Rapport d'enquête technique : rupture d'amarrage à bord du navire roulier à passagers Paglia Orba le 20 novembre 2015 dans le port de Marseille

Auteur moral
France. Bureau d'enquêtes sur les événements de mer
Auteur secondaire
Résumé
Le présent rapport d'enquête technique a été établi conformément aux dispositions du Code des transports. Il porte sur la rupture d'amarrage survenue à bord du navire roulier à passagers Paglia Orba le 20 novembre 2015 dans le port de Marseille. Ce rapport expose les conclusions auxquelles sont parvenues les enquêteurs du BEAmer sur les circonstances et les causes de l'événement analysé et propose des recommandations de sécurité.
Editeur
BEAmer
Descripteur Urbamet
accident ; sécurité ; prévention des risques
Descripteur écoplanete
Thème
Transports
Texte intégral
Rapport d'enquête technique RUPTURE D'AMARRAGE À BORD DU NAVIRE ROULIER À PASSAGERS PAGLIA ORBA LE 20 NOVEMBRE 2015, DANS LE PORT DE MARSEILLE Rapport publié : mai 2017 Rapport d'enquête technique RUPTURE D'AMARRAGE à bord du navire roulier à passagers PAGLIA ORBA LE 20 NOVEMBRE 2015 Dans le port de Marseille Page 1 sur 38 Page 2 sur 38 Avertissement Le présent rapport a été établi conformément aux dispositions du Code des transports, notamment ses articles L.1621-1 à L.1622-2 et R.1621-1 à R.1621-38 relatifs aux enquêtes techniques et aux enquêtes de sécurité après un événement de mer, un accident ou un incident de transport terrestre et portant les mesures de transposition de la directive 2009/18/CE établissant les principes fondamentaux régissant les enquêtes sur les accidents dans le secteur des transports maritimes ainsi qu'à celles du « Code pour la conduite des enquêtes sur les accidents » de l'Organisation Maritime Internationale (OMI), résolution MSC 255(84) publié par décret n° 2010-1577 du 16 décembre 2010. Il exprime les conclusions auxquelles sont parvenus les enquêteurs du BEAmer sur les circonstances et les causes de l'événement analysé et propose des recommandations de sécurité. Conformément aux dispositions susvisées, l'analyse de cet événement n'a pas été conduite de façon à établir ou attribuer des fautes à caractère pénal ou encore à évaluer des responsabilités individuelles ou collectives à caractère civil. Son seul objectif est d'améliorer la sécurité maritime et la prévention de la pollution par les navires et d'en tirer des enseignements susceptibles de prévenir de futurs sinistres du même type. En conséquence, l'utilisation de ce rapport à d'autres fins que la prévention pourrait conduire à des interprétations erronées. Pour information, la version officielle du rapport est la version française. La traduction en anglais lorsqu'elle est proposée se veut faciliter la lecture aux non-francophones. Page 3 sur 38 PLAN DU RAPPORT 1 2 RÉSUMÉ INFORMATIONS FACTUELLES 2.1 2.2 2.3 Description du navire Renseignements sur le voyage et l'équipage L'Intervention Page 5 Page Page Page Page Page Page Page Page Page Page Page Page Page 6 8 10 10 15 15 17 25 27 28 28 29 29 3 4 EXPOSÉ ANALYSE 4.1 4.2 4.3 4.4 Les facteurs naturels Les facteurs matériels Les facteurs humains Le précédent du NAPOLÉON BONAPARTE 5 6 7 8 9 CONCLUSIONS MESURES PRISES PAR L'ARMEMENT ENSEIGNEMENTS RECOMMANDATIONS ANNEXES A. B. C. D. E Liste des abréviations Décision d'enquête Amarrage Météorologie Calcul des coefficients aérodynamiques Page Page Page Page Page 31 32 33 35 37 Page 4 sur 38 1 RÉSUMÉ (voir page 14 la carte de la partie du port concernée). Le vendredi 20 Novembre 2015, le transbordeur PAGLIA ORBA est amarré, bâbord à quai, cap au 328°, au poste 119 de la digue du large dans le port de Marseille. La rampe arrière-bâbord est sur le quai (119 A). L'équipage du navire a déposé un préavis de grève pour le lendemain. La météo prévoit pour la soirée un vent de secteur Ouest force 7 à 8 Beaufort fraîchissant 8 à 9 en milieu de nuit (Météo France). Le capitaine consigne l'équipage de conduite à bord et les moteurs sont à 10 minutes d'appareillage. Vers 23h05, par vent Nord-Ouest de force 7 à 8, le lieutenant de garde fait une ronde d'amarrage et constate que les amarres sont « tendues et équilibrées », mais qu'elles ne « souffrent » pas. Peu après 23h15, le capitaine entend successivement le claquement de plusieurs amarres ainsi que le dévirage de deux treuils d'amarrage. L'avant du navire s'écarte du quai. L'assistance de remorqueurs est demandée au port. L'équipage est mis aux postes de manoeuvre. L'avant du navire poursuit son abattée sur tribord tandis que la rampe arrière-bâbord rague sur le quai. L'arrière tribord du navire heurte le quai 119 A. Deux amarres de l'arrière se rompent. Au moment de la remise à poste de la rampe, un « sifflet1 » se détache et tombe sur la plage arrière à proximité de l'équipage sans faire de blessé. Deux remorqueurs du port, le MISTRAL 8 et le MISTRAL 9 aident à la manoeuvre et un pilote est à bord. A 00h42, le 21 novembre le navire est amarré à un autre poste à quai plus abrité : le poste 7 du Cap Janet. Outre, la chute d'un « sifflet » de rampe, le choc sur le quai a légèrement enfoncé la coque audessus de la flottaison, mais aucune avarie n'est relevée sur les oeuvres vives. Les réparations de la coque, prescrites par la société de classification, seront effectuées pendant les jours suivants. Cet accident a occasionné des conséquences matérielles de moindre gravité sur le navire. La décision du capitaine de consigner l'équipage à bord a très significativement limité les 1 « sifflet » : À l'extrémité de la rampe (épaisse de plusieurs dizaines de cm), des plans inclinés (articulés avec celle-ci au moyens de charnières et positionnés par des vérins) permettent aux véhicules de passer du sol du quai à la surface de la rampe sans discontinuité. Page 5 sur 38 conséquences de la rupture d'amarrage. En outre, les services du port ont réagi rapidement et avec efficacité. Il apparaît que les amarres rompues avaient subi, ce jour-là, des contraintes supérieures aux forces qu'elles pouvaient supporter. Trois ans après l'accident du NAPOLÉON BONAPARTE, qui était à un poste voisin, et dans un contexte météorologique analogue, l'analyse de cet événement a mis en évidence une nouvelle fois l'importance du bon état des amarres. Version finale du rapport La version provisoire du rapport a suscité de nombreux commentaires des parties intéressées. Après analyse, le BEAmer a considéré plusieurs d'entre eux. Toutefois, les commentaires visant à mettre en exergue l'engagement des responsabilités de l'armateur, de l'équipage ou du port ont été écartés. 