Rapport d'enquête technique : incendie et naufrage du chalutier Ar Raok 2 le 28 février 2015 dans le sud-est de Belle-Ile

Auteur moral
France. Bureau d'enquêtes sur les événements de mer
Auteur secondaire
Résumé
Le présent rapport d'enquête technique a été établi conformément aux dispositions du Code des transports. Il porte sur l'incendie et le naufrage du chalutier Ar Raok 2 le 28 février 2015 dans le sud-est de Belle-Ile. Ce rapport expose les conclusions auxquelles sont parvenues les enquêteurs du BEAmer sur les circonstances et les causes de l'événement analysé et propose des recommandations de sécurité.
Editeur
BEAmer
Descripteur Urbamet
accident ; prévention des risques ; sécurité ; INCENDIE ; NAUFRAGE
Descripteur écoplanete
Thème
Transports
Texte intégral
Rapport d'enquête technique INCENDIE ET NAUFRAGE DU CHALUTIER AR RAOK 2 LE 28 FÉVRIER 2015 DANS LE SUD-EST DE BELLE-ÎLE Rapport publié : octobre 2015 2 Rapport d'enquête technique INCENDIE ET NAUFRAGE DU CHALUTIER AR RAOK 2 LE 28 FÉVRIER 2015 DANS LE SUD-EST DE BELLE-ÎLE Page 1 sur 28 Page 2 sur 28 Avertissement Le présent rapport a été établi conformément aux dispositions du code des transports, notamment ses articles L.1621-1 à L.1622-2 et R.1621-1 à R.1621-38 relatifs aux enquêtes techniques et aux enquêtes de sécurité après un événement de mer, un accident ou un incident de transport terrestre et portant les mesures de transposition de la directive 2009/18/CE établissant les principes fondamentaux régissant les enquêtes sur les accidents dans le secteur du transport maritime ainsi qu'à celles du « Code pour la conduite des enquêtes sur les accidents » de l'Organisation Maritime Internationale (OMI), résolution MSC 255(84) publié par décret n° 2010-1577 du 16 décembre 2010. Il exprime les conclusions auxquelles sont parvenus les enquêteurs du BEAmer sur les circonstances et les causes de l'événement analysé et propose des recommandations de sécurité. Conformément aux dispositions susvisées, l'analyse de cet événement n'a pas été conduite de façon à établir ou attribuer des fautes à caractère pénal ou encore à évaluer des responsabilités individuelles ou collectives à caractère civil. Son seul objectif est d'améliorer la sécurité maritime et la prévention de la pollution par les navires et d'en tirer des enseignements susceptibles de prévenir de futurs sinistres du même type. En conséquence, l'utilisation de ce rapport à d'autres fins que la prévention pourrait conduire à des interprétations erronées. Page 3 sur 28 PLAN DU RAPPORT 1 2 RÉSUMÉ INFORMATIONS FACTUELLES 2.0 2.1 2.2 2.3 2.4 Contexte Description du navire Renseignements sur le voyage et l'équipage Informations concernant l'accident Interventions Page 5 Page 6 Page 6 Page 6 Page 7 Page 8 Page 9 Page 9 Page 13 Page 13 Page 14 Page 16 Page 17 3 4 EXPOSÉ ANALYSE 4.1 4.2 4.3 Facteurs naturels Facteurs matériels Facteurs humains 5 6 CONCLUSIONS ENSEIGNEMENTS ET RECOMMANDATIONS DE SÉCURITÉ ANNEXES A. B. C. D. Liste des abréviations Décision d'enquête Dossier navire Carte Page 18 et 19 7 Page 21 Page 22 Page 23 Page 26 Page 4 sur 28 1 RÉSUMÉ Le samedi 28 février 2015, à 03h00, le chalutier AR RAOK 2, quitte le quai de La Turballe pour se rendre sur ses lieux de pêche, dans le sud-est de Belle-Île. Aucun incident n'est à signaler au cours des deux heures trente de route. Mise en pêche à 05h45 pour trois heures de trait. Le patron donne les consignes au matelot de quart et se couche. Vers 06h00, le mécanicien effectue une ronde à la machine. Tout est normal. À 07h15, le matelot de quart, en l'absence de déclenchement de l'alarme incendie, est alerté par une épaisse fumée noire en passerelle et prévient le patron. Celui-ci monte immédiatement et constate que la passerelle est totalement envahie par de la fumée. Sur l'écran vidéo de surveillance machine, il aperçoit des flammes au niveau de l'échelle