Rapport d'enquête technique sur la chute d'un enfant sous une rame de tramway survenue le 28 avril 2013 à Nantes (44)
Auteur moral
France. Bureau d'enquêtes sur les accidents de transport terrestre
Auteur secondaire
Résumé
Le 28 avril 2013, un enfant de trois ans, qui descendait d'une rame du tramway de Nantes, chute entre le quai et cette rame au moment où elle redémarre sans que son conducteur ne l'aperçoive. L'enfant est décédé. Le BEA-TT recommande à l'exploitant du réseau de tramway de l'agglomération de Nantes de compléter les moyens et les procédures opérationnelles de déclenchement et de traitement des alertes dont il dispose afin de garantir, dès la suspicion d'un accident, un arrêt rapide des rames concernées. Dans ce cadre, il lui conseille, en particulier, d'équiper les stations de ce réseau en dispositifs simples permettant à tout témoin d'un accident d'en prévenir sans délai le poste de contrôle centralisé.<i> </i>Par ailleurs, le BEA-TT invite cet exploitant à poursuivre les démarches qu'il a engagées consécutivement à l'accident considéré afin d'une part, de renforcer la surveillance par les conducteurs des mouvements des voyageurs sur les quais lors des départs de leur rame des stations; d'autre part, de sensibiliser les voyageurs à l'usage du signal d'alarme et l'ensemble du public à la prévention des comportements à risques des personnes non autonomes.
Editeur
BEA-TT
Descripteur Urbamet
accident
;transport terrestre
;tramway
;enquête
;transport de personnes
;passager
Descripteur écoplanete
Thème
Transports
Texte intégral
BEA-TT
Bureau d'enquêtes sur les accidents de transport terrestre
Rapport d'enquête technique sur la chute d'un enfant sous une rame de tramway survenue le 28 avril 2013, station « René Cassin » à Nantes (44) mai 2015
Ministère de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie
www.developpement-durable.gouv.fr
Conseil Général de l'Environnement et du Développement Durable Bureau d'Enquêtes sur les Accidents de Transport Terrestre
Affaire n° BEATT-2013-005
Rapport d'enquête technique sur la chute d'un enfant sous une rame de tramway survenue le 28 avril 2013, station « René Cassin » à Nantes (44)
Bordereau documentaire
Organisme commanditaire : Ministère de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie (MEDDE) Organisme auteur : Bureau d'Enquêtes sur les Accidents de Transport Terrestre (BEA-TT) Titre du document : Rapport d'enquête technique sur la chute d'un enfant sous une rame de tramway survenue le 28 avril 2013, station « René Cassin » à Nantes (44) N°ISRN : EQ-BEAT--15-3--FR Proposition de mots-clés : transport guidé, transport en commun de personnes, accident de personne, station, quai, alerte
Avertissement
L'enquête technique faisant l'objet du présent rapport est réalisée dans le cadre des articles L. 1621-1 à 1622-2 et R. 1621-1 à R. 1621-26 du code des transports relatifs, notamment, aux enquêtes techniques après accident ou incident de transport terrestre. Cette enquête a pour seul objet de prévenir de futurs accidents, en déterminant les circonstances et les causes de l'événement analysé et en établissant les recommandations de sécurité utiles. Elle ne vise pas à déterminer des responsabilités. En conséquence, l'utilisation de ce rapport à d'autres fins que la prévention pourrait conduire à des interprétations erronées.
SOMMAIRE
GLOSSAIRE...................................................................................................................................9 RÉSUMÉ.......................................................................................................................................11 1 - CONSTATS IMMÉDIATS ET ENGAGEMENT DE L'ENQUÊTE...........................................13 1.1 - Les circonstances de l'accident.......................................................................................13 1.2 - L'engagement et l'organisation de l'enquête...................................................................13 2 - CONTEXTE DE L'ACCIDENT................................................................................................15 2.1 - Le réseau de tramway de l'agglomération de Nantes.....................................................15 2.2 - L'exploitation du réseau de tramway nantais...................................................................16 2.3 - La ligne 2 et la station « René Cassin »..........................................................................17 2.4 - Les rames de tramway circulant sur le réseau nantais...................................................20 2.5 - Les accidents similaires...................................................................................................21 3 - COMPTE RENDU DES INVESTIGATIONS EFFECTUÉES..................................................23 3.1 - Les résumés des témoignages........................................................................................23
3.1.1 -Le témoignage du conducteur de la rame n° 324.................................................................................23 3.1.2 -Les témoignages du demi-frère et des demi-soeurs de la victime.........................................................23 3.1.3 -Les autres témoignages....................................................................................................................... 24
3.2 - L'exploitation des enregistreurs.......................................................................................24 3.3 - Les constatations faites sur site après l'accident.............................................................26 3.4 - La qualification des conducteurs......................................................................................27
3.4.1 -Le processus de formation et d'habilitation des conducteurs des tramways........................................27 3.4.2 -La qualification du conducteur de la rame n° 324.................................................................................27
3.5 - Les conditions de conduite sur la ligne 2 du tramway de Nantes...................................28 3.6 - L'arrêt de la rame n° 324 à la station « René Cassin »...................................................30
3.6.1 -Les rames Alstom TFS à la station « René Cassin »............................................................................30 3.6.2 -La surveillance du quai de la voie 1 au moment de l'accident par le conducteur de la rame n° 324....31
3.7 - L'alerte et le signalement de l'accident............................................................................31 3.8 - Le retour d'expérience.....................................................................................................33 4 - DÉROULEMENT DE L'ACCIDENT ET DES SECOURS.......................................................35 5 - ANALYSE DES CAUSES ET FACTEURS ASSOCIÉS, ORIENTATIONS PRÉVENTIVES.37 5.1 - Le schéma des causes et des facteurs associés............................................................37 5.2 - La surveillance des quais par les conducteurs de tramway lors de leurs départs des stations.............................................................................................................................38 5.3 - La sensibilisation des voyageurs et des tiers aux risques liés à la circulation des tramways..........................................................................................................................38 5.4 - Les moyens et les procédures d'alerte en cas de suspicion d'accident..........................39
6 - CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS.........................................................................41 6.1 - Les causes de l'accident..................................................................................................41 6.2 - Les recommandations......................................................................................................41 ANNEXES.....................................................................................................................................43 Annexe 1 : Décision d'ouverture d'enquête.............................................................................45 Annexe 2 : Organigramme de la direction de l'exploitation de la SEMITAN...........................46
Glossaire
CAF : Construcciónes y Auxiliar de Ferrocarriles CEREMA : Centre d'Études et d'Expertise sur les Risques, l'Environnement, la Mobilité et l'Aménagement CUNM : Communauté Urbaine Nantes Métropole LAC : Ligne Aérienne de Contact PCC : Poste de Contrôle Centralisé RSE : Règlement de Sécurité de l'Exploitation SEMITAN : Société d'Économie Mixte des Transports de l'Agglomération Nantaise STRMTG : Service Technique des Remontées Mécaniques et des Transports Guidés TFS : Tramway Français Standard
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Résumé
Le dimanche 28 avril 2013 à 19h36, à la station « René Cassin » de la ligne 2 du réseau de tramway de l'agglomération nantaise en Loire-Atlantique, un enfant âgé de trois ans qui venait de descendre de la rame n° 324 tombe entre le quai et cette rame juste au moment où elle redémarre, sans que son conducteur ne s'en aperçoive. Accroché par ses vêtements à la rame concernée, il est traîné jusqu'au terminus « Orvault Grand Val » de la ligne, deux stations plus loin. Son demi-frère et ses deux demi-soeurs aînés, qui l'accompagnaient, ont tenté de le dégager et d'alerter les voyageurs de la rame qui partait. Ils n'y sont pas parvenus. Ils ont alors arrêté plusieurs automobilistes qui ont suivi cette rame en essayant de la rejoindre. Avertie d'un possible accident à son arrivée à la station « René Cassin », la conductrice d'un tramway qui circulait en sens inverse en a informé le poste de contrôle centralisé. Alerté par ce dernier ainsi que par le premier automobiliste qui l'a rejoint, le conducteur de la rame n° 324 découvre l'enfant décédé dans l'arrière-gare du terminus « Orvault Grand Val », au niveau du dernier bogie de sa rame. Cet accident est la conséquence directe d'un déséquilibre de la jeune victime alors qu'elle courait le long de la rame de tramway après avoir échappé à la garde de ses demi-frère et demi-soeurs et que le conducteur de cette rame qui allait redémarrer, avait cessé de surveiller le quai de la station pour porter son attention devant lui. La confusion qui a ensuite présidé au déclenchement et au traitement de l'alerte n'a pas permis d'arrêter la rame concernée avant qu'elle n'atteigne le terminus de la ligne, trois minutes plus tard. À la lumière de ces éléments, le BEA-TT recommande à l'exploitant du réseau de tramway de l'agglomération de Nantes de compléter les moyens et les procédures opérationnelles de déclenchement et de traitement des alertes dont il dispose afin de garantir, dès la suspicion d'un accident, un arrêt rapide des rames concernées. Dans ce cadre, il lui conseille, en particulier, d'équiper les stations de ce réseau en dispositifs simples permettant à tout témoin d'un accident d'en prévenir sans délai le poste de contrôle centralisé. Par ailleurs, le BEA-TT invite cet exploitant à poursuivre les démarches qu'il a engagées consécutivement à l'accident considéré afin :
d'une part, de renforcer la surveillance par les conducteurs des mouvements des voyageurs sur les quais lors des départs de leur rame des stations ; d'autre part, de sensibiliser les voyageurs à l'usage du signal d'alarme et l'ensemble du public à la prévention des comportements à risques des personnes non autonomes.
