Rapport d'enquête technique sur le heurt d'un pousseur par l'automoteur BUCENTAURE sur la Seine à Amfreville-sous-les-Monts (27) le 13 octobre 2011

Auteur moral
France. Bureau d'enquêtes sur les accidents de transport terrestre
Auteur secondaire
Résumé
<span style="font-family:arial;"><span style="font-size:11.0pt;">Le 13 octobre 2011, vers 5h20, sur la Seine à la hauteur d'Amfreville-sous-les-Monts dans </span></span><span style="font-family:arial;"><span style="font-size:11.0pt;">l'Eure, juste en aval de l'entrée de la grande écluse de Poses, le bateau BUCENTAURE, </span></span><span style="font-family:arial;"><span style="font-size:11.0pt;">montant du Havre vers Gennevilliers chargé de 2700 tonnes de sable et de graviers, heurte le pousseur KLEBER amarré à un ponton flottant dans le garage aval de l'écluse. Aucune victime n'est à déplorer. Le pousseur a coulé et son conducteur a été entraîné au fond de l'eau. Il a cependant pu regagner la rive à la nage. Une fuite de carburant du pousseur a, par ailleurs, provoqué une pollution restée limitée. </span></span><br /><span style="font-family:arial;"><span style="font-size:11.0pt;">La cause directe de l'accident est la détection tardive par le conducteur du BUCENTAURE des deux barges, du ponton et du pousseur mobilisés pour des travaux de réfection des écluses d'Amfreville-sous-les-Monts, qui se trouvaient sur sa route, amarrés ensemble dans une zone normalement dédiée au seul stationnement des bateaux en attente d'éclusage.</span></span><br /><span style="font-family:arial;"><span style="font-size:11.0pt;">Plusieurs facteurs ont contribué à cette situation: l'absence de tout signalement aux usagers de la voie d'eau du stationnement dans le garage aval des écluses des bâtiments de travaux précités alors que les caractéristiques de l'approche de la grande écluse conduisent fréquemment les bateliers remontant la Seine à suivre une route empiétant sur cette zone; une défaillance des feux de signalisation équipant le pousseur et le ponton flottant; une vigilance insuffisante du conducteur du BUCENTAURE qui naviguait à vue et qui n'a pas utilisé conjointement son radar pour détecter d'éventuels. Par ailleurs, une détection précoce du pousseur KLEBER par le biais du système d'identification automatique des bâtiments (AIS) aurait permis d'éviter la collision.</span></span><br /><br /><span style="font-family:arial;"><span style="font-size:11.0pt;">L'analyse de cet accident conduit le BEA-TT à formuler deux recommandations portant sur le signalement aux usagers de la voie d'eau des conditions de stationnement, notamment nocturne, des bâtiments et engins flottants dédiés aux travaux et sur l'explicitation des conditions dans lesquelles des bateaux, qui ne sont pas en attente d'éclusage, peuvent exceptionnellement être autorisés à stationner dans les garages amont et aval des écluses.</span></span><br /><br />
Editeur
Ministère de l'écologie, du développement durable, et de l'énergie
Descripteur Urbamet
accident ; voie navigable ; équipement de distribution ; navigation fluviale
Descripteur écoplanete
Thème
Transports
Texte intégral
BEA-TT Bureau d'enquêtes sur les accidents de transport terrestre Rapport d'enquête technique sur le heurt d'un pousseur par l'automoteur BUCENTAURE sur la Seine à Amfreville-sous-les-Monts (27) le 13 octobre 2011 février 2013 Ministère de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie www.developpement-durable.gouv.fr Conseil Général de l'Environnement et du Développement Durable Bureau d'Enquêtes sur les Accidents de Transport Terrestre Affaire n° BEATT-2011-013 Rapport d'enquête technique sur le heurt d'un pousseur par l'automoteur BUCENTAURE sur la Seine à Amfreville-sous-les-Monts (27) le 13 octobre 2011 Bordereau documentaire Organisme commanditaire : Ministère de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie (MEDDE) Organisme auteur : Bureau d'Enquêtes sur les Accidents de Transport Terrestre (BEA-TT) Titre du document : Rapport d'enquête technique sur le heurt d'un pousseur par l'automoteur BUCENTAURE sur la Seine à Amfreville-sous-les-Monts (27) le 13 octobre 2011 N°ISRN : EQ-BEAT--13-1--FR Proposition de mots-clés : avis à la batellerie, écluse, bâtiment de travaux, engin flottant, feu de signalisation, garage, navigation fluviale Avertissement L'enquête technique faisant l'objet du présent rapport est réalisée dans le cadre des articles L. 1621-1 à 1622-2 du titre II du livre VI du code des transports et du décret n° 2004-85 du 26 janvier 2004, relatifs notamment aux enquêtes techniques après accident ou incident de transport terrestre. Cette enquête a pour seul objet de prévenir de futurs accidents, en déterminant les circonstances et les causes de l'événement analysé et en établissant les recommandations de sécurité utiles. Elle ne vise pas à déterminer des responsabilités. En conséquence, l'utilisation de ce rapport à d'autres fins que la prévention pourrait conduire à des interprétations erronées. SOMMAIRE GLOSSAIRE.................................................................................................................................11 RÉSUMÉ.......................................................................................................................................13 1 CONSTATS IMMÉDIATS ET ENGAGEMENT DE L'ENQUÊTE............................................15 1.1 Les circonstances de l'accident........................................................................................15 1.2 Le bilan humain et matériel...............................................................................................15 1.3 L'engagement et l'organisation de l'enquête....................................................................16 2 CONTEXTE DE L'ACCIDENT.................................................................................................17 2.1 Le barrage-écluses de Poses-Amfreville..........................................................................17 2.1.1 Les infrastructures................................................................................................................................ 17 2.1.2 Les deux écluses.................................................................................................................................. 18 2.1.3 Le garage aval...................................................................................................................................... 18 2.2 La circulation des bateaux à l'aval des écluses d'Amfreville-sous-les-Monts..................19 2.2.1 Les vitesses autorisées sur la Seine en aval d'Amfreville-sous-les-Monts...........................................19 2.2.2 Les règles de croisement à l'approche des écluses d'Amfreville-sous-les-Monts.................................20 2.2.3 La procédure d'approche des écluses.................................................................................................. 20 2.3 Le stationnement à l'aval des écluses d'Amfreville-sous-les-Monts.................................21 2.3.1 Les règles de stationnement au garage aval........................................................................................ 21 2.3.2 Les règles de signalisation nocturne des bateaux en stationnement....................................................22 2.3.3 Les règles de signalisation nocturne des engins flottants au travail......................................................23 2.4 Les conditions de navigation.............................................................................................23 2.4.1 Les conditions météorologiques............................................................................................................ 23 2.4.2 La luminosité......................................................................................................................................... 23 2.4.3 Le courant............................................................................................................................................. 23 3 COMPTE RENDU DES INVESTIGATIONS EFFECTUÉES...................................................25 3.1 Les résumés des témoignages.........................................................................................25 3.1.1 Le témoignage de l'éclusier.................................................................................................................. 25 3.1.2 Le témoignage du conducteur du BUCENTAURE................................................................................26 3.1.3 Le témoignage du second conducteur du BUCENTAURE...................................................................26 3.1.4 Le témoignage du conducteur du LAKATA........................................................................................... 27 3.1.5 Le témoignage du conducteur du KLEBER.......................................................................................... 27 3.1.6 Le témoignage du deuxième membre de l'équipage du KLEBER........................................................27 3.1.7 Le témoignage du chef de secteur de l'entreprise Morillon Corvol Courbot..........................................28 3.1.8 Le témoignage d'un promeneur............................................................................................................ 