Les communs dans la construction et l'aménagement
Auteur moral
France.Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires (2022-...)
Auteur secondaire
Résumé
Les communs urbains, qui consistent en une relation organisée et durable entre une communauté et des ressources en milieu urbain (un lieu, de l'eau, de l'énergie...), sont une modalité essentielle de la transition écologique. En effet, à l'heure où des ressources considérées jusque là comme abondantes (le sol fertile, le bâti...) se raréfient, il convient de développer de nouvelles coopérations pour les gérer de manière équitable, au plus près des besoins, et de manière durable, en s'appuyant sur les infrastructures et les services mis en place par l'action publique, en dépassant et mettant en réseau l'action d'individuelle. Ainsi les communs urbains font partie des nouvelles composantes de nombreux programmes d'aménagement tels que des locaux collectifs, des jardins partagés, du stationnement mutualisé... Les aménageurs et les collectivités façonnent ainsi de nouveaux cadres de vie, plus mutualisés, qui correspondent aux contraintes et aspirations actuelles et qui doivent, autant que possible, durer. Se faisant, ils sont confrontés à de nombreuses difficultés : comment s'assurer de la prise en main pérenne de ces communs par des futurs usagers qui ne sont pas encore présents ? Quels véhicules juridiques choisir, pour la réalisation, la propriété ou la gestion ? Comment ne pas exclure des bénéficiaires avec des montages et règles trop complexes, des charges financières trop lourdes ?
Descripteur Urbamet
chantier
Descripteur écoplanete
Thème
Construction
;Aménagement urbain
Texte intégral
2020 ! 2024
Les communs
dans la construction
et l?aménagement
Le Lab2051
2050 représente l?horizon de nos politiques publiques pour atteindre nos
ambitions en faveur de la transition écologique des territoires, pour une France
sobre, résiliente, inclusive et créatrice de valeurs. Le Lab2051 nous projette dans
le monde d?après. Il s?adresse aux collectivités et aux aménageurs et vise à lever
les obstacles à l?innovation urbaine et favoriser le passage à l?échelle. Piloté
par la sous-direction de l?aménagement durable du Ministère de la Transition
écologique et de la Cohésion des territoires, le Lab2051 réunit tous les acteurs
nécessaires à la résolution d?une problématique donnée : les services de l?État
concernés par les réglementations, les différents niveaux de collectivités, les
établissements publics locaux, les aménageurs publics et privés, les opérateurs
de l?État, le monde académique, les entreprises... Depuis 2023, il accompagne en
particulier, au travers d?incubations de 6 à 12 mois, les programmes d?innovation
Démonstrateurs de la ville durable (DVD) de France 2030 et Engagés pour la
Qualité du Logement de Demain (EQLD).
Dispositif apprenant, le Lab2051 se déploie de manière à la fois agile et
structurée, dans une posture ! think tank - do tank ", en apportant une expertise
ciblée au service des composantes innovantes de chaque projet et sur une
mise en réseau des acteurs publics, privés et des usagers à toutes les échelles :
bâtiment, quartier, ville et territoire.
7 thématiques déjà incubées entre 2018 et 2022 : autoconsommation collective,
construction bois, habitat modulaire et transitoire, BIM-CIM, utilisation du
standard international, ISO 37101, IBA en France, rénovation énergétique
bâtiment basse consommation.
6 thématiques incubées entre 2023 et 2024 : bioclimatisme, nature en ville,
communs et aménagement, mixité et réversibilité, économie circulaire dans
l?aménagement, économie d?un aménagement durable, répondant ainsi aux
besoins prioritaires identifiés dans les projets DVD et EQLD.
Le lancement d?une nouvelle vague d?incubations du Lab2051 est prévue à
l?automne 2024.
L?intégralité des travaux du Lab2051 est disponible sur le site du ministère :
www.ecologie.gouv.fr/lab2051
Juin 2024
Publié par la Direction générale de l?aménagement, du logement et de la nature (DGALN), la Direction de l?habitat, de
l?urbanisme et des paysages (DHUP), la sous-direction de l?aménagement durable (AD), le bureau des opérations d?aménagement
(AD5), Tour Séquoia - 92055 Paris La Défense CEDEX
Directeur de la publication : Philippe Mazenc, Directeur général de l?aménagement, du logement et de la nature
Rédaction et coordination éditoriale : Membres du groupement IULAB : Dominique RENAUDET ? Neoclide, François-Laurent
TOUZAIN ? 360
Merci à l?ensemble des participants aux ateliers qui ont contribué à la réalisation de ce rapport.
Sous la direction d?Isabelle MORITZ, adjointe à la cheffe du bureau villes et territoires durables
Contact : Lab2051@developpement-durable.gouv.fr
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 2
Le Lab2051
2050 représente l?horizon de nos politiques publiques pour atteindre nos ambitions
en faveur de la transition écologique des territoires, pour une France sobre, résiliente,
inclusive et créatrice de valeurs. Le Lab2051 nous projette dans le monde d?après. Il
s?adresse aux collectivités et aux aménageurs et vise à lever les obstacles à l?innovation
urbaine et favoriser le passage à l?échelle. Piloté par la sous-direction de
l?aménagement durable du Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des
territoires, le Lab2051 réunit tous les acteurs nécessaires à la résolution d?une
problématique donnée : les services de l?État concernés par les réglementations, les
différents niveaux de collectivités, les établissements publics locaux, les aménageurs
publics et privés, les opérateurs de l?État, le monde académique, les entreprises ?
Depuis 2023, il accompagne en particulier, au travers d?incubations de 6 à 12 mois, les
programmes d?innovation Démonstrateurs de la ville durable (DVD) de France 2030 et
Engagés pour la Qualité du Logement de Demain (EQLD).
Dispositif apprenant, le Lab2051 se déploie de manière à la fois agile et structurée,
dans une posture ?think tank- do tank?, en apportant une expertise ciblée au service
des composantes innovantes de chaque projet et sur une mise en réseau des acteurs
publics, privés et des usagers à toutes les échelles : bâtiment, quartier, ville et
territoire.
7 thématiques déjà incubées entre 2018 et 2022 : autoconsommation collective,
construction bois, habitat modulaire et transitoire, BIM-CIM, utilisation du standard
international, ISO 37101, ! IBA " en France, rénovation énergétique bâtiment basse
consommation.
6 thématiques incubées entre 2023 et 2024 : bioclimatisme, nature en ville, communs
et aménagement, mixité et réversibilité, économie circulaire dans l?aménagement,
économie d?un aménagement durable, répondant ainsi aux besoins prioritaires
identifiés dans les projets DVD et EQLD.
Le lancement d'une nouvelle vague d?incubations du Lab2051 est prévue à l?automne
2024.
L?intégralité des travaux du Lab2051 est disponible sur le site du ministère :
https://www.ecologie.gouv.fr/lab2051
https://www.ecologie.gouv.fr/lab2051
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 3
TABLE DES MATIÈRES
1 DÉROULÉ DE L?INCUBATION,
DÉFINITIONS ET TYPOLOGIE DES COMMUNS .............................................................. 4
1.1 INTRODUCTION : Les communs dans l?aménagement, enjeux et problématique
du Lab2051 ...................................................................................................................................... 5
1.2 Définitions et périmètre retenus pour l?incubation ..................................................... 7
1.3 Les communs dans les projets incubÉs : vers une typologie ..................................... 10
1.4 Portraits des projets incubés ........................................................................................... 19
1.5 Bongraine - Aquitanis ...................................................................................................... 20
1.6 Iéna Mexico - La fabrique des quartiers ....................................................................... 26
1.7 Les tiers-lieux Axès - Logeo Seine .................................................................................. 33
1.8 Ville Capable - Modus Ædificandi ................................................................................. 37
1.9 Quartus Briançon ............................................................................................................. 42
1.10 Les Halles en Commun - Territoires Rennes ................................................................ 48
1.11 ! Des hameaux légers pour des territoires plus sobres, résilients et inclusifs " -
Commana ...................................................................................................................................... 53
2 PRISE DE RECUL HISTORIQUE ET PROSPECTIVE .................................................. 58
2.1 Enseignements de l?histoire des communs pour l?aménagement d?aujourd?hui ... 59
2.2 Enjeux prospectifs autour des communs dans l?aménagement ............................... 75
2.3 Intervention orale de Raphaël Besson, 18 octobre 2023, le Havre .......................... 79
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 4
1 DÉROULÉ DE L?INCUBATION,
DÉFINITIONS ET TYPOLOGIE
DES COMMUNS
La Courrouze, Rennes, 14 juin 2023
Credits : 360
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 5
Page
70
1.1 INTRODUCTION :
LES COMMUNS DANS L?AMENAGEMENT,
ENJEUX ET PROBLEMATIQUE DU LAB2051
Les communs urbains, qui consistent en une relation organisée et durable entre une
communauté et des ressources en milieu urbain (un lieu, de l?eau, de l?énergie?), sont
une modalité essentielle de la transition écologique.
En effet, à l?heure où des ressources considérées jusque là comme abondantes (le sol
fertile, le bâti?) se raréfient, il convient de développer de nouvelles coopérations pour
les gérer de manière équitable, au plus près des besoins, et de manière durable, en
s?appuyant sur les infrastructures et les services mis en place par l?action publique, en
dépassant et mettant en réseau l?action d?individuelle.
Ainsi les communs urbains font partie des nouvelles composantes de nombreux
programmes d?aménagement tels que des locaux collectifs, des jardins partagés, du
stationnement mutualisé?
Les aménageurs et les collectivités façonnent ainsi de nouveaux cadres de vie, plus
mutualisés, qui correspondent aux contraintes et aspirations actuelles et qui doivent,
autant que possible, durer. Se faisant, ils sont confrontés à de nombreuses difficultés :
comment s?assurer de la prise en main pérenne de ces communs par des futurs usagers
qui ne sont pas encore présents ? Quels véhicules juridiques choisir, pour la réalisation,
la propriété ou la gestion ? Comment ne pas exclure des bénéficiaires avec des
montages et règles trop complexes, des charges financières trop lourdes ?
Modalités de l?incubation
Un webinaire de lancement a permis de préciser la méthode, les produits de sortie visés,
et le calendrier de cinq ateliers, d?une durée de 2h, au cours desquels ont été présentés
de manière approfondie un ou deux projets engagés dans la création de communs. Ces
présentations ont permis de faire interagir les participants sur les difficultés
rencontrées et de collecter des documents opérationnels en vue d'alimenter la boîte à
outils :
Date de
l?atelier
Projets incubés ou
ayant été
présentés
Maîtrise d?ouvrage Dispositif(s) dont le
projet est lauréat1
24 février 2023 Bongraine Aquitanis DVD
24 mars 2023 Iéna Mexico La fabrique des
quartiers
DVD
1 Un aperçu des projets, au delà des fiches réalisées dans le présent rapport, est disponible dans le dossier de presse du
lancement du programme : https://www.banquedesterritoires.fr/demonstrateurs-de-la-ville-durable-nouvelle-etape-pour-les-
laureats
https://www.banquedesterritoires.fr/demonstrateurs-de-la-ville-durable-nouvelle-etape-pour-les-laureats
https://www.banquedesterritoires.fr/demonstrateurs-de-la-ville-durable-nouvelle-etape-pour-les-laureats
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 6
25 avril 2023 Axès Logeo Seine EQLD
24 mai 2023 Ville Capable
Citadelle Briançon
Modus Ædificandi
Quartus
EQLD
EQLD
14 juin 2023 Halles en communs
Hameaux légers
Territoires Rennes
Hameaux légers
DVD
Les ateliers du Havre, de Marseille et de Rennes se sont déroulés dans les locaux des
porteurs de projet.
Entre les ateliers, un appui individuel a été fourni aux porteurs de projets rencontrant
des difficultés opérationnelles. Les documents en résultant, telle une note relative aux
enjeux de montage contractuel produite par le cabinet d?avocats spécialisé en
questions urbaines émergentes LexCity, sont également dans la boîte à outils. Ont
également été conduits des échanges bilatéraux avec d?autres acteurs ayant travaillé
récemment sur les communs: l?ANCT, la 27ème Région, le PUCA, l?ADEME, la Fondation
de France, le Sens de la Ville?leurs productions ont été relayées lors des ateliers et sont
pour certaines mentionnées dans la boîte à outils.
En octobre 2023, un séminaire de restitution du rapport chez l?un des participants de
l?incubation, Logeo Seine, au Havre.
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 7
1.2 DEFINITIONS ET PERIMETRE RETENUS
POUR L?INCUBATION
DEFINITION DES COMMUNS
Nous avons retenu, pour conduire cette incubation, la définition d?Elinor Ostrom,
économiste, politologue et professeure d?université, dont les travaux portant sur la
théorie de l'action collective et la gestion des biens communs ainsi que des biens
publics font référence, selon laquelle les communs sont des ressources, gérées
collectivement par une communauté qui établit des règles et une gouvernance dans le
but de préserver et pérenniser cette ressource.
PERIMETRE DE L?INCUBATION :
ESPACES COMMUNS DANS L?AMENAGEMENT
Ainsi que l?énonce le portail en ligne des communs (https://lescommuns. rg/) : des
logiciels libres aux jardins partagés, de la cartographie à l?énergie renouvelable, en
passant par les connaissances et les sciences ouvertes ou les AMAPs et les épiceries
coopératives, les ! Communs " sont partout ! Le Lab2051 adressant spécifiquement les
questions d?aménagement et de construction, les communs abordés dans l?incubation
sont compris dans ce périmètre.
Les communs énergétiques, souvent rencontrés , notamment autour de la production
et de la consommation d?énergie solaire issue de panneaux photovoltaïques, n?ont pas
été traités, car une incubation dédiée consacrée au passage à l?échelle de
l?autoconsommation collective autour de l?intégration du photovoltaïque dans une
stratégie locale de production et de consommation d?énergie renouvelable est
actuellement en cours de déploiement
https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/Lab2051_Autoconsommation_collectiv
e_Incubation.pdf
https://lescommuns.org/
https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/Lab2051_Autoconsommation_collective_Incubation.pdf
https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/Lab2051_Autoconsommation_collective_Incubation.pdf
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 8
COURT GLOSSAIRE
Ce court glossaire propose les définitions des notions clés d?exclusivité et de rivalité
permettant de caractériser des biens communs, ainsi que les catégories qu?elles ont
permis à Elinor O?trom - théoricienne de référence des biens communs - de définir.
Exclusivité
Il s?agit de la propriété d?un bien dont un individu peut en interdire l?accès ou la
propriété à un autre individu.
Rivalité
Il s?agit de la propriété d?un bien dont la consommation par un individu va en priver
l?usage ou l?accès à un autre individu.
Bien commun
Un bien commun est un bien rival et non exclusif (voir les notions d?exclusivité et de
rivalité ci-dessus). Sa consommation par un individu en diminue la quantité disponible
pour les autres individus, entraînant ainsi une concurrence, et son accès est libre. Il peut
s?agir de toilettes publiques, de parkings sur la voie publique.
Bien à péage ou de club
Un bien à péage est un bien non rival et exclusif. Sa consommation par un individu n?en
diminue pas la quantité disponible pour les autres individus, n?entraînant pas ainsi une
concurrence, et son accès est réglementé. Il peut s?agir d?une voie à péage.
Bien privé
Un bien privé est un bien rival et exclusif. Sa consommation par un individu en diminue
la quantité disponible pour les autres individus, entraînant ainsi une concurrence, et
son accès est réglementé. Il peut s?agir d?un appartement.
Bien public ou bien collectif
Un bien public ou collectif est un bien non rival et non exclusif. Sa consommation par
un individu n?en diminue pas la quantité disponible pour les autres individus,
n?entraînant pas ainsi une concurrence, et son accès est libre. Il peut s?agir de trottoirs
même si ces derniers peuvent se trouver ponctuellement encombrés et demander une
régulation.
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 9
Classification des biens d?après Elinor Ostrom
Rivalité forte Rivalité faible
Exclusivité forte Bien privé Bien à péage ou de
club
Exclusivité faible Bien commun Bien collectif
Classification des droits des acteurs associés à leur position d?après Elinor Ostrom2
Catégories
d?usagers
Usagers membres de la ?communauté? du
commun
Usagers
extérieurs
Sous catégories Propriétaire
(Owner)
Possesseur
(Proprietor)
Détenteur de
droits d?usage
et de gestion
(Claimant)
Utilisateur
autorisé
(Autorized
User)
Accès et
extraction
X X X X
Gestion X X X
Exclusion X X
Aliénation X
2 SCHLAGER, Edella, OSTROM, Elinor, ! Property-Rights Regimes and Natural Resources: A Conceptual Analysis ", Land
Economics, vol. 68, n° 3, Août 1992, p. 249-262, traduit et cité par ORSI, Fabienne, ! Elinor Ostrom et les faisceaux de droits :
l?ouverture d?un nouvel espace pour penser la propriété commune ", Revue de la régulation, n°14, 2013, en ligne,
https://journals.openedition.org/regulation/10452, consulté le 4 septembre 2023, s. p..
https://journals.openedition.org/regulation/10452
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 10
1.3 LES COMMUNS DANS LES PROJETS INCUBÉS :
VERS UNE TYPOLOGIE
PROPRIETES ET ESPACES
Tragédie des communs, limites planétaires et aménagement
Dans le cadre de l?aménagement, les communs se situent à l?intersection de plusieurs
disciplines. En effet, leur projet, leur mise en place et leur gestion font intervenir des
expertises différentes, notamment juridiques, sociologiques, économiques,
écologiques, environnementales, agricoles, urbanistiques et architecturales. Il s?agit
d?un réel défi pour les aménageurs désireux de produire des espaces ou des lieux
communs qui soient pérennes et pris en charge par les communautés d?usagers
intéressés. Par ailleurs, régulièrement les communs appartiennent ou sont susceptibles
d?appartenir au domaine de l?économie sociale et solidaire (ESS) car ils cherchent à
établir au quotidien des rapports de solidarité et de réciprocité entre leurs usagers, en
particulier les habitants, en instituant des formes de propriété et de gouvernance
collectives en articulation avec l?action publique3. En ce sens, un accompagnement
spécifique est indispensable pour déterminer au mieux les modèles de gouvernance à
choisir (association, coopérative, mutuelle, etc?) ainsi que les montages économiques
et financiers4.
Pour l?aménageur, il s?agit de cerner dans un premier lieu la notion de commun. Si elle
puise ses origines dans les communs ruraux existants sous l?Ancien Régime et ayant
progressivement disparu au cours de la Révolution industrielle, elle a connu un réel
regain d?intérêt depuis les années 1960 et 1970, qui coïncident aussi avec la création du
Club de Rome en 1968 et la parution de son rapport en 1972 intitulé The Limits to
Growth ou Rapport Meadows. Ce travail alerte déjà sur les limites de la croissance
économique, de la disparition des ressources et de l?altération de l?environnement,
invitant à imaginer et mettre en place des modèles de développement qui n?aient pas
comme unique perspective la croissance économique confondue avec l?augmentation
annuelle du Produit Intérieur Brut (PIB). Ce rapport utilise l?article The Tragedy of the
commons du biologiste Garrett Hardin (1915-2003) paru en 1968, en l?élargissant à une
macrodimension, celle ! des entités planétaires (la Terre, les océans, l?atmosphère), afin
de souligner l?exigence de leur gestion concertée à des fins de viabilité, d?apaisement
des conflits et de développement "5.
3 ALIX, Nicole, ! L?économie sociale et solidaire et les communs : les tendances à l'oeuvre et les enjeux de coopération ",
dans BARBIER, Jean-Claude (dir.), Économie sociale et solidaire et l?État. À la recherche d?un partenariat pour l?action, Paris,
Institut de la gestion publique et du développement économique, 2017, p. 43-62.
4 C?est le cas du projet Juristes Embarqués, porté par l?Agence Nationale de la Cohésion des Territoires (ANCT), France Tiers
Lieux et la 27ème Région. Il consiste en une recherche-action sur la créativité réglementaire pour les tiers-lieux créateurs de
communs, en ligne, https://agence-cohesion-territoires.gouv.fr/juristes-embarques-la-creativite-reglementaire-pour-les-tiers-
lieux-createurs-de-communs-510, consulté le 29 juillet 2023.
5 LOCHER, Fabien, ! Les pâturages de la Guerre froide : Garrett Hardin et la ?Tragédie des communs? ", Revue d?histoire
moderne & contemporaine, n°60, 2013, p. 7-36.
https://agence-cohesion-territoires.gouv.fr/juristes-embarques-la-creativite-reglementaire-pour-les-tiers-lieux-createurs-de-communs-510
https://agence-cohesion-territoires.gouv.fr/juristes-embarques-la-creativite-reglementaire-pour-les-tiers-lieux-createurs-de-communs-510
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 11
Biens communs et régimes de propriété
Par la suite, Elinor Ostrom (1933-2012), prix Nobel d'économie en 2009, se distingue de
Hardin et de ses conclusions hostiles à une gestion en commun des ressources. Hardin
ne laisse en effet ! le choix qu?entre l?appropriation privée ou le contrôle direct par la
puissance publique ", au risque sinon de voir fatalement les ressources surexploitées et
donc dégradées6. Pour décrire cette ! tragédie des communs ", Hardin reprend
l?exemple des pâtures communes déjà mobilisé par William Forster Lloyd (1794-1852)
qui introduit ce concept de dégradation des communs, se faisant ainsi le défenseur des
enclosures et de la privatisation des terres qui accompagne ! un véritable changement
de conception de la propriété elle-même [qui est désormais] conçue comme privée et
exclusive "7. Selon cet exemple, chaque éleveur, se sentant en compétition, va être
incité à faire paître un troupeau de plus en plus nombreux de peur d?être exclu de la
ressource. Les travaux d?Elinor Ostrom ont permis de s?éloigner au contraire de cette
vision fataliste de la dégradation des biens communs. Selon elle, cette situation est loin
d?être inéluctable et dépend notamment ! des modes d?organisation et de
gouvernance mis au point/en usage dans les sociétés concernées "8.
S?interrogeant sur les régimes de propriété et en adoptant une approche
comportementale et empirique pour l?analyse des organisations sociales, ses travaux
ont été mobilisés dès les années 1980 pour imaginer de nouvelles territorialités
décentralisées grâce à son affinement du concept de bien commun et mettre en valeur
des fonctionnements économiques appartenant à l?ESS9. En prenant en compte la
notion de rivalité en complément de celle d?excluabilité, elle caractérise mieux les
différences entre biens communs, privés, collectifs ou à péage. L?excluabilité,
l?exclusivité ou l?exclusion ! renvoie à la possibilité pour un individu A de priver d?accès
ou de propriété un individu B "10. Cette notion permet ainsi de faire la différence entre
un bien privé et un bien public, à savoir un bien qui est propriété d?un agent qui exclut
de son accès les autres agents, et de l?autre un bien propriété qui est propriété de tous
les agents qui donc ne peuvent être exclus de son accès. La rivalité en revanche ! se
réfère à la possibilité pour un individu A de priver de consommation ou d?usage un
individu B "11, c?est-à-dire qu?elle caractérise le degré de compétition qui existe entre les
agents économiques dans l?accès à un bien. Selon Ostrom, le régime de propriété d?un
bien commun est ainsi caractérisé par une exclusivité faible et une rivalité forte, lorsque
la propriété d?un bien privé est caractérisée par une exclusivité et une rivalité fortes,
celle d?un bien public par une exclusivité et une rivalité faibles et celle d?un bien à péage
par une exclusivité forte et une rivalité faible.
6 PÉREZ, Roland, SILVA, François, ! Gestion des biens collectifs, capital social et auto-organisation : l?apport d?Elinor Ostrom
à l?Économie sociale et solidaire ", Management & Avenir, n°65, 2013, p. 94-107.
7 ORSI, Fabienne, ! Elinor Ostrom et les faisceaux de droits : l?ouverture d?un nouvel espace pour penser la propriété
commune ", Revue de la régulation, n°14, 2013, en ligne, https://journals.openedition.org/regulation/10452, consulté le 4
septembre 2023, s. p.
8 Ibidem.
9 ISAURRALDE, Magdalena, ! L?approche comportementale de l?action collective chez Elinor Ostrom : quels prolongements
pour l?économie sociale et solidaire ? ", Revue Française de Socio-Économie, n°15, 2015, p. 97-115.
10 Ivi., p. 104.
11 Ibidem.
https://journals.openedition.org/regulation/10452
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 12
Gouvernances et communs imbriqués
Ostrom souligne la particularité des comportements des individus dans le cadre de la
gestion d?un commun. Contrairement aux grands groupes d?individus, dans un groupe
de petite taille ou intermédiaire, elle remarque ! la capacité des individus insérés dans
des communautés locales à résoudre des problèmes d?action collective, en construisant
de manière relativement autonome des systèmes de règles, des ?modes de
gouvernance? adaptés aux problèmes précis auxquels ils sont confrontés "12. Ses
travaux explorent les particularités des règles, normes et institutions qui accompagnent
ou régissent des communs. Leurs processus de construction, d?adoption et de
transformation, sans être totalement horizontaux, possèdent un rôle mais aussi des
processus de construction, d?adoption et de transformation différents. Tous les agents
par ailleurs n'entretiennent pas forcément le même rapport avec le bien mis ou géré en
commun mais ces faisceaux de règle qui permettent le fonctionnement imbriqué de
tous ces intérêts. Par exemple, les cas peuvent varier de l?utilisateur autorisé qui
bénéficie d?un droit d?accès et de prélèvement au propriétaire qui bénéficie entre autre
d?un droit de gestion, d?exclusion et d?aliénation en passant par les éventuelles figures
du propriétaire sans droit d?aliénation ou d?un simple détenteur de droits d?usage et de
gestion. Il est ainsi possible de décliner à chaque niveau ou situation ! une grammaire
combinatoire qui permet de construire une très grande variété de configurations
institutionnelles et de régimes de propriété "13, en adéquation avec les ressources
disponibles et les montages juridiques et réglementaires autorisés, à l?instar des projets
incubés. À chaque situation spécifique - ressource, communauté, besoin, service
attendu - peut ainsi correspondre un régime de gestion particulier.
Dans le cadre de ces prescriptions réglementaires ad hoc, un commun révèle d?un
régime mixte qui oscille entre propriété privée et propriété collective. Il n?est pas non
plus tenu de garantir forcément ou nécessairement un accès libre et universel. Ostrom
relève d?ailleurs la continuité historique de ces régimes mixtes, en notant leur ubiquité
dans les systèmes de logement par exemple, qu?ils soient sociaux ou non. Ainsi peuvent
appartenir aux communs les parties d?un immeuble en indivision ou en copropriété et
qui nécessitent, dans un cas comme dans l?autre, des règles et une entente spécifique
entre tous les intéressés afin qu?elles fournissent les prestations et les services attendus
: propreté, accès, éclairage... Les analyses d?Ostrom ne se limitent pas à la seule gestion
d?équipements ou de ressources mais s?étendent au fonctionnement des espaces
?corporatifs?. Elle envisage, dans une vision prospective qui résonne avec les projets
incubés durant le Lab, que ! les lieux où de nombreux individus vont travailler, vivre et
jouer dans le siècle prochain seront dirigés et gérés par des systèmes mixtes de droits
de propriété individuels et communautaires "14.
A titre d?exemple, certainsprojets incubés comportent une composante d?agriculture
urbaine : ces initiatives marquent une continuité certaine avec des expériences passées,
12 ORSI, Fabienne, op. cit., s. p.
13 Ibidem.
14 OSTROM, Elinor, ! Private and Common Property Rights ", dans BOUCKAERT, Boudewijn, GEEST, Gerrit De (dir.),
Encyclopedia of Law and Economics, Cheltenham, Edward Elgar Publishing, 1999, p. 332-379, cité et traduit par ORSI,
Fabienne, op. cit., s. p.
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 13
tels les jardins de l?abbé Lemire ou le modèle de la garden-city, bien qu?ils
soientdéclinées à une moindre échelle. C?est le cas des potagers urbains prévus dans
l?opération rue Gachet à Marseille avec Quartus Résidentiel en maître d?ouvrage et
Matthieu Poitevin Architecture en maître d'oeuvre. Des modes de gestion similaires se
retrouvent dans des tiers lieux. L?opération Les Halles en Commun dans le quartier de
la Courrouze à Rennes prévoit ainsi des espaces de coworking opérant selon ce modèle.
Communs et aménagements
Le projet BISCOTE (BienS COmmuns et TErritoires) porté par le Plan Urbanisme
Construction Architecture (PUCA) rend compte, dans son rapport de 2021 Les
communs à l?épreuve du projet urbain et de l?initiative citoyenne, de la complexité, de
l?intrication et de l?imbrication des différentes initiatives pouvant relever des communs,
en identifiant trois niveaux inclus les uns dans les autres, du plus restreint ou spécifique
ou plus lâche ou général. C?est ! la matriochka des initiatives relevant des communs "15.
Le premier niveau, le plus spécifique, correspond à la gestion de biens communs dans
un sens matériel et qui nécessite une coordination entre les usagers, comme dans le cas
d?une pâture ou d?une réserve de pêche. ! Les règles ici se définissent non pas à partir
des droits de la propriété privée mais à travers un faisceau de droits partagés (droit
d?accès et de prélèvement, droit de gestion, droit d?exclusion, droit d?aliénation)
distribués au sein de la communauté de manière croissante en fonction de la position
de chacun "16. Le deuxième niveau, susceptible d?inclure le premier, correspond à ! un
commun en tant que dispositif articulant une ressource, une communauté et des règles
", permettant d?inclure un spectre plus large de ressources communes et ! d?assouplir
voire de s?extraire de certaines contraintes comme la rivalité et la non-exclusion "17. Ce
niveau est celui généralement utilisé pour désigner les communs urbains et auquel par
exemple peut appartenir l?exemple historique du lavoir. Finalement, le troisième niveau,
susceptible d?inclure les deux niveaux précédents, se réfère au bien commun dans un
sens plus philosophique, incluant ainsi les actions et initiatives collectives et citoyennes
attachées à la préservation et à l?accès à des biens relevant d?un niveau politique plus
général. Cela inclut les politiques d?hygiène publique menées au cours du XIXe siècle
qui relèvent aujourd?hui de la santé publique, comme par exemple la pollution
atmosphérique ou le réchauffement climatique.
Si elles permettent de définir une hiérarchie entre des niveaux de communs qui
correspondent à peu près à une dimension croissante des communautés concernées à
la fois démographique et spatiale, les distinctions proposées sont toutefois à nuancer
et leur caractère imbriqué ne doit pas en effacer leur porosité. Cette imbrication des
communs renvoie à l?enchevêtrement des espaces urbains. Une focale concentrée sur
la gestion en commun des ressources permet de dépasser la frontière entre la ville et
la campagne qui relève souvent des imaginaires culturels, historiques ou administratifs.
15 KEBIR, Leïla, WALLET, Frédéric, Les communs à l?épreuve du projet urbain et de l?initiative citoyenne, Paris, Édition PUCA,
Collection Réflexions en partage, 2021, 94 p., en ligne, https://www.urbanisme-puca.gouv.fr/les-communs-a-l-epreuve-du-
projet-urbain-et-de-l-a2239.html, consulté le 5 août 2023, p. 51-55.
16 Ivi., p. 52.
17 Ivi., p. 52-53.
https://www.urbanisme-puca.gouv.fr/les-communs-a-l-epreuve-du-projet-urbain-et-de-l-a2239.html
https://www.urbanisme-puca.gouv.fr/les-communs-a-l-epreuve-du-projet-urbain-et-de-l-a2239.html
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 14
C?est l?exemple historique de Pierre Leroux et de son circulus, aujourd?hui c?est le souci
d?un retour du maraîchage. C?est le cas également de la gestion des réserves d?eau
douce car tout au long de leurs cycles et de leurs cours intervient une succession très
variée d?usagers et d?acteurs, de règles et d?institutions, d?espaces ruraux ou citadins.
Introduire des communs dans l?aménagement, selon l?étendue des initiatives, c?est
réfléchir à la cyclicité des ressources, de leur entretien et de leur usage qui peut
dépasser les frontières de la zone qui fait l?objet d?une intervention architecturale. Les
communautés associées à la gestion d?un commun peuvent ainsi interférer avec les
ressources d?autres communautés dans d?autres espaces, chacune ayant ses règles et la
prise en compte de cette contingence peut également nécessiter des règles
spécifiques. Il s?agit potentiellement d?un renouvellement et d?un redimensionnement
progressif des méthodes de gouvernance et de projet urbain où le local doit pouvoir
discuter avec le global et inversement dans des espaces délibératifs, démocratiques,
juridiques, réglementaires et normatifs agissant dans les deux sens, top-down et
bottom-up. Ceci ! pour prendre en compte le réseau de complémentarités
institutionnelles dans lequel est inséré tout système de communs, à travers les relations,
marchandes et non marchandes, du commun et des différents individus et groupes qui
le constituent, avec le reste de la société "18.
COMMUNS ET AMENAGEURS
Les communs, espaces et corps intermédiaires
Les communs sont ainsi associés à un écosystème économique, juridique et
réglementaire complexe et très souvent spécifique qui associe le triptyque ressources,
communautés et règles. Leur intégration dans le cadre d?une opération d?aménagement
suppose de les ! loger dans les interstices entre politiques publiques et logiques
économiques de marché, là où certains besoins sociaux ne sont pas ou mal satisfaits "19.
Il s?agit pour l?aménageur de faire coopérer et cohabiter un modèle de gestion et un
régime de propriété alternatifs avec des régimes et modèles privés ou publics. Les
organisations spatiales et architecturales qui en résultent doivent permettre
l?articulation de ces différents types, sans s?arrêter à une sectorisation ou à une
juxtaposition des formes et des fonctions qui pourraient s?avérer être trop ségrégatives
et qui s?opposeraient de fait au rôle que pourraient jouer un ou des communs urbains
au sein d?une opération. En effet, de part l?ubiquité et l?imbrication des ressources, des
communautés et des institutions qui peuvent intervenir autour des communs, ceux-ci
possèdent une très forte plasticité et peuvent occuper les vides d'un espace fragmenté
entre lieux privés et lieux publics, à la fois corps et espaces intermédiaires. C?est le cas
d?une cage d?escalier, d?une cour d?immeuble ou d?un parterre fleuri par un collectif
dans le cadre d?une résidence.
18 ORSI, Fabienne, op. cit., s. p.
19 DIGUET, Cécile, ! Les communs urbains, une notion pour repenser l?aménagement territorial ? ", Note rapide de l?Institut
d?Aménagement et d?Urbanisme - Île-de-France, n°813, 2019, en ligne, https://www.fnau.org/wp-
content/uploads/2019/07/nr_813_web.pdf, consulté le 29 juillet 2023, s. p.
https://www.fnau.org/wp-content/uploads/2019/07/nr_813_web.pdf
https://www.fnau.org/wp-content/uploads/2019/07/nr_813_web.pdf
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 15
Les dimensions des communs urbains ne se restreignent toutefois pas à ces exemples
domestiques. Elles dépendent de l?étendue spatiale des ressources et des
communautés qui y sont attachées ainsi que du fonctionnement et de la viabilité
économique des projets qui sont mis en place. Ceux-ci ainsi sont susceptibles
d?interférer avec les services urbains en réseau - eau potable, assainissement, déchets,
électricité, télécommunication, transport, etc. - voire de s?y substituer partiellement et
localement comme à Naples pour la manutention ordinaire d?une rue20. De semblables
initiatives interrogent l?agencement des réseaux car elles constituent des ! formes de
renouvellement de l?attachement des citoyens au service public " lorsque leur
invisibilisation ainsi que ! la prise en charge par l?État ou les municipalités de ces services
[en a] fait oublier la dimension de biens communs "21. Potentiellement le paysage urbain
peut voir son architecture transformée avec cet outil ! revivifiant la démocratie locale
et [instaurant] une production urbaine partagée "22. Il s?agit là d?un réel défi non
seulement pour les pouvoirs publics mais aussi pour les aménageurs, les urbanistes et
les architectes qui doivent inventer des formes et des espaces aptes à fonctionner selon
ce modèle.
Les enjeux des communs pour l?aménageur
Face à ce caractère transverse et plastique des communs urbains, il est difficile de
pouvoir lister précisément des caractéristiques permettant de les définir. Toutefois,
grâce aux retours des projets incubés durant le Lab, une liste a été dressée afin d?aider
à identifier les enjeux relatifs au fonctionnement d?un commun, en particulier du point
de vue de l?aménageur :
La ou les communautés concernées : composition (sociologie, démographie),
histoire, moyens, besoins,
La ou les ressources qu?il s?agit de gérer en commun,
Les règles existantes ou envisagées entre la communauté et la ressource :
L?identité et les valeurs du commun,
Le type de lien entre la communauté et la ressource : propriété, usage,
préservation?
Le modèle économique du commun, comme dispositif d?allocation de
ressources rares, qu?il soit marchand ou non,
Les modalités d?adaptation du commun face à l?évolution des ressources,
de la communauté, de l?environnement, ou des dysfonctionnements,
20 RANOCCHIARI, Simone, MAGER, Christophe, ! Bologne et Naples au prisme des biens communs : pluralité et exemplarité
de projets de gestion ?commune? de l?urbain ", Développement durable et territoires, n°1, 2019, en ligne,
https://journals.openedition.org/developpementdurable/13238#tocto2n2, consulté le 10 août 2023.
21 JEANNOT, Gilles, ! Les communs et les infrastructures des villes ", dans CHATZIS, Konstantinos, JEANNOT, Gilles,
NOVEMBER, Valérie, UGHETTO, Pascal, Les métamorphoses des infrastructures, entre béton et numérique, Bruxelles, Peter
Lang, 2017, p. 341-350.
22 DIGUET, Cécile, op. cit., s. p.
https://journals.openedition.org/developpementdurable/13238#tocto2n2
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 16
Le lieu ou le territoire d?implantation, permettant d?apprécier les relations -
matérielles et immatérielles - qu?établit le commun avec son environnement -
matériel et immatériel.
La temporalité de création et d?existence du commun : temporaire, pérenne?
Les familles d?actions de l?aménageur ou du constructeur souhaitant développer un
commun
Les ateliers du Lab nous ont amené à considérer les communs de l?aménagement selon
les trois étapes ci-dessous.
1 Programmation du commun, incluant
le diagnostic
3 Accompagnement de la
communauté concernée dans
la prise en charge du commun,
notamment par préfiguration
du fonctionnement : économie,
gestion, évolution, animation
2 Conception et réalisation de la
ressource qui est l?objet du commun -
dans le cas où celle-ci n?est pas
préexistante
Nous retiendrons ce découpage pour structurer la boîte à outils issue des ateliers de
l?incubation.
Identifier ressource et communauté, entre diagnostic et projet
Au sein du triptyque ressource, communauté, l?identification des ressources et des
communautés concernées est particulièrement déterminante pour envisager la prise en
charge d?un commun par l?aménageur. Trois cas de figure peuvent se rencontrer lors de
la mise en place d?une opération, comme les projets incubés durant le Lab ont pu le
rapporter, sans que ceux-ci soient exclusifs les uns par rapport aux autres, des communs
de différente nature associée à différentes communautés pouvant coexister, sans que
là encore celles-ci soient exclusives l?une de l?autre :
Commun existant et non institutionnalisé
Commun inexistant avec présence des ressource et communauté
Commun inexistant avec présence (effective ou programmée) de ressource et
absence de communauté
Le premier cas est lorsque le commun est préexistant à l?opération d?aménagement
mais est dépourvu de reconnaissance institutionnelle et administrative. La
communauté, déjà présente, a su identifier les ressources à gérer en commun et à
établir des règles sans que la propriété de cette ressource ou de ces règles n?aient été
dûment formalisées. Ce cas est susceptible d?apparaître lorsque l?opération
d?aménagement prend place dans une zone déjà occupée et il a pour ambition de
maintenir les résidents présents et de pérenniser leurs communs en donnant les assises
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 17
légales et réglementaires nécessaires pour une reconnaissance institutionnelle. Il s?agit
d?un travail de compréhension de l?état des lieux du terrain, d?identification de la nature
de la ressource, de son propriétaire et de l?organisation existante du commun, afin
d?accompagner les populations concernées vers un modèle formalisé.
Le deuxième cas qui peut être rencontré est celui d?une communauté existante, de
ressources potentiellement disponibles pour la mise en place d?un commun, sans que
celui-ci existe, ou qu?il existe d'une manière non formalisée par la communauté. Là
encore, il s?agit d?un travail de compréhension de l?état des lieux du terrain et
d?accompagnement des populations concernées pour coconstruire un projet avec un
modèle de gestion et des services fournis qui correspondent aux besoins identifiés.
Enfin le troisième cas, celui de la ?tabula rasa? pour ainsi dire, est lorsqu?il existe le projet
de la mise à disposition d?une ressource susceptible d?être gérée en commun mais que
la communauté n?existe pas. Il s?agit alors pour l?aménageur d?identifier la ou les
communautés susceptibles d?être intéressées par la ou les ressources qu?il estime devoir
implanter, leurs modèles de gestion et les services fournis, à l?instar des habitants d?un
futur quartier. Dans des processus habituels de projet de type ?predict and provide? ou
?decide and provide?, les futurs habitants risquent de se dissocier du commun fourni
par l?opération, ce qui peut conduire à son abandon. Le défi est de parvenir à mettre
en place des processus qui convoquent et font coopérer toutes les parties prenantes,
en ayant recours à des méthodes de concertation avec les usagers potentiellement
identifiés pour co-concevoir et co-produire les espaces urbains et réglementaires. Ces
parties-prenantes peuvent être identifiées avec l?avancement du projet, en partant des
plus amples et déjà existantes, notamment au niveau des collectivités vers les plus
spécifiques, par exemple des collectifs issus du voisinage ou de milieux sociaux
susceptibles d?intégrer - ou d'interagir avec - le futur quartier. Cela peut permettre la
mise en place d?un processus de type ?co-decide, co-prevent and co-provide? capable
d?absorber des boucles itératives au fur et à mesure de l?identification des besoins et
des ressources allouables à des niveaux de plus en plus fins.
