Cent ans d'administration du tourisme.

MONFERRAND, Alain ; LEYRIT, Christian

Auteur moral
France. Ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie
Auteur secondaire
Résumé
SOMMAIRE : - Allocution d'ouverture (C. Leyrit) - Introduction scientifique (A. Monferrand) - ÉCLAIRAGES ET TEMOIGNAGES : L'invention du tourisme (M. Boyer ) ; Cent ans d'organisation administrative du tourisme (A. Berthonnet, A. Monferrand) ; Mobilités et tourisme : dynamiques d'un couple nécessaire et fécond (M. Flonneau) ; Le rôle déterminant des associations dans la création de la première administration du tourisme en 1910 (J. Orselli) ; Guider le touriste : du guide rouge à ViaMichelin (S. Nicolas) ; Histoire et évolution des comportements touristiques des français (J.-D. Urbain) ; Des congés payés à l'ARTT : petite histoire du tourisme social (P. Brault) ; Le Plan neige de l'ingénieur général Michaux (P. Moisset) ; La mission d'aménagement de la côte d'Aquitaine (J.-P. Catalàa) ; Les premières stations balnéaires en Europe (C. Queffélec) - TABLE-RONDE : Rôle et poids du tourisme dans la vie des français et dans l'économie nationale (J. Descamps, P. Roll, P. Moisset, J. Augustin) - Annexes : A. Berthonnet ; C. Queffélec
Editeur
MEDDE
Descripteur Urbamet
activité touristique ; aménagement touristique ; association ; tourisme social ; station touristique ; documentation
Descripteur écoplanete
Thème
Tourisme - Loisirs ; Administration publique
Texte intégral
JUILLET 2012 Cent ans d'administration du Tourisme comité d'histoire r e v u e d u m i n i s t è r e d e l' é c o l o g i e , d u d é v e l o P P e m e n t d u r a b l e e t d e l' é n e r g i e Cent ans d'administration du Tourisme comité d'histoire r e v u e d u m i n i s t è r e d e l' é c o l o g i e , d u d é v e l o p p e m e n t d u r a b l e e t d e l' é n e r g i e Actes de la journée d'études du 12 mai 2011 Al e n xa d re Milleran d 2 Villier-sur-Mer ©source Queffélec hor s-sér ie - juillet 2012 l « pour mémoire » éditorial 3 e numéro hors série de la revue d'histoire « Pour Mémoire » présente les actes de la journée d'études du 12 mai 2011 qui a été dédiée aux cent ans de l'administration du tourisme qui, durant plus de 82 ans, a relevé du ministère en charge des Travaux publics ou de l'Équipement. Ce fut à l'initiative d'Alexandre Millerand, alors ministre des Travaux Publics, que fut créée la première administration du tourisme sous la forme d'un Office national (1910). Cette journée, organisée par le comité d'histoire du ministère, retrace ces cents années à travers des communications et des interventions d'universitaires, de fonctionnaires et de responsables publics et privés du secteur. Marc Boyer, professeur des universités, présente l'invention du concept du tourisme par les Anglais au XVIIIe siècle et le développement de nouvelles pratiques touristiques au cours du XIXe siècle. Arnaud Berthonnet, docteur en histoire, détaille l'évolution des structures de l'administration du tourisme entre 1910 et 1980, qui fut alors rattachée à six structures ministérielles, avec des ministres dédiés à partir de 1930. Alain Monferrand, secrétaire délégué du comité d'histoire, complète l'intervention en décrivant les évolutions entre 1980 et 2010, notamment l'essor du tourisme étranger en France, la création de la Maison de la France et le rattachement au ministère de l'Économie et des Finances en 2009. Mathieu Flonneau, historien maître de conférences, montre la dynamique du couple associant le tourisme et l'histoire de la mobilité, dans un contexte de massification et de mondialisation des pratiques touristiques, de diversification et de modernisation des moyens de transport. Le tourisme, comme l'a écrit André Siegfried en 1955, « était fils de la vitesse et de la démocratie ». Jean Orselli, ingénieur général des Ponts et Chaussées honoraire et docteur en histoire, décrit le rôle déterminant des associations, notamment du Touring-Club de France, pour la création en 1910 de la première administration du tourisme. « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 4 Stéphane Nicolas, responsable du patrimoine historique chez Michelin, met en lumière les innovations apportées par l'entreprise à partir de 1900 : le petit guide rouge, le bureau des itinéraires, la carte routière, la signalisation routière, l'évolution des guides touristiques. Jean-Didier Urbain, professeur d'université, rappelle l'histoire et l'évolution des pratiques touristiques des Français, avec la complexité des raisons d'être un touriste, les origines du désir de voyager et les tendances majeures qui modifient la psychologie du voyage. Patrick Brault, président de l'UNAT, présente le développement du tourisme social et associatif depuis 1886, avec l'impact des congés payés, le rôle des comités d'entreprises, des CAF et des nombreux opérateurs, il évoque les difficultés rencontrées depuis la fin des Trente Glorieuses et les enjeux futurs. Philippe Moisset, ancien directeur de l'Agence française d'ingénierie touristique, présente l'émergence et de développement du plan neige dans les Alpes et le tournant depuis 1990. Jean-Pierre Catalàa, ingénieur général des Ponts et Chaussées et ancien directeur adjoint de la Mission d'aménagement de la côte aquitaine, souligne les choix équilibrés du schéma général entre les enjeux de la nature et ceux de l'aménagement au début des années 1970. L'architecture balnéaire est décrite par Christian Queffélec, architecte et ingénieur général, dans plusieurs sites européens. La table ronde finale est consacrée au rôle et au poids du tourisme dans la vie des Français et dans l'économie nationale en ce début de XXIe siècle. L'ancien ministre du tourisme Jacques Descamps, le sous-directeur en charge du tourisme, Jacques Augustin, le directeur de l'Office du tourisme et des Congrès de Paris, Paul Roll, et enfin Philippe Moisset qui a exercé les fonctions de directeur de la délégation aux investissements et aux produits puis de l'agence française de l'ingénierie touristique (AFIT) évoquent divers thèmes. Ils ont abordé notamment les initiatives positives prises depuis les années 1970 et l'importance du professionnalisme, les axes d'action pour que la France attire encore plus fortement la venue de touristes étrangers sur son sol, les défis du tourisme parisien pour les dix à quinze prochaines années, le besoin d'investir dans le tourisme de demain, les mutations structurelles majeures et la dimension humaine et économique du tourisme. Alain Monferrand, ancien secrétaire délégué du comité d'Histoire fut l'initiateur de cette journée, le concepteur et l'animateur. Qu'il en soit remercié, ainsi que tous les intervenants qui nous ont fait vivre une journée riche en témoignages. Patrick Février Secrétaire délégué du comité d'Histoire hor s-sér ie - juillet 2012 l « pour mémoire » sommaire Allocution d'ouverture Christian Leyrit 5 7 10 12 Introduction scientifique Alain Monferrand Éclairages et témoignages Marc Boyer : L'invention du tourisme Arnaud Berthonnet et Alain Monferrand : Cent ans d'organisation administrative du tourisme Mathieu Flonneau : Mobilités et tourisme : dynamiques d'un couple nécessaire et fécond Jean Orselli : Le rôle déterminant des associations dans la création de la première administration du tourisme en 1910 Stephane Nicolas : Guider le touriste : du guide rouge à ViaMichelin Jean-Didier Urbain : Histoire et évolution des comportements touristiques des français Patrick Brault : Des congés payés à l'ARTT : petite histoire du tourisme social Philippe Moisset : Le Plan neige de l'ingénieur général Michaux Jean-Pierre Catalàa : La mission d'aménagement de la côte d'Aquitaine Christian Queffélec : Les premières stations balnéaires en Europe « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 6 Table-ronde Jacques Descamps, Paul Roll, Philippe Moisset, Jacques Augustin : Rôle et poids du tourisme dans la vie des français et dans l'économie nationale 83 Annexes Arnault Berthonnet Christian Queffélec 99 hor s-sér ie - juillet 2012 l « pour mémoire » ouverture 7 Christian Leyrit, vice-président du Conseil général de l'Environnement et du Développement durable L'administration du tourisme a, pendant plus de 80 ans, fait partie de l'histoire du ministère dénommé aujourd'hui, ministère de l'Écologie, du Développement durable, des Transports et du Logement, Au cours des siècles derniers, il s'est successivement appelé ministère des Travaux publics, de la Reconstruction, de l'Équipement et plus récemment de l'Environnement. Il couvre aujourd'hui le plus grand champ de l'histoire de la gouvernance français. En-dehors des fonctions précitées, il a également couvert des secteurs d'activités nouveaux comme l'Aménagement du territoire et, ce sera notre sujet d'aujourd'hui, le Tourisme. Il y a un peu plus d'un siècle, la loi du 8 avril 1910 a institué un Office national du tourisme, rattaché au ministre des Travaux publics, après que le titulaire, Alexandre Millerand, s'était engagé solennellement, le 5 décembre 1909, dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, lors d'une assemblée générale du Touring-Club de France. C'était alors l'association française la plus puissante, regroupant les amateurs de ce qui deviendra bientôt un phénomène de société partagé par le plus grand nombre : le tourisme. Longtemps l'apanage d'une élite, on peut considérer que le tourisme, ce désir d'aller voir de l'autre côté de son environnement quotidien comment vivent les autres, est inhérent à la nature humaine. Cela est vrai des individus comme des peuples. Dès lors que l'individu accède à un certain niveau de vie et de liberté de se déplacer, il aspire à voyager. Il en va de même des peuples. Ainsi, on a bien vu il y a 20 ans, après l'écroulement du rideau de fer, arriver massivement en Europe « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 ©MEDDE/ DICOM/G. Crossay 8 de l'ouest des touristes d'Europe centrale et orientale. De même, nous voyons depuis quelques années, avec la disparition du « rideau de bambou », des voyageurs chinois venir en nombre croissant en Europe. Ces échanges se sont fait dans les deux sens, puisque le tourisme constitue aujourd'hui un apport déterminant aux économies tchèque, polonaise ou hongroise. La Chine est en train de se hisser au troisième rang mondial pour le nombre de touristes étrangers accueillis chaque année. Les progrès considérables des moyens de transport dans la seconde moitié du XIXè siècle, avec le chemin de fer, et de manière encore plus forte avec le développement de l'automobile, puis de l'aviation commerciale au XXè siècle, ont été le vecteur fondamental de ce développement. Clemenceau avait coutume de dire : « quand apparaît un problème, on crée une commission ». La dimension touristique et les conséquences qui s'ensuivaient en termes de circulation et de signalisation routière, de construction d'hébergements et de stations touristiques, de qualité des prestations, de problèmes sociétaux engendrés par les emplois liés à la satisfaction des aspirations nouvelles des populations, dépassèrent bien vite le niveau d'une simple commission. Il fallut créer une ébauche d'administration : l'Office national du tourisme puis, dans les années 1930, un Commissariat général au tourisme. L'État accompagna cette ébauche d'administration par la création du Conseil supérieur du tourisme regroupant toutes les forces vives associatives ou professionnelles, hor s-sér ie - juillet 2012 ancêtre de l'actuel Conseil national du tourisme. La volonté de faire participer en les associant tous les acteurs du tourisme était déjà présente dans les préoccupations du ministre en charge du tourisme, comme elles l'ont été ensuite, avec la création de la « Maison de la France », devenue aujourd'hui « Atout-France ». Les deux guerres mondiales, qui ont eu pour nos populations et notre territoire de si terribles conséquences, mirent un moment entre parenthèses le développement de l'activité touristique, tant française qu'étrangère. Elles ne suffirent pas à l'arrêter. Il repartira de plus belle, en dépit des crises économiques et des menaces pour la paix, devenant, avec les congés payés de 1936 puis avec la croissance des Trente Glorieuses, une activité économique majeure pour notre pays. A la fin de cette période, on créa enfin un ministère du Tourisme, le plus souvent rattaché, comme les organismes qui le précédèrent, à celui de l'Équipement et, plus rarement à ceux de la Jeunesse et des Sports, des Loisirs, du Commerce et à l'Artisanat. Cette administration est aujourd'hui rattachée au ministère de l'Économie et des Finances. La France demeure, malgré une concurrence croissante des nouvelles destinations, le premier pays au monde pour le nombre des touristes étrangers accueillis sur son sol. Cette activité est un levier incontournable du développement et de l'aménagement du territoire, en métropole et outre-mer, par le nombre d'emplois, plus de deux millions, l'apport en devises, environ l « pour mémoire » 9 dix milliards d'euros selon les années, et le maintien essentiel de services liés à la fréquentation touristique dans les régions de faible peuplement, alors que l'agriculture est en recherche de rentabilité et que nombre d'emplois industriels ont disparu. Le tourisme a été l'objet de grands investissements en matière de transports et d'aménagement de territoires entiers. S'il en reste aujourd'hui une architecture originale et un urbanisme qui ont imprimé leurs traces sur nos côtes et dans nos vallées montagnardes, ces investissements ont provoqué aussi la destruction d'espaces naturels et de paysages. On enregistre heureusement une réelle amélioration depuis une vingtaine d'années, grâce aux lois d'aménagement concernant la montagne et le littoral. Ces espaces, soumis aux plus fortes pressions, ont été orientés vers des investissements et des projets développant un tourisme durable auquel notre ministère attache aujourd'hui une importance particulière. C'est d'ailleurs une personne du Conseil général de l'Environnement et du Développement durable, Gérard Ruiz, qui préside actuellement au nom de la France le partenariat mondial pour le tourisme durable. Ce faisant, il rejoint les préoccupations premières des grandes associations fondatrices, telles que le Touring-Club de France qui, dès sa création, militait pour le respect des paysages et des monuments. Son rôle fut déterminant dans l'adoption des lois de 1913 sur la protection des monuments historiques et de 1930 sur la protection des sites et paysages dont nous avons célébré l'an dernier le 80ème anniversaire, grâce à Alain Monferrand. L'histoire de cette saga du tourisme dans notre pays méritait que notre comité d'histoire lui consacrât l'une de ses journées d'études de l'année 2011. Je tiens à remercier Jacques Augustin, présent à mes côtés, sousdirecteur du Tourisme à la direction générale de la compétitivité, des industries et des services du ministère de l'Économie et des Finances qui est responsable de la politique touristique depuis