2 2.1 INFORMATIONS FACTUELLES Description du navire Construit à partir de fin 1992 aux Ateliers et Chantiers du Havre pour la Société Navale Corse Méditerranée, le PAGLIA ORBA, mis en service en avril 1994, immatriculé à Bastia est un navire roulier à passagers autorisé à naviguer pour des voyages internationaux courts. Son permis de navigation et son certificat de franc bord sont en cours de validité. La capacité commerciale du navire de nuit est de 544 passagers. Crédit photo : CORSICA linea / Andy Humbert. Page 6 sur 38 Principales caractéristiques : N° OMI Longueur hors-tout Largeur Jauge Déplacement lège Déplacement en charge Propulsion Nombre d'hélices Génératrices : : : : : : : : : 9050826 ; 165,80 m ; 29,0 m ; 30 269 UMS ; 17 209 t ; 21 375 t ; 4 WARTSILA 16 V 32 D (4 x 3 900 = 15 600 kW) ; 2; 3 WARTSILA- VASA 4 R 32 A (3 x 1 184 kW) 2 alternateurs attelés (2x 1 600 KW) ; Propulseurs d'étrave Vitesse Equipage de conduite : : : 2 x1 400 kW ; 19 noeuds ; 29 personnes. Le moteur principal 1, en cours de visite programmée, n'est pas disponible au moment des événements. Les treuils électriques d'amarrage : Plage avant : 1 treuil d'amarrage : Brissonneau & Lotz Marine, TAA 180 E 2 combinés guindeau : Brissonneau & Lotz Marine, PG 73 ARGT Plage arrière : 3 treuils d'amarrage : Brissonneau & Lotz Marine, TAA 180 E Tous les treuils ont les mêmes performances sur tambour : EN 175KN et ES sur frein 565 KN. Page 7 sur 38 Touret Repère 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 Equipement Combiné guindeau Combiné guindeau Stoppeur à rouleau Stoppeur à rouleau Stoppeur à linguet Stoppeur à linguet Treuil d'amarrage Treuil d'amarrage Appareil guindeau Résistance rotorique Poste de commande double Appareil Résistance rotorique Poste de commande simple Poste de commande simple Type PG 73 ARGT A PG 73 ARGT B CH 68/73 U3 CH 68/73 U3 CH 54/60 CH 54/60 TAA 180 E TAA 180 E TAA 70 Kw TAA 70/85 Kw TAA TAA 70 Kw TAA 70/85 Kw TAA TAA Poupée Moteur électrique 2.2 Renseignements sur le voyage et l'équipage Le contexte Météo du 20 novembre 2015 (extrait sources Météo France) : « Avis de Coup de Vent à localement force Ouragan N° 521 pour, notamment, la zone Provence : Situation générale vendredi 20 novembre 2015 à 12H00 UTC et évolution : Prévisions pour la nuit du vendredi 20 novembre au samedi 21 novembre Page 8 sur 38 Vent : - De Port Camargue à Marseille : Ouest 4 ou 5, fraichissant 7 ou 8 en soirée. - De Marseille à St Raphaël : Ouest 7 ou 8, fraichissant 8 ou 9 en milieu de nuit. Fortes rafales. » Le PAGLIA ORBA dessert les ports de Porto Vecchio, l'Ile Rousse, Ajaccio et Marseille en alternance avec d'autres navires de la compagnie. Le 20 novembre au matin, il arrivait de Porto Vecchio dont il était parti la veille au soir. L'équipage L'équipage compte 48 personnes dont 9 officiers, 9 membres d'équipage pont et 7 membres d'équipage machine. Le capitaine a 53 ans et est breveté capitaine de 1ère classe. Il a fait l'essentiel de sa carrière dans la compagnie SNCM. Son premier commandement date de 2008 (MONTE CINTO). Il commande régulièrement le PAGLIA ORBA. Il est embarqué depuis deux semaines. Le second capitaine-commissaire a 45 ans et est breveté capitaine de 1ère classe. Il navigue à la compagnie SNCM depuis 2003. Il est second capitaine depuis 2008 et navigue à bord du PAGLIA.ORBA depuis 2013. Le lieutenant (de garde lors de la rupture de l'amarrage et en charge de la manoeuvre à l'arrière) a 34 ans et est breveté capitaine 3000 depuis 2011. Il navigue à la compagnie SNCM depuis 2008 et à bord du PAGLIA ORBA depuis 2009. Il effectue des remplacements comme second capitaine. Le chef mécanicien a 50 ans est breveté capitaine de 1ère classe. Il a fait une grande partie de sa carrière dans la compagnie SNCM. Son premier embarquement comme chef mécanicien date de 1996. Il navigue à bord du PAGLIA ORBA depuis 2012. Le maître d'équipage a 53 ans. Il navigue comme maître d'équipage depuis 2003. Il est embarqué exclusivement à bord du PAGLIA ORBA depuis 2010, soit dans cette fonction soit dans celle d'assistant officier pont. Tous les membres de l'équipage de conduite présents à bord sont à jour de leur visite médicale d'aptitude. Page 9 sur 38 2.3 Les interventions Heures TU+1 Le vendredi 20 novembre 2015, À 23h19 soit 2 minutes après la rupture de la première amarre, le capitaine a prévenu la capitainerie sur VHF Canal 12. Il a notamment sollicité l'aide du remorquage et du lamanage pour la remise à quai du navire. À 23h20, l'équipage, appelé par la diffusion générale, se rend aux postes de manoeuvre. Les remorqueurs À 23h37 et 23h44, deux remorqueurs se sont présentés sur place. Ils sont parvenus à stopper la dérive du PAGLIA ORBA puis l'ont accompagné jusqu'au poste 7. Le lamanage À 23h32, l'équipe de lamanage du port était présente sur le quai. L'équipage du PASCAL PAOLI (de la même compagnie et qui se trouvait au poste 116 sur l'arrière du PAGLIA ORBA) a aidé aux opérations de largage des amarres de l'arrière du navire. Le pilotage À 23h40, le pilote, est arrivé sur le quai, il a embarqué par tribord avec la pilotine à 23h58 et a débarqué après la fin de la manoeuvre d'amarrage du navire au poste 7. 