Rapport d'enquête technique : abordage entre le caboteur Magnolia et le chalutier dieppois Jennivic survenu le 20 mars 2005 à proximité de la bouée Greenwich

Auteur moral
France. Bureau d'enquêtes sur les événements de mer
Auteur secondaire
Résumé
Le présent rapport d'enquête technique a été établi conformément aux dispositions du Code des transports. Il porte sur l'abordage entre le caboteur Magnolia et le chalutier dieppois Jennivic survenu le 20 mars 2005 à proximité de la bouée Greenwich. Ce rapport expose les conclusions auxquelles sont parvenues les enquêteurs du BEAmer sur les circonstances et les causes de l'événement analysé et propose des recommandations de sécurité.
Editeur
BEAmer
Descripteur Urbamet
accident ; sécurité ; prévention des risques ; ABORDAGE
Descripteur écoplanete
Thème
Transports
Texte intégral
Rapport d'enquête technique JENNIVIC - MAGNOLIA 2 Rapport d'enquête technique ABORDAGE ENTRE LE CABOTEUR MAGNOLIA ET LE CHALUTIER DIEPPOIS JENNIVIC SURVENU LE 20 MARS 2005 A PROXIMITE DE LA BOUEE GREENWICH Page 1 sur 56 Page 2 sur 56 Avertissement Le présent rapport a été établi conformément aux dispositions du titre III de la loi n°.2002-3 du 3 janvier 2002 et du décret n°.2004-85 du 26 janvier 2004 relatifs aux enquêtes techniques après événement de mer, accident ou incident de transport terrestre, ainsi qu'à celles du "Code pour la conduite des enquêtes sur les accidents et incidents de mer" Résolutions n°.A.849.(20) et A.884 (21) de l'Organisation Maritime Internationale (OMI) des 27/11/97 et 25/11/99. Il exprime les conclusions auxquelles sont parvenus les enquêteurs du les circonstances et les causes de l'événement analysé. Conformément aux dispositions susvisées, l'analyse de cet événement n'a pas été conduite de façon à établir ou attribuer des fautes à caractère pénal ou encore à évaluer des responsabilités individuelles ou collectives à caractère civil. Son seul objectif a été d'en tirer des enseignements susceptibles de prévenir de futurs sinistres du même type. En conséquence, l'utilisation de ce rapport à d'autres fins que la prévention pourrait conduire à des interprétations erronées. BEAmer sur Page 3 sur 56 PLAN DU RAPPORT 1 2 3 4 5 6 7 CIRCONSTANCES CONTEXTE NAVIRES EQUIPAGES CHRONOLOGIE FACTEURS DU SINISTRE RECOMMANDATIONS Page 6 Page 7 Page 8 Page 11 Page 13 Page 15 Page 23 ANNEXES A. B. C. D. E. Décision d'enquête Documentation pêche à la coquille Saint-Jacques Plan du voyage Expertise météorologique Simulation des routes suivies Page 4 sur 56 Liste des abréviations Code ISM Convention STCW : : Code international de gestion de la sécurité Convention sur les normes de formation des gens de mer, de délivrance des brevets et de veille Centre régional Opérationnel de Surveillance et de Sauvetage Dispositif de Séparation du trafic Centre de surveillance des pêcheries (Fisheries Monitoring Centre) Système de positionnement par satellite Heure prévue d'arrivée Kilowatt Centre de coordination de recherche et sauvetage en mer (Maritime search and Rescue Coordination Center) Tonne métrique Numéro d'identité du navire donné par l'OMI Organisation Maritime Internationale Règlement international pour prévenir les abordages en mer Système Mondial de détresse et de Sécurité en Mer Système de surveillance des navires par satellite (Satellite-based Vessel Monitoring System) Tonneaux Système de jauge international (Universal Measurment System) Temps Universel Coordonné Ondes métriques (Very High Frequency) CROSS DST FMC GPS HPA kW MRCC : : : : : : : MT N° MMSI OMI RIPAM SMDSM Système VMS : : : : : : Tx UMS UTC VHF : : : : Page 5 sur 56 1 CIRCONSTANCES Le 20 mars 2005, le caboteur MAGNOLIA se trouve dans le dispositif de séparation de trafic, voie descendante, entre Douvres et la bouée Greenwich ; il suit un cap au 256° et sa vitesse est de 9 noeuds. L'officier de quart ne voit pas de navire et ne repère pas au radar de trace ou d'écho d'un navire sur son côté avant tribord. Le 20 mars 2005, le chalutier JENNIVIC est en pêche aux abords de la partie Ouest de la voie descendante du dispositif de séparation de trafic du Pas-de-Calais. Il suit à ce moment un cap au 200° et sa vitesse e st de 2,8 à 3 noeuds sur le fond. Le matelot de veille voit un navire arriver sur son arrière bâbord. A 05 heures 13 (heure française) pour le chalutier JENNIVIC