quatre ans, d'avoir bien voulu soutenir cette initiative. Je tiens également à remercier chaleureusement tous nos intervenants, universitaires, fonctionnaires et acteurs de terrain, d'avoir bien voulu apporter leur connaissance de ce secteur et leur témoignage. Je salue tout particulièrement Jean-Jacques Descamps, ancien ministre du Tourisme, qui participera à la table ronde finale. Je salue aussi les anciens directeurs du Tourisme, je vois ici JeanLuc Michaud, et d'anciens présidents de l'Agence française de l'ingénierie touristique, Antoine Veil et Philippe Moisset. Je remercie enfin chaleureusement Alain Monferrand et son équipe pour l'organisation de cette journée et lui passe la parole pour la présentation des intervenants et du déroulement de cette journée. Merci à vous toutes et à vous tous. « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 10 introduction Alain Monferrand, Secrétaire délégué du comité d'histoire commissariats généraux puis un ministère) et comment elle s'est considérablement transformée, notamment dans les trente dernières années qui ont été les plus importantes pour le nombre de touristes accueillis par la France. Nous continuerons avec une autre ouverture vers la mobilité et le tourisme. Le tourisme est un facteur qui dépend complètement de l'évolution des moyens de transports. Il est né au XIXè siècle avec le chemin de fer, a explosé avec l'automobile et s'est développé de façon internationale avec les gros porteurs et l'aviation commerciale. Mathieu Flonneau, grand spécialiste de ces problèmes, présentera la dynamique d'un couple nécessaire et fécond, la mobilité et le tourisme. Nous passerons ensuite, avec Jean Orselli, au rôle des associations. Il n'y aurait pas eu de ministère en 1910 si le Touring-Club de France, notamment mais pas seulement, n'avait pas cherché à obtenir de l'État qu'il prenne en considération une activité qui commençait à poser toutes sortes de problèmes. Jean Orselli, ingénieur général des Ponts et Chaussées honoraire, avec sa verve coutumière, ©MEDDE Merci Monsieur le Président. Je voudrais renouveler à Jacques Augustin tous mes remerciements pour sa coopération dans cette affaire. La manifestation dont nous avions commencé à parler il y a deux ans finit par se tenir aujourd'hui. C'est une gageure de parler d'une activité comme le tourisme en une seule journée. Nous avons donc choisi d'éclairer certains points, avec un souci de chronologie. Évidemment, on ne pourra pas tout aborder. Nous allons commencer par Marc Boyer qui est sans doute le premier historien à avoir traité du tourisme. Il a animé des formations sur le tourisme à Lyon et à Aix. Il a écrit une thèse monumentale en plusieurs tomes dont le ministère du Tourisme avait édité un résumé, et va nous parler de l'invention du tourisme, selon sa propre expression. Ensuite, Arnaud Berthonnet et moi-même rappellerons l'évolution de cette administration (un office, des hor s-sér ie - juillet 2012 l « pour mémoire » 11 nous parlera de l'influence des associations sur la création de cette première administration du tourisme. Enfin, nous vous avons apporté une petite touche colorée en demandant à Stéphane Nicolas, responsable du patrimoine historique de la société Michelin, de nous parler des divers guides Michelin, c'est-à-dire des cartes Michelin, des guides verts, des guides rouges, jusqu'à l'adaptation aux nouvelles technologies, de tout ce qui sert à guider le touriste et qui est devenu chez nous une institution. Jean-Didier Urbain, anthropologue, qui a écrit de nombreux ouvrages sur les comportements touristiques des Français, ouvrira l'après-midi en nous montrant l'évolution de ces comportements touristiques. Patrick Brault, président de l'Union nationale des associations du tourisme, nous parlera de la dimension sociale des congés payés à l'ARTT, soit une histoire du tourisme social. Nous enchaînerons sur la vision des grands plans d'aménagement. Philippe Moisset évoquera le plan neige qu'il a connu en tout début de carrière quand il était ingénieur du Génie Rural à Chambéry, avant de retrouver le tourisme comme directeur de l'AFIT. Jean-Pierre Catalàa, ingénieur général des Ponts et Chaussées honoraire, qui fut l'adjoint de M. Biasini à la Mission interministérielle d'aménagement de la côte aquitaine (MIACA) parlera de ces grands plans d'aménagement touristique qui ont été les premières tentatives d'organisation et de développement du tourisme. Nous finirons les interventions par une note architecturale. Nous avons demandé à Christian Queffélec, qui est à la fois architecte DPLG et ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts, de nous parler de cette architecture balnéaire qui a laissé tant de traces chez nous, à partir d'une série de diapositives dont je peux vous dire qu'elles sont assez extraordinaires. Nous aurons enfin une table ronde où nous serons rejoints par l'ancien secrétaire d'État au Tourisme, JeanJacques Descamps, créateur de Maison de la France, Jacques Augustin et Paul Roll, directeur général de l'Office du tourisme et des congrès de Paris, animeront aussi cette table ronde sur le rôle et le poids du tourisme dans la vie des Français et dans l'économie nationale en cette année 2011. Enfin, Jacques Augustin, sous-directeur du Tourisme, clôturera cette journée entièrement consacrée à une activité qu'il dirige. Je passe tout de suite la parole à Marc Boyer, professeur des universités, docteur ès Lettres et grand spécialiste de l'histoire du tourisme pour nous parler de l'invention du tourisme. Je précise à l'intention de tous les intervenants que, pour tenir l'horaire et singulièrement permettre à JeanJacques Descamps de reprendre un TGV, vous avez 20 minutes par intervention. Quand je lèverai la main, il restera deux minutes... Et après, des appariteurs musclés jailliront des portes latérales pour vous reconduire dans la salle... Je plaisante naturellement, mais je vous demande à tous de bien vouloir respecter strictement cette règle et laisser du temps au débat. « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 12 Marc Boyer, Éclairages et témoignages L'invention du tourisme Professeur, Agrégé de l'Université, Docteur d'État, Fondateur du département Tourisme des Universités d'Aix, puis Lyon II, Ex-Président de l'Association Méditerranéenne de Sociologie du Tourisme. ©MEDDE Pour introduire cette journée, il m'a été demandé de présenter une réflexion sur ce thème que plusieurs de mes livres avaient développé1 . Le tourisme n'a pas toujours existé. Il a été inventé ainsi que ses formes, lieux et saisons. C'est une erreur que de présenter une histoire linéaire du tourisme... de la préhistoire à nos jours, alors que le tourisme est intrinsèquement lié à l'histoire des civilisations et des moeurs des sociétés développées. Tout a commencé au XVIIIe siècle, avec des inventions faites pour la plupart par les hommes les plus développés de ce temps, les Britanniques. Ce lien n'est en rien surprenant. La première invention décisive a été ce que l'on appelle «Thetour » qui a donné lieu aux mots « touriste » et « tourisme ». « Thetour» était le voyage éducatif fait par de jeunes gens riches, notamment des Britanniques, principalement à Rome et dans les grands sites italiens pour parfaire leur éducation. « The tour » fut ensuite réalisé par des adultes de différents âges mais toujours aux mêmes hor s-sér ie - juillet 2012 fins culturelles et sociales : avoir fait le tour distinguait celui qui l'avait réalisé. Les riches Britanniques, au XVIIIe siècle, ont presque tout inventé. Outre The tour, ils ont inventé le séjour aristocratique aux eaux ce qu'on peut appeler la RévolutiondeBath. Bath fut, début XVIIIe siècle transformée en station de séjour mondain par R. Nash et les architectes Wood. D'autres stations sont créées en Angleterre, et sur le continent. Spa, la plus célèbre, devint un nom générique ­ spa water -. La zone rhénane et les Sudètes (Carlsbad) lancent des stations mondaines. Fin XVIIIe siècle, on en trouve en Savoie (Aix), en France (Vichy, Bourbon), en Toscane (Montecatini). La dispersion se poursuit au XIXe siècle. Le XVIIIe siècle a inventé beaucoup de choses, notamment le plaisir de marcher à pied et de découvrir lentement les lieux, alors que marcher à pied était bon pour les pauvres gens qui n'avaient pas les moyens de faire autrement. Rousseau a été consacré très tôt comme le premier touriste, car il marchait à pied. Une sensibilité dite « rousseauiste » envahit alors les esprits... On aime les « vallons charmants » (Gemenos) et les sources (Vaucluse), les phénomènes naturels, comme la perte du Rhône. La Suisse qui, jusque là, étaient méprisés ou peu estimés en Europe devient fin XVIIIe, devient une région mythique, le pays de Rousseau que le Dictionnaire Larousse qualifie de « premier touriste ». Les Lettres de Coxe traduites par Ramond diffusent cette sensibilité nouvelle. La villégiature estivale à la campagne, au XVIIIe siècle, est transformée. Depuis des siècles, elle était l'obligation des propriétaires qui surveillaient les rentrées de récoltes. Elle devint, depuis le XVIe et surtout le XVIIIe siècles, une nouvelle « voluptas ». Les riches rentiers se font construire des villas agréables à habiter, conçoivent des parcs, des bosquets, des « english gardens ». Toutes les villes d'Europe, début XIXe siècle, ont leur 1 Thèse de Doctorat d'État sur L'invention du tourisme dans le Sud-Est de la France, en 1996, publié en cinq volumes à Lille aux éditions du Centurion. l « pour mémoire » 13 ceinture de résidences campagnardes, du château au manoir et à la villa, à une heure, une heure et demie des villes. Elles sont particulièrement nombreuses dans le Midi (« les bastides »). Dans le dernier tiers du XVIIIe siècle et à l'époque romantique, le regard sur la montagne est complètement changé par les voyageurs. Ils la considéraient comme un obstacle ; les monts étaient « affreux », ils deviennent « sublimes ». En 1492, l'ascension du Mont Aiguille avait été sans lendemain ; fin XVIIIe, on se passionne pour la conquête des cimes. En 1786, sur l'initiative de H.B. de Saussure, le Mont Blanc est gravi. L'ascension est refaite ensuite ; puis les autres cimes alpines sont conquises. S'y mêle l'attrait nouveau des glaciers, particulièrement de la mer de Glace. En 1788, pas moins de 102 grands notables, dont la moitié britannique, sont touristes à Chamonix. Au XIXe siècle, l'engouement pour la montagne se poursuit. Les adeptes se regroupent en clubs élitistes : l'Alpine Club en 1857, le Club Alpin français en 1874. Par étapes, s'est imposé l'attrait estival de la montagne qui ne se limite pas aux Alpes. Le long séjour de l'hiver dans le Midi est la grande invention touristique de la fin du XVIIIe et du XIXe siècles. Il est distinct du voyage en Italie, même si les touristes souvent font les deux. Entre 1763 et la Révolution, les colonies très aristocratiques sont surtout britanniques : de cent à deux cents familles à Nice, puis à Hyères, à Pise aussi. La Révolution n'y met pas fin. Après 1815, cela reprend, s'étend. En 1834, lord Brougham découvre Cannes, décide d'y passer régulièrement d'hiver et -fait nouveaude faire bâtier sa villa. Ainsi naquit l'hiver dans le Midi. Ce séjour, en partie thérapeutique, est aussi d'agrément : les hivernants édifient de beaux jardins, introduisant des espèces exotiques. Lord Brougham découvre et lance Cannes. En un demi siècle a été édifiée une Côte de séjour d'hiver, allant de Cassis aux Rivieras di Ponante et di Levante. Fin XIXe siècle, Stephen Liegeard la baptisa Côted'Azur. Le séjour n'est alors qu'hivernal- d'octobre à fin avril. Autre grande invention, toujours britannique, à la fin du XIXe siècle : lesséjours de sports d'hiver, la montagne pour la glisse. A partir de 1890, des Britanniques séjournent dans des stations d'altitude suisses (Grindelwald, Davos...) pour s'amuser à glisser sur des planches norvégiennes. Début XXe, Chamonix et Zermatt (des stations d'été) se spéciali- sent dans l'accueil du tourisme de sports d'hiver. Après 1920, on commence à chercher de nouveaux sites ; la baronne de Rothschild, ainsi découvre Megève. Avant 1939, apparaît modestement le projet de créer de toutes pièces, des stations de ski dans des alpages d'été, donc plus haut. L'Alpe d'Huez est pionnier, puis Méribel, les Deux-Alpes... A partir de 1910, les hôteliers de la Côte d'Azur notent avec regret cette concurrence que leur fait la nouvelle invention de tourisme. C'est alors que débute le nouvel attrait méditerranéen, qui est l'été. Il est à la fois l'entichement d'artistes (des impressionnistes), d'écrivains (Colette, Dunoyer de Segonzac) pour les villages perchés de Provence ou quelques ports (Banyuls, St Tropez). Mais s'y ajoute l'apport nordaméricain qui, à partir de 1920, crée de toutes pièces Juan-les-Pins dans un décor kitsch avec des plaisirs nouveaux. Dos « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 14 Passos, Hemingway sont les vedettes de cette nouvelle saison d'été. La grande dispersion touristique se produit au XXe siècle d'abord dans les quelques années euphoriques de 1920 à 1929, puis après 1950. Car la coupure de la crise et de la guerre fut sévère. La grande augmentation du nombre des touristes, cependant, n'a pas produit le tourisme de masse. Les touristes nouveaux s'ajoutèrent aux anciens, inventant peu de lieux nouveaux, s'appropriant les anciens moyens d'hébergement ­ la villa, la maison de campagne, le camping (à l'origine une pratique élitiste). Peu de lieux nouveaux, mais une réoccupation saisonnière de la campagne en Europe,une diffusion en tache d'huile sur les côtes européennes du tourisme balnéaire estival. Enfin une explosion de l'attrait des sables tropicaux, en Floride, dans les Antilles, en Afrique Noire. Avec une formulation simplifiée de l'attrait. Ce sont les Trois S qui sont quatre : Sea, Sun,SandandSex. On a vu que ces inventions étaient constamment élitistes et qu'elles se diffusaient. On peut se demander si cela continue sur le même rythme aujourd'hui. Ce n'est pas tellement évident. Les grandes inventions à partir desquelles nous vivons, qui marquent notre propre vie de villégiature aujourd'hui, datent du XIXe siècle ou de la période de l'entre-deux guerres. Mais on pourrait dire, peut-être de manière un peu agressive, que la diffusion du tourisme, le début du tourisme de masse, qui n'est pas encore tout à fait le tourisme de tous, n'a pas entraîné une conception nouvelle hor s-sér ie - juillet 2012 du tourisme. Il a accumulé les hommes mais n'en a pas pour autant modifié les conceptions. Où sont les destinations nouvelles ? Notre terre est connue à peu près partout, sauf à créer le choc énorme que seraient les voyages vers la Lune par charters entiers qui amèneraient une modification complète de l'histoire du tourisme, on ne voit qu'une diffusion relativement lente. Ce n'est pas le grand boum espéré en 1936 ou même peut-être encore en 1946. Ce n'est pas une rénovation totale des contenus du tourisme. Les classes nouvelles