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1 - Constats immédiats et engagement de l'enquête
1.1 Les circonstances de l'accident
Le dimanche 28 avril 2013 à 19h36, à la station « René Cassin » de la ligne 2 du réseau de tramway de l'agglomération nantaise en Loire-Atlantique, un enfant âgé de trois ans qui venait de descendre de la rame n° 324 tombe entre le quai et cette rame juste au moment où elle redémarre sur la voie 1, sans que son conducteur ne s'en aperçoive. Accroché par ses vêtements à la rame concernée, il est traîné jusqu'au terminus « Orvault Grand Val » de la ligne, deux stations plus loin. Son demi-frère et ses deux demi-soeurs aînés, qui l'accompagnaient, ont tenté de le dégager et d'alerter les voyageurs de la rame qui partait. Ils n'y sont pas parvenus. Ils ont alors arrêté plusieurs automobilistes qui ont suivi cette rame en essayant de la rejoindre. Avertie d'un possible accident à son arrivée à la station « René Cassin », la conductrice d'un tramway qui circulait en sens inverse, sur la voie 2, en a informé le poste de contrôle centralisé. Alerté par ce dernier ainsi que par le premier automobiliste qui l'a rejoint, le conducteur de la rame n° 324 découvre l'enfant décédé dans l'arrière-gare du terminus « Orvault Grand Val », au niveau du dernier bogie de sa rame. Les services de secours publics et la police arrivent très rapidement sur place. La circulation des tramways est interrompue de 19h55 à 21h44 entre la station « René Cassin » et le terminus « Orvault Grand Val ». Un service de substitution par bus est mis en place.
1.2 -
L'engagement et l'organisation de l'enquête
Compte tenu des circonstances de cet accident, le directeur du bureau d'enquêtes sur les accidents de transport terrestre (BEA-TT) a ouvert le 30 avril 2013 une enquête technique en application des articles L. 1621-1 à L. 1622-2 du code des transports. Les enquêteurs techniques du BEA-TT se sont rendus sur le site de l'accident. Ils ont rencontré les représentants de l'exploitant de la ligne de tramway concernée, de la police judiciaire et du bureau Nord-Ouest du service technique des remontées mécaniques et des transports guidés (STRMTG) en charge du contrôle de la sécurité du réseau de tramway nantais pour le compte du préfet de Loire-Atlantique. Les enquêteurs ont, de plus, auditionné cinq conducteurs de tramways de ce réseau. Ils ont eu communication de l'ensemble des pièces et documents nécessaires à leurs analyses, notamment le rapport réglementaire d'accident notable établi par l'exploitant de la ligne de tramway et le dossier de l'enquête de flagrance réalisée par le commissariat central de police de Nantes.
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2 - Contexte de l'accident
2.1 Le réseau de tramway de l'agglomération de Nantes
Développé à partir de 1985, le réseau de tramway de l'agglomération nantaise comprend trois lignes desservant 88 stations et s'étendant, au total, sur une longueur de 42,9 kilomètres. Outre la ligne 4 de busway1 représentée en orange, la figure 1 ci-après visualise ces trois lignes de tramway, à savoir :
en vert, la ligne 1 longue de 17,3 km qui relie le terminus « François Mitterrand » (A) et la station « Jamet » (B) à l'ouest au terminus « Beaujoire » (C) à l'est. Elle dessert 32 stations à quais latéraux et elle a été empruntée en 2013 par 31 millions de voyageurs ; en rouge, la ligne 2 d'une longueur de 11,7 km qui est jalonnée, entre la station « Gare de Pont Rousseau » (D) au sud et le terminus « Orvault Grand Val » (E) au nord, par 25 stations, dont 4 à quai central. 20 millions de voyageurs y ont transité en 2013 ; en bleu, la ligne 3 qui s'étend entre les terminus « Neustrie » (F) au sud et « Marcel Paul » (G) au nord sur une longueur de 13,9 km. Elle comprend 31 stations, dont 6 à quai central, et 20 millions de voyageurs l'ont empruntée en 2013.
Fig. 1 : Le réseau de tramway de l'agglomération de Nantes
1 Il s'agit de bus articulés de grande capacité circulant majoritairement en site propre et ayant la priorité sur les autres véhicules routiers, tout comme un tramway. 15
L'autorité organisatrice des transports en est la Communauté Urbaine Nantes Métropole (CUNM), établissement public de coopération intercommunale regroupant 24 communes dont la population totale s'élève à 590 000 habitants. Cet établissement est notamment compétent, en lieu et place de ces communes, en matière d'organisation des transports urbains2, de création, d'aménagement et d'entretien de la voirie, de signalisation et de parcs de stationnement. En application du décret n° 2003-425 du 9 mai 2003 relatif à la sécurité des transports publics guidés3, les mises en service successives des différents tronçons des trois lignes de tramway précitées4 ainsi que des matériels roulants utilisés ont été autorisées par le préfet de Loire-Atlantique qui en a également approuvé le règlement de sécurité de l'exploitation (RSE). Le bureau Nord-Ouest du STRMTG est chargé, pour le compte du préfet concerné, du contrôle de la sécurité de ce réseau.
2.2 -
L'exploitation du réseau de tramway nantais
L'exploitation du réseau de tramway considéré est assurée pour le compte de la Communauté Urbaine Nantes Métropole par une société d'économie mixte créée le 1er janvier 1979, la SEMITAN, dont l'actionnaire majeur, au côté de la CUNM, est le groupe TRANSDEV, un des principaux opérateurs privés européens dans le domaine des transports. La SEMITAN dont les missions5 sont définies dans le contrat de délégation de service public qu'elle a signé le 23 décembre 2009 pour une durée de sept ans avec la CUNM, emploie quelque 1600 salariés. Sa direction générale s'appuie, en particulier, sur une mission « sécurité et environnement » indépendante de la direction de l'exploitation. Cette dernière direction dont l'organigramme est joint en annexe 2 au présent rapport, mobilise notamment 602 conducteurs de tramway, dont 195 sont habilités à assurer des services sur la ligne 2. Elle dispose également de 24 régulateurs qui gèrent, sous la direction de deux responsables d'exploitation, la circulation et les mouvements des tramways et des bus depuis un poste de contrôle centralisé (PCC) implanté sur le site de Dalby. Outre le règlement de sécurité de l'exploitation datant d'octobre 2010 qui était en vigueur au moment où l'accident analysé dans le présent rapport s'est produit, une consigne générale d'exploitation du tramway ainsi que des consignes et des documents techniques spécifiques à chacune de ses trois lignes en précisent pour les agents concernés les conditions d'exploitation. De fait, ces lignes sont exploitées en omnibus sous le régime de la circulation à vue. Il revient donc à chaque conducteur de régler la vitesse de sa rame afin de pouvoir la stopper avant tout signal d'arrêt ou tout obstacle susceptibles de se présenter. Les consignes d'exploitation précitées et des signaux fixent les limitations de vitesse devant être respectées sur les différentes sections de ligne en fonction des conditions de circulation, notamment en entrée de station et au niveau des traversées routières ou piétonnières, ainsi qu'en cas de dysfonctionnement du matériel roulant ou d'incident
2 Au sens du chapitre II du titre II de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 d'orientation des transports intérieurs. 3 Il s'agit des articles 24, 27, 28, 29 et 38 du décret considéré. 4 La ligne 1 a été mise en service par tronçons en 1985, 1989, 2000 et 2007, la ligne 2 en 1992, 1993 et 1994 et la ligne 3 en 2004, 2005 et 2007. 5 La SEMITAN est responsable de l'exploitation de l'ensemble des lignes de bus, de busway et de tramway desservant l'agglomération nantaise, ainsi que de la maintenance du matériel roulant et des infrastructures. Elle commercialise les titres de transport, à l'exception des titres gratuits distribués par les communes constituant la CUNM. Elle effectue les études de marché et elle propose, chaque année, à la CUNM les actions de politique commerciale à conduire. La maintenance de la signalisation lumineuse de trafic et des ouvrages d'art est, en revanche, assurée par la CUNM. 16
d'exploitation. La fréquence des rames varie entre trois et huit minutes selon les lignes et les périodes d'exploitation. Les vitesses maximales et moyennes sont par ailleurs :
de 70 km/h et de 21 km/h sur la ligne 1 ; de 50 km/h et de 18 km/h sur les lignes 2 et 3.
