Rapport d'enquête technique : naufrage du chalutier Ar-Louarn le 17 novembre 2015 à 13,5 milles de La Cotinière (deux victimes)

Auteur moral
France. Bureau d'enquêtes sur les événements de mer
Auteur secondaire
Résumé
Ce document est un rapport d'enquête du Bureau d'enquête sur les évènements de mer (BEAmer) publié en septembre 2016. Il porte sur le naufrage du chalutier Ar-Louarn le 17 novembre 2015 à 13,5 milles de La Cotinière. Ce naufrage a fait deux victimes. Ce rapport expose les conclusions auxquelles sont parvenues les enquêteurs du BEAmer sur les circonstances et les causes de l'événement analysé et propose des recommandations de sécurité.
Editeur
BEAmer
Descripteur Urbamet
accident ; prévention des risques ; sécurité ; NAUFRAGE
Descripteur écoplanete
victime
Thème
Transports
Texte intégral
Rapport d'enquête technique NAUFRAGE DU CHALUTIER AR-LOUARN LE 17 NOVEMBRE 2015 À 13,5 MILLES DE LA COTINIÈRE (DEUX VICTIMES) Rapport publié : septembre 2016 Rapport d'enquête technique NAUFRAGE du chalutier AR-LOUARN LE 17 NOVEMBRE 2015 À 13,5 milles de la Cotinière (Deux victimes) Page 1 sur 28 Page 2 sur 28 Avertissement Le présent rapport a été établi conformément aux dispositions du Code des transports, notamment ses articles L.1621-1 à L.1622-2 et R.1621-1 à R.1621-38 relatifs aux enquêtes techniques et aux enquêtes de sécurité après un événement de mer, un accident ou un incident de transport terrestre et portant les mesures de transposition de la directive 2009/18/CE établissant les principes fondamentaux régissant les enquêtes sur les accidents dans le secteur des transports maritimes ainsi qu'à celles du « Code pour la conduite des enquêtes sur les accidents » de l'Organisation Maritime Internationale (OMI), résolution MSC 255(84) publié par décret n° 2010-1577 du 16 décembre 2010. Il exprime les conclusions auxquelles sont parvenus les enquêteurs du BEAmer sur les circonstances et les causes de l'événement analysé et propose des recommandations de sécurité. Conformément aux dispositions susvisées, l'analyse de cet événement n'a pas été conduite de façon à établir ou attribuer des fautes à caractère pénal ou encore à évaluer des responsabilités individuelles ou collectives à caractère civil. Son seul objectif est d'améliorer la sécurité maritime et la prévention de la pollution par les navires et d'en tirer des enseignements susceptibles de prévenir de futurs sinistres du même type. En conséquence, l'utilisation de ce rapport à d'autres fins que la prévention pourrait conduire à des interprétations erronées. Pour information, la version officielle du rapport est la version française. La traduction en anglais lorsqu'elle est proposée se veut faciliter la lecture aux non-francophones. Page 3 sur 28 PLAN DU RAPPORT 1 2 RÉSUMÉ INFORMATIONS FACTUELLES 2.1 2.2 2.3 2.4 Navire Équipage(s) L'Accident L'Intervention Page 5 Page Page Page Page Page 6 9 9 11 12 3 4 EXPOSÉ ANALYSE 4.1 4.2 4.3 Facteurs naturels Facteurs matériels Facteurs humains Page Page Page Page Page 14 15 16 19 19 5 6 7 CONCLUSIONS RECOMMANDATIONS ANNEXES A. B. C. Liste des abréviations Décision d'enquête Dossier navire Page Page Page 22 23 24 Page 4 sur 28 1 RÉSUMÉ Le vendredi 13 novembre 2015, le chalutier AR-LOUARN appareille de La Cotinière vers 18h00 pour une marée de trois jours, avec un équipage de trois hommes, peu familiers du navire. La pratique habituelle est de s'amarrer bâbord à quai, avec de la gîte pour sécuriser l'échouage, puis d'appareiller et de consommer le gasoil du ballast bâbord jusqu'à ce que le navire se redresse, après 4 à 6 heures de consommation. Jusqu'au lundi 16, l'équipage ne constate pas de problème de gîte ou de stabilité. Toutefois, en fin de journée, le matelot mécanicien appelle l'armateur pour demander des précisions sur l'opération de transfert de gasoil, afin de réduire la gîte sur bâbord. Dans la soirée, malgré le transfert de gasoil, la gîte ne diminue pas et aucune alarme de montée d'eau ne se déclenche. Entre minuit 30 et 01h00, la