Incendie dans le compartiment machine du navire roulier à passagers MONTE D'ORO le 6 juin 2023, au large de l'Ile Rousse (Corse) : rapport d'enquête

Auteur moral
France. Bureau d'enquêtes sur les événements de mer
Auteur secondaire
Résumé
<p align="justify" style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm">Le 6 juin 2023, le MONTE D'ORO est victime d'un incendie dans la salle des machines, après avoir quitté l'Ile Rousse. Cet incendie ne faisait aucune victime, mais les dommages matériels étaient importants. Cet incident était provoqué par une fuite sur le circuit d'alimentation en combustible du moteur de propulsion n°1 (MP1), et s'est déclaré dans le compartiment des MP. A l'issue de son enquête le BEAMer émettait une recommandation sur la maintenance de certains circuits et trois enseignements sur les opérations de maintenance, les accidents en mer et les dispositifs de détection incendie.</p>
Descripteur Urbamet
incendie ; sécurité ; moteur ; transport de marchandises
Descripteur écoplanete
Thème
Transports
Texte intégral
Rapport publié : mars 2024 Rapport d?enquête Incendie dans le compartiment machine du navire roulier à passagers MONTE D?ORO le 6 juin 2023, au large de l?Ile Rousse (Corse) Page 2 sur 22 Avertissement Le présent rapport a été établi conformément aux dispositions du Code des transports, notamment ses articles L.1621-1 à L.1622-2 et R.1621-1 à R.1621-38 relatifs aux enquêtes techniques et aux enquêtes de sécurité après un événement de mer, un accident ou un incident de transport terrestre et portant les mesures de transposition de la directive 2009/18/CE établissant les principes fondamentaux régissant les enquêtes sur les accidents dans le secteur des transports maritimes ainsi qu?à celles du « Code pour la conduite des enquêtes sur les accidents » de l?Organisation Maritime Internationale (OMI), et du décret n° 2010-1577 du 16 décembre 2010 portant publication de la résolution MSC 255(84) adoptée le 16 mai 2008. Il exprime les conclusions auxquelles sont parvenus les enquêteurs du BEAmer sur les circonstances et les causes de l?événement analysé et propose des recommandations de sécurité. Ce rapport n'a pas été rédigé, en ce qui concerne son contenu et son style, en vue d'être utilisé dans le cadre d'actions en justice. Conformément aux dispositions susvisées, l?analyse de cet événement n?a pas été conduite de façon à établir ou attribuer des fautes à caractère pénal ou encore à évaluer des responsabilités individuelles ou collectives à caractère civil. Son seul objectif est d?améliorer la sécurité maritime et la prévention de la pollution par les navires et d?en tirer des enseignements susceptibles de prévenir de futurs sinistres du même type. En conséquence, l?utilisation de ce rapport à d?autres fins que la prévention pourrait conduire à des interprétations erronées. Page 3 sur 22 1 Résumé Page 4 2 Informations factuelles 2.1 Contexte Page 4 2.2 Navire Page 5 2.3 Équipage Page 7 2.4 Accident Page 9 2.5 Intervention Page 10 3 Exposé Page 12 4 Analyse 4.1 Méthodologie de serrage de la petite boulonnerie Page 14 4.2 Arrêt par sécurité du MP4 Page 15 4.3 Déclenchement manuel du HI-FOG Page 16 5 Conclusions Page 17 6 Mesures prises et mesures programmées Page 17 7 Enseignements Page 18 8 Recommandations Page 18 Annexes A. Liste des abréviations Page 19 B. Décision d?enquête Page 20 C. Cartographie Page 21 Page 4 sur 22 1 Résumé Le 6 juin 2023, le MONTE D?ORO a appareillé du port de l?Ile Rousse depuis moins de deux heures, lorsque l?officier de quart passerelle informe le commandant, à 20h14, de l?arrêt par sécurité du moteur de propulsion n°4 (MP4). Le commandant se rend immédiatement à la passerelle et voit, sur l?écran de vidéosurveillance du compartiment machine, un feu intense dans une zone qu?il ne peut précisément identifier avant la coupure de l?image. L?alerte est diffusée à l?