Rapport d'enquête technique sur la rupture multiple de rail, franchie en vitesse par des trains, le 26 novembre 2013 à Carbonne (31)
Auteur moral
France. Bureau d'enquêtes sur les accidents de transport terrestre
Auteur secondaire
Résumé
Ce rapport relate un évènement dont l'analyse conduit le BEA-TT à rechercher des orientations préventives et à formuler trois recommandations dans les trois domaines suivants :<br />- le suivi et la suppression des demi-aiguillages dont l'usinage du patin est de type ancien, présentant un point anguleux ;<br />- la détection des ruptures de rail par les circuits de voie non liés à des installations de sécurité ;<br />- la détection des ruptures de rails par les conducteurs des trains.
Editeur
MEDDE
Descripteur Urbamet
train
;enquête
;accident
;analyse économique
;sécurité
Descripteur écoplanete
Thème
Transports
Texte intégral
RAPPORT D'ENQUÊTE TECHNIQUE
sur la rupture multiple de rail, franchie en vitesse par des trains le 26 novembre 2013 à Carbonne (31)
Janvier 2016
Ministère de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie
www.developpement-durable.gouv.fr
Bureau d'Enquêtes sur les Accidents de Transport Terrestre
Affaire n° BEATT-2013-011
Rapport d'enquête technique sur la rupture multiple de rail, franchie en vitesse par des trains le 26 novembre 2013 à Carbonne (31)
Bordereau documentaire
Organisme commanditaire : Ministère de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie (MEDDE) Organisme auteur : Bureau d'Enquêtes sur les Accidents de Transport Terrestre (BEA-TT) Titre du document : Rapport d'enquête technique sur la rupture multiple de rail franchie en vitesse par des trains le 26 novembre 2013 à Carbonne (31) N° ISRN : EQ-BEAT--16-01--FR Proposition de mots-clés : rupture de rail, maintenance, infrastructure
Avertissement
L'enquête technique faisant l'objet du présent rapport est réalisée dans le cadre des articles L. 1621-1 à L. 1622-2 et R. 1621-1 à R. 1621-26 du code des transports relatifs, notamment, aux enquêtes techniques après accident ou incident de transport terrestre. Cette enquête a pour seul objet de prévenir de futurs accidents, en déterminant les circonstances et les causes de l'événement analysé et en établissant les recommandations de sécurité utiles. Elle ne vise pas à déterminer des responsabilités. En conséquence, l'utilisation de ce rapport à d'autres fins que la prévention pourrait conduire à des interprétations erronées.
SOMMAIRE
GLOSSAIRE...................................................................................................................................9 RÉSUMÉ.......................................................................................................................................11 1 - CONSTATS IMMÉDIATS ET ENGAGEMENT DE L'ENQUÊTE...........................................13 1.1 - Les circonstances de l'événement...................................................................................13 1.2 - Le bilan humain et matériel..............................................................................................13 1.3 - L'engagement et l'organisation de l'enquête...................................................................14 2 - CONTEXTE DE L'ÉVÉNEMENT............................................................................................15 2.1 - La ligne ferroviaire de Toulouse à Tarbes.......................................................................15 2.2 - Le lieu de l'événement et la gare de Carbonne...............................................................15 2.3 - Les exploitants ferroviaires concernés............................................................................18 2.4 - L'entretien des voies ferrées et les ruptures de rails sur le RFN.....................................18
2.4.1 -L'entretien de la voie............................................................................................................................. 18 2.4.2 -Les ruptures de rails............................................................................................................................. 19 2.4.3 -Les ruptures graves de rails................................................................................................................. 20 2.4.4 -La détection des ruptures de rail........................................................................................................... 21
3 - COMPTE RENDU DES INVESTIGATIONS EFFECTUÉES..................................................23 3.1 - Les résumés des témoignages........................................................................................23 3.2 - L'analyse des documents d'exploitation..........................................................................23 3.3 - Les constats relatifs à l'infrastructure et aux trains concernés........................................24
3.3.1 -La rupture multiple du rail..................................................................................................................... 24 3.3.2 -La maintenance du rail et de la voie au niveau du branchement A.......................................................26 3.3.3 -Les sept trains ayant circulé sur cette rupture de rail............................................................................26
3.4 - Les investigations portant sur les trois ruptures de rail...................................................27
3.4.1 -La rupture au niveau du délardement du contre-aiguille.......................................................................27 3.4.2 -La rupture au niveau de la soudure de pointe du contre-aiguille..........................................................29 3.4.3 -La rupture au niveau du défaut de billage............................................................................................. 29
3.5 - Le scénario de l'événement.............................................................................................30 3.6 - Les mesures immédiates et le signalement de l'incident................................................32 3.7 - Les mesures préventives prises suite à l'événement......................................................33
3.7.1 -Le signalement des dysfonctionnements des installations...................................................................33 3.7.2 -Le traitement des points de fragilité du rail........................................................................................... 33
3.8 - L'analyse de la surveillance des rails et de la voie..........................................................34
3.8.1 -La surveillance des rails....................................................................................................................... 34 3.8.2 -La surveillance de la géométrie de la voie............................................................................................34
3.9 - L'analyse de la détection des ruptures............................................................................35
3.9.1 -La détection de la première rupture du rail par le circuit de voie...........................................................35 3.9.2 -La détection des ruptures par les conducteurs.....................................................................................35
4 - DÉROULEMENT DE L'ÉVÉNEMENT ET DES SECOURS...................................................37 5 - ANALYSE DES CAUSES ET FACTEURS ASSOCIÉS, ORIENTATIONS PRÉVENTIVES.39 5.1 - Le schéma des causes et des facteurs associés............................................................39 5.2 - Le suivi et la suppression des demi-aiguillages avec l'ancien type d'usinage................40 5.3 - La détection des ruptures de rail par les circuits de voie non-liés à des installations de sécurité............................................................................................................................41 5.4 - La détection des ruptures de rail par les conducteurs.....................................................41 6 - CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS.........................................................................43 6.1 - Les causes de l'événement.............................................................................................43 6.2 - Les recommandations......................................................................................................43 ANNEXES.....................................................................................................................................45 Annexe 1 : Décision d'ouverture d'enquête.............................................................................47 Annexe 2 : Principes de maintenance et de surveillance des appareils de voie, des longs rails soudés et des rails sur le réseau ferré national.....................................................49
Glossaire
AC : Agent-Circulation ATESS : Système d'Acquisition et de Traitement des Événements de Sécurité en Statique BAL : Block Automatique Lumineux CdV : Circuit de voie EPSF : Établissement Public de Sécurité Ferroviaire KVB : Contrôle de Vitesse par Balises LRS : Long Rail Soudé PN : Passage à Niveau PK : Point Kilométrique RFF : Réseau Ferré de France RFN : Réseau Ferré National RST : Radio Sol-Train SGTC : Service Gestionnaire des Trafics et des Circulations SNCF : Société Nationale des Chemins de fer Français, gestionnaire d'infrastructure délégué du réseau ferré national et entreprise ferroviaire TER : Train Express Régional
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Résumé
Le 26 novembre 2013, à 6h03, une rupture de rail survient, lors du passage d'un train, au PK* 39+129 sur la file de droite de la voie 1 de la ligne de Toulouse à Tarbes. Elle provoque le dysfonctionnement d'une sonnerie d'annonce des trains qui se met alors à tinter sans discontinuer en gare de Carbonne. Cette sonnerie n'étant pas considérée comme une installation de sécurité, aucune restriction de circulation n'est prescrite en cas d'anomalie de son fonctionnement. Six autres trains circulent à vitesse normale, sans dérailler et sans que leurs conducteurs ne signalent de choc anormal, sur cette portion de voie avant qu'elle ne soit fermée aux circulations commerciales à 8h50 en raison de travaux programmés sur l'infrastructure. L'agent de maintenance de la signalisation qui recherchait depuis 8h05 la cause du dysfonctionnement de la sonnerie d'annonce découvre à 9h50 une lacune d'environ 1,30 m dont il s'avérera qu'elle a été franchie à 150 km/h par le train Intercités n° 14241. Cet événement qui aurait pu être très grave mais qui n'a eu que des conséquences matérielles limitées est dû à trois causes directes :
une rupture multiple du rail liée à la présence, sur une courte distance, de trois points de fragilité du rail et d'un défaut de géométrie de la voie ; l'absence de prescription de mesures de sécurité en cas de dysfonctionnement du dispositif d'annonce ; la lenteur de la détection de la rupture de rail, la voie n'étant pas équipée de circuits de voie liés à la signalisation.
Cette analyse a conduit le BEA-TT à rechercher des orientations préventives et à formuler trois recommandations dans les trois domaines suivants :
le suivi et la suppression des demi-aiguillages dont l'usinage du patin est de type ancien, présentant un point anguleux ; la détection des ruptures de rail par les circuits de voie non liés à des installations de sécurité ; la détection des ruptures de rails par les conducteurs des trains.
*
Termes figurant dans le glossaire. 11
1 - Constats immédiats et engagement de l'enquête
1.1 Les circonstances de l'événement
Le 26 novembre 2013, sur la commune de Carbonne dans le département de la HauteGaronne, une rupture de rail survient en pointe d'un appareil de voie au PK * 39+129 de la file de droite de la voie 1 de la ligne de Toulouse à Tarbes lors du passage d'un train à 6h03. Elle provoque le dysfonctionnement d'une sonnerie d'annonce des trains qui se met alors à tinter sans discontinuer en gare de Carbonne. Cette sonnerie n'étant pas considérée comme une installation de sécurité, aucune restriction de circulation n'est prescrite en cas d'anomalie de son fonctionnement. Six autres trains circulent à vitesse normale, sans dérailler et sans que leurs conducteurs ne signalent de choc anormal, sur cette portion de voie avant qu'elle ne soit fermée aux circulations commerciales à 8h50 en raison de travaux programmés sur l'infrastructure. Un agent de maintenance de la signalisation de la SNCF* qui recherchait depuis 8h05 la cause du dysfonctionnement de la sonnerie d'annonce découvre à 9h50 une lacune d'environ 1,30 m occasionnée par la rupture multiple de ce rail.
Fig. 1 : La lacune dans la file de droite de la voie 1
1.2 -
Le bilan humain et matériel
Cet événement n'a pas fait de victime mais a occasionné des dommages à la voie à hauteur de la lacune considérée et des dégâts sous les caisses de deux voitures intermédiaires de l'avant-dernier train ayant emprunté cette voie avant sa fermeture. En revanche, il n'a été constaté aucun dommage sur les six autres trains ayant franchi le rail rompu et notamment sur le train de voyageurs qui est passé le dernier sur la lacune.
