Rapport d'enquête technique sur le heurt d'un groupe de personnes par une rame du RER B, le 7 mars 2009 près du Stade de France (93)
Auteur moral
France. Bureau d'enquêtes sur les accidents de transport terrestre
Auteur secondaire
Résumé
Le 7 mars 2009, des supporters de province, après avoir assisté à un match au Stade de France sur la commune de Saint-Denis, rejoignent leur autocar en longeant la voie de chemin de fer à proximité du stade. Vers 23h25, ils sont heurtés par une rame du RER B. Le bilan est de deux morts, trois blessés graves et un blessé léger. L'analyse des facteurs de l'accident conduit à émettre sept recommandations: une recommandation relative à la maîtrise des déplacements des spectateurs entre le Stade de France et les lieux de stationnement des cars; une recommandation relative aux horaires de retour des cars; trois recommandations relatives aux clôtures des emprises ferroviaires et au pancartage de leurs accès; deux recommandations relatives à l'identification et à la sécurisation des installations à risques situées à proximité des grands stades et autres lieux de manifestations de masse.
Editeur
MEEM
Descripteur Urbamet
enquête
;sécurité
;prévention des risques
;train
;piéton
Descripteur écoplanete
Thème
Transports
Texte intégral
Conseil général de l'environnement et du développement durable
Le 15 décembre 2009
Bureau d'Enquêtes sur les Accidents de Transport Terrestre
Affaire n°BEATT-2009-003
Rapport d'enquête technique sur le heurt d'un groupe de personnes par une rame du RER B, le 7 mars 2009 à proximité du Stade de France (93)
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Bordereau documentaire
Organisme (s) commanditaire (s) : Ministère de l'Ecologie, de l'Energie, du Développement durable et de la Mer Organisme (s) auteur (s) : Bureau d'Enquêtes sur les Accidents de Transport Terrestre ; BEA-TT Titre du document : Rapport d'enquête technique sur le heurt d'un groupe de personne par une rame du RER B, le 7 mars 2009, à proximité du Stade de France (93) N°ISRN : EQ-BEATT--09-15-FR Proposition de mots-clés : Transport en commun de personnes, sécurité, organisation, clôture, signalisation, intrusion.
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Avertissement
L'enquête technique faisant l'objet du présent rapport est réalisée dans le cadre du titre III de la loi n° 2002-3 du 3 janvier 2002 modifiée, et du décret n° 2004-85 du 26 janvier 2004 modifié, relatifs notamment aux enquêtes techniques après accident ou incident de transport terrestre. Cette enquête a pour seul objet de prévenir de futurs accidents, en déterminant les circonstances et les causes de l'évènement analysé et en établissant les recommandations de sécurité utiles. Elle ne vise pas à déterminer des responsabilités. En conséquence, l'utilisation de ce rapport à d'autres fins que la prévention pourrait conduire à des interprétations erronées.
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Sommaire Glossaire...................................................................................................... 7 Résumé........................................................................................................ 9 1- Constats immédiats et engagement de l'enquête............................... 11
1.1- L'accident......................................................................................................... 11 1.2- Secours et bilan................................................................................................ 11 1.3- Engagement et organisation de l'enquête.........................................................11
2- Eléments de contexte............................................................................13
2.1- Le Stade de France...........................................................................................13 2.2- La manifestation...............................................................................................14 2.3- L'organisation des transports lors des manifestations au Stade de France......14
2.3.1- Les transports en commun SNCF, RATP....................................................................... 14 2.3.2- Les transports routiers.....................................................................................................14 2.3.3- Les cheminements des piétons........................................................................................15
2.4- Le contexte ferroviaire.....................................................................................16
3- Compte rendu des investigations effectuées.......................................17
3.1- Résumé des témoignages sur le déroulement de l'accident............................. 17
3.1.1- Audition du conducteur du train WIWJ 53.....................................................................17 3.1.2- Audition de l'organisateur du déplacement.....................................................................17 3.1.3- Auditions des membres du groupe des supporters impliqué dans l'accident.................. 17 3.1.4- Audition du responsable du parking P7..........................................................................18
3.2- Organisation du transport des personnes concernées...................................... 18
3.2.1- Trajet par autocar............................................................................................................ 18 3.2.2- Trajet à pied aller et retour entre parking et stade...........................................................19
3.3- Circulation du train WIWJ 53..........................................................................19 3.4- Clôture des emprises ferroviaires.................................................................... 20
3.4.1- Règles d'équipement en clôtures.....................................................................................20 3.4.2- Maintenance des clôtures................................................................................................20 3.4.3- Etat des clôtures.............................................................................................................. 22
3.5- Retour d'expérience sur des événements similaires.........................................23
4- Déroulement reconstitué de l'accident............................................... 25
4.1- Trajet en car d'Armentières au parking P7.......................................................25 4.2- Trajet à pied du parking P7 au stade................................................................25 4.3- Trajet à pied du stade vers le Parking P7.........................................................26 4.4- L'accident......................................................................................................... 28 4.5- Alerte et secours...............................................................................................28
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5- Analyse des facteurs causaux et orientations préventives................ 31
5.1- Arbre des causes.............................................................................................. 31 5.2- L'orientation des spectateurs et le jalonnement des itinéraires piétons...........31 5.3- La maîtrise des horaires de retour des autocars............................................... 32 5.4- Les clôtures des emprise ferroviaires...............................................................33
5.4.1- La maîtrise de la fermeture des accès............................................................................. 33 5.4.2- La surveillance de l'état des accès...................................................................................33 5.4.3- La perception du danger ferroviaire................................................................................34
5.5- L'identification des dangers latents..................................................................34
6- Conclusions et recommandations....................................................... 37
6.1- Causes de l'accident......................................................................................... 37 6.2- Recommandations............................................................................................37
ANNEXES ................................................................................................ 39
Annexe 1 : Décision d'ouverture d'enquête.............................................................41 Annexe 2 : Arrêté préfectoral..................................................................................42
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Glossaire
Clef de Berne ou carré de Berne : Instrument à section carrée mâle et femelle utilisé par les agents du chemin de fer pour accéder à des appareils ou des installations non accessibles au public. CRO : Centre Régional des Opérations. Organisme de la SNCF chargé de la régulation des circulations ferroviaires sur une région. CSdF : Consortium Stade de France. Société concessionnaire du Stade de France, chargée de son exploitation et de sa maintenance. EVEN : Etablissement Equipement d'Entretien. Etablissement de la SNCF chargé de l'entretien de l'infrastructure sur un territoire donné. LOSC : Lille Olympique Sporting Club. Club de football de Lille organisateur du match du 7/3. OL : Olympique Lyonnais. Club de football de Lyon. RER : Réseau Express Régional. Ensemble de lignes ferroviaires à grande capacité desservant Paris et la région Ile de France. RFF : Réseau Ferré de France. Etablissement public propriétaire et gestionnaire du réseau ferré national. SNCF : Société Nationale des Chemins de fer Français. Etablissement public dont la branche Infrastructure est chargée de l'exploitation et de la maintenance du réseau ferré national. SUGE : Surveillance Générale. Service de la SNCF chargé notamment de veiller à la sécurité des personnes et des biens et de protéger les agents de l'entreprise et son patrimoine.
