Rapport sur les relations entre le CETA et le climat commandé par Ségolène Royal, présidente de la COP21 et ministre en charge des négociations sur le Climat
Auteur moral
France. Ministère de l'environnement, de l'énergie et de la mer
Auteur secondaire
Résumé
Après avoir rappelé différents éléments factuels sur ces sujets, tels qu'ils ressortent des documents établis par les services de l'Etat ayant participé aux négociations de du CETA (accord économique et commercial global entre le Canada et l'Union européenne, les controverses sont mises en perspective et des pistes sont proposées.
Descripteur Urbamet
climat
Descripteur écoplanete
Thème
Environnement - Paysage
Texte intégral
RAPPORT SUR LES RELATIONS
ENTRE LE CETA* ET LE CLIMAT
Commandé par Ségolène Royal, présidente de la COP21
et ministre en charge des négociations sur le Climat
JANVIER 2017
*Comprehensive Economic and Trade Agreement (CETA)
Rapport édité par le Commissariat général au développement durable,
le Conseil économique pour le développement durable, le délégué général et mis en consultation.
Auteurs : Dominique Bureau, Xavier Jardi
Pays hôte de la Cop 21, la France n?a pas ménagé ses
efforts diplomatiques pour faciliter l?adoption et accélérer
l?entrée en vigueur de l?Accord de Paris sur le Climat. Cet
accord est universel : il appartient aujourd?hui aux 131 pays qui
l?ont déjà ratifié comme à tous ceux qui le mettront en oeuvre
dans les prochaines années. Cependant, la France garde une
responsabilité particulière et se doit d?être garante de la bonne application de
cet Accord historique. C?est la raison pour laquelle, en réponse aux inquiétudes
exprimées par la société civile, j?ai souhaité que ce rapport soit réalisé pour
étudier la cohérence des engagements pris aux termes de l?Accord de Paris avec
ceux contenus dans le CETA. Ce rapport démontre qu?il est possible de concilier
CETA et Accord de Paris. Pour cela, il formule 10 recommandations. Si elles
sont mises en oeuvre à l?entrée en vigueur du CETA, cet accord économique et
commercial global entre le Canada et l?Union européenne constituera un levier
pour dynamiser l?action climatique. L?engagement conjoint du Canada et de
l?Union européenne à accélérer l?entrée en vigueur de l?Accord de Paris témoigne
d?une volonté commune d?oeuvrer ensemble à l?avènement d?une société bas
carbone. Comme le soulignait Justin Trudeau le 22 avril 2016 à la tribune des
Nations unies lors de la cérémonie de signature de l?Accord de Paris, « Ce n?est
qu?en travaillant ensemble que nous pouvons apprendre les uns des autres,
tabler sur nos connaissances communes et développer des économies aussi
propres que concurrentielles ».
Ministre de l?Environnement,
de l?Énergie et de la Mer, en charge des
Relations internationales sur le climat,
Présidente de la COP21
2
En 2015, la France a accueilli la Cop 21 sur le changement climatique qui a débouché sur la
signature d?un accord historique, l?Accord de Paris. La ratification a été obtenue en un temps
record, en octobre 2016.
La ratification en cours du projet d?Accord économique et commercial global entre l?Union
européenne et le Canada, dit CETA1 suscite encore des inquiétudes, notamment par rapport à
ses impacts éventuels sur les politiques climatiques, et tout particulièrement en regard de
l?Accord de Paris. En effet, les termes du CETA avaient été négociés bien avant l?entrée en
vigueur de l?Accord de Paris.
En tant que Présidente de la Cop 21, la France se doit de veiller à ce que le CETA prenne en
compte les termes de l?Accord de Paris, en matière de réduction des émissions de gaz à effet
de serre, d?atténuation et d?adaptation. Le Canada et l?Union européenne ont d?ailleurs
oeuvré conjointement à l?adoption et à l?entrée en vigueur rapide de cet Accord, qui reconnaît
« l?urgence de combler l?écart significatif entre l?effet global des engagements d?atténuation
pris par les Parties en termes d?émissions annuelles mondiales de gaz à effet de serre jusqu?à
2020 et les profils d?évolution des émissions globales compatibles avec la perspective de
contenir l?élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 °C
par rapport aux niveaux préindustriels et de poursuivre l?action menée pour limiter
l?élévation des températures à 1,5 °C ». Il souligne aussi « qu?il est urgent d?accroître l?appui
fourni par les pays développés sous la forme de ressources financières, de technologies et
d?un renforcement des capacités, de manière prévisible, afin de permettre une action
renforcée avant 2020 par les pays en développement ». Il recommande par ailleurs de
« promouvoir la coopération régionale et internationale afin de mobiliser une action
climatique plus forte et plus ambitieuse de la part de toutes les Parties et des autres acteurs, y
compris de la société civile, du secteur privé, des institutions financières, des villes et autres
autorités infranationales, des communautés locales et des peuples autochtones ». Ces
principes doivent guider la mise en oeuvre du CETA.
Le Canada et l?Union européenne se doivent ainsi d?assurer l?alignement de leur ambition
climatique et du CETA. Ce rapport vise à questionner, dans cette perspective, l?évaluation de
ses impacts -et, en amont, les bénéfices attendus d?un tel Accord-, les enjeux et conditions de
la coopération réglementaire, et le système de règlement des différends « investisseurs-
Etats ».
Après avoir rappelé différents éléments factuels sur ces sujets, tels qu?ils ressortent des
documents établis par les services de l?Etat ayant participé aux négociations de cet Accord,
les controverses sont mises en perspective et des pistes sont proposées.
Ainsi, ce rapport formule 10 recommandations :
A - Limiter l?augmentation des émissions de gaz à effet de serre
1- Procéder à l?évaluation de l?accroissement des émissions de gaz à effet de serre
générées par ce nouvel accord commercial.
2- Assurer la « neutralité carbone » du CETA.
3- Engager un travail conjoint Euro-Canadien afin de définir de nouvelles règles pour
le transport maritime et coopérer activement pour les porter au sein de l?OMI.
1 Ou, en français AECG, pour accord économique et commercial global entre l?Union européenne et le Canada
3
4- Mettre à l?ordre du jour du Forum de coopération réglementaire la question des
pétroles non conventionnels, y compris : l?étude des modalités visant à en interdire
ou à en limiter l?usage au sein des États membres qui le souhaiteraient, interdire-
limite-encadrer plus strictement les investissements visant à l?exploration et
l?exploitation de ces ressources fossiles ? Etudier dans ce cadre la possibilité de
mettre en place un système de bonus/malus visant à encourager le déploiement et le
recours aux Énergies renouvelables au sein des États membres de l?Union
européenne comme au Canada.
B - Veiller à ce que le mécanisme de résolution des différends entre investisseurs et ?Etats
(ICS) ne puisse en aucun cas remettre en cause les engagements ambitieux pris par
l?Union européenne et le Canada en matière de lutte contre le changement climatique
5- Pour ce faire, demander des clarifications quant au code de conduite des « arbitres
» et aux modalités d?appel.
6- Exclure du champ de l?ICS toutes les mesures relatives à la lutte contre le
changement climatique, pour atteindre les objectifs de l?Accord de Paris : mesures
prises par un État membre pour mettre en oeuvre ses « NDC » ; mesures relatives à
la tarification du carbone par exemple.
7- Ceci nécessite plus généralement une réflexion sur le traitement des périmètres «
environnementaux » dans l?ICS : que doit-on exclure de son champ ? Comment
s?assurer que les décisions de l?ICS tiendront compte des conséquences possibles,
même indirectes sur les émissions de gaz à effet de serre ?
C - Améliorer les règles du mécanisme de coopération réglementaire pour mieux prendre en
compte l?ambition Climatique
8- Veiller à ce que les services compétents en matière de lutte contre les changements
climatiques soient associés à l?ensemble des travaux menés dans le cadre du
processus de coopération.
9- Equilibrer la représentation des différentes composantes de la société civile
(Entreprises, Collectivités locales, ONG) consultées dans le cadre de ce forum de
coopération réglementaire.
10- Proposer comme premier thème de coopération réglementaire les sujets liés au
Climat comme notamment les émissions de gaz à effet de serre des secteurs aérien
et maritime, ou la question des voies et moyens pour une coopération
internationale dans le domaine de la tarification du carbone.
En conclusion, le travail conduit montre que le CETA, s?il intègre ces recommandations, peut
constituer un levier pour dynamiser la lutte contre le changement climatique. Aussi, à
l?avenir, il serait utile que les futurs accords de commerce soient utilisés pour accélérer la
transition énergétique en facilitant l?échange des technologies propres et programmant la
sortie des énergies fossiles. Ainsi, bien qu?il ne soit plus possible de modifier la substance de
l?accord, il convient maintenant de s?assurer que sa mise en oeuvre se fasse de la manière la
plus respectueuse possible pour l?environnement. Il s?agit notamment de veiller à ce que les
institutions créées par l?accord (notamment le mécanisme de règlement des différends
investisseurs-États et le forum de coopération règlementaire) demeurent équilibrées en
termes de représentation des experts environnementaux. Cela nécessite un travail de
coopération interministérielle renforcé en vue d?être force de proposition auprès de la
Commission européenne.
4
1- L?évaluation du CETA
Sur les opportunités ouvertes par le CETA
L?Union européenne est la plus grande économie du monde et le plus important marché du
monde. Elle est le principal acteur du commerce international, avec 16,4 % des importations
mondiales en 2011 et 15,4 % de toutes les exportations, devant la Chine (13,4 %) et les États-
Unis (10,5 %). L?UE est le 2ème exportateur de biens au Canada (derrière les États-Unis) et le
Canada est le 14ème importateur dans l?UE (hors commerce intra-UE). L?UE et le Canada
sont des partenaires commerciaux et économiques de longue date, qui partagent des objectifs
communs en matière de politique commerciale.
Si le Canada est une économie de petite taille comparée à celle de l?UE dans son ensemble, sa
structure commerciale est fortement tournée vers l?Union européenne, et la France est un de
ses partenaires commerciaux majeurs. La France est le troisième partenaire commercial
européen du Canada avec 5,5 Mds¤ d?exportations et 5,1 Mds¤ d?importations de biens et de
services en 2013. En termes d?investissements directs étrangers au Canada, la France se classe
en deuxième position, derrière le Royaume-Uni et avant l?Allemagne. De plus la France est le
2ème investisseur mondial au Québec.
Environ 280 entreprises canadiennes représentant 40 000 emplois sont implantées en France
dans de nombreux secteurs (Bombardier, CNC-Lavalin, Vermilion, Caisse de dépôt et de
placement du Québec, CGI, Cascades, Magna, McCain, Aastra, RIM, Lembec, Transat, etc.)
et environ 550 entreprises françaises employant plus de 80 000 personnes sont implantées au
Canada, dont 70% au Québec, et actives dans de plusieurs secteurs porteurs (Sodexo, Lafarge,
Ubisofft, Rexel, Air Liquide, Sanofi Aventis, Alstom, Colas, Thalès, Hachette, Veolia,
Essilor, Lactalis etc.).
L?Accord commercial entre l?Union européenne et le Canada (AECG/CETA) a été signé le
30 octobre 2016. Cet accord, conclu entre deux zones dont les barrières tarifaires sont déjà
faibles, a vocation à être plus large qu?une simple élimination des barrières tarifaires. Son
objectif de favoriser le commerce et les échanges passe par l?élimination de nombreuses
barrières non-tarifaires.
