Rapport d'enquête technique : naufrage du chalutier L'Epaulard survenu le 21 janvier 2010 au large de Biscarosse (une victime)
Auteur moral
France. Bureau d'enquêtes sur les événements de mer
Auteur secondaire
Résumé
Le présent rapport d'enquête technique a été établi conformément aux dispositions du Code des transports. Il porte sur le naufrage du chalutier L'Epaulard survenu le 21 janvier 2010 au large de Biscarosse. Cet accident a fait une victime. Ce rapport expose les conclusions auxquelles sont parvenues les enquêteurs du BEAmer sur les circonstances et les causes de l'événement analysé et propose des recommandations de sécurité.
Editeur
BEAmer
Descripteur Urbamet
accident
;sécurité
;prévention des risques
;NAUFRAGE
Descripteur écoplanete
Thème
Transports
Texte intégral
Rapport d'enquête technique
NAUFRAGE
DU CHALUTIER
L'EPAULARD
SURVENU LE 21 JANVIER 2010 AU LARGE DE BISCAROSSE (UNE VICTIME)
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Avertissement
Le présent rapport a été établi conformément aux dispositions du titre III de la loi n°.2002-3 du 3 janvier 2002 et du décret n° 2004-85 du 26 janvier 2004 relatifs aux enquêtes techniques après événement de mer, accident ou incident de transport terrestre, ainsi qu'à celles, de la Résolution MSC 255 (84) de l'Organisation Maritime Internationale (OMI) adoptée le 16 mai 2008 et portant Code de normes internationales et pratiques recommandées applicables à une enquête de sécurité sur un accident de mer ou un incident de mer (Code pour les enquêtes sur les accidents). Il exprime les conclusions auxquelles sont parvenus les enquêteurs du les circonstances et les causes de l'événement analysé. Conformément aux dispositions susvisées, l'analyse de cet événement n'a pas été conduite de façon à établir ou attribuer des fautes à caractère pénal ou encore à évaluer des responsabilités individuelles ou collectives à caractère civil. Son seul objectif a été d'en tirer des enseignements susceptibles de prévenir de futurs sinistres du même type. En conséquence, l'utilisation de ce rapport à d'autres fins que la prévention pourrait conduire à des interprétations erronées.
BEAmer
sur
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PLAN DU RAPPORT
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CIRCONSTANCES CONTEXTE NAVIRE EQUIPAGE CHRONOLOGIE ANALYSE SYNTHESE RECOMMANDATION
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ANNEXES
A. B. C. D. E. F. G. Décision d'enquête Cartographie Stabilité Photos de l'épave Enregistrements AIS Analyse Météo France Observations de l'armateur
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Liste des abréviations
AIS
BEAmer
: : : : : : : :
Système d'identification automatique des navires (Automatic Identification System) Bureau d'enquêtes sur les évènements de mer Centre de Sécurité des Navires Perpendiculaire milieu du navire Radiobalise de Localisation des Sinistres Robot sous-marin (Remotely Operated Vehicule) Tonnes . mètre Très hautes fréquences (Very High Frequency)
CSN PPM RLS ROV t.m VHF
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CIRCONSTANCES
Le 21 janvier 2010, après trois jours de pêche « en boeufs » avec un chalutier du même armement, L'EPAULARD pratique, seul, le chalut de fond. En fin de matinée, à l'issue de son premier trait à 7 milles de la côte, L'EPAULARD effectue un demi-tour par l'Ouest. Lorsque l'équipage est prêt pour virer le chalut, le navire suit un cap de secteur Est à 3,5 noeuds. Le patron est en timonerie, aux commandes de l'enrouleur, et le mécanicien est dans l'entrepont, aux commandes des treuils. Le cul du chalut arrive le long du bord et comprend deux poches d'environ 1,5 tonne. Une première poche est embarquée ; les méduses et indésirables sont évacués et moins d'une tonne de poisson est conservée sur le pont principal. Lorsque la deuxième poche est prête à être ouverte sur le pont, L'EPAULARD prend une très forte gîte sur bâbord. Le patron n'a que le temps d'alerter L'ALBATROS de la situation et d'évacuer la timonerie ; les trois matelots sont éjectés à la mer. L'EPAULARD se couche alors à 90° puis se retourne complètement. Le mécanicien re ste prisonnier sous le navire, puis revient à la surface, à demi inconscient. Malgré les efforts du patron et d'un matelot pour le soutenir et lui maintenir la tête hors de l'eau, il sera rapidement sans réaction. Environ 15 minutes après s'être retourné, L'EPAULARD sombre par 50 mètres de fond. Les secours s'organisent mais le mécanicien décède au cours de l'évacuation ; les autres naufragés seront sauvés. Des plongeurs de la brigade nautique d'Arcachon feront une première investigation de repérage de l'épave le 15 février. Deux jours plus tard, un ROV de la Marine nationale effectuera des prises de vue détaillées par caméra vidéo. Ces images ne permettent pas d'identifier de manière certaine la cause du naufrage.
