Colloque Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition. ESIEE Paris, Cité Descartes, 19-20 janvier 2012.

Auteur moral
École nationale des ponts et chaussées (France) ; Laboratoire Techniques, territoires et sociétés ; Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (France)
Auteur secondaire
Résumé
Ce dossier contient le programme, des résumés et une retranscription des communications qui ont été proposées lors de sessions au cours desquelles les intervenants ont cherché à répondre à trois principales questions : Les leviers économiques couvrent-ils l'essentiel de ce qui détermine l'action (comment articuler dimension économique et dimensions sociologiques, anthropologiques, géographiques et guider la décision publique vers de nouveaux modes d'action) ? Comment prendre en compte la complexité des usages dans l'élaboration de politiques publiques de l'énergie et comment penser conjointement les usages de l'énergie et les infrastructures dans un même système sociotechnique ? En quoi les analyses en sciences sociales permettent de penser la transition énergétique des pratiques ? Plus précisément, les interventions ont eu, entre autres, pour thèmes ou sujets le projet ENERGIHAB, l'estimation de la demande d'énergie des ménages français, la prévision des consommations, les travaux de maîtrise de l'énergie dans le secteur résidentiel, l'énergie sur les lieux de travail, la vulnérabilité énergétique, etc.
Descripteur Urbamet
économie d'énergie ; BTP (secteur) ; politique publique ; consommation ; logement ; lieu de travail ; sociologie de l'habitat ; prévision
Descripteur écoplanete
Thème
Ressources - Nuisances ; Architecture
Texte intégral
Colloque Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition 19 et 20 janvier 2012 ESIEE Paris, Cité Descartes LATTS, CNRS Journée du 19 janvier Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 1 Table des matières INTRODUCTION ............................................................................................................................... 3 Par Hélène SUBREMON, Chercheur LATTS et Fredérick de CONINCK, Professeur a l'Ecole des Ponts ParisTech, Chercheur au LVMT, Directeur du Labex Futurs Urbains. Refreshing energy savings research and policy agendas with insights from social practice and social learning theories................................................................................................................................... 9 Harold WILHITE, Research Director University of Oslo, Centre for Development and the Environment. Estimation de la demande en énergie des ménages français : intégration des analyses issues des sciences sociales dans une modélisation de l'usage chauffage. ........................................................ 12 Par Marie-Hélène LAURENT et Isabelle MOUSSAOUI, Chercheurs EDF R&D. La consommation énergétique domestique : le projet ENERGIHAB ............................................... 16 Nadine ROUDIL, sociologue, CSTB et Jean-Pierre LEVY, géographe, laboratoire LAVUE du CNRS Repenser le cadre d'analyse des usages de l'énergie : de la prévision des consommations aux instruments de politique publique. ..................................................................................................... 20 Anne DUJIN et Bruno MARESCA, Chercheurs au CREDOC Travaux de maîtrise de l'énergie dans le secteur résidentiel français ................................................ 23 Marie-Laure NAULEAU, Doctorante ADEME-CIRED et Laurent MEUNIER, analyste ADEME Discussion ..................................................................................................................................... 25 POLITIQUES..................................................................................................................................... 33 « L'énergie des habitants cogestionnaires : un nouvel objet économique et son coût social. »......... 33 Taoufik SOUAMI, Maitre de conférence UPEMLV, chercheur au LATTS «Thermal conventions and energy use. »........................................................................................... 35 Russell HITCHINGS, Department of Geography, University College London « La domestication du solaire à l'épreuve du politique. » ................................................................. 39 Ariane DEBOURDEAU, Chercheur au Centre d'étude du développement durable, Université Libre de Bruxelles « Les bâtiments a usage professionnel : perception et appropriation des espaces de travail. »......... 42 Jean-Philippe FOUQUET & Christèle ASSEGOND, Ingénieurs de recherche, codirecteurs ETIcS, Universite François Rabelais de Tours Discussion ............................................................................................................ 45 Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 2 INTRODUCTION Par Hélène SUBREMON, Chercheur LATTS et Fréderick de CONINCK, Professeur a l'École des Ponts ParisTech, Chercheur au LVMT, Directeur du Labex Futurs Urbains. Hélène SUBREMON Ce colloque répond à des interrogations profondes que nous menons au LATTS. Je voulais commencer par remercier les contributeurs importants aux réflexions sur les usages de l'énergie qui ont bien voulu participer à cette journée. L'organisation de cette journée est évidemment une entreprise collective, et je tiens à remercier le comité scientifique qui a coélaboré le contenu, ainsi que Valérie BOCILLON et Simon COTTIN-MARX, qui ont assuré l'entière organisation de l'événement, ainsi que Josette MARIE et Jean-Robert OPICA. Frédérick de CONINCK Nous allons parler, pendant cette journée, d'un sujet qui selon moi est tout à fait typique des questions interdisciplinaires sur lesquelles nous essayons d'avancer dans notre laboratoire d'excellence, Futurs Urbains, au croisement des usages, des enjeux techniques et des questions qui relèvent de la décision politique. Par ailleurs, ce sujet, collectivement, reste encore émergeant, et beaucoup reste à construire et à élaborer. Futurs Urbains n'est pas un laboratoire au sens classique du terme, il s'agit d'une fédération de laboratoires, proches les uns des autres d'un point de vue géographique, et qui construisent en commun. Notre Labex comporte 13 laboratoires, dont le LATTS, dont les champs disciplinaires sont l'aménagement, l'architecture, l'environnement, les transports... Tous ces laboratoires sont rattachés aux Presses Universitaires Paris-Est, et ont décidé de travailler sur des questions où se croisent leurs compétences respectives. Le Labex organise des colloques, met au point un programme éditorial, octroie des bourses postdoctorales, tout en favorisant les coopérations inhabituelles, en travaillant sur des questions transversales. Sur la base de partenariats suivis, le Labex construit aussi une interface avec le monde professionnel. Quelques exemples de nos thèmes de travail : l'articulation bâtiments ­ transports dans l'aménagement à partir de la question de l'économie globale de consommation d'énergie, ou de la qualité de l'air et de l'eau en ville ; Renouveler les questions de modélisation en sortant des approches sectorielles ; Nouvelles vulnérabilités et inégalités liées à l'accessibilité et à la mobilité ; Nouveaux paradigmes sociotechniques émergents liés à la question de la ville économe. Au total, nous avons 300 chercheurs permanents et 300 doctorants environ, potentiel certes impressionnant, mais qui nécessite la mise au point de dispositifs pour les faire collaborer et travailler ensemble de manière efficace. Cette journée qui débute m'intéresse à plusieurs niveaux, d'abord en tant que responsable de Labex, ensuite en tant que sociologue des usages. Nous retrouvons ici, d'un certain côté, une problématique classique dans la sociologie des usages : des solutions techniques sont imaginées, mais se révèlent difficiles à mettre en oeuvre, du fait d'une dynamique propre des usages qui détourne les outils techniques des usages que leurs concepteurs avaient imaginés, ou bien d'un milieu professionnel qui peine à les mettre en oeuvre. Des chercheurs ont inventé le concept de « domestication » des technologies, dans le sens que les relations familiales ou les réseaux sociaux s'emparent de l'offre technique, pour la manier à leur guise, comme si l'offre technologique était un animal sauvage qu'il fallait domestiquer, c'est-à-dire ramener à des usages sociaux dans lesquels les utilisateurs se sentent à l'aise. Les usages font de la résistance, face aux injonctions morales, face aux dispositifs proposés, et Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 3 aussi, jusqu'à un certain point, face aux logiques économiques. Je me réjouis que l'on essaie, lors de cette journée, de comprendre les ressorts des usages de l'énergie dans le bâtiment. Mais en fait, quelque chose est original dans ce programme de recherche : ce qui ressort de l'analyse des usages, c'est l'inventivité, la prolifération d'idées que les usagers mettent en oeuvre, de sorte que les usages se déploient, s'enrichissent. Or, le champ de recherche dont nous parlons aujourd'hui se construit plutôt sur le fond d'une inquiétude, selon laquelle l'usage de l'énergie dans le bâtiment serait trop proliférant. Le paradigme dominant dans le champ des usages est en fait que l'usager s'empare de la moindre marge d'action qu'on lui donne. Entre l'État, qui tente de légiférer sans vraiment trouver les bons leviers d'action, les ingénieurs qui imaginent des solutions techniques, le milieu professionnel qui a ses propres intérêts et savoir-faire, les producteurs d'énergie qui encore d'autres intérêts, et les usagers qui multiplient les effets rebonds, nous aboutissons à une situation sociale tendue dont on ne voit pas vraiment l'issue. Je ne veux pas m'étendre trop en détail sur ces questions, qui vont être exposées avec bien plus de précision et de compétences par les différents intervenants, mais je voudrais plutôt voir comment, à propos d'un champ de recherche en restructuration, cette configuration nous impose de penser différemment les rapports entre les disciplines. Les oppositions sociales que je viens de pointer ont souvent leurs parallèles dans des oppositions entre disciplines scientifiques. Nous devrions, et nous pourrions, dépasser ces oppositions, à l'occasion d'un chantier comme celui qui nous occupe. Je veux parler par exemple de l'opposition entre les chercheurs qui sont plutôt concernés par l'analyse des politiques publiques, et ceux qui sont plutôt concernés par les modes de vie, entre ceux qui étudient la ville et ceux qui étudient l'organisation du travail, les logiques de construction des milieux professionnels, ou encore, au-dessus de tout, l'opposition entre les sciences de l'ingénieur et les sciences sociales. Les sciences de l'ingénieur sont-elles capables de faire une place à ce que j'appelle bien volontiers « l'inventivité déroutante des usages » ? J'ai relu hier l'un de mes textes fétiches, Machines et organismes, de Georges CANGUILHEM. Il s'agit d'une conférence qu'il a prononcée en 1947 et qu'il a réécrite en 1965. Ce qu'il nous dit à l'époque, à propos des machines, nous pourrions le transférer aujourd'hui, mot pour mot, au sujet des innovations techniques. J'ai moi-même une formation d'ingénieur, et j'estime que les sciences de l'ingénieur ont un tropisme dans la clôture de solutions réputées rationnelles, et donc fermées, y compris fermées à la discussion. CANGUILHEM rappelle que l'ingénierie repose d'abord et avant tout sur une ingéniosité commune à l'ensemble de l'humanité. Il n'y a pas d'ingénierie sans ingéniosité, et cette ingéniosité, c'est celle de tout le monde. C'est la raison pour laquelle, selon CANGUILHEM, « nous trouvons plus de lumières sur la construction des machines dans les travaux des ethnologues que dans ceux des ingénieurs ». Nous pourrions dire aujourd'hui que nous trouvons plus de lumières sur les ressorts de l'innovation technique dans les travaux des ethnologues que dans ceux des ingénieurs. Toujours selon lui, « la vie est expériences, c'est-à-dire improvisations, utilisation des occurrences, elle est tentatives dans tous les sens. » C'est là une parfaite description de ce que l'on constate lorsqu'on fait de la sociologie des usages, cette étonnante capacité d'invention. Mais cela décrit aussi les ressorts profonds qui sont à la source de l'innovation technique : la rationalisation des techniques fait oublier l'origine irrationnelle des machines, ou de l'innovation technique. On pourrait prendre ça comme un discours de dénonciation de la rationalisation technique, mais ce n'est pas principalement dans ce sens que CANGUILHEM l'entend, et moi non plus d'ailleurs. J'y vois plutôt une chance, peut-être difficile à saisir, mais intéressante à tenter. L'inventivité des usages, plutôt que d'être l'ennemie des innovations techniques, pourrait en être l'alliée, pour peu qu'on se donne les moyens de faire coopérer ces deux modes d'inventivité : chercher ensemble des solutions à ce défi de la consommation d'énergie dans le bâtiment, non pas en produisant d'un côté des solutions sur étagère, puis d'un autre côté, en les détruisant par les usages, mais en coproduisant des solutions ad hoc, et donc non closes au motif de leur rationalité supposée. Par exemple, dans le champ énergie-habitat, nous sommes toujours à la recherche de l'interface « qui va bien ». Il est toujours extrêmement difficile de créer des interfaces conversationnelles. On crée des systèmes automatisés plutôt que des systèmes Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 4 ouverts qui mettent l'usager en position d'agir. Une interface « qui va bien », par exemple, ce serait de représenter de manière simple les sources de sa consommation d'énergie à l'usager, mais avec un niveau de détail suffisant, qui lui permettrait d'agir. Autre exemple : que serait l'art et la manière de conseiller quelqu'un qui voudrait faire isoler son logement, à qui des solutions partielles pourraient être proposées, dans ses moyens, plutôt que des solutions idéales, mais hors de prix ? Une alliance est-elle possible entre sociologie des usages et sciences de l'ingénieur ? Pour le moins, il y a une voie de recherche qui mérite d'être explorée. Dans le champ de l'action publique et de la normalisation, là aussi on résonne de manière trop frontale, même si là le dialogue entre disciplines est tout de même plus nourri que le dialogue entre acteurs. Les comportements du milieu professionnel et des usagers y restent une énigme, aussi bien pour le législateur que pour celui qui essaie d'édicter des normes. Dans un autre texte, « Milieu et normes de l'homme au travail », CANGUILHEM dit : « un comportement réputé irrationnel ou anormal, en fait, témoigne simplement du fait qu'on ne peut pas comprendre toutes les normes à l'intérieur d'une norme ». En fait, aucune norme ne nous permet de comprendre toutes les normes, chaque usage a sa raison, sa norme propre. Une des formules les plus connues de CANGUILHEM : « Tout homme veut être sujet de ses normes. ». La subjectivité de la norme, c'est évidemment un grand défi dans le chant de la consommation d'énergie dans le bâtiment, mais en fait, en restant au niveau des injonctions morales, ou au niveau de logiques trop « top down », la résistance sera farouche. En réalité, si on ne met pas l'usager en position d'acteur, on est voué à échouer. Mais revenons au dialogue entre les disciplines. Il y a les sciences de l'action publique, sur différents modes, et puis il y a la sociologie des usages, ou par exemple la sociologie de l'organisation du travail dans le BTP, qui peuvent envisager différents modes de collaboration, originaux et fructueux. Ces quelques remarques pour montrer que ce que nous essayons de faire dans notre Labex, c'est de faire sortir la question de l'interdisciplinarité, elle aussi, du champ de l'injonction morale. Ce que l'on essaie de réussir, c'est de construire cette interdisciplinarité autour d'un travail de recherche qui lui aussi veut être « sujet de ses normes », et qui donc s'invente et produit de nouveaux paradigmes, au-delà des frontières disciplinaires. Hélène SUBREMON Ce colloque n'est certainement pas le premier sur le sujet, il y a eu plusieurs journées scientifiques ces dernières années, dont certaines très marquantes, qui ont cherché à explorer la consommation d'énergie sous l'angle de la rénovation du bâtiment, des attentes des habitants, des pratiques de consommation, de l'articulation entre opinion et comportements. Bref, la consommation d'énergie dans les bâtiments, et plus largement dans les espaces habités, est largement investie par la recherche française et européenne. Il ne s'agit pas, aujourd'hui, d'ajouter simplement une nouvelle rencontre, mais plutôt d'opter pour un angle assez différent. Ce colloque est le fruit d'une longue réflexion, qui a déjà donné lieu à la publication d'un premier rapport de recherche, L'Anthropologie des usages de l'énergie dans l'habitat ­ Un état des lieux, réflexion poursuivie ensuite par la commission spéciale du développement durable, qui a mis en place un séminaire sur les comportements d'usage de l'énergie dans les bâtiments. Les objectifs de baisse des émissions de gaz à effet de serre liées aux bâtiments sont connus, mais les moyens d'y parvenir, notamment en ce qui concerne les pratiques, le sont moins : faut-il inciter, contraindre, informer, stigmatiser ceux qui ne se conforment pas à la norme ? Ou encore, comment penser les modes d'habiter tout en apportant des éléments concrets à la décision publique ? Jusqu'ici, les incitations techniques et financières ont été les instruments privilégiés, avec des résultats variables, les usages de l'énergie étant un objet mal connu de la décision publique. Notre proposition, aujourd'hui, est à la fois de faire le point sur les acquis scientifiques des usages de l'énergie, de construire collectivement des appuis de connaissances pour les politiques publiques, et de dessiner une programmation scientifique. Aussi, ce colloque s'organise autour d'une mise en débat que nous Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 5 aborderons par le recours à l'interdisciplinarité et par le croisement de regards académiques et non académiques. Nous chercherons donc à comprendre en quels termes se pose le débat : l'essentiel des mesures a consisté à construire des instruments techniques et financiers et à développer des campagnes de sensibilisation et d'information pour accéder à une large acceptabilité sociale, alors que les sciences sociales, et notamment celles qui interrogent les domaines des sciences, des techniques et de l'innovation, ont depuis plusieurs années dénoncé la vision asociale de ces mesures. L'élaboration d'instruments qui ne prenaient en compte qu'en priorité les objectifs à atteindre, et qui cherchaient dans un second temps à les faire accepter, semble être une gageure, mais c'est bien souvent le mécanisme qui est privilégié, mettant sur le fait de la résistance au changement ou de l'irrationalité des individus les maigres résultats obtenus. Inversement, beaucoup d'attentes reposent sur les pratiques de chacun. Il semblerait, à les observer, qu'il ne soit pas possible de ne se reposer que sur les dynamiques de changement, propres à toute pratique sociale, pour atteindre les objectifs de réduction volumique collective. Donc, que faire ? Ce colloque y répond de deux façons : Se tourner vers les sciences sociales pour affiner notre connaissance de ces usages, et les replacer dans leurs contextes sociaux, économiques, historiques et géographiques. Nous pourrions alors avoir comme objectif la construction des contours d'un champ qui saurait prendre en compte la complexité du sujet, pour y apporter un diagnostic au plus près des pratiques quotidiennes ; Faire en sorte que les sciences sociales, dès lors investies de ce sujet, aillent au-delà de leurs limites disciplinaires, qui se cantonnent parfois trop souvent à une approche compréhensive, in vivo, de leurs objets, et de leurs manifestations, afin de contribuer à une pensée projective et politique. Ces journées s'organisent autour de cette mise en débat interdisciplinaire et de ce croisement de regards académiques et non académiques. Elles réunissent nos intervenants autour de trois principales questions : une fois prise en compte cette tension entre la construction d'un espace où s'exprime la singularité des sciences sociales, mais aussi où celles-ci seraient aussi capables de se mettre en danger, je souhaiterais voir ces trois sessions comme trois étapes d'une réflexion collective qui participait à construire cette tension salutaire. La première session, « que connait-on des usages de l'énergie ? Les leviers économiques couvrent-ils l'essentiel de ce qui détermine l'action ? », propose d'articuler une dimension économique, incontournable, à d'autres dimensions, sociologique, anthropologique, géographique, afin de guider la décision publique vers de nouveaux modes d'action. L'hypothèse transversale de cette session est que la mise en commun d'approches diverses permettra de souligner la complexité des pratiques d'usage de l'énergie, d'identifier les points de convergence et de jonction, et de renouveler la seule formulation des enjeux liés au signal prix. La deuxième session « Comment penser conjointement les usages de l'énergie et les infrastructures dans un même système sociotechnique ? », revient à mettre en débat la dimension individuelle face à la dimension collective des pratiques, pour mettre en perspective les usages avec la fabrication des bâtiments de la ville, de ses infrastructures et de ses réseaux. L'analyse sur les usages de l'énergie se concentre pour l'essentiel sur le bout de la chaîne, c'est-à-dire les pratiques sociales qu'il donne à voir. Serait-il profitable de mobiliser les enjeux liés aux infrastructures dans une réflexion plus globale ? Jusqu'où l'infrastructure, la définition d'un service énergétique, l'organisation en réseau, la production d'énergie, participent-elles à forger les usages ? Sont-ils des objets éclairants sur la façon dont se façonnent les usages, et sur les moyens politiques à disposition pour réfléchir de façon conséquente la consommation ? Enfin, la troisième session, « En quoi les analyses en sciences sociales permettent de penser la transition énergétique des pratiques ? », comment la description de processus, l'identification de structures et de logiques Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 6 sociales, peuvent-elles participer à l'élaboration d'outils pour penser les transitions et impulser des innovations. La trame de cette session repose sur la question du changement, mais plutôt que de l'approcher frontalement en se demandant comment changer les comportements, nous préférons examiner les processus, proposer une prospective ou une projection des pratiques d'aujourd'hui, dans une perspective de réduction de la consommation. Cette mise en commun de la connaissance permettra en dernier lieu de dessiner de nouvelles pistes pour les programmes de recherche à venir, ce qui sera donc l'objet de la session de conclusion. Pour terminer cette introduction, je souhaite rendre hommage à Philippe DARD, décédé il y a quelques jours. Philippe a contribué, en France, à l'ouverture d'un champ et d'une réflexion profonde sur les usages de l'énergie, en donnant toute son importance à la pensée profane de l'habitant face à celle de l'ingénieur. Il a été sociologue et directeur de recherche au CSTB pendant l'essentiel de sa carrière. Sa contribution à la réflexion a largement dépassé les frontières de cette institution. Je lui dois personnellement beaucoup, et je crois que les réflexions qui émergeront aujourd'hui et demain ne seront pas sans rappeler, du moins en partie, les analyses fines de ses travaux. Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 7 PRATIQUES Que connaît-on des usages de l'énergie : les leviers économiques couvrent-ils l'essentiel de ce qui détermine l'action ? François MÉNARD Bonjour, mon nom est François MÉNARD, je suis chargé de mission au PUCA, le Plan Urbanisme Construction Architecture, organe incitatif de recherche au sein du ministère de l'Écologie, à la Direction générale de l'Aménagement, du Logement et de la Nature. Son rôle est de concevoir, financer et animer des programmes de recherche sur la ville, l'urbain, la construction, l'architecture, et l'énergie. Cette table ronde sera animée avec l'aide de Jean-René BRUNETIERE du CGEDD. Pourquoi deux animateurs ? Ce n'est pas tant qu'il faille deux personnes pour encadrer deux intervenants, mais il s'agit d'éviter de vous assener des discours administratifs et politiques d'institutions en matinée, en donnant d'abord la parole aux chercheurs que nous avons choisi de vous faire entendre, dans un contexte où le dialogue interdisciplinaire est essentiel. Dialogue essentiel pour une raison qu'il faut peut-être rappeler : nous sommes aujourd'hui engagés dans des politiques qui se fixent des objectifs quantifiés de réduction de gaz à effet de serre, et qui s'appuient sur des scénarios qui prévoient des réductions de consommation d'énergie à l'horizon 2020. Il faut donc à la fois être capable d'anticiper, de prévoir, et donc de compter, et en même temps, il faut bien comprendre les usages, pour être sûr d'atteindre cet objectif, voire, s'il apparaît trop ambitieux, savoir comment le modifier, l'adapter, et trouver des ressources qui n'avaient pas été imaginées au départ. C'est là tout l'enjeu de ce dialogue interdisciplinaire où se confondent les sciences de l'ingénieur et les sciences sociales et économiques, mais également, au sein de ces sciences sociales, ceux qui viennent de l'économie dans ce qu'elle a de plus exigeant en terme de calculs et de modélisation, et l'anthropologie qui tend à mettre en suspens, pour l'analyse au moins, les objectifs normatifs, pour essayer de rentrer dans la logique propre des pratiques. Cette première table ronde a pour objet de discuter de ce que l'on sait aujourd'hui des usages, avec cette double exigence : la capacité, en partant d'interrogations venues d'un champ disciplinaire particulier, d'accepter, de recevoir, de discuter les injonctions venues du politique ou de la rationalité externe des autres champs disciplinaires. Nous allons commencer avec Harold WILHITE, chercheur à l'université d'Oslo. Un sociologue français, Pierre SENSOT, disait qu'« habiter, c'est avoir des habitudes ». Et ces habitudes, qui ne sont pas figées, ne sont pas malléables au point que le seul intérêt bien compris de chacun les pousserait à les modifier. En revanche, il existe des « objets », des dispositifs techniques, plus favorables aux apprentissages que d'autres, et c'est à ces dispositions particulières qu'il faut être attentif, autant qu'aux performances théoriques intrinsèques de ces objets et dispositifs techniques. Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 8 Refreshing energy savings research and policy agendas with insights from social practice and social learning theories. Harold WILHITE, Research Director University of Oslo, Centre for Development and the Environment. I'll begin by saying that, even though I'm an American I live in Norway now for 25 years, so I myself am a kind of hybrid, and I'm going to try to bring some of that experience to the discussion. I think the organizers have really given us a huge challenge to try to compress our remarks in 12 minutes, I hope that this doesn't convert to a superficial discussion in witch we don't really explore anything, but at least we can lay out some of the issues and that can be a basis for the discussion later one. Just a quick outline of what I want to covert this morning: first, there is an accelerating emergency to reduce consumption, from a climate perspective and from an energy resources perspective. This is not a new domain, trying to understand energy consumption and trying to do something about it has existed since the 1970s, however, throughout most of that period, there has been one dominating conceptualization of the consumer, which, I think, only captures a very small part of the way people act and operate in their homes and their social environments. Even after 40 years of both epistemological critic and of concrete evidence, we can still claim that there's more or less a conceptional vacuum around the understanding of the consumer energy consumption. There has been recently an evaluation of the Norwegian Research Council to know where the fundings have gone. You might be surprised, or maybe not, to know that only about 5 % or 6 % over the last 20 years have been dedicated to social science perspective on energy, and within it, about 4 % have gone to economic conceptualizations. So the other aspects of social sciences that have been brought to bear on understanding consumption have only got a very small support. Actually, this evaluation has led to a rethinking of what we'll be doing in the future, and over the next decade we're going to have more than 25 % of the funding oriented to social science research on energy consumption. This opens for a reframing of the conceptualization of energy consumption, and I think that social practice theory shows promise as a way to capturing some of the elements that have been forgotten thus far. I'd like to sketch out the strengths in the social theory approach now, and the points which, I think, need developing. I'm going to suggest that social learning theory offers also a source and a reference point for relating policies to social practice theorization of consumption. The conventional approach, which has been partially anchored in economics, but also in sociologyrelated disciplines, postulates that consumption is something done by fully agentive individuals that are completely reflexive and that are not connected to any social context, social relationships and social norms, and that the things with which they interact are passive. Consumption consists in interactions between people, context and things, and I have introduced a concept called "distributed agency": each of these are determinant and agentive in the way that we consume. Social practice theory gives a way of uncompensate the three elements that I just mentioned, with embedded knowledge and the active social material context (sens incertain, fichier 7, 13:30). The thing that has been missing is that we have collapsed body into mind, and we have assumed that people, when they act in their homes, when they go out and buy something, are fully reflexive, they are applying instantaneous cognition to situations in which they are trying to balance economic variables and that it is the way that we make decisions about how to consume. But consumption is much more complex than that, and one of the things that has been missing is the idea of "embedded knowledge" or "embodied knowledge": that the body has trajectories though life histories and trajectories through a sociocultural space, and those trajectories, as we do things, in both of those related spaces, all that knowledge about how to do things, is embodied or embedded, in habits, routines and practices. It's an entire domain of research and a way of theorizing consumption that has been missing and has lots of potential for a new agenda to help us understand better how we consume and what are the effects of Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 9 consumption. Embodied knowledges are responsible for a lot of things that we do: the way we use our bodies, the way we eat, the way we run, the way we cook or clean, the way we arrange our homes, the way we adjust ourselves to thermal comfort... All of these things are relatively habituated, for most of us ; at least those of us who are living in a relatively stable sociocultural context, in the same home over time. Many things that we do occur at a level below full cognition. Think about the things that you do yourself: how you prepare a certain kind of meal, how you commit to work, how you use utensils while you eat. All of these things develop practical knowledge which is partly responsible for governing the way that we act. You could say that the body that is involved in consumption is the site of embedded and practical knowledge. So, how does this come about? Practical knowledge is formed through repeated performance. Marcel MAUSS talked about what he called "sociocultural learning in our body" to technics develop as children grew up, how to hold a baby, how to walk, and so on. One form of practical knowledge is deposit over long term experience to social context. Other form can be purposive: you can train yourself to type, or to swim, and actually one of the goals in a exercise like that is to reach a point where you don't have to think about how your fingers move upon the keys. At the same time, we have the thing with which we interact, the refrigerators, the heating systems, the television, and so on, that come with their own embedded potentials for influencing action in different ways. So in circulation between bodies and things we have agency attributed in both directions. Bodies can effect material environment and things can effect the way that bodies act. One of the domains where we need "redethinking", once we have opened up to this concept of practice, habit or body technique, is to determine why some are some habits more resistive to change than others. I've written a bit about that, and say that it's related to the frequency of repetition of something that you do, the stability of the social-cultural context in which you are operating, and the complexity of the social-material space in which this takes place. Something that involves a lot of objects and takes place over a greater space might not be considered a strong habit, even if you do this every day, because of that complexity and the need to have the intervention of cognition to proceed. Are these various complexities related to the strength of the habits of consumption that we do? How is that related to policy? Social learning has a potential here. First of all, obviously, if we claim that things are agentive in consumption, we can change the nature of the things with which we interact, and that would be one vector of change for our consumption, but we can't re-engineer the entire world. We can use regulations and policy instruments to change the constellation of things that are available to people, such as the regulations concerning smart buildings and so on. We can move the material world but that's not going to move things fast enough in order to meet the challenges we have in relation to the reductions necessary for climate change. So we need to give more attention to what is called "practical learning", which links up naturally with the practice approach, which relies more on an understanding that information and knowledge is distributed between mind and body, that informal learning is important, the use of metaphor, how one can learn new practices by exposure to them, and to a certain extent, through exposure to understanding that they don't bring problems with them. In a world of energy efficiency, lot of our solutions tend to be hyper-technical and that worries people. They would be much more comfortable with accepting them if they were able to expose to them in some sort of demonstration environment, or exposed to peers who have accomplished the same kind of transformations, and learn through the experiences of peers. Learning from peers is one important element to bring to policy. For information, I've been working on "social benchmarking", where you get people information about where their energy consumption is, in relation to people who live in a similar type house and have a similar size family and so on. That has a tendency to help people to place themselves were they are in relation to others, and understand if they're over-consuming compared to an average family on that group, and that kind of social contextualization has potential for stimulating people to think through their energy use. Energy use is strongly related ownership, private property, one of the things that needs more research Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 10 in the future is how we're going to move from private ownership to sharing and use sharing and leasing of things such as energy, cars, appliances and so on. But those kinds of transformations are quite dramatic compared to the way we do things today, and I think we need to have a public policy coming in support of demonstration projects of car sharing, leasing programs, laundry sharing, so that people can learn from each other. I'm involved in a project that I think I mentioned earlier: we found that when people go out to buy a complex heat-pomp system, to provide heat for the home in the winter time, the greatest source of information has not been the public authority of Norway, it hasn't really been the manufacturers themselves. What people do is they call up their friends, family and neighbors who have done it themselves. And they ask them: how did you make that choice? Who did it? How did they do it? What did it cost? How long does it take? What have been the benefits? We need to understand that that's the way people do make decisions, through these contacts with peers, and I think that opens up another domain for a new policy. Another consequence of this, and that's my last point, is that, when householders (incertain, fichier 8, 9:05) are in transition, from one social cultural to another, from one house to another, that's a period in which when they do become reflexive about routines, because when you're going to set up a new house, the physical space in the house is probably different, the neighborhood is different, the relationship between house and work is different. So that's a period of time when people are highly vulnerable to information that's promoting energy savings or less energy-intensive practices and technologies. We can do more in taking advantage of people in those transitions. In this very brief period of time, I'm only able to really threw out a basic outline of these new ideas about how we conceptualize consumption and how that might be related to new agenda for policy. There's much to be done in developing this, but may be we can have some discussion about it afterwards. Thank you. Jean-René BRUNETIERE Merci pour cette bonne introduction à la complexité des choses où vous nous avez décrit, finalement, l'homme « machinal », l'homme « engrammé », qui suit ses habitudes jour après jour, et qui est assez loin de l'homo economicus, qui va optimiser ses choix à chaque instant via une analyse multicritères. Je me reconnais assez bien dans cet homme machinal, et vous aussi peut-être, c'est peut-être l'occasion de croiser ces deux premières interventions, l'inventivité dont parlait Frédérick DE CONINCK et ce côté machinal. Au fond, peut-être que chacun a inventé ses habitudes, ce qui pose évidemment la question du changement. On peut peut-être s'appuyer sur l'homme-moutonnier pour changer l'hommemachinal. On tient plus compte de ce que font les moutons-voisins que de ce que dit Dieu le père ou les pouvoirs publics. Vous nous avez souligné la question de l'offre technique et de son influence, et puis le fait qu'on ne change ses habitudes qu'au moment des ruptures, dans des phases de transition. Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 11 Estimation de la demande en énergie des ménages français : intégration des analyses issues des sciences sociales dans une modélisation de l'usage chauffage. Par Marie-Hélène LAURENT et Isabelle MOUSSAOUI, Chercheurs EDF R&D. Marie-Hélène LAURENT Je suis issue des sciences de l'ingénieur, alors que ma collègue est issue des sciences sociales. Il y a quelques années, nous avons eu besoin de mettre de l'humain dans nos modèles techniques de prévision de consommation d'énergie. Nous réalisons à la fois des études prospectives, donc relativement normatives, mais également des études de prévision de consommation d'énergie à l'échelle de la France et de l'Europe, sur tous les secteurs de consommation. Nous sommes relativement obsédés par l'aspect réaliste de ces prévisions. Au-delà de la technique, on s'est évidemment rapidement aperçu que le facteur humain était extrêmement important dans les niveaux de consommation. En terme de projections, il est évidemment difficile de le prédire et de faire des hypothèses sur son évolution. Pour essayer de prendre en compte les résultats des études de nos collègues sociologues dans la modélisation technique de la consommation d'énergie, nous avons lancé deux thèses. Nous allons vous présenter trois conclusions auxquelles nous sommes arrivées, ma collègue et moi, conclusions quelque peu réductrices, mais qui nous paraissent essentielles à prendre en compte dans un modèle technique, voire économique et statistique, pour ne pas rater l'essentiel de l'impact quantitatif des comportements, dans le secteur résidentiel en tout cas. Isabelle MOUSSAOUI Notre première conclusion consiste à différencier l'analyse en fonction des usages, ce qui paraît assez basique, mais qui se révèle assez compliqué à réaliser concrètement. L'énergie est un moyen et pas une fin en soi, les finalités de l'activité domestique renvoient plutôt à des fonctions sociales, telles que la recherche du confort ou de la sécurité, qui peuvent varier selon les ménages, et des projets de vie, des orientions que les ménages souhaitent donner à leurs pratiques domestiques. Ces fonctions et ces projets vont se matérialiser d'abord dans des activités, elles-mêmes concrétisées dans des postes de consommation, chacun renvoyant à des pratiques et des valeurs de représentation sociale assez différentes. Une approche par postes permet de simplifier les constats sociologiques pour les faire entrer dans les modèles. L'intérêt majeur et le point commun entre les travaux de sciences sociales et de sciences de l'ingénieur sont de constater qu'en réalité le comportement énergique n'existe pas en tant que comportement singulier. Il n'y a pas un comportement énergétique homogène et univoque, mais plutôt des pratiques dispersées qui n'impliquent ni les mêmes objets ni les mêmes personnes ni les mêmes relations sociales, encore moins les mêmes rythmes sociaux ni représentations sociales, ni les mêmes contraintes, ressources et politiques publiques. Enfin, ces pratiques ne renvoient pas aux mêmes filières ni aux mêmes marchés. Il y a donc des manières de gérer l'énergie très différentes, en particulier dans ce qui relève des loisirs et du ludique (produits « blancs ») et des tâches domestiques (produits « bruns »). Marie-Hélène LAURENT Nous avons réalisé une modélisation par usage. De notre point de vue, les analyses, notamment statistiques, multiusages, basées sur la facture énergétique globale, ont des portées réduites. Nous voulions également un modèle explicite, au sens technique du terme, pour qu'en réalisant des calculs thermiques notamment, nous puissions retomber, par exemple, sur l'impact du changement de la nature d'un parc en terme de consommation. Pour réaliser notre modèle, nous avons réalisé une enquête sur 2 000 ménages, en mars 2011. Nous avons finalement retenu un certain nombre de critères déterminants Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 12 sur la consommation de chauffage. La première surprise a été de découvrir que les critères techniques sont arrivés en tête de la détermination des consommations : surface et nature du logement, climat et environnement local... L'âge du bâti n'a pas été un critère déterminant, ce qui chagrine énormément nos collègues techniciens pour qui l'isolation thermique est très liée à la date de construction du bâtiment. De notre point de vue, l'une des raisons qui font que ce point particulier n'est pas ressorti comme discriminant, c'est justement la capacité d'adaptation des ménages à une situation donnée. Dans les calculs théoriques, on trouve que pour une même situation technique, les scénarios de comportement de chauffage peuvent faire varier de trois le facteur de consommation de chauffage, ce qui est absolument énorme. Or, on ne retrouve pas cette variété quand on regarde les variétés des consommations. Nous constatons un écrasement de ce que la variété des situations techniques pourrait donner, par l'amplitude de la variété d'adaptation des ménages à la situation technique dont ils héritent. Pour nous, la modélisation du chauffage est un arbitrage des ménages, entre l'efficacité énergétique du logement dont ils héritent, au sens large, surface comprise, le prix de l'énergie associé à leur chauffage, le climat auquel ils doivent faire face au niveau environnemental, et leur richesse. Nous avons donc déterminé une relation entre la consommation théorique en fonction des caractéristiques du logement, et un ratio relatif, qui est la part relative budgétaire théorique, que le ménage devrait avoir dans son budget, s'il se chauffait de façon normative. Cela permet d'avoir une relation entre consommation dans l'équilibre, prix de l'énergie de chauffage, efficacité énergétique du système de chauffage au sens large (équipement et bâti) et richesse des ménages. Pour les autres usages, l'analyse est complètement différente et les critères économiques ne ressortent pratiquement pas, en particulier pour la cuisson, qui reste extrêmement stable dans le temps. Isabelle MOUSSAOUI Le deuxième point en terme de résultat est l'idée d'une grande hétérogénéité des ménages et des pratiques. Dans un premier en en, l'idée est de désagréger par pratique, puis de réagréger grâce à des variables sociodémographiques. C'est leur addition qui permet de construire des groupes sociaux concrets qui aboutissent à des pratiques et des valeurs plus homogènes. Sur le chauffage, il y a un lien entre niveau de revenu et isolation du logement, mais en réalité on se rend compte que pour comprendre les consommations de chauffage, la variable du revenu ne suffit pas. Le statut de locataire ou de propriétaire va expliquer la marge de manoeuvre que l'on peut avoir en matière de rénovation de son système de chauffage. Les ressources culturelles et sociales liées aux diplômes et aux revenus expliquent plusieurs choses, notamment l'accès différencié à l'information sur les politiques publiques et le recours ou le non-recours à ce type de dispositif, ou bien le fait qu'une banque aura plutôt tendance à donner son accord à un couple aux revenus confortables. Les ressources sociales, économiques et culturelles jouent beaucoup sur le type de performance énergétique qui sera choisi pour le logement. L'efficacité énergétique des logements va être très différente si l'on s'attarde sur les gestes d'attention à l'énergie. On constate une grosse différence entre les niveaux de revenus et les groupes sociaux, entre des personnes aux revenus plus modestes, qui vont faire beaucoup de petits gestes au quotidien, et qui n'auront pas forcément le moyen de faire autre chose, des gestes pas toujours très performants et très contraignants au quotidien, par rapport à des ménages aux revenus plus élevés, avec une certaine aisance sociale, qui vont privilégier le confort et investir dans un ensemble de systèmes auxquels ils délèguent la performance énergétique du logement. Marie-Hélène LAURENT Sur ce point, l'enseignement en terme de modélisation est l'échelle à laquelle sont modélisés les ménages. Une échelle trop globale est inefficace en terme d'interprétation, l'échelle individuelle, en fonction des revenus, aboutie à des nuages de points à ne plus savoir qu'en faire. Une échelle « mezzo », intermédiaire, permet de dégager des tendances, en fonction des critères définis au préalable. D'après Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 13 nos travaux, pour représenter l'hétérogénéité des ménages français, il faut plusieurs centaines de cellules, entre 400 et 800 environ. L'apport quantitatif de cette segmentation moyennement fine est colossal. L'artefact lié au modèle et au niveau de détail de description des messages, entre segmentations fine ou très grossière, aboutit à un impact sur les projections à 2050 aussi important que le doublement du prix du pétrole, lequel est considéré comme un facteur important et une hypothèse lourde. Isabelle MOUSSAOUI Dernier point, l'idée d'intégrer les contraintes de décision et de choix, donc la théorie de la pratique en sciences sociales quant aux arbitrages et aux capacités d'action au niveau du chauffage. Il faut bien prendre en compte que pour une grande part, il y a un « non-choix » : les ménages arrivent dans un logement déjà équipé, et ce n'est pas forcément un critère premier dans la sélection du logement, même s'il peut le devenir à des moments où l'enjeu énergétique est plus important. Cette réflexion est valable pour les locataires, mais aussi, dans une certaine mesure, pour les propriétaires. En cas de changement du système de chauffage, le processus de décision est assez complexe et souvent assez long, il sera considéré comme risqué, économiquement et socialement. La performance énergétique est un critère de choix, mais elle n'est pas la seule, l'esthétique, le coût, la présence ou non de tuyaux apparents, le bruit et l'encombrement, la durée des travaux, la capacité d'appropriation des installations techniques, les informations fournies par les artisans, par la famille et le réseau, etc., entrent aussi en jeu dans la prise de décision. Et tout cela peut être totalement court-circuité si le système de chauffage tombe en panne. Là, l'urgence dans la prise de décision fait qu'on aura plus tendance à prendre le même système que celui dont on disposait avant, afin de limiter les risques. On n'est donc pas du tout dans le cadre de l'homo economicus qui va prendre une décision en maximisant son intérêt économique, mais dans tout un ensemble de critères très variés pris en compte, et parfois face à un non-choix, un état d'urgence, une non-possibilité d'arbitrage. Marie-Hélène LAURENT La prise en compte des deux premiers points concernait les consommations quotidiennes d'énergie. Dans ce troisième point, nous avons une illustration des comportements d'investissement, par rapport à la rénovation énergétique. L'idée était de dire que la décision d'investissement est un acte « contrarié ». Il faut absolument tenir compte des contraintes auxquelles fait face le ménage, en particulier sa vision très partielle du marché, l'hétérogénéité énorme du marché de la rénovation en France, avec une variabilité des prix pour un même geste théorique qui est très forte. Dans la bibliographie, on trouve énormément de travaux sur le bon critère financier à utiliser, le bon indicateur pour représenter les critères de décision des ménages dans l'investissement énergétique. Notre propre postulat consiste à affirmer qu'il n'y a pas un critère particulier qui puisse fonctionner sans avoir à être manipulé dans tous les sens, avec des taux d'actualisation à faire frémir les économistes. L'important n'est pas de trouver le bon critère financier, mais plutôt de limiter le champ de vision des investissements. Nous avons choisi deux actions, une première qui consiste à avoir une vision hétérogène de l'offre, avec une distribution de prix pour une action donnée au lieu d'un seul prix, avec valeur moyenne médiane. Le ménage dispose ensuite de plusieurs devis qui sont tirés aléatoirement parmi les solutions retenues. Il arbitre après à l'aide d'une formule financière. Notre postulat, qui s'est vérifié, consiste à dire que, finalement, il est moins important de choisir le bon indicateur financier, quantitativement parlant, que de limiter le champ de vision de l'investissement. En faisant varier hétérogénéité de l'offre et la répartition des parts de marché, en fonction du niveau de performance énergétique pour un geste donné, on constate qu'il y a un certain équilibre qui se fait. En matière de part de marché, on retombe sur les trois niveaux de performance de l'étude OPEN menée par l'ADEME : les solutions les plus performantes sont les moins représentatives, mais ne sont pas nulles, alors que sans hétérogénéité du marché le modèle ne donne pratiquement pas de sortie de la solution la plus performante. Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 14 Isabelle MOUSSAOUI Nous avons évoqué des pistes pour continuer à collaborer, mais nous les évoquerons lors de la table ronde. Jean-René BRUNETIERE Dans ce croisement entre l'homme machinal et l'homme inventif, à un moment donné, il faut arriver à se repérer et donc à segmenter des populations homogènes, entre les ménages, les usages et des contextes effectivement très contraints. Cette échelle « mezzo » commence à permettre de déterminer des leviers d'action, où l'information des ménages tient un rôle important qu'ont retrouvera par la suite. Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 15 La consommation énergétique domestique : le projet ENERGIHAB Nadine ROUDIL, sociologue, CSTB et Jean-Pierre LEVY, géographe, laboratoire LAVUE du CNRS Jean-Pierre LEVY Deux mots d'abord sur les éléments qui nous ont déterminés à proposer cette recherche. La plupart des recherches sur les questions d'énergie domestique portent généralement sur le bâti, avec des mesures de consommation en kWh par mètre carré, et le ménage n'y intervient qu'indirectement. Et quand il y a des études sur les ménages, il s'agit généralement de comprendre la pratique à partir d'études anthropologiques sur le long terme, mais sur des corpus très réduits, qui posent la question de la globalité des processus. L'idée est donc ici de faire un travail sur les pratiques domestiques et leurs impacts énergétiques, en partant de travaux globaux, et en essayant de zoomer de plus en plus sur des types de pratiques spécifiques. Nous avons monté un projet en six étapes : Exploitation des enquêtes nationales sur le logement, publiées tous les quatre ans, pour construire des indicateurs synthétiques de consommation énergétique et des types de ménages à l'échelle nationale ; Enquête réalisée auprès de 2 000 ménages en région parisienne pour étudier plus précisément leurs pratiques (400 questions) ; Approche économique à partir de l'enquête logements et de l'enquête sur les ménages ; Extraction de 60 ménages volontaires parmi les 2 000, pour constituer un laboratoire d'observation : entretiens semi-directifs et capteurs placés dans le foyer pendant deux semaines pour constater en continu les pratiques de consommation dans les différentes pièces. Chaque action ayant un impact énergétique faisait en outre l'objet d'une mention dans un carnet de bord (allumer un interrupteur, le micro-ondes, la machine à laver, etc.). À l'heure actuelle, l'ensemble des corpus a pu être récolté. L'exploitation de l'enquête sur les 2 000 ménages est encore en cours. Les résultats, encore partiels, sont les suivants : En partant des modes de consommation (enquêtes logement), des typologies de consommateurs ont pu être déterminées. Lorsque les modes de consommation sont combinés avec leur intensité, des relations habitats-habitants sont constatées qui aboutissent à des profils types. Mais lorsqu'on regarde l'intensité de consommation globale des différents types de ménages, il n'y a pas d'homogénéité constatée. À l'intérieur de chaque type, l'intensité globale de consommation est hétérogène. En croisant l'intensité de consommation par kWh par personne et celle par kWh par mètre carré, nous avons découvert que les facteurs déterminants n'étaient pas les mêmes. En prenant en compte les types de ménage et le type de kWh, on aboutit à 34 types de ménages, dont l'hétérogénéité provient au final de positions différenciées dans le cycle de vie des ménages : à l'intérieur d'un même type de logement, à mode de consommation équivalent, c'est la position dans le cycle de vie du ménage qui influence l'intensité des consommations. Dans notre graphique d'intensité des consommations dans l'habitat individuel de plus de 70 m2 en accession à la propriété, et selon le parcours résidentiel, une variation des modes de consommation est ainsi constatée, mais selon un même moderne de courbe : courbe relativement stable sur les étapes du cycle de vie de 30 ans à 59 ans, explosion de la consommation par personne après 60 ans, et ce alors que les ménages étudiés, dans la plupart des cas, ne changent pas de logement. Les consommations pour les mêmes types de logements et de ménages par mètre carré sont relativement stables, ce qui veut dire que, les ménages ne changeant pas de logement maintiennent la même intensité de consommation, alors même que les enfants du couple quittent le logement. Dans ces conditions, s'il y a stabilité de la consommation, c'est qu'il y a une modification du comportement dans le ménage contenant moins de Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 16 personnes. Cette constatation est moins vraie dans le locatif, où visiblement les ménages ont plutôt tendance à changer de logement une fois les enfants partis. Avec l'enquête des ménages, nous avons alors décidé de comparer les modes de consommation des ménages occupant des logements identiques, mais positionnés dans différentes étapes du cycle de vie. Mais avant de mener cette étude, nous avons déterminé des indicateurs de sensibilité écologique, via l'enquête 2 000 ménages. 7 % du corpus des ménages s'est révélé être à très forte sensibilité écologique, alors qu'un tiers environ avait une très faible sensibilité écologique. Lorsque leurs consommations moyennes sont étudiées, on s'aperçoit que, logiquement, les consommations moyennes par personne pour les ménages à très faible sensibilité écologique sont moins importantes que celles des ménages à très forte sensibilité, mais en revanche les consommations par kWh par mètre carré sont plus importantes pour les ménages à forte sensibilité que pour ceux à faible sensibilité. Cela s'explique par le type d'habitat occupé par ces deux familles de ménages : la moyenne des surfaces occupées est plus importante pour les ménages à très forte sensibilité, de même que le nombre moyen de personnes qui constituent ces ménages. Là encore, dans les formes de sensibilité écologique, la position dans le cycle de vie est très importante. Les ménages à très forte sensibilité se positionnent dans les couples avec enfants, à partir de 30 ans. Les groupes de ménages en début de cycle de vie et en fin de cycle de vie, qui n'ont donc pas ou plus d'enfant, ont majoritairement une très faible sensibilité écologique. Nous avançons donc dans ces hypothèses, et une autre manière d'avancer est d'étudier les résultats des entretiens semi-directifs que nous avons menés. Nadine ROUDIL Un travail spécifique sur la consommation d'énergie a pu être fait à partir de l'étude des 60 ménages. Nous avons fait émerger trois éléments structurants à ces pratiques de consommation, tout en questionnant la place de la sobriété énergétique comme enjeu écologique, et nous nous sommes rendu compte qu'elle ne remettait pas forcément en cause les modes d'habitat. Contrainte économique : les ménages sont sous pression, et cette pression économique permet de relativiser la dimension environnementale. Les ménages ont recours à des arbitrages qui portent sur le chauffage, mais aussi sur l'éclairage et l'équipement ménager. Cette dimension se tient au coeur d'un paradoxe : tous les ménages enquêtés ont montré une envie de faire attention à leurs dépenses, mais témoignent très peu de solutions qui permettent d'y arriver. La question de la maîtrise de la consommation est essentielle dans cette dimension. Les ménages mobilisent un certain nombre d'informations qui leur permettent de donner une forme de compétence d'habité : informations permettant de réaliser de grandes transformations autour de l'eau chaude, du chauffage, des sanitaires ou de l'isolation ; des informations liées aux équipements de la maison, souvent liées aux informations des étiquettes-énergie, des ampoules à basse consommation, des économiseurs d'eau. Elles renvoient à une norme de consommation préétablie, et confèrent aux acteurs un statut plus contraint, qui fait que leurs compétences se trouvent limitées par leurs croyances aux performances affichées. Leur savoir pour économiser l'énergie est en quelque sorte confisqué par la norme technique. La question de la norme du confort est évidemment centrale dans les résultats de notre analyse, autour de deux points. Elle s'impose face aux contraintes économiques et environnementales. L'enjeu du chauffage est relativisé par le confort en terme de température, les ménages privilégient une température plutôt élevée (54 % de l'échantillon chauffe entre 20 degrés et 21 degrés). De même, la consommation de l'eau est considérée comme largement associée au confort. Les enquêtés revendiquent le moment de détente que constitue la douche ou le bain. La question de la lumière artificielle est souvent reliée à un environnement chaleureux, au fait que les ménages multiplient les éclairages. L'autre grande caractéristique du confort moderne est de posséder une multiplication d'équipements ménagers et d'objets de loisirs. Notre corpus est très proche de la consommation de Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 17 masse, ce qui apparaît avec la quantité d'équipements « bruns ». En première analyse, nous avons débouché sur des profils de consommateurs d'énergie, les « bricoleurs », car nous avons affaire à du bricolage, à des petits aménagements, à des reflets d'intérêts de circonstances, qui font que les décisions sont prises de manière relative : Le « bricoleur opportuniste » : sans transformer son quotidien ni infléchir ses manières de consommer, il va utiliser au mieux les circonstances pour entreprendre une démarche de réduction de sa consommation énergétique. Les retombées pécuniaires sont difficiles à évaluer, il s'agit de petites habitudes dont le bénéfice est tout à fait relatif, en terme de sobriété et en terme d'économie. Ménages qui disent profiter de la mitoyenneté de leur pavillon pour réduire la mise en oeuvre du chauffage, ménages qui confient se chauffer au four ou à l'écran plasma, ménages qui disent faire couler de l'eau chaude avant de se laver pour éviter d'utiliser le chauffage, etc. Le « bricoleur rationnel » : les évolutions adoptées tendent à être beaucoup plus définitives, elles touchent les moments-clés de la vie quotidienne : se nourrir, cuisiner, se chauffer, se divertir. Nous sommes là au coeur d'un paradoxe : des ménages qui s'engagent dans la sobriété, mais qui, en même temps, pour y parvenir, multiplient l'équipement domestique. Le « bricoleur radical » : Sa posture est plus efficace, il met en place de véritables contraintes, assez segmentées dans les pratiques du domicile, qui permettent de s'apparenter parfois à un radicalisme écologiste. Plusieurs ménages se comportent de la sorte, en essayant de s'organiser pour ne pas travailler un jour de la semaine, pour ne pas consommer de l'énergie ce jour-là, en faisant en sorte que l'ensemble de la famille se conforme à cette exigence. Ces ménages-là légitiment leur consumérisme à travers l'argument de la basse consommation : on multiplie les équipements dits peu consommateurs d'énergie, pour arriver à se conformer à cette volonté qui est une vraie prise en compte des enjeux écologiques à une échelle globale. Le « bricoleur contraint » : figure très particulière, car très marquée par le caractère d'obligation, et extrêmement ramassée sur les ménages modestes de notre corpus. Ils sont locataires, captifs d'une situation économique, et mettent en place des stratégies d'économie auxquelles la famille est extrêmement associée. Radiateurs éteints, plaques chauffantes utilisées après usage grâce à leur force d'inertie... Ces ménages disent être dans une solution de consommation empêchée, c'est-à-dire contrariée, et que s'ils le pouvaient ils adopteraient une attitude qui ferait que l'équipement du ménage serait développé. Toutes ces figures sont assez transversales sur tout le corpus. Jean-Pierre LEVY L'enjeu est évidemment d'arriver à associer ces différents types de ménages, identifiés à partir de l'entretien semi-directif et des travaux menés à partir de l'enquête Logement ou de l'enquête 2 000 ménages, et de les interpréter également à partir des résultats obtenus grâce à une observation en continu, jour après jour, pendant deux semaines, des 60 ménages auprès desquels nous avons réalisé les entretiens. À notre grande surprise, les résultats issus des carnets de bord sont plus précis que ce qu'on a pu obtenir à partir des capteurs. Les ménages ont effectivement rempli avec sérieux, instant avec instant, les différents types d'actions qu'ils pouvaient réaliser. Grâce au partenariat avec EDF, nous avons pu entrer les résultats issus des carnets de bord. Les premiers résultats montrent les différents types d'actions réalisées au cours d'une journée, de minuit à onze heures du soir le lendemain, par un ménage, dans son salon, en week-end. On constate alors l'hétérogénéité des types de pratiques qui peuvent être réalisées à différents moments de la journée, dans une pièce donnée du logement. Ces résultats « Tableau de bord » vont maintenant être croisés avec ceux des capteurs (intensité de la consommation) et nous essaierons d'associer les observations en continu avec les typologies issues de l'entretien semiUsages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 18 directif et des enquêtes Logement et 2 000 ménages. Jean-René BRUNETIERE Nous voilà entrés dans la grande complexité de la compréhension de ce qui se passe en rapprochant l'équipement, la consommation, l'usage et l'imaginaire, ou au moins le discours. Les croisements sont infinis, mais la bonne nouvelle c'est que vous arrivez tout de même à vous y repérer, à faire des profils, à classifier tout cela, ce qui permet de dégager des pistes de recherche considérables. Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 19 Repenser le cadre d'analyse des usages de l'énergie : de la prévision des consommations aux instruments de politique publique. Anne DUJIN et Bruno MARESCA, Chercheurs au CREDOC Anne DUJIN Je travaille dans une équipe du CREDOC, dirigée par Bruno MARESCA, qui travaille spécifiquement sur les politiques publiques. Il s'agit d'une équipe pluridisciplinaire dans laquelle nous mêlons des compétences de sociologues, de politistes et d'économètres statisticiens, qui vise à interroger les rapports entre la compréhension des usages ­ et pas seulement ceux liés à l'énergie ­ et la logique des instruments de l'action publique. Dans ce grand axe de travail, la question de l'énergie a pris une importance croissante au fur et à mesure qu'elle émergeait sur l'agenda des politiques publiques, ce qui nous a amenés, comme d'autres ici, à nous pencher sur la question de la modélisation des consommations d'énergie. Autour de la question de la prévision et de la modélisation des consommations, les apports des sciences sociales sont centraux, d'abord parce qu'elles ont montré l'intérêt de dépasser les approches par l'opinion et les représentations, qui ne sont pas prédictives des comportements de consommation, ensuite parce qu'elles ont invité à prendre en compte les cadres matériels et normatifs dans lesquels se déploient les pratiques, et enfin parce qu'elles ont mis en lumière qu'il n'y a pas un comportement de consommation, mais des usages de l'énergie, qui engagent des systèmes matériels, des représentations spécifiques, et des processus d'apprentissage qu'il s'agit de maîtriser pour comprendre comment évoluent ces usages. Une autre entrée, à côté de celle des sciences sociales, qui provient du monde des sciences de l'ingénieur, s'articule autour de la question des modèles de prévision, qui permettaient de définir les modèles de consommation sur lesquelles étaient fondées, par exemple, les normes thermiques pour la construction des bâtiments. Ces modèles sont aujourd'hui jugés insuffisants, de la manière dont ils ont été conçus et utilisés jusqu'à un passé relativement récent. Les facteurs explicatifs pris en compte dans ces modèles étaient relativement limités aux dimensions structurelles bâtis-systèmes pour modéliser la demande théorique d'énergie d'un logement. Et dans ces modèles les usages étaient essentiellement appréhendés à travers des valeurs moyennes qui ne permettaient pas d'expliquer la très grande variabilité des observations qui était observée d'un ménage à l'autre. Les étapes de la réflexion du CREDOC à ce sujet sont les suivantes. En 2009, le CREDOC réalise une enquête « 2 000 ménages ­ consommation d'énergie » pour la Direction de l'Habitat, de l'Urbanisme et des Paysages du ministère, dont l'objectif opérationnel était de réactualiser les scénarios conventionnels pour l'ART 2012, et qui avait une triple entrée : bâtiments, équipements et usages. En 2011, le CREDOC est chargé par GDF Suez de créer un observatoire du consommateur d'énergie, la première vague a eu lieu à l'été 2011 et une deuxième vague est en préparation pour l'hiver 2012. Il s'agit d'articuler l'analyse des pratiques avec une analyse du mode de vie des ménages et du système sociotechnique dans lequel le ménage s'inscrit. L'ambition de notre réflexion aujourd'hui est double. Il s'agit d'une part de poursuivre les analyses des consommations d'énergie qui se déclinent par pratiques et par usages, et d'articuler cette approche avec une analyse plus systémique, une grille qui prend en compte les dimensions du bâti, de la forme urbaine, de l'inscription territoriale, du logement, du ménage et de son mode de vie. Dans le cadre résidentiel, nous étudions ainsi le système de déploiement des usages de l'énergie. Il s'agit d'un système en forme de poupées russes, l'approche quantitative implique une grille de recueil des informations qui fonctionne par emboîtements successifs. Cela dit, il ne s'agit pas d'un emboîtement figé, il y a des systèmes de porosité et de rétro-action entre ces différents cadres. Les pratiques se développent à différents niveaux et elles engagent, dans une interaction permanente, des dimensions Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 20 matérielles et des dimensions immatérielles : la zone climatique, la forme urbaine, le bâtiment, le logement (surface, nombre de pièces), le ménage, les équipements, et enfin la dimension dite « style de vie » (lifestyle) qui inclut les représentations du ménage, son cycle de vie et ses capacités d'apprentissage. La grille d'analyse a déjà été opérationnalisée dans le travail mené avec GDF Suez pour certaines pratiques (chauffage, cuisson, hygiène, mobilité, usages de l'eau, etc.). Pour une pratique donnée, une série de facteurs explicatifs de la grille analyse « mode de vie » est structurée comme une série d'entrées. À chaque entrée correspond ensuite une série de variables, qui sont mobilisées pour expliquer ce qu'on observe de cette pratique. Certaines dimensions relèvent davantage de la notion dite de « cadre de vie », qui vient de l'anthropogéographie et qui désigne des aspects plus structurels du mode de vie, et celles qui vont relever du « style de vie », et qui renvoient à des domaines plus arbitrés. La localisation résidentielle peut être par exemple la région, au sens INSEE, en tant qu'elle signale l'inscription dans une certaine zone climatique, la localisation, et la distance aux services d'approvisionnement les plus courants. Ainsi, pour chaque entrée de la grille d'analyse du mode de vie, ont été retenues un certain nombre de variables sur lesquelles nous avons des informations, ménage par ménage, et dont on pense qu'elles peuvent être déterminantes pour analyser une pratique spécifique. De manière synthétique, un graphique présente l'effectivité des différents facteurs explicatifs retenus. Il ne s'agit pas encore d'un travail de modélisation toutes choses égales par ailleurs. Il s'agit plutôt du pourcentage des pratiques pour lesquels chacun des facteurs est apparu avoir un impact. Par exemple, pour plus de 70 % des pratiques étudiées, la région, et donc la zone climatique, est un facteur important. Le premier constat est que les aspects techniques et/ou structurels de la grille d'analyse des modes de vie sont ceux qui ont le plus fréquemment un impact significatif sur l'explication d'une pratique. Cela ne veut pas dire que d'autres variables comme le confort, la sensibilité au climat ou à l'innovation, jouent moins souvent sur les pratiques, ni qu'elles ne sont pas les plus déterminantes pour les pratiques sur lesquelles elles jouent. Il ne s'agit pas de réfléchir en terme de poids des différentes variables, mais selon leurs fréquences. Une première grande conclusion, qui corrobore d'autres travaux en cours sur cette question, est que ce sont les dimensions techniques et structurelles qui apparaissent comme relativement déterminantes. Le travail qui est devant nous va consister à entrer dans une modélisation pratique par pratique, pour identifier le poids de ces différents facteurs, tout en étant capable de le ramener à une lecture plus systémique, de ce qu'est un mode de vie aujourd'hui, en tant qu'il engage des usages de l'énergie, de l'eau, de la mobilité, etc. Les apports opérationnels de cette approche sont multiples. Elle permet de décomposer la figure du consommateur moyen, sur laquelle reposent encore majoritairement les politiques publiques et les modèles de consommation. De ce point de vue, nous nous inscrivons tout à fait dans la lignée de travaux en cours, notamment aux États-Unis, qui ont montré l'intérêt opérationnel pour les politiques publiques de rentrer dans une approche beaucoup plus fine et segmentée. Le second apport, dont l'intérêt sociologique est important, est de permettre de croiser une approche structurelle, à travers la forme urbaine, le logement et l'inscription territoriale, avec une lecture dynamique à travers le cycle de vie, les systèmes de valeurs et les apprentissages. La combinaison de ces deux lectures nous paraît être un apport important, qui n'est pas encore très développé dans la sociologie des usages pour le moment. Dans les mois qui viennent, nous envisageons deux voies de développement, une première consiste en une modélisation des consommations finales des ménages, par opposition à la modélisation de la demande d'énergie primaire des logements, qui ne permet pas de rendre compte de la diversité et de la logique interne des ménages. Mais il s'agit aussi de bâtir un système d'enquête sur les pratiques des ménages, qui engage la transition énergétique, fondée sur cette grille d'analyse bâtis ­ logements ­ modes de vie. L'énergie est aujourd'hui un objet d'investigation important, mais pour les ménages, c'est un moyen. Être capable d'appréhender, à travers une lecture assez systémique, les usages qui engagent la transition énergétique, à savoir la mobilité, l'approvisionnement, les usages de l'eau, le rapport à l'hygiène, les pratiques de cuisson, etc., nous paraît être une ambition importante et utile, au vu de l'agenda actuel. Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 21 Jean-René BRUNETIERE Au fond, on peut se demander si le principe de « mode de vie », qui engage à la fois un habitat et une manière de l'utiliser et d'être en société, n'est pas un concept de synthèse qui aurait sa cohérence. Au fond, chaque habitant met en cohérence son bâti, ses pensées, ses habitudes, sa consommation, etc. Ne devons-nous pas penser le changement comme le saut d'un mode de vie à un autre, qui ferait qu'on ne peut pas changer l'offre technologique sans changer les habitudes, et vice versa ? Cela nous permettrait de nous repérer dans le foisonnement des pratiques, que nous avons abordé tout à l'heure. Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 22 Travaux de maîtrise de l'énergie dans le secteur résidentiel français Marie-Laure NAULEAU, Doctorante ADEME-CIRED et Laurent MEUNIER, analyste ADEME. Laurent MEUNIER Voici d'abord quelques résultats descriptifs tirés de note enquête « 10 000 ménages ». Certains chiffres que je vous présente sont tirés des rapports de synthèse qu'on trouve sur le site internet de l'ADEME, produits par la SOFRES. Certains chiffres sont issus de calculs en cours de notre part, et ne sont donc pas encore définitifs. De quoi parle-t-on quand on parle de travaux de rénovation thermique ? Depuis 2000, environ trois quarts des travaux concernent l'enveloppe des bâtiments : réfection des parois, des combles, de la toiture, ou autres petites opérations. Environ 70 % de ces travaux sont réalisés par des professionnels, tendance en hausse depuis 1986. La distribution cumulée du montant investi par les ménages qui ont fait des travaux enveloppe et chauffage montre que 80 % des ménages réalise des travaux inférieurs à 13 000 . Quelles sont les raisons pour réaliser ces travaux ? En 2010, plus de 60 % des ménages ont réalisé des travaux pour un désir de confort ou dans l'espoir d'une réduction de la facture énergétique. Environ 20 % des ménages déclarent faire des travaux pour remplacer un appareil. 29 % des ménages ont déclaré avoir été incités à réaliser les travaux grâce au crédit d'impôt Développement durable. Qui sont les ménages qui font ces travaux ? 80 % des ménages qui réalisent des travaux sont des propriétaires, 75 % habitent dans des maisons individuelles, 70 % habitent des logements construits avant 1975. Parmi les ménages propriétaires de maisons individuelles construites avant 1975, la ventilation par tranche de revenues montre que ce sont les ménages relativement les plus pauvres qui choisissent de ne pas réaliser de travaux. Les travaux lourds (montant supérieur à 5 000 ) sont réalisés en majorité par les ménages les plus riches. Marie-Laure NAULEAU Une première application d'utilisation de ces données dans un but de modélisation économique, a été de créer un modèle économétrique de choix discret, dans lequel les ménages ont le choix entre réaliser ou pas des travaux, de différents types : isolations, parois (double vitrage), installation ou remplacement de chaudière ou chauffe-eau, amélioration du système de chauffage, travaux impliquant des énergies renouvelables, travaux bois, travaux multitypes (bouquets des différentes composantes). Les variables explicatives sont les caractéristiques sociodémographiques (âge, revenu), relatives au logement (statut d'occupation), le type de logement, la date d'emménagement, ainsi que les caractéristiques du logement (date de construction, superficie) et des variables comportementales (connaissance du crédit d'impôt, des étiquettes énergie, des espaces infoénergie). Les résultats couvrent les années 2005 à 2009, et d'autres travaux sont en cours pour étudier les années à partir de 2010. Pour la variable « maison » par exemple, la probabilité de faire des travaux sur parois plutôt que de ne pas en faire, pour un ménage qui habite dans une maison, est 1,8 fois plus élevée que pour un ménage qui n'habite pas dans une maison. Pour les énergies renouvelables, le rapport passe de 10 à 1,8, donc on peut dire qu'être dans une maison est déterminant pour faire des travaux, mais bien plus déterminant pour faire des travaux d'énergie renouvelable que sur le double vitrage. Une date de construction du logement plus ancienne joue plus pour réaliser les travaux d'isolation ou d'amélioration Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 23 du système de chauffage, mais s'avère non significative pour des travaux sur bois ou impliquant des énergies renouvelables. Le recours aux espaces Info-énergie est déterminant pour les travaux avec énergie renouvelable ou les bouquets de travaux, avec une demande de technicité et de connaissances supplémentaires pour mener à bien ces travaux-là. Enfin, les coefficients sont tous significativement positifs en ce qui concerne le crédit d'impôt, mais avec un rapport de 1 à 13 entre les travaux d'isolation et les travaux avec énergie renouvelable. Les ménages faisant des travaux sur les énergies renouvelables sont donc beaucoup plus sensibilisés aux crédits d'impôt. Ce type de travail est intéressant d'un point de vue descriptif, il permet de mettre ensemble un grand nombre de variables, mais ne modélise pas vraiment le comportement et les choix des ménages, ce qui concerne plutôt l'approche structuraliste que nous sommes en train de réaliser, et où il s'agit d'expliciter les mécanismes à l'oeuvre dans un modèle de choix, permettant notamment de voir le véritable effet du crédit d'impôt sur ces choix. En effet, dans un tel travail, le fait que la connaissance du crédit d'impôt soit significative ne veut pas dire que le crédit d'impôt ait eu un effet proprement incitatif à la réalisation des travaux. C'est le problème dit de « l'andogénéité » en économétrie : c'est peut-être parce qu'un individu ambitionne de faire des travaux qu'il va prendre connaissance du crédit d'impôts, et pas parce qu'il connaît l'existence du crédit d'impôt qu'il va décider de faire des travaux. Et ces deux variables peuvent être impactées par une autre, non prise en compte, par exemple la sensibilité environnementale ou le niveau d'information de l'individu sur les problématiques énergétiques, ou sa capacité à entreprendre. Dans cette démarche structuraliste, l'important est de prendre en compte les caractéristiques des ménages et les caractéristiques des choix, comme le temps de retour des travaux ou leur coût d'investissement, pour comprendre par exemple l'effet d'une politique publique, le crédit d'impôt, sur les choix des ménages. Dans cette méthode, on ne cherche pas à modéliser les mécanismes au sein du processus de choix, mais à tester directement l'effet d'une mesure qui intéresse l'économètre. Le principe de base est celui des estimations des différences et indifférences, où l'on compare, toutes choses égales par ailleurs, des ménages qui ont bénéficié d'une mesure et d'autres qui n'en ont pas bénéficié, en évaluant leur comportement avant et après la mesure. L'hypothèse-clé est ici qu'en l'absence de la mesure, le comportement du ménage aurait malgré tout évolué de la même façon. Une étude en cours à l'INSEE porte sur la majoration de taux entre 2005 et 2006 sur les travaux d'efficacité énergétique, le taux passant de 25 % à 40 % seulement pour les gens ayant emménagé dans des maisons construites avant 1975. Nos premiers résultats dénoteraient un effet significatif positif du crédit d'impôt sur les montants dépensés, mais qui reste relativement faible. Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 24 Discussion Jean-René BRUNETIERE Nous arrivons là dans le « quoi faire » et dans le « comment le faire », avec la question des politiques publiques, et ce qui va faire qu'on va ou nous décider de réaliser des travaux et de changer de comportements. Passons maintenant au débat... Jean-Pierre LEVY Sur la question énergétique, après un certain nombre de travaux de modélisation sur les coûts et les modes de consommation, on se rend compte que la variable « comportement du ménage » est importante parce qu'elle permet d'expliquer les diversités ou les variabilités des intensités de consommation après travaux. En fait, on s'est rendu compte que les interventions sur le bâti ne suffisent pas à expliquer le fait que les ménages consommaient plus ou moins. Regarder les pratiques apparaît alors comme une variable intéressante pour expliquer le fait que l'investissement économique en terme de travaux n'a pas d'effet sur le rapport entre investissement et gain de consommation. Dans le domaine sociologique, la question des pratiques est travaillée depuis longtemps, avec un capital de connaissances très important, notamment sur les pratiques urbaines. Quand on regarde ce qui a été produit, on sait que les usages et les pratiques sont des constructions sociales, et les pratiques s'inscrivent dans une continuité, du logement au quartier et à la ville. On peut dès lors expliquer les pratiques de la ville à partir des pratiques du logement. Il n'y a aucune raison pour qu'en termes de consommation énergétique, ça ne se passe pas de la même manière, c'est-à-dire pour que la consommation énergétique ne soit pas une construction sociale elle aussi. Il y a une très forte variabilité des ménages selon leurs caractéristiques : histoire, expériences, contexte, etc. Comme la question qui nous intéresse tous ici est celle de la modélisation, une question complexe qui traverse les sciences. Il s'agit de modéliser de façon globale des usages diversifiés, donc à modéliser la diversité, problème complexe que personne n'a résolu. En outre, si on parle d'usage, on ne parle pas de consommateur. Mais le rapport à l'énergie est-il un usage, une pratique ou une consommation ? S'il s'agit d'une consommation, nous aboutissons à des domaines de théories sociologiques qui tiennent plus du marketing que des usages. S'il s'agit d'un usage, nous en revenons aux pratiques et donc aux connaissances sur les pratiques de l'espace, qui n'est pas de la consommation. Il faut se mettre d'accord, savoir quelle est la part de l'un ou de l'autre. Dans les modélisations complexes que nous avons pu avoir, il y a une part de simplicité à intégrer si l'on en revient aux usages et aux pratiques. Jean-René BRUNETIERE Cette question consommation/usage est effectivement importante. J'ai plutôt l'impression qu'on consomme de la musique, et qu'il faut de l'électricité pour ça, donc ce serait plutôt un usage. Alain BERNARD, chercheur à l'École Polytechnique J'ai trouvé tout ce qui a été dit ce matin très intéressant. Tout a été présenté comme des travaux du domaine de la sociologie, mais derrière cela il y a des choses qui intéressent tout à fait les économistes et des gens comme moi qui font de la modélisation. Pour répondre à M. LEVY, je dirais que les économistes, qui sont sans doute moins intelligents que les sociologues, savent traiter des questions Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 25 d'hétérogénéité, qui n'est pas un problème de fond, mais plutôt d'information statistique. Si on n'a pas d'information sur la diversité, on ne peut pas traiter le problème de la diversité, que ce soit économiquement ou sociologiquement. Je réagis à un travail qui n'a pas été présenté, du CREDOC, qui montre très clairement que les Français désirent se chauffer à des températures très élevées et le font réellement. Pour résoudre le problème de la surconsommation énergétique dans le chauffage, il y a un moyen extrêmement simple, c'est d'appliquer le décret de 1974 qui limite la température de chauffage des locaux à 19 degrés. Si les ménages qui se chauffent à plus de 19 degrés étaient pénalisés par des amendes, non seulement le résultat environnemental serait favorable, mais les recettes fiscales seraient élevées, ce qui serait particulièrement bien venu en ce moment. Chaque fois que je participe à une réunion dans un ministère par exemple, je constate que la température ambiante est plutôt de l'ordre de 23 degrés. En général, quand je soulève le problème, on me répond « Il fait chaud parce qu'on est nombreux ! ». Personnellement, je limite ma température à 17 degrés dans ma maison, ce que j'ai expliqué dans un colloque où intervenait Bruno MARESCA... qui m'a pratiquement traité d'asocial pour cela ! Marie-Hélène LAURENT Sur le tertiaire, il y a probablement du vrai, mais sur le résidentiel, il faut casser le mythe des économies d'énergie liées aux évolutions de comportement. Les ménages, aujourd'hui, sont sous contrainte. Ce n'est pas en disant aux gens qui ne se chauffent déjà pas beaucoup qu'il va falloir se chauffer encore moins qu'on va réaliser des économies. Si l'on se rapproche de la norme en terme de comportement de chauffage, on fera plus des augmentations de consommation que des économies. Statistiquement, ce n'est pas du tout quantitativement important. Dans les enquêtes, il faut regarder ce que les gens déclarent par rapport à la réalité. Dans nos enquêtes, les gens déclarent 21 degrés, mais quand elle est mesurée, la température est plutôt en dessous. Les gens ne déclarent pas ce qu'ils ont, mais ce qu'ils veulent, en terme de norme sociale. Les économies d'énergie liées à un ajustement des comportements sur la norme sont un mythe en France. Aujourd'hui, quand on améliorera l'efficacité énergétique, on baissera certainement les consommations par rapport à la norme, mais tant qu'on n'aura pas saturé le confort, que ce soit un confort physiologique ou un confort de simplification de vie, par exemple ne pas s'embêter à devoir gérer ou éteindre son convecteur, et bien nous aurons des augmentations de consommations, par rapport à ce qui était prévu. Il faut en tenir compte dans les politiques, il y a des effets rebonds, de la malfaçon, mais il faut arrêter de dire aux gens qu'en se chauffant moins tout ira mieux, quantitativement cette affirmation est fausse. Nadine ROUDIL Quant au décret de 1974, son application serait pour nous, sociologues, un magnifique laboratoire d'observation de détournements et d'appropriation, qui fait que de toute façon la dimension du confort fait que la température, qui est relativement élevée et que nous avons constatée, est quelque chose d'incontournable pour les individus. La restriction absolue par la contrainte, ça ne marche pas. Catherine BASTIEN-VENTURA, CNRS J'ai une question pour plusieurs d'entre vous : ces études de changement de comportement, existentelles sur d'autres pays et d'autres continents, et si oui y constate-t-on des tendances similaires sur les changements de comportement, ou des modèles différents qui répondent à d'autres sollicitations ? Harold WILHITE I can begin by relating that to the earlier debate that what started about what we're really looking at. Are Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 26 we looking at energy in use or at users and their behavior about consumption practices. I would say that lot of the work that has been done in the framework of energy consumption has looked at the energy end-user. I think that that conception is wrong. If you look from the point of view of people, and I've look in Japan, Norway, United States, there's almost no one who would say that they use energy. What they do is they attempt to achieve certain services in their home. They want a comfortable home, they tend to prefer good food, they want to get themselves clean, and so on. All of these things involve practices, so you can't talk about either consumption or energy without talking about practices. And linked to these practices, are the ways that people think, based on their life histories, their experiences in their social context, the things that are available to them in order to realize those energy services. If you don't come with that perspective, you're not going to really get a grasp from a people point of view of what is energy use and what needs to be changed. I'm impressed by many of the things I've heard today. It seems to me that in France, you're pushing this practice agenda further than I've seen in other countries, for example in Norway where, I think, we're still mild about it. But when it comes to things like retrofitting the home, when do people actually make retrofit changes, people who own houses tend to do it more often. Of course, the big question mark is "how do we do with renters?", and this is the majority of the population. When people are in lifecycle transitions, this is when they also tend to make changes in their energy practices. We found in United States and in Norway that having a first child is when people first even pay attention to the thermodynamics of their home. These transition phases are very interesting. We've also have a big debate in Scandinavia about the utility of the concept of "lifestyle". Can a lifestyle actually be separated from the constituents that people have in their lives? Is the lifestyle determined by the dwelling you're living in the neighborhood or when you're leaving in another neighborhood do you bring your lifestyle with you and tend to change its constituents? This has been a kind of theoretical debate that I see persisting here in the french debate. The reframing of questions here shows me that you ride in the forefront, in the way that you're asking new questions, but we're still missing a lot of the answers, and we have a long way to go. Anne DUJIN Je souhaite réagir à ce qu'a dit Marie-Hélène LAURENT à propos de la courbe des températures. Je la rejoins tout à fait sur le fait que ce type de résultats montre que l'ajustement comportemental n'est pas une voie, ou en tout cas la seule voie, pour gérer la question de la transition énergétique. L'incitation comportementale, en l'ajustant à une norme, n'est pas ce qui permet aujourd'hui de faire « changer les comportements ». En revanche, l'apport majeur d'un tel résultat est de mettre en lumière qu'il y a une coévolution des normes de confort et des systèmes techniques, puisque les deux sont associés, les températures déclarées les plus élevées étant associées à des habitats récents, et pas à la sensibilité écologique ou au niveau de revenu. Nous avions constaté cela il y a déjà deux ans, et des pistes de travail importantes sont ouvertes en conséquence. Anne CHARREYRON-PERCHET, Commissariat général au Développement durable À propos de l'exposé de Nadile ROUDIL sur les profils de consommateurs énergétiques, plus particulièrement la catégorie des consommateurs contraints, nous-mêmes avons travaillé sur la précarité énergétique, et il nous a paru vraiment extrêmement difficile de dissocier la dimension transportsmobilité de la dimension habitat. Il nous est apparu très clairement que les ménages très contraints sont amenés à faire des arbitrages entre la consommation d'énergie pour se déplacer et l'habitat. En discutant avec des travailleurs sociaux et des associations qui sont en contact avec ces ménages, on découvre que l'arbitrage se fait très souvent en faveur du transport : ces gens arrivent à une situation où ils ne peuvent même plus se chauffer parce qu'ils doivent mettre de l'essence dans leur voiture pour Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 27 aller au travail ou amener les enfants à l'école. Pour ces consommateurs-là, l'analyse est donc un peu faussée par le fait que la dimension transports n'est pas vraiment prise en compte. Nadile ROUDIL Je suis assez d'accord avec ce que vous dites, j'ai dû parler très vite et je n'ai pas pu m'arrêter suffisamment sur ces profils-là. Il est clair que ces ménages modestes font des arbitrages, essentiellement avec leurs obligations familiales et de travail, puisque le poste économique est extrêmement réduit, mais ces arbitrages se font aussi au sein de l'habité, entre le chauffage et la cuisson, le loisir et l'essentiel pour vivre à un niveau descend. Une partie du corpus d'ENERGIHAB parle aussi des mobilités, cette articulation sera complètement visible une fois l'étude achevée. D'autant plus que souvent, ces ménages utilisent les transports en commun, ce qui leur permet d'avoir un poste de dépense un peu plus maîtrisé, mais effectivement la question de la dépense en terme d'essence est un énorme espace de dépense pour eux. Jean-René BRUNETIERE Des travaux d'un institut d'aménagement et d'urbanisme d'Ile-de-France montrent que les « périurbains » ont mauvaise conscience d'habiter loin, parce que ce n'est pas conforme aux normes sociales, et qui vont compenser leur obligation de se déplacer par des essais d'économie sur le chauffage. Entre parenthèses, quand on parle de « précarité énergétique », je ne sais pas vraiment ce qu'on dit. Ceux qui sont dans la précarité énergétique sont aussi dans la précarité alimentaire notamment. François MÉNARD Une précision sur ce point : nous n'avons pas voulu mettre l'accent, dans ces rencontres, sur la précarité énergétique, parce que d'autres rencontres sont prévues prochainement, dédiées à ce thème, ainsi qu'un programme de recherche qui va être relancé, qui aura pour sujet central la vulnérabilité énergétique globale, et qui s'appuiera évidemment sur la double dimension habitat-déplacement et les liens qu'il y a entre eux dans une perspective sociologique élargie telle que l'évoquait Jean-Pierre LEVY tout à l'heure. Marie-Christine ZELEM, sociologue Le cas de la précarité énergétique est un bon exemple de notre incapacité à trouver des astuces pour que nos changements de comportement soient durables. Je travaille depuis de longues années sur cette question, notamment avec des collègues du Québec, et nous avons remarqué que les situations de précarité énergétique peuvent être parfaitement « résolues » grâce à des systèmes techniques, mais dès lors que la famille change de situation, dans sa dynamique de cycle de vie, ou grâce à un nouveau travail par exemple, elle revient à des habitudes anciennes de consommation. Dans une période très limitée dans le temps, on adopte un changement de comportement parce qu'il est en phase avec une attente sociale ou des attendus des services administratifs ou des services sociaux. Mais dès qu'on sort de cette situation, les comportements nouveaux, « vertueux », sont tout de suite oubliés. Nous constatons ici qu'il y a une diversité des usages, mais pour l'instant, économiser l'énergie et réduire sa consommation, ce n'est pas perçu comme une valeur, et tant qu'on ne jouera pas sur ce côté culturel, sur cette valeur, il me semble qu'on restera à côté du problème. Perrine MOULINIE, chercheur en psychologie sociale, responsable d'un projet sur le travail d'implication des usagers dans les performances des bâtis du tertiaire Page 28 Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée J'ai plusieurs remarques à formuler. À propos de la température de référence de 19 degrés, peut-être manque-t-il des techniciens ici pour en parler. Quand on s'intéresse aux témoignages d'acteurs, par exemple des responsables de maîtrise d'ouvrage sur des HLM, le chauffage est bridé à 19 degrés, température de référence qui n'est manifestement pas pertinente sur le plan de la pratique et de l'usage, avec, derrière cela, des comportements aberrants, qui consistent par exemple à brancher des grille-pains pour avoir chaud. Voilà un exemple de hiatus que peut générer cette scission entre les sciences de l'ingénieur et l'analyse des pratiques. Sur le détail des mesures, par exemple dans l'étude de Marie-Laure NAULEAU et Laurent MEUNIER, les propriétaires sont-ils aussi habitants ? Sur la différence entre le modèle et la réalité, je crois qu'il faut qu'on accepte que le bilan d'une consommation réelle d'énergie ne rentrera jamais dans une modélisation. On peut espérer s'en approcher au mieux, mais il faut d'arrêter de vouloir rentrer à tout prix dans les clous du modèle théorique. Sur le changement comportemental, quand je suis arrivée dans le monde des études techniques, j'ai été confrontée à des questions pour le moins maladroites. En tant qu'acteur non habitué aux routines professionnelles qui sont derrière la logique de conception, de construction et de livraison d'un bâtiment, je posais des questions qui sont plutôt de l'ordre de l'expérience et de la pratique : pourquoi est-ce qu'on ouvre une fenêtre ? Pourquoi a-t-on besoin de chauffer ? Il faut sortir de l'idée de l'être humain rationnel, l'être humain à des émotions, des interactions sociales. Le changement comportemental, c'est l'arbre qui cache la forêt. Pendant des années, personne ne s'intéressait à ce que consommaient les bâtiments, d'un seul coup on se rend compte qu'il faut élaborer des connaissances, ça part dans tous les sens, et du coup l'acteur du monde de la recherche se retrouve assez perdu. Nous avons besoin des ingénieurs pour élaborer des outils de mesure des comportements réels. La littérature en psychologie sociale nous enseigne que 90 % des études menées sur le comportement le sont sur du comportement rapporté, en oubliant notamment les variables de désirabilité sociale. Donc, il y a une nécessité d'approche complexe, et d'approche intégrée, sans oublier la notion de durabilité (échelle de temps dans l'évolution et la stabilité du bâti, dans le comportement des acteurs). Lidewij TUMMERS, ingénieur urbaniste aux Pays-Bas Merci pour toutes ces interventions que j'ai trouvées très intéressantes. Je suis tout à fait d'accord sur l'importance pour les sciences de l'ingénieur, de réaliser des architectures de systèmes non seulement de l'équipement, mais aussi de ??? (incompris, 19, 6:20), avec des bâtiments beaucoup plus affinés selon les profils des habitants. Si, pourtant, on conclut que l'énergie est très déterminante, y a-t-il une différenciation entre la livraison de chauffage collectif et les installations d'équipements individuels ? Il me semble qu'il peut y avoir un élément significatif entre les relations collectif-individuel au foyer, dans le sentiment d'influence qu'on peut exercer en matière d'énergie. Marie-Hélène LAURENT Effectivement, les études qu'on a menées, en particulier pour comparer les consommations du DPE, qui selon moi sont un indicateur d'efficacité énergétique et non pas un indicateur de consommation des ménages, n'ont pu être faites que sur le chauffage individuel. En fait, pour capter cette part de comportement, il faut d'une part que le ménage puisse agir sur son système de chauffage, et il faut que ce soit relativement simple. Le système électrique avec des convecteurs, qui est très simple et manuel, participe au fait que les consommations du chauffage électrique sont inférieures, il y a un effet de facilité de gestion, d'accès à la gestion, qui est simple pour l'utilisateur. Au contraire, avec le chauffage collectif, il y a très peu d'action possible : il fait trop chaud, on ouvre les fenêtres, il fait trop froid, on appelle le syndic. Nous pensons que le chauffage collectif est un cas où le DPE sous-estime les Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 29 consommations. Dans ce cas, se rapprocher de la norme en matière de consommation serait synonyme d'économie d'énergie. Jean-Pierre LEVY Si l'on savait modéliser la diversité, on ne partirait pas des moyennes. Cela nous renvoie à la question de la norme. Si l'on admet que la norme est une question de représentation qui s'adresse à tous, est-ce qu'on sait aujourd'hui faire des normes adaptées à la diversité des comportements ? C'est quand même la question centrale, la question de fond. C'est aussi une question de politique sociale et de santé, de l'ensemble des politiques publiques. Une norme ne s'adresse qu'à une moyenne, et cette moyenne, sur le fond, n'existe pas, puisqu'elle n'est que l'agglomération de comportements extrêmement diversifiés. On crée une norme de 19 degrés, mais le rapport au chauffage est culturel. Selon vos origines, vos expériences, les périodes historiques, le rapport à la température est extrêmement variable. Alors, à quoi bon définir une température qui, en soi, ne veut rien dire, puisque chacun détermine ses propres niveaux de température en rapport avec ses expériences et ses pratiques ? De même, le rapport à l'ouverture des fenêtres est un rapport à la propreté, à la poussière, c'est un rapport culturel. On sait depuis longtemps que les pratiques de l'habitat sont des pratiques culturelles. Les normes de construction de l'habitat ne s'adressent qu'à une minorité de population. Laurent MEUNIER Dans l'enquête « 10 000 ménages », on s'intéresse à des ménages qui occupent un logement, à qui l'on demande s'ils sont propriétaires ou locataires. Donc il s'agit toujours de propriétaires occupants. À propos du désir de confort, il s'agit d'une question transversale, qui n'est pas sans conséquence sur les objectifs du calendrier politique. Les objectifs du Grenelle, de moins 38 % de consommation d'énergie dans le bâtiment existant, correspond à un effort par rapport à une année de base, mais il ne s'agit pas d'une consommation théorique de tous les ménages qui satisferaient leurs besoins de confort, c'est simplement la consommation constatée cette année-là. S'agit-il de 38 % de consommation en moins, indépendamment du niveau de confort, ou bien avec un désir de confort insatisfait qui diminue ? Harold WILHITE Interesting discussion about space heating. Some of you may know that in Japan the average indoor temperature is about 16 degrees, but you can't really understand how people can live with that, without understanding the practices that are associated with it. Of course they have different clothing practices, a different conceptualization about the body, that the body should be heated within the space and not by the space itself, and so on. It's just an illustration that a transformation to a different way of creating comfort involves many different sets of practices. One thing that's related, and I haven't heard much about today, is air conditioning. This has been one of my major focuses over the last decade, I've looked upon India, China and so on where air conditioning is increasing rapidly. It's a perfect example of where a changing architecture, the material environment, is actually driving the social norm. My take about what is happening in United States or India is that choices are being limited by a perception of the modern house as being one which is built for an air conditioner. Basically, that limitation is causing people to change their idea about how to get comfortable and so on. It seems to me that in places like France, which have a long tradition of staying cool in the summertime without the help of the air conditioning, that the set of practices around that unmechanical comfort should be retained, rather than allowing the architecture to change those norms. As I have observed at least a few years ago, there has been such an emphasis on energy efficient air conditioning, as a way out of that problem, rather than an emphasis on the architecture and the choices Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 30 around the material standards that were about to being implemented for buildings. Anne DUJIN Dans nos enquêtes, nous suivons cette question du besoin d'accroissement de confort, qui passe en particulier par la demande de climatisation. Par exemple nous allons demander à un panel « Aimeriezvous accroître votre niveau de confort dans cette pièce, et si oui comment ? ». La climatisation est présente, et c'est une tendance qui s'accroit. Vous avez raison de souligner qu'en France il y a une réticence à la climatisation en tant qu'elle ne rentre pas dans les modes traditionnels du « bien habité » développés par exemple dans le sud, avec notamment les manières de conserver le frais dans les maisons. Cela dit, on sait qu'effectivement il y a un « devant nous » où la température de confort est à 22 degrés et pas 20 degrés, comme c'est actuellement le cas dans les enquêtes déclaratives françaises, et où la climatisation devient un incontournable du confort domestique. Marie-Christine ZELEM Sur la climatisation, en région Midi-Pyrénées, j'ai rendu un rapport sur les tendances à l'accroissement, à l'utilisation et aux envies de s'équiper en climatisation. Nous avons constaté un phénomène assez classique : dès lors que quelqu'un installe une climatisation, ses voisins directs auront tendance à en installer eux aussi. On a parlé tout à l'heure du fait qu'il faut regarder le consommateur et le ménage d'un point de vue systémique, comme faisant partie d'un système au sein duquel il y a d'autres acteurs. Il me semble qu'en regardant uniquement notre consommateur ou notre ménage, on oublie les autres acteurs du système, alors que, dès lors que ces acteurs n'adhèrent pas aux valeurs que l'on prône à travers nos recherches, ou que prônent les pouvoirs publics, nos études sont vouées à être rangées dans des placards. En ce qui me concerne, ça fait dix ans que je travaille sur les économies d'énergie, et ça fait dix ans que j'entends quasiment la même chose. Je vais en arriver à aller étudier un autre objet, parce que parfois je me dis que tout ça ne sert à rien ! On ne fait que ressasser, alors que c'est la connexion entre nos travaux, nos résultats, et les ingénieurs et les techniciens qui mettent au point des systèmes techniques qui me semble être la voie royale vers laquelle il faut tendre. Mais il faut vraiment faire adhérer ces disciplines à nos convictions. Frédérick DE CONINCK Le fait qu'on soit obligé d'avoir plus de cent catégories est plutôt une bonne nouvelle, en fait nous avons de la marge d'action, alors qu'il n'y en a pas tant que ça dans les modèles uniques. Tout ça veut dire que finalement, l'idée d'une norme unique vers laquelle on convergerait n'est pas forcément évidente, on pourrait avoir des segments de la société française qui évolueraient d'un côté, et d'autres d'un autre côté. Finalement pour moi c'est une bonne nouvelle. Par rapport au confort, ce que font tous les gens qui ont des moyens de gérer leur temps, c'est de gagner de la maîtrise sur le temps. La température confortable, c'est la température qu'on maîtrise. Je trouve très confortable de choisir de mettre un pull-over, mais je trouve très inconfortable d'être obligé d'en mettre un. Là aussi, on n'est pas condamnés à converger vers une norme, mais est-ce qu'on a les moyens d'avoir le comportement qui correspond à la vertu qu'on voudrait ? Régine TROTIGNON, ADEME Depuis ce matin, quand on parle de consommation d'énergie, on parle de consommation d'énergie de chauffage, mais il y a beaucoup d'autres types de consommation, et notamment les usages spécifiques de l'électricité, sur lesquels il y a un gros travail à faire, sur les pratiques, les usages et les Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 31 comportements. D'autre part, un autre sujet qui n'a pas été évoqué est celui de l'eau chaude sanitaire. Aujourd'hui on cherche à construire des bâtiments basse consommation, on cherche à tendre vers des bâtiments qui vont tendre vers la production d'une partie de l'énergie, donc, forcément, dans le bilan des consommations des ménages, le pourcentage de consommation d'eau chaude sanitaire va mathématiquement augmenter. Je pense que c'est un vrai sujet, en terme de pratique et en terme d'usage, mais aussi un sujet pour la rencontre de la technologie et des comportements. François BOURRIOT, directeur scientifique, statisticien, SEREN On a beaucoup parlé de comportements et de consommation par usage, le SEREN travaille beaucoup sur cette consommation par usage. Quand on parle de la consommation de chauffage, on part d'un modèle. Toute énergie consommée dans un bâtiment, de fait, contribue au chauffage. Je voudrais raconter quelque chose qui va illustrer comment un modèle, sans le prendre explicitement en compte, va influencer des comportements. Nous avions chiffré la consommation électrique du lave-vaisselle à partir du modèle économétrique très simple des régressions multiples. Mais manifestement, par rapport aux relevés réels des études menées par EDF, notre consommation unitaire était plus élevée. Nous avons alors découvert que nous avions inclus dans la consommation du lave-vaisselle un certain nombre de facteurs non explicités dans le modèle, qui étaient globalement les niveaux de vie des ménages et toutes leurs surconsommations. Finalement, nous en sommes arrivés à convenir que, finalement, retenir une consommation biaisée de lave-vaisselle, en terme de prévision, pouvait être intéressant si l'on faisait parallèlement l'hypothèse que les comportements des ménages, eux aussi, évolueraient, comme le taux d'équipement en lave-vaisselle. Donc, alors qu'on partait d'un modèle simpliste, nous avions quelque chose qui pouvait donner des résultats intéressants. Bien réfléchir à ce que l'on met derrière un chiffre qu'on annonce comme la consommation de chauffage, ou d'eau chaude, ou du lave-vaisselle est au coeur de notre discussion d'aujourd'hui, car parfois, sans s'en rendre compte, de fait, on intègre des comportements. Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 32 POLITIQUES Comment prendre en compte la complexité des usages dans l'élaboration de politiques publiques de l'énergie ? Comment penser conjointement les usages de l'énergie et les infrastructures dans un même système sociotechnique ? L'énergie des habitants cogestionnaires : un nouvel objet économique et son coût social. » Taoufik SOUAMI, Maitre de conférence UPEMLV, chercheur au LATTS Intervention partiellement retranscrite à la suite d'un problème technique (fichiers 21, 22 et 23 silencieux : 19 mn en tout). Près de 400 partenaires, habitants et usagers, ont participé à la mise en place de ces éoliennes, et se retrouvent de fait cogestionnaires de l'installation technique. Deuxième exemple, il s'agit cette fois d'usagers qui deviennent cogestionnaires. C'est l'exemple de Gardsten, une opération de réhabilitation importante dans un parc de logements sociaux. L'entreprise de gestion du parc a eu la bonne idée de s'associer à une université pour installer des capteurs dans l'ensemble des logements et même dans chaque pièce. Les chercheurs ont donc obtenu des résultats très intéressants, avec suivi réel des consommations pièce par pièce, sur une durée assez longue. Le gestionnaire a décidé de renvoyer le détail de leurs consommations aux habitants, et de les rendre publiques à l'échelle de l'ensemble des habitants. L'objectif était d'obtenir une transformation des comportements à travers ce qu'on peut appeler de l'encadrement social ou encore de la « coveillance ». Les habitants ont fini par se constituer en association et ont revendiqué une position dans le dispositif de gestion, de retour de l'information et dans les conséquences en matière de gestion. Troisième exemple, celui-ci en France, dans la ville de Limeil-Brévannes. La ville exige de son opérateur énergétique et de ses promoteurs, regroupés dans un projet partenarial, un niveau de performance pour l'ensemble du quartier et des bâtiments. La ville estime donc que c'est bien l'opérateur qui est garant des niveaux de consommation, et en fin du compte, du bilan énergétique. L'opérateur, réalisant un projet sur mesure, en trouvant des solutions techniques bâtiment par bâtiment, pour l'ensemble du quartier, bascule alors vers un autre mode, et va demander, dans le cadre de la contractualisation, que les responsabilités soient clairement établies entre lui et les promoteurs. Les promoteurs, à leur tour, estiment qu'ils ne peuvent pas tout à fait assurer les niveaux de consommation, et se retournent vers les futurs clients et usagers, en envisageant deux solutions : un bail énergétique, solution de plus en plus usitée en Suisse, ou bien l'introduction de ces performances énergétiques à l'intérieur des règlements de propriété. Ces trois exemples illustrent trois aspects qui me semblent intéressants. Dans les trois cas, les dispositifs techniques avec lesquels doivent composer les usagers ne sont pas uniquement des dispositifs domestiques, ils sont à l'échelle urbaine. Nous avons affaire, du coup, à des tentatives d'organisation de ces usages d'une manière collective ou para-collective. Enfin, les rapports juridico-économiques prennent beaucoup d'importance. L'offre technique, souvent présentée comme unique, imposée aux usagers, et d'autre part les incitations « moralisatrices » auxquelles ils sont exposés, ne sont pas les seuls vecteurs de la transformation des usages. On voit bien que les formes de contractualisation, liées à la gestion de ces dispositifs, est un des éléments par lesquels se transforme une partie des usages, en tout cas la manière dont les usagers vont se représenter les agencements, les compromis avec les dispositifs techniques. Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 33 En regardant de plus près, on se rend compte que ces cadres économiques et juridiques, contractuels, sous différentes formes, ne sont plus tout à fait vécus ni perçus comme des contraintes, mais comme des composantes des usages. Du coup, ils y travaillent, ils les prennent comme matière, ils les prennent comme matière sur laquelle ils vont essayer d'introduire un certain nombre de modifications, ce qui m'amène à cette hypothèse : ne plus considérer les cadres économiques ou juridiques comme étant des contraintes ou des cadres, mais comme des composantes des usages. Pour aller vite, ce qui serait intéressant à l'avenir serait d'avoir une analyse anthropologique de ces rapports juridico-économiques. Ne pas regarder uniquement les dispositifs techniques, c'est-à-dire l'individu en face de son chauffage ou de son ampoule, mais de l'observer aussi en face de sa facture, en face de son bail intégrant des objectifs énergétiques, en face de son contrat d'abonnement, autant d'éléments qui jusqu'à aujourd'hui n'étaient pas négociables, mais qui depuis quelque temps, deviennent de plus en plus modifiables et négociables. Ces objets juridico-économiques seraient alors analysés comme composantes du travail autour des usages, mais il faudrait aussi considérer leurs coûts sociaux : temps consacré par les usagers, capital social qui y est engagé, etc. Il y a un investissement sur l'apprentissage de ces nouvelles formes de décision et de négociation. Je renvoie ici, pour la qualité de son travail, à Philippe DARD, qui a montré comment la difficulté d'accès à un certain nombre de services énergétiques n'était pas liée seulement au coût financier, mais au fait que ça supposait, par exemple, des démarches administratives qu'une partie de la population considérait comme trop coûteuses. Le coût social n'est pas que le coût financier, mais l'ensemble de ces considérations. Frédérick DE CONINCK Nous ne sommes pas encore au niveau du politique, mais nous avons fait émerger un objet intermédiaire, avec la constitution de collectifs autour des problématiques juridico-économiques. Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 34 Thermal conventions and energy use. » Russell HITCHINGS, Department of Geography, University College London We've told a little bit so far about things to do with cultural norms, and about diversity in terms of how people's practices may vary. Hopefully my talk will have something to add to that kind of discussions. I want to talk about this idea of thermal conventions, the way to which people feel certain conventions in terms of keeping the body cool or warm felt to exist amongst the members of a particular social group. I'm going to do that with reference to some of the work I've done on the idea of seasonal adaptation, that is, the degree to which people feel amenable to responding to the seasons, how they deal with temperatures changes over the course of the year, what we can learn from exploring together, with them, the reasons why they have done so. I've been involved in two particular projects, the first of which is funded by the UK Economical Research Council, where I looked at an idea of city office worker, and some heat adaptation that attracted them over the course of the year. There's good reason to explore how this group relates to seasonal temperature change and so far, this group is often furnished with quite specific standards, so I was interested in issues like air conditioning, how the people who might be exposed to air conditioning perhaps more than many others, felt about the experience over the year. So how was it that this group that worked long hours inside offices that were kept a quite standardized temperature conditions, feel about their experience, and what can we learn from the ways in which they did, or did not, respond to seasonal change in their everyday life. The second project relates to older people, and how they currently achieve winter warmth. Within this project, we sought to understand the diverse ways in which older people manage their personal temperature through the course of the winter. The rational for the second project was related to things to do with winter wellbeing, where people are more liable to suffer because of thermal stress, while in the same time, many of the older people are wealthier than ever, and consequently might be using energy that we don't want to spare through domesticating and the like. The approach that was taken was very much a qualitative social science approach involving repeated interviews with the diverse sample of respondents from both groups, and what we sought to do was to track these respondents as they passed through particular season, their mundane adaptations, the degree to which they felt inappropriate to behave in certain ways, how they responded through various different techniques to the arrival of temperature fluctuations. Through that we sought to understand the reasons why they responded in certain ways, and what we could learn from that, in terms of trying do distill recommendations about ways of encouraging people to perhaps live in a more sustainable ways trough amendments in their everyday behaviors. In terms of the underline rational though, before I'm going to the details from the two projects, the first thing I want to mention is how the focus was very much on this idea of seasonal changes, something to which people already adapt, in terms of how their organize their day to day lives. I think sometimes we can tend to have quite a static image of how people live and what they need in terms of energy requirements and how they feel appropriate to manage their thermal condition. But, clearly, when we think about it, this thinks change all the time. People are willing to live quite differently in the summer than during the winter. And perhaps through a process of exploring those dynamics, we might be able to identify some useful interventions that chime well with the fact that people are already willing to change. The second point to make, in terms of ways in which this has been researched, was along the lines of thinking about "thermal discomfort" as something including various components. We have had quite a lot of discussions about the idea of heating, and there are very, very different ways in which can go about managing and regulating such their temperature through things such as mundane actions, such as adopting a different combination of clothing items, using a kind of day to day technology, and also this Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 35 is something that is very much dynamic. The ways in which we think about what's appropriate to do in terms of achieving thermal comfort in everyday life is dynamic. In the first study, one thing we tried to answer was this question: was there some adaptation convention in city offices? With the people I spoke to, a small sample of lawyers taken from various different firms operating in central London, was there some adaptation convention in place, did they all respond to the summer in the same way in terms of managing their warmth or their coldth? What we found is that, yes, there really much was a current convention, people had a shared sense that they should respond in the same way to the advent of summer at their work places. To some extend, that was concerning, because they were provided with very standardized air condition spaces, that didn't change. In practice, this meant that across the board, people didn't make any particular many changes in terms of what they might be doing themselves personally in terms of their adaptations. So they were wearing exactly the same clothes as they would during any other point of the year, things would just be continuing in the same normal way, an "a-seasonal existence", you could argue. Plenty of others things to think about at work, preoccupations with work pressure, the general provision of air conditioning, being used to reproduce a certain dress code creates a kind of habituated sense in which people just continue doing the norm, they continue to perpetuate what they're used to, they don't have the time or energy to potentially think about doing something different. Alongside that, there was a vague sens of being monitored so an anxiety perhaps bosses (incompris, 25, 2:35) my responds to amendments they might potentially make in terms of their clothing, and alongside that, a sense of seldom seeing others doing something different. People were, to some degree, locked inside the current convention, which is relatively unsustainable, so they were relatively dependent on the provision of air conditioning as a consequence of these various factors conspiring to stop them from thinking about potentially doing differently. The interesting thing about this was, however, that their perception was that if they were to adopt a summer dress code, then maybe that wouldn't be esteemed as problematic by their bosses, and it was also something that they potentially liked to do, it felt "natural", it was a natural thing to respond to the seasons in the course of their everyday life. But currently, because of accommodation to factors that were in play, they weren't thinking about doing that. In the second example, the idea was wether there is a winter adaptation at large or wether this is a conventional approach in terms of our respondents, from the winter protect, shared a sense of themselves doing similar things to their peers in terms of how they felt appropriate to respond to winter and keeping themselves warm. Our respondents were kind of outside of their adopted circle, outside of the idea of potentially embodying a convention. They had a very limited sense of what their generational peers were doing and responded to the winter. They felt everybody was doing quite different things. They were already aware that there was a great deal of diversity, at least they perceived that to be a great deal of diversity in terms of the ways in which older people managed heating at home, and that was because of a variety of factors, like having different health complains, living in different infrastructures, and so on. They're also very keen to separate themselves from the idea of being an older person during the winter time. To some extent, we can say that the idea of being an older person is largely stigmatized in society, perhaps particularly so in the winter, when the media representation is often associated with things to do with fillpoferty (incompris, 25, 5:10), so we see images of older people on the television adjusting badly to the winter, maybe not adopting the right kind of approach. They're reticent to talk about the ways in which they manage the winter time, with each other specifically, because they look anxious about stepping on people toes, and things tot do with social nicety, in terms of not positioning yourself as someone thinking your peer might be in decline or incapable to do things for themselves. Consequently they rarely talk to each other about these matters. Added to it was a sense of what we call "thermal hosting", the sense that when people come visit you at home, you do quite different things with your heating that you might do otherwise. Where someone to come on visit, they would likely to heating up, to wear a different combination of clothing, they would certainly not be using things like Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 36 blankets, which they might have done otherwise during the daytime as a sensible strategy for keeping warm. Equally, when they went to visit others, they would do things quite differently, they wouldn't ask for a change of temperature so they wouldn't articulate their own thermal needs because of all these different anxieties. The interesting thing about this is that it could be quite useful to encourage reflexion among this group about the idea of a potential thermal convention. Our respondents said they were most likely to benefit from, and most likely to trust advices and ideas about to respond to the winter more effectively, were this to come from their friends, compared to government information campaigns. If a friend was to give them a recommendation, this is often deemed to be a trusted source, and an act of kindness on the part of the friend. We concluded in our study that it could be useful to get all the people we sought to talk to each other about how they might live more sustainably, live more healthily, during the winter months. However, because of this variety factor I tried to indicate, they rarely talk about these issues, and they rarely have a sense of what their peers were doing. So, in this example, I guess you could say that the factors involved were conspiring to make a negative situation whereby, perhaps one of the most effective means of encouraging older people to reflect on, or maybe amend their behaviors, was prevented because of a shared sense of an absence of a potential convention. In terms of what we can take away from these two quite contrasting examples, there are few points I'd like to itemize: 1. Thermal conventions can't be assumed. Often, there can be a tendency to assume that members of a particular social group, by virtue of being part of that social group, are likely to share a particular mode of behavior or norm of acting. These two studies suggest that we shouldn't necessarily assume that, rather we should look at wether it is the case. This merit in looking in particular identified groups, at wether or not they believe themselves to share a particular norm of behavior, and then trying to understand the different factors that keep them apart from any sense of having a shared convention, or the fact that they're equally, looking back to the first of the two studies, locked them in to a shared way of responding that might not be sustainable, and might not even be pleasurable. 2. But sometimes they should be encouraged. Related to the second study, there's merit to be had in thinking about the ways in which we could potentially engender a conversation amongst a particular social group, about how they respond to different thermal conditions, how they feel appropriate to behave. 