Rapport d'enquête technique sur l'échouement du navire CARINA survenu le 19 janvier 2008 sur la Saône à Trévoux (01)
Auteur moral
France. Bureau d'enquêtes sur les accidents de transport terrestre
Auteur secondaire
Résumé
<div class="texteart"><p>Le 19janvier2008, le navire fluvio-maritime CARINA remontant la Saône, chargé de 1450tonnes de sel, se dirige vers Mâcon où il doit décharger sa cargaison. Vers 18h00, le pilote fluvial qui conduit le navire, en perd le contrôle lors du franchissement du pont aval de Trévoux, au PK30,500. La proue du navire s'échoue sur la berge en rive gauche tandis que l'arrière s'appuie sur la balise radar implantée en amont du pont. Cet échouement ne fait aucune victime et n'engendre pas de pollution. Il ne cause, en outre, que des dégâts matériels très limités. En revanche, le navire obstruant partiellement la passe navigable, la navigation est interrompue le 20janvier2008 à partir de 0h30 pour les bateaux avalants, puis à partir de 13h30 pour les convois montants. Elle est rétablie ce même jour, à 17h30, après que le CARINA a été déséchoué. Cet accident est très vraisemblablement la conséquence d'une disjonction momentanée de l'alimentation électrique des moteurs de barre du navire, suite à une surcharge de l'appareil à gouverner provoquée par un angle de barre excessif compte tenu des modifications qui avaient été apportées au safran de ce gouvernail. Il ne peut toutefois pas être exclu que ce système de gouverne ait connu une panne fugitive qui ne se produisait qu'épisodiquement. Deux facteurs ont également pu contribuer à l'échouement: la connaissance incomplète que le pilote avait du comportement du navire et la difficulté pour les services en charge du contrôle par l'État du port d'inspecter un navire fluvio-maritime en eaux intérieures, qui ne leur a pas permis de déceler les causes des avaries de barre qui avaient déjà affecté le CARINA avant l'accident considéré. En conclusion, le BEA-TT considère que la concrétisation des préconisations formulées par la mission conjointe que le conseil général de l'environnement et du développement durable et l'inspection générale des affaires maritimes ont conduite sur la sécurité de la navigation des navires fluvio-maritimes sur le Rhône et la Saône, permettra sans conteste de réduire le risque d'accidents similaires. Il invite donc la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer à poursuivre la mise en oeuvre des recommandations émises par cette mission.</p></div>
Editeur
Ministère de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie
Descripteur Urbamet
accident
;navigation fluviale
;transport de marchandises
;sécurité
;navire
;GOUVERNAIL
Descripteur écoplanete
Thème
Transports
Texte intégral
BEA-TT
Bureau d'enquêtes sur les accidents de transport terrestre
Rapport d'enquête technique sur l'échouement du navire CARINA survenu le 19 janvier 2008 sur la Saône à Trévoux (01)
juillet 2012
Ministère de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie
www.developpement-durable.gouv.fr
Conseil Général de l'Environnement et du Développement Durable Bureau d'Enquêtes sur les Accidents de Transport Terrestre
Affaire n° BEATT-2008-003
Rapport d'enquête technique sur l'échouement du navire CARINA survenu le 19 janvier 2008 sur la Saône à Trévoux (01)
Bordereau documentaire
Organisme commanditaire : Ministère de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie (MEDDE) Organisme auteur : Bureau d'Enquêtes sur les Accidents de Transport Terrestre (BEA-TT) Titre du document : Rapport d'enquête technique sur l'échouement du navire CARINA survenu le 19 janvier 2008 sur la Saône à Trévoux (01) N°ISRN : EQ-BEAT--12-10--FR Proposition de mots-clés : contrôle, échouement, gouvernail, manoeuvrabilité, navigation fluviale, navire fluvio-maritime
Avertissement
L'enquête technique faisant l'objet du présent rapport est réalisée dans le cadre des articles L 1621-1 à 1622-2 du titre II du livre VI du code des transports et du décret n°2004-85 du 26 janvier 2004, relatifs notamment aux enquêtes techniques après accident ou incident de transport terrestre. Cette enquête a pour seul objet de prévenir de futurs accidents, en déterminant les circonstances et les causes de l'événement analysé et en établissant les recommandations de sécurité utiles. Elle ne vise pas à déterminer des responsabilités. En conséquence, l'utilisation de ce rapport à d'autres fins que la prévention pourrait conduire à des interprétations erronées.
SOMMAIRE
GLOSSAIRE...................................................................................................................................9 RÉSUMÉ.......................................................................................................................................11 1 - CONSTATS IMMÉDIATS ET ENGAGEMENT DE L'ENQUÊTE...........................................13 1.1 - Les circonstances de l'accident.......................................................................................13 1.2 - Le bilan humain et matériel..............................................................................................13 1.3 - L'engagement et l'organisation de l'enquête...................................................................14 2 - COMPTE RENDU DES INVESTIGATIONS EFFECTUÉES..................................................15 2.1 - La zone et les conditions de navigation...........................................................................15 2.2 - Les résumés des témoignages........................................................................................15
2.2.1 -Le témoignage du pilote....................................................................................................................... 15 2.2.2 -Le témoignage du capitaine du navire.................................................................................................. 16 2.2.3 -Le témoignage de l'agent d'astreinte du service de la navigation Rhône-Saône..................................16
2.3 - Le navire CARINA............................................................................................................16
2.3.1 -Les caractéristiques techniques générales........................................................................................... 16 2.3.2 -Les aspects liés au caractère fluvio-maritime du navire.......................................................................18 2.3.3 -Les règles de construction et de sécurité.............................................................................................18 2.3.4 -Le pavillon............................................................................................................................................ 19 2.3.5 -L'exploitation......................................................................................................................................... 19
2.4 - L'équipage........................................................................................................................19
2.4.1 -Les règles d'équipage en navigation maritime......................................................................................19 2.4.2 -Les règles d'équipage en navigation intérieure sur le Rhône et sur la Saône......................................20 2.4.3 -Le pilote fluvial du CARINA.................................................................................................................. 20 2.4.4 -L'équipage du CARINA......................................................................................................................... 21
2.5 - L'examen du navire après l'accident...............................................................................21 2.6 - L'analyse du fonctionnement de l'appareil à gouverner..................................................22
2.6.1 -Les principes généraux de fonctionnement d'un appareil à gouverner électro-hydraulique.................22 2.6.2 -L'appareil à gouverner équipant le CARINA......................................................................................... 23 2.6.3 -Les incidents ayant affecté le gouvernail du CARINA...........................................................................24 2.6.4 -Les origines possibles d'une avarie de barre........................................................................................ 25
2.7 - Accidents similaires..........................................................................................................25