28 3.2 Les travaux effectués sur les ouvrages de Poses-Amfreville...........................................29 3.3 L'ensemble des bâtiments mobilisés pour les travaux de réfection des ouvrages de Poses-Amfreville...............................................................................................................29 3.3.1 Les barges............................................................................................................................................ 30 3.3.2 Le ponton « ANGLORE »..................................................................................................................... 30 3.3.3 Le KLEBER........................................................................................................................................... 30 3.3.4 Le schéma général de l'amarrage......................................................................................................... 31 3.4 Le BUCENTAURE.............................................................................................................31 3.4.1 Les caractéristiques.............................................................................................................................. 31 3.4.2 Le matériel de navigation...................................................................................................................... 32 3.4.3 L'exploitation......................................................................................................................................... 32 3.4.4 L'équipage............................................................................................................................................ 32 3.5 La présentation des bateaux à l'entrée de la grande écluse............................................32 3.5.1 L'arrivée sur les écluses d'Amfreville-sous-les-Monts en remontant la Seine.......................................32 3.5.2 La manoeuvre d'entrée dans la grande écluse......................................................................................33 3.6 L'éclairage et le stationnement dans les garages aval et amont des écluses..................34 3.7 L'éclairage du garage aval des écluses d'Amfreville-sous-les-Monts..............................34 3.8 Les conséquences de l'accident.......................................................................................35 3.8.1 Le bilan humain..................................................................................................................................... 35 3.8.2 Les dégâts occasionnés au BUCENTAURE.........................................................................................36 3.8.3 Les dégâts subis par les bateaux chargés des travaux........................................................................36 3.9 Synthèse des investigations..............................................................................................37 3.9.1 L'amarrage des bâtiments de travaux au garage aval..........................................................................37 3.9.2 Le fonctionnement des feux de signalisation des bâtiments amarrés...................................................38 3.9.3 La position du BUCENTAURE au moment du choc..............................................................................38 4 DÉROULEMENT DE L'ACCIDENT.........................................................................................39 4.1 Le déroulement du voyage du BUCENTAURE.................................................................39 4.2 L'amarrage des bâtiments de travaux au garage aval......................................................39 4.3 L'approche de la grande écluse par le BUCENTAURE....................................................39 4.4 Les feux de signalisation des bâtiments amarrés au garage aval....................................40 4.5 La collision avec le KLEBER.............................................................................................40 5 ANALYSE DES CAUSES ET FACTEURS ASSOCIÉS, ORIENTATIONS PRÉVENTIVES..41 5.1 Le schéma des causes et des facteurs associés..............................................................41 5.2 Le signalement aux bateliers des conditions de stationnement des bateaux de travaux 41 5.3 La signalisation et les conditions de détection des bâtiments stationnés.........................43 5.3.1 La signalisation de nuit des engins en stationnement...........................................................................43 5.3.2 L'utilisation coordonnée des informations provenant des différents moyens de navigation..................43 5.3.3 Le déploiement du système AIS........................................................................................................... 43 6 CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS..........................................................................45 6.1 Les causes de l'accident...................................................................................................45 6.2 Les recommandations.......................................................................................................45 ANNEXES.....................................................................................................................................47 Annexe 1 : Décision d'ouverture d'enquête.............................................................................49 Annexe 2 : Vue aérienne du barrage-écluses de Poses-Amfreville........................................50 Annexe 3 : Avis à la batellerie relatif aux travaux de dragage effectués en septembre et octobre 2011 à proximité des écluses d'Amfreville-sous-les-Monts.....................52 Glossaire AIS : Automatic Identification System ; système d'identification automatique des bâtiments basé sur des échanges automatisés de messages radio à très haute fréquence (VHF) permettant aux bâtiments et aux stations de surveillance du trafic équipés d'un récepteur approprié de connaître l'identité, la position, la route et la vitesse des bâtiments situés à leur portée, c'est-à-dire à une distance n'excédant pas une dizaine de kilomètres CFT : Compagnie Fluviale de Transport, entreprise de logistique et de transport fluviaux et maritimes DGITM : Direction Générale des Infrastructures, des Transports et de la Mer EMCC : Entreprises Morillon Corvol Courbot, entreprise de dragage et de travaux nautiques ou subaquatiques GPS : Global Positionning System ; par extension, système ou appareil mobile de géolocalisation et de guidage d'itinéraire RGPNI : Règlement Général de Police de la Navigation Intérieure RPP : Règlement Particulier de Police VHF : Very High Frequency, très haute fréquence VNF : Voies Navigables de France 11 Résumé Le 13 octobre 2011, vers 5h20, sur la Seine à la hauteur d'Amfreville-sous-les-Monts dans l'Eure, juste en aval de l'entrée de la grande écluse de Poses, le bateau BUCENTAURE, montant du Havre vers Gennevilliers chargé de 2 700 tonnes de sable et de graviers, heurte le pousseur KLEBER amarré à un ponton flottant dans le garage aval de l'écluse. Aucune victime n'est à déplorer. Le pousseur a coulé et son conducteur a été entraîné au fond de l'eau. Il a cependant pu regagner la rive à la nage. Une fuite de carburant du pousseur a, par ailleurs, provoqué une pollution restée limitée. La cause directe de l'accident est la détection tardive par le conducteur du BUCENTAURE des deux barges, du ponton et du pousseur mobilisés pour des travaux de réfection des écluses d'Amfreville-sous-les-Monts, qui se trouvaient sur sa route, amarrés ensemble dans une zone normalement dédiée au seul stationnement des bateaux en attente d'éclusage. Plusieurs facteurs ont contribué à cette situation : l'absence de tout signalement aux usagers de la voie d'eau du stationnement dans le garage aval des écluses des bâtiments de travaux précités alors que les caractéristiques de l'approche de la grande écluse conduisent fréquemment les bateliers remontant la Seine à suivre une route empiétant sur cette zone ; une défaillance des feux de signalisation équipant le pousseur et le ponton flottant ; une vigilance insuffisante du conducteur du BUCENTAURE qui naviguait à vue et qui n'a pas utilisé conjointement son radar pour détecter d'éventuels obstacles susceptibles de se trouver dans la zone de garage qu'il empruntait. Par ailleurs, une détection précoce du pousseur KLEBER par le biais du système d'identification automatique des bâtiments (AIS) aurait permis d'éviter la collision. L'analyse de cet accident conduit le BEA-TT à formuler deux recommandations portant : pour la première, sur le signalement aux usagers de la voie d'eau des conditions de stationnement, notamment nocturne, des bâtiments et engins flottants dédiés aux travaux ; pour la seconde, sur l'explicitation des conditions dans lesquelles des bateaux, qui ne sont pas en attente d'éclusage, peuvent exceptionnellement être autorisés à stationner dans les garages amont et aval des écluses. Par ailleurs, le BEA-TT : invite la DGITM à clarifier les dispositions du règlement général de police de la navigation intérieure concernant la signalisation de nuit des engins flottants en stationnement qui ne sont pas au travail ; souligne tout l'intérêt que revêt l'utilisation coordonnée des différents moyens de navigation pour faire route en toute sécurité et invite les centres de formation des bateliers à développer la pratique de leurs élèves en ce domaine ; encourage VNF à poursuivre son action en matière d'aide à l'équipement des bateaux fluviaux en systèmes d'identification automatique (AIS). 