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Résumé
Le samedi 7 mars 2009, vers 23h25, un groupe de 12 personnes marchant sur les voies du chemin de fer près de la gare de La Plaine Stade de France est heurté par une rame du RER B circulant voie 1 bis et se dirigeant vers la gare de Mitry-Claye. Ces personnes appartenaient à un groupe de supporters du Nord Pas de Calais qui venaient d'assister au match de football Lille Lyon au Stade de France et tentaient de regagner leur autocar garé sur un parc de stationnement à 600 m environ du stade. Le bilan de l'accident est de deux morts, trois blessées graves et un blessé léger. La cause directe et immédiate de l'accident est la pénétration du groupe de supporters dans les emprises ferroviaires non ouvertes au public. Quatre facteurs causaux ont conduit à cette intrusion :
la désorientation des supporters sur le chemin du retour vers les cars, l'itinéraire prévu étant barré ; la pression du temps, liée aux contraintes horaires imposées pour le départ des cars ; la protection, qui s'est avérée insuffisante, de l'accès de service au pont ferroviaire ; l'absence de perception du danger ferroviaire de la part des personnes impliquées.
L'analyse des facteurs de l'accident conduit à émettre sept recommandations :
une recommandation relative à la maîtrise des déplacements des spectateurs entre le Stade de France et les lieux de stationnement des cars ; une recommandation relative aux horaires de retour des cars ; trois recommandations relatives aux clôtures des emprises ferroviaires et au pancartage de leurs accès ; deux recommandations relatives à l'identification et à la sécurisation des installations à risques situées à proximité des grands stades et autres lieux de manifestations de masse.
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1- Constats immédiats et engagement de l'enquête
1.1- L'accident
Le samedi 7 mars 2009, vers 23h25, un groupe de 12 personnes marchant sur les voies du chemin de fer près de la gare de La Plaine Stade de France est heurté par une rame du RER B circulant voie 1 bis et se dirigeant vers la gare de Mitry-Claye. Ces personnes appartenaient à un groupe de supporters du Nord Pas de Calais qui venaient d'assister au match de football Lille Lyon au Stade de France et tentaient de regagner leur autocar garé sur un parc de stationnement à 600 m environ du stade.
1.2- Secours et bilan
Les secours sont appelés par la SNCF et par des tiers ; ils arrivent sur place à partir de 23h39. Des moyens importants, provenant de 11 centres, sont déployés. A leur arrivée, les pompiers constatent que deux personnes sont décédées, trois personnes sont blessées gravement dont une très grièvement ; une personne est blessée légèrement et six autres sont choquées psychologiquement. Les blessés graves sont dirigés vers différents hôpitaux de la Région Parisienne ; le pronostic vital est engagé pour l'un d'entre eux. Le blessé léger et les personnes choquées sont évacués vers l'hôpital Avicenne de Bobigny en vue d'une prise en charge médicalisée.
1.3- Engagement et organisation de l'enquête
Au vu des circonstances et du contexte de cet accident, et compte tenu de la demande du secrétaire d'Etat chargé des Transports, le directeur du BEA-TT a décidé d'engager une enquête technique réalisée dans le cadre du titre III de la loi du 3 janvier 2002 et du décret n° 2004-85 du 26 janvier 2004, relatifs notamment aux enquêtes techniques après accident de transport terrestre (annexe 1). Etant donné les caractéristiques de l'accident, il a été décidé que l'enquête ne se limiterait pas à la pénétration et au cheminement des personnes concernées dans le domaine ferroviaire mais prendrait également en compte les aspects liés au transport routier des spectateurs et les déplacements terminaux entre les points de stationnement des autocars et le stade. Pour ce faire, des contacts ont été pris avec la SNCF, l'organisateur du déplacement, le transporteur routier, la préfecture de la Seine-Saint-Denis, l'organisateur du match et le consortium gestionnaire du Stade de France. Les enquêteurs se sont rendus sur les lieux pour examiner le site de l'accident et les itinéraires empruntés par les personnes. Ils se sont appuyés sur les pièces de l'enquête diligentée par le tribunal de grande instance de Bobigny ainsi que sur les informations communiquées par les différentes entités concernées.
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2- Eléments de contexte
2.1- Le Stade de France
Le Stade de France est le plus grand stade français avec 80 000 places en configuration football rugby. Il a été construit pour les besoins de la coupe du monde de football de 1998 et inauguré le 28 janvier 1998. Il se situe dans le quartier de La Plaine Saint-Denis, à 5 km au nord de Paris. Bien que situé au carrefour des autoroutes A1 et A86, il a été conçu dès le départ sur le principe d'une desserte assurée essentiellement par les transports en commun :
SNCF RER B avec la gare de La Plaine Stade de France, SNCF RER D avec la gare de Stade de France Saint-Denis, RATP avec le métro ligne 13 avec la station de Saint-Denis Porte de Paris, RATP avec le tram ligne 1 et les bus 139, 153, 173, 255 et 350.
Il est doté de quatre parcs de stationnement payant intégrés appelés P1 à P4. Toutefois, les places de parking auto sont relativement peu nombreuses (6 000 places) et doivent être réservées à l'avance. A défaut, les spectateurs sont incités à ne pas utiliser leur voiture. Concernant les autocars, le nombre de places qui leur sont dédiées est de 55, regroupées sur le parking P4. Ces places doivent être réservées à l'avance par les autocaristes ou les organisateurs des déplacements des groupes. Les véhicules ayant obtenu une réservation de place de parking sont repérés par un macaron qui leur permet d'accéder au périmètre du stade. Or, selon le type de manifestation, le nombre de cars varie de 50 à 400, le maximum étant atteint pour les matchs de football opposant des clubs de province, ce qui était précisément le cas le 7 mars 2009.