équipage et les moyens de lutte contre un feu machine sont mis en oeuvre (notamment le HI-FOG et la mousse sous parquet). Au même moment, un blackout est provoqué par l?arrêt des MP1 et 2 et de l?alternateur attelé de la ligne d?arbre tribord. La production d?électricité est rapidement rétablie dès le démarrage des deux Diesel générateurs du navire. Après plusieurs investigations et interventions, les équipes de lutte incendie rapportent à 20h48 que le feu, qui se situait au niveau du MP1, est éteint. Le refroidissement des points chauds se poursuit et le désenfumage de la zone sinistrée est activé. Lorsque la totalité du compartiment machine est sécurisé, le MP4 puis le MP3 sont redémarrés ; le navire reprend alors sa route vers Marseille à 10 noeuds. Le BEAmer émet trois enseignements et une recommandation. 2 Informations factuelles 2.1 Contexte Fret et passagers Le MONTE D?ORO effectue un voyage par semaine réservé au transport de marchandises dangereuses des classes 1 et 2 du code IMDG. Dans cette configuration, les seuls passagers autorisés à bord sont les chauffeurs routiers acheminant le fret sur remorque. Sur les 446 tonnes de fret embarqué, il n?y a pas de marchandises dangereuses de classe 1 ou 2. Le jour de l?accident, 44 passagers sont à bord, dont la moitié sont des chauffeurs routiers. Page 5 sur 22 2.2 Navire ? N° OMI : 8911516 ? Longueur hors-tout : 145,3 m ? Largeur : 27,7 m ? Jauge : 22070 UMS ? Puissance propulsion : 16 000 kW (4 moteurs Wärtsilä V3Z12) ? Mise en service : 5 juillet 1991 ? Chantier naval : ACH Le Havre ? Catégorie de navigation : 2ème (200 milles d?un port, voyage 600 milles) ? Société de classification : Bureau Veritas Nombre maximal de personnes à bord : 578 dont 48 membres d?équipage. Production d?électricité Les MP1 et 2 sont embrayés sur la ligne d?arbre tribord ; les MP3 et 4 sont embrayés sur la ligne d?arbre bâbord. Chaque ligne d?arbre entraîne un alternateur attelé. En route libre, les deux alternateurs attelés assurent la production d?électricité. La distribution électrique générale est assurée par l?alternateur d?une ligne d?arbre, tandis que les prises frigo des remorques stationnées dans le garage sont alimentées par l?alternateur de l?autre ligne d?arbre. Au port et en allure de manoeuvre, la production d?électricité est assurée par deux Diesel générateurs (DA1 et DA2). Si un des deux DA est indisponible, le navire est uniquement autorisé à rallier le port de Marseille pour réparations, sans fret ni passagers. Photographie CSN MA Page 6 sur 22 Module combustible Un seul module (ou unité de traitement du combustible, repère 1 sur figure 2 ci-après) alimente les quatre MP. En cas de chute de pression combustible (ou de viscosité trop élevée du FO), afin de garantir l?alimentation permanente des moteurs, l?alimentation en combustible bascule automatiquement au DO, via une vanne pneumatique et un bypass afin d?éviter le mélange FO/DO. Ce mode de fonctionnement est spécifique au MONTE D?ORO, les autres navires étant équipés de deux modules combustible sur le circuit FO. HI-FOG Le HI-FOG est un système de protection contre les incendies par brouillard d?eau (Water Mist), sans risque pour les personnes et l?environnement. Les détecteurs HI-FOG, de marque Consilium, ont été installés en 2005 (ce mode d?extinction n?était pas obligatoire à la date de construction du navire). La gestion du système est assurée par une centrale de détection principale, située à la passerelle, et une centrale de détection « Water Mist », située au PC machine Le déclenchement du système Water Mist est automatique, à condition qu?un détecteur de fumées et un détecteur de flammes soient simultanément activés (Boucle verte). Figure 1 ? Détecteurs Consilium compartiment MP Photographie BEAmer Page 7 sur 22 Le système est alimenté par des ballasts eau douce de grande capacité ; lorsqu?il n?y a plus d?eau douce, l?installation fonctionne à l?eau de mer. Des tests sont effectués périodiquement par le bord et tous les ans par le fabricant (en changeant de zone à chaque essai). 