La traction des rames est électrique et la captation du courant s'effectue, pour chaque ligne, par le biais de pantographes en contact avec un fil conducteur aérien dit « ligne aérienne de contact (LAC) ». Ces fils conducteurs sont alimentés en courant 750 volts continu à partir de sous-stations « énergie » interconnectées implantées à proximité des trois lignes de tramway considérées. Des sectionneurs permettent de mettre hors tension tout ou partie de ces « lignes aériennes de contact », notamment en cas d'incident. Enfin, le remisage et l'entretien des rames des lignes 1, 2 et 3 sont respectivement effectués dans les dépôts de Dalby, de Trocardière et de Saint-Herblain.
2.3 -
La ligne 2 et la station « René Cassin »
La ligne 2, telle qu'elle est actuellement configurée6, a été mise en service de 1992 à 1994 en quatre phases. L'exploitation de son tronçon reliant la station « Bourgeonnière » au terminus « Orvault Grand Val » a ainsi été autorisée le 26 août 1994 par le préfet de Loire-Atlantique. Cette ligne à double voie7, longue de 11 737 mètres, dessert les communes de Rezé, Nantes et Orvault. Elle est exploitée chaque jour de 4h30 le matin à 0h30 le soir. En heure de pointe, la fréquence des tramways y est d'environ trois minutes et demie. En 2013, elle a été empruntée en moyenne par 86 000 voyageurs par jour. Au cours de l'hiver 2012-2013, quelque 3 240 personnes sont, par ailleurs, en moyenne montées ou descendues quotidiennement à la station « René Cassin ». Cette fréquentation est à comparer à celle de la station « Commerce » qui s'est, quant à elle, élevée à environ 14 000 voyageurs en moyenne au cours de la même période.
Fig. 2 : La ligne 2 du tramway de l'agglomération nantaise 6 En 2007, le tronçon situé au sud de la station « Gare de Pont Rousseau » qui faisait partie de la ligne 2 a été intégré à la ligne 3. 7 La voie 1 dans le sens sud-nord et la voie 2 dans le sens inverse. 17
La partie sud de la ligne considérée, entre les stations « Gare de Pont Rousseau » et « Commerce », est commune avec la ligne 3. Sa partie nord, entre la station « Place du Cirque » et le terminus « Orvault Grand Val », est jalonnée par 17 stations, dont celles de « Saint Félix », de « Bourgeonnière » et de « Boissière » sont dotées d'un quai central. D'une façon générale, les quais des stations s'étendent sur une longueur de 60 m et sont surélevés de 25 cm par rapport au plan de roulement des rails. D'une largeur minimale de 2,90 m, ils sont aménagés de telle manière qu'un passage libre de tout obstacle y soit toujours disponible sur une largeur d'au moins 1,25 m depuis leur bordure. De chaque côté des stations, des rampes d'une longueur de 5 m permettent d'accéder aux quais. De plus, un passage large de 3 m y est aménagé pour permettre aux piétons de traverser les voies. Par ailleurs, chaque quai est équipé :
d'un repère matérialisant la position où la vitre de la cabine de conduite d'une rame doit se trouver pour qu'elle soit correctement arrêtée et que ses portes munies de palettes destinées à faciliter l'accès des personnes à mobilité réduite soient situées aux emplacements appropriés ; d'un miroir de quai implanté de façon que le conducteur d'une rame correctement positionnée puisse surveiller les opérations de desserte de la station depuis sa cabine. Ces miroirs ont été ajoutés peu de temps après la mise en exploitation de la première ligne de ce tramway afin de faciliter cette surveillance qui se faisait initialement à l'aide des seuls rétroviseurs extérieurs des rames Alstom TFS* alors utilisées.
Au niveau de la station « René Cassin », la ligne 2 du tramway nantais s'insère dans l'emprise du boulevard éponyme. Très précisément, la plate-forme qui lui est dédiée, est implantée au milieu de ce boulevard et la station considérée dispose de deux quais latéraux qui présentent une très légère courbure. Celle-ci ne constitue cependant pas une gêne pour la surveillance des voyageurs depuis les cabines de conduite des rames. Ces quais ne sont, en outre, pas équipés de caméras de vidéosurveillance. Par ailleurs, les traversées de la plate-forme du tramway aménagées à chacune des extrémités de la station concernée ne sont pas matérialisées, ni gérées par des signaux lumineux.
Fig. 3 : La ligne 2 entre la station « René Cassin » et le terminus « Orvault Grand Val » * Terme figurant dans le glossaire 18
Fig. 4 : La station « René Cassin »
Fig. 5 : Le repère de position et le miroir du quai implantés voie 1 à la station « René Cassin » 19
2.4 -
Les rames de tramway circulant sur le réseau nantais
Le réseau de tramway nantais est exploité avec trois types de matériel roulant : des rames Alstom TFS qui furent les premières à y être utilisées dès 1985, des rames Adtranz Incentro construites par Bombardier, acquises à partir de 2000, et des rames Urbos 3 du constructeur espagnol CAF* mises en service depuis 2012. Les services de la ligne 2 ne sont assurés qu'avec des rames Alstom TFS. Des rames de ce type circulent également sur les deux autres lignes. Au total, la SEMITAN dispose de 46 rames Alstom TFS, de 33 rames Bombardier utilisées sur les lignes 1 et 3 et de 12 rames CAF qui ne sont exploitées que sur la ligne 1. Chaque rame bidirectionnelle Alstom TFS est constituée de deux motrices et d'une remorque intermédiaire. Elle repose sur quatre bogies de deux essieux, à savoir un bogie avant moteur, deux bogies médians porteurs et un bogie arrière moteur. Sa longueur est de 39,15 mètres, sa masse à vide de 52 tonnes et sa charge maximale de 68 tonnes. Elle peut accueillir, en charge normale, 236 personnes dont 74 assises, et en charge maximale, 317 personnes. Sa vitesse maximale est de 70 km/h. Chacune de ces rames Alstom TFS dispose de seize portes qui sont référencées ainsi que l'indique la figure 6 ci-après.
Fig. 6 : Une rame Alstom TFS
*
Terme figurant dans le glossaire 20
Les quatre portes d'extrémité ne sont dotées que d'un seul vantail tandis que les douze autres en présentent deux. Les quatre portes de la remorque intermédiaire sont équipées de seuils mobiles qui se déploient et se replient automatiquement, notamment pour y faciliter l'accès des personnes à mobilité réduite. Le poste de conduite est doté de dispositifs activant les commandes d'ouverture et de fermeture des portes, annonçant leur fermeture et détectant toute entrave à cette fermeture. Il dispose également d'un rétroviseur extérieur qui se déplie lorsque les portes sont déverrouillées et qui se replie automatiquement dès que la vitesse de la rame excède 3 km/h. Il peut être également déployé à tout moment par le conducteur en fonction de ses besoins.
2.5 -
Les accidents similaires
Les chutes de voyageurs depuis le quai d'une station de tramway ou leurs entraînements par une rame demeurent des événements rares. Si l'on se réfère aux rapports que le service technique des remontées mécaniques et des transports guidés établit chaque année sur l'accidentologie du transport par tramway, au cours des cinq années comprises entre 2008 et 2012, de tels événements n'ont concerné, sur l'ensemble des réseaux desservant des agglomérations françaises, que 3 % de leurs quelque 2 900 voyageurs victimes d'un accident lors de leur déplacement par ce mode de transport, pour un nombre total de 2 970 millions de passagers transportés. Par ailleurs, en dehors de la chute analysée dans le présent rapport, il a été enregistré sur le réseau de tramway nantais, lors de ces dix dernières années, un autre accident de même type particulièrement dramatique. Il s'est produit le 7 juillet 2005, à la station « René Cassin », où un jeune homme, qui s'était accroché à une rame en montant sur son cache-bogie, en est tombé. Cette chute lui a coûté la vie. Consécutivement à cet accident, l'exploitant a sensibilisé les voyageurs aux risques que présentait un tel comportement et a apposé sur les interconnexions des rames des affiches portant la mention « Danger : ne pas s'accrocher au tramway ».
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3 - Compte rendu des investigations effectuées
3.1 Les résumés des témoignages
Les résumés présentés ci-dessous sont établis par les enquêteurs techniques sur la base des déclarations orales ou écrites dont ils ont eu connaissance. Ils ne retiennent que les éléments ayant paru utiles pour éclairer la compréhension et l'analyse des événements et pour formuler des recommandations. Il peut exister des divergences entre les différentes déclarations recueillies ou entre ces déclarations et des constats ou analyses présentés par ailleurs.
