Apprentissage du développement urbain durable et changement des pratiques professionnelles : expériences à Lyon, Nantes, Reims, Grenoble.

VERHAGE, Roelof ; MENEZ, Florence ; LORENZI, Emmanuelle ; DEVISME, Laurent ; GEPPERT, Anna ; BOURDIN, Virginie ; LEROY, Marie

Auteur moral
Centre national de la recherche scientifique (France) ; Institut d'urbanisme (Lyon) ; Université Lumière (Lyon) ; Laboratoire Langages, actions urbaines, altérité (Nantes) ; Centre d'études techniques de l'équipement de Lyon ; Laboratoire Espaces, nature et culture (Paris) ; Laboratoire TRIANGLE (Lyon)
Auteur secondaire
Résumé
Cette recherche explore les évolutions des pratiques professionnelles dans le domaine de la production de la ville sous l'impulsion des impératifs du développement durable, les auteurs s'étant attachés à mettre en évidence l'existence de processus d'apprentissage chez les professionnels. Ils observent que les acteurs adaptent leurs stratégies et leurs activités pour répondre aux nouvelles exigences liées au développement durable. Pour ce faire, ils se sont intéressés aux cas des villes de Lyon, Nantes, Reims et Grenoble (quatre agglomérations qui avaient déposé des candidatures au premier appel à projet «Eco-quartiers») et ont cherché à voir comment se structurait dans le temps la création de sensibilités, de savoirs et de compétences des acteurs qui interviennent dans la production durable de la ville. La méthodologie mise en oeuvre comporte une première phase visant à l'élaboration d'un modèle d'analyse des modes de diffusion des valeurs du développement durable, une deuxième phase d'application de ce cadre d'analyse au cas de chaque ville, une troisième phase d'analyse comparative accompagnée d'un atelier réunissant chercheurs et professionnels. Les auteurs identifient trois voies d'apprentissage, la voie négociée, la voie réglementaire et la voie culturelle, dans lesquelles référentiels et individus ont des rôles différents.
Descripteur Urbamet
développement durable ; projet d'aménagement ; projet d'urbanisme ; pratique architecturale ; pratique opérationnelle ; profession ; production du cadre bâti ; étendue des compétences ; objet des compétences ; éco-quartier ; évolution ; comparaison
Descripteur écoplanete
Thème
Aménagement urbain ; Environnement - Paysage
Texte intégral
Apprentissage du développement urbain durable et changement des pratiques professionnelles : Expériences à Lyon, Nantes, Reims, Grenoble Rapport final Mars 2012 Roelof Verhage Florence Menez Emmanuelle Lorenzi Laurent Devisme Anna Geppert Virginie Bourdin Marie Leroy 1. Introduction : l'émergence du « développement urbain durable » 2. Méthodologie : une démarche de recherche ­ action 3. Changement de pratiques professionnelles dans la production de la ville : un cadre théorique 3.1 Pratiques professionnelles et production de la ville 3.2 L'apprentissage du développement urbain durable 3.3 De la théorie à un cadre d'analyse 4. Analyse comparative 4.1 Production de la ville 4.2 Canaux d'apprentissage 4.3 Référentiels / guides / chartes 4.4 Rôle d'individus 5. Pour conclure : vers un agenda de recherche 5.1 Les observations principales 5.2 Des sujets à creuser 5.3 Cadre conceptuel complémentaire : l'analyse des jeux d'acteurs Sources Bibliographie générale Bibliographie par ville Entretiens Annexes : chronologie développement urbain durable par ville I. II. III. IV. Lyon Grenoble Reims Nantes 3 4 9 9 10 13 17 17 22 28 33 36 36 38 39 42 42 43 46 48 63 79 89 2 1. Introduction : l'émergence du « développement urbain durable » L'adaptation de l'espace urbain aux enjeux de la société est depuis toujours le souci principal des aménageurs et urbanistes. Depuis le début des années 1970 (crises pétrolières, rapport du Club de Rome) des enjeux environnementaux comme la réduction de la consommation d'énergies fossiles et des émissions nocives figurent d'une façon générale parmi ces enjeux, à coté d'enjeux sociaux, formels, économiques. Depuis la fin des années 1980 ­ début 1990 (en particulier le rapport Brundland en 1987 et le sommet de Rio en 1992), le souci du développement durable conduit à une attention accrue pour ces enjeux environnementaux dans la société. Même si les enjeux environnementaux semblent être à la base de l'émergence de la notion de développement durable, elle s'adresse explicitement aux trois domaines du développement : le social, l'économie et l'environnement. Un développement urbain durable se doit de concilier ces trois « piliers ». Les trois piliers du développement durable se traduisent en exigences techniques, programmatiques et financières concrètes au niveau de la production de la ville. Comment réaliser une mixité fonctionnelle dans un projet sans créer des nuisances? Comment concevoir un quartier permettant un mode de vie plus durable ? Comment concilier la participation du public avec des exigences techniques précises ? Comment financer les coûts supplémentaires de la performance énergétique lors de la construction des immeubles ? Le contexte dans lequel se déroulent les jeux d'acteurs dans les opérations d'aménagement se complexifie avec l'ajout de nouvelles contraintes. Cela conduit à un questionnement en double sens : comment les nouveaux impératifs influencent-ils le processus de production de la ville ? Comment le processus de production de la ville influence-t-il l'opérationnalisation du développement durable ? Pour répondre à ces nouvelles questions, les acteurs de la production de la ville sont amenés à faire évoluer leurs pratiques professionnelles. Qu'il s'agisse du montage des projets, de la préparation de l'assiette foncière, de l'aménagement, de la construction de l'immobilier... , tout ce qui participe ou est mobilisé dans le processus de production de la ville est finalement invité à répondre à ces nouveaux impératifs de l'action urbaine durable. Les éco-quartiers peuvent être considérés comme précurseurs d'une démarche de production liée à une action publique urbaine plus durable, dans la mesure où ils démontrent que la production d'une ville plus « durable » est possible, à la fois d'un point de vue technique et d'un point de vue organisationnel. Ces expériences actuelles connaissent néanmoins des limites importantes : beaucoup concernent des opérations de constructions neuves en extension de la ville existante, et elles sont pratiquement toutes réalisées dans des démarches « exceptionnelles », c'est-à-dire des démarches dans lesquelles une forte implication financière et organisationnelle de la collectivité a permis de lever certains verrous, en particulier ceux liés à la disponibilité du foncier et l'offre de mobilité. L'enjeu actuel est d'aller au delà des démarches exceptionnelles pour identifier les mécanismes et les leviers permettant de passer à l'urbanisme « durable », conjuguant l'échelle du projet avec celle de la ville et/ou de l'agglomération avec le développement de nouveaux standards de la production urbaine. C'est l'objectif de ce projet de recherche que d'interroger ce passage et les différentes « traductions » qu'il implique. 3 Ainsi, nous cherchons à comprendre et à mettre en évidence dans le processus de production de la ville, les articulations entre la gouvernance de projet et la gouvernance diffuse à l'échelle de l'agglomération. Comment sont réalisées les articulations et la diffusion des savoirs du projet d'aménagement vers la ville durable? A travers ces évolutions de gouvernance, quelles sont les mutations des pratiques professionnelles de ceux qui produisent la ville de demain? Quelles sont les scènes de négociations et d'action collective qui cherchent à généraliser les pratiques du développement urbain durable ? Nous partons des deux constats suivants: - Les changements dans la production de la ville interrogent la gouvernance urbaine à l'échelle de l'agglomération. Ces dernières intègrent par exemple progressivement le développement durable aux documents de référence, et concrétisent leur engagement dans des démarches globales d'agendas 21 et de Plan Climat Energie Territoriaux. On pourrait également mentionner des démarches à une échelle encore supérieure, comme ce que l'on a pu observer pour des projets « EcoCcité ». Quelles organisations se sont mises en place à cet effet ? Quelles articulations avec les gouvernances et manières de faire du projet plus classique ? - Produire une opération d'aménagement durable suppose de revoir les pratiques professionnelles en développant dès l'amont du projet, une vision globale et transversale du projet permettant d'anticiper sur sa gestion et son usage antérieurs. Ces changements de pratiques observables à l'intérieur de la conduite de projet urbain traduisent la volonté de faire la ville autrement. Ces constats nous amènent à nous interroger sur les processus d'apprentissage et de diffusion des pratiques développées dans le cadre de la production de la ville, ainsi que sur les articulations entre les pratiques émergentes de conduite de projets et la définition puis la mise en oeuvre de politiques publiques urbaines à l'échelle de l'agglomération. Comment se structure dans le temps la création de sensibilités, de savoirs et de compétences des acteurs qui interviennent dans la production « durable » de la ville ? 2. Méthodologie : une démarche de recherche - action Notre travail focalise sur la situation française, dans une démarche de recherche-action, en association avec les collectivités de Lyon, Nantes, Grenoble et Reims. Notre démarche mobilise une équipe de chercheurs et des professionnels en poste dans chaque ville. Cette recherche se veut résolument exploratoire tant dans son dispositif que dans les outils « inter-cognitifs » mobilisés pour « apprendre à apprendre » ensemble, le tout structuré par une approche comparative. Les agglomérations de Lyon, Nantes, Grenoble et Reims ont été retenues pour plusieurs raisons : - elles démontrent une volonté d'intégrer les principes du développement durable à l'échelle de l'agglomération, à travers une série de cadres de références, chartes ou documents de planification. - Ces 4 agglomérations ont déposé des candidatures au premier appel à projet « Eco-quartiers » 2008-2009 lancé par le Ministère de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement. Les projets d'aménagement figurent au palmarès, recensant les expériences les plus abouties en 2009. 4 - Lyon, Nantes et Grenoble sont par ailleurs engagées dans un programme européen CONCERTO En outre, ces 4 villes offrent une palette diverse de situations : - une diversité de taille intéressante à observer et qui peut définir des contextes et déclinaisons différentes de la politique de développement urbain durable - la compétence urbanisme est exercée par l'intercommunalité (Lyon, Nantes) ou par la ville (Grenoble, Reims) Lyon Nantes Grenoble Reims Population de l'agglomération 1 310 000 hab (2010) 580 502 hab (2007) 397 593 hab (2008) 218 928 hab. (2005) Densité 2 485 hab./km 1 109 hab./km 2 2 Organisme porteur de la compétence urbanisme Grand Lyon Nantes Métropole Ville de Grenoble Ville de Reims 1 292 hab./km² 2 492 hab./km 2 - Le degré d'intercommunalité est divers tant dans sa forme (communauté urbaine, communauté d'agglomération), son antériorité, sa composition communale et ses ressources budgétaires. Intercommunalité Budget de l'intercommunalité (en 2010) 1 665 300 000 960 000 000 300 000 000 318 142 000 Lyon Nantes Grenoble Reims Nom de l'intercommunalité Grand Lyon Nantes Métropole La Métro Reims métropole Type d'intercommunalité Communauté urbaine Communauté urbaine Communauté d'agglomération Communauté d'agglomération Date Nbre de création communes 1969 2001 2000 2005 57 24 27 6 Sur la base de ces critères, des partenariats ont été établis entre les chercheurs et les collectivités. Les collectivités se sont engagées à participer aux séminaires de travail, et à nous faciliter la prise de contact avec les personnes ressources et l'accès aux documents de travail et d'archives nécessaires. Les chercheurs se sont engagés à produire des outils de « feed-back », des dispositifs d'échanges favorisant « l'effet miroir » et une analyse comparative des apprentissages et des évolutions des pratiques professionnelles issus de la structuration des politiques de développement urbain durable des villes de Lyon, Nantes, Grenoble et Reims. Le travail se scinde en quatre phases, dont les deux premières sont articulées de façon itérative. 5 Phase 1 : élaboration du modèle d'analyse Notre grille d'analyse permet de lier la mise en place des politiques de développement urbain durable, les expérimentations conduites dans le cadre des projets d'éco-quartiers avec les innovations de système nécessaires pour « banaliser » l'urbanisme durable. Pour ce faire, nous avons procédé à l'identification des étapes majeures de mise en place des politiques de développement urbain durable dans les quatre villes (frise chronologique) et nous avons étudié les cadres théoriques de l'apprentissage organisationnel. Cette mise en regard nous a conduit à élaborer une grille d'analyse « apprentissages » permettant d'identifier pour chaque ville : Comment s'opèrent les ruptures et changement d'échelles ? Par quels canaux et vecteurs se diffusent les valeurs du développement durable ? Quels sont les facteurs « accélérateurs » et les facteurs de nature à freiner la diffusion de la gouvernance durable au niveau des projets à une gouvernance diffuse, puis de s'interroger sur la reproductibilité de ces facteurs. Phase 2 : Application du modèle d'analyse. La grille d'analyse « apprentissages » appliquée à chaque ville a permis de cibler les principaux vecteurs d'apprentissages et de diffusion de valeurs du développement durable. Un travail d'observation a ensuite été mis en place visant à étudier (1) l'élaboration de nouvelles pratiques professionnelles (via les projets d'éco-quartier), (2) la diffusion des valeurs du développement durable dans les organisations (via l'institution compétente en urbanisme), (3) la production et le transfert de nouvelles connaissances (via un programme européen : CONCERTO). Pour ce faire une campagne d'entretiens a été conduite dans chaque ville, ainsi qu'une analyse des organigrammes, et l'étude d'un programme européen comme occasion d'apprentissage. A l'issue de cette phase, des fiches monographiques ont été rédigées sur chaque site. Phase 3 : Analyse comparative et l'atelier de travail « Chercheurs & Professionnels ». Dans cette phase, les expériences dans les quatre villes ont été comparées. Un moment important dans cette phase a été un atelier chercheurs ­ professionnels organisé à Lyon, les8-9 mars 2012. Lors de cet atelier ont été présents les chercheurs de l'équipe, des représentants des collectivités et de leurs partenaires et quelques experts spécifiques. L'atelier a pris la forme d'un séminaire qui a permis de mettre en débat les observations et propositions de recherche et d'expérimentation. Phase 4 : Rédaction et valorisation. Le rapport final comprend les résultats de l'analyse comparative, un agenda de recherche et des monographies des études de cas. La valorisation se fera à travers des communications dans des colloques scientifiques, des publications dans des revues scientifiques et professionnelles (je préfère supprimer car aujourd'hui ce n'est plus tout à fait aussi souple qu'avant. On peut évoquer le site du Cete...). Avec cette organisation de travail, la démarche de recherche s'inscrit elle-même dans une logique d'apprentissage dans la mesure où tout au long de l'étude, 1) des interactions entre praticiens et chercheurs ont lieu; 2) des praticiens appartenant à des « mondes sociaux » différentes (différentes villes, différents acteurs) ont été amenés à interagir autour des observations fait dans le cadre du projet de recherche et 3) de nouveaux standards autour de la construction et de la production de la ville sont apparus très rapidement. 6 Figure 1 : Déroulement du projet de recherche QUESTION DE DEPART : CONTRIBUTION DES ECO-QUARTIERS A L'EMERGENCE D'UN URBANISME DURABLE EXPLORATION DANS CHAQUE VILLE 4 mois Chronologie développement urbain durable pour chaque ville entretiens exploratoires dans chaque ville Recherches Bibliographiques Identification des concepts théoriques de l'apprentissage Phase1 : Elaboration du modèle d'analyse Grille d'analyse « apprentissages » appliquée aux 4 villes MODELE D'ANALYSE Axe 1 : Nouvelles pratiques professionnelles (via les éco-quartiers) OBSERVATION DANS CHAQUE VILLE 6 mois PROBLEMATIQUE DE RECHERCHE PIRVE (SYSTEMES D 'HYPOTHESES ) Axe 2 : Diffusion des valeurs et méthode du développement durable dans les organisations (Compétentes en urbanisme) Axe 3 : Production et transfert de nouvelles connaissances (via les programmes européens) Cartes d'acteurs projet entretiens semi directifs Collecte des organigrammes entretiens « parcours pro » Phase2 : Application du modèle d'analyse Analyse programme CONCERTO RESULTATS DE L'OBSERVATION 2 mois ANALYSE COMPARATIVE Ateliers de travail Chercheurs & Professionnels 4 études de cas : Lyon, Grenoble, Nantes, Reims Chaque ville analyse ses résultats Phase 3 : Analyse comparative : ateliers de travail CONCLUSIONS Synthèse des travaux des ateliers, monographies et études de cas 3mois Phase 4 : Rédaction et valorisation VALORISATION RAPPORT FINAL 7 Structure du rapport Devant vous est le rapport final du projet de recherche PIRVE sur l'apprentissage du développement urbain durable. Ce rapport présente les résultats principaux du projet, et est complété par plusieurs autres publications1. Après avoir introduit le sujet (paragraphe 1) et explicité la mode de travail (paragraphe 2), ce rapport présente dans le troisième paragraphe le cadre théorique qui a été utilisé pour aborder la question de l'apprentissage du développement urbain durable. Ce paragraphe présente, sous forme d'un ensemble de hypothèses, le cadre d'analyse qui a été utilisé pour la comparaison des quatre villes étudiées ­ Lyon, Grenoble, Reims et Nantes. Le quatrième paragraphe présente les principales observations issues de cette analyse comparative. Des descriptions détaillées des expériences dans chaque ville sont dans les annexes de ce rapport, qui contiennent une « chronologie » du développement urbain durable pour chaque ville. Les observations dans le paragraphe 4 concentrent sur les dimensions d'apprentissage des expériences dans chaque ville. Le cinquième paragraphe présente à la fois une synthèse des principaux résultats du projet de recherche, et un agenda de recherche qui identifie les thématiques qui méritent d'être creusées pour compléter les résultats, et les approches qui permettent d'aborder ces thématiques de façon pertinente. Cette ouverture fait intégralement partie des résultats de ce projet, qui se veut exploratoire. Le changement des pratiques professionnelles dans le domaine de la production de la ville sous l'impulsion du développement durable est un processus en cours. Le travail qui a donné lieu à ce rapport a vocation à être poursuivi dans d'autres projets de recherche. 1 Il s'agit des productions suivantes : Leroy, M., La réalisation d'un EcoQuartier: une occasion privilégiée d'apprentissage du développement urbain durable et de mutation des pratiques professionnelles? Les cas du projet Confluence et de la Caserne de Bonne, mémoire de recherche, master en urbanisme et aménagement, septembre 2011 ; Verhage R., M. Leroy, Développement urbain durable : vers de nouvelles pratiques professionnelles, texte présenté au colloque « Territoire et Environnement : des représentations à l'action », 8-9 décembre 2011, à Tours, CITERES ; Menez F. et R. Verhage, Le programme Concerto : accélérateur de l'apprentissage de développement urbain durable, texte présenté au colloque « gouverner les territoires par les réseaux », 27-28 juin 2012 à Lyon, ENS de Lyon, IEP de Lyon, UMR 5206 Triangle. 8 3. Changement de pratiques professionnelles dans la production de la ville : un cadre théorique 3.1 Pratiques professionnelles et production de la ville La production de la ville doit être appréhendée comme une coproduction entre acteurs interdépendants (Janvier, 1996 ; Bourdin, 2001 ; Arab, 2004). Depuis les années 1980, dérégulation, décentralisation et mobilisation des acteurs priÎs et civiques ont conduit à un phénomène de pluralisation, autrement dit d'ouverture à de nouveaux acteurs et de dispersion des ressources nécessaires à l'action publique, d'où la nécessité de nouvelles modalités de coordination (Le Galès, 1995). Dans le domaine de l'aménagement, un glissement s'est opéré du modèle linéaire, hiérarchique et cloisonné (reposant sur la recherche rationnelle de la meilleure solution) à un modèle négocié, flexible et transversal (Arab, 2004). La logique de projet est ainsi devenu centrale dans la production de la ville : comme le souligne Arab, elle est caractéristique de ce nouveau contexte d'action apparu dans les années 1980 et se voit renforcée par les questions environnementales plus récentes. Elle est une réponse à la recomposition du système d'acteurs, à la complexification des problèmes urbains, à l'incertitude, mais aussi à l'innovation comme nouvel enjeu majeur. Comme dispositif de co-production, le projet permet justement de pallier la dispersion des ressources financières, procédurales et cognitives qui caractérise le nouveau contexte d'action depuis les années 1980 (Verhage et Linossier, 2009) : il parvient à mobiliser un ensemble très hétérogène d'acteurs et de compétences. Les partenariats public/public mais surtout public/priÎ permettent notamment de mobiliser les savoirs faire et les connaissances nécessaires pour mener à bien le projet mais aussi les financements. Dans les réseaux d'acteurs qui se tissent au sein de ces projets, chaque acteur cherche à assurer sa persistance et le maintien, voir l'agrandissement, de son pouvoir et sphère d'influence ou de faire des profits. Mais en même temps, les acteurs sont stimulés à interagir, par une certaine curiosité substantielle, par un besoin de reconnaissance et par simple nécessité car les acteurs sont interdépendants, c'est à dire qu'ils ont besoin de ressources détenus par d'autres pour obtenir leurs objectifs (Koppenjan et Klijn, 2004). Nous cherchons à comprendre comment ce dispositif de projet peut-être l'occasion d'une modification des pratiques professionnelles. Il s'agit là d'une question traitée entre autres dans la littérature sur l'apprentissage organisationnel, qui s'intéresse aux processus, à la nature et aux auteurs des apprentissages. Le concept est né lorsque la notion d'apprentissage, auparavant appliquée aux seuls individus, a été transposée aux organisations dès la fin des années 1940 (Simon, 1947). Depuis, on considère qu'une organisation est capable d'apprendre (c'est-à-dire qu'elle peut acquérir, stocker, traiter et utiliser des informations). Ce sont les mécanismes de cette cognition collective qui sont le sujet de recherche dans ce rapport. Koenig (2006) qualifie cet apprentissage organisationnel de « phénomène collectif d'acquisition et d'élaboration de compétences qui, plus ou moins profondément, plus ou moins durablement, modifie la gestion des situations et les situations elles-mêmes ». L'apprentissage est à priori considéré comme s'effectuant de manière linéaire : il s'agit alors d'un processus dans lequel les acteurs adaptent leur comportement suite à l'évaluation des résultats de leur comportement précédant. Argyris et Schön (1978) avaient développé cette idée dans leurs travaux sur l'apprentissage en simple et double boucle : on se fixe des 9 objectifs, on agit pour les atteindre, on évalue le résultat et en fonction de cette évaluation, on adapte ses activités (simple boucle), ses stratégies (double boucle). Si cette vision de l'apprentissage est éclairante, elle ne suffit pas pour comprendre comment se fait l'apprentissage des nouvelles pratiques professionnelles dans le cadre de la production de la ville. En effet, la littérature sur la production de la ville nous montre que cette dernière se fait au travers de réseaux d'acteurs interdépendants (Boino, 2009 ; Rydin, 2010). Le développement urbain est le fruit d'interactions entre acteurs qui ont tous des objectifs propres et un certain pouvoir de décision (Verhage, 2002), mais qui ont besoin de travailler ensemble pour réaliser leurs objectifs. Comme Healey (1997) l'a démontré, en s'appuyant sur la dialectique entre « structure » et « agency » développée par Giddens (1984) dans sa théorie de la structuration, la production de la ville dans un tel réseau est un processus itératif (voir aussi Verhage et Linossier, 2009), dans lequel les acteurs adaptent continuellement leurs démarches et leurs stratégies aux changements dans leur environnement, et ainsi font évaluer l'environnement dans lequel ils déploient leurs actions. Dans un tel contexte, l'idée d'apprentissage développée ci-dessus, basée sur l'évaluation du lien entre activités et résultats pour adapter son comportement n'est pas suffisante. Elle suppose bien sûr un processus linéaire, qui permet de mener à bien une démarche, pour ensuite évaluer si elle a produit les résultats escomptés. Mais elle doit aussi comprendre l'apprentissage comme un processus social qui implique une multitude d'acteurs qui a lieu dans un environnement qui évolue continuellement. Cette observation nous conduit à considérer le fait qu'il n'y ait pas seulement des interactions entre acteurs au sein d'une organisation, mais que les organisations elles- mêmes sont dans des relations d'apprentissage avec d'autres organisations. C'est toute la question des mécanismes d'apprentissage qui est posée, ainsi que des transferts de connaissances et de savoir-faire. Nonaka (1991) étudie la diffusion et la propagation de savoirs (faire) : il montre qu'il s'agit d'une « conversion » de connaissances tacites en connaissances explicites, et du savoir individuel en savoir collectif. L'apprentissage est donc un processus itératif, résultant d'une double dynamique d'extériorisation des savoirs (transformer le tacite en explicite, la dimension cognitive de l'apprentissage) et d'intériorisation de ces mêmes savoirs (transformer l'explicite en tacite, la dimension comportementale de l'apprentissage). Ce double processus met en relief l'importance de la socialisation et des échanges entre acteurs pour que les transferts de connaissance et le passage d'un niveau à l'autre s'effectuent. 3.2 L'apprentissage du développement urbain durable Dans le processus complexe de production de la ville, l'apprentissage implique donc des interactions entre différents acteurs voire réseaux d'acteurs, et intervient ainsi à plusieurs échelles : au niveau des organisations, mais aussi au niveau des individus qui composent ces organisations, et au niveau des réseaux dans lesquels les organisations participent. L'approche systémique de l'apprentissage organisationnel s'intéresse justement à ces dimensions (Fillol, 2004). Le travail de Knight (2002) sur l'apprentissage inter-organisationnel et en réseau offre des outils conceptuels intéressants : elle montre que l'apprentissage est situé (l'individu apprend dans un contexte social donné qui conditionne le niveau et la nature des apprentissages : l'apprentissage se fait dans l'action, et à partir de l'action), mais surtout qu'il peut s'effectuer à plusieurs niveaux. En dépassant les points de vue 10 exclusivement centrés sur l'individu, sur le groupe ou sur l'organisation, on voit comment des échanges s'effectuent entre ces trois niveaux. L'intérêt de cette stratification complexe est d'envisager l'apprentissage comme un phénomène social et dynamique. Comme nous l'avons dit ci-dessus, la production de la ville se fait dans des processus itératifs, concourants et incrémentaux. Ainsi, il nous paraît pertinent d'utiliser ce cadre d'analyse pour l'étudier. En appliquant la notion d'apprentissage à la production de la ville, on s'intéresse donc au jeu d'acteurs, où chacun s'inscrit dans un réseau plus large, et l'on suppose que les interactions entre ces acteurs offrent des occasions d'apprentissage du développement urbain durable. Dans le domaine des sciences de la gestion, la notion de communauté de pratiques a été utilisée pour décrire la façon dont l'apprentissage s'effectue dans les interactions au sein d'un groupe. Wenger en donne la première définition, alors qu'il cherche l'échelle pertinente pour appréhender le processus de changement dans l'entreprise (Wenger, 1998 ; voir aussi Wenger, McDermott et Snyder, 2002). Selon lui, ce n'est ni au niveau de l'individu, ni au niveau de l'organisation dans son ensemble que l'innovation est produite (le changement est soit trop restreint car limité à la personne, soit trop lent), mais plutôt au sein de réseaux d'individus unis par la pratique. Il parle alors de « communautés de pratique ». Rydin (2010) utilise ce concept dans son analyse de la « gouvernance de la ville durable », en montrant l'intérêt de cette notion pour comprendre comment les acteurs apprennent au sein de réseaux hétérogènes rendus solides par des engagements réciproques. L'apprentissage est alors appréhendé comme un processus continu, pris dans la pratique quotidienne, et impliquant des pratiques et des interactions à la fois formelles et informelles. Toutefois, comme le souligne cet auteur, la pertinence du modèle pour analyser la situation de la production de la ville est limitée de deux façons. Première restriction, la notion de communauté de pratique minore l'hétérogénéité de l'équipe-projet. Les travaux de Wenger s'appliquent essentiellement à des réseaux internes à une organisation, où les membres du groupe cherchent à faire coïncider leurs pratiques et leurs identités. Dans le cas de la production de la ville, ou plus précisément dans les opérations dans lesquelles la ville est produite (notamment les éco-quartiers), on ne peut pas postuler a priori que les équipes- projet fonctionnent comme de petits noyaux unifiés opérant sur la base de connaissances et de valeurs communes. Les acteurs sont réunis autour d'un projet, et non pas autour d'un objectif commun. Les intérêts et les valeurs des acteurs peuvent être très différents, c'est l'interdépendance qui les réunit au sein du projet : ils ont tous besoin les uns des autres pour réaliser leurs propres objectifs. Autre limite à l'application du concept aux projets d'écoquartiers, la communauté de pratique minore les relations de pouvoir qui sont à l'oeuvre dans le groupe, en mettant l'accent sur le consensus plus que sur le conflit. Or, le consensus est rarement atteint dans le cadre du projet urbain, et la coopération comme le conflit peuvent être moteurs d'apprentissage. Ainsi, bien que le concept de communauté de pratique soit intéressant dans la mesure où il met l'accent sur la dimension interactive de l'apprentissage, il ne semble pas nécessairement être pertinent pour décrire la manière dont l'apprentissage s'effectue au sein d'un groupe d'acteurs collaborant pour produire une ville qui répond mieux aux exigences du développement durable. Les limites du concept ont incité Lindkvist (2005) à donner une autre lecture de l'apprentissage d'acteurs en interaction constante. S'intéressant à l'apprentissage dans le cadre du projet industriel, il préfère utiliser le terme de 11 « collectivité », afin de se distancier clairement du concept de communauté. Selon lui, les équipes-projet ne constituent pas des groupes bien développés autour de valeurs et d'interprétations communes. Selon le modèle de la collectivité de pratiques les membres du groupe ont une tâche commune à mener à bien : pour cela, une base minimale de connaissances communes suffit, et les valeurs des acteurs restent très hétérogènes. Le moteur des collectivités de pratique n'est pas l'apprentissage (c'est le moteur des communautés de pratique) mais le projet commun (le projet industriel dans les travaux de Lindkvist). Les acteurs ont une idée fine de ce que chacun des autres membres sait (ou sait faire) : ils peuvent alors, sur une base minimale de connaissances communes (et non pas d'une vraie culture commune), mobiliser la connaissance collective nécessaire pour mener à bien leur tâche. Le ciment du groupe est l'efficace coordination entre ses membres. On voit comment un tel concept peut s'appliquer au projet urbain : il prend en compte l'interdépendance des acteurs, sans postuler que ces derniers partagent des valeurs communes (autrement dit, sans nécessiter l'homogénéité du groupe). Qu'en est-il alors de l'apprentissage dans le cadre de la collectivité de pratique ? Il s'effectue surtout de manière incidente, n'étant pas présupposé a priori : il dépend des caractéristiques du projet (durée, objectifs) et des relations entre les acteurs (intensité des échanges, relations de pouvoir et intérêt de chacun à apprendre). Néanmoins, une limite persiste si l'on veut appliquer le concept aux projets d'éco-quartiers. Dans les travaux de Lindkvist, les membres d'une collectivité de pratique sont certes hétérogènes, mais ils sont issus de la même organisation. Dans le cas des éco-quartiers, les acteurs impliqués dans le projet sont bien interdépendants, mais n'appartiennent pas à une même organisation. Leurs liens d'interdépendance sont uniquement liés au fait qu'ils ont tous un intérêt à réaliser le projet. On doit donc considérer la collectivité de pratique comme un dispositif inter-organisationnel pour qu'elle ait une portée analytique concernant la production de la ville. Quel est l'intérêt de ce concept pour notre travail ? Avec lui, on considère que l'équipe- projet est rendue cohésive par la tâche commune qu'elle doit accomplir, qu'elle est caractérisée par une très grande variété de compétences complémentaires, et que l'apprentissage se fait « en marchant », qu'il s'agisse d'innovations incrémentales ou de transferts de connaissances existantes. De plus, en parlant de collectivités de pratique, on évite de déterminer a priori que l'apprentissage est une motivation de départ au sein d'une équipe-projet. Bien que ce dernier ne soit pas nécessairement recherché, il semble qu'il s'effectue tout de même, par la co-construction du projet et des moyens de le mener à bien. Enfin, dans la collectivité de pratique, on entre par l'individu plus que par le collectif : cela correspond mieux à la situation de projet urbain coproduit, où chacun des acteurs a des motivations et des intérêts différents. Nous considérons donc que les organisations et même les réseaux d'organisations, conceptualisés comme des communautés ou des collectivités de pratiques, sont capables d'apprendre. Nous avons vu que cet apprentissage nécessite des échanges. Toutefois, tous les échanges ne donnent pas nécessairement lieu à de l'apprentissage. Une analyse plus fine des façons dont l'apprentissage se fait dans ces situations d'échanges peut être faite en s'appuyant sur la notion de « objets frontières ». Cette notion a été développée dans le domaine de la coordination du travail scientifique, pour mieux comprendre le lien entre action collective et innovation (Star et Griesemer, 1989). Elle renvoie à des artefacts qui permettent de transférer des connaissances et des savoir-faire entre acteurs qui 12 appartiennent à des mondes sociaux différents. Pour réussir ce transfert, il faut que les objets frontières aient une structure suffisamment commune pour que les différents mondes puissent s'en servir. Cela nécessite à la fois une structure reconnaissable dans différents contextes, et une flexibilité qui permet aux acteurs de différents mondes de lui donner un sens. A partir des années 2000, la notion d'objet frontière est entrée est utilisé dans le cadre de l'apprentissage opérationnel (Trompette et Vinck, 2009). Étienne Wenger (2000) l'introduit dans ce domaine, en le déclinant en quatre dimensions : - abstraction : elle facilite le dialogue entre mondes ; - polyvalence : plusieurs activités ou pratiques sont possibles ; - modularité : différentes parties de l'objet peuvent servir de base de dialogue entre acteurs ; - standardisation de l'information incorporée dans l'objet : elle rend interprétable l'information. A travers ces déclinaisons, la notion d'objet frontière nous permet d'interroger les interactions entre différents réseaux d'acteurs dans le domaine de la production de la ville. Comme nous l'avons évoqué ci-dessus, ce domaine est caractérisé par des échanges entre une multitude catégories d'acteurs (collectivités, promoteurs, investisseurs, propriétaires du foncier, habitants, ...) qui n'appartiennent pas au même « monde social ». Nous pouvons qualifier plus finement la notion d'objet frontière comme la circulation de connaissances et de savoirs faire entre ces mondes. Une autre forme que peuvent prendre les échanges passe par les individus. L'apprentissage organisationnel reconnait le rôle crucial d'individus dans l'évolution des pratiques professionnelles. Dans le cadre de l'apprentissage organisationnel, la notion de « courtier de connaissances » renvoie à un individu qui occupe une position qui permet de transférer des connaissances entre différents réseaux d'acteurs. 3.3 De la théorie à un cadre d'analyse Pour appliquer les notions théoriques développées ci-dessus à notre objet de recherche, c'est à dire le développement urbain dans les quatre villes retenues, nous avons besoin d'un cadre d'analyse qui permette de Îrifier, nuancer ou amender les observations théoriques à partir de l'empirique. Ce cadre est présenté dans le tableau ci-dessous sous forme d'hypothèses. Nous avons structuré ces hypothèses en quatre catégories. Nous commençons avec les observations concernant l'évolution de la production de la ville. La complexification du processus de production de la ville paraît comme une évolution incontestable. La prise en compte des exigences du développement durable introduit de nouveaux acteurs, et nécessite que de nouvelles connaissances techniques soient intégrées dès l'amont des opérations d'aménagement. Notre première hypothèse porte sur la façon dont le jeu d'acteurs dans la production de la ville évolue d'une façon générale, sous cette influence . Ensuite, nous envisageons cette évolution comme un processus d'apprentissage, et nous cherchons à connaître les canaux par lesquels passe cet apprentissage. Si la production de la ville évolue, c'est bien parce que de nouvelles connaissances et de nouvelles façons de faire sont produites et / ou transmises, qui incitent les acteurs à agir autrement. Comment et par 13 quelles voies cela passe-t-il ? Puis nous focalisons sur la transmission de connaissances. Nous partons de l'hypothèse que nous sommes dans une période de transition, ou de nouvelles connaissances sont produites, mais pas forcément internalisées par les acteurs qui sont concernés. Il y a un besoin de diffusion de connaissances, de transmission d'une scène ou réseau à d'autres. Ce besoin de transmission conduit à l'élaboration de guides, référentiels et labels de toute sorte, qui cherchent à orienter les activités ­ et dans le prolongement, les pratiques professionnelles ­ des acteurs impliqués dans la production de la ville. Enfin, nous abordons la dimension personnelle de la transmission des connaissances et des savoir-faire et de leurs internalisations. La littérature sur l'apprentissage opérationnel et sur la sociologie des organisations identifie le rôle crucial de personnes dans ces processus. Nous cherchons à identifier et à qualifier ce rôle dans nos études de cas. 14 Tableau 1 ­ Cadre d'analyse Evolution production de la ville Observations Modification des modes de production de la ville pour prendre en compte les exigences du développement durable et son impératif de transversalité. Evolution des pratiques professionnelles sous l'influence de nombreux facteurs, mais toujours dans des interactions entre acteurs. Notions théoriques - Structuration : dialectique entre « structure » (structure sociale) et « agency » (actions des acteurs) - Complexification du processus - Modèle négocié, flexible et transversal - Apprentissage nécessite interactions. Ces interactions varient en fonction des relations entre les acteurs. Les notions de « Communauté de pratiques » et de « Collectivité de pratiques » permettent de qualifier des configurations différentes, avec des effets différentes sur l'apprentissage Apprentissage comme double dynamique d'extériorisation des savoirs (transformer le tacite en explicite, dimension cognitive) et d'intériorisation de ces mêmes savoirs (transformer l'explicite en tacite, dimension comportementale). Objets frontières pour transférer connaissances d'un « scène » à un autre. Présence d'individus appartenant à plusieurs systèmes d'acteurs (courtiers de connaissances) important pour transmission de connaissances. 2 Hypothèses Recours à davantage d'experts dans les phases initiales (programmation et de conception) des projets urbains ; réorganisations internes des collectivités et des opérateurs pour permettre plus de transversalité / d'intégralité dans les démarches. Canaux d'apprentis- sage Rôle de référentiels, (guides, labels, ...) Prolifération de labels et de référentiels aux niveaux local, national voir international. - - Les quatre principaux canaux d'apprentissage sont : - Expérimentation dans le cadre des écoquartiers - Evolution de la norme et de la législation ; - Benchmarking : besoin de se démarquer dans une environnement concurrentiel et transfert d'idées et pratiques d'un endroit vers un autre ; - Modifications de la demande sociétale. Dans la phase d'élaboration, des référentiels servent comme outil d'apprentissage pour la structure qui l'élabore, dans la phase d'application, ils sont des vecteurs pour influencer le comportement des acteurs auxquels ils s'adressent ; L'influence des référentiels sur les pratiques professionnelles diffère selon leur degré d'imposition : contrainte, incitation ou consultation. Pour passer de l'expérimentation à la standardisation de nouvelles pratiques professionnelles, il faut que trois rôles soient remplis : - Le « visionnaire » apporte des nouvelles idées concernant les enjeux et objectifs ; - L'expert apporte des connaissances pointues sur un domaine ; - Le « pivot » organise la distribution des connaissances et traduit les enjeux en objectifs Rôle des individus Individus sont cruciaux pour l'apprentissage de nouvelles pratiques professionnelles. - 2 Pour les références, voir paragraphes 3.1 et 3.2 15 Dans la suite de ce texte, les hypothèses ci-dessus sont confrontées à nos études de cas. Dans le cadre de cette étude exploratoire, l'objectif de cette démarche est d'identifier des vecteurs et / ou des points de blocage récurrents dans l'apprentissage du développement urbain durable. Ces éléments seront autant de pistes pour des investigations plus approfondies concernant l'évolution des pratiques professionnelles des acteurs de la production de la ville, sous l'impératif du développement urbain durable. Nous y reviendrons dans nos conclusions (partie 6) pour aboutir sur un agenda de recherche plus détaillé concernant les enjeux, les vecteurs et les limites de la banalisation des pratiques de développement urbain durable. 16 4. Analyse comparative 4.1 Production de la ville Dans la production de la ville depuis la fin du second guerre mondiale, l'environnement naturel était surtout considéré comme un cadre dans lequel se développaient les parties construites de la ville. Cette vision des choses était liée à la préoccupation des urbanistes pour la forme urbaine, qui devait répondre aux enjeux liés aux villes en plein essor (Healey, 1997). Cela se traduisait différemment aux différents échelles : à l'échelle de la région urbaine, l'environnement naturel était considéré comme un échappatoire au stress lié à la vie urbaine. Cela à conduit à des logiques de ceinture verte et de « poumons verts » dans le tissu urbain. Aux échelles des projets urbains, les préoccupations pour l'environnement naturel étaient traduites en termes d'accès « à l'air et à la lumière », et de protection des éléments. Concrètement, cela conduisait à des projets urbains dont les contours étaient déterminés par le plan masse de l'architecte-urbaniste. Dans la situation actuelle, le souci du développement urbain durable a introduit de nouveaux enjeux liés à l'environnement naturel, concernant par exemple la gestion de l'eau de pluie, la performance énergétique des bâtiments, la gestion des déchets et à l'environnement social. Ces nouvelles préoccupations, qui doivent être prises en compte dès l'amont du projet, font appel à des connaissances notamment techniques qui ne sont pas le coeur de métier des architectes-urbanistes. En conséquence, d'autres acteurs sont associés dès le début à la réalisation de projets urbains, et le cadre des projets est désormais donné par la liste des exigences (contraintes et objectifs) élaboré en commun par aménageur, architecte-urbaniste et bureau d'études environnementales ou encore bureau d'études spécialisé dans la concertation. La nouvelle façon d'aborder l'insertion de la ville dans son environnement naturel concerne toutes les étapes de la production de la ville et se traduit par deux grandes catégories de réflexions. La première concerne l'organisation de l'espace, par exemple pour améliorer l'ensoleillement des bâtiments, pour permettre une gestion de l'eau plus respectueuse de l'environnement, pour favoriser les déplacements en modes doux, etc. La deuxième catégorie de réflexions concerne des solutions techniques qui permettent d'améliorer la performance des constructions du point de vue environnemental, par exemple une meilleure isolation, l'utilisation de matériaux plus respectueux de l'environnement, la production d'énergies renouvelables. Pour que ces deux catégories d'action soient mises en oeuvre d'une façon coordonnée, une prise en compte dès l'amont des projets de la dimension environnementale est nécessaire, notamment pour anticiper sur la faisabilité technique et financière des projets. Pour le permettre, les aménageurs font appel à des acteurs externes qui peuvent apporter les connaissances et des savoirs faire nécessaires, à tous les stades du processus. Cela permet d'éviter de faire des choix urbanistiques lors des premières phases du projet, qui limitent dans les phases postérieures de produire un espace urbain qui soit respectueux de l'environnement. Une autre évolution, mais peu perceptible dans les terrains étudiés est de faire davantage de concertation sur le projet et ce, dès le début du projet au moment où le projet n'existe pas encore vraiment (pas de schéma de composition urbaine à montrer). Toutefois, ce volet, 17 compte tenu du caractère des opérations étudiées, n'a pu être approfondi et pourrait faire l'objet de pistes de recherches futures. A Grenoble, des changements sont apparus à la fin des années 1990, mais sans remettre en cause le processus classique de production de la ville. La dernière tranche de la ZAC Vigny- Musset a été l'occasion d'expérimenter le recours systématique à l'isolation par l'extérieur des bâtiments, le solaire thermique et de tester la mise en place d'une charte « chantier propre ». Forts de cette expérience, l'aménageur, la SEM SAGES et la ville de Grenoble reconduisent ces exigences sur la ZAC de Bonne. L'opération démarre en 2001, de manière tout à fait classique avec le lancement d'un marché de définition. En 2002, un architecte- urbaniste (Christian Devillers) est recruté pour établir la conception de l'opération. C'est surtout en 2003 que l'opération va connaître un tournant pour intégrer les exigences du programme Concerto. L'équipe projet se renforce avec un bureau d'études HQE (Terre-Eco) qui assiste l'aménageur. Ce bureau n'est pas choisi au hasard, puisqu'il accompagne aussi la ville de Grenoble dans sa démarche d'élaboration du guide de la qualité environnementale dans l'urbanisme et l'architecture, guide annexé au PLU. L'équipe se complète avec un autre bureau d'étude, spécialiste des questions énergétiques (Enertech, Olivier Sidler), qui assiste également l'aménageur et à ce titre, suivra de près les projets de construction des bâtiments développés par les promoteurs. Enertech a apporté également des réflexions nouvelles dans le domaine de la performance énergétique, étant ainsi complémentaire aux apports de Terre-Eco et des expériences passées de l'OPAC 38 (Bailleur social, intervenant aussi sur la ZAC). Toutefois, il n'a pas été possible de remettre en cause le plan-masse dessiné par Devillers. Toute la difficulté a été de s'y accommoder et de respecter les exigences que les acteurs s'étaient fixés dans le cadre de Concerto. L'apport de la ZAC de Bonne réside également sur l'évaluation au long cours qui est faite sur les logements livrés et donc habités par Enertech en ce qui concerne la consommation énergétique et par ARGOS pour le volet socio-économique. L'aménageur et la ville de Grenoble n'ont pas encore fini d'assimiler cette évaluation (en particulier en ce qui concerne le suivi des consommations énergétiques corrélées au mode de vie des résidents). Une telle évaluation n'est pas envisageable dans d'autres projets (surcoûts importants, financés dans la ZAC de Bonne par la Commission Européenne dans le cadre du projet Concerto) mais les données sont riches et feront certainement l'objet d'un réajustement sur les pratiques, une fois l'analyse de l'évaluation appropriée. Ainsi, on voit bien comment la ZAC de Bonne s'inscrit dans ue processus dans lequel les pratiques professionnelles sont en évolution permanente. Le projet bénéficie de ce qui a été fait avant, et conditionne ce qui se fera après. Dans les mots de Pierre Kermen (élu ville de Grenoble, 1er adjoint au maire, en charge de l'urbanisme) : « Et en même temps la caserne de Bonne bénéficie de tout l'histoire Vigny-Musset, de toute la réflexion du PLU, de toute la réflexion du guide de la qualité architecturale et environnementale. Donc De Bonne est très bien materné, plein de choses autour. Il y a toute une culture des promoteurs par la biennale qui sont sensibilisés, la Plateforme contribue. » Une évolution similaire est observable dans le projet de Confluence à Lyon. Dès 1998, il est question d'urbaniser ce territoire, situé à la confluence du Rhône et de la Saône. En 1999, une SEM dédiée est créée pour assurer la continuité de ce grand projet. La SEM deviendra par la suite une SPLA pour tenir compte des changements juridiques sur les concessions 18 d'aménagement. En 2000, un concours international d'architecture a permis de sélectionner l'équipe Grether-Desvigne-RFR pour concevoir le projet d'ensemble de la Confluence. La ZAC 1 de Confluence, première phase du projet, a été créée en 2001, avec l'approbation du dossier de réalisation en 2003. Le projet est avant tout, une innovation sur les formes architecturales avec une volonté de réintroduire la nature dans ce nouveau quartier, à travers notamment un travail sur l'eau et les espaces verts. En 2003, le Grand Lyon et l'aménageur candidatent au programme européen Concerto. Le projet connaît alors un tournant, car aux contraintes d'innovations architecturales s'ajoutent des contraintes liées à la performance thermique et énergétique des bâtiments. L'aménageur mandate alors le bureau d'études Tribu pour réaliser un audit sur le plan-masse et pour les assister pour intégrer les exigences du programme Concerto dans les cahiers des charges de consultation des promoteurs. Suite à cette étude et à la difficulté d'intégrer ces contraintes dans le projet, il a été décidé de procéder autrement sur la ZAC 2 de l'opération. La SPLA Lyon Confluence y expérimente ce qu'elle appelle une « conception partagée » du projet urbain : il s'agit d'engager parallèlement (et très en amont) une réflexion sur l'ensemble des problématiques qui font la ville et sur toutes les composantes du projet urbain, en évitant le cloisonnement et le séquençage de ce genre de production urbaine. Ainsi, tous les intérêts et toutes les compétences sont présents dès la définition du parti d'aménagement, sous la forme de pôles de compétences travaillant en même temps et en interaction constante. Un premier pôle « Programmation et concertation » rassemble des acteurs comme le bureau d'étude Initial Consultants (programmation), ou Semaphores, cabinet spécialisé dans la concertation. Les missions de ce pôle sont la prospective, l'écoute des besoins face aux autres territoires, l'innovation sociétale, la concertation, la programmation. Un second pôle « VRD, déplacements et énergie » regroupe des bureaux d'étude, ainsi que les services techniques de la ville et de la communauté urbaine, les futurs gestionnaires et les acteurs de l'énergie. Il s'agit d'étudier les questions de déplacement et de stationnement, de réseaux et de définir les besoins énergétiques. Enfin, le pôle « urbanisme, paysage et architecture » transcrit formellement le projet, et définit une esthétique et une symbolique. Il doit travailler de manière très collaborative avec les deux autres missions. Deux Assistants au Maîtrise d'ouvrage (AMO) assurent la coordination des pôles : d'abord l'AMO mixte « Développement durable » (TRIBU), met au point des prescriptions pour concevoir un projet urbain adapté aux contraintes climatiques, acoustiques, puis rédige des cahiers des charges applicables aux futurs maîtres d'ouvrage. Cette AMO a un rôle central, car elle analyse le travail d'ensemble et donne un certain nombre de prescriptions aux concepteurs. Ensuite, l'AMO sites et sols pollués (SOGREAH MAGELIS) réalise un diagnostic et une reconnaissance des pollutions et caractérise les terres. En phase opérationnelle, l'AMO accompagnera les promoteurs. En confrontant ainsi la sphère d'expression des besoins aux contraintes techniques et environnementales du projet, la SPLA cherche à garantir une morphologie urbaine en adéquation avec le projet de société voulu par les élus. Elle fait réaliser par l'ensemble de ces acteurs : 1) un diagnostic, 2) la concertation, 3) l'identification des valeurs du projet, et en dernier lieu 4) la mise en place d'objectifs de développement durable. Si on observe donc clairement à Lyon Confluence et dans une moindre mesure dans la ZAC de Bonne à Grenoble un changement d'approche dans l'élaboration du projet urbain, il 19 faudra nuancer cette évolution dans d'autres situations, par exemple à Reims. Les différents acteurs sont bien associés à l'amont du projet (à la différence de la production classique de la ville), mais on ne peut pas dire qu'il y ait un Îritable coproduction. Le rôle du bureau d'études environnementales, lorsqu'il existe, reste modeste. Le processus reste dominé par le couple architecte-urbaniste (visibilité, importance de la signature) et aménageur (dans le cas de Reims, ce sont généralement les bailleurs sociaux, une particularité sur laquelle nous reviendrons). A Nantes également, le cadre des projets reste dominé par la figure de l'urbaniste, retenu pour les projets en cours de réalisation. Aussi bien l'île de Nantes que le Nouveau Malakoff ou encore le quartier Bottière-Chênaie, ces quartiers se sont d'abord structurés par des propositions spatiales et processuelles de maîtres d'oeuvre urbains. Contraintes et objectifs de développement durable ont plutôt été énoncés dans un deuxième temps avec une application pouvant prendre des formes très variées. Sur la partie Pré Gauchet du projet de Nouveau Malakoff, une AMO a été missionnée (cabinet Indiggo) vue comme de qualité mais arriÎe un peu tard et pas vraiment associée à la maîtrise d'oeuvre. Il faut par ailleurs noter que dans les différentes villes, les collectivités ne jouent pas le même rôle dans la production de la ville. A Reims l'implication directe de la collectivité dans la réalisation et le suivi des projets urbains est relativement faible comparée à une ville comme Grenoble, ou une vraie tradition d'opérations d'aménagement en régie directe (ou in house en terminologie Européenne) persiste. En témoignent des opérations comme Teisseire, concomitante à Vigny-Musset et la ZAC de Bonne, puis Blanche-Monnier, peu de temps après Bonne. Les changements dans le processus de production de la ville évoqués ci-dessus ont des conséquences pour le pilotage des projets urbains. Les rôles des différents acteurs évoluent, ce qui nécessite des acteurs qu'ils adaptent leurs modes de fonctionnement. On peut à ce sujet faire une distinction entre les collectivités, qui ont le rôle de coordonnateur de la production urbaine d'une coté, et les aménageurs, qui sont activement impliqués dans cette production de l'autre. Des réorganisations internes en vue de permettre une meilleure circulation de l'information et du savoir faire sont nécessaires dans les collectivités, mais également dans les autres acteurs impliqués dans la production de la ville, pour pouvoir initier et accompagner la nouvelle façon de produire la ville. En ce qui concerne les collectivités, le souci de réaliser un développement urbain durable conduit à la mise en place d'unités de travail transversales, qui sont chargées de faire en sorte que les activités des différents services impliqués dans la production de la ville (voirie, espaces publics, urbanisme, ...) prennent en compte les exigences du développement durable. Cette institutionnalisation était plus précoce à Lyon et à Grenoble qu'à Nantes. A Reims, où la collectivité n'est pas le moteur du passage au développement durable dans l'urbanisme, une réorganisation institutionnelle en vue de permettre un développement urbain durable n'est pas à l'ordre du jour. La Direction du développement durable récemment créée par Reims Métropole n'intervient que sur sollicitation des services. Son action sur les projets d'urbanisme reste résiduelle. A Lyon, la mission écologie urbaine, avec à sa tête Jean Villien, a été créée en 1990 dans un 20 souci de faire de l'écologie urbaine un enjeu « transversal », prise en compte par tous les services à travers un référentiel unique : la charte de l'écologie urbaine, signée en 1992. Un observatoire du changement écologique est créé en 1993 pour évaluer l'efficacité de la politique mise en oeuvre. Ce dispositif précurseur se focalisait sur la dimension environnementale, puis a été quelque peu éclipsé par l'accent mis sur le développement économique pendant le mandat de Raymond Barre de 1995 à 2001. Mais suite à l'élection de Gérard Collomb en 2001, le développement durable revient en haut de l'agenda, notamment à travers la procédure Agenda 21, qui devient un outil de commandement de l'organisation du Grand Lyon, ce qui a permis l'élargissement du champ des réflexions transversales de l'écologie urbaine au développement durable. Avec le recrutement d'une chargée de mission développement durable en 2005, en profitant du projet Concerto, l'institutionnalisation de cette préoccupation a continué. La personne qui occupe ce poste (Béatrice Couturier) est chargée de recueillir l'information concernant le développement durable, de la rendre opérationnelle et de la faire circuler parmi les différents services de la collectivité. Elle a ainsi un Îritable rôle de « pivot » sur lequel nous revenons en paragraphe 4.4 où nous abordons le rôle des personnes dans le changement des pratiques professionnelles. A Grenoble, au début des années 1970, le développement urbain s'organise autour des transports : le réseau de transports en communs, obsolète, est renouvelé, et la création de deux nouvelles lignes de tramway occasionne un renouvellement du tissu urbain, tant dans les vieux quartiers grenoblois que dans les autres communes traversées. Quand Michel Destot (PS) accède à la mairie en 1995, la mairie se saisit de l'opportunité du tramway pour en faire un outil technologique au service de l'environnement. Dans la commune voisine d'Echirolles, on réfléchit à la manière de profiter de l'extension de la ligne de tramway pour créer un centre-ville dans une commune qui n'en a pas ; on conçoit des infrastructures vertes ou bleues comme axes de développement pour la ville. Progressivement, à Grenoble comme dans les communes voisines, la question des transports est intégrée dans celle plus large de l'urbanisme, et devient un Îritable outil de développement urbain harmonieux. Mais la réelle impulsion au développement durable est donnée au début des années 2000, avec l'accession à la mairie d'une alliance PS-Ecologistes (deuxième mandat Destot), et l'arriÎe d'un nouvel adjoint au maire pour l'urbanisme et l'environnement, Pierre Kermen. En 2001, Kermen lance une démarche Agenda 21 dans les services qui n'aboutit pas, pour des raisons à la fois techniques (manque de compétences pour élaborer de ce document complexe) et politiques (cette démarche très participative est suspendue à l'approche des élections de 2008, et abandonnée définitivement avec le départ de Kermen). Toutefois, cet élu avait poussé le débat du côté de l'agglomération : en 2005, la « Métro » devient la première agglomération de France à adopter un Plan Climat Local. Avec près de 60 signataires et des objectifs de réduction par 4 des émissions de gaz à effet de serre d'ici 2050, ce document coordonne depuis les actions des différents partenaires. A Nantes, de nombreuses réorganisations internes concernant l'urbain ont eu lieu depuis le début des années 2000 (rappel : création de la Communauté Urbaine de Nantes en 2001). Tantôt nommée renouvellement urbain ou Développement urbain, la direction générale communautaire a intégré depuis 2008 le service urbanisme de la Ville de Nantes via 4 directions territoriales d'aménagement. En 2011, une nouvelle organisation a émergé, regroupant dans une même direction générale le développement urbain d'une part, et les 21 territoires et la proximité d'autre part. Mais les missions explicitement relatives au développement durable sont plutôt situées dans la DG environnement et services urbains : ainsi de la direction « énergie, environnement, risque » qui abrite le PCT et l'agenda 21 de Nantes Métropole via le service « animation, développement durable, climat ». Ce sont plutôt les aspects « tuyau-gestion » (entretien) qui sont devenus plus forts et ont motiÎ le plus de changements. Par ailleurs, et toujours en interne, la direction du développement urbain abrite trois objets intersectants qui sont susceptibles de faire bouger des positionnements professionnels : un atelier de la forme urbaine (sensibilisation aux problèmes liés à l'étalement urbain), un guide écoquartier (vu comme une charte de la qualité urbaine durable) et une charte d'aménagement de l'espace public. Ces trois objets n'ont pas de visibilité en dehors de l'institution pour le moment, mais semblent être capables à l'intérieur de celle-ci de tisser des liens entre les différents domaines. En ce qui concerne les aménageurs, la question de la réorganisation se pose d'une façon différente pour les structures pour qui l'aménagement est le coeur de métier (SPLA à Lyon, SAMOA à Nantes, SEM SAGES à Grenoble) et les bailleurs sociaux qui font l'aménagement à Reims. Ces derniers semblent faire évoluer leurs structures sous l'impulsion des exigences du développement urbain durable. Ainsi, des réorganisations sont menées et on observe : 1) Le développement du travail en équipe, 2) une évolution des profils de recrutement et 3) Un recours aux prestataires extérieurs pour l'introduction, de nouveaux savoir-faire techniques (expertise environnementale, éco-construction). Les aménageurs sont des structures plus petites, plus flexibles et de ce fait, organisés dès le départ pour aborder les projets urbains d'une façon transversale. Il est donc moins évident dans ces cas de parler de réorganisations. Les nouvelles exigences se traduisent plutôt dans une autre organisation du travail. Dans la mesure ou cette nouvelle façon de travailler exige des nouvelles connaissances et savoir-faire, celles-ci sont soit introduites par le choix des partenaires avec lesquels les aménageurs travaillent, soit par la formation du personnel existant, soit par le recrutement de personnel nouveau avec les compétences requises. Ainsi, à la SEM SAGES, l'aménageur de la ZAC de Bonne à Grenoble, il n'y a pas non plus eu de réorganisation de la structure, mais bien une adaptation dans les modes de faire : désormais, un bureau d'études développement durable en AMO est systématiquement recruté pour la réalisation d'un projet. Les chargés d'opérations de la SEM intègrent progressivement cette expertise au contact du travail avec leur AMO. Toutefois, très récemment, la SEM SAGES envisageait de recruter un généraliste des questions environnementales et collaborer ainsi avec les bureaux d'études que des questions à haute expertise ajoutée. Des évolutions semblables peuvent être obserÎs à la SAMOA et à la SPLA. 4.2 Canaux d'apprentissage Au vue des expériences dans les quatre villes étudiées, il paraît que les pratiques professionnelles évoluent essentiellement de la façon suivante 1) expérimentation (on teste des nouvelles idées) ; 2) internalisation (appropriation, l'innovation est intégrée dans les pratiques des acteurs en présence), 3) standardisation (les nouvelles pratiques deviennent une obligation / référence qui s'applique à tous). Dans cette évolution, Les écoquartiers sont les lieux privilégiés de l'expérimentation, voire de l'internalisation. Ils peuvent ainsi participer 22 à la standardisation, mais ils ne suffisent pas. Nous reviendrons ci-dessus sur d'autres canaux d'apprentissage. Mais en focalisant d'abord sur l'apport des écoquartiers, on constate que, pour qu'ils conduisent à une standardisation de nouvelles pratiques, l'intervention du pouvoir public local paraît nécessaire. La production de la ville est nécessairement une activité qui implique de nombreux acteurs, dans des relations d'interdépendance. Ces acteurs ont tous des intérêts propres, parfois convergents, parfois divergents. Les activités des uns influencent les marges de manoeuvre des autres et vice versa. Ainsi se met en place un jeu d'acteurs dans lequel les acteurs sont obligés d'adapter leur comportement à celui des autres. Dans ce jeu d'acteurs, les différents acteurs utilisent leur pouvoir pour influencer les comportements des autres dans un sens qui leur paraît souhaitable. Les écoquartiers en tant que projets urbains où les exigences sont plus éleÎes qu'ailleurs, apparaissent comme des lieux privilégiés pour tester ce qui est possible en termes de développement urbain durable. L'analyse de nos cas nous conduit à différencier trois types d'apprentissage dans le cadre des écoquartiers. Le premier est l'innovation qui se fait à l'intérieur du projet : les acteurs impliqués créent de nouvelles connaissances et compétences pour répondre aux nouveaux enjeux et problématiques. Les nouvelles pratiques qui résultent de cet apprentissage restent localisées. Le deuxième type d'apprentissage consiste en l'application locale de techniques élaborées ailleurs et apportées par les acteurs dans le projet. Comme le premier type, il ne mobilise que les acteurs de l'équipe-projet, mais ceux-ci utilisent des expériences qu'ils ont menées ailleurs. Il y a donc une diffusion géographique de nouvelles pratiques. Le troisième type d'apprentissage concerne le transfert de compétences entre acteurs. Dans ce cas, on peut parler d'une acculturation, qui suppose des interactions fortes et des intérêts partagés entre les membres de l'équipe projet. Il convient de noter que les écoquartiers que nous avons étudiés, notamment ceux de Bonne à Grenoble et de Confluence à Lyon, ne sont pas nés comme écoquartiers. Les projets avec leurs caractéristiques propres étaient lancés avant que la notion d'écoquartier n'émerge. Il s'agit bien de quartiers qui cherchaient à être « à la pointe » dans les domaines environnementaux notamment, mais pas uniquement. Leur consécration comme écoquartier n'est intervenu que lors du premier palmarès d'EcoQuartiers en 2009. Dans la ZAC de Bonne à Grenoble, la ville a volontairement mis les exigences très haut. L'attractivité du site ­ proche du centre de Grenoble ­ permettait malgré ces exigences. Les opérateurs étaient obligés d'innover dans leur façon de produire : utilisation de nouveaux matériels, réflexion poussée sur la disposition des bâtiments, etc. Les opérateurs bénéficient ainsi d'une vitrine, d'une notoriété auprès de la ville de Grenoble et peuvent reproduire la même chose à d'autres endroits. La ville de Grenoble, forte de la réussite de la ZAC de Bonne peut maintenant imposer les mêmes exigences ailleurs, voire poursuivre l'augmentation des contraintes (voir aussi paragraphe 4.3 sur le rôle des référentiels locaux). On reconnaît donc bien les phases d'expérimentation, d'internalisation et de standardisation. Ce qui caractérise dans la ville de Grenoble semble être la cohérence du groupe d'acteurs impliqués dans le projet. Dans les mots de Périne Flouret (Ville de Grenoble, service prospective urbaine, département urbanisme) : 23 « Oui, c'est vrai qu'on est une équipe, et ce n'est pas évident de savoir qui fait quoi réellement, parce qu'on parle en commun du projet. On le porte tous, on est capable d'en parler tous à peu près de la même manière ». On semble là être en face d'un système qui s'approche d'une communauté de pratiques. La cohérence du réseau d'acteurs impliqués permet un apprentissage rapide. Puisque les mêmes acteurs reviennent dans d'autres opérations à Grenoble, cet apprentissage est intégré dans la production banale de la ville. Par ailleurs, la ville de Grenoble fait des opérations en régie directe, ce qui permet de tester les outils mis en place et d'aller encore plus loin: négociation directe avec les promoteurs et des expériences concrètes à partager avec la SEM SAGES. On peut supposer que cette pratique donne davantage de légitimité à la ville de Grenoble pour imposer de nouvelles normes. A Lyon, on observe un dynamisme comparable autour de Confluence, même si la standardisation y est moins directe à cause de la distance plus importante entre l'aménageur (la SPLA) et le Grand Lyon. Deux éléments d'apprentissage sont tout de même identifiés. Le premier élément concerne la façon de travailler ensemble. Il est admis que pour répondre aux exigences éleÎes dans Confluence, un travail plus intégré des différents acteurs (aménageur, collectivité, concepteur, bureaux d'études, promoteurs, bailleurs) a été nécessaire. L'expérience de Confluence apprend aux acteurs comment se positionner dans ce jeu de rôles qui évolue. Le deuxième élément d'apprentissage concerne les dimensions techniques d'un urbanisme durable. Les objectifs ambitieux ont obligé l'utilisation de nouvelles techniques dans la construction, ce qui a permis aux acteurs de se familiariser avec ces techniques. Il faut toutefois noter que certains acteurs questionnent d'une façon plus générale les effets de l'expérimentation dans des opérations phares telle que Confluence. Ainsi, Eric Perron de Grand Lyon Habitat observe : Et Concerto et Confluence étaient très durs à monter puisqu'effectivement il y a un gros jeu de façade qui est souvent contradictoire avec les objectifs thermiques recherchés. Et gérer cette contradiction ça se fait, dans le cas de ce quartier, par contre, ça se fait de manière expérimentale, enfin ça se fait une seule fois. Ça ne peut pas être généralisable. A Reims comme à Nantes, on ne semble pas encore entré dans la phase de standardisation, et il est notoirement difficile de lire la transcription de la phase internationalisation. Les éco- quartiers y apparaissent effectivement des lieux d'expérimentation, le bailleur / aménageur l'affiche par exemple clairement dans le cas de l'écoquartier des Aquarelles à Reims3, où il a délibérément cherché à produire une forme urbaine nouvelle, plus respectueuse de l'environnement et cherchant à allier densité et habitat individuel. L'expérimentation a conduit les bailleurs, qui sont les porteurs des projets, à modifier leurs pratiques. En revanche, il est difficile de dire pour le moment si cela va résulter en une Îritable standardisation, le recul temporel insuffisant ne permet pas de tirer des conclusions à ce sujet. On peut juste observer que la faible implication de la collectivité publique à Reims va de pair avec une absence de standardisation, ce qui semble confirmer notre observation qu'une implication de la collectivité publiqueest nécessaire pour une standardisation des nouvelles pratiques. 3 Ce projet était également inscrit dans la démarche « villa urbaine durable » initiée par le PUCA qui portait sur la recherche d'innovation sur un habitat innovant et sur la recherche d'une certaine densité. Ce programme est un peu l'ancêtre de la démarche EcoQuartier du MEEDTL. 24 A Nantes, les expérimentations sont nombreuses mais encore assez dispersées. Mentionnons toutefois l'existence d'un « collecteur » puissant, en l'occurrence le SEVE ­ service des espaces verts et de l'environnement, originellement lié à la Ville de Nantes, reconnu, au sein de la DG Proximité et Territoires, pour une expertise large sur la gestion environnementale, et qui est souvent associé à des réunions excédant le registre des seuls « espaces verts ». En dehors de ce service, les missions se cherchent (cf. supra) et c'est bien plutôt le recours à l'AMO qui reste la norme... Le pouvoir public local est un garant de standardisation certes, mais il a tendance à s'éclipser sur le volet des labels, certifications et référentiels. Selon un chargé de mission Développement durable : « A Nantes, on essaie de tenir tous les équilibres. On laisse germer partout » S'il y a certes « du reporting à tous les échelons », le pouvoir public local ne se manifeste pas clairement sur le plan normatif. En outre, sur la question des écoquartiers, depuis 2011, les élus (le maire en tête) sont réticents à mobiliser ce vocable en préférant banaliser l'enjeu d'un bien vivre sur tous les quartiers. Alors que le quartier Prairie-au-Duc (Ouest de l'île de Nantes) est l'un des écoquartiers primés dans le premier appel du MEEDAD, cette bannière semble désormais délaissée. « Ne pas traiter le stationnement opération par opération », « maximiser les porosités entre l'espace public et les programmes », « aller vers une gestion rustique des espaces verts », « réduire au maximum les tuyaux pour le recueil des eaux pluviales », « optimiser la gestion des déchets par des points obligatoires de dépôt », « proscrire le PVC sur toute l'opération », tout un lot de règles circulent dans des réunions techniques au cours desquelles les professionnels discutent longuement à la micro-échelle des matériaux de construction, des noues filtrantes, du mobilier urbain adéquat pour optimiser l'éclairage public, des paÎs à joints drainants sur les places de parking, ... Une somme de compromis opérationnels se construit au fil des mois sans qu'on puisse vraiment dire qu'ils servent ensuite de méthode. Certaines techniques sont testées par un aménageur puis systématisées et reprises par un autre aménageur de la place. Les approches bioclimatiques en sont un bon exemple. Nouveau standard des modes de faire éco-urbanistiques, les démarches bioclimatiques ont fait leur apparition à Nantes pour les premiers îlots dessinés du futur quartier du Pré Gauchet sur le territoire du Grand Projet de Ville. Une étude commanditée en 2006 au CERMA ­ laboratoire de recherche travaillant sur les ambiances architecturales et urbaines (CNRS / École d'Architecture de Nantes) ­ sur l'optimisation des formes et volumes, livre un certain nombre d'enseignements. Le laboratoire a réalisé sur les volumétries des projets architecturaux des promoteurs retenus, des simulations d'ensoleillement, des potentiels d'éclairement, en prenant en compte des indicateurs de compacité, de captage solaire, d'orientation. L'intérêt de l'étude aux yeux des professionnels est d'avoir permis une quantification scientifique des défauts climatiques des projets et d'amener un certain nombre de correctifs afin de valoriser au maximum notamment les potentialités d'éclairage naturel (appréhendées notamment au travers d'un très sérieux indicateur de visibilité du ciel) et d'économie d'énergie. La démarche bioclimatique a ainsi été intégrée aux études de faisabilité d'Alexandre Chemetoff. D'apparition récente, les experts de la qualité environnementale pour assister les maîtrises d'ouvrage urbaine sont les principaux acteurs de la circulation de références. Le besoin s'est 25 d'abord fait sentir du côté du GPV. Alors que les exigences affichées pour la première phase de l'aménagement du Pré Gauchet étaient a priori satisfaisantes (respect de la Réglementation Thermique 2005 pour la performance énergétique des bâtiments, certification HQE® rendue obligatoire, réflexion demandée au promoteur sur les moyens mis en oeuvre pour la qualité architecturale et environnementale, raccordement-extension du réseau de chauffage urbain, chantier propre obligatoire), le bilan de l'approche environnementale établi par la SEM Nantes Aménagement en mars 2007 était mitigé. Parmi les décalages entre les dispositions affichées et la mise en oeuvre, citons l'absence de suivi sur la demande de certification, les trop rares réflexions des promoteurs sur la qualité environnementale, l'absence de bureau d'études thermiques missionné pour évaluer les performances des bâtiments... Afin de muscler l'approche, l'idée a fait ainsi son chemin en 2007 de missionner un AMO sur la qualité environnementale du projet urbain : « On a besoin d'un AMO HQE® pour nous accompagner d'ores et déjà sur le cahier des charges de la seconde consultation et sur l'élaboration de cahier des charges thématiques (bâtiments certifié THPE, ceux à énergie positive, ceux à faible coût de construction). On est preneur de tout, on ne sait pas faire à Nantes Aménagement », reconnaît le chargé d'opération de la SEM (réunion Maîtrise d'ouvrage urbaine, GPV, Nantes Métropole, 7 février 2007). L'externalisation de l'ingénierie de la qualité environnementale est manifestement urgente car aménageurs et services des collectivités sont dans l'obligation de « donner des réponses » aux élus et les compétences manquent « en interne ». Les acteurs du système de production de la ville apprennent bel et bien à l'occasion de la réalisation d'un écoquartier : tout les incite à pousser plus loin les connaissances existantes (notamment sur le plan technique) ainsi qu'à remettre en cause leurs pratiques habituelles. En effet, un « quartier durable » est tout sauf un objet figé pour lequel des recettes préconstruites existeraient : l'apprentissage prend donc la forme d'innovations et d'expérimentations pourvoyeuses de nouveaux savoirs et de nouvelles pratiques, mais aussi de transferts entre acteurs et entre sphères de production de la ville, dont la qualité est déterminante pour parvenir à une réelle « standardisation » du développement urbain durable. Mais l'étude de l'apprentissage au sein des projets d'écoquartiers a montré l'importance du « milieu d'apprentissage » : le dispositif de projet et les ambitions fortes qui lui sont données rendent l'écoquartier particulièrement propice aux expérimentations. Mais pour comprendre l'évolution des pratiques professionnelles, il faut élargir le spectre d'observation à tout le système local de production de la ville. Il ressort de notre analyse que l'émergence, l'expérimentation et la diffusion du développement urbain durable passent par tout un ensemble de processus qui se juxtaposent, se croisent et s'influencent mutuellement. Même si les écoquartiers ont contribué aux changements des pratiques professionnelles, il paraît clairement de la façon dont le souci du développement urbain durable a émergé dans les différentes villes, que ce n'est qu'un élément parmi d'autres. Les acteurs n'opèrent pas dans le vide, et adaptent leur comportement au contexte dans lequel ils opèrent. Ainsi, dans toutes les villes, l'évolution de la norme et de la législation oblige les villes de revoir leurs pratiques. 26 L'outil fiscal, très étroitement lié aux normes, paraît comme un levier important. Un autre élément externe qui influence le comportement des villes est leur souci de se démarquer dans un contexte de compétition entre les villes. Pour assurer leur développement, et dans un contexte de décentralisation, les villes se comparent à d'autres. Elles adaptent leurs activités à ce qui se passe autour et chaque ville cherche à être un peu plus attractive que les autres. Pour cela, les villes cherchent dans un premier temps à être au courant de ce qui se fait dans d'autres villes, avec une attention particulière pour ce qu'on appelle communément la « best practice ». Ensuite, les villes visent à reproduire voir à dépasser ce qui se fait de mieux ailleurs, pour assurer leur place. Ce mécanisme paraît comme un moteur puissant derrière les changements de pratiques professionnelles. Un dernier élément qui nous paraissait important pour le changement des pratiques professionnelles : l'évolution de la demande sociétale, a été très difficile à cerner dans cette étude. Cette difficulté est liée à l'approche de l'apprentissage par les techniciens que nous avons adoptée. Une analyse qui focalise sur la dimension politique permettra de mieux cerner l'importance de la demande sociétale dans l'évolution des pratiques professionnelles. Nous y reviendrons dans la partie 5 de ce rapport. Les villes de Grenoble et de Lyon s'accordent à dire que l'évolution des normes et de la législation est cruciale, mais que les pratiques, dans un souci d'innovation, ont tendance à devancer la législation. Les collectivités cherchent à exploiter leur pouvoir de négociation pour peser sur les autres acteurs et atteindre un résultat optimal. Les quartiers de Bonne et de Confluence illustrent comment cela se passe : les investisseurs souhaitent pour différentes raisons venir dans ces quartiers, et sont prêts pour cela, à répondre à des cahiers des charges exigeants. L'importance de la législation et la norme est que cela permet de passer des paliers : une fois que les exigences sont devenues la norme (l'exemple de la réglementation thermique est souvent cité), le pouvoir de négociation de la collectivité peut être employé pour obtenir d'autres objectifs. Cela permet d'avancer, et par exemple de glisser l'attention vers d'autres objectifs, maintenant que les objectifs « environnementaux » deviennent de plus en plus des obligations légales. Perrine Flouret (Ville de Grenoble) le dit ainsi quand elle parle du projet de Presqu'Ile que la collectivité vient de lancer : « Ce n'est pas tant sur les innovations technologiques qu'on a envie de pousser que sur la généralisation de ces innovations et sur les services. Là si vous voulez, c'est de faire en sorte que les habitants vivent dans la ville du futur. » Un exemple de l'influence du « milieu d'apprentissage » est donné à Grenoble. Dans cette ville, la demande sociétale d'une production urbaine plus respectueuse des principes du développement durable semble être plus clairement exprimée qu'ailleurs. En raison de la localisation de la ville, et du profil socio-économique de sa population, le souci de développement durable semble le plus fortement ancré dans les esprits. Les élus se doivent de répondre à cette demande, et l'engagement forte de la ville de Grenoble dans le domaine du développement urbain durable s'explique de cette façon. Dans les mots de Pierre Kermen (Elu ville de Grenoble) : « C'est à dire que c'était une ville où le pouvoir politique était faible, par contre le pouvoir de la société civile était fort. Et que le propre de l'intelligence politique grenobloise était de faire vivre les acteurs. » 27 De l'autre coté, dans la ville de Reims, notre étude n'a pas permis de faire ressortir une demande sociétale en la matière : soit elle est faible, soit les acteurs ne la perçoivent pas. A Nantes il paraît que les changements de pratiques relatifs aux performances environnementales des bâtiments sont d'abord motiÎs par les incitations fiscales pour les investisseurs que par des programmes incitatifs tels Concerto (entretien chargé de mission IDN). Depuis 2010 sur l'île de Nantes, le nouveau maître d'oeuvre retenu (Smets et UAps) s'est associé au bureau d'études allemand TransSolar (Technical consulting for energy efficiency and environmental quality in buildings) pour tout ce qui concerne le volet environnemental des nouvelles préconisations dans le cadre de la mission de conception urbaine. Il est aussi associé aux paysagistes de ProAp et au bureau d'études SCE. La maîtrise d'ouvrage déléguée, de son côté, a lancé à l'automne 2011 une consultation pour une mission d'AMO pour l'élaboration d'une charte d'objectifs de développement durable de l'île de Nantes. L'agence Franck Boutté Consultants a été retenue. Ce niveau vient à nouveau dans un deuxième temps. L'expérience nantaise montre aussi que la demande sociétale peut se « travailler ». Ainsi, on peut mentionner d'une part un programme de sensibilisation via le PCT (Plan Climat Territorial) sur un ensemble de 1000 familles nantaises et des demandes diffuses ensuite pour des terrains permettant des expérimentations sur l'habitat collectif (cf. asso Echo- habitants). Une expérimentation à Bottière-Chênaie est sur le point de se mettre en place. Ces projets, alternatifs, ne sont pas liés à la recherche de généralisation qu'évoque le processus d'apprentissage expérimentation ­ internalisation ­ standardisation, mais en provoquant une prise de conscience chez la population, ils pourraient peut-être y mener. 4.3 Référentiels / guides / chartes En relation avec le besoin de faire circuler de nouvelles connaissances, les collectivités mettent en place des référentiels (chartes, guides, ...) locaux dans les domaines liés au développement urbain durable. Dans la phase de l'élaboration, ces référentiels servent comme outil d'apprentissage pour la collectivité qui les élaborent (effet indirect sur la production de la ville) ; dans la phase de l'application, ils servent comme outil pour influencer le comportement (les pratiques professionnelles) des acteurs auxquels ils s'adressent (effet direct sur la production de la ville). En outre, l'influence sur les pratiques professionnelles diffère selon le degré d'imposition du référentiel: contrainte, incitation ou consultation. Les quatre villes comprises dans notre comparaison ont toutes produit ou sont en train de produire des référentiels dans le domaine du développement durable, qui ont pour objectif d'aider, voir d'imposer, les acteurs de la production de la ville des façons de faire qui prennent en compte les exigences du développement durable. Pourtant, les référentiels sont produits différemment quand à leur processus d'élaboration, leur application et l'objectif poursuivi par la collectivité qui le met en place. En 2003 paraît le Référentiel « Habitat Durable » du Grand Lyon, qui vise à accroître la qualité environnementale dans la construction de logements. Composé d'un ensemble de fiches prescriptives relativement détaillées, il est imposé à toutes les opérations de logements que lance le Grand Lyon dans le cadre de cessions de terrain et de ZAC 28 d'initiatives communautaires . Par ailleurs, il ouvre droit à des aides majorées du Grand Lyon aux bailleurs sociaux qui l'appliquent pour produire des logements de type PLUS et PLAI. Construit par la mission Habitat et l'ALE, il est réactualisé en 2006, suite notamment au référentiel habitat de la région Rhône-Alpes publié en 2005. Il sera aussi imposé sur l'ensemble du territoire, quelque soit l'appartenance du foncier et le type d'opérations (comme la simple opération de bâtiment). C'est une étape très importante dans la constitution d'une politique de développement urbain durable, car c'est le premier outil dont dispose l'intercommunalité pour assoir ses exigences, et elle a eu un effet réel sur les pratiques, comme le précise Béatrice Couturier (Grand Lyon) : « Les AEU et le référentiel habitat, c'est tout ce qui nous a permis de poser les fondements de notre méthode. » En 2006, un autre référentiel suit, le « Référentiel pour la qualité environnementale des bâtiments à usage de bureaux ». Il adopte le même fonctionnement que le référentiel habitat, sans s'adresser aux mêmes acteurs (il s'agit surtout d'acteurs priÎs). Ces deux référentiels restent focalisés sur le bâti, un référentiel adressé à l'échelle du quartier ne verra le jour qu'en 2011. Ce « Référentiel Quartiers durables » décline les trois piliers du développement durable en prescriptions précises pour l'aménageur et les acteurs du développement urbain intervenant à l'échelle du quartier. Ces documents s'appuient sur des études et des projets réalisés dans l'agglomération de Lyon, et les mobilisent comme autant d'exemples démonstrateurs. Du fait de la taille de l'agglomération lyonnaise, ces projets sont nombreux et d'une façon générale, l'accent n'est pas mis sur un plus qu'un autre. Le plus intéressant est sans doute le travail de transcription dans les référentiels des expérimentations menées au cours de ces projets : les enseignements sont hissés à un niveau plus général, et peuvent ainsi être transférés ailleurs. Dans la ville de Grenoble, le principal référentiel dans le domaine du développement urbain durable est le « Guide de la qualité architecturale, environnementale et urbaine », publié en 2006 pour accompagner le PLU. Il s'agissait de prendre en charge des éléments qui ne pouvaient pas l'être par le biais de la réglementation ou de l'aménagement en Zone d'aménagement concerté (ZAC). Cet outil incitatif regroupe de nombreuses recommandations pour tendre vers une qualité environnementale des aménagements et du bâti. Il s'adresse aux professionnels qui aménagent et construisent sur le territoire grenoblois : l'élaboration a été coordonnée par un bureau d'études. Il s'agissait d'un travail partenarial avec les acteurs de la production de la ville. Ainsi, le guide contribue à la construction d'une culture commune. Le guide préconise les actions à mettre en oeuvre sous forme de fiches pratiques dans trois domaines (l'aménagement, la construction neuve, la réhabilitation). La ville utilise le guide explicitement dans les interactions avec les opérateurs. Cette utilisation est articulée avec la gestion des droits des sols : la ville de Grenoble s'appuie sur son guide pour évaluer les propositions de développement urbain. Cela résulte en des interactions entre opérateurs et la ville de Grenoble avec comme sujet la prise en compte des prescriptions du référentiel dans les projets urbains. Ainsi, le guide est utilisé à Grenoble comme outil pour assurer que le développement urbain répond aux critères de qualité architecturale, environnementale et urbaine que la ville s'est fixées. Il convient de noter que la ville de Grenoble, par sa situation géographique et son dynamisme économique, est une ville attractive pour des investisseurs en immobilier et que les prix du marché immobilier peuvent absorber des coûts de construction plus éleÎs. Elle peut donc 29 se permettre d'imposer aux producteurs de la ville un niveau d'exigences plus éleÎ qu'ailleurs. A Reims, l'élaboration d'un référentiel « ville durable », engagé depuis 2010 sert bien d'outil d'apprentissage tant pour la collectivité que pour les autres organismes impliqués dans la production de la ville, notamment les bailleurs sociaux. C'est d'autant plus marqué qu'il y a auto-élaboration, c'est-à-dire définition de référentiels propres sui generis plutôt qu'adaptation de référentiels existants par ailleurs. Cela fonctionne à l'échelle interne de chaque organisme/institution (c'est-à-dire sur son propre référentiel) et alimente des démarches de progrès internes. A l'inverse, il semble n'y avoir que peu d'influence de la collectivité vers les acteurs opérationnels : le référentiel Reims métropole a un niveau d'exigence en deçà des pratiques des bailleurs. L'influence sur les promoteurs priÎs n'est pas démontrée. Il faut noter que Le label Reims-métropole dépend uniquement de la bonne volonté des acteurs (pas de contrainte, ni d'incitation financière). Il ne produit pas ou peu d'effet sur le secteur priÎ (les organismes HLM étant au-dessus de ses exigences). de leurs cotés, les bailleurs ont élaboré leurs propres référentiels internes, qui influencent les pratiques professionnelles des sous-traitants. Un des bailleurs va également plus loin, en proposant à la collectivité un livre blanc sur l'aménagement durable remois (en cours de réalisation en 2012). A Nantes, la mise en place d'un référentiel développement durable est dans les tuyaux depuis 2007. Entre 2006 et 2007, plusieurs réunions d'un atelier « écoquartiers » visaient la production d'un référentiel. Elles ont permis certes une dynamique de groupe inter- institutions (Nantes Métropole, Ville de Nantes, aménageurs, CETE de l'Ouest) mais n'ont pas abouti. Plusieurs questionnements sont revenus depuis, relatifs aux finalités attendues d'un tel référentiel, entre incitatif et normatif et sur la place qu'un tel guide pouvait occuper au sein des politiques publiques. Début 2011, le chantier d'un guide écoquartier métropolitain a été relancé. La décision a été prise de lancer une AMO qui doit s'appuyer sur la charte d'aménagement de l'espace public en cours... La rédaction du guide est prévue au deuxième semestre 2012. Il devrait servir de référentiel à l'ensemble des opérations conduites sur le territoire métropolitain. Il pourrait identifier les bonnes questions à se poser et à traiter sur tous les projets, préciser des minima incontournables pour toutes les opérations et caler des exigences supplémentaires pour les projets de maîtrise d'ouvrage métropolitaine. Il s'agirait d'un guide qui ne se substituerait pas aux guides et référentiels techniques validés ou en cours de construction, et qui serait souple d'utilisation et actualisé régulièrement. Le niveau communautaire (Nantes Métropole) se cherche également depuis plusieurs années sur la question des référentiels (cf. le référentiel éco-quartier, en construction depuis longtemps), il s'est davantage rendu visible sur un plan meta : Plan Climat Territorial, écocité Nantes Saint-Nazaire lauréate du fond « Ville de Demain », Nantes capitale verte de l'Europe en 2013... Le niveau de production de la ville n'apparaît donc pas spécialement piloté par une liste d'exigences, dans la poursuite d'un urbanisme à la nantaise, entre autres caractérisé par une relative faiblesse du pilotage communautaire (cf. les aléas organisationnels de la Direction Générale du Développement Urbain). En dehors de l'urbanisme de projet, le secteur diffus est concerné par un cahier de recommandations environnementales annexé au PLU dont il semble que les instructeurs de permis de construire et le service du droit des sols ne sont pas assez familiers pour que cela porte à des 30 conséquences significatives. Nantes est donc toujours en quête d'un document fédérateur dont on voit bien que ce n'est pas tant l'existence même qui compte que les processus d'élaboration et d'apprentissage dont il est l'occasion. La prise en compte des exigences liées au développement durable dans la production de la ville est relativement récente. Bien que des connaissances et des savoir-faire qui permettent de produire une ville plus durable existent, les acteurs « sur le terrain » ne les maîtrisent pas forcément. En même temps, les objectifs qu'ils se donnent, les obligent à agir différemment. Pour ce faire, ils s'appuient sur des connaissances produites ailleurs. Une façon de faire cela est de mobiliser des connaissances externes en faisant appel à des consultants et bureaux d'études, nous en avons parlé en paragraphe 1.1. Une autre façon de mobiliser des connaissances d'ailleurs est en s'appuyant sur des référentiels faits par d'autres acteurs. Des référentiels Haute Qualité Environnementale, Approche Environnementale de l'Urbanisme, des démarches comme le palmarès des EcoQuartiers des programmes comme les programmes européens Concerto et Smart Cities fonctionnent comme Îhicules pour rendre disponibles les connaissances et savoir-fairede certains réseaux supralocaux dans des réseaux locaux. Il s'agit ici de ce qu'on appelle en termes d'apprentissage organisationnel des « objets frontières ». On assiste depuis plusieurs années à une prolifération de ce type de labels et de référentiels supra-locaux. Ces leviers permettent effectivement d'accélérer le changement des pratiques professionnelles (surtout quand ils sont accompagnés d'aides financières), mais leur effet dépend avant tout de la volonté des acteurs locaux de s'en saisir). En 2003, le Grand Lyon (poussé par le service opérationnel qui était sensible à l'approche qualitative et au développement durable) se porte volontaire auprès de l'ADEME pour expérimenter huit « approches environnementales de l'urbanisme » (AEU®) sur son territoire. Il s'agit d'une méthode élaborée par l'ADEME, qui permet d'améliorer la phase diagnostic de tout projet d'aménagement. Cela a permis aux acteurs d'intégrer des l'amont les considérations environnementales dans les projets urbains, dans une période ou ils n'étaient pas encore très familiers avec le sujet. A Lyon, cet outil est porteur de grands changements car en 2005, les élus communautaires décident de généraliser l'usage des AEU® à l'ensemble des projets urbains initiés par le Grand Lyon. L'expérience lyonnaise avec la démarche AEU® montre le rôle que peuvent jouer ces objets frontières dans le changement des pratiques professionnelles. Depuis, le Grand Lyon a développé suffisamment de compétences en interne pour ne plus avoir besoin d'appliquer à la lettre la démarche AEU telle qu'elle est envisagée par l'ADEME. L'approche environnementale de l'aménagement a été internalisée et ne nécessite plus le recours systématique à ce référentiel. Cette évolution illustre le rôle que peuvent jouer ce type de référentiels « généraux » dans le changement des pratiques professionnelles au niveau local. Une autre expérience lyonnaise montre d'une autre façon l'importance que peuvent avoir les référentiels. Dans le cadre du programme européen Concerto, le Grand Lyon et la SPLA Lyon Confluence s'auto-imposent (car ils ont fait une choix délibéré de participer dans le programme) des exigences en terme notamment de performance énergétique de bâtiments. 