Rapport d'enquête technique : naufrage du chalutier coquillier Gwel Vo survenu le 09 mai 2006 au large du cap d'Antifer (3 victimes)
Auteur moral
France. Bureau d'enquêtes sur les événements de mer
Auteur secondaire
Résumé
Le présent rapport d'enquête technique a été établi conformément aux dispositions du Code des transports. Il porte sur le naufrage du chalutier coquillier Gwel Vo survenu le 09 mai 2006 au large du cap d'Antifer. Cet accident a fait 3 victimes. Ce rapport expose les conclusions auxquelles sont parvenues les enquêteurs du BEAmer sur les circonstances et les causes de l'événement analysé et propose des recommandations de sécurité.
Editeur
BEAmer
Descripteur Urbamet
accident
;sécurité
;prévention des risques
;NAUFRAGE
Descripteur écoplanete
Thème
Transports
Texte intégral
Rapport d'enquête technique
GWEL VO
2
Rapport d'enquête technique
NAUFRAGE
DU CHALUTIER COQUILLIER
GWEL VO
SURVENU LE 09 MAI 2006 AU LARGE DU CAP D'ANTIFER (3 victimes)
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Avertissement
Le présent rapport a été établi conformément aux dispositions du titre III de la loi n°.2002-3 du 3 janvier 2002 et du décret n°.2004-85 du 26 janvier 2004 relatifs aux enquêtes techniques après événement de mer, accident ou incident de transport terrestre, ainsi qu'à celles du "Code pour la conduite des enquêtes sur les accidents et incidents de mer" Résolutions n°.A.849.(20) et A.884 (21) de l'Organisation Maritime Internationale (OMI) des 27/11/97 et 25/11/99. Il exprime les conclusions auxquelles sont parvenus les enquêteurs du BEAmer sur les circonstances et les causes de l'événement analysé. Conformément aux dispositions susvisées, l'analyse de cet événement n'a pas été conduite de façon à établir ou attribuer des fautes à caractère pénal ou encore à évaluer des responsabilités individuelles ou collectives à caractère civil. Son seul objectif a été d'en tirer des enseignements susceptibles de prévenir de futurs sinistres du même type. En conséquence, l'utilisation de ce rapport à d'autres fins que la prévention pourrait conduire à des interprétations erronées.
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PLAN DU RAPPORT
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CIRCONSTANCES CONTEXTE NAVIRE EQUIPAGE CHRONOLOGIE FACTEURS DU SINISTRE RECOMMANDATIONS
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ANNEXES
A. B. C. D.
Décision d'enquête Dossier navire Cartographie et Trajectographie Investigations de l'épave D1 D2 Croquis Photographies
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Liste des abréviations
BEAmer BEPM CROSS MMSI SMDSM SNS... SNSM TU tjb VFI VHF
: : : : : : : : : : :
Bureau d'enquêtes sur les évènements de mer Brevet d'études professionnelles maritimes (conduite et exploitation des navires de pêche ou machines marines) Centre Régional Opérationnel de Surveillance et de Sauvetage Maritime Mobile Service Identity : dans le SMDSM, numéro d'identification des navires Système Mondial de Détresse et de Sécurité en Mer Immatriculation des vedettes de la SNSM Société Nationale de Sauvetage en Mer Temps Universel Tonneaux jauge brute Vêtement à Flottabilité Intégrée Ondes métriques
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CIRCONSTANCES
Alors qu'il était en action de pêche à la drague à la coquille Saint jacques, le chalutier GWEL.VO immatriculé au Havre, a sombré le 09 mai 2006 au Nord Est du cap d'Antifer, au large de la commune de Saint Jouin de Bruneval (76), avec trois marins à bord. Deux sont morts, un est porté disparu. Le navire a disparu des écrans radar de la station du port autonome du Havre vers 04h06 heure locale. La balise de détresse est récupérée en mer le 09 mai à 06h14 à la position 49° 44'633 N et 000° 01'594 E. L'épave sera localisée le 10 mai dans la soirée par le chasseur de mines CASSIOPEE. Elle repose par 36 mètres de fond orientée sud-sud ouest au 205, les dragues se trouvant à 170 mètres dans l'Est de l'épave.