arrivant au tourisme imitent les comportements plus anciens. Il y a des formules qui marchent, comme le Club Méditerranée avec son Trident, mais ce n'est pas une innovation totale de la conception des vacances. Nous sommes donc bien obligés de considérer que l'optique de changer le monde grâce à l'arrivée des vacances pour tous est encore une vue relativement utopique qui n'est plus placée en première ligne des programmes politiques des éléments les plus révolutionnaires. ainsi que les voyages avec la société Cook. Vous avez eu raison de souligner leur très forte implication. On leur doit énormément. Qui souhaite poser des questions ou faire une intervention sur cette invention du tourisme, y compris son évocation du tourisme dans l'espace qui serait le signe que la dimension progresse considérablement. Anne-Françoise Pillas Pourquoi Marc Boyer n'a-t-il pas évoqué ce qui, à mon sens, relève du tourisme : les déplacements pour les pèlerinages qui ont existé depuis l'Antiquité mais qui se sont développés essentiellement au Moyen-Âge ? Bien sûr, ils visaient un but particulier. Mais il n'empêche que certains pèlerinages ont vraiment été inventés de toute pièce tels que Rocamadour, entraînant la construction d'une petite ville et d'une économie uniquement fondée sur la venue de gens de l'extérieur. Est-ce que ce n'est pas du tourisme ? Alain Monferrand Absolument. Les plus anciennes formes ont été, comme l'a rappelé Marc Boyer, le tourisme de santé, avec les bains et toutes les villes qui s'appellent Ax ou Aix, et les pèlerinages. Le chemin de Saint-Jacques de Compostelle peut être considéré comme le premier réseau de randonnée touristique. On sait très bien qu'on ne vendrait pas autant d'Airbus dans les Emirats s'il n'y avait pas le pèlerinage de la Mecque. Échanges avec la salle Alain Monferrand Je remercie beaucoup Marc Boyer pour nous avoir montré comment les Britanniques ont tout inventé avec leurs stations thermales organisées dès le XVIIIe siècle, et où Brighton fonctionnait déjà. Il a fallu attendre, comme vous l'avez vu sur les cartes, le milieu du XIXe siècle pour avoir nos premières stations. Ce sont encore nos amis britanniques qui ont inventé pour nous la Côte d'Azur Marc Boyer C'est vrai que la parenté est assez grande entre pèlerinage et tourisme. l « pour mémoire » 15 L'antériorité du pèlerinage par rapport au tourisme est évidente. Le fait que des pèlerinages comportent une partie touristique est connu et admis de tous. Il faut donc considérer cette parenté comme un avantage mutuel et non comme un inconvénient. Néanmoins, le mobile est différent dans le pèlerinage : c'est un acte religieux où toute la période qui conduit à l'arrivée au lieu du pèlerinage est déjà une préparation de la rencontre avec le souvenir du saint, par exemple, Saint-Jacques à Compostelle. Or, dans le domaine du tourisme, on fonce à toute allure sans rien voir en cours de route ou bien on fait un minimum de préparation. Il y a donc là quelque chose d'essentiel. C'est au niveau du mobile, du contenu et de l'attitude mais vous avez raison de montrer les parentés. les comportements mais, à mon avis, peu d'inventions véritables concernant la nature et même les lieux du tourisme car les grandes régions touristiques ont été inventées depuis longtemps. Nos spécialistes, comme l'ingénieur général Michaud et bien d'autres, ont su créer des stations mais à partir d'un courant qui existait déjà. Il faut bien voir que le XXe ou le XXIe siècle ne sont pas, pour le moment, de grands inventeurs de formes et de conceptions du tourisme. On est seulement très habile à développer le phénomène et à créer des structures d'accueil, mais c'est autre chose. cela qu'il y a toujours un certain flou pour situer ceux qui voyagent ou qui se déplacent pour des raisons de santé, là il y a un mélange entre un besoin thérapeutique et un plaisir attendu. Jean-Didier Urbain Je vais anticiper sur ce que j'évoquerai cet après-midi, pour rappeler ce qu'est un touriste, la réponse est à la fois simple et très compliquée. Je voudrais évoquer un écrivain voyageur, Jacques Meunier, qui se présentait comme un ethnologue défroqué et disait qu'un ethnologue n'était jamais qu'un touriste subventionné. Si c'est la curiosité de l'autre qui définit d'abord le touriste, bien peu d'entre nous sommes des touristes parce que la curiosité n'est pas forcément un axe majeur du voyage dans les comportements actuels. A l'appui de cela, on peut trouver les enquêtes développées par l'Observatoire national du tourisme à la fin des années 1990, sur les vacanciers fidèles aux quatre espaces types. Le motif « rencontrer autrui » n'était évoqué que dans 1,4% des cas, que ce soit des touristes fidèles à la campagne, à la montagne, à la ville ou à la mer. Je pense qu'il y a là un mythe qui circule bien, qui a la peau dure, qui serait notre inextinguible curiosité vis-à-vis de l'autre. Aujourd'hui on voit d'ailleurs assez bien le monde secoué par ce problème de la relation à autrui parce que, précisément, cette curiosité n'est pas si féroce qu'elle semble l'être. Henri Jaffeux De tout temps, en fait, les gens ont voyagé d'abord à titre individuel. J'ai l'impression que l'invention dont vous nous parlez a été le passage du déplacement individuel à celui d'un plus grand nombre de gens. Ma question est : c'est quoi un touriste ? Qu'est-ce qui le différencie du simple voyageur comme Stevenson ? Michel Quatre N'y a-t-il pas un changement dans les comportements touristiques, puisque le tourisme actuel se développe surtout avec des voyages à longue distance, grâce au développement des transports à bas coût dans l'aviation ? N'est-ce pas un phénomène qui a marqué ces dernières années ? Marc Boyer En posant cette question, vous allez directement à l'essentiel et je vous en remercie. C'est le mobile qui fait le touriste. Depuis des siècles, beaucoup de gens voyagent. Mais le tourisme a un mobile spécifique : on voyage par désoeuvrement et curiosité, selon la définition du dictionnaire, sans raison financière, sans appât du gain. Au contraire, on sait qu'on ne fera que dépenser sans rien gagner. On voyage par curiosité envers d'autres pays et autrui sans souci d'un rapport financier. Cette gratuité de l'acte touristique est absolument fondamentale. C'est pour Marc Boyer Vous avez tout à fait raison. Si je n'en ai pas parlé, c'est pour ne pas empiéter sur l'intervention ultérieure centrée sur les comportements touristiques. Mais vous me donnez l'occasion d'insister sur un fait. J'ai parlé des inventions et M. Urbain traitera des comportements: ce n'est pas la même chose. Aujourd'hui, il y a beaucoup de changements dans Brigitte Arnoult Je voudrais souligner que la définition des « pérégrins » dans l'antiquité « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 16 grecque me semble correspondre tout à fait à la définition que vous avez donnée. Cela a donné le terme « pérégrination » dans notre vocabulaire. Estimez-vous que les « pérégrins » sont exclus de votre définition du tourisme ou au contraire qu'ils étaient des précurseurs ? preuve d'une curiosité de l'autre et de la recherche d'un nouveau type de rapports. Certes c'est très limité, mais ça existe. Marc Boyer Votre apport complète utilement mon propos. Il montre ce que chacun sait : le tourisme, étant entré beaucoup dans les moeurs, prend des formes plus variées parce que les gens ont des préoccupations différentes. Mais du coup, il perd peut-être du piment qu'on lui donnait et qui était lié à son statut de comportement des hautes castes de la société. Marc Boyer Le mot « pérégrin » existait déjà mais avec une ambiguïté sur le contenu. Le contenu du mot « touriste », pris chez les Anglais, est plus précis. Il est lié à une certaine société, à une certaine civilisation depuis le XVIIIe siècle. Il n'est pas sûr d'ailleurs que le mot durera toujours. Ce n'est pas nécessairement acquis. Guy Barrère Pour apporter un complément sur les finalités de l'acte de tourisme, je pense que la définition peut en être élargie pour la période la plus moderne puisque l'Organisation mondiale du tourisme (OMT) retient une définition extrêmement étendue : le touriste est celui qui se déplace à des fins de loisir, d'affaires ou pour d'autres motifs. Cette définition extrêmement large sert aux statistiques internationales du nombre de visiteurs reprises par l'OMT. C'est juste une remarque méthodologique. Georges Gralouis J'ai deux remarques à faire sur le manque à la fois d'inventions de nouvelles formes touristiques au XXe et au XXIe siècles et de motivations liées à la curiosité. En contrepoint, je voudrais évoquer le développement du tourisme industriel qu'on a vu apparaître à la fin du XXe siècle, M. Michaud pourrait en témoigner, et celui plus récent, du tourisme équitable que cherchent à promouvoir certains réseaux associatifs. Ces modes sont la hor s-sér ie - juillet 2012 l « pour mémoire » éclairages et témoignages 17 Cent ans d'organisation administrative du tourisme (1910 à nos jours) Secrétaire délégué du comité d'histoire Alain Monferrand Docteur en histoire Paris Sorbonne IV historien d'entreprise et éditeur1 Arnaud Berthonnet Alain Monferrand et Arnaud Berthonnet ©MEDDE Arnaud Berthonnet et moi même allons assurer un numéro de siamois. Arnaud Berthonnet présentera les évolutions du tourisme depuis l'initiative du ministre Alexandre Millerand en 1910 jusqu'à 1980, alors que je parlerai des années 19802010 que j'ai personnellement vécues. Arnaud Berthonnet a réalisé la généalogie complète des directions de l'administration centrale depuis quatre siècles, à l'initiative de nos prédécesseurs, Pierre Chantereau et Alain Billon. Christian Leyrit a rappelé que le comité d'histoire du ministère représentait un quart de la gouvernance française. Nous sommes le seul comité ministériel à disposer de données historiques jusqu'au niveau du bureau : or, si une sous-direction pouvait pendant cinquante ans s'appeler de la même manière, les intitulés des bureaux ont souvent changés pour répondre à l'évolution de la demande sociale et politique. Ce travail va s'achever avec l'intégration des données du ministère de l'Environnement avant 1978 et entre 1981 et 2007. Pour le ministère du Tourisme, on saura cette année tout ce qui s'est passé depuis cent ans. 1 www.insiglo.com « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 18 Arnaud Berthonnet 1910-1980 Pour introduire ce thème, je préciserai le fait que je ne suis pas un spécialiste de l'histoire du tourisme. Cependant au cours de mes recherches sur l'histoire économique et sociale de l'Algérie, je me suis intéressé à la naissance et l'essor du tourisme dans ce pays entre 1880 et les années 1950. J'ai publié quelques articles sur le sujet 2 . Et c'est à la demande d'Alain Monferrand avec qui je cosigne cet article que je présenterai l'organisation administrative française du tourisme de 1910 à 1980, de manière didactique et factuelle et non en profondeur. L'étude très précise reste à écrire... Une phrase de Jean-Pierre Dannaud, commissaire général au tourisme de 1970 à 1974, résume cette évolution de l'administration du tourisme pendant ces soixante-dix ans : « Le rôle de l'administration du tourisme est un rôle d'impulsion, il n'est pas de faire, il est d'aider à faire, il est de faire faire, et rien n'est sans doute plus utile que cette action de soutien à des professionnels qui se lancent dans la compétition mondiale ». Entre 1910 et 1980, le développement de cette petite administration a été, selon les périodes, souple, empirique, mouvante et évolutive. Je découperai cette présentation en des temps propres à mes réflexions car on ne dispose pas d'une histoire de l'administration du tourisme. Toutefois, des éléments importants de réflexion et d'études se trouvent dans hor s-sér ie - juillet 2012 les quelques thèses de doctorat de droit soutenues dans les années 1950 et 1960 qui abordent ce sujet 3 : 1910-1935 : de la fondation de l'Office national du tourisme à ses premières réalisations ; 1935-1958 : de la création du commissariat général au Tourisme en 1935 à la naissance de la première direction générale du Tourisme en 1948 ; 1959-1974 : la recherche d'un modèle d'organisation à l'époque des grands chantiers touristiques ; 1974-1980 : une organisation plus structurée avec une direction générale du Tourisme visant à mieux maîtriser le secteur et ses évolutions. Pendant cette période d'étude, l'administration centrale du tourisme a été successivement rattachée à six structures ministérielles : le ministère des Travaux publics et des Transports (1870-1962), directement auprès du Premier ministre (1962-1968) et successivement aux ministères de l'Équipement et de l'Aménagement du territoire (19681974), de la Qualité de la vie (1974-1977), de la Culture et de l'Environnement (1977-1978) et de la Jeunesse, des Sports et des Loisirs (1978-1980). Avant la naissance de l'Office national du tourisme en 1910, plusieurs structures importantes ont été créées comme le Club Alpin (1874), le premier office de tourisme français « Le "Comité des Promenades" à Gérardmer (1875), le premier syndicat d'initiative à Grenoble (1889) et le Touring-Club de France (1890). La période suivante est également riche en création : dix comités spécifiques voient le jour au sein même du Touring-Club de France4 . L'objet de ces diverses créations est de répondre à de réels besoins touristiques comme le tourisme nautique (1904), le tourisme hippique (1904), le tourisme hivernal (1907), le tourisme scolaire (1907), le tourisme de montagne (1908), le tourisme aérien (1908, le tourisme colonial (1909) ; le tourisme de camping (1912) ; le tourisme d'hôtellerie (1913) ; sites et monuments Historiques. C'est dans ce contexte de forte effervescence autour de notions de tourismes particuliers et protection du patrimoine et des sites naturels 5 qu'Alexandre Millerand, ministre des Travaux publics Berthonnet Arnaud, "Le tourisme en Algérie (de 1890 aux années 1940), une histoire à écrire", Le tourisme au Maghreb, un fait culturel majeur, Universités de Tunis-Manouba et de Toulouse-Le Mirail, Tunis, les 10 et 11 décembre 2004, Revue Tourisme, mai 2006, p. 21-39 ; "Le rôle des militaires français dans la mise en valeur d'un tourisme au Sahara (fin du XIXe siècle-1939)", Le tourisme dans l'empire français. Politiques, pratiques et imaginaires (XIXe et XXe siècles), Université de Toulouse-Le Mirail, 7-9 décembre 2006, Revue de la société française d'histoire d'Outre-mer, 2009, p. 79-96. 3 Notamment : Cluzet Maurice, Le tourisme en France. Ses organismes. Son importance économique, Thèse de droit, Faculté de droit - Université de Paris, 1951, 284 p. ; Guion JeanMarie, L'intervention des autorités françaises dans le domaine du tourisme, Thèse de droit, Faculté de droit - Université de Paris, 1957, 281 p. 4 Consultation pour cette étude de la Revue du Touring-Club de France de 1893 à 1937 à la Bibliothèque du Trocadéro (Paris). Liquidé en 1983, le TCF qui a compté jusqu'à 700 000 membres, a prôné un tourisme résolument économique et pédagogique, tourné vers la France et son Empire. Au siège social du 65, avenue de la Grande Armée depuis 1904 s'est constitue une documentation sur le tourisme : guides touristiques, sports et loisirs, patrimoine, art, récits de voyage, cartes et atlas du monde entier. Les archives du TCF sont conservées au Centre national des archives contemporaines de Fontainebleau. 