31 Les règles du jeu du programme Concerto ont obligé le Grand Lyon et la SPLA à mettre en place des méthodes qui permettent de produire ces bâtiments. Cela a eu une influence importante par exemple sur les cahiers des charges de cession de terrains que la SPLA utilisait pour les îlots concernés par le programme. La subvention européenne qui accompagnait les exigences strictes en termes de performance énergétiques a aidé dans un premier temps pour permettre la réalisation des bâtiments qui étaient à l'époque à la pointe de ce qu'on savait faire. Par la suite, ces cahiers des charges sont devenus le standard et maintenant, la SPLA n'a plus besoin du programme Concerto pour les imposer aux opérateurs. D'eux-mêmes, ceux-ci ont intégrés les niveaux de contraintes, voire même proposent, au stade du concours, des bâtiments ayant des performances supérieures. Cette expérience conduit Béatrice Couturier (Grand Lyon) à observer : « Pour nous, les programmes européens sont vraiment des accélérateurs. » On peut observer un positionnement un peu ambigu par rapport aux labels à Confluence. Au départ, ce quartier Confluence n'était pas affiché comme écoquartier, la notion n'existan pas en 2003. En cours de trajet, le programme Concerto aidant, le projet est apparu comme une opération qui a toutes les caractéristiques d'un écoquartier. Cela à conduit à deux choses : l'obtention d'un prix national dans le cadre du concours EcoQuartiers 2009, dans le domaine de la performance énergétique et l'obtention du label quartier durable du World Wildlife Fund en 2010. Pendant une brève période, on a donc parlé de Confluence comme un écoquartier, mais rapidement le terme a été abandonné, pour souligner le fait que Confluence n'est pas un quartier exceptionnel dans le tissu urbain lyonnais, et que le souci de développement urbain durable concerne tout les projets urbains sur le territoire du Grand Lyon. A Nantes, le rapport au supra-local se joue beaucoup du côté de l'image et de l'aménagement à l'échelle de Nantes-Saint-Nazaire. La question d'une présence dans différents palmarès et concours joue et sert de prétexte à la mise en place d'équipes projets, comme par exemple la candidature conjointe des collectivités Nantes-Saint-Nazaire au concours « EcoCité » déjà mentionné. Ensuite comme pour Lyon et Grenoble le programme Concerto pour le montage de certaines opérations a pu servir comme « aiguilleur ». Mais cela ne concerne qu'un nombre limité d'opérations d'une part et suppose un montage assez lourd qui peut « refroidir » un certain nombre d'acteurs (« si c'était à refaire, je ne suis pas sûr que l'on irait... »). Déjà Nantes Métropole et la SAMOA faisaient part, courant 2008, d'une difficulté particulière pour les opérations « Concerto » : « On identifie nous aménageur un projet pilote et on remet ensuite la responsabilité au promoteur. Mais sur les opérations Concerto, on est en difficulté, moins sur le montage et la conception de l'opération que sur l'implication des entreprises de la filière génie civil qui font en bout de chaîne. Tout le champ de l'innovation est à pousser et pour ça Concerto c'est bien, mais il faut penser aussi à l'exécution. Si les vitrages peu émissifs sont mal posés, vous voyez le problème » (chargé de mission DD, Samoa, réunion 3 avril 2008, à Nantes Métropole). A cette inertie releÎe par les aménageurs dans l'évolution des pratiques de conception et de construction des professionnels, s'ajoutent sur un autre registre l'absence de co- construction d'outils entre villes partenaires du programme, le décalage d'intérêts entre 32 elles. Sur le projet Concerto, Hanovre a une longueur d'avance sur Nantes et teste des opérations innovantes sur du bâti existant, là où Nantes expérimente sur de la construction neuve (hormis le centre commercial Beaulieu). De telles divergences dans les attentes avaient pu être obserÎes plus tôt sur le programme européen Revit et impliquant d'autres villes. On peut également mentionner le programme Citergie (ref ALBriand), labellisation concernant la Ville de Nantes relative à la sobriété énergétique des bâtiments municipaux. A l'autre bout de la chaîne, on peut trouver un aménageur exigeant la certification habitat- environnement, certificat au niveau de la conception, qui n'est pas au niveau de la réalisation (« qui est capable de contrôler en effet ? »). A Reims, les référentiels supra locaux sont peu utilisés. Par contre, il y a un recours dynamique aux labels nationaux. Pourtant, les conséquences en termes de changement de pratiques professionnelles sont peu perceptibles. Il paraît que la recherche de label s'inscrit surtout dans une politique d'image. 4.4 Rôle d'individus Les individus sont cruciaux pour l'apprentissage de nouvelles pratiques professionnelles. Dans la littérature sur le transfert de politiques (policy transfert), ce transfert est conceptualisé comme la transmission de valeurs, de connaissances, de savoirs-faire qui implique des « producteurs », des « émetteurs », des « facilitateurs » et des « récepteurs ». Les acteurs dans le réseau peuvent jouer un ou plusieurs de ces rôles à la fois (De Jong and Edelenbos, 2007). Dans nos études de cas, il paraît que certains individus qui réunissent plusieurs de ces rôles peuvent jouer un rôle crucial dans le passage de l'expérimentation à la standardisation de nouvelles pratiques professionnelles. - Les « visionnaires » sont à la fois émetteurs et facilitateurs, ils apportent des nouvelles idées concernant les enjeux et objectifs ; - Les « experts » sont producteurs et émetteurs, ils apportent des connaissances et des savoir-faire pointus sur un ou plusieurs domaines ; - Les « pivots » sont récepteurs, dans la mesure où ils sont à l'écoute des experts et des visionnaires, facilitateurs dans la mesure où ils organisent la distribution des connaissances et savoirs faire, et producteur dans la mesure où ils traduisent les enjeux en objectifs. Il ne faut pas oublier que le changement de pratiques professionnelles reste au fond une affaire de personnes, d'individus qui, sous différentes influences, modifient leurs façons de faire. Aborder ces changements sous l'angle de l'apprentissage souligne la place centrale occupée par les individus. Le rôle de visionnaire est clairement illustré par l'élu Grenoblois Pierre Kermen. Il apparaît comme la personne qui donne une impulsion déterminante vers un développement urbain durable. En fixant des objectifs éleÎs et en s'impliquant activement dans leurs réalisations, il a fait avancer tout le réseau d'acteurs de la production de la ville dans le sens d'un développement urbain plus durable. Il faut noter que Pierre Kermen s'est créé lui même ce rôle, il va activement chercher des connaissances et des réseaux dans des systèmes d'action différents, cela le permet par la suite d'occuper la « zone d'incertitude » (dans les termes de 33 Crozier et Friedberg, 1977) créée par les nouvelles exigences de développement urbain durable. Dans ces propres mots : « Je fais vraiment mes classes avec Vigny-Musset. C'est là que je rencontre des promoteurs, j'apprends ce que c'est un promoteur, j'apprends ce que c'est un architecte, j'apprends ce que c'est l'opérationnel, j'apprends ce que c'est des coûts, j'apprends qu'on peut faire des choix, qu'on peut imposer des choses. » Lors des élections municipales de 2001, Kermen est tête de liste associant les verts et la gauche citoyenne, ce dernier obtient presque 20% des suffrages : parce qu'il bénéficie de cette forte légitimité, il peut jouer un rôle actif pour initier et soutenir ce qui est devenu la politique de développement durable grenobloise. Il apporte sa vision écologique et environnementale aux politiques et aux projets initiés par son prédécesseur, Christian De Battisti, et les relance énergiquement, accélérant le chantier du développement durable. Il associe ville durable et écologie, et comprend qu'un engagement européen permettrait de soutenir et de diffuser les orientations prises à Grenoble (il a en effet acquis une expérience européenne lors de son mandat précédent comme Délégué aux finances et aux financements européens). C'est un élu très proche des services et très engagé sur le terrain, qui sait développer des partenariats avec le monde de la recherche (l'Ecole d'architecture, l'Institut d'urbanisme de Grenoble) mais aussi avec des organismes comme le CAUE de l'Isère. Il est porteur d'une vision forte, et ­comme il se plait à le dire ­d'un « dessein/dessin » de ce que pourrait être Grenoble. Au cours de ce mandat (2001-2008), l'élaboration des documents d'urbanisme et des outils de planification tient une place importante dans le processus de développement et de généralisation du développement durable. De plus, la réalisation de ces documents offre de nombreuses occasions d'échange avec les professionnels : sous l'impulsion de Kermen, un « milieu local » se structure. Sa capacité à lier différentes mondes sociaux, en particulier les mondes des techniciens et des élus est reconnue par les praticiens à Grenoble, comme témoigne la citation suivante de Perrine Flouret (Ville de Grenoble) : « Pierre Kermen était un élu qui était très proche des services, il était presque un peu trop technique on va dire, il portait techniquement pas mal de projets, et il suivait tellement bien les projets (le PLU, etc.) qu'il avait presque un rôle un peu ambigu de grand patron presque technique et d'élu. » Le départ de Pierre Kermen en 2008, suite aux élections locales perdues par les Verts, n'aura pas d'incidence majeure le système qu'il aura construit. Le visionnaire passe la main au pivot qu'illustre le département urbanisme de la Ville et en particulier le service prospective urbaine. Même si la culture est diffuse dans les différents services communaux et de la Métro, le département urbanisme dirigé par Laurent Gaillard poursuit ce rôle d'incubateur de nouvelles pratiques, avec notamment leur implication récente dans l'élabortaion d'une proposition dans le cadre de l'appel à projets européens Smart Cities, ou encore comme testeur d'un éventuel label EcoQuartier émanant du Ministère du Développement Durable. Ce rôle de pivot paraît crucial pour la standardisation du développement urbain durable. Il organise la distribution des connaissances et traduit les enjeux en objectifs. L'importance de ce rôle est illustré par la chargée de développement durable à la Communauté Urbaine du Grand Lyon ; Béatrice Couturier. Son positionnement en « transversal » lui permet de 34 distribuer les connaissances et savoir-faire liés au développement urbain durable parmi les services du Grand Lyon. Dans un sens, la ville de Reims apporte la preuve par défaut de l'observation du rôle crucial des individus dans l'apprentissage du développement urbain durable. La standardisation de nouvelles pratiques professionnelles n'a pas encore eu lieu à Reims. Les individus impliqués dans les processus relèvent plutôt d'une autre catégorie : les individus en apprentissage. Au plan politique, le visionnaire et le pivot font défaut. A Nantes, au niveau électif, on peut repérer depuis 2001 le rôle des Verts dans la gouvernance politique municipale et communautaire. Pour autant, ni Ronan Dantec, ni Pascale Chiron, qui disposent de mandats délégués (l'un vice-président communautaire en charge de l'environnement jusque sa récente élection comme sénateur, l'autre comme déléguée à la Ville à l'énergie et à la qualité des bâtiments publics) ne peuvent être considérés comme des visionnaires. Ils ont poussé des enjeux assez spécifiques, plutôt techniques, appuyés et relayés par des techniciens ­ militants du développement durable sous des formes variées (à préciser suivant les trajectoires pro des uns et des autres : L.Bézert, L.Coméliau, M.Guillard, V.Huré...), contribuant à la structuration d'actions de sensibilisation et de promotion des enjeux du durable. Ce sont plutôt les profils de « pivots » que l'on retrouve dans les structures ainsi que des « demi-experts », suffisamment aptes à accompagner et piloter des AMO et à diffuser de nouvelles pratiques. Un atelier métropolitain « politique de la ville et développement durable » mettait bien en avant, en 2010, des horizons professionnels et militants différents, selon la place du curseur de l'éducation populaire par exemple. Il montrait aussi, par exemple, une préoccupation assez partagée autour de la question de la « justice environnementale ». 35 5. Pour conclure : vers un agenda de recherche 5.1 Les principales observations Ce projet de recherche a exploré les évolutions des pratiques professionnelles dans le domaine de la production de la ville, sous l'impulsion des impératifs du développement durable. Pour ce faire, le travail a focalisé sur les processus d'apprentissage. Il ressort de nos analyses qu'il y a effectivement apprentissage dans le domaine de la production de la ville : les acteurs adaptent leurs stratégies et leurs activités pour répondre à des nouvelles exigences liées au développement durable. Les notions de « champs d'expérience » et de « horizon d'attente » telles qu'elles sont définies par l'historien Koselleck (1987) permettent de représenter les changements qui ont lieu. Le champ d'expérience fait référence à l'expérience Îcue que possède chaque acteur et qui forme la base pour penser ses actions. L'horizon d'attente désigne ce que chaque acteur souhaite atteindre et ce qui oriente les actions. Koselleck montre que la tension entre les deux permet de comprendre la transformation des sociétés. Nous concevons l'apprentissage comme les processus ­ spontanés ou volontaires ­ qui visent à rapprocher le champ d'expérience de l'horizon d'attente. Le champ d'expérience dans notre travail correspond à la production de la ville. Nous avons vu dans la paragraphe 4.1 comment elle évolue : on y observe une croissance de l'interdépendance entre acteurs qui conduit à une complexification des processus de coordination. L'horizon d'attente, c'est-à-dire ce qu'on cherche à atteindre dans la production de la ville, évolue également sous l'influence notamment des impératifs du développement durable qui se manifestent, comme nous l'avons vu dans le paragraphe 4.2 par des changements dans la réglementation, par les efforts des villes pour se démarquer dans un environnement concurrentiel (le « benchmarking ») et par l'évolution de la demande sociétale. L'apprentissage du développement urbain durable se fait donc dans une situation dans laquelle à la fois les modes de faire et les objectifs évoluent. La production de la ville est un processus itératif et incrémental, dans lequel les acteurs adaptent continuellement leurs actions aux signaux qu'ils reçoivent du contexte dans lequel ils déploient leurs activités. Cette adaptation continue des modes de production de la ville, en vue de produire une ville plus durable, a été au coeur de notre analyse. Plus particulièrement, nous avons tenté d'identifier les éléments qui permettent cette adaptation. Comment peut-on faire le lien entre un horizon d'attente qui évolue sous l'influence des impératifs du développement durable, et un champ d'expérience construit dans un passé où ces exigences n'étaient peu ou pas prises en compte ? Nous avons identifié deux éléments cruciaux que sont les référentiels, guides, chartes d'une part, et les individus d'autre part. Dans les paragraphes 4.3 et 4.4, nous proposons une analyse détaillée des façons dont ces deux éléments permettent l'apprentissage. Ces façons d'agir peuvent être regroupées dans trois catégories principales : La voie négociée: essentiellement à l'échelle du projet entre la collectivité et l'aménageur (qualité et surface dédiée aux espaces publics, l'offre mobilité et la place des modes doux, la programmation et la production de logements sociaux, etc.) et entre l'aménageur et le promoteur à travers les négociations sur les cahiers des charges de 36 cession de terrain avec un impact important sur l'économie du projet et sa réalité aux marchés fonciers et immobiliers; La voie règlementaire : plutôt à l'échelle de la ville ou de l'agglomération (règlement du PLU et gestion du droit des sols, mise en place de SCOT plus prescriptifs, incitations fiscales, le code de la construction, les règlementations thermiques, etc.) La voie culturelle: la ville durable se construit par itération. Le temps d'un projet, les acteurs apprennent à se connaître, à confronter leurs cultures, leurs points de vue. Cet échange crée les conditions d'une acculturation des collectivités, des aménageurs, des promoteurs sur l'approche développement durable, et inversement des bureaux d'études techniques à la culture de projet urbain. Il est probable que cette acculturation joue un rôle central dans la banalisation de l'urbanisme durable. Le tableau ci-dessous fait le lien entre les trois voies qui permettent de faire évoluer les pratiques professionnelles et les vecteurs d'apprentissage central que sont les référentiels et les individus. Tableau 2 ­ Vecteurs d'apprentissage La voie négociée Rôle des référentiels Le référentiel sous forme de chartes ou guides de développement durable non contraignant permet d'expliciter les objectifs et les méthodes d'y parvenir. Cela permet de présenter des prises de position argumentées qui prendront ainsi un poids supplémentaire dans les négociations (exemples : guide de la qualité architecturale, environnementale et urbaine à Grenoble ; référentiel quartiers durable à Lyon) Des référentiels contraignants permettent d'imposer de nouvelles exigences aux acteurs, qui seront obligés d'adapter leurs pratiques pour y répondre. La formalisation d'exigences de façon réglementaire permet de pousser plus loin les exigences dans un cadre de négociations (logique de « paliers ») (exemples : réglementation thermique, HQE) Les référentiels introduisent dans la production de la ville de nouvelles exigences, que ce soit Rôle des individus Le poids des individus « visionnaires » est crucial dans les négociations, dans la mesure ou leur « force de conviction » permet d'amener les autres acteurs à modifier leurs pratiques (exemple : Pierre Kermen à Grenoble). Le rôle d'expert est également important pour poser les cadres des négociations (rôle du cabinet Tribu à Confluence et à la Zac de Bonne). La voie réglementaire La voie réglementaire nécessite d'introduire de nouvelles connaissances dans le domaine réglementaire. Des « experts » sont nécessaires pour produire les connaissances nécessaires. Ensuite, des « pivots » font le lien entre les mondes des experts du développement durable et de la réglementation (rôles joués par exemple par les personnes de l'ADEME). Les individus contribuent en tant que visionnaire et pivot au changement culturel. Le La voie culturelle 37 en termes de contenu ou de processus. Ainsi, ils accompagnent l'émergence de nouvelles pratiques professionnelles et l'acculturation au développement urbain durable (exemples : AEU®, Concerto). visionnaire est nécessaire pour faire accepter de nouveaux idées (exemple Pierre Kermen à Grenoble), le pivot permet à ces nouveaux idées d'être traduites en actions et modes de faire (exemples : Jean Vilien et Béatrice Couturier à Lyon, Perine Flouret à Grenoble) 5.2 Des sujets à creuser Dans ce projet de recherche, nous avons étudié le changement des pratiques professionnelles de production de la ville, sous l'impulsion des exigences du développement durable, par l'entrée de l'apprentissage. Cela a permis de mettre à jour les principales voies de changement des pratiques professionnelles et plusieurs vecteurs d'apprentissage au sein de ces voies. Mais il convient de noter que l'entrée par l'apprentissage a pour conséquence un accent sur les dimensions cognitives de l'évolution des pratiques professionnelles. Cette approche a ainsi focalisé sur les rôles des techniciens. Au terme de notre analyse, nous constatons que l'approche par l'apprentissage est heuristique, mais qu'elle ne permet pas d'aborder toutes les dimensions de l'évolution des pratiques professionnelles dans le domaine de la production de la ville. La mise en évidence de tous les éléments qui contribuent à l'émergence de nouvelles pratiques professionnelles dans le domaine de la production de la ville nécessitera des travaux supplémentaires. Des travaux supplémentaires sont également nécessaires pour traduire les mécanismes obserÎs en outils et procédures opérationnelles. Ces limites étaient prévisibles dès le début, c'est pourquoi cette recherche exploratoire débouche sur un « agenda de recherche ». Il ne s'agit pas seulement de présenter et de mettre en perspective les vecteurs d'apprentissage identifiés dans ce projet, mais également d'identifier les questions qui persistent et de préciser des travaux complémentaires qui permettront de mieux comprendre la façon dont les différents vecteurs d'apprentissage peuvent contribuer à la diffusion du développement urbain durable. Dans cette perspective, les thématiques qui ont émergé sont les suivantes : - Un travail plus en profondeur sur les acteurs paraît nécessaire : qui est porteur d'innovation et comment le transmet-il aux autres acteurs ? Plus précisément, quels pouvoirs ont les différents acteurs pour influencer les autres ? Qu'est-ce qui fait que différents acteurs sont considérés comme légitimes pour amener les autres à modifier leurs pratiques professionnelles ? Dans ce cadre, il paraît intéressant d'interroger le rôle des élus. La modification des pratiques professionnelles n'est pas uniquement une affaire de techniciens. La focalisation sur la dimension cognitive fait que l'influence de décisions politiques n'était pas au centre de ce projet de recherche. Un travail complémentaire qui étudierait l'interaction entre la dimension politique et l'évolution des pratiques professionnelles permettrait d'aborder notre hypothèse que la « demande sociétale » fait évoluer les pratiques professionnelles. Cette hypothèse n'a pas pu être étudiée avec le cadre conceptuel mobilisé dans notre étude. - Certains dispositifs semblent agir comme « accélérateur » de l'apprentissage. Dans 38 l'objectif de faire évoluer la production de la ville dans le sens du développement durable, il serait utile de mieux comprendre en quoi consiste cette capacité d'accélérer le changement des pratiques professionnelles. Le programme Concerto a clairement joué le rôle d'accélérateur (voir paragraphe 4.2). Cela semble indiquer que l'organisation des interactions dans des réseaux d'acteurs constitués autour d'objectifs communs favorise l'apprentissage. Un travail en profondeur sur la façon dont ce programme ­ ou d'autres programmes Européens ­ produisent leurs effets pourrait mettre à jour les éléments précis qui produisent cet effet. - Le rôle que se donnent les collectivités dans les différentes villes pour faire influencer les pratiques professionnelles est différent. Notamment la différence obserÎe entre Grenoble, où il semble y avoir une communauté de pratiques autour du développement urbain durable, et Lyon, ou la notion de collectivité de pratiques semble plus appropriée, nous conduit à nous interroger sur la relation entre la distribution de compétences et les échelles d'apprentissage ayant un impact sur le nombre de personnes à initier. La ville de Grenoble, compétente en urbanisme, est capable de générer un apprentissage rapide, mais sur un territoire relativement restreint. Autrement dit, le changement de pratiques s'opère plus facilement à travers la mise en place de groupes de travail et de diffusion d'outils avec du compagnonnage et à travers les projets suivants. L'apprentissage du développement urbain durable prend une voie plus institutionnelle pour la communauté urbaine de Lyon, mais en même temps, il se fait sur un territoire plus vaste. En effet, la diffusion de documents-cadre qui s'imposent à tous passe par un temps d'élaboration en petit groupe puis de dissémination par différentes voies. Le public ciblé est plus important mais les temporalités plus longues également avec des recompositions d'équipes projets. Ces questions renvoient à l'inscription de l'apprentissage dans le territoire, qui mérite d'être creusé d'avantage. La focalisation sur la production de la ville a aussi pour conséquence que nous n'avons pas interrogé la façon dont les quartiers « vivent » : comment sont-ils appropriés par les habitants. Là aussi, il semble y avoir besoin d'apprentissage, et il y a un vrai sujet à creuser, mais qui se situe en dehors du sujet abordé dans cette étude. 5.3 Un cadre conceptuel complémentaire : l'analyse des jeux d'acteurs Le prisme de l'apprentissage organisationnel que nous avons adopté pour ce projet a influencé les observations que nous avons pu faire. - Au niveau des « contenus », l'apprentissage a avant tout été considéré comme la transmission et l'intégration de nouvelles connaissances : la dimension cognitive de l'apprentissage a été au centre de nos interrogations. - Quant aux « vecteurs » d'apprentissage, l'accent était mis sur les façons dont des nouvelles connaissances circulent. Cela nous a conduit à interroger les interactions entre acteurs, mais la dimension du pouvoir et son influence structurant sur les interactions n'a été que très marginalement abordé. Les « sujets à creuser » identifiés ci-dessus sont les témoins de cet éclairage partiel du changement des pratiques professionnelles. Pour compléter notre analyse, avec une prise en compte plus fine de l'évolution des pratiques professionnelles dans des situations complexes qui sont caractéristiques pour la production de la ville, il faudra mobiliser des concepts qui 39 focalisent sur le fonctionnement de réseaux d'acteurs hiérarchisés. Ces concepts se trouvent du coté de « l'analyse institutionnelle ». L'analyse institutionnelle part du constat que les pratiques des acteurs sont inscrites dans un contexte de relations sociales qui se superpose sur le paysage d'institutions formelles. C'est dans ce contexte que les acteurs construisent de manière active leurs façons de réfléchir et d'agir. Cette analyse ne se concentre pas sur les structures ou procédures formelles, mais sur les interactions au sein de réseaux d'acteurs (Healey, 1999). La combinaison de ses objectifs et de son rôle dans le réseau permet à chaque acteur d'élaborer sa stratégie. Mais cette stratégie se met en oeuvre dans une situation d'interdépendance : chaque acteur dépend d'autres acteurs pour réaliser ses objectifs. En conséquence, chaque acteur a du pouvoir pour influencer le comportement des autres qui dépendent de lui (dans des degrés divers) (Le Galès, 1995 ; Verhage, 2002 ; Rydin, 2010). Les nouveaux impératifs du développement durable modifient les interdépendances dans les réseaux d'acteurs. Pour réaliser leurs objectifs, les acteurs seront obligés de changer leurs stratégies. Cette approche permet d'introduire la notion de pouvoir dans l'analyse de l'évolution des pratiques professionnelles. Elle paraît intéressante pour analyser la façon dont un dispositif comme Concerto, mais aussi d'autres formes de mise en réseau d'acteurs modifient ces pratiques ­ au delà de l'influence par la transmission de nouvelles connaissances. Ce qui rend l'approche institutionnelle intéressante pour aborder les changements des pratiques professionnelles est sa façon d'articuler la structure dans laquelle les acteurs agissent et qui leur donne du pouvoir d'agir, et les actions qu'ils développent. En appliquant les idées de Giddens (1984), ces deux éléments s'influencent mutuellement : les interactions entre acteurs sont conditionnées par les structures dans lesquelles elles ont lieu, mais en même temps, ces interactions font évoluer les structures. Les acteurs de la société sont fondamentalement considérés comme réflexifs : ils sont capables d'adapter leur comportement à des changements de contexte, et en ce faisant, ils font évoluer le contexte dans lequel ils agissent. Ce courant théorique paraît pertinent pour analyser de façon plus fine le jeu d'acteurs qui conduit à des changements de pratiques professionnelles. En termes de sociologie des organisations, le sujet de l'évolution des stratégies d'acteurs, désigné dans ce courant comme des systèmes d'action, est abordé en mettant l'accent sur le rôle de l'incertitude. Les champs d'incertitudes qui apparaissent dans des situations de transition incitent les acteurs à changer leurs pratiques. Du point de vue de chaque acteur, si les champs d'incertitude sont investis par d'autres, cela risque de réduire ses marges de manoeuvre. L'apparition de champs d'incertitude dans un système d'action est donc à la fois une opportunité d'agrandir son pouvoir et une menace de perdre sa marge de manoeuvre. Les impératifs du développement durable mettent actuellement la production de la ville dans une phase de transition, ou du moins ils créent des champs d'incertitude car leur application nécessite d'agir autrement qu'auparavant. Avec la sociologie des organisations, nous trouvons ainsi un outillage conceptuel qui permet d'analyser comment les organisations s'adaptent et évoluent dans cette situation d'incertitudes. Ce cadre conceptuel nous permettrait en outre d'affiner notre analyse du rôle des individus, en utilisant la notion du « marginal sécant ». Les nouvelles exigences dans le domaine de développement durable créent des incertitudes pour les organisations impliquées dans la production de la ville. Les individus au sein de ces organisations qui, par leurs appartenances multiples ou leur capital de relations dans tel ou tel segment de l'organisation, sont capables 40 de maîtriser cette incertitude au profit de l'organisation, disposent d'un pouvoir important : c'est le pouvoir du « marginal sécant ». Dans les termes de Crozier et Friedberg (1977), le « marginal sécant » est défini comme un « acteur partie prenante de plusieurs systèmes d'acteurs en relation les uns avec les autres, et qui peut...jouer le rôle indispensable d'intermédiaire et d'interprète entre des logiques d'action différentes, voire contradictoires. » (Crozier et Friedberg, 1977 : 73). Ces marginaux sécants peuvent jouer un rôle important dans l'évolution d'une organisation dans un contexte d'incertitude car ils sont relativement indépendants par rapport à l'organisation spécifique dans laquelle ils travaillent et ils ont une marge d'expérimentation plus grande parce que leurs multiples appartenances les rendent moins dépendant de l'organisation à laquelle ils appartiennent. Le rôle des élus, que nous n'avons pas réussi à analyser d'une façon satisfaisante peut ainsi être mieux explicité et compris. La combinaison des thématiques à approfondir (paragraphe 5.2) et des approches conceptuelles complémentaires permet de pousser plus loin les réflexions concernant l'apprentissage de nouvelles pratiques professionnelles dans le domaine de la production de la ville, sous l'influence des impératifs du développement durable. Les contours de cet agenda de recherche, sont présentés dans le tableau 3, avec lequel nous concluons ce rapport. Tableau 3 - Agenda de recherche Cadres conceptuelles Approche institutionnelle : Approche sociologie des Interaction structure ­ activités organisations : rôle de acteurs l'incertitude Comment / dans quelle mesure L'élu comme « marginal sécant » : les acteurs politiques à travers quels liens entre capital de leurs actions sont-ils capables relations et marge de manoeuvre de faire évoluer le contexte / influence des acteurs politiques structurel de la production de la ? ville ? Dimension politique du changement Thémes à approfondir Dispositifs d'action accélérateurs Comment aider les acteurs comme « praticiens réflexifs » à faire évoluer leurs pratiques professionnelles ? Comment ajuster dispositifs d'action aux champs d'incertitude, de façon à ce que les acteurs puissent se saisir des dispositifs pour réduire ces champs d'incertitude ? Inscription apprentissage dans le territoire Comment qualifier l'influence des dimensions territoriales de la « structure » qui cadre les activités des acteurs ? Quelle relation entre les particularités de chaque territoire et l'apparition / évolution des champs d'incertitude dans la production de la ville ? 41 Sources Bibliographie générale Arab, Nadia, L'activité de projet dans l'aménagement urbain. Processus d'élaboration et modes de pilotage. Le cas de la ligne B du tramway strasbourgeois et d'Odysseum à Montpellier, Thèse de doctorat, 2004. Argyris C., D. 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Revue Place Publique n°18, nov-dec 2009, dossier intitulé « écocité, gadget ou nouveau modèle ? » 45 Entretiens Lyon Enzo Amentea, Architect (Ilôt B Confluence) Béatrice Couturier, Chargée de mission développement durable, Grand Lyon Sylvie Josse, Chef de projet, SPLA Lyon Confluence Pierre-Marie Legloannec, Directeur d'agence Lyon, Bouwfonds-Marignan Fabien Moudileno, Chargé de mission Energie Climat, Agence Locale de l'Energie (ALE) Majorie Musy, Assistante Maîtrise d'Ouvrage, Tribu Eric Perron, Directeur du Développement Immobilier, Grand Lyon Habitat Michel Raoust, Directeur, Terao (Assistance Maîtrise d'Ouvrage et Maîtrise d'oeuvre) Maxime Valentin, chef de projet, SPLA Lyon Confluence Jean Vilien, directeur mission écologie urbaine, Grand Lyon Grenoble Michel Blanc, Directeur agence de Meylan, Bouygues immobilier Jérome Buffière, Chargé de mission des démarches HQE et énergies renouvelables, projets européens (Concerto) et suivi du Plan Climat Local, Agence Locale de l'Energie (ALE) Perinne Flouret, Chargée d'opérations, service prospective urbaine, direction de l'urbanisme, Ville de Grenoble Michel Gibert, Directeur développement durable et Europe, OPAC 38 Pierre Kermen, ancien adjoint à l'urbanisme (Les Verts), Ville de Grenoble Patrick Le Bihan, Directeur Adjoint, SEM SAGES Loïzos Sava, Architecte-Urbaniste en chef de la ZAC de Bonne, Aktis Reims Pauline Acariès, chargée de mission PLH, Agence d'Urbanisme de la Région de Reims (AUDRR) Eric Citerne, Directeur de l'Urbanisme et de l'aménagement urbain, Reims Métropole Michel Ferro, Directeur général, Effort rémois Plurihabitat Jean Denis Mège, Directeur du développement, Foyer rémois Serge Pugeault, 2e adjoint au maire de Reims, Développement économique ­ grands projets, président de l'AUDRR Baptiste Redon, Chargé de mission environnement, développement durable, AUDRR François Toublan, Directeur relations et territoires, Reims habitat Pierre Tridon, Directeur, AUDRR Nantes Anne-Line Briand, chargée de mission développement durable, Nantes Métropole Laurent Coméliau, Mission Capitale Verte, Nantes Métropole David Polinière, Chargé de Mission, SAMOA Olivier Tardy, Chargé de mission, SAMOA Mathilde Carreau, Chargée de mission, SAMOA Observations de présentation avec Maryline Guillard (Nantes Métropole, DG environnement et services urbains) et Ronan Dantec (élu Vert) 46 échanges avec Pascale Chiron (élue vert), Jean-Pierre Brindel (Nantes Métropole, mission expertise et appui), Vincent Morandeau (Nantes Métropole, DGDU) et Paul Cloutour (Nantes Métropole, mission Dialogue Citoyen). 47 ANNEXE I : Chronologie du « développement urbain durable » à Lyon La communauté urbaine de Lyon, Grand Lyon, est aujourd'hui largement reconnue dans les sphères professionnelles, comme un modèle de gestion des opérations durables. Plusieurs fois cité au palmarès EcoQuartier du Ministère de l'Ecologie et du Développement Durable pour la réalisation des quartiers Confluence, la Duchère ou encore Castellane, montré comme exemple pour sa démarche d'élaboration du Plan Climat Energie Territorial ou encore pour l'élaboration et la diffusion de guides/référentiels Habitat, Ville et Quartiers Durables, innovant en matière d'adaptation aux changements climatiques, le Grand Lyon s'est fortement investi dans le renouvellement de ses démarches et des pratiques locales d'aménagement selon les principes du développement durable. Ce texte met en perspective historique depuis les années 1970 le renouvellement de la culture urbaine locale au regard du développement durable. Trois grands moments ont été identifiés pour expliquer cette évolution: - 1978-1990: la communauté urbaine se saisit de sa compétence juridique en aménagement pour monter en expertise et s'émanciper des services de l'Etat et des structures centralisées comme le réseau SCET. Elle développe alors la culture projet pour la gestion de ses opérations d'aménagement à travers une profonde restructuration des services techniques de l'institution. - 1990-2000: cette décennie est marquée par l'inscription de l'agglomération dans une perspective européenne, sinon internationale avec l'aÏnement du développement économique local comme l'un des moteurs de la croissance urbaine et par la mise à l'agenda de l'écologie urbaine. - Depuis 2000: Les élus se sont saisis de la question du développement durable pour en faire une stratégie d'agglomération. Cela s'est traduit par l'élaboration de nouvelles politiques urbaines, de documents-guides de références et une réorganisation légère de l'institution. 48 I.1 Le développement urbain comme moteur de l'émancipation de la Courly (1978-1990) Un urbanisme en rupture avec les décennies précédentes Après la Seconde Guerre Mondiale, la production urbaine à Lyon, devait répondre de manière urgente à plusieurs impératifs: loger de manière décente les habitants (éradiquer les bidonvilles aux portes de Lyon et être en mesure d'accueillir les nouvelles populations), permettre aux entreprises et aux industries de s'implanter et de développer leurs activités, enfin promouvoir un cadre de vie de qualité, qui s'entendait alors avec un niveau d'équipements culturels et de services suffisants pour faire de Lyon, la deuxième ville française après Paris. Le pari est releÎ par l'ouverture de nombreux chantiers dont les plus importants (les Zones à Urbaniser en Priorité, le centre directionnel de la Part-Dieu, le développement de la vallée de la Chimie, les projets routiers et autoroutiers) furent largement menés par l'Etat et ses différents bras armés (DDE, réseau SCET). L'opération du centre directionnel de la Part-Dieu, symbole de la production urbaine des années 1960-1970 avec le centre d'échange de Perrache illustre parfaitement le mode de faire de ces décennies (Menez, 2008). Les grandes décisions sont prises à Paris. On impose aux acteurs locaux (SERL, élus et techniciens locaux) le soin d'appliquer ces décisions, avec un contrôle étroit de l'Etat, via les services techniques déconcentrés. Toutefois, dès la fin des années 1960, ce modèle d'Etat centralisateur et aménageur s'effrite. En 1966, l'Etat impose la création de communautés urbaines dans les grandes agglomérations. Pour l'agglomération lyonnaise, la Communauté Urbaine de Lyon (Courly) sera ainsi créée en 1969 et se voit transférer différentes compétences dont celle de l'aménagement de la ville. Louis Pradel, alors maire de Lyon et président de la Courly revendique son autonomie et recrute de nouveaux techniciens, dont certains sont issus du Ministère de l'Equipement et du réseau SCET. Les partenaires de la Courly font de même. A la fin des années 1970, l'opération de la Part-Dieu est en cours d'achèvement (la Tour du Crédit Lyonnais sera inaugurée en juillet 1977) et déjà les critiques fusent, portant à la fois sur l'urbanisme produit (trop fonctionnaliste, sans lien avec les trames urbaines voisines) et sur le processus. C'est dans ce contexte qu'est créée l'agence d'urbanisme de Lyon avec à sa tête, Jean Frébault, Ingénieur des Ponts et Chaussées, auparavant directeur de l'agence d'urbanisme de Toulouse (1971-1978). Côté politique, Francisque Collomb remplace au pied leÎ Louis Pradel décédé brutalement en 1976. Son premier mandat (1977-1983) se caractérise surtout par une gestion économe des ressources de la ville et de l'agglomération. En revanche, son second mandat va le réÎler comme un précurseur de la pensée urbaine, ou du moins, il a su s'entourer d'une équipe aux idées novatrices. La communauté urbaine entend s'impliquer davantage dans les opérations d'aménagement engageant dès 1983 une importante restructuration de ses services. Le management de projet au service de l'urbanisme Cette décennie témoigne à Lyon comme ailleurs, d'un basculement idéologique et culturel sur la manière de faire la ville (Demesteere, Padioleau, 1999) avec une autonomisation des collectivités locales et des collaborations avec de nouveaux partenaires. Ainsi, la communauté urbaine de Lyon va accroître son « portefeuille » de relations, développer ses services administratifs et techniques internes, lui permettant de déléguer à des 49 prestataires externes ou bien de mener les projets en régie directe. L'agglomération lyonnaise commence sa « mue » au début des années 1980, avec de nouvelles perspectives politiques et économiques portées par les différentes équipes municipales et communautaires et reprises par certains partenaires privilégiés. En 1983, les services de la communauté urbaine sont refondus. A la création de la Courly en 1969, l'aménagement, compétence de la communauté urbaine est scindé entre plusieurs services administratifs, rendant difficile une vision plus globale des opérations d'aménagement. En 1983, alors la Courly exprime le souhait de gérer des opérations en régie, un grand département du développement urbain, est créée. Il est doté de trois grands services (activités économiques et concession ; aménagement urbain ; opérations d'urbanisme). Michel Rivoire, ingénieur des Travaux Publics de l'Etat, issu du Ministère de l'Equipement prend la tête de ce département et travaillera en collaboration avec le département planification (en charge notamment des problèmes fonciers) et avec le département équipement, gestionnaire des services techniques. L'agence d'urbanisme est également présente dans l'organigramme de la Communauté Urbaine, signal fort pour cet organisme chargé de faire de nombreuses études amont pour le compte de l'institution. Dès 1985, le département développement urbain étend ses activités et se dote d'un service « centre d'études » et d'un autre « centre de données urbaines » qui concurrencent les services offerts par l'agence d'urbanisme, puis en 1987 d'un service « activités d'agglomération ». Ainsi, le département du développement est à la fin des années 1980 l'un des départements les plus importants de la communauté urbaine et précurseur d'un management en mode projet des opérations d'aménagement. Cette réorganisation a ainsi permis d'anticiper les lois Deferre du 7 janvier 1983 et du 22 juillet 1983, décentralisant aux communes les compétences en urbanisme et d'équipements scolaires maternels et primaires. Certains territoires sont considérés comme stratégiques pour le développement de l'agglomération. C'est le cas de Gerland, au sud de la ville, identifié comme nouveau secteur de développement dès le début des années 1980. Gerland est un grand quartier industriel de 500 hectares au sud de la Ville de Lyon, en pleine mutation liée aux départs des entreprises. L'arriÎe de l'École Normale Supérieure de Sciences à Lyon, prévue pour le milieu des années 1980 amorce la requalification de ce territoire. Plusieurs opérations en lotissements ou Z.A.C. vont s'enchaîner avec des modes de réalisation différents, allant de la régie directe à la concession. Afin de coordonner l'ensemble de ces opérations et des différents maîtres d'ouvrages, la Courly implante la « Maison de Gerland » dès mars 1980. Cette petite équipe, composée au départ de fonctionnaires détachés des différents services communautaires est placée sous l'autorité directe du directeur du département urbain. Cette mission territoriale se voit investie d'une fonction d'études, de coordination-gestion et de communication. Elle a aussi pour objectif de gérer l'ensemble des problèmes techniques (voirie, assainissement, transport, etc.) avec les opérations d'aménagement projetées. Elle apparaît ainsi que la porte d'entrée aux différents services de la communauté urbaine, interlocuteur unique des investisseurs. Cette politique de mission s'inscrit dans les principes de la nouvelle culture managériale qui promeut une organisation par projet en articulation avec une organisation hiérarchique ou par métiers. Ce type d'organisation initie une approche transversale de la production de la ville et sera sans cesse développé, d'abord sur des territoires identifiées comme stratégiques 50 pour le développement de l'agglomération puis étendu à des thématiques, lorsqu'il fallait afficher et se préoccuper de nouvelles politiques (écologie urbaine, habitat, déplacements, économie) au tournant des années 1990. La SERL, qui avait le monopole des grandes opérations d'urbanisme des années 1960 et 1970, n'est plus l'interlocuteur privilégié de la Courly. Durant les années 1980, la communauté urbaine multiplie le nombre de petites opérations, généralement des ZAC à vocation résidentielle, qu'elle confie à des opérateurs priÎs (promoteurs-aménageurs). La Courly se réserve en régie directe ou concédées à l'OPAC du Rhône, les opérations les plus importantes. Dans ce contexte, la SERL ne conserve qu'une part minime du marché. Progressivement la communauté urbaine s'impose ainsi comme la Îritable structure porteuse de projets, capable de les piloter, voire de les mener en interne. Cette montée en compétence s'accompagne avec une élaboration locale d'une vision stratégique du développement de l'agglomération. Vers le développement d'une vision prospective de la ville « demain, l'agglomération lyonnaise » En 1978, un premier schéma directeur de l'agglomération lyonnaise est adopté. Toutefois, dès sa publication ce document est déjà obsolète, sans lien direct avec la stratégie de développement de l'agglomération . La Courly décide ainsi au milieu des années 1980 de lancer sa révision et confie cette mission à l'agence d'urbanisme, l'AGURCO. Cette dernière, assistée par l'ADERLY (agence pour le développement économique de l'agglomération) va organiser le colloque « demain, l'agglomération lyonnaise » en décembre 1984 . « L'enjeu était d'inventer de nouvelles façons de « planifier » tournant le dos aux démarches technocratiques et procédurales des années 1970. Préalablement à toute approche juridique, nous avons mis l'accent sur l'élaboration d'un « projet stratégique » pour un territoire métropolitain, à partir d'un chantier de prospective participative impliquant fortement élus et administrations, experts et universitaires, et largement la société civile. » (Jean Frébault, 25 juin 20064). De 1985 à 1988 des ateliers ont ainsi été montés pour donner lieu à des échanges sur le devenir de l'agglomération. Les priorités du SDAU sont alors le développement économique (renforcement et accompagnement des sociétés locales) et l'inscription de l'agglomération lyonnaise dans les réseaux de grandes métropoles internationales (SEPAL, 1990). Cette démarche initie le renouvellement de l'action publique qui se renouvelle, intégrant les problématiques du secteur priÎ (Linossier & Menez, 2007). Durant cette période, la communauté urbaine de Lyon a acquis en légitimité et s'est affirmée comme institution locale, grande gestionnaire de l'urbain avec deux grandes directions: la direction du développement urbain (direction qui conçoit la ville) et la direction des services techniques (direction qui gère la ville). Toutefois, l'environnement et l'écologie sont encore absents des politiques conduites à Lyon. Ce n'est qu'à partir des mandats suivants, sous l'impulsion de certaines personnalités politiques et techniques que l'intégration environnementale dans les politiques urbaines se fera. 4 http://citadoc.caue-isere.org/opac_css//doc_num.php?explnum_id=102 51 I.2 Émergence et développement de l'écologie urbaine (1989-2000) Les élections locales de 1989 confirment la montée en puissance du RPR. Les listes conduites par Michel Noir remportent ainsi les 9 mairies d'arrondissement de Lyon. Le vote écologiste est également plus important, permettant ainsi à Etienne Tête, élu sur la commune de Caluire et Cuire, de briguer un siège au conseil de la communauté urbaine. Un autre élu, Claude Pilonnel, maire de Poleymieux, déjà conseiller communautaire au précédent mandat, aura plus l'écoute de Michel Noir. Cet élu va oeuvrer pour que l'environnement soit enfin pris en compte dans les politiques communautaires. Cette période se caractérise par un processus de sensibilisation et d'émergence de la question environnementale dans les politiques urbaines, se traduisant par certaines prises de conscience: la nature en ville, le transport de matières dangereuses, les déplacements urbains. La mission écologie: d'une vision fonctionnaliste de la ville vers une vision systémique... Dès 1989, Claude Pilonnel est nommé secrétaire délégué à la sécurité, traitant des questions d'environnement. L'année suivante, il obtiendra de Michel Noir la création d'une cellule « écologie urbaine » qui sera vite transformée en mission. Puis en 1991, Michel Noir créera le poste de vice-président à l'écologie urbaine donnant ainsi davantage de légitimité à la mission. Jean Villien, écologue et environnementaliste, auparavant à l'agence d'urbanisme prend en charge la cellule puis la direction de la mission. L'équipe rassemble 5 spécialistes de l'environnement et un budget de 5 millions d'euros lui est alloué pour fonctionner. D'emblée se pose la question du rattachement hiérarchique de cette mission. Après plusieurs discussions, la mission, comme les trois autres missions thématiques (Habitat, Déplacements, économie) est rattachée au délégué général du département développement urbain. Ce rattachement n'est pas anodin. Il fallait être suffisamment haut dans la hiérarchie pour pouvoir influer sur les politiques et les projets urbains (la ville qui se conçoit) et sur les services urbains (la ville qui se gère, le département des services techniques). De fait, les missions thématiques connaissent le même positionnement que les missions territoriales, avec une grande accessibilité à la sphère décisionnelle. La création de ces quatre missions thématiques montre une collectivité territoriale plus mature qui se met à penser son territoire comme un espace unitaire (Belmessous, Gallot- Delamézières, Gardon, Menez, Russeil, 2008). On dépasse ainsi les clivages traditionnels entre la conception et la gestion pour faire de ces missions, un lieu transversal. Ceci fut également possible grâce à la maturité acquise de la communauté urbaine. Forte d'une existence de près de 20 ans, elle a déjà réalisé d'importants travaux sur les réseaux (voirie, assainissement, eau potable) apportant de l'unité dans un territoire très hétérogène (du milieu rural au milieu ultra-urbain). Le concept d'écologie urbaine a ainsi permis d'appréhender le développement de l'agglomération autrement que par des visions techniques et sectorielles. Toutefois, dès le mandat suivant (1995-2001), sous la présidence de Raymond Barre, cette organisation est à nouveau transformée: la mission économie ayant fortement grossie devient une direction à part entière. La mission habitat porteuse du Plan Local de l'Habitat est maintenue et fonctionne aux côtés du service du développement social urbain au sein de la direction générale du développement urbain et la mission déplacements prend de l'ampleur avec l'élaboration du PDU. La mission écologie urbaine continuera d'exister mais 52 avec moins de visibilité et sans document à portée juridique obligatoire. Pendant cette dizaine d'années, la mission écologie urbaine aura néanmoins élaboré deux chartes et conçu un observatoire avec des indicateurs et une évaluation des différentes politiques publiques sous le prisme de l'écologie urbaine (1997). Ce n'est qu'au tournant des années 2000, que cette mission va connaître un nouvel essor avec la décision politique de faire un agenda 21 (cf. infra). ... et les chartes de l'écologie... En 1990, le premier travail de la mission écologie est la réalisation d'un diagnostic multi systèmes. Une première charte d'écologie urbaine fut ensuite adoptée en 1992, couvrant une période de 4 ans (1992-1995). Cette charte, édifiée sur la base des diagnostics est un plan de 160 actions très concrètes portant sur l'eau, l'air et sa qualité, les déchets, le patrimoine vert (espaces naturels, espaces agricoles), le bruit, les énergies alternatives et les risques5. Cette première charte est également perçue comme un document de référence autour duquel les services, en particulier les services techniques, se mobilisent. D'ailleurs, le Ministère de l'environnement de l'époque s'en est fortement inspiré pour mettre en place une méthodologie pour l'élaboration de chartes d'écologie urbaine dans d'autres villes. Sa publication accompagne les nouvelles orientations du schéma directeur « Lyon 2010 », sorti en mai 1992, qui insiste sur la nécessité d'une gestion partenariale de l'environnement. Cette première charte avait comme ligne directrice « rétablir les désordres d'une vision fonctionnaliste excessive de la ville. On trouvait la place de l'homme, le déséquilibre entre les circulations et les flux, avoir une qualité du bien être, une faible pollution de l'air » (entretien Jean Villien , 19 janvier 2011). Les actions portent à la fois sur la construction d'infrastructures comme une station d'épuration (déjà prévue au demeurant) et sur des éléments plus qualitatifs, notamment sur la trame verte, sur le repérage et la prise en compte des arbres remarquables, sur la mise en place d'indicateurs sur la qualité de l'air, etc. Pour chaque action, un référent est nommé; à lui de suivre l'évolution de son action et d'en rendre compte. Les grands projets d'aménagement sont analysés à travers cette charte, permettant notamment de pointer d'éventuelles contradictions. A titre d'exemple, au cours des années 1990, l'exploitant du golf de Chassieu, GOLFI, dans l'est de l'agglomération proposait de réaliser un lotissement à proximité immédiate du golf pour contrebalancer les pertes occasionnées par la gestion du golf. La charte de l'écologie urbaine indiquait que le foncier envisagé pour l'extension urbaine était protégé en tant qu'espace naturel et qu'il n'était pas possible d'urbaniser. Sur la base de ce document, la proposition d'urbaniser a été refusée et GOLFI s'est vu attribuer une subvention complémentaire pour assumer le déficit annuel. L'application des 160 actions passe également par l'instauration de partenariats avec les acteurs locaux, en particulier dans le domaine des risques. En 1995, la nouvelle équipe communautaire demande à Jean Villien de faire un bilan de la première charte de l'écologie urbaine. Suite à ce bilan, Raymond Barre décide de faire une nouvelle charte, en développant davantage les partenariats et les conventionnements mais avec moins d'actions. Le nouveau plan d'actions se réalise sur 5 ans et est accompagné dès 5 1990. Claude Pillonnel va notamment mettre en place une charte pour le transport de matières dangereuses en ville dès 53 1997 par un observatoire de l'environnement, dont l'objectif est d'évaluer l'état d'avancement des actions planifiées dans le cadre de la charte. Toutefois l'écologie passe au second plan, au détriment du développement économique. De 1995 à 2001, la mission écologie urbaine aura ainsi une place de second choix. De nombreuses actions sont déléguées à des organismes partenaires et à des associations (notamment les actions à visée pédagogiques ou le suivi environnemental comme la qualité de l'air). Cette seconde charte sera ensuite baptisée de manière exagérée « Agenda 21 », ce que certains jugent comme opportuniste (Boutaud, 2004). En 1992, une petite délégation conduite par Michel Noir et Claude Pillonnel se rend à la conférence de Rio. A son retour, Michel Noir, bien que conquis par les idées développées à Rio6, ne développera pas d'agenda 21 local. La priorité était de faire de Lyon une ville internationale et de renouveler l'image de l'agglomération. D'ailleurs, la Courly devient le Grand Lyon, nom plus évocateur et plus communiquant pour la communauté urbaine. Néanmoins, cette période a permis aux acteurs lyonnais de « préparer le terrain pour le développement durable, en capitalisant une expérience méthodologique non négligeable» (Boutaud, 2004, p 343). Le terme de « développement durable » sera ensuite fortement présent dans le plan de mandat suivant (2001-2008). ...qui doit composer avec les impératifs du développement économique et « l'europénisation » du territoire La période 1989-2001 est surtout marquée par l'inscription de Lyon dans les réseaux de villes internationales. Les politiques urbaines sont alors conçues comme un accompagnement de la politique du développement économique portée par le marché, compétence économique que la Courly acquiert progressivement (Linossier, 2006). Le nouveau schéma directeur « Lyon 2010 adopté en 1992, vise ainsi à inscrire l'agglomération dans une optique de compétition à l'échelle européenne, voire mondiale. Lyon participe à la création du premier réseau de villes européennes, Eurocities et prend la présidence de la commission environnement avec Claude Pillonnel. La Courly participe à de nombreux programmes européens, notamment avec la mission habitat et la mission écologie urbaine. Toutefois, ces participations restent confidentielles au niveau local, et centrées autour des questions de maîtrise énergétique. Néanmoins la création de l'ALE (Agence Locale de l'Energie) le 28 février 2000, s'inscrit dans le prolongement des programmes européens RESET (bilan énergétique de la Communauté Urbaine de Lyon) et RE-START (réalisation de 200 logements sociaux utilisant les énergies renouvelables et une démarche environnementale). Ces programmes prévoyaient la création d'une agence de l'énergie intégrée à la Communauté Urbaine de Lyon. L'opportunité du programme européen SAVE II et la volonté de création d'une synergie locale autour du thème de l'énergie ont favorisé son émergence. Elle a pour objet de promouvoir, coordonner et développer des actions tendant à économiser l'énergie, utiliser des énergies renouvelables, préserver les ressources et protéger et valoriser l'environnement dans une logique de Développement Durable. En partenariat avec l'ADEME et la Région Rhône-Alpes, elle est l'Espace Info Energie de l'agglomération. 6 Dans son discours qui a suivi son voyage à Rio, Michel Noir parlera plusieurs fois de l'écologie, laissant ainsi un message à ses équipes techniques, mais ce message ne sera pas pour autant suivi d'une politique forte autour de l'élaboration d'un agenda 21 local. 54 Plusieurs grands projets sont lancés avec un recours croissant au secteur priÎ pour le financement et pour l'expertise, en particulier l'opération de la Cité Internationale. Le mandat de Raymond Barre est marqué par une accélération de ce processus (marketing territorial). Des projets et des modes de faire : le Grand Lyon, territoire d'expérimentation Surfant sur l'ouverture aux réseaux européens, certains techniciens du Grand Lyon, dont Jean Villien, s'impliquent dans des projets européens. La problématique de l'énergie constitue le coeur des premiers appels à projets européens (programme Thermie dès 1994 avec le projet Reset) et rejoint ainsi certaines problématiques développées dans le cadre de la charte de l'écologie urbaine. En 1997, Jean Villien avec l'appui de la mission habitat du Grand Lyon va impliquer la région Rhône-Alpes, l'ADEME locale et 5 bailleurs sociaux dans le programme européen Re-Start. Ce programme, ancêtre du programme Concerto, vise à réduire les émissions de gaz à effet de serre via l'amélioration des performances énergétiques des logements sociaux. A cette occasion, les liens entre la mission écologie urbaine et la mission habitat vont se renforcer et donneront lieu à l'élaboration d'un premier référentiel habitat durable en 2004. S'inspirant de la démarche HQE, ce référentiel cible la performance énergétique des logements afin, notamment de maîtriser les charges d'entretien et de maintenance. Ce référentiel s'impose à tout constructeur de logements neufs dans les ZAC Grand Lyon ou sur du foncier vendu par le Grand Lyon. Même si sa diffusion est assez restreinte, très vite la région Rhône Alpes va développer son propre référentiel et l'inciter sur le logement social en octroyant des subventions régionales supplémentaires. En 2007, le Grand Lyon étend son premier référentiel habitat durable à l'ensemble du logement social et applique une décote de sa subvention de 30% en cas de non-respect de ce référentiel7. Pour autant, au début des années 2000, le reste de la production urbaine se fait de façon classique. Pour les opérations d'envergure comme celle de la Cité Internationale ou plus récemment Confluence, le Grand Lyon fait appel à des architectes de renom par l'intermédiaire de concours internationaux. L'opération est ensuite confiée à une structure dédiée (avec un passage à un opérateur priÎ pour la Cité Internationale) qui met en oeuvre le projet conçu par l'architecte-urbaniste, faisant ainsi les études opérationnelles classiques et la consultation des promoteurs et des bailleurs sociaux. Les chargés d'opération du département développement urbain sont généralement peu associés à ce processus, les échanges avec le Grand Lyon se faisant prioritairement au niveau stratégique et politique. Pour les autres opérations, le processus est semblable avec une implication plus importante des techniciens du Grand Lyon. Toutefois une opération va se démarquer dès la fin des années 1990. En 1998, la ZAC des Hauts de Feuilly à Saint-Priest est créée et confiée à la SERL; D'emblée, cette ZAC va faire l'objet de préoccupations environnementales. Cette opération est située au coeur de la coulée verte, inscrite dans le schéma directeur Lyon 2010. Il est donc nécessaire de prendre en compte cet aspect et de l'intégrer au projet. L'accent sera ainsi mis sur la réalisation d'espaces verts, de chemins piétonniers et de pistes cyclables, illustrant ainsi une première étape vers le développement durable. Progressivement, des contraintes vont être imposées par l'aménageur sur la performance énergétique des logements permettant ainsi de livrer des maisons passives pour la dernière tranche en 2009. 7 Délibération n°2007-4328 du 10 septembre 2007 55 Jusqu'au début des années 2000, le développement durable reste encore confiné aux aspects environnementaux et énergétiques avec peu d'impact sur les modes de production de la ville. La décennie suivante va changer la donne. I.3 L'institutionnalisation du développement durable au coeur de la stratégie du Grand Lyon (depuis 2001) L'élection de Gérard Collomb à la tête de la ville de Lyon et de la communauté urbaine va marquer le passage de l'écologie urbaine au développement durable avec l'inscription, entre autres, dans son premier plan de mandat , de l'élaboration d'un agenda 21. Jean Villien caractérise ainsi ce changement entre la période Noir/Barre puis Collomb en expliquant que l'on passe : « d'une idéologie « libéralo-socialiste » à une approche plus « participation » qui met la personne humaine au centre du système. » (entretien du 18 janvier 2011). Surtout l'organisation interne du Grand Lyon va encore évoluer à la marge pour permettre la diffusion d'une culture du développement avec une évolution des modes de production de la ville prenant davantage en compte l'environnement en amont des réflexions des projets d'aménagement. On observe ainsi une accélération du changement dans les processus de conception, de production et de gestion de la ville à partir des années 2003/2004, en particulier autour des thématiques énergétique et climatique. De l'agenda 21 au Plan Climat Territorial: une structuration progressive du Grand Lyon En 2002, l'équipe de Gérard Collomb décide de se lancer dans l'élaboration d'un agenda 21. Une mission est créée spécifiquement, la mission Agenda 21 dirigée par Nadia Mabille, qui est directement rattachée au Directeur Général des Services (DGS) alors que la mission Ecologie Urbaine reste en place au sein de la direction du développement urbain. Cette position hiérarchique confère ainsi une visibilité et une légitimité que la mission écologie urbaine n'avait pu avoir. Le premier agenda s'applique uniquement aux actions des services de la communauté urbaine. L'architecture du document est d'ailleurs proche de la charte de l'écologie urbaine et l'agenda se décline en un plan d'actions adopté en 2005 sur 4 ans. Toutefois, la mission permet de sensibiliser les élus et les techniciens au développement durable, en particulier autour de la problématique énergétique. Dès 2008, l'élaboration d'un second agenda 21 est ainsi à l'étude avec une ouverture plus importante aux partenaires du Grand Lyon. Une profonde réorganisation des services du Grand Lyon aboutit notamment à la création d'une direction de la planification et des politiques d'agglomération au sein de la délégation générale au développement urbain. La mission agenda 21 devient le service « stratégie d'agglomération » au sein de cette direction qui regroupera également la chargée de mission développement durable, Béatrice Couturier, les 2 chargés de mission Plan Climat Energie Territorial (PCET). En 2010, à la demande des élus référents, dont Bruno Charles, l'agenda 21 change de dénomination et opte pour la stratégie développement durable. Dans cette perspective, le PCET est une réponse partielle à cette stratégie englobante et recentre l'action environnementale autour de la problématique des changements climatiques (atténuation et adaptation). Ainsi en 2009, le Grand Lyon établit un diagnostic pour l'élaboration d'un Plan Climat à l'échelle de l'agglomération. Le 6 mai 2010 a lieu la conférence de lancement pour l'élaboration du Plan Climat du Grand Lyon. La démarche est volontairement participative, 56 organisée autour de pôles thématiques (habitat, transport, énergie, entreprise), d'un groupe de travail transversal sur les comportements et d'un club développement durable prônant l'exemplarité. De juin à octobre 2010, les groupes de travail thématiques vont se réunir pour élaborer un scénario d'agglomération. Le 27 novembre 2011, le plan d'action est ainsi approuÎ engageant de nombreux partenaires notamment financiers. A ces documents cadres et généraux, les services techniques du Grand Lyon produisent également durant la période 2003-2012, une série de référentiels thématiques portant d'abord sur le logement neuf sous certaines conditions (2005) avant de s'étendre aux quartiers durables (2011), en passant par les espaces publics. Ces référentiels participent ainsi à l'émergence de nouvelles pratiques, sinon de nouveaux standards dans les modes de production de la ville. D'ailleurs, dès 2005, un poste « chargé de mission développement durable » est créé au sein de la direction développement urbain. Ce poste, financé à 50% par la Commission Européenne via le programme Concerto, est dédié à mi-temps au suivi du projet Renaissance8, et pour l'autre mi-temps à une activité d'animation et d'acculturation du développement durable au sein de la direction et en lien avec les missions agenda 21, écologie urbaine et les autres directions. En octobre 2010, le cofinancement du poste par le programme Concerto s'arrête. Le Grand Lyon décide néanmoins de maintenir cette fonction et lui octroie un rôle plus important dans la diffusion des connaissances et dans la participation à des réseaux divers autour de la ville durable. Dans l'immédiat, ce poste a également été l'occasion de consolider les différentes expériences autour de référentiels, habitat puis quartiers durable, visant ainsi à faire évoluer les cultures et les pratiques urbanistiques vers des modes de production plus durables. En ce sens, le poste de Béatrice Couturier a ainsi permis de mettre en évidence des outils et des démarches pour éviter l'effet-vitrine d'un projet, en l'occurrence Confluence (cf. infra) et pour faire levier sur l'ensemble des projets urbains (entretien avec Béatrice Couturier, 21 janvier 2011). A la recherche de nouveaux standards pour la production de la ville à la Lyonnaise Jusqu'en 2003, l'urbanisme opérationnel est pratiqué de manière très classique. Les études préalables sont réalisées soit par les services techniques du Grand Lyon, soit par un aménageur sous mandat. Quand l'opération est considérée comme faisable, elle est confiée à un aménageur qui va définir le projet avec une équipe de conception urbaine (architecte- urbaniste et parfois paysagiste). Les considérations environnementales restent focalisées sur des thématiques précises selon les contraintes liées au site ou n'interviennent qu'une fois le plan de composition urbaine arrêté. Les expérimentations et les innovations portent alors, uniquement sur la construction et l'amélioration de la performance énergétique dans le neuf et la réhabilitation. Toutefois, en 2003, deux éÏnements indépendants vont changer la donne : l'application de la démarche AEU® développée par l'ADEME et le programme européen Concerto. L'ADEME cherche des territoires pour expérimenter l'outil qu'elle vient de développer, l'approche environnementale de l'urbanisme (AEU®). Cet outil vise à prendre davantage en compte l'environnement dans la phase de conception des opérations d'aménagement. Le Grand Lyon, par l'intermédiaire notamment de José Monsot, maire de la Tour de Salvagny et délégué régional de l'ADEME, se porte alors candidat pour tester cette nouvelle démarche. Plusieurs opérations vont faire l'objet de cette étude. Les résultats sont particulièrement 8 Programme Concerto. cf. infra 57 démonstratifs sur la ZAC du Contal à la Tour de Salvagny. A l'issue d'une étude urbaine réalisée de manière classique, un schéma de composition urbaine avait été dessiné, entraînant notamment des surcoûts de construction importants liés à la pente du site. Par ailleurs, le schéma de composition urbaine générait un aménagement futur assez minéral qui déplaisait à l'équipe municipale. L'AEU® réalisée par le bureau d'études Tekhné a alors mis en évidence plusieurs contraintes à prendre en compte, la pente du site mais également les nuisances sonores liées à la proximité d'une route principale à proximité. Cela a conduit à déconstruire complètement le schéma de composition urbaine et à proposer un nouveau schéma plus respectueux du site et surtout moins coûteux en terme de travaux d'aménagement et de construction, avec notamment l'intégration de noues et de bassins de rétention paysagers pour le traitement des eaux pluviales. Par la suite, les opérations d'aménagement du Grand Lyon ont quasiment toutes bénéficié de cette démarche dès l'amont du projet afin d'intégrer au plus tôt les contraintes environnementales du site, étude alors confiée à une AMO. Lorsque les opérations étaient concédées à un aménageur, celui-ci était dans l'obligation de faire une AEU® avec un bureau d'étude spécifique. Aujourd'hui, le Grand Lyon a cessé le recours systématique à une AEU®. Les principes de cette démarche sont intégrés chez les chargés d'opération. D'une part, les techniciens se sont aperçus que les conclusions de cette étude étaient sensiblement les mêmes d'une opération à une autre, d'autre part, les réflexions thématiques amont sur l'eau, l'énergie, la biodiversité, la mobilité, l'éco-construction sont parfaitement intégrées dans les cahiers des charges de consultation pour le recrutement d'une équipe de maîtrise d'oeuvre urbaine, et ce, sans avoir à recourir l'étude labellisée AEU® de l'ADEME. On pourrait également ajouter une troisième raison: l'ADEME a largement subventionné ce type d'étude dans un premier temps, jusqu'à 50% pour permettre le développement de sa démarche. Progressivement elle a arrêté ces subventions, sauf sur certains territoires. Toutefois, lorsque le contexte de l'opération est complexe, les services techniques recourent à la démarche de l'ADEME. L'autre éÎnement marquant dans l'histoire de la production urbaine de Lyon est la candidature à l'appel à projets du programme Concerto. Ce programme, financé par la Commission Européenne porte sur l'expérimentation grandeur nature de bâtiments à sobriété énergétique. En 2003, le Grand Lyon décide de répondre à ce programme en lançant une expérimentation sur 3 îlots de l'opération Confluence, opération phare de ces années. La décision de répondre à ce projet a été prise directement par Julia Mancel, référente Développement Durable au cabinet de Gérard Collomb. Le service d'urbanisme opérationnel, en la personne d'Odile Charvin sa responsable a piloté la réponse, en y associant l'association HESPUL pour la coordination de ce projet et du partenariat européen. En octobre 2004, la proposition du Grand Lyon est retenue et face à l'ampleur de la tâche de coordination, il est décidé de créer un poste spécifique au sein du service d'urbanisme opérationnel. Ce poste, chargé de mission développement durable est pris par Béatrice Couturier qui a pour fonction, de piloter et de suivre le projet Concerto et de diffuser la connaissance sur le développement durable dans l'ensemble des services. L'apport du programme Concerto va être fondamental dans la manière de travailler avec les promoteurs et surtout d'élever le niveau d'exigences. Les négociations ont été très difficiles sur les trois premiers îlots de l'opération Lyon Confluence, notamment pour respecter le cahier des charges de cession de terrain. Par la suite, les promoteurs, bien que non contractants du consortium Concerto, ont tous suivi la même règle du jeu, certains allant même plus loin en proposant des bâtiments basse consommation. Le travail autour du Concerto a permis 58 également de nourrir les différents référentiels dont le référentiel tertiaire. Ces référentiels permettent une diffusion des expériences dans le cadre des programmes européens sur tout le territoire du Grand Lyon. Cette volonté de généraliser la démarche de conception-construction des bâtiments puis de conception-réalisation d'un quartier caractérise la culture urbaine locale. Le Grand Lyon expérimente dans un premier temps des processus innovants sur des opérations exemplaires, avant d'en retirer les principes fondamentaux pour une standardisation à l'échelle de son territoire, partageant et diffusant alors ces principes à ses partenaires. Le travail entamé sur les référentiels depuis 2003 montre ainsi une démarche itérative et « intégratrice » de la part du Grand Lyon. Ainsi, comme cité précédemment, plusieurs référentiels sur des objets au départ simple (bâtiment) puis progressivement intégrateur (le quartier), ont été élaborés en coopération entre les services techniques de la communauté urbaine et des villes de l'agglomération, des élus et les partenaires du Grand Lyon (notamment les principaux aménageurs et bureaux d'études intervenant sur le territoire). Les opérations marquantes: démonstrateurs d'un changement possible Après une première expérimentation sur la sobriété énergétique de l'habitat individuel sur la ZAC des Hauts de Feuilly à St Priest, une nouvelle étape est franchie par le projet d'aménagement Confluence. Lancé à la fin des années 1990, ce projet vise à reconquérir le sud de la Presqu'île, afin d'étendre le centre-ville sur des friches industrielles. Le projet d'aménagement part de manière classique. Ce projet permet à la ville de gagner 150 ha de centre-ville en investissant de manière progressive un ensemble de friches ferroviaires et industrielles. Les orientations fixées pour cette opération s'expriment au travers de la réalisation d'un tissu urbain mixte dans la continuité d'un quartier existant, avec le renforcement et la réorganisation des fonctions de centralité de la ville autour d'un pôle commercial, d'un vaste bassin portuaire et d'un parc urbain. L'opération se déroulera en 3 phases : 2 ZAC successives et une éco-rénovation du quartier existant de Ste Blandine. A terme il est prévu, la réhabilitation de 4 500 logements existants, améliorant ainsi leur performance énergétique, la construction de 4 500 logements neufs (haut de gamme, intermédiaires, sociaux, locatifs), de 33 000m² SHON de bureaux, de 106 500m² SHON de commerces et enfin de 37 400m² SHON d'équipements publics. L'aménageur est une SEM dédiée, la SEM Lyon Confluence qui sera ensuite transformée en 2008, en SPLA9. Le projet est prévu pour durer un minimum de 30 ans. D'emblée, en 1998, une démarche de concertation avec d'abord l'ensemble des habitants du Grand Lyon est lancée, avant même qu'un projet ne soit défini. Il s'agit de faire connaître des citoyens ce site d'exception situé à la confluence du Rhône et de la Saône. Progressivement, le parti d'aménagement s'affine, inspiré des diverses opérations d'aménagement de requalification de friches portuaires. En 2000 un concours international d'architectes-paysagistes est lancé sur la première ZAC. Les lauréats seront François Grether (urbaniste) et Michel Devisgne (paysagiste). Ce n'est qu'en 2002, alors que le plan-masse est arrêté que la SEM va mandater le bureau d'étude TRIBU pour réaliser une analyse et une évaluation environnementale du projet urbain et élaborer un cahier des charges HQE pour les futures constructions. Cette étude a 9 Suite à la loi de 2005 sur les concessions d'aménagement 59 notamment permis un travail spécifique sur l'énergie et la gestion des déchets qui apparaissaient comme des points faibles dans le diagnostic. Des groupes de travail thématiques ont été organisés avec le Grand Lyon, la ville de Lyon, l'agence locale de l'énergie et l'ADEME. Les recommandations issues de ces groupes de travail ont ensuite été priorisées et intégrées aux cahiers des charges de consultation lors du concours architectes- promoteurs des lots de logements et d'immeubles de bureaux. Le programme Concerto ne concerne que trois îlots mixtes du projet mais va inspirer les niveaux d'exigence à imposer pour les autres lots soumis à consultation. La sélection des équipes devait se faire sur trois critères pondérés de manière identique : un critère de qualité architecturale; un critère de performance environnementale; un critère de programme. Dans les faits, le choix des élus a porté sur les projets présentant prioritairement une qualité architecturale. Par conséquent, les objectifs environnementaux ont été difficilement atteignables. Cela s'est soldé par des surcoûts au niveau de la construction, en partie subventionnés par la Commission Européenne via le projet Concerto. Néanmoins, l'objectif est atteint puisque sur les lots suivants, les promoteurs vont proposer des projets atteignant des niveaux de performance énergétique supérieurs à ceux des îlots ciblés par Concerto et livrer ainsi des logements sans bénéficier d'aides financières européennes. Pour la seconde ZAC qui se déroule sur l'emprise de l'ancien marché d'intérêt national, des enseignements ont été tirés et l'opération se déroule d'une toute autre manière. Le lourd travail de concertation s'est poursuivi et a remis en cause le projet initial de l'équipe Grether-Devisgne. Ce projet prévoyait entre autre la démolition quasi intégrale des bâtiments gare et proposait une trame urbaine en complète rupture avec le quartier existant. Avant le lancement d'un nouveau concours d'architecte-paysagiste, un travail amont de définition des cibles prioritaires « développement durable » a été réalisé et piloté par le binôme SPLA Lyon Confluence et le BET Tribu, dont la mission s'est étendue. En juin 2009, une nouvelle équipe de conception urbaine est retenue (les urbanistes Herzog et De Meuron avec le paysagiste Michel Desvigne). Puis, un travail de définition du projet a été expérimenté sous un principe de « conception partagée » de 2009 à 2011. Pour éviter les cloisonnements thématiques habituels, l'aménageur et ses AMO Développement Durable d'un côté et « sites et sols pollués » de l'autre ont organisé le travaillé en pôles de compétences, travaillant en même temps et en interaction constante: un premier pôle relevant de la programmation et de la concertation, un second pôle technique (VRD, déplacements, énergie) et enfin un pôle urbanisme, paysage et architecture. Les arbitrages se font au niveau de l'aménageur et de son AMO Développement Durable, l'AMO « sites et sols pollués » apportant plutôt un appui technique lié aux fortes contraintes du site. Cette nouvelle organisation de projet traduit une autre manière d'envisager les processus de production de la ville. Le binôme aménageur-concepteur (architecte, urbaniste, paysagiste) devient un trinôme avec la présence d'un bureau d'étude Développement Durable dès la phase de programmation de l'opération. Cette intervention permet de mieux intégrer les problématiques du développement durable et donne des orientations pour le schéma de composition urbaine. Cette nouvelle manière de faire rompt ainsi avec le geste de l'architecte comme dessein du projet, introduisant davantage de technicité et d'ingénierie en amont du projet. Ce qui se passe au niveau du projet urbain peut également se décliner à l'échelle du bâtiment. Béatrice Couturier explique les blocages des premiers îlots de Confluence ayant 60 servi de démonstrateurs via Concerto de cette manière. En France, les métiers du BTP restent très cloisonnés. Or répondre aux impératifs de la performance énergétique demande un travail coopératif en amont avec des choix architecturaux faits en même temps que les choix techniques. Or dans la culture française, les choix architecturaux sont un préalable aux choix techniques. Ce fut certainement un des enseignements majeurs de l'expérience Concerto, après l'accumulation de données techniques. Mais il reste tout un travail à faire pour faire évoluer les cultures et les formations initiales, en particulier de celles de l'architecte. Plus récemment, le Grand Lyon tente un élargissement de sa démarche aux quartiers anciens, comme St Blandine dans la continuité du projet Confluence et aux quartiers « politique de la ville », comme la Duchère. Dès 2008, le travail de concertation avec les habitants sur Confluence montre ainsi la nécessité de se pencher sur ce quartier, afin d'éviter également une rupture entre le quartier nouveau et le quartier ancien (7 000 logements). La petite équipe technique de Concerto (Enertech, ALE, Hespul et le CETHIL10) est mobilisée avec un pilotage de la SPLA. A cette équipe, le Grand Lyon a associé Urbanis, un cabinet d'études spécialisé dans les diagnostics sociologiques et les montages financiers. En juin 2010, la SPLA assistée par Tribu, a retenu deux copropriétés priÎes désireuses de s'engager dans des travaux importants de réhabilitation. A l'heure actuelle, les audits ont été réalisés ainsi qu'un programme de travaux. Le projet peine toutefois à se réaliser pour des raisons essentiellement financières. Enfin, toujours dans la perspective d'infléchir sur les pratiques urbaines, la démarche « quartiers durables » initiée sur Confluence a également été conduite sur le projet de renouvellement urbain de la Duchère. Ce quartier, situé sur l'un des plateaux de Lyon a été construit entre 1957 et 1962, sous la procédure de ZUP (Zone à urbaniser prioritaire). Ce morceau de ville se compose de 5 300 logements avec 80% de logements sociaux. Jusqu'en 1973 le quartier a relativement bien fonctionné mais a commencé à péricliter à partir du milieu des années 1970. Dans les années 1980, il fera l'objet d'une intervention DSQ (Développement Social des Quartiers). Les problèmes se poursuivent. Fin 2002, la SERL, aménageur, mandate Bernard Paris et propose un nouveau projet urbain. Sur cette base, la SERL et le Grand Lyon signent quelques mois plus tard une convention avec l'ANRU portant sur l'ensemble du quartier. Le projet se déroule en 2 phases. La première phase fait l'objet d'interventions classiques sur ce type de tissu urbain (démolition/résidentialisation des barres des grands ensembles, recomposition de la trame viaire et diversification de l'offre en logements permettant de réaliser un parcours résidentiel à l'intérieur du quartier). La phase 2 va connaître un nouvel essor avec l'intervention du bureau d'études Tribu en 2008. Ce dernier procède à un diagnostic du projet selon les mêmes principes que le projet Confluence. Sans remettre en cause le parti d'aménagement initial, les apports de Tribu ont permis de réorienter certains principes du plan d'aménagement (orientation de certains bâtiments, augmentation du taux d'espaces verts dans les espaces publics), d'établir les cahiers des charges pour les bâtiments et les espaces publics. Par ailleurs, le bureau d'études assure une mission de suivi sur la performance des bâtiments en lien avec les promoteurs, l'ADEME et l'ALE. Ce suivi fait l'objet d'une capitalisation pour envisager la reproductibilité 10 Laboratoire de l'INSA de Lyon: centre de thermique http://cethil.insa-lyon.fr/ 61 des cahiers des charges sur d'autres programmes de bâtiments. Aujourd'hui, le développement durable est inscrit dans l'ensemble des actions du Grand Lyon avec des actions concrètes et une tentative d'harmoniser à l'ensemble du territoire certaines politiques sectorielles, notamment sur l'habitat et dans les opérations d'aménagement. On a dépassé la phase « sensibilisation » pour une prise en compte systématique de l'environnement et désormais de la concertation (même si sur ce volet, les marges de progression sont encore possible) dans les modes de production de la ville. L'innovation se fait au gré des projets européens et des projets d'aménagement avec la préoccupation constante de capitaliser les expériences acquises. Ceci explique l'élaboration de plusieurs référentiels ces dernières années afin de diffuser à l'échelle de l'agglomération de nouveaux standards pour la production urbaine locale. 62 ANNEXE II : Chronologie du « développement urbain durable » à Grenoble Grenoble est aujourd'hui généralement considérée comme l'une des villes françaises, pionnières en matière de développement durable. Le quartier de la ZAC de Bonne, lauréat du concours EcoQuartier du Ministère du Développement Durable en 2009 est devenu le « Fribourg » national, une halte obligée des circuits de visite des quartiers durables de France. Derrière cette vitrine, la ville de Grenoble est par ailleurs engagée dans une série d'actions visant à atteindre les objectifs du facteur 4 et à relever les défis de l'atténuation et de l'adaptation de la ville aux changements climatiques. L'agglomération de Grenoble s'est développée aux confins de deux vallées, celle de la Drac et celle de l'Isère, entourée par trois massifs (le Vercors, la Chartreuse et la Belledonne). Cette géographie remarquable engendre un climat un peu atypique, avec une amplitude des plus éleÎes en France. Les hivers sont rigoureux avec des températures relativement basses. En été la ville subit les chaleurs les plus fortes du pays (plusieurs épisodes caniculaires ont été obserÎs ces dernières années). Sa situation géographique explique également les problèmes récurrents de pollution de l'air, en particulier l'été. La ville est également fortement contrainte dans son développement urbain, avec des réserves foncières rares, malgré une pression démographique soutenue depuis plusieurs décennies. Les problématiques du renouvellement urbain et de la densification de la ville couplées avec le souci de l'environnement caractérisent ainsi les opérations d'aménagement les plus récentes de la commune et son retranscrites dans les documents de planification de la ville. Pour autant, cet intérêt pour le développement durable ne date pas de quelques années, mais il prend racine dans la culture urbaine grenobloise initiée à partir du milieu des années 1960. Ce texte analyse la manière dont les acteurs urbains grenoblois ont intégré les préoccupations du développement durable dans leur culture et leurs modes de faire et ainsi ont fait progressivement évoluer leurs pratiques. Il se dégage de cette analyse trois grandes phases : - un développement qui se veut d'abord humaniste de Grenoble sous impulsion d'Hubert Dubedout et repris partiellement par Alain Carignon, inscrivant la participation citoyenne et la recherche de l'innovation au coeur du développement urbain de Grenoble (1965- 1995) - une montée en puissance des questions environnementales et une incubation du développement durable conduite par des élus verts particulièrement actifs (Pierre Kermen notamment) (1995-2008) - vers une institutionnalisation du développement durable dans les affaires municipales. Le développement durable devient partie intégrante de la stratégie de développement et de communication de la ville de Grenoble (3ème mandat de Michel Destot). Au niveau de l'agglomération, d'autres communes sont également très actives, notamment Echirolles. Dans cette agglomération, l'aménagement est resté une compétence communale. Notre recherche s'est focalisée sur les pratiques de la ville de Grenoble avec des références à 63 ce qui se passe au niveau de la communauté d'agglomération. II.1 Le développement humaniste de Grenoble: prémisses du développement durable (1965-1995) En 1965, Hubert Dubedout est élu maire de Grenoble sous l'étiquette socialiste. Cet ingénieur de l'Ecole Navale arrive en politique après plusieurs années passées dans le milieu associatif. Sa priorité pour Grenoble est le développement du logement social et l'amélioration des logements en faveur des plus défavorisés. Grenoble connaît à cette période une croissance importante avec l'implantation d'universités et d'organismes de recherche, notamment autour du nucléaire. En 1965, la ville de Grenoble doit également faire face à un retard dans les équipements publics. La ville doit également se préparer à accueillir les Jeux Olympiques d'hiver de 1968. Le premier mandat d'Hubert Dubedout s'attachera ainsi à construire dans l'urgence des logements et des équipements. Plusieurs quartiers vont naître: le village Olympique, Villeneuve et Hoche. Ces quartiers sont construits selon les principe du fonctionnalisme, abandonnant ainsi la rue au profit d'une spécialisation des voies de circulation. A l'écart de la circulation automobile sont implantés des commerces et services de proximité au milieu d'espaces réserÎs aux piétons et aux Îlos. Ces quartiers veulent également promouvoir une mixité sociale et fonctionnelle (Novarina, 1997). Emergence d'un mode grenoblois de production urbaine: régie et concertation Dans la période durant laquelle Dubedout est maire, la production urbaine est marquée par un centralisme important où les décisions sont prises à Paris et/ou par les représentants de l'Etat ou de son appareil (CDC, SCET). Le niveau local, n'ayant qu'une faible capacité d'études, d'expertise, d'organisation propre et de proposition, bénéficie de marges de manoeuvre très réduites. Pour autant, l'action de Dubedout n'aura cesse de chercher à gagner son autonomie et de faire des projets urbains grenoblois, non pas un objet technique mais un acte politique. « Je souhaite que l'action ne soit plus définie seulement en termes techniques de schémas directeurs d'aménagement et d'urbanisme, de plans d'occupation des sols, de zones d'action concertées, etc. Je crois vraiment que l'action doit être définie en termes politiques, plus précisément à partir de cette politique de la vie quotidienne qui se fonde sur l'accès à l'habitat, sur les équipements collectifs, sur le refus de la ségrégation, sur la démocratie dans la cité comme dans le quartier, sur les relations sociales et sur l'action éducative » (JO, 18 mai 1973, p 1346, Hubert Dubedout) En 1966, l'agence d'urbanisme de Grenoble est créée et Hubert Dubedout n'aura cesse de la solliciter. Le maire va aussi mettre en place des commissions extra-municipales et instaurer une Îritable gestion démocratique de la ville avec des réunions de dialogue permanent avec les habitants. C'est à ce moment que sont créés les « unions de quartiers » qui réunissent les habitants et sont des interlocuteurs directs de la municipalité. Ces unions perdurent encore aujourd'hui. Jusqu'en 1972 l'administration municipale avait été maintenue sur un modèle classique, hiérarchisé, cloisonné et découpé selon les logiques métiers et de secteurs. (le social, les finances, les services techniques, etc.). La SEM départementale11 ou le priÎ étaient priés de concevoir et de réaliser les projets, 11 La SEM départementale, Territoire 38 a été créée en 1957, sous son nom initial la SADI (Société d'Aménagement du Département de l'Isère). Elle a notamment réalisé l'opération de Villeneuve, quartier nouveau sur Grenoble et Echirolles, ainsi que les ZAC de l'agglomération de Grenoble et la zone d'activité de Meylan (périphérie de Grenoble). 