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CONTEXTE
Le navire pratique la pêche au chalut ou à la drague à coquille en Manche Est et Baie de
Seine. En saison de la pêche à la coquille Saint Jacques il pêche en baie de Seine. En dehors de la saison il pratique la pêche au large dans le nord-ouest d'Antifer. La pêche s'effectue de jour comme de nuit. Le quota de prises est de 250 kg de coquilles par marin embarqué. Le bateau sort habituellement trois à quatre fois dans la semaine pour des marées de 24 heures à 48 heures. C'était l'avant dernière marée pour ce type de pêche. L'armateur actuel est propriétaire du bateau depuis trois ans.
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NAVIRE
Le navire est un chalutier coquillier construit en 1977 à Audierne. La coque est réalisée en bois.
Trois cloisons étanches séparent 4 compartiments avec de l'avant à l'arrière : poste d'équipage, compartiment moteur, cale à poissons, magasin / poste arrière. Il a été immatriculé successivement à Audierne jusqu'en juillet 1981, puis à Lorient jusqu'en juillet 1985 et à Caen jusqu'en juin 2004. Depuis, il est immatriculé au Havre LH 405706K, les changements de quartier d'immatriculation correspondent aux changements de propriétés du bateau. Il est armé à la petite pêche. Il accomplit une navigation de 3ème catégorie. Les principales caractéristiques sont les suivantes : Numéro MMSI Indicateur radio Longueur H.T Largeur jauge : : : : : 227314620 ; FW4702 ; 11,90 m ; 4,88 m ; 20,55 tjb ; 490 mm ; Baudouin 6M26SR de 242 kW.
Franc-bord minimum (été) : Moteur Diesel :
Engin de pêche En chalutier En coquillier : 2 chaluts sur enrouleur + 2 panneaux 2 x 300 kg. : 2 x 4 dragues bretonnes de 1 m ou 2 x 6 dragues dieppoises.
Le jour de l'accident, l'engin de pêche utilisé était la drague à ressorts dite « dieppoise ». Cette drague dont l'armature porte, à la partie inférieure, une barre munie de dents plus ou moins longues et plus ou moins serrées est montée en batterie fixée, de chaque bord sur un
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tube métallique (ou bâton) avec, aux extrémités, une roue en caoutchouc plein d'un diamètre d'environ 350 mm (voir figure en annexe B). La présence de ressorts le long des renforts latéraux de l'armature agissent sur la lame supportant les dents. En cas de rencontre avec un obstacle, les ressorts se compriment et permettent à la drague de passer au-dessus et de reprendre ensuite sa position initiale. Sur les fonds doux, la pression exercée sur les ressorts sera plus importante que sur les fonds durs. Le treuil est du type monobloc disposé dans l'axe longitudinal en arrière de la timonerie.
Equipements de sécurité Lutte contre l'incendie : - trois extincteurs à poudre : capacité 6 kg - un extincteur CO2 : capacité 2 kg Moyens d'assèchement - une pompe mécanique + 1 térillon - une pompe électrique automatique Drome de sauvetage - un radeau classe III avec largueur hydrostatique : capacité 6 personnes, - deux bouées de sauvetage dont une lumineuse, - quatre brassières de sauvetage. Une balise de détresse KANNAD 406 WH. En dehors du matériel de sauvetage et de sécurité réglementaire, il n'y avait pas à bord de vêtements à flottabilité intégrée (VFI), ni de combinaisons d'immersion. Pourtant on note parmi les recommandations figurant dans le rapport de visite annuelle du 04 septembre 2003 que le port permanent d'un vêtement flottant individuel pour tout membre d'équipage présent sur le pont de travail est vivement conseillé. Titres de navigation et de sécurité Le bateau est normalement entretenu. Le dernier carénage a été effectué le 28 septembre 2004 au cours duquel la coque a été trouvée en bon état.
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Lors de la dernière visite annuelle du 29 septembre 2005, huit prescriptions ont été formulées dont l'importance a justifié le non renouvellement du permis de navigation. Après la réalisation des prescriptions, le permis de navigation a été renouvelé le 07 octobre 2005 jusqu'au 28 septembre 2006 pour une navigation en troisième catégorie. Aucune des prescriptions n'a de lien avec l'accident.