2.7.1 -L'échouement du NATISSA à Givors sur le Rhône..............................................................................25 2.7.2 -L'échouement du SICHEM ANELINE au Canada.................................................................................26
2.8 - Les principales conclusions de la mission du CGEDD et de l'IGAM sur la sécurité de la navigation des navires fluvio-maritimes...........................................................................26
3 - DÉROULEMENT DE L'ACCIDENT ET DES SECOURS.......................................................29 3.1 - Le déroulement du voyage..............................................................................................29 3.2 - Le déroulement de l'accident...........................................................................................30 3.3 - Les conséquences sur la navigation et les opérations de déséchouement....................31 3.4 - Les risques encourus lors de l'accident...........................................................................31 4 - ANALYSE DES CAUSES, ORIENTATIONS PRÉVENTIVES ET CONCLUSIONS.............33 4.1 - L'analyse des causes.......................................................................................................33
4.1.1 -Les constats.......................................................................................................................................... 33 4.1.2 -Les causes probables de l'accident...................................................................................................... 33
4.2 - Orientations préventives et conclusions..........................................................................34 ANNEXES.....................................................................................................................................35 Annexe 1 : Décision d'ouverture d'enquête.............................................................................36 Annexe 2 : Plans de situation...................................................................................................37
Glossaire
AIS : Automatic Identification System, système d'identification automatique des navires BST : Bureau de la Sécurité des Transports du Canada CGEDD : Conseil Général de l'Environnement et du Développement Durable CNR : Compagnie Nationale du Rhône DGITM : Direction Générale des Infrastructures, des Transports et de la Mer GPS : Global Positioning System ; par extension, système ou appareil mobile de géolocalisation et de guidage d'itinéraire IGAM : Inspection Générale des Affaires Maritimes ISM : International Safety Management System, code international pour la gestion de la sécurité maritime PK : Point Kilométrique RGPNI : Règlement Général de Police de la Navigation Intérieure SMDSM : Système Mondial de Détresse et de Sécurité en Mer SNRS : Service de la Navigation Rhône-Saône SOLAS : Safety Of Life At Sea, convention internationale pour la sauvegarde de la vie humaine en mer STCW : Standards of Training, Certification and Watchkeeping for Seafarers, convention internationale de formation des gens de mer, de certification et de veille
Résumé
Le 19 janvier 2008, le navire fluvio-maritime CARINA remontant la Saône, chargé de 1 450 tonnes de sel, se dirige vers Mâcon où il doit décharger sa cargaison. Vers 18h00, le pilote fluvial qui conduit le navire, en perd le contrôle lors du franchissement du pont aval de Trévoux, au PK 30,500. La proue du navire s'échoue sur la berge en rive gauche tandis que l'arrière s'appuie sur la balise radar implantée en amont du pont. Cet échouement ne fait aucune victime et n'engendre pas de pollution. Il ne cause, en outre, que des dégâts matériels très limités. En revanche, le navire obstruant partiellement la passe navigable, la navigation est interrompue le 20 janvier 2008 à partir de 0h30 pour les bateaux avalants, puis à partir de 13h30 pour les convois montants. Elle est rétablie ce même jour, à 17h30, après que le CARINA a été déséchoué. Cet accident est très vraisemblablement la conséquence d'une disjonction momentanée de l'alimentation électrique des moteurs de barre du navire, suite à une surcharge de l'appareil à gouverner provoquée par un angle de barre excessif compte tenu des modifications qui avaient été apportées au safran de ce gouvernail. Il ne peut toutefois pas être exclu que ce système de gouverne ait connu une panne fugitive qui ne se produisait qu'épisodiquement. Deux facteurs ont également pu contribuer à l'échouement :
la connaissance incomplète que le pilote avait du comportement du navire ; la difficulté pour les services en charge du contrôle par l'État du port d'inspecter un navire fluvio-maritime en eaux intérieures, qui ne leur a pas permis de déceler les causes des avaries de barre qui avaient déjà affecté le CARINA avant l'accident considéré.
En conclusion, le BEA-TT considère que la concrétisation des préconisations formulées par la mission conjointe que le conseil général de l'environnement et du développement durable et l'inspection générale des affaires maritimes ont conduite sur la sécurité de la navigation des navires fluvio-maritimes sur le Rhône et la Saône, permettra sans conteste de réduire le risque d'accidents similaires. Il invite donc la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer à poursuivre la mise en oeuvre des recommandations émises par cette mission.
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1 - Constats immédiats et engagement de l'enquête
1.1 Les circonstances de l'accident
En janvier 2008, le navire de mer CARINA remonte le Rhône puis la Saône chargé de 1 450 tonnes de sel à destination de Mâcon. Le 19 janvier, vers 18h00, il s'échoue juste après avoir franchi le pont aval de Trévoux, sur la rive gauche de la Saône au PK 30,500.
Figure 1 : Le navire échoué
1.2 -
Le bilan humain et matériel
Cet accident n'a fait aucune victime. La proue du navire s'est échouée sur la berge en rive gauche de la Saône tandis que l'arrière s'est appuyé sur la balise radar située juste en amont du pont précité. Cette balise a été endommagée par le choc et par la poussée transversale exercée par le navire soumis à un fort courant. Elle a dû être remplacée pour un coût d'environ 27 000 . Le navire a subi quelques dégâts peu importants. Comme il obstruait en partie la passe navigable, la navigation a été interrompue sur la Saône le 20 janvier à partir de 0h30 pour les bâtiments avalants. Cette interruption a été étendue à 13h30 le même jour aux convois montants afin de permettre le déséchouement du navire. La Saône a été totalement rendue à la navigation le 20 janvier 2008 à 17h30.
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1.3 -
L'engagement et l'organisation de l'enquête
Compte tenu des circonstances de cet accident et avec l'accord du ministre en charge des transports, le directeur du bureau d'enquêtes sur les accidents de transport terrestre (BEA-TT) a ouvert, le 29 janvier 2008, une enquête technique dans le cadre du titre III de la loi n° 2002-3 du 3 janvier 2002, codifiée depuis le 28 octobre 2010 aux articles L 1621-1 à L 1622-2 du code des transports. Cette enquête a été conduite avec le concours d'un enquêteur du bureau d'enquêtes sur les événements de mer (BEA-mer). Les enquêteurs ont eu communication de l'ensemble des documents administratifs et techniques nécessaires à leurs analyses. Ils ont rencontré des représentants du service de la navigation Rhône-Saône (SNRS) et ils ont tenu une réunion avec le président et des représentants de l'association des pilotes Rhône-Saône (APRES) afin de compléter leurs informations sur les conditions de pilotage des navires fluvio-maritimes. Les enquêteurs ont également visité le CARINA, le 3 juillet 2009, à Port-Saint-Louis-duRhône lors d'une escale qu'il y effectuait. Cette visite a été réalisée en présence de l'agent représentant la compagnie exploitant le CARINA et du pilote qui le conduisait au moment de l'accident survenu à Trévoux. Ils ont de plus accompagné ce pilote à bord d'un autre navire, l'AQUILEA, sur le trajet Arles Port-Saint-Louis-du-Rhône afin d'apprécier les spécificités de la navigation des navires de mer sur l'axe fluvial Rhône-Saône. Enfin, ils se sont appuyés sur les conclusions de la mission conjointe réalisée par le conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) et par l'inspection générale des affaires maritimes (IGAM), à la demande du directeur général des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM), sur la sécurité de la navigation des navires fluvio-maritimes sur le Rhône et la Saône.
