Naufrage du thonier senneur AVEL VOR le 27 octobre 2019, au large du Liberia – Rapport d’enquête

Auteur moral
France. Bureau d'enquêtes sur les événements de mer
Auteur secondaire
Résumé
<p style="margin-bottom: 0cm; line-height: 100%">Le rapport d’enquête concerne le naufrage du thonier senneur AVEL VOR le 27 octobre 2019, au large du Liberia. L’hypothèse retenue, ayant causée le naufrage, est une voie d’eau provoquée par le heurt avec un conteneur. Au regard des éléments recueillis, le BEAmer n’émet aucune recommandation.
Descripteur Urbamet
pêche (secteur d'activité) ; enquête ; accident ; NAUFRAGE
Descripteur écoplanete
Thème
Transports
Texte intégral
Rapport d'enquête Naufrage du thonier senneur AVEL VOR le 27 octobre 2019, au large du Liberia Rapport publié : octobre 2020 Avertissement Le présent rapport a été établi conformément aux dispositions du Code des transports, notamment ses articles L.1621-1 à L.1622-2 et R.1621-1 à R.1621-38 relatifs aux enquêtes techniques et aux enquêtes de sécurité après un événement de mer, un accident ou un incident de transport terrestre et portant les mesures de transposition de la directive 2009/18/CE établissant les principes fondamentaux régissant les enquêtes sur les accidents dans le secteur des transports maritimes ainsi qu'à celles du « Code pour la conduite des enquêtes sur les accidents » de l'Organisation Maritime Internationale (OMI), et du décret n° 2010-1577 du 16 décembre 2010 portant publication de la résolution MSC 255(84) adoptée le 16 mai 2008. Il exprime les conclusions auxquelles sont parvenus les enquêteurs du BEAmer sur les circonstances et les causes de l'événement analysé et propose des recommandations de sécurité. Conformément aux dispositions susvisées, l'analyse de cet événement n'a pas été conduite de façon à établir ou attribuer des fautes à caractère pénal ou encore à évaluer des responsabilités individuelles ou collectives à caractère civil. Son seul objectif est d'améliorer la sécurité maritime et la prévention de la pollution par les navires et d'en tirer des enseignements susceptibles de prévenir de futurs sinistres du même type. En conséquence, l'utilisation de ce rapport à d'autres fins que la prévention pourrait conduire à des interprétations erronées. Pour information, la version officielle du rapport est la version française. La traduction en anglais lorsqu'elle est proposée se veut faciliter la lecture aux non-francophones. Page 2 sur 45 1 2 Résumé Informations factuelles 2.1 2.2 2.3 2.4 2.5 Contexte Navire Équipage Accident Intervention Page 4 Page Page Page Page Page Page Page Page Page Page Page Page Page Page Page 4 5 6 6 9 11 13 13 14 14 17 18 19 19 20 3 4 Exposé Analyse 4.1 4.2 4.3 4.4 Possibilité d'une avarie du circuit eau de mer Possibilité de heurt d'un OFNI Possibilité d'une brèche dans la coque Conséquence d'une brèche 5 6 7 8 9 Conclusions Mesures prises par l'armement Enseignements Recommandation Annexes A. B. C. D. E. Liste des abréviations Décision d'enquête Navire Note de calcul Carte Page Page Page Page Page 21 22 23 26 44 Page 3 sur 45 1 Résumé Le 27 octobre 2019 le thonier senneur AVEL VOR se trouve sur ses lieux de pêche depuis trois jours (à environ 200 milles au sud de Monrovia, Liberia) et aucun incident n'a été relevé jusquelà. À 22h00, alors que le navire fait route par mer agitée, une alarme de niveau haut dans la cale machine se déclenche. Le mécanicien de service fait une première investigation, mais ne constate aucune fuite apparente. Il alerte le second mécanicien, qui prend les premières mesures, avant d'alerter à son tour le chef mécanicien. À 22h25, malgré le fonctionnement de la pompe de cale machine et les investigations, l'alarme d'envahissement se déclenche ; à partir de ce moment la situation se dégrade rapidement. À 00h35 le 28 le capitaine, en accord avec le directeur technique de l'armement, décide de lancer la procédure d'abandon du navire. Trois quarts d'heure plus tard l'équipage évacue l'AVEL VOR à bord du skiff (embarcation lourde saisie sur la rampe arrière du navire) vers le STERENN, le GUEOTEC et le PENDRUC, autres navires de l'armement, en approche. Le 29 à 00h10 l'AVEL VOR disparait de l'écran radar du PENDRUC qui est resté sur zone. L'hypothèse d'une brèche, causée par le heurt d'un objet suffisamment dense à arête vive, vraisemblablement un conteneur, est la cause la plus probable à l'origine de la voie d'eau ayant entraîné le naufrage. Compte tenu des mesures prises par l'armement, le BEAmer n'émet pas de recommandation. 