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EQUIPAGE
Nombre maximal de personnes à bord : 4 membres d'équipage , un patron, un mécanicien et deux matelots. La décision d'effectif du 02 août 2004 mentionne selon le type de pêche les effectifs suivants : - au chalut : 2 personnes (un patron plus un matelot / mécanicien), - à la drague : 3 personnes (un patron, un mécanicien et un matelot). Un matelot supplémentaire peut être embarqué en cas de besoin. La fiche d'effectif précise que le patron doit être titulaire du certificat de capacité, et le mécanicien du permis de conduire les moteurs marins ou d'un titre équivalent. Le patron et au moins un homme doivent être aptes à la veille. Le jour de l'accident trois hommes étaient embarqués. Ils étaient aptes toutes fonctions / toutes spécialités. Le patron était titulaire du certificat de capacité depuis 2 ans ainsi que du certificat d'initiation nautique et du certificat restreint d'opérateur (CRO). Il avait une pratique de la pêche depuis plus de 6 ans. Le matelot était embarqué depuis un an sur le GWEL.VO et avait été patron antérieurement sur un bateau de moins de 10 tonneaux. Il possédait le certificat d'Études Maritimes de Marin Pêcheur. Le mécanicien était titulaire du BEPM Machines Marines et bénéficiait d'une dérogation. Il terminait sa période probatoire de navigation pour valider son brevet.
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Quant au propriétaire du bateau, il est armateur matelot . C'est son frère qui exercait les fonctions de patron à bord.
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CHRONOLOGIE DES EVENEMENTS
Les heures sont données en heures TU sauf mention contraire dans le texte. Dans la nuit du 07 au 08 mai 2006, le chalutier-coquillier GWEL.VO appareille du Havre pour une marée de 48 heures dans le cadre de la campagne de pêche à la coquille Saint-Jacques. Dans la nuit du 08 mai au 09 mai 2006, il est en action de pêche au nord du chenal d'accès au port pétrolier d'Antifer. Les VHF sont réglées sur les voies 12 et 72. Le 08 mai 2006 Vers 23h30, le propriétaire resté à terre, a une conversation téléphonique avec le matelot qui l'informe que le temps est beau et qu'ils vont remonter un platier bordant au nord la passe d'Antifer à hauteur des bouées A14 et A18 pour terminer la pêche et ensuite faire route retour afin d'être au port du Havre vers 05h00. Le 09 mai 2006 Vers 02h06, le GWEL.VO disparaît des écrans de la station du Port autonome du Havre. A 02h22, le CROSS Gris.Nez signale le déclenchement de la balise 406 MHz du chalutier GWEL.VO à la position estimée 49° 44'49 N / 000° 01'17 E. L'information est immédiatement répercutée vers le CROSS Jobourg qui prend le relais et déclenche les opérations de recherches. A 02h24, le contact VHF 16 avec le chalutier n'a pu être établi. A 02h32, diffusion d'un MAYDAY RELAY. A 02h45, mise en action de 3 vedettes SNSM.
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A 02h55, mise en action de l'hélicoptère RESCUE GX de la Marine nationale. A 03h14, la vedette SNS 128 est sur zone. A 03h49, un radeau de survie est signalé vide avec une balise attachée. A 03h59, deux corps sont repérés par l'hélicoptère GX à des positions proches de celle du lieu estimé du naufrage. A 04h15, les deux corps sont récupérés par les vedettes SNS 128 et SNS 089. A partir de 04h23, d'autres moyens sont mis en oeuvre : vedette des douanes, chalutiers, hélicoptère de la sécurité civile, vedettes de gendarmerie, chasseur de mines, car-ferry qui participent aux recherches. A 19h25, les opérations de secours sont suspendues en raison de la nuit tombante. Le 10 mai 2006 A 20h43 heure locale, l'épave est détectée par le sonar du chasseur de mines CASSIOPEE. Le 11 mai 2006 Les investigations sous-marines confirment que l'épave est celle du GWEL.VO. Le 12 mai 2006 Les investigations et recherches conduites par les moyens de l'Etat sur la zone du naufrage ont pris fin en début d'après midi. Malgré les moyens importants déployés et qui se sont relayés pendant 4 jours le pêcheur disparu n'a pu être localisé.