5 Fusz Marie-Hélène, Le Touring-Club de France (1890-1983) : son rôle dans le développement de la sensibilité au patrimoine, DEA de sciences humaines, Sorbonne Paris IV, septembre 2000. 2 l « pour mémoire » 19 et de P & T, présente le 5 décembre 1909, dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, son projet d'une première organisation du tourisme en France. Fondation de l'Office national du tourisme et ses premières réalisations (1910-1935) La loi du 8 avril 1910 créant l'Office national du tourisme symbolise le premier intérêt des pouvoirs publics pour le tourisme et surtout une première intervention de l'État dans un domaine alors totalement privé 6 . Simultanément est créé le Conseil supérieur du tourisme, un organe consultatif de 50 membres (qui en comprendra ensuite 106 puis 122). Le budget de l'Office est très modeste. Il provient d'une aide du Touring-Club de France, d'une taxe additionnelle à la taxe de séjour et d'une subvention de l'État. Ses missions sont la centralisation de toutes les questions concernant le tourisme, la liaison avec les associations ainsi que la direction des opérations de transport, de circulation et de séjour des touristes et, à partir de la fin des années 1910, l'organisation de la publicité à l'étranger en faveur des stations classées (1920). La loi du 24 septembre 1919 élargit les compétences de l'Office et fixe quelque peu ses moyens financiers. Elle met en place le classement des fameuses stations climatiques, thermales et touristiques. Ces organismes ont, en fait, pour but de promouvoir le tourisme et de mettre à disposition des touristes, et surtout des étrangers en visite en France, des renseignements dont ils ont besoin pour voyager et se loger. C'est en 1919 qu'est créé le premier bureau du tourisme à l'étranger : celui de Barcelone ; puis d'autres verront le jour, à Londres en 1920 et, plus tard, en Suisse en 1935. Dates clés (1910-1919) : 1910 : les Guides Bleus prennent la suite des Guides Joanne 1913 : loi sur les Monuments Historiques (31 décembre) 1917 : création de la Chambre nationale de l'hôtellerie française 1919 : création de l'Union nationale des associations de tourisme (UNAT) 1919 : inauguration du vol commercial régulier entre Paris et Londres, le 8 février. 1919 : loi classant les stations climatiques, thermales et de tourisme. La première administration centrale du tourisme est très simple. Cette source provient de l'annuaire de l'administration centrale des Travaux publics de 1911. L'Office nationale du tourisme est intégré dans le deuxième bureau de la sous-direction des routes et ponts (direction des routes, de la navigation et des mines) Il s'agit d'une toute petite administration, couplée aux Congrès de la route (voir annexe 1). Les années 1920 sont celles d'une première esquisse de l'administration du tourisme avec l'état de grâce de l'Office, la montée en puissance des pratiques touristiques et, ce qui est important, la création de la Maison de France, dotée d'un bureau d'information touristique qui est installé sur les Champs Élysées. Il fonctionnera de 1928 à 19337. La France se classe parmi les toute premières destinations touristiques. La crise économique des années 1930 affecte gravement l'essor du tourisme : le nombre de touristes chute de 2 millions en 1930 à 930 000 en 1933. Anecdotique mais important dans l'histoire administrative du tourisme, pendant six semaines en 1930-1931 un éphémère sous-secrétaire d'État chargé des questions intéressant les régions libérées, le tourisme, la circulation et la police de la route voit le jour Et l'histoire a ainsi oublié que le premier ministre (plutôt sous-secrétaire d'État) du Tourisme a été très brièvement un certain Gaston Gourdeau (1883-1957), député de la gauche radicale de la Sarthe (1928-1936), sous-secrétaire d'État aux Travaux publics et au Tourisme du 13 décembre 1930 au 27 janvier 1931 dans le gouvernement Théodore Steeg8 . En 1931, est créé le sous-secrétariat d'État chargé des services de la voirie routière et du tourisme dont le premier titulaire est Gaston Gérard (1878-1969), Monferrand Alain, « Il y a cent ans la création de la première administration du tourisme », Pour Mémoire, Revue du ministère de l'Écologie, de l'Énergie, du Développement durable et de la Mer, n° 7, Hiver 2009, p. 198-201. 7 1919-2002. Maison de France, Paris, Maison de France, 2002, 72 p. 8 Il sera de nouveau sous-secrétaire au Tourisme du 3 juin au 18 décembre 1932 dans le troisième gouvernement Édouard Herriot. « pour mémoire » 6 l hor s-sér ie -juillet 2012 20 du 27 janvier 1931 au 20 février 1932. Ce personnage assez singulier, députémaire de Dijon, a surtout participé au développement du thermalisme. Hautcommissaire au Tourisme du 2 mars au 13 décembre 1930 dans le deuxième gouvernement André Tardieu, son nom est resté dans l'histoire non pas parce qu'il a été présenté comme le premier ministre du Tourisme mais parce que nous lui devons une recette du poulet célèbre qui porte son nom 9 . En 1935, l'Office du tourisme est supprimé pour trois raisons : les fortes répercussions de la grande crise économique, un certain discrédit de la formule des offices et surtout une mauvaise gestion financière. Par exemple, le loyer de la Maison de France n'est pas été payé en 1933 et 1934. promotion. Cette forme originale permet d'associer financièrement aux efforts de l'État ceux des sociétés, des associations et des collectivités locales directement concernées par le tourisme. Le Conseil supérieur est remplacé par un Comité consultatif du tourisme, du thermalisme et du climatisme, placé auprès du commissaire général au tourisme. Le premier commissaire général est Pierre Roland-Marcel (1883-1939), conseiller d'État. Ce haut fonctionnaire, chef de cabinet de Léon Bérard, ministre de l'Instruction Publique et des Beaux-Arts, sous-préfet de Péronne, puis administrateur général de la Bibliothèque Nationale (1923-1930), préfet du Bas-Rhin (1930-1935), est commissaire général au Tourisme de 1935 à 1939. Le premier délégué général est Paul Peyromaure-Debord, maître des Requêtes au Conseil d'État10 . Il est remplacé en 1939 par B. Chenot. Dates clés (années 1930) : 1930 : 2 000 000 touristes en France. 1933 : 930 000 touristes en France. 1936 : congés payés en France (loi du 20 juin 1936). 1936 : création du sous-secrétariat d'État aux Loisirs. 1937 : naissance de l'Union française des associations de Camping. Au début de la Seconde Guerre mondiale, le commissariat devient un simple service du secrétariat d'État aux Communications. En 1942, il réapparaît pour être maintenu en droit par la loi de Finances du 27 avril 1946. Sous l'occupation, son commissaire général est Henry de Ségogne (1901-1979). Ce haut fonctionnaire, ami d'Antoine de SaintExupéry, est un alpiniste chevronné, il a été notamment chef de la première expédition française en Himalaya en 1936. Après la guerre, il sera l'un des pionniers en France de la politique de protection du paysage et du patrimoine culturel11 . Dates clés (1942-1943) : 1942 : loi du 12 janvier modifiée par celle du 5 juin 1943, qui instaure les comités régionaux du tourisme. 1942 : législation sur les agences de voyages en France (loi du 24 février). 1943 : création de « Tourisme et Travail » une association créée en décembre par des militants communistes résistants. Dépôt des statuts en janvier 1944. La période 1946-1958 pose les fondations de toute une politique. Le Commissariat général au Tourisme est de retour sous la tutelle du ministère des Travaux publics, des Transports et du Tourisme. Vingt-cinq ans durant, l'administration du tourisme sera contrôlée par d'anciens résistants gaullistes. Son premier commissaire (1946-1948) est Henry Ingrand (1908-2003). Diplômé de médecine coloniale, ce grand résistant, ce compagnon de la Libération, a été à De la création du commissariat général au Tourisme en 1935 à la naissance de la première direction générale du Tourisme en 1948 (1935-1958) En 1935, en plein marasme, un Commissariat général au tourisme, au thermalisme et au climatisme, chargé des missions administratives du tourisme français, est créé à la suite d'un rapport de Paul Peyromaure-Debord. En même temps est fondé le Centre national d'expansion du tourisme, du thermalisme et du climatisme, chargé des missions de hor s-sér ie - juillet 2012 En 1921, avec l'appui de l'industriel dijonnais Xavier Aubert, il crée la Foire gastronomique en s'inspirant du modèle lyonnais de la foire des soieries d'Édouard Herriot. www.assembleenationale.fr/sycomore/fiche.asp?num_dept=3360 10 PEYROMAURE-DEBORD Paul, Letourisme,le thermalismeetleclimatisme, Paris, Imprimerie Nationale, 1935, 250 p. 11 De 1964 à 1978, Henry de Ségogne préside l'Union nationale des associations de tourisme (Unat). 9 l « pour mémoire » 21 la Libération le commissaire régional de la République en Auvergne ; plus tard, il sera président de la commission du Tourisme de l'OECE. Il s'entoure d'anciens résistants comme Guy-Louis Herpin, Vincent Planque et Robert Hollier12 . Cette équipe de spécialistes a comme objectif de relancer l'économie touristique en France en berne depuis le début des années 1930. Le chiffre de 1930 de 2 millions de touristes en France est retrouvé en 1949. À partir de l'année 1950, ce nombre croît assez fortement chaque année. Les noms de ces hommes figureront dans les organigrammes de l'administration et des organismes touristiques pendant de longues d'années. Le conseiller technique d'Henry Ingrand est un certain Georges Pompidou, ce qui explique pourquoi ce dernier pendra sous son aile l'administration du tourisme quand il sera nommé Premier ministre en 1962. Aussi d'anciens officiers de liaison de l'armée française auprès des armées alliées ­ qui parlent des langues étrangères notamment l'anglais ­ deviennent les représentants du tourisme à l'étranger, notamment en Amérique du Nord. L'année 1948 est clef avec la création de la première direction générale du Tourisme au sein du ministère des Travaux publics, des Transports et du Tourisme. Composée de quatre bureaux), elle est dirigée par Jean Boucoiran (décret du 31 mars). D'autre part, la loi du 29 septembre créé le Centre national du tourisme, présidé par Jean Médecin (1890-1965), député-maire de Nice et père de Jacques Médecin (voir ci-après). Le but de cet organisme est la concertation des institutions et des milieux associatifs du tourisme. Au sein de ce Centre voit le jour un Comité national du tourisme de 63 membres qui exerce des missions consultatives. En 1952, un Conseil supérieur du tourisme est créé, dont le président-délégué est Jean Médecin. Le directeur général du tourisme est toujours Jean Boucoiran, Cette direction générale se compose de quatre bureaux et deux services techniques (voir annexe 1). S'appuyant sur des hommes tels que Herpin, Planque et Marcel Antonioz, elle chapeaute également des comités régionaux et 27 bureaux à l'étranger. Dates clés (années 1950) : 1949 : 1 900 000 touristes étrangers en France. 1950 : création de l'Académie Internationale de Tourisme à Monaco. 1950 : premier village de vacances du Club Méditerranée à Palma de Majorque. 1950 : 3 050 000 touristes étrangers en France. 1956 : loi sur les 3 semaines de congés payés. 1957 : première loi sur les réserves naturelles. 1958 : création de Villages Vacances Familles (VVF). CONSEIL SUPÉRIEUR DU TOURISME 8, avenue de l'Opéra, 75001 Paris. Le Conseil supérieur du tourisme est créé par le décret du 18 juin 1952 ­ réorganisé par le décret du 26 octobre 1959. Il est présidé, par délégation, par le Commissaire au tourisme, assisté de deux vice-présidents. Il a pour objet d'associer les différentes catégories d'activités touristiques à l'action du Commissaire au tourisme. Il comprend 43 membres nommés par arrêté et comporte les formations suivantes : l'Assemblée plénière ; le Comité permanent composé de 15 membres qui a délégation pour donner un avis sur les questions dont le Commissaire ne juge pas utile de saisir l'Assemblée plénière ; les Commissions techniques spécialisées, au nombre de 9, chargées de préparer les travaux de l'Assemblée plénière et du Comité permanent. Le Comité permanent est présidé par le Commissaire au tourisme. Le Conseil supérieur du tourisme est administré par un secrétaire général nommé par arrêté. 12 Robert Hollier a été notamment consultant auprès de l'Organisation mondiale du tourisme, puis directeur exécutif de la Commission européenne du tourisme (CET). « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 22 À la recherche d'un modèle d'organisation à l'époque des grands chantiers touristiques (1959-1974) Cette période de quinze ans coïncide avec la mise en place dans cadre de la planification nationale de nombreux projets touristiques qui se traduisent par le lancement d'importants programmes d'aménagement des littoraux (notamment en Languedoc-Roussillon) et le développement des stations de sports d'hiver. Le tourisme est successivement rattaché aux ministères des Travaux publics et des Transports et de l'Equipement. En 1959, nouveau changement structurel, la direction générale est remplacée par un commissariat général (décret du 19 juin), pris en charge par Jean Sainteny (1907-1978). Ce résistant, compagnon de la Libération, est commissaire général au tourisme de 1959 à 1962. Elu député UNR-UDT en novembre 1962, il obtient la même année le portefeuille des Anciens Combattants dans le gouvernement Pompidou. Il le gardera jusqu'en janvier 1966. Deux ans plus tard, il est nommé membre du Conseil constitutionnel. Ce commissariat comporte trois sousdirections : administration générale, promotion et publicité et aménagement touristique. Le nouveau Premier ministre, Georges Pompidou, crée en 1962 un secrétariat d'État auprès du Premier Ministre, chargé hor s-sér ie - juillet 2012 du Tourisme. Ce rattachement durera jusqu'en 1968. Le secrétaire d'État est Pierre Dumas (1924-2004). Ancien résistant, maire de Chambéry de 1959 à 1977 et de 1983 à 1989, ce gaulliste est secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement, du tourisme et de la promotion sociale (1963-1967) et secrétaire d'État au tourisme (1967-1968). Son chef de cabinet est Bertrand Rébeillé-Borgella qui deviendra dix ans plus tard directeur du Tourisme. Le 18 juillet 1963, à l'Assemblée nationale, un député demande la création d'un secrétariat d'État au Tourisme, aux loisirs, à la Jeunesse et aux Sports. Cette demande est faîte dans le cadre d'un débat sur le développement du camping qui est en forte progression. L'année 1962 a recensé 80 millions de nuitées dans l'hôtellerie classique et 70 millions de nuitées en camping. De 1963 à 1970, le commissaire au tourisme est Jean Ravanel (1920). Docteur en droit, avocat, maître de requêtes au Conseil d'État, maire de Chamonix de 1947 à 195313 , il a été directeur de cabinet de Roger Dusseaulx, ministre des Travaux publics, des Transports et du Tourisme, en 1962. Pour anecdote, le Général de Gaulle décrète qu'il n'y avait qu'un seul Général, et Le titre de commissaire général au Tourisme perd son « général ». Les années 1960 correspondent à une montée en puissance du tourisme. Dates clés (années 1960) : 1960 : loi sur les parcs nationaux (loi du 22 juillet 1960). 