2 2.1 CFTO : Informations factuelles Contexte La Compagnie Française du Thon Océanique arme quinze navires. Sept navires sont basés en océan Atlantique, dont l'AVEL VOR, et son sistership le CAP BOJADOR. Les huit autres navires sont basés en océan Indien. La compagnie arme également deux navires d'assistance (un en Atlantique, un en océan Indien). Sûreté : Il n'y a pas de militaires embarqués. La possibilité d'un naufrage non accidentel n'a pas été étudiée par le BEAmer. Page 4 sur 45 2.2 Navire L'AVEL VOR est un thonier senneur congélateur. N° OMI Immatriculation Jauge Longueur hors-tout Profondeur de carène Puissance administrative Propulsion Énergie Année de construction Mise en service : : : : : : : : : : 8908038 CC 752560 1383 61 m 5,80 m 4226 kW Wartsila ­ 6R32E - 2458 kW 2 alternateurs attelés et 2 groupes électrogènes Poyaud de 441kW pose de quille en décembre 1990 12 avril 1991 Le navire répond aux normes AUT ; les titres et certificats sont à jour. Particularités : Il n'y a pas de groupe électrogène de secours. Il n'y a pas de ballasts eau de mer. Capacité de pompage (cf. plans en Annexe C) : Électropompe d'assèchement cale : 50 m3/h (rep. 14 sur plan). Électropompe incendie : 50 m3/h (rep. 13 sur plan). Électropompe secours MP : 120 m3/h (rep. 11 sur plan). Motopompe diesel : 30 m3/h pour secours incendie, 2 x 8 m3/h via les éjecteurs bâbord et tribord. Les éjecteurs sont situés dans le faux-pont, au niveau des cuves, et servent à étancher les débordements de celles-ci lorsque le poisson « gonfle » à la congélation et fait déborder la saumure. Leur utilisation en assèchement machine s'effectue en raccordant plusieurs tronçons de tuyaux annelés (donc résistant à la dépression créée par la mise sous vide), mais difficiles à manipuler. Il n'y a pas de passage de ces tuyautages à travers les cloisons ; leur cheminement passe donc par les portes étanches pour atteindre le compartiment machine. La capacité de pompage pour assèchement, via les éjecteurs et sans la pompe de secours MP, est d'environ 116 m3/h. Page 5 sur 45 2.3 Équipage L'équipage est composé de huit marins français, de quinze marins de différentes nationalités africaines et d'un observateur, également africain. Le capitaine est âgé de 43 ans. Il est titulaire du brevet de capitaine de pêche (juil. 2003) et des qualifications STCW réglementaires. Il exerce la fonction de capitaine depuis avril 2016. Le chef mécanicien est âgé de 35 ans. Il est titulaire du brevet de chef mécanicien 8000 kW (mai 2019) et des qualifications STCW réglementaires. Depuis juillet 2016 il alterne les fonctions de second et de chef mécanicien. Il navigue à bord de l'AVEL VOR depuis juin 2019. Le second mécanicien est âgé de 37 ans. Il est titulaire du brevet de second mécanicien 3000 kW (oct. 2014) et des titres STCW réglementaires. Il navigue à bord de l'AVEL VOR depuis 2013. L'officier mécanicien frigoriste est âgé de 36 ans. Il est titulaire du brevet de chef mécanicien 8000 kW (mai 2013). Il a une expérience de chef mécanicien à bord des navires Bourbon offshore. Il navigue à bord de l'AVEL VOR depuis août 2018. Le chef ramendeur est âgé de 27 ans. Après des études d'ingénieur en Génie civil, il effectue une reconversion à la pêche. Il est titulaire d'un certificat de matelot pont (nov. 2017) et des certificats de base STCW. Il navigue à bord de l'AVEL VOR depuis août 2018. Il y exerce les fonctions de chef ramendeur et d'intendant. Le navire est équipé de matériel de plongée, mais il n'y a pas de plongeur qualifié parmi le personnel embarqué pour cette marée. 2.4 Accident Heure locale : TU 27 octobre 2019, À 22h00, alarme de niveau haut dans le puisard de la cale machine. Le frigoriste (mécanicien de service) constate le niveau haut et alerte le second mécanicien. Il effectue une ronde pour tenter de localiser l'origine de la montée d'eau et constate qu'il y a déjà de l'eau sur toute la surface de la cale machine ; cette eau est relativement sale. Page 6 sur 45 Peu après le second mécanicien arrive en machine, fait le même constat, et démarre l'électropompe d'assèchement de la cale qui refoule à la mer via le séparateur à eaux mazouteuses. Le second prévient le chef mécanicien. Les plaques du parquet machine