et à 04 heures 20 (UTC) pour le caboteur MAGNOLIA, les deux navires entrent en collision sans qu'aucun des deux n'ait tenté la moindre manoeuvre. Sur le MAGNOLIA, le point d'impact se situe à tribord au milieu du navire. Sur le JENNIVIC, le point d'impact se situe à bâbord au niveau de la partie arrière du gaillard. Aucune assistance ni de la part du chalutier J E N N I V I C ni du caboteur MAGNOLIA n'est demandée. Le caboteur MAGNOLIA continue sa route. Le chalutier JENNIVIC, n'ayant pas d'avarie majeure, continue sa pêche. Page 6 sur 56 2 2.1 2.1.1 CONTEXTE Contextes réglementaire et nautique Contexte réglementaire Les navires impliqués sont assujettis au respect des règles des Conventions internationales établies par l'Organisation Maritime Internationale, et en particulier : · Convention internationale de 1978 sur les normes de formation des gens de mer, de délivrance des brevets et de veille, telle que modifiée en 1995 (STCW.95) notamment son chapitre VIII : normes concernant la veille, pour le cargo ; · Convention sur le Règlement international pour prévenir les abordages en mer (RIPAM) de 1972, pour les deux navires. 2.1.2 Contexte nautique 2.1.2.1 MAGNOLIA Le caboteur MAGNOLIA est un navire de 23 ans, utilisé pour le transport de marchandises sèches en vrac sur de courtes distances. Selon le connaissement, il avait chargé à Rundvik, en Suède, 4.626,022 m3 de bois débité recouvert d'un emballage plastique dont une partie se trouvait en pontée. Son armateur possède 2 navires. 2.1.2.2 J ENNI VIC Le chalutier Dieppois JENNIVIC, construit en 1981, pêche au chalut de fond ou à la drague à coquille, selon la saison. Son permis de navigation l'autorise à une navigation en 2ème catégorie soit à moins de 600 milles du port de départ et 200 milles d'un abri. La période de pêche à la coquille commence début octobre pour s'arrêter le 15.mai de l'année suivante. Cette pêche est contrôlée et les apports soumis à quotas. (Au moment de Page 7 sur 56 l'établissement du rapport, ces quotas sont de 300 kilos par jour et par marin porté au rôle, sans dépasser 1,2 tonnes par marin porté au rôle et par semaine). Elle se déroule selon les modalités décrites en annexe B. Pour cette raison, pour le JENNIVIC, les marées ne durent que 24.heures pendant les trois premiers mois, le quota journalier étant rapidement atteint. A partir du début janvier, les marées durent environ deux à trois jours. Cette pêche s'effectue sur les côtes de La Manche, au-delà des six milles et à l'extérieur de la zone « Baie de Seine ». Une autorisation administrative prévoit qu'à partir du 1er.décembre et pour une durée limitée, cette pêche puisse s'exercer en Baie de Seine. Le secteur de pêche du JENNIVIC est limité à l'Ouest par le méridien situé à une distance de 15 milles dans l'Ouest de la bouée Greenwich et à l'Est par le méridien de la bouée Racon Bassurelle (zone CIEM 7d). Il pêche également en zone « Baie de Seine » lorsque l'autorisation a été signifiée. Du mois de mai au mois d'octobre, le JENNIVIC pratique la pêche au chalut de fond dans les mêmes zones. La durée des marées est généralement de 3 à 5 jours pour 48.heures de repos. Il n'emploie qu'un seul type de chalut. Une quinzaine de jours est nécessaire pour passer de la drague au tangon à la pêche au chalut. Le JENNIVIC embarque 2 à 3 tonnes de glace pour la marée. Les espèces de poissons nobles sont conservées dans des caisses, les autres sont entreposées en vrac dans la cale à poisson. Le JENNIVIC s'arrête de pêcher quand les vents dépassent la force 5 à 6. 3 3.1 NAVIRES MAGNOLIA Le navire appartient à un armateur allemand. Il a été construit en 1983. Il bat pavillon Antigua et Barbuda, OMI n° 8301979, et est immatriculé à Saint.Johns ; son indicatif est V2JD. Page 8 sur 56 Le MAGNOLIA est de type « chargement de marchandises diverses ». Ses principales caractéristiques sont les suivantes : Longueur H.T. Largeur Creux Tirant d'eau été Jauge Brute Port en lourd été N°MMSI Puissance Propulseur d'étrave Vitesse maxi : 95,53 m ; : 13,52 m ; : 6,80 m ; : 4,32 m ; : 2768 UMS ; : 2848 MT ; : 304 010 218 ; : 1470 kW ; : 132 kW ; : 11,5 noeuds. Le navire est équipé de deux radars. La propulsion est assurée par un moteur diesel DEUTZ SBV 9 M 628, 1470 KW. L'hélice est à pas variable avec pas à droite. Le gouvernail est de type Becker's