2.3 Équipage Le capitaine, âgé de 52 ans, est titulaire du brevet de capitaine de 1ère classe. Après une année à la Delmas, il exerce alternativement les fonctions d?officier pont et d?officier mécanicien depuis juillet 1998 à bord des navires de la SNCM, puis de Corsica Linea. Il commande le MONTE D?ORO depuis janvier 2018. Le chef mécanicien, âgé de 45 ans, est titulaire du brevet de capitaine de 1ère classe. Depuis avril 2003, il exerce alternativement les fonctions d?officier pont et d?officier mécanicien à bord des navires de la SNCM, puis de Corsica Linea. Il est chef mécanicien du MONTE D?ORO depuis mars 2023. Rôle incendie Le rôle d?appel précise les fonctions sécurité du personnel mobilisé en cas d?incendie. Equipe de 1ère intervention : le point de rassemblement est l?armoire incendie machine, située au pont 2. CODE Fonction Sécurité Poste Obligatoire S1ES07 S1MS02 S1MS03 S1MS04 Responsable / Pompier léger Investigation/ Porte-masque Investigation/ Porte-masque Aide habillement Officier auxiliaires Mécanicien Mécanicien Mécanicien Equipe de conduite machine : le point de rassemblement est le PC machine. Elle est chargée de : - La conduite des installations techniques du navire, - répondre aux besoins de l?équipe de sécurité, - bloquer les ascenseurs et monte-charge, - renseigner la timonerie, - contrôler l?évacuation des locaux machine avant l?émission du CO2. CODE Fonction Sécurité Poste obligatoire Poste préférentiel S1EM05 S1MM01 S1MM06 Responsable Aux ordres de S1EM05 Idem Chef mécanicien Mécanicien Electricien Assistant méca. Assistant élec. Page 8 sur 22 Doctrine d?intervention : Les équipes d?intervention n?attaquent pas frontalement le feu dans les zones fermées comme le compartiment machine. Elles procèdent par investigations, à proximité de la zone en feu, afin d?évaluer l?efficacité des agents extincteurs déclenchés automatiquement (HI-FOG) ou à distance (mousse), le CO2 étant utilisé en dernière extrémité. Ponctuellement, selon les zones à atteindre, les équipes de pompiers font usage des lances à incendie. D?autre part, tout membre d?équipage témoin d?un incendie doit déclencher l?agent extincteur HI- FOG, via le boitier du local protégé concerné. Documents de référence : - Plan d?Urgence Navire (PUN), document général complété d?une description détaillée pour chaque local à protéger ; - Check list incendie machine, consignation manuscrite des actions entreprises pendant la lutte contre l?incendie. Quart machine : Le second mécanicien effectue les quarts de 7h00 à 11h00 et de 19h00 à 23h00. Le navire répondant aux normes AUT, l?officier de quart machine n?est pas physiquement présent en permanence au PC machine. Au cours de son quart il effectue plusieurs rondes, y compris dans des zones situées à l?avant du navire. Il est muni d?un Bip de report des alarmes et d?un talkie-walkie, en communication avec l?officier de quart passerelle. L'article 221-II-1/54 du règlement annexé à l?arrêté du 23 novembre 1987 modifié relatif à la sécurité des navires et à la prévention de la pollution (cet article appartient à la division 221 qui concernent les navires à passagers effectuant des voyages internationaux et les navires de charge de plus de 500) précise cependant : "Il convient que l?administration examine particulièrement le cas des navires à passagers en vue de déterminer si les locaux de machines sont ou non susceptibles d?être exploités sans présence permanente de personnel et, dans l?affirmative, si des dispositions particulières venant s?ajouter à celles des présents articles sont nécessaires pour assurer un degré de sécurité équivalant à celui des locaux de machines normalement surveillés par du personnel de quart." Page 9 sur 22 2.4 Accident Heure locale TU + 2 6 juin 2023, Vers 20h00, peu après l?appareillage du port de l?Ile Rousse, une fuite de FO au niveau de la bride carrée (repère 2 sur figure 2) de raccordement de la rampe FO vers la pompe d?injection du cylindre A4 du MP1 provoque une chute de pression de combustible, sans déclencher d?alarme. L?automatisme de