sont soulevées les unes après les autres pour une investigation plus approfondie, alors que les tuyaux et collecteurs ne sont pas encore recouverts d'eau, mais aucune fuite n'est détectée. Le niveau d'eau est le même à l'avant et à l'arrière de la cale machine. À 22h25 l'alarme d'envahissement de la cale machine se déclenche. Le capitaine est prévenu de la situation par le chef mécanicien et une recherche méthodique de la cause de la voie d'eau est mise en oeuvre. Des points de repère sont pris sur la coque et sur une échelle, située sur l'avant du moteur principal, pour contrôler le niveau de l'eau qui continue de monter. L'électropompe de secours incendie/ assèchement est démarrée par le second mécanicien. Puis, dans un premier temps, (voir schéma de principe ci-après) le groupe électrogène (GE) bâbord est démarré et couplé, le moteur principal est stoppé. Les vannes sur la traverse eau de mer, en amont et en aval du filtre tribord, sont isolées. La vanne sur la traverse eau de mer, en amont du filtre bâbord, est maintenue ouverte pour alimenter le GE bâbord, via un piquage de secours. La vanne sur la traverse, en aval du filtre bâbord, est isolée. Des manches à incendie aspirant dans la cale machine sont raccordées à la motopompe de secours incendie, via les éjecteurs bâbord et tribord. Dans un deuxième temps les GE bâbord et tribord sont permutés, les vannes sur la traverse eau de mer, en amont et en aval du filtre tribord, sont ouvertes (car il n'y a pas de piquage secours vers le GE à tribord) et les vannes sur la traverse eau de mer, en amont et en aval du filtre bâbord, sont isolées. Le niveau d'eau continue de monter. Bien qu'il n'y ait pas de présence d'eau dans le tunnel de congélation, la vanne d'alimentation des cuves réfrigérées, qui aspire via des vannes de coque bâbord ou tribord, est cependant isolée. Le local barre est également sec. Un tourbillon d'eau propre commence à être visible sur l'avant bâbord du compartiment machine, à proximité du filtre eau de mer. L'eau atteint les portes de carter du moteur principal. Page 7 sur 45 R ef. Motopompe s ec ours / éjec teur L ocal frigo fret P ont princ ipal R ef. P iquage s ec ours réfri. G E B d As p. O F iltre E D M B d As p. Manc he dans c ale S épar. 15ppm R éfri G E B d G E B d en s erv ic e F P pe de c ale MP s toppé P uis ard c ale mac h. T ravers e E DM G E T d s toppé R éfri. G E T d F P pe s ec ours inc endie/ As s èc ht F R ef. S ous -pont princ ipal As p. F iltre E D M T d Dans un troisième temps un black-out est volontairement provoqué, seule la motopompe de secours continue à fonctionner. Toutes les vannes de coque de refoulement sont isolées (réfrigération du moteur principal, bouilleur, climatisation, GE, séparateur 15 ppm). Deux nouvelles rondes d'investigation sont effectuées par l'équipe machine. Sans résultat. Le niveau de l'eau continue à monter et le tourbillon d'eau propre sur bâbord avant est nettement visible. Dans un quatrième temps le GE bâbord est de nouveau disposé pour réactiver le pompage, tant que le réseau de câblage des GE n'est pas noyé. Le niveau de l'eau continuant à monter (la pompe principale d'assèchement est noyée), un black-out est provoqué. Seule la motopompe des éjecteurs reste en service. Lorsque l'eau atteint les cache-culbuteurs du moteur principal, la motopompe des éjecteurs est stoppée et isolée. Page 8 sur 45 Le 29 octobre à 00h10 l'AVEL VOR sombre à la position 03°13' nord - 10°33' ouest (cf. carte en Annexe E). 2.5 Interventions Heure locale : TU 27 octobre, À 22h55 le capitaine de l'AVEL VOR alerte l'armement et les thoniers GUEOTEC et GEVRED. À 23h28 le CROSS Étel transfère au CROSS Gris-Nez la coordination de l'événement. Le GUEOTEC et le STERENN font route pour porter assistance. À 23h00 le skiff et le radeau tribord sont largués et amarrés à couple de l'AVEL VOR, à tribord. À 23h35 l'AVEL VOR contacte le CROSS Gris-Nez pour l'informer de la situation. À 23h46 le CROSS interroge le commandant de l'arrondissement maritime Atlantique (CECLANT) sur la position des navires en mission Corymbe ; ceux-ci sont trop éloignés de l'AVEL VOR pour intervenir. Page 9 sur 45 À 23h58 le CROSS informe le MRCC Monrovia de la situation. 