Rapport d'enquête technique : naufrage du chalutier La P'tite Julie 1 survenu le 7 janvier 2008 à 32 milles dans le nord de l'île Vierge (2 morts, 4 disparus, 1 rescapé)
Auteur moral
France. Bureau d'enquêtes sur les événements de mer
Auteur secondaire
Résumé
Le présent rapport d'enquête technique a été établi conformément aux dispositions du Code des transports. Il porte sur le naufrage du chalutier La P'tite Julie 1 survenu le 7 janvier 2008 à 32 milles dans le nord de l'île Vierge. Cet accident a fait deux morts et quatre disparus. Il y eut un rescapé. Ce rapport expose les conclusions auxquelles sont parvenues les enquêteurs du BEAmer sur les circonstances et les causes de l'événement analysé et propose des recommandations de sécurité.
Editeur
BEAmer
Descripteur Urbamet
accident
;sécurité
;prévention des risques
;NAUFRAGE
Descripteur écoplanete
Thème
Transports
Texte intégral
Rapport d'enquête technique
LA P'TITE JULIE 1
2
Rapport d'enquête technique NAUFRAGE
DU CHALUTIER
LA P'TITE JULIE 1
SURVENU LE 07 JANVIER 2008 A 32 MILLES DANS LE NORD DE L'ILE VIERGE (2 MORTS, 4 DISPARUS, 1 RESCAPE)
Page 1 sur 48
Page 2 sur 48
Avertissement
Le présent rapport a été établi conformément aux dispositions du titre III de la loi n°.2002-3 du 3 janvier 2002 et du décret n°.2004-85 du 26 janvier 2004 relatifs aux enquêtes techniques après événement de mer, accident ou incident de transport terrestre, ainsi qu'à celles, de la Résolution MSC.255 (84) de l'Organisation Maritime Internationale (OMI) adoptée le 16 mai 2008 et portant Code de normes internationales et pratiques recommandées applicables à une enquête de sécurité sur un accident de mer ou un incident de mer (Code pour les enquêtes sur les accidents). Il exprime les conclusions auxquelles sont parvenus les enquêteurs du BEAmer sur les circonstances et les causes de l'événement analysé. Conformément aux dispositions susvisées, l'analyse de cet événement n'a pas été conduite de façon à établir ou attribuer des fautes à caractère pénal ou encore à évaluer des responsabilités individuelles ou collectives à caractère civil. Son seul objectif a été d'en tirer des enseignements susceptibles de prévenir de futurs sinistres du même type. En conséquence, l'utilisation de ce rapport à d'autres fins que la prévention pourrait conduire à des interprétations erronées.
Page 3 sur 48
PLAN DU RAPPORT
1 2 3 4 5 6 7 8
CIRCONSTANCES CONTEXTE NAVIRE EQUIPAGE CHRONOLOGIE CONSTATATIONS FACTEURS DU SINISTRE RECOMMANDATIONS
Page 6 Page 6 Page 7 Page 13 Page 14 Page 19 Page 24 Page 29
ANNEXES
A. B. C. D. E. Décision d'enquête Dossier navire Dossier stabilité Envahissement de la cale à poisson Positions données par le FMC
Page 4 sur 48
Liste des abréviations
CROSS GM FMC MF MRCC OMI OSC SITREP SNS SNSM TU VFI VHF VMS
: : : : : : : : : : : : : :
Centre Régional Opérationnel de Surveillance et de Sauvetage Distance Métacentrique Fisheries Monitoring Centre Ondes radio Moyenne Fréquence (Medium Frequency) Maritime Search and Rescue Co-ordination Centre Organisation Maritime Internationale On Scene Co-ordinator SITuation REPort Société National de Sauvetage Société National de Sauvetage en Mer Temps Universel Vêtement à Flotabilité Intégrée Ondes Radio Très Haute Fréquence (Very High frequency) Vessel Monitoring System
Page 5 sur 48
1
CIRCONSTANCES
Le dimanche 06 janvier 2008 aux environs de 17 heures 30, le chalutier
LA.P'TITE JULIE 1 appareille du port d'Erquy pour ses lieux de pêche, situés dans le Nord de l'île d'Ouessant, avec sept personnes à bord. A 04 heures 46 le 07 janvier, le patron appelle le CROSS Corsen en VHF pour signaler qu'il est en train de couler. Il peut donner sa position et le nombre de personnes à bord. A 04 heures 50, le patron du chalutier ANTHEMIS entre en communication en MF avec le patron de LA P'TITE JULIE 1, du même armement, qui lui précise que le bateau fait route, qu'il a une voie d'eau et est en train de couler par l'avant. A 04 heures 52, après un dernier appel au CROSS Corsen en VHF, les sept membres de l'équipage sautent à la mer sans avoir pu enfiler les combinaisons de survie ni percuter un radeau de sauvetage. A 07 heures 31, un hélicoptère récupère un survivant en état d'hypothermie. Deux corps seront retrouvés dans la journée et les quatre hommes restants portés disparus. Deux investigations sous-marines seront effectuées dans les jours suivants pour localiser et identifier l'épave, puis une investigation sera effectuée en juin 2008 par ROV. Elles ont pu montrer que la coque ne présentait pas de trace de brèche ou de choc extérieur ; le panneau de débarque du poisson, sur le pont supérieur à l'avant de la timonerie, a été trouvé ouvert avec des déformations.
2
CONTEXTE
Le chalutier LA P'TITE JULIE 1 appartient au quirat PORCHER / LONCLE et est
exploité par l'armement DAHOUETIN, qui arme une quinzaine de chalutiers de 25 à 35.mètres en Manche Ouest et Mer Celtique toute l'année. Il est armé à la pêche au large.
Page 6 sur 48
Les navires de l'armement sont basés à Saint-Malo et effectuent des marées d'une huitaine de jours. Ils débarquent leur pêche à Roscoff ou Erquy en fonction de leur position en fin de marée. Ils pratiquent le chalut de fond et accessoirement le pélagique. Les équipage roulent chaque semaine sur la base de deux semaines à bord pour une semaine à terre.