gîte s'accentue et l'équipage constate, dans le compartiment moteur, la rupture d'un tuyau de faible diamètre laissant s'écouler de l'eau avec peu de pression. L'équipage ne parvient pas à stopper la fuite et, par précaution, ouvre les vannes d'assèchement, la pompe attelée étant en service. Sous l'effet de la gîte qui s'accentue, l'eau de mer commence à pénétrer dans le compartiment moteur via l'accès extérieur et le navire menace de sombrer. Le patron alerte le centre de surveillance des pêches qui relaie l'appel au CROSS Etel. Peu après, l'équipage abandonne le navire au moyen du radeau de sauvetage tribord, mais la drisse de déclenchement n'étant pas larguée, le radeau est comprimé contre la coque du navire et commence à prendre l'eau. Le matelot pont et le matelot mécanicien se jettent à l'eau, mais dans la nuit ils ne parviennent pas à voir si le patron a pu évacuer le radeau. En peu de temps le radeau est entraîné par le navire en train de sombrer. Malgré les importants moyens nautiques et aériens déployés, seul le matelot mécanicien sera rescapé. Organisation de l'enquête : interviews de l'armateur et du marin rescapé de l'AR-LOUARN. Visite du navire sistership RUPELLA, en présence du patron et d'un matelot mécanicien expérimenté. Page 5 sur 28 2 2.1 INFORMATIONS FACTUELLES Navire L'AR-LOUARN a une coque en acier ; il a été construit en 1983 par le chantier Union et Travail (Les Sables d'Olonne). Longueur hors-tout Jauge brute Propulsion Auxiliaire hydraulique Consommation de gasoil Capacités gasoil (en litres) Pompes de transfert gasoil Caisse eau douce : 16,31 m ; : 33 (UMS) ; : moteur Diesel Guascor 258 kW ; : Iveco ; : environ 800 litres/ jour ; : Bd : 3700, Td : 4000, Journ. : 300, Auxil. : 150 ; : Japy type G30C2 et 1 manuelle ; 1,6 m3/h + 1 secours : centrée et compartimentée, 1500 à 2000 litres. Transfert de gasoil (exemple du ballast bâbord vers le tribord) : Bd S2 Trop plein caisse journalière Journ. 300 litres S1 Td J. ouverte GO 3700 litres B1 fermée T1 fermée B2 ouverte Pompe transfert GO T2 fermée GO 4000 litres Schéma de principe du circuit de transfert et d'alimentation de la caisse journalière. Page 6 sur 28 1 - Transfert via la caisse journalière : la vanne de retour de la caisse journalière vers le ballast tribord est ouverte (S1), la vanne de retour de la caisse journalière vers le ballast bâbord est fermée (S2), la pompe de transfert est démarrée (en local depuis le compartiment moteur ou de la passerelle), elle aspire dans le ballast bâbord et refoule vers la caisse journalière, le trop-plein de la caisse journalière se déverse dans le ballast tribord. 2 - Transfert en direct d'un ballast à l'autre (de bâbord vers tribord) : J, B1 et T2 sont fermées. B2 et T1 sont ouvertes. Sistership RUPELLA : Vanne retour caisse gasoil Bd Vanne retour caisse gasoil Td Pompe de transfert gasoil Page 7 sur 28 Centrale d'alarme de montée d'eau (cf. Annexes C1 et C2) : La centrale d'alarme est normalement alimentée dès que l'installation électrique du bord est sous tension. Les 4 compartiments sous surveillance sont : la cale à poissons, le poste équipage, le compartiment moteur, le local appareil à gouverner. Lorsqu'une alarme est activée par la montée d'un flotteur, celle-ci ne cesse qu'après avoir été acquittée, même si le flotteur redescend. Hydrophore eau douce (cf. Annexe C3) : Sur la cloison machine bâbord avant, un ballon de quelques litres est maintenu en pression par une pompe. La pompe (surpresseur) ne démarre que lorsqu'un robinet d'eau douce est ouvert (dont un se trouve en machine, à proximité du ballon). Arrêt technique du 1er mars au 15 août 2015 ; principaux travaux effectués : Remplacement du moteur de propulsion et du moteur auxiliaire, du réducteur, de la ligne d'arbres et de la mèche de gouvernail. Réfection du presse-étoupe de ligne d'arbres. Remplacement des tuyauteries eau de mer et hydrauliques, réfection des circuits électriques. Vérification des vannes de coque, des alarmes de montée d'eau et nettoyage