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CONTEXTE
Depuis son neuvage, L'EPAULARD est la propriété de deux associés, armateurs d'une
flottille de quatre navires dont le port base est à Hendaye, et regroupés au sein de la coopérative Chingudy. Tous deux ont navigué à bord de L'EPAULARD dans différentes fonctions, dont celle de patron.
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Aucun accident n'est relevé dans l'historique de l'armement. La maintenance de la flottille est réalisée par un mécanicien non navigant, sous contrat avec l'armement. L'EPAULARD était inscrit au plan de sortie de flotte.
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NAVIRE
L'EPAULARD est un chalutier de pêche arrière à coque en acier, construit en 1979 par le
chantier A. MERRE en Loire-Atlantique. Il est gréé pour la pêche au large « en boeufs » pélagique et au chalut de fond à panneaux. Ce navire n'a jamais changé de « métier ». Caractéristiques du navire : Longueur H.T Largeur H.T Creux à la PPM Profondeur de carène Tirant d'eau AR Tirant d'eau AV Franc-bord Jauge brute Volume cale à poisson Propulsion Immatriculation Vitesse AIS : : : : : : : : : : : : : 19,50 m ; 6,01 m ; 2,83 m ; 2,20 m ; 2,80 m ; 1,90 m ; 530 mm ; 49,58 tx * ; 47,50 m3 ; 325 kW ; BA 413 111 ; 9,5 noeuds ; Oui.
* Jauge inférieure à 50 tonneaux compte tenu des règles de taxation en vigueur à l'époque. Réglage du pas d'hélice (le moteur est à 1400 tr/min) : Pas à 25, en pêche à 3,5 noeuds ; Pas à 14 pour virer les funes (vitesse # 0) ; Progressivement pas à 5 pour virer les 20 derniers mètres de funes ; Pas à 10 pour guider le chalut dans l'enrouleur.
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L'EPAULARD est le numéro 12 d'une série de 20 navires. A partir des numéros 13, 14 et 15 de la série, des évolutions ont été apportées à la construction : La pontée est devenue plus importante ; Le franc-bord a été réduit pour intégrer la correction d'assiette (le navire lège ayant une forte assiette positive, les marques de franc-bord étaient noyées) ; Les seuils de porte ont été rehaussés.
