Rapport d'enquête technique : rupture du mât à bord du catamaran de grande plaisance Allures survenue le 19 juin 2011 à l'ouvert du golfe de Saint-Florent, Haute-Corse (une victime)

Auteur moral
France. Bureau d'enquêtes sur les événements de mer
Auteur secondaire
Résumé
Le présent rapport d'enquête technique a été établi conformément aux dispositions du Code des transports. Il porte sur la rupture du mât à bord du catamaran de grande plaisance Allures survenue le 19 juin 2011 à l'ouvert du golfe de Saint-Florent, Haute-Corse. Cet accident a fait une victime. Ce rapport expose les conclusions auxquelles sont parvenues les enquêteurs du BEAmer sur les circonstances et les causes de l'événement analysé et propose des recommandations de sécurité.
Editeur
BEAmer
Descripteur Urbamet
accident ; sécurité ; prévention des risques ; navigation de plaisance
Descripteur écoplanete
Thème
Transports
Texte intégral
Rapport d'enquête technique ALLURES 2 Rapport d'enquête technique RUPTURE DU MÂT À BORD DU CATAMARAN DE GRANDE PLAISANCE ALLURES SURVENUE LE 19 JUIN 2011 À L'OUVERT DU GOLFE DE SAINT-FLORENT HAUTE-CORSE (UNE VICTIME) Page 1 sur 44 Rapport d'enquête conjointe effectuée en collaboration avec l'État du pavillon Le Grand-Duché du Luxembourg Page 2 sur 44 Avertissement Le présent rapport a été établi conformément aux dispositions du titre III de la loi n° 2002-3 du 3 janvier 2002 et du décret n° 2004-85 du 26 janvier 2004 relatifs aux enquêtes techniques après événement de mer, accident ou incident de transport terrestre, ainsi qu'à celles du « Code pour la conduite des enquêtes sur les accidents » de l'Organisation Maritime Internationale (OMI), résolution MSC 255 (84). Le navire impliqué dans l'évènement battant pavillon du Luxembourg, il a été fait application des chapitres 7 et 10 du Code relatifs à la coopération entre Etats pour la conduite des enquêtes de sécurité maritime. Les investigations ont été menées conjointement par les Bureaux d'enquêtes des deux Etats. Il exprime les conclusions auxquelles sont parvenus les enquêteurs sur les circonstances et les causes de l'événement analysé. Conformément aux dispositions susvisées, l'analyse de cet événement n'a pas été conduite de façon à établir ou attribuer des fautes à caractère pénal ou encore à évaluer des responsabilités individuelles ou collectives à caractère civil. Son seul objectif a été d'en tirer des enseignements susceptibles de prévenir de futurs sinistres du même type. En conséquence, l'utilisation de ce rapport à d'autres fins que la prévention pourrait conduire à des interprétations erronées. Page 3 sur 44 PLAN DU RAPPORT 1 2 3 4 5 6 7 CIRCONSTANCES CONTEXTE NAVIRE ÉQUIPAGE CHRONOLOGIE ANALYSE RECOMMANDATIONS Page Page Page Page Page Page Page 6 6 7 9 10 13 19 ANNEXES A. B. C. Décision d'enquête Dossier navire Dossier Météo France Page 4 sur 44 Liste des abréviations BEAmer : : : : : : : : : Bureau d'enquêtes sur les évènements de mer Brevet d'Aptitude à l'Exploitation des Embarcations et Radeaux de Sauvetage Certificat Général d'Opérateur Certificat Restreint d'Opérateur Maritime and Coastguard Agency Motor Yacht Navire à Utilisation Collective SITuation REPort Convention internationale sur les normes de formation des gens de mer, de délivrance des brevets et de veille (International Convention on Standards of Training Certification and Watchkeeping) BAEERS CGO CRO MCA M/Y NUC SITREP STCW S/Y TU tx VHF : : : : Sailing Yatch Temps Universel Tonneaux de jauge Très hautes fréquences (Very High Frequency) Page 5 sur 44 1 CIRCONSTANCES Le 19 juin 2011, en fin de matinée, le S/Y ALLURES appareille du mouillage