus ou moins anciennes mais aussi de l'accroissement des interdépendances entre ces processus : multiplication des migrants climatiques (Banque Mondiale, 2018) ; marchandisation urbaine par et pour les touristes ; marchandisation des environnements urbains (espaces urbains privatifs bénéficiant d'un air purifié, de températures ambiantes contrôlées, de paysages et d'ambiances protégés, etc.). Cette nouvelle donne est confortée par des changements plus généraux :
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diversification radicale des modes de vie, des pratiques et des registres d'appartenance sociale et culturelle ; développement des réseaux et technologies numériques de communication ; effondrement du coût des transports internationaux. Dans la suite de cet ouvrage, nous nous intéressons à l'action publique urbaine aux prises avec cette nouvelle donne.
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Des gouvernements urbains qui agissent
Dans cette deuxième partie, nous nous intéressons principalement aux acteurs urbains et aux politiques mises en place au sein des villes pour tirer parti de cette nouvelle donne internationale ou pour s'y adapter. Notons en préambule que ces politiques ne sont pas indépendantes des aspirations, des dynamiques et des mobilisations qui s'expriment au sein des sociétés urbaines (Jouve, 2007). Acteurs économiques, mouvements écologistes, groupes favorables (ou hostiles) à l'accueil de migrants... influent par leur action sur les politiques urbaines. Il convient d'appréhender les sociétés urbaines comme des constructions socio-politiques où différents forces et intérêts sont en relation, voire en conflit, sans pouvoir toujours préjuger à l'avance lesquels de ces intérêts vont prévaloir, et de quelles manières ils seront repris par les gouvernements urbains. L'appréciation des contraintes et des opportunités de l'internationalisation diffère selon les contextes historiques, sociaux et politiques locaux, et les stratégies des villes varient en conséquence. De manière générale, les acteurs publics urbains vont s'attacher à abolir ou atténuer les aspects et les effets des processus d'internationalisation qu`ils jugent négatifs et à développer et valoriser les effets jugés positifs. A l'encontre de ce que suggère une lecture trop uniforme en termes de néo-libéralisation, les villes ne sont donc pas toutes conduites de façon mécaniste ou par imprégnation culturelle à privilégier les seules mesures visant la compétitivité économique.
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Des villes plus progressistes que les États ?
Il est souvent avancé que les sociétés urbaines et leurs gouvernants apportent des réponses plus « progressistes » que celles des États aux défis de la mondialisation,
qu'il s'agisse de contenir les inégalités, de lutter contre le changement climatique, d'accueillir des migrants, voire de résister à la marchandisation généralisée des espaces, des aménités et des services urbains. Dans certains cas, ce seraient des groupes de citadins qui se mobiliseraient (ou se seraient mobilisés) en premier, suscitant dans un second temps, le cas échéant, l'action plus institutionnalisée des responsables politiques urbains. Dans d'autres, ce seraient plutôt les responsables publics qui seraient à l'initiative d'actions et de prises de position progressistes. Ce « progressisme urbain », s'il peut être fréquemment observé, dépend cependant des villes et des domaines d'action et est limité par les compétences juridiques des pouvoirs urbains et par leurs capacités financières (a fortiori dans les contextes contemporains d'austérité). Les politiques environnementales Les mobilisations citadines en matière d'environnement se réfèrent de manière de plus en plus centrale aux changements et aux enjeux environnementaux planétaires : climat, biodiversité, ressources, alimentation, sols. Certes, les mouvements écologistes ont été les porte-parole depuis les années 1960 de préoccupations globales. Mais la reconnaissance au sein des sociétés urbaines de l'importance, « ici et maintenant », d'enjeux environnementaux globaux et de long terme s'est considérablement diffusée depuis un demi-siècle, sans toujours aboutir cependant à des actions ou des changements concrets. Dans ces domaines, l'internationalisation des enjeux et des processus est une ressource pour l'affirmation et la légitimation de l'action locale vis-à-vis des directives étatiques. Donnons-en trois exemples sur les sujets déjà évoqués. Transition énergétique (et écologique) par les villes et les citadins. De nombreuses villes, de toutes tailles, entendent être en pointe dans la lutte contre le changement climatique et dans la promotion de formes de transition énergétique (développement des énergies renouvelables, efficacité énergétique, promotion de pratiques « sobres » en énergie) ou, plus largement, de transition écologique (élimination des déchets, qualité des milieux et de l'alimentation, circuits courts alimentaires, « dématérialisation », etc.). Ces démarches, même lorsqu'elles portent sur des enjeux locaux comme ceux relatifs au cadre de vie, se réfèrent désormais de manière centrale aux changements environnementaux planétaires, qui constituent à la fois une source de légitimation de l'action et un horizon orientant cette action, comme en atteste en particulier la place centrale désormais universellement accordée dans les
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stratégies environnementales urbaines (et pas seulement urbaines) à la diminution des émissions de gaz à effet de serre et le vocable même de « transition ». En outre, l'attention centrale accordée aux enjeux environnementaux globaux façonne l'action diplomatique nationale et transnationale des villes, comme on le verra plus loin. Circuits courts, (re)localisation du métabolisme urbain et quête de l'autonomie locale. Dans le même temps, contraintes il est vrai par leurs compétences administratives, les autorités urbaines s'attachent à formuler des réponses locales à ces enjeux environnementaux globaux. Les notions de circuits courts, d'autosuffisance (alimentaire, énergétique), d'économie (locale) circulaire ou d'agriculture urbaine, et les initiatives associées, sont autant de signes d'une conception nouvelle (ou peut-être, en partie du moins, remise au goût du jour). Selon cette conception, la prospérité, la santé et le bien-être des populations urbaines dépendraient d'un plus grand degré d'« autosuffisance métabolique » locale (ne) mobiliser (que) des ressources locales ; ne pas reporter sur d'autres populations ou territoires les coûts environnementaux (déchets, pollutions) de son mode de vie et plus profondément d'autonomie politique locale (re)conquérir la capacité des sociétés urbaines à définir leurs règles de vie commune et à s'y conformer. Certes ces logiques d'autonomisation politique ne se déploient aujourd'hui qu'à la marge des grands systèmes infrastructurels et du paradigme dominant de l'interdépendance métabolique et commerciale généralisée, mais elles pourraient gagner en influence dans un futur proche. Urbanisation économe en sols. Comme on l'a vu plus haut, les sols sont au carrefour d'un ensemble d'enjeux environnementaux, sanitaires et alimentaires non plus seulement locaux mais également globaux. Le ménagement des sols émerge comme une préoccupation majeure pour l'action publique. Il s'agit désormais pour reprendre les termes de la trilogie réglementaire française en la matière d'éviter, de réduire ou de compenser l'artificialisation des sols résultant du développement infrastructurel et urbain. Même si cette réglementation n'entre en vigueur que progressivement, elle pourrait amener, à terme, une évolution profonde du rapport aux sols dans les projets d'aménagement, évolution qui paraît d'ailleurs éminemment souhaitable à tous points de vue sur une planète massivement anthropisée. Dans ces domaines l'ambition de l'État est d'autant plus grande que la responsabilité d'éviter, de réduire ou de compenser est reportée sur les collectivités locales et les aménageurs, firmes d'infrastructures et autres promoteurs.
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Les politiques de lutte contre la marchandisation de l'espace urbain La marchandisation de l'espace, des aménités et des services urbains, avivée par la nouvelle donne internationale, revêt des formes diverses, que nous avons déjà évoquées : financiarisation, développement de l'économie de plateforme, marchandisation croissante de (dans) l'espace public, muséification... L'action publique urbaine en la matière est très variable d'une ville à l'autre et d'un domaine à l'autre. S'agissant du processus de financiarisation de la production et de la propriété urbaines, certaines villes s'essaient à en tirer parti ou à le contrôler (Guironnet, 2017) même si, dans le même temps, beaucoup d'autres la subissent. C'est aussi le développement très rapide de l'économie de plateforme dans les services urbains, et notamment la mobilité et le logement, qui provoque au sein des populations de certaines villes les réactions les plus vives et qui suscite des formes nouvelles de régulation publique précisément parce qu'il affecte directement la vie quotidienne des citadins. Dans le domaine de la mobilité, c'est la plateforme Uber qui est la plus médiatisée, du fait notamment de ses politiques commerciales et de développement agressives. Les conflits, nombreux et parfois vifs dans plusieurs villes du monde, entre Uber et professionnels du transport, notamment les chauffeurs de taxi mais aussi ses propres chauffeurs, ont fait la une des journaux. En règle générale, les villes n'ont pas été en première position de ces conflits car les aspects conflictuels ne dépendaient pas de leurs compétences mais de celles des Etats. Ces derniers ont alors cherché à mieux réguler le marché de la mobilité que ces plateformes ont bouleversé, notamment en palliant les failles juridiques des systèmes nationaux dont ces plateformes profitent pour se développer. Mais c'est pourtant dans les villes que ces conflits s'expriment, se rendent visibles. Et certains de ces conflits opposent Uber à des autorités urbaines, comme c'est le cas à Londres, où l'entreprise est en procès avec l'autorité de régulation des transports depuis l'automne 2017 pour recouvrer sa licence d'exploitation. C'est probablement dans le secteur du logement que certaines villes sont intervenues avec le plus de force, souvent sous la pression de mobilisations citadines. Les plateformes comme Airbnb ou HomeAway ont elles-aussi des politiques agressives dont l'impact est significatif sur la vie quotidienne de certains quartiers, sur l'espace, sur les professionnels du tourisme (les hôteliers) et bien entendu sur des
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marchés du logement généralement tendus. Les métropoles touristiques les plus dynamiques sont les cibles privilégiées de ces plateformes et des acteurs locaux (habitants, professionnels affectés des secteurs de l'hôtellerie ou des taxis notamment, pouvoirs publics) ont commencé à réagir, parfois violemment, pour dénoncer leurs agissements. Une réglementation de l'activité de ces plateformes a été mise en place dans un nombre croissant de villes. Certaines comme Berlin les ont purement et simplement interdites, mais en règle générale les villes ont préféré les contrôler en obligeant leur déclaration aux autorités publiques, en les taxant et parfois en en restreignant le champ, par exemple en limitant le nombre de nuitées que les propriétaires pouvaient proposer à la location. C'est le cas à Paris, considérée comme la ville la plus ciblée par Airbnb, à Barcelone, à San Francisco ou à Milan. Les capacités, les modalités et les instruments de régulation des services de plateforme par les villes, comme les jeux d'acteurs afférents, sont dès lors d'une importance déterminante sur la poursuite de la stratégie de ces opérateurs, plus encore que les cadres réglementaires nationaux (Artioli, 2020). Les politiques d'accueil et d'intégration des migrants Les politiques d'accueil et d'intégration des migrants dépendent de la culture politique des Etats et renvoient aux débats entre les pays promouvant le multiculturalisme (comme le Royaume Uni ou le Canada) et les pays défendant des principes universalistes, comme la France, où les identifications religieuses et culturelles ont moins facilement droit de cité, même si aujourd'hui ces oppositions ont tendance à se brouiller7. Dans les premiers, certaines mesures visent des communautés particulières (action en faveur de l'entrepreneuriat ou à l'emploi des minorités à Londres par exemple) alors que les seconds rejettent en principe les politiques ciblées visant spécifiquement des groupes définis selon des critères ethniques ou de nationalité. De nombreuses villes considèrent l'immigration comme essentielle à leur dynamisme et peuvent aller jusqu'à s'opposer à leur État lorsque le gouvernement national adopte des positions de repli. On le voit par exemple aux Etats-Unis avec le mouvement des villes sanctuaires ou dissidentes, et dans une moindre mesure au Royaume-Uni avec les tentatives de certaines villes britanniques d'atténuer les conséquences du Brexit (Maisetti, 2018).
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Ainsi, la Charte des valeurs au Québec définit une sorte de tronc commun d'inspiration universaliste.