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2 - Compte rendu des investigations effectuées
2.1 La zone et les conditions de navigation
Les cartes et plans figurant dans l'annexe 2 du présent rapport situent le lieu de l'échouement et en présentent la configuration. L'accident s'est produit sur la Saône, juste en amont du pont qui l'enjambe au Sud-Est de Trévoux dans l'Ain, à environ 30,5 km en amont du confluent de ce cours d'eau et du Rhône. Au niveau de ce pont, la Saône amorce une courbe vers l'Ouest pour les bâtiments qui la remontent. Le chenal navigable y emprunte l'arche centrale dont la largeur est d'environ 65 mètres. Le jour de l'accident, le 19 janvier 2008, les conditions météorologiques étaient normales : la température se situait aux environs de 11°C, la visibilité était bonne, le vent faible et il n'y avait pas de précipitations. Le niveau du plan d'eau à la station hydrométrique de Trévoux se situait à la cote 166,6 m NGF. Il était donc très proche du niveau normal du bief, à savoir 166,5 m NGF. La vitesse du courant avoisinait 5 km/h.
2.2 -
Les résumés des témoignages
Les résumés des témoignages présentés ci-après sont établis par les enquêteurs techniques sur la base des déclarations orales ou écrites dont ils ont eu connaissance. Ils ne retiennent que les éléments qui paraissent utiles pour éclairer la compréhension et l'analyse des événements et pour formuler des recommandations. Il peut exister des divergences entre les différents témoignages recueillis ou entre ceux-ci et des constats ou analyses présentés par ailleurs.
2.2.1 - Le témoignage du pilote
Le pilote du CARINA déclare qu'au moment où il franchissait le pont aval de Trévoux, la courbe du fleuve en amont de cet ouvrage le conduisait à mettre la barre à gauche. Une panne de la commande du gouvernail a mis en échec cette manoeuvre. Le navire a donc continué sa route avec un courant qui l'a déporté vers la droite. La mise en oeuvre du propulseur d'étrave, dont la puissance est limitée à 150 CV, n'a pas permis d'endiguer ce mouvement. L'avant du bateau s'est échoué sur la berge de la rive gauche, l'arrière prenant appui sur la balise amont du pont de Trévoux dont la structure a été tordue. Le pilote attribue la défaillance du gouvernail à un défaut électrique de son dispositif de commande. Il pense que la panne a été réparée après l'accident par l'équipage du CARINA. En outre, le pilote souligne que la puissance du moteur de propulsion était particulièrement faible, compte tenu du déplacement du navire, ce qui le rendait peu manoeuvrant.
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2.2.2 - Le témoignage du capitaine du navire
À 18h00, le CARINA, en avant toute, se présente devant le pont aval de Trévoux. Au moment où il le franchit, le courant et la commande de barre réglée à 60° sur bâbord ont entraîné une surcharge du moteur de barre et provoqué l'arrêt automatique du dispositif de manoeuvre. Le voyant d'alarme de surcharge du gouvernail s'est allumé. Cet arrêt a été de courte durée mais suffisant pour que le navire aille s'échouer compte tenu de la proximité des berges et de la faible profondeur de l'eau à cet endroit.
2.2.3 - Le témoignage de l'agent d'astreinte du service de la navigation RhôneSaône
L'agent d'astreinte du service de la navigation Rhône-Saône (SNRS) arrive sur place à 19h30. La proue du navire est échouée sur la rive gauche. L'arrière est en appui sur la balise amont du pont aval de Trévoux. L'axe du navire forme un angle d'environ 30° avec la berge. La balise radar est fortement endommagée, inclinée d'environ 30° par rapport à la verticale. Un avis à la batellerie est pris, informant les bateaux de l'échouement du CARINA et préconisant une navigation prudente à vitesse réduite. Aucun trafic n'est a priori prévu sur la Saône à cet endroit pendant la nuit du 19 au 20 janvier 2008, aucune demande de passage d'écluse n'ayant été formulée. À 0h30, un second avis à la batellerie interdit la navigation des bâtiments avalants. Le pont aval de Trévoux est, en effet, situé à la sortie d'une courbe à droite pour ces bâtiments et l'arrière du CARINA engage la passe navigable en rive gauche. Le 20 janvier au matin, plusieurs mariniers sont sur les lieux et entrent en transaction avec l'armateur et les assureurs pour tenter de dégager le navire. À 13h30, devant le risque d'initiatives individuelles non coordonnées, un nouvel avis à la batellerie étend l'interdiction précitée aux convois montants. L'opération de déséchouement du navire est engagée à 16h30, le 20 janvier. Le navire déséchoué est remorqué jusqu'au port de Villefranche-sur-Saône où il arrive en fin d'après-midi. Un dernier avis à la batellerie autorise à 17h30 la reprise normale de la navigation dans le bief concerné.
2.3 -
Le navire CARINA
2.3.1 - Les caractéristiques techniques générales
Le CARINA est un cargo destiné à transporter des marchandises diverses ou du vrac. Il a été construit en 1984 au chantier Hermann Suerken à Papenburg en Allemagne. Il entre dans la catégorie des navires fluvio-maritimes. Sa passerelle, télescopique, peut être abaissée pour lui permettre de passer sous les ponts. Dans les autres circonstances, elle est relevée. Les principales caractéristiques techniques de ce navire sont résumées dans le tableau ci-après.
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Longueur hors tout / entre perpendiculaires Largeur Tirant d'eau en charge Franc bord d'été / hiver
74,88 m / 70,40 m 10,50 m 3,30 m 2 310 mm / 2 380 mm
Tirant d'eau d'été / hiver 3,39 m / 3,32 m Jauge brute Port en lourd été / hiver Volume de ballastage Propulsion Vitesse à la mer Production d'électricité Équipement de manoeuvre Appareil à gouverner Durée du passage "barre toute à gauche barre toute à droite" Durée du renversement de marche avant toute à marche arrière toute Équipements de navigation 1299 1 530 t / 1 487 t 1 106 m3 Un moteur diesel de 441 kW entraînant une hélice à pales fixes à 250 t/min par l'intermédiaire d'un réducteur, pas à gauche 8,5 noeuds 2 groupes électrogènes de 117 kVA et un générateur de mouillage de 47 kVA Un propulseur d'étrave de 115 kW entraîné par un moteur diesel Gouvernail de type BECKER qui a été transformé 19 s
21 s
2 radars, un GPS*, une station SMDSM*, un AIS* et un sondeur
Figure 2 : Caractéristiques techniques du CARINA
Au moment des faits, le CARINA battait pavillon Saint-Vincent-et-les-Grenadines. Il était immatriculé à Kingstown et classé par le bureau de classification Germanisher Lloyd depuis le 1er janvier 1984. Son certificat de classe délivré le 1er août 2004 était valable jusqu'au 31 juillet 2009.