3.1.1 - Le témoignage du conducteur de la rame n° 324
Le conducteur de la rame n° 324 qui circulait sur la voie 1 en direction du terminus « Orvault Grand Val », déclare :
qu'il surveille systématiquement les voyageurs présents sur les quais des stations lorsqu'il verrouille les portes de sa rame pour en repartir mais que dès qu'il démarre, il doit regarder devant lui et que, de plus, le miroir de quai et le rétroviseur extérieur de sa rame qui se referme automatiquement deviennent rapidement inopérants ; que lors de son arrêt à la station « René Cassin », il a observé que quelques voyageurs descendaient de sa rame mais qu'il n'a rien noté de particulier ; qu'il ne se souvient pas s'il a alors eu recours au rétroviseur extérieur ou au miroir de quai, ni si sa rame était correctement positionnée ; que rien ne l'a alerté après son départ de cette station et lors des arrêts qu'il a effectués à la station « Le Cardo » et au droit des quais du terminus « Orvault Grand Val » ; qu'il a ensuite conduit sa rame dans l'arrière-gare de ce terminus pour changer de voie ; qu'il a indiqué au régulateur du poste de contrôle centralisé qui l'avait contacté qu'il n'avait pas heurté d'enfant et qu'il a alors rejoint par le couloir central de sa rame la cabine de conduite située à son autre extrémité afin de repartir en direction du terminus « Gare de Pont Rousseau » ; que, juste au moment où il atteignait cette cabine, un automobiliste l'a alerté d'un possible accident, qu'il est alors sorti de sa rame et qu'il a découvert le corps de la victime au niveau du bogie moteur de la motrice M1. Il a immédiatement prévenu le poste de contrôle centralisé.
3.1.2 - Les témoignages du demi-frère et des demi-soeurs de la victime
La victime était accompagnée de son demi-frère âgé de 9 ans et de ses deux demi-soeurs de 12 et 13 ans. Compte tenu d'obligations familiales, ils la reconduisaient à leur domicile avant le retour de leur mère. Ces trois jeunes gens ainsi que leur petit frère avaient l'habitude d'emprunter la ligne 2 du tramway nantais entre les stations « Santos Dumont » et « René Cassin ». Leurs témoignages concordent. Il en ressort :
qu'après être descendus à la station « René Cassin », ils se sont dirigés vers l'arrière de la rame n° 324 et que la victime, qui donnait la main à son demi-frère, marchait sur le quai le long de cette rame à l'arrêt ;
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qu'après avoir lâché la main de son demi-frère et s'être mise à courir, la jeune victime a glissé et est tombée entre le quai et la rame dont les portes venaient de se fermer. Elle n'a pas eu le temps de se relever et elle a été entraînée par la rame qui démarrait ; que ses demi-frère et soeurs n'ont pas pu la retenir et qu'ils ont crié et frappé sur les vitres de la rame qui partait, afin de donner l'alarme. Ils ont couru après cette rame, ont arrêté des véhicules pour la suivre et l'ont rattrapée au terminus de la ligne.
3.1.3 - Les autres témoignages
Deux jeunes filles descendues à la station « René Cassin » et qui étaient auparavant assises à côté d'eux dans la rame n° 324, confirment les témoignages des demi-frère et soeurs de la victime. Des voyageurs restés à bord de cette rame ont, en outre, entendu des cris et ont vu ces jeunes gens courir derrière la rame. Ils se sont levés pour les observer mais ils ont pensé qu'ils chahutaient. L'automobiliste qui a alerté le conducteur de la rame n° 324 au droit du terminus « Orvault Grand Val » déclare qu'alors qu'il se trouvait à proximité de la station « René Cassin », deux enfants affolés lui ont fait comprendre que leur petit frère avait été emporté par la rame de tramway qui s'éloignait. Il l'a alors suivie jusqu'au terminus de la ligne où il a découvert la victime au niveau de son bogie moteur arrière. Il en a prévenu le conducteur. La conductrice de la rame de tramway qui circulait en sens inverse de celle référencée n° 324 indique qu'elle l'a croisée entre les stations « Le Cardo » et « René Cassin » et qu'à son arrivée à cette station une personne l'a informée que cette dernière rame venait de heurter un enfant. Elle a alerté le poste de contrôle centralisé du réseau, puis est descendue de sa cabine pour se rendre sur le quai de la voie 1. Elle a trouvé une capuche sur cette voie. Des personnes lui ont indiqué qu'un enfant devait être traîné sous la rame qui venait de partir en direction du terminus « Orvault Grand Val » mais qu'ils n'avaient pas assisté à l'accident. Elle en a de nouveau informé le poste de contrôle centralisé avant de reprendre sa marche.
3.2 -
L'exploitation des enregistreurs
Le dispositif de la rame n° 324 enregistrant certains paramètres de son exploitation, notamment sa vitesse et la distance qu'elle a parcourue, a permis de disposer d'informations sur sa marche entre la station « Santos Dumont » où sont montés les enfants concernés et le terminus « Orvault Grand Val ». Elles montrent :
que cette rame a stationné treize secondes à la station « René Cassin » à 19h36, deux minutes trente après avoir quitté la station « Santos Dumont » au cours desquelles elle a parcouru 998 mètres et s'est arrêtée seize secondes à la station « Chêne des Anglais » ; qu'elle est arrivée au terminus « Orvault Grand Val » trois minutes après être partie de la station « René Cassin » pendant lesquelles elle a parcouru 1334 mètres et s'est arrêtée quinze secondes à la station « Le Cardo » ; que sur ce tronçon, sa vitesse a atteint ponctuellement 47,5 km/h pour une vitesse maximale autorisée de 50 km/h ; qu'elle a atteint l'arrière-gare du terminus de la ligne, 109 m plus loin, trois minutes quarante-trois secondes après son départ de la station « René Cassin ».
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Les caméras fixes dont la rame considérée est dotée en filment l'intérieur. Il ressort de l'exploitation des enregistrements correspondants :
que les quatre jeunes gens concernés sont montés dans cette rame à la station « Santos Dumont » et se sont assis au niveau de sa remorque intermédiaire. Ils étaient calmes ; qu'ils en sont descendus à la station « René Cassin » en empruntant les deux portes équipées de seuils mobiles. Les deux jeunes filles sont sorties par la porte 33 et les deux jeunes garçons par celle référencée 31 ; qu'immédiatement après le départ de la rame de la station précitée, deux voyageurs qui y étaient assis dans la dernière voiture se sont levés pour regarder vers l'arrière avant de se rasseoir ; que dans l'arrière-gare du terminus « Orvault Grand Val », le conducteur de la rame considérée l'a traversée pour rejoindre le poste de conduite de la motrice M1. Il paraît calme jusqu'à l'arrivée d'un automobiliste qui le rejoint dans la rame.
Les caméras fixes installées sur les quais de la station « Le Cardo » et du terminus « Orvault Grand Val » montrent par ailleurs :
que plusieurs voyageurs ont quitté la rame n° 324 à la station « Le Cardo » sans rien remarquer d'anormal. Trois jeunes hommes sur le quai semblent cependant porter attention à cette rame lorsqu'elle s'éloigne ; qu'un seul voyageur en est descendu au terminus « Orvault Grand Val » également sans rien noter d'anormal. Une automobile suivie d'un scooter sont arrivés peu après à ce terminus.
Les communications échangées par radio entre le poste de contrôle centralisé et les conducteurs de la rame n° 324 et de celle qui l'a croisée juste après son départ de la station « René Cassin » ont également été enregistrées. Elles mettent notamment en évidence :
que l'alerte a été donnée au poste de contrôle centralisé par la conductrice de cette dernière rame qui venait d'arriver à la station « René Cassin », par le biais de deux appels d'une trentaine de secondes chacun. Les échanges ont alors essentiellement porté sur la qualité du témoin qui avait avisé cette conductrice de l'accident afin de lever, sans succès, les incertitudes qui pesaient sur sa nature et ses circonstances ; que le poste de contrôle centralisé a ensuite immédiatement contacté le conducteur de la rame n° 324 pour lui demander s'il avait heurté un enfant au niveau de la station « Le Cardo ». Ce dernier, qui rejoignait alors l'arrière-gare du terminus « Orvault Grand Val », a répondu qu'il n'avait pas eu d'accident. Le régulateur lui a indiqué qu'il poursuivait son enquête ; que plus d'une minute après, la conductrice du tramway croiseur, qui venait de sa propre initiative de poursuivre des investigations dans la station « René Cassin », a rappelé le poste de contrôle centralisé pour lui confirmer que l'accident semblait grave ; que juste après, le conducteur de la rame n° 324 a avisé le poste de contrôle centralisé qu'il venait de découvrir sous sa rame un enfant décédé ; qu'environ sept minutes plus tard, le poste de contrôle centralisé a fait un appel général à toutes les rames de tramway de la ligne 2 leur demandant d'évacuer tous leurs voyageurs.