3
LE NAVIRE
LA P'TITE JULIE 1 présente les caractéristiques principales suivantes : Type de navire Longueur hors tout Longueur entre PP Largeur Creux à la PPM sur OH Tirant d'eau maxi Jauge brute Jauge en UMS Moteur Puissance Alternateurs : chalutier pêche arrière ; : 24,60 m ; : 21,24 m ; : 7,20 m ; : 3,80 m ; : 3,74 m ; : 108,53 tx ; : 171,74 (calculée) ; : CATERPILLAR type 3508 B DI-SCAC ; : 463 kW ; : 2 x 50 kw (1 attelé, 1 GE marque DAF type DH 825 AG) ; Vitesse en route Construction Chantier de construction Année de construction Immatriculation : Indicatif d'appel : 8 noeuds en toutes conditions ; : acier ; : SOCARENAM (Boulogne-sur-Mer) ; : 1991 ; : SB 735384 ; : F.Q.G.I. ;
Page 7 sur 48
N° MMSI Catégorie de navigation Zone océanique SMDSM Genre de navigation
: 227 104600 ; : 2ème ; : A1 + A2 ; : pêche au large.
Visites et certificats
Le Bureau Veritas a procédé à une visite à sec de LA P'TITE JULIE 1 le 08.novembre 2007 et a trouvé l'état de la coque satisfaisant. Un certificat de franc-bord a été délivré avec pour échéance le 30 décembre 2008, une campagne de mesures d'épaisseur de coque étant prescrite avant cette date. La dernière visite annuelle a été effectuée le 21 décembre 2007 par le Centre de Sécurité des Navires de Saint-Malo. Les électro-pompes d'assèchement et d'incendie ont été essayées, avec en particulier assèchement de la cale à poissons par la pompe de secours. Les alarmes de niveau de tous les puisards ont été essayées également. Il n'y a pas de prescription en rapport avec l'accident. Une observation rappelle que les alarmes de montée d'eau devront être conformes à la division 361 à compter du 1er.janvier 2009, ainsi que les obligations issues du décret n° 2007-1227 du 21 août 2007 relatives au port du vêtement à flottabilité intégrée (VFI) et à l'établissement d'un document unique de prévention. A l'issue de cette visite, le permis de navigation a été renouvelé jusqu'au 20.décembre 2008.
Disposition générale
LA P'TITE JULIE 1 est à pont couvert, avec pont supérieur comprenant à l'avant du bloc timonerie un pont gaillard, et à son arrière un pont supportant trois enrouleurs et le portique à l'extrémité arrière. Le pont gaillard comprend deux ouvertures sur son axe longitudinal : une
Page 8 sur 48
écoutille d'accès au magasin avant, de 900 x 900 mm avec surbau de 360 mm et une écoutille de déchargement du poisson de 1140 x 1490 mm, avec surbau de 340 mm, les côtés de plus grande longueur étant situés suivant l'axe longitudinal du navire. Les hiloires de cette écoutille sont en acier. Le panneau en aluminium AG4MC de 6 mm d'épaisseur se ferme autour de deux charnières placées sur l'hiloire longitudinale bâbord par quatre tire-bords : deux sur le côté opposé aux charnières, les deux autres au milieu des petits côtés transversaux. Le panneau est renforcé par des raidisseurs longitudinaux et transversaux, également en AG4. Le pont principal comprend, de l'avant vers l'arrière : le magasin avant, le pont de travail, couvert, et un pont arrière découvert. Le pont de travail comporte deux espaces fermés de chaque bord. L'espace fermé à bâbord va du couple 29 au couple 8 et renferme les locaux équipage : cuisine et carré, sanitaires, cabine du patron, ainsi que la descente au poste d'équipage et l'issue de secours machine. L'espace fermé à tribord, allant des couples 21 à 8, est réservé à la machine : établi, batteries, passage des échappements ; il comprend la descente à la machine, et l'issue de secours du poste d'équipage. Les accès au pont de travail vers le magasin avant, aux locaux équipage à bâbord et la machine à tribord, se font par des portes à deux charnières et deux tourniquets, avec surbau de 650 mm. La porte du magasin avant (au couple 38), munie d'un surbau de 650 mm également, reste constamment ouverte. Le pont de travail comprend, à l'avant des deux espaces fermés, trois écoutilles d'accès à la cale à poissons. La première, à bâbord, sert à l'ascenseur à caisses à poissons pour descendre le poisson une fois pêché, trié et lavé ; il a une section de 850 x 750 mm, avec surbau de 790 mm et panneau en AG4 de 6 mm d'épaisseur, fermé par quatre tire-bords sans charnières. La seconde, à tribord, correspond à l'accès à la cale à poissons, avec une section de 600 x 600 mm, un surbau de 930 mm et un panneau en AG4 de 6 mm se fermant autour de deux charnières par deux tire-bords. La troisième écoutille est utilisée pour la débarque du poisson. Elle est donc à l'aplomb de l'écoutille du panneau du pont gaillard. Elle consiste en un panneau à plat pont, fermé par six tourniquets. Dans sa partie avant, le pont de travail est muni de deux dalots avec volet
Page 9 sur 48
battant juste en avant de chacun des deux espaces fermés. A l'arrière, il est séparé du pont ouvert par une porte brise-lames en AG4 fermée par cinq tire-bords, sans surbau. A l'arrière du pont de travail, le pont ouvert abrite les deux treuils de funes. Sous le pont principal, se trouvent de l'avant à l'arrière : le peak AV, à eau douce, la cale à poissons, le compartiment moteur, le poste d'équipage, constitué de deux locaux avec cloison de séparation munie d'une porte, et le local de barre. La cale a poissons a un volume de 98 m3 et est située entre les couples 21 et 38. Les écoutilles pour le monte-charges à caisses à poissons, l'échelle d'accès et le débarquement du poisson ont été décrites plus haut. L'accès normal au poste d'équipage se fait par la descente bâbord, une échelle verticale à tribord servant d'échappée. Pour la machine, l'accès se fait par une descente à tribord, l'échappée se trouvant à bâbord. Le compartiment moteur est surveillé depuis la timonerie par une caméra de surveillance. Ce n'est pas le cas du pont de travail, qui n'est pas surveillé en dehors des activités de pêche et des passages occasionnels.