augmentant les capacités manoeuvrières du navire. Il est suivi par une société de classification de premier rang. La même société a certifié sa conformité avec les dispositions du code ISM. Il est assuré en responsabilité civile. Les documents de classification du navire sont conformes à la réglementation et en cours de validité. Le navire dispose des documents réglementaires concernant la gestion de la sécurité du navire et en particulier les procédures concernant l'exercice des quarts à la mer : consignes de la compagnie de navigation, ordres permanents et particuliers du Capitaine. Les deux visites de l'année 2003 ont relevé au total trois déficiences sans immobilisation. Les deux dernières visites effectuées par le contrôle de l'Etat du Port datant du 13.octobre 2003 et du 3 août 2004 n'ont relevé aucune déficience. Page 9 sur 56 3.2 JENNIVIC Il a appartenu à deux armateurs avant d`être acheté par un armateur résidant dans la région de Dieppe où il est exploité et immatriculé sous le n° 463949. Le chalutier est de type à pêche arrière ; il a été construit en France en 1981 et mis à l'eau en août 1981. Il est assuré auprès d'une compagnie d'assurance mutuelle. Ses principales caractéristiques sont les suivantes : Longueur totale Largeur Creux Volume de la coque Jauge brute (centième de tonneaux) : 17,98 m ; : 6,60 m ; : 2,98 m ; : 47,67 tx ; : 4999 ; : 6274 ; : 309 kW ; : 227 110 600. Jauge UMS Puissance machine N° MMSI La coque est en polyester. Le moteur changé en 1998 est de marque Baudouin type 12P15. L'hélice est à pas variable. Il est équipé en particulier : d'un équipement Inmarsat-C, d'un télex, d'un système de navigation : Turbo 2000 et Max Sea, d'un radar de marque Koden, de trois VHF dont l'une était sur la voie 16, la deuxième sur une fréquence privée, la troisième sur un canal non identifié, d'un dispositif de repérage par satellite du système VMS dont le fonctionnement est aléatoire depuis quelques mois, Page 10 sur 56 d'un pilote automatique équipé d'un « tiller » qui permet de venir rapidement d'un côté ou de l'autre sans avoir à débrancher le pilote. Le carénage et l'entretien sont effectués généralement entre juin et mi-août, et durent environ un mois. Le dernier carénage a été effectué courant mai 2004. Tous les deux ans, une visite à sec est effectuée. Le chalutier était à jour de ses visites réglementaires et lors de la dernière visite annuelle du 15 septembre 2004, le permis de navigation avait été renouvelé jusqu'au 30 .juin.2005. Ce permis autorise provisoirement l'exercice de la pêche à la coquille Saint-Jacques en attente de la présentation, courant juin 2005, du dossier de stabilité en commission régionale de sécurité. Les mesures pour réaliser cette étude de stabilité ont été effectuées à bord avant l'accident. Pour exercer la pêche à la coquille, le JENNIVIC dispose de deux tangons (appelés « bâtons » selon l'usage local), chacun d'une longueur de six mètres environ, établis de chaque côté du navire. Deux mâts de charge fixés également de chaque côté de l'avant de la passerelle, dont les extrémités supérieures viennent à l'aplomb du pavois, permettent de les relever. Sur chaque tangon sont fixées 9 dragues à retournement de 80 centimètres de large. Aux extrémités du tangon sont assujetties des chaînes reliées entre elles qui servent de patte d'oie sur laquelle on maille la fune. Le poids d'un ensemble : tangon et dragues est estimé à 2,2.tonnes. Pour la pêche au chalut, il utilise l'enrouleur fixé sur le portique arrière. 4 4.1 EQUIPAGES Equipage du MAGNOLIA Le navire est armé par un équipage de 8 personnes. Cinq sont d'origine ukrainienne, dont le Capitaine, le Second Capitaine et le Chef Mécanicien, et trois sont des Philippines. Page 11 sur 56 Le Capitaine possède un brevet Ukrainien « deep sea Captain » qui lui permet de commander des navires de 500 et plus, et un certificat général d'opérateur SMDSM. Le Second Capitaine possède un brevet de « first class deck and engineer officer » qui lui permet d'être Capitaine avec droit d'exploiter un moteur, comme indiqué sur la validation. Selon la convention STCW 95, l'officier de quart doit recevoir le renfort d'un homme de veille en période d'obscurité. Compte tenu du nombre restreint des personnels d'exécution disponibles, il est à craindre que cette disposition soit en ce cas restée toute théorique. 