25
3.3 -
Les constatations faites sur site après l'accident
La rame n° 324 circulait en direction du terminus « Orvault Grand Val » avec sa motrice M2 à l'avant. La victime a été retrouvée au niveau du bogie moteur de sa motrice M1, entre les portes 13 et 11. Cette rame se trouvait alors sur la voie de rebroussement de l'arrière-gare du terminus précité. Les constatations effectuées sur le site de la station « René Cassin » indiquent que la victime a été traînée par la rame n° 324 depuis un point situé, par rapport au sens de sa marche, 2,40 mètres en amont de l'abri de quai de la voie 1. Elle est donc tombée du quai au niveau de la motrice M1 de cette rame, entre son bogie médian porteur et son bogie arrière moteur.
Fig. 7 : La rame n° 324 arrêtée le long du quai de la voie 1 de la station « René Cassin »
26
3.4 -
La qualification des conducteurs
3.4.1 - Le processus de formation et d'habilitation des conducteurs des tramways Le chapitre 7 du règlement de sécurité de l'exploitation des lignes de tramway de l'agglomération de Nantes définit les modalités de formation des personnels qui assurent leur exploitation. Ce règlement prescrit, en particulier, que l'exercice des fonctions de conducteur et de régulateur est subordonné à la détention d'une habilitation à la conduite de tramway avec voyageurs8 délivrée par l'exploitant qui peut, par ailleurs, la retirer en cas de non-observation des consignes engageant la sécurité des biens ou des personnes. Cette habilitation est établie, ligne par ligne, après que l'agent concerné a suivi une formation initiale sanctionnée par un examen théorique et pratique. Cette formation comprend un volet théorique concernant l'ensemble du réseau et un volet, notamment pratique, spécifique à chaque ligne. L'habilitation à la conduite sur de nouvelles lignes repose ensuite sur des modules de formation complémentaires. Ainsi, les conducteurs habilités à la conduite avec voyageurs sur la ligne 2 ont suivi avec succès, soit la formation dénommée « habilitation ligne 2 », soit la formation appelée « module ligne 2 » s'ils étaient déjà habilités à assurer des services voyageurs sur la ligne 1 ou sur la ligne 3. Le suivi des compétences et la détection des besoins de perfectionnements ou de formations complémentaires des conducteurs d'une ligne donnée sont assurés par le responsable de cette ligne, sur la base, notamment, d'un suivi régulier de leurs pratiques de la conduite en ligne, de leur comportement et de l'accidentologie. Des perfectionnements d'une durée d'une journée sont ainsi réalisés selon une périodicité de 12 à 18 mois. Concernant plus spécifiquement les arrêts en station, les conducteurs sont formés aux principes théoriques fixés par les consignes d'exploitation qui disposent, en particulier, qu'« ils doivent surveiller le mouvement des voyageurs et, lorsque celui-ci est terminé, reverrouiller les portes ». L'apprentissage des bonnes méthodes de cette surveillance, à l'aide, soit des rétroviseurs extérieurs, soit des miroirs de quai, relève de leur formation pratique et, surtout, de l'expérience de la conduite.
3.4.2 - La qualification du conducteur de la rame n° 324
Le conducteur concerné est un homme âgé de 39 ans qui est habilité depuis le 31 mars 2006 par la SEMITAN à assurer la conduite de rames de tramway sur la ligne 2 du réseau de l'agglomération nantaise. Depuis la date précitée, il a participé à sept actions de formation continue9 et il a été impliqué dans deux collisions, survenues les 22 mai 2007 et 27 août 2008, avec des véhicules routiers qui ont forcé le passage. Le jour de l'accident, le 28 avril 2013, il a pris son service à 17h07 à la station « Pirmil » et il devait l'achever le 29 avril à 1h04 au dépôt de « Trocadière ». Après un premier trajet aller-retour, il a bénéficié d'une pause de quinze minutes à la station « Pirmil ». Il en est reparti à 18h52 dans la motrice M2 de la rame n° 324 en direction du terminus « Orvault Grand Val ». Il n'a noté aucun événement particulier lors de ce trajet et il circulait avec un retard d'environ deux minutes quand il est arrivé à la station « René Cassin » vers 19h36 après deux heures quinze minutes de conduite.
8 Il existe également une habilitation à la conduite sans voyageurs spécifique à chacune des trois lignes de tramway avec une formation adaptée à cet effet. 9 La dernière action de formation à laquelle il a participé date du 5 février 2013. 27
Les dépistages de l'alcoolémie et de la consommation de stupéfiants auxquels il a été soumis juste après l'accident se sont révélés négatifs.
3.5 -
Les conditions de conduite sur la ligne 2 du tramway de Nantes
Il revient à tout conducteur :
d'une part, de respecter la vitesse maximale autorisée sur la ligne concernée, les limitations de vitesse prescrites par les signaux implantés le long de la voie empruntée et par les consignes d'exploitation ainsi que les ordres donnés par le poste de contrôle centralisé ou la police ; d'autre part, d'adapter la vitesse de sa rame, en faisant preuve d'anticipation, afin de pouvoir l'arrêter avant tout signal d'arrêt ou tout obstacle. Il doit, à cet effet, tout particulièrement concentrer son attention sur la voie, les signaux, les feux de circulation ainsi que sur les mouvements des véhicules routiers et des piétons.
Il dispose d'un avertisseur sonore, dénommé « gong », pour prévenir les personnes, piétons et automobilistes, de tout danger immédiat et pour signaler l'arrivée et le départ de sa rame des stations. Il peut, si besoin est, commander un freinage d'urgence 10. Il ne doit, cependant, accomplir une telle action qu'en cas d'extrême urgence car elle produit une très forte décélération qui peut provoquer des chutes de voyageurs et occasionner des détériorations aux roues du tramway. L'arrêt dans les stations est obligatoire. À leur entrée, la vitesse de la rame ne doit pas excéder 35 km/h. Par ailleurs, le conducteur doit attendre un arrêt complet avant d'en déverrouiller les portes du côté du quai. Après avoir surveillé les mouvements des voyageurs, il actionne le bouton de fermeture-verrouillage de ces portes. Si des voyageurs bloquent leur fermeture en restant sur les marches ou devant les cellules, il fait une annonce par sonorisation. Après le verrouillage des portes et le retrait des seuils mobiles, le voyant « portes ouvertes » s'éteint sur son pupitre de conduite. Il fait alors usage du « gong » et démarre. Il lui est alors interdit, sans autorisation du poste de contrôle centralisé, d'effectuer un nouvel arrêt pour laisser monter ou descendre des voyageurs. Afin d'apprécier les conditions de conduite sur la ligne 2 du réseau de tramway nantais, les enquêteurs du BEA-TT ont auditionné cinq conducteurs, ayant des expériences et des anciennetés variables, qui étaient habilités à y assurer des services avec voyageurs. Il en ressort :
qu'ils avaient tous exercés comme conducteur de bus avant de suivre une formation à la conduite du tramway et d'obtenir leur habilitation en ce domaine ; que la conduite des tramways, bien que plus intéressante techniquement, est plus stressante que celle des bus du fait qu'ils ne disposent que de peu de latitude pour éviter un véhicule routier ou une personne ; que les conditions de conduite sur la ligne 2 sont plus faciles que sur la ligne 1 où l'affluence est plus forte et les temps de parcours prévus sont plus difficiles à tenir 11. En particulier, compte tenu de sa fréquentation et de son environnement, la conduite sur la partie de la ligne 2 située au nord de la station « Michelet-Sciences » est jugée facile. Le risque est alors plutôt de manquer de vigilance ; qu'ils connaissent les zones à risques et qu'ils ont l'expérience des comportements inconsidérés des véhicules et des personnes ;
10 Le freinage d'urgence déclenche le fonctionnement simultané, jusqu'à l'arrêt complet de la rame, des sablières et des trois systèmes de freinage, électrique, mécanique et électromagnétique. 11 Le respect de l'horaire prévu n'est toutefois pas considéré par les conducteurs comme essentiel et cet objectif ne fait pas peser sur eux une pression particulière. 28
que leurs principales inquiétudes concernent les arrivées dans certaines stations très fréquentées. Ils appréhendent ainsi la desserte de la station « Michelet-Sciences » de la ligne 2 où de nombreux jeunes gens ont un comportement peu raisonnable ; qu'avec l'habitude, les gestes « métier » répétitifs deviennent inconscients, notamment à l'arrivée et au départ des stations ; qu'ils observent systématiquement les mouvements des voyageurs sur les quais avant de démarrer, en faisant usage indifféremment du rétroviseur extérieur rétractable de leur rame ou du miroir de quai ; que cette surveillance des quais est surtout délicate par mauvais temps et que les rétroviseurs extérieurs des rames sont souvent mal nettoyés car ils sont rétractés quand elles passent en station de lavage ; qu'à l'arrivée en station ils peuvent parfois12 s'arrêter au-delà du repère de position matérialisé sur le quai. Ils surveillent alors les mouvements des voyageurs s'y trouvant à l'aide du rétroviseur extérieur de leur rame ; qu'après avoir démarré, ils concentrent leur attention sur leur conduite. Ils ne regardent plus en arrière même si les rétroviseurs extérieurs des rames peuvent, si nécessaire, être redéployés après leur repli automatique.