passage du FO au DO, consécutif à la chute de pression du combustible dans le circuit d?alimentation, s?enclenche. Le mélange FO/DO sous pression (7 bars), qui circule alors au niveau de la fuite, est porté à une température supérieure à 100°C. Un feu intense se déclare. Figure 2 ? Circuits d?alimentation FO et DO du MP1 À 20h14, le commandant est averti de l?arrêt du MP4 par l?officier de quart passerelle. Il se rend immédiatement à la passerelle avec le second capitaine. Le chef mécanicien et l?officier de quart machine se rendent au PC machine. Pendant deux minutes, le feu situé à proximité d?un des quatre MP est visible sur l?écran de vidéosurveillance du compartiment machine. Lorsque l?image est coupée, la caméra de la zone concernée n?a pas pu être identifiée par l?équipage à ce moment-là. GE F08 F07 Sec. Modulecomb. Filtres FO(1) Duplex UTC1 PCM4PCM3 PCM2PCM1 FO FO Vannepneumatique DO Raccord Ppeinjection carré(2) Ramped'alim.FO Cyl.4 CaisseDO2CaissesJourn.?Décant. DA2 DA1 MP1 MP2 MP3 MP4 Page 10 sur 22 2.5 Interventions Dans les minutes qui suivent l?arrêt du MP4 : L?officier de quart machine tente une rapide investigation des compartiments MP et DA. Il constate un fort dégagement de fumée l?obligeant à retourner sans tarder au PC machine. Le commandant diffuse les signaux d?alerte et appelle les équipes de lutte incendie à leur poste. De la passerelle, le second capitaine démarre la pompe incendie n°2 puis se rend au local sécurité du pont 2. L?arrêt par sécurité des MP1 et 2 provoque un blackout. Le démarrage automatique des DA1 et 2 rétablit le courant sur les barres principales. À 20h22, le second capitaine déclenche l?envoi de la mousse sous parquet depuis le local sécurité du pont 2. Les vannes à fermeture rapide (VFR) FO (n°5) et DO (n°7) sont également actionnées depuis le local sécurité. Le commandant et le commissaire conviennent de rassembler les passagers au bar salon, pont 6. Le commandant stoppe la ventilation du compartiment machine. Il signale aux mécaniciens que le HI-FOG ne s?est pas déclenché automatiquement. Au PC machine, le chef mécanicien actionne les vannes des zones M1 et M2 d?envoi du HI-FOG vers les zones tribord et bâbord du compartiment des MP. Un éventuel échauffement du Garage pont 2, situé au-dessus du compartiment des MP, est contrôlé (absence d?échauffement sensible). À 20h28, les équipes d?intervention Pont et Machine sont rassemblées au compartiment des DA, contigu du compartiment des MP, sur l?arrière. À 20h29, première investigation par une équipe de pompiers depuis la porte étanche de communication entre les deux compartiments. Malgré l?épaisse fumée, des flammes sont aperçues pendant un court moment. Sans chercher à progresser plus avant dans le compartiment des MP, arrosage et refroidissement au jet bâton par la première équipe de pompiers ; la chaleur limite la durée de l?intervention. Les pompiers ont cependant pu identifier le capot couvrant les rampes et les pompes d?injection des cylindres 4, 5 et 6, projeté sur le parquet machine. Le second capitaine interroge le commandant sur la situation des portes étanches. La fermeture de la porte restée ouverte (porte de communication entre les compartiments MP et DA) est actionnée par le commandant depuis la passerelle. Page 11 sur 22 À 20h32, du fait de la forte odeur de fumée dans la zone du bar salon, le commandant et le commissaire conviennent de rassembler les passagers sur le pont 5 extérieur, au niveau des embarcations de sauvetage. Comptage des 44 passagers. À 20h36, repli des deux pompiers de l?