4.2 Equipage du JENNIVIC La décision d'effectif indique : « Considérant que le navire de pêche JENNIVIC est un navire doté d'un moteur d'une puissance totale installée de 316 kW et pratique la pêche au chalut, qu'il a été approuvé en 3ème.catégorie au départ du port de Dieppe avec des aménagements prévus pour 5 personnes ; considérant que le service à la mer peut être assuré, de manière compatible avec les règles de sécurité des navires et les dispositions relatives à la durée du travail par : - une bordée de navigation commandée par un officier titulaire d'un brevet de commandement et de deux matelots aptes à la veille, - un quart à la machine conduit par un mécanicien breveté. La décision d'effectif prévoit : - 1 Capitaine, - 1 Chef Mécanicien, - 2 Matelots aptes à la veille ». La pêche à la coquille Saint-Jacques est une activité pénible et pour permettre un repos régulier des équipages, sans pour autant qu'il en résulte une diminution des droits de pêche, l'Administration, sur proposition des professionnels, a défini les quotas de capture sur la base du « nombre de marins portés au rôle », l'arrêté préfectoral précisant que les « quotas sont déterminés en fonction du nombre de marins présents à bord » mais que « dans la stricte limite d'un marin, un marin non présent à bord mais porté au rôle ouvrait aussi droit au quota ». L'armateur a donc remis aux Affaires Maritimes une liste d'équipage à 5.personnes pour armer le navire pendant la période de pêche à la coquille. Cependant, au cours de cette marée, l'équipage était en réalité composé de 4.personnes bien que le patron ait déclaré, au moment de la collision, qu'il y avait 5 personnes à bord. Page 12 sur 56 Le patron embarqué, âgé de 41 ans, a obtenu le certificat d'apprentissage maritime pêche le 25 juin 1980 puis le certificat de capacité le 20 juin 1983 et le certificat restreint d'opérateur le 24 septembre 2004. Sa dernière visite médicale passée le 26.mai.2004 lui donnait la possibilité d'exercer « toutes fonctions, toutes spécialités ». Le matelot de veille de quart lors de l'événement est âgé de 23 ans. Il a obtenu le certificat d'initiation nautique le 30 octobre 2003. La dernière visite médicale passée le 26 mai 2004 lui donnait une aptitude à la navigation pour 12.mois. Son premier embarquement date du 21.novembre 2003. 5 CHRONOLOGIE Le 14 mars 2005 (les heures indiquées sont en heures UTC) le caboteur MAGNOLIA appareille de Rundvik en Suède pour se rendre à Rochefort en France, port distant de 905 milles ainsi qu'il est indiqué dans le plan de voyage (voir annexe C). Le 19 mars 2005 A 05H00, le JENNIVIC quitte le port de Dieppe pour effectuer une marée de pêche à la coquille Saint-Jacques d'une durée de 48 heures environ. Le 20 mars 2005 A 00H00, le MAGNOLIA se trouve en position 50° 54'8 N; 001° 17'6 E. Il suit un cap au 256° à la vitesse de 9 noeuds. Compte tenu de la présence de brume, la machine est parée à manoeuvrer et les signaux phoniques sont effectués en conformité avec la réglementation internationale. Vers 03H15 le JENNIVIC est en pêche, tirant ses dragues et la veille est assurée par un matelot. Le radar est en fonction et réglé sur l'échelle de 3.milles. Il suit un cap au 200° à une vitesse de 2,8 à 3 noeuds. Vers 04H05, le matelot de veille du JENNIVIC aperçoit visuellement un cargo sur l'arrière de son travers bâbord. Page 13 sur 56 Vers 04H10, l'Officier de quart du MAGNOLIA reconnaît sur son écran radar 3 échos situés sur son arrière : · · l'un est un navire rattrapant qui va le dépasser sur bâbord, les deux autres sont des navires traversiers ne présentant pas de danger car ils coupent la route sur l'arrière. Il n'y a pas d'écho sur le secteur tribord avant. A 04H13 pour le JENNIVIC, à 04H20 pour le MAGNOLIA les deux navires s'abordent. Pour le JENNIVIC, la position au moment de la collision est : 50° '289 N ; 27 000° 02'930 .W. Pour le MAGNOLIA, la position au moment de la collision est : 50° '2 N ; 27 000° 02'3 W. Le MAGNOLIA est pour le JENNIVIC encore à ce moment un navire inconnu. Le MAGNOLIA appelle, sans obtenir de réponse, le JENNIVIC sur VHF voie.16 et continue sa route. Le JENNIVIC essaye quelques minutes après la collision de joindre au moyen de sa VHF les CROSS de Jobourg et Gris Nez, sans résultat. A 04H27, le CROSS Jobourg reçoit du