28 octobre, À 00h07 le CROSS Gris-Nez interroge le MRCC Madrid sur la possibilité d'intervention d'un navire hôpital à proximité ; mais celui-ci est également trop éloigné de la position pour porter assistance. À 00h35, déclenchement du signal d'abandon par le capitaine, en accord avec le directeur technique de l'armement. À 00h37 rassemblement de tout l'équipage, muni des brassières de sauvetage, sur le pont principal. Le CROSS transmet les informations au MRCC Monrovia. À 00h38 l'équipage embarque sur le skiff. Réception de l'alerte satellitaire par le CROSS via la balise de détresse. À 00h42 le CROSS transmet une demande de prévision de dérive à Météo France. À 01h00 le capitaine, le chef et le second mécanicien retournent à bord pour vérifier la fermeture des portes étanches et des vannes à fermeture rapide de gasoil. L'eau atteint les culasses du moteur principal. À 01h10 l'équipage est au complet à bord du skiff qui s'écarte du navire. À 01h45 contact VHF par SMDSM avec le thonier STERENN, en approche à 9 milles. À 02h45 accosté le STERENN et mise en sécurité de l'équipage. À 03h06 le PENDRUC est sur zone. À 03h08 le STERENN informe Gris-Nez que l'assistance médicale n'est pas nécessaire car il y a un médecin à bord. À 04h21 le CROSS transmet les informations au MRCC Monrovia. À 07h00 le capitaine de l'AVEL VOR tient le capitaine d'armement informé de la situation. Page 10 sur 45 À 08h30 le capitaine de l'AVEL VOR rend compte de la situation au CROSS. À 09h15 transfert de dix membres d'équipage à bord du GUEOTEC pour retour à Abidjan. À 10h00 transfert des quatorze autres membres d'équipage à bord du PENDRUC, qui reste sur la zone de l'accident pour surveillance, à la demande du CROSS. À 18h00 l'AVEL VOR est à 0,5 mille dans l'ouest du PENDRUC, toujours à flot. 3 Exposé Heures TU 24 octobre, À 17h40, l'AVEL VOR appareille d'Abidjan pour une marée de 50 jours. La marée se déroule sans incident jusqu'au 27 octobre. 27 octobre, Météo : vent de sud-ouest 15 noeuds, mer agitée, visibilité 10 milles (source : AVEL VOR). 32 tonnes de thon ont été pêchées en deux coups de filets depuis la veille. Les soutes sont estimées à 350 m3 de gasoil. Vers 20h00 le navire se dirige vers un DCP, cap au 291° à 10,5 noeuds. Le quart passerelle est assuré par un lieutenant et un matelot ; les portes de la passerelle sont fermées. Un navire espagnol qui fait route est visible au radar. Entre 21h30 et 22h00 le chef ramendeur, qui somnole dans sa cabine (située à tribord, au pont équipage), est réveillé par un bruit inhabituel et une sensation de mouvement du bateau. Il se rendort peu après, sans s'inquiéter. Au même moment le navire traverse un grain. À 22h00 l'alarme de niveau haut dans le puisard de la cale machine se déclenche, suivie à 22h25 de l'alarme d'envahissement. Peu après le chef mécanicien alerte le capitaine sur la situation et lui demande de débrayer la propulsion. Le moteur principal est stoppé par les mécaniciens depuis la machine. Page 11 sur 45 Le capitaine demande aux deux boscos (un français et un africain) de démailler le skiff et de l'amarrer sur tribord avec le radeau de sauvetage. À 22h40 le capitaine se rend à la machine pour constater la situation, puis remonte en passerelle. À 22h55 le capitaine contacte l'armement et les thoniers GUEOTEC et GEVRED. Malgré les actions entreprises par l'équipe machine, renforcée par plusieurs membres d'équipage du pont, l'origine de la voie d'eau n'est pas identifiée et ne peut donc pas être contenue. Le niveau d'eau continue à monter régulièrement. 28 octobre, Le capitaine fait part de ses craintes pour la stabilité du navire au chef mécanicien. À 00h35 ils prennent la décision, en concertation avec le directeur technique de l'armement, d'abandonner le navire. Peu après l'équipage monte à bord du skiff. La balise RLS est embarquée sur le skiff puis est activée. Les balises SART sont également embarquées, mais sans être activées, suivant la consigne du CROSS. À 02h45 l'équipage est en sécurité à bord du STERENN. La balise RLS est désactivée. Dans la matinée, l'équipage est réparti à bord de deux navires de l'armement. À la demande du CROSS, le PENDRUC reste à proximité de l'AVEL VOR pour sécuriser la zone. Un contrat pour investigation de la coque par des plongeurs est négocié par l'armement avec une entreprise basée à Dakar, soit à trois jours de mer. 29 octobre, À 00h10 l'AVEL VOR disparait de l'écran radar du PENDRUC. À 07h00 le CROSS est informé du naufrage et des opérations de récupération du matériel à la dérive, notamment des bouées de DCP. À 11h20 début du remorquage du skiff de l'AVEL VOR vers Abidjan par le PENDRUC. À 13h00 le CROSS est informé que le radeau de sauvetage bâbord a été récupéré et qu'il n'y a pas de traces d'hydrocarbure sur la zone du naufrage. Page 12 sur 45 4 Analyse La méthode retenue pour cette analyse est celle qui est préconisée par la Résolution A28 / Res 1075 de l'OMI « directives destinées à aider les enquêteurs à appliquer le code pour les enquêtes sur les accidents (Résolution MSC 255 (84)) ». Le BEAmer a établi la séquence des événements ayant pu entrainer l'accident, à savoir : 1. 