Outre la suppression quasi-totale des droits de douane entre les deux régions, il comporte
différents volets concernant : l?ouverture des marchés publics, l?accès aux marchés des
services et des investissements, la protection des droits d?auteur et de la propriété
intellectuelle. Par ailleurs, le chapitre relatif à la protection de l?investissement est soumis à
un mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États, spécifique de l?accord.
A la demande de chaque partie, un certain nombre de matières demeurent toutefois exclues de
l?accord, telles que les services audiovisuels ou les législations de protection de la santé et du
consommateur en matière alimentaire (OGM, viande aux hormones, etc).
Le projet d?Accord avait fait l?objet d?évaluations macroéconomiques, en 2008 avant le
lancement de la négociation, puis en 2011, dans le cadre de l?évaluation de ses incidences sur
le développement durable (« SIA »). Utilisant des modèles de commerce (équilibre général
calculable) pour formaliser les gains mutuels liés à la spécialisation et aux échanges, celles-ci
concluaient, qu?à long-terme, le projet serait modérément bénéfique pour les deux régions, les
impacts quantifiés reflétant principalement l?impact de la réduction simultanée des droits de
douane.
5
Dans ce cadre, les gains en PIB apparaissaient très faibles pour l?Europe (gains de PIB de
0,01 à 0,03% à long-terme selon la SIA de 2011), et légèrement supérieurs pour le Canada,
qui pourra notamment augmenter ses exportations de produits animaux. La Commission
européenne souligne cependant que l?Europe bénéficierait en contrepartie de la réduction
d?obstacles non tarifaires au commerce des services, le développement d?un cadre propice à
l?investissement, prévisible et protecteur, étant considéré par ailleurs comme un bénéfice
important.
De manière plus précise, ces évaluations, qui ne prennent en compte que les effets de la
réduction des barrières tarifaires, concluaient à un impact direct de l?accord en Europe de
l?ordre d?environ 2,5 Mds ¤ de PIB à moyen terme. S?il est difficile de donner un chiffrage
précis de l?impact macroéconomique qu?aura cet accord sur nos économies, toutes les
évaluations réalisées à ce jour concluent à un impact positif sur l?activité en France. Une fois
l?accord mis en oeuvre, ce sont 97% de nos exportations qui seront ainsi libérées de tout
obstacle tarifaire, contre 64% aujourd?hui. Plusieurs secteurs devraient particulièrement
bénéficier du démantèlement tarifaire : l?industrie pharmaceutique, les vins et spiritueux, les
produits agricoles transformés, les cosmétiques ou encore le textile et l?habillement.
Toutefois, il est important de souligner que ces évaluations sont antérieures (parfois de plus de
5 ans) à la conclusion des négociations, et qu?elles se fondent sur des hypothèses très
discutables dans le contexte actuel (plein emploi en Europe et affectation systématique de
l?épargne en investissement productif). La prudence est donc de mise quant aux résultats
qu?elles indiquent.
Au-delà de l?impact macro-économique, ce sont surtout des améliorations concrètes pour les
entreprises qui sont attendues et pour les consommateurs une baisse des prix dans certains
secteurs et l?accès à de nouveaux produits. Le Canada va s?engager à ouvrir beaucoup plus
largement ses marchés publics fédéraux et provinciaux ainsi que ceux des municipalités et du
secteur hospitalier. La part des marchés publics canadiens ouverte aux opérateurs européens
va passer de moins de 10% à plus de 30%. A titre d?exemple, les appels d?offres du secteur
hospitalier (« MASH sector ») seront désormais ouverts aux fournisseurs européens. En
matière de propriété intellectuelle, 42 indications géographiques françaises seront à l?avenir
mieux protégées au Canada. Les laboratoires pharmaceutiques européens verront leurs
médicaments innovants protégés deux années de plus sur le marché canadien. Enfin, de
nombreuses procédures réglementaires seront simplifiées, telles que les processus de
dédouanement des marchandises, ce qui sera favorable au développement des PME à l?export.
En effet, sur les plus de 10 000 entreprises françaises qui exportent aujourd?hui vers le
Canada, plus de 75% sont des PME.
Les conséquences en ce qui concerne l?énergie et, plus généralement les impacts sur
l?environnement
S?agissant de l?énergie, l?impact était estimé faible, l?augmentation des exportations de
pétrole étant considérée comme non attribuable à l?Accord. En effet, en 2014, 92 % des
importations françaises de produits pétroliers en provenance du Canada (en valeur, hors gaz et
houille) étaient déjà libres de droits de douane. Parmi ces importations, celles de pétrole brut
canadien, provenant en grande partie de sources fossiles non conventionnelles, étaient aussi
libres de droits, et ce avant même la signature de l?accord. Le restant des importations était
alors soumis à des droits s?échelonnant de 1,7% à 3,7 % (Source : Référentiel Intégré du Tarif
Automatisé). De ce point de vue là, l?impact propre au CETA (qui fera tomber ces droits de
douane) s?avère donc extrêmement limité.
6
En ce qui concerne plus généralement l?impact environnemental du CETA, il est indéniable
qu?en libéralisant le commerce, le CETA engendrera une augmentation des flux commerciaux
entre l?Union européenne et le Canada : en dissociant lieux de production et lieux de
consommation, le commerce international contribue significativement aux émissions
mondiales de gaz à effet de serre, notamment à l?occasion du transport des marchandises.
L?impact le plus direct du commerce sur le climat provient en effet du transport international
de marchandises. Il est clairement défavorable: plus de commerce entraîne plus d?émissions
de CO2. L?impact indirect est lui ambigu. Il dépend de la combinaison d?un effet d?échelle,
d?un effet de composition et d?un effet technique. L?effet d?échelle fait référence au fait que le
commerce tend à accroître globalement l?activité économique et, par voie de conséquence, le
volume mondial des émissions de GES. L?effet de composition est le résultat, pour chaque
pays, de la spécialisation selon ses avantages comparatifs. L?effet technique, enfin, provient de
l?accès plus facile à des biens ou des technologies plus « propres » permis par l?ouverture
commerciale. L?élévation du niveau de vie permise par la croissance a pour conséquence une
plus forte sensibilisation des agents aux questions environnementales, et un durcissement,
endogène, des politiques environnementales, ce qui contribue à faire diminuer les émissions
par habitant. Selon les pays et les secteurs de production, les émissions indirectes peuvent
finalement augmenter ou diminuer. Globalement, l?impact sera d?autant plus défavorable que
l?effet d?échelle est très puissant, c?est-à-dire si l?ouverture commerciale a un fort impact
positif sur la croissance, et si le transport international induit par l?ouverture commerciale est
fortement émetteur.
Dans l?évaluation d?incidences du CETA, l?impact sur l?environnement apparaissait ainsi
« défavorable » en ce sens où les émissions augmentaient. Mais cela résultait principalement
de l?augmentation de la production et des échanges (d?où une augmentation des transports
maritimes, notamment). Cette situation justifie-t-elle de renoncer au libre-échange ? Ceci est
précisément la question qu?analyse le rapport2 au CAE « Commerce et climat : pour une
réconciliation ».
Celui-ci souligne que stopper le développement du commerce international serait un moyen
particulièrement inefficace de réduire les émissions de gaz à effets de serre. Plus
généralement, l?argument selon lequel il faudrait limiter le commerce international pour
réduire les émissions va à l?encontre du principe économique selon lequel il faut utiliser les
instruments agissant le plus directement sur les objectifs que l?on veut atteindre. En effet, ce
n?est pas le libre-échange qui détruit le climat, mais le fait que celui-ci se développe en
l?absence d?une tarification du carbone d?application suffisamment générale et au niveau
approprié. Pour obtenir les bénéfices attendus de la libéralisation du commerce sans porter
préjudice à l?environnement, une tarification du carbone est nécessaire, s?appliquant
notamment aux transports internationaux.
Si l?on applique cela au CETA, ceci suggère : qu?y renoncer au motif des émissions induites
de CO2 serait associé à un coût de la tonne de carbone évitée très élevé ; et que les dispositifs
correcteurs ou compensateurs à mettre en place pour éviter ces émissions induites relèvent
plutôt des régulations environnementales.
2 Bureau D., Fontagné L., Schubert K., 2017, « Commerce et climat, pour une réconciliation », note du
CAE n°37.
7
S?agissant cependant d?un accord commercial se réclamant d?un nouveau type, liant des
parties partageant les mêmes valeurs, visant non seulement à réduire les barrières tarifaires
mais aussi les barrières non tarifaires au commerce, en respectant les enjeux de
développement durable, il eût été heureux que les mesures correspondantes soient étudiées et
négociées en parallèle, notamment pour les émissions les plus directement liées aux échanges.
Il faut recommander que ceci soit fait pour les accords similaires en cours de négociation, ou à
venir. Dans le cas du CETA, il n?est sans doute jamais trop tard pour enclencher un processus
de coopération Europe-Canada pour rechercher les mesures d?accompagnement du CETA à
envisager pour que celui-ci soit bénéfique sur le plan économique, et environnemental. A cet
égard, la question des émissions des transports maritimes est incontournable.
L?Europe et le Canada ?ou ses provinces- peuvent aussi coopérer dans le domaine des
marchés carbone3. Dans le même esprit, pourraient être identifiées au niveau européen les
mesures (ex. FEAM) à mettre en place pour accompagner la transition des secteurs qui seront
soumis à une concurrence accrue du fait du CETA. Dans un contexte où le processus de
mondialisation fait l?objet de craintes, le soin apporté au traitement de ces questions semble la
condition de succès pour tout nouvel accord.
2-La hiérarchie des normes et l?ambition environnementale
Vue d?ensemble
L?Union européenne et le Canada possèdent chacun un grand nombre de normes et de
réglementations. Les divergences existant entre celles-ci peuvent imposer des coûts
supplémentaires aux fabricants et, finalement au consommateur. L?objectif poursuivi avec cet
accord est de favoriser les mesures de coopération permettant aux entreprises d?éviter de
dupliquer des démarches, ce qui est particulièrement important pour les PME. L?accord
prévoit ainsi une coopération des parties dans les domaines automobile, des produits
pharmaceutiques, et de reconnaissance des évaluations de conformité, par exemple en matière
d?équipements électriques et de travaux de construction.
Le diagnostic sous-jacent est que, dans bien des domaines, alors que les systèmes européen et
canadien assurent des degrés de sécurité équivalents, nos exportateurs doivent faire
reconnaître leurs produits au moyen d?une procédure longue et coûteuse. La mise en oeuvre du
principe d?équivalence permettra aux entreprises européennes et françaises qui veulent
exporter au Canada d?avoir des démarches administratives simplifiées, grâce à des
certifications sanitaires et phytosanitaires facilitées.
Cependant, le préambule de l?Accord reconnaît le droit à réguler de chaque partie dans son
territoire pour poursuivre ses objectifs de politique publique dans des domaines comme la
santé publique, la sécurité, l?environnement? L?accord souligne notamment le droit de
chaque partie à réguler dans le domaine environnemental dans le respect de ses engagements
internationaux et en s?efforçant de viser un haut niveau de protection environnementale.