1960 : création des Délégations régionales au tourisme (DRT). 1963 : 6 500 000 touristes étrangers en France. 1965 : classement des hôtels et restaurants (Loi du 13 novembre 1965). 1968 : Jeux Olympiques d'Hiver à Grenoble. 1969 : loi sur les 4 semaines de congés payés. En 1968, le Commissariat au tourisme est rattaché au ministère de l'Équipement et du Logement (décret du 25 juin). Le ministre, Albin Chalandon, délègue ses pouvoirs à Marcel Antonioz (1911-1976), qui est secrétaire d'État au Tourisme, du 20 juin 1969 au 5 juillet 1972. C'est un spécialiste des questions touristiques. Maire de Divonne, il est président du Syndicat départemental de l'hôtellerie, président du Syndical national de l'hôtellerie saisonnière et vice-président du Conseil supérieur du Tourisme. Il intervient à de nombreuses reprises à l'Assemblée, dans les débats concernant principalement les questions de tourisme thermal et d'hôtellerie. La vie de ce secrétariat d'État sera longue elle durera dix ans. 13 Ces années correspondent à la première montée en puissance du tourisme à Chamonix. Jean Ravanel incarne l'arrivée à la tête de municipalités de jeunes élus qui vont faire jouer la complémentarité de leurs fonctions locales et nationales. l « pour mémoire » 23 Le dernier commissaire général au Tourisme (1970-1974), Jean-Pierre Dannaud (1921-1995), rompt avec la génération des hommes issus de la Résistance. Cet agrégé de philosophie, conseiller d'État (1966), haut fonctionnaire au ministère de la Coopération et aux Affaires Étrangères, est directeur de la coopération culturelle et technique au secrétariat d'État aux Affaires étrangères (1964-1966) et directeur du cabinet du ministre de l'Intérieur de Christian Fouchet, d'avril 1967 à mai 1968. Il sera également maire de Gourdon (1971-1977). 1976, Jacques Médecin en 1976-1978) est rattaché au ministère de la Qualité de la vie d'André Jarrot. Le Commissariat général au tourisme est remplacé un 1975 par une direction de l'aménagement et des professions touristiques. Le directeur en est Bertrand Rébeillé-Borgella, sous préfet horsclasse. Ce diplômé de science-Po a été chef de cabinet de Pierre Dumas de 1962 à 1968. Puis le tourisme est rattaché au ministère de la Culture et de l'Environnement (1977) puis à celui de la Jeunesse, des Sports et des Loisirs (1978). Dans les faits, la structure de la direction a peu bougé depuis le début des années 1960 avec trois sous-directions en 1978 : administration générale et affaires financières, professions touristiques, tourisme social et équipements collectifs (voir annexe 1). Dates clés (années 1970) : 1975 : création du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres. 1976 : loi sur la protection de la Nature. 1976 : directive sur la qualité des eaux de baignade. 1976 : création de « Bison Futé ». 1976 : création de l'Association française d'action touristique. 1976 : création du GIE « Bienvenue France ». 1980 : 30 000 000 touristes étrangers en France. C'est réellement à partir des années 1980 que le tourisme est reconnu comme vraie industrie, à la balance commerciale excédentaire, en progression constante chaque année. Alain Monferrand 1980 à nos jours Prendre la suite de cette histoire, c'est parler des années 1980-2010 qui n'ont pas été des années ordinaires. Pendant cette période, le nombre de touristes étrangers en France est passé de 30 millions à plus de 80 millions en 2007. La France est devenue le premier pays pour le nombre de touristes étrangers accueillis. On a plusieurs fils conducteurs. Un des fils conducteur est de dire que l'intérêt qu'un gouvernement accorde au tourisme peut être exprimé par son ministère de rattachement. Au début, Jacques Médecin (Culture-Environnement) a une direction de l'aménagement des professions touristiques complétée par un service d'action touristique et des relations internationales, montrant ainsi l'intérêt d'aller plus fortement au contact des étrangers. A ses côtés une Association française d'action touristique qui donne à l'administration le moyen de s'exonérer des règles budgétaires pour agir sur plusieurs années sur les marchés étrangers sans être obligée d'être dans le carcan de l'annualité budgétaire. Quand je suis arrivé à la direction du Tourisme si je voulais retenir un espace de 1000 m2 au salon du tourisme de Londres, il fallait m'y prendre trois ans avant et verser un acompte pour bloquer les m2 et avoir la certitude d'un bon emplacement. La direction du Budget me disait : « C'est impossible on vous donnera l'argent dans trois ans ». Jamais nous n'aurions pu réussir dans ces conditions si éloignées des réalités des pratiques internationales. Comme c'était impos« pour mémoire » Une organisation structurée pour un tourisme mieux maîtrisé (1974-1980) Dans la seconde moitié des années 1970, les aménagements touristiques récents sont remis en question. On opte pour des formes différentes de développement, mieux intégrées dans le paysage, et qui doivent s'inscrire dans la durée. L'État adopte des directives pour l'aménagement et la protection du littoral et de la montagne. L'administration centrale s'adapte à ces changements de philosophie. De 1974 à 1980, Le tourisme est a rattaché aux ministères suivants : Qualité de la vie (1974-1976), Culture et Environnement (1977), Jeunesse, Sports et Loisirs (1978-1981), avec une direction générale à partir de 1975 qui remplace le commissariat général au tourisme. En 1974, un secrétaire d'État aux Sports et au Tourisme (Gérard Ducret en 1974- l hor s-sér ie -juillet 2012 24 sible, on transférait de l'argent sous forme de subvention de titre IV à une association pour opérer à notre place. C'était un peu bancal et sans doute de la gestion de fait. Progressivement l'outil de promotion a été conçu pour avoir cette souplesse, ce qui était le premier objectif. L'autre objectif était la mise en oeuvre d'un partenariat pour rassembler dans un objectif commun, de l'argent de l'État, des collectivités territoriales et des partenaires professionnels. En 1980, on était dans une conception du tourisme où ce qui comptait, c'était d'abord les vacances et les loisirs des Français, la jeunesse, les colonies de vacances, c'est-à-dire une conception avant tout sociale. On crée une Caisse nationale des vacances, puis une association « Bienvenue France » par la transformation de l'Association Française d'Actions Touristiques, béquille administrative permettant de financer avec souplesse la réservation de campagnes de publicité, d'espaces d'exposition dans les salons et les workshops, longtemps à l'avance. Cet embryon d'outil montrait qu'on commençait à s'intéresser à l'essor du tourisme étranger en France. C'est très important : je rappelle qu'il y a plus de nuitées étrangères dans l'hôtellerie classée qu'il n'y a de nuitées françaises au total. En 1981 avec l'arrivée au pouvoir de la gauche, on continue dans cette vision du tourisme prioritairement consacrée aux Français. Le secrétaire d'État, François Abadie, est rattaché au ministère du Temps libre. La direction du Tourisme comporte 3 sous-directions (professions touristiques, statistiques, investissehor s-sér ie - juillet 2012 ments) La statistique devient un élément clé en 1982. Dans les régions, il y a des comités régionaux et des délégués régionaux au tourisme, fortement interpénétrés, et à l'étranger, toujours les services officiels français du tourisme. Lors du tournant de la rigueur en 1983, la priorité devient le commerce extérieur et le tourisme qui rapportent des devises ! Mais la période est difficile, avec le contrôle des changes. Edith Cresson est ministre du Commerce extérieur et du Tourisme, avec Roland Cairaz comme secrétaire d'État. En sus de la direction du Tourisme, on crée une Agence nationale pour l'information touristique, établissement public à caractère administratif, et une Agence Nationale pour le Chèque Vacances, chargé de la dimension sociale, sous la forme d'un EPIC. En 1984, dans le gouvernement Fabius, le tourisme (Michel Crépeau) est raccroché au Commerce et à l'Artisanat. Revenait-on vers les professionnels deux ans avant les élections ? La direction du Tourisme comprend alors quatre sousdirections classiques (administration générale, professions et réglementation, promotion touristique, recherche et développement). Au moment de l'alternance de 1986, on énonce un nouveau concept : « le tourisme, c'est une industrie ». Pour la première fois, il y a un ministre de l'Industrie, des Postes et Télécommunications et du Tourisme confié à Alain Madelin, avec comme secrétaire d'État Jean-Jacques Descamps. On crée une direction des Industries touristiques, avec un départe- ment « Image de la France », travaillons notre image pour faire venir les étrangers, et en regroupant la sous-direction de la promotion touristique, l'Agence nationale d'information touristique et Bienvenue France, pour créer Maison de la France, un peu sur le modèle du « British Tourist Authority ». Il s'agit de mettre dans un seul organisme plus souple, tous les financements possibles venant de l'État, des professionnels et des régions. C'est à partir de là qu'on obtient des résultats. J'étais alors sous-directeur de la promotion. Avec l'argent dont disposait ma sous-direction, on pouvait se payer sur les divers marchés étrangers prioritaires une demi-page noir et blanc pendant 15 jours ou trois semaines. Pour les régions et les professionnels, c'était pareil. Évidemment on ne pouvait faire jeu égal devant les Galapagos ou l'Irlande dont les pleines pages couleurs remplissaient les magazines spécialisés et les hebdomadaires à longueur d'années. En mettant dans une structure l'ensemble des partenaires financiers, on a commencé à disposer des moyens d'avoir des vraies campagnes de promotion avec une concentration de moyens qui a naturellement produit ses effets. Pendant les années 1990-1993, les responsables politiques du tourisme ont pour la première fois accédé au rang plus important de ministres délégués auprès du ministre de l'Industrie (Olivier Stirn, Jean-Michel Baylet). Il y a toujours une direction des industries touristiques mais on crée à ses côtés une délégation aux investissements et aux produits dont Philippe Moisset fut le premier délégué. l « pour mémoire » 25 On sort l'ingénierie et la production touristique de la direction du tourisme. On dispose donc ainsi pour le tourisme en France d'un « moteur à trois temps » : pour le régalien : la direction des Industries touristiques, pour la promotion touristique à l'étranger : le GIE Maison de la France, pour les produits, les filières de production et l'ingénierie touristique : la délégation aux investissements et aux produits. En 1994-2005, le tourisme est à nouveau rattaché au ministère de l'Équipement, des Transports et du Tourisme (Bernard Bosson, Françoise de Panafieu et Bernard Pons). A partir de 1997, deux ministres restent en charge du tourisme pendant cinq ans chacun, ce qui a été un record de continuité et de durée : Michèle Demessine (1997-2002) dans le gouvernement de Lionel Jospin et Léon Bertrand (2002-2007) durant le second mandat de Jacques Chirac. A cette époque, il reste une direction du tourisme, avec la création, à partir de la délégation aux investissements et aux produits, de l'Agence française d'ingénierie touristique (l'AFIT), dont Antoine Veil, a été le premier président. Ce groupement d'intérêt public (G.I.P) était un nouvel organisme partenarial, à côté du GIE Maison de la France et de l'Agence nationale des chèques-vacances. En outre afin de faire accéder aux vacances les plus démunis, on crée une « Bourse SolidaritéVacances » en utilisant notamment les invendus des sociétés de tourisme. Un Observatoire national du tourisme (ONT), créé sous forme associative, complète le service des statistiques du ministère du Tourisme en faisant de l'observation partenariale sur le terrain. Léon Bertrand procède à une nouvelle grande modification en 2005 en recentrant la direction du Tourisme (administration générale, politique touristique) sur l'impulsion, la direction et la politique générale, avec un département de stratégie prospective, d'évaluation et de statistiques. A côté du GIE Maison de la France pour la promotion de la destination « France » à l'étranger, un nouveau GIP : ODIT-France ( Observation Développement Ingénierie Touristique) est créé en rassemblant l'Agence française d'ingénierie touristique, l'Observatoire national du tourisme et le service d'études et d'aménagement de la montagne. L'ultime transformation a eu lieu fin 2009 avec un rattachement du tourisme au ministère de l'Économie et des Finances, dans un secrétariat d'État en charge également du commerce et de l'artisanat, des PME, et des professions libérales (Hervé Novelli, puis Frédéric Lefebvre). Il n'y a plus de direction du Tourisme. La sous-direction du tourisme qui lui fait suite dans les tâches régaliennes dépend désormais de la direction générale de la Compétitivité, de l'Industrie et des Services (DGCIS) et est dirigée par Jacques Augustin, avec quatre bureaux (compétitivité, développement, destinations touristiques, professions du tourisme, clientèle touristique). A ses côtés un immense GIE « Atout-France » qui regroupe tous les GIE et GIP créés depuis 20 ans. Voilà donc une évolution structurelle qui a révélé tour à tour, des préoccupations axées d'abord sur le social, les loisirs et le temps libre au cours des années 1980, puis sur le gisement de devises généré par les touristes étrangers, en externalisant les fonctions non régaliennes et en créant des outils plus partenariaux. Il s'agit de mobiliser tous les financements possibles pour améliorer la promotion à l'étranger (Maison de la France) et de renouveler l'offre touristique française, avec l'AFIT puis ODIT-France. Désormais un grand GIE « Atout France » est en charge de toutes les fonctions non régaliennes du tourisme français. Échanges avec la salle Antoine Veil Je remercie Alain Monferrand pour ses investigations archéologiques. C'est tout à fait intéressant parce que c'est une charge formidable contre les politiques. Il faut vraiment que la France ait une richesse touristique et une capacité d'accueil extraordinaire pour avoir résisté à ces changements. Il a fallu que « pour mémoire » Antoine Veil ©MEDDE l hor s-sér ie -juillet 2012 26 les quelques fonctionnaires d'autorité qui ont réfléchi et agi avec constance, comme Alain