de Punta Mortella pour une courte navigation à l'ouvert du Golfe de Saint-Florent (Haute-Corse). Le programme initial, qui prévoyait une navigation à destination de l'Ile Rousse, a été modifié par le capitaine, au vu des conditions météo, afin que le séjour reste suffisamment confortable pour les huit clients qui sont à bord. Les conditions météo au large sont cependant maniables pour un navire de la taille d'ALLURES et un équipage composé de professionnels. Après l'appareillage, ALLURES fait route au près bon plein, sous 2 ris et génois partiellement déroulé. Le flybridge est occupé par quatre personnes : le capitaine, au poste de barre tribord, le second et une hôtesse-marin, tous deux occupés à lover et ranger les drisses, et une cliente, sur bâbord. Les autres clients et membres d'équipage sont sur le pont principal. Le navire est encore relativement protégé par la côte et le vent est régulier, établi à 30 noeuds au 280°, les vagues de 1,50 mètre à 2 mètres. La vitesse est de 12,6 noeuds. Peu après, alors que le capitaine contrôle le réglage des voiles et la tension dans les haubans (à partir d'un écran multifonctions du poste de barre), un violent craquement se fait entendre, instantanément suivi de la chute du mât dans l'eau, et de la bôme sur le flybridge. Le capitaine est prisonnier sous la voile mais se dégage rapidement pour évaluer la situation : le second, qui se tenait appuyé au caisson tribord, à proximité du poste de barre, est mortellement blessé par la bôme. La cliente et l'hôtesse-marin, toutes deux sur bâbord, ne sont pas blessées. Immédiatement, l'équipage prend en charge les clients pour éviter toute panique et les garder en sécurité. Au vu de la situation, le capitaine lance un Mayday qui sera relayé par un motor yacht vers le CROSS Méditerranée Corse. En début d'après-midi, ALLURES sera remorqué jusqu'à un mouillage abrité, et les clients débarqués sains et saufs. 2 CONTEXTE ALLURES est la propriété de la société Independant Charter Limited, basée à l'Île de Man. Il est commercialisé en charter 10 à 12 semaines par an par les courtiers Campers & Page 6 sur 44 Nicholson. Basé en Méditerranée ouest l'été, il effectue chaque année une « transat » pour naviguer aux Caraïbes l'hiver. 3 3.1 NAVIRE Généralités ALLURES est un catamaran à voiles à coque et mât en carbone, technologie retenue dans le but d'obtenir un navire performant et robuste. La coque, construite par Compositeworks, a été livrée coque nue à Blucat S.A qui a effectué la suite des travaux jusqu'à la livraison, au cours de l'été 2006 à La Ciotat. Il appartient à la catégorie des yachts de grande plaisance, destinés au charter, et apte à satisfaire les exigences d'une clientèle sportive. En 5 ans, ALLURES a parcouru 80.000 milles (environ 25 semaines de mer par an), ce qui est supérieur à la moyenne pour ce type de navire. Principales caractéristiques : Immatriculation N° OMI Longueur Largeur Jauge brute Déplacement Motorisation Vitesse Cabines clients : : : : : : : : : n° 5451 (n° 7­9 au registre du Luxembourg) ; 9094755 ; 30,5 m ; 13,1 m ; 135 tx ; 65 t ; 2 moteurs Cummins de 355 CV ; 12 à 20 noeuds sous voiles ; 4 (8 personnes). Les visites de sécurité sont effectuées par des inspecteurs du Bureau Veritas agissant au nom du Grand-Duché du Luxembourg (accord de coopération du 22 janv. 1991). Ces visites techniques et statutaires sont complétées par des visites de l'Etat du pavillon. Dernière visite le 19 octobre 2010 à La Ciotat : recommandations ne concernent que des aspects documentaires. les commentaires et Page 7 sur 44 Avant l'accident, le navire sortait d'un arrêt technique à La Ciotat (au retour de la transat d'avril 2011). 