Rapport d'enquête technique : chute à la mer à bord du fileyeur François Cécile survenue le 12 juin 2013 à l'embouchure du Rhône (une victime)
Auteur moral
France. Bureau d'enquêtes sur les événements de mer
Auteur secondaire
Résumé
Le présent rapport d'enquête technique a été établi conformément aux dispositions du Code des transports. Il porte sur la chute d'un homme à la mer qui est survenue à bord du fileyeur François Cécile le 12 juin 2013 à l'embouchure du Rhône. Cet accident a fait une victime. Ce rapport expose les conclusions auxquelles sont parvenues les enquêteurs du BEAmer sur les circonstances et les causes de l'événement analysé et propose des recommandations de sécurité.
Editeur
BEAmer
Descripteur Urbamet
accident
;prévention des risques
;sécurité
Descripteur écoplanete
Thème
Transports
Texte intégral
Rapport d'enquête technique
CHUTE À LA MER À BORD DU FILEYEUR
FRANÇOIS CÉCILE
SURVENUE LE 12 JUIN 2013 À L'EMBOUCHURE DU RHÔNE (UNE VICTIME)
Rapport publié : juin 2014
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Rapport d'enquête technique
CHUTE À LA MER À BORD DU FILEYEUR
FRANÇOIS CÉCILE
SURVENUE LE 12 JUIN 2013 À L'EMBOUCHURE DU RHÔNE (UNE VICTIME)
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Avertissement
Le présent rapport a été établi conformément aux dispositions du code des transports, notamment ses articles L1621-1 à L1622-2 et du décret n° 2004-85 du 26 janvier 2004 modifié relatifs aux enquêtes techniques après événement de mer, accident ou incident de transport terrestre, ainsi qu'à celles du « Code pour la conduite des enquêtes sur les accidents » de l'Organisation Maritime Internationale (OMI), résolution MSC 255(84) publié par décret n° 2010-1577 du 16 décembre 2010. Il exprime les conclusions auxquelles sont parvenus les enquêteurs du
BEAmer
sur
les circonstances, les causes de l'événement analysé et propose des recommandations de sécurité. Conformément aux dispositions susvisées, l'analyse de cet événement n'a pas été conduite de façon à établir ou attribuer des fautes à caractère pénal ou encore à évaluer des responsabilités individuelles ou collectives à caractère civil. Son seul objectif est d'améliorer la sécurité maritime et la prévention de la pollution par les navires et d'en tirer des enseignements susceptibles de prévenir de futurs sinistres du même type. L'utilisation de ce rapport à d'autres fins que la prévention pourrait conduire à des interprétations erronées.
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PLAN DU RAPPORT
1 2
RÉSUMÉ INFORMATIONS FACTUELLES 2.0 2.1 2.2 2.3 2.4 Contexte Description du navire Renseignements sur le voyage et l'équipage Informations concernant l'accident Interventions
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EXPOSÉ ANALYSE 4.1 4.2 4.3 4.4 Facteurs naturels Facteurs matériels Facteurs humains Autres facteurs
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CONCLUSIONS ENSEIGNEMENT ET RECOMMANDATIONS DE SÉCURITÉ ANNEXES A. Liste des abréviations B. Décision d'enquête C. Cartographie D. Schéma
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RÉSUMÉ
Dans la nuit du 11 au 12 juin 2013, vers une heure locale du matin, après deux mois d'arrêt, le fileyeur FRANÇOIS CÉCILE, basé à Port de Bouc, appareille avec un nouvel équipage de trois marins afin de mouiller environ 6 kilomètres de filets fixes par 70 m de fond au large du phare de Faraman (embouchure du Rhône). Le patron est l'ancien matelot qualifié de l'armateur ; les deux matelots, amis d'enfance, sont jeunes mais suffisamment expérimentés pour travailler à bord, d'après leur employeur. Vers 02h40, après avoir mouillé environ 2500 mètres de filets, le matelot qui cale la nappe lors du filage est happé par le filet. Il se retrouve entortillé, pris par l'aisselle et le cou, à une quinzaine de mètres du navire. La tension du filet l'attire vers le fond tandis que le navire est en dérive. L'équipage tente en vain de lui porter assistance. Les secours sont prévenus et après vingt minutes d'effort, le matelot est remonté à bord, inanimé. Le navire fait route vers Port de Bouc où il est attendu par l'armateur, les pompiers et les policiers. Le décès est constaté par le médecin du SMUR.