3 EXPOSÉ Heures TU+1 Le vendredi 20 novembre 2015 Le 20 novembre au matin, le navire arrive en provenance de Porto Vecchio. À 09h01 le PAGLIA ORBA est amarré (6 amarres à l'avant et 6 amarres à l'arrière), bâbord à quai à Marseille à la digue du large, au poste 119, cap au 328°. Vers 23h05, le lieutenant de garde effectue une ronde d'amarrage. Il constate que les amarres sont tendues et équilibrées et qu'elles ne semblent pas souffrir. Page 10 sur 38 À 23h17, le capitaine perçoit la première rupture d'amarre sur la plage avant. Elle est suivie, quelques secondes après, de deux autres ruptures d'amarres. À 23h18, le capitaine monte à la passerelle. Il entend le dévirage des deux guindeaux de l'avant. Quatrième rupture d'amarre, le cap du navire passe du 328 au 335. Une cinquième rupture d'amarre survient à l'avant. À 23h19, le capitaine contacte Marseille Port sur VHF Canal 12. Il demande des remorqueurs en urgence. Diffusion générale à bord faite par le lieutenant, l'équipage est appelé aux postes de manoeuvre. À 23h20, Marseille Port accuse réception de la demande de remorqueurs. À 23h21, le navire poursuit son abattée. Cap au nord. L'ordre de fermeture depuis la passerelle des portes étanches est donné. À 23h23, le port annonce que les remorqueurs sont en route. Le bord appelle le pilotage. À 23h24, le premier propulseur est disposé (alimenté par deux diesels alternateurs). À 23h25, les moteurs principaux 2, 3 et 4 sont lancés et embrayés. À 23h26, un choc survient à l'arrière sur tribord, contre le quai (poste 119 A). Les commandes de la machine sont disposées sur les ailerons de la passerelle et le second propulseur est prêt. Le lamanage est demandé. À 23h29, le levage de la rampe arrière-bâbord (qui rague sur le quai) débute. Les remorqueurs MISTRAL 8 et MISTRAL 9 appareillent. À 23h31, la manoeuvre de l'avant annonce que le quai (poste 27 A, môle de La Madrague) est à 10 mètres de l'étrave du navire. Le levage de la rampe se poursuit et un « sifflet » de rampe chute sur la plage arrière du navire. À 23h32, l'équipe de lamanage arrive sur le quai et toutes les amarres de l'avant sont larguées. À 23h34, le remorqueur MISTRAL 8 demande de capeler une remorque par l'arrière-bâbord. Le remorqueur MISTRAL 9 demande de capeler une autre remorque par l'avant-bâbord. Page 11 sur 38 À 23h37, le MISTRAL 8 arrive le long du bord du PAGLIA ORBA. À 23h38, la rampe arrière est fermée et verrouillée. À 23h40, le pilote arrive sur le quai. À 23h42, le MISTRAL 9 arrive le long du bord du PAGLIA ORBA. À 23h44, la remorque du MISTRAL 8 est tournée à l'arrière et il lui est demandé de tirer vers l'arrière. À 23h48, la remorque du MISTRAL 9 est capelée à l'avant. À 23h52, le navire commence un évitage sur bâbord. À 23h53, toutes les amarres sont larguées et la pilotine embarque le pilote qui se trouve sur le quai. À ce moment Marseille Port propose d'accoster le navire au poste 26 situé en face. Le commandant refuse, estimant que la manoeuvre est trop délicate. À 23h54, le navire achève l'évitage sur bâbord avec l'aide du MISTRAL 9 À 23h58, le pilote est à bord. Le samedi 21 novembre 2015 À 00h02, Marseille Port propose d'accoster le navire au Poste 7. Entre 00h22 et 00h24, les remorqueurs sont largués. À 00h27,le PAGLIA ORBA est mis à quai poste 7. À 00h31, les remorqueurs sont libérés. À 00h42, l'amarrage du navire est terminé (6 amarres à l'avant et 6 amarres à l'arrière, rampes posées). Page 12 sur 38 Les conséquences Il n'y a pas eu d'autres conséquences que les avaries de moindre gravité subies par le navire (enfoncement de bordé au-dessus de la ligne de flottaison). Lors du relevage de la rampe arrière-bâbord, le « sifflet » de rampe situé à l'extrémité bâbord, s'est détaché et est tombé, sur la plage arrière, 5 mètres plus bas, où se trouvaient plusieurs membres de l'équipage. Personne n'a été blessé. Lors de la dernière inspection des vérins des « sifflets », aucune anomalie n'avait été détectée. Il est probable que la charnière a été endommagée du fait de l'abattée sur tribord et du choc contre un bollard du quai. Une ronde machine, vers 23h45 a confirmé la constatation, faite plus tôt depuis le quai par l'officier de port, d'un enfoncement subi par la coque sur tribord au niveau du local de barre à environ 10 m de l'arrière et 1 m au-dessus de la ligne de flottaison. Après la mise à quai du navire au poste 7, le capitaine et le chef mécanicien ont embarqué sur la pilotine pour inspecter la coque. Ils ont constaté une déchirure d'environ 30 cm sur 30 cm au niveau du ballast eau de mer n°15 ainsi que des traces de ragage et des enfoncements de coque plus ou moins importants. L'inspection sous-marine n'a révélé aucune avarie sur les oeuvres vives. La coque sous la flottaison, ainsi que le safran et les hélices, n'ont subi aucun dommage. Le samedi 21 novembre, la société de classification a prescrit la réparation de la tôle de fond entre les couples C10, C14 et C17, C19. Les réparations ont été effectuées et contrôlées les jours suivants. Source Google Ma Page 13 sur 38 Poste 7 Vigie nord (anémomètre) Poste 26 N 328° Poste 119 Source Google Map Position du P.O. vers 23h26 Poste 119A Page 14 sur 38 4 ANALYSE BEAmer La méthode retenue pour cette analyse est une de celles qui sont utilisées par le pour ses enquêtes. Elle est inspirée de la Résolution A28 / Res1075 de l'OMI « directives destinées à aider les enquêteurs à appliquer le code pour les enquêtes sur les accidents (Résolution MSC 285 (84)) » ainsi que de la Directive 2009/18/CE du Parlement Européen et du Conseil « établissant les principes fondamentaux régissant les enquêtes sur les accidents dans le secteur des transports maritimes ». Le BEAmer a, en premier lieu, établi la séquence des événements qui ont