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2.2- La manifestation
Il s'agit d'un match du championnat de France de ligue 1 opposant l'équipe de Lille (LOSC) et l'équipe de Lyon (OL). Le match aller ayant eu lieu à Lyon, il appartenait au LOSC de décider du lieu de la rencontre. Ce club a décidé d'organiser le match au Stade de France plutôt qu'à Lille en raison de sa plus grande capacité, et compte tenu du nombre de spectateurs attendus. L'horaire prévu est le suivant :
Ouverture des portes du stade au public Coup d'envoi du match Fin du match et début du spectacle pyrotechnique Fin de la manifestation
19h00 21h00 22h45 23h00
2.3- L'organisation des transports lors des manifestations au Stade de France
Compte tenu des caractéristiques du Stade de France et de son environnement, l'acheminement des spectateurs constitue un élément critique de l'organisation des grandes manifestations. A cet effet, des dispositions particulières sont prises, sous l'égide du préfet de la Seine-SaintDenis, concernant les transports en commun (SNCF et RATP), la circulation et le stationnement des voitures et des autocars, l'orientation et la sécurité des piétons entre le point de desserte (gare, station ou parking) et le stade. Ces dispositions sont étudiées et actées au cours de réunions préparatoires présidées par le directeur de cabinet du préfet et réunissant toutes les entités concernées, notamment les services de la préfecture, les communes limitrophes, les organisateurs de l'événement, le consortium SdF, les services de police et de secours, la DDE, la SNCF, la RATP et éventuellement des transporteurs routiers importants. Elles tiennent compte des prévisions concernant l'affluence, les modes de transport et les spécificités du public. 2.3.1- Les transports en commun SNCF, RATP Les transporteurs mettent en place un dispositif « grande manifestation » impliquant notamment un renforcement de la desserte ferroviaire et une présence accrue de leurs brigades de surveillance, dans les gares et dans les trains. Par ailleurs, pour faire face rapidement à d'éventuels aléas, des personnels SNCF et RATP sont présents au Poste de Commandement Central du Stade de France. 2.3.2- Les transports routiers La circulation routière et le stationnement dans un rayon de 1 000m environ autour du Stade de France font l'objet d'un arrêté préfectoral spécifique (voir annexe) complété par des arrêtés municipaux pris par les communes concernées. Dans ce périmètre, seuls les riverains, les autobus de la RATP, les véhicules officiels, les véhicules de secours et les véhicules titulaires d'une place de parking et porteurs du macaron ad hoc sont autorisés à circuler de 17h00 à 1h du matin. Concernant le stationnement des autocars, lorsque le nombre attendu est supérieur au nombre de places disponibles sur le parking P4 du stade, la préfecture est amenée à organiser le stationnement de ces cars dans certains rues et sur certains terrains du voisinage.
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Les cars « officiels » qui sont affrétés par les organisateurs ou par des associations rattachées aux organisateurs, se voient attribuer, à l'avance, un macaron précisant leur lieu précis de destination (rue et numéro). Les autres cars « non-officiels » ne sont pas connus de façon précise à l'avance. La préfecture prévoit des sites de stationnement en fonction des estimations dont elle dispose. Ces cars sont dirigés par les forces de l'ordre vers les stationnements disponibles au fur et à mesure de leur arrivée. C'est ainsi que les cars du groupe des victimes ont été dirigés vers le parking P7 situé au Nord du canal Saint-Denis, près de la voie ferrée du RER B.
2.3.3- Les cheminements des piétons Par rapport aux entrées du stade, les points de desserte de transports en commun se trouvent à des distances comprises entre 500 m, pour le métro ligne 13, et 1 000 m, pour le RER D. Les points de stationnement des autocars se situent entre 50 m, pour le parking P4 et 1 500 m pour le site de stationnement de la rue du Pilier à Aubervilliers. La circulation des piétons pose donc des problèmes non négligeables de gestion des flux et d'orientation, s'agissant de personnes ne connaissant pas les lieux et susceptibles d'être dans un état de stress ou d'euphorie notables. En outre, pour certains événements, s'ajoute la nécessité de séparer les groupes hostiles afin d'éviter d'éventuels affrontements. Si la signalisation des itinéraires permanents entre les gares RER ou Métro et le stade ne pose pas de problème, celle-ci étant assurée par des panneaux indicateurs installés à demeure, il n'en va pas de même pour les itinéraires temporaires entre les points de stationnement des cars et le stade et plus particulièrement pour les itinéraires de retour. 15
2.4- Le contexte ferroviaire
L'accident a eu lieu à hauteur du point kilométrique 5,000 de la ligne de Paris-Nord à Hirson, entre les gares de La Plaine Stade de France et d'Aubervilliers - La Courneuve. Cette ligne appartient au Réseau Ferré National et est gérée par la région SNCF de ParisNord. A cette hauteur, la ligne, qui comporte 4 voies, franchit le canal Saint Denis par deux ouvrages parallèles :
un pont métallique à poutres latérales pour les voies 1bis et 2bis, un pont en béton pour les voies 1 et 2.
Cette ligne supporte un trafic important, d'environ 500 trains par jour, notamment les trains du RER B vers l'aéroport de Roissy-CdG et vers Mitry-Claye ainsi que les trains régionaux et Corail vers Ormoy Villers et Laon. La vitesse maximale autorisée est de 120 km/h. En amont du lieu de l'accident, la voie 1 bis est en alignement ; la visibilité est dégagée. La ligne est clôturée ; dans le secteur de l'accident, la clôture est constituée par des grillages métalliques rigides, récents et en bon état.
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3- Compte rendu des investigations effectuées
3.1- Résumé des témoignages sur le déroulement de l'accident
Les témoignages ci-après ont été recueillis par les enquêteurs de la Sûreté départementale de Seine-Saint-Denis et communiqués au BEATT par le procureur dans le cadre de l'enquête 3.1.1- Audition du conducteur du train WIWJ 53 Le train quitte la gare de Paris-Nord à 23h18 et circule à vide en direction de Mitry-Claye. Après son passage en gare de La Plaine Saint-Denis, circulant à une vitesse qu'il estimait entre 80 et 90 km/h, le conducteur observe les indications des instruments de son pupitre. Ces vérifications lui font quitter la voie des yeux pendant 2 ou 3 secondes. Relevant la tête, il aperçoit à la droite de son train une forme humaine vêtue de blanc et à gauche, un groupe d'au moins six personnes marchant le long des voies. Il déclenche immédiatement un freinage d'urgence et il entend deux impacts. Après l'arrêt du train il appelle le régulateur pour lui signaler un accident de personnes, puis il sort de sa cabine et se dirige vers la queue du train. Il rencontre alors plusieurs personnes dont une portant un corps. Il retourne dans sa cabine et contacte le régulateur pour lui donner des précisions sur l'accident. 3.1.2- Audition de l'organisateur du déplacement L'association « Les ch'tis dogues de la Lys » dont le siège est à Armentières (59) a organisé le déplacement, au Stade de France, de 104 supporters à bord de deux cars affrétés à une société de transports du Nord. Le trajet aller s'est effectué sans problème avec un départ à 14h30 d'Armentières et une arrivée à 18h45 au parking P7. A l'arrivée au parking, lors de la descente des passagers, un des chauffeurs insiste pour que les personnes quittent le stade dès la fin du match, sans assister au feu d'artifice prévu et pour qu'elles regagnent les cars avant 23h15 dernier délai. Pendant le match, n'ayant pas pu obtenir suffisamment de places groupées, l'organisateur est isolé, avec trois autres amis, côté porte A du stade. Le reste de sa compagnie est groupé côté porte L. A la sortie, ce petit groupe de quatre personnes ne retrouve pas le chemin emprunté à l'aller, en raison d'un barrage de police, et s'égare. Il longe le canal, trouve l'accès au pont routier et le franchit. Arrivé aux autocars, il apprend la survenue de l'accident, quelques minutes plus tard. 3.1.3- Auditions des membres du groupe des supporters impliqué dans l'accident Les déclarations de ces personnes étant cohérentes, nous les avons regroupées. Les autocars partent d'Armentières à 14h30 et arrivent à destination vers 19h. Avant que les passagers ne descendent pour rejoindre le stade, les conducteurs leur demandent d'être de retour aux cars, pour 23h15, et annoncent qu'ils n'attendront pas les retardataires. Les spectateurs gagnent le stade à pied en empruntant les cheminements normaux et notamment en franchissant le canal par le pont routier (voir plan page 25). Dans le stade, les membres du groupe sont ensemble, côté porte L, avec les autres membres de l'association. 17
Le match se passe sans problème. Le match se termine à 23h avec un peu de retard. Les 12 membres du groupe sortent par la porte L, sans attendre le feu d'artifice. Ils essayent de rejoindre les cars en prenant le même chemin qu'à l'aller mais ne le peuvent pas, en raison d'un barrage mis en place par les forces de l'ordre. Ils essaient de prendre un autre itinéraire et s'égarent. Ils demandent leur chemin à une personne portant un gilet jaune et à des passants, sans obtenir d'informations utiles. Ils se retrouvent sur le quai du canal. Ils suivent le quai et voient les cars stationnés de l'autre côté. Ils passent sous le pont routier emprunté à l'aller, sans voir l'escalier permettant de le rejoindre. Un peu plus loin, ils voient le pont ferroviaire et l'escalier permettant d'y monter. La porte y donnant accès est ouverte, ils empruntent ce chemin sans se rendre compte du danger. Les premiers franchissent le pont et redescendent vers le parking des cars ; les suivants sont en train de franchir le pont quand un train arrive par derrière. Les derniers sont encore sur l'escalier d'accès à ce moment. Le train heurte plusieurs personnes parmi celles qui se trouvent sur le pont et s'arrête un peu plus loin. 3.1.4- Audition du responsable du parking P7 Sur le parking P7, il y avait 60 cars en provenance de Lille. A l'aller, tout le monde a été orienté par l'équipe d'accueil et a pris le bon itinéraire, par le pont routier. Au retour, personne n'est passé par le pont du chemin de fer avant le groupe concerné. Vers 23h30, le responsable du parking entend le crissement des freins et voit un train s'arrêter. Il entend des cris et comprend qu'il y a eu un accident. Il se rend alors sur la voie pour porter secours et constate la présence des victimes et de personnes sur le pont.