2. 3. 4. La possibilité d'une avarie du circuit eau de mer La possibilité de heurt d'un OFNI La possibilité d'une brèche dans la coque Conséquence d'une brèche Dans cette séquence, les événements dits perturbateurs (événements déterminants ayant entrainé les accidents et jugés significatifs) ont été identifiés. Ceux-ci ont été analysés en considérant les éléments naturels, matériels, humains et procéduraux afin d'identifier les facteurs ayant contribué à leur apparition ou ayant contribué à aggraver leurs conséquences. Parmi ces facteurs, ceux qui faisaient apparaître des problèmes de sécurité présentant des risques pour lesquels les défenses existantes étaient jugées inadéquates ou manquantes ont été mis en évidence (facteurs contributifs). Les facteurs sans influence sur le cours des événements ont été écartés, et seuls ceux qui pourraient, avec un degré appréciable, avoir pesé sur le déroulement des faits ont été retenus. 4.1 La possibilité d'une avarie du circuit eau de mer Cette hypothèse semblait la plus probable lorsque les premières investigations ont été effectuées, alors que les tuyautages en cale machine étaient visibles et encore « atteignables ». Mais l'équipe machine, en procédant à des recherches systématiques et organisées, notamment en soulevant toutes les plaques du parquet machine et en isolant alternativement les vannes eau de mer d'un bord, puis de l'autre bord, ne parvient pas à étaler la voie d'eau, et surtout à en déterminer l'origine. Cette possibilité est donc écartée par l'équipe machine, moins d'une heure après le déclenchement de la première alarme, sans pour autant remettre en cause l'objectif de sauver le navire. À noter que lors de l'arrêt technique de 2018, le circuit eau de mer a été visité et la traverse a été déposée. Des tôles de la cloison machine ont été remplacées. Page 13 sur 45 4.2 La possibilité de heurt d'un objet flottant non identifié (OFNI) A priori, au large des côtes africaines, le risque de heurt d'une bille de bois à la dérive est plus important que le risque de heurt d'un conteneur de grandes dimensions, également à la dérive. Les chutes de conteneurs à la mer sont généralement dues à la conjonction d'un saisissage défaillant en pontée et de conditions de mer provoquant un roulis relativement important, scénario très probable au large de l'Afrique de l'ouest. À titre indicatif, recensement des heurts de conteneurs et d'objets non identifiés pour les navires sous pavillon des États membres de l'Union européenne : Source : base de données de l'Agence Européenne de Sécurité Maritime (EMSA). Bien qu'aucune chute de conteneur à la mer n'ait été signalée avant l'accident par les autorités maritimes locales (MRCC Monrovia), le heurt d'une bille de bois et ses conséquences sur la coque d'un navire faisant route n'ont pas été retenus par le BEAmer comme base de calcul. Au large, hormis l'abordage avec un autre navire, le heurt d'un conteneur de grandes dimensions par un navire faisant route à bonne vitesse est intuitivement l'événement le plus « destructeur » pouvant survenir dans la plupart des zones de navigation. À la demande du BEAmer une étude approfondie a donc été effectuée, sous la forme d'une note de calcul de choc, par le cabinet d'architecture navale Herskovits & Tobie (H&T) afin d'évaluer la validité d'un tel scénario. 