équipe d?intervention qui a effectué la première investigation, du fait de la chaleur suffocante. Tentative de démarrage d?un extracteur d?air du compartiment des moteurs. Sans succès, car impossibilité de manoeuvrer les ventelles sans alimentation en air 9 bars. Redémarrage des compresseurs d?air arrière et secours ; l?extracteur d?air tribord du compartiment des MP peut être démarré. À 20h40, les équipes d?intervention se déplacent vers le local des séparateurs, qui n?est pas enfumé. Nouvelle investigation dans le compartiment des MP. Bien qu?il n?y ait plus de flammes, la zone à l?origine du sinistre est identifiée. À 20h42, un message SURNAV est envoyé au CROSS MED, ainsi qu?un point de situation à l?armement. À 20h44, confirmation au sémaphore de l?Ile Rousse des informations précédemment échangées. À 20h45, les équipes d?investigation informent de l?absence de flammes dans le compartiment des MP. Le refroidissement des points chauds se poursuit. L?incendie ne s?est pas propagé au-delà de la zone des moteurs tribord. À 20h48, l?information « Feu éteint » est transmise au CROSS (communication par téléphone mobile via le 196). Le navire est toujours privé de propulsion, en attente du résultat de l?évaluation des moyens encore disponibles. À 20h52, repli des équipes de lutte incendie et mise en service des extracteurs pour désenfumer le compartiment machine. À 21h06, arrêt de la mousse sous parquet. À 21h18, détection d?un point chaud au niveau du réducteur tribord ; reprise du refroidissement à la lance incendie depuis le compartiment des DA par une équipe de pompiers. À 21h19, alarme d?envahissement d?eau de la cale machine. Pour prévenir tout risque de pollution, le commandant décide de ne pas mettre en service le moyen d?assèchement évacuant à la mer et de poursuivre le pompage vers les ballasts de rétention. À 21h23, point de situation avec le CROSS. Page 12 sur 22 À 21h29, arrêt du HI-FOG après contrôle de l?absence de points chauds. Le compartiment des MP est accessible sans appareil respiratoire. À 21h45, confirmation de la localisation de l?origine de l?incendie. Les MP1 et 2 sont hors service. À 23h05, des particules incandescentes provenant d?un calorifugeage sont signalées par le maître sécurité au cours d?une ronde. Ce feu est éteint à 23h18 à l?aide d?extincteurs à poudre et d?une lance incendie par deux pompiers munis d?appareils respiratoires. 3 Exposé Heure locale TU + 2 Le 5 juin au port Une fuite ayant été détectée pendant la précédente traversée, les mécaniciens du bord procèdent au remplacement de la pompe d?injection du cylindre A4 du MP1 pendant l?escale de Marseille. Un test d?étanchéité est effectué en lançant le moteur. Nuit du 5 au 6 juin, traversée Marseille / Ile Rousse De 18h40 à 01h40, fonctionnement du MP1, sans anomalie et sans qu?aucune fuite ne soit détectée. 6 juin Météorologie : vent ouest-nord-ouest force 2, mer belle, visibilité 10 milles (Source SITREP : Météo France). À 18h30, appareillage du port de l?Ile Rousse. Les quatre MP sont en service. À 18h46, arrêt du MP3 pour réglage en route libre sur trois MP à l?allure économique de 16 noeuds. La distribution électrique générale est disposée sur l?alternateur attelé de la ligne d?arbre tribord et les prises des remorques frigo du garage sont disposées sur l?alternateur attelé bâbord. Les deux DA sont stoppés. Une ronde machine est effectuée par l?assistant mécanicien. Aucune anomalie n?est constatée. À 19h30, le navire passe au nord de la pointe de la Revellata, à 6,1 milles. Vers 20h00, hormis l?officier de quart passerelle, tous les officiers sont réunis au carré, situé au pont 6, pour le service du diner. À 20h13min43s, heure du journal des alarmes (retard de 3 minutes du système de supervision sur l?heure GPS), alarmes simultanées « MP4 Arrêt par sécurité », « MPx Marche DO », « Pression Basse FO Module Combustible ». Au même moment, alarme sur le bip de l?officier de quart machine. L?officier de quart passerelle lui précise l?information par talkie-walkie. Page 13 sur 22 À 20h13min46s, alarmes « MP4 Pression Basse Combustible », « Module Combustible Défaut ou Duplication ». À 20h13min58s, « Alarme Incendie ». À 20h14min01s, première alarme « MP1 Fuites Combustible injecteur » À 20h15, black-out et démarrage des DA1 et 2. Sortie du black-out. Le pilote automatique et le gyrocompas sont en alarme. Les feux de navire non maître de sa manoeuvre sont allumés. Dans les minutes qui suivent, l?