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2.0
INFORMATIONS FACTUELLES
Contexte
Le navire FRANÇOIS CÉCILE est une vedette de pêche polyvalente dessinée et
construite par le chantier S.A. Constructions Navales J. Allemand au Grau d'Agde (34). Le précédent propriétaire l'avait exploité à la thonaille à partir de l'été 2004. Le premier patron devait avoir la visibilité sur les poulies power block situées à l'avant tribord. L'actuel propriétaire l'a exploité comme fileyeur. Il a fait des modifications : - l'adjonction d'une porte de pavois sur tribord ; - l'installation de doubles commandes en bas de la descente de la timonerie ;
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- la mise en place des deux bacs à filets (estives) sur le pont arrière (ouvertures du pont de franc-bord et mise en place de deux surbaux démontables d'un mètre de haut autour des puits, normalement fermés par des panneaux étanches). Ces bacs à filets faisaient partie des options proposées dès l'origine par le constructeur.
Estives
Les deux puits qui vont jusqu'au fond de la coque, servent de bacs à filets (estives). L'absence des panneaux de fermeture faisait l'objet d'une réserve de la société de classification (Certificat de franc-bord valable jusqu'au 10 mars 2013). L'armateur déclare qu'il avait eu le projet de vendre ce navire pour en acheter un de moins de 12 mètres. Aucun acquéreur ne s'étant manifesté, le FRANÇOIS CÉCILE était resté à quai deux mois avant cette marée. Durant cette période d'arrêt, les filets, en particulier, étaient restés entreposés dans le bac tribord depuis deux mois. Cette présente marée a pu être organisée par l'armateur par le fait qu'il a eu la possibilité d'embarquer deux matelots sur les recommandations d'anciens employeurs. Ces deux jeunes matelots recherchaient aux dires de l'armateur un embarquement sur le même navire. Le patron connaissait parfaitement le navire et les conditions de pêche, les deux matelots débutaient leur première marée à bord de ce navire.
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2.1
2.1.1
Description du navire
Caractéristiques générales
Crédit photo : Shipspotting.com
Principales caractéristiques du navire : Type de navire Construction Matériau Immatriculation : : Navire de pêche, fileyeur ; Type « Méditerranée V 1800 » Chantier J. Allemand au Grau d'Adge ; PRVT ; ST 900272 G ; Bureau Veritas (franc-bord) ; 17,90 m (LR : 15,408 m) ; 5,00 m ; 665 mm ; 19,11 UMS (24,4 Tx) ; 142 kW ; 2004 (mise en service le 21 juillet 2004 sous le nom de HARDY II par le CSN de Sète) ; 3ème catégorie ; Petite pêche (moins de 24 heures).
: :
Société de classification : Longueur hors-tout Largeur Franc-bord Jauge brute Puissance moteur Année de construction Navigation Genre : : : : : :
: :
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2.1.2
Situation administrative : Dernière visite de sécurité : le 10 janvier 2013 ; Permis de navigation : date de validité le 10 février 2013 du fait d'un nombre important de prescriptions ; : date de validité le 10 mars 2013.
Certificat de franc-bord
Le procès-verbal de visite périodique du 10 janvier 2013 mentionne dans sa conclusion : « Le permis de navigation est renouvelé pour une période de 1 mois afin de permettre à l'armateur de remettre son navire en conformité avec les conditions techniques de sa mise en service. Il sera renouvelé sans limitation sur présentation des justificatifs de la réalisation des prescriptions portées dans le présent rapport ». L'armateur signale avoir remis les justificatifs le 13 mai 2013 et demandé par courrier du 27 mai 2013 au chef du CSN de Marseille la délivrance d'un nouveau permis. L'armateur déclare n'avoir pas eu de réponse à sa demande. L'une des prescriptions relève l'absence de Document Unique de Prévention.