chalutier C H R I S P I E R R E D A U P H I N , qui assure le relais du JENNIVIC, un message indiquant que le JENNIVIC s'est fait aborder par un cargo. A 04H30, le CROSS Gris-Nez reçoit du chalutier S A I N T -T H O MA S , assurant le relais du JENNIVIC, un message indiquant que le JENNIVIC s'est fait aborder par un cargo. A 04H35, le S A I N T -T H O M A S informe le CROSS Gris-Nez que le JENNIVIC a des avaries au gaillard. Pas de voie d'eau. Pas de blessés. Pas d'assistance demandée. Le JENNIVIC reste en pêche. A 07H40, le MRCC de Douvres indique que 3 navires se trouvaient présents ou à proximité des lieux de la collision : · M A GN OL I A / V2JD, Page 14 sur 56 · A L I A N C A S Ã O P A U L O / DHJW, · P U G W A S H S E N A T O R / DQVL. A 07H55, le CROSS Jobourg contacte le MAGNOLIA qui confirme être à l'origine de la collision avec le JENNIVIC. A 08H55, le Capitaine du MAGNOLIA adresse au CROSS Gris Nez le rapport suivant : « Au cours du voyage, le 20 mars 2005 à 04H20 UTC, mon navire est entré en collision dans la brume avec un navire de pêche français. La position du navire était la suivante : 50° 27'2N ; 0 00° 02'3W. Le chalutier a glissé le long du bordé tribord du caboteur. Pas de dommage important. Je vous demande l'autorisation de continuer mon voyage vers Rochefort. HPA Rochefort le 22 mars à 16H00 heure locale. » 6 DETERMINATION & DISCUSSION FACTEURS DU SINISTRE La méthode retenue pour cette détermination a été celle utilisée par le DES BEAmer pour l'ensemble de ses enquêtes, conformément à la résolution OMI A.849.(20) modifiée par la résolution A.884.(21). Les facteurs en cause ont été classés dans les catégories suivantes : · facteurs naturels ; · facteurs matériels ; · facteur humain. Page 15 sur 56 Dans chacune de ces catégories, les enquêteurs du BEAmer ont répertorié les facteurs possibles et tenté de les qualifier par rapport à leur caractère : · certain, probable ou hypothétique ; · déterminant ou aggravant ; · conjoncturel ou structurel ; avec pour objectif d'écarter, après examen, les facteurs sans influence sur le cours des événements et de ne retenir que ceux qui pourraient, avec un degré de probabilité appréciable, avoir pesé sur le déroulement des faits. Ils sont conscients, ce faisant, de ne pas répondre à toutes les questions suscitées par ce sinistre. Leur objectif étant d'éviter le renouvellement de ce type d'accident, ils ont privilégié, sans aucun a priori, l'analyse inductive des facteurs qui avaient, par leur caractère structurel, un risque de récurrence notable. 6.1 6.1.1 Facteurs naturels Situation météorologique Les conditions météorologiques qui prévalaient dans la nuit du 19 au 20.mars 2005 données par le CROSS Gris-Nez sont : vent 2 beaufort, mer 2, visibilité 1 mille. Les intervenants sur la zone donnent des conditions météorologiques légèrement différentes : 1. le Capitaine du MAGNOLIA dans son rapport de mer indique de la brume ; 2. l'Officier de quart du MAGNOLIA au moment des faits dans son rapport mentionne : vent Est 3, mer 2-3, visibilité 0,5 à 1 mille ; 3. le Patron du JENNIVIC dans son rapport de mer indique : temps clair, mer belle, visibilité 1 à 1,5 mille ; 4. Le matelot de veille du JENNIVIC indique lors de son audition, vent est à nord-est force 2 à 3 et précise qu'il a vu le navire à une distance de 1,5 mille environ. L'expertise météorologique établie à la demande du BEAmer par le service interrégional de prévisions Marines Ouest (annexe D) indique que, « pour la zone située près de la bouée Greenwich le dimanche 20 mars 2005, vers 04H00 UTC, le vent était faible à modéré, la mer belle à peu agitée ; mais depuis la veille, une zone brumeuse s'étendait du sud de l'Angleterre au Nord-Ouest de la France (le 19 mars à 15H00 UTC Dieppe était dans le brouillard) ; en mer, des paquets de brume pouvaient, passagèrement, réduire la visibilité à moins de un mille ». Page 16 sur 56 Lors de son audition à bord du MAGNOLIA, le Second Capitaine a déclaré que la visibilité qui avait été très mauvaise depuis le départ du port de chargement jusqu'à Douvres, s'améliorait vers l'Ouest et les signaux phoniques n'étaient faits que de façon intermittente. Compte tenu de ces indications, il est raisonnable de penser que la visibilité devait être de l'ordre du mille au moins au moment de l'événement. En considérant les routes respectives des deux navires, leur vitesse et la distance les séparant, le préavis minimum pour manoeuvrer et ainsi éviter la collision est estimé à 7 minutes. La visibilité et ses variations ont été retenues comme facteur aggravant. 