Rapport d'enquête technique sur le déraillement d'un train de la voie ferrée à crémaillère le "Panoramique des Dômes" survenue le 28 octobre 2012 à Orcines (63)
Auteur moral
France. Bureau d'enquêtes sur les accidents de transport terrestre
Auteur secondaire
Résumé
Le dimanche 28 octobre 2012, à 9h06, le train n°32 du chemin de fer à crémaillère le «Panoramique des Dômes», composé de deux rames, qui avait quitté quelques minutes auparavant la gare implantée au sommet du Puy-de-Dôme pour rejoindre le terminus aval de la ligne, déraille sur l'appareil de voie aval de la zone de croisement des Muletiers. Sa rame de tête s'incline d'environ 40 degrés vers l'aval de la montagne, les roues droites de ses deux premiers bogies enfoncées dans le ballast. Aucune victime n'est à déplorer. La cause directe et immédiate de cet accident est le franchissement au rouge, par le conducteur du train concerné, du signal de protection de la sortie du croisement des Muletiers. Ce franchissement est la conséquence d'un manque flagrant d'attention de ce conducteur qui, le jour même de ce déraillement, mais également à plusieurs reprises lors de journées d'exploitation précédentes, avait commis des erreurs manifestes de conduite. Trois facteurs ont contribué à cette situation:<br /><img alt="-" class="puce" height="11" src="http://www.bea-tt.developpement-durable.gouv.fr/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-bf5d9.gif" width="8" />l'inadaptation de la formation dispensée aux conducteurs de ce train à crémaillère qui ne leur permettait pas d'acquérir les réflexes indispensables pour garantir un respect rigoureux des règles de sécurité les plus élémentaires, ainsi qu'en témoignent les nombreux franchissements de signaux fermés qui avaient été enregistrés depuis sa mise en service;<br /><img alt="-" class="puce" height="11" src="http://www.bea-tt.developpement-durable.gouv.fr/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-bf5d9.gif" width="8" />les ambiguïtés que présentait la signalisation mise en place dont le feu rouge, selon qu'il était émis par le signal de protection d'un appareil de voie ou par un signal de «présence tension»1, imposait un arrêt absolu ou devait être franchi;<br /><img alt="-" class="puce" height="11" src="http://www.bea-tt.developpement-durable.gouv.fr/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-bf5d9.gif" width="8" />les carences des études de sécurité qui n'ont pas pris en compte les risques spécifiques de déraillements sur des appareils de voie non talonnables2 tels que ceux équipant le croisement des Muletiers, alors que la configuration de ce croisement, en pente et à proximité d'un passage à niveau, est susceptible d'aggraver les conséquences d'un déraillement.<br class="autobr" />Ces différentes déficiences résultent à la fois d'une insuffisante maîtrise du management de la sécurité dans la conduite du projet du «Panoramique des Dômes» et de l'inadaptation de l'application aux trains à crémaillère, dont le fonctionnement repose sur des technologies de type ferroviaire, de la réglementation de sécurité relative aux remontées mécaniques. À la lumière de ces éléments, le BEA-TT formule deux recommandations portant:<br /><img alt="-" class="puce" height="11" src="http://www.bea-tt.developpement-durable.gouv.fr/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-bf5d9.gif" width="8" />pour la première, sur la limitation des conséquences d'un talonnage des appareils de voie du «Panoramique des Dômes»;<br /><img alt="-" class="puce" height="11" src="http://www.bea-tt.developpement-durable.gouv.fr/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-bf5d9.gif" width="8" />pour la seconde, sur la réglementation applicable aux trains à crémaillère.<br /><i>Par ailleurs, le BEA-TT invite le service technique des remontées mécaniques et des transports guidés à s'assurer que tout projet de système de transport public guidé fait l'objet, dès son engagement, d'un plan de management couvrant tous les aspects concourant à la sécurité de ce système et englobant, notamment, les premiers temps de son exploitation</i>
Editeur
Ministère de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie
Descripteur Urbamet
accident
;train
;voie
;sécurité
;DERAILLEMENT
Descripteur écoplanete
Thème
Transports
Texte intégral
BEA-TT
Bureau d'enquêtes sur les accidents de transport terrestre
Rapport d'enquête technique sur le déraillement d'un train de la voie ferrée à crémaillère le « Panoramique des Dômes » survenu le 28 octobre 2012 à Orcines (63) janvier 2015
Ministère de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie
www.developpement-durable.gouv.fr
Conseil Général de l'Environnement et du Développement Durable Bureau d'Enquêtes sur les Accidents de Transport Terrestre
Affaire n° BEATT-2012-015
Rapport d'enquête technique sur le déraillement d'un train de la voie ferrée à crémaillère le « Panoramique des Dômes » survenu le 28 octobre 2012 à Orcines (63)
Bordereau documentaire
Organisme commanditaire : Ministère de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie (MEDDE) Organisme auteur : Bureau d'Enquêtes sur les Accidents de Transport Terrestre (BEA-TT) Titre du document : Rapport d'enquête technique sur le déraillement d'un train de la voie ferrée à crémaillère le « Panoramique des Dômes » survenu le 28 octobre 2012 à Orcines (63) N° ISRN : EQ-BEAT--15-01--FR Proposition de mots-clés : train à crémaillère, voie métrique, aiguillage, déraillement
Avertissement
L'enquête technique faisant l'objet du présent rapport est réalisée dans le cadre des articles L. 1621-1 à 1622-2 et R. 1621-1 à 1621-26 du code des transports relatifs, notamment, aux enquêtes techniques après accident ou incident de transport terrestre. Cette enquête a pour seul objet de prévenir de futurs accidents, en déterminant les circonstances et les causes de l'événement analysé et en établissant les recommandations de sécurité utiles. Elle ne vise pas à déterminer des responsabilités. En conséquence, l'utilisation de ce rapport à d'autres fins que la prévention pourrait conduire à des interprétations erronées.
SOMMAIRE
GLOSSAIRE...................................................................................................................................9 RÉSUMÉ.......................................................................................................................................11 1 - CONSTATS IMMÉDIATS ET ENGAGEMENT DE L'ENQUÊTE............................................13 1.1 - L'accident.........................................................................................................................13 1.2 - Le bilan humain et matériel..............................................................................................13 1.3 L'engagement et l'organisation de l'enquête...................................................................14 2 - CONTEXTE DE L'ACCIDENT................................................................................................15 2.1 - Le « Panoramique des Dômes » : présentation générale...............................................15 2.2 - Les caractéristiques techniques du système de transport concerné...............................15
2.2.1 -L'infrastructure...................................................................................................................................... 15 2.2.2 -Les principes d'exploitation................................................................................................................... 16 2.2.3 -Le matériel roulant................................................................................................................................ 18 2.2.4 -L'alimentation en énergie électrique..................................................................................................... 18
3 - COMPTE RENDU DES INVESTIGATIONS EFFECTUÉES..................................................19 3.1 - Résumés des déclarations et des témoignages..............................................................19
3.1.1 -Les déclarations du conducteur du train déraillé...................................................................................19 3.1.2 -Les déclarations de l'opérateur du poste de commandement et de contrôle........................................19
3.2 - L'exploitation des enregistrements tachymétriques et vidéo...........................................20
3.2.1 -L'analyse des enregistrements de la vitesse du train accidenté...........................................................20 3.2.2 -L'analyse des enregistrements vidéo.................................................................................................... 20
3.3 - L'état des lieux après l'accident.......................................................................................20
3.3.1 -La position des rames........................................................................................................................... 20 3.3.2 -Les traces relevées sur le platelage du passage à niveau des Muletiers.............................................21 3.3.3 -Les traces constatées sur l'appareil de voie aval du croisement des Muletiers....................................22
3.4 - Les conditions météorologiques......................................................................................23 3.5 - Conclusions sur les causes immédiates de l'accident.....................................................23 3.6 - Les facteurs ayant contribué au non-respect de la signalisation par le conducteur du train accidenté.................................................................................................................23
3.6.1 -Les modalités de franchissement du croisement des Muletiers............................................................23 3.6.2 -La signalisation de « présence tension ».............................................................................................. 24 3.6.3 -Le conducteur du train n° 32................................................................................................................. 25 3.6.4 -La fiabilité des conducteurs du « Panoramique des Dômes »..............................................................25
3.7 - Les facteurs explicatifs de la gravité des conséquences du talonnage de l'appareil de voie aval du croisement des Muletiers............................................................................25
4 - LE MANAGEMENT DE LA SÉCURITÉ DANS LA CONDUITE DU PROJET DU CHEMIN DE FER À CRÉMAILLÈRE LE « PANORAMIQUE DES DÔMES ».....................................29 4.1 - La réglementation appliquée............................................................................................29 4.2 - Les principaux acteurs du projet du chemin de fer à crémaillère le « Panoramique des Dômes »...........................................................................................................................29 4.3 - Le référentiel technique et de sécurité adopté.................................................................30 4.4 - Les études de sécurité et le dossier de demande de mise en exploitation.....................30 4.5 - La sécurité de l'exploitation..............................................................................................31