13 1 Constats immédiats et engagement de l'enquête 1.1 Les circonstances de l'accident Le 13 octobre 2011, vers 5h20, sur la Seine à la hauteur d'Amfreville-sous-les-Monts dans l'Eure, juste en aval de l'entrée de la grande écluse de Poses, le bateau BUCENTAURE, montant du Havre vers Gennevilliers chargé de 2 700 tonnes de sable et de graviers, heurte le pousseur KLEBER amarré à un ponton flottant dans le garage aval de l'écluse. 1.2 Le bilan humain et matériel Cet accident n'a fait aucune victime. Le pousseur a coulé et son conducteur a été entraîné au fond de l'eau. Il a cependant pu regagner la rive à la nage. Il a été transporté au centre hospitalier universitaire (CHU) de Rouen pour y être soumis à des examens. Une pollution provoquée par une fuite du carburant du pousseur a nécessité l'intervention du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de l'Eure qui a dépêché sur place une équipe de plongeurs. Cette pollution est restée limitée. Le trafic fluvial n'a pas été interrompu. Ponton Pousseur Barge Figure 1 : Vue du pousseur KLEBER coulé lors de l'accident 15 1.3 L'engagement et l'organisation de l'enquête Compte tenu des circonstances de cet accident et avec l'accord du ministre en charge des transports, le directeur du bureau d'enquêtes sur les accidents de transport terrestre (BEA-TT) a ouvert, le 18 octobre 2011, une enquête technique en application des articles L. 1621-1 à L. 1622-2 du code des transports. L'enquêteur technique du BEA-TT a rencontré le conducteur du BUCENTAURE dès le lendemain de l'accident, lors de son escale à Gennevilliers. Il s'est rendu sur les lieux de la collision et a pris contact avec l'éclusier et le responsable de la subdivision de la navigation d'Amfreville-sous-les-Monts. Il a par ailleurs effectué, du 31 janvier au 2 février 2012, un voyage du Havre jusqu'à Gennevilliers à bord d'un convoi poussé par l'INTRÉPIDE de la Compagnie Fluviale de Transport (CFT). Ce voyage lui a permis d'apprécier les conditions particulières de la navigation sur la Seine aval, notamment en amont de Rouen, les pratiques en matière de signalisation de nuit des bateaux en stationnement ainsi que les spécificités de l'approche par l'aval du barrage-écluses de Poses-Amfreville. L'enquêteur a eu accès à l'enquête de flagrance diligentée par la brigade fluviale de gendarmerie du Grand-Quevilly. 16 2 Contexte de l'accident 2.1 2.1.1 Le barrage-écluses de Poses-Amfreville Les infrastructures Un bateau remontant la Seine, rencontre, 136 km après avoir franchi l'écluse de Tancarville, au PK 202 à Amfreville-sous-les-Monts dans l'Eure, un ensemble constitué de deux écluses situées en rive droite et d'un barrage implanté en rive gauche. Il s'agit du barrage-écluses de PosesAmfreville. En amont de cette infrastructure, la marée n'est plus ressentie. En revanche, en aval, l'amplitude du marnage peut atteindre plusieurs mètres. En vive-eau moyenne, il est d'environ 3 mètres à Oissel, au niveau du PK 229. Le courant venant du barrage est ainsi subi avec plus ou moins d'intensité selon la marée et le débit du fleuve. Ce courant constitue une gêne importante pour les manoeuvres d'approche de ces écluses en remontant la Seine. Une jetée construite dans le prolongement de la Grande Île permet de protéger leur entrée ainsi que le montre la vue aérienne de l'annexe 2 au présent rapport. Figure 2 : Plan de situation du barrage-écluses de Poses-Amfreville 17 2.1.2 Les deux écluses Les deux écluses d'Amfreville-sous-les-Monts ont des dimensions différentes. La plus grande, qui est celle placée la plus en abord de la rive droite de la Seine, offre un sas de 220 mètres de long sur 17 mètres de large. La seconde écluse, ou « moyenne écluse », présente une longueur de 141 mètres pour une largeur de 12 mètres. Grande écluse Moyenne écluse Figure 3 : Vue des entrées aval des écluses d'Amfreville-sous-les-Monts depuis le garage aval 2.1.3 Le garage aval À l'aval de ces deux écluses, en rive droite, juste après l'extrémité de la jetée située dans le prolongement de la Grande Île, une série de pieux d'amarrage, ou ducsd'Albe1, espacés d'environ une trentaine de mètres les uns des autres, forme un garage destiné au stationnement des bateaux en attente d'éclusage. Il n'existe aucun autre garage à l'aval des écluses considérées jusqu'au Quai d'Elbeuf situé au PK 218,950, 17 km plus loin. Garage aval 3e pieu 2e pieu 1er pieu Figure 4 : Vue du garage aval depuis la grande écluse d'Amfreville-sous-les-Monts 1 Poteau en bois ou en acier ou bien bloc de ciment ou de béton, dont la base est ensouillée dans le fond des bassins ou des chenaux, sur lequel un bateau peut s'amarrer ou s'appuyer 18 2.2 2.2.1 La circulation des bateaux à l'aval des écluses d'Amfrevillesous-les-Monts Les vitesses autorisées sur la Seine en aval d'Amfreville-sous-lesMonts Les vitesses maximales autorisées sur la Seine sont respectivement fixées : sur la partie fluviale, en amont du pont Jeanne-d'Arc à Rouen (76), par le règlement général de police de la navigation intérieure 2 (RGPNI), par le règlement particulier de police (RPP) pour la rivière Seine3 ainsi que par différents avis à la batellerie ; sur la partie maritime, dans les eaux du Grand Port Maritime de Rouen qui s'étend du pont Jeanne-d'Arc à Rouen jusqu'à la limite des eaux territoriales (12 milles marins) et inclut certains avant-ports, par le règlement particulier provisoire concernant les mesures de police pour la circulation et le stationnement dans les eaux du port de Rouen. Le tableau ci-après détaille les vitesses maximales ainsi permises par rapport à la rive sur les différentes sections de la Seine situées en aval d'Amfreville-sous-les-Monts. Vitesse Durée Distance maximale minimale de (km) (km/h) parcours Section de la Seine De la sortie de l'écluse de Tancarville (PK 338) à l'aval des appontements de Port-Jérôme (PK 332,4) De l'aval des appontements de Port-Jérôme à l'amont de ces appontements (PK 330) De l'amont des appontements de Port-Jérôme à La Bouille (PK 260) De La Bouille au pont Jeanne-d'Arc à Rouen (PK 242) Du pont Jeanne-d'Arc au PK 233 Du PK 233 à Saint-Aubin-les-Elbeuf (PK 223) De Saint-Aubin-les-Elbeuf au Port d'Elbeuf (PK 221,8) Du Port d'Elbeuf à Amfreville-sous-les-Monts (PK202) TOTAL 5,6 28 0h12min 0h10min 2h30min 1h17min 0h45min 0h33min 0h06min 2,4 70 18 9 10 1,2 19,8 136 14 28 14 12 18 12 18 1h06min 6h39min Figure 5 : Vitesse maximale autorisée sur la Seine en aval d'Amfreville-sous-les-Monts 2 Le règlement général de police de la navigation intérieure (RGPNI) a été approuvé par le décret n° 73912 du 21 septembre 1973 modifié par le décret n° 77-330 du 28 mars 1977. 3 Il s'agit de l'arrêté du 20 décembre 1974 portant règlement particulier de police de la navigation sur les canaux, rivières, cours d'eau et plans d'eau domaniaux (Haute-Seine, Seine, Yonne, Marne et Oise). 19 Ainsi, en adoptant systématiquement les vitesses maximales autorisées, un bâtiment mettrait 6h39min pour parcourir les 136 km séparant Tancarville en Seine-Maritime d'Amfreville-sous-les-Monts dans l'Eure. Le RGPNI prévoit également que les bâtiments doivent réduire, en temps utile, leur vitesse près des entrées de port, des bateaux stationnés et des bacs, sans toutefois descendre en dessous de la vitesse nécessaire pour gouverner en toute sécurité. 2.2.2 Les règles de croisement à l'approche des écluses d'Amfreville-sousles-Monts De l'aval des écluses d'Amfreville-sous-les-Monts (PK 202,000) à l'aval du pont ferroviaire du Manoir (PK 205,500), la navigation est dite « gauche-gauche », ce qui signifie que sur ce tronçon long de 3,500 km, les bateaux doivent tenir la gauche du chenal navigable. Les bateaux montants, de Rouen vers Paris, longent donc la rive droite de la Seine lorsqu'ils arrivent aux écluses précitées. Barrage de Poses-Amfreville Figure 6 : Navigation gauche-gauche à l'approche aval des écluses d'Amfreville-sous-les-Monts 2.2.3 La procédure d'approche des écluses Les écluses d'Amfreville-sous-les-Monts sont accessibles 24 heures sur 24 tout au long de l'année, à l'exception de six jours fériés qui sont fixés chaque année dans un avis à la batellerie. Pour 2011, il s'agit de l'avis n° 1-2011. Lorsqu'il veut franchir ces écluses, le conducteur d'un bateau doit en manifester l'intention environ 15 à 30 minutes avant en appelant l'éclusier à l'aide de la radio VHF 4 sur le canal 18. L'éclusier lui fournit alors toutes les indications utiles et prépare l'écluse. En cas d'encombrement ou d'événement particulier empêchant l'éclusage, l'éclusier en informe le conducteur du bateau qui doit alors prévoir un stationnement temporaire au garage aval ou amont, selon qu'il est montant ou avalant, et attendre qu'une écluse soit disponible. 4 Terme figurant dans le glossaire 20 Quelque 5 minutes avant d'arrivée aux écluses, le conducteur concerné doit reprendre l'attache de l'éclusier afin d'obtenir l'autorisation effective de passage. Un feu vert est allumé à l'entrée de l'écluse si cette autorisation est donnée. Il convient toutefois de noter que cette procédure est tirée des usages et qu'elle n'est pas finalisée par écrit. Le règlement général de police de la navigation intérieure prévoit, de plus, dans son article 6.28 qu'à l'approche des garages des écluses, les bâtiments doivent ralentir leur marche. 