de descente. Il tente de se rendre au local CO2 situé sur le pont principal à bâbord mais les flammes l'en empêchent. Il remonte à la passerelle pour appeler son armateur embarqué sur LE JOKER, en pêche à proximité, mais il n'y parvient pas du fait de la fumée. Il prend alors la décision d'abandonner le navire. Le pont commence à fondre, le radeau situé à l'avant étant inaccessible l'équipage met à l'eau le radeau situé à l'arrière, cependant celui-ci n'est pas amarré et s'écarte du navire. Deux marins se jettent à l'eau pour l'atteindre. Ils le percutent et montent à bord. Le reste de l'équipage se jette à l'eau pour embarquer dans le radeau. Le feu s'est propagé à l'ensemble du navire. Le marin de quart à bord du LE JOKER aperçoit l'incendie et alerte son patron. Celuici, après avoir viré son train de pêche, fait route vers l'AR RAOK 2 et recueille les naufragés. Le CROSS Étel est alerté par le patron du chalutier DIABOLO. La frégate de la Marine nationale LA MOTTE PIQUET et les vedettes SNS 096 et 095 interviennent pour lutter contre l'incendie qui est maîtrisé en une heure. Par la suite, une tentative de remorquage est effectuée par une vedette de pilotage mais le chalutier sombre avant d'arriver à Belle-Île. Page 5 sur 28 L'hypothèse de l'origine de l'incendie retenue par le combustible sur le collecteur d'échappement. BEAmer est une projection de Les enseignements concernent des rappels sur la prévention, la détection et la lutte contre l'incendie d'une manière générale ainsi que sur l'alerte, l'amarrage du radeau et le port des brassières. Les trois recommandations portent l'une sur la prévention incendie eu égard au type de moteur utilisé, l'autre sur la commande du CO2 dans cette configuration du navire, la troisième sur le contrôle du calorifugeage des échappements. 2 2.0 INFORMATIONS FACTUELLES Contexte Le chalutier AR RAOK 2 est la propriété d'un patron armateur de La Turballe. Il possède un navire identique LE JOKER, construit la même année. Ces deux navires pêchent en « boeuf » à la saison de l'anchois et du bar (printemps). Au moment des faits, les deux chalutiers sont armés au chalut à panneaux et pêchent donc de manière autonome. Ils sont équipés du même moteur (marque et puissance) et sont entretenus régulièrement par une entreprise locale. 2.1 Description du navire Construit en PRVT en 1988 aux « Chantiers navals de la presqu'île » au Croisic ; armé en pêche côtière en 2ème catégorie de navigation. Page 6 sur 28 Principales caractéristiques du navire : Immatriculation Longueur hors tout Largeur Jauge Puissance Indicatif radio : : : : : : SN 691910 ; 16,11 m ; 6,06 m ; 64,48 UMS ; 294 kW ; FHZO. Le permis de navigation est à jour à la date de l'accident. Le moteur de propulsion est un Caterpillar type V 12-34-2 (électronique) de 294 kW n° 9 P W 02935. Le navire est équipé : d'une centrale de détection incendie en passerelle avec deux détecteurs en machine (Marque Marinelec n° SD AI 928); d'une installation fixe au CO2 avec une bouteille de 37,5 kg pour le local machine. La prochaine révision est prévue le 27 juin 2015. - D'autre part, il existe : 1 extincteur CO2 de 2 kg et un autre à poudre de 6 kg à la machine ; 1 extincteur portatif CO2 de 2 kg à la passerelle ; 1 extincteur à poudre de 6 kg à la cuisine ; 1 extincteur à poudre de 6 Kg au poste d'équipage. Conformément à la réglementation en vigueur à la date de construction, le compartiment moteur n'est pas protégé par des cloisons résistantes au feu. 2.2 Renseignements sur le voyage et l'équipage Le Voyage Le navire commence sa marée le 28 février 2015 dans le sud-est de Belle-Île pour une pêche de diverses espèces aux chaluts de fond. Arrivé sur ses lieux de pêche, il a mis en pêche à 05h45. Page 7 sur 28 L'équipage Quatre membres d'équipage (conformément à la décision d'effectif) : Le patron, âgé de 47 ans, est titulaire du certificat de