Rapport d'enquête technique : naufrage et homme à la mer du caseyeur Entre Les Deux Caps, le 11 décembre 2016 à 1 mille au large du cap Gris-Nez
Auteur moral
France. Bureau d'enquêtes sur les événements de mer
Auteur secondaire
Résumé
Le présent rapport d'enquête technique a été établi conformément aux dispositions du Code des transports. Il porte sur le naufrage et la chute d'un homme à la mer survenus à bord du caseyeur Entre Les Deux Caps, le 11 décembre 2016 à 1 mille au large du cap Gris-Nez. Ce rapport expose les conclusions auxquelles sont parvenues les enquêteurs du BEAmer sur les circonstances et les causes de l'événement analysé et propose des recommandations de sécurité.
Editeur
BEAmer
Descripteur Urbamet
accident
;sécurité
;prévention des risques
;NAUFRAGE
Descripteur écoplanete
Thème
Transports
Texte intégral
Rapport d'enquête technique
NAUFRAGE ET HOMME À LA MER DU CASEYEUR ENTRE LES DEUX CAPS, LE 11 DÉCEMBRE 2016 À 1 MILLE AU LARGE DU CAP GRIS-NEZ
Rapport publié : octobre 2017
Rapport d'enquête technique
NAUFRAGE et HOMME À LA MER
du caseyeur
ENTRE LES DEUX CAPS
LE 11 DECEMBRE 2016
À 1 mille au large du cap Gris-Nez
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Avertissement
Le présent rapport a été établi conformément aux dispositions du Code des transports, notamment ses articles L.1621-1 à L.1622-2 et R.1621-1 à R.1621-38 relatifs aux enquêtes techniques et aux enquêtes de sécurité après un événement de mer, un accident ou un incident de transport terrestre et portant les mesures de transposition de la directive 2009/18/CE établissant les principes fondamentaux régissant les enquêtes sur les accidents dans le secteur des transports maritimes ainsi qu'à celles du « Code pour la conduite des enquêtes sur les accidents » de l'Organisation Maritime Internationale (OMI), résolution MSC 255(84) publié par décret n° 2010-1577 du 16 décembre 2010. Il exprime les conclusions auxquelles sont parvenus les enquêteurs du
BEAmer
sur
les circonstances et les causes de l'événement analysé et propose des recommandations de sécurité. Conformément aux dispositions susvisées, l'analyse de cet événement n'a pas été conduite de façon à établir ou attribuer des fautes à caractère pénal ou encore à évaluer des responsabilités individuelles ou collectives à caractère civil. Son seul objectif est d'améliorer la sécurité maritime et la prévention de la pollution par les navires et d'en tirer des enseignements susceptibles de prévenir de futurs sinistres du même type. En conséquence, l'utilisation de ce rapport à d'autres fins que la prévention pourrait conduire à des interprétations erronées. Pour information, la version officielle du rapport est la version française. La traduction en anglais lorsqu'elle est proposée se veut faciliter la lecture aux non-francophones.
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PLAN DU RAPPORT
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RÉSUMÉ INFORMATIONS FACTUELLES 2.0 2.1 2.2 2.3 2.4 2.5 Contexte Navire Équipage Voyage Informations concernant l'accident Opération SAR
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EXPOSÉ CARTE
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ANALYSE 4.1 4.2 Chavirage et naufrage Chute à la mer et séjour dans l'eau
5 6 7 8
CONCLUSIONS ENSEIGNEMENTS RECOMMANDATIONS ANNEXES A. B. C. D. E. Liste des abréviations Décision d'enquête La survie en eaux froides Le « 196 » Liste d'accidents de mer similaires
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RÉSUMÉ
Le 11 décembre 2016 vers 12h30, le navire de pêche ENTRE LES DEUX CAPS est mis à l'eau, par beau temps, sur la plage d'Audresselles. Son patron, seul à bord, fait route vers ses casiers, mouillés à 1,5 mille dans l'ouest-sud-ouest du cap Gris-Nez. Il commence à relever, à l'aide de son treuil, une à une, ses cinq filières de casiers qu'il mouille à nouveau. Lorsqu'il arrive à la cinquième, alors qu'il hisse à bord l'avant-dernier casier, la filière « croche », le navire se met en travers du courant de marée et le casier précédemment remonté à bord se coince dans le treuil. Le navire accuse une gite prononcée sur tribord puis chavire rapidement, entraînant la VHF portative. Le patron monte, équipé de son VFI, sur la coque retournée et appelle sa compagne au moyen d'un téléphone portable étanche. Celle-ci alerte sans tarder le CROSS Gris-Nez. Le navire sombre très vite et le marin est à l'eau. Pour se débarrasser d'une partie de son équipement, qui l'alourdit, il doit dégrafer son VFI qui lui échappe et part à la dérive. Il sera repéré une heure après par un pêcheur et récupéré sain et sauf par la vedette de la SNSM engagée par le CROSS. Le
BEAmer
a émis, à la suite de cet accident très grave puisque le navire a été perdu, deux
recommandations dont la réalisation devra être suivie conformément aux exigences de l'article R 1621-9 du Code des Transports. Celles-ci portent sur la communication des événements de mer aux CROSS. Le
BEAmer
en a également tiré trois enseignements concernant notamment les risques liés à la
pratique de la pêche par des marins seuls à bord.