4.5.1 -La formation des conducteurs............................................................................................................... 31 4.5.2 -Les contrôles internes........................................................................................................................... 32
5 - DÉROULEMENT DE L'ACCIDENT ET DES SECOURS.......................................................33 5.1 - Le déraillement du train n° 32..........................................................................................33 5.2 - Les secours......................................................................................................................34 6 - ANALYSE DES CAUSES ET FACTEURS ASSOCIÉS, ORIENTATIONS PRÉVENTIVES. .35 6.1 - Le schéma des causes et des facteurs associés............................................................35 6.2 - La prévention des franchissements des feux de signalisation du chemin de fer le « Panoramique des Dômes »..........................................................................................36 6.3 - La limitation des conséquences d'un talonnage des appareils de voie du « Panoramique des Dômes »....................................................................................................................37 6.4 - La réglementation applicable aux trains à crémaillère....................................................37 6.5 - Le management de la sécurité dans la conduite des projets de systèmes de transport...39 7 - CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS.........................................................................41 7.1 - Les conclusions................................................................................................................41 7.2 - Les recommandations......................................................................................................41 ANNEXES.....................................................................................................................................43 Annexe 1 : Décision d'ouverture d'enquête.............................................................................45 Annexe 2 : Analyse comparative des exigences de sécurité respectivement fixées par la réglementation applicable aux remontées mécaniques situées en zone de montagne et par celle afférente aux transports publics guidés.............................47
Glossaire
DGITM : Direction Générale des Infrastructures, des Transports et de la Mer GDS : Gare Du Sommet MDS : Maison De Site PCC : Poste de Commandement et de Contrôle PK : Point Kilométrique STRMTG : Service Technique des Remontées Mécaniques et des Transports Guidés. TMR : Transports Martigny Régions
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Résumé
Le dimanche 28 octobre 2012, à 9h06, le train n° 32 du chemin de fer à crémaillère le « Panoramique des Dômes », composé de deux rames, qui avait quitté quelques minutes auparavant la gare implantée au sommet du Puy-de-Dôme pour rejoindre le terminus aval de la ligne, déraille sur l'appareil de voie aval de la zone de croisement des Muletiers. Sa rame de tête s'incline d'environ 40 degrés vers l'aval de la montagne, les roues droites de ses deux premiers bogies enfoncées dans le ballast. Aucune victime n'est à déplorer. La cause directe et immédiate de cet accident est le franchissement au rouge, par le conducteur du train concerné, du signal de protection de la sortie du croisement des Muletiers. Ce franchissement est la conséquence d'un manque flagrant d'attention de ce conducteur qui, le jour même de ce déraillement, mais également à plusieurs reprises lors de journées d'exploitation précédentes, avait commis des erreurs manifestes de conduite. Trois facteurs ont contribué à cette situation :
l'inadaptation de la formation dispensée aux conducteurs de ce train à crémaillère qui ne leur permettait pas d'acquérir les réflexes indispensables pour garantir un respect rigoureux des règles de sécurité les plus élémentaires, ainsi qu'en témoignent les nombreux franchissements de signaux fermés qui avaient été enregistrés depuis sa mise en service ; les ambiguïtés que présentait la signalisation mise en place dont le feu rouge, selon qu'il était émis par le signal de protection d'un appareil de voie ou par un signal de « présence tension »1, imposait un arrêt absolu ou devait être franchi ; les carences des études de sécurité qui n'ont pas pris en compte les risques spécifiques de déraillements sur des appareils de voie non talonnables 2 tels que ceux équipant le croisement des Muletiers, alors que la configuration de ce croisement, en pente et à proximité d'un passage à niveau, est susceptible d'aggraver les conséquences d'un déraillement.
Ces différentes déficiences résultent à la fois d'une insuffisante maîtrise du management de la sécurité dans la conduite du projet du « Panoramique des Dômes » et de l'inadaptation de l'application aux trains à crémaillère, dont le fonctionnement repose sur des technologies de type ferroviaire, de la réglementation de sécurité relative aux remontées mécaniques. À la lumière de ces éléments, le BEA-TT formule deux recommandations portant :
pour la première, sur la limitation des conséquences d'un talonnage des appareils de voie du « Panoramique des Dômes » ; pour la seconde, sur la réglementation applicable aux trains à crémaillère.
Par ailleurs, le BEA-TT invite le service technique des remontées mécaniques et des transports guidés à s'assurer que tout projet de système de transport public guidé fait l'objet, dès son engagement, d'un plan de management couvrant tous les aspects concourant à la sécurité de ce système et englobant, notamment, les premiers temps de son exploitation.
1 La signalisation dite de « présence tension » est destinée à indiquer aux conducteurs si le tronçon qu'ils s'apprêtent à aborder est, ou non, alimenté en courant de traction. 2 Un aiguillage est talonnable lorsqu'un train qui l'aborde par le coeur, peut le franchir sans dommage, au besoin en déplaçant sur son passage les lames de l'aiguille pour les positionner correctement. 11
1 - Constats immédiats et engagement de l'enquête
1.1 L'accident
Le 28 octobre 2012, à 9h06, le train n° 32 du chemin de fer à crémaillère le « Panoramique des Dômes », composé de deux rames comprenant chacune trois éléments, qui avait quitté quelques minutes auparavant la gare implantée au sommet du Puy-de-Dôme pour rejoindre le terminus aval de la ligne, déraille sur l'appareil de voie aval de la zone de croisement des Muletiers. La rame de tête est inclinée d'environ 40° vers l'aval du massif montagneux. Les roues droites de ses deux premiers bogies sont enfoncées dans le ballast. La rame de queue est restée sur les rails.
Figure 1 : Vue de face de la rame déraillée
1.2 -
Le bilan humain et matériel
Aucune victime n'est à déplorer. De fait, ce train ne transportait aucun passager bien qu'il assurât un service commercial. Seul son conducteur était à son bord. La rame de tête a subi des dégâts significatifs qui ont notamment affecté son bogie porteur avant, son bogie moteur ainsi que les organes placés sous sa caisse. Fortement inclinée vers l'aval du Puy-de-Dôme, cette rame a été amarrée par des sangles afin d'éviter qu'elle ne bascule complètement. Elle a été relevée le 1er novembre 2012. L'accouplement entre les deux rames concernées a encaissé une torsion très nette.
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Une expertise réalisée par le constructeur de ces rames, la société Stadler, a permis d'établir la liste des travaux à prévoir pour les remettre en état. Un premier devis en évalue le coût à environ 187 000 . L'infrastructure a été détériorée au niveau de l'appareil de voie sur lequel s'est produit le déraillement et du passage à niveau situé à l'aval de cet appareil. La crémaillère y a été en particulier endommagée.
1.3 L'engagement et l'organisation de l'enquête
Au vu des circonstances de cet accident, le directeur du bureau d'enquêtes sur les accidents de transport terrestre (BEA-TT) a ouvert le 31 octobre 2012 une enquête technique en application des articles L. 1621-1 à 1622-2 du code des transports. Les enquêteurs du BEA-TT se sont rendus sur le site de l'accident. Ils ont rencontré les différentes parties prenantes de la conception, de la réalisation et de l'exploitation du chemin de fer à crémaillère concerné : le conseil général du Puy-de-Dôme en sa qualité de maître d'ouvrage, la société SNC-Lavalin et sa filiale TC Dôme en tant que concepteur et réalisateur, Transdev en charge de l'exploitation opérationnelle, et la société TIM Ingénierie qui a assuré la mission de maître d'oeuvre agréé.3 Ils ont également été en contact avec le service technique des remontées mécaniques et des transports guidés (STRMTG) et avec la direction départementale des territoires (DDT) du Puy-de-Dôme. Ils ont pu disposer de l'ensemble des pièces et documents nécessaires à leurs analyses, notamment des rapports d'accident émanant de l'exploitant et de l'unité compétente de la gendarmerie nationale ainsi que du rapport établi à la demande du préfet du Puy-deDôme, par la société Transports Martigny Régions.
3 Il s'agit du maître d'oeuvre, indépendant du maître d'ouvrage, du constructeur et de l'exploitant, prévu par l'article R. 342-4 du code du tourisme en charge d'évaluer la conception et la réalisation de l'installation concernée. 14
2 - Contexte de l'accident
2.1 Le « Panoramique des Dômes » : présentation générale
Le « Panoramique des Dômes » est un train électrique à crémaillère permettant de rejoindre le sommet du Puy-de-Dôme à partir d'une gare située au pied de ce massif. Parallèlement à sa mise en service, l'accès des voitures et des autocars à ce sommet a été interdit. L'autorité organisatrice de ce système de transport est le conseil général du Puy-de-Dôme qui en a confié la conception, la réalisation et l'exploitation dans le cadre d'une délégation de service public à une société ad hoc TC Dôme, filiale de la société SNC-Lavalin. TC Dôme a sous-traité l'exploitation opérationnelle de ce train à crémaillère à Transdev. Il a été mis en service commercial le 26 mai 2012, soit environ 5 mois avant l'accident analysé dans le présent rapport. Outre ce système de transport et les équipements nécessaires à son exploitation et à sa maintenance, l'exploitation touristique du site du Puy-de Dôme englobe des installations commerciales, des cheminements piétonniers aménagés au sommet de la montagne ainsi qu'un parc de stationnement situé à proximité de la gare aval. L'ensemble de ces équipements est géré dans le cadre de la délégation de service public précitée.