capacité, du brevet d'aptitude à l'exploitation des embarcations et radeaux de sauvetage ainsi que du certificat de base à la sécurité. Le chef mécanicien, âgé de 21 ans, est titulaire notamment du BEPM spécialité marin du commerce, du BEPM spécialité de mécanicien et du Bac Pro conduite et gestion des entreprises maritimes. Les deux matelots, de nationalité hors union européenne, n'ont aucune qualification marine marchande répertoriée mais ont une certaine pratique du métier. Le matelot de quart est à bord depuis deux ans, l'autre depuis le 6 janvier 2015. Les membres de l'équipage sont à jour de leurs visites d'aptitude médicale. L'organisation du travail permet à l'équipage de se reposer normalement lorsqu'il n'y a pas de travaux de ramendage sur les chaluts. 2.3 Informations concernant l'accident Classification OMI : accident très grave. L'incendie se déclenche dans le local machine vers 07h15 alors que le navire, ayant quitté le port de La Turballe le matin même, se trouve en pêche à 7,1 milles de la Pointe du Skeul à Belle-Île (47°10',79 N - 002°59',75 W). Il n'est détecté par aucune des cellules d'incendie fixées sur le plafond machine de part et d'autre du bloc moteur. La fumée monte jusqu'à la passerelle par les petites fentes dans la menuiserie du pupitre de navigation, en particulier sous le compas. Alerté par la présence de fumée, le matelot de quart prévient le patron. Il monte à la passerelle et aperçoit des flammes sur l'écran de contrôle de la machine. Pour tenter de déclencher le CO2, il se dirige vers la cuisine pour accéder au local, mais il est contraint de rebrousser chemin en raison de la présence de flammes. Page 8 sur 28 Il remonte alors à la passerelle, ralentit, débraye le moteur mais doit sortir à l'extérieur pour respirer. Il tente d'y retourner à deux reprises pour donner l'alerte mais n'y parvient pas, la fumée est trop épaisse. Le radeau situé à l'avant n'est plus accessible. Le radeau situé à l'arrière est mis à l'eau mais part en dérive car il n'est pas amarré. Deux membres d'équipage se jettent à l'eau pour le déclencher puis se hissent à son bord. Les deux autres les rejoignent et les naufragés pagaient pour s'éloigner du bateau en feu. L'équipage du chalutier LE JOKER, du même armement, naviguant à proximité, aperçoit l'AR RAOK 2 en flammes. Il s'approche et récupère les naufragés (ceux-ci auront des arrêts de travail initiaux de 11 à 13 jours). 2.4 Interventions L'équipage du LE JOKER a aperçu l'incendie et fait route vers le lieu du sinistre. Le patron de l'AR RAOK 2 n'a pu, en raison de l'impossibilité de rester à la passerelle, prévenir ni le CROSS Étel ni un autre collègue par radio VHF. C'est le patron du DIABOLO situé dans les parages immédiats qui a donné l'alerte au CROSS. Ce dernier a mis immédiatement en oeuvre les moyens nautiques : la frégate LA MOTTE PIQUET, au mouillage sous Belle-Île ; 2 vedettes de la SNSM (SNS 095 du Croisic et SNS 096 de Belle-Île). À leur arrivée sur zone, la frégate puis les deux vedettes de la SNSM ont procédé au refroidissement de la coque. Ces dernières ont été libérées à l'arrivée des deux vedettes du pilotage de Lorient, mandatées par la société d'assurance pour remorquer l'épave vers le port de Le Palais à Belle-Île. L'épave a cependant coulé après une heure de route. Pendant ce temps, LE JOKER ayant récupéré les 4 rescapés, faisait route vers le port de La Turballe. 