3.2 3.2.1 Le mât Description et évolutions Mât-aile en carbone fabriqué par LORIMA, à Lorient. Longueur du tube : 36,63 m, poids au démoulage : 1153 kg. Les calculs de structure et le plan de drapage ont été réalisés par Rivoyre Ingénierie en 2004 (cf. annexe B). À cette époque le projet est très innovant : réalisation d'un plan de drapage largement dimensionné ; utilisation de tissus de carbone en nappes pré-imprégnées de résine (fibres M40J à module d'élasticité intermédiaire et fibres T700S à haute résistance pour les renforts) ; utilisation de deux moules femelles permettant d'aligner les tissus dans le sens de l'effort. - Les techniques de fabrication et de contrôle qualité sont parfaitement maîtrisées. Début 2010, à la demande du propriétaire, le plan de voilure est modifié afin d'améliorer les performances par petit temps : le solent d'origine (145 m2) est remplacé par un génois de 196 m2, garantissant un recouvrement partiel de la grand-voile et, en conséquence, un meilleur rendement. Un rail de génois est donc implanté sur le pont, nécessitant la pose de renforts de roof. Rivoyre Ingénierie valide les plans par une simulation 3D, mais LORIMA n'est pas informé de cette évolution. 3.2.2 Problèmes rencontrés La rotation du mât se fait sur une boule solidaire du pont. Le pied de mât est muni d'un graisseur qui vient lubrifier la surface de contact. Mais la boule n'étant pas munie de canaux de graissage (comme sur certains navires de course au large), la graisse s'accumule et sèche. Cet inconvénient est pallié par un démâtage périodique (suite à des avaries sur le gréement, l'opération a été effectuée en 2007 et en 2009). Page 8 sur 44 Lors de la transat d'avril 2011, au cours de laquelle des vents de 45 - 50 noeuds sont enregistrés avant Les Açores, une des trappes de survie (située dans une cabine) est arrachée, contraignant l'équipage à une réparation provisoire. Par précaution, le navire est sous-toilé jusqu'à l'escale technique des Açores et le restera jusqu'en France. Pendant l'escale, le capitaine monte dans le mât et effectue un contrôle visuel complet : il détecte des fissures sur la peinture et l'enduit du mât au niveau du barrot de fixation des barres de flèche, mais après ponçage celles-ci disparaissent. Pendant la traversée Açores ­ France, la rotation du mât est déficiente. 3.2.3 Arrêt technique de 2011 Les différents problèmes rencontrés précédemment sont résolus au cours de l'arrêt technique de 2011, effectué à La Ciotat par Compositeworks (qui sous-traite à un spécialiste reconnu pour ce type d'opérations) : le mât et la bôme sont soulevés au moyen de 2 grues pour ressuage de la boule et remplacement du système de graissage ; après inspection, il est confirmé que la fissure détectée se limite à la peinture et à l'enduit; le mât est contrôlé visuellement sur toute sa longueur, mais il n'est pas procédé à une révision complète. - 4 ÉQUIPAGE Cinq membres d'équipage : Le capitaine : Il est âgé de 45 ans. De nationalité française, il est engagé par la société Dominion Crew Solution, sous contrat anglais. Titres STCW (endossés au Luxembourg conformément aux dispositions légales) : capitaine 500, patron plaisance voile, CGO, BAEERS, lutte contre l'incendie, Médical III. Expérience : moniteur de voile, convoyages, charters, capitaine de vedette à passagers et motor yacht. Page 9 sur 44 Après avoir navigué à bord d'ALLURES dans la fonction de second pendant environ 8.mois, est recruté dans la fonction de capitaine le 16 juin 2011 (le principal critère de sélection, fixé par le propriétaire, étant le recrutement d'un