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Investigations sur l'épave et exploration de la zone
Nota : les profondeurs indiquées sont variables en fonction de la marée. Les investigations ont été conduites en présence d'enquêteurs du BEAmer embarqués par le chasseur de mines CASSIOPEE de la Marine Nationale et le patrouilleur GERANIUM de la Gendarmerie Maritime, avec la participation de la vedette YSER de Dieppe. Elles se sont avérées essentielles pour la détermination de la cause du naufrage. Elles ont commencé dès le 09 mai et se sont achevées le 12 mai. Après localisation et identification de l'épave, des plongées subaquatiques ont été effectuées conjointement par des plongeurs démineurs de la Marine Nationale et de la Gendarmerie. En raison des impératifs de courant, de marées et de profondeur, ces plongées n'ont pas dépassé 15 minutes chacune. La visibilité était inférieure à 5 m avec une température de l'eau de mer de 12° Les C. coefficients de marée ont varié de 54 la nuit du drame et de 59 à 77 durant les opérations. Le 9 mai 2006 Deux plongées à 36 mètres ont été effectuées l'après-midi par les plongeurs de la gendarmerie embarqués à bord du patrouilleur GERANIUM. La première au point GPS 49° 44' N et 000° 01'17 E où a été constatée une nappe de gazole. La seconde au point 49° 44'676 N et 000° 01'584 E au lieu supposé de la découverte du ra deau de survie. Ces deux plongées étant restées sans résultat, il est alors décidé de faire appel à la Marine nationale afin de dépêcher sur place un chasseur de mines pour localiser l'épave. Le 10 mai 2006 A 20h43 un écho sonar est détecté par le chasseur de mines CASSIOPEE à la position : 49° 44,677N 000° 00,821E à une profondeur de 36 m.
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D'après l'analyse de l'image sonar, l'épave détectée mesure 12 m, a une largeur de 4,20 m et une hauteur quille-timonerie de 5m pouvant correspondre au GWEL.VO. Elle est posée sur le fond cap au 205 inclinée d'environ 20° sur bâbord. Une première investigation sous-marine menée à l'aide d'un robot sous-marin, le PAP : Poisson AutoPropulsé de 23h20 à 23h25 confirme que l'épave gît sur bâbord. Un début d'immatriculation est visible sur son étrave à tribord. Les investigations sur bâbord et sur l'arrière de l'épave n'ont pu être menées à cause d'un courant trop fort. Le 11 mai 2006 La présence de brouillard dans la matinée, ne permettant pas d'assurer la sécurité des opérations de plongée ce n'est qu'à 12h32 qu'une première équipe de plongée composée de gendarmes et de plongeurs démineurs du CASSIOPEE effectue une première reconnaissance de l'épave. Cette plongée sera suivie de trois autres au cours de l'après-midi. Les constatations et observations faites par les plongeurs ainsi que les images enregistrées montrent l'absence de traces de choc aussi bien sur le bordé que sur l'étrave (photos 1, 2). Il n'y a pas d'obstacle à la périphérie de l'épave. Le safran est orienté de 10 à 15° sur tribord (anne xe D2 - photo 3). L'hélice est claire mais ensouillée. Le bateau a sans doute talonné sur le fond au niveau de l'étambot. Tous les dalots sont ouverts à l'exception des deux derniers de chaque côté à l'arrière qui sont obturés. Les funes sont déroulées (annexe D2 - photos 4, 5) et forment un angle de 80° environ sur l'arrière bâbord. Sur le portique arrière, les deux enrouleurs sont vides. Des coquilles Saint Jacques reposent sur le fond au pied d'un dalot à bâbord.
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Le panneau en aluminium de la cale à poissons n'est plus en place. Il devait être juste posé sur l'écoutille de la cale, les taquets de fermeture n'étant pas verrouillés. A l'intérieur de la timonerie, se trouvent un ordinateur de bord, un téléphone mobile, deux VHF dont les combinés sont en place ainsi que tout l'équipement de navigation classique que l'on rencontre sur ce type de bateau. La manette des commandes du moteur est en position marche avant et accélérée (photo 6). La montre est arrêtée à 01h55. Aucun corps n'a été trouvé ni dans la timonerie, ni dans le poste équipage. Le film vidéo réalisé par les plongeurs permet de déterminer comment était disposé le treuil de pêche au moment de l'accident. On observe : - que la bobine tribord est embrayée avec le frein desserré (annexe D2 - photos 7, 8), - que la bobine bâbord est débrayée avec le frein serré (annexe D2 - photos 9, 10, 11). Par contre, la position de la manette virage/filage du treuil n'a pu être déterminée. La goupille est en pendant. En ce qui concerne le train de pêche, les deux dragues ont été localisées par le PAP du CASSIOPEE. Elles se trouvent à 170 mètres de l'arrière du navire, à l'Est, aux positions suivantes : - drague bâbord : 49° 44 748 N - 000° 00 902 E, - drague tribord : 49° 44 748 N - 000° 00 909 E.