des mailles. Après les travaux, le Bureau Veritas a effectué un contrôle des épaisseurs de coque et de la brèche réalisée pour le remplacement des moteurs. Visite du CSN La Rochelle le 22 septembre 2015 : Pas de prescriptions en lien avec le naufrage. Une prescription portait sur le radeau de sauvetage (révision à effectuer et remplacement du largueur hydrostatique). L'armateur avait rendez-vous avec l'inspecteur du CSN le 23 novembre pour lever les prescriptions (le permis avait été renouvelé pour une durée de 2 mois). Inspection des radeaux de sauvetage : Les radeaux ont été inspectés les 27 et 28 octobre 2015 par un organisme agréé ; ils ont été réinstallés à bord par l'équipage. Bord à quai : L'usage est d'accoster bâbord et d'appuyer le bordé sur le quai lorsque le navire échoue à basse-mer. Cette pratique est due au poids des superstructures, décentrées sur bâbord, elle est accentuée par remplissage du ballast à gasoil bâbord. Le navire est droit lorsqu'il flotte et que les ballasts sont équilibrés. Page 8 sur 28 2.2 Équipage(s) L'équipage est composé de quatre membres (trois embarqués et un en repos par roulement toutes les 3 semaines). Patron armateur (en repos), âgé de 45 ans, titulaire des titres STCW réglementaires. Il a acheté le navire en 2011, mais naviguait à son bord depuis 2006. Patron, âgé de 45 ans, titulaire des brevets de capitaine 500 (juin 2014), de patron petite navigation (juil. 2003) et des certificats STCW réglementaires (notamment le BAEERS délivré en fév. 2009). Marin expérimenté dans les fonctions de patron et de mécanicien (pêche au large, pêche côtière, navires inter-îles, NUC). Matelot pont, âgé de 40 ans, titulaire du certificat d'initiation nautique (mars 2012) et du certificat restreint d'opérateur (mars 2012). 9 mois de navigation dans la fonction de matelot (pêche côtière et pêche au large). Naviguait à bord de l'AR-LOUARN depuis septembre 2015. Matelot mécanicien, âgé de 40 ans, titulaire du brevet de capitaine 200 voile (sept. 2015), du diplôme de mécanicien 750 kW (juin 2014) et des certificats STCW réglementaires (notamment la formation aux techniques individuelles de survie en déc. 2010). Marin expérimenté dans les fonctions de chef de bord et de skipper (NUC, charters et convoyages). Expérience pêche : une marée à bord de l'AR-LOUARN. Les marins embarqués sont à jour de leur visite médicale d'aptitude. 2.3 L'Accident Position du naufrage : à 13,5 milles dans le 231° du port de La Cotinière (45°46,30' nord - 001°34,62' ouest). Naufrage du navire : Vers 18h00 le matelot mécanicien appelle l'armateur pour s'assurer de l'opération de transfert de gasoil qu'il compte effectuer, afin de réduire la gîte sur bâbord. L'armateur lui rappelle que les opérations de transfert et de réglage de gîte sont décrites au cahier de passerelle. Alors que le transfert est en cours (le circuit est « froid », ce qui indique au matelot mécanicien que le gasoil circule normalement entre les 2 ballasts), l'équipage ne constate pas de diminution de la gîte. Page 9 sur 28 Le fond de cale du compartiment moteur contient un mélange eau - gasoil relativement peu important et aucune des alarmes de montée d'eau ne s'est déclenchée. Le dernier trait est viré vers 23h00, le moteur est juste embrayé et la vitesse est de 4 à 5 noeuds. Entre minuit 30 et 01h00 le patron appelle l'armateur pour l'informer du problème de la gîte. Celui-ci lui rappelle la procédure. 