marin ayant une expérience significative de son navire). Le second capitaine : De nationalité française, il était âgé de 34 ans. Titres STCW : capitaine 200, mécanicien 750 kW. Expérience : voile, vieux gréements (Etoile Marine Croisières). Etait déjà second à bord d'ALLURES à l'automne 2010 (transats et saison aux Antilles). Deux hôtesses : Elles exercent également la fonction de marin. L'hôtesse qui était sur le flybridge au moment de l'accident est titulaire du capitaine 200, CRO et Médical II. Expérience d'équipière et chef de bord NUC. Un chef cuisinier. 5 CHRONOLOGIE (Heures TU + 2) Météorologie : Sémaphore Île Rousse : Vent 230° 24 noeuds, Mer forte (2,5m à 4m), visibilité 19km. BMS Météo France : Avis de grand frais à coup de vent n°189 sur Provence, Côte d'Azur et Corse. Fin de validité lundi 20 juin à 03h00 UTC. Prévision pour l'après-midi du dimanche 19 juin : de Scandola au Cap Corse, vent de sud-ouest à ouest force 7 à 8 (28 à 40 noeuds). Cette prévision sera confirmée par l'observation entre 10H00 et 12h00 (heure légale) : Cap Corse, vent d'ouest temporairement force 9 (41 à 44 noeuds) avec des rafales de 59 à 64 noeuds. La chronologie est établie à l'aide du rapport de mer du capitaine et du SITREP émis par le CROSS Corse. Page 10 sur 44 Les 17 et 18 juin 2011, convoyage d'ALLURES (au moteur) de La Ciotat à Saint-Florent. Embarquement des huit clients à 11h20 le 18 juin 2011. À 15h30, appareillage pour mouiller face à la plage du Dolu. À 16h10, appareillage pour mouiller au sud de la Punta Mortella. Le 19 juin 2011, Vers 09h30, du fait de la météo, le capitaine décide, en accord avec le second et les clients, de limiter le programme de navigation à l'ouvert du Golfe de Saint-Florent. À 10h45, appareillage. Grand-voile établie avec 2 ris. Les 2 moteurs sont en marche et débrayés. Page 11 sur 44 À 11h10, cap compas au 355°, génois partiellement déroulé (enroulé de 8 tours), la vitesse atteint rapidement 12 noeuds. Le vent apparent est de 35 à 37 noeuds avec un angle de 40° sur bâbord (rapport du capitaine). La tension sur le hauban bâbord est de 11,8 tonnes (valeur maxi autorisée : 17.tonnes). Vers 11h25, sur le flybridge, le capitaine est toujours à la barre (poste tribord), le second est à proximité, appuyé sur un caisson. L'hôtesse-marin et une cliente discutent sur bâbord, au niveau du poste de barre. La vitesse est de 12,6 noeuds, le vent réel du 280° à 27 noeuds lorsque, sans signes avant-coureurs, le mât se brise en trois tronçons et tombe dans l'eau, retenu par les haubans et l'étai. La bôme chute sur le flybridge et heurte violemment le second à la tête. Le capitaine, l'hôtesse et la cliente sont indemnes. Le capitaine, après s'être dégagé de la voile qui recouvre le flybridge, constate que son second est mortellement blessé. Au moyen d'un coussin, il protège le visage de son second de la vue de la cliente qui se tient sur le flybridge. ALLURES commence à dériver vers la côte. Le capitaine embraye les 2 moteurs, mais du fait du gréement à l'eau, le navire n'est pas manoeuvrant et dérive. L'hôtesse du flybridge conduit la cliente, choquée, sur le pont principal où elles rejoignent les clients et les deux autres membres d'équipage. Ceux-ci prennent les clients en charge ; par prudence, les gilets de sauvetage sont enfilés. Voyant qu'il ne pourra pas procéder seul et rapidement au largage du mât, le capitaine lance un Mayday par VHF portable (la VHF fixe est hors d'usage du fait de la chute du mât et de ses antennes). Après plusieurs tentatives, le Mayday est capté vers 12h30 par le M/Y MARLÈNE qui relaye vers le CROSS Corse. À 12h48, la demande d'assistance est confirmée par ALLURES. À 12h53, engagement de la SNS 123, de Saint-Florent. À 13h25, le M/Y MARLÈNE est sur zone. Page 12 sur 44 À 14h40, ALLURES est pris en remorque par la SNS 123. À 16h07, les clients sont débarqués. Position du démâtage : 42°44',26 N ­ 009°15',91 E (la position reportée sur le SITREP est erronée). 