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 18
TYPOLOGIE DES COMMUNS URBAINS ISSUE DES PROJETS INCUBES
Tous ces éléments ont été réunis sous forme matricielle. Cette grille de lecture se veut
en quelque sorte un support analytique pour appréhender la très grande variété de
configurations et de régimes de propriété qui peuvent se rencontrer au sein des
communs.
Les cellules à fond vert correspondent à des situations rencontrées durant l?incubation.
Les autres cellules de la matrice pourront faire l?objet d?accompagnement ultérieurs.
Cette grille de lecture pourra être déployée sur les
différents projets incubés. Par souci d?ergonomie, elle
sera parfois allégée, par suppression des catégories non
concernées.
Situation initiale rencontrée par le constructeur ou l?aménageur
souhaitant développer un commun
Commun existant
et non
institutionnalisé
Commun
inexistant avec
présence des
ressource et
communauté
Commun inexistant
avec présence de
ressource et
absence de
communauté
Ressources
Un (*) marque les ressources
reposant, en investissement
et en fonctionnement, sur
un modèle économique
Foncier
Bâti - parties communes
Eau
Déchets
Energie23
Biodiversité
Communauté et usagers
Usagers gestionnaires
Usagers internes à la
communauté
Usagers externes à la
communauté
Règles entre les différentes
parties prenantes du
commun
Collectivité, aménageur,
constructeur, communauté,
usagers?
Règles entre A et B
Règles entre B et C
?
23 Voir le rapport du Lab dédié à l?autoconsommation collective :
https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/Lab2051_Autoconsommation_collective_Incubation.pdf
https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/Lab2051_Autoconsommation_collective_Incubation.pdf
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 19
1.4 PORTRAITS DES PROJETS INCUBES
Cette partie décrit les projets ayant été présentés dans le cadre des ateliers de
l?incubation, et qui ont été le support d?échanges visant à problématiser les freins
rencontrés, à proposer des méthodes et outils pour les lever.
Pour chaque projet sont décrits :
Les caractéristiques principales du projet d?ensemble (aménagement ou
construction),
Le ou les communs envisagés ou réalisés (en se plaçant toujours au début du
processus, même quand celui-ci était achevé lors de l?atelier, comme c?est le cas
pour Logeo, qui a présenté un projet réalisé),
Les freins identifiés,
L?apport de l?incubation pour le porteur de projet,
Un mot d?appréciation du porteur de projet sur sa participation au Lab2051,
Les outils partagés lors de l?atelier.
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 20
1.5 BONGRAINE - AQUITANIS
LE PROJET D?ENSEMBLE :
Localisation Ville d?Aytré, Agglomération de La Rochelle
Etat existant
Le site est une friche urbaine de 35 ha située à 3 km du port des
minimes sur un espace protégé et résiduel du passé ferroviaire du
territoire.
Programme
La Bongraine est un EcoQuartier prévoyant notamment 800
logements (47% libre, 33% de Logements Locatifs Sociaux (LLS), 20%
d?Accession Socialee (AS), dont 130 lots à bâtir) et un tiers-lieux
(Maison de Bongraine).
Avec une ambition forte de repenser les usages de manière
compatible avec la transition écologique, il est ainsi proposé aux
futurs habitants de se réapproprier le quartier au travers de
"communs" : lieux, énergie et stationnements.
Acteurs
Collectivité : Communauté d?Agglomération de la Rochelle
Aménageur : Aquitanis
Coordination, accompagnement des changements, garant
carbone-climat ? assistance à maîtrise d?usage : Une Autre Ville
Paysage et espaces publics : OLM
Montage immobilier et participation : Le Sens de la Ville
Architecture : Sathy
Innovation et accroche territoriale : Tipee
VRD et réseaux : Magéo
Etamine
Energie : Kairos Ingénierie
Calendrier
Au premier semestre 2023 (période de l?incubation), le projet urbain
était défini, la commercialisation des terrains était en cours par
l?aménageur, qui devait à ce titre intégrer aux promesses de vente les
prescriptions liées à la réalisation, la propriété et à la gestion future
des communs.
DVD
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 21
Economie du
projet
Les Maîtrise d?Ouvrage (MOA) des programmes immobiliers
transféreront les espaces communs résidentiels à l?Association
Syndicale Libre (ASL) ; la Maison de Bongraine sera remise également
par l?aménageur sans valorisation financière.
Pour les stationnements, la question reste ouverte. Compte tenu du
coût important d?investissement par les MOA immobiliers dans leurs
réalisations, il est difficile d?envisager leur transfert à 0# dans l?ASL.
Enfin, des discussions sont toujours en cours pour trouver le bon
modèle d?intégration du projet d?autoconsommation collective dans
l?outil de gestion et de gouvernance coopérative.
Illustrations
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 22
Collectif d?habitants du
quartier Bongraine
Crédits : Aquitanis
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 23
LE PROJET DE COMMUNS :
Les communs du projet Bongraine, sur la Communauté d?Agglomération de la Rochelle
s?inscrivent dans la typologie de manière suivante :
Bongraine : des ressources à créer, une communauté à mobiliser,
des règles à définir en amont
Ressources
Un (*) marque
les ressources
reposant, en
investissement
et en
fonctionneme
nt, sur un
modèle
économique
marchand.
Foncier La programmation intègre du stationnement
partagé (*).
Bâti - parties
communes
Un tiers-lieu de 200 m! - la Maison Bongraine ?
constitue un espace bâti commun.
D?autres espaces sont partagés pour le logement.
Energie
Aquitanis envisage l?installation d?un système
d?autoconsommation énergétique via des
panneaux photovoltaïques (*).
Biodiversité Le projet inclut des espaces extérieurs (*)
aménagés.
Communauté
et usagers
Usagers
gestionnaires
Les futurs habitants seront à la fois usagers et
gestionnaires des communs développés.
Usagers internes à
la communauté
Les visiteurs des habitants, par exemple pour avoir
accès aux parkings partagés et aux espaces
extérieurs.
Usagers externes à
la communauté
Certains communs ont vocation à être ouverts sur
le quartier et à participer de sa vitalité.
Règles entre
les différentes
parties
prenantes du
commun
Entre aménageur
et constructeur
Aquitanis contractualise (Promesse puis Acte de
Vente) avec des constructeurs.
Entre constructeur
et propriétaires ou
locataires
Les constructeurs cèdent à l?ASL les parties
communes. L?ASL transfère des droits réels par
des baux emphytéotiques ou des baux à
construction à la Société Coopérative d?Intérêt
Collectif (SCIC) ou association Les Communs de
Bongraine.
Entre usagers
propriétaires,
gestionnaires et
externes
Les usagers gestionnaires négocient des règles aux
usagers, qu?ils soient propriétaires, locataires,
externes.
LES FREINS IDENTIFIES :
Deux freins principaux sont identifiés par l?aménageur :
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 24
Comment contractualiser avec les promoteurs qui devront créer les ressources
et en confier la gestion à la future communauté habitante ?
Comment accompagner la création d?une communauté qui assumera la gestion
des communs en autonomie ?
L?APPORT DE L?INCUBATION POUR LE PORTEUR DE PROJET
AQUITANIS :
Les échanges en séance ont conduit à des réflexions sur :
Les enjeux d?une programmation adaptée aux besoins des habitants : la
consultation citoyenne, les services d?animation pour la co-
programmation et le rôle des AMU (Assistance à Maîtrise d?Usage, modalité
récente d?accompagnement, née de la nécessité de s?appuyer sur les
expertises des usagers pour définir des projets adaptés) étaient au coeur
du débat.
Les enjeux d?un modèle économique adapté à la programmation
Les enjeux de gestion de copropriété : les structures ad?hoc pour gérer les
communs (ASL, SCIC) ont fait l?objet d?un approfondissement avec
LexCity
Un éclairage complémentaire aux études déjà menées par Aquitanis, sous forme
de note d?analyse pour l?agence 360, établie par le cabinet LexCity a permis de
structurer le questionnement quant aux véhicules juridiques à mobiliser dans la
création des communs envisagés, notamment par l?analyse des finalités des
communs, de leurs modalités (existence d?un modèle économique, évolution de
la communauté dans le temps).
LES OUTILS PARTAGES LORS DE L?ATELIER :
Des outils sur la programmation et la consultation :
Aquitanis a partagé un cahier des charges et un règlement de consultation
d?Assistance à Maîtrise d'usage (AMU) pour les communs urbains :
230329_BONG_CCTP et 230329_BONG_RC
Des outils sur la gouvernance :
LexCity a produit une note de gouvernance autour de trois rôles d'un
pilote (concertation, accompagnement et gestion) suivie d'une grille de
lecture permettant l'analyse de la structure juridique la plus adaptée au
commun considéré : 230323_Note LexCity
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 25
Aquitanis a partagé le statut de l'Association les Communs de Bongraine,
sa forme de gouvernance et les moyens mis à disposition par ce statut :
230320_BONG_Statut association
Des outils sur la mise en place de services énergétiques (même si en dehors du
périmètre du Lab, nous remontons ce livrable rattaché à la stratégie d?ensemble
du projet Bongraine) :
Le mot d?Aurélie de Domingo, cheffe de projet aménagement urbain
chez Aquitanis :
Les communs de quartier répondent à l?ambition d?inscrire systématiquement
l?écologie comme enjeu collectif et de le matérialiser dans des objets concrets de
production et de mutualisation ainsi que des formes alternatives de gestion et de
propriété. Nous avons mobilisé beaucoup d?énergie sur toute l?année 2023 pour trouver
les modalités contractuelles et juridiques nous permettant de rendre possibles cette
intention. Plusieurs espaces de travail nous ont permis d?aboutir sur une structuration
qui nous semble cohérente. Le Lab2051 nous a obligé à préciser nos intentions et à les
énoncer de manière plus synthétique. La réalisation de la note juridique de Maître
ORTEGA (du cabinet Lexcity) nous a permis de prendre conscience de l?importance
d?avancer dans la définition et l?économie des communs avant de choisir la forme
juridique de l?outil de gestion et de gouvernance coopérative. Il a donné les bases du
travail d?approfondissement piloté par notre Assistance à Maîtrise d?Ouvrage en
matière de montage immobilier et de modalités de gestion (Le Sens de la Ville)
réunissant notaire, juriste, responsable de syndic et moi. Des difficultés restent non
résolues à ce jour pour rendre effectif l?ambition des Communs, notamment sur la
question du stationnement et l?intégration du projet d?autoconsommation collective
dans l?outil de gestion et de gouvernance.
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 26
1.6 IENA MEXICO - LA FABRIQUE DES QUARTIERS
LE PROJET D?ENSEMBLE :
Localisation Lille
Etat existant
Le projet Iéna México est situé dans un quartier ancien d?habitat
dégradé composé de maisons individuelles situées sur des
parcelles étroites ne pouvant accueillir tous les usages souhaités
sur l'emprise privée.
Programme
La réhabilitation et le réaménagement du quartier prévoient :
La création d?un espace vert de proximité de 2500 m$
minimum
La requalification de la rue d?Iéna
L?acquisition de 66 biens dont 39 réhabilitations et 27
démolitions
L?accompagnement des propriétaires à la rénovation des
logements dans le cadre d?une opération programmée
d?amélioration de l?habitat et de construction démolition
(OPAH-RU + CD)
Une co-production poussée avec les habitants
Le développement de communautés d?acteurs et de services
communs incluant l?ouverture d?un tiers-lieu (le garage) et d?une
cour partagée (cour Lamoot).
Acteurs
Collectivités : Métropole Européenne de Lille et Ville de Lille
Aménageur et porteur du DVD : La fabrique des quartiers
Opérateur foncier : Etablissement Public Foncier des Hauts-
de-France (EPF HDF)
Autres financeurs : ANRU, Région Hauts-de-France
Bureau d?études cadre énergie/mobilité/réemploi : INDDIGO
Bureau d?étude de recomposition des courées : studio
sam.banchet, atelier Kantwerk, Qualivia Ingénierie
Calendrier
Le projet urbain est en phase de programmation habitat, espaces
publics et futurs communs. Une équipe pluridisciplinaire de
designers va être mandatée pour aller aux devant des habitants et
usagers, définir la nature des services à mettre en commun et
esquisser leurs modes de gestion. Ces derniers feront par ailleurs
DVD
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 27
l'objet d'une étude ad hoc.
Plusieurs espaces communs sont d'ores et déjà identifiés : deux
anciens garages d'une surface totale de 440 m$, une ancienne
courée déconstruite, bien appropriée par les habitants mais sans
autorisation de la collectivité propriétaire, des RDC d'immeubles
à construire par l'aménageur.
Des réflexions sur un nouveau partage de l'espace public seront
aussi engagées. Ces communs devront notamment répondre aux
enjeux suivants : développer un modèle énergétique de quartier,
plus sobre et plus collectif, développer la mobilité active et
favoriser le réemploi.
Economie du
projet
L?ensemble des acquisitions nécessaires au projet sont réalisées
par l?aménageur ou l?opérateur foncier (Établissement Public
Foncier des Hauts de France). Les biens acquis et réhabilités par
l?aménageur seront commercialisés sous le régime du Bail Réel
Solidaire (par l?Office Foncier Solidaire de la Métropole Lilloise), de
manière à réintégrer, sur la durée, des familles sur le secteur et
pérenniser les investissements publics. Les réflexions sont toujours
en cours concernant le portage des communs
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 28
Illustrations
Orientations programmatiques du projet Iéna Mexico
Vue aérienne d?une cour du quartier
Crédits : la Fabrique des Quartiers
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 29
LE PROJET DE COMMUNS :
Les communs du projet Iéna Mexico s?inscrivent dans la typologie de manière suivante :
Iéna Mexico : des ressources existantes à institutionnaliser,
une communauté à mobiliser, des règles à définir en amont
Ressources
Un (*) marque les
ressources
reposant, en
investissement et
en
fonctionnement,
sur un modèle
économique
marchand.
Foncier
Les types de ressources foncières à
destination d?un usage commun présents
dans le projet sont :
La cour Lamoot est aujourd?hui un foncier
public issu d?une déconstruction de
logements utilisé par des privés sans
autorisation ;
La programmation du quartier, prévoyant
une diminution de l?usage de
l?automobile, engendre une libération des
espaces de circulation qui pourraient être
réinvestis dans des usages communs
(stationnement partagé par exemple,
services favorisant la mobilité douce?).
Bâti - parties
communes
Un ancien garage du quartier Iéna Mexico
vise à devenir un lieu d?expérimentation,
d?échanges et de formation autour de
l'habiter durable.
Un hangar de 80 m$ peut accueillir des
services liés à la mobilité douce, au
réemploi?
Des rez-de-chaussées d?immeubles
existants ou à construire pourront
accueillir des services communs pour
un ?versant? du quartier (locaux vélo,
locaux poubelle, sous-station?)
Energie
L?ambition est de développer un système
énergétique de quartier, collectif et bas
carbone, en quartier ancien déjà constitué.
Les communs créés devront notamment
permettre de répondre à cet enjeux majeur
Biodiversité
Les espaces publics libérés de la voiture
devront accueillir des espaces végétalisés
support de biodiversité et limitant les îlots de
chaleur urbains (ICU).
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 30
Communauté
et usagers
Usagers
gestionnaires
L?ambition est de rendre les usagers
gestionnaires de ces futurs communs.
Usagers internes à la
communauté
Le garage du quartier Iéna Mexico sera
d?abord en occupation transitoire ; il pourrait
devenir à terme le lieu de vie du quartier. Dans
sa gestion transitoire, il doit permettre une
dynamique d?appropriation de la démarche
globale par les habitants et collectifs locaux.
Règles entre
les différentes
parties
prenantes du
commun
Entre aménageur et
communauté
A définir, des pistes ont été proposées en
atelier.
Entre collectivité et
aménageur
Un protocole d'expérimentation a été rédigé.
Il définit notamment les modalités de
gouvernance du projet entre l?aménageur et
les collectivités partenaires. Il propose
également la création d?un ?comité d?experts?
réunissant des experts d?usage (des habitants)
et des experts techniques.
Entre collectivité et
usagers/communauté
A définir, des pistes ont été proposées en
atelier.
Les freins identifiés :
Comment donner en gestion des équipements répondant à des besoins privés
sur du domaine public ? Quels modèles économiques, juridiques, de gestion ?
Quelle place pour les collectivités ?
Comment mobiliser les habitants, dans la durée, sur des sujets techniques et
engageants ?
L?apport de l?incubation pour le porteur de projet La fabrique
des quartiers :
Trois familles de leviers ont été évoquées par les participants, pour lesquels des
outils ont été partagés :
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 31
Modèles juridiques et de gestion : une convention d?occupation
temporaire permettrait à des usagers privés d?occuper l?espace public. Ces
autorisations étant nominatives, il est possible de faire signer la
convention par un collectif de gestion.
Modèle économique :
Un modèle concessif permet de financer par le fond privé des
infrastructures publiques. Autrement, le couplage des
différentes activités du projet pourrait permettre d?atteindre un
équilibre économique d?ensemble.
Le tiers-financement permet d?externaliser le coût
d?investissement chez un tiers, accompagné des recettes et
bénéfices d?exploitation (exemples : installations
photovoltaïques opérées par un tiers, rénovation énergétique
auprès du rénovateur).
Urbanisme transitoire : l?émergence de nouvelles pratiques (urbanisme
culturel) et de nouveaux métiers (AMU, poste de coordination transitoire)
permettent d?accompagner la programmation, le design de service et la
mobilisation de la communauté.
Une réflexion a été menée autour de la réactivation des espaces
abandonnés par l?occupation temporaire. Elle a conduit à l?élaboration
d?une note de gouvernance pour l?expérimentation qui propose un mode
opératoire et des schémas protocolaires pour mener à bien ce type de
projet : 230426_Note gouvernance de l'expérimentation.
Les outils partagés lors de l?atelier :
Un CTTP de prestation pluridisciplinaire en design de politiques publiques pour
la Métropole Européenne de Lille : 240227_FAB_CCTP Accord cadre design des
politiques publiques
Un CTTP s?inscrivant dans le marché subséquent pour le quartier Iéna México :
240227_FAB_CCTP Nouveaux communs en quartiers anciens
Le mot du porteur de projet, Mélanie CHAPELAIN, chargée
d?opération d?aménagement à la fabrique des quartiers :
La création de communs est une ligne de force de notre candidature au programme
France 2030-Démonstrateur de la ville durable car nous avons vite perçu que l?approche
collective serait la plus appropriée pour répondre aux enjeux de ce quartier ancien, que
nous souhaitons demain ?à santé positive et bas carbone?. Toutefois, entre l?intuition,
la stratégie partagée et la mise en oeuvre effective, il y a de nombreuses étapes à
franchir. Le Lab2051 nous a permis de prendre connaissance du cheminement opéré
par d?autres porteurs de projet et ainsi de bien nous resituer dans cette échelle du
temps long, de préciser nos besoins en accompagnement externe (programmatique et
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 32
juridique notamment) et aussi de comprendre la nécessité à définir un cadre de
gouvernance clair et partagé avec nos partenaires. L?accompagnement plus spécifique
de l?Agence 360 a conduit à la rédaction d?un protocole d'expérimentation, aujourd?hui
validé par les élus. Le chemin est encore long mais la motivation intacte, renforcée par
les projets concluants et plein de sens présentés dans le cadre de ce Lab.
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 33
1.7 LES TIERS-LIEUX AXES - LOGEO SEINE
LE PROJET D?ENSEMBLE :
Localisation
Logeo Seine souhaite développer un réseau de tiers-lieux au Havre.
Nous nous sommes plus particulièrement intéressés à Axès, situé
dans l?allée Aimée Césaire.
État existant Axès repense les espaces laissés en pied d?immeuble de logements
et traditionnellement destinés à des loges de gardien.
Programme
Le rez-de-chaussée est organisé en trois espaces :
L?espace coworking en accès libre composé d?une trentaine de
postes (100 m2) ;
Le service de restauration Axès (150 m2) ;
La salle flex recevant divers évènements et activités (100 m2).
Acteurs
Bailleur/Aménageur/Exploitant : Logeo Seine
Collectivités partenaires : ville du Havre
Calendrier
Au premier semestre 2023 (période de l?incubation), le modèle du
tiers-lieux Axès est en fonctionnement sur son premier site.
Économie du
projet
Les recettes des activités de petite restauration et de privatisation
du lieu permettent d?équilibrer les dépenses de personnel, de
rembourser le coût d?investissement.
L?équilibre est obtenu par le fait que Logeo a mutualisé la fonction
et les locaux de gardiennage avec celle de gestionnaire d?espace
commun.
EQLD
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 34
Illustrations
Visite du Lab à Axès, allée Aimée Césaire, avril 2023
Credits : Logeo Seine
LE PROJET DE COMMUNS :
Les communs des projets Axès s?inscrivent dans la typologie de manière suivante :
Axès : des ressources existantes à exploiter (rez-de-chaussée d?un immeuble),
une communauté à mobiliser, des règles définies à dupliquer
Ressources
Un (*) marque les
ressources reposant, en
investissement et en
fonctionnement, sur un
modèle économique
marchand.
Bâti - parties
communes
Axès est un espace de café-coworking
permettant l?accueil d?évènements.
Communauté et
usagers
Usagers
internes à la
communauté
La ?communauté? qui fixe les règles est
constituée des équipes de Logeo Seine, qui
peuvent utiliser le lieu à l?instar de tout
autre usager.
Usagers
externes à la
communauté
Axès étant en accès libre, des usagers de
tous horizons peuvent travailler dans
l?espace coworking, se sustenter à l?espace
café ou assister aux évènements organisés
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 35
dans la salle Flex.
Règles entre les
différentes parties
prenantes du
commun
Entre
aménageur et
communauté Ici, Logeo Seine est à la fois aménageur,
bailleur social (entreprise sociale pour
l?habitat) et gestionnaire du commun. A ce
titre Logeo Seine établit les règles (horaires,
tarifs, charte d?occupation d?Axès?), selon
une stratégie concertée avec la
municipalité.
Entre
collectivité et
aménageur
Entre
collectivité et
usagers/commu
nauté
Les freins identifiés :
Une étude juridique a permis de valider le fait que les statuts de Logeo
permettaient de développer ce commun.
L?apport de l?incubation pour le porteur de projet La fabrique
des quartiers :
Logeo a partagé ses expériences, son analyse, fait visiter ses réalisations, et a
grandement contribué à stimuler les échanges et à nourrir la boîte à outils issue
de cette incubation.
Les outils partagés lors de l?atelier :
Une méthodologie d'étude des attentes des futurs usagers pour tester la
programmation d?un projet de commun : 230904_LOG_Etude Potloc des
attentes usagers et l?appel à projet correspondant aux attentes commerciales
des usagers : 230904_LOG_Règlement appel à projets commerces AAC
Des outils marketing permettant de développer l?identité d?un commun et de
faciliter sa reproductibilité : 230423_LOG_Plateforme de marque Axès
Le modèle économique de ses tiers-lieux permettant d?assurer la gratuité du
commun : 230525_LOG_Modèle économique
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 36
Le mot de Jérôme JACQ, directeur stratégie et offres chez Logeo Seine :
L?entreprise sociale pour l?habitat (ESH) Logeo Seine défend le principe d?!habitat
augmenté" : l?habitat ne se limite pas aux quatre murs du logement, il s?envisage comme
une offre globale qui intègre trois composantes complémentaires : des espaces, des
services et des équipements. C?est ce qui caractérise une nouvelle ! expérience
d?habiter " pour les habitants et les usagers du quartier, matérialisée dans des espaces
communs. La traditionnelle loge de gardien se transforme alors en café-coworking et
répond à de nouveaux usages (travail en mobilité, rencontres informelles, besoins de
convivialité?) dont certains n?avaient pas été anticipés en amont (occuper des enfants
le mercredi par les nourrices du quartier, par exemple). C?est ainsi qu?est né Axès,
nouveau lieu de proximité pour Logeo Seine.
Deux grandes convictions guident la création de ces nouveaux communs :
o Le besoin de qualité et de sobriété architecturales des espaces pour permettre une
appropriation par le plus grand nombre ;
o La flexibilité d?utilisation des équipements mis à disposition pour répondre aux
besoins de chacun.
Convaincu de la nécessité d?avoir un gestionnaire pour le bon fonctionnement des ses
communs, Logeo Seine a fait le choix de les opérer en propre.
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 37
1.8 VILLE CAPABLE - MODUS ÆDIFICANDI
LE PROJET D?ENSEMBLE :
Le projet d?ensemble : à noter que Modus Ædificandi est une structure de maîtrise
d?ouvrage mettant en oeuvre un concept immobilier nouveau permettant de répondre
aux besoins des habitants et d'offrir des communs mutualisés en prévoyant l?évolution
; au moment de l?incubation, l?avancement était au stade des études opérationnelles
sur des premiers sites de projet, à Marseille.
?Ville Capable? est une démarche qui se projette dans une dimension supplémentaire,
offrant de la flexibilité immobilière et programmatique - au sein d?un parc multi-sites
de programmation mixte - et plus seulement au sein d?un immeuble donné.
Localisation Premier site 57 rue des Dominicaines, 13001 Marseille
Autres sites à venir dans la ville du quart d?heure
Etat existant Selon projets
Programme
À l?échelle d?un immeuble, le programme est défini par les usagers
dans le cadre d?un processus conduit par Modus Ædificandi les
associant très en amont. Ce programme définissant en particulier les
espaces communs.
À l?échelle de la ville, le principe du ! multi-site " permet aux usagers
d?accéder à des infrastructures de différents bâtiments, où différents
types de communs sont proposés, en intérieur comme en extérieur.
Acteurs
Modus Ædificandi comme structure fédérant les futurs
copropriétaires dans une démarche de réponse des projets
immobiliers à la demande
La collectivité.
Les futurs usagers.
Calendrier Les premiers projets devraient rentrer en phase de construction en
2025.
EQLD
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 38
Economie du
projet
Le mode opératoire Ville Capable permet de remonter l?équation
économique difficile des petits projets urbains à une échelle multi-
site permettant leur équilibre et, - Modus Ædificandi se positionnant
comme opérateur en maîtrise d?ouvrage directe, permettant de
s?affranchir des marges traditionnelles de la promotion immobilière.
Ces économies, de l?ordre de 8 à 15% du prix de sortie, sont de
nouvelles marges de manoeuvre pour :
Une meilleure qualité architecturale
Davantage d?ambitions environnementales
Rendre possible des petites opérations situées sous les seuils de
viabilité des opérateurs traditionnels
La création d?espaces communs plus généreux
Illustrations
Ville Capable : un montage global pour faire la ville d?aujourd?hui en permettant celle
de demain.
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 39
Différentes configurations pour une même emprise foncière et enveloppe bâtie.
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 40
LE PROJET DE COMMUNS :
Les communs du projet Ville Capable (à l?échelle de plusieurs immeubles) s?inscrivent
dans la typologie de manière suivante :
Ville Capable : des ressources à définir,
une communauté à mobiliser, des règles à appliquer
Ressources
Un (*) marque les
ressources
reposant, en
investissement et
en
fonctionnement,
sur un modèle
économique
marchand.
Bâti - parties
communes
Différents espaces communs peuvent être
intégrés : salle de sport, buanderie, jardin,
toitures terrasses, etc.
Eau Un système récupération de l?eau peut être
installé en toiture.
Déchets Un compost commun sera disponible.
Energie
Le système énergétique consiste en une Smart
grid avec mutualisation de la production
d?énergie vers un réseau commun.
Biodiversité
La végétalisation des toitures et, selon projet,
des espaces verts en pied d?immeuble peut être
envisagée.
Communauté
et usagers
Usagers
gestionnaires
Personne morale Ville Capable au sein de
laquelle se trouve un collège d?usagers.
Usagers internes à
la communauté Tous les usagers.
Usagers externes à
la communauté
En fonction des choix des gestionnaires, des
parties communes pourront être ouvertes sur le
quartier.
Règles entre
les différentes
parties
prenantes du
commun
Entre constructeur
et propriétaires ou
locataires
En phase de conception et construction : un
travail en commun permettra d?aboutir à la
définition du projet final et aux règles de
gestion.
Entre usagers
propriétaires,
gestionnaires et
externes
Des règles de gestion et de vie commune dans
l?immeuble seront établies.
Les freins identifiés :
A l?échelle de la ville, ce montage serait multi-site, et nécessiterait un méta-
permis (centré sur la programmation), voire un permis dynamique qui
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 41
s'incrémente au fil des opportunités foncières? Ce concept pourrait alimenter
une réflexion prospective sur les modalités d?adaptation au changement
climatique, qui demanderont le déploiement rapide et massif de nouveaux
projets.
L?apport de l?incubation pour Modus Ædificandi :
L?atelier a permis de porter à connaissance les apports et des difficultés de la
solution proposée au Ministère de la Transition écologique.
Les outils partagés lors de l?atelier :
La plaquette de présentation de la démarche Ville Capable:
230524_MAE_Plaquette_Ville capable
Une note de synthèse du projet incluant ses enjeux, ses objectifs, sa forme
juridique et son calendrier : 231002_MAE_Note de synthèse_Ville capable
Le mot de Billy Guidoni, fondateur et président de Modus Ædificandi :
La fabrication de la ville sur la ville est devenue complexe, pour des raisons systémiques.
Dans l?équation urbaine actuelle, le croisement du patrimoine, de la norme, des besoins
sociaux, architecturaux et de l?économie ne permettent pas de trouver une
opérationnalité pérenne.
Ville capable est une approche opérationnelle innovante de fabrication de la ville sur la
ville, basée sur l?usage et évolutive.
Son montage global permet la réponse à des enjeux actuels et futurs, avec une
approche foncière vertueuse et la fluidification d?un parcours résidentiel et
programmatique au sein de la ville.
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 42
1.9 QUARTUS BRIANÇON
LE PROJET D?ENSEMBLE :
Remarque liminaire : le projet Briançon, porté par Quartus, a fait l?objet d?échanges et
du portrait ci-dessous durant l?été 2023. Un point d?actualisation a été conduit début
2024, informant de la modification du programme et de sa stratégie de
commercialisation, pour tenir compte de la situation de crise subie par les opérations
immobilières privées. Un paragraphe, en fin de portrait, fait état de ces modifications.
Localisation Marseille
Etat existant Locaux commerciaux et d?activité
Programme
Le programme prévoit :
53 logements en co-conception
Un bâti R+5 dont un seul niveau de sous-sol visant à diminuer le
nombre de places de stationnement et inciter aux mobilités
douces
Une toiture de 450 m2, composée d?environ 10 m2 de terrasses
par logement, le reste constituant des espaces communs mis en
réseau via des passerelles d'accès
Un espace coworking commun
Les espaces communs représentent 20 à 25% des surfaces de ce
programme, contre 7 à 10% pour des projets collectifs
?conventionnels?.
Acteurs
Aménageur et collectivités : Euroméditerranée, Ville de
Marseille, Métropole Aix-Marseille
Promoteur : Quartus
Architecte : Caractère Spécial / Matthieu Poitevin Architecture
Calendrier Démarrage travaux fin 2024 / livraison fin 2026
Economie du
projet
Il s?agit d?une opération de promotion immobilière ?classique? dans
laquelle les curseurs des parties communes sont optimisés.
EQLD
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 43
Illustrations
Réseau de toits partagés, projet Quartus Briançon
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 44
LE PROJET DE COMMUNS :
Les communs du projet de Quartus s?inscrivent dans la typologie de manière suivante :
Quartus Briançon : des ressources à créer,
une communauté à mobiliser, des règles à définir
Ressources
Un (*) marque les
ressources
reposant, en
investissement et
en
fonctionnement,
sur un modèle
économique
marchand.
Bâti - parties
communes
Tout un réseau de terrasses sera accessible
via les passerelles dédiées.
D?autre espaces communs de coworking
sont intégrés.
Enfin, le stationnement constituera une
ressource commune.
Communauté
et usagers
Usagers
gestionnaires
Les copropriétaires
Usagers internes à
la communauté
Les habitants
Usagers externes à
la communauté
L?ouverture à d?autres publics sera rendue
possible selon les règles de fonctionnement de
l?immeuble.
Règles entre
les différentes
parties
prenantes du
commun
Entre aménageur
et constructeur
Les aménagements seront conçus en
programmation partagée itérative.
Entre bailleur et
propriétaires ou
locataires
Un contrat locatif intermédiaire lie le bailleur
aux locataires.
Entre usagers
propriétaires,
gestionnaires et
externes
A préciser dans les règles de fonctionnement
de l?immeuble, par les copropriétaires.
Les freins identifiés :
Des freins à lever vis-à-vis des communs en général et des toitures partagées en
particulier :
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 45
Les parties communes généreuses viennent renchérir les prix de sortie des m$
habitables, qui est un indicateur décisif pour un achat immobilier. Cela
constitue un obstacle économique et culturel (pour les acheteurs mais aussi
pour les banques qui les financent les qui calculent leur prise de risque sur des
m$ exclusifs) à la commercialisation des logements.
Définir ! ex ante " un mode de gestion qui favorise la pérennité des communs
avec, par exemple :
Des préconisations réglementaires sur le statut et rôle des syndicats et
copropriétés
Des modèles juridiques et économiques de gestion de ces espaces
Etudier des méthodologies de conception des espaces communs qui associent
les occupants
L?apport de l?incubation pour Quartus :
Contribuer à aller vers une réinvention de la copropriété, intégrant de la mixité
sociale, des espaces communs et de la co-construction. En effet, d?un point de
vue réglementaire, la copropriété administre mais n?a pas de rôle dans la gestion
des communs.
Sur ce dernier point, l?apport de Maître Ortega (LexCity) est éclairant : Qu?il
s?agisse de propriété publique ou privée, il existe toujours un propriétaire. Et son
droit de propriété est un droit exclusif. Néanmoins, il existe des outils pour !
diminuer " les prérogatives d?un propriétaire sur son bien et permettre une
utilisation partagée. Un premier outil est la charte, qui permet d?imposer un
cadre d?utilisation du commun. Son défaut : il faut la renouveler régulièrement
pour tenir compte des évolutions du commun (acteurs, règles, périmètre...) de
manière suffisamment délibérée (assemblée générale à réunir...) et tracée pour
qu?on puisse s?y référer ; elle restera cela dit fragile au plan juridique. Pour assurer
une gestion plus pérenne du commun, certaines structures permettent
d?héberger tous types d?usagers : les associations syndicales, les associations Loi
1901 (pour les tiers-lieux par exemple), les coopératives (souvent mobilisées pour
la gestion de jardins partagés), etc. Pour assurer un usage évolutif des communs,
il faut mettre en place un mécanisme décisionnel fonctionnel. Une solution
consiste à intégrer des professionnels (personne publique (la commune
d?implantation du projet par exemple), foncière, etc) dans la structure de gestion
créée, afin d?éviter des situations d?indécision. Ce modèle est certes imparfait,
insoucieux des considérations démocratiques, mais assure une sécurité adaptée
au cadre juridique actuel.
Les outils partagés lors de l?atelier :
Le processus de co-création proposé par Quartus est un exemple inspirant, dans
sa structuration en étapes et leurs modalités : 230802_QUA_Co-création_brief
agence
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 46
Une étude de l'ESSEC pour Quartus interroge les nouveaux modes de vie et
besoins des usagers pour réinventer la conception, l'utilisation et la gestion des
parties communes : 230802_QUA_Réinventer la conception, l'utilisation et la
gestion des parties communes
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 47
ÉPILOGUE : ACTUALITE DU PROJET DEBUT 2024
Le projet initial prévoyait une commercialisation en accession, selon des modalités de
co-conception avec les futurs copropriétaires, et des espaces communs (salle
commune, toiture) généreux et aménagés de manière adaptée.
Les conditions de marché de fin 2023 (difficulté d?accès au crédit, renchérissement des
coûts de construction?) ont fait opter pour une commercialisation en bloc à un bailleur
social, et revoir à la baisse l?ambition des espaces communs : la salle commune a été
affectée à un logement particulier, la toiture demeure accessible mais sans
aménagement qualitatif (et dont l?utilisation devra être accompagnée (règlement,
animation?), pour éviter un risque de mésusage et de fermeture.
Demeure un hall d?entrée généreux, dont l?affectation et les usages peuvent encore être
précisés et accompagnés.
Cet épilogue montre la fragilité des communs, tant dans les investissements qu?ils
supposent (ici réduits au profit d?espaces particuliers), que de l?accompagnement qu?ils
demandent (non acquis à ce stade?).
Le mot de Ludovic Boespflug, Directeur général de Quartus :
Le travail sur les communs au sein des projets résidentiels de Quartus est un sujet
récurrent, qui reçoit, en fonction du contexte de chaque projet, des réponses variées.
Le projet Briançon reposait à sa conception sur une volonté forte de correspondre à un
mode de vie méditerranéen, convivial et chaleureux. Si les espaces extérieurs généreux
ont pu être préservés dans l?exercice d?optimisation économique du projet, constituant
ainsi un potentiel fort de support du vivre ensemble, les modalités de gestion de ce lieu
par le futur bailleur devront être méticuleusement préparées afin de permettre la
meilleure qualité d?usage.
Le Lab2051 se révèle un vrai lieu d?échange et de connaissance des projets engagés par
différentes catégories de maîtrises d?ouvrages, et enrichit indéniablement nos
réflexions. Aujourd?hui, au-delà de la recherche de solutions innovantes pour répondre
aux besoins actuels de qualité d?habiter, il s?agit bien de partager des expériences, de
créer des partenariats, de mettre en synergie des réseaux d?acteurs compétents et
engagés.
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 48
1.10 LES HALLES EN COMMUN - TERRITOIRES RENNES
LE PROJET D?ENSEMBLE :
Localisation Quartier la Courrouze, Rennes
Etat existant Le projet se situe sur un site de 4 ha dont 13 000 m2 de d?anciennes
halles consacrées à l?industrie de l?armement.
Programme
La réhabilitation des halles prévoit du logement, dont de l?habitat
participatif, de l?activité liée à l?économie circulaire et un tiers-lieu.
Différentes typologies de commun sont intégrées dans le projet : sur
les espaces publics, dans les bâtiments (dont tiers-lieu), pour le
stationnement et pour l?énergie.
Acteurs
Métropole Rennes
Aménageur et gestionnaire : Territoires Rennes
Bailleur : Habitat et humanisme
Service énergétique : Parasol 35
Calendrier
Dans une démarche d?urbanisme transitoire, le site est partiellement
occupé depuis octobre 2022 (par des associations, une ressourcerie,
etc) tandis qu?une étude de programmation et de montage pour la
réhabilitation est en cours sur les surfaces restantes. Une AMU va être
désignée pour accompagner le processus d'habitat participatif
(cahier des charges à construire). Une autre mission d'AMO va
préfigurer les espaces publics, articulée avec une AMO
documentation de projet.
Economie du
projet
Il s?agit d?une opération de recyclage urbain exceptionnelle par son
ampleur. La création de ces communs est à la fois un coût et une
recette : un coût car elle demande des travaux transitoires, une
ingénierie interne et externe ; une recette car elle épargne une partie
des frais de gardiennage, contribue à la notoriété du site et participe
à la création de valeurs sociales, environnementales et immobilières.
Cette activation des communs permet de structurer une
gouvernance partagée du projet urbain favorable à la programmation
des logements abordables, des espaces publics, des équipements
généreux.
DVD
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 49
Illustrations
Moment de vie aux Halles en Commun
Credits : Territoire Rennes
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 50
LE PROJET DE COMMUNS :
Les communs du projet les Halles en Commun s?inscrivent dans la typologie de manière
suivante :
Halles en communs : des ressources à exploiter,
une communauté à créer, des règles à définir
Ressources
Un (*) marque les
ressources reposant,
en investissement et
en fonctionnement,
sur un modèle
économique
marchand.
Foncier
Les ressources foncières concernent le
stationnement, la rue piétonne active et les
jardins partagés, chevauchant des espaces
extérieurs sur les anciennes voies ferrées de
desserte des halles.
Bâti - parties
communes
Le futur tiers-lieu constitue une ressource bâtie
de commun.
Energie La programmation prévoit une boucle
d?autoconsommation collective en toiture.
Biodiversité Des jardins partagés sont intégrés à la
programmation.
Communauté et
usagers
Usagers
gestionnaires
Les droits des différentes catégories d?acteurs
sont un des objets de l?expérimentation, avec
comme objectif le retrait progressif de
l?aménageur.
Usagers internes à
la communauté
Usagers externes à
la communauté
Règles entre les
différentes
parties
prenantes du
commun
Entre constructeur
et propriétaires ou
locataires
Les aménagements seront conçus en chantier
participatif avec les habitants.
Les freins identifiés :
La passation des marchés ne permet pas d?intégrer les incertitudes de ce type
de projet, notamment au regard de la pérennité du commun transitoire après
l?aménagement définitif du site.
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 51
Les pratiques de l?aménagement doivent s?acculturer aux enjeux de l?urbanisme
transitoire.
L?apport de l?incubation pour Territoires Rennes :
Les Halles en Commun est un projet à la fois en phase de démarrage et
particulièrement bien structuré et outillé, avec des questionnements sur les
modalités de gestion à mettre en place à l?avenir mais sans point de blocage.
L?apport de l?incubation a principalement consisté à bénéficier de retours
d?expérience d?autres porteurs de projets, en termes de diagnostic et d?outils mis
en oeuvre.
Les outils partagés lors de l?atelier :
Une fiche de poste de coordination transitoire : 230404_TER_Fiche de poste
coordinatrice transitoire
Une Présentation de la mission de documentation surtout de l?approche
transitoire des Halles en Commun : 230404_TER_Mission de documentation
Une présentation de la mission de préfiguration des espaces :
230404_TER_Mission préfiguration
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 52
Le mot de Mehdi Teffahi, responsable d?opération chez Territoires
Rennes :
Le projet des Halles en Commun, fusion entre préservation patrimoniale et urbanisme
transitoire, est en phase de démarrage, avec une gouvernance des communs en
construction impliquant activement une vingtaine de structures occupantes. Dans
cette aventure, le Lab2051 devient une source cruciale d?innovation, partageant des
expériences et des outils opérationnels issus de réussites antérieures. Ce dialogue
dynamique a permis une mise en réseau précieuse et donne des perspectives pour
relever les défis de la gouvernance et de l?urbanisme transitoire, positionnant les Halles
en Commun au coeur de l?innovation urbaine. Cette collaboration annonce un futur où
le pilotage opérationnel du projet transitoire bénéficiera grandement des orientations
du Lab2051.