30 minutes plus tard le patron informe l'armateur que le problème de la gîte est résolu (rapport de mer de l'armateur). Cependant, peu après, selon le matelot mécanicien, l'équipage est toujours confronté au problème de la gîte. Celui-ci précise que le chargement dans la cale à poissons est symétrique (environ 1,3 tonnes réparties en 25 caisses) et que le groupe de froid fonctionne normalement. L'équipage constate que de l'eau, dont l'origine n'est pas établie, s'écoule à partir d'un tuyau cassé à hauteur d'un raccord, situé près de la descente en cale, sous la clarinette des vannes d'assèchement (cf. Annexe C4). L'équipage ne trouve pas les pinoches (qui sont a priori rangées dans l'armoire machine) et ne parvient à stopper la fuite qu'en obstruant le tuyau avec la main. L'équipage dispose le circuit d'assèchement, puis le matelot mécanicien se rend sur le pont principal pour confectionner une pinoche à l'aide d'une cale en bois ; il constate alors la présence d'eau sur l'arrière du parc à poissons. Les 4 sabords de décharge sont ouverts et, sous l'effet de la gîte, l'eau de mer commence à pénétrer dans le compartiment moteur (dont la porte d'accès est ouverte), malgré un surbau de 50 cm. Le patron, après avoir alerté le centre de surveillance des pêches d'Etel par téléphone, donne l'ordre d'abandon du navire. Abandon du navire : Les trois marins sont sur le pont supérieur, à proximité du radeau tribord. Le côté bâbord du navire est déjà noyé. Un membre d'équipage coupe les sangles et le conteneur du radeau tribord est largué puis jeté à l'eau. Le matelot mécanicien tire sur la drisse de déclenchement et le radeau s'ouvre lentement. Page 10 sur 28 Les trois hommes se jettent à l'eau et se hissent à bord du radeau ; ils n'ont pas pris le temps de capeler leurs VFI, rangés à l'entrée du poste équipage. À l'abri dans le radeau, zip d'accès fermé, le matelot mécanicien s'inquiète de savoir si celui-ci est toujours amarré au navire. Le patron lui indique que la drisse de déclenchement est bien larguée. Mais quelques minutes plus tard, les boudins du radeau sont comprimés contre la coque du navire qui s'enfonce par l'arrière. Le matelot mécanicien ouvre le zip et ne voit plus que l'étrave du navire qui est en train de couler, en entraînant le radeau. Le radeau commence à prendre l'eau, mais l'équipage n'a pas le réflexe de chercher le couteau qui se trouve à bord pour couper la drisse de déclenchement. Les deux matelots se jettent à l'eau. Peu après, dans l'obscurité, ils ne voient pas si le patron a pu s'extraire du radeau. En quelques secondes, le radeau est entraîné par le navire qui sombre par 38 mètres de fond. 2.4 L'Intervention À 02h02 le patron du navire alerte le centre national de surveillance des pêches par téléphone. À 02h03 le CROSS Etel est alerté par le centre national de surveillance des pêches. À 02h12 diffusion d'un message MAYDAY RELAY. À 02h15 déclenchement de la balise de détresse 406 MHz. Le CROSS Gris-Nez en informe le CROSS Etel. À 02h17 mise en oeuvre de l'hélicoptère de la sécurité civile. À 02h21 engagement de la SNS070 (La Cotinière). À 02h22 engagement de l'hélicoptère de l'armée de l'Air RAFFUT SAR. Le navire de pêche NOMADE se rend sur la zone de recherche qui lui est attribuée. À 02h25 le navire de pêche BIENVENU se rend sur la zone de recherche qui lui est attribuée. À 02h27 engagement de la SNS085 (Le Verdon). À 02h30 le navire de pêche MAR MARES se rend sur la zone de recherche qui lui est attribuée. À 02h35 le CROSS informe l'armateur. Page 11 sur 28 À 02h44 le navire de pêche CAP HORN se rend sur la zone de recherche qui lui est attribuée. À 03h13 le navire de pêche YANN DEVI II se rend sur la zone de recherche qui lui est attribuée. À 03h25 la SNS070 est sur la zone de recherche qui lui est attribuée. À 03h41 le navire de pêche YANN DEVI II récupère le matelot mécanicien naufragé. À 04h50 la SNS085 arrive sur la zone de recherche qui lui est attribuée. À 05h01 conférence CROSSA, SCMM64 et YANN DEVI II. Le bilan médical du naufragé ne nécessite pas d'évacuation immédiate. À 05h13 engagement du Falcon 50 Marine À 07h20 début des recherches par Falcon 50 Marine. À 07h32 les navires de pêche NOUVELLE VAGUE et RUPELLA sont sur les zones de recherche qui leur sont attribuées. À 11h11 mise en alerte de la SNS 162. À 11h41 le chalutier YANN DEVI II signale que le naufragé demande à être évacué. À 13h46 l'hélicoptère D17 récupère le naufragé. À 15h16 le navire de pêche NOUVELLE VAGUE découvre le corps du matelot pont. À 17h35 le CROSS donne liberté de manoeuvre à tous les navires de pêche mobilisés. Le 27 novembre, des plongées ont été organisées à partir du chasseur de mines SAGITTAIRE II. Le 30 novembre, le corps sans vie du patron a été retrouvé sur une plage de Le Porge (Gironde), ainsi que le radeau tribord (avec seulement 2 à 3 mètres de drisse de déclenchement), à environ 1 km. L'épave de l'AR-LOUARN n'a pas été renflouée. 