6 ANALYSE La méthode retenue pour cette analyse est celle utilisée par le BEAmer pour l'ensemble de ses enquêtes, conformément au Code pour la conduite des enquêtes sur les accidents de l'Organisation Maritime Internationale (OMI), résolution MSC 255 (84). Les facteurs en cause ont été classés dans les catégories suivantes : facteurs naturels ; facteurs matériels ; facteurs humains. Dans chacune de ces catégories, les enquêteurs du BEAmer ont répertorié les facteurs possibles et tenté de les qualifier par rapport à leur caractère : certain ou hypothétique ; déterminant ou sous-jacent ; conjoncturel ou structurel ; aggravant ; avec pour objectif d'écarter, après examen, les facteurs sans influence sur le cours des événements et de ne retenir que ceux qui pourraient, avec un degré de probabilité appréciable, avoir pesé sur le déroulement des faits. Ils sont conscients, ce faisant, de ne pas répondre à toutes les questions suscitées par l'évènement. 6.1 Facteurs naturels Les conditions météo (cf. §5) ont contraint le capitaine à modifier le programme de navigation en limitant le parcours à l'ouvert du Golfe de St-Florent. Bien que relativement abritée, la zone de navigation est exposée, le jour de l'accident, à un vent d'ouest de 30 noeuds. Page 13 sur 44 Les conditions de mer, au moment de l'appareillage (vagues de 1,50 m à 2 mètres) restent confortables pour un catamaran de la taille d'ALLURES. Mais plus au nord, à l'ouvert du golfe, les conditions de vent et de mer sont beaucoup plus dures. Extrait de l'analyse de l'expert Météo France (cf. dossier complet en annexe C) : Le 19 juin 2011, à 00h UTC, en bordure côtière, le vent sur la zone est bien établi à l'Ouest Sud-Ouest force 6 Beaufort avec de fortes rafales. Au large, et près du Cap Corse, il souffle d'Ouest force 8 Beaufort avec aussi de fortes rafales. Au moment où survient le démâtage (vers 09h UTC), le vent s'est renforcé, en particulier sur le Cap Corse où il atteint force 9 Beaufort. En parallèle, le renforcement des rafales, noté sur les relevés des stations peu avant 08h UTC, avec respectivement 31 noeuds à 08h17 UTC à Calvi, 44 noeuds à 08h UTC à Ile Rousse et 59 noeuds à 08h46 UTC puis 65 noeuds à 09h33 UTC au Cap Corse, démontre la présence d'une veine de vent plus fort entre 08 et 10h UTC sur la bordure côtière et au large. La mer totale (en H1/3) est forte, croisée, avec une houle de Nord-ouest de10m. Les creux moyens (H1/3) de la mer totale sont de l'ordre de 2,90 m à 06h UTC puis 3,10 m vers 09h UTC ; à noter alors qu'une vague sur 100 peut avoisiner une hauteur maximale (Hmax) de 4,65 m aux alentours de 09h UTC. De plus, les directions des deux trains principaux de vagues (mer du vent d'Ouest Sudouest et houle de Nord-ouest) sont séparées d'environ 70 à 80 degrés. Cet état de mer chaotique correspond à une situation qui semble favorable à un risque accru de formation de vagues dites «anormales», tant du point de vue de la hauteur (Hmax réel pouvant être supérieur à Hmax théorique) que de la forme, sans que l'on soit en mesure de mieux qualifier l'état de la mer. Les BMS émis le 18 juin à 15h45 (n°188) et du 19 à 04h02 UTC (n°189), annonçant l'avis de «coup de vent» (force 8B), concordent avec l'analyse. Celui de 12h16 UTC (n°190), annonçant « localement fort coup de vent » (force 