64 l'administration les prenait ensuite la gestion des opérations ainsi réalisées. Ce processus va progressivement se transformer par une municipalisation de l'urbanisme et de l'architecture, voulue par le maire. La ville va se doter de services techniques ayant des missions de maîtrise d'ouvrages et de maîtrise d'oeuvre importantes, avec le recrutement de nombreux jeunes professionnels, dans une optique de pluridisciplinarité au cours des années 1970. « Cependant, cette professionnalisation de l'action municipale aurait pu faire craindre une dérive technocratique si elle n'avait été assortie du souci de créer les conditions d'un dialogue permanent avec la population sur le terrain par la mise en place d'un dispositif de concertation à l'échelle du quartier. Cette dernière orientation avait mûri au cours du deuxième mandat, notamment avec l'engagement de la politique « vieux quartiers ». » (Bernard Archer, directeur des services techniques de la ville de Grenoble de 1977 à 1984)12 La rénovation des quartiers anciens initie une nouvelle manière de concevoir le projet urbain. Ce nouveau mode de faire, tourné vers la concertation avec les habitants est d'abord expérimenté sur le quartier Berriat où la municipalité met en place une équipe de mission formée d'agents de la collectivité, de l'agence d'urbanisme, de contractuels et d'une équipe associative du quartier. Au cours de nombreuses réunions publiques, les habitants sont conviés, aux côtés des techniciens de la ville et de certains élus afin de discuter des choix urbanistiques à opérer, tenant compte des contraintes techniques, financières et sociales. L'équipe de mission va ensuite être progressivement intégrée pour devenir un service au sein de l'administration. « Dès 1977, nous pouvions nous organiser selon les fonctions modernes de maîtrise d'ouvrage, de conception, de coordination, d'animation, de maîtrise d'oeuvre, contrôle de concession de la régie foncière, procédures d'aménagement, tout ce que l'on appelle aujourd'hui la maîtrise d'oeuvre urbaine. Un fonctionnement en complémentarité entre services municipaux, société d'économie mixte et association s'est établi. Des tâches de conception et de planification faisaient désormais partie des services et étaient conduites par de jeunes agents recrutés pour leur compétence. Ils contribuèrent à la rénovation dans tous les domaines de l'aménagement urbain. » (Jean-Louis Berthet, directeur de la mission centre-ville à la mairie de Grenoble, 1972-1983).13 La recherche de modes de transports alternatifs à l'automobile, signal de la fin de l'ère Dubebout Lors du premier mandat de Dubedout, de nouvelles routes et autoroutes ont été construites sans aucune politique sur les transports publics et les deux roues. Pour pallier à cette lacune, dès le second mandat une réflexion sur la restructuration des transports en commun va être conduite par une commission extra-municipale, créée expressément en 1973. Dans la foulée, le syndicat intercommunal des transports collectifs (SMTC) est créé, suivie de la SEM 12 In Action municipale, innovation politique et décentralisation [Livre] : les années Dudebout à Grenoble / ouvrage coordonné par Pierre Ducros, Pierre Frappat, François Lalande.. 1998 (p67) 13 In Action municipale, innovation politique et décentralisation [Livre] : les années Dudebout à Grenoble / ouvrage coordonné par Pierre Ducros, Pierre Frappat, François Lalande.. 1998 (p74) 65 d'exploitation du réseau (SEMITAG) en janvier 1975. L'objectif premier des élus grenoblois est de rénover le réseau de bus, avec la création d'un tronc commun des différentes lignes desservant la gare et le centre-ville, avec des couloirs réserÎs. Les réflexions portent également sur des mesures en faveur de la protection des cyclistes (les Grenoblois se déplaçant fortement en Îlo) et sur un nouveau mode de transports téléguidé, (POMA 2000), équivalent d'un métro léger en surface. Les discussions au sein de la commission extra-municipale sont vives, notamment au sujet du POMA 2000, qui se ferait au détriment d'un réseau de tramway. Une association pour le Développement des Transports en Commun, voies cyclables et piétonnes dans l'agglomération grenobloise (ADTC) va se créée en janvier 1974, notamment pour promouvoir l'idée du tramway et rallier les élus municipaux à leur cause. Pendant près de 10 ans, cette association s'est heurtée au maire de Grenoble qui finalement l'a inscrite dans son programme électoral de 1983. Mais Hubert Dubedout n'a pas été réélu. C'est Alain Carignon (RPR) qui lancera un référendum local. 53% des grenoblois vont se prononcer en faveur du tramway et le 5 septembre 1987, la ligne A est inaugurée, suivie en 1990 de la ligne B. Le développement de ces deux premières lignes reste néanmoins confiné à une logique sectorielle de transports, la ville n'étant alors pas équipées en ligne forte de transports en commun. Toutefois la première ligne de tramway va relancer une dynamique avec la requalification de certains espaces publics. Mais la méthode Carignon rompt avec l'interventionnisme municipal. La nouvelle équipe accorde davantage de place au développement économique et à la recherche de partenariat avec le secteur priÎ, notamment avec les grands groupes. Plusieurs SEM voient le jour en particulier au niveau communal pour le développement de l'opération Europole. Initialement, cette opération devait être confiée au secteur priÎ (Compagnie Générale des Eaux) pour l'implantation d'un centre d'affaires, à l'image du CNIT de la Défense. Le projet capote, de nombreux élus étant réticents à confier l'opération au secteur priÎ. Une SEM, SEM Grenoble 2000 sera alors créée avec comme actionnaires principaux la ville, la chambre de commerce et d'industrie et des promoteurs locaux. L'opération va se dérouler selon un plan-masse assez rigide, inspiré de l'urbanisme de dalle (Novarina, 1997). Surtout cette opération se solde par un coût important pour la commune. Par la suite les élus renforceront le contrôle des opérations en régime de concession et maintiendront, en parallèle la maîtrise en régie de certains projets. Cette particularité grenobloise est à souligner, car elle explique le haut niveau de compétences des techniciens de l'aménagement de la ville de Grenoble, qui font faire en même temps qu'ils font. La seconde ligne relie les centres universitaires et dessert ainsi les quartiers sud de la ville. Parallèlement, la ville crée la ZAC Vigny-Musset, nouveau quartier au sud de la ville à proximité du quartier de la Villeneuve et du village Olympique. Cette opération est confiée à la SEM SAGES (SEM municipale). De grande ampleur (2200 logements, 400 logements étudiants, 120 logements pour personnes âgées), elle débute selon un schéma classique de l'aménagement avec un plan-masse dessiné par un architecte en chef (Aktis architecture) qui laisse néanmoins une part importante aux espaces verts. Cette ZAC connaîtra un tournant dans ses objectifs avec la nouvelle équipe municipale, élue en 1995. Le second mandat d'Alain Carignon est surtout marqué par une montée en puissance de l'opposition locale critiquant sans cesse les politiques menées par la droite et leur gestion 66 désastreuse des affaires municipales. En particulier, le chef de file des élus verts, Raymond Avrillier va dénoncer le système de privatisation de la gestion de l'eau: les usagers payant un service de moindre qualité à un tarif éleÎ. D'ailleurs, Alain Carignon sera mis en examen dès 1994 pour abus de biens sociaux, usage de faux et corruption. Il est condamné en 1996. Cet épisode marque la fin d'Alain Carignon aux affaires municipales grenobloises II.2 La montée en puissance des questions du développement durable à leur imprégnation dans les affaires municipales (1995-2008) En 1995, c'est une nouvelle équipe municipale de gauche qui arrive au pouvoir. Michel Destot, étiquette PS, devient maire en s'alliant avec le parti écologique. Seront élus parmi les écologistes, Raymond Avrillier (2nd adjoint de la ville au logement et 3ème vice-président de l'agglomération sur l'assainissement et les eaux pluviales) et Pierre Kermen (conseiller à la ville sur les questions européennes). Le début de ce mandat est consacré à l'apurement des comptes de la commune, la dette ayant doublé entre 1982 et 1995 (Steinnmann, 1997). Mais la première coalition PS-écologistes sera marquée par de nombreux conflits, en particulier sur la remunicipalisation de la gestion de l'eau et la mise en place d'un agenda 21 local. Le premier tour des élections municipales de 2001 font la part belle aux écologistes (20% des voix). Le maire sortant (30%) fait ainsi alliance avec eux pour asseoir une large majorité au conseil municipal. Le chef de file des Verts, Pierre Kermen, est alors en position de force et négocie plusieurs portefeuilles stratégiques. Il devient le 1er adjoint à la ville, en charge de l'urbanisme et de l'environnement. La fusion de ces deux domaines illustre la vision écologique et urbaine qu'ont les élus du développement urbain grenoblois (Emelianoff, Stegassy, 2010). Ce portefeuille unique, dans les mains d'un seul élu, également président de la SEM Sages (aménageur local), personne de surcroît très active, va ainsi révolutionner la manière de faire la ville à Grenoble. La politique du développement durable, esquissée au cours du premier mandat va connaître un essor important au cours du second mandat, plébiscitée ainsi par les Grenoblois. Plusieurs chantiers seront ouverts, permettant d'assurer à la ville, sa transition vers une ville plus durable. Durant ces années (2001-2008), de nombreux projets démarrent donc, l'équipe municipale saisissant les différentes opportunités qui se présentent à elle pour faire de Grenoble , la première ville française durable. Tous ces chantiers ne sont pas encore clos, mais ils ont permis de renouveler l'image de Grenoble, de l'inscrire dans une dynamique de collectivité innovante, dynamique sur laquelle, Michel Destot surfe encore pour son troisième mandat. Nous retraçons ici, l'ensemble des chantiers ouverts avec une réelle difficulté de les hiérarchiser, tant la collectivité a agi tout azimut, avec des objectifs communs: réduire les consommations d'énergie et les émissions de gaz à effet de serre. Un premier objectif rassembleur: réduire les consommations d'énergie et les émissions de gaz à effet de serre Michel Destot est docteur en physique nucléaire et a travaillé au commissariat à l'énergie atomique. Il a ainsi une sensibilité sur les questions énergétiques. Cette sensibilité fait notamment écho aux convictions écologistes. Au cours de son premier mandat, plusieurs mesures seront ainsi prises. En 1998, l'Agence Locale de l'Energie de l'agglomération de Grenoble est créée, en partie 67 grâce à des fonds européens14. Dans la foulée, un diagnostic sur les consommations d'énergie et les émissions de gaz à effet de serre est lancé à l'échelle de l'agglomération. Les résultats seront publiés en 2001: « Le diagnostic sur les émissions de CO2 de l'agglomération montre que le secteur industriel est le plus gros émetteur (40%) en raison du pôle chimique de Pont-de- Claix. Viennent ensuite les transports (29%), le résidentiel (19%) et le tertiaire (12%). Les émissions de CO2 sont estimées à 6,5 tonnes par habitant, ce qui correspond à la moyenne française. Les énergies renouvelables représentent 7,9% de la consommation énergétique finale, grâce à l'hydroélectricité. Mais les scénarios d'évolution des émissions sont pessimistes. »15 Concernant les transports, l'effort porte sur le développement de deux nouvelles lignes de tramway, qui permettrait de désengorger le centre-ville et surtout de donner une impulsion sur deux nouveaux axes. Selon Pierre Kermen, le transport constitue à Grenoble la pierre fondatrice du développement durable. « Pour moi, le développement durable à Grenoble, pour aller vite et de façon carrée, ce sont les transports publics, le tramway »16. Les études s'engagent ainsi dès la fin des années 1990, bien avant le diagnostic énergétique. La manière dont on approche ces deux nouvelles lignes rompt avec la vision exclusivement « transporteur » des deux premières lignes. En effet, pour les lignes C et D, s'esquisse une approche intégrée. On profite de ce projet de transport pour en faire un des outils de la politique urbaine. Ce n'est qu'au cours du second mandat de Michel Destot que les actions envers le développement durable vont se démultiplier. Suite à la publication du diagnostic énergétique, la ville de Grenoble va lancer une étude de thermographie sur les bâtiments de la ville. A l'échelle de l'agglomération, l'ALE pilote une étude pour l'élaboration d'un Plan Climat. L'agglomération intègre également le réseau « Energie Cités17 » et accueille les 4èmes assises nationales de l'énergie. Depuis cette conférence se tient tous les 2 ans à Grenoble. Le Plan Climat La question énergétique couplée à celle du changement climatique va dépasser le cadre de la ville. Au niveau de l'agglomération, Grenoble Alpes Métropole sera la première à adopter un plan climat en 2005. Son élaboration aura mobilisé de nombreux services de la ville, des communes voisines, de l'agglomération sous le pilotage de l'ALE. Ce premier plan rallie 50 partenaires (communes, bailleurs sociaux, entreprises, associations, universités, fournisseurs d'énergie) avec comme objectif une stabilisation des émissions de gaz à effet de serre. Toutefois, une seconde charte va être élaborée et sera adoptée en 2009 autour des objectifs suivants, beaucoup plus ambitieux : - 9% des consommations d'énergie en interne pour chaque partenaire 14 Programme IEE, Energie Intelligente. Ce programme vise à promouvoir le développement et l'usage des énergies renouvelables, en mettant particulièrement l'accent dans le domaine des transports et aide à la création d'agence locale de l'énergie. http://ec.europa.eu/energy/intelligent/ 15 EMELIANOFF C., STEGASSY R., 2010, p 132 16 Entretien réalisé par Stéphane SADOUX et Pierre BELLI-RIZ, février 2011 17 Créée en 1990, cette association vise à mettre en réseau les collectivités locales européennes (près de 200 membres répartis dans 26 pays) et à les appuyer pour l'élaboration de politiques locales d'économies d'énergie et de développement d'énergies renouvelables en milieu urbain. Bien que le siège de l'association soit à Besançon, celle-ci dispose d'un bureau à Bruxelles et fait du lobbying auprès de la Commission Européenne pour défendre le rôle des villes en matière de politique énergétique et climatique. 68 - A l'horizon 2014 et par rapport à 2005: -14% émissions de GES -14% de consommations d'énergie par habitant et atteindre 14% de production d'ENR par rapport à la consommation totale Le programme d'actions est évalué chaque année et un observatoire des consommations énergétiques et des émissions de GES a été mis en place. Les résultats pour la période 2004- 2009 sont en deçà des objectifs et marqués par des hivers moins rigoureux que d'habitude, ainsi que par la délocalisation de certaines industries. Toutefois la démarche séduit. La liste des partenaires est évolutive et regroupe aujourd'hui 70 partenaires, engagés pour la seconde période du plan 2009-2014. Surtout, l'élaboration de ce plan climat illustre la nécessité d'agir à cette échelle et de dépasser les clivages municipaux, bien que ceux-ci restent très actifs, renforçant de fait, la compétition entre les villes autour de l'affichage « ville durable ». Ce contexte est d'ailleurs, favorable pour engager une série d'actions, en particulier dans le domaine de la planification et de l'habitat. Du POS à l'« éco-PLU » : la promotion d'un habitat plus durable Un des chantiers les plus importants auquel va s'attaquer Pierre Kermen après son élection en 2001 est la révision du Plan d'Occupation du Sol de Grenoble et son passage en Plan Local de l'Urbanisme. Ce changement intervient au même moment que les études sur le plan climat et des études pour l'élaboration d'un Plan de Déplacements Urbains. Pour Pierre Kermen, il est plus que nécessaire de coordonner l'ensemble des documents de planification. Dans son discours d'inauguration de l'exposition « Plan Local d'Urbanisme de la ville de Grenoble » le 11 mars 2005, il présente ainsi sa vision de l'urbanisme à Grenoble: Le PLU est le résultat d'une volonté forte de comprendre, de débattre pour préparer collectivement une ville rassemblée, solidaire, écologique, ouverte18. L'accent est ainsi mis sur la préservation des espaces verts, de la ressource en eau, sur la nécessité de mixité sociale (garantir un minimum de 30% de logements sociaux dans les opérations maîtrisées par la ville), de promouvoir le renouvellement urbain et la recherche d'une certaine densité et enfin de maintenir la tradition en matière de concertation et d'association avec la population pour le devenir de la ville. Le PLU est également l'occasion de procéder à un rééquilibrage des logements sociaux dans la ville avec des objectifs sectorisés selon les quartiers de la ville. Ainsi, près de Villeneuve l'un des quartiers sociaux de Grenoble, les objectifs de production de logements sociaux sont très faibles, alors que dans le secteur de la ZAC de Bonne, ils atteignent 40%. La question énergétique dans les bâtiments est difficilement abordable à travers un PLU, car elle concerne le code de la construction, et non celui de l'urbanisme. Pourtant, la ville de Grenoble a « rusé » pour adjoindre à son PLU dès 2006, un guide de la qualité environnementale dans l'architecture et l'urbanisme. Ce guide fait écho à l'opération d'amélioration thermique sur les grands boulevards19 et à l'initiative Concerto. Une seconde édition sera publiée en 2010 tenant compte de l'expérience des opérations d'aménagement durable. Ce guide concerne trois champs d'intervention sur le cadre de vie : les aménagements, les bâtiments neufs et les constructions à réhabiliter. Pour chaque champ d'intervention, ont été dressés des objectifs prioritaires et des préconisations, adaptés au 18 19 Extraits de son discours: http://www.ades-grenoble.org/spip.php?article542 Voir sous-chapitre suivant 69 territoire grenoblois. Ce guide se veut pédagogique, expliquant ainsi les raisons de ces objectifs et des préconisations. Il devient également un support de négociation. En effet, pour qu'un promoteur puisse construire sur Grenoble, il doit rencontrer les services techniques de la ville et prendre connaissance des préconisations et recommandations délivrées par le guide. S'instaure ensuite un échange entre les services techniques et le promoteur durant la phase de conception du projet allant chaque 5 réunions de travail sur le projet, préalables au dépôt de permis de construire. Ce fut une manière pour la ville de Grenoble d'imposer des règles de construction plus drastiques que celles du code de la construction en vigueur sur l'ensemble du territoire et pas uniquement dans les opérations d'aménagement. Ce processus fut plutôt bien accueilli par le milieu professionnel. Il prévoit un accompagnement, même a minima, des services de la ville et incite les promoteurs à anticiper sur les réglementations futures. Mais un tel guide n'aurait pas vu le jour sans la détermination d'un élu, Pierre Kermen et d'une équipe qui se formait au contact des opérations d'aménagement. Par ailleurs, l'agglomération de Grenoble et en particulier la ville bénéficient d'une forte attractivité résidentielle, attirant de fait les promoteurs et les investisseurs. Les prix de l'immobilier sont suffisamment hauts pour pouvoir absorber une partie du surcoût lié à l'innovation technique induite par la construction à haute qualité environnementale. Dans ce contexte de marché tendu, il est plus aisé pour la commune d'imposer ses exigences : les constructeurs qui ne veulent pas suivre les directives sont priés d'envisager d'autres marchés que le marché grenoblois our développer leurs activités. En effet, les documents de planification et les documents-cadre de l'action publique ont permis de donner une direction unique pour le développement urbain de la ville. Toutefois, l'expérimentation et l'apprentissage se font essentiellement au sein des opérations et on observe une graduation dans les exigences et dans la complexité au fur et à mesure des projets d'aménagement. De l'OPATB20 à la généralisation des quartiers durables En effet, en 2002, l'étude de thermographie sur la ville de Grenoble montre la nécessité de travailler sur les logements construits entre 1945 et 1975. Ces immeubles ne répondaient alors à aucune réglementation thermique et bon nombre d'entre eux réÏlent ainsi des qualités énergétiques médiocres. Les grands boulevards vont faire l'objet d'un traitement particulier, à l'occasion des travaux engendrés par la ligne C du tramway. La ville de Grenoble répond en 2002 à un appel à projet de l'ADEME, de l'ANAH et de leurs tutelles respectives (le Ministère de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement et le secrétariat au Logement). Ce dispositif est une innovation en soi, car il suppose un travail en partenariat au niveau national. Il s'appuie sur le dispositif éprouÎ de l'Anah (la collectivité définit le périmètre éligible ainsi que les objectifs, en concertation avec l'Anah et l'Ademe). Les propriétaires bénéficient d'aides majorées par rapport à ce que verse l'Anah habituellement et l'Ademe cofinance les études préalables et opérationnelles tout en apportant son soutien technique et financier aux campagnes de communication et aux programmes de formation. C'est ainsi que la ville de Grenoble a pris en charge les études opérationnelles sur les bâtiments ciblés et a accompagné les propriétaires sur les bouquets 20 L'Opération Publique d'Amélioration énergétique et Thermique des Bâtiments (OPATB) 70 de travaux à réaliser pour répondre aux objectifs de l'OPATB. Ceci a permis d'expérimenter la rénovation énergétique et d'alimenter le guide sur la qualité environnementale annexé au PLU. L'initiativeConcerto En 2003, la Commission Européenne lance un appel à projet dans le cadre du 7ème programme cadre de la recherche et de développement (PCRD) nommé l'initiative Concerto. Cette initiative vise à promouvoir la performance énergétique des nouveaux bâtiments (habitat, tertiaire) et le développement d'énergies renouvelables. L'appel à projets Concerto va être l'occasion de changer de perspective: par rapport aux projets européens précédents, il ne s'agit plus de travailler sur un objet défini mais sur un territoire et de développer des synergies entre des acteurs (acteurs du développement urbain, acteurs politiques, acteurs du système de l'énergie). Or l'OPAC 38 ne travaille que sur des objets. La rencontre de Michel Gibert avec Pierre Kermen sera donc déterminante pour la suite de ce projet et pour l'acculturation du milieu grenoblois au développement durable. La manière dont la ville de Grenoble a organisé sa réponse à l'appel à projets européen Concerto illustre parfaitement le milieu local des acteurs de l'urbain. En un temps record (2 mois), le projet SESAC a été monté avec une réponse coordonnée par l'OPAC 38 (Michel Gibert, directeur du développement durable) et la ville de Grenoble (Pierre Kermen, pilote). Très vite une équipe restreinte s'est regroupée autour de Pierre Kermen21. Ce tandem fait appel à Patrick Martin, directeur de Terre-Eco et de Betrec. Betrec est un bureau d'étude grenoblois spécialisé sur le calcul de structures en bâtiment, en particulier structure béton. Au début des années 2000, son directeur va fonder une filiale, Terre-Eco, travaillant d'abord sur la haute qualité environnementale dans les bâtiments et sur l'approche environnementale de l'urbanisme. Enfin, pour compléter l'équipe, il est fait appel à Olivier Sidler d'Enertech, l'un des grands spécialistes de la question énergétique, que l'on retrouvera également dans les équipes lyonnaises. Quelques mois plus tard, les techniciens de la ville (en particulier Perrine Flouret et Laurent Gaillard) et les membres de l'ALEC (notamment Jérôme Buffière) viendront compléter cette petite équipe autour du projet Concerto. Le projet Concerto a également permis de financer le suivi et l'évaluation du projet. Ce « work package » (WP 21) était suffisamment vague dans son intitulé pour que l'équipe projet grenobloise s'en empare et mette en place un système inédit de suivis techniques des différentes équipes bâtiments intervenant sur la ZAC de Bonne mais également dans d'autres secteurs de la ville. Deux types d'évaluation ont été réalisés: un suivi en temps réel des consommations d'énergie et des températures d'ambiance dans 44 logements de la ZAC de Bonne par Olivier Sidler (Enertech) et un releÎ régulier des consommations d'énergie dans les autres secteurs par l'ALEC. Ce suivi montre une baisse des consommations lorsqu'il associé à des réunions d'information sur l'énergie. Surtout des sessions de formation des ouvriers du bâtiment ont été conduites pour sensibiliser ces personnes aux enjeux environnementaux et leur expliquer de nouvelles techniques (pose de l'isolation par l'extérieur, perçage des prises électriques pour éviter la rupture thermique, etc.). « L'idée, c'était d'être un assistant tout au long des phases du projet aux différents acteurs en lien avec la construction. Le fil rouge, c'est d'éviter les ruptures 21 Voir si on développe cette histoire ici ou à l'encart sur Concerto. 71 d'appropriation qu'on peut voir régulièrement dans le cadre du bâtiment. » (entretien Jérôme Buffière, 24 mai 2011). » Expérimentations sur les ZAC en cours Vigny-Musset (SEM SAGES) et Teisseire (ville de Grenoble) Les ZAC de Vigny-Musset et de Teisseire ont démarré à la fin des années 1990, sous un schéma traditionnel de production de la ville. Un marché de définition est lancé pour recruter un architecte en chef et définir les orientations du projet. Puis l'opération passe en phase pré-opérationnelle., Vigny-Musset est confiée à la SEM SAGES, la ville de Grenoble gardant le projet Teisseire, renouvellement urbain assez complexe, en régie. Ce n'est qu'à partir du début des années 2000 que des exigences sur les performances énergétiques des logements neufs vont être émises. En particulier sur la ZAC Vigny-Musset, la SEM va expérimenter l'isolation par l'extérieur et le solaire thermique. Cette opération a également permis de tester les formes urbaines compactes (forme urbaine déjà présente au début de l'opération), le tri des déchets de chantiers et surtout d'avoir un recul sur les modes d'habiter et le livret de l'utilisateur (pour les logements livrés après 2005). L'opération Vigny-Musset marque ainsi une première étape dans la promotion d'un habitat plus durable. La SEM, guidée par la ville, a dû négocier point par point avec les promoteurs pour imposer plutôt des moyens (double vitrage lame d'argon, isolation par l'extérieur, etc.) que des objectifs. En effet, les promoteurs étaient assez réticents et avaient besoin d'être sensibilisés et d'être accompagnés (entretien avec Patrick Le Bihan, directeur-adjoint de la SEM SAGES, 9 mai 2011). Sur l'opération Teisseire, l'un des bailleurs sociaux ACTIS, a conduit des réhabilitations de logements en privilégiant l'isolation par l'extérieur et en recherchant une Îgétalisation maximum des logements (rôle des balcons et des loggias pour le confort d'été). L'opérateur a également installé des panneaux solaires en toiture pour la fourniture d'eau chaude sanitaire. Une attention toute particulière a également été conférée à la dépollution du site (une partie du projet se situe sur une usine désaffectée Schneider) et à la gestion des eaux de pluie. Le parc Ouagadougou joue ainsi un rôle central dans cette gestion des eaux. La ZAC de Bonne: la vitrine grenobloise L'opération ZAC de Bonne démarre en 2001 avec le lancement du marché de définition. A cette période il n'est pas encore question d'EcoQuartier, même si, sur la base des expérimentations conduites dans les opérations précédentes, la ville entend poursuivre sa quête vers un urbanisme plus durable. La ville impose à Christian Devillers (architecte en chef de la ZAC) de se faire assister d'un prestataire en Haute Qualité Environnementale (HQE®) pour renforcer la composante environnementale du quartier. Ce n'est vraiment qu'à partir de novembre 2003 que cette opération va connaître une accélération avec son inscription au projet SESAC (programme Concerto). Dès lors, les logements construits dans ce quartier devront répondre à des objectifs de performances énergétiques Patrick Martin de Terre-Eco, également AMO HQE® de la Ville de Grenoble, rédige les cahiers de recommandations en matière de qualité environnementale et accessibilité, reprenant les éléments présents dans la réponse à l'appel à projets Concerto. La ZAC est créée en 2004 et les consultations avec les promoteurs suivent rapidement. Ceux- 72 ci doivent intégrer les exigences du programme Concerto dans leur projet. Cette intégration ne se fait pas sans peine. L'aménageur doit convaincre et négocier. En effet, les prix de construction affichent une plus-value que les promoteurs ne pourront pas reporter intégralement sur les prix de vente, d'autant plus que la ville souhaite développer une mixité sociale avec 40% des logements sociaux mais aussi des logements à coûts abordables. L'aménageur va alors réaliser une moins-value foncière, la ville devait participer à hauteur de 6 M pour couvrir le déficit initial. Les fonds européens accordés suite à l'initiative Concerto vont directement aux promoteurs et aux bailleurs pour couvrir les surcoûts de construction. L'enjeu est de taille car la ZAC de Bonne doit démontrer que construire plus durable est possible. Toutefois, profitant de la bulle immobilière, l'opération se clôture avec un léger bénéfice, et ce, sans la compensation de la ville. Le pari est donc tenu. En 2009, le projet reçoit le Grand Prix du concours EcoQuartier du Ministère du développement durable et devient ainsi le « Fribourg » national. Les retombées en terme d'images pour Grenoble et la SEM SAGES sont importantes. D'une part la durabilité de la ville est reconnue. Le nombre de délégations professionnelles voulant visiter la ville a sérieusement augmenté, au point que le service urbanisme de la Grenoble a confié à l'office du tourisme la visite de la ZAC de Bonne. D'autre part, la SEM SAGES a acquis un certain savoir-faire, de même que les promoteurs engagés sur l'opération. En particulier pour ces derniers, l'opération de Bonne leur a permis d'anticiper sur les normes de construction 2012 et de bénéficier d'une assistance technique financée par l'opération (en fait intégrée dans le co-financement européen des surcoûts). Ils ont ainsi découvert la filière des panneaux solaires, les caractéristiques techniques de l'isolation par l'extérieur (désormais un standard à Grenoble) ou encore la gestion des déchets de chantier. Mais il faut rester prudent sur l'image innovante et « développement durable » que veulent se donner les promoteurs comme relativise Patrick Le Bihan. « Il n'y en a pas cinquante de promoteurs à Grenoble. Donc, de fait, petit à petit, on a acquis un langage commun. Tout au moins, je me flatte de le penser. Parce que je sais qu'en même temps, tel promoteur qui joue les vertueux sur Grenoble, Echirolles, St Martin d'Hères, peut-être qu'il va construire ailleurs comme on construisait il y a cinquante ans. » (entretien du 9 mai 2011). L'aménageur a ainsi accompagné les promoteurs tout au long de leur processus. En phase conception, ils étaient assistés par les AMO de la SEM SAGES, en particulier d'Enertech qui Îrifiait et instruisait les solutions techniques mises en oeuvre pour garantir les objectifs de performance énergétique. En phase chantier, l'Agence Locale de l'Energie (ALEC) a mis en place une série de formations. « La ZAC de Bonne a été un phare qui a permis de rassembler beaucoup de monde. En particulier les organismes de formation qui ont compris que quelque chose se passait et qu'il ne fallait pas passer à côté. »(entretien Jérôme Buffière, 24mai 2011 ) De même Enertech a suivi de près la réalisation des bâtiments, secondé par l'aménageur. Au niveau de la conception des bâtiments, les objectifs ont été remplis. L'évaluation des consommations d'énergie montre néanmoins un résultat mitigé: des erreurs sur la réalisation en phase chantier ont été faites et surtout on observe des différences de comportements chez les résidents se soldant, pour certains, par des écarts importants de 73 consommation d'énergie entre le prévisionnel et le réel. « Malgré les formations réalisées, il y a eu des malfaçons en phase réalisation des bâtiments et on ne pensait pas que ces malfaçons, a priori mineures, allaient autant impactées le bilan de Bonne. » (entretien Jérôme Buffière, 24 mai 2011). Cette réalité interroge le processus de production actuel de la ville. L'aménageur s'est ainsi entouré d'experts inédits jusqu'alors, mais désormais il faudrait se focaliser davantage sur l'accompagnement des équipes de maîtrise d'oeuvre des promoteurs et sur le suivi des entreprises en phase chantier. Mais globalement, la réussite de la ZAC de Bonne est ainsi en partie dû à la détermination d'un élu , Pierre Kermen. « Avoir un élu qui est à la direction de l'urbanisme et président de la SEM nous garantit que nos exigences de qualité environnementale, architecturale et urbaine que l'on fige dans le dossier de création de la ZAC et les cahiers de préconisations vont bien être suivies par la SEM. » (Entretien avec Perrine Flouret, Ville de Grenoble, 24 mai 2011). Cette détermination a ainsi permis à l'équipe opérationnelle de se structurer autour de la SEM et d'imposer ses objectifs. la ZAC Bouchayet-Viallet (SEM Innovia) et la ZAC Blanche-Monier (Ville de Grenoble) Les opérations lancées après la ZAC de Bonne reprennent, voire augmentent les exigences de la ZAC de Bonne. Les équipes sont sensiblement les mêmes: la SEM Innovia (même équipe que la SEM SAGES) pour Bouchayet Viallet créée en 2004, le service de prospective urbaine, assisté de Tekhné pour la ZAC Blanche-Monier, créée en 2007. Les concepteurs de ces opérations ont tirés certaines leçons de l'opération de Bonne, en particulier pour Blanche-Monier. L'orientation bioclimatique des bâtiments fut testée mais non retenue pour ne pas rompre avec la trame urbaine des quartiers voisins. Mais, la ville est allée encore plus loin en ce qui concerne la gestion des eaux pluviales (traitement de l'ensemble des eaux pluviales à la parcelle) et a réussi à imposer l'obtention du label BBC à coûts maîtrisés, à toutes les opérations de logements (exigences énergétiques supérieures à celles du programme Concerto, et réalisation des tests qui vont de pair),sans pour au tant accompagner ces exigences d'une subvention complémentaire. Ces ZAC ne font pas l'objet d'innovations techniques remarquables à l'instar de la ZAC de Bonne. Toutefois pour les porteurs de projets et certains de leurs prestataires, ils participent à l'assimilation et à la consolidation des pratiques et des méthodes initiées précédemment. Pour d'autres intervenants, notamment d'autres promoteurs et leurs équipes dédiées, ils sont un lieu d'apprentissage. On retiendra également de Grenoble, un contexte de marché immobilier favorable à l'expérimentation, surtout au moment de la commercialisation de la ZAC de Bonne. « C'était un quartier de plein centre-ville, un terrain de cet importance au centre- ville il n'y en a pas beaucoup. Donc on savait fatalement que ça allait être un programme attractif. Après derrière les contraintes techniques, le développement durable en est une, on la prend telle qu'elle. [...] sachant qu'on est dans un secteur centre-ville qui permet quand même un prix un peu... Voilà! On aurait proposé la même chose dans les quartiers sud de Grenoble avec les mêmes impositions, où là 74 en prix de vente on est un peu taquet, ça mérite une deuxième réflexion. Là centre- ville, on y est allés sans se poser trop de questions sur le prix en disant "voilà, on a un contexte économique qui permet de se lâcher un petit peu sur le prix de revient". (entretien Michel Blanc, 9 mai 2011)22. La dimension économique des projets et du marché immobilier n'est ainsi pas négligeable et illustre les marges de manoeuvre dont bénéficient la chaîne d'acteurs en particulier les promoteurs. Ils peuvent vendre un peu plus cher que sur d'autres agglomérations et peuvent réduire leur marge au profit d'un coût de construction plus éleÎ. Un réseau d'acteurs locaux en étroite collaboration L'analyse des différents acteurs intervenants dans les opérations d'aménagement et les opérations de construction sur Grenoble montre un milieu assez fermé. « On travaille toujours avec les mêmes! » (entretien avec Patrick Le Bihan, mai 2011). Ceci permet de favoriser la capitalisation et est l'un des facteurs qui explique pourquoi la diffusion des exigences du développement durable s'est faite aussi vite et aussi bien. Le jeu de la concurrence dans l'immobilier du neuf et la pression foncière sur Grenoble sont un second facteur favorable à la diffusion de telles contraintes. En effet, le promoteur qui n'observe pas les niveaux d'exigence de la ville ou de l'aménageur peut être exclu des projets futurs ou se voir refuser une autorisation à construire. L'agglomération de Grenoble concentre également un tissu d'experts et de personnes sensibilisées au développement durable important. L'OPAC 38, bailleur social du département, est l'un des précurseurs du développement durable, vu d'abord sous l'angle énergétique, de la région grenobloise. Ainsi dès 1995, une mission « développement durable et Europe » fut créée au sein de l'OPAC pour veiller aux appels à projets européens (et récolter des fonds pour financer des projets innovants en matière d'énergies) et pour diffuser la pratique du développement durable. Michel Gibert prend la direction de cette mission et ébauche la stratégie énergétique et environnementale de la société. Progressivement Michel Gibert se constitue un réseau européen, notamment à travers les projets européens dans lesquels l'OPAC est impliqué. La volonté politique et technique est ainsi de constituer, à Grenoble, un réseau d'acteurs couvrant l'ensemble de la chaîne de productions du bâtiment qui est formé a minima sur les performances énergétiques et plus globalement sur la prise en compte de l'environnement dans l'urbain. Cela se traduit par une autre manière d'appréhender le projet de bâtiment avec un travail d'équipe plus intégré et plus complexe. « Alors nous la façon dont on travaille ici à l'agence, c'est très transverse, les réunions de montage d'opération, on travaille rarement à deux (architecte et maître d'ouvrage). Les réunions, elles sont avec le BE, l'architecte, le contrôleur technique, l'AMO HQE s'il y en a un, le paysagiste... Enfin voilà! Dans ces réunions on n'est jamais deux, on est souvent huit à dix autour de la table. Je pense que c'est vraiment un management de projet, l'architecte ne travaille pas seul dans son coin en faisant à la fin valider la solution par le BE fluides. C'est vraiment un travail 22 Le service prospective de la ville de Grenoble indique, qu'à cette période, entre 2009 et 2010, on estimait le surcoût de la construction BBC par rapport à la construction classique autour de 113/m², c'est-à-dire moins de 10%. 75 d'équipe. » (entretien Michel Blanc, directeur de Bouygues-Immobilier, agence de Meylan, mai 2011). La période 2001-2008 montre ainsi des innovations locales dans plusieurs domaines portées par un groupe d'acteurs, au départ assez restreint mais qui progressivement s'est élargi. Pour autant, cette période d'émulations se traduit aussi par de vifs débats au sein de la majorité politique. Pierre Kermen n'aura eu cesse de faire bouger les lignes, au détriment de l'alliance PS-les Verts. Lors des élections municipales de 2008, le PS opte ainsi pour un rassemblement avec le centre, abandonnant son alliance avec les Verts. 76 II.3 Consolidation des innovations précédentes: surfer sur la vague du développement durable (2008- ...) En mars 2008, de nouvelles élections municipales ont lieu. Aucun accord d'alliance n'aboutit entre le PS et le parti écologique. Le second tour donnera lieu à une triangulaire où le maire sortant, Michel Destot est réélu avec 48% des voix, issues notamment d'une alliance avec les centristes. Les Verts entrent ainsi dans l'opposition et Pierre Kermen disparaît du paysage politique local. Ce désaccord ne remet pas en cause les politiques conduites en matière de développement durable lors des mandats précédents. D'ailleurs, il s'agit de poursuivre ces actions et de communiquer davantage sur les actions engagées et leurs résultats. On note ainsi la déclinaison sur la ville de Grenoble du Plan Climat avec « Grenoble Facteur 4 ». Ce plan, avec un programme plus ambitieux, diviser par 4 les émissions de GES d'ici 2050 a été adopté en septembre 2008. Ce programme d'actions repose sur 4 piliers: le développement d'écoquartiers, les transports (avec la réalisation envisagée d'une 5ème ligne de tramway), les bâtiments (poursuite de l'incitation des travaux d'isolation des bâtiments construits en 1945 et 1975 et extension aux bâtiments construits avant 1920) et l'énergie (accroître l'utilisation des énergies renouvelables). Ce programme d'actions vise à structurer les actions lancées lors des deux mandats précédents et à donner à Grenoble une image de cité innovante en matière de développement durable. Les actions en faveur du bâtiment et de la recherche d'un optimum énergétique se poursuivent avec plusieurs incitations envers les copropriétaires publics et priÎs sur des immeubles ciblés. La ville de Grenoble conçoit alors un dispositif nommé « mur-mur » afin d'aider les copropriétaires à réaliser leurs travaux d'amélioration thermique. Afin d'appliquer ce dispositif à l'ensemble de la l'agglomération, il est transféré à la Métro. Il vise les immeubles construits entre 1945 et 1975 en dehors de toute réglementation thermique. La communauté d'agglomération en partenariat avec les communes, l'ADEME et les fournisseurs d'énergie, propose de co-financer les travaux de rénovation, allant de travaux d'isolation des murs à une isolation complète (murs, toiture, planchers) avec changement des menuiseries et du système de ventilation. Les copropriétés s'engageant dans un tel dispositif bénéficient également d'un soutien technique de la Métro et l'ALEC. Le succès est au rendez-vous avec 5 400 logements engagés dans la démarche en mars 2011. La ville de Grenoble va plus loin en éditant un guide concernant les possibilités techniques et architecturales pour l'amélioration thermique des immeubles construits avant 1920. De nouveaux projets d'aménagement sont lancés avec l'opération phare « Presqu'île » confiée à la SEM Innovia en 2009. L'aménagement de ce site de 250 ha, situé en entrée de ville, se décline en plusieurs projets opérationnels. Il s'agit d'une part de rattacher ce territoire, marqué notamment par une occupation universitaire lié au nucléaire (présence du synchrotron) au reste de la ville, d'autre part de tester un nouveau modèle de développement urbain durable, capitalisant les expériences précédentes sur le bâtiment et cherchant à innover autour de la mobilité. Ce territoire se veut démonstrateur et est un des éléments principaux du projet « Eco-Cité » dont certaines actions sont financées par le programme d'investissements d'avenir (Caisse des Dépôts). Ce vaste projet pourrait durer des dizaines d'années. Enfin, la ville de Grenoble poursuit son implication dans les réseaux européens. Lors du mandat précédent, la direction de l'urbanisme avait été initiée à la gestion d'un projet 77 européen (à travers le pilotage au niveau local du projet Concerto-Sesac). Un effort important avait alors été fait à ce moment pour comprendre les mécanismes, notamment administratifs et financiers, des projets européens. La ville de Grenoble valorise cet apprentissage en répondant à de nouveaux appels à projets européens comme smart cities. L'innovation et l'apprentissage à Grenoble se font ainsi au gré des projets, qu'ils soient européens ou consacrés à une opération d'aménagement. La capitalisation des connaissances apprises dans ces moments ne passe pas à travers des documents-cadre comme cela peut se faire dans l'agglomération lyonnaise. Le milieu grenoblois des acteurs de l'aménagement reste très fermé avec une diffusion des nouveaux processus et des nouvelles pratiques qui se fait ainsi au sein du groupe ainsi constitué. Ceci peut également s'expliquer par le fait que l'aménagement est encore une compétence communale. Il n'est pas donc pas nécessaire de fabriquer une culture urbaine unique à l'échelle communautaire comme on peut le constater sur l'agglomération lyonnaise 78 ANNEXE III Chronologie développement urbain durable à Reims D'UNE PRISE DE CONSCIENCE TARDIVE A UN FOISONNEMENT D'INITIATIVES A LA COHERENCE INCERTAINE Parmi les villes retenues dans ce projet de recherche, Reims représente la plus petite agglomération (200 000 habitants). Coeur d'un territoire de très faible densité de population, la ville n'en est pas moins demeurée compacte, notamment en raison de la valeur du foncier agricole. Source d'une relative aisance, agriculture et agro-alimentaire puissant masquent un faible dynamisme démographique et économique. En matière de développement durable, Reims présente un paradoxe. Plusieurs EcoQuartiers, à l'exemplarité reconnue par des prix nationaux, y ont vu le jour. Pourtant, la réflexion sur le développement durable et sa mise en oeuvre dans les politiques publiques accusent un retard. L'hypothèse centrale de ce rapport est que ce décalage s'explique par le jeu d'acteurs : la longueur d'avance des bailleurs sociaux ne trouverait pas (encore?) son équivalent dans les collectivités locales. Nous constatons : - Un ensemble de bonnes pratiques précoces chez les bailleurs sociaux mais une prise de conscience tardive de la collectivité, accélérée par le changement d'équipe municipale de 2008. - Une institutionnalisation inacheÎe et des recompositions en cours pour l'ensemble des acteurs de la production de la ville. - Un recours modeste aux outils conceptuels de l'urbanisme durable (référentiels, études) et aux programmes européens - Un foisonnement d'initiatives récent dans les projets et les politiques urbaines qui demande à être consolidé. 79 III.1 La prise de conscience : un décalage entre la collectivité et les bailleurs sociaux Si Reims apparaît de bonne heure comme un laboratoire d'expérimentation urbaine, c'est sans doute dû davantage à l'émulation entre ses trois organismes logeurs, de sensibilité différente, qu'à ses élus, plus en retrait. Les bailleurs sociaux sont un acteur majeur de la production de la ville à Reims où ils gèrent 45% du parc de logements et détiennent la majeure partie du foncier constructible. En 1912, l'industriel rémois Georges Charbonneaux fonde le Foyer rémois dans la mouvance du catholicisme social. Le Foyer rémois réalise une couronne de cités-jardin, dont le Chemin Vert (Auburtin, 1921) offre un exemple très abouti. Après la seconde guerre mondiale, le Foyer rémois participe à l'extension de Reims où il gère aujourd'hui un patrimoine de 18 000 logements. En 1921, le Conseil municipal de Reims se dote d'un instrument propre en créant l'Office Public d'Habitations Bon marché de Reims (devenu OPHLM, OPAC et, depuis 2006, Reims Habitat Champagne-Ardenne). Celui-ci construit une cité-jardin (Maison-Blanche), puis, dans les années 1960 et 1970, des grands ensembles (Orgeval, Croix-Rouge...). Reims Habitat Champagne-Ardenne gère aujourd'hui 11 000 logements locatifs. Le lien historique avec la municipalité fait de Reims Habitat un partenaire privilégié de la mise en oeuvre du projet Reims 2020. En 1947 est créé le COPLORR (Comité Paritaire du Logement de Reims et sa Région) dont L'Effort rémois, devenu Plurihabitat l'Effort rémois est l'outil de construction. Il participe à la réalisation des grands ensembles (Orgeval, Croix du Sud) puis des extensions pavillonnaires de l'agglomération (Tinqueux-Sud). Son opération-phare des années 1980, Val-de-Murigny, associe logements individuels et collectifs autour d'un parc central. Nouvelle déclinaison de la cité-jardin, l'opération comporte un volet participatif. Entre 2000 et 2007, le Foyer rémois renouvelle le concept de cité-jardin en réalisant, sur une friche urbaine, Les Aquarelles, un programme mixte (111 maisons individuelles, 113 logements collectifs), HQE et participatif. Cette "cité-jardin du XXIème siècle" a bénéficié du soutien du PUCA dans sa réalisation et a été primée en 2007 (Arturbain) et en 2009 (Trophée des écomaires). Parallèlement, la commune d'accueil, Bétheny, révise son PLU pour en faire un "PLU HQE". La filiation avec la cité-jardin passe par les individus. Ainsi, Alain Coscia-Moranne est Architecte-urbaniste à l'Agence d'urbanisme dans les années 1980 quand il participe à la réalisation de Murigny-sud. Devenu directeur de la construction et de la recherche au Foyer rémois, il assure dans les années 1990 la réhabilitation du Chemin-Vert, expérience qui inspire à son tour Les Aquarelles. Dans les trois organismes, la prise de conscience est passée par trois canaux, présentés par ordre d'importance : - Par les individus, moteurs dans leurs organisations. Les entretiens avec François Toublan (Reims Habitat), Jean-Denis Mège (Foyer Rémois) et Michel Ferro (Effort rémois) cités ci- dessous montrent le caractère très individuel de ces « rencontres » avec le développement durable, ainsi que des visions différentes de sa signification : lien avec la nature retrouÎ (Toublan), focus sur les techniques de construction (Mège), inscription 80 dans les dynamiques sociales des quartiers (Ferro). - Par les labellisations, conçues notamment comme des moyens de valoriser des localisations peu attractives. Le recours au label EcoQuartier, les projets primés par le PUCA, apparaissent comme le signe d'une approche innovante. Par contre, la participation aux clubs d'acteurs n'a guère été abordée par les interviewés. - Par effet-miroir dans le territoire local où une émulation s'exerce entre les acteurs, et en particulier entre les bailleurs sociaux. Récit de la découverte du développement durable ­ extraits d'entretien François Toublan (Reims Habitat) « C'était lors d'un voyage personnel aux Canaries. J'y ai rencontré un architecte, un baba cool, un peu visionnaire, qui aménageait des maisons-talus, des maisons-grottes, depuis les années 1960... Une idée reprise dans les années 1970 dans les maisons-bulles naturalistes du sud de la France... Ce rapport particulier à la nature m'a séduit et c'est à mon sens ma première expérience de l'éco- aménagement et de l'éco-construction. Lorsque les premiers éco-quartiers ont vu le jour à Reims, j'ai tout de suite eu envie de développer cette dimension et, parce que les formations étaient à l'époque peu nombreuses, j'ai dû m'instruire moi-même ». Jean-Denis Mège « Jeune chef d'agence en quartier de renouvellement urbain, je m'étais trouÎ plongé dans la vie sociale au quotidien. Lorsque le développement durable est entré dans mon champ professionnel, j'étais arriÎ dans mes fonctions actuelles au Foyer Rémois. J'ai tout de suite compris qu'il fallait trouver les solutions techniques qui éviteraient de faire peser sur les habitants d'innombrables contraintes car les gens ne changent pas facilement leur comportement. Il n'y avait guère de formations, j'ai appris sur le tas et par de nombreuses lectures. Les solutions foisonnaient, mais pour moi, la meilleure, c'est le Passiv'haus. » Michel Ferro « Je rattache l'idée du développement durable à ma première expérience professionnelle, il y a vingt ans, dans un bureau d'études à forte connotation paysagère et environnementale : nous mettions en place des noues paysagères, ce qui, pour l'époque, était plutôt rare. Je me suis formé au fil de l'eau dans l'exercice de mes fonctions. Ma vision, au départ assez technique, s'est progressivement enrichie pour prendre en compte la dimension des habitants, leurs perceptions, leur satisfaction, la vie au quotidien dans les quartiers, la relation entre ces quartiers et le reste de la ville. Aujourd'hui, pour moi, le développement durable est d'abord une affaire d'habitants et de quartiers et pas autant qu'auparavant de normes de construction ­ l'évolution de la législation fait de toute manière que celles que nous appliquons aujourd'hui seront dépassées dans une décennie ou deux, le quartier restera...» A la différence des bailleurs sociaux, les pouvoirs publics accusent un retard dans cette prise de conscience. La municipalité a connu plusieurs maires-bâtisseurs mais n'investit que tardivement le champ du développement durable. De l'entre-deux-guerres aux Trente Glorieuses, Reims est un laboratoire de planification urbaine. Le plan Géo Ford (1920) montre la couronne de cités-jardin ; sous le mandat de René Bride, le Plan Camelot (1958), limite l'urbanisation ; sous l'impulsion moderniste de Jean Taittinger, le plan Rotival (1963) lance une extension urbaine de grande ampleur. 81 Jean-Louis Schneiter, Président du District depuis sa création en 1972 et maire de Reims de 1999 à 2008, s'inscrit dans la tradition des grands projets (tramway) sans porter un intérêt particulièrement soutenu au développement durable. En 2008, l'élection de Adeline Hazan, tête d'une coalition rose-et-verte, accélère l'émergence d'un discours sur le développement durable. Pour autant, on reste souvent en surface, sans passage à l'acte, de l'avis de plusieurs de nos interlocuteurs. M. Serge Pugeault, deuxième adjoint du Conseil municipal, devait nous recevoir mais il a à plusieurs entreprises annulé cet entretien au dernier moment. En creux, nous y voyons une faible sensibilité au sujet (qui était connu). Plusieurs éléments peuvent expliquer cette prise de conscience tardive. D'une part, la succession des générations : Jean-Louis Schneiter, qui fut l'adjoint de Jean Taittinger, s'est formé à l'âge d'or de la croissance. D'autre part, la culture locale : l'agriculture et l'agro- alimentaire, moteurs de l'économie locale, demeurent productivistes. Enfin, la géographie ­ à l'échelle de l'agglomération rémoise, la qualité de vie reste éleÎe et les inconÎnients liés à un urbanisme 'non-durable', qu'ils soient écologiques ou sociaux, demeurent peu visibles. Producteurs de la ville et collectivités locales semblent privilégier la dimension environnementale du développement durable. Les entretiens du Grenelle y ont sans doute contribué, tout comme les aides à l'éco-construction. Les autres piliers du développement durable sont moins nettement identifiés, et encore moins une approche intégrée à l'échelle de la ville. III.2 Institutionnalisation du développement durable : une place ambigüe pour les élus, un métier en apparition dans les services techniques L'inscription du développement durable dans les portefeuilles politiques des élus et dans l'organigramme des services réÏle tant sa montée en puissance que les ambiguïtés qui subsistent dans sa définition. En 2008, le développement durable apparaît parmi les attributions des adjoints. Il est confié à Raymond Joannesse (Europe écologie), treizième adjoint, également en charge de l'urbanisme. Cependant, les gros dossiers d'urbanisme vont aux deux poids lourds du Conseil municipal : logement, politique de la ville, vie des quartiers pour Eric Quenard, premier adjoint ; développement économique et grands projets pour Serge Pugeault, deuxième adjoint. En 2011, l'urbanisme revient au premier adjoint, tandis que Raymond Joannesse devient conseiller municipal délégué associant au développement durable, espaces verts et environnement. Au Conseil communautaire de Reims métropole, le développement durable est attribué à Stéphane Joly (PS, huitième Vice-Président). Cinquième adjoint dans l'équipe municipale, ce dernier n'y détient aucune attribution dans ce champ. En définitive, dans l'arène politique, le positionnement du développement durable demeure attaché à l'environnement et marginal par rapport aux compétences plus classiques. Dans l'organigramme de Reims métropole, cela se traduit par la création d'une Direction du développement durable "transversale". Sous la conduite de Philippe Pinon-Guérin, ingénieur agronome recruté pour l'occasion, deux chargés de mission tiennent à la disposition des autres services leur compétence environnementale (énergie, pollutions...). Simples conseillers, ils n'ont aucun pouvoir décisionnel. 82 On observe dans les collectivités (ville, intercommunalité, département) et à l'Agence d'urbanisme une vague de recrutements de « chargés de mission développement durable », Îritable nouveau métier. Leur profil associe ingénierie (construction, industrielle) et sciences de l'environnement (formation initiale ou compléments post-diplôme). L'urbanisme et l'aménagement sont peu présents. Ainsi, le chargé développement durable de l'Agence d'urbanisme, Baptiste Redon, est diplômé en sciences de l'Environnement. Il se considère comme un technicien de l'environnement et dit appliquer à la ville le savoir-faire qu'il utilisait dans le monde industriel. Ces chargés de mission, de profil et d'âge similaire, entretiennent des relations (réunions informelles), contribuant à la diffusion d'une approche très environnementaliste et technicienne du développement durable. Le lien s'effectue également par des têtes de réseau nationales, tel le CSTB. Du côté des bailleurs sociaux, la montée en puissance du développement durable n'a pas entraîné de recrutements directs. Les trois interlocuteurs interrogés estiment avoir intégré cette dimension dans l'organisation fonctionnelle pré-existante. De même, on ne voit pas de création de poste fléché développement durable. On note toutefois que, dans les recrutements, les compétences correspondantes à ce nouveau champ sont incluses dans les profils affichés. Les modifications d'organigramme sont liées à l'externalisation croissante d'un certain nombre de fonctions désormais jugées trop techniques pour être portées en interne. Ainsi, Reims Habitat a renoncé à employer un architecte-urbaniste encore présent au début des années 2000, préférant recourir à des prestataires extérieurs. Cette évolution est particulièrement marquée pour les études préalables, dont le nombre va croissant. Une modification importante des modes de production de l'espace urbain et des jeux d'acteurs est intervenue avec la création, par les organismes bailleurs, de deux Groupements d'Intérêt Economique (GIE) qui jouent un rôle déterminant dans la production des EcoQuartiers contemporains et permettent une synergie entre acteurs territoriaux. Les profils de ces deux GIE apparaissent différents. En 2007, le Foyer Rémois et Reims Habitat fondent ensemble le GIE Foncière Développement. Il s'agit de répondre au problème de manque de disponibilité foncière pour la réalisation de projets d'envergure. Le GIE réalise la prospection foncière et les études préablables au développement, généralement déléguées à des prestataires extérieurs. En 2010, le GIE est intervenu dans la préparation de l'EcoQuartier de la 12ème Escadre à Reims, opération d'envergure pour l'agglomération puisque le nouveau quartier doit accueillir, sur une friche ferroviaire de 20 ha, de 1000 à 1200 logements, ainsi que 6000m² de commerces, services et bureaux. Le projet fait partie du Palmarès Ecoconstruction 2009 du MEEDDM. Plurihabitat l'Effort rémois gère aujourd'hui 22 000 logements. Il s'est associé à des organismes logeurs non rémois23 dans le GIE Champagne-Ardenne aménagement. Ici, le GIE n'a pas d'activité de prospection foncière mais est le concepteur des projets d'amnagement, 23 L'Effort Rémois (Reims), Le Toit Champenois (Epernay), Mon Logis (Troyes), Troyes Habitat, Opac de Châlons-en- Champagne 83 et notamment les deux EcoQuartiers que Plurihabitat réalisé à Reims. Les Promenades des Courtes Martin (232 logements) s'inscrit dans le renouvellement urbain du quartier des Epinettes à l'est de Reims. L'EcoQuartier Dauphinot-Remafer (Palmarès Ecoconstruction 2009) programme sur une friche industrielle 620 logements, des commerces, des activités, des équipements publics, un groupe scolaire, un gymnase et un parc urbain de 2 ha. Le GIE n'est pas maître d'ouvrage mais peut assurer le suivi des chantiers à la demande des maîtres d'ouvrage. La participation des acteurs rémois aux réseaux d'acteurs régionaux et nationaux est timide. Le Conseil régional a crée, fin 2007, une Agence Régionale de la Construction et de l'Aménagement durables en Champagne-Ardenne (ARCAD). Cependant, les entretiens ne réÏlent pas le recours à ses services par les rémois, et son action s'adresse plutôt à d'autres parties du territoire régional (Ardennes, Haute-Marne). De même, la participation des acteurs rémois au club 'EcoQuartiers' en cours de montage par la DREAL reste formelle. Sur le plan national, la participation des organismes logeurs au Club opérationnel national écoquartier créé par le MEEDDM suite au premier appel à projet Eco quartier 2009/2010 constitue un premier pas. Dans le cas particulier des organismes de logements social, un rôle de catalyseur a été évoqué pour le groupe EcoQuartier de l'Union Sociale de l'Habitat. Dans cette institutionnalisation en cours, le développement durable est généralement associé à l'environnement et la question de son interface avec l'urbanisme reste ouverte. Nous la retrouvons dans les outils employés où les référentiels de l'éco-construction priment sur une approche en termes d'urbanisme durable. 84 III.3 Les outils : une labellisation tournée vers l'éco-construction Les référentiels utilisés par les bailleurs sont majoritairement environnementaux. Les trois organismes logeurs ont systématisé le recours au label haute performance énergétique (HPE), allant au-delà des normes réglementaires, y compris celles issues du Grenelle II (RT 2012). Dans leurs constructions ils ont systématisé la certification HPE, qui sanctionne une consommation inférieure à la consommation énergétique de référence (Cref), les paliers reflétant des gains croissants, de 10 % (HPE) à 50% (BBC Effinergie, équivalent au PassivHaus allemand). En 2009, le Foyer rémois a inauguré La Clairière, premier bâtiment passif français à vocation sociale. Les référentiels utilisés par les organismes logeurs rémois Type de référentiel Energie Foyer rémois THPE ou BBC Effinergie : toute construction neuve ou réhabilitation Passivhaus HQE (cas-par-cas) Reims Habitat Champagne-Ardenne Plurihabitat l'Effort rémois HPE (tout programme HPE neuf depuis 2008), BBC Maison passive (cas- construction et par-cas) rénovation Habitat et Environnement (tout programme neuf >5 logements depuis 2008) HQE (cas-par-cas) GRE-SE Qualibail Construction environnementale Responsabilité sociale des entreprises Relation avec les locataires Urbanisme durable Opérations primées EURHO-GR® Qualibail Label Habitat Senior Services® EcoQuartier (cas-par- cas) Les Aquarelles : PUCA 2004, Arturbain 2007 Ecomaires 2009 EcoQuartier (cas-par- cas) EcoQuartier (cas-par- cas) EcoQuartier Dauphinot- Remafer : Palmarès 2009 Ecoconstruction Meeddm EcoQuartier de la 12ème Escadre : Palmarès 2009 Ecoconstruction Meeddm Au cas-par-cas, les opérateurs rémois mettent en oeuvre des démarches HQE permettant de dépasser le volet énergie pour prendre en compte l'ensemble des préoccupations environnementales (respect du site, gestion du chantier, construction et utilisation saine). Ainsi, Plurial ­ l'Effort rémois met l'accent sur les écomatériaux, en relation avec le pôle de compétitivité Industries et agro-ressources, qui travaille sur les valorisations non alimentaires du Îgétal (bois, chanvre, paille). Parallèlement, les organismes logeurs développent des démarches de certification dans le 85 champ de la relation avec les locataires et se sont engagés dans des démarches de responsabilité sociale des entreprises (RSE). Le Foyer rémois, en particulier, s'appuie sur le référentiel EURHO-GR® élaboré par l'association européenne Eurohnet. Le passage des référentiels sectoriels (éco-construction, RSE) à des approches intégrées tels les EcoQuartiers demeure le fait d'opérations choisies que Reims s'attache à valoriser en les présentant aux concours nationaux ­ avec succès, même si l'on observe que les EcoQuartiers primés au Palmarès 2009 du MEEDDM l'ont été dans la catégorie éco construction. En 2009, Reims métropole a créé un label local : Reims Métropole développement durable, qui associe un volet HQE à un volet énergétique. En gestation dans les services communautaires avant l'arriÎe de l'équipe municipale actuelle, ce référentiel a fait l'objet d'une concertation avec les maîtres d'ouvrage. Cependant, sa portée est limitée. D'une part, les organismes logeurs relèvent son manque d'ambition, moins exigeant que les référentiels qu'ils mobilisent par ailleurs : ils l'attribuent à « une faible acculturation au développement durable » de la collectivité, pour laquelle c'est un « premier pas » (F. Toublan). D'autre part, le label ne s'accompagne d'aucune incitation financière et les organismes logeurs considèrent qu'il s'agit d'un simple effet d'annonce (« pour la beauté du geste », M. Ferro). Le recours à des référentiels plus larges (HQE Aménagement, HQE²R, AEU) ou à des démarches plus intégrées (EcoCités...) est absent. De même on ne trouve pas sur ce territoire de projet européen, par exemple de type Concerto. Les interlocuteurs interrogés à ce sujet démontrent une faible connaissance de ces dispositifs et/ou invoquent leur lourdeur au regard des bénéfices financiers attendus. III.4 Etat de l'art en 2011 : un foisonnement d'initiatives à consolider Depuis 2008, en apparence, les politiques urbaines voient une traduction accélérée de l'impératif de développement durable. Cependant, le décalage entre bailleurs sociaux et pouvoirs publics ne s'est pas atténué. Les quatre EcoQuartiers acheÎs ou en cours de réalisation, Aquarelles, 12ème Escadre, Dauphinot-Remafer et Promenades Courtes-Daint-Martin, sont le volet le plus ambitieux en matière de développement durable. Outre le volet environnemental, on observe dans chacun d'eux des efforts en matière de mixité sociale, notamment par le mélange de formes d'habitat et statuts d'occupation variés, et un effort de développer le vivre-ensemble ­ quelquefois déçu, comme ce fut le cas dans les Aquarelles où cette dimension, promue au départ, n'a pas rencontré l'adhésion des habitants. Dans un contexte de foncier rare, ces quartiers participent au renouvellement de la ville sur elle-même en étant implantés sur des friches urbaines ou en zone de revitalisation urbaine. De ce point de vue, au-delà de l'échelle du quartier lui-même, ils participent d'un urbanisme durable. Ils bénéficient d'un bon niveau d'équipement (pour leurs tailles respectives), les plans-masse sont conçus en relation avec l'environnement urbain (continuité de la trame viaire). Cette multiplication de projets fait de l'EcoQuartier une Îritable référence en matière d'urbanisme contemporain rémois (« une ville innovante », Citerne). Dans la mesure où la plupart de ces quartiers ne sont pas encore réalisés, il est trop tôt pour juger de l'appropriation de la notion de développement durable par l'ensemble des acteurs du territoire, et en particulier par les habitants. Nos interlocuteurs relèvent que la 86 communication institutionnelle est encore insuffisante (Citerne) et que le milieu associatif est peu mobilisé (Toublan, Mège). En matière de planification urbaine, le territoire dispose de documents d'élaboration récente et de bonne facture. Le SCOT (2007), sans être un SCOT-Grenelle, met l'accent sur la maîtrise de l'étalement urbain et la cohérence entre la desserte en transports collectifs et l'ouverture à l'urbanisation. Le PLU, révisé le 26 février 2008 et mis en compatibilité le 4 avril 2008, apparaît également satisfaisant. Sans limiter de manière très volontaire la place de la voiture, le PDU (2007) présente une organisation cohérente des déplacements bien servie par le réseau de transports en commun (un des plus efficaces de France grâce à la morphologie compacte de l'agglomération). L'application du PLH actuel se termine le 31 décembre 2011 et le PLH couvrant la période 2010-2017 est donc en cours d'élaboration. Le diagnostic s'est appuyé sur la réalisation de 25 entretiens en face à face et la tenue de 8 ateliers thématiques, dont un dévolu au développement durable. Pauline ACCARIES, chargée de mission PLH, interrogée à ce sujet, considère que "développement durable" reste encore synonyme d'environnement. En février 2009, Reims métropole a décidé de se doter d'un Agenda 21. Cette démarche intervient très peu de temps après Reims 2020 qui visait à produire un projet urbain, largement médiatisée, et qui n'a pas posé la question d'un urbanisme durable. L'élaboration de l'Agenda 21 a retenu une démarche en deux temps, avec un premier cycle (2010) centré sur les acteurs et les compétences de la collectivité (atelier inter-services, comité d'élus...), ainsi qu'une amorce de concertation destinée à être poursuivie en 2011 et au-delà lors d'une "territorialisation de la démarche". Menée sous la houlette d'un bureau d'études, la démarche aboutit à un diagnostic en juin 2010 et à un plan d'actions fin 2010. La prochaine réunion du Comité 21, prévue au premier trimestre 2011, n'a pas encore eu lieu. L'agenda 21 décline quatre défis en vingt-trois actions, dont la première consiste en la réalisation d'un Plan climat énergie actuellement en cours, avec l'objectif de diviser les émissions de CO2 de la collectivité par 4 à l'horizon 2030. III.5 Conclusion Une gestation lente permet de passer de l'héritage, perçu comme exemplaire, de la cité- jardin, à l'EcoQuartier. Dans ce processus de mémoire, de ré-écriture et de ré-adaptation du concept nous retrouvons deux moteurs. D'une part, la culture d'entreprise des bailleurs sociaux. D'autre part, le rôle des individus qui ont construit des continuités d'approche au- delà de leurs évolutions de carrière (Alain Coscia-Moranne). Ceci nous conduit à souligner l'existence d'une culture locale, dans laquelle les acteurs individuels se sont formés et ont baigné, partagée peu ou prou par l'ensemble des acteurs de la production de la ville. Dans cette culture locale, le développement ou l'urbanisme durable, conçus comme tels, arrivent finalement assez tard. On peut se demander si la ville de Reims, économe en consommation d'espaces naturels et foyer d'initiatives sociales intéressantes, faisait de l'urbanisme durable comme Monsieur Jourdain, sans le savoir. Toujours est-il que la prise de conscience ne va pas de soi, et notamment le fait de dépasser la somme des approches sectorielles ­ tout particulièrement de protection de l'environnement ­ au profit d'une approche intégrée. 87 La prise de conscience passe assurément par des éÎnements déclencheurs, d'importance locale (élection de l'équipe Hazan en 2008) ou nationale (entretiens du Grenelle). Elle aboutit à la formulation d'un discours et à une accélération du calendrier d'action, quitte à faire la part belle aux effets d'annonce (label Reims développement durable sans financement associé, Agenda 21 hâtivement ficelé). L'apprentissage institutionnel s'accompagne de l'émergence d'un nouveau métier et du recrutement de nombreux 'chargés de développement durable', qui doivent faire leur place dans un jeu souvent déjà tendu. Les opportunités de financement, et la visibilité des labels, sont largement utilisées et apparaissent aussi comme des catalyseurs efficaces. Dans ces configurations nouvelles qui ne sont pas encore cristallisées, des interrogations apparaissent qui seront analysées dans la suite de cette recherche. D'une part, quel est le rôle et jusqu'où peut s'étendre l'influence des acteurs nouveaux, estampillés développement durable ? Sachant qu'il s'agit fréquemment du nouveau nom de la préservation de l'environnement, l'hybridation avec le champ de l'urbanisme est-elle possible au-delà de l'éco-construction ? D'autre part, comment l'interface avec les réseaux de diffusion nationaux et européens peut-elle évoluer ? Jusqu'à présent, l'articulation semble s'effectuer au coup-par-coup à l'occasion d'éÎnements marquants (colloque de l'Association internationale des cités- jardins en 2000, entretiens du Grenelle, participation à des concours...). A l'inverse, la participation aux réseaux d'acteurs nationaux et européens demeure modeste, ce qui peut constituer l'un des éléments d'explication de la mise en place tardive de dispositifs comme l'Agenda 21 ou l'absence de PIC Urban ou de Concerto. 88 ANNEXE IV Chronologie développement urbain durable à Nantes Des expériences localisées à la production d'un étendard : une chronique de l'agglomération nantaise dans le développement durable Mettre en récit les expériences, pratiques et horizons du développement durable relevant d'un niveau territorial d'organisation renvoie ici globalement à ce que V. Béal a pu mettre en évidence dans sa thèse pointant la succession de trois emblèmes dans la gestion urbaine de l'environnement : « l'emblème « écologie urbaine » avec son cadrage militant dans les années 1970 et 1980, l'emblème « développement durable » avec son cadrage entrepreneurial dans les années 1990 et 2000 et, enfin, l'emblème « changement climatique » avec son cadrage néo-managérial depuis 2005 » (résumé). Béal rejoint d'autres analyses lorsqu'il pointe la montée en puissance des villes comme échelle de régulation mais l'échec de la constitution d'espaces publics locaux de débat quant à la gestion environnementale. Comment donner relief de ce constat à Nantes ? Le récit est organisé ici en croisant documents institutionnels et universitaires ainsi qu'entretiens et observations de présentations. Comme pour les chronologies établies par les chercheurs sur les autres agglomérations, nous cherchons à distinguer une phase de prise de conscience et une phase d'institutionnalisation (dans ce que l'on nomme joliment « autorité organisatrice » et via quelques profils professionnels spécifiques au sein de l'organisation) en objectivant ensuite les outils mis en place, qu'ils relèvent de référentiels, de mesures plus techniques ou encore d'appareillage d'un nouvel horizon de sens. IV.1 Aux sources (localisées) du développement urbain durable Les premières marques d'un concernement On s'appuie ici à plusieurs reprises sur le texte rédigé par L. Coméliau, acteur professionnel nantais, paru dans 4D. L'encyclopédie du développement durable n°52, nov 2007. Depuis le début des années 1990, l'agglomération nantaise connaît une croissance démographique des plus fortes en France. « La qualité de vie et l'environnement privilégié y sont des atouts majeurs : le dynamisme économique et culturel, la qualité des services (transports, éducation, santé), le "bien être" social, les cours d'eau (Loire et son estuaire, Erdre, Sèvre notamment), espaces naturels et jardins, la proximité de la côte atlantique et de Paris (2h en TGV) rendent le territoire très attractif. » (Coméliau, 2007) Le solde migratoire est largement positif sur cette période pour la ville centre. « Dès lors, les équations nantaises en terme de développement durable sont relativement simples à poser : comment concilier qualité de vie, croissance démographique, préservation des espaces et des ressources et bien être pour le plus grand nombre ? Leur résolution l'est, bien entendu, moins. » (id. ibid.) Une archéologie de la mise en oeuvre du développement urbain durable pourrait certes remonter au milieu des années 1970. Une telle relecture mettrait alors notamment en avant une politique de déplacements collectifs réintroduisant le tramway, arrêtant des projets de pénétrante routière ou de centre des affaires. Cette rétrodiction mettrait à tort en avant une agglomération pionnière en termes de « développement durable ». Les projets alternatifs étaient certes parfois motiÎs par l'écologie urbaine ­ elle va du reste monter en puissance en s'incarnant par exemple par la remise en question d'équipements comme ce projet de 89 « parc de loisirs » intégrant des jeux collectifs devenant un projet de jardins familiaux sur le site de la Fournillère à l'Ouest du centre-ville (Pasquier, 2001), par la critique du technocratisme routier, mais ils n'étaient pas spécifiquement pensés dans une globalité aménagiste. En revanche, au cours du premier municipe de J-M. Ayrault (1989-1995), une deuxième ligne de tramway est mise en oeuvre, accompagnant une reconquête de la centralité héritée ­ deux centres historiques sont géographiquement distincts à Nantes ­ et, à grande échelle, la prise en compte de l'étalement urbain commence à se faire vive. Du moins le district de l'agglomération nantaise se dote-t-il d'un projet polycentrique qui donne l'idée de la nécessité d'une organisation territoriale plus charpentée. De l'avis de plusieurs acteurs, c'est au milieu des années 1990 qu'une prise de conscience commence à se repérer, liée à ce qui se passe à d'autres échelons d'organisation et en particulier à des conférences internationales. Politiquement, notons que J-C Demaure, l'un des co-fondateurs de Génération Ecologie, est élu adjoint à la Ville dès 1989, adjoint à l'environnement comme il se doit... « C'est plutôt par le biais de sa richesse environnementale que la ville s'est alors saisie pleinement du développement durable. En 1996, active au sommet mondial des villes Habitat II (Istanbul) et signataire de la Charte européenne des villes durables, elle lance une première démarche d'agenda 21. Jean-Claude Demaure, adjoint à l'environnement, en est l'instigateur. "Agenda 21 nantais : l'écologie urbaine du 21e siècle" titre ainsi, fin 1997, la lettre d'information du personnel de la ville qui conclut que le plan d'actions doit "permettre aux générations actuelles et futures d'admirer encore et toujours... le héron cendré de l'Erdre !". » (id.ibid) Le héron cendré de l'Erdre est alors bien l'emblème d'une action de préservation des espèces, aux portes et jusque dans la ville, participant aussi à l'image de « Venise de l'Ouest » ou encore de « Venise verte », inventions sémantiques parfois utilisées dans le vocable des édiles. Certes on ne recreuse pas l'Erdre comblée dans les années 1920 sur le Cours des Cinquante Otages au début des années 1990 mais l'appui sur les « qualités de vie » est de plus en plus en accointances avec la proximité revendiquée d'espaces naturels24. D'autres espèces d'espaces sont mis en tension au même moment, plus ou moins en filiation avec des combats comme celui contre l'implantation d'une centrale nucléaire sur le site du Carnet dans les années 1970. Si un parc naturel régional a été créé sur la Brière en 1970, instituant un territoire de développement local et de préservation, ce sont par contre les espaces du port de Nantes-Saint-Nazaire ainsi que le devenir de l'estuaire de la Loire qui font l'objet de tensions : entre des pulsions aménagistes et néo-industrielles et des velléités conservatoires (cas de l'extension de Donges Est) ou encore concernant le type de régulation envisageable sur le fleuve (réflexion sur des ouvrages de déconnexion menés notamment par le GIP Loire-Estuaire). La grande échelle n'est donc pas avare de matière pour le développement durable, c'est à nouveau le cas et de manière très médiatique dans les années 2000 avec le projet de transfert de l'aéroport de Nantes à Notre Dame des Landes. Si les enjeux au niveau du grand territoire sont explicites, c'est moins clair au niveau intra- urbain. 24 Mentionnons en écho la tonalité de la campagne de marketing territorial lancée à cette époque sous la bannière de « l'effet côte Ouest ». 90 « Pour autant, aux côtés de thèmes naturalistes, des sujets comme l'éco- citoyenneté, l'efficacité énergétique ou encore le bruit figurent dans ce premier plan d'action (premier agenda 21). La fin des années 90 voit se mettre en place le conseil consultatif nantais de l'environnement, enceinte de concertation des acteurs environnementaux du territoire. Le centre de ressources Ecopôle-maison de l'environnement à statut associatif est alors également créé pour sensibiliser et informer les Nantais. Au sein des services municipaux, un réseau de correspondants développement durable se constitue pour insuffler la dynamique pilotée par la mission environnement risques de la ville. » (id. ibid). Il n'y a pas que la ville-centre à être motrice dans certaines politiques publiques, deux autres communes de l'agglomération portent notamment une sensibilité au développement durable, celles de Rezé et de Bouguenais. Bouguenais est notamment avant-gardiste dans la signature de la charte d'Aalborg et sur des questions d'agriculture urbaine sans oublier l'enjeu ­ concrétisé depuis au niveau de l'agglomération ­ de constitution d'une forêt urbaine (Dumont, Devisme et al., 2008). Concernant le registre du projet urbain, la thématique durable apparaît relativement tardivement, pas avant le début des années 2000 en tous cas. « Mais ces initiatives ont l'immense mérite d'avoir ancré le développement durable dans les consciences (et dans certaines pratiques tout de même), ce qui va permettre de bâtir les stratégies suivantes. Le "pied est dans la porte" en quelque sorte. » (id. ibid) Une nouvelle structuration à partir de 2001 Deux éléments vont transformer ce « pied dans la porte » : d'une part les élections municipales de 2001 voient la confirmation d'une présence politique des Verts (8 élus au conseil municipal) dont une partie de l'engagement dans la campagne poussait à faire du projet de l'île de Nantes à ses débuts un modèle d'éco-quartier (Devisme et al., 2009). Cette présence politique, rendue visible par le mandat de R.Dantec et dans une moindre mesure de P.Chiron, va permettre de soutenir certaines actions également portées par des acteurs professionnels. Le clivage politique (PS-Verts) sur l'aéroport n'entame pas le fonctionnement collégial au niveau de l'agglomération. D'autre part, la naissance de la Communauté Urbaine de Nantes (qui remplace une forme districale de coopération) s'accompagne de politiques publiques structurantes de plus en plus clairement orientées vers le développement durable. Certes un agenda 21 communautaire est lancé (21 chantiers engagés à partir de 2006), certes le sommet mondial du développement durable (Johannesburg, septembre 2002) auquel des élus nantais participent permet à nouveau de préciser un horizon de sens. Mais ce sont surtout les transports, l'énergie, l'eau et les déchets qui sont des objets « impactés ». Le Plan de Déplacements Urbains affiche de son côté l'enjeu de réduction de l'étalement urbain et la nécessité d'une plus forte multi-modalité. La Ville de Nantes adopte formellement sa politique de développement durable en 2005 avec des déclinaisons assez concrètes et l'enjeu d'une modification comportementale à l'échelle individuelle (que l'on trouve dans les ateliers publics du développement durable en 2006 et que l'on va retrouver plus tard dans le Plan Climatique Territorial). L'enjeu apparaît de toucher le plus de monde possible, notamment en fournissant des indicateurs ramenés à l'échelle individuelle : ainsi « La ville s'est fixée comme objectifs entre 2004 et 2010 de 91 maintenir constant le taux d'espaces verts publics par habitant (37 m2) malgré la densification de la ville et de créer 1000 parcelles de jardins familiaux (on en est à 850 en 2007), lieu de cohésion sociale. Cela revient à offrir à chaque Nantais un espace vert à moins de 500 m de chez lui » (L.Coméliau). Il est aussi clairement de « donner l'exemple », cela passant par la transformation des pratiques jardinières du SEVE (Service des Espaces Verts) mais plus largement par une politique relative au commerce équitable, aux éco-produits, aux achats éthiques et à l'insertion. Cette politique ne saurait toutefois être immédiate, renvoyant par exemple à des enjeux de construction de filière, de cultures professionnelles dans différents services... A partir de 2005, on voit se décliner clairement l'étendard de l'éco-espace à toutes les échelles. La métropole Nantes ­ Saint-Nazaire se dote d'un SCOT dont le projet se place sous la bannière d'une éco-métropole. Le SRADDT des Pays de la Loire va de son côté proposer la figure de l'éco-région. Au niveau intra-urbain, un travail d'identification et de promotion d'éco-quartiers est en cours et les vertus de la proximité sont mises en avant sur différents nouveaux quartiers dont l'île de Nantes et le quartier Bottière-Chênaie. Même si la dimension environnementale n'est pas la seule déclinaison du développement durable, elle l'emporte largement : - Dans l'origine des politiques concernées. E.Ortholan, chargée de mission agenda 21 à Nantes Métropole en 2007 disait ainsi que « l'action éco-quartiers a été argumentée au départ à partir de la présence de l'Angélique des estuaires mais aussi de la Petite Amazonie. L'enjeu de la biodiversité pour la ville et donc l'entrée environnementale a été l'origine de la demande éco-quartiers » (Dumoulin, 2007, p.33). - Dans la visibilité de cette politique : éco-espaces, plan climat, gestion des espaces classés Natura 2000, préservation des zones humides, création de trois secteurs de forêt urbaine en guise de poumon vert de l'agglomération. Ces éléments, fort bien combinés à l'occasion du trophée de la capitale verte européenne, ont permis l'identification comme green capitale européenne pour 2013. Du reste, marketing territorial et lobbying à l'échelle internationale sont bien présents. Fin 2007, Nantes Métropole a été désigné président d'un groupe de travail stratégique du réseau Eurocities sur le Climat (et co- président avec la ville de Copenhague en 2009 et 2010). La collectivité préside aussi la commission Environnement de l'AFCCRE (Association Française du Conseil des Communes et Régions d'Europe) et depuis novembre 2009, est l'animateur du groupe de négociation internationale sur le Changement Climatique des Gouvernements Locaux (CGLU). On peut ainsi retenir, au chapitre de la conscientisation ­ sensibilisation : - Une accélération très rapide, à partir de 2004-2005, de l'agenda durable, - La focalisation sur deux échelles : celle du grand territoire d'une part (dans le cadre des luttes internationales pour la réduction de l'émission des gaz à effet de serre et de la participation à différentes arènes de discussion technico-politique), celle de l'individu d'autre part, - Un relatif attentisme sur le volet urbain en tant que tel, entre hésitations et concurrences entre collectivités et aménageurs (cf. infra à propos des outils). 92 Un autre élément d'enseignement quant à l'analyse de la « conscientisation » est l'impact significatif des réseaux et visites (cf. Devisme et al, 2009, pp86-90). Malmö, Hanovre, Barcelone sont ainsi mentionnés par R.Dantec qui dit avoir « pris son baluchon avec M.Guillard [directrice de l'énergie] ». Ces visites sont plus que jamais des occasions de souder des liens entre élus et techniciens, d'en faire plus ou moins des communautés d'explorateurs (Bossé, 2010). Elles ne sont pas étrangères non plus à un style d'action publique qui insiste sur des questions de familiarisation et d'animation (R.Dantec de mettre ainsi en avant la création de l'équivalent de 15 équivalents temps-plein pour l'animation du Plan Climat en 2010). IV.2 Une institutionnalisation partielle mais significative Entre les prises de conscience et les outils se situe l'espace-temps de l'institutionnalisation (rien n'étant linéaire dans ce processus itératif, on se gardera de faire se succéder de tels moments. Ils ont bien plus tendance à se recouvrir). La lecture doit être ici surtout internaliste, propre aux organisations de régulation. Des structurations progressives Sur la période analysée, il existe un changement significatif, celui de la naissance de la communauté urbaine de Nantes avec transfert de compétences et mutualisation d'un certain nombre de services partagés avec la Ville de Nantes, mais aussi « un champ d'exploration à investir » (R.Dantec). On note aussi une relative permanence, celle de l'arrimage des problématiques du développement durable à la direction de l'environnement et des services urbains. Sur le plan institutionnel, les délégations de compétences reflètent des évolutions sensibles : - compétence déléguée sur l'environnement des communes vers Nantes Métropole (sauf les espaces verts dans un premier temps), - prise de compétence sur l'énergie : réseaux de chaleur et soutien des actions de maitrise de l'énergie. A Nantes Métropole, la question du développement durable a été saisie par la Mission environnement à partir de 2002 sur les bases d'un travail spécifique sur l'énergie et dans le cadre d'un contrat ADEME / Nantes Métropole (contrat ATEnEE). Cette entrée rendait concrète la notion de développement durable directement en prise avec certaines politiques thématiques, en particulier l'eau et les déchets, l'intercommunalité étant productrice de services urbains. A cet égard, c'est le mixte régie / délégation qui est retenu. Ce modèle permet, selon ses défenseurs, une émulation entre les deux parties et une bonne connaissance des coûts, indispensable dans le cadre de la maîtrise d'une délégation. Différents services se sont alors emparés de dossiers relevant du développement durable, en particulier : - la direction des services urbains : direction de l'eau, mission énergie apparue au second semestre 2005, mission risques et pollutions, direction déchets, direction assainissement. - la direction générale de la stratégie métropolitaine : mission développement durable et espaces naturels. 93 L'étude des organigrammes successifs des services de la communauté urbaine réÏle que la transversalité est difficile à atteindre. Toutefois, si l'organigramme constitué en 2001 ne reflétait pas une intégration forte du développement durable, il a évolué depuis par : - la transformation de la Mission environnement en Mission développement durable et espaces naturels en 2006 (au sein de la DGSM depuis disparue) - la création de la Mission énergie en 2005 (relevant de la DGSU) - la création de la Direction générale du renouvellement urbain (devenu Direction puis Département du Développement Urbain après une succession d'essais non transformés à la tête de cette direction). Si l'on s'arrête aux organigrammes, les années 2000 voient bien le transfert s'opérer des problématiques urbaines et environnementales au niveau intercommunal. 4 ans après sa création, Nantes Métropole intègre une importante direction générale des services urbains intégrant 4 missions (dont une mission énergie et une mission risques et pollutions) et 5 directions classiques (transports collectifs et stationnement, eau, déchets, assainissement, moyens techniques). Il existe par ailleurs une direction générale du renouvellement urbain intégrant notamment une direction de l'habitat et une direction du renouvellement urbain et social. Il n'y pas d'option de création d'agence locale de l'énergie, contrairement à d'autres collectivités, le souci étant de « développer des services en interne » (R.Dantec). On voit l'importance, dans l'institutionnalisation progressive, des missions, plus faciles à créer et à rattacher que d'autres services plus stables. Reste à donner un aperçu de qui occupe les places professionnelles liées aux enjeux du développement durable. La tâche est moins aisée que pour d'autres métiers plus repérés et couvrant des territoires précis (par exemple les chargés de quartier de la Ville de Nantes dans le cadre de la Politique de la Ville et de la territorialisation des politiques publiques ­ Devisme, Pasquier, 2009). Profils et trajectoires En 2006, on peut faire cette « photographie » concernant les parcours et inscriptions professionnelles : - L.Coméliau est chargé de mission développement durable depuis 2004 au pôle mission projets d'Urbana. Economiste de formation, il a auparavant travaillé dans le secteur associatif (animateur de l'association 4D) et au comité préparatoire pour le sommet mondial de Johannesburg ainsi qu'à la mission interministérielle de l'effet de serre. A.Mallet est chargé de mission développement durable à NM depuis 2002. Il est ingénieur-maître en environnement et qualité de la vie. L.Bézert est à la Ville de Nantes (Urbana), chargée de mission au pôle « mission projets » en charge notamment de la charte paysage, travaillant également sur le PLU et le PSMV (Plan de Sauvegarde et de Mise en Valeur). Elle était auparavant « correspondant environnement » pour Urbana, avant la mise en place de la mission agenda 21. N.Bedjaoui est chargée d'opérations à Urbana et nourrit un intérêt pour l'architecture passive et bioclimatique depuis ses études d'architecture. - - - 94 - L.Dugué est chargé de développement à la mission énergie de la DGSU de NM. Fin 2011, on peut compléter cet aperçu en précisant que L.Coméliau est devenu directeur du service « animation, développement durable, climat » au sein de la direction énergie environnement risques, elle-même hébergée par la direction générale environnement et services urbains. Avec 6 personnes il coordonne l'agenda 21 et le Plan Climat ainsi que l'action green capitale. Il se considère toujours plutôt comme un défricheur au sein de la collectivité. - - - M.Guillard est toujours directrice de la direction énergie environnement risques à Nantes Métropole. V.Huré est chargé de mission au service énergies, responsable du programme Concerto Act 2 à Nantes Métropole. A-L. Briand travaille à la mission expertise et appui au sein de la DGDU. Ingénieure en génie de l'environnement, elle est passée par Angers Loire Métropole avant une prise de poste nantaise. ArriÎe en 2008 auprès de L.Coméliau à la Ville, elle se trouve notamment chargé de la labellisation Citergie mais aussi du montage du dossier d'écoquartier Bottière-Chênaie dans le cadre de l'appel à candidatures du MEEDM. M.Carreau est chargée de mission développement durable à la Samoa depuis 2010. Ingénieure en aménagement de formation, elle est la première à occuper un poste de ce genre chez l'aménageur qui confiait auparavant cet enjeu plutôt à des ingénieurs en travaux publics. F.Turck est ingénieur de l'Ecole des Ponts de Paris, chargé d'opérations à Nantes Métropole Aménagement. Du côté politique, deux élus municipaux et communautaires sont assez visibles, élus vert. R.Dantec, devenu sénateur en 2011, a fait le choix de rester conseiller municipal, P. Chiron est désormais adjointe au Plan Climat, à la maîtrise de l'énergie et aux réseaux de chaleur. Le portage politique date des élections de 2001 avec une majorité plurielle reconduite en 2008, solidaire sur les différents sujets urbains à l'exception notoire du projet de grande échelle de nouvel aéroport « du grand ouest ». - - - IV. 3. Des outils à la consistance incertaine Du côté des outils du développement urbain durable, on pourrait retenir le titre du livre de F.Ascher, « Ces éÎnements nous dépassent, feignons d'en être les organisateurs », tant on observe à la fois une floraison de démarches, objectifs, mesures et outils et en même temps des incertitudes sur leur degré de performativité, voire une certaine volatilité de démarches se succédant de plus en plus rapidement. - L'urbanisme, en deuxième rideau Au sein du dossier de candidature european green capital awards réalisé en 2011, l'enjeu d'un urbanisme durable n'apparaît pas en tant que tel, au profit de thématiques plus classiques : transport local, espaces verts urbains (derrière la bannière, comme il se doit, d'une agglomération verte et bleue !), utilisation durable des sols, nature et biodiversité, qualité de l'air ambiant, pollution sonore, production et gestion des déchets, consommation d'eau, assainissement, management environnemental. Pour ce dernier volet, on recense 95 aussi bien l'agenda 21 (métropolitain et des différentes communes de l'agglomération encouragées par le niveau communautaire) que le guide des éco gestes, la charte du service public d'eau potable, l'enjeu de la quantification de CO2, de la certification environnementale des services publics. Ce registre évoque aussi la cellule de prévention des risques de Nantes Métropole, le plan local de prévention des risques et pollutions, le guide de la commande publique de Nantes Métropole, la labellisation Citergie, ainsi qu'un schéma de développement économique durable. Qu'en est-il donc au niveau de l'urbanisme ? Qu'une politique métropolitaine soit difficile à mettre en place à cet égard renvoie à des données structurelles comme l'enjeu progressif du transfert de compétences (bien que subsiste jusque 2010 un service urbanisme à la Ville de Nantes) ou encore le fait que la délivrance des permis de construire reste un apanage mayoral ­ à l'échelle communale donc. Il tient aussi à des éléments davantage contextuels : force du projet urbain à l'échelle de l'île de Nantes, réticences envers l'urbanisme réglementaire, instabilité de la direction générale du développement urbain (cf. supra). Cela dit, il faut envisager avec sérieux au-moins deux éléments à l'échelle communautaire : un programme et un plan. Dans le Programme Local de l'Habitat -PLH, les acteurs ont formalisé un programme d'actions volontariste, même s'il ne conduit pas à une Îritable contractualisation entre l'EPCI et les communes comme à Rennes Métropole, du moins jusque 2010. Certes existaient des protocoles d'accord et conventions tripartites mais l'avis est partagé que jusque 2009-2010, Nantes Métropole a surtout été vu comme guichet par les communes. Depuis lors, une stratégie de développement urbain des territoires vise à mieux articuler politiques d'habitat et d'urbanisme, via des conférences territoriales élus - techniciens notamment, au travers de contras de co-développement. « Gilles Retière considère que par le passé Nantes Métropole était considéré essentiellement comme « un guichet » par les communes au travers des aides à la pierre ou des aides à la surcharge foncière. La collectivité n'avait pas Îritablement connaissance des partis urbains choisis et éprouvait des difficultés à mesurer les conséquences des choix que ce soit en termes de coût économique, social et environnemental. Ce temps étant révolu, il est nécessaire aujourd'hui de mettre en place une régulation territoriale et d'engager un travail partenarial en amont sur chaque opération permettant d'échanger les informations sur les programmes d'habitat, les estimations des aménagements publics nécessaires avec le souci de prendre en compte des coûts de fonctionnement et d'exploitation (ex : entretien des espaces verts par les communes, intégration des voies dans le domaine communautaire, etc.) » (CR de la conférence territoriale du secteur Nord Ouest du 18/12/2009). L'articulation du PLH à la problématique environnementale se souligne par la promotion d'opérations d'éco-construction via la réalisation d'opérations d'habitat « pilote » permettant à terme l'élaboration d'une charte d'éco-construction appliquée à l'habitat (fiches 8 et 9 du PLH). Dans les PLU, les élus communaux ont tous validé un PADD articulé autour de trois piliers : « la ville durable » (exemple de la Chapelle sur Erdre, préservation des vallées et des sites sensibles), l'amélioration de la vie des habitants au quotidien (cheminements piétonniers, équipements publics, offre de logements) et l'intégration à la dynamique métropolitaine (exemple toujours de la Chapelle : parcs d'entreprises, projet de tram train, ...). Parmi les objectifs du PADD figurent d'abord le renouvellement urbain, mais aussi un enjeu quantifié de production de logements. On trouve aussi la définition d'espaces agricoles durables, 96 permettant aux acteurs du monde agricole d'investir dans la durée, en préservant la diversité des productions, en encourageant la vente directe... pour favoriser le dynamisme de l'agriculture périurbaine. 