3 EXPOSÉ Heures UTC + 1 Météorologie : Page 12 sur 28 Source : SITREP CROSS Etel, prévision Météo France : vent SW force 5 (17 à 21 noeuds), mer forte (2,5 à 4m), visibilité 20 milles. Selon le matelot mécanicien : vent 20 noeuds, mer agitée, visibilité 5 à 8 milles. Le 13 novembre 2015 vers 18h00, appareillage du port d'échouage de La Cotinière avec de la gîte sur bâbord pour une marée de 3 jours. Vers 19h30 arrivée sur les lieux de pêche, situés à 18 milles. Vers 20h00, mise en pêche au moyen du chalut tribord. Les traits se succèdent, les matelots se partagent les 6 heures de quart de nuit, de 22h00 à 04h00. Le 16 novembre vers 18h00 tentative de corriger la gîte sur bâbord par un transfert de gasoil, avec l'aide de l'armateur par téléphone. Vers 23h30, le dernier trait est viré. La vitesse est de 4 à 5 noeuds et la gîte s'accentue. Entre minuit 30 et 01h00, nouvelle tentative pour redresser le navire, également avec l'aide de l'armateur par téléphone. Vers 01h30, il semble que la gîte soit corrigée. Peu après, l'eau de mer commence à pénétrer dans le compartiment moteur, via la porte d'accès qui est ouverte. La pompe d'asséchement ne parvient pas à étaler l'entrée d'eau. À 02h02, le patron alerte le centre de surveillance des pêches d'Etel. À 02h12, le CROSS Etel diffuse un message MAYDAY RELAY. Au même moment les trois marins abandonnent le navire dans le radeau tribord. Peu après, le radeau est entraîné par le navire en train de sombrer. Jusqu'à 17h35, d'importants moyens nautiques et aériens sont déployés afin de retrouver le patron du navire. Page 13 sur 28 4 ANALYSE La méthode retenue pour cette analyse est celle utilisée par le BEAmer pour l'ensemble de ses enquêtes, conformément au Code pour la conduite des enquêtes sur les accidents de l'Organisation Maritime Internationale (OMI), résolution MSC 255 (84) et au Règlement (UE) n°1286/2011 de la commission du 09 décembre 2011 portant adoption d'une méthodologie commune pour enquêter. Les facteurs en cause ont été classés dans les catégories suivantes : facteurs naturels ; facteurs matériels ; facteurs humains ; autres facteurs. BEAmer Dans chacune de ces catégories, les enquêteurs du ont répertorié les facteurs possibles et tenté de les qualifier par rapport à leur caractère : certain ou hypothétique ; déterminant ou sous-jacent ; conjoncturel ou structurel ; aggravant. avec pour objectif d'écarter, après examen, les facteurs sans influence sur le cours des événements et de ne retenir que ceux qui pourraient, avec un degré de probabilité appréciable, avoir pesé sur le déroulement des faits. Ils sont conscients, ce faisant, de ne pas répondre à toutes les questions suscitées par l'évènement. 4.1 Facteurs naturels Selon le matelot mécanicien rescapé, le navire était peu soumis au tangage et au roulis. Mais selon le témoignage de l'équipage d'un navire de pêche présent sur zone, la mer était suffisamment agitée pour générer du tangage et du roulis. L'équipage de l'un des canots de sauvetage présents sur zone indique que le vent n'excédait pas 25 noeuds, ce qui est conforme à la prévision de Météo France. L'état de la mer, le cap suivi, l'effet d'une gîte permanente fortement probable, et le roulis (même si celui-ci n'atteignait pas des valeurs inhabituelles), ont donc vraisemblablement Page 14 sur 28 contribué à maintenir sur le pont de travail une quantité d'eau suffisamment importante pour ne pas être évacuée par les sabords de décharge, et ainsi pénétrer dans le compartiment moteur. À cette saison, la nuit, la température de la mer est inférieure à 15°C, ce qui contribue à diminuer les chances de survie d'un naufragé n'ayant pas revêtu un équipement individuel de sauvetage. Les conditions météorologiques, ont aggravé une situation mal maîtrisée. 