*
Termes figurant dans le glossaire. 13
1.3 -
L'engagement et l'organisation de l'enquête
Au vu des circonstances de cet événement, le directeur du bureau d'enquêtes sur les accidents de transport terrestre (BEA-TT) a ouvert, le 5 décembre 2013, une enquête technique en application des articles L. 1621-1 à L. 1622-2 du code des transports. Les enquêteurs du BEA-TT ont rencontré les principaux agents impliqués et des représentants des services concernés de la Société Nationale des Chemins de fer Français (SNCF). Ils se sont rendus sur place et ont pu disposer de l'ensemble des pièces et documents nécessaires à leurs analyses, notamment des rapports d'enquête établis par les différents services concernés de la SNCF.
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2 - Contexte de l'événement
2.1 La ligne ferroviaire de Toulouse à Tarbes
La ligne ferroviaire à double voie de Toulouse à Tarbes, d'une longueur de 156 kilomètres, est électrifiée en courant continu 1500 volts. Elle est équipée du contrôle de vitesse par balises (KVB) et de la radio sol-train (RST). La régulation du trafic y est effectuée par le centre opérationnel de gestion des circulations (COGC) de Toulouse. La vitesse des trains y est limitée à 160 km/h depuis la sortie de Toulouse jusqu'à Montréjeau au PK 63. La nature et le volume de son trafic la classent dans le groupe UIC 5. La gestion de l'espacement des trains est assurée par block manuel unifié (BMU) entre Muret au PK 20 et Tournay au PK 138. Dans ce système, chaque voie est découpée en cantons géographiques protégés par un signal d'arrêt dont l'ouverture est conditionnée par l'absence de train sur le canton suivant déterminée par l'agent-circulation. Avec ce type de block, les voies ne sont équipées de circuits de voie 1 que sur de très courts tronçons et sans lien avec la signalisation.
Fig. 2 : Localisation de la rupture de rail
2.2 -
Le lieu de l'événement et la gare de Carbonne
L'appareil de voie en pointe duquel est survenue la rupture de rail se trouve au PK 39+129 de la voie 1 de cette ligne, entre les gares de Longages-Noé et de Carbonne.
1 Un circuit de voie est un système de détection des circulations qui utilise un courant électrique empruntant les rails pour détecter la présence d'un train dans la zone de voie considérée. Il peut ainsi agir automatiquement sur la commande d'un signal en entrée de canton ou d'un passage à niveau. 15
Il donne accès aux installations terminales embranchées d'un particulier et cet embranchement, bien que toujours en service, n'est plus desservi dans la pratique. Cet appareil de voie datant de 1981, dénommé « branchement A », est pris en talon par les circulations sur la voie 1. C'est un branchement simple à déviation à droite de tangente 0,11 de type U60 qui a été incorporé dans le long rail soudé (LRS) de type U36 encadrant posé neuf en 1965. Le rail n'a pas subi de réparation et le demi-aiguillage qui s'est rompu date donc de 1981. Son remplacement était prévu en 2015. Le branchement simple est le type d'appareil de voie le plus courant qui permet le raccordement de deux voies. Il n'est généralement pas symétrique et on distingue la voie directe qui peut être franchie à la vitesse maximale de la ligne concernée et la voie déviée qui ne peut, le plus souvent, être parcourue qu'à vitesse réduite. Il comporte deux aiguilles qui sont des pièces mobiles en rail usiné qui viennent s'appuyer contre l'un ou l'autre des rails extérieurs, eux-mêmes usinés et appelés contre-aiguilles, pour assurer ainsi la continuité de l'un ou l'autre des itinéraires.
Fig. 3 : Le branchement A à déviation à droite de Carbonne
La figure 4 présente les installations de la ligne entre les gares de Longages-Noé et de Carbonne et plus particulièrement le lieu de l'événement. Sur ce tronçon, la ligne étant équipée du block manuel unifié, les voies ne sont pas équipées de circuits de voie (CdV) de façon continue et ces CdV, lorsqu'ils existent, ne sont pas liés à la signalisation.
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On observe que le branchement A est situé sur la zone 39. Ce circuit de voie n'est pas lié à la signalisation et n'est utilisé que pour le dispositif d'annonce des trains de la voie 1.
Fig. 4 : Extrait des renseignements techniques et du schéma des installations au niveau du lieu où est survenue la rupture de rail
La sonnerie d'annonce de la voie 1, présentée dans la figure 5, est installée sur le quai de la gare juste à côté du poste de l'agent-circulation. Déclenchée par le passage d'une circulation ferroviaire sur une pédale au PK 38+047, puis maintenue jusqu'à libération de la zone 39 au PK 39+421, elle sert à aviser l'agent-circulation de la gare de Carbonne de l'approche d'un train sur cette voie. Un dysfonctionnement de cette zone provoque donc, après passage d'un train sur la pédale d'annonce, le maintien continuel de la sonnerie. Ce dispositif n'est toutefois pas considéré comme une installation de sécurité et, en cas de dysfonctionnement, l'agent-circulation doit simplement aviser un agent de maintenance et annoter son carnet de dérangement des installations sensibles.
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Fig. 5 : La gare de Carbonne et la sonnerie d'annonce des trains de la voie 1
2.3 - Les exploitants ferroviaires concernés
L'événement analysé dans le présent rapport implique essentiellement deux services de la SNCF intervenant au titre de ses activités de gestionnaire d'infrastructure délégué du réseau ferré national (RFN) réalisées sous couvert d'un agrément de sécurité qui lui a été délivré par l'Établissement public de sécurité ferroviaire (EPSF) le 14 février 2013 :
le service gestionnaire des trafics et des circulations (SGTC) dont dépend l'agentcirculation de la gare de Carbonne ; le service chargé de la maintenance et des travaux sur l'infrastructure dont dépendent les agents de maintenance de l'infrastructure et notamment celui qui a découvert cette rupture de rail.
Il implique également l'entreprise ferroviaire SNCF qui exploite les différents trains de voyageurs qui sont passés sur cette voie le 26 novembre 2013, sous couvert d'un certificat de sécurité qui lui a été délivré par l'EPSF le 24 mai 2012 pour l'exécution de services de transport ferroviaire sur le RFN.
2.4 -
L'entretien des voies ferrées et les ruptures de rails sur le RFN
2.4.1 - L'entretien de la voie
La rupture analysée dans le présent rapport est survenue en pointe d'un appareil de voie incorporé dans un long rail soudé2 (LRS).
2 Un LRS est constitué de rails soudés entre eux sur plusieurs kilomètres et le libre mouvement du rail en fonction de la température est contrarié par sa fixation aux traverses ancrées dans le ballast. Un appareil de dilatation ou un dispositif à joints multiples est installé à chacune des deux extrémités du LRS pour reprendre le mouvement du rail pas totalement contraint dans ces zones d'extrémité. 18
Chaque appareil de voie fait l'objet d'un dossier qui regroupe tous les plans et les fiches concernant les caractéristiques, la pose et l'entretien de l'appareil considéré. De même, tous les principaux éléments relatifs à la pose et l'entretien d'un LRS sont repris dans un dossier particulier dénommé « carnet de vie du LRS ». De plus, après classement et prise des mesures adaptées, les défauts de rails détectés sont répertoriés dans une application informatique spécifique dénommée « DEFRAIL » permettant leur suivi. Tous les défauts affectant les appareils de voie et les LRS et toutes les opérations significatives d'entretien qu'ils ont subies peuvent ainsi être retracés. Les consignes opérationnelles3 de la SNCF fixent les règles relatives à leur entretien qui comprend une maintenance préventive, consistant en des opérations de surveillance et des interventions programmées, une maintenance corrective et, enfin, une régénération. L'annexe 2 du présent rapport précise les principes de surveillance et de maintenance des appareils de voie, des longs rails soudés et des rails sur le réseau ferré national.
2.4.2 - Les ruptures de rails
Le réseau ferré national (RFN) représente un linéaire d'environ 50 000 km de voies principales, dont 38 000 km en long rails soudés. Les rails sont suivis en fonction de leur profil et du groupe UIC4 des lignes. L'âge moyen des rails des 20 000 km de voies des groupes UIC 1 à 4, des 6 500 km de voies du groupe UIC 5, telles que celles de la ligne Toulouse - Tarbes, et des 19 000 km de voies des groupes UIC 6 à 9 avec voyageurs est respectivement d'une vingtaine, d'une trentaine et d'une quarantaine d'années. En 2012, on a observé 336 ruptures de rails correspondant à un taux de ruptures pour 100 km de voies de 0,13 pour les lignes à grande vitesse et de 0,73 pour les lignes classiques. Parmi ces dernières, les voies du groupe UIC 5 comptent en moyenne une rupture de rail par an pour 100 km de voies. La figure 6 montre que le nombre annuel de ruptures de rails est globalement en baisse sur les 25 dernières années. Ces ruptures ont été causées pour 30 % par des défauts de soudures aluminothermiques et pour 25 % par des défauts de fatigue de contact au niveau du champignon. Les autres causes de ruptures sont notamment les défauts d'usure, de corrosion, de fatigue interne du champignon, de soudures électriques et de rechargement, ainsi que les dommages au rail.