2.3 2.3.1 Le stationnement à l'aval des écluses d'Amfreville-sous-lesMonts Les règles de stationnement au garage aval Le règlement général de police de la navigation intérieure interdit dans les garages amont et aval des écluses, le stationnement des bâtiments qui ne sont pas en instance d'éclusage. Il dispose toutefois que les règlements particuliers de police des différents cours d'eau peuvent autoriser le stationnement des bateaux la nuit ou par temps bouché, à condition qu'ils n'apportent aucune gêne au passage des autres bâtiments. Le règlement particulier de police pour la rivière Seine renvoie en ce domaine à des avis à la batellerie. L'avis à la batellerie n° 1-2011 concernant la Seine définit les dimensions du garage aval de l'écluse d'Amfreville-sous-les-Monts. Les figures 7 et 8 ci-après les détaillent et les visualisent. Figure 7 : Extrait de l'avis à la batellerie n° 1-2011 pour la rivière Seine fixant les dimensions des garages aval et amont des écluses d'Amfreville-sous-les-Monts 21 Figure 8 : Schéma de la zone de stationnement autorisé en aval des écluses d'Amfreville-sous-les-Monts pour les bateaux en instance d'éclusage Cet avis à la batellerie ne fixe aucune disposition particulière autorisant le stationnement des bateaux au garage aval de ces écluses, de nuit ou par temps bouché. 2.3.2 Les règles de signalisation nocturne des bateaux en stationnement Dans son article 3.20, le règlement général de police de la navigation intérieure prévoit que les bâtiments en stationnement la nuit doivent porter un feu ordinaire blanc visible de tous les côtés et placé du côté du chenal, à 3 mètres au moins au-dessus du plan des marques d'enfoncement. Figure 9 : Signalisation de nuit d'un bâtiment en stationnement 22 2.3.3 Les règles de signalisation nocturne des engins flottants au travail Ce même règlement précise, dans son article 3.27, que les engins flottants au travail et les bâtiments effectuant des travaux doivent porter la nuit : du ou des côtés où le passage est libre, un feu ordinaire rouge et un feu ordinaire blanc ou un feu clair rouge et un feu clair blanc placés à un mètre environ au-dessus l'un de l'autre, le feu rouge étant le plus haut ; du côté où le passage est interdit, un feu rouge présentant les mêmes caractéristiques que le feu rouge mentionné à l'alinéa précédent. Figure 10 : Signalisation de nuit d'un engin flottant au travail Ces feux doivent éclairer de tous les côtés et montrer une lumière continue et uniforme. 2.4 2.4.1 Les conditions de navigation Les conditions météorologiques Le 13 octobre à 5h00, à la station météorologique de Rouen-Boos située à moins de 10 km des écluses d'Amfreville-sous-les-Monts, la température est d'environ 15°C, le vent est faible et le ciel est voilé. Il n'y a pas de précipitation et la visibilité est de l'ordre de 4 à 5 km. Les conditions météorologiques ne sont pas défavorables. 2.4.2 La luminosité L'aurore n'a pas commencé. La lune est pleine, haute dans le ciel, dans la direction du Sud-Ouest. Très précisément, sa hauteur est de 52° dans l'azimut 243°. Le rayonnement lunaire est partiellement absorbé par le voile de nuages. Au moment où l'accident se produit, le site n'est donc pas éclairé par l'aurore. Il est éclairé par la lune de manière aléatoire. 2.4.3 Le courant Au début de l'automne, le débit de la Seine, qui est de l'ordre de 150 m3/s, engendre un courant dont la vitesse se situe entre 1 et 2 km/h. Au niveau du garage aval d'Amfreville-sous-les-Monts, le courant est traversier. Il vient du barrage et pousse vers les ducs-d'Albe. Son intensité est cependant limitée compte tenu du faible débit de la Seine en début d'automne. 23 3 Compte rendu des investigations effectuées 3.1 Les résumés des témoignages Les résumés des témoignages présentés ci-après sont établis par les enquêteurs techniques sur la base des déclarations orales ou écrites dont ils ont eu connaissance. Ils ne retiennent que les éléments ayant paru utiles pour éclairer la compréhension et l'analyse des événements et pour formuler des recommandations. Il peut exister des divergences entre les différents témoignages recueillis ou entre ceux-ci et des constats ou analyses présentés par ailleurs. 3.1.1 Le témoignage de l'éclusier L'éclusier qui était en service au moment de la collision, indique qu'il avait pris son service la veille à 20h00. Vers 5h00, le 13 octobre 2011, il a reçu un appel d'un bateau avalant, le LAKATA. Il lui a préparé la moyenne écluse. Ce bateau s'y est présenté et l'a franchie. L'éclusier déclare que pendant cet éclusage, il a reçu un premier appel du BUCENTAURE qui remontait la Seine et qui demandait à disposer de la grande écluse compte tenu de son chargement. Lorsque le LAKATA est sorti de la moyenne écluse, le BUCENTAURE n'était pas encore arrivé. À 5h15, la grande écluse était prête pour l'accueillir. Il était à vue et l'éclusier lui a indiqué qu'il pouvait se présenter. L'éclusier a allumé le feu vert autorisant l'entrée dans cette écluse, puis a rempli quelques documents destinés à compléter les bases de données tenues par Voies Navigables de France. Quelques secondes plus tard, le conducteur du BUCENTAURE l'a appelé en urgence pour l'informer qu'il venait de heurter un bateau accosté aux ducs-d'Albe situés en aval des écluses. Le conducteur lui a alors signalé qu'il y avait « un homme à la mer ». L'éclusier précise qu'après des échanges avec les équipages du BUCENTAURE et du KLEBER, il a appelé les services de secours et la gendarmerie afin que le conducteur du pousseur percuté, qui était sorti de l'eau, choqué et frigorifié, soit pris en charge. Il a ensuite éclusé le BUCENTAURE qui s'est amarré au garage amont. L'éclusier pense qu'au moment de sa prise de fonction, à 20h00, les feux de mât du ponton ANGLORE auquel le pousseur percuté était amarré, étaient allumés. En revanche, il indique qu'il ne pouvait pas voir si le ou les feux de signalisation de ce pousseur fonctionnaient compte tenu de sa position à l'arrière du ponton. Il assure que le matin, lors de la sortie du LAKATA, les feux de mât du ponton étaient éteints. Pour l'éclusier, ces feux ont connu une défaillance au cours de la nuit. Il précise qu'ils se sont rallumés après l'accident, peut-être à cause du choc. L'éclusier déclare que la rue bordant la berge est dotée d'un éclairage mais qu'il est insuffisant pour atteindre les bateaux. Il ajoute que les conditions de visibilité étaient bonnes. Il précise qu'il ne prévient plus les bateaux de la présence de bâtiments sur zone, car au bout de trois mois de travaux tous les bateliers sont au courant. 25 3.1.2 Le témoignage du conducteur du BUCENTAURE Le BUCENTAURE a quitté l'écluse de Tancarville le 12 octobre vers 22h20. Son conducteur déclare s'être annoncé par la radio VHF à l'éclusier en poste à Amfrevillesous-les-Monts le 13 octobre vers 5h00. Cet éclusier lui a alors répondu qu'il préparait la grande écluse. Il lui a donné, en retour, les informations habituelles concernant son bateau. À 5h10, le conducteur amorce à vue sa manoeuvre d'approche de l'écluse concernée. Avec le courant provenant du barrage, le BUCENTAURE est poussé vers les ducs-d'Albe. Ne pressentant aucun danger, le conducteur laisse glisser tranquillement le bateau comme d'habitude. À 5h12, le conducteur allume son projecteur pour vérifier la distance séparant son bateau des pieux. À ce moment là, il aperçoit brusquement le pousseur KLEBER juste devant, sur la route du BUCENTAURE. Il lance la machine en arrière et met en route le propulseur d'étrave pour aider à la manoeuvre et tenter d'éviter la collision. Cependant, avec 2 700 tonnes de chargement à bord, il n'y parvient pas. Le conducteur du BUCENTAURE confirme que les conditions de navigation et de visibilité étaient bonnes. Il précise toutefois qu'à l'approche de l'écluse, il y a des « trous noirs » dus à l'arrière plan lumineux. Il indique ne pas avoir vu le pousseur qui n'était pas éclairé. Juste après l'impact, le pousseur a coulé. Le conducteur affirme que lui et sa femme ont alors vu s'allumer les feux du ponton ANGLORE auquel le pousseur était amarré. Le conducteur indique qu'il a vu ensuite deux personnes sur la barge qui en aidaient une troisième à sortir de l'eau. Il a donc poursuivi sa manoeuvre pour mettre son bateau en sécurité. Après avoir franchi la grande écluse, il a amarré son bateau au garage amont. Le conducteur affirme que l'éclusier ne lui a indiqué ni la présence du ponton ni celle du pousseur. Il précise que l'éclusier lui a déclaré qu'il n'avait pas vu les feux de mouillage et de gabarit de ces bâtiments. 3.1.3 Le témoignage du second conducteur du BUCENTAURE Le conducteur du BUCENTAURE était accompagné de son épouse qui est également habilitée à piloter ce bâtiment. Elle déclare avoir quitté la timonerie à 4h30 et, donc, ne pas être en mesure d'apporter des précisions sur les manoeuvres effectuées avant la collision. Après l'accident, elle a constaté que tant les feux de signalisation du pousseur que ceux du ponton étaient éteints. Elle affirme avoir vu les feux du ponton se rallumer. Elle ajoute qu'il n'en n'a pas été de même de ceux du pousseur. Elle précise avoir vu deux personnes sur le ponton qui en aidaient une troisième à sortir de l'eau. Elle s'est enquise de la présence d'autres personnes dans le pousseur. Il lui a été répondu par la négative. Elle déclare avoir demandé aux personnes présentes de l'entreprise EMCC 5 les raisons pour lesquelles les feux de signalisation des engins en stationnement étaient éteints. Elles lui ont répondu que ces feux étaient allumés. 