4.3 La possibilité d'une brèche dans la coque 4.3.1 Position de la brèche Les investigations effectuées permettent d'affirmer que l'origine de la voie d'eau n'est pas située dans un des compartiments proches du compartiment machine. Page 14 sur 45 Une brèche située dans les parties basses du bordé, difficile à identifier dans une zone où les tuyautages et équipements sont nombreux, peut également passer inaperçue derrière un vaigrage des parties les plus hautes et verticales du bordé (cf. note de calcul H&T, Annexe D). De même, les fonds situés sous le berceau du moteur principal ne sont pas « protégés » par des capacités. Cette zone, très difficilement accessible (moins de 0,60 m de hauteur) est vulnérable et ne peut pas être investiguée. L'étude H&T prend en compte la masse en charge théorique maximale d'un conteneur de 40' (soit 30,5 tonnes). Toutefois, le conteneur peut s'être rempli d'eau et à peine affleurer à la surface. Cela est même probable car à 20 ou 35 t, y compris de nuit, le conteneur aurait sans doute été visible au radar. Plein d'eau de mer, la masse du conteneur peut alors atteindre 83 t ; c'est cette valeur qui a été retenue. Lors d'un tel choc, la masse d'eau ajoutée doit donc être prise en compte. Dans les hypothèses émises pour l'étude (cf. note de calcul H&T, Annexe D), on peut considérer les cas représentatifs suivants de point d'impact : « - Sur un bordé : Soit d'un panneau très raide en fond de coque dans les naissances de carlingage ou équivalent, voire dans les bordés des banquettes mais à part peut-être une maille sèche arrière, il semble que l'on soit dans des réservoirs étanches qui n'auraient pas généré d'envahissement mais éventuellement de l'eau de mer dans des capacités. Pour un tel panneau la raideur des structures et navire est négligeable, d'autant plus au regard des diverses autres inconnues mentionnée en amont. Soit un bordé entre raidisseurs plat à boudin 140-160 beaucoup plus légers, auquel cas la raideur du bordé doit être prise en compte. » « - Sur une membrure, ou extrêmement près de celle-ci, et de toutes manières il importe de regarder si les membrures cassent avant le déchirage des bordés, même pour des chocs impactant "d'abord" le bordé. » « - Au droit d'un noeud structurel primaire. Cas mal approchable dans l'envergure de cette étude mais dont on peut savoir que la raideur serait telle que la force colossale engendrerait forcément un "chiffonnage" tels des appuis que les bordés ne sauraient rester étanches pour un choc à 11 noeuds de plus d'un ou deux degrés le long des lignes d'eau. » Aussi les calculs de l'étude intègrent, « - les bordés isolés (sans raideur structure) dans des zones où la souplesse des structures est négligeable, raidissage primaire et caisses comme évoqué, » « - les calculs sur la structure transversale (avec raideur navire) en cas de choc affectant d'abord celle-ci, d'autant qu'un couple plus rigide peut casser avant que la tôle ne se déchire, » Page 15 sur 45 « - puis la combinaison des trois raideurs dans les zones, majoritaires, où le couplage peut atténuer le choc (déformée supérieure). » « Enfin, ces données mises au point, le conteneur est approché sous trois positions, les équations des coefficients permettant assez mal les positions en biais : - Dans ses lignes, - Vertical - En travers. » 4.3.2 Angle conteneur-navire et position du conteneur L'angle, au moment de l'impact, entre le bordé du navire en mouvement et l'OFNI étant inconnu, le calcul balaye des angles compris entre 0,5 et 20°. Trois positions du conteneur sont étudiées : conteneur « dans ses lignes », vertical et en travers (cf. note de calcul H&T). Les vitesses d'écoulement dans les régions de la poupe du navire sont, en outre, légèrement supérieures à celle enregistrée pour le navire (10,5 noeuds). La vitesse retenue pour l'abordage navire-OFNI est donc de 11 noeuds (cf. note de calcul H&T). La force engendrée par un choc est plus importante dans les parties les plus verticales du bordé. (cf. note de calcul H&T). 4.3.3 Force du choc La force du choc est inversement proportionnelle à la raideur (ou résistance élastique à la déformation) au point de rencontre du conteneur avec la coque. Pour un même élément de la coque, la raideur est différente si l'impact se produit en son milieu ou près d'une liaison (cf. note de calcul H&T). L'échantillonnage des bordés résulte de calculs de pression, les bordés étant usuellement considérés « mi-encastrés ­ mi-appuyés ». Pour une étude de choc, l'analogie pour les calculs de raideur avec les calculs de pression est particulièrement complexe pour un semiencastrement du bordé. Les résultats retenus sont donc issus de calculs « dissociés » puis « moyennés » (cf. note de calcul H&T). La composante transversale du choc fait « pivoter » le navire autour du couple C48. Le compartiment