3 Cf. « Couplages de marchés carbone, enjeux et perspectives », Synthèse du CEDD n°23, 2015.
8
A cet égard, les chapitres relatifs au commerce et au développement durable, et au commerce
et à l?environnement (chapitres 22 et 24) précisent que les lois et pratiques des parties doivent
être conformes aux engagements pris par chacune des parties en matière d?accords
environnementaux multilatéraux (AME). En outre, les parties ne devront pas affaiblir ou
transgresser leurs lois environnementales pour développer leur commerce ou attirer des
investissements. L?accord garantit aussi à chaque partie le maintien d?un niveau élevé de
protection sanitaire et phytosanitaire, et par là même de protection du consommateur,
correspondant aux exigences de chaque partie. Outre le droit à réguler et le principe de non-
régression, les chapitres 22 et 24 comportent une suite de dispositions peu contraignantes
d?encouragement, de promotion, de soutien et de coopération sur le développement durable, la
gestion durable des forêts et la mise en oeuvre de la CITES (convention sur le commerce
international des espèces de faune et de flore menacées d?extinction), la gestion durable des
pêcheries et de l?aquaculture, etc. Ces dispositions ne semblent ni menacer les régimes
existants, ni constituer de réelle avancée sur le plan environnemental. Cette impression est
renforcée par le fait que les chapitres relatifs à l?environnement et au développement durable
ne sont pas soumis au mécanisme de règlement des différends général de l?accord,
contrairement aux chapitres relatifs aux dispositions commerciales. Un dispositif spécifique
est prévu, mais ce dernier ne prévoit pas de sanctions et il repose uniquement sur la bonne
volonté des parties et la transparence vis-à-vis du public. Les ONG pointent aussi que cet
Accord a été négocié alors que le Canada sortait unilatéralement du protocole de Kyoto et
développait son offre pétrolière issue des schistes bitumineux.
L?accord encourage les bonnes pratiques telles que l?étiquetage environnemental, le
commerce équitable, la responsabilité sociale et environnementale des entreprises, etc. Il crée
en outre un comité du commerce et du développement durable qui supervisera la mise en
oeuvre de l?accord dans ce domaine et présentera un rapport annuel sur la mise en oeuvre des
règles sociales et environnementales de l?accord au forum de la société civile, instance
également créée pour conduire le dialogue sur les aspects liés au développement durable.
Les chapitres 22 et 24 rappellent les grandes conventions environnementales et sociales
signées par les deux Parties (à l?exception de l?Accord de Paris postérieur à sa négociation) et
la nécessité de les mettre en oeuvre ; d?autre part, ils reconnaissent leur droit « à réguler » et le
principe de non régression des niveaux de protection environnementale. Ainsi, les produits
canadiens ne pourront être importés que s?ils respectent nos réglementations sanitaires ou
environnementales. La déclaration interprétative jointe à la signature de l?Accord4, a confirmé
ces principes.
En termes de gouvernance, un comité commerce et développement durable sera constitué, en
charge du suivi de la mise en oeuvre des deux chapitres (environnement et travail) de l?accord.
Il associera des représentants de chacune des parties et supervisera la mise en oeuvre de
l?accord dans ce domaine. Ce comité est chargé d?apporter des solutions en cas de différends
entre les parties dans le domaine des normes sociales et environnementales et de promouvoir
la transparence et la participation de la société civile au suivi du chapitre. Il devra nommer les
9 experts qui seront consultés en cas de différend. Il doit présenter un rapport annuel sur la
mise en oeuvre des dispositions sociales et environnementales de l?accord et notamment au
forum de la société civile, instance annuelle également créée pour conduire le dialogue sur les
aspects liés au développement durable de l?accord, avec les comités consultatifs prévus dans
chacun des chapitres.
4 Qui se réfère à l?article 31 de la Convention de Vienne sur le droit des Traités.
9
Chacun des chapitres prévoit la désignation d?un point de contact pour les comités de suivi
mais également des mécanismes de consultations en cas de différends. Les deux chapitres
prévoient la constitution d?un groupe consultatif qui pourra être associé lors du forum de la
société civile et sera chargé de suivre la mise en oeuvre du chapitre pour la société civile.
La coopération réglementaire
Au delà de s'attacher à l'élimination des dernières barrières douanières en vigueur entre le
Canada et l'Union européenne, l'AECG (CETA) vise ainsi le démantèlement des barrières
non-tarifaires via l'équivalence (reconnaissance de compatibilité de standards entre les deux
Parties) et la promotion de la convergence règlementaire. Ce dernier terme désigne
l'harmonisation d'un ensemble de règles et de normes, existantes et futures, inscrites dans les
législations des deux Parties dont la superposition constitue des obstacles au commerce et à
l'investissement entre les deux puissances négociatrices. L'AECG ne modifie pas directement
les normes en vigueur au sein de l'Union européenne et du Canada mais il délimite le cadre et
les objectifs régissant cette coopération.
La coopération règlementaire, vecteur de promotion de la convergence, est détaillée dans le
chapitre 21, l'article 21.1 explicitant clairement son champ d'application. Celui-ci est très
large puisqu'il couvre les obstacles techniques au commerce (OTC), les mesures sanitaires et
phytosanitaires, le commerce des services, le commerce et le développement-durable, le
travail et l'environnement. La coopération règlementaire doit donc s'opérer au niveau des
règles commerciales, des normes sanitaires, sociales et environnementales.
Objectifs
L'article 21.3 détaille les objectifs de la coopération règlementaire. Si le premier point
(21.3-a) s'avère rassurant5 sur le plan environnemental, il n'est accompagné d'aucune
disposition concrète permettant son atteinte. En effet, en l'absence de dispositions stipulant
que la convergence doit se faire sur la base du mieux-disant environnemental, il semble
difficile de garantir que la convergence des normes européennes et canadiennes ne se fasse
pas au détriment de la protection de l'environnement. L'objectif premier recherché par la
coopération règlementaire est évoqué dans les points c) et d): "faciliter le commerce et
l'investissement bilatéraux" et "contribuer à l'amélioration de la compétitivité et de l'efficacité
de l'industrie" via des modalités clairement établies6.
5 "Contribuer à la protection de la vie, de la santé ou de la sécurité des personnes, de la vie ou de la santé des
animaux ou à la préservation des végétaux et à la protection de l'environnement".
6 Pour le point
c) : en mettant à profit les arrangements de coopération existants, en réduisant les différences inutiles entre les
réglementations et en identifiant de nouveaux modes de coopération dans des domaines particuliers.
Pour le point
d) : en réduisant les coûts administratifs dans la mesure du possible, en réduisant les exigences règlementaires
redondantes et les coûts de mise en conformité qu'elles engendrent, en visant la compatibilité des
approches règlementaires [si cela est possible] par la mise en oeuvre d'approches règlementaires neutres
sur le plan technologique et la reconnaissance de l'équivalence ou la promotion de la convergence.
10
Instrument
L'article 21.6 prévoit la création d'un forum de coopération en matière de réglementation
(FCR) se réunissant au moins une fois par an, "en vue de faciliter et de promouvoir la
coopération en matière de réglementation entre les Parties". Cette instance de dialogue vise à
discuter de la négociation de ces normes, dans le but de les rendre compatibles entre les deux
Parties, c'est à dire de rapprocher les législations existantes et futures. Son fonctionnement
demeure encore obscur puisque "son mandat, ses procédures et son plan de travail" ne
seront définis qu'à l'issue de la première réunion qui fera suite à l'entrée en vigueur de
l'accord. Il sera donc possible pour les Parties d'élargir le champ de cette coopération d'une
façon qui n'est pas précisée. L'accord prévoit également la possibilité d'échanges de
fonctionnaires, et de consulter les parties prenantes pour mettre en oeuvre cette coopération
(21.8). Peu figé, l'un des buts du FCR est justement d'identifier les domaines "pouvant donner
lieu à coopération".
Caractère volontaire de la coopération
L'article 21.2.6 stipule que la coopération peut se faire "sur une base volontaire" et qu'une
Partie peut refuser ou cesser de coopérer, ce qui semble conforter le droit à réguler des États.
Cependant, il est clairement exprimé que la Partie qui refuse la coopération "devrait
être prête à expliquer les motifs de sa décision à l'autre", sans qu'il soit possible
d'interpréter clairement si la motivation du refus est obligatoire ou non. Cette éventuelle
obligation de motivation de refus pourrait constituer un frein à la volonté d?établir de
nouvelles réglementations pour les États.
Composition et équilibre
Le FCR sera coprésidé par un membre du gouvernement canadien ayant rang de sous-
ministre7 et par un directeur général de la Commission européenne (21.6.4). Le forum "est
composé des fonctionnaires concernés de chaque Partie", sans donner de plus amples
précisions. Le forum de coopération règlementaire ne prévoit pas d'association ni
d'articulation avec les parlements nationaux, ce qui pose la question du contrôle
démocratique. En outre, l'AECG ne définit aucune obligation d'impartialité et ne fixe
aucune règle de représentation au sein du forum, laissant toute latitude aux États de
convier les parties prenantes de leur choix. Il est donc à craindre, au vu des objectifs
commerciaux affichés et en l'absence de règles, une surreprésentation des groupes
d'intérêts des entreprises ou des entreprises elles-mêmes au sein du FCR8.
Opportunités et risques
Le volet coopération réglementaire de l?accord présente donc les caractéristiques suivantes :
- ce chapitre (qui figure systématiquement dans tous les accords commerciaux de nouvelle
génération négociés par l?UE) vise à engager les Parties à réduire les écarts
réglementaires et à unifier leurs approches techniques relatives aux processus de
certification ou d?homologation des produits ;
7 Ou équivalent ou représentant désigné.
8 Rapport de la Commission Nationale Consultative des Droits de l'Homme, Avis sur les accords internationaux
de commerce et d?investissement, 2016.
11
- un dialogue réglementaire volontaire est mis en place via un Forum de coopération en
matière de réglementation fondé sur l?information mutuelle afin de promouvoir des
réglementations plus efficaces et le cas échéant envisager des approches techniques
nouvelles, en prenant mieux en compte l?impact des réglementations sur le commerce ;
- cette coopération concerne globalement les règlementations techniques et les procédures
d'évaluation de la conformité susceptibles d'affecter le commerce de marchandises entre
les Parties prises par les autorités de réglementation des Parties mais aussi les mesures
réglementaires dans les domaines sanitaire/phytosanitaire, du commerce services ainsi
que des normes sociales et environnementales
- une coopération est mise en place spécifiquement dans le domaine automobile où les
Parties s?engagent à établir un dialogue mutuel et le Canada s?engage à reprendre les
normes UNECE en se concertant avec l?UE dans le cadre de ce processus d?alignement ;
- un protocole sur la reconnaissance mutuelle relatif aux bonnes pratiques de fabrication
pour les produits pharmaceutiques engage les Parties à accepter et à reconnaître
l?équivalence d?une certification de respect des bonnes pratiques de fabrication délivré
par l?autre Partie. Le champ des produits concernés couvre les équipements médicaux et
les médicaments.
Les ONG contestent fortement ces dispositions visant à une coopération réglementaire
renforcée, même si la Commission affirme que le Forum pour la coopération réglementaire
sera une instance de coopération volontaire, sans capacité d?empiéter sur les compétences des
autorités de réglementation. En effet, la Commission insiste sur le fait que ce Forum
fonctionnera comme un mécanisme de coopération volontaire, pour permettre aux autorités de
réglementation d?échanger expériences et informations utiles, de définir les domaines de
coopération possibles, sans habilitation pour modifier les réglementations existantes ou à
élaborer de nouvelles dispositions législatives, ni pouvoir de décision.