3 Il s'agit notamment des consignes SNCF référencées IN 0312 « Tournées de surveillance sur les lignes classiques à vitesse < 220 km/h », IN 0287 « Entretien des appareils de voie », IN 3215 « Maintenance de la géométrie des voies principales des lignes classiques et à grande vitesse », IN 03002 « Conditions techniques à respecter pour l'entretien des LRS et des appareils incorporés sur Lignes Classiques et Lignes à Grande Vitesse », IN 2070 « Surveillance des rails posés sur voies principales », IN 2060 « Classement des défauts de rails » et IN 2073 « Mesures à prendre après classement des défauts de rails ». 4 Les lignes sont classées suivant les groupes UIC 1 à 6, 7AV à 9AV, 7SV à 9SV par ordre d'importance de leur trafic, et en particulier en fonction de la présence ou non de trains de voyageurs. 19
Fig. 6 : L'évolution du nombre annuel de ruptures de rails sur le réseau ferré national
2.4.3 - Les ruptures graves de rails
Certaines ruptures de rails sont qualifiées d'« événements graves voie »5 car elles présentent un risque grave pour la circulation des trains sur une voie principale. Un référentiel spécifique permet de suivre depuis 2006 ces ruptures graves qui s'élèvent à une trentaine par an sur le réseau ferré national. Leurs causes principales sont les défauts au niveau des abouts (fissurations horizontales aux congés6 de l'âme en about, étoilures des trous d'éclissage ...) et des rails usinés dans les appareils de dilatation et les appareils de voie. Ces ruptures graves sont en effet celles situées dans la partie non maintenue d'un appareil de dilatation, d'une aiguille ou d'une pointe mobile de coeur d'un appareil de voie, ainsi que celles qui occasionnent une lacune supérieure à 60 mm, notamment en cas de ruptures multiples. Sur le RFN, cinq ruptures graves ont été relevées depuis 2006 sur les quelque 900 km de voies sans circuit de voie lié à la signalisation des groupes UIC 5 et 6 sur lesquelles circulent des trains de voyageurs à la vitesse de 140 km/h ou plus. Sur la ligne Toulouse - Tarbes, une rupture grave de rail a ainsi été recensée en 2009 et deux rails cassés ont été découverts en 2013 avant le 26 novembre, le premier par un agent de maintenance le 26 février et le second par un conducteur de train le 18 novembre. Par ailleurs, trois déraillements de trains sur des voies sans circuit de voie lié à la signalisation suite à une rupture de rail ont déjà fait l'objet d'un rapport d'enquête du Conseil Général des Ponts et Chaussées ou du BEA-TT :
le 31 octobre 2001, un TGV assurant la liaison entre Paris et Hendaye a déraillé à la vitesse de 130 km/h à Saubusse-les-Bains dans les Landes, en occasionnant neuf blessés légers, suite à la désolidarisation d'un rail en mauvais état entre deux défauts
5 Au sens de la consigne SNCF référencée IN 3552 « événements graves voie ». 6 Il s'agit de fissures qui se développent, suite aux chocs dus au passage des roues, depuis l'about du rail à la jonction de l'âme du rail et de son champignon ou de son patin. 20
classés « X2 » espacés de deux mètres. Le CGPC recommandait de renforcer la rénovation des voies en les équipant de circuits de voie, d'augmenter la fréquence des auscultations et de développer les techniques de détection des défauts de rail ;
le 25 février 2006, un train Corail effectuant le trajet de Paris à Béziers a déraillé à la vitesse de 73 km/h à Saint-Flour dans le Cantal, en occasionnant deux blessés légers et d'importants dégâts à l'infrastructure et au matériel roulant, suite à une rupture du rail à double champignon au niveau d'une soudure aluminothermique. Les quatre recommandations émises par le BEA-TT concernaient spécifiquement les voies ferrées équipées de rails à double champignon ; le 9 novembre 2007, un TER effectuant le trajet de Briançon à Aix-en-Provence a déraillé à la vitesse de 105 km/h à Pertuis dans le Vaucluse, sans faire de blessé, suite à une rupture non détectée d'une soudure aluminothermique d'un LRS sur cette voie unique sans circuit de voie. Outre deux recommandations concernant les soudures, le BEA-TT recommandait d'améliorer les conditions de signalement des chocs anormaux par les conducteurs de trains, en particulier à travers leur formation.
2.4.4 - La détection des ruptures de rail
Sur le RFN, la découverte des ruptures de rails résulte des circuits de voie (CdV) dans 58 % des cas, des agents de maintenance de l'infrastructure pour 24 % et des conducteurs de train signalant un choc anormal pour 8 %. La détection des ruptures de rails par les circuits de voie Lorsqu'une voie est équipée d'un circuit de voie, une rupture de rail provoque très généralement la coupure du circuit et la chute du relais de voie correspondant. Toutefois la coupure du CdV n'est pas garantie au niveau des joints de rails éclissés et dans certaines parties des appareils de voie. Si le CdV est lié à la signalisation, sa coupure provoque la fermeture du signal correspondant. Seul un train qui, lors de la rupture, aurait déjà dépassé ce signal ou son annonce serait susceptible de la franchir en vitesse. Les trains suivants la franchiront au maximum à 30 km/h jusqu'à ce que l'origine du dérangement ait été identifiée et traitée. Si le CdV est lié au fonctionnement d'un passage à niveau (PN), une rupture du rail provoque le déclenchement puis le maintien de la fermeture des barrières. C'est le signalement de ce « raté d'ouverture », généralement effectué par les usagers de la route, qui déclenche la procédure réglementaire prévue dans un tel cas. Celle-ci prévoit l'arrêt des trains puis leur circulation en marche prudente. Dans les cas où le CdV n'est lié qu'à un dispositif qui n'est pas considéré comme un système de sécurité, aucune mesure concernant la circulation des trains n'est prescrite en cas de dysfonctionnement. Une éventuelle rupture de rail sera donc franchie à vitesse normale par les trains suivants jusqu'à ce que la rupture soit détectée lors de la recherche des causes du dysfonctionnement. Dans tous les cas, il est prescrit que l'astreinte signalisation soit immédiatement alertée. Les dérangements des systèmes de sécurité seront traités en priorité. Les dérangements sans conséquence pour les circulations sont les moins prioritaires. Il s'ensuit qu'en cas de rupture de rail dans une zone où le CdV n'est pas lié à un dispositif de sécurité, la rupture sera franchie à vitesse normale et sa détection risque d'être tardive.
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Sur une section de ligne équipée de block automatique à circuits de voie, la couverture des voies par des CdV liés à la signalisation est totale. Ces sections représentent environ la moitié du kilométrage total des lignes du RFN et supportent environ 90 % du trafic. Sur les autres sections de lignes, la couverture n'est que partielle, les circuits de voie liés à la signalisation ne concernent essentiellement que certaines gares. Il s'y ajoute les CdV des PN et ponctuellement, comme à Carbonne, des CdV sans lien avec un système de sécurité. Sur ces sections, les cycles de surveillance des rails par ultrasons sont renforcés afin d'assurer une meilleure prévention des ruptures. Les voies de la plupart des autres réseaux ferroviaires européens ne sont en revanche pas équipées de dispositifs techniques, tels que les circuits de voie, permettant de détecter automatiquement une rupture de rail et de prendre des mesures immédiates de sécurité des circulations. La maîtrise du risque lié à ces ruptures y repose donc essentiellement sur la prévention donc sur la surveillance et la maintenance. La détection des ruptures par les agents La surveillance effectuée par les agents de maintenance et le signalement des chocs anormaux par les conducteurs sont, bien sûr, indispensables pour les voies non équipées de circuits de voie, mais aussi pour celles qui en sont dotées car, comme indiqué plus haut, l'efficacité des CdV n'est pas absolue. Les tournées de surveillance, quelle qu'en soit la périodicité, ne peuvent garantir qu'aucune rupture de rail n'aura lieu. En l'absence de détection par CdV, le signalement d'un choc anormal par le conducteur constitue donc la seule possibilité de détection rapide d'une telle rupture. À cet effet, le règlement S2C « Circulation des trains » dispose qu'en cas de choc ou mouvement anormal, de présomption d'un danger sur la voie parcourue, un conducteur arrête son train, détermine l'origine de l'événement et prend les mesures d'urgence destinées à éviter que d'autres circulations ferroviaires n'atteignent la zone dangereuse. Cette procédure étant contraignante, non seulement pour le conducteur concerné, mais aussi pour le régulateur et les agents circulation des gares encadrantes et lourde de conséquences pour la circulation des trains, les conducteurs ne la déclenchent généralement qu'en cas de choc ou de mouvement manifestement anormal. Or, l'expérience montre que le franchissement d'une lacune à vitesse élevée ne provoque pas forcément un choc très significatif.
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3 - Compte rendu des investigations effectuées
3.1 Les résumés des témoignages
Les résumés présentés ci-dessous sont établis par les enquêteurs techniques sur la base des déclarations, orales ou écrites, dont ils ont eu connaissance. Ils ne retiennent que les éléments qui paraissent utiles pour éclairer la compréhension et l'analyse des événements et pour formuler des recommandations. Il peut exister des divergences entre les différents témoignages recueillis ou entre ceux-ci et les constats ou analyses présentées par ailleurs. L'agent-circulation de la gare de Carbonne Il indique qu'il n'a pas réussi à arrêter la sonnerie d'annonce des trains de la voie 1 après le passage en gare à 6h03 du train n° 728953. Il a annoté son carnet de dérangement des installations sensibles et a informé le régulateur du centre opérationnel de gestion des circulations de Toulouse. À 6h25, la sonnerie persistant, il a téléphoné à l'agent de maintenance de la signalisation du parcours, sur son téléphone fixe puis sur son portable de service, sans réussir à le joindre. Ce dernier l'a rappelé à 7h05. L'agent de maintenance de la signalisation Il a pris son service à Carbonne vers 7h30 après avoir été informé du dysfonctionnement par l'agent-circulation. Bien que cette sonnerie d'annonce ne soit pas une installation de sécurité, il a immédiatement recherché la cause de ce dysfonctionnement car aucun incident impactant directement la sécurité des circulations et impliquant donc une intervention urgente n'était alors signalé. Il a d'abord vérifié les relais et les pédales de passage à niveau susceptibles d'être impliqués avant de suspecter un défaut de continuité du rail sur la zone 39, utilisée auparavant pour le PN 38 déposé, qui permet de détecter la présence d'une circulation sur la voie 1 et de maintenir la sonnerie d'annonce. Par ailleurs, pour terminer ses investigations, il a notamment décidé, en accord avec son supérieur hiérarchique, de retarder une intervention sur une installation de sécurité en dysfonctionnement. Quand il a découvert à 9h50 la lacune de 1,30 m occasionnée par une rupture multiple du rail, il a immédiatement alerté l'agent-circulation de la gare de Muret pour faire arrêter les trains de la voie 1 car il ignorait qu'elle avait été fermée aux circulations commerciales pour des travaux programmés sur l'infrastructure. Les agents des trains Les conducteurs et les contrôleurs des deux derniers trains passés sur la rupture de rail avant sa découverte indiquent n'avoir noté ni bruit, ni secousse à ce niveau. Un agent SNCF qui voyageait dans la dernière voiture du dernier train déclare toutefois avoir ressenti une forte secousse alors que le train circulait à vive allure après la gare de Muret. Aucun autre voyageur ne s'est manifesté.