*
Terme figurant dans le glossaire
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2.3.2 - Les aspects liés au caractère fluvio-maritime du navire
Les navires fluvio-maritimes sont des bâtiments conçus pour résister aux conditions qui règnent en mer, où se passe la plus grande partie de leur navigation. Leur adaptation à la navigation fluviale résulte presque exclusivement de leurs dimensions (longueur, largeur, tirant d'air, tirant d'eau) qui leur permettent de s'accommoder des caractéristiques des chenaux fluviaux, de franchir les écluses et de passer sous les ponts. Les autres spécificités que présente la navigation fluviale, telles que l'espace restreint, les eaux resserrées, les courants, les tourbillons, nécessitent cependant une puissance de propulsion suffisante pour avancer contre le courant en cas de fort débit. De plus, dans les fleuves, il faut disposer d'une capacité de manoeuvre permettant de réagir dans un temps très court, notamment pour faire face aux turbulences aux passages des ponts. Ces spécificités ne sont pas toujours suffisamment prises en compte dans la conception des navires de mer destinés à remonter les fleuves, auxquels aucune règle de construction autre que les règlements maritimes ne s'impose. Le CARINA dispose d'un moteur de propulsion présentant une puissance 441 kW qui lui permet d'atteindre une vitesse maximale de 8,5 noeuds, soit un peu moins de 16 km/heure. Ces caractéristiques le rendent peu manoeuvrant. D'autant que son gouvernail de type BECKER a été transformé et fonctionne maintenant avec un safran unique.
2.3.3 - Les règles de construction et de sécurité
Les navires de mer sont soumis aux exigences de construction et d'armement spécifiées dans les conventions maritimes internationales, la convention SOLAS* notamment. Ces exigences internationales sont traduites dans la réglementation de chaque État du pavillon. Dans ce cadre, ces navires doivent disposer des différents certificats attestant de leur conformité aux règles précitées. Des visites, inspections ou contrôles réguliers permettent aux autorités des États du pavillon de renouveler la validité de ces titres obligatoires. S'ils respectent ces normes internationales, les navires de mer circulant sur les eaux intérieures nationales ne sont pas soumis aux dispositions du décret n°2007-1168 du 2 août 2007 relatif aux titres de navigation des bâtiments et établissements flottants naviguant ou stationnant sur les eaux intérieures, conformément aux dispositions de l'article 2 de ce texte. Le CARINA répondant aux obligations fixées par la convention SOLAS n'est donc pas tenu de disposer d'un titre de navigation intérieure. Par ailleurs, en sus des inspections des États du pavillon, les navires de mer sont fréquemment soumis à des contrôles des États des ports dans lesquels ils accostent, qui sont prévus par les textes internationaux. En Europe, ces contrôles, coordonnés par les États-Membres de l'Union Européenne (UE), s'effectuent dans le cadre du Mémorandum de Paris1. Ils consistent à vérifier que les navires de commerce étrangers faisant escale dans nos ports sont bien conformes aux normes découlant des conventions internationales
* 1
Terme figurant dans le glossaire Accord inter-administratif qui établit un contrôle coordonné des navires étrangers faisant escale dans les ports européens.
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applicables en matière de protection de l'environnement marin, de sauvegarde de la vie humaine en mer et de conditions de vie et de travail des gens de mer. En cas de non-conformité, le décret n°84-810 du 30 août 1984 relatif à la sauvegarde de la vie humaine, à l'habitabilité à bord des navires et à la prévention de la pollution prévoit que le navire peut être immobilisé par l'État du port concerné. Le CARINA a, de fait, déjà été immobilisé à plusieurs reprises dans ce cadre. Il en a, en particulier, été ainsi le 5 février 2007 consécutivement à un contrôle effectué, au titre de l'État du port, par le centre de sécurité de Cherbourg. L'appareil à gouverner de ce navire n'avait cependant pas été vérifié à cette occasion. Ce navire a fait l'objet d'un nouveau contrôle, au titre de l'État du port, le 4 décembre 2007, quelques semaines avant l'échouement analysé dans le présent rapport. Ce contrôle dont les circonstances et les conclusions sont détaillées dans le chapitre 2.6.3, n'avait pas conduit à son immobilisation.
2.3.4 - Le pavillon
Depuis sa mise en service le 25 juillet 1984, le navire concerné a porté successivement les noms de MAREIKE B en 1984, WEBO CARRIER en 1986, SEA TAGUS en 1988, MAREIKE B en 1991, ELKE en 1994, LEDA en 2005 et CARINA depuis 2007. Il a changé de pavillon à trois reprises. Il a d'abord navigué sous le pavillon allemand, puis à partir du 1992 sous le pavillon d'Antigua-et-Barbuda. Au moment de l'échouement survenu sur la Saône à Trévoux, il battait le pavillon de Saint-Vincent-et-les-Grenadines depuis 2007. Lors d'un nouvel accident qui s'est produit en 2010, il a été constaté qu'il battait le pavillon des Bahamas.
2.3.5 - L'exploitation
Le CARINA, utilisé en vraquier, opère essentiellement en méditerranée occidentale, Algérie, Tunisie, Espagne et Italie, pour la compagnie « Rhomed Shipping Company SA ». Au moment des faits, il effectuait un voyage par semaine entre Arles et la Sardaigne. Il est armé par la compagnie « Monte Carlo Maritime Services » qui en assure la gestion commerciale et la gestion technique. Cette société, employeur du capitaine et de l'équipage, assure également la gestion de trois autres navires : deux cargos de marchandises diverses, le GOODWAY battant le pavillon de Panama et le SANDY sous le pavillon de Malte, ainsi qu'un transporteur de produits pétroliers battant le pavillon de Saint-Vincent-et-les-Grenadines.
2.4 -
L'équipage
2.4.1 - Les règles d'équipage en navigation maritime
Les effectifs de sécurité des équipages des navires de mer sont fixés par les administrations des États des pavillons sur la base des règles et des recommandations édictées en la matière par l'Organisation Maritime Internationale (OMI). La composition de l'équipage d'un navire de mer doit, notamment, respecter les règles obligatoires de la convention internationale des gens de mer, de certification et de veille (STCW). À ce titre, les membres d'un équipage doivent détenir les brevets et certificats en cours de validité correspondant à leurs fonctions, délivrés par les administrations des Parties à la convention STCW et endossés par les États des pavillons.