Le navire tractait deux bâtons de drague d'une longueur de 5 mètres chacun sur lesquels sont gréées 5 poches ou grages. Le fond est constitué de ridins de sable et granulats, de hauteurs variables pouvant atteindre 5 à 6 m. Les images filmées par la caméra du PAP montrent que: - La drague à coquilles tribord est posée claire sur un fond de 38 mètres au pied d'un ridin dont le versant est abrupt et d'une hauteur de 3m. Elle n'est ni accrochée à un obstacle ni ensablée. - Le bâton de drague bâbord est totalement enseveli sous le sable au sommet de ce ridin. Seule la roue de franchissement à son extrémité bâbord dépasse. (annexe D2 photo 12). Deux grages sont en partie visibles et trois sont à peine
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visibles (annexe D2 - photos 13, 14). La drague bâbord est à 5 m juste devant la drague tribord. Elle s'est enfouie en haut du ridin par 35 m de fond. - L'anneau cassant qui est en place relie les trois chaînes du gréement du bâton de drague à la fune par l'intermédiaire d'un émerillon (annexe D2 - photos 15, 16). Ces observations ont été confirmées par la vérification des funes : - On distingue qu'à environ 17 m des dragues les funes sont enfouies dans une butte de sable puis à environ 20 m elles se sont croisées. La fune tribord est passée par dessus la fune bâbord expliquant la position des dragues par rapport à la poupe du bateau. - A 70 m des dragues, les funes remontent de 38,50 m à 31,50 m du fait de la présence d'un nouveau ridin de 7 m et se trouvent enfouies sur quelques centimètres. Ensuite, les câbles sont clairs et détendus jusqu'à la poupe du bateau avec un espacement très faible en passant sous le sommet du ridin suivant. (voir croquis annexe D1). - On distingue que les funes se sont croisées, la fune de la drague tribord passe pardessus la drague bâbord enfouie. Cette fune ressort du sommet du ridin après 1,5 à 2 m d'enfouissement (annexe D2 - photos 17, 18). Par ailleurs il n'y a pas de câble désaffecté ou d'épave sur les lieux, ce que la plongée suivante confirme. C'est seulement à 400 m sur l'arrière que l'on aperçoit un vieux câble électrique signalé sur carte marine. Le 12 mai 2006 Les plongées organisées le matin en remontant les funes des dragues jusqu'à l'épave confirment que la drague claire (la plus à l'Est) est celle de tribord, que la drague ensouillée est celle de bâbord et que les funes se sont croisées une fois. L'unité centrale de l'ordinateur de la timonerie est récupérée à cette occasion ainsi que le cahier de pêche. On remarque aussi que le levier de la commande du moteur n'est pas en position maximum comme cela avait été constaté la veille, mais 1/3 en avant. Cela peut s'expliquer par un déplacement involontaire par un plongeur au cours de l'investigation de l'épave. Les deux dernières plongées ont eu lieu de 12h35 à 13h00 et 13h15 à 13h35. Une bouée couronne du GWEL.VO a été repêchée par le patrouilleur GERANIUM, dans la zone du naufrage, lors du retour vers Le Havre.
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5.2
Examen des disques durs de l'ordinateur de bord
Le
BEAmer
a fait examiner par un service spécialisé les deux disques durs de l'unité
centrale récupérés lors des plongées en vue de l'analyse des données enregistrées. Il s'agit des modèles suivants : pour l'un, marque FUJITSU n° série : 01069212, dat e 1998-05, modèle MPB3021AT, pour l'autre, marque FUJITSU n° série : 01085232 , date 1996-09, modèle M1636TAU.