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2.0
INFORMATIONS FACTUELLES
Contexte
Le navire ENTRE LES DEUX CAPS pratique principalement la pêche (crabes et homard) aux casiers au large des falaises de la côte d'Opale. Sa compagne assure la commercialisation de ses prises.
2.1
Navire
Le navire, non ponté, en polyester, de type flobard, a été construit et mis en service en 1982. Le « flobard » est un bateau d'échouage d'un type traditionnel (l'origine de la forme de sa carène remonte à plusieurs siècles). Il est capable de flotter dans moins de 30 centimètres d'eau et était utilisé pour la pêche sur la Côte d'Opale de Berck à Calais, et notamment à Audresselles et à Wissant. L'ENTRE LES DEUX CAPS était le dernier navire de ce type exploité à la pêche professionnelle. Principales caractéristiques du navire : Immatriculation
© Anne-Sophie FLAMENT
: BL 562562 ; : 4,95 m ; : 1,37 UMS ; : 15 KW ; : un filet trémail de 400 à 600 m ou 90 casiers. (informations déclaratives).
Longueur hors-tout Jauge Propulsion Engins de pêche
Le propriétaire actuel l'a acquis en août 2015. Il l'a rénové pendant le dernier trimestre de l'année (peinture et échange du treuil pour un équipement de même poids). La dernière visite périodique de sécurité a eu lieu le 8 janvier 2016. Les seules prescriptions émises concernent d'une part la vérification de l'extincteur à poudre et celle de la dotation médicale (elles ont été levées peu après) et d'autre part le contrôle de l'appareil lumineux de l'une des brassières de sauvetage. La décision d'effectif pour une navigation en solitaire a été signée le 25 janvier 2016.
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Ce navire est exploité dans les limites de la 4ème catégorie. Il ne comprend ni cloisonnement, ni franc-bord, ni réserves de flottabilité (Il dispose de 3 cloisons étanches qui délimitent dans les faits des coffres de rangement non dotés de réserve de flottabilité, munis de portes coulissantes non étanches), ce qui est autorisé pour un navire de ce type au regard de sa date de pose de quille. Le navire est équipé de 2 pompes électriques (débit <10 m³/h) dédiées à la lutte contre l'envahissement. La réglementation exempte ce navire de l'emport d'un radeau de sauvetage. L'emport d'un VFI de type 150N minimum est obligatoire.
2.2
Équipage
Le patron, seul à bord, est âgé de 22 ans. Il navigue depuis 5 ans. Il est notamment titulaire des certificats suivants : le permis de conduire les moteurs marins (2015), le CGO (2014), le CRO (2014), le BAERS (2015), la formation de base à la sécurité (2014), le certificat de capacité (2007), et le BEPM pêche (2009). Il est à jour de sa visite médicale d'aptitude. Par ailleurs il est pompier volontaire et jouit d'une très bonne santé.
2.3
Voyage
L'ENTRE LES DEUX CAPS était parti vers 12h30 sur ses lieux de pêche pour quelques heures. Le bateau était généralement mis à l'eau depuis la plage d'Audresselles. Il prévenait sa compagne quelque temps avant la fin de sa marée pour qu'elle l'aide à remettre son bateau à terre et récupère ses prises dont elle assurait ensuite la commercialisation.
