Rapport d’enquête technique sur le heurt d’une piétonne par un poids lourd survenu le 4 mai 2021 à Clichy (Hauts-de-Seine)
Auteur moral
France. Bureau d'enquêtes sur les accidents de transport terrestre
Auteur secondaire
Résumé
<p style="margin-bottom: 0cm; line-height: 100%">Ce rapport technique du BEATT (Bureau d'Enquête sur les Accidents de Transport Terrestre) porte sur l'accident mortel survenu entre un piéton et un poids lourd le 4 mai 2021 à Clichy. Après avoir dressé un constat matériel et humain, ainsi que le contexte de l'accident, il présente le compte-rendu des investigations effectuées. Il analyse ensuite le déroulement de l'accident et des secours puis les causes et facteurs associés ainsi que les orientations préventives. À l’issue de ses investigations il émet deux recommandations et deux invitations à l’attention de la Délégation à la sécurité routière (DSR), de la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC), de la Ville de Clichy et du Conseil départemental des Hauts-de-Seine .
Editeur
BEATT
Descripteur Urbamet
accident
;mouvement naturel
;piéton
;accident de la route
;poids lourd
;carrefour
;équipement de véhicule
;angle mort
Descripteur écoplanete
Thème
Transports
Texte intégral
RAPPORT D'ENQUÊTE TECHNIQUE
sur le heurt d'une piétonne par un poids lourd survenu le 4 mai 2021 à Clichy (92)
Août 2022
Avertissement L'enquête technique faisant l'objet du présent rapport est réalisée dans le cadre des articles L. 1621-1 à 1622-2 et R. 1621-1 à 1621-26 du Code des transports relatifs, notamment, aux enquêtes techniques après accident ou incident de transport terrestre. Cette enquête a pour seul objet de prévenir de futurs accidents. Sans préjudice, le cas échéant, de l'enquête judiciaire qui peut être ouverte, elle consiste à collecter et analyser les informations utiles, à déterminer les circonstances et les causes certaines ou possibles de l'évènement, de l'accident ou de l'incident et, s'il y a lieu, à établir des recommandations de sécurité. Elle ne vise pas à déterminer des responsabilités. En conséquence, l'utilisation de ce rapport à d'autres fins que la prévention pourrait conduire à des interprétations erronées.
Glossaire
BAAC : Bulletins d'Analyse des Accidents Corporels BEV : Bande d'éveil de vigilance CEE-ONU : Commission Économique pour l'Europe de l'Organisation des Nations Unies Cerema : Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement Certu : Centre d'études sur les réseaux, les transports, l'urbanisme et les constructions publiques DGEC : Direction générale de l'énergie et du climat DSR : Délégation à la sécurité routière DVS : Direct Vision Standard (standard de vision directe) de Transport for London GRSG : Groupe de travail des dispositions générales de sécurité de la CEE-ONU IISR : Instruction Interministérielle sur la Signalisation Routière Insee : Institut national de la statistique et des études économiques LAPI : Lecture automatique de plaques d'immatriculations ONISR : Observatoire national interministériel de la sécurité routière PL : Poids lourd PTAC : Poids total autorisé en charge RD : Route départementale TfL : Transport for London (autorité responsable des transports sur le territoire du Grand Londres)
Bordereau documentaire
Organisme auteur : Bureau d'Enquêtes sur les Accidents de Transport Terrestre (BEA-TT) Titre du document : Rapport d'enquête technique sur le heurt d'une piétonne par un poids lourd survenu le 4 mai 2021 à Clichy (Hauts-de-Seine) N° ISRN : EQ-BEAT--22-6--FR Affaire n° BEATT-2021-03 Proposition de mots-clés : usager vulnérable, visibilité, angle mort, carrefour
Synthèse
Le mardi 4 mai 2021 à Clichy (Hauts-de-Seine), vers 9 h 20, un poids lourd (PL) tournant à droite depuis la rue de Neuilly vers le boulevard Jean-Jaurès (RD 911) a percuté une piétonne traversant le boulevard. La piétonne, âgée de 90 ans, a été projetée au sol. Le conducteur du camion, ne s'étant pas rendu compte de la collision, a poursuivi son mouvement et la roue avant droite du PL a roulé sur la victime, la tuant sur le coup. La cause directe de l'accident est l'absence de perception réciproque, par le conducteur du poids lourd et par la piétonne, de la présence de l'autre protagoniste. La piétonne, dont l'audition était déficiente, n'a pas entendu le camion ; elle ne l'a pas vu non plus se rapprocher sur son arrière gauche. Le conducteur du poids lourd n'était pas non plus en situation de détecter aisément la présence de la piétonne, de petite taille, du fait du champ de vision réduit offert par la fenêtre de droite de sa cabine, de la nécessité de porter son attention sur les autres piétons traversant sur le passage, et des multiples contrôles imposés par la manoeuvre de giration. La piétonne a probablement été brièvement visible par l'un des rétroviseurs dans les tous derniers instants précédant la collision, mais trop tardivement pour permettre une réaction efficace du conducteur si celui-ci l'avait détectée immédiatement, ce qui n'a pas été le cas. La configuration du carrefour a pu également contribuer à la collision en contraignant le PL à s'engager sur le passage piéton à partir d'une position parallèle à celui-ci, ne favorisant pas la visibilité et la prise d'informations. L'analyse des causes et du contexte de l'accident conduit le BEA-TT à formuler deux recommandations et deux invitations dans les domaines suivants :
la conception et l'équipement des poids lourds ; l'aménagement du carrefour où a eu lieu l'accident ; le dispositif réglementaire régissant la circulation sur la rue de Neuilly.
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SOMMAIRE
SYNTHÈSE....................................................................................................................................1 1 - CONSTATS IMMÉDIATS ET ENGAGEMENT DE L'ENQUÊTE.............................................4 1.1 - Les circonstances de l'accident........................................................................................4 1.2 - Le bilan humain.................................................................................................................5 1.3 - L'engagement et l'organisation de l'enquête....................................................................5 2 - CONTEXTE DE L'ACCIDENT.................................................................................................6 2.1 - Les conditions météorologiques.......................................................................................6 2.2 - Le carrefour et les axes concernés..................................................................................6
2.2.1 - Environnement du carrefour................................................................................................................... 6 2.2.2 - Le boulevard Jean-Jaurès (RD 911)...................................................................................................... 7 2.2.3 - La rue de Neuilly.................................................................................................................................... 9 2.2.4 - La rue Villeneuve.................................................................................................................................. 11 2.2.5 - Le fonctionnement des feux de circulation........................................................................................... 11
2.3 - La répartition des rôles entre le Conseil départemental et la Ville.................................14 2.4 - L'accidentalité des piétons sur la commune de Clichy...................................................14
2.4.1 - Statistiques générales.......................................................................................................................... 14 2.4.2 - L'accidentalité des piétons sur le boulevard Jean-Jaurès....................................................................15
3 - COMPTE RENDU DES INVESTIGATIONS EFFECTUÉES.................................................17 3.1 - L'état des lieux après l'accident......................................................................................17 3.2 - Le résumé des témoignages..........................................................................................18
3.2.1 - Le conducteur du poids lourd............................................................................................................... 18 3.2.2 - Un piéton témoin de l'accident............................................................................................................. 18 3.2.3 - Les proches de la victime..................................................................................................................... 18
3.3 - Le conducteur du poids lourd.........................................................................................19 3.4 - Le poids lourd impliqué...................................................................................................19
3.4.1 - Les caractéristiques du PL................................................................................................................... 19 3.4.2 - La réglementation relative aux systèmes de vision indirecte................................................................21 3.4.3 - L'analyse du chronotachygraphe......................................................................................................... 24 3.4.4 - Les résultats de l'expertise judiciaire du véhicule.................................................................................24
3.5 - L'analyse des enregistrements de la vidéo-surveillance................................................25 3.6 - Observations sur site......................................................................................................28 3.7 - La visibilité depuis le poste de conduite du PL...............................................................30
3.7.1 - La vision directe depuis le poste de conduite.......................................................................................30 3.7.2 - Observations sur le PL impliqué........................................................................................................... 32
4 - ANALYSE DU DÉROULEMENT DE L'ACCIDENT ET DES SECOURS.............................33 4.1 - La situation avant l'accident............................................................................................33
4.2 - Démarche suivie pour reconstituer la séquence de l'accident.......................................33 4.3 - Reconstitution de la séquence de l'accident..................................................................34 4.4 - Commentaires sur la visibilité de la victime par le conducteur.......................................39 5 - ANALYSE DES CAUSES ET FACTEURS ASSOCIÉS, ORIENTATIONS PRÉVENTIVES.41 5.1 - Le schéma des causes et des facteurs associés...........................................................41 5.2 - Les accidents mortels d'usagers vulnérables en agglomération...................................42
5.2.1 - Statistiques générales.......................................................................................................................... 42 5.2.2 - Les scénarios d'accidents avec angle mort impliquant un piéton ou un cycliste..................................42
5.3 - La conception et l'équipement des poids lourds............................................................43
5.3.1 - La vision directe et les rétroviseurs...................................................................................................... 43 5.3.2 - Les systèmes de vision indirecte par caméra et moniteur....................................................................45 5.3.3 - Les systèmes de détection................................................................................................................... 45 5.3.4 - Les systèmes d'avertissement à l'extérieur du véhicule.......................................................................47 5.3.5 - Le « Direct Vision Standard » de Transport for London........................................................................47 5.3.6 - Le projet de règlement CEE-ONU relatif à la vision directe..................................................................49 5.3.7 - La réglementation européenne............................................................................................................ 50 5.3.8 - Conclusion........................................................................................................................................... 51
5.4 - L'aménagement du carrefour entre le boulevard Jean-Jaurès et la rue de Neuilly.......52 6 - CONCLUSIONS, RECOMMANDATIONS ET INVITATIONS................................................55 6.1 - Conclusions.....................................................................................................................55 6.2 - Recommandations et invitations.....................................................................................55 ANNEXES....................................................................................................................................57 Annexe 1 : Décision d'ouverture d'enquête.............................................................................58 Annexe 2 : Bibliographie..........................................................................................................59
Les scénarios d'accidents de PL contre un usager vulnérable avec angle mort..............................................59 Complexité de la manoeuvre d'un PL en giration et utilisation des rétroviseurs...............................................62 Performance des systèmes complémentaires de visualisation, de détection et d'avertissement....................63 Le « Direct Vision Standard » de Transport for London...................................................................................66 Références..................................................................................................................................................... 70
1 - Constats immédiats et engagement de l'enquête
1.1 Les circonstances de l'accident
Le mardi 4 mai 2021 à Clichy (Hauts-de-Seine), vers 9 h 20, un poids lourd (PL) tournant à droite depuis la rue de Neuilly vers le boulevard Jean-Jaurès (RD 911) a percuté une piétonne traversant le boulevard. La piétonne a chuté sous le choc et s'est retrouvée sous le camion qui s'est immobilisé quelques mètres plus loin.
Figure 1 : Localisation régionale de l'accident Fond de plan Géoportail IGN légendé BEA-TT
Figure 2 : Localisation communale de l'accident Fond de plan Géoportail IGN légendé BEA-TT
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1.2 -
Le bilan humain
La piétonne est décédée sur le coup.
1.3 -
L'engagement et l'organisation de l'enquête
Au vu des circonstances de cet accident, le directeur du Bureau d'Enquêtes sur les Accidents de Transport Terrestre (BEA-TT) a ouvert le 18 mai 2021 une enquête technique en application des articles L. 1621-1 à L. 1622-2 et R. 1621-1 à R. 1621-26 du Code des transports. Les enquêteurs du BEA-TT ont contacté les autorités judiciaires. Ils se sont rendus sur les lieux, ils ont rencontré les enquêteurs de la Police nationale (commissariat de Clichy) et ont pu accéder au dossier de l'enquête de flagrance dirigée par le procureur de la République. Ils ont également échangé avec les représentants du conseil départemental des Hauts-de-Seine, gestionnaire du boulevard Jean-Jaurès (RD 911), ainsi qu'avec l'expert automobile missionné dans le cadre de l'enquête judiciaire. Ils ont pu examiner le camion impliqué dans l'accident et disposer de l'ensemble des pièces et documents nécessaires à leurs analyses, à l'exception de certaines interrogations adressées à la commune de Clichy et restées sans réponse malgré plusieurs demandes.
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2 - Contexte de l'accident
2.1 Les conditions météorologiques
Le dernier relevé avant l'accident de la station météorologique d'Argenteuil, située à environ 7 km du lieu de l'accident, a été établi à 9 h 00. Il fait état d'une température de 10,5 °C et d'un vent de 8 km/h. Aucune précipitation n'y a été relevée ce jour-là ni la veille. Les premières constatations des services de police intervenus sur l'accident rapportent que le temps est couvert, qu'il tombe une pluie fine et légère et que néanmoins la chaussée n'est pas glissante.
2.2 -
Le carrefour et les axes concernés
2.2.1 - Environnement du carrefour
L'accident est survenu dans le centre-ville de Clichy, à proximité immédiate de la mairie et du parc public qui la borde, à l'intersection du boulevard Jean-Jaurès, de la rue de Neuilly (côté sud-ouest) et de la rue Villeneuve (côté nord-est).
Figure 3 : Plan du secteur environnant le lieu de l'accident Fond de plan Géoportail IGN annoté BEA-TT
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Figure 4 : Schéma général du carrefour Schéma BEA-TT
2.2.2 - Le boulevard Jean-Jaurès (RD 911)
Le boulevard Jean-Jaurès (route départementale n° 911) fait partie d'un itinéraire structurant du département des Hauts-de-Seine reliant la zone portuaire de Gennevilliers et l'autoroute A 86, au nord-ouest, au boulevard périphérique de Paris (porte de Clichy) au sud-est. Le boulevard prolonge le pont de Clichy qui franchit la Seine en limite nord-ouest de la commune, les franchissements alternatifs du fleuve les plus proches étant situés à environ 900 m. La RD 911 est classée route à grande circulation par le décret n° 2009-615 du 3 juin 2009 modifié. La circulation sur le boulevard Jean-Jaurès est à sens unique en direction du sud-est, la liaison dans le sens inverse étant assurée par la rue Martre (RD 19) qui lui est parallèle. La vitesse maximale autorisée y est de 50 km/h. Aux abords du carrefour où a eu lieu l'accident, le boulevard comporte trois voies de circulation ; la voie de droite, antérieurement affectée aux autobus et aux vélos, était à la date de l'accident réservée temporairement aux vélos en vue de favoriser les mobilités douces après la période de confinement liée à la pandémie de covid-19. En amont du carrefour, le boulevard comporte également une bande de stationnement du côté gauche de la chaussée dans le sens de circulation. En aval du carrefour le boulevard ne comporte pas d'espace de stationnement ; un arrêt d'autobus est situé du côté droit environ 25 m après le carrefour.
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Figure 5 : Vue du boulevard Jean-Jaurès depuis le carrefour, vers l'amont (N.B. : la photographie a été prise pendant l'intervention des secours, le véhicule en travers des voies est un véhicule de police barrant l'accès) Photo Police nationale légendée BEA-TT
Figure 6 : Vue du boulevard Jean-Jaurès depuis le carrefour, vers l'aval Photo et légende BEA-TT
Selon les éléments disponibles auprès du Conseil départemental, le trafic moyen mesuré sur le boulevard en 2018 était de l'ordre de 22 000 véhicules par jour, dont environ 1 800 véh/h à l'heure de pointe du matin (tranche 9 h-10 h) et 1 300 véh/h à l'heure de pointe du soir (tranche 19 h-20 h). Un comptage réalisé le mardi 15 décembre 2020 dans le cadre d'une étude de circulation commanditée par la Ville de Clichy a dénombré 16 500 véhicules sur les 24 heures, dont 73 % de véhicules légers, 16,6 % de deux-roues motorisés, 1,6 % de poids lourds, 2,8 % d'autobus et 6 % de vélos (soit 1 050 vélos sur la journée). Le niveau de trafic est quasiment constant de 7 h à 20 h, de l'ordre de 1 000 véhicules motorisés par heure, la tranche horaire de pointe du matin atteignant 1 100 véhicules motorisés. L'étude signale également :
des ralentissements chroniques le matin et le soir dans la partie du boulevard proche de la Porte de Clichy, qui peuvent certains jours remonter jusqu'au secteur de la mairie ; de nombreuses traversées piétonnes toute la journée sur la section du boulevard longeant le parc de la mairie, dont une part notable s'effectue hors passages piétons.
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Figure 7 : Répartition du trafic motorisé observé sur le boulevard Jean-Jaurès le mardi 15 décembre 2020 Source : Étude de circulation commanditée par la Ville de Clichy
2.2.3 - La rue de Neuilly
La section de la rue de Neuilly la plus proche du carrefour, située entre la rue de Paris et le boulevard Jean-Jaurès, est une voie locale à vocation piétonne et commerçante ; elle ne comporte qu'une voie de circulation. La section comporte trois accès, chacun doté de bornes rétractables dans la chaussée :
un accès au sud-ouest depuis la rue de Paris (figure 8), signalé par un panneau B7b (Accès interdit à tous véhicules à moteur) et accompagné d'un panneau d'information portant les mentions « zone piétonne », « circulation interdite », « sauf livraisons » et reproduisant le panneau B14-10 (Vitesse limitée à 10 km/h) ; un accès au nord-ouest depuis la rue de l'ancienne mairie vers la rue Médéric (figure 9), qui rejoint la rue de Neuilly au niveau de la place du Marché ; cet accès est signalé par un panneau B7b ; un accès au nord-est depuis le boulevard Jean-Jaurès, signalé par un panneau B1 (Sens interdit).
La rue de Neuilly borde la place du Marché où le marché se tient tous les mercredis, samedis et dimanches matin.
Figure 8 : Vue de l'entrée de la rue de Neuilly depuis la rue de Paris Photo et légende BEA-TT
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Figure 9 : Vue de l'entrée de la rue Médéric depuis la rue de l'ancienne mairie Photo et légende BEA-TT
Figure 10 : Vue de l'entrée de la rue de Neuilly depuis le boulevard Jean-Jaurès Photo et légende BEA-TT
Le dispositif réglementaire régissant la circulation sur la rue de Neuilly semble confus. Sollicitée à plusieurs reprises par le BEA-TT, la Ville de Clichy n'a pas communiqué au BEA-TT l'arrêté municipal correspondant. Elle a en revanche transmis un arrêté municipal du 23 novembre 2018 réglementant la circulation sur la place du Marché, qui stipule que « la circulation des véhicules de toutes les catégories est interdite à tous les véhicules motorisés », et qu'en dehors des jours de marché (les mercredis, samedis et dimanches matin), « l'aire piétonne est accessible de 6h00 à 12h30 aux riverains [et] aux véhicules effectuant des livraisons aux commerces et entreprises qui ne peuvent être desservis autrement ». Ce texte ne fait aucune mention de la rue de Neuilly et de la rue Médéric, ni de l'interdiction d'accès à la rue de Neuilly depuis le Boulevard Jean-Jaurès matérialisée par le panneau B1. En situation courante, les bornes rétractables sont relevées et empêchent l'accès. Selon les informations apportées par la Ville de Clichy, les bornes sont programmées automatiquement pour se trouver en position basse les jours de marché de 6 h 00 à 8 h 30 puis de 13 h 00 à 15 h 30. Leur abaissement peut également être demandé depuis l'une des trois bornes d'appel situées à chacun des accès, il est alors commandé à distance par l'opérateur du centre de supervision de la police municipale, opérationnel en
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permanence. Les bornes d'appel sont relativement basses, et celle située sur l'accès au boulevard Jean-Jaurès est implantée du côté droit dans le sens de la sortie de la rue de Neuilly (figure 10) ; un conducteur de camion doit descendre de son véhicule pour appuyer sur le bouton d'appel. Interrogée par le BEA-TT, la Ville n'a pas précisé si la remontée des bornes rétractables était automatique ou commandée par le superviseur. S'agissant d'une zone dont les accès sont restreints, le trafic sur cette section de la rue de Neuilly est très réduit. La Ville de Clichy a recensé une moyenne de 68 camions par semaine livrant les commerces ou desservant le marché.
2.2.4 - La rue Villeneuve
La rue Villeneuve constitue la quatrième branche du carrefour où a eu lieu l'accident. C'est une rue de desserte comportant une seule voie de circulation en sens unique vers le carrefour, ainsi qu'une bande de stationnement du côté droit dans le sens de la circulation, remplacée par endroits par des terrasses de cafés et restaurants. Parallèlement à la rue Villeneuve, du côté du parc de la mairie, débouche sur le boulevard Jean-Jaurès une sortie d'un parking souterrain situé sous le parc public.
Figure 11 : Vue de la rue Villeneuve depuis le boulevard Jean-Jaurès Photo et légende BEA-TT
2.2.5 - Le fonctionnement des feux de circulation
Le carrefour entre le boulevard Jean-Jaurès, la rue de Neuilly et la rue Villeneuve est régulé par des feux de circulation. Le boulevard est équipé de trois signaux R11v (feux tricolores classiques), un de chaque côté et un sur potence au-dessus de la chaussée. La rue de Neuilly et la rue Villeneuve sont chacune équipées d'un signal R11v situé sur le côté droit dans le sens de la circulation.
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Figure 12 : Signaux R11v et R12 Source IISR
Figure 13 : Signal lumineux clignotant représentant le panneau A13b Photo BEA-TT
Chacun des passages pour piétons est équipé à ses deux extrémités d'un signal piétons R12, excepté la traversée de la rue de Neuilly qui n'en a qu'un seul à son extrémité sud. La traversée du boulevard Jean-Jaurès située à l'aval du carrefour comporte également, uniquement du côté de la rue de Neuilly, un signal lumineux clignotant représentant le panneau A13b (Passage pour piétons)1. Le cycle des feux de circulation comprend deux phases. Selon le diagramme de fonctionnement des feux transmis par les services du Conseil départemental des Hauts-de-Seine, le cycle en heures creuses a une durée totale de 60 secondes et se déroule comme suit.
Figure 14 : Schéma descriptif du cycle des feux : 1re phase à gauche, 2e phase à droite Schémas BEA-TT
1re phase, pour les véhicules circulant sur le boulevard (figure 14, à gauche) : cette phase dure 33 secondes.
En début de phase, les feux tricolores du boulevard Jean-Jaurès passent au vert, de même que les feux piétons des deux traversées de la rue de Neuilly et de la rue Villeneuve.
1 Ce signal est prévu par l'article 110-2 de l'Instruction Interministérielle sur la Signalisation Routière (IISR), qui précise dans son alinéa 4 : « Lorsque la perception d'un passage pour piétons par les conducteurs de véhicules (d'un mouvement tournant notamment) est insuffisante, il est possible de la renforcer par un panneau A13b implanté immédiatement à l'amont du passage à l'intention de ces conducteurs [...]. Ce panneau peut avantageusement être lumineux et clignoter pendant toute la durée du vert et du rouge de dégagement des piétons, et seulement pendant cette période. » 12
Les feux piétons sont au vert pendant 25 secondes pour la traversée de la rue Villeneuve, et 26 secondes pour la traversée de la rue de Neuilly, puis passent au rouge. Les feux tricolores sont au vert pendant 28 secondes, puis passent au jaune pendant 3 secondes, puis au rouge. Pendant les deux dernières secondes de la phase, l'ensemble des feux du carrefour sont donc au rouge.
2 phase, pour les véhicules venant de la rue de Neuilly et de la rue Villeneuve (figure 14, à droite) : cette phase dure 27 secondes.
En début de phase, les feux tricolores de la rue de Neuilly et de la rue Villeneuve passent au vert, de même que les feux piétons des deux traversées du boulevard Jean-Jaurès. Le signal lumineux représentant le panneau A13b se met à clignoter. Les feux piétons des deux traversées du boulevard sont au vert pendant 14 secondes, puis passent au rouge. Les feux tricolores de la rue de Neuilly et de la rue Villeneuve sont au vert pendant 22 secondes, puis passent au jaune pendant 3 secondes, puis au rouge. Pendant les deux dernières secondes de la phase, l'ensemble des feux du carrefour sont donc au rouge. Le signal lumineux représentant le panneau A13b clignote pendant la totalité de cette phase. Deux boucles de détection situées sur la rue de Neuilly et sur la rue Villeneuve, quelques mètres avant le feu, peuvent commander si nécessaire un allongement de 2 secondes de la durée du feu vert.
Les enquêteurs du BEA-TT se sont rendus sur les lieux pour observer le fonctionnement effectif du cycle de feux. Leurs constats ont été conformes aux phases théoriques décrites ci-dessus. En heures de pointe (de 6 h 30 à 9 h 30 et de 16 h 00 à 20 h 00), la durée du cycle de feux passe à 80 secondes, avec 15 secondes de vert supplémentaire sur le boulevard Jean-Jaurès (feux tricolores et traversées piétonnes parallèles) et 5 secondes de vert supplémentaire sur la rue de Neuilly et la rue Villeneuve (feux tricolores et traversées piétonnes parallèles). Sur le boulevard Jean-Jaurès, l'intersection suivante dans le sens de la circulation, avec la rue Charles et René Auffray, est également réglée par des feux tricolores. Les deux ensembles de feux tricolores situés sur le boulevard, celui en amont de la rue de Neuilly et celui en amont de la rue Charles et René Auffray, fonctionnent de façon totalement identique et simultanée : ils passent successivement au vert, au jaune et au rouge aux mêmes moments. À noter que le déroulement du cycle du feu tricolore situé en sortie de la rue de Neuilly est totalement indépendant de l'abaissement des bornes rétractables : le feu peut être au vert alors que les bornes sont relevées, et à l'inverse il peut être au rouge alors que les bornes sont abaissées.
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2.3 -
La répartition des rôles entre le Conseil départemental et la Ville
Pour l'entretien des routes départementales situées en agglomération, le règlement de voirie du Conseil départemental des Hauts-de-Seine définit la répartition des rôles entre le Département et les communes : « [...] le Département assure la conservation des chaussées, des ouvrages d'art, des caniveaux et bordures de trottoirs, des grilles et avaloirs, des pistes cyclables, des couloirs et aires d'arrêt de bus, des terre-pleins centraux non plantés, des éléments de retenue de véhicules, des plantations d'alignement. Sur les axes à grande circulation, le Département assure l'entretien des contrôleurs et systèmes de coordination de la signalisation tricolore lumineuse. Le Département assure l'entretien de la signalisation de direction réglementaire à caractère intercommunal ainsi que les panneaux de police, à l'exception des panneaux régissant le stationnement. Il assure l'entretien de la signalisation horizontale. » La RD 911 étant classée route à grande circulation, l'autorité détentrice du pouvoir de Police de la circulation sur cet axe est le préfet des Hauts-de-Seine, en application de l'article L2521-1 du Code général des collectivités territoriales, repris dans l'article L411-5 du Code de la route.
2.4 -
L'accidentalité des piétons sur la commune de Clichy
2.4.1 - Statistiques générales
Les accidents corporels de la circulation routière sont recensés dans une base de données nationale (dénommée BAAC - Bulletins d'Analyse des Accidents Corporels) renseignée par les forces de l'ordre et administrée par l'Observatoire national interministériel de la sécurité routière (ONISR). Les usagers impliqués dans les accidents sont classés selon quatre niveaux de gravité :
les personnes tuées : personnes qui décèdent du fait de l'accident, sur le coup ou dans les trente jours qui suivent l'accident ; les blessés dits « hospitalisés » (BH) : victimes hospitalisées plus de 24 heures ; les blessés légers (BL) : victimes ayant fait l'objet de soins médicaux mais n'ayant pas été admises comme patients à l'hôpital plus de 24 heures ; les personnes indemnes : impliquées non décédées et dont l'état n'a nécessité aucun soin médical du fait de l'accident.
Sur la période 2016-2020, cette base de données recense 21 accidents graves de piétons (c'est-à-dire ayant causé un décès ou un blessé hospitalisé) survenus en agglomération sur le territoire de la commune de Clichy. Leur bilan est de 2 piétons tués et 20 piétons blessés hospitalisés. Parmi ces 22 victimes graves, 10 étaient âgées de 75 ans ou plus. Le tableau suivant rapporte ce bilan à la population de la commune (population 2018 publiée par l'Insee) et le compare aux mêmes indicateurs calculés, pour les seuls accidents survenus en agglomération, sur deux périmètres plus étendus adoptés comme références :
l'ensemble du département des Hauts-de-Seine, Paris et les trois départements de la petite couronne (Hauts-de-Seine, Seine-SaintDenis, Val-de-Marne).
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Périmètre
Indicateur Victimes graves piétons 2016-2020
Toutes classes d'âge 22 62 485 35 512 1 619 120 32 2 951 6 824 311 43
75 ans et plus 10 3 136 319 100 118 027 85 469 470 745 100
Clichy
Population 2018 Victimes graves piétons pour 100 000 habitants Victimes graves piétons 2016-2020
Hauts-de-Seine (en agglomération)
Population 2018 Victimes graves piétons pour 100 000 habitants
Paris + petite couronne (en agglomération)
Victimes graves piétons 2016-2020 Population 2018 Victimes graves piétons pour 100 000 habitants
Toutes classes d'âge confondues, le taux de victimes graves piétons observé sur la commune de Clichy sur la période 2016-2020 est de 35 pour 100 000 habitants. Cette valeur est du même ordre de grandeur que celle observée sur les deux périmètres de référence (respectivement 32 pour les Hauts-de-Seine et 43 pour l'ensemble Paris et petite couronne). Conformément aux statistiques nationales2, les personnes âgées de 75 ans ou plus sont sur-représentées parmi les victimes graves piétons, que ce soit à Clichy ou sur les deux périmètres retenus comme références. Cette sur-représentation est toutefois nettement plus marquée sur le territoire de la commune de Clichy, où le taux de victimes graves piétons de 75 ans ou plus est de 319 pour 100 000 habitants de la classe d'âge, contre respectivement 85 et 100 pour les deux références. L'écart entre le taux associé à la commune de Clichy et celui associé à chacune des références est statistiquement significatif.
2.4.2 - L'accidentalité des piétons sur le boulevard Jean-Jaurès
La base de données des accidents ne permet pas de localiser de façon précise la totalité des accidents recensés sur la commune de Clichy : elle ne comporte en effet les coordonnées GPS du lieu de chaque accident qu'à partir d'avril 2017, et pour quelques accidents postérieurs à cette date les coordonnées saisies sont erronées. La rubrique relative à l'adresse de l'accident n'est renseignée que par la mention d'une section dont la longueur peut dépasser 500 m. Pour ces raisons, seuls seront retenus ici les accidents qui ont pu être localisés avec certitude sur le boulevard Jean-Jaurès, ou sur un autre axe à l'intersection avec le boulevard. Ce critère permet d'identifier sept accidents graves de piétons survenus sur le boulevard Jean-Jaurès entre 2016 et 2020, soit le tiers de ceux survenus sur le territoire de la commune. Ces accidents ont causé un décès et sept blessés hospitalisés ; quatre de ces huit victimes graves étaient âgées de plus de 80 ans, une cinquième avait 70 ans. Six de
2 À titre d'exemple : parmi les 263 piétons tués en agglomération en 2020 sur le territoire métropolitain, la moitié avait 75 ans ou plus (source : Bilan de l'accidentalité de l'année 2020, ONISR). 15
ces sept accidents sont survenus sur une intersection réglée par des feux de circulation, et aucun n'a impliqué un véhicule lourd. La base de données permet également d'identifier trois accidents, graves ou non, survenus entre 2016 et 2020 sur le carrefour objet de la présente enquête :
le 5 avril 2017 à 12h00, une automobile tournant à gauche depuis la rue Villeneuve a heurté un piéton âgé de 68 ans, qui a été blessé légèrement ; le 23 octobre 2018 à 23h20, donc de nuit, une automobile circulant sur le boulevard Jean-Jaurès a heurté une piétonne âgée de 21 ans, qui a été blessée légèrement ; le 18 juillet 2020 à 22h50, de nuit également, une motocyclette circulant sur le boulevard a heurté une piétonne âgée de 20 ans, qui a été hospitalisée plus de 24 h ; le motocycliste, âgé de 22 ans, a été blessé légèrement ; selon des informations complémentaires apportées par les services de police, la piétonne aurait traversé alors que son feu était au rouge.
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3 - Compte rendu des investigations effectuées
3.1 L'état des lieux après l'accident
À l'arrivée des secours sur les lieux de l'accident, le poids lourd est immobilisé sur le boulevard Jean-Jaurès, en biais sur les deux voies de circulation les plus à gauche, juste après le passage pour piétons côté sud-est. La victime est au sol, sous le camion, à proximité de son essieu arrière. Elle est décédée sur le coup. Les traces relevées par les forces de l'ordre suggèrent que la roue avant droite du poids lourd aurait roulé sur la victime. Selon les premières constatations, les différents feux de circulation sont en bon état de fonctionnement et les marquages au sol du passage piéton sont parfaitement matérialisés et visibles. La carrosserie du poids lourd, ses pneumatiques, ses phares, ses indicateurs de changement de direction, ses signalisations d'angle mort ainsi que ses différents rétroviseurs sont en bon état. Les enquêteurs judiciaires ne constatent à l'intérieur de l'habitacle aucun élément obstruant la visibilité du conducteur.
Figure 15 : Positions du PL et de la victime après l'accident Photo Police nationale, légende BEA-TT
Figure 16 : Positions du PL et de la victime après l'accident Schéma BEA-TT
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3.2 -
Le résumé des témoignages
3.2.1 - Le conducteur du poids lourd
Le conducteur du PL indique détenir le permis poids lourd et effectuer des livraisons depuis 17 ans. Il a commencé son service à 4 h 45 au dépôt de son entreprise de transports, situé à Saint-Ouen-l'Aumône (Val-d'Oise). Sa dernière livraison avant l'accident était dans un commerce situé place du Marché. C'est un site qu'il livre régulièrement, au moins trois fois par semaine. Il connaît donc bien les lieux et n'utilise pas de GPS. Il était en avance sur le planning de sa tournée. Il a repris son trajet par la rue de Neuilly jusqu'au carrefour avec le boulevard Jean-Jaurès où il a demandé l'abaissement des bornes rétractables. Il s'est ensuite avancé un peu pour que les bornes ne remontent pas, puis a attendu que le feu tricolore du boulevard passe au rouge. Il se dirigeait vers la voie la plus à gauche du boulevard Jean-Jaurès car il devait tourner à gauche quelques rues plus loin. Lorsqu'il a pu s'engager sur le boulevard, il s'est arrêté de suite pour laisser passer trois piétons qui traversaient rapidement sur le passage piéton, de la mairie vers la place du Marché. Après avoir vérifié que le passage piéton était vide sur sa droite, il a redémarré. Quelques instants plus tard un homme arrivant du trottoir en face côté mairie lui a fait de grands signes. Il s'est arrêté, pensant avoir touché un poteau avec son porte-à-faux arrière, il est descendu de son camion, et c'est alors que le témoin lui a montré la victime sous le camion. Le chauffeur dit ne pas avoir vu la piétonne et n'avoir ressenti aucun choc lors du mouvement de son camion ; il ne comprend pas d'où elle est arrivée.
3.2.2 - Un piéton témoin de l'accident
Le témoin sortait du parc de la Mairie et se trouvait sur le trottoir du boulevard Jean-Jaurès face à l'arrêt de bus (cf. figure 6). Il a vu le camion commencer à avancer et simultanément une dame assez petite et assez âgée en train de traverser très lentement en partant du Crédit Mutuel (situé au coin de la rue de Neuilly) vers la mairie. Cette dame se trouvait déjà « à un tiers du passage piéton ». Le poids lourd s'est engagé lentement sur le boulevard en tournant vers la droite. L'angle entre le camion et la dame âgée était en train de se resserrer. Le tissu de la robe de la dame s'est alors coincé sous la roue avant droite du camion ce qui a entraîné sa chute. Le chauffeur ne s'est aperçu de rien et a continué sa manoeuvre. Le témoin a crié dans sa direction pour le prévenir mais le chauffeur ne l'a pas entendu et la roue avant droite du camion a roulé sur la victime. Ce n'est qu'ensuite que le conducteur a remarqué les avertissements du témoin et s'est arrêté.
3.2.3 - Les proches de la victime
La piétonne accidentée était âgée 90 ans et de petite taille (environ 1,52 m selon ses proches). Elle présentait des difficultés auditives et n'entendait pas du tout du côté gauche, mais n'était pas appareillée. Habitant à Clichy même, elle devait se rendre rue Villeneuve (rue faisant face à la rue de Neuilly, de l'autre côté du carrefour) en empruntant une ligne d'autobus dont elle devait descendre à l'arrêt situé sur le boulevard Jean-Jaurès face au parc de la mairie.