2.2 -
Les caractéristiques techniques du système de transport concerné
2.2.1 - L'infrastructure
Figure 2 : Plan d'ensemble de la ligne
La ligne du « Panoramique des Dômes » s'étend sur une longueur totale de 4 837 mètres. Elle relie la gare de départ appelée « maison de site » (MDS), qui est située à 880 m d'altitude, à la gare du sommet (GDS), implantée à 1 410 m d'altitude. Elle comporte à mi-pente, à 1 164 m d'altitude, une zone de croisement longue de 90 m, dénommée « croisement des Muletiers ». Cette zone est située à 2 890 m de la maison de site.
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Cette ligne est complétée en aval de la maison de site par une voie conduisant au centre de maintenance (CDM). Sa plateforme est établie le long de l'ancienne route d'accès au sommet du Puy-deDôme qui, depuis la mise en service du train concerné, assure la fonction de voie de service et de secours.
Figure 3 : Vue de la plateforme
La voie ferroviaire est à écartement métrique. Elle est constituée de rails de type « Vignole » fixés à un travelage en acier qui est posé sur le ballast. Entre les deux gares, cette voie est équipée d'une crémaillère, y compris au niveau des aiguillages du croisement des Muletiers. Sur la quasi-totalité de sa longueur, la ligne considérée présente une pente de l'ordre de 12 %. Cette pente atteint 15 % sur les 240 derniers mètres situés en aval de la gare du sommet.
2.2.2 - Les principes d'exploitation
La marche à vue La sécurité des circulations repose sur le strict respect de la marche à vue, dont la définition est rappelée dans le règlement particulier d'exploitation du système de transport considéré qui dispose que « le conducteur doit rouler avec prudence, en réglant sa vitesse compte tenu de la portion de voie qu'il voit devant lui de manière à pouvoir s'arrêter avant un autre train, un signal d'arrêt ou un obstacle ».
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La signalisation
Figure 4 : Schéma d'implantation de la signalisation
Une signalisation de type ferroviaire constituée de signaux latéraux présentant soit, un feu rouge imposant un « arrêt absolu » soit, un feu vert autorisant la marche à vue, commande les sorties des gares et protège le franchissement du croisement des Muletiers. Ces signaux ne font pas l'objet d'une répétition dans les cabines de conduite des rames et, en cas de franchissement intempestif, il n'existe aucune boucle de rattrapage. Ils sont, par ailleurs, implantés à droite par rapport au sens de circulation des trains. Les limitations de vitesse À la montée, la vitesse des trains est limitée à 30 km/h en pleine ligne et à 20 km/h dans la traversée du croisement des Muletiers. À la descente, la vitesse est limitée à 24 km/h entre la gare du sommet et le PK * 4,515 puis à 27 km/h sur le reste de la ligne, à l'exception du croisement des Muletiers qui ne peut pas être franchi à une vitesse excédant 20 km/h.
Figure 5 : Schéma des limitations de vitesse permanentes
Pour assurer le respect de ces vitesses maximales, les différentes sections de ligne sont équipées d'un contrôle de vitesse agissant sur les circuits de commande des engins en fonction des seuils de vitesse qui y sont prescrits. Toutefois, la vitesse maximale de 20 km/h imposée dans la traversée du croisement des Muletiers n'est pas contrôlée automatiquement. Par ailleurs, des limitations temporaires de vitesse peuvent être prescrites, notamment en cas de travaux ou si l'état de la voie le nécessite. Ces limitations temporaires ne sont pas contrôlées automatiquement.
* Terme figurant dans le glossaire 17
2.2.3 - Le matériel roulant
Le matériel roulant du « Panoramique des Dômes » est constitué de rames bidirectionnelles, articulées, comprenant chacune deux voitures séparées par une caisse centrale. Chaque rame pèse 44 tonnes pour une longueur de 36 mètres et peut transporter 190 passagers. Leur caisse centrale contient la motorisation. Elle pèse 16 tonnes, sa longueur est de 4 mètres. Toutes ces rames sont dotées de trois bogies équipés chacun de deux essieux, à savoir deux bogies porteurs respectivement placés sous les deux voitures, aux extrémités avant et arrière de la rame concernée, et un bogie moteur situé sous la caisse centrale. Tous les essieux sont munis d'une roue dentée centrale qui s'engrène sur la crémaillère de la voie. Au total, l'exploitation commerciale du « Panoramique des Dômes » mobilise quatre rames permettant de constituer deux unités multiples. L'Office Fédéral des Transports suisse, missionné par la société SNC-Lavalin, concepteur général du système de transport considéré, a attesté la conformité de ce matériel roulant aux normes techniques applicables en Suisse.
Figure 6 : Deux rames du « Panoramique des Dômes » en unité multiple
2.2.4 - L'alimentation en énergie électrique
L'énergie électrique de traction est fournie par une caténaire alimentée en courant continu 1 500 volts.
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3 - Compte rendu des investigations effectuées
3.1 Résumés des déclarations et des témoignages
Les résumés présentés ci-dessous sont établis par les enquêteurs techniques sur la base des déclarations et des témoignages, oraux ou écrits, dont ils ont eu connaissance, en ne retenant que les éléments qui paraissent utiles à la compréhension et à l'analyse des événements. Il peut donc y avoir des divergences entre les différents témoignages, ou avec des constats présentés par ailleurs, ou avec la description des faits retenue par les enquêteurs telle qu'elle apparaît au chapitre 5.
3.1.1 - Les déclarations du conducteur du train déraillé
Le dimanche 28 octobre 2012, le conducteur du train n° 32 a pris son service à 6h55. Il devait l'assurer jusqu'à 15h, avec une heure de pause. Il a effectué un premier aller-retour qui s'est, selon lui, déroulé normalement. Lors de la seconde descente de la matinée, il a vu le signal de « présence tension » implanté en amont du croisement des Muletiers, qui était de couleur blanche depuis le 25 octobre précédent, puis en abordant ce croisement, il a ralenti à 18 km/h, franchi au rouge le feu en protégeant l'appareil de voie aval et heurté cet appareil. Il a été secoué, a déclenché un freinage d'urgence et s'est alors rendu compte du déraillement et du basculement de la rame dans laquelle il se trouvait. Il en a avisé le poste de commandement et de contrôle (PCC) et a éteint la rame. Aucun passager n'était à bord de son train. Choqué, il n'a pas su en sortir seul et c'est le responsable d'exploitation, appelé sur les lieux, qui l'a aidé à le quitter vers 10h15. Ce conducteur ne s'explique pas pourquoi il n'a pas réagi lorsqu'il a vu que le feu de signalisation situé avant l'aiguillage aval du croisement des Muletiers était rouge. Il évoque des préoccupations personnelles qui ont contribué à perturber sa concentration lors de cette journée.
3.1.2 - Les déclarations de l'opérateur du poste de commandement et de contrôle
Grâce aux caméras de vidéosurveillance installées au croisement des Muletiers, l'opérateur en fonction au poste de commandement et de contrôle a vu le train n° 32, qui descendait du sommet du Puy-de-Dôme, passer sans ralentir devant le feu de signalisation situé juste en amont de l'aiguillage aval de ce croisement. Il l'a ensuite vu dérailler, puis basculer vers la pente du massif montagneux. Il déclare que le feu de signalisation précité était rouge lorsque le train concerné l'a franchi. Il a immédiatement appelé par radio le conducteur du train montant pour qu'il s'arrête avant le croisement des Muletiers. Il a ensuite avisé par téléphone le responsable d'exploitation, puis il a demandé par radio au conducteur du train déraillé de rester dans sa rame en attendant de l'aide.
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3.2 -
L'exploitation des enregistrements tachymétriques et vidéo
3.2.1 - L'analyse des enregistrements de la vitesse du train accidenté
Le jour de l'accident, la vitesse était temporairement limitée, depuis la veille, à 25 km/h sur l'ensemble de la ligne, à l'exception d'un tronçon où elle avait été abaissée à 15 km/h et du croisement des Muletiers où la vitesse maximale autorisée demeurait fixée à 20 km/h. L'analyse des enregistrements tachymétriques de la rame accidentée montre que ce jourlà, son conducteur n'a pas respecté ces limitations temporaires de vitesse à sept reprises : deux fois lors de la première montée qu'il a effectuée, une fois au cours de la première descente, trois fois en assurant la seconde montée et une fois lors de la seconde descente. Elle fait également ressortir que lors de la première descente qu'il a réalisée, il a ralenti très tardivement à l'approche du croisement des Muletiers et n'a pas anticipé le signal de protection de son appareil de voie aval en ne freinant qu'à 50 mètres de ce feu. Par ailleurs, ces enregistrements confirment que lors de la seconde descente, le conducteur en cause a parcouru le croisement précité à la vitesse de 18 km/h et qu'il n'a marqué aucun ralentissement au niveau de son signal de sortie.
3.2.2 - L'analyse des enregistrements vidéo
L'examen de l'enregistrement du dispositif de vidéosurveillance équipant la rame concernée montre qu'au moment de l'accident, son conducteur ne téléphonait pas et n'était pas distrait par une autre tâche. Il fait également ressortir qu'il a actionné l'avertisseur sonore avant d'aborder le passage à niveau des Muletiers.