3.2 -
L'analyse des documents d'exploitation
Le graphique de suivi des circulations montre que sept trains sont passés sur la voie 1 à Carbonne le 26 novembre 2013 entre le début du dysfonctionnement de la sonnerie d'annonce des trains à 6h03 et le moment de la découverte de la rupture de rail. Ces trains, dont les bulletins de service ne mentionnent aucune observation en lien avec cette rupture, sont les suivants :
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à 6h03, le train de service n° 728953 constitué d'un engin moteur et de quatre voitures ; à 6h23, le train de service n° 728025 constitué par une rame automotrice de six véhicules ; à 6h46, le TER Toulouse - Pau n° 872701 constitué d'un engin moteur et de trois voitures qui s'est arrêté en gare de Carbonne ; à 6h59, le train de service n° 728503 constitué d'un engin moteur et de trois voitures ; à 7h57, le TER Toulouse - Tarbes n° 872703 constitué par une rame automotrice de deux véhicules ; à 8h08, le train de nuit Paris - Irun n° 4053 constitué d'un engin moteur et de huit voitures ; à 8h18, le train Intercités Toulouse - Bayonne n° 14241 constitué d'un engin moteur et de quatre voitures de type corail. Sa bande graphique montre qu'il circulait à 150 km/h au niveau du branchement A.
Si les trois trains de service circulaient à vide, quatre trains transportant des voyageurs, et aptes à circuler à une vitesse de 140 km/h ou plus, sont donc passés sur cette voie au niveau de la rupture qui a provoqué le dysfonctionnement de la sonnerie d'annonce. Le carnet de dérangements des installations sensibles de la gare de Carbonne permet de confirmer que l'agent-circulation a noté, à 6h05, le dysfonctionnement de la sonnerie d'annonce des trains voie 1 et met en évidence que ces sonneries d'annonce, pour la voie 1 comme pour la voie 2, sont en dérangement environ une fois par an sans pour autant qu'il y ait un risque pour la sécurité des circulations. Le carnet de demandes de fermeture de voie de la gare de Muret permet de constater que l'agent-circulation a accordé une demande de fermeture de voie pour la voie 1 entre les gares de Muret et de Carbonne à 8h50 pour des travaux programmés sur l'infrastructure. Cette procédure a évité le franchissement de la lacune par d'autres circulations ferroviaires après 8h50.
3.3 -
Les constats relatifs à l'infrastructure et aux trains concernés
3.3.1 - La rupture multiple du rail
Trois ruptures successives dans le rail de la file droite de la voie 1 en pointe du branchement A ont occasionné une lacune de près de 1,30 m après que le rail s'est cassé en plusieurs morceaux. Les constats sont les suivants :
un premier morceau d'une longueur d'environ 70 cm a été retrouvé enfoncé dans le ballast à hauteur de la lacune ; un second morceau, d'une cinquantaine de centimètres, a été emporté sur plus de 120 mètres sur la voie 1 alors qu'un petit morceau d'environ dix centimètres, sous le champignon, a été projeté à quelque cinq mètres de la lacune ; la première rupture en amont est survenue sur une zone de fragilité du rail du fait de l'usinage du patin du contre-aiguille du branchement A qui permet à l'aiguille, dont le patin fait également l'objet d'un délardement, de venir se plaquer contre le contreaiguille pour donner la direction voie déviée ; la seconde rupture s'est produite au niveau de la soudure aluminothermique réalisée en 1981 en pointe de l'appareil de voie lors de son incorporation dans le LRS ; la troisième rupture est située au niveau d'un défaut de la surface du rail, dénommé
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« billage »7, occasionné par le passage d'un train dont une roue comportait une incrustation d'un corps étranger sur sa table de roulement ;
les deux traverses bois au niveau de la lacune ont été très endommagées par les morceaux de rail rompus mais on ne constate pas de traces de roues.
La localisation du rail cassé est visualisée dans la figure 7 et les trois ruptures sont présentées dans la figure 8.
Fig. 7 : Les ruptures de rail en pointe du branchement A
Fig. 8 : La reconstitution du rail cassé vu de l'extérieur de la voie 1
7 Sur les dix kilomètres de rail encadrant, 672 défauts de ce type avait été répertoriés. 25
3.3.2 - La maintenance du rail et de la voie au niveau du branchement A 8
L'application « DEFRAIL » de suivi des défauts de rail montre qu'aucun autre défaut du rail de la file droite de la voie 1 à hauteur du branchement A n'avait été repéré hormis ce défaut de billage découvert, identifié et classé en observation « O »9 le 13 décembre 2011 suite à un contrôle visuel. La périodicité des contrôles par ultrasons des rails sur cette partie de ligne est de deux ans et, suite à la dernière auscultation par ultrasons du 12 juin 2012 et au contrôle visuel consécutif du 28 août 2012, son classement a été confirmé conformément à la consigne SNCF pour un défaut d'une telle profondeur sans présence de fissures transversales sur les faces latérales du champignon d'une partie de rail maintenue. Aucune mesure particulière n'était prescrite avant une nouvelle visite prévue le 12 décembre 2013. Le carnet de vie du long rail soudé (LRS) dans lequel a été incorporé en 1981 le branchement A montre qu'à proximité de cet appareil de voie aucun changement de rail n'a été effectué depuis cette date. Ce LRS a été fixé sur les traverses à la température de référence de 20 °C. Le rail ne subit donc pas a priori de contrainte à cette température et il était en traction le 26 novembre 2013 où la température était très légèrement positive. Les fiches de vérification du branchement A indiquent que la dernière opération d'entretien de la famille A concernant les éléments les plus critiques pour la sécurité a été réalisée le 12 juin 2013 alors que l'entretien de la famille B a été effectué en janvier et mars 2013. Ces fiches précisent les travaux exécutés qui n'ont mis en évidence aucun élément susceptible de provoquer une rupture du contre-aiguille concerné et seul le remplacement de dix bois d'appareils a déconsolidé provisoirement la voie en décembre 2011. La voiture Mauzin de vérification de la géométrie de la voie passe tous les six mois sur la voie concernée et les derniers enregistrements réalisés les 15 mars et 1er octobre 2013 montrent une faible évolution d'un défaut de géométrie de la voie classé en valeur d'alerte « VA » en pointe du branchement A. Ce défaut a donc été suivi lors des tournées périodiques de surveillance, mais n'a pas fait l'objet d'une reprise de nivellement bien qu'on ait constaté environ 15 mm de danse10. Enfin, les rapports relatifs aux dernières tournées de surveillance effectuées les 26 août, 21 octobre et 29 octobre 2013 respectivement par un dirigeant à pied, par un agent de maintenance à pied et par un dirigeant en train, ne mettent pas en évidence de défaut de voie susceptible de provoquer une rupture du rail.
3.3.3 - Les sept trains ayant circulé sur cette rupture de rail
À la demande du service de gestion des trafics et des circulations (SGTC), les sept trains passés sur la rupture de rail entre 6h03 et 8h18 ont été inspectés. Si rien n'a été observé sur les cinq premiers, la visite du sixième, le train de nuit Paris - Irun n° 4053 comportant huit voitures voyageurs, a mis en lumière que ses cinquième et sixième voitures présentaient des chocs importants sous caisses au niveau des coffres et du calorifugeage du chauffage. Une roue et une semelle de frein de la sixième voiture ont été également détériorés.
8 L'annexe 2 du présent rapport précise les principes de surveillance et de maintenance de la voie, des rails et des appareils du réseau ferré national. 9 Le classement des défauts de rail est explicité dans l'annexe 2. 10 La danse est un affaissement du châssis de la voie ferrée au passage des trains. Sa longueur est souvent courte et sa valeur correspond à l'amplitude entre le rail à vide et en charge. Les engins de vérification de la géométrie de la voie ne peuvent pas repérer la danse qui est visualisée et mesurée sur site. Bien qu'elle entraîne des contraintes dans le rail, aucune norme spécifique à la danse n'est fixée. 26
En revanche, sur le train Intercités Toulouse - Bayonne n° 14241 qui a franchi cette rupture en dernier, aucune avarie n'a été constatée ni à son terminus à Bayonne ni lors de l'examen sur fosse à Hendaye.
Fig. 9 : Exemples d'avaries constatées sous les voitures du train n° 4053
3.4 -
Les investigations portant sur les trois ruptures de rail
Suite à cette rupture de rail, le rail détérioré a été remplacé et les morceaux de rails encadrant ces trois ruptures ont été envoyés pour examen au centre d'expertise des rails de la SNCF. Les résultats des expertises des trois ruptures sont donnés ci-après dans l'ordre de leur position, de l'amont vers l'aval de la voie.
3.4.1 - La rupture au niveau du délardement du contre-aiguille
Dans un branchement, le patin du rail est usiné au niveau du contre-aiguille pour permettre à l'aiguille devenir se positionner contre ce-dernier. Cet usinage est appelé délardement. Sur certains appareils comme le branchement A, ce délardement présente un point anguleux.
Fig. 10 : Vue du délardement du contre-aiguille
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La première rupture dans le sens de circulation des trains sur la voie 1 est survenue justement au niveau de l'angle de raccordement du délardement du patin du rail. D'après la base de données de l'application « DEFRAIL » précitée, 34 ruptures graves ont ainsi été constatées sur le réseau ferré national de 2006 à 2013 dans de telles zones de délardement du patin du rail dans un appareil de dilatation ou un appareil de voie, dont trois dans un contre-aiguille. L'expertise a mis en évidence une lunule de 13 mm formée suite au développement lent d'une fissure sous l'effet de la fatigue et centrée sur un angle vif au niveau de l'angle inférieur du patin de la zone délardée. La rupture brutale s'est initiée depuis cette lunule sous l'effet de la mise en traction du LRS et de la fragilisation de l'acier sous l'effet du froid. Les contrôles ultrasons détectent les défauts métallurgiques internes dans le champignon et l'âme du rail mais un tel défaut au niveau du patin est pratiquement indétectable tant visuellement que par ultrasons. Les prescriptions SNCF relatives au classement des défauts des rails et aux mesures à prendre après détection, précisent que la découverte d'une telle fissure entraîne des mesures de sécurité immédiates pour retenir les circulations jusqu'au retrait du rail dans un délai fixé. Sur les images ci-après, les flèches en jaune indiquent le sens de propagation des ruptures et celles en bleu le sens des vues des faciès des trois ruptures.