4.2 4.2.1 Facteurs matériels Origine de la gîte sur bâbord Importante entrée d'eau de mer dans le ballast à gasoil bâbord : cette hypothèse est peu probable du fait du fonctionnement normal du moteur pendant les heures qui ont précédé le naufrage, même si celui-ci est directement alimenté par la caisse journalière (son autonomie n'est que d'environ 8 heures). De plus, des capteurs de détection d'eau sont situés en amont des filtres du circuit d'injection. Le matelot mécanicien précise que le transfert de gasoil de bâbord vers tribord a été effectué selon les indications de l'armateur. Le résultat du transfert ne peut cependant être contrôlé que par l'observation des montures de niveau (non graduées) de chaque ballast (cf. Annexe C5). Entrée d'eau de mer dans un compartiment : aucune alarme de montée d'eau ne s'est déclenchée, et à aucun moment l'équipage n'a observé la présence d'eau en quantité anormale dans les différents compartiments du navire, y compris dans le local barre, dont l'accès a été ouvert par le patron lorsqu'il cherchait des pinoches. Une entrée d'eau de mer dans ce compartiment (pouvant être due à une corrosion non détectée, sur bâbord, dans les formes arrière) pourrait toutefois accentuer la gîte initiale (dont l'origine serait située dans une autre partie du navire) et serait a priori visible. Un défaut d'étanchéité du presse-étoupe de ligne d'arbres, ou de la mèche de gouvernail, provoquerait une entrée d'eau dans les mailles centrales du compartiment, mais sans entraîner de gîte significative. Un défaut d'étanchéité est toutefois peu probable, compte tenu des travaux et des opérations de contrôles effectués au cours de l'arrêt technique de l'été 2015 dans cette zone du navire (cf. § 2.1). D'autre part, au cours de la reprise d'activité du navire, aucun défaut d'étanchéité n'a été constaté. Page 15 sur 28 Fuite au niveau d'un circuit : Une fuite sur le circuit d'eau douce, due à la rupture du tuyau de refoulement de l'hydrophore, ne pourrait cependant entraîner une gîte significative sur bâbord, car : - la capacité de l'hydrophore est de quelques litres, - la pression ne s'établit que si le surpresseur fonctionne, - la caisse eau douce était vide, ou quasiment vide. Une fuite sur le circuit d'eau de mer de réfrigération du moteur de propulsion ou du moteur auxiliaire, aurait par contre un débit suffisamment important pour être identifiée. D'autre part, un mécanicien familier du navire indique qu'une fuite sur le circuit de réfrigération ne pourrait pas être « contenue » par pression de la main. Croche ou embarquement de poids parasite : Le dernier trait a été viré vers 23h30. Au moment de l'aggravation de la situation, il n'y avait donc pas d'engin de pêche à l'eau. 4.2.2 Vieillissement du navire Le vieillissement se traduit par une augmentation de 0,1% par an de la position du centre de gravité (KG) et du déplacement du navire. L'étude de stabilité dynamique publiée par le BEAmer en décembre 2013, à partir des caractéristiques du chalutier L'EPAULARD (L=19,50 m âge 32 ans), conclut à des valeurs qui ne sont pas pénalisantes pour la stabilité du navire. Le sur bâbord. BEAmer n'identifie aucun facteur matériel certain à l'origine de la gîte du navire 4.3 4.3.1 Facteurs humains Opération de transfert de gasoil La gestion des transferts de gasoil est prépondérante à bord de ce type de navires qui appareillent avec plusieurs degrés de gîte sur bâbord. Mais pour effectuer le transfert d'un ballast de gasoil à l'autre, un équipage peu familier du navire peut ne pas avoir assimilé la disposition du circuit. Une fois en mer, en cas d'erreur sur le choix des vannes de retour à ouvrir et à fermer, la gîte s'accentue rapidement (ici sur bâbord) et ne peut être compensée par la seule consommation du moteur, le débit de la pompe de transfert étant largement supérieur. Page 16 sur 28 Compte tenu des difficultés rencontrées par l'équipage (au moins deux appels téléphoniques à l'armateur pour l'opération de transfert de gasoil), le BEAmer retient cette hypothèse comme facteur déterminant, à l'origine de l'impossibilité de corriger la gîte du navire. Par ailleurs, l'hypothèse d'un choix erroné de ballast d'alimentation de la caisse journalière (ballast tribord au lieu de bâbord), pour faire route au départ de La Cotinière, n'est pas écartée par le BEAmer. 