3.3 -
L'état des lieux après l'accident
3.3.1 - La position des rames
Le véhicule de tête s'est arrêté juste après le passage à niveau des Muletiers. Fortement incliné vers l'aval du Puy-de-Dôme, il a dû être immobilisé par des sangles pour prévenir tout risque d'un basculement complet. La rame de queue est quant à elle restée sur les rails.
20
Figure 7 : La rame déraillée vue de face
3.3.2 - Les traces relevées sur le platelage du passage à niveau des Muletiers
Les chocs des roues du bogie avant de la rame de tête sont nettement visibles sur le bord du platelage du passage à niveau des Muletiers. Il apparaît clairement que la roue avant gauche de ce bogie a heurté le platelage dans sa partie centrale juste à gauche de la crémaillère, puis qu'elle s'est soulevée. Les traces provenant des deux roues droites du bogie concerné sont discernables sur la droite de la voie ferrée. Elles s'étendent sur toute la longueur du platelage. La roue arrière gauche de ce bogie n'a pas laissé de trace. La trace apparaissant à l'extrême droite du platelage correspond au frottement du bas de la caisse de la voiture de tête.
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Figure 8 : Traces relevées sur le platelage du passage à niveau
3.3.3 - Les traces constatées sur l'appareil de voie aval du croisement des Muletiers
Il apparaît clairement que les roues gauches du bogie avant de la rame de tête sont montées sur l'aiguille mobile et ont été guidées vers la droite par la crémaillère, provoquant le déraillement des roues droites, puis leur chute dans le ballast.
Figure 9 : Traces sur l'appareil de voie 22
3.4 -
Les conditions météorologiques
Le dimanche 28 octobre 2012, à 6h, la température au sommet du Puy-de-Dôme était de moins 8 °C. Il n'y avait aucun vent et le ciel, d'abord couvert, était bien dégagé vers 8h. Des chutes de neige s'étaient produites durant la nuit, mais la position des aiguilles était visible.
3.5 -
Conclusions sur les causes immédiates de l'accident
À la lumière de ces constats et témoignages, il est clair que la cause immédiate et directe de l'accident considéré est le franchissement au rouge par le train n° 32 du signal de protection de la sortie aval du croisement des Muletiers. Ce franchissement est la conséquence d'une absence totale de réaction de son conducteur à la vue de ce feu. Il s'en est suivi le talonnage de l'aiguille correspondante de l'appareil de voie concerné, puis le déraillement des deux premiers bogies de la rame de tête du train, dont les essieux ont été déviés vers la droite par la crémaillère. La suite de l'enquête vise à appréhender les facteurs qui ont présidé au non-respect par le conducteur du train accidenté de la signalisation lui imposant un arrêt absolu ainsi que ceux qui ont contribué à la gravité des conséquences d'un simple talonnage d'aiguille à basse vitesse.
3.6 -
Les facteurs ayant contribué au non-respect de la signalisation par le conducteur du train accidenté
3.6.1 - Les modalités de franchissement du croisement des Muletiers.
Figure 10 : Schéma du croisement des Muletiers
Avec un seul train en exploitation en navette Lorsqu'il en est ainsi, le train concerné parcourt le croisement des Muletiers en utilisant, dans les deux sens, la voie directe. Il est reçu sur ce croisement avec le signal de sortie systématiquement fermé. Celui-ci s'ouvre à son approche. Avec deux trains en exploitation Lorsque deux trains sont en exploitation, celui qui descend du sommet du Puy-de-Dôme, est programmé pour arriver le premier au croisement des Muletiers. Il est reçu sur la voie directe et doit s'arrêter devant le signal de sortie au rouge. Ce signal reste fermé tant que le train provenant de la maison de site n'a pas entièrement pénétré sur la voie déviée de ce croisement.
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La réception sur un signal fermé qui s'ouvre dans certains cas à l'approche du train constitue un piège pour les conducteurs. Le risque est grand que, par « délit d'habitude », ils ne réagissent pas lorsque, pour une raison ou pour une autre, le signal ne s'ouvre pas à leur approche. Ce risque est tout particulièrement élevé lorsque les conducteurs passent d'une période d'exploitation à un seul train à une exploitation à deux trains. Un tel risque est bien connu des concepteurs de signalisation ferroviaire et il aurait dû être écarté. De fait, cet aspect n'a fait l'objet d'aucune observation lors des différentes étapes de vérification de la conception du « Panoramique des Dômes ».
3.6.2 - La signalisation de « présence tension ».
Tant dans le sens montant que dans le sens de la descente, une signalisation spécifique dite de « présence tension » est installée en amont du croisement des Muletiers. Cette signalisation est destinée à indiquer aux conducteurs si le tronçon qu'ils s'apprêtent à aborder est alimenté ou non en courant de traction. Lorsque cette alimentation n'est pas assurée, ils doivent arrêter leur train avant le signal correspondant. Jusqu'au 25 octobre 2012, l'alimentation en courant de traction était confirmée par un feu rouge que les conducteurs devaient alors franchir sans s'arrêter. Si ce feu était éteint ou de couleur blanche, il leur revenait de s'arrêter. Une telle ergonomie ne pouvait qu'être source de confusion : il était demandé aux conducteurs de franchir les feux rouges de la signalisation de « présence tension » tandis qu'ils devaient marquer un arrêt absolu devant les feux rouges de la signalisation commandant les franchissements des appareils de voie. Il a été mis fin à cette situation parfaitement aberrante trois jours avant l'accident, mais elle a pu instaurer chez les conducteurs une habitude de franchissement de feux rouges, contraire aux principes fondamentaux de la sécurité.
Figure 11 : Signal de « présence tension » et signaux d'arrêt en place avant le 25 octobre 2012 24
3.6.3 - Le conducteur du train n° 32
L'agent de conduite impliqué dans l'accident analysé dans le présent rapport a, comme ses collègues, une faible expérience ferroviaire. Né en 1988, il a été recruté par la société Transdev, en sa qualité d'exploitant opérationnel du « Panoramique des Dômes », le 23 avril 2012 et habilité à la conduite des rames de ce chemin de fer à crémaillère le 23 mai 2012. Il s'agissait de son premier emploi dans le milieu des transports ferroviaires. Comme ses collègues embauchés à la même période, sa formation à la conduite a surtout été théorique. De fait, la formation pratique qui leur a été dispensée, s'est limitée à quelques jours, car les infrastructures ferroviaires n'ont été disponibles qu'à partir du 10 mai 2012 alors que l'exploitation commerciale a débuté très peu de temps après, le 26 mai 2012. L'analyse des enregistrements tachymétriques effectuée après l'accident montre que le jour où il s'est produit, le conducteur concerné a commis plusieurs dépassements de vitesse de plus de 2 km/h par rapport aux limitations qui étaient alors prescrites sur la ligne. Ces erreurs avaient eu des précédents puisqu'un examen réalisé après le présent accident des enregistrements tachymétriques des services effectués par ce conducteur lors de la journée du 10 octobre 2012 a fait ressortir des anomalies similaires dans sa conduite. De plus, lors de l'audit qu'elle a diligenté en juillet 2012, la responsable de la formation de l'exploitant a émis une alerte concernant un manque de respect des vitesses limites par ce conducteur. Ce signalement n'a pas eu de suite.
3.6.4 - La fiabilité des conducteurs du « Panoramique des Dômes »
Entre la mise en service du « Panoramique des Dômes » le 26 mai 2012 et le jour où l'accident considéré s'est produit, 5 franchissements des signaux d'arrêt par 5 conducteurs différents ont été enregistrés par l'exploitant. Le franchissement à l'origine du présent accident est donc le sixième. Il est imputable à un sixième conducteur. À chaque fois, la cause en a été l'inattention du conducteur concerné. La fréquence de ces défaillances est sans rapport avec la fiabilité normalement attendue des conducteurs de trains. Elle interroge sur la qualité des systèmes de sélection, de formation et de management des opérateurs de sécurité mis en oeuvre par l'exploitant du « Panoramique des Dômes ».
3.7 -
Les facteurs explicatifs de la gravité des conséquences du talonnage de l'appareil de voie aval du croisement des Muletiers
Le croisement des Muletiers est situé sur une section de ligne présentant une pente de 12 %. En chemin de fer classique, notamment sur le réseau ferré national, les croisements sont normalement établis sur des sections horizontales ou en très faible pente, tout particulièrement pour éviter les risques de dérive des véhicules ainsi que les difficultés de freinage ou de redémarrage.
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Concernant plus spécifiquement les chemins de fer à crémaillère, l'enquête sur le déraillement survenu en 1954, au droit d'un croisement, d'un train de la ligne reliant Luchon à Superbagnères, qui avait coûté la vie à 9 personnes, avait montré que la forte pente que présentait ce croisement avait aggravé les conséquences de cet accident. En effet, une rampe impose que la crémaillère soit continue, y compris sur les appareils de voie. De ce fait, ces appareils ne sont pas talonnables4. Il en résulte qu'en cas de talonnage, le déraillement du train incriminé est systématique et que ses essieux sont chassés latéralement au-delà des têtes des traverses, créant un risque de renversement. De plus, lorsque le déraillement se produit dans le sens de la descente, le train a besoin d'une distance plus longue pour s'immobiliser, augmentant le nombre d'essieux ou de bogies déraillés et accroissant corrélativement le risque de renversement. Dans le cas particulier de l'aiguille aval du croisement des Muletiers, la présence du platelage du passage à niveau à 7,70 mètres de cet appareil de voie constitue, par ailleurs, un facteur de risque supplémentaire. En effet :
un train déraillé, roulant sur un tel platelage, s'immobilise sur une plus longue distance ; le choc de ses roues contre le bord du platelage tend à le déstabiliser ; le surélèvement, dans le cas présent de 70 mm, de la partie centrale du platelage par rapport au plan de roulement tend à l'incliner, augmentant le risque de renversement de ses véhicules.