3 EXPOSÉ (Heure TU + 1) Météo observée sur zone (source : sémaphore du Talus à Belle-Île) : vent au 190°, force 4, mer agitée, visibilité 4 milles, température de l'air 10° C, température de la mer : 8° C. Page 9 sur 28 Le samedi 28 février 2015, à 02h00, le chalutier AR RAOK 2 est à quai au port de La Turballe. Le mécanicien effectue les vérifications d'usage dans la machine. À 03h00, le chalutier AR RAOK 2 quitte le port de La Turballe pour rejoindre ses lieux de pêche situés à deux heures trente de route. À 05h45, fin de mise à l'eau du chalut. Le patron donne ses consignes au matelot de quart et rejoint sa couchette. À 06h00 le mécanicien qui regarde la télévision dans le poste d'équipage, entend une alarme. Il se rend à la timonerie pour l'identifier et relève un niveau haut du puisard de la cale à poisson. Il descend en machine pour assécher le puisard. Il en profite pour effectuer une ronde dans l'ensemble de la machine. Il ne détecte rien d'anormal. À 06h15, il remonte au poste équipage pour se reposer. À 07h15, le matelot de quart, assis dans le fauteuil et suivant la route tracée sur l'écran de l'ordinateur (logiciel MAXSEA), constate qu'une épaisse fumée noire sort du dessous du compas et du pupitre de navigation. Cet emplacement correspond à la verticale de la position de la turbosoufflante dans la machine. Remontée de fumée Le matelot se rend rapidement à la cabine du patron sous la timonerie pour le réveiller et crie « Il y a le feu à la machine ! ». Page 10 sur 28 L'équipage est également alerté et monte rapidement sur le pont. Impuissant devant la propagation de l'incendie, le patron demande au mécanicien et au matelot de quart de mettre à l'eau le radeau de sauvetage situé à l'arrière. Celui-ci n'était pas amarré et les deux marins ont dû se jeter à l'eau pour le déclencher manuellement. Par la suite, le patron et le second matelot se mettent à l'eau pour embarquer sur le radeau. À ce moment, les flammes sortent de la timonerie et le chalut de rechange brûle sur l'enrouleur. À 07h40, dès les appels VHF du chalutier DIABOLO, le CROSS Étel met en oeuvre les moyens nautiques et aériens. À 07h45, engagement de la frégate LA MOTTE PIQUET au mouillage au Palais (Belle-Île). À 07h47, les 4 marins sont récupérés par le chalutier LE JOKER. Aucune assistance médicale n'est demandée. À 07h49, engagement du canot tout temps SNS 096 de Belle-Île. À 07h50, engagement hélicoptère DRAGON 56 pour déploiement de l'équipe feu de navire. À 08h00, mise en oeuvre d'une équipe feu pour évaluation de la situation. À 08h01, engagement canot tout temps SNS 095 PIERRE ROBERT GRAHAM. À 08h13, DRAGON 56 ne peut décoller en raison de mauvaises conditions météorologiques. Équipe feu en attente. À 08h17, appareillage de la SNS 095. À 08h20, appareillage de la frégate LA MOTTE PIQUET. À 08h46, la frégate LA MOTTE PIQUET et son hélicoptère sont sur zone pour évaluation puis investigation. À 08h50, appareillage de la SNS 096. Page 11 sur 28 À 08h53, l'hélicoptère Lynx signale que la coque est toujours en feu et retenue par son chalut. À 09h23, début d'extinction de l'incendie par l'équipage de la frégate. À 09h33 et 09h37, arrivée des vedettes SNS 096 BELLE ISLE et SNS 095 PIERRE ROBERT GRAHAM en appui à la lutte contre l'incendie. À 10h08, le feu est maîtrisé et liberté de manoeuvre est donnée à la frégate. À 13h23, le feu est éteint. À 15h35, les pilotines KORVENN et TROENN, mandatées par l`assurance pour un remorquage de l'épave vers Le Palais puis Lorient, arrivent sur zone. À 16h04, la remorque est passée par l'équipage de la vedette KORVENN. Le convoi fait route vers Le Palais à Belle-Île. La vedette TROENN escorte le convoi. À 16h11, liberté de manoeuvre est donnée aux deux vedettes de la SNSM. À 17h11, la pilotine signale que la coque du chalutier AR RAOK 2 a coulé à la position 47°11,35 N - 003°03,00 W, soit à 5,7 milles dans le 162° de la Pointe du Skeul, par 50 mètres de fond. À 17h29, le patron du LE JOKER signale que les quatre rescapés sont choqués. Il demande un accueil à l'arrivée à quai. Page 12 sur 28 À 17h36, le SCMM 64 confirme un accueil médical à l'arrivée à quai à La Turballe. À 19h04, arrivée du LE JOKER à La Turballe et prise en charge de l'équipage de l'AR RAOK 2 par une équipe médicale. 