2.4
Informations concernant l'accident
L'accident s'est produit au cours d'une marée de pêche au casier effectuée au large du Cap Gris-Nez. Comme à l'accoutumée, le marin pêcheur relevait les 5 filières de 10 casiers chacune qu'il avait posées la veille dans des fonds d'environ 16 m. Il remontait ses filières, au moyen de
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son treuil, et il vidait ses casiers un par un dans son bateau avant de les remettre à l'eau. Il estime qu'il avait à ce moment, environ 95 kg de prises à bord. Lors du relevage de l'avant-dernier casier de la 5ème filière, le navire a chaviré sous l'effet combiné de la croche d'un casier sur le fond, du blocage du suivant à bord et du courant de marée. Après une heure passée dans l'eau à 9°C, le marin a été récupéré en état d'hypothermie et a survécu. Cet accident, qui a entrainé la perte totale du navire, est qualifié de très grave. La position la plus probable du navire au moment de l'accident (chavirage et chute à la mer du marin) est celle où a été retrouvée la 5ème filière, à environ 1 mille dans l'ouest-sud-ouest du CROSS Gris-Nez, correspondant à la position géographique de: 50° 51,85' N / 001° 33,68' E.
2.5
Intervention SAR (Extrait du SITREP du CROSS Gris-Nez n°2016/0974)
Toutes heures TU+1
Le dimanche 11 décembre
À 14h47, le CROSS Gris-Nez est informé (téléphone de la compagne du marin) du chavirage de l'ENTRE LES DEUX CAPS, elle donne une position approximative (entre le Cran aux OEufs et le Cap Gris-Nez). À 14h47, déclenchement d'une opération SAR par le CROSS. À 14h50, un avion Falcon (PATMAR) et une vedette des douanes NORDET sont engagés. À 14h52, diffusion du 1er message Mayday Relay par le CROSS Gris-Nez. À 14h53, mise en alerte du canot SNS 076, PRÉSIDENT JACQUES HURET de Boulogne-sur-Mer. À 14h54, mise en alerte de l'hélicoptère GUÉPARD WHISKEY. À 14h56, diffusion du 2ème message Mayday Relay. À 14h56, (ainsi qu'à 15h06, à 15h27 et 15h34) appels sans réponse au numéro de portable (qui reste actif) du naufragé. À 15h00, le Falcon est sur zone.
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À 15h01, mise en alerte du canot SNS 087, JEAN BART II de Dunkerque. À 15h10, détermination d'une première zone de recherche, compte tenu des indications dont dispose le CROSS. À 15h11, communication entre le CROSS et un pêcheur connaissant les lieux de pêche du naufragé. Le pêcheur indique plus précisément la zone de recherche. Il appareille avec son navire de plaisance l'INFATIGABLE pour participer aux recherches. À 15h34, l'INFATIGABLE signale des débris par 50°50' N et 01°33,33' E. La SNS 076 rejoint cette zone. À 15h35, l'INFATIGABLE et la vedette SNS 076 repèrent le naufragé. À 15h37, le naufragé est récupéré (en hypothermie) par la SNS 076. Premiers soins. À 15h53, conférence téléphonique avec le SAMU de Coordination Médicale Maritime (SCMM). À 16h16, SNS 076 à quai à Boulogne-sur-Mer. Le naufragé est pris en charge par un VSAV et conduit à l'hôpital de Boulogne-sur-Mer.
3
EXPOSÉ
Toutes heures locales : TU+1 Météo (SITREP) Vent ouest 3, mer 3, visibilité 10 milles, nébulosité 4/8, T° air 8°C, T° mer 9°C. Marée Calais : La Basse Mer est à 16h57 soit une heure après le naufrage. Le courant de jusant à ce moment et à cet endroit porte au sud. Il est évalué, pour ce coefficient (80), à 1,2 noeud. Le 11 décembre, Vers 12h30, l'ENTRE LES DEUX CAPS est mis à l'eau sur la plage d'Audresselles, le patron appareille pour se rendre sur ses lieux de pêche. À 13h00, première filière de casiers remontée à bord et refilée aussitôt.