4 autres volets sont précisés, qui ont été « relookés » en quelque sorte pour la candidature à la capitale verte de l'Europe : - La valorisation des patrimoines et des paysages en améliorant la qualité de l'eau, en développant les coulées vertes, les réseaux de promenades piétons et cyclistes, les forêts urbaines, et en préservant les éléments représentatifs du patrimoine bâti et Îgétal. Le renforcement des moyens de déplacements en proposant avec le busway et les navettes fluviales des solutions de remplacement au tout-automobile, en créant de nouveaux parcs-relais pour faire la jonction entre automobiles et transports en commun, en recherchant un nouveau maillage de desserte par les transports en commun des quartiers, en encourageant les plans de mobilité des entreprises, en prévoyant de nouveaux franchissements de la Loire. La réduction de la consommation énergétique en développant l'utilisation des énergies renouvelables, éolien, solaire, géothermie, en valorisant les déchets ménagers et en promouvant les constructions de qualité environnementale. La prévention des risques et nuisances pour préserver la qualité de l'air, de l'eau du sol et du sous-sol et prendre en compte les risques naturels et technologiques. - - - L'élaboration du PLU de la Ville de Nantes est réÎlateur des modalités réglementaires adoptées en faveur de grandes options relevant du développement durable sur la problématique environnementale : renforcement du classement en zone naturelle des coulées vertes, disposition d' un square à moins de 500 m de chez soi, création d'un cahier de recommandations environnementales annexé au PLU (exemples : inscription de préconisations liées à l'écoulement des eaux pluviales et au rechargement des nappes phréatiques - coefficient de pleine terre), charte de l'arbre en ville et réglementation obligeant à remplacer les arbres abattus suite à une construction. L'hybridation de la commande initiale avec la problématique environnementale tend à se systématiser dans les ZAC de l'agglomération depuis 2004 (les ZAC sont toutes devenues communautaires en 2010) : - - - dans les projets de rénovation urbaine : ainsi du Nouveau Malakoff ou des Dervallières, dans les projets de régénération urbaine comme l'Île de Nantes, dans les nouveaux quartiers : ainsi de Bottière-Chênaie, Bêle Champ de Manoeuvre, Erdre-Porterie, ou encore hors de la Ville de Nantes : les Perrières à La Chapelle sur Erdre, la Pierre Blanche à Bouguenais, ... - ZAC, écoquartiers et compromis opérationnels Sur les ZAC, les approches Développement Durable sont développées mais non structurées, dépendant de l'expertise des SEM. Sur quelques cas spécifiques, la SEM met en oeuvre un volet énergie approfondi. Par exemple la SELA a fait le choix d'intégrer dans son équipe un expert sur l'énergie qui travaille notamment sur la ZAC des Perrières à la Chapelle sur Erdre. Pour le nouveau Malakoff, une approche a été développée dans le cadre d'un appel à projets 97 de la DIV et EDF sur « la qualité environnementale dans les quartiers ». Deux équipes de recherche (le CERMA et l'Ecole des Mines-DSEE) ont joué le rôle d'AMO énergie auprès de la SEM Nantes Aménagement sur la phase I de la ZAC du Pré Gauchet. Nantes aménagement a poursuivi avec un AMO énergie. Du côté de l'île de Nantes en 2006, un AMO énergie a été missionné par la SAMOA pour analyser les projets existants et accompagner les projets en cours (Pouget Consultants), dans le cadre du programme européen Concerto (cf. infra). Un bilan énergétique des bâtiments a été livré en Septembre 2011. A partir de 2008, des cahiers des charges énergie ont été fournis à l'occasion des consultations de promoteurs. Venant armer la maîtrise d'ouvrage cherchant à faire pression sur les opérateurs de la construction, ce dispositif n'est pas intégré à la maîtrise d'oeuvre urbaine du projet, agencé par l'atelier de l'île de Nantes sous la houlette d'A.Chemetoff, paysagiste, architecte et urbaniste, plutôt réticent, lui aussi, à la codification et à la standardisation du développement durable. Depuis 2010, un nouveau groupement est à l'oeuvre pour la maîtrise urbaine, associant au départ, au binôme M.Smets et A-M De Puydt, un bureau d'études allemand, Transsolar, sur l'ensemble des questions énergétiques. Insuffisamment souple et trop distant aux autres acteurs, cette équipe est sortie du groupement début 2012 et la Samoa a relancé une AMO pour la réalisation d'une charte d'objectifs des principes de développement durable sur l'île de Nantes (marché remporté par Franck Boutté consultants). Dans le même temps, Nantes Métropole relance le chantier d'un guide des écoquartiers, l'atelier de 2006-2007 n'ayant toujours pas abouti. Le prisme des éco-quartiers est des plus intéressants sur la question de l'outillage car reflétant différentes tensions et paradoxes, des hésitations aussi des professionnels impliqués dans les projets urbains (cf. aussi Devisme et al, 2009, pp210-217). Certes, et cela rejoint les analyses sur les prises de conscience, on peut repérer de plus en plus, au sein de la boîte à outils des chargés de mission et chargés d'opération des qualités « génériques » du développement urbain durable : anticipation, réversibilité et performance tendent même à devenir des mots-clés. Ce n'est pas sans lien avec les grands enjeux approuÎs dans l'agenda 21 communautaire. Si certaines options communautaires sont stabilisées (exemples de la priorité du réseau de chaleur urbain ou encore du photovoltaïque) et influent sur les choix à opérer par les aménageurs, d'autres questions restent sans réponse claire, notamment sur des normes qui évoluent très rapidement. Les pilotes des projets doivent composer avec une stratégie environnementale globale multi-enjeux (parmi ceux-ci l'énergie, la qualité environnementale du bâti et des espaces publics, la gestion des déplacements et des déchets...) qui est en cours d'élaboration au même moment où un certain nombre d'arbitrages doivent se faire (pressés tantôt par le niveau politique mais aussi parfois en rapport à des questionnements d'opérateurs). Si l'on ne retient que la problématique énergétique ­ dominante comme on l'a vu, on peut observer à quel point elle attise la fébrilité des professionnels sur différents enjeux de performance du moment : - le photovoltaïque (« En ce moment, les élus sont très portés sur le photovoltaïque. C'est un créneau à leur ouvrir. Il y a une problématique de pôle d'excellence sur l'agglomération autour du photovoltaïque », réunion du 29 mai 2007, Nantes Métropole), l'extension du réseau de chaleur urbaine avec un certain flottement de la commande de la collectivité auprès du concessionnaire (« Nantes Métropole doit être clair sur ce qui est demandé à Elyo [le concessionnaire] sur le réseau de chaleur urbain dans le - 98 cadre de la phase 2 d'Euronantes Gare et penser à la problématique du froid. Il faut le prévoir, c'est évoqué sur l'Île de Nantes et cela évolue dans le bon sens. Et nous, maintenant comment on procède ? », même réunion, propos d'un acteur d'une SEM), la THPE ­ très haute performance énergétique (« sur la THPE, cela vient de s'éclaircir. Il y a un décret de l'Etat qui vient de sortir et des labels identifiés. Sur l'énergie, on a les données techniques. Après il faut que l'on ait des choix politiques clairs à Nantes », même réunion, Nantes Métropole). - Un frein supplémentaire apparaît aussi lié au cloisonnement des approches sur le volet de la qualité environnementale entre maîtres d'ouvrage. L'ensemble crée une action publique qui se fait dans l'incertitude par manque de cadres structurés et dans le contexte d'une rapide évolutivité des normes. Interdépendants, les professionnels attendent des « réponses » et patinent. C'est donc à l'échelle des périmètres de projet que les acteurs réfléchissent néanmoins sur les normes actuellement en vigueur. La HQE® à la nantaise ou la nécessité d'adapter une norme standard parfois jugée mal adaptée Réunion du 25 septembre 2006 : ZAC Euronantes Gare ­ évaluation de la démarche environnementale phase 1, Nantes Métropole / Nantes Aménagement - cadre Urb, NM: il y a la grosse question de la certification. « est-ce qu'on y va ou pas ? » [raconte qu'elle a rencontré les personnes de Cerqual sur les logements]. - cadre SEM : est-ce que c'est un projet urbain atypique ? Ou bien, est-il aligné sur une politique communautaire ? Autre question, est-on dans une démarche globale avec les autres éco-quartiers Bottière-Chênaie et Île de Nantes ou bien doit-on foncer dans notre coin ? En tout cas, je suis pour une certification made in Nantes. La HQE, ça a un coût : 15/20% en plus. Pour les bailleurs sociaux, c'est encore plus difficile la HQE. Même la Nantaise d'habitations [bailleur social priÎ] freine sur la certification. Alors pour Nantes Habitat [OPHLM], c'est encore plus difficile. Pourquoi pas faire une HQE à la nantaise ? Ce n'est pas nécessaire d'avoir Cerqual pour faire bien. - cadre mission Energie, NM : On peut faire sans la certification et se fixer des exigences par cible. C'est plus facile à mener et cela peut se monter avec un AMO. Il y a des outils et on peut obtenir des labels reconnus par l'Etat hors cerqual. On peut aller plus loin sur une cible, une thématique et être très en pointe : telle performance en kwh/lgt par exemple. - cadre Urb, NM: Les options, qui les propose ? Vous pouvez le faire à la mission énergie ? - cadre mission Energie, NM : oui. Même si le référentiel éco-quartiers n'est pas calé au niveau de NM. - cadre SEM : il faut prendre les 14 cibles et voir, cible par cible, quelles sont celles qui sont importantes pour Nantes Métropole. Dans la seconde consultation promoteurs que l'on prépare, on travaillera sur des cibles privilégiées, tout en laissant la possibilité aux constructeurs d'aller plus loin, et de faire Cerqual. - cadre mission Energie, NM : oui, il faut sélectionner les cibles. Nous, à la Mission énergie, on a demandé 3 cibles : énergie en très performant, eau et déchets. - cadre SEM : déjà on peut demander ça !! où on met le curseur sur ces trois cibles ? c'est à vous de nous dire. Il faut partir sur des hypothèses plausibles, et ne pas attendre un programme par îlot figé. « Ne pas traiter le stationnement opération par opération », « maximiser les porosités entre 99 l'espace public et les programmes », « aller vers une gestion rustique des espaces verts », « réduire au maximum les tuyaux pour le recueil des eaux pluviales », « optimiser la gestion des déchets par des points obligatoires de dépôt », « proscrire le PVC sur toute l'opération »... Un ensemble de règles et exigences circulent dans ces réunions techniques au cours desquelles les professionnels discutent longuement à la micro-échelle des matériaux de construction, des noues filtrantes, du mobilier urbain adéquat pour optimiser l'éclairage public, des paÎs à joints drainants sur les places de parking, ... Une somme de compromis opérationnels se construit au fil des mois au point de servir d'éléments de méthode pour la suite. Certaines techniques sont testées par un aménageur puis systématisées et reprises par un autre aménageur de la place. Les approches bio-climatiques constituent un bon exemple. Nouveau standard des modes de faire éco-urbanistiques, les démarches bioclimatiques ont fait leur apparition à Nantes pour les premiers îlots dessinés du futur quartier du Pré Gauchet sur le territoire du GPV. Une étude commanditée en 2006 au CERMA sur l'optimisation des formes et volumes, livre un certain nombre d'enseignements. Une commande identique concerne ensuite le site du Tripode sur l'île de Nantes. La démarche bioclimatique a été progressivement intégrée aux études de faisabilité d'Alexandre Chemetoff. Deux choses peuvent être pointées. Tout d'abord les effets de concurrence et de coopération entre acteurs, plutôt relevant de la concurrence entre Ville et Nantes Métropole sur l'affichage éco-quartier, plutôt relevant de coopération entre collectivités face aux aménageurs. Ensuite l'arriÎe dans l'univers des projets urbains d'experts de la qualité environnementale et dont l'expertise occupe un spectre finalement assez large. S'ils occupent essentiellement une place d'AMO (Pouget Consultants, Indigo, Franck Boutté, SCE...) sollicités plus ou moins urgemment car il faut « donner des réponses », celle-ci pose parfois problème, car comme nous le confie avec un peu de malice un agent : « le problème des AMO, c'est que quand ils sont partis, ils ne sont plus là » ! Et de fait, certains outils sont progressivement tenus en interne (cf. supra à propos du profil des nouveaux chargés de mission en développement durable), le récit métropolitain insistant beaucoup sur la forte maîtrise publique. - Vertige des référentiels et programmes d'échanges La question de l'outillage de l'apprentissage pose une question de « chaînage » des actions : comment traduire les exigences génériques du développement durable ? Comment dépasser le stade des expérimentations et viser davantage de coordination ? A Nantes Métropole comme ailleurs, il est possible de suivre la délicate mise en oeuvre de référentiels. Inscrits dans les fiches-actions de l'Agenda 21 de la Communauté Urbaine, deux ateliers réunissant les professionnels nantais ont été mis en place dans une telle perspective. Il s'agit d'un « atelier des densités » d'une part visant un « guide de la forme urbaine », annexé au PLU, qui s'adresserait aux professionnels de l'aménagement intervenant sur le territoire de Nantes Métropole et serait inclus dans les conventions tripartites avec les aménageurs. Un second « atelier éco-quartiers / quartiers durables » a quant à lui commencé en mars 2007 avec l'objectif de formaliser fin 2008 un référentiel d'aménagement durable applicable à l'ensemble des projets urbains portés par les collectivités locales nantaises (communes et communauté urbaine). C'est un référentiel toujours à l'horizon en 2012, Nantes Métropole a de son côté missionné le bureau d'études SCE, suite à de nouvelles réorganisations internes 10 0 et la quête d'une forme urbaine durable passant par trois éléments fondateurs : un atelier de la forme urbaine, un guide Ecoquartier et une charte d'aménagement de l'espace public. En 2011, la Samoa a de son côté missionné une nouvelle AMO sur l'île de Nantes en vue de l'élaboration d'une charte de principes de développement durable... Une tension non résolue persiste entre la mise en exergue des quartiers vitrines nantais de l'urbanisme durable et la volonté d'aboutir à une démarche reproductible sur toutes les opérations publiques d'aménagement. Il est aisé de comprendre pourquoi les professionnels s'emparent des projets urbains nantais les plus avancés dans leurs discussions : le but étant de convaincre les aménageurs et les élus, par des exemples concrets, de la faisabilité des projets durables. Se greffe aussi le problème des objectifs politiques éleÎs et de leur confrontation au terrain. Enfin, les critères mêmes de l'habitat « vert » (green building) sont difficiles à manier aux yeux des professionnels et des élus : « des maisons en bois, tout le monde est pour, mais si le bois vient de loin, alors on a tout faux » (chargée de mission CETE de l'ouest, novembre 2007). De par sa fonction « d'aide à la décision », la dimension incitative du référentiel paraît évidente, cependant beaucoup d'interrogations subsistent sur la pertinence d'un registre plus normatif. Le collectif de l'atelier écoquartiers de 2007 s'est ainsi posé la question du niveau d'exigences à imposer aux opérateurs qui viennent construire sur le territoire. « Sur l'Ile de Nantes, on a essayé de travailler le DD opération par opération. Et certains promoteurs se sont prêtés au jeu d'autant qu'ils veulent être bien vus et avoir d'autres projets car on en est encore qu'au début. Mais aujourd'hui le besoin d'avoir des objectifs clairs se fait sentir. Certains promoteurs jouent, nous entourloupent car il n'y a pas de critères écrits, mis sur le papier. En même temps, jusqu'à quel niveau de détail, il faut afficher nos critères ? » (chargé de mission, SAMOA, réunion atelier éco-quartier, 26 juin 2007). L'énergie pourrait paraître comme étant le domaine où les préconisations «normatives» semblent les plus évidentes. En même temps, l'évolution très rapide des normes et de la fiscalité risque de rendre très vite obsolète un référentiel qui serait basé sur une telle approche. Alors comment procéder ? Une certaine appétence pour les preuves éco- technologiques (démonstration de panneaux solaires et autres bassins d'eau filtrants) prend le dessus à Nantes sur des approches plus sensibles et sociales du DD qui travaillent en premier lieu la question des modes de vie et les possibilités d'évolution des pratiques vers davantage de sobriété environnementale. Une Îritable conduite de changement se cherche au fil de nombreuses réunions mais aussi via la participation à des projets et programmes européens. Ainsi de Concerto (dont l'effet est analysé ailleurs et de manière comparative dans le présent rapport). ApprouÎe en décembre 2005 par la Commission européenne, la candidature de l'île de Nantes portée par Nantes Métropole proposait une méthodologie à décliner dans des opérations pilotes avec des objectifs de limitation de consommation énergétique des bâtiments, de recours aux énergies renouvelables. Il est ensuite revenu à la SAMOA d'inscrire la démarche dans les CCCP et CCCT. La centrale photovoltaïque du centre Beaulieu a été inscrite au programme Concerto de même que 10 opérations de démonstration de construction neuves et quelques opérations de réhabilitation. La captation de fonds européens (cofinancement à hauteur de 35% par la Commission européenne) induit une identification par les acteurs locaux des opérations du projet susceptibles de « porter une 10 1 démarche Concerto » (a minima 15% sous la RT 2005 + recours à la ressource renouvelable dans la fourniture d'énergie). « Concerto-Act2 » s'inscrit dans le prolongement, son porteur à Nantes Métropole y voit un accélérateur de développement urbain au sein d'une politique énergétique vertueuse. Que retenir sur le registre des « outils » ? Ils recouvrent des éléments encore très disparates. Relevant d'abord de principes à l'échelle communautaire, on en trouve ensuite, au niveau technique, en rapport à la production immobilière, sur le tertiaire comme sur le logement. Entre les deux, la dimension urbaine est soit traitée, dans le registre de la règle ordinaire avec des recommandations annexées au PLU dont tout acteur doit prendre connaissance avant une intervention spatiale, soit, dans le cadre des projets urbains, par la sensibilité des « hommes de l'art » retenus. Si l'on peut bien sûr différencier des options retenues suivant les projets, il reste un dénominateur commun qui est celui d'une gestion rustique des espaces publics par exemple, de la réÎlation de ce qui préexistait. Que ce soit à Bottière- Chênaie ou sur l'île de Nantes, la critique des modèles urbains autonomes, l'enjeu de mettre en résonance, de s'appuyer sur la géographie sont partagés. Les degrés de prescription des outils mentionnés sont très variables. Pour ce qui est de la certification par exemple, on peut souligner des enjeux de passage d'une certification de conception à une certification de réalisation, avec le problème important de savoir qui est capable de contrôler. Dans le même ordre d'idées, pour ce qui concerne le secteur diffus, s'il existe certes un cahier de recommandations environnementales, il pose problème dans son appropriation par les instructeurs et le service du droit des sols. Le côté disparate des outils est issu d'une familiarisation multipistes, qu'elle s'acquiert sur le tas et via l'insertion dans des réseaux (exemple du réseau de partage d'expériences PALME dans lequel Nantes Métropole est inscrit) ou bien via les formations des chargés de mission et les convictions professionnelles qui les accompagnent. Variété et labilité peuvent aussi être vues comme des qualités et on rejoindrait alors les analyses qui font de « L'écoquartier, plus qu'un modèle, plus qu'une caisse à outils, [constitue ainsi] un « objet-frontière » (Star, Griesemer, 1989), un espace qui permet la rencontre de mondes sociaux différents » (Matthey, Gaillard, 2011). Comme le dit, en écho, L.Coméliau « A Nantes, on laisse germer partout. On essaie de tenir tous les équilibres. » (entretien). De l'agenda 21 première version avec 21 actions se voulant démonstratives à une politique publique transversale (M.Guillard) ; d'une structure productrice de services urbains à une structure animatrice du territoire (R.Dantec), le développement durable est désormais facilement mentionné comme opérateur d'un mûrissement des stratégies de régulation publique. Le suivi des apprentissages auquel il donne lieu peut se repérer aussi bien dans l'institution que dans les habitus professionnels et dans les outils et références qu'ils mobilisent. 10 2 (ATTENTION: OPTION ocalisation de la ville, et du profil socio-économique de sa population, le souci de développement durable semble le plus fortement ancré dans les esprits. Les élus se doivent de répondre à cette demande, et l'engagement forte de la ville de Grenoble dans le domaine du développement urbain durable s'explique de cette façon. Dans les mots de Pierre Kermen (Elu ville de Grenoble) : « C'est à dire que c'était une ville où le pouvoir politique était faible, par contre le pouvoir de la société civile était fort. Et que le propre de l'intelligence politique grenobloise était de faire vivre les acteurs. » 27 De l'autre coté, dans la ville de Reims, notre étude n'a pas permis de faire ressortir une demande sociétale en la matière : soit elle est faible, soit les acteurs ne la perçoivent pas. A Nantes il paraît que les changements de pratiques relatifs aux performances environnementales des bâtiments sont d'abord motiÎs par les incitations fiscales pour les investisseurs que par des programmes incitatifs tels Concerto (entretien chargé de mission IDN). Depuis 2010 sur l'île de Nantes, le nouveau maître d'oeuvre retenu (Smets et UAps) s'est associé au bureau d'études allemand TransSolar (Technical consulting for energy efficiency and environmental quality in buildings) pour tout ce qui concerne le volet environnemental des nouvelles préconisations dans le cadre de la mission de conception urbaine. Il est aussi associé aux paysagistes de ProAp et au bureau d'études SCE. La maîtrise d'ouvrage déléguée, de son côté, a lancé à l'automne 2011 une consultation pour une mission d'AMO pour l'élaboration d'une charte d'objectifs de développement durable de l'île de Nantes. L'agence Franck Boutté Consultants a été retenue. Ce niveau vient à nouveau dans un deuxième temps. L'expérience nantaise montre aussi que la demande sociétale peut se « travailler ». Ainsi, on peut mentionner d'une part un programme de sensibilisation via le PCT (Plan Climat Territorial) sur un ensemble de 1000 familles nantaises et des demandes diffuses ensuite pour des terrains permettant des expérimentations sur l'habitat collectif (cf. asso Echo- habitants). Une expérimentation à Bottière-Chênaie est sur le point de se mettre en place. Ces projets, alternatifs, ne sont pas liés à la recherche de généralisation qu'évoque le processus d'apprentissage expérimentation ­ internalisation ­ standardisation, mais en provoquant une prise de conscience chez la population, ils pourraient peut-être y mener. 4.3 Référentiels / guides / chartes En relation avec le besoin de faire circuler de nouvelles connaissances, les collectivités mettent en place des référentiels (chartes, guides, ...) locaux dans les domaines liés au développement urbain durable. Dans la phase de l'élaboration, ces référentiels servent comme outil d'apprentissage pour la collectivité qui les élaborent (effet indirect sur la production de la ville) ; dans la phase de l'application, ils servent comme outil pour influencer le comportement (les pratiques professionnelles) des acteurs auxquels ils s'adressent (effet direct sur la production de la ville). En outre, l'influence sur les pratiques professionnelles diffère selon le degré d'imposition du référentiel: contrainte, incitation ou consultation. Les quatre villes comprises dans notre comparaison ont toutes produit ou sont en train de produire des référentiels dans le domaine du développement durable, qui ont pour objectif d'aider, voir d'imposer, les acteurs de la production de la ville des façons de faire qui prennent en compte les exigences du développement durable. Pourtant, les référentiels sont produits différemment quand à leur processus d'élaboration, leur application et l'objectif poursuivi par la collectivité qui le met en place. En 2003 paraît le Référentiel « Habitat Durable » du Grand Lyon, qui vise à accroître la qualité environnementale dans la construction de logements. Composé d'un ensemble de fiches prescriptives relativement détaillées, il est imposé à toutes les opérations de logements que lance le Grand Lyon dans le cadre de cessions de terrain et de ZAC 28 d'initiatives communautaires . Par ailleurs, il ouvre droit à des aides majorées du Grand Lyon aux bailleurs sociaux qui l'appliquent pour produire des logements de type PLUS et PLAI. Construit par la mission Habitat et l'ALE, il est réactualisé en 2006, suite notamment au référentiel habitat de la région Rhône-Alpes publié en 2005. Il sera aussi imposé sur l'ensemble du territoire, quelque soit l'appartenance du foncier et le type d'opérations (comme la simple opération de bâtiment). C'est une étape très importante dans la constitution d'une politique de développement urbain durable, car c'est le premier outil dont dispose l'intercommunalité pour assoir ses exigences, et elle a eu un effet réel sur les pratiques, comme le précise Béatrice Couturier (Grand Lyon) : « Les AEU et le référentiel habitat, c'est tout ce qui nous a permis de poser les fondements de notre méthode. » En 2006, un autre référentiel suit, le « Référentiel pour la qualité environnementale des bâtiments à usage de bureaux ». Il adopte le même fonctionnement que le référentiel habitat, sans s'adresser aux mêmes acteurs (il s'agit surtout d'acteurs priÎs). Ces deux référentiels restent focalisés sur le bâti, un référentiel adressé à l'échelle du quartier ne verra le jour qu'en 2011. Ce « Référentiel Quartiers durables » décline les trois piliers du développement durable en prescriptions précises pour l'aménageur et les acteurs du développement urbain intervenant à l'échelle du quartier. Ces documents s'appuient sur des études et des projets réalisés dans l'agglomération de Lyon, et les mobilisent comme autant d'exemples démonstrateurs. Du fait de la taille de l'agglomération lyonnaise, ces projets sont nombreux et d'une façon générale, l'accent n'est pas mis sur un plus qu'un autre. Le plus intéressant est sans doute le travail de transcription dans les référentiels des expérimentations menées au cours de ces projets : les enseignements sont hissés à un niveau plus général, et peuvent ainsi être transférés ailleurs. Dans la ville de Grenoble, le principal référentiel dans le domaine du développement urbain durable est le « Guide de la qualité architecturale, environnementale et urbaine », publié en 2006 pour accompagner le PLU. Il s'agissait de prendre en charge des éléments qui ne pouvaient pas l'être par le biais de la réglementation ou de l'aménagement en Zone d'aménagement concerté (ZAC). Cet outil incitatif regroupe de nombreuses recommandations pour tendre vers une qualité environnementale des aménagements et du bâti. Il s'adresse aux professionnels qui aménagent et construisent sur le territoire grenoblois : l'élaboration a été coordonnée par un bureau d'études. Il s'agissait d'un travail partenarial avec les acteurs de la production de la ville. Ainsi, le guide contribue à la construction d'une culture commune. Le guide préconise les actions à mettre en oeuvre sous forme de fiches pratiques dans trois domaines (l'aménagement, la construction neuve, la réhabilitation). La ville utilise le guide explicitement dans les interactions avec les opérateurs. Cette utilisation est articulée avec la gestion des droits des sols : la ville de Grenoble s'appuie sur son guide pour évaluer les propositions de développement urbain. Cela résulte en des interactions entre opérateurs et la ville de Grenoble avec comme sujet la prise en compte des prescriptions du référentiel dans les projets urbains. Ainsi, le guide est utilisé à Grenoble comme outil pour assurer que le développement urbain répond aux critères de qualité architecturale, environnementale et urbaine que la ville s'est fixées. Il convient de noter que la ville de Grenoble, par sa situation géographique et son dynamisme économique, est une ville attractive pour des investisseurs en immobilier et que les prix du marché immobilier peuvent absorber des coûts de construction plus éleÎs. Elle peut donc 29 se permettre d'imposer aux producteurs de la ville un niveau d'exigences plus éleÎ qu'ailleurs. A Reims, l'élaboration d'un référentiel « ville durable », engagé depuis 2010 sert bien d'outil d'apprentissage tant pour la collectivité que pour les autres organismes impliqués dans la production de la ville, notamment les bailleurs sociaux. C'est d'autant plus marqué qu'il y a auto-élaboration, c'est-à-dire définition de référentiels propres sui generis plutôt qu'adaptation de référentiels existants par ailleurs. Cela fonctionne à l'échelle interne de chaque organisme/institution (c'est-à-dire sur son propre référentiel) et alimente des démarches de progrès internes. A l'inverse, il semble n'y avoir que peu d'influence de la collectivité vers les acteurs opérationnels : le référentiel Reims métropole a un niveau d'exigence en deçà des pratiques des bailleurs. L'influence sur les promoteurs priÎs n'est pas démontrée. Il faut noter que Le label Reims-métropole dépend uniquement de la bonne volonté des acteurs (pas de contrainte, ni d'incitation financière). Il ne produit pas ou peu d'effet sur le secteur priÎ (les organismes HLM étant au-dessus de ses exigences). de leurs cotés, les bailleurs ont élaboré leurs propres référentiels internes, qui influencent les pratiques professionnelles des sous-traitants. Un des bailleurs va également plus loin, en proposant à la collectivité un livre blanc sur l'aménagement durable remois (en cours de réalisation en 2012). A Nantes, la mise en place d'un référentiel développement durable est dans les tuyaux depuis 2007. Entre 2006 et 2007, plusieurs réunions d'un atelier « écoquartiers » visaient la production d'un référentiel. Elles ont permis certes une dynamique de groupe inter- institutions (Nantes Métropole, Ville de Nantes, aménageurs, CETE de l'Ouest) mais n'ont pas abouti. Plusieurs questionnements sont revenus depuis, relatifs aux finalités attendues d'un tel référentiel, entre incitatif et normatif et sur la place qu'un tel guide pouvait occuper au sein des politiques publiques. Début 2011, le chantier d'un guide écoquartier métropolitain a été relancé. La décision a été prise de lancer une AMO qui doit s'appuyer sur la charte d'aménagement de l'espace public en cours... La rédaction du guide est prévue au deuxième semestre 2012. Il devrait servir de référentiel à l'ensemble des opérations conduites sur le territoire métropolitain. Il pourrait identifier les bonnes questions à se poser et à traiter sur tous les projets, préciser des minima incontournables pour toutes les opérations et caler des exigences supplémentaires pour les projets de maîtrise d'ouvrage métropolitaine. Il s'agirait d'un guide qui ne se substituerait pas aux guides et référentiels techniques validés ou en cours de construction, et qui serait souple d'utilisation et actualisé régulièrement. Le niveau communautaire (Nantes Métropole) se cherche également depuis plusieurs années sur la question des référentiels (cf. le référentiel éco-quartier, en construction depuis longtemps), il s'est davantage rendu visible sur un plan meta : Plan Climat Territorial, écocité Nantes Saint-Nazaire lauréate du fond « Ville de Demain », Nantes capitale verte de l'Europe en 2013... Le niveau de production de la ville n'apparaît donc pas spécialement piloté par une liste d'exigences, dans la poursuite d'un urbanisme à la nantaise, entre autres caractérisé par une relative faiblesse du pilotage communautaire (cf. les aléas organisationnels de la Direction Générale du Développement Urbain). En dehors de l'urbanisme de projet, le secteur diffus est concerné par un cahier de recommandations environnementales annexé au PLU dont il semble que les instructeurs de permis de construire et le service du droit des sols ne sont pas assez familiers pour que cela porte à des 30 conséquences significatives. Nantes est donc toujours en quête d'un document fédérateur dont on voit bien que ce n'est pas tant l'existence même qui compte que les processus d'élaboration et d'apprentissage dont il est l'occasion. La prise en compte des exigences liées au développement durable dans la production de la ville est relativement récente. Bien que des connaissances et des savoir-faire qui permettent de produire une ville plus durable existent, les acteurs « sur le terrain » ne les maîtrisent pas forcément. En même temps, les objectifs qu'ils se donnent, les obligent à agir différemment. Pour ce faire, ils s'appuient sur des connaissances produites ailleurs. Une façon de faire cela est de mobiliser des connaissances externes en faisant appel à des consultants et bureaux d'études, nous en avons parlé en paragraphe 1.1. Une autre façon de mobiliser des connaissances d'ailleurs est en s'appuyant sur des référentiels faits par d'autres acteurs. Des référentiels Haute Qualité Environnementale, Approche Environnementale de l'Urbanisme, des démarches comme le palmarès des EcoQuartiers des programmes comme les programmes européens Concerto et Smart Cities fonctionnent comme Îhicules pour rendre disponibles les connaissances et savoir-fairede certains réseaux supralocaux dans des réseaux locaux. Il s'agit ici de ce qu'on appelle en termes d'apprentissage organisationnel des « objets frontières ». On assiste depuis plusieurs années à une prolifération de ce type de labels et de référentiels supra-locaux. Ces leviers permettent effectivement d'accélérer le changement des pratiques professionnelles (surtout quand ils sont accompagnés d'aides financières), mais leur effet dépend avant tout de la volonté des acteurs locaux de s'en saisir). En 2003, le Grand Lyon (poussé par le service opérationnel qui était sensible à l'approche qualitative et au développement durable) se porte volontaire auprès de l'ADEME pour expérimenter huit « approches environnementales de l'urbanisme » (AEU®) sur son territoire. Il s'agit d'une méthode élaborée par l'ADEME, qui permet d'améliorer la phase diagnostic de tout projet d'aménagement. Cela a permis aux acteurs d'intégrer des l'amont les considérations environnementales dans les projets urbains, dans une période ou ils n'étaient pas encore très familiers avec le sujet. A Lyon, cet outil est porteur de grands changements car en 2005, les élus communautaires décident de généraliser l'usage des AEU® à l'ensemble des projets urbains initiés par le Grand Lyon. L'expérience lyonnaise avec la démarche AEU® montre le rôle que peuvent jouer ces objets frontières dans le changement des pratiques professionnelles. Depuis, le Grand Lyon a développé suffisamment de compétences en interne pour ne plus avoir besoin d'appliquer à la lettre la démarche AEU telle qu'elle est envisagée par l'ADEME. L'approche environnementale de l'aménagement a été internalisée et ne nécessite plus le recours systématique à ce référentiel. Cette évolution illustre le rôle que peuvent jouer ce type de référentiels « généraux » dans le changement des pratiques professionnelles au niveau local. Une autre expérience lyonnaise montre d'une autre façon l'importance que peuvent avoir les référentiels. Dans le cadre du programme européen Concerto, le Grand Lyon et la SPLA Lyon Confluence s'auto-imposent (car ils ont fait une choix délibéré de participer dans le programme) des exigences en terme notamment de performance énergétique de bâtiments. 31 Les règles du jeu du programme Concerto ont obligé le Grand Lyon et la SPLA à mettre en place des méthodes qui permettent de produire ces bâtiments. Cela a eu une influence importante par exemple sur les cahiers des charges de cession de terrains que la SPLA utilisait pour les îlots concernés par le programme. La subvention européenne qui accompagnait les exigences strictes en termes de performance énergétiques a aidé dans un premier temps pour permettre la réalisation des bâtiments qui étaient à l'époque à la pointe de ce qu'on savait faire. Par la suite, ces cahiers des charges sont devenus le standard et maintenant, la SPLA n'a plus besoin du programme Concerto pour les imposer aux opérateurs. D'eux-mêmes, ceux-ci ont intégrés les niveaux de contraintes, voire même proposent, au stade du concours, des bâtiments ayant des performances supérieures. Cette expérience conduit Béatrice Couturier (Grand Lyon) à observer : « Pour nous, les programmes européens sont vraiment des accélérateurs. » On peut observer un positionnement un peu ambigu par rapport aux labels à Confluence. Au départ, ce quartier Confluence n'était pas affiché comme écoquartier, la notion n'existan pas en 2003. En cours de trajet, le programme Concerto aidant, le projet est apparu comme une opération qui a toutes les caractéristiques d'un écoquartier. Cela à conduit à deux choses : l'obtention d'un prix national dans le cadre du concours EcoQuartiers 2009, dans le domaine de la performance énergétique et l'obtention du label quartier durable du World Wildlife Fund en 2010. Pendant une brève période, on a donc parlé de Confluence comme un écoquartier, mais rapidement le terme a été abandonné, pour souligner le fait que Confluence n'est pas un quartier exceptionnel dans le tissu urbain lyonnais, et que le souci de développement urbain durable concerne tout les projets urbains sur le territoire du Grand Lyon. A Nantes, le rapport au supra-local se joue beaucoup du côté de l'image et de l'aménagement à l'échelle de Nantes-Saint-Nazaire. La question d'une présence dans différents palmarès et concours joue et sert de prétexte à la mise en place d'équipes projets, comme par exemple la candidature conjointe des collectivités Nantes-Saint-Nazaire au concours « EcoCité » déjà mentionné. Ensuite comme pour Lyon et Grenoble le programme Concerto pour le montage de certaines opérations a pu servir comme « aiguilleur ». Mais cela ne concerne qu'un nombre limité d'opérations d'une part et suppose un montage assez lourd qui peut « refroidir » un certain nombre d'acteurs (« si c'était à refaire, je ne suis pas sûr que l'on irait... »). Déjà Nantes Métropole et la SAMOA faisaient part, courant 2008, d'une difficulté particulière pour les opérations « Concerto » : « On identifie nous aménageur un projet pilote et on remet ensuite la responsabilité au promoteur. Mais sur les opérations Concerto, on est en difficulté, moins sur le montage et la conception de l'opération que sur l'implication des entreprises de la filière génie civil qui font en bout de chaîne. Tout le champ de l'innovation est à pousser et pour ça Concerto c'est bien, mais il faut penser aussi à l'exécution. Si les vitrages peu émissifs sont mal posés, vous voyez le problème » (chargé de mission DD, Samoa, réunion 3 avril 2008, à Nantes Métropole). A cette inertie releÎe par les aménageurs dans l'évolution des pratiques de conception et de construction des professionnels, s'ajoutent sur un autre registre l'absence de co- construction d'outils entre villes partenaires du programme, le décalage d'intérêts entre 32 elles. Sur le projet Concerto, Hanovre a une longueur d'avance sur Nantes et teste des opérations innovantes sur du bâti existant, là où Nantes expérimente sur de la construction neuve (hormis le centre commercial Beaulieu). De telles divergences dans les attentes avaient pu être obserÎes plus tôt sur le programme européen Revit et impliquant d'autres villes. On peut également mentionner le programme Citergie (ref ALBriand), labellisation concernant la Ville de Nantes relative à la sobriété énergétique des bâtiments municipaux. A l'autre bout de la chaîne, on peut trouver un aménageur exigeant la certification habitat- environnement, certificat au niveau de la conception, qui n'est pas au niveau de la réalisation (« qui est capable de contrôler en effet ? »). A Reims, les référentiels supra locaux sont peu utilisés. Par contre, il y a un recours dynamique aux labels nationaux. Pourtant, les conséquences en termes de changement de pratiques professionnelles sont peu perceptibles. Il paraît que la recherche de label s'inscrit surtout dans une politique d'image. 4.4 Rôle d'individus Les individus sont cruciaux pour l'apprentissage de nouvelles pratiques professionnelles. Dans la littérature sur le transfert de politiques (policy transfert), ce transfert est conceptualisé comme la transmission de valeurs, de connaissances, de savoirs-faire qui implique des « producteurs », des « émetteurs », des « facilitateurs » et des « récepteurs ». Les acteurs dans le réseau peuvent jouer un ou plusieurs de ces rôles à la fois (De Jong and Edelenbos, 2007). Dans nos études de cas, il paraît que certains individus qui réunissent plusieurs de ces rôles peuvent jouer un rôle crucial dans le passage de l'expérimentation à la standardisation de nouvelles pratiques professionnelles. - Les « visionnaires » sont à la fois émetteurs et facilitateurs, ils apportent des nouvelles idées concernant les enjeux et objectifs ; - Les « experts » sont producteurs et émetteurs, ils apportent des connaissances et des savoir-faire pointus sur un ou plusieurs domaines ; - Les « pivots » sont récepteurs, dans la mesure où ils sont à l'écoute des experts et des visionnaires, facilitateurs dans la mesure où ils organisent la distribution des connaissances et savoirs faire, et producteur dans la mesure où ils traduisent les enjeux en objectifs. Il ne faut pas oublier que le changement de pratiques professionnelles reste au fond une affaire de personnes, d'individus qui, sous différentes influences, modifient leurs façons de faire. Aborder ces changements sous l'angle de l'apprentissage souligne la place centrale occupée par les individus. Le rôle de visionnaire est clairement illustré par l'élu Grenoblois Pierre Kermen. Il apparaît comme la personne qui donne une impulsion déterminante vers un développement urbain durable. En fixant des objectifs éleÎs et en s'impliquant activement dans leurs réalisations, il a fait avancer tout le réseau d'acteurs de la production de la ville dans le sens d'un développement urbain plus durable. Il faut noter que Pierre Kermen s'est créé lui même ce rôle, il va activement chercher des connaissances et des réseaux dans des systèmes d'action différents, cela le permet par la suite d'occuper la « zone d'incertitude » (dans les termes de 33 Crozier et Friedberg, 1977) créée par les nouvelles exigences de développement urbain durable. Dans ces propres mots : « Je fais vraiment mes classes avec Vigny-Musset. C'est là que je rencontre des promoteurs, j'apprends ce que c'est un promoteur, j'apprends ce que c'est un architecte, j'apprends ce que c'est l'opérationnel, j'apprends ce que c'est des coûts, j'apprends qu'on peut faire des choix, qu'on peut imposer des choses. » Lors des élections municipales de 2001, Kermen est tête de liste associant les verts et la gauche citoyenne, ce dernier obtient presque 20% des suffrages : parce qu'il bénéficie de cette forte légitimité, il peut jouer un rôle actif pour initier et soutenir ce qui est devenu la politique de développement durable grenobloise. Il apporte sa vision écologique et environnementale aux politiques et aux projets initiés par son prédécesseur, Christian De Battisti, et les relance énergiquement, accélérant le chantier du développement durable. Il associe ville durable et écologie, et comprend qu'un engagement européen permettrait de soutenir et de diffuser les orientations prises à Grenoble (il a en effet acquis une expérience européenne lors de son mandat précédent comme Délégué aux finances et aux financements européens). C'est un élu très proche des services et très engagé sur le terrain, qui sait développer des partenariats avec le monde de la recherche (l'Ecole d'architecture, l'Institut d'urbanisme de Grenoble) mais aussi avec des organismes comme le CAUE de l'Isère. Il est porteur d'une vision forte, et ­comme il se plait à le dire ­d'un « dessein/dessin » de ce que pourrait être Grenoble. Au cours de ce mandat (2001-2008), l'élaboration des documents d'urbanisme et des outils de planification tient une place importante dans le processus de développement et de généralisation du développement durable. De plus, la réalisation de ces documents offre de nombreuses occasions d'échange avec les professionnels : sous l'impulsion de Kermen, un « milieu local » se structure. Sa capacité à lier différentes mondes sociaux, en particulier les mondes des techniciens et des élus est reconnue par les praticiens à Grenoble, comme témoigne la citation suivante de Perrine Flouret (Ville de Grenoble) : « Pierre Kermen était un élu qui était très proche des services, il était presque un peu trop technique on va dire, il portait techniquement pas mal de projets, et il suivait tellement bien les projets (le PLU, etc.) qu'il avait presque un rôle un peu ambigu de grand patron presque technique et d'élu. » Le départ de Pierre Kermen en 2008, suite aux élections locales perdues par les Verts, n'aura pas d'incidence majeure le système qu'il aura construit. Le visionnaire passe la main au pivot qu'illustre le département urbanisme de la Ville et en particulier le service prospective urbaine. Même si la culture est diffuse dans les différents services communaux et de la Métro, le département urbanisme dirigé par Laurent Gaillard poursuit ce rôle d'incubateur de nouvelles pratiques, avec notamment leur implication récente dans l'élabortaion d'une proposition dans le cadre de l'appel à projets européens Smart Cities, ou encore comme testeur d'un éventuel label EcoQuartier émanant du Ministère du Développement Durable. Ce rôle de pivot paraît crucial pour la standardisation du développement urbain durable. Il organise la distribution des connaissances et traduit les enjeux en objectifs. L'importance de ce rôle est illustré par la chargée de développement durable à la Communauté Urbaine du Grand Lyon ; Béatrice Couturier. Son positionnement en « transversal » lui permet de 34 distribuer les connaissances et savoir-faire liés au développement urbain durable parmi les services du Grand Lyon. Dans un sens, la ville de Reims apporte la preuve par défaut de l'observation du rôle crucial des individus dans l'apprentissage du développement urbain durable. La standardisation de nouvelles pratiques professionnelles n'a pas encore eu lieu à Reims. Les individus impliqués dans les processus relèvent plutôt d'une autre catégorie : les individus en apprentissage. Au plan politique, le visionnaire et le pivot font défaut. A Nantes, au niveau électif, on peut repérer depuis 2001 le rôle des Verts dans la gouvernance politique municipale et communautaire. Pour autant, ni Ronan Dantec, ni Pascale Chiron, qui disposent de mandats délégués (l'un vice-président communautaire en charge de l'environnement jusque sa récente élection comme sénateur, l'autre comme déléguée à la Ville à l'énergie et à la qualité des bâtiments publics) ne peuvent être considérés comme des visionnaires. Ils ont poussé des enjeux assez spécifiques, plutôt techniques, appuyés et relayés par des techniciens ­ militants du développement durable sous des formes variées (à préciser suivant les trajectoires pro des uns et des autres : L.Bézert, L.Coméliau, M.Guillard, V.Huré...), contribuant à la structuration d'actions de sensibilisation et de promotion des enjeux du durable. Ce sont plutôt les profils de « pivots » que l'on retrouve dans les structures ainsi que des « demi-experts », suffisamment aptes à accompagner et piloter des AMO et à diffuser de nouvelles pratiques. Un atelier métropolitain « politique de la ville et développement durable » mettait bien en avant, en 2010, des horizons professionnels et militants différents, selon la place du curseur de l'éducation populaire par exemple. Il montrait aussi, par exemple, une préoccupation assez partagée autour de la question de la « justice environnementale ». 35 5. Pour conclure : vers un agenda de recherche 5.1 Les principales observations Ce projet de recherche a exploré les évolutions des pratiques professionnelles dans le domaine de la production de la ville, sous l'impulsion des impératifs du développement durable. Pour ce faire, le travail a focalisé sur les processus d'apprentissage. Il ressort de nos analyses qu'il y a effectivement apprentissage dans le domaine de la production de la ville : les acteurs adaptent leurs stratégies et leurs activités pour répondre à des nouvelles exigences liées au développement durable. Les notions de « champs d'expérience » et de « horizon d'attente » telles qu'elles sont définies par l'historien Koselleck (1987) permettent de représenter les changements qui ont lieu. Le champ d'expérience fait référence à l'expérience Îcue que possède chaque acteur et qui forme la base pour penser ses actions. L'horizon d'attente désigne ce que chaque acteur souhaite atteindre et ce qui oriente les actions. Koselleck montre que la tension entre les deux permet de comprendre la transformation des sociétés. Nous concevons l'apprentissage comme les processus ­ spontanés ou volontaires ­ qui visent à rapprocher le champ d'expérience de l'horizon d'attente. Le champ d'expérience dans notre travail correspond à la production de la ville. Nous avons vu dans la paragraphe 4.1 comment elle évolue : on y observe une croissance de l'interdépendance entre acteurs qui conduit à une complexification des processus de coordination. L'horizon d'attente, c'est-à-dire ce qu'on cherche à atteindre dans la production de la ville, évolue également sous l'influence notamment des impératifs du développement durable qui se manifestent, comme nous l'avons vu dans le paragraphe 4.2 par des changements dans la réglementation, par les efforts des villes pour se démarquer dans un environnement concurrentiel (le « benchmarking ») et par l'évolution de la demande sociétale. L'apprentissage du développement urbain durable se fait donc dans une situation dans laquelle à la fois les modes de faire et les objectifs évoluent. La production de la ville est un processus itératif et incrémental, dans lequel les acteurs adaptent continuellement leurs actions aux signaux qu'ils reçoivent du contexte dans lequel ils déploient leurs activités. Cette adaptation continue des modes de production de la ville, en vue de produire une ville plus durable, a été au coeur de notre analyse. Plus particulièrement, nous avons tenté d'identifier les éléments qui permettent cette adaptation. Comment peut-on faire le lien entre un horizon d'attente qui évolue sous l'influence des impératifs du développement durable, et un champ d'expérience construit dans un passé où ces exigences n'étaient peu ou pas prises en compte ? Nous avons identifié deux éléments cruciaux que sont les référentiels, guides, chartes d'une part, et les individus d'autre part. Dans les paragraphes 4.3 et 4.4, nous proposons une analyse détaillée des façons dont ces deux éléments permettent l'apprentissage. Ces façons d'agir peuvent être regroupées dans trois catégories principales : La voie négociée: essentiellement à l'échelle du projet entre la collectivité et l'aménageur (qualité et surface dédiée aux espaces publics, l'offre mobilité et la place des modes doux, la programmation et la production de logements sociaux, etc.) et entre l'aménageur et le promoteur à travers les négociations sur les cahiers des charges de 36 cession de terrain avec un impact important sur l'économie du projet et sa réalité aux marchés fonciers et immobiliers; La voie règlementaire : plutôt à l'échelle de la ville ou de l'agglomération (règlement du PLU et gestion du droit des sols, mise en place de SCOT plus prescriptifs, incitations fiscales, le code de la construction, les règlementations thermiques, etc.) La voie culturelle: la ville durable se construit par itération. Le temps d'un projet, les acteurs apprennent à se connaître, à confronter leurs cultures, leurs points de vue. Cet échange crée les conditions d'une acculturation des collectivités, des aménageurs, des promoteurs sur l'approche développement durable, et inversement des bureaux d'études techniques à la culture de projet urbain. Il est probable que cette acculturation joue un rôle central dans la banalisation de l'urbanisme durable. Le tableau ci-dessous fait le lien entre les trois voies qui permettent de faire évoluer les pratiques professionnelles et les vecteurs d'apprentissage central que sont les référentiels et les individus. Tableau 2 ­ Vecteurs d'apprentissage La voie négociée Rôle des référentiels Le référentiel sous forme de chartes ou guides de développement durable non contraignant permet d'expliciter les objectifs et les méthodes d'y parvenir. Cela permet de présenter des prises de position argumentées qui prendront ainsi un poids supplémentaire dans les négociations (exemples : guide de la qualité architecturale, environnementale et urbaine à Grenoble ; référentiel quartiers durable à Lyon) Des référentiels contraignants permettent d'imposer de nouvelles exigences aux acteurs, qui seront obligés d'adapter leurs pratiques pour y répondre. La formalisation d'exigences de façon réglementaire permet de pousser plus loin les exigences dans un cadre de négociations (logique de « paliers ») (exemples : réglementation thermique, HQE) Les référentiels introduisent dans la production de la ville de nouvelles exigences, que ce soit Rôle des individus Le poids des individus « visionnaires » est crucial dans les négociations, dans la mesure ou leur « force de conviction » permet d'amener les autres acteurs à modifier leurs pratiques (exemple : Pierre Kermen à Grenoble). Le rôle d'expert est également important pour poser les cadres des négociations (rôle du cabinet Tribu à Confluence et à la Zac de Bonne). La voie réglementaire La voie réglementaire nécessite d'introduire de nouvelles connaissances dans le domaine réglementaire. Des « experts » sont nécessaires pour produire les connaissances nécessaires. Ensuite, des « pivots » font le lien entre les mondes des experts du développement durable et de la réglementation (rôles joués par exemple par les personnes de l'ADEME). Les individus contribuent en tant que visionnaire et pivot au changement culturel. Le La voie culturelle 37 en termes de contenu ou de processus. Ainsi, ils accompagnent l'émergence de nouvelles pratiques professionnelles et l'acculturation au développement urbain durable (exemples : AEU®, Concerto). visionnaire est nécessaire pour faire accepter de nouveaux idées (exemple Pierre Kermen à Grenoble), le pivot permet à ces nouveaux idées d'être traduites en actions et modes de faire (exemples : Jean Vilien et Béatrice Couturier à Lyon, Perine Flouret à Grenoble) 5.2 Des sujets à creuser Dans ce projet de recherche, nous avons étudié le changement des pratiques professionnelles de production de la ville, sous l'impulsion des exigences du développement durable, par l'entrée de l'apprentissage. Cela a permis de mettre à jour les principales voies de changement des pratiques professionnelles et plusieurs vecteurs d'apprentissage au sein de ces voies. Mais il convient de noter que l'entrée par l'apprentissage a pour conséquence un accent sur les dimensions cognitives de l'évolution des pratiques professionnelles. Cette approche a ainsi focalisé sur les rôles des techniciens. Au terme de notre analyse, nous constatons que l'approche par l'apprentissage est heuristique, mais qu'elle ne permet pas d'aborder toutes les dimensions de l'évolution des pratiques professionnelles dans le domaine de la production de la ville. La mise en évidence de tous les éléments qui contribuent à l'émergence de nouvelles pratiques professionnelles dans le domaine de la production de la ville nécessitera des travaux supplémentaires. Des travaux supplémentaires sont également nécessaires pour traduire les mécanismes obserÎs en outils et procédures opérationnelles. Ces limites étaient prévisibles dès le début, c'est pourquoi cette recherche exploratoire débouche sur un « agenda de recherche ». Il ne s'agit pas seulement de présenter et de mettre en perspective les vecteurs d'apprentissage identifiés dans ce projet, mais également d'identifier les questions qui persistent et de préciser des travaux complémentaires qui permettront de mieux comprendre la façon dont les différents vecteurs d'apprentissage peuvent contribuer à la diffusion du développement urbain durable. Dans cette perspective, les thématiques qui ont émergé sont les suivantes : - Un travail plus en profondeur sur les acteurs paraît nécessaire : qui est porteur d'innovation et comment le transmet-il aux autres acteurs ? Plus précisément, quels pouvoirs ont les différents acteurs pour influencer les autres ? Qu'est-ce qui fait que différents acteurs sont considérés comme légitimes pour amener les autres à modifier leurs pratiques professionnelles ? Dans ce cadre, il paraît intéressant d'interroger le rôle des élus. La modification des pratiques professionnelles n'est pas uniquement une affaire de techniciens. La focalisation sur la dimension cognitive fait que l'influence de décisions politiques n'était pas au centre de ce projet de recherche. Un travail complémentaire qui étudierait l'interaction entre la dimension politique et l'évolution des pratiques professionnelles permettrait d'aborder notre hypothèse que la « demande sociétale » fait évoluer les pratiques professionnelles. Cette hypothèse n'a pas pu être étudiée avec le cadre conceptuel mobilisé dans notre étude. - Certains dispositifs semblent agir comme « accélérateur » de l'apprentissage. Dans 38 l'objectif de faire évoluer la production de la ville dans le sens du développement durable, il serait utile de mieux comprendre en quoi consiste cette capacité d'accélérer le changement des pratiques professionnelles. Le programme Concerto a clairement joué le rôle d'accélérateur (voir paragraphe 4.2). Cela semble indiquer que l'organisation des interactions dans des réseaux d'acteurs constitués autour d'objectifs communs favorise l'apprentissage. Un travail en profondeur sur la façon dont ce programme ­ ou d'autres programmes Européens ­ produisent leurs effets pourrait mettre à jour les éléments précis qui produisent cet effet. - Le rôle que se donnent les collectivités dans les différentes villes pour faire influencer les pratiques professionnelles est différent. Notamment la différence obserÎe entre Grenoble, où il semble y avoir une communauté de pratiques autour du développement urbain durable, et Lyon, ou la notion de collectivité de pratiques semble plus appropriée, nous conduit à nous interroger sur la relation entre la distribution de compétences et les échelles d'apprentissage ayant un impact sur le nombre de personnes à initier. La ville de Grenoble, compétente en urbanisme, est capable de générer un apprentissage rapide, mais sur un territoire relativement restreint. Autrement dit, le changement de pratiques s'opère plus facilement à travers la mise en place de groupes de travail et de diffusion d'outils avec du compagnonnage et à travers les projets suivants. L'apprentissage du développement urbain durable prend une voie plus institutionnelle pour la communauté urbaine de Lyon, mais en même temps, il se fait sur un territoire plus vaste. En effet, la diffusion de documents-cadre qui s'imposent à tous passe par un temps d'élaboration en petit groupe puis de dissémination par différentes voies. Le public ciblé est plus important mais les temporalités plus longues également avec des recompositions d'équipes projets. Ces questions renvoient à l'inscription de l'apprentissage dans le territoire, qui mérite d'être creusé d'avantage. La focalisation sur la production de la ville a aussi pour conséquence que nous n'avons pas interrogé la façon dont les quartiers « vivent » : comment sont-ils appropriés par les habitants. Là aussi, il semble y avoir besoin d'apprentissage, et il y a un vrai sujet à creuser, mais qui se situe en dehors du sujet abordé dans cette étude. 5.3 Un cadre conceptuel complémentaire : l'analyse des jeux d'acteurs Le prisme de l'apprentissage organisationnel que nous avons adopté pour ce projet a influencé les observations que nous avons pu faire. - Au niveau des « contenus », l'apprentissage a avant tout été considéré comme la transmission et l'intégration de nouvelles connaissances : la dimension cognitive de l'apprentissage a été au centre de nos interrogations. - Quant aux « vecteurs » d'apprentissage, l'accent était mis sur les façons dont des nouvelles connaissances circulent. Cela nous a conduit à interroger les interactions entre acteurs, mais la dimension du pouvoir et son influence structurant sur les interactions n'a été que très marginalement abordé. Les « sujets à creuser » identifiés ci-dessus sont les témoins de cet éclairage partiel du changement des pratiques professionnelles. Pour compléter notre analyse, avec une prise en compte plus fine de l'évolution des pratiques professionnelles dans des situations complexes qui sont caractéristiques pour la production de la ville, il faudra mobiliser des concepts qui 39 focalisent sur le fonctionnement de réseaux d'acteurs hiérarchisés. Ces concepts se trouvent du coté de « l'analyse institutionnelle ». L'analyse institutionnelle part du constat que les pratiques des acteurs sont inscrites dans un contexte de relations sociales qui se superpose sur le paysage d'institutions formelles. C'est dans ce contexte que les acteurs construisent de manière active leurs façons de réfléchir et d'agir. Cette analyse ne se concentre pas sur les structures ou procédures formelles, mais sur les interactions au sein de réseaux d'acteurs (Healey, 1999). La combinaison de ses objectifs et de son rôle dans le réseau permet à chaque acteur d'élaborer sa stratégie. Mais cette stratégie se met en oeuvre dans une situation d'interdépendance : chaque acteur dépend d'autres acteurs pour réaliser ses objectifs. En conséquence, chaque acteur a du pouvoir pour influencer le comportement des autres qui dépendent de lui (dans des degrés divers) (Le Galès, 1995 ; Verhage, 2002 ; Rydin, 2010). Les nouveaux impératifs du développement durable modifient les interdépendances dans les réseaux d'acteurs. Pour réaliser leurs objectifs, les acteurs seront obligés de changer leurs stratégies. Cette approche permet d'introduire la notion de pouvoir dans l'analyse de l'évolution des pratiques professionnelles. Elle paraît intéressante pour analyser la façon dont un dispositif comme Concerto, mais aussi d'autres formes de mise en réseau d'acteurs modifient ces pratiques ­ au delà de l'influence par la transmission de nouvelles connaissances. Ce qui rend l'approche institutionnelle intéressante pour aborder les changements des pratiques professionnelles est sa façon d'articuler la structure dans laquelle les acteurs agissent et qui leur donne du pouvoir d'agir, et les actions qu'ils développent. En appliquant les idées de Giddens (1984), ces deux éléments s'influencent mutuellement : les interactions entre acteurs sont conditionnées par les structures dans lesquelles elles ont lieu, mais en même temps, ces interactions font évoluer les structures. Les acteurs de la société sont fondamentalement considérés comme réflexifs : ils sont capables d'adapter leur comportement à des changements de contexte, et en ce faisant, ils font évoluer le contexte dans lequel ils agissent. Ce courant théorique paraît pertinent pour analyser de façon plus fine le jeu d'acteurs qui conduit à des changements de pratiques professionnelles. En termes de sociologie des organisations, le sujet de l'évolution des stratégies d'acteurs, désigné dans ce courant comme des systèmes d'action, est abordé en mettant l'accent sur le rôle de l'incertitude. Les champs d'incertitudes qui apparaissent dans des situations de transition incitent les acteurs à changer leurs pratiques. Du point de vue de chaque acteur, si les champs d'incertitude sont investis par d'autres, cela risque de réduire ses marges de manoeuvre. L'apparition de champs d'incertitude dans un système d'action est donc à la fois une opportunité d'agrandir son pouvoir et une menace de perdre sa marge de manoeuvre. Les impératifs du développement durable mettent actuellement la production de la ville dans une phase de transition, ou du moins ils créent des champs d'incertitude car leur application nécessite d'agir autrement qu'auparavant. Avec la sociologie des organisations, nous trouvons ainsi un outillage conceptuel qui permet d'analyser comment les organisations s'adaptent et évoluent dans cette situation d'incertitudes. Ce cadre conceptuel nous permettrait en outre d'affiner notre analyse du rôle des individus, en utilisant la notion du « marginal sécant ». Les nouvelles exigences dans le domaine de développement durable créent des incertitudes pour les organisations impliquées dans la production de la ville. Les individus au sein de ces organisations qui, par leurs appartenances multiples ou leur capital de relations dans tel ou tel segment de l'organisation, sont capables 40 de maîtriser cette incertitude au profit de l'organisation, disposent d'un pouvoir important : c'est le pouvoir du « marginal sécant ». Dans les termes de Crozier et Friedberg (1977), le « marginal sécant » est défini comme un « acteur partie prenante de plusieurs systèmes d'acteurs en relation les uns avec les autres, et qui peut...jouer le rôle indispensable d'intermédiaire et d'interprète entre des logiques d'action différentes, voire contradictoires. » (Crozier et Friedberg, 1977 : 73). Ces marginaux sécants peuvent jouer un rôle important dans l'évolution d'une organisation dans un contexte d'incertitude car ils sont relativement indépendants par rapport à l'organisation spécifique dans laquelle ils travaillent et ils ont une marge d'expérimentation plus grande parce que leurs multiples appartenances les rendent moins dépendant de l'organisation à laquelle ils appartiennent. Le rôle des élus, que nous n'avons pas réussi à analyser d'une façon satisfaisante peut ainsi être mieux explicité et compris. La combinaison des thématiques à approfondir (paragraphe 5.2) et des approches conceptuelles complémentaires permet de pousser plus loin les réflexions concernant l'apprentissage de nouvelles pratiques professionnelles dans le domaine de la production de la ville, sous l'influence des impératifs du développement durable. Les contours de cet agenda de recherche, sont présentés dans le tableau 3, avec lequel nous concluons ce rapport. Tableau 3 - Agenda de recherche Cadres conceptuelles Approche institutionnelle : Approche sociologie des Interaction structure ­ activités organisations : rôle de acteurs l'incertitude Comment / dans quelle mesure L'élu comme « marginal sécant » : les acteurs politiques à travers quels liens entre capital de leurs actions sont-ils capables relations et marge de manoeuvre de faire évoluer le contexte / influence des acteurs politiques structurel de la production de la ? ville ? Dimension politique du changement Thémes à approfondir Dispositifs d'action accélérateurs Comment aider les acteurs comme « praticiens réflexifs » à faire évoluer leurs pratiques professionnelles ? Comment ajuster dispositifs d'action aux champs d'incertitude, de façon à ce que les acteurs puissent se saisir des dispositifs pour réduire ces champs d'incertitude ? Inscription apprentissage dans le territoire Comment qualifier l'influence des dimensions territoriales de la « structure » qui cadre les activités des acteurs ? Quelle relation entre les particularités de chaque territoire et l'apparition / évolution des champs d'incertitude dans la production de la ville ? 41 Sources Bibliographie générale Arab, Nadia, L'activité de projet dans l'aménagement urbain. Processus d'élaboration et modes de pilotage. Le cas de la ligne B du tramway strasbourgeois et d'Odysseum à Montpellier, Thèse de doctorat, 2004. Argyris C., D. 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Plusieurs fois cité au palmarès EcoQuartier du Ministère de l'Ecologie et du Développement Durable pour la réalisation des quartiers Confluence, la Duchère ou encore Castellane, montré comme exemple pour sa démarche d'élaboration du Plan Climat Energie Territorial ou encore pour l'élaboration et la diffusion de guides/référentiels Habitat, Ville et Quartiers Durables, innovant en matière d'adaptation aux changements climatiques, le Grand Lyon s'est fortement investi dans le renouvellement de ses démarches et des pratiques locales d'aménagement selon les principes du développement durable. Ce texte met en perspective historique depuis les années 1970 le renouvellement de la culture urbaine locale au regard du développement durable. Trois grands moments ont été identifiés pour expliquer cette évolution: - 1978-1990: la communauté urbaine se saisit de sa compétence juridique en aménagement pour monter en expertise et s'émanciper des services de l'Etat et des structures centralisées comme le réseau SCET. Elle développe alors la culture projet pour la gestion de ses opérations d'aménagement à travers une profonde restructuration des services techniques de l'institution. - 1990-2000: cette décennie est marquée par l'inscription de l'agglomération dans une perspective européenne, sinon internationale avec l'aÏnement du développement économique local comme l'un des moteurs de la croissance urbaine et par la mise à l'agenda de l'écologie urbaine. - Depuis 2000: Les élus se sont saisis de la question du développement durable pour en faire une stratégie d'agglomération. Cela s'est traduit par l'élaboration de nouvelles politiques urbaines, de documents-guides de références et une réorganisation légère de l'institution. 48 I.1 Le développement urbain comme moteur de l'émancipation de la Courly (1978-1990) Un urbanisme en rupture avec les décennies précédentes Après la Seconde Guerre Mondiale, la production urbaine à Lyon, devait répondre de manière urgente à plusieurs impératifs: loger de manière décente les habitants (éradiquer les bidonvilles aux portes de Lyon et être en mesure d'accueillir les nouvelles populations), permettre aux entreprises et aux industries de s'implanter et de développer leurs activités, enfin promouvoir un cadre de vie de qualité, qui s'entendait alors avec un niveau d'équipements culturels et de services suffisants pour faire de Lyon, la deuxième ville française après Paris. Le pari est releÎ par l'ouverture de nombreux chantiers dont les plus importants (les Zones à Urbaniser en Priorité, le centre directionnel de la Part-Dieu, le développement de la vallée de la Chimie, les projets routiers et autoroutiers) furent largement menés par l'Etat et ses différents bras armés (DDE, réseau SCET). L'opération du centre directionnel de la Part-Dieu, symbole de la production urbaine des années 1960-1970 avec le centre d'échange de Perrache illustre parfaitement le mode de faire de ces décennies (Menez, 2008). Les grandes décisions sont prises à Paris. On impose aux acteurs locaux (SERL, élus et techniciens locaux) le soin d'appliquer ces décisions, avec un contrôle étroit de l'Etat, via les services techniques déconcentrés. Toutefois, dès la fin des années 1960, ce modèle d'Etat centralisateur et aménageur s'effrite. En 1966, l'Etat impose la création de communautés urbaines dans les grandes agglomérations. Pour l'agglomération lyonnaise, la Communauté Urbaine de Lyon (Courly) sera ainsi créée en 1969 et se voit transférer différentes compétences dont celle de l'aménagement de la ville. Louis Pradel, alors maire de Lyon et président de la Courly revendique son autonomie et recrute de nouveaux techniciens, dont certains sont issus du Ministère de l'Equipement et du réseau SCET. Les partenaires de la Courly font de même. A la fin des années 1970, l'opération de la Part-Dieu est en cours d'achèvement (la Tour du Crédit Lyonnais sera inaugurée en juillet 1977) et déjà les critiques fusent, portant à la fois sur l'urbanisme produit (trop fonctionnaliste, sans lien avec les trames urbaines voisines) et sur le processus. C'est dans ce contexte qu'est créée l'agence d'urbanisme de Lyon avec à sa tête, Jean Frébault, Ingénieur des Ponts et Chaussées, auparavant directeur de l'agence d'urbanisme de Toulouse (1971-1978). Côté politique, Francisque Collomb remplace au pied leÎ Louis Pradel décédé brutalement en 1976. Son premier mandat (1977-1983) se caractérise surtout par une gestion économe des ressources de la ville et de l'agglomération. En revanche, son second mandat va le réÎler comme un précurseur de la pensée urbaine, ou du moins, il a su s'entourer d'une équipe aux idées novatrices. La communauté urbaine entend s'impliquer davantage dans les opérations d'aménagement engageant dès 1983 une importante restructuration de ses services. Le management de projet au service de l'urbanisme Cette décennie témoigne à Lyon comme ailleurs, d'un basculement idéologique et culturel sur la manière de faire la ville (Demesteere, Padioleau, 1999) avec une autonomisation des collectivités locales et des collaborations avec de nouveaux partenaires. Ainsi, la communauté urbaine de Lyon va accroître son « portefeuille » de relations, développer ses services administratifs et techniques internes, lui permettant de déléguer à des 49 prestataires externes ou bien de mener les projets en régie directe. L'agglomération lyonnaise commence sa « mue » au début des années 1980, avec de nouvelles perspectives politiques et économiques portées par les différentes équipes municipales et communautaires et reprises par certains partenaires privilégiés. En 1983, les services de la communauté urbaine sont refondus. A la création de la Courly en 1969, l'aménagement, compétence de la communauté urbaine est scindé entre plusieurs services administratifs, rendant difficile une vision plus globale des opérations d'aménagement. En 1983, alors la Courly exprime le souhait de gérer des opérations en régie, un grand département du développement urbain, est créée. Il est doté de trois grands services (activités économiques et concession ; aménagement urbain ; opérations d'urbanisme). Michel Rivoire, ingénieur des Travaux Publics de l'Etat, issu du Ministère de l'Equipement prend la tête de ce département et travaillera en collaboration avec le département planification (en charge notamment des problèmes fonciers) et avec le département équipement, gestionnaire des services techniques. L'agence d'urbanisme est également présente dans l'organigramme de la Communauté Urbaine, signal fort pour cet organisme chargé de faire de nombreuses études amont pour le compte de l'institution. Dès 1985, le département développement urbain étend ses activités et se dote d'un service « centre d'études » et d'un autre « centre de données urbaines » qui concurrencent les services offerts par l'agence d'urbanisme, puis en 1987 d'un service « activités d'agglomération ». Ainsi, le département du développement est à la fin des années 1980 l'un des départements les plus importants de la communauté urbaine et précurseur d'un management en mode projet des opérations d'aménagement. Cette réorganisation a ainsi permis d'anticiper les lois Deferre du 7 janvier 1983 et du 22 juillet 1983, décentralisant aux communes les compétences en urbanisme et d'équipements scolaires maternels et primaires. Certains territoires sont considérés comme stratégiques pour le développement de l'agglomération. C'est le cas de Gerland, au sud de la ville, identifié comme nouveau secteur de développement dès le début des années 1980. Gerland est un grand quartier industriel de 500 hectares au sud de la Ville de Lyon, en pleine mutation liée aux départs des entreprises. L'arriÎe de l'École Normale Supérieure de Sciences à Lyon, prévue pour le milieu des années 1980 amorce la requalification de ce territoire. Plusieurs opérations en lotissements ou Z.A.C. vont s'enchaîner avec des modes de réalisation différents, allant de la régie directe à la concession. Afin de coordonner l'ensemble de ces opérations et des différents maîtres d'ouvrages, la Courly implante la « Maison de Gerland » dès mars 1980. Cette petite équipe, composée au départ de fonctionnaires détachés des différents services communautaires est placée sous l'autorité directe du directeur du département urbain. Cette mission territoriale se voit investie d'une fonction d'études, de coordination-gestion et de communication. Elle a aussi pour objectif de gérer l'ensemble des problèmes techniques (voirie, assainissement, transport, etc.) avec les opérations d'aménagement projetées. Elle apparaît ainsi que la porte d'entrée aux différents services de la communauté urbaine, interlocuteur unique des investisseurs. Cette politique de mission s'inscrit dans les principes de la nouvelle culture managériale qui promeut une organisation par projet en articulation avec une organisation hiérarchique ou par métiers. Ce type d'organisation initie une approche transversale de la production de la ville et sera sans cesse développé, d'abord sur des territoires identifiées comme stratégiques 50 pour le développement de l'agglomération puis étendu à des thématiques, lorsqu'il fallait afficher et se préoccuper de nouvelles politiques (écologie urbaine, habitat, déplacements, économie) au tournant des années 1990. La SERL, qui avait le monopole des grandes opérations d'urbanisme des années 1960 et 1970, n'est plus l'interlocuteur privilégié de la Courly. Durant les années 1980, la communauté urbaine multiplie le nombre de petites opérations, généralement des ZAC à vocation résidentielle, qu'elle confie à des opérateurs priÎs (promoteurs-aménageurs). La Courly se réserve en régie directe ou concédées à l'OPAC du Rhône, les opérations les plus importantes. Dans ce contexte, la SERL ne conserve qu'une part minime du marché. Progressivement la communauté urbaine s'impose ainsi comme la Îritable structure porteuse de projets, capable de les piloter, voire de les mener en interne. Cette montée en compétence s'accompagne avec une élaboration locale d'une vision stratégique du développement de l'agglomération. Vers le développement d'une vision prospective de la ville « demain, l'agglomération lyonnaise » En 1978, un premier schéma directeur de l'agglomération lyonnaise est adopté. Toutefois, dès sa publication ce document est déjà obsolète, sans lien direct avec la stratégie de développement de l'agglomération . La Courly décide ainsi au milieu des années 1980 de lancer sa révision et confie cette mission à l'agence d'urbanisme, l'AGURCO. Cette dernière, assistée par l'ADERLY (agence pour le développement économique de l'agglomération) va organiser le colloque « demain, l'agglomération lyonnaise » en décembre 1984 . « L'enjeu était d'inventer de nouvelles façons de « planifier » tournant le dos aux démarches technocratiques et procédurales des années 1970. Préalablement à toute approche juridique, nous avons mis l'accent sur l'élaboration d'un « projet stratégique » pour un territoire métropolitain, à partir d'un chantier de prospective participative impliquant fortement élus et administrations, experts et universitaires, et largement la société civile. » (Jean Frébault, 25 juin 20064). De 1985 à 1988 des ateliers ont ainsi été montés pour donner lieu à des échanges sur le devenir de l'agglomération. Les priorités du SDAU sont alors le développement économique (renforcement et accompagnement des sociétés locales) et l'inscription de l'agglomération lyonnaise dans les réseaux de grandes métropoles internationales (SEPAL, 1990). Cette démarche initie le renouvellement de l'action publique qui se renouvelle, intégrant les problématiques du secteur priÎ (Linossier & Menez, 2007). Durant cette période, la communauté urbaine de Lyon a acquis en légitimité et s'est affirmée comme institution locale, grande gestionnaire de l'urbain avec deux grandes directions: la direction du développement urbain (direction qui conçoit la ville) et la direction des services techniques (direction qui gère la ville). Toutefois, l'environnement et l'écologie sont encore absents des politiques conduites à Lyon. Ce n'est qu'à partir des mandats suivants, sous l'impulsion de certaines personnalités politiques et techniques que l'intégration environnementale dans les politiques urbaines se fera. 4 http://citadoc.caue-isere.org/opac_css//doc_num.php?explnum_id=102 51 I.2 Émergence et développement de l'écologie urbaine (1989-2000) Les élections locales de 1989 confirment la montée en puissance du RPR. Les listes conduites par Michel Noir remportent ainsi les 9 mairies d'arrondissement de Lyon. Le vote écologiste est également plus important, permettant ainsi à Etienne Tête, élu sur la commune de Caluire et Cuire, de briguer un siège au conseil de la communauté urbaine. Un autre élu, Claude Pilonnel, maire de Poleymieux, déjà conseiller communautaire au précédent mandat, aura plus l'écoute de Michel Noir. Cet élu va oeuvrer pour que l'environnement soit enfin pris en compte dans les politiques communautaires. Cette période se caractérise par un processus de sensibilisation et d'émergence de la question environnementale dans les politiques urbaines, se traduisant par certaines prises de conscience: la nature en ville, le transport de matières dangereuses, les déplacements urbains. La mission écologie: d'une vision fonctionnaliste de la ville vers une vision systémique... Dès 1989, Claude Pilonnel est nommé secrétaire délégué à la sécurité, traitant des questions d'environnement. L'année suivante, il obtiendra de Michel Noir la création d'une cellule « écologie urbaine » qui sera vite transformée en mission. Puis en 1991, Michel Noir créera le poste de vice-président à l'écologie urbaine donnant ainsi davantage de légitimité à la mission. Jean Villien, écologue et environnementaliste, auparavant à l'agence d'urbanisme prend en charge la cellule puis la direction de la mission. L'équipe rassemble 5 spécialistes de l'environnement et un budget de 5 millions d'euros lui est alloué pour fonctionner. D'emblée se pose la question du rattachement hiérarchique de cette mission. Après plusieurs discussions, la mission, comme les trois autres missions thématiques (Habitat, Déplacements, économie) est rattachée au délégué général du département développement urbain. Ce rattachement n'est pas anodin. Il fallait être suffisamment haut dans la hiérarchie pour pouvoir influer sur les politiques et les projets urbains (la ville qui se conçoit) et sur les services urbains (la ville qui se gère, le département des services techniques). De fait, les missions thématiques connaissent le même positionnement que les missions territoriales, avec une grande accessibilité à la sphère décisionnelle. La création de ces quatre missions thématiques montre une collectivité territoriale plus mature qui se met à penser son territoire comme un espace unitaire (Belmessous, Gallot- Delamézières, Gardon, Menez, Russeil, 2008). On dépasse ainsi les clivages traditionnels entre la conception et la gestion pour faire de ces missions, un lieu transversal. Ceci fut également possible grâce à la maturité acquise de la communauté urbaine. Forte d'une existence de près de 20 ans, elle a déjà réalisé d'importants travaux sur les réseaux (voirie, assainissement, eau potable) apportant de l'unité dans un territoire très hétérogène (du milieu rural au milieu ultra-urbain). Le concept d'écologie urbaine a ainsi permis d'appréhender le développement de l'agglomération autrement que par des visions techniques et sectorielles. Toutefois, dès le mandat suivant (1995-2001), sous la présidence de Raymond Barre, cette organisation est à nouveau transformée: la mission économie ayant fortement grossie devient une direction à part entière. La mission habitat porteuse du Plan Local de l'Habitat est maintenue et fonctionne aux côtés du service du développement social urbain au sein de la direction générale du développement urbain et la mission déplacements prend de l'ampleur avec l'élaboration du PDU. La mission écologie urbaine continuera d'exister mais 52 avec moins de visibilité et sans document à portée juridique obligatoire. Pendant cette dizaine d'années, la mission écologie urbaine aura néanmoins élaboré deux chartes et conçu un observatoire avec des indicateurs et une évaluation des différentes politiques publiques sous le prisme de l'écologie urbaine (1997). Ce n'est qu'au tournant des années 2000, que cette mission va connaître un nouvel essor avec la décision politique de faire un agenda 21 (cf. infra). ... et les chartes de l'écologie... En 1990, le premier travail de la mission écologie est la réalisation d'un diagnostic multi systèmes. Une première charte d'écologie urbaine fut ensuite adoptée en 1992, couvrant une période de 4 ans (1992-1995). Cette charte, édifiée sur la base des diagnostics est un plan de 160 actions très concrètes portant sur l'eau, l'air et sa qualité, les déchets, le patrimoine vert (espaces naturels, espaces agricoles), le bruit, les énergies alternatives et les risques5. Cette première charte est également perçue comme un document de référence autour duquel les services, en particulier les services techniques, se mobilisent. D'ailleurs, le Ministère de l'environnement de l'époque s'en est fortement inspiré pour mettre en place une méthodologie pour l'élaboration de chartes d'écologie urbaine dans d'autres villes. Sa publication accompagne les nouvelles orientations du schéma directeur « Lyon 2010 », sorti en mai 1992, qui insiste sur la nécessité d'une gestion partenariale de l'environnement. Cette première charte avait comme ligne directrice « rétablir les désordres d'une vision fonctionnaliste excessive de la ville. On trouvait la place de l'homme, le déséquilibre entre les circulations et les flux, avoir une qualité du bien être, une faible pollution de l'air » (entretien Jean Villien , 19 janvier 2011). Les actions portent à la fois sur la construction d'infrastructures comme une station d'épuration (déjà prévue au demeurant) et sur des éléments plus qualitatifs, notamment sur la trame verte, sur le repérage et la prise en compte des arbres remarquables, sur la mise en place d'indicateurs sur la qualité de l'air, etc. Pour chaque action, un référent est nommé; à lui de suivre l'évolution de son action et d'en rendre compte. Les grands projets d'aménagement sont analysés à travers cette charte, permettant notamment de pointer d'éventuelles contradictions. A titre d'exemple, au cours des années 1990, l'exploitant du golf de Chassieu, GOLFI, dans l'est de l'agglomération proposait de réaliser un lotissement à proximité immédiate du golf pour contrebalancer les pertes occasionnées par la gestion du golf. La charte de l'écologie urbaine indiquait que le foncier envisagé pour l'extension urbaine était protégé en tant qu'espace naturel et qu'il n'était pas possible d'urbaniser. Sur la base de ce document, la proposition d'urbaniser a été refusée et GOLFI s'est vu attribuer une subvention complémentaire pour assumer le déficit annuel. L'application des 160 actions passe également par l'instauration de partenariats avec les acteurs locaux, en particulier dans le domaine des risques. En 1995, la nouvelle équipe communautaire demande à Jean Villien de faire un bilan de la première charte de l'écologie urbaine. Suite à ce bilan, Raymond Barre décide de faire une nouvelle charte, en développant davantage les partenariats et les conventionnements mais avec moins d'actions. Le nouveau plan d'actions se réalise sur 5 ans et est accompagné dès 5 1990. Claude Pillonnel va notamment mettre en place une charte pour le transport de matières dangereuses en ville dès 53 1997 par un observatoire de l'environnement, dont l'objectif est d'évaluer l'état d'avancement des actions planifiées dans le cadre de la charte. Toutefois l'écologie passe au second plan, au détriment du développement économique. De 1995 à 2001, la mission écologie urbaine aura ainsi une place de second choix. De nombreuses actions sont déléguées à des organismes partenaires et à des associations (notamment les actions à visée pédagogiques ou le suivi environnemental comme la qualité de l'air). Cette seconde charte sera ensuite baptisée de manière exagérée « Agenda 21 », ce que certains jugent comme opportuniste (Boutaud, 2004). En 1992, une petite délégation conduite par Michel Noir et Claude Pillonnel se rend à la conférence de Rio. A son retour, Michel Noir, bien que conquis par les idées développées à Rio6, ne développera pas d'agenda 21 local. La priorité était de faire de Lyon une ville internationale et de renouveler l'image de l'agglomération. D'ailleurs, la Courly devient le Grand Lyon, nom plus évocateur et plus communiquant pour la communauté urbaine. Néanmoins, cette période a permis aux acteurs lyonnais de « préparer le terrain pour le développement durable, en capitalisant une expérience méthodologique non négligeable» (Boutaud, 2004, p 343). Le terme de « développement durable » sera ensuite fortement présent dans le plan de mandat suivant (2001-2008). ...qui doit composer avec les impératifs du développement économique et « l'europénisation » du territoire La période 1989-2001 est surtout marquée par l'inscription de Lyon dans les réseaux de villes internationales. Les politiques urbaines sont alors conçues comme un accompagnement de la politique du développement économique portée par le marché, compétence économique que la Courly acquiert progressivement (Linossier, 2006). Le nouveau schéma directeur « Lyon 2010 adopté en 1992, vise ainsi à inscrire l'agglomération dans une optique de compétition à l'échelle européenne, voire mondiale. Lyon participe à la création du premier réseau de villes européennes, Eurocities et prend la présidence de la commission environnement avec Claude Pillonnel. La Courly participe à de nombreux programmes européens, notamment avec la mission habitat et la mission écologie urbaine. Toutefois, ces participations restent confidentielles au niveau local, et centrées autour des questions de maîtrise énergétique. Néanmoins la création de l'ALE (Agence Locale de l'Energie) le 28 février 2000, s'inscrit dans le prolongement des programmes européens RESET (bilan énergétique de la Communauté Urbaine de Lyon) et RE-START (réalisation de 200 logements sociaux utilisant les énergies renouvelables et une démarche environnementale). Ces programmes prévoyaient la création d'une agence de l'énergie intégrée à la Communauté Urbaine de Lyon. L'opportunité du programme européen SAVE II et la volonté de création d'une synergie locale autour du thème de l'énergie ont favorisé son émergence. Elle a pour objet de promouvoir, coordonner et développer des actions tendant à économiser l'énergie, utiliser des énergies renouvelables, préserver les ressources et protéger et valoriser l'environnement dans une logique de Développement Durable. En partenariat avec l'ADEME et la Région Rhône-Alpes, elle est l'Espace Info Energie de l'agglomération. 