2.2
Renseignements sur le voyage et l'équipage
Avant cette marée qui a débuté le 12 juin 2013, le navire avait été exploité jusqu'en avril 2013 par un équipage composé de l'armateur (alors patron embarqué) et d'un matelot très expérimenté, lequel a été enrôlé comme patron le 10 juin 2013. Au 12 juin 2013, l'équipage du FRANÇOIS CÉCILE est composé de trois marins. Seuls deux marins, le patron et le matelot victime de l'accident sont enrôlés, le deuxième matelot n'a pu l'être pour raison administrative (contrat de travail en cours de signature d'après l'armateur). Le patron : âgé de 39 ans, il est marin-pêcheur depuis 1992. Fils de patron-pêcheur, capacitaire depuis 2004, il a embarqué à bord du FRANÇOIS CÉCILE en 2010 comme matelot qualifié. Enrôlé comme patron depuis le 06 juin 2013, il effectue sa première marée ce 12 juin 2013. Il est à jour de sa visite médicale. Le matelot victime : âgé de 25 ans, ce matelot est identifié par le quartier de Marseille depuis le 9 juin 2008, et actif depuis le 13 juin 2012. Il est titulaire du PCM (20 décembre 2011), du CRO (26 janvier 2012) et du certificat de base à la sécurité (20
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décembre 2011). Disposant d'une expérience professionnelle diverse de plusieurs mois, il est enrôlé à bord du FRANÇOIS CÉCILE depuis le 06 juin 2013, et il n'est pas à jour de sa visite médicale. Le deuxième matelot : âgé de 29 ans, il a embarqué à la pêche une première fois durant quelques mois par dérogation, début 2009. En mars 2013, il s'inscrit au CAPM et est diplômé en mai. L'embarquement sur le FRANÇOIS CÉCILE constitue son premier enrôlement, qui plus est en compagnie de l'autre matelot victime, son voisin et ami d'enfance. Il est à jour de sa visite médicale.
2.3
Informations concernant l'accident
Le secteur de l'accident est un lieu de pêche habituel où les filets sont calés par 70 mètres de fond. L'armateur déclare ne pratiquer cette pêche que par des conditions météorologiques maniables, compte tenu du fardage et des mouvements de plateforme du navire (en excluant en particulier les coups de « mistral » et de « vent marin »). Concernant la marée du 12 juin 2013, le patron déclare que les conditions étaient moyennes à cause du clapot et du courant. La chute à la mer du matelot, entrainé par le filet lors de l'opération de filage, a eu lieu le 12 juin 2013 vers 2h40 à la position 43°15,44' N - 004° 43,55' E, soit dans le 164° du phare de Faraman à 6 milles. Ce marin, peu avant sa chute, se trouve sur tribord près du tableau arrière. Une fois à l'eau, il est étranglé par le filet et est remonté inanimé à bord. Les secours ne pourront que constater son décès.
2.4
Les interventions
Le CROSS La Garde est rapidement alerté de l'accident par le patron qui coordonne les moyens d'intervention. Les pompiers, le SMUR et la police nationale sont à l'accueil du navire à son arrivée à Port de Bouc.
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Le Procureur de la République d'Aix-en-Provence a ordonné l'ouverture d'une enquête judiciaire à la suite de cet accident.
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EXPOSÉ
Heure locale (TU + 2)
Les données météorologiques en provenance du sémaphore du Cap Couronne font état d'un vent du 340 ° force 5, d'une mer 3 et d'une bonne visibilité (10 milles). Le 11 juin 2013, peu avant minuit, l'équipage du FRANÇOIS CÉCILE retrouve l'armateur à Port de Bouc, à l'anse Aubran, lieu de l'amarrage habituel du navire. Le 12 juin à 01h00 environ, le FRANÇOIS CÉCILE appareille avec les trois membres de l'équipage. Vers 02h00, l'équipage débute le calage des filets, par une sonde de 70 m de l'ouest vers l'est avec un vent de nord-ouest force 4 à 5, et 50 cm à 1 m de clapot (déclaration du patron). Le calage du filet se poursuit à une vitesse de 3 à 4 noeuds. Un matelot est positionné entre les deux estives. Il aide au bon départ du filet pardessus la « barre à caler » (rouleau de PVC) et surveille la mise à l'eau (voir annexe D). L'autre matelot (la victime) s'est porté volontaire pour caler le filet en écartant les flotteurs des plombs et en préparant la nappe en se positionnant devant le tableau arrière du navire, face tournée vers le sillage. (cf. photo page 6) Le patron est à mi-hauteur de la descente de la timonerie, aux doubles commandes, et observe alternativement ses instruments dans la timonerie et les opérations de filage. Vers 02h40, alors que 20 à 25 pièces de 100 mètres (2500 m de filet) sont à l'eau, le matelot est entraîné brutalement à la mer et se retrouve très rapidement à plusieurs mètres du navire. Immédiatement alerté par les cris du second matelot qui essaie de retenir le filet, le patron coupe les gaz et tente de faire machine arrière. À 03h00, le patron informe son armateur par téléphone portable.