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À 13h20, deuxième filière de casiers remontée à bord et refilée aussitôt. À 13h40, troisième filière de casiers remontée à bord et refilée aussitôt. Vers 14h00, quatrième filière de casiers remontée à bord et refilée aussitôt. Le patron appelle sa compagne au moyen de son téléphone portable pour la prévenir que sa marée se terminera prochainement. À 14h20, arrivée à la cinquième et dernière filière de casiers. Au neuvième casier, la filière « force » et le casier se bloque dans le vire-filière. À 14h40, le navire gite sur tribord l'eau pénètre et entraîne un envahissement suffisamment important pour le faire chavirer. À 14h42, le patron, équipé de son VFI, est dans l'eau, il se hisse sur la coque retournée. À 14h44, il appelle sa compagne au moyen de son téléphone portable étanche en lui indiquant sa position approximative (entre le Cran aux OEufs et le Cap Gris-Nez). À 14h46, le navire coule, le patron surnage. Son « waders1 » qui se remplit d'eau l'entraîne vers le fond. Il décide de s'en séparer. Pour ce faire, sous l'eau, il dégrafe son VFI qui lui échappe sans qu'il puisse le retenir et afin de maintenir de la flottabilité il utilise sa vareuse pour créer une « poche d'air ». Pendant cette période, il fait des mouvements de « rétropédalage ». Il voit passer le Falcon et l'hélicoptère engagés à sa recherche. Vers 15h00, la compagne du naufragé appelle un ami pêcheur professionnel, qui connaît les lieux de pêche de l'ENTRE LES DEUX CAPS, et lui fait part de la situation. Celui-ci rejoint immédiatement son bateau de plaisance, l`INFATIGABLE, sur la plage d'Audresselles, et part à sa recherche en ayant soin de contacter le CROSS. Vers 15h34, la vedette de la SNSM 076 fait route vers le bateau de plaisance qui vient de trouver des débris provenant de l'ENTRE LES DEUX CAPS. À 15h37, le patron est repéré, à près de 2 milles du lieu du naufrage, par l`INFATIGABLE et la vedette SNS 076. Il est récupéré en état d'hypothermie par la vedette. Les premiers soins lui sont donnés à bord.
- Mot d'origine anglaise - Pantalon étanche muni de bottes et de bretelles permettant d'entrer dans l'eau jusqu'à la poitrine.
1
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À 15h54, la vedette SNS 076 franchit les passes du port de Boulogne-sur-Mer. Vers 16h15, le patron arrive à l'hôpital de Boulogne-sur-Mer où il restera quelques heures en observation. Vers 19h20, la vedette SNS 076, qui a été engagée à nouveau à la suite du signalement de feux clignotants à la surface de l'eau, retrouve, à proximité du lieu estimé du naufrage, un VFI de type à déclenchement automatique et percuté. Il s'agit du VFI de l'ENTRE LES DEUX CAPS. Vers 22h00, le patron de l'ENTRE LES DEUX CAPS quitte l'hôpital. Pendant les jours suivants, à la demande de l'assureur du navire, une quinzaine de plongées seront effectuées dans la zone du naufrage. Aucune trace de l'ENTRE LES DEUX CAPS ne sera retrouvée.
Zone de pêche de l'ENTRE LES DEUX CAPS
Lieu probable de la chute à la mer vers 14h46
Cran aux OEufs
Débris repérés par l'INFATIGABLE à 15h34 Naufragé récupéré par SNS 076 à 15h37
(Carte Datashom)
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ANALYSE
La méthode retenue pour cette analyse est celle qui est préconisée par la Résolution A28 / Res 1075 de l'OMI « directives destinées à aider les enquêteurs à appliquer le code pour les enquêtes sur les accidents (Résolution MSC 255 (84)) ». Le BEAmer a établi la séquence des événements ayant entrainé les accidents, à savoir : Le chavirage et le naufrage du navire ; La chute à la mer et le séjour dans l'eau du patron.
Dans cette séquence, les événements dits perturbateurs (événements déterminants ayant entrainé les accidents et jugés significatifs et inappropriés) ont été identifiés. Ceux-ci ont été analysés en considérant les éléments naturels, matériels, humains et procéduraux afin d'identifier les facteurs ayant contribué à leur apparition ou ayant contribué à aggraver leurs conséquences. Parmi ces facteurs, ceux qui faisaient apparaître des problèmes de sécurité présentant des risques pour lesquels les défenses existantes étaient jugées inadéquates ou manquantes ont été mis en évidence (facteurs contributifs). Les facteurs sans influence sur le cours des événements ont été écartés, et seuls ceux qui pourraient, avec un degré appréciable, avoir pesé sur le déroulement des faits ont été retenus.