équipe machine est au complet au PC machine. Dès que l?alerte est déclenchée, tous les moyens prévus pour la lutte incendie dans le compartiment machine (hormis le CO2) sont mis en oeuvre et coordonnés depuis la passerelle par le commandant. À 20h45, il n?y a plus de feu actif mais les MP1 et 2 sont hors service. Les nappes de câbles transitant dans le compartiment des MP sont endommagées, avec pour effet de nombreuses pertes d?alimentation au tableau principal, sans possibilité de réarmer les disjoncteurs de certains auxiliaires. Perte, également, de plusieurs auxiliaires alimentés via le tableau de secours. Vers 21h00, fin des investigations, refroidissement et évaluation des dommages. Les vannes VFR sont réarmées en vue de redémarrer les MP3 et 4. Au même moment, le navire de pêche JUDY signale l?accident au CROSS et propose son aide. De 21h16 à 21h26 les alarmes ne sont plus imprimées ni enregistrées par le système de supervision (« plantage » du programme par saturation). À 22h08, le MP4 est lancé au DO, embrayé, et mis sous surveillance. À 22h40, le MP3 est lancé au DO, embrayé, et également mis sous surveillance. La production électrique est assurée par les DA1 et 2, en mode manuel. L?alternateur attelé n?est pas mis en service, car le taux d?humidité est élevé dans le compartiment des MP après l?utilisation du HI-FOG. Le CROSS est informé que le navire fait route à 10 noeuds avec deux MP sur une seule ligne d?arbre. La route est modifiée pour passer plus au large de la côte varoise (à 5 milles). Le commandant prévoit une approche de la rade de Marseille par le chenal nord, présentant moins de dangers. 7 juin À 13h55, embarquement du pilote en rade de Marseille. À 14h21, le navire franchit la passe Nord et capelle les remorques des remorqueurs Mistral 5 et Mistral 6. Page 14 sur 22 Les premières investigations ne permettent pas d?identifier l?origine de la fuite de combustible dans un environnement contaminé au FO. 9 juin Une fuite de DO est constatée au niveau de la bride (raccord carré) de raccordement entre la rampe d?arrivée du FO et la pompe d?injection du cylindre A4. Deux des quatre vis de serrage du raccord sont manquantes et sont retrouvées à proximité. Les deux autres vis sont en place (dont une est partiellement desserrée). 4 Analyse La méthode retenue pour cette analyse est celle qui est préconisée par la Résolution A28 / Res 1075 de l?OMI « directives destinées à aider les enquêteurs à appliquer le code pour les enquêtes sur les accidents (Résolution MSC 255 (84)) ». Le BEAmer a établi la séquence des événements ayant entraîné l?accident, à savoir : - La méthodologie de serrage de la petite boulonnerie Dans cette séquence, les événements dits perturbateurs (événements déterminants ayant entraîné les accidents et jugés significatifs) ont été identifiés. Ceux-ci ont été analysés en considérant les éléments naturels, matériels, humains et procéduraux afin d?identifier les facteurs ayant contribué à leur apparition ou ayant contribué à aggraver leurs conséquences (facteurs contributifs). Parmi ces facteurs, ceux qui faisaient apparaître des problèmes de sécurité présentant des risques pour lesquels les défenses existantes étaient jugées inadéquates ou manquantes ont été mis en évidence (lacunes de sécurité). Les facteurs sans influence sur le cours des événements ont été écartés, et seuls ceux qui pourraient, avec un degré appréciable, avoir pesé sur le déroulement des faits ont été retenus. 4.1 Méthodologie de serrage de la petite boulonnerie Pratique habituelle du bord : Pour le serrage de la petite boulonnerie sur circuits, la clé dynamométrique est plus couramment utilisée pour ne pas endommager les vis et écrous que pour appliquer un couple de serrage préconisé par le constructeur. Pratique mise en oeuvre le 5 juin : Après l?accident, l?investigation conduite par le bord a montré que deux des quatre vis de serrage du raccord carré (repère 2 sur figure 2) d?alimentation de la pompe d?injection du cylindre A4 n?