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Le permis de navigation est renouvelé jusqu'au 21 mai 2010. Le certificat de franc-bord est valable jusqu'au 21 mai 2010. Si L'EPAULARD a subi peu de transformations, il a néanmoins été amélioré : Décembre 2002 : agrandissement à 1500 mm x 1500 mm de l'écoutille de la cale à poisson (pont principal) et de l'écoutille d'accès (les barrots de pont sont alors renforcés et le surbau est de 500 mm). Réfection de l'installation de froid. Arrêt technique de 2003 : Remplacement du moteur principal CUMMINS par un BAUDOUIN de même puissance, du réducteur et de la ligne d'arbre. Remplacement des pompes incendie et assèchement (FORANI TS50). Montage d'une installation CO2 dans le compartiment moteur. Arrêt technique de 2006 : Installation d'un radar avec aide à l'anticollision et de l'AIS. Mai 2008 : installation d'une centrale de détection d'envahissement d'eau pour la cale à poisson, la machine et le poste équipage (d'une technologie similaire au standard MARINELEC). Arrêt technique de 2009 : remplacement de la pompe de lavage par une pompe de débit supérieur (FORANI CM500). Installation d'un système de vigilance du quart à la passerelle. Chaque année, mise à sec pour nettoyage de coque, remplacement des anodes et peinture. A cette occasion, les jeux de la mèche de gouvernail et les pales de l'hélice sont contrôlés. Le dernier carénage date de juin 2009. Les enrouleurs et les treuils sont d'origine.
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Situation le jour de l'accident :
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EQUIPAGE
La décision d'effectif porte sur un équipage de quatre personnes (un patron, un mécanicien et deux matelots) pour la pêche en boeufs dans la zone du Golfe limitée par les parallèles 43° Nord 49° Nord et le méridien 10° O uest. L'EPAULARD navigue avec un équipage de cinq personnes : Le patron est âgé de 32 ans. De nationalité française, il est titulaire des brevets de lieutenant de pêche (avril 1998) et de capitaine de pêche (juillet 2004). Patron et mécanicien depuis début 2000, c'est un marin expérimenté (nombreuses campagnes de pêche au large de l'Irlande). Il est patron de L'EPAULARD depuis juillet 2009. Le mécanicien, décédé au cours du naufrage, était âgé de 54 ans. De nationalité espagnole, il ne possédait pas de titre STCW ou marine marchande enregistré par les Affaires maritimes. Naviguant à bord de navires de pêche français depuis 1994, il était mécanicien à bord de L'EPAULARD depuis janvier 2004. Deux matelots sont espagnols, le troisième est portugais. Le mécanicien non navigant de l'armement a reçu une formation « Mesures d'épaisseurs par ultrasons » en 2007.
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CHRONOLOGIE DES EVENEMENTS
(Heures TU + 1)
Le 18 janvier 2010, à 09h30, L'EPAULARD appareille de Ciboure pour une marée de
dix jours. Du 18 au 21 janvier, pêche en boeuf au chalut pélagique avec L'ALBATROS. Le poisson est embarqué à bord de L'ALBATROS. Hormis trois tonnes de glace, la cale à poisson de L'EPAULARD est donc vide. Le 21 janvier vers 07h00, L'EPAULARD change de méthode de pêche pour pratiquer le chalut de fond seul, en suivant la ligne des fonds de 50 mètres à 7 milles de la côte, cap au Nord. La longue houle de secteur Ouest ne fait pas rouler le navire. Vers 11h20, changement de cap pour effectuer un demi-tour par l'Ouest. La manoeuvre prend environ 20 minutes. A 11h45, cap au Sud-Est à la vitesse de 3,5 noeuds, le mécanicien remplace le patron en timonerie pour que celui-ci se restaure. Vers 12h00, le patron est de retour à la timonerie. L'équipage est prêt pour virer le chalut. Le navire suit un cap de secteur est à 3,5 noeuds. Le patron est aux commandes de l'enrouleur et du joystick de barre, face à l'arrière. Les réactions du navire à la barre sont normales. Le mécanicien est redescendu dans l'entrepont et se tient aux