3. In terms of conceptual thoughts, and things we might want to take away from these studies, the first point is that transitions are already happening. It's all part of the logic behind this conference to think about energy transitions, think about the ways in which people use energy in the course of their everyday life, and how that could be encouraged to assume more sustainable shapes. There's probably merit to be had in terms of the social science of seasons and thinking about how people are already adapting to change. Through an understanding of the processes involved, maybe we would get a much more sophisticated sense of wether most effective points of intervention might be. 4. The final conceptual thought is to remember that humans can be sometimes quite eager to adapt. Often when we're thinking about policies, in this kind of field, we're often tending to think about how we provide people with the right kinds of conditions. But in both cases, in these studies, people prove themselves to be quite eager to think about amending their behavior. So the office workers that lived in a relatively "a-seasonal" way, that dwelt with standardized conditions, were quite keen on potentially responding to the summer more fully, and quite keen on maybe changing their clothing. They thought it was natural, that is was a good way of living, but because of a variety of factors, they weren't to at the moment. Equally, in the old person study, people were quite keen to think about different ways of doing things during winter, how could they learn from their peers, how they could benefit from knowing how other persons were doing, how they could get tips and advices from their friends. But, because currently they're excluded from the thermal convention, they didn't have a sense of those things. Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 37 These two studies that I've been involved in, I hope you found them interesting and there are few points that maybe we could take away from them, in terms of practical intervention and also things to think about in terms of researching this stuff in the future. Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 38 La domestication du solaire à l'épreuve du politique. » Ariane DEBOURDEAU, Chercheur au Centre d'étude du développement durable, Université Libre de Bruxelles Quelques explications sur le titre de ma présentation. Concernant la domestication, je ne l'entends pas nécessairement comme certaines théories, je considère cela comme un apprivoisement du solaire, à la fois individuel et collectif, et aussi un apprivoisement qui s'ancre dans un certain nombre de pratiques. L'épreuve du politique, c'est davantage l'idée d'une mise à l'épreuve : le politique fait exister le photovoltaïque, par le biais d'un certain nombre d'actions publiques et d'instruments, et tout changement dans ces instruments est une remise à l'épreuve de cette domestication. La mise à l'épreuve est aussi un rapport de force qui s'engage entre le solaire et ses porte-parole, et le politique. Enfin, nous allons essayer de rendre compte de la complexité de cet agencement qui se noue autour des politiques publiques, et d'essayer de voir comment l'émergence de controverses autour du solaire révèle un certain mode de problématisation de l'énergie solaire embarquée dans des instruments, en l'occurrence les tarifs d'achat. Le photovoltaïque, utopie et promesses C'est un ensemble d'éléments qui a permis l'émergence du solaire. D'une part, la libéralisation du secteur électrique, dans la mesure où il a permis l'émergence de nouveaux acteurs sur les marchés, dès lors qu'on mettait fin au monopole « naturel », devenu contestable. Le deuxième aspect d'importance est le paquet Energie-Climat adopté en 2009, qui prévoit 20 % d'énergies renouvelables en 2020, décision politique éminemment performative. Un autre aspect est le raccordement au réseau électrique, dans les années 1990, qui a finalement permis la mise au point d'un business model, arrimé à des politiques incitatives, qui sont la condition même de l'existence du solaire, puisqu'il n'est pas compétitif en tant que tel. L'objectif était de faire en sorte de promouvoir des processus d'apprentissage et des économies d'échelle afin de parvenir à la parité de réseau. Deux illustrations : la sonde Vanguard I de 1958 est l'un des premiers usages de modules photovoltaïques, pour la conquête spatiale, et les courbes d'évolution du prix du photovoltaïque, qui montrent que l'Allemagne est à peu près sur le point d'atteindre la parité réseau. La domestication des marchés sous la bienveillance du politique En France, les tarifs d'achat ont permis l'émergence d'une offre photovoltaïque chez les opérateurs, qui vont vous proposer des kits d'installation, et chez des installateurs qui vont proposer des prix moins chers. Installer des panneaux solaires sur un toit permet d'espérer des revenus, ce qui va contribuer, particulièrement en France, à arrimer le photovoltaïque à un investissement rentable. Dans la presse, on a même parlé de « livret photovoltaïque », beaucoup plus rentable que le Livret A. Dans le même temps, se développe un autre type de pratique, le « chasseur de crédit d'impôt », c'est-à-dire un certain nombre d'installateurs plus ou moins scrupuleux qui se lancent dans ce type d'activité essentiellement pour bénéficier des subsides. Étant donné la visée durable et de production du photovoltaïque, se pose la question de l'opposition ou de l'incommensurabilité entre une rentabilité fabriquée par des dispositifs de politique publique et un concernement (incompris, 26, 5:25) qui semble réduit à une peau de chagrin. Les tarifs d'achat en France, étant donné la manière dont ils ont été conçus et importés d'Allemagne, vont poser des cadres peu évolutifs et particulièrement rigides, qui ne prévoient pas leur évolution. Nous avons là une espèce de transfert d'instrument d'action publique dont on va voir qu'il va rater. Au final, l'hyperactivité des courbes tarifaires va finalement faire écho à l'émergence d'une véritable crise. Il faut aussi souligner les autres enjeux domestiques. La domestication est une forme d'apprivoisement du Soleil par la maison. Sur le site du ministère de l'environnement français, on trouve en tant Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 39 qu'illustration des tarifs d'achats, une photographie d'un bâtiment... situé à Frigourg en Allemagne. Le solaire a pour principale propriété de pouvoir s'adapter à l'habitat, et donc d'être « domesticable » par les habitats, de manière relativement aisée. Sous l'impulsion de promoteurs immobiliers, des bâtiments sont aussi capables de se transformer et d'évoluer, du fait de l'implication du solaire. L'apprivoisement du solaire par la maison implique aussi de voir comment les panneaux photovoltaïques vont pouvoir interagir avec l'ensemble des usages et des pratiques d'une maison. Le point important ici, notamment en France, c'est l'absence de l'auto-consommation de l'électricité produite. Le fait de réinjecter l'intégralité du courant produit sur le réseau n'est pas tout à fait une incitation à considérer le solaire comme autre chose qu'une source de revenus. Il faut sans doute aussi ajuster les usages, par exemple panneaux solaires et climatisation. Un ensemble de pratiques peuvent être ajustées en fonction de la production solaire, ce qui supposerait d'autres interfaces, et laisse entrevoir le degré de réappropriation que l'on n'a pas encore pu atteindre, parce que l'intégralité du courant est réinjectée sur le réseau. J'en viens maintenant aux controverses, à la manière dont le solaire va devenir peu à peu un « problème public ». Le problème émerge avec une acuité croissante au sujet de la bulle spéculative autour du solaire. À un moment donné, des instances, notamment politiques, vont souligner le fait qu'il s'agit d'une source extrêmement onéreuse pour le contribuable et que les pratiques consistent finalement à installer des panneaux solaires sur son toit uniquement pour faire des investissements. Ces éléments sont critiqués essentiellement dans le rapport Charpin, qui met à l'index le coût prohibitif du développement de l'énergie solaire, et l'absence de réduction des coûts. En décembre 2010, un moratoire de trois mois est adopté, qui ne visait pas les particuliers, afin d'élaborer un nouveau cadrage de la filière photovoltaïque, avec ses acteurs. De fait, l'action du gouvernement, qui est en elle-même une véritable mise à l'index du photovoltaïque, donne lieu à une véritable controverse avec l'ensemble des acteurs, qui s'ancre progressivement autour d'une idée : le solaire va coûter beaucoup trop cher et c'est l'ensemble des contribuables qui va payer. Se révèle là un impensé total et complet de ce qui est lié au photovoltaïque : le citoyen et le consommateur sont complètement subsumés, indistincts. Pour l'ensemble de ceux qui paient la contribution au service public de l'électricité (CSPE), soi-disant pour financer les énergies renouvelables, cette contribution de consommateurs serait équivalente à une contribution pour le bien commun. Il y a là un glissement sémantique et de sens qui est important, et qui va jalonner toute cette controverse. Ce qui émerge progressivement, c'est que c'est le mode de problématisation du solaire photovoltaïque qui pose problème : à quels problèmes a-t-on voulu répondre en ayant recours à cette solution, et pour quel tarif d'achat ? La mauvaise copie de l'Allemagne fait finalement émerger une situation de crise qui fait qu'à un moment donné se révèle tout le potentiel essentiellement libéral, fondé sur une logique qui rend indistincts consommateurs et citoyens, et qui fait que l'instrument d'action publique « tarif d'achat » se donne à voir et à lire de façon beaucoup plus problématique. Enfin, le problème se repolitise, avec l'association « Touche pas à mon panneau solaire » qui se crée début 2011, qui dépose des recours au Conseil d'État et qui organise bientôt des manifestations en faveur du solaire avec des banderoles comme « NKM m'a tuer ». Le dernier avatar de l'affaire est constitué par la situation de l'usine Photowatt, visitée par Nicolas Sarkozy, et qui est la plus ancienne entreprise de photovoltaïque en France, créée en 1979. Entreprise performante et pionnière, qui conduit toujours des recherches de haut niveau, mais qui se retrouve obligée de déposer le bilan, comme conséquence directe du moratoire. La situation de l'entreprise donne lieu à une mobilisation assez originale, avec notamment des pétitions « Adoptez une cellule ! » et la création du petit personnage SuperWatt. Cette mobilisation est très intéressante en ce qu'elle rend compte de l'imbrication de la politique, de l'économie, mais aussi d'usages à visée de bien commun. Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 40 Les bâtiments a usage professionnel : perception et appropriation des espaces de travail. » Jean-Philippe FOUQUET & Christèle ASSEGOND, Ingénieurs de recherche, codirecteurs ETIcS, Université François Rabelais de Tours Jean-Philippe FOUQUET Notre présentation aurait pu figurer dans l'atelier de ce matin, dans la mesure où l'on se situe dans l'articulation de ce qui a été dit sur la dimension « usages et pratiques », mais cette fois, appliquée à la sphère du tertiaire. Si nous figurons dans cet atelier sur les politiques, c'est parce qu'il s'agit aussi d'un regard sur une dimension politique, mais qui n'est pas appréhendée sous l'angle de la collectivité, du gestionnaire de réseau ou d'autres fournisseurs. Nous appréhendons la politique sous l'angle de la politique. La question qui s'est posée est celle d'initier, en bâtiment à usage professionnel, un ensemble d'initiatives visant à appréhender cette question de la maîtrise, voire de la réduction, des consommations énergétiques. Sur le plan problématique, les questions qu'on pose sont très proches de celles qui ont déjà été listées ce matin : quoi mettre en oeuvre, comment, sous quelle forme de mobilisation, quelle maîtrise et quelle réduction des consommations énergétiques ? Il s'agit de problématiques de plus en plus présentes, somme toute aussi dans le champ du tertiaire. Finalement, une fois ces enjeux considérés comme importants et mobilisateurs, la question qui se pose est de savoir où il faut agir. Doit-on agir sur une dimension exclusivement technique, en équipant les bâtiments pour réduire l'empreinte énergétique ? Doit-on mobiliser les acteurs-utilisateurs des différents bâtiments professionnels ? Ou bien doit-on se situer à l'articulation de ces deux problématiques ? Enfin, de manière plus prégnante pour nous, se pose la question de la place des salariés. Dire qu'on considère la partie humaine et comportementale n'est pas tout à fait la même chose selon que l'on considère qu'on le fait sous le signe de la contrainte, ou bien en recherchant des formes d'adhésion qui seraient liées à des formes d'informations et d'explications. Nous avons travaillé sur trois terrains, et deux des recherches sont terminées. Dans le premier terrain, nous sommes dans une entreprise, l'un des leaders mondiaux sur le marché de l'équipement électrique, avec une très forte sensibilisation aux enjeux électriques, ne serait-ce qu'au regard des métiers et des activités de cette entreprise. En même temps, l'entreprise est extrêmement éclatée au niveau de ses bâtiments, certains étant très neufs et d'autres dans un état indigent, beaucoup plus contestable sur le plan énergétique. Le deuxième terrain est une entreprise dans le domaine de la pharmacie, sans aucune sensibilité aux questions énergétiques, si ce n'est les quelques personnes en charge de ces questions comme « l'ambassadeur Développement Durable » ou la personne en charge des systèmes électriques et des chaufferies. Enfin, le troisième terrain est une petite PME de la région Centre, spécialisée dans la domotique, le courant porteur en ligne et toutes les réflexions autour de la maîtrise de l'énergie, et dont le siège était une vitrine de toutes les technologies proposées, jusqu'à la conception même du bâtiment. L'implication des salariés y était forte, mais inégale. Du point de vue de l'entreprise et de ceux qui ont porté le projet, tous étaient impliqués au sein de l'entreprise, mais le recueil de données a montré que ce n'était pas forcément toujours ressenti ainsi. Sur le plan méthodologique, en tant que sociologues qualitativistes, nous avons procédé via des entretiens répétés, en nous inscrivant sur du très long terme pour saisir les changements, ainsi que par des observations régulières dans les entreprises, avec de plus en plus souvent un recours à la vidéo et à la prise d'image. Christèle ASSEGOND Voici donc quelques résultats. Nous avons choisi volontairement de ne pas vous présenter toute la diversité des points de vue, qui dépendent évidemment du contexte de l'entreprise et de la position qu'on y occupe. Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 41 On retrouve le même principe moral du non-gaspillage dans l'entreprise que dans le résidentiel, au moins dans le déclaratif. Par contre, la difficulté à agir est mise en évidence, faute de maîtrise ou de marges de manoeuvre, lesquelles ne sont jamais clairement identifiées ni mobilisables, et conduisent parfois les salariés à raisonner par l'absurde (« Dois-je éteindre mon ordinateur ? Mais alors je ne travaillerais pas ! »). Ils n'imaginent donc pas de marge de manoeuvre, encore moins sans doute que dans leur habitat personnel. Un second résultat renvoie à la dimension collective de l'organisation. On a vu dans le résidentiel qu'il s'agit aussi de quelque chose de collectif, au moins à l'échelle du foyer, et qu'il pouvait y avoir des débats voire des conflits entre les membres du foyer. Madame veut une température de 22 degrés, monsieur veut une température de 19 degrés, les enfants veulent prendre des douches extrêmement longues, etc. Ici, il y a d'autres types de relations, qui engagent un discours très normatif à l'égard des collègues, des subordonnés ou des supérieurs hiérarchiques. Le verbatim résume très bien ce point de vue : réunir des gens pour leur dire qu'on consomme trop, « c'est compliqué », « c'est difficile », « c'est pas prioritaire dans le cadre du travail ». Toute la question du levier économique est un point, déjà contestable dans la sphère privée, mais encore plus problématique dans la sphère professionnelle. Dans la sphère privée, on peut considérer que les gains réalisés reviennent directement au foyer, d'une manière ou d'une autre, mais dans la sphère professionnelle les salariés évoquent le fait qu'ils ne sont pas bénéficiaires directs des gains qui pourraient être réalisés par l'entreprise. On va voir tout à l'heure que ça engage des soupçons très forts sur la volonté réelle des directions sur les efforts que doivent consentir une fois de plus les salariés, avec des gains qui seraient réalisés plutôt par les actionnaires dans le cas du grand groupe. Il y a aussi la question de la responsabilité et de l'exemplarité, qui, du point de vue des salariés, relève plutôt de la gouvernance de l'entreprise, plutôt que de leur personne en tant que salarié, même s'ils considèrent qu'ils peuvent être acteurs et qu'ils ont une part de responsabilité. C'est donc toute la question des leviers mobilisables qui est posée, et donc, bien entendu, de la manière dont on considère son action dans la sphère privée et dans la sphère professionnelle. On remarque alors que des personnes très sensibilisées chez elles ne transportent pas toujours leur comportement dans leur milieu professionnel, alors que l'inverse est plutôt vrai : les sensibilisations par la voie du milieu professionnel ont tendance à s'appliquer aussi à la vie privée. Nous avons rencontré des gens très sensibilisés chez eux, mais qui ne l'étaient pas sur leur lieu de travail. Jean-Philippe FOUQUET En tant que sociologues dut travail de formation, cette question de l'énergie, assez rapidement, dans les recueils de données et les observations que nous avons pu réaliser, convoque des dimensions organisationnelles et de rapport au travail, si bien que dans une entreprise nous avons été mis en difficulté face au directeur général, qui ne comprenait pas que les questions d'organisation du travail soient évoquées. Pourtant, très rapidement, les personnes avec lesquelles nous discutions ont évoqué l'organisation du travail, et comment cette question de l'énergie et de la réorganisation des espaces incite à revoir les relations hiérarchiques. Dans les entreprises où nous sommes allés, les mieux logés étaient les postes d'encadrement, dans des bâtiments qui répondaient totalement à des niveaux de performance énergétique, mais c'étaient eux-mêmes qui avaient édicté les niveaux énergétiques à atteindre, voire parfois souhaités, et souvent sur le registre de la contrainte. Pour certains salariés, dans des espaces de travail qui ne répondaient pas à ces exigences, il y avait déjà un regard assez particulier sur la manière dont ces niveaux hiérarchiques pouvaient appréhender la question. Une question qui est aussi revenue est celle de l'écoresponsabilité de l'entreprise ou du salarié. Nous avons constaté beaucoup de difficultés, pour les salariés, pour bien comprendre les finalités des mesures prises. Il s'agit clairement d'un obstacle à l'adhésion, nous avons souvent été destinataires de propos montrant que les salariés entrevoyaient d'autres raisons qu'une véritable sensibilisation de l'entreprise sur les questions énergétiques, pour agir dans ce sens. Enfin, les actions menées redéfinissent la notion d'espace de travail. Dans une des entreprises étudiées, la notion d'espace de travail était très particulière, Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 42 puisque n'y étaient régulés thermiquement que les bureaux. Les couloirs n'étaient pas chauffés, il pouvait y faire plus de 30 degrés en été et moins de 10 degrés en hiver. Les bureaux étaient maintenus fermés pour que les salariés maintiennent le niveau thermique souhaité par l'entreprise. Si bien que les gens nous ont dit qu'ils mettaient leurs manteaux pour aller aux toilettes, ce qui est clairement une idée qui vient heurter les schèmes habituels de déambulation dans l'entreprise, et de la même manière, on ne s'arrête plus dans les espaces collectifs, dans les couloirs dont nous savons pourtant qu'ils participent aussi de la construction des identités et de l'élaboration des connaissances. Donc, les logiques organisationnelles et la fluidité des relations sociales sont complètement affectées par ces dimensions techniques. Christèle ASSEGOND En guise de conclusion, il faut interroger le rôle de la technique, qui est un des leviers prioritaires mobilisés par l'entreprise. Il s'agit d'équiper les locaux d'un certain nombre de systèmes techniques qui vont permettre d'atteindre des niveaux de performance énergétique. En gros, chez les salariés interrogés, depuis des cadres jusqu'aux personnes aux productions, trois grandes visions prédominent, qui vont provoquer des positionnements pour ou contre parfois assez radicaux. La première vision est celle de la technique qui accompagne le changement. On la retrouve plutôt chez les cadres et les managers. La mise en place d'un système technique va permettre de préparer ce changement, d'accompagner les salariés, de les faire adhérer, pour qu'ils atteignent une certaine forme d'autonomie. Vision très discutable, car dans l'entreprise la plus sensibilisée à la question dans notre étude, nous avons constaté qu'elle ne marchait pas vraiment, à cause de toutes les contrariétés qui accompagnent la mise en place de ces techniques très avancées. La deuxième vision est celle de la technique qui « fait à la place de », qui va neutraliser l'occupant, vu comme n'appartenant pas au système technique et venant nécessairement le perturber. Il s'agit de faire à la place de l'occupant parce que, en gros, c'est « l'ennemi » qu'il faut neutraliser : les fenêtres sont condamnées, les portes se referment toutes seules, etc., tout un tas de systèmes vécus comme très contrariants par les gens qui travaillent dans ces bâtiments, même s'ils sont tolérés pour les tâches les moins valorisantes (ouvrir et fermer une porte). La dernière vision, qu'on retrouve souvent chez tout le monde avec plus ou moins de force, et parfois jusqu'à la paranoïa chez certains, est celle de la technique comme outil de supervision et de contrôle. La technique va superviser les comportements, elle va les contraindre, et d'une certaine manière, elle pourrait être une voie de conflit potentiel entre les salariés et la direction. On voit alors apparaître des stratégies de contournement, de dissimulation, face à « Big Brother ». Les salariés nous disent qu'ils ne donnent pas de sens aux mesures voulues par l'entreprise, ils ne comprennent pas leur intérêt ni pourquoi ils devraient y adhérer. C'est souvent la même chose dans le résidentiel, mais le manque de culture de l'énergie est souvent encore pire dans le milieu du travail, parce qu'on ne connaît pas la consommation de l'entreprise ni la sienne propre au sein de l'entreprise. Toute cette recherche de condition d'adhésion et d'implication représente vraiment un vrai problème pour les entreprises qui veulent s'y engager, car elles ne connaissent pas très bien les leviers. Discussion Jean-Pierre LEVY Je trouve intéressant de confronter l'intervention de Taoufik SOUAMI à cette dernière intervention. Dans notre recherche, présentée ce matin, je n'avais pas utilisé les données des capteurs, et quand elles sont arrivées, j'étais à la fois extrêmement impressionné par l'abondance des données et assez terrifié Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 43 par les informations ainsi révélées. On sait exactement le temps que passent les gens dans les pièces, en temps continu. Lorsqu'on présente aux personnes, aux ménages, pour réduire les consommations d'énergie, les résultats des consommations pièce par pièce, en continu, il s'agit tout de même de rentrer dans l'espace privatif, de façon extrêmement violente. On voit bien la logique qui prévaut ici, et Taoufik SOUAMI ne nous a rien dit sur la réaction des habitants face à cette intrusion dans leur espace privé. Cela nous renvoie à quelque chose qui, me semble-t-il, est présent dans la dernière intervention. Dans cette logique, le responsable de tous les méfaits d'une forte consommation, serait finalement le ménage, le consommateur, sauf qu'on ne lui dit à aucun moment pourquoi il est responsable, de quoi il est responsable, ni à partir de quel seuil ni d'où vient ce seuil. Tout est défini en amont, alors que, soyons un peu provocateurs, même s'il dépasse le seuil en question, où est le mal ? Quel est le problème ? Il y a là un problème général qui, à mon avis, renvoie effectivement à une norme dominante dans la société, issue de l'idéologie du développement durable, qui ne justifie à aucun moment les formes de responsabilité et les causes de responsabilité, sinon en référence à une idéologie dominante qui est très construite. Je me rappelle que mon père, à une époque où il n'y avait pas encore de notion de développement durable, quand je laissais la lumière allumée dans ma chambre, venait l'éteindre en me disant « tu ne sais pas combien ça coûte ! ». Au moins, je comprenais pourquoi j'étais montré du doigt, il y avait une raison. Taoufik SOUAMI La réponse des habitants pose une question de fond : cette montée d'un certain nombre d'exigences, qu'elles soient issues d'un cadre idéologique, d'aspirations, de souhaits, d'une adhésion plus ou moins importante, a pour conséquence des dispositifs qui sont intrusifs. C'est indéniable, et on ne se rend pas compte à quel point cette intrusion est non seulement réelle dans l'espace domestique, mais aussi dans les limites instituées par le droit. Autant l'encadrement pouvait porter sur le cadre bâti, autant désormais c'est l'usage du cadre bâti qui devient objet de l'encadrement aujourd'hui. C'est un débat public de fond, mais qui n'est pas vraiment posé. Dans le cas que j'ai exposé, la mise en place du dispositif de suivi continu n'a pas généré de réaction des habitants sur son caractère intrusif. En revanche, il y a eu une réaction sur la partie « responsabilisation », c'est-à-dire sur la responsabilité des habitants à la consommation et au coût de l'énergie. Les habitants ont questionné le pourquoi de ce renvoi du coût à eux-mêmes, et ont ensuite revendiqué une place dans le dispositif de décision et de traitement de ces données-là, dans la manière de les rendre publiques et d'envisager ensuite leurs conséquences financières. Au lieu de réagir en disant qu'ils ne voulaient plus être mesurés dans tous les sens, leur revendication a été de participer au dispositif d'interprétation des données collectées, et aux modalités de leur renvoi auprès de l'ensemble du collectif. Nadine ROUDIL Taoufik, avez-vous des informations sur la définition sociale des acteurs dont vous parlez, car j'aimerais savoir comment se fabrique socialement et culturellement cette compétence à maîtriser sa consommation, associée à une forme de nouvelle « compétence à habiter ». La présentation de Christèle ASSEGOND et Jean-Philippe FOUQUET était extrêmement intéressante, elle fait écho à notre travail au CSTB sur les salariés du tertiaire contraints de travailler dans des bâtiments à haute qualité environnementale. J'aurais voulu savoir si vous aviez des informations sur l'incidence de la complexification de la mobilité domicile-travail, qui pourrait interférer avec la perception des éléments que l'on signale au salarié comme étant de signification énergétique. Jean-Philippe FOUQUET Typiquement, effectivement, dans une des entreprises, et non pas comme un frein, mais plutôt comme Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 44 un élément de nuance apporté par les salariés, cette dimension-là était présente. L'entreprise était très avancée sur cette thématique, mais elle commercialisait aussi des produits en relation avec ce discours. Dans cette construction d'une culture de l'énergie, certains des salariés, enclins à douter de la finalité des buts affichés, convoquaient l'absence de mesures prises sur la question de l'organisation des mobilités. De par nos nombreuses observations dans cette entreprise, nous avons effectivement pu constater le côté extrêmement avancé de l'engagement, et en même temps un parking qui n'était absolument pas dissuasif pour une quelconque alternative à la voiture individuelle. Nous avons interrogé les responsables, qui ont reconnu que dans le champ extrêmement large de la question énergétique, cet élément sur la mobilité et l'organisation des déplacements n'a pas été vraiment prioritaire. Christèle ASSEGOND Du coup, le côté vertueux de la démarche est disqualifié, puisqu'il ne porte que sur une partie, qui est en plus celle qui rapporte des bénéfices à l'entreprise. Taoufik SOUAMI La question était « qui sont-ils ? », et leur rapport à la technique. Mais en fait il s'agit plutôt d'un rapport à la gestion plutôt qu'à la technique. Un certain nombre d'habitants, soit en amont du projet soit parce qu'ils subissent des situations où ils ne peuvent pas construire un certain nombre d'usages, ne vont pas nécessairement accepter ou débattre des choix techniques, ils vont plutôt investir les modalités de décision et de gestion de ces dispositifs. En quelque sorte, ils ouvrent une piste, une petite ouverture, au-delà du bilan des dispositifs techniques et des éléments incitatifs, qu'ils soient discursifs ou financiers. Il ne s'agit pas d'acquérir des compétences sur les dispositifs techniques, mais sur la manière dont seront gérés les baux, les contrats avec la ville ou la présence dans les conseils d'administration. Qui sont-ils ? Dans le cas de Kreuzberg, on a plutôt des adhérents à des associations écologiques, intéressés dès le début par le projet, et la ville a considéré dès le début qu'il y aurait des habitants cogestionnaires d'une partie des installations et du quartier. Dans le deuxième cas, les habitants ont finalement construit ensemble une position de gestionnaires, en investissant une partie de leur capital pour y réussir. Enfin, dans le cas français, on les institue comme cogestionnaires de fait, puisqu'on reporte une partie des responsables sur eux, via leur consommation énergétique, les opérateurs ne voulant pas prendre eux-mêmes cette responsabilité. Au final, on aboutit à des collectivités qui deviennent coresponsables de la performance énergétique. Il ne s'agit pas simplement de consommation énergétique, mais du bilan énergétique, d'où la montée d'une partie des habitants vers un rôle de cogestionnaire d'une partie de la production et des installations qui sont supposées équilibrer ou réduire la consommation. Pour être clair, on n'a pas affaire uniquement à des écologistes convaincus. À Amsterdam par exemple, c'est plutôt un quartier populaire avec une dynamique et un investissement fort dans la dynamique du quartier. Éric VITALENC, service Économie et Prospective, ADEME Quand Ariane DEBOURDEAU nous présente la courbe de production du photovoltaïque par ménage, j'y vois le risque de renvoyer sans cesse l'énergie solaire à son intermittence, en disant en gros que « le solaire, ça produit quand on n'en a pas besoin ». Mais en disant cela, on fait fi du réseau et du fait que dans le système électrique européen, ce qui compte c'est la recherche de l'équilibre par la multitude des usages et des moyens de production. Collectivement, on continue à promouvoir cette image dépréciée du solaire comme production intermittente, alors que concrètement, le pic de production du solaire en France est à 13 h, moment de la journée qui est un pic de consommation, au même titre que 19 h. Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 45 Ariane DEBOURDEAU On connaît aussi d'autres sources d'énergie qui produisent quand on n'en a pas besoin ! Mais tu as raison, et dans le même temps, doit-on réserver une part de la production photovoltaïque à l'autoconsommation ? D'autre part, le graphique que j'ai montré était plus réservé à notre usage à nous, il n'a pas vocation à servir à la communication grand public. Il y a un véritable enjeu à réussir à « matérialiser » l'énergie, à la rendre concrète, saisissable. L'intermittence du solaire peut être un vrai problème, mais je crois que c'est aussi un problème typiquement français, je n'ai pas l'impression que cela soit perçu comme problématique ailleurs. Frédérick de CONINCK I have a question for Russel HITCHINGS. When you say that people can be eager to adapt, but can't do it, do you have examples in which people do adapt with pleasure, or is it a sort of wishful thinking? Russel HITCHINGS I have no examples in the two studies that I talked about, but there are many examples of people adapting with pleasure, in responding to seasons many people enjoy the arrival of a warmer weather. Some people do like to respond do seasons, that's the important point, and accordingly, by taking this kind of approach, we could work with the dynamics that already structures their lives. In the first study, I talked about the way the workers lived in a relatively a-seasonal way, but I didn't mention that some of them didn't. That was a kind of interesting evidence that people enjoy that process, because they didn't need to do it, but they dit it anyway. One of my respondents wanted to wear summer clothes because it was "normal" to wear it. Patrice AUBERTEL, PUCA J'ai une question pour Ariane DEBOURDEAU qui a employé à un moment l'expression « bien commun ». En fait, la politique, c'est la construction d'un bien commun. Dans les différents exposés, on a pu voir différentes manières de faire de la politique, qui ne sont pas forcément la manière de faire de la politique des pouvoirs publics : cogestion avec les habitants dans l'exposé de Taoufik SOUAMI, échec de la sensibilisation des salariés dans l'un des cas présentés par Christèle ASSEGOND et JeanPhilippe FOUQUET... Je me demande si ce bien commun est quelque chose qui va émerger aujourd'hui, à travers les pratiques et à travers la représentation en termes d'engagement, d'esprit de solidarité. Est-ce que ça va pouvoir innerver l'esprit de nos concitoyens ? Maryvonne PREVOT, université de Lille-I Une question pour Marie-Aude CARAES : est-ce que vous pouvez nous dire un mot sur les pistes de conception de la part des designers, qui pourraient aider à une meilleure compréhension et à une meilleure façon de surmonter la précarité énergétique ? Taoufik SOUAMI L'énergie qui était, pendant des décennies, était un grand réseau public, mais dont l'usage était un usage privé, est en train de devenir un bien public, ce qui justifie qu'on soit plus intrusif. Est-ce que les concitoyens accepteront que l'électricité devienne un bien public, y compris dans l'usage, cette question-là n'est pas réglée. Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 46 Jean-Pierre LEVY Effectivement, l'électricité est un bien collectif, mais à usage privatif. Mais la question aujourd'hui, c'est la façon dont on appréhende le caractère idéologiquement dominant de la question du développement durable. Dans ce cadre-là, l'énergie, et donc l'électricité, devient un enjeu prioritaire, mais on ne sait pas pourquoi, on ne comprend pas pourquoi c'est mal de dépasser les seuils et les normes. En écoutant les présentations de ce jour, on se rend compte que l'enjeu repose sur une responsabilisation de l'usager, dans une contrainte provoquée par l'offre. On espère que par une offre spécifique, on va contraindre l'usager. L'enjeu c'est qu'on essaie de contraindre quelque chose qu'on ne connaît pas, parce qu'on ne connaît pas les modes d'usage. N'y a-t-il pas un hiatus dans une forme de sensibilisation d'un ménage, dont on ne connaît pas la façon dont il se comporte, et que l'on tente de réguler par des politiques d'offres, et quand ces politiques d'offres ne marchent pas, on fustige l'usager devenu « consommateur ». Christèle ASSEGOND Il ne faut pas faire non plus comme si chacun d'entre nous, ou les collectifs, avait juste un comportement irrationnel, égoïste, sans aucune visibilité sur les objectifs à atteindre ou sur le bien commun. Il y a tout de même le principe moral du non-gaspillage, qui correspond à des usages, à des attendus, à des manières de fonctionner, y compris de travailler. Toute activité humaine induit une consommation énergétique, il y a un principe moral qui sous-tend cette consommation, il ne s'agit pas simplement d'un comportement totalement égoïste et dénué de considération pour l'environnement. Derrière, il y a cette vraie question qui est de savoir sur qui on fait porter le poids de la responsabilité. On voit là apparaître des délégations de responsabilité qui vont jusqu'à celui qui a le moins de marge de manoeuvre et le moins de leviers d'action. On a évoqué la précarité énergétique : on parle de gens qui n'ont aucun levier d'action, qui en règle générale ne choisissent pas leur habitat, ni leur chauffage, ni leur production d'eau chaude sanitaire, ni rien d'autre, et à qui l'on demande d'avoir la responsabilité, avec parfois une culpabilisation forte de comportements qui sont pourtant, selon le point de vue des personnes, adaptés à la situation dans laquelle ils se trouvent au moment où ils les produisent. Marie-Aude CARAES Concernant la précarité, on peut faire le constat de la situation, on peut analyse assez facilement les usages, mais la question de la conception et des réponses à apporter à cette précarité énergétique est autrement plus difficile. Il me semble utile de préciser qu'il serait plus simple, au fond, pour nous, de travailler sur les usages énergétiques des populations riches, parce qu'on est dans l'excès, dans une pratique qui permet de restreindre les choses. Avec la précarité énergétique, on est au contraire dans des usages extrêmement restrictifs, et les modalités de conceptions, d'objets, de services, d'artefacts, posent problème. La question qui nous a gouvernés en réalité est de savoir comment rendre la vie des gens plus douce, plus confortable, plutôt que de chercher à réduire une consommation qui l'est déjà énormément. Nous avons dix pistes de conception et d'action : isoler, repérer, économiser, suivre sa consommation, piloter, chauffer, distribuer, diagnostiquer, produire et garantir. À partir de ces pistes, nous avons commencé à développer parallèlement une quarantaine de propositions, dont une partie reporte la question de la précarité énergétique vers le bailleur et non pas vers l'usager. François MÉNARD, PUCA À propos de la précarité énergétique, Dieu sait si on a pu faire des critiques sur les politiques en la matière, et sur les injonctions morales qu'elles pouvaient comporter. Cependant on ne peut pas réduire ces politiques au portrait qui vient d'en être fait. Au départ, c'est bien à partir du constat d'impayé des charges, d'apurement des dettes et de reproduction de ces impayés de charges du fait de logements mal Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 47 isolés, qui a été à l'origine de politiques qui consistaient à aider des ménages à améliorer leurs performances énergétiques pour payer moins. Que cela s'accompagne ensuite de prescriptions morales, d'une suspicion sur les mésusages, et tout ce qui va avec une forme de travail social qu'on pensait avoir disparu, c'est d'accord, mais dire que la lutte contre la précarité énergétique revient à stigmatiser les plus pauvres, ce n'est pas vrai. Jean-Pierre LEVY C'est toujours la même question : ou bien on agit sur l'offre, ou bien on agit sur les ménages. C'est la même question que pour les loyers, ou bien l'on agit sur le coût, ou bien sur une forme de responsabilisation faussée. Une fois que le logement a été réhabilité, si le ménage continue à consommer beaucoup, que se passe-t-il ? D'un point de vue déontologique et sociétal, et tout simplement du bien-être, ces formes de responsabilisation sont inadmissibles. De même, que se passera-t-il si malgré un changement de design, les ménages ne se sentent pas mieux pour autant ? Comment prétendre faire le bonheur des gens sans comprendre comment ils se comportent, comment ils agissent ? La question de fond, elle est là : si on veut qu'ils paient moins, on les fait moins payer et c'est tout. Jean-Philippe FOUQUET La manière dont le propos a été présenté n'était pas tant de dire qu'on est dans un monde pour lequel il y a des interrogations autour des questions énergétiques et environnementales. Il s'agit de dire qu'il faut faire en sorte que chacun puisse agir à son niveau, puisse comprendre et accéder à un niveau d'information qui fasse sens. Vous avez raison de forcer le trait, d'accord, mais à ce moment-là, qu'on donne à chacun les éléments pour comprendre et pour agir. La semaine dernière, nous avons participé à une réunion qui m'a un peu inquiétée, sur la question du logement social et la mise en place de systèmes de facturations, avec ce discours dangereux selon lequel « ces gens-là, ils ne paient pas, c'est pas bien pour la communauté, c'est une charge pour la communauté ». Mais ce n'est absolument pas notre discours à nous. Nous disons que pour que chacun puisse avoir le sentiment d'agir, il faut comprendre, et en avoir les moyens. Nous venons de terminer une recherche, financée par l'ADEME, sur la gestion des déchets. On voit bien que sur cette thématique, le changement s'est fait sur une dizaine d'années, et que globalement, sur la gestion du tri, les choses se font, et se font plutôt bien. Et si ça marche, c'est parce que ça fait du sens, ça a du sens pour les gens, qui voient visuellement comment on revalorise les déchets. Sur la question énergétique, nous en sommes encore à la construction des bribes d'une culture sur l'énergie. À bien des égards, on a le sentiment, chez certains, qu'il s'agit seulement de renvoyer à une responsabilisation, mais sans les moyens de responsabiliser. Mathieu DURAND-DAUBIN, EDF R&D J'ai l'impression que dans la plupart des exposés et des discussions, on se dit qu'il faudrait donner plus de leviers d'action pour impliquer les ménages dans la gestion de leurs usages, pour arriver à maîtriser les consommations d'énergie. Et pourtant, un seul des exposés a mentionné le coût que cela impliquait pour les ménages. Dans un contexte où cette implication des ménages est demandée dans plein d'autres domaines, avec cette injonction à être un bon consommateur, à comparer, à choisir tout le temps, je me demande s'il nous reste encore une marge de manoeuvre pour impliquer encore les ménages et leur demander encore un effort de politique de gestion. Ariane DEBOURDEAU Je vais répondre à la question sur le bien commun, et à celle qui vient d'être posée, dans le même temps. J'ai abordé les politiques en tant que telles, et pas forcément des choses que faisaient les gens. Plus que Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 48 la responsabilisation, qui finit par être connotée négativement, ce qui, en soi, est assez problématique, il me semble que l'idée des politiques publiques est plutôt d'habiliter les gens à contribuer au bien commun, et pas du tout de leur dire d'adopter nécessairement une posture prescriptive. Par exemple, les bailleurs sociaux ont un rôle à jouer pour habiliter les gens à poser des panneaux solaires sur leur toit. C'est ce genre de mécanismes qui me paraît important, il ne s'agit pas de dire aux gens ce qui est bien ou ce qui est mal. Taoufik SOUAMI C'est intéressant de voir comme les glissements sémantiques se font. Le terme « gestion » décrit une partie de ce qui est monté comme dispositif, mais on aboutit sur une conclusion qui consiste à dire que c'est une porte d'entrée pour construire un rapport économique