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3.3 -
Le conducteur du poids lourd
Le conducteur du poids lourd est un homme âgé de 51 ans, titulaire depuis 2004 d'un permis de conduire de catégorie C autorisant la conduite des véhicules affectés au transport de marchandises ou de matériel dont le poids total autorisé en charge (PTAC) est supérieur à 7,5 tonnes. Ce permis est valide jusqu'en septembre 2023. Le conducteur avait suivi une Formation Continue Obligatoire (FCO) pour le transport de marchandises en octobre 2017. Sa carte de conducteur était valide le jour de l'accident et avait pour échéance de validité décembre 2021. Il est employé depuis environ neuf ans par la société Transports NJS Faramia, dont le dépôt est situé à Saint-Ouen-l'Aumône (Val d'Oise). Selon son employeur, sa journée de travail se décompose en deux tournées de livraisons dans la moitié ouest de la région parisienne, d'une demi-journée chacune. Il livre généralement cinq magasins par demi-journée. La première demi-journée débute usuellement entre 5 h 00 et 6 h 00 ; il revient au dépôt vers 10 h 00-11 h 00, reprend un chargement et prend un temps de pause de 45 min, puis repart vers 12 h 30-13 h 30 pour terminer sa tournée entre 16 h 00 et 17 h 00. Le matin de l'accident, son planning comportait six magasins à livrer, celui desservi à Clichy étant le quatrième. Les dépistages de l'alcoolémie et de la consommation de stupéfiants auxquels ce conducteur a été soumis se sont révélés négatifs.
3.4 -
Le poids lourd impliqué
3.4.1 - Les caractéristiques du PL
Le véhicule impliqué est un poids lourd frigorifique de marque Renault et de type Premium, D Wide, C. Il a été mis en circulation le 27 novembre 2017 et appartient à la société Transports NJS Faramia, employeur du conducteur. Il est équipé d'une boite de vitesses automatique. Au moment de l'accident, son compteur kilométrique affichait 205 538 km. Sa dernière visite de contrôle technique périodique a été réalisée le 9 décembre 2020, elle était valide jusqu'au 8 décembre 2021.
Figure 17 : Vue du PL impliqué et dimensions Photo et légende BEA-TT
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Sa masse à vide est de 11 500 kg et sa masse en charge maximale admissible de 19 000 kg. Sa longueur est de 11,12 m et sa largeur (hors rétroviseurs) de 2,60 m3. Le véhicule est équipé des rétroviseurs extérieurs suivants (figure 18) :
2 rétroviseurs principaux : un à gauche côté conducteur et un à droite côté passager ; 2 rétroviseurs « grand angle » : un à gauche côté conducteur et un à droite côté passager. Ces deux rétroviseurs sont situés au-dessus des rétroviseurs principaux et fixés à la carrosserie par le même support ; 1 rétroviseur dit « antéviseur », situé devant le pare-brise, en haut sur le côté droit ; 1 rétroviseur dit « d'accostage », en haut devant le vitrage de la porte du côté passager.
L'orientation des deux rétroviseurs principaux se règle électriquement depuis le poste de conduite ; en revanche les trois autres types (grand angle, accostage, antéviseur) ne peuvent se régler qu'à la main, et se trouvent hors d'atteinte du poste de conduite, excepté le rétroviseur grand angle de gauche. Un réglage nécessite par conséquent deux personnes, l'une au poste de conduite pour vérifier le champ de vision et l'autre à l'extérieur du véhicule pour les orienter. Compte tenu de la hauteur de ces rétroviseurs et antéviseur (supérieure à 2,25 m), cette dernière personne doit utiliser un escabeau ou un dispositif similaire lui permettant d'accéder aux équipements. Le bon réglage de l'orientation des rétroviseurs et antéviseur dépend directement de la stature du conducteur. En effet, la position optimale de conduite du poids lourd consiste à placer l'assise à l'horizontale et à régler sa hauteur de façon à ce que les talons reposent au sol lorsque la partie inférieure des jambes est verticale, les genoux formant ainsi un angle de 90°. Un conducteur plus grand aura donc les yeux placés plus haut.
Figure 18 : Vues des rétroviseurs extérieurs du PL Photos et légende BEA-TT
Le poids lourd est également équipé d'une caméra permettant d'avoir un visuel continu sur l'arrière, et d'un chronotachygraphe dont les données ont pu être analysées par les enquêteurs judiciaires.
3 L'article R312-10 du Code de la route limite dans le cas général la largeur des véhicules à 2,55 m, mais porte cette valeur à 2,60 m « pour les superstructures à parois épaisses conçues pour le transport de marchandises sous température dirigée ». 20
3.4.2 - La réglementation relative aux systèmes de vision indirecte
Le règlement n° 464 publié par la Commission Économique pour l'Europe de l'Organisation des Nations Unies (CEE-ONU) rend obligatoire l'équipement des véhicules par des systèmes de vision indirecte ayant pour fonction d'offrir une vision nette vers l'arrière, le côté ou l'avant du véhicule dans des zones spécifiées. Ces systèmes peuvent être des rétroviseurs et antéviseurs classiques ou des systèmes à caméra et moniteur. Le règlement définit plusieurs classes de systèmes de vision indirecte associées chacune à des zones différentes. Pour un véhicule de catégorie internationale N3, catégorie à laquelle appartient le poids lourd impliqué dans l'accident, les systèmes suivants sont obligatoires :
Deux systèmes dits « principaux » de vision vers l'arrière (classe II), un du côté conducteur et un du côté passager ; le champ de vision minimal au sol (sur une surface plane) de ces systèmes est représenté en figure 19 ; Deux systèmes de vision dits « grand angle » (classe IV), un du côté conducteur et un du côté passager ; le champ de vision minimal au sol (sur une surface plane) de ces systèmes est représenté en figure 20 ; Un système de vision à proximité (classe V) du côté passager (rétroviseur extérieur dit « d'accostage ») ; un système supplémentaire du côté conducteur est facultatif ; le champ de vision minimal au sol (sur une surface plane) de ce système est représenté en figure 21 ; Un système de vision vers l'avant (classe VI, dit « antéviseur ») ; le champ de vision minimal au sol (sur une surface plane) de ce système est représenté en figure 22.
Les rétroviseurs et antéviseurs de classes V et VI doivent être installés à une hauteur minimale de 2 m du sol.
Figure 19 : Champ de vision minimal au sol des systèmes de vision principaux (classe II) Source règlement CEE-ONU n° 46
4 « Prescriptions uniformes relatives à l'homologation des systèmes de vision indirecte et des véhicules à moteur en ce qui concerne le montage de ces systèmes ». 21
Figure 20 : Champ de vision minimal au sol des systèmes de vision « grand angle » (classe IV) Source règlement CEE-ONU n° 46
Figure 21 : Champ de vision minimal au sol du système de vision à proximité (classe V, dit « d'accostage ») ; sur le schéma du haut, le champ de vision est limité à l'avant du véhicule dans le cas où celui-ci est situé à moins de 1 m des points oculaires du conducteur ; l'extension représentée sur le schéma du bas n'est obligatoire que si le rétroviseur est placé à au moins 2,40 m du sol Source règlement CEE-ONU n° 46
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Figure 22 : Champ de vision minimal au sol du système de vision vers l'avant (classe VI ou « antéviseur ») Source règlement CEE-ONU n° 46
La figure 23 représente la superposition de ces différents champs de vision minimaux au sol. Leur respect permet de couvrir l'ensemble de la surface du sol du côté passager lorsque l'avant du véhicule est situé à moins d'un mètre des yeux du conducteur, ou lorsque le rétroviseur d'accostage est situé à au moins 2,40 m du sol (compte tenu, dans ce dernier cas, du champ de vision étendu obligatoire représenté sur le schéma du bas de la figure 21, et coloré en bleu sur la figure 23). En revanche, pour les véhicules dont l'avant est situé à plus d'un mètre des yeux du conducteur et dont le rétroviseur d'accostage est situé à moins de 2,40 m du sol, le champ de vision étendu (zone colorée en bleu sur la figure 23) n'étant pas obligatoire, le seul respect des exigences réglementaires peut laisser subsister un angle mort à l'avant droit de la cabine.
Figure 23 : Superposition des champs de vision minimaux au sol des systèmes de vision indirecte Schéma BEA-TT
Sur le PL impliqué dans l'accident, la hauteur du rétroviseur d'accostage mesurée par les enquêteurs du BEA-TT est de 2,38 m, le champ de vision étendu ne serait donc pas imposé par le règlement n° 46. La distance horizontale entre la position des yeux du conducteur et l'avant de la cabine n'a pas été mesurée avec précision ; on peut estimer, au vu des éléments disponibles, qu'elle est de l'ordre de 1,20 m.
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3.4.3 - L'analyse du chronotachygraphe
L'analyse par les enquêteurs judiciaires des données du chronotachygraphe du PL n'a pas mis en évidence d'infraction quant au respect des temps de conduite et de repos. Le chronotachygraphe enregistre également la vitesse du PL chaque seconde, avec une résolution de 1 km/h. La figure 24 présente l'évolution de cette vitesse dans la minute ayant précédé l'arrêt du PL consécutif à l'accident. Elle montre un arrêt unique d'une durée de 27 secondes à proximité du feu tricolore et des bornes rétractables, précédé d'un trajet d'approche à vitesse réduite. Au redémarrage, le poids lourd a accéléré jusqu'à 3 km/h, a maintenu sa vitesse pendant une dizaine de secondes puis a accéléré jusqu'à 9 km/h avant de s'arrêter définitivement. Le PL a parcouru de l'ordre de dix mètres entre sa position d'arrêt et le moment où il a entamé sa dernière accélération. Si l'on prend pour hypothèse qu'il s'était arrêté au droit de son feu tricolore, cette accélération a débuté lorsque son essieu arrière a passé l'angle du trottoir situé sur son côté droit.
Figure 24 : Evolution de la vitesse du PL dans la minute ayant précédé son arrêt consécutif à l'accident Schéma BEA-TT d'après les données du chronotachygraphe du PL extraites par la Police nationale
3.4.4 - Les résultats de l'expertise judiciaire du véhicule
Un expert automobile a été missionné dans le cadre de l'enquête judiciaire afin de préciser les circonstances et les causes possibles de la collision. S'agissant de l'état général du poids lourd, l'expert rapporte n'avoir relevé aucun dommage ni aucune anomalie particulière pouvant avoir un rapport avec l'accident. Les pneumatiques ne montrent aucune usure irrégulière sur leur bande de roulement et le système de freinage est en état. Après contrôle statique, tous les éléments de sécurité active montrent une usure normale. S'agissant des rétroviseurs et antéviseur, l'expert observe que le véhicule est doté de l'ensemble des équipements requis par la réglementation, et estime que ceux-ci « sont en bon état et réglés correctement ». L'expert a précisé oralement aux enquêteurs du BEA-TT comment il avait opéré cette vérification. Le contrôle a été effectué dans les jours ayant suivi l'accident, alors que le véhicule était encore immobilisé pour les fins de l'enquête judiciaire. L'expert s'est assis
24
au poste de conduite et a demandé à un participant de circuler tout autour du camion ; il a pu visualiser correctement ce participant dans les rétroviseurs et antéviseur quelle que soit sa position. Interrogé sur sa propre taille, l'expert a indiqué une valeur proche de celle du conducteur impliqué dans l'accident, ce qui conforte sa conclusion quant au réglage correct des rétroviseurs. En conclusion de son rapport, l'expert estime que le conducteur était en capacité de voir la victime avant la collision, et n'identifie comme seule cause possible de l'accident qu'un facteur humain.
Figure 25 : Vue des rétroviseurs du côté droit depuis le poste de conduite Photo et légende expert judiciaire
3.5 -
L'analyse des enregistrements de la vidéo-surveillance
La commune de Clichy est dotée de 45 caméras installées sur la voie publique, dont les images sont centralisées au Centre de supervision urbaine de la police municipale. Les enquêteurs du BEA-TT ont pu accéder aux enregistrements versés au dossier d'enquête judiciaire, en particulier aux images d'une caméra située à l'angle du Boulevard JeanJaurès et de la rue Villeneuve, du côté du parc de la mairie. Cette caméra filme à une fréquence de 25 images par seconde, en déplaçant son orientation selon une séquence préprogrammée de 9 positions, sur un cycle de 1 minute et 10 secondes. Elle est notamment dirigée pendant 7 s vers l'arrêt d'autobus situé sur le boulevard Jean-Jaurès, tourne ensuite en 4 s vers la place du Marché et reste dans cette direction pendant 4 s avant de tourner à nouveau vers la droite. Du fait de ce cycle, la caméra n'était pas orientée en direction du passage piéton concerné à l'instant précis de l'accident. Les enregistrements apportent néanmoins des éléments utiles à la compréhension des circonstances ayant précédé l'accident. L'enregistrement disponible débute à 9 h 10 min 0 s. La première image en direction de la place du Marché, à 9 h 10 min 39 s, montre le poids lourd en stationnement devant son lieu de livraison. La dernière image le montrant à cet emplacement est horodatée à 9 h 21 min 12 s. À 9 h 22 min 04,6 s, la caméra orientée vers l'aval du boulevard Jean-Jaurès montre le passage au rouge du feu tricolore qui régule l'intersection avec la rue Charles et René Auffray. C'est donc également le cas, en amont, du feu régulant l'intersection avec la rue de Neuilly, puisque les cycles de ces deux feux sont identiques et simultanés (cf. partie 2.2.5).
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À 9 h 22 min 09 s, la caméra tournant vers la droite montre un autobus stationné à son arrêt ainsi que, sur le trottoir, la piétonne impliquée dans l'accident à venir, qui s'éloigne de l'arrêt en direction de la rue de Neuilly.
À 9 h 22 min 16,7 s, la caméra tournant vers la droite permet de visualiser le feu piétons de la traversée du boulevard ; ce feu est au vert. La piétonne continue à cheminer sur le trottoir. Elle se déplace lentement et s'aide d'une canne.
À 9 h 22 min 17,8 s, la caméra tournant vers la droite montre le PL, apparemment à l'arrêt, en sortie de la rue de Neuilly, légèrement à l'aplomb des bornes baissées.
À 9 h 22 min 18,8 s, le PL semble démarrer ; la piétonne est encore à 3 à 4 m du passage piéton ; d'autres piétons traversent en sens inverse du PL.
À 9 h 22 min 23,0 s, le PL avance lentement ; il a actionné son clignotant ; la piétonne est à environ 1 m du bord de la chaussée ; deux piétons ont terminé leur traversée en sens inverse du PL, deux autres s'engagent dans le même sens que le PL. La caméra va ensuite tourner vers la droite. Le feu piétons, la piétonne puis le poids lourd sortiront successivement de son champ de vision.
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La dernière image montrant le feu piétons est horodatée à 9 h 22 min 24,0 s ; le feu est toujours au vert ; la piétonne n'a pas encore entamé sa traversée et l'avant du PL se trouve au bord de la chaussée du boulevard.
La caméra tourne ensuite vers la droite ce qui permet, quelques instants plus tard, de visualiser le feu piétons associé à la traversée du boulevard Jean-Jaurès située en amont de la rue de Neuilly, dont le cycle est simultané à celui de la traversée qui nous intéresse (cf. partie 2.2.5). Ce feu est encore au vert et le reste jusqu'à 9 h 22 min 25,5 s. La première image montrant ce feu au rouge est horodatée à 9 h 22 min 25,6 s. La caméra ne revient en direction de l'aval du boulevard qu'à 9 h 23 min 04 s. Elle montre alors le camion arrêté en travers de la chaussée, la portière du conducteur ouverte : l'accident a déjà eu lieu. Ces images appellent les commentaires suivants :
Il s'est passé 21 secondes entre le passage au rouge du feu tricolore du boulevard Jean-Jaurès (à 9 h 22 min 04,6 s) et le passage au rouge du feu piétons de la traversée parallèle à la rue de Neuilly (à 9 h 22 min 25,6 s). Ceci est conforme au cycle théorique des feux en heure de pointe (jusqu'à 9 h 30) décrit en partie 2.2.5. La piétonne impliquée dans l'accident a débuté sa traversée sur le côté du passage piéton opposé à la direction d'arrivée du PL. Elle s'est engagée sur la chaussée en toute fin de la période de vert du feu piétons régulant le passage. Le PL s'est engagé sur le boulevard à peu près simultanément, après avoir laissé traverser plusieurs piétons dans les deux sens. Dans les instants qui ont précédé, la vue directe entre le conducteur et la piétonne, de petite taille, a pu être masquée par les autres piétons (voir par exemple ci-dessus à 9 h 22 min 23,0 s). Sur la base des images de sa progression sur le trottoir, les enquêteurs du BEA-TT estiment que la vitesse de déplacement de la piétonne impliquée est de l'ordre de 0,7 à 0,8 m/s (2,5 à 2,9 km/h). Les autres piétons se déplacent beaucoup plus rapidement, à environ 1,4 m/s (5 km/h).
Une autre caméra de vidéosurveillance est située à l'intersection entre la rue de Neuilly et la rue de Paris (entrée de la rue de Neuilly dans le sens de circulation autorisé). Cette caméra est trop éloignée du carrefour où a eu lieu l'accident pour apporter des éléments sur son déroulement. Elle permet toutefois d'observer que le matin de l'accident, l'entrée de la rue de Neuilly était fermée par des barrières « Vauban » (figure 26).
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Figure 26 : Vue de l'entrée de la rue de Neuilly depuis la rue de Paris, le matin de l'accident Enregistrement d'une caméra de vidéo-surveillance
3.6 -
Observations sur site
Les enquêteurs du BEA-TT ont visité le carrefour et son environnement quelques semaines après l'accident. Ils ont notamment relevé que les barrières « Vauban » étaient toujours en place à l'entrée de la rue de Neuilly depuis la rue de Paris (cf. figure 8 en partie 2.2.3), et que toutes les entrées sur la rue de Neuilly se faisaient par l'extrémité côté boulevard Jean-Jaurès, théoriquement en sens interdit (figure 27). Les sorties par la même extrémité se faisaient en marche avant, après un demi-tour sur la place du Marché. Un cas de sortie en marche arrière, guidée par un assistant extérieur, a également été observé. Interrogée sur la durée et le motif de la fermeture de l'accès depuis la rue de Paris, la Ville de Clichy n'a pas apporté d'élément de réponse.
Figure 27 : Entrée d'un PL sur la rue de Neuilly depuis le boulevard Jean-Jaurès Photo BEA-TT
Par ailleurs la configuration de l'intersection apparaît très contraignante pour les poids lourds tournant à droite depuis la rue de Neuilly :
la rue de Neuilly n'est pas strictement perpendiculaire au boulevard, l'angle intérieur de la trajectoire imposée est de l'ordre de 80 °, un peu plus contraignant pour la giration qu'un angle droit ; le trottoir du côté droit de la rue de Neuilly ne comporte aucun arrondi facilitant la giration des véhicules (figure 28) ; le passage piéton situé du côté droit de la rue de Neuilly s'étend sur la zone centrale du carrefour, au-delà du prolongement du trottoir de la rue de Neuilly (figure 28).
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L'état particulièrement dégradé des bandes d'éveil de vigilance5 (BEV) posées dans l'angle intérieur de la trajectoire de giration témoigne du passage fréquent de poids lourds sur l'extrémité des trottoirs (figure 29). Les prises de vues disponibles sur internet montrent que ces bandes d'éveil ont été posées fin 2017 ou début 2018, et qu'elles étaient déjà en partie détériorées en avril 2018.
Figure 28 : Vue du carrefour depuis la rue de Neuilly Photo et légende BEA-TT
Figure 29 : BEV dégradées à l'angle entre la rue de Neuilly et le boulevard Jean-Jaurès Photo et légende BEA-TT
L'absence d'arrondi de trottoir impose à un véhicule long provenant de la rue de Neuilly, sauf à rouler sur l'extrémité des trottoirs et sur les BEV, de s'engager en ligne droite sur la zone centrale du carrefour, parallèlement au passage piéton, jusqu'à ce que son essieu arrière ait franchi la limite de la chaussée du boulevard Jean-Jaurès, et de ne commencer réellement à tourner qu'à ce stade. Ainsi, lorsqu'il s'engage sur l'espace du passage piéton, le poids lourd est encore orienté presque parallèlement à la trajectoire des piétons, ce qui ne permet pas une vision directe par le conducteur des personnes s'engageant sur la traversée dans le même sens que le véhicule. La figure 30 présente à titre d'illustration deux PL observés par les enquêteurs du BEA-TT, étant précisé que leur entraxe (distance entre les deux essieux) est plus faible que celui du PL impliqué dans l'accident ; ce dernier devait par conséquent s'avancer encore plus que les PL observés, avant de pouvoir commencer à tourner.
5 Une bande d'éveil de vigilance (BEV) est un dispositif au sol destiné à éveiller l'attention des personnes aveugles et malvoyantes à l'approche d'une zone de danger. L'implantation de BEV est obligatoire au droit des traversées piétons et le long des quais de transports guidés (arrêté du 15 janvier 2007 relatif aux prescriptions techniques pour l'accessibilité de la voirie et des espaces publics). 29
Figure 30 : Deux vues de poids lourds tournant à droite depuis la rue de Neuilly Photos BEA-TT
3.7 -
La visibilité depuis le poste de conduite du PL
3.7.1 - La vision directe depuis le poste de conduite
La figure 31 représente en élévation, à l'échelle, le champ de vision directe dont dispose le conducteur du camion par la fenêtre de droite, pour une position des yeux (y compris le bon réglage du siège) correspondant à la taille du conducteur impliqué dans l'accident, ainsi que le champ de vision du conducteur par le rétroviseur d'accostage correspondant à l'exigence minimale réglementaire présentée plus haut. La silhouette correspond à une personne de hauteur 1,50 m, taille approximative de la victime de l'accident objet de la présente enquête.
Figure 31 : Champ de vision du côté droit de la cabine du PL Silhouette de la cabine source Renault Trucks, schéma BEA-TT
La largeur réglementairement couverte par le champ de vision du rétroviseur d'accostage est de 2 m au sol, mais pour une personne proche de cette limite seuls ses pieds et la partie inférieure de ses jambes y seront visibles du conducteur, ce qui sera insuffisant pour une détection rapide. Ainsi, une personne ne sera rapidement détectable au moyen du rétroviseur d'accostage que si elle se trouve à une distance de la cabine ne dépassant pas 1,50 m. Une personne plus éloignée de la cabine pourrait être détectée en vision directe par la fenêtre de droite. Un point situé à une hauteur de 1,50 m est théoriquement visible par le conducteur s'il est situé au-delà d'une distance de l'ordre de 2 m de la cabine. Cependant là encore, apercevoir le sommet de la tête d'un piéton ne suffit pas pour permettre au
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conducteur de détecter rapidement sa présence, il doit en voir une part plus conséquente. Si l'on s'impose de voir la totalité de la tête du piéton, ceci implique pour un adulte de petite taille que le conducteur puisse voir à une hauteur approximative de 1,30 m ; le piéton doit alors être situé à plus de 3 m environ de la cabine. Ainsi, une personne de petite taille située dans la zone intermédiaire, entre 1,50 m et 3 m de la cabine du PL, sera très difficilement détectable par le conducteur dans une situation évolutive où à la fois le véhicule et le piéton sont en mouvement. Par ailleurs, la fenêtre de la cabine du PL n'est pas de forme rectangulaire : son bord inférieur est horizontal dans sa partie avant, mais il est oblique en partie arrière, sur environ le tiers de sa longueur (figure 32). Il en résulte que le champ de vision directe représenté en figure 31 ne correspond qu'à la partie avant de la fenêtre de droite.
La figure 33 schématise en vue en plan, également à l'échelle, le champ de vision directe dont dispose le conducteur du camion par la fenêtre de droite. L'effet de masque causé par le rétroviseur principal et le rétroviseur grand angle n'est pas pris en compte. La surface en couleur foncée est la zone dans laquelle le conducteur peut voir un objet situé à 1,30 m au-dessus du sol, la surface en couleur claire correspond à un objet situé à 1,50 m au-dessus du sol.
Figure 32 : Vue du côté droit de la cabine du PL Photo et légende BEA-TT
Figure 33 : Vue en plan des zones visibles en vue directe à des hauteurs de 1,30 m et 1,50 m au-dessus du sol, du côté droit de la cabine du PL Silhouette de la cabine source Renault Trucks, schéma BEA-TT
Par la partie arrière de la fenêtre, du fait de son bord inférieur oblique, la distance minimale de visibilité peut s'élever jusqu'à environ 5 m pour un objet situé à 1,50 m au-dessus du sol, et jusqu'à 6,80 m pour une hauteur de 1,30 m. Le champ de vision à proximité de la cabine est donc très réduit dans une direction proche de la perpendiculaire à la cabine.
31
3.7.2 - Observations sur le PL impliqué
Les enquêteurs du BEA-TT ont pu examiner le PL impliqué dans l'accident, sur le site du dépôt de l'entreprise de transports propriétaire. Les constats utiles ont été présentés en partie 3.4.1. Ils ont pu également, avec l'assistance d'un conducteur de l'entreprise, simuler les déplacements du PL et de la piétonne afin d'estimer les conditions de visibilité réciproque. Pour ce faire, après avoir matérialisé à l'aide de cocottes la position et l'orientation de départ du PL, ainsi que sa position et son orientation finales relevées après l'accident, il a été demandé au conducteur de suivre la trajectoire qu'il estimait la plus appropriée pour amener son véhicule dans cette position finale sans empiéter sur la cocotte symbolisant l'angle du trottoir. La trajectoire de la piétonne a été matérialisée en faisant l'hypothèse qu'elle suivait le bord le plus éloigné du passage piéton. Les rétroviseurs du camion étaient réglés pour la taille du conducteur d'essai, celui-ci étant le conducteur habituel du PL au moment de la simulation. La simulation a permis de constater :
que les trajectoires du PL et de la piétonne se croisent avec un angle très aigu (figure 34) ; de ce fait le conducteur du PL n'a pas, dans les instants précédant la collision, de vue directe (par la fenêtre droite) sur la piétonne ; qu'une personne située le long du véhicule, au Figure 34 : Simulation des circonstances de l'accident : orientation du PL et niveau de la roue avant droite, est visible par le direction de déplacement de la piétonne conducteur dans les trois rétroviseurs du côté au moment de la collision droit (principal, grand angle et accostage, Photo et légende BEA-TT cf. figure 35, la photo ayant été prise par le conducteur d'essai à la hauteur normale de ses yeux) ; précisons cependant que la personne figurant sur cette photo mesure environ 25 cm de plus que la piétonne impliquée dans l'accident, et que celle-ci n'aurait donc probablement pas été visible dans le rétroviseur principal (celui du bas).
La figure 35 montre également que les rétroviseurs extérieurs réduisent de près d'un quart le champ de vision directe du conducteur par la fenêtre de droite. Les observations issues de cette simulation ont contribué à mieux cerner le déroulement de l'accident tel que présenté ci-après en partie 4.
Figure 35 : Simulation des circonstances de l'accident : Vue des rétroviseurs, un piéton étant placé à côté de la roue avant droite Photo et légende BEA-TT
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4 - Analyse du déroulement de l'accident et des secours
4.1 La situation avant l'accident
Le mardi 4 mai 2021 au matin, le temps est couvert. Le conducteur du camion frigorifique a commencé son service à 4 h 45 au dépôt de son entreprise de transports, situé à Saint-Ouen-l'Aumône (Val-d'Oise). Après avoir chargé son véhicule, il a entamé sa tournée de livraison qui devait, sur la matinée, comporter six magasins. Vers 9 h 00, il dessert sa quatrième destination située place du Marché à Clichy, dont il repart vers 9 h 20 par la rue de Neuilly jusqu'au carrefour avec le boulevard Jean-Jaurès, où il demande l'abaissement des bornes rétractables. La piétonne, âgée de 90 ans, a emprunté un autobus dont elle est descendue à l'arrêt situé face au parc de la Mairie, pour se rendre rue Villeneuve. Se déplaçant assez lentement et s'aidant d'une canne, elle remonte le trottoir du boulevard Jean-Jaurès en direction du carrefour avec la rue de Neuilly.
4.2 -
Démarche suivie pour reconstituer la séquence de l'accident
L'enregistrement de la caméra de vidéo-surveillance permet de visualiser en continu les positions du PL, de la victime et des autres piétons pour le début de la séquence, jusqu'au moment où la piétonne et le poids lourd s'engagent sur la chaussée du boulevard. La suite de la séquence a été reconstituée par les enquêteurs du BEA-TT comme suit :
la position finale du PL et l'angle de ses roues sont connus d'après les relevés des enquêteurs judiciaires sur la scène de l'accident ; une première hypothèse relative à la trajectoire de giration du PL est établie sur la base des observations de la trajectoire de giration d'autres camions sur le même carrefour, ainsi que des simulations réalisées avec le PL impliqué dans l'accident ; en supposant que le PL était initialement arrêté au droit du feu tricolore de la rue de Neuilly, cette hypothèse de trajectoire est ensuite ajustée à partir de la distance totale parcourue par le PL entre son démarrage du feu tricolore et sa position d'arrêt, cette distance étant extraite des données du chronotachygraphe ; la progression du PL sur cette trajectoire est déterminée à partir de sa vitesse seconde par seconde enregistrée par le chronotachygraphe ; les images de vidéo-surveillance disponibles permettent d'estimer les vitesses de déplacement de la victime et des autres piétons, qui sont ensuite utilisées comme hypothèses pour reconstituer leur progression dans la suite de la séquence ; les hypothèses retenues sont une vitesse de 0,8 m/s (2,9 km/h) pour la victime et de 1,5 ou 1,2 m/s (5,5 et 4,3 km/h) pour les autres piétons ; on suppose également que la victime traverse la chaussée perpendiculairement et en ligne droite ; l'intersection des trajectoires supposées du PL et de la piétonne constitue l'emplacement supposé de la collision ; on vérifie que les progressions seconde par seconde du véhicule et de la victime correspondent bien à une arrivée simultanée à cet emplacement, et que celui-ci est cohérent avec la position finale de la victime, projetée au sol par le camion.
Il convient de garder à l'esprit les limites associées aux données exploitées ainsi qu'aux hypothèses adoptées. Les vitesses enregistrées par le chronotachygraphe sont arrondies au km/h (alors que sa valeur au début de la séquence de l'accident oscille entre 2 et 3 km/h), et les dimensions relevées sur le site le sont à la précision du décimètre. Les
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hypothèses adoptées quant à l'emplacement du démarrage du PL, la courbure de sa trajectoire, la trajectoire de la victime et sa vitesse de déplacement sont considérées par les enquêteurs du BEA-TT comme les plus plausibles, mais ne sauraient être regardées comme rigoureusement exactes. Il en résulte que la reconstitution de la séquence de l'accident ne peut être considérée comme d'une exactitude absolue et que les positions réelles de la victime et du camion peuvent s'écarter de plusieurs dizaines de centimètres, dans le sens longitudinal ou transversal, des positions représentées ci-après. Une représentation de la séquence a également été construite en trois dimensions, d'une part depuis plusieurs points de vue extérieurs, d'autre part depuis la position du conducteur du PL. Cette représentation a nécessité la saisie de nouvelles données relatives à la géométrie de la cabine du camion et de nouvelles hypothèses quant à la position des yeux du conducteur, ces éléments étant eux aussi nécessairement associés à certaines imprécisions. En conséquence les conclusions de la reconstitution quant à la possibilité pour le conducteur de détecter ou non la présence de la victime au fur et à mesure du déroulement de la séquence ne doivent pas être considérées comme des affirmations catégoriques mais plutôt comme des indications qualitatives permettant d'apprécier une plus ou moins grande probabilité, en particulier lorsque la victime se trouve en limite du champ de vision supposé du conducteur.
4.3 -
Reconstitution de la séquence de l'accident
La description de la séquence est accompagnée de schémas comportant, pour un instant donné, trois vues juxtaposées :
Une vue en plan, en haut à gauche. La piétonne impliquée dans l'accident est représentée en vert et les autres piétons sont représentés en violet. Les flèches indiquent la direction de leur déplacement. Une vue extérieure en trois dimensions, en bas à gauche. Le point de vue retenu varie au fur et à mesure du déroulement de la séquence. Tous les piétons sont représentés à leur taille réelle, qui a été estimée d'après la vidéo-surveillance pour les piétons autres que la victime. Le cône bleu translucide représente le champ de vision directe du conducteur par sa fenêtre de droite ; l'effet de masque créé par les rétroviseurs extérieurs n'est pas pris en compte dans le tracé de ce cône. Une vue depuis la position des yeux du conducteur du PL, à droite. Le rétroviseur d'accostage n'est pas représenté, ni les éléments reflétés par les rétroviseurs principal et grand angle. Il s'agit uniquement ici de montrer les éléments directement visibles du conducteur par la fenêtre de droite ou le pare-brise. La zone gris foncé en partie supérieure de l'image correspond à la limite de l'espace modélisé, au-delà duquel la configuration du site n'a pas été décrite.
Les vues sont repérées dans le temps par rapport à l'instant où le PL a démarré de son feu tricolore, noté T. La représentation graphique débute à T + 4 secondes et les suivantes sont espacées chacune de 2 secondes. Après avoir démarré le camion s'avance lentement, à environ 3 km/h (figure 36, T + 4 s). La piétonne avance, à une vitesse similaire, en direction du passage piéton. D'autres piétons, progressant plus rapidement, s'approchent de la traversée en direction du parc de la Mairie ou terminent leur traversée dans l'autre sens. Plusieurs d'entre eux, dont la piétonne impliquée, sont en partie visibles par la fenêtre de droite.
34
Figure 36 : Situation à T + 4 secondes
Vers T + 6 s (figure 37), le PL atteint le bord de la chaussée du boulevard. La piétonne, s'étant rapprochée du camion, a disparu du champ de vision directe du conducteur. Les deux autres piétons traversant en direction de la mairie lui sont visibles par la fenêtre de droite ou le pare-brise, de part et d'autre du montant avant droit de la cabine.
Figure 37 : Situation à T + 6 secondes
La piétonne s'engage sur la traversée du boulevard vers T + 7 s, à la toute fin de la phase de vert du feu piétons. Le camion ayant très légèrement ralenti (à 2 km/h selon les enregistrements, arrondis à l'unité), elle entre petit à petit à nouveau dans le champ de vision directe du conducteur (figure 38, T + 8 s). Les autres piétons ont effectué le tiers de la traversée et sont visibles par le pare-brise.
Figure 38 : Situation à T + 8 secondes
35
La vitesse du PL repasse (selon les enregistrements) à 3 km/h entre T + 9 s et T + 10 s. La piétonne est toujours en limite de son champ de vision directe (figure 39, T + 10 s). Les autres piétons ont dépassé le milieu de la chaussée, le conducteur peut toujours suivre facilement leur progression par le pare-brise (au-delà du bord gauche de la vue intérieure présentée ici).
Figure 39 : Situation à T + 10 secondes
Le PL et la piétonne avancent toujours à des vitesses similaires, chacun en ligne droite dans des directions légèrement divergentes (figure 40, T + 12 s). De ce fait la position relative de la piétonne par rapport au camion évolue lentement vers l'arrière du véhicule, et passe dans la zone masquée par la partie oblique du bord inférieur de la fenêtre. L'attention du conducteur reste probablement focalisée sur les autres piétons, qui ont presque terminé leur traversée.
Figure 40 : Situation à T + 12 secondes
Le conducteur commence à tourner son volant, en maintenant sa vitesse à 3 km/h. Ce début de giration fait entrer à nouveau la piétonne dans le champ de vision directe du conducteur, mais comme précédemment elle n'est que très faiblement détectable (figure 41, T + 14 s). Les autres piétons ont atteint le trottoir opposé. La distance entre le PL et la piétonne est de l'ordre de 3,50 m. À partir de la figure 41, la vue extérieure en trois dimensions comporte une visualisation du champ de vision théoriquement offert au conducteur par le rétroviseur d'accostage du PL, tel que défini par le règlement R46 de la CEE-ONU (voir partie 3.4.2) ; il ne s'agit pas de la zone réellement couverte au moment de l'accident par le rétroviseur du PL impliqué, étant donné que cette zone dépend du réglage du dispositif, qui n'a pas été relevé avec précision. Par ailleurs sur cette vue l'angle des roues directrices du poids lourd n'est pas représenté.
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Figure 41 : Situation à T + 14 secondes
Les représentations qui suivent sont espacées chacune d'une demi-seconde afin de mieux décrire la dynamique dans les instants précédant la collision. À partir de T + 14 s le conducteur commence à accélérer, sa vitesse passera de 3 km/h à 9 km/h en trois secondes. Son essieu arrière ayant presque atteint l'angle du trottoir, il braque encore plus son volant et commence à s'engager sur le passage piéton (figure 42, T + 14,5 s). Le PL se rapproche de la piétonne et celle-ci disparaît à cet instant du cône de vision directe du conducteur (seule l'extrémité de sa tête, indiquée par la flèche jaune, est encore visible sur la vue intérieure de la figure 42). La distance entre le véhicule et la piétonne est de l'ordre de 3 m, au-delà de la zone réglementaire de 2 mètres de largeur au sol couverte par le rétroviseur d'accostage. La piétonne se trouve dans un angle mort.
Figure 42 : Situation à T + 14,5 secondes
Dans les figures suivantes la vue représentée en grand format est la vue extérieure en 3 dimensions afin de mieux visualiser la couverture du rétroviseur d'accostage. Le PL se rapproche de la piétonne en continuant à tourner, sa vitesse est de 5 km/h à T + 15 s (figure 43). La piétonne n'est plus visible par la fenêtre ou le pare-brise, et ne le sera plus jusqu'à la collision. Elle n'apparaît pas encore dans le rétroviseur d'accostage.
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Figure 43 : Situation à T + 15 secondes
À T + 15,5 s (figure 44) la zone au sol réglementairement visible par le rétroviseur d'accostage couvre la position de la piétonne, mais seul le bas de ses jambes y est visible. La cabine du PL est à un peu plus d'un mètre de la victime.