5 Terme figurant dans le glossaire 26 La conductrice souligne que les conditions de navigation étaient bonnes, qu'il y avait un éclairage lunaire, mais qu'aux abords des écluses d'Amfreville-sous-les-Monts l'environnement était plus sombre. 3.1.4 Le témoignage du conducteur du LAKATA Le conducteur du LAKATA, un automoteur de 45 mètres, affirme qu'après le passage de son bateau dans la moyenne écluse de Poses-Amfreville le 13 octobre vers 5h00, il a constaté que le pousseur qui se trouvait accosté au garage aval des écluses concernées n'était pas éclairé. Il indique qu'il en était de même du ponton et des barges amarrés au même endroit. Il explique que la moyenne écluse, qu'il a empruntée, est située plus loin de la rive que la grande écluse et que, de ce fait, il n'a pas été gêné par les bâtiments amarrés au garage aval. Selon lui, l'éclusier n'était pas au courant de la présence de ces bâtiments. Il précise qu'il est fréquent de rencontrer des bateaux en stationnement qui ne portent pas les feux réglementaires de signalisation et que cette pratique est dangereuse. 3.1.5 Le témoignage du conducteur du KLEBER Le conducteur du KLEBER déclare que les bâtiments qui étaient amarrés au garage aval des écluses au cours de la nuit du 12 au 13 octobre 2011 comprenaient deux barges transportant des gravats et, à couple, un ponton portant une grue et le pousseur. Les barges étaient amarrées à ce même endroit depuis plus de trois mois. Le ponton était sur le site depuis deux jours. La largeur de l'emprise occupée sur le fleuve par ces bâtiments était inférieure à 14 mètres. Il précise que le pousseur disposait d'un feu blanc allumé, situé du côté de la voie navigable et visible sur tout l'horizon. Ce feu a été actionné par ses soins depuis la timonerie. Il souligne que le mât du ponton supportait un feu rouge éclairé du côté de la rive et un feu blanc allumé du côté du fleuve. Ce n'est pas lui qui les a mis en service, mais ils ont été allumés en même temps que ceux du pousseur. 3.1.6 Le témoignage du deuxième membre de l'équipage du KLEBER Le deuxième membre de l'équipage du KLEBER était chargé de l'exploitation du ponton ANGLORE et de la pelle mécanique. Il déclare qu'il dormait sur le pousseur, qu'il s'est levé à 5h00 et qu'il s'est rendu sur le ponton. Il y a allumé le groupe électrogène qui alimente la baraque de chantier où l'équipe prend le petit déjeuner. Alors qu'il préparait le café, il a entendu un très fort bruit et a été projeté sur le sol. Il est sorti pour voir ce qui se passait. Il a distingué l'étrave de l'automoteur BUCENTAURE qui venait tout juste de percuter le KLEBER. Il signale que l'antenne du radar du BUCENTAURE, située à l'avant, tournait à ce moment là. Un employé, dormant dans une caravane stationnée sur la berge, est arrivé pour prendre son service. Il indique que le KLEBER a coulé en une trentaine de secondes entraînant le capitaine, qui dormait à son bord. Quelques secondes plus tard, le capitaine est apparu à la surface de l'eau. L'employé et lui-même l'ont aidé à en sortir. 27 Il déclare que l'épouse du conducteur du BUCENTAURE lui a fait remarquer que les bâtiments, barge, ponton et pousseur, n'étaient pas éclairés. Il s'est alors retourné vers le mât du ponton et a constaté que les deux feux rouges bâbord et tribord étaient allumés et que le feu blanc était éteint. Lorsqu'il a donné un coup sur le mât, le feu blanc s'est remis à fonctionner. Il suppose que ce feu s'est éteint lors du choc. Il précise que plusieurs feux de couleur se trouvent sur ce mât. Ils sont commandés par l'intermédiaire d'une cellule photovoltaïque qui ferme le circuit d'alimentation lorsque la lumière extérieure diminue. L'éclairage est alimenté toute la nuit par des batteries rechargées par le courant électrique en 220 V fourni par le générateur lorsqu'il est en marche. Cet employé souligne qu'un feu blanc éclairant sur tout l'horizon était allumé sur le pousseur. Il certifie n'avoir jamais connu de problème d'électricité sur le ponton ANGLORE. Cependant, aucune ronde n'est assurée la nuit hormis une ultime vérification des câbles et des pieux, qu'il effectue avant de se coucher. Il confirme que l'éclusier n'a pas été explicitement prévenu du stationnement des bâtiments puisqu'il doit savoir qu'il n'y a pas d'autres endroits où ils auraient pu être accostés. 3.1.7 Le témoignage du chef de secteur de l'entreprise Morillon Corvol Courbot Le chef de secteur de l'entreprise Morillon Corvol Courbot est responsable du déroulement des travaux effectués sur les ouvrages de Poses-Amfreville. Il indique que ces travaux ont débuté en octobre 2010. Il précise que la remise en état des ouvrages considérés est exécutée avec le pousseur KLEBER, un ponton à pieux et deux barges qui sont stationnées à l'aval de l'écluse, amarrées aux ducs-d'Albe. Lorsqu'ils sont à couple, la largeur totale de l'emprise de ces engins sur le fleuve est d'environ 13 à 14 mètres. Il souligne que le stationnement du pousseur n'augmentait pas la largeur de l'ensemble. Il déclare que le ponton ANGLORE est, notamment, équipé d'un mât portant une signalisation lumineuse. Au sommet de ce mât se trouve un feu blanc tandis que des feux de couleur sont disposés sur deux vergues. Il explique que l'alimentation électrique de ces feux est fournie par une batterie commandée par une cellule photosensible. Il a été prévenu de l'accident vers 5h58 et il lui a été précisé qu'il n'y avait pas de blessés, que le stationnement des bâtiments était réglementaire et que les feux de signalisation fonctionnaient. Il souligne que les deux pieux stabilisateurs du ponton, plantés dans le fond de la Seine, ont été tordus et qu'une brèche a été ouverte dans son caisson arrière. 3.1.8 Le témoignage d'un promeneur Un promeneur, domicilié juste en face du lieu où s'est produit l'accident, déclare avoir vu les feux de signalisation installés sur le mât du ponton allumés la veille au soir vers 23h00. Il pense que deux feux fonctionnaient et, sans certitude, que les feux verts en bas du mât étaient également allumés. 28 Toute la semaine, le promeneur a constaté que les feux étaient en fonction sur le ponton et le pousseur. 3.2 Les travaux effectués sur les ouvrages de Poses-Amfreville Des travaux de réfection du groupe d'ouvrages de Poses-Amfreville ont été engagés en octobre 2010 pour durer jusqu'en novembre 2011. Ils ont notamment consisté à remettre en état les sas et les portes des écluses ainsi que le rideau de palplanches implanté, à l'aval, en rive droite. Dans ce cadre, l'avis à la batellerie référencé FR/2011/03960 a notamment informé les bateliers que des travaux de dragage auraient lieu du lundi 3 octobre 2011 8h00 au vendredi 21 octobre 2011 18h00 sur la Seine, à l'aval de Paris, sur le bief maritime entre les PK 202.100 et 202.830. Cet avis les a clairement invité à « observer une extrême vigilance aux abords des zones de dragages et à se conformer aux instructions qui pourront leur être données par les agents chargés de la sécurité. » Il ne donne, en revanche, aucune indication sur le stationnement des engins flottants utilisés pour l'exécution de ces travaux. 3.3 L'ensemble des bâtiments mobilisés pour les travaux de réfection des ouvrages de Poses-Amfreville Grande écluse Moyenne écluse Barrage Ponton ANGLORE 1er pieu 2e pieu Barges 3e pieu Pousseur KLEBER Figure 11 : Position des bâtiments de travaux après la collision Les travaux précités ont été réalisés au moyen de deux barges ordinaires et d'un engin flottant constitué d'un ponton, de devise ANGLORE, portant une pelle mécanique. Ces bâtiments étaient déplacés à l'aide d'un pousseur, le KLEBER. Dans les jours précédant le 13 octobre 2011, les barges étaient amarrées juste à l'aval des écluses, aux ducs29 d'Albe réservés au stationnement des bateaux en attente d'éclusage. Le ponton ANGLORE y a été mis à couple, puis, le soir du 12 octobre, le pousseur KLEBER a été amarré dans le prolongement de ce ponton, du côté aval, pour y passer la nuit. 3.3.1 Les barges Deux barges étaient directement amarrées du 1er au 3e duc-d'Albe, à l'extrémité amont du garage aval. Elles contenaient des gravats issus des travaux. Elles étaient brêlées bout à bout et occupaient une zone longue de quelque 60 mètres et large de 5,20 mètres. 3.3.2 Le ponton « ANGLORE » À couple des barges, entre le 2e et le 3e duc-d'Albe, se trouvait le ponton flottant ANGLORE portant une pelle mécanique, des conteneurs renfermant du matériel de travaux ainsi que des locaux de vie. Cet engin flottant occupe une emprise longue d'une trentaine de mètres et large de 8,20 mètres. Ce ponton dispose d'un mât équipé de feux de signalisation installés au sommet sur des vergues et permettant de répondre aux prescriptions imposées en matière de signalisation nocturne aux engins flottants au travail, à savoir un feu blanc surmonté d'un feu rouge du côté où la navigation est autorisée et un feu rouge du côté où elle est interdite. Ainsi que le montre la figure ci-contre, lorsqu'ils sont allumés, ces feux sont bien visibles. Figure 12 : Mât portant les feux de signalisation du ponton ANGLORE 3.3.3 Le KLEBER Le KLEBER est un pousseur long de 10,07 mètres et large de 5,05 mètres. Il a été construit en 1969 en France. Son moteur principal offre une puissance de 250 kW. Il dispose d'un titre de navigation valide jusqu'en mai 2014. Il est exploité par son propriétaire, la société EMCC. Au moment de l'accident, l'équipage de ce pousseur comprenait son capitaine et un second marinier chargé de l'exploitation du ponton et de la pelle mécanique. Ce dernier ne se trouvait plus à son bord lorsque la collision s'est produite. Il était monté sur le ponton quelques minutes auparavant. Conformément à la réglementation, le KLEBER est doté d'un feu de stationnement blanc qui, installé en haut d'un mât, est visible de tous les côtés. 