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 53
1.11 ! DES HAMEAUX LEGERS POUR DES TERRITOIRES
PLUS SOBRES, RESILIENTS ET INCLUSIFS "
- COMMANA
LE PROJET D?ENSEMBLE :
Localisation L?association Hameaux Légers accompagne 15 projets d?éco-
hameaux à travers la France.
Etat existant
Les projets sont implantés uniquement en continuité d?un tissu
urbain préexistant assurant un lien fort entre la collectivité et la
population locale.
Programme
Association créée en 2017, Hameaux Légers oeuvre à l?échelle
nationale pour accompagner la création de lieux de vie écologiques,
abordables et conviviaux. Pour cela, elle a développé un concept : le
hameau léger.
Ce modèle innovant repose sur la dissociation entre la propriété du
terrain et de l?habitat : le terrain reste propriété de la commune et
est loué à l?association d?habitants via un bail de long terme (bail
?emphytéotique?), tandis que chaque foyer est propriétaire de son
habitat réversible, majoritairement en bois, peu coûteux (15 à 100k#)
et peu consommateur d?énergie. Des communs (salle à manger,
chambre d?amis, buanderie) sont également mutualisés et cogérés
entre habitants pour avoir des espaces de vie complémentaires. On
retrouve au sein de ces projets trois échelles de communs : celle du
bâti composé d?une dizaine d?habitats, du foncier comme propriété
de la commune et de communs territoriaux, initiés par les habitants
des hameaux légers qui peuvent plus facilement s?investir dans des
projets porteurs de sens grâce à la réduction de leurs coûts
contraints.
Ces projets permettent ainsi de réduire drastiquement l?impact
climatique de la construction (bilan carbone nul en ACV 50 ans grâce
au réemploi, à l?absence de béton et à l?utilisation des matériaux
biosourcés) et de contribuer au dynamisme du territoire.
Acteurs
Maîtrise d?ouvrage :
Aménagement : collectif d?habitants sur un foncier restant
propriété de la commune
Espaces communs : collectif d?habitants, concernent les espaces
extérieurs du hameau et une construction polyvalente
mutualisée : chambre d?amis, laverie, salon partagé...
Habitats individuels : habitants concernés
DVD
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 54
AMO : Association Hameaux Légers
Le Cerema, partenaire pour l?évaluation du DVD
Calendrier
Etude de faisabilité : 6 mois
Appel à projets pour identifier un collectif d?habitants porteur
du projet : 8 mois
Montage du projet (autorisations d?urbanisme, consultation des
entreprises, signature du bail emphytéotique, structuration de
l?association d?habitants?) : 12-15 mois
Economie du
projet
Montant de la redevance du bail emphytéotique : 50 à
150#/mois/foyer
Coût d?un habitat réversible : 15 à 100k# suivant la taille et le
degré d?auto-construction
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 55
LE PROJET DE COMMUNS :
Les communs du projet Hameaux Légers s?inscrivent dans la typologie de manière
suivante :
Hameaux légers : des ressources foncières à exploiter,
une communauté à créer, des règles à définir
Ressources
Un (*) marque les
ressources
reposant, en
investissement et
en
fonctionnement,
sur un modèle
économique
marchand.
Foncier
Espaces extérieurs : chaque foyer dispose
d?espaces extérieurs privatifs, sans délimitation
cadastrale ; une partie importante des espaces
extérieurs restent collectifs.
Bâti - parties
communes
Différents espaces et équipements communs
sont proposés en fonction du projet : cuisine
partagée, salle commune, buanderie, sanitaires,
chambre d?amis, par exemple.
Eau
Le bâtiment commun est raccordé au réseau
d?adduction d?eau potable. Les habitats sont
généralement raccordés avec un système de
récupération et réutilisation des eaux de pluie
(arrosage et autres usages non alimentaires
après filtration)
Energie
Le bâtiment commun est raccordé aux réseaux
et dispose généralement d?un système de
production d?énergie (photovoltaïque, solaire
thermique); les habitats sont raccordés ou
autonomes selon les cas.
Communauté
et usagers
Usagers
gestionnaires
Les futurs habitants seront à la fois usagers et
gestionnaires des communs développés.
Usagers externes à
la communauté
Les usagers externes sont essentiellement les
visiteurs des habitants.
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 56
Règles entre
les différentes
parties
prenantes du
commun
Entre collectivité
et communauté
Le terrain est loué à la collectivité par
l?association d?habitants via un bail
emphytéotique de 99 ans.
Entre bailleur et
locataire
Le Bail réel Solidaire (BRS24) en habitat
participatif peut-être une clé de la
reproductibilité du modèle dans un tissu urbain
plus dense.
Entre usagers
gestionnaires et
externes
La gestion des espaces est définie dans le
règlement intérieur, avec une charte
architecturale et paysagère.
Les freins identifiés :
Hameaux légers a énoncé différents freins à la construction des écohameaux :
Clarifier le cadre réglementaire (le terme ?démontable? exclut les installations
transportables et mobiles, comme les tiny houses, conteneurs, roulottes) ;
Clarifier la fiscalité associée, il existe un flou juridique quant au calcul de la taxe
d'aménagement (TA) applicable pour ces habitats (il n?y a pas de surface de
plancher déclarée ni de valeur forfaitaire par emplacement prévu pour
l?installation de résidences démontables, et sur l'assujettissement à la taxe
d?archéologie préventive) ;
Faciliter le financement du foncier et de l?aménagement par les collectivités ;
Encourager les pratiques vertueuses dans le cadre du ZAN ;
Construire une culture de la coopération.
L?apport de l?incubation pour Hameaux Légers :
L?incubation a été l?occasion pour Hameaux légers de parler de la filière des
habitats modulaires et biosourcés encore peu développée. Une massification de
la filière pourrait entraîner l'arrivée de grosses entreprises sur le marché,
diminuant les coûts et facilitant la reproductibilité du modèle.
Les outils partagés lors de l?atelier :
Une note de recommandations pour la gestion des communs de l?habitat
modulaire : 230530_HLE_Gestion des communs
24 Principalement les articles L. 255-1 à L. 255-19 et R. 255-1 à R. 255-9 du code de la construction et de l?habitation
https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006074096/LEGISCTA000032919234
https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006074096/LEGISCTA000034735205
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 57
Le mot de Xavier Gisserot, cofondateur de Hameaux Légers :
À l?heure où les impératifs de lutte contre l?artificialisation des sols semblent
inconciliables avec les aspirations à une maison individuelle avec jardin, Hameaux
Légers propose une solution écologique et abordable pour contribuer au dynamisme
des communes rurales reposant sur :
La non-imperméabilisation du sol (pas de béton, dalle bois sur fondations réversibles)
La dissociation entre la propriété de l?habitat et du foncier, qui reste un commun
préservé de la spéculation immobilière
La mutualisation d?espaces permettant de favoriser la convivialité et de réduire les
surfaces individuelles dans un esprit de sobriété
Ces innovations se heurtent parfois à des freins d?ordre réglementaire et socioculturel.
Le Lab2051 constitue un espace précieux pour pouvoir dialoguer avec une
administration consciente des enjeux et ouverte à l?innovation.
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 58
2 PRISE DE RECUL HISTORIQUE
ET PROSPECTIVE
La Cité Radieuse, Le Corbusier, Marseille, 23 mai 2023
Credits : 360
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 59
2.1 ENSEIGNEMENTS DE L?HISTOIRE DES COMMUNS
POUR L?AMENAGEMENT D?AUJOURD?HUI
PRÉAMBULE
Nos sociétés doivent faire face aux conséquences du réchauffement climatique et des
crises écologiques et environnementales engendrées, notamment, par les émissions
anthropiques de gaz à effet de serre : événements climatiques de plus en plus violents
et soutenus, sécheresses, canicules, inondations, effondrements de la biodiversité,
pollutions atmosphériques et géologiques, etc? Les effets de cette réalité sont perçus
directement par les corps qui résident dans les habitats, les lieux de vie et les espaces
d?activité dont l?inconfort se révèle et s?accentue au prisme de ces dérèglements aussi
bien dedans que dehors.
Certains mots d?ordre sont toujours plus présents dans les discours des pouvoirs
publics, des aménageurs, des promoteurs, des urbanistes, des architectes ou des
ingénieurs, au premier plan ceux de sobriété, de résilience, d?adaptation ou
d'écoconception. Ces mots s?appliquent à l?ensemble du bâti, horizontal comme
vertical : doivent être mobilisés le sol comme les arbres, la chaussée comme les
immeubles, les champs comme les quartiers, les activités comme les habitants.
Aux côtés des solutions techniques favorisant la diminution de la consommation
énergétique, la protection des écosystèmes ou la prévention des risques
environnementaux, sont explorées de nouvelles formules d?aménagement et de
gouvernance territoriale afin de décliner des modèles qui correspondent au mieux aux
besoins, aux contraintes et aux opportunités de territoires forcés de se conformer à des
conditions de vie modifiées voire dégradées. Les territoires sont notamment composés
de leurs activités économiques, de leurs habitants, de leurs géographies, de leurs
paysages, de leurs ressources, de leurs biodiversités ou bien de leurs climats. Leurs
agencements et leurs architectures résultent des combinaisons des interactions et des
relations entre toutes ces composantes. L?identification de ces interactions et de ces
relations et la connaissance de leurs fonctionnements sont essentielles dans la
définition des stratégies de résilience, qui résultent nécessairement en la
transformation des formes des agencements et des architectures. Ces formes, dont se
perçoivent aisément les contours physiques, reposent également sur un invisible fait de
règles et de lois, d?histoires sociales et environnementales, d?attachements culturels et
patrimoniaux. Par analogie, les territoires peuvent être vus comme des systèmes avec
leur part de biologique et de minéral, d?êtres vivants et de fossiles, et il s?agit d?agir sur
leurs écologies, dans un sens étymologique. Depuis l?adoption de la loi Climat et
résilience le 22 août 2021, les services écosystémiques rendus par les sols sont
officiellement reconnus et protégés, et les structures humaines doivent s?ajuster pour
composer au mieux avec ceux-ci.
! Les communs, à l?articulation entre écologie et aménagement "
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 60
Parmi les outils envisagés pour piloter au plus près ces transformations se distinguent
les communs, qui sont d?une parttransverses à différentes composantes d?un territoire,
au premier rang les ressources et les habitants, et qui sont d?autre part potentiellement
à l?articulation entre écologie et aménagement. Vincent Berdoulay et Olivier Soubeyran
remarquent d?ailleurs la difficulté pour la pensée aménagiste à ! intégrer pleinement
l?environnement [...] comme si pensée écologique et pensée aménagiste moderne
étaient difficilement compatibles, voire incompatibles, alors que précisément
l?adaptation présuppose leur articulation "25. Les communs sont associés à un régime
de propriété alternatif à ceux des biens privés, des biens publics ou des biens à péage
selon les travaux d?Elinor Ostrom. Leur mise en place suppose ainsi des modalités
concertées avec les communautés intéressées dans leur gestion et leur animation. Les
communs se détachent entre autres du modèle vertical dominant entre un concepteur
actif (l?État ou une entreprise par exemple) et un bénéficiaire passif (le citoyen ou le
consommateur) au profit de modèles horizontaux de co-conception, aussi bien pour
l?agencement des espaces qui accueillent les ressources que pour le choix des activités
ou des productions. Leur installation soulève ainsi des enjeux politiques, juridiques,
économiques ou encore sociaux. Par ailleurs, les communs, en s?écartant du modèle
productiviste et extractiviste qui a été mis en place depuis la Révolution industrielle et
s?est peu à peu imposé à l?ensemble des milieux anthropisés, s?avèrent un levier
potentiel pour actionner des transitions que doivent également accompagner des
façons renouvelées de concevoir l?aménagement des territoires, en agissant par
exemple sur leurs fonctions écosystémiques. En nécessitant de nouveaux besoins
spatiaux, pour assurer ces fonctions, pour accompagner les usagers, pour prévenir
d?éventuels conflits d?usage, les communs interrogent les répertoires des organisations
réglementaires et juridiques et des formes urbaines et architecturales dans lesquelles ils
doivent s?intégrer, et par-delà ces formes et ces organisations ils questionnent les
représentations et les imaginaires culturels, esthétiques ou historiques auxquels elles
sont rattachées. Les lois ne sont pas seulement des outils du législateur, mais sont aussi
des squelettes des paysages, du territoire et des services écosystémiques que ceux-ci
peuvent rendre.
Lorsque ! la grande majorité des émissions mondiales de gaz à effet de serre
proviennent des villes " comme le rappelle le site de Reinventing Cities26, une initiative
du C40 Cities Climate Leadership Group, il a semblé pertinent de se pencher sur les
origines et les trajectoires des communs au fur et à mesure de l?élaboration de ces
répertoires de formes et d?organisations qui suit l?anthropisation croissante des milieux.
Les communs ne sont pas des objets nouveaux et renvoient à une forme de
gouvernance qui précède la modernité juridique qui se déploie progressivement dans
l?Europe des Lumières et de la Révolution industrielle, particulièrement en France au
cours de la Révolution, de l?Empire et de la Restauration. L?historiographie
environnementale contemporaine a par ailleurs mis en avant l?inquiétude d?un agir
25 BERDOULAY, Vincent, SOUBEYRAN, Olivier, L?aménagement face à la menace climatique. Le défi de l?adaptation,
Grenoble, UGA Éditions, 2022, p. 20.
26 En ligne, https://www.c40reinventingcities.org, consulté le 21 juillet 2023, s. p.
https://www.c40reinventingcities.org/
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 61
anthropique sur les fonctions des milieux et des climats et ce dès la Renaissance27.
Comme le notent Berdoulay et Soubeyran, la première colonisation est en quelque
sorte le laboratoire d?un aménagement qui ! s?y conçoit le plus souvent comme la
fabrication des conditions d?arrachement aux contraintes de la nature "28. Il est
remarquable qu?émerge d?un même discours performatif du et sur le climat les
ferments d?une part de l?histoire des formes architecturales et urbaines sous la plume
de Jean-Baptiste Dubos (1670-1742), et d?autre part des organisations juridiques
actuelles sous la plume de Montesquieu (1689-1755), inspiré par Dubos, et qui
influencera les rédacteurs du Code Civil napoléonien. Le rapport entre la pensée
aménagiste et la pensée du milieu partagent ainsi des racines profondes, d?un Réaumur
(1683-1757) qui se préoccupe au début du XVIIIe siècle de l?état des forêts du Royaume
de France aux actions en faveur du reboisement menées durant le Second Empire et
confiées aux ingénieurs des grands corps techniques de l?État. Ceux-ci se structurent
également à partir du XVIIIe siècle et participent de la diffusion et à l?aménagement
d?un ! territoire productif ", comme l?extension sans limites ou frontières de la ville-
machine imaginée par les architectes d?alors29, réinventant au passage les notions de
ruralité ou d?urbanité.
S?inspirant de Berdoulay et Soubeyran selon qui ! il faut se représenter la pensée
aménagiste moderne comme le résultat de l?enchevêtrement de plusieurs strates
d?idées et de pratiques plutôt que celui d?une succession de systèmes de pensée où l?un
se substitue à l?autre "30, ce sont quelques instants de ce long processus de stratification
que ce travail propose d?explorer à l?aune des communs, notamment ceux incubés
durant le Lab2051, et d?enjeux environnementaux et climatiques qui traversent toute la
Révolution industrielle, avec son lot d?utopies, d?applications partielles, de luttes
politiques ou de controverses, des craintes de Réaumur aux ZADistes actuels.
Remarquons encore qu?un an avant la parution en 1867 de la Théorie générale
d?urbanisation de l?architecte et urbaniste Ildefons Cerdà (1815-1876), concepteur du
plan d?aménagement de Barcelone, qui introduit dans le vocabulaire de l?aménagement
le néologisme ! urbanisation ", le néologisme ! écologie " paraît sous la plume du
biologiste Ernst Haeckel (1834-1919)31. Deux disciplines naissent alors, l?urbanisme et
l?écologie modernes, que l?actualité semble réunir pour la première fois alors que l?on
s?inquiète déjà des effets de l?exploitation croissante des milieux naturels qui
alimentent en matières premières les usines des villes industrielles qui commencent leur
essor durant la première moitié du XIXe siècle. Ces craintes, qui reviennent
cycliquement, arrivent notamment après la privatisation des communs de l?Ancien
Régime, après l?établissement d?une relation verticale entre l?État et le citoyen à partir
de la Révolution.
Dès les prémices de la civilisation industrielle, qui coïncident avec la croissance
démographique des villes, l?exode rural et l?apparition du prolétariat, les intellectuels se
27 Cf. FRESSOZ, Jean-Baptiste, LOCHER, Fabien, Les révoltes du ciel. Une histoire du changement climatique. XVe-XXe siècle,
Paris, Seuil, 2020, 324p.
28 BERDOULAY, Vincent, SOUBEYRAN, Olivier, op. cit., p. 29.
29 Cf. PICON, Antoine, Architectes et ingénieurs au siècle des Lumières, Marseille, Parenthèses, 1988, 317p.
30 BERDOULAY, Vincent, SOUBEYRAN, Olivier, op. cit., p. 20.
31 DEBOURDEAU, Ariane, Les Grands Textes fondateurs de l?écologie, Paris, Flammarion, 2013, p. 47.
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 62
penchent sur les rapports entre industrie et environnement, entre État et citoyen, entre
ville et campagne, entre intérêt général et propriété privée. La deuxième moitié du XIXe
siècle tendra plus fortement vers ces aspirations sociales et environnementales, sous la
forme d?un paternalisme industriel qui innove en matière d?urbanisme et d?espaces
communautaires. Le premier XXe siècle voit en revanche émerger des politiques
municipales fortes en faveur du logement social ou des services publics, diffusant
notamment le modèle des cités-jardin ou des jardins ouvriers, s?interrogeant sur le rôle
et la place de la nature et de l?agriculture dans les zones urbaines. Le deuxième XXe
siècle connaît enfin un aménagement centralisé guidé par des mobilités toujours plus
rapides, finissant de démanteler les dernières ceintures maraîchères. Toutefois le
confort qu?offre la société de consommation de masse n?anesthésie pas totalement les
craintes environnementales qu?induit ce mode développement, en témoignent dans les
années 1970 l?agronome René Dumont (1904-2001) ou l?urbaniste-essayiste Paul Virilio
(1932-2018). Aujourd?hui ce qui étaient des craintes deviennent une réalité à laquelle
doivent s?adapter - encore et toujours - les logiciels de l?aménagement et de l?urbanisme
afin de garantir la résilience de nos sociétés. Les communs peuvent être un de ces outils
pour recoudre une territorialité fragmentée en protégeant, en renforçant ou en
relocalisant en fonction des communautés et des milieux certains services
écosystémiques.
LES COMMUNS, DES OBJETS TRANSVERSES
Le propos qui accompagne ce rapport ne saurait être exhaustif ou développer de
nouveaux concepts autour des communs de l?aménagement. Ceux-ci bénéficient d?un
corpus pratique, théorique et scientifique prolifique, qu?il s?agisse des contributions
provenant de nombreux domaines de la recherche académique (urbanisme, sociologie,
économie, philosophie, géographie), d?organismes experts combinant des approches
de ! think tank " et de ! do tank "32, ou bien d?urbanistes tant praticiens que
théoriciens. Cet avant-propos se propose en revanche, riche des échanges des ateliers,
de contextualiser le rôle des communs dans une histoire de l?aménagement urbain et
territorial. Le parti rédactionnel s?inspire des allers-retours entre prise de hauteur et
pratiques opérationnelles qui caractérisent le travail de l?aménageur. Dans cette
optique, il s?agit de de revenir sur la place faite aux communs dans la gouvernance
territoriale moderne, prenant pour exemple le rôle joué par l?hygiène dans l?émergence
de l?urbanisme moderne et l?évolution d?un commun essentiel associé à cet enjeu, c?est-
à-dire le lavoir, et enfin sur le rôle qu?ont joué et que jouent les communs dans
l?aménagement du territoire, notamment face aux crises environnementales.
32 Citons le projet BISCOTE (BienS COmmuns et TErritoires) porté par le PUCA (Plan Urbanisme Construction Architecture).
Nous renvoyons vers le rapport de KEBIR, Leïla, WALLET, Frédéric, Les communs à l?épreuve du projet urbain et de l?initiative
citoyenne, Paris, Édition PUCA, Collection Réflexions en partage, 2021, 94 p., en ligne, https://www.urbanisme-
puca.gouv.fr/les-communs-a-l-epreuve-du-projet-urbain-et-de-l-a2239.html, consulté le 5 août 2023.
https://www.urbanisme-puca.gouv.fr/les-communs-a-l-epreuve-du-projet-urbain-et-de-l-a2239.html
https://www.urbanisme-puca.gouv.fr/les-communs-a-l-epreuve-du-projet-urbain-et-de-l-a2239.html
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 63
GOUVERNANCE TERRITORIALE ET MODERNITE
La Révolution industrielle à l?assaut des communs
L?histoire des communs de l?aménagement renvoie très souvent à la société de l?ancien
régime et à des modes de gestion et de propriété qui ne se conçoivent pas comme une
privatisation ou comme une appropriation individuelle des ressources mais qui se
déclinent autour des usages, des usagers et des ressources à gérer, préserver et
pérenniser. La notion contemporaine de communs puise ainsi ses origines dans les biens
communaux et de leur déclinaison en sections de communes qui appartiennent33 ou
appartenaient à des sociétés rurales plutôt qu?urbaines. Il a paru intéressant de relever
l?origine rurale d?une notion que les espaces urbains souhaitent aujourd?hui décliner par
le biais d?opérations tant d?aménagement que de réaménagement, ouvrant pour les
urbanistes et les aménageurs de nouveaux défis.
Là encore peut se retrouver une origine partagée entre les pratiques inhérentes à
l?urbanisme moderne et la notion de communs. Ainsi les formes urbaines
contemporaines puisent leurs inspirations dans les différents courants apparentés aux
socialismes utopiques du XIXe siècle, eux-mêmes inspirés des expériences rurales de
gestion partagée des ressources34. La disparition des ! commoners " dans l?Angleterre
du XVIIIe siècle ou celle des biens banaux puis communaux dans la France post-
révolutionnaire35 au profit d?un nouveau capitalisme agraire accompagnent ainsi la
Révolution industrielle. En résultent l?exode rural, l?essor des villes et l?urbanisation des
territoires, accentués par la mécanisation de l?agriculture, qui suscitent ces propositions
nouvelles d?aménagement du territoire, d?ingénierie sociale et d?organisation du travail
désireuses d?accueillir une modernité qui se confond avec le progrès technique tout en
garantissant équité et égalité. L?intérêt toujours plus vif aujourd?hui pour les communs
dans l?aménagement semble s?inscrire à la fois dans une épistémologie critique de
l?urbanisme initiée dès les années 1960 à l?instar de Françoise Choay (née en 1925)36 et
dans la recherche de modèles alternatifs de gestion et de partage des ressources qui se
détachent des trajectoires d?urbanisation dominantes depuis la Révolution industrielle.
Une crainte immédiate pour l?environnement
Cette recherche de modèles alternatifs est aussi l?expression d?un besoin d?imaginer
d?autres manières de faire société pour pouvoir répondre résolument aux crises sociales
et environnementales, et ce au plus près des territoires et de leurs ressources37. Charles
33 Les sections de communes sont essentiellement constituées de pâtures ou de forêts. La loi du 27 mai 2013 a interdit la
création de nouvelles sections de communes, quand elle a créé par ailleurs les conditions légales pour leur disparition
progressive. Nous renvoyons vers l?exposition des motifs de la loi enregistrée le 25 mai 2012 à la Présidence du Sénat, en
ligne, https://www.senat.fr/leg/ppl11-564.html, consulté le 31 juillet 2023.
34 ZIMMERMAN, Jean-Benoît, Les Communs. Des jardins partagés à Wikipédia, Paris, Éditions Libre & Solidaire, 2020, 212 p.
35 VIVIER, Nadine, Propriété collective et identité communale. Les biens Communaux en France (1750-1914), Paris, Éditions
de la Sorbonne, 2000, p. 139-213.
36 Concomitant à la réalisation des grands ensembles. CHOAY, Françoise, L?urbanisme. Utopies et réalités, une anthologie,
Paris, Seuil, 1965, 448 p.
37 DARDOT, Pierre, LAVAL, Christian, Commun. Essai sur la révolution au XXIème siècle, Paris, La Découverte, 2014, 400 p.
https://www.senat.fr/leg/ppl11-564.html
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 64
Fourier (1772-1837), parmi les socialistes utopiques38, s?alarme dans un manuscrit de
1820-1821 de ! la détérioration matérielle de la Planète qui périclite et décline à vue
d?oeil ". Il impute les détériorations du climat engendrées par une gestion déraisonnée
de la ressource forestière à ! l?industrie civilisée "39 et à ! l?état civilisé, qui favorise en
tous sens le progrès du mal "40. Fourier appelle à une voie intermédiaire afin de dépasser
! la lutte de l?intérêt individuel avec l?intérêt collectif ", dénonçant au passage
l?incapacité des préfets à ! empêcher un mal que tout le monde s?accorde à commettre
".
Cet ! état d?association domestique " auquel le fouriérisme aspire ne peut, selon ses
défenseurs, se réaliser dans les normes juridiques et étatiques qui gèrent les rapports
entre propriété privée et bien public, au détriment du bien commun. En effet, les
corporations et les associations, en particulier ouvrières, sont interdites depuis la
Révolution et l?adoption le 14 juin 1791 de la loi le Chapelier qui entérine qu?e ! il n'y a
plus que l'intérêt particulier de chaque individu, et l'intérêt général. Il n'est permis à
personne d'inspirer aux citoyens un intérêt intermédiaire "41. Cette loi est
progressivement abrogée, avec la loi Ollivier du 24 mai 1864 dépénalisant la grève, la loi
Waldeck-Rousseau autorisant la création de syndicats puis la loi du 1er juillet 1901
relative à la liberté d?association, permettant ainsi l?émergence des corps intermédiaires
actuels et auxquels les communs sont susceptibles d?appartenir. Une critique semblable
se retrouve chez Pierre-Joseph Proudhon (1809-1865), un temps disciple de Fourier. Il
remarque que ! l?eau, l?air et la lumière sont choses communes, non parce que
inépuisables, mais parce que indispensables ", regrettant que le ! Code Civil [qui
conserve alors l?esprit de la loi Le Chapelier], après avoir donné la définition de la
propriété, se tait sur les choses susceptibles ou non susceptibles d?appropriation "42.
Un aménagement moderne détaché des territoires
Deux-cents ans plus tard, la gouvernance territoriale est à nouveau interpellée quand
les communs incitent directement à donner une place plus large à la subsidiarité, une
tendance plus facilement déclinable dans des États avec un centralisme moins
prononcé43. La modernité juridique introduite en France à partir de la Révolution a pu
avoir tendance à se représenter le territoire comme un espace vide et neutre,
entièrement soumis au pouvoir politique de l?État44. La proposition en 1789 d?Emmanuel
Sieyès de découper la métropole en 81 départements carrés de même taille est un
38 Son phalanstère a inspiré le familistère de Guise, prototype de cité ouvrière imaginé par l?industriel Jean-Baptiste André
Godin (1817-1888) pour y loger les employés de son usine avec leurs familles, avec des services annexes par exemple pour la
petite enfance ou pour le divertissement.
39 Aujourd?hui le capitalisme industriel.
40 FOURIER, Charles, ! Détérioration matérielle de la planète ", EcoRev?, 2017 n. 44, p. 4-8.
41 Préambule de la loi du 14 juin 1791, cité par BONVALOT, Hélène, ! Les associations ", dans HOLCMAN, Robert (dir.),
Économie sociale et solidaire, Paris, Dunod, 2015, p. 72.
42 PROUDHON, Pierre-Joseph, Qu?est-ce que la propriété ? ou Recherches sur le principe du droit et du gouvernement, Paris,
J.-F. Brocard, 1840, p. 73.
43 Le cas italien notamment qui a intégré ce principe de subsidiarité dans sa constitution à l'article 118 lors de la réforme
constitutionnelle du 18 octobre 2001. Sur l?expérience des communs en Italie, FESTA, Daniela, ! Les communs urbains.
L?invention du commun ", Tracés. Revue de Sciences humaines, n°16, 2016, p. 233-256.
44 MANNORI, Luca, ! La nozione di territorio fra antico e nuovo régime. Qualche appunto per uno studio sui modelli
tipologici ", dans CAMMELLI, Marco (dir.), Territorialità e delocalizzazione nel governo locale, Bologne, Il Mulino, 2007, p. 43-
64.
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 65
exemple flagrant de cette vision d?un territoire détaché de son caractère organique et
du rôle de sa morphologie dans la gestion de ses ressources. On peut faire le lien aussi
entre cette tendance à une ?tabula rasa? juridique associée à une polarisation très forte
des rapports entre l?État et les citoyens avec un urbanisme qui a pu régulièrement
vouloir faire fi des préexistences. Introduire des communs dans l?aménagement ou
encore réintroduire des communs dans la gouvernance territoriale suppose d?offrir la
possibilité à des modes d?organisation propres à chaque territoire, ressource et
communauté et qui se détachent à la fois de la propriété privée et du bien public ou
collectif. Cette rupture avec une tendance de standardisation normative remontant à
environ deux cents ans se décline en une multitude de particularités juridiques et
administratives, ouvrant et appelant à de nouvelles inventions et recherches en matière
de droit45. Cette spécificité des solutions juridiques, économiques et administratives se
rencontre dans les expériences échangées au cours des ateliers de cette incubation du
Lab2051 et dans l?esprit de la loi dite 3DS relative à la différenciation, la
décentralisation, la déconcentration et adoptée en février 202246.
L?HYGIENE, UN BIEN COMMUN
Hygiénisme et urbanisme
Durant la première moitié du XIXe siècle, les opérations d?urbanisme47, alors
dénommées des ! embellissements ", possèdent une vocation à la fois esthétique,
économique et hygiénique. L?entassement d?une population prolétaire dans des taudis
en ville ou dans des zones urbanisées à proximité des usines, embryons de futures cités
ouvrières, coïncide avec l?arrivée du choléra en France au cours des années 1830. Cette
pandémie qui perdure en Europe tout au long du XIXe siècle va dynamiser les courants
hygiénistes en parallèle des premiers mouvements socialistes. Avec la construction des
trottoirs, des égouts et des réseaux de distribution d?eau courante, la rue moderne
s?impose au fur et à mesure à la ville ancienne, à ses maisons et donc à leurs propriétaires
contraints d'accommoder leurs immeubles avec de nouvelles contraintes à la fois
architecturales et réglementaires48. Cependant le droit d?expropriation pour cause
d?utilité publique, introduit durant les périodes révolutionnaire et napoléonienne,
continue d?être interprété pendant la Restauration puis la Monarchie de Juillet
principalement comme une mesure de protection du droit de propriété et les
élargissements prévus ne progressent guère49. Ces atermoiements laissent place aux
percées énergiques du Second Empire. Celles-ci inaugurent de fait un urbanisme de
contournement et de dépassement des contraintes plutôt que d?obligation ou de
45 Voir les travaux de Geneviève Azam et de Sarah Vanuxem à propos du droit et des communs.
46 Présentation de la loi sur le site internet du Ministère de la Transition Écologique et de la Cohésien des Territoires, en ligne
le 2 septembre 2022, https://www.ecologie.gouv.fr/loi-3ds-relative-differenciation-decentralisation-deconcentration-et-
simplification consulté le 5 août 2023.
47 Le mot apparaît en France en 1910 pour caractériser enfin la discipline de l?aménagement des espaces urbains à l?ère
industrielle.
48 BARLES, Sabine, ! La rue parisienne au xixe siècle : standardisation et contrôle ? ", Romantisme, n°171, 2016, p. 15-28.
49 KLAHR, Douglas, ! Le développement des rues parisiennes pendant la monarchie de Juillet ", dans BOWIE, Karen (dir.), La
modernité avant Haussmann : Formes de l?espace urbain à Paris. 1801-1853, Paris, Éditions Recherche, 2001, p. 217-230.
https://www.ecologie.gouv.fr/loi-3ds-relative-differenciation-decentralisation-deconcentration-et-simplification
https://www.ecologie.gouv.fr/loi-3ds-relative-differenciation-decentralisation-deconcentration-et-simplification
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 66
négociation. Elles tournent ainsi brusquement le dos aux quartiers anciens traversés et
découpés en tous sens, en incitant par ailleurs à une très forte spéculation même parmi
les architectes50. Il s?agit en matière d?urbanisme d?un moment significatif car le droit
d?expropriation va désormais agir comme ! un droit de l?urbanisme perçu comme
devant faire prévaloir l? ?intérêt général? "51.
Les communs des cités ouvrières, entre modèles révolutionnaires et paternalisme
industriel
Parallèlement, l?embellissement des villes s?accompagne de l?ouverture de parcs, d?un
nouveau mobilier urbain et d?équipements tels marchés couverts, bains ou lavoirs.
L?intérêt porté alors à ces équipements par les pouvoirs publics souligne un réel
tournant dans leur attitude vis-à-vis des questions sociales et dans leur latitude d?action.
Ce processus est entamé avec la Révolution de 1848 qui est marquée par les
revendications de la classe ouvrière. Dès fin février 1848, le gouvernement provisoire de
la Seconde république constitue la Commission du Luxembourg. Elle est chargée de
réfléchir aux moyens d?améliorer les conditions de travail et d?existence des classes
ouvrières et la question du logement est immédiatement abordée. Son président Louis
Blanc (1811-1882) propose dès le 5 mars l?édification de quatre cités ouvrières
exemplaires dans Paris selon des plans de l?architecte fouriériste César Daly (1811-1894).
Les principes de l?association doivent s?appliquer à l?achat des combustibles pour le
chauffage et l?éclairage ou de la nourriture52, initiatives qui ont par exemple existé dans
les cités minières sous la houlette du paternalisme des houillères et que certains
communs poursuivent aujourd?hui. L?opportunité de donner accès à la crèche de la cité
aux enfants du quartier est également débattue. Avorté, ce projet inspire cependant
Louis-Napoléon Bonaparte, futur président de la République puis empereur, également
influencé par le saint-simonisme et intéressé dans l?amélioration des conditions de vie
des classes les plus pauvres. En résulte la cité Napoléon inaugurée en 185153, un
ensemble de logements destinés aux ouvriers parisiens et qui possède une garderie, des
bains et bien entendu un séchoir et un lavoir communs. Ces deux derniers équipements
sont essentiels pour leur service en matière d?hygiène, lorsque Paris en est alors sous-
dotée, comme la plupart des villes en France. Il faut pouvoir assurer l?arrivée d?eau
propre, l?évacuation des eaux sales ainsi que le chauffage de l?eau chaude et des étuves,
nécessitant des infrastructures d?assainissement et d?adduction qui vont être
renforcées voire installées dans les grandes villes au cours de la deuxième moitié du
XIXe siècle.
50 Henri Blondel (1821-1897), architecte prolifique de l?époque et par ailleurs auteur des transformations de la bourse du
commerce. Cf. JAMET, Elsa, ! Une agence à l?oeuvre du Paris haussmannien : l?agence d?Henri Blondel (1821-1897) ", Les
Cahiers de la Recherche Architecturale, Urbaine et Paysagère, n°9-10, 2020, mis en ligne le 28 décembre 2020,
http://journals.openedition.org/craup/5747, consulté le 18 août 2023.
51 LACAVE, MIchelle, ! Stratégie d?expropriation et haussmannisation : l?exemple de Montpellier ", Annales. Économies,
Sociétés, Civilisations, n°5, 1980, p. 1011-1025.
52 BLANC, Louis, La Révolution de février au Luxembourg, Paris, Michel Lévy, 1849, p.
53 BRUANT, Catherine, La Cité Napoléon. Une expérience controversée de logements ouvriers à Paris, Versailles, fabricA,
n°63, 2011, p. 9-14.
http://journals.openedition.org/craup/5747
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 67
DU LAVOIR A LA LAVERIE, L?EVOLUTION D?UN COMMUN
Le lavoir, une proto-industrie domestique
Le lavoir, ses multiples déclinaisons spatiales et son évolution ainsi que son ancrage dans
les imaginaires, permettent d?entrevoir la complexité inhérente à la notion de commun
dans le cadre de l?aménagement urbain. Les lavoirs communaux, s?ils existent au début
du XIXe siècle, restent en nombre insuffisant, certains sont aussi l?objet de cession et
de privatisation lors des partages des biens communaux sous la Révolution et l?Empire.
Leur apparition avec un aménagement architectural complexe pour pouvoir assurer
séparément les différentes tâches de la buanderie remonte au XVIIIe siècle, et leur
déploiement s?accélère au XIXe siècle54. Les rares lavoirs situés à Paris au début de ce
siècle sont destinés à un usage aussi bien personnel que professionnel, le linge étant
sinon lavé chez soi ou dans les cours et mis à sécher aux fenêtres, pratiques difficiles du
fait du manque d?eau courante, d?ensoleillement, d?aération et d?évacuation à l?égout.
À l?instar des villages et des autres villes, les berges de la Seine ou de la Bièvre restent
utilisées pour laver dans l?eau du fleuve le linge étendu ensuite sur le rivage, lavoir
primitif qui peut être situé a posteriori dans la catégorie des communs. Pour assurer la
navigation et l?usage commercial des quais, ces pratiques sont de moins en moins
tolérées, il s?agit d?un cours d?eau navigable donc domanial. Aussi les autorités tant
préfectorales que municipales s?emploient à mettre un terme à ces usages, notamment
pour des raisons de décorum et de moralité, entre le linge étendu et les lavandières
battant le linge, contraignant toujours plus fortement les usagers à se rendre aux lavoirs
ou aux bateaux-lavoirs55.
Intérêt public et rentabilité
Devant le besoin criant de ces équipements est instituée en 1849 une commission pour
inciter à la construction de lavoirs en France, en s?inspirant des modèles français et
étrangers, pour leur architecture et leur gestion. Il faut pouvoir amortir le coût du
foncier, celui des murs, des installations, des agents d?exploitation et de la
consommation d?eau propre. Cette dernière, denrée rare et qui aujourd?hui se raréfie,
peut provenir du captage d?une source ou d?une rivière, d?un aqueduc moyennant une
redevance ou d?un puits construit à cet effet56. L?encadrement de cette activité par les
pouvoirs publics vise à une meilleure gestion de la ressource en eau ainsi qu?à
l?encadrement des externalités négatives que produit un lavoir - fumées, bruits, eaux
sales - et qui intéressent directement l?intérêt général. La dépense étant souvent trop
contraignante alors que les communes manquent de revenus, entre concessions
d?exploitation, initiatives privées et un accès souvent payant, les lavoirs qui essaiment
54 LEFÉBURE, Christophe, La France des lavoirs, Toulouse, Éditions Privat, 1995, 160 p.
55 GRÜRING, Jaimee, Dirty Laundry : Public Hygiene and Public Space in Nineteenth-Century Paris, Thèse de doctorat,
Arizona State University, 2011, p. 68-73, en ligne,
https://keep.lib.asu.edu/_flysystem/fedora/c7/30156/Gruring_asu_0010E_10921.pdf, consulté le 2 août 2023.
56 À la fin du XIXe siècle à Paris, l?eau de puits a supplanté celle captée dans la Seine pour les lavoirs. MOISY, J., Les lavoirs de
Paris, Paris, Watelet, 1884, p. 45.
https://keep.lib.asu.edu/_flysystem/fedora/c7/30156/Gruring_asu_0010E_10921.pdf
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 68
peu à peu à Paris et en France pendant le Second Empire appartiennent généralement
à la catégorie des biens publics impurs. A posteriori, ils n?entrent qu?imparfaitement
dans les catégories des biens publics, privés, de club ou communs, alors qu?ils servent
l?intérêt général. Certains bassins du lavoir peuvent rester libres d?accès comme à
Rouen, des prestations telles que l?eau chaude étant en revanche réglées par l?usager
en fonction de la quantité consommée57.
Domine dans ces réalisations une vision capitaliste et libérale où la commercialisation
d?un service essentiel à la personne, à la société et à l?hygiène garantit l?exploitation
optimale d?une ressource rare en sachant être rentable. C?est dans un de ces lavoirs que
se rend Gervaise Macquart dans l'Assommoir, Zola décrivant dans son roman l?usage
social et pratique de ce lieu58. Les situations varient cependant, selon qu?il s?agit d?une
commune urbaine ou rurale et selon le nombre d?habitants, ou encore sous la Troisième
République qui octroie une plus grande autonomie aux municipalités. Ainsi, face à
l?indigence des populations, certaines communes urbaines essaient de mettre en place
des lavoirs à l?usage gratuit, préfiguration des actuelles laveries solidaires, mais l?eau
chaude ou les produits de lessive y demeurent payants, ces expériences restant enfin
dépendantes de la vision politique du maire59. Dans le monde rural en revanche perdure
plus spontanément un usage gratuit du lavoir, sans que celui-ci toutefois n?offre les
mêmes conditions de confort qu?un lavoir moderne urbain équipé de machines comme
des lessiveuses ou de chaudières pour chauffer l?eau.
Un renouveau des communs depuis la fin du XIXe siècle
À la fin du XIXe siècle, l?État soutient plus activement le financement des équipements
municipaux et des habitations à bon marché inspirées des familistères industriels ou des
corons miniers. Les lavoirs collectifs ou municipaux, souvent associés à des bains-
douches, deviennent des incontournables des logements populaires ou des nouveaux
quartiers construits avant et après la première guerre mondiale et vont le demeurer
jusqu?à l?après seconde guerre mondiale60. Durant la période de la seconde
reconstruction, architectes et aménageurs sont de plus en plus enclins à considérer la
buanderie individuelle comme un espace essentiel pour assurer à un appartement tout
le confort moderne et individuel. L?entrée en parallèle dans la société de consommation
et la production de machines à laver électrique modernes - qui associent toutes les
étapes du lavage - à grande échelle marque le déclin progressif du lavoir collectif en
ville61, remplacé par un lavomatique ou par une machine à laver chez soi. La
reconstruction est aussi marquée par l?amélioration de l?accès à l?eau courante et au
tout-à-l?égout dans les zones rurales, permettant là aussi l?installation de ce nouveau
bien et le délaissement du lavoir communal si inconfortable. Aujourd?hui, alors que le
57 COMMISSION INSTITUÉE PAR ORDRE DE M. LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE, Bains et lavoirs publics, Paris, Ministère du
Commerce, 1850, p. 180.