à l'énergie. Autrement dit, ce qui se passe, c'est que justement, ce que font les habitants qui se mobilisent, et qui mobilisent du coup un capital social, celui du temps, c'est de construire un rapport économique à l'énergie qui n'est pas forcément celui de la dépense et de la consommation. Ils introduisent d'autres critères dans les modes de décision. Cela me semble intéressant en ce que ça ouvre ainsi une autre piste, une modification de la construction sociale de la question énergétique, qui ne doit plus être analysée sous la focale économique et juridique, mais sous la focale de la socioanthropologie. Au lieu de voir la facture comme un objet qui rend compte d'une donnée financière, il s'agit de la voir comme un objet vis-à-vis duquel nous avons un rapport de plaisir ou de frustration. Un deuxième aspect, c'est que pour reconstruire ce rapport, l'usager prend une autre position, et que cela a un coût social que l'on peut observer. « Gestion » n'est pas forcément égal à « optimisation financière » ou « rationalisation ». Jean-René BRUNETIERE Quelqu'un a dit que les gens doivent comprendre. Je me demande ce qu'il y a à comprendre, dans la mesure où j'ai l'impression que l'habitant, ou le travailleur au sein de l'entreprise, est dans un champ d'informations et de contraintes et de stimuli qui sont parfaitement contradictoires. Dans l'entreprise présentée dans une des études présentées, il me semble qu'on faisait semblant d'économiser de l'énergie, alors que son problème était d'abord d'améliorer son image. Et c'est sans doute aussi vrai pour pas mal d'entreprises qui construisent un siège social à énergie positive, le but n'est pas toujours celui qui est affiché, et évidemment le salarié ressent bien cette contradiction. Je relève d'ailleurs un certain nombre de contradictions. On a relevé que le financement le plus apprécié des Français est le crédit d'impôt, donc une aide aux riches, mais ensuite on entend s'attaquer à la précarité énergétique. Si les prix intégraient des économies externes, il suffirait d'avoir un raisonnement budgétaire familial normal pour être vertueux, mais l'injonction qui est donnée aux ménages me fait penser à ma situation quand j'étais enfant, j'avais de l'argent de poche, mais je n'avais pas le droit de faire ce que je voulais avec. Et puis, autre contradiction, entre cette injonction générale à la consommation, à l'image de soi, au confort, etc., et en même temps, et ce discours selon lequel tout ça, c'est pas bien, parce que ça produit des gaz à effet de serre. Je me demande si l'une des voies pour l'action publique n'est pas de réfléchir à la cohérence des messages et de remettre tout ça, autant qu'on le peut, en cohérence vis-à-vis des responsables « de base » que sont les habitants et les travailleurs. Christèle ASSEGOND C'est vrai qu'il y a tout un tas de messages, qui s'ils ne sont pas contradictoires entre eux, sont en tout cas concurrents. C'est vrai qu'on évoque souvent le levier économique comme le seul compréhensible et le seul motivant, mais il faut quand même savoir que, par exemple, les crédits d'impôt ne sont pas compris comme simplement un moyen d'économiser de l'argent, mais comme le fait qu'une entité connue, le gouvernement, l'ADEME, etc., a dit que c'était bien, et qu'il s'agit là d'un message clair. Si Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 49 cette entité investit sur ce levier, c'est qu'il s'agit d'un bon levier. C'est un parcours de décision qui est complexe, parce qu'on n'est pas technicien soi-même, on ne sait pas quelle est la meilleure technique d'isolation, quelle est la meilleure chaudière, alors le fait qu'il y ait un soutien est un gage de bonne technologie ou de bon levier. Ensuite, ce n'est pas parce qu'aujourd'hui il y a des informations concurrentes, parfois contradictoires, que cet effort d'information n'est pas important, du point de vue en tout cas des personnes que nous avons pu rencontrer, et qui ont le sentiment qu'il n'y a tout simplement pas d'information. Pour avoir réalisé des inventaires exhaustifs des appareils consommateurs d'énergie dans les foyers avec les usages associés, personne n'est capable de dire ce qui consomme le plus entre le fer à repasser, l'aspirateur, le grille-pain ou le four à micro-ondes. Quand on demande aux gens quelle est leur consommation d'énergie, gaz, eau ou électricité, peu ou prou, la plupart n'en sont pas capables, même de situer vaguement ce qu'ils dépensent chaque année ou chaque jour. La seule réponse est bien souvent « c'est cher ! ». Ce qu'on a voulu souligner jusqu'à présent, et sans parti-pris, c'est simplement de dire que les gens ne disposent pas, aujourd'hui, d'un minimum d'information pour être acteur, et pourtant on leur demande d'être acteur et responsable. Il y a un fossé entre ce que l'on demande de faire, et les moyens qu'on donne, en termes de connaissances ou d'informations, pour pouvoir agir de manière cohérente, au-delà des informations qui peuvent être concurrentes ou contradictoires. Perrine MOULINIE, psycho-sociologue Je travaille dans une entreprise qui construit des sièges sociaux à énergie positive, mais je suis aussi chargée de mission recherche dans un centre de ressource régionale de la qualité environnementale du bâtiment. Je voudrais rebondir sur les aspects contextuels. J'ai une formation universitaire, j'ai participé à des colloques disciplinaires en début de formation. Avec l'urgence environnementale, on a vu de plus en plus se dessiner des colloques « interdisciplinaires », et à chaque fois qu'on aborde une thématique différente, j'ai l'impression de changer de planète. Sur l'aspect contextuel, il y a tout de même une réalité : dans les années 1970, pendant les Trente Glorieuses, l'énergie n'est pas considérée comme un bien qui a une valeur. Quand on avait trop chaud, dans un immeuble à chauffage collectif, on ouvrait les fenêtres, sans se poser de question. Et depuis lors, tout à coup, nous voilà dans une injonction à l'économie, il faut devenir vertueux, responsable, « citoyen ». À côté de ce contexte de norme pro-environnementale, dans lequel nous sommes baignés, y compris dans les pays émergents et face à des populations en grande précarité, on voit arriver ce phénomène de l'écofatigue, qui me préoccupe beaucoup. On est fatigué d'entendre ce discours et de voir à côté des politiques qui ne sont pas toujours franchement exemplaires. Tout cela questionne le rapport à une culture de la citoyenneté et du savoir-vivre ensemble, parce qu'après tout le dénominateur commun de tout cela, c'est de savoir comment on arrive à débattre entre nous, en essayant de concilier les points de vue au lieu de les opposer. Ma question concerne l'éthique et le fonctionnement de la recherche elle-même. Je pense qu'il y a une logique de partenariat et de réseaux et d'association de financement et des acteurs, au coeur des sujets de la recherche, dans des processus de recherche-action. Et par rapport à la cohérence des politiques et des gouvernances, comment pouvons-nous redonner le libre arbitre à l'individu, qui sait tout de même assez bien avoir du bon sens, et peut décider collectivement, de ce qui est de l'ordre des bonnes décisions pour le bien commun. Un exemple intéressant à étudier est celui de la démocratie participative, avec notamment la mise en place de « commissions de quartier » dans la communauté urbaine de Strasbourg, avec des formations sur les techniques de gestion et l'accès à l'information. Quand on entend les adjoints au maire de la ville de Strasbourg, on découvre que ces commissions sont conflictuelles, et que c'est nécessaire, qu'il s'agit d'une véritable dialectique. Olivier LABUSSIERE, Institut de Géographie alpine Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 50 Je trouve qu'un point intéressant est la problématique de la gestion de patrimoine. Les entreprises ontelles des traditions de gestion de leur espace immobilier, et cela leur a-t-elle donné une sensibilité plus ou moins grande à la prise en compte de formes de sensibilisation énergétique. Christèle ASSEGOND On n'a pas approfondi la question de l'historique de la gestion du patrimoine immobilier, mais il est certain que c'est évidemment en relation avec la sensibilisation énergétique. Pour l'une des entreprises étudiées, le grand siège international est composé de bâtiments plutôt neufs, avec des différences notables entre les différentes strates de construction ou de rénovation des locaux, avec une disparité qui provoque des tensions au sein du personnel, comme c'était aussi le cas dans l'entreprise pharmaceutique, où il y avait un début de prise de conscience des surcoûts générés par un bâtiment très vétuste. La troisième entreprise étudiée, elle, est construite avec une réelle volonté d'atteindre une performance énergétique. Frédérick de CONINCK Merci à tous pour vos contributions, et à demain pour la deuxième journée. Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 51 (ATTENTION: OPTION essantes. Je suis tout à fait d'accord sur l'importance pour les sciences de l'ingénieur, de réaliser des architectures de systèmes non seulement de l'équipement, mais aussi de ??? (incompris, 19, 6:20), avec des bâtiments beaucoup plus affinés selon les profils des habitants. Si, pourtant, on conclut que l'énergie est très déterminante, y a-t-il une différenciation entre la livraison de chauffage collectif et les installations d'équipements individuels ? Il me semble qu'il peut y avoir un élément significatif entre les relations collectif-individuel au foyer, dans le sentiment d'influence qu'on peut exercer en matière d'énergie. Marie-Hélène LAURENT Effectivement, les études qu'on a menées, en particulier pour comparer les consommations du DPE, qui selon moi sont un indicateur d'efficacité énergétique et non pas un indicateur de consommation des ménages, n'ont pu être faites que sur le chauffage individuel. En fait, pour capter cette part de comportement, il faut d'une part que le ménage puisse agir sur son système de chauffage, et il faut que ce soit relativement simple. Le système électrique avec des convecteurs, qui est très simple et manuel, participe au fait que les consommations du chauffage électrique sont inférieures, il y a un effet de facilité de gestion, d'accès à la gestion, qui est simple pour l'utilisateur. Au contraire, avec le chauffage collectif, il y a très peu d'action possible : il fait trop chaud, on ouvre les fenêtres, il fait trop froid, on appelle le syndic. Nous pensons que le chauffage collectif est un cas où le DPE sous-estime les Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 29 consommations. Dans ce cas, se rapprocher de la norme en matière de consommation serait synonyme d'économie d'énergie. Jean-Pierre LEVY Si l'on savait modéliser la diversité, on ne partirait pas des moyennes. Cela nous renvoie à la question de la norme. Si l'on admet que la norme est une question de représentation qui s'adresse à tous, est-ce qu'on sait aujourd'hui faire des normes adaptées à la diversité des comportements ? C'est quand même la question centrale, la question de fond. C'est aussi une question de politique sociale et de santé, de l'ensemble des politiques publiques. Une norme ne s'adresse qu'à une moyenne, et cette moyenne, sur le fond, n'existe pas, puisqu'elle n'est que l'agglomération de comportements extrêmement diversifiés. On crée une norme de 19 degrés, mais le rapport au chauffage est culturel. Selon vos origines, vos expériences, les périodes historiques, le rapport à la température est extrêmement variable. Alors, à quoi bon définir une température qui, en soi, ne veut rien dire, puisque chacun détermine ses propres niveaux de température en rapport avec ses expériences et ses pratiques ? De même, le rapport à l'ouverture des fenêtres est un rapport à la propreté, à la poussière, c'est un rapport culturel. On sait depuis longtemps que les pratiques de l'habitat sont des pratiques culturelles. Les normes de construction de l'habitat ne s'adressent qu'à une minorité de population. Laurent MEUNIER Dans l'enquête « 10 000 ménages », on s'intéresse à des ménages qui occupent un logement, à qui l'on demande s'ils sont propriétaires ou locataires. Donc il s'agit toujours de propriétaires occupants. À propos du désir de confort, il s'agit d'une question transversale, qui n'est pas sans conséquence sur les objectifs du calendrier politique. Les objectifs du Grenelle, de moins 38 % de consommation d'énergie dans le bâtiment existant, correspond à un effort par rapport à une année de base, mais il ne s'agit pas d'une consommation théorique de tous les ménages qui satisferaient leurs besoins de confort, c'est simplement la consommation constatée cette année-là. S'agit-il de 38 % de consommation en moins, indépendamment du niveau de confort, ou bien avec un désir de confort insatisfait qui diminue ? Harold WILHITE Interesting discussion about space heating. Some of you may know that in Japan the average indoor temperature is about 16 degrees, but you can't really understand how people can live with that, without understanding the practices that are associated with it. Of course they have different clothing practices, a different conceptualization about the body, that the body should be heated within the space and not by the space itself, and so on. It's just an illustration that a transformation to a different way of creating comfort involves many different sets of practices. One thing that's related, and I haven't heard much about today, is air conditioning. This has been one of my major focuses over the last decade, I've looked upon India, China and so on where air conditioning is increasing rapidly. It's a perfect example of where a changing architecture, the material environment, is actually driving the social norm. My take about what is happening in United States or India is that choices are being limited by a perception of the modern house as being one which is built for an air conditioner. Basically, that limitation is causing people to change their idea about how to get comfortable and so on. It seems to me that in places like France, which have a long tradition of staying cool in the summertime without the help of the air conditioning, that the set of practices around that unmechanical comfort should be retained, rather than allowing the architecture to change those norms. As I have observed at least a few years ago, there has been such an emphasis on energy efficient air conditioning, as a way out of that problem, rather than an emphasis on the architecture and the choices Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 30 around the material standards that were about to being implemented for buildings. Anne DUJIN Dans nos enquêtes, nous suivons cette question du besoin d'accroissement de confort, qui passe en particulier par la demande de climatisation. Par exemple nous allons demander à un panel « Aimeriezvous accroître votre niveau de confort dans cette pièce, et si oui comment ? ». La climatisation est présente, et c'est une tendance qui s'accroit. Vous avez raison de souligner qu'en France il y a une réticence à la climatisation en tant qu'elle ne rentre pas dans les modes traditionnels du « bien habité » développés par exemple dans le sud, avec notamment les manières de conserver le frais dans les maisons. Cela dit, on sait qu'effectivement il y a un « devant nous » où la température de confort est à 22 degrés et pas 20 degrés, comme c'est actuellement le cas dans les enquêtes déclaratives françaises, et où la climatisation devient un incontournable du confort domestique. Marie-Christine ZELEM Sur la climatisation, en région Midi-Pyrénées, j'ai rendu un rapport sur les tendances à l'accroissement, à l'utilisation et aux envies de s'équiper en climatisation. Nous avons constaté un phénomène assez classique : dès lors que quelqu'un installe une climatisation, ses voisins directs auront tendance à en installer eux aussi. On a parlé tout à l'heure du fait qu'il faut regarder le consommateur et le ménage d'un point de vue systémique, comme faisant partie d'un système au sein duquel il y a d'autres acteurs. Il me semble qu'en regardant uniquement notre consommateur ou notre ménage, on oublie les autres acteurs du système, alors que, dès lors que ces acteurs n'adhèrent pas aux valeurs que l'on prône à travers nos recherches, ou que prônent les pouvoirs publics, nos études sont vouées à être rangées dans des placards. En ce qui me concerne, ça fait dix ans que je travaille sur les économies d'énergie, et ça fait dix ans que j'entends quasiment la même chose. Je vais en arriver à aller étudier un autre objet, parce que parfois je me dis que tout ça ne sert à rien ! On ne fait que ressasser, alors que c'est la connexion entre nos travaux, nos résultats, et les ingénieurs et les techniciens qui mettent au point des systèmes techniques qui me semble être la voie royale vers laquelle il faut tendre. Mais il faut vraiment faire adhérer ces disciplines à nos convictions. Frédérick DE CONINCK Le fait qu'on soit obligé d'avoir plus de cent catégories est plutôt une bonne nouvelle, en fait nous avons de la marge d'action, alors qu'il n'y en a pas tant que ça dans les modèles uniques. Tout ça veut dire que finalement, l'idée d'une norme unique vers laquelle on convergerait n'est pas forcément évidente, on pourrait avoir des segments de la société française qui évolueraient d'un côté, et d'autres d'un autre côté. Finalement pour moi c'est une bonne nouvelle. Par rapport au confort, ce que font tous les gens qui ont des moyens de gérer leur temps, c'est de gagner de la maîtrise sur le temps. La température confortable, c'est la température qu'on maîtrise. Je trouve très confortable de choisir de mettre un pull-over, mais je trouve très inconfortable d'être obligé d'en mettre un. Là aussi, on n'est pas condamnés à converger vers une norme, mais est-ce qu'on a les moyens d'avoir le comportement qui correspond à la vertu qu'on voudrait ? Régine TROTIGNON, ADEME Depuis ce matin, quand on parle de consommation d'énergie, on parle de consommation d'énergie de chauffage, mais il y a beaucoup d'autres types de consommation, et notamment les usages spécifiques de l'électricité, sur lesquels il y a un gros travail à faire, sur les pratiques, les usages et les Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 31 comportements. D'autre part, un autre sujet qui n'a pas été évoqué est celui de l'eau chaude sanitaire. Aujourd'hui on cherche à construire des bâtiments basse consommation, on cherche à tendre vers des bâtiments qui vont tendre vers la production d'une partie de l'énergie, donc, forcément, dans le bilan des consommations des ménages, le pourcentage de consommation d'eau chaude sanitaire va mathématiquement augmenter. Je pense que c'est un vrai sujet, en terme de pratique et en terme d'usage, mais aussi un sujet pour la rencontre de la technologie et des comportements. François BOURRIOT, directeur scientifique, statisticien, SEREN On a beaucoup parlé de comportements et de consommation par usage, le SEREN travaille beaucoup sur cette consommation par usage. Quand on parle de la consommation de chauffage, on part d'un modèle. Toute énergie consommée dans un bâtiment, de fait, contribue au chauffage. Je voudrais raconter quelque chose qui va illustrer comment un modèle, sans le prendre explicitement en compte, va influencer des comportements. Nous avions chiffré la consommation électrique du lave-vaisselle à partir du modèle économétrique très simple des régressions multiples. Mais manifestement, par rapport aux relevés réels des études menées par EDF, notre consommation unitaire était plus élevée. Nous avons alors découvert que nous avions inclus dans la consommation du lave-vaisselle un certain nombre de facteurs non explicités dans le modèle, qui étaient globalement les niveaux de vie des ménages et toutes leurs surconsommations. Finalement, nous en sommes arrivés à convenir que, finalement, retenir une consommation biaisée de lave-vaisselle, en terme de prévision, pouvait être intéressant si l'on faisait parallèlement l'hypothèse que les comportements des ménages, eux aussi, évolueraient, comme le taux d'équipement en lave-vaisselle. Donc, alors qu'on partait d'un modèle simpliste, nous avions quelque chose qui pouvait donner des résultats intéressants. Bien réfléchir à ce que l'on met derrière un chiffre qu'on annonce comme la consommation de chauffage, ou d'eau chaude, ou du lave-vaisselle est au coeur de notre discussion d'aujourd'hui, car parfois, sans s'en rendre compte, de fait, on intègre des comportements. Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 32 POLITIQUES Comment prendre en compte la complexité des usages dans l'élaboration de politiques publiques de l'énergie ? Comment penser conjointement les usages de l'énergie et les infrastructures dans un même système sociotechnique ? L'énergie des habitants cogestionnaires : un nouvel objet économique et son coût social. » Taoufik SOUAMI, Maitre de conférence UPEMLV, chercheur au LATTS Intervention partiellement retranscrite à la suite d'un problème technique (fichiers 21, 22 et 23 silencieux : 19 mn en tout). Près de 400 partenaires, habitants et usagers, ont participé à la mise en place de ces éoliennes, et se retrouvent de fait cogestionnaires de l'installation technique. Deuxième exemple, il s'agit cette fois d'usagers qui deviennent cogestionnaires. C'est l'exemple de Gardsten, une opération de réhabilitation importante dans un parc de logements sociaux. L'entreprise de gestion du parc a eu la bonne idée de s'associer à une université pour installer des capteurs dans l'ensemble des logements et même dans chaque pièce. Les chercheurs ont donc obtenu des résultats très intéressants, avec suivi réel des consommations pièce par pièce, sur une durée assez longue. Le gestionnaire a décidé de renvoyer le détail de leurs consommations aux habitants, et de les rendre publiques à l'échelle de l'ensemble des habitants. L'objectif était d'obtenir une transformation des comportements à travers ce qu'on peut appeler de l'encadrement social ou encore de la « coveillance ». Les habitants ont fini par se constituer en association et ont revendiqué une position dans le dispositif de gestion, de retour de l'information et dans les conséquences en matière de gestion. Troisième exemple, celui-ci en France, dans la ville de Limeil-Brévannes. La ville exige de son opérateur énergétique et de ses promoteurs, regroupés dans un projet partenarial, un niveau de performance pour l'ensemble du quartier et des bâtiments. La ville estime donc que c'est bien l'opérateur qui est garant des niveaux de consommation, et en fin du compte, du bilan énergétique. L'opérateur, réalisant un projet sur mesure, en trouvant des solutions techniques bâtiment par bâtiment, pour l'ensemble du quartier, bascule alors vers un autre mode, et va demander, dans le cadre de la contractualisation, que les responsabilités soient clairement établies entre lui et les promoteurs. Les promoteurs, à leur tour, estiment qu'ils ne peuvent pas tout à fait assurer les niveaux de consommation, et se retournent vers les futurs clients et usagers, en envisageant deux solutions : un bail énergétique, solution de plus en plus usitée en Suisse, ou bien l'introduction de ces performances énergétiques à l'intérieur des règlements de propriété. Ces trois exemples illustrent trois aspects qui me semblent intéressants. Dans les trois cas, les dispositifs techniques avec lesquels doivent composer les usagers ne sont pas uniquement des dispositifs domestiques, ils sont à l'échelle urbaine. Nous avons affaire, du coup, à des tentatives d'organisation de ces usages d'une manière collective ou para-collective. Enfin, les rapports juridico-économiques prennent beaucoup d'importance. L'offre technique, souvent présentée comme unique, imposée aux usagers, et d'autre part les incitations « moralisatrices » auxquelles ils sont exposés, ne sont pas les seuls vecteurs de la transformation des usages. On voit bien que les formes de contractualisation, liées à la gestion de ces dispositifs, est un des éléments par lesquels se transforme une partie des usages, en tout cas la manière dont les usagers vont se représenter les agencements, les compromis avec les dispositifs techniques. Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 33 En regardant de plus près, on se rend compte que ces cadres économiques et juridiques, contractuels, sous différentes formes, ne sont plus tout à fait vécus ni perçus comme des contraintes, mais comme des composantes des usages. Du coup, ils y travaillent, ils les prennent comme matière, ils les prennent comme matière sur laquelle ils vont essayer d'introduire un certain nombre de modifications, ce qui m'amène à cette hypothèse : ne plus considérer les cadres économiques ou juridiques comme étant des contraintes ou des cadres, mais comme des composantes des usages. Pour aller vite, ce qui serait intéressant à l'avenir serait d'avoir une analyse anthropologique de ces rapports juridico-économiques. Ne pas regarder uniquement les dispositifs techniques, c'est-à-dire l'individu en face de son chauffage ou de son ampoule, mais de l'observer aussi en face de sa facture, en face de son bail intégrant des objectifs énergétiques, en face de son contrat d'abonnement, autant d'éléments qui jusqu'à aujourd'hui n'étaient pas négociables, mais qui depuis quelque temps, deviennent de plus en plus modifiables et négociables. Ces objets juridico-économiques seraient alors analysés comme composantes du travail autour des usages, mais il faudrait aussi considérer leurs coûts sociaux : temps consacré par les usagers, capital social qui y est engagé, etc. Il y a un investissement sur l'apprentissage de ces nouvelles formes de décision et de négociation. Je renvoie ici, pour la qualité de son travail, à Philippe DARD, qui a montré comment la difficulté d'accès à un certain nombre de services énergétiques n'était pas liée seulement au coût financier, mais au fait que ça supposait, par exemple, des démarches administratives qu'une partie de la population considérait comme trop coûteuses. Le coût social n'est pas que le coût financier, mais l'ensemble de ces considérations. Frédérick DE CONINCK Nous ne sommes pas encore au niveau du politique, mais nous avons fait émerger un objet intermédiaire, avec la constitution de collectifs autour des problématiques juridico-économiques. Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 34 Thermal conventions and energy use. » Russell HITCHINGS, Department of Geography, University College London We've told a little bit so far about things to do with cultural norms, and about diversity in terms of how people's practices may vary. Hopefully my talk will have something to add to that kind of discussions. I want to talk about this idea of thermal conventions, the way to which people feel certain conventions in terms of keeping the body cool or warm felt to exist amongst the members of a particular social group. I'm going to do that with reference to some of the work I've done on the idea of seasonal adaptation, that is, the degree to which people feel amenable to responding to the seasons, how they deal with temperatures changes over the course of the year, what we can learn from exploring together, with them, the reasons why they have done so. I've been involved in two particular projects, the first of which is funded by the UK Economical Research Council, where I looked at an idea of city office worker, and some heat adaptation that attracted them over the course of the year. There's good reason to explore how this group relates to seasonal temperature change and so far, this group is often furnished with quite specific standards, so I was interested in issues like air conditioning, how the people who might be exposed to air conditioning perhaps more than many others, felt about the experience over the year. So how was it that this group that worked long hours inside offices that were kept a quite standardized temperature conditions, feel about their experience, and what can we learn from the ways in which they did, or did not, respond to seasonal change in their everyday life. The second project relates to older people, and how they currently achieve winter warmth. Within this project, we sought to understand the diverse ways in which older people manage their personal temperature through the course of the winter. The rational for the second project was related to things to do with winter wellbeing, where people are more liable to suffer because of thermal stress, while in the same time, many of the older people are wealthier than ever, and consequently might be using energy that we don't want to spare through domesticating and the like. The approach that was taken was very much a qualitative social science approach involving repeated interviews with the diverse sample of respondents from both groups, and what we sought to do was to track these respondents as they passed through particular season, their mundane adaptations, the degree to which they felt inappropriate to behave in certain ways, how they responded through various different techniques to the arrival of temperature fluctuations. Through that we sought to understand the reasons why they responded in certain ways, and what we could learn from that, in terms of trying do distill recommendations about ways of encouraging people to perhaps live in a more sustainable ways trough amendments in their everyday behaviors. In terms of the underline rational though, before I'm going to the details from the two projects, the first thing I want to mention is how the focus was very much on this idea of seasonal changes, something to which people already adapt, in terms of how their organize their day to day lives. I think sometimes we can tend to have quite a static image of how people live and what they need in terms of energy requirements and how they feel appropriate to manage their thermal condition. But, clearly, when we think about it, this thinks change all the time. People are willing to live quite differently in the summer than during the winter. And perhaps through a process of exploring those dynamics, we might be able to identify some useful interventions that chime well with the fact that people are already willing to change. The second point to make, in terms of ways in which this has been researched, was along the lines of thinking about "thermal discomfort" as something including various components. We have had quite a lot of discussions about the idea of heating, and there are very, very different ways in which can go about managing and regulating such their temperature through things such as mundane actions, such as adopting a different combination of clothing items, using a kind of day to day technology, and also this Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 35 is something that is very much dynamic. The ways in which we think about what's appropriate to do in terms of achieving thermal comfort in everyday life is dynamic. In the first study, one thing we tried to answer was this question: was there some adaptation convention in city offices? With the people I spoke to, a small sample of lawyers taken from various different firms operating in central London, was there some adaptation convention in place, did they all respond to the summer in the same way in terms of managing their warmth or their coldth? What we found is that, yes, there really much was a current convention, people had a shared sense that they should respond in the same way to the advent of summer at their work places. To some extend, that was concerning, because they were provided with very standardized air condition spaces, that didn't change. In practice, this meant that across the board, people didn't make any particular many changes in terms of what they might be doing themselves personally in terms of their adaptations. So they were wearing exactly the same clothes as they would during any other point of the year, things would just be continuing in the same normal way, an "a-seasonal existence", you could argue. Plenty of others things to think about at work, preoccupations with work pressure, the general provision of air conditioning, being used to reproduce a certain dress code creates a kind of habituated sense in which people just continue doing the norm, they continue to perpetuate what they're used to, they don't have the time or energy to potentially think about doing something different. Alongside that, there was a vague sens of being monitored so an anxiety perhaps bosses (incompris, 25, 2:35) my responds to amendments they might potentially make in terms of their clothing, and alongside that, a sense of seldom seeing others doing something different. People were, to some degree, locked inside the current convention, which is relatively unsustainable, so they were relatively dependent on the provision of air conditioning as a consequence of these various factors conspiring to stop them from thinking about potentially doing differently. The interesting thing about this was, however, that their perception was that if they were to adopt a summer dress code, then maybe that wouldn't be esteemed as problematic by their bosses, and it was also something that they potentially liked to do, it felt "natural", it was a natural thing to respond to the seasons in the course of their everyday life. But currently, because of accommodation to factors that were in play, they weren't thinking about doing that. In the second example, the idea was wether there is a winter adaptation at large or wether this is a conventional approach in terms of our respondents, from the winter protect, shared a sense of themselves doing similar things to their peers in terms of how they felt appropriate to respond to winter and keeping themselves warm. Our respondents were kind of outside of their adopted circle, outside of the idea of potentially embodying a convention. They had a very limited sense of what their generational peers were doing and responded to the winter. They felt everybody was doing quite different things. They were already aware that there was a great deal of diversity, at least they perceived that to be a great deal of diversity in terms of the ways in which older people managed heating at home, and that was because of a variety of factors, like having different health complains, living in different infrastructures, and so on. They're also very keen to separate themselves from the idea of being an older person during the winter time. To some extent, we can say that the idea of being an older person is largely stigmatized in society, perhaps particularly so in the winter, when the media representation is often associated with things to do with fillpoferty (incompris, 25, 5:10), so we see images of older people on the television adjusting badly to the winter, maybe not adopting the right kind of approach. They're reticent to talk about the ways in which they manage the winter time, with each other specifically, because they look anxious about stepping on people toes, and things tot do with social nicety, in terms of not positioning yourself as someone thinking your peer might be in decline or incapable to do things for themselves. Consequently they rarely talk to each other about these matters. Added to it was a sense of what we call "thermal hosting", the sense that when people come visit you at home, you do quite different things with your heating that you might do otherwise. Where someone to come on visit, they would likely to heating up, to wear a different combination of clothing, they would certainly not be using things like Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 36 blankets, which they might have done otherwise during the daytime as a sensible strategy for keeping warm. Equally, when they went to visit others, they would do things quite differently, they wouldn't ask for a change of temperature so they wouldn't articulate their own thermal needs because of all these different anxieties. The interesting thing about this is that it could be quite useful to encourage reflexion among this group about the idea of a potential thermal convention. Our respondents said they were most likely to benefit from, and most likely to trust advices and ideas about to respond to the winter more effectively, were this to come from their friends, compared to government information campaigns. If a friend was to give them a recommendation, this is often deemed to be a trusted source, and an act of kindness on the part of the friend. We concluded in our study that it could be useful to get all the people we sought to talk to each other about how they might live more sustainably, live more healthily, during the winter months. However, because of this variety factor I tried to indicate, they rarely talk about these issues, and they rarely have a sense of what their peers were doing. So, in this example, I guess you could say that the factors involved were conspiring to make a negative situation whereby, perhaps one of the most effective means of encouraging older people to reflect on, or maybe amend their behaviors, was prevented because of a shared sense of an absence of a potential convention. In terms of what we can take away from these two quite contrasting examples, there are few points I'd like to itemize: 1. Thermal conventions can't be assumed. Often, there can be a tendency to assume that members of a particular social group, by virtue of being part of that social group, are likely to share a particular mode of behavior or norm of acting. These two studies suggest that we shouldn't necessarily assume that, rather we should look at wether it is the case. This merit in looking in particular identified groups, at wether or not they believe themselves to share a particular norm of behavior, and then trying to understand the different factors that keep them apart from any sense of having a shared convention, or the fact that they're equally, looking back to the first of the two studies, locked them in to a shared way of responding that might not be sustainable, and might not even be pleasurable. 2. But sometimes they should be encouraged. Related to the second study, there's merit to be had in thinking about the ways in which we could potentially engender a conversation amongst a particular social group, about how they respond to different thermal conditions, how they feel appropriate to behave. 3. In terms of conceptual thoughts, and things we might want to take away from these studies, the first point is that transitions are already happening. It's all part of the logic behind this conference to think about energy transitions, think about the ways in which people use energy in the course of their everyday life, and how that could be encouraged to assume more sustainable shapes. There's probably merit to be had in terms of the social science of seasons and thinking about how people are already adapting to change. Through an understanding of the processes involved, maybe we would get a much more sophisticated sense of wether most effective points of intervention might be. 4. The final conceptual thought is to remember that humans can be sometimes quite eager to adapt. Often when we're thinking about policies, in this kind of field, we're often tending to think about how we provide people with the right kinds of conditions. But in both cases, in these studies, people prove themselves to be quite eager to think about amending their behavior. So the office workers that lived in a relatively "a-seasonal" way, that dwelt with standardized conditions, were quite keen on potentially responding to the summer more fully, and quite keen on maybe changing their clothing. They thought it was natural, that is was a good way of living, but because of a variety of factors, they weren't to at the moment. Equally, in the old person study, people were quite keen to think about different ways of doing things during winter, how could they learn from their peers, how they could benefit from knowing how other persons were doing, how they could get tips and advices from their friends. But, because currently they're excluded from the thermal convention, they didn't have a sense of those things. Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 37 These two studies that I've been involved in, I hope you found them interesting and there are few points that maybe we could take away from them, in terms of practical intervention and also things to think about in terms of researching this stuff in the future. Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 38 La domestication du solaire à l'épreuve du politique. » Ariane DEBOURDEAU, Chercheur au Centre d'étude du développement durable, Université Libre de Bruxelles Quelques explications sur le titre de ma présentation. Concernant la domestication, je ne l'entends pas nécessairement comme certaines théories, je considère cela comme un apprivoisement du solaire, à la fois individuel et collectif, et aussi un apprivoisement qui s'ancre dans un certain nombre de pratiques. L'épreuve du politique, c'est davantage l'idée d'une mise à l'épreuve : le politique fait exister le photovoltaïque, par le biais d'un certain nombre d'actions publiques et d'instruments, et tout changement dans ces instruments est une remise à l'épreuve de cette domestication. La mise à l'épreuve est aussi un rapport de force qui s'engage entre le solaire et ses porte-parole, et le politique. Enfin, nous allons essayer de rendre compte de la complexité de cet agencement qui se noue autour des politiques publiques, et d'essayer de voir comment l'émergence de controverses autour du solaire révèle un certain mode de problématisation de l'énergie solaire embarquée dans des instruments, en l'occurrence les tarifs d'achat. Le photovoltaïque, utopie et promesses C'est un ensemble d'éléments qui a permis l'émergence du solaire. D'une part, la libéralisation du secteur électrique, dans la mesure où il a permis l'émergence de nouveaux acteurs sur les marchés, dès lors qu'on mettait fin au monopole « naturel », devenu contestable. Le deuxième aspect d'importance est le paquet Energie-Climat adopté en 2009, qui prévoit 20 % d'énergies renouvelables en 2020, décision politique éminemment performative. Un autre aspect est le raccordement au réseau électrique, dans les années 1990, qui a finalement permis la mise au point d'un business model, arrimé à des politiques incitatives, qui sont la condition même de l'existence du solaire, puisqu'il n'est pas compétitif en tant que tel. L'objectif était de faire en sorte de promouvoir des processus d'apprentissage et des économies d'échelle afin de parvenir à la parité de réseau. Deux illustrations : la sonde Vanguard I de 1958 est l'un des premiers usages de modules photovoltaïques, pour la conquête spatiale, et les courbes d'évolution du prix du photovoltaïque, qui montrent que l'Allemagne est à peu près sur le point d'atteindre la parité réseau. La domestication des marchés sous la bienveillance du politique En France, les tarifs d'achat ont permis l'émergence d'une offre photovoltaïque chez les opérateurs, qui vont vous proposer des kits d'installation, et chez des installateurs qui vont proposer des prix moins chers. Installer des panneaux solaires sur un toit permet d'espérer des revenus, ce qui va contribuer, particulièrement en France, à arrimer le photovoltaïque à un investissement rentable. Dans la presse, on a même parlé de « livret photovoltaïque », beaucoup plus rentable que le Livret A. Dans le même temps, se développe un autre type de pratique, le « chasseur de crédit d'impôt », c'est-à-dire un certain nombre d'installateurs plus ou moins scrupuleux qui se lancent dans ce type d'activité essentiellement pour bénéficier des subsides. Étant donné la visée durable et de production du photovoltaïque, se pose la question de l'opposition ou de l'incommensurabilité entre une rentabilité fabriquée par des dispositifs de politique publique et un concernement (incompris, 26, 5:25) qui semble réduit à une peau de chagrin. Les tarifs d'achat en France, étant donné la manière dont ils ont été conçus et importés d'Allemagne, vont poser des cadres peu évolutifs et particulièrement rigides, qui ne prévoient pas leur évolution. Nous avons là une espèce de transfert d'instrument d'action publique dont on va voir qu'il va rater. Au final, l'hyperactivité des courbes tarifaires va finalement faire écho à l'émergence d'une véritable crise. Il faut aussi souligner les autres enjeux domestiques. La domestication est une forme d'apprivoisement du Soleil par la maison. Sur le site du ministère de l'environnement français, on trouve en tant Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 39 qu'illustration des tarifs d'achats, une photographie d'un bâtiment... situé à Frigourg en Allemagne. Le solaire a pour principale propriété de pouvoir s'adapter à l'habitat, et donc d'être « domesticable » par les habitats, de manière relativement aisée. Sous l'impulsion de promoteurs immobiliers, des bâtiments sont aussi capables de se transformer et d'évoluer, du fait de l'implication du solaire. L'apprivoisement du solaire par la maison implique aussi de voir comment les panneaux photovoltaïques vont pouvoir interagir avec l'ensemble des usages et des pratiques d'une maison. Le point important ici, notamment en France, c'est l'absence de l'auto-consommation de l'électricité produite. Le fait de réinjecter l'intégralité du courant produit sur le réseau n'est pas tout à fait une incitation à considérer le solaire comme autre chose qu'une source de revenus. Il faut sans doute aussi ajuster les usages, par exemple panneaux solaires et climatisation. Un ensemble de pratiques peuvent être ajustées en fonction de la production solaire, ce qui supposerait d'autres interfaces, et laisse entrevoir le degré de réappropriation que l'on n'a pas encore pu atteindre, parce que l'intégralité du courant est réinjectée sur le réseau. J'en viens maintenant aux controverses, à la manière dont le solaire va devenir peu à peu un « problème public ». Le problème émerge avec une acuité croissante au sujet de la bulle spéculative autour du solaire. À un moment donné, des instances, notamment politiques, vont souligner le fait qu'il s'agit d'une source extrêmement onéreuse pour le contribuable et que les pratiques consistent finalement à installer des panneaux solaires sur son toit uniquement pour faire des investissements. Ces éléments sont critiqués essentiellement dans le rapport Charpin, qui met à l'index le coût prohibitif du développement de l'énergie solaire, et l'absence de réduction des coûts. En décembre 2010, un moratoire de trois mois est adopté, qui ne visait pas les particuliers, afin d'élaborer un nouveau cadrage de la filière photovoltaïque, avec ses acteurs. De fait, l'action du gouvernement, qui est en elle-même une véritable mise à l'index du photovoltaïque, donne lieu à une véritable controverse avec l'ensemble des acteurs, qui s'ancre progressivement autour d'une idée : le solaire va coûter beaucoup trop cher et c'est l'ensemble des contribuables qui va payer. Se révèle là un impensé total et complet de ce qui est lié au photovoltaïque : le citoyen et le consommateur sont complètement subsumés, indistincts. Pour l'ensemble de ceux qui paient la contribution au service public de l'électricité (CSPE), soi-disant pour financer les énergies renouvelables, cette contribution de consommateurs serait équivalente à une contribution pour le bien commun. Il y a là un glissement sémantique et de sens qui est important, et qui va jalonner toute cette controverse. Ce qui émerge progressivement, c'est que c'est le mode de problématisation du solaire photovoltaïque qui pose problème : à quels problèmes a-t-on voulu répondre en ayant recours à cette solution, et pour quel tarif d'achat ? La mauvaise copie de l'Allemagne fait finalement émerger une situation de crise qui fait qu'à un moment donné se révèle tout le potentiel essentiellement libéral, fondé sur une logique qui rend indistincts consommateurs et citoyens, et qui fait que l'instrument d'action publique « tarif d'achat » se donne à voir et à lire de façon beaucoup plus problématique. Enfin, le problème se repolitise, avec l'association « Touche pas à mon panneau solaire » qui se crée début 2011, qui dépose des recours au Conseil d'État et qui organise bientôt des manifestations en faveur du solaire avec des banderoles comme « NKM m'a tuer ». Le dernier avatar de l'affaire est constitué par la situation de l'usine Photowatt, visitée par Nicolas Sarkozy, et qui est la plus ancienne entreprise de photovoltaïque en France, créée en 1979. Entreprise performante et pionnière, qui conduit toujours des recherches de haut niveau, mais qui se retrouve obligée de déposer le bilan, comme conséquence directe du moratoire. La situation de l'entreprise donne lieu à une mobilisation assez originale, avec notamment des pétitions « Adoptez une cellule ! » et la création du petit personnage SuperWatt. Cette mobilisation est très intéressante en ce qu'elle rend compte de l'imbrication de la politique, de l'économie, mais aussi d'usages à visée de bien commun. Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 40 Les bâtiments a usage professionnel : perception et appropriation des espaces de travail. » Jean-Philippe FOUQUET & Christèle ASSEGOND, Ingénieurs de recherche, codirecteurs ETIcS, Université François Rabelais de Tours Jean-Philippe FOUQUET Notre présentation aurait pu figurer dans l'atelier de ce matin, dans la mesure où l'on se situe dans l'articulation de ce qui a été dit sur la dimension « usages et pratiques », mais cette fois, appliquée à la sphère du tertiaire. Si nous figurons dans cet atelier sur les politiques, c'est parce qu'il s'agit aussi d'un regard sur une dimension politique, mais qui n'est pas appréhendée sous l'angle de la collectivité, du gestionnaire de réseau ou d'autres fournisseurs. Nous appréhendons la politique sous l'angle de la politique. La question qui s'est posée est celle d'initier, en bâtiment à usage professionnel, un ensemble d'initiatives visant à appréhender cette question de la maîtrise, voire de la réduction, des consommations énergétiques. Sur le plan problématique, les questions qu'on pose sont très proches de celles qui ont déjà été listées ce matin : quoi mettre en oeuvre, comment, sous quelle forme de mobilisation, quelle maîtrise et quelle réduction des consommations énergétiques ? Il s'agit de problématiques de plus en plus présentes, somme toute aussi dans le champ du tertiaire. Finalement, une fois ces enjeux considérés comme importants et mobilisateurs, la question qui se pose est de savoir où il faut agir. Doit-on agir sur une dimension exclusivement technique, en équipant les bâtiments pour réduire l'empreinte énergétique ? Doit-on mobiliser les acteurs-utilisateurs des différents bâtiments professionnels ? Ou bien doit-on se situer à l'articulation de ces deux problématiques ? Enfin, de manière plus prégnante pour nous, se pose la question de la place des salariés. Dire qu'on considère la partie humaine et comportementale n'est pas tout à fait la même chose selon que l'on considère qu'on le fait sous le signe de la contrainte, ou bien en recherchant des formes d'adhésion qui seraient liées à des formes d'informations et d'explications. Nous avons travaillé sur trois terrains, et deux des recherches sont terminées. Dans le premier terrain, nous sommes dans une entreprise, l'un des leaders mondiaux sur le marché de l'équipement électrique, avec une très forte sensibilisation aux enjeux électriques, ne serait-ce qu'au regard des métiers et des activités de cette entreprise. En même temps, l'entreprise est extrêmement éclatée au niveau de ses bâtiments, certains étant très neufs et d'autres dans un état indigent, beaucoup plus contestable sur le plan énergétique. Le deuxième terrain est une entreprise dans le domaine de la pharmacie, sans aucune sensibilité aux questions énergétiques, si ce n'est les quelques personnes en charge de ces questions comme « l'ambassadeur Développement Durable » ou la personne en charge des systèmes électriques et des chaufferies. Enfin, le troisième terrain est une petite PME de la région Centre, spécialisée dans la domotique, le courant porteur en ligne et toutes les réflexions autour de la maîtrise de l'énergie, et dont le siège était une vitrine de toutes les technologies proposées, jusqu'à la conception même du bâtiment. L'implication des salariés y était forte, mais inégale. Du point de vue de l'entreprise et de ceux qui ont porté le projet, tous étaient impliqués au sein de l'entreprise, mais le recueil de données a montré que ce n'était pas forcément toujours ressenti ainsi. Sur le plan méthodologique, en tant que sociologues qualitativistes, nous avons procédé via des entretiens répétés, en nous inscrivant sur du très long terme pour saisir les changements, ainsi que par des observations régulières dans les entreprises, avec de plus en plus souvent un recours à la vidéo et à la prise d'image. Christèle ASSEGOND Voici donc quelques résultats. Nous avons choisi volontairement de ne pas vous présenter toute la diversité des points de vue, qui dépendent évidemment du contexte de l'entreprise et de la position qu'on y occupe. Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 41 On retrouve le même principe moral du non-gaspillage dans l'entreprise que dans le résidentiel, au moins dans le déclaratif. Par contre, la difficulté à agir est mise en évidence, faute de maîtrise ou de marges de manoeuvre, lesquelles ne sont jamais clairement identifiées ni mobilisables, et conduisent parfois les salariés à raisonner par l'absurde (« Dois-je éteindre mon ordinateur ? Mais alors je ne travaillerais pas ! »). Ils n'imaginent donc pas de marge de manoeuvre, encore moins sans doute que dans leur habitat personnel. Un second résultat renvoie à la dimension collective de l'organisation. On a vu dans le résidentiel qu'il s'agit aussi de quelque chose de collectif, au moins à l'échelle du foyer, et qu'il pouvait y avoir des débats voire des conflits entre les membres du foyer. Madame veut une température de 22 degrés, monsieur veut une température de 19 degrés, les enfants veulent prendre des douches extrêmement longues, etc. Ici, il y a d'autres types de relations, qui engagent un discours très normatif à l'égard des collègues, des subordonnés ou des supérieurs hiérarchiques. Le verbatim résume très bien ce point de vue : réunir des gens pour leur dire qu'on consomme trop, « c'est compliqué », « c'est difficile », « c'est pas prioritaire dans le cadre du travail ». Toute la question du levier économique est un point, déjà contestable dans la sphère privée, mais encore plus problématique dans la sphère professionnelle. Dans la sphère privée, on peut considérer que les gains réalisés reviennent directement au foyer, d'une manière ou d'une autre, mais dans la sphère professionnelle les salariés évoquent le fait qu'ils ne sont pas bénéficiaires directs des gains qui pourraient être réalisés par l'entreprise. On va voir tout à l'heure que ça engage des soupçons très forts sur la volonté réelle des directions sur les efforts que doivent consentir une fois de plus les salariés, avec des gains qui seraient réalisés plutôt par les actionnaires dans le cas du grand groupe. Il y a aussi la question de la responsabilité et de l'exemplarité, qui, du point de vue des salariés, relève plutôt de la gouvernance de l'entreprise, plutôt que de leur personne en tant que salarié, même s'ils considèrent qu'ils peuvent être acteurs et qu'ils ont une part de responsabilité. C'est donc toute la question des leviers mobilisables qui est posée, et donc, bien entendu, de la manière dont on considère son action dans la sphère privée et dans la sphère professionnelle. On remarque alors que des personnes très sensibilisées chez elles ne transportent pas toujours leur comportement dans leur milieu professionnel, alors que l'inverse est plutôt vrai : les sensibilisations par la voie du milieu professionnel ont tendance à s'appliquer aussi à la vie privée. Nous avons rencontré des gens très sensibilisés chez eux, mais qui ne l'étaient pas sur leur lieu de travail. Jean-Philippe FOUQUET En tant que sociologues dut travail de formation, cette question de l'énergie, assez rapidement, dans les recueils de données et les observations que nous avons pu réaliser, convoque des dimensions organisationnelles et de rapport au travail, si bien que dans une entreprise nous avons été mis en difficulté face au directeur général, qui ne comprenait pas que les questions d'organisation du travail soient évoquées. Pourtant, très rapidement, les personnes avec lesquelles nous discutions ont évoqué l'organisation du travail, et comment cette question de l'énergie et de la réorganisation des espaces incite à revoir les relations hiérarchiques. Dans les entreprises où nous sommes allés, les mieux logés étaient les postes d'encadrement, dans des bâtiments qui répondaient totalement à des niveaux de performance énergétique, mais c'étaient eux-mêmes qui avaient édicté les niveaux énergétiques à atteindre, voire parfois souhaités, et souvent sur le registre de la contrainte. Pour certains salariés, dans des espaces de travail qui ne répondaient pas à ces exigences, il y avait déjà un regard assez particulier sur la manière dont ces niveaux hiérarchiques pouvaient appréhender la question. Une question qui est aussi revenue est celle de l'écoresponsabilité de l'entreprise ou du salarié. Nous avons constaté beaucoup de difficultés, pour les salariés, pour bien comprendre les finalités des mesures prises. Il s'agit clairement d'un obstacle à l'adhésion, nous avons souvent été destinataires de propos montrant que les salariés entrevoyaient d'autres raisons qu'une véritable sensibilisation de l'entreprise sur les questions énergétiques, pour agir dans ce sens. Enfin, les actions menées redéfinissent la notion d'espace de travail. Dans une des entreprises étudiées, la notion d'espace de travail était très particulière, Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 42 puisque n'y étaient régulés thermiquement que les bureaux. Les couloirs n'étaient pas chauffés, il pouvait y faire plus de 30 degrés en été et moins de 10 degrés en hiver. Les bureaux étaient maintenus fermés pour que les salariés maintiennent le niveau thermique souhaité par l'entreprise. Si bien que les gens nous ont dit qu'ils mettaient leurs manteaux pour aller aux toilettes, ce qui est clairement une idée qui vient heurter les schèmes habituels de déambulation dans l'entreprise, et de la même manière, on ne s'arrête plus dans les espaces collectifs, dans les couloirs dont nous savons pourtant qu'ils participent aussi de la construction des identités et de l'élaboration des connaissances. Donc, les logiques organisationnelles et la fluidité des relations sociales sont complètement affectées par ces dimensions techniques. Christèle ASSEGOND En guise de conclusion, il faut interroger le rôle de la technique, qui est un des leviers prioritaires mobilisés par l'entreprise. Il s'agit d'équiper les locaux d'un certain nombre de systèmes techniques qui vont permettre d'atteindre des niveaux de performance énergétique. En gros, chez les salariés interrogés, depuis des cadres jusqu'aux personnes aux productions, trois grandes visions prédominent, qui vont provoquer des positionnements pour ou contre parfois assez radicaux. La première vision est celle de la technique qui accompagne le changement. On la retrouve plutôt chez les cadres et les managers. La mise en place d'un système technique va permettre de préparer ce changement, d'accompagner les salariés, de les faire adhérer, pour qu'ils atteignent une certaine forme d'autonomie. Vision très discutable, car dans l'entreprise la plus sensibilisée à la question dans notre étude, nous avons constaté qu'elle ne marchait pas vraiment, à cause de toutes les contrariétés qui accompagnent la mise en place de ces techniques très avancées. La deuxième vision est celle de la technique qui « fait à la place de », qui va neutraliser l'occupant, vu comme n'appartenant pas au système technique et venant nécessairement le perturber. Il s'agit de faire à la place de l'occupant parce que, en gros, c'est « l'ennemi » qu'il faut neutraliser : les fenêtres sont condamnées, les portes se referment toutes seules, etc., tout un tas de systèmes vécus comme très contrariants par les gens qui travaillent dans ces bâtiments, même s'ils sont tolérés pour les tâches les moins valorisantes (ouvrir et fermer une porte). La dernière vision, qu'on retrouve souvent chez tout le monde avec plus ou moins de force, et parfois jusqu'à la paranoïa chez certains, est celle de la technique comme outil de supervision et de contrôle. La technique va superviser les comportements, elle va les contraindre, et d'une certaine manière, elle pourrait être une voie de conflit potentiel entre les salariés et la direction. On voit alors apparaître des stratégies de contournement, de dissimulation, face à « Big Brother ». Les salariés nous disent qu'ils ne donnent pas de sens aux mesures voulues par l'entreprise, ils ne comprennent pas leur intérêt ni pourquoi ils devraient y adhérer. C'est souvent la même chose dans le résidentiel, mais le manque de culture de l'énergie est souvent encore pire dans le milieu du travail, parce qu'on ne connaît pas la consommation de l'entreprise ni la sienne propre au sein de l'entreprise. Toute cette recherche de condition d'adhésion et d'implication représente vraiment un vrai problème pour les entreprises qui veulent s'y engager, car elles ne connaissent pas très bien les leviers. Discussion Jean-Pierre LEVY Je trouve intéressant de confronter l'intervention de Taoufik SOUAMI à cette dernière intervention. Dans notre recherche, présentée ce matin, je n'avais pas utilisé les données des capteurs, et quand elles sont arrivées, j'étais à la fois extrêmement impressionné par l'abondance des données et assez terrifié Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 43 par les informations ainsi révélées. On sait exactement le temps que passent les gens dans les pièces, en temps continu. Lorsqu'on présente aux personnes, aux ménages, pour réduire les consommations d'énergie, les résultats des consommations pièce par pièce, en continu, il s'agit tout de même de rentrer dans l'espace privatif, de façon extrêmement violente. On voit bien la logique qui prévaut ici, et Taoufik SOUAMI ne nous a rien dit sur la réaction des habitants face à cette intrusion dans leur espace privé. Cela nous renvoie à quelque chose qui, me semble-t-il, est présent dans la dernière intervention. Dans cette logique, le responsable de tous les méfaits d'une forte consommation, serait finalement le ménage, le consommateur, sauf qu'on ne lui dit à aucun moment pourquoi il est responsable, de quoi il est responsable, ni à partir de quel seuil ni d'où vient ce seuil. Tout est défini en amont, alors que, soyons un peu provocateurs, même s'il dépasse le seuil en question, où est le mal ? Quel est le problème ? Il y a là un problème général qui, à mon avis, renvoie effectivement à une norme dominante dans la société, issue de l'idéologie du développement durable, qui ne justifie à aucun moment les formes de responsabilité et les causes de responsabilité, sinon en référence à une idéologie dominante qui est très construite. Je me rappelle que mon père, à une époque où il n'y avait pas encore de notion de développement durable, quand je laissais la lumière allumée dans ma chambre, venait l'éteindre en me disant « tu ne sais pas combien ça coûte ! ». Au moins, je comprenais pourquoi j'étais montré du doigt, il y avait une raison. Taoufik SOUAMI La réponse des habitants pose une question de fond : cette montée d'un certain nombre d'exigences, qu'elles soient issues d'un cadre idéologique, d'aspirations, de souhaits, d'une adhésion plus ou moins importante, a pour conséquence des dispositifs qui sont intrusifs. C'est indéniable, et on ne se rend pas compte à quel point cette intrusion est non seulement réelle dans l'espace domestique, mais aussi dans les limites instituées par le droit. Autant l'encadrement pouvait porter sur le cadre bâti, autant désormais c'est l'usage du cadre bâti qui devient objet de l'encadrement aujourd'hui. C'est un débat public de fond, mais qui n'est pas vraiment posé. Dans le cas que j'ai exposé, la mise en place du dispositif de suivi continu n'a pas généré de réaction des habitants sur son caractère intrusif. En revanche, il y a eu une réaction sur la partie « responsabilisation », c'est-à-dire sur la responsabilité des habitants à la consommation et au coût de l'énergie. Les habitants ont questionné le pourquoi de ce renvoi du coût à eux-mêmes, et ont ensuite revendiqué une place dans le dispositif de décision et de traitement de ces données-là, dans la manière de les rendre publiques et d'envisager ensuite leurs conséquences financières. Au lieu de réagir en disant qu'ils ne voulaient plus être mesurés dans tous les sens, leur revendication a été de participer au dispositif d'interprétation des données collectées, et aux modalités de leur renvoi auprès de l'ensemble du collectif. Nadine ROUDIL Taoufik, avez-vous des informations sur la définition sociale des acteurs dont vous parlez, car j'aimerais savoir comment se fabrique socialement et culturellement cette compétence à maîtriser sa consommation, associée à une forme de nouvelle « compétence à habiter ». La présentation de Christèle ASSEGOND et Jean-Philippe FOUQUET était extrêmement intéressante, elle fait écho à notre travail au CSTB sur les salariés du tertiaire contraints de travailler dans des bâtiments à haute qualité environnementale. J'aurais voulu savoir si vous aviez des informations sur l'incidence de la complexification de la mobilité domicile-travail, qui pourrait interférer avec la perception des éléments que l'on signale au salarié comme étant de signification énergétique. Jean-Philippe FOUQUET Typiquement, effectivement, dans une des entreprises, et non pas comme un frein, mais plutôt comme Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 44 un élément de nuance apporté par les salariés, cette dimension-là était présente. L'entreprise était très avancée sur cette thématique, mais elle commercialisait aussi des produits en relation avec ce discours. Dans cette construction d'une culture de l'énergie, certains des salariés, enclins à douter de la finalité des buts affichés, convoquaient l'absence de mesures prises sur la question de l'organisation des mobilités. De par nos nombreuses observations dans cette entreprise, nous avons effectivement pu constater le côté extrêmement avancé de l'engagement, et en même temps un parking qui n'était absolument pas dissuasif pour une quelconque alternative à la voiture individuelle. Nous avons interrogé les responsables, qui ont reconnu que dans le champ extrêmement large de la question énergétique, cet élément sur la mobilité et l'organisation des déplacements n'a pas été vraiment prioritaire. Christèle ASSEGOND Du coup, le côté vertueux de la démarche est disqualifié, puisqu'il ne porte que sur une partie, qui est en plus celle qui rapporte des bénéfices à l'entreprise. Taoufik SOUAMI La question était « qui sont-ils ? », et leur rapport à la technique. Mais en fait il s'agit plutôt d'un rapport à la gestion plutôt qu'à la technique. Un certain nombre d'habitants, soit en amont du projet soit parce qu'ils subissent des situations où ils ne peuvent pas construire un certain nombre d'usages, ne vont pas nécessairement accepter ou débattre des choix techniques, ils vont plutôt investir les modalités de décision et de gestion de ces dispositifs. En quelque sorte, ils ouvrent une piste, une petite ouverture, au-delà du bilan des dispositifs techniques et des éléments incitatifs, qu'ils soient discursifs ou financiers. Il ne s'agit pas d'acquérir des compétences sur les dispositifs techniques, mais sur la manière dont seront gérés les baux, les contrats avec la ville ou la présence dans les conseils d'administration. Qui sont-ils ? Dans le cas de Kreuzberg, on a plutôt des adhérents à des associations écologiques, intéressés dès le début par le projet, et la ville a considéré dès le début qu'il y aurait des habitants cogestionnaires d'une partie des installations et du quartier. Dans le deuxième cas, les habitants ont finalement construit ensemble une position de gestionnaires, en investissant une partie de leur capital pour y réussir. Enfin, dans le cas français, on les institue comme cogestionnaires de fait, puisqu'on reporte une partie des responsables sur eux, via leur consommation énergétique, les opérateurs ne voulant pas prendre eux-mêmes cette responsabilité. Au final, on aboutit à des collectivités qui deviennent coresponsables de la performance énergétique. Il ne s'agit pas simplement de consommation énergétique, mais du bilan énergétique, d'où la montée d'une partie des habitants vers un rôle de cogestionnaire d'une partie de la production et des installations qui sont supposées équilibrer ou réduire la consommation. Pour être clair, on n'a pas affaire uniquement à des écologistes convaincus. À Amsterdam par exemple, c'est plutôt un quartier populaire avec une dynamique et un investissement fort dans la dynamique du quartier. Éric VITALENC, service Économie et Prospective, ADEME Quand Ariane DEBOURDEAU nous présente la courbe de production du photovoltaïque par ménage, j'y vois le risque de renvoyer sans cesse l'énergie solaire à son intermittence, en disant en gros que « le solaire, ça produit quand on n'en a pas besoin ». Mais en disant cela, on fait fi du réseau et du fait que dans le système électrique européen, ce qui compte c'est la recherche de l'équilibre par la multitude des usages et des moyens de production. Collectivement, on continue à promouvoir cette image dépréciée du solaire comme production intermittente, alors que concrètement, le pic de production du solaire en France est à 13 h, moment de la journée qui est un pic de consommation, au même titre que 19 h. Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 45 Ariane DEBOURDEAU On connaît aussi d'autres sources d'énergie qui produisent quand on n'en a pas besoin ! Mais tu as raison, et dans le même temps, doit-on réserver une part de la production photovoltaïque à l'autoconsommation ? D'autre part, le graphique que j'ai montré était plus réservé à notre usage à nous, il n'a pas vocation à servir à la communication grand public. Il y a un véritable enjeu à réussir à « matérialiser » l'énergie, à la rendre concrète, saisissable. L'intermittence du solaire peut être un vrai problème, mais je crois que c'est aussi un problème typiquement français, je n'ai pas l'impression que cela soit perçu comme problématique ailleurs. Frédérick de CONINCK I have a question for Russel HITCHINGS. When you say that people can be eager to adapt, but can't do it, do you have examples in which people do adapt with pleasure, or is it a sort of wishful thinking? Russel HITCHINGS I have no examples in the two studies that I talked about, but there are many examples of people adapting with pleasure, in responding to seasons many people enjoy the arrival of a warmer weather. Some people do like to respond do seasons, that's the important point, and accordingly, by taking this kind of approach, we could work with the dynamics that already structures their lives. In the first study, I talked about the way the workers lived in a relatively a-seasonal way, but I didn't mention that some of them didn't. That was a kind of interesting evidence that people enjoy that process, because they didn't need to do it, but they dit it anyway. One of my respondents wanted to wear summer clothes because it was "normal" to wear it. Patrice AUBERTEL, PUCA J'ai une question pour Ariane DEBOURDEAU qui a employé à un moment l'expression « bien commun ». En fait, la politique, c'est la construction d'un bien commun. Dans les différents exposés, on a pu voir différentes manières de faire de la politique, qui ne sont pas forcément la manière de faire de la politique des pouvoirs publics : cogestion avec les habitants dans l'exposé de Taoufik SOUAMI, échec de la sensibilisation des salariés dans l'un des cas présentés par Christèle ASSEGOND et JeanPhilippe FOUQUET... Je me demande si ce bien commun est quelque chose qui va émerger aujourd'hui, à travers les pratiques et à travers la représentation en termes d'engagement, d'esprit de solidarité. Est-ce que ça va pouvoir innerver l'esprit de nos concitoyens ? Maryvonne PREVOT, université de Lille-I Une question pour Marie-Aude CARAES : est-ce que vous pouvez nous dire un mot sur les pistes de conception de la part des designers, qui pourraient aider à une meilleure compréhension et à une meilleure façon de surmonter la précarité énergétique ? Taoufik SOUAMI L'énergie qui était, pendant des décennies, était un grand réseau public, mais dont l'usage était un usage privé, est en train de devenir un bien public, ce qui justifie qu'on soit plus intrusif. Est-ce que les concitoyens accepteront que l'électricité devienne un bien public, y compris dans l'usage, cette question-là n'est pas réglée. Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 46 Jean-Pierre LEVY Effectivement, l'électricité est un bien collectif, mais à usage privatif. Mais la question aujourd'hui, c'est la façon dont on appréhende le caractère idéologiquement dominant de la question du développement durable. Dans ce cadre-là, l'énergie, et donc l'électricité, devient un enjeu prioritaire, mais on ne sait pas pourquoi, on ne comprend pas pourquoi c'est mal de dépasser les seuils et les normes. En écoutant les présentations de ce jour, on se rend compte que l'enjeu repose sur une responsabilisation de l'usager, dans une contrainte provoquée par l'offre. On espère que par une offre spécifique, on va contraindre l'usager. L'enjeu c'est qu'on essaie de contraindre quelque chose qu'on ne connaît pas, parce qu'on ne connaît pas les modes d'usage. N'y a-t-il pas un hiatus dans une forme de sensibilisation d'un ménage, dont on ne connaît pas la façon dont il se comporte, et que l'on tente de réguler par des politiques d'offres, et quand ces politiques d'offres ne marchent pas, on fustige l'usager devenu « consommateur ». Christèle ASSEGOND Il ne faut pas faire non plus comme si chacun d'entre nous, ou les collectifs, avait juste un comportement irrationnel, égoïste, sans aucune visibilité sur les objectifs à atteindre ou sur le bien commun. Il y a tout de même le principe moral du non-gaspillage, qui correspond à des usages, à des attendus, à des manières de fonctionner, y compris de travailler. Toute activité humaine induit une consommation énergétique, il y a un principe moral qui sous-tend cette consommation, il ne s'agit pas simplement d'un comportement totalement égoïste et dénué de considération pour l'environnement. Derrière, il y a cette vraie question qui est de savoir sur qui on fait porter le poids de la responsabilité. On voit là apparaître des délégations de responsabilité qui vont jusqu'à celui qui a le moins de marge de manoeuvre et le moins de leviers d'action. On a évoqué la précarité énergétique : on parle de gens qui n'ont aucun levier d'action, qui en règle générale ne choisissent pas leur habitat, ni leur chauffage, ni leur production d'eau chaude sanitaire, ni rien d'autre, et à qui l'on demande d'avoir la responsabilité, avec parfois une culpabilisation forte de comportements qui sont pourtant, selon le point de vue des personnes, adaptés à la situation dans laquelle ils se trouvent au moment où ils les produisent. Marie-Aude CARAES Concernant la précarité, on peut faire le constat de la situation, on peut analyse assez facilement les usages, mais la question de la conception et des réponses à apporter à cette précarité énergétique est autrement plus difficile. Il me semble utile de préciser qu'il serait plus simple, au fond, pour nous, de travailler sur les usages énergétiques des populations riches, parce qu'on est dans l'excès, dans une pratique qui permet de restreindre les choses. Avec la précarité énergétique, on est au contraire dans des usages extrêmement restrictifs, et les modalités de conceptions, d'objets, de services, d'artefacts, posent problème. La question qui nous a gouvernés en réalité est de savoir comment rendre la vie des gens plus douce, plus confortable, plutôt que de chercher à réduire une consommation qui l'est déjà énormément. Nous avons dix pistes de conception et d'action : isoler, repérer, économiser, suivre sa consommation, piloter, chauffer, distribuer, diagnostiquer, produire et garantir. À partir de ces pistes, nous avons commencé à développer parallèlement une quarantaine de propositions, dont une partie reporte la question de la précarité énergétique vers le bailleur et non pas vers l'usager. François MÉNARD, PUCA À propos de la précarité énergétique, Dieu sait si on a pu faire des critiques sur les politiques en la matière, et sur les injonctions morales qu'elles pouvaient comporter. Cependant on ne peut pas réduire ces politiques au portrait qui vient d'en être fait. Au départ, c'est bien à partir du constat d'impayé des charges, d'apurement des dettes et de reproduction de ces impayés de charges du fait de logements mal Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 47 isolés, qui a été à l'origine de politiques qui consistaient à aider des ménages à améliorer leurs performances énergétiques pour payer moins. Que cela s'accompagne ensuite de prescriptions morales, d'une suspicion sur les mésusages, et tout ce qui va avec une forme de travail social qu'on pensait avoir disparu, c'est d'accord, mais dire que la lutte contre la précarité énergétique revient à stigmatiser les plus pauvres, ce n'est pas vrai. Jean-Pierre LEVY C'est toujours la même question : ou bien on agit sur l'offre, ou bien on agit sur les ménages. C'est la même question que pour les loyers, ou bien l'on agit sur le coût, ou bien sur une forme de responsabilisation faussée. Une fois que le logement a été réhabilité, si le ménage continue à consommer beaucoup, que se passe-t-il ? D'un point de vue déontologique et sociétal, et tout simplement du bien-être, ces formes de responsabilisation sont inadmissibles. De même, que se passera-t-il si malgré un changement de design, les ménages ne se sentent pas mieux pour autant ? Comment prétendre faire le bonheur des gens sans comprendre comment ils se comportent, comment ils agissent ? La question de fond, elle est là : si on veut qu'ils paient moins, on les fait moins payer et c'est tout. Jean-Philippe FOUQUET La manière dont le propos a été présenté n'était pas tant de dire qu'on est dans un monde pour lequel il y a des interrogations autour des questions énergétiques et environnementales. Il s'agit de dire qu'il faut faire en sorte que chacun puisse agir à son niveau, puisse comprendre et accéder à un niveau d'information qui fasse sens. Vous avez raison de forcer le trait, d'accord, mais à ce moment-là, qu'on donne à chacun les éléments pour comprendre et pour agir. La semaine dernière, nous avons participé à une réunion qui m'a un peu inquiétée, sur la question du logement social et la mise en place de systèmes de facturations, avec ce discours dangereux selon lequel « ces gens-là, ils ne paient pas, c'est pas bien pour la communauté, c'est une charge pour la communauté ». Mais ce n'est absolument pas notre discours à nous. Nous disons que pour que chacun puisse avoir le sentiment d'agir, il faut comprendre, et en avoir les moyens. Nous venons de terminer une recherche, financée par l'ADEME, sur la gestion des déchets. On voit bien que sur cette thématique, le changement s'est fait sur une dizaine d'années, et que globalement, sur la gestion du tri, les choses se font, et se font plutôt bien. Et si ça marche, c'est parce que ça fait du sens, ça a du sens pour les gens, qui voient visuellement comment on revalorise les déchets. Sur la question énergétique, nous en sommes encore à la construction des bribes d'une culture sur l'énergie. À bien des égards, on a le sentiment, chez certains, qu'il s'agit seulement de renvoyer à une responsabilisation, mais sans les moyens de responsabiliser. Mathieu DURAND-DAUBIN, EDF R&D J'ai l'impression que dans la plupart des exposés et des discussions, on se dit qu'il faudrait donner plus de leviers d'action pour impliquer les ménages dans la gestion de leurs usages, pour arriver à maîtriser les consommations d'énergie. Et pourtant, un seul des exposés a mentionné le coût que cela impliquait pour les ménages. Dans un contexte où cette implication des ménages est demandée dans plein d'autres domaines, avec cette injonction à être un bon consommateur, à comparer, à choisir tout le temps, je me demande s'il nous reste encore une marge de manoeuvre pour impliquer encore les ménages et leur demander encore un effort de politique de gestion. Ariane DEBOURDEAU Je vais répondre à la question sur le bien commun, et à celle qui vient d'être posée, dans le même temps. J'ai abordé les politiques en tant que telles, et pas forcément des choses que faisaient les gens. Plus que Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 48 la responsabilisation, qui finit par être connotée négativement, ce qui, en soi, est assez problématique, il me semble que l'idée des politiques publiques est plutôt d'habiliter les gens à contribuer au bien commun, et pas du tout de leur dire d'adopter nécessairement une posture prescriptive. Par exemple, les bailleurs sociaux ont un rôle à jouer pour habiliter les gens à poser des panneaux solaires sur leur toit. C'est ce genre de mécanismes qui me paraît important, il ne s'agit pas de dire aux gens ce qui est bien ou ce qui est mal. Taoufik SOUAMI C'est intéressant de voir comme les glissements sémantiques se font. Le terme « gestion » décrit une partie de ce qui est monté comme dispositif, mais on aboutit sur une conclusion qui consiste à dire que c'est une porte d'entrée pour construire un rapport économique à l'énergie. Autrement dit, ce qui se passe, c'est que justement, ce que font les habitants qui se mobilisent, et qui mobilisent du coup un capital social, celui du temps, c'est de construire un rapport économique à l'énergie qui n'est pas forcément celui de la dépense et de la consommation. Ils introduisent d'autres critères dans les modes de décision. Cela me semble intéressant en ce que ça ouvre ainsi une autre piste, une modification de la construction sociale de la question énergétique, qui ne doit plus être analysée sous la focale économique et juridique, mais sous la focale de la socioanthropologie. Au lieu de voir la facture comme un objet qui rend compte d'une donnée financière, il s'agit de la voir comme un objet vis-à-vis duquel nous avons un rapport de plaisir ou de frustration. Un deuxième aspect, c'est que pour reconstruire ce rapport, l'usager prend une autre position, et que cela a un coût social que l'on peut observer. « Gestion » n'est pas forcément égal à « optimisation financière » ou « rationalisation ». Jean-René BRUNETIERE Quelqu'un a dit que les gens doivent comprendre. Je me demande ce qu'il y a à comprendre, dans la mesure où j'ai l'impression que l'habitant, ou le travailleur au sein de l'entreprise, est dans un champ d'informations et de contraintes et de stimuli qui sont parfaitement contradictoires. Dans l'entreprise présentée dans une des études présentées, il me semble qu'on faisait semblant d'économiser de l'énergie, alors que son problème était d'abord d'améliorer son image. Et c'est sans doute aussi vrai pour pas mal d'entreprises qui construisent un siège social à énergie positive, le but n'est pas toujours celui qui est affiché, et évidemment le salarié ressent bien cette contradiction. Je relève d'ailleurs un certain nombre de contradictions. On a relevé que le financement le plus apprécié des Français est le crédit d'impôt, donc une aide aux riches, mais ensuite on entend s'attaquer à la précarité énergétique. Si les prix intégraient des économies externes, il suffirait d'avoir un raisonnement budgétaire familial normal pour être vertueux, mais l'injonction qui est donnée aux ménages me fait penser à ma situation quand j'étais enfant, j'avais de l'argent de poche, mais je n'avais pas le droit de faire ce que je voulais avec. Et puis, autre contradiction, entre cette injonction générale à la consommation, à l'image de soi, au confort, etc., et en même temps, et ce discours selon lequel tout ça, c'est pas bien, parce que ça produit des gaz à effet de serre. Je me demande si l'une des voies pour l'action publique n'est pas de réfléchir à la cohérence des messages et de remettre tout ça, autant qu'on le peut, en cohérence vis-à-vis des responsables « de base » que sont les habitants et les travailleurs. Christèle ASSEGOND C'est vrai qu'il y a tout un tas de messages, qui s'ils ne sont pas contradictoires entre eux, sont en tout cas concurrents. C'est vrai qu'on évoque souvent le levier économique comme le seul compréhensible et le seul motivant, mais il faut quand même savoir que, par exemple, les crédits d'impôt ne sont pas compris comme simplement un moyen d'économiser de l'argent, mais comme le fait qu'une entité connue, le gouvernement, l'ADEME, etc., a dit que c'était bien, et qu'il s'agit là d'un message clair. Si Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 49 cette entité investit sur ce levier, c'est qu'il s'agit d'un bon levier. C'est un parcours de décision qui est complexe, parce qu'on n'est pas technicien soi-même, on ne sait pas quelle est la meilleure technique d'isolation, quelle est la meilleure chaudière, alors le fait qu'il y ait un soutien est un gage de bonne technologie ou de bon levier. Ensuite, ce n'est pas parce qu'aujourd'hui il y a des informations concurrentes, parfois contradictoires, que cet effort d'information n'est pas important, du point de vue en tout cas des personnes que nous avons pu rencontrer, et qui ont le sentiment qu'il n'y a tout simplement pas d'information. Pour avoir réalisé des inventaires exhaustifs des appareils consommateurs d'énergie dans les foyers avec les usages associés, personne n'est capable de dire ce qui consomme le plus entre le fer à repasser, l'aspirateur, le grille-pain ou le four à micro-ondes. Quand on demande aux gens quelle est leur consommation d'énergie, gaz, eau ou électricité, peu ou prou, la plupart n'en sont pas capables, même de situer vaguement ce qu'ils dépensent chaque année ou chaque jour. La seule réponse est bien souvent « c'est cher ! ». Ce qu'on a voulu souligner jusqu'à présent, et sans parti-pris, c'est simplement de dire que les gens ne disposent pas, aujourd'hui, d'un minimum d'information pour être acteur, et pourtant on leur demande d'être acteur et responsable. Il y a un fossé entre ce que l'on demande de faire, et les moyens qu'on donne, en termes de connaissances ou d'informations, pour pouvoir agir de manière cohérente, au-delà des informations qui peuvent être concurrentes ou contradictoires. Perrine MOULINIE, psycho-sociologue Je travaille dans une entreprise qui construit des sièges sociaux à énergie positive, mais je suis aussi chargée de mission recherche dans un centre de ressource régionale de la qualité environnementale du bâtiment. Je voudrais rebondir sur les aspects contextuels. J'ai une formation universitaire, j'ai participé à des colloques disciplinaires en début de formation. Avec l'urgence environnementale, on a vu de plus en plus se dessiner des colloques « interdisciplinaires », et à chaque fois qu'on aborde une thématique différente, j'ai l'impression de changer de planète. Sur l'aspect contextuel, il y a tout de même une réalité : dans les années 1970, pendant les Trente Glorieuses, l'énergie n'est pas considérée comme un bien qui a une valeur. Quand on avait trop chaud, dans un immeuble à chauffage collectif, on ouvrait les fenêtres, sans se poser de question. Et depuis lors, tout à coup, nous voilà dans une injonction à l'économie, il faut devenir vertueux, responsable, « citoyen ». À côté de ce contexte de norme pro-environnementale, dans lequel nous sommes baignés, y compris dans les pays émergents et face à des populations en grande précarité, on voit arriver ce phénomène de l'écofatigue, qui me préoccupe beaucoup. On est fatigué d'entendre ce discours et de voir à côté des politiques qui ne sont pas toujours franchement exemplaires. Tout cela questionne le rapport à une culture de la citoyenneté et du savoir-vivre ensemble, parce qu'après tout le dénominateur commun de tout cela, c'est de savoir comment on arrive à débattre entre nous, en essayant de concilier les points de vue au lieu de les opposer. Ma question concerne l'éthique et le fonctionnement de la recherche elle-même. Je pense qu'il y a une logique de partenariat et de réseaux et d'association de financement et des acteurs, au coeur des sujets de la recherche, dans des processus de recherche-action. Et par rapport à la cohérence des politiques et des gouvernances, comment pouvons-nous redonner le libre arbitre à l'individu, qui sait tout de même assez bien avoir du bon sens, et peut décider collectivement, de ce qui est de l'ordre des bonnes décisions pour le bien commun. Un exemple intéressant à étudier est celui de la démocratie participative, avec notamment la mise en place de « commissions de quartier » dans la communauté urbaine de Strasbourg, avec des formations sur les techniques de gestion et l'accès à l'information. Quand on entend les adjoints au maire de la ville de Strasbourg, on découvre que ces commissions sont conflictuelles, et que c'est nécessaire, qu'il s'agit d'une véritable dialectique. Olivier LABUSSIERE, Institut de Géographie alpine Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 50 Je trouve qu'un point intéressant est la problématique de la gestion de patrimoine. Les entreprises ontelles des traditions de gestion de leur espace immobilier, et cela leur a-t-elle donné une sensibilité plus ou moins grande à la prise en compte de formes de sensibilisation énergétique. Christèle ASSEGOND On n'a pas approfondi la question de l'historique de la gestion du patrimoine immobilier, mais il est certain que c'est évidemment en relation avec la sensibilisation énergétique. Pour l'une des entreprises étudiées, le grand siège international est composé de bâtiments plutôt neufs, avec des différences notables entre les différentes strates de construction ou de rénovation des locaux, avec une disparité qui provoque des tensions au sein du personnel, comme c'était aussi le cas dans l'entreprise pharmaceutique, où il y avait un début de prise de conscience des surcoûts générés par un bâtiment très vétuste. La troisième entreprise étudiée, elle, est construite avec une réelle volonté d'atteindre une performance énergétique. Frédérick de CONINCK Merci à tous pour vos contributions, et à demain pour la deuxième journée. Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 51 INVALIDE) (ATTENTION: OPTION , 6:20), avec des bâtiments beaucoup plus affinés selon les profils des habitants. Si, pourtant, on conclut que l'énergie est très déterminante, y a-t-il une différenciation entre la livraison de chauffage collectif et les installations d'équipements individuels ? Il me semble qu'il peut y avoir un élément significatif entre les relations collectif-individuel au foyer, dans le sentiment d'influence qu'on peut exercer en matière d'énergie. Marie-Hélène LAURENT Effectivement, les études qu'on a menées, en particulier pour comparer les consommations du DPE, qui selon moi sont un indicateur d'efficacité énergétique et non pas un indicateur de consommation des ménages, n'ont pu être faites que sur le chauffage individuel. En fait, pour capter cette part de comportement, il faut d'une part que le ménage puisse agir sur son système de chauffage, et il faut que ce soit relativement simple. Le système électrique avec des convecteurs, qui est très simple et manuel, participe au fait que les consommations du chauffage électrique sont inférieures, il y a un effet de facilité de gestion, d'accès à la gestion, qui est simple pour l'utilisateur. Au contraire, avec le chauffage collectif, il y a très peu d'action possible : il fait trop chaud, on ouvre les fenêtres, il fait trop froid, on appelle le syndic. Nous pensons que le chauffage collectif est un cas où le DPE sous-estime les Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 29 consommations. Dans ce cas, se rapprocher de la norme en matière de consommation serait synonyme d'économie d'énergie. Jean-Pierre LEVY Si l'on savait modéliser la diversité, on ne partirait pas des moyennes. Cela nous renvoie à la question de la norme. Si l'on admet que la norme est une question de représentation qui s'adresse à tous, est-ce qu'on sait aujourd'hui faire des normes adaptées à la diversité des comportements ? C'est quand même la question centrale, la question de fond. C'est aussi une question de politique sociale et de santé, de l'ensemble des politiques publiques. Une norme ne s'adresse qu'à une moyenne, et cette moyenne, sur le fond, n'existe pas, puisqu'elle n'est que l'agglomération de comportements extrêmement diversifiés. On crée une norme de 19 degrés, mais le rapport au chauffage est culturel. Selon vos origines, vos expériences, les périodes historiques, le rapport à la température est extrêmement variable. Alors, à quoi bon définir une température qui, en soi, ne veut rien dire, puisque chacun détermine ses propres niveaux de température en rapport avec ses expériences et ses pratiques ? De même, le rapport à l'ouverture des fenêtres est un rapport à la propreté, à la poussière, c'est un rapport culturel. On sait depuis longtemps que les pratiques de l'habitat sont des pratiques culturelles. Les normes de construction de l'habitat ne s'adressent qu'à une minorité de population. Laurent MEUNIER Dans l'enquête « 10 000 ménages », on s'intéresse à des ménages qui occupent un logement, à qui l'on demande s'ils sont propriétaires ou locataires. Donc il s'agit toujours de propriétaires occupants. À propos du désir de confort, il s'agit d'une question transversale, qui n'est pas sans conséquence sur les objectifs du calendrier politique. Les objectifs du Grenelle, de moins 38 % de consommation d'énergie dans le bâtiment existant, correspond à un effort par rapport à une année de base, mais il ne s'agit pas d'une consommation théorique de tous les ménages qui satisferaient leurs besoins de confort, c'est simplement la consommation constatée cette année-là. S'agit-il de 38 % de consommation en moins, indépendamment du niveau de confort, ou bien avec un désir de confort insatisfait qui diminue ? Harold WILHITE Interesting discussion about space heating. Some of you may know that in Japan the average indoor temperature is about 16 degrees, but you can't really understand how people can live with that, without understanding the practices that are associated with it. Of course they have different clothing practices, a different conceptualization about the body, that the body should be heated within the space and not by the space itself, and so on. It's just an illustration that a transformation to a different way of creating comfort involves many different sets of practices. One thing that's related, and I haven't heard much about today, is air conditioning. This has been one of my major focuses over the last decade, I've looked upon India, China and so on where air conditioning is increasing rapidly. It's a perfect example of where a changing architecture, the material environment, is actually driving the social norm. My take about what is happening in United States or India is that choices are being limited by a perception of the modern house as being one which is built for an air conditioner. Basically, that limitation is causing people to change their idea about how to get comfortable and so on. It seems to me that in places like France, which have a long tradition of staying cool in the summertime without the help of the air conditioning, that the set of practices around that unmechanical comfort should be retained, rather than allowing the architecture to change those norms. As I have observed at least a few years ago, there has been such an emphasis on energy efficient air conditioning, as a way out of that problem, rather than an emphasis on the architecture and the choices Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 30 around the material standards that were about to being implemented for buildings. Anne DUJIN Dans nos enquêtes, nous suivons cette question du besoin d'accroissement de confort, qui passe en particulier par la demande de climatisation. Par exemple nous allons demander à un panel « Aimeriezvous accroître votre niveau de confort dans cette pièce, et si oui comment ? ». La climatisation est présente, et c'est une tendance qui s'accroit. Vous avez raison de souligner qu'en France il y a une réticence à la climatisation en tant qu'elle ne rentre pas dans les modes traditionnels du « bien habité » développés par exemple dans le sud, avec notamment les manières de conserver le frais dans les maisons. Cela dit, on sait qu'effectivement il y a un « devant nous » où la température de confort est à 22 degrés et pas 20 degrés, comme c'est actuellement le cas dans les enquêtes déclaratives françaises, et où la climatisation devient un incontournable du confort domestique. Marie-Christine ZELEM Sur la climatisation, en région Midi-Pyrénées, j'ai rendu un rapport sur les tendances à l'accroissement, à l'utilisation et aux envies de s'équiper en climatisation. Nous avons constaté un phénomène assez classique : dès lors que quelqu'un installe une climatisation, ses voisins directs auront tendance à en installer eux aussi. On a parlé tout à l'heure du fait qu'il faut regarder le consommateur et le ménage d'un point de vue systémique, comme faisant partie d'un système au sein duquel il y a d'autres acteurs. Il me semble qu'en regardant uniquement notre consommateur ou notre ménage, on oublie les autres acteurs du système, alors que, dès lors que ces acteurs n'adhèrent pas aux valeurs que l'on prône à travers nos recherches, ou que prônent les pouvoirs publics, nos études sont vouées à être rangées dans des placards. En ce qui me concerne, ça fait dix ans que je travaille sur les économies d'énergie, et ça fait dix ans que j'entends quasiment la même chose. Je vais en arriver à aller étudier un autre objet, parce que parfois je me dis que tout ça ne sert à rien ! On ne fait que ressasser, alors que c'est la connexion entre nos travaux, nos résultats, et les ingénieurs et les techniciens qui mettent au point des systèmes techniques qui me semble être la voie royale vers laquelle il faut tendre. Mais il faut vraiment faire adhérer ces disciplines à nos convictions. Frédérick DE CONINCK Le fait qu'on soit obligé d'avoir plus de cent catégories est plutôt une bonne nouvelle, en fait nous avons de la marge d'action, alors qu'il n'y en a pas tant que ça dans les modèles uniques. Tout ça veut dire que finalement, l'idée d'une norme unique vers laquelle on convergerait n'est pas forcément évidente, on pourrait avoir des segments de la société française qui évolueraient d'un côté, et d'autres d'un autre côté. Finalement pour moi c'est une bonne nouvelle. Par rapport au confort, ce que font tous les gens qui ont des moyens de gérer leur temps, c'est de gagner de la maîtrise sur le temps. La température confortable, c'est la température qu'on maîtrise. Je trouve très confortable de choisir de mettre un pull-over, mais je trouve très inconfortable d'être obligé d'en mettre un. Là aussi, on n'est pas condamnés à converger vers une norme, mais est-ce qu'on a les moyens d'avoir le comportement qui correspond à la vertu qu'on voudrait ? Régine TROTIGNON, ADEME Depuis ce matin, quand on parle de consommation d'énergie, on parle de consommation d'énergie de chauffage, mais il y a beaucoup d'autres types de consommation, et notamment les usages spécifiques de l'électricité, sur lesquels il y a un gros travail à faire, sur les pratiques, les usages et les Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 31 comportements. D'autre part, un autre sujet qui n'a pas été évoqué est celui de l'eau chaude sanitaire. Aujourd'hui on cherche à construire des bâtiments basse consommation, on cherche à tendre vers des bâtiments qui vont tendre vers la production d'une partie de l'énergie, donc, forcément, dans le bilan des consommations des ménages, le pourcentage de consommation d'eau chaude sanitaire va mathématiquement augmenter. Je pense que c'est un vrai sujet, en terme de pratique et en terme d'usage, mais aussi un sujet pour la rencontre de la technologie et des comportements. François BOURRIOT, directeur scientifique, statisticien, SEREN On a beaucoup parlé de comportements et de consommation par usage, le SEREN travaille beaucoup sur cette consommation par usage. Quand on parle de la consommation de chauffage, on part d'un modèle. Toute énergie consommée dans un bâtiment, de fait, contribue au chauffage. Je voudrais raconter quelque chose qui va illustrer comment un modèle, sans le prendre explicitement en compte, va influencer des comportements. Nous avions chiffré la consommation électrique du lave-vaisselle à partir du modèle économétrique très simple des régressions multiples. Mais manifestement, par rapport aux relevés réels des études menées par EDF, notre consommation unitaire était plus élevée. Nous avons alors découvert que nous avions inclus dans la consommation du lave-vaisselle un certain nombre de facteurs non explicités dans le modèle, qui étaient globalement les niveaux de vie des ménages et toutes leurs surconsommations. Finalement, nous en sommes arrivés à convenir que, finalement, retenir une consommation biaisée de lave-vaisselle, en terme de prévision, pouvait être intéressant si l'on faisait parallèlement l'hypothèse que les comportements des ménages, eux aussi, évolueraient, comme le taux d'équipement en lave-vaisselle. Donc, alors qu'on partait d'un modèle simpliste, nous avions quelque chose qui pouvait donner des résultats intéressants. Bien réfléchir à ce que l'on met derrière un chiffre qu'on annonce comme la consommation de chauffage, ou d'eau chaude, ou du lave-vaisselle est au coeur de notre discussion d'aujourd'hui, car parfois, sans s'en rendre compte, de fait, on intègre des comportements. Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 32 POLITIQUES Comment prendre en compte la complexité des usages dans l'élaboration de politiques publiques de l'énergie ? Comment penser conjointement les usages de l'énergie et les infrastructures dans un même système sociotechnique ? L'énergie des habitants cogestionnaires : un nouvel objet économique et son coût social. » Taoufik SOUAMI, Maitre de conférence UPEMLV, chercheur au LATTS Intervention partiellement retranscrite à la suite d'un problème technique (fichiers 21, 22 et 23 silencieux : 19 mn en tout). Près de 400 partenaires, habitants et usagers, ont participé à la mise en place de ces éoliennes, et se retrouvent de fait cogestionnaires de l'installation technique. Deuxième exemple, il s'agit cette fois d'usagers qui deviennent cogestionnaires. C'est l'exemple de Gardsten, une opération de réhabilitation importante dans un parc de logements sociaux. L'entreprise de gestion du parc a eu la bonne idée de s'associer à une université pour installer des capteurs dans l'ensemble des logements et même dans chaque pièce. Les chercheurs ont donc obtenu des résultats très intéressants, avec suivi réel des consommations pièce par pièce, sur une durée assez longue. Le gestionnaire a décidé de renvoyer le détail de leurs consommations aux habitants, et de les rendre publiques à l'échelle de l'ensemble des habitants. L'objectif était d'obtenir une transformation des comportements à travers ce qu'on peut appeler de l'encadrement social ou encore de la « coveillance ». Les habitants ont fini par se constituer en association et ont revendiqué une position dans le dispositif de gestion, de retour de l'information et dans les conséquences en matière de gestion. Troisième exemple, celui-ci en France, dans la ville de Limeil-Brévannes. La ville exige de son opérateur énergétique et de ses promoteurs, regroupés dans un projet partenarial, un niveau de performance pour l'ensemble du quartier et des bâtiments. La ville estime donc que c'est bien l'opérateur qui est garant des niveaux de consommation, et en fin du compte, du bilan énergétique. L'opérateur, réalisant un projet sur mesure, en trouvant des solutions techniques bâtiment par bâtiment, pour l'ensemble du quartier, bascule alors vers un autre mode, et va demander, dans le cadre de la contractualisation, que les responsabilités soient clairement établies entre lui et les promoteurs. Les promoteurs, à leur tour, estiment qu'ils ne peuvent pas tout à fait assurer les niveaux de consommation, et se retournent vers les futurs clients et usagers, en envisageant deux solutions : un bail énergétique, solution de plus en plus usitée en Suisse, ou bien l'introduction de ces performances énergétiques à l'intérieur des règlements de propriété. Ces trois exemples illustrent trois aspects qui me semblent intéressants. Dans les trois cas, les dispositifs techniques avec lesquels doivent composer les usagers ne sont pas uniquement des dispositifs domestiques, ils sont à l'échelle urbaine. Nous avons affaire, du coup, à des tentatives d'organisation de ces usages d'une manière collective ou para-collective. Enfin, les rapports juridico-économiques prennent beaucoup d'importance. L'offre technique, souvent présentée comme unique, imposée aux usagers, et d'autre part les incitations « moralisatrices » auxquelles ils sont exposés, ne sont pas les seuls vecteurs de la transformation des usages. On voit bien que les formes de contractualisation, liées à la gestion de ces dispositifs, est un des éléments par lesquels se transforme une partie des usages, en tout cas la manière dont les usagers vont se représenter les agencements, les compromis avec les dispositifs techniques. Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 33 En regardant de plus près, on se rend compte que ces cadres économiques et juridiques, contractuels, sous différentes formes, ne sont plus tout à fait vécus ni perçus comme des contraintes, mais comme des composantes des usages. Du coup, ils y travaillent, ils les prennent comme matière, ils les prennent comme matière sur laquelle ils vont essayer d'introduire un certain nombre de modifications, ce qui m'amène à cette hypothèse : ne plus considérer les cadres économiques ou juridiques comme étant des contraintes ou des cadres, mais comme des composantes des usages. Pour aller vite, ce qui serait intéressant à l'avenir serait d'avoir une analyse anthropologique de ces rapports juridico-économiques. Ne pas regarder uniquement les dispositifs techniques, c'est-à-dire l'individu en face de son chauffage ou de son ampoule, mais de l'observer aussi en face de sa facture, en face de son bail intégrant des objectifs énergétiques, en face de son contrat d'abonnement, autant d'éléments qui jusqu'à aujourd'hui n'étaient pas négociables, mais qui depuis quelque temps, deviennent de plus en plus modifiables et négociables. Ces objets juridico-économiques seraient alors analysés comme composantes du travail autour des usages, mais il faudrait aussi considérer leurs coûts sociaux : temps consacré par les usagers, capital social qui y est engagé, etc. Il y a un investissement sur l'apprentissage de ces nouvelles formes de décision et de négociation. Je renvoie ici, pour la qualité de son travail, à Philippe DARD, qui a montré comment la difficulté d'accès à un certain nombre de services énergétiques n'était pas liée seulement au coût financier, mais au fait que ça supposait, par exemple, des démarches administratives qu'une partie de la population considérait comme trop coûteuses. Le coût social n'est pas que le coût financier, mais l'ensemble de ces considérations. Frédérick DE CONINCK Nous ne sommes pas encore au niveau du politique, mais nous avons fait émerger un objet intermédiaire, avec la constitution de collectifs autour des problématiques juridico-économiques. Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 34 Thermal conventions and energy use. » Russell HITCHINGS, Department of Geography, University College London We've told a little bit so far about things to do with cultural norms, and about diversity in terms of how people's practices may vary. Hopefully my talk will have something to add to that kind of discussions. I want to talk about this idea of thermal conventions, the way to which people feel certain conventions in terms of keeping the body cool or warm felt to exist amongst the members of a particular social group. I'm going to do that with reference to some of the work I've done on the idea of seasonal adaptation, that is, the degree to which people feel amenable to responding to the seasons, how they deal with temperatures changes over the course of the year, what we can learn from exploring together, with them, the reasons why they have done so. I've been involved in two particular projects, the first of which is funded by the UK Economical Research Council, where I looked at an idea of city office worker, and some heat adaptation that attracted them over the course of the year. There's good reason to explore how this group relates to seasonal temperature change and so far, this group is often furnished with quite specific standards, so I was interested in issues like air conditioning, how the people who might be exposed to air conditioning perhaps more than many others, felt about the experience over the year. So how was it that this group that worked long hours inside offices that were kept a quite standardized temperature conditions, feel about their experience, and what can we learn from the ways in which they did, or did not, respond to seasonal change in their everyday life. The second project relates to older people, and how they currently achieve winter warmth. Within this project, we sought to understand the diverse ways in which older people manage their personal temperature through the course of the winter. The rational for the second project was related to things to do with winter wellbeing, where people are more liable to suffer because of thermal stress, while in the same time, many of the older people are wealthier than ever, and consequently might be using energy that we don't want to spare through domesticating and the like. The approach that was taken was very much a qualitative social science approach involving repeated interviews with the diverse sample of respondents from both groups, and what we sought to do was to track these respondents as they passed through particular season, their mundane adaptations, the degree to which they felt inappropriate to behave in certain ways, how they responded through various different techniques to the arrival of temperature fluctuations. Through that we sought to understand the reasons why they responded in certain ways, and what we could learn from that, in terms of trying do distill recommendations about ways of encouraging people to perhaps live in a more sustainable ways trough amendments in their everyday behaviors. In terms of the underline rational though, before I'm going to the details from the two projects, the first thing I want to mention is how the focus was very much on this idea of seasonal changes, something to which people already adapt, in terms of how their organize their day to day lives. I think sometimes we can tend to have quite a static image of how people live and what they need in terms of energy requirements and how they feel appropriate to manage their thermal condition. But, clearly, when we think about it, this thinks change all the time. People are willing to live quite differently in the summer than during the winter. And perhaps through a process of exploring those dynamics, we might be able to identify some useful interventions that chime well with the fact that people are already willing to change. The second point to make, in terms of ways in which this has been researched, was along the lines of thinking about "thermal discomfort" as something including various components. We have had quite a lot of discussions about the idea of heating, and there are very, very different ways in which can go about managing and regulating such their temperature through things such as mundane actions, such as adopting a different combination of clothing items, using a kind of day to day technology, and also this Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 35 is something that is very much dynamic. The ways in which we think about what's appropriate to do in terms of achieving thermal comfort in everyday life is dynamic. In the first study, one thing we tried to answer was this question: was there some adaptation convention in city offices? With the people I spoke to, a small sample of lawyers taken from various different firms operating in central London, was there some adaptation convention in place, did they all respond to the summer in the same way in terms of managing their warmth or their coldth? What we found is that, yes, there really much was a current convention, people had a shared sense that they should respond in the same way to the advent of summer at their work places. To some extend, that was concerning, because they were provided with very standardized air condition spaces, that didn't change. In practice, this meant that across the board, people didn't make any particular many changes in terms of what they might be doing themselves personally in terms of their adaptations. So they were wearing exactly the same clothes as they would during any other point of the year, things would just be continuing in the same normal way, an "a-seasonal existence", you could argue. Plenty of others things to think about at work, preoccupations with work pressure, the general provision of air conditioning, being used to reproduce a certain dress code creates a kind of habituated sense in which people just continue doing the norm, they continue to perpetuate what they're used to, they don't have the time or energy to potentially think about doing something different. Alongside that, there was a vague sens of being monitored so an anxiety perhaps bosses (incompris, 25, 2:35) my responds to amendments they might potentially make in terms of their clothing, and alongside that, a sense of seldom seeing others doing something different. People were, to some degree, locked inside the current convention, which is relatively unsustainable, so they were relatively dependent on the provision of air conditioning as a consequence of these various factors conspiring to stop them from thinking about potentially doing differently. The interesting thing about this was, however, that their perception was that if they were to adopt a summer dress code, then maybe that wouldn't be esteemed as problematic by their bosses, and it was also something that they potentially liked to do, it felt "natural", it was a natural thing to respond to the seasons in the course of their everyday life. But currently, because of accommodation to factors that were in play, they weren't thinking about doing that. In the second example, the idea was wether there is a winter adaptation at large or wether this is a conventional approach in terms of our respondents, from the winter protect, shared a sense of themselves doing similar things to their peers in terms of how they felt appropriate to respond to winter and keeping themselves warm. Our respondents were kind of outside of their adopted circle, outside of the idea of potentially embodying a convention. They had a very limited sense of what their generational peers were doing and responded to the winter. They felt everybody was doing quite different things. They were already aware that there was a great deal of diversity, at least they perceived that to be a great deal of diversity in terms of the ways in which older people managed heating at home, and that was because of a variety of factors, like having different health complains, living in different infrastructures, and so on. They're also very keen to separate themselves from the idea of being an older person during the winter time. To some extent, we can say that the idea of being an older person is largely stigmatized in society, perhaps particularly so in the winter, when the media representation is often associated with things to do with fillpoferty (incompris, 25, 5:10), so we see images of older people on the television adjusting badly to the winter, maybe not adopting the right kind of approach. They're reticent to talk about the ways in which they manage the winter time, with each other specifically, because they look anxious about stepping on people toes, and things tot do with social nicety, in terms of not positioning yourself as someone thinking your peer might be in decline or incapable to do things for themselves. Consequently they rarely talk to each other about these matters. Added to it was a sense of what we call "thermal hosting", the sense that when people come visit you at home, you do quite different things with your heating that you might do otherwise. Where someone to come on visit, they would likely to heating up, to wear a different combination of clothing, they would certainly not be using things like Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 36 blankets, which they might have done otherwise during the daytime as a sensible strategy for keeping warm. Equally, when they went to visit others, they would do things quite differently, they wouldn't ask for a change of temperature so they wouldn't articulate their own thermal needs because of all these different anxieties. The interesting thing about this is that it could be quite useful to encourage reflexion among this group about the idea of a potential thermal convention. Our respondents said they were most likely to benefit from, and most likely to trust advices and ideas about to respond to the winter more effectively, were this to come from their friends, compared to government information campaigns. If a friend was to give them a recommendation, this is often deemed to be a trusted source, and an act of kindness on the part of the friend. We concluded in our study that it could be useful to get all the people we sought to talk to each other about how they might live more sustainably, live more healthily, during the winter months. However, because of this variety factor I tried to indicate, they rarely talk about these issues, and they rarely have a sense of what their peers were doing. So, in this example, I guess you could say that the factors involved were conspiring to make a negative situation whereby, perhaps one of the most effective means of encouraging older people to reflect on, or maybe amend their behaviors, was prevented because of a shared sense of an absence of a potential convention. In terms of what we can take away from these two quite contrasting examples, there are few points I'd like to itemize: 1. Thermal conventions can't be assumed. Often, there can be a tendency to assume that members of a particular social group, by virtue of being part of that social group, are likely to share a particular mode of behavior or norm of acting. These two studies suggest that we shouldn't necessarily assume that, rather we should look at wether it is the case. This merit in looking in particular identified groups, at wether or not they believe themselves to share a particular norm of behavior, and then trying to understand the different factors that keep them apart from any sense of having a shared convention, or the fact that they're equally, looking back to the first of the two studies, locked them in to a shared way of responding that might not be sustainable, and might not even be pleasurable. 2. But sometimes they should be encouraged. Related to the second study, there's merit to be had in thinking about the ways in which we could potentially engender a conversation amongst a particular social group, about how they respond to different thermal conditions, how they feel appropriate to behave. 3. In terms of conceptual thoughts, and things we might want to take away from these studies, the first point is that transitions are already happening. It's all part of the logic behind this conference to think about energy transitions, think about the ways in which people use energy in the course of their everyday life, and how that could be encouraged to assume more sustainable shapes. There's probably merit to be had in terms of the social science of seasons and thinking about how people are already adapting to change. Through an understanding of the processes involved, maybe we would get a much more sophisticated sense of wether most effective points of intervention might be. 4. The final conceptual thought is to remember that humans can be sometimes quite eager to adapt. Often when we're thinking about policies, in this kind of field, we're often tending to think about how we provide people with the right kinds of conditions. But in both cases, in these studies, people prove themselves to be quite eager to think about amending their behavior. So the office workers that lived in a relatively "a-seasonal" way, that dwelt with standardized conditions, were quite keen on potentially responding to the summer more fully, and quite keen on maybe changing their clothing. They thought it was natural, that is was a good way of living, but because of a variety of factors, they weren't to at the moment. Equally, in the old person study, people were quite keen to think about different ways of doing things during winter, how could they learn from their peers, how they could benefit from knowing how other persons were doing, how they could get tips and advices from their friends. But, because currently they're excluded from the thermal convention, they didn't have a sense of those things. Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 37 These two studies that I've been involved in, I hope you found them interesting and there are few points that maybe we could take away from them, in terms of practical intervention and also things to think about in terms of researching this stuff in the future. Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 38 La domestication du solaire à l'épreuve du politique. » Ariane DEBOURDEAU, Chercheur au Centre d'étude du développement durable, Université Libre de Bruxelles Quelques explications sur le titre de ma présentation. Concernant la domestication, je ne l'entends pas nécessairement comme certaines théories, je considère cela comme un apprivoisement du solaire, à la fois individuel et collectif, et aussi un apprivoisement qui s'ancre dans un certain nombre de pratiques. L'épreuve du politique, c'est davantage l'idée d'une mise à l'épreuve : le politique fait exister le photovoltaïque, par le biais d'un certain nombre d'actions publiques et d'instruments, et tout changement dans ces instruments est une remise à l'épreuve de cette domestication. La mise à l'épreuve est aussi un rapport de force qui s'engage entre le solaire et ses porte-parole, et le politique. Enfin, nous allons essayer de rendre compte de la complexité de cet agencement qui se noue autour des politiques publiques, et d'essayer de voir comment l'émergence de controverses autour du solaire révèle un certain mode de problématisation de l'énergie solaire embarquée dans des instruments, en l'occurrence les tarifs d'achat. Le photovoltaïque, utopie et promesses C'est un ensemble d'éléments qui a permis l'émergence du solaire. D'une part, la libéralisation du secteur électrique, dans la mesure où il a permis l'émergence de nouveaux acteurs sur les marchés, dès lors qu'on mettait fin au monopole « naturel », devenu contestable. Le deuxième aspect d'importance est le paquet Energie-Climat adopté en 2009, qui prévoit 20 % d'énergies renouvelables en 2020, décision politique éminemment performative. Un autre aspect est le raccordement au réseau électrique, dans les années 1990, qui a finalement permis la mise au point d'un business model, arrimé à des politiques incitatives, qui sont la condition même de l'existence du solaire, puisqu'il n'est pas compétitif en tant que tel. L'objectif était de faire en sorte de promouvoir des processus d'apprentissage et des économies d'échelle afin de parvenir à la parité de réseau. Deux illustrations : la sonde Vanguard I de 1958 est l'un des premiers usages de modules photovoltaïques, pour la conquête spatiale, et les courbes d'évolution du prix du photovoltaïque, qui montrent que l'Allemagne est à peu près sur le point d'atteindre la parité réseau. La domestication des marchés sous la bienveillance du politique En France, les tarifs d'achat ont permis l'émergence d'une offre photovoltaïque chez les opérateurs, qui vont vous proposer des kits d'installation, et chez des installateurs qui vont proposer des prix moins chers. Installer des panneaux solaires sur un toit permet d'espérer des revenus, ce qui va contribuer, particulièrement en France, à arrimer le photovoltaïque à un investissement rentable. Dans la presse, on a même parlé de « livret photovoltaïque », beaucoup plus rentable que le Livret A. Dans le même temps, se développe un autre type de pratique, le « chasseur de crédit d'impôt », c'est-à-dire un certain nombre d'installateurs plus ou moins scrupuleux qui se lancent dans ce type d'activité essentiellement pour bénéficier des subsides. Étant donné la visée durable et de production du photovoltaïque, se pose la question de l'opposition ou de l'incommensurabilité entre une rentabilité fabriquée par des dispositifs de politique publique et un concernement (incompris, 26, 5:25) qui semble réduit à une peau de chagrin. Les tarifs d'achat en France, étant donné la manière dont ils ont été conçus et importés d'Allemagne, vont poser des cadres peu évolutifs et particulièrement rigides, qui ne prévoient pas leur évolution. Nous avons là une espèce de transfert d'instrument d'action publique dont on va voir qu'il va rater. Au final, l'hyperactivité des courbes tarifaires va finalement faire écho à l'émergence d'une véritable crise. Il faut aussi souligner les autres enjeux domestiques. La domestication est une forme d'apprivoisement du Soleil par la maison. Sur le site du ministère de l'environnement français, on trouve en tant Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 39 qu'illustration des tarifs d'achats, une photographie d'un bâtiment... situé à Frigourg en Allemagne. Le solaire a pour principale propriété de pouvoir s'adapter à l'habitat, et donc d'être « domesticable » par les habitats, de manière relativement aisée. Sous l'impulsion de promoteurs immobiliers, des bâtiments sont aussi capables de se transformer et d'évoluer, du fait de l'implication du solaire. L'apprivoisement du solaire par la maison implique aussi de voir comment les panneaux photovoltaïques vont pouvoir interagir avec l'ensemble des usages et des pratiques d'une maison. Le point important ici, notamment en France, c'est l'absence de l'auto-consommation de l'électricité produite. Le fait de réinjecter l'intégralité du courant produit sur le réseau n'est pas tout à fait une incitation à considérer le solaire comme autre chose qu'une source de revenus. Il faut sans doute aussi ajuster les usages, par exemple panneaux solaires et climatisation. Un ensemble de pratiques peuvent être ajustées en fonction de la production solaire, ce qui supposerait d'autres interfaces, et laisse entrevoir le degré de réappropriation que l'on n'a pas encore pu atteindre, parce que l'intégralité du courant est réinjectée sur le réseau. J'en viens maintenant aux controverses, à la manière dont le solaire va devenir peu à peu un « problème public ». Le problème émerge avec une acuité croissante au sujet de la bulle spéculative autour du solaire. À un moment donné, des instances, notamment politiques, vont souligner le fait qu'il s'agit d'une source extrêmement onéreuse pour le contribuable et que les pratiques consistent finalement à installer des panneaux solaires sur son toit uniquement pour faire des investissements. Ces éléments sont critiqués essentiellement dans le rapport Charpin, qui met à l'index le coût prohibitif du développement de l'énergie solaire, et l'absence de réduction des coûts. En décembre 2010, un moratoire de trois mois est adopté, qui ne visait pas les particuliers, afin d'élaborer un nouveau cadrage de la filière photovoltaïque, avec ses acteurs. De fait, l'action du gouvernement, qui est en elle-même une véritable mise à l'index du photovoltaïque, donne lieu à une véritable controverse avec l'ensemble des acteurs, qui s'ancre progressivement autour d'une idée : le solaire va coûter beaucoup trop cher et c'est l'ensemble des contribuables qui va payer. Se révèle là un impensé total et complet de ce qui est lié au photovoltaïque : le citoyen et le consommateur sont complètement subsumés, indistincts. Pour l'ensemble de ceux qui paient la contribution au service public de l'électricité (CSPE), soi-disant pour financer les énergies renouvelables, cette contribution de consommateurs serait équivalente à une contribution pour le bien commun. Il y a là un glissement sémantique et de sens qui est important, et qui va jalonner toute cette controverse. Ce qui émerge progressivement, c'est que c'est le mode de problématisation du solaire photovoltaïque qui pose problème : à quels problèmes a-t-on voulu répondre en ayant recours à cette solution, et pour quel tarif d'achat ? La mauvaise copie de l'Allemagne fait finalement émerger une situation de crise qui fait qu'à un moment donné se révèle tout le potentiel essentiellement libéral, fondé sur une logique qui rend indistincts consommateurs et citoyens, et qui fait que l'instrument d'action publique « tarif d'achat » se donne à voir et à lire de façon beaucoup plus problématique. Enfin, le problème se repolitise, avec l'association « Touche pas à mon panneau solaire » qui se crée début 2011, qui dépose des recours au Conseil d'État et qui organise bientôt des manifestations en faveur du solaire avec des banderoles comme « NKM m'a tuer ». Le dernier avatar de l'affaire est constitué par la situation de l'usine Photowatt, visitée par Nicolas Sarkozy, et qui est la plus ancienne entreprise de photovoltaïque en France, créée en 1979. Entreprise performante et pionnière, qui conduit toujours des recherches de haut niveau, mais qui se retrouve obligée de déposer le bilan, comme conséquence directe du moratoire. La situation de l'entreprise donne lieu à une mobilisation assez originale, avec notamment des pétitions « Adoptez une cellule ! » et la création du petit personnage SuperWatt. Cette mobilisation est très intéressante en ce qu'elle rend compte de l'imbrication de la politique, de l'économie, mais aussi d'usages à visée de bien commun. Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 40 Les bâtiments a usage professionnel : perception et appropriation des espaces de travail. » Jean-Philippe FOUQUET & Christèle ASSEGOND, Ingénieurs de recherche, codirecteurs ETIcS, Université François Rabelais de Tours Jean-Philippe FOUQUET Notre présentation aurait pu figurer dans l'atelier de ce matin, dans la mesure où l'on se situe dans l'articulation de ce qui a été dit sur la dimension « usages et pratiques », mais cette fois, appliquée à la sphère du tertiaire. Si nous figurons dans cet atelier sur les politiques, c'est parce qu'il s'agit aussi d'un regard sur une dimension politique, mais qui n'est pas appréhendée sous l'angle de la collectivité, du gestionnaire de réseau ou d'autres fournisseurs. Nous appréhendons la politique sous l'angle de la politique. La question qui s'est posée est celle d'initier, en bâtiment à usage professionnel, un ensemble d'initiatives visant à appréhender cette question de la maîtrise, voire de la réduction, des consommations énergétiques. Sur le plan problématique, les questions qu'on pose sont très proches de celles qui ont déjà été listées ce matin : quoi mettre en oeuvre, comment, sous quelle forme de mobilisation, quelle maîtrise et quelle réduction des consommations énergétiques ? Il s'agit de problématiques de plus en plus présentes, somme toute aussi dans le champ du tertiaire. Finalement, une fois ces enjeux considérés comme importants et mobilisateurs, la question qui se pose est de savoir où il faut agir. Doit-on agir sur une dimension exclusivement technique, en équipant les bâtiments pour réduire l'empreinte énergétique ? Doit-on mobiliser les acteurs-utilisateurs des différents bâtiments professionnels ? Ou bien doit-on se situer à l'articulation de ces deux problématiques ? Enfin, de manière plus prégnante pour nous, se pose la question de la place des salariés. Dire qu'on considère la partie humaine et comportementale n'est pas tout à fait la même chose selon que l'on considère qu'on le fait sous le signe de la contrainte, ou bien en recherchant des formes d'adhésion qui seraient liées à des formes d'informations et d'explications. Nous avons travaillé sur trois terrains, et deux des recherches sont terminées. Dans le premier terrain, nous sommes dans une entreprise, l'un des leaders mondiaux sur le marché de l'équipement électrique, avec une très forte sensibilisation aux enjeux électriques, ne serait-ce qu'au regard des métiers et des activités de cette entreprise. En même temps, l'entreprise est extrêmement éclatée au niveau de ses bâtiments, certains étant très neufs et d'autres dans un état indigent, beaucoup plus contestable sur le plan énergétique. Le deuxième terrain est une entreprise dans le domaine de la pharmacie, sans aucune sensibilité aux questions énergétiques, si ce n'est les quelques personnes en charge de ces questions comme « l'ambassadeur Développement Durable » ou la personne en charge des systèmes électriques et des chaufferies. Enfin, le troisième terrain est une petite PME de la région Centre, spécialisée dans la domotique, le courant porteur en ligne et toutes les réflexions autour de la maîtrise de l'énergie, et dont le siège était une vitrine de toutes les technologies proposées, jusqu'à la conception même du bâtiment. L'implication des salariés y était forte, mais inégale. Du point de vue de l'entreprise et de ceux qui ont porté le projet, tous étaient impliqués au sein de l'entreprise, mais le recueil de données a montré que ce n'était pas forcément toujours ressenti ainsi. Sur le plan méthodologique, en tant que sociologues qualitativistes, nous avons procédé via des entretiens répétés, en nous inscrivant sur du très long terme pour saisir les changements, ainsi que par des observations régulières dans les entreprises, avec de plus en plus souvent un recours à la vidéo et à la prise d'image. Christèle ASSEGOND Voici donc quelques résultats. Nous avons choisi volontairement de ne pas vous présenter toute la diversité des points de vue, qui dépendent évidemment du contexte de l'entreprise et de la position qu'on y occupe. Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 41 On retrouve le même principe moral du non-gaspillage dans l'entreprise que dans le résidentiel, au moins dans le déclaratif. Par contre, la difficulté à agir est mise en évidence, faute de maîtrise ou de marges de manoeuvre, lesquelles ne sont jamais clairement identifiées ni mobilisables, et conduisent parfois les salariés à raisonner par l'absurde (« Dois-je éteindre mon ordinateur ? Mais alors je ne travaillerais pas ! »). Ils n'imaginent donc pas de marge de manoeuvre, encore moins sans doute que dans leur habitat personnel. Un second résultat renvoie à la dimension collective de l'organisation. On a vu dans le résidentiel qu'il s'agit aussi de quelque chose de collectif, au moins à l'échelle du foyer, et qu'il pouvait y avoir des débats voire des conflits entre les membres du foyer. Madame veut une température de 22 degrés, monsieur veut une température de 19 degrés, les enfants veulent prendre des douches extrêmement longues, etc. Ici, il y a d'autres types de relations, qui engagent un discours très normatif à l'égard des collègues, des subordonnés ou des supérieurs hiérarchiques. Le verbatim résume très bien ce point de vue : réunir des gens pour leur dire qu'on consomme trop, « c'est compliqué », « c'est difficile », « c'est pas prioritaire dans le cadre du travail ». Toute la question du levier économique est un point, déjà contestable dans la sphère privée, mais encore plus problématique dans la sphère professionnelle. Dans la sphère privée, on peut considérer que les gains réalisés reviennent directement au foyer, d'une manière ou d'une autre, mais dans la sphère professionnelle les salariés évoquent le fait qu'ils ne sont pas bénéficiaires directs des gains qui pourraient être réalisés par l'entreprise. On va voir tout à l'heure que ça engage des soupçons très forts sur la volonté réelle des directions sur les efforts que doivent consentir une fois de plus les salariés, avec des gains qui seraient réalisés plutôt par les actionnaires dans le cas du grand groupe. Il y a aussi la question de la responsabilité et de l'exemplarité, qui, du point de vue des salariés, relève plutôt de la gouvernance de l'entreprise, plutôt que de leur personne en tant que salarié, même s'ils considèrent qu'ils peuvent être acteurs et qu'ils ont une part de responsabilité. C'est donc toute la question des leviers mobilisables qui est posée, et donc, bien entendu, de la manière dont on considère son action dans la sphère privée et dans la sphère professionnelle. On remarque alors que des personnes très sensibilisées chez elles ne transportent pas toujours leur comportement dans leur milieu professionnel, alors que l'inverse est plutôt vrai : les sensibilisations par la voie du milieu professionnel ont tendance à s'appliquer aussi à la vie privée. Nous avons rencontré des gens très sensibilisés chez eux, mais qui ne l'étaient pas sur leur lieu de travail. Jean-Philippe FOUQUET En tant que sociologues dut travail de formation, cette question de l'énergie, assez rapidement, dans les recueils de données et les observations que nous avons pu réaliser, convoque des dimensions organisationnelles et de rapport au travail, si bien que dans une entreprise nous avons été mis en difficulté face au directeur général, qui ne comprenait pas que les questions d'organisation du travail soient évoquées. Pourtant, très rapidement, les personnes avec lesquelles nous discutions ont évoqué l'organisation du travail, et comment cette question de l'énergie et de la réorganisation des espaces incite à revoir les relations hiérarchiques. Dans les entreprises où nous sommes allés, les mieux logés étaient les postes d'encadrement, dans des bâtiments qui répondaient totalement à des niveaux de performance énergétique, mais c'étaient eux-mêmes qui avaient édicté les niveaux énergétiques à atteindre, voire parfois souhaités, et souvent sur le registre de la contrainte. Pour certains salariés, dans des espaces de travail qui ne répondaient pas à ces exigences, il y avait déjà un regard assez particulier sur la manière dont ces niveaux hiérarchiques pouvaient appréhender la question. Une question qui est aussi revenue est celle de l'écoresponsabilité de l'entreprise ou du salarié. Nous avons constaté beaucoup de difficultés, pour les salariés, pour bien comprendre les finalités des mesures prises. Il s'agit clairement d'un obstacle à l'adhésion, nous avons souvent été destinataires de propos montrant que les salariés entrevoyaient d'autres raisons qu'une véritable sensibilisation de l'entreprise sur les questions énergétiques, pour agir dans ce sens. Enfin, les actions menées redéfinissent la notion d'espace de travail. Dans une des entreprises étudiées, la notion d'espace de travail était très particulière, Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 42 puisque n'y étaient régulés thermiquement que les bureaux. Les couloirs n'étaient pas chauffés, il pouvait y faire plus de 30 degrés en été et moins de 10 degrés en hiver. Les bureaux étaient maintenus fermés pour que les salariés maintiennent le niveau thermique souhaité par l'entreprise. Si bien que les gens nous ont dit qu'ils mettaient leurs manteaux pour aller aux toilettes, ce qui est clairement une idée qui vient heurter les schèmes habituels de déambulation dans l'entreprise, et de la même manière, on ne s'arrête plus dans les espaces collectifs, dans les couloirs dont nous savons pourtant qu'ils participent aussi de la construction des identités et de l'élaboration des connaissances. Donc, les logiques organisationnelles et la fluidité des relations sociales sont complètement affectées par ces dimensions techniques. Christèle ASSEGOND En guise de conclusion, il faut interroger le rôle de la technique, qui est un des leviers prioritaires mobilisés par l'entreprise. Il s'agit d'équiper les locaux d'un certain nombre de systèmes techniques qui vont permettre d'atteindre des niveaux de performance énergétique. En gros, chez les salariés interrogés, depuis des cadres jusqu'aux personnes aux productions, trois grandes visions prédominent, qui vont provoquer des positionnements pour ou contre parfois assez radicaux. La première vision est celle de la technique qui accompagne le changement. On la retrouve plutôt chez les cadres et les managers. La mise en place d'un système technique va permettre de préparer ce changement, d'accompagner les salariés, de les faire adhérer, pour qu'ils atteignent une certaine forme d'autonomie. Vision très discutable, car dans l'entreprise la plus sensibilisée à la question dans notre étude, nous avons constaté qu'elle ne marchait pas vraiment, à cause de toutes les contrariétés qui accompagnent la mise en place de ces techniques très avancées. La deuxième vision est celle de la technique qui « fait à la place de », qui va neutraliser l'occupant, vu comme n'appartenant pas au système technique et venant nécessairement le perturber. Il s'agit de faire à la place de l'occupant parce que, en gros, c'est « l'ennemi » qu'il faut neutraliser : les fenêtres sont condamnées, les portes se referment toutes seules, etc., tout un tas de systèmes vécus comme très contrariants par les gens qui travaillent dans ces bâtiments, même s'ils sont tolérés pour les tâches les moins valorisantes (ouvrir et fermer une porte). La dernière vision, qu'on retrouve souvent chez tout le monde avec plus ou moins de force, et parfois jusqu'à la paranoïa chez certains, est celle de la technique comme outil de supervision et de contrôle. La technique va superviser les comportements, elle va les contraindre, et d'une certaine manière, elle pourrait être une voie de conflit potentiel entre les salariés et la direction. On voit alors apparaître des stratégies de contournement, de dissimulation, face à « Big Brother ». Les salariés nous disent qu'ils ne donnent pas de sens aux mesures voulues par l'entreprise, ils ne comprennent pas leur intérêt ni pourquoi ils devraient y adhérer. C'est souvent la même chose dans le résidentiel, mais le manque de culture de l'énergie est souvent encore pire dans le milieu du travail, parce qu'on ne connaît pas la consommation de l'entreprise ni la sienne propre au sein de l'entreprise. Toute cette recherche de condition d'adhésion et d'implication représente vraiment un vrai problème pour les entreprises qui veulent s'y engager, car elles ne connaissent pas très bien les leviers. Discussion Jean-Pierre LEVY Je trouve intéressant de confronter l'intervention de Taoufik SOUAMI à cette dernière intervention. Dans notre recherche, présentée ce matin, je n'avais pas utilisé les données des capteurs, et quand elles sont arrivées, j'étais à la fois extrêmement impressionné par l'abondance des données et assez terrifié Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 43 par les informations ainsi révélées. On sait exactement le temps que passent les gens dans les pièces, en temps continu. Lorsqu'on présente aux personnes, aux ménages, pour réduire les consommations d'énergie, les résultats des consommations pièce par pièce, en continu, il s'agit tout de même de rentrer dans l'espace privatif, de façon extrêmement violente. On voit bien la logique qui prévaut ici, et Taoufik SOUAMI ne nous a rien dit sur la réaction des habitants face à cette intrusion dans leur espace privé. Cela nous renvoie à quelque chose qui, me semble-t-il, est présent dans la dernière intervention. Dans cette logique, le responsable de tous les méfaits d'une forte consommation, serait finalement le ménage, le consommateur, sauf qu'on ne lui dit à aucun moment pourquoi il est responsable, de quoi il est responsable, ni à partir de quel seuil ni d'où vient ce seuil. Tout est défini en amont, alors que, soyons un peu provocateurs, même s'il dépasse le seuil en question, où est le mal ? Quel est le problème ? Il y a là un problème général qui, à mon avis, renvoie effectivement à une norme dominante dans la société, issue de l'idéologie du développement durable, qui ne justifie à aucun moment les formes de responsabilité et les causes de responsabilité, sinon en référence à une idéologie dominante qui est très construite. Je me rappelle que mon père, à une époque où il n'y avait pas encore de notion de développement durable, quand je laissais la lumière allumée dans ma chambre, venait l'éteindre en me disant « tu ne sais pas combien ça coûte ! ». Au moins, je comprenais pourquoi j'étais montré du doigt, il y avait une raison. Taoufik SOUAMI La réponse des habitants pose une question de fond : cette montée d'un certain nombre d'exigences, qu'elles soient issues d'un cadre idéologique, d'aspirations, de souhaits, d'une adhésion plus ou moins importante, a pour conséquence des dispositifs qui sont intrusifs. C'est indéniable, et on ne se rend pas compte à quel point cette intrusion est non seulement réelle dans l'espace domestique, mais aussi dans les limites instituées par le droit. Autant l'encadrement pouvait porter sur le cadre bâti, autant désormais c'est l'usage du cadre bâti qui devient objet de l'encadrement aujourd'hui. C'est un débat public de fond, mais qui n'est pas vraiment posé. Dans le cas que j'ai exposé, la mise en place du dispositif de suivi continu n'a pas généré de réaction des habitants sur son caractère intrusif. En revanche, il y a eu une réaction sur la partie « responsabilisation », c'est-à-dire sur la responsabilité des habitants à la consommation et au coût de l'énergie. Les habitants ont questionné le pourquoi de ce renvoi du coût à eux-mêmes, et ont ensuite revendiqué une place dans le dispositif de décision et de traitement de ces données-là, dans la manière de les rendre publiques et d'envisager ensuite leurs conséquences financières. Au lieu de réagir en disant qu'ils ne voulaient plus être mesurés dans tous les sens, leur revendication a été de participer au dispositif d'interprétation des données collectées, et aux modalités de leur renvoi auprès de l'ensemble du collectif. Nadine ROUDIL Taoufik, avez-vous des informations sur la définition sociale des acteurs dont vous parlez, car j'aimerais savoir comment se fabrique socialement et culturellement cette compétence à maîtriser sa consommation, associée à une forme de nouvelle « compétence à habiter ». La présentation de Christèle ASSEGOND et Jean-Philippe FOUQUET était extrêmement intéressante, elle fait écho à notre travail au CSTB sur les salariés du tertiaire contraints de travailler dans des bâtiments à haute qualité environnementale. J'aurais voulu savoir si vous aviez des informations sur l'incidence de la complexification de la mobilité domicile-travail, qui pourrait interférer avec la perception des éléments que l'on signale au salarié comme étant de signification énergétique. Jean-Philippe FOUQUET Typiquement, effectivement, dans une des entreprises, et non pas comme un frein, mais plutôt comme Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 44 un élément de nuance apporté par les salariés, cette dimension-là était présente. L'entreprise était très avancée sur cette thématique, mais elle commercialisait aussi des produits en relation avec ce discours. Dans cette construction d'une culture de l'énergie, certains des salariés, enclins à douter de la finalité des buts affichés, convoquaient l'absence de mesures prises sur la question de l'organisation des mobilités. De par nos nombreuses observations dans cette entreprise, nous avons effectivement pu constater le côté extrêmement avancé de l'engagement, et en même temps un parking qui n'était absolument pas dissuasif pour une quelconque alternative à la voiture individuelle. Nous avons interrogé les responsables, qui ont reconnu que dans le champ extrêmement large de la question énergétique, cet élément sur la mobilité et l'organisation des déplacements n'a pas été vraiment prioritaire. Christèle ASSEGOND Du coup, le côté vertueux de la démarche est disqualifié, puisqu'il ne porte que sur une partie, qui est en plus celle qui rapporte des bénéfices à l'entreprise. Taoufik SOUAMI La question était « qui sont-ils ? », et leur rapport à la technique. Mais en fait il s'agit plutôt d'un rapport à la gestion plutôt qu'à la technique. Un certain nombre d'habitants, soit en amont du projet soit parce qu'ils subissent des situations où ils ne peuvent pas construire un certain nombre d'usages, ne vont pas nécessairement accepter ou débattre des choix techniques, ils vont plutôt investir les modalités de décision et de gestion de ces dispositifs. En quelque sorte, ils ouvrent une piste, une petite ouverture, au-delà du bilan des dispositifs techniques et des éléments incitatifs, qu'ils soient discursifs ou financiers. Il ne s'agit pas d'acquérir des compétences sur les dispositifs techniques, mais sur la manière dont seront gérés les baux, les contrats avec la ville ou la présence dans les conseils d'administration. Qui sont-ils ? Dans le cas de Kreuzberg, on a plutôt des adhérents à des associations écologiques, intéressés dès le début par le projet, et la ville a considéré dès le début qu'il y aurait des habitants cogestionnaires d'une partie des installations et du quartier. Dans le deuxième cas, les habitants ont finalement construit ensemble une position de gestionnaires, en investissant une partie de leur capital pour y réussir. Enfin, dans le cas français, on les institue comme cogestionnaires de fait, puisqu'on reporte une partie des responsables sur eux, via leur consommation énergétique, les opérateurs ne voulant pas prendre eux-mêmes cette responsabilité. Au final, on aboutit à des collectivités qui deviennent coresponsables de la performance énergétique. Il ne s'agit pas simplement de consommation énergétique, mais du bilan énergétique, d'où la montée d'une partie des habitants vers un rôle de cogestionnaire d'une partie de la production et des installations qui sont supposées équilibrer ou réduire la consommation. Pour être clair, on n'a pas affaire uniquement à des écologistes convaincus. À Amsterdam par exemple, c'est plutôt un quartier populaire avec une dynamique et un investissement fort dans la dynamique du quartier. Éric VITALENC, service Économie et Prospective, ADEME Quand Ariane DEBOURDEAU nous présente la courbe de production du photovoltaïque par ménage, j'y vois le risque de renvoyer sans cesse l'énergie solaire à son intermittence, en disant en gros que « le solaire, ça produit quand on n'en a pas besoin ». Mais en disant cela, on fait fi du réseau et du fait que dans le système électrique européen, ce qui compte c'est la recherche de l'équilibre par la multitude des usages et des moyens de production. Collectivement, on continue à promouvoir cette image dépréciée du solaire comme production intermittente, alors que concrètement, le pic de production du solaire en France est à 13 h, moment de la journée qui est un pic de consommation, au même titre que 19 h. Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 45 Ariane DEBOURDEAU On connaît aussi d'autres sources d'énergie qui produisent quand on n'en a pas besoin ! Mais tu as raison, et dans le même temps, doit-on réserver une part de la production photovoltaïque à l'autoconsommation ? D'autre part, le graphique que j'ai montré était plus réservé à notre usage à nous, il n'a pas vocation à servir à la communication grand public. Il y a un véritable enjeu à réussir à « matérialiser » l'énergie, à la rendre concrète, saisissable. L'intermittence du solaire peut être un vrai problème, mais je crois que c'est aussi un problème typiquement français, je n'ai pas l'impression que cela soit perçu comme problématique ailleurs. Frédérick de CONINCK I have a question for Russel HITCHINGS. When you say that people can be eager to adapt, but can't do it, do you have examples in which people do adapt with pleasure, or is it a sort of wishful thinking? Russel HITCHINGS I have no examples in the two studies that I talked about, but there are many examples of people adapting with pleasure, in responding to seasons many people enjoy the arrival of a warmer weather. Some people do like to respond do seasons, that's the important point, and accordingly, by taking this kind of approach, we could work with the dynamics that already structures their lives. In the first study, I talked about the way the workers lived in a relatively a-seasonal way, but I didn't mention that some of them didn't. That was a kind of interesting evidence that people enjoy that process, because they didn't need to do it, but they dit it anyway. One of my respondents wanted to wear summer clothes because it was "normal" to wear it. Patrice AUBERTEL, PUCA J'ai une question pour Ariane DEBOURDEAU qui a employé à un moment l'expression « bien commun ». En fait, la politique, c'est la construction d'un bien commun. Dans les différents exposés, on a pu voir différentes manières de faire de la politique, qui ne sont pas forcément la manière de faire de la politique des pouvoirs publics : cogestion avec les habitants dans l'exposé de Taoufik SOUAMI, échec de la sensibilisation des salariés dans l'un des cas présentés par Christèle ASSEGOND et JeanPhilippe FOUQUET... Je me demande si ce bien commun est quelque chose qui va émerger aujourd'hui, à travers les pratiques et à travers la représentation en termes d'engagement, d'esprit de solidarité. Est-ce que ça va pouvoir innerver l'esprit de nos concitoyens ? Maryvonne PREVOT, université de Lille-I Une question pour Marie-Aude CARAES : est-ce que vous pouvez nous dire un mot sur les pistes de conception de la part des designers, qui pourraient aider à une meilleure compréhension et à une meilleure façon de surmonter la précarité énergétique ? Taoufik SOUAMI L'énergie qui était, pendant des décennies, était un grand réseau public, mais dont l'usage était un usage privé, est en train de devenir un bien public, ce qui justifie qu'on soit plus intrusif. Est-ce que les concitoyens accepteront que l'électricité devienne un bien public, y compris dans l'usage, cette question-là n'est pas réglée. Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 46 Jean-Pierre LEVY Effectivement, l'électricité est un bien collectif, mais à usage privatif. Mais la question aujourd'hui, c'est la façon dont on appréhende le caractère idéologiquement dominant de la question du développement durable. Dans ce cadre-là, l'énergie, et donc l'électricité, devient un enjeu prioritaire, mais on ne sait pas pourquoi, on ne comprend pas pourquoi c'est mal de dépasser les seuils et les normes. En écoutant les présentations de ce jour, on se rend compte que l'enjeu repose sur une responsabilisation de l'usager, dans une contrainte provoquée par l'offre. On espère que par une offre spécifique, on va contraindre l'usager. L'enjeu c'est qu'on essaie de contraindre quelque chose qu'on ne connaît pas, parce qu'on ne connaît pas les modes d'usage. N'y a-t-il pas un hiatus dans une forme de sensibilisation d'un ménage, dont on ne connaît pas la façon dont il se comporte, et que l'on tente de réguler par des politiques d'offres, et quand ces politiques d'offres ne marchent pas, on fustige l'usager devenu « consommateur ». Christèle ASSEGOND Il ne faut pas faire non plus comme si chacun d'entre nous, ou les collectifs, avait juste un comportement irrationnel, égoïste, sans aucune visibilité sur les objectifs à atteindre ou sur le bien commun. Il y a tout de même le principe moral du non-gaspillage, qui correspond à des usages, à des attendus, à des manières de fonctionner, y compris de travailler. Toute activité humaine induit une consommation énergétique, il y a un principe moral qui sous-tend cette consommation, il ne s'agit pas simplement d'un comportement totalement égoïste et dénué de considération pour l'environnement. Derrière, il y a cette vraie question qui est de savoir sur qui on fait porter le poids de la responsabilité. On voit là apparaître des délégations de responsabilité qui vont jusqu'à celui qui a le moins de marge de manoeuvre et le moins de leviers d'action. On a évoqué la précarité énergétique : on parle de gens qui n'ont aucun levier d'action, qui en règle générale ne choisissent pas leur habitat, ni leur chauffage, ni leur production d'eau chaude sanitaire, ni rien d'autre, et à qui l'on demande d'avoir la responsabilité, avec parfois une culpabilisation forte de comportements qui sont pourtant, selon le point de vue des personnes, adaptés à la situation dans laquelle ils se trouvent au moment où ils les produisent. Marie-Aude CARAES Concernant la précarité, on peut faire le constat de la situation, on peut analyse assez facilement les usages, mais la question de la conception et des réponses à apporter à cette précarité énergétique est autrement plus difficile. Il me semble utile de préciser qu'il serait plus simple, au fond, pour nous, de travailler sur les usages énergétiques des populations riches, parce qu'on est dans l'excès, dans une pratique qui permet de restreindre les choses. Avec la précarité énergétique, on est au contraire dans des usages extrêmement restrictifs, et les modalités de conceptions, d'objets, de services, d'artefacts, posent problème. La question qui nous a gouvernés en réalité est de savoir comment rendre la vie des gens plus douce, plus confortable, plutôt que de chercher à réduire une consommation qui l'est déjà énormément. Nous avons dix pistes de conception et d'action : isoler, repérer, économiser, suivre sa consommation, piloter, chauffer, distribuer, diagnostiquer, produire et garantir. À partir de ces pistes, nous avons commencé à développer parallèlement une quarantaine de propositions, dont une partie reporte la question de la précarité énergétique vers le bailleur et non pas vers l'usager. François MÉNARD, PUCA À propos de la précarité énergétique, Dieu sait si on a pu faire des critiques sur les politiques en la matière, et sur les injonctions morales qu'elles pouvaient comporter. Cependant on ne peut pas réduire ces politiques au portrait qui vient d'en être fait. Au départ, c'est bien à partir du constat d'impayé des charges, d'apurement des dettes et de reproduction de ces impayés de charges du fait de logements mal Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 47 isolés, qui a été à l'origine de politiques qui consistaient à aider des ménages à améliorer leurs performances énergétiques pour payer moins. Que cela s'accompagne ensuite de prescriptions morales, d'une suspicion sur les mésusages, et tout ce qui va avec une forme de travail social qu'on pensait avoir disparu, c'est d'accord, mais dire que la lutte contre la précarité énergétique revient à stigmatiser les plus pauvres, ce n'est pas vrai. Jean-Pierre LEVY C'est toujours la même question : ou bien on agit sur l'offre, ou bien on agit sur les ménages. C'est la même question que pour les loyers, ou bien l'on agit sur le coût, ou bien sur une forme de responsabilisation faussée. Une fois que le logement a été réhabilité, si le ménage continue à consommer beaucoup, que se passe-t-il ? D'un point de vue déontologique et sociétal, et tout simplement du bien-être, ces formes de responsabilisation sont inadmissibles. De même, que se passera-t-il si malgré un changement de design, les ménages ne se sentent pas mieux pour autant ? Comment prétendre faire le bonheur des gens sans comprendre comment ils se comportent, comment ils agissent ? La question de fond, elle est là : si on veut qu'ils paient moins, on les fait moins payer et c'est tout. Jean-Philippe FOUQUET La manière dont le propos a été présenté n'était pas tant de dire qu'on est dans un monde pour lequel il y a des interrogations autour des questions énergétiques et environnementales. Il s'agit de dire qu'il faut faire en sorte que chacun puisse agir à son niveau, puisse comprendre et accéder à un niveau d'information qui fasse sens. Vous avez raison de forcer le trait, d'accord, mais à ce moment-là, qu'on donne à chacun les éléments pour comprendre et pour agir. La semaine dernière, nous avons participé à une réunion qui m'a un peu inquiétée, sur la question du logement social et la mise en place de systèmes de facturations, avec ce discours dangereux selon lequel « ces gens-là, ils ne paient pas, c'est pas bien pour la communauté, c'est une charge pour la communauté ». Mais ce n'est absolument pas notre discours à nous. Nous disons que pour que chacun puisse avoir le sentiment d'agir, il faut comprendre, et en avoir les moyens. Nous venons de terminer une recherche, financée par l'ADEME, sur la gestion des déchets. On voit bien que sur cette thématique, le changement s'est fait sur une dizaine d'années, et que globalement, sur la gestion du tri, les choses se font, et se font plutôt bien. Et si ça marche, c'est parce que ça fait du sens, ça a du sens pour les gens, qui voient visuellement comment on revalorise les déchets. Sur la question énergétique, nous en sommes encore à la construction des bribes d'une culture sur l'énergie. À bien des égards, on a le sentiment, chez certains, qu'il s'agit seulement de renvoyer à une responsabilisation, mais sans les moyens de responsabiliser. Mathieu DURAND-DAUBIN, EDF R&D J'ai l'impression que dans la plupart des exposés et des discussions, on se dit qu'il faudrait donner plus de leviers d'action pour impliquer les ménages dans la gestion de leurs usages, pour arriver à maîtriser les consommations d'énergie. Et pourtant, un seul des exposés a mentionné le coût que cela impliquait pour les ménages. Dans un contexte où cette implication des ménages est demandée dans plein d'autres domaines, avec cette injonction à être un bon consommateur, à comparer, à choisir tout le temps, je me demande s'il nous reste encore une marge de manoeuvre pour impliquer encore les ménages et leur demander encore un effort de politique de gestion. Ariane DEBOURDEAU Je vais répondre à la question sur le bien commun, et à celle qui vient d'être posée, dans le même temps. J'ai abordé les politiques en tant que telles, et pas forcément des choses que faisaient les gens. Plus que Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 48 la responsabilisation, qui finit par être connotée négativement, ce qui, en soi, est assez problématique, il me semble que l'idée des politiques publiques est plutôt d'habiliter les gens à contribuer au bien commun, et pas du tout de leur dire d'adopter nécessairement une posture prescriptive. Par exemple, les bailleurs sociaux ont un rôle à jouer pour habiliter les gens à poser des panneaux solaires sur leur toit. C'est ce genre de mécanismes qui me paraît important, il ne s'agit pas de dire aux gens ce qui est bien ou ce qui est mal. Taoufik SOUAMI C'est intéressant de voir comme les glissements sémantiques se font. Le terme « gestion » décrit une partie de ce qui est monté comme dispositif, mais on aboutit sur une conclusion qui consiste à dire que c'est une porte d'entrée pour construire un rapport économique à l'énergie. Autrement dit, ce qui se passe, c'est que justement, ce que font les habitants qui se mobilisent, et qui mobilisent du coup un capital social, celui du temps, c'est de construire un rapport économique à l'énergie qui n'est pas forcément celui de la dépense et de la consommation. Ils introduisent d'autres critères dans les modes de décision. Cela me semble intéressant en ce que ça ouvre ainsi une autre piste, une modification de la construction sociale de la question énergétique, qui ne doit plus être analysée sous la focale économique et juridique, mais sous la focale de la socioanthropologie. Au lieu de voir la facture comme un objet qui rend compte d'une donnée financière, il s'agit de la voir comme un objet vis-à-vis duquel nous avons un rapport de plaisir ou de frustration. Un deuxième aspect, c'est que pour reconstruire ce rapport, l'usager prend une autre position, et que cela a un coût social que l'on peut observer. « Gestion » n'est pas forcément égal à « optimisation financière » ou « rationalisation ». Jean-René BRUNETIERE Quelqu'un a dit que les gens doivent comprendre. Je me demande ce qu'il y a à comprendre, dans la mesure où j'ai l'impression que l'habitant, ou le travailleur au sein de l'entreprise, est dans un champ d'informations et de contraintes et de stimuli qui sont parfaitement contradictoires. Dans l'entreprise présentée dans une des études présentées, il me semble qu'on faisait semblant d'économiser de l'énergie, alors que son problème était d'abord d'améliorer son image. Et c'est sans doute aussi vrai pour pas mal d'entreprises qui construisent un siège social à énergie positive, le but n'est pas toujours celui qui est affiché, et évidemment le salarié ressent bien cette contradiction. Je relève d'ailleurs un certain nombre de contradictions. On a relevé que le financement le plus apprécié des Français est le crédit d'impôt, donc une aide aux riches, mais ensuite on entend s'attaquer à la précarité énergétique. Si les prix intégraient des économies externes, il suffirait d'avoir un raisonnement budgétaire familial normal pour être vertueux, mais l'injonction qui est donnée aux ménages me fait penser à ma situation quand j'étais enfant, j'avais de l'argent de poche, mais je n'avais pas le droit de faire ce que je voulais avec. Et puis, autre contradiction, entre cette injonction générale à la consommation, à l'image de soi, au confort, etc., et en même temps, et ce discours selon lequel tout ça, c'est pas bien, parce que ça produit des gaz à effet de serre. Je me demande si l'une des voies pour l'action publique n'est pas de réfléchir à la cohérence des messages et de remettre tout ça, autant qu'on le peut, en cohérence vis-à-vis des responsables « de base » que sont les habitants et les travailleurs. Christèle ASSEGOND C'est vrai qu'il y a tout un tas de messages, qui s'ils ne sont pas contradictoires entre eux, sont en tout cas concurrents. C'est vrai qu'on évoque souvent le levier économique comme le seul compréhensible et le seul motivant, mais il faut quand même savoir que, par exemple, les crédits d'impôt ne sont pas compris comme simplement un moyen d'économiser de l'argent, mais comme le fait qu'une entité connue, le gouvernement, l'ADEME, etc., a dit que c'était bien, et qu'il s'agit là d'un message clair. Si Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 49 cette entité investit sur ce levier, c'est qu'il s'agit d'un bon levier. C'est un parcours de décision qui est complexe, parce qu'on n'est pas technicien soi-même, on ne sait pas quelle est la meilleure technique d'isolation, quelle est la meilleure chaudière, alors le fait qu'il y ait un soutien est un gage de bonne technologie ou de bon levier. Ensuite, ce n'est pas parce qu'aujourd'hui il y a des informations concurrentes, parfois contradictoires, que cet effort d'information n'est pas important, du point de vue en tout cas des personnes que nous avons pu rencontrer, et qui ont le sentiment qu'il n'y a tout simplement pas d'information. Pour avoir réalisé des inventaires exhaustifs des appareils consommateurs d'énergie dans les foyers avec les usages associés, personne n'est capable de dire ce qui consomme le plus entre le fer à repasser, l'aspirateur, le grille-pain ou le four à micro-ondes. Quand on demande aux gens quelle est leur consommation d'énergie, gaz, eau ou électricité, peu ou prou, la plupart n'en sont pas capables, même de situer vaguement ce qu'ils dépensent chaque année ou chaque jour. La seule réponse est bien souvent « c'est cher ! ». Ce qu'on a voulu souligner jusqu'à présent, et sans parti-pris, c'est simplement de dire que les gens ne disposent pas, aujourd'hui, d'un minimum d'information pour être acteur, et pourtant on leur demande d'être acteur et responsable. Il y a un fossé entre ce que l'on demande de faire, et les moyens qu'on donne, en termes de connaissances ou d'informations, pour pouvoir agir de manière cohérente, au-delà des informations qui peuvent être concurrentes ou contradictoires. Perrine MOULINIE, psycho-sociologue Je travaille dans une entreprise qui construit des sièges sociaux à énergie positive, mais je suis aussi chargée de mission recherche dans un centre de ressource régionale de la qualité environnementale du bâtiment. Je voudrais rebondir sur les aspects contextuels. J'ai une formation universitaire, j'ai participé à des colloques disciplinaires en début de formation. Avec l'urgence environnementale, on a vu de plus en plus se dessiner des colloques « interdisciplinaires », et à chaque fois qu'on aborde une thématique différente, j'ai l'impression de changer de planète. Sur l'aspect contextuel, il y a tout de même une réalité : dans les années 1970, pendant les Trente Glorieuses, l'énergie n'est pas considérée comme un bien qui a une valeur. Quand on avait trop chaud, dans un immeuble à chauffage collectif, on ouvrait les fenêtres, sans se poser de question. Et depuis lors, tout à coup, nous voilà dans une injonction à l'économie, il faut devenir vertueux, responsable, « citoyen ». À côté de ce contexte de norme pro-environnementale, dans lequel nous sommes baignés, y compris dans les pays émergents et face à des populations en grande précarité, on voit arriver ce phénomène de l'écofatigue, qui me préoccupe beaucoup. On est fatigué d'entendre ce discours et de voir à côté des politiques qui ne sont pas toujours franchement exemplaires. Tout cela questionne le rapport à une culture de la citoyenneté et du savoir-vivre ensemble, parce qu'après tout le dénominateur commun de tout cela, c'est de savoir comment on arrive à débattre entre nous, en essayant de concilier les points de vue au lieu de les opposer. Ma question concerne l'éthique et le fonctionnement de la recherche elle-même. Je pense qu'il y a une logique de partenariat et de réseaux et d'association de financement et des acteurs, au coeur des sujets de la recherche, dans des processus de recherche-action. Et par rapport à la cohérence des politiques et des gouvernances, comment pouvons-nous redonner le libre arbitre à l'individu, qui sait tout de même assez bien avoir du bon sens, et peut décider collectivement, de ce qui est de l'ordre des bonnes décisions pour le bien commun. Un exemple intéressant à étudier est celui de la démocratie participative, avec notamment la mise en place de « commissions de quartier » dans la communauté urbaine de Strasbourg, avec des formations sur les techniques de gestion et l'accès à l'information. Quand on entend les adjoints au maire de la ville de Strasbourg, on découvre que ces commissions sont conflictuelles, et que c'est nécessaire, qu'il s'agit d'une véritable dialectique. Olivier LABUSSIERE, Institut de Géographie alpine Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 50 Je trouve qu'un point intéressant est la problématique de la gestion de patrimoine. Les entreprises ontelles des traditions de gestion de leur espace immobilier, et cela leur a-t-elle donné une sensibilité plus ou moins grande à la prise en compte de formes de sensibilisation énergétique. Christèle ASSEGOND On n'a pas approfondi la question de l'historique de la gestion du patrimoine immobilier, mais il est certain que c'est évidemment en relation avec la sensibilisation énergétique. Pour l'une des entreprises étudiées, le grand siège international est composé de bâtiments plutôt neufs, avec des différences notables entre les différentes strates de construction ou de rénovation des locaux, avec une disparité qui provoque des tensions au sein du personnel, comme c'était aussi le cas dans l'entreprise pharmaceutique, où il y avait un début de prise de conscience des surcoûts générés par un bâtiment très vétuste. La troisième entreprise étudiée, elle, est construite avec une réelle volonté d'atteindre une performance énergétique. Frédérick de CONINCK Merci à tous pour vos contributions, et à demain pour la deuxième journée. Usages de l'énergie dans les bâtiments : penser la transition ­ 19 et 20 janvier 2012 ­ Première journée Page 51 INVALIDE)

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