A cet égard, il convient de souligner les enjeux, mais aussi les écueils, que peut receler le
Forum de coopération réglementaire vis-à-vis l?environnement.
D?un côté, il est établi que, selon leurs modalités9, les politiques environnementales peuvent
être plus ou moins favorables au développement économique. En effet, tout n?est pas
qu?arbitrage entre niveau d?exigence des normes et développement. Souvent le diable se niche
dans les détails de la qualité de la réglementation, la qualité économique des régulations
environnementales étant déterminante au regard notamment de son impact sur les processus
d?innovation. En effet, l?innovation est le seul moyen pour nous de continuer de prospérer
malgré les contraintes environnementales. Mais pour devenir une économie de l?innovation
verte, nous devons remettre à plat nos institutions et nos pratiques économiques. Dans cette
perspective, les réglementations doivent être conçues de manière à ne pas créer de barrière à
l?émergence des nouvelles technologies « propres » et à leur déploiement. Ceci impose
notamment de ne pas maintenir d?avantages indus aux entreprises en place, par rapport aux
entrantes potentielles.
9 Cf. rapport « Comment concilier développement économique et environnement ? », CEDD, 2016.
12
De plus, si productivité globale et politiques environnementales ambitieuses peuvent aller de
pair, cela ne se fait pas spontanément.
Il faut pour cela des politiques publiques bien conçues : privilégiant l?incitation et la
tarification des nuisances sur la norme rigide ; s?attachant à réduire « l?incertitude
régulatoire », génératrice de primes de risque élevées pour les investisseurs. A ce titre, le
principe de la coopération réglementaire ne peut être rejeté.
Mais, de l?autre côté, il ne faut pas négliger : le risque que le souci de réduire la « charge »
pour les entreprises ou les consommateurs conduise à n?analyser les cadres réglementaires
que par rapport à leur impact sur les échanges, en ignorant leurs motivations fondamentales,
par rapport à l?environnement et la santé ; ni les possibilités de capture de ces processus par
des intérêts particuliers. A cet égard, la communauté de valeurs que nous pouvons partager
avec les canadiens n?empêche pas des conflits au regard de l?article XX du Gatt, comme ce
fût le cas pour l?amiante10. Après le Dieselgate, la naïveté n?est plus permise sur la
congruence spontanée entre les intérêts de certains acteurs et l?intérêt général, ni sur
l?influence que peuvent avoir certains acteurs sur les réglementations. Par ailleurs, on ne peut
pas transposer directement au CETA l?expérience interne du marché unique : certes, l?essor
de celui-ci a été permis par un démantèlement systématique des dispositifs
« disproportionnés » ; mais dans un contexte où, simultanément, l?Union était capable de
produire une réglementation environnementale de haut niveau, qui constitue la base de celle
des Etats. Cette balance ne se transpose pas au CETA.
Il importe donc que ce Forum fonctionne de manière transparente, décloisonnée et rende des
comptes pour que le public puisse avoir confiance en son action. En tout état de cause,
l?appréciation sur le caractère équivalent de différentes modalités au regard des impacts
environnementaux ne peut appartenir qu?aux autorités compétentes en matière
d?environnement. Or, les modalités du Forum inscrites dans l?accord ne permettent pas
aujourd?hui de garantir un tel fonctionnement.
En résumé, l'amélioration de la compatibilité de certains procédés inutilement différents entre
les deux Parties est un objectif légitime qui mérite d'être poursuivi. En outre le FCR constitue
l'opportunité d'être informé d'éventuelles procédures règlementaires canadiennes susceptibles
de porter atteinte aux objectifs environnementaux et offrirait donc la capacité de peser dans le
processus décisionnel pour aller à l'encontre de ce règlement. Néanmoins, au vu du manque
d'information sur ses modalités de mise en oeuvre et en l'absence de lien avec tout procédé ou
toute instance démocratique, le fonctionnement du FCR présente un risque avéré
d'ingérence des intérêts privés (industrie canadienne ou européenne) dans les processus
règlementaires des Parties, qu?il convient de prendre en compte. Par ailleurs,
l'allongement et la complexification des procédures d'élaboration des lois et des
réglementations découlant de son fonctionnement pourraient constituer une contrainte
supplémentaire à la capacité de légiférer des États.
3- Le mécanisme de protection des investissements
Le mécanisme de règlement des différends investisseur-État garantit aux investisseurs la
possibilité de demander la réparation d?un préjudice causé par l?État d?accueil si celui-ci
enfreint les engagements qu?il a pris dans l?Accord.
10 Ni des divergences de priorités, cf. débats sur REACH.
13
Il a pour objectif de garantir un environnement stable et prévisible aux investisseurs, à
protéger les investisseurs étrangers de mesures discriminatoires ou de traitements inéquitables
de la part des pouvoirs publics, en particulier dans les secteurs qui impliquent des apports
importants de capitaux et qui lient les investisseurs à l?État d?accueil sur de longues durées.
Historique des mécanismes RDIE
Les mécanismes de règlement des différends investisseur-État (RDIE) sont couramment
utilisés dans la majorité des accords de protection de l'investissement (API) passés par la
France et les autres États membres de l'Union européenne. Ces accords bilatéraux remontent
aux années 1960 et sont peu à peu remplacés par des accords européens, depuis que l'Union a
hérité de la compétence investissement en 2009. La France est liée par 97 traités bilatéraux
relatifs à la promotion et à la protection des investissements qui sont actuellement en vigueur,
quatre étant soumis à une procédure d?approbation en voie de finalisation. Les mécanismes
RDIE constituent un élément dissuasif qui visait à l'origine à prévenir les entreprises
occidentales d'éventuelles expropriations arbitraires dans certains pays en développement. Ils
réduisaient alors les risques économiques et politiques susceptibles d'entraver la mise en place
des projets des opérateurs en leur assurant un environnement juridique stable. Ainsi, dans
l'historique des cas, la France (dans ce cas précis ses entreprises) est quasi-systématiquement
partie plaignante (dans 40 cas contre 1 cas seulement où elle est partie défenderesse11), ce qui
la place au 6e rang mondial des pays (sur un total de 133 mesures) dont les entreprises
mobilisent le plus les mécanismes RDIE juste derrière le Canada et l'Allemagne. Le trio de
tête est composé des États-Unis, des Pays-Bas et du Royaume-Uni.
Utilisation
Les EM sont ainsi signataires de 1400 accords contenant de telles dispositions. Au premier
janvier 2016, la CNUCED (Conférence des Nations unies sur le commerce et le
développement) recensait 696 cas de plaintes auxquelles avaient dû faire face 107 pays
différents depuis 1987 (pas de données antérieures), chiffre en perpétuelle augmentation ces
dernières années. La plupart des litiges portés devant les RDIE concernent aujourd'hui deux
traités : le traité sur la charte de l'Énergie et l'ALENA. Deux instances hébergent à elles-seules
la quasi-totalité les arbitrages : le CIRDI (Centre International de règlement des différends sur
l'investissement), organe de la banque mondiale, gère la plupart des cas, et la CNUDCI
(Commission des Nations unies pour le droit commercial international) une grande partie du
reste.
Précédents environnementaux
Plusieurs affaires pendantes de grande ampleur impliquent directement la politique
environnementale ou sanitaire de certains États. L'énergéticien suédois Vattenfall exige au
titre du traité de la Charte de l'Énergie 4,7 milliards d'euros de compensation à l'Allemagne,
dont la décision de sortie du nucléaire a provoqué l'arrêt de deux centrales nucléaires.
Similairement, le rejet du projet de pipeline "Keystone XL"12 par l'administration Obama
invoquant l'argument climatique, a provoqué la saisine du RDIE de l'ALENA par son
constructeur canadien : TransCanada. Ce dernier requiert une indemnisation de 15 milliards
USD de la part de l'État américain.
11 Base de données RDIE de la CNUCED : http://unctad.org/en/Pages/DIAE/ISDS.aspx
12 Chargé d'acheminer les pétroles bruts lourds issus des sables bitumineux canadiens vers le Golfe du Mexique.
14
Nouvelle approche ICS
Le dispositif initialement envisagé dans le CETA suscitait de très fortes oppositions, le
recours à des tribunaux privés pour contester des décisions publiques étant susceptible de
restreindre la capacité à réguler l?environnement. La crainte était que, par ce biais, des
entreprises attaquent des législations allant à l?encontre de leurs intérêts, tirant
tendanciellement vers le bas les normes sanitaires, du travail, environnementales. A cet égard,
le « SIA » de 2011 considérait que les bénéfices d?un tel mécanisme n?étaient pas
documentés.
De son côté, la Commission mettait en avant : que les investisseurs n?ont pas toujours les
possibilités de recours adaptées dans les systèmes existants ; que de tels accords existent et
n?empêchent pas d?adopter de nouvelles lois, conduisant seulement au paiement d?indemnités
en cas de confiscation de droit. Cependant, le dispositif finalement retenu organise plus
justement la procédure : les membres du tribunal relèvent du contrôle des pouvoirs publics et
ne pourront interpréter librement l?Accord, les entreprises devant par ailleurs démontrer de
manière spécifique les dispositions de l?Accord enfreintes.
En effet, au cours de l?examen juridique de l'AECG, en février 2016, le mécanisme de RDIE
prévoyant la saisine de tribunaux d?arbitrage a néanmoins été modifié, sous la pression de
plusieurs États membres (dont la France et l?Allemagne, cf. annexe 1) et de l?opinion
publique.
Principes de fonctionnement
Le RDIE initial faisait appel à un panel composé de trois arbitres privés, désignés
arbitrairement, jouant parfois alternativement le rôle d'arbitre et d'avocat et payés par les
parties au conflit. Les modalités de ces tribunaux ont suscité de vives critiques portant sur le
risque avéré de conflits d'intérêts, la transparence des jugements, et les procédures longues et
coûteuses. A la place, (Article 8.27) un système plus stable et plus transparent baptisé ICS
(pour Investment Court System) lui a été préféré. Ce système, initialement proposé par la
France fait appel à une cour permanente composée de quinze juges nommés par les
autorités canadiennes et européennes pour des mandats de 5 ou 10 ans. Les affaires leur
seront assignées aléatoirement selon un principe de rotation, et ils seront payés directement
par une caisse commune alimentée par Ottawa et Bruxelles afin de limiter les risques de
conflits d?intérêts. L?ICS vise des procédures de règlement:
- encadrées en définissant le "traitement juste équitable" en droit d'être exigé par les
investisseurs13 et "l'attente légitime des investisseurs";
- plus transparentes notamment grâce à la publicité des débats et des documents relatifs aux
litiges;
13 Le traitement juste et équitable est dorénavant défini (article 8.10) par l?interdiction du déni de justice, des
conduites manifestement arbitraires ou oppressives et des discriminations fondées sur des motifs
ostensiblement illicites tels que le sexe, les origines ou les convictions religieuses et du traitement abusif des
investisseurs, tel que la coercition, la contrainte et le harcèlement.
15
- plus efficaces via l'introduction de dispositions visant à réduire le coût des procédures
(temps de sélection des arbitres), l'introduction d'un mécanisme d'appel et d'annulation des
décisions, et la possibilité pour l'État attaqué de regrouper sous le même jugement des
plaintes similaires d'investisseurs différents.