58 ZOLA, Émile, L'Assommoir, Paris, Charpentier, 1879, p. 15-19.
59 PLANAT, Paul (dir.), Encyclopédie de l?architecture et de la construction, vol. V, f. 1, Paris, Aulanier, 1894, p. 357.
60 HALITIM-DUBOIS, Nadine, ! Bains-douches et lavoirs municipaux à Lyon ", Les Carnets de l?Inventaire, Études sur le
Patrimoine Culturel en Auvergne-Rhône-Alpes, en ligne le 28 mars 2023, https://inventaire-rra.hypotheses.org/8829, consulté
le 20 août 2023.
61 DELAUNAY, Quynh, Histoire de la machine à laver, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 1994, 348 p.
https://inventaire-rra.hypotheses.org/8829
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 69
coût des logements augmente, de nouveaux ensembles, ÉcoQuartiers, Démonstrateurs
de ville durable, intègrent une nouvelle génération d?espaces communs parmi lesquels
la laverie tantôt qualifiée de résidentielle, collective ou partagée62. À la machine à laver
s?applique une critique similaire à celle de la voiture individuelle : inutilisée la plupart
du temps, générant une perte d?espace. Pour le moment, ces dispositifs, dont
l?utilisation reste souvent soumise à un droit d?accès63, s?adressent principalement à un
public jeune et urbain capable d?adapter son mode de vie à un rythme d?usage plus
contraignant64.
L?AMENAGEMENT ET LES COMMUNS
Des utopies déçues
Ainsi, dans le cadre de l?aménagement urbain, l?usage et la gestion d?un équipement
aussi essentiel que le lavoir oscille dès le début de la Révolution industrielle entre enjeu
social et enjeu entrepreneurial, entre enjeu de la marchandisation du lieu et enjeu du
bien commun qui se confond avec la notion d?intérêt général. Les communs qui sont
réintroduits aujourd?hui perpétuent ces enjeux, incitant les urbanistes et les
aménageurs à interroger et réinventer leurs disciplines. Les enjeux environnementaux
et climatiques les invitent par ailleurs à penser l?aménagement sous les auspices de la
sobriété et de la résilience du territoire plutôt que de l?abondance et d?un
développement tel que la modernité l?a conçu depuis deux siècles65. En effet, ces
disciplines ont émergé au cours du XIXe siècle et sont ainsi les héritières d?une période
où l?aménagement territorial a coïncidé avec la disparition des anciens communs pour
leur privilégier une gestion capitaliste des espaces, des ressources et du territoire,
distinguant propriétés privées et publiques.
L?urbanisme a accompagné cette trajectoire de développement et d?aménagement en
répondant aux enjeux concrets et matériels posés par la société industrielle, tout en
procédant par ailleurs de visions idéales et holistiques qui englobent société, économie
et environnement. Même si inspiré de ces idéaux, l?espace urbain dont nous héritons ne
correspond que très rarement aux propositions utopiques qui émaillent les XIXe et XXe
siècles. Elles peuvent même aujourd?hui être assimilées à des dystopies, tant du fait de
leur caractère coercitif pour les individus et leurs libertés, tant du fait de leurs échecs,
tant du fait de leur inadéquation pour pouvoir répondre aux enjeux environnementaux
et sociaux contemporains et futurs. Ce sont par exemple le phalanstère de Fourier,
62 Par exemple l?ÉécoQquartier Smartseille construit par Eiffage, en ligne,
https://www.eiffageconstruction.com/metiers/realisations/ecoquartier-smartseille, consulté le 20 août 2023. Les expériences
de Coliving intègrent par définition une laverie partagée.
63 Ce droit sert à financer la location et la maintenance des machines disposées dans un espace commun.
64 À New-York les laveries dans les immeubles sont plus fréquentes, la possession d?une machine à laver individuelle,
véritable objet de luxe, étant fréquemment interdite, car les plomberies ne sauraient satisfaire à la demande. ROGERS, Teri
K., ! The Ultimate Luxury ", The New York Times, en ligne le 23 avril 2006,
https://www.nytimes.com/2006/04/23/realestate/the-ultimate-luxury.html, consulté le 17 octobre 2023.
65 CORDOBES, Stéphane, ! Repenser l?aménagement des territoires ", Constructif, n°60, 2021, p. 61-65.
https://www.eiffageconstruction.com/metiers/realisations/ecoquartier-smartseille
https://www.nytimes.com/2006/04/23/realestate/the-ultimate-luxury.html
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 70
l?Icarie d?Étienne Cabet (1788-1856) et plus près de nous les préceptes d?urbanisme de
la Charte d?Athènes de 1933, fortement inspirés par Le Corbusier (1887-1965).
La ville-territoire
L?urbanisme est ainsi confronté à un paradoxe présent depuis ses origines, entre d?une
part favoriser une exploitation industrielle et raisonnée des ressources et d?autre part
transformer la société, l?individu et l?environnement66. Pierre Leroux (1797-1871),
influencé par le saint-simonisme, penseur socialiste, détracteur du fouriérisme,
fondateur d?une communauté organisée selon sa théorie du circulus qui veut établir
une relation circulaire avec l?agriculture, se félicite dès les années 1830-1840 que ! il n?y
a déjà plus en France qu?une seule ville, et cette ville c?est la France elle-même ". Ce
constat est celui d?un monde qui se pense dans sa globalité et dans ses interconnexions.
Leroux souhaite aménager et décorer le territoire au profit de la civilisation urbaine et
de son architecture. Il interroge également les limites familières, matérielles et
imaginaires de l?espace urbain qui ne se cantonne plus à la ville héritée du Moyen Âge
et de la Renaissance. Existe-elle encore à l?ère de la métropolisation, lorsque les
départements sont les quartiers de la ville, ! les forêts et les champs, ses jardins et ses
promenades ; les rivières, ses aqueducs ; les grandes routes, ses rues ; la capitale, son
forum "67 ? Le projet de la ville qu?invente le XIXe siècle industriel se confond avec le
projet d?un territoire global de la modernité qui substitue ses règles à celles héritées de
l?Ancien Régime. Aussi la réintégration de communs dans l?aménagement peut s?avérer
en quelque sorte à rebours du modèle dominant de développement qui prévaut depuis
environ deux siècles, s?apparentant aux discours subversifs ou réformateurs de la ville
qui s?élèvent dès la deuxième moitié du XIXe siècle en opposition à la standardisation
des paysages et à l?aliénation du travail.
La recherche d?un urbanisme en commun
Le désir d?une appropriation relocalisée de l?architecture à la fois du territoire et de la
ville se retrouve dans les sensibilités environnementales, sociales et paysagères de John
Ruskin (1819-1900) et ses Pierres de Venise (1851) ou bien de William Morris (1834-1896)
et ses Nouvelles de nulle part (1890). Ces deux figures du mouvement Arts and Crafts
inspirent à Howard Ebenezer (1850-1928) la Garden City, déclinée en France dans les
cités-jardins qui connaissent leur apogée pendant l?entre-deux-guerres, modèle qui
connaît depuis vingt ans un regain d?intérêt68. Cependant, dans son application, en
France comme à l?étranger, la cité-jardin n?a pas réussi à mettre en place la vision
coopérative et communautaire à l'origine de cet urbanisme désireux de s?opposer à
l?urbanisation incontrôlée des centres industriels et aux conditions indignes de très
nombreux logements populaires. Ebenezer, dans son ouvrage Tomorrow - A peaceful
66 Question débattue depuis le XVIIIe siècle. FRESSOZ, Jean-Baptiste, LOCHER, Fabien, Les révoltes du ciel. Une histoire du
changement climatique. XVe-XXe siècle, Paris, Seuil, 2020, p. 117-226.
67 LEROUX, Pierre, REYNAUD, Jean (dir.), Encyclopédie nouvelle. Dictionnaire philosophique, scientifique, littéraire et
industriel offrant le tableau des connaissances humaines au XIXe siècle, Paris, Charles Gosselin, 1842, p. 687.
68 BATY-TORNIKIAN, Ginette (dir.), Cités-jardins. Genèse et actualité d'une utopie, Paris, Éditions Recherches, 2001, 157 p.
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 71
path to real reform paru en 1898, envisage un modèle économique et planificateur qui
permet à la communauté d?organiser un écosystème résilient, solidaire et durable. La
maîtrise d?ouvrage doit être confiée à un seul aménageur, privé ou public, et les
bénéfices entièrement utilisés pour l?entretien de la cité-jardin, accentuant une gestion
?en commun?69. Dans les faits, les ambitions utopiques d?Ebenezer ont été dénaturées,
les cités-jardins réalisées s?assimilent plus à des cités dortoirs périphériques moins
denses et plus arborées, sans parvenir à une autonomie de fonctionnement même
partielle70.
D?autres expériences communautaires qui visent à une réappropriation territoriale sont
également menées à partir de la fin du XIXe siècle. Ce sont en particulier les jardins
partagés ou ouvriers créés en 1896 par l?abbé Jules-Auguste Lemire (1853-1928), proche
du socialisme guesdiste et collectiviste. Au-delà du contrôle social, de la possibilité
d?une agriculture de subsistance ou d?un complément de revenu, cette initiative
procède d?une vision pédagogique selon laquelle le jardin permet de cultiver son
rapport à la nature et à sa temporalité. Cependant les protections juridiques dont
bénéficient ces jardins ne leur permettent pas de résister facilement à la pression
foncière du siècle passé qui a avalé de nombreuses ceintures maraichères, et
aujourd?hui leurs inscriptions aux plans locaux d?urbanisme (PLU) restent hasardeuses71.
En 1906, dans son livre La fleur et la ville, Georges de Montenach (1862-1925), influencé
par Ruskin et Morris, invite même les habitants des villes à installer des jardins potagers
par-dessus leurs toits, défis toujours actuels, comme un moyen également de décorer
la grisaille des quartiers populaires en s?en appropriant et en en cultivant le paysage,
germe d?un urbanisme végétal partagé72.
Espaces agricoles et paysage urbain
Des continuités historiques et des ambitions environnementales et sociales relient les
communs d?aujourd?hui à ces expériences passées, tantôt disparues, tantôt laissées en
friche, tantôt en sursis. De l?origine rurale déjà évoquée de la notion de commun
s?ajoute également un fort intérêt pour le rôle que peut jouer l?agriculture urbaine dans
une alimentation pour partie relocalisée, dans la production de nouveaux liens sociaux
et dans la construction d?un paysage déminéralisé. L?actualité fait écho à l?histoire, à
l?instar des permis de végétaliser les pieds d?arbre à Paris ou bien des Petites Serres de
l?ÉcoQuartier Bongraine en cours de construction et conçues dans le cadre d?ateliers
participatifs. L?aménagement de communs perpétue ici la recherche d?un
contournement du zonage, exacerbé par l?exode rural, entre un espace urbain pensé
comme le lieu de la consommation et un espace agricole devenu le lieu presque exclusif
de la production de l?alimentation des villes, opposant deux formes perçues comme
69 ROUX, Jean-Michel, ! Cité-jardins en France: ni gouvernance, ni capitaux ", Tous urbains, n°33, 2021, p. 17-23.
70 AUDRA-ANDRÉ, Valérie, ! Idéologie et morphologie de la ville, le cas des cités-jardins d?Ebenezer Howard : by Wisdom
and Design ", dans MENEGALDO, Hélène, MENEGALDO, Gilles (dir.), Les imaginaires de la ville. Entre littérature et arts,
Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2007, p. 53-63
71 DUBOST, François, ! Jardins collectifs : de l?abbé Lemire aux jardins d?insertion. Typologies ? Expériences ? Enjeux de
conservation ", In Situ, Revue des patrimoines, n°37, 2018, en ligne, https://journals.openedition.org/insitu/18676, consulté
le 28 août 2023.
72 PAQUOT, Thierry, Le Paysage, Paris, La Découverte, 2016, 144 p.
https://journals.openedition.org/insitu/18676
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 72
rivales d?usage du sol. Là encore, dès le milieu du XIXe siècle s?élèvent des voies
critiques, dont Karl Marx (1818-1883), qui regrettent la rupture en train d?advenir de la
relation métabolique entretenue entre la ville et ses productions maraîchères, et plus
largement entre nature et société, bouleversée par l?industrialisation et le
réaménagement des territoires qui l?accompagne73.
En réponse émerge peu à peu le concept de région urbaine, qui anticipe celui
contemporain de biorégion et qui vise à associer les habitants, les activités et les lieux
dans un processus d?aménagement concerté d?un territoire dont les frontières
épousent parfois l?extension ! naturelle " des villes perçues comme des organismes
vivants. Les promoteurs de ce ! régionalisme " sont mus par des aspirations
décentralisatrices ou fédéralistes qui peuvent s?inspirer de Proudhon, d?Auguste Comte
(1798-1857), de Frédéric Le Play (1806-1882) ou d?Élisée Reclus (1830-1905), en valorisant
des formes d?organisations associatives ou coopératives74. Ces réflexions animent entre
autres le Musée social, fondé en 1894, promoteur entre autres des habitations à bon
marché ou des cités-jardins, qui préside en 1911 à la fondation de la Société française
des urbanistes. Montenach, qui prévoit que ! la ville cessera aussi d?exister pour devenir
une vaste région urbaine "75, perçoit dans la notion de paysage urbain qu?il introduit
l?effet panoramique exercé par la ville sur la construction de l?architecture de son
environnement, proche et plus ou moins lointain. En ce sens, une agriculture reliée et
solidaire de la ville peut participer de la construction d?un paysage urbain qui sache
s?intégrer dans l?environnement et le métabolisme de son territoire.
Des territoires en communs et coconçus
À la dénonciation de la déstructuration des territoires ruraux s?ajoute enfin celle de la
ville même sous l?effet de l?urbanisation et de l?industrialisation. C?est ! le règne de
l?urbain et la mort de la ville " que regrette Françoise Choay76, après avoir déjà mis en
évidence les origines utopiques de l?urbanisme moderne et la rupture spatiale entre une
société de représentation et une société de circulation lors de la Révolution
industrielle77. Alberto Magnaghi (né en 1941) formule un constat similaire, accusant la
soumission de l?ensemble du territoire à une même vision productiviste. Il aborde le
territoire comme un bien commun78 et envisage ?un retour à la ville? qui passe par ! la
division des mégalopoles en petites unités urbaines mêlant, selon leurs histoires et leurs
cultures, les nouvelles campagnes et villes, interdépendantes, autogérées et
solidaires "79. Autour de son référent conceptuel de la biorégion urbaine, il invite à
73 FRESSOZ, Jean-Baptiste, ! Écologies marxistes et écologies de la modernité. À propos de John Bellamy Foster, Marx?s
ecology. Materialism and Nature, Monthly Review Press, New York, 2000 ", Mouvements, n°66, 2011, p. 155-159.
74 PAQUOT, Thierry, ! Vers des ?biorégions urbaines? ? ", Constructif, n°60, 2021, p. 79-83.
75 MONTENACH, Georges de, Pour le Village. La conservation de la classe paysanne, Paris, Payot, 1916, p. 131.
76 CHOAY, Françoise, ! Le règne de l?urbain et la mort de la ville ", dans CHOAY, Françoise, Pour une anthropologie de
l?espace, Paris, Le Seuil, 2006 (1994), p. 165-198.
77 CHOAY, Françoise, ! Espacements. L?évolution de l?espace urbain en France ", dans CHOAY, Françoise, La terre qui meurt,
Paris, Fayard, 2011 (1969), p. 16-60.
78 MAGNAGHI, Alberto, Le principe territoire, Paris, Eterotopia France, 2022, 240 p.
79 PAQUOT, Thierry, op. cit., p. 82.
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 73
l?expérimentation, avec par exemple la fondation d?une société des territorialistes à
Florence en 2010.
Thierry Paquot (né en 1952), qui participe à la diffusion des idées de Magnaghi en
France, appelle à un écodesign territorial, c?est-à-dire ! un art de faire du commun
inscrit dans un territoire par les habitants eux-mêmes " et qui ! doit se substituer à
l?urbanisme "80. Cette proposition fait écho aux thèmes et aux thèses qui
accompagnent la société industrielle, son urbanisme et l?exploitation du territoire
depuis son émergence. Paquot soulève à sa façon une aporie inhérente à la notion de
communs dans le cadre d?un aménagement programmé car celui-ci s?inscrit dans un
espace et un imaginaire juridiques, architecturaux et urbains qui ont émergé avec la
disparition des communs ruraux. Une formule qui peut être associée à l'écodesign
territorial de Paquot, et rencontrée dans ces ateliers, est celle du projet de la cour
Lamoot à Lille. Il s?agit là de pérenniser les usages positifs développés par des privés
mais dépourvus de l?autorisation préalable d?exploiter un foncier qu?ils se sont de fait
approprié. Le projet prévoit de définir un cadre juridique et des règles a posteriori pour
maintenir une solution imaginée par les habitants pour leurs besoins.
Les communs pour réinventer l?urbanisme
Franck Boutté (né en 1968), grand prix de l?urbanisme 2022, milite également pour un
recentrement de la pratique urbanistique autour des communs, émettant l?hypothèse
de la trop grande distance avec cette notion ! parmi les causes premières du
déséquilibre entre les impacts générés par les espaces urbains sur leur environnement
et les capacités de résilience de cet environnement "81. Il décline trois facettes autour
de cette notion : la prise en charge de l?impact sur les biens communs - ressources ou
écosystèmes, des opérations d?aménagement ; l?identification des ! intérêts/objectifs
communs " transverses aux parties prenantes en vue de la définition d?objectifs
transverses aux acteurs ; enfin une démarche de ! conception commune " pour !
impliquer, sensibiliser et fédérer les différents acteurs, cumuler les imaginaires et
mobiliser les expertises d?usages locaux, afin de définir un projet souhaité et soutenu ".
Ces propositions, tout comme les démarches actuellement engagées pour préserver ou
introduire des communs dans les projets d?aménagement, semblent ainsi perpétuer
l?expérimentation de modèles de développement qui tendent à créer un compromis
entre industrialisation, société et environnement. Les détériorations des conditions
environnementales et climatiques engendrées par la révolution industrielle et son
modèle de développement et d?urbanisation, questionnent la durabilité des modes de
vie et de sociabilité qui en découlent. Ce qui semble ainsi se jouer, c?est la recherche
d?une formule qui réussisse à faire coïncider le progrès technologique et son expérience
la plus intime, à savoir l?hygiène, le bien-être et le confort, avec la pérennité de
l?environnement et du climat dont par ailleurs dépendent également l?hygiène, le bien-
80 BEAU, Franck, ! Thierry Paquot : ?l?éco-design territorial doit se substituer à l?urbanisme? ", Horizons publics, Hors Série,
Le design au service du territoire, hiver 2020, p. 34-39.
81 MASBOUNGI, Ariella, PETITJEAN, Antoine (dir.), L?urbanisme, vecteur de transitions, Franck Boutté, Grand Prix de
l?urbanisme 2022, Marseilles, Parenthèses, 2022, p. 159.
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 74
être et le confort. De cette mise en perspective historique, les communs interrogent les
imaginaires de performance, de productivité et d?exploitation, proposant d?intégrer
des dimensions locales, sociales et environnementales dans la gestion des ressources.
En ce sens, les biens, les objectifs et les espaces communs peuvent devenir les outils
pour accueillir dans les projets d?aménagement ou de réaménagement futurs et à de
multiples échelles le développement durable, envisagé dès 1987 par le Rapport
Bruntland intitulé Our Common Future82, afin de répondre notamment aux exigences
des limites planétaires à ne pas dépasser83.
82 Disponible en ligne, http://www.un-documents.net/wced-ocf.htm, consulté le 31 août 2023.
83 Ce concept ! définit un espace de développement sûr et juste pour l?humanité, fondé actuellement sur neuf processus
biophysiques qui, ensemble, régulent la stabilité de la planète ". Parmi ces processus se trouvent le changement climatique,
l?érosion de la biodiversité, les changements d?utilisation des sols, l?utilisation mondiale de l?eau ou la perturbation du cycle
de l?azote et du phosphore, qui correspondent directement à une occupation du paysage et du rapport notamment
entretenu entre ville et campagne.
ADEME, Présentation du concept des limites planétaires, en ligne, https://www.notre-environnement.gouv.fr/rapport-sur-l-
etat-de-l-environnement/themes-ree/defis-environnementaux/limites-planetaires/concept/article/presentation-du-concept-
des-limites-
planetaires#:~:text=Le%20concept%20des%20limites%20plan%C3%A9taires,biog%C3%A9ochimiques%20de%20l'azote%20
et, consulté le 31 août 2023.
http://www.un-documents.net/wced-ocf.htm
https://www.notre-environnement.gouv.fr/rapport-sur-l-etat-de-l-environnement/themes-ree/defis-environnementaux/limites-planetaires/concept/article/presentation-du-concept-des-limites-planetaires#:~:text=Le%20concept%20des%20limites%20plan%C3%A9taires,biog%C3%A9ochimiques%20de%20l'azote%20et
https://www.notre-environnement.gouv.fr/rapport-sur-l-etat-de-l-environnement/themes-ree/defis-environnementaux/limites-planetaires/concept/article/presentation-du-concept-des-limites-planetaires#:~:text=Le%20concept%20des%20limites%20plan%C3%A9taires,biog%C3%A9ochimiques%20de%20l'azote%20et
https://www.notre-environnement.gouv.fr/rapport-sur-l-etat-de-l-environnement/themes-ree/defis-environnementaux/limites-planetaires/concept/article/presentation-du-concept-des-limites-planetaires#:~:text=Le%20concept%20des%20limites%20plan%C3%A9taires,biog%C3%A9ochimiques%20de%20l'azote%20et
https://www.notre-environnement.gouv.fr/rapport-sur-l-etat-de-l-environnement/themes-ree/defis-environnementaux/limites-planetaires/concept/article/presentation-du-concept-des-limites-planetaires#:~:text=Le%20concept%20des%20limites%20plan%C3%A9taires,biog%C3%A9ochimiques%20de%20l'azote%20et
https://www.notre-environnement.gouv.fr/rapport-sur-l-etat-de-l-environnement/themes-ree/defis-environnementaux/limites-planetaires/concept/article/presentation-du-concept-des-limites-planetaires#:~:text=Le%20concept%20des%20limites%20plan%C3%A9taires,biog%C3%A9ochimiques%20de%20l'azote%20et
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 75
2.2 ENJEUX PROSPECTIFS AUTOUR DES COMMUNS
DANS L?AMENAGEMENT
Cette incubation du Lab2051 consacrée aux communs invite à trois types de
prolongements :
La poursuite de l?accompagnement et de la capitalisation des pratiques
aménagistes : cette incubation n?ayant pu aborder, du fait que les participants
étaient tous en phase de programmation ou de conception, les phases de
réalisation et de gestion, tant sous un angle contractuel que technique et
d?animation ;
L?examen de situations de communs non couvertes par la présente incubation
: les ressources en eau, la gestion des déchets ou de l?énergie qui sera traitée via
l?accompagnement à la mise en place des communautés locales de l?énergie
dans le cadre des suites du Lab Autoconsommation collective et des travaux de
recherche du PUCA?
L?élargissement de la réflexion au-delà de la sphère aménagiste au sens
opérationnel du terme, qui interroge, dans les pratiques de l?aménagement, du
réaménagement ou du ménagement du territoire, la limite entre intérêt général
et intérêt individuel, et invite à repenser la notion de corps intermédiaire, que
les communautés présentées dans ce rapport viennent illustrer.
QUELLES QUESTIONS TRAITER A LA SUITE DE CETTE INCUBATION
DU LAB2051 ?
Les participants à cette incubation étaient, pour la plupart, lauréats de dispositifs de
soutien à l?innovation urbaine (DVD ou EQLD), et donc en phase de programmation
voire de conception (éventuellement assortie de préfigurations de fonctionnement) de
leurs projets. L?accompagnement et la capitalisation ont donc porté sur ces étapes,
dans les différentes configurations décrites par la typologie du présent rapport.
Les étapes ultérieures des projets (mise en place puis gestion des ressources, montée
en autonomie des communautés, évolution des communautés, des règles, voire des
ressources) forment un panel de situations qui aujourd?hui posent de nombreuses
questions, que les aménageurs et constructeurs tentent d?encadrer ?a priori?,
notamment avec les analyses et outils collectés lors de cette incubation.
Il importe de compléter ces outils par une approche ?ex post?, afin d?en évaluer
l?efficacité.
Pour cela, il est proposé de conduire une observation, sur les projets ayant participé à
cette incubation, de la manière dont les communs se développeront effectivement, de
l?accompagnement que cela nécessitera, de leur l?impact socio-économique et
environnemental.
Un mode opératoire pourrait être la conduite, annuellement sur la période 2024-2026
(soit le temps des premières réalisation immobilières), d?échanges bilatéraux avec les
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 76
projets ayant participé à la première incubation, suivi d?un ou deux ateliers collectifs,
destinés à partager les résultats.
Ce mode opératoire léger permettrait d?enrichir de manière décisive la boite à outils,
de manière d?autant plus efficace qu?il bénéficierait de la connaissance mutuelle des
porteurs de projets et de leur maturité sur le sujet des communs.
A cette occasion, des communs non étudiés pourraient être mis à l?agenda, tels l?eau et
les déchets.
Enfin, des croisements ?inter-incubations? pourraient être envisagées, par exemple
avec les participants du Lab Mixité - Réversibilité, Autoconsommation collective ou
Nature en Ville, qui partagent des enjeux de mutualisation avec le Lab dédié aux
communs.
LES COMMUNS DANS L?AMENAGEMENT : AU-DELA D?UNE
PROBLEMATIQUE AMENAGISTE, UNE QUESTION DE GOUVERNANCE
TERRITORIALE
La mise en place de communs urbains dans des opérations d?aménagement soulève des
enjeux transverses aux modèles de conception et de gestion qui dominent
l?organisation spatiale, sociale et économique du territoire depuis environ deux siècles.
En interpellant la polarisation très forte entre l?État et les citoyens instaurée à partir de
la Révolution française de 1789, les communs explorent et interrogent les pratiques
urbanistiques qui ont organisé la territorialité depuis, tout en puisant leurs inspirations
dans des modèles mutuels d?organisation spatiale, sociale et économique alternatifs et
parfois subversifs. Ces origines partagées s?inscrivent dans la tension héritée des
Lumières et de la Révolution entre l?universel et le particulier, entre le général et
l?individuel, entre le global et le local, aujourd?hui nous dirions entre ?jacobinisme? et
?régionalisme?. Cette tension a marqué et marque encore actuellement les débats
politiques comme les pratiques d?aménagement, toujours plus objets de controverse
lorsque des opérations sont dénoncées pour leur influence négative sur les écosystèmes
et la biodiversité existants et environnants. La réappropriation et le détournement par
des militants et des activistes de l?anagramme ZAD, introduit en 1962 pour désigner une
Zone d?Aménagement Différé, transformé en Zone À Défendre, sont révélateurs d?une
contestation qui ne se limite pas à l?objet mais qui s?étend à la méthode même de
l?opération. En ce sens, les communs urbains peuvent s?avérer un moyen de recoudre
ces divergences en faisant de la place à des initiatives locales qui puissent satisfaire les
besoins des communautés et des écosystèmes, dans la continuité des efforts menés
depuis les années 1980 en faveur d?une décentralisation encore inachevée.
L?installation de communs doit donc parvenir à se loger dans des pratiques et des
cultures de opérationnelles de projet qui n?en possèdent ou n?en partagent pas
forcément la grammaire84. Elles-mêmes sont intimées de réformer la leur, ce afin de
84 FIORI, Sandra, GHOCHE, Ralph, MANIAQUE, Caroline (dir.), ! Que font les mobilisations environnementalistes à
l?architecture, à l?urbanisme et au paysage ? ", dossier thématique, Les Cahiers de la Recherche Architecturale, Urbaine et
Paysagère, n°17, 2023, en ligne, https://journals.openedition.org/craup/12049, consulté le 12 août 2023.
https://journals.openedition.org/craup/12049
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 77
permettre la préservation de l?environnement, notamment avec les prescriptions de
l?objectif Zéro Artificialisation Nette (ZAN) inscrit dans la loi Climat et résilience du 22
août 2021. Elle définit pour la première fois dans la loi la notion d?artificialisation du sol
qui est, selon la dernière version de l?article L.101-2-1 du Code de l?Urbanisme en vigueur
depuis le 25 août 2021 !?l?altération durable de tout ou partie des fonctions écologiques
d?un sol, en particulier de ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques, ainsi que
de son potentiel agronomique par son occupation ou son usage?"85. Il s?agit d?un
changement profond de philosophie où le sol n?est plus seulement vu comme un
élément inerte sur lequel poser des activités mais désormais comme un acteur
organique qui peut activement fournir des services écologiques essentiels à la résilience
des espaces et des territoires face aux conséquences du réchauffement climatique. Par
ailleurs, la raréfaction du foncier ENAF (Espaces Naturels, Agricoles et Forestiers) induite
par les dispositions de la loi Climat et résilience, si elle entraîne une concurrence entre
collectivités pour faire valoir leurs projets d?aménagement d?envergure majeure ou
régionale, doit aussi être une incitation à penser autrement la vie et le développement
des territoires.
Potentiellement les communs peuvent s?avérer un outil pivot dans la réécriture des
logiciels de l?aménagement et de l?urbanisme qui doivent s?approprier ces nouvelles
mesures réglementaires et ce nouveau paradigme. Une telle réécriture touche à la fois
l?architecture et la spatialité, l?environnement naturel, culturel, climatique, juridique et
économique, la société et les institutions. Les communs sont à l?articulation de ces
tensions qui persistent entre l?universalisme de modèles type et leur déclinaison
territoriale. Un défi important se situe dans la compréhension et l?appréhension de cet
objet par les acteurs actuels et futurs de l?aménagement et de l?urbanisme qui jusqu?à
présent ont eu tendance à évoluer dans un écosystème et un imaginaire architectural,
environnemental, juridique, économique et social en opposition aux écosystème et
imaginaire véhiculés par les communs, dont les modèles peuvent être confrontés à un
risque de marchandisation et donc de dénaturation. Dans le prolongement des
réflexions de Thierry Paquot, Alberto Magnaghi ou de Franck Boutté, il faut parvenir à
dépasser les limites actuelles des outils de diagnostic territorial, environnemental et
architectural, pour qu?ils intègrent davantage les tensions entre aménagement et
environnement, entre global et local et qui d?autre part sachent entrevoir les possibles
symbioses entre communautés, territoires et environnement.
Plus largement, associer la culture et la pratique des communs aux objectifs de
l?aménagement durable et aux luttes contre les crises environnementales et climatiques
peut accompagner un réinvestissement des espaces urbains et naturels sous un angle à
la fois matériel et immatériel, à la fois sensible et opérationnel. De façon sous-jacente,
c?est la pérennité d?un modèle d?aménagement vertical qui est questionnée, dans
lequel, malgré l?obligation de concertation et l?engagement de nombreux maîtres
d?ouvrage en la matière, ne responsabilise pas suffisamment les communautés
concernées vis-à-vis de leur environnement. Le concept même de ?projet?, dans ses
dimensions managériale et performative, renvoie à cet imaginaire segmenté qui sépare
le quantifiable du non quantifiable, de ce qui peut avoir facilement une traduction
85 En ligne, https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000043967077, consulté le 20 août 2023.
https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000043967077
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 78
technique et économique du reste, à l?instar de la biodiversité d?un terrain, de
l?ombrage d?un arbre ou de l?humidité s?élevant d?une noue, ressources toujours plus
précieuses. En ce sens, l?installation de communs dans l?aménagement urbain peut aussi
être l?occasion de s?interroger sur ce ! discours instaurateur " propre aux cultures
urbaines depuis le De raedificatoria (1452) de Leon Battista Alberti (1404-1472) et
l?Utopie (1516) de Thomas More (1478-1535) comme l?a montré Françoise Choay86, et
que la Révolution industrielle a exacerbé. L?enjeu n?est pas la disparition de ce discours
mais sa démocratisation à travers les communs sous la forme d?une (ré)appropriation
partagée et locale entre ses détenteurs habituels et des communautés qui en ont été
marginalisées.
L?ambition de cet aménagement et de cet urbanisme renouvelés n?est pas tant de faire
cohabiter des espaces publics, privés et communs mais de les faire collaborer en étant
attentif aux interdépendances qui existent entre ces espaces, qu?elles soient
écologiques ou économiques. Ceci demande une approche transdisciplinaire capable
de dépasser des barrières à la fois architecturales et mentales pour pouvoir associer
dans les projets des dimensions locales et globales, environnementales et sociales,
économiques et éthiques. Idéalement, il faut parvenir à valoriser et soutenir dans
l?agencement spatial et architectural les services écosystémiques qui peuvent être
rendus par ces communs en faveur d?un bien commun multidimensionnel - l?intérêt
général - dans un cycle vertueux qui intéresse toutes les parties prenantes. Ces
agencements spatiaux et architecturaux qui associent le construit, la société et
l?organique ainsi que les règles qui assurent le fonctionnement local de ces
agencements et leurs interactions avec d?autres ne peuvent correspondre à des
modèles uniques et uniformes mais doivent être déclinés en cohésion et en coopération
avec les particularités et les caractéristiques d?un ! genius loci " à (re)découvrir ou à
(ré)inventer sous les auspices d?une gouvernance territoriale renouvelée.
86 CHOAY, Françoise, La Règle et le Modèle. Sur la théorie de l?architecture et de l?urbanisme, Paris, Seuil, 1996, 392 p.
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 79
2.3 INTERVENTION ORALE DE RAPHAËL BESSON, 18
OCTOBRE 2023, LE HAVRE
Logéo Seine est un des porteurs de projets ayant activement participé à l'incubation
dédiée aux communs ; cette entreprise sociale pour l?habitat a notamment accueilli le
troisième atelier, en mars 2023. A cette occasion, l?idée a germé d?organiser une
restitution des travaux dans les locaux du 139, à la fois siège social de l?entreprise,
incubateur, et espace de rencontres et de débats.
La restitution a ainsi été organisée le 18 octobre 2023, en trois parties : une présentation
du contenu du rapport, une discussion avec Raphaël Besson, urbaniste et chercheur
s?intéressant en particulier aux communs urbains, et une table ronde associant trois
porteurs de projets incluant des communs, le Ministère de la Transition écologique en
tant que pilote du Lab2051, le GIP EPAU en tant que responsable du programme
Engagés pour la Qualité du Logement Demain. La rencontre a été conclue par Jean-
Baptiste Gastinne, maire adjoint du Havre chargé de l?urbanisme.
Les paragraphes qui suivent retranscrivent l?intervention de Raphaël Besson, dont le
regard critique s?est exprimé en soulignant les apports du rapport et les dilemmes que
le développement de communs suscite aux acteurs de l?aménagement.
Raphaël Besson est le fondateur et directeur de Villes
Innovations, un bureau d?étude spécialisé en stratégies
d?innovation urbaine et politiques de transition
territoriale.
Co-fondateur du LUCAS (Laboratoire d'usages culture(s) ?
arts ? société) et chercheur associé au PACTE-CNRS,
il s?intéresse plus particulièrement aux lieux de savoir et
d?innovation (tiers lieux par exemple), à la biopolitique des villes, aux politiques
culturelles et d?innovation urbaine (dont l?urbanisme transitoire).
Il est à l?origine de différents écrits dont :
Infléchir la trajectoire d?un territoire et fabriquer la transition par les tiers-lieux :
le cas de la ville de Digne-les-Bains, Géographie, économie, société, 2022.
De la critique théorique au ! faire " : la transformation du droit à la ville à travers
les communs madrilènes, Métropolitique, 2018
Transformer les pratiques ? Bâtir une culture de la coopération, Nectart n°12,
2021
LES APPORTS DU LAB2051 ET DE SON RAPPORT
La mise en perspective historique
https://hal.science/hal-01865857
https://hal.science/hal-01865857
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 80
On pourrait penser que la question des communs urbains est une question
éminemment contemporaine, qui se structure essentiellement en réaction à ce que
certains auteurs décrivent comme la ! tragédie des communs ". Face aux limites du
néolibéralisme et à ses dérives, face à un contexte transitionnel, il semble désormais
urgent que nos sociétés apprennent à coopérer, afin de préserver les ressources
(notamment foncières) et les derniers biens communs (c?est ici l?hypothèse défendue
par des économistes comme Elinor Ostrom, Jeremy Rifkin ou encore Eloi Laurent).
Or le rapport du Lab2051 nous montre que les communs s?inscrivent dans une longue
lignée historique. Les communs ont influencé l?histoire de l?aménagement et de certains
modes de gestion et de propriété ! déclinés autour des usages et de ressources à gérer,
préserver et pérenniser ".
Selon les auteurs du rapport, les formes urbaines contemporaines puisent une partie de
leur inspiration dans les différents courants apparentés aux socialismes utopiques du
XIXe siècle, eux-mêmes inspirés des expériences rurales de gestion partagée des
ressources. On pense par exemple aux cités ouvrières (ex. la cité Napoléon inaugurée
en 1851), qui ont aménagé les logements ouvriers autour d?un certain nombre de
communs (avec l?installation de garderies ou de séchoirs et lavoirs communs).
Au début du XX siècle, les lavoirs collectifs ou municipaux, souvent associés à des bains-
douches, vont devenir des incontournables des logements populaires ou des nouveaux
quartiers construits avant et après la première guerre mondiale.
Je ne rentre pas dans les détails, mais ce rapport a le mérite de nous montrer que la
question des communs urbains, n?est pas une question nouvelle. Et il existe un vrai
intérêt à regarder de plus près la manière dont les communs urbains ont été traités dans
l?histoire de l?aménagement.
La complexité et la diversité des communs urbains
Le rapport du Lab2051 nous permet également d?éviter l?écueil d?appréhender les
communs urbains comme un objet homogène. Il nous donne à voir au contraire toute
la complexité et la diversité des communs urbains, tant au niveau de leur objet, de leurs
modalités de gestion des ressources, de leurs origines ou de leurs modèles
économiques.
Les communs urbains peuvent avoir par exemple pour objet des tiers lieux, des jardins
partagés, des terrains de sport, des salles communautaires, des formes d?habitats
participatifs, des salles communes, des cuisines, des cours ou des parkings partagés.
Par ailleurs, le rapport nous montre que les communs urbains ne se caractérisent pas
uniquement par leur localisation ou leur concentration dans la ville (Susser et Tonnelat,
2013) mais aussi par la construction des dispositifs participatifs qui permettent d?inclure
les usagers dans les activités de co-délibération et de co-décision. Je rajouterais une
autre spécificité des communs urbains : ils se déploient aussi dans des milieux où
certaines ressources sont particulièrement rares et en tension, avec notamment
l?existence de prix du foncier et de l?immobilier élevés et une concentration
démographique importante.
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 81
Le rapport nous montre également que les ressources mobilisées dans les communs
urbains peuvent être constituées par des biens publics, privés ou immatériels. Au-delà
de la diversité de la nature de la ressource, c?est aussi la façon de la gérer qui est
multiforme. Au coeur des communs urbains se trouvent des communautés hétérogènes
: on retrouve des communautés d?habitants, des collectifs d?architectes-urbanistes, des
acteurs privés ou institutionnels. Il peut donc exister des intérêts très différents qui se
rencontrent dans la prise en charge des communs.
L?intérêt méthodologique
Et le troisième apport de ce rapport est à mon avis méthodologique. Il reprend un
certain nombre de classifications opérées par Elinor Ostrom pour différencier les biens
(les biens privés/communs ou collectifs) et classer les droits des acteurs associés à leur
position (les propriétaires, les possesseurs, les détenteurs de droits d?usage et de
gestion, les utilisateurs autorisés?).
Mais il prolonge ces classifications par une proposition de typologie et d?une grille
d?analyse des communs. Et ces outils méthodologiques sont à mon avis extrêmement
pertinents pour y voir un peu plus clair dans la manière d?appréhender et de gérer les
communs urbains. Le rapport propose notamment une matrice avec deux entrées
principales, qui permettent d?appréhender la très grande variété de configurations des
communs urbains :
La première entrée concerne la situation initiale rencontrée par le constructeur ou
l?aménageur souhaitant développer un commun : il peut s?agir d?un commun existant et
non institutionnalisé ; d?un commun inexistant, mais qui bénéficie de la présence de
ressources et d?une communauté?).
L?autre entrée fait référence aux ressources (bâti, eau, déchet, énergie?), aux types de
communauté et d?usagers, et aux règles formalisées entre les différentes parties
prenantes (collectivité, aménageur, constructeur, communauté, usagers?).
DILEMMES
Bref, on le voit ce rapport est pertinent et utile ! Mais malheureusement, il ne parvient
pas à dépasser les dilemmes que posent les communs aux politiques d?aménagement
urbain. Et je vous rassure, c?est normal tellement ces dilemmes sont nombreux et
complexes.
Ces dilemmes constituent des problèmes non résolus, qui apparaissent de manière
récurrente lors du développement et de la gestion des communs urbains. Ces dilemmes
n?appellent pas à des choix exclusifs entre des propositions en apparence
contradictoires. Ils invitent davantage à ouvrir des espaces de réflexion pour assurer
des formes de clarification ou d?évolution possibles des politiques d?aménagement
urbain. Je précise que ces dilemmes, s?ils ne sont pas débattus ou clarifiés, constitueront
à mon avis des freins ou des sources de tension potentielle, à la mise en oeuvre d?une
politique urbaine de soutien aux communs.
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 82
Je vais principalement décrire quatre dilemmes :
Dilemme 1. Expérimentation / Institutionnalisation
Les communs urbains doivent-ils se réduire à la production d?expérimentations urbaines
isolées et éphémères ou ont-ils vocation à transformer les régimes dominants de la
fabrique et de la gouvernance urbaine ?