4 ANALYSE La méthode retenue pour cette analyse est celle utilisée par le BEAmer pour l'ensemble de ses enquêtes, conformément au Code pour la conduite des enquêtes sur les accidents de l'Organisation Maritime Internationale (OMI), résolution MSC 255 (84) et au Règlement (UE) n° 1286/2011 de la Commission du 9 décembre 2011 portant adoption d'une méthodologie commune pour enquêter. Les facteurs en cause ont été classés dans les catégories suivantes : facteurs naturels ; facteurs matériels ; facteurs humains. BEAmer Dans chacune de ces catégories, les enquêteurs du ont répertorié les facteurs possibles et tenté de les qualifier par rapport à leur caractère : certain ou hypothétique ; déterminant ou sous-jacent ; conjoncturel ou structurel ; aggravant ; avec pour objectif d'écarter, après examen, les facteurs sans influence sur le cours des événements et de ne retenir que ceux qui pourraient, avec un degré de probabilité appréciable, avoir pesé sur le déroulement des faits. Ils sont conscients, ce faisant, de ne pas répondre à toutes les questions suscitées par l'événement. 4.1 Facteurs naturels Le vent de force 4, soit de 11 à 16 noeuds, a favorisé la propagation de l'incendie à l'ensemble du navire. Page 13 sur 28 4.2 Facteurs matériels L'origine de l'incendie dans le compartiment machine La machine de l'AR RAOK 2 est entretenue régulièrement par une entreprise de mécanique navale et par le mécanicien du bord. L'hypothèse d'une origine électrique de l'incendie n'est pas retenue car le tableau électrique principal était en bon état et qu'aucun défaut électrique n'a été constaté auparavant. Le module du circuit d'huile hydraulique haute pression, utilisé pour la mise en oeuvre des treuils et enrouleurs, est entièrement protégé par des écrans plexiglas et la pompe hydraulique était stoppée. Aucune fuite d'huile haute pression n'a donc pu se produire. Par ailleurs, l'inverseur réducteur est alimenté par un circuit d'huile basse pression, situé en partie basse de la machine et éloigné de l'échappement et de la turbosoufflante, eux-mêmes calorifugés. En ce qui concerne le combustible, le moteur de propulsion Caterpillar est équipé d'injecteurs pompe et le circuit gasoil haute pression est interne. Dès lors aucune projection de gasoil haute pression ne peut se produire. En revanche, à l'arrière, au-dessus du moteur, l'arrivée de gasoil à 3 bars de pression se trouve à environ 15 cm du coude du tuyau d'échappement à la sortie du turbo. Or, juste au départ de ce coude, le tuyau d'échappement (température 350°C environ) ne pouvait être calorifugé de manière parfaite. Dans ces conditions, une projection de gasoil suite à une fuite sur le flexible (en place depuis 2007) ou un de ses raccords à cet endroit précis, est l'hypothèse la plus vraisemblable de l'origine de l'incendie. Le mécanicien a d'ailleurs souligné avoir senti une très forte odeur de gasoil provenant de la machine au moment où l'alerte incendie a été donnée. Une projection de gasoil, due à une fuite sur un raccord ou un flexible sur la portion de tuyau de l'échappement difficilement calorifugeable située à la sortie de la turbosoufflante, est retenue comme le facteur déterminant le plus plausible de l'incendie. Page 14 sur 28 Vue du flexible d'alimentation de gasoil situé à 15 centimètres de la base du coude de l'échappement (photo prise sur LE JOKER, la seule différence étant que sur l'AR RAOK 2 le tuyau d'échappement était calorifugé par de la laine de roche recouverte par une toile spéciale). 