machine étant situé entre les couples C15 et C32, le calcul intègre la poutre navire par une action moyenne au couple C24 (cf. note de calcul H&T). Page 16 sur 45 4.3.4 Feuilles de calculs (cf. note de calcul H&T, Annexe D) Pour chacune des trois positions possibles du conteneur (dans ses lignes, vertical et en travers), les comportements au choc sont présentés par éléments simples sur le groupe des colonnes de gauche du tableau des résultats (bordés, membrures) et par éléments couplés sur le groupe des colonnes de droite, pour toutes les valeurs de raideur. Pour obtenir un échantillon représentatif et lisible, les données d'entrée sont limitées à 1/6ème de la totalité des cas possibles. Ce résultat est obtenu en associant les angles de choc entre le conteneur et la coque (de 0,5° à 20°) et les angles de bordé (de 40° à la verticale) par types de valeurs (les plus faibles, les moyennes, les fortes). Les résultats sont colorés en fonction du comportement au choc des éléments du bordé : vert : sans dommage grave, orange clair : plastification partielle, mais sans brèche probable, rouge/orange foncé : déchirure ou brèche. 4.3.5 Évaluation du risque de brèche Lorsque l'angle d'incidence entre le conteneur et la coque est quasi-nul (inférieur à 1°), dans une zone où la muraille est oblique, il n'y a pas de déchirure du bordé (cf. note de calcul H&T). Lorsque l'angle d'incidence entre le conteneur et la coque est supérieure ou égale à 10°, le bordé est déchiré, quelle que soit la position du conteneur. Dans ces conditions, le risque de brèche est supérieur à 75% pour le heurt d'un conteneur de grandes dimensions rempli d'eau, soit 40 pieds (#12 mètres), et de 50% dans le cas d'un conteneur de 20 pieds (#6 mètres), également rempli d'eau (cf. note de calcul H&T). Les architectes émettent l'hypothèse d'un résultat similaire pour un conteneur partiellement rempli (cf. note de calcul H&T). Bien que le risque de collision avec un OFNI de grandes dimensions ne puisse être évalué par le calcul, ce scénario constitue l'unique cause possible de brèche à l'origine d'une importante voie d'eau. Il est de plus cohérent avec le bruit inhabituel et la sensation de mouvement du navire dont ont témoigné plusieurs membres d'équipage. 4.4 Conséquence d'une brèche Le débit théorique d'une voie d'eau provoquée par une brèche de 10 cm de côtés, située à 2 mètres sous la flottaison (h : hauteur d'immersion) serait d'environ : Page 17 sur 45 Débit = Surface brèche x (2gh) x 3600 = 0,01 x (2x9,81x2) x 3600 # 230 m3/heure Cette valeur théorique de débit confirme la possibilité qu'une brèche de relativement petite taille, donc peu visible, peut provoquer une voie d'eau excédant les capacités d'assèchement (Électropompe assèchement + Électropompe incendie + Motopompe et éjecteurs, soit environ 116 m3/h) de plus de 100 m3/h. Compte tenu des éléments ci-dessus, le heurt d'un conteneur avec le bordé du compartiment machine de l'AVEL VOR est le facteur contributif le plus probable à l'origine de la voie d'eau qui a entraîné son naufrage. Le compartiment machine est pénétré par quatre portes étanches aux intempéries (cf. schéma et tableau, annexe C), situées au pont principal (les cloisons étanches situées sous le pont de franc-bord n'étant pas pénétrées par des portes). Les portes étanches aux intempéries ne sont pas étanches à l'envahissement, il est donc fortement probable que l'eau ait migré dans un ou plusieurs compartiments attenants (le compartiment frigo fret étant le plus grand) dans les heures qui ont suivi l'envahissement de la machine. La réserve de flottabilité a ainsi été considérablement diminuée, jusqu'à entraîner le naufrage du navire. La « limite d'étanchéité » entre le compartiment machine et les compartiments attenants est le facteur contributif le plus probable du naufrage de l'AVEL VOR. 5 Conclusions - Alors que le navire fait route à 10,5 noeuds, un bruit inhabituel et un mouvement du navire sont perçus par plusieurs membres d'équipage. - Peu de temps après, une alarme de niveau haut se déclenche dans le compartiment machine. Elle est suivie, 25 minutes plus tard, par une alarme d'envahissement. - Entre temps, l'équipe machine a mis en route l'assèchement et entrepris de localiser l'origine de la voie d'eau par tous les moyens pouvant être mis en oeuvre. Sans succès. - 2h35 après la première alarme, le capitaine craignant pour la stabilité du navire décide d'initialiser la procédure d'abandon. - L'hypothèse d'une brèche provoquée par le heurt d'un conteneur, entièrement ou partiellement rempli d'eau de mer, est validée par une étude effectuée par un cabinet d'architecture navale (cf. note de calcul Annexe D). Page 18 sur 45 - Le naufrage du navire est vraisemblablement dû à la migration de l'eau de mer vers les compartiments attenants au compartiment machine. 