6 Dans son discours qui a suivi son voyage à Rio, Michel Noir parlera plusieurs fois de l'écologie, laissant ainsi un message à ses équipes techniques, mais ce message ne sera pas pour autant suivi d'une politique forte autour de l'élaboration d'un agenda 21 local. 54 Plusieurs grands projets sont lancés avec un recours croissant au secteur priÎ pour le financement et pour l'expertise, en particulier l'opération de la Cité Internationale. Le mandat de Raymond Barre est marqué par une accélération de ce processus (marketing territorial). Des projets et des modes de faire : le Grand Lyon, territoire d'expérimentation Surfant sur l'ouverture aux réseaux européens, certains techniciens du Grand Lyon, dont Jean Villien, s'impliquent dans des projets européens. La problématique de l'énergie constitue le coeur des premiers appels à projets européens (programme Thermie dès 1994 avec le projet Reset) et rejoint ainsi certaines problématiques développées dans le cadre de la charte de l'écologie urbaine. En 1997, Jean Villien avec l'appui de la mission habitat du Grand Lyon va impliquer la région Rhône-Alpes, l'ADEME locale et 5 bailleurs sociaux dans le programme européen Re-Start. Ce programme, ancêtre du programme Concerto, vise à réduire les émissions de gaz à effet de serre via l'amélioration des performances énergétiques des logements sociaux. A cette occasion, les liens entre la mission écologie urbaine et la mission habitat vont se renforcer et donneront lieu à l'élaboration d'un premier référentiel habitat durable en 2004. S'inspirant de la démarche HQE, ce référentiel cible la performance énergétique des logements afin, notamment de maîtriser les charges d'entretien et de maintenance. Ce référentiel s'impose à tout constructeur de logements neufs dans les ZAC Grand Lyon ou sur du foncier vendu par le Grand Lyon. Même si sa diffusion est assez restreinte, très vite la région Rhône Alpes va développer son propre référentiel et l'inciter sur le logement social en octroyant des subventions régionales supplémentaires. En 2007, le Grand Lyon étend son premier référentiel habitat durable à l'ensemble du logement social et applique une décote de sa subvention de 30% en cas de non-respect de ce référentiel7. Pour autant, au début des années 2000, le reste de la production urbaine se fait de façon classique. Pour les opérations d'envergure comme celle de la Cité Internationale ou plus récemment Confluence, le Grand Lyon fait appel à des architectes de renom par l'intermédiaire de concours internationaux. L'opération est ensuite confiée à une structure dédiée (avec un passage à un opérateur priÎ pour la Cité Internationale) qui met en oeuvre le projet conçu par l'architecte-urbaniste, faisant ainsi les études opérationnelles classiques et la consultation des promoteurs et des bailleurs sociaux. Les chargés d'opération du département développement urbain sont généralement peu associés à ce processus, les échanges avec le Grand Lyon se faisant prioritairement au niveau stratégique et politique. Pour les autres opérations, le processus est semblable avec une implication plus importante des techniciens du Grand Lyon. Toutefois une opération va se démarquer dès la fin des années 1990. En 1998, la ZAC des Hauts de Feuilly à Saint-Priest est créée et confiée à la SERL; D'emblée, cette ZAC va faire l'objet de préoccupations environnementales. Cette opération est située au coeur de la coulée verte, inscrite dans le schéma directeur Lyon 2010. Il est donc nécessaire de prendre en compte cet aspect et de l'intégrer au projet. L'accent sera ainsi mis sur la réalisation d'espaces verts, de chemins piétonniers et de pistes cyclables, illustrant ainsi une première étape vers le développement durable. Progressivement, des contraintes vont être imposées par l'aménageur sur la performance énergétique des logements permettant ainsi de livrer des maisons passives pour la dernière tranche en 2009. 7 Délibération n°2007-4328 du 10 septembre 2007 55 Jusqu'au début des années 2000, le développement durable reste encore confiné aux aspects environnementaux et énergétiques avec peu d'impact sur les modes de production de la ville. La décennie suivante va changer la donne. I.3 L'institutionnalisation du développement durable au coeur de la stratégie du Grand Lyon (depuis 2001) L'élection de Gérard Collomb à la tête de la ville de Lyon et de la communauté urbaine va marquer le passage de l'écologie urbaine au développement durable avec l'inscription, entre autres, dans son premier plan de mandat , de l'élaboration d'un agenda 21. Jean Villien caractérise ainsi ce changement entre la période Noir/Barre puis Collomb en expliquant que l'on passe : « d'une idéologie « libéralo-socialiste » à une approche plus « participation » qui met la personne humaine au centre du système. » (entretien du 18 janvier 2011). Surtout l'organisation interne du Grand Lyon va encore évoluer à la marge pour permettre la diffusion d'une culture du développement avec une évolution des modes de production de la ville prenant davantage en compte l'environnement en amont des réflexions des projets d'aménagement. On observe ainsi une accélération du changement dans les processus de conception, de production et de gestion de la ville à partir des années 2003/2004, en particulier autour des thématiques énergétique et climatique. De l'agenda 21 au Plan Climat Territorial: une structuration progressive du Grand Lyon En 2002, l'équipe de Gérard Collomb décide de se lancer dans l'élaboration d'un agenda 21. Une mission est créée spécifiquement, la mission Agenda 21 dirigée par Nadia Mabille, qui est directement rattachée au Directeur Général des Services (DGS) alors que la mission Ecologie Urbaine reste en place au sein de la direction du développement urbain. Cette position hiérarchique confère ainsi une visibilité et une légitimité que la mission écologie urbaine n'avait pu avoir. Le premier agenda s'applique uniquement aux actions des services de la communauté urbaine. L'architecture du document est d'ailleurs proche de la charte de l'écologie urbaine et l'agenda se décline en un plan d'actions adopté en 2005 sur 4 ans. Toutefois, la mission permet de sensibiliser les élus et les techniciens au développement durable, en particulier autour de la problématique énergétique. Dès 2008, l'élaboration d'un second agenda 21 est ainsi à l'étude avec une ouverture plus importante aux partenaires du Grand Lyon. Une profonde réorganisation des services du Grand Lyon aboutit notamment à la création d'une direction de la planification et des politiques d'agglomération au sein de la délégation générale au développement urbain. La mission agenda 21 devient le service « stratégie d'agglomération » au sein de cette direction qui regroupera également la chargée de mission développement durable, Béatrice Couturier, les 2 chargés de mission Plan Climat Energie Territorial (PCET). En 2010, à la demande des élus référents, dont Bruno Charles, l'agenda 21 change de dénomination et opte pour la stratégie développement durable. Dans cette perspective, le PCET est une réponse partielle à cette stratégie englobante et recentre l'action environnementale autour de la problématique des changements climatiques (atténuation et adaptation). Ainsi en 2009, le Grand Lyon établit un diagnostic pour l'élaboration d'un Plan Climat à l'échelle de l'agglomération. Le 6 mai 2010 a lieu la conférence de lancement pour l'élaboration du Plan Climat du Grand Lyon. La démarche est volontairement participative, 56 organisée autour de pôles thématiques (habitat, transport, énergie, entreprise), d'un groupe de travail transversal sur les comportements et d'un club développement durable prônant l'exemplarité. De juin à octobre 2010, les groupes de travail thématiques vont se réunir pour élaborer un scénario d'agglomération. Le 27 novembre 2011, le plan d'action est ainsi approuÎ engageant de nombreux partenaires notamment financiers. A ces documents cadres et généraux, les services techniques du Grand Lyon produisent également durant la période 2003-2012, une série de référentiels thématiques portant d'abord sur le logement neuf sous certaines conditions (2005) avant de s'étendre aux quartiers durables (2011), en passant par les espaces publics. Ces référentiels participent ainsi à l'émergence de nouvelles pratiques, sinon de nouveaux standards dans les modes de production de la ville. D'ailleurs, dès 2005, un poste « chargé de mission développement durable » est créé au sein de la direction développement urbain. Ce poste, financé à 50% par la Commission Européenne via le programme Concerto, est dédié à mi-temps au suivi du projet Renaissance8, et pour l'autre mi-temps à une activité d'animation et d'acculturation du développement durable au sein de la direction et en lien avec les missions agenda 21, écologie urbaine et les autres directions. En octobre 2010, le cofinancement du poste par le programme Concerto s'arrête. Le Grand Lyon décide néanmoins de maintenir cette fonction et lui octroie un rôle plus important dans la diffusion des connaissances et dans la participation à des réseaux divers autour de la ville durable. Dans l'immédiat, ce poste a également été l'occasion de consolider les différentes expériences autour de référentiels, habitat puis quartiers durable, visant ainsi à faire évoluer les cultures et les pratiques urbanistiques vers des modes de production plus durables. En ce sens, le poste de Béatrice Couturier a ainsi permis de mettre en évidence des outils et des démarches pour éviter l'effet-vitrine d'un projet, en l'occurrence Confluence (cf. infra) et pour faire levier sur l'ensemble des projets urbains (entretien avec Béatrice Couturier, 21 janvier 2011). A la recherche de nouveaux standards pour la production de la ville à la Lyonnaise Jusqu'en 2003, l'urbanisme opérationnel est pratiqué de manière très classique. Les études préalables sont réalisées soit par les services techniques du Grand Lyon, soit par un aménageur sous mandat. Quand l'opération est considérée comme faisable, elle est confiée à un aménageur qui va définir le projet avec une équipe de conception urbaine (architecte- urbaniste et parfois paysagiste). Les considérations environnementales restent focalisées sur des thématiques précises selon les contraintes liées au site ou n'interviennent qu'une fois le plan de composition urbaine arrêté. Les expérimentations et les innovations portent alors, uniquement sur la construction et l'amélioration de la performance énergétique dans le neuf et la réhabilitation. Toutefois, en 2003, deux éÏnements indépendants vont changer la donne : l'application de la démarche AEU® développée par l'ADEME et le programme européen Concerto. L'ADEME cherche des territoires pour expérimenter l'outil qu'elle vient de développer, l'approche environnementale de l'urbanisme (AEU®). Cet outil vise à prendre davantage en compte l'environnement dans la phase de conception des opérations d'aménagement. Le Grand Lyon, par l'intermédiaire notamment de José Monsot, maire de la Tour de Salvagny et délégué régional de l'ADEME, se porte alors candidat pour tester cette nouvelle démarche. Plusieurs opérations vont faire l'objet de cette étude. Les résultats sont particulièrement 8 Programme Concerto. cf. infra 57 démonstratifs sur la ZAC du Contal à la Tour de Salvagny. A l'issue d'une étude urbaine réalisée de manière classique, un schéma de composition urbaine avait été dessiné, entraînant notamment des surcoûts de construction importants liés à la pente du site. Par ailleurs, le schéma de composition urbaine générait un aménagement futur assez minéral qui déplaisait à l'équipe municipale. L'AEU® réalisée par le bureau d'études Tekhné a alors mis en évidence plusieurs contraintes à prendre en compte, la pente du site mais également les nuisances sonores liées à la proximité d'une route principale à proximité. Cela a conduit à déconstruire complètement le schéma de composition urbaine et à proposer un nouveau schéma plus respectueux du site et surtout moins coûteux en terme de travaux d'aménagement et de construction, avec notamment l'intégration de noues et de bassins de rétention paysagers pour le traitement des eaux pluviales. Par la suite, les opérations d'aménagement du Grand Lyon ont quasiment toutes bénéficié de cette démarche dès l'amont du projet afin d'intégrer au plus tôt les contraintes environnementales du site, étude alors confiée à une AMO. Lorsque les opérations étaient concédées à un aménageur, celui-ci était dans l'obligation de faire une AEU® avec un bureau d'étude spécifique. Aujourd'hui, le Grand Lyon a cessé le recours systématique à une AEU®. Les principes de cette démarche sont intégrés chez les chargés d'opération. D'une part, les techniciens se sont aperçus que les conclusions de cette étude étaient sensiblement les mêmes d'une opération à une autre, d'autre part, les réflexions thématiques amont sur l'eau, l'énergie, la biodiversité, la mobilité, l'éco-construction sont parfaitement intégrées dans les cahiers des charges de consultation pour le recrutement d'une équipe de maîtrise d'oeuvre urbaine, et ce, sans avoir à recourir l'étude labellisée AEU® de l'ADEME. On pourrait également ajouter une troisième raison: l'ADEME a largement subventionné ce type d'étude dans un premier temps, jusqu'à 50% pour permettre le développement de sa démarche. Progressivement elle a arrêté ces subventions, sauf sur certains territoires. Toutefois, lorsque le contexte de l'opération est complexe, les services techniques recourent à la démarche de l'ADEME. L'autre éÎnement marquant dans l'histoire de la production urbaine de Lyon est la candidature à l'appel à projets du programme Concerto. Ce programme, financé par la Commission Européenne porte sur l'expérimentation grandeur nature de bâtiments à sobriété énergétique. En 2003, le Grand Lyon décide de répondre à ce programme en lançant une expérimentation sur 3 îlots de l'opération Confluence, opération phare de ces années. La décision de répondre à ce projet a été prise directement par Julia Mancel, référente Développement Durable au cabinet de Gérard Collomb. Le service d'urbanisme opérationnel, en la personne d'Odile Charvin sa responsable a piloté la réponse, en y associant l'association HESPUL pour la coordination de ce projet et du partenariat européen. En octobre 2004, la proposition du Grand Lyon est retenue et face à l'ampleur de la tâche de coordination, il est décidé de créer un poste spécifique au sein du service d'urbanisme opérationnel. Ce poste, chargé de mission développement durable est pris par Béatrice Couturier qui a pour fonction, de piloter et de suivre le projet Concerto et de diffuser la connaissance sur le développement durable dans l'ensemble des services. L'apport du programme Concerto va être fondamental dans la manière de travailler avec les promoteurs et surtout d'élever le niveau d'exigences. Les négociations ont été très difficiles sur les trois premiers îlots de l'opération Lyon Confluence, notamment pour respecter le cahier des charges de cession de terrain. Par la suite, les promoteurs, bien que non contractants du consortium Concerto, ont tous suivi la même règle du jeu, certains allant même plus loin en proposant des bâtiments basse consommation. Le travail autour du Concerto a permis 58 également de nourrir les différents référentiels dont le référentiel tertiaire. Ces référentiels permettent une diffusion des expériences dans le cadre des programmes européens sur tout le territoire du Grand Lyon. Cette volonté de généraliser la démarche de conception-construction des bâtiments puis de conception-réalisation d'un quartier caractérise la culture urbaine locale. Le Grand Lyon expérimente dans un premier temps des processus innovants sur des opérations exemplaires, avant d'en retirer les principes fondamentaux pour une standardisation à l'échelle de son territoire, partageant et diffusant alors ces principes à ses partenaires. Le travail entamé sur les référentiels depuis 2003 montre ainsi une démarche itérative et « intégratrice » de la part du Grand Lyon. Ainsi, comme cité précédemment, plusieurs référentiels sur des objets au départ simple (bâtiment) puis progressivement intégrateur (le quartier), ont été élaborés en coopération entre les services techniques de la communauté urbaine et des villes de l'agglomération, des élus et les partenaires du Grand Lyon (notamment les principaux aménageurs et bureaux d'études intervenant sur le territoire). Les opérations marquantes: démonstrateurs d'un changement possible Après une première expérimentation sur la sobriété énergétique de l'habitat individuel sur la ZAC des Hauts de Feuilly à St Priest, une nouvelle étape est franchie par le projet d'aménagement Confluence. Lancé à la fin des années 1990, ce projet vise à reconquérir le sud de la Presqu'île, afin d'étendre le centre-ville sur des friches industrielles. Le projet d'aménagement part de manière classique. Ce projet permet à la ville de gagner 150 ha de centre-ville en investissant de manière progressive un ensemble de friches ferroviaires et industrielles. Les orientations fixées pour cette opération s'expriment au travers de la réalisation d'un tissu urbain mixte dans la continuité d'un quartier existant, avec le renforcement et la réorganisation des fonctions de centralité de la ville autour d'un pôle commercial, d'un vaste bassin portuaire et d'un parc urbain. L'opération se déroulera en 3 phases : 2 ZAC successives et une éco-rénovation du quartier existant de Ste Blandine. A terme il est prévu, la réhabilitation de 4 500 logements existants, améliorant ainsi leur performance énergétique, la construction de 4 500 logements neufs (haut de gamme, intermédiaires, sociaux, locatifs), de 33 000m² SHON de bureaux, de 106 500m² SHON de commerces et enfin de 37 400m² SHON d'équipements publics. L'aménageur est une SEM dédiée, la SEM Lyon Confluence qui sera ensuite transformée en 2008, en SPLA9. Le projet est prévu pour durer un minimum de 30 ans. D'emblée, en 1998, une démarche de concertation avec d'abord l'ensemble des habitants du Grand Lyon est lancée, avant même qu'un projet ne soit défini. Il s'agit de faire connaître des citoyens ce site d'exception situé à la confluence du Rhône et de la Saône. Progressivement, le parti d'aménagement s'affine, inspiré des diverses opérations d'aménagement de requalification de friches portuaires. En 2000 un concours international d'architectes-paysagistes est lancé sur la première ZAC. Les lauréats seront François Grether (urbaniste) et Michel Devisgne (paysagiste). Ce n'est qu'en 2002, alors que le plan-masse est arrêté que la SEM va mandater le bureau d'étude TRIBU pour réaliser une analyse et une évaluation environnementale du projet urbain et élaborer un cahier des charges HQE pour les futures constructions. Cette étude a 9 Suite à la loi de 2005 sur les concessions d'aménagement 59 notamment permis un travail spécifique sur l'énergie et la gestion des déchets qui apparaissaient comme des points faibles dans le diagnostic. Des groupes de travail thématiques ont été organisés avec le Grand Lyon, la ville de Lyon, l'agence locale de l'énergie et l'ADEME. Les recommandations issues de ces groupes de travail ont ensuite été priorisées et intégrées aux cahiers des charges de consultation lors du concours architectes- promoteurs des lots de logements et d'immeubles de bureaux. Le programme Concerto ne concerne que trois îlots mixtes du projet mais va inspirer les niveaux d'exigence à imposer pour les autres lots soumis à consultation. La sélection des équipes devait se faire sur trois critères pondérés de manière identique : un critère de qualité architecturale; un critère de performance environnementale; un critère de programme. Dans les faits, le choix des élus a porté sur les projets présentant prioritairement une qualité architecturale. Par conséquent, les objectifs environnementaux ont été difficilement atteignables. Cela s'est soldé par des surcoûts au niveau de la construction, en partie subventionnés par la Commission Européenne via le projet Concerto. Néanmoins, l'objectif est atteint puisque sur les lots suivants, les promoteurs vont proposer des projets atteignant des niveaux de performance énergétique supérieurs à ceux des îlots ciblés par Concerto et livrer ainsi des logements sans bénéficier d'aides financières européennes. Pour la seconde ZAC qui se déroule sur l'emprise de l'ancien marché d'intérêt national, des enseignements ont été tirés et l'opération se déroule d'une toute autre manière. Le lourd travail de concertation s'est poursuivi et a remis en cause le projet initial de l'équipe Grether-Devisgne. Ce projet prévoyait entre autre la démolition quasi intégrale des bâtiments gare et proposait une trame urbaine en complète rupture avec le quartier existant. Avant le lancement d'un nouveau concours d'architecte-paysagiste, un travail amont de définition des cibles prioritaires « développement durable » a été réalisé et piloté par le binôme SPLA Lyon Confluence et le BET Tribu, dont la mission s'est étendue. En juin 2009, une nouvelle équipe de conception urbaine est retenue (les urbanistes Herzog et De Meuron avec le paysagiste Michel Desvigne). Puis, un travail de définition du projet a été expérimenté sous un principe de « conception partagée » de 2009 à 2011. Pour éviter les cloisonnements thématiques habituels, l'aménageur et ses AMO Développement Durable d'un côté et « sites et sols pollués » de l'autre ont organisé le travaillé en pôles de compétences, travaillant en même temps et en interaction constante: un premier pôle relevant de la programmation et de la concertation, un second pôle technique (VRD, déplacements, énergie) et enfin un pôle urbanisme, paysage et architecture. Les arbitrages se font au niveau de l'aménageur et de son AMO Développement Durable, l'AMO « sites et sols pollués » apportant plutôt un appui technique lié aux fortes contraintes du site. Cette nouvelle organisation de projet traduit une autre manière d'envisager les processus de production de la ville. Le binôme aménageur-concepteur (architecte, urbaniste, paysagiste) devient un trinôme avec la présence d'un bureau d'étude Développement Durable dès la phase de programmation de l'opération. Cette intervention permet de mieux intégrer les problématiques du développement durable et donne des orientations pour le schéma de composition urbaine. Cette nouvelle manière de faire rompt ainsi avec le geste de l'architecte comme dessein du projet, introduisant davantage de technicité et d'ingénierie en amont du projet. Ce qui se passe au niveau du projet urbain peut également se décliner à l'échelle du bâtiment. Béatrice Couturier explique les blocages des premiers îlots de Confluence ayant 60 servi de démonstrateurs via Concerto de cette manière. En France, les métiers du BTP restent très cloisonnés. Or répondre aux impératifs de la performance énergétique demande un travail coopératif en amont avec des choix architecturaux faits en même temps que les choix techniques. Or dans la culture française, les choix architecturaux sont un préalable aux choix techniques. Ce fut certainement un des enseignements majeurs de l'expérience Concerto, après l'accumulation de données techniques. Mais il reste tout un travail à faire pour faire évoluer les cultures et les formations initiales, en particulier de celles de l'architecte. Plus récemment, le Grand Lyon tente un élargissement de sa démarche aux quartiers anciens, comme St Blandine dans la continuité du projet Confluence et aux quartiers « politique de la ville », comme la Duchère. Dès 2008, le travail de concertation avec les habitants sur Confluence montre ainsi la nécessité de se pencher sur ce quartier, afin d'éviter également une rupture entre le quartier nouveau et le quartier ancien (7 000 logements). La petite équipe technique de Concerto (Enertech, ALE, Hespul et le CETHIL10) est mobilisée avec un pilotage de la SPLA. A cette équipe, le Grand Lyon a associé Urbanis, un cabinet d'études spécialisé dans les diagnostics sociologiques et les montages financiers. En juin 2010, la SPLA assistée par Tribu, a retenu deux copropriétés priÎes désireuses de s'engager dans des travaux importants de réhabilitation. A l'heure actuelle, les audits ont été réalisés ainsi qu'un programme de travaux. Le projet peine toutefois à se réaliser pour des raisons essentiellement financières. Enfin, toujours dans la perspective d'infléchir sur les pratiques urbaines, la démarche « quartiers durables » initiée sur Confluence a également été conduite sur le projet de renouvellement urbain de la Duchère. Ce quartier, situé sur l'un des plateaux de Lyon a été construit entre 1957 et 1962, sous la procédure de ZUP (Zone à urbaniser prioritaire). Ce morceau de ville se compose de 5 300 logements avec 80% de logements sociaux. Jusqu'en 1973 le quartier a relativement bien fonctionné mais a commencé à péricliter à partir du milieu des années 1970. Dans les années 1980, il fera l'objet d'une intervention DSQ (Développement Social des Quartiers). Les problèmes se poursuivent. Fin 2002, la SERL, aménageur, mandate Bernard Paris et propose un nouveau projet urbain. Sur cette base, la SERL et le Grand Lyon signent quelques mois plus tard une convention avec l'ANRU portant sur l'ensemble du quartier. Le projet se déroule en 2 phases. La première phase fait l'objet d'interventions classiques sur ce type de tissu urbain (démolition/résidentialisation des barres des grands ensembles, recomposition de la trame viaire et diversification de l'offre en logements permettant de réaliser un parcours résidentiel à l'intérieur du quartier). La phase 2 va connaître un nouvel essor avec l'intervention du bureau d'études Tribu en 2008. Ce dernier procède à un diagnostic du projet selon les mêmes principes que le projet Confluence. Sans remettre en cause le parti d'aménagement initial, les apports de Tribu ont permis de réorienter certains principes du plan d'aménagement (orientation de certains bâtiments, augmentation du taux d'espaces verts dans les espaces publics), d'établir les cahiers des charges pour les bâtiments et les espaces publics. Par ailleurs, le bureau d'études assure une mission de suivi sur la performance des bâtiments en lien avec les promoteurs, l'ADEME et l'ALE. Ce suivi fait l'objet d'une capitalisation pour envisager la reproductibilité 10 Laboratoire de l'INSA de Lyon: centre de thermique http://cethil.insa-lyon.fr/ 61 des cahiers des charges sur d'autres programmes de bâtiments. Aujourd'hui, le développement durable est inscrit dans l'ensemble des actions du Grand Lyon avec des actions concrètes et une tentative d'harmoniser à l'ensemble du territoire certaines politiques sectorielles, notamment sur l'habitat et dans les opérations d'aménagement. On a dépassé la phase « sensibilisation » pour une prise en compte systématique de l'environnement et désormais de la concertation (même si sur ce volet, les marges de progression sont encore possible) dans les modes de production de la ville. L'innovation se fait au gré des projets européens et des projets d'aménagement avec la préoccupation constante de capitaliser les expériences acquises. Ceci explique l'élaboration de plusieurs référentiels ces dernières années afin de diffuser à l'échelle de l'agglomération de nouveaux standards pour la production urbaine locale. 62 ANNEXE II : Chronologie du « développement urbain durable » à Grenoble Grenoble est aujourd'hui généralement considérée comme l'une des villes françaises, pionnières en matière de développement durable. Le quartier de la ZAC de Bonne, lauréat du concours EcoQuartier du Ministère du Développement Durable en 2009 est devenu le « Fribourg » national, une halte obligée des circuits de visite des quartiers durables de France. Derrière cette vitrine, la ville de Grenoble est par ailleurs engagée dans une série d'actions visant à atteindre les objectifs du facteur 4 et à relever les défis de l'atténuation et de l'adaptation de la ville aux changements climatiques. L'agglomération de Grenoble s'est développée aux confins de deux vallées, celle de la Drac et celle de l'Isère, entourée par trois massifs (le Vercors, la Chartreuse et la Belledonne). Cette géographie remarquable engendre un climat un peu atypique, avec une amplitude des plus éleÎes en France. Les hivers sont rigoureux avec des températures relativement basses. En été la ville subit les chaleurs les plus fortes du pays (plusieurs épisodes caniculaires ont été obserÎs ces dernières années). Sa situation géographique explique également les problèmes récurrents de pollution de l'air, en particulier l'été. La ville est également fortement contrainte dans son développement urbain, avec des réserves foncières rares, malgré une pression démographique soutenue depuis plusieurs décennies. Les problématiques du renouvellement urbain et de la densification de la ville couplées avec le souci de l'environnement caractérisent ainsi les opérations d'aménagement les plus récentes de la commune et son retranscrites dans les documents de planification de la ville. Pour autant, cet intérêt pour le développement durable ne date pas de quelques années, mais il prend racine dans la culture urbaine grenobloise initiée à partir du milieu des années 1960. Ce texte analyse la manière dont les acteurs urbains grenoblois ont intégré les préoccupations du développement durable dans leur culture et leurs modes de faire et ainsi ont fait progressivement évoluer leurs pratiques. Il se dégage de cette analyse trois grandes phases : - un développement qui se veut d'abord humaniste de Grenoble sous impulsion d'Hubert Dubedout et repris partiellement par Alain Carignon, inscrivant la participation citoyenne et la recherche de l'innovation au coeur du développement urbain de Grenoble (1965- 1995) - une montée en puissance des questions environnementales et une incubation du développement durable conduite par des élus verts particulièrement actifs (Pierre Kermen notamment) (1995-2008) - vers une institutionnalisation du développement durable dans les affaires municipales. Le développement durable devient partie intégrante de la stratégie de développement et de communication de la ville de Grenoble (3ème mandat de Michel Destot). Au niveau de l'agglomération, d'autres communes sont également très actives, notamment Echirolles. Dans cette agglomération, l'aménagement est resté une compétence communale. Notre recherche s'est focalisée sur les pratiques de la ville de Grenoble avec des références à 63 ce qui se passe au niveau de la communauté d'agglomération. II.1 Le développement humaniste de Grenoble: prémisses du développement durable (1965-1995) En 1965, Hubert Dubedout est élu maire de Grenoble sous l'étiquette socialiste. Cet ingénieur de l'Ecole Navale arrive en politique après plusieurs années passées dans le milieu associatif. Sa priorité pour Grenoble est le développement du logement social et l'amélioration des logements en faveur des plus défavorisés. Grenoble connaît à cette période une croissance importante avec l'implantation d'universités et d'organismes de recherche, notamment autour du nucléaire. En 1965, la ville de Grenoble doit également faire face à un retard dans les équipements publics. La ville doit également se préparer à accueillir les Jeux Olympiques d'hiver de 1968. Le premier mandat d'Hubert Dubedout s'attachera ainsi à construire dans l'urgence des logements et des équipements. Plusieurs quartiers vont naître: le village Olympique, Villeneuve et Hoche. Ces quartiers sont construits selon les principe du fonctionnalisme, abandonnant ainsi la rue au profit d'une spécialisation des voies de circulation. A l'écart de la circulation automobile sont implantés des commerces et services de proximité au milieu d'espaces réserÎs aux piétons et aux Îlos. Ces quartiers veulent également promouvoir une mixité sociale et fonctionnelle (Novarina, 1997). Emergence d'un mode grenoblois de production urbaine: régie et concertation Dans la période durant laquelle Dubedout est maire, la production urbaine est marquée par un centralisme important où les décisions sont prises à Paris et/ou par les représentants de l'Etat ou de son appareil (CDC, SCET). Le niveau local, n'ayant qu'une faible capacité d'études, d'expertise, d'organisation propre et de proposition, bénéficie de marges de manoeuvre très réduites. Pour autant, l'action de Dubedout n'aura cesse de chercher à gagner son autonomie et de faire des projets urbains grenoblois, non pas un objet technique mais un acte politique. « Je souhaite que l'action ne soit plus définie seulement en termes techniques de schémas directeurs d'aménagement et d'urbanisme, de plans d'occupation des sols, de zones d'action concertées, etc. Je crois vraiment que l'action doit être définie en termes politiques, plus précisément à partir de cette politique de la vie quotidienne qui se fonde sur l'accès à l'habitat, sur les équipements collectifs, sur le refus de la ségrégation, sur la démocratie dans la cité comme dans le quartier, sur les relations sociales et sur l'action éducative » (JO, 18 mai 1973, p 1346, Hubert Dubedout) En 1966, l'agence d'urbanisme de Grenoble est créée et Hubert Dubedout n'aura cesse de la solliciter. Le maire va aussi mettre en place des commissions extra-municipales et instaurer une Îritable gestion démocratique de la ville avec des réunions de dialogue permanent avec les habitants. C'est à ce moment que sont créés les « unions de quartiers » qui réunissent les habitants et sont des interlocuteurs directs de la municipalité. Ces unions perdurent encore aujourd'hui. Jusqu'en 1972 l'administration municipale avait été maintenue sur un modèle classique, hiérarchisé, cloisonné et découpé selon les logiques métiers et de secteurs. (le social, les finances, les services techniques, etc.). La SEM départementale11 ou le priÎ étaient priés de concevoir et de réaliser les projets, 11 La SEM départementale, Territoire 38 a été créée en 1957, sous son nom initial la SADI (Société d'Aménagement du Département de l'Isère). Elle a notamment réalisé l'opération de Villeneuve, quartier nouveau sur Grenoble et Echirolles, ainsi que les ZAC de l'agglomération de Grenoble et la zone d'activité de Meylan (périphérie de Grenoble). 64 l'administration les prenait ensuite la gestion des opérations ainsi réalisées. Ce processus va progressivement se transformer par une municipalisation de l'urbanisme et de l'architecture, voulue par le maire. La ville va se doter de services techniques ayant des missions de maîtrise d'ouvrages et de maîtrise d'oeuvre importantes, avec le recrutement de nombreux jeunes professionnels, dans une optique de pluridisciplinarité au cours des années 1970. « Cependant, cette professionnalisation de l'action municipale aurait pu faire craindre une dérive technocratique si elle n'avait été assortie du souci de créer les conditions d'un dialogue permanent avec la population sur le terrain par la mise en place d'un dispositif de concertation à l'échelle du quartier. Cette dernière orientation avait mûri au cours du deuxième mandat, notamment avec l'engagement de la politique « vieux quartiers ». » (Bernard Archer, directeur des services techniques de la ville de Grenoble de 1977 à 1984)12 La rénovation des quartiers anciens initie une nouvelle manière de concevoir le projet urbain. Ce nouveau mode de faire, tourné vers la concertation avec les habitants est d'abord expérimenté sur le quartier Berriat où la municipalité met en place une équipe de mission formée d'agents de la collectivité, de l'agence d'urbanisme, de contractuels et d'une équipe associative du quartier. Au cours de nombreuses réunions publiques, les habitants sont conviés, aux côtés des techniciens de la ville et de certains élus afin de discuter des choix urbanistiques à opérer, tenant compte des contraintes techniques, financières et sociales. L'équipe de mission va ensuite être progressivement intégrée pour devenir un service au sein de l'administration. « Dès 1977, nous pouvions nous organiser selon les fonctions modernes de maîtrise d'ouvrage, de conception, de coordination, d'animation, de maîtrise d'oeuvre, contrôle de concession de la régie foncière, procédures d'aménagement, tout ce que l'on appelle aujourd'hui la maîtrise d'oeuvre urbaine. Un fonctionnement en complémentarité entre services municipaux, société d'économie mixte et association s'est établi. Des tâches de conception et de planification faisaient désormais partie des services et étaient conduites par de jeunes agents recrutés pour leur compétence. Ils contribuèrent à la rénovation dans tous les domaines de l'aménagement urbain. » (Jean-Louis Berthet, directeur de la mission centre-ville à la mairie de Grenoble, 1972-1983).13 La recherche de modes de transports alternatifs à l'automobile, signal de la fin de l'ère Dubebout Lors du premier mandat de Dubedout, de nouvelles routes et autoroutes ont été construites sans aucune politique sur les transports publics et les deux roues. Pour pallier à cette lacune, dès le second mandat une réflexion sur la restructuration des transports en commun va être conduite par une commission extra-municipale, créée expressément en 1973. Dans la foulée, le syndicat intercommunal des transports collectifs (SMTC) est créé, suivie de la SEM 12 In Action municipale, innovation politique et décentralisation [Livre] : les années Dudebout à Grenoble / ouvrage coordonné par Pierre Ducros, Pierre Frappat, François Lalande.. 1998 (p67) 13 In Action municipale, innovation politique et décentralisation [Livre] : les années Dudebout à Grenoble / ouvrage coordonné par Pierre Ducros, Pierre Frappat, François Lalande.. 1998 (p74) 65 d'exploitation du réseau (SEMITAG) en janvier 1975. L'objectif premier des élus grenoblois est de rénover le réseau de bus, avec la création d'un tronc commun des différentes lignes desservant la gare et le centre-ville, avec des couloirs réserÎs. Les réflexions portent également sur des mesures en faveur de la protection des cyclistes (les Grenoblois se déplaçant fortement en Îlo) et sur un nouveau mode de transports téléguidé, (POMA 2000), équivalent d'un métro léger en surface. Les discussions au sein de la commission extra-municipale sont vives, notamment au sujet du POMA 2000, qui se ferait au détriment d'un réseau de tramway. Une association pour le Développement des Transports en Commun, voies cyclables et piétonnes dans l'agglomération grenobloise (ADTC) va se créée en janvier 1974, notamment pour promouvoir l'idée du tramway et rallier les élus municipaux à leur cause. Pendant près de 10 ans, cette association s'est heurtée au maire de Grenoble qui finalement l'a inscrite dans son programme électoral de 1983. Mais Hubert Dubedout n'a pas été réélu. C'est Alain Carignon (RPR) qui lancera un référendum local. 53% des grenoblois vont se prononcer en faveur du tramway et le 5 septembre 1987, la ligne A est inaugurée, suivie en 1990 de la ligne B. Le développement de ces deux premières lignes reste néanmoins confiné à une logique sectorielle de transports, la ville n'étant alors pas équipées en ligne forte de transports en commun. Toutefois la première ligne de tramway va relancer une dynamique avec la requalification de certains espaces publics. Mais la méthode Carignon rompt avec l'interventionnisme municipal. La nouvelle équipe accorde davantage de place au développement économique et à la recherche de partenariat avec le secteur priÎ, notamment avec les grands groupes. Plusieurs SEM voient le jour en particulier au niveau communal pour le développement de l'opération Europole. Initialement, cette opération devait être confiée au secteur priÎ (Compagnie Générale des Eaux) pour l'implantation d'un centre d'affaires, à l'image du CNIT de la Défense. Le projet capote, de nombreux élus étant réticents à confier l'opération au secteur priÎ. Une SEM, SEM Grenoble 2000 sera alors créée avec comme actionnaires principaux la ville, la chambre de commerce et d'industrie et des promoteurs locaux. L'opération va se dérouler selon un plan-masse assez rigide, inspiré de l'urbanisme de dalle (Novarina, 1997). Surtout cette opération se solde par un coût important pour la commune. Par la suite les élus renforceront le contrôle des opérations en régime de concession et maintiendront, en parallèle la maîtrise en régie de certains projets. Cette particularité grenobloise est à souligner, car elle explique le haut niveau de compétences des techniciens de l'aménagement de la ville de Grenoble, qui font faire en même temps qu'ils font. La seconde ligne relie les centres universitaires et dessert ainsi les quartiers sud de la ville. Parallèlement, la ville crée la ZAC Vigny-Musset, nouveau quartier au sud de la ville à proximité du quartier de la Villeneuve et du village Olympique. Cette opération est confiée à la SEM SAGES (SEM municipale). De grande ampleur (2200 logements, 400 logements étudiants, 120 logements pour personnes âgées), elle débute selon un schéma classique de l'aménagement avec un plan-masse dessiné par un architecte en chef (Aktis architecture) qui laisse néanmoins une part importante aux espaces verts. Cette ZAC connaîtra un tournant dans ses objectifs avec la nouvelle équipe municipale, élue en 1995. Le second mandat d'Alain Carignon est surtout marqué par une montée en puissance de l'opposition locale critiquant sans cesse les politiques menées par la droite et leur gestion 66 désastreuse des affaires municipales. En particulier, le chef de file des élus verts, Raymond Avrillier va dénoncer le système de privatisation de la gestion de l'eau: les usagers payant un service de moindre qualité à un tarif éleÎ. D'ailleurs, Alain Carignon sera mis en examen dès 1994 pour abus de biens sociaux, usage de faux et corruption. Il est condamné en 1996. Cet épisode marque la fin d'Alain Carignon aux affaires municipales grenobloises II.2 La montée en puissance des questions du développement durable à leur imprégnation dans les affaires municipales (1995-2008) En 1995, c'est une nouvelle équipe municipale de gauche qui arrive au pouvoir. Michel Destot, étiquette PS, devient maire en s'alliant avec le parti écologique. Seront élus parmi les écologistes, Raymond Avrillier (2nd adjoint de la ville au logement et 3ème vice-président de l'agglomération sur l'assainissement et les eaux pluviales) et Pierre Kermen (conseiller à la ville sur les questions européennes). Le début de ce mandat est consacré à l'apurement des comptes de la commune, la dette ayant doublé entre 1982 et 1995 (Steinnmann, 1997). Mais la première coalition PS-écologistes sera marquée par de nombreux conflits, en particulier sur la remunicipalisation de la gestion de l'eau et la mise en place d'un agenda 21 local. Le premier tour des élections municipales de 2001 font la part belle aux écologistes (20% des voix). Le maire sortant (30%) fait ainsi alliance avec eux pour asseoir une large majorité au conseil municipal. Le chef de file des Verts, Pierre Kermen, est alors en position de force et négocie plusieurs portefeuilles stratégiques. Il devient le 1er adjoint à la ville, en charge de l'urbanisme et de l'environnement. La fusion de ces deux domaines illustre la vision écologique et urbaine qu'ont les élus du développement urbain grenoblois (Emelianoff, Stegassy, 2010). Ce portefeuille unique, dans les mains d'un seul élu, également président de la SEM Sages (aménageur local), personne de surcroît très active, va ainsi révolutionner la manière de faire la ville à Grenoble. La politique du développement durable, esquissée au cours du premier mandat va connaître un essor important au cours du second mandat, plébiscitée ainsi par les Grenoblois. Plusieurs chantiers seront ouverts, permettant d'assurer à la ville, sa transition vers une ville plus durable. Durant ces années (2001-2008), de nombreux projets démarrent donc, l'équipe municipale saisissant les différentes opportunités qui se présentent à elle pour faire de Grenoble , la première ville française durable. Tous ces chantiers ne sont pas encore clos, mais ils ont permis de renouveler l'image de Grenoble, de l'inscrire dans une dynamique de collectivité innovante, dynamique sur laquelle, Michel Destot surfe encore pour son troisième mandat. Nous retraçons ici, l'ensemble des chantiers ouverts avec une réelle difficulté de les hiérarchiser, tant la collectivité a agi tout azimut, avec des objectifs communs: réduire les consommations d'énergie et les émissions de gaz à effet de serre. Un premier objectif rassembleur: réduire les consommations d'énergie et les émissions de gaz à effet de serre Michel Destot est docteur en physique nucléaire et a travaillé au commissariat à l'énergie atomique. Il a ainsi une sensibilité sur les questions énergétiques. Cette sensibilité fait notamment écho aux convictions écologistes. Au cours de son premier mandat, plusieurs mesures seront ainsi prises. En 1998, l'Agence Locale de l'Energie de l'agglomération de Grenoble est créée, en partie 67 grâce à des fonds européens14. Dans la foulée, un diagnostic sur les consommations d'énergie et les émissions de gaz à effet de serre est lancé à l'échelle de l'agglomération. Les résultats seront publiés en 2001: « Le diagnostic sur les émissions de CO2 de l'agglomération montre que le secteur industriel est le plus gros émetteur (40%) en raison du pôle chimique de Pont-de- Claix. Viennent ensuite les transports (29%), le résidentiel (19%) et le tertiaire (12%). Les émissions de CO2 sont estimées à 6,5 tonnes par habitant, ce qui correspond à la moyenne française. Les énergies renouvelables représentent 7,9% de la consommation énergétique finale, grâce à l'hydroélectricité. Mais les scénarios d'évolution des émissions sont pessimistes. »15 Concernant les transports, l'effort porte sur le développement de deux nouvelles lignes de tramway, qui permettrait de désengorger le centre-ville et surtout de donner une impulsion sur deux nouveaux axes. Selon Pierre Kermen, le transport constitue à Grenoble la pierre fondatrice du développement durable. « Pour moi, le développement durable à Grenoble, pour aller vite et de façon carrée, ce sont les transports publics, le tramway »16. Les études s'engagent ainsi dès la fin des années 1990, bien avant le diagnostic énergétique. La manière dont on approche ces deux nouvelles lignes rompt avec la vision exclusivement « transporteur » des deux premières lignes. En effet, pour les lignes C et D, s'esquisse une approche intégrée. On profite de ce projet de transport pour en faire un des outils de la politique urbaine. Ce n'est qu'au cours du second mandat de Michel Destot que les actions envers le développement durable vont se démultiplier. Suite à la publication du diagnostic énergétique, la ville de Grenoble va lancer une étude de thermographie sur les bâtiments de la ville. A l'échelle de l'agglomération, l'ALE pilote une étude pour l'élaboration d'un Plan Climat. L'agglomération intègre également le réseau « Energie Cités17 » et accueille les 4èmes assises nationales de l'énergie. Depuis cette conférence se tient tous les 2 ans à Grenoble. Le Plan Climat La question énergétique couplée à celle du changement climatique va dépasser le cadre de la ville. Au niveau de l'agglomération, Grenoble Alpes Métropole sera la première à adopter un plan climat en 2005. Son élaboration aura mobilisé de nombreux services de la ville, des communes voisines, de l'agglomération sous le pilotage de l'ALE. Ce premier plan rallie 50 partenaires (communes, bailleurs sociaux, entreprises, associations, universités, fournisseurs d'énergie) avec comme objectif une stabilisation des émissions de gaz à effet de serre. Toutefois, une seconde charte va être élaborée et sera adoptée en 2009 autour des objectifs suivants, beaucoup plus ambitieux : - 9% des consommations d'énergie en interne pour chaque partenaire 14 Programme IEE, Energie Intelligente. Ce programme vise à promouvoir le développement et l'usage des énergies renouvelables, en mettant particulièrement l'accent dans le domaine des transports et aide à la création d'agence locale de l'énergie. http://ec.europa.eu/energy/intelligent/ 15 EMELIANOFF C., STEGASSY R., 2010, p 132 16 Entretien réalisé par Stéphane SADOUX et Pierre BELLI-RIZ, février 2011 17 Créée en 1990, cette association vise à mettre en réseau les collectivités locales européennes (près de 200 membres répartis dans 26 pays) et à les appuyer pour l'élaboration de politiques locales d'économies d'énergie et de développement d'énergies renouvelables en milieu urbain. Bien que le siège de l'association soit à Besançon, celle-ci dispose d'un bureau à Bruxelles et fait du lobbying auprès de la Commission Européenne pour défendre le rôle des villes en matière de politique énergétique et climatique. 68 - A l'horizon 2014 et par rapport à 2005: -14% émissions de GES -14% de consommations d'énergie par habitant et atteindre 14% de production d'ENR par rapport à la consommation totale Le programme d'actions est évalué chaque année et un observatoire des consommations énergétiques et des émissions de GES a été mis en place. Les résultats pour la période 2004- 2009 sont en deçà des objectifs et marqués par des hivers moins rigoureux que d'habitude, ainsi que par la délocalisation de certaines industries. Toutefois la démarche séduit. La liste des partenaires est évolutive et regroupe aujourd'hui 70 partenaires, engagés pour la seconde période du plan 2009-2014. Surtout, l'élaboration de ce plan climat illustre la nécessité d'agir à cette échelle et de dépasser les clivages municipaux, bien que ceux-ci restent très actifs, renforçant de fait, la compétition entre les villes autour de l'affichage « ville durable ». Ce contexte est d'ailleurs, favorable pour engager une série d'actions, en particulier dans le domaine de la planification et de l'habitat. Du POS à l'« éco-PLU » : la promotion d'un habitat plus durable Un des chantiers les plus importants auquel va s'attaquer Pierre Kermen après son élection en 2001 est la révision du Plan d'Occupation du Sol de Grenoble et son passage en Plan Local de l'Urbanisme. Ce changement intervient au même moment que les études sur le plan climat et des études pour l'élaboration d'un Plan de Déplacements Urbains. Pour Pierre Kermen, il est plus que nécessaire de coordonner l'ensemble des documents de planification. Dans son discours d'inauguration de l'exposition « Plan Local d'Urbanisme de la ville de Grenoble » le 11 mars 2005, il présente ainsi sa vision de l'urbanisme à Grenoble: Le PLU est le résultat d'une volonté forte de comprendre, de débattre pour préparer collectivement une ville rassemblée, solidaire, écologique, ouverte18. L'accent est ainsi mis sur la préservation des espaces verts, de la ressource en eau, sur la nécessité de mixité sociale (garantir un minimum de 30% de logements sociaux dans les opérations maîtrisées par la ville), de promouvoir le renouvellement urbain et la recherche d'une certaine densité et enfin de maintenir la tradition en matière de concertation et d'association avec la population pour le devenir de la ville. Le PLU est également l'occasion de procéder à un rééquilibrage des logements sociaux dans la ville avec des objectifs sectorisés selon les quartiers de la ville. Ainsi, près de Villeneuve l'un des quartiers sociaux de Grenoble, les objectifs de production de logements sociaux sont très faibles, alors que dans le secteur de la ZAC de Bonne, ils atteignent 40%. La question énergétique dans les bâtiments est difficilement abordable à travers un PLU, car elle concerne le code de la construction, et non celui de l'urbanisme. Pourtant, la ville de Grenoble a « rusé » pour adjoindre à son PLU dès 2006, un guide de la qualité environnementale dans l'architecture et l'urbanisme. Ce guide fait écho à l'opération d'amélioration thermique sur les grands boulevards19 et à l'initiative Concerto. Une seconde édition sera publiée en 2010 tenant compte de l'expérience des opérations d'aménagement durable. Ce guide concerne trois champs d'intervention sur le cadre de vie : les aménagements, les bâtiments neufs et les constructions à réhabiliter. Pour chaque champ d'intervention, ont été dressés des objectifs prioritaires et des préconisations, adaptés au 18 19 Extraits de son discours: http://www.ades-grenoble.org/spip.php?article542 Voir sous-chapitre suivant 69 territoire grenoblois. Ce guide se veut pédagogique, expliquant ainsi les raisons de ces objectifs et des préconisations. Il devient également un support de négociation. En effet, pour qu'un promoteur puisse construire sur Grenoble, il doit rencontrer les services techniques de la ville et prendre connaissance des préconisations et recommandations délivrées par le guide. S'instaure ensuite un échange entre les services techniques et le promoteur durant la phase de conception du projet allant chaque 5 réunions de travail sur le projet, préalables au dépôt de permis de construire. Ce fut une manière pour la ville de Grenoble d'imposer des règles de construction plus drastiques que celles du code de la construction en vigueur sur l'ensemble du territoire et pas uniquement dans les opérations d'aménagement. Ce processus fut plutôt bien accueilli par le milieu professionnel. Il prévoit un accompagnement, même a minima, des services de la ville et incite les promoteurs à anticiper sur les réglementations futures. Mais un tel guide n'aurait pas vu le jour sans la détermination d'un élu, Pierre Kermen et d'une équipe qui se formait au contact des opérations d'aménagement. Par ailleurs, l'agglomération de Grenoble et en particulier la ville bénéficient d'une forte attractivité résidentielle, attirant de fait les promoteurs et les investisseurs. Les prix de l'immobilier sont suffisamment hauts pour pouvoir absorber une partie du surcoût lié à l'innovation technique induite par la construction à haute qualité environnementale. Dans ce contexte de marché tendu, il est plus aisé pour la commune d'imposer ses exigences : les constructeurs qui ne veulent pas suivre les directives sont priés d'envisager d'autres marchés que le marché grenoblois our développer leurs activités. En effet, les documents de planification et les documents-cadre de l'action publique ont permis de donner une direction unique pour le développement urbain de la ville. Toutefois, l'expérimentation et l'apprentissage se font essentiellement au sein des opérations et on observe une graduation dans les exigences et dans la complexité au fur et à mesure des projets d'aménagement. De l'OPATB20 à la généralisation des quartiers durables En effet, en 2002, l'étude de thermographie sur la ville de Grenoble montre la nécessité de travailler sur les logements construits entre 1945 et 1975. Ces immeubles ne répondaient alors à aucune réglementation thermique et bon nombre d'entre eux réÏlent ainsi des qualités énergétiques médiocres. Les grands boulevards vont faire l'objet d'un traitement particulier, à l'occasion des travaux engendrés par la ligne C du tramway. La ville de Grenoble répond en 2002 à un appel à projet de l'ADEME, de l'ANAH et de leurs tutelles respectives (le Ministère de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement et le secrétariat au Logement). Ce dispositif est une innovation en soi, car il suppose un travail en partenariat au niveau national. Il s'appuie sur le dispositif éprouÎ de l'Anah (la collectivité définit le périmètre éligible ainsi que les objectifs, en concertation avec l'Anah et l'Ademe). Les propriétaires bénéficient d'aides majorées par rapport à ce que verse l'Anah habituellement et l'Ademe cofinance les études préalables et opérationnelles tout en apportant son soutien technique et financier aux campagnes de communication et aux programmes de formation. C'est ainsi que la ville de Grenoble a pris en charge les études opérationnelles sur les bâtiments ciblés et a accompagné les propriétaires sur les bouquets 20 L'Opération Publique d'Amélioration énergétique et Thermique des Bâtiments (OPATB) 70 de travaux à réaliser pour répondre aux objectifs de l'OPATB. Ceci a permis d'expérimenter la rénovation énergétique et d'alimenter le guide sur la qualité environnementale annexé au PLU. L'initiativeConcerto En 2003, la Commission Européenne lance un appel à projet dans le cadre du 7ème programme cadre de la recherche et de développement (PCRD) nommé l'initiative Concerto. Cette initiative vise à promouvoir la performance énergétique des nouveaux bâtiments (habitat, tertiaire) et le développement d'énergies renouvelables. L'appel à projets Concerto va être l'occasion de changer de perspective: par rapport aux projets européens précédents, il ne s'agit plus de travailler sur un objet défini mais sur un territoire et de développer des synergies entre des acteurs (acteurs du développement urbain, acteurs politiques, acteurs du système de l'énergie). Or l'OPAC 38 ne travaille que sur des objets. La rencontre de Michel Gibert avec Pierre Kermen sera donc déterminante pour la suite de ce projet et pour l'acculturation du milieu grenoblois au développement durable. La manière dont la ville de Grenoble a organisé sa réponse à l'appel à projets européen Concerto illustre parfaitement le milieu local des acteurs de l'urbain. En un temps record (2 mois), le projet SESAC a été monté avec une réponse coordonnée par l'OPAC 38 (Michel Gibert, directeur du développement durable) et la ville de Grenoble (Pierre Kermen, pilote). Très vite une équipe restreinte s'est regroupée autour de Pierre Kermen21. Ce tandem fait appel à Patrick Martin, directeur de Terre-Eco et de Betrec. Betrec est un bureau d'étude grenoblois spécialisé sur le calcul de structures en bâtiment, en particulier structure béton. Au début des années 2000, son directeur va fonder une filiale, Terre-Eco, travaillant d'abord sur la haute qualité environnementale dans les bâtiments et sur l'approche environnementale de l'urbanisme. Enfin, pour compléter l'équipe, il est fait appel à Olivier Sidler d'Enertech, l'un des grands spécialistes de la question énergétique, que l'on retrouvera également dans les équipes lyonnaises. Quelques mois plus tard, les techniciens de la ville (en particulier Perrine Flouret et Laurent Gaillard) et les membres de l'ALEC (notamment Jérôme Buffière) viendront compléter cette petite équipe autour du projet Concerto. Le projet Concerto a également permis de financer le suivi et l'évaluation du projet. Ce « work package » (WP 21) était suffisamment vague dans son intitulé pour que l'équipe projet grenobloise s'en empare et mette en place un système inédit de suivis techniques des différentes équipes bâtiments intervenant sur la ZAC de Bonne mais également dans d'autres secteurs de la ville. Deux types d'évaluation ont été réalisés: un suivi en temps réel des consommations d'énergie et des températures d'ambiance dans 44 logements de la ZAC de Bonne par Olivier Sidler (Enertech) et un releÎ régulier des consommations d'énergie dans les autres secteurs par l'ALEC. Ce suivi montre une baisse des consommations lorsqu'il associé à des réunions d'information sur l'énergie. Surtout des sessions de formation des ouvriers du bâtiment ont été conduites pour sensibiliser ces personnes aux enjeux environnementaux et leur expliquer de nouvelles techniques (pose de l'isolation par l'extérieur, perçage des prises électriques pour éviter la rupture thermique, etc.). « L'idée, c'était d'être un assistant tout au long des phases du projet aux différents acteurs en lien avec la construction. Le fil rouge, c'est d'éviter les ruptures 21 Voir si on développe cette histoire ici ou à l'encart sur Concerto. 71 d'appropriation qu'on peut voir régulièrement dans le cadre du bâtiment. » (entretien Jérôme Buffière, 24 mai 2011). » Expérimentations sur les ZAC en cours Vigny-Musset (SEM SAGES) et Teisseire (ville de Grenoble) Les ZAC de Vigny-Musset et de Teisseire ont démarré à la fin des années 1990, sous un schéma traditionnel de production de la ville. Un marché de définition est lancé pour recruter un architecte en chef et définir les orientations du projet. Puis l'opération passe en phase pré-opérationnelle., Vigny-Musset est confiée à la SEM SAGES, la ville de Grenoble gardant le projet Teisseire, renouvellement urbain assez complexe, en régie. Ce n'est qu'à partir du début des années 2000 que des exigences sur les performances énergétiques des logements neufs vont être émises. En particulier sur la ZAC Vigny-Musset, la SEM va expérimenter l'isolation par l'extérieur et le solaire thermique. Cette opération a également permis de tester les formes urbaines compactes (forme urbaine déjà présente au début de l'opération), le tri des déchets de chantiers et surtout d'avoir un recul sur les modes d'habiter et le livret de l'utilisateur (pour les logements livrés après 2005). L'opération Vigny-Musset marque ainsi une première étape dans la promotion d'un habitat plus durable. La SEM, guidée par la ville, a dû négocier point par point avec les promoteurs pour imposer plutôt des moyens (double vitrage lame d'argon, isolation par l'extérieur, etc.) que des objectifs. En effet, les promoteurs étaient assez réticents et avaient besoin d'être sensibilisés et d'être accompagnés (entretien avec Patrick Le Bihan, directeur-adjoint de la SEM SAGES, 9 mai 2011). Sur l'opération Teisseire, l'un des bailleurs sociaux ACTIS, a conduit des réhabilitations de logements en privilégiant l'isolation par l'extérieur et en recherchant une Îgétalisation maximum des logements (rôle des balcons et des loggias pour le confort d'été). L'opérateur a également installé des panneaux solaires en toiture pour la fourniture d'eau chaude sanitaire. Une attention toute particulière a également été conférée à la dépollution du site (une partie du projet se situe sur une usine désaffectée Schneider) et à la gestion des eaux de pluie. Le parc Ouagadougou joue ainsi un rôle central dans cette gestion des eaux. La ZAC de Bonne: la vitrine grenobloise L'opération ZAC de Bonne démarre en 2001 avec le lancement du marché de définition. A cette période il n'est pas encore question d'EcoQuartier, même si, sur la base des expérimentations conduites dans les opérations précédentes, la ville entend poursuivre sa quête vers un urbanisme plus durable. La ville impose à Christian Devillers (architecte en chef de la ZAC) de se faire assister d'un prestataire en Haute Qualité Environnementale (HQE®) pour renforcer la composante environnementale du quartier. Ce n'est vraiment qu'à partir de novembre 2003 que cette opération va connaître une accélération avec son inscription au projet SESAC (programme Concerto). Dès lors, les logements construits dans ce quartier devront répondre à des objectifs de performances énergétiques Patrick Martin de Terre-Eco, également AMO HQE® de la Ville de Grenoble, rédige les cahiers de recommandations en matière de qualité environnementale et accessibilité, reprenant les éléments présents dans la réponse à l'appel à projets Concerto. La ZAC est créée en 2004 et les consultations avec les promoteurs suivent rapidement. Ceux- 72 ci doivent intégrer les exigences du programme Concerto dans leur projet. Cette intégration ne se fait pas sans peine. L'aménageur doit convaincre et négocier. En effet, les prix de construction affichent une plus-value que les promoteurs ne pourront pas reporter intégralement sur les prix de vente, d'autant plus que la ville souhaite développer une mixité sociale avec 40% des logements sociaux mais aussi des logements à coûts abordables. L'aménageur va alors réaliser une moins-value foncière, la ville devait participer à hauteur de 6 M pour couvrir le déficit initial. Les fonds européens accordés suite à l'initiative Concerto vont directement aux promoteurs et aux bailleurs pour couvrir les surcoûts de construction. L'enjeu est de taille car la ZAC de Bonne doit démontrer que construire plus durable est possible. Toutefois, profitant de la bulle immobilière, l'opération se clôture avec un léger bénéfice, et ce, sans la compensation de la ville. Le pari est donc tenu. En 2009, le projet reçoit le Grand Prix du concours EcoQuartier du Ministère du développement durable et devient ainsi le « Fribourg » national. Les retombées en terme d'images pour Grenoble et la SEM SAGES sont importantes. D'une part la durabilité de la ville est reconnue. Le nombre de délégations professionnelles voulant visiter la ville a sérieusement augmenté, au point que le service urbanisme de la Grenoble a confié à l'office du tourisme la visite de la ZAC de Bonne. D'autre part, la SEM SAGES a acquis un certain savoir-faire, de même que les promoteurs engagés sur l'opération. En particulier pour ces derniers, l'opération de Bonne leur a permis d'anticiper sur les normes de construction 2012 et de bénéficier d'une assistance technique financée par l'opération (en fait intégrée dans le co-financement européen des surcoûts). Ils ont ainsi découvert la filière des panneaux solaires, les caractéristiques techniques de l'isolation par l'extérieur (désormais un standard à Grenoble) ou encore la gestion des déchets de chantier. Mais il faut rester prudent sur l'image innovante et « développement durable » que veulent se donner les promoteurs comme relativise Patrick Le Bihan. « Il n'y en a pas cinquante de promoteurs à Grenoble. Donc, de fait, petit à petit, on a acquis un langage commun. Tout au moins, je me flatte de le penser. Parce que je sais qu'en même temps, tel promoteur qui joue les vertueux sur Grenoble, Echirolles, St Martin d'Hères, peut-être qu'il va construire ailleurs comme on construisait il y a cinquante ans. » (entretien du 9 mai 2011). L'aménageur a ainsi accompagné les promoteurs tout au long de leur processus. En phase conception, ils étaient assistés par les AMO de la SEM SAGES, en particulier d'Enertech qui Îrifiait et instruisait les solutions techniques mises en oeuvre pour garantir les objectifs de performance énergétique. En phase chantier, l'Agence Locale de l'Energie (ALEC) a mis en place une série de formations. « La ZAC de Bonne a été un phare qui a permis de rassembler beaucoup de monde. En particulier les organismes de formation qui ont compris que quelque chose se passait et qu'il ne fallait pas passer à côté. »(entretien Jérôme Buffière, 24mai 2011 ) De même Enertech a suivi de près la réalisation des bâtiments, secondé par l'aménageur. Au niveau de la conception des bâtiments, les objectifs ont été remplis. L'évaluation des consommations d'énergie montre néanmoins un résultat mitigé: des erreurs sur la réalisation en phase chantier ont été faites et surtout on observe des différences de comportements chez les résidents se soldant, pour certains, par des écarts importants de 73 consommation d'énergie entre le prévisionnel et le réel. « Malgré les formations réalisées, il y a eu des malfaçons en phase réalisation des bâtiments et on ne pensait pas que ces malfaçons, a priori mineures, allaient autant impactées le bilan de Bonne. » (entretien Jérôme Buffière, 24 mai 2011). Cette réalité interroge le processus de production actuel de la ville. L'aménageur s'est ainsi entouré d'experts inédits jusqu'alors, mais désormais il faudrait se focaliser davantage sur l'accompagnement des équipes de maîtrise d'oeuvre des promoteurs et sur le suivi des entreprises en phase chantier. Mais globalement, la réussite de la ZAC de Bonne est ainsi en partie dû à la détermination d'un élu , Pierre Kermen. « Avoir un élu qui est à la direction de l'urbanisme et président de la SEM nous garantit que nos exigences de qualité environnementale, architecturale et urbaine que l'on fige dans le dossier de création de la ZAC et les cahiers de préconisations vont bien être suivies par la SEM. » (Entretien avec Perrine Flouret, Ville de Grenoble, 24 mai 2011). Cette détermination a ainsi permis à l'équipe opérationnelle de se structurer autour de la SEM et d'imposer ses objectifs. la ZAC Bouchayet-Viallet (SEM Innovia) et la ZAC Blanche-Monier (Ville de Grenoble) Les opérations lancées après la ZAC de Bonne reprennent, voire augmentent les exigences de la ZAC de Bonne. Les équipes sont sensiblement les mêmes: la SEM Innovia (même équipe que la SEM SAGES) pour Bouchayet Viallet créée en 2004, le service de prospective urbaine, assisté de Tekhné pour la ZAC Blanche-Monier, créée en 2007. Les concepteurs de ces opérations ont tirés certaines leçons de l'opération de Bonne, en particulier pour Blanche-Monier. L'orientation bioclimatique des bâtiments fut testée mais non retenue pour ne pas rompre avec la trame urbaine des quartiers voisins. Mais, la ville est allée encore plus loin en ce qui concerne la gestion des eaux pluviales (traitement de l'ensemble des eaux pluviales à la parcelle) et a réussi à imposer l'obtention du label BBC à coûts maîtrisés, à toutes les opérations de logements (exigences énergétiques supérieures à celles du programme Concerto, et réalisation des tests qui vont de pair),sans pour au tant accompagner ces exigences d'une subvention complémentaire. Ces ZAC ne font pas l'objet d'innovations techniques remarquables à l'instar de la ZAC de Bonne. Toutefois pour les porteurs de projets et certains de leurs prestataires, ils participent à l'assimilation et à la consolidation des pratiques et des méthodes initiées précédemment. Pour d'autres intervenants, notamment d'autres promoteurs et leurs équipes dédiées, ils sont un lieu d'apprentissage. On retiendra également de Grenoble, un contexte de marché immobilier favorable à l'expérimentation, surtout au moment de la commercialisation de la ZAC de Bonne. « C'était un quartier de plein centre-ville, un terrain de cet importance au centre- ville il n'y en a pas beaucoup. Donc on savait fatalement que ça allait être un programme attractif. Après derrière les contraintes techniques, le développement durable en est une, on la prend telle qu'elle. [...] sachant qu'on est dans un secteur centre-ville qui permet quand même un prix un peu... Voilà! On aurait proposé la même chose dans les quartiers sud de Grenoble avec les mêmes impositions, où là 74 en prix de vente on est un peu taquet, ça mérite une deuxième réflexion. Là centre- ville, on y est allés sans se poser trop de questions sur le prix en disant "voilà, on a un contexte économique qui permet de se lâcher un petit peu sur le prix de revient". (entretien Michel Blanc, 9 mai 2011)22. La dimension économique des projets et du marché immobilier n'est ainsi pas négligeable et illustre les marges de manoeuvre dont bénéficient la chaîne d'acteurs en particulier les promoteurs. Ils peuvent vendre un peu plus cher que sur d'autres agglomérations et peuvent réduire leur marge au profit d'un coût de construction plus éleÎ. Un réseau d'acteurs locaux en étroite collaboration L'analyse des différents acteurs intervenants dans les opérations d'aménagement et les opérations de construction sur Grenoble montre un milieu assez fermé. « On travaille toujours avec les mêmes! » (entretien avec Patrick Le Bihan, mai 2011). Ceci permet de favoriser la capitalisation et est l'un des facteurs qui explique pourquoi la diffusion des exigences du développement durable s'est faite aussi vite et aussi bien. Le jeu de la concurrence dans l'immobilier du neuf et la pression foncière sur Grenoble sont un second facteur favorable à la diffusion de telles contraintes. En effet, le promoteur qui n'observe pas les niveaux d'exigence de la ville ou de l'aménageur peut être exclu des projets futurs ou se voir refuser une autorisation à construire. L'agglomération de Grenoble concentre également un tissu d'experts et de personnes sensibilisées au développement durable important. L'OPAC 38, bailleur social du département, est l'un des précurseurs du développement durable, vu d'abord sous l'angle énergétique, de la région grenobloise. Ainsi dès 1995, une mission « développement durable et Europe » fut créée au sein de l'OPAC pour veiller aux appels à projets européens (et récolter des fonds pour financer des projets innovants en matière d'énergies) et pour diffuser la pratique du développement durable. Michel Gibert prend la direction de cette mission et ébauche la stratégie énergétique et environnementale de la société. Progressivement Michel Gibert se constitue un réseau européen, notamment à travers les projets européens dans lesquels l'OPAC est impliqué. La volonté politique et technique est ainsi de constituer, à Grenoble, un réseau d'acteurs couvrant l'ensemble de la chaîne de productions du bâtiment qui est formé a minima sur les performances énergétiques et plus globalement sur la prise en compte de l'environnement dans l'urbain. Cela se traduit par une autre manière d'appréhender le projet de bâtiment avec un travail d'équipe plus intégré et plus complexe. « Alors nous la façon dont on travaille ici à l'agence, c'est très transverse, les réunions de montage d'opération, on travaille rarement à deux (architecte et maître d'ouvrage). Les réunions, elles sont avec le BE, l'architecte, le contrôleur technique, l'AMO HQE s'il y en a un, le paysagiste... Enfin voilà! Dans ces réunions on n'est jamais deux, on est souvent huit à dix autour de la table. Je pense que c'est vraiment un management de projet, l'architecte ne travaille pas seul dans son coin en faisant à la fin valider la solution par le BE fluides. C'est vraiment un travail 22 Le service prospective de la ville de Grenoble indique, qu'à cette période, entre 2009 et 2010, on estimait le surcoût de la construction BBC par rapport à la construction classique autour de 113/m², c'est-à-dire moins de 10%. 75 d'équipe. » (entretien Michel Blanc, directeur de Bouygues-Immobilier, agence de Meylan, mai 2011). La période 2001-2008 montre ainsi des innovations locales dans plusieurs domaines portées par un groupe d'acteurs, au départ assez restreint mais qui progressivement s'est élargi. Pour autant, cette période d'émulations se traduit aussi par de vifs débats au sein de la majorité politique. Pierre Kermen n'aura eu cesse de faire bouger les lignes, au détriment de l'alliance PS-les Verts. Lors des élections municipales de 2008, le PS opte ainsi pour un rassemblement avec le centre, abandonnant son alliance avec les Verts. 76 II.3 Consolidation des innovations précédentes: surfer sur la vague du développement durable (2008- ...) En mars 2008, de nouvelles élections municipales ont lieu. Aucun accord d'alliance n'aboutit entre le PS et le parti écologique. Le second tour donnera lieu à une triangulaire où le maire sortant, Michel Destot est réélu avec 48% des voix, issues notamment d'une alliance avec les centristes. Les Verts entrent ainsi dans l'opposition et Pierre Kermen disparaît du paysage politique local. Ce désaccord ne remet pas en cause les politiques conduites en matière de développement durable lors des mandats précédents. D'ailleurs, il s'agit de poursuivre ces actions et de communiquer davantage sur les actions engagées et leurs résultats. On note ainsi la déclinaison sur la ville de Grenoble du Plan Climat avec « Grenoble Facteur 4 ». Ce plan, avec un programme plus ambitieux, diviser par 4 les émissions de GES d'ici 2050 a été adopté en septembre 2008. Ce programme d'actions repose sur 4 piliers: le développement d'écoquartiers, les transports (avec la réalisation envisagée d'une 5ème ligne de tramway), les bâtiments (poursuite de l'incitation des travaux d'isolation des bâtiments construits en 1945 et 1975 et extension aux bâtiments construits avant 1920) et l'énergie (accroître l'utilisation des énergies renouvelables). Ce programme d'actions vise à structurer les actions lancées lors des deux mandats précédents et à donner à Grenoble une image de cité innovante en matière de développement durable. Les actions en faveur du bâtiment et de la recherche d'un optimum énergétique se poursuivent avec plusieurs incitations envers les copropriétaires publics et priÎs sur des immeubles ciblés. La ville de Grenoble conçoit alors un dispositif nommé « mur-mur » afin d'aider les copropriétaires à réaliser leurs travaux d'amélioration thermique. Afin d'appliquer ce dispositif à l'ensemble de la l'agglomération, il est transféré à la Métro. Il vise les immeubles construits entre 1945 et 1975 en dehors de toute réglementation thermique. La communauté d'agglomération en partenariat avec les communes, l'ADEME et les fournisseurs d'énergie, propose de co-financer les travaux de rénovation, allant de travaux d'isolation des murs à une isolation complète (murs, toiture, planchers) avec changement des menuiseries et du système de ventilation. Les copropriétés s'engageant dans un tel dispositif bénéficient également d'un soutien technique de la Métro et l'ALEC. Le succès est au rendez-vous avec 5 400 logements engagés dans la démarche en mars 2011. La ville de Grenoble va plus loin en éditant un guide concernant les possibilités techniques et architecturales pour l'amélioration thermique des immeubles construits avant 1920. De nouveaux projets d'aménagement sont lancés avec l'opération phare « Presqu'île » confiée à la SEM Innovia en 2009. L'aménagement de ce site de 250 ha, situé en entrée de ville, se décline en plusieurs projets opérationnels. Il s'agit d'une part de rattacher ce territoire, marqué notamment par une occupation universitaire lié au nucléaire (présence du synchrotron) au reste de la ville, d'autre part de tester un nouveau modèle de développement urbain durable, capitalisant les expériences précédentes sur le bâtiment et cherchant à innover autour de la mobilité. Ce territoire se veut démonstrateur et est un des éléments principaux du projet « Eco-Cité » dont certaines actions sont financées par le programme d'investissements d'avenir (Caisse des Dépôts). Ce vaste projet pourrait durer des dizaines d'années. Enfin, la ville de Grenoble poursuit son implication dans les réseaux européens. Lors du mandat précédent, la direction de l'urbanisme avait été initiée à la gestion d'un projet 77 européen (à travers le pilotage au niveau local du projet Concerto-Sesac). Un effort important avait alors été fait à ce moment pour comprendre les mécanismes, notamment administratifs et financiers, des projets européens. La ville de Grenoble valorise cet apprentissage en répondant à de nouveaux appels à projets européens comme smart cities. L'innovation et l'apprentissage à Grenoble se font ainsi au gré des projets, qu'ils soient européens ou consacrés à une opération d'aménagement. La capitalisation des connaissances apprises dans ces moments ne passe pas à travers des documents-cadre comme cela peut se faire dans l'agglomération lyonnaise. Le milieu grenoblois des acteurs de l'aménagement reste très fermé avec une diffusion des nouveaux processus et des nouvelles pratiques qui se fait ainsi au sein du groupe ainsi constitué. Ceci peut également s'expliquer par le fait que l'aménagement est encore une compétence communale. Il n'est pas donc pas nécessaire de fabriquer une culture urbaine unique à l'échelle communautaire comme on peut le constater sur l'agglomération lyonnaise 78 ANNEXE III Chronologie développement urbain durable à Reims D'UNE PRISE DE CONSCIENCE TARDIVE A UN FOISONNEMENT D'INITIATIVES A LA COHERENCE INCERTAINE Parmi les villes retenues dans ce projet de recherche, Reims représente la plus petite agglomération (200 000 habitants). Coeur d'un territoire de très faible densité de population, la ville n'en est pas moins demeurée compacte, notamment en raison de la valeur du foncier agricole. Source d'une relative aisance, agriculture et agro-alimentaire puissant masquent un faible dynamisme démographique et économique. En matière de développement durable, Reims présente un paradoxe. Plusieurs EcoQuartiers, à l'exemplarité reconnue par des prix nationaux, y ont vu le jour. Pourtant, la réflexion sur le développement durable et sa mise en oeuvre dans les politiques publiques accusent un retard. L'hypothèse centrale de ce rapport est que ce décalage s'explique par le jeu d'acteurs : la longueur d'avance des bailleurs sociaux ne trouverait pas (encore?) son équivalent dans les collectivités locales. Nous constatons : - Un ensemble de bonnes pratiques précoces chez les bailleurs sociaux mais une prise de conscience tardive de la collectivité, accélérée par le changement d'équipe municipale de 2008. - Une institutionnalisation inacheÎe et des recompositions en cours pour l'ensemble des acteurs de la production de la ville. - Un recours modeste aux outils conceptuels de l'urbanisme durable (référentiels, études) et aux programmes européens - Un foisonnement d'initiatives récent dans les projets et les politiques urbaines qui demande à être consolidé. 79 III.1 La prise de conscience : un décalage entre la collectivité et les bailleurs sociaux Si Reims apparaît de bonne heure comme un laboratoire d'expérimentation urbaine, c'est sans doute dû davantage à l'émulation entre ses trois organismes logeurs, de sensibilité différente, qu'à ses élus, plus en retrait. Les bailleurs sociaux sont un acteur majeur de la production de la ville à Reims où ils gèrent 45% du parc de logements et détiennent la majeure partie du foncier constructible. En 1912, l'industriel rémois Georges Charbonneaux fonde le Foyer rémois dans la mouvance du catholicisme social. Le Foyer rémois réalise une couronne de cités-jardin, dont le Chemin Vert (Auburtin, 1921) offre un exemple très abouti. Après la seconde guerre mondiale, le Foyer rémois participe à l'extension de Reims où il gère aujourd'hui un patrimoine de 18 000 logements. En 1921, le Conseil municipal de Reims se dote d'un instrument propre en créant l'Office Public d'Habitations Bon marché de Reims (devenu OPHLM, OPAC et, depuis 2006, Reims Habitat Champagne-Ardenne). Celui-ci construit une cité-jardin (Maison-Blanche), puis, dans les années 1960 et 1970, des grands ensembles (Orgeval, Croix-Rouge...). Reims Habitat Champagne-Ardenne gère aujourd'hui 11 000 logements locatifs. Le lien historique avec la municipalité fait de Reims Habitat un partenaire privilégié de la mise en oeuvre du projet Reims 2020. En 1947 est créé le COPLORR (Comité Paritaire du Logement de Reims et sa Région) dont L'Effort rémois, devenu Plurihabitat l'Effort rémois est l'outil de construction. Il participe à la réalisation des grands ensembles (Orgeval, Croix du Sud) puis des extensions pavillonnaires de l'agglomération (Tinqueux-Sud). Son opération-phare des années 1980, Val-de-Murigny, associe logements individuels et collectifs autour d'un parc central. Nouvelle déclinaison de la cité-jardin, l'opération comporte un volet participatif. Entre 2000 et 2007, le Foyer rémois renouvelle le concept de cité-jardin en réalisant, sur une friche urbaine, Les Aquarelles, un programme mixte (111 maisons individuelles, 113 logements collectifs), HQE et participatif. Cette "cité-jardin du XXIème siècle" a bénéficié du soutien du PUCA dans sa réalisation et a été primée en 2007 (Arturbain) et en 2009 (Trophée des écomaires). Parallèlement, la commune d'accueil, Bétheny, révise son PLU pour en faire un "PLU HQE". La filiation avec la cité-jardin passe par les individus. Ainsi, Alain Coscia-Moranne est Architecte-urbaniste à l'Agence d'urbanisme dans les années 1980 quand il participe à la réalisation de Murigny-sud. Devenu directeur de la construction et de la recherche au Foyer rémois, il assure dans les années 1990 la réhabilitation du Chemin-Vert, expérience qui inspire à son tour Les Aquarelles. Dans les trois organismes, la prise de conscience est passée par trois canaux, présentés par ordre d'importance : - Par les individus, moteurs dans leurs organisations. Les entretiens avec François Toublan (Reims Habitat), Jean-Denis Mège (Foyer Rémois) et Michel Ferro (Effort rémois) cités ci- dessous montrent le caractère très individuel de ces « rencontres » avec le développement durable, ainsi que des visions différentes de sa signification : lien avec la nature retrouÎ (Toublan), focus sur les techniques de construction (Mège), inscription 80 dans les dynamiques sociales des quartiers (Ferro). - Par les labellisations, conçues notamment comme des moyens de valoriser des localisations peu attractives. Le recours au label EcoQuartier, les projets primés par le PUCA, apparaissent comme le signe d'une approche innovante. Par contre, la participation aux clubs d'acteurs n'a guère été abordée par les interviewés. - Par effet-miroir dans le territoire local où une émulation s'exerce entre les acteurs, et en particulier entre les bailleurs sociaux. Récit de la découverte du développement durable ­ extraits d'entretien François Toublan (Reims Habitat) « C'était lors d'un voyage personnel aux Canaries. J'y ai rencontré un architecte, un baba cool, un peu visionnaire, qui aménageait des maisons-talus, des maisons-grottes, depuis les années 1960... Une idée reprise dans les années 1970 dans les maisons-bulles naturalistes du sud de la France... Ce rapport particulier à la nature m'a séduit et c'est à mon sens ma première expérience de l'éco- aménagement et de l'éco-construction. Lorsque les premiers éco-quartiers ont vu le jour à Reims, j'ai tout de suite eu envie de développer cette dimension et, parce que les formations étaient à l'époque peu nombreuses, j'ai dû m'instruire moi-même ». Jean-Denis Mège « Jeune chef d'agence en quartier de renouvellement urbain, je m'étais trouÎ plongé dans la vie sociale au quotidien. Lorsque le développement durable est entré dans mon champ professionnel, j'étais arriÎ dans mes fonctions actuelles au Foyer Rémois. J'ai tout de suite compris qu'il fallait trouver les solutions techniques qui éviteraient de faire peser sur les habitants d'innombrables contraintes car les gens ne changent pas facilement leur comportement. Il n'y avait guère de formations, j'ai appris sur le tas et par de nombreuses lectures. Les solutions foisonnaient, mais pour moi, la meilleure, c'est le Passiv'haus. » Michel Ferro « Je rattache l'idée du développement durable à ma première expérience professionnelle, il y a vingt ans, dans un bureau d'études à forte connotation paysagère et environnementale : nous mettions en place des noues paysagères, ce qui, pour l'époque, était plutôt rare. Je me suis formé au fil de l'eau dans l'exercice de mes fonctions. Ma vision, au départ assez technique, s'est progressivement enrichie pour prendre en compte la dimension des habitants, leurs perceptions, leur satisfaction, la vie au quotidien dans les quartiers, la relation entre ces quartiers et le reste de la ville. Aujourd'hui, pour moi, le développement durable est d'abord une affaire d'habitants et de quartiers et pas autant qu'auparavant de normes de construction ­ l'évolution de la législation fait de toute manière que celles que nous appliquons aujourd'hui seront dépassées dans une décennie ou deux, le quartier restera...» A la différence des bailleurs sociaux, les pouvoirs publics accusent un retard dans cette prise de conscience. La municipalité a connu plusieurs maires-bâtisseurs mais n'investit que tardivement le champ du développement durable. De l'entre-deux-guerres aux Trente Glorieuses, Reims est un laboratoire de planification urbaine. Le plan Géo Ford (1920) montre la couronne de cités-jardin ; sous le mandat de René Bride, le Plan Camelot (1958), limite l'urbanisation ; sous l'impulsion moderniste de Jean Taittinger, le plan Rotival (1963) lance une extension urbaine de grande ampleur. 81 Jean-Louis Schneiter, Président du District depuis sa création en 1972 et maire de Reims de 1999 à 2008, s'inscrit dans la tradition des grands projets (tramway) sans porter un intérêt particulièrement soutenu au développement durable. En 2008, l'élection de Adeline Hazan, tête d'une coalition rose-et-verte, accélère l'émergence d'un discours sur le développement durable. Pour autant, on reste souvent en surface, sans passage à l'acte, de l'avis de plusieurs de nos interlocuteurs. M. Serge Pugeault, deuxième adjoint du Conseil municipal, devait nous recevoir mais il a à plusieurs entreprises annulé cet entretien au dernier moment. En creux, nous y voyons une faible sensibilité au sujet (qui était connu). Plusieurs éléments peuvent expliquer cette prise de conscience tardive. D'une part, la succession des générations : Jean-Louis Schneiter, qui fut l'adjoint de Jean Taittinger, s'est formé à l'âge d'or de la croissance. D'autre part, la culture locale : l'agriculture et l'agro- alimentaire, moteurs de l'économie locale, demeurent productivistes. Enfin, la géographie ­ à l'échelle de l'agglomération rémoise, la qualité de vie reste éleÎe et les inconÎnients liés à un urbanisme 'non-durable', qu'ils soient écologiques ou sociaux, demeurent peu visibles. Producteurs de la ville et collectivités locales semblent privilégier la dimension environnementale du développement durable. Les entretiens du Grenelle y ont sans doute contribué, tout comme les aides à l'éco-construction. Les autres piliers du développement durable sont moins nettement identifiés, et encore moins une approche intégrée à l'échelle de la ville. III.2 Institutionnalisation du développement durable : une place ambigüe pour les élus, un métier en apparition dans les services techniques L'inscription du développement durable dans les portefeuilles politiques des élus et dans l'organigramme des services réÏle tant sa montée en puissance que les ambiguïtés qui subsistent dans sa définition. En 2008, le développement durable apparaît parmi les attributions des adjoints. Il est confié à Raymond Joannesse (Europe écologie), treizième adjoint, également en charge de l'urbanisme. Cependant, les gros dossiers d'urbanisme vont aux deux poids lourds du Conseil municipal : logement, politique de la ville, vie des quartiers pour Eric Quenard, premier adjoint ; développement économique et grands projets pour Serge Pugeault, deuxième adjoint. En 2011, l'urbanisme revient au premier adjoint, tandis que Raymond Joannesse devient conseiller municipal délégué associant au développement durable, espaces verts et environnement. Au Conseil communautaire de Reims métropole, le développement durable est attribué à Stéphane Joly (PS, huitième Vice-Président). Cinquième adjoint dans l'équipe municipale, ce dernier n'y détient aucune attribution dans ce champ. En définitive, dans l'arène politique, le positionnement du développement durable demeure attaché à l'environnement et marginal par rapport aux compétences plus classiques. Dans l'organigramme de Reims métropole, cela se traduit par la création d'une Direction du développement durable "transversale". Sous la conduite de Philippe Pinon-Guérin, ingénieur agronome recruté pour l'occasion, deux chargés de mission tiennent à la disposition des autres services leur compétence environnementale (énergie, pollutions...). Simples conseillers, ils n'ont aucun pouvoir décisionnel. 82 On observe dans les collectivités (ville, intercommunalité, département) et à l'Agence d'urbanisme une vague de recrutements de « chargés de mission développement durable », Îritable nouveau métier. Leur profil associe ingénierie (construction, industrielle) et sciences de l'environnement (formation initiale ou compléments post-diplôme). L'urbanisme et l'aménagement sont peu présents. Ainsi, le chargé développement durable de l'Agence d'urbanisme, Baptiste Redon, est diplômé en sciences de l'Environnement. Il se considère comme un technicien de l'environnement et dit appliquer à la ville le savoir-faire qu'il utilisait dans le monde industriel. Ces chargés de mission, de profil et d'âge similaire, entretiennent des relations (réunions informelles), contribuant à la diffusion d'une approche très environnementaliste et technicienne du développement durable. Le lien s'effectue également par des têtes de réseau nationales, tel le CSTB. Du côté des bailleurs sociaux, la montée en puissance du développement durable n'a pas entraîné de recrutements directs. Les trois interlocuteurs interrogés estiment avoir intégré cette dimension dans l'organisation fonctionnelle pré-existante. De même, on ne voit pas de création de poste fléché développement durable. On note toutefois que, dans les recrutements, les compétences correspondantes à ce nouveau champ sont incluses dans les profils affichés. Les modifications d'organigramme sont liées à l'externalisation croissante d'un certain nombre de fonctions désormais jugées trop techniques pour être portées en interne. Ainsi, Reims Habitat a renoncé à employer un architecte-urbaniste encore présent au début des années 2000, préférant recourir à des prestataires extérieurs. Cette évolution est particulièrement marquée pour les études préalables, dont le nombre va croissant. Une modification importante des modes de production de l'espace urbain et des jeux d'acteurs est intervenue avec la création, par les organismes bailleurs, de deux Groupements d'Intérêt Economique (GIE) qui jouent un rôle déterminant dans la production des EcoQuartiers contemporains et permettent une synergie entre acteurs territoriaux. Les profils de ces deux GIE apparaissent différents. En 2007, le Foyer Rémois et Reims Habitat fondent ensemble le GIE Foncière Développement. Il s'agit de répondre au problème de manque de disponibilité foncière pour la réalisation de projets d'envergure. Le GIE réalise la prospection foncière et les études préablables au développement, généralement déléguées à des prestataires extérieurs. En 2010, le GIE est intervenu dans la préparation de l'EcoQuartier de la 12ème Escadre à Reims, opération d'envergure pour l'agglomération puisque le nouveau quartier doit accueillir, sur une friche ferroviaire de 20 ha, de 1000 à 1200 logements, ainsi que 6000m² de commerces, services et bureaux. Le projet fait partie du Palmarès Ecoconstruction 2009 du MEEDDM. Plurihabitat l'Effort rémois gère aujourd'hui 22 000 logements. Il s'est associé à des organismes logeurs non rémois23 dans le GIE Champagne-Ardenne aménagement. Ici, le GIE n'a pas d'activité de prospection foncière mais est le concepteur des projets d'amnagement, 23 L'Effort Rémois (Reims), Le Toit Champenois (Epernay), Mon Logis (Troyes), Troyes Habitat, Opac de Châlons-en- Champagne 83 et notamment les deux EcoQuartiers que Plurihabitat réalisé à Reims. Les Promenades des Courtes Martin (232 logements) s'inscrit dans le renouvellement urbain du quartier des Epinettes à l'est de Reims. L'EcoQuartier Dauphinot-Remafer (Palmarès Ecoconstruction 2009) programme sur une friche industrielle 620 logements, des commerces, des activités, des équipements publics, un groupe scolaire, un gymnase et un parc urbain de 2 ha. Le GIE n'est pas maître d'ouvrage mais peut assurer le suivi des chantiers à la demande des maîtres d'ouvrage. La participation des acteurs rémois aux réseaux d'acteurs régionaux et nationaux est timide. Le Conseil régional a crée, fin 2007, une Agence Régionale de la Construction et de l'Aménagement durables en Champagne-Ardenne (ARCAD). Cependant, les entretiens ne réÏlent pas le recours à ses services par les rémois, et son action s'adresse plutôt à d'autres parties du territoire régional (Ardennes, Haute-Marne). De même, la participation des acteurs rémois au club 'EcoQuartiers' en cours de montage par la DREAL reste formelle. Sur le plan national, la participation des organismes logeurs au Club opérationnel national écoquartier créé par le MEEDDM suite au premier appel à projet Eco quartier 2009/2010 constitue un premier pas. Dans le cas particulier des organismes de logements social, un rôle de catalyseur a été évoqué pour le groupe EcoQuartier de l'Union Sociale de l'Habitat. Dans cette institutionnalisation en cours, le développement durable est généralement associé à l'environnement et la question de son interface avec l'urbanisme reste ouverte. Nous la retrouvons dans les outils employés où les référentiels de l'éco-construction priment sur une approche en termes d'urbanisme durable. 