Fig. 11 : Photos de la rupture au niveau du délardement du contre-aiguille
Par ailleurs, on observe que la table de roulement du rail est fortement matée côté Tarbes ce qui indique que plusieurs essieux sont passés à cet endroit après la rupture. La trace de choc côté intérieur du champignon montre que ce tronçon aval s'est trouvé désaligné à un moment donné après la rupture et a été heurté violemment, probablement par le boudin d'une roue.
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3.4.2 - La rupture au niveau de la soudure de pointe du contre-aiguille
Cette rupture s'est produite au niveau de la soudure aluminothermique raccordant le contre-aiguille du branchement A en rail de type U60 au LRS en rail de type U3611. Les deux morceaux de rails de part et d'autre de cette soudure ayant été heurtés et projetés par un train, des déformations et des traces de choc sont présentes, essentiellement sur la partie aval de la rupture, côté Tarbes. L'expertise a notamment mis en évidence une zone d'amorçages multiples en pied de patin du rail U36, du côté aval de la soudure. La rupture s'est ensuite développée rapidement verticalement dans le patin et l'âme du rail U36, le long de sa liaison avec le bourrelet de soudure, avant de s'étendre, avec une composante horizontale, vers le champignon côté Toulouse et vers le patin côté Tarbes. L'examen de la soudure elle-même montre qu'elle ne présente pas de défaut, qu'elle a été correctement réalisée en 1981 et qu'elle satisfait aux normes actuellement en vigueur pour valider les soudures aluminothermiques.
Fig. 12 : Photos de la rupture au niveau de la soudure de pointe du contre-aiguille
3.4.3 - La rupture au niveau du défaut de billage
Cette rupture est survenue au niveau d'un défaut de billage. Des déformations et des traces de choc témoignent que le coupon amont a été heurté et projeté par un train et que le coupon aval a également subi des chocs. L'expertise a notamment mis en évidence une lunule d'une profondeur de 11 mm centrée sur la table de roulement du rail. La rupture brutale s'est initiée depuis cette lunule formée suite au développement lent d'une fissure sous l'effet de la fatigue. Elle s'est ensuite développée rapidement dans le champignon, l'âme puis le patin du rail. De tels défauts de billage, de faible profondeur et sans fissure transversale visible, font l'objet, une fois détectés, d'une surveillance spécifique mais, sur la base du retour d'expérience de la SNCF, ne sont pas susceptibles de provoquer une rupture imminente du rail.
11 Le rail U60 de 60 kg/m est le rail normalement installé sur les voies les plus chargées du RFN. Le rail U36 de 50 kg/m est de conception plus ancienne et présente une section plus faible. 29
Fig. 13 : Photos de la rupture au niveau du défaut de billage
On observe une zone de matage de la table de roulement côté Tarbes indiquant le passage d'essieux après cette rupture.
3.5 -
Le scénario de l'événement
Compte tenu des antécédents connus sur le réseau ferré national, il est probable que la première rupture soit survenue au niveau du délardement du contre-aiguille du branchement A. En effet, du fait de la présence d'une lunule dans un angle du patin du rail, une rupture au niveau de ce point de fragilité, qui a été la source de plusieurs ruptures dans le passé sur le RFN, pouvait intervenir à tout moment alors que l'état du rail au niveau de la soudure aluminothermique et du défaut de billage ne constituait pas un risque de rupture à court terme. L'important matage du rail en aval de cette rupture montre que plusieurs trains l'ont franchie. Leur passage à vitesse normale, conjugué avec de la danse, a entraîné des sollicitations anormales qui ont provoqué les deux autres ruptures du rail en aval. L'hypothèse la plus probable est que la seconde rupture soit survenue au niveau du point de fragilité du rail constitué par le défaut de billage affectant son champignon. Le coupon de rail de 1,20 mètres entre les deux ruptures, toujours fixé sur une traverse intermédiaire T2, est resté en place et le rail en aval a été maté par le passage des trains. Les efforts de flexion dans ce coupon entre les traverses T2 et T3 ont provoqué la zone d'amorçage de la fissuration au patin au niveau de la soudure de pointe du contre-aiguille, du côté du rail U36 de plus faible section. La rupture est survenue soudainement et le coupon aval de 50 cm n'était plus alors fixé sur des traverses. Son about amont a été heurté par la cinquième voiture du train n° 4053 qui l'a déformé et il a alors été projeté par ce train 120 mètres plus loin. Avec le passage des essieux sur la lacune, le coupon amont de 70 cm a basculé autour de la traverse T2 et, son about amont ayant été heurté par une roue de la sixième voiture de ce même train, il a été s'enfoncer dans le ballast au niveau de la traverse T3 en endommageant les traverses T2 et T3.
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Fig. 14 : Le scénario de la rupture multiple 31
Il ressort donc des constatations et des analyses précédentes le scénario suivant :
la rupture au niveau du délardement du contre-aiguille du branchement A survient au passage du train de service n° 728953 à 6h03 et provoque le dysfonctionnement de la sonnerie d'annonce des trains impairs en gare de Carbonne ; comme prévu dans les consignes SNCF en cas de dysfonctionnement d'un tel dispositif, l'agent-circulation ne prend pas de mesure vis-à-vis de la circulation des trains et prévient le régulateur puis un agent de maintenance de la signalisation ; les contraintes anormales engendrées par le passage de six trains à vitesse normale sur cette rupture provoquent successivement deux autres ruptures en aval, d'abord au niveau du défaut de billage, puis de celui de la soudure aluminothermique ; les deux coupons d'environ 50 cm et 70 cm sont heurtés par les roues du sixième train à 8h08 et sont arrachés en occasionnant une lacune de près d'1,30 m ; à 8h18 un septième train de voyageurs franchit cette lacune à la vitesse de 150 km/h. Celle-ci étant en ligne droite et le bogie ayant un grand empattement, le train ne déraille pas.
3.6 -
Les mesures immédiates et le signalement de l'incident
L'agent de maintenance qui a découvert la lacune dans le rail a immédiatement alerté l'agent-circulation de la gare de Muret pour faire arrêter les trains sur la voie 1. Cette voie étant déjà fermée aux circulations commerciales, l'agent-circulation n'a pas eu à prendre de mesure particulière mais a immédiatement informé le centre opérationnel de gestion des circulations de Toulouse et l'agent-circulation de Carbonne. Afin de permettre la réparation du rail de la voie 1 par la pose d'un coupon sans trop perturber les circulations, une voie unique temporaire a été organisée dans l'après-midi sur la voie 2 entre Muret et Cazères-sur-Garonne et le service de la circulation a dû cesser dans la gare intermédiaire de Carbonne. Les demandes de fermeture de la voie 1 entre Muret et Carbonne et entre Carbonne et Cazères-sur-Garonne ont ainsi été restituées respectivement à 12h21 et à 12h38 et une demande de fermeture de la voie 1 entre Muret et Cazères-sur-Garonne a été accordée à 12h56. Après les travaux, la voie unique temporaire a été supprimée et la voie 1 a été rouverte aux circulations commerciales à 17h08 avec une limitation temporaire de vitesse à 40 km/h implantée au niveau du branchement A. Le demi-aiguillage a ensuite été remplacé dans la nuit du 4 au 5 décembre 2013 et la limitation de vitesse supprimée. Les conséquences sur la circulation des trains ont été immédiatement signalées au centre national des opérations ferroviaires (CNOF) du service de gestion des trafics et des circulations (SGTC) de la SNCF ainsi qu'au centre ministériel de veille opérationnelle et d'alerte (CMVOA) du ministère chargé des transports. Ce signalement ne faisait toutefois pas apparaître la gravité potentielle de l'événement et notamment le fait que plusieurs trains de voyageurs étaient passés à grande vitesse sur une lacune de près d'1,30 m. L'établissement public de sécurité ferroviaire (EPSF) et le BEA-TT n'ont ainsi pas été alertés par ce signalement et n'ont pris conscience de l'importance de l'événement qu'avec retard. La SNCF a transmis le vendredi 29 novembre à l'EPSF et le lundi 2 décembre au BEA-TT un rapport d'accident décrivant les circonstances de l'événement et analysant ses causes et les risques encourus.
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3.7 -
Les mesures préventives prises suite à l'événement
3.7.1 - Le signalement des dysfonctionnements des installations
La SNCF a réalisé une action de communication afin de rappeler à ses personnels concernés les conditions d'alerte des agents de maintenance en cas de dysfonctionnement d'une installation de gestion des circulations. En effet, le 26 novembre 2013, l'agent d'astreinte n'a pas été contacté par le COGC et l'agent de maintenance signalisation n'a été véritablement informé qu'à 7h05 du dysfonctionnement de la sonnerie d'annonce des trains survenu à 6h05.
3.7.2 - Le traitement des points de fragilité du rail
La première rupture a été favorisée par la présence d'un angle vif sur le patin usiné de ce contre-aiguille posé en 1981 qui constitue une fragilité identifiée du rail. Pour se prémunir contre ce risque une nouvelle procédure d'usinage de cette partie d'appareil de voie, sans angle vif, a été mise en place en 1993.
Fig. 15 : L'usinage de la zone de délardement du patin des demi-aiguillages
Suite à cette rupture de rail, sous le contrôle de l'EPSF, la SNCF a fait visiter les demiaiguillages des 3306 appareils de voie sur lesquels d'une part une rupture de rail n'est pas détectable par un circuit de voie12, et d'autre part circulent soit des trains de voyageurs ou de matières dangereuses, soit d'autres trains à une vitesse supérieure à 40 km/h. Il a ainsi été mis en évidence 2404 appareils de voie avec l'ancien type d'usinage du patin.
12 Il s'agit des branchements simples installés sur les voies sans circuit de voie lié à la signalisation et des traversées jonctions, simples ou doubles, sur lesquelles une rupture de rail n'est pas détectable par un circuit de voie. 33
Pour ces demi-aiguillages avec l'ancien type d'usinage, aucune fissure au niveau de l'usinage au patin n'a été observée, 58 défauts de danse supérieure à 10 mm en pointe d'appareil de voie ont été corrigés et les mesures suivantes sont désormais appliquées :
tout défaut de nivellement en pointe classé en valeur d'alerte « VA » est surclassé en valeur d'intervention « VI » et corrigé dans le délai prescrit correspondant ; tout défaut de rail classé en observation « O » situé à moins de quatre mètres de la zone critique de délardement est surclassé « X1 » et éclissé, surveillé et remplacé suivant les prescriptions correspondantes ; leur remplacement est prévu avant le 30 juin 2021 dans des délais fixés en fonction de leur vitesse de franchissement. S'ils peuvent être franchis à une vitesse supérieure ou égale à 120 km/h, tel que pour le branchement A, ce remplacement doit intervenir avant fin 2015.