Sensibilités
Le mécanisme de RDIE pose un problème de gouvernance démocratique limitée en général et
donc dans le cadre de l'AECG. Son fonctionnement peut présenter le risque de contraindre la
capacité des États à adopter de nouvelles législations environnementales et donc de remettre
en cause certaines décisions démocratiques. Asymétrique par construction, il ne peut être saisi
que par les investisseurs étrangers, introduisant de fait un privilège par rapport aux entreprises
domestiques, injustifié lorsque les juridictions nationales assurent déjà un degré de protection
efficace (ce qui est le cas d'ans l'Union européenne et au Canada). Les articles 8.22-f et 8.22-g
interdisent aux investisseurs d'engager des poursuites simultanément dans les juridictions
domestiques et dans l'ICS, mais rien n'oblige à épuiser les recours devant les juridictions
internes avant de faire appel au RDIE : l'ICS est un tribunal de première instance. Ces
arguments sont notamment repris par les ONG.
Le système de cour d?investissement est un nouveau mécanisme. S'il semble plus rassurant à
certains égards, il est difficile de juger de son efficacité avant son entrée en vigueur. En outre,
les modalités du mécanisme d'appel de l'AECG demeureront inconnues jusqu'à l'entrée
en vigueur de l'accord. A cet égard, l?une des questions concerne le risque d?incompatibilité
entre ce mécanisme avec les principes du CIRDI, organe hébergeant l?ICS14.
Malgré l'adoption de l'ICS, rien ne permet de garantir dans le traité que les futures
dispositions environnementales nécessaires à l'atteinte des objectifs de la France en matière de
transition énergétique et de développement durable ne seront pas attaquées devant cette de
juridiction. Il est également impossible de se prononcer sur la possibilité d'une
éventuelle condamnation de la France au titre de sa protection environnementale.
Eléments d?appréciation
Les modifications apportées au texte de l?AECG/CETA fin 2015/début2016 ont permis
d?aligner le chapitre relatif à la protection des investissements sur le nouveau modèle
européen, que la France a largement contribué à façonner grâce aux propositions de réformes
qu?elle a formulées dès le mois de juin 2015. Le CETA sera ainsi le tout premier accord
conclu par l?Union européenne sur la base de son nouveau modèle, auquel le Vietnam a
également adhéré.
14 Assemblée nationale, Rapport d?information n°3467, Le règlement des différends Investisseur-Etat dans les
accords internationaux, Déposé par la Commission des affaires européennes, présenté par Mme Seybah
Dagoma, députée, Enregistré à la Présidence de l?Assemblée nationale le 2 fév. 2016, p. 131.
16
Il peut être souligné par ailleurs, que :
- les derniers ajustements effectués dans le cadre du toilettage juridique de l?accord ont
permis d?aligner le chapitre relatif à la protection des investissements et au règlement
des différends investisseur-Etat sur le nouveau modèle défendu par l?Union
européenne qui assure une meilleure protection du droit à réguler des Etats et qui
instaure un mécanisme juridictionnel de règlement des litiges, l?« Investment Court
System » ;
- l?UE défend aujourd?hui ce nouveau système dans l?ensemble de ses négociations
commerciales, de manière à remplacer les mécanismes actuels fondés sur l?arbitrage
privé par une véritable cour, dotée d?un mécanisme d?appel, où siégeront des juges
permanents désignés par les parties à l?accord qui seront soumis à des règles éthiques
strictes visant à éviter tout conflit d?intérêts ;
- par ailleurs, l?accord inclut un engagement de principe de l?UE et du Canada à initier
des démarches en vue de la création d?une cour multilatérale permanente pour le
règlement des différends investisseur-Etat.
En d?autres termes, le CETA consacre désormais le nouveau modèle défendu par l?Union
européenne dans ses négociations commerciales. En réponse au débat public suscité par le
lancement des négociations transatlantiques, l?UE s?est dotée d?un nouveau modèle en
matière de protection des investissements et de règlement des litiges investisseur-Etat, que la
France a largement contribué à façonner. Le texte soumis à l?approbation des Etats membres
reprend les principaux paramètres de ce nouveau modèle :
? le droit à réguler des Etats est explicitement réaffirmé grâce à l?insertion d?une clause
spécifique applicable à l?ensemble des dispositions relatives à la protection des
investissements de l?accord. Il s?agit d?une règle d?interprétation contraignante qui rappelle
que les Etats ont le pouvoir d?adopter les mesures législatives ou réglementaires
nécessaires à la poursuite d?objectifs légitimes liés à l?intérêt général, tels que la protection
de la santé, de l?environnement, des consommateurs ou de la diversité culturelle et
linguistique ;
? le mécanisme de règlement des litiges est de nature juridictionnelle. Ces litiges ne seront
dorénavant plus réglés par des arbitres choisis librement par les parties en litige, mais par
des juges permanents préalablement désignés par l?Union européenne et le Canada, sur la
base de critères de sélection similaires à ceux qui prévalent au sein de la Cour
internationale de justice ou de l?Organe de règlement des différends (ORD) de
l?Organisation mondiale du commerce. Pour garantir leur indépendance, ces juges seront
rémunérés et devront, pendant toute la durée de leur mandat, se conformer à des règles
éthiques strictes, qui leur interdiront notamment d?exercer en parallèle des fonctions de
conseil pour le compte d?Etats ou d?investisseurs dans le cadre de procédure d?arbitrage.
L?AECG/CETA instaure en outre un double degré de juridiction : les plaintes des
investisseurs seront instruites par un tribunal dont les décisions seront contrôlées par une
cour d?appel (dont les modalités de fonctionnement seront détaillées ultérieurement par un
comité conjoint) qui veillera à la bonne interprétation de l?accord et contrôlera le bon
déroulement des procédures.
17
Le Canada s?est en outre engagé à contribuer, aux côtés de l?Union européenne, à
l?établissement d?une véritable cour multilatérale permanente pour le règlement des
différends investisseur-Etat, qu?appelle également de ses voeux la France.
? le texte final de l?AECG/CETA reprend en outre les nombreuses innovations que proposait
l?UE avant même qu?elle se dote d?un nouveau modèle : les clauses relatives à la
protection des investissements sont plus précises, l?accent est mis sur la transparence des
procédures, la place des juridictions nationales est clarifiée et les Etats disposent de
plusieurs outils pour se prémunir contre les plaintes multiples et abusives.
En résumé, il ne fait aucun doute que le dispositif final a sensiblement changé de nature par
rapport à sa version initiale, et il est mis en avant qu?une plainte de type « Phillip Morris » ne
pourrait prospérer dans ce cadre.
A cet égard, il est souligné que :
(i) l?ICS comprend des clauses anti-abus qui auraient fait échec (comme ce fut du
reste le cas dans l?affaire australienne) au stratagème échafaudé par Phillip Morris
pour invoquer l?accord CETA (dans le cas australien API Hong-Kong/Australie
(restructuration in extremis, alors que le différend était déjà né ou sur le point de
naître, de ses investissements dans le bassin océanique avec transfert du
portefeuille « Marques/DPI » à sa filiale hongkongaise : cas avéré de treaty
shopping- ou le fait de rattacher une filiale du pays A à une entité du pays B, pour
pouvoir attaquer le pays B via un traité d?investissement entre A et B.) ;
et
(ii) à supposer qu?une telle plainte soit jugée sur le fond, la clause dédiée au droit à
réguler dans l?ICS européen obligerait le plaignant à démontrer la violation d?une
disposition substantielle de l?accord (traitement juste et équitable, expropriation,
discrimination, etc.).
Cependant, dans la mesure où le basculement sur l?ICS s?est fait tardivement et sous la
pression, cela lève difficilement les suspicions. A cet égard, il semble en effet que la mesure
n?avait pas été prise alors que ces recours d?entreprises du tabac contre le paquet neutre en
Australie ou de l?énergie contre la politique de sortie du nucléaire de l?Allemagne?ne sont
pas des choses anecdotiques, si bien que des interrogations demeurent sur les garanties
effectivement apportées par rapport au risque d?instrumentalisation du dispositif. Dans ces
conditions, il convient de rester vigilant car il faudra être particulièrement strict dans la mise
en oeuvre pour écarter tout risque de ce type.
Une autre source de contestation provient du monde des entreprises, qui tendent à considérer
que les investisseurs étrangers bénéficieraient ainsi d?un privilège de traitement.
Dans ce contexte, l?argumentation générale -tout-à-fait recevable et probablement fondée- sur
l?intérêt de rationaliser le maquis des tribunaux internationaux de l?investissement et d?aller
vers un tribunal international de l?investissement apparait même comme un élément de
brouillage.
18
En effet, ceci peut sembler un moyen de ne (toujours) pas répondre directement aux questions
explicitement posées dès 2011 dans l?évaluation de durabilité du projet, qui recommandait
d?exclure du projet le mécanisme alors envisagé d?ISDS et de privilégier le recours aux
instances existantes, notamment nationales, pour le règlement de ce type de différend.
Un argument pour cela est que si les ISDS sont nécessaires quand le droit de la protection des
investissements contre toute expropriation indirecte est incertain dans l?une des parties à un
accord commercial, cette situation ne peut valoir pour des Etats de droit comme l?Europe et le
Canada. Dès lors, le sujet résiduel serait seulement celui du contrôle du fonctionnement non
discriminatoire des systèmes nationaux.
Dans cette perspective, la Commission nationale consultative des droits de l?Homme
(CNCDH, 2016) avait examiné différentes alternatives pour un recours privilégié aux
juridictions nationales (et les problèmes posés, tels que l?applicabilité « directe » de l?accord
en droit interne ou l?allongement des procédures, auxquels il faut ajouter la fragmentation des
dispositifs pour les investisseurs étrangers). Ce rapport suggérait des pistes, sans toutefois
dégager une solution dominante immédiatement opérationnelle.
A l?appui de la solution retenue, ses promoteurs mettent en avant l?intérêt de construire un
cadre général pour la protection de l?investissement. Certes, ils reconnaissent que les accords
de protection de l?investissement (API) ont été traditionnellement conclus entre des pays
exportateurs de capitaux et des pays en développement dont les institutions administratives et
judiciaires n?étaient pas nécessairement fiables. C?est d?ailleurs la raison pour laquelle les
autorités françaises ont jugé, lors des débats sur l?adoption du mandat de négociation avec les
Etats-Unis, que ce dispositif n?était pas nécessaire avec ce pays dans la mesure où l?absence
d?un accord relatif à la protection des investissements entre la France et les Etats-Unis n?a pas
empêché les flux d?investissements français aux Etats-Unis, et américains en France,
d?atteindre des volumes conséquents. Pour autant, ils observent aussi qu?il n?est aujourd?hui
pas rare que des accords sur la protection des investissements soient conclus entre des pays
développés (e.g. l?ALENA), dont les institutions administratives ou judiciaires ne sont pas
l?abri de défaillances. Dans cette perspective, ils soulignent que la négociation de règles sur la
protection des investissements et le règlement des litiges avec des pays développés représente
une opportunité pour l?UE de défendre et d?imposer ses propres standards en la matière.
Les arguments à prendre en compte ne sont donc pas univoques. Cependant, si,
indépendamment de la réflexion générale sur les API, on convient que l?objectif du dispositif
inscrit dans le CETA est uniquement d?assurer la neutralité de traitement des investisseurs
étrangers et nationaux, sans aucune possibilité de contester les régulations nationales dès lors
qu?elles sont appliquées sans discrimination, il importe sans doute de faire l?effort
pédagogique pour en convaincre le public au-delà des spécialistes des affaires commerciales.