9B), est un peu tardif au vu des relevés, mais ces derniers n'indiquent que des valeurs à peine supérieures au seuil des 41 noeuds. Les annotations supplémentaires «rafales», «fortes et violentes rafales» répondent à des normes bien définies et ne sont présentes dans les BMS que si elles sont prévisibles. Il en est de même pour l'état de la mer ; si la situation l'exige, alors les annotations «mer grosse», «mer très grosse» ou «mer énorme» sont indiquées. En conclusion, les conditions météorologiques étaient mauvaises en ce dimanche matin 19 juin 2011, avec l'accumulation de facteurs aggravants tels que : vent fort à très fort, fortes rafales et mer «hachée» (forte et croisée). La force du vent et l'état de la mer constituent donc le facteur conjoncturel qui a contribué au démâtage. Page 14 sur 44 6.2 Facteurs matériels Le premier point de rupture se situe 6 m au-dessus du pied de mât et le tronçon, jusqu'au deuxième point de rupture, mesure 11,50 m. Le deuxième point de rupture est donc sensiblement à mi-hauteur du mât. La barre de flèche bâbord est cassée. Cassure franche du 1er tronçon 6.2.1 Coefficient de sécurité Pour un catamaran de croisière, le mât est conçu comme un « fusible », évitant tout risque de chavirage. La tension sur les haubans (exprimée en tonnes), fonction de la surface de voile et de la force du vent, est un des paramètres caractéristiques des efforts subis par le mât. La limite de résistance du mât est calculée en fonction du déplacement prévu du catamaran (avec un coefficient de sécurité de 1,6 à 1,8). Le mât d'Allures a été calculé pour une valeur cible du déplacement navire de 50 tonnes. À la sortie du chantier, le navire lège a été pesé par le Bureau Veritas à 55 tonnes. En ordre de marche le navire a actuellement un déplacement de 64 tonnes. Page 15 sur 44 6.2.2 Choix du matériau pour les renforts Le matériau utilisé pour renforcer les zones où des ouvertures sont pratiquées dans le mât (fibre T700S) est une fibre HR (haute résistance) ayant un petit module d'élasticité avec une haute contrainte de rupture. À noter que la fibre M40J est également à haute résistance, mais avec plus d'élasticité (cf. graphique des propriétés des fibres de carbone en annexe B). Actuellement, ces deux fibres sont toujours utilisées. 6.2.3 Porosité Lorsque la porosité d'un tube est inférieure à 3% (contrôle par ultrasons à la livraison, non systématique, effectué si le propriétaire le demande, ce qui n'a pas été le cas du mât d'ALLURES à la fin du chantier), il est admis que le matériau « ne vieillira pas ». Au cours des 5.années de navigation d'ALLURES, aucun signe de faiblesse du mât n'a été constaté par les différents capitaines. En outre, dans le cadre de l'enquête judiciaire, un contrôle de porosité par ultrasons a été effectué après l'accident : celui-ci n'a pas révélé de problème de porosité ou de risque de délaminage. 6.2.4 Navigation sous 2 ris Il a été constaté, sur des catamarans de course au large, des ruptures de mât dus à une modification de la répartition des efforts dans cette configuration (pas d'étai à ce niveau, le mât travaille alors plus en flexion). Dans le cas d'ALLURES, cette situation a été prise en compte par le bureau d'études (la zone de la têtière de 2ème ris est renforcée). De plus, le losange limite la flexion. 