3.2- Organisation du transport des personnes concernées
3.2.1- Trajet par autocar Le déplacement du groupe a été organisé par l'association « Les ch'tis dogues de la Lys » et a fait l'objet d'un contrat avec la société VEOLIA transport de Seclin (59). Ce contrat prévoyait la fourniture de deux cars avec chauffeur. Le départ était prévu d'Armentières à 15h30 et le retour à 02h00 le lendemain. La réalisation de la prestation a été ensuite sous-traitée par VEOLIA à la société JUMBO de Peruweltz (Belgique). Par la suite, l'heure de départ a été avancée à 14h30. Cette heure de départ hâtive par rapport à l'heure de match (21h00) et au temps de parcours prévisible est justifiée par le désir de l'organisateur d'éviter les difficultés et les risques liés à une éventuelle arrivée tardive. Il faut rappeler qu'en 2008, à l'occasion d'un match similaire du LOSC au Stade de France, certains autocars avaient été pris dans les encombrements et, l'heure du coup d'envoi approchant, des personnes étaient descendues de leurs cars sur l'autoroute A86 et avaient gagné le stade à pied. 18
Compte tenu des amplitudes de travail autorisées par la réglementation (14 heures), ces déplacements sont prévus avec un seul conducteur par véhicule. Ceci implique que les passagers respectent les horaires de retour prévus et ceci explique la pression mise par les conducteurs pour faire respecter ces horaires. L'organisateur ne disposant pas d'une accréditation officielle par le LOSC, il n'avait pas d'emplacement de parking connu à l'avance. Les cars ont donc été dirigés par les forces de l'ordre vers le parking P7 qui avait été désigné pour accueillir les cars non-officiels. 3.2.2- Trajet à pied aller et retour entre parking et stade Le parking est situé à 800 m du stade ; le parcours ne présente pas de difficulté, mais la présence du canal ne permet que deux itinéraires :
par le pont routier de l'avenue Francis de Pressensé situé à 100 m du parking, c'est l'itinéraire qui semble le plus direct en partant du Parking P7 ; par la passerelle du Franc-Moisin située à 500 m plus au Nord. Elle implique un détour de 1 000 m environ pour les spectateurs se rendant vers la porte A et les autres portes Sud du stade. En revanche, le trajet est équivalent en distance pour ceux qui se rendent vers la porte L située au Nord du stade.
Le trajet aller ne pose pas de problème d'orientation ; le stade est visible de loin et il suffit de suivre le flot des spectateurs. Pour le retour, si elles ne se sont pas munies d'un plan du quartier, les personnes doivent s'efforcer d'utiliser le même itinéraire qu'à l'aller. A défaut, elles doivent compter sur les fléchages ou sur les personnels de jalonnement mis en place par l'organisation.
3.3- Circulation du train WIWJ 53
Le train WIWJ 53 est un train automoteur du RER B qui circule à vide entre Paris-Nord et Mitry. Il est constitué de quatre voitures dont deux motrices et porte le n° Z8254. Il est doté d'un enregistreur graphique ATECC et d'un enregistreur statique RPS. Les données enregistrées permettent de reconstituer avec précision la marche du train et les principales actions du conducteur. Par ailleurs, les enregistrements des conversations radio entre le conducteur et le régulateur après le choc ont été exploités. Le train est parti de Paris-Nord à 23h22 et circulait 7mn derrière le train IONA43. Après la gare de La Plaine-Stade de France, qu'il franchit sans arrêt, sur la voie 1 bis, à voie libre, 5mn derrière le train IONA43. Il roule à 82 km/h. Les différents enregistrements et signalements ne montrent aucune anomalie technique ou de conduite jusqu'à l'arrêt du train à 23h28. Cet arrêt est obtenu 250 m après le déclenchement du freinage, ce qui est normal compte tenu des performances de freinage d'un tel train. Les déclarations du conducteur, enregistrées par les enquêteurs de la police, ainsi que les examens sanguins pratiqués à leur demande par l'hôpital de Saint-Denis permettent de conclure à l'absence d'indices pharmaco-toxicologiques.