Cet examen a montré des dommages physiques sévères sur le média, en particulier les têtes de lecture ont rayé les plateaux magnétiques. Il n'a donc pas été possible d'accéder aux données brutes et par conséquent de les récupérer. Le disque a été aussi contaminé par de l'eau de mer, ce qui a accentué le dommage physique à la suite de ".l'atterrissage" des têtes de lecture. C'est probablement au moment de l'échouement du navire sur le fond que les têtes de lecture/écriture ont heurté la surface du disque dur. Il en a résulté un creusement au niveau des plateaux endommageant irrémédiablement la couche magnétique active contenant les données. En effet, ces dernières étant enregistrées sur la surface des plateaux, par conséquent, au moindre contact physique entre les têtes de lecture et les plateaux, les zones de stockage des données sont détruites ainsi que les données enregistrées (annexe D2 - photo 19).
6
DETERMINATION & FACTEURS DU SINISTRE
DISCUSSION
DES
La méthode retenue pour cette détermination a été celle utilisée par le résolution A.884.(21). Les facteurs en cause ont été classés dans les catégories suivantes : · · · · facteurs naturels ; facteurs matériels ; facteur humain ; autres facteurs.
BEAmer
pour
l'ensemble de ses enquêtes, conformément à la résolution OMI A.849.(20) modifiée par la
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Dans chacune de ces catégories, les enquêteurs du possibles et tenté de les qualifier par rapport à leur caractère : · · ·
BEAmer
ont répertorié les facteurs
certain, probable ou hypothétique ; déterminant ou aggravant ; conjoncturel ou structurel.
avec pour objectif d'écarter, après examen, les facteurs sans influence sur le cours des événements et de ne retenir que ceux qui pourraient, avec un degré de probabilité appréciable, avoir pesé sur le déroulement des faits. Ils sont conscients, ce faisant, de ne pas répondre à toutes les questions suscitées par ce sinistre. Leur objectif étant d'éviter le renouvellement de ce type d'accident, ils ont privilégié, sans aucun a priori, l'analyse inductive des facteurs qui avaient, par leur caractère structurel, un risque de récurrence notable.
6.1 6.1.1
Facteurs naturels Conditions météorologiques et hydrologiques
Le jour de l'accident, les conditions météorologiques dans la zone où se trouvait le navire étaient : - mer peu agitée 3, - vent secteur Ouest 17 noeuds, - visibilité : 10 milles, - température de l'eau de mer : 10° C. La nuit de l'accident, le coefficient de marée était de 54 pour une basse mer à 02h38 locale. La région de la baie de Seine est considérée par les professionnels comme dangereuse, avec des courants relativement importants. Cela implique de n'y travailler que par faible coefficient, jusqu'à des coefficients de marée de 80. Au-delà, le courant entraîne des difficultés. En particulier, un coquillier se trouve en position délicate lorsqu'il travaille vent arrière et courant portant notamment par petits fonds.
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Les conditions météorologiques et hydrologiques qui régnaient ce jour là sur la zone n'ont pas été retenues comme facteur ayant eu une incidence sur l'événement.
6.1.2
Topographie des fonds
Les fonds, dont la profondeur varie selon les marées entre 37 et 42 m, sont sableux et mous. La zone où pêchait le GWEL.VO est un plateau dont la surface est constituée de rides sablonneuses appelées « ridins » dont la hauteur peut atteindre plus d'une dizaine de mètres avec des versants abruptes. On relève d'ailleurs de nombreuses variations des lignes de sondes de 38 à 30 mètres donc la présence d'importants ridins propices aux croches. Sur fond de vase ou à ridins sablonneux, le train de pêche s'enfourne progressivement avec augmentation de la résistance de traction et diminution de la vitesse. La nature des fonds (sableux et mous) et leur relief (présence d'importants ridins et de buttes) les rendent difficilement exploitables en raison des risques de croche (peu de bateaux les pratiquent), ce qui constitue un facteur déterminant. L'analyse des vidéos et les éléments recueillis lors des plongées montrent que la drague bâbord s'est accrochée au sommet d'un ridin et s'est ensouillée, ce qui constitue très probablement le facteur déclenchant.
6.2 6.2.1
Facteurs matériels Navire
Comme pour d'autres navires du même type, les enquêteurs du
BEAmer
ont constaté
que, si elle se justifie économiquement, la polyvalence des métiers sur un même navire (drague, chalut, filets, casiers...) peut augmenter le niveau de risque si la stabilité n'a pas été étudiée pour chacun des métiers. L'utilisation d'engins de pêche de différente nature entraîne en effet des variations de la répartition des poids et dans certains cas un risque de ripage. De plus, à la pêche à la coquille, le bateau n'embarque pas de glace. La cale est donc vide et les coquilles sont quant à elles généralement entreposées sur le pont dans des coffres.