6.2.5 Usure du navire Au cours des nombreux milles effectués, ALLURES a connu des conditions sévères d'utilisation, notamment les deux premières années qui ont suivi sa mise en service. Des problèmes de gréement et de poutre avant, solutionnés au cours des arrêts techniques, en attestent. Il est d'autre part admis que la navigation en charter est généralement effectuée avec des équipages réduits. En conséquence, le réglage « idéal » ne peut être effectué Page 16 sur 44 immédiatement ; il peut s'en suivre des déséquilibres momentanés dans la mâture contribuant à l'usure du matériel. De ce fait, le constructeur du mât préconise le remplacement de certains éléments du gréement courant tous les 5 ans (ou après 40 000 milles de navigation). 6.2.6 Conditions de rupture du mât Le point d'ancrage du génois est situé à 33 m du pied de mât. Le point de tire de la grand-voile sous 2 ris est à 22,45 m du pied de mât : la résultante des efforts transmis par la grand-voile au mât agit alors à un point plus bas et le moment de flexion devient très important. Tant que le navire n'est pas soumis à des chocs violents, les efforts subis par le mât sont absorbés sans risque de rupture. Mais une vague de plus grande hauteur que les vagues moyennes rencontrées dans une zone de navigation, peut provoquer un freinage brutal des deux coques : outre le déséquilibre momentané de route, c'est l'augmentation du moment de flexion et la diffusion de l'onde de choc générée dans la partie haute du mât qui, à la rencontre du premier « noeud », provoquent les conditions de rupture. Le risque est plus important si le matériau est plus « cassant » à cet endroit (fibres T700S). Ces hypothèses constituent les facteurs déterminants ayant vraisemblablement contribué à la rupture franche du mât, caractéristique de la fibre HR utilisée. 6.3 6.3.1 Facteurs humains Conduite du navire Réglages adoptés par les précédents capitaines : vent apparent de 25 ­ 28 noeuds : 1 ris dans la grand-voile, 3 tours sur l'enrouleur de génois ; vent apparent de 30 ­ 35 noeuds : 2 ris dans la grand-voile, 6 tours sur l'enrouleur de génois. De même, sur le plan détaillé des renforts du roof, établi par le bureau d'ingénierie, il est précisé qu'il est impératif de ne pas dépasser 28 noeuds de vent apparent sous grand-voile haute et génois. Page 17 sur 44 Peu avant l'accident le vent apparent est de 35 à 37 noeuds (rapport du capitaine). ALLURES navigue sous 2 ris dans la grand-voile et génois enroulé de 8 tours, soit 145 m2 de toile déroulée (surface équivalente à celle du solent d'origine). Ce réglage est a priori conforme aux usages et préconisations. « L'arthur »1 est débrayé : le mât est alors libre en rotation et reste dans le même plan que la bôme, ce qui est conforme aux pratiques des précédents capitaines, ­ hormis lorsque le bateau est sur un long bord au même cap, afin d'éviter les phénomènes de « pompage ». Cette pratique est cependant contestée par Rivoyre ingénierie et LORIMA : si l'arthur est libre, la bôme pousse la face arrière du mât vers l'avant, jusqu'à risquer un angle excessif avec le profil du mât. Mais ce phénomène ne s'est a priori pas produit le jour de l'accident, car un effort de compression trop important de la bôme aurait dû provoquer la rupture du mât au niveau du vît de mulet. 6.3.2 Marge de sécurité Si la trinquette, qui fait partie du jeu de voiles disponibles, avait été envoyée à la place du génois, la marge de sécurité aurait naturellement été plus grande, notamment dans les rafales. De plus, les limites de tension supportables par les haubans (mesurables par les jauges de contrainte) sont supérieures aux efforts limites pouvant être subis par le mât ; la marge de sécurité est de ce fait moins importante qu'il n'y paraît. Cette situation constitue également un facteur déterminant. De même, il est admis qu'un cap à 40° du vent apparent est « limite » avec un catamaran (risque de déventement du génois et de pompage générant des tensions dans le mât lorsque le génois se regonfle). 