S?agit-il de produire des résultats à court terme, à travers l?organisation de micro-
expérimentations (avec notamment une logique de rentabilisation ponctuelle
d?espaces vacants), ou d?accompagner à long terme la transformation des grandes
politiques d?aménagement ?
Quelle pérennité des approches urbaines fondées sur les communs, au-delà de la fin des
subventions publiques ou privées dédiées aux expérimentations et des changements
de collectifs ou de gouvernements locaux ?
Au-delà d?une échelle micro, les communs urbains peuvent-ils raisonnablement
s?envisager à une échelle supérieure (métropolitaine, régionale ou nationale), et
constituer une organisation urbaine, politique et économique alternative ?
Quel équilibre trouver entre une volonté d?expérimenter en grandeur réelle de
nouveaux modes de fabrique et de gestion urbaine fondée sur les communs, et la
tentation d?institutionnaliser ces démarches dans le cadre d?une politique publique
dédiée ? Comment conserver un certain degré d?indéfinition et de préservation de
l?hors-norme, tout en prônant le changement d?échelle des approches urbaines fondées
sur les communs ?
Une politique d?aménagement fondée sur les communs s?inscrit-elle dans une
dynamique de territorialisation, en s?adaptant à la spécificité de chaque territoire, ou
dans une politique publique nationale de décentralisation de modèles pensés depuis le
haut ? Comment faut-il travailler le processus d?institutionnalisation des communs
urbains, par le bas ou par le haut ? Les deux ?
Ces différentes questions invitent en réalité à s?interroger sur la capacité des communs
urbains à répondre dans la durée aux besoins qui ont motivé leur émergence et à
participer au renouvellement des politiques urbaines?. Alors même que leur fragilité
est évidente : leurs modèles économiques restent précaires, les dynamiques collectives
sont fragiles, les accompagnements institutionnels sont souvent insuffisants. Et surtout
les coûts humains et économiques induits par les dynamiques de coopération sont
particulièrement nombreux.
On peut donc légitimement s?interroger : la lourdeur des dispositifs de coopération ne
risque-t-elle pas de prendre le pas sur le projet des communs eux-mêmes et leurs enjeux.
Sans oublier que le décalage entre les promesses initialement formulées par les
communs et la réalité% des actions engagées, peut produire un certain nombre de
frustrations parmi les populations et les parties prenantes des démarches.
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 83
Dilemme 2. Citoyens / Usagers
Les approches urbaines fondées sur les communs visent-t-elles à construire des citoyens
autonomes en capacité d?agir à long terme sur le code-source de la fabrique urbaine (à
travers des formes réelles de co-programmation, de co-gestion/auto-gestion et de co-
évaluation des communs) ou des usagers bêta-testeurs et contributeurs d?expériences
urbaines alternatives, qui permettent notamment de compenser les défaillances du
marché et/ou des politiques publiques dans la conduite de missions de service public
traditionnelles ?
Dilemme 3. Économie marchande / économie non marchande
Quelle option de politique publique privilégier entre une volonté de penser et d?agir sur
les communs, en ouvrant des ressources et des espaces partagés et gratuits, et de
l?autre la nécessité d?identifier des modèles économiques pour la conception, la
construction, et la gestion des communs urbains ? Comment penser et agir sur les
communs urbains, tout en identifiant des modèles économiques pérennes ?
Autre question plus complexe : Comment estimer monétairement des biens, des
produits et des services urbains, culturels, économiques ou environnementaux
développés sur le mode de la coopération ? Comment valoriser économiquement des
biens dont les caractéristiques d?indivisibilité% , de non-rivalité, de non excluabilité% , les
rendent semblables aux biens publics et par conséquent irréductibles au statut de
marchandise ?
Et in fine, on pourra s?interroger sur le juste prix de la solidarité, du lien social, du bien-
être et de la préservation d?un environnement urbain de qualité ?
Dilemme 4. Sociétal / Culturel
Comment concilier l?enjeu social/sociétal des communs urbains et le désir de la majorité
des ménages français de posséder une maison individuelle? avec jardin ?
Au-delà de l?enjeu sociétal des communs, comment dépasser la culture de la propriété
individuelle ? Comment dépasser une vision de l?économie fondée sur un ! égoïsme
institutionnalisé " ? Comment construire et développer les communs dans les
dispositifs ! Démonstrateurs de la ville durable ", quand aucun des termes du début de
cette phrase n'est compréhensible par ceux qui sont censés en bénéficier ?
Ce que je veux vous dire par là, c?est que je pense qu?aucune politique publique fondée
sur les communs urbains ne pourra raisonnablement s?envisager sans une
transformation culturelle profonde de notre rapport à la propriété, à l?économie, aux
territoires et à nos manières de les habiter. Il s?agit là de transformer nos valeurs, nos
imaginaires, nos représentations et d?inventer de nouveaux récits de territoire.
Pour qu?une politique publique fondée sur les communs soit véritablement acceptable
et efficace, il est nécessaire que le substrat culturel de nos sociétés soit préparé et
aligné avec des transformations qui s?avèrent radicales. Sans une réécriture collective
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 84
des valeurs qui fondent nos sociétés, on peut raisonnablement faire l?hypothèse que la
question des communs restera circonscrite à des sphères essentiellement
institutionnelles, expérimentales ou académiques.
Au-delà de ces quatre dilemmes qui peuvent paraître comme quelque peu théoriques,
et difficilement dépassables (mon but n?est pas là de déconstruire les communs, mais
bien de pointer des futurs axes de travail), je pense que la solution passera moins par le
fait de penser les communs (beaucoup de choses ont d?ores et déjà été dites et écrites
à cet égard), que de les pratiquer. Il est urgent d?outiller les communs urbains et de les
faire atterrir dans la réalité des opérations d?aménagement. Ce rapport est à cet égard
extrêmement précieux? Mais ce n?est qu?un début.
Il y a une nouvelle ingénierie de l?action publique urbaine à bâtir. Une ingénierie urbaine
à mon avis, autrement plus complexe que les politiques urbaines, fondées sur des
logiques aménagistes, planificatrices et verticales. Bref, il reste à outiller les communs
urbains.
(ATTENTION: OPTION en de leurs climats. Leurs
agencements et leurs architectures résultent des combinaisons des interactions et des
relations entre toutes ces composantes. L?identification de ces interactions et de ces
relations et la connaissance de leurs fonctionnements sont essentielles dans la
définition des stratégies de résilience, qui résultent nécessairement en la
transformation des formes des agencements et des architectures. Ces formes, dont se
perçoivent aisément les contours physiques, reposent également sur un invisible fait de
règles et de lois, d?histoires sociales et environnementales, d?attachements culturels et
patrimoniaux. Par analogie, les territoires peuvent être vus comme des systèmes avec
leur part de biologique et de minéral, d?êtres vivants et de fossiles, et il s?agit d?agir sur
leurs écologies, dans un sens étymologique. Depuis l?adoption de la loi Climat et
résilience le 22 août 2021, les services écosystémiques rendus par les sols sont
officiellement reconnus et protégés, et les structures humaines doivent s?ajuster pour
composer au mieux avec ceux-ci.
! Les communs, à l?articulation entre écologie et aménagement "
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 60
Parmi les outils envisagés pour piloter au plus près ces transformations se distinguent
les communs, qui sont d?une parttransverses à différentes composantes d?un territoire,
au premier rang les ressources et les habitants, et qui sont d?autre part potentiellement
à l?articulation entre écologie et aménagement. Vincent Berdoulay et Olivier Soubeyran
remarquent d?ailleurs la difficulté pour la pensée aménagiste à ! intégrer pleinement
l?environnement [...] comme si pensée écologique et pensée aménagiste moderne
étaient difficilement compatibles, voire incompatibles, alors que précisément
l?adaptation présuppose leur articulation "25. Les communs sont associés à un régime
de propriété alternatif à ceux des biens privés, des biens publics ou des biens à péage
selon les travaux d?Elinor Ostrom. Leur mise en place suppose ainsi des modalités
concertées avec les communautés intéressées dans leur gestion et leur animation. Les
communs se détachent entre autres du modèle vertical dominant entre un concepteur
actif (l?État ou une entreprise par exemple) et un bénéficiaire passif (le citoyen ou le
consommateur) au profit de modèles horizontaux de co-conception, aussi bien pour
l?agencement des espaces qui accueillent les ressources que pour le choix des activités
ou des productions. Leur installation soulève ainsi des enjeux politiques, juridiques,
économiques ou encore sociaux. Par ailleurs, les communs, en s?écartant du modèle
productiviste et extractiviste qui a été mis en place depuis la Révolution industrielle et
s?est peu à peu imposé à l?ensemble des milieux anthropisés, s?avèrent un levier
potentiel pour actionner des transitions que doivent également accompagner des
façons renouvelées de concevoir l?aménagement des territoires, en agissant par
exemple sur leurs fonctions écosystémiques. En nécessitant de nouveaux besoins
spatiaux, pour assurer ces fonctions, pour accompagner les usagers, pour prévenir
d?éventuels conflits d?usage, les communs interrogent les répertoires des organisations
réglementaires et juridiques et des formes urbaines et architecturales dans lesquelles ils
doivent s?intégrer, et par-delà ces formes et ces organisations ils questionnent les
représentations et les imaginaires culturels, esthétiques ou historiques auxquels elles
sont rattachées. Les lois ne sont pas seulement des outils du législateur, mais sont aussi
des squelettes des paysages, du territoire et des services écosystémiques que ceux-ci
peuvent rendre.
Lorsque ! la grande majorité des émissions mondiales de gaz à effet de serre
proviennent des villes " comme le rappelle le site de Reinventing Cities26, une initiative
du C40 Cities Climate Leadership Group, il a semblé pertinent de se pencher sur les
origines et les trajectoires des communs au fur et à mesure de l?élaboration de ces
répertoires de formes et d?organisations qui suit l?anthropisation croissante des milieux.
Les communs ne sont pas des objets nouveaux et renvoient à une forme de
gouvernance qui précède la modernité juridique qui se déploie progressivement dans
l?Europe des Lumières et de la Révolution industrielle, particulièrement en France au
cours de la Révolution, de l?Empire et de la Restauration. L?historiographie
environnementale contemporaine a par ailleurs mis en avant l?inquiétude d?un agir
25 BERDOULAY, Vincent, SOUBEYRAN, Olivier, L?aménagement face à la menace climatique. Le défi de l?adaptation,
Grenoble, UGA Éditions, 2022, p. 20.
26 En ligne, https://www.c40reinventingcities.org, consulté le 21 juillet 2023, s. p.
https://www.c40reinventingcities.org/
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 61
anthropique sur les fonctions des milieux et des climats et ce dès la Renaissance27.
Comme le notent Berdoulay et Soubeyran, la première colonisation est en quelque
sorte le laboratoire d?un aménagement qui ! s?y conçoit le plus souvent comme la
fabrication des conditions d?arrachement aux contraintes de la nature "28. Il est
remarquable qu?émerge d?un même discours performatif du et sur le climat les
ferments d?une part de l?histoire des formes architecturales et urbaines sous la plume
de Jean-Baptiste Dubos (1670-1742), et d?autre part des organisations juridiques
actuelles sous la plume de Montesquieu (1689-1755), inspiré par Dubos, et qui
influencera les rédacteurs du Code Civil napoléonien. Le rapport entre la pensée
aménagiste et la pensée du milieu partagent ainsi des racines profondes, d?un Réaumur
(1683-1757) qui se préoccupe au début du XVIIIe siècle de l?état des forêts du Royaume
de France aux actions en faveur du reboisement menées durant le Second Empire et
confiées aux ingénieurs des grands corps techniques de l?État. Ceux-ci se structurent
également à partir du XVIIIe siècle et participent de la diffusion et à l?aménagement
d?un ! territoire productif ", comme l?extension sans limites ou frontières de la ville-
machine imaginée par les architectes d?alors29, réinventant au passage les notions de
ruralité ou d?urbanité.
S?inspirant de Berdoulay et Soubeyran selon qui ! il faut se représenter la pensée
aménagiste moderne comme le résultat de l?enchevêtrement de plusieurs strates
d?idées et de pratiques plutôt que celui d?une succession de systèmes de pensée où l?un
se substitue à l?autre "30, ce sont quelques instants de ce long processus de stratification
que ce travail propose d?explorer à l?aune des communs, notamment ceux incubés
durant le Lab2051, et d?enjeux environnementaux et climatiques qui traversent toute la
Révolution industrielle, avec son lot d?utopies, d?applications partielles, de luttes
politiques ou de controverses, des craintes de Réaumur aux ZADistes actuels.
Remarquons encore qu?un an avant la parution en 1867 de la Théorie générale
d?urbanisation de l?architecte et urbaniste Ildefons Cerdà (1815-1876), concepteur du
plan d?aménagement de Barcelone, qui introduit dans le vocabulaire de l?aménagement
le néologisme ! urbanisation ", le néologisme ! écologie " paraît sous la plume du
biologiste Ernst Haeckel (1834-1919)31. Deux disciplines naissent alors, l?urbanisme et
l?écologie modernes, que l?actualité semble réunir pour la première fois alors que l?on
s?inquiète déjà des effets de l?exploitation croissante des milieux naturels qui
alimentent en matières premières les usines des villes industrielles qui commencent leur
essor durant la première moitié du XIXe siècle. Ces craintes, qui reviennent
cycliquement, arrivent notamment après la privatisation des communs de l?Ancien
Régime, après l?établissement d?une relation verticale entre l?État et le citoyen à partir
de la Révolution.
Dès les prémices de la civilisation industrielle, qui coïncident avec la croissance
démographique des villes, l?exode rural et l?apparition du prolétariat, les intellectuels se
27 Cf. FRESSOZ, Jean-Baptiste, LOCHER, Fabien, Les révoltes du ciel. Une histoire du changement climatique. XVe-XXe siècle,
Paris, Seuil, 2020, 324p.
28 BERDOULAY, Vincent, SOUBEYRAN, Olivier, op. cit., p. 29.
29 Cf. PICON, Antoine, Architectes et ingénieurs au siècle des Lumières, Marseille, Parenthèses, 1988, 317p.
30 BERDOULAY, Vincent, SOUBEYRAN, Olivier, op. cit., p. 20.
31 DEBOURDEAU, Ariane, Les Grands Textes fondateurs de l?écologie, Paris, Flammarion, 2013, p. 47.
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 62
penchent sur les rapports entre industrie et environnement, entre État et citoyen, entre
ville et campagne, entre intérêt général et propriété privée. La deuxième moitié du XIXe
siècle tendra plus fortement vers ces aspirations sociales et environnementales, sous la
forme d?un paternalisme industriel qui innove en matière d?urbanisme et d?espaces
communautaires. Le premier XXe siècle voit en revanche émerger des politiques
municipales fortes en faveur du logement social ou des services publics, diffusant
notamment le modèle des cités-jardin ou des jardins ouvriers, s?interrogeant sur le rôle
et la place de la nature et de l?agriculture dans les zones urbaines. Le deuxième XXe
siècle connaît enfin un aménagement centralisé guidé par des mobilités toujours plus
rapides, finissant de démanteler les dernières ceintures maraîchères. Toutefois le
confort qu?offre la société de consommation de masse n?anesthésie pas totalement les
craintes environnementales qu?induit ce mode développement, en témoignent dans les
années 1970 l?agronome René Dumont (1904-2001) ou l?urbaniste-essayiste Paul Virilio
(1932-2018). Aujourd?hui ce qui étaient des craintes deviennent une réalité à laquelle
doivent s?adapter - encore et toujours - les logiciels de l?aménagement et de l?urbanisme
afin de garantir la résilience de nos sociétés. Les communs peuvent être un de ces outils
pour recoudre une territorialité fragmentée en protégeant, en renforçant ou en
relocalisant en fonction des communautés et des milieux certains services
écosystémiques.
LES COMMUNS, DES OBJETS TRANSVERSES
Le propos qui accompagne ce rapport ne saurait être exhaustif ou développer de
nouveaux concepts autour des communs de l?aménagement. Ceux-ci bénéficient d?un
corpus pratique, théorique et scientifique prolifique, qu?il s?agisse des contributions
provenant de nombreux domaines de la recherche académique (urbanisme, sociologie,
économie, philosophie, géographie), d?organismes experts combinant des approches
de ! think tank " et de ! do tank "32, ou bien d?urbanistes tant praticiens que
théoriciens. Cet avant-propos se propose en revanche, riche des échanges des ateliers,
de contextualiser le rôle des communs dans une histoire de l?aménagement urbain et
territorial. Le parti rédactionnel s?inspire des allers-retours entre prise de hauteur et
pratiques opérationnelles qui caractérisent le travail de l?aménageur. Dans cette
optique, il s?agit de de revenir sur la place faite aux communs dans la gouvernance
territoriale moderne, prenant pour exemple le rôle joué par l?hygiène dans l?émergence
de l?urbanisme moderne et l?évolution d?un commun essentiel associé à cet enjeu, c?est-
à-dire le lavoir, et enfin sur le rôle qu?ont joué et que jouent les communs dans
l?aménagement du territoire, notamment face aux crises environnementales.
32 Citons le projet BISCOTE (BienS COmmuns et TErritoires) porté par le PUCA (Plan Urbanisme Construction Architecture).
Nous renvoyons vers le rapport de KEBIR, Leïla, WALLET, Frédéric, Les communs à l?épreuve du projet urbain et de l?initiative
citoyenne, Paris, Édition PUCA, Collection Réflexions en partage, 2021, 94 p., en ligne, https://www.urbanisme-
puca.gouv.fr/les-communs-a-l-epreuve-du-projet-urbain-et-de-l-a2239.html, consulté le 5 août 2023.
https://www.urbanisme-puca.gouv.fr/les-communs-a-l-epreuve-du-projet-urbain-et-de-l-a2239.html
https://www.urbanisme-puca.gouv.fr/les-communs-a-l-epreuve-du-projet-urbain-et-de-l-a2239.html
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 63
GOUVERNANCE TERRITORIALE ET MODERNITE
La Révolution industrielle à l?assaut des communs
L?histoire des communs de l?aménagement renvoie très souvent à la société de l?ancien
régime et à des modes de gestion et de propriété qui ne se conçoivent pas comme une
privatisation ou comme une appropriation individuelle des ressources mais qui se
déclinent autour des usages, des usagers et des ressources à gérer, préserver et
pérenniser. La notion contemporaine de communs puise ainsi ses origines dans les biens
communaux et de leur déclinaison en sections de communes qui appartiennent33 ou
appartenaient à des sociétés rurales plutôt qu?urbaines. Il a paru intéressant de relever
l?origine rurale d?une notion que les espaces urbains souhaitent aujourd?hui décliner par
le biais d?opérations tant d?aménagement que de réaménagement, ouvrant pour les
urbanistes et les aménageurs de nouveaux défis.
Là encore peut se retrouver une origine partagée entre les pratiques inhérentes à
l?urbanisme moderne et la notion de communs. Ainsi les formes urbaines
contemporaines puisent leurs inspirations dans les différents courants apparentés aux
socialismes utopiques du XIXe siècle, eux-mêmes inspirés des expériences rurales de
gestion partagée des ressources34. La disparition des ! commoners " dans l?Angleterre
du XVIIIe siècle ou celle des biens banaux puis communaux dans la France post-
révolutionnaire35 au profit d?un nouveau capitalisme agraire accompagnent ainsi la
Révolution industrielle. En résultent l?exode rural, l?essor des villes et l?urbanisation des
territoires, accentués par la mécanisation de l?agriculture, qui suscitent ces propositions
nouvelles d?aménagement du territoire, d?ingénierie sociale et d?organisation du travail
désireuses d?accueillir une modernité qui se confond avec le progrès technique tout en
garantissant équité et égalité. L?intérêt toujours plus vif aujourd?hui pour les communs
dans l?aménagement semble s?inscrire à la fois dans une épistémologie critique de
l?urbanisme initiée dès les années 1960 à l?instar de Françoise Choay (née en 1925)36 et
dans la recherche de modèles alternatifs de gestion et de partage des ressources qui se
détachent des trajectoires d?urbanisation dominantes depuis la Révolution industrielle.
Une crainte immédiate pour l?environnement
Cette recherche de modèles alternatifs est aussi l?expression d?un besoin d?imaginer
d?autres manières de faire société pour pouvoir répondre résolument aux crises sociales
et environnementales, et ce au plus près des territoires et de leurs ressources37. Charles
33 Les sections de communes sont essentiellement constituées de pâtures ou de forêts. La loi du 27 mai 2013 a interdit la
création de nouvelles sections de communes, quand elle a créé par ailleurs les conditions légales pour leur disparition
progressive. Nous renvoyons vers l?exposition des motifs de la loi enregistrée le 25 mai 2012 à la Présidence du Sénat, en
ligne, https://www.senat.fr/leg/ppl11-564.html, consulté le 31 juillet 2023.
34 ZIMMERMAN, Jean-Benoît, Les Communs. Des jardins partagés à Wikipédia, Paris, Éditions Libre & Solidaire, 2020, 212 p.
35 VIVIER, Nadine, Propriété collective et identité communale. Les biens Communaux en France (1750-1914), Paris, Éditions
de la Sorbonne, 2000, p. 139-213.
36 Concomitant à la réalisation des grands ensembles. CHOAY, Françoise, L?urbanisme. Utopies et réalités, une anthologie,
Paris, Seuil, 1965, 448 p.
37 DARDOT, Pierre, LAVAL, Christian, Commun. Essai sur la révolution au XXIème siècle, Paris, La Découverte, 2014, 400 p.
https://www.senat.fr/leg/ppl11-564.html
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 64
Fourier (1772-1837), parmi les socialistes utopiques38, s?alarme dans un manuscrit de
1820-1821 de ! la détérioration matérielle de la Planète qui périclite et décline à vue
d?oeil ". Il impute les détériorations du climat engendrées par une gestion déraisonnée
de la ressource forestière à ! l?industrie civilisée "39 et à ! l?état civilisé, qui favorise en
tous sens le progrès du mal "40. Fourier appelle à une voie intermédiaire afin de dépasser
! la lutte de l?intérêt individuel avec l?intérêt collectif ", dénonçant au passage
l?incapacité des préfets à ! empêcher un mal que tout le monde s?accorde à commettre
".
Cet ! état d?association domestique " auquel le fouriérisme aspire ne peut, selon ses
défenseurs, se réaliser dans les normes juridiques et étatiques qui gèrent les rapports
entre propriété privée et bien public, au détriment du bien commun. En effet, les
corporations et les associations, en particulier ouvrières, sont interdites depuis la
Révolution et l?adoption le 14 juin 1791 de la loi le Chapelier qui entérine qu?e ! il n'y a
plus que l'intérêt particulier de chaque individu, et l'intérêt général. Il n'est permis à
personne d'inspirer aux citoyens un intérêt intermédiaire "41. Cette loi est
progressivement abrogée, avec la loi Ollivier du 24 mai 1864 dépénalisant la grève, la loi
Waldeck-Rousseau autorisant la création de syndicats puis la loi du 1er juillet 1901
relative à la liberté d?association, permettant ainsi l?émergence des corps intermédiaires
actuels et auxquels les communs sont susceptibles d?appartenir. Une critique semblable
se retrouve chez Pierre-Joseph Proudhon (1809-1865), un temps disciple de Fourier. Il
remarque que ! l?eau, l?air et la lumière sont choses communes, non parce que
inépuisables, mais parce que indispensables ", regrettant que le ! Code Civil [qui
conserve alors l?esprit de la loi Le Chapelier], après avoir donné la définition de la
propriété, se tait sur les choses susceptibles ou non susceptibles d?appropriation "42.
Un aménagement moderne détaché des territoires
Deux-cents ans plus tard, la gouvernance territoriale est à nouveau interpellée quand
les communs incitent directement à donner une place plus large à la subsidiarité, une
tendance plus facilement déclinable dans des États avec un centralisme moins
prononcé43. La modernité juridique introduite en France à partir de la Révolution a pu
avoir tendance à se représenter le territoire comme un espace vide et neutre,
entièrement soumis au pouvoir politique de l?État44. La proposition en 1789 d?Emmanuel
Sieyès de découper la métropole en 81 départements carrés de même taille est un
38 Son phalanstère a inspiré le familistère de Guise, prototype de cité ouvrière imaginé par l?industriel Jean-Baptiste André
Godin (1817-1888) pour y loger les employés de son usine avec leurs familles, avec des services annexes par exemple pour la
petite enfance ou pour le divertissement.
39 Aujourd?hui le capitalisme industriel.
40 FOURIER, Charles, ! Détérioration matérielle de la planète ", EcoRev?, 2017 n. 44, p. 4-8.
41 Préambule de la loi du 14 juin 1791, cité par BONVALOT, Hélène, ! Les associations ", dans HOLCMAN, Robert (dir.),
Économie sociale et solidaire, Paris, Dunod, 2015, p. 72.
42 PROUDHON, Pierre-Joseph, Qu?est-ce que la propriété ? ou Recherches sur le principe du droit et du gouvernement, Paris,
J.-F. Brocard, 1840, p. 73.
43 Le cas italien notamment qui a intégré ce principe de subsidiarité dans sa constitution à l'article 118 lors de la réforme
constitutionnelle du 18 octobre 2001. Sur l?expérience des communs en Italie, FESTA, Daniela, ! Les communs urbains.
L?invention du commun ", Tracés. Revue de Sciences humaines, n°16, 2016, p. 233-256.
44 MANNORI, Luca, ! La nozione di territorio fra antico e nuovo régime. Qualche appunto per uno studio sui modelli
tipologici ", dans CAMMELLI, Marco (dir.), Territorialità e delocalizzazione nel governo locale, Bologne, Il Mulino, 2007, p. 43-
64.
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 65
exemple flagrant de cette vision d?un territoire détaché de son caractère organique et
du rôle de sa morphologie dans la gestion de ses ressources. On peut faire le lien aussi
entre cette tendance à une ?tabula rasa? juridique associée à une polarisation très forte
des rapports entre l?État et les citoyens avec un urbanisme qui a pu régulièrement
vouloir faire fi des préexistences. Introduire des communs dans l?aménagement ou
encore réintroduire des communs dans la gouvernance territoriale suppose d?offrir la
possibilité à des modes d?organisation propres à chaque territoire, ressource et
communauté et qui se détachent à la fois de la propriété privée et du bien public ou
collectif. Cette rupture avec une tendance de standardisation normative remontant à
environ deux cents ans se décline en une multitude de particularités juridiques et
administratives, ouvrant et appelant à de nouvelles inventions et recherches en matière
de droit45. Cette spécificité des solutions juridiques, économiques et administratives se
rencontre dans les expériences échangées au cours des ateliers de cette incubation du
Lab2051 et dans l?esprit de la loi dite 3DS relative à la différenciation, la
décentralisation, la déconcentration et adoptée en février 202246.
L?HYGIENE, UN BIEN COMMUN
Hygiénisme et urbanisme
Durant la première moitié du XIXe siècle, les opérations d?urbanisme47, alors
dénommées des ! embellissements ", possèdent une vocation à la fois esthétique,
économique et hygiénique. L?entassement d?une population prolétaire dans des taudis
en ville ou dans des zones urbanisées à proximité des usines, embryons de futures cités
ouvrières, coïncide avec l?arrivée du choléra en France au cours des années 1830. Cette
pandémie qui perdure en Europe tout au long du XIXe siècle va dynamiser les courants
hygiénistes en parallèle des premiers mouvements socialistes. Avec la construction des
trottoirs, des égouts et des réseaux de distribution d?eau courante, la rue moderne
s?impose au fur et à mesure à la ville ancienne, à ses maisons et donc à leurs propriétaires
contraints d'accommoder leurs immeubles avec de nouvelles contraintes à la fois
architecturales et réglementaires48. Cependant le droit d?expropriation pour cause
d?utilité publique, introduit durant les périodes révolutionnaire et napoléonienne,
continue d?être interprété pendant la Restauration puis la Monarchie de Juillet
principalement comme une mesure de protection du droit de propriété et les
élargissements prévus ne progressent guère49. Ces atermoiements laissent place aux
percées énergiques du Second Empire. Celles-ci inaugurent de fait un urbanisme de
contournement et de dépassement des contraintes plutôt que d?obligation ou de
45 Voir les travaux de Geneviève Azam et de Sarah Vanuxem à propos du droit et des communs.
46 Présentation de la loi sur le site internet du Ministère de la Transition Écologique et de la Cohésien des Territoires, en ligne
le 2 septembre 2022, https://www.ecologie.gouv.fr/loi-3ds-relative-differenciation-decentralisation-deconcentration-et-
simplification consulté le 5 août 2023.
47 Le mot apparaît en France en 1910 pour caractériser enfin la discipline de l?aménagement des espaces urbains à l?ère
industrielle.
48 BARLES, Sabine, ! La rue parisienne au xixe siècle : standardisation et contrôle ? ", Romantisme, n°171, 2016, p. 15-28.
49 KLAHR, Douglas, ! Le développement des rues parisiennes pendant la monarchie de Juillet ", dans BOWIE, Karen (dir.), La
modernité avant Haussmann : Formes de l?espace urbain à Paris. 1801-1853, Paris, Éditions Recherche, 2001, p. 217-230.
https://www.ecologie.gouv.fr/loi-3ds-relative-differenciation-decentralisation-deconcentration-et-simplification
https://www.ecologie.gouv.fr/loi-3ds-relative-differenciation-decentralisation-deconcentration-et-simplification
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 66
négociation. Elles tournent ainsi brusquement le dos aux quartiers anciens traversés et
découpés en tous sens, en incitant par ailleurs à une très forte spéculation même parmi
les architectes50. Il s?agit en matière d?urbanisme d?un moment significatif car le droit
d?expropriation va désormais agir comme ! un droit de l?urbanisme perçu comme
devant faire prévaloir l? ?intérêt général? "51.
Les communs des cités ouvrières, entre modèles révolutionnaires et paternalisme
industriel
Parallèlement, l?embellissement des villes s?accompagne de l?ouverture de parcs, d?un
nouveau mobilier urbain et d?équipements tels marchés couverts, bains ou lavoirs.
L?intérêt porté alors à ces équipements par les pouvoirs publics souligne un réel
tournant dans leur attitude vis-à-vis des questions sociales et dans leur latitude d?action.
Ce processus est entamé avec la Révolution de 1848 qui est marquée par les
revendications de la classe ouvrière. Dès fin février 1848, le gouvernement provisoire de
la Seconde république constitue la Commission du Luxembourg. Elle est chargée de
réfléchir aux moyens d?améliorer les conditions de travail et d?existence des classes
ouvrières et la question du logement est immédiatement abordée. Son président Louis
Blanc (1811-1882) propose dès le 5 mars l?édification de quatre cités ouvrières
exemplaires dans Paris selon des plans de l?architecte fouriériste César Daly (1811-1894).
Les principes de l?association doivent s?appliquer à l?achat des combustibles pour le
chauffage et l?éclairage ou de la nourriture52, initiatives qui ont par exemple existé dans
les cités minières sous la houlette du paternalisme des houillères et que certains
communs poursuivent aujourd?hui. L?opportunité de donner accès à la crèche de la cité
aux enfants du quartier est également débattue. Avorté, ce projet inspire cependant
Louis-Napoléon Bonaparte, futur président de la République puis empereur, également
influencé par le saint-simonisme et intéressé dans l?amélioration des conditions de vie
des classes les plus pauvres. En résulte la cité Napoléon inaugurée en 185153, un
ensemble de logements destinés aux ouvriers parisiens et qui possède une garderie, des
bains et bien entendu un séchoir et un lavoir communs. Ces deux derniers équipements
sont essentiels pour leur service en matière d?hygiène, lorsque Paris en est alors sous-
dotée, comme la plupart des villes en France. Il faut pouvoir assurer l?arrivée d?eau
propre, l?évacuation des eaux sales ainsi que le chauffage de l?eau chaude et des étuves,
nécessitant des infrastructures d?assainissement et d?adduction qui vont être
renforcées voire installées dans les grandes villes au cours de la deuxième moitié du
XIXe siècle.
50 Henri Blondel (1821-1897), architecte prolifique de l?époque et par ailleurs auteur des transformations de la bourse du
commerce. Cf. JAMET, Elsa, ! Une agence à l?oeuvre du Paris haussmannien : l?agence d?Henri Blondel (1821-1897) ", Les
Cahiers de la Recherche Architecturale, Urbaine et Paysagère, n°9-10, 2020, mis en ligne le 28 décembre 2020,
http://journals.openedition.org/craup/5747, consulté le 18 août 2023.
51 LACAVE, MIchelle, ! Stratégie d?expropriation et haussmannisation : l?exemple de Montpellier ", Annales. Économies,
Sociétés, Civilisations, n°5, 1980, p. 1011-1025.
52 BLANC, Louis, La Révolution de février au Luxembourg, Paris, Michel Lévy, 1849, p.
53 BRUANT, Catherine, La Cité Napoléon. Une expérience controversée de logements ouvriers à Paris, Versailles, fabricA,
n°63, 2011, p. 9-14.
http://journals.openedition.org/craup/5747
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 67
DU LAVOIR A LA LAVERIE, L?EVOLUTION D?UN COMMUN
Le lavoir, une proto-industrie domestique
Le lavoir, ses multiples déclinaisons spatiales et son évolution ainsi que son ancrage dans
les imaginaires, permettent d?entrevoir la complexité inhérente à la notion de commun
dans le cadre de l?aménagement urbain. Les lavoirs communaux, s?ils existent au début
du XIXe siècle, restent en nombre insuffisant, certains sont aussi l?objet de cession et
de privatisation lors des partages des biens communaux sous la Révolution et l?Empire.
Leur apparition avec un aménagement architectural complexe pour pouvoir assurer
séparément les différentes tâches de la buanderie remonte au XVIIIe siècle, et leur
déploiement s?accélère au XIXe siècle54. Les rares lavoirs situés à Paris au début de ce
siècle sont destinés à un usage aussi bien personnel que professionnel, le linge étant
sinon lavé chez soi ou dans les cours et mis à sécher aux fenêtres, pratiques difficiles du
fait du manque d?eau courante, d?ensoleillement, d?aération et d?évacuation à l?égout.
À l?instar des villages et des autres villes, les berges de la Seine ou de la Bièvre restent
utilisées pour laver dans l?eau du fleuve le linge étendu ensuite sur le rivage, lavoir
primitif qui peut être situé a posteriori dans la catégorie des communs. Pour assurer la
navigation et l?usage commercial des quais, ces pratiques sont de moins en moins
tolérées, il s?agit d?un cours d?eau navigable donc domanial. Aussi les autorités tant
préfectorales que municipales s?emploient à mettre un terme à ces usages, notamment
pour des raisons de décorum et de moralité, entre le linge étendu et les lavandières
battant le linge, contraignant toujours plus fortement les usagers à se rendre aux lavoirs
ou aux bateaux-lavoirs55.
Intérêt public et rentabilité
Devant le besoin criant de ces équipements est instituée en 1849 une commission pour
inciter à la construction de lavoirs en France, en s?inspirant des modèles français et
étrangers, pour leur architecture et leur gestion. Il faut pouvoir amortir le coût du
foncier, celui des murs, des installations, des agents d?exploitation et de la
consommation d?eau propre. Cette dernière, denrée rare et qui aujourd?hui se raréfie,
peut provenir du captage d?une source ou d?une rivière, d?un aqueduc moyennant une
redevance ou d?un puits construit à cet effet56. L?encadrement de cette activité par les
pouvoirs publics vise à une meilleure gestion de la ressource en eau ainsi qu?à
l?encadrement des externalités négatives que produit un lavoir - fumées, bruits, eaux
sales - et qui intéressent directement l?intérêt général. La dépense étant souvent trop
contraignante alors que les communes manquent de revenus, entre concessions
d?exploitation, initiatives privées et un accès souvent payant, les lavoirs qui essaiment
54 LEFÉBURE, Christophe, La France des lavoirs, Toulouse, Éditions Privat, 1995, 160 p.
55 GRÜRING, Jaimee, Dirty Laundry : Public Hygiene and Public Space in Nineteenth-Century Paris, Thèse de doctorat,
Arizona State University, 2011, p. 68-73, en ligne,
https://keep.lib.asu.edu/_flysystem/fedora/c7/30156/Gruring_asu_0010E_10921.pdf, consulté le 2 août 2023.
56 À la fin du XIXe siècle à Paris, l?eau de puits a supplanté celle captée dans la Seine pour les lavoirs. MOISY, J., Les lavoirs de
Paris, Paris, Watelet, 1884, p. 45.
https://keep.lib.asu.edu/_flysystem/fedora/c7/30156/Gruring_asu_0010E_10921.pdf
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 68
peu à peu à Paris et en France pendant le Second Empire appartiennent généralement
à la catégorie des biens publics impurs. A posteriori, ils n?entrent qu?imparfaitement
dans les catégories des biens publics, privés, de club ou communs, alors qu?ils servent
l?intérêt général. Certains bassins du lavoir peuvent rester libres d?accès comme à
Rouen, des prestations telles que l?eau chaude étant en revanche réglées par l?usager
en fonction de la quantité consommée57.
Domine dans ces réalisations une vision capitaliste et libérale où la commercialisation
d?un service essentiel à la personne, à la société et à l?hygiène garantit l?exploitation
optimale d?une ressource rare en sachant être rentable. C?est dans un de ces lavoirs que
se rend Gervaise Macquart dans l'Assommoir, Zola décrivant dans son roman l?usage
social et pratique de ce lieu58. Les situations varient cependant, selon qu?il s?agit d?une
commune urbaine ou rurale et selon le nombre d?habitants, ou encore sous la Troisième
République qui octroie une plus grande autonomie aux municipalités. Ainsi, face à
l?indigence des populations, certaines communes urbaines essaient de mettre en place
des lavoirs à l?usage gratuit, préfiguration des actuelles laveries solidaires, mais l?eau
chaude ou les produits de lessive y demeurent payants, ces expériences restant enfin
dépendantes de la vision politique du maire59. Dans le monde rural en revanche perdure
plus spontanément un usage gratuit du lavoir, sans que celui-ci toutefois n?offre les
mêmes conditions de confort qu?un lavoir moderne urbain équipé de machines comme
des lessiveuses ou de chaudières pour chauffer l?eau.
Un renouveau des communs depuis la fin du XIXe siècle
À la fin du XIXe siècle, l?État soutient plus activement le financement des équipements
municipaux et des habitations à bon marché inspirées des familistères industriels ou des
corons miniers. Les lavoirs collectifs ou municipaux, souvent associés à des bains-
douches, deviennent des incontournables des logements populaires ou des nouveaux
quartiers construits avant et après la première guerre mondiale et vont le demeurer
jusqu?à l?après seconde guerre mondiale60. Durant la période de la seconde
reconstruction, architectes et aménageurs sont de plus en plus enclins à considérer la
buanderie individuelle comme un espace essentiel pour assurer à un appartement tout
le confort moderne et individuel. L?entrée en parallèle dans la société de consommation
et la production de machines à laver électrique modernes - qui associent toutes les
étapes du lavage - à grande échelle marque le déclin progressif du lavoir collectif en
ville61, remplacé par un lavomatique ou par une machine à laver chez soi. La
reconstruction est aussi marquée par l?amélioration de l?accès à l?eau courante et au
tout-à-l?égout dans les zones rurales, permettant là aussi l?installation de ce nouveau
bien et le délaissement du lavoir communal si inconfortable. Aujourd?hui, alors que le
57 COMMISSION INSTITUÉE PAR ORDRE DE M. LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE, Bains et lavoirs publics, Paris, Ministère du
Commerce, 1850, p. 180.
58 ZOLA, Émile, L'Assommoir, Paris, Charpentier, 1879, p. 15-19.
59 PLANAT, Paul (dir.), Encyclopédie de l?architecture et de la construction, vol. V, f. 1, Paris, Aulanier, 1894, p. 357.
60 HALITIM-DUBOIS, Nadine, ! Bains-douches et lavoirs municipaux à Lyon ", Les Carnets de l?Inventaire, Études sur le
Patrimoine Culturel en Auvergne-Rhône-Alpes, en ligne le 28 mars 2023, https://inventaire-rra.hypotheses.org/8829, consulté
le 20 août 2023.
61 DELAUNAY, Quynh, Histoire de la machine à laver, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 1994, 348 p.
https://inventaire-rra.hypotheses.org/8829
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 69
coût des logements augmente, de nouveaux ensembles, ÉcoQuartiers, Démonstrateurs
de ville durable, intègrent une nouvelle génération d?espaces communs parmi lesquels
la laverie tantôt qualifiée de résidentielle, collective ou partagée62. À la machine à laver
s?applique une critique similaire à celle de la voiture individuelle : inutilisée la plupart
du temps, générant une perte d?espace. Pour le moment, ces dispositifs, dont
l?utilisation reste souvent soumise à un droit d?accès63, s?adressent principalement à un
public jeune et urbain capable d?adapter son mode de vie à un rythme d?usage plus
contraignant64.
L?AMENAGEMENT ET LES COMMUNS
Des utopies déçues
Ainsi, dans le cadre de l?aménagement urbain, l?usage et la gestion d?un équipement
aussi essentiel que le lavoir oscille dès le début de la Révolution industrielle entre enjeu
social et enjeu entrepreneurial, entre enjeu de la marchandisation du lieu et enjeu du
bien commun qui se confond avec la notion d?intérêt général. Les communs qui sont
réintroduits aujourd?hui perpétuent ces enjeux, incitant les urbanistes et les
aménageurs à interroger et réinventer leurs disciplines. Les enjeux environnementaux
et climatiques les invitent par ailleurs à penser l?aménagement sous les auspices de la
sobriété et de la résilience du territoire plutôt que de l?abondance et d?un
développement tel que la modernité l?a conçu depuis deux siècles65. En effet, ces
disciplines ont émergé au cours du XIXe siècle et sont ainsi les héritières d?une période
où l?aménagement territorial a coïncidé avec la disparition des anciens communs pour
leur privilégier une gestion capitaliste des espaces, des ressources et du territoire,
distinguant propriétés privées et publiques.