4.1
Le chavirage et le naufrage
Le navire ENTRE LES DEUX CAPS a pris une forte gite à la suite de la croche de la cinquième filière de casiers et du coincement de l'un d'entre eux dans le treuil, alors que le navire subissait un courant portant au sud. Il a été rapidement envahi puis a chaviré sans que le patron puisse faire quoi que ce soit.
4.1.1
La croche et la mise en tension de la filière
La cause de la croche sur le fond n'a pas été établie malgré les plongées effectuées par la suite. La filière s'est brusquement tendue, ce qui a fait « sauter » l'autre partie, à bord du navire, et le dernier casier s'est bloqué dans les montants du treuil, générant un fort couple inclinant. Le
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patron ne parvenant pas à réduire la tension, la gite s'est accentuée jusqu'à l'envahissement et le chavirage du navire. On peut estimer que la gestion de la croche aurait été plus facile avec deux marins à bord. Ils auraient probablement pu, avec une bonne coordination, libérer immédiatement le casier bloqué par le vire-filière et ainsi faire cesser le couple inclinant qui a provoqué le chavirage.
4.1.2
Le vire-filière
Il est à noter que le vire-filière avait été installé à bord après la visite de mise en service et avant la dernière visite périodique du navire par le CSN Boulogne-sur-Mer. Il remplaçait un treuil de même poids et du même type que celui qui avait été mis en place auparavant par le précédent propriétaire. Ces modifications n'avaient fait l'objet d'aucune déclaration à l'autorité compétente.
4.1.3
Le naufrage
Ce navire, qui ne disposait d'aucune réserve de flottabilité, a rapidement coulé (en 2 minutes). Les dispositions réglementaires applicables pour ce navire compte tenu de son âge (AM du 23/12/1984, article 222-2.33 et associés) n'imposent ni cloisonnement, ni franc-bord, ni réserves de flottabilité. Le rapport de mise en service fait état de 3 cloisons étanches : qui délimitent dans les faits des coffres de rangement non dotés de réserve de flottabilité munis de portes coulissantes non étanches. Ce type de navire de petite taille et non ponté présente une vulnérabilité particulière à l'action d'un couple inclinant important.
4.2
La chute à la mer et le séjour dans l'eau du patron
Après avoir chaviré, le navire est resté brièvement retourné en surface. Le patron a pu se hisser sur la coque, et prévenir sa compagne avec son téléphone portable. Le navire a coulé rapidement et le patron s'est retrouvé à l'eau.
4.2.1
L'opération SAR
Selon le rapport de mer, le chavirage a eu lieu à 14h40 et le patron s'est hissé sur son navire retourné à 14h42. Le combiné VHF étant parti à l'eau lors du chavirage, il a appelé sa compagne à 14h44 au moyen de son téléphone portable étanche qu'il conservait toujours sur
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lui. Cette dernière a immédiatement prévenu le CROSS Gris-Nez par téléphone. Le navire a sombré deux minutes plus tard. L'opération SAR a été déclenchée à 14h47. Les moyens de recherche et de sauvetage qui ont été déployés sont importants : Un avion Falcon (Patmar) qui se trouvait en exercice à proximité, Un hélicoptère Dauphin GUÉPARD WHISKEY disponible au Touquet, Une vedette des Douanes NORDET qui se trouvait à 10 milles du cap Gris-Nez, Deux canots tout temps de la SNSM (Boulogne-sur-Mer SNS 076 et Dunkerque SNS 087), Un bateau de plaisance l'INFATIGABLE à bord duquel se trouve un pêcheur professionnel familier du naufragé et de la zone (à partir de 15h11).
Dans un premier temps, les recherches sont effectuées sur toute la zone supposée du naufrage, correspondant aux données dont dispose le CROSS (moins de 3 milles de la côte entre le Cran aux OEufs et le Cap Gris-Nez). Elles se concentreront plus à terre peu après la réception à 15h16 de l'information donnée par le skipper de l'INFATIGABLE. Cette amélioration de la précision sur la zone de recherche s'avérera pertinente et le naufragé sera repéré puis récupéré. Ceci souligne la nécessité, dès la survenance de l'accident, d'appliquer les procédures SMDSM pour communiquer avec le CROSS. La rapidité de l'intervention des moyens de secours dépend de la précision de la localisation du naufrage.