commandes des treuils et de la caliorne. Abrité par la cloison de la salle de travail, il ne porte pas de VFI. Dans les minutes qui suivent : Les funes sont virées sans incident jusqu'au chalut et le patron constate que la partie supérieure du chalut est déchirée. Le cul du chalut arrive le long du bord et comprend deux poches d'environ 1,5.tonne. Le moteur est débrayé et le navire poursuit sur son erre, jusqu'à stopper. Une première poche, majoritairement composée de méduses, est embarquée sans difficultés. Deux matelots rejettent les méduses par les sabords de décharge en utilisant la manche de lavage sous pression (3 à 4 bars) ; moins d'une tonne de poisson est ainsi
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conservée dans le bac central, sur le pont principal, en attendant d'être transférée dans la cale via la zone de travail du poisson. Le troisième matelot est sur le pont supérieur, près de l'enrouleur, afin de guider le morceau de chalut déchiré. Le navire est libre de tout mouvement et aucune croche n'est constatée. Vers 12h40, la deuxième poche, en suspens dans l'axe du navire, est prête à être ouverte sur le pont. L'EPAULARD prend alors, en quelques secondes, une très forte gîte sur bâbord (50 à 60° laissant au patron la sensation que le navire est « aspiré ». ), Le patron alerte immédiatement L'ALBATROS de la situation par VHF et évacue la timonerie avec difficulté. Il se retrouve à l'eau, à proximité des trois matelots qui ont été éjectés à la mer. , L'EPAULARD se couche à 90° une épaisse fumée noire se dégage lorsque l'échappement touche l'eau. Le moteur stoppe et L'EPAULARD se retourne complètement. Le patron ne voit pas le mécanicien. Quelques instants plus tard, il l'aperçoit, flottant sur le dos. Aidé d'un matelot, il va à son secours. Le mécanicien respire mais est à demiinconscient. Malgré leurs efforts pour le maintenir, il sera, peu de temps après, sans réaction. Les naufragés réussissent à atteindre un des radeaux de sauvetage (celui qui n'est pas équipé d'une tente et qui, par conséquent, dérive moins vite). Environ 15 minutes après s'être retourné, L'EPAULARD sombre par 50 mètres de fond. L'ALBATROS est sur la zone du naufrage. A 12h57, le CROSS Etel est informé par le CROSS Gris-Nez du déclenchement de la balise RLS 406 MHZ de L'EPAULARD. A 13h02, diffusion du message MAYDAY Relay et mise en oeuvre des moyens nautiques et aériens de secours. A 13h29, deux premiers naufragés sont transférés par l'hélicoptère de la Gendarmerie sur L'ALBATROS.
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A 13h46, les cinq naufragés sont à bord de L'ALBATROS. A 14h22, le médecin qui a été hélitreuillé à bord de L'ALBATROS confirme le décès du mécanicien de L'EPAULARD. Les quatre autres marins sont en état de choc et souffrent d'hypothermie. Ils seront évacués vers l'hôpital militaire de Bordeaux.
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ANALYSE
La méthode retenue pour cette analyse est celle utilisée par le
BEAmer
pour
l'ensemble de ses enquêtes, conformément au Code pour la conduite des enquêtes sur les accidents de l'Organisation Maritime Internationale (OMI), résolution MSC 255 (84). Les facteurs en cause ont été classés dans les catégories suivantes : · · · · facteurs naturels ; facteurs matériels ; facteur humain ; autres facteurs.
Dans chacune de ces catégories, les enquêteurs du BEAmer ont répertorié les facteurs possibles et tenté de les qualifier par rapport à leur caractère : · · · · certain ou hypothétique ; déterminant ou sous jacent ; conjoncturel ou structurel ; aggravant ;
avec pour objectif d'écarter, après examen, les facteurs sans influence sur le cours des événements et de ne retenir que ceux qui pourraient, avec un degré de probabilité appréciable, avoir pesé sur le déroulement des faits. Ils sont conscients, ce faisant, de ne pas répondre à toutes les questions suscitées par l'évènement.