30 3.3.4 Le schéma général de l'amarrage Figure 13 : Positionnement des bâtiments chargés des travaux par rapport à la zone de stationnement du garage aval La largeur totale qu'occupait lors de l'accident l'ensemble de ces engins flottants est égale à la largeur du ponton, 8,20 m, augmentée de celle des barges, 5,20 m et de l'épaisseur des défenses, soit environ 14 mètres. La figure 13 montre que cet ensemble dépassait la zone de stationnement en amont du 3e duc-d'Albe. Ce facteur n'a en aucune manière contribué à l'accident considéré. Il n'en n'a pas non plus augmenté la gravité. 3.4 Le BUCENTAURE Figure 14 : Vue du BUCENTAURE, vide de chargement, à la sortie des écluses d'Amfreville-sous-les-Monts 3.4.1 Les caractéristiques Le BUCENTAURE est un automoteur ordinaire, long de 109,88 mètres et large de 11,45 mètres, qui a été construit en 2001 en Roumanie. Son moteur principal développe une puissance de propulsion de 1 118 kW et son port en lourd s'élève à 2 800 tonnes. Il dispose d'un titre de navigation valide jusqu'en janvier 2016. Ce bateau est en excellent état d'entretien. 31 3.4.2 Le matériel de navigation Le BUCENTAURE est notamment équipé d'un radar, d'un GPS 6, d'un dispositif de carte électronique de navigation intérieure et d'un système d'identification automatique (AIS). Ce matériel était en service au moment de l'accident. L'AIS permet de détecter tous les bâtiments équipés d'un système identique qui sont situés dans un rayon de l'ordre d'une dizaine de kilomètres. Un radar a une portée un peu plus grande que la portée visuelle. Il permet de détecter des obstacles de jour comme de nuit, avec ou sans brouillard. 3.4.3 L'exploitation Depuis environ deux ans, le BUCENTAURE est exploité sur la Seine entre Le Havre, Rouen et la région parisienne. Il y transporte principalement des cargaisons de vrac, notamment des matériaux de construction. 3.4.4 L'équipage Le conducteur et son épouse, tous les deux à bord le jour de l'accident, se relaient pour piloter ce bateau, jour et nuit. Tous deux possèdent le certificat de capacité du groupe A, sans restriction, ainsi que l'attestation spéciale « radar ». Il s'agit de deux mariniers expérimentés aux compétences incontestables, développées par une longue pratique sur différentes voies d'eau. Ils connaissent parfaitement le trajet entre Le Havre et la région parisienne, que le bateau parcourt depuis deux ans. L'équipage comprend également un matelot. 3.5 3.5.1 La présentation des bateaux à l'entrée de la grande écluse L'arrivée sur les écluses d'Amfreville-sous-les-Monts en remontant la Seine Direction d'entrée dans la grande écluse g e r a G a a l a v Vue du garage aval après le dernier virage à gauche Passage le long du garage aval pour se présenter à l'entrée de la grande écluse Figure 15 : L'arrivée au niveau des écluses d'Amfreville-sous-les-Monts 6 Terme figurant dans le glossaire 32 Pour les bateaux montants, les écluses d'Amfreville-sous-les-Monts et leur garage aval deviennent visibles juste à la sortie de la dernière courbe à gauche que marque la Seine au niveau du PK 203. Lorsqu'il en est ainsi, la timonerie de ces bateaux se trouve à environ 600 mètres du 1er duc-d'Albe, le plus en amont du garage aval dans le sens du courant. Le 13 octobre 2011, les bâtiments de travaux qui étaient amarrés au garage aval y occupaient une longueur totale de l'ordre de 80 m. L'étrave du BUCENTAURE se trouve, de plus, à une centaine de mètres en avant de sa timonerie. Lorsque les écluses et le garage aval sont devenus visibles par le conducteur du BUCENTAURE, cette étrave était donc à un peu plus de 400 m des bâtiments de travaux précités. À la vitesse de 12 km/heure, il faut environ 2 minutes pour parcourir cette distance, et à 18 km/h, il faut 1min20s. 3.5.2 La manoeuvre d'entrée dans la grande écluse L'axe des écluses est orientée au 095° tandis que celui du garage aval l'est au 080°. Il y a, de plus, peu de place en aval de la grande écluse pour effectuer ce changement de cap. Il est donc nécessaire, pour entrer dans la grande écluse, d'approcher l'avant du bateau des palplanches en utilisant la machine et le propulseur d'étrave. Si des bâtiments sont stationnés au garage aval, le conducteur du bateau concerné privilégie une route similaire à la « route 1 » indiquée sur la figure 16 ci-après. Elle présente un point d'inflexion qui complique la manoeuvre des grands bâtiments présentant de l'inertie en giration. Figure 16 : Manoeuvre d'entrée dans la grande écluse des bateaux montants Cette manoeuvre d'entrée dans la grande écluse des bateaux montants est en outre perturbée par le courant provenant du barrage, même si au début de l'automne celui-ci est moins fort qu'au printemps compte tenu du débit plus réduit de la Seine. La manoeuvre d'entrée dans la grande écluse se révèle donc délicate. Dans la pratique, le plus souvent, aucun bateau ne stationne au garage aval. La manoeuvre peut être simplifiée en suivant une route analogue à la « route 2 » telle qu'elle est identifiée sur la figure 16 ci-dessus. Le conducteur approche plus près des ducsd'Albe. Pour cela, il laisse son bateau dériver, poussé vers le garage aval par le courant traversier provenant du barrage. 33 n t i o t e c P r o Passage à environ 15 mètres Figure 17 : Visualisation d'une manoeuvre d'entrée dans la grande écluse d'Amfreville-sous-les-Monts. Le convoi passe à une quinzaine de mètres des ducs-d'Albe du garage aval en suivant une route voisine de la « route 2 ». 3.6 L'éclairage et le stationnement dans les garages aval et amont des écluses Lors du voyage qu'il a effectué du 31 janvier au 2 février 2012 sur l'INTRÉPIDE, l'enquêteur du BEA-TT a pu constater que le long de la Seine, plusieurs bâtiments en stationnement ne disposaient pas des feux réglementaires de signalisation, y compris dans les garages. Certains d'entre eux étaient visuellement indétectables. Il a également noté que les bateaux amarrés dans les garages débordaient parfois des zones de stationnement autorisées. Enfin, il lui a semblé que les garages amont et aval des écluses étaient quelquefois utilisés pour le stationnement de bateaux qui n'étaient pas en attente d'éclusage et qui pouvaient s'y trouver depuis plusieurs jours. 3.7 L'éclairage du garage aval des écluses d'Amfreville-sous-lesMonts Au droit du garage aval des écluses d'Amfreville-sous-les-Monts, une rangée de réverbères éclairent la rive. Au moment de la réalisation des travaux décrits dans le chapitre 3.2, un affaissement de terrain avait entraîné la coupure de leur alimentation. Ils ne fonctionnaient donc pas lors de l'accident analysé dans le présent rapport. Nonobstant, ces réverbères sont éloignés de plus de 20 mètres du garage aval et un seul se trouve au droit de la zone où étaient stationnés les bâtiments de travaux. Ils éclairent la rive, mais pas les bateaux stationnés. La panne qui les affectait au moment de la collision n'a donc pas eu d'influence significative sur celle-ci. 34 Réverbères Figure 18 : Vue des réverbères éclairant la rive, situés à proximité du garage aval 3.8 3.8.1 Les conséquences de l'accident Le bilan humain Au moment de la collision, le membre de l'équipage du KLEBER chargé de l'exploitation du ponton et de la pelle mécanique a quitté le pousseur et se trouve sur le ponton. Seul le capitaine de ce pousseur est donc à son bord. Il dort dans sa cabine. Il est réveillé brusquement par le choc et entraîné au fond de l'eau avec le bateau. La porte de sa cabine est bloquée. Il parvient cependant à en sortir par une fenêtre qui était ouverte du côté de la rive. Très choqué, il n'est en revanche pas blessé. 35 3.8.2 Les dégâts occasionnés au BUCENTAURE Le heurt du KLEBER par le BUCENTAURE a occasionné à ce dernier des rayures prononcées au niveau de son étrave ainsi que le montre la figure 19 ci-après. Ces traces indiquent que le choc a eu lieu à peu près dans l'axe du BUCENTAURE. Ces dégâts ont été sans gravité et le BUCENTAURE a pu reprendre sa route après la collision. Figure 19 : Vue de l'étrave du BUCENTAURE, à quai à Gennevilliers, le 14 octobre 2011 3.8.3 Les dégâts subis par les bateaux chargés des travaux Le pousseur KLEBER a sombré quelques secondes après la collision. Il a ensuite été renfloué. Il a, de fait, été heurté sur son bord arrière, à tribord, en un endroit qui se trouvait à une douzaine de mètres de l'alignement des ducs-d'Albe du garage aval. Ce bâtiment a subi des dégâts très importants ainsi que l'atteste la figure 20 ci-dessous. Figure 20 : Vues du pousseur KLEBER, à gauche au cours de son renflouement et à droite après son renflouement. 