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À 03h01, il alerte le CROSS La Garde en VHF pour un homme à la mer. À 03h07, il signale au CROSS La Garde avoir un visuel sur le naufragé sans pouvoir le récupérer à bord. À plusieurs reprises, il doit faire des allers retours entre le poste de commande et l'arrière du pont pour aider aux tentatives de sauvetage et convaincre l'autre matelot de ne pas sauter à l'eau pour assister son collègue. Aucun des deux matelots ne porte de VFI. À 03h22, le patron déclare au CROSS que le matelot a été récupéré et qu'il fait route vers Port de Bouc. La victime est en arrêt cardio-ventilatoire. À 03h58, il annonce l'arrivée du fileyeur à Port de Bouc, estimée à 30 minutes. À 04h23, le FRANÇOIS CÉCILE est à quai où l'attendent l'armateur, les pompiers et la police nationale. À 04h40, le médecin du SMUR de Martigues certifie le décès.
4
ANALYSE
La méthode retenue pour cette analyse est celle utilisée par le
BEAmer
pour
l'ensemble de ses enquêtes, conformément au Code pour la conduite des enquêtes sur les accidents de l'Organisation Maritime Internationale (OMI), résolution MSC 255 (84). Les facteurs en cause ont été classés dans les catégories suivantes : facteurs naturels ; facteurs matériels ; facteurs humains ; autres facteurs. Dans chacune de ces catégories, les enquêteurs du
BEAmer
ont répertorié les
facteurs possibles et tenté de les qualifier par rapport à leur caractère : certain ou hypothétique ; déterminant ou sous-jacent ; conjoncturel ou structurel ; aggravant ;
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avec pour objectif d'écarter, après examen, les facteurs sans influence sur le cours des événements et de ne retenir que ceux qui pourraient, avec un degré de probabilité appréciable, avoir pesé sur le déroulement des faits. Ils sont conscients, ce faisant, de ne pas répondre à toutes les questions suscitées par l'événement.
4.1
Facteurs naturels
L'orientation du navire lors des opérations de filage, cap à l'est, (cap vrai au 075°), associé à la mer du vent générant un clapot court d'environ 50 cm à 1 m, provoque des mouvements de roulis assez secs, notamment compte tenu des formes en « V » du navire. Compte tenu de cette situation, les deux matelots sont calés à bord, l'un contre les estives, la victime contre le tableau arrière. L'accident survient en plein coeur de la nuit, sur un navire bien éclairé par des projecteurs situés sur le pont supérieur. La température de l'eau de mer à cette époque de l'année est voisine de 18°C en surface. Les facteurs naturels ne sont pas retenus concernant cet accident.
4.2
Facteurs matériels
Le fait que le permis de navigation et le certificat de franc-bord ne soient pas valides n'a pas d'incidence dans le processus accidentel. Ce navire de pêche a été conçu pour la thonaille, mais avec une polyvalence de conception permettant la pratique des filets. L'actuel propriétaire avait fait installer une porte de bordé à tribord pour faciliter la remontée des prises. C'est par cette porte que la victime a pu être remontée à bord car la hauteur des pavois par rapport à la flottaison est d'environ deux mètres, tout autour du navire. Le toit de la superstructure étant continu et plein, derrière la timonerie, le patron est obligé de descendre les trois marches d'accès pour se retrouver face à l'arrière et au pont de travail. En position normale dans sa timonerie, tourné vers l'arrière du navire, il n'a aucune visibilité vers le pont de travail. Il contrôle la traction et le cap du navire à l'aide des doubles commandes installées en bas de la descente.