6.1
Facteurs naturels
Les observations du patron et l'analyse de l'expert Météo France (cf. annexe F) sont concordantes : « au moment de l'accident, l'estimation la plus probable est un vent de SudSud-Est de 6 à 8 noeuds et une mer totale forte par houle d'OuestNord-Ouest (290° de )
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hauteur significative (H/3) voisine de 3,20 m pour une période de 10 sec et une longueur d'onde de 150 m. La hauteur maximale (Hmax) la plus probable des vagues est alors estimée comprise entre 5 et 5,50 m. Au vu de ces conditions, le fond estimé proche de 50 m à la position de l'étude n'a pas d'influence notable sur la forme et la hauteur des vagues ». L'équipage n'a pas perçu de mouvements de roulis dans les instants qui ont précédé la prise de gîte soudaine du navire. Mais, naviguant à très faible vitesse (le navire ayant même tendance à culer lorsque les derniers mètres de chalut sont virés, le pas de l'hélice étant alors réduit), vraisemblablement sur une « pente », il subit la houle en suivant la verticale apparente. Dans les conditions de houle rencontrées (longueur d'onde et hauteur de vagues), l'inclinaison maximale serait d'environ 4° . De plus, à proximité de la crête d'un train de vagues, le volume de carène immergé d'un navire diminue, réduisant ainsi sa réserve de stabilité (effet inverse dans un creux). Il est fortement probable que L'EPAULARD se soit trouvé dans la situation la plus défavorable dans l'instant qui a précédé l'accident.
(les forces ne sont pas à l'échelle)
En conséquence, les conditions de houle rencontrées constituent un facteur conjoncturel qui a pu, d'une part provoquer l'inclinaison à l'origine de la gîte sur bâbord prise par L'EPAULARD, et d'autre part une diminution momentanée de sa réserve de stabilité.
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6.2
Facteurs matériels
Lancé 31 ans avant son naufrage, L'EPAULARD n'a subi aucune transformation remettant
en cause les résultats de l'expérience de stabilité effectuée en juin 1979 (cf. annexe C). A noter que la réglementation en vigueur pour cette catégorie de navires est devenue, depuis, plus contraignante. D'autre part, les conditions sévères d'utilisation qu'il a rencontrées au cours de ces années n'ont pas mis en évidence un défaut de conception ou une quelconque vulnérabilité (cette remarque s'applique également aux autres navires de la série, bien que ceux-ci ne soient pas tous strictement identiques). Les armateurs et le patron précisent que lorsque L'EPAULARD pêche le maquereau, une « cuve », d'une capacité de huit tonnes de poisson, est disposée sur le pont principal arrière, en lieu et place des compartiments en bois, sans qu'une dégradation de la stabilité ne soit constatée par le bord. Le navire a cependant chaviré ; il convient donc de tenter de recenser les facteurs matériels (baptisés M1 à M4) susceptibles de dégrader la stabilité, en les associant (effets défavorables cumulés), ainsi que leur origine possible et leur probabilité : 6.2.1 Facteur M1 Présence d'eau (une hauteur de 10 à 20 cm) non détectée (voir facteur M5 ci-après) dans un compartiment offrant une surface libre suffisante pour exercer un effet de carène liquide dégradant fortement la stabilité (cale à poisson, compartiment moteur, poste équipage, pont principal) : Cale à poisson : l'envahissement d'eau de 5% de cet espace serait à même de provoquer une perte de stabilité telle que le bras de levier de redressement (GZ) du navire soit alors insuffisant. La présence d'un tel volume d'eau, provoqué par la fonte de la glace est peu probable (la glacière est maintenue en froid par une installation dédiée ; en cas d'avarie de celle-ci, l'inertie de la remontée en température de la cale est importante et la glace ne fond que lentement ; l'équipage aurait vraisemblablement été alerté par un dysfonctionnement de la glacière). Cependant, des phénomènes de corrosion des puisards ont été observés sur des navires de pêche bien entretenus. S'agissant de L'EPAULARD, une telle corrosion pouvait ne pas être détectable au cours du dernier carénage du navire (juin 2009), laissant ainsi l'eau de mer pénétrer de manière