Figure 44 : Situation à T + 15,5 secondes
La collision survient à T + 16 s (figure 45). L'avant droit du camion percute la piétonne à environ 7 km/h et la projette au sol. À cet instant, les trajectoires du PL et de la piétonne forment un angle très fermé, de l'ordre de 20 degrés, et la moitié inférieure de son corps est normalement visible par le rétroviseur d'accostage.
Figure 45 : Situation à T + 16 secondes (collision)
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Un témoin de la scène, placé sur le trottoir devant le parc de la Mairie, tente d'alerter le chauffeur du PL mais celui-ci ne l'entend pas. Le camion continue à accélérer jusqu'à 9 km/h, et sa roue avant droite roule sur la victime qui est tuée sur le coup. Ce n'est qu'ensuite que le conducteur remarque les avertissements du témoin et s'arrête 7 à 8 mètres après l'emplacement du premier choc (la position d'arrêt est représentée sur la figure 16, en partie 3.1). Les secours, appelés immédiatement par d'autres témoins, ne peuvent à leur arrivée que constater le décès de la victime.
4.4 -
Commentaires sur la visibilité de la victime par le conducteur
La figure 46 synthétise la séquence de l'accident en affichant les actions du conducteur du PL et les périodes pendant lesquelles, selon les résultats de notre modélisation, la présence de la piétonne aurait été visible par la fenêtre de droite.
Figure 46 : Synthèse de la séquence de l'accident
Cependant au tout début de cette séquence la piétonne est mêlée à d'autres piétons et se trouve encore éloignée du bord de la chaussée, ce qui n'attire pas particulièrement l'attention sur sa personne. Pendant les deux périodes suivantes, approximativement de T + 7,5 s à T + 14,5 s, les vues issues de la modélisation montrent qu'une partie seulement de sa tête aurait été visible du conducteur, en limite de la zone visible par l'ouverture de la fenêtre. Compte tenu des imprécisions associées à la reconstitution, exposées plus haut en partie 4.2, ces résultats ne permettent pas d'assurer que la victime était effectivement visible sur cette période : on comprendra aisément, au vu des illustrations de la séquence, que rapprocher la trajectoire de la piétonne de celle du PL d'une cinquantaine de centimètres suffit à faire passer intégralement la victime dans la zone d'angle mort. En outre, quand bien même la visibilité d'une partie de la tête de la piétonne sur une longue période serait avérée, il est très probable qu'une si faible partie visible ne confère pas à un individu une saillance6 visuelle suffisante pour permettre une détection rapide dans le contexte dynamique d'une manoeuvre où l'attention du conducteur doit se porter successivement dans des directions différentes y compris, lorsqu'il tourne, sur ses rétroviseurs du côté gauche pour vérifier l'espace balayé par son porte-à-faux arrière. La figure 47 visualise les différentes positions et orientations de la piétonne par rapport à la cabine du camion sur les quatre dernières secondes de la séquence de l'accident. Elle met bien en évidence la rapidité avec laquelle le PL se rapproche de la piétonne lors des deux dernières secondes.
6 La saillance d'une entité dans une scène visuelle, appelée également conspicuité, peut être définie comme son émergence par rapport aux autres entités composant la scène, sa facilité à être distinguée de celles-ci. Les critères caractérisant la saillance d'un objet sont multiples, ils relèvent non seulement de l'objet luimême et de son environnement (taille, couleur, luminance, contraste, etc.) mais aussi de l'observateur (processus de perception, selon qu'il y ait recherche ou non, valeur sémantique de l'objet, etc.). http://perso.lcpc.fr/roland.bremond/vocabulaire/voc_saillance.html 39
Figure 47 : Déplacement relatif de la piétonne par rapport à la cabine du camion Le rectangle bleu représente la zone réglementaire au sol théoriquement visible par le rétroviseur d'accostage
La piétonne entre dans le cône de visualisation procuré par le rétroviseur d'accostage moins d'une seconde avant la collision. En l'absence d'information sur le réglage du rétroviseur le jour de l'accident, et compte tenu des imprécisions associées à la modélisation, il n'est pas possible de déterminer si la victime a pu être entièrement visible à un instant donné, comme observé dans la simulation effectuée avec le PL impliqué (figure 35 en partie 3.7.2) ou si seule la moitié inférieure de son corps a été visible comme dans notre modélisation. Dans tous les cas, la vue en surplomb apportée par le rétroviseur ne facilite pas une détection rapide, et même si le conducteur avait pu détecter la piétonne, le temps imparti avant la collision était bien trop court pour lui permettre de réagir efficacement (on admet couramment que le temps de réaction minimal d'un conducteur est de l'ordre d'une seconde). L'utilité du rétroviseur d'accostage pour détecter un objet lors d'un mouvement tournant est manifestement très réduite. S'agissant du rétroviseur « grand angle », la simulation effectuée par les enquêteurs du BEA-TT avec le PL impliqué suggère que la victime aurait pu y être visible au moment de la collision, sous réserve d'un réglage identique. L'expert judiciaire qui a examiné le PL peu après l'accident, sans que le réglage des rétroviseurs ait été modifié, a constaté qu'un participant circulant autour du camion était correctement visible dans les rétroviseurs et antéviseur. Cependant son rapport ne précise pas à quelle distance du camion circulait ce participant ni les positions couvertes par chacun des rétroviseurs. Rappelons que l'exigence fixée par le règlement n° 46 de la CEE-ONU pour ce rétroviseur correspond à une zone au sol débutant 1,50 m en arrière des points oculaires du conducteur. Ce rétroviseur n'est donc pas destiné à couvrir le côté de la cabine, mais compte tenu de son implantation et de sa hauteur il peut refléter un objet situé à mi-hauteur sur le côté de la cabine, sur une largeur de 1 à 2 m. Ces considérations amènent à une conclusion similaire à celle associée au rétroviseur d'accostage : il est probable que la victime ait été visible dans le rétroviseur « grand angle » à l'instant du choc, mais dans l'affirmative elle est entrée dans son champ de vision environ une demiseconde avant la collision, trop tardivement pour permettre une réaction efficace du conducteur s'il l'avait détectée. En conclusion, les enquêteurs du BEA-TT estiment qu'il ne leur est pas possible de déterminer avec certitude si le conducteur du PL était ou non en mesure de visualiser la présence de la piétonne dans la période ayant précédé l'engagement de son véhicule sur le passage piéton. En tout état de cause, si une telle visualisation était possible, ses conditions ne favorisaient pas une détection rapide comme requis par le contexte de la manoeuvre imposant d'effectuer de multiples contrôles. Une fois le PL franchement engagé sur le passage piéton, il est certain que la piétonne n'était alors plus visible du conducteur par la fenêtre de droite et se trouvait dans la zone communément appelée « angle mort ». Elle est probablement redevenue visible par le rétroviseur d'accostage ou le rétroviseur « grand angle » dans les tous derniers instants précédant la collision, mais trop tardivement pour permettre une réaction efficace du conducteur si celui-ci l'avait détectée immédiatement, ce qui n'a pas été le cas.
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5 - Analyse des causes et facteurs associés, orientations préventives
5.1 Le schéma des causes et des facteurs associés
Les investigations conduites permettent d'établir le schéma ci-après qui synthétise le déroulement probable de l'accident et en identifie les causes et les facteurs associés.
Figure 48 : Schéma des causes et des facteurs associés
41
La cause directe de l'accident est l'absence de perception réciproque, par le conducteur du poids lourd et par la piétonne, de la présence de l'autre protagoniste. La piétonne, dont l'audition était déficiente, n'a pas entendu le camion ; elle ne l'a pas vu non plus se rapprocher sur son arrière gauche. L'absence de perception de la piétonne par le conducteur résulte :
en première partie de la séquence, de la focalisation de son attention sur les autres piétons traversant sur le passage ; du caractère réduit du champ de vision directe offert par la fenêtre de droite du PL, par laquelle la piétonne selon le moment soit n'était pas visible, soit ne l'était que très faiblement, seule une partie de sa tête apparaissant alors en limite inférieure du cadre ; de l'existence d'une zone, à l'avant droit du véhicule, dans laquelle une personne de petite taille n'est pas visible du conducteur, ni en vue directe ni par les rétroviseurs ; de la faible largeur couverte par les rétroviseurs à l'avant droit de la cabine, de sorte que du fait du mouvement de giration la piétonne n'est devenue visible dans ces dispositifs que moins d'une seconde avant la collision, trop tardivement pour permettre une réaction efficace du conducteur si celui-ci l'avait détectée immédiatement, ce qui n'a pas été le cas.
L'absence d'arrondi de l'angle du trottoir et le débord du passage piéton sur la zone centrale du carrefour ont pu également contribuer à la collision en contraignant le PL à s'engager sur le passage piéton à partir d'une position parallèle à celui-ci, ne favorisant pas la visibilité et la prise d'informations. L'analyse des causes et du contexte de l'accident conduit le BEA-TT à rechercher des orientations préventives dans les domaines suivants :
la conception et l'équipement des poids lourds ; l'aménagement du carrefour où a eu lieu l'accident.
5.2 -
Les accidents mortels d'usagers vulnérables en agglomération
5.2.1 - Statistiques générales
En France métropolitaine, pour la période 2016-2020, une exploitation de la base de données des accidents corporels administrée par l'ONISR aboutit à un total de 1627 piétons et 418 cyclistes tués en agglomération, soit une moyenne annuelle de 325 piétons et 84 cyclistes. Parmi ceux-ci, 253 piétons (51 en moyenne par an) et 85 cyclistes (17 en moyenne par an) l'ont été suite à une collision par un poids lourd ou un véhicule de transport en commun (autobus ou autocar), soit 16 % des piétons et 20 % des cyclistes décédés en agglomération. Parmi les piétons tués en agglomération, la moitié (792) étaient âgés d'au moins 75 ans et les deux tiers (1054) avaient au moins 65 ans ; ces proportions sont similaires pour la part de ces piétons décédés suite à une collision avec un poids lourd.
5.2.2 - Les scénarios d'accidents avec angle mort impliquant un piéton ou un cycliste
L'annexe 2 présente une synthèse de plusieurs publications européennes relatives aux accidents entre un poids lourd et un usager vulnérable, piéton ou cycliste. Les sources étudiées s'accordent sur les tendances générales récapitulées ci-dessous.
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S'agissant des piétons, l'existence d'un angle mort peut être incriminée dans les accidents mortels contre un PL dans 4 à 5 cas sur 10. Les scénarios les plus courants d'accident avec angle mort impliquant un piéton sont, par ordre de fréquence décroissante :
un piéton traversant perpendiculairement à la trajectoire du PL, généralement alors que celui-ci redémarre (5 à 6 cas sur 10) ; un piéton traversant parallèlement à la trajectoire initiale du PL, celui-ci tournant à droite (ou à gauche en Angleterre ; 2 à 3 cas sur 10).
Pour les cyclistes, le scénario majoritaire comporte un camion tournant à droite (ou à gauche en Angleterre) et renversant un cycliste allant tout droit, situé sur le côté passager du PL ; ce scénario regroupe à lui seul entre la moitié et les deux tiers des accidents étudiés. Tous scénarios confondus, le point de choc le plus fréquemment cité est l'angle avant droit de la cabine (plus du tiers des accidents), et le côté droit du PL dans les trois quarts des cas.
5.3 -
La conception et l'équipement des poids lourds
5.3.1 - La vision directe et les rétroviseurs
La conduite d'un véhicule est une activité complexe qui mobilise chez le conducteur des ressources attentionnelles conséquentes. Celles-ci sont notamment très sollicitées lors de la manoeuvre d'un poids lourd dans un environnement urbain, même à basse vitesse. Le conducteur doit constamment surveiller la circulation générale et les abords de son véhicule à la fois par le pare-brise et les fenêtres latérales mais aussi par les différents rétroviseurs, au nombre de six. S'y ajoute parfois, en cas de recherche d'itinéraire, le repérage de la signalisation de direction ou la consultation d'un système de navigation. Lors de ses contrôles visuels le conducteur doit en permanence tourner les yeux voire la tête vers les différentes cibles, dont certaines périphériques, et adapter son regard à la zone ciblée (proche ou lointaine). Le délai nécessaire à la transition entre deux cibles visuelles est augmenté par l'excentricité de la cible et la nécessité de modifier la distance de focalisation de son regard. Une étude anglaise7 estime ainsi que le conducteur d'un PL a besoin d'environ 4 secondes pour extraire l'information de l'ensemble de ses six rétroviseurs. Cette étude a évalué, à partir d'expérimentations sur simulateur de conduite, le temps de réaction du conducteur à un stimulus visuel selon que ce stimulus apparaît dans son champ de vision directe ou dans un rétroviseur. Pour une cabine de camion de configuration traditionnelle, par rapport à un stimulus vu par le pare-brise, le temps de réaction est plus élevé d'environ 0,6 s pour la vision par une fenêtre et d'environ 0,8 s pour la vision par un rétroviseur. Des simulations complémentaires ont été réalisées avec une configuration de cabine dite « low entry cab », plus basse et dont les portes sont vitrées. Lorsqu'un usager vulnérable apparaît dans une zone couverte en vue directe par la cabine surbaissée mais visible uniquement par les rétroviseurs dans la cabine traditionnelle, le temps de réaction du conducteur est plus court de 0,7 s avec la première qu'avec la deuxième. Au vu de ces résultats les auteurs concluent que la priorité doit porter sur l'extension du champ de vision directe du conducteur plutôt que sur le développement de dispositifs complémentaires de vision indirecte. Ces résultats ont contribué à orienter la définition du « Direct Vision Standard » de Transport for London, présenté plus loin.
7 Voir la bibliographie détaillée en annexe 2. 43
Plus généralement, les rétroviseurs présentent de nombreux inconvénients :
Leur utilisation accroît la charge cognitive supportée par le conducteur, du fait de la nécessité d'adapter son regard et de « décrypter » l'information recueillie. Le champ de vision minimal des rétroviseurs défini par le règlement CEE-ONU n° 46 ne couvre pas intégralement les abords de la cabine : pour les véhicules dont l'avant est situé à plus d'un mètre des yeux du conducteur, il peut subsister un angle mort à l'avant droit de la cabine. Le champ de vision minimal réglementaire des rétroviseurs est défini en termes de surface au sol. En pratique, le volume visualisable par le rétroviseur est un cône dont la base est cette surface et le sommet est au niveau du rétroviseur. Pour les rétroviseurs couvrant les zones les plus proches de la cabine (accostage et antéviseur), la zone visible à mi-hauteur de la cabine est donc plus restreinte et une personne se trouvant en limite du champ de vision réglementaire ne sera vue qu'au niveau de ses pieds. Cette faible largeur est plus problématique encore lors d'une manoeuvre de giration où la distance latérale entre le camion et la personne peut se réduire rapidement. En définitive la principale utilité du rétroviseur de classe V, dit « d'accostage », est précisément de guider une manoeuvre lors de laquelle le véhicule doit longer un obstacle proche du niveau de la chaussée (quai de déchargement ou trottoir par exemple). Les rétroviseurs couvrant les zones les plus proches de la cabine (accostage et antéviseur) ne montrent souvent qu'une petite partie d'un usager, et leur courbure déforme l'image des objets reflétés. La figure 49 illustre cette déformation par un rétroviseur d'accostage dont le rayon de courbure est de l'ordre de 30 cm. Dans ces conditions la capacité du conducteur à détecter la présence d'un usager vulnérable est hypothétique.
Figure 49 : Vision du conducteur, par le rétroviseur d'accostage, d'une voiture grise adjacente à la cabine (NB : le PL est anglais, le conducteur est du côté droit de la cabine et le rétroviseur du côté gauche) Source : Loughborough University, Understanding direct and indirect vision in heavy goods vehicles (2015)
Les rétroviseurs principaux et « grand angle » constituent des masques qui peuvent réduire de façon conséquente le champ de vision directe par les fenêtres (voir l'exemple en figure 35). Enfin, l'orientation des rétroviseurs doit être réglée en fonction de la position des yeux du conducteur et donc de sa stature, ce qui n'est généralement pas possible, pour la plupart des rétroviseurs, depuis le poste de conduite. Un précédent rapport d'enquête du BEA-TT8 avait d'ailleurs émis à l'attention de la Direction générale de l'énergie et du
8 Rapport d'enquête technique sur l'accident entre un cycliste et un camion survenu le 17 août 2015 au carrefour entre les rues de Bruxelles et de Douai à Paris 9e. BEA-TT, août 2017. 44
climat (DGEC) la recommandation suivante : « Dans le cadre de la révision du règlement CEE-ONU n° 46 relatif à l'homologation des systèmes de vision indirecte, proposer que l'ensemble des rétroviseurs installés, côtés conducteur et passager, puissent être réglés par le conducteur depuis sa position de conduite ». La réponse de la DGEC a mentionné la récente réglementation française relative à la signalisation matérialisant les angles morts sur les véhicules lourds, ainsi que les nouvelles dispositions du règlement européen GSR-2 relatives aux systèmes d'informations sur les angles morts et les assistants au virage (voir plus loin en partie 5.3.7), mais n'a pas abordé le réglage des rétroviseurs.
5.3.2 - Les systèmes de vision indirecte par caméra et moniteur
Les champs de vision prescrits par le règlement CEE-ONU n° 46 peuvent également être obtenus au moyen de systèmes à caméra et moniteur. Le marché propose de plus en plus d'équipements de ce type pour les poids lourds et les véhicules de transport en commun, tant sur les véhicules neufs qu'en installation sur le parc déjà en circulation (opération couramment dénommée « rétrofit »). Ils semblent bien accueillis par les conducteurs et présentent certains avantages par rapport aux rétroviseurs :
ils s'adaptent mieux aux conditions de luminosité extérieure ; ils ne déforment pas les images ; ils ne nécessitent pas de modifier le réglage en fonction de la morphologie du conducteur.
En revanche, les inconvénients des rétroviseurs liés à la charge cognitive et à la dispersion de l'attention subsistent avec les systèmes à caméra et moniteur. L'utilisation de tels systèmes n'assure pas non plus en soi un champ de vision plus étendu puisque les prescriptions du règlement n° 46 à cet égard sont identiques quelle que soit la technologie employée.
5.3.3 - Les systèmes de détection
De nombreux constructeurs de poids lourds et équipementiers commercialisent, sur certains modèles neufs ou en installation sur le parc en circulation, des équipements complémentaires destinés à détecter la présence d'usagers vulnérables à l'avant du véhicule ou sur son côté passager. Ces dispositifs sont généralement fondés sur une technologie radar ou sur des capteurs à ultrasons ; des systèmes utilisant la technologie Lidar (mesure de distance par laser) ou l'analyse d'image ont également été signalés. Quelle que soit la technologie de détection employée, ces systèmes déclenchent en cabine un avertissement lumineux en cas de détection d'un usager vulnérable, souvent complété par une alerte sonore, celle-ci pouvant être systématique ou uniquement en cas d'activation du clignotant du PL. L'ensemble des documentations commerciales consultées par le BEA-TT affirme que les objets immobiles ne déclenchent pas d'alarme. Ces dispositifs nécessitent non seulement des capteurs performants, afin de bien détecter l'ensemble de situations de danger potentiel, mais également des algorithmes de traitement du signal suffisamment efficaces pour distinguer les usagers vulnérables des objets immobiles (mobilier urbain, véhicules en stationnement, etc.) et réduire au minimum le taux de « faux positifs », c'est-à-dire d'alarmes injustifiées. Un taux de « faux positifs » trop élevé conduira en effet rapidement à une dégradation de la confiance accordée au système par le conducteur, qui ne prêtera plus attention aux alarmes voire désactivera le dispositif.
45
Les études indépendantes ayant évalué les performances de tels dispositifs semblent encore peu nombreuses. Les enquêteurs du BEA-TT ont pu relever deux études, décrites en annexe 2, portant sur trois dispositifs différents. Aucun des trois n'a donné satisfaction du fait notamment de la proportion jugée trop élevée de « faux positifs ». Deux règlements de la CEE-ONU concernent la détection des usagers vulnérables. Le règlement n° 1599 porte sur la détection des piétons et cyclistes au démarrage du véhicule. Il s'applique depuis le 10 juin 2021 aux véhicules de transport en commun (catégories M2 et M3) et aux poids lourds (catégories N2 et N3). Le système équipant un véhicule soumis à l'homologation doit être capable, lorsque le véhicule démarre ou circule en ligne droite à moins de 10 km/h, de détecter la présence d'un piéton ou d'un cycliste dans une zone située à l'avant du véhicule s'étendant :
dans le sens latéral, sur toute la largeur du véhicule augmentée de 50 cm de chaque côté ; dans le sens longitudinal, à partir de 0,80 m de l'avant du véhicule jusqu'à 3,70 m, cette seconde valeur pouvant être réduite à la distance à laquelle un objet situé à 90 cm au-dessus du sol devient visible en vue directe par le conducteur.
Le système de détection doit pouvoir être désactivé manuellement. Le règlement n° 15110 porte sur la détection des vélos situés du côté passager du véhicule. Il s'applique depuis le 15 novembre 2019 aux poids lourds de PTAC de plus de 8 tonnes. Le système équipant un véhicule soumis à l'homologation doit être capable, lorsque le véhicule est à l'arrêt ou circule à moins de 30 km/h, de détecter la présence d'un cycliste en mouvement sur le côté du véhicule dans une zone située entre 0,90 m et 4,25 m de celui-ci. Lorsque le PL est à l'arrêt, il doit également pouvoir détecter un cycliste circulant perpendiculairement au véhicule, sur une trajectoire passant à 1,15 m en avant de la face avant du PL, au plus tard lorsque le cycliste se trouve à une distance latérale égale à 2 m. Le règlement prévoit deux modalités de fonctionnement : un signal d'information optique, et « lorsque le risque de collision augmente », un signal d'avertissement optique, acoustique ou haptique11 ou une combinaison de ces signaux. Le signal d'avertissement peut être désactivé manuellement. La conformité à ces deux règlements est vérifiée par des essais au moyen de mannequins normalisés. Ces textes ne fixent pas d'exigence quant à la proportion de fausses alarmes et stipulent simplement que leur nombre doit être aussi faible que possible. Ces deux règlements CEE-ONU n'imposent pas que les véhicules soient équipés de tels systèmes, mais uniquement que ceux équipés de tels systèmes12 soient conformes aux exigences spécifiées. En revanche leur application sera très prochainement obligatoire au sein de l'Union Européenne (voir plus loin).
9 « Prescriptions uniformes relatives à l'homologation des véhicules en ce qui concerne les systèmes de détection de piétons et de cyclistes au démarrage ». 10 « Prescriptions uniformes relatives à l'homologation des véhicules à moteur en ce qui concerne le système de surveillance de l'angle mort pour la détection des vélos ». 11 Qui se rapporte au sens du toucher, par exemple en déclenchant une vibration du volant ou du siège du conducteur. 12 Pour le règlement n°159 : « un système destiné à détecter la présence de piétons ou de cyclistes à proximité immédiate de l'angle mort à l'avant du véhicule, à en informer le conducteur et, si cela est jugé nécessaire en fonction de la stratégie du constructeur, à l'avertir d'un risque de collision ». Pour le règlement n°151 : « un système qui avertit le conducteur, lorsqu'il amorce un virage, d'une collision possible avec un vélo situé côté passager ». 46
5.3.4 - Les systèmes d'avertissement à l'extérieur du véhicule
Des équipementiers ont également développé des systèmes émettant, à l'extérieur du véhicule, un signal sonore ou lumineux lorsque le clignotant droit du camion est activé à faible vitesse. Le BEA-TT a notamment relevé :
un système déclenchant un signal sonore discontinu et le clignotement des lampes latérales du camion13 ; un système émettant une alarme vocale « avec avertissement de changement de direction »14 ; un système projetant au sol, au moyen de LED, une image lumineuse clignotante de couleur rouge délimitant la zone d'angle mort du côté droit de la cabine 15 ; la luminosité de l'image s'adapte automatiquement en fonction de la luminosité ambiante.
Les alarmes sonores peuvent être désactivées en période nocturne. Tous ces systèmes peuvent être installés sur des PL en circulation. Le premier de ces dispositifs a fait l'objet en 2011 d'une évaluation par l'Institut Belge pour la Sécurité Routière (voir la bibliographie en annexe 2). Les auteurs n'ont pas relevé d'effet négatif mais estiment que le bénéfice offert par le système n'apparaît pas de façon évidente dans la mesure où seule une faible partie des cyclistes concernés percevait et comprenait la signification de l'alerte sonore et visuelle. Ils concluent que sa mise en oeuvre éventuelle (sous réserve d'être autorisée par la réglementation belge, ce qui n'était pas le cas à l'époque de l'évaluation) ne pourrait induire des améliorations de la sécurité que si elle s'accompagne d'efforts considérables de communication sur la signification des alertes et le comportement à adopter par les cyclistes en réaction. Les deux autres dispositifs n'ont pas fait l'objet, à notre connaissance, d'une évaluation par un organisme indépendant. En France, le seul dispositif sonore prévu par le Code de la route est l'avertisseur sonore (article R313-33), dont l'usage en agglomération n'est autorisé qu'en cas de danger immédiat (article R416-1), ce qui exclut un déclenchement automatique.
5.3.5 - Le « Direct Vision Standard » de Transport for London
Transport for London (TfL) est l'autorité responsable des transports sur le territoire du Grand Londres, qui couvre 1 572 km², soit l'équivalent d'un cercle de 45 km de diamètre, et rassemble 8,2 millions d'habitants. Dans le cadre de la stratégie définie par le maire du Grand Londres en matière de sécurité des transports, le Direct Vision Standard vise à réduire le nombre d'accidents entre des poids lourds et des usagers vulnérables. Ce dispositif, résumé ci-après, est présenté plus en détail en annexe 2. Depuis le 1er mars 2021, pour pouvoir circuler sur le territoire du Grand Londres, les poids lourds de PTAC supérieur à 12 tonnes (catégorie administrative N3) doivent respecter un ensemble de critères techniques destiné à réduire le risque de collision avec un piéton ou un cycliste. Les véhicules de transport en commun ne sont pas concernés. L'exigence fondamentale du Direct Vision Standard est que la configuration de la cabine du poids lourd doit offrir au conducteur un champ de vision directe (par le pare-brise et les fenêtres latérales) suffisamment étendu. Chaque modèle de véhicule reçoit une classification de 0 à 5 étoiles (du niveau le plus mauvais au meilleur) en fonction du
13 https://www.lisa2alert.com/ 14 https://brigade-electronics.com/fr/produits/capteurs-a-ultrasons/ 15 http://blindspotilluminator.com/ 47
volume directement visible par le conducteur, évalué selon un protocole technique très précis développé en concertation avec les constructeurs.
Les véhicules classés 3, 4 ou 5 étoiles reçoivent une autorisation d'accès au périmètre du Grand Londres valable dix ans. Les véhicules classés 1 ou 2 étoiles reçoivent une autorisation d'accès valable jusqu'en 2024. Les véhicules classés 0 étoile ne peuvent recevoir une autorisation d'accès qu'à la condition d'être dotés d'un ensemble d'équipements complémentaires dit « safe system » ; cette autorisation sera valable jusqu'en 2024.
Le « safe system » comprend obligatoirement l'ensemble des équipements suivants, qui peuvent être installés sur les véhicules déjà en circulation : 1. Des équipements de vision indirecte complémentaires : - un rétroviseur de classe V (accostage) du côté passager et un rétroviseur de classe VI (antéviseur) à l'avant, tous deux conformes au règlement n° 46 de la CEE-ONU, ou un système de surveillance par caméra admis par ce règlement comme assurant les mêmes fonctions ; - un système complémentaire de surveillance par caméra couvrant l'extérieur du véhicule du côté passager ; ce système complémentaire peut se désactiver lorsque la vitesse du véhicule dépasse 20 mph (32 km/h) ; - un système de détection avertissant le conducteur de la présence d'un piéton ou d'un cycliste sur le côté passager ; ce système peut se désactiver lorsque la vitesse du véhicule dépasse 20 mph (32 km/h). 2. Des dispositifs d'avertissement des usagers vulnérables : - un dispositif émettant une alerte sonore à l'extérieur lorsque le véhicule tourne du côté passager ; ce dispositif doit être désactivé manuellement entre 23 h 30 et 7 h 00 ; - une signalétique apposée sur le véhicule rappelant aux piétons et cyclistes les risques associés aux angles morts. 3. Des deux côtés du véhicule, des protections latérales destinées à réduire le risque qu'un usager vulnérable tombé au sol glisse sous les roues du véhicule. Les autorisations d'accès sont délivrées individuellement et gratuitement à chaque véhicule après instruction des demandes en ligne. Le contrôle est réalisé au moyen des caméras avec fonction de lecture automatique de plaques d'immatriculations (LAPI) équipant le territoire du Grand Londres, et déjà utilisées précédemment pour le péage urbain et les restrictions d'accès liées aux zones de faible émission. TfL envisage de faire évoluer le dispositif de façon plus restrictive en 2024 en portant le classement minimum requis à 3 étoiles. Les PL classés de 0 à 2 étoiles devraient alors être dotés d'un ensemble d'équipements dit « progressive safe system » pouvant être installés sur un véhicule déjà en circulation. Le détail de ces équipements doit être défini courant 2022 en fonction notamment de l'état de l'art et fera l'objet d'une consultation publique. Cinquante-quatre modèles de PL ont fait l'objet de tests durant les travaux préparatoires à la définition du Direct Vision Standard. Parmi ceux-ci, 26 ont reçu au moins une étoile et 28 ont été classés 0 étoile. Les modèles les mieux classés sont ceux où la cabine est plus basse et dont les portières comportent une surface vitrée plus élevée. La figure 50 en présente deux exemples. Selon des statistiques produites par TfL début 2022, parmi les 192 000 poids lourds ayant reçu une autorisation d'accès, 59 % sont classés 0 étoile.
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Figure 50 : Deux modèles de PL à cabine basse : Volvo FE LEC (à gauche) et Mercedes Econic (à droite) Sources : Volvo Trucks et Mercedes-Benz Trucks
En France, les considérations de sécurité routière ne constituent pas à ce jour un motif permettant aux communes d'interdire tout ou partie de leur réseau de voirie à certains véhicules. Le Code général des collectivités territoriales ne prévoit en effet la possibilité de telles interdictions que dans les cas suivants :
eu égard aux nécessités de la circulation et de la protection de l'environnement (art. L2213-2) ; pour les véhicules dont la circulation est de nature à compromettre soit la tranquillité publique, soit la qualité de l'air, soit la protection des espèces animales ou végétales, soit la protection des espaces naturels, des paysages ou des sites ou leur mise en valeur à des fins esthétiques, écologiques, agricoles, forestières ou touristiques (art. L2213-4) ; dans le cadre des zones « à faibles émissions mobilité » (art. L2213-4-1) ; pour les véhicules de transport de matières dangereuses (art. L2213-5).
5.3.6 - Le projet de règlement CEE-ONU relatif à la vision directe
La Commission Économique pour l'Europe de l'ONU envisage l'adoption prochaine d'un nouveau règlement16 fixant des normes minimales en matière de vision directe, applicable aux véhicules de transport en commun (catégories M2 et M3) et aux poids lourds (catégories N2 et N3). L'introduction du projet de règlement justifie ce besoin notamment par les lacunes des dispositifs actuels, en particulier des rétroviseurs17. Le projet prévoit l'évaluation du volume extérieur directement visible par le conducteur du véhicule, selon un protocole technique identique à celui défini par Transport for London pour son Direct Vision Standard (voir plus haut et le détail en annexe 2). Les véhicules sont répartis en trois niveaux pour lesquels les exigences seront différentes. Le niveau 1 correspond aux « véhicules qui circulent souvent dans les zones urbaines » ; en pratique ce sont :
tous les véhicules de transport en commun (catégories M2 et M3) ; les PL de PTAC inférieur ou égal à 12 tonnes (catégorie N2) ;
16 « Prescriptions uniformes relatives à l'homologation des véhicules à moteur en ce qui concerne la vision directe ». 17 « Les images présentées dans les rétroviseurs sont petites et peuvent ne pas présenter une quantité de mouvement suffisante pour alerter la vision périphérique. [...] Les images provenant de rétroviseurs convexes peuvent être déformées, notamment sur les bords, et les rétroviseurs de surveillance des angles morts peuvent être placés dans des positions contre-intuitives et présenter une orientation inattendue du sujet. » 49
la plupart des PL de PTAC entre 12 et 16 tonnes (excepté ceux à plus de deux roues motrices) ; certains PL de PTAC supérieur à 16 tonnes, selon une combinaison de nombreux critères : - s'ils sont équipés en « cabine jour », les 4x2, les 6x2, et les 6x4 à châssis rigide ; - s'ils sont équipés en « cabine couchette », les 4x2 de puissance inférieure à 265 kW, et les 8x2 ou 8x4 à châssis rigide et de puissance inférieure à 350 kW.
Le niveau 2 correspond aux « véhicules qui circulent parfois en zone urbaine mais qui sont assujettis à des limitations fonctionnelles particulières » ; en pratique seuls certains PL de catégorie « tout terrain » en font partie. Le niveau 3, qui correspond aux « véhicules qui pénètrent rarement dans les zones urbaines », regroupe en pratique les véhicules non classés dans les deux autres niveaux. Le volume minimal de visibilité directe requis par le projet est le suivant :
Volume minimal de visibilité directe (m3) Niveau 1 Volume visible du côté passager Volume visible vers l'avant Volume visible du côté conducteur Volume total visible 3,4 1,8 2,8 11,2 Niveau 2 n.a. 1,0 n.a. 8,0 Niveau 3 n.a. 1,0 n.a. 7,0
Nota : pour mémoire (cf. annexe 2), le volume visible requis par TfL pour accorder un classement « 1 étoile » est de 10,04 m³. Le critère fixé par le projet de règlement CEE-ONU est donc légèrement plus élevé pour les véhicules considérés de « niveau 1 » mais plus faible pour ceux considérés de « niveaux 2 et 3 ». Les règlements relatifs aux véhicules routiers sont établis, au sein de la Commission Économique pour l'Europe de l'ONU, par le Forum mondial de l'harmonisation des règlements concernant les véhicules, dit « WP.29 ». Les travaux relatifs aux exigences générales de sécurité pour les véhicules sont conduits au sein du Groupe de travail des dispositions générales de sécurité (GRSG). Le projet de règlement, rédigé par un groupe de travail informel consacré à la détection des usagers vulnérables, a été adopté fin mars 2022 par le GRSG et doit maintenant être proposé pour adoption à la prochaine réunion du WP.29 prévue en novembre 2022. La version disponible ne précise pas quelle serait sa date d'entrée en vigueur.
5.3.7 - La réglementation européenne
Le règlement (UE) 2019/2144 du 27 novembre 2019 18, dit « GSR-2 » (pour General Safety Regulation, version 2) a actualisé les exigences européennes relatives à la conception des véhicules eu égard à leur sécurité. Il reprend les exigences antérieures figurant dans le règlement n° 661/2009 du 13 juillet 2009, dit « GSR-1 », et le complète dans de nombreux domaines par de nouvelles prescriptions applicables à une date ultérieure. Parmi ces nouvelles prescriptions, l'article 9 du règlement impose aux véhicules de transport en commun (catégories M2 et M3) et aux poids lourds (catégories N2 et N3) :
18 « Règlement (UE) 2019/2144 du Parlement européen et du Conseil du 27 novembre 2019 relatif aux prescriptions applicables à la réception par type des véhicules à moteur et de leurs remorques, ainsi que des systèmes, composants et entités techniques distinctes destinés à ces véhicules, en ce qui concerne leur sécurité générale et la protection des occupants des véhicules et des usagers vulnérables de la route. » 50
d'être « équipés de systèmes avancés qui sont capables de détecter des piétons et des cyclistes se trouvant à proximité immédiate de l'avant ou du côté droit du véhicule et d'avertir de leur présence ou d'éviter une collision avec ces usagers vulnérables de la route » ; d'être « conçus et construits afin d'améliorer la visibilité directe des usagers vulnérables de la route depuis le siège du conducteur, en réduisant le plus possible les angles morts à l'avant et sur le côté du conducteur, tout en tenant compte des spécificités des différentes catégories de véhicules ».
Des règlements d'exécution doivent préciser les procédures et spécifications techniques pour vérifier le respect de ces exigences. Pour les deux objets « Avertissement de collision avec piéton ou cycliste » et « Système d'information concernant les angles morts », les prescriptions sont applicables depuis le 6 juillet 2022 pour les modèles et systèmes soumis à la réception UE par type, et seront applicables à partir du 7 juillet 2024 pour les véhicules et les systèmes commercialisés. Le règlement d'exécution 19 se réfère respectivement aux règlements CEE-ONU n° 159 et 151 présentés plus haut. S'agissant de l'objet « Vision directe des véhicules lourds », les prescriptions seront applicables à partir du 7 janvier 2026 pour les modèles soumis à la réception UE par type, et à partir du 7 janvier 2029 pour les véhicules mis en circulation. Le règlement d'exécution doit être publié au plus tard le 7 janvier 2023. Les autorités européennes comptent certainement se référer au futur règlement CEE-ONU, présenté plus haut, dont l'adoption par le WP.29 est prévue en novembre 2022.