De plus, un tel effort se justifie, même si les garanties apportées au niveau du Traité sont
jugées suffisantes maintenant, pour optimiser la mise en oeuvre des instances prévues
(notamment l?instance d?appel) et en assurer un fonctionnement satisfaisant notamment par
rapport aux questions d?indépendance.
19
4- Modalités juridiques de la mise en oeuvre de l?accord
Portée juridique de la Déclaration interprétative au regard du texte de l?accord
? L?Instrument interprétatif commun a une portée juri dique équivalente à celle du
texte de l?Accord
L?Instrument interprétatif commun concernant l?accord économique et commercial global
(AECG) entre le Canada, d?une part, et l?Union européenne et ses États membres, d'autre part,
transmis le 26 octobre 2016 par le Secrétariat général du Conseil au Comité des représentants
permanents en vue de son approbation, a été établi conjointement par l'Union européenne et
ses États membres, ainsi que le Canada, à l?occasion de la signature de l?accord.
Sur le fond, il rappelle, en premier lieu, les principes généraux ayant présidé à l?élaboration de
l?AECG15.
En second lieu, il expose « clairement et sans ambiguïté, au sens de l'article 31 de la
convention de Vienne sur le droit des traités, ce sur quoi le Canada ainsi que l'Union
européenne et ses États membres se sont entendus dans un certain nombre de dispositions de
l'AECG qui ont fait l'objet de débats et de préoccupations au sein de l'opinion publique, et
dont il donne une interprétation qui a été établie d'un commun accord ».
En ce sens, il livre une définition commune formelle et contraignante des dispositions de
l?accord sur certains points sensibles, notamment le droit de réglementer et la coopération en
matière de réglementation, les services publics et la protection sociale, la protection des
investissements, le commerce et le développement durable, le règlement des différents, les
droits des travailleurs ou encore la protection de l?environnement, dont l?eau. Cet instrument a
établi conformément à l?article 31 de la convention de Vienne sur le droit des traités16 et
accepté par toutes les parties en tant qu?instrument ayant rapport au traité.
15 Y figurent notamment les principes suivants : importance de la régulation par les pouvoirs publics, en
particulier dans des domaines tels que la santé publique, les services sociaux, l'éducation publique, la sécurité,
l'environnement, la moralité publique, la protection de la vie privée et la protection des données, ainsi que la
promotion et la protection de la diversité culturelle ; non-régression s?agissant des normes et réglementations
concernant l'innocuité alimentaire, la sécurité des produits, la protection des consommateurs, la santé,
l'environnement ou la protection du travail.
16 Cet instrument fait ainsi partie du contexte dont il doit être tenu compte aux fins de l?interprétation des
dispositions de l?accord, au sens de l?article 31 de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des Traités :
1. Un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur
contexte et à la lumière de son objet et de son but.
2. Aux fins de l?interprétation d?un traité, le contexte comprend, outre le texte, préambule et annexes inclus :
a) Tout accord ayant rapport au traité et qui est intervenu entre toutes les parties à l?occasion de la
conclusion du traité.
b) Tout instrument établi par une ou plusieurs parties à l?occasion de la conclusion du traité et accepté par
les autres parties en tant qu?instrument ayant rapport au traité ».
20
Par ailleurs, l?article 30.1 de l?Accord prévoit explicitement que « les protocoles, annexes,
déclarations, déclarations communes, mémorandums d'accord et notes de bas de page du
présent accord en font partie intégrante ».
? Sur le fond, cette déclaration commune vient utilement compléter l?Accord, sans
le remettre en cause
L?Instrument ne comporte pas de dispositions qui viendraient remettre en question le contenu
de l?Accord. S?agissant de l?environnement (chapitres 22 « Commerce et développement
durable » et 24 « Commerce et environnement »), il y est stipulé en particulier, au point 9b) :
« L'AECG reconnaît expressément au Canada ainsi qu'à l'Union européenne et à ses États
membres le droit de définir leurs propres priorités environnementales, d'établir leurs propres
niveaux de protection de l'environnement et d'adopter ou de modifier en conséquence leur
législation et leurs politiques en la matière, tout en tenant compte de leurs obligations
internationales, y compris celles prévues par des accords multilatéraux sur l'environnement.
Parallèlement, l'Union européenne et ses États membres ainsi que le Canada sont convenus,
dans l'AECG, de ne pas baisser les niveaux de protection de l'environnement afin de stimuler
le commerce ou l'investissement et, en cas de violations de cet engagement, les
gouvernements peuvent remédier à ces violations, qu'elles aient ou non des effets
défavorables sur un investissement ou sur les attentes de profit d'un investisseur ».
Garanties à disposition des parties pour accroître leurs protections sanitaires, sociales
et environnementales
L?AECG reconnaît expressément le droit des parties de réglementer et d?établir leurs propres
niveaux de protection.
En matière environnementale, l?article 24.3 prévoit :
« Les Parties reconnaissent le droit de chaque Partie de définir ses priorités
environnementales, d'établir ses niveaux de protection de l'environnement ainsi que
d'adopter ou de modifier en conséquence sa législation et ses politiques d'une manière
conforme au présent accord et aux accords multilatéraux sur l'environnement auxquels elle
est partie. Chaque Partie cherche à faire en sorte que cette législation et ces politiques
assurent et encouragent des niveaux élevés de protection de l'environnement et elle s'efforce
d'améliorer continuellement cette législation et ces politiques de même que les niveaux de
protection sur lesquels elles reposent ».
Conséquences éventuelles d?un refus de la part du Parlement français de ratifier le
CETA ou d?une dénonciation par la France de son application provisoire17
17 En vertu de l?article 30.4 paragraphe 3 du projet d?Accord économique et commercial global entre l?Union
européenne et le Canada.
21
L?AECG a actuellement le caractère d?un accord mixte, devant être signé et ratifié tant par
l?Union européenne que ses États-membres, ainsi que par le Canada. Conformément à la
procédure de l?article 218 du TFUE, le Conseil a, par sa décision (UE) 2017/37 du
28 octobre 2016, autorisé la signature de l?AECG.
Dans la mesure où de nombreux États-membres ont exprimé leur position en faveur d?une
compétence partagée pour négocier et signer l?AECG, celui-ci a cependant été proposé à la
signature en tant qu?accord mixte, dans l?attente de l?avis de la CJUE dans la demande d?avis
présentée par la Commission au titre de l?article 218 TFUE, sur la répartition des compétences
entre l?Union et ses Etats membres au sujet de l?accord de libre échange avec Singapour,
comparable à l?AECG (affaire A-2/15).
L?article 30.7 de l?AECG relatif à l?entrée en vigueur et à l?application provisoire prévoit que
(1.) « Les Parties approuvent le présent accord selon leurs obligations et procédures internes
respectives ».
Si le caractère mixte de l?accord est reconnu, ceci signifie pour l?Union européenne que la
ratification de l?Accord ne pourra être effective qu?après approbation du Parlement européen
d?une part et de l?ensemble des Parlements nationaux et régionaux concernés (dont
l?Assemblée nationale et le Sénat en France), ou par référendum, d?autre part.
? L?application provisoire de l?Accord ne concernera que les dispositions relevant
de la compétence exclusive de l?Union européenne
L?article 30.7 de l?Accord prévoit que sous réserve du choix d?une autre date par les parties, il
« entre en vigueur le premier jour du deuxième mois suivant la date à laquelle les parties
échangent des notifications écrites attestant qu'elles ont accompli leurs obligations et
procédures internes respectives ».
Cependant, il peut être appliqué à titre provisoire avant son entrée en vigueur, « à compter du
premier jour du mois suivant la date à laquelle les parties se sont notifié réciproquement
l'accomplissement de leurs obligations et procédures internes respectives nécessaires (...), ou
à toute autre date convenue entre les parties ».
La portée de l?application provisoire de l?AECG est confirmée par la Déclaration 15 du
Conseil qui sera inscrite au procès-verbal du Conseil à l?occasion de la signature de l?Accord :
« Le Conseil de l?Union européenne confirme que seules les questions relevant de la
compétence de l?Union européenne feront l?objet d?une application provisoire ».
Tel est bien le sens de la disposition, au sein de la décision (UE) 2017/38 du Conseil du 28
octobre 2016 relative à l'application provisoire de l'accord économique et commercial global
entre le Canada, d?une part, et l'Union européenne et ses États membres, d'autre part,
prévoyant que l?accord « est appliqué à titre provisoire par l?Union conformément à son
article 30.7, paragraphe 3, dans l?attente de l?achèvement des procédures nécessaires à sa
conclusion, et sous réserve des points suivants :
(?)
22
D - L?application provisoire des chapitres 22, 23 et 24 de l?accord respecte la répartition des
compétences entre l?Union et les États membres ».
? Aussi, à ce stade de l?analyse, l?Accord ne peut entrer en vigueur sans la
ratification de toutes les parties (Union européenne et tous ses États membres,
ainsi que le Canada) et en cas d?échec définitif de cette ratification, son
application provisoire devra être dénoncée selon les procédures de l?Union
européenne.
L?entrée en vigueur de l?accord nécessite sa ratification par l?UE et tous ses États membres
(cf. supra). Ceci implique que l?application provisoire de l?accord soit dénoncée par l?Union,
comme le précise la déclaration 20 du Conseil : « Si la ratification de l?AECG échoue de
façon définitive (?), l?application provisoire devra être et sera dénoncée. Les dispositions
nécessaires seront prises conformément aux procédures de l?Union européenne ».
En la circonstance, trouverait à s?appliquer l?article 30.7, paragraphe 3, c), de l?Accord,
prévoyant qu?une partie peut mettre fin à son application provisoire, sans que cette
dénonciation ait valeur rétroactive.
23
ANNEXE 1 :
la réforme du mécanisme de protection des investisseurs
Comparaison ISDS/ICS
Cette annexe est issue d?une note de la DGTrésor
1 ? Le nouveau modèle européen
Le lancement, en 2013, des négociations du Partenariat transatlantique pour le commerce et
l?investissement (PTCI) a suscité un débat particulièrement vif en France, comme dans
d?autres pays européens, sur les règles relatives à la protection des investissements et le
règlement des différends investisseur-Etat. Face aux nombreuses critiques soulevées par ce
dispositif tant au sein de la société civile qu?au niveau des gouvernements, la Commission
européenne a décidé de suspendre les négociations de ce chapitre avec les Etats-Unis, le
temps d?organiser une vaste consultation publique en 2014. Celle-ci a fortement mobilisé la
société civile puisque plus de 150 000 contributions ont été recueillies dans le cadre de cet
exercice, ce qui constitue à ce jour un record.
Les résultats de cette consultation publique, communiqués au début de l?année 2015, ont
confirmé le fort scepticisme de la société civile à l?encontre de ce dispositif, qui est la cible de
nombreuses critiques : crainte que le droit de l?Etat à réguler puisse être abusivement remis en
cause par ces mécanismes, modalités de sélection des arbitres et risques avérés de conflits
d?intérêts, manque de transparence des procédures, souvent longues et coûteuses, absence de
cohérence de la jurisprudence et exposition des Etats à des plaintes abusives ou frivoles.