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« insidieuse ». Un défaut d 'étanchéité au niveau du clapet de la vanne d'asséchement (boite collective) de la cale a également pu passer inaperçu. Compartiment moteur : l'accumulation d'eau dans cet espace pourrait être due à des fuites, même peu importantes, sur les différents circuits eau de mer (circuit de lavage en service au moment de l'accident) ou au puisard de cale pouvant également être corrodé. Poste équipage : d'une manière générale, les corrosions internes pouvant affecter cet espace sont difficiles à détecter. Cet espace est aussi équipé d'un puisard. Pont principal : la zone de réception du poisson, située à l'aplomb du portique, bien qu'arrosée par une manche de lavage, ne retient a priori pas une quantité d'eau suffisante pour créer un effet de carène liquide si les sabords de décharge sont ouverts, ce qui était le cas à bord de L'EPAULARD peu avant le naufrage (évacuation des méduses et des prises indésirables). Analyse critique du facteur M1 : Les réactions de L'EPAULARD sont normales avant l'accident (le navire n'est pas « mou » à la barre). D'autre part, ayant pêché « en boeufs » avec L'ALBATROS peu de temps avant l'accident, aucune gîte anormale n'a été constatée dans cette configuration (alors qu'une force transversale de 6 à 9 tonnes est appliquée sur le navire par les engins de pêche). 6.2.2 Facteur M2
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Croche au niveau du safran ou de l'hélice d`une élingue pouvant être reliée à un objet suffisamment volumineux flottant entre deux eaux, exerçant une traction sur tribord (force résultante F2).
(les forces ne sont pas à l'échelle)
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Analyse critique du facteur M2 : Pour exercer un couple inclinant parasite de 20 tm, reporté au centre de gravité du navire, il faut une surface équivalente de 360 m2 subissant un courant de 1,3 noeud. Cette surface devrait atteindre 600 m2 si le courant est à 1 noeud. Ces dimensions sont largement supérieures à celles d'une palanquée de bois ou d'un conteneur (même de 40 pieds de long). Les images vidéo prises par le ROV ne montrent aucun objet étranger volumineux à proximité immédiate de l'épave du navire (qui serait a priori soumis au même courant). L'origine du câble, visible sous la quille du navire, demande toutefois à être confirmée par des plongées ultérieures. Il resterait également à prouver la possibilité de croche d'un tel câble au niveau du safran ou de l'hélice sans que l'équipage s'en aperçoive. A noter que le safran est orienté à 90° sur la droi te, soit bien au-delà des limites permises par l'appareil à gouverner, limites qui ont pu être franchies lorsque L'EPAULARD a touché le fond. L'hélice ne présente aucun dommage apparent (cf. photos du navire en annexe D). 6.2.3 Facteur M3 Ripage de la pontée sur bâbord, moins d'une tonne de poisson, (force résultante F3). Analyse critique du facteur M3 : Le compartimentage arrière du pont principal en trois sections limite le ripage. Le contenu de la première poche a été vidé dans le compartiment central et il faut trois à quatre tonnes de poisson avant qu'un risque de « débordement » d'un compartiment à l'autre ne survienne ; le ripage est toutefois probable lorsque le navire commence à gîter sur bâbord. 6.2.4 Facteur M4
Déplacement sur bâbord de la poche en suspens (force résultante F4) ; cette poche ne suit que partiellement la verticale apparente du navire .
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(les forces ne sont pas à l'échelle)
Analyse critique du facteur M4 : Concernant la poche de poisson encore en suspens, la possibilité d'un poids parasite pris avec le poisson est écartée : le chalut a été viré sans difficulté, ce qui est confirmé par l'image vidéo du ROV où l'on voit le double du chalut « flotter » librement au dessus du portique. Le poids en suspens est donc limité à 1,5 tonne. 6.2.5 Facteur M5
La centrale d'alarme de montée d'eau était en service avant le naufrage ; l'hypothèse d'une carène liquide ne peut être retenue que si elle est associée à un dysfonctionnement de la centrale (blocage du capteur sans déclenchement d'alarme ou réglage « haut » du seuil de déclenchement). Analyse critique du facteur M5 : La centrale d'alarme a été récemment installée (mai 2008) ; elle est d'un fonctionnement fiable. 6.2.6 Etude de stabilité Le BEAmer a fait évaluer par le calcul les effets des facteurs recensés ci-dessus.