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2.4.2 - Les règles d'équipage en navigation intérieure sur le Rhône et sur la Saône
De Fos-sur-Mer jusqu'à l'écluse de Port-Saint-Louis-du-Rhône, le navire est guidé par un pilote maritime rattaché à la station de pilotage de Marseille, sous la responsabilité du capitaine du navire. De Port-Saint-Louis-du-Rhône au port d'Arles, le régime est maritime. Cette section ne relève cependant plus de la zone portuaire où le recours à un pilote maritime est imposé. Les règles nationales de la navigation intérieure s'appliquent ensuite en amont d'Arles, sur le Rhône et la Saône. À cet égard, le code des transports précise que, pendant leur passage en eaux intérieures françaises, les bâtiments fluvio-maritimes doivent se conformer aux règles de la navigation fluviale, notamment en matière d'équipage. Conformément au décret n°91-731 du 23 juillet 1991 relatif à l'équipage et à la conduite des bateaux circulant ou stationnant sur les eaux intérieures, ces bateaux doivent disposer, en équipage, du personnel nécessaire pour assurer leur marche et leur sécurité. De plus, le décret n°73-912 du 21 septembre 1973 portant règlement général de police de la navigation intérieure impose que le conducteur d'un bateau soit titulaire des certificats de capacité ou des permis de conduire prescrits pour la section qu'il parcourt et pour la catégorie de bâtiment qu'il conduit. Il en résulte que, s'ils ne disposent pas dans leur équipage de personnes ayant les qualifications requises pour assurer cette fonction de conducteur, les navires fluviomaritimes doivent, pour s'acquitter de l'obligation précitée, embarquer un marinier titulaire du certificat de capacité approprié. Sur le Rhône et la Saône, ce conducteur fluvial est dénommé « pilote ». Celui-ci assume la responsabilité de la conduite. Toutefois, conformément aux dispositions de la convention STCW, ratifiée par la France et transcrite en droits européen et national, le navire ne perd pas son statut de navire de mer en matière d'équipage lorsqu'il se trouve en navigation intérieure. L'interprétation de ces différentes dispositions réglementaires relatives aux équipages est complexe. La mission conduite par le CGEDD et l'IGAM sur la sécurité de la navigation des navires fluvio-maritimes sur le Rhône et la Saône les analyse en profondeur et formule des propositions visant à les simplifier.
2.4.3 - Le pilote fluvial du CARINA
Le trajet montant de Port-Saint-Louis-du-Rhône jusqu'à Mâcon dure environ 44 heures sans arrêt. Quand un bateau ne fait pas d'escale, deux pilotes doivent donc se relayer pour le conduire sur ce trajet. Lors du voyage concerné par le présent rapport, un seul pilote fluvial avait été embarqué par le CARINA. Deux escales avaient donc été effectuées avant qu'il n'atteigne Trévoux : la première, dans la nuit du 17 au 18 janvier, la seconde, la nuit suivante. Ce pilote, bien qu'ayant une bonne expérience de marinier et disposant des qualifications requises, n'était pas un habitué de la conduite des navires fluvio-maritimes sur l'ensemble du bassin Rhône-Saône. Il était plutôt spécialisé dans l'accompagnement de ces navires sur la partie aval du Rhône, entre Port-Saint-Louis-du-Rhône et Arles. Enfin, le pilotage en navigation intérieure d'un navire fluvio-maritime donné étant par essence une fonction occasionnelle, le pilote ne connaît a priori pas le navire, son équipement et son comportement aussi bien que l'équipage permanent présent à bord.
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2.4.4 - L'équipage du CARINA
La décision d'effectif (minimum safe manning document) du CARINA a été établie par les autorités de l'État de son pavillon, à savoir Saint-Vincent-et-les-Grenadines. La veille à la passerelle doit, en particulier, y être assurée en Méditerranée par deux officiers pont. On observe que la décision précitée requière, pour les chefs de quart passerelle, des brevets correspondants au niveau STCW II/3. Or, ce niveau ne permet d'exercer les fonctions considérées que sur les navires dont la jauge brute est inférieure à 500 qui effectuent des voyages à proximité du littoral. Tel n'est pas le cas du CARINA qui présente une jauge brute de 1 299 et qui effectue des voyages au-delà de la proximité du littoral de la partie qui a délivré les brevets précités. Il semble donc que la décision d'effectif délivrée par l'État du pavillon, Saint-Vincent-etles-Grenadines, ne soit pas conforme aux exigences minimales requises par la convention STCW. En outre, la liste d'équipage datée du 25 décembre 2007 ne fait pas apparaître le niveau des brevets détenus par les membres de l'équipage alors embarqués. Il est en conséquence difficile de contrôler si les six marins de nationalité russe qui armaient le CARINA, disposaient des brevets exigés par la réglementation internationale. À cet égard, il conviendrait que le niveau des brevets exigés et détenus figurent respectivement sur la décision d'effectif et sur la liste d'équipage. Cette observation confirme que le contrôle des navires qui circulent en navigation intérieure par l'État du port doit être organisé selon des procédures analogues et selon la même fréquence que le contrôle des autres navires faisant escale dans les ports maritimes. Le jour de l'accident, sept personnes étaient présentes à bord du CARINA : les six marins de l'équipage « maritime » et le pilote fluvial.
2.5 -
L'examen du navire après l'accident
Après l'accident survenu le 19 janvier 2008 à Trévoux, il a été procédé à un essai de gouvernail du CARINA qui a fonctionné normalement. Par ailleurs, les dégâts très limités que ce navire a subi, ont été réparés. De fait, l'autorisation de reprise de la navigation du CARINA après son déséchouement a été subordonnée à l'accord du centre de sécurité des navires de Marseille. Celui-ci a requis un contrôle du navire par la société de classification qui a été effectué le 22 janvier 2008. Ce contrôle n'a révélé aucun obstacle à la reprise de la navigation du navire concerné.
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2.6 -
L'analyse du fonctionnement de l'appareil à gouverner
2.6.1 - Les principes généraux de fonctionnement d'un appareil à gouverner électro-hydraulique
Un appareil à gouverner électro-hydraulique comprend quatre types d'organe :
le safran qui est une pièce mobile immergée en contact avec des filets d'eau. Il est profilé de manière à obtenir la meilleure portance ; la mèche du gouvernail qui est l'axe vertical traversant la coque du navire, auquel le safran est fixé ; un ensemble électro-hydraulique constitué de deux moteurs entraînant chacun une pompe hydraulique. Le fonctionnement de ces pompes met en mouvement des vérins qui engendrent la rotation de la mèche du gouvernail et donc du safran ; la barre manuelle et le pilote automatique qui sont situés en passerelle et qui permettent d'agir, à travers une chaîne de transmission, sur l'ensemble électrohydraulique précité.
Figure 3 : Action des filets d'eau sur le safran en vue de dessus
Les filets d'eau créent sur le safran une force F qui se décompose en une portance perpendiculaire à l'axe du navire et une traînée T dans l'axe de ce navire. La P portance est la force utile qui entraîne la giration du navire tandis que la traînée le ralentit. L'effort fournit par l'appareil à gouverner s'oppose au moment de la force F par rapport à l'axe que constitue la mèche du gouvernail. Plus l'angle de barre est important, plus la force F est élevée et plus l'effort que doit fournir l'appareil à gouverner est important.
Si l'effort à fournir est supérieur à la puissance de l'appareil à gouverner, ce dernier se trouve en surcharge. Une telle situation entraîne alors une disjonction momentanée de l'alimentation électrique des moteurs de barre.
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Par ailleurs, pour des vitesses du navire supérieures à environ 4 noeuds soit 7 km/heure, l'effet de giration maximum du gouvernail est obtenu pour un angle d'incidence du safran d'environ 36° par rapport à l'axe longitudinal du navire.