1 Dispositif permettant de contrôler la rotation du mât Page 18 sur 44 6.4 Conclusion Le paramètre « usure », que le capitaine et les chantiers de maintenance ne pouvaient pas mesurer, et une marge de sécurité moins importante que ne le laissaient supposer les indications fournies par les jauges, constituent les facteurs qui ont vraisemblablement créé les conditions favorables à la rupture du mât, au moment de l'impact avec une vague de grande hauteur dans une mer croisée. La conduite du navire était conforme aux usages tant que le navire évoluait dans une zone relativement abritée. Un cap de 50 à 60° du vent apparent aurait néanmoins été plus sûr. 7 RECOMMANDATIONS Le BEAmer recommande : aux concepteurs de yachts de grande plaisance : 7.1 d'établir une corrélation entre les tensions mesurables du gréement et le risque de rupture du mât, et donner des consignes de conduite (tensions limites et voilure) offrant une marge de sécurité suffisante. Ces aides à la décision ne se substitueraient pas pour autant au sens marin des équipages chargés de la conduite de navires performants ; 7.2 d'étudier les phénomènes de vieillissement des matériaux et de les intégrer aux abaques d'aide à la décision ; 7.3 d'établir des protocoles de maintenance des mâts et de les mettre à la disposition du bord à la livraison du bateau (par exemple, à l'aide du Guide réalisé par le MCA : Large Yachts ­ Examination of carbon fibre masts and spars). aux propriétaires et capitaines : 7.4 de procéder à un contrôle annuel complet du navire lorsque celui-ci est soumis à des conditions sévères d'utilisation. 7.5 d'effectuer un essai en mer sous voiles, avec le seul équipage, à l'issue du contrôle annuel, avant de passer en mode charter. Page 19 sur 44 LISTE DES ANNEXES A. B. C. Décision d'enquête Dossier navire Dossier Météo France Page 20 sur 44 Annexe A Décision d'enquête Page 21 sur 44 Page 22 sur 44 Annexe B Dossier navire Page 23 sur 44 2ème cassure cassure 1ère cassure Page 24 sur 44 Plan de drapage Page 25 sur 44 Propriétés des Fibres de carbone 7500 7000 6500 6000 Contrainte de rupture (MPa) 5500 5000 4500 4000 3500 3000 2500 1 2 3 T700S M40J 4 5 6 7 8 Module d'élasticité (GPa) 2000 100 150 200 250 300 350 400 450 500 550 600 650 700 750 800 850 900 950 1000 Page 26 sur 44 1 à 8: différentes qualités de fibres existantes (TORAY, TENAX FIBERS, HEXCEL, GRAFIL, DIALED, GRANOC, SGL, ZOLTEC, etc.) Mât et grand-voile dans l'eau après l'accident Cassure franche du 1er tronçon Page 27 sur 44 Cassure franche du 2ème tronçon Câblage électrique mâture ­ support de la boule de rotation du mât Page 28 sur 44 Débarquement du 1er tronçon du mât et de la bôme Cadène d'un hauban Page 29 sur 44 Jauge de contrainte d'un hauban Page 30 sur 44 Annexe C Dossier Météo France Page 31 sur 44 Page 32 sur 44 Page 33 sur 44 Page 34 sur 44 Page 35 sur 44 Page 36 sur 44 Page 37 sur 44 Page 38 sur 44 Page 39 sur 44 Page 40 sur 44 Page 41 sur 44 Page 42 sur 44 Page 43 sur 44 Page 44 sur 44 Ministère des Transports, de l'Equipement, du Tourisme et de et de la Ministère de l'Écologie, du Développement durable, des Transports la Mer Mer Bureau d'enquêtes 92055 LA DEFENSE CEDEX Tour Pascal B sur les évènements de mer T : + 33 (0) 140 813 824 / F : +33 (0) 140 813 842 TourBea-Mer@equipement.gouv.fr Voltaire - 92055 La Défense cedex Téléphone : +33 (0) 1www.beamer-france.org +33 (0) 1 40 81 38 42 40 81 38 24 - télécopie : www.beamer-france.org bea-mer@developpement-durable.gouv.fr Bureau d'enquêtes sur les évènements de mer

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