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3.4- Clôture des emprises ferroviaires
3.4.1- Règles d'équipement en clôtures Les lois et décrets qui définissaient, de manière spécifique, les obligations et les dispenses de clôture des emprises ferroviaires ont été abrogées par l'article 58 du décret n° 2006-1279. Jusqu'à la parution de ce décret, les textes en vigueur faisaient obligation au chemin de fer d'établir et de maintenir une clôture le long des voies, dans les zones habitées et sur une distance de 20 m de part et d'autre des passages à niveau. En revanche, ils ne définissaient pas la nature, défensive ou simplement limitative de cette clôture. En pratique, la politique de la SNCF depuis une vingtaine d'années, puis de RFF, consiste, au delà du simple respect des textes réglementaires en vigueur, à installer et à maintenir des clôtures dans les zones urbanisées ainsi que dans les zones où un risque particulier a été identifié. Cette politique s'est traduite au cours des dernières années par un investissement d'environ 10 M par an correspondant à l'établissement de 100 à 120 km de clôtures défensives. Ces clôtures sont constituées généralement de grillages métalliques solides d'une hauteur de 2m à 2m50. Les accès sont constitués par des portes ou des portails métalliques de même hauteur munis d'une serrure ou d'un cadenas. Ces portes sont normalement fermées et verrouillées. Pour les ouvrir, il est nécessaire d'utiliser une clef de serrure ou une clef de Berne*, selon le cas. Toutefois, cette politique n'est pas clairement formalisée dans un texte de prescription récent et adapté aux évolutions des comportements et de la jurisprudence. Le texte officiellement en vigueur est l'IN 0249 du 21 novembre 1973 qui décline la loi sur la police des chemins de fer de 1845. Désormais, après la parution du décret n° 2006-1279, il appartient au propriétaire de décider de l'installation et de la nature des clôtures en fonction des risques identifiés. RFF a donc formalisé sa politique relative à la délimitation des lignes du Réseau ferré National dans son guide pratique NG IF 2 B 42 n°2 du 22/10/2008. Ce document lance une démarche de recensement et de hiérarchisation des zones à risque en fonction de critères objectifs ou du retour d'expérience. Le pancartage ne fait l'objet d'aucune obligation réglementaire ni de règle interne. Le guide pratique RFF ci-dessus aborde également cette question mais sans édicter de règle. Il en résulte que, généralement, seules les clôtures des sites ferroviaires présentant des caractéristiques spécifiques (Etablissements de maintenance, garages de matériels, triages, postes d'alimentation électrique...) sont appuyées par des pancartes indiquant les dangers et soulignant l'interdiction d'accès. En revanche, en pleine ligne, les limites du domaine ferroviaire ne sont généralement pas pancartées. 3.4.2- Maintenance des clôtures Les clôtures des lignes ferroviaires font partie des équipements fixes de ces lignes. Elles appartiennent donc à RFF et sont entretenues par Infra SNCF au même titre que les autres composants de l'infrastructure ferroviaire. En l'occurrence c'est l'Unité de Production Voie de l'Etablissement Equipement d'Entretien (EVEN) de Paris-Nord qui est chargée de cette maintenance. La détection des anomalies et des détériorations des clôtures repose sur :
les tournées de surveillance périodiques réalisées par les agents « Voie » de l'EVEN territorialement compétent et leur encadrement ;
* Voir glossaire
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les signalements effectués par les agents de la Surveillance Générale de la SNCF (SUGE) dans le cadre des prestations qui leur sont commandées ; les constats effectués par les agents de différents services de la SNCF à l'occasion de leurs interventions sur le terrain.
Les réparations sont, en général, sous-traitées par la SNCF à des entreprises extérieures spécialisées. Les tournées de surveillance Voie Ces tournées ont pour objectif principal de vérifier que la sécurité des circulations ferroviaires est assurée. Elles concernent la superstructure (voie), l'infrastructure (ouvrages d'art, ouvrages en terre, plate-forme) et l'environnement de la ligne. Elles sont régies par la procédure IN 0312 « Tournées de surveillance des agents des équipes d'entretien de la voie » et la procédure IN 0314 « Tournées de l'encadrement des Unités de production et des secteurs Voie ». Ces tournées peuvent être périodiques ou être déclenchées en fonction de conditions particulières (saisonnières ou météorologiques). Sur la section de ligne concernée par l'accident, la périodicité des tournées des agents était mensuelle. Les dernières tournées « encadrement » ont été réalisées le 27/02/2009 en train et le 2/03/2009 à pied. La dernière tournée « agents » a été réalisée le 20/02/2009 à pied. Ces tournées n'ont conduit à aucun signalement concernant les clôtures. L'état des clôtures fait partie des points à observer au cours de ces tournées ; toutefois, les clôtures se trouvent parfois éloignées des voies et ne peuvent être observées en détail depuis la plate-forme. C'est notamment le cas lorsque la voie est établie en tranchée ou en talus comme c'est le cas dans la zone de l'accident. Les prestations de la Surveillance Générale La Surveillance Générale (SUGE) est un service de la SNCF qui intervient comme prestataire pour le compte des Activités SNCF gestionnaires ou exploitantes des infrastructures et des installations. En l'occurrence, la brigade SUGE de Paris-Nord avait établi une convention avec la Direction Régionale Infra pour la surveillance des lignes et des emprises. Cette convention prévoit 4 passages par mois dans le secteur concerné par l'accident. Les attachements de la brigade SUGE de Paris-Nord montrent que 18 passages ont été enregistrés en février 2009 dans le secteur du Km 4 au Km 5,500 du RER B qui englobe le lieu de l'accident mais aucun signalement n'a été fait concernant l'état des clôtures ou des portillons. Questionnés sur ce point, les responsables de la SUGE nous expliquent que leurs agents travaillent, certes, avec des ordres de missions précis mais ils s'appuient surtout sur leur connaissance du terrain et des lieux sensibles. Leurs procédures opératoires ne rentrent pas dans les détails et notamment, ne précisent pas si les agents doivent manipuler les serrures et vérifier le verrouillage des portes des clôtures.
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3.4.3- Etat des clôtures Lors des investigations dans la zone concernée, nous avons constaté que les clôtures étaient en bon état. Les clôtures grillagées datent de 2004 pour le côté Sud et de 2007 pour le côté Nord. Concernant les portes d'accès aux emprises ferroviaires, celle située côté Sud, (côté quai Adrien Agnès) était en bon état apparent. Sa serrure était de type classique avec un pêne demi-tour (triangulaire à ressort) commandé par la poignée et un pêne dormant rectangulaire commandé par une clef plate ordinaire. Le pêne demi-tour fonctionnait normalement. Les poignées étaient démontées et son ouverture nécessitait normalement l'utilisation d'une clef de Berne mâle mais pouvait également être facilement ouverte avec tout autre instrument (canif, clef plate...) pouvant s'insérer dans le carré femelle de la serrure. En revanche le pêne dormant avait été raccourci, d'après les constats effectués par les enquêteurs de la police. Bien que restant encore fonctionnel, il n'était pas utilisé habituellement.
La porte côté Nord (Côté Parking P7) était également en bon état mais était démunie de serrure. La présence de nombreux détritus derrière cette porte, sur les emprises du chemin de fer, conduisent à penser que cet endroit était utilisé comme dépotoir et que la serrure avait été démontée par des tiers. A plusieurs reprises cette porte avait été verrouillée par la SNCF à l'aide d'une chaîne et d'un cadenas. Le dernier avait été posé le 27 novembre 2008, mais le constat d'huissier, effectué après l'accident, indique que cette chaîne n'y était plus. Dans les emprises ferroviaires, on observe des tags sur les ouvrages d'art, ce qui montre que des tiers ont pu accéder aux emprises ferroviaires, toutefois, ces tags ne sont pas spécialement nombreux. Par ailleurs, il n'y a pas, dans le voisinage, de zones d'habitation ou d'activités pour lesquelles les emprises ferroviaires auraient pu constituer un raccourci intéressant. Au total, on peut donc dire que les accès situés de part et d'autre du canal ne constituaient pas des itinéraires utilisés de façon habituelle par des tiers.