Figure 4 : Angle de décrochage du safran
Au-delà de cet angle, les filets d'eau décrochent et l'effet du gouvernail chute. La traînée du safran augmente ainsi que l'effort mécanique produit par l'appareil à gouverner pour orienter le gouvernail. Les moteurs de barre ont alors à forcer davantage, inutilement. C'est pourquoi les angles de barre sont généralement limités à 35° sur les navires de manière à éviter les surcharges. Pour augmenter l'effet de giration plusieurs dispositifs ont été développés. Le gouvernail BECKER est l'un d'entre-eux. Celui-ci est composé d'un safran principal et d'un aileron ajouté au bout du safran. Cet aileron permet d'augmenter l'effet de giration produit par le gouvernail en évitant le décrochage des filets d'eau.
Figure 5 : Principe du gouvernail BECKER
2.6.2 - L'appareil à gouverner équipant le CARINA
Le gouvernail du CARINA était à l'origine un gouvernail BECKER. Il a cependant été modifié et son aileron a été soudé au safran principal, dans son alignement. Il en résulte que ce gouvernail se comporte comme un appareil à gouverner classique à un seul safran. Les raisons qui ont motivé cette modification n'ont pas pu être éclaircies. Quoi qu'il en soit, ce gouvernail étant à l'origine de type BECKER, les angles de barre peuvent aller jusqu'à 60°. Or, du fait de sa modification, au-delà de 36° l'effet de giration diminue et la traînée augmente, entraînant une charge supplémentaire des moteurs de barre.
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Par ailleurs, le choix de commander la barre en pilote automatique ou en mode manuel
s'effectue au moyen d'un sélecteur situé en timonerie. Le démarrage des moteurs de barre peut être actionné, soit à partir des coffrets de commande situés dans le local machine, soit à partir d'un pupitre situé en timonerie. Sur chaque coffret, on trouve des alarmes :
de pression au niveau du filtre à huile ; de niveau d'huile ; de défaut moteur (perte d'une phase) ; de surcharge (effort trop important sur l'appareil à gouverner).
Figure 6 : Platine de commande et de contrôle de l'appareil à gouverner du CARINA
2.6.3 - Les incidents ayant affecté le gouvernail du CARINA
Dans leur témoignage, tant le capitaine du CARINA que le pilote fluvial attribuent l'échouement analysé dans le présent rapport à une défaillance de l'appareil à gouverner. De fait, lors d'un précédent voyage effectué le 3 décembre 2007 sur le Rhône, le CARINA avait été confronté à une panne de gouvernail dans l'écluse de Châteauneuf-du-Rhône. Dans une lettre du 4 décembre 2007, le pilote qui assurait la conduite de ce navire lors de ce voyage, a alerté le service de la navigation Rhône-Saône en soulignant que le navire concerné était considéré comme « trop dangereux » par les pilotes, son gouvernail ne répondant pas correctement. À la suite de cet incident, l'autorité fluviale a demandé un contrôle par l'État du port qui a été opéré le 4 décembre 2007 à Montélimar dans la Drôme. Il en a été conclu que « les tests montraient un bon fonctionnement du gouvernail ».
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Les enquêteurs du BEA-TT ont également relevé une avarie du CARINA survenue le 8 juin 1991 au large d'Ouessant, qui était assortie d'une perte du gouvernail. Le navire avait alors dû être remorqué jusqu'à Brest pour réparations. Par ailleurs, après l'accident qui s'est produit le 19 janvier 2008 à Trévoux, le service de la navigation Rhône-Saône a enregistré un autre échouement, sans conséquence, du CARINA survenu le 6 août 2010 à la suite d'une avarie de barre apparue à l'amorce d'un virage sur le Rhône, au PK 116,900. Il apparaît donc que ce navire connaît assez régulièrement des avaries de barre.
2.6.4 - Les origines possibles d'une avarie de barre
Le pilote fluvial qui conduisait le navire le 19 janvier 2008, attribue la perte de son contrôle à un défaut électrique du dispositif de commande du gouvernail. Cette panne ne s'étant pas reproduite lors des essais du système de gouverne effectués après l'échouement du navire, elle aurait un caractère fugitif. Pour sa part, le capitaine du CARINA a constaté qu'au moment du franchissement du pont aval de Trévoux, la commande de barre était réglée à 60° et que le voyant de surcharge du gouvernail s'est déclenché. Or, ce gouvernail, qui était à l'origine de type BECKER, avait subi des modifications qui avaient conduit à annihiler l'effet de l'aileron situé à l'extrémité de son safran. Ce gouvernail se comportait donc comme un appareil à gouverner à safran unique dont l'efficacité maximale est obtenue pour un angle de barre d'environ 36°. Au-delà de cette valeur, l'effet d'un tel gouvernail chute et l'effort nécessaire pour orienter le safran s'accroît sensiblement. Les moteurs de barre ont donc pu se trouver en surcharge, situation qui aurait provoqué une disjonction momentanée de leur alimentation électrique, conduisant à leur mise hors service et à la perte de contrôle du navire.
2.7 -
Accidents similaires
De nombreux accidents ont lieu, souvent au passage d'un pont, à la suite de la perte de contrôle du bateau. Ces événements peuvent être attribués au courant, au tracé de la voie d'eau, à une mauvaise anticipation de la manoeuvre par le pilote ou à une défaillance du dispositif de gouverne. Ils ont souvent entraîné une fermeture à la navigation de la voie d'eau concernée pendant une période plus ou moins longue, mettant en cause l'économie du transport fluvial. Deux échouements présentant des similitudes avec celui analysé dans le présent rapport méritent d'être cités : l'échouement du navire fluvio-maritime NATISSA survenu sur le Rhône le 11 juillet 2007 et l'échouement du chimiquier SICHEM ANELINE qui s'est produit le 11 avril 2007 sur le fleuve Saint-Laurent au Canada.
2.7.1 - L'échouement du NATISSA à Givors sur le Rhône
Cet accident, survenu le 11 juillet 2007 au niveau du pont de Givors sur le Rhône a été causé par une faible réactivité du navire fluvio-maritime concerné aux commandes de barre alors que le débit du fleuve était important. Après le passage du pont précité, le conducteur avait dû mettre la barre toute à droite pour compenser les effets du courant traversier, mais lorsqu'il avait voulu redresser le navire, le gouvernail avait répondu avec retard et l'échouement n'avait pas pu être évité. Cet accident n'avait pas fait de blessés ni engendré de pollution, mais la navigation avait dû être interrompue pendant 3 jours et demi et l'approvisionnement d'une usine chimique en avait été perturbé.
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Cet échouement a fait l'objet d'une enquête technique du BEA-TT dont les conclusions 2 ont été diffusées en septembre 2010. Il y apparaît que le redressement du navire a été rendu difficile par un angle de barre initial trop élevé et il a été recommandé d'équiper le NATISSA d'un dispositif permettant de limiter à 35° l'orientation de sa barre.