entrainé la rupture de l'amarrage du PAGLIA ORBA puis ceux qui ont immédiatement suivi jusqu'à la mise en sécurité du navire. Dans cette séquence, les événements dits perturbateurs (événements déterminants ayant entrainé les accidents et jugés significatifs et inappropriés) ont été identifiés. Ceux-ci ont été analysés en considérant les éléments naturels, matériels, humains et procéduraux afin d'identifier les facteurs ayant contribué à leur apparition ou ayant contribué à en aggraver les conséquences. Parmi ces facteurs, ceux qui faisaient apparaître des problèmes de sécurité présentant des risques pour lesquels les défenses existantes étaient jugées inadéquates ou manquantes ont été mis en évidence comme facteurs contributifs. Les facteurs sans influence sur le cours des événements ont été écartés. Seuls ceux qui pourraient, avec un degré appréciable, avoir pesé sur le déroulement des faits ont été retenus. Le BEAmer a bénéficié, pour cette analyse, d'une étude effectuée par un professeur de manoeuvre de l'ENSM, ainsi que d'une étude produite par les services de la Météorologie Nationale. L'exploitation des données du VDR n'a pu être aussi complète qu'escomptée. En effet, si les enregistrements sonores ont pu être exploités, les données relatives au fonctionnement de la machine se sont avérées indisponibles. 4.1 Les facteurs naturels Les conditions météorologiques (voir les annexes D) Le 20 novembre 2015, les prévisions météorologiques maritimes publient pour la zone Provence un « avis de coup de vent à localement force ouragan ». Page 15 sur 38 Variations de la direction du vent entre 18h00 et 03h00 (relevé vigie passe Nord). 328° (gisement nul) 23h15 295° 284° 23h22 20h00 21h00 22h00 23h00 00h00 Variation de la vitesse du vent instantané entre 18h00 et 03h00 (relevé vigie passe Nord) Ces relevés font apparaître que : Entre 20h30 et 22h00, le vent a tourné d'abord en incidence, car son gisement est passé, de 32° tribord environ (accostant) à 33° bâbord (débordant) et sa vitesse a augmenté significativement, de 10 noeuds à 35 noeuds. Page 16 sur 38 Vers 23h05, au moment où le lieutenant de garde a fait une ronde d'amarrage, le vent était relativement stable depuis près d'une heure en gisement autour de 33° bâbord, avec une vitesse, pendant cette période, située en moyenne entre 25 et 35 noeuds (27 noeuds environ à 23h05). Vers 23h18, lors de la rupture des amarres et du dévirage des guindeaux, les relevés montrent une concomitance entre une augmentation brusque du gisement du vent (de 33° bâbord à 44° bâbord) et une rafale qui atteint la vitesse de 50 noeuds (25 m/s). Il est à noter que les capitaines considèrent que le vent enregistré dans la passe Nord est généralement plus faible que celui du milieu de la jetée (en effet, au moment de la rupture des amarres, l'anémomètre du bord indique un vent de 54 noeuds). Le gisement maximum du vent atteint donc 44° bâbord avec une vitesse maximale de 50 noeuds (25 m/s). Ces valeurs seront retenues pour les calculs. Ces conditions de force de vent sont inhabituelles à cette période de l'année. Selon l'étude demandée à Météo France, sur une période comprise entre 2001 et 2011, les vents relevés entre une direction de 280° et 300° ne dépassent les 28 noeuds sur une journée que dans 0,1% des cas, le vent maximum instantané ne dépasse, lui, les 40 noeuds que dans moins de 0,4 % des cas. Les conditions météorologiques, inhabituelles, sont le premier facteur contributif de cet accident. 4.2 4.2.1 Les facteurs matériels Le poste à quai Le poste à quai habituel du navire pour les opérations commerciales est situé dans le bassin de La Joliette, côté Est du port, dans une zone où les navires sont moins exposés aux vents d'Ouest (vent « accostant »). Compte tenu de la date prévue (le 20 novembre), pour la décision d'attribution de la compagnie SNCM à son nouveau propriétaire, du préavis de grève déposé pour le lendemain par les syndicats de navigants et d'une manifestation commerciale organisée à proximité, les autorités, Page 17 sur 38 craignant un trouble à l'ordre public, avaient demandé à positionner les navires de la compagnie sur les postes de la digue du large. Il est notoire que le poste 119 est mal défendu contre les vents de secteur Ouest. Le capitaine du PAGLIA ORBA ne l'ignorait pas. 4.2.2 Les forces dues au vent sur le navire Soit F la force exercée par le vent, dont la formule est la suivante : F = ½..Sl.V².C Il convient de considérer tout particulièrement sa composante transversale Fy à effet « décostant ». Sa composante longitudinale Fx, bien plus faible, n'a pas eu d'incidence dans l'événement étudié parce que la rampe arrière était posée sur le quai. Elle sera néanmoins évaluée elle aussi. La force exercée par le vent sur les oeuvres mortes du navire est décrite par le schéma ci-contre : : gisement du vent par rapport au navire. F : force du vent exercée sur le navire Fx : composante longitudinale de cette force Fy : composante transversale de cette force Mf : moment de lacet dû au vent La composante Fy (transversale), est donnée par la formule : Fy = ½..Sl.V².Cy, : masse volumique de l'air, qui dépend de la température (6°C ce jour) soit 1,28 kg / m 3. Sl : surface latérale des oeuvres mortes soit 4 145 m2. V : vitesse du vent apparent en m/s à 10 mètres de hauteur. Cy : coefficient aérodynamique transversal lié au sinus de l'angle d'incidence (0,71). Le calcul des coefficients aérodynamiques est effectué en annexe E. Page 18 sur 38 Calcul de la force transversale Fy pour les valeurs retenues : Masse volumique de l'air Surface latérale des oeuvres mortes Vitesse du vent Coefficient aérodynamique transversal Force de pression transversale due au vent sur les oeuvres mortes : Fy = ½. .Sl.V².Cy Sl V Cy Fy 1,28 4 145 25 0,71 Kg / m3 m 2 m/s 1 180 000 newton soit Fy 120 tonnes La force de pression transversale Fy due au vent est de l'ordre de 120 tonnes Selon les valeurs retenues, pour une surface frontale de 850m² et un coefficient aérodynamique transversal de 0,11, la force de pression longitudinale Fx due au vent est de l'ordre de 4 tonnes. 