3.8 -
L'analyse de la surveillance des rails et de la voie
3.8.1 - La surveillance des rails
La rupture grave de rail survenue le 26 novembre 2013 à Carbonne a été occasionnée par la présence sur une faible distance de trois points de fragilité du rail, l'usinage de type ancien du patin du contre-aiguille du branchement A, sa soudure de pointe et un défaut de surface de son champignon dans les normes admises auxquels se superposait un défaut de géométrie de la voie associé à de la danse. Comme indiqué dans l'annexe 2 du présent rapport, les rails font l'objet d'une surveillance régulière, visuelle et par ultrasons, afin de détecter et d'identifier les défauts les affectant. Les engins d'auscultation lourds y détectant difficilement des défauts de rails, les appareils de voie sont surveillés de manière spécifique, visuellement et par ultrasons. Les contre-aiguilles avec l'ancien type d'usinage, bien qu'ils constituent des zones où se sont manifestées des ruptures graves de rail par le passé, n'étaient pas recensés et surveillés spécifiquement. Dans le cas de l'incident considéré, le début de fissuration dans l'angle inférieur du patin du contre-aiguille usiné du branchement A était très difficilement repérable et la soudure aluminothermique ancienne en pointe ne présentait pas de défaut. Conformément aux normes SNCF en vigueur, ces deux points de fragilité ne faisaient donc pas l'objet d'une surveillance particulière. Par ailleurs, en raison de sa faible profondeur et de l'absence de fissure, le défaut de billage13 repéré à proximité était suivi dans le respect des prescriptions relatives à son classement en observation « O » et ne présentait pas de risque de rupture à court ou moyen terme.
3.8.2 - La surveillance de la géométrie de la voie
Comme indiqué dans l'annexe 2 du présent rapport, des voitures de mesures « Mauzin » enregistrent régulièrement les différents paramètres liés à la géométrie de la voie et des appareils de voie. Au vu de ces enregistrements et des constatations effectuées lors des tournées de surveillance, les défauts repérés sont classés et, si nécessaire, des interventions doivent être réalisées dans des délais prescrits.
13 Un défaut de billage est une blessure périodique de la table de roulement du rail l'affectant souvent sur une grande longueur, suivant un pas égal au périmètre de la roue du train qui l'a provoquée, qui ne provoque pas de rupture du rail s'il est de faible profondeur et s'il ne présente pas de fissuration. 34
Dans le cas de l'incident considéré, le défaut de nivellement de 8,5 mm en pointe du branchement A conduisait à son classement en valeur l'alerte « VA ». Il était surveillé conformément aux normes SNCF et ne réclamait pas une reprise de nivellement au regard de son amplitude comme de son évolution. Toutefois, il était associé à une danse d'environ 15 mm relevée en pointe du branchement A, qui n'est actuellement pas normée mais qui a pu contribuer aux contraintes anormales dans le rail, notamment après la première rupture. Ces défauts et ces points de fragilité du rail et de la voie pris séparément ne présentaient pas de risque à court ou moyen terme et ne nécessitaient pas d'intervention de maintenance. C'est leur conjonction qui n'a pas été prise en compte par le système de surveillance en vigueur et qui a entraîné la rupture multiple de rail.
3.9 -
L'analyse de la détection des ruptures
3.9.1 - La détection de la première rupture du rail par le circuit de voie
Le branchement A étant inclus dans la zone électrique 39, la première rupture a provoqué l'ouverture du circuit de voie correspondant. Ce CdV n'étant lié qu'au fonctionnement du dispositif d'annonce de la gare de Carbonne, son ouverture n'a eu d'autre effet que le maintien persistant de la sonnerie d'annonce après le passage du premier train. Dans un tel cas, une rupture de rail n'est pas soupçonnée a priori et le dispositif d'annonce n'étant pas un système de sécurité, son dysfonctionnement n'impose pas de mesure restrictive sur la circulation des trains et son dépannage n'est pas prioritaire. Les trains ont donc continué à circuler normalement. Bien que commencé à 7h30 le dépannage n'a conduit à détecter la rupture du rail qu'à 9h50 car les recherches se sont portées d'abord sur l'appareillage électrique du poste. À partir de 8h30, une fermeture de la voie 1 pour travaux a évité que d'autres trains ne roulent sur la lacune. À défaut, les trains auraient circulé normalement encore pendant 1h20.
3.9.2 - La détection des ruptures par les conducteurs
Pour les six premiers trains, lors du passage du véhicule de tête, la rupture ne se traduisait que par une lacune de quelques centimètres due au retrait du LRS sous l'effet du froid. Elle était donc pratiquement indétectable par les conducteurs et n'avait donc aucune chance de déclencher, de leur part, la procédure prévue en cas de choc anormal. Pour le septième train, la lacune était beaucoup plus importante mais le retour d'expérience semble prouver que le franchissement d'une lacune à vitesse élevée ne provoque pas forcément dans le train, un choc très significatif. Dans le cas de l'incident considéré, un train a franchi, à la vitesse de 150 km/h, une lacune de près d'1,30 m sans que la secousse occasionnée n'ait été perçue comme anormale ni par le conducteur ni par l'agent de train. En tout cas elle n'a pas été jugée suffisamment probante par le conducteur pour justifier le déclenchement de la procédure en question. À ce stade, on peut penser, qu'en cas de doute, une procédure moins contraignante pour lui-même et pour les autres aurait eu plus de chances d'être appliquée par l'AdC.
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4 - Déroulement de l'événement et des secours
Le 26 novembre 2013, la température est voisine de 0 °C vers 6h00 au niveau de la gare de Carbonne au PK 41+400 de la ligne ferroviaire de Toulouse à Tarbes. À 6h03, le train de service n° 728953 passe sur la voie 1 en prenant en talon le branchement A. Le rail de la file droite, mis en traction et fragilisé par le froid se rompt au PK 39+129, à hauteur du délardement du contre-aiguille de cet appareil de voie, du fait de la présence d'une fissure de 13 mm, indétectable, située dans un angle du patin du rail. Bien que la section de ligne concernée ne soit pas équipée continûment de circuits de voie, la rupture se trouve sur la zone électrique 39 liée au fonctionnement du dispositif d'annonce des trains. Elle provoque donc le dysfonctionnement de la sonnerie d'annonce qui se met à tinter sans discontinuer en gare de Carbonne. Ce dispositif n'étant pas considéré comme une installation de sécurité, les prescriptions en vigueur ne conduisent pas l'agent-circulation de Carbonne à prendre des mesures visà-vis des circulations. Les trains continuent donc à circuler sur la voie 1 à vitesse normale. À 6h05, après avoir essayé en vain d'arrêter la sonnerie, l'agent-circulation annote le carnet de dérangement des installations sensibles de son poste. À 6h07, l'agent-circulation informe du dysfonctionnement le régulateur du centre opérationnel de gestion des circulations de Toulouse qui dispose des coordonnées de l'agent d'astreinte signalisation mais, suite à une incompréhension entre les deux interlocuteurs, l'agent d'astreinte n'est pas alerté. À 6h23, le train de service n° 728025 circulant sur la voie 1 passe sur le branchement A. À 6h25, la sonnerie persistant, l'agent-circulation téléphone à l'agent de maintenance de la signalisation du parcours, sur ses téléphones fixe et portable de service, sans réussir à le joindre. À 6h46, le TER Toulouse - Pau n° 872701 circulant sur la voie 1 passe sur le branchement A avant de s'arrêter en gare de Carbonne. À 6h59, le train de service n° 728503 circulant sur la voie 1 passe sur le branchement A. À 7h05, l'agent de maintenance de la signalisation du parcours rappelle l'agent-circulation qui l'informe du dysfonctionnement et annote à nouveau son carnet de dérangement des installations sensibles. Aucun autre incident impactant plus directement la sécurité ou la circulation n'étant alors signalé, l'agent de maintenance se rend en gare de Carbonne où il arrive vers 7h30 et commence à rechercher la cause de ce dysfonctionnement. Il ne soupçonne pas d'abord une rupture de rail et commence par vérifier le fonctionnement de l'appareillage électrique en gare. À 7h57, le TER Toulouse - Tarbes n° 872703 circulant sur la voie 1 passe sur le branchement A. À 8h08, le train de nuit Paris - Irun n° 4053, constitué d'un engin moteur et de huit voitures voyageurs, circulant sur la voie 1 passe sur le branchement A. Les contraintes anormales engendrées par le passage des trains à vitesse normale sur la rupture de rail ont fragilisé le rail et deux autres ruptures surviennent successivement en aval, très probablement selon le scénario ci-après.
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Tout d'abord, une rupture intervient au niveau du point de fragilité du rail constitué par un défaut de billage affectant son champignon. Les efforts de flexion dans le coupon de rail entre les deux ruptures entraînent l'amorçage d'une fissuration de son patin qui provoque une rupture intermédiaire au niveau de la soudure de pointe du contre-aiguille. Le coupon aval de 50 cm, qui n'est plus fixé sur des traverses, est heurté par la cinquième voiture du train n° 4053 et projeté 120 mètres plus loin. Le coupon amont de 70 cm, basculant alors autour de la seule traverse à laquelle il est fixé, est heurté par la sixième voiture de ce train et s'enfonce dans le ballast en endommageant les traverses. À 8h18, le train Intercités Toulouse - Bayonne n° 14241, constitué d'un engin moteur et de quatre voitures voyageurs, passe à la vitesse de 150 km/h sur la lacune de près de 1,30 m consécutive à l'éjection des deux coupons de rails. Aucun choc anormal n'a été signalé. Les conducteurs et les contrôleurs des trains n° 4053 et n° 14241 n'ont noté ni bruit, ni choc anormaux, au niveau de la rupture de rail. Aucun voyageur ne s'est manifesté même si un agent SNCF qui voyageait dans la dernière voiture du dernier train a ressenti une grande secousse. À partir de 8h50, la voie 1 est fermée aux circulations entre les gares de Muret et de Carbonne en raison de travaux programmés sur l'infrastructure. À 9h50, l'agent de maintenance qui recherche la cause du dysfonctionnement de la sonnerie d'annonce découvre la rupture multiple de rail. Il alerte immédiatement l'agentcirculation de Muret pour faire arrêter les trains de la voie 1. Cette voie étant déjà fermée aux circulations commerciales, l'agent-circulation ne prend pas de mesure particulière mais il informe immédiatement le centre opérationnel de gestion des circulations de Toulouse et l'agent-circulation de Carbonne. À 12h56, une demande de fermeture de la voie 1 entre Muret et Cazères-sur-Garonne est accordée pour permettre la réparation du rail. À 14h18, une voie unique temporaire est organisée sur la voie 2 entre Muret et Cazèressur-Garonne. À 17h08, la demande de fermeture de la voie 1 entre Muret et Cazères-sur-Garonne est restituée après la pose d'un coupon de rail et la vérification de l'autre demi-aiguillage. Une limitation temporaire de vitesse à 40 km/h est implantée au niveau du branchement A. Le demi-aiguillage concerné est remplacé dans la nuit du 4 au 5 décembre et la vitesse normale de circulation est rétablie.