Face à ces critiques, le Gouvernement français, par la voix du Secrétaire d?Etat chargé du
commerce extérieur Matthias Fekl, en lien étroit avec l?Allemagne, a dès le mois de janvier
2015 élaboré un nouveau projet, axé sur la transparence, la nécessité d?instaurer un dispositif
d?appel, la déontologie et la protection du droit à réguler des Etats, pour rompre avec
l?arbitrage privé entre investisseurs et Etats. Ces principes ont été repris par une coalition
d?Etats membres de l?Union européenne en février 2015 et ont donné lieu à des propositions
concrètes du Gouvernement français en juin 2015. Ces travaux, combinés aux conclusions de
la consultation publique, ont permis l?élaboration d?un nouveau modèle par la Commission
européenne, marqué par deux innovations majeures :
? le droit à réguler de l?Etat est explicitement réaffirmé et renforcé par une meilleure
définition des standards de protection et à l?insertion d?une clause spécifique qui garantit
que l?Etat conserve le pouvoir d?adopter les mesures législatives ou réglementaires
nécessaires à la poursuite d?objectifs légitimes liés à l?intérêt général, tels que la
protection de la santé, de l?environnement, des consommateurs ou de la diversité
culturelle et linguistique.
? la proposition européenne constitue une rupture par rapport à la pratique actuelle de
l?arbitrage d?investissement, caractérisée par sa nature privée et ad hoc, puisqu?elle vise à
mettre en place une cour bilatérale permanente de règlement des différends
investisseur-Etat, dans l?attente qu?une cour multilatérale permanente soit instaurée,
comme l?a proposé la France. Cette cour, ou « Investment Court System » (ICS), sera
composée d?un tribunal de première instance et d?un organe d?appel où siégeront des
juges permanents préalablement sélectionnés et rémunérés par les Etats parties à l?accord.
24
Ce système permet de répondre en partie aux critiques visant les mécanismes existants
d?arbitrage : les règles d?éthique pesant sur les juges sont renforcées, l?accent est mis sur
la transparence des procédures, la place des juridictions nationales est clarifiée et les Etats
disposent de plusieurs outils pour se prémunir contre les plaintes frivoles ou abusives.
Cette proposition a été soumise au Conseil en septembre 2015, qui l?a approuvée en
novembre 2015, permettant ainsi la reprise des négociations sur la protection des
investissements avec les Etats-Unis.
Les propositions françaises de juin 2015
La France a activement contribué au débat public suscité par
l?inclusion d?un chapitre « investissements » dans le cadre du
Partenariat transatlantique. Ainsi, dès le mois de juin 2015, la
France a formulé une série de propositions innovantes et
ambitieuses visant à rompre avec l?arbitrage privé entre
investisseurs et Etats.
La France proposait notamment :
? de garantir le droit des Etats à réguler en rappelant qu?ils
conservent leur pleine capacité à prendre des décisions
souveraines et démocratiquement légitimes et en clarifiant les
normes et standards de protection des investissements ;
? d?instaurer un nouveau cadre institutionnel de règlement des
litiges en réformant le mode de désignation des arbitres et en
établissant un mécanisme d?appel des sentences ;
? d?établir des règles rigoureuses en matière de transparence,
d?éthique et de prévention des conflits d?intérêts ;
? de créer, à terme, une véritable cour multilatérale permanente
dédiée aux litiges d?investissements.
Dans l?ensemble, le projet de chapitre « investissements » du
Partenariat transatlantique reprend les principales propositions
de réforme formulées par la France, à l?exception de la
proposition française visant à pénaliser financièrement les
investisseurs utilisant abusivement le mécanisme, que la
Commission européenne n?a pas souhaité retenir. Au vu de
l?équilibre final du texte, la France a exprimé son soutien à la
reprise des négociations de ce chapitre avec les Etats-Unis sur la
base du projet élaboré par la Commission.
La proposition de chapitre relatif à la protection des investissements et au règlement des
différends investisseur-Etat élaboré dans le cadre des négociations du Partenariat
transatlantique a dorénavant vocation à servir de modèle pour l?ensemble des accords
commerciaux de l?Union européenne.
En dehors des Etats-Unis, la Commission a ainsi présenté à ses autres partenaires de
négociation la nouvelle approche européenne, à laquelle le Vietnam et le Canada se sont
d?ores et déjà ralliés, renforçant ainsi la crédibilité de la proposition européenne.
25
Même si la proposition de la Commission n?a pas été reprise à l?identique, les accords
commerciaux conclus avec ces deux pays reflètent fidèlement les principaux paramètres ?
réaffirmation du droit à réguler et instauration d?un dispositif juridictionnel de règlement des
litiges ? de la nouvelle approche européenne.
La France veillera à ce qu?il en soit de même pour les autres accords commerciaux de l?Union
européenne qui permettront, à terme, de faire disparaître les anciens traités bilatéraux
d?investissement des Etats membres régis par les principes de l?arbitrage privé. Elle
contribuera également à l?instauration de la cour multilatérale permanente qu?envisage le
nouveau modèle européen.
Les Etats membres devront en outre tenir compte de la nouvelle approche européenne
dans le cadre de leurs propres négociations bilatérales. Les Etats membres conservent en
effet la possibilité de solliciter l?autorisation de la Commission européenne pour négocier de
nouveaux traités bilatéraux avec des pays tiers, qui devront évidemment refléter, dans toute la
mesure du possible, la nouvelle approche européenne. La France est en pointe sur ce sujet car
elle a entrepris de revoir intégralement son propre modèle d?accord, dont la dernière version
date de 2006, pour y intégrer les principaux paramètres de la nouvelle approche européenne,
qu?elle a directement contribué à façonner.
2 ? L?« Investment Court System » (ICS) : rupture avec l?ISDS
L?« ICS », pour « Investment Court System », désigne le nouveau système de règlement des
différends investisseur-Etat défendu par l?Union européenne dans ses négociations
commerciales. Cette nouvelle structure, qui se rapproche d?une véritable juridiction,
marque un tournant par rapport à la pratique actuelle de l?arbitrage privé et ad hoc
entre investisseurs et Etats.
? Des juges permanents pleinement indépendants
L?un des principaux objectifs de l?« ICS » est de renforcer les garanties d?indépendance et
d?impartialité des juges qui siégeront en son sein.
Le mode de désignation des juges au sein de l?« ICS » marque sans doute l?une des ruptures
les plus significatives avec la pratique actuelle puisque les parties au différend ne pourront
plus sélectionner librement leurs arbitres. Leur différend sera tranché par des juges
préalablement désignés par les Parties contractantes (l?UE et l?autre Etat signataire de
l?accord), pour un mandat renouvelable de 6 ans, qui seront assignés de façon aléatoire à une
formation de jugement.
Les critères de sélection prescrits par le nouveau modèle européen, directement inspirés de
ceux qui prévalent au sein de la Cour internationale de justice et de l?Organe d?appel de
l?Organisation mondiale du commerce, permettent également de rehausser le niveau
d?exigence attendu des juges qui siégeront au sein de l?« ICS », qui percevront par ailleurs, en
dehors des honoraires afférents à chaque affaire, une rémunération mensuelle à même de
garantir leur disponibilité, mais également leur indépendance.
26
Le nouveau modèle européen impose des règles de déontologie auxquelles les juges devront
se conformer. Il comprend à cet effet un code de déontologie visant à garantir, pendant toute
la durée de leur mandat, l?indépendance et l?impartialité des juges, qui auront par ailleurs
l?interdiction de cumuler leur fonction avec celles de conseil, d?expert ou de témoin dans le
cadre d?autres procédures investisseur-Etat, ce qui marque, là encore, une importante
rupture par rapport à la pratique actuelle où il n?est pas rare que des arbitres soient en
même temps les conseils d?investisseurs et d?Etats impliqués dans d?autres procédures
d?arbitrage.
Des procédures de récusation sont enfin prescrites par le nouveau modèle européen. Un juge
pourra ainsi être récusé d?une formation de jugement par le président du tribunal de première
instance ou du tribunal d?appel en cas de conflit d?intérêts avec l?une des parties en litige ou
être exclu de la liste des juges de l?« ICS » par les Parties contractantes en cas
d?infraction aux règles de déontologie.
? Mécanisme d?appel
L?« ICS » comprend un tribunal de première instance composé de 15 juges (5 ressortissants
européens, 5 ressortissants de l?autre Etat partie à l?accord et 5 ressortissants originaires de
pays tiers) et un tribunal d?appel comprenant 6 membres (2 ressortissants européens, 2
ressortissants de l?autre Etat partie à l?accord et 2 ressortissants originaires de pays tiers), qui
aura pour mission, à la demande des parties au différend, de contrôler les sentences
(provisoires) du tribunal de première instance. Le tribunal d?appel sera ainsi chargé de vérifier
que les dispositions de l?accord ont été correctement interprétées et appliquées et que les faits
du différend n?ont pas été gravement dénaturés. Il aura également pour mission de contrôler le
bon déroulement de la procédure devant le tribunal de première instance au regard des motifs
d?annulation prescrits par la Convention de Washington instituant le Centre international pour
le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) (vice dans la constitution du
tribunal, excès de pouvoir, corruption d?un membre du tribunal, inobservation grave d?une
règle fondamentale de procédure ou défaut de motifs). Les décisions du tribunal d?appel
s?imposeront au tribunal de première instance qui devra donc, le cas échéant, modifier sa
sentence pour que celle-ci devienne définitive et exécutoire entre les parties en litige. Ce
mécanisme d?appel, inédit dans le cadre du contentieux de l?investissement, permettra
d?assurer la cohérence de la jurisprudence et de prémunir les Parties au traité contre les
interprétations erronées ou divergentes de ses dispositions.
? Des standards de protection encadrés
Contrairement à la plupart des traités conclus à ce jour, dont les dispositions sont le plus
souvent générales, le nouveau modèle européen s?attache à définir le plus précisément
possible les standards de protection des investissements. Ce faisant, le nouveau modèle
européen confère une plus grande sécurité juridique aux Etats, qu?il protège ainsi contre les
plaintes injustifiées et contre une remise en cause de leur droit à réguler, que la terminologie
évasive de la plupart des accords de protection des investissements existants et les
interprétations excessives retenues par certains tribunaux ont contribué à favoriser.
La rédaction du standard de traitement juste et équitable constitue sans doute la meilleure
illustration des efforts entrepris pour clarifier la portée des dispositions consacrées à la
protection des investissements. Alors que les accords existants se contentent le plus souvent
d?octroyer aux investisseurs le droit à un traitement juste et équitable, sans plus de précisions,
le nouveau modèle européen comprend quant à lui une liste fermée d?obligations, que seules
les Parties contractantes peuvent éventuellement modifier d?un accord commun.
27
Le traitement juste et équitable est dorénavant limité à l?interdiction du déni de justice,
des conduites manifestement arbitraires ou oppressives et des discriminations fondées
sur des motifs ostensiblement illicites tels que le sexe, les origines ou les convictions
religieuses. Les « attentes légitimes » des investisseurs ne figurent quant à elles pas dans
cette liste : le nouveau modèle européen précise bien que la violation éventuelle des « attentes
légitimes » d?un investisseur ne peut à elle seule constituer un manquement au traitement
juste et équitable.
Les dispositions relatives à l?expropriation , qui font l?objet d?une annexe spécifique,
définissent clairement cette notion, les conditions devant être respectées par l?Etat pour
exproprier ainsi que les modalités de calcul de la compensation à laquelle peut prétendre un
investisseur qui serait dépossédé de son investissement. Elles précisent également qu?une
mesure d?application générale et non-discriminatoire destinée à protéger l?environnement, la
santé ou une autre cause d?utilité publique ne saurait en principe être qualifiée
d?expropriation, sauf si elle est manifestement excessive.