6.1.2 Les marées Au moment de la collision, la marée était montante : Pleine mer à 04H51, Basse mer à 11H49. Le coefficient de marée de 25 correspond à une marée de petite morte eau et le courant faible au moment de la collision portait au 075° . Le JENNIVIC contrôlait la dérive due au courant de marée dans la mesure où il suivait une route correspondant à une trace sur le fond. Ce facteur n'a pas été retenu. 6.2 Facteurs matériels Aucune avarie ni déficience matérielles n'ont été relevées. Ce facteur n'a donc pas été retenu. 6.3 Facteur humain Les circonstances de l'accident ont conduit les enquêteurs du BEAmer à approfondir les points suivants : · route suivie par les deux navires ; · conditions de travail à bord du caboteur ; · veille à bord du caboteur ; · veille à bord du chalutier. Page 17 sur 56 6.3.1 Routes suivies par les deux navires L'accident s'est produit à une distance faible de l'extrémité ouest de la voie descendante du dispositif de séparation de trafic du Pas-de-Calais et ses eaux adjacentes. Dans les zones proches des extrémités d'un dispositif de séparation du trafic, la règle 10, paragraphe « f » prévoit que « les navires doivent naviguer avec une vigilance particulière ». Le MAGNOLIA faisait une route au 256° sous pilote automatique à la vitesse de 9.noeuds. Le JENNIVIC traînait ses deux « bâtons » sur lesquels étaient fixées les dragues à coquille Saint-Jacques. Il suivait une trace indiquée sur l'ordinateur de bord « Max Sea » et ainsi suivait une route fond au 200° Sa vitesse moyenne était d'environ 3 noeuds. . Analyse de la situation : En prenant comme point de référence le point de collision et en traçant à partir de ce point les routes inverses des deux navires puis en portant sur le vecteur JENNIVIC la distance parcourue en 7 minutes, et enfin en portant au compas la distance de 1 mille de ce point ainsi obtenu jusqu'à couper le vecteur MAGNOLIA, on retrouve ainsi la position qu'avaient les deux navires 7 minutes avant la collision (les 7 minutes correspondant au temps mis par le MAGNOLIA pour parcourir 1 mille), (voir annexe E). Le tracé de ces routes permet de voir que le MAGNOLIA pouvait observer le JENNIVIC sur son avant tribord à 18° de l'axe longitudinal, le chalutier lui montrant ses feux de navire en pêche, vus de l'arrière ou de côté, augmentés de ses feux de pont. De son côté, le JENNIVIC voyait les feux de navigation du caboteur. Il devait voir le MAGNOLIA dans le relèvement 90° ; ce qui donne un gisement d'environ 2 quarts (20° sur son ) arrière bâbord. Si la visibilité estimée à 1 mille n'est pas la visibilité exacte du moment et qu'on renouvelle le calcul avec une autre visibilité de 1,5 mille ou 2 milles par exemple, on constate que les deux navires se voient toujours sous le même angle, ce qui montre bien qu'ils sont en route de collision. Page 18 sur 56 6.3.2 Organisation du travail à bord du MAGNOLIA A bord du caboteur, l'organisation du travail est réglée par l'application des conventions internationales en particulier la convention STCW 95 et leur transcription dans la réglementation de l'Etat du pavillon pour leur mise en oeuvre. A la mer le Capitaine et le second capitaine font chacun 12 heures de quart passerelle par jour : · le Capitaine effectue les quarts de 6H00 à 12H00 et de 18H00 à 24H00, · le Second Capitaine effectue les quarts de 12H00 à 18H00 et de 00H00 à 06H00. Ils assurent seuls le quart à la passerelle à l'exception de la période de 22H00 à 06H00 où la présence d'un matelot est prévue par la convention. Outre ces périodes de quart, le Capitaine et son second sont tenus d'être à la passerelle durant les manoeuvres d'entrée et de sortie des ports ; ils ont par ailleurs de nombreuses tâches administratives et commerciales, en mer comme au cours des escales. Le Chef Mécanicien, étant le seul officier mécanicien, n'est pas tenu de faire de quart ; il travaille de 08H00 à 12H00 et de 13H00 à 17H00, fait des rondes, intervient en cas d'alarme de fonctionnement et est de permanence pour les entrées et sorties de port. L'organisation du quart à la passerelle avec deux