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3.5- Retour d'expérience sur des événements similaires
Les heurts de personnes pénétrant indûment dans les emprises ferroviaires ne sont pas des événements très rares, puisqu'on en déplore 40 par an en moyenne. Toutefois, il n'existe pas d'autre cas connu d'accident impliquant un groupe de personnes égarées et ne se rendant pas compte du danger de leur situation. En revanche, des comportements contraires à la sécurité des transports ont été observés précédemment lors de déplacements de supporters au Stade de France, notamment pour le match LOSC - OL du 1er mars 2008, des supporters étant descendus des cars, pris dans les encombrements sur l'autoroute A86, et ayant rejoint le stade à pied.
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4- Déroulement reconstitué de l'accident
4.1- Trajet en car d'Armentières au parking P7
Les deux autocars partent d'Armentières à 14h30. Le trajet se passe sans difficulté. A leur arrivée, les autocars, n'ayant pas de place de parking attribuée à l'avance, sont dirigés, par les forces de police, vers le P7 qu'ils atteignent à 19h15. Avant que les passagers ne descendent, les conducteurs leur demandent d'être de retour pour 23h15. Un des conducteurs est particulièrement insistant et prévient qu'il n'attendra pas les retardataires.
4.2- Trajet à pied du parking P7 au stade
Sans attendre, les personnes se dirigent vers le stade. Deux itinéraires sont possibles pour franchir le canal Saint Denis :
par le pont routier de l'avenue Francis de Pressensé situé à proximité immédiate du parking ; par la passerelle piétonne du Franc Moisin situé 500m plus au Nord.
Ne disposant pas de plan ou d'indication particulière, l'ensemble du groupe emprunte l'itinéraire le plus évident, par le pont routier. L'organisateur du déplacement invite les membres du groupe à bien repérer l'itinéraire pour ne pas se perdre au retour. Après le pont, ils poursuivent sur l'avenue Francis de Pressensé, la rue de la Cokerie, la rue des Trémies, les escaliers de la rue de Brennus et atteignent le stade. Les quatre personnes ayant des places séparées du reste du groupe entrent par la porte A. Les autres contournent le stade par la rue Jules Rimet et le rue Henri Delaunay et rejoignent la porte L située au Nord.
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4.3- Trajet à pied du stade vers le Parking P7
L'ensemble des 104 personnes venues ensemble d'Armentières ne constitue pas un groupe homogène. Le trajet retour se fera par petits groupes informels constitués par familles, par connaissances ou par hasard. Dans la suite, nous suivrons uniquement le trajet du groupe où se trouveront les victimes de l'accident. La fin du match est prévue à 22h45. En fait, le match se termine avec un peu de retard vers 22h55. Les personnes qui constitueront le groupe des victimes sortent à 23h environ par la porte L sans attendre le feu d'artifice, comme convenu. Le groupe est formé de 12 personnes ayant des liens de parenté ou de connaissance, d'âges compris entre 58 ans et 10 ans. Elles empruntent le même itinéraire qu'à l'aller, jusqu'en haut de l'escalier conduisant à la rue des Trémies. A ce niveau, les témoignages recueillis dans le cadre de l'enquête de police indiquent que l'accès à l'escalier est bloqué par un barrage mis en place par les forces de l'ordre. Le groupe est donc dans l'impossibilité de suivre l'itinéraire escompté. Tenant compte de la pression du temps, le groupe décide de contourner le barrage et descend la rue de Brennus puis la rue Ahmed Boughera El Ouafi en direction du canal.
Au niveau du parking P4, des membres du groupe demandent leur chemin à un gardien qui leur conseille de prendre le quai (avenue du Général de Gaulle) à droite au bout de la rue El Ouafi. C'est effectivement un itinéraire possible vers le parking P7 à condition de savoir rejoindre le pont de l'avenue de Pressensé. Empruntant l'avenue du Général de Gaulle, comme indiqué, ils passent sous le pont de l'avenue de Pressensé sans voir les escaliers piétons permettant d'accéder à ce pont. Il est vrai que ces escaliers sont assez peu visibles, notamment de nuit et compte tenu du sens de marche du groupe ; de plus, aucune signalisation n'en indique la présence.
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Continuant leur marche sur le quai Adrien Agnès, ils voient les cars de l'autre côté du canal et un pont devant eux avec un escalier d'accès.
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4.4- L'accident
Le pont est dans l'obscurité. L'accès à l'escalier est barré par une clôture et un portail métallique. Il n'y a pas de pancarte indiquant un danger particulier. Lors de leurs auditions par la police, les membres du groupe ont déclaré que le portail était ouvert. Les éléments en notre possession ne permettent pas de trancher sur ce point. Quoi qu'il en soit, ils entreprennent d'emprunter ce pont et montent l'escalier. En haut de l'escalier, se trouve une rambarde métallique destinée à éviter que les agents du chemin de fer ne débouchent directement, de l'escalier, sur les voies. Ils la contournent et s'engagent sur la plate-forme ferroviaire. Ils empruntent le pont franchissant la chaussée routière puis le pont métallique franchissant le canal. Ce pont est étroit et ne comporte pas de piste permettant de cheminer en dehors de la zone dangereuse. Ils l'empruntent cependant sans avoir conscience du danger et sans surveiller la voie.
C'est à ce moment que le train WIWJ arrive derrière eux. Circulant à vide, à 82km/h, il vient de franchir la gare de La Plaine-Stade de France en direction de Mitry-Claye. Le conducteur observe les indications de son pupitre pendant 2 ou 3 secondes. Relevant la tête, il voit des personnes de part et d'autre, à quelques mètres de son train, marchant le long des voies. Il déclenche immédiatement le freinage d'urgence et entend deux impacts. Il est 23h25.
4.5- Alerte et secours
Le conducteur appelle le régulateur à 23h25 pour l'informer qu'il a heurté des personnes. Les secours sont appelés à 23h25 par le CRO* et à 23h28 par des tiers ; ils arrivent sur place à partir de 23h39. Des moyens importants, provenant de 11 centres, sont déployés. A leur arrivée, ils constatent que deux personnes sont décédées, trois personnes sont blessées gravement dont une très grièvement ; une personne est blessée légèrement et six autres sont choquées psychologiquement.
* Voir glossaire
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Les blessés graves sont dirigés vers différents hôpitaux de la Région Parisienne ; le pronostic vital est engagé pour l'un d'entre eux. Le blessé léger et les personnes choquées sont évacués vers l'hôpital Avicenne de Bobigny en vue d'une prise en charge médicalisée. L'intervention prend fin à 3h40.
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5- Analyse des facteurs causaux et orientations préventives
5.1- Arbre des causes
Les investigations réalisées conduisent à retenir l'arbre des causes simplifié suivant :
Itinéraire barré Spectateurs égarés
Pression du temps
Pont SNCF accessible
Non perception du danger
Pénétration dans les emprises ferroviaires
Heurt par un train
Elles conduisent à rechercher des facteurs causaux et des recommandations préventives dans quatre domaines :
l'orientation des spectateurs et le jalonnement des itinéraires piétons ; la maîtrise des horaires de retour des autocars ; la clôture des emprises ferroviaires ; la perception des dangers ferroviaires. l'identification et la sécurisation des dangers latents à proximité des stades et autres lieux de manifestations de masse.