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Par conséquent, la stabilité peut être affectée par élévation du centre de gravité et ainsi un déséquilibre dû à une croche peut aussi être fortement accentué. Dans le cas du GWEL VO, les enrouleurs de chalut étaient vides. Les investigations sous-marines de l'épave ont montré que la structure du navire était intacte. Elles ont, après analyse, permis d'écarter l'hypothèse d'une voie d'eau et celle d'un abordage. Cette dernière hypothèse est également corroborée par la situation radar observée dans la zone au moment du déclenchement de la balise de détresse ainsi que par la nature des objets en surface provenant du bateau.
6.2.2
Train de pêche
La position constatée des bobines du treuil est la suivante : bobine bâbord débrayée et frein serré et bobine tribord embrayée et frein desserré. Le GWEL.VO n'est pas équipé de système de sécurité automatique en cas de croche au fond par l'engin de pêche. Le train de pêche comporte un point de rupture constitué par un anneau cassant qui relie la fune aux trois chaînes du gréement du bâton de drague. Les constatations effectuées ont montré que cet anneau n'est pas cassé. Il n'a pas été possible de procéder à des analyses détaillées de cet élément. Néanmoins, de l'avis des enquêteurs du BEAmer cela peut résulter soit du fait que la résistance de cet anneau était trop élevée, soit du fait que la tension de rupture n'a pas été atteinte. Ils considèrent donc que ce point constitue un facteur aggravant hypothétique. Les funes bâbord et tribord, qui ont un diamètre de 18 mm, sont raides et ensouillées en deux endroits différents : le premier à environ 17 mètres des dragues, le second à 70 mètres des dragues. Les funes sont dévirées sur une longueur de 170 mètres pour 35.mètres de fond, soit près de 5 fois la sonde alors qu'une longueur de 3,5 fois la sonde est généralement pratiquée. De l'avis des enquêteurs, cette différence de longueur constitue un facteur aggravant. Les funes ont été trouvées rapprochées. En situation normale, les dragues travaillent au fond en divergeant à une dizaine de mètres l'une de l'autre. Le tableau arrière du bateau faisant 5 mètres de large, c'est donc à cette distance minimale que l'on aurait dû les trouver. La fune tribord la plus longue, celle de la drague qui n'est pas ensablée, est passée par dessus celle de la drague bâbord qui est enterrée dans le sommet du ridin comme indiqué au paragraphe 6.1.2.
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De même, la distance entre les dragues est réduite à 5 mètres alors que cette distance devrait être de 15 mètres minimum. Ces constatations conduisent à supposer : - soit que le bateau a viré sur bâbord, ce qui a rapproché les funes au moment où il commençait à couler, - soit que c'est lors de manoeuvres pour tenter de dégager la drague que le croisement s'est fait.
6.3 6.3.1
Facteur humain Organisation du travail
Les trois hommes d'équipage possédaient une bonne pratique de la pêche à la coquille Saint-Jacques. Depuis 1 mois et demi ils fréquentaient cette zone. Une traîne dure 2 heures. L'accident a probablement eu lieu au cours de l'avant dernière ou de la dernière traîne. L'équipage ayant bénéficié de 3,5 jours de repos auparavant, la fatigue n'est donc pas en cause et une bonne entente régnait à bord au sein de l'équipage.
6.3.2
Manoeuvres
En cas de croche, il faut réagir immédiatement. La réaction du patron est primordiale et doit être adaptée au type de croche. Les manoeuvres à effectuer sont décrites dans les ouvrages spécialisés. Dès qu'une drague croche sur le fond, le navire prend rapidement de la gîte du côté où il est croché. Cela se traduit par une perte de stabilité qui peut être amplifiée par l'embarquement d'eau sur la partie arrière provoquant un effet de carène liquide qui met le navire en position très dangereuse et peut conduire au chavirement. L'analyse des constatations effectuées sur l'orientation du bateau, la position des funes et celle des treuils a permis aux enquêteurs du BEAmer de se faire une idée de la manoeuvre entreprise par l'homme de quart pour se dégager de la croche.