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Mais on ne peut pas se contenter de raisonner de manière générale en la matière. Il existe des situations migratoires extrêmement différentes, du cadre d'entreprise multinationale au demandeur d'asile en passant par les migrants économiques pauvres. L'une des questions brulantes sur ce thème est l'accueil et l'intégration des migrants pauvres en provenance des pays du Sud qui, comme nous l'avons mentionné précédemment, s'établissent principalement dans les villes et notamment les plus grandes d'entre elles. Si certaines municipalités ou métropoles semblent pour l'essentiel relativement passives dans ce domaine, d'autres au contraire ont commencé à développer des actions concrètes. Bien entendu, là encore, le contexte économique, social et politique joue beaucoup et explique à bien des égards les mesures prises. De manière intéressante, les mesures mises en place pour accueillir les migrants riches ou répondre à leurs demandes (école, logement, commerces...) sont beaucoup moins souvent débattues. Un rapport de l'OCDE (2018), qui analyse la question de l'accueil des migrants à partir d'une comparaison de plus de 70 villes européennes, éclaire un peu la situation actuelle. Se penchant sur quatre domaines d'action publique (l'emploi, le logement, les services sociaux et de santé, l'éducation), les auteurs de ce rapport mettent en avant plusieurs actions et mesures prises par des villes européennes pour l'accueil des migrants. Certaines municipalités apparaissent en effet plus actives. C'est le cas d'Amsterdam, de Barcelone, de Berlin, de Paris ou encore de Vienne. En matière d'emploi, ces villes interviennent pour tisser des réseaux entre entreprises et associations qui s'occupent des migrants (Amsterdam, Paris) ou lutter contre la discrimination à l'embauche comme Berlin qui avec sa campagne « Etre réfugié n'est pas une profession » encourage les entreprises locales à embaucher des migrants. En matière de logement, des villes comme Barcelone ou encore Berlin jouent un rôle de médiateur entre propriétaires et migrants et offrent des garanties de paiement des loyers ainsi que des aides pour les propriétaires qui acceptent de loger des migrants. Dans le domaine social et de la santé, plusieurs villes (Amsterdam, Paris, Rome) ont créé des centres d'urgence pour les populations étrangères en grande difficulté et s'attachent à garantir un accès aux services sociaux de base (Athènes, Rome). Enfin, pour l'éducation, les villes engagent des mesures d'aide à l'apprentissage, comme à Berlin avec la campagne « Berlin a besoin de toi », d'assistance à l'alphabétisation et l'apprentissage de langues (Barcelone, Glasgow) ou d'amélioration de la mixité sociale et ethnique dans les écoles publiques (de nombreuses municipalités néerlandaises).
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Sur ces différents sujets, des gouvernements urbains affirment donc des politiques plus progressistes que leurs gouvernements nationaux. Cette lecture doit cependant être nuancée par un certain nombre de constats. Ainsi, en ce qui concerne la lutte contre le changement climatique, les stratégies urbaines sont ambitieuses mais peinent à se transformer en politiques publiques effectives. S'agissant de la marchandisation des villes, de nombreux résidents en sont des promoteurs actifs. Selon le site d'Airbnb lui-même, par exemple, 70 000 logements sur les 1,4 millions que compte Paris étaient proposés à la location à la nuitée par la plateforme en septembre 2017, ce qui représente tout de même une forme de marchandisation touchant 5% du parc de logements. Et ces estimations sont jugées basses par certains observateurs. En matière d'accueil des migrants enfin, les pratiques de défausse sont nombreuses : renvoi à l'Etat de responsabilités de « mise à l'abri » que les villes pourraient exercer ; logement des migrants dans des centres d'accueil situés hors du territoire municipal où à l'écart des logements des résidents, etc. Sans même mentionner les manifestations ou contre-manifestations anti-migrants qui se multiplient dans les villes européennes et qui, d'une manière ou d'une autre, affecteront l'action publique urbaine dans ce domaine.
L'internationalisation comme opportunité et comme ressource
Les villes sont donc prises, qu'elles le veuillent ou non, dans le mouvement de la mondialisation, où le paradigme de la concurrence reste prégnant, même si certaines villes « perdantes » (villes en déclin) s'efforcent de développer de nouvelles perspectives. Toutes ne perçoivent pas exclusivement ce mouvement comme une contrainte. Certaines d'entre elles au moins ont bien compris qu'il pouvait constituer une opportunité et une ressource significatives pour leur développement. Et ceci, non seulement dans la perspective de faire partie des gagnants de cette compétition mais aussi pour améliorer le sort de leurs habitants, voire promouvoir certaines valeurs. Elles développent dans cette perspective des politiques qui s'inscrivent, pour certaines, dans de véritables stratégies. Au-delà de la fourniture de services aux entreprises internationales que l'on retrouve dans de très nombreuses villes, notamment les plus grandes, trois ingrédients sont fréquemment présents et, le cas échéant, combinés : le marketing territorial, la référence aux classements de villes et la promotion du tourisme (notamment à travers l'organisation de grands événements).
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Être visible sur la carte du monde : le marketing territorial à l'oeuvre L'un des premiers signes du statut international d'une (grande) ville est l'accueil sur son sol d'organisations internationales. A la suite de la Seconde Guerre Mondiale, certaines villes sont devenues le siège d'organisations internationales souvent prestigieuses, non pas parce qu'elles avaient fait pression sur les décisions mais plutôt parce qu'elles avaient été d'autorité choisies par les États. C'est le cas des établissements des Nations Unies qui ont été soigneusement répartis entre les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale : le siège des Nations Unies à New York, l'Unesco à Paris, l'Organisation mondiale pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) à Rome, etc. D'autres organisations ont suivi un processus similaire : l'OCDE à Paris, les institutions européennes à Bruxelles, l'Organisation Mondiale du Tourisme à Madrid, etc. La situation actuelle est quelque peu différente, dans un contexte de multiplication des organisations internationales et des réseaux de villes. Quelques villes ont saisi ces opportunités en devenant le siège de ces nouvelles structures. Barcelone, par exemple, a su tirer son épingle du jeu en devenant, entre autres, le siège de Cités et Gouvernements Locaux Unis et de l'Union pour la Méditerranée. D'autres villes comme Montréal, qui accueille l'Agence Mondiale Antidopage et l'Association Internationale du Transport Aérien, ou Genève, siège de l'Organisation Mondiale de la Santé, ont suivi le même chemin. Ce qui reste cependant le plus connu pour la mise en visibilité d'une ville au niveau international, car le plus médiatisé, ce sont les grands événements, dont certains ont fait l'objet d'âpres compétitions entre les villes (tout au moins jusqu'à une date récente). Qu'il s'agisse des Jeux Olympiques, des Expositions Internationales ou du statut éphémère de Capitale européenne de la culture, les villes se sont battues pour accueillir de tels événements. En être l'hôte signifie « être sur la carte du monde » et ainsi espérer capter des ressources qu'une telle visibilité peut procurer. Certaines villes en ont clairement fait l'un des instruments de leur stratégie d'internationalisation. Là encore on peut citer Barcelone qui a commencé sa mise en visibilité en accueillant les Jeux Olympiques de 1992, puis le Forum mondial Urbain en 2004, tout en se lançant la même année dans la création d'un événement ad hoc, le Forum Universel des Cultures ou Forum 2004. La stratégie barcelonaise a été suivie quasi à l'identique par la ville de Turin qui, après avoir accueilli les Jeux Olympiques d'hiver en 2006, a multiplié les grands événements sur son territoire : salon mondial
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du goût, salon mondial de l'automobile8, championnats du monde d'escrime, etc. Du côté des événements sportifs on peut encore citer la lutte que se livrent les villes pour accueillir les plus grands marathons du monde, lutte dominée par New York avec plus de 50 000 participants mais qui est talonnée par Tokyo, Chicago, Londres, Berlin ou Paris. Ces stratégies ne sont pas toujours couronnées de succès et la réussite de Barcelone n'éclipse pas les échecs comme celui de Sheffield avec les Jeux universitaires mondiaux en 1991, qui ne lui ont pas apporté le surcroît de visibilité internationale attendu, ou les résultats en demi-teinte sur ce plan de Milan avec l'Exposition Universelle 2015. Et les candidatures des villes à l'accueil de grands événements sont d'ailleurs de plus en plus contestées localement, comme l'a montré la récente attribution des JO 2024 à Paris, seule ville en lice en définitive (après le retrait de Los Angeles en contrepartie de sa désignation pour l'édition 2028). La frénésie des classements internationaux Une autre modalité de mise en visibilité internationale a trait à l'utilisation, voire l'instrumentalisation, des classements internationaux. Les villes les utilisent pour se comparer, estimer leurs atouts et leurs faiblesses, mais aussi pour des actions d'autopromotion. Parfois, ces classements font prendre conscience aux responsables locaux de la place de la ville dans tel et tel domaine et les incitent à mobiliser la société urbaine, et notamment le monde économique et politique, pour améliorer cette position. C'est par exemple le cas des `top 15' (Lyon) ou `Top 20' (Marseille) ou de celui de Peter Taylor.
8 Il s'agit en fait de la relance, en 2015, du salon mondial de l'automobile que la ville avait accueilli tout au long du XXème siècle, avant une interruption d'une quinzaine d'années dans un contexte de développement concomitant (et concurrent) avec le salon de Bologne.
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En 2008, Madrid Global, l'organisme chargé d'élaborer la stratégie internationale de la ville de Madrid, fait un recensement détaillé du positionnement de la municipalité dans les grands classements internationaux. Celui de Peter Taylor la définit comme « une ville globale émergente » et la met dans la même catégorie que des villes comme Boston, Chicago, Milan, Moscou, Singapour ou Toronto. D'autres classements, comme celui de la DATAR ou de l'European Cities Monitor, placent Madrid en troisième position sur les plans démographiques et économiques en Europe, derrière Londres et Paris. Dans un tel contexte, Madrid Global estime qu'il est essentiel que la capitale espagnole garde son statut de troisième ; elle ne peut espérer rivaliser avec Londres et Paris mais elle doit faire face à la concurrence d'autres métropoles européennes comme Milan ou Manchester. Par ailleurs, bon nombre de classements indiquent un déficit d'image (l'image internationale de la ville ne reflèterait pas la réalité madrilène). Partant de là, Madrid Global lance un plan stratégique visant à conforter les atouts de la ville (la qualité des services urbains par exemple) et à les faire connaître au monde. C'est dans cette démarche que s'inscrit la candidature réussie de Madrid à l'organisation d'un pavillon lors de l'Exposition Universelle de Shanghai de 2010 (dont le thème est la ville) et ses candidatures malheureuses à l'accueil des Jeux Olympiques d'été en 2008 et 2012. En 2010, le Grand Lyon se lance dans une démarche visant à son intégration dans le top 15 des villes européennes. Suite à l'analyse de plusieurs classements européens des villes (DATAR 2003, European Cities Monitor, etc.) et des travaux de l'OMPREL (Observatoire Métropolitain Partenarial de la Région Economique Lyonnaise), ce dernier publie un rapport intitulé « la région urbaine de Lyon dans l'Europe des métropoles ». Le Grand Lyon déclare ainsi se mesurer à dix villes (Barcelone, Lille, Manchester, Marseille, Milan, Munich, Prague, Turin, Valencia, Zurich) et se positionne par rapport à elles dans des domaines aussi divers que l'accessibilité internationale (ferroviaire et aérienne), la qualité de ses universités (avec le classement de Shanghai), l'accueil de meetings internationaux (avec le classement de l'association des congrès et salons), la localisation de sièges sociaux (avec le classement Forbes 1000), etc. Ce travail permet au Grand Lyon de mieux identifier ses atouts et ses faiblesses et de faire prendre conscience aux acteurs métropolitains de l'urgence de mener certaines politiques.
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En 2013, la Chambre de Commerce et d'Industrie (CCI) Marseille-Provence lance la démarche « Ambition Top 20 » qui a pour objectif de faire entrer la métropole Marseille-Provence dans le club des 20 villes les plus attractives d'Europe. En effet, le classement de la DATAR de 2003 ne la place qu'en 23ème position. La CCI est particulièrement vigilante sur l'évolution d'un certain nombre de classements internationaux comme celui du Mercer Quality of Life ou de l'European Cities Monitor qui lui permettent à la fois de mieux identifier ses handicaps mais aussi de repérer les métropoles avec lesquelles elle ne peut jouer la concurrence et de voir où se situent les métropoles avec lesquelles elle se mesure. Ainsi cette démarche élimine des villes comme Barcelone, Milan ou Munich et identifie une dizaine d'autres qui sont proches de Marseille en termes de taille, d'évolution et de performances économiques (Bilbao, Brême, Gênes, Glasgow, Hambourg, Lyon, Naples, Nice, Toulouse et Valencia). Elle met ainsi l'accent sur ce qui fait le plus défaut à la métropole provençale : une marque. Car comme la CCI l'écrit, « pour se placer sur l'échiquier mondial et s'y affirmer comme chef de file de tout un territoire, Marseille-Provence doit au préalable se bâtir une image, reflétant son identité au niveau régional, national et international. La métropole doit ainsi trouver "sa" marque, la décliner dans chaque projet métropolitain et rassembler autour d'elle la performance collective » (Cahiers Top 20, n° 2). Cette stratégie et les instruments associés (notamment le club Top 20) sont à l'origine de la candidature victorieuse (succès obtenu en 2008) de Marseille comme Capitale européenne de la culture 2013. De manière plus ou moins habile, certains gouvernements urbains vont aussi mettre en avant les bonnes places que leurs villes occupent dans certains classements non seulement pour se promouvoir au niveau mondial mais aussi pour légitimer, à tort ou à raison, les actions qu'ils disent avoir menées pour parvenir à ce résultat. C'est ce qu'a fait la ville de Paris lorsqu'elle a obtenu la première place du classement Anholt-Gfk City Brands sur la « réputation » des villes9, position qu'elle garde encore
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Ce classement, réalisé tous les deux ans, évalue la puissance et l'image des 50 villes les plus « admirées » au monde, en se basant sur 6 critères : le statut et la réputation internationale de la ville ; le lieu (son aspect extérieur et ses modes de transport) ; la qualité des équipements publics et des logements ; la convivialité des habitants, leur diversité culturelle et le sentiment de sécurité ; la qualité des activités proposées ; les opportunités économiques et éducatives offertes.