Figure 12 : Vue du platelage du passage à niveau des Muletiers 4 Un aiguillage est talonnable lorsqu'un train qui l'aborde par le coeur, peut le franchir sans dommage, au besoin en déplaçant sur son passage les lames de l'aiguille pour les positionner correctement. 26
Malgré les conséquences prévisibles d'un franchissement intempestif du signal de sortie aval du croisement des Muletiers, aucune boucle de rattrapage n'a été prévue lors de la conception du chemin de fer à crémaillère considéré.
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4 - Le management de la sécurité dans la conduite du projet du chemin de fer à crémaillère le « Panoramique des Dômes »
Les différentes anomalies constatées lors de la présente enquête tant dans la conception du système de transport que constitue le « Panoramique des Dômes » que dans le management de ses conducteurs interpellent sur la qualité de la prise en compte de la sécurité lors de l'élaboration et de la réalisation du projet en cause, puis dans l'exploitation de ce chemin de fer à crémaillère.
4.1 -
La réglementation appliquée
Réglementairement, les chemins de fer à crémaillère construits en zone de montagne sont assimilés à des remontées mécaniques et sont régis par les articles L. 472-1 à L. 472-5 du code du tourisme. À ce titre, l'engagement des travaux d'une part, et la mise en service d'autre part, sont chacun soumis à une autorisation préalable délivrée, sur la base de dossiers de sécurité, par le maire de la commune concernée après avis conforme du préfet de département au titre de la sécurité. Dans ce cadre, le maître d'ouvrage a en particulier l'obligation, en application de l'article R. 342-4 du code précité, de s'adjoindre le concours d'un maître d'oeuvre agréé par le ministre des transports et chargé d'évaluer la conception et la réalisation de l'installation concernée au regard des impératifs de sécurité. Conformément à l'article R. 342-23 de ce code, il revient notamment à ce maître d'oeuvre d'assurer la direction des essais probatoires, de vérifier le respect de la réglementation technique et de sécurité, de contrôler la conformité de l'installation réalisée au projet adopté et d'établir le dossier de demande d'autorisation de mise en exploitation.
4.2 -
Les principaux acteurs du projet du chemin de fer à crémaillère le « Panoramique des Dômes »
Le maître d'ouvrage de ce système de transport est le conseil général du Puy-de-Dôme qui en a confié la conception, la réalisation et l'exploitation à la société SNC-Lavalin dans le cadre d'une délégation de service public conclue le 29 janvier 2008. En application de ses termes mêmes, cette délégation a été transférée, en avril 2008, à une société ad-hoc « TC Dôme », filiale à 51 % de la société SNC-Lavalin et à 49 % de la Caisse des dépôts. À ce titre, TC Dôme a assuré la maîtrise d'ouvrage déléguée et la maîtrise d'oeuvre générale du « Panoramique des Dômes » et elle est chargée de son exploitation. Pour assurer ses missions, la société TC Dôme a fait appel au groupe Transdev auquel elle a confié une mission d'assistance à la maîtrise d'ouvrage et auquel elle a sous-traité l'exploitation opérationnelle du système de transport considéré. La maîtrise d'oeuvre de ce système, telle que définie par l'article R. 342-4 du code du tourisme, a été confiée le 17 décembre 2008 par la société SNC-Lavalin à TIM Ingénierie qui dispose depuis le 30 décembre de cette même année d'un agrément du ministre des transports couvrant, notamment, les « installations de remontées mécaniques de technologie complexe ou spéciale : funiculaires, téléphériques bi-câbles, pulsés, trains à crémaillère ».
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La définition et la réalisation du projet du « Panoramique des Dômes » ont également associé l'Office Fédéral des Transports suisse qui a procédé à l'évaluation du matériel roulant et le bureau Véritas mandaté pour évaluer la conformité de l'alimentation en énergie électrique.
4.3 -
Le référentiel technique et de sécurité adopté
Il n'existe en France ni réglementation de sécurité ni référentiel technique concernant les trains à crémaillère. L'ensemble des acteurs du projet du « Panoramique des Dômes » et le service technique des remontées mécaniques et des transports guidés (STRMTG) sont donc convenus, en accord avec la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM), d'adopter les dispositions d'exécution de l'ordonnance sur les chemins de fer (DEOCF) de l'Office Fédéral des Transports suisse (OFT), complétées par certaines normes ferroviaires françaises ou européennes, notamment :
pour le matériel roulant, par les normes françaises de la série NF 16-101 « Matériel roulant ferroviaire - Comportement au feu » ; pour la voie, par les normes NF EN 13231 « Applications ferroviaires - Voie - Réception des travaux » et NF EN 13232 « Applications ferroviaires - Voie - Appareils de voie » ; pour la signalisation, par la norme NF EN 50128 « Systèmes de signalisation, de télécommunication et de traitement - Logiciels pour systèmes de commande et de protection ferroviaire ». En outre, une comparaison a été effectuée avec la signalisation du tramway de Mulhouse ; pour l'énergie électrique, par l'arrêté du 17 mai 2001 fixant les conditions techniques auxquelles doivent satisfaire les distributions d'énergie électrique.
4.4 -
Les études de sécurité et le dossier de demande de mise en exploitation
L'analyse de sécurité générale du chemin de fer à crémaillère le « Panoramique des Dômes » a été conduite par le cabinet TIM Ingénierie, en s'inspirant des analyses de sécurité réalisées pour les funiculaires et les téléphériques. Le BEA-TT a examiné plus particulièrement la manière dont les risques spécifiques que présente le franchissement du croisement des Muletiers ont été pris en compte. Il en ressort que :
la collision de deux trains en nez-à-nez a été considérée comme un événement aux conséquences légères ; la prise en écharpe de deux trains n'a pas été explicitement traitée ; le risque de déraillement lié au fait que les aiguilles ne sont pas talonnables n'a pas été analysé.
En outre, cette analyse de sécurité générale n'a pas intégré les facteurs humains et a pris pour hypothèse le strict respect des procédures par les conducteurs. En particulier, le risque de franchissement d'un signal fermé à la suite d'une erreur humaine n'a pas été pris en compte bien qu'un tel franchissement conduise nécessairement au déraillement du train concerné s'il se produit dans la zone des Muletiers. Le dossier de récolement que le cabinet TIM Ingénierie a établi le 18 avril 2012, atteste, par ailleurs, que l'exécution du projet est conforme aux plans adoptés. Or, tel n'était pas le cas de la signalisation de « présence tension » qui, depuis la mise en service du chemin de fer à crémaillère concerné le 26 mai 2012 jusqu'au 25 octobre 2012, a reposé sur un
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signal rouge pour signifier que l'alimentation en courant de traction était assurée, contrairement au projet qui prévoyait un signal blanc. Enfin, le règlement particulier d'exploitation et les principales procédures qui lui sont associées ont été élaborés par l'exploitant Transdev, vérifiés et contrôlés par TIM Ingénierie et validés par le STRMTG. Parmi ces procédures figurent les modalités de croisement dans la zone des Muletiers dont la robustesse n'était pas garantie ainsi qu'il l'a été indiqué dans le chapitre 3.6.1 du présent rapport. Ces multiples déficiences ont conduit à ce que la conception du « Panoramique des Dômes » ne prenne pas en compte plusieurs risques redoutés bien connus dans le secteur ferroviaire. Cette situation témoigne, sans conteste, d'un manque flagrant de connaissance et d'expérience du maître d'oeuvre agréé en matière de techniques et de procédures de type ferroviaire alors qu'elles président fortement à l'exploitation des trains à crémaillère. Elle interroge donc sur les conditions d'agrément des maîtres d'oeuvre appelés à intervenir, en application de l'article R. 342-4 du code du tourisme, lors de la réalisation de telles installations en zone de montagne. Elle interpelle, plus globalement, sur la pertinence de l'application de la réglementation concernant les remontées mécaniques issue du code précité à un système de transport dont la maîtrise de la sécurité n'est pas encadrée, au contraire des téléphériques, par des référentiels techniques dédiés et dont maintes caractéristiques relèvent des domaines du transport ferroviaire ou des transports guidés. Le chapitre 6.4 et l'annexe 2 du présent rapport analysent sous cet angle la réglementation précitée.
4.5 -
La sécurité de l'exploitation
La sécurité de l'exploitation d'un système de transport résulte tant des organisations et des personnes mises en place que des dispositions prises avant sa mise en service. La gestion de la sécurité de l'exploitation constitue donc l'un des volets majeurs du management de la sécurité du projet.