4.3.2 Porte d'accès au compartiment moteur Lorsque l'équipage tente de remédier au problème rencontré, la porte d'accès au compartiment moteur est, a priori, encore ouverte. Malgré le surbau, à la faveur d'un coup de roulis et de la gîte sur bâbord qui n'a pas pu être corrigée, l'eau de mer peut pénétrer dans le compartiment, entraînant alors une dégradation rapide de la situation. Les effets cumulés de la gîte significative du navire sur bâbord et de l'ouverture de la porte d'accès au compartiment moteur constituent un facteur déterminant du naufrage. 4.3.3 Estimation de l'angle de gîte La situation des ballasts et caisses (gasoil et eau douce) au départ de La Cotinière, et a fortiori avant le naufrage, n'est pas connue avec précision par le BEAmer. Les derniers soutages en gasoil effectués sont de 3672 litres le 13 novembre et de 3006 litres pour la marée précédente (la capacité maximale est d'environ 7700 litres). 1) en considérant les 6 cas de chargement suivants : Quantité en litres Reste à bord marée précédente 250 500 1000 1500 2000 2500 Soutage le 13 nov. Appareillé avec 3922 4172 4672 5172 5672 6172 Consommation Reste à bord avant le naufrage 1222 1472 1972 2472 2972 3472 Cas Cas Cas Cas Cas Cas 1 2 3 4 5 6 3672 2700 Page 17 sur 28 2) que 10 cm d'eau de mer (soit environ 1 tonne) ont pénétré sur le pont de travail, entraînant un effet de carène liquide, donc de diminution du module de stabilité (cf. calcul en Annexe C7), 3) la gîte permanente du navire serait : Ballast Bd (en tonnes) 1,0 1,3 1,7 2,1 2,5 3,0 Angle de gîte 4,5 5,7 7,3 8,8 10,3 12 Cas Cas Cas Cas Cas Cas 1 2 3 4 5 6 L'origine de la gîte, due au remplissage du ballast bâbord, ne pourrait s'expliquer que par le facteur déterminant identifié au § 4.3.1, et par une quantité assez importante de gasoil restant à bord à l'issue de la marée précédente. 4.3.4 Abandon du navire Lorsque le patron a pris la décision d'abandon, la situation était très critique et l'équipage n'a pas pris le risque de pénétrer à l'intérieur du navire pour récupérer les VFI. L'absence d'aide à la flottabilité s'est avérée préjudiciable, alors que les trois hommes ont dû se jeter à l'eau avant de se hisser à bord du radeau. D'autre part, l'équipage n'a pas eu le réflexe d'utiliser le couteau spécifiquement placé à l'entrée du radeau pour couper la drisse qui le retient au navire. La décision de se jeter à nouveau à l'eau, alors que le radeau est entraîné par le navire en train de sombrer, est une mesure de dernière extrémité, face à une situation mal maîtrisée. L'abandon du navire dans des conditions mal maîtrisées est un facteur aggravant des conséquences du naufrage. Page 18 sur 28 5 CONCLUSIONS Le navire a connu un important arrêt technique de rénovation au milieu de l'année 2015. L'équipage était peu familier du navire. L'origine de la gîte n'a pas été identifiée par l'équipage (absence d'alarme de montée d'eau, pas de présence anormale d'eau dans les compartiments, fonctionnement normal du moteur de propulsion et de l'installation de froid de la cale à poissons, chargement de la cale à poissons symétrique, pas d'engin de pêche à l'eau). Les conditions météorologiques sur zone étaient conformes à la prévision générale de Météo France. La gîte a vraisemblablement été provoquée par un transfert de gasoil mal maîtrisé, cette opération ayant constitué une difficulté pour l'équipage. L'eau de mer a envahi le compartiment moteur via la porte d'accès restée ouverte. L'abandon du navire s'est déroulé dans des conditions mal maîtrisées. 