Le sens et la portée des autres standards de protection donnent également lieu à d?importants
clarifications qui permettent de rompre avec le flou qui entourait ces notions et d?éviter que
des interprétations abusives ne viennent porter atteinte au droit des Etats à réguler : le
standard de protection et de sécurité pleines et entières est ainsi cantonné à l?obligation de
moyen d?assurer la sécurité physique des investisseurs et de leurs investissements et la clause
de respect des engagements (ou « umbrella clause ») est clairement délimitée et ne saurait
être invoquée par un investisseur à propos de n?importe quel manquement contractuel, mais
uniquement lorsque l?Etat utilise ses prérogatives de puissance publique, en dehors de toute
considération d?intérêt général, pour remettre en cause ses engagements au titre d?un contrat.
? Droit à réguler des Etats
Le nouveau modèle européen comprend une clause dédiée au droit à réguler de l?Etat.
Cette disposition permet de réaffirmer clairement les prérogatives étatiques souveraines et
d?assurer un juste équilibre entre la protection des investissements et le droit à réguler de
l?Etat. Les juges de l?« ICS » seront ainsi tenus d?interpréter les normes et standards de
protection des investissements à l?aune du droit souverain des Etats d?adopter les mesures
nécessaires pour assurer la protection de l?environnement, de la santé, des droits sociaux, de la
diversité culturelle et linguistique ou d?autres causes d?utilité publique. La clause dédiée au
droit à réguler précise également que le simple fait, pour un Etat, de modifier son cadre
législatif et réglementaire, ou de retirer un dispositif de soutien jugé incompatible avec le droit
de l?Union européenne sur les aides d?Etat, ne saurait en aucun cas constituer, en tant que tel,
une violation des normes et standards de protection.
Le droit à réguler de l?Etat pour assurer la stabilité du système bancaire et financier est par
ailleurs consacré dans le cadre de la clause relative au libre transfert et d?une annexe dédiée à
la restructuration des dettes souveraines.
Le nouveau modèle européen limite explicitement la réparation pouvant être accordée aux
investisseurs au versement de dommages-et-intérêts ou à la restitution de leur propriété : un
investisseur ne peut pas réclamer le retrait ou la mise en conformité d?une mesure qui
serait jugée contraire aux dispositions relatives à la protection des investissements.
28
? Des procédures transparentes
La transparence des procédures, qui garantira la légitimité des décisions de l?« ICS », sera
pleinement assurée grâce à l?application des règles de la Conférence des Nations Unies
pour le développement du commerce international (CNUDCI) adoptées en 2014. En
pratique, ces règles permettront, tout en protégeant les données et informations sensibles, de
rendre publics les audiences ainsi que les documents relatifs aux litiges instruits par l?« ICS »,
dont les sentences seront également systématiquement publiées.
L?application des règles de transparence de la CNUDCI permettra également à des tierces
parties (amicus curiae), telles que des associations, ONG, syndicats ou citoyens, de fournir
aux juges leur point de vue sur les circonstances ou les enjeux liés au différend. Les juges
pourront également solliciter l?éclairage de l?autre Partie contractante sur certains aspects du
litige et autoriser l?intervention de tierces parties directement intéressées par la solution du
différend.
? Des procédures plus efficaces
Le nouveau modèle européen comprend une série de dispositions visant à garantir
l?efficacité et à réduire le coût des procédures devant l?« ICS ».
En l?état actuel de la pratique, la phase de sélection des arbitres prend parfois beaucoup de
temps, ce qui ne sera plus le cas dans le cadre de l?« ICS » dans la mesure où les juges
préalablement désignés par les Parties au traité seront directement disponibles et
rapidement assignés à une formation de jugement. Pour limiter au maximum la durée des
procédures, le nouveau modèle européen s?efforce également d?imposer des délais précis,
auxquels il peut toutefois être dérogé en pratique.
Le régime novateur d?appel et d?annulation des décisions dans le cadre de l?« ICS »
devrait par ailleurs permettre de réduire la durée (et donc les coûts) des procédures et d?éviter
les contestations, fréquentes en pratique, liées à la reconnaissance et à l?exécution des
sentences arbitrales. Il ne sera ainsi pas nécessaire, comme c?est le cas actuellement dans le
cadre des procédures CIRDI, de faire appel à un nouveau tribunal en cas d?annulation d?une
sentence dans la mesure où le tribunal d?appel en assurera le contrôle en dernier ressort, les
parties à un différend dans le cadre de l?« ICS » devant en effet renoncer à tout autre moyen
de recours contre ses décisions.
Le nouveau modèle européen permet également à l?Etat défendeur de solliciter, aux fins d?une
bonne administration de la justice, la jonction de plusieurs plaintes adressées par différents
investisseurs lorsqu?elles portent sur des faits ou des questions juridiques similaires. Lorsqu?il
est actionné, ce mécanisme permet à une formation de jugement de l?« ICS » d?instruire
l?intégralité du différend dans le cadre d?une seule et même instance. Le risque d?aboutir à
des décisions divergentes est ainsi exclu et les frais engagés par l?Etat pour les besoins de
sa défense sont considérablement réduits.
? Un mécanisme respectueux des droits et juridictions internes
Le nouveau modèle européen permet de clarifier l?articulation entre l?« ICS » et les
juridictions internes, en retenant une approche dite « No U-turn », qui vise à ne pas dissuader
les investisseurs de saisir les tribunaux locaux pour obtenir un règlement de leurs
éventuels litiges avec l?Etat d?accueil de leur investissement.
29
De plus, les litiges investisseur-Etat instruits dans le cadre de l?« ICS » ne pourront être
tranchés qu?en application des dispositions du droit international public, à l?exclusion du droit
de l?Union européenne et du droit interne des Etats membres, qui sont explicitement écartés
du droit applicable par le tribunal de première instance et le tribunal d?appel. L?« ICS » ne
pourra par conséquent pas empiéter sur les prérogatives de la Cour de justice s?agissant de la
mise en oeuvre et de l?interprétation du droit de l?Union européenne ni sur celles des
juridictions nationales, pour ce qui concerne l?application du droit interne.
? La fin du « treaty shopping »
Le nouveau modèle européen permet de faire échec à l?utilisation simultanée de
plusieurs recours contentieux contre un même Etat. Le mécanisme dit du « No U-turn »
impose en effet à aux investisseurs de se désister de tout recours intenté à propos d?une même
mesure devant les tribunaux internes ou d?autres mécanismes internationaux de règlement des
différends. Cette obligation s?impose non seulement à l?investisseur à l?origine de la
réclamation, mais également aux entités qui lui sont affiliées, à savoir les entités que cet
investisseur détient ou contrôle mais également celles qui le détiennent ou le contrôlent,
directement ou indirectement.
Contrairement à la pratique qui prévaut actuellement, les investisseurs ne pourront pas
bénéficier des dispositions contenues dans d?autres traités au titre de la clause de la
nation la plus favorisée. Le nouveau modèle européen limite en effet considérablement la
portée de cette disposition que prévoient habituellement les accords de protection des
investissements et qui a parfois été invoquée pour en contourner abusivement les termes. Le
nouveau modèle européen précise ainsi que cette clause ne saurait en aucun cas être invoquée
pour bénéficier de dispositions procédurales plus favorables, ou moins contraignantes,
prévues par un autre traité d?investissements. Il empêche également les investisseurs
d?invoquer les clauses substantielles de n?importe quel traité d?investissement conclu par
l?Etat d?accueil de son opération.
? Une protection accrue contre les recours abusifs
Le nouveau modèle européen comprend une série de dispositions visant à prémunir les Etats
contre les plaintes frivoles ou abusives d?investisseurs étrangers.
Pour prétendre à la qualité d?investisseur, une entreprise se doit d?exercer des activités
commerciales « substantielles » sur le territoire du pays où elle est établie, condition que
ne remplirait donc pas, par principe, une société écran, ou une « coquille vide », qui ne se
livrerait à aucune activité réelle et qui serait contrôlée par un ressortissant ou une entreprise
d?un pays tiers ne disposant pas d?un accord de protection des investissements avec l?Union
européenne.
Un investisseur dont l?investissement a été fait au moyen de déclarations frauduleuses,
de dissimulation, de corruption ou d?une conduite équivalant à un abus de droit ne
pourrait pas non plus prétendre au bénéfice du nouveau modèle européen. Par exemple,
une entreprise américaine qui établirait une filiale au Canada alors qu?un litige est sur le point
de naître avec l?Union européenne et/ou l?un de ses Etats membres serait un abus de droit. Le
tribunal saisi dans une telle configuration devrait sanctionner cette manoeuvre en prononçant
l?irrecevabilité de la plainte.
30
Le nouveau modèle européen prévoit en outre un mécanisme de filtre qui permettra d?obtenir
le rejet, dans des délais très courts, des plaintes « manifestement dénuées de fondement » et
impose, par principe, à la partie qui succombe l?obligation de rembourser les frais de
procédure engagés par l?autre partie. Ce principe, dit « loser pays rules », constitue un
instrument dissuasif, en même temps qu?une sanction aux conduites et manoeuvres dilatoires
et abusives.
? Un premier pas vers une véritable cour multilatérale permanente
La nouvelle approche défendue par l?Union européenne dans ses accords commerciaux
bilatéraux a une vocation transitoire : l?objectif, à terme, est en effet de remplacer les « ICS »
bilatéraux, ainsi que les mécanismes de règlement des différends prévus par les traités
bilatéraux d?investissements existants, par un véritable dispositif juridictionnel permanent
instauré dans un cadre multilatéral. Cette cour multilatérale sera le pendant, pour les litiges
d?investissement, de l?Organe de règlement des différends de l?Organisation mondiale du
commerce (OMC). Ce projet, auquel souscrit pleinement la France, est explicitement
mentionné dans le nouveau modèle européen. Le Canada et le Vietnam ont déjà accepté de
travailler avec l?UE à l?instauration de cette cour multilatérale permanente dédiée aux litiges
d?investissement.
31
ANNEXE 2 : Rappel du calendrier
Débutée en mai 2009, la négociation de l?AECG/CETA a pris fin officiellement le
26 septembre 2014. L?accord a été signé le 30 octobre 2016 par l?Union européenne et le
Canada.
Approuvé par la commission Commerce international du Parlement européen le
24 janvier 2017, l?accord doit désormais être ratifié par le Parlement européen en séance
plénière le 15 février 2017.
A l?issue de cette potentielle ratification, l?AECG/CETA entrera en vigueur de manière
provisoire jusqu?à la ratification de l?Accord par l?ensemble des parlements nationaux des
États membres de l?Union européenne, soit un total de 42 juridictions nationales et
infranationales.
Cette mise en oeuvre provisoire exclut notamment les dispositions relatives à la protection des
investissements dont la mise en place du mécanisme de règlement des différends investisseur-
État.
32
ANNEXE 3 : Lettre de mission
33
Ministère de l?Environnement,
de l?Énergie et de la Mer
Hôtel de Roquelaure
246 boulevard Saint-Germain
75007 Paris
Tél. 33 (0)1 40 81 21 22
MINISTÈRE DE L?ENVIRONNEMENT,
DE L?ÉNERGIE ET DE LA MER,
EN CHARGE DES RELATIONS
INTERNATIONALES SUR LE CLIMAT
Ré
f. :
D
IC
OM
-C
AB
/C
OU
V/
17
03
1
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