officiers seulement montre que la durée du travail est au minimum de 12 heures par jour. Les autres tâches incontournables telles que celles liées à l'exploitation commerciale doivent être effectuées : - soit pendant les heures de quart, ce qui a pour effets de dégrader la qualité de ce dernier et notamment celle de la veille, et de réduire la capacité à gérer l'imprévu. - soit, sur le temps de repos journalier dont le minimum risque alors de ne pouvoir être respecté, avec comme conséquence un état de fatigue permanent des personnels concernés. Sur le MAGNOLIA, pour les 22 premiers jours de mars : - le Capitaine a effectué un total d'heures supplémentaires de 122.heures, soit une moyenne de 5 heures 30 supplémentaires quotidiennes ; Page 19 sur 56 - le Second Capitaine totalise un nombre d'heures supplémentaires effectuées pour les 22 premiers jours de mars de 128 heures, soit presque 6 heures supplémentaires par jour. Les enquêteurs se sont interrogés sur la possibilité de respecter les dispositions de la Règle 5 du Règlement international pour prévenir les abordages en mer qui prévoit que « tout navire doit en permanence assurer une veille visuelle et auditive appropriée, en utilisant également tous les moyens qui sont disponibles et qui sont adaptés aux circonstances et conditions existantes, de manière à permettre une pleine appréciation de la situation et du risque d'abordage ». Ils en ont conclu qu'une telle organisation constitue un facteur structurel déterminant probable. 6.3.3 Quart à bord du MAGNOLIA Pour le matelot de quart faisant une veille à bâbord, la pontée sur l'avant de la passerelle limitait la vue à courte distance, et, la visibilité étant réduite sur zone, diminuait la vue à longue distance. Il fallait donc exercer une veille en se déplaçant souvent de bâbord à tribord pour ainsi ne pas manquer de voir les navires présents dans la zone et notamment sur l'avant. L'Officier de quart (Second Capitaine) qui, selon son témoignage, se trouvait, au moment de l'impact, à la table à carte depuis 10 minutes, ne pouvait avoir vu le JENNIVIC à l'oeil nu avant de s'y rendre puisque la visibilité ne le permettait vraisemblablement pas. A la vitesse de 9 noeuds, les 10 minutes passées à la table à carte correspondent à une distance de 1,5 mille. Par contre, le navire devait être visible au radar. Au moment de l'accident l'état de la mer ne pouvait influencer la réception des échos même sur une petite échelle à moins que la zone centrale de l'écran radar ne soit déteriorée ou que l'officier de quart ait pris l'écho du JENNIVIC pour un retour de mer. Il résulte des éléments recueillis au cours de l'enquête qu'au moins pendant les sept minutes qui ont précédé la collision avec le JENNIVIC, il n'y a pas eu de veille suffisante sur le secteur tribord du MAGNOLIA. Les enquêteurs du BEAmer ont déduit de ce qui précède que cette insuffisance de veille constitue un facteur certes conjoncturel, mais certain et déterminant du sinistre. Page 20 sur 56 6.3.4 Veille à bord du JENNIVIC Depuis la passerelle, la visibilité sur l'avant est réduite par le mât avant, les mâtereaux du gaillard et les deux mâts de charge et sur l'arrière par les apparaux de pêche qui créent des secteurs sans visibilité. Les feux de pêche sont allumés. Les feux de pont le sont également. Ils comprennent : · deux projecteurs halogènes placés sur le portique arrière, pour éclairer le pont, · deux projecteurs halogènes placés sur les côtés de la passerelle qui peuvent détériorer la visibilité sur certains secteurs, · deux projecteurs halogènes placés sur l'arrière de la passerelle, éclairant le pont, · deux projecteurs halogènes placés au dessus de la passerelle et éclairant l'avant du navire, à priori éteints à la mer sauf pour des manoeuvres spécifiques. Le matelot de veille avait dû sortir de la passerelle pour voir un navire arriver sur lui. Il avait alors aperçu les feux de navigation du caboteur à une distance qu'il a estimée entre 1 à 1,5 mille ; distance qu'il pouvait vérifier au radar puisque le radar était en fonction réglé sur l'échelle de 3 milles. Le risque de collision semble avoir été perçu mais aucune manoeuvre ultime face à l'absence d'action du caboteur n'a été tentée. Au regard du Règlement international pour prévenir les abordages en mer, cela constitue un facteur conjoncturel