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En particulier, l'examen de la disposition des treuils et de la commande moteur où l'on constate : - que le treuil bâbord, correspondant à la drague enfouie, est débrayé avec le frein serré, - que le treuil tribord, correspondant à la drague posée claire sur le fond, est embrayé avec le frein desserré et goupille retirée, - que le levier de la commande moteur est en position « marche avant accéléré », Ces éléments conduisent à considérer que l'homme de quart à la passerelle, lorsqu'il s'est aperçu d'un effort anormal exercé sur la fune bâbord, a probablement desserré le frein et embrayé la bobine tribord pour virer la fune. Cependant, de l'avis des enquêteurs, une telle manoeuvre n'aurait pas pu redresser le bateau qui était en giration sur bâbord avec les câbles par le travers du portique (angle de 80° ). L'augmentation de la tension sur la fune tribord compte tenu de la hauteur des rouleaux a sans aucun doute accentué le couple de chavirement. Il résulte de ce qui précède que la manoeuvre exécutée constitue pour les enquêteurs un facteur aggravant.
6.4
Synthèse
L'analyse ci-dessus a identifié les différents facteurs contributifs : nature et topographie des fonds, longueur des funes, croche de la drague bâbord, maintien de la vitesse, manoeuvre de treuil. C'est le cumul de ces facteurs dans les conditions décrites supra qui à conduit à une perte totale de stabilité, laquelle constitue la cause du naufrage. Il convient de préciser que chacun de ces facteurs pris séparément n'est pas décisif.
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7
RECOMMANDATIONS
Le BEAmer recommande :
7.1
Aux professionnels de ne pas s'écarter des pratiques locales reconnues par l'ensemble de la profession.
7.2
Aux patrons des navires de pêche de veiller à ce que la conception et le montage des treuils de pêche ainsi que du gréement du train de pêche permettent de supprimer instantanément la tension des funes en cas de croche.
7.3
Aux armateurs à la pêche de veiller à la bonne connaissance par leurs équipages de la stabilité de leur navire et des manoeuvres en cas de croche, afin de limiter les risques de perte de stabilité.
7.4
Aux organismes de formation d'insister dans la formation des équipages sur leur sensibilisation aux phénomènes de croches, et aux risques associés.
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LISTE DES ANNEXES
A. B. C. D.
Décision d'enquête Dossier navire Cartographie et Trajectographie Investigations de l'épave
D1 Croquis D2 Photographies
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Annexe A
Décision d'enquête
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Annexe B
Dossier navire
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Le bateau est armé en chalutier
Le bateau est armé en coquillier
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Drague dieppoise (document Ifremer)
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Annexe C
Cartographie et Trajectographie
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La balise de détresse du GWEL VO est récupérée le 9 mai 2006 à la position 49° 44'633 000° 01'594.
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Trajectoire du GWEL VO de 03h45 à 04h06 enregistrée par le radar du Havre.
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Annexe D
Investigations de l'épave
D1 Croquis D2 Photographies
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Annexe D1
Croquis établi au cours de la plongée.
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Annexe D2
Photographies
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Photo 1 :
Pas de traces de choc sur le bordé de coque.
Photo 2 :
Pas de traces de choc sur l'étrave.
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Photo 3 :
Le safran et l'hélice ne sont pas endommagés.
Photo 4 :
Vue de la bobine tribord du treuil.
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Photo 5 :
Vue de la bobine tribord du treuil, montrant la quantité de câble restant sur le tambour.
Photo 6 :
Vue du pupitre de la timonerie.
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Photo 7 :
Bobine tribord en position embrayée.
Photo 8 :
Vue de la vis du frein de la bobine tribord en position desserré.
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Photo 9 :
Bobine bâbord, en position débrayée.
Photo 10 :
Bobine bâbord, en position débrayée.
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Photo 11 :
Bobine bâbord, frein en position serré.
Photo 12 :
Bâton de drague bâbord, roue de franchissement.
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Photo 13 :
Drague bâbord, grages ensevelies.
Photo 14 :
Drague bâbord, grage enfouie.
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Photo 15 :
Gréement du bâton de drague bâbord.
Photo 16 :
Bâton de drague bâbord, liaison chaînes fune.
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Photo 17 :
Croisement des funes.
Photo 18 :
Fune de la drague tribord par dessus la drague bâbord enfouie.
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Photo 19 :
Disque dur de l'unité centrale. Surface du plateau endommagée.
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Ministère de l'Écologie, du Développement et de l'Aménagement durables
Bureau d'enquêtes sur les évènements de mer
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