4.5.1 - La formation des conducteurs
La formation des conducteurs du « Panoramique des Dômes » a été assurée par trois personnes issues du groupe Transdev. La responsable de cette formation a bénéficié de deux journées d'apprentissage sur le matériel concerné, qui ont été organisées avec le concours de techniciens mis à disposition par son constructeur, la société Stadler. Aucun cahier des charges de la formation considérée n'a été établi. Son contenu a été défini et mis au point par étapes en février et mars 2012. Un classeur de formation a ainsi été constitué et utilisé par les formateurs et les stagiaires. La construction de l'infrastructure n'étant pas terminée, la formation des premiers conducteurs recrutés a été essentiellement théorique. Ils n'ont de fait bénéficié que de deux journées de conduite effective in situ.
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En outre, ces stagiaires ont circulé sur une infrastructure présentant des écarts par rapport aux documents techniques et au contenu du classeur de formation. En particulier, les feux dits de « présence tension » qui étaient alors effectivement installés étaient rouges pour confirmer l'alimentation en courant de traction ou verts pour l'infirmer alors que les documents techniques dûment validés les décrivaient comme jaunes, blancs ou orange.
4.5.2 - Les contrôles internes
Le règlement particulier d'exploitation du « Panoramique des Dômes », adopté le 2 mai 2012 par TC Dôme, prévoit que deux niveaux de contrôle interne sont assurés par l'exploitant. Le premier niveau comporte un plan de veille des conducteurs et des opérateurs du poste de commandement et de contrôle qui est complété par un contrôle annuel de leurs connaissances. Il est exercé par le responsable de l'exploitation. Le second niveau de contrôle doit permettre de vérifier les conditions de réalisation et l'efficacité du contrôle de premier niveau. Il devait être assuré par l'ingénieur sécurité. Or, cette dernière fonction n'a jamais été tenue avant l'accident analysé dans le présent rapport, si l'on excepte les quelques missions ponctuelles effectuées par un ingénieur du groupe Transdev pour la mise au point du règlement particulier d'exploitation du système de transport considéré.
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5 - Déroulement de l'accident et des secours
5.1 Le déraillement du train n° 32
Le dimanche 28 octobre 2012, l'exploitation du chemin de fer à crémaillère desservant le sommet du Puy-de-Dôme est assurée, pour la première fois depuis le 13 juillet de cette même année, par deux trains. Depuis la veille, la vitesse est temporairement limitée à 25 km/h sur l'ensemble de cette ligne, à l'exception d'un tronçon où elle a été abaissée à 15 km/h et du croisement des Muletiers où la vitesse maximale autorisée demeure fixée à 20 km/h. Le conducteur du train n° 32 prend son service à 6h55 à la gare aval, la maison de site. Entre 7h30 et 8h30, il effectue un premier voyage, aller et retour, au cours duquel il s'affranchit à plusieurs reprises des limitations de vitesse imposées. Lors de la seconde montée vers la gare du sommet, il commet de nouveau trois excès de vitesse. Il quitte cette gare à 9 heures et ne respecte toujours pas parfaitement les limitations de vitesse fixées. À l'approche du croisement des Muletiers, il ralentit et franchit l'aiguillage en marquant l'entrée à la vitesse de 18 km/h. Il poursuit sa marche sur la voie directe de ce croisement à cette vitesse. Le signal en protégeant l'appareil de voie aval est fermé et, la ligne étant exploitée avec deux trains, il ne doit pas s'ouvrir à l'approche d'une rame descendante, lui imposant ainsi un arrêt absolu tant que le train montant n'est pas entré sur la voie déviée du croisement considéré. Le conducteur du train n° 32 ne réagit pas devant ce signal au rouge. Il le franchit sans ralentir et son train heurte à la vitesse de 18 km/h, l'aiguille de droite de l'appareil de voie précité alors positionné pour permettre au train montant d'entrer sur la voie déviée. Cette aiguille n'étant pas talonnable, le premier bogie de la rame de tête du train n° 32 déraille et est déporté vers la droite. La roue avant gauche de ce bogie roule alors sur les traverses entre le rail gauche et la crémaillère tandis que la roue avant droite roule dans le ballast au-delà des traverses. Percevant les secousses de son train, le conducteur provoque un freinage d'urgence. Ce train continue d'avancer et le premier bogie de sa rame de tête percute le platelage en béton du passage à niveau des Muletiers aménagé quelques mètres en aval du croisement éponyme. La roue avant gauche de ce bogie se soulève alors que ses roues droites se trouvent sensiblement plus bas. Le premier élément de la rame de tête est ainsi déséquilibré. Il penche vers la droite et le bas de sa caisse frotte contre le platelage du passage à niveau. Après avoir également déraillé sur l'appareil de voie susvisé, l'élément central de cette rame s'enfonce du côté droit dans le ballast et s'incline vers l'aval du massif montagneux. Son troisième élément ne déraille pas, mais il s'incline aussi vers la droite, entraîné par le basculement de l'élément central. Il reste posé sur la file de rail droite. Le train s'immobilise avant que sa seconde rame aborde l'appareil de voie aval du croisement des Muletiers. Elle ne déraille pas.
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5.2 -
Les secours
Grâce au dispositif de vidéosurveillance installé au droit du croisement des Muletiers, le régulateur en fonction au poste de commandement et de contrôle a vu le train n° 32 dérailler. Il a immédiatement demandé, par radio, au conducteur du train qui montait de s'arrêter. Il a, dans le même temps, prévenu par téléphone le responsable de l'exploitation et les secours. Ces derniers sont arrivés sur place vers 10h15. Le conducteur, choqué, a été évacué de la rame accidentée par le responsable de l'exploitation. Il a été conduit en fin de matinée en consultation dans un service d'urgence. Un périmètre de sécurité a été mis en place autour du train déraillé et le chemin de randonnée des Muletiers ainsi que la voie routière de service ont été fermés.
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6 - Analyse des causes et facteurs associés, orientations préventives
6.1 Le schéma des causes et des facteurs associés
Les investigations conduites permettent d'établir le graphique ci-après qui synthétise le déroulement de l'accident et en identifie les causes et les facteurs associés.
Fig 13 : Schéma des causes et facteurs associés
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Cette analyse conduit le BEA-TT à rechercher des orientations préventives dans les quatre domaines suivants :
la prévention des franchissements des feux de signalisation du chemin de fer à crémaillère le « Panoramique des Dômes » ; la limitation des conséquences d'un talonnage des appareils de voie de ce chemin de fer ; la réglementation applicable aux trains à crémaillère ; le management de la sécurité dans la conduite des projets de système de transport.
6.2 -
La prévention des franchissements des feux de signalisation du chemin de fer le « Panoramique des Dômes »
En descendant du sommet du Puy-de-Dôme, le conducteur du train n° 32 a ralenti à l'approche du croisement des Muletiers et a franchi l'appareil de voie en marquant l'entrée à la vitesse de 18 km/h. En revanche, il n'a pas réagi à la vue du signal rouge qui en protégeait la sortie et il a poursuivi sa marche sans freiner jusqu'à l'aiguille de sortie qu'il a talonnée. Les analyses des enregistrements tachymétriques montrent que, ce jour-là, le conducteur concerné n'était pas attentif à sa conduite. De plus, depuis la mise en exploitation de ce chemin de fer à crémaillère, des franchissements de signaux fermés s'étaient déjà produits à cinq reprises, du fait de différents conducteurs. Deux caractéristiques des installations de sécurité et de l'exploitation de ce système de transport y ont sans conteste contribué :
d'une part, la signalisation dite de « présence tension » confirmait aux conducteurs que le tronçon qu'ils s'apprêtaient à aborder était alimenté en courant de traction en émettant un signal rouge qu'ils devaient franchir ; d'autre part, lorsque la ligne était exploitée avec un seul train, ce qui avait été majoritairement le cas depuis sa mise en service, les feux fermés du croisement des Muletiers passaient au vert à l'approche des rames.
Il en résulte que pour les conducteurs, la présentation d'un feu rouge n'était pas synonyme d'un arrêt impératif et absolu : en effet, dans la majorité des cas, les feux rouges qu'ils rencontraient étaient soit, franchissables soit, en instance de passer automatiquement au vert. Depuis le 25 octobre 2012, les feux rouges des signaux de « présence tension » sont remplacés par des feux blancs. Par ailleurs, l'exploitant a mis en place en mai 2013 sur le croisement des Muletiers une limitation de vitesse à 10 km/h assortie d'un système d'assistance active qui provoque, notamment, un freinage d'urgence si le signal de protection de la sortie de cette zone est franchi alors qu'il est fermé. De plus, quel que soit le mode d'exploitation, à un ou deux trains, l'arrêt avant ce signal de sortie est désormais obligatoire et systématique. Ces nouvelles mesures ont fait l'objet d'un avis favorable du service technique des remontées mécaniques et des transports guidés après qu'elles ont été évaluées par un expert indépendant. Le préfet du Puy-de-Dôme les a entérinées le 30 avril 2013 en autorisant la reprise de l'exploitation du train à crémaillère concerné. En conséquence, le BEA-TT n'émet pas de recommandation particulière concernant la prévention des franchissements des feux de signalisation du chemin de fer à crémaillère le « Panoramique des Dômes ».