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Pour contrôler alternativement les opérations de filage, ses instruments, le cap et effectuer la veille, le patron, doit se positionner à mi-hauteur de la descente de la timonerie, plié en deux. Au moment de l'accident, il regardait ses instruments en timonerie, vers l'avant. L'armateur déclare que son navire était, préalablement à l'accident, équipé d'un dispositif permettant de caler le filet automatiquement en écartant la ralingue des flotteurs de la ralingue des plombs et en étalant la nappe de filet. Ce dispositif, « paumailleur » en acier inoxydable lui a été volé. Il subsiste à bord, la barre qui supportait ce matériel (cf. photo cidessus). L'armateur déclare également que si le rapport de visite périodique de sécurité du 10 janvier 2013 mentionne l'absence de DUP, celui-ci existait bien mais il n'était pas à bord. Il précise également que les matelots étaient formés à la pratique de la pêche au filet. Cependant, il en résulte du point de vue du BEAmer qu'aucune information de sécurité au travail ne semble toutefois avoir été délivrée aux matelots avant l'appareillage. Les filets stockés dans le bac tribord ont été installés plusieurs mois avant l'accident par l'équipage précédent, lequel a complété l'engin de pêche par l'adjonction de filets neufs, plus légers, à partir de la 20ème pièce (séquence de filage qui correspond au moment de
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l'accident). Afin de minimiser l'accrochage des nappes dans le bac, le filet était arrosé avant le filage. Après que le marin ait été entraîné par le filet (la vitesse de filage est estimée entre 3 et 4 noeuds), alerté par l'autre matelot, le patron a coupé les gaz, tentant de culer. Cette manoeuvre a été rendue difficile par le fait que le filet devait être remonté à bord sous peine de le voir pris dans l'hélice, sous la voute arrière. Dès que la tension due au navire a diminué, le poids du filet s'est fait sentir et le matelot pris, sans l'aide d'un dispositif de flottabilité, devait lutter pour rester à la surface et respirer. Inversement, dès que la tension pour le remonter devenait trop forte, le matelot était étranglé par le filet. La dérive due au fardage du navire aggravait également les tentatives pour remonter le matelot. En conséquence, les facteurs matériels, et notamment l'absence du « paumailleur », apparaissent comme des facteurs sous-jacents ayant une incidence dans le processus conduisant à l'accident. C'est également le cas pour le stockage pendant plusieurs mois du filet dans l'estive tribord. En effet, le séchage des nappes provoque leur accrochage, et lors du filage, le risque de voir apparaître des « coques » ou des amas dangereux, cela malgré un arrosage préalable du filet. Le manque de visibilité du poste de conduite vers le pont de travail est également un autre facteur sous-jacent en cas d'accident sur le pont de travail à l'arrière du navire. Il est même surprenant qu'un navire de pêche sur lequel la visibilité du pont de travail est déterminante, ne soit pas conçu suivant ce critère.
4.3
Facteurs humains
Au moment de l'accident, l'équipage était à bord du navire depuis 1h30 environ et cela faisait une quarantaine de minutes que les opérations de filage avaient débuté. Il a été montré que l'équipage était en bonne santé après les prélèvements et analyses. La disposition des matelots sur la plage arrière est la suivante : Le matelot victime est proche du tableau arrière, sur la droite de celui-ci. Il est vêtu d'un ciré (salopette et vareuse) et chaussé de bottes. Il est tourné vers l'arrière et fait passer le filet sur son côté droit (le filet descend de la barre à caler, passe sous le bras droit du matelot).
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La ralingue des flotteurs frotte donc l'aisselle droite et le côté droit du matelot avant d'être reprise par sa main gauche. La main droite écarte la ralingue des plombs vers l'axe central du navire. Ainsi la nappe de filet étalée, glisse à plat sur la lisse de pavois du tableau arrière avant d'être immergée. Ce processus de préparation du filet se déroule alors que le navire fait route à plus de trois noeuds. Cela signifie que le filet est guidé manuellement à la vitesse approximative de 1,5 mètre par seconde, et cela depuis plus de vingt minutes. Ce poste requiert donc une grande attention et une concentration maximale. Le regard du matelot est rivé à la nappe qui glisse sur la lisse de pavois du tableau arrière. La vitesse de filage ne lui permet pas de tourner la tête pour regarder le filet qui descend de la barre à caler. La baisse de vigilance due à la fatigue est dangereuse lors du filage manuel. Le deuxième matelot témoigne, qu'alors qu'il regardait dans l'estive, qu'il a entendu des piétinements et, relevant la tête, a vu son collègue brutalement entraîné par-dessus bord. Les derniers éléments rapportés par le deuxième matelot incitent à croire que la victime a lutté contre le filet, soit parce qu'il essayait de libérer une coque, soit parce qu'il tentait de retenir le filet qui l'entraînait, d'où les bruits de piétinement indiqués lors de l'audition. L'autre matelot se tenait à proximité de l'estive tribord et surveillait le bon déroulement de la nappe par-dessus le rouleau, tout en aidant à libérer les éventuelles coques. C'est lui qui a alerté par ses cris, le patron qui a coupé les gaz. Ils tentent alors tous les deux de remonter le filet. Le patron a précisé aux enquêteurs qu'il a dû à plusieurs reprises empêcher le deuxième matelot de se jeter par-dessus-bord pour assister son collègue. Le patron a fait plusieurs allers retours entre le poste de commande et l'arrière du navire. Épuisés par les tentatives, l'équipage a amarré le filet pour tenter à nouveau de gaffer le naufragé par son ciré. Quelques instants plus tard, les mouvements du navire et du filet ont permis à la victime d'être libérée, inerte, face sous l'eau. Elle a pu alors être accrochée et remontée à bord, inanimée, par la porte latérale tribord.