4.2.3 L'amarrage 4.2.3.1 Le plan d'amarrage (voir aussi en annexe C) Reconstitution de l'amarrage par le bord au même poste à quai (photo du bord) Le capitaine qui craignait des conditions météorologiques plus défavorables que celles annoncées avait renforcé l'amarrage et avait maintenu à bord l'équipage de conduite. Page 19 sur 38 L'amarrage comportait : À l'avant, 3 amarres sur touret (1,4,6) et 3 autres tournées sur les poupées (2,3,5), toutes les amarres étaient en polyamide À l'arrière 3 amarres sur touret (1,2,3) et 3 autres tournées sur les poupées (4,5,6) L'équilibrage de cet amarrage avait été vérifié et constaté par l'officier de garde moins de 15 minutes avant la rupture des amarres de l'avant et le dévirage des treuils. 4.2.3.2 Les forces de traction exercées par les amarres L'effort de traction n'est pas exercé directement dans la direction opposée aux contraintes exercées par le vent sur le navire. Pour prendre en compte les efforts de chaque amarre, on doit intégrer leur orientation par rapport aux trois axes du navire : L'angle , mesuré par rapport à l'axe longitudinal (composante parallèle à Fx) L'angle mesuré par rapport à l'axe transversal (composante parallèle à Fy) L'angle mesuré par rapport à l'axe vertical Lorsque le navire a été placé au poste 119, le capitaine a ordonné, afin de renforcer l'amarrage, de poser la rampe arrière sur le quai. Cette mesure permet une amélioration de la tenue à quai de l'arrière du navire. Son effet ne peut pas être quantifié. Page 20 sur 38 Dans le cas d'amarres en polyamide neuves, dont la RAR (Résistance À la Rupture) est de 120 tonnes, le tableau ci-après permet de déterminer les composantes longitudinales et transversales des efforts que les amarres étaient capables de supporter avant leur rupture, en considérant les angles du plan d'amarrage ce jour-là. Forces de traction sur les amarres Fy et Fx à l'AR Forces de traction sur les amarres Fy et Fx à l'AV Fy = 120 x sin x sin x cos et Fx = 120 x cos x cos x cos Aussière 1 2 3 4 5 6 45 45 45 45 30 45 60 15 60 165 170 15 45 45 45 60 60 45 Force Fy 59 18 59 15 10 22 Force Fx -60 -93 -48 115 117 -93 Aussière 1 2 3 4 5 6 15 15 45 40 40 45 15 40 110 45 45 135 30 30 45 50 50 60 Force Fy 27 53 64 44 44 42 Force Fx -115 91 -33 68 68 -84 F totales 183 t -62 t F totales 274 t -5 t De ce tableau on peut déduire que l'amarrage du navire pouvait résister : sur l'arrière jusqu'à une force de l'ordre de 183 tonnes, sur l'avant jusqu'à une force de l'ordre de 274 tonnes. En rapprochant ces valeurs de la valeur de la composante transversale de la poussée exercée par le vent sur le navire, soit 120 tonnes, on peut conclure que le plan d'amarrage, dans l'hypothèse d'amarres en polyamide récentes était adapté aux conditions de vent violent rencontrées. Il est à noter que, dans le sens vertical, l'angle intervient par son cosinus. Une simulation effectuée avec une amarre plus proche de l'horizontale ( = 80°) induit une amélioration supérieure à 20% de la force de traction, ce qui peut être déterminant dans des circonstances comme celles-ci où des amarres se sont rompues. 4.2.3.3 La problématique de la dégradation des amarres Plusieurs amarres se sont rompues suite au dépassement de leur charge maximale de rupture. Au cours de la « vie » d'une amarre, plusieurs paramètres contribuent à altérer sa résistance à la rupture : Page 21 sur 38 1. Épissures à chaque extrémité La force de résistance maximale des amarres, avant rupture, donnée par le constructeur est valable pour une traction rectiligne sans épissure. Lorsque l'amarre porte une épissure (ce qui était le cas de la totalité des amarres disponibles à l'AV et à l'AR), la perte de résistance est de l'ordre de 10%. 2. L'humidité La résistance à la rupture d'une amarre mouillée est réduite de 15%. 3. Amarres tournées sur les bollards du navire Cette action diminue la résistance à la rupture de manière sensible. Ce n'était pas le cas pour le PAGLIA ORBA. 4. Usure sur les retours au niveau des chaumards à rouleaux C'est le cas en particulier si ces derniers sont grippés 5. Exposition aux Ultra-Violet (UV) L'exposition aux UV provoque pour les amarres en nylon (polyamide, copropylène, copolymère) la dépolymérisation des chaînes cristallines qui constituent leur structure. 6. L'élasticité des amarres et les étirements subis L'analyse statique des amarres doit être complétée par une analyse dynamique. D'une part l'étirement des amarres, effet de leur élasticité, entraîne une diminution significative de leur résistance à la rupture. D'autre part l'élasticité d'une amarre est proportionnelle à la longueur filée. 7. La dégradation à l'usage et dans le temps Les étirements successifs subis par les amarres en nylon provoquent une dégradation de leur structure chimique. Les chaînes cristallines composées de cristaux de polymères, une fois étirées, sont déformées de manière irréversible ce qui, dégrade leur force de traction et leur RAR. 4.2.3.4 La situation et l'état des amarres du PAGLIA ORBA le 20 novembre 2015 Toutes les amarres sur treuil, à l'avant et à l'arrière du navire sont en polyamide. C'est aussi le cas pour trois autres amarres de l'avant. Les autres amarres sont des amarres sorties de la réserve utilisées le 20 novembre pour renforcer l'amarrage, en conséquence, la nature de certaines d'entre elles n'a pas pu être précisée au cours de l'enquête. Page 22 sur 38 Le tableau ci-après récapitule la situation des amarres utilisées le 20 novembre. Arrière / N° Matériau Numéro Diamètre (mm) RAR MES Service (en mois) Avant / N° Matériau Numéro Diamètre (mm) RAR MES Service (en mois) 1 Copol. 