déterminant de la collision. Au vu des éléments exposés dans le paragraphe 4.2 et compte tenu du fait que le était revenu à Dieppe d'une marée pour appareiller une heure plus tard pour la marée JENNIVIC en cours, les enquêteurs considèrent que cette absence de réaction semble liée à l'inexpérience et sans doute à la fatigue du matelot de quart, ce qui constituerait un facteur aggravant. Le matelot de quart, titulaire d'un certificat d'initiation nautique, ne disposait sans doute pas d'une formation suffisante pour assurer seul la veille en timonerie, surtout dans un DST, ce qui constitue un autre facteur aggravant. Page 21 sur 56 6.4 Synthèse Après analyse de la collision survenue le 20 mars 2005 à environ 05H20 entre le caboteur MAGNOLIA et le chalutier Dieppois JENNIVIC qui était en pêche à proximité de la bouée Greenwich, les enquêteurs sont arrivés à la conclusion que l'hypothèse la plus probable est que le MAGNOLIA n'a pas vu le JENNIVIC et que le JENNIVIC s'estimant privilégié n'a pas manoeuvré. Dans l'analyse ci-dessus ont été identifiés comme facteurs : · Déterminants - Structurels : : l'organisation du quart passerelle à bord du caboteur (STCW95 chapitre VIII ) ; - Conjoncturels : l'insuffisance de la veille à bord du caboteur (RIPAM règle 5) et l'absence de manoeuvre ultime de la part du chalutier (RIPAM règle 17) ; · Aggravants : la visibilité faible et fluctuante et/ou la fatigue du matelot de quart du chalutier, ainsi que sa formation insuffisante pour exercer seul le quart dans un DST. En outre, des obstacles à la visibilité depuis la passerelle ont clairement été identifiés : - sur le chalutier en raison des éclairages extérieurs et des secteurs limités par les apparaux de pêches et les mâts, - sur le caboteur en raison de la pontée. Bien que la présence de ces obstacles n'ait pas été retenue comme facteur déterminant dans cet accident, les enquêteurs du BEAmer considèrent que ceux-ci représentent une gêne structurelle à l'efficacité de la veille prescrite par les textes internationaux. Page 22 sur 56 7 RECOMMANDATIONS Le BEAmer recommande : 7.1 Aux armateurs concernés que l'organisation du service et la conduite du quart à bord des navires impliqués soient revues. Aux organisations professionnelles du commerce et de la pêche de rappeler à leurs membres que l'exercice permanent d'une veille efficace à la mer est un impératif absolu. A la Direction des Affaires Maritimes / Sous-Direction des Gens de Mer de renforcer la formation des stagiaires du Certificat d'Initiation Nautique (CIN) en matière de veille, pour ceux qui se retrouveront seuls et de nuit à la timonerie de bateaux de pêche. 7.2 Qu'au delà des prescriptions des textes internationaux et nationaux en vigueur, la plus grande visibilité depuis la passerelle soit recherchée tant au niveau de la conception que de celui de l'exploitation des navires. 7.3 Aux navigants un respect scrupuleux des règles pour prévenir les abordages en mer, notamment dans le cas considéré les règles 16 (manoeuvre du navire non privilégié) et 17 (manoeuvre du navire privilégié). Page 23 sur 56 LISTE DES ANNEXES A. Décision d'enquête B. Documentation pêche à la coquille Saint-Jacques C. Plan du voyage D. Expertise météorologique E. Simulation des routes suivies Page 24 sur 56 Annexe A Décision d'enquête Page 25 sur 56 Page 26 sur 56 Annexe B Documentation pêche à la coquille Saint-Jacques Page 27 sur 56 Page 28 sur 56 Page 29 sur 56 Page 30 sur 56 Page 31 sur 56 Page 32 sur 56 Page 33 sur 56 Page 34 sur 56 Page 35 sur 56 Page 36 sur 56 Annexe C Plan du voyage Page 37 sur 56 Page 38 sur 56 Annexe D Expertise météorologique Page 39 sur 56 Page 40 sur 56 Page 41 sur 56 Page 42 sur 56 Page 43 sur 56 Page 44 sur 56 Page 45 sur 56 Page 46 sur 56 Page 47 sur 56 Page 48 sur 56 Annexes Page 49 sur 56 Page 50 sur 56 Page 51 sur 56 Annexe E Simulation des routes suivies Page 52 sur 56 Simulation : Route suivie par le caboteur MAGNOLIA et le chalutier JENNIVIC. Page 53 sur 56 Page 54 sur 56 Page 55 sur 56 Page 56 sur 56 Ministère de l'Écologie, du Développement et de l'Aménagement durables Bureau d'enquêtes sur les évènements de mer Tour Pascal B 92055 LA DEFENSE CEDEX T : + 33 (0) 140 813 824 / F : +33 (0) 140 813 842 Bea-Mer@equipement.gouv.fr www.beamer-france.org

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