15 cm L'absence de détection de l'incendie Le navire disposait de deux détecteurs d'incendie, l'un de fumée, l'autre de chaleur, situés sur le plafond de la machine de part et d'autre du moteur. L'alarme s'effectue en passerelle de manière visuelle et sonore (parfaitement audible). Aucune alarme n'a été perçue à la passerelle. Elles avaient pourtant été testées avec succès le 17 octobre 2014 lors de la visite périodique réalisée par le centre de sécurité des navires. L'absence d'alerte a considérablement ralenti la détection de l'incendie. Dans ces conditions, l'équipage n'a pas disposé du temps suffisant pour déclencher l'extinction par CO2 et a dû évacuer le navire en urgence. Dès lors la détection tardive de l'incendie est un facteur déterminant de la perte du navire. Le matériau de construction de la coque L'AR RAOK 2 était construit en PRVT. Par conséquent, le matériau lui-même a servi de combustible et l'incendie s'est propagé rapidement. À la construction du navire, la réglementation n'imposait pas un cloisonnement incendie. Le matériau de construction de la coque est donc un facteur contributif de l'incendie. Page 15 sur 28 Le positionnement de la commande de CO2 Les intentions du patron et du mécanicien étaient de fermer les aérations de la machine, de couper le ventilateur et de se rendre au local CO 2 pour activer son déclenchement. Le local CO2 se situe sur bâbord avant au niveau de l'entrepont entre la cuisine et le magasin avant (cf. Annexe C). Du fait de l'extension rapide de l'incendie, le patron n'a pu accéder à ce local afin de déclencher le CO2 car l'entrepont était en feu. Bien que relativement éloigné du compartiment à protéger (réf. Article 226-4.13 en vigueur à ce jour), son accès nécessite de pénétrer à l'intérieur du navire (à l'inverse des navires où le local CO2 est situé à l'arrière sur le pont principal et donc plus facile d'accès). Dans ces conditions, un incendie machine détecté tardivement ne peut que difficilement être combattu par le CO2. Le positionnement de la commande de déclenchement du CO2 est un facteur contributif des conséquences de l'incendie. 4.3 Facteurs humains Le non arrêt du moteur Le moteur n'a pas été stoppé dès la découverte de l'incendie, la pompe d'alimentation gasoil attelée a donc continué à tourner et à alimenter le feu en combustible. Le fait que le moteur, avec pompe d'alimentation gasoil, n'ait pas été stoppé constitue un facteur aggravant de l'incendie. La lutte contre l'incendie En raison de la détection tardive de l'incendie, l'équipage n'a pas été en mesure d'effectuer de lutte contre l'incendie, en particulier : - le moteur n'a pas été stoppé et la pompe d'alimentation GO a donc continué à alimenter le feu ; - la ventilation machine n'a pas été stoppée (arrêt situé à la passerelle ou par ouverture de la porte du local CO2) et a donc continué à attiser le feu ; Page 16 sur 28 - les tapes de ventilations (entrepont et cheminée) n'ont pas été fermées car inaccessibles en raison du feu ; - les commandes de fermeture à distance des caisses à gasoil (situées dans le local batteries sous la passerelle) n'ont pas été actionnées ; - le CO2 n'a pas été déclenché pour les raisons évoquées supra (2-3) ; - les extincteurs et les manches n'ont pas été utilisés. L'absence de lutte contre l'incendie est un facteur déterminant de la perte du navire. L'alerte vers les secours L'alerte n'a pu être donnée depuis l'AR RAOK 2 car, très rapidement, il n'était plus possible d'accéder à la passerelle. Par chance, le chalutier LE JOKER se trouvait à proximité et son équipage a aperçu l'incendie. La balise de détresse située sur le toit de la passerelle n'a pas été utilisée. L'évacuation Le radeau sur l'avant était inaccessible au moment de l'évacuation car le pont avant était en flamme. Il restait donc le radeau arrière, seul moyen de sauvetage collectif disponible. Cependant, lors de sa mise à l'eau, l'équipage s'est aperçu qu'il n'était pas amarré et qu'il partait à la dérive. Le mécanicien et un matelot ont donc dû sauter à l'eau et nager pour le déclencher puis monter à bord. Le patron et l'autre matelot se sont également jetés à l'eau pour rejoindre le radeau. Il est à noter qu'aucun des marins n'a eu le temps de capeler sa brassière (situées l'une à la passerelle, les autres dans le poste arrière ou le local CO2) Le non amarrage du radeau aurait pu constituer un facteur aggravant des conséquences de l'accident, de même que le non port d'équipements de sauvetage individuels. 