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5 - Analyse des causes et facteurs associés, orientations préventives
5.1 Le schéma des causes et des facteurs associés
Les investigations effectuées permettent d'établir le graphique ci-après qui synthétise le déroulement de l'événement et en identifie les causes et les facteurs associés.
Fig. 16 : Déroulement de l'événement, causes et facteurs associés
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Cet événement est dû à trois causes directes :
une rupture multiple du rail liée à la présence d'un usinage de patin de type ancien associé, sur une courte distance, à deux autres points de fragilité du rail et d'un défaut de géométrie de la voie associé à de la danse ; l'absence de prescription de mesures de sécurité en cas de dysfonctionnement du dispositif d'annonce ; la lenteur de la détection de la rupture de rail, la voie n'étant pas équipée de circuits de voie liés à la signalisation.
L'analyse a conduit le BEA-TT à rechercher des orientations préventives dans les trois domaines suivants :
le suivi et la suppression des demi-aiguillages avec l'ancien type d'usinage ; la détection des ruptures de rail par les circuits de voie non-liés à des installations de sécurité ; la détection des ruptures de rails par les conducteurs des trains.
5.2 -
Le suivi et la suppression des demi-aiguillages avec l'ancien type d'usinage
L'origine de la première rupture est un début de fissuration, difficilement repérable, situé dans l'angle usiné du patin du contre-aiguille du branchement A. Ce type d'usinage qui n'est plus pratiqué depuis 1993 constitue un point de faiblesse où se sont déjà produites plusieurs ruptures graves de rail. Les demi-aiguillages présentant cette caractéristique n'étaient pas, jusqu'alors, recensés et surveillés spécifiquement. Suite à cette rupture de rail, la SNCF a effectué le recensement des demi-aiguillages de ce type sur lesquels, d'une part une rupture de rail n'est pas détectable par un circuit de voie, et d'autre part circulent, soit des trains de voyageurs ou de matières dangereuses, soit d'autres trains à une vitesse supérieure à 40 km/h. Le suivi des défauts de rail et de nivellement les affectant a été renforcé et leur remplacement a été planifié en fonction de leur vitesse de franchissement. S'ils peuvent être franchis à une vitesse supérieure ou égale à 120 km/h, comme c'est le cas pour le branchement A de Carbonne, ce remplacement doit intervenir avant fin 2015. Le BEA-TT adresse donc à SNCF-Réseau la recommandation suivante : Recommandation R1 (SNCF Réseau) : Conformément au programme établi après la rupture de rail de Carbonne, remplacer, en fonction de l'état de la voie et des conditions locales d'exploitation, les demi-aiguillages avec l'ancien type d'usinage sur lesquels une rupture de rail ne serait pas détectable par un circuit de voie. Parallèlement, veiller à la mise en oeuvre des procédures renforcées de surveillance de l'ensemble des défauts affectant ces appareils.
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5.3 -
La détection des ruptures de rail par les circuits de voie non-liés à des installations de sécurité
La présence de circuits de voie liés à la signalisation ou à d'autres installations liées à la sécurité permet une détection des ruptures de rail et conduit à la mise en oeuvre rapide de mesures de sécurité conduisant à l'arrêt ou au ralentissement des circulations. Bien que le secteur concerné ne soit pas couvert continûment par des circuits de voie, la rupture de rail survenue à Carbonne a bel et bien provoqué l'interruption d'un circuit de voie, mais celui-ci n'était lié qu'au dispositif d'annonce des trains qui n'est pas considéré comme une installation de sécurité. Dans un tel cas, aucune mesure de ralentissement ou de marche prudente des trains n'est prescrite par les règles d'exploitation. Le signalement du dérangement n'a amené que tardivement l'agent de maintenance à se rendre sur le terrain et à constater la rupture du rail. Au total, la rupture n'a été constatée que près de quatre heures après sa survenue et, pendant ce temps, rien ne s'opposait à la circulation à vitesse normale des trains. Le BEA-TT adresse donc à SNCF-Réseau la recommandation suivante : Recommandation R2 (SNCF Réseau) : Sur les sections de ligne sans circuit de voie lié à la signalisation, prendre en compte, dans les procédures d'exploitation, le risque de rupture de rail en cas de dysfonctionnement de toute installation reposant sur un circuit de voie.
5.4 -
La détection des ruptures de rail par les conducteurs
Aucun des conducteurs des sept trains ayant circulé sur la rupture du branchement A de Carbonne entre 6h03 et 8h18 n'a signalé de choc anormal. Or, sur une section de ligne sans circuits de voie liés à la signalisation, le signalement d'un choc anormal constitue la seule possibilité de détection rapide d'une telle rupture. La procédure réglementaire étant lourde et contraignante, les conducteurs ne la déclenchent généralement qu'en cas de choc ou de mouvement manifestement anormal. Or, le franchissement d'une lacune, notamment à vitesse élevée ne provoque pas forcément la perception d'un choc très significatif en cabine de conduite. Si la maintenance et la surveillance des rails sont renforcées sur les sections de ligne sans circuit de voie lié à la signalisation telle que la ligne Toulouse - Tarbes, les ruptures de rail n'y sont pas exceptionnelles pour autant et les trains les franchissent à vitesse normale jusqu'à leur découverte. Il convient donc pour ces sections de ligne :
d'une part, de sensibiliser les conducteurs de train à l'importance du signalement des chocs et mouvements anormaux et de renforcer leur formation à cet effet ; d'autre part, de prévoir, en cas d'incertitude, une procédure plus légère que la procédure actuelle, permettant éventuellement de faire lever le doute par le train suivant.
Le BEA-TT invite SNCF-Mobilités à sensibiliser ses conducteurs à l'importance du signalement des chocs et des mouvements suspects, particulièrement sur les sections de lignes sans couverture continue par des circuits de voie liés à la signalisation. Il invite
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l'EPSF à faire de même en direction de l'ensemble des entreprises ferroviaires opérant sur le RFN. Le BEA-TT adresse à SNCF-Réseau et à l'EPSF la recommandation suivante : Recommandation R3 (SNCF-Réseau, EPSF) : Étudier une évolution du référentiel opposable relatif à la circulation des trains prévoyant, en cas de doute sur la nature du choc ressenti sur le train, une procédure plus légère que la procédure actuelle de signalement d'un choc anormal, notamment pour les sections de lignes sans couverture continue par des circuits de voie liés à la signalisation.
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6 - Conclusions et recommandations
6.1 Les causes de l'événement
Le franchissement en vitesse par des trains d'une lacune de rail d'une longueur de 1,30 m le 26 novembre 2013 à Carbonne est dû à trois causes directes :
une rupture multiple du rail liée à la présence, sur une courte distance, de trois points de fragilité du rail et d'un défaut de géométrie de la voie ; l'absence de prescription de mesures de sécurité en cas de dysfonctionnement du dispositif d'annonce ; la lenteur de la détection de la rupture de rail, la voie n'étant pas équipée de circuits de voie liés à la signalisation.
6.2 -
Les recommandations
L'analyse de l'événement conduit le BEA-TT à émettre les trois recommandations suivantes : Recommandation R1 (SNCF Réseau) : Conformément au programme établi après la rupture de rail de Carbonne, remplacer, en fonction de l'état de la voie et des conditions locales d'exploitation, les demi-aiguillages avec l'ancien type d'usinage sur lesquels une rupture de rail ne serait pas détectable par un circuit de voie. Parallèlement, veiller à la mise en oeuvre des procédures renforcées de surveillance de l'ensemble des défauts affectant ces appareils. Recommandation R2 (SNCF Réseau) : Sur les sections de ligne sans circuit de voie lié à la signalisation, prendre en compte, dans les procédures d'exploitation, le risque de rupture de rail en cas de dysfonctionnement de toute installation reposant sur un circuit de voie. Recommandation R3 (SNCF-Réseau, EPSF) : Étudier une évolution du référentiel opposable relatif à la circulation des trains prévoyant, en cas de doute sur la nature du choc ressenti sur le train, une procédure plus légère que la procédure actuelle de signalement d'un choc anormal, notamment pour les sections de lignes sans couverture continue par des circuits de voie liés à la signalisation.
Par ailleurs, le BEA-TT invite SNCF-Mobilités à sensibiliser ses conducteurs à l'importance du signalement des chocs et des mouvements suspects, particulièrement sur les sections de lignes sans couverture continue par des circuits de voie liés à la signalisation. Il invite l'EPSF à faire de même en direction de l'ensemble des entreprises ferroviaires opérant sur le RFN.
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ANNEXES
Annexe 1 : Décision d'ouverture d'enquête Annexe 2 : Principes de maintenance et de surveillance des appareils de voie, des longs rails soudés et des rails sur le réseau ferré national
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Annexe 1 : Décision d'ouverture d'enquête
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Annexe 2 : Principes de maintenance et de surveillance des appareils de voie, des longs rails soudés et des rails sur le réseau ferré national A - La surveillance et la maintenance des appareils de voie
Un appareil de voie est un ensemble mécanique complexe soumis à de nombreuses sollicitations et défaillances possibles telles que la dérive de la géométrie de la voie, celle de ses cotes de sécurité (cotes de protection de pointe, cotes de libre passage ...) ou la détérioration d'un de ses constituants (rail, aiguille, contre-aiguille, contre-rail, coeur ...). Des tournées de surveillance sont effectuées afin de garantir qu'aucune défaillance n'interviendra entre deux interventions programmées. On distingue essentiellement :
les tournées périodiques de surveillance de la voie, des appareils de voie et des abords effectuées par les agents de maintenance de la voie et leurs dirigeants. Pour les voies ne pouvant pas être parcourues par des trains de voyageurs à une vitesse supérieure à 160 km/h, cette périodicité est comprise entre quatre et dix semaines selon le niveau de trafic et l'armement de la voie concernée. Pour les appareils de voie, elle est fixée à la moitié de celle de la voie encadrante ; les tournées de surveillance particulières aux saisons chaude ou froide qui sont axées sur la prévention des risques spécifiques engendrés par les effets de températures extrêmes sur les voies et les appareils ; les autres tournées de surveillance particulières liées aux intempéries ou à des signalements d'événements singuliers.