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aujourd'hui. D'autres responsables urbains se sont par ailleurs appuyés sur de mauvais classements pour légitimer de nouvelles stratégies de promotion territoriale. Les classements sont ainsi mobilisés dans des actions de marketing territorial. La mise en visibilité internationale des villes passe en effet également par ce qu'on appelle aujourd'hui le branding, c'est à dire la production d'une marque de la ville qui ferait reconnaître d'emblée sa spécificité et sa singularité au plan mondial. Si la recherche de cette marque est le lot de très nombreuses villes, beaucoup d'entre elles n'y parviennent pas et le branding ne donne alors lieu qu'à des slogans creux, sans consistance réelle. Cependant, certaines municipalités ou métropoles notamment parce qu'elles ont pris au sérieux cette question de visibilité et d'internationalisation ont réussi à trouver leur place sur la carte du monde en produisant une image qui renvoie à la réalité de leurs sociétés urbaines et des politiques et stratégies menées. C'est le cas de Toronto qui ne se contente pas de revendiquer son caractère de ville diverse et multiculturelle, mais qui en affirme aussi l'intérêt avec son slogan « Diversity is our strength », et qui développe des politiques en cohérence avec ce discours. C'est également le cas de Séoul qui s'autoproclame « ville de l'économie collaborative et du partage » et qui a initié depuis 2012 une politique très volontariste dans ce domaine en promouvant le partage de l'information, de l'espace, des biens et des services (voitures et parkings, livres, logements) et en soutenant les start-ups du secteur (Lefèvre, Aldhuy et Terral, 2016).
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Mentionnons enfin les villes qui s'affichent à la pointe de la lutte contre le changement climatique à travers les réseaux internationaux de type C40 ou le Global Covenant of Mayors for Climate and Energy (Mor, 2020). Les politiques de compétitivité et d'attractivité De nombreuses villes cherchent à attirer des ressources extérieures afin de développer leur économie. Les cibles visées sont alors les investisseurs étrangers, les étudiants et les touristes étrangers, et plus généralement ce que les maires, alertés par les consultants, appellent les « classes créatives », en référence à la notion de Richard Florida (2002) qui, quoique contestée (Vivant, 2009), se propage rapidement dans les discours des élites urbaines. L'idée est bien celle d'un développement par une internationalisation de l'économie et de la société urbaines.
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Pour ce faire, les villes ont recours à du marketing territorial qui s'exprime souvent par des slogans et logos dont le plus emblématique en France est celui de la métropole lyonnaise, OnlyLyon. Certaines, plus agressives et/ou plus fortunées que les autres, créent des « ambassades » dans des métropoles étrangères, ces ambassades étant chargées de faire la promotion de la ville auprès d'une clientèle ciblée : investisseurs, entrepreneurs, étudiants de masters, artistes (par exemple des cinéastes qui en choisissant la ville comme lieu de tournage feront du même coup sa promotion à l'international). Londres a ainsi établi plusieurs ambassades à Mumbai, New York, Pékin et San Francisco. Dans la même idée, la Métropole de Lyon a institué des `ambassadeurs', personnalités du monde des affaires, de la science ou des arts, qui s'engagent à promouvoir la ville dans le monde10. Pour autant ce marketing territorial se doit de reposer sur une internationalisation réelle de la ville, ce qui se caractérise le plus souvent par la production de politiques culturelles idoines, la construction d'équipements et d'infrastructures adéquats qui viennent d'autant marquer le paysage urbain. On le voit donc, de nombreuses villes développent des actions diverses pour tirer parti de la nouvelle donne internationale au service d'objectifs variés mais avec un succès inégal.
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La métropole de Lyon revendique aujourd'hui plus de 26.000 de ambassadeurs OnlyLyon à travers plus de 60 pays.
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Des organisations urbaines transformées par et pour l'action internationale
Dans cette dernière partie, on examine les implications organisationnelles de la nouvelle donne internationale pour les villes. En effet, au-delà des politiques conduites localement, les villes, en tout cas certaines d'entre elles, se sont attachées à s'organiser pour conduire leurs actions internationales. Cette démarche de reconfiguration organisationnelle s'observe en interne, au sein de l'appareil politico-administratif local, mais aussi en termes de relations transnationales, par la mise en place de réseaux ou d'associations de villes. Et elle ne vise pas seulement à tirer parti de l'environnement international dans lequel ces villes sont immergées, mais aussi à façonner cet environnement, celui dans lequel les villes entendent agir. En effet, on observe que les acteurs (politiques) urbains ne s'en remettent plus à leurs États pour promouvoir leurs intérêts, mais s'attachent à organiser eux-mêmes leur environnement géopolitique et réglementaire national et international, à devenir eux-mêmes des acteurs sur la scène inter (ou trans) nationale. C'est ainsi qu'on peut parler de formes de transnationalisation11, de diplomatie des villes, et appréhender un certain nombre de tensions ou de dynamiques en termes de géopolitique internationale urbaine.
Des réorganisations internes
Pour porter leur action internationale, les villes ont le plus souvent créé des structures ad hoc dont le nombre, la taille, les compétences et l'autonomie reflètent l'importance accordée à l'ouverture internationale par les exécutifs locaux. Il est probable que les premières structures de ce type aient principalement concerné les questions de compétitivité économique. Pour ce faire, des villes ont ainsi établi
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Nous désignons par le terme de transnationalisation les formes d'internationalisation relativement autonomes par rapport aux États qui résultent de la volonté et la capacité croissantes d'acteurs locaux de s'affranchir des cadres étatiques dans leurs relations internationales.
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des inward investment agencies, agences chargées d'attirer les capitaux étrangers ou des financements d'organisations régionales comme l'Union Européenne. Mais progressivement les plus dynamiques d'entre elles ont multiplié ces structures, en ont constitué de nouvelles, plus complètes et plus stratégiques, qu'elles ont souvent doté de moyens conséquents avec un accès direct aux décideurs politiques comme les maires ou les présidents d'autorités métropolitaines. A cet égard, on peut citer Madrid Global, Torino Internazionale, Montreal International, London Partners et bien d'autres. Madrid Global a été constituée en 2008. Elle était officiellement le « Bureau de la stratégie et de l'action internationale » de Madrid. A ce titre, elle était directement rattachée au cabinet du vice-maire. C'était une structure publique dépendante à 100% de la mairie. Sa mission première était d'aider au positionnement international de Madrid à travers l'élaboration et la mise en place d'une stratégie d'internationalisation. Pour ce faire, Madrid Global était organisée en trois directions. Une direction des relations internationales, une direction de la stratégie et du développement international et une direction du partenariat et de la projection internationale. La direction des relations internationales était chargée des colloques que la ville de Madrid accueille ou qu'elle organise ; elle était aussi chargée des relations avec les organisations internationales (OCDE, Asian Development Bank, Club de Madrid, etc.). Elle s'occupait enfin de toutes les relations avec les collectivités locales, relations bilatérales et participation à des réseaux internationaux de villes (Metropolis, Eurocités, Communauté des villes Ariane, Union des villes capitales ibéro-américaines, etc.). La direction de la stratégie avait pour tâche d'élaborer la stratégie internationale de Madrid alors que la direction du partenariat devait promouvoir l'implication des firmes madrilènes dans cette stratégie. Pour assurer toutes ces missions, Madrid Global disposait d'un budget d'environ 6 millions d'Euros et d'un personnel d'une quinzaine d'agents. Suite à la crise économique espagnole qui s'est traduite par la disparition de plusieurs agences, notamment à Madrid, Madrid Global a été dissoute en 2011. Torino Internazionale était l'agence d'animation des plans stratégiques de la métropole de Turin. Constituée en mai 2000, elle était co-présidée par le maire de Turin et le président de la province. Torino Internazionale se présentait comme une structure de partenariat public-privé. Son assemblée générale
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rassemblait une centaine de personnes représentant l'ensemble de la société locale, politique et civile de la métropole. Son comité de coordination, présidé par le maire de Turin, comprenait aussi la province, la CCI, les fondations bancaires. L'équipe d'animation se composait de 12 personnes. Torino Internazionale se voulait une structure de dialogue entre la métropole et le monde. Son objectif était de créer un horizon commun entre ses membres afin de partager une stratégie. La stratégie de Turin visait une plus grande visibilité au-delà des frontières italiennes et une internationalisation de son économie (appel à des investisseurs étrangers notamment). Torino Internazionale était l'organisme en charge d'accompagner cette stratégie. A ce titre, elle a par exemple été la cheville ouvrière des plans d'internationalisation du système de recherche et d'enseignement supérieur. C'est elle également qui a initié le renouveau touristique de Turin pour en faire une ville à visiter et lancé l'idée de recourir à de grands événements. Cette stratégie a en partie réussi avec l'accueil des Jeux Olympiques d'hiver en 2006, la tenue de grands salons internationaux (salon du goût, salon de l'automobile, salon du design, etc.). L'activité de Torino Internazionale s'est cependant fortement réduite à partir des années 2010, notamment du fait de la disparition d'une élite sociopolitique qui avait porté une certaine vision (et stratégie) internationale de la ville. L'arrivée à la mairie de Turin du Mouvement Cinq Etoiles en 2016 lui a porté le coup de grâce et Torino Internazionale a été dissoute en décembre de cette même année (Lefèvre, 2010).
La multiplication des réseaux transnationaux
Des réseaux plus nombreux et plus divers Les villes ne se sont pas limitées à des réorganisations internes. Elles ont également mis en place, nous l'avons dit, des structures de coopération transnationales. En dépit d'un cadre juridique qui confère en principe aux seuls États la légitimité en matière de relations internationales dans ce que l'on nomme, en Europe, le système westphalien12 les villes se sont progressivement installées sur la scène internationale, et ce depuis environ un siècle.
Nommé ainsi car il est issu des traités de Westphalie de 1648 qui reconnaissent l'Etat comme forme privilégiée d'organisation politique des sociétés et consacrent la naissance du système interétatique moderne fondé sur les trois principes de la souveraineté externe, de la souveraineté interne et de l'équilibre des puissances.