Circuits d'assèchement et d'incendie
Le navire est équipé de deux électro-pompes, d'un débit de 30 m3/h, de marque STORCK-Fre 65/165, et d'une pompe de secours. Ces pompes peuvent servir à l'assèchement, ou à l'incendie et au lavage. Le circuit d'assèchement comporte un puisard à l'arrière de la cale à poissons, deux dans le compartiment moteur, à l'avant et à l'arrière, un dans le poste d'équipage et un dans le local de barre. Sauf le puisard arrière machine, qui est en aspiration directe, les autres puisards sont reliés par une clarinette dans les compartiments, sur laquelle est montée la vanne de chaque aspiration. Chaque puisard est équipé d'un détecteur de montée d'eau, la centrale d'alarme étant située à la
Page 10 sur 48
timonerie. En service normal, une des pompes est disposée pour l'assèchement, l'autre pour l'incendie/lavage. Les boutons marche/arrêt des deux électro-pompes sont placés sur le pupitre avant de la timonerie, en plus de la commande locale dans la machine.
Pratique du lavage de la cale à poissons
Le lavage de la cale à poissons est effectué par un matelot, à l'aide d'une manche branchée sur le collecteur d'incendie à l'avant tribord du pont de travail. Pour ce faire il utilise de la potasse, un balai brosse et la lance incendie, avec la manche passée par l'écoutille tribord d'accès. Une fois le lessivage de la cale terminé, la manche est remontée par le maître d'équipage qui l'étale sur l'arrière, côté tribord. Ensuite ce dernier isole la vanne d'alimentation, mais ne vérifie pas si la pompe de lavage est stoppée depuis la passerelle. Le matelot responsable de la cale range environ 200 caisses à poissons vides à l'intérieur. Le reste, 500 à 600 caisses est rangé sur le pont de travail à tribord. Avant l'appareillage, le matelot travaillant dans la cale n'informe pas le maître d'équipage du nettoyage ou non de la crépine de la pompe d'assèchement située dans le puisard.
Equipements de sécurité
LA P'TITE JULIE 1 est équipé de deux radeaux classe I de 8 places, visités les 13 et 14 novembre 2007. Ils sont arrimés sur le pont supérieur, devant la timonerie. Il y a à bord 7 combinaisons d'immersion, 4 brassières de sauvetage et 7 VFI. Les combinaisons sont rangées dans un placard à l'avant de la timonerie, accessible également depuis le pont de travail.
Page 11 sur 48
Transformations
LA P'TITE JULIE 1 a subi des transformations en janvier 1999 au chantier SOCARENAM : les treuils de pêche ont été déplacés de l'avant vers l'arrière et le portique et les enrouleurs ont été remplacés. Une masse de 4 tonnes a été placée dans le peak AV pour compenser la modification d'assiette. Ces modifications ont donné lieu à l'établissement d'un nouveau dossier de stabilité qui a été approuvé par la Commission régionale de sécurité du Havre, après expérience de stabilité. En septembre 1999, à la suite d'une avarie d'embrayage, le moteur MGO d'origine a été remplacé par le moteur CATERPILLAR actuel, sans modification de poids ni de puissance.
Stabilité et franc-bord
Le rapport de franc-bord, établi au neuvage et examiné par la Commission Régionale de Sécurité du Havre, n'a pas été affecté par les transformations. Le paragraphe ci-dessus, portant sur les dispositions générales, donne des précisions sur les ouvertures dans le pont supérieur et le pont de travail. Comme indiqué dans le paragraphe ci-dessus relatif aux transformations, un nouveau dossier de stabilité a été établi en 1999. La réglementation applicable est alors la division 211, telle que modifiée par l'arrêté du 07 avril 1994, donc postérieure au neuvage en raison des transformations effectuées. Pour le calcul de la stabilité, le pont de travail est considéré comme espace ouvert, à l'exclusion des deux espaces latéraux à bâbord et tribord, décrits au paragraphe « disposition générale ». Le métier considéré est le chalutage de fond. Les critères de stabilité à l'état intact requis par la réglementation sont respectés dans les cinq cas de chargement prévus.
Page 12 sur 48
4
EQUIPAGE
Le chalutier LA P'TITE JULIE 1 est armé par un équipage de 7 personnes. Le patron, âgé de 39 ans, est titulaire du certificat de capacité obtenu en
1998 ainsi que du certificat de motoriste à la pêche obtenu en 1989, du certificat de formation de base à la sécurité et du brevet de mécanicien 750kW, obtenus en 2000 et du certificat restreint d'opérateur (CRO), obtenu en 2007. Il est apte à exercer les fonctions de patron ou d'officier à la pêche au large (par dérogation) depuis le 17 novembre 2007. Il s'agit d'un patron expérimenté qui exerce le commandement de LA P'TITE JULIE depuis 1999. Le second, âgé de 34 ans, est titulaire du certificat de capacité délivré en 1995, du certificat d'apprentissage maritime pêche obtenu en 1990, du certificat de sécurité - spécialité feu - obtenu en 1993 et du certificat restreint d'opérateur radio (CRO) délivré en 2007. Il est apte à exercer les fonctions de patron ou d'officier à la pêche au large (par dérogation) depuis le 18 octobre 2007. Le mécanicien, âgé de 23 ans, est titulaire d'un BEPM machines marines obtenu en 2003, et des certificats de formation de base à la sécurité et de capacité délivrés en 2005. Les trois matelots, de nationalité portugaise, âgés de 48, 47 et 40 ans, sont des marins confirmés. Deux sont employés par l'armement depuis de nombreuses années, en qualité de matelot ou maître d'équipage . Le stagiaire, élève au lycée professionnel maritime du Guilvinec, âgé de
Page 13 sur 48
19.ans, est en 1ère année de préparation au baccalauréat de conduite et gestion des entreprises maritimes. Il effectue des embarquements sur LA P'TITE JULIE 1 et le ROZ VOEN depuis le 02.juillet 2007, en qualité de matelot léger de pont. Sa convention de stage, courant du 07 au 27 janvier 2008 et son autorisation d'embarquer sur LA P'TITE JULIE 1 précisent que le port du VFI est obligatoire.