Monferrand ou Philippe Moisset, aux problèmes du tourisme au-delà des échéances immédiates pour que notre tourisme ait résisté à ce vertigineux parcours que les politiques lui ont fait subir. Ils l'ont fait, parce que le tourisme, dans la constitution des gouvernements, a toujours été une variable d'ajustement marginale. On met là quelqu'un qu'on ne sait pas où mettre ailleurs. On triture constamment les structures, ce qui est tout à fait mauvais. On s'aperçoit qu'on ne réalise pas un certain nombre de choses qui seraient essentielles pour la consolidation de notre situation touristique qui est considérable dans le monde mais qui souffre de quelques lacunes. Je cite un exemple : je pense que l'aéroport Charles de Gaulle est probablement en Europe de l'Ouest le seul grand aéroport, on appelle cela un « hub », qui n'ait pas de liaisons dédiées avec le centre de la capitale. À Londres, il y a Heathrow express, à Francfort, il y a autre chose, à Zurich également. Paris est la seule capitale en Europe qui n'ait pas de liaisons consacrées avec le centre de l'aéroport. Personne n'est intéressé, alors même qu'il y a eu des projets réalisables, sans faire appel aux finances publiques qui sont dans l'état que nous savons. Le tourisme, c'est du transport, de l'accueil, de l'animation. Est-ce que ça légitime une administration centrale ? Probablement, à condition qu'elle soit très légère, c'est tout au moins le senhor s-sér ie - juillet 2012 timent qui est le mien. Mais l'essentiel doit être fait au niveau des régions. Voilà ce que je pense. Il y a une dizaine d'années, un secrétaire d'État sporadique ­ il s'appelait, je crois, Jacques Brune m'avait demandé une recommandation que je lui ai faite très volontiers. Il faut faire clair et sous le signe d'un minimum de continuité. On se rend compte, en ayant attentivement écouté Alain Monferrand, que ces impératifs n'ont pas été observés. donnée aux grandes infrastructures et aux équipements de caractère souvent très industriel, d'où le développement des opérations dont on parlera cet après-midi (plan neige, LanguedocRoussillon, Aquitaine...). Cela justifiait très certainement un rattachement aux grands ministères chargés, sous des formes diverses, de l'aménagement du territoire. Puis, il y a eu une attention plus forte, portée à la qualité de la vie. Dans la période giscardienne disons, on a vu un mouvement de retour par rapport à ces grandes opérations et à leurs excès dans certains cas (urbanisme, aménagement, paysage...). Au-delà de la qualité de la vie au sens large, une attention particulière a été ensuite portée à la dimension sociale des loisirs. Le rapport commandé par Giscard à Jacques Blanc en 1977 a ouvert ou conforté la démarche de prise en compte des thématiques des loisirs qui furent portées à un point plus avancé avec le ministère du Temps libre. Enfin, cela a été bien montré, la priorité a été donnée à une démarche tournée vers l'économie, marquée in fine par le rattachement du tourisme au ministère de l'Économie. La LOLF a inscrit durablement ce rattachement budgétaire de la mission tourisme. Ces infléchissements politiques expliquent ces rattachements multiples et ces changements de structure depuis 45 à 50 ans. Il est vrai qu'il a fallu certainement beaucoup de continuité, malgré tout, dans les structures et les relations avec les grands partenaires parce qu'au fond l'administration du tourisme n'est qu'au Jean-Luc Michaux Je voudrais saluer, à la suite du propos sans concession d'Antoine Veil que je reconnais bien là, l'initiative bien venue du Conseil général de l'environnement et du développement durable, avec Christian Leyrit et Alain Monferrand. La présentation historique qui a été faite démontre amplement à quel point ce que vient de souligner Antoine Veil est fondamental. Les modifications incessantes de politique et de structures en matière de tourisme montrent une incapacité très forte de notre pays à capitaliser sur les acquis des progrès accomplis. Ceci tient évidemment, dans ma lecture des faits, au caractère transversal du tourisme qui implique l'interministérialité et qui crée une possibilité d'autant plus forte de rattachements successifs à une administration ou à une autre en fonction des priorités politiques générales du moment, des circonstances personnelles ou de mode et de mouvements de fond. Pendant de longues périodes jusqu'aux Trente Glorieuses, il s'agissait de la reconstruction du pays avec une priorité l « pour mémoire » 27 service d'un développement qui n'est pas dans sa main pour l'essentiel. Elle dépend de l'action des grands ministères, des collectivités décentralisées et du monde des entreprises et de l'ensemble de leurs organisations professionnelles. Ce rôle d'accompagnement de l'administration n'est pas secondaire. Mais ces mutations expliquent beaucoup trois grands points faibles générateurs d'un manque de lisibilité économique du secteur à cause des problèmes d'insuffisance ou de fragilité des statistiques et des données de base de la connaissance, de déficit de reconnaissance institutionnelle et juridique et d'insuffisante reconnaissance scientifique de ce domaine. On y manque de recherches capables d'impliquer des développements et de professionnalisme. Ce qui a conduit les responsables successifs du tourisme à prendre des initiatives, qu'il ne faudrait pas passer sous silence, pour essayer de contrecarrer ces faiblesses. Je vais en citer trois, à titre d'exemple. En matière d'aménagement et de développement territorial, à l'initiative de la DATAR plus encore que du secrétariat d'État au Tourisme, il y a eu l'engagement d'un premier schéma directeur du tourisme français en 19691971, dans le cadre du schéma général d'aménagement de la France. Certains ici présents y ont participé. Il s'agissait de donner une perspective stratégique de long terme qui manquait à l'ensemble du développement touristique français, en y associant l'ensemble des initiatives déjà engagées au plan territorial comme le plan neige. Cette démarche a conduit à des initiatives, y compris à travers la DATAR ou le Conservatoire du littoral. Beaucoup de réalisations sont sorties de cette démarche prospective de nature stratégique. L'identification économique du secteur a progressé avec le lancement de la commission des comptes du tourisme (1975) et un premier chiffrage en France des comptes du tourisme (1980). La méthodologie a été constamment améliorée et l'est encore cette année. Elle a été transcrite grâce à l'intervention de l'Organisation mondiale du tourisme pour une soixantaine de pays. Ce sont des éléments d'appréciation du poids économique du tourisme. Le troisième exemple concerne la reconnaissance juridique du secteur du tourisme. Les lois de décentralisation de 1981-1982, signe fort, avaient totalement omis de prendre en compte le tourisme. Il a été réintroduit dans la loi en 1987 (les comités régionaux du tourisme) et en 1992 (la définition du rôle de l'État) et cette reconnaissance est passée enfin par la codification du tourisme qui manquait dans la bibliothèque des codes officiels de notre pays (1999-2006). Cette triple tentative de reconnaissance a pu constituer un essai de ligne directrice ou de soutien au secteur. Mais nous voyons à quel point elle a été insuffisante puisque ces signes n'ont pas été, à mon avis, totalement décisifs, c'est le moins que l'on puisse dire. Je rejoins le propos assez pessimiste d'Antoine Veil, pour dire que la vitalité des acteurs l'emporte sans doute sur la volonté des politiques. Collogue du 12 mai 2011 ©MEDDE « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 28 éclairages et témoignages Mobilités et tourisme : dynamique d'un couple nécessaire et fécond Mathieu Flonneau Historien, maître de conférences à l'Université de Paris I Panthéon-Sorbonne, P2M « Le libéralisme (du low cost aérien) redessinait la géographie du monde en fonction des attentes de la clientèle... A la surface plane, isométrique de la carte du monde se substituait une topographie anormale ». Michel Houellebecq, La carte et le territoire, Flammarion 2010. hor s-sér ie - juillet 2012 l « pour mémoire » ©MEDDE 29 Ce texte, centré sur la question du tourisme, cherche à hybrider les recherches universitaires récentes en matière d'histoire de la mobilité1 . Ce champ, plutôt neuf, vise à « démodaliser » la recherche sur les transports, en s'intéressant par exemple à ce que le tourisme peut recouvrir comme horizons problématiques, et avec des éléments sur la massification qui ont déjà été décrits ou suggérés par d'autres orateurs. Ces éléments sont nationaux mais également internationaux puisque le tourisme - ou plutôt les tourismes - relève d'une industrie dont la mondialisation, actuellement partielle, laisse entrevoir encore de grandes potentialités de développement. Dans cette approche, il s'agit d'offrir un regard décalé par rapport à une généalogie administrative et de voir comment la société, les moeurs et les usages ont été profondément transformés par cette massification du tourisme. Assurément, une certaine forme de tourisme est morte mais cette mort a des persistances rétiniennes encore très suggestives. Je vais proposer un cadavre exquis de ce tourisme qui vit encore bien, -heureusement ! -, et chercher à voir ce que Marc Boyer a appelé « le piment disparu » des premiers touristes au travers de cette évolution mondiale biséculaire. Pour ce faire, il convient de remonter dans la langue française au début du XIXe siècle. Je serai appuyé, étayé en quelque sorte dans mon propos par les recherches pionnières de Marc Boyer, Catherine Bertho-Lavenir, Laurent Tissot, André Rauch, Jean Viard, Jean-Didier Urbain, Franck Michel, Yves Michaud ou encore Rachid Amirou. Ces auteurs ont chacun à leur manière inconsciemment ­ ou consciemment d'ailleurs - alimenté la perspective finale qui est la mienne, à savoir l'annexion par le champ des transports et de la mobilité du champ du tourisme. Sans plus tarder, posons LA question : le tourisme ne serait-il pas qu'un rejeton de la logique de mise en mouvement et de mise en mobilité globale de la planète ? Je crois qu'une réponse seulement technique est partielle et lacunaire. Les transports ne suffisent pas à expliquer le développement du tourisme, cela a été dit et sera redit par d'autres, mais ils sont des vecteurs nécessaires de cette mondialisation du tourisme. Du reste, les institutions internationales du tourisme, créées à l'ONU, ensuite comme l'OMT, à Madrid en 1976, ont bien pointé, dès leurs premières études dans les années 1950, cette liaison nécessaire et indispensable. Dans cette superposition des problématiques, je propose de passer d'une histoire des transports à une histoire des mobilités et j'avancerai des références liées à une étude de cas personnel, celle de l'automobilisme. Selon la technique du cadavre exquis, je propose de raisonner la mort d'un certain tourisme et vous serez naturellement invités à suggérer d'autres réponses possibles à chacune des lettres du mot M.O.B.I.L.I.T.E.S. Je suggère de voir cela depuis ce qu'André Siegfried avait appelé dès 1955, parmi les Aspects du XXe siècle qu'il retenait, pour « l'âge du tourisme » dans son chapitre 5 « le tourisme était fils de la vitesse et de la démocratie ». Ces deux éléments, vitesse et démocratie, sont aussi omniprésents dans une approche basique des problématiques de mobilité. De surcroît, André Siegfried dans son ouvrage de synthèse avait d'autres angles d'approche qui tendaient à voir le XXe siècle comme le fils de l'âge administratif, de l'âge du secrétariat et de l'âge de la publicité. Remarquons-le, tous les chapitres de son livre sont rigoureusement applicables au monde du tourisme ! Pour le M, je vais aller assez vite en usant d'une rafale de mots clés pour qu'il n'en manque pas au moment des questions. Le tourisme est devenu à la mode (les Anglais ont beaucoup apporté de ce point de vue à la planète) et toute réflexion sur le tourisme impose la multimodalité que les opérateurs ont bien intégrée dans leur industrie et leur économie. Le M est aussi celui de la motilité qui vise à croiser le capital et la mobilité. La motilité d'un touriste français n'est pas celle d'un touriste chinois ou asiatique même si ces contrées s'ouvrent et s'éveillent au tourisme de nos jours. Cela suggère qu'il y a une multiplicité des mondes du tourisme et une multiplicité des mondes tout court. Tout le monde n'a pas encore accès au tourisme pour des raisons de développement économique, naturellement. Il y a aussi des modèles de touristes. J'emprunte à Marc Boyer des éléments fondamentaux sur le modèle de Fogg, 1 Le texte de la communication orale du 12 mai 2011 n'a été ici que simplement relu. Des travaux ultérieurs apporteront sur ce sujet images et références abondamment évoquées. « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 30 le modèle de Crusoé, le modèle de Thomas Cook and Son. Il y a également la dimension importante dans ce M, que je voudrais que vous reteniez et ayez en tête jusqu'à la conclusion, c'est celle d'une morale du tourisme qui se retrouve peut-être aussi dans la mauvaise conscience contemporaine du tourisme dit « durable ». Il y a des métamorphoses : vis-à-vis des modes de déplacement, le tourisme n'a cessé d'évoluer. Certains modes ont été déclassés, voire reclassés par la suite, selon justement les modes, au sens de fashion chez les Britanniques. Il y a enfin des miracles comme l'automobile ­ le mot est de Lucien Massenat-Deroche dans L'automobile aux États-Unis et en Angleterre (thèse de Droit, Paris, Sirey, 1910) : « L'auto comme (bon) génie du tourisme »). Pour le O, je citerai des objets, les vecteurs, mais ils ne sont pas premiers, je crois, dans la construction du tourisme. A l'origine, il y a aussi l'apparition des opérateurs. Le B comporte l'injonction contemporaine qui est un des défis fondamentaux de cette industrie à l'avenir, celle du bilan. La mauvaise conscience des touristes est liée à certains égards au rapport entre le bilan carbone et le bilan individuel. Il y a aussi un bilan des métamorphoses que je qualifie de qualitatives et de quantitatives et qui portent justement sur les modes de transport. Le I, c'est celui des itinérances, des itinéraires. Il est intéressant de voir que le lien entre transport et tourisme hor s-sér ie - juillet 2012 concerne des routes pionnières, aventurières et aventureuses au départ qui, finalement, deviennent des petites routines et peuvent devenir des « autoroutes » trop fréquentées. C'est aussi le I des inégalités et des initiations. Les gens ne sont pas égaux devant le tourisme. C'est enfin le I des individus, car il y a là une tension fondamentale entre la masse et les individus. Le I des inventions et des innovations vient des Anglais pour le tourisme luxueux et le tourisme de masse. On voit ici les concomitances entre une civilisation industrielle qui s'invente et une civilisation du tourisme qui se construit parallèlement, avec comme épicentre au départ les îles britanniques. Il y a