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associations internationales de villes : une longue histoire Le premier grand réseau mondial des villes a été l'International Union of Local Authorities (IULA), créé en 1913 pour être la voix des collectivités locales dans le monde pour notamment promouvoir la démocratie locale. A son apogée, IULA représentait des centaines de milliers de collectivités locales qui en étaient membres via des fédérations et associations nationales, regroupées dans 7 divisions continentales. Mais pour beaucoup d'observateurs, elle était trop large et représentait trop d'intérêts différents, voire divergents, pour pouvoir se faire entendre dans le système politique international. Après la Seconde Guerre Mondiale, en 1957, une nouvelle organisation internationale des villes se forme, la Fédération Mondiale des Villes Jumelées (FMVJ) qui devient Fédération Mondiale des Cités Unies dans les années 1980. Rivale de l'IULA, elle s'en démarque par des objectifs plus politiques autour des idées de paix, de solidarité et de développement. Elle vise à promouvoir par le jumelage culturel et notamment linguistique un rapprochement entre les peuples. Elle se présente alors comme une association de gauche, proche des partis communistes. Plus petite que IULA, elle se développe néanmoins très vite pour être présente dans plus de 80 pays. Enfin, au milieu des années 1980, une troisième association mondiale se forme, Metropolis, qui se présente comme « le réseau global des plus grandes villes et des métropoles ». Créée à Montréal en 1985, elle rassemble tout d'abord 14 métropoles de tous les continents (Abidjan, Buenos Aires, Ile-de-France, Londres, New York, Tokyo, etc.). Moins politique, elle vise à favoriser la coopération entre ses membres, autour des questions de politiques publiques, d'innovation, d'usage des nouvelles technologies, de formation, etc. Elle se développe rapidement pour dépasser la centaine de membres au début des années 2000. Dépassant leurs différences, ces trois associations fusionnent en 2005 pour former Cités et Gouvernements Locaux Unis (CGLU), la seule association mondiale des villes et des collectivités locales aujourd'hui. Sa mission principale est « d'être la voix et le défenseur de l'autonomie locale démocratique, défendant ses valeurs, objectifs et intérêts sur la scène internationale entre gouvernements locaux. » (CGLU, statuts). Elle représente ainsi des centaines de milliers de collectivités locales organisées par continent et ayant une section métropo-
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litaine qui est l'émanation de l'association Metropolis. De manière classique, CGLU fonctionne par groupes de travail et commissions et organise une rencontre annuelle. Sa taille, son organisation et son système de représentation qui fait qu'elle doit chercher un consensus maximal entre ses membres la conduisent à prendre des positions médianes, non clivantes, sur les grands enjeux qui touchent les villes et le monde. Progressivement, l'IULA puis la FMVJ vont acquérir une reconnaissance internationale notamment auprès des grandes organisations mondiales. A la fin des années 1990, cette reconnaissance prend la forme d'une structure ad hoc de l'ONU, l'UNACLA (United Nations Advisory Council of Local Authorities). UNACLA se compose de 20 membres dont la moitié est aujourd'hui nommée par CGLU. Ce conseil est généralement présidé par le maire d'une grande ville. Cette reconnaissance planétaire des villes comme interlocuteurs des organisations internationales que l'on peut observer depuis une trentaine d'années est en grande partie due, au delà de l'action d'un certain nombre de grands leaders urbains (B. Delanoë à Paris, M. Bloomberg à New York ou K. Livingstone à Londres par exemple), à la montée en puissance des questions urbaines au niveau mondial. Ainsi le premier forum mondial urbain se tient en 1976 à Vancouver sous les auspices des Nations Unies et donne lieu deux ans plus tard à la création d'une nouvelle organisation internationale qui en dépend, UN-Habitat. Il s'agit de discuter des problèmes urbains qui deviennent plus pressants du fait de l'urbanisation de la planète, notamment dans les pays du Sud. Depuis, les questions urbaines sont devenues de plus en plus brulantes comme nous avons commencé à le voir plus haut. Le deuxième grand forum urbain (Habitat II) s'est tenu à Istanbul en 1996 et le troisième (Habitat III) à Quito en 2016. Les grandes conférences mondiales sur les villes ont proliféré et il s'en tient désormais plusieurs dizaines chaque année. De même, les réseaux internationaux de villes se multiplient autour d'enjeux divers (le climat, la protection du patrimoine, les activités créatives, la qualité de vie, etc.). Ce processus n'est donc pas nouveau. Mais depuis la fin du XXème siècle, les réseaux de villes se sont multipliés et diversifiés. L'Europe offre un terrain d'étude privilégié de cette montée en puissance et de la diversification récente des réseaux de villes. Juste après la Seconde Guerre Mondiale,
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en 1951, les collectivités locales européennes créent un réseau appelé à durer, le Conseil des Collectivités et des Régions d'Europe (CCRE). Rassemblant aujourd'hui plus de 130 000 autorités locales des 42 pays qui en sont membres via leurs structures de représentation nationales, le CCRE vise depuis sa création « la construction d'une Europe unie, pacifique et démocratique fondée sur l'autonomie locale, le respect du principe de subsidiarité et la participation des citoyens ». Classé au départ plutôt à droite de l'échiquier politique, le CCRE est aujourd'hui membre de CGLU et constitue sa section européenne. Le processus d'intégration européenne va significativement contribuer au développement des réseaux de villes européens, notamment à partir du moment où l'Union Européenne va commencer à déployer des politiques et des actions ciblant les territoires urbains. Conscientes de l'importance de l'Union Européenne pour leur développement, y compris leur développement politique, certaines villes vont alors se rassembler pour tenter de peser plus fortement sur l'agenda européen. Cette volonté conduit en 1986 à la création du principal réseau de villes européens, Eurocities, à l'initiative de plusieurs villes « secondes » dans leurs pays respectifs : Barcelone, Birmingham, Francfort, Lyon, Milan et Rotterdam. L'idée force d'Eurocities était de devenir à terme la voix des villes et le partenaire légitime de l'Union Européenne dans ses politiques urbaines. Mais la création en 1994 (à la suite du Traité de Maastricht) du Comité européen des Régions véritable institution européenne consultative représentant les collectivités locales et régionales européennes et notamment les villes et l'absence de véritables politiques urbaines de l'Union Européenne en décident autrement. Pour autant, le processus d'intégration européenne conduit les villes à se regrouper dans des réseaux d'autre nature. Ainsi, à partir des années 1980, les réseaux thématiques commencent à se multiplier. Il s'agit pour l'essentiel de réseaux de villes dont l'objectif est la coopération technique et l'apprentissage de « bonnes pratiques » sur des sujets divers : technologie, innovation, inclusion sociale, environnement, transport, planification, etc. Certains comme URBACT sont portés par des programmes européens (initiatives URBAN), d'autres sont plus simplement le résultat d'initiatives des villes elles-mêmes comme Energy Cities Europe qui regroupe plus de 1000 municipalités. D'autres réseaux, géographiques, sont fondés sur des intérêts territoriaux communs. C'est ainsi le cas de l'Union of the Baltic Cities, créée en 1991 à Gdansk et qui regroupe une centaine de villes situées sur le pourtour de la mer
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Baltique et dont les objectifs sont le développement de la coopération et l'échange d'expériences (dans des domaines aussi variés que l'environnement, les inégalités sociales ou la démocratie participative). Dans la même veine, on peut aussi mentionner la Conférence des Villes de l'Arc Atlantique qui va du Pays de Galles au sud du Portugal, créée en 2000 à Rennes et qui rassemble une vingtaine de collectivités, ou encore la Commission Méditerranée de CGLU, la seule commission « géographique » de ce grand réseau mondial particulièrement active lors du lancement de l'Union pour la Méditerranée en 2006. Au-delà de la recherche d'une identité collective et d'une coopération accrue, ces réseaux de villes veulent aussi faire entendre leurs intérêts auprès de la Commission Européenne afin que cette dernière prenne en compte leurs spécificités dans ses actions et ses programmes. L'action diplomatique des villes Comme on l'a vu, les associations et réseaux de villes ambitionnent de peser sur les grands enjeux diplomatiques et géopolitiques internationaux. On assiste à l'émergence de ce que d'aucuns nomment la diplomatie des villes ou la para-diplomatie, c'est à dire « les institutions et les processus par lesquels les villes entrent en relation avec des acteurs sur la scène politique internationale dans un but de représentation commune d'elles-mêmes et de leurs intérêts » (Van der Pluijm, 2007). Les villes ont ainsi développé des actions dans le domaine de la résolution des conflits. Elles ont en effet été actives, dans les conflits au Kosovo, en Colombie, en Sierra Leone mais aussi lors de la guerre en Iraq et dans les relations israélo-palestiniennes, où elles ont cherché soit à éviter la guerre, soit à maintenir les relations entre les protagonistes. Cela a été le cas en 2003 quand l'organisation Cities for Peace, qui regroupe plusieurs dizaines de villes des Etats-Unis, a fait pression sur l'administration fédérale pour empêcher la guerre en Irak. Mais les villes sont aussi actives pour maintenir le dialogue entre belligérants quand les Etats ne se parlent officiellement plus ou quand les tensions entre Etats sont vives. C'est le cas par exemple au Moyen-Orient où de nombreuses villes américaines, canadiennes ou européennes continuent à entretenir des liens avec Gaza ou développent des jumelages et des programmes d'aide avec des villes palestiniennes et israéliennes. Cela a aussi été le cas de la ville de Rome qui, au début des années 2000, a créé son « Ambassade à Jérusalem » pour permettre que les acteurs des conflits du ProcheOrient gardent le contact.
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L'action diplomatique des villes s'exerce également dans certains grands débats sur des enjeux cruciaux pour la planète. Aujourd'hui la question du changement climatique est probablement l'une des plus emblématiques de cette action des villes, notamment avec la création du réseau C40. Constitué en 2005 à l'initiative du maire de Londres, Ken Livingstone, dans le but affirmé de lutter contre le réchauffement climatique en pesant sur les politiques des Etats en la matière, ce réseau a depuis été présidé par des leaders importants comme les maires de Toronto (David Miller), New York (Michael Bloomberg), ou Paris (Anne Hidalgo) entre 2016 et 2019. Il rassemble près d'une centaine de très grandes villes qui totalisent à elles seules 650 millions d'habitants. Ainsi, ce réseau a été fortement actif lors de la COP 21 en mettant en avant les actions des villes sur ce sujet et a été à l'origine du plus grand rassemblement des maires jamais organisé sur le sujet de la lutte contre le changement climatique (quelques 700 maires réunis le 4 décembre 2015 à l'hôtel de ville de Paris). Malgré la sortie des Etats-Unis de cet accord en 2017, de nombreuses villes américaines ont maintenu leur engagement à respecter les engagements de la COP 21, voire à aller plus loin, s'opposant ainsi à l'Etat fédéral. Mais des groupes de villes se mobilisent collectivement sur un ensemble d'enjeux divers. Ainsi le réseau Fearless Cities (Villes sans peur) créé à Barcelone en 2017 affiche-t-il une grande ambition : "In a world in which fear and inequalities are being twisted into hate, "Fearless" towns and cities are standing up to defend human rights, democracy and the common good". Aujourd'hui Fearless Cities rassemble des grandes villes des différentes régions du monde (Athènes, Barcelone, Belo Horizonte, Bruxelles, Madrid, Naples, New York, Philadelphie...). Et on assiste par ailleurs au développement de formes de « paradiplomatie identitaire » urbaine et régionale s'appuyant sur des revendications d'indépendance (Paquin, 2004). Il est trop tôt pour conclure sur cette dynamique de création et de transformation institutionnelle, et les avis sont partagés sur ce qu'elle apporte (ou pas) aux villes en matière de capacité d'action internationale. Il en va de même sur ses effets en termes de recomposition des liens avec les États et sur la portée de son influence en matière d'orientation de cette même action internationale.