5
CHRONOLOGIE
Toutes heures en TU + 1
Le dimanche 06 janvier 2008 Vers 15h30, le chalutier LA P'TITE JULIE 1 accoste tribord à quai au port d'Erquy (Côtes du Nord) afin de débarquer sa pêche de quatre jours. La débarque dure environ deux heures. Le nettoyage de la cale à poissons est ensuite effectué par un des matelots, suivant la pratique décrite plus haut, puis les caisses rangées. Les approvisionnements sont faits : 35 m3 de gazole, 20 m3 d'eau douce et 1,5 tonne de glace. Avant le départ, un cadre de l'armement ferme le panneau du pont supérieur avec ses quatre vis papillon. Il semble que le panneau à plat pont correspondant dans le pont de travail ait été simplement posé, et le panneau de l'écoutille d'accès, utilisée pour le passage de la manche pour le lavage de la cale, soit resté ouvert. Vers 17h30, LA P'TITE JULIE 1 appareille. Il fait route au Nord-Ouest pour laisser l'île de Bréhat à bâbord. De 18h54 à 03h58, le 07 janvier 2007, les positions de LA P'TITE JULIE 1 sont acquises par le FMC d'Etel chaque heure et permettent de connaître sa vitesse. La mer est forte, et le vent de secteur Ouest 25 à 30 noeuds, avec rafales de 35 à 40 noeuds.
Page 14 sur 48
Un peu avant minuit, le matelot survivant est réveillé par le patron pour savoir où dorment le stagiaire et le matelot devant le remplacer au quart. Le lundi 07 janvier 2008 A 02h30, le matelot survivant n'est pas réveillé pour prendre le quart. A 04h44, le patron de LA P'TITE JULIE 1 lance un appel détresse sur la voie 16 VHF. Il indique que le bateau coule et que les radeaux ne sont pas accessibles. A 04h45, le patron donne sa position au CROSS Corsen : 49°10'N, 004° 40'W (32 milles dans le Nord de l'île Vierge). Entre 04h46 et 04h49, le patron du chalutier ANTHEMIS du même armement contacte en MF LA P'TITE JULIE 1 . Le patron de ce dernier explique la situation : « alors qu'il était couché, le bateau en route, le matelot de quart est venu le réveiller. Le bateau fait de l'eau par l'avant, mais il ne sait pas pourquoi et il pense qu'il va couler. Le patron de l'ANTHEMIS lui rappelle de faire enfiler les combinaisons de survie à tout son équipage. Il l'entend donner l'ordre ». A 04h49, l'ANTHEMIS répond au MAYDAY RELAY du CROSS Corsen et se déroute. HPA dans 01h30 / 02h. Le matelot survivant est réveillé par son cousin qui lui dit de monter en passerelle, car le bateau va couler. Surpris, il constate que le navire pique sur l'avant. Arrivé à hauteur du pont de travail, il s'aperçoit que l'eau a envahi toute la partie avant jusqu'au plafond et ce jusqu'au niveau de la timonerie. Arrivé en passerelle, il constate que tout l'équipage est rassemblé, que la vitesse du navire est ralentie comme si le patron avait diminué le pas d'hélice. Ce dernier est en communication avec le CROSS Corsen sur VHF canal 16. A la demande du patron, le second déclenche la radiobalise de détresse. Il décide avec le patron de rejoindre les radeaux de sauvetage situés sur
Page 15 sur 48
l'avant de la timonerie, afin de libérer l'un des deux, mais en vain. Ils se trouvent déjà sous l'eau. Le patron aurait été cueilli par une lame et emporté par dessus bord, la lame suivante le ramenant à bord. Ils regagnent la timonerie et le patron décide de faire évacuer le navire. Les vitres de la timonerie se trouvant en façade explosent sous le coup de boutoir des déferlantes et l'eau envahit la passerelle. Aucun membre d'équipage ne peut capeler une combinaison d'immersion ou une brassière de sauvetage, lesquelles se trouvent sous le pupitre avant de la timonerie et sous le poste de travail à l'arrière. A 04h51, demande de concours de la SNS La PORTSALLAISE, annulé à 05h37 en raison des conditions météorologiques et des moyens déjà engagés. A 04h52, dernier contact du CROSS Corsen avec la P'TITE JULIE 1 : « combinaisons... ». Le matelot survivant se jette le premier à l'eau en s'emparant d'une défense en plastique. Les autres le suivent après avoir pris de quoi flotter. En raison du mauvais temps, les marins se dispersent. Le stagiaire vêtu d'une veste de quart de couleur bleue se trouve à proximité du survivant et a la radiobalise COSPAS-SARSAT avec lui. Ils tiennent tous deux accrochés à la défense une heure à une heure trente environ, puis le stagiaire, fatigué est emporté par une lame. A 04h55, le navire de commerce WALZBERG se déroute sur demande de OUESSANT TRAFFIC, HPA 50 minutes. A 05h03, demande de concours au COM d'un SUPER FRELON et d'un FALCON 50. A 05h08, réception de la radiobalise de détresse à 406 MHz. A 05h15, demande au MAERSK KUANTAN de se dérouter, HPA 15 mn. Le M/V MAY LODENDORF se déroute également. A 05h59, demande de concours l'hélicoptère DRAGON 29, de la Sécurité Civile.
Page 16 sur 48
A 06H21, l'ANTHEMIS signale un radeau de sauvetage vide à la position 49°.10',5 N et 004° 34',5 W. A 06h45, décollage du FALCON 50. Décollage du DRAGON 29, HPA 35 mn. A 06h50, décollage du SUPER FRELON BA, HPA 30 mn. A 07h08, le M/V WALZBERG retrouve un second radeau de sauvetage, vide, à la position 49° 10,6 N et 004° 34' W. A 07h17, DRAGON 29 est sur zone, début des recherches. A 07h31, le SUPER FRELON BA récupère un survivant à la position 49°.10,7 N et 004° 35,7 W. A 07h55, le CROSS Corsen demande le concours d'un SEA KING au MRCC Falmouth. A 08h07, le SUPER FRELON BA quitte la zone pour déposer le rescapé à l'hôpital de Brest. A 08h49, un deuxième SUPER FRELON, BD, arrive sur zone. A 09h00, le SEA KING 193 arrive sur zone. A 09h07, le chalutier TALARIANTE retrouve un corps par 49° 10',2 N et 004°.36',5 W. A 09h26, le SUPER FRELON BD récupère le corps pour le déposer à Brest. A 09h31, le SUPER FRELON BA est de retour sur zone. A 09h46, DRAGON 29 de retour à sa base. Liberté de manoeuvre. A 09h48, le LYNX MH, de la Marine Nationale, décolle de Lanvéoc.