5 CONCLUSIONS La perte du chalutier AR RAOK 2 est due à incendie qui s'est déclaré dans le compartiment machine, non détecté à temps. Aucune lutte n'ayant pu être entreprise par le bord, l'incendie s'est propagé à l'ensemble du navire. Page 17 sur 28 Les facteurs déterminants et contributifs retenus sont les suivants : projection de gasoil sur l'échappement ; défaut de détection de l'incendie ; navire en PRVT ; commande de déclenchement du CO2 inaccessible ; non arrêt du moteur et de la ventilation (ventilateur et tapes). L'abandon du navire s'est fait dans l'urgence dans des conditions dégradées : un radeau inaccessible du fait de l'incendie ; drisse de déclenchement de l'autre radeau non amarrée ; non port des brassières de sauvetage (ou VFI). La tentative de remorquage qui a été entreprise n'a pas abouti. 6 ENSEIGNEMENTS DE SÉCURITÉ Enseignements ET RECOMMANDATIONS 6.1 1- 2015-E-076 : À bord d'un navire bien entretenu, des raccords ou portions de circuit de combustible peuvent s'avérer défaillants et constituer un risque d'incendie au contact d'un point chaud notamment si le calorifugeage des tuyaux d'échappement est incomplet. 2015-E-077 : Dans le cadre de la prévention et de la lutte contre l'incendie, les équipages doivent connaître les équipements et leur fonctionnement à bord de leur navire. 2015-E-078 : En cas de sinistre, il faut utiliser tous les moyens d'alerte disponibles (ASN - balise de détresse). 2015-E-079 : Lors d'une évacuation, il convient de capeler les brassières de sauvetage. 2015-E-080 : Le dispositif de déclenchement des radeaux doit être en état de fonctionner en permanence. 2- 3- 4- 5- Page 18 sur 28 6.2 Recommandations Le BEAmer recommande : à l'armateur (pour le sistership, LE JOKER) : 1- 2015-R-015 : d'installer une protection adéquate contre les projections de gasoil depuis les raccords et tuyaux situés à proximité. 2015-R-016 : d'étudier la possibilité d'installer une commande de l'installation CO2 depuis la passerelle. à l'Administration : 2- 3- 2015-R-017 : donner instruction aux CSN, lors des visites périodiques, de porter une extrême attention au calorifugeage complet des échappements. Page 19 sur 28 LISTE DES ANNEXES A. B. C. D. Liste des abréviations Décision d'enquête Dossier navire Carte Page 20 sur 28 Annexe A Liste des abréviations BEAmer : BEPM CO2 CROSS GO kW OMI PRVT TU UMS Bureau d'enquêtes sur les événements de mer : Brevet d'Études Professionnelles Maritimes : Dioxyde de carbone (ici, gaz utilisé dans l'extinction fixe) : Centre Régional Opérationnel de Surveillance et de Sauvetage : Gazoil : Kilowatt : Organisation maritime internationale : Polyester renforcé au verre textile : Temps universel : Universal measurment system (unité de jauge/Convention de Londres) VHF : Very High Frequency (Très hautes fréquences) Page 21 sur 28 Annexe B Décision d'enquête Page 22 sur 28 Annexe C Dossier navire (À l'exception du radeau, les photographies suivantes ont été prises sur LE JOKER) Vue du moteur depuis la passerelle Local CO2 Capteur incendie - Plafond machine Centrale incendie Page 23 sur 28 Ventilation machine Échappement Ventilation machine Fixation radeau Page 24 sur 28 Cheminement d'accès au local CO2 Magasin Local CO2 Cuisine Entrepont Passerelle Page 25 sur 28 Carte Naufrage du navire de pêche AR RAOK 2 Annexe D Page 26 sur 28 Page 27 sur 28 Page 28 sur 28 Ministère de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie Bureau d'enquêtes sur les évènements de mer Tour Pascal B - 92055 La Défense cedex téléphone : +33 (0) 1 40 81 38 24 - télécopie : +33 (0) 1 40 81 38 42 www.bea-mer.developpement-durable.gouv.fr bea-mer@developpement-durable.gouv.fr

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