1 - La station « Commerce »
2 - La station « Michelet-Sciences »
Fig. 8 : Vues de deux stations à forte affluence de la ligne 2
1 - Le pupitre de commande
2 - Le rétroviseur intérieur
Fig. 9 : La cabine de conduite d'une rame de tramway Alstom TFS 12 Les conducteurs évaluent à environ 2 % le taux de mauvais positionnement de leur rame lors de leurs arrêts en station. 29
3.6 -
L'arrêt de la rame n° 324 à la station « René Cassin »
3.6.1 - Les rames Alstom TFS à la station « René Cassin »
Les quelques règles de l'art concernant l'aménagement des quais des stations de tramway sont explicitées dans le guide du CEREMA * intitulé « Aménagements de voirie pour les transports collectifs » qui préconise notamment :
que les quais latéraux doivent présenter une largeur minimale de trois mètres ; que leur surface utile, en dehors de la bande de sécurité de 50 centimètres longeant leur bordure, doit être calculée sur la base d'une densité de l'ordre de 1,5 voyageur/m2 ; que leurs espaces de circulation devant les abris et les équipements doivent tenir compte des différentes catégories d'usagers, et en particulier des personnes en fauteuil roulant.
Le quai de la voie 1 de la station « René Cassin » satisfait globalement à ces règles de l'art. À l'endroit où la victime est tombée, il présente une largeur libre de tout obstacle avoisinant deux mètres. Ses dimensions ont, en tout état de cause, d'autant moins joué un rôle dans l'accident considéré qu'il s'est produit à un moment où il était peu fréquenté. De plus, ce quai surplombe le plan de roulement des rails de 25 cm et la jeune victime y a glissé à un endroit où la lacune entre sa bordure et la rame s'élève à 13 cm. De fait, il n'existe aucune norme fixant la lacune maximale admissible entre un quai et une rame de tramway, sauf au niveau des portes pour des considérations d'accessibilité. Une telle lacune est d'ailleurs plus importante lorsque le quai est en courbe ou au niveau des intervoitures d'une rame. Il convient également de noter qu'à hauteur de quai, la largeur d'une rame Alstom TFS est très comparable à celle d'une rame Bombardier. De même, aucune norme n'encadre les caractéristiques que doivent présenter tant les rétroviseurs extérieurs des rames de tramway que les miroirs de quai destinés à leurs conducteurs. Seul le guide du STRMTG intitulé « Ergonomie des postes de conduite de tramway » recommande que la rétrovision permette de visualiser un cylindre de 300 mm de diamètre et de 1 100 mm de hauteur centré sur l'axe de chaque porte et positionné au droit du quai. À cet égard, ainsi que le montre la figure 10 ci-après, les enquêteurs du BEA-TT ont pu constater que lorsqu'une rame Alstom TFS est correctement positionnée au droit du quai de la voie 1 de la station « René Cassin », tant son rétroviseur extérieur que le miroir de quai permettent à son conducteur de voir les personnes cheminant le long de sa remorque ou de sa motrice arrière.
*
Terme figurant dans le glossaire 30
1 - Vue depuis le rétroviseur extérieur
2 - Vue depuis le miroir de quai
Fig. 10 : La visibilité des voyageurs sur le quai de la voie 1 de la station « René Cassin » depuis la cabine de conduite d'une rame Alstom TFS à l'arrêt
3.6.2 - La surveillance du quai de la voie 1 au moment de l'accident par le conducteur de la rame n° 324
Il ressort des différents témoignages recueillis et des diverses constatations faites sur le site :
que le conducteur de la rame n° 324 a sans doute vu machinalement les quatre enfants concernés descendre à la station « René Cassin » et s'éloigner sur le quai le long de sa rame arrêtée sur la voie 1 lorsqu'il a actionné le bouton de fermeture-verrouillage de ses portes et fait usage du « gong » ; qu'il n'a pas particulièrement prêté attention au fait que le plus jeune de ces enfants marchait le long de sa rame, certainement parce qu'il a l'habitude d'observer des situations plus inquiétantes dans les stations à forte affluence de la ligne ; qu'après la fermeture des portes de sa rame, il a démarré en concentrant son attention sur la voie devant lui et qu'après un déplacement d'environ un mètre, il ne pouvait plus faire usage ni de son rétroviseur extérieur, ni du miroir de quai ; qu'il pouvait d'autant moins se douter que la victime était traînée par sa rame qu'il n'a rien perçu d'anormal dans son rétroviseur intérieur et que les voyageurs à bord n'ont pas actionné le signal d'alarme qui lui aurait imposé de s'arrêter immédiatement.
3.7 -
L'alerte et le signalement de l'accident
Aucune obligation réglementaire n'impose aux exploitants de tramway d'équiper leurs stations en dispositifs de vidéosurveillance permettant de visualiser les quais depuis leur poste de contrôle centralisé ou en bornes d'appel d'urgence permettant au public d'entrer en contact avec ce poste. De fait, la station « René Cassin » ne dispose ainsi, ni de caméras13, ni de bornes d'appel d'urgence, ni même d'indication d'un numéro de téléphone à contacter en cas d'urgence. Les voyageurs à bord de la rame n° 324 n'ayant pas remarqué la chute de la jeune victime et tiré le signal d'alarme, l'accident ne pouvait alors être signalé que par les
13 Contrairement à la station « Le Cardo » et au terminus « Orvault Grand Val » qui sont équipés de caméras de vidéosurveillance, celles-ci étant installées par la SEMITAN au regard des enjeux d'exploitation ou de sûreté. 31
personnes présentes dans la station concernée en alertant les services publics de secours ou en arrêtant un autre tramway. La conductrice de la rame qui est arrivée par la voie 2 à la station « René Cassin » un peu après le départ de la rame n° 324 a ainsi été le premier agent de la SEMITAN informé de l'accident. Elle a immédiatement alerté le poste de contrôle centralisé. En effet, en application du règlement de sécurité de l'exploitation du réseau de tramway nantais, tout conducteur est tenu de signaler immédiatement tout accident à ce poste avec lequel il est en lien permanent par radio14. Il peut le joindre, soit en appuyant sur la touche « phonie » située sur le tableau de bord de sa rame, soit en actionnant une pédale d'urgence qui permet un appel plus discret. Il doit alors préciser la référence de son tramway, la ligne, la voie et le lieu concernés et donner des informations précises permettant au régulateur du poste de contrôle centralisé d'analyser rapidement la situation et d'agir en conséquence. Ce dernier peut communiquer à tout moment, soit par un appel sélectif avec une seule rame, soit par un appel de ligne avec toutes les rames en circulation sur une même ligne, soit par un appel général avec toutes les rames de tramway. Dans le cas présent, il ressort des différents témoignages recueillis et de l'exploitation des enregistrements :
que le tramway croiseur qui circulait sur la voie 2 en amont de la station « René Cassin » y est arrivé environ une minute après que la rame n° 324 l'a quittée ; qu'après avoir été prévenue par un témoin, la conductrice de ce tramway a immédiatement avisé par radio le poste de contrôle centralisé que la rame n° 324 aurait heurté un enfant. Lors des deux communications consécutives d'une durée de trentaine de secondes chacune, le régulateur a essentiellement cherché à évaluer la fiabilité du témoignage, sans prendre de mesures d'urgence immédiates ; qu'un peu plus de trois minutes après la chute de la jeune victime, le poste de contrôle centralisé a contacté le conducteur de la rame n° 324 qui rejoignait alors l'arrière-gare du terminus « Orvault Grand Val » pour lui demander s'il avait eu un accident. Ce dernier n'ayant rien remarqué d'anormal a répondu négativement et a poursuivi son service. Le régulateur ne lui a pas demandé de vérifier sa rame ; qu'un peu plus de quatre minutes après l'accident, la conductrice du tramway croiseur, qui venait de sa propre initiative de poursuivre des investigations dans la station « René Cassin », a rappelé le poste de contrôle centralisé pour lui confirmer que l'accident semblait grave ; que juste après, le conducteur de la rame n° 324 a avisé ce poste qu'il venait de découvrir, sous sa rame, un enfant décédé.
Ainsi, en l'absence de procédures opérationnelles précises et formalisées, le poste de contrôle centralisé a d'abord cherché à s'assurer de l'exactitude de l'alerte avant de prendre des mesures d'urgence. En particulier, il n'a pas fait stopper immédiatement la rame n° 324 dès la suspicion d'accident. Enfin, conformément à l'article 39 du décret n° 2003-425 du 9 mai 2003 relatif à la sécurité des transports publics guidés, la SEMITAN a informé sans délai les services de l'État, puis a élaboré et transmis au préfet de Loire-Atlantique et au président de la CUNM, dans le délai de deux mois, un rapport d'événement notable.