126 72 96,6 août-15 3 1 Polyam 131 72 113 juil-14 16 2 Polyam 119 72 119 juil-14 16 2 Polyam 127 72 119 mai-14 18 Copol Copol 3 Polyp 128 72 96,6 juil-14 16 3 125 72 96,6 mai-14 18 4 121 72 96,6 oct-13 25 4 Polyam 123 72 119 août-13 27 5 Polyam 118 72 119 nov-12 36 5 Polyam 122 72 119 mars-13 6 Polyam 124 72 119 sept-13 24 6 112 72 98 déc-10 7 Polyam 120 72 119 févr-13 33 7 Polyam 93 80 119 déc-08 83 8 106 80 98,9 mars-10 67 8 Polyam 114 72 120 févr-13 33 31 59 Tableau des amarres disponibles sur le PAGLIA ORBA. / MES : Mise en service / Avec : RAR : Résistance à la rupture Copol : Copolymère / Polyam : Polyamide Polyp : Polypropylène Faute d'informations suffisantes le BEAmer n'a pas été en mesure d'établir une correspondance certaine entre le tableau ci-dessus du plan d'amarrage effectif et la chronologie des ruptures. L'analyse de la rupture des amarres n'a donc pas pu être individualisée. Les amarres utilisées ont des caractéristiques théoriques de charge à la rupture élevée, de 120 tonnes (polyamides) à 96 tonnes (autres et amarres de réserve). Les certificats d'amarres mentionnent que certaines ont été «chavirées», c'est-à-dire qu'elles ont été retournées après un certain temps d'utilisation : le dormant devenant courant et vice versa. Il s'agit d'une pratique courante et habituelle à bord des navires. Le TCLL permet de connaître la résistance résiduelle à la rupture après un millier d'utilisations. Cette donnée est disponible chez le fabriquant. Pour une amarre en polyamide, la réduction de résistance est de l'ordre de 50% après 1 000 « cycles » d'utilisation. L'âge moyen des amarres est de 2 ans et 4 mois pour l'arrière et de près de 3 ans pour l'avant. Le PAGLIA ORBA effectue environ 650 à 700 manoeuvres par an. Néanmoins, de nombreux amarrages, en particulier dans les ports de Corse ne sont effectués qu'avec 3 amarres. Page 23 sur 38 La plupart des amarres en service le 20 novembre auraient effectué plus de 1 000 cycles d'utilisation. Cette réduction de résistance auraient été aggravée par une exposition prolongée au UV. En effet, la plupart des transits du PAGLIA ORBA s'effectuent de nuit et les escales ont lieu pendant la journée. Par conséquent les amarres subissent une exposition continue au soleil pendant les nombreuses escales du navire (quelques centaines par an). D'autres facteurs ont pu contribuer à la réduction de la résistance des amarres : La longueur des amarres : Dans le plan d'amarrage du 20 novembre, plusieurs amarres sont tournées courtes avec pour conséquence de réduire la résistance de l'amarrage. L'humidité : Il ne pleuvait pas ce jour-là, mais la présence d'embruns dus au vent est hautement probable. L'étirement des amarres : On ne peut pas écarter l'hypothèse que certaines amarres auraient subi dans le passé des efforts importants qui en auraient dégradé leur état structurel de manière non visible, au point de réduire plus encore leur résistance à la rupture. 4.2.3.5 Conclusion sur l'amarrage Considérant la situation des amarres le 20 novembre telle que décrite précédemment, le BEAmer estime que la résistance initiale à la rupture de l'amarrage pouvait se trouver réduite jusqu'à 50%. Il en résulterait que les forces de résistance de l'amarrage à savoir, en particulier sur l'avant : 137 tonnes ( 274 t x 50%) n'auraient été au mieux que légèrement supérieures aux forces dues à un vent « décostant » de 50 noeuds soient 120 tonnes. Lorsque la première amarre à l'avant s'est rompue, la tension supplémentaire subie par les autres amarres a dépassé leur résistance résiduelle à la rupture, entrainant leur rupture a intervalle resserré ainsi que le dévirage des treuils Le plan d'amarrage était pertinent, toutefois la situation des amarres, compte tenu de leur service, notamment de la fréquence de leur utilisation, ainsi que des étirements évoqués plus haut, a contribué dans le contexte d'un vent exceptionnel ce jour-là, à la rupture de sept d'entreelles. Il s'agit du second facteur contributif de cet accident. Page 24 sur 38 4.2.4 Les treuils d'amarrage À l'issue de l'événement du 20 novembre, l'état des treuils de l'avant a été altéré : sur le treuil-guindeau de bâbord, un morceau de la garniture de frein est cassé, sur le treuil central, qui a déviré, la garniture du frein a subi une usure prononcée, sur le treuil-guindeau de tribord, qui a déviré, la garniture du frein est également plus usée que la normale. Il convient de noter que les garnitures de freins des treuils-guindeaux avaient été visitées et contrôlées une semaine auparavant (13 novembre), celles du treuil de l'avant l'avaient été six mois auparavant (19 mai). Les amarres sur treuil étaient freinées. Leur tension était donc limitée à la capacité de tenue des freins mécaniques des treuils, de l'ordre de 56,5 tonnes. Lorsque, à la suite de la saute de vent, les forces dues au vent qui s'appliquaient sur le bordé du navire ont dépassé cette tension, les treuils ont déviré et les amarres sur treuil se sont distendues. Les efforts se sont alors reportés sur les seules amarres tournées sur les poupées des treuils. Leur CMR a été atteinte et elles se sont rompues. Les amarres sur treuil ont alors repris en continu la totalité des efforts qui dépassaient la capacité de freinage des treuils. Le système de commande automatique des treuils a alors actionné un dévirage à grande vitesse pour éviter la rupture de ces amarres. La rupture des premières amarres a accru significativement les efforts et les contraintes qui s'appliquaient sur les freins des treuils ainsi que sur les autres amarres. Toutefois, si les freins avaient supporté la surcharge, les autres amarres se seraient vraisemblablement rompues. 