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CONCLUSION
Ce tour d'horizon a permis d'éclairer cette « nouvelle donne internationale » pour les villes, tant en ce qui concerne les acteurs parties prenantes de cette internationalisation qu'en ce qui concerne les processus d'internationalisation eux-mêmes. Ce panorama invite à identifier un certain nombre de chantiers de recherche. Une première interrogation générale concerne les relations entre les villes et les Etats. Le processus que nous décrivons comme une transnationalisation des acteurs politiques locaux désignant par ce terme une volonté et une capacité croissantes de ces acteurs de s'affranchir des cadres étatiques dans leurs relations internationales conduit-il à une transformation plus large des rapports entre les Etats et les villes ? Et si oui, sur quels plans et sous quelles formes ? Ce processus permet-il aux villes de devenir des acteurs à part entière des transformations de la société mondiale ou au contraire restent-elles tributaires des Etats qui continuent à dominer la scène internationale et à les inféoder ? Quels sont les liens entre ce registre de transnationalisation des gouvernements locaux et l'émergence ou le développement d'autres formes de transnationalisme (diasporas), de mouvements sociaux transnationaux autour d'enjeux climatiques et environnementaux (comme Youth for Climate), d'inégalités sociales (Occupy), de transformations urbaines à des fins spéculatives ou plus largement de démocratie (printemps arabes) ou de mouvements politico-religieux transnationaux (pentecôtistes, réseaux pro-life, ou liées à l'islam radical) (Siméant, 2010) ? Comment le développement contemporain des tensions géopolitiques et de la conflictualité peut-il affecter les tendances à l'autonomisation des (plus grandes) villes, qui sont désormais (disons, depuis la Seconde Guerre Mondiale) les cibles privilégiées lors de conflits armés, vis-à-vis des États ? Un deuxième chantier porte sur le rôle croissant de grandes firmes internationales et des logiques commerciales dans la production, la gestion et la gouvernance des espaces urbanisés. Aux entreprises historiques du « capitalisme urbain » (Lorrain, 2002), en voie d'internationalisation rapide, s'ajoutent désormais les grandes enConclusion
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treprises du secteur numérique (Amazon) et les entreprises de l'économie « collaborative » de plateforme (Airbnb, Uber). Comment les relations en jeu dans la mise en oeuvre des politiques publiques entre acteurs politiques et économiques, entre intérêts publics et privés, sont-elles reconfigurées, et avec quelles implications sur le devenir de ces espaces ? Plus largement, le poids croissant de ces grandes firmes dans les processus de décision et/ou la difficulté des acteurs publics à les réguler ne remet-il pas en cause le fonctionnement démocratique des sociétés urbaines ? Dans l'affirmative, ces évolutions trouvent-elles un contrepoids dans l'émergence de mobilisations transnationales autour d'enjeux perçus comme communs aux sociétés urbaines (lutte contre la spéculation immobilière et foncière, contre les inégalités urbaines ou contre le changement climatique) et qui visent à redonner du pouvoir à ces sociétés ? Quelles pourraient être les conditions d'un (re)développement significatif de formes de collaboration non marchandes (Couchsurfing vs. Airbnb, covoiturage vs. services commerciaux d'autopartage, etc.) ou d'activités relevant de l'économie collaborative non orientée vers le profit commercial ou financier et les conséquences d'un tel développement sur les sociétés urbaines et les espaces urbanisés confrontés à des formes de plus en plus intensives de marchandisation ? Quels pourraient être les tenants et aboutissants de formes plus ou moins aiguës de « démondialisation », notamment pour les villes les plus insérées dans la mondialisation économique contemporaine ? Une troisième piste de recherche concerne les transformations des sociétés urbaines en contexte de mondialisation. Une première perspective consiste à s'intéresser aux spécificités des sociétés urbaines, notamment celles des grandes villes, au sein des sociétés nationales en contexte d'internationalisation avancée. Un second angle d'analyse consiste à appréhender les phénomènes migratoires dans leurs dimensions urbaines et leurs liens avec les transformations des société urbaines (et nationales) d'accueil. Ce qui apparaît caractéristique de la période contemporaine, c'est moins l'ampleur que la diversification des migrations internationales vers les grandes villes et celle des sociétés urbaines qui les accueillent et qu'elles alimentent. Il convient d'appréhender cette diversité dans toutes ses dimensions pour éclairer la manière dont elle affecte la production urbaine et la géographie sociale des villes : centralités marchandes formant des Little India ou des Chinatown, grands ensembles périphériques concentrant des populations étrangères ou d'origine étrangère récente à faibles revenus, ou encore résidences sécurisées offrant aux « expats » des standards résidentiels mondialisés et la proxi-
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mité d'écoles internationales. Au-delà des expressions de positions idéologiques ou politiques, comment appréhender dans leur diversité et dans leur interdépendance les liens entre migrations internationales et dynamiques urbaines ? De nouveaux concepts sont forgés autour de l'idée de « diversité » : super-diversité (Vertovec, 2007) ou même hyper-diversité (Tasan-Kok, 2013). Ils aident à comprendre ce renouvellement du lien ville-migration. Mais ils montrent aussi leurs limites, par leur caractère trop irénique, conforté par le fait que l'idée de diversité des sociétés urbaines devient de plus en plus souvent un levier du marketing et du benchmarking urbains, intégrée dans les indicateurs globaux d'ouverture et de « cosmopolitisme ». Le risque est d'euphémiser voire d'occulter les rapports de domination et les tensions entre les groupes ou les formes antagoniques de politisation de la question des migrations13. Plus largement, l'hyper-diversité remet en question la notion même de sociétés urbaines. D'une part, si proximité spatiale de populations ou de groupes divers rime systématiquement avec distance sociale, si l'identité sociale et culturelle se détache complètement du lieu de résidence et des espaces de pratiques quotidiennes, quels moyens d'action subsistent pour les acteurs publics urbains et pour quels effets ? D'autre part, si les analyses en termes de minorités majoritaires et de majorités minoritaires se confirment, les notions d'intégration, de modèle politique ou culturel de la société d'accueil, s'en trouveraient profondément remis en cause. Il convient donc de penser à nouveaux frais ce qui fait société dans les villes les plus internationalisées. Un quatrième chantier concerne le tourisme, modalité majeure de l'internationalisation des villes. Ce phénomène revêt dans la période actuelle une importance inédite, tant en termes quantitatifs que par les actions et les politiques mises en place par les villes pour répondre aux flux croissants de touristes, pour les attirer (labellisation, candidatures aux grands événements, etc.) ou parfois les restreindre (restriction des activités d'Airbnb à Berlin, Barcelone ou Paris, instauration d'une « taxe de débarquement » à Venise, etc.). Une tendance au rejet du tourisme de masse par
13 Les responsables de certaines villes, parfois sous la pression de leur population, s'opposent ainsi à l'ouverture de centres d'accueil de migrants (comme les communes françaises qui se sont opposés à l'accueil des migrants de Calais sur leur territoire en 2016). Plus récemment, plusieurs manifestations anti-migrants se sont produites en Allemagne comme à Chemnitz. Mais ces événements largement médiatisés ne sont que la face visible d'un changement d'attitude qui a vu de nombreuses municipalités allemandes voter des mesures visant à limiter le nombre de migrants sur leur territoire comme Cottbus, Pirmasens ou plusieurs villes de Basse-Saxe.
Conclusion
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les habitants ou par les acteurs politiques locaux des villes les plus visitées semble s'affirmer progressivement face à ce qui est désormais perçu par certains comme un « surtourisme », celui-ci résultant d'ailleurs parfois du succès, désormais perçu comme excessif, de politiques antérieures de promotion du tourisme14. Dans ce registre, on peut compter aussi le refus de certaines villes d'accueillir des grands événements parce que les responsables locaux considèrent qu'elle n'en a pas (ou plus) les moyens ou que les retombées en seront globalement négatives (cas de Rome pour les JO de 2024) ou parce que les populations n'en veulent pas (cas de Budapest pour les mêmes JO). Quels sont les ressorts historiques, économiques ou sociopolitiques (évidemment divers d'une ville à l'autre) du consensus ou du dissensus autour du développement touristique ? Quelles stratégies pour quelles formes de tourisme et pour quelles ressources de développement local alternatives ? Quels outils de promotion ou de restriction des activités touristiques ? Quelles articulations avec les autres modalités de rayonnement international des villes concernées ? Un cinquième thème d'investigations consiste à interroger les éventuelles conséquences sur les relations internationales des villes de mouvements récents d'autonomisation locale processus qui ne concernent d'ailleurs pas seulement les villes aux plans énergétique (recherche d'autosuffisance énergétique à diverses échelles locales), « métabolique » (circuits courts), écologique (arrêtés anti-pesticides) et in fine politique (volonté de pouvoirs locaux de définir leurs propres règles et de disposer des moyens de s'y conformer). Comme les dynamiques de transnationalisation, ces mouvements d'autonomisation interrogent d'abord les relations entre les villes et l'État. Cependant, les conceptions d'autonomie territoriale qui tendent à se diffuser conduisent des acteurs locaux (acteurs politiques mais aussi acteurs de la société civile et, par contrecoup, certains acteurs économiques des secteurs concernés) à remettre en question les dépendances commerciales et métaboliques de réseaux internationaux d'approvisionnement. En outre, elles s'accompagnent fréquemment de remises en questions plus larges de « l'ordre économique mondial » dans sa dimension commerciale. S'il est entendu que ces dynamiques restent
14 Par exemple, la massification touristique de Barcelone résulte en partie au moins des politiques agressives que la municipalité a menées depuis plusieurs décennies pour être et rester sur la carte du monde. La ville catalane est ainsi en quelque sorte victime de son succès. Le cas de Berlin est à certains égards similaire.
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pour l'instant marginales par rapport aux grands flux nationaux et internationaux de biens, de produits alimentaires ou d'énergie, leurs effets sur les économies locales pourraient devenir sensibles à relativement court terme et méritent en toute hypothèse d'être examinés. Ces quelques thématiques constituent un ensemble riche, quoique sans doute non exhaustif, de chantiers de recherche utiles à la compréhension de la place des villes et des sociétés urbaines dans le monde qui vient.
Conclusion
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BIBLIOGRAPHIE
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À PROPOS DES AUTEURS
Olivier Coutard est chercheur CNRS au Laboratoire Techniques, Territoires, Sociétés (CNRS, Ecole des Ponts ParisTech, Université Gustave Eiffel). Il est socioéconomiste, ingénieur civil des ponts et chaussées (1988) et docteur de l'ENPC (1994). Ses travaux actuels portent sur les politiques énergétiques urbaines et plus largement sur les transformations de l'organisation des services urbains, en particulier la remise en cause des grands systèmes techniques, le développement de configurations sociotechniques alternatives et les enjeux politiques de la « ville post-réseaux ». Il a été responsable scientifique et technique du labex Futurs urbains (Université Paris-Est), qu'il a co-dirigé de 2016 à 2019 avec Nathalie Lancret puis Roberta Morelli (ENSA de Paris-Belleville) et Bruno Tassin (ENPC). Entre 2016 et 2021, il a été président de la section 39 (Espaces, Territoires, Sociétés) du Comité National de la Recherche Scientifique (fonction qu'il a déjà exercée de 2008 à 2012) et président de la Conférence des Présidents de sections du Comité National (CPCN). Entre 2008 et 2015, il a été directeur du LATTS, au sein duquel il a auparavant animé l'équipe Réseaux, Institutions, Territoires (2002-2006). Il a été de 2006 à 2009 le premier directeur du programme national interdisciplinaire de recherche sur les villes et l'environnement (PIRVE), programme conjoint du CNRS et du ministère du Développement durable. Parmi ses publications récentes : Pour la recherche urbaine (eds, avec Félix Adisson, Sabine Barles, Nathalie Blanc, Leïla Frouillou et Fanny Rassat), CNRS Editions, 2020 ; Les territoires de l'autonomie énergétique (eds, avec Fanny Lopez et Margot Pellegrino), Londres : ISTE éditions, 2019 ; « Cities in an era of interfacing infrastructures: Politics and spatialities of the urban nexus » (eds, avec Jochen Monstadt), dossier thématique in Urban Studies 56(11), 2019, pp. 2191-2386. Christian Lefèvre est professeur à l'Université Gustave Eiffel, Ecole d'Urbanisme de Paris et chercheur au Laboratoire Techniques, Territoires, Sociétés où il enseigne les questions de gouvernance et de stratégies urbaines. Ses recherches concernent les réformes institutionnelles métropolitaines, les stratégies de développement et les
A propos des auteurs
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relations internationales entre les villes en s'intéressant de manière comparative aux métropoles européennes et mondiales. Sur tous ces points, il a travaillé en France pour le ministère de l'Ecologie, la DATAR, la Ville de Paris et la Région Ile de France. Au niveau international, il a mené des travaux pour le compte de la Commission Européenne, la Fondation Européenne pour la Science (ESF) et plusieurs autres organisations internationales (OCDE, Banque Inter-américaine de développement, UN-Habitat) ainsi que pour des organisations et collectivités locales étrangères (Italie, Allemagne, Espagne, etc.). Parmi ses publications les plus récentes : Paris, Agenda Publishing, collection Megacities, 2022 ; Pouvoirs Urbains : Ville, Politique, Globalisation, Armand Colin, collection Le Siècle Urbain (avec G. Pinson), 2020 ; « The Governance of Megacities : searching for the collective actor », in Labbé D., Sorensen A. (eds) (2020), International Handbook of Megacities and mega regions, pp. 78-91 ; Paris, métropole introuvable. Le dé i de la globalisation, PUF, Collection Villes en débat, 2017.
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© Paris - Mat Napo sur Unsplash
On assiste depuis une quinzaine d'années à une montée en puissance des villes sur la scène internationale : marketing territorial, politiques d'attractivité (de sièges d'organisations internationales et de grandes firmes globales, de touristes, de grands évènements qu'ils soient politiques, culturels ou sportifs, de financements extranationaux, etc) ou au contraire de « désubérisation » (notamment touristique), paradiplomatie climatique, paradiplomatie migratoire...la dimension internationale, tantôt espérée, tantôt subie, n'a cessé de gagner du terrain dans l'agenda politique, et l'action, des gouvernements urbains. Le présent ouvrage se propose d'éclairer cette « nouvelle » donne internationale pour les villes, en explorant les dynamiques d'internationalisation et de mondialisation à l'oeuvre sous l'angle des contraintes, des opportunités et des ressources qu'elles présentent pour les politiques urbaines. Il traite des tenants et aboutissants de l'action internationale des villes, en accordant une attention particulière à la fabrique urbaine contemporaine dans toutes ses dimensions : culturelle et imaginaire, matérielle et technologique, économique et financière, politique et sociale. Ce faisant, il aborde également les processus relevant des mouvements sociaux ou de l'action privée, notamment celle des entreprises internationales, dans leurs relations avec l'action publique.
Cet ouvrage s'inscrit dans le cadre du programme « L'international comme ressource et contrainte des modes de faire la ville-cité » mené conjointement par le Plan Urbanisme Construction Architecture et le Laboratoire Techniques, Territoires et Sociétés.
Organisme national de recherche et d'expérimentation sur l'urbanisme, la construction et l'architecture, le Plan Urbanisme Construction Architecture, PUCA, développe à la fois des programmes de recherche incitative, et des actions d'expérimentations. Il apporte son soutien à l'innovation et à la valorisation scientifique et technique dans les domaines de l'aménagement des territoires, de l'habitat, de la construction et de la conception architecturale et urbaine.