2.7.2 - L'échouement du SICHEM ANELINE au Canada
Le Bureau de la Sécurité des Transports (BST) canadien rapporte que le 11 avril 2007 à 17 h 30, le chimiquier/transporteur de produits SICHEM ANELINE, chargé de benzène, a connu une panne de son appareil à gouverner et s'est échoué sur le côté sud du mouillage de Pointe-aux-Trembles sur le fleuve Saint-Laurent. Le navire a été renfloué le 15 avril 2007 et remorqué jusqu'au port de Montréal. Il n'y a eu ni victime ni pollution et le navire a, pour sa part, subi de petites avaries. L'analyse des circonstances et des causes de cet échouement a fait l'objet d'un rapport 3 du BST qui souligne que l'absence d'historique d'entretien n'avait pas permis aux mécaniciens d'anticiper et de prévenir les problèmes susceptibles d'apparaître sur les équipements critiques pour les opérations de navigation, tel que l'appareil à gouverner.
2.8 -
Les principales conclusions de la mission du CGEDD et de l'IGAM sur la sécurité de la navigation des navires fluvio-maritimes
Le Directeur général des infrastructures, des transports et de la mer s'inquiétant du nombre d'incidents mettant en cause des navires fluvio-maritimes naviguant sur le Rhône et la Saône, a demandé qu'une mission conjointe du CGEDD et de l'IGAM procède à une expertise des cadres techniques et juridiques applicables à ces navires en vue d'améliorer la sécurité de leur navigation en eaux intérieures. Le rapport concluant cette mission souligne tout particulièrement les « imprécisions du droit applicable à une activité qui relève à la fois du domaine maritime et du domaine fluvial suivant des lignes de partage incertaines » ainsi que la moindre manoeuvrabilité des navires fluvio-maritimes par rapport aux bateaux de navigation intérieure qui les rend plus vulnérables au courant, notamment dans les passages réputés difficiles ou en période de fort débit du fleuve. Ce rapport préconise quatre voies d'amélioration qu'il résume ainsi qu'il suit : « La première vise, au-delà d'une clarification du droit existant, à construire un véritable cadre juridique adapté à ce type d'exploitation hybride, qui reposerait sur les principes d'une " sanctuarisation " du statut du navire dans les eaux intérieures à partir des droits réels spécifiquement attachés à ce dernier par le droit international et national, à autoriser la " préférence maritime " du contrat de transport de marchandises, et à réaffirmer les responsabilités du capitaine pour la navigation en rivière. La deuxième est d'ordre technique. Alors que le code des transports consacre désormais l'opposabilité des prescriptions relatives à la sécurité de la navigation fluviale aux navires circulant sur les eaux intérieures, il convient de préciser la doctrine applicable car il est avéré que l'aptitude des navires à affronter le risque de mer ne les prédispose pas complètement aux contraintes de la navigation fluviale, spécialement sur le Rhône, qu'il s'agisse de puissance ou de manoeuvrabilité. Il est ainsi proposé d'encadrer l'autorisation de naviguer en fonction de la puissance du navire et du débit du Rhône.
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Rapport d'enquête technique sur l'échouement du navire fluvio-maritime NATISSA survenu le 11 juillet 2007 sur le Rhône à Givors BEA-TT. http://www.bea-tt.developpement-durable.gouv.fr/natissa-givors-r98.html Rapport M07L0040 sur l'échouement du chimiquier / transporteur de produits SICHEM ANELINE dans le port de Montréal (Québec) le 11 avril 2007 BST. http://www.tsb.gc.ca/fra/rapports-reports/marine/2007/m07l0040/m07l0040.asp
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La troisième voie d'amélioration tire les conséquences des incertitudes juridiques entachant le recours à un conducteur fluvial pour les navires quand le capitaine n'est pas titulaire de la qualification européenne de " conducteur de bateau de commerce ", nécessaire pour naviguer sur les eaux intérieures, et des constats d'accidentologie liée aux pratiques en cours. Elle prévoit d'encadrer l'exercice professionnel de la fonction de " conducteur-assistant " de manière à sécuriser à la fois les conditions de navigation et le régime contractuel de ces conducteurs. Dans cette perspective, la mission recommande d'engager une consultation auprès de la Commission, dans le cadre prévu par la directive 96/50/CE concernant l'harmonisation des conditions d'obtention des certificats nationaux de conduite de bateaux de navigation intérieure, aux fins de permettre la création d'une " attestation spéciale d'assistant à la conduite du navire sur le Rhône " qui sanctionnerait une connaissance des caractéristiques des navires fluvio-maritimes et des conditions de navigation sur le Rhône ainsi que la capacité du conducteur-assistant à dialoguer tant avec les personnels des services chargés de la navigation qu'avec le capitaine et son équipage grâce à une pratique suffisante de l'anglais maritime. Une identification précise du service attendu à bord par le conducteur-assistant dans le cadre de dispositions contractuelles expresses permettrait par ailleurs d'établir un partage des responsabilités entre le conducteur-assistant et le capitaine qui ne saurait abandonner ses prérogatives ; ce contrat préciserait les durées de conduite, favoriserait une meilleure prise en compte les conditions de vie qui lui sont faites à bord. Le dispositif étayerait la capacité du conducteur-assistant à se prévaloir, en qualité de préposé du transporteur, de la protection contre la mise en jeu de sa responsabilité civile. Enfin la mission préconise qu'une convention entre les différents services participant au contrôle de la sécurité maritime et de la sécurité fluviale précise leurs rôles, leurs compétences juridiques d'intervention et les modalités de coopération et échanges d'information entre eux. »
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3 - Déroulement de l'accident et des secours
3.1 Le déroulement du voyage
Le CARINA a chargé du sel au port de Zarzise, en Tunisie, d'où il a appareillé le 27 décembre 2007. Il passe l'écluse de Port-Saint-Louis-du-Rhône le 6 janvier 2008 et il reste dans la partie aval du Rhône jusqu'au 17 janvier 2008. Il commence son voyage sur la partie amont du Rhône vers la Saône ce 17 janvier dans le bief d'Avignon où un pilote fluvial est embarqué. Le navire fait deux escales : la première dans la nuit du 17 au 18 janvier, dans le bief de Logis-Neuf et la seconde pendant la nuit du 18 au 19 janvier, dans le bief des Sablons. Il franchit les différentes écluses jalonnant le Rhône aux dates et heures récapitulées dans le tableau ci-après. Heures d'éclusage Début 22h30 14h38 18h04 6h37 10h29 14h28 19h12 8h53 11h31 14h26 17h51 8h48 13h27 Fin 22h39 14h52 18h18 7h02 10h45 14h36 19h23 9h07 11h40 14h36 18h06 8h58 13h40 6,69 6,5 7,44 7,07 7,88 7,59 7,08 4,61 Vitesse Moyenne (km/h)
Écluse
PK
Date en 2008 6 janvier 8 janvier 8 janvier 17 janvier 17 janvier 17 janvier 17 janvier 18 janvier 18 janvier 18 janvier 18 janvier 19 janvier 19 janvier
Port-Saint-Louis-du-Rhône Beaucaire Avignon Caderousse Bollène Châteauneuf-du-Rhône Logis-Neuf Beauchastel Bourg-lès-Valence Gervans Sablons Vaugris Pierre-Bénite
323 265 239 216 189,8 163,5 142,3 123,5 105,6 86,1 60,5 33,9 3,9
Figure 7 : Dates et heures de franchissement des écluses du Rhône par le CARINA
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Il parcourt ensuite les 34 km qui séparent l'écluse de Pierre-Bénite du pont aval de Trévoux en 5h05 mn, soit à une vitesse moyenne par rapport au sol avoisinant 6,7 km/h en estimant qu'il lui a fallu 15 mn pour passer l'écluse de Couzon située sur ce trajet, au PK 19,300 de la Saône. Avec une vitesse du courant estimée à environ 5 km/h, la vitesse moyenne du CARINA par rapport à la surface de l'eau peut donc être évaluée à environ 11,7 km/h. Cette estimation concorde avec le témoignage de son capitaine qui a indiqué que le navire a passé le pont aval de Trévoux à pleine vitesse, c'est-à-dire à 7 noeuds ou 11,56 km/h.