36 Le caisson arrière du ponton ANGLORE a été enfoncé par les poussoirs du KLEBER. Toutefois, le compartimentage serré de ses oeuvres vives a permis de le préserver d'un naufrage. Au moment du choc, le ponton était stabilisé par deux pieux coulissants descendus verticalement et ancrés sur le fond du fleuve. Ils ont été tordus lors de la collision. Voie d'eau sur le caisson du ponton Figure 21 : Vue du ponton ANGLORE, à quai en amont des écluses, fin novembre 2011 3.9 3.9.1 Synthèse des investigations L'amarrage des bâtiments de travaux au garage aval L'avis à la batellerie référencé FR/2011/03960 a signalé aux usagers de la voie d'eau que des travaux de dragage avaient lieu du 3 au 21 octobre 2011 à l'aval des écluses d'Amfreville-sous-les-Monts et qu'ils requéraient une grande vigilance de leur part. Cet avis ne donnait, en revanche, aucune indication sur les caractéristiques des bâtiments mobilisés pour la réalisation de ces travaux. Il faisait, encore moins, état de leurs conditions de stationnement et ne signalait pas qu'ils seraient amarrés au garage aval. De fait, au moment où l'accident s'est produit, les barges stationnaient dans ce garage depuis trois mois. Elles y avaient été rejointes par le ponton et le pousseur deux jours auparavant. L'équipage du KLEBER supposait que l'éclusier et les bateliers étaient au courant de leur présence la nuit au garage aval puisqu'il n'y avait pas véritablement d'alternative à ce stationnement. Il n'en avait donc pas prévenu l'éclusier. Le conducteur du BUCENTAURE devait, a priori, savoir que des barges étaient stationnées au garage aval puisqu'il franchissait les écluses d'Amfreville-sous-les-Monts plusieurs fois par mois. Par contre, au moment de l'accident, il ne savait pas que le KLEBER et l'ANGLORE les avaient rejointes et y étaient amarrés à couple. 37 3.9.2 Le fonctionnement des feux de signalisation des bâtiments amarrés Dans leur témoignage, l'éclusier et le conducteur du LAKATA indiquent que lorsque cet automoteur est sorti de la moyenne écluse, les feux de signalisation du ponton ANGLORE n'étaient pas allumés. Le conducteur du LAKATA ajoute que le pousseur KLEBER n'était également pas éclairé. L'éclusier précise qu'à ce moment là, le BUCENTAURE n'était pas encore arrivé sur le site. Ces éléments sont corroborés par les déclarations du second conducteur du BUCENTAURE. Il est donc très probable que lorsque ce bâtiment, qui remontait la Seine, est sorti de la courbe située immédiatement en aval des écluses d'Amfreville-sous-les-Monts, les feux de signalisation, tant du ponton que du pousseur, étaient éteints. Par ailleurs, selon l'éclusier, un promeneur et le conducteur du KLEBER, les feux de mât du ponton étaient allumés le soir du 12 octobre 2011. Il est possible qu'une défaillance ait affecté leur fonctionnement dans la nuit du 12 au 13 octobre 2011. Les déclarations de l'éclusier et des équipages du BUCENTAURE et du KLEBER tendent à confirmer que l'alimentation électrique de ces feux connaissait, au minimum, des discontinuités. Les causes de leur défaillance n'ont pas pu être déterminées. Il n'est pas exclu qu'elle soit la conséquence d'une décharge de la batterie qui en assure l'alimentation, cette batterie n'étant plus rechargée lorsque le générateur équipant le ponton est arrêté, comme c'était le cas au cours de la nuit considérée. 3.9.3 La position du BUCENTAURE au moment du choc Figure 22 : Position du BUCENTAURE dans la zone de stationnement au moment du choc Compte tenu des dimensions des bâtiments amarrés, le choc s'est produit à une douzaine de mètres de l'alignement des ducs-d'Albe, c'est-à-dire quasiment dans l'axe de la zone de stationnement du garage aval large de 24 mètres. Le BUCENTAURE, dont la largeur est 11,45 mètres, naviguait donc entièrement dans cette zone. Il longeait les ducs-d'Albe à une distance d'environ 5 à 6 mètres. 38 4 Déroulement de l'accident 4.1 Le déroulement du voyage du BUCENTAURE Le BUCENTAURE quitte l'écluse de Tancarville, située en Seine-Maritime au PK 339 de la Seine, le 12 octobre vers 22h20, chargé de 2 700 tonnes de sable et de graviers. Il parcourt en près de 7 heures les 136 km qui le sépare des écluses d'Amfreville-sousles-Monts dans l'Eure. 4.2 L'amarrage des bâtiments de travaux au garage aval Le 12 octobre au soir, les deux barges, le ponton et le pousseur utilisés pour les travaux de réfection des ouvrages de Poses-Amfreville sont amarrés au garage aval des écluses concernées selon le schéma décrit dans le chapitre 3.3.4 du présent rapport. Les deux barges y sont accostées depuis au moins trois mois. Le ponton et le pousseur les y ont rejointes depuis deux jours. L'équipage du KLEBER n'informe pas l'éclusier du stationnement de ces bâtiments de travaux au garage aval. 4.3 L'approche de la grande écluse par le BUCENTAURE Le 13 octobre vers 5h00, le conducteur du BUCENTAURE contacte l'éclusier pour le prévenir qu'il se présentera aux écluses dans environ vingt minutes. Ce conducteur fournit les informations habituelles sur le bateau et son chargement. L'éclusier lui indique qu'il prépare la grande écluse. Il ne lui signale pas la présence des bâtiments stationnés au garage aval. Figure 23 : La sortie du LAKATA et l'entrée du BUCENTAURE, la circulation est gauche-gauche Le conducteur du BUCENTAURE planifie sa manoeuvre : il doit naviguer à gauche pour respecter la circulation « gauche-gauche » et il décide de serrer d'assez près les ducsd'Albe du garage aval pour se retrouver dans la position la plus favorable pour négocier l'entrée délicate dans la grande écluse. 39 Le radar et la carte électronique du BUCENTAURE sont en service. Le conducteur effectue l'approche préalable de la zone à l'aide de ces instruments, car l'éclairage lunaire n'est pas suffisant pour lui permettre de voir assez loin devant, notamment dans les zones d'ombre. Lorsqu'il se trouve assez proche de la grande écluse, ce conducteur vise sur l'avant du bateau, le feu vert de la grande écluse qui a été allumé pour matérialiser l'autorisation d'entrée. Il aperçoit les premiers ducs-d'Albe du garage aval éclairés par la lune à quelques mètres de son travers bâbord. Il navigue alors à vue et ne consulte plus le radar. Il ne détecte donc pas sur l'écran radar la présence des échos des bâtiments stationnés au garage aval. 4.4 Les feux de signalisation des bâtiments amarrés au garage aval Pour signaler la présence du pousseur KLEBER stationné dans ce garage, son conducteur a, a priori, allumé, la veille au soir, un feu blanc visible de tous les côtés. Sur le ponton ANGLORE, les feux prescrits aux engins flottants au travail ont également été allumés. Le matin, avant la collision, ces différents feux de signalisation sont éteints. Le conducteur du BUCENTAURE, qui navigue à vue, ne détecte pas la présence de ces bâtiments amarrés au garage aval. 4.5 La collision avec le KLEBER Lorsque le BUCENTAURE se trouve dans le garage aval, son conducteur allume un projecteur pour vérifier sa position par rapport à l'alignement des ducs-d'Albe. Le flanc bâbord du bateau se trouve alors à environ 6 mètres de cet alignement et son axe longitudinal à quelque 12 mètres. Le conducteur aperçoit les bâtiments de travaux qui sont amarrés devant lui, couvrant une largeur d'environ 14 mètres. À l'aide de la machine et du propulseur d'étrave, il tente de se dégager, mais, compte tenu de l'inertie du bateau en vitesse et en giration et de la proximité des bâtiments amarrés, il ne peut éviter la collision. Le BUCENTAURE percute le pousseur KLEBER sur son arrière tribord. 40 5 Analyse des causes et facteurs associés, orientations préventives 5.1 Le schéma des causes et des facteurs associés Les investigations conduites permettent d'établir le graphique ci-après qui synthétise le déroulement de l'accident et en identifie les causes et les facteurs associés. Figure 24 : Schéma des causes et des facteurs associés Cette analyse conduit le BEA-TT à rechercher des orientations préventives dans les deux domaines suivants : le signalement aux usagers de la voie d'eau des conditions de stationnement des bâtiments et engins flottants dédiés aux travaux ; la signalisation et les conditions de détection des bâtiments stationnés. 5.2 Le signalement aux bateliers des conditions de stationnement des bateaux de travaux L'entreprise qui réalisait les travaux de réfection des ouvrages de Poses-Amfreville, stationnait, la nuit, les bâtiments qu'elle utilisait dans le garage aval des écluses. Elle n'avait pas vraiment d'alternative. En effet, en aval d'Amfreville-sous-les-Monts, il n'existe pas d'autre garage susceptible d'accueillir ces bâtiments à moins de 17 kilomètres du site concerné. Par ailleurs, un stationnement en amont des écluses aurait nécessité, chaque matin et chaque soir, l'exécution de très longues manoeuvres, un seul des quatre bâtiments de travaux impliqués disposant d'une propulsion. 