14 Les communications sont limitées à trente secondes. Le poste de contrôle centralisé déclenche le remplacement de toute rame dont la radio est défaillante. De plus, en cas de dysfonctionnement, le conducteur dispose également d'une radio portable. 32
3.8 -
Le retour d'expérience
De longue date, l'exploitant du réseau de tramway de l'agglomération de Nantes, la SEMITAN, conduit des actions de sensibilisation du public, voyageurs et usagers de la voirie, aux risques liés à la circulation et à l'usage du tramway. Ainsi depuis septembre 2012, cet exploitant intervient régulièrement au sein des établissements scolaires, à son initiative ou à la demande des responsables de ces établissements, afin de familiariser les élèves, des classes de CM1 à celles de terminale, aux consignes de sécurité à bord et aux abords des tramways. De telles interventions ont, en particulier, été réalisées dans 228 classes au cours de l'année scolaire 2013-2014. Elles ont concerné quelque 6 150 élèves contre 3 600 répartis dans 144 classes lors de l'année précédente. La prévention des risques liés aux mouvements des rames entrant et sortant des stations y a été abordée. Dans le même esprit, depuis 2007, la SEMITAN organise pratiquement tous les ans une campagne de communication à l'attention de tous les publics sur les bons comportements à développer dans les zones où des tramways circulent. De formats variés, ces campagnes durent, selon les années, d'un à plusieurs jours. Elles portent essentiellement sur les risques de chute en cas de freinage d'urgence, le respect de la signalisation, l'attention à porter au « gong » et sur les dangers que présentent le port d'écouteurs et l'utilisation des téléphones portables. Ainsi, la campagne conduite en la matière en 2014 s'est étalée d'octobre à février derniers et a, notamment, comporté la distribution de 15 000 dépliants, le déploiement de quelque 1 200 affiches ainsi que l'organisation d'un jeu en ligne. Tirant les enseignements de l'accident survenu le 28 avril 2013, cet exploitant a annoncé dans le rapport d'événement notable qu'il a adressé au préfet de Loire-Atlantique en juin de cette même année, qu'il élargirait ses actions de sensibilisation d'une part, à l'usage du signal d'alarme et d'autre part, à la prévention des comportements à risques des personnes non autonomes. De fait, la campagne de communication réalisée en octobre 2013 a comporté des messages portant sur la bonne utilisation du signal d'alarme ainsi que sur la surveillance des enfants. En revanche, il n'apparaît pas que la campagne de l'année 2014 ait abordé ces aspects. Par ailleurs, dans ce même rapport d'événement notable, la SEMITAN a prévu de mener une réflexion sur l'utilisation des rétroviseurs extérieurs des rames Alstom TFS par ses conducteurs lors des départs des stations. Dans ce cadre, elle a notamment modifié ses consignes d'exploitation afin d'y stipuler explicitement que « le contrôle strict des échanges passagers à l'aide des rétroviseurs, caméras de rétrovision et miroirs de quai, est indispensable pour la sécurité des voyageurs ». Les actions qu'implique la mise en oeuvre de cette consigne devraient, tout naturellement, compléter la démarche, dite « Écho », de renforcement des capacités d'anticipation des situations accidentogènes par ses conducteurs que la SEMITAN a engagée afin de répondre aux objectifs de sécurité que lui assigne le contrat de délégation de service public qu'elle a conclu en décembre 2009 avec la communauté urbaine Nantes Métropole. En revanche, l'exploitant n'a tiré aucun retour d'expérience des conditions dans lesquelles l'alerte a été déclenchée et traitée lors de l'accident considéré alors que la jeune victime a été traînée par une rame sur près de 1,5 kilomètre et qu'il s'est écoulé plus de quatre minutes entre le moment où elle est tombée du quai et celui où elle a été retrouvée au droit d'un bogie de cette rame.
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4 - Déroulement de l'accident et des secours
Le dimanche 28 avril 2013, à 18h52 à Nantes, le conducteur de la rame de tramway n° 324 quitte la station « Pirmil » de la ligne 2 en direction de son terminus « Orvault Grand Val ». Il a pris son service à 17h07 à cette même station et, après un premier trajet aller-retour, il y a bénéficié d'une pause de quinze minutes. À 19h33, cette rame constituée de deux motrices et d'une remorque intermédiaire atteint la station « Santos Dumont » avec un retard d'environ deux minutes. La jeune victime, âgée de 3 ans, y monte en compagnie de son demi-frère et de ses deux demi-soeurs respectivement âgés de 9, 12 et 13 ans. Ils s'assoient tous les quatre dans la remorque intermédiaire et discutent calmement. Ils ont l'habitude de se déplacer en tramway. À 19h36, deux minutes trente après avoir quitté la station « Santos Dumont », la rame arrive à la station « René Cassin » où elle stationne treize secondes. Les quatre enfants en descendent par les deux portes de la remorque intermédiaire qui sont, chacune, équipées d'un seuil mobile. Les conditions de visibilité sont bonnes et le conducteur de la rame concernée observe machinalement, à l'aide du miroir de quai et du rétroviseur extérieur de sa motrice, les rares voyageurs présents sur le quai, notamment les quatre enfants qui s'éloignent en direction de la queue de sa rame. La victime marche au bord du quai en donnant la main à son demi-frère. Ils n'ont pas un comportement susceptible d'éveiller l'attention de ce conducteur qui actionne le bouton de fermetureverrouillage des portes et fait usage du « gong » pour prévenir les voyageurs du départ. La victime lâche subitement la main de son demi-frère et se met à courir. Elle glisse et tombe alors du quai entre les deux bogies de la motrice arrière de la rame n° 324 dont les portes sont déjà refermées. Elle n'arrive pas à se relever et ses vêtements sont accrochés par la rame qui démarre. Elle est entraînée sans que ses demi-frère et soeurs puissent la retenir. Ceux-ci crient et courent en tapant sur les vitres de la rame qui s'éloigne. Dès que la rame atteint la vitesse de 3 km/h, soit après un déplacement d'environ un mètre, son rétroviseur extérieur se rétracte. Son conducteur ne peut plus non plus utiliser le miroir de quai. De fait, il concentre son attention sur la voie devant lui et il ne peut pas voir les enfants affolés qui courent derrière sa rame. Deux passagers assis à l'arrière de sa motrice de queue se lèvent pour observer ces enfants et, n'apercevant pas la victime traînée par la rame, ils pensent qu'ils chahutent et ne font pas usage du signal d'alarme. La rame n° 324 poursuit sa marche en direction du terminus « Orvault Grand Val » situé 1 334 mètres plus loin, sans que son conducteur ne se doute de l'accident qui vient de se produire. Elle croise une rame circulant en sens opposé et une minute trente après avoir quitté la station « René Cassin », elle s'arrête quinze secondes à la station « Le Cardo » où plusieurs voyageurs en descendent sans rien observer d'anormal. Elle atteint le terminus « Orvault Grand Val » à 19h39, trois minutes après être partie de la station « René Cassin », et le seul voyageur qui en descend ne remarque également rien d'anormal. Elle rejoint ensuite l'arrière-gare de ce terminus, quarante-trois secondes plus tard. Pendant ce temps, deux jeunes filles, qui sont descendues de la rame concernée à la station « René Cassin » et ont assisté à l'accident, ont alerté leurs parents par téléphone. La demi-soeur cadette de la victime a averti ses parents pendant que sa demi-soeur aînée et son demi-frère arrêtaient des véhicules routiers afin de tenter de rattraper la rame n° 324. La première automobile arrêtée est immédiatement partie à sa poursuite et les deux enfants sont montés à bord de deux autres véhicules qui ont également suivi cette rame.
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Parallèlement, le tramway que la rame n° 324 a croisé avant d'atteindre la station « Le Cardo » arrive à la station « René Cassin » environ une minute après que celle-ci l'a quittée. Sa conductrice, après avoir été prévenue par un témoin, avise immédiatement par radio le poste de contrôle centralisé que la rame n° 324 aurait heurté un enfant, sans pouvoir pour autant le lui confirmer avec certitude. Le régulateur en fonction dans ce poste contacte alors le conducteur de la rame précitée qui est en train de rejoindre l'arrière-gare du terminus « Orvault Grand Val », pour lui demander s'il a eu un accident. Ce dernier n'ayant rien remarqué d'anormal répond négativement et poursuit son service, le poste de contrôle centralisé ne lui ayant pas demandé de vérifier sa rame. Après l'avoir arrêtée sur la voie de rebroussement de l'arrière-gare, il en rejoint le poste de conduite situé à l'arrière. Le premier automobiliste qui a suivi la rame n° 324 vient alors à sa rencontre et ils découvrent la jeune victime au niveau du bogie moteur de la motrice arrière de la rame concernée. Un peu plus de quatre minutes après l'accident, la conductrice du tramway croiseur, qui venait de sa propre initiative de poursuivre des investigations dans la station « René Cassin », rappelle le poste de contrôle centralisé pour lui confirmer que l'accident semble grave. Juste après, le conducteur de la rame n° 324 avise ce poste qu'il vient de découvrir, sous sa rame, un enfant décédé.