(ATTENTION: OPTION ders importants comme les maires de Toronto (David Miller), New York (Michael Bloomberg), ou Paris (Anne Hidalgo) entre 2016 et 2019. Il rassemble près d'une centaine de très grandes villes qui totalisent à elles seules 650 millions d'habitants. Ainsi, ce réseau a été fortement actif lors de la COP 21 en mettant en avant les actions des villes sur ce sujet et a été à l'origine du plus grand rassemblement des maires jamais organisé sur le sujet de la lutte contre le changement climatique (quelques 700 maires réunis le 4 décembre 2015 à l'hôtel de ville de Paris). Malgré la sortie des Etats-Unis de cet accord en 2017, de nombreuses villes américaines ont maintenu leur engagement à respecter les engagements de la COP 21, voire à aller plus loin, s'opposant ainsi à l'Etat fédéral. Mais des groupes de villes se mobilisent collectivement sur un ensemble d'enjeux divers. Ainsi le réseau Fearless Cities (Villes sans peur) créé à Barcelone en 2017 affiche-t-il une grande ambition : "In a world in which fear and inequalities are being twisted into hate, "Fearless" towns and cities are standing up to defend human rights, democracy and the common good". Aujourd'hui Fearless Cities rassemble des grandes villes des différentes régions du monde (Athènes, Barcelone, Belo Horizonte, Bruxelles, Madrid, Naples, New York, Philadelphie...). Et on assiste par ailleurs au développement de formes de « paradiplomatie identitaire » urbaine et régionale s'appuyant sur des revendications d'indépendance (Paquin, 2004). Il est trop tôt pour conclure sur cette dynamique de création et de transformation institutionnelle, et les avis sont partagés sur ce qu'elle apporte (ou pas) aux villes en matière de capacité d'action internationale. Il en va de même sur ses effets en termes de recomposition des liens avec les États et sur la portée de son influence en matière d'orientation de cette même action internationale.
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© Paul Van Der Werf sur Flickr
CONCLUSION
Ce tour d'horizon a permis d'éclairer cette « nouvelle donne internationale » pour les villes, tant en ce qui concerne les acteurs parties prenantes de cette internationalisation qu'en ce qui concerne les processus d'internationalisation eux-mêmes. Ce panorama invite à identifier un certain nombre de chantiers de recherche. Une première interrogation générale concerne les relations entre les villes et les Etats. Le processus que nous décrivons comme une transnationalisation des acteurs politiques locaux désignant par ce terme une volonté et une capacité croissantes de ces acteurs de s'affranchir des cadres étatiques dans leurs relations internationales conduit-il à une transformation plus large des rapports entre les Etats et les villes ? Et si oui, sur quels plans et sous quelles formes ? Ce processus permet-il aux villes de devenir des acteurs à part entière des transformations de la société mondiale ou au contraire restent-elles tributaires des Etats qui continuent à dominer la scène internationale et à les inféoder ? Quels sont les liens entre ce registre de transnationalisation des gouvernements locaux et l'émergence ou le développement d'autres formes de transnationalisme (diasporas), de mouvements sociaux transnationaux autour d'enjeux climatiques et environnementaux (comme Youth for Climate), d'inégalités sociales (Occupy), de transformations urbaines à des fins spéculatives ou plus largement de démocratie (printemps arabes) ou de mouvements politico-religieux transnationaux (pentecôtistes, réseaux pro-life, ou liées à l'islam radical) (Siméant, 2010) ? Comment le développement contemporain des tensions géopolitiques et de la conflictualité peut-il affecter les tendances à l'autonomisation des (plus grandes) villes, qui sont désormais (disons, depuis la Seconde Guerre Mondiale) les cibles privilégiées lors de conflits armés, vis-à-vis des États ? Un deuxième chantier porte sur le rôle croissant de grandes firmes internationales et des logiques commerciales dans la production, la gestion et la gouvernance des espaces urbanisés. Aux entreprises historiques du « capitalisme urbain » (Lorrain, 2002), en voie d'internationalisation rapide, s'ajoutent désormais les grandes enConclusion
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treprises du secteur numérique (Amazon) et les entreprises de l'économie « collaborative » de plateforme (Airbnb, Uber). Comment les relations en jeu dans la mise en oeuvre des politiques publiques entre acteurs politiques et économiques, entre intérêts publics et privés, sont-elles reconfigurées, et avec quelles implications sur le devenir de ces espaces ? Plus largement, le poids croissant de ces grandes firmes dans les processus de décision et/ou la difficulté des acteurs publics à les réguler ne remet-il pas en cause le fonctionnement démocratique des sociétés urbaines ? Dans l'affirmative, ces évolutions trouvent-elles un contrepoids dans l'émergence de mobilisations transnationales autour d'enjeux perçus comme communs aux sociétés urbaines (lutte contre la spéculation immobilière et foncière, contre les inégalités urbaines ou contre le changement climatique) et qui visent à redonner du pouvoir à ces sociétés ? Quelles pourraient être les conditions d'un (re)développement significatif de formes de collaboration non marchandes (Couchsurfing vs. Airbnb, covoiturage vs. services commerciaux d'autopartage, etc.) ou d'activités relevant de l'économie collaborative non orientée vers le profit commercial ou financier et les conséquences d'un tel développement sur les sociétés urbaines et les espaces urbanisés confrontés à des formes de plus en plus intensives de marchandisation ? Quels pourraient être les tenants et aboutissants de formes plus ou moins aiguës de « démondialisation », notamment pour les villes les plus insérées dans la mondialisation économique contemporaine ? Une troisième piste de recherche concerne les transformations des sociétés urbaines en contexte de mondialisation. Une première perspective consiste à s'intéresser aux spécificités des sociétés urbaines, notamment celles des grandes villes, au sein des sociétés nationales en contexte d'internationalisation avancée. Un second angle d'analyse consiste à appréhender les phénomènes migratoires dans leurs dimensions urbaines et leurs liens avec les transformations des société urbaines (et nationales) d'accueil. Ce qui apparaît caractéristique de la période contemporaine, c'est moins l'ampleur que la diversification des migrations internationales vers les grandes villes et celle des sociétés urbaines qui les accueillent et qu'elles alimentent. Il convient d'appréhender cette diversité dans toutes ses dimensions pour éclairer la manière dont elle affecte la production urbaine et la géographie sociale des villes : centralités marchandes formant des Little India ou des Chinatown, grands ensembles périphériques concentrant des populations étrangères ou d'origine étrangère récente à faibles revenus, ou encore résidences sécurisées offrant aux « expats » des standards résidentiels mondialisés et la proxi-
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mité d'écoles internationales. Au-delà des expressions de positions idéologiques ou politiques, comment appréhender dans leur diversité et dans leur interdépendance les liens entre migrations internationales et dynamiques urbaines ? De nouveaux concepts sont forgés autour de l'idée de « diversité » : super-diversité (Vertovec, 2007) ou même hyper-diversité (Tasan-Kok, 2013). Ils aident à comprendre ce renouvellement du lien ville-migration. Mais ils montrent aussi leurs limites, par leur caractère trop irénique, conforté par le fait que l'idée de diversité des sociétés urbaines devient de plus en plus souvent un levier du marketing et du benchmarking urbains, intégrée dans les indicateurs globaux d'ouverture et de « cosmopolitisme ». Le risque est d'euphémiser voire d'occulter les rapports de domination et les tensions entre les groupes ou les formes antagoniques de politisation de la question des migrations13. Plus largement, l'hyper-diversité remet en question la notion même de sociétés urbaines. D'une part, si proximité spatiale de populations ou de groupes divers rime systématiquement avec distance sociale, si l'identité sociale et culturelle se détache complètement du lieu de résidence et des espaces de pratiques quotidiennes, quels moyens d'action subsistent pour les acteurs publics urbains et pour quels effets ? D'autre part, si les analyses en termes de minorités majoritaires et de majorités minoritaires se confirment, les notions d'intégration, de modèle politique ou culturel de la société d'accueil, s'en trouveraient profondément remis en cause. Il convient donc de penser à nouveaux frais ce qui fait société dans les villes les plus internationalisées. Un quatrième chantier concerne le tourisme, modalité majeure de l'internationalisation des villes. Ce phénomène revêt dans la période actuelle une importance inédite, tant en termes quantitatifs que par les actions et les politiques mises en place par les villes pour répondre aux flux croissants de touristes, pour les attirer (labellisation, candidatures aux grands événements, etc.) ou parfois les restreindre (restriction des activités d'Airbnb à Berlin, Barcelone ou Paris, instauration d'une « taxe de débarquement » à Venise, etc.). Une tendance au rejet du tourisme de masse par
13 Les responsables de certaines villes, parfois sous la pression de leur population, s'opposent ainsi à l'ouverture de centres d'accueil de migrants (comme les communes françaises qui se sont opposés à l'accueil des migrants de Calais sur leur territoire en 2016). Plus récemment, plusieurs manifestations anti-migrants se sont produites en Allemagne comme à Chemnitz. Mais ces événements largement médiatisés ne sont que la face visible d'un changement d'attitude qui a vu de nombreuses municipalités allemandes voter des mesures visant à limiter le nombre de migrants sur leur territoire comme Cottbus, Pirmasens ou plusieurs villes de Basse-Saxe.
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les habitants ou par les acteurs politiques locaux des villes les plus visitées semble s'affirmer progressivement face à ce qui est désormais perçu par certains comme un « surtourisme », celui-ci résultant d'ailleurs parfois du succès, désormais perçu comme excessif, de politiques antérieures de promotion du tourisme14. Dans ce registre, on peut compter aussi le refus de certaines villes d'accueillir des grands événements parce que les responsables locaux considèrent qu'elle n'en a pas (ou plus) les moyens ou que les retombées en seront globalement négatives (cas de Rome pour les JO de 2024) ou parce que les populations n'en veulent pas (cas de Budapest pour les mêmes JO). Quels sont les ressorts historiques, économiques ou sociopolitiques (évidemment divers d'une ville à l'autre) du consensus ou du dissensus autour du développement touristique ? Quelles stratégies pour quelles formes de tourisme et pour quelles ressources de développement local alternatives ? Quels outils de promotion ou de restriction des activités touristiques ? Quelles articulations avec les autres modalités de rayonnement international des villes concernées ? Un cinquième thème d'investigations consiste à interroger les éventuelles conséquences sur les relations internationales des villes de mouvements récents d'autonomisation locale processus qui ne concernent d'ailleurs pas seulement les villes aux plans énergétique (recherche d'autosuffisance énergétique à diverses échelles locales), « métabolique » (circuits courts), écologique (arrêtés anti-pesticides) et in fine politique (volonté de pouvoirs locaux de définir leurs propres règles et de disposer des moyens de s'y conformer). Comme les dynamiques de transnationalisation, ces mouvements d'autonomisation interrogent d'abord les relations entre les villes et l'État. Cependant, les conceptions d'autonomie territoriale qui tendent à se diffuser conduisent des acteurs locaux (acteurs politiques mais aussi acteurs de la société civile et, par contrecoup, certains acteurs économiques des secteurs concernés) à remettre en question les dépendances commerciales et métaboliques de réseaux internationaux d'approvisionnement. En outre, elles s'accompagnent fréquemment de remises en questions plus larges de « l'ordre économique mondial » dans sa dimension commerciale. S'il est entendu que ces dynamiques restent
14 Par exemple, la massification touristique de Barcelone résulte en partie au moins des politiques agressives que la municipalité a menées depuis plusieurs décennies pour être et rester sur la carte du monde. La ville catalane est ainsi en quelque sorte victime de son succès. Le cas de Berlin est à certains égards similaire.
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Villes : la nouvelle donne internationale
pour l'instant marginales par rapport aux grands flux nationaux et internationaux de biens, de produits alimentaires ou d'énergie, leurs effets sur les économies locales pourraient devenir sensibles à relativement court terme et méritent en toute hypothèse d'être examinés. Ces quelques thématiques constituent un ensemble riche, quoique sans doute non exhaustif, de chantiers de recherche utiles à la compréhension de la place des villes et des sociétés urbaines dans le monde qui vient.