Les interventions programmées relèvent soit de la maintenance préventive systématique, soit de la maintenance préventive conditionnelle déclenchée14 au vu des résultats des tournées de surveillance et des diverses interventions systématiques. Pour les appareils de voie, les interventions systématiques permettent de s'assurer de leur état et du respect des cotes de sécurité. Elles comprennent des opérations à effectuer une ou plusieurs fois par an, telles que le graissage des aiguillages, le nettoyage et la vérification du dégagement des organes mobiles avant le début de la saison froide, la vérification de cotes au printemps et à l'automne et la revue de conformité destinée à s'assurer de leur fonctionnement avant les premières chaleurs, ainsi que des vérifications périodiques de deux types :
la famille A concerne les éléments les plus critiques pour la sécurité et notamment toutes les cotes de l'appareil de voie concerné permettant de garantir la sécurité des circulations ferroviaires à la vitesse autorisée. La périodicité de cette vérification varie entre un et trois ans en fonction de certaines caractéristiques de l'appareil et du trafic ; la famille B porte sur les éléments ayant un impact sur la conservation de l'appareil de voie examiné et sur la qualité de la circulation des trains. La périodicité de cette vérification varie de trois à dix ans en fonction de certaines caractéristiques de l'appareil et du trafic. Cette vérification est échelonnée sur deux ans, une prospection concernant essentiellement l'état du ballast et des supports étant effectuée l'année précédente afin d'identifier les constituants à remplacer ou à remettre en état lors de l'opération proprement dite.
14 Ce déclenchement s'effectue sur la base de seuils prédéterminés tels que les valeurs d'alerte « VA », d'intervention « VI » et de ralentissement « VR » définies pour certains paramètres techniques concernant la voie et les appareils. Il peut, pour les éléments de la famille B, également tenir compte de l'échéance de renouvellement de l'appareil concerné. 49
Chaque appareil de voie est également concerné par les opérations de maintenance portant sur la voie dont il fait partie et notamment par les opérations de contrôle et de maintenance de la géométrie de la voie. À ce titre, des enregistrements de cette géométrie effectués notamment à l'aide des voitures de mesures « Mauzin » ainsi que des tournées à pied et en train sont réalisés régulièrement. Au vu de ces enregistrements et des constatations effectuées, des vérifications et, si nécessaire, des interventions sont réalisées. Entre deux interventions de maintenance préventive, des défaillances, telles que des ruptures de parties métalliques, peuvent nécessiter le déclenchement d'opérations de maintenance corrective. Ces opérations peuvent, si nécessaire, se dérouler en deux étapes :
une réparation provisoire permettant de rétablir des conditions de circulation aussi proches de la normale que possible ; une réparation définitive permettant de rétablir l'utilisation normale de l'appareil en cause.
La régénération d'un appareil de voie peut être réalisée, soit par son renouvellement complet pour les appareils dits « à avenir de renouvellement », soit par le remplacement des différents constituants en fonction de leur usure ou de leur durée de vie propre pour ceux dits « sans avenir de renouvellement ». Les appareils « à avenir de renouvellement » équipés de supports en bois des lignes les plus chargées doivent en principe faire l'objet d'un renouvellement au terme de la durée de vie du ballast d'environ 25 ans. La programmation effective de ces renouvellements est précisée suite à des expertises prenant en compte l'état réel des appareils de voie, les perspectives d'évolution du trafic et les projets de modification des plans de voies.
B - La surveillance et la maintenance des longs rails soudés
Après les opérations de pose15 d'un long rail soudé (LRS), on détermine sa température de référence à laquelle le rail, fixé sur les traverses ancrées dans la voie stabilisée 16, ne subit pas de contrainte. Cette température doit être modérée car la dilatation contrariée du rail se transforme, d'une part à températures élevées en contraintes de compression entraînant des risques de déformation de voie, d'autre part à basses températures en contraintes de tension pouvant conduire à de telles déformations mais surtout à des ruptures de rail. Pour éviter que ces contraintes ne provoquent de tels incidents, il convient notamment :
de surveiller spécifiquement les LRS en saison chaude et en particulier de vérifier les profils de ballast essentiels pour la stabilité de la voie ; de limiter les effets des travaux impactant momentanément la stabilité de la voie, tels que les opérations de nivellement ou de remplacement de traverses, ou modifiant les contraintes dans le rail en particulier lors de remplacements d'attaches ou de rails. À cet égard, ces travaux sont notamment interdits pendant la saison chaude dans certaines zones particulièrement sensibles des LRS et des mesures sont prises pour rétablir des contraintes homogènes et limitées dans le rail et une stabilité suffisante de la voie.
15 Le rail est fixé sur les traverses après réalisation des opérations de libération et d'homogénéisation des contraintes internes destinées à annuler celles-ci à une température comprise entre 20 et 30°C, afin que ces efforts ne soient pas trop importants lors des périodes de grand froid ou de forte chaleur. 16 Une voie est stabilisée quand elle dispose de sa résistance définitive vis-à-vis des efforts de déformation du LRS en fonction des variations de température. La stabilité d'une voie en LRS dépend principalement de l'ancrage des traverses dans le ballast, aussi bien dans le sens longitudinal que transversal, mais également de ses caractéristiques telles que son nivellement et son tracé. 50
C - La surveillance des rails et de leurs défauts
Afin de détecter les défauts les affectant, les rails font l'objet d'une surveillance visuelle et par ultrasons. Par ailleurs, les enregistrements de la géométrie de la voie, de l'usure ondulatoire, de l'accélération, vidéo des voies à grande vitesse, ainsi que les tournées en train, permettent de repérer certains défauts de rails. Une tournée « rails » est effectuée au moins une fois par an sur chaque voie sur laquelle circulent des trains de voyageurs, en complément des tournées périodiques de surveillance mentionnées au 2.4.1 au cours desquelles les rails ne sont pas observés particulièrement. Cette tournée spécifique consiste en un examen visuel attentif des deux rails qui doit permettre de repérer leurs nouveaux défauts et blessures ainsi que de visiter l'ensemble des défauts connus et d'observer leur évolution. La surveillance périodique par ultrasons17 du rail permet de détecter et de mesurer les fissures internes, plus ou moins efficacement selon la nature du défaut. Cette périodicité dépend notamment du trafic, de l'historique des défauts observés, des conséquences possibles d'une rupture et des caractéristiques du rail. La surveillance s'effectue de deux façons :
une auscultation en continu de la voie courante effectuée généralement par des engins lourds qui repèrent les défauts de rails. Elle est suivie d'une confirmation manuelle par un agent spécialisé dans un délai d'un mois. Pour la ligne de Toulouse à Tarbes, la périodicité doit être comprise entre un an et demi et quatre ans selon les zones ; une auscultation spécifique manuelle plus resserrée des appareils de voie, des appareils de dilatation et des abouts de rails en voie courante. Ce sont en effet des zones de fragilité où la rupture d'un rail, potentiellement plus grave, n'est pas toujours détectée et pour lesquelles l'auscultation par engins lourds n'est pas efficace. Ainsi, pour la ligne concernée, la périodicité resserrée doit être comprise entre un an et trois ans selon les zones.
Immédiatement après leur détection, les défauts de rails doivent être identifiés afin de prendre les mesures appropriées. À cette fin, les consignes opérationnelles de la SNCF décrivent tous ces défauts en les codant par nature, en précisant les moyens adaptés pour les détecter et en les classant selon leur nature et leur évolution :
les défauts provoquant des fissurations sont classés « NR », « O », « X1 », « X2 » ou « S » en fonction de leur gravité. Les défauts relevant des deux premières classes peuvent rester en voie, sans ou avec surveillance, alors que ceux des trois dernières, du fait d'un risque de rupture faible, important ou imminent, sont à éliminer en prenant même des mesures de sécurité immédiates pour la classe « S » ; les défauts n'évoluant pas en fissuration, notamment les défauts de surface du rail ou d'usure ondulatoire, sont classés « E ». Ils ne nécessitent pas de suivi particulier mais sont nuisibles pour la géométrie de la voie ou le matériel roulant ; les autres usures et corrosions sont classées suivant les valeurs nominale « VO », d'alerte « VA », d'intervention « VI » et de ralentissement « VR ». Ils peuvent faire l'objet d'un suivi en fonction de leur vitesse d'évolution ; plusieurs défauts de rails proches classés « X1 » ou « X2 » conduisent à leur surclassement. Par ailleurs, un défaut est classé « S » soit s'il est repris comme tel dans la consigne opérationnelle correspondante, soit si l'examen sur site conduit à prendre des mesures de sécurité immédiates.
17 La SNCF emploie près de 140 agents spécialisés dans les auscultations manuelles par ultrasons et chaque année plus de 33 000 kilomètres de voies sont auscultés en continu par des engins lourds. 51
Après détection et classement, les défauts de rail peuvent, soit être maintenus en voie en les consolidant le cas échéant, soit réparés par meulage ou rechargement, soit retirés. En fonction de leur classement et de leur code, les défauts provoquant des fissures doivent être surveillés visuellement, par ultrasons ou des deux manières, en respectant les périodicités et les délais de remplacement fixés dans les consignes opérationnelles de la SNCF. En fonction de l'évolution constatée dans le cadre de cette surveillance, leur classement est modifié. Sur le réseau ferré national, en 2012, 1 864 km de rails ont été remplacés, 19 749 défauts ont été retirés et 18 068 nouveaux défauts ont été détectés, dont 598 classés « X2 » ou « S ». Fin 2012, près de 250 000 défauts de rails étaient suivis, dont la moitié étaient des défauts de fatigue de contact du champignon.
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Bureau d'Enquêtes sur les Accidents de Transport Terrestre
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