Rapport d'investigation préliminaire : Petit Comédien
Auteur moral
France. Bureau d'enquêtes sur les événements de mer
Auteur secondaire
Résumé
Le présent rapport d'investigation préliminaire a été établi par le bureau d'enquête sur les événements de Mer (BEAmer). Il porte sur la voie d'eau survenue à bord du fileyeur Petit Comédien le 27 février 2012 au large de l'île d'Ouessant.
Editeur
BEAmer
Descripteur Urbamet
accident
;sécurité
;prévention des risques
Descripteur écoplanete
Thème
Transports
Texte intégral
Rapport d'investigation préliminaire
2
VOIE D'EAU À BORD DU FILEYEUR PETIT COMÉDIEN SURVENUE LE 27 FÉVRIER 2012 AU LARGE DE L'ÎLE D'OUESSANT
NAVIRE ET ÉQUIPAGE Disposés de part et d'autre de la cale à poissons, les deux viviers sont remplis d'eau de mer. Les deux caisses à gazole contiennent 2 tonnes de combustible, soit la moitié de leur capacité. La pompe de lavage est en route et une manche débite par-dessus bord. La vanne de sélection du circuit vivier alimenté par la pompe de lavage est décollée afin d'éviter des problèmes d'amorçage ; ce circuit d'eau est donc en pression. Vers 11h30, il fait route vers un autre lieu de pêche à une vitesse d'environ 7 noeuds. À 11h40, un bruit sourd se fait entendre ; le navire subit deux chocs sur la coque à bâbord, suivis d'un autre plus violent sur l'arrière (conteneur immergé ?). Il prend de la gîte sur tribord, puis se redresse. Le patron ralentit immédiatement et les deux matelots montent sur le pont. Aucune alarme de niveau d'eau ne se déclenche. Le patron fait demi-tour et revient à la position de la collision. L'équipage n'aperçoit rien puis mène une investigation du peak AV, du poste équipage et du compartiment machine. Tout paraît normal à ce moment. À 12h10, le patron constate de visu que la cale à poissons est inondée, bien que l'alarme d'envahissement d'eau de ce local ne se soit pas déclenchée. Il dispose l'assèchement direct du compartiment machine (pompe attelée au moteur) ainsi que celui de la cale à poissons, par l'intermédiaire de la boîte collectrice. Il isole le circuit d'eau de lavage des viviers. L'alarme d'envahissement d'eau dans le compartiment machine se déclenche. L'eau monte rapidement dans ce compartiment jusqu'au niveau des courroies du moteur principal. L'armateur, qui se trouve à la passerelle, augmente le régime du moteur afin d'atteindre le débit maximum de la pompe attelée d'assèchement. Deux autres pompes d'assèchement (de type électriques 24 V portatives immergeables, dont une de 6m3/h) sont mises en oeuvre dans le compartiment machine. Le matelot actionne la pompe manuelle située sur le pont, mais s'épuise rapidement.
Le PETIT COMÉDIEN, immatriculé BR 686 413, a été mis en service le 29 février 1988 ; c'est un fileyeur en polyester de 13,00 m de long, propulsé par un moteur diesel de 134 kW. Il est armé en 3ème catégorie avec 3 à 5 marins à bord, équipé de deux stations radio VHF ASN, d'une VHF SMDSM portable et d'une balise SARSAT/COSPAS. Il dispose aussi de deux radeaux de survie classe III ainsi que d'un nombre suffisant de brassières et de VFI. Le 27 février 2012, 3 personnes sont à bord, deux marins et l'armateur (ancien patron en retraite, non porté au rôle). Seul le matelot est à jour de sa visite d'aptitude. Les titres de sécurité sont à jour. LES FAITS Heures locales (UTC+1) Vent de sud-ouest 7 noeuds, mer belle, visibilité supérieure à 5 milles, houle faible et longue. Le 27 février 2012 à 05h00, le PETIT COMÉDIEN quitte Lanildut à destination de sa zone de pêche à 20 milles dans le 350° d'Ouessant. De 9h00 à 11h30, il file 12 à 13 km de filets, stockés en majeure partie dans le parc sur l'arrière du navire, ainsi que dans des sacs sur le pont à bâbord et dans la cale à poissons située derrière le compartiment machine.