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5 - Analyse des causes et facteurs associés, orientations préventives
5.1 Le schéma des causes et des facteurs associés
Les investigations conduites permettent d'établir le graphique ci-après qui synthétise le déroulement de l'accident et en identifie les causes et les facteurs associés.
Fig. 11 : Schéma des causes et des facteurs associés
Cette analyse conduit le BEA-TT à rechercher des orientations préventives dans les trois domaines suivants :
la surveillance des quais par les conducteurs de tramway lors de leurs départs des stations ; la sensibilisation des voyageurs et des tiers aux risques liés à la circulation des tramways ; les moyens et les procédures d'alerte en cas de suspicion d'accident.
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5.2 -
La surveillance des quais par les conducteurs de tramway lors de leurs départs des stations
Le conducteur de la rame n° 324 n'a pas vu la chute de la jeune victime, ni son demi-frère et ses demi-soeurs affolés qui couraient derrière sa rame lorsqu'il a quitté la station « René Cassin ». En effet, dès qu'il a démarré, il devait surveiller la voie devant lui et, lorsque sa rame a atteint la vitesse de 3 km/h, soit environ après un déplacement d'un mètre, il ne pouvait plus utiliser ni son rétroviseur extérieur qui se rétractait, ni le miroir en bout de quai. Même si le risque de heurt d'un piéton lors de l'arrivée des rames en station est a priori plus important, l'accident mortel survenu en juillet 2005 à la station « René Cassin » et ce nouvel accident rappellent que les départs des rames des stations ne sont pas sans danger et réclament une vigilance toute particulière de la part des conducteurs. À cet égard, consécutivement à l'accident analysé dans le présent rapport, la SEMITAN a engagé une réflexion sur l'utilisation des rétroviseurs extérieurs des rames lors de leurs démarrages au départ des stations. Elle a, en particulier, complété ses consignes d'exploitation afin d'y stipuler explicitement que « le contrôle strict des échanges passagers à l'aide des rétroviseurs, caméras de rétrovision et miroirs de quai, est indispensable pour la sécurité des voyageurs ». Le BEA-TT en prend acte et invite la SEMITAN à poursuivre cette démarche afin de renforcer la surveillance par ses conducteurs des mouvements des voyageurs sur les quais lors des départ de leur rame des stations.
5.3 -
La sensibilisation des voyageurs et des tiers aux risques liés à la circulation des tramways
À la station « René Cassin », les quatre enfants concernés sont sortis de la rame de tramway n° 324 en empruntant les deux portes de sa remorque intermédiaire. Leur comportement était normal. La jeune victime est tombée du quai après avoir lâché la main de son demi-frère et s'être mise à courir le long de la rame. Son demi-frère et ses demisoeurs affolés ont alors tenté d'alerter les voyageurs assis à l'arrière de cette rame qui s'éloignait, en criant et en frappant sur ses vitres. Ces derniers n'ont pas compris et n'ont pas actionné le signal d'alarme. De fait, cheminer aux abords des zones où circulent des rames de tramway n'est pas sans risque et impose aux voyageurs, tout comme aux usagers de la voirie, d'être attentifs. À cet égard, à l'instar de la grande majorité des exploitants des 28 réseaux de tramway desservant des agglomérations françaises, la SEMITAN organise régulièrement, depuis plusieurs années, des actions de sensibilisation du public à ces risques et aux bons comportements à développer pour s'en prémunir. Elles prennent la forme d'interventions auprès des établissements scolaires et de campagnes de communication. Elles portent, pour l'essentiel, sur les risques de chute en cas de freinage d'urgence, le respect de la signalisation, l'attention à porter au « gong » ainsi que sur les dangers liés au port d'écouteurs ou à l'utilisation des téléphones portables. En particulier, après l'accident mortel qui s'était produit en juillet 2005 à la station « René Cassin », la SEMITAN avait apposé sur les rames de tramway des affiches portant la mention « Danger : ne pas s'accrocher ».
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Bien qu'il soit difficile de mesurer précisément l'impact effectif de telles actions de sensibilisation, une large partie du public auprès duquel certains exploitants ont tenté de les évaluer, a indiqué qu'elles ont contribué à lui faire prendre conscience de certains risques et a souhaité qu'elles soient renouvelées. Consécutivement à l'accident analysé dans le présent rapport, la SEMITAN a annoncé au préfet de Loire-Atlantique qu'elle élargirait ses campagnes de communication d'une part, à l'usage du signal d'alarme et d'autre part, à la prévention des comportements à risques des personnes non autonomes. De fait, la campagne de communication qu'elle a conduite en 2013 a abordé ces nouvelles dimensions. Le BEA-TT l'invite à poursuivre cette action dans la durée.
5.4 -
Les moyens et les procédures d'alerte en cas de suspicion d'accident
Les voyageurs à bord de la rame n° 324 n'ayant pas remarqué la chute de la jeune victime et tiré le signal d'alarme, l'accident ne pouvait être signalé que par les personnes présentes dans la station « René Cassin » en alertant les services publics de secours ou en arrêtant un autre tramway. Or, cette station n'est dotée ni de dispositifs de vidéosurveillance permettant de visualiser les quais depuis le poste de contrôle centralisé, ni de bornes d'appel d'urgence permettant au public d'entrer en contact avec ce poste, ni même d'indication d'un numéro de téléphone à appeler en cas d'urgence. En effet, aucune obligation réglementaire n'impose d'équiper les stations de tramway de tels dispositifs, même si plusieurs exploitants des 28 réseaux desservant des agglomérations françaises y ont installé des bornes d'appel d'urgence au moins pour des raisons commerciales. De fait, la conductrice du tramway qui circulait dans le sens inverse et qui est arrivé à la station « René Cassin » environ une minute après que la rame n° 324 l'a quittée a été le premier agent de la SEMITAN informé de l'accident. Elle a immédiatement alerté le poste de contrôle centralisé. En l'absence de procédures opérationnelles précises et formalisées, le poste de contrôle centralisé a d'abord cherché à s'assurer de l'exactitude de cette alerte avant de prendre des mesures d'urgence. Il n'a, en particulier, pas fait stopper immédiatement la rame n° 324 dès la suspicion d'accident. La jeune victime a ainsi été découverte plus de quatre minutes après sa chute, au terminus de la ligne à environ 1,5 kilomètre de la station « René Cassin », par le conducteur de la rame n° 324 qui continuait normalement son service. La SEMITAN n'a pas pour autant tiré de retour d'expérience des conditions dans lesquelles l'alerte a été déclenchée et traitée lors de ce dramatique accident. Le BEA-TT formule donc la recommandation suivante : Recommandation R1 (SEMITAN) : Compléter les moyens et les procédures opérationnelles de déclenchement et de traitement des alertes afin de garantir, dès la suspicion d'un accident, un arrêt rapide des rames de tramway concernées. À cette fin, équiper notamment les stations du réseau de tramway nantais en dispositifs simples permettant à tout témoin d'un accident d'en prévenir sans délai le poste de contrôle centralisé.
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6 - Conclusions et recommandations
6.1 Les causes de l'accident
L'accident survenu le 28 avril 2013 à la station « René Cassin » de la ligne 2 du réseau de tramway de l'agglomération de Nantes est la conséquence directe d'un déséquilibre de la jeune victime alors qu'elle courait le long de la rame n° 324 après avoir échappé à la garde de ses demi-frère et demi-soeurs et que le conducteur de cette rame qui allait redémarrer, avait cessé de surveiller le quai de la station pour porter son attention devant lui. La confusion qui a ensuite présidé au déclenchement et au traitement de l'alerte n'a pas permis d'arrêter la rame concernée avant qu'elle n'atteigne le terminus de la ligne, trois minutes plus tard.
6.2 -
Les recommandations
À la lumière de ces éléments, le BEA-TT adresse à la société d'économie mixte des transports de l'agglomération nantaise (SEMITAN) la recommandation ci-après.
Recommandation R1 (SEMITAN) : Compléter les moyens et les procédures opérationnelles de déclenchement et de traitement des alertes afin de garantir, dès la suspicion d'un accident, un arrêt rapide des rames de tramway concernées. À cette fin, équiper notamment les stations du réseau de tramway nantais en dispositifs simples permettant à tout témoin d'un accident d'en prévenir sans délai le poste de contrôle centralisé.
Par ailleurs, le BEA-TT invite cet exploitant à poursuivre les démarches qu'il a engagées consécutivement à l'accident considéré afin :
d'une part, de renforcer la surveillance par les conducteurs des mouvements des voyageurs sur les quais lors des départs de leur rame des stations ; d'autre part, de sensibiliser les voyageurs à l'usage du signal d'alarme et l'ensemble du public à la prévention des comportements à risques des personnes non autonomes.
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ANNEXES
Annexe 1 : Décision d'ouverture d'enquête Annexe 2 : Organigramme de la direction de l'exploitation de la SEMITAN
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Annexe 1 : Décision d'ouverture d'enquête
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Annexe 2 : Organigramme de la direction de l'exploitation de la SEMITAN
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