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6.3 -
La limitation des conséquences d'un talonnage des appareils de voie du « Panoramique des Dômes »
Figure 14 : Déraillement suite au talonnage d'un appareil de voie à crémaillère
Malgré le déploiement des équipements et des mesures détaillés dans le chapitre 6.2, un nouveau talonnage avec déraillement du train concerné s'est produit le 6 juillet 2013 sur l'appareil de voie de la sortie aval du croisement des Muletiers. Le signal, qui était en dérangement, a de fait été franchi sur ordre du poste de commandement et de contrôle sans que la position de l'aiguille en cause ait été préalablement vérifiée. Or, ainsi que le montre la figure 14 ci-dessus, en cas de talonnage d'un appareil de voie à crémaillère du type de ceux équipant le « Panoramique des Dômes », le déraillement est inévitable et le train est chassé vers l'extérieur de la voie. Les conséquences de tels déraillements n'ont pas fait l'objet d'une évaluation dans les analyses de risques conduites préalablement à la mise en service du système de transport concerné. Force est cependant de constater, à cet égard, que sur l'appareil de voie aval du croisement des Muletiers, qui est situé sur un tronçon présentant une pente de 12 %, juste à proximité d'un passage à niveau, le risque de renversement du train est élevé en cas de déraillement. D'autres appareils de voie peuvent également présenter des risques spécifiques. Le BEA-TT adresse donc à la société TC Dôme la recommandation suivante : Recommandation R1 (TC Dôme) : Réaliser une étude complète des risques liés à un talonnage accidentel des différents appareils de voie du chemin de fer à crémaillère le « Panoramique des Dômes » et mettre en place, si c'est justifié, les mesures propres à en limiter les conséquences.
6.4 -
La réglementation applicable aux trains à crémaillère
Les trains à crémaillère sont des systèmes de transport dont les caractéristiques techniques et les conditions d'exploitation relèvent du mode ferroviaire. Or, au regard de la législation, en zone de montagne, ils sont assimilés à des remontées mécaniques et doivent donc respecter les procédures prévues par le code du tourisme pour la mise en exploitation des installations à câbles.
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L'application de ces procédures au « Panoramique des Dômes » a conduit, malgré les précautions prises par le service technique des remontées mécaniques et des transports guidés, à des faiblesses significatives dans la conception, la réalisation, puis l'exploitation de cette installation qui en ont affecté la sécurité. À cet égard, le tableau joint en annexe 2 au présent rapport analyse les exigences de sécurité fixées par la réglementation applicable aux remontées mécaniques implantées en zone de montagne et les compare à celles retenues par la réglementation afférente aux systèmes de transport public guidés. Force est, tout d'abord, de constater que les dispositions du code du tourisme relatives à la sécurité des remontées mécaniques font peu de place aux analyses de risques et visent principalement le respect de règles techniques rendues opposables par arrêtés. Cette approche suppose que des référentiels techniques relativement complets et précis aient été établis. Tel est le cas pour les systèmes de transport par câbles. En revanche, ainsi qu'il l'a été indiqué dans le chapitre 4.3 de ce rapport, il n'existe pas en France de réglementation technique de sécurité concernant les trains à crémaillère et il est peu probable qu'une telle réglementation soit développée compte tenu du très faible nombre d'installations de ce type existantes ou envisagées. Chaque nouveau projet de construction ou de modification substantielle d'un train à crémaillère doit donc faire l'objet, au regard de ses fonctionnalités particulières et de son environnement, d'une analyse de sécurité spécifique devant nécessairement comprendre, pour être robuste, une identification des risques à prendre en compte, la définition des objectifs de sécurité à atteindre, la détermination des référentiels techniques pouvant être appliqués et la démonstration que le niveau de sécurité prévu pourra être maintenu tout au long de l'exploitation de l'installation concernée. Il s'agit typiquement là de la démarche de sécurité retenue par la réglementation qui s'applique aux systèmes de transport public guidés. Par ailleurs, en confiant des missions relevant de la conduite opérationnelle du projet au maître d'oeuvre agréé chargé de son évaluation externe au regard des impératifs de sécurité, la réglementation relative aux remontées mécaniques ne favorise pas, en ce domaine, un « second regard » réellement critique. Or, un tel regard, totalement indépendant du processus de conception et de réalisation du projet, est d'autant plus indispensable que le système de transport concerné est atypique. Cette nécessaire indépendance du « second regard » apparaît mieux encadrée dans la réglementation concernant les systèmes de transport public guidés. Enfin, l'agrément délivré aux maîtres d'oeuvre pouvant intervenir sur des trains à crémaillère les autorise également à traiter des téléphériques bi-câbles et des funiculaires. Ils doivent donc disposer de compétences très larges couvrant des domaines extrêmement diversifiés allant, par exemple, de la signalisation ferroviaire au dimensionnement des câbles de téléphérique. Une telle situation n'est, en tout état de cause, pas compatible avec le niveau d'expertise technique dont ils devraient faire preuve pour attester de la sécurité de systèmes de transport aussi différents des téléphériques et aussi peu courants que les trains à crémaillère. Au global, la réglementation encadrant la sécurité des systèmes de transport public guidés apparaît nettement mieux adaptée à la conception et à l'exploitation des projets de transport atypiques ou innovants qui présentent de fortes composantes ferroviaires et pour lesquels il n'existe pas de corpus de règles techniques dédiées. Il serait donc plus pertinent que les trains à crémaillère implantés en zone de montagne relèvent de cette réglementation plutôt que de celle qui régit les remontées mécaniques.
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Pour le moins, il conviendrait de renforcer les conditions d'agrément des maîtres d'oeuvre appelés à intervenir sur les trains à crémaillère afin que leurs compétences et leur expérience en matière de technologies et d'exploitation ferroviaires soient garanties. À cet égard, elles pourraient être clairement distinguées de celles requises pour les maîtres d'oeuvre pouvant être sollicités pour évaluer la sécurité des téléphériques bi-câbles ou des funiculaires. Aussi, le BEA-TT formule la recommandation suivante : Recommandation R2 (Direction Générale des Infrastructures, des Transports et de la Mer) : Modifier la législation afin d'étendre aux trains à crémaillère implantés en zone de montagne l'application de la réglementation relative aux systèmes de transport guidé en lieu et place de celle afférente aux remontées mécaniques. Pour le moins, si une telle modification législative ne devait intervenir, renforcer les conditions d'agrément des maîtres d'oeuvre appelés, en application de l'article R. 342-4 du code du tourisme, à intervenir sur les trains à crémaillère afin qu'elles garantissent une connaissance et une expérience approfondies de leur part en matière de technologies et de modes d'exploitation de type ferroviaire.
6.5 -
Le management de la sécurité dans la conduite des projets de systèmes de transport
Ainsi qu'il l'a été détaillé dans le chapitre 3 du présent rapport, les études de sécurité qui ont présidé à la conception et à la réalisation du chemin de fer à crémaillère le « Panoramique des Dômes » n'ont pas évalué les risques spécifiques de déraillements sur ses appareils de voie pourtant non talonnables. La signalisation qui a été effectivement installée le long de la ligne n'était pas conforme à celle prévue dans le projet adopté. La formation pratique des premiers conducteurs recrutés a été insuffisante. Le contrôle interne de deuxième niveau prévu par le règlement particulier d'exploitation n'a pas été mis en place. Tous les enseignements n'ont pas été tirés des erreurs manifestes de conduite enregistrées dans les mois qui ont précédé le déraillement survenu le 28 octobre 2012. Tous ces constats témoignent d'un management déficient de la sécurité tant lors de la conduite du projet de train à crémaillère considéré que dans les premiers mois de son exploitation. Le BEA-TT ne saurait donc trop insister sur l'importance que revêt, à tous les stades de la conception, de la réalisation et de la mise en exploitation d'un système de transport, une gestion rigoureuse de la sécurité reposant sur une organisation structurée permettant d'anticiper les différentes actions à conduire pour garantir, au final, un fonctionnement sûr pour les passagers du système concerné. Il a d'ailleurs déjà été conduit à formuler une recommandation dans ce domaine à l'issue de l'enquête technique qu'il a menée sur l'incendie d'une rame de tramway sur pneumatiques survenu le 26 décembre 2009 à Clermont-Ferrand. Dans la continuité de cette recommandation, le BEA-TT invite le service technique des remontées mécaniques et des transports guidés à s'assurer que tout projet de système de transport public guidé fait l'objet, dès son engagement, d'un plan de management couvrant tous les aspects concourant à la sécurité de ce système et englobant, notamment, les premiers temps de son exploitation.
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7 - Conclusions et recommandations
7.1 Les conclusions
La cause directe et immédiate du déraillement qui a affecté le chemin de fer à crémaillère le « Panoramique des Dômes » le 28 octobre 2012, est le franchissement au rouge, par le conducteur du train n° 32, du signal de protection de la sortie aval du croisement des Muletiers. Ce franchissement est la conséquence d'un manque flagrant d'attention de ce conducteur qui le jour même du déraillement, mais également à plusieurs reprises lors de journées d'exploitation précédentes, avait commis des erreurs manifestes de conduite. Trois facteurs ont contribué à cette situation :
l'inadaptation de la formation dispensée aux conducteurs de ce train à crémaillère qui ne leur permettait pas d'acquérir les réflexes indispensables pour garantir un respect rigoureux des règles de sécurité les plus élémentaires, ainsi qu'en témoignent les nombreux franchissements de signaux fermés qui avaient été enregistrés depuis sa mise en service ; les ambiguïtés que présentait la signalisation mise en place dont le feu rouge, selon qu'il était émis par un signal de protection d'un appareil de voie ou par un signal de « présence tension », imposait un arrêt absolu ou devait être franchi ; les carences des études de sécurité qui n'ont pas pris en compte les risques spécifiques de déraillements sur les appareils de voie non talonnables, tels que ceux équipant le croisement des Muletiers, alors que la configuration de ce croisement, en pente et à proximité d'un passage à niveau, est susceptible d'aggraver les conséquences d'un déraillement.