L?urbanisme a accompagné cette trajectoire de développement et d?aménagement en
répondant aux enjeux concrets et matériels posés par la société industrielle, tout en
procédant par ailleurs de visions idéales et holistiques qui englobent société, économie
et environnement. Même si inspiré de ces idéaux, l?espace urbain dont nous héritons ne
correspond que très rarement aux propositions utopiques qui émaillent les XIXe et XXe
siècles. Elles peuvent même aujourd?hui être assimilées à des dystopies, tant du fait de
leur caractère coercitif pour les individus et leurs libertés, tant du fait de leurs échecs,
tant du fait de leur inadéquation pour pouvoir répondre aux enjeux environnementaux
et sociaux contemporains et futurs. Ce sont par exemple le phalanstère de Fourier,
62 Par exemple l?ÉécoQquartier Smartseille construit par Eiffage, en ligne,
https://www.eiffageconstruction.com/metiers/realisations/ecoquartier-smartseille, consulté le 20 août 2023. Les expériences
de Coliving intègrent par définition une laverie partagée.
63 Ce droit sert à financer la location et la maintenance des machines disposées dans un espace commun.
64 À New-York les laveries dans les immeubles sont plus fréquentes, la possession d?une machine à laver individuelle,
véritable objet de luxe, étant fréquemment interdite, car les plomberies ne sauraient satisfaire à la demande. ROGERS, Teri
K., ! The Ultimate Luxury ", The New York Times, en ligne le 23 avril 2006,
https://www.nytimes.com/2006/04/23/realestate/the-ultimate-luxury.html, consulté le 17 octobre 2023.
65 CORDOBES, Stéphane, ! Repenser l?aménagement des territoires ", Constructif, n°60, 2021, p. 61-65.
https://www.eiffageconstruction.com/metiers/realisations/ecoquartier-smartseille
https://www.nytimes.com/2006/04/23/realestate/the-ultimate-luxury.html
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 70
l?Icarie d?Étienne Cabet (1788-1856) et plus près de nous les préceptes d?urbanisme de
la Charte d?Athènes de 1933, fortement inspirés par Le Corbusier (1887-1965).
La ville-territoire
L?urbanisme est ainsi confronté à un paradoxe présent depuis ses origines, entre d?une
part favoriser une exploitation industrielle et raisonnée des ressources et d?autre part
transformer la société, l?individu et l?environnement66. Pierre Leroux (1797-1871),
influencé par le saint-simonisme, penseur socialiste, détracteur du fouriérisme,
fondateur d?une communauté organisée selon sa théorie du circulus qui veut établir
une relation circulaire avec l?agriculture, se félicite dès les années 1830-1840 que ! il n?y
a déjà plus en France qu?une seule ville, et cette ville c?est la France elle-même ". Ce
constat est celui d?un monde qui se pense dans sa globalité et dans ses interconnexions.
Leroux souhaite aménager et décorer le territoire au profit de la civilisation urbaine et
de son architecture. Il interroge également les limites familières, matérielles et
imaginaires de l?espace urbain qui ne se cantonne plus à la ville héritée du Moyen Âge
et de la Renaissance. Existe-elle encore à l?ère de la métropolisation, lorsque les
départements sont les quartiers de la ville, ! les forêts et les champs, ses jardins et ses
promenades ; les rivières, ses aqueducs ; les grandes routes, ses rues ; la capitale, son
forum "67 ? Le projet de la ville qu?invente le XIXe siècle industriel se confond avec le
projet d?un territoire global de la modernité qui substitue ses règles à celles héritées de
l?Ancien Régime. Aussi la réintégration de communs dans l?aménagement peut s?avérer
en quelque sorte à rebours du modèle dominant de développement qui prévaut depuis
environ deux siècles, s?apparentant aux discours subversifs ou réformateurs de la ville
qui s?élèvent dès la deuxième moitié du XIXe siècle en opposition à la standardisation
des paysages et à l?aliénation du travail.
La recherche d?un urbanisme en commun
Le désir d?une appropriation relocalisée de l?architecture à la fois du territoire et de la
ville se retrouve dans les sensibilités environnementales, sociales et paysagères de John
Ruskin (1819-1900) et ses Pierres de Venise (1851) ou bien de William Morris (1834-1896)
et ses Nouvelles de nulle part (1890). Ces deux figures du mouvement Arts and Crafts
inspirent à Howard Ebenezer (1850-1928) la Garden City, déclinée en France dans les
cités-jardins qui connaissent leur apogée pendant l?entre-deux-guerres, modèle qui
connaît depuis vingt ans un regain d?intérêt68. Cependant, dans son application, en
France comme à l?étranger, la cité-jardin n?a pas réussi à mettre en place la vision
coopérative et communautaire à l'origine de cet urbanisme désireux de s?opposer à
l?urbanisation incontrôlée des centres industriels et aux conditions indignes de très
nombreux logements populaires. Ebenezer, dans son ouvrage Tomorrow - A peaceful
66 Question débattue depuis le XVIIIe siècle. FRESSOZ, Jean-Baptiste, LOCHER, Fabien, Les révoltes du ciel. Une histoire du
changement climatique. XVe-XXe siècle, Paris, Seuil, 2020, p. 117-226.
67 LEROUX, Pierre, REYNAUD, Jean (dir.), Encyclopédie nouvelle. Dictionnaire philosophique, scientifique, littéraire et
industriel offrant le tableau des connaissances humaines au XIXe siècle, Paris, Charles Gosselin, 1842, p. 687.
68 BATY-TORNIKIAN, Ginette (dir.), Cités-jardins. Genèse et actualité d'une utopie, Paris, Éditions Recherches, 2001, 157 p.
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 71
path to real reform paru en 1898, envisage un modèle économique et planificateur qui
permet à la communauté d?organiser un écosystème résilient, solidaire et durable. La
maîtrise d?ouvrage doit être confiée à un seul aménageur, privé ou public, et les
bénéfices entièrement utilisés pour l?entretien de la cité-jardin, accentuant une gestion
?en commun?69. Dans les faits, les ambitions utopiques d?Ebenezer ont été dénaturées,
les cités-jardins réalisées s?assimilent plus à des cités dortoirs périphériques moins
denses et plus arborées, sans parvenir à une autonomie de fonctionnement même
partielle70.
D?autres expériences communautaires qui visent à une réappropriation territoriale sont
également menées à partir de la fin du XIXe siècle. Ce sont en particulier les jardins
partagés ou ouvriers créés en 1896 par l?abbé Jules-Auguste Lemire (1853-1928), proche
du socialisme guesdiste et collectiviste. Au-delà du contrôle social, de la possibilité
d?une agriculture de subsistance ou d?un complément de revenu, cette initiative
procède d?une vision pédagogique selon laquelle le jardin permet de cultiver son
rapport à la nature et à sa temporalité. Cependant les protections juridiques dont
bénéficient ces jardins ne leur permettent pas de résister facilement à la pression
foncière du siècle passé qui a avalé de nombreuses ceintures maraichères, et
aujourd?hui leurs inscriptions aux plans locaux d?urbanisme (PLU) restent hasardeuses71.
En 1906, dans son livre La fleur et la ville, Georges de Montenach (1862-1925), influencé
par Ruskin et Morris, invite même les habitants des villes à installer des jardins potagers
par-dessus leurs toits, défis toujours actuels, comme un moyen également de décorer
la grisaille des quartiers populaires en s?en appropriant et en en cultivant le paysage,
germe d?un urbanisme végétal partagé72.
Espaces agricoles et paysage urbain
Des continuités historiques et des ambitions environnementales et sociales relient les
communs d?aujourd?hui à ces expériences passées, tantôt disparues, tantôt laissées en
friche, tantôt en sursis. De l?origine rurale déjà évoquée de la notion de commun
s?ajoute également un fort intérêt pour le rôle que peut jouer l?agriculture urbaine dans
une alimentation pour partie relocalisée, dans la production de nouveaux liens sociaux
et dans la construction d?un paysage déminéralisé. L?actualité fait écho à l?histoire, à
l?instar des permis de végétaliser les pieds d?arbre à Paris ou bien des Petites Serres de
l?ÉcoQuartier Bongraine en cours de construction et conçues dans le cadre d?ateliers
participatifs. L?aménagement de communs perpétue ici la recherche d?un
contournement du zonage, exacerbé par l?exode rural, entre un espace urbain pensé
comme le lieu de la consommation et un espace agricole devenu le lieu presque exclusif
de la production de l?alimentation des villes, opposant deux formes perçues comme
69 ROUX, Jean-Michel, ! Cité-jardins en France: ni gouvernance, ni capitaux ", Tous urbains, n°33, 2021, p. 17-23.
70 AUDRA-ANDRÉ, Valérie, ! Idéologie et morphologie de la ville, le cas des cités-jardins d?Ebenezer Howard : by Wisdom
and Design ", dans MENEGALDO, Hélène, MENEGALDO, Gilles (dir.), Les imaginaires de la ville. Entre littérature et arts,
Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2007, p. 53-63
71 DUBOST, François, ! Jardins collectifs : de l?abbé Lemire aux jardins d?insertion. Typologies ? Expériences ? Enjeux de
conservation ", In Situ, Revue des patrimoines, n°37, 2018, en ligne, https://journals.openedition.org/insitu/18676, consulté
le 28 août 2023.
72 PAQUOT, Thierry, Le Paysage, Paris, La Découverte, 2016, 144 p.
https://journals.openedition.org/insitu/18676
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 72
rivales d?usage du sol. Là encore, dès le milieu du XIXe siècle s?élèvent des voies
critiques, dont Karl Marx (1818-1883), qui regrettent la rupture en train d?advenir de la
relation métabolique entretenue entre la ville et ses productions maraîchères, et plus
largement entre nature et société, bouleversée par l?industrialisation et le
réaménagement des territoires qui l?accompagne73.
En réponse émerge peu à peu le concept de région urbaine, qui anticipe celui
contemporain de biorégion et qui vise à associer les habitants, les activités et les lieux
dans un processus d?aménagement concerté d?un territoire dont les frontières
épousent parfois l?extension ! naturelle " des villes perçues comme des organismes
vivants. Les promoteurs de ce ! régionalisme " sont mus par des aspirations
décentralisatrices ou fédéralistes qui peuvent s?inspirer de Proudhon, d?Auguste Comte
(1798-1857), de Frédéric Le Play (1806-1882) ou d?Élisée Reclus (1830-1905), en valorisant
des formes d?organisations associatives ou coopératives74. Ces réflexions animent entre
autres le Musée social, fondé en 1894, promoteur entre autres des habitations à bon
marché ou des cités-jardins, qui préside en 1911 à la fondation de la Société française
des urbanistes. Montenach, qui prévoit que ! la ville cessera aussi d?exister pour devenir
une vaste région urbaine "75, perçoit dans la notion de paysage urbain qu?il introduit
l?effet panoramique exercé par la ville sur la construction de l?architecture de son
environnement, proche et plus ou moins lointain. En ce sens, une agriculture reliée et
solidaire de la ville peut participer de la construction d?un paysage urbain qui sache
s?intégrer dans l?environnement et le métabolisme de son territoire.
Des territoires en communs et coconçus
À la dénonciation de la déstructuration des territoires ruraux s?ajoute enfin celle de la
ville même sous l?effet de l?urbanisation et de l?industrialisation. C?est ! le règne de
l?urbain et la mort de la ville " que regrette Françoise Choay76, après avoir déjà mis en
évidence les origines utopiques de l?urbanisme moderne et la rupture spatiale entre une
société de représentation et une société de circulation lors de la Révolution
industrielle77. Alberto Magnaghi (né en 1941) formule un constat similaire, accusant la
soumission de l?ensemble du territoire à une même vision productiviste. Il aborde le
territoire comme un bien commun78 et envisage ?un retour à la ville? qui passe par ! la
division des mégalopoles en petites unités urbaines mêlant, selon leurs histoires et leurs
cultures, les nouvelles campagnes et villes, interdépendantes, autogérées et
solidaires "79. Autour de son référent conceptuel de la biorégion urbaine, il invite à
73 FRESSOZ, Jean-Baptiste, ! Écologies marxistes et écologies de la modernité. À propos de John Bellamy Foster, Marx?s
ecology. Materialism and Nature, Monthly Review Press, New York, 2000 ", Mouvements, n°66, 2011, p. 155-159.
74 PAQUOT, Thierry, ! Vers des ?biorégions urbaines? ? ", Constructif, n°60, 2021, p. 79-83.
75 MONTENACH, Georges de, Pour le Village. La conservation de la classe paysanne, Paris, Payot, 1916, p. 131.
76 CHOAY, Françoise, ! Le règne de l?urbain et la mort de la ville ", dans CHOAY, Françoise, Pour une anthropologie de
l?espace, Paris, Le Seuil, 2006 (1994), p. 165-198.
77 CHOAY, Françoise, ! Espacements. L?évolution de l?espace urbain en France ", dans CHOAY, Françoise, La terre qui meurt,
Paris, Fayard, 2011 (1969), p. 16-60.
78 MAGNAGHI, Alberto, Le principe territoire, Paris, Eterotopia France, 2022, 240 p.
79 PAQUOT, Thierry, op. cit., p. 82.
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 73
l?expérimentation, avec par exemple la fondation d?une société des territorialistes à
Florence en 2010.
Thierry Paquot (né en 1952), qui participe à la diffusion des idées de Magnaghi en
France, appelle à un écodesign territorial, c?est-à-dire ! un art de faire du commun
inscrit dans un territoire par les habitants eux-mêmes " et qui ! doit se substituer à
l?urbanisme "80. Cette proposition fait écho aux thèmes et aux thèses qui
accompagnent la société industrielle, son urbanisme et l?exploitation du territoire
depuis son émergence. Paquot soulève à sa façon une aporie inhérente à la notion de
communs dans le cadre d?un aménagement programmé car celui-ci s?inscrit dans un
espace et un imaginaire juridiques, architecturaux et urbains qui ont émergé avec la
disparition des communs ruraux. Une formule qui peut être associée à l'écodesign
territorial de Paquot, et rencontrée dans ces ateliers, est celle du projet de la cour
Lamoot à Lille. Il s?agit là de pérenniser les usages positifs développés par des privés
mais dépourvus de l?autorisation préalable d?exploiter un foncier qu?ils se sont de fait
approprié. Le projet prévoit de définir un cadre juridique et des règles a posteriori pour
maintenir une solution imaginée par les habitants pour leurs besoins.
Les communs pour réinventer l?urbanisme
Franck Boutté (né en 1968), grand prix de l?urbanisme 2022, milite également pour un
recentrement de la pratique urbanistique autour des communs, émettant l?hypothèse
de la trop grande distance avec cette notion ! parmi les causes premières du
déséquilibre entre les impacts générés par les espaces urbains sur leur environnement
et les capacités de résilience de cet environnement "81. Il décline trois facettes autour
de cette notion : la prise en charge de l?impact sur les biens communs - ressources ou
écosystèmes, des opérations d?aménagement ; l?identification des ! intérêts/objectifs
communs " transverses aux parties prenantes en vue de la définition d?objectifs
transverses aux acteurs ; enfin une démarche de ! conception commune " pour !
impliquer, sensibiliser et fédérer les différents acteurs, cumuler les imaginaires et
mobiliser les expertises d?usages locaux, afin de définir un projet souhaité et soutenu ".
Ces propositions, tout comme les démarches actuellement engagées pour préserver ou
introduire des communs dans les projets d?aménagement, semblent ainsi perpétuer
l?expérimentation de modèles de développement qui tendent à créer un compromis
entre industrialisation, société et environnement. Les détériorations des conditions
environnementales et climatiques engendrées par la révolution industrielle et son
modèle de développement et d?urbanisation, questionnent la durabilité des modes de
vie et de sociabilité qui en découlent. Ce qui semble ainsi se jouer, c?est la recherche
d?une formule qui réussisse à faire coïncider le progrès technologique et son expérience
la plus intime, à savoir l?hygiène, le bien-être et le confort, avec la pérennité de
l?environnement et du climat dont par ailleurs dépendent également l?hygiène, le bien-
80 BEAU, Franck, ! Thierry Paquot : ?l?éco-design territorial doit se substituer à l?urbanisme? ", Horizons publics, Hors Série,
Le design au service du territoire, hiver 2020, p. 34-39.
81 MASBOUNGI, Ariella, PETITJEAN, Antoine (dir.), L?urbanisme, vecteur de transitions, Franck Boutté, Grand Prix de
l?urbanisme 2022, Marseilles, Parenthèses, 2022, p. 159.
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 74
être et le confort. De cette mise en perspective historique, les communs interrogent les
imaginaires de performance, de productivité et d?exploitation, proposant d?intégrer
des dimensions locales, sociales et environnementales dans la gestion des ressources.
En ce sens, les biens, les objectifs et les espaces communs peuvent devenir les outils
pour accueillir dans les projets d?aménagement ou de réaménagement futurs et à de
multiples échelles le développement durable, envisagé dès 1987 par le Rapport
Bruntland intitulé Our Common Future82, afin de répondre notamment aux exigences
des limites planétaires à ne pas dépasser83.
82 Disponible en ligne, http://www.un-documents.net/wced-ocf.htm, consulté le 31 août 2023.
83 Ce concept ! définit un espace de développement sûr et juste pour l?humanité, fondé actuellement sur neuf processus
biophysiques qui, ensemble, régulent la stabilité de la planète ". Parmi ces processus se trouvent le changement climatique,
l?érosion de la biodiversité, les changements d?utilisation des sols, l?utilisation mondiale de l?eau ou la perturbation du cycle
de l?azote et du phosphore, qui correspondent directement à une occupation du paysage et du rapport notamment
entretenu entre ville et campagne.
ADEME, Présentation du concept des limites planétaires, en ligne, https://www.notre-environnement.gouv.fr/rapport-sur-l-
etat-de-l-environnement/themes-ree/defis-environnementaux/limites-planetaires/concept/article/presentation-du-concept-
des-limites-
planetaires#:~:text=Le%20concept%20des%20limites%20plan%C3%A9taires,biog%C3%A9ochimiques%20de%20l'azote%20
et, consulté le 31 août 2023.
http://www.un-documents.net/wced-ocf.htm
https://www.notre-environnement.gouv.fr/rapport-sur-l-etat-de-l-environnement/themes-ree/defis-environnementaux/limites-planetaires/concept/article/presentation-du-concept-des-limites-planetaires#:~:text=Le%20concept%20des%20limites%20plan%C3%A9taires,biog%C3%A9ochimiques%20de%20l'azote%20et
https://www.notre-environnement.gouv.fr/rapport-sur-l-etat-de-l-environnement/themes-ree/defis-environnementaux/limites-planetaires/concept/article/presentation-du-concept-des-limites-planetaires#:~:text=Le%20concept%20des%20limites%20plan%C3%A9taires,biog%C3%A9ochimiques%20de%20l'azote%20et
https://www.notre-environnement.gouv.fr/rapport-sur-l-etat-de-l-environnement/themes-ree/defis-environnementaux/limites-planetaires/concept/article/presentation-du-concept-des-limites-planetaires#:~:text=Le%20concept%20des%20limites%20plan%C3%A9taires,biog%C3%A9ochimiques%20de%20l'azote%20et
https://www.notre-environnement.gouv.fr/rapport-sur-l-etat-de-l-environnement/themes-ree/defis-environnementaux/limites-planetaires/concept/article/presentation-du-concept-des-limites-planetaires#:~:text=Le%20concept%20des%20limites%20plan%C3%A9taires,biog%C3%A9ochimiques%20de%20l'azote%20et
https://www.notre-environnement.gouv.fr/rapport-sur-l-etat-de-l-environnement/themes-ree/defis-environnementaux/limites-planetaires/concept/article/presentation-du-concept-des-limites-planetaires#:~:text=Le%20concept%20des%20limites%20plan%C3%A9taires,biog%C3%A9ochimiques%20de%20l'azote%20et
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 75
2.2 ENJEUX PROSPECTIFS AUTOUR DES COMMUNS
DANS L?AMENAGEMENT
Cette incubation du Lab2051 consacrée aux communs invite à trois types de
prolongements :
La poursuite de l?accompagnement et de la capitalisation des pratiques
aménagistes : cette incubation n?ayant pu aborder, du fait que les participants
étaient tous en phase de programmation ou de conception, les phases de
réalisation et de gestion, tant sous un angle contractuel que technique et
d?animation ;
L?examen de situations de communs non couvertes par la présente incubation
: les ressources en eau, la gestion des déchets ou de l?énergie qui sera traitée via
l?accompagnement à la mise en place des communautés locales de l?énergie
dans le cadre des suites du Lab Autoconsommation collective et des travaux de
recherche du PUCA?
L?élargissement de la réflexion au-delà de la sphère aménagiste au sens
opérationnel du terme, qui interroge, dans les pratiques de l?aménagement, du
réaménagement ou du ménagement du territoire, la limite entre intérêt général
et intérêt individuel, et invite à repenser la notion de corps intermédiaire, que
les communautés présentées dans ce rapport viennent illustrer.
QUELLES QUESTIONS TRAITER A LA SUITE DE CETTE INCUBATION
DU LAB2051 ?
Les participants à cette incubation étaient, pour la plupart, lauréats de dispositifs de
soutien à l?innovation urbaine (DVD ou EQLD), et donc en phase de programmation
voire de conception (éventuellement assortie de préfigurations de fonctionnement) de
leurs projets. L?accompagnement et la capitalisation ont donc porté sur ces étapes,
dans les différentes configurations décrites par la typologie du présent rapport.
Les étapes ultérieures des projets (mise en place puis gestion des ressources, montée
en autonomie des communautés, évolution des communautés, des règles, voire des
ressources) forment un panel de situations qui aujourd?hui posent de nombreuses
questions, que les aménageurs et constructeurs tentent d?encadrer ?a priori?,
notamment avec les analyses et outils collectés lors de cette incubation.
Il importe de compléter ces outils par une approche ?ex post?, afin d?en évaluer
l?efficacité.
Pour cela, il est proposé de conduire une observation, sur les projets ayant participé à
cette incubation, de la manière dont les communs se développeront effectivement, de
l?accompagnement que cela nécessitera, de leur l?impact socio-économique et
environnemental.
Un mode opératoire pourrait être la conduite, annuellement sur la période 2024-2026
(soit le temps des premières réalisation immobilières), d?échanges bilatéraux avec les
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 76
projets ayant participé à la première incubation, suivi d?un ou deux ateliers collectifs,
destinés à partager les résultats.
Ce mode opératoire léger permettrait d?enrichir de manière décisive la boite à outils,
de manière d?autant plus efficace qu?il bénéficierait de la connaissance mutuelle des
porteurs de projets et de leur maturité sur le sujet des communs.
A cette occasion, des communs non étudiés pourraient être mis à l?agenda, tels l?eau et
les déchets.
Enfin, des croisements ?inter-incubations? pourraient être envisagées, par exemple
avec les participants du Lab Mixité - Réversibilité, Autoconsommation collective ou
Nature en Ville, qui partagent des enjeux de mutualisation avec le Lab dédié aux
communs.
LES COMMUNS DANS L?AMENAGEMENT : AU-DELA D?UNE
PROBLEMATIQUE AMENAGISTE, UNE QUESTION DE GOUVERNANCE
TERRITORIALE
La mise en place de communs urbains dans des opérations d?aménagement soulève des
enjeux transverses aux modèles de conception et de gestion qui dominent
l?organisation spatiale, sociale et économique du territoire depuis environ deux siècles.
En interpellant la polarisation très forte entre l?État et les citoyens instaurée à partir de
la Révolution française de 1789, les communs explorent et interrogent les pratiques
urbanistiques qui ont organisé la territorialité depuis, tout en puisant leurs inspirations
dans des modèles mutuels d?organisation spatiale, sociale et économique alternatifs et
parfois subversifs. Ces origines partagées s?inscrivent dans la tension héritée des
Lumières et de la Révolution entre l?universel et le particulier, entre le général et
l?individuel, entre le global et le local, aujourd?hui nous dirions entre ?jacobinisme? et
?régionalisme?. Cette tension a marqué et marque encore actuellement les débats
politiques comme les pratiques d?aménagement, toujours plus objets de controverse
lorsque des opérations sont dénoncées pour leur influence négative sur les écosystèmes
et la biodiversité existants et environnants. La réappropriation et le détournement par
des militants et des activistes de l?anagramme ZAD, introduit en 1962 pour désigner une
Zone d?Aménagement Différé, transformé en Zone À Défendre, sont révélateurs d?une
contestation qui ne se limite pas à l?objet mais qui s?étend à la méthode même de
l?opération. En ce sens, les communs urbains peuvent s?avérer un moyen de recoudre
ces divergences en faisant de la place à des initiatives locales qui puissent satisfaire les
besoins des communautés et des écosystèmes, dans la continuité des efforts menés
depuis les années 1980 en faveur d?une décentralisation encore inachevée.
L?installation de communs doit donc parvenir à se loger dans des pratiques et des
cultures de opérationnelles de projet qui n?en possèdent ou n?en partagent pas
forcément la grammaire84. Elles-mêmes sont intimées de réformer la leur, ce afin de
84 FIORI, Sandra, GHOCHE, Ralph, MANIAQUE, Caroline (dir.), ! Que font les mobilisations environnementalistes à
l?architecture, à l?urbanisme et au paysage ? ", dossier thématique, Les Cahiers de la Recherche Architecturale, Urbaine et
Paysagère, n°17, 2023, en ligne, https://journals.openedition.org/craup/12049, consulté le 12 août 2023.
https://journals.openedition.org/craup/12049
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 77
permettre la préservation de l?environnement, notamment avec les prescriptions de
l?objectif Zéro Artificialisation Nette (ZAN) inscrit dans la loi Climat et résilience du 22
août 2021. Elle définit pour la première fois dans la loi la notion d?artificialisation du sol
qui est, selon la dernière version de l?article L.101-2-1 du Code de l?Urbanisme en vigueur
depuis le 25 août 2021 !?l?altération durable de tout ou partie des fonctions écologiques
d?un sol, en particulier de ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques, ainsi que
de son potentiel agronomique par son occupation ou son usage?"85. Il s?agit d?un
changement profond de philosophie où le sol n?est plus seulement vu comme un
élément inerte sur lequel poser des activités mais désormais comme un acteur
organique qui peut activement fournir des services écologiques essentiels à la résilience
des espaces et des territoires face aux conséquences du réchauffement climatique. Par
ailleurs, la raréfaction du foncier ENAF (Espaces Naturels, Agricoles et Forestiers) induite
par les dispositions de la loi Climat et résilience, si elle entraîne une concurrence entre
collectivités pour faire valoir leurs projets d?aménagement d?envergure majeure ou
régionale, doit aussi être une incitation à penser autrement la vie et le développement
des territoires.
Potentiellement les communs peuvent s?avérer un outil pivot dans la réécriture des
logiciels de l?aménagement et de l?urbanisme qui doivent s?approprier ces nouvelles
mesures réglementaires et ce nouveau paradigme. Une telle réécriture touche à la fois
l?architecture et la spatialité, l?environnement naturel, culturel, climatique, juridique et
économique, la société et les institutions. Les communs sont à l?articulation de ces
tensions qui persistent entre l?universalisme de modèles type et leur déclinaison
territoriale. Un défi important se situe dans la compréhension et l?appréhension de cet
objet par les acteurs actuels et futurs de l?aménagement et de l?urbanisme qui jusqu?à
présent ont eu tendance à évoluer dans un écosystème et un imaginaire architectural,
environnemental, juridique, économique et social en opposition aux écosystème et
imaginaire véhiculés par les communs, dont les modèles peuvent être confrontés à un
risque de marchandisation et donc de dénaturation. Dans le prolongement des
réflexions de Thierry Paquot, Alberto Magnaghi ou de Franck Boutté, il faut parvenir à
dépasser les limites actuelles des outils de diagnostic territorial, environnemental et
architectural, pour qu?ils intègrent davantage les tensions entre aménagement et
environnement, entre global et local et qui d?autre part sachent entrevoir les possibles
symbioses entre communautés, territoires et environnement.
Plus largement, associer la culture et la pratique des communs aux objectifs de
l?aménagement durable et aux luttes contre les crises environnementales et climatiques
peut accompagner un réinvestissement des espaces urbains et naturels sous un angle à
la fois matériel et immatériel, à la fois sensible et opérationnel. De façon sous-jacente,
c?est la pérennité d?un modèle d?aménagement vertical qui est questionnée, dans
lequel, malgré l?obligation de concertation et l?engagement de nombreux maîtres
d?ouvrage en la matière, ne responsabilise pas suffisamment les communautés
concernées vis-à-vis de leur environnement. Le concept même de ?projet?, dans ses
dimensions managériale et performative, renvoie à cet imaginaire segmenté qui sépare
le quantifiable du non quantifiable, de ce qui peut avoir facilement une traduction
85 En ligne, https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000043967077, consulté le 20 août 2023.
https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000043967077
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 78
technique et économique du reste, à l?instar de la biodiversité d?un terrain, de
l?ombrage d?un arbre ou de l?humidité s?élevant d?une noue, ressources toujours plus
précieuses. En ce sens, l?installation de communs dans l?aménagement urbain peut aussi
être l?occasion de s?interroger sur ce ! discours instaurateur " propre aux cultures
urbaines depuis le De raedificatoria (1452) de Leon Battista Alberti (1404-1472) et
l?Utopie (1516) de Thomas More (1478-1535) comme l?a montré Françoise Choay86, et
que la Révolution industrielle a exacerbé. L?enjeu n?est pas la disparition de ce discours
mais sa démocratisation à travers les communs sous la forme d?une (ré)appropriation
partagée et locale entre ses détenteurs habituels et des communautés qui en ont été
marginalisées.
L?ambition de cet aménagement et de cet urbanisme renouvelés n?est pas tant de faire
cohabiter des espaces publics, privés et communs mais de les faire collaborer en étant
attentif aux interdépendances qui existent entre ces espaces, qu?elles soient
écologiques ou économiques. Ceci demande une approche transdisciplinaire capable
de dépasser des barrières à la fois architecturales et mentales pour pouvoir associer
dans les projets des dimensions locales et globales, environnementales et sociales,
économiques et éthiques. Idéalement, il faut parvenir à valoriser et soutenir dans
l?agencement spatial et architectural les services écosystémiques qui peuvent être
rendus par ces communs en faveur d?un bien commun multidimensionnel - l?intérêt
général - dans un cycle vertueux qui intéresse toutes les parties prenantes. Ces
agencements spatiaux et architecturaux qui associent le construit, la société et
l?organique ainsi que les règles qui assurent le fonctionnement local de ces
agencements et leurs interactions avec d?autres ne peuvent correspondre à des
modèles uniques et uniformes mais doivent être déclinés en cohésion et en coopération
avec les particularités et les caractéristiques d?un ! genius loci " à (re)découvrir ou à
(ré)inventer sous les auspices d?une gouvernance territoriale renouvelée.
86 CHOAY, Françoise, La Règle et le Modèle. Sur la théorie de l?architecture et de l?urbanisme, Paris, Seuil, 1996, 392 p.
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 79
2.3 INTERVENTION ORALE DE RAPHAËL BESSON, 18
OCTOBRE 2023, LE HAVRE
Logéo Seine est un des porteurs de projets ayant activement participé à l'incubation
dédiée aux communs ; cette entreprise sociale pour l?habitat a notamment accueilli le
troisième atelier, en mars 2023. A cette occasion, l?idée a germé d?organiser une
restitution des travaux dans les locaux du 139, à la fois siège social de l?entreprise,
incubateur, et espace de rencontres et de débats.
La restitution a ainsi été organisée le 18 octobre 2023, en trois parties : une présentation
du contenu du rapport, une discussion avec Raphaël Besson, urbaniste et chercheur
s?intéressant en particulier aux communs urbains, et une table ronde associant trois
porteurs de projets incluant des communs, le Ministère de la Transition écologique en
tant que pilote du Lab2051, le GIP EPAU en tant que responsable du programme
Engagés pour la Qualité du Logement Demain. La rencontre a été conclue par Jean-
Baptiste Gastinne, maire adjoint du Havre chargé de l?urbanisme.
Les paragraphes qui suivent retranscrivent l?intervention de Raphaël Besson, dont le
regard critique s?est exprimé en soulignant les apports du rapport et les dilemmes que
le développement de communs suscite aux acteurs de l?aménagement.
Raphaël Besson est le fondateur et directeur de Villes
Innovations, un bureau d?étude spécialisé en stratégies
d?innovation urbaine et politiques de transition
territoriale.
Co-fondateur du LUCAS (Laboratoire d'usages culture(s) ?
arts ? société) et chercheur associé au PACTE-CNRS,
il s?intéresse plus particulièrement aux lieux de savoir et
d?innovation (tiers lieux par exemple), à la biopolitique des villes, aux politiques
culturelles et d?innovation urbaine (dont l?urbanisme transitoire).
Il est à l?origine de différents écrits dont :
Infléchir la trajectoire d?un territoire et fabriquer la transition par les tiers-lieux :
le cas de la ville de Digne-les-Bains, Géographie, économie, société, 2022.
De la critique théorique au ! faire " : la transformation du droit à la ville à travers
les communs madrilènes, Métropolitique, 2018
Transformer les pratiques ? Bâtir une culture de la coopération, Nectart n°12,
2021
LES APPORTS DU LAB2051 ET DE SON RAPPORT
La mise en perspective historique
https://hal.science/hal-01865857
https://hal.science/hal-01865857
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 80
On pourrait penser que la question des communs urbains est une question
éminemment contemporaine, qui se structure essentiellement en réaction à ce que
certains auteurs décrivent comme la ! tragédie des communs ". Face aux limites du
néolibéralisme et à ses dérives, face à un contexte transitionnel, il semble désormais
urgent que nos sociétés apprennent à coopérer, afin de préserver les ressources
(notamment foncières) et les derniers biens communs (c?est ici l?hypothèse défendue
par des économistes comme Elinor Ostrom, Jeremy Rifkin ou encore Eloi Laurent).
Or le rapport du Lab2051 nous montre que les communs s?inscrivent dans une longue
lignée historique. Les communs ont influencé l?histoire de l?aménagement et de certains
modes de gestion et de propriété ! déclinés autour des usages et de ressources à gérer,
préserver et pérenniser ".
Selon les auteurs du rapport, les formes urbaines contemporaines puisent une partie de
leur inspiration dans les différents courants apparentés aux socialismes utopiques du
XIXe siècle, eux-mêmes inspirés des expériences rurales de gestion partagée des
ressources. On pense par exemple aux cités ouvrières (ex. la cité Napoléon inaugurée
en 1851), qui ont aménagé les logements ouvriers autour d?un certain nombre de
communs (avec l?installation de garderies ou de séchoirs et lavoirs communs).
Au début du XX siècle, les lavoirs collectifs ou municipaux, souvent associés à des bains-
douches, vont devenir des incontournables des logements populaires ou des nouveaux
quartiers construits avant et après la première guerre mondiale.
Je ne rentre pas dans les détails, mais ce rapport a le mérite de nous montrer que la
question des communs urbains, n?est pas une question nouvelle. Et il existe un vrai
intérêt à regarder de plus près la manière dont les communs urbains ont été traités dans
l?histoire de l?aménagement.
La complexité et la diversité des communs urbains
Le rapport du Lab2051 nous permet également d?éviter l?écueil d?appréhender les
communs urbains comme un objet homogène. Il nous donne à voir au contraire toute
la complexité et la diversité des communs urbains, tant au niveau de leur objet, de leurs
modalités de gestion des ressources, de leurs origines ou de leurs modèles
économiques.
Les communs urbains peuvent avoir par exemple pour objet des tiers lieux, des jardins
partagés, des terrains de sport, des salles communautaires, des formes d?habitats
participatifs, des salles communes, des cuisines, des cours ou des parkings partagés.
Par ailleurs, le rapport nous montre que les communs urbains ne se caractérisent pas
uniquement par leur localisation ou leur concentration dans la ville (Susser et Tonnelat,
2013) mais aussi par la construction des dispositifs participatifs qui permettent d?inclure
les usagers dans les activités de co-délibération et de co-décision. Je rajouterais une
autre spécificité des communs urbains : ils se déploient aussi dans des milieux où
certaines ressources sont particulièrement rares et en tension, avec notamment
l?existence de prix du foncier et de l?immobilier élevés et une concentration
démographique importante.
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 81
Le rapport nous montre également que les ressources mobilisées dans les communs
urbains peuvent être constituées par des biens publics, privés ou immatériels. Au-delà
de la diversité de la nature de la ressource, c?est aussi la façon de la gérer qui est
multiforme. Au coeur des communs urbains se trouvent des communautés hétérogènes
: on retrouve des communautés d?habitants, des collectifs d?architectes-urbanistes, des
acteurs privés ou institutionnels. Il peut donc exister des intérêts très différents qui se
rencontrent dans la prise en charge des communs.
L?intérêt méthodologique
Et le troisième apport de ce rapport est à mon avis méthodologique. Il reprend un
certain nombre de classifications opérées par Elinor Ostrom pour différencier les biens
(les biens privés/communs ou collectifs) et classer les droits des acteurs associés à leur
position (les propriétaires, les possesseurs, les détenteurs de droits d?usage et de
gestion, les utilisateurs autorisés?).
Mais il prolonge ces classifications par une proposition de typologie et d?une grille
d?analyse des communs. Et ces outils méthodologiques sont à mon avis extrêmement
pertinents pour y voir un peu plus clair dans la manière d?appréhender et de gérer les
communs urbains. Le rapport propose notamment une matrice avec deux entrées
principales, qui permettent d?appréhender la très grande variété de configurations des
communs urbains :
La première entrée concerne la situation initiale rencontrée par le constructeur ou
l?aménageur souhaitant développer un commun : il peut s?agir d?un commun existant et
non institutionnalisé ; d?un commun inexistant, mais qui bénéficie de la présence de
ressources et d?une communauté?).
L?autre entrée fait référence aux ressources (bâti, eau, déchet, énergie?), aux types de
communauté et d?usagers, et aux règles formalisées entre les différentes parties
prenantes (collectivité, aménageur, constructeur, communauté, usagers?).
DILEMMES
Bref, on le voit ce rapport est pertinent et utile ! Mais malheureusement, il ne parvient
pas à dépasser les dilemmes que posent les communs aux politiques d?aménagement
urbain. Et je vous rassure, c?est normal tellement ces dilemmes sont nombreux et
complexes.
Ces dilemmes constituent des problèmes non résolus, qui apparaissent de manière
récurrente lors du développement et de la gestion des communs urbains. Ces dilemmes
n?appellent pas à des choix exclusifs entre des propositions en apparence
contradictoires. Ils invitent davantage à ouvrir des espaces de réflexion pour assurer
des formes de clarification ou d?évolution possibles des politiques d?aménagement
urbain. Je précise que ces dilemmes, s?ils ne sont pas débattus ou clarifiés, constitueront
à mon avis des freins ou des sources de tension potentielle, à la mise en oeuvre d?une
politique urbaine de soutien aux communs.
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 82
Je vais principalement décrire quatre dilemmes :
Dilemme 1. Expérimentation / Institutionnalisation
Les communs urbains doivent-ils se réduire à la production d?expérimentations urbaines
isolées et éphémères ou ont-ils vocation à transformer les régimes dominants de la
fabrique et de la gouvernance urbaine ?
S?agit-il de produire des résultats à court terme, à travers l?organisation de micro-
expérimentations (avec notamment une logique de rentabilisation ponctuelle
d?espaces vacants), ou d?accompagner à long terme la transformation des grandes
politiques d?aménagement ?
Quelle pérennité des approches urbaines fondées sur les communs, au-delà de la fin des
subventions publiques ou privées dédiées aux expérimentations et des changements
de collectifs ou de gouvernements locaux ?
Au-delà d?une échelle micro, les communs urbains peuvent-ils raisonnablement
s?envisager à une échelle supérieure (métropolitaine, régionale ou nationale), et
constituer une organisation urbaine, politique et économique alternative ?
Quel équilibre trouver entre une volonté d?expérimenter en grandeur réelle de
nouveaux modes de fabrique et de gestion urbaine fondée sur les communs, et la
tentation d?institutionnaliser ces démarches dans le cadre d?une politique publique
dédiée ? Comment conserver un certain degré d?indéfinition et de préservation de
l?hors-norme, tout en prônant le changement d?échelle des approches urbaines fondées
sur les communs ?
Une politique d?aménagement fondée sur les communs s?inscrit-elle dans une
dynamique de territorialisation, en s?adaptant à la spécificité de chaque territoire, ou
dans une politique publique nationale de décentralisation de modèles pensés depuis le
haut ? Comment faut-il travailler le processus d?institutionnalisation des communs
urbains, par le bas ou par le haut ? Les deux ?
Ces différentes questions invitent en réalité à s?interroger sur la capacité des communs
urbains à répondre dans la durée aux besoins qui ont motivé leur émergence et à
participer au renouvellement des politiques urbaines?. Alors même que leur fragilité
est évidente : leurs modèles économiques restent précaires, les dynamiques collectives
sont fragiles, les accompagnements institutionnels sont souvent insuffisants. Et surtout
les coûts humains et économiques induits par les dynamiques de coopération sont
particulièrement nombreux.
On peut donc légitimement s?interroger : la lourdeur des dispositifs de coopération ne
risque-t-elle pas de prendre le pas sur le projet des communs eux-mêmes et leurs enjeux.
Sans oublier que le décalage entre les promesses initialement formulées par les
communs et la réalité% des actions engagées, peut produire un certain nombre de
frustrations parmi les populations et les parties prenantes des démarches.
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 83
Dilemme 2. Citoyens / Usagers
Les approches urbaines fondées sur les communs visent-t-elles à construire des citoyens
autonomes en capacité d?agir à long terme sur le code-source de la fabrique urbaine (à
travers des formes réelles de co-programmation, de co-gestion/auto-gestion et de co-
évaluation des communs) ou des usagers bêta-testeurs et contributeurs d?expériences
urbaines alternatives, qui permettent notamment de compenser les défaillances du
marché et/ou des politiques publiques dans la conduite de missions de service public
traditionnelles ?