5.3.8 - Conclusion
Pour la prévention des accidents de poids lourds avec angle mort, la piste d'action la plus prometteuse est à l'évidence de rechercher une extension du champ de vision directe du conducteur. Les rétroviseurs présentent en effet de nombreuses lacunes que les systèmes alternatifs à base de caméras et moniteurs ne compensent qu'en partie. Les systèmes complémentaires de détection, qui visent essentiellement les piétons traversant perpendiculairement devant le PL et les cyclistes longeant le PL du côté passager, risquent compte tenu du temps de réaction nécessaire d'être peu efficaces dans une situation de mouvement tournant comme celle analysée dans la présente enquête, dans laquelle la vitesse de rapprochement latéral entre le PL et la piétonne était substantielle dans les derniers instants. Les travaux sur la vision directe conduits à l'initiative de Transport for London, leur appropriation par un nouveau règlement CEE-ONU dont l'adoption est attendue fin 2022, et la référence probable à ce futur règlement pour l'application du GSR-2 de l'Union Européenne dans ce domaine constituent ainsi des avancées très bénéfiques. Le BEA-TT ne formule en conséquence pas de recommandation sur ce thème. Les effets de ces progrès ne se verront cependant qu'à longue échéance puisque le GSR-2 ne prévoit une application obligatoire aux PL mis en circulation qu'à compter de janvier 2029. Les spécifications du GSR-2 quant aux systèmes de détection des usagers vulnérables, applicables aux véhicules et systèmes commercialisés à partir de juillet 2024, constituent également un point positif. Toutefois les règlements CEE-ONU n° 151 et 159 qui en constituent les références techniques ne fixent aucune exigence précise quant à la proportion de fausses alarmes et stipulent simplement que leur nombre doit être aussi faible que possible. Or ce sujet semble avoir été peu traité par des études indépendantes, et celles dont le BEA-TT a eu connaissance ont conclu que les dispositifs étudiés
19 Règlement délégué (UE) 2022/1398 de la Commission du 8 juin 2022. 51
généraient un taux de « faux positifs » trop élevé susceptible de dégrader la confiance accordée au système par le conducteur, facteur indispensable à leur utilité. Le BEA-TT estime donc indispensable de faire progresser les connaissances en la matière et émet la recommandation suivante : Recommandation R1 adressée à la Délégation à la sécurité routière (DSR) et à la Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) : Susciter une étude sur les performances des systèmes de détection des usagers vulnérables destinés à équiper les véhicules lourds, visés par les règlements CEE-ONU n° 151 et 159, en vue notamment de définir un protocole permettant d'évaluer la proportion de fausses alarmes puis d'appliquer ce protocole à un panel de systèmes commercialisés. Par ailleurs, le BEA-TT rappelle à la Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) la recommandation précédemment émise par son rapport d'enquête technique sur l'accident entre un cycliste et un camion survenu le 17 août 2015 à Paris 9 e : « Dans le cadre de la révision du règlement CEE-ONU n° 46 relatif à l'homologation des systèmes de vision indirecte, proposer que l'ensemble des rétroviseurs installés, côtés conducteur et passager, puissent être réglés par le conducteur depuis sa position de conduite ».
5.4 -
L'aménagement du carrefour entre le boulevard Jean-Jaurès et la rue de Neuilly
À l'intersection de la rue de Neuilly et du boulevard Jean-Jaurès, l'angle du trottoir ne comporte aucun arrondi. Cette configuration, ainsi que le débord du passage piéton sur la zone centrale du carrefour, contraignent un poids lourd sortant de la rue de Neuilly à s'avancer en ligne droite jusqu'à la zone centrale du carrefour avant d'entamer son mouvement de giration. Dans cette position le conducteur n'a plus de vision directe sur la partie du passage piéton la plus proche de la rue de Neuilly. L'état dégradé des bandes d'éveil de vigilance posées sur cet angle de trottoir montre qu'une partie des conducteurs de PL entament leur giration plus tôt. Le guide technique « Voirie urbaine Guide d'aménagement »20 du Cerema préconise pour les arrondis d'angle de trottoir en milieu urbain un rayon compris entre 2 m et 6 m, une valeur plus grande étant susceptible de favoriser une vitesse élevée lors du mouvement tournant. Le guide de conception des carrefours à feux 21 du Certu (service maintenant intégré au Cerema) précise que si les traversées piétonnes doivent être placées, autant que faire se peut, dans le prolongement des cheminements naturels des piétons, il convient cependant de les éloigner du virage afin :
qu'un véhicule qui tourne à droite ne gêne pas l'écoulement de ceux allant tout droit lorsqu'il s'arrête pour laisser passer les piétons (Nota : ce motif ne s'appliquerait pas au carrefour concerné ici, le virage à droite étant le seul mouvement autorisé) ; de garantir des angles de vision optimaux entre les piétons et les véhicules qui tournent.
Le guide « Carrefours urbains »22 du Certu recommande un éloignement de 2 à 5 mètres entre le carrefour et le passage piéton. Il apparaît donc souhaitable de créer un arrondi de trottoir et d'éloigner le passage piéton du débouché de la rue de Neuilly. Deux options pourraient être envisagées, mais chacune comporte des inconvénients :
20 Voirie urbaine Guide d'aménagement, Cerema (2016). 21 Guide de conception des carrefours à feux, Certu (2010). 22 Carrefours urbains Guide, Certu (version mise à jour en 2010). 52
1. Déplacer le passage piéton plus en aval sur le boulevard : du fait de la présence, du côté opposé, de la sortie du parking souterrain situé sous le parc de la mairie, le passage piéton devrait être éloigné d'environ 6 m du débouché de la rue de Neuilly. Il serait alors très décalé par rapport au prolongement naturel des trottoirs de la rue Villeneuve et de la rue de Neuilly, et cette configuration créerait un point de conflit supplémentaire entre les véhicules sortant du parking souterrain et les piétons traversant. 2. Déplacer le débouché de la rue de Neuilly plus en amont, selon le principe représenté en figure 51 : la place du Marché offre un espace suffisant pour une telle opération, qui permettrait également de rendre l'intersection perpendiculaire. Mais elle impliquerait notamment de déplacer plusieurs équipements (feu tricolore, bornes rétractables et borne d'appel, potelets, etc.) et de modifier l'organisation du marché.
Figure 51 : Principe de déplacement du débouché de la rue de Neuilly vers l'amont du boulevard
Dans l'hypothèse où aucune solution technique satisfaisante ne permettrait d'éloigner le passage piéton du débouché de la rue de Neuilly, il conviendrait de supprimer les situations de conflit potentiel entre les PL tournant à droite depuis la rue de Neuilly et les piétons traversant, en séparant ces deux mouvements dans le cycle des feux du carrefour par l'ajout d'une nouvelle phase dans leur diagramme de fonctionnement. En l'absence d'intervention physique sur la configuration du carrefour, il conviendrait également de restaurer les bandes d'éveil de vigilance dégradées et de supprimer la partie du passage piéton débordant au centre du carrefour sur le prolongement de la rue de Neuilly. Selon le règlement de voirie du Conseil départemental des Hauts-de-Seine (cf. partie 2.3), ce dernier est notamment en charge des feux tricolores du carrefour et de la signalisation horizontale sur le boulevard Jean-Jaurès. La plupart des actions évoquées ci-dessus nécessitent par conséquent une collaboration étroite entre la Ville de Clichy et le Conseil départemental. C'est pourquoi le BEA-TT émet la recommandation suivante : Recommandation R2 adressée conjointement à la Ville de Clichy et au Conseil départemental des Hauts-de-Seine : Étudier de façon concertée une solution technique permettant d'éloigner le débouché de la rue de Neuilly sur le boulevard Jean-Jaurès et le passage piéton situé plus en aval sur le boulevard, en déplaçant l'un ou l'autre de ces éléments, et créer à cette occasion un arrondi de trottoir dans l'angle sud du carrefour. En l'absence de solution technique satisfaisante : - étudier de façon concertée une modification du diagramme de fonctionnement des feux de circulation du carrefour afin de séparer dans le temps les mouvements
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des véhicules sortant de la rue de Neuilly et les traversées des piétons sur le passage situé en aval sur le boulevard ; - restaurer les bandes d'éveil de vigilance dégradées dans l'angle sud du carrefour (Ville de Clichy) ; - supprimer la partie du passage piéton débordant au centre du carrefour sur le prolongement de la rue de Neuilly (Conseil départemental des Hauts-de-Seine). Le BEA-TT invite également la Ville de Clichy à clarifier le dispositif réglementaire régissant la circulation sur la rue de Neuilly et à mettre si nécessaire la signalisation routière en cohérence.
54
6 - Conclusions, recommandations et invitations
6.1 Conclusions
La cause directe de l'accident est l'absence de perception réciproque, par le conducteur du poids lourd et par la piétonne, de la présence de l'autre protagoniste. La piétonne, dont l'audition était déficiente, n'a pas entendu le camion ; elle ne l'a pas vu non plus se rapprocher sur son arrière gauche. Le conducteur du poids lourd n'était pas non plus en situation de détecter aisément la présence de la piétonne, de petite taille, du fait du champ de vision réduit offert par la fenêtre de droite de sa cabine, de la nécessité de porter son attention sur les autres piétons traversant sur le passage, et des multiples contrôles imposés par la manoeuvre de giration. La piétonne a probablement été brièvement visible par l'un des rétroviseurs dans les tous derniers instants précédant la collision, mais trop tardivement pour permettre une réaction efficace du conducteur si celui-ci l'avait détectée immédiatement, ce qui n'a pas été le cas. La configuration du carrefour a pu également contribuer à la collision en contraignant le PL à s'engager sur le passage piéton à partir d'une position parallèle à celui-ci, ne favorisant pas la visibilité et la prise d'informations. L'analyse des causes et du contexte de l'accident conduit le BEA-TT à formuler deux recommandations et deux invitations dans les domaines suivants :
la conception et l'équipement des poids lourds ; l'aménagement du carrefour où a eu lieu l'accident ; le dispositif réglementaire régissant la circulation sur la rue de Neuilly.
Compte tenu du projet de règlement sur la vision directe en cours d'adoption par la CEE-ONU, et de sa probable reprise par l'Union Européenne comme référence technique pour l'application du règlement (UE) 2019/2144, le BEA-TT ne formule pas de recommandation sur ce thème.
6.2 -
Recommandations et invitations
Recommandation R1 adressée à la Délégation à la sécurité routière (DSR) et à la Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) : Susciter une étude sur les performances des systèmes de détection des usagers vulnérables destinés à équiper les véhicules lourds, visés par les règlements CEE-ONU n°151 et 159, en vue notamment de définir un protocole permettant d'évaluer la proportion de fausses alarmes puis d'appliquer ce protocole à un panel de systèmes commercialisés.
Recommandation R2 adressée conjointement à la Ville de Clichy et au Conseil départemental des Hauts-de-Seine : Étudier de façon concertée une solution technique permettant d'éloigner le débouché de la rue de Neuilly sur le boulevard Jean-Jaurès et le passage piéton situé plus en aval sur le boulevard, en déplaçant l'un ou l'autre de ces éléments, et créer à cette occasion un arrondi de trottoir dans l'angle sud du carrefour.
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En l'absence de solution technique satisfaisante : - étudier de façon concertée une modification du diagramme de fonctionnement des feux de circulation du carrefour afin de séparer dans le temps les mouvements des véhicules sortant de la rue de Neuilly et les traversées des piétons sur le passage situé en aval sur le boulevard ; - restaurer les bandes d'éveil de vigilance dégradées dans l'angle sud du carrefour (Ville de Clichy) ; - supprimer la partie du passage piéton débordant au centre du carrefour sur le prolongement de la rue de Neuilly (Conseil départemental des Hauts-de-Seine). Le BEA-TT rappelle par ailleurs à la Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) la recommandation précédemment émise par son rapport d'enquête technique sur l'accident entre un cycliste et un camion survenu le 17 août 2015 à Paris 9 e : « Dans le cadre de la révision du règlement CEE-ONU n° 46 relatif à l'homologation des systèmes de vision indirecte, proposer que l'ensemble des rétroviseurs installés, côtés conducteur et passager, puissent être réglés par le conducteur depuis sa position de conduite ». Le BEA-TT invite également la Ville de Clichy à clarifier le dispositif réglementaire régissant la circulation sur la rue de Neuilly et à mettre si nécessaire la signalisation routière en cohérence.
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ANNEXES
Annexe 1 : Décision d'ouverture d'enquête Annexe 2 : Bibliographie
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Annexe 1 : Décision d'ouverture d'enquête
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Annexe 2 : Bibliographie
Les scénarios d'accidents de PL contre un usager vulnérable avec angle mort
Les accidents de piétons Afin d'étudier les déterminants des accidents mortels dans des analyses spécifiques approfondies, le Cerema a constitué une base de données détaillée des accidents mortels de l'année 2015, dénommée FLAM. Renseignée à partir de la lecture et du codage des procès-verbaux d'accidents établis par les forces de l'ordre, cette base regroupe 2878 des 3373 accidents mortels recensés par les statistiques officielles de l'année 2015. La structure de la base est décrite dans la référence [1] 23. Selon des éléments non encore publiés, transmis par le Cerema au BEA-TT, la base comporte 56 accidents mortels de piétons impliquant un véhicule lourd (44 impliquant un PL et 12 un véhicule de transport en commun). Dans 23 de ces accidents, soit environ quatre accidents sur dix, l'existence d'un angle mort sur le véhicule a été identifiée comme l'un des facteurs à l'origine de l'accident :
13 accidents sont survenus au démarrage du véhicule, 7 sont survenus lors d'un virage à droite en carrefour, 2 sont survenus en marche arrière, 1 est survenu lors d'un virage à gauche en carrefour.
Dans les 20 accidents au démarrage ou en tourne-à-droite, l'angle mort est toujours situé soit en face avant du véhicule, soit en partie avant de son côté droit. L'institut belge VIAS [2] a conduit une analyse d'accidents graves ou mortels d'usagers vulnérables heurtés par des PL, à partir d'une base de données détaillée constituée par les services de police de l'agglomération d'Anvers entre 2010 et 2016. Dix accidents de piétons ont été attribués à l'existence d'un angle mort, dont cinq accidents en carrefour (quatre équipés de feux, le cinquième avec priorité), et cinq hors carrefour :
5 accidents impliquent un piéton traversant de droite à gauche devant le PL, qui va tout droit ; 3 impliquent un piéton traversant de droite à gauche derrière le PL, qui fait marche arrière ; 1 accident implique un piéton traversant parallèlement à la trajectoire d'arrivée du PL, qui tourne à droite ; le dernier accident n'est pas décrit.
8 des 10 piétons impliqués ont plus de 60 ans, dont 4 ont plus de 80 ans. En Angleterre, le Transport Research Laboratory (TRL) [3] a analysé les accidents mortels de piétons survenus dans des collisions avec des poids lourds de plus de 7,5 t sur le territoire du Grand Londres. Sur la période 2005-2014, les auteurs ont dénombré 73 accidents de piétons dont la moitié (36) relevaient d'un facteur « angle mort ». Parmi ces derniers, 21 accidents (58 %) correspondent à une collision entre un PL au démarrage et un piéton traversant perpendiculairement devant lui, et 8 accidents (22 %) ont eu lieu alors que le PL tournait du côté passager (vers la gauche au Royaume-Uni). Schindler et al. [4] ont étudié les accidents impliquant un poids lourd de plus de 16 tonnes répertoriés dans la base de données allemande GIDAS sur la période 2000-2017. Parmi les 56 accidents recensés impliquant un piéton :
23 Les nombres entre crochets renvoient aux références bibliographiques listées en fin de cette annexe. 59
dans 34 accidents (61 % des cas), le piéton traverse perpendiculairement à la trajectoire du PL ; dans 10 accidents (18 % des cas), le PL et le piéton se déplacent parallèlement puis le PL tourne à droite et renverse le piéton ; les 12 accidents restants se distribuent entre plusieurs scénarios.
Les auteurs ont approfondi l'analyse des 34 accidents correspondant au premier scénario, où le piéton traverse perpendiculairement à la trajectoire du PL. Ils mettent en évidence deux ensembles distincts d'accidents :
ceux dans lesquels le piéton se retrouve sous le camion (16 cas) : l'article précise que ceci est associé à des blessures plus graves ou mortelles mais n'apporte pas de précision chiffrée. La vitesse du PL lors de la collision est faible, généralement inférieure à 10 km/h, du fait que dans 10 de ces 16 cas le PL était initialement à l'arrêt et a redémarré pendant que le piéton traversait devant lui ; ceux dans lesquels le piéton n'est pas « passé » sous le camion (18 cas) : sur cet ensemble, la vitesse moyenne du PL lors de la collision est de 23 km/h, elle dépasse 40 km/h dans le quart des cas. La vitesse du PL au choc est presque identique à sa vitesse à l'instant où la situation dangereuse s'est constituée, ce qui suggère que le conducteur a eu peu de temps pour réagir et freiner.
Il semble donc, sans toutefois que l'article apporte de précisions sur cette question, que les accidents dans lesquels le PL démarre soient paradoxalement en moyenne plus graves que ceux dans lesquels le PL est en circulation. Les auteurs ne soulignent pas ce paradoxe et ne tentent pas de l'expliquer dans l'article. Une explication envisageable serait que lorsque le PL roule à une vitesse plus élevée il est plus susceptible de projeter le piéton à distance, et risque moins de ce fait de lui rouler ensuite dessus en poursuivant sa trajectoire. En synthèse, l'existence d'un angle mort peut être incriminée dans les accidents mortels de piétons contre un PL dans 4 à 5 cas sur 10. La littérature s'accorde pour considérer que les scénarios les plus courants d'accident avec angle mort impliquant un piéton sont, par ordre de fréquence décroissante :
un piéton traversant perpendiculairement à la trajectoire du PL, généralement alors que celui-ci redémarre (5 à 6 cas sur 10) ; un piéton traversant parallèlement à la trajectoire initiale du PL, celui-ci tournant à droite (ou à gauche en Angleterre ; 2 à 3 cas sur 10).
Les accidents de cyclistes Dans son étude citée plus haut, l'institut VIAS [2] a également analysé 19 accidents graves ou mortels impliquant un cycliste et un poids lourd, attribués à l'existence d'un angle mort. Un seul de ces accidents est survenu en dehors d'un carrefour, parmi les 18 autres le carrefour est réglé par des feux dans 13 cas et par un régime de priorité dans 4 cas (pas de précision dans le dernier cas).
10 accidents impliquent un PL tournant à droite et heurtant un cycliste roulant tout droit, sur son côté droit ; 6 accidents impliquent un PL allant tout droit et heurtant un cycliste traversant de droite à gauche devant lui, soit en provenance d'une rue latérale (4 cas), soit traversant devant le camion à l'arrêt (2 cas) ; 2 accidents impliquent un PL tournant à gauche en coupant une piste cyclable sur laquelle il percute un cycliste qui vient de sa gauche (1 cas) ou de sa droite (1 cas) ; le dernier accident implique un cycliste traversant de gauche à droite derrière le PL, qui faisait marche arrière.
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Les âges des cyclistes impliqués sont relativement répartis, sans prépondérance marquée d'une tranche d'âge particulière. L'étude du TRL sur le territoire du Grand Londres [3] s'est également intéressée aux cyclistes décédés dans des collisions avec des poids lourds de plus de 7,5 t. Elle a dénombré 43 accidents mortels dont les trois quarts (33) relevaient d'un facteur « angle mort ». Les deux tiers des accidents avec ce facteur (22 sur 33) impliquent un PL tournant du côté passager (vers la gauche au Royaume-Uni) et heurtant un cycliste sur son côté passager. Les autres accidents correspondent à de multiples scénarios. Le point d'impact est situé dans 26 cas sur le côté passager du PL, dans cas 4 sur son avant et dans 3 cas sur son côté conducteur. L'étude de Schindler et al. [4] a également porté sur 96 accidents de cyclistes contre des poids lourd de plus de 16 tonnes. Le scénario le plus courant (44 cas) correspond à un PL tournant à droite et renversant un cycliste allant tout droit. La vitesse moyenne du PL lors de la collision est de 13 km/h. Dans les trois quarts de ces accidents (33 cas) la collision a eu lieu sur le côté du camion dans une zone située à moins de 2 m de distance de sa face avant. Dans 4 cas seulement elle a eu lieu à plus de 5 m de l'avant du camion. Malczyk et Bende [5] ont conduit une analyse détaillée de 62 accidents survenus entre 2007 et 2012 entre un PL de plus de 12 tonnes et un cycliste, répertoriés dans une base de données administrée par les assureurs allemands. Les accidents, sélectionnés selon un seuil de remboursement de dommages demandé (mais pas forcément accordé) de 30 k, ont généralement un niveau de gravité élevé : 11 des cyclistes impliqués ont été tués (18 %), 47 (76 %) ont été hospitalisés plus de 24 heures dont 31 (50 %) sont MAIS3+24, et 4 sont blessés légers (6 %). 57 accidents (92 %) ont eu lieu en agglomération, 51 accidents (82 %) en intersection, équipée de feux de circulation dans 32 cas (52 %). Les 11 accidents survenus hors intersection peuvent comporter des girations vers des accès privés. 52 accidents ont eu lieu de jour et 10 de nuit, à l'aube ou au crépuscule. Les scénarios les plus courants sont, par ordre décroissant de fréquence :
un PL tournant à droite (36 accidents, 58 %), le cycliste étant sur son côté droit, allant tout droit (35 accidents) ou tournant à droite (1 accident) ; des trajectoires du PL et du cycliste perpendiculaires (9 accidents, 15 %), le PL allant tout droit ou tournant ; un PL allant tout droit et dépassant un cycliste allant tout droit (6 accidents, 10 %) ; des trajectoires du PL et du cycliste en sens opposé (6 accidents, 10 %), le PL allant tout droit ou tournant ; les 5 accidents restants correspondent à des scénarios variés.
La zone du premier contact a été identifiée pour 57 des 62 accidents : dans plus du tiers des accidents (22 cas) il s'agit de l'angle avant droit de la cabine ; l'ensemble du côté droit du véhicule regroupe 43 accidents sur 57 (75 %). L'utilisation des freins par le PL a pu être déterminée pour 58 accidents ; dans 51 accidents (88 %) le PL n'a pas freiné avant la collision, il n'avait donc pas identifié la présence du cycliste. Dans 33 accidents (53 %) le PL a roulé sur le cycliste après le premier choc.
24 L'échelle AIS (Abbreviated Injury Scale) est une classification internationale utilisée en traumatologie. Elle permet de coder chaque lésion selon son siège et sa nature et lui attribue un score de gravité allant de 1 (lésion mineure) à 6 (lésion mortelle). MAIS (Maximum AIS) est le score AIS le plus élevé attribué aux blessures d'une victime. La Commission Européenne considère comme gravement blessées les personnes dont le score MAIS est supérieur ou égal à 3 (MAIS3+). 61
En conclusion, ces quatre sources identifient toutes comme scénario le plus courant un camion tournant à droite (ou à gauche en Angleterre) et renversant un cycliste allant tout droit, situé sur le côté passager du PL ; ce scénario regroupe à lui seul entre la moitié et les deux tiers des accidents étudiés. Tous scénarios confondus, le point de choc le plus fréquemment cité est l'angle avant droit de la cabine (plus du tiers des accidents), et le côté droit du PL dans les trois quarts des cas.
Complexité de la manoeuvre d'un PL en giration et utilisation des rétroviseurs
Le Laboratoire Mécanismes d'Accidents de l'Inrets (maintenant intégré à l'Université Gustave Eiffel) a analysé de manière approfondie l'occurrence et le processus de génération des défaillances fonctionnelles humaines, notamment les pertes de vigilance et d'attention, dans les mécanismes qui conduisent aux accidents de la route [6]. La conduite d'un véhicule mobilise chez le conducteur des ressources attentionnelles dont les capacités sont par nature limitées. Lorsque la demande cognitive augmente et atteint la limite des capacités de traitement, on aboutit à une surcharge cognitive. « La quantité d'information à traiter en parallèle, pour se représenter correctement la situation et prendre la bonne décision, est importante. Le conducteur doit alors sélectionner les informations les plus pertinentes pour la tâche qu'il a à réaliser et inhiber celles qui sont inutiles, de façon à éviter la surcharge informative. Une situation complexe de conduite liée à une infrastructure compliquée ou à une densité de trafic importante vont avoir tendance à surcharger le système cognitif du conducteur et l'obliger à sélectionner des informations sur des critères parfois subjectifs qui lui sont propres [...] » Les différentes tâches essentielles à la conduite peuvent entrer en compétition, et les ressources attentionnelles doivent se distribuer entre celles-ci. En Angleterre, des travaux conséquents sur la problématique des angles morts des véhicules lourds ont été engagés à l'initiative de Transport for London, l'autorité responsable des transports sur le périmètre du Grand Londres. Ces travaux ont abouti à la définition du Direct Vision Standard, qui sera décrite plus loin dans cette annexe. Une étude conjointe du cabinet ARUP et de l'Université de Leeds [7, 8] a analysé le mode de traitement de l'information visuelle par le conducteur de poids lourd. Les auteurs soulignent en introduction que la conduite d'un véhicule lourd dans un environnement urbain, même à basse vitesse, constitue l'une des situations complexes évoquées ci-dessus, du fait de la multiplicité des interactions potentielles avec d'autres usagers de types variés. Le conducteur doit constamment surveiller la circulation générale et les abords de son véhicule à la fois par le pare-brise et les fenêtres latérales mais aussi par les différents rétroviseurs, au nombre de six. S'y ajoute parfois, en cas de recherche d'itinéraire, le repérage de la signalisation de direction ou la consultation d'un système de navigation. Lors de ses contrôles visuels le conducteur doit en permanence tourner les yeux voire la tête vers les différentes cibles, dont certaines périphériques, et adapter son regard à la zone ciblée (proche ou lointaine). Le délai nécessaire à la transition entre deux cibles visuelles est augmenté par l'excentricité de la cible et la nécessité de modifier la distance de focalisation de son regard. En combinant les durées couramment citées par la littérature pour les mouvements oculaires ou de la tête du conducteur, l'adaptation de son regard à la cible et l'analyse de la scène, les auteurs estiment que le conducteur du PL aura besoin d'environ 4 secondes pour extraire l'information de l'ensemble de ses six rétroviseurs. Ils en concluent que la multiplication des rétroviseurs, qui réduisent les angles morts dans l'espace, conduit paradoxalement à créer des « angles morts temporels », c'est-à-dire des périodes pendant lesquelles l'information visuelle extraite d'un rétroviseur donné peut ne plus être valide, du fait de l'apparition d'un usager non détecté précédemment.
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Des expérimentations ont été réalisées sur un simulateur de conduite afin de comparer les temps de réaction associés respectivement aux champs de vision directe et indirecte, et d'évaluer le bénéfice potentiel apporté par la possibilité de visualiser un usager vulnérable dans le champ de vision directe plutôt que dans un rétroviseur. L'équipement a simulé une cabine de camion de configuration traditionnelle, dotée des six rétroviseurs réglementaires. 41 sujets ont parcouru sur le simulateur un circuit prédéfini sur lequel apparaissaient des piétons ou des cyclistes pouvant nécessiter une réaction de la part du conducteur. Diverses conditions de conduite ont été testées. Lorsque le véhicule est à l'arrêt, le temps de réaction du conducteur à un stimulus visuel est similaire que celui-ci apparaisse dans le champ de vision du pare-brise, d'une fenêtre ou dans le champ de vision indirecte (rétroviseurs). Lorsque le véhicule est en mouvement, le temps de réaction n'est pas plus élevé qu'à l'arrêt pour un stimulus apparaissant par le pare-brise ; en revanche, il augmente d'environ 0,6 s pour la vision par une fenêtre et d'environ 0,8 s pour la vision par un rétroviseur. Des tests ont également été réalisés avec une configuration de cabine dite « low entry cab », plus basse et dont les portes sont vitrées. Lorsqu'un usager vulnérable apparaît dans une zone couverte en vue directe par la cabine surbaissée mais visible uniquement par les rétroviseurs dans la cabine traditionnelle, le temps de réaction du conducteur est plus court de 0,7 s avec la première qu'avec la deuxième. Les situations dans lesquelles un piéton traversait juste devant le PL se sont conclues par une collision dans 27 % des cas avec la cabine traditionnelle et dans 3 % des cas avec la cabine surbaissée. Une variante de l'expérimentation a consisté à demander aux sujets de procéder, simultanément à la conduite, à une tâche complémentaire sollicitant une partie de leur attention. La part des traversées de piétons ayant donné lieu à une collision s'est alors élevée à 52 % avec la cabine traditionnelle et à 12 % avec la cabine surbaissée. Au vu de ces résultats les auteurs concluent que la priorité doit porter sur l'extension du champ de vision directe du conducteur plutôt que sur le développement de dispositifs complémentaires de vision indirecte.
Performance des systèmes complémentaires de visualisation, de détection et d'avertissement
Systèmes de visualisation L'Université Gustave Eiffel a évalué, en collaboration avec la société de transports publics Keolis Lyon et SYTRAL Mobilités, autorité organisatrice des mobilités des territoires lyonnais, des systèmes de rétro-vision permettant de remplacer les rétroviseurs « grand angle » (classe IV) des autobus par des écrans qui renvoient au poste de conduite les images captées par des caméras [9]. Les tests, réalisés dans des conditions expérimentales puis en circulation réelle, se sont conclus par un avis très positif des chauffeurs participants. Les principaux avantages attribués à ces équipements sont :
une meilleure adaptation aux conditions de luminosité extérieure, et la suppression de l'éblouissement ; le fait de ne plus avoir à régler la position des rétroviseurs en fonction de la morphologie du conducteur ; une visibilité intacte même lorsque des voyageurs sont sur la plate-forme avant du bus.
Systèmes de détection L'étude de l'Université Gustave Eiffel a également porté sur deux systèmes de détection des usagers vulnérables, l'un basé sur la technologie Lidar (mesure de distance par laser), l'autre par analyse d'image [9]. Les performances de ces équipements ont été
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évaluées lors d'essais sur piste dans des conditions contrôlées visant à reproduire des événements impliquant ou non un usager vulnérable puis, pour le système par analyse d'image, en circulation réelle sans voyageur. Afin de présenter un intérêt pour le conducteur, de tels systèmes doivent impérativement lui délivrer une information fiable et utile et donc faire la distinction, parmi les éléments détectés, entre les éléments inertes et immobiles (mobilier urbain, véhicule garé, etc.), les éléments mobiles mais non vulnérables (voiture, camion, etc.) et les usagers vulnérables. Les essais de ces deux systèmes n'ont pas été concluants à cet égard. Le système fonctionnant avec le Lidar ne fait aucune distinction entre les différents types d'éléments détectés. Il génère donc un nombre rédhibitoire de « faux positifs », alarmes qui mobilisent inutilement l'attention du conducteur et conduisent rapidement au rejet pur et simple du système. Les auteurs relèvent également que même en cas d'information utile, celle-ci arrive généralement de façon trop tardive et ne permet pas de réagir en situation d'urgence. Le système fondé sur l'analyse d'image permet théoriquement de différencier les différents types d'éléments détectés. Pour autant, sur 117 alertes de présences émises par le système lors des tests, 39 apparaissent comme de « faux positifs », proportion jugée trop élevée par les auteurs pour que le conducteur accorde sa confiance au système et l'utilise à bon escient. Quelques « faux négatifs » (absence d'alerte en présence d'un danger réel) ont également été relevés. Compte tenu de ces résultats, les tests n'ont pas été prolongés par une mise en oeuvre des systèmes en situation commerciale, dans un environnement sans doute plus complexe que celui mis en place pour les tests. Les auteurs concluent en estimant que les capteurs (Lidar ou caméras) sont globalement assez fiables mais que de gros progrès restent nécessaires sur les algorithmes de traitement et d'interprétation. L'Institut Belge pour la Sécurité Routière (maintenant VIAS) avait testé en 2011 un système de détection à base de capteurs à ultrasons [10]. Ces capteurs sont à installer sur le camion aux endroits où l'on désire détecter les usagers vulnérables, soit typiquement sur le côté et à l'avant droit de la cabine et sur le flanc droit de la remorque. Ils mesurent la distance entre les objets détectés et le camion, et produisent dans la cabine un signal visuel et éventuellement sonore, en fonction de plusieurs seuils de distance paramétrables dans le système. À titre d'exemple, les paramètres sélectionnés lors des tests étaient les suivants :
pour une distance égale à 100 cm : une lampe verte s'allume ; pour une distance égale à 80 cm : maintien de la lampe verte + signal sonore ; pour une distance égale à 60 cm : lampe rouge "stop" et signal sonore plus fort.
Les capteurs sont autonomes et communiquent avec le boîtier de contrôle par liaison sans fil, ce qui autorise les changements de remorque. Le système a été posé sur 38 camions de plusieurs entreprises et utilisé pendant trois mois. Aucune mesure physique ni observation externe n'a été réalisée, l'évaluation s'est fondée uniquement sur les informations recueillies auprès des conducteurs. Ceux-ci devaient renseigner quotidiennement le nombre de situations d'angle mort rencontrées et décrire la première situation rencontrée au cours de la journée, selon une typologie prédéfinie. Un questionnaire leur a également été adressé à la fin de la période d'expérimentation. Les éléments recueillis ont été comparés à ceux issus d'un groupe témoin de conducteurs ayant utilisé des véhicules non équipés. Les résultats de l'expérimentation sont mitigés. Le taux de faux positifs (mobilier urbain, voitures, etc.), tel qu'il ressort du jugement qualitatif des conducteurs, est élevé : sur une
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échelle de 1 (pas ou peu de faux positifs) à 5 (énormément de faux positifs), la valeur moyenne attribuée par les conducteurs est de 3,2 et 10 conducteurs sur 34 ont attribué une valeur de 5. 81 % des chauffeurs ont également signalé un déclenchement intempestif du système par temps de pluie et 73 % par temps de neige. Il a également été relevé une susceptibilité du système au vent fort. L'une des améliorations suggérées est de désactiver le système pour les vitesses supérieures à 30 km/h. Le taux de faux négatifs (situations dangereuses non détectées) est plus faible mais non nul, la valeur moyenne attribué par les conducteurs est de 2,1. Une extension de la distance de détection permettrait probablement de réduire ce taux, mais risquerait en contrepartie d'accroître le nombre de faux positifs. Les auteurs concluent de ces résultats que la fiabilité insuffisante du système est de nature à ce que les chauffeurs n'aient pas confiance lorsque celui-ci les avertira d'un danger réel. Ils estiment en conséquence qu'il n'y a pas lieu, à ce stade de développement, de recommander son utilisation. Système d'avertissement à l'extérieur du véhicule L'IBSR [10] a également testé, selon une démarche similaire, un système alertant les usagers vulnérables de la manoeuvre de tourne-à-droite d'un camion grâce à un signal sonore discontinu et un clignotement des lampes latérales du camion. Le système se déclenche lorsque le clignotant droit du camion est activé à une vitesse inférieure à 30 km/h. Il est désactivable depuis la cabine (par exemple, pour les tests, il a été désactivé entre 22 h et 6 h). 33 camions d'entreprises ont été équipés, avec les mêmes modalités d'évaluation que pour le système de détection par ultrasons évoqué plus haut. Selon les éléments recueillis auprès des conducteurs, aucun effet négatif n'a été observé mais le bénéfice offert par le système n'apparaît pas de façon évidente, étant précisé par ailleurs qu'il est souvent difficile au conducteur d'estimer si le cycliste a compris la signification de l'alerte. S'y ajoute le cas particulier des cyclistes portant des écouteurs et ne percevant donc pas l'alerte sonore. L'expérimentation a été complétée par la circulation pendant quelques heures d'un poids lourd équipé sur une boucle en zone urbaine et l'interview, en aval d'un carrefour, de 125 cyclistes confrontés au PL ayant tourné à droite. 74 % des cyclistes interviewés ont perçu l'alerte sonore mais seulement 12 % ont perçu l'alerte visuelle (le rapport signale que les lampes latérales du camion de test étaient petites, et que le test s'est fait de jour par beau temps). Tous ceux qui ont perçu l'alerte visuelle ont également entendu l'alerte sonore. Seulement 29 % des cyclistes ayant perçu l'alerte sonore (soit 19 % de l'ensemble des interviewés) ont bien compris que ce signal les avertissait de la manoeuvre de tourne-à-droite du camion ; les autres n'ont pas fait le lien avec le camion (le son a été attribué par exemple aux feux de circulation) ou ont cru à un dysfonctionnement du camion, ou à une alarme de recul. À la date de l'expérimentation, le système d'alerte sonore et visuelle dérogeait à la réglementation belge. Les auteurs ne voient pas d'objection à ce que ce système soit autorisé, du fait qu'il ne crée pas de danger supplémentaire, mais estiment que sa mise en oeuvre ne pourrait induire des améliorations de la sécurité que si elle s'accompagne d'efforts considérables de communication sur la signification des alertes et sur la façon dont les cyclistes sont censés y réagir (par exemple sur la priorité à céder ou non au PL tournant à droite).