Il s'y ajoute un cinquième domaine qui dépasse le cas particulier de l'accident du 7 mars :
5.2- L'orientation des spectateurs et le jalonnement des itinéraires piétons
Les autocars affrétés par le club des « Ch'tis dogues de la Lys » n'avaient pas de place de parking attribuée à l'avance. Les supporters n'ont eu connaissance de leur lieu de stationnement que lors de leur arrivée. Ne connaissant pas les lieux et n'ayant pas de plan, ils n'avaient d'autre solution, pour retrouver leur car à l'issue du match, que de mémoriser leur itinéraire aller et de le suivre soigneusement au retour. Malheureusement, cette méthode n'est pas fiable car les forces de l'ordre sont susceptibles de bloquer temporairement tel ou tel itinéraire pour des raisons diverses liées notamment au maintien de l'ordre ou à la régulation des flux de personnes. C'est ce qui s'est passé le 7 mars, dans des circonstances qui n'ont pas pu être précisément déterminées par les enquêteurs techniques. 31
Les supporters du groupe se sont alors égarés en essayant de regagner leur autocar par un autre chemin. Le manque de visibilité et de signalisation de l'escalier d'accès au pont de Pressensé, ne leur a pas permis de retrouver le bon itinéraire. Ceci amène le BEA à formuler la recommandation suivante : Recommandation R1 (Préfecture de la Seine-Saint-Denis, Consortium Stade de France) : Etudier et mettre en place un dispositif permettant aux spectateurs acheminés par autocars de repérer et de mémoriser facilement et sans ambiguïté le lieu de stationnement de leur car et de le retrouver sans difficulté après la manifestation, même si l'itinéraire normal est encombré ou bloqué. Dans cet esprit, un nouveau dispositif a été mis en place, sous l'égide de la préfecture de la Seine-Saint-Denis, à l'occasion de la finale de la coupe de la ligue du 25 avril 2009. Ce dispositif peut être résumé de la façon suivante :
Tous les cars sont identifiés à l'avance et « macaronés » avec indication de leur lieu de stationnement ; Le PC sécurité dispose des numéros minéralogiques de chaque car et du numéro de téléphone du chauffeur ; Chaque zone de stationnement est repérée par une couleur ; un fléchage est mis en place en utilisant les couleurs correspondantes ; A sa descente du car, chaque spectateur reçoit un plan avec indication de l'emplacement exact du parking et de l'itinéraire à emprunter ; les spectateurs sont invités à y indiquer le numéro de leur car et le numéro de téléphone du chauffeur ou de l'organisateur ; Des personnels jalonneurs sont mis en place, par l'organisateur, sur les itinéraires piétons selon un plan précis.
Cet ensemble de dispositions nous semble apte à réaliser les fonctions préconisées dans le cadre de la recommandation R1. Toutefois, l'aptitude des spectateurs à lire une carte n'étant pas garantie et les personnels jalonneurs n'étant mis en place que sur les itinéraires prédéfinis, nous pensons que ce dispositif devrait être complété par la mise en place, à l'intention des piétons égarés, d'un fléchage permanent, relativement large vers les zones de stationnement repérées par leur couleur.
5.3- La maîtrise des horaires de retour des autocars
Pour être à l'heure de départ fixée à 14h30 à Armentières, on peut estimer que les conducteurs ont dû commencer leur service au dépôt de leur compagnie à 13h30. Compte tenu de l'amplitude journalière autorisée pour un conducteur d'autocar (14h00), ils devaient être de retour le lendemain matin à 3h30. Avec un temps de parcours de 3 heures du Stade de France à Armentières et de 1heure d'Armentières à Peruweltz, ceci implique un départ à 23h30 du Stade de France.
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Cet horaire tendu explique l'insistance des conducteurs pour que leurs passagers soient de retour pour 23h15 au plus tard. Le match devant se terminer à 22h45, les spectateurs avaient 30mn pour regagner le car. Ce délai aurait pu être suffisant si tout s'était déroulé comme prévu. Malheureusement une manifestation aussi lourde comporte très souvent des retards ne serait-ce que les arrêts de jeu pour un match de football et le délai s'est avéré insuffisant. Recommandation R2 (Préfecture de la Seine-Saint-Denis, Consortium Stade de France) : Lors des grands événements au Stade de France, informer les organisateurs de déplacements et les autocaristes de la nécessité de prévoir au moins une heure entre la fin prévue de la manifestation et l'heure limite de départ des cars. Cette information pourrait être communiquée par la préfecture lors de la délivrance des « macarons » évoqués plus haut et par le CSdF* sur son site Internet.
5.4- Les clôtures des emprise ferroviaires
Les éléments en possession du BEA-TT ne permettent pas de déterminer si la porte d'accès empruntée par le groupe des victimes était ouverte ou pas avant leur arrivée. Toutefois, il est clair que les clôtures n'ont pas rempli leur fonction qui est de matérialiser de façon significative l'interdiction faite aux personnes non autorisées de pénétrer dans les emprises ferroviaires. Sans viser à rendre le domaine du chemin de fer entièrement étanche aux pénétrations, le BEA-TT a mis en évidence trois voies de progrès. 5.4.1- La maîtrise de la fermeture des accès Tout en étant suffisamment dissuasif pour les personnes non-autorisées, le système de fermeture des accès doit permettre aux personnes, dont les fonctions le justifient, d'accéder facilement au domaine ferroviaire. Ces personnes peuvent appartenir à différents services de la SNCF mais aussi à d'autres entités. Ceci suppose qu'une organisation soit mise en place et que les fermetures des portes et des portails soient compatibles avec cette organisation. Aujourd'hui, cela n'est pas le cas partout ; les serrures qui sont livrées avec les portes et les portails sont de type ordinaire avec un cylindre à clef plate dont la gestion est laissée à l'initiative des échelons locaux de la SNCF. Recommandation R3 (SNCF, RFF) : Mettre en place des organisation et des spécifications des fermetures permettant de garantir que les portes et les portails d'accès au domaine ferroviaire seront raisonnablement dissuasifs pour les tiers tout en restant facilement accessibles aux personnes autorisées. 5.4.2- La surveillance de l'état des accès Comme le rappelle la directive IN 0312, la vérification du bon état des clôtures fait partie des objectifs des tournées de surveillance des agents des équipes d'entretien de la voie de la SNCF.