Page 17 sur 48
A 10h23, accord entre le CROSS Corsen et le MRCC Falmouth pour la mise en oeuvre d'un deuxième SEA KING. A 10h25, le LYNX MH fait retour terre suite à problème technique, escorté par le SUPER FRELON BA. A 10h40, le TALARIANTE retrouve un deuxième corps par 49° 09,7 N et 004° 37',95 W. A 11h15, le SUPER FRELON BA récupère le 2ème corps et le dépose à Brest. A 12h44, le FALCON 50 XD est remplacé par l'avion des Douanes CLIPPER 62 et désigné Aircraft Co-ordination. Le BSAD ARGONAUTE est désigné OSC. Les recherches aériennes continuent avec CLIPPER 62, le SEA.KING R194, le SUPER FRELON BA jusqu'à 17h15. Les mardi 08 et mercredi 09 janvier 2008 Les recherches maritimes continuent avec huit navires de pêche, l'ARGONAUTE étant OSC. Les recherches aériennes continuent avec l'avion de Guernesey AIR SEARCH 1, FALCON 50, et SUPER FRELON. A 12h13 le 09 janvier 2008, suspension des recherches par moyens dirigés. Le 10 janvier 2008 Un enquêteur du
BEAmer
embarque à bord du chasseur de mines ERIDAN
de la Marine Nationale afin de localiser l'épave de LA P'TITE JULIE 1, dans des conditions météorologiques défavorables. Un écho est finalement localisé par 49° 10' 864 N et 004° 40' 198 W pour u ne profondeur de 99.mètres, orienté au 166.
Page 18 sur 48
Le lendemain, le poisson auto propulsé (PAP) est mis à l'eau pour une identification ; celle-ci est rendue impossible en raison des conditions météorologiques. Les 19 et 20 janvier 2008 Une deuxième mission d'identification quitte Brest à bord du chasseur de mines SAGITTAIRE. Elle permet de relocaliser l'épave, de l'identifier et de faire des constatations sur le côté tribord de l'épave. On peut constater des traces de ragage, mais aucune trace de choc. Les 11 et 12 février 2008 Une troisième mission appareille de Brest à bord de l'ARGONAUTE, sur lequel a été embarqué le ROV "ULISSE" de la Marine Nationale. Les images recueillies, de bonne définition, permettent de faire des constatations intéressantes pour l'enquête, notamment sur le panneau du pont supérieur. Le 09 juin 2008 Une quatrième et dernière mission est effectuée sur l'épave par l'ARGONAUTE, toujours équipé du ROV ULISSE, modifié à l'occasion pour tenter de prendre des vues à l'intérieur du pont de travail. Cette tentative se solde malheureusement par un échec, un chalutier ayant croché l'épave et en ayant arraché des morceaux sur son avant, tout en laissant des alèzes crochées au niveau du panneau du pont supérieur.
6
6.1
CONSTATATIONS FAITES
Sur l'épave du navire
Les différentes plongées ont permis de constater les points suivants sur l'épave.
Page 19 sur 48
A part des éraflures ou traces de ragage, il n'y a pas trace de point de choc sur l'épave pouvant avoir été causé par une collision ou un contact avec un objet semiimmergé. L'épave étant droite, les deux bords peuvent être observés. Aucune trace de brèche n'est visible. L'écoutille du pont supérieur qui donne accès au pont de travail et sert à la débarque du poisson et au passage des approvisionnements est par contre très déformée. L'hiloire sur sa face avant est enfoncée dans sa partie supérieure. Le panneau est ouvert sur le côté et repose sur le pont. Il est enfoncé de façon concave vers l'avant et le milieu du navire et les raidisseurs longitudinaux et transversaux sont dessoudés. Le raidisseur longitudinal (la longueur étant celle du navire) est dessoudé vers l'avant du navire, les raidisseurs transversaux sont déformés et dessoudés du côté des charnières. Il n'a pas été possible de voir plus précisément les déformations sur les hiloires, ni sur les oreilles et les taquets de fermeture. Il n'a pas été non plus possible d'avoir de vues de l'intérieur du pont de travail malgré une mission organisée spécialement et le ROV modifié dans ce but.
6.2
Sur le comportement du navire avant son naufrage
Le FMC d'Etel a pu suivre la progression de LA P'TITE JULIE 1 depuis son
départ, grâce à des positionnements horaires. La carte jointe en annexe en montre les détails. A chaque position, la vitesse est indiquée. Il s'agit de vitesses sur le fond. Notons que les heures sont données en TU dans le système VMS de surveillance des pêches. Les courants de marée permettent de retrouver les vitesses surface, grâce à l'atlas des courants de marée de la Manche du SHOM (ouvrage 564-UJA), en prenant pour référence les pleines mers de Brest, soit la pleine mer du dimanche 06 janvier 2008 à 15h54, coefficient 54, et celle du lundi 07 janvier 2008 à 04h14, coefficient 63 (heures TU + 1).
Page 20 sur 48
On peut alors dresser le tableau suivant, en heures TU + 1 :
Point 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 Détresse
Heure 18h54 19h54 20h55 21h55 22h56 23h56 00h57 01h58 02h58 03h58 04h44
Vitesse fond 10,2 10,2 9,9 9,8 9,7 9,1 8,9 8,1 7,1 6,4 5,3
Courant de X noeuds portant au... 0,2 portant au 318 0,4 portant au 315 0,9 portant au 270 1,2 portant au 270 1,3 portant au 260 1,1 portant au 250 0,5 portant au 247 0,4 portant au 061 0,8 portant au 070 1,0 portant au 070 0,9 portant au 074
Vitesse surface 10,0 9,8 9,0 8,6 8,4 8,0 8,4 8,5 7,8 7,2 5,8
Le dernier point correspond à la position donnée par le patron de LA P'TITE JULIE 1, la vitesse fond étant obtenue par rapport au dernier point VMS. Depuis le départ, on observe une diminution de la vitesse fond. Elle est due au fait que le début de la traversée s'effectue en courant de jusant, la renverse se faisant vers 01 heure au matin du 07. En se référant aux vitesses surface, on note une diminution sensible de la vitesse après le point 2 : ceci est du au fait que LA P'TITE JULIE 1 quitte alors l'abri de la baie de Saint-Brieuc, qui le protégeait des forts vents d'Ouest. A partir du point 8, soit 01h58, on constate une diminution progressive de la vitesse surface, que l'on ne peut expliquer que par un alourdissement progressif du bateau. Cet alourdissement s'est donc déroulé sur une durée de 2 heures et 46 mn ou moins.