étaient plus en place, et qu?une vis était dévissée d?un tiers. La quatrième vis était encore en place. Page 15 sur 22 Il semble donc, pour cette opération de routine, que seul le serrage provisoire des quatre vis a été effectué, en attente du serrage définitif (qui a été oublié). Pour ce type d?intervention, l?utilisation de la clé dynamométrique, outre la précision du serrage, permet à l?opérateur de mieux mémoriser son action (qui a pu être interrompue) et d?éviter ainsi les risques d?oubli. La méthodologie mise en oeuvre pour l?opération de maintenance du 5 juin est le facteur contributif de l?accident. L?essai effectué au port et les sept heures de fonctionnement du MP1 dans la nuit du 5 au 6 juin, sans qu?aucune fuite ne soit détectée, n?ont pas permis aux mécaniciens de se douter que l?opération de maintenance n?était pas finalisée. 4.2 Arrêt par sécurité du MP4 Avant les premiers dysfonctionnements enregistrés par la supervision, la fuite de combustible, bien qu?uniquement due à un raccord d?alimentation défaillant du MP1, a provoqué une chute de pression dans l?ensemble du circuit d?alimentation en FO, déclenchant l?automatisme d?ouverture des vannes d?alimentation en DO. L?arrêt par sécurité du MP4 qui a suivi pourrait alors être dû : - à l?ouverture un peu « lente » de la vanne d?alimentation en DO (CAA32) du MP4, - à un possible décalage des valeurs de réglage des pressostats du circuit combustible entre les quatre MP, - à un défaut de séquence (fermeture/ouverture) de la vanne assurant la ségrégation FO/DO pour le MP4 (CM14B). Figure 3 ? Alimentation et retour FO/DO du MP4 Page 16 sur 22 L?arrêt par sécurité du MP4, situé sur bâbord, donc sans lien direct avec l?origine de l?incendie, a eu pour conséquence un moment d?incertitude sur la zone où les moyens de lutte devaient être concentrés en priorité. 4.3 Déclenchement manuel du HI-FOG Le déclenchement du HI-FOG aurait dû être automatique. Ce dysfonctionnement a été immédiatement constaté depuis la passerelle et signalé au chef mécanicien. Compte tenu de l?incertitude sur la zone à protéger en priorité, le HI-FOG a été mis en oeuvre vers les zones bâbord et tribord du compartiment MP par du personnel qui, à cette heure non tardive de la soirée, a rapidement pu se rendre au PC machine. Une situation plus défavorable aurait pu se développer, au milieu de la nuit, si l?officier mécanicien de quart avait été relativement éloigné du PC machine (par exemple au moment d?une ronde à l?avant du navire). Le non-déclenchement du HI-FOG en automatique est vraisemblablement dû à l?endommagement du câblage et des cellules de détection par le feu intense qui était concentré au niveau du MP1. L?investigation conduite par la société Consilium a montré que les neuf détecteurs du compartiment MP (deux détecteurs de chaleur et sept détecteurs de fumées) ont déclenché, et que le système s?est trouvé en défaut deux minutes après la première alarme. Ce dysfonctionnement remet en cause l?emplacement actuel des détecteurs (notamment « l?angle de vue » du détecteur de flammes situé au-dessus des MP1 et 2). Leur positionnement n?avait toutefois fait l?objet d?aucune remarque de la part de la société de classification ou de l?Administration. Page 17 sur 22 5 Conclusions L?incendie, dû à une fuite sur le circuit d?alimentation en combustible du MP1, s?est déclaré dans le compartiment des MP sans signe avant-coureur ni alarme. La première occurrence a été l?arrêt par sécurité du MP4. Le feu, d?une grande intensité, a pu être brièvement visualisé de la passerelle sur l?