* Voir glossaire
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Toutefois, le nombre de points à surveiller est grand et ils sont parfois éloignés des voies. Il importe que le retour d'expérience de cet événement soit mis à profit pour attirer l'attention des agents sur l'importance de ce point pour la sécurité des personnes et la régularité de l'exploitation ferroviaire. Par ailleurs, lors des tournées de surveillance effectuées par la SUGE*, la vérification du bon état du verrouillage des accès n'est pas réalisée systématiquement. Il est souhaitable que, lorsque la SUGE est la mieux à même d'effectuer cette vérification, cette prestation soit clairement convenue. Recommandation R4 (SNCF) : Rappeler aux agents des équipes d'entretien de la voie l'importance de la vérification du bon état des clôtures et des accès lors des tournées. Préciser la prestation attendue des agents de la SUGE lors de leurs tournées de surveillance, notamment pour ce qui concerne le bon verrouillage des accès, lorsque l'on décide de leur attribuer cette mission. 5.4.3- La perception du danger ferroviaire Compte tenu de l'ancienneté et de l'extension du chemin de fer en France, on peut penser que les dangers liés à la pénétration du public sur les plate-formes ferroviaires sont connus de tout un chacun. Ceci explique pourquoi il n'a jamais été jugé nécessaire d'apposer systématiquement des pancartes rappelant l'interdiction d'accès aux emprises ou en soulignant les dangers ; ainsi, la porte d'accès utilisée par le groupe de supporters n'en était pas dotée. Cependant les déclarations des personnes et leur comportement montrent que cette connaissance abstraite n'a pas suffi à les dissuader d'emprunter le pont du chemin de fer, ni même à leur faire conserver un minimum de vigilance. Par ailleurs, dans une société où le public est de plus en plus habitué à ce que le moindre danger soit identifié et signalé, à défaut d'être éliminé, l'absence de pancarte a pu être interprété inconsciemment comme le signe d'une absence de danger. Recommandation R5 (SNCF, RFF) : Revoir la politique d'implantation des pancartes rappelant l'interdiction d'accès aux emprises ferroviaires ainsi que les dangers associés, au niveau des portes et portails donnant accès aux plates-formes ferroviaires. Définir les modalités de mise en oeuvre de cette politique.
5.5- L'identification des dangers latents
A proximité des grands stades, les spectateurs, en raison de leur concentration, de leur état d'euphorie ou de stress ainsi que de leur méconnaissance des lieux peuvent avoir des comportements non conformes à ce qui a été prévu par les concepteurs des installations et des équipements que ces personnes doivent utiliser ou côtoyer. Il en est de même à proximité d'autres lieux de manifestations de masse.
* Voir glossaire
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Autour du Stade de France, la prévention des risques d'intrusion des spectateurs sur des installations non ouvertes au public concerne le Consortium Stade de France et la Préfecture de la Seine-Saint -Denis ainsi que la Préfecture de Police qui gère depuis septembre 2009 l'ordre public autour du Stade de France. Recommandation R6 (Préfecture de Police, Préfecture de la Seine-Saint-Denis, Consortium Stade de France) :
Réaliser un recensement des installations pouvant comporter des risques en cas de pénétration intempestive du public (voies ferrées, canaux, autoroutes, postes de transformation EDF, usines...), situées à proximité des cheminements prévus ou potentiels autour du Stade de France. Faire vérifier la conformité et le bon état des clôtures de ces installations par leurs propriétaires ou leurs exploitants, et informer ceux-ci des dates des manifestations afin qu'ils vérifient la bonne fermeture de leurs accès .
Dans le cas du Stade de France, la zone concernée, pour couvrir les trajets terminaux des spectateurs, se situerait dans un rayon de 2 km environ autour du stade. Recommandation R7 (Direction de la Sécurité Civile) : Recenser les stades de très grande fréquentation et inciter les autorités responsables à assurer la sécurité des itinéraires empruntés par le public en prenant en compte la recommandation R6 ci-dessus.
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6- Conclusions et recommandations
6.1- Causes de l'accident
La cause directe et immédiate de l'accident est la pénétration du groupe de supporters dans les emprises ferroviaires non ouvertes au public. Quatre facteurs causaux ont conduit à cette intrusion :
la désorientation des supporters sur le chemin du retour vers les cars, l'itinéraire prévu étant barré ; la pression du temps, liée aux contraintes horaires imposées pour le départ des cars ; la protection, qui s'est avérée insuffisante, de l'accès de service au pont ferroviaire ; l'absence de perception du danger ferroviaire de la part des personnes impliquées.
6.2- Recommandations
Recommandation R1 (Préfecture de la Seine-Saint-Denis, Consortium Stade de France) : Etudier et mettre en place un dispositif permettant aux spectateurs acheminés par autocars de repérer et de mémoriser facilement et sans ambiguïté le lieu de stationnement de leur car et de le retrouver sans difficulté après la manifestation, même si l'itinéraire normal est encombré ou bloqué. Recommandation R2 (Préfecture de la Seine-Saint-Denis, Consortium Stade de France) : Lors des grands événements au Stade de France, informer les organisateurs de déplacements et les autocaristes de la nécessité de prévoir au moins une heure entre la fin prévue de la manifestation et l'heure limite de départ des cars. Recommandation R3 (SNCF, RFF) : Mettre en place organisations et des spécifications des fermetures permettant de garantir que les portes et les portails d'accès au domaine ferroviaire seront raisonnablement dissuasifs pour les tiers tout en restant facilement accessibles aux personnes autorisées. Recommandation R4 (SNCF) : Rappeler aux agents des équipes d'entretien de la voie l'importance de la vérification du bon état des clôtures et des accès lors des tournées. Préciser la prestation attendue des agents de la SUGE lors de leurs tournées de surveillance, notamment pour ce qui concerne le bon verrouillage des accès, lorsque l'on décide de leur attribuer cette mission.
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Recommandation R5 (RFF) : Revoir la politique d'implantation des pancartes rappelant l'interdiction d'accès aux emprises ferroviaires ainsi que les dangers associés, au niveau des portes et portails donnant accès aux plate-formes ferroviaires. Définir les modalités de mise en oeuvre de cette politique. Recommandation R6 (Préfecture de Police, Préfecture de la Seine-Saint-Denis, Consortium Stade de France) :
Réaliser un recensement des installations pouvant comporter des risques en cas de pénétration intempestive du public (voies ferrées, canaux, autoroutes, postes de transformation EDF, usines...), situées à proximité des cheminements prévus ou potentiels autour du Stade de France. Faire vérifier la conformité et le bon état des clôtures de ces installations par leurs propriétaires ou leurs exploitants, et informer ceux-ci des dates des manifestations afin qu'ils vérifient la bonne fermeture de leurs accès .
Dans le cas du Stade de France, la zone concernée, pour couvrir les trajets terminaux des spectateurs, se situerait dans un rayon de 2 km environ autour du stade. Recommandation R7 (Direction de la sécurité Civile) : Recenser les stades de très grande fréquentation et inciter les autorités responsables à assurer la sécurité des itinéraires empruntés par le public en prenant en compte la recommandation R6 ci-dessus.
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ANNEXES
Annexe 1 : Décision d'ouverture d'enquête Annexe 2 : Arrêté préfectoral
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Annexe 1 : Décision d'ouverture d'enquête
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Annexe 2 : Arrêté préfectoral
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Présent pour l'avenir
BEA-TT - Bureau d'enquêtes sur les Accidents de transport terrestre Tour Voltaire - 92 055 LA DEFENSE CEDEX Tél. + 33 (0) 1 40 81 21 83 - Fax. + 33 (0) 1 40 81 21 50 cgpc.beatt@developpement-durable.gouv.fr www.bea-tt.developpement-durable.gouv.fr
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