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L'étude a porté sur 2 flotteurs : 1 flotteur dont les formes de carène tendant à redresser le navire sont limitées au pont principal ; 1 flotteur dont les formes de carène tendant à redresser le navire sont limitées au pont supérieur, le volume du gaillard débutant au couple 13 et allant jusqu'à l'étrave étant pris en compte.
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Pour chacun de ces flotteurs, les facteurs M3 (ripage pontée) et M4 (poche en suspens) ont été pris en compte simultanément ; le facteur M1 est considéré pour une entrée d'eau non détectée de 10 cm à 1 m d'eau dans la cale à poisson (de 10 cm en 10 cm). Les résultats retenus (cf. tableau et graphique ci-dessous et annexe C) concernent la situation paraissant la plus réaliste : 10, puis 20 cm d'eau dans la cale à poisson (au delà de ces valeurs, la présence d'eau aurait été détectée par l'équipage) ; la carène considérée s'étend jusqu'au pont supérieur. L'entrée d'eau est considérée comme étant « insidieuse », la cale à poisson est assimilée à une capacité remplie de 10 à 20 cm d'eau (capacité n° 10) ; le calcul n'est donc pas celui d'une voie d'eau brutale avec effet de « carène perdue » générant une forte et rapide dégradation de la stabilité. Récapitualtif et critères : Les valeurs pour une carène limitée au pont principal sont données à titre indicatif.
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Les courbes des bras de levier de redressement font apparaître, dès que la cale à poisson est remplie de 10 cm d'eau, un important « aplatissement », significatif de la difficulté que rencontre la carène à fournir un travail de réaction à un couple inclinant. Lorsque la cale est remplie de 20 cm d'eau, les critères réglementaires ne sont plus respectés. 6.2.7 Conclusion de l'analyse des facteurs matériels
Pour « agir », sans qu'aucun signe précurseur ne soit détecté par l'équipage, M1 (carène liquide) doit être conjugué à M5 (non fonctionnement de l'alarme de montée d'eau). Un effet de carène liquide, non détecté, dans l'un des 3 compartiments recensés cidessus est le facteur déterminant qui pourrait être à l'origine de la perte de stabilité du navire. Un couple inclinant parasite, composé des résultantes horizontales des facteurs M3 et M4, agirait alors en facteur aggravant de M1 (carène liquide). Les phénomènes de croche des engins de pêche sont fréquents pour les navires pratiquant les arts traînants, mais cette hypothèse est exclue dans le cas de L'EPAULARD qui avait déjà viré son chalut sans difficultés au moment du naufrage. La croche du safran ou de l'hélice avec une élingue reliée à un objet suffisamment volumineux (facteur M2) est d'un très faible niveau de probabilité; elle ne constitue pas une hypothèse retenue par le BEAmer.
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6.2.8
Conséquences matérielles observées (cf. photos du navire en annexe D) Panneau de cale.
Les images du ROV montrent nettement le panneau de l'écoutille du pont supérieur posé sur le pont, à proximité de la batayole, sur bâbord. Ce panneau, démuni de charnières, est normalement fermé et verrouillé par quatre « oreilles ». L'EPAULARD ayant essuyé du mauvais temps la veille, les marins ont la certitude que le panneau était fermé et souqué au moment de l'accident. Après avoir chaviré en surface, L'EPAULARD s'est à nouveau retourné au cours de sa chute vers le fond avant de se poser sur sa quille par plus de 50 mètres de fond. L'effet d'une surpression faisant s'ouvrir le panneau de cale est peu probable dans la mesure où les pressions d'eau sont équilibrées entre l'extérieur et l'intérieur de la coque envahie d'eau de mer. Le panneau de cale se serait donc ouvert au moment de l'impact du navire sur le fond. Enfoncement du tableau arrière. Le tableau est flambé sur presque toute la largeur du navire. Cette déformation, qui n'existait pas avant l'accident, a vraisemblablement été provoquée lorsque le navire a touché le fond, a priori sur l'angle bâbord arrière qui a encaissé le choc sans déformation visible. L'effort de compression aurait alors été absorbé par le tableau arrière, du fait de son échantillonnage moins rigide.