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Le « Direct Vision Standard » de Transport for London
Transport for London (TfL) est l'autorité responsable des transports sur le territoire du Grand Londres, qui couvre 1 572 km², soit l'équivalent d'un cercle de 45 km de diamètre, et rassemble 8,2 millions d'habitants25. La stratégie définie par le maire du Grand Londres en matière de transports a pour objectif de supprimer d'ici 2041 la totalité des accidents mortels et graves sur le réseau londonien. Parmi les mesures adoptées, le Direct Vision Standard vise à réduire le nombre d'accidents entre des poids lourds et des usagers vulnérables. La mise au point de ce standard a donné lieu de 2012 à 2019 à de nombreux travaux préparatoires, et ses modalités ont fait l'objet de concertations notamment avec les industriels. Le principe général26 [11] Depuis le 1er mars 2021, pour pouvoir circuler sur le territoire du Grand Londres, les poids lourds de PTAC supérieur à 12 tonnes (catégorie administrative N3) doivent détenir une autorisation qui n'est délivrée par TfL que si le véhicule respecte un ensemble de critères techniques destiné à réduire le risque de collision avec un piéton ou un cycliste. Le dispositif comporte certaines exemptions et les véhicules de transport en commun ne sont pas concernés. Les demandes d'autorisation sont instruites en ligne et les autorisations sont délivrées gratuitement. Le contrôle est réalisé au moyen des caméras avec fonction de lecture automatique de plaques d'immatriculations (LAPI) équipant le territoire du Grand Londres27, et déjà utilisées précédemment pour le péage urbain et les restrictions d'accès liées aux zones de faible émission. Un véhicule en infraction est passible d'une amende de 550 £. Les critères techniques La configuration de la cabine du véhicule doit offrir au conducteur un champ de vision directe (par le pare-brise et les fenêtres latérales) suffisamment étendu. Si ce critère n'est pas respecté, le véhicule doit être doté d'un ensemble d'équipements complémentaires dit « safe system ». Pour chaque modèle de véhicule, l'étendue du champ de vision directe du conducteur est caractérisée par une classification de 0 à 5 étoiles (du niveau le plus mauvais au meilleur) attribuée selon un système dénommé « Direct Vision Standard » (DVS). Cette classification est déterminée par le constructeur du véhicule au moyen d'un protocole technique développé pour TfL lors des travaux préparatoires. Ce protocole est décrit en détail plus loin.
Les véhicules classés 3, 4 ou 5 étoiles reçoivent une autorisation d'accès au périmètre du Grand Londres valable dix ans. Les véhicules classés 1 ou 2 étoiles reçoivent une autorisation d'accès valable jusqu'en 2024.
25 À titre de comparaison, en Île-de-France : Paris et les trois départements de petite couronne couvrent 657 km² et regroupent 4,5 millions d'habitants ; la zone intérieure à la Francilienne (autoroute A104 et RN104) a un diamètre de l'ordre de 50 km ; la région Île-de-France couvre 12 012 km² et regroupe 12,1 millions d'habitants. 26 Le dispositif est présenté sur le site internet de TfL : https://tfl.gov.uk/info-for/deliveries-in-london/delivering-safely/direct-vision-in-heavy-goods-vehicles. La page comporte également un lien permettant de consulter certains rapports des travaux préparatoires. 27 En 2021, 981 caméras avec fonction LAPI étaient utilisées pour le contrôle et la verbalisation sur le territoire du Grand Londres (source : https://tfl.gov.uk/corporate/transparency/freedom-of-information/foirequest-detail?referenceId=FOI-2256-2021). 66
Les véhicules classés 0 étoile ne peuvent recevoir une autorisation d'accès qu'à la condition d'être dotés des équipements complémentaires définis dans le « safe system » ; cette autorisation sera valable jusqu'en 2024.
Le « safe system » comprend obligatoirement l'ensemble des équipements suivants, qui peuvent être installés sur les véhicules déjà en circulation : 1. Des équipements de vision indirecte complémentaires : - un rétroviseur de classe V (accostage) du côté passager et un rétroviseur de classe VI (antéviseur) à l'avant, tous deux conformes au règlement 46 de la CEE-ONU, ou un système de surveillance par caméra admis par ce règlement comme assurant les mêmes fonctions ; - un système complémentaire de surveillance par caméra couvrant l'extérieur du véhicule du côté passager ; ce système complémentaire peut se désactiver lorsque la vitesse du véhicule dépasse 20 mph (32 km/h) ; - un système de détection avertissant le conducteur de la présence d'un piéton ou d'un cycliste sur le côté passager ; ce système peut se désactiver lorsque la vitesse du véhicule dépasse 20 mph (32 km/h). 2. Des dispositifs d'avertissement des usagers vulnérables : - un dispositif émettant une alerte sonore à l'extérieur lorsque le véhicule tourne du côté passager ; ce dispositif doit être désactivé manuellement entre 23h30 et 7h00 ; - une signalétique apposée sur le véhicule rappelant aux piétons et cyclistes les risques associés aux angles morts. 3. Des deux côtés du véhicule, des protections latérales destinées à réduire le risque qu'un usager vulnérable tombé au sol glisse sous les roues du véhicule. TfL envisage de faire évoluer le dispositif de façon plus restrictive en 2024 en portant le classement minimum requis à 3 étoiles. Les PL classés de 0 à 2 étoiles devraient alors être dotés d'un ensemble d'équipements dit « progressive safe system » pouvant être installés sur un véhicule déjà en circulation. Le détail de ces équipements doit être défini courant 2022 en fonction notamment de l'état de l'art et fera l'objet d'une consultation publique. Le protocole de classification [12] Le protocole définit, sur les trois côtés de la cabine du PL, un volume dit « volume d'évaluation » dans lequel on caractérise la possibilité de visualiser un usager vulnérable. Pour ce faire, on évalue la partie de ce volume visible en vue directe par le conducteur, et la classification en termes d'étoiles est attribuée selon le résultat obtenu.
Figure 52 : Volume d'évaluation du protocole du DVS (représenté pour une cabine avec conduite à droite) ; Loughborough University [12]
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Ce volume est représenté en figure 52. Ses dimensions ont été définies après application de plusieurs variantes sur un échantillon de PL et sélection de la variante jugée la plus discriminante. À l'avant de la cabine et sur son côté passager (ici le côté gauche, pour une cabine avec conduite à droite), elles correspondent au champ de vision minimal au sol requis par le règlement n° 46 de la CEE-ONU. Une zone complémentaire de 2 m de largeur a été ajoutée du côté du conducteur. Dans le sens vertical, le volume d'évaluation va du sol jusqu'à une hauteur de 1,602 m, considérée comme la hauteur de l'épaule du plus grand européen (99 percentile des hommes néerlandais). Les auteurs considèrent que voir l'épaule d'un individu, même sans sa tête, est suffisant pour que le conducteur identifie la présence d'un usager vulnérable. Le point oculaire du conducteur est défini par une distance fixe par rapport à la position du talon du pied agissant sur la pédale d'accélérateur (cette position est définie par les règlements CEE-ONU) ; cette distance, définie en accord avec les industriels, est de 1163 mm en hauteur et 678 mm en profondeur ; elle correspond à la position moyenne des yeux pour le 50 percentile des conducteurs britanniques, allemands, néerlandais, français, italiens et suédois, en comptant une proportion de 90 % d'hommes et 10 % de femmes. La part du volume d'évaluation visible en vue directe par le conducteur est calculée par le constructeur au moyen d'un outil de modélisation 3d à partir d'une saisie détaillée de la configuration de la cabine (y compris l'ensemble des éléments pouvant créer un masque : tableau de bord, rétroviseurs extérieurs, etc.) et du point oculaire du conducteur. Un programme de calcul est mis gratuitement à la disposition des constructeurs, qui peuvent également utiliser un outil alternatif sous réserve de montrer sur un cas-type que cet outil produit des résultats équivalents. La classification en étoiles est attribuée selon les seuils suivants : Volume minimal (m3) 1 étoile 2 étoiles 3 étoiles 4 étoiles 5 étoiles 10,041 11,996 13,950 15,905 17,859
Nota : le volume total d'évaluation est variable puisqu'il dépend de la largeur de la cabine et de la distance entre le point oculaire du conducteur et l'avant de la cabine. Si l'on note respectivement L et D ces deux dimensions, ce volume V (en m³) est : V = 31,239 + 3,204 * L + 10,413 * D. Pour une largeur L de 2,30 m et une distance D de 1 m, le volume total d'évaluation V est égal à 49,02 m³. Le choix de cet indicateur et la définition des seuils sont issus de la démarche détaillée ci-dessous. 27 modèles de poids lourds ont été testés, totalisant plus de 99 % des ventes de la catégorie N3 au Royaume-Uni. La hauteur de la cabine d'un modèle donné pouvant être variable, chaque modèle a été testé avec les hauteurs minimale et maximale de cabine définies par le constructeur. Deux indicateurs ont été calculés sur l'ensemble de ces variantes : d'une part le volume visible, présenté plus haut, mais celui-ci était jugé abstrait et peu parlant ; il a donc été complété par un second indicateur caractérisant la distance moyenne à laquelle un usager vulnérable est visible en vue directe. Pour le calcul de cette distance, l'usager-type retenu est le 5 percentile féminin adulte italien (plus petite population en Europe), d'une taille totale de 1,50 m ; plus de 99 % de la
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population adulte européenne a une taille supérieure 28. Les auteurs considèrent que pour pouvoir détecter rapidement la présence d'un individu, le conducteur doit visualiser au minimum sa tête et ses épaules29 ; pour l'usager-type retenu, ceci correspond à une hauteur de 1,177 m. Treize positions d'usagers ont été utilisées (figure 53) :
trois positions face à l'avant de la cabine, l'une au centre et les deux autres dans le prolongement des faces latérales ; cinq positions sur chacun des deux côtés du véhicule, espacées régulièrement dans le sens longitudinal.
Pour chacune de ces 13 positions, les auteurs ont calculé la distance minimale à laquelle l'usager-type doit se trouver pour que sa tête et le haut de ses épaules soient visibles (donc la distance minimale à laquelle est visible un point situé à une hauteur de 1,177 m), puis la moyenne de ces 13 distances. La corrélation entre les deux indicateurs s'avère très forte ; c'est pourquoi le protocole de classification a retenu l'indicateur de volume, plus précis par définition.
Cependant, pour la classification en étoiles, les auteurs ont considéré qu'il serait inacceptable d'attribuer au moins une étoile à un camion pour lequel un usager ne serait pas visible en limite de la zone réglementairement couverte par les rétroviseurs du côté passager et à l'avant, car ceci conduirait de fait à admettre l'existence d'un angle mort. En conséquence, n'ont été jugés admissibles à l'attribution d'une étoile que les camions pour lesquels la distance moyenne de visibilité de l'usager-type, calculée séparément pour l'avant, le côté passager et le côté conducteur, était inférieure respectivement à 2 m, 4,5 m et 0,6 m. Parmi tous les modèles testés respectant cette condition, la valeur la plus faible du volume de visibilité a été retenue pour le seuil de classification à une étoile. Les seuils définissant les catégories de 2 à 5 étoiles ont ensuite été définis par une subdivision égale, en cinq parties, du score volumétrique entre cette valeur et le score obtenu par le véhicule testé le plus performant. Parmi les 54 modèles testés :
Figure 53 : Positions des usagers utilisées pour le calcul de la distance moyenne de visibilité Loughborough University [12]
3 camions ont reçu 5 étoiles ; 3 ont reçu 4 étoiles ; 6 ont reçu 3 étoiles ; 6 ont reçu 2 étoiles ;
28 Les auteurs soulignent que même pour un percentile aussi élevé, ce choix résulte quand même d'un compromis, car il exclut de fait les enfants et les utilisateurs de fauteuils roulants. Toutefois l'analyse des accidents a montré que ces types d'usagers étaient rarement impliqués. 29 Le choix de rechercher la visibilité d'au moins la tête et les épaules est une décision des auteurs. Ceux-ci soulignent qu'il n'existe pas de sources bibliographiques évaluant la part minimale d'un individu qui devrait être visible pour permettre une identification rapide. Les auteurs craignent même que la tête et les épaules ne soient pas suffisantes dans une situation dégradée (conditions météorologiques défavorables, faible éclairement, vêtements sombres, charge mentale élevée du conducteur due à une circulation dense ou à la pression professionnelle, etc.). 69
8 ont reçu 1 étoile ; 28 n'ont reçu aucune étoile.
La plupart des constructeurs les plus importants commercialisent au moins un modèle ayant reçu au moins une étoile : DAF, Isuzu, Mercedes-Benz, Renault Trucks, Scania, Volvo, etc.
Références
[1] Les facteurs d'accidents mortels en 2015 - Exploitation de la base FLAM. Cerema, août 2021. [2] De Ceunynck, T. ; Slootmans, F. ; Temmerman, P. & Daniels, S. (2019). Analyse approfondie des accidents impliquant des camions - Analyse des collisions par l'arrière, des accidents dus à l'angle mort et des accidents au cours desquels le conducteur de camion ne portait pas de ceinture, Bruxelles, Belgique : institut Vias Centre de Connaissance Sécurité routière. [3] Assessing the Direct Vision Performance of Heavy Goods Vehicles (HGVs) - Summary Report. Transport Research Laboratory, 2016. [4] Schindler, R. ; Jänsch, M. ; Johannsen, H. & Bálint, A. (2020). An analysis of European crash data and scenario specification for heavy truck safety system development within the AEROFLEX project. Transport Research Arena 2020, Helsinki, Finland. [5] Malczyk A. & Bende J. (2017). Crashes between Heavy Vehicles and Bicyclists : Characteristics, Injury Patterns and Potentials for Driver Assistance Systems. International Research Council on the Biomechanics of Injury (IRCOBI) Conference 2017, Antwerp, Belgium. [6] Van Elslande P. ; Jaffard, M. ; Fouquet, K. & Fournier, J.Y. (2009). De la vigilance à l'attention... Influence de l'état psychophysiologique et cognitif du conducteur dans les mécanismes d'accidents. Rapport Inrets n°280, décembre 2009. [7] Mole, C.D. & Wilkie, R.M. (2017). Looking forward to safer HGVs: The impact of mirrors on driver reaction times. Accid. Anal. Prev. Volume 107 (2017), p. 173-185. [8] ARUP (2016). Exploring the Road Safety Benefits of Direct vs Indirect Vision in HGV Cabs. [9] Le rapport d'étude n'est pas public. Une présentation de l'étude figure sur le site internet de la Fondation MAIF : https://www.fondation-maif.fr/pageArticle.php?retrovisionameliorer-securite-bus&rub=1&id=933 et des détails complémentaires sur la page : https://www.fondation-maif.fr/article-10-1125.html [10] Étude de l'efficacité des systèmes techniques anti angle mort. Institut Belge pour la Sécurité Routière, 2011. [11] HGV safety permit guidance for operators entering London. Transport for London (non daté). [12] Summerskill S., Marshall R., Patterson A., Eland A. & Lenard J. (2019). The Definition, Production and Validation of the Direct Vision Standard (DVS) for HGVS. Loughborough Design School, Loughborough University.
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Bureau d'E nquêtes sur les Ac cidents de T ransport T errestre
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Grande Arche - Paroi Sud 92055 La Défense cedex Téléphone : 01 40 81 21 83 bea-tt@developpement-durable.gouv.fr www.bea-tt.developpement-durable.gouv.fr
(ATTENTION: OPTION de 30 km/h, de détecter la présence d'un cycliste en mouvement sur le côté du véhicule dans une zone située entre 0,90 m et 4,25 m de celui-ci. Lorsque le PL est à l'arrêt, il doit également pouvoir détecter un cycliste circulant perpendiculairement au véhicule, sur une trajectoire passant à 1,15 m en avant de la face avant du PL, au plus tard lorsque le cycliste se trouve à une distance latérale égale à 2 m. Le règlement prévoit deux modalités de fonctionnement : un signal d'information optique, et « lorsque le risque de collision augmente », un signal d'avertissement optique, acoustique ou haptique11 ou une combinaison de ces signaux. Le signal d'avertissement peut être désactivé manuellement. La conformité à ces deux règlements est vérifiée par des essais au moyen de mannequins normalisés. Ces textes ne fixent pas d'exigence quant à la proportion de fausses alarmes et stipulent simplement que leur nombre doit être aussi faible que possible. Ces deux règlements CEE-ONU n'imposent pas que les véhicules soient équipés de tels systèmes, mais uniquement que ceux équipés de tels systèmes12 soient conformes aux exigences spécifiées. En revanche leur application sera très prochainement obligatoire au sein de l'Union Européenne (voir plus loin).
9 « Prescriptions uniformes relatives à l'homologation des véhicules en ce qui concerne les systèmes de détection de piétons et de cyclistes au démarrage ». 10 « Prescriptions uniformes relatives à l'homologation des véhicules à moteur en ce qui concerne le système de surveillance de l'angle mort pour la détection des vélos ». 11 Qui se rapporte au sens du toucher, par exemple en déclenchant une vibration du volant ou du siège du conducteur. 12 Pour le règlement n°159 : « un système destiné à détecter la présence de piétons ou de cyclistes à proximité immédiate de l'angle mort à l'avant du véhicule, à en informer le conducteur et, si cela est jugé nécessaire en fonction de la stratégie du constructeur, à l'avertir d'un risque de collision ». Pour le règlement n°151 : « un système qui avertit le conducteur, lorsqu'il amorce un virage, d'une collision possible avec un vélo situé côté passager ». 46
5.3.4 - Les systèmes d'avertissement à l'extérieur du véhicule
Des équipementiers ont également développé des systèmes émettant, à l'extérieur du véhicule, un signal sonore ou lumineux lorsque le clignotant droit du camion est activé à faible vitesse. Le BEA-TT a notamment relevé :
un système déclenchant un signal sonore discontinu et le clignotement des lampes latérales du camion13 ; un système émettant une alarme vocale « avec avertissement de changement de direction »14 ; un système projetant au sol, au moyen de LED, une image lumineuse clignotante de couleur rouge délimitant la zone d'angle mort du côté droit de la cabine 15 ; la luminosité de l'image s'adapte automatiquement en fonction de la luminosité ambiante.
Les alarmes sonores peuvent être désactivées en période nocturne. Tous ces systèmes peuvent être installés sur des PL en circulation. Le premier de ces dispositifs a fait l'objet en 2011 d'une évaluation par l'Institut Belge pour la Sécurité Routière (voir la bibliographie en annexe 2). Les auteurs n'ont pas relevé d'effet négatif mais estiment que le bénéfice offert par le système n'apparaît pas de façon évidente dans la mesure où seule une faible partie des cyclistes concernés percevait et comprenait la signification de l'alerte sonore et visuelle. Ils concluent que sa mise en oeuvre éventuelle (sous réserve d'être autorisée par la réglementation belge, ce qui n'était pas le cas à l'époque de l'évaluation) ne pourrait induire des améliorations de la sécurité que si elle s'accompagne d'efforts considérables de communication sur la signification des alertes et le comportement à adopter par les cyclistes en réaction. Les deux autres dispositifs n'ont pas fait l'objet, à notre connaissance, d'une évaluation par un organisme indépendant. En France, le seul dispositif sonore prévu par le Code de la route est l'avertisseur sonore (article R313-33), dont l'usage en agglomération n'est autorisé qu'en cas de danger immédiat (article R416-1), ce qui exclut un déclenchement automatique.
5.3.5 - Le « Direct Vision Standard » de Transport for London
Transport for London (TfL) est l'autorité responsable des transports sur le territoire du Grand Londres, qui couvre 1 572 km², soit l'équivalent d'un cercle de 45 km de diamètre, et rassemble 8,2 millions d'habitants. Dans le cadre de la stratégie définie par le maire du Grand Londres en matière de sécurité des transports, le Direct Vision Standard vise à réduire le nombre d'accidents entre des poids lourds et des usagers vulnérables. Ce dispositif, résumé ci-après, est présenté plus en détail en annexe 2. Depuis le 1er mars 2021, pour pouvoir circuler sur le territoire du Grand Londres, les poids lourds de PTAC supérieur à 12 tonnes (catégorie administrative N3) doivent respecter un ensemble de critères techniques destiné à réduire le risque de collision avec un piéton ou un cycliste. Les véhicules de transport en commun ne sont pas concernés. L'exigence fondamentale du Direct Vision Standard est que la configuration de la cabine du poids lourd doit offrir au conducteur un champ de vision directe (par le pare-brise et les fenêtres latérales) suffisamment étendu. Chaque modèle de véhicule reçoit une classification de 0 à 5 étoiles (du niveau le plus mauvais au meilleur) en fonction du
13 https://www.lisa2alert.com/ 14 https://brigade-electronics.com/fr/produits/capteurs-a-ultrasons/ 15 http://blindspotilluminator.com/ 47
volume directement visible par le conducteur, évalué selon un protocole technique très précis développé en concertation avec les constructeurs.
Les véhicules classés 3, 4 ou 5 étoiles reçoivent une autorisation d'accès au périmètre du Grand Londres valable dix ans. Les véhicules classés 1 ou 2 étoiles reçoivent une autorisation d'accès valable jusqu'en 2024. Les véhicules classés 0 étoile ne peuvent recevoir une autorisation d'accès qu'à la condition d'être dotés d'un ensemble d'équipements complémentaires dit « safe system » ; cette autorisation sera valable jusqu'en 2024.
Le « safe system » comprend obligatoirement l'ensemble des équipements suivants, qui peuvent être installés sur les véhicules déjà en circulation : 1. Des équipements de vision indirecte complémentaires : - un rétroviseur de classe V (accostage) du côté passager et un rétroviseur de classe VI (antéviseur) à l'avant, tous deux conformes au règlement n° 46 de la CEE-ONU, ou un système de surveillance par caméra admis par ce règlement comme assurant les mêmes fonctions ; - un système complémentaire de surveillance par caméra couvrant l'extérieur du véhicule du côté passager ; ce système complémentaire peut se désactiver lorsque la vitesse du véhicule dépasse 20 mph (32 km/h) ; - un système de détection avertissant le conducteur de la présence d'un piéton ou d'un cycliste sur le côté passager ; ce système peut se désactiver lorsque la vitesse du véhicule dépasse 20 mph (32 km/h). 2. Des dispositifs d'avertissement des usagers vulnérables : - un dispositif émettant une alerte sonore à l'extérieur lorsque le véhicule tourne du côté passager ; ce dispositif doit être désactivé manuellement entre 23 h 30 et 7 h 00 ; - une signalétique apposée sur le véhicule rappelant aux piétons et cyclistes les risques associés aux angles morts. 3. Des deux côtés du véhicule, des protections latérales destinées à réduire le risque qu'un usager vulnérable tombé au sol glisse sous les roues du véhicule. Les autorisations d'accès sont délivrées individuellement et gratuitement à chaque véhicule après instruction des demandes en ligne. Le contrôle est réalisé au moyen des caméras avec fonction de lecture automatique de plaques d'immatriculations (LAPI) équipant le territoire du Grand Londres, et déjà utilisées précédemment pour le péage urbain et les restrictions d'accès liées aux zones de faible émission. TfL envisage de faire évoluer le dispositif de façon plus restrictive en 2024 en portant le classement minimum requis à 3 étoiles. Les PL classés de 0 à 2 étoiles devraient alors être dotés d'un ensemble d'équipements dit « progressive safe system » pouvant être installés sur un véhicule déjà en circulation. Le détail de ces équipements doit être défini courant 2022 en fonction notamment de l'état de l'art et fera l'objet d'une consultation publique. Cinquante-quatre modèles de PL ont fait l'objet de tests durant les travaux préparatoires à la définition du Direct Vision Standard. Parmi ceux-ci, 26 ont reçu au moins une étoile et 28 ont été classés 0 étoile. Les modèles les mieux classés sont ceux où la cabine est plus basse et dont les portières comportent une surface vitrée plus élevée. La figure 50 en présente deux exemples. Selon des statistiques produites par TfL début 2022, parmi les 192 000 poids lourds ayant reçu une autorisation d'accès, 59 % sont classés 0 étoile.
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Figure 50 : Deux modèles de PL à cabine basse : Volvo FE LEC (à gauche) et Mercedes Econic (à droite) Sources : Volvo Trucks et Mercedes-Benz Trucks
En France, les considérations de sécurité routière ne constituent pas à ce jour un motif permettant aux communes d'interdire tout ou partie de leur réseau de voirie à certains véhicules. Le Code général des collectivités territoriales ne prévoit en effet la possibilité de telles interdictions que dans les cas suivants :
eu égard aux nécessités de la circulation et de la protection de l'environnement (art. L2213-2) ; pour les véhicules dont la circulation est de nature à compromettre soit la tranquillité publique, soit la qualité de l'air, soit la protection des espèces animales ou végétales, soit la protection des espaces naturels, des paysages ou des sites ou leur mise en valeur à des fins esthétiques, écologiques, agricoles, forestières ou touristiques (art. L2213-4) ; dans le cadre des zones « à faibles émissions mobilité » (art. L2213-4-1) ; pour les véhicules de transport de matières dangereuses (art. L2213-5).
5.3.6 - Le projet de règlement CEE-ONU relatif à la vision directe
La Commission Économique pour l'Europe de l'ONU envisage l'adoption prochaine d'un nouveau règlement16 fixant des normes minimales en matière de vision directe, applicable aux véhicules de transport en commun (catégories M2 et M3) et aux poids lourds (catégories N2 et N3). L'introduction du projet de règlement justifie ce besoin notamment par les lacunes des dispositifs actuels, en particulier des rétroviseurs17. Le projet prévoit l'évaluation du volume extérieur directement visible par le conducteur du véhicule, selon un protocole technique identique à celui défini par Transport for London pour son Direct Vision Standard (voir plus haut et le détail en annexe 2). Les véhicules sont répartis en trois niveaux pour lesquels les exigences seront différentes. Le niveau 1 correspond aux « véhicules qui circulent souvent dans les zones urbaines » ; en pratique ce sont :
tous les véhicules de transport en commun (catégories M2 et M3) ; les PL de PTAC inférieur ou égal à 12 tonnes (catégorie N2) ;
16 « Prescriptions uniformes relatives à l'homologation des véhicules à moteur en ce qui concerne la vision directe ». 17 « Les images présentées dans les rétroviseurs sont petites et peuvent ne pas présenter une quantité de mouvement suffisante pour alerter la vision périphérique. [...] Les images provenant de rétroviseurs convexes peuvent être déformées, notamment sur les bords, et les rétroviseurs de surveillance des angles morts peuvent être placés dans des positions contre-intuitives et présenter une orientation inattendue du sujet. » 49
la plupart des PL de PTAC entre 12 et 16 tonnes (excepté ceux à plus de deux roues motrices) ; certains PL de PTAC supérieur à 16 tonnes, selon une combinaison de nombreux critères : - s'ils sont équipés en « cabine jour », les 4x2, les 6x2, et les 6x4 à châssis rigide ; - s'ils sont équipés en « cabine couchette », les 4x2 de puissance inférieure à 265 kW, et les 8x2 ou 8x4 à châssis rigide et de puissance inférieure à 350 kW.
Le niveau 2 correspond aux « véhicules qui circulent parfois en zone urbaine mais qui sont assujettis à des limitations fonctionnelles particulières » ; en pratique seuls certains PL de catégorie « tout terrain » en font partie. Le niveau 3, qui correspond aux « véhicules qui pénètrent rarement dans les zones urbaines », regroupe en pratique les véhicules non classés dans les deux autres niveaux. Le volume minimal de visibilité directe requis par le projet est le suivant :
Volume minimal de visibilité directe (m3) Niveau 1 Volume visible du côté passager Volume visible vers l'avant Volume visible du côté conducteur Volume total visible 3,4 1,8 2,8 11,2 Niveau 2 n.a. 1,0 n.a. 8,0 Niveau 3 n.a. 1,0 n.a. 7,0
Nota : pour mémoire (cf. annexe 2), le volume visible requis par TfL pour accorder un classement « 1 étoile » est de 10,04 m³. Le critère fixé par le projet de règlement CEE-ONU est donc légèrement plus élevé pour les véhicules considérés de « niveau 1 » mais plus faible pour ceux considérés de « niveaux 2 et 3 ». Les règlements relatifs aux véhicules routiers sont établis, au sein de la Commission Économique pour l'Europe de l'ONU, par le Forum mondial de l'harmonisation des règlements concernant les véhicules, dit « WP.29 ». Les travaux relatifs aux exigences générales de sécurité pour les véhicules sont conduits au sein du Groupe de travail des dispositions générales de sécurité (GRSG). Le projet de règlement, rédigé par un groupe de travail informel consacré à la détection des usagers vulnérables, a été adopté fin mars 2022 par le GRSG et doit maintenant être proposé pour adoption à la prochaine réunion du WP.29 prévue en novembre 2022. La version disponible ne précise pas quelle serait sa date d'entrée en vigueur.
5.3.7 - La réglementation européenne
Le règlement (UE) 2019/2144 du 27 novembre 2019 18, dit « GSR-2 » (pour General Safety Regulation, version 2) a actualisé les exigences européennes relatives à la conception des véhicules eu égard à leur sécurité. Il reprend les exigences antérieures figurant dans le règlement n° 661/2009 du 13 juillet 2009, dit « GSR-1 », et le complète dans de nombreux domaines par de nouvelles prescriptions applicables à une date ultérieure. Parmi ces nouvelles prescriptions, l'article 9 du règlement impose aux véhicules de transport en commun (catégories M2 et M3) et aux poids lourds (catégories N2 et N3) :
18 « Règlement (UE) 2019/2144 du Parlement européen et du Conseil du 27 novembre 2019 relatif aux prescriptions applicables à la réception par type des véhicules à moteur et de leurs remorques, ainsi que des systèmes, composants et entités techniques distinctes destinés à ces véhicules, en ce qui concerne leur sécurité générale et la protection des occupants des véhicules et des usagers vulnérables de la route. » 50
d'être « équipés de systèmes avancés qui sont capables de détecter des piétons et des cyclistes se trouvant à proximité immédiate de l'avant ou du côté droit du véhicule et d'avertir de leur présence ou d'éviter une collision avec ces usagers vulnérables de la route » ; d'être « conçus et construits afin d'améliorer la visibilité directe des usagers vulnérables de la route depuis le siège du conducteur, en réduisant le plus possible les angles morts à l'avant et sur le côté du conducteur, tout en tenant compte des spécificités des différentes catégories de véhicules ».
Des règlements d'exécution doivent préciser les procédures et spécifications techniques pour vérifier le respect de ces exigences. Pour les deux objets « Avertissement de collision avec piéton ou cycliste » et « Système d'information concernant les angles morts », les prescriptions sont applicables depuis le 6 juillet 2022 pour les modèles et systèmes soumis à la réception UE par type, et seront applicables à partir du 7 juillet 2024 pour les véhicules et les systèmes commercialisés. Le règlement d'exécution 19 se réfère respectivement aux règlements CEE-ONU n° 159 et 151 présentés plus haut. S'agissant de l'objet « Vision directe des véhicules lourds », les prescriptions seront applicables à partir du 7 janvier 2026 pour les modèles soumis à la réception UE par type, et à partir du 7 janvier 2029 pour les véhicules mis en circulation. Le règlement d'exécution doit être publié au plus tard le 7 janvier 2023. Les autorités européennes comptent certainement se référer au futur règlement CEE-ONU, présenté plus haut, dont l'adoption par le WP.29 est prévue en novembre 2022.
5.3.8 - Conclusion
Pour la prévention des accidents de poids lourds avec angle mort, la piste d'action la plus prometteuse est à l'évidence de rechercher une extension du champ de vision directe du conducteur. Les rétroviseurs présentent en effet de nombreuses lacunes que les systèmes alternatifs à base de caméras et moniteurs ne compensent qu'en partie. Les systèmes complémentaires de détection, qui visent essentiellement les piétons traversant perpendiculairement devant le PL et les cyclistes longeant le PL du côté passager, risquent compte tenu du temps de réaction nécessaire d'être peu efficaces dans une situation de mouvement tournant comme celle analysée dans la présente enquête, dans laquelle la vitesse de rapprochement latéral entre le PL et la piétonne était substantielle dans les derniers instants. Les travaux sur la vision directe conduits à l'initiative de Transport for London, leur appropriation par un nouveau règlement CEE-ONU dont l'adoption est attendue fin 2022, et la référence probable à ce futur règlement pour l'application du GSR-2 de l'Union Européenne dans ce domaine constituent ainsi des avancées très bénéfiques. Le BEA-TT ne formule en conséquence pas de recommandation sur ce thème. Les effets de ces progrès ne se verront cependant qu'à longue échéance puisque le GSR-2 ne prévoit une application obligatoire aux PL mis en circulation qu'à compter de janvier 2029. Les spécifications du GSR-2 quant aux systèmes de détection des usagers vulnérables, applicables aux véhicules et systèmes commercialisés à partir de juillet 2024, constituent également un point positif. Toutefois les règlements CEE-ONU n° 151 et 159 qui en constituent les références techniques ne fixent aucune exigence précise quant à la proportion de fausses alarmes et stipulent simplement que leur nombre doit être aussi faible que possible. Or ce sujet semble avoir été peu traité par des études indépendantes, et celles dont le BEA-TT a eu connaissance ont conclu que les dispositifs étudiés
19 Règlement délégué (UE) 2022/1398 de la Commission du 8 juin 2022. 51
généraient un taux de « faux positifs » trop élevé susceptible de dégrader la confiance accordée au système par le conducteur, facteur indispensable à leur utilité. Le BEA-TT estime donc indispensable de faire progresser les connaissances en la matière et émet la recommandation suivante : Recommandation R1 adressée à la Délégation à la sécurité routière (DSR) et à la Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) : Susciter une étude sur les performances des systèmes de détection des usagers vulnérables destinés à équiper les véhicules lourds, visés par les règlements CEE-ONU n° 151 et 159, en vue notamment de définir un protocole permettant d'évaluer la proportion de fausses alarmes puis d'appliquer ce protocole à un panel de systèmes commercialisés. Par ailleurs, le BEA-TT rappelle à la Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) la recommandation précédemment émise par son rapport d'enquête technique sur l'accident entre un cycliste et un camion survenu le 17 août 2015 à Paris 9 e : « Dans le cadre de la révision du règlement CEE-ONU n° 46 relatif à l'homologation des systèmes de vision indirecte, proposer que l'ensemble des rétroviseurs installés, côtés conducteur et passager, puissent être réglés par le conducteur depuis sa position de conduite ».
5.4 -
L'aménagement du carrefour entre le boulevard Jean-Jaurès et la rue de Neuilly
À l'intersection de la rue de Neuilly et du boulevard Jean-Jaurès, l'angle du trottoir ne comporte aucun arrondi. Cette configuration, ainsi que le débord du passage piéton sur la zone centrale du carrefour, contraignent un poids lourd sortant de la rue de Neuilly à s'avancer en ligne droite jusqu'à la zone centrale du carrefour avant d'entamer son mouvement de giration. Dans cette position le conducteur n'a plus de vision directe sur la partie du passage piéton la plus proche de la rue de Neuilly. L'état dégradé des bandes d'éveil de vigilance posées sur cet angle de trottoir montre qu'une partie des conducteurs de PL entament leur giration plus tôt. Le guide technique « Voirie urbaine Guide d'aménagement »20 du Cerema préconise pour les arrondis d'angle de trottoir en milieu urbain un rayon compris entre 2 m et 6 m, une valeur plus grande étant susceptible de favoriser une vitesse élevée lors du mouvement tournant. Le guide de conception des carrefours à feux 21 du Certu (service maintenant intégré au Cerema) précise que si les traversées piétonnes doivent être placées, autant que faire se peut, dans le prolongement des cheminements naturels des piétons, il convient cependant de les éloigner du virage afin :
qu'un véhicule qui tourne à droite ne gêne pas l'écoulement de ceux allant tout droit lorsqu'il s'arrête pour laisser passer les piétons (Nota : ce motif ne s'appliquerait pas au carrefour concerné ici, le virage à droite étant le seul mouvement autorisé) ; de garantir des angles de vision optimaux entre les piétons et les véhicules qui tournent.
Le guide « Carrefours urbains »22 du Certu recommande un éloignement de 2 à 5 mètres entre le carrefour et le passage piéton. Il apparaît donc souhaitable de créer un arrondi de trottoir et d'éloigner le passage piéton du débouché de la rue de Neuilly. Deux options pourraient être envisagées, mais chacune comporte des inconvénients :
20 Voirie urbaine Guide d'aménagement, Cerema (2016). 21 Guide de conception des carrefours à feux, Certu (2010). 22 Carrefours urbains Guide, Certu (version mise à jour en 2010). 52
1. Déplacer le passage piéton plus en aval sur le boulevard : du fait de la présence, du côté opposé, de la sortie du parking souterrain situé sous le parc de la mairie, le passage piéton devrait être éloigné d'environ 6 m du débouché de la rue de Neuilly. Il serait alors très décalé par rapport au prolongement naturel des trottoirs de la rue Villeneuve et de la rue de Neuilly, et cette configuration créerait un point de conflit supplémentaire entre les véhicules sortant du parking souterrain et les piétons traversant. 2. Déplacer le débouché de la rue de Neuilly plus en amont, selon le principe représenté en figure 51 : la place du Marché offre un espace suffisant pour une telle opération, qui permettrait également de rendre l'intersection perpendiculaire. Mais elle impliquerait notamment de déplacer plusieurs équipements (feu tricolore, bornes rétractables et borne d'appel, potelets, etc.) et de modifier l'organisation du marché.