41 Or, compte tenu des contraintes que présente l'approche de la grande écluse d'Amfrevillesous-les-Monts pour les bateaux remontant la Seine, l'amarrage de l'ensemble constitué par les deux barges, le ponton flottant et le pousseur dans son garage aval, s'il n'était pas techniquement impossible, constituait une gêne à la navigation. Pour autant, ce stationnement dans un lieu normalement réservé aux seuls arrêts des bateaux en attente d'éclusage, n'avait pas été signalé aux bateliers, notamment dans les avis à la batellerie les informant des travaux précités. Le BEA-TT émet donc la recommandation suivante : Recommandation R1 (Voies navigables de France) : Veiller, lors de la planification des travaux fluviaux, à ce que les conditions de stationnement, notamment nocturne, des bâtiments et engins flottants nécessaires à leur réalisation, soient clairement définies et explicitement signalées dans les avis à la batellerie informant les usagers de la voie d'eau des travaux concernés. Le règlement général de police de la navigation intérieure (RGPNI) interdit le stationnement dans les garages aval et amont des écluses des bâtiments qui ne sont pas en instance d'éclusage. Il admet cependant que les règlements particuliers de police afférents aux différents cours d'eau puissent y autoriser l'amarrage de bateaux la nuit ou par temps bouché, à condition que ce stationnement ne gêne pas le passage des autres bâtiments. Les conditions d'appréciation du niveau de gêne occasionné par de tels stationnements ne sont pas précisées. Les dispositions du RGPNI ouvrent donc en ce domaine une marge d'interprétation qui est d'autant plus large que compte tenu de l'implantation des garages concernés, l'amarrage des bateaux y cause toujours une gêne, plus ou moins marquée, à la navigation. De fait, ces dispositions ne sont pas propices à une gestion rigoureuse et claire des stationnements des bâtiments dans les garages considérés. À cet égard, l'enquêteur du BEA-TT a pu constater que des bateaux pouvaient y demeurer amarrés pendant plusieurs jours, en dehors de toute attente d'éclusage. Le BEA-TT adresse donc à la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer la recommandation suivante : Recommandation R2 (Direction générale des infrastructures, des transports et de la mer) : Dans le cadre d'une refonte du règlement général de police de la navigation intérieure, examiner l'opportunité d'encadrer plus explicitement les conditions dans lesquelles des bateaux, qui ne sont pas en attente d'éclusage, peuvent exceptionnellement être autorisés à stationner dans les garages amont et aval des écluses. 42 5.3 5.3.1 La signalisation et les conditions de détection des bâtiments stationnés La signalisation de nuit des engins en stationnement Les feux de signalisation de nuit des bâtiments de travaux qui étaient stationnés au garage aval des écluses d'Amfreville-sous-les-Monts ont très probablement connu une défaillance au cours de la nuit du 12 au 13 octobre 2011. En effet, alors que les feux équipant le ponton ANGLORE avaient, a priori, été allumés le 12 octobre au soir, ils étaient éteints le lendemain, en fin de nuit, au moment où le LAKATA est sorti de la moyenne écluse et où le BUCENTAURE est arrivé sur le site. Les causes de cette défaillance n'ont pas pu être déterminées. Il n'est pas exclu qu'elle ait été la conséquence d'une décharge de la batterie alimentant ces feux. Il convient de noter que le ponton ANGLORE ne travaillait pas et que son groupe électrogène était arrêté et ne rechargeait plus la batterie précitée. Celle-ci est moins sollicitée lorsqu'un seul feu de signalisation est allumé au lieu de trois. À cet égard, la rédaction actuelle du chapitre II.B.1 de l'annexe 3 du RGPNI qui concerne la signalisation de nuit des bateaux en stationnement semble exclure de son champ tous les engins flottants, qu'ils travaillent ou qu'ils ne travaillent pas. Elle peut donc conduire les équipages de ces engins à maintenir la nuit, lorsqu'ils stationnent sans travailler, le même niveau de signalisation que lorsqu'ils travaillent, à savoir trois feux allumés, deux rouges et un blanc. Le BEA-TT invite la DGITM à clarifier les dispositions du règlement général de police de la navigation intérieure concernant la signalisation de nuit des engins flottants en stationnement qui ne sont pas au travail. 5.3.2 L'utilisation coordonnée des informations provenant des différents moyens de navigation Le radar du BUCENTAURE était en service. Mais, après avoir franchi le virage immédiatement en aval des écluses d'Amfreville-sous-les-Monts, le conducteur de ce bateau a navigué à vue et n'a plus consulté l'écran de son radar. Il n'a donc pas perçu les échos radar que lui renvoyaient les bâtiments de travaux stationnés au garage aval. La traversée de nuit de la zone de garage, à quelque 6 mètres environ de l'alignement des ducs-d'Albe, aurait dû, au contraire, s'accompagner d'une veille radar renforcée venant compléter la veille visuelle, au besoin en réduisant la vitesse, sans tomber au-dessous du seuil nécessaire à la manoeuvre du bateau. Le BEA-TT souligne tout l'intérêt que revêt l'utilisation coordonnée des différents moyens de navigation pour faire route en toute sécurité et invite les centres de formation des bateliers à développer la pratique de leurs élèves en ce domaine. 5.3.3 Le déploiement du système AIS Le système d'identification automatique (AIS), couplé à la carte électronique, constitue un moyen supplémentaire de détection des bâtiments naviguant à portée des ondes radio à très haute fréquence, c'est-à-dire à une distance d'environ 10 kilomètres. Il présente l'avantage, par rapport au radar ou à la navigation à vue, de permettre une détection plus précoce des autres bateaux et d'obtenir des informations utiles telles que leur route, leur 43 vitesse ou encore leur nom. Les conducteurs des bâtiments équipés d'un système AIS peuvent donc préparer leur manoeuvre à l'avance. VNF favorise le développement de l'emport de ce système par l'attribution aux bateliers d'une aide financière qui couvre la majorité des frais d'équipement qu'ils doivent engager pour ce faire. Le BEA-TT encourage VNF à poursuivre son action en la matière. 44 6 Conclusions et recommandations 6.1 Les causes de l'accident La cause directe de l'accident est la détection tardive par le conducteur du BUCENTAURE des deux barges, du ponton et du pousseur mobilisés pour des travaux de réfection des écluses d'Amfreville-sous-les-Monts, qui se trouvaient sur sa route, amarrés ensemble dans une zone normalement dédiée au seul stationnement des bateaux en attente d'éclusage. Plusieurs facteurs ont contribué à cette situation : l'absence de tout signalement aux usagers de la voie d'eau du stationnement dans le garage aval des écluses des bâtiments de travaux précités alors que les caractéristiques de l'approche de la grande écluse conduisent fréquemment les bateliers remontant la Seine à suivre une route empiétant sur cette zone ; une défaillance des feux de signalisation équipant le pousseur et le ponton flottant ; une vigilance insuffisante du conducteur du BUCENTAURE qui naviguait à vue et qui n'a pas utilisé conjointement son radar pour détecter d'éventuels obstacles susceptibles de se trouver dans la zone de garage qu'il empruntait. Par ailleurs, une détection précoce du pousseur KLEBER par le biais du système d'identification automatique des bâtiments (AIS) aurait permis d'éviter la collision. 6.2 Les recommandations Au vu de ces éléments, le BEA-TT formule les deux recommandations suivantes : Recommandation R1 (Voies navigables de France) : Veiller, lors de la planification des travaux fluviaux, à ce que les conditions de stationnement, notamment nocturne, des bâtiments et engins flottants nécessaires à leur réalisation, soient clairement définies et explicitement signalées dans les avis à la batellerie informant les usagers de la voie d'eau des travaux concernés. Recommandation R2 (Direction générale des infrastructures, des transports et de la mer) : Dans le cadre d'une refonte du règlement général de police de la navigation intérieure, examiner l'opportunité d'encadrer plus explicitement les conditions dans lesquelles des bateaux, qui ne sont pas en attente d'éclusage, peuvent exceptionnellement être autorisés à stationner dans les garages amont et aval des écluses. Par ailleurs, le BEA-TT : invite la DGITM à clarifier les dispositions du règlement général de police de la navigation intérieure concernant la signalisation de nuit des engins flottants en stationnement qui ne sont pas au travail ; souligne tout l'intérêt que revêt l'utilisation coordonnée des différents moyens de navigation pour faire route en toute sécurité et invite les centres de formation des bateliers à développer la pratique de leurs élèves en ce domaine ; encourage VNF à poursuivre son action en matière d'aide à l'équipement des bateaux fluviaux en systèmes d'identification automatique (AIS). 45 ANNEXES Annexe 1 : Décision d'ouverture d'enquête. Annexe 2 : Vue aérienne du barrage-écluses de Poses-Amfreville. Annexe 3 : Avis à la batellerie relatif aux travaux de dragage effectués en septembre et octobre 2011 à proximité des écluses d'Amfreville-sous-les-Monts. 47 Annexe 1 : Décision d'ouverture d'enquête 49 Annexe 2 : Vue aérienne du barrage-écluses de Poses-Amfreville 50 1 Bief maritime Dans la section située en aval des écluses, dite « à courant libre », le phénomène de marée est ressenti avec une amplitude pouvant atteindre 2,5 mètres. Ce bief s'étend sur une quarantaine de kilomètres jusqu'à l'écluse de Notre-Dame-de-la-Garenne, située au PK 161,265 dans l'Eure. Ce grand barrage présente une hauteur de chute moyenne de 5,40 mètres qui peut atteindre 8,00 mètres. La grande écluse est un sas de 220 mètres de long sur 17 mètres de large. La moyenne écluse est un sas de 141 mètres de long sur 12 mètres de large. 2 Bief d'Amfreville 3 4 5 6 7 Barrage Grande écluse Moyenne écluse Garage amont Garage aval 51 Annexe 3 : Avis à la batellerie relatif aux travaux de dragage effectués en septembre et octobre 2011 à proximité des écluses d'Amfreville-sous-les-Monts 52 BEA-TT - Bureau d'enquêtes sur les accidents de transport terrestre Tour Voltaire - 92055 La Défense cedex Tél. : 01 40 81 21 83 - Fax : 01 40 81 21 50 cgpc.beatt@developpement-durable.gouv.fr www.bea-tt.developpement-durable.gouv.fr www.developpement-durable.gouv.fr

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