84 III.3 Les outils : une labellisation tournée vers l'éco-construction Les référentiels utilisés par les bailleurs sont majoritairement environnementaux. Les trois organismes logeurs ont systématisé le recours au label haute performance énergétique (HPE), allant au-delà des normes réglementaires, y compris celles issues du Grenelle II (RT 2012). Dans leurs constructions ils ont systématisé la certification HPE, qui sanctionne une consommation inférieure à la consommation énergétique de référence (Cref), les paliers reflétant des gains croissants, de 10 % (HPE) à 50% (BBC Effinergie, équivalent au PassivHaus allemand). En 2009, le Foyer rémois a inauguré La Clairière, premier bâtiment passif français à vocation sociale. Les référentiels utilisés par les organismes logeurs rémois Type de référentiel Energie Foyer rémois THPE ou BBC Effinergie : toute construction neuve ou réhabilitation Passivhaus HQE (cas-par-cas) Reims Habitat Champagne-Ardenne Plurihabitat l'Effort rémois HPE (tout programme HPE neuf depuis 2008), BBC Maison passive (cas- construction et par-cas) rénovation Habitat et Environnement (tout programme neuf >5 logements depuis 2008) HQE (cas-par-cas) GRE-SE Qualibail Construction environnementale Responsabilité sociale des entreprises Relation avec les locataires Urbanisme durable Opérations primées EURHO-GR® Qualibail Label Habitat Senior Services® EcoQuartier (cas-par- cas) Les Aquarelles : PUCA 2004, Arturbain 2007 Ecomaires 2009 EcoQuartier (cas-par- cas) EcoQuartier (cas-par- cas) EcoQuartier Dauphinot- Remafer : Palmarès 2009 Ecoconstruction Meeddm EcoQuartier de la 12ème Escadre : Palmarès 2009 Ecoconstruction Meeddm Au cas-par-cas, les opérateurs rémois mettent en oeuvre des démarches HQE permettant de dépasser le volet énergie pour prendre en compte l'ensemble des préoccupations environnementales (respect du site, gestion du chantier, construction et utilisation saine). Ainsi, Plurial ­ l'Effort rémois met l'accent sur les écomatériaux, en relation avec le pôle de compétitivité Industries et agro-ressources, qui travaille sur les valorisations non alimentaires du Îgétal (bois, chanvre, paille). Parallèlement, les organismes logeurs développent des démarches de certification dans le 85 champ de la relation avec les locataires et se sont engagés dans des démarches de responsabilité sociale des entreprises (RSE). Le Foyer rémois, en particulier, s'appuie sur le référentiel EURHO-GR® élaboré par l'association européenne Eurohnet. Le passage des référentiels sectoriels (éco-construction, RSE) à des approches intégrées tels les EcoQuartiers demeure le fait d'opérations choisies que Reims s'attache à valoriser en les présentant aux concours nationaux ­ avec succès, même si l'on observe que les EcoQuartiers primés au Palmarès 2009 du MEEDDM l'ont été dans la catégorie éco construction. En 2009, Reims métropole a créé un label local : Reims Métropole développement durable, qui associe un volet HQE à un volet énergétique. En gestation dans les services communautaires avant l'arriÎe de l'équipe municipale actuelle, ce référentiel a fait l'objet d'une concertation avec les maîtres d'ouvrage. Cependant, sa portée est limitée. D'une part, les organismes logeurs relèvent son manque d'ambition, moins exigeant que les référentiels qu'ils mobilisent par ailleurs : ils l'attribuent à « une faible acculturation au développement durable » de la collectivité, pour laquelle c'est un « premier pas » (F. Toublan). D'autre part, le label ne s'accompagne d'aucune incitation financière et les organismes logeurs considèrent qu'il s'agit d'un simple effet d'annonce (« pour la beauté du geste », M. Ferro). Le recours à des référentiels plus larges (HQE Aménagement, HQE²R, AEU) ou à des démarches plus intégrées (EcoCités...) est absent. De même on ne trouve pas sur ce territoire de projet européen, par exemple de type Concerto. Les interlocuteurs interrogés à ce sujet démontrent une faible connaissance de ces dispositifs et/ou invoquent leur lourdeur au regard des bénéfices financiers attendus. III.4 Etat de l'art en 2011 : un foisonnement d'initiatives à consolider Depuis 2008, en apparence, les politiques urbaines voient une traduction accélérée de l'impératif de développement durable. Cependant, le décalage entre bailleurs sociaux et pouvoirs publics ne s'est pas atténué. Les quatre EcoQuartiers acheÎs ou en cours de réalisation, Aquarelles, 12ème Escadre, Dauphinot-Remafer et Promenades Courtes-Daint-Martin, sont le volet le plus ambitieux en matière de développement durable. Outre le volet environnemental, on observe dans chacun d'eux des efforts en matière de mixité sociale, notamment par le mélange de formes d'habitat et statuts d'occupation variés, et un effort de développer le vivre-ensemble ­ quelquefois déçu, comme ce fut le cas dans les Aquarelles où cette dimension, promue au départ, n'a pas rencontré l'adhésion des habitants. Dans un contexte de foncier rare, ces quartiers participent au renouvellement de la ville sur elle-même en étant implantés sur des friches urbaines ou en zone de revitalisation urbaine. De ce point de vue, au-delà de l'échelle du quartier lui-même, ils participent d'un urbanisme durable. Ils bénéficient d'un bon niveau d'équipement (pour leurs tailles respectives), les plans-masse sont conçus en relation avec l'environnement urbain (continuité de la trame viaire). Cette multiplication de projets fait de l'EcoQuartier une Îritable référence en matière d'urbanisme contemporain rémois (« une ville innovante », Citerne). Dans la mesure où la plupart de ces quartiers ne sont pas encore réalisés, il est trop tôt pour juger de l'appropriation de la notion de développement durable par l'ensemble des acteurs du territoire, et en particulier par les habitants. Nos interlocuteurs relèvent que la 86 communication institutionnelle est encore insuffisante (Citerne) et que le milieu associatif est peu mobilisé (Toublan, Mège). En matière de planification urbaine, le territoire dispose de documents d'élaboration récente et de bonne facture. Le SCOT (2007), sans être un SCOT-Grenelle, met l'accent sur la maîtrise de l'étalement urbain et la cohérence entre la desserte en transports collectifs et l'ouverture à l'urbanisation. Le PLU, révisé le 26 février 2008 et mis en compatibilité le 4 avril 2008, apparaît également satisfaisant. Sans limiter de manière très volontaire la place de la voiture, le PDU (2007) présente une organisation cohérente des déplacements bien servie par le réseau de transports en commun (un des plus efficaces de France grâce à la morphologie compacte de l'agglomération). L'application du PLH actuel se termine le 31 décembre 2011 et le PLH couvrant la période 2010-2017 est donc en cours d'élaboration. Le diagnostic s'est appuyé sur la réalisation de 25 entretiens en face à face et la tenue de 8 ateliers thématiques, dont un dévolu au développement durable. Pauline ACCARIES, chargée de mission PLH, interrogée à ce sujet, considère que "développement durable" reste encore synonyme d'environnement. En février 2009, Reims métropole a décidé de se doter d'un Agenda 21. Cette démarche intervient très peu de temps après Reims 2020 qui visait à produire un projet urbain, largement médiatisée, et qui n'a pas posé la question d'un urbanisme durable. L'élaboration de l'Agenda 21 a retenu une démarche en deux temps, avec un premier cycle (2010) centré sur les acteurs et les compétences de la collectivité (atelier inter-services, comité d'élus...), ainsi qu'une amorce de concertation destinée à être poursuivie en 2011 et au-delà lors d'une "territorialisation de la démarche". Menée sous la houlette d'un bureau d'études, la démarche aboutit à un diagnostic en juin 2010 et à un plan d'actions fin 2010. La prochaine réunion du Comité 21, prévue au premier trimestre 2011, n'a pas encore eu lieu. L'agenda 21 décline quatre défis en vingt-trois actions, dont la première consiste en la réalisation d'un Plan climat énergie actuellement en cours, avec l'objectif de diviser les émissions de CO2 de la collectivité par 4 à l'horizon 2030. III.5 Conclusion Une gestation lente permet de passer de l'héritage, perçu comme exemplaire, de la cité- jardin, à l'EcoQuartier. Dans ce processus de mémoire, de ré-écriture et de ré-adaptation du concept nous retrouvons deux moteurs. D'une part, la culture d'entreprise des bailleurs sociaux. D'autre part, le rôle des individus qui ont construit des continuités d'approche au- delà de leurs évolutions de carrière (Alain Coscia-Moranne). Ceci nous conduit à souligner l'existence d'une culture locale, dans laquelle les acteurs individuels se sont formés et ont baigné, partagée peu ou prou par l'ensemble des acteurs de la production de la ville. Dans cette culture locale, le développement ou l'urbanisme durable, conçus comme tels, arrivent finalement assez tard. On peut se demander si la ville de Reims, économe en consommation d'espaces naturels et foyer d'initiatives sociales intéressantes, faisait de l'urbanisme durable comme Monsieur Jourdain, sans le savoir. Toujours est-il que la prise de conscience ne va pas de soi, et notamment le fait de dépasser la somme des approches sectorielles ­ tout particulièrement de protection de l'environnement ­ au profit d'une approche intégrée. 87 La prise de conscience passe assurément par des éÎnements déclencheurs, d'importance locale (élection de l'équipe Hazan en 2008) ou nationale (entretiens du Grenelle). Elle aboutit à la formulation d'un discours et à une accélération du calendrier d'action, quitte à faire la part belle aux effets d'annonce (label Reims développement durable sans financement associé, Agenda 21 hâtivement ficelé). L'apprentissage institutionnel s'accompagne de l'émergence d'un nouveau métier et du recrutement de nombreux 'chargés de développement durable', qui doivent faire leur place dans un jeu souvent déjà tendu. Les opportunités de financement, et la visibilité des labels, sont largement utilisées et apparaissent aussi comme des catalyseurs efficaces. Dans ces configurations nouvelles qui ne sont pas encore cristallisées, des interrogations apparaissent qui seront analysées dans la suite de cette recherche. D'une part, quel est le rôle et jusqu'où peut s'étendre l'influence des acteurs nouveaux, estampillés développement durable ? Sachant qu'il s'agit fréquemment du nouveau nom de la préservation de l'environnement, l'hybridation avec le champ de l'urbanisme est-elle possible au-delà de l'éco-construction ? D'autre part, comment l'interface avec les réseaux de diffusion nationaux et européens peut-elle évoluer ? Jusqu'à présent, l'articulation semble s'effectuer au coup-par-coup à l'occasion d'éÎnements marquants (colloque de l'Association internationale des cités- jardins en 2000, entretiens du Grenelle, participation à des concours...). A l'inverse, la participation aux réseaux d'acteurs nationaux et européens demeure modeste, ce qui peut constituer l'un des éléments d'explication de la mise en place tardive de dispositifs comme l'Agenda 21 ou l'absence de PIC Urban ou de Concerto. 88 ANNEXE IV Chronologie développement urbain durable à Nantes Des expériences localisées à la production d'un étendard : une chronique de l'agglomération nantaise dans le développement durable Mettre en récit les expériences, pratiques et horizons du développement durable relevant d'un niveau territorial d'organisation renvoie ici globalement à ce que V. Béal a pu mettre en évidence dans sa thèse pointant la succession de trois emblèmes dans la gestion urbaine de l'environnement : « l'emblème « écologie urbaine » avec son cadrage militant dans les années 1970 et 1980, l'emblème « développement durable » avec son cadrage entrepreneurial dans les années 1990 et 2000 et, enfin, l'emblème « changement climatique » avec son cadrage néo-managérial depuis 2005 » (résumé). Béal rejoint d'autres analyses lorsqu'il pointe la montée en puissance des villes comme échelle de régulation mais l'échec de la constitution d'espaces publics locaux de débat quant à la gestion environnementale. Comment donner relief de ce constat à Nantes ? Le récit est organisé ici en croisant documents institutionnels et universitaires ainsi qu'entretiens et observations de présentations. Comme pour les chronologies établies par les chercheurs sur les autres agglomérations, nous cherchons à distinguer une phase de prise de conscience et une phase d'institutionnalisation (dans ce que l'on nomme joliment « autorité organisatrice » et via quelques profils professionnels spécifiques au sein de l'organisation) en objectivant ensuite les outils mis en place, qu'ils relèvent de référentiels, de mesures plus techniques ou encore d'appareillage d'un nouvel horizon de sens. IV.1 Aux sources (localisées) du développement urbain durable Les premières marques d'un concernement On s'appuie ici à plusieurs reprises sur le texte rédigé par L. Coméliau, acteur professionnel nantais, paru dans 4D. L'encyclopédie du développement durable n°52, nov 2007. Depuis le début des années 1990, l'agglomération nantaise connaît une croissance démographique des plus fortes en France. « La qualité de vie et l'environnement privilégié y sont des atouts majeurs : le dynamisme économique et culturel, la qualité des services (transports, éducation, santé), le "bien être" social, les cours d'eau (Loire et son estuaire, Erdre, Sèvre notamment), espaces naturels et jardins, la proximité de la côte atlantique et de Paris (2h en TGV) rendent le territoire très attractif. » (Coméliau, 2007) Le solde migratoire est largement positif sur cette période pour la ville centre. « Dès lors, les équations nantaises en terme de développement durable sont relativement simples à poser : comment concilier qualité de vie, croissance démographique, préservation des espaces et des ressources et bien être pour le plus grand nombre ? Leur résolution l'est, bien entendu, moins. » (id. ibid.) Une archéologie de la mise en oeuvre du développement urbain durable pourrait certes remonter au milieu des années 1970. Une telle relecture mettrait alors notamment en avant une politique de déplacements collectifs réintroduisant le tramway, arrêtant des projets de pénétrante routière ou de centre des affaires. Cette rétrodiction mettrait à tort en avant une agglomération pionnière en termes de « développement durable ». Les projets alternatifs étaient certes parfois motiÎs par l'écologie urbaine ­ elle va du reste monter en puissance en s'incarnant par exemple par la remise en question d'équipements comme ce projet de 89 « parc de loisirs » intégrant des jeux collectifs devenant un projet de jardins familiaux sur le site de la Fournillère à l'Ouest du centre-ville (Pasquier, 2001), par la critique du technocratisme routier, mais ils n'étaient pas spécifiquement pensés dans une globalité aménagiste. En revanche, au cours du premier municipe de J-M. Ayrault (1989-1995), une deuxième ligne de tramway est mise en oeuvre, accompagnant une reconquête de la centralité héritée ­ deux centres historiques sont géographiquement distincts à Nantes ­ et, à grande échelle, la prise en compte de l'étalement urbain commence à se faire vive. Du moins le district de l'agglomération nantaise se dote-t-il d'un projet polycentrique qui donne l'idée de la nécessité d'une organisation territoriale plus charpentée. De l'avis de plusieurs acteurs, c'est au milieu des années 1990 qu'une prise de conscience commence à se repérer, liée à ce qui se passe à d'autres échelons d'organisation et en particulier à des conférences internationales. Politiquement, notons que J-C Demaure, l'un des co-fondateurs de Génération Ecologie, est élu adjoint à la Ville dès 1989, adjoint à l'environnement comme il se doit... « C'est plutôt par le biais de sa richesse environnementale que la ville s'est alors saisie pleinement du développement durable. En 1996, active au sommet mondial des villes Habitat II (Istanbul) et signataire de la Charte européenne des villes durables, elle lance une première démarche d'agenda 21. Jean-Claude Demaure, adjoint à l'environnement, en est l'instigateur. "Agenda 21 nantais : l'écologie urbaine du 21e siècle" titre ainsi, fin 1997, la lettre d'information du personnel de la ville qui conclut que le plan d'actions doit "permettre aux générations actuelles et futures d'admirer encore et toujours... le héron cendré de l'Erdre !". » (id.ibid) Le héron cendré de l'Erdre est alors bien l'emblème d'une action de préservation des espèces, aux portes et jusque dans la ville, participant aussi à l'image de « Venise de l'Ouest » ou encore de « Venise verte », inventions sémantiques parfois utilisées dans le vocable des édiles. Certes on ne recreuse pas l'Erdre comblée dans les années 1920 sur le Cours des Cinquante Otages au début des années 1990 mais l'appui sur les « qualités de vie » est de plus en plus en accointances avec la proximité revendiquée d'espaces naturels24. D'autres espèces d'espaces sont mis en tension au même moment, plus ou moins en filiation avec des combats comme celui contre l'implantation d'une centrale nucléaire sur le site du Carnet dans les années 1970. Si un parc naturel régional a été créé sur la Brière en 1970, instituant un territoire de développement local et de préservation, ce sont par contre les espaces du port de Nantes-Saint-Nazaire ainsi que le devenir de l'estuaire de la Loire qui font l'objet de tensions : entre des pulsions aménagistes et néo-industrielles et des velléités conservatoires (cas de l'extension de Donges Est) ou encore concernant le type de régulation envisageable sur le fleuve (réflexion sur des ouvrages de déconnexion menés notamment par le GIP Loire-Estuaire). La grande échelle n'est donc pas avare de matière pour le développement durable, c'est à nouveau le cas et de manière très médiatique dans les années 2000 avec le projet de transfert de l'aéroport de Nantes à Notre Dame des Landes. Si les enjeux au niveau du grand territoire sont explicites, c'est moins clair au niveau intra- urbain. 24 Mentionnons en écho la tonalité de la campagne de marketing territorial lancée à cette époque sous la bannière de « l'effet côte Ouest ». 90 « Pour autant, aux côtés de thèmes naturalistes, des sujets comme l'éco- citoyenneté, l'efficacité énergétique ou encore le bruit figurent dans ce premier plan d'action (premier agenda 21). La fin des années 90 voit se mettre en place le conseil consultatif nantais de l'environnement, enceinte de concertation des acteurs environnementaux du territoire. Le centre de ressources Ecopôle-maison de l'environnement à statut associatif est alors également créé pour sensibiliser et informer les Nantais. Au sein des services municipaux, un réseau de correspondants développement durable se constitue pour insuffler la dynamique pilotée par la mission environnement risques de la ville. » (id. ibid). Il n'y a pas que la ville-centre à être motrice dans certaines politiques publiques, deux autres communes de l'agglomération portent notamment une sensibilité au développement durable, celles de Rezé et de Bouguenais. Bouguenais est notamment avant-gardiste dans la signature de la charte d'Aalborg et sur des questions d'agriculture urbaine sans oublier l'enjeu ­ concrétisé depuis au niveau de l'agglomération ­ de constitution d'une forêt urbaine (Dumont, Devisme et al., 2008). Concernant le registre du projet urbain, la thématique durable apparaît relativement tardivement, pas avant le début des années 2000 en tous cas. « Mais ces initiatives ont l'immense mérite d'avoir ancré le développement durable dans les consciences (et dans certaines pratiques tout de même), ce qui va permettre de bâtir les stratégies suivantes. Le "pied est dans la porte" en quelque sorte. » (id. ibid) Une nouvelle structuration à partir de 2001 Deux éléments vont transformer ce « pied dans la porte » : d'une part les élections municipales de 2001 voient la confirmation d'une présence politique des Verts (8 élus au conseil municipal) dont une partie de l'engagement dans la campagne poussait à faire du projet de l'île de Nantes à ses débuts un modèle d'éco-quartier (Devisme et al., 2009). Cette présence politique, rendue visible par le mandat de R.Dantec et dans une moindre mesure de P.Chiron, va permettre de soutenir certaines actions également portées par des acteurs professionnels. Le clivage politique (PS-Verts) sur l'aéroport n'entame pas le fonctionnement collégial au niveau de l'agglomération. D'autre part, la naissance de la Communauté Urbaine de Nantes (qui remplace une forme districale de coopération) s'accompagne de politiques publiques structurantes de plus en plus clairement orientées vers le développement durable. Certes un agenda 21 communautaire est lancé (21 chantiers engagés à partir de 2006), certes le sommet mondial du développement durable (Johannesburg, septembre 2002) auquel des élus nantais participent permet à nouveau de préciser un horizon de sens. Mais ce sont surtout les transports, l'énergie, l'eau et les déchets qui sont des objets « impactés ». Le Plan de Déplacements Urbains affiche de son côté l'enjeu de réduction de l'étalement urbain et la nécessité d'une plus forte multi-modalité. La Ville de Nantes adopte formellement sa politique de développement durable en 2005 avec des déclinaisons assez concrètes et l'enjeu d'une modification comportementale à l'échelle individuelle (que l'on trouve dans les ateliers publics du développement durable en 2006 et que l'on va retrouver plus tard dans le Plan Climatique Territorial). L'enjeu apparaît de toucher le plus de monde possible, notamment en fournissant des indicateurs ramenés à l'échelle individuelle : ainsi « La ville s'est fixée comme objectifs entre 2004 et 2010 de 91 maintenir constant le taux d'espaces verts publics par habitant (37 m2) malgré la densification de la ville et de créer 1000 parcelles de jardins familiaux (on en est à 850 en 2007), lieu de cohésion sociale. Cela revient à offrir à chaque Nantais un espace vert à moins de 500 m de chez lui » (L.Coméliau). Il est aussi clairement de « donner l'exemple », cela passant par la transformation des pratiques jardinières du SEVE (Service des Espaces Verts) mais plus largement par une politique relative au commerce équitable, aux éco-produits, aux achats éthiques et à l'insertion. Cette politique ne saurait toutefois être immédiate, renvoyant par exemple à des enjeux de construction de filière, de cultures professionnelles dans différents services... A partir de 2005, on voit se décliner clairement l'étendard de l'éco-espace à toutes les échelles. La métropole Nantes ­ Saint-Nazaire se dote d'un SCOT dont le projet se place sous la bannière d'une éco-métropole. Le SRADDT des Pays de la Loire va de son côté proposer la figure de l'éco-région. Au niveau intra-urbain, un travail d'identification et de promotion d'éco-quartiers est en cours et les vertus de la proximité sont mises en avant sur différents nouveaux quartiers dont l'île de Nantes et le quartier Bottière-Chênaie. Même si la dimension environnementale n'est pas la seule déclinaison du développement durable, elle l'emporte largement : - Dans l'origine des politiques concernées. E.Ortholan, chargée de mission agenda 21 à Nantes Métropole en 2007 disait ainsi que « l'action éco-quartiers a été argumentée au départ à partir de la présence de l'Angélique des estuaires mais aussi de la Petite Amazonie. L'enjeu de la biodiversité pour la ville et donc l'entrée environnementale a été l'origine de la demande éco-quartiers » (Dumoulin, 2007, p.33). - Dans la visibilité de cette politique : éco-espaces, plan climat, gestion des espaces classés Natura 2000, préservation des zones humides, création de trois secteurs de forêt urbaine en guise de poumon vert de l'agglomération. Ces éléments, fort bien combinés à l'occasion du trophée de la capitale verte européenne, ont permis l'identification comme green capitale européenne pour 2013. Du reste, marketing territorial et lobbying à l'échelle internationale sont bien présents. Fin 2007, Nantes Métropole a été désigné président d'un groupe de travail stratégique du réseau Eurocities sur le Climat (et co- président avec la ville de Copenhague en 2009 et 2010). La collectivité préside aussi la commission Environnement de l'AFCCRE (Association Française du Conseil des Communes et Régions d'Europe) et depuis novembre 2009, est l'animateur du groupe de négociation internationale sur le Changement Climatique des Gouvernements Locaux (CGLU). On peut ainsi retenir, au chapitre de la conscientisation ­ sensibilisation : - Une accélération très rapide, à partir de 2004-2005, de l'agenda durable, - La focalisation sur deux échelles : celle du grand territoire d'une part (dans le cadre des luttes internationales pour la réduction de l'émission des gaz à effet de serre et de la participation à différentes arènes de discussion technico-politique), celle de l'individu d'autre part, - Un relatif attentisme sur le volet urbain en tant que tel, entre hésitations et concurrences entre collectivités et aménageurs (cf. infra à propos des outils). 92 Un autre élément d'enseignement quant à l'analyse de la « conscientisation » est l'impact significatif des réseaux et visites (cf. Devisme et al, 2009, pp86-90). Malmö, Hanovre, Barcelone sont ainsi mentionnés par R.Dantec qui dit avoir « pris son baluchon avec M.Guillard [directrice de l'énergie] ». Ces visites sont plus que jamais des occasions de souder des liens entre élus et techniciens, d'en faire plus ou moins des communautés d'explorateurs (Bossé, 2010). Elles ne sont pas étrangères non plus à un style d'action publique qui insiste sur des questions de familiarisation et d'animation (R.Dantec de mettre ainsi en avant la création de l'équivalent de 15 équivalents temps-plein pour l'animation du Plan Climat en 2010). IV.2 Une institutionnalisation partielle mais significative Entre les prises de conscience et les outils se situe l'espace-temps de l'institutionnalisation (rien n'étant linéaire dans ce processus itératif, on se gardera de faire se succéder de tels moments. Ils ont bien plus tendance à se recouvrir). La lecture doit être ici surtout internaliste, propre aux organisations de régulation. Des structurations progressives Sur la période analysée, il existe un changement significatif, celui de la naissance de la communauté urbaine de Nantes avec transfert de compétences et mutualisation d'un certain nombre de services partagés avec la Ville de Nantes, mais aussi « un champ d'exploration à investir » (R.Dantec). On note aussi une relative permanence, celle de l'arrimage des problématiques du développement durable à la direction de l'environnement et des services urbains. Sur le plan institutionnel, les délégations de compétences reflètent des évolutions sensibles : - compétence déléguée sur l'environnement des communes vers Nantes Métropole (sauf les espaces verts dans un premier temps), - prise de compétence sur l'énergie : réseaux de chaleur et soutien des actions de maitrise de l'énergie. A Nantes Métropole, la question du développement durable a été saisie par la Mission environnement à partir de 2002 sur les bases d'un travail spécifique sur l'énergie et dans le cadre d'un contrat ADEME / Nantes Métropole (contrat ATEnEE). Cette entrée rendait concrète la notion de développement durable directement en prise avec certaines politiques thématiques, en particulier l'eau et les déchets, l'intercommunalité étant productrice de services urbains. A cet égard, c'est le mixte régie / délégation qui est retenu. Ce modèle permet, selon ses défenseurs, une émulation entre les deux parties et une bonne connaissance des coûts, indispensable dans le cadre de la maîtrise d'une délégation. Différents services se sont alors emparés de dossiers relevant du développement durable, en particulier : - la direction des services urbains : direction de l'eau, mission énergie apparue au second semestre 2005, mission risques et pollutions, direction déchets, direction assainissement. - la direction générale de la stratégie métropolitaine : mission développement durable et espaces naturels. 93 L'étude des organigrammes successifs des services de la communauté urbaine réÏle que la transversalité est difficile à atteindre. Toutefois, si l'organigramme constitué en 2001 ne reflétait pas une intégration forte du développement durable, il a évolué depuis par : - la transformation de la Mission environnement en Mission développement durable et espaces naturels en 2006 (au sein de la DGSM depuis disparue) - la création de la Mission énergie en 2005 (relevant de la DGSU) - la création de la Direction générale du renouvellement urbain (devenu Direction puis Département du Développement Urbain après une succession d'essais non transformés à la tête de cette direction). Si l'on s'arrête aux organigrammes, les années 2000 voient bien le transfert s'opérer des problématiques urbaines et environnementales au niveau intercommunal. 4 ans après sa création, Nantes Métropole intègre une importante direction générale des services urbains intégrant 4 missions (dont une mission énergie et une mission risques et pollutions) et 5 directions classiques (transports collectifs et stationnement, eau, déchets, assainissement, moyens techniques). Il existe par ailleurs une direction générale du renouvellement urbain intégrant notamment une direction de l'habitat et une direction du renouvellement urbain et social. Il n'y pas d'option de création d'agence locale de l'énergie, contrairement à d'autres collectivités, le souci étant de « développer des services en interne » (R.Dantec). On voit l'importance, dans l'institutionnalisation progressive, des missions, plus faciles à créer et à rattacher que d'autres services plus stables. Reste à donner un aperçu de qui occupe les places professionnelles liées aux enjeux du développement durable. La tâche est moins aisée que pour d'autres métiers plus repérés et couvrant des territoires précis (par exemple les chargés de quartier de la Ville de Nantes dans le cadre de la Politique de la Ville et de la territorialisation des politiques publiques ­ Devisme, Pasquier, 2009). Profils et trajectoires En 2006, on peut faire cette « photographie » concernant les parcours et inscriptions professionnelles : - L.Coméliau est chargé de mission développement durable depuis 2004 au pôle mission projets d'Urbana. Economiste de formation, il a auparavant travaillé dans le secteur associatif (animateur de l'association 4D) et au comité préparatoire pour le sommet mondial de Johannesburg ainsi qu'à la mission interministérielle de l'effet de serre. A.Mallet est chargé de mission développement durable à NM depuis 2002. Il est ingénieur-maître en environnement et qualité de la vie. L.Bézert est à la Ville de Nantes (Urbana), chargée de mission au pôle « mission projets » en charge notamment de la charte paysage, travaillant également sur le PLU et le PSMV (Plan de Sauvegarde et de Mise en Valeur). Elle était auparavant « correspondant environnement » pour Urbana, avant la mise en place de la mission agenda 21. N.Bedjaoui est chargée d'opérations à Urbana et nourrit un intérêt pour l'architecture passive et bioclimatique depuis ses études d'architecture. - - - 94 - L.Dugué est chargé de développement à la mission énergie de la DGSU de NM. Fin 2011, on peut compléter cet aperçu en précisant que L.Coméliau est devenu directeur du service « animation, développement durable, climat » au sein de la direction énergie environnement risques, elle-même hébergée par la direction générale environnement et services urbains. Avec 6 personnes il coordonne l'agenda 21 et le Plan Climat ainsi que l'action green capitale. Il se considère toujours plutôt comme un défricheur au sein de la collectivité. - - - M.Guillard est toujours directrice de la direction énergie environnement risques à Nantes Métropole. V.Huré est chargé de mission au service énergies, responsable du programme Concerto Act 2 à Nantes Métropole. A-L. Briand travaille à la mission expertise et appui au sein de la DGDU. Ingénieure en génie de l'environnement, elle est passée par Angers Loire Métropole avant une prise de poste nantaise. ArriÎe en 2008 auprès de L.Coméliau à la Ville, elle se trouve notamment chargé de la labellisation Citergie mais aussi du montage du dossier d'écoquartier Bottière-Chênaie dans le cadre de l'appel à candidatures du MEEDM. M.Carreau est chargée de mission développement durable à la Samoa depuis 2010. Ingénieure en aménagement de formation, elle est la première à occuper un poste de ce genre chez l'aménageur qui confiait auparavant cet enjeu plutôt à des ingénieurs en travaux publics. F.Turck est ingénieur de l'Ecole des Ponts de Paris, chargé d'opérations à Nantes Métropole Aménagement. Du côté politique, deux élus municipaux et communautaires sont assez visibles, élus vert. R.Dantec, devenu sénateur en 2011, a fait le choix de rester conseiller municipal, P. Chiron est désormais adjointe au Plan Climat, à la maîtrise de l'énergie et aux réseaux de chaleur. Le portage politique date des élections de 2001 avec une majorité plurielle reconduite en 2008, solidaire sur les différents sujets urbains à l'exception notoire du projet de grande échelle de nouvel aéroport « du grand ouest ». - - - IV. 3. Des outils à la consistance incertaine Du côté des outils du développement urbain durable, on pourrait retenir le titre du livre de F.Ascher, « Ces éÎnements nous dépassent, feignons d'en être les organisateurs », tant on observe à la fois une floraison de démarches, objectifs, mesures et outils et en même temps des incertitudes sur leur degré de performativité, voire une certaine volatilité de démarches se succédant de plus en plus rapidement. - L'urbanisme, en deuxième rideau Au sein du dossier de candidature european green capital awards réalisé en 2011, l'enjeu d'un urbanisme durable n'apparaît pas en tant que tel, au profit de thématiques plus classiques : transport local, espaces verts urbains (derrière la bannière, comme il se doit, d'une agglomération verte et bleue !), utilisation durable des sols, nature et biodiversité, qualité de l'air ambiant, pollution sonore, production et gestion des déchets, consommation d'eau, assainissement, management environnemental. Pour ce dernier volet, on recense 95 aussi bien l'agenda 21 (métropolitain et des différentes communes de l'agglomération encouragées par le niveau communautaire) que le guide des éco gestes, la charte du service public d'eau potable, l'enjeu de la quantification de CO2, de la certification environnementale des services publics. Ce registre évoque aussi la cellule de prévention des risques de Nantes Métropole, le plan local de prévention des risques et pollutions, le guide de la commande publique de Nantes Métropole, la labellisation Citergie, ainsi qu'un schéma de développement économique durable. Qu'en est-il donc au niveau de l'urbanisme ? Qu'une politique métropolitaine soit difficile à mettre en place à cet égard renvoie à des données structurelles comme l'enjeu progressif du transfert de compétences (bien que subsiste jusque 2010 un service urbanisme à la Ville de Nantes) ou encore le fait que la délivrance des permis de construire reste un apanage mayoral ­ à l'échelle communale donc. Il tient aussi à des éléments davantage contextuels : force du projet urbain à l'échelle de l'île de Nantes, réticences envers l'urbanisme réglementaire, instabilité de la direction générale du développement urbain (cf. supra). Cela dit, il faut envisager avec sérieux au-moins deux éléments à l'échelle communautaire : un programme et un plan. Dans le Programme Local de l'Habitat -PLH, les acteurs ont formalisé un programme d'actions volontariste, même s'il ne conduit pas à une Îritable contractualisation entre l'EPCI et les communes comme à Rennes Métropole, du moins jusque 2010. Certes existaient des protocoles d'accord et conventions tripartites mais l'avis est partagé que jusque 2009-2010, Nantes Métropole a surtout été vu comme guichet par les communes. Depuis lors, une stratégie de développement urbain des territoires vise à mieux articuler politiques d'habitat et d'urbanisme, via des conférences territoriales élus - techniciens notamment, au travers de contras de co-développement. « Gilles Retière considère que par le passé Nantes Métropole était considéré essentiellement comme « un guichet » par les communes au travers des aides à la pierre ou des aides à la surcharge foncière. La collectivité n'avait pas Îritablement connaissance des partis urbains choisis et éprouvait des difficultés à mesurer les conséquences des choix que ce soit en termes de coût économique, social et environnemental. Ce temps étant révolu, il est nécessaire aujourd'hui de mettre en place une régulation territoriale et d'engager un travail partenarial en amont sur chaque opération permettant d'échanger les informations sur les programmes d'habitat, les estimations des aménagements publics nécessaires avec le souci de prendre en compte des coûts de fonctionnement et d'exploitation (ex : entretien des espaces verts par les communes, intégration des voies dans le domaine communautaire, etc.) » (CR de la conférence territoriale du secteur Nord Ouest du 18/12/2009). L'articulation du PLH à la problématique environnementale se souligne par la promotion d'opérations d'éco-construction via la réalisation d'opérations d'habitat « pilote » permettant à terme l'élaboration d'une charte d'éco-construction appliquée à l'habitat (fiches 8 et 9 du PLH). Dans les PLU, les élus communaux ont tous validé un PADD articulé autour de trois piliers : « la ville durable » (exemple de la Chapelle sur Erdre, préservation des vallées et des sites sensibles), l'amélioration de la vie des habitants au quotidien (cheminements piétonniers, équipements publics, offre de logements) et l'intégration à la dynamique métropolitaine (exemple toujours de la Chapelle : parcs d'entreprises, projet de tram train, ...). Parmi les objectifs du PADD figurent d'abord le renouvellement urbain, mais aussi un enjeu quantifié de production de logements. On trouve aussi la définition d'espaces agricoles durables, 96 permettant aux acteurs du monde agricole d'investir dans la durée, en préservant la diversité des productions, en encourageant la vente directe... pour favoriser le dynamisme de l'agriculture périurbaine. 4 autres volets sont précisés, qui ont été « relookés » en quelque sorte pour la candidature à la capitale verte de l'Europe : - La valorisation des patrimoines et des paysages en améliorant la qualité de l'eau, en développant les coulées vertes, les réseaux de promenades piétons et cyclistes, les forêts urbaines, et en préservant les éléments représentatifs du patrimoine bâti et Îgétal. Le renforcement des moyens de déplacements en proposant avec le busway et les navettes fluviales des solutions de remplacement au tout-automobile, en créant de nouveaux parcs-relais pour faire la jonction entre automobiles et transports en commun, en recherchant un nouveau maillage de desserte par les transports en commun des quartiers, en encourageant les plans de mobilité des entreprises, en prévoyant de nouveaux franchissements de la Loire. La réduction de la consommation énergétique en développant l'utilisation des énergies renouvelables, éolien, solaire, géothermie, en valorisant les déchets ménagers et en promouvant les constructions de qualité environnementale. La prévention des risques et nuisances pour préserver la qualité de l'air, de l'eau du sol et du sous-sol et prendre en compte les risques naturels et technologiques. - - - L'élaboration du PLU de la Ville de Nantes est réÎlateur des modalités réglementaires adoptées en faveur de grandes options relevant du développement durable sur la problématique environnementale : renforcement du classement en zone naturelle des coulées vertes, disposition d' un square à moins de 500 m de chez soi, création d'un cahier de recommandations environnementales annexé au PLU (exemples : inscription de préconisations liées à l'écoulement des eaux pluviales et au rechargement des nappes phréatiques - coefficient de pleine terre), charte de l'arbre en ville et réglementation obligeant à remplacer les arbres abattus suite à une construction. L'hybridation de la commande initiale avec la problématique environnementale tend à se systématiser dans les ZAC de l'agglomération depuis 2004 (les ZAC sont toutes devenues communautaires en 2010) : - - - dans les projets de rénovation urbaine : ainsi du Nouveau Malakoff ou des Dervallières, dans les projets de régénération urbaine comme l'Île de Nantes, dans les nouveaux quartiers : ainsi de Bottière-Chênaie, Bêle Champ de Manoeuvre, Erdre-Porterie, ou encore hors de la Ville de Nantes : les Perrières à La Chapelle sur Erdre, la Pierre Blanche à Bouguenais, ... - ZAC, écoquartiers et compromis opérationnels Sur les ZAC, les approches Développement Durable sont développées mais non structurées, dépendant de l'expertise des SEM. Sur quelques cas spécifiques, la SEM met en oeuvre un volet énergie approfondi. Par exemple la SELA a fait le choix d'intégrer dans son équipe un expert sur l'énergie qui travaille notamment sur la ZAC des Perrières à la Chapelle sur Erdre. Pour le nouveau Malakoff, une approche a été développée dans le cadre d'un appel à projets 97 de la DIV et EDF sur « la qualité environnementale dans les quartiers ». Deux équipes de recherche (le CERMA et l'Ecole des Mines-DSEE) ont joué le rôle d'AMO énergie auprès de la SEM Nantes Aménagement sur la phase I de la ZAC du Pré Gauchet. Nantes aménagement a poursuivi avec un AMO énergie. Du côté de l'île de Nantes en 2006, un AMO énergie a été missionné par la SAMOA pour analyser les projets existants et accompagner les projets en cours (Pouget Consultants), dans le cadre du programme européen Concerto (cf. infra). Un bilan énergétique des bâtiments a été livré en Septembre 2011. A partir de 2008, des cahiers des charges énergie ont été fournis à l'occasion des consultations de promoteurs. Venant armer la maîtrise d'ouvrage cherchant à faire pression sur les opérateurs de la construction, ce dispositif n'est pas intégré à la maîtrise d'oeuvre urbaine du projet, agencé par l'atelier de l'île de Nantes sous la houlette d'A.Chemetoff, paysagiste, architecte et urbaniste, plutôt réticent, lui aussi, à la codification et à la standardisation du développement durable. Depuis 2010, un nouveau groupement est à l'oeuvre pour la maîtrise urbaine, associant au départ, au binôme M.Smets et A-M De Puydt, un bureau d'études allemand, Transsolar, sur l'ensemble des questions énergétiques. Insuffisamment souple et trop distant aux autres acteurs, cette équipe est sortie du groupement début 2012 et la Samoa a relancé une AMO pour la réalisation d'une charte d'objectifs des principes de développement durable sur l'île de Nantes (marché remporté par Franck Boutté consultants). Dans le même temps, Nantes Métropole relance le chantier d'un guide des écoquartiers, l'atelier de 2006-2007 n'ayant toujours pas abouti. Le prisme des éco-quartiers est des plus intéressants sur la question de l'outillage car reflétant différentes tensions et paradoxes, des hésitations aussi des professionnels impliqués dans les projets urbains (cf. aussi Devisme et al, 2009, pp210-217). Certes, et cela rejoint les analyses sur les prises de conscience, on peut repérer de plus en plus, au sein de la boîte à outils des chargés de mission et chargés d'opération des qualités « génériques » du développement urbain durable : anticipation, réversibilité et performance tendent même à devenir des mots-clés. Ce n'est pas sans lien avec les grands enjeux approuÎs dans l'agenda 21 communautaire. Si certaines options communautaires sont stabilisées (exemples de la priorité du réseau de chaleur urbain ou encore du photovoltaïque) et influent sur les choix à opérer par les aménageurs, d'autres questions restent sans réponse claire, notamment sur des normes qui évoluent très rapidement. Les pilotes des projets doivent composer avec une stratégie environnementale globale multi-enjeux (parmi ceux-ci l'énergie, la qualité environnementale du bâti et des espaces publics, la gestion des déplacements et des déchets...) qui est en cours d'élaboration au même moment où un certain nombre d'arbitrages doivent se faire (pressés tantôt par le niveau politique mais aussi parfois en rapport à des questionnements d'opérateurs). Si l'on ne retient que la problématique énergétique ­ dominante comme on l'a vu, on peut observer à quel point elle attise la fébrilité des professionnels sur différents enjeux de performance du moment : - le photovoltaïque (« En ce moment, les élus sont très portés sur le photovoltaïque. C'est un créneau à leur ouvrir. Il y a une problématique de pôle d'excellence sur l'agglomération autour du photovoltaïque », réunion du 29 mai 2007, Nantes Métropole), l'extension du réseau de chaleur urbaine avec un certain flottement de la commande de la collectivité auprès du concessionnaire (« Nantes Métropole doit être clair sur ce qui est demandé à Elyo [le concessionnaire] sur le réseau de chaleur urbain dans le - 98 cadre de la phase 2 d'Euronantes Gare et penser à la problématique du froid. Il faut le prévoir, c'est évoqué sur l'Île de Nantes et cela évolue dans le bon sens. Et nous, maintenant comment on procède ? », même réunion, propos d'un acteur d'une SEM), la THPE ­ très haute performance énergétique (« sur la THPE, cela vient de s'éclaircir. Il y a un décret de l'Etat qui vient de sortir et des labels identifiés. Sur l'énergie, on a les données techniques. Après il faut que l'on ait des choix politiques clairs à Nantes », même réunion, Nantes Métropole). - Un frein supplémentaire apparaît aussi lié au cloisonnement des approches sur le volet de la qualité environnementale entre maîtres d'ouvrage. L'ensemble crée une action publique qui se fait dans l'incertitude par manque de cadres structurés et dans le contexte d'une rapide évolutivité des normes. Interdépendants, les professionnels attendent des « réponses » et patinent. C'est donc à l'échelle des périmètres de projet que les acteurs réfléchissent néanmoins sur les normes actuellement en vigueur. La HQE® à la nantaise ou la nécessité d'adapter une norme standard parfois jugée mal adaptée Réunion du 25 septembre 2006 : ZAC Euronantes Gare ­ évaluation de la démarche environnementale phase 1, Nantes Métropole / Nantes Aménagement - cadre Urb, NM: il y a la grosse question de la certification. « est-ce qu'on y va ou pas ? » [raconte qu'elle a rencontré les personnes de Cerqual sur les logements]. - cadre SEM : est-ce que c'est un projet urbain atypique ? Ou bien, est-il aligné sur une politique communautaire ? Autre question, est-on dans une démarche globale avec les autres éco-quartiers Bottière-Chênaie et Île de Nantes ou bien doit-on foncer dans notre coin ? En tout cas, je suis pour une certification made in Nantes. La HQE, ça a un coût : 15/20% en plus. Pour les bailleurs sociaux, c'est encore plus difficile la HQE. Même la Nantaise d'habitations [bailleur social priÎ] freine sur la certification. Alors pour Nantes Habitat [OPHLM], c'est encore plus difficile. Pourquoi pas faire une HQE à la nantaise ? Ce n'est pas nécessaire d'avoir Cerqual pour faire bien. - cadre mission Energie, NM : On peut faire sans la certification et se fixer des exigences par cible. C'est plus facile à mener et cela peut se monter avec un AMO. Il y a des outils et on peut obtenir des labels reconnus par l'Etat hors cerqual. On peut aller plus loin sur une cible, une thématique et être très en pointe : telle performance en kwh/lgt par exemple. - cadre Urb, NM: Les options, qui les propose ? Vous pouvez le faire à la mission énergie ? - cadre mission Energie, NM : oui. Même si le référentiel éco-quartiers n'est pas calé au niveau de NM. - cadre SEM : il faut prendre les 14 cibles et voir, cible par cible, quelles sont celles qui sont importantes pour Nantes Métropole. Dans la seconde consultation promoteurs que l'on prépare, on travaillera sur des cibles privilégiées, tout en laissant la possibilité aux constructeurs d'aller plus loin, et de faire Cerqual. - cadre mission Energie, NM : oui, il faut sélectionner les cibles. Nous, à la Mission énergie, on a demandé 3 cibles : énergie en très performant, eau et déchets. - cadre SEM : déjà on peut demander ça !! où on met le curseur sur ces trois cibles ? c'est à vous de nous dire. Il faut partir sur des hypothèses plausibles, et ne pas attendre un programme par îlot figé. « Ne pas traiter le stationnement opération par opération », « maximiser les porosités entre 99 l'espace public et les programmes », « aller vers une gestion rustique des espaces verts », « réduire au maximum les tuyaux pour le recueil des eaux pluviales », « optimiser la gestion des déchets par des points obligatoires de dépôt », « proscrire le PVC sur toute l'opération »... Un ensemble de règles et exigences circulent dans ces réunions techniques au cours desquelles les professionnels discutent longuement à la micro-échelle des matériaux de construction, des noues filtrantes, du mobilier urbain adéquat pour optimiser l'éclairage public, des paÎs à joints drainants sur les places de parking, ... Une somme de compromis opérationnels se construit au fil des mois au point de servir d'éléments de méthode pour la suite. Certaines techniques sont testées par un aménageur puis systématisées et reprises par un autre aménageur de la place. Les approches bio-climatiques constituent un bon exemple. Nouveau standard des modes de faire éco-urbanistiques, les démarches bioclimatiques ont fait leur apparition à Nantes pour les premiers îlots dessinés du futur quartier du Pré Gauchet sur le territoire du GPV. Une étude commanditée en 2006 au CERMA sur l'optimisation des formes et volumes, livre un certain nombre d'enseignements. Une commande identique concerne ensuite le site du Tripode sur l'île de Nantes. La démarche bioclimatique a été progressivement intégrée aux études de faisabilité d'Alexandre Chemetoff. Deux choses peuvent être pointées. Tout d'abord les effets de concurrence et de coopération entre acteurs, plutôt relevant de la concurrence entre Ville et Nantes Métropole sur l'affichage éco-quartier, plutôt relevant de coopération entre collectivités face aux aménageurs. Ensuite l'arriÎe dans l'univers des projets urbains d'experts de la qualité environnementale et dont l'expertise occupe un spectre finalement assez large. S'ils occupent essentiellement une place d'AMO (Pouget Consultants, Indigo, Franck Boutté, SCE...) sollicités plus ou moins urgemment car il faut « donner des réponses », celle-ci pose parfois problème, car comme nous le confie avec un peu de malice un agent : « le problème des AMO, c'est que quand ils sont partis, ils ne sont plus là » ! Et de fait, certains outils sont progressivement tenus en interne (cf. supra à propos du profil des nouveaux chargés de mission en développement durable), le récit métropolitain insistant beaucoup sur la forte maîtrise publique. - Vertige des référentiels et programmes d'échanges La question de l'outillage de l'apprentissage pose une question de « chaînage » des actions : comment traduire les exigences génériques du développement durable ? Comment dépasser le stade des expérimentations et viser davantage de coordination ? A Nantes Métropole comme ailleurs, il est possible de suivre la délicate mise en oeuvre de référentiels. Inscrits dans les fiches-actions de l'Agenda 21 de la Communauté Urbaine, deux ateliers réunissant les professionnels nantais ont été mis en place dans une telle perspective. Il s'agit d'un « atelier des densités » d'une part visant un « guide de la forme urbaine », annexé au PLU, qui s'adresserait aux professionnels de l'aménagement intervenant sur le territoire de Nantes Métropole et serait inclus dans les conventions tripartites avec les aménageurs. Un second « atelier éco-quartiers / quartiers durables » a quant à lui commencé en mars 2007 avec l'objectif de formaliser fin 2008 un référentiel d'aménagement durable applicable à l'ensemble des projets urbains portés par les collectivités locales nantaises (communes et communauté urbaine). C'est un référentiel toujours à l'horizon en 2012, Nantes Métropole a de son côté missionné le bureau d'études SCE, suite à de nouvelles réorganisations internes 10 0 et la quête d'une forme urbaine durable passant par trois éléments fondateurs : un atelier de la forme urbaine, un guide Ecoquartier et une charte d'aménagement de l'espace public. En 2011, la Samoa a de son côté missionné une nouvelle AMO sur l'île de Nantes en vue de l'élaboration d'une charte de principes de développement durable... Une tension non résolue persiste entre la mise en exergue des quartiers vitrines nantais de l'urbanisme durable et la volonté d'aboutir à une démarche reproductible sur toutes les opérations publiques d'aménagement. Il est aisé de comprendre pourquoi les professionnels s'emparent des projets urbains nantais les plus avancés dans leurs discussions : le but étant de convaincre les aménageurs et les élus, par des exemples concrets, de la faisabilité des projets durables. Se greffe aussi le problème des objectifs politiques éleÎs et de leur confrontation au terrain. Enfin, les critères mêmes de l'habitat « vert » (green building) sont difficiles à manier aux yeux des professionnels et des élus : « des maisons en bois, tout le monde est pour, mais si le bois vient de loin, alors on a tout faux » (chargée de mission CETE de l'ouest, novembre 2007). De par sa fonction « d'aide à la décision », la dimension incitative du référentiel paraît évidente, cependant beaucoup d'interrogations subsistent sur la pertinence d'un registre plus normatif. Le collectif de l'atelier écoquartiers de 2007 s'est ainsi posé la question du niveau d'exigences à imposer aux opérateurs qui viennent construire sur le territoire. « Sur l'Ile de Nantes, on a essayé de travailler le DD opération par opération. Et certains promoteurs se sont prêtés au jeu d'autant qu'ils veulent être bien vus et avoir d'autres projets car on en est encore qu'au début. Mais aujourd'hui le besoin d'avoir des objectifs clairs se fait sentir. Certains promoteurs jouent, nous entourloupent car il n'y a pas de critères écrits, mis sur le papier. En même temps, jusqu'à quel niveau de détail, il faut afficher nos critères ? » (chargé de mission, SAMOA, réunion atelier éco-quartier, 26 juin 2007). L'énergie pourrait paraître comme étant le domaine où les préconisations «normatives» semblent les plus évidentes. En même temps, l'évolution très rapide des normes et de la fiscalité risque de rendre très vite obsolète un référentiel qui serait basé sur une telle approche. Alors comment procéder ? Une certaine appétence pour les preuves éco- technologiques (démonstration de panneaux solaires et autres bassins d'eau filtrants) prend le dessus à Nantes sur des approches plus sensibles et sociales du DD qui travaillent en premier lieu la question des modes de vie et les possibilités d'évolution des pratiques vers davantage de sobriété environnementale. Une Îritable conduite de changement se cherche au fil de nombreuses réunions mais aussi via la participation à des projets et programmes européens. Ainsi de Concerto (dont l'effet est analysé ailleurs et de manière comparative dans le présent rapport). ApprouÎe en décembre 2005 par la Commission européenne, la candidature de l'île de Nantes portée par Nantes Métropole proposait une méthodologie à décliner dans des opérations pilotes avec des objectifs de limitation de consommation énergétique des bâtiments, de recours aux énergies renouvelables. Il est ensuite revenu à la SAMOA d'inscrire la démarche dans les CCCP et CCCT. La centrale photovoltaïque du centre Beaulieu a été inscrite au programme Concerto de même que 10 opérations de démonstration de construction neuves et quelques opérations de réhabilitation. La captation de fonds européens (cofinancement à hauteur de 35% par la Commission européenne) induit une identification par les acteurs locaux des opérations du projet susceptibles de « porter une 10 1 démarche Concerto » (a minima 15% sous la RT 2005 + recours à la ressource renouvelable dans la fourniture d'énergie). « Concerto-Act2 » s'inscrit dans le prolongement, son porteur à Nantes Métropole y voit un accélérateur de développement urbain au sein d'une politique énergétique vertueuse. Que retenir sur le registre des « outils » ? Ils recouvrent des éléments encore très disparates. Relevant d'abord de principes à l'échelle communautaire, on en trouve ensuite, au niveau technique, en rapport à la production immobilière, sur le tertiaire comme sur le logement. Entre les deux, la dimension urbaine est soit traitée, dans le registre de la règle ordinaire avec des recommandations annexées au PLU dont tout acteur doit prendre connaissance avant une intervention spatiale, soit, dans le cadre des projets urbains, par la sensibilité des « hommes de l'art » retenus. Si l'on peut bien sûr différencier des options retenues suivant les projets, il reste un dénominateur commun qui est celui d'une gestion rustique des espaces publics par exemple, de la réÎlation de ce qui préexistait. Que ce soit à Bottière- Chênaie ou sur l'île de Nantes, la critique des modèles urbains autonomes, l'enjeu de mettre en résonance, de s'appuyer sur la géographie sont partagés. Les degrés de prescription des outils mentionnés sont très variables. Pour ce qui est de la certification par exemple, on peut souligner des enjeux de passage d'une certification de conception à une certification de réalisation, avec le problème important de savoir qui est capable de contrôler. Dans le même ordre d'idées, pour ce qui concerne le secteur diffus, s'il existe certes un cahier de recommandations environnementales, il pose problème dans son appropriation par les instructeurs et le service du droit des sols. Le côté disparate des outils est issu d'une familiarisation multipistes, qu'elle s'acquiert sur le tas et via l'insertion dans des réseaux (exemple du réseau de partage d'expériences PALME dans lequel Nantes Métropole est inscrit) ou bien via les formations des chargés de mission et les convictions professionnelles qui les accompagnent. Variété et labilité peuvent aussi être vues comme des qualités et on rejoindrait alors les analyses qui font de « L'écoquartier, plus qu'un modèle, plus qu'une caisse à outils, [constitue ainsi] un « objet-frontière » (Star, Griesemer, 1989), un espace qui permet la rencontre de mondes sociaux différents » (Matthey, Gaillard, 2011). Comme le dit, en écho, L.Coméliau « A Nantes, on laisse germer partout. On essaie de tenir tous les équilibres. » (entretien). De l'agenda 21 première version avec 21 actions se voulant démonstratives à une politique publique transversale (M.Guillard) ; d'une structure productrice de services urbains à une structure animatrice du territoire (R.Dantec), le développement durable est désormais facilement mentionné comme opérateur d'un mûrissement des stratégies de régulation publique. Le suivi des apprentissages auquel il donne lieu peut se repérer aussi bien dans l'institution que dans les habitus professionnels et dans les outils et références qu'ils mobilisent. 10 2 INVALIDE) (ATTENTION: OPTION élus se doivent de répondre à cette demande, et l'engagement forte de la ville de Grenoble dans le domaine du développement urbain durable s'explique de cette façon. Dans les mots de Pierre Kermen (Elu ville de Grenoble) : « C'est à dire que c'était une ville où le pouvoir politique était faible, par contre le pouvoir de la société civile était fort. Et que le propre de l'intelligence politique grenobloise était de faire vivre les acteurs. » 27 De l'autre coté, dans la ville de Reims, notre étude n'a pas permis de faire ressortir une demande sociétale en la matière : soit elle est faible, soit les acteurs ne la perçoivent pas. A Nantes il paraît que les changements de pratiques relatifs aux performances environnementales des bâtiments sont d'abord motiÎs par les incitations fiscales pour les investisseurs que par des programmes incitatifs tels Concerto (entretien chargé de mission IDN). Depuis 2010 sur l'île de Nantes, le nouveau maître d'oeuvre retenu (Smets et UAps) s'est associé au bureau d'études allemand TransSolar (Technical consulting for energy efficiency and environmental quality in buildings) pour tout ce qui concerne le volet environnemental des nouvelles préconisations dans le cadre de la mission de conception urbaine. Il est aussi associé aux paysagistes de ProAp et au bureau d'études SCE. La maîtrise d'ouvrage déléguée, de son côté, a lancé à l'automne 2011 une consultation pour une mission d'AMO pour l'élaboration d'une charte d'objectifs de développement durable de l'île de Nantes. L'agence Franck Boutté Consultants a été retenue. Ce niveau vient à nouveau dans un deuxième temps. L'expérience nantaise montre aussi que la demande sociétale peut se « travailler ». Ainsi, on peut mentionner d'une part un programme de sensibilisation via le PCT (Plan Climat Territorial) sur un ensemble de 1000 familles nantaises et des demandes diffuses ensuite pour des terrains permettant des expérimentations sur l'habitat collectif (cf. asso Echo- habitants). Une expérimentation à Bottière-Chênaie est sur le point de se mettre en place. Ces projets, alternatifs, ne sont pas liés à la recherche de généralisation qu'évoque le processus d'apprentissage expérimentation ­ internalisation ­ standardisation, mais en provoquant une prise de conscience chez la population, ils pourraient peut-être y mener. 4.3 Référentiels / guides / chartes En relation avec le besoin de faire circuler de nouvelles connaissances, les collectivités mettent en place des référentiels (chartes, guides, ...) locaux dans les domaines liés au développement urbain durable. Dans la phase de l'élaboration, ces référentiels servent comme outil d'apprentissage pour la collectivité qui les élaborent (effet indirect sur la production de la ville) ; dans la phase de l'application, ils servent comme outil pour influencer le comportement (les pratiques professionnelles) des acteurs auxquels ils s'adressent (effet direct sur la production de la ville). En outre, l'influence sur les pratiques professionnelles diffère selon le degré d'imposition du référentiel: contrainte, incitation ou consultation. Les quatre villes comprises dans notre comparaison ont toutes produit ou sont en train de produire des référentiels dans le domaine du développement durable, qui ont pour objectif d'aider, voir d'imposer, les acteurs de la production de la ville des façons de faire qui prennent en compte les exigences du développement durable. Pourtant, les référentiels sont produits différemment quand à leur processus d'élaboration, leur application et l'objectif poursuivi par la collectivité qui le met en place. En 2003 paraît le Référentiel « Habitat Durable » du Grand Lyon, qui vise à accroître la qualité environnementale dans la construction de logements. Composé d'un ensemble de fiches prescriptives relativement détaillées, il est imposé à toutes les opérations de logements que lance le Grand Lyon dans le cadre de cessions de terrain et de ZAC 28 d'initiatives communautaires . Par ailleurs, il ouvre droit à des aides majorées du Grand Lyon aux bailleurs sociaux qui l'appliquent pour produire des logements de type PLUS et PLAI. Construit par la mission Habitat et l'ALE, il est réactualisé en 2006, suite notamment au référentiel habitat de la région Rhône-Alpes publié en 2005. Il sera aussi imposé sur l'ensemble du territoire, quelque soit l'appartenance du foncier et le type d'opérations (comme la simple opération de bâtiment). C'est une étape très importante dans la constitution d'une politique de développement urbain durable, car c'est le premier outil dont dispose l'intercommunalité pour assoir ses exigences, et elle a eu un effet réel sur les pratiques, comme le précise Béatrice Couturier (Grand Lyon) : « Les AEU et le référentiel habitat, c'est tout ce qui nous a permis de poser les fondements de notre méthode. » En 2006, un autre référentiel suit, le « Référentiel pour la qualité environnementale des bâtiments à usage de bureaux ». Il adopte le même fonctionnement que le référentiel habitat, sans s'adresser aux mêmes acteurs (il s'agit surtout d'acteurs priÎs). Ces deux référentiels restent focalisés sur le bâti, un référentiel adressé à l'échelle du quartier ne verra le jour qu'en 2011. Ce « Référentiel Quartiers durables » décline les trois piliers du développement durable en prescriptions précises pour l'aménageur et les acteurs du développement urbain intervenant à l'échelle du quartier. Ces documents s'appuient sur des études et des projets réalisés dans l'agglomération de Lyon, et les mobilisent comme autant d'exemples démonstrateurs. Du fait de la taille de l'agglomération lyonnaise, ces projets sont nombreux et d'une façon générale, l'accent n'est pas mis sur un plus qu'un autre. Le plus intéressant est sans doute le travail de transcription dans les référentiels des expérimentations menées au cours de ces projets : les enseignements sont hissés à un niveau plus général, et peuvent ainsi être transférés ailleurs. Dans la ville de Grenoble, le principal référentiel dans le domaine du développement urbain durable est le « Guide de la qualité architecturale, environnementale et urbaine », publié en 2006 pour accompagner le PLU. Il s'agissait de prendre en charge des éléments qui ne pouvaient pas l'être par le biais de la réglementation ou de l'aménagement en Zone d'aménagement concerté (ZAC). Cet outil incitatif regroupe de nombreuses recommandations pour tendre vers une qualité environnementale des aménagements et du bâti. Il s'adresse aux professionnels qui aménagent et construisent sur le territoire grenoblois : l'élaboration a été coordonnée par un bureau d'études. Il s'agissait d'un travail partenarial avec les acteurs de la production de la ville. Ainsi, le guide contribue à la construction d'une culture commune. Le guide préconise les actions à mettre en oeuvre sous forme de fiches pratiques dans trois domaines (l'aménagement, la construction neuve, la réhabilitation). La ville utilise le guide explicitement dans les interactions avec les opérateurs. Cette utilisation est articulée avec la gestion des droits des sols : la ville de Grenoble s'appuie sur son guide pour évaluer les propositions de développement urbain. Cela résulte en des interactions entre opérateurs et la ville de Grenoble avec comme sujet la prise en compte des prescriptions du référentiel dans les projets urbains. Ainsi, le guide est utilisé à Grenoble comme outil pour assurer que le développement urbain répond aux critères de qualité architecturale, environnementale et urbaine que la ville s'est fixées. Il convient de noter que la ville de Grenoble, par sa situation géographique et son dynamisme économique, est une ville attractive pour des investisseurs en immobilier et que les prix du marché immobilier peuvent absorber des coûts de construction plus éleÎs. Elle peut donc 29 se permettre d'imposer aux producteurs de la ville un niveau d'exigences plus éleÎ qu'ailleurs. A Reims, l'élaboration d'un référentiel « ville durable », engagé depuis 2010 sert bien d'outil d'apprentissage tant pour la collectivité que pour les autres organismes impliqués dans la production de la ville, notamment les bailleurs sociaux. C'est d'autant plus marqué qu'il y a auto-élaboration, c'est-à-dire définition de référentiels propres sui generis plutôt qu'adaptation de référentiels existants par ailleurs. Cela fonctionne à l'échelle interne de chaque organisme/institution (c'est-à-dire sur son propre référentiel) et alimente des démarches de progrès internes. A l'inverse, il semble n'y avoir que peu d'influence de la collectivité vers les acteurs opérationnels : le référentiel Reims métropole a un niveau d'exigence en deçà des pratiques des bailleurs. L'influence sur les promoteurs priÎs n'est pas démontrée. Il faut noter que Le label Reims-métropole dépend uniquement de la bonne volonté des acteurs (pas de contrainte, ni d'incitation financière). Il ne produit pas ou peu d'effet sur le secteur priÎ (les organismes HLM étant au-dessus de ses exigences). de leurs cotés, les bailleurs ont élaboré leurs propres référentiels internes, qui influencent les pratiques professionnelles des sous-traitants. Un des bailleurs va également plus loin, en proposant à la collectivité un livre blanc sur l'aménagement durable remois (en cours de réalisation en 2012). A Nantes, la mise en place d'un référentiel développement durable est dans les tuyaux depuis 2007. Entre 2006 et 2007, plusieurs réunions d'un atelier « écoquartiers » visaient la production d'un référentiel. Elles ont permis certes une dynamique de groupe inter- institutions (Nantes Métropole, Ville de Nantes, aménageurs, CETE de l'Ouest) mais n'ont pas abouti. Plusieurs questionnements sont revenus depuis, relatifs aux finalités attendues d'un tel référentiel, entre incitatif et normatif et sur la place qu'un tel guide pouvait occuper au sein des politiques publiques. Début 2011, le chantier d'un guide écoquartier métropolitain a été relancé. La décision a été prise de lancer une AMO qui doit s'appuyer sur la charte d'aménagement de l'espace public en cours... La rédaction du guide est prévue au deuxième semestre 2012. Il devrait servir de référentiel à l'ensemble des opérations conduites sur le territoire métropolitain. Il pourrait identifier les bonnes questions à se poser et à traiter sur tous les projets, préciser des minima incontournables pour toutes les opérations et caler des exigences supplémentaires pour les projets de maîtrise d'ouvrage métropolitaine. Il s'agirait d'un guide qui ne se substituerait pas aux guides et référentiels techniques validés ou en cours de construction, et qui serait souple d'utilisation et actualisé régulièrement. Le niveau communautaire (Nantes Métropole) se cherche également depuis plusieurs années sur la question des référentiels (cf. le référentiel éco-quartier, en construction depuis longtemps), il s'est davantage rendu visible sur un plan meta : Plan Climat Territorial, écocité Nantes Saint-Nazaire lauréate du fond « Ville de Demain », Nantes capitale verte de l'Europe en 2013... Le niveau de production de la ville n'apparaît donc pas spécialement piloté par une liste d'exigences, dans la poursuite d'un urbanisme à la nantaise, entre autres caractérisé par une relative faiblesse du pilotage communautaire (cf. les aléas organisationnels de la Direction Générale du Développement Urbain). En dehors de l'urbanisme de projet, le secteur diffus est concerné par un cahier de recommandations environnementales annexé au PLU dont il semble que les instructeurs de permis de construire et le service du droit des sols ne sont pas assez familiers pour que cela porte à des 30 conséquences significatives. Nantes est donc toujours en quête d'un document fédérateur dont on voit bien que ce n'est pas tant l'existence même qui compte que les processus d'élaboration et d'apprentissage dont il est l'occasion. La prise en compte des exigences liées au développement durable dans la production de la ville est relativement récente. Bien que des connaissances et des savoir-faire qui permettent de produire une ville plus durable existent, les acteurs « sur le terrain » ne les maîtrisent pas forcément. En même temps, les objectifs qu'ils se donnent, les obligent à agir différemment. Pour ce faire, ils s'appuient sur des connaissances produites ailleurs. Une façon de faire cela est de mobiliser des connaissances externes en faisant appel à des consultants et bureaux d'études, nous en avons parlé en paragraphe 1.1. Une autre façon de mobiliser des connaissances d'ailleurs est en s'appuyant sur des référentiels faits par d'autres acteurs. Des référentiels Haute Qualité Environnementale, Approche Environnementale de l'Urbanisme, des démarches comme le palmarès des EcoQuartiers des programmes comme les programmes européens Concerto et Smart Cities fonctionnent comme Îhicules pour rendre disponibles les connaissances et savoir-fairede certains réseaux supralocaux dans des réseaux locaux. Il s'agit ici de ce qu'on appelle en termes d'apprentissage organisationnel des « objets frontières ». On assiste depuis plusieurs années à une prolifération de ce type de labels et de référentiels supra-locaux. Ces leviers permettent effectivement d'accélérer le changement des pratiques professionnelles (surtout quand ils sont accompagnés d'aides financières), mais leur effet dépend avant tout de la volonté des acteurs locaux de s'en saisir). En 2003, le Grand Lyon (poussé par le service opérationnel qui était sensible à l'approche qualitative et au développement durable) se porte volontaire auprès de l'ADEME pour expérimenter huit « approches environnementales de l'urbanisme » (AEU®) sur son territoire. Il s'agit d'une méthode élaborée par l'ADEME, qui permet d'améliorer la phase diagnostic de tout projet d'aménagement. Cela a permis aux acteurs d'intégrer des l'amont les considérations environnementales dans les projets urbains, dans une période ou ils n'étaient pas encore très familiers avec le sujet. A Lyon, cet outil est porteur de grands changements car en 2005, les élus communautaires décident de généraliser l'usage des AEU® à l'ensemble des projets urbains initiés par le Grand Lyon. L'expérience lyonnaise avec la démarche AEU® montre le rôle que peuvent jouer ces objets frontières dans le changement des pratiques professionnelles. Depuis, le Grand Lyon a développé suffisamment de compétences en interne pour ne plus avoir besoin d'appliquer à la lettre la démarche AEU telle qu'elle est envisagée par l'ADEME. L'approche environnementale de l'aménagement a été internalisée et ne nécessite plus le recours systématique à ce référentiel. Cette évolution illustre le rôle que peuvent jouer ce type de référentiels « généraux » dans le changement des pratiques professionnelles au niveau local. Une autre expérience lyonnaise montre d'une autre façon l'importance que peuvent avoir les référentiels. Dans le cadre du programme européen Concerto, le Grand Lyon et la SPLA Lyon Confluence s'auto-imposent (car ils ont fait une choix délibéré de participer dans le programme) des exigences en terme notamment de performance énergétique de bâtiments. 31 Les règles du jeu du programme Concerto ont obligé le Grand Lyon et la SPLA à mettre en place des méthodes qui permettent de produire ces bâtiments. Cela a eu une influence importante par exemple sur les cahiers des charges de cession de terrains que la SPLA utilisait pour les îlots concernés par le programme. La subvention européenne qui accompagnait les exigences strictes en termes de performance énergétiques a aidé dans un premier temps pour permettre la réalisation des bâtiments qui étaient à l'époque à la pointe de ce qu'on savait faire. Par la suite, ces cahiers des charges sont devenus le standard et maintenant, la SPLA n'a plus besoin du programme Concerto pour les imposer aux opérateurs. D'eux-mêmes, ceux-ci ont intégrés les niveaux de contraintes, voire même proposent, au stade du concours, des bâtiments ayant des performances supérieures. Cette expérience conduit Béatrice Couturier (Grand Lyon) à observer : « Pour nous, les programmes européens sont vraiment des accélérateurs. » On peut observer un positionnement un peu ambigu par rapport aux labels à Confluence. Au départ, ce quartier Confluence n'était pas affiché comme écoquartier, la notion n'existan pas en 2003. En cours de trajet, le programme Concerto aidant, le projet est apparu comme une opération qui a toutes les caractéristiques d'un écoquartier. Cela à conduit à deux choses : l'obtention d'un prix national dans le cadre du concours EcoQuartiers 2009, dans le domaine de la performance énergétique et l'obtention du label quartier durable du World Wildlife Fund en 2010. Pendant une brève période, on a donc parlé de Confluence comme un écoquartier, mais rapidement le terme a été abandonné, pour souligner le fait que Confluence n'est pas un quartier exceptionnel dans le tissu urbain lyonnais, et que le souci de développement urbain durable concerne tout les projets urbains sur le territoire du Grand Lyon. A Nantes, le rapport au supra-local se joue beaucoup du côté de l'image et de l'aménagement à l'échelle de Nantes-Saint-Nazaire. La question d'une présence dans différents palmarès et concours joue et sert de prétexte à la mise en place d'équipes projets, comme par exemple la candidature conjointe des collectivités Nantes-Saint-Nazaire au concours « EcoCité » déjà mentionné. Ensuite comme pour Lyon et Grenoble le programme Concerto pour le montage de certaines opérations a pu servir comme « aiguilleur ». Mais cela ne concerne qu'un nombre limité d'opérations d'une part et suppose un montage assez lourd qui peut « refroidir » un certain nombre d'acteurs (« si c'était à refaire, je ne suis pas sûr que l'on irait... »). Déjà Nantes Métropole et la SAMOA faisaient part, courant 2008, d'une difficulté particulière pour les opérations « Concerto » : « On identifie nous aménageur un projet pilote et on remet ensuite la responsabilité au promoteur. Mais sur les opérations Concerto, on est en difficulté, moins sur le montage et la conception de l'opération que sur l'implication des entreprises de la filière génie civil qui font en bout de chaîne. Tout le champ de l'innovation est à pousser et pour ça Concerto c'est bien, mais il faut penser aussi à l'exécution. Si les vitrages peu émissifs sont mal posés, vous voyez le problème » (chargé de mission DD, Samoa, réunion 3 avril 2008, à Nantes Métropole). A cette inertie releÎe par les aménageurs dans l'évolution des pratiques de conception et de construction des professionnels, s'ajoutent sur un autre registre l'absence de co- construction d'outils entre villes partenaires du programme, le décalage d'intérêts entre 32 elles. Sur le projet Concerto, Hanovre a une longueur d'avance sur Nantes et teste des opérations innovantes sur du bâti existant, là où Nantes expérimente sur de la construction neuve (hormis le centre commercial Beaulieu). De telles divergences dans les attentes avaient pu être obserÎes plus tôt sur le programme européen Revit et impliquant d'autres villes. On peut également mentionner le programme Citergie (ref ALBriand), labellisation concernant la Ville de Nantes relative à la sobriété énergétique des bâtiments municipaux. A l'autre bout de la chaîne, on peut trouver un aménageur exigeant la certification habitat- environnement, certificat au niveau de la conception, qui n'est pas au niveau de la réalisation (« qui est capable de contrôler en effet ? »). A Reims, les référentiels supra locaux sont peu utilisés. Par contre, il y a un recours dynamique aux labels nationaux. Pourtant, les conséquences en termes de changement de pratiques professionnelles sont peu perceptibles. Il paraît que la recherche de label s'inscrit surtout dans une politique d'image. 4.4 Rôle d'individus Les individus sont cruciaux pour l'apprentissage de nouvelles pratiques professionnelles. Dans la littérature sur le transfert de politiques (policy transfert), ce transfert est conceptualisé comme la transmission de valeurs, de connaissances, de savoirs-faire qui implique des « producteurs », des « émetteurs », des « facilitateurs » et des « récepteurs ». Les acteurs dans le réseau peuvent jouer un ou plusieurs de ces rôles à la fois (De Jong and Edelenbos, 2007). Dans nos études de cas, il paraît que certains individus qui réunissent plusieurs de ces rôles peuvent jouer un rôle crucial dans le passage de l'expérimentation à la standardisation de nouvelles pratiques professionnelles. - Les « visionnaires » sont à la fois émetteurs et facilitateurs, ils apportent des nouvelles idées concernant les enjeux et objectifs ; - Les « experts » sont producteurs et émetteurs, ils apportent des connaissances et des savoir-faire pointus sur un ou plusieurs domaines ; - Les « pivots » sont récepteurs, dans la mesure où ils sont à l'écoute des experts et des visionnaires, facilitateurs dans la mesure où ils organisent la distribution des connaissances et savoirs faire, et producteur dans la mesure où ils traduisent les enjeux en objectifs. Il ne faut pas oublier que le changement de pratiques professionnelles reste au fond une affaire de personnes, d'individus qui, sous différentes influences, modifient leurs façons de faire. Aborder ces changements sous l'angle de l'apprentissage souligne la place centrale occupée par les individus. Le rôle de visionnaire est clairement illustré par l'élu Grenoblois Pierre Kermen. Il apparaît comme la personne qui donne une impulsion déterminante vers un développement urbain durable. En fixant des objectifs éleÎs et en s'impliquant activement dans leurs réalisations, il a fait avancer tout le réseau d'acteurs de la production de la ville dans le sens d'un développement urbain plus durable. Il faut noter que Pierre Kermen s'est créé lui même ce rôle, il va activement chercher des connaissances et des réseaux dans des systèmes d'action différents, cela le permet par la suite d'occuper la « zone d'incertitude » (dans les termes de 33 Crozier et Friedberg, 1977) créée par les nouvelles exigences de développement urbain durable. Dans ces propres mots : « Je fais vraiment mes classes avec Vigny-Musset. C'est là que je rencontre des promoteurs, j'apprends ce que c'est un promoteur, j'apprends ce que c'est un architecte, j'apprends ce que c'est l'opérationnel, j'apprends ce que c'est des coûts, j'apprends qu'on peut faire des choix, qu'on peut imposer des choses. » Lors des élections municipales de 2001, Kermen est tête de liste associant les verts et la gauche citoyenne, ce dernier obtient presque 20% des suffrages : parce qu'il bénéficie de cette forte légitimité, il peut jouer un rôle actif pour initier et soutenir ce qui est devenu la politique de développement durable grenobloise. Il apporte sa vision écologique et environnementale aux politiques et aux projets initiés par son prédécesseur, Christian De Battisti, et les relance énergiquement, accélérant le chantier du développement durable. Il associe ville durable et écologie, et comprend qu'un engagement européen permettrait de soutenir et de diffuser les orientations prises à Grenoble (il a en effet acquis une expérience européenne lors de son mandat précédent comme Délégué aux finances et aux financements européens). C'est un élu très proche des services et très engagé sur le terrain, qui sait développer des partenariats avec le monde de la recherche (l'Ecole d'architecture, l'Institut d'urbanisme de Grenoble) mais aussi avec des organismes comme le CAUE de l'Isère. Il est porteur d'une vision forte, et ­comme il se plait à le dire ­d'un « dessein/dessin » de ce que pourrait être Grenoble. Au cours de ce mandat (2001-2008), l'élaboration des documents d'urbanisme et des outils de planification tient une place importante dans le processus de développement et de généralisation du développement durable. De plus, la réalisation de ces documents offre de nombreuses occasions d'échange avec les professionnels : sous l'impulsion de Kermen, un « milieu local » se structure. Sa capacité à lier différentes mondes sociaux, en particulier les mondes des techniciens et des élus est reconnue par les praticiens à Grenoble, comme témoigne la citation suivante de Perrine Flouret (Ville de Grenoble) : « Pierre Kermen était un élu qui était très proche des services, il était presque un peu trop technique on va dire, il portait techniquement pas mal de projets, et il suivait tellement bien les projets (le PLU, etc.) qu'il avait presque un rôle un peu ambigu de grand patron presque technique et d'élu. » Le départ de Pierre Kermen en 2008, suite aux élections locales perdues par les Verts, n'aura pas d'incidence majeure le système qu'il aura construit. Le visionnaire passe la main au pivot qu'illustre le département urbanisme de la Ville et en particulier le service prospective urbaine. Même si la culture est diffuse dans les différents services communaux et de la Métro, le département urbanisme dirigé par Laurent Gaillard poursuit ce rôle d'incubateur de nouvelles pratiques, avec notamment leur implication récente dans l'élabortaion d'une proposition dans le cadre de l'appel à projets européens Smart Cities, ou encore comme testeur d'un éventuel label EcoQuartier émanant du Ministère du Développement Durable. Ce rôle de pivot paraît crucial pour la standardisation du développement urbain durable. Il organise la distribution des connaissances et traduit les enjeux en objectifs. L'importance de ce rôle est illustré par la chargée de développement durable à la Communauté Urbaine du Grand Lyon ; Béatrice Couturier. Son positionnement en « transversal » lui permet de 34 distribuer les connaissances et savoir-faire liés au développement urbain durable parmi les services du Grand Lyon. Dans un sens, la ville de Reims apporte la preuve par défaut de l'observation du rôle crucial des individus dans l'apprentissage du développement urbain durable. La standardisation de nouvelles pratiques professionnelles n'a pas encore eu lieu à Reims. Les individus impliqués dans les processus relèvent plutôt d'une autre catégorie : les individus en apprentissage. Au plan politique, le visionnaire et le pivot font défaut. A Nantes, au niveau électif, on peut repérer depuis 2001 le rôle des Verts dans la gouvernance politique municipale et communautaire. Pour autant, ni Ronan Dantec, ni Pascale Chiron, qui disposent de mandats délégués (l'un vice-président communautaire en charge de l'environnement jusque sa récente élection comme sénateur, l'autre comme déléguée à la Ville à l'énergie et à la qualité des bâtiments publics) ne peuvent être considérés comme des visionnaires. Ils ont poussé des enjeux assez spécifiques, plutôt techniques, appuyés et relayés par des techniciens ­ militants du développement durable sous des formes variées (à préciser suivant les trajectoires pro des uns et des autres : L.Bézert, L.Coméliau, M.Guillard, V.Huré...), contribuant à la structuration d'actions de sensibilisation et de promotion des enjeux du durable. Ce sont plutôt les profils de « pivots » que l'on retrouve dans les structures ainsi que des « demi-experts », suffisamment aptes à accompagner et piloter des AMO et à diffuser de nouvelles pratiques. Un atelier métropolitain « politique de la ville et développement durable » mettait bien en avant, en 2010, des horizons professionnels et militants différents, selon la place du curseur de l'éducation populaire par exemple. Il montrait aussi, par exemple, une préoccupation assez partagée autour de la question de la « justice environnementale ». 35 5. Pour conclure : vers un agenda de recherche 5.1 Les principales observations Ce projet de recherche a exploré les évolutions des pratiques professionnelles dans le domaine de la production de la ville, sous l'impulsion des impératifs du développement durable. Pour ce faire, le travail a focalisé sur les processus d'apprentissage. Il ressort de nos analyses qu'il y a effectivement apprentissage dans le domaine de la production de la ville : les acteurs adaptent leurs stratégies et leurs activités pour répondre à des nouvelles exigences liées au développement durable. Les notions de « champs d'expérience » et de « horizon d'attente » telles qu'elles sont définies par l'historien Koselleck (1987) permettent de représenter les changements qui ont lieu. Le champ d'expérience fait référence à l'expérience Îcue que possède chaque acteur et qui forme la base pour penser ses actions. L'horizon d'attente désigne ce que chaque acteur souhaite atteindre et ce qui oriente les actions. Koselleck montre que la tension entre les deux permet de comprendre la transformation des sociétés. Nous concevons l'apprentissage comme les processus ­ spontanés ou volontaires ­ qui visent à rapprocher le champ d'expérience de l'horizon d'attente. Le champ d'expérience dans notre travail correspond à la production de la ville. Nous avons vu dans la paragraphe 4.1 comment elle évolue : on y observe une croissance de l'interdépendance entre acteurs qui conduit à une complexification des processus de coordination. L'horizon d'attente, c'est-à-dire ce qu'on cherche à atteindre dans la production de la ville, évolue également sous l'influence notamment des impératifs du développement durable qui se manifestent, comme nous l'avons vu dans le paragraphe 4.2 par des changements dans la réglementation, par les efforts des villes pour se démarquer dans un environnement concurrentiel (le « benchmarking ») et par l'évolution de la demande sociétale. L'apprentissage du développement urbain durable se fait donc dans une situation dans laquelle à la fois les modes de faire et les objectifs évoluent. La production de la ville est un processus itératif et incrémental, dans lequel les acteurs adaptent continuellement leurs actions aux signaux qu'ils reçoivent du contexte dans lequel ils déploient leurs activités. Cette adaptation continue des modes de production de la ville, en vue de produire une ville plus durable, a été au coeur de notre analyse. Plus particulièrement, nous avons tenté d'identifier les éléments qui permettent cette adaptation. Comment peut-on faire le lien entre un horizon d'attente qui évolue sous l'influence des impératifs du développement durable, et un champ d'expérience construit dans un passé où ces exigences n'étaient peu ou pas prises en compte ? Nous avons identifié deux éléments cruciaux que sont les référentiels, guides, chartes d'une part, et les individus d'autre part. Dans les paragraphes 4.3 et 4.4, nous proposons une analyse détaillée des façons dont ces deux éléments permettent l'apprentissage. Ces façons d'agir peuvent être regroupées dans trois catégories principales : La voie négociée: essentiellement à l'échelle du projet entre la collectivité et l'aménageur (qualité et surface dédiée aux espaces publics, l'offre mobilité et la place des modes doux, la programmation et la production de logements sociaux, etc.) et entre l'aménageur et le promoteur à travers les négociations sur les cahiers des charges de 36 cession de terrain avec un impact important sur l'économie du projet et sa réalité aux marchés fonciers et immobiliers; La voie règlementaire : plutôt à l'échelle de la ville ou de l'agglomération (règlement du PLU et gestion du droit des sols, mise en place de SCOT plus prescriptifs, incitations fiscales, le code de la construction, les règlementations thermiques, etc.) La voie culturelle: la ville durable se construit par itération. Le temps d'un projet, les acteurs apprennent à se connaître, à confronter leurs cultures, leurs points de vue. Cet échange crée les conditions d'une acculturation des collectivités, des aménageurs, des promoteurs sur l'approche développement durable, et inversement des bureaux d'études techniques à la culture de projet urbain. Il est probable que cette acculturation joue un rôle central dans la banalisation de l'urbanisme durable. Le tableau ci-dessous fait le lien entre les trois voies qui permettent de faire évoluer les pratiques professionnelles et les vecteurs d'apprentissage central que sont les référentiels et les individus. Tableau 2 ­ Vecteurs d'apprentissage La voie négociée Rôle des référentiels Le référentiel sous forme de chartes ou guides de développement durable non contraignant permet d'expliciter les objectifs et les méthodes d'y parvenir. Cela permet de présenter des prises de position argumentées qui prendront ainsi un poids supplémentaire dans les négociations (exemples : guide de la qualité architecturale, environnementale et urbaine à Grenoble ; référentiel quartiers durable à Lyon) Des référentiels contraignants permettent d'imposer de nouvelles exigences aux acteurs, qui seront obligés d'adapter leurs pratiques pour y répondre. La formalisation d'exigences de façon réglementaire permet de pousser plus loin les exigences dans un cadre de négociations (logique de « paliers ») (exemples : réglementation thermique, HQE) Les référentiels introduisent dans la production de la ville de nouvelles exigences, que ce soit Rôle des individus Le poids des individus « visionnaires » est crucial dans les négociations, dans la mesure ou leur « force de conviction » permet d'amener les autres acteurs à modifier leurs pratiques (exemple : Pierre Kermen à Grenoble). Le rôle d'expert est également important pour poser les cadres des négociations (rôle du cabinet Tribu à Confluence et à la Zac de Bonne). La voie réglementaire La voie réglementaire nécessite d'introduire de nouvelles connaissances dans le domaine réglementaire. Des « experts » sont nécessaires pour produire les connaissances nécessaires. Ensuite, des « pivots » font le lien entre les mondes des experts du développement durable et de la réglementation (rôles joués par exemple par les personnes de l'ADEME). Les individus contribuent en tant que visionnaire et pivot au changement culturel. Le La voie culturelle 37 en termes de contenu ou de processus. Ainsi, ils accompagnent l'émergence de nouvelles pratiques professionnelles et l'acculturation au développement urbain durable (exemples : AEU®, Concerto). visionnaire est nécessaire pour faire accepter de nouveaux idées (exemple Pierre Kermen à Grenoble), le pivot permet à ces nouveaux idées d'être traduites en actions et modes de faire (exemples : Jean Vilien et Béatrice Couturier à Lyon, Perine Flouret à Grenoble) 5.2 Des sujets à creuser Dans ce projet de recherche, nous avons étudié le changement des pratiques professionnelles de production de la ville, sous l'impulsion des exigences du développement durable, par l'entrée de l'apprentissage. Cela a permis de mettre à jour les principales voies de changement des pratiques professionnelles et plusieurs vecteurs d'apprentissage au sein de ces voies. Mais il convient de noter que l'entrée par l'apprentissage a pour conséquence un accent sur les dimensions cognitives de l'évolution des pratiques professionnelles. Cette approche a ainsi focalisé sur les rôles des techniciens. Au terme de notre analyse, nous constatons que l'approche par l'apprentissage est heuristique, mais qu'elle ne permet pas d'aborder toutes les dimensions de l'évolution des pratiques professionnelles dans le domaine de la production de la ville. La mise en évidence de tous les éléments qui contribuent à l'émergence de nouvelles pratiques professionnelles dans le domaine de la production de la ville nécessitera des travaux supplémentaires. Des travaux supplémentaires sont également nécessaires pour traduire les mécanismes obserÎs en outils et procédures opérationnelles. Ces limites étaient prévisibles dès le début, c'est pourquoi cette recherche exploratoire débouche sur un « agenda de recherche ». Il ne s'agit pas seulement de présenter et de mettre en perspective les vecteurs d'apprentissage identifiés dans ce projet, mais également d'identifier les questions qui persistent et de préciser des travaux complémentaires qui permettront de mieux comprendre la façon dont les différents vecteurs d'apprentissage peuvent contribuer à la diffusion du développement urbain durable. Dans cette perspective, les thématiques qui ont émergé sont les suivantes : - Un travail plus en profondeur sur les acteurs paraît nécessaire : qui est porteur d'innovation et comment le transmet-il aux autres acteurs ? Plus précisément, quels pouvoirs ont les différents acteurs pour influencer les autres ? Qu'est-ce qui fait que différents acteurs sont considérés comme légitimes pour amener les autres à modifier leurs pratiques professionnelles ? Dans ce cadre, il paraît intéressant d'interroger le rôle des élus. La modification des pratiques professionnelles n'est pas uniquement une affaire de techniciens. La focalisation sur la dimension cognitive fait que l'influence de décisions politiques n'était pas au centre de ce projet de recherche. Un travail complémentaire qui étudierait l'interaction entre la dimension politique et l'évolution des pratiques professionnelles permettrait d'aborder notre hypothèse que la « demande sociétale » fait évoluer les pratiques professionnelles. Cette hypothèse n'a pas pu être étudiée avec le cadre conceptuel mobilisé dans notre étude. - Certains dispositifs semblent agir comme « accélérateur » de l'apprentissage. Dans 38 l'objectif de faire évoluer la production de la ville dans le sens du développement durable, il serait utile de mieux comprendre en quoi consiste cette capacité d'accélérer le changement des pratiques professionnelles. Le programme Concerto a clairement joué le rôle d'accélérateur (voir paragraphe 4.2). Cela semble indiquer que l'organisation des interactions dans des réseaux d'acteurs constitués autour d'objectifs communs favorise l'apprentissage. Un travail en profondeur sur la façon dont ce programme ­ ou d'autres programmes Européens ­ produisent leurs effets pourrait mettre à jour les éléments précis qui produisent cet effet. - Le rôle que se donnent les collectivités dans les différentes villes pour faire influencer les pratiques professionnelles est différent. Notamment la différence obserÎe entre Grenoble, où il semble y avoir une communauté de pratiques autour du développement urbain durable, et Lyon, ou la notion de collectivité de pratiques semble plus appropriée, nous conduit à nous interroger sur la relation entre la distribution de compétences et les échelles d'apprentissage ayant un impact sur le nombre de personnes à initier. La ville de Grenoble, compétente en urbanisme, est capable de générer un apprentissage rapide, mais sur un territoire relativement restreint. Autrement dit, le changement de pratiques s'opère plus facilement à travers la mise en place de groupes de travail et de diffusion d'outils avec du compagnonnage et à travers les projets suivants. L'apprentissage du développement urbain durable prend une voie plus institutionnelle pour la communauté urbaine de Lyon, mais en même temps, il se fait sur un territoire plus vaste. En effet, la diffusion de documents-cadre qui s'imposent à tous passe par un temps d'élaboration en petit groupe puis de dissémination par différentes voies. Le public ciblé est plus important mais les temporalités plus longues également avec des recompositions d'équipes projets. Ces questions renvoient à l'inscription de l'apprentissage dans le territoire, qui mérite d'être creusé d'avantage. La focalisation sur la production de la ville a aussi pour conséquence que nous n'avons pas interrogé la façon dont les quartiers « vivent » : comment sont-ils appropriés par les habitants. Là aussi, il semble y avoir besoin d'apprentissage, et il y a un vrai sujet à creuser, mais qui se situe en dehors du sujet abordé dans cette étude. 