4.3 4.3.1 Facteurs humains La reprise de l'amarrage et le changement de poste Compte tenu des prévisions météorologiques, du poste à quai attribué et du fardage du navire, le capitaine du PAGLIA ORBA a décidé de consigner à bord l'équipage de conduite pont et machine pour la nuit du 20 au 21 novembre. La machine était « parée à 10 minutes d'appareillage ». Lorsque les amarres ont commencé à se rompre (à partir de 23h18), le capitaine a appelé l'équipage aux postes de manoeuvre pour, dans un premier temps, envoyer de nouvelles Page 25 sur 38 amarres. La manutention des amarres sur le quai a été assurée par le service du lamanage avec le renfort de membres de l'équipage d'un autre navire de la compagnie, le PASCAL PAOLI amarré à proximité. Devant le risque de pénurie d'amarres en état, le capitaine a envisagé de quitter le port pour se rendre au mouillage à l'extérieur. Cependant, le port lui a proposé d'aller accoster au poste 7. L'amarrage à ce poste a été rendu possible par la remise en état et le chavirage rapide des amarres par l'équipage (renforcé par une dizaine de membres du service ADSG) entre 23h45 et 00h15, ce qui a permis au capitaine, malgré la rupture de 7 amarres, de disposer dans un court délai des douze amarres nécessaires au ré-amarrage au poste 7. 4.3.2 Observation sur la disponibilité des propulseurs Comme rapporté précédemment, le capitaine avait placé son navire et en particulier les machines à 10 minutes d'appareillage. Cette disposition incluait également la disponibilité des propulseurs. Dans l'exposé des événements on peut noter que le premier propulseur était prêt à fonctionner 5 minutes après l'appel par le capitaine de l'équipage aux postes de manoeuvre, tandis que le second propulseur était quant à lui disposé 7 minutes plus tard. Il est permis de s'interroger sur la pertinence qu'il y aurait eu à disposer préventivement les propulseurs en service, afin de soulager la tension sur l'amarrage dès que le vent avait commencé à tourner et à forcir aux environs de 23h00. A posteriori on ne peut pas douter que cela aurait été utile compte tenu de l'enchaînement des ruptures d'amarres et de leurs conséquences. Toutefois la fourniture de l'énergie électrique aux deux propulseurs, impose dans la conception et le bilan électrique du navire la mise en fonction d'au moins un alternateur attelé sur l'une des lignes d'arbre et donc la mise en service d'au moins un, voire deux moteurs de propulsion. Cette disposition n'est pas d'usage lorsque le navire n'est pas en manoeuvre de départ ou d'arrivée. Elle ne pouvait être mise en oeuvre que dans des situations jugées exceptionnelles. Or, vers les 23h05 au moment où le lieutenant effectue sa ronde d'amarrage, il constate que « bien que tendues, les amarres ne souffrent pas ». Toutefois à titre préventif un propulseur, plus probablement celui de l'avant aurait pu être laissé en service alimenté par les seuls groupes électrogènes du navire. Il n'est pas avéré que cette disposition, même si elle permettait de« soulager» la tension sur les amarres aurait été suffisante. Page 26 sur 38 Compte tenu des constatations résultant de la ronde d'amarrage et des dispositions prises de renforcement de l'amarrage et de consigne des machines à 10 minutes le capitaine n'avait pas jugé nécessaire et utile, à ce stade, de mettre en service à titre préventif ni un propulseur alimenté par les seuls groupes électrogènes, ni les deux propulseurs auquel cas il aurait fallu démarrer les moteurs de propulsion. Le capitaine avait pris les dispositions de renforcement de l'amarrage et de consigne de l'équipage et de la machine qu'il avait jugées, adaptées et suffisantes aux conditions météorologiques annoncées dans le bulletin prévisionnel, c'est-à-dire jusqu'à force 9. 4.3.3 Conclusion sur le facteur humain Le capitaine a pris les décisions initiales adaptées aux prévisions météorologiques dont il avait eu connaissance tant pour le plan d'amarrage, que pour la consignation de l'équipage et la disponibilité des machines du navire. La disponibilité immédiate du propulseur d'étrave disposé en préventif aurait probablement atténué la criticité de la situation sans écarter la nécessité d'une manoeuvre rendue délicate pour regagner un poste à quai moins exposé. L'intervention très rapide de l'équipage du navire, du lamanage, des remorqueurs portuaires et du pilote, ainsi que l'appui de l'équipage du PASCAL PAOLI ont évité une aggravation de la situation. Aucun facteur humain n'a contribué à cet événement. L'efficience des réactions des acteurs impliqués a permis d'éviter des conséquences plus dommageables. 4.4 Rappel du précédent du Napoléon Bonaparte Dans la nuit du 27 au 28 octobre 2012, le NAPOLÉON BONAPARTE amarré bâbord à quai au poste 116 de la digue du large du port de Marseille subissant un vent de force 9 venant du secteur Ouest quart Sud-Ouest, avait rompu ses amarres et heurté le quai. L'avarie aux oeuvres vives avait entrainé une voie d'eau, puis un envahissement du navire. Le NAPOLÉON BONAPARTE a été renfloué par la suite, mais l'importance des coûts de réparation du navire a conduit les assurances à déclarer le navire en perte totale. Le rapport publié en octobre 2013 par le équilibrage). BEAmer avait établi que la cause principale de l'accident était due "aux écarts de tension entre les différentes amarres" (insuffisance de leur Page 27 sur 38 En outre, « le navire était à un poste trop exposé, compte tenu du fardage du NAPOLÉON BONAPARTE et de l'orientation inhabituelle du vent. Enfin, si la propulsion avait été disponible, le navire aurait eu plus de facilité pour se maintenir en sécurité à quai » et, « s'il n'a finalement pas chaviré, c'est uniquement en raison de la faible hauteur d'eau du bassin ». 