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Bibliographie
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Clark G., Moonen T. (2013), The Business of cities 2013 : What do 150 city indexes and benchmarking studies tell us about the urban world in 2013 ?, Chicago, Jones Lang Lassale. Duchacek I. (1990), « Perforated sovereignties : Toward a typology of new actors in international relations », in Michelmann H., Soldatos P. (eds), Federalism and international relations : The role of subnational units, Oxford University Press. Flörke M., Schneider C., McDonald R. (2018), « Water competition between cities and agriculture driven by climate change and urban growth », Nature Sustainability, 1, pp. 5158. Florida R. (2002), The Rise of the Creative Class : And How it's transforming work, leisure, community and everyday life, New York, Perseus Book Group. Galimberti D. (2019), Consultants et villes à l'heure de la mondialisation : expertises et jeux d'échelles, Paris, PUCA, Collection `Réflexions en partage'. Guironnet A. (2017), La financiarisation du capitalisme urbain. Marchés immobiliers tertiaires et politiques de développement urbain dans le Grand Paris et le Grand Lyon, les projets des Docks de Saint-Ouen et du Carré de Soie, Thèse de doctorat, Marne-laVallée, Université Paris-Est : LATTS. Halbert L., Attuyer K. (eds) (2016), « The financialization of urban production », Urban Studies, Special Issue, 53(16). Harvey D. (1989), « From Managerialism to Entrepreneurialism : The Transformation in Urban Governance inLate Capitalism », Geografiska Annaler, Series B, Human Geography, 71(1), The Roots of Geographical Change : 1973 to the Present, pp. 3-17. Harvey D. (2005), A brief history of neoliberalism, Oxford, Oxford University Press. Jouve B. (2007), « Urban societies and dominant political coalitions in the internationalization of cities », Environment and Planning C : Government and Policy, 25 (3), pp. 374-390. Le Galès P. (2011), Le retour des villes européennes, Paris, Presses de Science Po. Lefèvre C. (2010), Les partenariats stratégiques dans les métropoles européennes. Analyse de Londres, Madrid et Turin, Paris, Institut CDC pour la recherche. Lefèvre C., Aldhuy J., Terral L. (2016), Stratégies des grandes métropoles mondiales,
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Rapport pour le Conseil Régional d'Île-de-France. Le Galès P. (2016), « Neoliberalism and Urban Change : Stretching a Good Idea Too Far ? », Territory, Politics, Governance, 4(2), pp. 154-172. Lorrain D. (2002), « Capitalismes urbains : la montée des firmes d'infrastructures », Entreprises et histoire, 30, pp. 7-31. Maisetti N. (2018), Le retour des villes dissidentes, Paris, PUCA, `Collection Réflexions en partage'. Mor E. (à paraître en 2022), Villes et climat : la paradiplomatie à l'oeuvre, Paris, PUCA, Collection `Réflexions en partage'. OCDE (2013), Les migrations internationales en chiffres, Paris, OCDE. OCDE (2018), Working together for local integration of migrants and refugees, Paris, OCDE. Paquin S. (2004), « La paradiplomatie identitaire. Le Québec, la Catalogne et la Flandre en relations internationales », Politique et Sociétés, 23(23), pp. 203237. Pinson G., Morel-Journel C. (eds) (2017), Debating the neo-liberal city, Londres, Routledge. PWC/PFNYC (2011), Cities of opportunity, PWC. Siméant J. (2010), « La transnationalisation de l'action collective », in Agrikoliansky E., Sommier I., Fillieule O. (eds) Penser les mouvements sociaux. Conflits sociaux et contestations dans les sociétés contemporaines, Paris, La Découverte, pp. 121-144. Tasan-Kok T., van Kempen R., Raco M., Bolt G. (2013), Towards Hyper-Diversified European Cities. A Critical Literature Review, Utrecht, Utrecht University. United Nations (2018), World urbanization prospects, The 2018 revision, Department of Economic and Social Affairs (DESA), New York, United Nations.
Bibliographie
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Van der Pluijm R. (2007), « City diplomacy : the expanding role of cities in international politics », Cligendael Diplomacy papers, 10, La Haye (NL), Cligendael. Wachsmuth D., Weisler A. (2018), « Airbnb and the rent gap : Gentrification through the sharing economy », Environment and Planning A : Economy and Space, 50(6), pp. 11471170.
À PROPOS DES AUTEURS
Olivier Coutard est chercheur CNRS au Laboratoire Techniques, Territoires, Sociétés (CNRS, Ecole des Ponts ParisTech, Université Gustave Eiffel). Il est socioéconomiste, ingénieur civil des ponts et chaussées (1988) et docteur de l'ENPC (1994). Ses travaux actuels portent sur les politiques énergétiques urbaines et plus largement sur les transformations de l'organisation des services urbains, en particulier la remise en cause des grands systèmes techniques, le développement de configurations sociotechniques alternatives et les enjeux politiques de la « ville post-réseaux ». Il a été responsable scientifique et technique du labex Futurs urbains (Université Paris-Est), qu'il a co-dirigé de 2016 à 2019 avec Nathalie Lancret puis Roberta Morelli (ENSA de Paris-Belleville) et Bruno Tassin (ENPC). Entre 2016 et 2021, il a été président de la section 39 (Espaces, Territoires, Sociétés) du Comité National de la Recherche Scientifique (fonction qu'il a déjà exercée de 2008 à 2012) et président de la Conférence des Présidents de sections du Comité National (CPCN). Entre 2008 et 2015, il a été directeur du LATTS, au sein duquel il a auparavant animé l'équipe Réseaux, Institutions, Territoires (2002-2006). Il a été de 2006 à 2009 le premier directeur du programme national interdisciplinaire de recherche sur les villes et l'environnement (PIRVE), programme conjoint du CNRS et du ministère du Développement durable. Parmi ses publications récentes : Pour la recherche urbaine (eds, avec Félix Adisson, Sabine Barles, Nathalie Blanc, Leïla Frouillou et Fanny Rassat), CNRS Editions, 2020 ; Les territoires de l'autonomie énergétique (eds, avec Fanny Lopez et Margot Pellegrino), Londres : ISTE éditions, 2019 ; « Cities in an era of interfacing infrastructures: Politics and spatialities of the urban nexus » (eds, avec Jochen Monstadt), dossier thématique in Urban Studies 56(11), 2019, pp. 2191-2386. Christian Lefèvre est professeur à l'Université Gustave Eiffel, Ecole d'Urbanisme de Paris et chercheur au Laboratoire Techniques, Territoires, Sociétés où il enseigne les questions de gouvernance et de stratégies urbaines. Ses recherches concernent les réformes institutionnelles métropolitaines, les stratégies de développement et les
A propos des auteurs
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relations internationales entre les villes en s'intéressant de manière comparative aux métropoles européennes et mondiales. Sur tous ces points, il a travaillé en France pour le ministère de l'Ecologie, la DATAR, la Ville de Paris et la Région Ile de France. Au niveau international, il a mené des travaux pour le compte de la Commission Européenne, la Fondation Européenne pour la Science (ESF) et plusieurs autres organisations internationales (OCDE, Banque Inter-américaine de développement, UN-Habitat) ainsi que pour des organisations et collectivités locales étrangères (Italie, Allemagne, Espagne, etc.). Parmi ses publications les plus récentes : Paris, Agenda Publishing, collection Megacities, 2022 ; Pouvoirs Urbains : Ville, Politique, Globalisation, Armand Colin, collection Le Siècle Urbain (avec G. Pinson), 2020 ; « The Governance of Megacities : searching for the collective actor », in Labbé D., Sorensen A. (eds) (2020), International Handbook of Megacities and mega regions, pp. 78-91 ; Paris, métropole introuvable. Le dé i de la globalisation, PUF, Collection Villes en débat, 2017.
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© Paris - Mat Napo sur Unsplash
On assiste depuis une quinzaine d'années à une montée en puissance des villes sur la scène internationale : marketing territorial, politiques d'attractivité (de sièges d'organisations internationales et de grandes firmes globales, de touristes, de grands évènements qu'ils soient politiques, culturels ou sportifs, de financements extranationaux, etc) ou au contraire de « désubérisation » (notamment touristique), paradiplomatie climatique, paradiplomatie migratoire...la dimension internationale, tantôt espérée, tantôt subie, n'a cessé de gagner du terrain dans l'agenda politique, et l'action, des gouvernements urbains. Le présent ouvrage se propose d'éclairer cette « nouvelle » donne internationale pour les villes, en explorant les dynamiques d'internationalisation et de mondialisation à l'oeuvre sous l'angle des contraintes, des opportunités et des ressources qu'elles présentent pour les politiques urbaines. Il traite des tenants et aboutissants de l'action internationale des villes, en accordant une attention particulière à la fabrique urbaine contemporaine dans toutes ses dimensions : culturelle et imaginaire, matérielle et technologique, économique et financière, politique et sociale. Ce faisant, il aborde également les processus relevant des mouvements sociaux ou de l'action privée, notamment celle des entreprises internationales, dans leurs relations avec l'action publique.
Cet ouvrage s'inscrit dans le cadre du programme « L'international comme ressource et contrainte des modes de faire la ville-cité » mené conjointement par le Plan Urbanisme Construction Architecture et le Laboratoire Techniques, Territoires et Sociétés.
Organisme national de recherche et d'expérimentation sur l'urbanisme, la construction et l'architecture, le Plan Urbanisme Construction Architecture, PUCA, développe à la fois des programmes de recherche incitative, et des actions d'expérimentations. Il apporte son soutien à l'innovation et à la valorisation scientifique et technique dans les domaines de l'aménagement des territoires, de l'habitat, de la construction et de la conception architecturale et urbaine.
INVALIDE) (ATTENTION: OPTION lisent à elles seules 650 millions d'habitants. Ainsi, ce réseau a été fortement actif lors de la COP 21 en mettant en avant les actions des villes sur ce sujet et a été à l'origine du plus grand rassemblement des maires jamais organisé sur le sujet de la lutte contre le changement climatique (quelques 700 maires réunis le 4 décembre 2015 à l'hôtel de ville de Paris). Malgré la sortie des Etats-Unis de cet accord en 2017, de nombreuses villes américaines ont maintenu leur engagement à respecter les engagements de la COP 21, voire à aller plus loin, s'opposant ainsi à l'Etat fédéral. Mais des groupes de villes se mobilisent collectivement sur un ensemble d'enjeux divers. Ainsi le réseau Fearless Cities (Villes sans peur) créé à Barcelone en 2017 affiche-t-il une grande ambition : "In a world in which fear and inequalities are being twisted into hate, "Fearless" towns and cities are standing up to defend human rights, democracy and the common good". Aujourd'hui Fearless Cities rassemble des grandes villes des différentes régions du monde (Athènes, Barcelone, Belo Horizonte, Bruxelles, Madrid, Naples, New York, Philadelphie...). Et on assiste par ailleurs au développement de formes de « paradiplomatie identitaire » urbaine et régionale s'appuyant sur des revendications d'indépendance (Paquin, 2004). Il est trop tôt pour conclure sur cette dynamique de création et de transformation institutionnelle, et les avis sont partagés sur ce qu'elle apporte (ou pas) aux villes en matière de capacité d'action internationale. Il en va de même sur ses effets en termes de recomposition des liens avec les États et sur la portée de son influence en matière d'orientation de cette même action internationale.