Ces différentes déficiences résultent à la fois d'une insuffisante maîtrise du management de la sécurité dans la conduite du projet du « Panoramique des Dômes » et de l'inadaptation de l'application aux trains à crémaillère, dont le fonctionnement repose sur des technologies de type ferroviaire, de la réglementation de sécurité relative aux remontées mécaniques.
7.2 -
Les recommandations
Au vu de ces éléments, le BEA-TT formule les deux recommandations suivantes : Recommandation R1 (TC Dôme) : Réaliser une étude complète des risques liés à un talonnage accidentel des différents appareils de voie du chemin de fer à crémaillère le « Panoramique des Dômes » et mettre en place, si c'est justifié, les mesures propres à en limiter les conséquences. Recommandation R2 (Direction Générale des Infrastructures, des Transports et de la Mer) : Modifier la législation afin d'étendre aux trains à crémaillère implantés en zone de montagne l'application de la réglementation relative aux systèmes de transport guidé en lieu et place de celle afférente aux remontées mécaniques. Pour le moins, si une telle modification législative ne devait intervenir, renforcer les conditions d'agrément des maîtres d'oeuvre appelés, en application de l'article R. 342-4 du code du tourisme, à intervenir sur les trains à crémaillère afin qu'elles garantissent une connaissance et une expérience approfondies de leur part en matière de technologies et de modes d'exploitation de type ferroviaire.
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Par ailleurs, le BEA-TT invite le service technique des remontées mécaniques et des transports guidés à s'assurer que tout projet de système de transport public guidé fait l'objet, dès son engagement, d'un plan de management couvrant tous les aspects concourant à la sécurité de ce système et englobant, notamment, les premiers temps de son exploitation.
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ANNEXES
Annexe 1 : Décision d'ouverture d'enquête Annexe 2 : Analyse comparative des exigences de sécurité respectivement fixées par la réglementation applicable aux remontées mécaniques situées en zone de montagne et par celle afférente aux transports publics guidés
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Annexe 1 : Décision d'ouverture d'enquête
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Annexe 2 : Analyse comparative des exigences de sécurité respectivement fixées par la réglementation applicable aux remontées mécaniques situées en zone de montagne et par celle afférente aux transports publics guidés
Réglementation applicable Réglementation applicable Analyse comparée des deux aux remontées aux transports publics réglementations pour un mécaniques situées en guidés projet de chemin de fer à zone de montagne (réglementation « STPG ») crémaillère (réglementation « RM ») Procédure administrative
Deux autorisations de l'autorité en charge de la délivrance des permis de construire sont nécessaires : l'une délivrée Étapes de la préalablement à l'engagement procédure des travaux, l'autre avant la administrative mise en service. Les conclusions du « deuxième regard »5 doivent être présentées avec le dossier préalable à la mise en service. Un avis du préfet est nécessaire dès la définition du système et deux autorisations doivent ensuite être obtenues, l'une avant l'engagement des travaux et l'autre préalablement à la mise en exploitation commerciale. L'analyse du « deuxième regard » doit être présentée dès la demande d'autorisation d'engager les travaux En requérant un avis de l'autorité de sécurité dès la définition du projet, la procédure fixée par la réglementation « STPG », est mieux adaptée aux projets atypiques ou spécifiques.
Démonstration de la sécurité du projet
Le niveau de sécurité est implicitement défini par les exigences techniques fixées par arrêtés. En outre, pour les installations à câbles, le projet doit respecter des « exigences essentielles de sécurité », de portée générale, définies par décret. Le niveau global de sécurité du système de transport projeté doit être au moins équivalent à celui des systèmes existants assurant des services comparables. La définition du niveau de sécurité à atteindre ressortant de la réglementation « STPG », est particulièrement adaptée aux systèmes de transport, tels que les trains à crémaillère, pour lesquels les référentiels techniques opposables sont lacunaires, voire inexistants. La démonstration de sécurité qui est formellement requise par la réglementation « RM » est sans aucune portée pour les installations sans câble dont la conception et la réalisation ne sont pas encadrées par une réglementation technique.
Niveau de sécurité à atteindre
Il doit être attesté que l'installation a été conçue et réalisée conformément au projet Nature de la et à la réglementation technique démonstration en vigueur. En outre, pour les de sécurité à installations à câbles, un rapport produire de sécurité doit préciser les mesures prévues pour faire face aux risques identifiés par le maître d'ouvrage.
Il doit être démontré que l'objectif de sécurité cité dans l'alinéa précédent pourra être atteint tout au long de la vie du système à partir, notamment, d'une analyse des risques.
5
La notion de « deuxième regard » s'entend au sens de la circulaire du 9 décembre 2003 relative à la sécurité des systèmes de transport public guidés prise en application du décret éponyme n° 2003-425 du 9 mai 2003, à savoir « une évaluation de la sécurité pendant la conception et la réalisation par des organismes ou experts indépendants et agréés ». 47
« deuxième regard »5 porté sur la sécurité du projet
Le « deuxième regard » doit être confié à un maître d'oeuvre agréé par l'État. L'agrément est délivré en distinguant trois catégories d'installations, à savoir les téléskis, les téléphériques monocâbles, et les remontées mécaniques de technologie complexe ou spéciale au rang desquelles figurent les trains à crémaillère. Le « deuxième regard » doit être dévolu à un « expert ou organisme qualifié agréé » (EOQA) agréé par l'État. L'agrément est délivré par domaines de compétence : matériel roulant, infrastructure, énergie, contrôle-commande et signalisation ferroviaire ainsi qu'insertion urbaine pour les tramways. Pour un projet de train à crémaillère, le « deuxième regard » prévu par la procédure « STPG » apparaît par essence plus pertinent, dans la mesure où la maîtrise des technologies de type ferroviaire est au coeur des compétences exigées des experts chargés de l'exercer. En outre, la délivrance des agréments par domaines plutôt que par types d'installations permet une meilleure adaptation aux projets atypiques ou innovants. L'intervention du « deuxième regard » telle que prévue par la réglementation « RM » n'est pas adaptée aux installations sans câble dont la conception et la réalisation ne sont pas encadrées par une réglementation technique.
Champ de compétence du « deuxième regard »
Nature de l'intervention du « deuxième regard »
Le maître d'oeuvre agréé doit attester que l'installation respecte la réglementation technique en vigueur et a été réalisée conformément au projet. En outre, pour les installations à câbles, il doit produire un rapport de sécurité précisant les mesures prévues pour faire face aux risques identifiés par le maître d'ouvrage.
L'EOQA doit évaluer la conception et la réalisation du système au regard des objectifs de sécurité assignés au système et attester de sa conformité aux référentiels techniques retenus.
Le maître d'oeuvre agréé doit être indépendant du maître d'ouvrage, du constructeur et de l'exploitant. Sa mission ne peut pas comprendre la réalisation Indépendance d'études d'exécution et la du conduite de travaux. Il lui revient « deuxième cependant de diriger les réunions regard » de chantier et les essais probatoires, de réceptionner le génie civil et d'établir le dossier de demande d'autorisation de mise en exploitation.
L'EOQA est indépendant et ne peut pas être placé sous le contrôle du maître d'ouvrage, du maître d'oeuvre, du constructeur ou de l'exploitant du système qu'il évalue. Il ne peut pas établir un rapport ou délivrer une attestation portant sur un système de transport à la conception ou à la réalisation duquel il participe ou il a participé.
Les missions confiées au maître d'oeuvre agréé par la réglementation « RM » ne favorisent pas un « deuxième regard » totalement indépendant de la conduite opérationnelle du projet.
Management de la sécurité
La réglementation « RM » ne fixe aucune exigence explicite en matière de management de la sécurité du projet. Les dossiers de demande Contrairement à la réglementation d'autorisation doivent présenter « RM » , celle relative aux l'organisation pour la qualité et transports guidés prend en compte la sécurité du projet. le management de la sécurité dans la conduite des projets, ce qui est essentiel pour les projets atypiques ou innovants dont la conception et la réalisation ne sont pas, par essence, encadrées par des référentiels techniques. Le règlement de sécurité de l'exploitation approuvé par le préfet doit décrire les modalités de management de la sécurité de l'exploitation du système concerné. Une modification des dispositions réglementaires applicables aux « RM » est prévue afin d'y imposer l'établissement par les exploitants de plans de gestion de la sécurité de l'ensemble de leurs installations.
Management de la sécurité du projet
La réglementation « RM » ne fixe aucune exigence explicite Management en matière de management de de la sécurité la sécurité de l'exploitation d'une de installation. l'exploitation
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BEA-TT - Bureau d'enquêtes sur les accidents de transport terrestre
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