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En conséquence, le filage en manuel d'une longueur conséquente nécessitant une vigilance soutenue et sa mise en oeuvre par un équipage de deux matelots dont c'est la première marée à bord du navire, constituent les deux facteurs déterminants de cet accident.
4.4
Autres facteurs
Les VFI et la sensibilisation sur les accidents au filage Les deux matelots ne portaient pas de VFI. La raison invoquée par l'armateur comme
par le patron est que cet équipement provoquerait des possibilités d'accrochage avec l'engin de pêche au moment du filage. Le BEAmer note que la mise à disposition sur le marché de vêtements de mer, à porter par-dessus le VFI, qui permettent de prévenir le risque d'accrochage, n'est pas connue. De même, la sensibilisation sur les accidents au filage (plaquette élaborée conjointement par le CNPMEM, l'IMP et le BEAmer et diffusée début 2013) n'était pas connue localement ainsi que les messages de prévention et de conseil présentés lors des journées de médecine des gens de mer en septembre 2012. En conséquence, l'absence de sensibilisation aux risques liés à ce métier et le nonemport de VFI constituent des facteurs sous-jacents dans le processus conduisant à cet accident.
5
CONCLUSIONS
Le manque de sensibilisation aux risques spécifiques des métiers du filet, l'absence du « paumailleur », le stockage pendant plusieurs mois du filet dans l'estive tribord et le manque de visibilité du poste de conduite vers le pont de travail ont constitué des conditions propices à un accident sur le FRANCOIS CÉCILE. La chute à la mer proprement dite est dûe aux risques inhérents à cette pratique de pêche, accentués par la relative inexpérience du matelot embarquant. Les conséquences de la chute ont été aggravées par le fait que le matelot était étranglé par le filet et qu'il n'avait pas de VFI, ce qui a conduit au décès du marin.
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ENSEIGNEMENT ET RECOMMANDATIONS DE SÉCURITÉ
Enseignement
Aux armateurs et aux patrons des navires de pêche :
6.1
1
2014-E-041 : Ne prendre la mer qu'avec ses titres de sécurité en cours de validité (décret 84-810 du 30 août 1984 modifié art 4).
6.2
Recommandations
À la Direction des Affaires Maritimes :
1
2014-R-017 : Impulser et coordonner au niveau adéquat un plan de sensibilisation sur les mesures de prévention des risques accidentels à bord des fileyeurs, en s'appuyant notamment sur les travaux déjà existants. À l'armateur :
2
2014-R-018 : Mettre en oeuvre le DUP, sensibiliser les matelots sur les risques professionnels à bord et les doter d'un « équipement individuel destiné à prévenir les risques de noyade » lors des « opérations de pêche » (décret n°2007-1227 du 21 août 2007-article 9). 2014-R-019 : Améliorer la visibilité du pont de travail depuis la timonerie.
3
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LISTE DES ANNEXES
A. B. C. D.
Liste des abréviations Décision d'enquête Cartographie Schéma
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Annexe A Liste des abréviations
BEAmer CAPM CGO CROSS CSN DUP DIRM SITREP TU tx UMS VFI VMS
: : : : : : : : : : : : :
Bureau d'enquêtes sur les évènements de mer Certificat d'Aptitude Professionnelle de Marin Pêcheur Certificat Général d'Opérateur Centre Régional Opérationnel de Surveillance et de Sauvetage Centre de Sécurité des Navires Document unique de prévention Direction Interrégionale de la Mer SITuation REPort Temps Universel Tonneaux de jauge Universal Measurement System Vêtement à Flottabilité Intégrée Visite de Mise en Service
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Annexe B Décision d'enquête
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Cartographie
Chute à la mer du matelot du FRANÇOIS CÉCILE à la position 43°15,44'N 004°43,55'E
Annexe C
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Annexe D Schéma
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Ministère de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie
Bureau d'enquêtes sur les évènements de mer
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