Page 21 sur 48
L'examen de l'épave n'a fait apparaître aucune trace de brèche sur la coque qu'aurait pu occasionner un contact avec un objet flottant. Les enquêteurs du BEAmer se sont demandé si le navire aurait pu aussi heurter ou raguer sur un enrochement en raison des travaux en cours dans le port d'Erquy, hypothèse écartée du fait de son poste à quai. Le survivant a déclaré qu'il avait trouvé le pont de travail noyé jusqu'au plafond sur son avant, et le patron a précisé par VHF qu'il coulait par l'avant. L'envahissement du pont de travail par l'écoutille du pont supérieur peut-être exclu. Rappelons que son panneau a été trouvé ouvert, et fortement déformé, comme l'hiloire avant. Cette hypothèse ne tient pas car, si le panneau avait subi des déformations laissant passer l'eau entre ses bords et les hiloires, la plus grande partie de cette eau aurait été évacuée par les dalots du pont de travail. De plus, les tire-bords de fermeture avaient été souqués avant le départ, et on voit mal sous quel effet ils auraient pu se desserrer. L'hypothèse d'une ouverture spontanée du panneau sous l'effet de la chute d'un corps extérieur ne tient pas non plus, car il se serait enfoncé dans l'hiloire de panneau, arrachant les tire-bords et leurs oreilles, ainsi que les charnières, et les hiloires se seraient repliées vers l'intérieur. La seule explication à cet alourdissement progressif est que la cale à poissons s'est progressivement remplie, finissant par déborder dans le pont de travail. Pour vérifier cette hypothèse, une étude, qui figure en annexe, a été réalisée, dans le but de calculer les variations d'assiette de stabilité et de franc-bord en cas d'envahissement progressif de la cale à poissons. On a supposé la cale remplie à 50 cm, ce qui correspond à 0,35 tonne, 1.mètre (20,1 t), 1,50 mètre (41,7 t), 2 mètres (64,1t), la cale complètement noyée, ce qui correspond à 100,3 tonnes, et finalement le magasin avant noyé. Les résultats sont synthétisés dans les schémas figurant en annexe. Pour chaque cas, il est indiqué les valeurs du franc-bord du panneau supérieur, du livet de pont (calculé), du panneau à plat-pont dans le pont de travail et de l'écoutille d'accès à la cale à poissons (bord supérieur de l'hiloire avant). Sauf pour le livet de pont, dont le franc-bord a été mesuré, les autres valeurs ont été mesurées sur le plan, et ne sont
Page 22 sur 48
donc qu'indicatives. Le livet du panneau à plat-pont est mentionné, car ce panneau, non fermé d'après ce qui a été rapporté, est donc supposé ouvert. L'étude montre qu'au fur et à mesure que la cale à poissons est remplie, le franc-bord diminue, et l'assiette sur l'avant augmente. A partir d'1,0 m, les effets de carène liquide commencent à apparaître. A partir d'1,50 m, la stabilité est fortement dégradée. A partir de 2 m, le franc-bord du pont de travail n'est plus que de 5.centimètres. En raison des mouvements du navire, qui se trouve pratiquement face à la mer, donc avec un fort tangage, la cale à poissons commence à déborder dans le pont de travail, par le panneau à plat-pont dont il a été rapporté qu'il était simplement posé, mais l'eau ne peut plus être évacuée par les sabords de décharge qui ne remplissent plus leur office, se trouvant au ras de l'eau. Le phénomène s'accélère, car maintenant la mer entre directement dans le pont de travail par les sabords. Assez rapidement, le magasin avant se remplit et le navire perd toute stabilité et coule par l'avant.
6.3
Conclusion partielle
Les constatations faites sur l'épave montrent que celle-ci n'a subi aucun
dommage du à une cause extérieure au navire. L'examen des positions successives de LA P'TITE JULIE 1 avant l'accident indique qu'il a subi un alourdissement progressif durant les deux à trois heures précédant l'événement. Cet alourdissement ne peut-être dû qu'à un envahissement progressif de la cale à poissons, entraînant la diminution du franc-bord et l'augmentation de l'assiette sur l'avant, avec pour conséquence la perte totale de la stabilité.
Page 23 sur 48
7
DETERMINATION & DISCUSSION FACTEURS DU SINISTRE
DES
La méthode retenue pour cette détermination a été celle utilisée par le BEAmer pour l'ensemble de ses enquêtes, conformément à la résolution OMI A849-20 modifiée par la résolution A884-21. Les facteurs en cause ont été classés dans les catégories suivantes : · · · les facteurs naturels ; les facteurs matériels ; le facteur humain.
Dans chacune de ces catégories, les enquêteurs du BEAmer ont répertorié les facteurs possibles et tenté de les qualifier par rapport à leur caractère : · · · certain, probable ou hypothétique, déterminant ou aggravant, conjoncturel ou structurel,
avec pour objectif d'écarter, après examen, les facteurs sans influence sur le cours des événements et de ne retenir que ceux qui pourraient, avec un degré de probabilité appréciable, avoir pesé sur le déroulement des faits. Ils sont conscients, ce faisant, de ne pas répondre à toutes les questions suscitées par ce sinistre. Leur objectif étant d'éviter le renouvellement de ce type d'accident, ils ont privilégié, sans aucun a priori, l'analyse inductive des facteurs qui avaient, par leur caractère structurel, un risque de récurrence notable.
7.1
Les facteurs naturels
Les conditions météorologiques ont été constantes pendant les heures
précédent le naufrage : fort vent d'Ouest avec mer forte à très forte.