6 6.1 1. ENSEIGNEMENTS ET RECOMMANDATIONS Enseignements 2016-E-006 : l'abandon du navire s'est déroulé dans la précipitation et des erreurs successives ont été commises : - les sangles de fermeture des 2 demi-coques du conteneur du radeau ont été sectionnées, ce qui est contraire aux consignes des pictogrammes collés sur le conteneur ; - l'équipage n'a pas anticipé la nécessité de s'équiper de VFI lorsque ceux-ci étaient encore accessibles ; - la drisse de retenue du radeau au navire n'a pas été sectionnée, alors qu'un couteau placé à l'intérieur du radeau est prévu à cet effet. Page 19 sur 28 Ces erreurs montrent que la participation à des stages de réactualisation des connaissances, dans les différents domaines de la sécurité, concerne également les marins expérimentés. En outre, les exercices de sécurité sont obligatoires (Règle VIII/3 de l'annexe du protocole de Torremolinos). 6.1 Recommandation Le BEAmer recommande : À l'armateur du navire, à la reprise de son activité : 1. 2016-R-006 : de prévoir une étape de familiarisation suffisamment longue pour que tout nouvel embarquant puisse maîtriser la conduite et l'exploitation du navire, y compris dans les situations dégradées. Page 20 sur 28 LISTE DES ANNEXES A. Liste des abréviations B. Décision d'enquête C. Dossier navire Page 21 sur 28 Annexe A Liste des abréviations BAEERS BEAmer : Brevet d'Aptitude à l'Exploitation des Embarcations et Radeaux de sauvetage : Bureau d'enquêtes sur les événements de mer : Centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage : Navire à Utilisation Commerciale : Standard of Training Certification and Watchkeeping : SAMU de Coordination Médicale Maritime : SItuation REPort : Vedettes et canots de la Société Nationale de Sauvetage en Mer : Vêtement à Flottabilité Intégrée CROSS NUC STCW SCMM SITREP SNS VFI Page 22 sur 28 Annexe B Décision d'enquête Page 23 sur 28 Annexe C Dossier navire (sister ship RUPELLA) Annexe C1 : Renvoi d'alarmes de montée d'eau en passerelle Page 24 sur 28 Annexe C2 : flotteurs alarme niveau d'eau machine 1 Pompe surpresseur Hydrophore eau douce Annexe C3 : surpresseur eau douce Page 25 sur 28 Aspiration 4 compartiments Aspiration secours Aspiration pompe attelée MP Annexe C4 : clarinette assèchement Annexe C5 : monture de niveau sur caisse gasoil Page 26 sur 28 Caisse à huile Caisse journalière Annexe C6 : vue Bd arrière compartiment moteur Page 27 sur 28 Caisse gasoil Bd Annexe C7 : Hypothèses de calcul : Les calculs sont effectués avec les données hydrostatiques du chalutier CONNIVENCE. Ces données constituent le dossier stabilité de l'AR-LOUARN. Gazole bd Gazole Td Caisse journ. Huile moteur neuve Liquides en circuits Hydrophore Eau douce Centrale Vivres Chaluts Funes Panneaux Magasin AV Matériel de réserve Total Appro: Equipage Pontée Cale à poisson/ glace Total Chargement: Résumé: Appro Chargement Port en lourd Navire lège Totaux: Carène liquide pont princip.** Totaux avec carène liq.: Poids (t) 3,00 0,10 0,30 0,02 0,30 0,05 0,14 0,02 0,60 1,50 0,60 1,00 0,50 8,13 0,45 0 4 4,45 KG (m) 0,3 0,05 2,05 1,75 0,95 1,5 0,35 2,3 3,34 3,64 3,24 1 2,45 1,68 3 3,15 1,55 1,70 FSM (t.m) 1,00 * 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 *Valeur approchée (cf. étude de stabilité chalutier Epaulard) 1,00 0,00 0,00 0,00 0,00 8,13 4,45 12,58 55,5 68,08 1,00 69,08 Poids (t) 69,08 1,68 1,70 1,68 2,26 2,15 3 KG (m) 2,15 1,48 0,67 1,7 1,03 1,48 0,88 1,7 0,82 1,00 0,00 1,00 0,00 1,00 13,30 FSM (t.m) KG fluide 14,30 2,36 **Carène liquide pont princip. = L*l 3/12 L#2,5m l#4 m h#0,1m CdC / OH CdG - CdC MT GM CdC / OH CdGf - CdC MT GM fluide Page 28 sur 28 Ministère de l'Environnement, de l'Énergie et de la Mer Bureau d'enquêtes sur les évènements de mer Tour Pascal B - 92055 La Défense cedex téléphone : +33 (0) 1 40 81 38 24 bea-mer@developpement-durable.gouv.fr www.bea-mer.developpement-durable.gouv.fr

puce  Accés à la notice sur le site du portail documentaire du Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires

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