enfin les imaginaires ainsi que les institutions, que je laisse à des personnes plus compétentes, des industries, des investissements qui sont lourds, des notions liées aux immobilités et aux infrastructures. Le tourisme a beau être fondé sur des déplacements, il est architecturé par des infrastructures (au sens marxiste du terme) et des idéologies où on recroise les questions de morale déjà évoquées. Le T, c'est celui des tensions, des territoires, des temps. Le rapport au temps était fondamental dans la société industrielle du XIXe siècle lorsque le temps de vie dédiée au travail représentait 90% d'une existence humaine, ce qui a peu à voir avec les 7 à 8% (selon Jean Viard) consacrés aujourd'hui au temps de travail et qui laissent du temps pour d'autres types d'activités et de déplacements. Alors les taxes sont un point commun entre tourisme et transports. Les vulnérabilités liées aux terrorismes constituent le motif de la grande crise touristique qui a suivi les attentats aériens de 2001. Il y a des points communs évidents entre tourisme et transports, tourisme et économie, avec les exclusions dont on parle peu alors que 70% des Français ne prendront pas l'avion cette année... E à nouveau... il y a des questions importantes d'écologie qui rencontrent celles d'énergie. Il y a aussi des échelles et des questions d'expertise. Enfin, le S final, ce sont les quatre S suggérés tout à l'heure : Sea, Sex, Sun et Sand. C'est une approche systémique et une approche sociale. J'en ai terminé avec ce long préalable méthodologique et je propose de revenir aux débuts. En 1838, avec les Mémoires d'un touriste, Stendhal fait entrer le mot dans le français courant. Dès 1828, lorsqu'il visitait l'Italie, la meilleure façon de se rendre à Rome lui imposait de prendre de multiples moyens de transport et il parle du vélocifère, de la sediola, de la diligence, des voiturins, des veturini... On voit bien que l'on était là dans un tourisme qui concernait quelques milliers de personnes au lieu de 70 millions en 1960, 567 millions en 1995, 935 millions de personnes et presque un milliard en 2010 ! Les prévisions de l'OMT voient en 2020 le milliard être largement dépassé. D'évidence, ni le touriste Stendhal, ni le touriste Proust l « pour mémoire » 31 n'étaient naturellement comparables aux touristes contemporains. Le dynamisme originel a dû beaucoup à la famille Cook, avec Thomas, James et Mason Cook qui, en 1841, ont inventé le premier voyage de groupe, créant le premier « tour operator ». Cook était baptiste d'où une entreprise fondamentalement liée à la morale, et prônait un apostolat de la tempérance. Par la même occasion, il a inventé un tourisme éducatif visant à favoriser une amélioration de la personne humaine. La rencontre de l'autre était déjà présente chez Cook mais aussi le pendant de la massification de ce tourisme. Thomas Cook produisit en 1841 le premier voyage assuré par la Midland Railway entre Leicester et Lawsborough. Il proposa alors un voyage à un schilling pour 570 passagers avec un orchestre, une distraction qui visait à exalter les populations, aucune boisson alcoolisée bien évidemment et neuf voitures ouvertes. Il y avait là toute une logistique du tourisme qui est fondamentale au regard de la logique de massification ultérieure du tourisme. Il faisait emprunter le train mais était aussi un affréteur de croisières : malheureusement pour les passagers du Titanic, c'est lui qui avait organisé une bonne partie du voyage de la Cunard sur la traversée fatidique transatlantique d'avril 1912... « Thomas Cook » est depuis devenu un label et une agence bien connue, aujourd'hui détenue par des capitaux allemands (Thomas Cook.fr ou .com). On peut ajouter l'importation en France du modèle des stations balnéaires comme Arcachon, Dinard ou Deauville. Il y aurait une exégèse spécifique à faire de ces affiches de Broders aux couleurs tantôt acidulées, tantôt chatoyantes, qui présentent les infrastructures qui ont aidé au développement organisé du tourisme, et particulièrement le chemin de fer. Une date fondamentale est l'année 1875, lorsque le bureau du tourisme et le bureau des excursions furent créés à Gérardmer dans les Vosges. Une autre date très importante est l'année 1905 quand le premier code de la route informel fut proposé par le Touring-Club vosgien. C'était une anticipation de la création de l'administration créée en 1910 que nous honorons aujourd'hui. Ce qui frappe pour ces débuts, c'est que toutes ces images sont sociales, elles montrent l'avènement du temps libre, expression qu'Alain Corbin a popularisée et explorée scientifiquement, l'avènement des loisirs, l'invention de territoires vus différemment comme pour les bords de mer ou la montagne. On y voit aussi le tourisme qui conduit en chemin de fer jusqu'à la haute montagne, avec les compagnies du PLM. A la montagne, on a inventé encore des moyens de transport qui ne sont plus résiduels comme les téléphériques et les excursions automobiles. Là, nous sommes véritablement dans une logique de bons voyages. D'autres images de cette Belle Époque pionnière, expriment un art de voyager intense et une culture associant l'élément féminin, « éternel » et érotique, aux nécessités du déplacement. Ceci rappelle que le tourisme est fondamentalement lié aussi à ces séductions de « pour mémoire » l'existence, vues à sa manière par Michel Houellebecq dansPlateforme 2001. L'internationalisation est présente dès les débuts avec des chemins de fer européens, des chemins de fer internationaux et un personnage qui a tenté une carrière africaine dans des auto-circuits africains, Bibendum. Je rappelle aussi la pétition sur le numérotage des routes en 1912, le développement en 1900 du guide rouge du chauffeur qui est devenu un guide touristique, le balisage des routes, le mappage de la planète et, en bout de chaîne, le GPS. Dans cette taylorisation du territoire, fondamentale, on retrouve la concomitance entre les deux problématiques de la mobilité et du tourisme. C'est la « touristification » de la planète ­ néologisme que vous me pardonnerez ­ qui est à l'exacte mesure du développement des capacités de Source : B. Villemot l hor s-sér ie -juillet 2012 32 projection, de maîtrise et d'emprise des moyens de locomotion maritimes, terrestres, fluviaux, et peut-être célestes qui ont été également évoqués. Enfin, plus précisément, les miracles de l'automobilisme, les voici. Catherine Bertho-Lavenir y accorde beaucoup d'importance et j'en suis aussi un grand « défenseur ». On trouve à ce chapitre le balisage essentiel des routes par automobile, et l'individualisation du paysage. Le premier congrès de tourisme sur route date de 1905 et s'est tenu à Paris. De nombreuses images illustrent le développement d'une forme d'autocamping, avec l'horizon américain qui est le motel, mais le tourisme aristocratique (comme celui du marquis périgourdin de Fayolle en 1906 au Mans pendant le premier Grand Prix de l'histoire ou ceux de Goodwood avec coupe de champagne au cul de la Bentley outre-Manche) n'a que peu à voir avec le camping de Frank Dubosc, vous me pardonnerez cette comparaison triviale... On réfléchissait au début de l'auto-camping comme à un sport, et à un moyen de généraliser de l'automobile. Dans la première page d'un ouvrage paru en 1924, on évoquait l'objectif de familiariser les Français à cette pratique. L'automobile allait être « notre amie » (pour reprendre le titre de l'ouvrage de Jacques Loste paru en 1939) et pénétrer les sphères intimes du divertissement. On envisageait sa généralisation qui a eu lieu avec la démocratisation, l'urbanisation, la dilution du marqueur social. Ce n'est pas faire injure au ministère ou aux associations de reprendre une citation de Marc Boyer : « l'automobile de masse a fait plus que toutes les institutions et toutes les associations pour le développement du tourisme ». Un clin d'oeil vers le grand tourisme automobile passe par l'exposition des autos d'exception de Ralph Lauren qui sont présentées en ce moment au Musée des Arts décoratifs : la perspective de conduire une Ferrari, une Bugatti, une Porsche ou un roadster anglais, sur une route déserte et sinueuse, participe des agréments de la vie, vous le reconnaîtrez ! Des sensations identiques peuvent au demeurant être ressenties au volant d'autos plus modestes et Julien Gracq ne disait pas autre chose en 1974 (Lettrines II) : « Le vide soudain des petites routes, dès qu'on a déboîté des chaussées à grande circulation, me surprend toujours et m'enchante : rien de plus aisé, on dirait, au moins pour quelques années encore, que de donner le change au troupeau. Le Massif central est vide partout où j'ai le désir de le voir ». A l'opposé de ce tourisme motorisé relativement élitiste, quoiqu'accessible ­ c'est là son paradoxe fécond -, les premières manifestations de la congestion routière ont imposé en France en 1976 la création de « Bison futé ». Vous en hor s-sér ie - juillet 2012 l « pour mémoire » 33 connaissez les avantages et les inconvénients, les exigences quant aux respects des périodes et de la maîtrise du temps, couplées à l'ambivalence du développement autoroutier. Au regard de cette massification, j'ai mis en tout petit cette photo d'une femme nue qui exprime la perspective du film des Bronzés, d'un tourisme de colonies de vacances, plus familial, du tourisme du Club Méditerranée, dont l'esprit des débuts avait à voir avec la philosophie morale de Thomas Cook. D'autres données sont liées à ces inflexions touristiques massifiantes depuis le début des années 1970. L'invention du long courrier aérien avec le Jumbo Jet (le Boeing 747 en 1969 et sa mise en service sur des lignes régulières à partir de 1970) a changé la face de certaines destinations touristiques. On est entré dans une logique qui, depuis la fondation de Ryan Air en 1995 et celle d'Easy Jet.com, comme l'indiquent les publicités inscrites sur les avions eux-mêmes, témoigne de cette mise en résonance de tous les moyens de mobilités, y compris des mobilités les plus désincarnées que peuvent être celles de l'information. Avec le fait que les opérateurs traditionnels, comme les chemins de fer, courent après ce système de marketing nouveau avec la flexibilité du « yield management ». Cela dit, ce modèle a connu sa crise, la crise de la société de consommation occidentale dans les années 1970. Il y a eu des héritiers de Sur la route de Kerouac, une volonté de réfléchir à un autre type de tourisme comme la recherche, dans le Routard qui apparaît alors, d'un nouveau rapport plus moral, j'ose le mot, entre l'environnement et « pour mémoire » le tourisme. A l'exemple des pèlerinages, les grandes randonnées se sont généralisées comme le montre cette coquille Saint-Jacques sur le chemin de « GR 65 ». Ceci a été une tendance autrefois nouvelle du tourisme, dorénavant très datée. Mais ce tourisme éthique est-il véritablement durable ? L'époque témoigne d'une indiscutable attente de patrimonialisation, comme dans les réflexions autour de la Nationale 7, des allées plantées d'arbres, dans la continuité de ce qui se fait aux États-Unis autour de la route 66, avec des exemples étonnants de sacralisation d'un certain type de patrimoine immatériel ­ comme pour la mode assez bobo des rétro-campings ou des embouteillages artificiels sur la Nationale 7. Il subsiste donc jusque dans la subversion apparente de multiples ressources au développement touristique. Pour conclure, je ferai appel au L du cadavre exquis que j'ai jusqu'ici volontairement oublié : les libertés et les libérations que l'époque de la logistique low-cost remet en question. Y a-t-il véritablement une durabilité de ce tourisme, l hor s-sér ie -juillet 2012 34 à partir du moment où la logique du moindre-coût dépasse très largement le simple fait d'avoir un billet pas cher, avec les conditions sociales qui se trouvent derrière ? Eh bien, cette logique a probablement des limites, y compris des limites morales, j'y insiste pour stimuler la réflexion. Mais qui peut en juger ?... Peut-être le tourisme du XIXè siècle était-il à la fois «plus difficile et plus facile qu'aujourd'hui.Lestrajetsétaient plus lents, il n'y avait pas d'itinéraires fulgurants... Onn'avaitpasàretenirsa place ni à se préoccuper de visas sur les passed'autorisations ports, de change ou de vaccinations » notait André Siegfried. Évidemment cette tendance à l'hyper-encadrement et à la planification n'a fait que s'accroître jusqu'à aujourd'hui, avec les formalités particulièrement visibles et pesantes dans les aéroports de nos jours. Enfin, le même auteur remarquait qu'«il n'y avait plus de vie de repos et de loisirs au sens de l'«otium » nobiliaire, mais qu'il y avait désormais des vies pleines de distractions fatigantes » ! C'est un trait significatif des moeurs modernes relevait-il : « On est venu chercher moins la fameuse relaxation que la diversion, par rapport au train deviequotidiend'uneviedetravail,et à proprement parler l'évasion. On se reposera au retour dans le calme du bureauretrouvé!». Je vous laisse avec hor s-sér ie - juillet 2012 cette méditation sur cette civilisation du voyage qui, un temps a peut-être existé, mais dont la pratique réelle n'a jamais dépassé quelques cercles privilégiés très restreints. Échanges avec la salle Participant Vous avez sans doute oublié une chose extrêmement importante pour le E que sont les événements. Il ne suffit pas d'expliquer le tourisme par les transports mais l'évolution des grands événements a concouru à un développement fantastique du tourisme. De plus, il ne faut pas oublier que si on a beaucoup pensé au « tout voiture », en euros constants, le coût de la voiture a diminué alors qu'il en et pas de même pour le coût de la SNCF. L'aspect économique est extrêmement important. Henri Jaffeux En cette période où l'on se pose des questions sur l'avenir, il est de bon goût de faire de la prospective, et notamment à l'horizon de 2050. Avez-vous une idée de la suite ? En 2050, y aura-t-il encore un tourisme de masse mondialisé ? Mathieu Flonneau Je suis historien, cela ne vous aura pas échappé... -et par ce fait, loin de moi la volonté de nier les événements !