4.2.2
La communication avec le CROSS
Compte tenu de l'impossibilité de communiquer par VHF le combiné étant parti à l'eau lors du chavirage, le naufragé n'avait d`autre choix, pour donner l'alerte, que d'utiliser son téléphone portable. L'utilisation du téléphone portable, la rapidité de la réaction de sa compagne qui a alerté le CROSS Gris-Nez en ayant pensé à prévenir le pêcheur de l'INFATIGABLE, qui a apporté des précieuses informations au CROSS, ont permis que cet accident ait une issue heureuse. Le naufragé disposait d'un téléphone portable étanche dans la poche de sa vareuse avec lequel il avait appelé sa compagne quelques minutes plus tôt, pour lui indiquer qu'il était sur le point de terminer sa marée. Il lui suffisait donc d'activer une seule touche pour « rappeler le dernier numéro ».
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Compte tenu du contexte (température de l'eau, solitude du patron, à bord et sur le plan d'eau, perte de la VHF et du VFI, absence de GPS), le recours à ce moyen d'alerte simple relevait du bon sens. Néanmoins, en l'absence de VHF, un appel direct du naufragé au CROSS Gris-Nez (par le196 voir annexe D), aurait probablement permis de le localiser plus rapidement. La qualité des informations dont dispose le CROSS conditionne la précision des recherches dont la durée est déterminante et souvent vitale pour les naufragés. Le manque de précision de la communication initiale a donc contribué à augmenter le temps passé dans l'eau. Une radiobalise de détresse aurait permis une localisation automatique. Toutefois, ce type d'équipement ne pouvant être installé sur de petites embarcations non pontées, une balise individuelle (radiobalise de survie personnelle) aurait atteint le même objectif.
4.2.3
Les conditions dans lesquelles le naufragé se trouvait dans l'eau
Le naufragé était habillé chaudement (jogging, pull-over) ainsi que d'un « waders » et d'une vareuse en ciré. Il portait un VFI de type 150N. Il s'est rapidement aperçu que son « waders » se remplissant d'eau l'alourdissait. Craignant que sa flottabilité ne devienne insuffisante, il a décidé de l'enlever. Il a dégrafé provisoirement son VFI qu'il pensait pouvoir retenir, ce qui n'a pas été le cas. Il lui restait sa vareuse en ciré (jaune) qu'il a utilisée pour constituer une « bulle » de flottabilité. Pour tenter de se réchauffer, il a pratiqué des mouvements de « marche dans l'eau ». Sur la question des mesures à prendre pour améliorer le temps de survie en eaux froides, voir l'annexe C.
4.2.4
Le temps passé dans l'eau
Le patron est resté près d'une heure (de 14h40 à 15h36) dans de l'eau à 9°C. Pendant qu'il était dans l'eau, le patron a vu passer des moyens aériens de secours (avion et hélicoptère) qui ne l'ont pas repéré.
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Lorsqu'il a été récupéré, le patron présentait des symptômes d'hypothermie. Il est probable que sa bonne condition physique a significativement limité les conséquences de son séjour prolongé dans une eau à 9°C. La précision des informations données au CROSS conditionne la rapidité et l'efficacité de la recherche. Le temps passé dans l'eau est un paramètre déterminant de la survie des naufragés.
5
CONCLUSIONS
La succession d'événements : croche d'un casier, chavirage avec naufrage, puis chute à la mer du patron, suivi d'un séjour d'une heure dans l'eau à 9°C, n'a pas eu de conséquence grave. Cette activité de pêche avec ce type de navire non ponté et de taille réduite est particulièrement risquée lorsqu'elle est pratiquée par un homme seul à bord.
6
1.
ENSEIGNEMENTS
2017-E-25 : En cas d'événement de mer, un appel, direct, au CROSS (VHF ou
numéro commun 196) facilite les opérations SAR, en matière d'évaluation de la situation, en particulier pour préciser la localisation d'éventuels naufragés. 2. 2017-E-26 : Une personne seule à bord peut difficilement gérer à la fois un
événement accidentel et l'envoi d'appels de détresse. Cf. Enseignement n° 2016 E 010 (navire P'TIT LOUP survenu le 24 juillet 2015). 3. 2017-E-27 : Le port de « waders » peut, en cas de chute à la mer, conduire à
une perte de flottabilité difficile à compenser. Le port d'une combinaison en néoprène pourrait avantageusement s'y substituer.