Figure 51 : Principe de déplacement du débouché de la rue de Neuilly vers l'amont du boulevard
Dans l'hypothèse où aucune solution technique satisfaisante ne permettrait d'éloigner le passage piéton du débouché de la rue de Neuilly, il conviendrait de supprimer les situations de conflit potentiel entre les PL tournant à droite depuis la rue de Neuilly et les piétons traversant, en séparant ces deux mouvements dans le cycle des feux du carrefour par l'ajout d'une nouvelle phase dans leur diagramme de fonctionnement. En l'absence d'intervention physique sur la configuration du carrefour, il conviendrait également de restaurer les bandes d'éveil de vigilance dégradées et de supprimer la partie du passage piéton débordant au centre du carrefour sur le prolongement de la rue de Neuilly. Selon le règlement de voirie du Conseil départemental des Hauts-de-Seine (cf. partie 2.3), ce dernier est notamment en charge des feux tricolores du carrefour et de la signalisation horizontale sur le boulevard Jean-Jaurès. La plupart des actions évoquées ci-dessus nécessitent par conséquent une collaboration étroite entre la Ville de Clichy et le Conseil départemental. C'est pourquoi le BEA-TT émet la recommandation suivante : Recommandation R2 adressée conjointement à la Ville de Clichy et au Conseil départemental des Hauts-de-Seine : Étudier de façon concertée une solution technique permettant d'éloigner le débouché de la rue de Neuilly sur le boulevard Jean-Jaurès et le passage piéton situé plus en aval sur le boulevard, en déplaçant l'un ou l'autre de ces éléments, et créer à cette occasion un arrondi de trottoir dans l'angle sud du carrefour. En l'absence de solution technique satisfaisante : - étudier de façon concertée une modification du diagramme de fonctionnement des feux de circulation du carrefour afin de séparer dans le temps les mouvements
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des véhicules sortant de la rue de Neuilly et les traversées des piétons sur le passage situé en aval sur le boulevard ; - restaurer les bandes d'éveil de vigilance dégradées dans l'angle sud du carrefour (Ville de Clichy) ; - supprimer la partie du passage piéton débordant au centre du carrefour sur le prolongement de la rue de Neuilly (Conseil départemental des Hauts-de-Seine). Le BEA-TT invite également la Ville de Clichy à clarifier le dispositif réglementaire régissant la circulation sur la rue de Neuilly et à mettre si nécessaire la signalisation routière en cohérence.
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6 - Conclusions, recommandations et invitations
6.1 Conclusions
La cause directe de l'accident est l'absence de perception réciproque, par le conducteur du poids lourd et par la piétonne, de la présence de l'autre protagoniste. La piétonne, dont l'audition était déficiente, n'a pas entendu le camion ; elle ne l'a pas vu non plus se rapprocher sur son arrière gauche. Le conducteur du poids lourd n'était pas non plus en situation de détecter aisément la présence de la piétonne, de petite taille, du fait du champ de vision réduit offert par la fenêtre de droite de sa cabine, de la nécessité de porter son attention sur les autres piétons traversant sur le passage, et des multiples contrôles imposés par la manoeuvre de giration. La piétonne a probablement été brièvement visible par l'un des rétroviseurs dans les tous derniers instants précédant la collision, mais trop tardivement pour permettre une réaction efficace du conducteur si celui-ci l'avait détectée immédiatement, ce qui n'a pas été le cas. La configuration du carrefour a pu également contribuer à la collision en contraignant le PL à s'engager sur le passage piéton à partir d'une position parallèle à celui-ci, ne favorisant pas la visibilité et la prise d'informations. L'analyse des causes et du contexte de l'accident conduit le BEA-TT à formuler deux recommandations et deux invitations dans les domaines suivants :
la conception et l'équipement des poids lourds ; l'aménagement du carrefour où a eu lieu l'accident ; le dispositif réglementaire régissant la circulation sur la rue de Neuilly.
Compte tenu du projet de règlement sur la vision directe en cours d'adoption par la CEE-ONU, et de sa probable reprise par l'Union Européenne comme référence technique pour l'application du règlement (UE) 2019/2144, le BEA-TT ne formule pas de recommandation sur ce thème.
6.2 -
Recommandations et invitations
Recommandation R1 adressée à la Délégation à la sécurité routière (DSR) et à la Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) : Susciter une étude sur les performances des systèmes de détection des usagers vulnérables destinés à équiper les véhicules lourds, visés par les règlements CEE-ONU n°151 et 159, en vue notamment de définir un protocole permettant d'évaluer la proportion de fausses alarmes puis d'appliquer ce protocole à un panel de systèmes commercialisés.
Recommandation R2 adressée conjointement à la Ville de Clichy et au Conseil départemental des Hauts-de-Seine : Étudier de façon concertée une solution technique permettant d'éloigner le débouché de la rue de Neuilly sur le boulevard Jean-Jaurès et le passage piéton situé plus en aval sur le boulevard, en déplaçant l'un ou l'autre de ces éléments, et créer à cette occasion un arrondi de trottoir dans l'angle sud du carrefour.
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En l'absence de solution technique satisfaisante : - étudier de façon concertée une modification du diagramme de fonctionnement des feux de circulation du carrefour afin de séparer dans le temps les mouvements des véhicules sortant de la rue de Neuilly et les traversées des piétons sur le passage situé en aval sur le boulevard ; - restaurer les bandes d'éveil de vigilance dégradées dans l'angle sud du carrefour (Ville de Clichy) ; - supprimer la partie du passage piéton débordant au centre du carrefour sur le prolongement de la rue de Neuilly (Conseil départemental des Hauts-de-Seine). Le BEA-TT rappelle par ailleurs à la Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) la recommandation précédemment émise par son rapport d'enquête technique sur l'accident entre un cycliste et un camion survenu le 17 août 2015 à Paris 9 e : « Dans le cadre de la révision du règlement CEE-ONU n° 46 relatif à l'homologation des systèmes de vision indirecte, proposer que l'ensemble des rétroviseurs installés, côtés conducteur et passager, puissent être réglés par le conducteur depuis sa position de conduite ». Le BEA-TT invite également la Ville de Clichy à clarifier le dispositif réglementaire régissant la circulation sur la rue de Neuilly et à mettre si nécessaire la signalisation routière en cohérence.
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ANNEXES
Annexe 1 : Décision d'ouverture d'enquête Annexe 2 : Bibliographie
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Annexe 1 : Décision d'ouverture d'enquête
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Annexe 2 : Bibliographie
Les scénarios d'accidents de PL contre un usager vulnérable avec angle mort
Les accidents de piétons Afin d'étudier les déterminants des accidents mortels dans des analyses spécifiques approfondies, le Cerema a constitué une base de données détaillée des accidents mortels de l'année 2015, dénommée FLAM. Renseignée à partir de la lecture et du codage des procès-verbaux d'accidents établis par les forces de l'ordre, cette base regroupe 2878 des 3373 accidents mortels recensés par les statistiques officielles de l'année 2015. La structure de la base est décrite dans la référence [1] 23. Selon des éléments non encore publiés, transmis par le Cerema au BEA-TT, la base comporte 56 accidents mortels de piétons impliquant un véhicule lourd (44 impliquant un PL et 12 un véhicule de transport en commun). Dans 23 de ces accidents, soit environ quatre accidents sur dix, l'existence d'un angle mort sur le véhicule a été identifiée comme l'un des facteurs à l'origine de l'accident :
13 accidents sont survenus au démarrage du véhicule, 7 sont survenus lors d'un virage à droite en carrefour, 2 sont survenus en marche arrière, 1 est survenu lors d'un virage à gauche en carrefour.
Dans les 20 accidents au démarrage ou en tourne-à-droite, l'angle mort est toujours situé soit en face avant du véhicule, soit en partie avant de son côté droit. L'institut belge VIAS [2] a conduit une analyse d'accidents graves ou mortels d'usagers vulnérables heurtés par des PL, à partir d'une base de données détaillée constituée par les services de police de l'agglomération d'Anvers entre 2010 et 2016. Dix accidents de piétons ont été attribués à l'existence d'un angle mort, dont cinq accidents en carrefour (quatre équipés de feux, le cinquième avec priorité), et cinq hors carrefour :
5 accidents impliquent un piéton traversant de droite à gauche devant le PL, qui va tout droit ; 3 impliquent un piéton traversant de droite à gauche derrière le PL, qui fait marche arrière ; 1 accident implique un piéton traversant parallèlement à la trajectoire d'arrivée du PL, qui tourne à droite ; le dernier accident n'est pas décrit.
8 des 10 piétons impliqués ont plus de 60 ans, dont 4 ont plus de 80 ans. En Angleterre, le Transport Research Laboratory (TRL) [3] a analysé les accidents mortels de piétons survenus dans des collisions avec des poids lourds de plus de 7,5 t sur le territoire du Grand Londres. Sur la période 2005-2014, les auteurs ont dénombré 73 accidents de piétons dont la moitié (36) relevaient d'un facteur « angle mort ». Parmi ces derniers, 21 accidents (58 %) correspondent à une collision entre un PL au démarrage et un piéton traversant perpendiculairement devant lui, et 8 accidents (22 %) ont eu lieu alors que le PL tournait du côté passager (vers la gauche au Royaume-Uni). Schindler et al. [4] ont étudié les accidents impliquant un poids lourd de plus de 16 tonnes répertoriés dans la base de données allemande GIDAS sur la période 2000-2017. Parmi les 56 accidents recensés impliquant un piéton :
23 Les nombres entre crochets renvoient aux références bibliographiques listées en fin de cette annexe. 59
dans 34 accidents (61 % des cas), le piéton traverse perpendiculairement à la trajectoire du PL ; dans 10 accidents (18 % des cas), le PL et le piéton se déplacent parallèlement puis le PL tourne à droite et renverse le piéton ; les 12 accidents restants se distribuent entre plusieurs scénarios.
Les auteurs ont approfondi l'analyse des 34 accidents correspondant au premier scénario, où le piéton traverse perpendiculairement à la trajectoire du PL. Ils mettent en évidence deux ensembles distincts d'accidents :
ceux dans lesquels le piéton se retrouve sous le camion (16 cas) : l'article précise que ceci est associé à des blessures plus graves ou mortelles mais n'apporte pas de précision chiffrée. La vitesse du PL lors de la collision est faible, généralement inférieure à 10 km/h, du fait que dans 10 de ces 16 cas le PL était initialement à l'arrêt et a redémarré pendant que le piéton traversait devant lui ; ceux dans lesquels le piéton n'est pas « passé » sous le camion (18 cas) : sur cet ensemble, la vitesse moyenne du PL lors de la collision est de 23 km/h, elle dépasse 40 km/h dans le quart des cas. La vitesse du PL au choc est presque identique à sa vitesse à l'instant où la situation dangereuse s'est constituée, ce qui suggère que le conducteur a eu peu de temps pour réagir et freiner.
Il semble donc, sans toutefois que l'article apporte de précisions sur cette question, que les accidents dans lesquels le PL démarre soient paradoxalement en moyenne plus graves que ceux dans lesquels le PL est en circulation. Les auteurs ne soulignent pas ce paradoxe et ne tentent pas de l'expliquer dans l'article. Une explication envisageable serait que lorsque le PL roule à une vitesse plus élevée il est plus susceptible de projeter le piéton à distance, et risque moins de ce fait de lui rouler ensuite dessus en poursuivant sa trajectoire. En synthèse, l'existence d'un angle mort peut être incriminée dans les accidents mortels de piétons contre un PL dans 4 à 5 cas sur 10. La littérature s'accorde pour considérer que les scénarios les plus courants d'accident avec angle mort impliquant un piéton sont, par ordre de fréquence décroissante :
un piéton traversant perpendiculairement à la trajectoire du PL, généralement alors que celui-ci redémarre (5 à 6 cas sur 10) ; un piéton traversant parallèlement à la trajectoire initiale du PL, celui-ci tournant à droite (ou à gauche en Angleterre ; 2 à 3 cas sur 10).
Les accidents de cyclistes Dans son étude citée plus haut, l'institut VIAS [2] a également analysé 19 accidents graves ou mortels impliquant un cycliste et un poids lourd, attribués à l'existence d'un angle mort. Un seul de ces accidents est survenu en dehors d'un carrefour, parmi les 18 autres le carrefour est réglé par des feux dans 13 cas et par un régime de priorité dans 4 cas (pas de précision dans le dernier cas).
10 accidents impliquent un PL tournant à droite et heurtant un cycliste roulant tout droit, sur son côté droit ; 6 accidents impliquent un PL allant tout droit et heurtant un cycliste traversant de droite à gauche devant lui, soit en provenance d'une rue latérale (4 cas), soit traversant devant le camion à l'arrêt (2 cas) ; 2 accidents impliquent un PL tournant à gauche en coupant une piste cyclable sur laquelle il percute un cycliste qui vient de sa gauche (1 cas) ou de sa droite (1 cas) ; le dernier accident implique un cycliste traversant de gauche à droite derrière le PL, qui faisait marche arrière.
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Les âges des cyclistes impliqués sont relativement répartis, sans prépondérance marquée d'une tranche d'âge particulière. L'étude du TRL sur le territoire du Grand Londres [3] s'est également intéressée aux cyclistes décédés dans des collisions avec des poids lourds de plus de 7,5 t. Elle a dénombré 43 accidents mortels dont les trois quarts (33) relevaient d'un facteur « angle mort ». Les deux tiers des accidents avec ce facteur (22 sur 33) impliquent un PL tournant du côté passager (vers la gauche au Royaume-Uni) et heurtant un cycliste sur son côté passager. Les autres accidents correspondent à de multiples scénarios. Le point d'impact est situé dans 26 cas sur le côté passager du PL, dans cas 4 sur son avant et dans 3 cas sur son côté conducteur. L'étude de Schindler et al. [4] a également porté sur 96 accidents de cyclistes contre des poids lourd de plus de 16 tonnes. Le scénario le plus courant (44 cas) correspond à un PL tournant à droite et renversant un cycliste allant tout droit. La vitesse moyenne du PL lors de la collision est de 13 km/h. Dans les trois quarts de ces accidents (33 cas) la collision a eu lieu sur le côté du camion dans une zone située à moins de 2 m de distance de sa face avant. Dans 4 cas seulement elle a eu lieu à plus de 5 m de l'avant du camion. Malczyk et Bende [5] ont conduit une analyse détaillée de 62 accidents survenus entre 2007 et 2012 entre un PL de plus de 12 tonnes et un cycliste, répertoriés dans une base de données administrée par les assureurs allemands. Les accidents, sélectionnés selon un seuil de remboursement de dommages demandé (mais pas forcément accordé) de 30 k, ont généralement un niveau de gravité élevé : 11 des cyclistes impliqués ont été tués (18 %), 47 (76 %) ont été hospitalisés plus de 24 heures dont 31 (50 %) sont MAIS3+24, et 4 sont blessés légers (6 %). 57 accidents (92 %) ont eu lieu en agglomération, 51 accidents (82 %) en intersection, équipée de feux de circulation dans 32 cas (52 %). Les 11 accidents survenus hors intersection peuvent comporter des girations vers des accès privés. 52 accidents ont eu lieu de jour et 10 de nuit, à l'aube ou au crépuscule. Les scénarios les plus courants sont, par ordre décroissant de fréquence :
un PL tournant à droite (36 accidents, 58 %), le cycliste étant sur son côté droit, allant tout droit (35 accidents) ou tournant à droite (1 accident) ; des trajectoires du PL et du cycliste perpendiculaires (9 accidents, 15 %), le PL allant tout droit ou tournant ; un PL allant tout droit et dépassant un cycliste allant tout droit (6 accidents, 10 %) ; des trajectoires du PL et du cycliste en sens opposé (6 accidents, 10 %), le PL allant tout droit ou tournant ; les 5 accidents restants correspondent à des scénarios variés.
La zone du premier contact a été identifiée pour 57 des 62 accidents : dans plus du tiers des accidents (22 cas) il s'agit de l'angle avant droit de la cabine ; l'ensemble du côté droit du véhicule regroupe 43 accidents sur 57 (75 %). L'utilisation des freins par le PL a pu être déterminée pour 58 accidents ; dans 51 accidents (88 %) le PL n'a pas freiné avant la collision, il n'avait donc pas identifié la présence du cycliste. Dans 33 accidents (53 %) le PL a roulé sur le cycliste après le premier choc.
24 L'échelle AIS (Abbreviated Injury Scale) est une classification internationale utilisée en traumatologie. Elle permet de coder chaque lésion selon son siège et sa nature et lui attribue un score de gravité allant de 1 (lésion mineure) à 6 (lésion mortelle). MAIS (Maximum AIS) est le score AIS le plus élevé attribué aux blessures d'une victime. La Commission Européenne considère comme gravement blessées les personnes dont le score MAIS est supérieur ou égal à 3 (MAIS3+). 61
En conclusion, ces quatre sources identifient toutes comme scénario le plus courant un camion tournant à droite (ou à gauche en Angleterre) et renversant un cycliste allant tout droit, situé sur le côté passager du PL ; ce scénario regroupe à lui seul entre la moitié et les deux tiers des accidents étudiés. Tous scénarios confondus, le point de choc le plus fréquemment cité est l'angle avant droit de la cabine (plus du tiers des accidents), et le côté droit du PL dans les trois quarts des cas.
Complexité de la manoeuvre d'un PL en giration et utilisation des rétroviseurs
Le Laboratoire Mécanismes d'Accidents de l'Inrets (maintenant intégré à l'Université Gustave Eiffel) a analysé de manière approfondie l'occurrence et le processus de génération des défaillances fonctionnelles humaines, notamment les pertes de vigilance et d'attention, dans les mécanismes qui conduisent aux accidents de la route [6]. La conduite d'un véhicule mobilise chez le conducteur des ressources attentionnelles dont les capacités sont par nature limitées. Lorsque la demande cognitive augmente et atteint la limite des capacités de traitement, on aboutit à une surcharge cognitive. « La quantité d'information à traiter en parallèle, pour se représenter correctement la situation et prendre la bonne décision, est importante. Le conducteur doit alors sélectionner les informations les plus pertinentes pour la tâche qu'il a à réaliser et inhiber celles qui sont inutiles, de façon à éviter la surcharge informative. Une situation complexe de conduite liée à une infrastructure compliquée ou à une densité de trafic importante vont avoir tendance à surcharger le système cognitif du conducteur et l'obliger à sélectionner des informations sur des critères parfois subjectifs qui lui sont propres [...] » Les différentes tâches essentielles à la conduite peuvent entrer en compétition, et les ressources attentionnelles doivent se distribuer entre celles-ci. En Angleterre, des travaux conséquents sur la problématique des angles morts des véhicules lourds ont été engagés à l'initiative de Transport for London, l'autorité responsable des transports sur le périmètre du Grand Londres. Ces travaux ont abouti à la définition du Direct Vision Standard, qui sera décrite plus loin dans cette annexe. Une étude conjointe du cabinet ARUP et de l'Université de Leeds [7, 8] a analysé le mode de traitement de l'information visuelle par le conducteur de poids lourd. Les auteurs soulignent en introduction que la conduite d'un véhicule lourd dans un environnement urbain, même à basse vitesse, constitue l'une des situations complexes évoquées ci-dessus, du fait de la multiplicité des interactions potentielles avec d'autres usagers de types variés. Le conducteur doit constamment surveiller la circulation générale et les abords de son véhicule à la fois par le pare-brise et les fenêtres latérales mais aussi par les différents rétroviseurs, au nombre de six. S'y ajoute parfois, en cas de recherche d'itinéraire, le repérage de la signalisation de direction ou la consultation d'un système de navigation. Lors de ses contrôles visuels le conducteur doit en permanence tourner les yeux voire la tête vers les différentes cibles, dont certaines périphériques, et adapter son regard à la zone ciblée (proche ou lointaine). Le délai nécessaire à la transition entre deux cibles visuelles est augmenté par l'excentricité de la cible et la nécessité de modifier la distance de focalisation de son regard. En combinant les durées couramment citées par la littérature pour les mouvements oculaires ou de la tête du conducteur, l'adaptation de son regard à la cible et l'analyse de la scène, les auteurs estiment que le conducteur du PL aura besoin d'environ 4 secondes pour extraire l'information de l'ensemble de ses six rétroviseurs. Ils en concluent que la multiplication des rétroviseurs, qui réduisent les angles morts dans l'espace, conduit paradoxalement à créer des « angles morts temporels », c'est-à-dire des périodes pendant lesquelles l'information visuelle extraite d'un rétroviseur donné peut ne plus être valide, du fait de l'apparition d'un usager non détecté précédemment.
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Des expérimentations ont été réalisées sur un simulateur de conduite afin de comparer les temps de réaction associés respectivement aux champs de vision directe et indirecte, et d'évaluer le bénéfice potentiel apporté par la possibilité de visualiser un usager vulnérable dans le champ de vision directe plutôt que dans un rétroviseur. L'équipement a simulé une cabine de camion de configuration traditionnelle, dotée des six rétroviseurs réglementaires. 41 sujets ont parcouru sur le simulateur un circuit prédéfini sur lequel apparaissaient des piétons ou des cyclistes pouvant nécessiter une réaction de la part du conducteur. Diverses conditions de conduite ont été testées. Lorsque le véhicule est à l'arrêt, le temps de réaction du conducteur à un stimulus visuel est similaire que celui-ci apparaisse dans le champ de vision du pare-brise, d'une fenêtre ou dans le champ de vision indirecte (rétroviseurs). Lorsque le véhicule est en mouvement, le temps de réaction n'est pas plus élevé qu'à l'arrêt pour un stimulus apparaissant par le pare-brise ; en revanche, il augmente d'environ 0,6 s pour la vision par une fenêtre et d'environ 0,8 s pour la vision par un rétroviseur. Des tests ont également été réalisés avec une configuration de cabine dite « low entry cab », plus basse et dont les portes sont vitrées. Lorsqu'un usager vulnérable apparaît dans une zone couverte en vue directe par la cabine surbaissée mais visible uniquement par les rétroviseurs dans la cabine traditionnelle, le temps de réaction du conducteur est plus court de 0,7 s avec la première qu'avec la deuxième. Les situations dans lesquelles un piéton traversait juste devant le PL se sont conclues par une collision dans 27 % des cas avec la cabine traditionnelle et dans 3 % des cas avec la cabine surbaissée. Une variante de l'expérimentation a consisté à demander aux sujets de procéder, simultanément à la conduite, à une tâche complémentaire sollicitant une partie de leur attention. La part des traversées de piétons ayant donné lieu à une collision s'est alors élevée à 52 % avec la cabine traditionnelle et à 12 % avec la cabine surbaissée. Au vu de ces résultats les auteurs concluent que la priorité doit porter sur l'extension du champ de vision directe du conducteur plutôt que sur le développement de dispositifs complémentaires de vision indirecte.
Performance des systèmes complémentaires de visualisation, de détection et d'avertissement
Systèmes de visualisation L'Université Gustave Eiffel a évalué, en collaboration avec la société de transports publics Keolis Lyon et SYTRAL Mobilités, autorité organisatrice des mobilités des territoires lyonnais, des systèmes de rétro-vision permettant de remplacer les rétroviseurs « grand angle » (classe IV) des autobus par des écrans qui renvoient au poste de conduite les images captées par des caméras [9]. Les tests, réalisés dans des conditions expérimentales puis en circulation réelle, se sont conclus par un avis très positif des chauffeurs participants. Les principaux avantages attribués à ces équipements sont :
une meilleure adaptation aux conditions de luminosité extérieure, et la suppression de l'éblouissement ; le fait de ne plus avoir à régler la position des rétroviseurs en fonction de la morphologie du conducteur ; une visibilité intacte même lorsque des voyageurs sont sur la plate-forme avant du bus.
Systèmes de détection L'étude de l'Université Gustave Eiffel a également porté sur deux systèmes de détection des usagers vulnérables, l'un basé sur la technologie Lidar (mesure de distance par laser), l'autre par analyse d'image [9]. Les performances de ces équipements ont été
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évaluées lors d'essais sur piste dans des conditions contrôlées visant à reproduire des événements impliquant ou non un usager vulnérable puis, pour le système par analyse d'image, en circulation réelle sans voyageur. Afin de présenter un intérêt pour le conducteur, de tels systèmes doivent impérativement lui délivrer une information fiable et utile et donc faire la distinction, parmi les éléments détectés, entre les éléments inertes et immobiles (mobilier urbain, véhicule garé, etc.), les éléments mobiles mais non vulnérables (voiture, camion, etc.) et les usagers vulnérables. Les essais de ces deux systèmes n'ont pas été concluants à cet égard. Le système fonctionnant avec le Lidar ne fait aucune distinction entre les différents types d'éléments détectés. Il génère donc un nombre rédhibitoire de « faux positifs », alarmes qui mobilisent inutilement l'attention du conducteur et conduisent rapidement au rejet pur et simple du système. Les auteurs relèvent également que même en cas d'information utile, celle-ci arrive généralement de façon trop tardive et ne permet pas de réagir en situation d'urgence. Le système fondé sur l'analyse d'image permet théoriquement de différencier les différents types d'éléments détectés. Pour autant, sur 117 alertes de présences émises par le système lors des tests, 39 apparaissent comme de « faux positifs », proportion jugée trop élevée par les auteurs pour que le conducteur accorde sa confiance au système et l'utilise à bon escient. Quelques « faux négatifs » (absence d'alerte en présence d'un danger réel) ont également été relevés. Compte tenu de ces résultats, les tests n'ont pas été prolongés par une mise en oeuvre des systèmes en situation commerciale, dans un environnement sans doute plus complexe que celui mis en place pour les tests. Les auteurs concluent en estimant que les capteurs (Lidar ou caméras) sont globalement assez fiables mais que de gros progrès restent nécessaires sur les algorithmes de traitement et d'interprétation. L'Institut Belge pour la Sécurité Routière (maintenant VIAS) avait testé en 2011 un système de détection à base de capteurs à ultrasons [10]. Ces capteurs sont à installer sur le camion aux endroits où l'on désire détecter les usagers vulnérables, soit typiquement sur le côté et à l'avant droit de la cabine et sur le flanc droit de la remorque. Ils mesurent la distance entre les objets détectés et le camion, et produisent dans la cabine un signal visuel et éventuellement sonore, en fonction de plusieurs seuils de distance paramétrables dans le système. À titre d'exemple, les paramètres sélectionnés lors des tests étaient les suivants :
pour une distance égale à 100 cm : une lampe verte s'allume ; pour une distance égale à 80 cm : maintien de la lampe verte + signal sonore ; pour une distance égale à 60 cm : lampe rouge "stop" et signal sonore plus fort.
Les capteurs sont autonomes et communiquent avec le boîtier de contrôle par liaison sans fil, ce qui autorise les changements de remorque. Le système a été posé sur 38 camions de plusieurs entreprises et utilisé pendant trois mois. Aucune mesure physique ni observation externe n'a été réalisée, l'évaluation s'est fondée uniquement sur les informations recueillies auprès des conducteurs. Ceux-ci devaient renseigner quotidiennement le nombre de situations d'angle mort rencontrées et décrire la première situation rencontrée au cours de la journée, selon une typologie prédéfinie. Un questionnaire leur a également été adressé à la fin de la période d'expérimentation. Les éléments recueillis ont été comparés à ceux issus d'un groupe témoin de conducteurs ayant utilisé des véhicules non équipés. Les résultats de l'expérimentation sont mitigés. Le taux de faux positifs (mobilier urbain, voitures, etc.), tel qu'il ressort du jugement qualitatif des conducteurs, est élevé : sur une
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échelle de 1 (pas ou peu de faux positifs) à 5 (énormément de faux positifs), la valeur moyenne attribuée par les conducteurs est de 3,2 et 10 conducteurs sur 34 ont attribué une valeur de 5. 81 % des chauffeurs ont également signalé un déclenchement intempestif du système par temps de pluie et 73 % par temps de neige. Il a également été relevé une susceptibilité du système au vent fort. L'une des améliorations suggérées est de désactiver le système pour les vitesses supérieures à 30 km/h. Le taux de faux négatifs (situations dangereuses non détectées) est plus faible mais non nul, la valeur moyenne attribué par les conducteurs est de 2,1. Une extension de la distance de détection permettrait probablement de réduire ce taux, mais risquerait en contrepartie d'accroître le nombre de faux positifs. Les auteurs concluent de ces résultats que la fiabilité insuffisante du système est de nature à ce que les chauffeurs n'aient pas confiance lorsque celui-ci les avertira d'un danger réel. Ils estiment en conséquence qu'il n'y a pas lieu, à ce stade de développement, de recommander son utilisation. Système d'avertissement à l'extérieur du véhicule L'IBSR [10] a également testé, selon une démarche similaire, un système alertant les usagers vulnérables de la manoeuvre de tourne-à-droite d'un camion grâce à un signal sonore discontinu et un clignotement des lampes latérales du camion. Le système se déclenche lorsque le clignotant droit du camion est activé à une vitesse inférieure à 30 km/h. Il est désactivable depuis la cabine (par exemple, pour les tests, il a été désactivé entre 22 h et 6 h). 33 camions d'entreprises ont été équipés, avec les mêmes modalités d'évaluation que pour le système de détection par ultrasons évoqué plus haut. Selon les éléments recueillis auprès des conducteurs, aucun effet négatif n'a été observé mais le bénéfice offert par le système n'apparaît pas de façon évidente, étant précisé par ailleurs qu'il est souvent difficile au conducteur d'estimer si le cycliste a compris la signification de l'alerte. S'y ajoute le cas particulier des cyclistes portant des écouteurs et ne percevant donc pas l'alerte sonore. L'expérimentation a été complétée par la circulation pendant quelques heures d'un poids lourd équipé sur une boucle en zone urbaine et l'interview, en aval d'un carrefour, de 125 cyclistes confrontés au PL ayant tourné à droite. 74 % des cyclistes interviewés ont perçu l'alerte sonore mais seulement 12 % ont perçu l'alerte visuelle (le rapport signale que les lampes latérales du camion de test étaient petites, et que le test s'est fait de jour par beau temps). Tous ceux qui ont perçu l'alerte visuelle ont également entendu l'alerte sonore. Seulement 29 % des cyclistes ayant perçu l'alerte sonore (soit 19 % de l'ensemble des interviewés) ont bien compris que ce signal les avertissait de la manoeuvre de tourne-à-droite du camion ; les autres n'ont pas fait le lien avec le camion (le son a été attribué par exemple aux feux de circulation) ou ont cru à un dysfonctionnement du camion, ou à une alarme de recul. À la date de l'expérimentation, le système d'alerte sonore et visuelle dérogeait à la réglementation belge. Les auteurs ne voient pas d'objection à ce que ce système soit autorisé, du fait qu'il ne crée pas de danger supplémentaire, mais estiment que sa mise en oeuvre ne pourrait induire des améliorations de la sécurité que si elle s'accompagne d'efforts considérables de communication sur la signification des alertes et sur la façon dont les cyclistes sont censés y réagir (par exemple sur la priorité à céder ou non au PL tournant à droite).
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Le « Direct Vision Standard » de Transport for London
Transport for London (TfL) est l'autorité responsable des transports sur le territoire du Grand Londres, qui couvre 1 572 km², soit l'équivalent d'un cercle de 45 km de diamètre, et rassemble 8,2 millions d'habitants25. La stratégie définie par le maire du Grand Londres en matière de transports a pour objectif de supprimer d'ici 2041 la totalité des accidents mortels et graves sur le réseau londonien. Parmi les mesures adoptées, le Direct Vision Standard vise à réduire le nombre d'accidents entre des poids lourds et des usagers vulnérables. La mise au point de ce standard a donné lieu de 2012 à 2019 à de nombreux travaux préparatoires, et ses modalités ont fait l'objet de concertations notamment avec les industriels. Le principe général26 [11] Depuis le 1er mars 2021, pour pouvoir circuler sur le territoire du Grand Londres, les poids lourds de PTAC supérieur à 12 tonnes (catégorie administrative N3) doivent détenir une autorisation qui n'est délivrée par TfL que si le véhicule respecte un ensemble de critères techniques destiné à réduire le risque de collision avec un piéton ou un cycliste. Le dispositif comporte certaines exemptions et les véhicules de transport en commun ne sont pas concernés. Les demandes d'autorisation sont instruites en ligne et les autorisations sont délivrées gratuitement. Le contrôle est réalisé au moyen des caméras avec fonction de lecture automatique de plaques d'immatriculations (LAPI) équipant le territoire du Grand Londres27, et déjà utilisées précédemment pour le péage urbain et les restrictions d'accès liées aux zones de faible émission. Un véhicule en infraction est passible d'une amende de 550 £. Les critères techniques La configuration de la cabine du véhicule doit offrir au conducteur un champ de vision directe (par le pare-brise et les fenêtres latérales) suffisamment étendu. Si ce critère n'est pas respecté, le véhicule doit être doté d'un ensemble d'équipements complémentaires dit « safe system ». Pour chaque modèle de véhicule, l'étendue du champ de vision directe du conducteur est caractérisée par une classification de 0 à 5 étoiles (du niveau le plus mauvais au meilleur) attribuée selon un système dénommé « Direct Vision Standard » (DVS). Cette classification est déterminée par le constructeur du véhicule au moyen d'un protocole technique développé pour TfL lors des travaux préparatoires. Ce protocole est décrit en détail plus loin.
Les véhicules classés 3, 4 ou 5 étoiles reçoivent une autorisation d'accès au périmètre du Grand Londres valable dix ans. Les véhicules classés 1 ou 2 étoiles reçoivent une autorisation d'accès valable jusqu'en 2024.
25 À titre de comparaison, en Île-de-France : Paris et les trois départements de petite couronne couvrent 657 km² et regroupent 4,5 millions d'habitants ; la zone intérieure à la Francilienne (autoroute A104 et RN104) a un diamètre de l'ordre de 50 km ; la région Île-de-France couvre 12 012 km² et regroupe 12,1 millions d'habitants. 26 Le dispositif est présenté sur le site internet de TfL : https://tfl.gov.uk/info-for/deliveries-in-london/delivering-safely/direct-vision-in-heavy-goods-vehicles. La page comporte également un lien permettant de consulter certains rapports des travaux préparatoires. 27 En 2021, 981 caméras avec fonction LAPI étaient utilisées pour le contrôle et la verbalisation sur le territoire du Grand Londres (source : https://tfl.gov.uk/corporate/transparency/freedom-of-information/foirequest-detail?referenceId=FOI-2256-2021). 66
Les véhicules classés 0 étoile ne peuvent recevoir une autorisation d'accès qu'à la condition d'être dotés des équipements complémentaires définis dans le « safe system » ; cette autorisation sera valable jusqu'en 2024.
Le « safe system » comprend obligatoirement l'ensemble des équipements suivants, qui peuvent être installés sur les véhicules déjà en circulation : 1. Des équipements de vision indirecte complémentaires : - un rétroviseur de classe V (accostage) du côté passager et un rétroviseur de classe VI (antéviseur) à l'avant, tous deux conformes au règlement 46 de la CEE-ONU, ou un système de surveillance par caméra admis par ce règlement comme assurant les mêmes fonctions ; - un système complémentaire de surveillance par caméra couvrant l'extérieur du véhicule du côté passager ; ce système complémentaire peut se désactiver lorsque la vitesse du véhicule dépasse 20 mph (32 km/h) ; - un système de détection avertissant le conducteur de la présence d'un piéton ou d'un cycliste sur le côté passager ; ce système peut se désactiver lorsque la vitesse du véhicule dépasse 20 mph (32 km/h). 2. Des dispositifs d'avertissement des usagers vulnérables : - un dispositif émettant une alerte sonore à l'extérieur lorsque le véhicule tourne du côté passager ; ce dispositif doit être désactivé manuellement entre 23h30 et 7h00 ; - une signalétique apposée sur le véhicule rappelant aux piétons et cyclistes les risques associés aux angles morts. 3. Des deux côtés du véhicule, des protections latérales destinées à réduire le risque qu'un usager vulnérable tombé au sol glisse sous les roues du véhicule. TfL envisage de faire évoluer le dispositif de façon plus restrictive en 2024 en portant le classement minimum requis à 3 étoiles. Les PL classés de 0 à 2 étoiles devraient alors être dotés d'un ensemble d'équipements dit « progressive safe system » pouvant être installés sur un véhicule déjà en circulation. Le détail de ces équipements doit être défini courant 2022 en fonction notamment de l'état de l'art et fera l'objet d'une consultation publique. Le protocole de classification [12] Le protocole définit, sur les trois côtés de la cabine du PL, un volume dit « volume d'évaluation » dans lequel on caractérise la possibilité de visualiser un usager vulnérable. Pour ce faire, on évalue la partie de ce volume visible en vue directe par le conducteur, et la classification en termes d'étoiles est attribuée selon le résultat obtenu.