Page 24 sur 48
Le résumé de l'analyse de Météo France est le suivant : QUOTE Dans la zone du naufrage : le vent est resté assez stable en force et en direction durant les 06 heures de l'étude (25 à 30 noeuds d'Ouest avec rafales de l'ordre de 35 à 40 noeuds). La mer totale est restée forte à très forte (hauteur significative (H 1/3) de la mer totale autour de 4 mètres) durant toute la période. Elle est composée principalement d'une mer du vent d'ouest et d'une petite houle de sud-ouest, paramètres sans évolution notable de 00h UTC à 06h UTC. UNQUOTE Ces conditions météorologiques, bien que mauvaises, ne paraissent pas être directement à l'origine de l'accident. Le paragraphe 6.2 ci-dessus montre que la cause de l'accident est interne au navire. Par contre, l'étude de stabilité/franc-bord indique qu'une fois la cale à poissons remplie à 1 mètre d'eau, soit 20 tonnes, les effets de carène liquide commencent à se faire sentir : les mouvements de la mer ne peuvent que les aggraver. A partir de 2 mètres, la situation du navire est fortement dégradée, puisque la mer est pratiquement en communication avec le pont de travail. Les conditions météorologiques ne peuvent qu'amplifier ce phénomène, ainsi que les conditions de stabilité. Au fur et à mesure que l'avant s'enfonce, l'effet de la mer se fait sentir de plus en plus violemment sur l'avant du bateau : ce sont les paquets de mer qui vont défoncer le panneau et les hiloires de l'écoutille du panneau du pont supérieur, et les vitres des sabords de la passerelle. Il est probable que ces deux avaries se soient produites à bref intervalle, en tout cas alors que le navire pouvait être déjà considéré comme perdu. Les paquets de mer, balayant l'avant, ont empêché l'accès aux radeaux de sauvetage, placés sur le fronton de la timonerie.
Page 25 sur 48
Les conditions météorologiques sont un facteur aggravant du sinistre : elles ont amplifié la dégradation des conditions de stabilité et de franc-bord, due à d'autres facteurs. Elles ont enfin interdit l'accès aux radeaux de sauvetage.
7.2
Les facteurs matériels
Compte tenu des éléments recueillis au cours de l'enquête, il n'a pas été
relevé d'avarie ou de dysfonctionnement ayant pu conduire au naufrage. Le non déclenchement de l'alarme sonore de montée d'eau dans la cale à poissons pourrait être imputable au débranchement volontaire de cette alarme. Cette dernière avait été essayée avec succès lors de la dernière visite annuelle. La déformation et l'ouverture du panneau du pont supérieur est due, comme expliqué ci-dessus, à l'effet des paquets de mer alors que le navire était déjà pratiquement perdu.
7.3 7.3.1
Le facteur humain Le lavage de la cale à poissons
Les témoignages et informations résultant de l'enquête font clairement ressortir que le chalutier LA P'TITE JULIE 1 a coulé par l'avant suite à un envahissement de la cale à poissons, puis de l'avant du pont de travail et du magasin avant. Tout d'abord les enquêteurs ont été surpris du fait que la relève de quart qui devait intervenir à 02 heures 30 n'ait pas été effectuée. Ceci conduit à s'interroger sur le comportement de l'homme de quart (le stagiaire se trouvant également en passerelle pendant ce quart). Il paraît en outre difficilement concevable qu'il ne se soit pas rendu compte du ralentissement progressif du navire et de son changement d'assiette.
Page 26 sur 48
Les circonstances de la perte du navire, conduisent à formuler les hypothèses suivantes : - Malgré les déclarations du marin survivant, l'envahissement de la cale à poissons pourrait être la conséquence de la présence de la manche dans la cale à poissons et d'un oubli éventuel de stopper la pompe de lavage qui aurait continué à débiter ; la diminution de vitesse s'explique alors par cet alourdissement progressif. (Un fait similaire a été vécu sur ce navire quelques mois auparavant par le survivant, avec une fin heureuse). - Par ailleurs, en tenant compte à la fois de l'heure du naufrage et du débit des pompes, une autre hypothèse envisageable pourrait être la confusion, par l'homme de quart, entre le bouton de commande de la pompe de lavage et celui de la pompe d'assèchement, mais toujours avec la présence de la manche dans la cale ; ces deux boutons étant placés l'un à côté de l'autre sur le pupitre de commandes en passerelle. - Il est également permis de supposer que si la crépine d'aspiration de la pompe d'assèchement de la cale à poissons n'avait pas été nettoyée et se trouvait obstruée, la cale ne pouvait être asséchée. - Le fait que le panneau à plat pont ait été simplement posé et la porte du magasin avant soit demeurée ouverte constitue un facteur aggravant du naufrage. L'étude de stabilité montre que, dès deux mètres d'eau dans la cale à poissons, la réserve de stabilité est nulle, de même que le francbord. Ainsi le passage de l'eau dans le pont de travail, puis le magasin, rend le naufrage inévitable. La cause du naufrage de LA P'TITE JULIE 1 est une perte de stabilité et de franc-bord totale due à l'envahissement progressif de la cale à poissons. Le facteur déterminant qui a conduit à cette situation est la pratique consistant à laver la cale à poissons après l'appareillage du bateau, sans vérifier au préalable que les alarmes sonore et visuelle de niveau haut de la cale à poissons fonctionnent réellement, et que la crépine d'aspiration au puisard est claire. Le facteur aggravant est le panneau à plat-pont, qui n'était pas fermé, mais simplement posé, de même que la porte d'accès au magasin avant restée ouverte.
Page 27 sur 48
Un facteur sous-jacent est la disposition des boutons marche/arrêt des pompes d'incendie / lavage et d'assèchement, dont la commande peut être intervertie, surtout de nuit.