5.3 Un cadre conceptuel complémentaire : l'analyse des jeux d'acteurs Le prisme de l'apprentissage organisationnel que nous avons adopté pour ce projet a influencé les observations que nous avons pu faire. - Au niveau des « contenus », l'apprentissage a avant tout été considéré comme la transmission et l'intégration de nouvelles connaissances : la dimension cognitive de l'apprentissage a été au centre de nos interrogations. - Quant aux « vecteurs » d'apprentissage, l'accent était mis sur les façons dont des nouvelles connaissances circulent. Cela nous a conduit à interroger les interactions entre acteurs, mais la dimension du pouvoir et son influence structurant sur les interactions n'a été que très marginalement abordé. Les « sujets à creuser » identifiés ci-dessus sont les témoins de cet éclairage partiel du changement des pratiques professionnelles. Pour compléter notre analyse, avec une prise en compte plus fine de l'évolution des pratiques professionnelles dans des situations complexes qui sont caractéristiques pour la production de la ville, il faudra mobiliser des concepts qui 39 focalisent sur le fonctionnement de réseaux d'acteurs hiérarchisés. Ces concepts se trouvent du coté de « l'analyse institutionnelle ». L'analyse institutionnelle part du constat que les pratiques des acteurs sont inscrites dans un contexte de relations sociales qui se superpose sur le paysage d'institutions formelles. C'est dans ce contexte que les acteurs construisent de manière active leurs façons de réfléchir et d'agir. Cette analyse ne se concentre pas sur les structures ou procédures formelles, mais sur les interactions au sein de réseaux d'acteurs (Healey, 1999). La combinaison de ses objectifs et de son rôle dans le réseau permet à chaque acteur d'élaborer sa stratégie. Mais cette stratégie se met en oeuvre dans une situation d'interdépendance : chaque acteur dépend d'autres acteurs pour réaliser ses objectifs. En conséquence, chaque acteur a du pouvoir pour influencer le comportement des autres qui dépendent de lui (dans des degrés divers) (Le Galès, 1995 ; Verhage, 2002 ; Rydin, 2010). Les nouveaux impératifs du développement durable modifient les interdépendances dans les réseaux d'acteurs. Pour réaliser leurs objectifs, les acteurs seront obligés de changer leurs stratégies. Cette approche permet d'introduire la notion de pouvoir dans l'analyse de l'évolution des pratiques professionnelles. Elle paraît intéressante pour analyser la façon dont un dispositif comme Concerto, mais aussi d'autres formes de mise en réseau d'acteurs modifient ces pratiques ­ au delà de l'influence par la transmission de nouvelles connaissances. Ce qui rend l'approche institutionnelle intéressante pour aborder les changements des pratiques professionnelles est sa façon d'articuler la structure dans laquelle les acteurs agissent et qui leur donne du pouvoir d'agir, et les actions qu'ils développent. En appliquant les idées de Giddens (1984), ces deux éléments s'influencent mutuellement : les interactions entre acteurs sont conditionnées par les structures dans lesquelles elles ont lieu, mais en même temps, ces interactions font évoluer les structures. Les acteurs de la société sont fondamentalement considérés comme réflexifs : ils sont capables d'adapter leur comportement à des changements de contexte, et en ce faisant, ils font évoluer le contexte dans lequel ils agissent. Ce courant théorique paraît pertinent pour analyser de façon plus fine le jeu d'acteurs qui conduit à des changements de pratiques professionnelles. En termes de sociologie des organisations, le sujet de l'évolution des stratégies d'acteurs, désigné dans ce courant comme des systèmes d'action, est abordé en mettant l'accent sur le rôle de l'incertitude. Les champs d'incertitudes qui apparaissent dans des situations de transition incitent les acteurs à changer leurs pratiques. Du point de vue de chaque acteur, si les champs d'incertitude sont investis par d'autres, cela risque de réduire ses marges de manoeuvre. L'apparition de champs d'incertitude dans un système d'action est donc à la fois une opportunité d'agrandir son pouvoir et une menace de perdre sa marge de manoeuvre. Les impératifs du développement durable mettent actuellement la production de la ville dans une phase de transition, ou du moins ils créent des champs d'incertitude car leur application nécessite d'agir autrement qu'auparavant. Avec la sociologie des organisations, nous trouvons ainsi un outillage conceptuel qui permet d'analyser comment les organisations s'adaptent et évoluent dans cette situation d'incertitudes. Ce cadre conceptuel nous permettrait en outre d'affiner notre analyse du rôle des individus, en utilisant la notion du « marginal sécant ». Les nouvelles exigences dans le domaine de développement durable créent des incertitudes pour les organisations impliquées dans la production de la ville. Les individus au sein de ces organisations qui, par leurs appartenances multiples ou leur capital de relations dans tel ou tel segment de l'organisation, sont capables 40 de maîtriser cette incertitude au profit de l'organisation, disposent d'un pouvoir important : c'est le pouvoir du « marginal sécant ». Dans les termes de Crozier et Friedberg (1977), le « marginal sécant » est défini comme un « acteur partie prenante de plusieurs systèmes d'acteurs en relation les uns avec les autres, et qui peut...jouer le rôle indispensable d'intermédiaire et d'interprète entre des logiques d'action différentes, voire contradictoires. » (Crozier et Friedberg, 1977 : 73). Ces marginaux sécants peuvent jouer un rôle important dans l'évolution d'une organisation dans un contexte d'incertitude car ils sont relativement indépendants par rapport à l'organisation spécifique dans laquelle ils travaillent et ils ont une marge d'expérimentation plus grande parce que leurs multiples appartenances les rendent moins dépendant de l'organisation à laquelle ils appartiennent. Le rôle des élus, que nous n'avons pas réussi à analyser d'une façon satisfaisante peut ainsi être mieux explicité et compris. La combinaison des thématiques à approfondir (paragraphe 5.2) et des approches conceptuelles complémentaires permet de pousser plus loin les réflexions concernant l'apprentissage de nouvelles pratiques professionnelles dans le domaine de la production de la ville, sous l'influence des impératifs du développement durable. Les contours de cet agenda de recherche, sont présentés dans le tableau 3, avec lequel nous concluons ce rapport. Tableau 3 - Agenda de recherche Cadres conceptuelles Approche institutionnelle : Approche sociologie des Interaction structure ­ activités organisations : rôle de acteurs l'incertitude Comment / dans quelle mesure L'élu comme « marginal sécant » : les acteurs politiques à travers quels liens entre capital de leurs actions sont-ils capables relations et marge de manoeuvre de faire évoluer le contexte / influence des acteurs politiques structurel de la production de la ? ville ? Dimension politique du changement Thémes à approfondir Dispositifs d'action accélérateurs Comment aider les acteurs comme « praticiens réflexifs » à faire évoluer leurs pratiques professionnelles ? Comment ajuster dispositifs d'action aux champs d'incertitude, de façon à ce que les acteurs puissent se saisir des dispositifs pour réduire ces champs d'incertitude ? Inscription apprentissage dans le territoire Comment qualifier l'influence des dimensions territoriales de la « structure » qui cadre les activités des acteurs ? Quelle relation entre les particularités de chaque territoire et l'apparition / évolution des champs d'incertitude dans la production de la ville ? 41 Sources Bibliographie générale Arab, Nadia, L'activité de projet dans l'aménagement urbain. Processus d'élaboration et modes de pilotage. Le cas de la ligne B du tramway strasbourgeois et d'Odysseum à Montpellier, Thèse de doctorat, 2004. Argyris C., D. 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Plusieurs fois cité au palmarès EcoQuartier du Ministère de l'Ecologie et du Développement Durable pour la réalisation des quartiers Confluence, la Duchère ou encore Castellane, montré comme exemple pour sa démarche d'élaboration du Plan Climat Energie Territorial ou encore pour l'élaboration et la diffusion de guides/référentiels Habitat, Ville et Quartiers Durables, innovant en matière d'adaptation aux changements climatiques, le Grand Lyon s'est fortement investi dans le renouvellement de ses démarches et des pratiques locales d'aménagement selon les principes du développement durable. Ce texte met en perspective historique depuis les années 1970 le renouvellement de la culture urbaine locale au regard du développement durable. Trois grands moments ont été identifiés pour expliquer cette évolution: - 1978-1990: la communauté urbaine se saisit de sa compétence juridique en aménagement pour monter en expertise et s'émanciper des services de l'Etat et des structures centralisées comme le réseau SCET. Elle développe alors la culture projet pour la gestion de ses opérations d'aménagement à travers une profonde restructuration des services techniques de l'institution. - 1990-2000: cette décennie est marquée par l'inscription de l'agglomération dans une perspective européenne, sinon internationale avec l'aÏnement du développement économique local comme l'un des moteurs de la croissance urbaine et par la mise à l'agenda de l'écologie urbaine. - Depuis 2000: Les élus se sont saisis de la question du développement durable pour en faire une stratégie d'agglomération. Cela s'est traduit par l'élaboration de nouvelles politiques urbaines, de documents-guides de références et une réorganisation légère de l'institution. 48 I.1 Le développement urbain comme moteur de l'émancipation de la Courly (1978-1990) Un urbanisme en rupture avec les décennies précédentes Après la Seconde Guerre Mondiale, la production urbaine à Lyon, devait répondre de manière urgente à plusieurs impératifs: loger de manière décente les habitants (éradiquer les bidonvilles aux portes de Lyon et être en mesure d'accueillir les nouvelles populations), permettre aux entreprises et aux industries de s'implanter et de développer leurs activités, enfin promouvoir un cadre de vie de qualité, qui s'entendait alors avec un niveau d'équipements culturels et de services suffisants pour faire de Lyon, la deuxième ville française après Paris. Le pari est releÎ par l'ouverture de nombreux chantiers dont les plus importants (les Zones à Urbaniser en Priorité, le centre directionnel de la Part-Dieu, le développement de la vallée de la Chimie, les projets routiers et autoroutiers) furent largement menés par l'Etat et ses différents bras armés (DDE, réseau SCET). L'opération du centre directionnel de la Part-Dieu, symbole de la production urbaine des années 1960-1970 avec le centre d'échange de Perrache illustre parfaitement le mode de faire de ces décennies (Menez, 2008). Les grandes décisions sont prises à Paris. On impose aux acteurs locaux (SERL, élus et techniciens locaux) le soin d'appliquer ces décisions, avec un contrôle étroit de l'Etat, via les services techniques déconcentrés. Toutefois, dès la fin des années 1960, ce modèle d'Etat centralisateur et aménageur s'effrite. En 1966, l'Etat impose la création de communautés urbaines dans les grandes agglomérations. Pour l'agglomération lyonnaise, la Communauté Urbaine de Lyon (Courly) sera ainsi créée en 1969 et se voit transférer différentes compétences dont celle de l'aménagement de la ville. Louis Pradel, alors maire de Lyon et président de la Courly revendique son autonomie et recrute de nouveaux techniciens, dont certains sont issus du Ministère de l'Equipement et du réseau SCET. Les partenaires de la Courly font de même. A la fin des années 1970, l'opération de la Part-Dieu est en cours d'achèvement (la Tour du Crédit Lyonnais sera inaugurée en juillet 1977) et déjà les critiques fusent, portant à la fois sur l'urbanisme produit (trop fonctionnaliste, sans lien avec les trames urbaines voisines) et sur le processus. C'est dans ce contexte qu'est créée l'agence d'urbanisme de Lyon avec à sa tête, Jean Frébault, Ingénieur des Ponts et Chaussées, auparavant directeur de l'agence d'urbanisme de Toulouse (1971-1978). Côté politique, Francisque Collomb remplace au pied leÎ Louis Pradel décédé brutalement en 1976. Son premier mandat (1977-1983) se caractérise surtout par une gestion économe des ressources de la ville et de l'agglomération. En revanche, son second mandat va le réÎler comme un précurseur de la pensée urbaine, ou du moins, il a su s'entourer d'une équipe aux idées novatrices. La communauté urbaine entend s'impliquer davantage dans les opérations d'aménagement engageant dès 1983 une importante restructuration de ses services. Le management de projet au service de l'urbanisme Cette décennie témoigne à Lyon comme ailleurs, d'un basculement idéologique et culturel sur la manière de faire la ville (Demesteere, Padioleau, 1999) avec une autonomisation des collectivités locales et des collaborations avec de nouveaux partenaires. Ainsi, la communauté urbaine de Lyon va accroître son « portefeuille » de relations, développer ses services administratifs et techniques internes, lui permettant de déléguer à des 49 prestataires externes ou bien de mener les projets en régie directe. L'agglomération lyonnaise commence sa « mue » au début des années 1980, avec de nouvelles perspectives politiques et économiques portées par les différentes équipes municipales et communautaires et reprises par certains partenaires privilégiés. En 1983, les services de la communauté urbaine sont refondus. A la création de la Courly en 1969, l'aménagement, compétence de la communauté urbaine est scindé entre plusieurs services administratifs, rendant difficile une vision plus globale des opérations d'aménagement. En 1983, alors la Courly exprime le souhait de gérer des opérations en régie, un grand département du développement urbain, est créée. Il est doté de trois grands services (activités économiques et concession ; aménagement urbain ; opérations d'urbanisme). Michel Rivoire, ingénieur des Travaux Publics de l'Etat, issu du Ministère de l'Equipement prend la tête de ce département et travaillera en collaboration avec le département planification (en charge notamment des problèmes fonciers) et avec le département équipement, gestionnaire des services techniques. L'agence d'urbanisme est également présente dans l'organigramme de la Communauté Urbaine, signal fort pour cet organisme chargé de faire de nombreuses études amont pour le compte de l'institution. Dès 1985, le département développement urbain étend ses activités et se dote d'un service « centre d'études » et d'un autre « centre de données urbaines » qui concurrencent les services offerts par l'agence d'urbanisme, puis en 1987 d'un service « activités d'agglomération ». Ainsi, le département du développement est à la fin des années 1980 l'un des départements les plus importants de la communauté urbaine et précurseur d'un management en mode projet des opérations d'aménagement. Cette réorganisation a ainsi permis d'anticiper les lois Deferre du 7 janvier 1983 et du 22 juillet 1983, décentralisant aux communes les compétences en urbanisme et d'équipements scolaires maternels et primaires. Certains territoires sont considérés comme stratégiques pour le développement de l'agglomération. C'est le cas de Gerland, au sud de la ville, identifié comme nouveau secteur de développement dès le début des années 1980. Gerland est un grand quartier industriel de 500 hectares au sud de la Ville de Lyon, en pleine mutation liée aux départs des entreprises. L'arriÎe de l'École Normale Supérieure de Sciences à Lyon, prévue pour le milieu des années 1980 amorce la requalification de ce territoire. Plusieurs opérations en lotissements ou Z.A.C. vont s'enchaîner avec des modes de réalisation différents, allant de la régie directe à la concession. Afin de coordonner l'ensemble de ces opérations et des différents maîtres d'ouvrages, la Courly implante la « Maison de Gerland » dès mars 1980. Cette petite équipe, composée au départ de fonctionnaires détachés des différents services communautaires est placée sous l'autorité directe du directeur du département urbain. Cette mission territoriale se voit investie d'une fonction d'études, de coordination-gestion et de communication. Elle a aussi pour objectif de gérer l'ensemble des problèmes techniques (voirie, assainissement, transport, etc.) avec les opérations d'aménagement projetées. Elle apparaît ainsi que la porte d'entrée aux différents services de la communauté urbaine, interlocuteur unique des investisseurs. Cette politique de mission s'inscrit dans les principes de la nouvelle culture managériale qui promeut une organisation par projet en articulation avec une organisation hiérarchique ou par métiers. Ce type d'organisation initie une approche transversale de la production de la ville et sera sans cesse développé, d'abord sur des territoires identifiées comme stratégiques 50 pour le développement de l'agglomération puis étendu à des thématiques, lorsqu'il fallait afficher et se préoccuper de nouvelles politiques (écologie urbaine, habitat, déplacements, économie) au tournant des années 1990. La SERL, qui avait le monopole des grandes opérations d'urbanisme des années 1960 et 1970, n'est plus l'interlocuteur privilégié de la Courly. Durant les années 1980, la communauté urbaine multiplie le nombre de petites opérations, généralement des ZAC à vocation résidentielle, qu'elle confie à des opérateurs priÎs (promoteurs-aménageurs). La Courly se réserve en régie directe ou concédées à l'OPAC du Rhône, les opérations les plus importantes. Dans ce contexte, la SERL ne conserve qu'une part minime du marché. Progressivement la communauté urbaine s'impose ainsi comme la Îritable structure porteuse de projets, capable de les piloter, voire de les mener en interne. Cette montée en compétence s'accompagne avec une élaboration locale d'une vision stratégique du développement de l'agglomération. Vers le développement d'une vision prospective de la ville « demain, l'agglomération lyonnaise » En 1978, un premier schéma directeur de l'agglomération lyonnaise est adopté. Toutefois, dès sa publication ce document est déjà obsolète, sans lien direct avec la stratégie de développement de l'agglomération . La Courly décide ainsi au milieu des années 1980 de lancer sa révision et confie cette mission à l'agence d'urbanisme, l'AGURCO. Cette dernière, assistée par l'ADERLY (agence pour le développement économique de l'agglomération) va organiser le colloque « demain, l'agglomération lyonnaise » en décembre 1984 . « L'enjeu était d'inventer de nouvelles façons de « planifier » tournant le dos aux démarches technocratiques et procédurales des années 1970. Préalablement à toute approche juridique, nous avons mis l'accent sur l'élaboration d'un « projet stratégique » pour un territoire métropolitain, à partir d'un chantier de prospective participative impliquant fortement élus et administrations, experts et universitaires, et largement la société civile. » (Jean Frébault, 25 juin 20064). De 1985 à 1988 des ateliers ont ainsi été montés pour donner lieu à des échanges sur le devenir de l'agglomération. Les priorités du SDAU sont alors le développement économique (renforcement et accompagnement des sociétés locales) et l'inscription de l'agglomération lyonnaise dans les réseaux de grandes métropoles internationales (SEPAL, 1990). Cette démarche initie le renouvellement de l'action publique qui se renouvelle, intégrant les problématiques du secteur priÎ (Linossier & Menez, 2007). Durant cette période, la communauté urbaine de Lyon a acquis en légitimité et s'est affirmée comme institution locale, grande gestionnaire de l'urbain avec deux grandes directions: la direction du développement urbain (direction qui conçoit la ville) et la direction des services techniques (direction qui gère la ville). Toutefois, l'environnement et l'écologie sont encore absents des politiques conduites à Lyon. Ce n'est qu'à partir des mandats suivants, sous l'impulsion de certaines personnalités politiques et techniques que l'intégration environnementale dans les politiques urbaines se fera. 4 http://citadoc.caue-isere.org/opac_css//doc_num.php?explnum_id=102 51 I.2 Émergence et développement de l'écologie urbaine (1989-2000) Les élections locales de 1989 confirment la montée en puissance du RPR. Les listes conduites par Michel Noir remportent ainsi les 9 mairies d'arrondissement de Lyon. Le vote écologiste est également plus important, permettant ainsi à Etienne Tête, élu sur la commune de Caluire et Cuire, de briguer un siège au conseil de la communauté urbaine. Un autre élu, Claude Pilonnel, maire de Poleymieux, déjà conseiller communautaire au précédent mandat, aura plus l'écoute de Michel Noir. Cet élu va oeuvrer pour que l'environnement soit enfin pris en compte dans les politiques communautaires. Cette période se caractérise par un processus de sensibilisation et d'émergence de la question environnementale dans les politiques urbaines, se traduisant par certaines prises de conscience: la nature en ville, le transport de matières dangereuses, les déplacements urbains. La mission écologie: d'une vision fonctionnaliste de la ville vers une vision systémique... Dès 1989, Claude Pilonnel est nommé secrétaire délégué à la sécurité, traitant des questions d'environnement. L'année suivante, il obtiendra de Michel Noir la création d'une cellule « écologie urbaine » qui sera vite transformée en mission. Puis en 1991, Michel Noir créera le poste de vice-président à l'écologie urbaine donnant ainsi davantage de légitimité à la mission. Jean Villien, écologue et environnementaliste, auparavant à l'agence d'urbanisme prend en charge la cellule puis la direction de la mission. L'équipe rassemble 5 spécialistes de l'environnement et un budget de 5 millions d'euros lui est alloué pour fonctionner. D'emblée se pose la question du rattachement hiérarchique de cette mission. Après plusieurs discussions, la mission, comme les trois autres missions thématiques (Habitat, Déplacements, économie) est rattachée au délégué général du département développement urbain. Ce rattachement n'est pas anodin. Il fallait être suffisamment haut dans la hiérarchie pour pouvoir influer sur les politiques et les projets urbains (la ville qui se conçoit) et sur les services urbains (la ville qui se gère, le département des services techniques). De fait, les missions thématiques connaissent le même positionnement que les missions territoriales, avec une grande accessibilité à la sphère décisionnelle. La création de ces quatre missions thématiques montre une collectivité territoriale plus mature qui se met à penser son territoire comme un espace unitaire (Belmessous, Gallot- Delamézières, Gardon, Menez, Russeil, 2008). On dépasse ainsi les clivages traditionnels entre la conception et la gestion pour faire de ces missions, un lieu transversal. Ceci fut également possible grâce à la maturité acquise de la communauté urbaine. Forte d'une existence de près de 20 ans, elle a déjà réalisé d'importants travaux sur les réseaux (voirie, assainissement, eau potable) apportant de l'unité dans un territoire très hétérogène (du milieu rural au milieu ultra-urbain). Le concept d'écologie urbaine a ainsi permis d'appréhender le développement de l'agglomération autrement que par des visions techniques et sectorielles. Toutefois, dès le mandat suivant (1995-2001), sous la présidence de Raymond Barre, cette organisation est à nouveau transformée: la mission économie ayant fortement grossie devient une direction à part entière. La mission habitat porteuse du Plan Local de l'Habitat est maintenue et fonctionne aux côtés du service du développement social urbain au sein de la direction générale du développement urbain et la mission déplacements prend de l'ampleur avec l'élaboration du PDU. La mission écologie urbaine continuera d'exister mais 52 avec moins de visibilité et sans document à portée juridique obligatoire. Pendant cette dizaine d'années, la mission écologie urbaine aura néanmoins élaboré deux chartes et conçu un observatoire avec des indicateurs et une évaluation des différentes politiques publiques sous le prisme de l'écologie urbaine (1997). Ce n'est qu'au tournant des années 2000, que cette mission va connaître un nouvel essor avec la décision politique de faire un agenda 21 (cf. infra). ... et les chartes de l'écologie... En 1990, le premier travail de la mission écologie est la réalisation d'un diagnostic multi systèmes. Une première charte d'écologie urbaine fut ensuite adoptée en 1992, couvrant une période de 4 ans (1992-1995). Cette charte, édifiée sur la base des diagnostics est un plan de 160 actions très concrètes portant sur l'eau, l'air et sa qualité, les déchets, le patrimoine vert (espaces naturels, espaces agricoles), le bruit, les énergies alternatives et les risques5. Cette première charte est également perçue comme un document de référence autour duquel les services, en particulier les services techniques, se mobilisent. D'ailleurs, le Ministère de l'environnement de l'époque s'en est fortement inspiré pour mettre en place une méthodologie pour l'élaboration de chartes d'écologie urbaine dans d'autres villes. Sa publication accompagne les nouvelles orientations du schéma directeur « Lyon 2010 », sorti en mai 1992, qui insiste sur la nécessité d'une gestion partenariale de l'environnement. Cette première charte avait comme ligne directrice « rétablir les désordres d'une vision fonctionnaliste excessive de la ville. On trouvait la place de l'homme, le déséquilibre entre les circulations et les flux, avoir une qualité du bien être, une faible pollution de l'air » (entretien Jean Villien , 19 janvier 2011). Les actions portent à la fois sur la construction d'infrastructures comme une station d'épuration (déjà prévue au demeurant) et sur des éléments plus qualitatifs, notamment sur la trame verte, sur le repérage et la prise en compte des arbres remarquables, sur la mise en place d'indicateurs sur la qualité de l'air, etc. Pour chaque action, un référent est nommé; à lui de suivre l'évolution de son action et d'en rendre compte. Les grands projets d'aménagement sont analysés à travers cette charte, permettant notamment de pointer d'éventuelles contradictions. A titre d'exemple, au cours des années 1990, l'exploitant du golf de Chassieu, GOLFI, dans l'est de l'agglomération proposait de réaliser un lotissement à proximité immédiate du golf pour contrebalancer les pertes occasionnées par la gestion du golf. La charte de l'écologie urbaine indiquait que le foncier envisagé pour l'extension urbaine était protégé en tant qu'espace naturel et qu'il n'était pas possible d'urbaniser. Sur la base de ce document, la proposition d'urbaniser a été refusée et GOLFI s'est vu attribuer une subvention complémentaire pour assumer le déficit annuel. L'application des 160 actions passe également par l'instauration de partenariats avec les acteurs locaux, en particulier dans le domaine des risques. En 1995, la nouvelle équipe communautaire demande à Jean Villien de faire un bilan de la première charte de l'écologie urbaine. Suite à ce bilan, Raymond Barre décide de faire une nouvelle charte, en développant davantage les partenariats et les conventionnements mais avec moins d'actions. Le nouveau plan d'actions se réalise sur 5 ans et est accompagné dès 5 1990. Claude Pillonnel va notamment mettre en place une charte pour le transport de matières dangereuses en ville dès 53 1997 par un observatoire de l'environnement, dont l'objectif est d'évaluer l'état d'avancement des actions planifiées dans le cadre de la charte. Toutefois l'écologie passe au second plan, au détriment du développement économique. De 1995 à 2001, la mission écologie urbaine aura ainsi une place de second choix. De nombreuses actions sont déléguées à des organismes partenaires et à des associations (notamment les actions à visée pédagogiques ou le suivi environnemental comme la qualité de l'air). Cette seconde charte sera ensuite baptisée de manière exagérée « Agenda 21 », ce que certains jugent comme opportuniste (Boutaud, 2004). En 1992, une petite délégation conduite par Michel Noir et Claude Pillonnel se rend à la conférence de Rio. A son retour, Michel Noir, bien que conquis par les idées développées à Rio6, ne développera pas d'agenda 21 local. La priorité était de faire de Lyon une ville internationale et de renouveler l'image de l'agglomération. D'ailleurs, la Courly devient le Grand Lyon, nom plus évocateur et plus communiquant pour la communauté urbaine. Néanmoins, cette période a permis aux acteurs lyonnais de « préparer le terrain pour le développement durable, en capitalisant une expérience méthodologique non négligeable» (Boutaud, 2004, p 343). Le terme de « développement durable » sera ensuite fortement présent dans le plan de mandat suivant (2001-2008). ...qui doit composer avec les impératifs du développement économique et « l'europénisation » du territoire La période 1989-2001 est surtout marquée par l'inscription de Lyon dans les réseaux de villes internationales. Les politiques urbaines sont alors conçues comme un accompagnement de la politique du développement économique portée par le marché, compétence économique que la Courly acquiert progressivement (Linossier, 2006). Le nouveau schéma directeur « Lyon 2010 adopté en 1992, vise ainsi à inscrire l'agglomération dans une optique de compétition à l'échelle européenne, voire mondiale. Lyon participe à la création du premier réseau de villes européennes, Eurocities et prend la présidence de la commission environnement avec Claude Pillonnel. La Courly participe à de nombreux programmes européens, notamment avec la mission habitat et la mission écologie urbaine. Toutefois, ces participations restent confidentielles au niveau local, et centrées autour des questions de maîtrise énergétique. Néanmoins la création de l'ALE (Agence Locale de l'Energie) le 28 février 2000, s'inscrit dans le prolongement des programmes européens RESET (bilan énergétique de la Communauté Urbaine de Lyon) et RE-START (réalisation de 200 logements sociaux utilisant les énergies renouvelables et une démarche environnementale). Ces programmes prévoyaient la création d'une agence de l'énergie intégrée à la Communauté Urbaine de Lyon. L'opportunité du programme européen SAVE II et la volonté de création d'une synergie locale autour du thème de l'énergie ont favorisé son émergence. Elle a pour objet de promouvoir, coordonner et développer des actions tendant à économiser l'énergie, utiliser des énergies renouvelables, préserver les ressources et protéger et valoriser l'environnement dans une logique de Développement Durable. En partenariat avec l'ADEME et la Région Rhône-Alpes, elle est l'Espace Info Energie de l'agglomération. 6 Dans son discours qui a suivi son voyage à Rio, Michel Noir parlera plusieurs fois de l'écologie, laissant ainsi un message à ses équipes techniques, mais ce message ne sera pas pour autant suivi d'une politique forte autour de l'élaboration d'un agenda 21 local. 54 Plusieurs grands projets sont lancés avec un recours croissant au secteur priÎ pour le financement et pour l'expertise, en particulier l'opération de la Cité Internationale. Le mandat de Raymond Barre est marqué par une accélération de ce processus (marketing territorial). Des projets et des modes de faire : le Grand Lyon, territoire d'expérimentation Surfant sur l'ouverture aux réseaux européens, certains techniciens du Grand Lyon, dont Jean Villien, s'impliquent dans des projets européens. La problématique de l'énergie constitue le coeur des premiers appels à projets européens (programme Thermie dès 1994 avec le projet Reset) et rejoint ainsi certaines problématiques développées dans le cadre de la charte de l'écologie urbaine. En 1997, Jean Villien avec l'appui de la mission habitat du Grand Lyon va impliquer la région Rhône-Alpes, l'ADEME locale et 5 bailleurs sociaux dans le programme européen Re-Start. Ce programme, ancêtre du programme Concerto, vise à réduire les émissions de gaz à effet de serre via l'amélioration des performances énergétiques des logements sociaux. A cette occasion, les liens entre la mission écologie urbaine et la mission habitat vont se renforcer et donneront lieu à l'élaboration d'un premier référentiel habitat durable en 2004. S'inspirant de la démarche HQE, ce référentiel cible la performance énergétique des logements afin, notamment de maîtriser les charges d'entretien et de maintenance. Ce référentiel s'impose à tout constructeur de logements neufs dans les ZAC Grand Lyon ou sur du foncier vendu par le Grand Lyon. Même si sa diffusion est assez restreinte, très vite la région Rhône Alpes va développer son propre référentiel et l'inciter sur le logement social en octroyant des subventions régionales supplémentaires. En 2007, le Grand Lyon étend son premier référentiel habitat durable à l'ensemble du logement social et applique une décote de sa subvention de 30% en cas de non-respect de ce référentiel7. Pour autant, au début des années 2000, le reste de la production urbaine se fait de façon classique. Pour les opérations d'envergure comme celle de la Cité Internationale ou plus récemment Confluence, le Grand Lyon fait appel à des architectes de renom par l'intermédiaire de concours internationaux. L'opération est ensuite confiée à une structure dédiée (avec un passage à un opérateur priÎ pour la Cité Internationale) qui met en oeuvre le projet conçu par l'architecte-urbaniste, faisant ainsi les études opérationnelles classiques et la consultation des promoteurs et des bailleurs sociaux. Les chargés d'opération du département développement urbain sont généralement peu associés à ce processus, les échanges avec le Grand Lyon se faisant prioritairement au niveau stratégique et politique. Pour les autres opérations, le processus est semblable avec une implication plus importante des techniciens du Grand Lyon. Toutefois une opération va se démarquer dès la fin des années 1990. En 1998, la ZAC des Hauts de Feuilly à Saint-Priest est créée et confiée à la SERL; D'emblée, cette ZAC va faire l'objet de préoccupations environnementales. Cette opération est située au coeur de la coulée verte, inscrite dans le schéma directeur Lyon 2010. Il est donc nécessaire de prendre en compte cet aspect et de l'intégrer au projet. L'accent sera ainsi mis sur la réalisation d'espaces verts, de chemins piétonniers et de pistes cyclables, illustrant ainsi une première étape vers le développement durable. Progressivement, des contraintes vont être imposées par l'aménageur sur la performance énergétique des logements permettant ainsi de livrer des maisons passives pour la dernière tranche en 2009. 7 Délibération n°2007-4328 du 10 septembre 2007 55 Jusqu'au début des années 2000, le développement durable reste encore confiné aux aspects environnementaux et énergétiques avec peu d'impact sur les modes de production de la ville. La décennie suivante va changer la donne. I.3 L'institutionnalisation du développement durable au coeur de la stratégie du Grand Lyon (depuis 2001) L'élection de Gérard Collomb à la tête de la ville de Lyon et de la communauté urbaine va marquer le passage de l'écologie urbaine au développement durable avec l'inscription, entre autres, dans son premier plan de mandat , de l'élaboration d'un agenda 21. Jean Villien caractérise ainsi ce changement entre la période Noir/Barre puis Collomb en expliquant que l'on passe : « d'une idéologie « libéralo-socialiste » à une approche plus « participation » qui met la personne humaine au centre du système. » (entretien du 18 janvier 2011). Surtout l'organisation interne du Grand Lyon va encore évoluer à la marge pour permettre la diffusion d'une culture du développement avec une évolution des modes de production de la ville prenant davantage en compte l'environnement en amont des réflexions des projets d'aménagement. On observe ainsi une accélération du changement dans les processus de conception, de production et de gestion de la ville à partir des années 2003/2004, en particulier autour des thématiques énergétique et climatique. De l'agenda 21 au Plan Climat Territorial: une structuration progressive du Grand Lyon En 2002, l'équipe de Gérard Collomb décide de se lancer dans l'élaboration d'un agenda 21. Une mission est créée spécifiquement, la mission Agenda 21 dirigée par Nadia Mabille, qui est directement rattachée au Directeur Général des Services (DGS) alors que la mission Ecologie Urbaine reste en place au sein de la direction du développement urbain. Cette position hiérarchique confère ainsi une visibilité et une légitimité que la mission écologie urbaine n'avait pu avoir. Le premier agenda s'applique uniquement aux actions des services de la communauté urbaine. L'architecture du document est d'ailleurs proche de la charte de l'écologie urbaine et l'agenda se décline en un plan d'actions adopté en 2005 sur 4 ans. Toutefois, la mission permet de sensibiliser les élus et les techniciens au développement durable, en particulier autour de la problématique énergétique. Dès 2008, l'élaboration d'un second agenda 21 est ainsi à l'étude avec une ouverture plus importante aux partenaires du Grand Lyon. Une profonde réorganisation des services du Grand Lyon aboutit notamment à la création d'une direction de la planification et des politiques d'agglomération au sein de la délégation générale au développement urbain. La mission agenda 21 devient le service « stratégie d'agglomération » au sein de cette direction qui regroupera également la chargée de mission développement durable, Béatrice Couturier, les 2 chargés de mission Plan Climat Energie Territorial (PCET). En 2010, à la demande des élus référents, dont Bruno Charles, l'agenda 21 change de dénomination et opte pour la stratégie développement durable. Dans cette perspective, le PCET est une réponse partielle à cette stratégie englobante et recentre l'action environnementale autour de la problématique des changements climatiques (atténuation et adaptation). Ainsi en 2009, le Grand Lyon établit un diagnostic pour l'élaboration d'un Plan Climat à l'échelle de l'agglomération. Le 6 mai 2010 a lieu la conférence de lancement pour l'élaboration du Plan Climat du Grand Lyon. La démarche est volontairement participative, 56 organisée autour de pôles thématiques (habitat, transport, énergie, entreprise), d'un groupe de travail transversal sur les comportements et d'un club développement durable prônant l'exemplarité. De juin à octobre 2010, les groupes de travail thématiques vont se réunir pour élaborer un scénario d'agglomération. Le 27 novembre 2011, le plan d'action est ainsi approuÎ engageant de nombreux partenaires notamment financiers. A ces documents cadres et généraux, les services techniques du Grand Lyon produisent également durant la période 2003-2012, une série de référentiels thématiques portant d'abord sur le logement neuf sous certaines conditions (2005) avant de s'étendre aux quartiers durables (2011), en passant par les espaces publics. Ces référentiels participent ainsi à l'émergence de nouvelles pratiques, sinon de nouveaux standards dans les modes de production de la ville. D'ailleurs, dès 2005, un poste « chargé de mission développement durable » est créé au sein de la direction développement urbain. Ce poste, financé à 50% par la Commission Européenne via le programme Concerto, est dédié à mi-temps au suivi du projet Renaissance8, et pour l'autre mi-temps à une activité d'animation et d'acculturation du développement durable au sein de la direction et en lien avec les missions agenda 21, écologie urbaine et les autres directions. En octobre 2010, le cofinancement du poste par le programme Concerto s'arrête. Le Grand Lyon décide néanmoins de maintenir cette fonction et lui octroie un rôle plus important dans la diffusion des connaissances et dans la participation à des réseaux divers autour de la ville durable. Dans l'immédiat, ce poste a également été l'occasion de consolider les différentes expériences autour de référentiels, habitat puis quartiers durable, visant ainsi à faire évoluer les cultures et les pratiques urbanistiques vers des modes de production plus durables. En ce sens, le poste de Béatrice Couturier a ainsi permis de mettre en évidence des outils et des démarches pour éviter l'effet-vitrine d'un projet, en l'occurrence Confluence (cf. infra) et pour faire levier sur l'ensemble des projets urbains (entretien avec Béatrice Couturier, 21 janvier 2011). A la recherche de nouveaux standards pour la production de la ville à la Lyonnaise Jusqu'en 2003, l'urbanisme opérationnel est pratiqué de manière très classique. Les études préalables sont réalisées soit par les services techniques du Grand Lyon, soit par un aménageur sous mandat. Quand l'opération est considérée comme faisable, elle est confiée à un aménageur qui va définir le projet avec une équipe de conception urbaine (architecte- urbaniste et parfois paysagiste). Les considérations environnementales restent focalisées sur des thématiques précises selon les contraintes liées au site ou n'interviennent qu'une fois le plan de composition urbaine arrêté. Les expérimentations et les innovations portent alors, uniquement sur la construction et l'amélioration de la performance énergétique dans le neuf et la réhabilitation. Toutefois, en 2003, deux éÏnements indépendants vont changer la donne : l'application de la démarche AEU® développée par l'ADEME et le programme européen Concerto. L'ADEME cherche des territoires pour expérimenter l'outil qu'elle vient de développer, l'approche environnementale de l'urbanisme (AEU®). Cet outil vise à prendre davantage en compte l'environnement dans la phase de conception des opérations d'aménagement. Le Grand Lyon, par l'intermédiaire notamment de José Monsot, maire de la Tour de Salvagny et délégué régional de l'ADEME, se porte alors candidat pour tester cette nouvelle démarche. Plusieurs opérations vont faire l'objet de cette étude. Les résultats sont particulièrement 8 Programme Concerto. cf. infra 57 démonstratifs sur la ZAC du Contal à la Tour de Salvagny. A l'issue d'une étude urbaine réalisée de manière classique, un schéma de composition urbaine avait été dessiné, entraînant notamment des surcoûts de construction importants liés à la pente du site. Par ailleurs, le schéma de composition urbaine générait un aménagement futur assez minéral qui déplaisait à l'équipe municipale. L'AEU® réalisée par le bureau d'études Tekhné a alors mis en évidence plusieurs contraintes à prendre en compte, la pente du site mais également les nuisances sonores liées à la proximité d'une route principale à proximité. Cela a conduit à déconstruire complètement le schéma de composition urbaine et à proposer un nouveau schéma plus respectueux du site et surtout moins coûteux en terme de travaux d'aménagement et de construction, avec notamment l'intégration de noues et de bassins de rétention paysagers pour le traitement des eaux pluviales. Par la suite, les opérations d'aménagement du Grand Lyon ont quasiment toutes bénéficié de cette démarche dès l'amont du projet afin d'intégrer au plus tôt les contraintes environnementales du site, étude alors confiée à une AMO. Lorsque les opérations étaient concédées à un aménageur, celui-ci était dans l'obligation de faire une AEU® avec un bureau d'étude spécifique. Aujourd'hui, le Grand Lyon a cessé le recours systématique à une AEU®. Les principes de cette démarche sont intégrés chez les chargés d'opération. D'une part, les techniciens se sont aperçus que les conclusions de cette étude étaient sensiblement les mêmes d'une opération à une autre, d'autre part, les réflexions thématiques amont sur l'eau, l'énergie, la biodiversité, la mobilité, l'éco-construction sont parfaitement intégrées dans les cahiers des charges de consultation pour le recrutement d'une équipe de maîtrise d'oeuvre urbaine, et ce, sans avoir à recourir l'étude labellisée AEU® de l'ADEME. On pourrait également ajouter une troisième raison: l'ADEME a largement subventionné ce type d'étude dans un premier temps, jusqu'à 50% pour permettre le développement de sa démarche. Progressivement elle a arrêté ces subventions, sauf sur certains territoires. Toutefois, lorsque le contexte de l'opération est complexe, les services techniques recourent à la démarche de l'ADEME. L'autre éÎnement marquant dans l'histoire de la production urbaine de Lyon est la candidature à l'appel à projets du programme Concerto. Ce programme, financé par la Commission Européenne porte sur l'expérimentation grandeur nature de bâtiments à sobriété énergétique. En 2003, le Grand Lyon décide de répondre à ce programme en lançant une expérimentation sur 3 îlots de l'opération Confluence, opération phare de ces années. La décision de répondre à ce projet a été prise directement par Julia Mancel, référente Développement Durable au cabinet de Gérard Collomb. Le service d'urbanisme opérationnel, en la personne d'Odile Charvin sa responsable a piloté la réponse, en y associant l'association HESPUL pour la coordination de ce projet et du partenariat européen. En octobre 2004, la proposition du Grand Lyon est retenue et face à l'ampleur de la tâche de coordination, il est décidé de créer un poste spécifique au sein du service d'urbanisme opérationnel. Ce poste, chargé de mission développement durable est pris par Béatrice Couturier qui a pour fonction, de piloter et de suivre le projet Concerto et de diffuser la connaissance sur le développement durable dans l'ensemble des services. L'apport du programme Concerto va être fondamental dans la manière de travailler avec les promoteurs et surtout d'élever le niveau d'exigences. Les négociations ont été très difficiles sur les trois premiers îlots de l'opération Lyon Confluence, notamment pour respecter le cahier des charges de cession de terrain. Par la suite, les promoteurs, bien que non contractants du consortium Concerto, ont tous suivi la même règle du jeu, certains allant même plus loin en proposant des bâtiments basse consommation. Le travail autour du Concerto a permis 58 également de nourrir les différents référentiels dont le référentiel tertiaire. Ces référentiels permettent une diffusion des expériences dans le cadre des programmes européens sur tout le territoire du Grand Lyon. Cette volonté de généraliser la démarche de conception-construction des bâtiments puis de conception-réalisation d'un quartier caractérise la culture urbaine locale. Le Grand Lyon expérimente dans un premier temps des processus innovants sur des opérations exemplaires, avant d'en retirer les principes fondamentaux pour une standardisation à l'échelle de son territoire, partageant et diffusant alors ces principes à ses partenaires. Le travail entamé sur les référentiels depuis 2003 montre ainsi une démarche itérative et « intégratrice » de la part du Grand Lyon. Ainsi, comme cité précédemment, plusieurs référentiels sur des objets au départ simple (bâtiment) puis progressivement intégrateur (le quartier), ont été élaborés en coopération entre les services techniques de la communauté urbaine et des villes de l'agglomération, des élus et les partenaires du Grand Lyon (notamment les principaux aménageurs et bureaux d'études intervenant sur le territoire). Les opérations marquantes: démonstrateurs d'un changement possible Après une première expérimentation sur la sobriété énergétique de l'habitat individuel sur la ZAC des Hauts de Feuilly à St Priest, une nouvelle étape est franchie par le projet d'aménagement Confluence. Lancé à la fin des années 1990, ce projet vise à reconquérir le sud de la Presqu'île, afin d'étendre le centre-ville sur des friches industrielles. Le projet d'aménagement part de manière classique. Ce projet permet à la ville de gagner 150 ha de centre-ville en investissant de manière progressive un ensemble de friches ferroviaires et industrielles. Les orientations fixées pour cette opération s'expriment au travers de la réalisation d'un tissu urbain mixte dans la continuité d'un quartier existant, avec le renforcement et la réorganisation des fonctions de centralité de la ville autour d'un pôle commercial, d'un vaste bassin portuaire et d'un parc urbain. L'opération se déroulera en 3 phases : 2 ZAC successives et une éco-rénovation du quartier existant de Ste Blandine. A terme il est prévu, la réhabilitation de 4 500 logements existants, améliorant ainsi leur performance énergétique, la construction de 4 500 logements neufs (haut de gamme, intermédiaires, sociaux, locatifs), de 33 000m² SHON de bureaux, de 106 500m² SHON de commerces et enfin de 37 400m² SHON d'équipements publics. L'aménageur est une SEM dédiée, la SEM Lyon Confluence qui sera ensuite transformée en 2008, en SPLA9. Le projet est prévu pour durer un minimum de 30 ans. D'emblée, en 1998, une démarche de concertation avec d'abord l'ensemble des habitants du Grand Lyon est lancée, avant même qu'un projet ne soit défini. Il s'agit de faire connaître des citoyens ce site d'exception situé à la confluence du Rhône et de la Saône. Progressivement, le parti d'aménagement s'affine, inspiré des diverses opérations d'aménagement de requalification de friches portuaires. En 2000 un concours international d'architectes-paysagistes est lancé sur la première ZAC. Les lauréats seront François Grether (urbaniste) et Michel Devisgne (paysagiste). Ce n'est qu'en 2002, alors que le plan-masse est arrêté que la SEM va mandater le bureau d'étude TRIBU pour réaliser une analyse et une évaluation environnementale du projet urbain et élaborer un cahier des charges HQE pour les futures constructions. Cette étude a 9 Suite à la loi de 2005 sur les concessions d'aménagement 59 notamment permis un travail spécifique sur l'énergie et la gestion des déchets qui apparaissaient comme des points faibles dans le diagnostic. Des groupes de travail thématiques ont été organisés avec le Grand Lyon, la ville de Lyon, l'agence locale de l'énergie et l'ADEME. Les recommandations issues de ces groupes de travail ont ensuite été priorisées et intégrées aux cahiers des charges de consultation lors du concours architectes- promoteurs des lots de logements et d'immeubles de bureaux. Le programme Concerto ne concerne que trois îlots mixtes du projet mais va inspirer les niveaux d'exigence à imposer pour les autres lots soumis à consultation. La sélection des équipes devait se faire sur trois critères pondérés de manière identique : un critère de qualité architecturale; un critère de performance environnementale; un critère de programme. Dans les faits, le choix des élus a porté sur les projets présentant prioritairement une qualité architecturale. Par conséquent, les objectifs environnementaux ont été difficilement atteignables. Cela s'est soldé par des surcoûts au niveau de la construction, en partie subventionnés par la Commission Européenne via le projet Concerto. Néanmoins, l'objectif est atteint puisque sur les lots suivants, les promoteurs vont proposer des projets atteignant des niveaux de performance énergétique supérieurs à ceux des îlots ciblés par Concerto et livrer ainsi des logements sans bénéficier d'aides financières européennes. Pour la seconde ZAC qui se déroule sur l'emprise de l'ancien marché d'intérêt national, des enseignements ont été tirés et l'opération se déroule d'une toute autre manière. Le lourd travail de concertation s'est poursuivi et a remis en cause le projet initial de l'équipe Grether-Devisgne. Ce projet prévoyait entre autre la démolition quasi intégrale des bâtiments gare et proposait une trame urbaine en complète rupture avec le quartier existant. Avant le lancement d'un nouveau concours d'architecte-paysagiste, un travail amont de définition des cibles prioritaires « développement durable » a été réalisé et piloté par le binôme SPLA Lyon Confluence et le BET Tribu, dont la mission s'est étendue. En juin 2009, une nouvelle équipe de conception urbaine est retenue (les urbanistes Herzog et De Meuron avec le paysagiste Michel Desvigne). Puis, un travail de définition du projet a été expérimenté sous un principe de « conception partagée » de 2009 à 2011. Pour éviter les cloisonnements thématiques habituels, l'aménageur et ses AMO Développement Durable d'un côté et « sites et sols pollués » de l'autre ont organisé le travaillé en pôles de compétences, travaillant en même temps et en interaction constante: un premier pôle relevant de la programmation et de la concertation, un second pôle technique (VRD, déplacements, énergie) et enfin un pôle urbanisme, paysage et architecture. Les arbitrages se font au niveau de l'aménageur et de son AMO Développement Durable, l'AMO « sites et sols pollués » apportant plutôt un appui technique lié aux fortes contraintes du site. Cette nouvelle organisation de projet traduit une autre manière d'envisager les processus de production de la ville. Le binôme aménageur-concepteur (architecte, urbaniste, paysagiste) devient un trinôme avec la présence d'un bureau d'étude Développement Durable dès la phase de programmation de l'opération. Cette intervention permet de mieux intégrer les problématiques du développement durable et donne des orientations pour le schéma de composition urbaine. Cette nouvelle manière de faire rompt ainsi avec le geste de l'architecte comme dessein du projet, introduisant davantage de technicité et d'ingénierie en amont du projet. Ce qui se passe au niveau du projet urbain peut également se décliner à l'échelle du bâtiment. Béatrice Couturier explique les blocages des premiers îlots de Confluence ayant 60 servi de démonstrateurs via Concerto de cette manière. En France, les métiers du BTP restent très cloisonnés. Or répondre aux impératifs de la performance énergétique demande un travail coopératif en amont avec des choix architecturaux faits en même temps que les choix techniques. Or dans la culture française, les choix architecturaux sont un préalable aux choix techniques. Ce fut certainement un des enseignements majeurs de l'expérience Concerto, après l'accumulation de données techniques. Mais il reste tout un travail à faire pour faire évoluer les cultures et les formations initiales, en particulier de celles de l'architecte. Plus récemment, le Grand Lyon tente un élargissement de sa démarche aux quartiers anciens, comme St Blandine dans la continuité du projet Confluence et aux quartiers « politique de la ville », comme la Duchère. Dès 2008, le travail de concertation avec les habitants sur Confluence montre ainsi la nécessité de se pencher sur ce quartier, afin d'éviter également une rupture entre le quartier nouveau et le quartier ancien (7 000 logements). La petite équipe technique de Concerto (Enertech, ALE, Hespul et le CETHIL10) est mobilisée avec un pilotage de la SPLA. A cette équipe, le Grand Lyon a associé Urbanis, un cabinet d'études spécialisé dans les diagnostics sociologiques et les montages financiers. En juin 2010, la SPLA assistée par Tribu, a retenu deux copropriétés priÎes désireuses de s'engager dans des travaux importants de réhabilitation. A l'heure actuelle, les audits ont été réalisés ainsi qu'un programme de travaux. Le projet peine toutefois à se réaliser pour des raisons essentiellement financières. Enfin, toujours dans la perspective d'infléchir sur les pratiques urbaines, la démarche « quartiers durables » initiée sur Confluence a également été conduite sur le projet de renouvellement urbain de la Duchère. Ce quartier, situé sur l'un des plateaux de Lyon a été construit entre 1957 et 1962, sous la procédure de ZUP (Zone à urbaniser prioritaire). Ce morceau de ville se compose de 5 300 logements avec 80% de logements sociaux. Jusqu'en 1973 le quartier a relativement bien fonctionné mais a commencé à péricliter à partir du milieu des années 1970. Dans les années 1980, il fera l'objet d'une intervention DSQ (Développement Social des Quartiers). Les problèmes se poursuivent. Fin 2002, la SERL, aménageur, mandate Bernard Paris et propose un nouveau projet urbain. Sur cette base, la SERL et le Grand Lyon signent quelques mois plus tard une convention avec l'ANRU portant sur l'ensemble du quartier. Le projet se déroule en 2 phases. La première phase fait l'objet d'interventions classiques sur ce type de tissu urbain (démolition/résidentialisation des barres des grands ensembles, recomposition de la trame viaire et diversification de l'offre en logements permettant de réaliser un parcours résidentiel à l'intérieur du quartier). La phase 2 va connaître un nouvel essor avec l'intervention du bureau d'études Tribu en 2008. Ce dernier procède à un diagnostic du projet selon les mêmes principes que le projet Confluence. Sans remettre en cause le parti d'aménagement initial, les apports de Tribu ont permis de réorienter certains principes du plan d'aménagement (orientation de certains bâtiments, augmentation du taux d'espaces verts dans les espaces publics), d'établir les cahiers des charges pour les bâtiments et les espaces publics. Par ailleurs, le bureau d'études assure une mission de suivi sur la performance des bâtiments en lien avec les promoteurs, l'ADEME et l'ALE. Ce suivi fait l'objet d'une capitalisation pour envisager la reproductibilité 10 Laboratoire de l'INSA de Lyon: centre de thermique http://cethil.insa-lyon.fr/ 61 des cahiers des charges sur d'autres programmes de bâtiments. Aujourd'hui, le développement durable est inscrit dans l'ensemble des actions du Grand Lyon avec des actions concrètes et une tentative d'harmoniser à l'ensemble du territoire certaines politiques sectorielles, notamment sur l'habitat et dans les opérations d'aménagement. On a dépassé la phase « sensibilisation » pour une prise en compte systématique de l'environnement et désormais de la concertation (même si sur ce volet, les marges de progression sont encore possible) dans les modes de production de la ville. L'innovation se fait au gré des projets européens et des projets d'aménagement avec la préoccupation constante de capitaliser les expériences acquises. Ceci explique l'élaboration de plusieurs référentiels ces dernières années afin de diffuser à l'échelle de l'agglomération de nouveaux standards pour la production urbaine locale. 62 ANNEXE II : Chronologie du « développement urbain durable » à Grenoble Grenoble est aujourd'hui généralement considérée comme l'une des villes françaises, pionnières en matière de développement durable. Le quartier de la ZAC de Bonne, lauréat du concours EcoQuartier du Ministère du Développement Durable en 2009 est devenu le « Fribourg » national, une halte obligée des circuits de visite des quartiers durables de France. Derrière cette vitrine, la ville de Grenoble est par ailleurs engagée dans une série d'actions visant à atteindre les objectifs du facteur 4 et à relever les défis de l'atténuation et de l'adaptation de la ville aux changements climatiques. L'agglomération de Grenoble s'est développée aux confins de deux vallées, celle de la Drac et celle de l'Isère, entourée par trois massifs (le Vercors, la Chartreuse et la Belledonne). Cette géographie remarquable engendre un climat un peu atypique, avec une amplitude des plus éleÎes en France. Les hivers sont rigoureux avec des températures relativement basses. En été la ville subit les chaleurs les plus fortes du pays (plusieurs épisodes caniculaires ont été obserÎs ces dernières années). Sa situation géographique explique également les problèmes récurrents de pollution de l'air, en particulier l'été. La ville est également fortement contrainte dans son développement urbain, avec des réserves foncières rares, malgré une pression démographique soutenue depuis plusieurs décennies. Les problématiques du renouvellement urbain et de la densification de la ville couplées avec le souci de l'environnement caractérisent ainsi les opérations d'aménagement les plus récentes de la commune et son retranscrites dans les documents de planification de la ville. Pour autant, cet intérêt pour le développement durable ne date pas de quelques années, mais il prend racine dans la culture urbaine grenobloise initiée à partir du milieu des années 1960. Ce texte analyse la manière dont les acteurs urbains grenoblois ont intégré les préoccupations du développement durable dans leur culture et leurs modes de faire et ainsi ont fait progressivement évoluer leurs pratiques. Il se dégage de cette analyse trois grandes phases : - un développement qui se veut d'abord humaniste de Grenoble sous impulsion d'Hubert Dubedout et repris partiellement par Alain Carignon, inscrivant la participation citoyenne et la recherche de l'innovation au coeur du développement urbain de Grenoble (1965- 1995) - une montée en puissance des questions environnementales et une incubation du développement durable conduite par des élus verts particulièrement actifs (Pierre Kermen notamment) (1995-2008) - vers une institutionnalisation du développement durable dans les affaires municipales. Le développement durable devient partie intégrante de la stratégie de développement et de communication de la ville de Grenoble (3ème mandat de Michel Destot). Au niveau de l'agglomération, d'autres communes sont également très actives, notamment Echirolles. Dans cette agglomération, l'aménagement est resté une compétence communale. Notre recherche s'est focalisée sur les pratiques de la ville de Grenoble avec des références à 63 ce qui se passe au niveau de la communauté d'agglomération. II.1 Le développement humaniste de Grenoble: prémisses du développement durable (1965-1995) En 1965, Hubert Dubedout est élu maire de Grenoble sous l'étiquette socialiste. Cet ingénieur de l'Ecole Navale arrive en politique après plusieurs années passées dans le milieu associatif. Sa priorité pour Grenoble est le développement du logement social et l'amélioration des logements en faveur des plus défavorisés. Grenoble connaît à cette période une croissance importante avec l'implantation d'universités et d'organismes de recherche, notamment autour du nucléaire. En 1965, la ville de Grenoble doit également faire face à un retard dans les équipements publics. La ville doit également se préparer à accueillir les Jeux Olympiques d'hiver de 1968. Le premier mandat d'Hubert Dubedout s'attachera ainsi à construire dans l'urgence des logements et des équipements. Plusieurs quartiers vont naître: le village Olympique, Villeneuve et Hoche. Ces quartiers sont construits selon les principe du fonctionnalisme, abandonnant ainsi la rue au profit d'une spécialisation des voies de circulation. A l'écart de la circulation automobile sont implantés des commerces et services de proximité au milieu d'espaces réserÎs aux piétons et aux Îlos. Ces quartiers veulent également promouvoir une mixité sociale et fonctionnelle (Novarina, 1997). Emergence d'un mode grenoblois de production urbaine: régie et concertation Dans la période durant laquelle Dubedout est maire, la production urbaine est marquée par un centralisme important où les décisions sont prises à Paris et/ou par les représentants de l'Etat ou de son appareil (CDC, SCET). Le niveau local, n'ayant qu'une faible capacité d'études, d'expertise, d'organisation propre et de proposition, bénéficie de marges de manoeuvre très réduites. Pour autant, l'action de Dubedout n'aura cesse de chercher à gagner son autonomie et de faire des projets urbains grenoblois, non pas un objet technique mais un acte politique. « Je souhaite que l'action ne soit plus définie seulement en termes techniques de schémas directeurs d'aménagement et d'urbanisme, de plans d'occupation des sols, de zones d'action concertées, etc. Je crois vraiment que l'action doit être définie en termes politiques, plus précisément à partir de cette politique de la vie quotidienne qui se fonde sur l'accès à l'habitat, sur les équipements collectifs, sur le refus de la ségrégation, sur la démocratie dans la cité comme dans le quartier, sur les relations sociales et sur l'action éducative » (JO, 18 mai 1973, p 1346, Hubert Dubedout) En 1966, l'agence d'urbanisme de Grenoble est créée et Hubert Dubedout n'aura cesse de la solliciter. Le maire va aussi mettre en place des commissions extra-municipales et instaurer une Îritable gestion démocratique de la ville avec des réunions de dialogue permanent avec les habitants. C'est à ce moment que sont créés les « unions de quartiers » qui réunissent les habitants et sont des interlocuteurs directs de la municipalité. Ces unions perdurent encore aujourd'hui. Jusqu'en 1972 l'administration municipale avait été maintenue sur un modèle classique, hiérarchisé, cloisonné et découpé selon les logiques métiers et de secteurs. (le social, les finances, les services techniques, etc.). La SEM départementale11 ou le priÎ étaient priés de concevoir et de réaliser les projets, 11 La SEM départementale, Territoire 38 a été créée en 1957, sous son nom initial la SADI (Société d'Aménagement du Département de l'Isère). Elle a notamment réalisé l'opération de Villeneuve, quartier nouveau sur Grenoble et Echirolles, ainsi que les ZAC de l'agglomération de Grenoble et la zone d'activité de Meylan (périphérie de Grenoble). 64 l'administration les prenait ensuite la gestion des opérations ainsi réalisées. Ce processus va progressivement se transformer par une municipalisation de l'urbanisme et de l'architecture, voulue par le maire. La ville va se doter de services techniques ayant des missions de maîtrise d'ouvrages et de maîtrise d'oeuvre importantes, avec le recrutement de nombreux jeunes professionnels, dans une optique de pluridisciplinarité au cours des années 1970. « Cependant, cette professionnalisation de l'action municipale aurait pu faire craindre une dérive technocratique si elle n'avait été assortie du souci de créer les conditions d'un dialogue permanent avec la population sur le terrain par la mise en place d'un dispositif de concertation à l'échelle du quartier. Cette dernière orientation avait mûri au cours du deuxième mandat, notamment avec l'engagement de la politique « vieux quartiers ». » (Bernard Archer, directeur des services techniques de la ville de Grenoble de 1977 à 1984)12 La rénovation des quartiers anciens initie une nouvelle manière de concevoir le projet urbain. Ce nouveau mode de faire, tourné vers la concertation avec les habitants est d'abord expérimenté sur le quartier Berriat où la municipalité met en place une équipe de mission formée d'agents de la collectivité, de l'agence d'urbanisme, de contractuels et d'une équipe associative du quartier. Au cours de nombreuses réunions publiques, les habitants sont conviés, aux côtés des techniciens de la ville et de certains élus afin de discuter des choix urbanistiques à opérer, tenant compte des contraintes techniques, financières et sociales. L'équipe de mission va ensuite être progressivement intégrée pour devenir un service au sein de l'administration. « Dès 1977, nous pouvions nous organiser selon les fonctions modernes de maîtrise d'ouvrage, de conception, de coordination, d'animation, de maîtrise d'oeuvre, contrôle de concession de la régie foncière, procédures d'aménagement, tout ce que l'on appelle aujourd'hui la maîtrise d'oeuvre urbaine. Un fonctionnement en complémentarité entre services municipaux, société d'économie mixte et association s'est établi. Des tâches de conception et de planification faisaient désormais partie des services et étaient conduites par de jeunes agents recrutés pour leur compétence. Ils contribuèrent à la rénovation dans tous les domaines de l'aménagement urbain. » (Jean-Louis Berthet, directeur de la mission centre-ville à la mairie de Grenoble, 1972-1983).13 La recherche de modes de transports alternatifs à l'automobile, signal de la fin de l'ère Dubebout Lors du premier mandat de Dubedout, de nouvelles routes et autoroutes ont été construites sans aucune politique sur les transports publics et les deux roues. Pour pallier à cette lacune, dès le second mandat une réflexion sur la restructuration des transports en commun va être conduite par une commission extra-municipale, créée expressément en 1973. Dans la foulée, le syndicat intercommunal des transports collectifs (SMTC) est créé, suivie de la SEM 12 In Action municipale, innovation politique et décentralisation [Livre] : les années Dudebout à Grenoble / ouvrage coordonné par Pierre Ducros, Pierre Frappat, François Lalande.. 1998 (p67) 13 In Action municipale, innovation politique et décentralisation [Livre] : les années Dudebout à Grenoble / ouvrage coordonné par Pierre Ducros, Pierre Frappat, François Lalande.. 1998 (p74) 65 d'exploitation du réseau (SEMITAG) en janvier 1975. L'objectif premier des élus grenoblois est de rénover le réseau de bus, avec la création d'un tronc commun des différentes lignes desservant la gare et le centre-ville, avec des couloirs réserÎs. Les réflexions portent également sur des mesures en faveur de la protection des cyclistes (les Grenoblois se déplaçant fortement en Îlo) et sur un nouveau mode de transports téléguidé, (POMA 2000), équivalent d'un métro léger en surface. Les discussions au sein de la commission extra-municipale sont vives, notamment au sujet du POMA 2000, qui se ferait au détriment d'un réseau de tramway. Une association pour le Développement des Transports en Commun, voies cyclables et piétonnes dans l'agglomération grenobloise (ADTC) va se créée en janvier 1974, notamment pour promouvoir l'idée du tramway et rallier les élus municipaux à leur cause. Pendant près de 10 ans, cette association s'est heurtée au maire de Grenoble qui finalement l'a inscrite dans son programme électoral de 1983. Mais Hubert Dubedout n'a pas été réélu. C'est Alain Carignon (RPR) qui lancera un référendum local. 53% des grenoblois vont se prononcer en faveur du tramway et le 5 septembre 1987, la ligne A est inaugurée, suivie en 1990 de la ligne B. Le développement de ces deux premières lignes reste néanmoins confiné à une logique sectorielle de transports, la ville n'étant alors pas équipées en ligne forte de transports en commun. Toutefois la première ligne de tramway va relancer une dynamique avec la requalification de certains espaces publics. Mais la méthode Carignon rompt avec l'interventionnisme municipal. La nouvelle équipe accorde davantage de place au développement économique et à la recherche de partenariat avec le secteur priÎ, notamment avec les grands groupes. Plusieurs SEM voient le jour en particulier au niveau communal pour le développement de l'opération Europole. Initialement, cette opération devait être confiée au secteur priÎ (Compagnie Générale des Eaux) pour l'implantation d'un centre d'affaires, à l'image du CNIT de la Défense. Le projet capote, de nombreux élus étant réticents à confier l'opération au secteur priÎ. Une SEM, SEM Grenoble 2000 sera alors créée avec comme actionnaires principaux la ville, la chambre de commerce et d'industrie et des promoteurs locaux. L'opération va se dérouler selon un plan-masse assez rigide, inspiré de l'urbanisme de dalle (Novarina, 1997). Surtout cette opération se solde par un coût important pour la commune. Par la suite les élus renforceront le contrôle des opérations en régime de concession et maintiendront, en parallèle la maîtrise en régie de certains projets. Cette particularité grenobloise est à souligner, car elle explique le haut niveau de compétences des techniciens de l'aménagement de la ville de Grenoble, qui font faire en même temps qu'ils font. La seconde ligne relie les centres universitaires et dessert ainsi les quartiers sud de la ville. Parallèlement, la ville crée la ZAC Vigny-Musset, nouveau quartier au sud de la ville à proximité du quartier de la Villeneuve et du village Olympique. Cette opération est confiée à la SEM SAGES (SEM municipale). De grande ampleur (2200 logements, 400 logements étudiants, 120 logements pour personnes âgées), elle débute selon un schéma classique de l'aménagement avec un plan-masse dessiné par un architecte en chef (Aktis architecture) qui laisse néanmoins une part importante aux espaces verts. Cette ZAC connaîtra un tournant dans ses objectifs avec la nouvelle équipe municipale, élue en 1995. Le second mandat d'Alain Carignon est surtout marqué par une montée en puissance de l'opposition locale critiquant sans cesse les politiques menées par la droite et leur gestion 66 désastreuse des affaires municipales. En particulier, le chef de file des élus verts, Raymond Avrillier va dénoncer le système de privatisation de la gestion de l'eau: les usagers payant un service de moindre qualité à un tarif éleÎ. D'ailleurs, Alain Carignon sera mis en examen dès 1994 pour abus de biens sociaux, usage de faux et corruption. Il est condamné en 1996. Cet épisode marque la fin d'Alain Carignon aux affaires municipales grenobloises II.2 La montée en puissance des questions du développement durable à leur imprégnation dans les affaires municipales (1995-2008) En 1995, c'est une nouvelle équipe municipale de gauche qui arrive au pouvoir. Michel Destot, étiquette PS, devient maire en s'alliant avec le parti écologique. Seront élus parmi les écologistes, Raymond Avrillier (2nd adjoint de la ville au logement et 3ème vice-président de l'agglomération sur l'assainissement et les eaux pluviales) et Pierre Kermen (conseiller à la ville sur les questions européennes). Le début de ce mandat est consacré à l'apurement des comptes de la commune, la dette ayant doublé entre 1982 et 1995 (Steinnmann, 1997). Mais la première coalition PS-écologistes sera marquée par de nombreux conflits, en particulier sur la remunicipalisation de la gestion de l'eau et la mise en place d'un agenda 21 local. Le premier tour des élections municipales de 2001 font la part belle aux écologistes (20% des voix). Le maire sortant (30%) fait ainsi alliance avec eux pour asseoir une large majorité au conseil municipal. Le chef de file des Verts, Pierre Kermen, est alors en position de force et négocie plusieurs portefeuilles stratégiques. Il devient le 1er adjoint à la ville, en charge de l'urbanisme et de l'environnement. La fusion de ces deux domaines illustre la vision écologique et urbaine qu'ont les élus du développement urbain grenoblois (Emelianoff, Stegassy, 2010). Ce portefeuille unique, dans les mains d'un seul élu, également président de la SEM Sages (aménageur local), personne de surcroît très active, va ainsi révolutionner la manière de faire la ville à Grenoble. La politique du développement durable, esquissée au cours du premier mandat va connaître un essor important au cours du second mandat, plébiscitée ainsi par les Grenoblois. Plusieurs chantiers seront ouverts, permettant d'assurer à la ville, sa transition vers une ville plus durable. Durant ces années (2001-2008), de nombreux projets démarrent donc, l'équipe municipale saisissant les différentes opportunités qui se présentent à elle pour faire de Grenoble , la première ville française durable. Tous ces chantiers ne sont pas encore clos, mais ils ont permis de renouveler l'image de Grenoble, de l'inscrire dans une dynamique de collectivité innovante, dynamique sur laquelle, Michel Destot surfe encore pour son troisième mandat. Nous retraçons ici, l'ensemble des chantiers ouverts avec une réelle difficulté de les hiérarchiser, tant la collectivité a agi tout azimut, avec des objectifs communs: réduire les consommations d'énergie et les émissions de gaz à effet de serre. Un premier objectif rassembleur: réduire les consommations d'énergie et les émissions de gaz à effet de serre Michel Destot est docteur en physique nucléaire et a travaillé au commissariat à l'énergie atomique. Il a ainsi une sensibilité sur les questions énergétiques. Cette sensibilité fait notamment écho aux convictions écologistes. Au cours de son premier mandat, plusieurs mesures seront ainsi prises. En 1998, l'Agence Locale de l'Energie de l'agglomération de Grenoble est créée, en partie 67 grâce à des fonds européens14. Dans la foulée, un diagnostic sur les consommations d'énergie et les émissions de gaz à effet de serre est lancé à l'échelle de l'agglomération. Les résultats seront publiés en 2001: « Le diagnostic sur les émissions de CO2 de l'agglomération montre que le secteur industriel est le plus gros émetteur (40%) en raison du pôle chimique de Pont-de- Claix. Viennent ensuite les transports (29%), le résidentiel (19%) et le tertiaire (12%). Les émissions de CO2 sont estimées à 6,5 tonnes par habitant, ce qui correspond à la moyenne française. Les énergies renouvelables représentent 7,9% de la consommation énergétique finale, grâce à l'hydroélectricité. Mais les scénarios d'évolution des émissions sont pessimistes. »15 Concernant les transports, l'effort porte sur le développement de deux nouvelles lignes de tramway, qui permettrait de désengorger le centre-ville et surtout de donner une impulsion sur deux nouveaux axes. Selon Pierre Kermen, le transport constitue à Grenoble la pierre fondatrice du développement durable. « Pour moi, le développement durable à Grenoble, pour aller vite et de façon carrée, ce sont les transports publics, le tramway »16. Les études s'engagent ainsi dès la fin des années 1990, bien avant le diagnostic énergétique. La manière dont on approche ces deux nouvelles lignes rompt avec la vision exclusivement « transporteur » des deux premières lignes. En effet, pour les lignes C et D, s'esquisse une approche intégrée. On profite de ce projet de transport pour en faire un des outils de la politique urbaine. Ce n'est qu'au cours du second mandat de Michel Destot que les actions envers le développement durable vont se démultiplier. Suite à la publication du diagnostic énergétique, la ville de Grenoble va lancer une étude de thermographie sur les bâtiments de la ville. A l'échelle de l'agglomération, l'ALE pilote une étude pour l'élaboration d'un Plan Climat. L'agglomération intègre également le réseau « Energie Cités17 » et accueille les 4èmes assises nationales de l'énergie. Depuis cette conférence se tient tous les 2 ans à Grenoble. Le Plan Climat La question énergétique couplée à celle du changement climatique va dépasser le cadre de la ville. Au niveau de l'agglomération, Grenoble Alpes Métropole sera la première à adopter un plan climat en 2005. Son élaboration aura mobilisé de nombreux services de la ville, des communes voisines, de l'agglomération sous le pilotage de l'ALE. Ce premier plan rallie 50 partenaires (communes, bailleurs sociaux, entreprises, associations, universités, fournisseurs d'énergie) avec comme objectif une stabilisation des émissions de gaz à effet de serre. Toutefois, une seconde charte va être élaborée et sera adoptée en 2009 autour des objectifs suivants, beaucoup plus ambitieux : - 9% des consommations d'énergie en interne pour chaque partenaire 14 Programme IEE, Energie Intelligente. Ce programme vise à promouvoir le développement et l'usage des énergies renouvelables, en mettant particulièrement l'accent dans le domaine des transports et aide à la création d'agence locale de l'énergie. http://ec.europa.eu/energy/intelligent/ 15 EMELIANOFF C., STEGASSY R., 2010, p 132 16 Entretien réalisé par Stéphane SADOUX et Pierre BELLI-RIZ, février 2011 17 Créée en 1990, cette association vise à mettre en réseau les collectivités locales européennes (près de 200 membres répartis dans 26 pays) et à les appuyer pour l'élaboration de politiques locales d'économies d'énergie et de développement d'énergies renouvelables en milieu urbain. Bien que le siège de l'association soit à Besançon, celle-ci dispose d'un bureau à Bruxelles et fait du lobbying auprès de la Commission Européenne pour défendre le rôle des villes en matière de politique énergétique et climatique. 68 - A l'horizon 2014 et par rapport à 2005: -14% émissions de GES -14% de consommations d'énergie par habitant et atteindre 14% de production d'ENR par rapport à la consommation totale Le programme d'actions est évalué chaque année et un observatoire des consommations énergétiques et des émissions de GES a été mis en place. Les résultats pour la période 2004- 2009 sont en deçà des objectifs et marqués par des hivers moins rigoureux que d'habitude, ainsi que par la délocalisation de certaines industries. Toutefois la démarche séduit. La liste des partenaires est évolutive et regroupe aujourd'hui 70 partenaires, engagés pour la seconde période du plan 2009-2014. Surtout, l'élaboration de ce plan climat illustre la nécessité d'agir à cette échelle et de dépasser les clivages municipaux, bien que ceux-ci restent très actifs, renforçant de fait, la compétition entre les villes autour de l'affichage « ville durable ». Ce contexte est d'ailleurs, favorable pour engager une série d'actions, en particulier dans le domaine de la planification et de l'habitat. Du POS à l'« éco-PLU » : la promotion d'un habitat plus durable Un des chantiers les plus importants auquel va s'attaquer Pierre Kermen après son élection en 2001 est la révision du Plan d'Occupation du Sol de Grenoble et son passage en Plan Local de l'Urbanisme. Ce changement intervient au même moment que les études sur le plan climat et des études pour l'élaboration d'un Plan de Déplacements Urbains. Pour Pierre Kermen, il est plus que nécessaire de coordonner l'ensemble des documents de planification. Dans son discours d'inauguration de l'exposition « Plan Local d'Urbanisme de la ville de Grenoble » le 11 mars 2005, il présente ainsi sa vision de l'urbanisme à Grenoble: Le PLU est le résultat d'une volonté forte de comprendre, de débattre pour préparer collectivement une ville rassemblée, solidaire, écologique, ouverte18. L'accent est ainsi mis sur la préservation des espaces verts, de la ressource en eau, sur la nécessité de mixité sociale (garantir un minimum de 30% de logements sociaux dans les opérations maîtrisées par la ville), de promouvoir le renouvellement urbain et la recherche d'une certaine densité et enfin de maintenir la tradition en matière de concertation et d'association avec la population pour le devenir de la ville. Le PLU est également l'occasion de procéder à un rééquilibrage des logements sociaux dans la ville avec des objectifs sectorisés selon les quartiers de la ville. Ainsi, près de Villeneuve l'un des quartiers sociaux de Grenoble, les objectifs de production de logements sociaux sont très faibles, alors que dans le secteur de la ZAC de Bonne, ils atteignent 40%. La question énergétique dans les bâtiments est difficilement abordable à travers un PLU, car elle concerne le code de la construction, et non celui de l'urbanisme. Pourtant, la ville de Grenoble a « rusé » pour adjoindre à son PLU dès 2006, un guide de la qualité environnementale dans l'architecture et l'urbanisme. Ce guide fait écho à l'opération d'amélioration thermique sur les grands boulevards19 et à l'initiative Concerto. Une seconde édition sera publiée en 2010 tenant compte de l'expérience des opérations d'aménagement durable. Ce guide concerne trois champs d'intervention sur le cadre de vie : les aménagements, les bâtiments neufs et les constructions à réhabiliter. Pour chaque champ d'intervention, ont été dressés des objectifs prioritaires et des préconisations, adaptés au 18 19 Extraits de son discours: http://www.ades-grenoble.org/spip.php?article542 Voir sous-chapitre suivant 69 territoire grenoblois. Ce guide se veut pédagogique, expliquant ainsi les raisons de ces objectifs et des préconisations. Il devient également un support de négociation. En effet, pour qu'un promoteur puisse construire sur Grenoble, il doit rencontrer les services techniques de la ville et prendre connaissance des préconisations et recommandations délivrées par le guide. S'instaure ensuite un échange entre les services techniques et le promoteur durant la phase de conception du projet allant chaque 5 réunions de travail sur le projet, préalables au dépôt de permis de construire. Ce fut une manière pour la ville de Grenoble d'imposer des règles de construction plus drastiques que celles du code de la construction en vigueur sur l'ensemble du territoire et pas uniquement dans les opérations d'aménagement. Ce processus fut plutôt bien accueilli par le milieu professionnel. Il prévoit un accompagnement, même a minima, des services de la ville et incite les promoteurs à anticiper sur les réglementations futures. Mais un tel guide n'aurait pas vu le jour sans la détermination d'un élu, Pierre Kermen et d'une équipe qui se formait au contact des opérations d'aménagement. Par ailleurs, l'agglomération de Grenoble et en particulier la ville bénéficient d'une forte attractivité résidentielle, attirant de fait les promoteurs et les investisseurs. Les prix de l'immobilier sont suffisamment hauts pour pouvoir absorber une partie du surcoût lié à l'innovation technique induite par la construction à haute qualité environnementale. Dans ce contexte de marché tendu, il est plus aisé pour la commune d'imposer ses exigences : les constructeurs qui ne veulent pas suivre les directives sont priés d'envisager d'autres marchés que le marché grenoblois our développer leurs activités. En effet, les documents de planification et les documents-cadre de l'action publique ont permis de donner une direction unique pour le développement urbain de la ville. Toutefois, l'expérimentation et l'apprentissage se font essentiellement au sein des opérations et on observe une graduation dans les exigences et dans la complexité au fur et à mesure des projets d'aménagement. De l'OPATB20 à la généralisation des quartiers durables En effet, en 2002, l'étude de thermographie sur la ville de Grenoble montre la nécessité de travailler sur les logements construits entre 1945 et 1975. Ces immeubles ne répondaient alors à aucune réglementation thermique et bon nombre d'entre eux réÏlent ainsi des qualités énergétiques médiocres. Les grands boulevards vont faire l'objet d'un traitement particulier, à l'occasion des travaux engendrés par la ligne C du tramway. La ville de Grenoble répond en 2002 à un appel à projet de l'ADEME, de l'ANAH et de leurs tutelles respectives (le Ministère de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement et le secrétariat au Logement). Ce dispositif est une innovation en soi, car il suppose un travail en partenariat au niveau national. Il s'appuie sur le dispositif éprouÎ de l'Anah (la collectivité définit le périmètre éligible ainsi que les objectifs, en concertation avec l'Anah et l'Ademe). Les propriétaires bénéficient d'aides majorées par rapport à ce que verse l'Anah habituellement et l'Ademe cofinance les études préalables et opérationnelles tout en apportant son soutien technique et financier aux campagnes de communication et aux programmes de formation. C'est ainsi que la ville de Grenoble a pris en charge les études opérationnelles sur les bâtiments ciblés et a accompagné les propriétaires sur les bouquets 20 L'Opération Publique d'Amélioration énergétique et Thermique des Bâtiments (OPATB) 70 de travaux à réaliser pour répondre aux objectifs de l'OPATB. Ceci a permis d'expérimenter la rénovation énergétique et d'alimenter le guide sur la qualité environnementale annexé au PLU. L'initiativeConcerto En 2003, la Commission Européenne lance un appel à projet dans le cadre du 7ème programme cadre de la recherche et de développement (PCRD) nommé l'initiative Concerto. Cette initiative vise à promouvoir la performance énergétique des nouveaux bâtiments (habitat, tertiaire) et le développement d'énergies renouvelables. L'appel à projets Concerto va être l'occasion de changer de perspective: par rapport aux projets européens précédents, il ne s'agit plus de travailler sur un objet défini mais sur un territoire et de développer des synergies entre des acteurs (acteurs du développement urbain, acteurs politiques, acteurs du système de l'énergie). Or l'OPAC 38 ne travaille que sur des objets. La rencontre de Michel Gibert avec Pierre Kermen sera donc déterminante pour la suite de ce projet et pour l'acculturation du milieu grenoblois au développement durable. La manière dont la ville de Grenoble a organisé sa réponse à l'appel à projets européen Concerto illustre parfaitement le milieu local des acteurs de l'urbain. En un temps record (2 mois), le projet SESAC a été monté avec une réponse coordonnée par l'OPAC 38 (Michel Gibert, directeur du développement durable) et la ville de Grenoble (Pierre Kermen, pilote). Très vite une équipe restreinte s'est regroupée autour de Pierre Kermen21. Ce tandem fait appel à Patrick Martin, directeur de Terre-Eco et de Betrec. Betrec est un bureau d'étude grenoblois spécialisé sur le calcul de structures en bâtiment, en particulier structure béton. Au début des années 2000, son directeur va fonder une filiale, Terre-Eco, travaillant d'abord sur la haute qualité environnementale dans les bâtiments et sur l'approche environnementale de l'urbanisme. Enfin, pour compléter l'équipe, il est fait appel à Olivier Sidler d'Enertech, l'un des grands spécialistes de la question énergétique, que l'on retrouvera également dans les équipes lyonnaises. Quelques mois plus tard, les techniciens de la ville (en particulier Perrine Flouret et Laurent Gaillard) et les membres de l'ALEC (notamment Jérôme Buffière) viendront compléter cette petite équipe autour du projet Concerto. Le projet Concerto a également permis de financer le suivi et l'évaluation du projet. Ce « work package » (WP 21) était suffisamment vague dans son intitulé pour que l'équipe projet grenobloise s'en empare et mette en place un système inédit de suivis techniques des différentes équipes bâtiments intervenant sur la ZAC de Bonne mais également dans d'autres secteurs de la ville. Deux types d'évaluation ont été réalisés: un suivi en temps réel des consommations d'énergie et des températures d'ambiance dans 44 logements de la ZAC de Bonne par Olivier Sidler (Enertech) et un releÎ régulier des consommations d'énergie dans les autres secteurs par l'ALEC. Ce suivi montre une baisse des consommations lorsqu'il associé à des réunions d'information sur l'énergie. Surtout des sessions de formation des ouvriers du bâtiment ont été conduites pour sensibiliser ces personnes aux enjeux environnementaux et leur expliquer de nouvelles techniques (pose de l'isolation par l'extérieur, perçage des prises électriques pour éviter la rupture thermique, etc.). « L'idée, c'était d'être un assistant tout au long des phases du projet aux différents acteurs en lien avec la construction. Le fil rouge, c'est d'éviter les ruptures 21 Voir si on développe cette histoire ici ou à l'encart sur Concerto. 