Figure 52 : Volume d'évaluation du protocole du DVS (représenté pour une cabine avec conduite à droite) ; Loughborough University [12]
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Ce volume est représenté en figure 52. Ses dimensions ont été définies après application de plusieurs variantes sur un échantillon de PL et sélection de la variante jugée la plus discriminante. À l'avant de la cabine et sur son côté passager (ici le côté gauche, pour une cabine avec conduite à droite), elles correspondent au champ de vision minimal au sol requis par le règlement n° 46 de la CEE-ONU. Une zone complémentaire de 2 m de largeur a été ajoutée du côté du conducteur. Dans le sens vertical, le volume d'évaluation va du sol jusqu'à une hauteur de 1,602 m, considérée comme la hauteur de l'épaule du plus grand européen (99 percentile des hommes néerlandais). Les auteurs considèrent que voir l'épaule d'un individu, même sans sa tête, est suffisant pour que le conducteur identifie la présence d'un usager vulnérable. Le point oculaire du conducteur est défini par une distance fixe par rapport à la position du talon du pied agissant sur la pédale d'accélérateur (cette position est définie par les règlements CEE-ONU) ; cette distance, définie en accord avec les industriels, est de 1163 mm en hauteur et 678 mm en profondeur ; elle correspond à la position moyenne des yeux pour le 50 percentile des conducteurs britanniques, allemands, néerlandais, français, italiens et suédois, en comptant une proportion de 90 % d'hommes et 10 % de femmes. La part du volume d'évaluation visible en vue directe par le conducteur est calculée par le constructeur au moyen d'un outil de modélisation 3d à partir d'une saisie détaillée de la configuration de la cabine (y compris l'ensemble des éléments pouvant créer un masque : tableau de bord, rétroviseurs extérieurs, etc.) et du point oculaire du conducteur. Un programme de calcul est mis gratuitement à la disposition des constructeurs, qui peuvent également utiliser un outil alternatif sous réserve de montrer sur un cas-type que cet outil produit des résultats équivalents. La classification en étoiles est attribuée selon les seuils suivants : Volume minimal (m3) 1 étoile 2 étoiles 3 étoiles 4 étoiles 5 étoiles 10,041 11,996 13,950 15,905 17,859
Nota : le volume total d'évaluation est variable puisqu'il dépend de la largeur de la cabine et de la distance entre le point oculaire du conducteur et l'avant de la cabine. Si l'on note respectivement L et D ces deux dimensions, ce volume V (en m³) est : V = 31,239 + 3,204 * L + 10,413 * D. Pour une largeur L de 2,30 m et une distance D de 1 m, le volume total d'évaluation V est égal à 49,02 m³. Le choix de cet indicateur et la définition des seuils sont issus de la démarche détaillée ci-dessous. 27 modèles de poids lourds ont été testés, totalisant plus de 99 % des ventes de la catégorie N3 au Royaume-Uni. La hauteur de la cabine d'un modèle donné pouvant être variable, chaque modèle a été testé avec les hauteurs minimale et maximale de cabine définies par le constructeur. Deux indicateurs ont été calculés sur l'ensemble de ces variantes : d'une part le volume visible, présenté plus haut, mais celui-ci était jugé abstrait et peu parlant ; il a donc été complété par un second indicateur caractérisant la distance moyenne à laquelle un usager vulnérable est visible en vue directe. Pour le calcul de cette distance, l'usager-type retenu est le 5 percentile féminin adulte italien (plus petite population en Europe), d'une taille totale de 1,50 m ; plus de 99 % de la
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population adulte européenne a une taille supérieure 28. Les auteurs considèrent que pour pouvoir détecter rapidement la présence d'un individu, le conducteur doit visualiser au minimum sa tête et ses épaules29 ; pour l'usager-type retenu, ceci correspond à une hauteur de 1,177 m. Treize positions d'usagers ont été utilisées (figure 53) :
trois positions face à l'avant de la cabine, l'une au centre et les deux autres dans le prolongement des faces latérales ; cinq positions sur chacun des deux côtés du véhicule, espacées régulièrement dans le sens longitudinal.
Pour chacune de ces 13 positions, les auteurs ont calculé la distance minimale à laquelle l'usager-type doit se trouver pour que sa tête et le haut de ses épaules soient visibles (donc la distance minimale à laquelle est visible un point situé à une hauteur de 1,177 m), puis la moyenne de ces 13 distances. La corrélation entre les deux indicateurs s'avère très forte ; c'est pourquoi le protocole de classification a retenu l'indicateur de volume, plus précis par définition.
Cependant, pour la classification en étoiles, les auteurs ont considéré qu'il serait inacceptable d'attribuer au moins une étoile à un camion pour lequel un usager ne serait pas visible en limite de la zone réglementairement couverte par les rétroviseurs du côté passager et à l'avant, car ceci conduirait de fait à admettre l'existence d'un angle mort. En conséquence, n'ont été jugés admissibles à l'attribution d'une étoile que les camions pour lesquels la distance moyenne de visibilité de l'usager-type, calculée séparément pour l'avant, le côté passager et le côté conducteur, était inférieure respectivement à 2 m, 4,5 m et 0,6 m. Parmi tous les modèles testés respectant cette condition, la valeur la plus faible du volume de visibilité a été retenue pour le seuil de classification à une étoile. Les seuils définissant les catégories de 2 à 5 étoiles ont ensuite été définis par une subdivision égale, en cinq parties, du score volumétrique entre cette valeur et le score obtenu par le véhicule testé le plus performant. Parmi les 54 modèles testés :
Figure 53 : Positions des usagers utilisées pour le calcul de la distance moyenne de visibilité Loughborough University [12]
3 camions ont reçu 5 étoiles ; 3 ont reçu 4 étoiles ; 6 ont reçu 3 étoiles ; 6 ont reçu 2 étoiles ;
28 Les auteurs soulignent que même pour un percentile aussi élevé, ce choix résulte quand même d'un compromis, car il exclut de fait les enfants et les utilisateurs de fauteuils roulants. Toutefois l'analyse des accidents a montré que ces types d'usagers étaient rarement impliqués. 29 Le choix de rechercher la visibilité d'au moins la tête et les épaules est une décision des auteurs. Ceux-ci soulignent qu'il n'existe pas de sources bibliographiques évaluant la part minimale d'un individu qui devrait être visible pour permettre une identification rapide. Les auteurs craignent même que la tête et les épaules ne soient pas suffisantes dans une situation dégradée (conditions météorologiques défavorables, faible éclairement, vêtements sombres, charge mentale élevée du conducteur due à une circulation dense ou à la pression professionnelle, etc.). 69
8 ont reçu 1 étoile ; 28 n'ont reçu aucune étoile.
La plupart des constructeurs les plus importants commercialisent au moins un modèle ayant reçu au moins une étoile : DAF, Isuzu, Mercedes-Benz, Renault Trucks, Scania, Volvo, etc.
Références
[1] Les facteurs d'accidents mortels en 2015 - Exploitation de la base FLAM. Cerema, août 2021. [2] De Ceunynck, T. ; Slootmans, F. ; Temmerman, P. & Daniels, S. (2019). Analyse approfondie des accidents impliquant des camions - Analyse des collisions par l'arrière, des accidents dus à l'angle mort et des accidents au cours desquels le conducteur de camion ne portait pas de ceinture, Bruxelles, Belgique : institut Vias Centre de Connaissance Sécurité routière. [3] Assessing the Direct Vision Performance of Heavy Goods Vehicles (HGVs) - Summary Report. Transport Research Laboratory, 2016. [4] Schindler, R. ; Jänsch, M. ; Johannsen, H. & Bálint, A. (2020). An analysis of European crash data and scenario specification for heavy truck safety system development within the AEROFLEX project. Transport Research Arena 2020, Helsinki, Finland. [5] Malczyk A. & Bende J. (2017). Crashes between Heavy Vehicles and Bicyclists : Characteristics, Injury Patterns and Potentials for Driver Assistance Systems. International Research Council on the Biomechanics of Injury (IRCOBI) Conference 2017, Antwerp, Belgium. [6] Van Elslande P. ; Jaffard, M. ; Fouquet, K. & Fournier, J.Y. (2009). De la vigilance à l'attention... Influence de l'état psychophysiologique et cognitif du conducteur dans les mécanismes d'accidents. Rapport Inrets n°280, décembre 2009. [7] Mole, C.D. & Wilkie, R.M. (2017). Looking forward to safer HGVs: The impact of mirrors on driver reaction times. Accid. Anal. Prev. Volume 107 (2017), p. 173-185. [8] ARUP (2016). Exploring the Road Safety Benefits of Direct vs Indirect Vision in HGV Cabs. [9] Le rapport d'étude n'est pas public. Une présentation de l'étude figure sur le site internet de la Fondation MAIF : https://www.fondation-maif.fr/pageArticle.php?retrovisionameliorer-securite-bus&rub=1&id=933 et des détails complémentaires sur la page : https://www.fondation-maif.fr/article-10-1125.html [10] Étude de l'efficacité des systèmes techniques anti angle mort. Institut Belge pour la Sécurité Routière, 2011. [11] HGV safety permit guidance for operators entering London. Transport for London (non daté). [12] Summerskill S., Marshall R., Patterson A., Eland A. & Lenard J. (2019). The Definition, Production and Validation of the Direct Vision Standard (DVS) for HGVS. Loughborough Design School, Loughborough University.
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Bureau d'E nquêtes sur les Ac cidents de T ransport T errestre
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Grande Arche - Paroi Sud 92055 La Défense cedex Téléphone : 01 40 81 21 83 bea-tt@developpement-durable.gouv.fr www.bea-tt.developpement-durable.gouv.fr
INVALIDE) (ATTENTION: OPTION pouvoir détecter un cycliste circulant perpendiculairement au véhicule, sur une trajectoire passant à 1,15 m en avant de la face avant du PL, au plus tard lorsque le cycliste se trouve à une distance latérale égale à 2 m. Le règlement prévoit deux modalités de fonctionnement : un signal d'information optique, et « lorsque le risque de collision augmente », un signal d'avertissement optique, acoustique ou haptique11 ou une combinaison de ces signaux. Le signal d'avertissement peut être désactivé manuellement. La conformité à ces deux règlements est vérifiée par des essais au moyen de mannequins normalisés. Ces textes ne fixent pas d'exigence quant à la proportion de fausses alarmes et stipulent simplement que leur nombre doit être aussi faible que possible. Ces deux règlements CEE-ONU n'imposent pas que les véhicules soient équipés de tels systèmes, mais uniquement que ceux équipés de tels systèmes12 soient conformes aux exigences spécifiées. En revanche leur application sera très prochainement obligatoire au sein de l'Union Européenne (voir plus loin).
9 « Prescriptions uniformes relatives à l'homologation des véhicules en ce qui concerne les systèmes de détection de piétons et de cyclistes au démarrage ». 10 « Prescriptions uniformes relatives à l'homologation des véhicules à moteur en ce qui concerne le système de surveillance de l'angle mort pour la détection des vélos ». 11 Qui se rapporte au sens du toucher, par exemple en déclenchant une vibration du volant ou du siège du conducteur. 12 Pour le règlement n°159 : « un système destiné à détecter la présence de piétons ou de cyclistes à proximité immédiate de l'angle mort à l'avant du véhicule, à en informer le conducteur et, si cela est jugé nécessaire en fonction de la stratégie du constructeur, à l'avertir d'un risque de collision ». Pour le règlement n°151 : « un système qui avertit le conducteur, lorsqu'il amorce un virage, d'une collision possible avec un vélo situé côté passager ». 46
5.3.4 - Les systèmes d'avertissement à l'extérieur du véhicule
Des équipementiers ont également développé des systèmes émettant, à l'extérieur du véhicule, un signal sonore ou lumineux lorsque le clignotant droit du camion est activé à faible vitesse. Le BEA-TT a notamment relevé :
un système déclenchant un signal sonore discontinu et le clignotement des lampes latérales du camion13 ; un système émettant une alarme vocale « avec avertissement de changement de direction »14 ; un système projetant au sol, au moyen de LED, une image lumineuse clignotante de couleur rouge délimitant la zone d'angle mort du côté droit de la cabine 15 ; la luminosité de l'image s'adapte automatiquement en fonction de la luminosité ambiante.
Les alarmes sonores peuvent être désactivées en période nocturne. Tous ces systèmes peuvent être installés sur des PL en circulation. Le premier de ces dispositifs a fait l'objet en 2011 d'une évaluation par l'Institut Belge pour la Sécurité Routière (voir la bibliographie en annexe 2). Les auteurs n'ont pas relevé d'effet négatif mais estiment que le bénéfice offert par le système n'apparaît pas de façon évidente dans la mesure où seule une faible partie des cyclistes concernés percevait et comprenait la signification de l'alerte sonore et visuelle. Ils concluent que sa mise en oeuvre éventuelle (sous réserve d'être autorisée par la réglementation belge, ce qui n'était pas le cas à l'époque de l'évaluation) ne pourrait induire des améliorations de la sécurité que si elle s'accompagne d'efforts considérables de communication sur la signification des alertes et le comportement à adopter par les cyclistes en réaction. Les deux autres dispositifs n'ont pas fait l'objet, à notre connaissance, d'une évaluation par un organisme indépendant. En France, le seul dispositif sonore prévu par le Code de la route est l'avertisseur sonore (article R313-33), dont l'usage en agglomération n'est autorisé qu'en cas de danger immédiat (article R416-1), ce qui exclut un déclenchement automatique.
5.3.5 - Le « Direct Vision Standard » de Transport for London
Transport for London (TfL) est l'autorité responsable des transports sur le territoire du Grand Londres, qui couvre 1 572 km², soit l'équivalent d'un cercle de 45 km de diamètre, et rassemble 8,2 millions d'habitants. Dans le cadre de la stratégie définie par le maire du Grand Londres en matière de sécurité des transports, le Direct Vision Standard vise à réduire le nombre d'accidents entre des poids lourds et des usagers vulnérables. Ce dispositif, résumé ci-après, est présenté plus en détail en annexe 2. Depuis le 1er mars 2021, pour pouvoir circuler sur le territoire du Grand Londres, les poids lourds de PTAC supérieur à 12 tonnes (catégorie administrative N3) doivent respecter un ensemble de critères techniques destiné à réduire le risque de collision avec un piéton ou un cycliste. Les véhicules de transport en commun ne sont pas concernés. L'exigence fondamentale du Direct Vision Standard est que la configuration de la cabine du poids lourd doit offrir au conducteur un champ de vision directe (par le pare-brise et les fenêtres latérales) suffisamment étendu. Chaque modèle de véhicule reçoit une classification de 0 à 5 étoiles (du niveau le plus mauvais au meilleur) en fonction du
13 https://www.lisa2alert.com/ 14 https://brigade-electronics.com/fr/produits/capteurs-a-ultrasons/ 15 http://blindspotilluminator.com/ 47
volume directement visible par le conducteur, évalué selon un protocole technique très précis développé en concertation avec les constructeurs.
Les véhicules classés 3, 4 ou 5 étoiles reçoivent une autorisation d'accès au périmètre du Grand Londres valable dix ans. Les véhicules classés 1 ou 2 étoiles reçoivent une autorisation d'accès valable jusqu'en 2024. Les véhicules classés 0 étoile ne peuvent recevoir une autorisation d'accès qu'à la condition d'être dotés d'un ensemble d'équipements complémentaires dit « safe system » ; cette autorisation sera valable jusqu'en 2024.
Le « safe system » comprend obligatoirement l'ensemble des équipements suivants, qui peuvent être installés sur les véhicules déjà en circulation : 1. Des équipements de vision indirecte complémentaires : - un rétroviseur de classe V (accostage) du côté passager et un rétroviseur de classe VI (antéviseur) à l'avant, tous deux conformes au règlement n° 46 de la CEE-ONU, ou un système de surveillance par caméra admis par ce règlement comme assurant les mêmes fonctions ; - un système complémentaire de surveillance par caméra couvrant l'extérieur du véhicule du côté passager ; ce système complémentaire peut se désactiver lorsque la vitesse du véhicule dépasse 20 mph (32 km/h) ; - un système de détection avertissant le conducteur de la présence d'un piéton ou d'un cycliste sur le côté passager ; ce système peut se désactiver lorsque la vitesse du véhicule dépasse 20 mph (32 km/h). 2. Des dispositifs d'avertissement des usagers vulnérables : - un dispositif émettant une alerte sonore à l'extérieur lorsque le véhicule tourne du côté passager ; ce dispositif doit être désactivé manuellement entre 23 h 30 et 7 h 00 ; - une signalétique apposée sur le véhicule rappelant aux piétons et cyclistes les risques associés aux angles morts. 3. Des deux côtés du véhicule, des protections latérales destinées à réduire le risque qu'un usager vulnérable tombé au sol glisse sous les roues du véhicule. Les autorisations d'accès sont délivrées individuellement et gratuitement à chaque véhicule après instruction des demandes en ligne. Le contrôle est réalisé au moyen des caméras avec fonction de lecture automatique de plaques d'immatriculations (LAPI) équipant le territoire du Grand Londres, et déjà utilisées précédemment pour le péage urbain et les restrictions d'accès liées aux zones de faible émission. TfL envisage de faire évoluer le dispositif de façon plus restrictive en 2024 en portant le classement minimum requis à 3 étoiles. Les PL classés de 0 à 2 étoiles devraient alors être dotés d'un ensemble d'équipements dit « progressive safe system » pouvant être installés sur un véhicule déjà en circulation. Le détail de ces équipements doit être défini courant 2022 en fonction notamment de l'état de l'art et fera l'objet d'une consultation publique. Cinquante-quatre modèles de PL ont fait l'objet de tests durant les travaux préparatoires à la définition du Direct Vision Standard. Parmi ceux-ci, 26 ont reçu au moins une étoile et 28 ont été classés 0 étoile. Les modèles les mieux classés sont ceux où la cabine est plus basse et dont les portières comportent une surface vitrée plus élevée. La figure 50 en présente deux exemples. Selon des statistiques produites par TfL début 2022, parmi les 192 000 poids lourds ayant reçu une autorisation d'accès, 59 % sont classés 0 étoile.
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Figure 50 : Deux modèles de PL à cabine basse : Volvo FE LEC (à gauche) et Mercedes Econic (à droite) Sources : Volvo Trucks et Mercedes-Benz Trucks
En France, les considérations de sécurité routière ne constituent pas à ce jour un motif permettant aux communes d'interdire tout ou partie de leur réseau de voirie à certains véhicules. Le Code général des collectivités territoriales ne prévoit en effet la possibilité de telles interdictions que dans les cas suivants :
eu égard aux nécessités de la circulation et de la protection de l'environnement (art. L2213-2) ; pour les véhicules dont la circulation est de nature à compromettre soit la tranquillité publique, soit la qualité de l'air, soit la protection des espèces animales ou végétales, soit la protection des espaces naturels, des paysages ou des sites ou leur mise en valeur à des fins esthétiques, écologiques, agricoles, forestières ou touristiques (art. L2213-4) ; dans le cadre des zones « à faibles émissions mobilité » (art. L2213-4-1) ; pour les véhicules de transport de matières dangereuses (art. L2213-5).
5.3.6 - Le projet de règlement CEE-ONU relatif à la vision directe
La Commission Économique pour l'Europe de l'ONU envisage l'adoption prochaine d'un nouveau règlement16 fixant des normes minimales en matière de vision directe, applicable aux véhicules de transport en commun (catégories M2 et M3) et aux poids lourds (catégories N2 et N3). L'introduction du projet de règlement justifie ce besoin notamment par les lacunes des dispositifs actuels, en particulier des rétroviseurs17. Le projet prévoit l'évaluation du volume extérieur directement visible par le conducteur du véhicule, selon un protocole technique identique à celui défini par Transport for London pour son Direct Vision Standard (voir plus haut et le détail en annexe 2). Les véhicules sont répartis en trois niveaux pour lesquels les exigences seront différentes. Le niveau 1 correspond aux « véhicules qui circulent souvent dans les zones urbaines » ; en pratique ce sont :
tous les véhicules de transport en commun (catégories M2 et M3) ; les PL de PTAC inférieur ou égal à 12 tonnes (catégorie N2) ;
16 « Prescriptions uniformes relatives à l'homologation des véhicules à moteur en ce qui concerne la vision directe ». 17 « Les images présentées dans les rétroviseurs sont petites et peuvent ne pas présenter une quantité de mouvement suffisante pour alerter la vision périphérique. [...] Les images provenant de rétroviseurs convexes peuvent être déformées, notamment sur les bords, et les rétroviseurs de surveillance des angles morts peuvent être placés dans des positions contre-intuitives et présenter une orientation inattendue du sujet. » 49
la plupart des PL de PTAC entre 12 et 16 tonnes (excepté ceux à plus de deux roues motrices) ; certains PL de PTAC supérieur à 16 tonnes, selon une combinaison de nombreux critères : - s'ils sont équipés en « cabine jour », les 4x2, les 6x2, et les 6x4 à châssis rigide ; - s'ils sont équipés en « cabine couchette », les 4x2 de puissance inférieure à 265 kW, et les 8x2 ou 8x4 à châssis rigide et de puissance inférieure à 350 kW.
Le niveau 2 correspond aux « véhicules qui circulent parfois en zone urbaine mais qui sont assujettis à des limitations fonctionnelles particulières » ; en pratique seuls certains PL de catégorie « tout terrain » en font partie. Le niveau 3, qui correspond aux « véhicules qui pénètrent rarement dans les zones urbaines », regroupe en pratique les véhicules non classés dans les deux autres niveaux. Le volume minimal de visibilité directe requis par le projet est le suivant :
Volume minimal de visibilité directe (m3) Niveau 1 Volume visible du côté passager Volume visible vers l'avant Volume visible du côté conducteur Volume total visible 3,4 1,8 2,8 11,2 Niveau 2 n.a. 1,0 n.a. 8,0 Niveau 3 n.a. 1,0 n.a. 7,0
Nota : pour mémoire (cf. annexe 2), le volume visible requis par TfL pour accorder un classement « 1 étoile » est de 10,04 m³. Le critère fixé par le projet de règlement CEE-ONU est donc légèrement plus élevé pour les véhicules considérés de « niveau 1 » mais plus faible pour ceux considérés de « niveaux 2 et 3 ». Les règlements relatifs aux véhicules routiers sont établis, au sein de la Commission Économique pour l'Europe de l'ONU, par le Forum mondial de l'harmonisation des règlements concernant les véhicules, dit « WP.29 ». Les travaux relatifs aux exigences générales de sécurité pour les véhicules sont conduits au sein du Groupe de travail des dispositions générales de sécurité (GRSG). Le projet de règlement, rédigé par un groupe de travail informel consacré à la détection des usagers vulnérables, a été adopté fin mars 2022 par le GRSG et doit maintenant être proposé pour adoption à la prochaine réunion du WP.29 prévue en novembre 2022. La version disponible ne précise pas quelle serait sa date d'entrée en vigueur.
5.3.7 - La réglementation européenne
Le règlement (UE) 2019/2144 du 27 novembre 2019 18, dit « GSR-2 » (pour General Safety Regulation, version 2) a actualisé les exigences européennes relatives à la conception des véhicules eu égard à leur sécurité. Il reprend les exigences antérieures figurant dans le règlement n° 661/2009 du 13 juillet 2009, dit « GSR-1 », et le complète dans de nombreux domaines par de nouvelles prescriptions applicables à une date ultérieure. Parmi ces nouvelles prescriptions, l'article 9 du règlement impose aux véhicules de transport en commun (catégories M2 et M3) et aux poids lourds (catégories N2 et N3) :
18 « Règlement (UE) 2019/2144 du Parlement européen et du Conseil du 27 novembre 2019 relatif aux prescriptions applicables à la réception par type des véhicules à moteur et de leurs remorques, ainsi que des systèmes, composants et entités techniques distinctes destinés à ces véhicules, en ce qui concerne leur sécurité générale et la protection des occupants des véhicules et des usagers vulnérables de la route. » 50
d'être « équipés de systèmes avancés qui sont capables de détecter des piétons et des cyclistes se trouvant à proximité immédiate de l'avant ou du côté droit du véhicule et d'avertir de leur présence ou d'éviter une collision avec ces usagers vulnérables de la route » ; d'être « conçus et construits afin d'améliorer la visibilité directe des usagers vulnérables de la route depuis le siège du conducteur, en réduisant le plus possible les angles morts à l'avant et sur le côté du conducteur, tout en tenant compte des spécificités des différentes catégories de véhicules ».
Des règlements d'exécution doivent préciser les procédures et spécifications techniques pour vérifier le respect de ces exigences. Pour les deux objets « Avertissement de collision avec piéton ou cycliste » et « Système d'information concernant les angles morts », les prescriptions sont applicables depuis le 6 juillet 2022 pour les modèles et systèmes soumis à la réception UE par type, et seront applicables à partir du 7 juillet 2024 pour les véhicules et les systèmes commercialisés. Le règlement d'exécution 19 se réfère respectivement aux règlements CEE-ONU n° 159 et 151 présentés plus haut. S'agissant de l'objet « Vision directe des véhicules lourds », les prescriptions seront applicables à partir du 7 janvier 2026 pour les modèles soumis à la réception UE par type, et à partir du 7 janvier 2029 pour les véhicules mis en circulation. Le règlement d'exécution doit être publié au plus tard le 7 janvier 2023. Les autorités européennes comptent certainement se référer au futur règlement CEE-ONU, présenté plus haut, dont l'adoption par le WP.29 est prévue en novembre 2022.
5.3.8 - Conclusion
Pour la prévention des accidents de poids lourds avec angle mort, la piste d'action la plus prometteuse est à l'évidence de rechercher une extension du champ de vision directe du conducteur. Les rétroviseurs présentent en effet de nombreuses lacunes que les systèmes alternatifs à base de caméras et moniteurs ne compensent qu'en partie. Les systèmes complémentaires de détection, qui visent essentiellement les piétons traversant perpendiculairement devant le PL et les cyclistes longeant le PL du côté passager, risquent compte tenu du temps de réaction nécessaire d'être peu efficaces dans une situation de mouvement tournant comme celle analysée dans la présente enquête, dans laquelle la vitesse de rapprochement latéral entre le PL et la piétonne était substantielle dans les derniers instants. Les travaux sur la vision directe conduits à l'initiative de Transport for London, leur appropriation par un nouveau règlement CEE-ONU dont l'adoption est attendue fin 2022, et la référence probable à ce futur règlement pour l'application du GSR-2 de l'Union Européenne dans ce domaine constituent ainsi des avancées très bénéfiques. Le BEA-TT ne formule en conséquence pas de recommandation sur ce thème. Les effets de ces progrès ne se verront cependant qu'à longue échéance puisque le GSR-2 ne prévoit une application obligatoire aux PL mis en circulation qu'à compter de janvier 2029. Les spécifications du GSR-2 quant aux systèmes de détection des usagers vulnérables, applicables aux véhicules et systèmes commercialisés à partir de juillet 2024, constituent également un point positif. Toutefois les règlements CEE-ONU n° 151 et 159 qui en constituent les références techniques ne fixent aucune exigence précise quant à la proportion de fausses alarmes et stipulent simplement que leur nombre doit être aussi faible que possible. Or ce sujet semble avoir été peu traité par des études indépendantes, et celles dont le BEA-TT a eu connaissance ont conclu que les dispositifs étudiés
19 Règlement délégué (UE) 2022/1398 de la Commission du 8 juin 2022. 51
généraient un taux de « faux positifs » trop élevé susceptible de dégrader la confiance accordée au système par le conducteur, facteur indispensable à leur utilité. Le BEA-TT estime donc indispensable de faire progresser les connaissances en la matière et émet la recommandation suivante : Recommandation R1 adressée à la Délégation à la sécurité routière (DSR) et à la Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) : Susciter une étude sur les performances des systèmes de détection des usagers vulnérables destinés à équiper les véhicules lourds, visés par les règlements CEE-ONU n° 151 et 159, en vue notamment de définir un protocole permettant d'évaluer la proportion de fausses alarmes puis d'appliquer ce protocole à un panel de systèmes commercialisés. Par ailleurs, le BEA-TT rappelle à la Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) la recommandation précédemment émise par son rapport d'enquête technique sur l'accident entre un cycliste et un camion survenu le 17 août 2015 à Paris 9 e : « Dans le cadre de la révision du règlement CEE-ONU n° 46 relatif à l'homologation des systèmes de vision indirecte, proposer que l'ensemble des rétroviseurs installés, côtés conducteur et passager, puissent être réglés par le conducteur depuis sa position de conduite ».
5.4 -
L'aménagement du carrefour entre le boulevard Jean-Jaurès et la rue de Neuilly
À l'intersection de la rue de Neuilly et du boulevard Jean-Jaurès, l'angle du trottoir ne comporte aucun arrondi. Cette configuration, ainsi que le débord du passage piéton sur la zone centrale du carrefour, contraignent un poids lourd sortant de la rue de Neuilly à s'avancer en ligne droite jusqu'à la zone centrale du carrefour avant d'entamer son mouvement de giration. Dans cette position le conducteur n'a plus de vision directe sur la partie du passage piéton la plus proche de la rue de Neuilly. L'état dégradé des bandes d'éveil de vigilance posées sur cet angle de trottoir montre qu'une partie des conducteurs de PL entament leur giration plus tôt. Le guide technique « Voirie urbaine Guide d'aménagement »20 du Cerema préconise pour les arrondis d'angle de trottoir en milieu urbain un rayon compris entre 2 m et 6 m, une valeur plus grande étant susceptible de favoriser une vitesse élevée lors du mouvement tournant. Le guide de conception des carrefours à feux 21 du Certu (service maintenant intégré au Cerema) précise que si les traversées piétonnes doivent être placées, autant que faire se peut, dans le prolongement des cheminements naturels des piétons, il convient cependant de les éloigner du virage afin :
qu'un véhicule qui tourne à droite ne gêne pas l'écoulement de ceux allant tout droit lorsqu'il s'arrête pour laisser passer les piétons (Nota : ce motif ne s'appliquerait pas au carrefour concerné ici, le virage à droite étant le seul mouvement autorisé) ; de garantir des angles de vision optimaux entre les piétons et les véhicules qui tournent.
Le guide « Carrefours urbains »22 du Certu recommande un éloignement de 2 à 5 mètres entre le carrefour et le passage piéton. Il apparaît donc souhaitable de créer un arrondi de trottoir et d'éloigner le passage piéton du débouché de la rue de Neuilly. Deux options pourraient être envisagées, mais chacune comporte des inconvénients :
20 Voirie urbaine Guide d'aménagement, Cerema (2016). 21 Guide de conception des carrefours à feux, Certu (2010). 22 Carrefours urbains Guide, Certu (version mise à jour en 2010). 52
1. Déplacer le passage piéton plus en aval sur le boulevard : du fait de la présence, du côté opposé, de la sortie du parking souterrain situé sous le parc de la mairie, le passage piéton devrait être éloigné d'environ 6 m du débouché de la rue de Neuilly. Il serait alors très décalé par rapport au prolongement naturel des trottoirs de la rue Villeneuve et de la rue de Neuilly, et cette configuration créerait un point de conflit supplémentaire entre les véhicules sortant du parking souterrain et les piétons traversant. 2. Déplacer le débouché de la rue de Neuilly plus en amont, selon le principe représenté en figure 51 : la place du Marché offre un espace suffisant pour une telle opération, qui permettrait également de rendre l'intersection perpendiculaire. Mais elle impliquerait notamment de déplacer plusieurs équipements (feu tricolore, bornes rétractables et borne d'appel, potelets, etc.) et de modifier l'organisation du marché.
Figure 51 : Principe de déplacement du débouché de la rue de Neuilly vers l'amont du boulevard
Dans l'hypothèse où aucune solution technique satisfaisante ne permettrait d'éloigner le passage piéton du débouché de la rue de Neuilly, il conviendrait de supprimer les situations de conflit potentiel entre les PL tournant à droite depuis la rue de Neuilly et les piétons traversant, en séparant ces deux mouvements dans le cycle des feux du carrefour par l'ajout d'une nouvelle phase dans leur diagramme de fonctionnement. En l'absence d'intervention physique sur la configuration du carrefour, il conviendrait également de restaurer les bandes d'éveil de vigilance dégradées et de supprimer la partie du passage piéton débordant au centre du carrefour sur le prolongement de la rue de Neuilly. Selon le règlement de voirie du Conseil départemental des Hauts-de-Seine (cf. partie 2.3), ce dernier est notamment en charge des feux tricolores du carrefour et de la signalisation horizontale sur le boulevard Jean-Jaurès. La plupart des actions évoquées ci-dessus nécessitent par conséquent une collaboration étroite entre la Ville de Clichy et le Conseil départemental. C'est pourquoi le BEA-TT émet la recommandation suivante : Recommandation R2 adressée conjointement à la Ville de Clichy et au Conseil départemental des Hauts-de-Seine : Étudier de façon concertée une solution technique permettant d'éloigner le débouché de la rue de Neuilly sur le boulevard Jean-Jaurès et le passage piéton situé plus en aval sur le boulevard, en déplaçant l'un ou l'autre de ces éléments, et créer à cette occasion un arrondi de trottoir dans l'angle sud du carrefour. En l'absence de solution technique satisfaisante : - étudier de façon concertée une modification du diagramme de fonctionnement des feux de circulation du carrefour afin de séparer dans le temps les mouvements
53
des véhicules sortant de la rue de Neuilly et les traversées des piétons sur le passage situé en aval sur le boulevard ; - restaurer les bandes d'éveil de vigilance dégradées dans l'angle sud du carrefour (Ville de Clichy) ; - supprimer la partie du passage piéton débordant au centre du carrefour sur le prolongement de la rue de Neuilly (Conseil départemental des Hauts-de-Seine). Le BEA-TT invite également la Ville de Clichy à clarifier le dispositif réglementaire régissant la circulation sur la rue de Neuilly et à mettre si nécessaire la signalisation routière en cohérence.
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6 - Conclusions, recommandations et invitations
6.1 Conclusions
La cause directe de l'accident est l'absence de perception réciproque, par le conducteur du poids lourd et par la piétonne, de la présence de l'autre protagoniste. La piétonne, dont l'audition était déficiente, n'a pas entendu le camion ; elle ne l'a pas vu non plus se rapprocher sur son arrière gauche. Le conducteur du poids lourd n'était pas non plus en situation de détecter aisément la présence de la piétonne, de petite taille, du fait du champ de vision réduit offert par la fenêtre de droite de sa cabine, de la nécessité de porter son attention sur les autres piétons traversant sur le passage, et des multiples contrôles imposés par la manoeuvre de giration. La piétonne a probablement été brièvement visible par l'un des rétroviseurs dans les tous derniers instants précédant la collision, mais trop tardivement pour permettre une réaction efficace du conducteur si celui-ci l'avait détectée immédiatement, ce qui n'a pas été le cas. La configuration du carrefour a pu également contribuer à la collision en contraignant le PL à s'engager sur le passage piéton à partir d'une position parallèle à celui-ci, ne favorisant pas la visibilité et la prise d'informations. L'analyse des causes et du contexte de l'accident conduit le BEA-TT à formuler deux recommandations et deux invitations dans les domaines suivants :
la conception et l'équipement des poids lourds ; l'aménagement du carrefour où a eu lieu l'accident ; le dispositif réglementaire régissant la circulation sur la rue de Neuilly.
Compte tenu du projet de règlement sur la vision directe en cours d'adoption par la CEE-ONU, et de sa probable reprise par l'Union Européenne comme référence technique pour l'application du règlement (UE) 2019/2144, le BEA-TT ne formule pas de recommandation sur ce thème.
6.2 -
Recommandations et invitations
Recommandation R1 adressée à la Délégation à la sécurité routière (DSR) et à la Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) : Susciter une étude sur les performances des systèmes de détection des usagers vulnérables destinés à équiper les véhicules lourds, visés par les règlements CEE-ONU n°151 et 159, en vue notamment de définir un protocole permettant d'évaluer la proportion de fausses alarmes puis d'appliquer ce protocole à un panel de systèmes commercialisés.
Recommandation R2 adressée conjointement à la Ville de Clichy et au Conseil départemental des Hauts-de-Seine : Étudier de façon concertée une solution technique permettant d'éloigner le débouché de la rue de Neuilly sur le boulevard Jean-Jaurès et le passage piéton situé plus en aval sur le boulevard, en déplaçant l'un ou l'autre de ces éléments, et créer à cette occasion un arrondi de trottoir dans l'angle sud du carrefour.
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En l'absence de solution technique satisfaisante : - étudier de façon concertée une modification du diagramme de fonctionnement des feux de circulation du carrefour afin de séparer dans le temps les mouvements des véhicules sortant de la rue de Neuilly et les traversées des piétons sur le passage situé en aval sur le boulevard ; - restaurer les bandes d'éveil de vigilance dégradées dans l'angle sud du carrefour (Ville de Clichy) ; - supprimer la partie du passage piéton débordant au centre du carrefour sur le prolongement de la rue de Neuilly (Conseil départemental des Hauts-de-Seine). Le BEA-TT rappelle par ailleurs à la Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) la recommandation précédemment émise par son rapport d'enquête technique sur l'accident entre un cycliste et un camion survenu le 17 août 2015 à Paris 9 e : « Dans le cadre de la révision du règlement CEE-ONU n° 46 relatif à l'homologation des systèmes de vision indirecte, proposer que l'ensemble des rétroviseurs installés, côtés conducteur et passager, puissent être réglés par le conducteur depuis sa position de conduite ». Le BEA-TT invite également la Ville de Clichy à clarifier le dispositif réglementaire régissant la circulation sur la rue de Neuilly et à mettre si nécessaire la signalisation routière en cohérence.