7.3.2
L'utilisation des moyens de sauvetage et de communication
Les radeaux de sauvetage
Les deux radeaux sont placés sur le pont supérieur, devant le fronton de la timonerie. En raison de l'enfoncement de LA P'TITE JULIE 1 et des paquets de mer balayant son avant, le patron et le second n'ont pas pu les libérer, malgré leurs efforts. Le choix d'installer les deux radeaux à cet endroit a empêché leur accès dans les conditions de l'accident, ce qui en constitue un facteur sous-jacent. Mais ce choix résulte obligatoirement d'un compromis entre la place disponible à bord, les facilités d'accès et de dégagement, qu'il faut mettre en regard avec le caractère exceptionnel de l'accident se traduisant par un naufrage par l'avant. Les moyens individuels Aucun des moyens individuels de sauvetage : combinaisons d'immersion et brassières de sauvetage, n'a été utilisé, alors qu'ils étaient stockés au niveau de la timonerie, où s'était réfugié l'équipage. Leur utilisation aurait permis d'augmenter les chances de survie et de repérage des naufragés, grâce notamment aux lampes dont ils sont équipés. A noter également que le port de VFI aurait permis aux naufragés d'économiser leurs forces. Le patron de l'ANTHEMIS a entendu celui de LA P'TITE JULIE 1 donner l'ordre d'enfiler les combinaisons d'immersion. Les enquêteurs du
BEAmer
notent que ni le patron, ni l'équipage n'ont capelé
de moyen individuel de sauvetage, alors que le naufrage n'a pas été soudain. Cela peut être dû à un manque de préparation aux situations d'abandon et à l'utilisation des
Page 28 sur 48
équipements individuels. Les moyens radio-électriques Le patron de LA P'TITE JULIE 1 a bien appelé le CROSS par VHF pour signaler sa détresse et donner sa position et le nombre de personnes à bord. Mais ensuite, il a eu une conversation de plusieurs minutes avec l'ANTHEMIS. Lors du dernier contact VHF, le CROSS n'a pas pu comprendre les information relatives aux radeaux et aux combinaisons, ce contact étant établi au dernier moment du naufrage sous forme hachée. Le stagiaire a emporté avec lui la RLS. Conclusion L'impossibilité d'utiliser les moyens de sauvetage, du fait de leur emplacement pour les radeaux, d'un manque de formation aux situations d'urgence et d'entraînement pour les équipements individuels, constituent un facteur sous-jacent de l'accident, de même que le manque de constance dans les liaisons avec le CROSS, qui lui ont fait perdre des informations importantes.
8
8.1
RECOMMANDATIONS
Pour les Armateurs
En ce qui concerne le lavage des cales et dans l'absolu, il serait souhaitable
que les navires ne prennent la mer qu'une fois cette opération achevée et contrôlée. Une attention particulière doit être donnée à la préparation des équipages aux situations d'urgence et à l'utilisation des moyens de sauvetage, collectifs ou individuels. Ceci passe par l'existence de rôles d'abandon à jour et la réalisation d'exercices réguliers.
Page 29 sur 48
8.2
Pour le Bureau de la réglementation et les chantiers navals
Pour les navires de pêche au large, il conviendrait d'exiger une alarme de
montée d'eau supplémentaire dans la cale à poissons, dont le capteur serait placé plus haut que l'alarme de puisard. Cette alarme ne devrait pas pouvoir être neutralisée. Il conviendrait également de prévoir, sur les navires de pêche, une pompe mobile d'assèchement à moteur thermique, pour suppléer à une défaillance du circuit. Cette pompe pourrait servir aussi de pompe à incendie de secours. Il y aurait lieu d'étudier la possibilité, en complément des systèmes existants, d'installer une commande à distance du largage des radeaux, accessible depuis la passerelle. Une attention particulière devrait être portée à l'arrimage des radeaux de sauvetage pour qu'ils soient disposés suffisamment loin l'un de l'autre afin que l'un d'eux au moins soit accessible en toutes conditions de gîte ou d'assiette du navire.
8.3
Pour les chantiers Navals
S'agissant du panneau du pont supérieur, il est suggéré que les charnières
d'articulation soient placées sur l'avant du surbau et non sur les côtés, afin d'éviter une ouverture intempestive par les paquets de mer. Un système de verrouillage du panneau extérieur par tringle est recommandé. Au niveau du pont de travail, l'installation de panneaux à plat pont devrait être évitée.
8.4
Pour l'Administration
Lors des visites, il serait nécessaire de vérifier l'existence d'un rôle d'abandon
et d'un Document Unique de Prévention, actualisés.
Page 30 sur 48
8.5
Pour les Autorités responsables du sauvetage en mer
En ce qui concerne la mise en oeuvre des hélicoptères lourds de sauvetage
maritime, il conviendrait de prendre les dispositions nécessaires pour en ramener les délais d'alerte, en particulier de nuit, à un niveau identique à ceux des hélicoptères lourds mis en oeuvre par les autorités Britanniques et Espagnoles.
8.6 Pour les Ecoles d'Apprentissage Maritime et les Armements
Que ce soit en formation initiale ou à l'occasion des formations à la sécurité et des exercices, une attention particulière doit être portée à l'utilisation correcte des moyens de communication, de localisation, de repérage et de sauvetage. L'accent doit être mis sur la nécessité de privilégier les communications avec le CROSS et de maintenir leur continuité pendant les opérations d'abandon.
Page 31 sur 48
LISTE DES ANNEXES
A. B. C. D. E.
Décision d'enquête Dossier navire Dossier stabilité Envahissement de la cale à poissons Positions données par le FMC
Page 32 sur 48
Annexe A
Décision d'enquête
Page 33 sur 48
Page 34 sur 48
Annexe B
Dossier navire
Page 35 sur 48
Page 36 sur 48
Page 37 sur 48
Annexe C
Dossier stabilité
Page 38 sur 48
Page 39 sur 48
Page 40 sur 48
Page 41 sur 48
Annexe D
Envahissement de la cale à poissons
Page 42 sur 48
Page 43 sur 48
Page 44 sur 48
Page 45 sur 48
Page 46 sur 48
Annexe E
Positions données par le FMC
Page 47 sur 48
Page 48 sur 48
Ministère des Transports, de l'Energie, du Développement durable l'Equipement, du Tourisme et de la Mer Ministère de l'Ecologie, et de l'Aménagement du territoire
Bureau d'enquêtes sur les évènements de mer
Tour Pascal B sur les évènements de mer Bureau d'enquêtes 92055 LA DEFENSE CEDEX T : + 33 (0) 140 813 824 / F : +33 (0) 140 813 842 Bea-Mer@equipement.gouv.fr Tour Voltaire - MEEDDAT - 92055 La Défense cedex www.beamer-france.org téléphone : +33 (0) 1 40 81 38 24 - télécopie : +33 (0) 1 40 81 38 42 www.beamer-france.org bea-mer@developpement-durable.gouv.fr