Dilemme 3. Économie marchande / économie non marchande
Quelle option de politique publique privilégier entre une volonté de penser et d?agir sur
les communs, en ouvrant des ressources et des espaces partagés et gratuits, et de
l?autre la nécessité d?identifier des modèles économiques pour la conception, la
construction, et la gestion des communs urbains ? Comment penser et agir sur les
communs urbains, tout en identifiant des modèles économiques pérennes ?
Autre question plus complexe : Comment estimer monétairement des biens, des
produits et des services urbains, culturels, économiques ou environnementaux
développés sur le mode de la coopération ? Comment valoriser économiquement des
biens dont les caractéristiques d?indivisibilité% , de non-rivalité, de non excluabilité% , les
rendent semblables aux biens publics et par conséquent irréductibles au statut de
marchandise ?
Et in fine, on pourra s?interroger sur le juste prix de la solidarité, du lien social, du bien-
être et de la préservation d?un environnement urbain de qualité ?
Dilemme 4. Sociétal / Culturel
Comment concilier l?enjeu social/sociétal des communs urbains et le désir de la majorité
des ménages français de posséder une maison individuelle? avec jardin ?
Au-delà de l?enjeu sociétal des communs, comment dépasser la culture de la propriété
individuelle ? Comment dépasser une vision de l?économie fondée sur un ! égoïsme
institutionnalisé " ? Comment construire et développer les communs dans les
dispositifs ! Démonstrateurs de la ville durable ", quand aucun des termes du début de
cette phrase n'est compréhensible par ceux qui sont censés en bénéficier ?
Ce que je veux vous dire par là, c?est que je pense qu?aucune politique publique fondée
sur les communs urbains ne pourra raisonnablement s?envisager sans une
transformation culturelle profonde de notre rapport à la propriété, à l?économie, aux
territoires et à nos manières de les habiter. Il s?agit là de transformer nos valeurs, nos
imaginaires, nos représentations et d?inventer de nouveaux récits de territoire.
Pour qu?une politique publique fondée sur les communs soit véritablement acceptable
et efficace, il est nécessaire que le substrat culturel de nos sociétés soit préparé et
aligné avec des transformations qui s?avèrent radicales. Sans une réécriture collective
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 84
des valeurs qui fondent nos sociétés, on peut raisonnablement faire l?hypothèse que la
question des communs restera circonscrite à des sphères essentiellement
institutionnelles, expérimentales ou académiques.
Au-delà de ces quatre dilemmes qui peuvent paraître comme quelque peu théoriques,
et difficilement dépassables (mon but n?est pas là de déconstruire les communs, mais
bien de pointer des futurs axes de travail), je pense que la solution passera moins par le
fait de penser les communs (beaucoup de choses ont d?ores et déjà été dites et écrites
à cet égard), que de les pratiquer. Il est urgent d?outiller les communs urbains et de les
faire atterrir dans la réalité des opérations d?aménagement. Ce rapport est à cet égard
extrêmement précieux? Mais ce n?est qu?un début.
Il y a une nouvelle ingénierie de l?action publique urbaine à bâtir. Une ingénierie urbaine
à mon avis, autrement plus complexe que les politiques urbaines, fondées sur des
logiques aménagistes, planificatrices et verticales. Bref, il reste à outiller les communs
urbains.
INVALIDE) (ATTENTION: OPTION es
relations et la connaissance de leurs fonctionnements sont essentielles dans la
définition des stratégies de résilience, qui résultent nécessairement en la
transformation des formes des agencements et des architectures. Ces formes, dont se
perçoivent aisément les contours physiques, reposent également sur un invisible fait de
règles et de lois, d?histoires sociales et environnementales, d?attachements culturels et
patrimoniaux. Par analogie, les territoires peuvent être vus comme des systèmes avec
leur part de biologique et de minéral, d?êtres vivants et de fossiles, et il s?agit d?agir sur
leurs écologies, dans un sens étymologique. Depuis l?adoption de la loi Climat et
résilience le 22 août 2021, les services écosystémiques rendus par les sols sont
officiellement reconnus et protégés, et les structures humaines doivent s?ajuster pour
composer au mieux avec ceux-ci.
! Les communs, à l?articulation entre écologie et aménagement "
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 60
Parmi les outils envisagés pour piloter au plus près ces transformations se distinguent
les communs, qui sont d?une parttransverses à différentes composantes d?un territoire,
au premier rang les ressources et les habitants, et qui sont d?autre part potentiellement
à l?articulation entre écologie et aménagement. Vincent Berdoulay et Olivier Soubeyran
remarquent d?ailleurs la difficulté pour la pensée aménagiste à ! intégrer pleinement
l?environnement [...] comme si pensée écologique et pensée aménagiste moderne
étaient difficilement compatibles, voire incompatibles, alors que précisément
l?adaptation présuppose leur articulation "25. Les communs sont associés à un régime
de propriété alternatif à ceux des biens privés, des biens publics ou des biens à péage
selon les travaux d?Elinor Ostrom. Leur mise en place suppose ainsi des modalités
concertées avec les communautés intéressées dans leur gestion et leur animation. Les
communs se détachent entre autres du modèle vertical dominant entre un concepteur
actif (l?État ou une entreprise par exemple) et un bénéficiaire passif (le citoyen ou le
consommateur) au profit de modèles horizontaux de co-conception, aussi bien pour
l?agencement des espaces qui accueillent les ressources que pour le choix des activités
ou des productions. Leur installation soulève ainsi des enjeux politiques, juridiques,
économiques ou encore sociaux. Par ailleurs, les communs, en s?écartant du modèle
productiviste et extractiviste qui a été mis en place depuis la Révolution industrielle et
s?est peu à peu imposé à l?ensemble des milieux anthropisés, s?avèrent un levier
potentiel pour actionner des transitions que doivent également accompagner des
façons renouvelées de concevoir l?aménagement des territoires, en agissant par
exemple sur leurs fonctions écosystémiques. En nécessitant de nouveaux besoins
spatiaux, pour assurer ces fonctions, pour accompagner les usagers, pour prévenir
d?éventuels conflits d?usage, les communs interrogent les répertoires des organisations
réglementaires et juridiques et des formes urbaines et architecturales dans lesquelles ils
doivent s?intégrer, et par-delà ces formes et ces organisations ils questionnent les
représentations et les imaginaires culturels, esthétiques ou historiques auxquels elles
sont rattachées. Les lois ne sont pas seulement des outils du législateur, mais sont aussi
des squelettes des paysages, du territoire et des services écosystémiques que ceux-ci
peuvent rendre.
Lorsque ! la grande majorité des émissions mondiales de gaz à effet de serre
proviennent des villes " comme le rappelle le site de Reinventing Cities26, une initiative
du C40 Cities Climate Leadership Group, il a semblé pertinent de se pencher sur les
origines et les trajectoires des communs au fur et à mesure de l?élaboration de ces
répertoires de formes et d?organisations qui suit l?anthropisation croissante des milieux.
Les communs ne sont pas des objets nouveaux et renvoient à une forme de
gouvernance qui précède la modernité juridique qui se déploie progressivement dans
l?Europe des Lumières et de la Révolution industrielle, particulièrement en France au
cours de la Révolution, de l?Empire et de la Restauration. L?historiographie
environnementale contemporaine a par ailleurs mis en avant l?inquiétude d?un agir
25 BERDOULAY, Vincent, SOUBEYRAN, Olivier, L?aménagement face à la menace climatique. Le défi de l?adaptation,
Grenoble, UGA Éditions, 2022, p. 20.
26 En ligne, https://www.c40reinventingcities.org, consulté le 21 juillet 2023, s. p.
https://www.c40reinventingcities.org/
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 61
anthropique sur les fonctions des milieux et des climats et ce dès la Renaissance27.
Comme le notent Berdoulay et Soubeyran, la première colonisation est en quelque
sorte le laboratoire d?un aménagement qui ! s?y conçoit le plus souvent comme la
fabrication des conditions d?arrachement aux contraintes de la nature "28. Il est
remarquable qu?émerge d?un même discours performatif du et sur le climat les
ferments d?une part de l?histoire des formes architecturales et urbaines sous la plume
de Jean-Baptiste Dubos (1670-1742), et d?autre part des organisations juridiques
actuelles sous la plume de Montesquieu (1689-1755), inspiré par Dubos, et qui
influencera les rédacteurs du Code Civil napoléonien. Le rapport entre la pensée
aménagiste et la pensée du milieu partagent ainsi des racines profondes, d?un Réaumur
(1683-1757) qui se préoccupe au début du XVIIIe siècle de l?état des forêts du Royaume
de France aux actions en faveur du reboisement menées durant le Second Empire et
confiées aux ingénieurs des grands corps techniques de l?État. Ceux-ci se structurent
également à partir du XVIIIe siècle et participent de la diffusion et à l?aménagement
d?un ! territoire productif ", comme l?extension sans limites ou frontières de la ville-
machine imaginée par les architectes d?alors29, réinventant au passage les notions de
ruralité ou d?urbanité.
S?inspirant de Berdoulay et Soubeyran selon qui ! il faut se représenter la pensée
aménagiste moderne comme le résultat de l?enchevêtrement de plusieurs strates
d?idées et de pratiques plutôt que celui d?une succession de systèmes de pensée où l?un
se substitue à l?autre "30, ce sont quelques instants de ce long processus de stratification
que ce travail propose d?explorer à l?aune des communs, notamment ceux incubés
durant le Lab2051, et d?enjeux environnementaux et climatiques qui traversent toute la
Révolution industrielle, avec son lot d?utopies, d?applications partielles, de luttes
politiques ou de controverses, des craintes de Réaumur aux ZADistes actuels.
Remarquons encore qu?un an avant la parution en 1867 de la Théorie générale
d?urbanisation de l?architecte et urbaniste Ildefons Cerdà (1815-1876), concepteur du
plan d?aménagement de Barcelone, qui introduit dans le vocabulaire de l?aménagement
le néologisme ! urbanisation ", le néologisme ! écologie " paraît sous la plume du
biologiste Ernst Haeckel (1834-1919)31. Deux disciplines naissent alors, l?urbanisme et
l?écologie modernes, que l?actualité semble réunir pour la première fois alors que l?on
s?inquiète déjà des effets de l?exploitation croissante des milieux naturels qui
alimentent en matières premières les usines des villes industrielles qui commencent leur
essor durant la première moitié du XIXe siècle. Ces craintes, qui reviennent
cycliquement, arrivent notamment après la privatisation des communs de l?Ancien
Régime, après l?établissement d?une relation verticale entre l?État et le citoyen à partir
de la Révolution.
Dès les prémices de la civilisation industrielle, qui coïncident avec la croissance
démographique des villes, l?exode rural et l?apparition du prolétariat, les intellectuels se
27 Cf. FRESSOZ, Jean-Baptiste, LOCHER, Fabien, Les révoltes du ciel. Une histoire du changement climatique. XVe-XXe siècle,
Paris, Seuil, 2020, 324p.
28 BERDOULAY, Vincent, SOUBEYRAN, Olivier, op. cit., p. 29.
29 Cf. PICON, Antoine, Architectes et ingénieurs au siècle des Lumières, Marseille, Parenthèses, 1988, 317p.
30 BERDOULAY, Vincent, SOUBEYRAN, Olivier, op. cit., p. 20.
31 DEBOURDEAU, Ariane, Les Grands Textes fondateurs de l?écologie, Paris, Flammarion, 2013, p. 47.
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 62
penchent sur les rapports entre industrie et environnement, entre État et citoyen, entre
ville et campagne, entre intérêt général et propriété privée. La deuxième moitié du XIXe
siècle tendra plus fortement vers ces aspirations sociales et environnementales, sous la
forme d?un paternalisme industriel qui innove en matière d?urbanisme et d?espaces
communautaires. Le premier XXe siècle voit en revanche émerger des politiques
municipales fortes en faveur du logement social ou des services publics, diffusant
notamment le modèle des cités-jardin ou des jardins ouvriers, s?interrogeant sur le rôle
et la place de la nature et de l?agriculture dans les zones urbaines. Le deuxième XXe
siècle connaît enfin un aménagement centralisé guidé par des mobilités toujours plus
rapides, finissant de démanteler les dernières ceintures maraîchères. Toutefois le
confort qu?offre la société de consommation de masse n?anesthésie pas totalement les
craintes environnementales qu?induit ce mode développement, en témoignent dans les
années 1970 l?agronome René Dumont (1904-2001) ou l?urbaniste-essayiste Paul Virilio
(1932-2018). Aujourd?hui ce qui étaient des craintes deviennent une réalité à laquelle
doivent s?adapter - encore et toujours - les logiciels de l?aménagement et de l?urbanisme
afin de garantir la résilience de nos sociétés. Les communs peuvent être un de ces outils
pour recoudre une territorialité fragmentée en protégeant, en renforçant ou en
relocalisant en fonction des communautés et des milieux certains services
écosystémiques.
LES COMMUNS, DES OBJETS TRANSVERSES
Le propos qui accompagne ce rapport ne saurait être exhaustif ou développer de
nouveaux concepts autour des communs de l?aménagement. Ceux-ci bénéficient d?un
corpus pratique, théorique et scientifique prolifique, qu?il s?agisse des contributions
provenant de nombreux domaines de la recherche académique (urbanisme, sociologie,
économie, philosophie, géographie), d?organismes experts combinant des approches
de ! think tank " et de ! do tank "32, ou bien d?urbanistes tant praticiens que
théoriciens. Cet avant-propos se propose en revanche, riche des échanges des ateliers,
de contextualiser le rôle des communs dans une histoire de l?aménagement urbain et
territorial. Le parti rédactionnel s?inspire des allers-retours entre prise de hauteur et
pratiques opérationnelles qui caractérisent le travail de l?aménageur. Dans cette
optique, il s?agit de de revenir sur la place faite aux communs dans la gouvernance
territoriale moderne, prenant pour exemple le rôle joué par l?hygiène dans l?émergence
de l?urbanisme moderne et l?évolution d?un commun essentiel associé à cet enjeu, c?est-
à-dire le lavoir, et enfin sur le rôle qu?ont joué et que jouent les communs dans
l?aménagement du territoire, notamment face aux crises environnementales.
32 Citons le projet BISCOTE (BienS COmmuns et TErritoires) porté par le PUCA (Plan Urbanisme Construction Architecture).
Nous renvoyons vers le rapport de KEBIR, Leïla, WALLET, Frédéric, Les communs à l?épreuve du projet urbain et de l?initiative
citoyenne, Paris, Édition PUCA, Collection Réflexions en partage, 2021, 94 p., en ligne, https://www.urbanisme-
puca.gouv.fr/les-communs-a-l-epreuve-du-projet-urbain-et-de-l-a2239.html, consulté le 5 août 2023.
https://www.urbanisme-puca.gouv.fr/les-communs-a-l-epreuve-du-projet-urbain-et-de-l-a2239.html
https://www.urbanisme-puca.gouv.fr/les-communs-a-l-epreuve-du-projet-urbain-et-de-l-a2239.html
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 63
GOUVERNANCE TERRITORIALE ET MODERNITE
La Révolution industrielle à l?assaut des communs
L?histoire des communs de l?aménagement renvoie très souvent à la société de l?ancien
régime et à des modes de gestion et de propriété qui ne se conçoivent pas comme une
privatisation ou comme une appropriation individuelle des ressources mais qui se
déclinent autour des usages, des usagers et des ressources à gérer, préserver et
pérenniser. La notion contemporaine de communs puise ainsi ses origines dans les biens
communaux et de leur déclinaison en sections de communes qui appartiennent33 ou
appartenaient à des sociétés rurales plutôt qu?urbaines. Il a paru intéressant de relever
l?origine rurale d?une notion que les espaces urbains souhaitent aujourd?hui décliner par
le biais d?opérations tant d?aménagement que de réaménagement, ouvrant pour les
urbanistes et les aménageurs de nouveaux défis.
Là encore peut se retrouver une origine partagée entre les pratiques inhérentes à
l?urbanisme moderne et la notion de communs. Ainsi les formes urbaines
contemporaines puisent leurs inspirations dans les différents courants apparentés aux
socialismes utopiques du XIXe siècle, eux-mêmes inspirés des expériences rurales de
gestion partagée des ressources34. La disparition des ! commoners " dans l?Angleterre
du XVIIIe siècle ou celle des biens banaux puis communaux dans la France post-
révolutionnaire35 au profit d?un nouveau capitalisme agraire accompagnent ainsi la
Révolution industrielle. En résultent l?exode rural, l?essor des villes et l?urbanisation des
territoires, accentués par la mécanisation de l?agriculture, qui suscitent ces propositions
nouvelles d?aménagement du territoire, d?ingénierie sociale et d?organisation du travail
désireuses d?accueillir une modernité qui se confond avec le progrès technique tout en
garantissant équité et égalité. L?intérêt toujours plus vif aujourd?hui pour les communs
dans l?aménagement semble s?inscrire à la fois dans une épistémologie critique de
l?urbanisme initiée dès les années 1960 à l?instar de Françoise Choay (née en 1925)36 et
dans la recherche de modèles alternatifs de gestion et de partage des ressources qui se
détachent des trajectoires d?urbanisation dominantes depuis la Révolution industrielle.
Une crainte immédiate pour l?environnement
Cette recherche de modèles alternatifs est aussi l?expression d?un besoin d?imaginer
d?autres manières de faire société pour pouvoir répondre résolument aux crises sociales
et environnementales, et ce au plus près des territoires et de leurs ressources37. Charles
33 Les sections de communes sont essentiellement constituées de pâtures ou de forêts. La loi du 27 mai 2013 a interdit la
création de nouvelles sections de communes, quand elle a créé par ailleurs les conditions légales pour leur disparition
progressive. Nous renvoyons vers l?exposition des motifs de la loi enregistrée le 25 mai 2012 à la Présidence du Sénat, en
ligne, https://www.senat.fr/leg/ppl11-564.html, consulté le 31 juillet 2023.
34 ZIMMERMAN, Jean-Benoît, Les Communs. Des jardins partagés à Wikipédia, Paris, Éditions Libre & Solidaire, 2020, 212 p.
35 VIVIER, Nadine, Propriété collective et identité communale. Les biens Communaux en France (1750-1914), Paris, Éditions
de la Sorbonne, 2000, p. 139-213.
36 Concomitant à la réalisation des grands ensembles. CHOAY, Françoise, L?urbanisme. Utopies et réalités, une anthologie,
Paris, Seuil, 1965, 448 p.
37 DARDOT, Pierre, LAVAL, Christian, Commun. Essai sur la révolution au XXIème siècle, Paris, La Découverte, 2014, 400 p.
https://www.senat.fr/leg/ppl11-564.html
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 64
Fourier (1772-1837), parmi les socialistes utopiques38, s?alarme dans un manuscrit de
1820-1821 de ! la détérioration matérielle de la Planète qui périclite et décline à vue
d?oeil ". Il impute les détériorations du climat engendrées par une gestion déraisonnée
de la ressource forestière à ! l?industrie civilisée "39 et à ! l?état civilisé, qui favorise en
tous sens le progrès du mal "40. Fourier appelle à une voie intermédiaire afin de dépasser
! la lutte de l?intérêt individuel avec l?intérêt collectif ", dénonçant au passage
l?incapacité des préfets à ! empêcher un mal que tout le monde s?accorde à commettre
".
Cet ! état d?association domestique " auquel le fouriérisme aspire ne peut, selon ses
défenseurs, se réaliser dans les normes juridiques et étatiques qui gèrent les rapports
entre propriété privée et bien public, au détriment du bien commun. En effet, les
corporations et les associations, en particulier ouvrières, sont interdites depuis la
Révolution et l?adoption le 14 juin 1791 de la loi le Chapelier qui entérine qu?e ! il n'y a
plus que l'intérêt particulier de chaque individu, et l'intérêt général. Il n'est permis à
personne d'inspirer aux citoyens un intérêt intermédiaire "41. Cette loi est
progressivement abrogée, avec la loi Ollivier du 24 mai 1864 dépénalisant la grève, la loi
Waldeck-Rousseau autorisant la création de syndicats puis la loi du 1er juillet 1901
relative à la liberté d?association, permettant ainsi l?émergence des corps intermédiaires
actuels et auxquels les communs sont susceptibles d?appartenir. Une critique semblable
se retrouve chez Pierre-Joseph Proudhon (1809-1865), un temps disciple de Fourier. Il
remarque que ! l?eau, l?air et la lumière sont choses communes, non parce que
inépuisables, mais parce que indispensables ", regrettant que le ! Code Civil [qui
conserve alors l?esprit de la loi Le Chapelier], après avoir donné la définition de la
propriété, se tait sur les choses susceptibles ou non susceptibles d?appropriation "42.
Un aménagement moderne détaché des territoires
Deux-cents ans plus tard, la gouvernance territoriale est à nouveau interpellée quand
les communs incitent directement à donner une place plus large à la subsidiarité, une
tendance plus facilement déclinable dans des États avec un centralisme moins
prononcé43. La modernité juridique introduite en France à partir de la Révolution a pu
avoir tendance à se représenter le territoire comme un espace vide et neutre,
entièrement soumis au pouvoir politique de l?État44. La proposition en 1789 d?Emmanuel
Sieyès de découper la métropole en 81 départements carrés de même taille est un
38 Son phalanstère a inspiré le familistère de Guise, prototype de cité ouvrière imaginé par l?industriel Jean-Baptiste André
Godin (1817-1888) pour y loger les employés de son usine avec leurs familles, avec des services annexes par exemple pour la
petite enfance ou pour le divertissement.
39 Aujourd?hui le capitalisme industriel.
40 FOURIER, Charles, ! Détérioration matérielle de la planète ", EcoRev?, 2017 n. 44, p. 4-8.
41 Préambule de la loi du 14 juin 1791, cité par BONVALOT, Hélène, ! Les associations ", dans HOLCMAN, Robert (dir.),
Économie sociale et solidaire, Paris, Dunod, 2015, p. 72.
42 PROUDHON, Pierre-Joseph, Qu?est-ce que la propriété ? ou Recherches sur le principe du droit et du gouvernement, Paris,
J.-F. Brocard, 1840, p. 73.
43 Le cas italien notamment qui a intégré ce principe de subsidiarité dans sa constitution à l'article 118 lors de la réforme
constitutionnelle du 18 octobre 2001. Sur l?expérience des communs en Italie, FESTA, Daniela, ! Les communs urbains.
L?invention du commun ", Tracés. Revue de Sciences humaines, n°16, 2016, p. 233-256.
44 MANNORI, Luca, ! La nozione di territorio fra antico e nuovo régime. Qualche appunto per uno studio sui modelli
tipologici ", dans CAMMELLI, Marco (dir.), Territorialità e delocalizzazione nel governo locale, Bologne, Il Mulino, 2007, p. 43-
64.
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 65
exemple flagrant de cette vision d?un territoire détaché de son caractère organique et
du rôle de sa morphologie dans la gestion de ses ressources. On peut faire le lien aussi
entre cette tendance à une ?tabula rasa? juridique associée à une polarisation très forte
des rapports entre l?État et les citoyens avec un urbanisme qui a pu régulièrement
vouloir faire fi des préexistences. Introduire des communs dans l?aménagement ou
encore réintroduire des communs dans la gouvernance territoriale suppose d?offrir la
possibilité à des modes d?organisation propres à chaque territoire, ressource et
communauté et qui se détachent à la fois de la propriété privée et du bien public ou
collectif. Cette rupture avec une tendance de standardisation normative remontant à
environ deux cents ans se décline en une multitude de particularités juridiques et
administratives, ouvrant et appelant à de nouvelles inventions et recherches en matière
de droit45. Cette spécificité des solutions juridiques, économiques et administratives se
rencontre dans les expériences échangées au cours des ateliers de cette incubation du
Lab2051 et dans l?esprit de la loi dite 3DS relative à la différenciation, la
décentralisation, la déconcentration et adoptée en février 202246.
L?HYGIENE, UN BIEN COMMUN
Hygiénisme et urbanisme
Durant la première moitié du XIXe siècle, les opérations d?urbanisme47, alors
dénommées des ! embellissements ", possèdent une vocation à la fois esthétique,
économique et hygiénique. L?entassement d?une population prolétaire dans des taudis
en ville ou dans des zones urbanisées à proximité des usines, embryons de futures cités
ouvrières, coïncide avec l?arrivée du choléra en France au cours des années 1830. Cette
pandémie qui perdure en Europe tout au long du XIXe siècle va dynamiser les courants
hygiénistes en parallèle des premiers mouvements socialistes. Avec la construction des
trottoirs, des égouts et des réseaux de distribution d?eau courante, la rue moderne
s?impose au fur et à mesure à la ville ancienne, à ses maisons et donc à leurs propriétaires
contraints d'accommoder leurs immeubles avec de nouvelles contraintes à la fois
architecturales et réglementaires48. Cependant le droit d?expropriation pour cause
d?utilité publique, introduit durant les périodes révolutionnaire et napoléonienne,
continue d?être interprété pendant la Restauration puis la Monarchie de Juillet
principalement comme une mesure de protection du droit de propriété et les
élargissements prévus ne progressent guère49. Ces atermoiements laissent place aux
percées énergiques du Second Empire. Celles-ci inaugurent de fait un urbanisme de
contournement et de dépassement des contraintes plutôt que d?obligation ou de
45 Voir les travaux de Geneviève Azam et de Sarah Vanuxem à propos du droit et des communs.
46 Présentation de la loi sur le site internet du Ministère de la Transition Écologique et de la Cohésien des Territoires, en ligne
le 2 septembre 2022, https://www.ecologie.gouv.fr/loi-3ds-relative-differenciation-decentralisation-deconcentration-et-
simplification consulté le 5 août 2023.
47 Le mot apparaît en France en 1910 pour caractériser enfin la discipline de l?aménagement des espaces urbains à l?ère
industrielle.
48 BARLES, Sabine, ! La rue parisienne au xixe siècle : standardisation et contrôle ? ", Romantisme, n°171, 2016, p. 15-28.
49 KLAHR, Douglas, ! Le développement des rues parisiennes pendant la monarchie de Juillet ", dans BOWIE, Karen (dir.), La
modernité avant Haussmann : Formes de l?espace urbain à Paris. 1801-1853, Paris, Éditions Recherche, 2001, p. 217-230.
https://www.ecologie.gouv.fr/loi-3ds-relative-differenciation-decentralisation-deconcentration-et-simplification
https://www.ecologie.gouv.fr/loi-3ds-relative-differenciation-decentralisation-deconcentration-et-simplification
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 66
négociation. Elles tournent ainsi brusquement le dos aux quartiers anciens traversés et
découpés en tous sens, en incitant par ailleurs à une très forte spéculation même parmi
les architectes50. Il s?agit en matière d?urbanisme d?un moment significatif car le droit
d?expropriation va désormais agir comme ! un droit de l?urbanisme perçu comme
devant faire prévaloir l? ?intérêt général? "51.
Les communs des cités ouvrières, entre modèles révolutionnaires et paternalisme
industriel
Parallèlement, l?embellissement des villes s?accompagne de l?ouverture de parcs, d?un
nouveau mobilier urbain et d?équipements tels marchés couverts, bains ou lavoirs.
L?intérêt porté alors à ces équipements par les pouvoirs publics souligne un réel
tournant dans leur attitude vis-à-vis des questions sociales et dans leur latitude d?action.
Ce processus est entamé avec la Révolution de 1848 qui est marquée par les
revendications de la classe ouvrière. Dès fin février 1848, le gouvernement provisoire de
la Seconde république constitue la Commission du Luxembourg. Elle est chargée de
réfléchir aux moyens d?améliorer les conditions de travail et d?existence des classes
ouvrières et la question du logement est immédiatement abordée. Son président Louis
Blanc (1811-1882) propose dès le 5 mars l?édification de quatre cités ouvrières
exemplaires dans Paris selon des plans de l?architecte fouriériste César Daly (1811-1894).
Les principes de l?association doivent s?appliquer à l?achat des combustibles pour le
chauffage et l?éclairage ou de la nourriture52, initiatives qui ont par exemple existé dans
les cités minières sous la houlette du paternalisme des houillères et que certains
communs poursuivent aujourd?hui. L?opportunité de donner accès à la crèche de la cité
aux enfants du quartier est également débattue. Avorté, ce projet inspire cependant
Louis-Napoléon Bonaparte, futur président de la République puis empereur, également
influencé par le saint-simonisme et intéressé dans l?amélioration des conditions de vie
des classes les plus pauvres. En résulte la cité Napoléon inaugurée en 185153, un
ensemble de logements destinés aux ouvriers parisiens et qui possède une garderie, des
bains et bien entendu un séchoir et un lavoir communs. Ces deux derniers équipements
sont essentiels pour leur service en matière d?hygiène, lorsque Paris en est alors sous-
dotée, comme la plupart des villes en France. Il faut pouvoir assurer l?arrivée d?eau
propre, l?évacuation des eaux sales ainsi que le chauffage de l?eau chaude et des étuves,
nécessitant des infrastructures d?assainissement et d?adduction qui vont être
renforcées voire installées dans les grandes villes au cours de la deuxième moitié du
XIXe siècle.
50 Henri Blondel (1821-1897), architecte prolifique de l?époque et par ailleurs auteur des transformations de la bourse du
commerce. Cf. JAMET, Elsa, ! Une agence à l?oeuvre du Paris haussmannien : l?agence d?Henri Blondel (1821-1897) ", Les
Cahiers de la Recherche Architecturale, Urbaine et Paysagère, n°9-10, 2020, mis en ligne le 28 décembre 2020,
http://journals.openedition.org/craup/5747, consulté le 18 août 2023.
51 LACAVE, MIchelle, ! Stratégie d?expropriation et haussmannisation : l?exemple de Montpellier ", Annales. Économies,
Sociétés, Civilisations, n°5, 1980, p. 1011-1025.
52 BLANC, Louis, La Révolution de février au Luxembourg, Paris, Michel Lévy, 1849, p.
53 BRUANT, Catherine, La Cité Napoléon. Une expérience controversée de logements ouvriers à Paris, Versailles, fabricA,
n°63, 2011, p. 9-14.
http://journals.openedition.org/craup/5747
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 67
DU LAVOIR A LA LAVERIE, L?EVOLUTION D?UN COMMUN
Le lavoir, une proto-industrie domestique
Le lavoir, ses multiples déclinaisons spatiales et son évolution ainsi que son ancrage dans
les imaginaires, permettent d?entrevoir la complexité inhérente à la notion de commun
dans le cadre de l?aménagement urbain. Les lavoirs communaux, s?ils existent au début
du XIXe siècle, restent en nombre insuffisant, certains sont aussi l?objet de cession et
de privatisation lors des partages des biens communaux sous la Révolution et l?Empire.
Leur apparition avec un aménagement architectural complexe pour pouvoir assurer
séparément les différentes tâches de la buanderie remonte au XVIIIe siècle, et leur
déploiement s?accélère au XIXe siècle54. Les rares lavoirs situés à Paris au début de ce
siècle sont destinés à un usage aussi bien personnel que professionnel, le linge étant
sinon lavé chez soi ou dans les cours et mis à sécher aux fenêtres, pratiques difficiles du
fait du manque d?eau courante, d?ensoleillement, d?aération et d?évacuation à l?égout.
À l?instar des villages et des autres villes, les berges de la Seine ou de la Bièvre restent
utilisées pour laver dans l?eau du fleuve le linge étendu ensuite sur le rivage, lavoir
primitif qui peut être situé a posteriori dans la catégorie des communs. Pour assurer la
navigation et l?usage commercial des quais, ces pratiques sont de moins en moins
tolérées, il s?agit d?un cours d?eau navigable donc domanial. Aussi les autorités tant
préfectorales que municipales s?emploient à mettre un terme à ces usages, notamment
pour des raisons de décorum et de moralité, entre le linge étendu et les lavandières
battant le linge, contraignant toujours plus fortement les usagers à se rendre aux lavoirs
ou aux bateaux-lavoirs55.
Intérêt public et rentabilité
Devant le besoin criant de ces équipements est instituée en 1849 une commission pour
inciter à la construction de lavoirs en France, en s?inspirant des modèles français et
étrangers, pour leur architecture et leur gestion. Il faut pouvoir amortir le coût du
foncier, celui des murs, des installations, des agents d?exploitation et de la
consommation d?eau propre. Cette dernière, denrée rare et qui aujourd?hui se raréfie,
peut provenir du captage d?une source ou d?une rivière, d?un aqueduc moyennant une
redevance ou d?un puits construit à cet effet56. L?encadrement de cette activité par les
pouvoirs publics vise à une meilleure gestion de la ressource en eau ainsi qu?à
l?encadrement des externalités négatives que produit un lavoir - fumées, bruits, eaux
sales - et qui intéressent directement l?intérêt général. La dépense étant souvent trop
contraignante alors que les communes manquent de revenus, entre concessions
d?exploitation, initiatives privées et un accès souvent payant, les lavoirs qui essaiment
54 LEFÉBURE, Christophe, La France des lavoirs, Toulouse, Éditions Privat, 1995, 160 p.
55 GRÜRING, Jaimee, Dirty Laundry : Public Hygiene and Public Space in Nineteenth-Century Paris, Thèse de doctorat,
Arizona State University, 2011, p. 68-73, en ligne,
https://keep.lib.asu.edu/_flysystem/fedora/c7/30156/Gruring_asu_0010E_10921.pdf, consulté le 2 août 2023.
56 À la fin du XIXe siècle à Paris, l?eau de puits a supplanté celle captée dans la Seine pour les lavoirs. MOISY, J., Les lavoirs de
Paris, Paris, Watelet, 1884, p. 45.
https://keep.lib.asu.edu/_flysystem/fedora/c7/30156/Gruring_asu_0010E_10921.pdf
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 68
peu à peu à Paris et en France pendant le Second Empire appartiennent généralement
à la catégorie des biens publics impurs. A posteriori, ils n?entrent qu?imparfaitement
dans les catégories des biens publics, privés, de club ou communs, alors qu?ils servent
l?intérêt général. Certains bassins du lavoir peuvent rester libres d?accès comme à
Rouen, des prestations telles que l?eau chaude étant en revanche réglées par l?usager
en fonction de la quantité consommée57.
Domine dans ces réalisations une vision capitaliste et libérale où la commercialisation
d?un service essentiel à la personne, à la société et à l?hygiène garantit l?exploitation
optimale d?une ressource rare en sachant être rentable. C?est dans un de ces lavoirs que
se rend Gervaise Macquart dans l'Assommoir, Zola décrivant dans son roman l?usage
social et pratique de ce lieu58. Les situations varient cependant, selon qu?il s?agit d?une
commune urbaine ou rurale et selon le nombre d?habitants, ou encore sous la Troisième
République qui octroie une plus grande autonomie aux municipalités. Ainsi, face à
l?indigence des populations, certaines communes urbaines essaient de mettre en place
des lavoirs à l?usage gratuit, préfiguration des actuelles laveries solidaires, mais l?eau
chaude ou les produits de lessive y demeurent payants, ces expériences restant enfin
dépendantes de la vision politique du maire59. Dans le monde rural en revanche perdure
plus spontanément un usage gratuit du lavoir, sans que celui-ci toutefois n?offre les
mêmes conditions de confort qu?un lavoir moderne urbain équipé de machines comme
des lessiveuses ou de chaudières pour chauffer l?eau.
Un renouveau des communs depuis la fin du XIXe siècle
À la fin du XIXe siècle, l?État soutient plus activement le financement des équipements
municipaux et des habitations à bon marché inspirées des familistères industriels ou des
corons miniers. Les lavoirs collectifs ou municipaux, souvent associés à des bains-
douches, deviennent des incontournables des logements populaires ou des nouveaux
quartiers construits avant et après la première guerre mondiale et vont le demeurer
jusqu?à l?après seconde guerre mondiale60. Durant la période de la seconde
reconstruction, architectes et aménageurs sont de plus en plus enclins à considérer la
buanderie individuelle comme un espace essentiel pour assurer à un appartement tout
le confort moderne et individuel. L?entrée en parallèle dans la société de consommation
et la production de machines à laver électrique modernes - qui associent toutes les
étapes du lavage - à grande échelle marque le déclin progressif du lavoir collectif en
ville61, remplacé par un lavomatique ou par une machine à laver chez soi. La
reconstruction est aussi marquée par l?amélioration de l?accès à l?eau courante et au
tout-à-l?égout dans les zones rurales, permettant là aussi l?installation de ce nouveau
bien et le délaissement du lavoir communal si inconfortable. Aujourd?hui, alors que le
57 COMMISSION INSTITUÉE PAR ORDRE DE M. LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE, Bains et lavoirs publics, Paris, Ministère du
Commerce, 1850, p. 180.
58 ZOLA, Émile, L'Assommoir, Paris, Charpentier, 1879, p. 15-19.
59 PLANAT, Paul (dir.), Encyclopédie de l?architecture et de la construction, vol. V, f. 1, Paris, Aulanier, 1894, p. 357.
60 HALITIM-DUBOIS, Nadine, ! Bains-douches et lavoirs municipaux à Lyon ", Les Carnets de l?Inventaire, Études sur le
Patrimoine Culturel en Auvergne-Rhône-Alpes, en ligne le 28 mars 2023, https://inventaire-rra.hypotheses.org/8829, consulté
le 20 août 2023.
61 DELAUNAY, Quynh, Histoire de la machine à laver, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 1994, 348 p.
https://inventaire-rra.hypotheses.org/8829
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 69
coût des logements augmente, de nouveaux ensembles, ÉcoQuartiers, Démonstrateurs
de ville durable, intègrent une nouvelle génération d?espaces communs parmi lesquels
la laverie tantôt qualifiée de résidentielle, collective ou partagée62. À la machine à laver
s?applique une critique similaire à celle de la voiture individuelle : inutilisée la plupart
du temps, générant une perte d?espace. Pour le moment, ces dispositifs, dont
l?utilisation reste souvent soumise à un droit d?accès63, s?adressent principalement à un
public jeune et urbain capable d?adapter son mode de vie à un rythme d?usage plus
contraignant64.
L?AMENAGEMENT ET LES COMMUNS
Des utopies déçues
Ainsi, dans le cadre de l?aménagement urbain, l?usage et la gestion d?un équipement
aussi essentiel que le lavoir oscille dès le début de la Révolution industrielle entre enjeu
social et enjeu entrepreneurial, entre enjeu de la marchandisation du lieu et enjeu du
bien commun qui se confond avec la notion d?intérêt général. Les communs qui sont
réintroduits aujourd?hui perpétuent ces enjeux, incitant les urbanistes et les
aménageurs à interroger et réinventer leurs disciplines. Les enjeux environnementaux
et climatiques les invitent par ailleurs à penser l?aménagement sous les auspices de la
sobriété et de la résilience du territoire plutôt que de l?abondance et d?un
développement tel que la modernité l?a conçu depuis deux siècles65. En effet, ces
disciplines ont émergé au cours du XIXe siècle et sont ainsi les héritières d?une période
où l?aménagement territorial a coïncidé avec la disparition des anciens communs pour
leur privilégier une gestion capitaliste des espaces, des ressources et du territoire,
distinguant propriétés privées et publiques.
L?urbanisme a accompagné cette trajectoire de développement et d?aménagement en
répondant aux enjeux concrets et matériels posés par la société industrielle, tout en
procédant par ailleurs de visions idéales et holistiques qui englobent société, économie
et environnement. Même si inspiré de ces idéaux, l?espace urbain dont nous héritons ne
correspond que très rarement aux propositions utopiques qui émaillent les XIXe et XXe
siècles. Elles peuvent même aujourd?hui être assimilées à des dystopies, tant du fait de
leur caractère coercitif pour les individus et leurs libertés, tant du fait de leurs échecs,
tant du fait de leur inadéquation pour pouvoir répondre aux enjeux environnementaux
et sociaux contemporains et futurs. Ce sont par exemple le phalanstère de Fourier,
62 Par exemple l?ÉécoQquartier Smartseille construit par Eiffage, en ligne,
https://www.eiffageconstruction.com/metiers/realisations/ecoquartier-smartseille, consulté le 20 août 2023. Les expériences
de Coliving intègrent par définition une laverie partagée.
63 Ce droit sert à financer la location et la maintenance des machines disposées dans un espace commun.
64 À New-York les laveries dans les immeubles sont plus fréquentes, la possession d?une machine à laver individuelle,
véritable objet de luxe, étant fréquemment interdite, car les plomberies ne sauraient satisfaire à la demande. ROGERS, Teri
K., ! The Ultimate Luxury ", The New York Times, en ligne le 23 avril 2006,
https://www.nytimes.com/2006/04/23/realestate/the-ultimate-luxury.html, consulté le 17 octobre 2023.
65 CORDOBES, Stéphane, ! Repenser l?aménagement des territoires ", Constructif, n°60, 2021, p. 61-65.
https://www.eiffageconstruction.com/metiers/realisations/ecoquartier-smartseille
https://www.nytimes.com/2006/04/23/realestate/the-ultimate-luxury.html
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 70
l?Icarie d?Étienne Cabet (1788-1856) et plus près de nous les préceptes d?urbanisme de
la Charte d?Athènes de 1933, fortement inspirés par Le Corbusier (1887-1965).
La ville-territoire
L?urbanisme est ainsi confronté à un paradoxe présent depuis ses origines, entre d?une
part favoriser une exploitation industrielle et raisonnée des ressources et d?autre part
transformer la société, l?individu et l?environnement66. Pierre Leroux (1797-1871),
influencé par le saint-simonisme, penseur socialiste, détracteur du fouriérisme,
fondateur d?une communauté organisée selon sa théorie du circulus qui veut établir
une relation circulaire avec l?agriculture, se félicite dès les années 1830-1840 que ! il n?y
a déjà plus en France qu?une seule ville, et cette ville c?est la France elle-même ". Ce
constat est celui d?un monde qui se pense dans sa globalité et dans ses interconnexions.