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ANNEXES
Annexe 1 : Décision d'ouverture d'enquête Annexe 2 : Bibliographie
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Annexe 1 : Décision d'ouverture d'enquête
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Annexe 2 : Bibliographie
Les scénarios d'accidents de PL contre un usager vulnérable avec angle mort
Les accidents de piétons Afin d'étudier les déterminants des accidents mortels dans des analyses spécifiques approfondies, le Cerema a constitué une base de données détaillée des accidents mortels de l'année 2015, dénommée FLAM. Renseignée à partir de la lecture et du codage des procès-verbaux d'accidents établis par les forces de l'ordre, cette base regroupe 2878 des 3373 accidents mortels recensés par les statistiques officielles de l'année 2015. La structure de la base est décrite dans la référence [1] 23. Selon des éléments non encore publiés, transmis par le Cerema au BEA-TT, la base comporte 56 accidents mortels de piétons impliquant un véhicule lourd (44 impliquant un PL et 12 un véhicule de transport en commun). Dans 23 de ces accidents, soit environ quatre accidents sur dix, l'existence d'un angle mort sur le véhicule a été identifiée comme l'un des facteurs à l'origine de l'accident :
13 accidents sont survenus au démarrage du véhicule, 7 sont survenus lors d'un virage à droite en carrefour, 2 sont survenus en marche arrière, 1 est survenu lors d'un virage à gauche en carrefour.
Dans les 20 accidents au démarrage ou en tourne-à-droite, l'angle mort est toujours situé soit en face avant du véhicule, soit en partie avant de son côté droit. L'institut belge VIAS [2] a conduit une analyse d'accidents graves ou mortels d'usagers vulnérables heurtés par des PL, à partir d'une base de données détaillée constituée par les services de police de l'agglomération d'Anvers entre 2010 et 2016. Dix accidents de piétons ont été attribués à l'existence d'un angle mort, dont cinq accidents en carrefour (quatre équipés de feux, le cinquième avec priorité), et cinq hors carrefour :
5 accidents impliquent un piéton traversant de droite à gauche devant le PL, qui va tout droit ; 3 impliquent un piéton traversant de droite à gauche derrière le PL, qui fait marche arrière ; 1 accident implique un piéton traversant parallèlement à la trajectoire d'arrivée du PL, qui tourne à droite ; le dernier accident n'est pas décrit.
8 des 10 piétons impliqués ont plus de 60 ans, dont 4 ont plus de 80 ans. En Angleterre, le Transport Research Laboratory (TRL) [3] a analysé les accidents mortels de piétons survenus dans des collisions avec des poids lourds de plus de 7,5 t sur le territoire du Grand Londres. Sur la période 2005-2014, les auteurs ont dénombré 73 accidents de piétons dont la moitié (36) relevaient d'un facteur « angle mort ». Parmi ces derniers, 21 accidents (58 %) correspondent à une collision entre un PL au démarrage et un piéton traversant perpendiculairement devant lui, et 8 accidents (22 %) ont eu lieu alors que le PL tournait du côté passager (vers la gauche au Royaume-Uni). Schindler et al. [4] ont étudié les accidents impliquant un poids lourd de plus de 16 tonnes répertoriés dans la base de données allemande GIDAS sur la période 2000-2017. Parmi les 56 accidents recensés impliquant un piéton :
23 Les nombres entre crochets renvoient aux références bibliographiques listées en fin de cette annexe. 59
dans 34 accidents (61 % des cas), le piéton traverse perpendiculairement à la trajectoire du PL ; dans 10 accidents (18 % des cas), le PL et le piéton se déplacent parallèlement puis le PL tourne à droite et renverse le piéton ; les 12 accidents restants se distribuent entre plusieurs scénarios.
Les auteurs ont approfondi l'analyse des 34 accidents correspondant au premier scénario, où le piéton traverse perpendiculairement à la trajectoire du PL. Ils mettent en évidence deux ensembles distincts d'accidents :
ceux dans lesquels le piéton se retrouve sous le camion (16 cas) : l'article précise que ceci est associé à des blessures plus graves ou mortelles mais n'apporte pas de précision chiffrée. La vitesse du PL lors de la collision est faible, généralement inférieure à 10 km/h, du fait que dans 10 de ces 16 cas le PL était initialement à l'arrêt et a redémarré pendant que le piéton traversait devant lui ; ceux dans lesquels le piéton n'est pas « passé » sous le camion (18 cas) : sur cet ensemble, la vitesse moyenne du PL lors de la collision est de 23 km/h, elle dépasse 40 km/h dans le quart des cas. La vitesse du PL au choc est presque identique à sa vitesse à l'instant où la situation dangereuse s'est constituée, ce qui suggère que le conducteur a eu peu de temps pour réagir et freiner.
Il semble donc, sans toutefois que l'article apporte de précisions sur cette question, que les accidents dans lesquels le PL démarre soient paradoxalement en moyenne plus graves que ceux dans lesquels le PL est en circulation. Les auteurs ne soulignent pas ce paradoxe et ne tentent pas de l'expliquer dans l'article. Une explication envisageable serait que lorsque le PL roule à une vitesse plus élevée il est plus susceptible de projeter le piéton à distance, et risque moins de ce fait de lui rouler ensuite dessus en poursuivant sa trajectoire. En synthèse, l'existence d'un angle mort peut être incriminée dans les accidents mortels de piétons contre un PL dans 4 à 5 cas sur 10. La littérature s'accorde pour considérer que les scénarios les plus courants d'accident avec angle mort impliquant un piéton sont, par ordre de fréquence décroissante :
un piéton traversant perpendiculairement à la trajectoire du PL, généralement alors que celui-ci redémarre (5 à 6 cas sur 10) ; un piéton traversant parallèlement à la trajectoire initiale du PL, celui-ci tournant à droite (ou à gauche en Angleterre ; 2 à 3 cas sur 10).
Les accidents de cyclistes Dans son étude citée plus haut, l'institut VIAS [2] a également analysé 19 accidents graves ou mortels impliquant un cycliste et un poids lourd, attribués à l'existence d'un angle mort. Un seul de ces accidents est survenu en dehors d'un carrefour, parmi les 18 autres le carrefour est réglé par des feux dans 13 cas et par un régime de priorité dans 4 cas (pas de précision dans le dernier cas).
10 accidents impliquent un PL tournant à droite et heurtant un cycliste roulant tout droit, sur son côté droit ; 6 accidents impliquent un PL allant tout droit et heurtant un cycliste traversant de droite à gauche devant lui, soit en provenance d'une rue latérale (4 cas), soit traversant devant le camion à l'arrêt (2 cas) ; 2 accidents impliquent un PL tournant à gauche en coupant une piste cyclable sur laquelle il percute un cycliste qui vient de sa gauche (1 cas) ou de sa droite (1 cas) ; le dernier accident implique un cycliste traversant de gauche à droite derrière le PL, qui faisait marche arrière.
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Les âges des cyclistes impliqués sont relativement répartis, sans prépondérance marquée d'une tranche d'âge particulière. L'étude du TRL sur le territoire du Grand Londres [3] s'est également intéressée aux cyclistes décédés dans des collisions avec des poids lourds de plus de 7,5 t. Elle a dénombré 43 accidents mortels dont les trois quarts (33) relevaient d'un facteur « angle mort ». Les deux tiers des accidents avec ce facteur (22 sur 33) impliquent un PL tournant du côté passager (vers la gauche au Royaume-Uni) et heurtant un cycliste sur son côté passager. Les autres accidents correspondent à de multiples scénarios. Le point d'impact est situé dans 26 cas sur le côté passager du PL, dans cas 4 sur son avant et dans 3 cas sur son côté conducteur. L'étude de Schindler et al. [4] a également porté sur 96 accidents de cyclistes contre des poids lourd de plus de 16 tonnes. Le scénario le plus courant (44 cas) correspond à un PL tournant à droite et renversant un cycliste allant tout droit. La vitesse moyenne du PL lors de la collision est de 13 km/h. Dans les trois quarts de ces accidents (33 cas) la collision a eu lieu sur le côté du camion dans une zone située à moins de 2 m de distance de sa face avant. Dans 4 cas seulement elle a eu lieu à plus de 5 m de l'avant du camion. Malczyk et Bende [5] ont conduit une analyse détaillée de 62 accidents survenus entre 2007 et 2012 entre un PL de plus de 12 tonnes et un cycliste, répertoriés dans une base de données administrée par les assureurs allemands. Les accidents, sélectionnés selon un seuil de remboursement de dommages demandé (mais pas forcément accordé) de 30 k, ont généralement un niveau de gravité élevé : 11 des cyclistes impliqués ont été tués (18 %), 47 (76 %) ont été hospitalisés plus de 24 heures dont 31 (50 %) sont MAIS3+24, et 4 sont blessés légers (6 %). 57 accidents (92 %) ont eu lieu en agglomération, 51 accidents (82 %) en intersection, équipée de feux de circulation dans 32 cas (52 %). Les 11 accidents survenus hors intersection peuvent comporter des girations vers des accès privés. 52 accidents ont eu lieu de jour et 10 de nuit, à l'aube ou au crépuscule. Les scénarios les plus courants sont, par ordre décroissant de fréquence :
un PL tournant à droite (36 accidents, 58 %), le cycliste étant sur son côté droit, allant tout droit (35 accidents) ou tournant à droite (1 accident) ; des trajectoires du PL et du cycliste perpendiculaires (9 accidents, 15 %), le PL allant tout droit ou tournant ; un PL allant tout droit et dépassant un cycliste allant tout droit (6 accidents, 10 %) ; des trajectoires du PL et du cycliste en sens opposé (6 accidents, 10 %), le PL allant tout droit ou tournant ; les 5 accidents restants correspondent à des scénarios variés.
La zone du premier contact a été identifiée pour 57 des 62 accidents : dans plus du tiers des accidents (22 cas) il s'agit de l'angle avant droit de la cabine ; l'ensemble du côté droit du véhicule regroupe 43 accidents sur 57 (75 %). L'utilisation des freins par le PL a pu être déterminée pour 58 accidents ; dans 51 accidents (88 %) le PL n'a pas freiné avant la collision, il n'avait donc pas identifié la présence du cycliste. Dans 33 accidents (53 %) le PL a roulé sur le cycliste après le premier choc.
24 L'échelle AIS (Abbreviated Injury Scale) est une classification internationale utilisée en traumatologie. Elle permet de coder chaque lésion selon son siège et sa nature et lui attribue un score de gravité allant de 1 (lésion mineure) à 6 (lésion mortelle). MAIS (Maximum AIS) est le score AIS le plus élevé attribué aux blessures d'une victime. La Commission Européenne considère comme gravement blessées les personnes dont le score MAIS est supérieur ou égal à 3 (MAIS3+). 61
En conclusion, ces quatre sources identifient toutes comme scénario le plus courant un camion tournant à droite (ou à gauche en Angleterre) et renversant un cycliste allant tout droit, situé sur le côté passager du PL ; ce scénario regroupe à lui seul entre la moitié et les deux tiers des accidents étudiés. Tous scénarios confondus, le point de choc le plus fréquemment cité est l'angle avant droit de la cabine (plus du tiers des accidents), et le côté droit du PL dans les trois quarts des cas.
Complexité de la manoeuvre d'un PL en giration et utilisation des rétroviseurs
Le Laboratoire Mécanismes d'Accidents de l'Inrets (maintenant intégré à l'Université Gustave Eiffel) a analysé de manière approfondie l'occurrence et le processus de génération des défaillances fonctionnelles humaines, notamment les pertes de vigilance et d'attention, dans les mécanismes qui conduisent aux accidents de la route [6]. La conduite d'un véhicule mobilise chez le conducteur des ressources attentionnelles dont les capacités sont par nature limitées. Lorsque la demande cognitive augmente et atteint la limite des capacités de traitement, on aboutit à une surcharge cognitive. « La quantité d'information à traiter en parallèle, pour se représenter correctement la situation et prendre la bonne décision, est importante. Le conducteur doit alors sélectionner les informations les plus pertinentes pour la tâche qu'il a à réaliser et inhiber celles qui sont inutiles, de façon à éviter la surcharge informative. Une situation complexe de conduite liée à une infrastructure compliquée ou à une densité de trafic importante vont avoir tendance à surcharger le système cognitif du conducteur et l'obliger à sélectionner des informations sur des critères parfois subjectifs qui lui sont propres [...] » Les différentes tâches essentielles à la conduite peuvent entrer en compétition, et les ressources attentionnelles doivent se distribuer entre celles-ci. En Angleterre, des travaux conséquents sur la problématique des angles morts des véhicules lourds ont été engagés à l'initiative de Transport for London, l'autorité responsable des transports sur le périmètre du Grand Londres. Ces travaux ont abouti à la définition du Direct Vision Standard, qui sera décrite plus loin dans cette annexe. Une étude conjointe du cabinet ARUP et de l'Université de Leeds [7, 8] a analysé le mode de traitement de l'information visuelle par le conducteur de poids lourd. Les auteurs soulignent en introduction que la conduite d'un véhicule lourd dans un environnement urbain, même à basse vitesse, constitue l'une des situations complexes évoquées ci-dessus, du fait de la multiplicité des interactions potentielles avec d'autres usagers de types variés. Le conducteur doit constamment surveiller la circulation générale et les abords de son véhicule à la fois par le pare-brise et les fenêtres latérales mais aussi par les différents rétroviseurs, au nombre de six. S'y ajoute parfois, en cas de recherche d'itinéraire, le repérage de la signalisation de direction ou la consultation d'un système de navigation. Lors de ses contrôles visuels le conducteur doit en permanence tourner les yeux voire la tête vers les différentes cibles, dont certaines périphériques, et adapter son regard à la zone ciblée (proche ou lointaine). Le délai nécessaire à la transition entre deux cibles visuelles est augmenté par l'excentricité de la cible et la nécessité de modifier la distance de focalisation de son regard. En combinant les durées couramment citées par la littérature pour les mouvements oculaires ou de la tête du conducteur, l'adaptation de son regard à la cible et l'analyse de la scène, les auteurs estiment que le conducteur du PL aura besoin d'environ 4 secondes pour extraire l'information de l'ensemble de ses six rétroviseurs. Ils en concluent que la multiplication des rétroviseurs, qui réduisent les angles morts dans l'espace, conduit paradoxalement à créer des « angles morts temporels », c'est-à-dire des périodes pendant lesquelles l'information visuelle extraite d'un rétroviseur donné peut ne plus être valide, du fait de l'apparition d'un usager non détecté précédemment.
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Des expérimentations ont été réalisées sur un simulateur de conduite afin de comparer les temps de réaction associés respectivement aux champs de vision directe et indirecte, et d'évaluer le bénéfice potentiel apporté par la possibilité de visualiser un usager vulnérable dans le champ de vision directe plutôt que dans un rétroviseur. L'équipement a simulé une cabine de camion de configuration traditionnelle, dotée des six rétroviseurs réglementaires. 41 sujets ont parcouru sur le simulateur un circuit prédéfini sur lequel apparaissaient des piétons ou des cyclistes pouvant nécessiter une réaction de la part du conducteur. Diverses conditions de conduite ont été testées. Lorsque le véhicule est à l'arrêt, le temps de réaction du conducteur à un stimulus visuel est similaire que celui-ci apparaisse dans le champ de vision du pare-brise, d'une fenêtre ou dans le champ de vision indirecte (rétroviseurs). Lorsque le véhicule est en mouvement, le temps de réaction n'est pas plus élevé qu'à l'arrêt pour un stimulus apparaissant par le pare-brise ; en revanche, il augmente d'environ 0,6 s pour la vision par une fenêtre et d'environ 0,8 s pour la vision par un rétroviseur. Des tests ont également été réalisés avec une configuration de cabine dite « low entry cab », plus basse et dont les portes sont vitrées. Lorsqu'un usager vulnérable apparaît dans une zone couverte en vue directe par la cabine surbaissée mais visible uniquement par les rétroviseurs dans la cabine traditionnelle, le temps de réaction du conducteur est plus court de 0,7 s avec la première qu'avec la deuxième. Les situations dans lesquelles un piéton traversait juste devant le PL se sont conclues par une collision dans 27 % des cas avec la cabine traditionnelle et dans 3 % des cas avec la cabine surbaissée. Une variante de l'expérimentation a consisté à demander aux sujets de procéder, simultanément à la conduite, à une tâche complémentaire sollicitant une partie de leur attention. La part des traversées de piétons ayant donné lieu à une collision s'est alors élevée à 52 % avec la cabine traditionnelle et à 12 % avec la cabine surbaissée. Au vu de ces résultats les auteurs concluent que la priorité doit porter sur l'extension du champ de vision directe du conducteur plutôt que sur le développement de dispositifs complémentaires de vision indirecte.
Performance des systèmes complémentaires de visualisation, de détection et d'avertissement
Systèmes de visualisation L'Université Gustave Eiffel a évalué, en collaboration avec la société de transports publics Keolis Lyon et SYTRAL Mobilités, autorité organisatrice des mobilités des territoires lyonnais, des systèmes de rétro-vision permettant de remplacer les rétroviseurs « grand angle » (classe IV) des autobus par des écrans qui renvoient au poste de conduite les images captées par des caméras [9]. Les tests, réalisés dans des conditions expérimentales puis en circulation réelle, se sont conclus par un avis très positif des chauffeurs participants. Les principaux avantages attribués à ces équipements sont :
une meilleure adaptation aux conditions de luminosité extérieure, et la suppression de l'éblouissement ; le fait de ne plus avoir à régler la position des rétroviseurs en fonction de la morphologie du conducteur ; une visibilité intacte même lorsque des voyageurs sont sur la plate-forme avant du bus.
Systèmes de détection L'étude de l'Université Gustave Eiffel a également porté sur deux systèmes de détection des usagers vulnérables, l'un basé sur la technologie Lidar (mesure de distance par laser), l'autre par analyse d'image [9]. Les performances de ces équipements ont été
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évaluées lors d'essais sur piste dans des conditions contrôlées visant à reproduire des événements impliquant ou non un usager vulnérable puis, pour le système par analyse d'image, en circulation réelle sans voyageur. Afin de présenter un intérêt pour le conducteur, de tels systèmes doivent impérativement lui délivrer une information fiable et utile et donc faire la distinction, parmi les éléments détectés, entre les éléments inertes et immobiles (mobilier urbain, véhicule garé, etc.), les éléments mobiles mais non vulnérables (voiture, camion, etc.) et les usagers vulnérables. Les essais de ces deux systèmes n'ont pas été concluants à cet égard. Le système fonctionnant avec le Lidar ne fait aucune distinction entre les différents types d'éléments détectés. Il génère donc un nombre rédhibitoire de « faux positifs », alarmes qui mobilisent inutilement l'attention du conducteur et conduisent rapidement au rejet pur et simple du système. Les auteurs relèvent également que même en cas d'information utile, celle-ci arrive généralement de façon trop tardive et ne permet pas de réagir en situation d'urgence. Le système fondé sur l'analyse d'image permet théoriquement de différencier les différents types d'éléments détectés. Pour autant, sur 117 alertes de présences émises par le système lors des tests, 39 apparaissent comme de « faux positifs », proportion jugée trop élevée par les auteurs pour que le conducteur accorde sa confiance au système et l'utilise à bon escient. Quelques « faux négatifs » (absence d'alerte en présence d'un danger réel) ont également été relevés. Compte tenu de ces résultats, les tests n'ont pas été prolongés par une mise en oeuvre des systèmes en situation commerciale, dans un environnement sans doute plus complexe que celui mis en place pour les tests. Les auteurs concluent en estimant que les capteurs (Lidar ou caméras) sont globalement assez fiables mais que de gros progrès restent nécessaires sur les algorithmes de traitement et d'interprétation. L'Institut Belge pour la Sécurité Routière (maintenant VIAS) avait testé en 2011 un système de détection à base de capteurs à ultrasons [10]. Ces capteurs sont à installer sur le camion aux endroits où l'on désire détecter les usagers vulnérables, soit typiquement sur le côté et à l'avant droit de la cabine et sur le flanc droit de la remorque. Ils mesurent la distance entre les objets détectés et le camion, et produisent dans la cabine un signal visuel et éventuellement sonore, en fonction de plusieurs seuils de distance paramétrables dans le système. À titre d'exemple, les paramètres sélectionnés lors des tests étaient les suivants :
pour une distance égale à 100 cm : une lampe verte s'allume ; pour une distance égale à 80 cm : maintien de la lampe verte + signal sonore ; pour une distance égale à 60 cm : lampe rouge "stop" et signal sonore plus fort.
Les capteurs sont autonomes et communiquent avec le boîtier de contrôle par liaison sans fil, ce qui autorise les changements de remorque. Le système a été posé sur 38 camions de plusieurs entreprises et utilisé pendant trois mois. Aucune mesure physique ni observation externe n'a été réalisée, l'évaluation s'est fondée uniquement sur les informations recueillies auprès des conducteurs. Ceux-ci devaient renseigner quotidiennement le nombre de situations d'angle mort rencontrées et décrire la première situation rencontrée au cours de la journée, selon une typologie prédéfinie. Un questionnaire leur a également été adressé à la fin de la période d'expérimentation. Les éléments recueillis ont été comparés à ceux issus d'un groupe témoin de conducteurs ayant utilisé des véhicules non équipés. Les résultats de l'expérimentation sont mitigés. Le taux de faux positifs (mobilier urbain, voitures, etc.), tel qu'il ressort du jugement qualitatif des conducteurs, est élevé : sur une
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échelle de 1 (pas ou peu de faux positifs) à 5 (énormément de faux positifs), la valeur moyenne attribuée par les conducteurs est de 3,2 et 10 conducteurs sur 34 ont attribué une valeur de 5. 81 % des chauffeurs ont également signalé un déclenchement intempestif du système par temps de pluie et 73 % par temps de neige. Il a également été relevé une susceptibilité du système au vent fort. L'une des améliorations suggérées est de désactiver le système pour les vitesses supérieures à 30 km/h. Le taux de faux négatifs (situations dangereuses non détectées) est plus faible mais non nul, la valeur moyenne attribué par les conducteurs est de 2,1. Une extension de la distance de détection permettrait probablement de réduire ce taux, mais risquerait en contrepartie d'accroître le nombre de faux positifs. Les auteurs concluent de ces résultats que la fiabilité insuffisante du système est de nature à ce que les chauffeurs n'aient pas confiance lorsque celui-ci les avertira d'un danger réel. Ils estiment en conséquence qu'il n'y a pas lieu, à ce stade de développement, de recommander son utilisation. Système d'avertissement à l'extérieur du véhicule L'IBSR [10] a également testé, selon une démarche similaire, un système alertant les usagers vulnérables de la manoeuvre de tourne-à-droite d'un camion grâce à un signal sonore discontinu et un clignotement des lampes latérales du camion. Le système se déclenche lorsque le clignotant droit du camion est activé à une vitesse inférieure à 30 km/h. Il est désactivable depuis la cabine (par exemple, pour les tests, il a été désactivé entre 22 h et 6 h). 33 camions d'entreprises ont été équipés, avec les mêmes modalités d'évaluation que pour le système de détection par ultrasons évoqué plus haut. Selon les éléments recueillis auprès des conducteurs, aucun effet négatif n'a été observé mais le bénéfice offert par le système n'apparaît pas de façon évidente, étant précisé par ailleurs qu'il est souvent difficile au conducteur d'estimer si le cycliste a compris la signification de l'alerte. S'y ajoute le cas particulier des cyclistes portant des écouteurs et ne percevant donc pas l'alerte sonore. L'expérimentation a été complétée par la circulation pendant quelques heures d'un poids lourd équipé sur une boucle en zone urbaine et l'interview, en aval d'un carrefour, de 125 cyclistes confrontés au PL ayant tourné à droite. 74 % des cyclistes interviewés ont perçu l'alerte sonore mais seulement 12 % ont perçu l'alerte visuelle (le rapport signale que les lampes latérales du camion de test étaient petites, et que le test s'est fait de jour par beau temps). Tous ceux qui ont perçu l'alerte visuelle ont également entendu l'alerte sonore. Seulement 29 % des cyclistes ayant perçu l'alerte sonore (soit 19 % de l'ensemble des interviewés) ont bien compris que ce signal les avertissait de la manoeuvre de tourne-à-droite du camion ; les autres n'ont pas fait le lien avec le camion (le son a été attribué par exemple aux feux de circulation) ou ont cru à un dysfonctionnement du camion, ou à une alarme de recul. À la date de l'expérimentation, le système d'alerte sonore et visuelle dérogeait à la réglementation belge. Les auteurs ne voient pas d'objection à ce que ce système soit autorisé, du fait qu'il ne crée pas de danger supplémentaire, mais estiment que sa mise en oeuvre ne pourrait induire des améliorations de la sécurité que si elle s'accompagne d'efforts considérables de communication sur la signification des alertes et sur la façon dont les cyclistes sont censés y réagir (par exemple sur la priorité à céder ou non au PL tournant à droite).
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Le « Direct Vision Standard » de Transport for London
Transport for London (TfL) est l'autorité responsable des transports sur le territoire du Grand Londres, qui couvre 1 572 km², soit l'équivalent d'un cercle de 45 km de diamètre, et rassemble 8,2 millions d'habitants25. La stratégie définie par le maire du Grand Londres en matière de transports a pour objectif de supprimer d'ici 2041 la totalité des accidents mortels et graves sur le réseau londonien. Parmi les mesures adoptées, le Direct Vision Standard vise à réduire le nombre d'accidents entre des poids lourds et des usagers vulnérables. La mise au point de ce standard a donné lieu de 2012 à 2019 à de nombreux travaux préparatoires, et ses modalités ont fait l'objet de concertations notamment avec les industriels. Le principe général26 [11] Depuis le 1er mars 2021, pour pouvoir circuler sur le territoire du Grand Londres, les poids lourds de PTAC supérieur à 12 tonnes (catégorie administrative N3) doivent détenir une autorisation qui n'est délivrée par TfL que si le véhicule respecte un ensemble de critères techniques destiné à réduire le risque de collision avec un piéton ou un cycliste. Le dispositif comporte certaines exemptions et les véhicules de transport en commun ne sont pas concernés. Les demandes d'autorisation sont instruites en ligne et les autorisations sont délivrées gratuitement. Le contrôle est réalisé au moyen des caméras avec fonction de lecture automatique de plaques d'immatriculations (LAPI) équipant le territoire du Grand Londres27, et déjà utilisées précédemment pour le péage urbain et les restrictions d'accès liées aux zones de faible émission. Un véhicule en infraction est passible d'une amende de 550 £. Les critères techniques La configuration de la cabine du véhicule doit offrir au conducteur un champ de vision directe (par le pare-brise et les fenêtres latérales) suffisamment étendu. Si ce critère n'est pas respecté, le véhicule doit être doté d'un ensemble d'équipements complémentaires dit « safe system ». Pour chaque modèle de véhicule, l'étendue du champ de vision directe du conducteur est caractérisée par une classification de 0 à 5 étoiles (du niveau le plus mauvais au meilleur) attribuée selon un système dénommé « Direct Vision Standard » (DVS). Cette classification est déterminée par le constructeur du véhicule au moyen d'un protocole technique développé pour TfL lors des travaux préparatoires. Ce protocole est décrit en détail plus loin.
Les véhicules classés 3, 4 ou 5 étoiles reçoivent une autorisation d'accès au périmètre du Grand Londres valable dix ans. Les véhicules classés 1 ou 2 étoiles reçoivent une autorisation d'accès valable jusqu'en 2024.
25 À titre de comparaison, en Île-de-France : Paris et les trois départements de petite couronne couvrent 657 km² et regroupent 4,5 millions d'habitants ; la zone intérieure à la Francilienne (autoroute A104 et RN104) a un diamètre de l'ordre de 50 km ; la région Île-de-France couvre 12 012 km² et regroupe 12,1 millions d'habitants. 26 Le dispositif est présenté sur le site internet de TfL : https://tfl.gov.uk/info-for/deliveries-in-london/delivering-safely/direct-vision-in-heavy-goods-vehicles. La page comporte également un lien permettant de consulter certains rapports des travaux préparatoires. 27 En 2021, 981 caméras avec fonction LAPI étaient utilisées pour le contrôle et la verbalisation sur le territoire du Grand Londres (source : https://tfl.gov.uk/corporate/transparency/freedom-of-information/foirequest-detail?referenceId=FOI-2256-2021). 66
Les véhicules classés 0 étoile ne peuvent recevoir une autorisation d'accès qu'à la condition d'être dotés des équipements complémentaires définis dans le « safe system » ; cette autorisation sera valable jusqu'en 2024.
Le « safe system » comprend obligatoirement l'ensemble des équipements suivants, qui peuvent être installés sur les véhicules déjà en circulation : 1. Des équipements de vision indirecte complémentaires : - un rétroviseur de classe V (accostage) du côté passager et un rétroviseur de classe VI (antéviseur) à l'avant, tous deux conformes au règlement 46 de la CEE-ONU, ou un système de surveillance par caméra admis par ce règlement comme assurant les mêmes fonctions ; - un système complémentaire de surveillance par caméra couvrant l'extérieur du véhicule du côté passager ; ce système complémentaire peut se désactiver lorsque la vitesse du véhicule dépasse 20 mph (32 km/h) ; - un système de détection avertissant le conducteur de la présence d'un piéton ou d'un cycliste sur le côté passager ; ce système peut se désactiver lorsque la vitesse du véhicule dépasse 20 mph (32 km/h). 2. Des dispositifs d'avertissement des usagers vulnérables : - un dispositif émettant une alerte sonore à l'extérieur lorsque le véhicule tourne du côté passager ; ce dispositif doit être désactivé manuellement entre 23h30 et 7h00 ; - une signalétique apposée sur le véhicule rappelant aux piétons et cyclistes les risques associés aux angles morts. 3. Des deux côtés du véhicule, des protections latérales destinées à réduire le risque qu'un usager vulnérable tombé au sol glisse sous les roues du véhicule. TfL envisage de faire évoluer le dispositif de façon plus restrictive en 2024 en portant le classement minimum requis à 3 étoiles. Les PL classés de 0 à 2 étoiles devraient alors être dotés d'un ensemble d'équipements dit « progressive safe system » pouvant être installés sur un véhicule déjà en circulation. Le détail de ces équipements doit être défini courant 2022 en fonction notamment de l'état de l'art et fera l'objet d'une consultation publique. Le protocole de classification [12] Le protocole définit, sur les trois côtés de la cabine du PL, un volume dit « volume d'évaluation » dans lequel on caractérise la possibilité de visualiser un usager vulnérable. Pour ce faire, on évalue la partie de ce volume visible en vue directe par le conducteur, et la classification en termes d'étoiles est attribuée selon le résultat obtenu.
Figure 52 : Volume d'évaluation du protocole du DVS (représenté pour une cabine avec conduite à droite) ; Loughborough University [12]
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Ce volume est représenté en figure 52. Ses dimensions ont été définies après application de plusieurs variantes sur un échantillon de PL et sélection de la variante jugée la plus discriminante. À l'avant de la cabine et sur son côté passager (ici le côté gauche, pour une cabine avec conduite à droite), elles correspondent au champ de vision minimal au sol requis par le règlement n° 46 de la CEE-ONU. Une zone complémentaire de 2 m de largeur a été ajoutée du côté du conducteur. Dans le sens vertical, le volume d'évaluation va du sol jusqu'à une hauteur de 1,602 m, considérée comme la hauteur de l'épaule du plus grand européen (99 percentile des hommes néerlandais). Les auteurs considèrent que voir l'épaule d'un individu, même sans sa tête, est suffisant pour que le conducteur identifie la présence d'un usager vulnérable. Le point oculaire du conducteur est défini par une distance fixe par rapport à la position du talon du pied agissant sur la pédale d'accélérateur (cette position est définie par les règlements CEE-ONU) ; cette distance, définie en accord avec les industriels, est de 1163 mm en hauteur et 678 mm en profondeur ; elle correspond à la position moyenne des yeux pour le 50 percentile des conducteurs britanniques, allemands, néerlandais, français, italiens et suédois, en comptant une proportion de 90 % d'hommes et 10 % de femmes. La part du volume d'évaluation visible en vue directe par le conducteur est calculée par le constructeur au moyen d'un outil de modélisation 3d à partir d'une saisie détaillée de la configuration de la cabine (y compris l'ensemble des éléments pouvant créer un masque : tableau de bord, rétroviseurs extérieurs, etc.) et du point oculaire du conducteur. Un programme de calcul est mis gratuitement à la disposition des constructeurs, qui peuvent également utiliser un outil alternatif sous réserve de montrer sur un cas-type que cet outil produit des résultats équivalents. La classification en étoiles est attribuée selon les seuils suivants : Volume minimal (m3) 1 étoile 2 étoiles 3 étoiles 4 étoiles 5 étoiles 10,041 11,996 13,950 15,905 17,859
Nota : le volume total d'évaluation est variable puisqu'il dépend de la largeur de la cabine et de la distance entre le point oculaire du conducteur et l'avant de la cabine. Si l'on note respectivement L et D ces deux dimensions, ce volume V (en m³) est : V = 31,239 + 3,204 * L + 10,413 * D. Pour une largeur L de 2,30 m et une distance D de 1 m, le volume total d'évaluation V est égal à 49,02 m³. Le choix de cet indicateur et la définition des seuils sont issus de la démarche détaillée ci-dessous. 27 modèles de poids lourds ont été testés, totalisant plus de 99 % des ventes de la catégorie N3 au Royaume-Uni. La hauteur de la cabine d'un modèle donné pouvant être variable, chaque modèle a été testé avec les hauteurs minimale et maximale de cabine définies par le constructeur. Deux indicateurs ont été calculés sur l'ensemble de ces variantes : d'une part le volume visible, présenté plus haut, mais celui-ci était jugé abstrait et peu parlant ; il a donc été complété par un second indicateur caractérisant la distance moyenne à laquelle un usager vulnérable est visible en vue directe. Pour le calcul de cette distance, l'usager-type retenu est le 5 percentile féminin adulte italien (plus petite population en Europe), d'une taille totale de 1,50 m ; plus de 99 % de la
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population adulte européenne a une taille supérieure 28. Les auteurs considèrent que pour pouvoir détecter rapidement la présence d'un individu, le conducteur doit visualiser au minimum sa tête et ses épaules29 ; pour l'usager-type retenu, ceci correspond à une hauteur de 1,177 m. Treize positions d'usagers ont été utilisées (figure 53) :
trois positions face à l'avant de la cabine, l'une au centre et les deux autres dans le prolongement des faces latérales ; cinq positions sur chacun des deux côtés du véhicule, espacées régulièrement dans le sens longitudinal.
Pour chacune de ces 13 positions, les auteurs ont calculé la distance minimale à laquelle l'usager-type doit se trouver pour que sa tête et le haut de ses épaules soient visibles (donc la distance minimale à laquelle est visible un point situé à une hauteur de 1,177 m), puis la moyenne de ces 13 distances. La corrélation entre les deux indicateurs s'avère très forte ; c'est pourquoi le protocole de classification a retenu l'indicateur de volume, plus précis par définition.
Cependant, pour la classification en étoiles, les auteurs ont considéré qu'il serait inacceptable d'attribuer au moins une étoile à un camion pour lequel un usager ne serait pas visible en limite de la zone réglementairement couverte par les rétroviseurs du côté passager et à l'avant, car ceci conduirait de fait à admettre l'existence d'un angle mort. En conséquence, n'ont été jugés admissibles à l'attribution d'une étoile que les camions pour lesquels la distance moyenne de visibilité de l'usager-type, calculée séparément pour l'avant, le côté passager et le côté conducteur, était inférieure respectivement à 2 m, 4,5 m et 0,6 m. Parmi tous les modèles testés respectant cette condition, la valeur la plus faible du volume de visibilité a été retenue pour le seuil de classification à une étoile. Les seuils définissant les catégories de 2 à 5 étoiles ont ensuite été définis par une subdivision égale, en cinq parties, du score volumétrique entre cette valeur et le score obtenu par le véhicule testé le plus performant. Parmi les 54 modèles testés :
Figure 53 : Positions des usagers utilisées pour le calcul de la distance moyenne de visibilité Loughborough University [12]
3 camions ont reçu 5 étoiles ; 3 ont reçu 4 étoiles ; 6 ont reçu 3 étoiles ; 6 ont reçu 2 étoiles ;
28 Les auteurs soulignent que même pour un percentile aussi élevé, ce choix résulte quand même d'un compromis, car il exclut de fait les enfants et les utilisateurs de fauteuils roulants. Toutefois l'analyse des accidents a montré que ces types d'usagers étaient rarement impliqués. 29 Le choix de rechercher la visibilité d'au moins la tête et les épaules est une décision des auteurs. Ceux-ci soulignent qu'il n'existe pas de sources bibliographiques évaluant la part minimale d'un individu qui devrait être visible pour permettre une identification rapide. Les auteurs craignent même que la tête et les épaules ne soient pas suffisantes dans une situation dégradée (conditions météorologiques défavorables, faible éclairement, vêtements sombres, charge mentale élevée du conducteur due à une circulation dense ou à la pression professionnelle, etc.). 69
8 ont reçu 1 étoile ; 28 n'ont reçu aucune étoile.
La plupart des constructeurs les plus importants commercialisent au moins un modèle ayant reçu au moins une étoile : DAF, Isuzu, Mercedes-Benz, Renault Trucks, Scania, Volvo, etc.
Références
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Bureau d'E nquêtes sur les Ac cidents de T ransport T errestre
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