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© Paul Van Der Werf sur Flickr
CONCLUSION
Ce tour d'horizon a permis d'éclairer cette « nouvelle donne internationale » pour les villes, tant en ce qui concerne les acteurs parties prenantes de cette internationalisation qu'en ce qui concerne les processus d'internationalisation eux-mêmes. Ce panorama invite à identifier un certain nombre de chantiers de recherche. Une première interrogation générale concerne les relations entre les villes et les Etats. Le processus que nous décrivons comme une transnationalisation des acteurs politiques locaux désignant par ce terme une volonté et une capacité croissantes de ces acteurs de s'affranchir des cadres étatiques dans leurs relations internationales conduit-il à une transformation plus large des rapports entre les Etats et les villes ? Et si oui, sur quels plans et sous quelles formes ? Ce processus permet-il aux villes de devenir des acteurs à part entière des transformations de la société mondiale ou au contraire restent-elles tributaires des Etats qui continuent à dominer la scène internationale et à les inféoder ? Quels sont les liens entre ce registre de transnationalisation des gouvernements locaux et l'émergence ou le développement d'autres formes de transnationalisme (diasporas), de mouvements sociaux transnationaux autour d'enjeux climatiques et environnementaux (comme Youth for Climate), d'inégalités sociales (Occupy), de transformations urbaines à des fins spéculatives ou plus largement de démocratie (printemps arabes) ou de mouvements politico-religieux transnationaux (pentecôtistes, réseaux pro-life, ou liées à l'islam radical) (Siméant, 2010) ? Comment le développement contemporain des tensions géopolitiques et de la conflictualité peut-il affecter les tendances à l'autonomisation des (plus grandes) villes, qui sont désormais (disons, depuis la Seconde Guerre Mondiale) les cibles privilégiées lors de conflits armés, vis-à-vis des États ? Un deuxième chantier porte sur le rôle croissant de grandes firmes internationales et des logiques commerciales dans la production, la gestion et la gouvernance des espaces urbanisés. Aux entreprises historiques du « capitalisme urbain » (Lorrain, 2002), en voie d'internationalisation rapide, s'ajoutent désormais les grandes enConclusion
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treprises du secteur numérique (Amazon) et les entreprises de l'économie « collaborative » de plateforme (Airbnb, Uber). Comment les relations en jeu dans la mise en oeuvre des politiques publiques entre acteurs politiques et économiques, entre intérêts publics et privés, sont-elles reconfigurées, et avec quelles implications sur le devenir de ces espaces ? Plus largement, le poids croissant de ces grandes firmes dans les processus de décision et/ou la difficulté des acteurs publics à les réguler ne remet-il pas en cause le fonctionnement démocratique des sociétés urbaines ? Dans l'affirmative, ces évolutions trouvent-elles un contrepoids dans l'émergence de mobilisations transnationales autour d'enjeux perçus comme communs aux sociétés urbaines (lutte contre la spéculation immobilière et foncière, contre les inégalités urbaines ou contre le changement climatique) et qui visent à redonner du pouvoir à ces sociétés ? Quelles pourraient être les conditions d'un (re)développement significatif de formes de collaboration non marchandes (Couchsurfing vs. Airbnb, covoiturage vs. services commerciaux d'autopartage, etc.) ou d'activités relevant de l'économie collaborative non orientée vers le profit commercial ou financier et les conséquences d'un tel développement sur les sociétés urbaines et les espaces urbanisés confrontés à des formes de plus en plus intensives de marchandisation ? Quels pourraient être les tenants et aboutissants de formes plus ou moins aiguës de « démondialisation », notamment pour les villes les plus insérées dans la mondialisation économique contemporaine ? Une troisième piste de recherche concerne les transformations des sociétés urbaines en contexte de mondialisation. Une première perspective consiste à s'intéresser aux spécificités des sociétés urbaines, notamment celles des grandes villes, au sein des sociétés nationales en contexte d'internationalisation avancée. Un second angle d'analyse consiste à appréhender les phénomènes migratoires dans leurs dimensions urbaines et leurs liens avec les transformations des société urbaines (et nationales) d'accueil. Ce qui apparaît caractéristique de la période contemporaine, c'est moins l'ampleur que la diversification des migrations internationales vers les grandes villes et celle des sociétés urbaines qui les accueillent et qu'elles alimentent. Il convient d'appréhender cette diversité dans toutes ses dimensions pour éclairer la manière dont elle affecte la production urbaine et la géographie sociale des villes : centralités marchandes formant des Little India ou des Chinatown, grands ensembles périphériques concentrant des populations étrangères ou d'origine étrangère récente à faibles revenus, ou encore résidences sécurisées offrant aux « expats » des standards résidentiels mondialisés et la proxi-
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mité d'écoles internationales. Au-delà des expressions de positions idéologiques ou politiques, comment appréhender dans leur diversité et dans leur interdépendance les liens entre migrations internationales et dynamiques urbaines ? De nouveaux concepts sont forgés autour de l'idée de « diversité » : super-diversité (Vertovec, 2007) ou même hyper-diversité (Tasan-Kok, 2013). Ils aident à comprendre ce renouvellement du lien ville-migration. Mais ils montrent aussi leurs limites, par leur caractère trop irénique, conforté par le fait que l'idée de diversité des sociétés urbaines devient de plus en plus souvent un levier du marketing et du benchmarking urbains, intégrée dans les indicateurs globaux d'ouverture et de « cosmopolitisme ». Le risque est d'euphémiser voire d'occulter les rapports de domination et les tensions entre les groupes ou les formes antagoniques de politisation de la question des migrations13. Plus largement, l'hyper-diversité remet en question la notion même de sociétés urbaines. D'une part, si proximité spatiale de populations ou de groupes divers rime systématiquement avec distance sociale, si l'identité sociale et culturelle se détache complètement du lieu de résidence et des espaces de pratiques quotidiennes, quels moyens d'action subsistent pour les acteurs publics urbains et pour quels effets ? D'autre part, si les analyses en termes de minorités majoritaires et de majorités minoritaires se confirment, les notions d'intégration, de modèle politique ou culturel de la société d'accueil, s'en trouveraient profondément remis en cause. Il convient donc de penser à nouveaux frais ce qui fait société dans les villes les plus internationalisées. Un quatrième chantier concerne le tourisme, modalité majeure de l'internationalisation des villes. Ce phénomène revêt dans la période actuelle une importance inédite, tant en termes quantitatifs que par les actions et les politiques mises en place par les villes pour répondre aux flux croissants de touristes, pour les attirer (labellisation, candidatures aux grands événements, etc.) ou parfois les restreindre (restriction des activités d'Airbnb à Berlin, Barcelone ou Paris, instauration d'une « taxe de débarquement » à Venise, etc.). Une tendance au rejet du tourisme de masse par
13 Les responsables de certaines villes, parfois sous la pression de leur population, s'opposent ainsi à l'ouverture de centres d'accueil de migrants (comme les communes françaises qui se sont opposés à l'accueil des migrants de Calais sur leur territoire en 2016). Plus récemment, plusieurs manifestations anti-migrants se sont produites en Allemagne comme à Chemnitz. Mais ces événements largement médiatisés ne sont que la face visible d'un changement d'attitude qui a vu de nombreuses municipalités allemandes voter des mesures visant à limiter le nombre de migrants sur leur territoire comme Cottbus, Pirmasens ou plusieurs villes de Basse-Saxe.
Conclusion
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les habitants ou par les acteurs politiques locaux des villes les plus visitées semble s'affirmer progressivement face à ce qui est désormais perçu par certains comme un « surtourisme », celui-ci résultant d'ailleurs parfois du succès, désormais perçu comme excessif, de politiques antérieures de promotion du tourisme14. Dans ce registre, on peut compter aussi le refus de certaines villes d'accueillir des grands événements parce que les responsables locaux considèrent qu'elle n'en a pas (ou plus) les moyens ou que les retombées en seront globalement négatives (cas de Rome pour les JO de 2024) ou parce que les populations n'en veulent pas (cas de Budapest pour les mêmes JO). Quels sont les ressorts historiques, économiques ou sociopolitiques (évidemment divers d'une ville à l'autre) du consensus ou du dissensus autour du développement touristique ? Quelles stratégies pour quelles formes de tourisme et pour quelles ressources de développement local alternatives ? Quels outils de promotion ou de restriction des activités touristiques ? Quelles articulations avec les autres modalités de rayonnement international des villes concernées ? Un cinquième thème d'investigations consiste à interroger les éventuelles conséquences sur les relations internationales des villes de mouvements récents d'autonomisation locale processus qui ne concernent d'ailleurs pas seulement les villes aux plans énergétique (recherche d'autosuffisance énergétique à diverses échelles locales), « métabolique » (circuits courts), écologique (arrêtés anti-pesticides) et in fine politique (volonté de pouvoirs locaux de définir leurs propres règles et de disposer des moyens de s'y conformer). Comme les dynamiques de transnationalisation, ces mouvements d'autonomisation interrogent d'abord les relations entre les villes et l'État. Cependant, les conceptions d'autonomie territoriale qui tendent à se diffuser conduisent des acteurs locaux (acteurs politiques mais aussi acteurs de la société civile et, par contrecoup, certains acteurs économiques des secteurs concernés) à remettre en question les dépendances commerciales et métaboliques de réseaux internationaux d'approvisionnement. En outre, elles s'accompagnent fréquemment de remises en questions plus larges de « l'ordre économique mondial » dans sa dimension commerciale. S'il est entendu que ces dynamiques restent
14 Par exemple, la massification touristique de Barcelone résulte en partie au moins des politiques agressives que la municipalité a menées depuis plusieurs décennies pour être et rester sur la carte du monde. La ville catalane est ainsi en quelque sorte victime de son succès. Le cas de Berlin est à certains égards similaire.
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pour l'instant marginales par rapport aux grands flux nationaux et internationaux de biens, de produits alimentaires ou d'énergie, leurs effets sur les économies locales pourraient devenir sensibles à relativement court terme et méritent en toute hypothèse d'être examinés. Ces quelques thématiques constituent un ensemble riche, quoique sans doute non exhaustif, de chantiers de recherche utiles à la compréhension de la place des villes et des sociétés urbaines dans le monde qui vient.
Conclusion
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BIBLIOGRAPHIE
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À PROPOS DES AUTEURS
Olivier Coutard est chercheur CNRS au Laboratoire Techniques, Territoires, Sociétés (CNRS, Ecole des Ponts ParisTech, Université Gustave Eiffel). Il est socioéconomiste, ingénieur civil des ponts et chaussées (1988) et docteur de l'ENPC (1994). Ses travaux actuels portent sur les politiques énergétiques urbaines et plus largement sur les transformations de l'organisation des services urbains, en particulier la remise en cause des grands systèmes techniques, le développement de configurations sociotechniques alternatives et les enjeux politiques de la « ville post-réseaux ». Il a été responsable scientifique et technique du labex Futurs urbains (Université Paris-Est), qu'il a co-dirigé de 2016 à 2019 avec Nathalie Lancret puis Roberta Morelli (ENSA de Paris-Belleville) et Bruno Tassin (ENPC). Entre 2016 et 2021, il a été président de la section 39 (Espaces, Territoires, Sociétés) du Comité National de la Recherche Scientifique (fonction qu'il a déjà exercée de 2008 à 2012) et président de la Conférence des Présidents de sections du Comité National (CPCN). Entre 2008 et 2015, il a été directeur du LATTS, au sein duquel il a auparavant animé l'équipe Réseaux, Institutions, Territoires (2002-2006). Il a été de 2006 à 2009 le premier directeur du programme national interdisciplinaire de recherche sur les villes et l'environnement (PIRVE), programme conjoint du CNRS et du ministère du Développement durable. Parmi ses publications récentes : Pour la recherche urbaine (eds, avec Félix Adisson, Sabine Barles, Nathalie Blanc, Leïla Frouillou et Fanny Rassat), CNRS Editions, 2020 ; Les territoires de l'autonomie énergétique (eds, avec Fanny Lopez et Margot Pellegrino), Londres : ISTE éditions, 2019 ; « Cities in an era of interfacing infrastructures: Politics and spatialities of the urban nexus » (eds, avec Jochen Monstadt), dossier thématique in Urban Studies 56(11), 2019, pp. 2191-2386. Christian Lefèvre est professeur à l'Université Gustave Eiffel, Ecole d'Urbanisme de Paris et chercheur au Laboratoire Techniques, Territoires, Sociétés où il enseigne les questions de gouvernance et de stratégies urbaines. Ses recherches concernent les réformes institutionnelles métropolitaines, les stratégies de développement et les
A propos des auteurs
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relations internationales entre les villes en s'intéressant de manière comparative aux métropoles européennes et mondiales. Sur tous ces points, il a travaillé en France pour le ministère de l'Ecologie, la DATAR, la Ville de Paris et la Région Ile de France. Au niveau international, il a mené des travaux pour le compte de la Commission Européenne, la Fondation Européenne pour la Science (ESF) et plusieurs autres organisations internationales (OCDE, Banque Inter-américaine de développement, UN-Habitat) ainsi que pour des organisations et collectivités locales étrangères (Italie, Allemagne, Espagne, etc.). Parmi ses publications les plus récentes : Paris, Agenda Publishing, collection Megacities, 2022 ; Pouvoirs Urbains : Ville, Politique, Globalisation, Armand Colin, collection Le Siècle Urbain (avec G. Pinson), 2020 ; « The Governance of Megacities : searching for the collective actor », in Labbé D., Sorensen A. (eds) (2020), International Handbook of Megacities and mega regions, pp. 78-91 ; Paris, métropole introuvable. Le dé i de la globalisation, PUF, Collection Villes en débat, 2017.
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© Paris - Mat Napo sur Unsplash
On assiste depuis une quinzaine d'années à une montée en puissance des villes sur la scène internationale : marketing territorial, politiques d'attractivité (de sièges d'organisations internationales et de grandes firmes globales, de touristes, de grands évènements qu'ils soient politiques, culturels ou sportifs, de financements extranationaux, etc) ou au contraire de « désubérisation » (notamment touristique), paradiplomatie climatique, paradiplomatie migratoire...la dimension internationale, tantôt espérée, tantôt subie, n'a cessé de gagner du terrain dans l'agenda politique, et l'action, des gouvernements urbains. Le présent ouvrage se propose d'éclairer cette « nouvelle » donne internationale pour les villes, en explorant les dynamiques d'internationalisation et de mondialisation à l'oeuvre sous l'angle des contraintes, des opportunités et des ressources qu'elles présentent pour les politiques urbaines. Il traite des tenants et aboutissants de l'action internationale des villes, en accordant une attention particulière à la fabrique urbaine contemporaine dans toutes ses dimensions : culturelle et imaginaire, matérielle et technologique, économique et financière, politique et sociale. Ce faisant, il aborde également les processus relevant des mouvements sociaux ou de l'action privée, notamment celle des entreprises internationales, dans leurs relations avec l'action publique.
Cet ouvrage s'inscrit dans le cadre du programme « L'international comme ressource et contrainte des modes de faire la ville-cité » mené conjointement par le Plan Urbanisme Construction Architecture et le Laboratoire Techniques, Territoires et Sociétés.
Organisme national de recherche et d'expérimentation sur l'urbanisme, la construction et l'architecture, le Plan Urbanisme Construction Architecture, PUCA, développe à la fois des programmes de recherche incitative, et des actions d'expérimentations. Il apporte son soutien à l'innovation et à la valorisation scientifique et technique dans les domaines de l'aménagement des territoires, de l'habitat, de la construction et de la conception architecturale et urbaine.
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