Leroux souhaite aménager et décorer le territoire au profit de la civilisation urbaine et
de son architecture. Il interroge également les limites familières, matérielles et
imaginaires de l?espace urbain qui ne se cantonne plus à la ville héritée du Moyen Âge
et de la Renaissance. Existe-elle encore à l?ère de la métropolisation, lorsque les
départements sont les quartiers de la ville, ! les forêts et les champs, ses jardins et ses
promenades ; les rivières, ses aqueducs ; les grandes routes, ses rues ; la capitale, son
forum "67 ? Le projet de la ville qu?invente le XIXe siècle industriel se confond avec le
projet d?un territoire global de la modernité qui substitue ses règles à celles héritées de
l?Ancien Régime. Aussi la réintégration de communs dans l?aménagement peut s?avérer
en quelque sorte à rebours du modèle dominant de développement qui prévaut depuis
environ deux siècles, s?apparentant aux discours subversifs ou réformateurs de la ville
qui s?élèvent dès la deuxième moitié du XIXe siècle en opposition à la standardisation
des paysages et à l?aliénation du travail.
La recherche d?un urbanisme en commun
Le désir d?une appropriation relocalisée de l?architecture à la fois du territoire et de la
ville se retrouve dans les sensibilités environnementales, sociales et paysagères de John
Ruskin (1819-1900) et ses Pierres de Venise (1851) ou bien de William Morris (1834-1896)
et ses Nouvelles de nulle part (1890). Ces deux figures du mouvement Arts and Crafts
inspirent à Howard Ebenezer (1850-1928) la Garden City, déclinée en France dans les
cités-jardins qui connaissent leur apogée pendant l?entre-deux-guerres, modèle qui
connaît depuis vingt ans un regain d?intérêt68. Cependant, dans son application, en
France comme à l?étranger, la cité-jardin n?a pas réussi à mettre en place la vision
coopérative et communautaire à l'origine de cet urbanisme désireux de s?opposer à
l?urbanisation incontrôlée des centres industriels et aux conditions indignes de très
nombreux logements populaires. Ebenezer, dans son ouvrage Tomorrow - A peaceful
66 Question débattue depuis le XVIIIe siècle. FRESSOZ, Jean-Baptiste, LOCHER, Fabien, Les révoltes du ciel. Une histoire du
changement climatique. XVe-XXe siècle, Paris, Seuil, 2020, p. 117-226.
67 LEROUX, Pierre, REYNAUD, Jean (dir.), Encyclopédie nouvelle. Dictionnaire philosophique, scientifique, littéraire et
industriel offrant le tableau des connaissances humaines au XIXe siècle, Paris, Charles Gosselin, 1842, p. 687.
68 BATY-TORNIKIAN, Ginette (dir.), Cités-jardins. Genèse et actualité d'une utopie, Paris, Éditions Recherches, 2001, 157 p.
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 71
path to real reform paru en 1898, envisage un modèle économique et planificateur qui
permet à la communauté d?organiser un écosystème résilient, solidaire et durable. La
maîtrise d?ouvrage doit être confiée à un seul aménageur, privé ou public, et les
bénéfices entièrement utilisés pour l?entretien de la cité-jardin, accentuant une gestion
?en commun?69. Dans les faits, les ambitions utopiques d?Ebenezer ont été dénaturées,
les cités-jardins réalisées s?assimilent plus à des cités dortoirs périphériques moins
denses et plus arborées, sans parvenir à une autonomie de fonctionnement même
partielle70.
D?autres expériences communautaires qui visent à une réappropriation territoriale sont
également menées à partir de la fin du XIXe siècle. Ce sont en particulier les jardins
partagés ou ouvriers créés en 1896 par l?abbé Jules-Auguste Lemire (1853-1928), proche
du socialisme guesdiste et collectiviste. Au-delà du contrôle social, de la possibilité
d?une agriculture de subsistance ou d?un complément de revenu, cette initiative
procède d?une vision pédagogique selon laquelle le jardin permet de cultiver son
rapport à la nature et à sa temporalité. Cependant les protections juridiques dont
bénéficient ces jardins ne leur permettent pas de résister facilement à la pression
foncière du siècle passé qui a avalé de nombreuses ceintures maraichères, et
aujourd?hui leurs inscriptions aux plans locaux d?urbanisme (PLU) restent hasardeuses71.
En 1906, dans son livre La fleur et la ville, Georges de Montenach (1862-1925), influencé
par Ruskin et Morris, invite même les habitants des villes à installer des jardins potagers
par-dessus leurs toits, défis toujours actuels, comme un moyen également de décorer
la grisaille des quartiers populaires en s?en appropriant et en en cultivant le paysage,
germe d?un urbanisme végétal partagé72.
Espaces agricoles et paysage urbain
Des continuités historiques et des ambitions environnementales et sociales relient les
communs d?aujourd?hui à ces expériences passées, tantôt disparues, tantôt laissées en
friche, tantôt en sursis. De l?origine rurale déjà évoquée de la notion de commun
s?ajoute également un fort intérêt pour le rôle que peut jouer l?agriculture urbaine dans
une alimentation pour partie relocalisée, dans la production de nouveaux liens sociaux
et dans la construction d?un paysage déminéralisé. L?actualité fait écho à l?histoire, à
l?instar des permis de végétaliser les pieds d?arbre à Paris ou bien des Petites Serres de
l?ÉcoQuartier Bongraine en cours de construction et conçues dans le cadre d?ateliers
participatifs. L?aménagement de communs perpétue ici la recherche d?un
contournement du zonage, exacerbé par l?exode rural, entre un espace urbain pensé
comme le lieu de la consommation et un espace agricole devenu le lieu presque exclusif
de la production de l?alimentation des villes, opposant deux formes perçues comme
69 ROUX, Jean-Michel, ! Cité-jardins en France: ni gouvernance, ni capitaux ", Tous urbains, n°33, 2021, p. 17-23.
70 AUDRA-ANDRÉ, Valérie, ! Idéologie et morphologie de la ville, le cas des cités-jardins d?Ebenezer Howard : by Wisdom
and Design ", dans MENEGALDO, Hélène, MENEGALDO, Gilles (dir.), Les imaginaires de la ville. Entre littérature et arts,
Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2007, p. 53-63
71 DUBOST, François, ! Jardins collectifs : de l?abbé Lemire aux jardins d?insertion. Typologies ? Expériences ? Enjeux de
conservation ", In Situ, Revue des patrimoines, n°37, 2018, en ligne, https://journals.openedition.org/insitu/18676, consulté
le 28 août 2023.
72 PAQUOT, Thierry, Le Paysage, Paris, La Découverte, 2016, 144 p.
https://journals.openedition.org/insitu/18676
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 72
rivales d?usage du sol. Là encore, dès le milieu du XIXe siècle s?élèvent des voies
critiques, dont Karl Marx (1818-1883), qui regrettent la rupture en train d?advenir de la
relation métabolique entretenue entre la ville et ses productions maraîchères, et plus
largement entre nature et société, bouleversée par l?industrialisation et le
réaménagement des territoires qui l?accompagne73.
En réponse émerge peu à peu le concept de région urbaine, qui anticipe celui
contemporain de biorégion et qui vise à associer les habitants, les activités et les lieux
dans un processus d?aménagement concerté d?un territoire dont les frontières
épousent parfois l?extension ! naturelle " des villes perçues comme des organismes
vivants. Les promoteurs de ce ! régionalisme " sont mus par des aspirations
décentralisatrices ou fédéralistes qui peuvent s?inspirer de Proudhon, d?Auguste Comte
(1798-1857), de Frédéric Le Play (1806-1882) ou d?Élisée Reclus (1830-1905), en valorisant
des formes d?organisations associatives ou coopératives74. Ces réflexions animent entre
autres le Musée social, fondé en 1894, promoteur entre autres des habitations à bon
marché ou des cités-jardins, qui préside en 1911 à la fondation de la Société française
des urbanistes. Montenach, qui prévoit que ! la ville cessera aussi d?exister pour devenir
une vaste région urbaine "75, perçoit dans la notion de paysage urbain qu?il introduit
l?effet panoramique exercé par la ville sur la construction de l?architecture de son
environnement, proche et plus ou moins lointain. En ce sens, une agriculture reliée et
solidaire de la ville peut participer de la construction d?un paysage urbain qui sache
s?intégrer dans l?environnement et le métabolisme de son territoire.
Des territoires en communs et coconçus
À la dénonciation de la déstructuration des territoires ruraux s?ajoute enfin celle de la
ville même sous l?effet de l?urbanisation et de l?industrialisation. C?est ! le règne de
l?urbain et la mort de la ville " que regrette Françoise Choay76, après avoir déjà mis en
évidence les origines utopiques de l?urbanisme moderne et la rupture spatiale entre une
société de représentation et une société de circulation lors de la Révolution
industrielle77. Alberto Magnaghi (né en 1941) formule un constat similaire, accusant la
soumission de l?ensemble du territoire à une même vision productiviste. Il aborde le
territoire comme un bien commun78 et envisage ?un retour à la ville? qui passe par ! la
division des mégalopoles en petites unités urbaines mêlant, selon leurs histoires et leurs
cultures, les nouvelles campagnes et villes, interdépendantes, autogérées et
solidaires "79. Autour de son référent conceptuel de la biorégion urbaine, il invite à
73 FRESSOZ, Jean-Baptiste, ! Écologies marxistes et écologies de la modernité. À propos de John Bellamy Foster, Marx?s
ecology. Materialism and Nature, Monthly Review Press, New York, 2000 ", Mouvements, n°66, 2011, p. 155-159.
74 PAQUOT, Thierry, ! Vers des ?biorégions urbaines? ? ", Constructif, n°60, 2021, p. 79-83.
75 MONTENACH, Georges de, Pour le Village. La conservation de la classe paysanne, Paris, Payot, 1916, p. 131.
76 CHOAY, Françoise, ! Le règne de l?urbain et la mort de la ville ", dans CHOAY, Françoise, Pour une anthropologie de
l?espace, Paris, Le Seuil, 2006 (1994), p. 165-198.
77 CHOAY, Françoise, ! Espacements. L?évolution de l?espace urbain en France ", dans CHOAY, Françoise, La terre qui meurt,
Paris, Fayard, 2011 (1969), p. 16-60.
78 MAGNAGHI, Alberto, Le principe territoire, Paris, Eterotopia France, 2022, 240 p.
79 PAQUOT, Thierry, op. cit., p. 82.
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 73
l?expérimentation, avec par exemple la fondation d?une société des territorialistes à
Florence en 2010.
Thierry Paquot (né en 1952), qui participe à la diffusion des idées de Magnaghi en
France, appelle à un écodesign territorial, c?est-à-dire ! un art de faire du commun
inscrit dans un territoire par les habitants eux-mêmes " et qui ! doit se substituer à
l?urbanisme "80. Cette proposition fait écho aux thèmes et aux thèses qui
accompagnent la société industrielle, son urbanisme et l?exploitation du territoire
depuis son émergence. Paquot soulève à sa façon une aporie inhérente à la notion de
communs dans le cadre d?un aménagement programmé car celui-ci s?inscrit dans un
espace et un imaginaire juridiques, architecturaux et urbains qui ont émergé avec la
disparition des communs ruraux. Une formule qui peut être associée à l'écodesign
territorial de Paquot, et rencontrée dans ces ateliers, est celle du projet de la cour
Lamoot à Lille. Il s?agit là de pérenniser les usages positifs développés par des privés
mais dépourvus de l?autorisation préalable d?exploiter un foncier qu?ils se sont de fait
approprié. Le projet prévoit de définir un cadre juridique et des règles a posteriori pour
maintenir une solution imaginée par les habitants pour leurs besoins.
Les communs pour réinventer l?urbanisme
Franck Boutté (né en 1968), grand prix de l?urbanisme 2022, milite également pour un
recentrement de la pratique urbanistique autour des communs, émettant l?hypothèse
de la trop grande distance avec cette notion ! parmi les causes premières du
déséquilibre entre les impacts générés par les espaces urbains sur leur environnement
et les capacités de résilience de cet environnement "81. Il décline trois facettes autour
de cette notion : la prise en charge de l?impact sur les biens communs - ressources ou
écosystèmes, des opérations d?aménagement ; l?identification des ! intérêts/objectifs
communs " transverses aux parties prenantes en vue de la définition d?objectifs
transverses aux acteurs ; enfin une démarche de ! conception commune " pour !
impliquer, sensibiliser et fédérer les différents acteurs, cumuler les imaginaires et
mobiliser les expertises d?usages locaux, afin de définir un projet souhaité et soutenu ".
Ces propositions, tout comme les démarches actuellement engagées pour préserver ou
introduire des communs dans les projets d?aménagement, semblent ainsi perpétuer
l?expérimentation de modèles de développement qui tendent à créer un compromis
entre industrialisation, société et environnement. Les détériorations des conditions
environnementales et climatiques engendrées par la révolution industrielle et son
modèle de développement et d?urbanisation, questionnent la durabilité des modes de
vie et de sociabilité qui en découlent. Ce qui semble ainsi se jouer, c?est la recherche
d?une formule qui réussisse à faire coïncider le progrès technologique et son expérience
la plus intime, à savoir l?hygiène, le bien-être et le confort, avec la pérennité de
l?environnement et du climat dont par ailleurs dépendent également l?hygiène, le bien-
80 BEAU, Franck, ! Thierry Paquot : ?l?éco-design territorial doit se substituer à l?urbanisme? ", Horizons publics, Hors Série,
Le design au service du territoire, hiver 2020, p. 34-39.
81 MASBOUNGI, Ariella, PETITJEAN, Antoine (dir.), L?urbanisme, vecteur de transitions, Franck Boutté, Grand Prix de
l?urbanisme 2022, Marseilles, Parenthèses, 2022, p. 159.
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 74
être et le confort. De cette mise en perspective historique, les communs interrogent les
imaginaires de performance, de productivité et d?exploitation, proposant d?intégrer
des dimensions locales, sociales et environnementales dans la gestion des ressources.
En ce sens, les biens, les objectifs et les espaces communs peuvent devenir les outils
pour accueillir dans les projets d?aménagement ou de réaménagement futurs et à de
multiples échelles le développement durable, envisagé dès 1987 par le Rapport
Bruntland intitulé Our Common Future82, afin de répondre notamment aux exigences
des limites planétaires à ne pas dépasser83.
82 Disponible en ligne, http://www.un-documents.net/wced-ocf.htm, consulté le 31 août 2023.
83 Ce concept ! définit un espace de développement sûr et juste pour l?humanité, fondé actuellement sur neuf processus
biophysiques qui, ensemble, régulent la stabilité de la planète ". Parmi ces processus se trouvent le changement climatique,
l?érosion de la biodiversité, les changements d?utilisation des sols, l?utilisation mondiale de l?eau ou la perturbation du cycle
de l?azote et du phosphore, qui correspondent directement à une occupation du paysage et du rapport notamment
entretenu entre ville et campagne.
ADEME, Présentation du concept des limites planétaires, en ligne, https://www.notre-environnement.gouv.fr/rapport-sur-l-
etat-de-l-environnement/themes-ree/defis-environnementaux/limites-planetaires/concept/article/presentation-du-concept-
des-limites-
planetaires#:~:text=Le%20concept%20des%20limites%20plan%C3%A9taires,biog%C3%A9ochimiques%20de%20l'azote%20
et, consulté le 31 août 2023.
http://www.un-documents.net/wced-ocf.htm
https://www.notre-environnement.gouv.fr/rapport-sur-l-etat-de-l-environnement/themes-ree/defis-environnementaux/limites-planetaires/concept/article/presentation-du-concept-des-limites-planetaires#:~:text=Le%20concept%20des%20limites%20plan%C3%A9taires,biog%C3%A9ochimiques%20de%20l'azote%20et
https://www.notre-environnement.gouv.fr/rapport-sur-l-etat-de-l-environnement/themes-ree/defis-environnementaux/limites-planetaires/concept/article/presentation-du-concept-des-limites-planetaires#:~:text=Le%20concept%20des%20limites%20plan%C3%A9taires,biog%C3%A9ochimiques%20de%20l'azote%20et
https://www.notre-environnement.gouv.fr/rapport-sur-l-etat-de-l-environnement/themes-ree/defis-environnementaux/limites-planetaires/concept/article/presentation-du-concept-des-limites-planetaires#:~:text=Le%20concept%20des%20limites%20plan%C3%A9taires,biog%C3%A9ochimiques%20de%20l'azote%20et
https://www.notre-environnement.gouv.fr/rapport-sur-l-etat-de-l-environnement/themes-ree/defis-environnementaux/limites-planetaires/concept/article/presentation-du-concept-des-limites-planetaires#:~:text=Le%20concept%20des%20limites%20plan%C3%A9taires,biog%C3%A9ochimiques%20de%20l'azote%20et
https://www.notre-environnement.gouv.fr/rapport-sur-l-etat-de-l-environnement/themes-ree/defis-environnementaux/limites-planetaires/concept/article/presentation-du-concept-des-limites-planetaires#:~:text=Le%20concept%20des%20limites%20plan%C3%A9taires,biog%C3%A9ochimiques%20de%20l'azote%20et
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 75
2.2 ENJEUX PROSPECTIFS AUTOUR DES COMMUNS
DANS L?AMENAGEMENT
Cette incubation du Lab2051 consacrée aux communs invite à trois types de
prolongements :
La poursuite de l?accompagnement et de la capitalisation des pratiques
aménagistes : cette incubation n?ayant pu aborder, du fait que les participants
étaient tous en phase de programmation ou de conception, les phases de
réalisation et de gestion, tant sous un angle contractuel que technique et
d?animation ;
L?examen de situations de communs non couvertes par la présente incubation
: les ressources en eau, la gestion des déchets ou de l?énergie qui sera traitée via
l?accompagnement à la mise en place des communautés locales de l?énergie
dans le cadre des suites du Lab Autoconsommation collective et des travaux de
recherche du PUCA?
L?élargissement de la réflexion au-delà de la sphère aménagiste au sens
opérationnel du terme, qui interroge, dans les pratiques de l?aménagement, du
réaménagement ou du ménagement du territoire, la limite entre intérêt général
et intérêt individuel, et invite à repenser la notion de corps intermédiaire, que
les communautés présentées dans ce rapport viennent illustrer.
QUELLES QUESTIONS TRAITER A LA SUITE DE CETTE INCUBATION
DU LAB2051 ?
Les participants à cette incubation étaient, pour la plupart, lauréats de dispositifs de
soutien à l?innovation urbaine (DVD ou EQLD), et donc en phase de programmation
voire de conception (éventuellement assortie de préfigurations de fonctionnement) de
leurs projets. L?accompagnement et la capitalisation ont donc porté sur ces étapes,
dans les différentes configurations décrites par la typologie du présent rapport.
Les étapes ultérieures des projets (mise en place puis gestion des ressources, montée
en autonomie des communautés, évolution des communautés, des règles, voire des
ressources) forment un panel de situations qui aujourd?hui posent de nombreuses
questions, que les aménageurs et constructeurs tentent d?encadrer ?a priori?,
notamment avec les analyses et outils collectés lors de cette incubation.
Il importe de compléter ces outils par une approche ?ex post?, afin d?en évaluer
l?efficacité.
Pour cela, il est proposé de conduire une observation, sur les projets ayant participé à
cette incubation, de la manière dont les communs se développeront effectivement, de
l?accompagnement que cela nécessitera, de leur l?impact socio-économique et
environnemental.
Un mode opératoire pourrait être la conduite, annuellement sur la période 2024-2026
(soit le temps des premières réalisation immobilières), d?échanges bilatéraux avec les
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 76
projets ayant participé à la première incubation, suivi d?un ou deux ateliers collectifs,
destinés à partager les résultats.
Ce mode opératoire léger permettrait d?enrichir de manière décisive la boite à outils,
de manière d?autant plus efficace qu?il bénéficierait de la connaissance mutuelle des
porteurs de projets et de leur maturité sur le sujet des communs.
A cette occasion, des communs non étudiés pourraient être mis à l?agenda, tels l?eau et
les déchets.
Enfin, des croisements ?inter-incubations? pourraient être envisagées, par exemple
avec les participants du Lab Mixité - Réversibilité, Autoconsommation collective ou
Nature en Ville, qui partagent des enjeux de mutualisation avec le Lab dédié aux
communs.
LES COMMUNS DANS L?AMENAGEMENT : AU-DELA D?UNE
PROBLEMATIQUE AMENAGISTE, UNE QUESTION DE GOUVERNANCE
TERRITORIALE
La mise en place de communs urbains dans des opérations d?aménagement soulève des
enjeux transverses aux modèles de conception et de gestion qui dominent
l?organisation spatiale, sociale et économique du territoire depuis environ deux siècles.
En interpellant la polarisation très forte entre l?État et les citoyens instaurée à partir de
la Révolution française de 1789, les communs explorent et interrogent les pratiques
urbanistiques qui ont organisé la territorialité depuis, tout en puisant leurs inspirations
dans des modèles mutuels d?organisation spatiale, sociale et économique alternatifs et
parfois subversifs. Ces origines partagées s?inscrivent dans la tension héritée des
Lumières et de la Révolution entre l?universel et le particulier, entre le général et
l?individuel, entre le global et le local, aujourd?hui nous dirions entre ?jacobinisme? et
?régionalisme?. Cette tension a marqué et marque encore actuellement les débats
politiques comme les pratiques d?aménagement, toujours plus objets de controverse
lorsque des opérations sont dénoncées pour leur influence négative sur les écosystèmes
et la biodiversité existants et environnants. La réappropriation et le détournement par
des militants et des activistes de l?anagramme ZAD, introduit en 1962 pour désigner une
Zone d?Aménagement Différé, transformé en Zone À Défendre, sont révélateurs d?une
contestation qui ne se limite pas à l?objet mais qui s?étend à la méthode même de
l?opération. En ce sens, les communs urbains peuvent s?avérer un moyen de recoudre
ces divergences en faisant de la place à des initiatives locales qui puissent satisfaire les
besoins des communautés et des écosystèmes, dans la continuité des efforts menés
depuis les années 1980 en faveur d?une décentralisation encore inachevée.
L?installation de communs doit donc parvenir à se loger dans des pratiques et des
cultures de opérationnelles de projet qui n?en possèdent ou n?en partagent pas
forcément la grammaire84. Elles-mêmes sont intimées de réformer la leur, ce afin de
84 FIORI, Sandra, GHOCHE, Ralph, MANIAQUE, Caroline (dir.), ! Que font les mobilisations environnementalistes à
l?architecture, à l?urbanisme et au paysage ? ", dossier thématique, Les Cahiers de la Recherche Architecturale, Urbaine et
Paysagère, n°17, 2023, en ligne, https://journals.openedition.org/craup/12049, consulté le 12 août 2023.
https://journals.openedition.org/craup/12049
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 77
permettre la préservation de l?environnement, notamment avec les prescriptions de
l?objectif Zéro Artificialisation Nette (ZAN) inscrit dans la loi Climat et résilience du 22
août 2021. Elle définit pour la première fois dans la loi la notion d?artificialisation du sol
qui est, selon la dernière version de l?article L.101-2-1 du Code de l?Urbanisme en vigueur
depuis le 25 août 2021 !?l?altération durable de tout ou partie des fonctions écologiques
d?un sol, en particulier de ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques, ainsi que
de son potentiel agronomique par son occupation ou son usage?"85. Il s?agit d?un
changement profond de philosophie où le sol n?est plus seulement vu comme un
élément inerte sur lequel poser des activités mais désormais comme un acteur
organique qui peut activement fournir des services écologiques essentiels à la résilience
des espaces et des territoires face aux conséquences du réchauffement climatique. Par
ailleurs, la raréfaction du foncier ENAF (Espaces Naturels, Agricoles et Forestiers) induite
par les dispositions de la loi Climat et résilience, si elle entraîne une concurrence entre
collectivités pour faire valoir leurs projets d?aménagement d?envergure majeure ou
régionale, doit aussi être une incitation à penser autrement la vie et le développement
des territoires.
Potentiellement les communs peuvent s?avérer un outil pivot dans la réécriture des
logiciels de l?aménagement et de l?urbanisme qui doivent s?approprier ces nouvelles
mesures réglementaires et ce nouveau paradigme. Une telle réécriture touche à la fois
l?architecture et la spatialité, l?environnement naturel, culturel, climatique, juridique et
économique, la société et les institutions. Les communs sont à l?articulation de ces
tensions qui persistent entre l?universalisme de modèles type et leur déclinaison
territoriale. Un défi important se situe dans la compréhension et l?appréhension de cet
objet par les acteurs actuels et futurs de l?aménagement et de l?urbanisme qui jusqu?à
présent ont eu tendance à évoluer dans un écosystème et un imaginaire architectural,
environnemental, juridique, économique et social en opposition aux écosystème et
imaginaire véhiculés par les communs, dont les modèles peuvent être confrontés à un
risque de marchandisation et donc de dénaturation. Dans le prolongement des
réflexions de Thierry Paquot, Alberto Magnaghi ou de Franck Boutté, il faut parvenir à
dépasser les limites actuelles des outils de diagnostic territorial, environnemental et
architectural, pour qu?ils intègrent davantage les tensions entre aménagement et
environnement, entre global et local et qui d?autre part sachent entrevoir les possibles
symbioses entre communautés, territoires et environnement.
Plus largement, associer la culture et la pratique des communs aux objectifs de
l?aménagement durable et aux luttes contre les crises environnementales et climatiques
peut accompagner un réinvestissement des espaces urbains et naturels sous un angle à
la fois matériel et immatériel, à la fois sensible et opérationnel. De façon sous-jacente,
c?est la pérennité d?un modèle d?aménagement vertical qui est questionnée, dans
lequel, malgré l?obligation de concertation et l?engagement de nombreux maîtres
d?ouvrage en la matière, ne responsabilise pas suffisamment les communautés
concernées vis-à-vis de leur environnement. Le concept même de ?projet?, dans ses
dimensions managériale et performative, renvoie à cet imaginaire segmenté qui sépare
le quantifiable du non quantifiable, de ce qui peut avoir facilement une traduction
85 En ligne, https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000043967077, consulté le 20 août 2023.
https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000043967077
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 78
technique et économique du reste, à l?instar de la biodiversité d?un terrain, de
l?ombrage d?un arbre ou de l?humidité s?élevant d?une noue, ressources toujours plus
précieuses. En ce sens, l?installation de communs dans l?aménagement urbain peut aussi
être l?occasion de s?interroger sur ce ! discours instaurateur " propre aux cultures
urbaines depuis le De raedificatoria (1452) de Leon Battista Alberti (1404-1472) et
l?Utopie (1516) de Thomas More (1478-1535) comme l?a montré Françoise Choay86, et
que la Révolution industrielle a exacerbé. L?enjeu n?est pas la disparition de ce discours
mais sa démocratisation à travers les communs sous la forme d?une (ré)appropriation
partagée et locale entre ses détenteurs habituels et des communautés qui en ont été
marginalisées.
L?ambition de cet aménagement et de cet urbanisme renouvelés n?est pas tant de faire
cohabiter des espaces publics, privés et communs mais de les faire collaborer en étant
attentif aux interdépendances qui existent entre ces espaces, qu?elles soient
écologiques ou économiques. Ceci demande une approche transdisciplinaire capable
de dépasser des barrières à la fois architecturales et mentales pour pouvoir associer
dans les projets des dimensions locales et globales, environnementales et sociales,
économiques et éthiques. Idéalement, il faut parvenir à valoriser et soutenir dans
l?agencement spatial et architectural les services écosystémiques qui peuvent être
rendus par ces communs en faveur d?un bien commun multidimensionnel - l?intérêt
général - dans un cycle vertueux qui intéresse toutes les parties prenantes. Ces
agencements spatiaux et architecturaux qui associent le construit, la société et
l?organique ainsi que les règles qui assurent le fonctionnement local de ces
agencements et leurs interactions avec d?autres ne peuvent correspondre à des
modèles uniques et uniformes mais doivent être déclinés en cohésion et en coopération
avec les particularités et les caractéristiques d?un ! genius loci " à (re)découvrir ou à
(ré)inventer sous les auspices d?une gouvernance territoriale renouvelée.
86 CHOAY, Françoise, La Règle et le Modèle. Sur la théorie de l?architecture et de l?urbanisme, Paris, Seuil, 1996, 392 p.
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 79
2.3 INTERVENTION ORALE DE RAPHAËL BESSON, 18
OCTOBRE 2023, LE HAVRE
Logéo Seine est un des porteurs de projets ayant activement participé à l'incubation
dédiée aux communs ; cette entreprise sociale pour l?habitat a notamment accueilli le
troisième atelier, en mars 2023. A cette occasion, l?idée a germé d?organiser une
restitution des travaux dans les locaux du 139, à la fois siège social de l?entreprise,
incubateur, et espace de rencontres et de débats.
La restitution a ainsi été organisée le 18 octobre 2023, en trois parties : une présentation
du contenu du rapport, une discussion avec Raphaël Besson, urbaniste et chercheur
s?intéressant en particulier aux communs urbains, et une table ronde associant trois
porteurs de projets incluant des communs, le Ministère de la Transition écologique en
tant que pilote du Lab2051, le GIP EPAU en tant que responsable du programme
Engagés pour la Qualité du Logement Demain. La rencontre a été conclue par Jean-
Baptiste Gastinne, maire adjoint du Havre chargé de l?urbanisme.
Les paragraphes qui suivent retranscrivent l?intervention de Raphaël Besson, dont le
regard critique s?est exprimé en soulignant les apports du rapport et les dilemmes que
le développement de communs suscite aux acteurs de l?aménagement.
Raphaël Besson est le fondateur et directeur de Villes
Innovations, un bureau d?étude spécialisé en stratégies
d?innovation urbaine et politiques de transition
territoriale.
Co-fondateur du LUCAS (Laboratoire d'usages culture(s) ?
arts ? société) et chercheur associé au PACTE-CNRS,
il s?intéresse plus particulièrement aux lieux de savoir et
d?innovation (tiers lieux par exemple), à la biopolitique des villes, aux politiques
culturelles et d?innovation urbaine (dont l?urbanisme transitoire).
Il est à l?origine de différents écrits dont :
Infléchir la trajectoire d?un territoire et fabriquer la transition par les tiers-lieux :
le cas de la ville de Digne-les-Bains, Géographie, économie, société, 2022.
De la critique théorique au ! faire " : la transformation du droit à la ville à travers
les communs madrilènes, Métropolitique, 2018
Transformer les pratiques ? Bâtir une culture de la coopération, Nectart n°12,
2021
LES APPORTS DU LAB2051 ET DE SON RAPPORT
La mise en perspective historique
https://hal.science/hal-01865857
https://hal.science/hal-01865857
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 80
On pourrait penser que la question des communs urbains est une question
éminemment contemporaine, qui se structure essentiellement en réaction à ce que
certains auteurs décrivent comme la ! tragédie des communs ". Face aux limites du
néolibéralisme et à ses dérives, face à un contexte transitionnel, il semble désormais
urgent que nos sociétés apprennent à coopérer, afin de préserver les ressources
(notamment foncières) et les derniers biens communs (c?est ici l?hypothèse défendue
par des économistes comme Elinor Ostrom, Jeremy Rifkin ou encore Eloi Laurent).
Or le rapport du Lab2051 nous montre que les communs s?inscrivent dans une longue
lignée historique. Les communs ont influencé l?histoire de l?aménagement et de certains
modes de gestion et de propriété ! déclinés autour des usages et de ressources à gérer,
préserver et pérenniser ".
Selon les auteurs du rapport, les formes urbaines contemporaines puisent une partie de
leur inspiration dans les différents courants apparentés aux socialismes utopiques du
XIXe siècle, eux-mêmes inspirés des expériences rurales de gestion partagée des
ressources. On pense par exemple aux cités ouvrières (ex. la cité Napoléon inaugurée
en 1851), qui ont aménagé les logements ouvriers autour d?un certain nombre de
communs (avec l?installation de garderies ou de séchoirs et lavoirs communs).
Au début du XX siècle, les lavoirs collectifs ou municipaux, souvent associés à des bains-
douches, vont devenir des incontournables des logements populaires ou des nouveaux
quartiers construits avant et après la première guerre mondiale.
Je ne rentre pas dans les détails, mais ce rapport a le mérite de nous montrer que la
question des communs urbains, n?est pas une question nouvelle. Et il existe un vrai
intérêt à regarder de plus près la manière dont les communs urbains ont été traités dans
l?histoire de l?aménagement.
La complexité et la diversité des communs urbains
Le rapport du Lab2051 nous permet également d?éviter l?écueil d?appréhender les
communs urbains comme un objet homogène. Il nous donne à voir au contraire toute
la complexité et la diversité des communs urbains, tant au niveau de leur objet, de leurs
modalités de gestion des ressources, de leurs origines ou de leurs modèles
économiques.
Les communs urbains peuvent avoir par exemple pour objet des tiers lieux, des jardins
partagés, des terrains de sport, des salles communautaires, des formes d?habitats
participatifs, des salles communes, des cuisines, des cours ou des parkings partagés.
Par ailleurs, le rapport nous montre que les communs urbains ne se caractérisent pas
uniquement par leur localisation ou leur concentration dans la ville (Susser et Tonnelat,
2013) mais aussi par la construction des dispositifs participatifs qui permettent d?inclure
les usagers dans les activités de co-délibération et de co-décision. Je rajouterais une
autre spécificité des communs urbains : ils se déploient aussi dans des milieux où
certaines ressources sont particulièrement rares et en tension, avec notamment
l?existence de prix du foncier et de l?immobilier élevés et une concentration
démographique importante.
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 81
Le rapport nous montre également que les ressources mobilisées dans les communs
urbains peuvent être constituées par des biens publics, privés ou immatériels. Au-delà
de la diversité de la nature de la ressource, c?est aussi la façon de la gérer qui est
multiforme. Au coeur des communs urbains se trouvent des communautés hétérogènes
: on retrouve des communautés d?habitants, des collectifs d?architectes-urbanistes, des
acteurs privés ou institutionnels. Il peut donc exister des intérêts très différents qui se
rencontrent dans la prise en charge des communs.
L?intérêt méthodologique
Et le troisième apport de ce rapport est à mon avis méthodologique. Il reprend un
certain nombre de classifications opérées par Elinor Ostrom pour différencier les biens
(les biens privés/communs ou collectifs) et classer les droits des acteurs associés à leur
position (les propriétaires, les possesseurs, les détenteurs de droits d?usage et de
gestion, les utilisateurs autorisés?).
Mais il prolonge ces classifications par une proposition de typologie et d?une grille
d?analyse des communs. Et ces outils méthodologiques sont à mon avis extrêmement
pertinents pour y voir un peu plus clair dans la manière d?appréhender et de gérer les
communs urbains. Le rapport propose notamment une matrice avec deux entrées
principales, qui permettent d?appréhender la très grande variété de configurations des
communs urbains :
La première entrée concerne la situation initiale rencontrée par le constructeur ou
l?aménageur souhaitant développer un commun : il peut s?agir d?un commun existant et
non institutionnalisé ; d?un commun inexistant, mais qui bénéficie de la présence de
ressources et d?une communauté?).
L?autre entrée fait référence aux ressources (bâti, eau, déchet, énergie?), aux types de
communauté et d?usagers, et aux règles formalisées entre les différentes parties
prenantes (collectivité, aménageur, constructeur, communauté, usagers?).
DILEMMES
Bref, on le voit ce rapport est pertinent et utile ! Mais malheureusement, il ne parvient
pas à dépasser les dilemmes que posent les communs aux politiques d?aménagement
urbain. Et je vous rassure, c?est normal tellement ces dilemmes sont nombreux et
complexes.
Ces dilemmes constituent des problèmes non résolus, qui apparaissent de manière
récurrente lors du développement et de la gestion des communs urbains. Ces dilemmes
n?appellent pas à des choix exclusifs entre des propositions en apparence
contradictoires. Ils invitent davantage à ouvrir des espaces de réflexion pour assurer
des formes de clarification ou d?évolution possibles des politiques d?aménagement
urbain. Je précise que ces dilemmes, s?ils ne sont pas débattus ou clarifiés, constitueront
à mon avis des freins ou des sources de tension potentielle, à la mise en oeuvre d?une
politique urbaine de soutien aux communs.
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 82
Je vais principalement décrire quatre dilemmes :
Dilemme 1. Expérimentation / Institutionnalisation
Les communs urbains doivent-ils se réduire à la production d?expérimentations urbaines
isolées et éphémères ou ont-ils vocation à transformer les régimes dominants de la
fabrique et de la gouvernance urbaine ?
S?agit-il de produire des résultats à court terme, à travers l?organisation de micro-
expérimentations (avec notamment une logique de rentabilisation ponctuelle
d?espaces vacants), ou d?accompagner à long terme la transformation des grandes
politiques d?aménagement ?
Quelle pérennité des approches urbaines fondées sur les communs, au-delà de la fin des
subventions publiques ou privées dédiées aux expérimentations et des changements
de collectifs ou de gouvernements locaux ?
Au-delà d?une échelle micro, les communs urbains peuvent-ils raisonnablement
s?envisager à une échelle supérieure (métropolitaine, régionale ou nationale), et
constituer une organisation urbaine, politique et économique alternative ?
Quel équilibre trouver entre une volonté d?expérimenter en grandeur réelle de
nouveaux modes de fabrique et de gestion urbaine fondée sur les communs, et la
tentation d?institutionnaliser ces démarches dans le cadre d?une politique publique
dédiée ? Comment conserver un certain degré d?indéfinition et de préservation de
l?hors-norme, tout en prônant le changement d?échelle des approches urbaines fondées
sur les communs ?
Une politique d?aménagement fondée sur les communs s?inscrit-elle dans une
dynamique de territorialisation, en s?adaptant à la spécificité de chaque territoire, ou
dans une politique publique nationale de décentralisation de modèles pensés depuis le
haut ? Comment faut-il travailler le processus d?institutionnalisation des communs
urbains, par le bas ou par le haut ? Les deux ?
Ces différentes questions invitent en réalité à s?interroger sur la capacité des communs
urbains à répondre dans la durée aux besoins qui ont motivé leur émergence et à
participer au renouvellement des politiques urbaines?. Alors même que leur fragilité
est évidente : leurs modèles économiques restent précaires, les dynamiques collectives
sont fragiles, les accompagnements institutionnels sont souvent insuffisants. Et surtout
les coûts humains et économiques induits par les dynamiques de coopération sont
particulièrement nombreux.
On peut donc légitimement s?interroger : la lourdeur des dispositifs de coopération ne
risque-t-elle pas de prendre le pas sur le projet des communs eux-mêmes et leurs enjeux.
Sans oublier que le décalage entre les promesses initialement formulées par les
communs et la réalité% des actions engagées, peut produire un certain nombre de
frustrations parmi les populations et les parties prenantes des démarches.
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 83
Dilemme 2. Citoyens / Usagers
Les approches urbaines fondées sur les communs visent-t-elles à construire des citoyens
autonomes en capacité d?agir à long terme sur le code-source de la fabrique urbaine (à
travers des formes réelles de co-programmation, de co-gestion/auto-gestion et de co-
évaluation des communs) ou des usagers bêta-testeurs et contributeurs d?expériences
urbaines alternatives, qui permettent notamment de compenser les défaillances du
marché et/ou des politiques publiques dans la conduite de missions de service public
traditionnelles ?
Dilemme 3. Économie marchande / économie non marchande
Quelle option de politique publique privilégier entre une volonté de penser et d?agir sur
les communs, en ouvrant des ressources et des espaces partagés et gratuits, et de
l?autre la nécessité d?identifier des modèles économiques pour la conception, la
construction, et la gestion des communs urbains ? Comment penser et agir sur les
communs urbains, tout en identifiant des modèles économiques pérennes ?
Autre question plus complexe : Comment estimer monétairement des biens, des
produits et des services urbains, culturels, économiques ou environnementaux
développés sur le mode de la coopération ? Comment valoriser économiquement des
biens dont les caractéristiques d?indivisibilité% , de non-rivalité, de non excluabilité% , les
rendent semblables aux biens publics et par conséquent irréductibles au statut de
marchandise ?
Et in fine, on pourra s?interroger sur le juste prix de la solidarité, du lien social, du bien-
être et de la préservation d?un environnement urbain de qualité ?
Dilemme 4. Sociétal / Culturel
Comment concilier l?enjeu social/sociétal des communs urbains et le désir de la majorité
des ménages français de posséder une maison individuelle? avec jardin ?
Au-delà de l?enjeu sociétal des communs, comment dépasser la culture de la propriété
individuelle ? Comment dépasser une vision de l?économie fondée sur un ! égoïsme
institutionnalisé " ? Comment construire et développer les communs dans les
dispositifs ! Démonstrateurs de la ville durable ", quand aucun des termes du début de
cette phrase n'est compréhensible par ceux qui sont censés en bénéficier ?
Ce que je veux vous dire par là, c?est que je pense qu?aucune politique publique fondée
sur les communs urbains ne pourra raisonnablement s?envisager sans une
transformation culturelle profonde de notre rapport à la propriété, à l?économie, aux
territoires et à nos manières de les habiter. Il s?agit là de transformer nos valeurs, nos
imaginaires, nos représentations et d?inventer de nouveaux récits de territoire.
Pour qu?une politique publique fondée sur les communs soit véritablement acceptable
et efficace, il est nécessaire que le substrat culturel de nos sociétés soit préparé et
aligné avec des transformations qui s?avèrent radicales. Sans une réécriture collective
RAPPORT DU LAB2051 ? Les communs dans la construction et l?aménagement page 84
des valeurs qui fondent nos sociétés, on peut raisonnablement faire l?hypothèse que la
question des communs restera circonscrite à des sphères essentiellement
institutionnelles, expérimentales ou académiques.
Au-delà de ces quatre dilemmes qui peuvent paraître comme quelque peu théoriques,
et difficilement dépassables (mon but n?est pas là de déconstruire les communs, mais
bien de pointer des futurs axes de travail), je pense que la solution passera moins par le
fait de penser les communs (beaucoup de choses ont d?ores et déjà été dites et écrites
à cet égard), que de les pratiquer. Il est urgent d?outiller les communs urbains et de les
faire atterrir dans la réalité des opérations d?aménagement. Ce rapport est à cet égard
extrêmement précieux? Mais ce n?est qu?un début.
Il y a une nouvelle ingénierie de l?action publique urbaine à bâtir. Une ingénierie urbaine
à mon avis, autrement plus complexe que les politiques urbaines, fondées sur des
logiques aménagistes, planificatrices et verticales. Bref, il reste à outiller les communs
urbains.
INVALIDE)