3.2 -
Le déroulement de l'accident
Le 19 janvier, vers 18h, le navire se présente sous le pont aval de Trévoux avec une vitesse d'environ 6,7 km/h par rapport au fond. En amont de cet ouvrage, le fleuve présente une courbe prononcée vers la gauche. Le pilote met la barre à gauche. Le gouvernail ne répond pas à l'ordre de barre et le bateau continue sa route sans amorcer son virage. Le courant fait virer le navire à droite. Sa proue s'échoue sur la rive gauche de la Saône. L'arrière du navire poussé par le courant vient s'appuyer sur la balise radar implanté en amont du pont. Le CARINA se trouve ainsi bloqué, l'arrière engageant la rive gauche du chenal navigable.
Figure 8 : Déroulement de l'accident
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3.3 -
Les conséquences sur la navigation et les opérations de déséchouement
L'accident n'a causé que des dommages limités tant au CARINA qu'à l'infrastructure fluviale. Il a en revanche entraîné un arrêt de la navigation des bateaux avalants à partir de 0h30 le 20 janvier 2008 ainsi qu'une interruption de celle des convois montants à partir de 13h30 ce même jour. La Saône a été rendue à la navigation, dans les deux sens, le 20 janvier à 17h30, une fois les opérations de déséchouement effectuées. Celles-ci ont débuté à 16h30 et se sont terminées une heure plus tard. Le navire accidenté a été remorqué vers Villefranche-sur-Saône.
3.4 -
Les risques encourus lors de l'accident
La disposition des lieux, les conditions de navigation au moment de l'accident et ses circonstances mêmes ne font pas apparaître de risques très importants. Il n'en demeure pas moins qu'une défaillance de l'appareil à gouverner d'un navire peut se produire à n'importe quel moment et générer des dommages beaucoup plus graves.
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4 - Analyse des causes, orientations préventives et conclusions
4.1 L'analyse des causes
4.1.1 - Les constats
Il ressort des éléments exposés dans les chapitres précédents :
qu'au moment de l'accident, les conditions météorologiques et hydrologiques étaient normales ; que bien qu'ayant une bonne expérience de marinier et disposant de toutes les qualifications requises, le pilote fluvial qui avait pris en charge le CARINA n'avait pas l'habitude de conduire des navires fluvio-maritimes sur la Saône ; que tant le capitaine que le pilote fluvial attribuent la perte de contrôle du navire à une avarie de barre. Le capitaine a, de plus, constaté qu'au moment du franchissement du pont aval de Trévoux, la commande de barre était réglée à 60° et que le voyant d'alarme de surcharge du gouvernail s'est déclenché ; que ce gouvernail qui était à l'origine de type BECKER, avait été modifié de telle sorte que son comportement revenait à celui d'un système à safran unique pour lequel des angles de barre excédant nettement 35° peuvent conduire à des surcharges des moteurs de barre ; que le CARINA avait déjà connu des avaries de barre dans les années antérieures ; que le contrôle effectué en 2007 par les autorités maritimes à la suite des avaries précitées n'avait pas permis de déceler un défaut de fonctionnement du système de gouverne du CARINA et qu'il en a été de même tant lors de l'essai du gouvernail que lors de la visite de ce navire par le bureau de classification qui ont été réalisés après l'échouement survenu en amont du pont aval de Trévoux.
4.1.2 - Les causes probables de l'accident
L'accident considéré est très vraisemblablement la conséquence d'une disjonction momentanée de l'alimentation électrique des moteurs de barre du navire, suite à une surcharge de l'appareil à gouverner provoquée par un angle de barre excessif compte tenu des modifications qui avaient été apportées au safran de ce gouvernail. Il ne peut toutefois pas être exclu que ce système de gouverne ait connu une panne fugitive qui ne se produirait qu'épisodiquement. Deux facteurs ont également pu contribuer à cet accident :
la connaissance incomplète que le pilote fluvial avait du comportement du navire ; la difficulté pour les services en charge du contrôle de l'État du port d'inspecter un navire fluvio-maritime en eaux intérieures.
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4.2 -
Orientations préventives et conclusions
L'analyse des circonstances et des causes de cet accident appellent des orientations préventives dans deux domaines :
les capacités manoeuvrières des navires fluvio-maritimes ; l'efficacité des contrôles de sécurité exercés par les autorités publiques sur ces navires.
Ces deux domaines ont été expertisés en profondeur par la mission conjointe que le conseil général de l'environnement et du développement durable et l'inspection générale des affaires maritimes ont conduite sur la sécurité de la navigation des navires fluviomaritimes sur le Rhône et la Saône. L'échouement du navire CARINA qui s'est produit le 19 janvier 2008 sur la Saône au droit du pont aval de Trévoux confirme toute l'importance des préconisations de cette mission visant notamment à :
encadrer l'autorisation de naviguer des navires fluvio-maritimes au regard de leur puissance de propulsion, de leur manoeuvrabilité et du débit du fleuve concerné ; fixer un cadre légal et réglementaire à l'exercice d'une fonction d'assistant à la conduite ; organiser, tant sur le plan juridique qu'au plan opérationnel, un régime de compétences croisées entre les autorités maritimes et les autorités fluviales en matière de suivi et de contrôle de la sécurité des navires fluvio-maritimes.
Le BEA-TT invite donc la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer a poursuivre la mise en oeuvre des recommandations émises par cette mission.
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ANNEXES
Annexe 1 : Décision d'ouverture d'enquête Annexe 2 : Plans de situation
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Annexe 1 : Décision d'ouverture d'enquête
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Annexe 2 : Plans de situation
Plan de situation du pont aval de Trévoux sur la Saône
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Plans de situation du lieu de l'accident
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BEA-TT - Bureau d'enquêtes sur les accidents de transport terrestre Tour Voltaire 92055 - La Défense cedex Tél. : 01 40 81 21 83 - Fax : 01 40 81 21 50 cgpc.beatt@developpement-durable.gouv.fr www.bea-tt.developpement-durable.gouv.fr
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