71 d'appropriation qu'on peut voir régulièrement dans le cadre du bâtiment. » (entretien Jérôme Buffière, 24 mai 2011). » Expérimentations sur les ZAC en cours Vigny-Musset (SEM SAGES) et Teisseire (ville de Grenoble) Les ZAC de Vigny-Musset et de Teisseire ont démarré à la fin des années 1990, sous un schéma traditionnel de production de la ville. Un marché de définition est lancé pour recruter un architecte en chef et définir les orientations du projet. Puis l'opération passe en phase pré-opérationnelle., Vigny-Musset est confiée à la SEM SAGES, la ville de Grenoble gardant le projet Teisseire, renouvellement urbain assez complexe, en régie. Ce n'est qu'à partir du début des années 2000 que des exigences sur les performances énergétiques des logements neufs vont être émises. En particulier sur la ZAC Vigny-Musset, la SEM va expérimenter l'isolation par l'extérieur et le solaire thermique. Cette opération a également permis de tester les formes urbaines compactes (forme urbaine déjà présente au début de l'opération), le tri des déchets de chantiers et surtout d'avoir un recul sur les modes d'habiter et le livret de l'utilisateur (pour les logements livrés après 2005). L'opération Vigny-Musset marque ainsi une première étape dans la promotion d'un habitat plus durable. La SEM, guidée par la ville, a dû négocier point par point avec les promoteurs pour imposer plutôt des moyens (double vitrage lame d'argon, isolation par l'extérieur, etc.) que des objectifs. En effet, les promoteurs étaient assez réticents et avaient besoin d'être sensibilisés et d'être accompagnés (entretien avec Patrick Le Bihan, directeur-adjoint de la SEM SAGES, 9 mai 2011). Sur l'opération Teisseire, l'un des bailleurs sociaux ACTIS, a conduit des réhabilitations de logements en privilégiant l'isolation par l'extérieur et en recherchant une Îgétalisation maximum des logements (rôle des balcons et des loggias pour le confort d'été). L'opérateur a également installé des panneaux solaires en toiture pour la fourniture d'eau chaude sanitaire. Une attention toute particulière a également été conférée à la dépollution du site (une partie du projet se situe sur une usine désaffectée Schneider) et à la gestion des eaux de pluie. Le parc Ouagadougou joue ainsi un rôle central dans cette gestion des eaux. La ZAC de Bonne: la vitrine grenobloise L'opération ZAC de Bonne démarre en 2001 avec le lancement du marché de définition. A cette période il n'est pas encore question d'EcoQuartier, même si, sur la base des expérimentations conduites dans les opérations précédentes, la ville entend poursuivre sa quête vers un urbanisme plus durable. La ville impose à Christian Devillers (architecte en chef de la ZAC) de se faire assister d'un prestataire en Haute Qualité Environnementale (HQE®) pour renforcer la composante environnementale du quartier. Ce n'est vraiment qu'à partir de novembre 2003 que cette opération va connaître une accélération avec son inscription au projet SESAC (programme Concerto). Dès lors, les logements construits dans ce quartier devront répondre à des objectifs de performances énergétiques Patrick Martin de Terre-Eco, également AMO HQE® de la Ville de Grenoble, rédige les cahiers de recommandations en matière de qualité environnementale et accessibilité, reprenant les éléments présents dans la réponse à l'appel à projets Concerto. La ZAC est créée en 2004 et les consultations avec les promoteurs suivent rapidement. Ceux- 72 ci doivent intégrer les exigences du programme Concerto dans leur projet. Cette intégration ne se fait pas sans peine. L'aménageur doit convaincre et négocier. En effet, les prix de construction affichent une plus-value que les promoteurs ne pourront pas reporter intégralement sur les prix de vente, d'autant plus que la ville souhaite développer une mixité sociale avec 40% des logements sociaux mais aussi des logements à coûts abordables. L'aménageur va alors réaliser une moins-value foncière, la ville devait participer à hauteur de 6 M pour couvrir le déficit initial. Les fonds européens accordés suite à l'initiative Concerto vont directement aux promoteurs et aux bailleurs pour couvrir les surcoûts de construction. L'enjeu est de taille car la ZAC de Bonne doit démontrer que construire plus durable est possible. Toutefois, profitant de la bulle immobilière, l'opération se clôture avec un léger bénéfice, et ce, sans la compensation de la ville. Le pari est donc tenu. En 2009, le projet reçoit le Grand Prix du concours EcoQuartier du Ministère du développement durable et devient ainsi le « Fribourg » national. Les retombées en terme d'images pour Grenoble et la SEM SAGES sont importantes. D'une part la durabilité de la ville est reconnue. Le nombre de délégations professionnelles voulant visiter la ville a sérieusement augmenté, au point que le service urbanisme de la Grenoble a confié à l'office du tourisme la visite de la ZAC de Bonne. D'autre part, la SEM SAGES a acquis un certain savoir-faire, de même que les promoteurs engagés sur l'opération. En particulier pour ces derniers, l'opération de Bonne leur a permis d'anticiper sur les normes de construction 2012 et de bénéficier d'une assistance technique financée par l'opération (en fait intégrée dans le co-financement européen des surcoûts). Ils ont ainsi découvert la filière des panneaux solaires, les caractéristiques techniques de l'isolation par l'extérieur (désormais un standard à Grenoble) ou encore la gestion des déchets de chantier. Mais il faut rester prudent sur l'image innovante et « développement durable » que veulent se donner les promoteurs comme relativise Patrick Le Bihan. « Il n'y en a pas cinquante de promoteurs à Grenoble. Donc, de fait, petit à petit, on a acquis un langage commun. Tout au moins, je me flatte de le penser. Parce que je sais qu'en même temps, tel promoteur qui joue les vertueux sur Grenoble, Echirolles, St Martin d'Hères, peut-être qu'il va construire ailleurs comme on construisait il y a cinquante ans. » (entretien du 9 mai 2011). L'aménageur a ainsi accompagné les promoteurs tout au long de leur processus. En phase conception, ils étaient assistés par les AMO de la SEM SAGES, en particulier d'Enertech qui Îrifiait et instruisait les solutions techniques mises en oeuvre pour garantir les objectifs de performance énergétique. En phase chantier, l'Agence Locale de l'Energie (ALEC) a mis en place une série de formations. « La ZAC de Bonne a été un phare qui a permis de rassembler beaucoup de monde. En particulier les organismes de formation qui ont compris que quelque chose se passait et qu'il ne fallait pas passer à côté. »(entretien Jérôme Buffière, 24mai 2011 ) De même Enertech a suivi de près la réalisation des bâtiments, secondé par l'aménageur. Au niveau de la conception des bâtiments, les objectifs ont été remplis. L'évaluation des consommations d'énergie montre néanmoins un résultat mitigé: des erreurs sur la réalisation en phase chantier ont été faites et surtout on observe des différences de comportements chez les résidents se soldant, pour certains, par des écarts importants de 73 consommation d'énergie entre le prévisionnel et le réel. « Malgré les formations réalisées, il y a eu des malfaçons en phase réalisation des bâtiments et on ne pensait pas que ces malfaçons, a priori mineures, allaient autant impactées le bilan de Bonne. » (entretien Jérôme Buffière, 24 mai 2011). Cette réalité interroge le processus de production actuel de la ville. L'aménageur s'est ainsi entouré d'experts inédits jusqu'alors, mais désormais il faudrait se focaliser davantage sur l'accompagnement des équipes de maîtrise d'oeuvre des promoteurs et sur le suivi des entreprises en phase chantier. Mais globalement, la réussite de la ZAC de Bonne est ainsi en partie dû à la détermination d'un élu , Pierre Kermen. « Avoir un élu qui est à la direction de l'urbanisme et président de la SEM nous garantit que nos exigences de qualité environnementale, architecturale et urbaine que l'on fige dans le dossier de création de la ZAC et les cahiers de préconisations vont bien être suivies par la SEM. » (Entretien avec Perrine Flouret, Ville de Grenoble, 24 mai 2011). Cette détermination a ainsi permis à l'équipe opérationnelle de se structurer autour de la SEM et d'imposer ses objectifs. la ZAC Bouchayet-Viallet (SEM Innovia) et la ZAC Blanche-Monier (Ville de Grenoble) Les opérations lancées après la ZAC de Bonne reprennent, voire augmentent les exigences de la ZAC de Bonne. Les équipes sont sensiblement les mêmes: la SEM Innovia (même équipe que la SEM SAGES) pour Bouchayet Viallet créée en 2004, le service de prospective urbaine, assisté de Tekhné pour la ZAC Blanche-Monier, créée en 2007. Les concepteurs de ces opérations ont tirés certaines leçons de l'opération de Bonne, en particulier pour Blanche-Monier. L'orientation bioclimatique des bâtiments fut testée mais non retenue pour ne pas rompre avec la trame urbaine des quartiers voisins. Mais, la ville est allée encore plus loin en ce qui concerne la gestion des eaux pluviales (traitement de l'ensemble des eaux pluviales à la parcelle) et a réussi à imposer l'obtention du label BBC à coûts maîtrisés, à toutes les opérations de logements (exigences énergétiques supérieures à celles du programme Concerto, et réalisation des tests qui vont de pair),sans pour au tant accompagner ces exigences d'une subvention complémentaire. Ces ZAC ne font pas l'objet d'innovations techniques remarquables à l'instar de la ZAC de Bonne. Toutefois pour les porteurs de projets et certains de leurs prestataires, ils participent à l'assimilation et à la consolidation des pratiques et des méthodes initiées précédemment. Pour d'autres intervenants, notamment d'autres promoteurs et leurs équipes dédiées, ils sont un lieu d'apprentissage. On retiendra également de Grenoble, un contexte de marché immobilier favorable à l'expérimentation, surtout au moment de la commercialisation de la ZAC de Bonne. « C'était un quartier de plein centre-ville, un terrain de cet importance au centre- ville il n'y en a pas beaucoup. Donc on savait fatalement que ça allait être un programme attractif. Après derrière les contraintes techniques, le développement durable en est une, on la prend telle qu'elle. [...] sachant qu'on est dans un secteur centre-ville qui permet quand même un prix un peu... Voilà! On aurait proposé la même chose dans les quartiers sud de Grenoble avec les mêmes impositions, où là 74 en prix de vente on est un peu taquet, ça mérite une deuxième réflexion. Là centre- ville, on y est allés sans se poser trop de questions sur le prix en disant "voilà, on a un contexte économique qui permet de se lâcher un petit peu sur le prix de revient". (entretien Michel Blanc, 9 mai 2011)22. La dimension économique des projets et du marché immobilier n'est ainsi pas négligeable et illustre les marges de manoeuvre dont bénéficient la chaîne d'acteurs en particulier les promoteurs. Ils peuvent vendre un peu plus cher que sur d'autres agglomérations et peuvent réduire leur marge au profit d'un coût de construction plus éleÎ. Un réseau d'acteurs locaux en étroite collaboration L'analyse des différents acteurs intervenants dans les opérations d'aménagement et les opérations de construction sur Grenoble montre un milieu assez fermé. « On travaille toujours avec les mêmes! » (entretien avec Patrick Le Bihan, mai 2011). Ceci permet de favoriser la capitalisation et est l'un des facteurs qui explique pourquoi la diffusion des exigences du développement durable s'est faite aussi vite et aussi bien. Le jeu de la concurrence dans l'immobilier du neuf et la pression foncière sur Grenoble sont un second facteur favorable à la diffusion de telles contraintes. En effet, le promoteur qui n'observe pas les niveaux d'exigence de la ville ou de l'aménageur peut être exclu des projets futurs ou se voir refuser une autorisation à construire. L'agglomération de Grenoble concentre également un tissu d'experts et de personnes sensibilisées au développement durable important. L'OPAC 38, bailleur social du département, est l'un des précurseurs du développement durable, vu d'abord sous l'angle énergétique, de la région grenobloise. Ainsi dès 1995, une mission « développement durable et Europe » fut créée au sein de l'OPAC pour veiller aux appels à projets européens (et récolter des fonds pour financer des projets innovants en matière d'énergies) et pour diffuser la pratique du développement durable. Michel Gibert prend la direction de cette mission et ébauche la stratégie énergétique et environnementale de la société. Progressivement Michel Gibert se constitue un réseau européen, notamment à travers les projets européens dans lesquels l'OPAC est impliqué. La volonté politique et technique est ainsi de constituer, à Grenoble, un réseau d'acteurs couvrant l'ensemble de la chaîne de productions du bâtiment qui est formé a minima sur les performances énergétiques et plus globalement sur la prise en compte de l'environnement dans l'urbain. Cela se traduit par une autre manière d'appréhender le projet de bâtiment avec un travail d'équipe plus intégré et plus complexe. « Alors nous la façon dont on travaille ici à l'agence, c'est très transverse, les réunions de montage d'opération, on travaille rarement à deux (architecte et maître d'ouvrage). Les réunions, elles sont avec le BE, l'architecte, le contrôleur technique, l'AMO HQE s'il y en a un, le paysagiste... Enfin voilà! Dans ces réunions on n'est jamais deux, on est souvent huit à dix autour de la table. Je pense que c'est vraiment un management de projet, l'architecte ne travaille pas seul dans son coin en faisant à la fin valider la solution par le BE fluides. C'est vraiment un travail 22 Le service prospective de la ville de Grenoble indique, qu'à cette période, entre 2009 et 2010, on estimait le surcoût de la construction BBC par rapport à la construction classique autour de 113/m², c'est-à-dire moins de 10%. 75 d'équipe. » (entretien Michel Blanc, directeur de Bouygues-Immobilier, agence de Meylan, mai 2011). La période 2001-2008 montre ainsi des innovations locales dans plusieurs domaines portées par un groupe d'acteurs, au départ assez restreint mais qui progressivement s'est élargi. Pour autant, cette période d'émulations se traduit aussi par de vifs débats au sein de la majorité politique. Pierre Kermen n'aura eu cesse de faire bouger les lignes, au détriment de l'alliance PS-les Verts. Lors des élections municipales de 2008, le PS opte ainsi pour un rassemblement avec le centre, abandonnant son alliance avec les Verts. 76 II.3 Consolidation des innovations précédentes: surfer sur la vague du développement durable (2008- ...) En mars 2008, de nouvelles élections municipales ont lieu. Aucun accord d'alliance n'aboutit entre le PS et le parti écologique. Le second tour donnera lieu à une triangulaire où le maire sortant, Michel Destot est réélu avec 48% des voix, issues notamment d'une alliance avec les centristes. Les Verts entrent ainsi dans l'opposition et Pierre Kermen disparaît du paysage politique local. Ce désaccord ne remet pas en cause les politiques conduites en matière de développement durable lors des mandats précédents. D'ailleurs, il s'agit de poursuivre ces actions et de communiquer davantage sur les actions engagées et leurs résultats. On note ainsi la déclinaison sur la ville de Grenoble du Plan Climat avec « Grenoble Facteur 4 ». Ce plan, avec un programme plus ambitieux, diviser par 4 les émissions de GES d'ici 2050 a été adopté en septembre 2008. Ce programme d'actions repose sur 4 piliers: le développement d'écoquartiers, les transports (avec la réalisation envisagée d'une 5ème ligne de tramway), les bâtiments (poursuite de l'incitation des travaux d'isolation des bâtiments construits en 1945 et 1975 et extension aux bâtiments construits avant 1920) et l'énergie (accroître l'utilisation des énergies renouvelables). Ce programme d'actions vise à structurer les actions lancées lors des deux mandats précédents et à donner à Grenoble une image de cité innovante en matière de développement durable. Les actions en faveur du bâtiment et de la recherche d'un optimum énergétique se poursuivent avec plusieurs incitations envers les copropriétaires publics et priÎs sur des immeubles ciblés. La ville de Grenoble conçoit alors un dispositif nommé « mur-mur » afin d'aider les copropriétaires à réaliser leurs travaux d'amélioration thermique. Afin d'appliquer ce dispositif à l'ensemble de la l'agglomération, il est transféré à la Métro. Il vise les immeubles construits entre 1945 et 1975 en dehors de toute réglementation thermique. La communauté d'agglomération en partenariat avec les communes, l'ADEME et les fournisseurs d'énergie, propose de co-financer les travaux de rénovation, allant de travaux d'isolation des murs à une isolation complète (murs, toiture, planchers) avec changement des menuiseries et du système de ventilation. Les copropriétés s'engageant dans un tel dispositif bénéficient également d'un soutien technique de la Métro et l'ALEC. Le succès est au rendez-vous avec 5 400 logements engagés dans la démarche en mars 2011. La ville de Grenoble va plus loin en éditant un guide concernant les possibilités techniques et architecturales pour l'amélioration thermique des immeubles construits avant 1920. De nouveaux projets d'aménagement sont lancés avec l'opération phare « Presqu'île » confiée à la SEM Innovia en 2009. L'aménagement de ce site de 250 ha, situé en entrée de ville, se décline en plusieurs projets opérationnels. Il s'agit d'une part de rattacher ce territoire, marqué notamment par une occupation universitaire lié au nucléaire (présence du synchrotron) au reste de la ville, d'autre part de tester un nouveau modèle de développement urbain durable, capitalisant les expériences précédentes sur le bâtiment et cherchant à innover autour de la mobilité. Ce territoire se veut démonstrateur et est un des éléments principaux du projet « Eco-Cité » dont certaines actions sont financées par le programme d'investissements d'avenir (Caisse des Dépôts). Ce vaste projet pourrait durer des dizaines d'années. Enfin, la ville de Grenoble poursuit son implication dans les réseaux européens. Lors du mandat précédent, la direction de l'urbanisme avait été initiée à la gestion d'un projet 77 européen (à travers le pilotage au niveau local du projet Concerto-Sesac). Un effort important avait alors été fait à ce moment pour comprendre les mécanismes, notamment administratifs et financiers, des projets européens. La ville de Grenoble valorise cet apprentissage en répondant à de nouveaux appels à projets européens comme smart cities. L'innovation et l'apprentissage à Grenoble se font ainsi au gré des projets, qu'ils soient européens ou consacrés à une opération d'aménagement. La capitalisation des connaissances apprises dans ces moments ne passe pas à travers des documents-cadre comme cela peut se faire dans l'agglomération lyonnaise. Le milieu grenoblois des acteurs de l'aménagement reste très fermé avec une diffusion des nouveaux processus et des nouvelles pratiques qui se fait ainsi au sein du groupe ainsi constitué. Ceci peut également s'expliquer par le fait que l'aménagement est encore une compétence communale. Il n'est pas donc pas nécessaire de fabriquer une culture urbaine unique à l'échelle communautaire comme on peut le constater sur l'agglomération lyonnaise 78 ANNEXE III Chronologie développement urbain durable à Reims D'UNE PRISE DE CONSCIENCE TARDIVE A UN FOISONNEMENT D'INITIATIVES A LA COHERENCE INCERTAINE Parmi les villes retenues dans ce projet de recherche, Reims représente la plus petite agglomération (200 000 habitants). Coeur d'un territoire de très faible densité de population, la ville n'en est pas moins demeurée compacte, notamment en raison de la valeur du foncier agricole. Source d'une relative aisance, agriculture et agro-alimentaire puissant masquent un faible dynamisme démographique et économique. En matière de développement durable, Reims présente un paradoxe. Plusieurs EcoQuartiers, à l'exemplarité reconnue par des prix nationaux, y ont vu le jour. Pourtant, la réflexion sur le développement durable et sa mise en oeuvre dans les politiques publiques accusent un retard. L'hypothèse centrale de ce rapport est que ce décalage s'explique par le jeu d'acteurs : la longueur d'avance des bailleurs sociaux ne trouverait pas (encore?) son équivalent dans les collectivités locales. Nous constatons : - Un ensemble de bonnes pratiques précoces chez les bailleurs sociaux mais une prise de conscience tardive de la collectivité, accélérée par le changement d'équipe municipale de 2008. - Une institutionnalisation inacheÎe et des recompositions en cours pour l'ensemble des acteurs de la production de la ville. - Un recours modeste aux outils conceptuels de l'urbanisme durable (référentiels, études) et aux programmes européens - Un foisonnement d'initiatives récent dans les projets et les politiques urbaines qui demande à être consolidé. 79 III.1 La prise de conscience : un décalage entre la collectivité et les bailleurs sociaux Si Reims apparaît de bonne heure comme un laboratoire d'expérimentation urbaine, c'est sans doute dû davantage à l'émulation entre ses trois organismes logeurs, de sensibilité différente, qu'à ses élus, plus en retrait. Les bailleurs sociaux sont un acteur majeur de la production de la ville à Reims où ils gèrent 45% du parc de logements et détiennent la majeure partie du foncier constructible. En 1912, l'industriel rémois Georges Charbonneaux fonde le Foyer rémois dans la mouvance du catholicisme social. Le Foyer rémois réalise une couronne de cités-jardin, dont le Chemin Vert (Auburtin, 1921) offre un exemple très abouti. Après la seconde guerre mondiale, le Foyer rémois participe à l'extension de Reims où il gère aujourd'hui un patrimoine de 18 000 logements. En 1921, le Conseil municipal de Reims se dote d'un instrument propre en créant l'Office Public d'Habitations Bon marché de Reims (devenu OPHLM, OPAC et, depuis 2006, Reims Habitat Champagne-Ardenne). Celui-ci construit une cité-jardin (Maison-Blanche), puis, dans les années 1960 et 1970, des grands ensembles (Orgeval, Croix-Rouge...). Reims Habitat Champagne-Ardenne gère aujourd'hui 11 000 logements locatifs. Le lien historique avec la municipalité fait de Reims Habitat un partenaire privilégié de la mise en oeuvre du projet Reims 2020. En 1947 est créé le COPLORR (Comité Paritaire du Logement de Reims et sa Région) dont L'Effort rémois, devenu Plurihabitat l'Effort rémois est l'outil de construction. Il participe à la réalisation des grands ensembles (Orgeval, Croix du Sud) puis des extensions pavillonnaires de l'agglomération (Tinqueux-Sud). Son opération-phare des années 1980, Val-de-Murigny, associe logements individuels et collectifs autour d'un parc central. Nouvelle déclinaison de la cité-jardin, l'opération comporte un volet participatif. Entre 2000 et 2007, le Foyer rémois renouvelle le concept de cité-jardin en réalisant, sur une friche urbaine, Les Aquarelles, un programme mixte (111 maisons individuelles, 113 logements collectifs), HQE et participatif. Cette "cité-jardin du XXIème siècle" a bénéficié du soutien du PUCA dans sa réalisation et a été primée en 2007 (Arturbain) et en 2009 (Trophée des écomaires). Parallèlement, la commune d'accueil, Bétheny, révise son PLU pour en faire un "PLU HQE". La filiation avec la cité-jardin passe par les individus. Ainsi, Alain Coscia-Moranne est Architecte-urbaniste à l'Agence d'urbanisme dans les années 1980 quand il participe à la réalisation de Murigny-sud. Devenu directeur de la construction et de la recherche au Foyer rémois, il assure dans les années 1990 la réhabilitation du Chemin-Vert, expérience qui inspire à son tour Les Aquarelles. Dans les trois organismes, la prise de conscience est passée par trois canaux, présentés par ordre d'importance : - Par les individus, moteurs dans leurs organisations. Les entretiens avec François Toublan (Reims Habitat), Jean-Denis Mège (Foyer Rémois) et Michel Ferro (Effort rémois) cités ci- dessous montrent le caractère très individuel de ces « rencontres » avec le développement durable, ainsi que des visions différentes de sa signification : lien avec la nature retrouÎ (Toublan), focus sur les techniques de construction (Mège), inscription 80 dans les dynamiques sociales des quartiers (Ferro). - Par les labellisations, conçues notamment comme des moyens de valoriser des localisations peu attractives. Le recours au label EcoQuartier, les projets primés par le PUCA, apparaissent comme le signe d'une approche innovante. Par contre, la participation aux clubs d'acteurs n'a guère été abordée par les interviewés. - Par effet-miroir dans le territoire local où une émulation s'exerce entre les acteurs, et en particulier entre les bailleurs sociaux. Récit de la découverte du développement durable ­ extraits d'entretien François Toublan (Reims Habitat) « C'était lors d'un voyage personnel aux Canaries. J'y ai rencontré un architecte, un baba cool, un peu visionnaire, qui aménageait des maisons-talus, des maisons-grottes, depuis les années 1960... Une idée reprise dans les années 1970 dans les maisons-bulles naturalistes du sud de la France... Ce rapport particulier à la nature m'a séduit et c'est à mon sens ma première expérience de l'éco- aménagement et de l'éco-construction. Lorsque les premiers éco-quartiers ont vu le jour à Reims, j'ai tout de suite eu envie de développer cette dimension et, parce que les formations étaient à l'époque peu nombreuses, j'ai dû m'instruire moi-même ». Jean-Denis Mège « Jeune chef d'agence en quartier de renouvellement urbain, je m'étais trouÎ plongé dans la vie sociale au quotidien. Lorsque le développement durable est entré dans mon champ professionnel, j'étais arriÎ dans mes fonctions actuelles au Foyer Rémois. J'ai tout de suite compris qu'il fallait trouver les solutions techniques qui éviteraient de faire peser sur les habitants d'innombrables contraintes car les gens ne changent pas facilement leur comportement. Il n'y avait guère de formations, j'ai appris sur le tas et par de nombreuses lectures. Les solutions foisonnaient, mais pour moi, la meilleure, c'est le Passiv'haus. » Michel Ferro « Je rattache l'idée du développement durable à ma première expérience professionnelle, il y a vingt ans, dans un bureau d'études à forte connotation paysagère et environnementale : nous mettions en place des noues paysagères, ce qui, pour l'époque, était plutôt rare. Je me suis formé au fil de l'eau dans l'exercice de mes fonctions. Ma vision, au départ assez technique, s'est progressivement enrichie pour prendre en compte la dimension des habitants, leurs perceptions, leur satisfaction, la vie au quotidien dans les quartiers, la relation entre ces quartiers et le reste de la ville. Aujourd'hui, pour moi, le développement durable est d'abord une affaire d'habitants et de quartiers et pas autant qu'auparavant de normes de construction ­ l'évolution de la législation fait de toute manière que celles que nous appliquons aujourd'hui seront dépassées dans une décennie ou deux, le quartier restera...» A la différence des bailleurs sociaux, les pouvoirs publics accusent un retard dans cette prise de conscience. La municipalité a connu plusieurs maires-bâtisseurs mais n'investit que tardivement le champ du développement durable. De l'entre-deux-guerres aux Trente Glorieuses, Reims est un laboratoire de planification urbaine. Le plan Géo Ford (1920) montre la couronne de cités-jardin ; sous le mandat de René Bride, le Plan Camelot (1958), limite l'urbanisation ; sous l'impulsion moderniste de Jean Taittinger, le plan Rotival (1963) lance une extension urbaine de grande ampleur. 81 Jean-Louis Schneiter, Président du District depuis sa création en 1972 et maire de Reims de 1999 à 2008, s'inscrit dans la tradition des grands projets (tramway) sans porter un intérêt particulièrement soutenu au développement durable. En 2008, l'élection de Adeline Hazan, tête d'une coalition rose-et-verte, accélère l'émergence d'un discours sur le développement durable. Pour autant, on reste souvent en surface, sans passage à l'acte, de l'avis de plusieurs de nos interlocuteurs. M. Serge Pugeault, deuxième adjoint du Conseil municipal, devait nous recevoir mais il a à plusieurs entreprises annulé cet entretien au dernier moment. En creux, nous y voyons une faible sensibilité au sujet (qui était connu). Plusieurs éléments peuvent expliquer cette prise de conscience tardive. D'une part, la succession des générations : Jean-Louis Schneiter, qui fut l'adjoint de Jean Taittinger, s'est formé à l'âge d'or de la croissance. D'autre part, la culture locale : l'agriculture et l'agro- alimentaire, moteurs de l'économie locale, demeurent productivistes. Enfin, la géographie ­ à l'échelle de l'agglomération rémoise, la qualité de vie reste éleÎe et les inconÎnients liés à un urbanisme 'non-durable', qu'ils soient écologiques ou sociaux, demeurent peu visibles. Producteurs de la ville et collectivités locales semblent privilégier la dimension environnementale du développement durable. Les entretiens du Grenelle y ont sans doute contribué, tout comme les aides à l'éco-construction. Les autres piliers du développement durable sont moins nettement identifiés, et encore moins une approche intégrée à l'échelle de la ville. III.2 Institutionnalisation du développement durable : une place ambigüe pour les élus, un métier en apparition dans les services techniques L'inscription du développement durable dans les portefeuilles politiques des élus et dans l'organigramme des services réÏle tant sa montée en puissance que les ambiguïtés qui subsistent dans sa définition. En 2008, le développement durable apparaît parmi les attributions des adjoints. Il est confié à Raymond Joannesse (Europe écologie), treizième adjoint, également en charge de l'urbanisme. Cependant, les gros dossiers d'urbanisme vont aux deux poids lourds du Conseil municipal : logement, politique de la ville, vie des quartiers pour Eric Quenard, premier adjoint ; développement économique et grands projets pour Serge Pugeault, deuxième adjoint. En 2011, l'urbanisme revient au premier adjoint, tandis que Raymond Joannesse devient conseiller municipal délégué associant au développement durable, espaces verts et environnement. Au Conseil communautaire de Reims métropole, le développement durable est attribué à Stéphane Joly (PS, huitième Vice-Président). Cinquième adjoint dans l'équipe municipale, ce dernier n'y détient aucune attribution dans ce champ. En définitive, dans l'arène politique, le positionnement du développement durable demeure attaché à l'environnement et marginal par rapport aux compétences plus classiques. Dans l'organigramme de Reims métropole, cela se traduit par la création d'une Direction du développement durable "transversale". Sous la conduite de Philippe Pinon-Guérin, ingénieur agronome recruté pour l'occasion, deux chargés de mission tiennent à la disposition des autres services leur compétence environnementale (énergie, pollutions...). Simples conseillers, ils n'ont aucun pouvoir décisionnel. 82 On observe dans les collectivités (ville, intercommunalité, département) et à l'Agence d'urbanisme une vague de recrutements de « chargés de mission développement durable », Îritable nouveau métier. Leur profil associe ingénierie (construction, industrielle) et sciences de l'environnement (formation initiale ou compléments post-diplôme). L'urbanisme et l'aménagement sont peu présents. Ainsi, le chargé développement durable de l'Agence d'urbanisme, Baptiste Redon, est diplômé en sciences de l'Environnement. Il se considère comme un technicien de l'environnement et dit appliquer à la ville le savoir-faire qu'il utilisait dans le monde industriel. Ces chargés de mission, de profil et d'âge similaire, entretiennent des relations (réunions informelles), contribuant à la diffusion d'une approche très environnementaliste et technicienne du développement durable. Le lien s'effectue également par des têtes de réseau nationales, tel le CSTB. Du côté des bailleurs sociaux, la montée en puissance du développement durable n'a pas entraîné de recrutements directs. Les trois interlocuteurs interrogés estiment avoir intégré cette dimension dans l'organisation fonctionnelle pré-existante. De même, on ne voit pas de création de poste fléché développement durable. On note toutefois que, dans les recrutements, les compétences correspondantes à ce nouveau champ sont incluses dans les profils affichés. Les modifications d'organigramme sont liées à l'externalisation croissante d'un certain nombre de fonctions désormais jugées trop techniques pour être portées en interne. Ainsi, Reims Habitat a renoncé à employer un architecte-urbaniste encore présent au début des années 2000, préférant recourir à des prestataires extérieurs. Cette évolution est particulièrement marquée pour les études préalables, dont le nombre va croissant. Une modification importante des modes de production de l'espace urbain et des jeux d'acteurs est intervenue avec la création, par les organismes bailleurs, de deux Groupements d'Intérêt Economique (GIE) qui jouent un rôle déterminant dans la production des EcoQuartiers contemporains et permettent une synergie entre acteurs territoriaux. Les profils de ces deux GIE apparaissent différents. En 2007, le Foyer Rémois et Reims Habitat fondent ensemble le GIE Foncière Développement. Il s'agit de répondre au problème de manque de disponibilité foncière pour la réalisation de projets d'envergure. Le GIE réalise la prospection foncière et les études préablables au développement, généralement déléguées à des prestataires extérieurs. En 2010, le GIE est intervenu dans la préparation de l'EcoQuartier de la 12ème Escadre à Reims, opération d'envergure pour l'agglomération puisque le nouveau quartier doit accueillir, sur une friche ferroviaire de 20 ha, de 1000 à 1200 logements, ainsi que 6000m² de commerces, services et bureaux. Le projet fait partie du Palmarès Ecoconstruction 2009 du MEEDDM. Plurihabitat l'Effort rémois gère aujourd'hui 22 000 logements. Il s'est associé à des organismes logeurs non rémois23 dans le GIE Champagne-Ardenne aménagement. Ici, le GIE n'a pas d'activité de prospection foncière mais est le concepteur des projets d'amnagement, 23 L'Effort Rémois (Reims), Le Toit Champenois (Epernay), Mon Logis (Troyes), Troyes Habitat, Opac de Châlons-en- Champagne 83 et notamment les deux EcoQuartiers que Plurihabitat réalisé à Reims. Les Promenades des Courtes Martin (232 logements) s'inscrit dans le renouvellement urbain du quartier des Epinettes à l'est de Reims. L'EcoQuartier Dauphinot-Remafer (Palmarès Ecoconstruction 2009) programme sur une friche industrielle 620 logements, des commerces, des activités, des équipements publics, un groupe scolaire, un gymnase et un parc urbain de 2 ha. Le GIE n'est pas maître d'ouvrage mais peut assurer le suivi des chantiers à la demande des maîtres d'ouvrage. La participation des acteurs rémois aux réseaux d'acteurs régionaux et nationaux est timide. Le Conseil régional a crée, fin 2007, une Agence Régionale de la Construction et de l'Aménagement durables en Champagne-Ardenne (ARCAD). Cependant, les entretiens ne réÏlent pas le recours à ses services par les rémois, et son action s'adresse plutôt à d'autres parties du territoire régional (Ardennes, Haute-Marne). De même, la participation des acteurs rémois au club 'EcoQuartiers' en cours de montage par la DREAL reste formelle. Sur le plan national, la participation des organismes logeurs au Club opérationnel national écoquartier créé par le MEEDDM suite au premier appel à projet Eco quartier 2009/2010 constitue un premier pas. Dans le cas particulier des organismes de logements social, un rôle de catalyseur a été évoqué pour le groupe EcoQuartier de l'Union Sociale de l'Habitat. Dans cette institutionnalisation en cours, le développement durable est généralement associé à l'environnement et la question de son interface avec l'urbanisme reste ouverte. Nous la retrouvons dans les outils employés où les référentiels de l'éco-construction priment sur une approche en termes d'urbanisme durable. 84 III.3 Les outils : une labellisation tournée vers l'éco-construction Les référentiels utilisés par les bailleurs sont majoritairement environnementaux. Les trois organismes logeurs ont systématisé le recours au label haute performance énergétique (HPE), allant au-delà des normes réglementaires, y compris celles issues du Grenelle II (RT 2012). Dans leurs constructions ils ont systématisé la certification HPE, qui sanctionne une consommation inférieure à la consommation énergétique de référence (Cref), les paliers reflétant des gains croissants, de 10 % (HPE) à 50% (BBC Effinergie, équivalent au PassivHaus allemand). En 2009, le Foyer rémois a inauguré La Clairière, premier bâtiment passif français à vocation sociale. Les référentiels utilisés par les organismes logeurs rémois Type de référentiel Energie Foyer rémois THPE ou BBC Effinergie : toute construction neuve ou réhabilitation Passivhaus HQE (cas-par-cas) Reims Habitat Champagne-Ardenne Plurihabitat l'Effort rémois HPE (tout programme HPE neuf depuis 2008), BBC Maison passive (cas- construction et par-cas) rénovation Habitat et Environnement (tout programme neuf >5 logements depuis 2008) HQE (cas-par-cas) GRE-SE Qualibail Construction environnementale Responsabilité sociale des entreprises Relation avec les locataires Urbanisme durable Opérations primées EURHO-GR® Qualibail Label Habitat Senior Services® EcoQuartier (cas-par- cas) Les Aquarelles : PUCA 2004, Arturbain 2007 Ecomaires 2009 EcoQuartier (cas-par- cas) EcoQuartier (cas-par- cas) EcoQuartier Dauphinot- Remafer : Palmarès 2009 Ecoconstruction Meeddm EcoQuartier de la 12ème Escadre : Palmarès 2009 Ecoconstruction Meeddm Au cas-par-cas, les opérateurs rémois mettent en oeuvre des démarches HQE permettant de dépasser le volet énergie pour prendre en compte l'ensemble des préoccupations environnementales (respect du site, gestion du chantier, construction et utilisation saine). Ainsi, Plurial ­ l'Effort rémois met l'accent sur les écomatériaux, en relation avec le pôle de compétitivité Industries et agro-ressources, qui travaille sur les valorisations non alimentaires du Îgétal (bois, chanvre, paille). Parallèlement, les organismes logeurs développent des démarches de certification dans le 85 champ de la relation avec les locataires et se sont engagés dans des démarches de responsabilité sociale des entreprises (RSE). Le Foyer rémois, en particulier, s'appuie sur le référentiel EURHO-GR® élaboré par l'association européenne Eurohnet. Le passage des référentiels sectoriels (éco-construction, RSE) à des approches intégrées tels les EcoQuartiers demeure le fait d'opérations choisies que Reims s'attache à valoriser en les présentant aux concours nationaux ­ avec succès, même si l'on observe que les EcoQuartiers primés au Palmarès 2009 du MEEDDM l'ont été dans la catégorie éco construction. En 2009, Reims métropole a créé un label local : Reims Métropole développement durable, qui associe un volet HQE à un volet énergétique. En gestation dans les services communautaires avant l'arriÎe de l'équipe municipale actuelle, ce référentiel a fait l'objet d'une concertation avec les maîtres d'ouvrage. Cependant, sa portée est limitée. D'une part, les organismes logeurs relèvent son manque d'ambition, moins exigeant que les référentiels qu'ils mobilisent par ailleurs : ils l'attribuent à « une faible acculturation au développement durable » de la collectivité, pour laquelle c'est un « premier pas » (F. Toublan). D'autre part, le label ne s'accompagne d'aucune incitation financière et les organismes logeurs considèrent qu'il s'agit d'un simple effet d'annonce (« pour la beauté du geste », M. Ferro). Le recours à des référentiels plus larges (HQE Aménagement, HQE²R, AEU) ou à des démarches plus intégrées (EcoCités...) est absent. De même on ne trouve pas sur ce territoire de projet européen, par exemple de type Concerto. Les interlocuteurs interrogés à ce sujet démontrent une faible connaissance de ces dispositifs et/ou invoquent leur lourdeur au regard des bénéfices financiers attendus. III.4 Etat de l'art en 2011 : un foisonnement d'initiatives à consolider Depuis 2008, en apparence, les politiques urbaines voient une traduction accélérée de l'impératif de développement durable. Cependant, le décalage entre bailleurs sociaux et pouvoirs publics ne s'est pas atténué. Les quatre EcoQuartiers acheÎs ou en cours de réalisation, Aquarelles, 12ème Escadre, Dauphinot-Remafer et Promenades Courtes-Daint-Martin, sont le volet le plus ambitieux en matière de développement durable. Outre le volet environnemental, on observe dans chacun d'eux des efforts en matière de mixité sociale, notamment par le mélange de formes d'habitat et statuts d'occupation variés, et un effort de développer le vivre-ensemble ­ quelquefois déçu, comme ce fut le cas dans les Aquarelles où cette dimension, promue au départ, n'a pas rencontré l'adhésion des habitants. Dans un contexte de foncier rare, ces quartiers participent au renouvellement de la ville sur elle-même en étant implantés sur des friches urbaines ou en zone de revitalisation urbaine. De ce point de vue, au-delà de l'échelle du quartier lui-même, ils participent d'un urbanisme durable. Ils bénéficient d'un bon niveau d'équipement (pour leurs tailles respectives), les plans-masse sont conçus en relation avec l'environnement urbain (continuité de la trame viaire). Cette multiplication de projets fait de l'EcoQuartier une Îritable référence en matière d'urbanisme contemporain rémois (« une ville innovante », Citerne). Dans la mesure où la plupart de ces quartiers ne sont pas encore réalisés, il est trop tôt pour juger de l'appropriation de la notion de développement durable par l'ensemble des acteurs du territoire, et en particulier par les habitants. Nos interlocuteurs relèvent que la 86 communication institutionnelle est encore insuffisante (Citerne) et que le milieu associatif est peu mobilisé (Toublan, Mège). En matière de planification urbaine, le territoire dispose de documents d'élaboration récente et de bonne facture. Le SCOT (2007), sans être un SCOT-Grenelle, met l'accent sur la maîtrise de l'étalement urbain et la cohérence entre la desserte en transports collectifs et l'ouverture à l'urbanisation. Le PLU, révisé le 26 février 2008 et mis en compatibilité le 4 avril 2008, apparaît également satisfaisant. Sans limiter de manière très volontaire la place de la voiture, le PDU (2007) présente une organisation cohérente des déplacements bien servie par le réseau de transports en commun (un des plus efficaces de France grâce à la morphologie compacte de l'agglomération). L'application du PLH actuel se termine le 31 décembre 2011 et le PLH couvrant la période 2010-2017 est donc en cours d'élaboration. Le diagnostic s'est appuyé sur la réalisation de 25 entretiens en face à face et la tenue de 8 ateliers thématiques, dont un dévolu au développement durable. Pauline ACCARIES, chargée de mission PLH, interrogée à ce sujet, considère que "développement durable" reste encore synonyme d'environnement. En février 2009, Reims métropole a décidé de se doter d'un Agenda 21. Cette démarche intervient très peu de temps après Reims 2020 qui visait à produire un projet urbain, largement médiatisée, et qui n'a pas posé la question d'un urbanisme durable. L'élaboration de l'Agenda 21 a retenu une démarche en deux temps, avec un premier cycle (2010) centré sur les acteurs et les compétences de la collectivité (atelier inter-services, comité d'élus...), ainsi qu'une amorce de concertation destinée à être poursuivie en 2011 et au-delà lors d'une "territorialisation de la démarche". Menée sous la houlette d'un bureau d'études, la démarche aboutit à un diagnostic en juin 2010 et à un plan d'actions fin 2010. La prochaine réunion du Comité 21, prévue au premier trimestre 2011, n'a pas encore eu lieu. L'agenda 21 décline quatre défis en vingt-trois actions, dont la première consiste en la réalisation d'un Plan climat énergie actuellement en cours, avec l'objectif de diviser les émissions de CO2 de la collectivité par 4 à l'horizon 2030. III.5 Conclusion Une gestation lente permet de passer de l'héritage, perçu comme exemplaire, de la cité- jardin, à l'EcoQuartier. Dans ce processus de mémoire, de ré-écriture et de ré-adaptation du concept nous retrouvons deux moteurs. D'une part, la culture d'entreprise des bailleurs sociaux. D'autre part, le rôle des individus qui ont construit des continuités d'approche au- delà de leurs évolutions de carrière (Alain Coscia-Moranne). Ceci nous conduit à souligner l'existence d'une culture locale, dans laquelle les acteurs individuels se sont formés et ont baigné, partagée peu ou prou par l'ensemble des acteurs de la production de la ville. Dans cette culture locale, le développement ou l'urbanisme durable, conçus comme tels, arrivent finalement assez tard. On peut se demander si la ville de Reims, économe en consommation d'espaces naturels et foyer d'initiatives sociales intéressantes, faisait de l'urbanisme durable comme Monsieur Jourdain, sans le savoir. Toujours est-il que la prise de conscience ne va pas de soi, et notamment le fait de dépasser la somme des approches sectorielles ­ tout particulièrement de protection de l'environnement ­ au profit d'une approche intégrée. 87 La prise de conscience passe assurément par des éÎnements déclencheurs, d'importance locale (élection de l'équipe Hazan en 2008) ou nationale (entretiens du Grenelle). Elle aboutit à la formulation d'un discours et à une accélération du calendrier d'action, quitte à faire la part belle aux effets d'annonce (label Reims développement durable sans financement associé, Agenda 21 hâtivement ficelé). L'apprentissage institutionnel s'accompagne de l'émergence d'un nouveau métier et du recrutement de nombreux 'chargés de développement durable', qui doivent faire leur place dans un jeu souvent déjà tendu. Les opportunités de financement, et la visibilité des labels, sont largement utilisées et apparaissent aussi comme des catalyseurs efficaces. Dans ces configurations nouvelles qui ne sont pas encore cristallisées, des interrogations apparaissent qui seront analysées dans la suite de cette recherche. D'une part, quel est le rôle et jusqu'où peut s'étendre l'influence des acteurs nouveaux, estampillés développement durable ? Sachant qu'il s'agit fréquemment du nouveau nom de la préservation de l'environnement, l'hybridation avec le champ de l'urbanisme est-elle possible au-delà de l'éco-construction ? D'autre part, comment l'interface avec les réseaux de diffusion nationaux et européens peut-elle évoluer ? Jusqu'à présent, l'articulation semble s'effectuer au coup-par-coup à l'occasion d'éÎnements marquants (colloque de l'Association internationale des cités- jardins en 2000, entretiens du Grenelle, participation à des concours...). A l'inverse, la participation aux réseaux d'acteurs nationaux et européens demeure modeste, ce qui peut constituer l'un des éléments d'explication de la mise en place tardive de dispositifs comme l'Agenda 21 ou l'absence de PIC Urban ou de Concerto. 88 ANNEXE IV Chronologie développement urbain durable à Nantes Des expériences localisées à la production d'un étendard : une chronique de l'agglomération nantaise dans le développement durable Mettre en récit les expériences, pratiques et horizons du développement durable relevant d'un niveau territorial d'organisation renvoie ici globalement à ce que V. Béal a pu mettre en évidence dans sa thèse pointant la succession de trois emblèmes dans la gestion urbaine de l'environnement : « l'emblème « écologie urbaine » avec son cadrage militant dans les années 1970 et 1980, l'emblème « développement durable » avec son cadrage entrepreneurial dans les années 1990 et 2000 et, enfin, l'emblème « changement climatique » avec son cadrage néo-managérial depuis 2005 » (résumé). Béal rejoint d'autres analyses lorsqu'il pointe la montée en puissance des villes comme échelle de régulation mais l'échec de la constitution d'espaces publics locaux de débat quant à la gestion environnementale. Comment donner relief de ce constat à Nantes ? Le récit est organisé ici en croisant documents institutionnels et universitaires ainsi qu'entretiens et observations de présentations. Comme pour les chronologies établies par les chercheurs sur les autres agglomérations, nous cherchons à distinguer une phase de prise de conscience et une phase d'institutionnalisation (dans ce que l'on nomme joliment « autorité organisatrice » et via quelques profils professionnels spécifiques au sein de l'organisation) en objectivant ensuite les outils mis en place, qu'ils relèvent de référentiels, de mesures plus techniques ou encore d'appareillage d'un nouvel horizon de sens. IV.1 Aux sources (localisées) du développement urbain durable Les premières marques d'un concernement On s'appuie ici à plusieurs reprises sur le texte rédigé par L. Coméliau, acteur professionnel nantais, paru dans 4D. L'encyclopédie du développement durable n°52, nov 2007. Depuis le début des années 1990, l'agglomération nantaise connaît une croissance démographique des plus fortes en France. « La qualité de vie et l'environnement privilégié y sont des atouts majeurs : le dynamisme économique et culturel, la qualité des services (transports, éducation, santé), le "bien être" social, les cours d'eau (Loire et son estuaire, Erdre, Sèvre notamment), espaces naturels et jardins, la proximité de la côte atlantique et de Paris (2h en TGV) rendent le territoire très attractif. » (Coméliau, 2007) Le solde migratoire est largement positif sur cette période pour la ville centre. « Dès lors, les équations nantaises en terme de développement durable sont relativement simples à poser : comment concilier qualité de vie, croissance démographique, préservation des espaces et des ressources et bien être pour le plus grand nombre ? Leur résolution l'est, bien entendu, moins. » (id. ibid.) Une archéologie de la mise en oeuvre du développement urbain durable pourrait certes remonter au milieu des années 1970. Une telle relecture mettrait alors notamment en avant une politique de déplacements collectifs réintroduisant le tramway, arrêtant des projets de pénétrante routière ou de centre des affaires. Cette rétrodiction mettrait à tort en avant une agglomération pionnière en termes de « développement durable ». Les projets alternatifs étaient certes parfois motiÎs par l'écologie urbaine ­ elle va du reste monter en puissance en s'incarnant par exemple par la remise en question d'équipements comme ce projet de 89 « parc de loisirs » intégrant des jeux collectifs devenant un projet de jardins familiaux sur le site de la Fournillère à l'Ouest du centre-ville (Pasquier, 2001), par la critique du technocratisme routier, mais ils n'étaient pas spécifiquement pensés dans une globalité aménagiste. En revanche, au cours du premier municipe de J-M. Ayrault (1989-1995), une deuxième ligne de tramway est mise en oeuvre, accompagnant une reconquête de la centralité héritée ­ deux centres historiques sont géographiquement distincts à Nantes ­ et, à grande échelle, la prise en compte de l'étalement urbain commence à se faire vive. Du moins le district de l'agglomération nantaise se dote-t-il d'un projet polycentrique qui donne l'idée de la nécessité d'une organisation territoriale plus charpentée. De l'avis de plusieurs acteurs, c'est au milieu des années 1990 qu'une prise de conscience commence à se repérer, liée à ce qui se passe à d'autres échelons d'organisation et en particulier à des conférences internationales. Politiquement, notons que J-C Demaure, l'un des co-fondateurs de Génération Ecologie, est élu adjoint à la Ville dès 1989, adjoint à l'environnement comme il se doit... « C'est plutôt par le biais de sa richesse environnementale que la ville s'est alors saisie pleinement du développement durable. En 1996, active au sommet mondial des villes Habitat II (Istanbul) et signataire de la Charte européenne des villes durables, elle lance une première démarche d'agenda 21. Jean-Claude Demaure, adjoint à l'environnement, en est l'instigateur. "Agenda 21 nantais : l'écologie urbaine du 21e siècle" titre ainsi, fin 1997, la lettre d'information du personnel de la ville qui conclut que le plan d'actions doit "permettre aux générations actuelles et futures d'admirer encore et toujours... le héron cendré de l'Erdre !". » (id.ibid) Le héron cendré de l'Erdre est alors bien l'emblème d'une action de préservation des espèces, aux portes et jusque dans la ville, participant aussi à l'image de « Venise de l'Ouest » ou encore de « Venise verte », inventions sémantiques parfois utilisées dans le vocable des édiles. Certes on ne recreuse pas l'Erdre comblée dans les années 1920 sur le Cours des Cinquante Otages au début des années 1990 mais l'appui sur les « qualités de vie » est de plus en plus en accointances avec la proximité revendiquée d'espaces naturels24. D'autres espèces d'espaces sont mis en tension au même moment, plus ou moins en filiation avec des combats comme celui contre l'implantation d'une centrale nucléaire sur le site du Carnet dans les années 1970. Si un parc naturel régional a été créé sur la Brière en 1970, instituant un territoire de développement local et de préservation, ce sont par contre les espaces du port de Nantes-Saint-Nazaire ainsi que le devenir de l'estuaire de la Loire qui font l'objet de tensions : entre des pulsions aménagistes et néo-industrielles et des velléités conservatoires (cas de l'extension de Donges Est) ou encore concernant le type de régulation envisageable sur le fleuve (réflexion sur des ouvrages de déconnexion menés notamment par le GIP Loire-Estuaire). La grande échelle n'est donc pas avare de matière pour le développement durable, c'est à nouveau le cas et de manière très médiatique dans les années 2000 avec le projet de transfert de l'aéroport de Nantes à Notre Dame des Landes. Si les enjeux au niveau du grand territoire sont explicites, c'est moins clair au niveau intra- urbain. 24 Mentionnons en écho la tonalité de la campagne de marketing territorial lancée à cette époque sous la bannière de « l'effet côte Ouest ». 90 « Pour autant, aux côtés de thèmes naturalistes, des sujets comme l'éco- citoyenneté, l'efficacité énergétique ou encore le bruit figurent dans ce premier plan d'action (premier agenda 21). La fin des années 90 voit se mettre en place le conseil consultatif nantais de l'environnement, enceinte de concertation des acteurs environnementaux du territoire. Le centre de ressources Ecopôle-maison de l'environnement à statut associatif est alors également créé pour sensibiliser et informer les Nantais. Au sein des services municipaux, un réseau de correspondants développement durable se constitue pour insuffler la dynamique pilotée par la mission environnement risques de la ville. » (id. ibid). Il n'y a pas que la ville-centre à être motrice dans certaines politiques publiques, deux autres communes de l'agglomération portent notamment une sensibilité au développement durable, celles de Rezé et de Bouguenais. Bouguenais est notamment avant-gardiste dans la signature de la charte d'Aalborg et sur des questions d'agriculture urbaine sans oublier l'enjeu ­ concrétisé depuis au niveau de l'agglomération ­ de constitution d'une forêt urbaine (Dumont, Devisme et al., 2008). Concernant le registre du projet urbain, la thématique durable apparaît relativement tardivement, pas avant le début des années 2000 en tous cas. « Mais ces initiatives ont l'immense mérite d'avoir ancré le développement durable dans les consciences (et dans certaines pratiques tout de même), ce qui va permettre de bâtir les stratégies suivantes. Le "pied est dans la porte" en quelque sorte. » (id. ibid) Une nouvelle structuration à partir de 2001 Deux éléments vont transformer ce « pied dans la porte » : d'une part les élections municipales de 2001 voient la confirmation d'une présence politique des Verts (8 élus au conseil municipal) dont une partie de l'engagement dans la campagne poussait à faire du projet de l'île de Nantes à ses débuts un modèle d'éco-quartier (Devisme et al., 2009). Cette présence politique, rendue visible par le mandat de R.Dantec et dans une moindre mesure de P.Chiron, va permettre de soutenir certaines actions également portées par des acteurs professionnels. Le clivage politique (PS-Verts) sur l'aéroport n'entame pas le fonctionnement collégial au niveau de l'agglomération. D'autre part, la naissance de la Communauté Urbaine de Nantes (qui remplace une forme districale de coopération) s'accompagne de politiques publiques structurantes de plus en plus clairement orientées vers le développement durable. Certes un agenda 21 communautaire est lancé (21 chantiers engagés à partir de 2006), certes le sommet mondial du développement durable (Johannesburg, septembre 2002) auquel des élus nantais participent permet à nouveau de préciser un horizon de sens. Mais ce sont surtout les transports, l'énergie, l'eau et les déchets qui sont des objets « impactés ». Le Plan de Déplacements Urbains affiche de son côté l'enjeu de réduction de l'étalement urbain et la nécessité d'une plus forte multi-modalité. La Ville de Nantes adopte formellement sa politique de développement durable en 2005 avec des déclinaisons assez concrètes et l'enjeu d'une modification comportementale à l'échelle individuelle (que l'on trouve dans les ateliers publics du développement durable en 2006 et que l'on va retrouver plus tard dans le Plan Climatique Territorial). L'enjeu apparaît de toucher le plus de monde possible, notamment en fournissant des indicateurs ramenés à l'échelle individuelle : ainsi « La ville s'est fixée comme objectifs entre 2004 et 2010 de 91 maintenir constant le taux d'espaces verts publics par habitant (37 m2) malgré la densification de la ville et de créer 1000 parcelles de jardins familiaux (on en est à 850 en 2007), lieu de cohésion sociale. Cela revient à offrir à chaque Nantais un espace vert à moins de 500 m de chez lui » (L.Coméliau). Il est aussi clairement de « donner l'exemple », cela passant par la transformation des pratiques jardinières du SEVE (Service des Espaces Verts) mais plus largement par une politique relative au commerce équitable, aux éco-produits, aux achats éthiques et à l'insertion. Cette politique ne saurait toutefois être immédiate, renvoyant par exemple à des enjeux de construction de filière, de cultures professionnelles dans différents services... A partir de 2005, on voit se décliner clairement l'étendard de l'éco-espace à toutes les échelles. La métropole Nantes ­ Saint-Nazaire se dote d'un SCOT dont le projet se place sous la bannière d'une éco-métropole. Le SRADDT des Pays de la Loire va de son côté proposer la figure de l'éco-région. Au niveau intra-urbain, un travail d'identification et de promotion d'éco-quartiers est en cours et les vertus de la proximité sont mises en avant sur différents nouveaux quartiers dont l'île de Nantes et le quartier Bottière-Chênaie. Même si la dimension environnementale n'est pas la seule déclinaison du développement durable, elle l'emporte largement : - Dans l'origine des politiques concernées. E.Ortholan, chargée de mission agenda 21 à Nantes Métropole en 2007 disait ainsi que « l'action éco-quartiers a été argumentée au départ à partir de la présence de l'Angélique des estuaires mais aussi de la Petite Amazonie. L'enjeu de la biodiversité pour la ville et donc l'entrée environnementale a été l'origine de la demande éco-quartiers » (Dumoulin, 2007, p.33). - Dans la visibilité de cette politique : éco-espaces, plan climat, gestion des espaces classés Natura 2000, préservation des zones humides, création de trois secteurs de forêt urbaine en guise de poumon vert de l'agglomération. Ces éléments, fort bien combinés à l'occasion du trophée de la capitale verte européenne, ont permis l'identification comme green capitale européenne pour 2013. Du reste, marketing territorial et lobbying à l'échelle internationale sont bien présents. Fin 2007, Nantes Métropole a été désigné président d'un groupe de travail stratégique du réseau Eurocities sur le Climat (et co- président avec la ville de Copenhague en 2009 et 2010). La collectivité préside aussi la commission Environnement de l'AFCCRE (Association Française du Conseil des Communes et Régions d'Europe) et depuis novembre 2009, est l'animateur du groupe de négociation internationale sur le Changement Climatique des Gouvernements Locaux (CGLU). On peut ainsi retenir, au chapitre de la conscientisation ­ sensibilisation : - Une accélération très rapide, à partir de 2004-2005, de l'agenda durable, - La focalisation sur deux échelles : celle du grand territoire d'une part (dans le cadre des luttes internationales pour la réduction de l'émission des gaz à effet de serre et de la participation à différentes arènes de discussion technico-politique), celle de l'individu d'autre part, - Un relatif attentisme sur le volet urbain en tant que tel, entre hésitations et concurrences entre collectivités et aménageurs (cf. infra à propos des outils). 92 Un autre élément d'enseignement quant à l'analyse de la « conscientisation » est l'impact significatif des réseaux et visites (cf. Devisme et al, 2009, pp86-90). Malmö, Hanovre, Barcelone sont ainsi mentionnés par R.Dantec qui dit avoir « pris son baluchon avec M.Guillard [directrice de l'énergie] ». Ces visites sont plus que jamais des occasions de souder des liens entre élus et techniciens, d'en faire plus ou moins des communautés d'explorateurs (Bossé, 2010). Elles ne sont pas étrangères non plus à un style d'action publique qui insiste sur des questions de familiarisation et d'animation (R.Dantec de mettre ainsi en avant la création de l'équivalent de 15 équivalents temps-plein pour l'animation du Plan Climat en 2010). IV.2 Une institutionnalisation partielle mais significative Entre les prises de conscience et les outils se situe l'espace-temps de l'institutionnalisation (rien n'étant linéaire dans ce processus itératif, on se gardera de faire se succéder de tels moments. Ils ont bien plus tendance à se recouvrir). La lecture doit être ici surtout internaliste, propre aux organisations de régulation. Des structurations progressives Sur la période analysée, il existe un changement significatif, celui de la naissance de la communauté urbaine de Nantes avec transfert de compétences et mutualisation d'un certain nombre de services partagés avec la Ville de Nantes, mais aussi « un champ d'exploration à investir » (R.Dantec). On note aussi une relative permanence, celle de l'arrimage des problématiques du développement durable à la direction de l'environnement et des services urbains. Sur le plan institutionnel, les délégations de compétences reflètent des évolutions sensibles : - compétence déléguée sur l'environnement des communes vers Nantes Métropole (sauf les espaces verts dans un premier temps), - prise de compétence sur l'énergie : réseaux de chaleur et soutien des actions de maitrise de l'énergie. A Nantes Métropole, la question du développement durable a été saisie par la Mission environnement à partir de 2002 sur les bases d'un travail spécifique sur l'énergie et dans le cadre d'un contrat ADEME / Nantes Métropole (contrat ATEnEE). Cette entrée rendait concrète la notion de développement durable directement en prise avec certaines politiques thématiques, en particulier l'eau et les déchets, l'intercommunalité étant productrice de services urbains. A cet égard, c'est le mixte régie / délégation qui est retenu. Ce modèle permet, selon ses défenseurs, une émulation entre les deux parties et une bonne connaissance des coûts, indispensable dans le cadre de la maîtrise d'une délégation. Différents services se sont alors emparés de dossiers relevant du développement durable, en particulier : - la direction des services urbains : direction de l'eau, mission énergie apparue au second semestre 2005, mission risques et pollutions, direction déchets, direction assainissement. - la direction générale de la stratégie métropolitaine : mission développement durable et espaces naturels. 93 L'étude des organigrammes successifs des services de la communauté urbaine réÏle que la transversalité est difficile à atteindre. Toutefois, si l'organigramme constitué en 2001 ne reflétait pas une intégration forte du développement durable, il a évolué depuis par : - la transformation de la Mission environnement en Mission développement durable et espaces naturels en 2006 (au sein de la DGSM depuis disparue) - la création de la Mission énergie en 2005 (relevant de la DGSU) - la création de la Direction générale du renouvellement urbain (devenu Direction puis Département du Développement Urbain après une succession d'essais non transformés à la tête de cette direction). Si l'on s'arrête aux organigrammes, les années 2000 voient bien le transfert s'opérer des problématiques urbaines et environnementales au niveau intercommunal. 4 ans après sa création, Nantes Métropole intègre une importante direction générale des services urbains intégrant 4 missions (dont une mission énergie et une mission risques et pollutions) et 5 directions classiques (transports collectifs et stationnement, eau, déchets, assainissement, moyens techniques). Il existe par ailleurs une direction générale du renouvellement urbain intégrant notamment une direction de l'habitat et une direction du renouvellement urbain et social. Il n'y pas d'option de création d'agence locale de l'énergie, contrairement à d'autres collectivités, le souci étant de « développer des services en interne » (R.Dantec). On voit l'importance, dans l'institutionnalisation progressive, des missions, plus faciles à créer et à rattacher que d'autres services plus stables. Reste à donner un aperçu de qui occupe les places professionnelles liées aux enjeux du développement durable. La tâche est moins aisée que pour d'autres métiers plus repérés et couvrant des territoires précis (par exemple les chargés de quartier de la Ville de Nantes dans le cadre de la Politique de la Ville et de la territorialisation des politiques publiques ­ Devisme, Pasquier, 2009). Profils et trajectoires En 2006, on peut faire cette « photographie » concernant les parcours et inscriptions professionnelles : - L.Coméliau est chargé de mission développement durable depuis 2004 au pôle mission projets d'Urbana. Economiste de formation, il a auparavant travaillé dans le secteur associatif (animateur de l'association 4D) et au comité préparatoire pour le sommet mondial de Johannesburg ainsi qu'à la mission interministérielle de l'effet de serre. A.Mallet est chargé de mission développement durable à NM depuis 2002. Il est ingénieur-maître en environnement et qualité de la vie. L.Bézert est à la Ville de Nantes (Urbana), chargée de mission au pôle « mission projets » en charge notamment de la charte paysage, travaillant également sur le PLU et le PSMV (Plan de Sauvegarde et de Mise en Valeur). Elle était auparavant « correspondant environnement » pour Urbana, avant la mise en place de la mission agenda 21. N.Bedjaoui est chargée d'opérations à Urbana et nourrit un intérêt pour l'architecture passive et bioclimatique depuis ses études d'architecture. - - - 94 - L.Dugué est chargé de développement à la mission énergie de la DGSU de NM. Fin 2011, on peut compléter cet aperçu en précisant que L.Coméliau est devenu directeur du service « animation, développement durable, climat » au sein de la direction énergie environnement risques, elle-même hébergée par la direction générale environnement et services urbains. Avec 6 personnes il coordonne l'agenda 21 et le Plan Climat ainsi que l'action green capitale. Il se considère toujours plutôt comme un défricheur au sein de la collectivité. - - - M.Guillard est toujours directrice de la direction énergie environnement risques à Nantes Métropole. V.Huré est chargé de mission au service énergies, responsable du programme Concerto Act 2 à Nantes Métropole. A-L. Briand travaille à la mission expertise et appui au sein de la DGDU. Ingénieure en génie de l'environnement, elle est passée par Angers Loire Métropole avant une prise de poste nantaise. ArriÎe en 2008 auprès de L.Coméliau à la Ville, elle se trouve notamment chargé de la labellisation Citergie mais aussi du montage du dossier d'écoquartier Bottière-Chênaie dans le cadre de l'appel à candidatures du MEEDM. M.Carreau est chargée de mission développement durable à la Samoa depuis 2010. Ingénieure en aménagement de formation, elle est la première à occuper un poste de ce genre chez l'aménageur qui confiait auparavant cet enjeu plutôt à des ingénieurs en travaux publics. F.Turck est ingénieur de l'Ecole des Ponts de Paris, chargé d'opérations à Nantes Métropole Aménagement. Du côté politique, deux élus municipaux et communautaires sont assez visibles, élus vert. R.Dantec, devenu sénateur en 2011, a fait le choix de rester conseiller municipal, P. Chiron est désormais adjointe au Plan Climat, à la maîtrise de l'énergie et aux réseaux de chaleur. Le portage politique date des élections de 2001 avec une majorité plurielle reconduite en 2008, solidaire sur les différents sujets urbains à l'exception notoire du projet de grande échelle de nouvel aéroport « du grand ouest ». - - - IV. 3. Des outils à la consistance incertaine Du côté des outils du développement urbain durable, on pourrait retenir le titre du livre de F.Ascher, « Ces éÎnements nous dépassent, feignons d'en être les organisateurs », tant on observe à la fois une floraison de démarches, objectifs, mesures et outils et en même temps des incertitudes sur leur degré de performativité, voire une certaine volatilité de démarches se succédant de plus en plus rapidement. - L'urbanisme, en deuxième rideau Au sein du dossier de candidature european green capital awards réalisé en 2011, l'enjeu d'un urbanisme durable n'apparaît pas en tant que tel, au profit de thématiques plus classiques : transport local, espaces verts urbains (derrière la bannière, comme il se doit, d'une agglomération verte et bleue !), utilisation durable des sols, nature et biodiversité, qualité de l'air ambiant, pollution sonore, production et gestion des déchets, consommation d'eau, assainissement, management environnemental. Pour ce dernier volet, on recense 95 aussi bien l'agenda 21 (métropolitain et des différentes communes de l'agglomération encouragées par le niveau communautaire) que le guide des éco gestes, la charte du service public d'eau potable, l'enjeu de la quantification de CO2, de la certification environnementale des services publics. Ce registre évoque aussi la cellule de prévention des risques de Nantes Métropole, le plan local de prévention des risques et pollutions, le guide de la commande publique de Nantes Métropole, la labellisation Citergie, ainsi qu'un schéma de développement économique durable. Qu'en est-il donc au niveau de l'urbanisme ? Qu'une politique métropolitaine soit difficile à mettre en place à cet égard renvoie à des données structurelles comme l'enjeu progressif du transfert de compétences (bien que subsiste jusque 2010 un service urbanisme à la Ville de Nantes) ou encore le fait que la délivrance des permis de construire reste un apanage mayoral ­ à l'échelle communale donc. Il tient aussi à des éléments davantage contextuels : force du projet urbain à l'échelle de l'île de Nantes, réticences envers l'urbanisme réglementaire, instabilité de la direction générale du développement urbain (cf. supra). Cela dit, il faut envisager avec sérieux au-moins deux éléments à l'échelle communautaire : un programme et un plan. Dans le Programme Local de l'Habitat -PLH, les acteurs ont formalisé un programme d'actions volontariste, même s'il ne conduit pas à une Îritable contractualisation entre l'EPCI et les communes comme à Rennes Métropole, du moins jusque 2010. Certes existaient des protocoles d'accord et conventions tripartites mais l'avis est partagé que jusque 2009-2010, Nantes Métropole a surtout été vu comme guichet par les communes. Depuis lors, une stratégie de développement urbain des territoires vise à mieux articuler politiques d'habitat et d'urbanisme, via des conférences territoriales élus - techniciens notamment, au travers de contras de co-développement. « Gilles Retière considère que par le passé Nantes Métropole était considéré essentiellement comme « un guichet » par les communes au travers des aides à la pierre ou des aides à la surcharge foncière. La collectivité n'avait pas Îritablement connaissance des partis urbains choisis et éprouvait des difficultés à mesurer les conséquences des choix que ce soit en termes de coût économique, social et environnemental. Ce temps étant révolu, il est nécessaire aujourd'hui de mettre en place une régulation territoriale et d'engager un travail partenarial en amont sur chaque opération permettant d'échanger les informations sur les programmes d'habitat, les estimations des aménagements publics nécessaires avec le souci de prendre en compte des coûts de fonctionnement et d'exploitation (ex : entretien des espaces verts par les communes, intégration des voies dans le domaine communautaire, etc.) » (CR de la conférence territoriale du secteur Nord Ouest du 18/12/2009). L'articulation du PLH à la problématique environnementale se souligne par la promotion d'opérations d'éco-construction via la réalisation d'opérations d'habitat « pilote » permettant à terme l'élaboration d'une charte d'éco-construction appliquée à l'habitat (fiches 8 et 9 du PLH). Dans les PLU, les élus communaux ont tous validé un PADD articulé autour de trois piliers : « la ville durable » (exemple de la Chapelle sur Erdre, préservation des vallées et des sites sensibles), l'amélioration de la vie des habitants au quotidien (cheminements piétonniers, équipements publics, offre de logements) et l'intégration à la dynamique métropolitaine (exemple toujours de la Chapelle : parcs d'entreprises, projet de tram train, ...). Parmi les objectifs du PADD figurent d'abord le renouvellement urbain, mais aussi un enjeu quantifié de production de logements. On trouve aussi la définition d'espaces agricoles durables, 96 permettant aux acteurs du monde agricole d'investir dans la durée, en préservant la diversité des productions, en encourageant la vente directe... pour favoriser le dynamisme de l'agriculture périurbaine. 4 autres volets sont précisés, qui ont été « relookés » en quelque sorte pour la candidature à la capitale verte de l'Europe : - La valorisation des patrimoines et des paysages en améliorant la qualité de l'eau, en développant les coulées vertes, les réseaux de promenades piétons et cyclistes, les forêts urbaines, et en préservant les éléments représentatifs du patrimoine bâti et Îgétal. Le renforcement des moyens de déplacements en proposant avec le busway et les navettes fluviales des solutions de remplacement au tout-automobile, en créant de nouveaux parcs-relais pour faire la jonction entre automobiles et transports en commun, en recherchant un nouveau maillage de desserte par les transports en commun des quartiers, en encourageant les plans de mobilité des entreprises, en prévoyant de nouveaux franchissements de la Loire. La réduction de la consommation énergétique en développant l'utilisation des énergies renouvelables, éolien, solaire, géothermie, en valorisant les déchets ménagers et en promouvant les constructions de qualité environnementale. La prévention des risques et nuisances pour préserver la qualité de l'air, de l'eau du sol et du sous-sol et prendre en compte les risques naturels et technologiques. - - - L'élaboration du PLU de la Ville de Nantes est réÎlateur des modalités réglementaires adoptées en faveur de grandes options relevant du développement durable sur la problématique environnementale : renforcement du classement en zone naturelle des coulées vertes, disposition d' un square à moins de 500 m de chez soi, création d'un cahier de recommandations environnementales annexé au PLU (exemples : inscription de préconisations liées à l'écoulement des eaux pluviales et au rechargement des nappes phréatiques - coefficient de pleine terre), charte de l'arbre en ville et réglementation obligeant à remplacer les arbres abattus suite à une construction. L'hybridation de la commande initiale avec la problématique environnementale tend à se systématiser dans les ZAC de l'agglomération depuis 2004 (les ZAC sont toutes devenues communautaires en 2010) : - - - dans les projets de rénovation urbaine : ainsi du Nouveau Malakoff ou des Dervallières, dans les projets de régénération urbaine comme l'Île de Nantes, dans les nouveaux quartiers : ainsi de Bottière-Chênaie, Bêle Champ de Manoeuvre, Erdre-Porterie, ou encore hors de la Ville de Nantes : les Perrières à La Chapelle sur Erdre, la Pierre Blanche à Bouguenais, ... - ZAC, écoquartiers et compromis opérationnels Sur les ZAC, les approches Développement Durable sont développées mais non structurées, dépendant de l'expertise des SEM. Sur quelques cas spécifiques, la SEM met en oeuvre un volet énergie approfondi. Par exemple la SELA a fait le choix d'intégrer dans son équipe un expert sur l'énergie qui travaille notamment sur la ZAC des Perrières à la Chapelle sur Erdre. Pour le nouveau Malakoff, une approche a été développée dans le cadre d'un appel à projets 97 de la DIV et EDF sur « la qualité environnementale dans les quartiers ». Deux équipes de recherche (le CERMA et l'Ecole des Mines-DSEE) ont joué le rôle d'AMO énergie auprès de la SEM Nantes Aménagement sur la phase I de la ZAC du Pré Gauchet. Nantes aménagement a poursuivi avec un AMO énergie. Du côté de l'île de Nantes en 2006, un AMO énergie a été missionné par la SAMOA pour analyser les projets existants et accompagner les projets en cours (Pouget Consultants), dans le cadre du programme européen Concerto (cf. infra). Un bilan énergétique des bâtiments a été livré en Septembre 2011. A partir de 2008, des cahiers des charges énergie ont été fournis à l'occasion des consultations de promoteurs. Venant armer la maîtrise d'ouvrage cherchant à faire pression sur les opérateurs de la construction, ce dispositif n'est pas intégré à la maîtrise d'oeuvre urbaine du projet, agencé par l'atelier de l'île de Nantes sous la houlette d'A.Chemetoff, paysagiste, architecte et urbaniste, plutôt réticent, lui aussi, à la codification et à la standardisation du développement durable. Depuis 2010, un nouveau groupement est à l'oeuvre pour la maîtrise urbaine, associant au départ, au binôme M.Smets et A-M De Puydt, un bureau d'études allemand, Transsolar, sur l'ensemble des questions énergétiques. Insuffisamment souple et trop distant aux autres acteurs, cette équipe est sortie du groupement début 2012 et la Samoa a relancé une AMO pour la réalisation d'une charte d'objectifs des principes de développement durable sur l'île de Nantes (marché remporté par Franck Boutté consultants). Dans le même temps, Nantes Métropole relance le chantier d'un guide des écoquartiers, l'atelier de 2006-2007 n'ayant toujours pas abouti. Le prisme des éco-quartiers est des plus intéressants sur la question de l'outillage car reflétant différentes tensions et paradoxes, des hésitations aussi des professionnels impliqués dans les projets urbains (cf. aussi Devisme et al, 2009, pp210-217). Certes, et cela rejoint les analyses sur les prises de conscience, on peut repérer de plus en plus, au sein de la boîte à outils des chargés de mission et chargés d'opération des qualités « génériques » du développement urbain durable : anticipation, réversibilité et performance tendent même à devenir des mots-clés. Ce n'est pas sans lien avec les grands enjeux approuÎs dans l'agenda 21 communautaire. Si certaines options communautaires sont stabilisées (exemples de la priorité du réseau de chaleur urbain ou encore du photovoltaïque) et influent sur les choix à opérer par les aménageurs, d'autres questions restent sans réponse claire, notamment sur des normes qui évoluent très rapidement. Les pilotes des projets doivent composer avec une stratégie environnementale globale multi-enjeux (parmi ceux-ci l'énergie, la qualité environnementale du bâti et des espaces publics, la gestion des déplacements et des déchets...) qui est en cours d'élaboration au même moment où un certain nombre d'arbitrages doivent se faire (pressés tantôt par le niveau politique mais aussi parfois en rapport à des questionnements d'opérateurs). Si l'on ne retient que la problématique énergétique ­ dominante comme on l'a vu, on peut observer à quel point elle attise la fébrilité des professionnels sur différents enjeux de performance du moment : - le photovoltaïque (« En ce moment, les élus sont très portés sur le photovoltaïque. C'est un créneau à leur ouvrir. Il y a une problématique de pôle d'excellence sur l'agglomération autour du photovoltaïque », réunion du 29 mai 2007, Nantes Métropole), l'extension du réseau de chaleur urbaine avec un certain flottement de la commande de la collectivité auprès du concessionnaire (« Nantes Métropole doit être clair sur ce qui est demandé à Elyo [le concessionnaire] sur le réseau de chaleur urbain dans le - 98 cadre de la phase 2 d'Euronantes Gare et penser à la problématique du froid. Il faut le prévoir, c'est évoqué sur l'Île de Nantes et cela évolue dans le bon sens. Et nous, maintenant comment on procède ? », même réunion, propos d'un acteur d'une SEM), la THPE ­ très haute performance énergétique (« sur la THPE, cela vient de s'éclaircir. Il y a un décret de l'Etat qui vient de sortir et des labels identifiés. Sur l'énergie, on a les données techniques. Après il faut que l'on ait des choix politiques clairs à Nantes », même réunion, Nantes Métropole). - Un frein supplémentaire apparaît aussi lié au cloisonnement des approches sur le volet de la qualité environnementale entre maîtres d'ouvrage. L'ensemble crée une action publique qui se fait dans l'incertitude par manque de cadres structurés et dans le contexte d'une rapide évolutivité des normes. Interdépendants, les professionnels attendent des « réponses » et patinent. C'est donc à l'échelle des périmètres de projet que les acteurs réfléchissent néanmoins sur les normes actuellement en vigueur. La HQE® à la nantaise ou la nécessité d'adapter une norme standard parfois jugée mal adaptée Réunion du 25 septembre 2006 : ZAC Euronantes Gare ­ évaluation de la démarche environnementale phase 1, Nantes Métropole / Nantes Aménagement - cadre Urb, NM: il y a la grosse question de la certification. « est-ce qu'on y va ou pas ? » [raconte qu'elle a rencontré les personnes de Cerqual sur les logements]. - cadre SEM : est-ce que c'est un projet urbain atypique ? Ou bien, est-il aligné sur une politique communautaire ? Autre question, est-on dans une démarche globale avec les autres éco-quartiers Bottière-Chênaie et Île de Nantes ou bien doit-on foncer dans notre coin ? En tout cas, je suis pour une certification made in Nantes. La HQE, ça a un coût : 15/20% en plus. Pour les bailleurs sociaux, c'est encore plus difficile la HQE. Même la Nantaise d'habitations [bailleur social priÎ] freine sur la certification. Alors pour Nantes Habitat [OPHLM], c'est encore plus difficile. Pourquoi pas faire une HQE à la nantaise ? Ce n'est pas nécessaire d'avoir Cerqual pour faire bien. - cadre mission Energie, NM : On peut faire sans la certification et se fixer des exigences par cible. C'est plus facile à mener et cela peut se monter avec un AMO. Il y a des outils et on peut obtenir des labels reconnus par l'Etat hors cerqual. On peut aller plus loin sur une cible, une thématique et être très en pointe : telle performance en kwh/lgt par exemple. - cadre Urb, NM: Les options, qui les propose ? Vous pouvez le faire à la mission énergie ? - cadre mission Energie, NM : oui. Même si le référentiel éco-quartiers n'est pas calé au niveau de NM. - cadre SEM : il faut prendre les 14 cibles et voir, cible par cible, quelles sont celles qui sont importantes pour Nantes Métropole. Dans la seconde consultation promoteurs que l'on prépare, on travaillera sur des cibles privilégiées, tout en laissant la possibilité aux constructeurs d'aller plus loin, et de faire Cerqual. - cadre mission Energie, NM : oui, il faut sélectionner les cibles. Nous, à la Mission énergie, on a demandé 3 cibles : énergie en très performant, eau et déchets. - cadre SEM : déjà on peut demander ça !! où on met le curseur sur ces trois cibles ? c'est à vous de nous dire. Il faut partir sur des hypothèses plausibles, et ne pas attendre un programme par îlot figé. « Ne pas traiter le stationnement opération par opération », « maximiser les porosités entre 99 l'espace public et les programmes », « aller vers une gestion rustique des espaces verts », « réduire au maximum les tuyaux pour le recueil des eaux pluviales », « optimiser la gestion des déchets par des points obligatoires de dépôt », « proscrire le PVC sur toute l'opération »... Un ensemble de règles et exigences circulent dans ces réunions techniques au cours desquelles les professionnels discutent longuement à la micro-échelle des matériaux de construction, des noues filtrantes, du mobilier urbain adéquat pour optimiser l'éclairage public, des paÎs à joints drainants sur les places de parking, ... Une somme de compromis opérationnels se construit au fil des mois au point de servir d'éléments de méthode pour la suite. Certaines techniques sont testées par un aménageur puis systématisées et reprises par un autre aménageur de la place. Les approches bio-climatiques constituent un bon exemple. Nouveau standard des modes de faire éco-urbanistiques, les démarches bioclimatiques ont fait leur apparition à Nantes pour les premiers îlots dessinés du futur quartier du Pré Gauchet sur le territoire du GPV. Une étude commanditée en 2006 au CERMA sur l'optimisation des formes et volumes, livre un certain nombre d'enseignements. Une commande identique concerne ensuite le site du Tripode sur l'île de Nantes. La démarche bioclimatique a été progressivement intégrée aux études de faisabilité d'Alexandre Chemetoff. Deux choses peuvent être pointées. Tout d'abord les effets de concurrence et de coopération entre acteurs, plutôt relevant de la concurrence entre Ville et Nantes Métropole sur l'affichage éco-quartier, plutôt relevant de coopération entre collectivités face aux aménageurs. Ensuite l'arriÎe dans l'univers des projets urbains d'experts de la qualité environnementale et dont l'expertise occupe un spectre finalement assez large. S'ils occupent essentiellement une place d'AMO (Pouget Consultants, Indigo, Franck Boutté, SCE...) sollicités plus ou moins urgemment car il faut « donner des réponses », celle-ci pose parfois problème, car comme nous le confie avec un peu de malice un agent : « le problème des AMO, c'est que quand ils sont partis, ils ne sont plus là » ! Et de fait, certains outils sont progressivement tenus en interne (cf. supra à propos du profil des nouveaux chargés de mission en développement durable), le récit métropolitain insistant beaucoup sur la forte maîtrise publique. - Vertige des référentiels et programmes d'échanges La question de l'outillage de l'apprentissage pose une question de « chaînage » des actions : comment traduire les exigences génériques du développement durable ? Comment dépasser le stade des expérimentations et viser davantage de coordination ? A Nantes Métropole comme ailleurs, il est possible de suivre la délicate mise en oeuvre de référentiels. Inscrits dans les fiches-actions de l'Agenda 21 de la Communauté Urbaine, deux ateliers réunissant les professionnels nantais ont été mis en place dans une telle perspective. Il s'agit d'un « atelier des densités » d'une part visant un « guide de la forme urbaine », annexé au PLU, qui s'adresserait aux professionnels de l'aménagement intervenant sur le territoire de Nantes Métropole et serait inclus dans les conventions tripartites avec les aménageurs. Un second « atelier éco-quartiers / quartiers durables » a quant à lui commencé en mars 2007 avec l'objectif de formaliser fin 2008 un référentiel d'aménagement durable applicable à l'ensemble des projets urbains portés par les collectivités locales nantaises (communes et communauté urbaine). C'est un référentiel toujours à l'horizon en 2012, Nantes Métropole a de son côté missionné le bureau d'études SCE, suite à de nouvelles réorganisations internes 10 0 et la quête d'une forme urbaine durable passant par trois éléments fondateurs : un atelier de la forme urbaine, un guide Ecoquartier et une charte d'aménagement de l'espace public. En 2011, la Samoa a de son côté missionné une nouvelle AMO sur l'île de Nantes en vue de l'élaboration d'une charte de principes de développement durable... Une tension non résolue persiste entre la mise en exergue des quartiers vitrines nantais de l'urbanisme durable et la volonté d'aboutir à une démarche reproductible sur toutes les opérations publiques d'aménagement. Il est aisé de comprendre pourquoi les professionnels s'emparent des projets urbains nantais les plus avancés dans leurs discussions : le but étant de convaincre les aménageurs et les élus, par des exemples concrets, de la faisabilité des projets durables. Se greffe aussi le problème des objectifs politiques éleÎs et de leur confrontation au terrain. Enfin, les critères mêmes de l'habitat « vert » (green building) sont difficiles à manier aux yeux des professionnels et des élus : « des maisons en bois, tout le monde est pour, mais si le bois vient de loin, alors on a tout faux » (chargée de mission CETE de l'ouest, novembre 2007). De par sa fonction « d'aide à la décision », la dimension incitative du référentiel paraît évidente, cependant beaucoup d'interrogations subsistent sur la pertinence d'un registre plus normatif. Le collectif de l'atelier écoquartiers de 2007 s'est ainsi posé la question du niveau d'exigences à imposer aux opérateurs qui viennent construire sur le territoire. « Sur l'Ile de Nantes, on a essayé de travailler le DD opération par opération. Et certains promoteurs se sont prêtés au jeu d'autant qu'ils veulent être bien vus et avoir d'autres projets car on en est encore qu'au début. Mais aujourd'hui le besoin d'avoir des objectifs clairs se fait sentir. Certains promoteurs jouent, nous entourloupent car il n'y a pas de critères écrits, mis sur le papier. En même temps, jusqu'à quel niveau de détail, il faut afficher nos critères ? » (chargé de mission, SAMOA, réunion atelier éco-quartier, 26 juin 2007). L'énergie pourrait paraître comme étant le domaine où les préconisations «normatives» semblent les plus évidentes. En même temps, l'évolution très rapide des normes et de la fiscalité risque de rendre très vite obsolète un référentiel qui serait basé sur une telle approche. Alors comment procéder ? Une certaine appétence pour les preuves éco- technologiques (démonstration de panneaux solaires et autres bassins d'eau filtrants) prend le dessus à Nantes sur des approches plus sensibles et sociales du DD qui travaillent en premier lieu la question des modes de vie et les possibilités d'évolution des pratiques vers davantage de sobriété environnementale. Une Îritable conduite de changement se cherche au fil de nombreuses réunions mais aussi via la participation à des projets et programmes européens. Ainsi de Concerto (dont l'effet est analysé ailleurs et de manière comparative dans le présent rapport). ApprouÎe en décembre 2005 par la Commission européenne, la candidature de l'île de Nantes portée par Nantes Métropole proposait une méthodologie à décliner dans des opérations pilotes avec des objectifs de limitation de consommation énergétique des bâtiments, de recours aux énergies renouvelables. Il est ensuite revenu à la SAMOA d'inscrire la démarche dans les CCCP et CCCT. La centrale photovoltaïque du centre Beaulieu a été inscrite au programme Concerto de même que 10 opérations de démonstration de construction neuves et quelques opérations de réhabilitation. La captation de fonds européens (cofinancement à hauteur de 35% par la Commission européenne) induit une identification par les acteurs locaux des opérations du projet susceptibles de « porter une 10 1 démarche Concerto » (a minima 15% sous la RT 2005 + recours à la ressource renouvelable dans la fourniture d'énergie). « Concerto-Act2 » s'inscrit dans le prolongement, son porteur à Nantes Métropole y voit un accélérateur de développement urbain au sein d'une politique énergétique vertueuse. Que retenir sur le registre des « outils » ? Ils recouvrent des éléments encore très disparates. Relevant d'abord de principes à l'échelle communautaire, on en trouve ensuite, au niveau technique, en rapport à la production immobilière, sur le tertiaire comme sur le logement. Entre les deux, la dimension urbaine est soit traitée, dans le registre de la règle ordinaire avec des recommandations annexées au PLU dont tout acteur doit prendre connaissance avant une intervention spatiale, soit, dans le cadre des projets urbains, par la sensibilité des « hommes de l'art » retenus. Si l'on peut bien sûr différencier des options retenues suivant les projets, il reste un dénominateur commun qui est celui d'une gestion rustique des espaces publics par exemple, de la réÎlation de ce qui préexistait. Que ce soit à Bottière- Chênaie ou sur l'île de Nantes, la critique des modèles urbains autonomes, l'enjeu de mettre en résonance, de s'appuyer sur la géographie sont partagés. Les degrés de prescription des outils mentionnés sont très variables. Pour ce qui est de la certification par exemple, on peut souligner des enjeux de passage d'une certification de conception à une certification de réalisation, avec le problème important de savoir qui est capable de contrôler. Dans le même ordre d'idées, pour ce qui concerne le secteur diffus, s'il existe certes un cahier de recommandations environnementales, il pose problème dans son appropriation par les instructeurs et le service du droit des sols. Le côté disparate des outils est issu d'une familiarisation multipistes, qu'elle s'acquiert sur le tas et via l'insertion dans des réseaux (exemple du réseau de partage d'expériences PALME dans lequel Nantes Métropole est inscrit) ou bien via les formations des chargés de mission et les convictions professionnelles qui les accompagnent. Variété et labilité peuvent aussi être vues comme des qualités et on rejoindrait alors les analyses qui font de « L'écoquartier, plus qu'un modèle, plus qu'une caisse à outils, [constitue ainsi] un « objet-frontière » (Star, Griesemer, 1989), un espace qui permet la rencontre de mondes sociaux différents » (Matthey, Gaillard, 2011). Comme le dit, en écho, L.Coméliau « A Nantes, on laisse germer partout. On essaie de tenir tous les équilibres. » (entretien). De l'agenda 21 première version avec 21 actions se voulant démonstratives à une politique publique transversale (M.Guillard) ; d'une structure productrice de services urbains à une structure animatrice du territoire (R.Dantec), le développement durable est désormais facilement mentionné comme opérateur d'un mûrissement des stratégies de régulation publique. Le suivi des apprentissages auquel il donne lieu peut se repérer aussi bien dans l'institution que dans les habitus professionnels et dans les outils et références qu'ils mobilisent. 10 2 INVALIDE)

puce  Accés à la notice sur le site du portail documentaire du Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires

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