5 CONCLUSIONS Lors d'un coup de vent particulièrement fort, le PAGLIA ORBA, amarré au poste 119 de la digue du large à Marseille a rompu plusieurs amarres. L'équipage, maintenu consigné à bord, assisté des services portuaires du lamanage du remorquage et du pilotage ont permis de stopper la dérive du navire, puis de le déhaler et de l'amarrer à un autre poste à quai moins exposé. Malgré un plan d'amarrage optimal, les conditions de vent ont conduit à un dépassement de la résistance à la rupture des amarres, du fait de leur usure naturelle et des efforts importants subis ce jour-là. Cette rupture d'amarrage a provoqué une avarie sur la coque au-dessus de la flottaison et la chute d'un « sifflet » de la rampe dont les conséquences auraient pu s'avérer très graves. 6 MESURES PRISES PAR L'ARMEMENT Après l'événement du PAGLIA ORBA, l'armement a exclu du catalogue de commande d'amarres neuves les amarres qui ne sont pas de type coaxial en polyamide. Page 28 sur 38 7 1. ENSEIGNEMENTS 2017-E-11 : le port de Marseille connait des épisodes de vent violent de secteur ouest qui peuvent affecter la sécurité des navires amarrés à la digue du large. Il doit en être tenu compte pour la sécurité des navires ainsi que des infrastructures. 2. 2017-E-12 : la dégradation de la résistance à la rupture des amarres, certes difficile à appréhender est généralement sous-estimée, en particulier dans le contexte du transport à courte distance. 8 RECOMMANDATIONS Le BEAmer recommande : À l'armateur CORSICA Linea 1 2017-R-14 : d'intégrer dans le dispositif de suivi des amarres de ses navires les facteurs de dégradation des amarres, sans écarter la possibilité suivant leur service d'un remplacement systématique selon une périodicité à définir. 2 2017-R-15 : de revoir ou prévoir dans le système de management de la qualité des navires une procédure d'amarrage et des dispositions adaptées à certains postes à quai pour prévenir les conséquences des situations météorologiques extrêmes parfois rencontrées dans le port de Marseille. Page 29 sur 38 LISTE DES ANNEXES A. B. C. D. E. Liste des abréviations Décision d'enquête Amarrage Météorologie Calcul des coefficients aérodynamiques Page 30 sur 38 Annexe A Liste des abréviations ADSG BEAmer : : : : : : : : : : : : : : : : : : Agent Du Service Général (personnel dit « hôtelier » et « restaurant ») Bureau d'enquêtes sur les évènements de mer Effort Nominal Ecole Nationale Supérieure Maritime Effort Statique Grand Port Maritime de Marseille Mise En Service Maritime Safety Comitee (Comité chargé de la sécurité maritime - OMI) Organisation Maritime Internationale Résistance À la Rupture Société Nationale Corse Méditerranée Temps Universel Thousand Cycles Load Level Terminé Pour La Machine Unité Métrique Système Ultra-violet (rayonnement) Voyage Data Recorder Very High Frequency (Enregistreur de données de voyage) (Très Hautes Fréquences ) (Fin de la manoeuvre d'accostage) EN ENSM ES GPMM MES MSC OMI RAR SNCM TU TCLL TPLM UMS UV VDR VHF Page 31 sur 38 Annexe B Décision d'enquête Page 32 sur 38 Annexe C Amarrage de l'avant Page 33 sur 38 Amarrage de l'arrière Page 34 sur 38 Annexe D Bulletin météo Le 20 novembre 2015 en soirée, les prévisions météorologiques dans la zone sont les suivantes (source Météorologie Nationale) : Avis de Coup de Vent à localement force Ouragan N° 521 pour : Languedoc-Roussillon, Provence, Côte d'Azur et Corse. Situation générale vendredi 20 novembre 2015 à 12H00 UTC et évolution. Anticyclone 1035 hPa sur l'Espagne, se décalant vers l'ouest sur l'Atlantique en soirée. Dépression 1013 hPa en mer Ligure, se creusant 996 hPa sur le Golfe de Gênes la nuit prochaine, puis prévue 986 hPa le 21 à 12 H UTC. Thalweg associé balayant le bassin par l'ouest. Prévisions pour la nuit du vendredi 20 novembre au samedi 21 novembre Vent : - De Port Camargue à Marseille : Ouest 4 ou 5, fraichissant 7 ou 8 en soirée. - De Marseille à Saint-Raphaël : Ouest 7 ou 8, fraichissant 8 ou 9 en milieu de nuit. Fortes rafales. Extrait de la carte d'analyse de surface de Météo France émise le 21/11/2015 à 00h TU. Page 35 sur 38 Météo, relevés de vent vigie nord Direction du vent du 20/11/15 à 18 heures au 21/11/15 à 18 heures Vent moyenné sur 10 mn du 20/11/15 à 18 heures au 21/11/15 à 18 heures Page 36 sur 38 Annexe E Le calcul des coefficients aérodynamiques Les coefficients aérodynamiques Bien qu'aucun essai en soufflerie n'ait été réalisé spécifiquement pour le PAGLIA ORBA, grâce aux expériences réalisées en laboratoire sur des formes de référence, on peut estimer le coefficient aérodynamique transversal Cy du navire, en divisant la surface latérale du navire en plusieurs zones élémentaires, Répartition zones en surface Zone 1 (cheminée, passerelle) Zone 2 (emménagements) Zone 3 (coque) Surface totale % surface latérale totale 15% 35% 50% 100% forme cylindre Alvéolé (terrasses) Plane (muraille) / Coef Cy 0,5 1,4 1,1 1,1 Le coefficient moyen par surface élémentaire est de l'ordre de 1,1. Ce coefficient est variable en fonction de l'incidence et il est maximal à partir de 50°. L'essentiel des efforts ayant été exercés ce jour-là pour des incidences comprises entre 30 et 44°, on retiendra un C égal à 1, qui donne, pour une incidence (gisement du vent) de 44° un coefficient transversal Cy = C * sin 44 ° soit 0,7. Page 37 sur 38 Le coefficient aérodynamique longitudinal, Cx, On estime le Cx à sa valeur maximale qui selon la courbe ci-contre est de l'ordre de 0,15 pour une incidence de 45°. Ceci correspond, pour une incidence (gisement du vent) de 44°, à un coefficient transversal Cx = C X cos 44 ° soit 0,11. Page 38 sur 38 Ministère de la Transition écologique et solidaire Bureau d'enquêtes sur les évènements de mer Arche sud - 92055 La Défense cedex téléphone : +33 (0) 1 40 81 38 24 bea-mer@developpement-durable.gouv.fr www.bea-mer.developpement-durable.gouv.fr

puce  Accés à la notice sur le site du portail documentaire du Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires

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