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7
RECOMMANDATIONS
Le BEAmer recommande : À l'administration :
1.
2017-R-19
: De relancer une campagne de communication sur la mise en
service du 196, qui, en l'absence de disponibilité de la VHF est un autre moyen d'alerter directement les CROSS. 2. 2017-R-20 : De poursuivre la réflexion sur la mise en place et la généralisation
de la radiobalise de survie personnelle à déclenchement automatique dotée de la fonction de positionnement, en particulier pour les marins opérant seuls en mer.
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LISTE DES ANNEXES
A. B. C. D. E.
Liste des abréviations Décision d'enquête La survie en eaux froides Le « 196 » Liste d'accidents de mer similaires
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Annexe A Liste des abréviations
BEAmer BAERS BEPM CEPS CGO CIN COM CRO CSN CROSS GPS IAMSAR IMP OMI SAR SNSM SitRep UMS TU VFI VHF
: : : : : : : : : : : : : : : : : : : : :
Bureau d'enquêtes sur les évènements de mer Brevet d'aptitude à l'exploitation des embarcations et radeaux de sauvetage Brevet d'études professionnelles maritimes mécanicien Centre d'Etudes et de Pratique de la Survie Certificat général d'Opérateur (radio) Certificat d'Initiation Nautique Centre Opérationnel de la Marine Certificat Restreint d'Opérateur (radio) Centre de Sécurité des Navires Centre Régional Opérationnel de Surveillance et de Sauvetage Global Positioning System International Aeronautical and Maritime Search And Rescue Institut Maritime de Prévention Organisation Maritime Internationale Search And Rescue (recherche et sauvetage) Société Nationale de Sauvetage en Mer Situation Report (message retraçant le déroulement des opérations des CROSS Universal Measurement System (jauge) Temps Universel Vêtement à flottabilité intégrée Very High Frequency (très haute fréquence). Par extension, équipement radio fonctionnant sur cette bande de fréquence. Véhicule de Secours et d'Assistance aux Victimes
VSAV
:
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Annexe B Décision d'enquête
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Annexe C La survie en eaux froides
12 11 10 9 8 7 6 5 4 3 2 1 0
Probabilité élevée de mort par hypothermie
Personnes qui se refroidissent lentement Personnes qui se refroidissent rapidement
Durée de survie (heures)
Probabilité faible de mort par hypothermie
5
10
15
20
25
Température de l'eau Refroidissement dû à l'eau et hypothermie (ex IAMSAR vol 2)
La survie des marins tombés à l'eau dépend de plusieurs paramètres, parmi lesquels : La température de l'eau (voir diagramme ci-dessus), L'état de la mer et le vent, La durée de l'immersion, Le port (éventuel) d'un équipement destiné à améliorer la flottabilité, VFI, brassière de sauvetage, Le port (éventuel) d'un équipement de protection thermique, combinaison de survie, combinaison de plongée, Les vêtements que porte le naufragé, L'état de santé du naufragé, La posture du naufragé et son éventuelle activité physique, Le fait que le naufragé soit seul ou non, etc. Si la plupart de ces paramètres sont des éléments de contexte sur lesquels on ne peut avoir d'influence, une fois qu'un marin est à la mer, il est possible, sinon de maîtriser, du moins de jouer sur plusieurs d'entre eux pour améliorer la survie dans l'eau.
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Le
BEAmer
ne se substitue pas aux compétences des organismes, institutionnels ou non, qui ont
effectué des études et élaboré des conseils dans ce domaine. Parmi ceux qui ont contribué à la réflexion sur la survie en eaux froides on citera : L'Organisation Maritime Internationale (OMI) a notamment produit en 2012 : Le "Guide for cold water survival" (14 pages), est disponible (en anglais) à l'adresse suivante : https://international-maritime-rescue.org/index.php/medical/file/488-msc-1-circ-1185-rev-1-guidefor-cold-water-survival
La traduction française de ce guide publié par l'OMI est disponible à la vente sous le titre « Guide de poche pour la survie en eau froide ». Le document I'IAMSAR vol 2 paragraphe 3.8 et suivants ...