L'équipage réalise que la situation est critique, le navire commençant à s'enfoncer par l'AR bâbord. À 12h26, le patron émet un premier MAYDAY sur VHF 16. Il n'indique cependant pas la position du navire ni le nombre de personnes à bord. Il déclenche ensuite le signal de détresse ASN VHF. Ne recevant aucun accusé de réception du CROSS, l'armateur vérifie le branchement de la VHF et rapproche l'appareil de la coursive bâbord. Dans le même temps, le patron fait mettre à l'eau sur bâbord un premier radeau de survie, lequel se gonfle mais flotte à l'envers. L'équipage réussit à le mettre à l'endroit, puis le déplace vers l'avant du navire pour éviter qu'il soit attiré par la coque. À 12h27, le CROSS Corsen, qui a bien reçu l'appel de détresse, diffuse un MAYDAY RELAY et tente en vain de contacter le navire. À 12h29, le CROSS Corsen met en oeuvre un hélicoptère de la Marine Nationale. Le navire de commerce AB VALENTIA se déroute. À 12h32, le navire menace de chavirer, son pont bâbord arrière étant immergé. Le contact radio est enfin établi entre le navire et le CROSS au moyen de la VHF portable SMDSM ; le patron communique la position et le nombre de personnes à bord. L'équipage prépare l'évacuation du navire. Le deuxième radeau est mis à l'eau sur bâbord et se gonfle normalement. Peu après, l'équipage, revêtu de VFI, abandonne le navire. Le radeau étant attiré par la coque, les naufragés débordent en tirant sur la bosse du premier radeau de survie. Le patron, qui a dû se jeter à l'eau, embarque le dernier dans le radeau avec la balise RLS SARSAT/COSPAS et la VHF SMDSM. Il active manuellement la balise. Le fileyeur se couche par l'AR bâbord mais se maintient à flot. À 13h02, hélitreuillage des naufragés. À 13h 30, les naufragés, sains et saufs, sont pris en charge à l'hôpital à Brest. Le 28 février à 18h 05, l'épave, qui a été maintenue à flot, est remorquée à Camaret par des vedettes de la SNSM. CONSÉQUENCES La coque du navire est intègre mais présente plusieurs traces de frottement et un impact sur bâbord AR sous la ligne de flottaison. Au niveau de l'impact, plusieurs
couches de stratifié ont été arrachées sur une surface d'environ 200 cm2. En raison de leur immersion, les équipements mécaniques, électriques et électroniques ont été détériorés ou détruits. Par ailleurs, il n'est pas exclu que la structure de la coque ait travaillé durant l'immersion et le remorquage qui a duré 17 heures. CONCLUSIONS L'envahissement de la cale à poissons résulte de la rupture d'un raccord de la tuyauterie d'eau de mer qui alimente le vivier tribord. Ce tuyau métallique rigide, d'un diamètre de 50 mm, était sous pression, alimenté par la pompe de lavage avec un débit de 26 m3/h. Rupture du raccord
Dans la cale à poissons se trouvent un sac contenant 200 kg de filets et des ancres (type MARREL) de lestage ; ce matériel repose au moins partiellement sur la tuyauterie d'eau de mer qui dessert les viviers. De plus, celle-ci n'est pas fixée aux cloisons. Cette charge exerce donc une contrainte sur cette tuyauterie. D'autre part, cette dernière est composée de plusieurs métaux différents (acier inox, acier galvanisé, bronze). Il est donc probable que le filetage du raccord a été fragilisé par la corrosion galvanique. De fait, elle s'est rompue au niveau d'un raccord en acier, non protégé par des anodes et dont la portion filetée résiduelle est faible. La rupture de cette tuyauterie déjà fragilisée résulte vraisemblablement de l'addition du choc et des contraintes permanentes exercées sur elle. Le détecteur d'envahissement d'eau du local ne s'est pas déclenché alors que le niveau montait rapidement.
Quatre détecteurs se trouvent aux emplacements suivants : cale à poissons, machine, poste équipage et peak AV. Le patron et l'armateur ont indiqué que les dysfonctionnements des détecteurs de niveau étaient fréquents en raison de leur type (coulissement vertical) sensible à la présence de débris. Or, dans la cale à poissons, le détecteur n'est pas protégé (photo). L'équipage n'a pas réussi à investiguer la cale à poissons, car celle-ci était encombrée par le matériel entreposé. Le temps perdu de ce fait a probablement contribué à aggraver la situation. La cloison de la cale à poissons n'étant pas étanche au passage de la ligne d'arbre et du tuyau d'assèchement, le compartiment machine a été ensuite envahi. S'agissant enfin de l'alerte, le patron n'a pas reçu les communications du CROSS sur les VHF fixes du bord. La dernière inspection de la station radio par l'ANFR a été faite le 03 mai 2011. Il avait notamment été prescrit de faire réparer les deux VHF fixes dont il avait été constaté que la puissance en réception était trop faible. Selon l'armateur, les réparations nécessaires ont été effectuées par le bord au mois de décembre. Néanmoins, un doute subsiste sur la qualité de réception de ces deux VHF. La balise RLS pont pouvait se déclencher automatiquement par contact avec l'eau de mer ou par activation manuelle d'un interrupteur. Selon le patron, il a activé manuellement la balise, mais aucun signal n'a été reçu par les stations terrestres. Le dernier contrôle de la balise de type KANNAD 406 WH, avait été fait le 14 septembre 2011. Il était valide jusqu'en juillet 2013, date de son déclassement. Les faits paraissant suffisamment établis, le BEAmer n'ouvre pas d'enquête de sécurité maritime.
L'équipement de détection et d'alarme de montée d'eau est conforme aux dispositions réglementaires.
ENSEIGNEMENTS
Porter une attention particulière aux tuyauteries qui véhiculent de l'eau de mer (compatibilité des matériaux utilisés, protection contre les courants galvaniques, réparations), ainsi qu'à leur résistance mécanique (fixation, protection contre les chocs). Ne pas stocker de matériel sur les vannes et tuyauteries. Maintenir l'étanchéité des cloisons transversales dites « étanches ». Effectuer régulièrement l'essai des alarmes d'envahissement d'eau dans les cales et prendre les mesures nécessaires pour garantir le bon fonctionnement des détecteurs de niveau haut (emplacement et protection contre les débris notamment). S'assurer en permanence de la bonne qualité des équipements de radiocommunications du bord et, le cas échéant, les faire réparer par un professionnel. Lors de la diffusion d'un message de détresse, le contenu doit être conforme aux dispositions du SMDSM et préciser notamment la position du navire et le nombre de personnes à bord.
Ministère de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie
Bureau d'enquêtes sur les évènements de mer
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