écran de vidéosurveillance, avant la coupure de l?image, sans que la zone affectée ait été identifiée. La mise en oeuvre du HI-FOG a été effectuée manuellement, du fait de la défaillance des détecteurs placés au-dessus des MP1 et 2. Le feu a été éteint en trente minutes au moyen du HI-FOG, de la mousse sous parquet machine et d?actions ponctuelles de refroidissement à la lance incendie, menées par les équipes de pompiers. Ces équipes ont opéré dans un temps et un rayon d?action limités, du fait des fumées épaisses et de la chaleur suffocante. Il n?y a pas eu de blessés, mais les dommages matériels sont importants, la remise en ligne est prévue début 2024. La cause de la fuite de combustible a été identifiée après l?arrivée au port : serrage non finalisé sur une bride de circuit d?alimentation du MP1. L?absence de points chauds au sol du garage pont 2, dans la zone située au-dessus du compartiment des MP, témoigne de la bonne protection assurée par les tôles épaisses et l?isolant calorifuge du plafond machine. La propreté de la cale machine a contribué à la non-propagation du feu au-delà de la zone contaminée par la fuite de combustible. Le réducteur a également fait écran à la propagation horizontale du feu. 6 Mesures prises et mesures programmées Corsica Linea L?utilisation des caméras thermiques devrait se généraliser, à bord de tous les navires de la flotte, afin de détecter les points chauds dans les locaux avoisinant une zone sinistrée par un incendie. À la suite de l?investigation post-accident effectuée par la société Consilium, des mises à jour et des améliorations spécifiques vont être installées sur l?ensemble de la flotte Corsica Linea début 2024, le MONTE D?ORO étant prioritaire, notamment : - des détecteurs de flammes supplémentaires ; - l?ajout d?une platine de déclenchement en passerelle ; - l?ajout de conditions de déclenchement automatique. La problématique de l?emplacement des détecteurs de flammes est également à l?étude. Page 18 sur 22 CSN de Marseille Recensement programmé par le CSN des emplacements des détecteurs HI-FOG sur l?ensemble des navires de la flotte. 7 Enseignements 1. 2024-E-11 : pendant une opération de maintenance, l?utilisation d?une clé dynamométrique, plus contraignante que l?utilisation d?une clé simple, évite cependant les risques d?oubli pour le serrage d?une pièce prépositionnée au remontage. 2. 2024-E-12 : au titre de l?arrêté 149/2021 du préfet maritime, en cas d?accident sur un navire de plus de 300 (UMS) effectuant une navigation commerciale dans les eaux sous juridiction française de Méditerranée, le bord doit immédiatement prévenir le CROSS MED en phonie puis par un message SURNAV-AVARIE. 3. 2024-E-13 : la réglementation demande à ce que le fonctionnement des dispositifs fixes de détection de l'incendie soit vérifié périodiquement de manière jugée satisfaisante par l'Administration, au moyen d'un matériel qui produise de l'air chaud à la température appropriée, de la fumée ou des particules d'aérosol, la densité de la fumée et la taille des particules étant dans la gamme appropriée, ou tout autre phénomène associé à un début d'incendie auquel le détecteur, de par sa conception, doit réagir (division 221-II-2/7§3). 8 Recommandation Le BEAmer recommande : À l?armement Corsica Linea : 1. 2024-R-05 : de formaliser le contrôle du serrage des éléments de circuits véhiculant des fluides à haut risque en cas de fuite. Une recommandation de sécurité ne doit en aucun cas faire naître une présomption de responsabilité ou de faute. Page 19 sur 22 Annexe A Liste des abréviations Abbreviation list BEAmer : Bureau d?enquêtes sur les événements de mer CROSS MED : Centre Régional Opérationnel de Surveillance et de Sauvetage de Méditerranée FO / DO : Fuel Oil / Diesel Oil IMDG : Code international de transport de marchandises dangereuses ISM : International Safety Management SITREP : SITuation REPort (émis par les CROSS) SURNAV : SURveillance de la NAVigation maritime (comptes-rendus obligatoires) Page 20 sur 22 Annexe B Décision d?enquête Page 21 sur 22 Annexe C Cartographie Position du navire lors de l?alerte MONTE D?ORO à 20h14 Image site DATASHOM Bureau d?enquêtes sur les événements de mer (BEAmer) Arche sud 92055 LA DEFENSE CEDEX Téléphone : +33 (0)1 40 81 38 24 Adresse électronique : bea-mer@developpement-durable.gouv.fr Site web : www.bea-mer.developpement-durable.gouv.fr

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