L'organisme europêche
(http://www.europeche.org) a cofinancé avec l'Union Européenne :
« Le Guide européen pour la prévention des accidents en mer et la sécurité des marins pêcheurs ». (Ce guide est disponible en français sur le site à partir de l'onglet « dialogue social »)
La Société Nationale de Sauvetage en Mer (SNSM) https://www.snsm.org/conseil/prevenir-lhypothermie-en-mer
(https://www.snsm.org/)
Le Centre d'Etudes et de Pratique de la Survie (CEPS)
www.ceps-survie.com/ publie :
« Le Guide Pratique de Survie en Mer » qui équipe les engins de sauvetage français de classe 1 et 2.
Les films d'Emmanuel Audrain, coproduits notamment par la Région Bretagne, la SNSM, l'IMP : « Attention hypothermie » (36') et « VFI ... La vie continue » (21')
Le Canadian Safe Boating Council (CSBC) ou Conseil canadien de la sécurité nautique Le site est consultable en français à l'adresse : csbc.ca/fr/l-hypothermie
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Annexe D Le « 196 »
Ce numéro d'appel d'urgence - qui rappelle le canal 16 de la VHF ou l'ancien 1616 - permet de joindre directement et gratuitement, depuis un poste téléphonique fixe ou un téléphone portable, un centre de sauvetage en mer, 7 jours sur 7 et 24 h sur 24.
Le 196 ne remplace pas le 112 - numéro d'urgence terrestre européen - et ne se substitue pas au canal 16 de la VHF qui reste le moyen le plus approprié à la disposition des marins pour donner l'alerte et communiquer avec les sauveteurs. Ce numéro d'appel d'urgence est essentiellement destiné aux personnes qui, depuis le rivage, sont témoins d'une situation de détresse en mer. Si vous êtes témoins à terre d'un événement de mer impliquant des personnes; ces personnes vous paraissent en détresse:
Le 196 permet de joindre directement un centre de sauvetage en mer (CROSS), 24 H / 24 et 7 J / 7. Le 196 est gratuit. Le 196 permet au CROSS de vous localiser *. Le 196 permet également au CROSS de solliciter les opérateurs de téléphonie pour localiser le téléphone portable d'une personne qui, en mer, est témoin d'une situation de détresse ou y est impliquée.
* D'un point de vue règlementaire, avec la mise en place du 196, les CROSS (Centres Régionaux Opérationnels de Surveillance et de Sauvetage), sont considérés comme des services d'urgence. Ils peuvent ainsi solliciter les opérateurs de téléphonie pour pouvoir disposer de la localisation de l'appelant.
(Référence : Arrêté 2013-1405 du 26 mai 2014modfiant la décision de l'ARCEP du 17 décembre 2013 modifiant la liste des numéros d'urgence devant être acheminés gratuitement par les opérateurs téléphoniques).
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Annexe E
Liste d'accidents de mer similaires
Accidents survenus à bord d'un navire opéré par un homme seul
ENTRE LES DEUX CAPS : le 11 décembre 2016 Patron d'un caseyeur secouru après chavirage et naufrage. LA BROCHE : le 10 mai 2016 Disparition du patron d'un palangrier au large de Saint-Gilles-Croix-de-Vie. P'TIT LOUP : le 27 juillet 2015 Disparition du patron d'un chalutier au large de Piriac-sur-Mer.
Homme à la mer
Entre les Deux Caps : le 11 décembre 2016 SAMATHEO : le 29 juillet 2016 Noyade d'un marin à la suite de l'incendie et de l'abandon d'un fileyeur au large des landes. LA BROCHE : le 10 mai 2016 PEDRA BLANCA : le 3 juillet 2015 Chute par-dessus bord d'un chalutier et décès d'un marin dans le Golfe de Gascogne. POUDJOU : le 16 janvier 2015 Chute par-dessus bord d'un navire de servitude et noyade d'un matelot à Dzaoudzi (Mayotte). LA NIOULARGUE : le 18 décembre 2014 Chute par-dessus bord d'un chalutier et décès d'un marin au large de la Pointe de Chassiron.
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Ministère de la Transition écologique et solidaire
Bureau d'enquêtes sur les évènements de mer
Arche sud - 92055 La Défense cedex téléphone : +33 (0) 1 40 81 38 24 bea-mer@developpement-durable.gouv.fr www.bea-mer.developpement-durable.gouv.fr