6 Mesures prises par l'armement 1. à bord du sistership CAP BOJADOR, en exploitation au large de la côte ouest africaine : - visite à sec pour contrôle de la cale machine, du puisard machine et des vannes de coque, - contrôle des portes étanches, - contrôle de bon fonctionnement de la pompe de cale et de la pompe incendie, - contrôle des alarmes machine. Aucune déficience pouvant être à l'origine d'une importante entrée d'eau n'a été identifiée. 2. pour la flotte CFTO : Consigne auprès des techniciens chargés du suivi des navires de procéder à des contrôles approfondis de la structure de la cale machine, des prises d'eau, des vannes de coque et du puisard machine lors des arrêts techniques, et d'aller ainsi au-delà des exigences de la société de classification et du Pavillon (par exemple en augmentant le nombre de points de mesures d'épaisseur ciblés : tôle machine, traverse eau de mer et puisards machine). 3. pour les équipages la flotte CFTO : Les équipages ont été informés que le bon déroulement de l'abandon de l'AVEL VOR est à mettre au crédit des exercices qu'ils sont dans l'obligation d'effectuer avec régularité. 7 1. Enseignements 2020-E-18 : les résultats des calculs de choc attestent que le heurt d'un conteneur avec la carène peut créer une brèche mettant en péril la « survivabilité » d'un navire, même faisant route à vitesse modérée. 2. 2020-E-19 : une étude d'envahissement du compartiment machine permettrait de valider l'hypothèse de la migration de l'eau de mer vers les locaux attenants (stabilité du navire après avarie). 3. 2020-E-20 : bien que les calculs de stabilité après avarie ne soient requis que pour les navires de pêche de plus de 100 mètres (Convention internationale de Torremolinos Page 19 sur 45 adoptée en 1993), une analyse probabiliste pour le calcul du « Niveau de sécurité global » du navire, aurait pris en compte la « Probabilité d'impact à cet endroit » (le compartiment machine). 8 Recommandation BEAmer Compte tenu des mesures prises, le l'armement. n'émet pas de recommandation destinée à Page 20 sur 45 Annexe A Liste des abréviations BEAmer CECLANT CFD CFTO Corymbe : Bureau d'enquêtes sur les évènements de mer : Commandant l'arrondissement maritime Atlantique : Computational Fluid Dynamics : Compagnie Française du Thon Océanique : Dispositif naval visant à assurer la présence permanente d'un bâtiment, au moins, dans le Golfe de Guinée et au large des côtes d'Afrique de l'Ouest : Centre Régional Opérationnel de Surveillance et de Sauvetage : Dispositif de Concentration du Poisson : Agence Européenne de Sécurité Maritime : Maritime Rescue Coordination Centre : Objet Flottant Non Identifié : Organisation Maritime Internationale : Radiobalise de Localisation des Sinistres : Search And Rescue Radar Transpondeur : Système Mondial de Détresse et de Sécurité en Mer : Standards of Training, Certification and Watchkeeping for Seafarers CROSS DCP EMSA MRCC OFNI OMI RLS SART SMDSM STCW Page 21 sur 45 Annexe B Décision d'enquête Page 22 sur 45 Annexe C Navire Rep. Rep. Rep. Rep. Rep. Rep. 1 9 11 12 13 14 : : : : : : moteur principal diesel-alternateur électropompe eau de mer électropompe service général électropompe incendie électropompe assèchement Page 23 sur 45 Extraits du rapport de franc-bord Page 24 sur 45 Page 25 sur 45 Annexe D Note de calcul H&T Page 26 sur 45 Page 27 sur 45 Page 28 sur 45 Page 29 sur 45 Page 30 sur 45 Page 31 sur 45 Page 32 sur 45 Page 33 sur 45 Page 34 sur 45 Page 35 sur 45 Page 36 sur 45 Page 37 sur 45 Page 38 sur 45 Page 39 sur 45 Page 40 sur 45 Page 41 sur 45 Page 42 sur 45 Page 43 sur 45 Annexe E Carte Dernière position : 03°13'N - 10°33'W Page 44 sur 45 Ministère de la Mer Bureau d'enquêtes sur les évènements de mer Arche sud - 92055 La Défense cedex téléphone : +33 (0) 1 40 81 38 24 bea-mer@developpement-durable.gouv.fr www.bea-mer.developpement-durable.gouv.fr

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