6.3
Facteurs humains
Le navire a chaviré brutalement, en plein jour, tous les marins étant mobilisés par une opération de routine nécessitant toutefois un bon niveau de vigilance. Aux dires des marins, cette opération (virer le chalut et embarquer le poisson en deux étapes) s'est déroulée sans incidents. La description détaillée des opérations (recueillie au cours de plusieurs interviews du patron), dans les minutes qui ont précédé la brutale prise de gîte, ne permet pas de mettre en évidence une défaillance humaine, telle qu'une réaction inappropriée face à un événement inattendu (croche, avarie, rupture de pièce...). Dans le cas présent, l'analyse du facteur humain tient plus d'un constat de bonne gestion d'une situation critique (cinq hommes à la mer dont un présentant les symptômes de la noyade) lorsque le navire chavire, que d'une défaillance. Le BEAmer n'a identifié aucun facteur humain ayant pu contribuer à l'accident.
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SYNTHESE
L'EPAULARD n'a pas pu chavirer sous l'action d'un facteur unique. Le recensement
des facteurs probables et les images prises par le ROV ne permettent pas pour autant de conclure à un cumul de causes pouvant être validées avec certitude ; les réactions et la configuration du navire avant l'accident, de même que son historique, ayant plutôt tendance à écarter les hypothèses réalistes habituellement retenues pour ce type de naufrage. Un scénario, jamais rencontré auparavant, et cumulant des effets défavorables durant un court instant, pourrait cependant être à l'origine du naufrage. Facteur naturel : Houle de travers ; le navire suit une verticale apparente et présente une tendance à gîter sur bâbord ; simultanément, si son volume de carène immergé diminue (proximité de la crête d'une vague), sa réserve de stabilité se dégrade momentanément. Facteurs matériels : Entrée d'eau relativement peu importante mais suffisante pour créer un effet de carène liquide dans un espace libre. Non détection de cette présence d'eau, le navire gîte sur bâbord. Ripage de moins d'une tonne de poisson sur le pont principal arrière ; la poche d'1,5 tonne en suspens se décale également sur bâbord et la dégradation de stabilité due à la position du navire sur la houle s'accentue. Ce cumul d'effets défavorables aurait, a priori, pour conséquence le chavirement d'un navire de la dimension de L'EPAULARD. Mais en l'absence de preuves matérielles pouvant être vérifiées par le BEAmer, le scénario envisagé reste à l'état d'hypothèse. Facteur Humain : Aucune action ayant pu conduire à la perte de stabilité du navire n'a été identifiée.
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RECOMMANDATION
Le BEAmer recommande :
A l'administration chargée de la réglementation de la sécurité maritime : De rendre obligatoire, tous les 10 ans, la pesée systématique des navires de pêche de 12 à 24 mètres.
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LISTE DES ANNEXES
A. B. C. D. E. F. G.
Décision d'enquête Cartographie Stabilité Photos de l'épave Enregistrement AIS Analyse Météo France Observations de l'armateur
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Annexe A
Décision d'enquête
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Annexe B
Cartographie
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Annexe C
Stabilité
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Stabilité avec formes limitées au pont supérieur (chargement décalé) :
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Stabilité avec formes limitées au pont supérieur (chargement décalé et envahissement d'eau dans la cale à poisson 10 cm et 20 cm) :
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Annexe D
Photos de l'épave
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Sur la gauche, panneau arrière bâbord
Panneau de cale posé sur le pont
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Enfoncement du tableau arrière
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Annexe E
Enregistrements AIS
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Annexe F
Analyse Météo France
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Annexe G
Observations de l'armateur
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Le rapport ne fait pas état d'une probable cause du naufrage externe au navire. L'enfouissement partiel de l'épave ne permet pas de voir la coque sous les quilles anti-roulis.
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