-. Cela dit, la mondialisation en cours du tourisme vise très naturellement à faire entrer dans le jeu des tourismes internationaux les aires en émergence et en développement. C'est une réponse que les statistiques économiques peuvent donner. Il y a une dimension de l « pour mémoire » 35 prospérité individuelle qui permet aux sociétés qui étaient jusqu'ici décalées de rattraper les écarts de revenus et de faire du tourisme. Ce que l'OMT, dans ses statistiques met en évidence, c'est l'avènement du tourisme pour des aires géographiques et surtout humaines qui concernent à peu près trois milliards d'hommes. On a là véritablement et mathématiquement des perspectives de croissance considérables. qu'il fallait un peu gratter la chose parce qu'on n'y avait pas assez pensé. Par rapport à l'OMT, je pense que, de toute façon, les territoires des loisirs et du tourisme sont, comme pour toutes les mobilités, des territoires de la proximité avant tout. Les Chinois iront d'abord en Chine et aux alentours et non en Europe. Je pense qu'en 2050 on n'en sera pas encore là. Françoise Bourcy Au sein du Conseil de l'Europe, il y a eu un travail sur les perspectives des transports à l'horizon 2050, avec tout un volet sur le tourisme. On en a conclu Mathieu Flonneau C'est toutefois contredit, du fait de la capacité croissante de projection de pays asiatiques, par les queues qui sont au moment où je vous parle devant le Louvre ! Source : R. Doisneau « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 36 éclairages et témoignages Le rôle déterminant des associations dans la création de la première administration du tourisme en 1910 L'action du Touring-Club de France Jean Orselli, Ingénieur général des Ponts et Chaussées, Docteur en Histoire. La loi du 8 avril 1910 instituant l'Office national du tourisme se présente comme l'origine de l'administration du tourisme. Pourtant, l'organisation du tourisme avait commencé une trentaine d'années auparavant avec la création d'associations qui vont oeuvrer ensemble pour arriver à une reconnaissance officielle du tourisme. hor s-sér ie - juillet 2012 l « pour mémoire » ©MEDDE 37 C'est cette histoire dont on esquissera les grandes lignes ici1 . Une grande partie du présent article est due à Bertrand Larique qui a travaillé sur l'histoire des associations proprement « touristiques »2 . Son titre « L'Économie dutourismeenFrance » est fondamental en ce qu'il situe fermement l'histoire des débuts du tourisme en France dans le domaine économique. En effet, ce qui se passe de 1885 à 1914 est totalement lié à ce type de préoccupations. C'est la grande association nationale du Touring-Club de France qui va être au centre des synergies associatives qui vont se créer peu à peu. Le ministère des Travaux publics va, pour sa part, être à l'origine de l'organisation nationale qui apparaît en 1910, face à un émiettement administratif entre plusieurs ministères et entre les multiples collectivités locales d'une France très décentralisée à l'époque. signé d'Alphonse Daudet, qui traite, sur un mode humoristique, du tourisme en Suisse, qui en est la Mecque à l'époque. En fait, le livre n'est pas d'Alphonse Daudet, mais d'un de ses nègres, le journaliste Hugues Le Roux 3 qui va faire une belle carrière liée en grande partie au tourisme. Il sera le secrétaire général des États Généraux du Tourisme en 1913, et un de ses principaux organisateurs. Il deviendra sénateur après la guerre et fondera le Groupe Sénatorial du Tourisme en 1920. C'est donc vers cette date que la France commence à prendre conscience de l'importance économique du tourisme dans d'autres pays européens, la Suisse en l'occurrence. Le second auteur est un poète, Robert de Souza4 . En 1904, il est secrétaire général de l'Association pour la protection des paysages. Il prend alors part à une controverse sur ce que doivent être les Fédérations régionales de syndicats d'initiative qu'il définit ainsi : «aulieude seborneràétablirdesitinérairesàbon compte, la région de leur groupement devra présenter une figure géographique et ethnographique aussi homogènequepossible », c'est-à-dire proche des « anciennes provinces françaises ». En 1913, de Souza publiera Nicecapitale d'hiver5 , traité d'urbanisme appliqué absolument remarquable, où il analyse les fonctions du tourisme niçois, plaide pour de nouveaux types d'hôtels, la protection des sites, l'allongement de la trop courte saison touristique d'hiver et dénonce l'incurie de la municipalité niçoise. On est donc passé de la découverte de l'industrie du tourisme à l'étranger dans les années 1880 à la critique de celle qui s'est développée en France. L'émiettement des responsabilités est rompue La France encore très rurale de la fin du XIXe siècle et de la Belle Époque est très décentralisée et son administration centrale peu développée. L'administration d'alors est très différente de celle d'aujourd'hui. Les départements règnent sur les routes dont 5 % seulement sont des routes nationales. Ils règnent aussi sur les voies ferrées d'intérêt local qui permettent d'accéder aux stations de tourisme. L'administration d'État du tourisme est très éparpillée, entre quatre ministères, ceux de l'Intérieur, des Travaux publics, de la Prévoyance sociale et des Finances. La France découvre l'industrie du tourisme La société de l'époque se présente très différemment de la nôtre. On y trouve de nombreux intellectuels journalistes ou rentiers qui vont participer, autant que les acteurs économiques traditionnels, au développement du tourisme en France. On peut l'illustrer par deux oeuvres littéraires dont les auteurs vont jouer un rôle important dans les associations touristiques. En 1885, paraît Tartarin sur les Alpes, Les travaux de Jean Orselli ont porté sur l'histoire de la circulation, de ses accidents et des associations d'usagers de la route. Il a tiré de sa thèse un livre publié en 2012 chez L'Harmattan : Usages et usagers de la route, Requiem pour un million de morts : 1860-2010. 2 L'Économie du tourisme en France des années 1890 à la veille de la Seconde guerre mondiale. Organisation et développement d'un secteur socio-économique, thèse d'histoire de l'université de Bordeaux III, sous la direction de M. le Professeur Christophe Bouneau, 2006. 3 Hugues Le Roux (1860-1925) écrit depuis 1882 au Temps, au Figaro, au Journal, au Matin. Premier roman en 1885. Écrivain globe-trotter, essayiste, conférencier, auteur de théâtre, ses oeuvres sont très nombreuses (et totalement oubliées). Il finira sénateur de Seine-et-Oise de 1920 à 1925. « Homme de lettres, conférencier distingué épris d'aventures et voyageur infatigable qui exaltera de par le monde les vertus de notre pays » dit sa notice dans Le dictionnaire des parlementaires français de Jean Jolly, PUF, 1960. 4 Robert de Souza (1864-1946), poète symboliste, collabore comme journaliste à de nombreuses revues littéraires. 5 Robert de Souza, Nice, capitale d'hiver, BergerLevrault, 1913, réédition par les éditions Serre, 2001. « pour mémoire » 1 l hor s-sér ie -juillet 2012 38 Le ministère de l'Intérieur coiffe sur les collectivités locales. Il est l'organe principal du contrôle du tourisme. Il assure la police des stations. Il délègue des commissaires spéciaux pour surveiller le déroulement des saisons touristiques. Il contrôle la circulation des touristes étrangers, et les protège ou les surveille éventuellement via sa direction de la Sûreté générale. Il délivre les autorisations d'exploitation des jeux, en assure leur surveillance et la perception des taxes. Enfin, il est censé contrôler la protection du patrimoine touristique et l'affichage public, ce qu'il fait d'une façon fort peu efficace. Le ministère des Travaux publics est censé s'occuper des transports et des d'accès aux stations. Mais il est totalement bridé par la décentralisation des réseaux routiers et des voies ferrées d'intérêt local au niveau des départements. Le ministère en charge de la Prévoyance sociale s'occupe des établissements thermaux et climatiques (par climatiques, entendons les sanatoriums) qui sont une pièce maîtresse de l'équipement touristique. Enfin, le ministère des Finances traite des questions fiscales et douanières. La douane, assez rigide à l'époque, est particulièrement concernée car une très grande partie des touristes riches est étrangère. Sans oublier le système fiscal des octrois sur lequel est fondé une grande partie des recettes fiscales des communes. hor s-sér ie - juillet 2012 L'ascension du ministère des Travaux publics Ce qui va se passer, c'est une prise de pouvoir du ministère de Travaux publics. Le but est évidemment d'ordre économique. La problématique est double : briser l'emprise de la décentralisation qui bloque la coordination des initiatives, d'une part, et concentrer dans un ministère les fonctions éparpillées que nous avons décrites ci-dessus. Le ministère des Travaux publics va essentiellement s'appuyer sur les associations : D'abord les associations de « touristes et usagers de la route » : le Touring-Club de France initialement créé pour les cycliste et les Automobile-Clubs, Les associations sportives comme le Club Alpin Français, qui est très lié au Touring-Club, avec lequel il développe les sports d'hiver à côté de l'alpinisme, associations de promotion locales Les que sont les syndicats d'initiative, associations de professionnels de Les l'hôtellerie. Enfin, le ministère des Travaux publics français va susciter le rapprochement des administration des routes des divers pays européens. En effet, leurs routes y sont encore plus inadaptées qu'en France et ils souffrent tout autant de la décentralisation. L'Office national du tourisme est créé par l'article 123 de la loi de finances du 8 avril 1910, lequel est précisé par un décret du 24 août. Cet article est très court : il pose que l'Office national du tourisme est créé au ministère des Travaux publics. Il lui assigne des missions distinctes : primo, fournir au public des renseignements concernant le tourisme, secundo, rechercher les moyens propres à développer le tourisme dans trois domaines bien définis : les transports, la circulation routière, le séjour des touristes. Le Touring-Club de France, une association fédératrice Or, ces missions sont les domaines d'actions que le Touring-Club de France s'est fixé depuis 20 ans. Fondé en 1890, le Touring-Club de France est une association nationale non décentralisée, dont les instances locales sont de simple relais et n'ont guère d'autonomie. Ses dirigeants sont particulièrement dévoués et professionnels. Le TouringClub compte déjà 120 000 membres en 1910. Enfin, le Touring-Club pratique l'évergétisme en grand 6 . « Évergétisme : attitude des gouvernants ou des élites qui consistait à donner à la collectivité les édifices et les équipements dont elle avait besoin ou à distribuer des largesses au peuple ». Grand dictionnaire encyclopédique Larousse. Au XIXe siècle, les plus riches pratiquent couramment la construction de routes, les adductions d'eau, l'érection de statues, soit par des donations individuelles, soit par des « souscriptions ». 6 l « pour mémoire » 39 Touring-Club qui s'intéresse évidemment aussi aux touristes étrangers. La circulation routière à traction animale croît régulièrement et sera à son apogée en 1914. Le cyclisme (3,5 millions de bicyclettes en 1914) sont en pleine expansion, mais l'automobile n'en est qu'à ses débuts (de 4 000 automobiles en 1900 à 140 000 en 1914). Ce sont les grands domaines d'activité du TouringClub. En 1905, il avait subventionné pour 1 550 000 francs des travaux d'amélioration des routes et la création de la corniche de l'Estérel. Il subventionne la pose de signaux de danger et de direction, ainsi que des postes de secours. Il encourage aussi le goudronnage des routes, ce qui ne va pas se faire très vite. Il essaye de s'attacher les cantonniers et le personnel des infrastructures en général. Enfin, il participe très activement à l'évolution des réglementations du cyclisme et de l'automobilisme. En ce qui concerne le séjour, le TouringClub s'intéresse à tous les types d'hébergement, du touristes au voyageur. Il a commencé modestement en expédiant du papier hygiénique. Il a dessiné les plans d'une « chambre hygiénique type » pour les hôtels. Il distribue à prix coûtant des meubles spécifiquement créés pour les hôtels, des appareils sanitaires, de la peinture laquée. Sa propagande pour la modernisation des hôtels s'appuie sur des recensements des hôtels transformés qu'il indique dans ses guides et sur des diplômes d'hôtelier. Enfin, le Touring-Club a été à l'origine de la fondation du Syndicat national de l'industrie hôtelière. Il va aussi aider la création des syndicats d'initiative. « pour mémoire » Le Touring-Club et ses trois rôles dès l'origine : association d'usagers de la route, protection et connaissance du patrimoine touristique, hébergement des touristes. InRevue, janvier 1906. Source : Bibliothèque du Trocadéro, ville de Paris L'illustration ci-dessus reproduit une double page de la revue Touring-Club de janvier 1906, qui présente l'état de son « oeuvre » à la fin de 1905. Le Touring-Club est la principale source de renseignements sur le tourisme en 1905. Il édite une volumineuse revue mensuelle qui tire à 115 000 exemplaires. Il a commencé à éditer les 33 volumes d'un recensement quasi exhaustif des sites et monuments. Il vend ces ouvrages par souscription, mais il en distribue aussi, gratuitement, à des bibliothèques, des associations, des écoles. Il édite des cartes, des itinéraires, des guides routiers. On peut trouver dans ses implantations des conseils pour des projets de voyage. Enfin, le Touring-Club est résolument internationaliste : c'est ainsi, par exemple, qu'il subventionne la pratique de l'esperanto, et que son président, Abel Ballif, est impliqué dans diverses associations internationales. En matière de transport, les principaux interlocuteurs du Touring-Club sont évidemment les chemins de fer. Dans le détail, le Touring-Club s'attache à renseigner les usagers, à faciliter les correspondances entre les chemins de fer et les voies ferrées d'intérêt local. Il s'implique aussi dans le développement des lignes d'autocars, potentiellement subventionnés depuis 1898. Les exploitants d'autocars vont créer leur propre association et tenir leurs propres congrès en 1912. Quant aux douanes, c'est évidemment une préoccupation importante du l hor s-sér ie -juillet 2012 40 réseau national englobe la majeure partie des routes importantes et 1938 pour que les Services des ponts et chaussées soient chargés des « chemins départementaux »7. Une circulaire du ministère demanda donc, en 1908, aux ingénieurs en chef des départements des propositions de classement dans le réseau national en 1910, ce qui déclencha un tollé des départements. En 1911, on leur redemanda la même chose, mais en le baptisant « classement des routes touristiques ». En ce qui concerne le séjour, nous avons déjà recensé les nombreuses activités du Touring-Club jusqu'en 1905. En 1910, on peut signaler le deuxième concours du bon hôtelier, qui est un aboutissement dans la propagande du Touring-Club, qu'on pourrait comparer à la distribution d'étoiles du guide Michelin actuel. Mais, l'événement le plus important, c'est que, en 1908, puis à nouveau en 1909, les syndicats d'initiative se refusent à constituer une fédération nationale. Ils en sont pourtant à leur 5e Congrès national. Cette incapacité va entraîner la création de l'Office national du tourisme en 1910. Source : Boudon vers 1920 L'année 1910, un premier aboutissement L'année 1910, date de la création de l'Office national du tourisme, peut être tenue pour un aboutissement ­ ou un premier tournant ­ dans tous les domaines déjà évoqués. D'abord pour la circulation et les routes. Entre 1903 et 1908, la Commission extra-parlementaire sur les accidents de la circulation a fait un énorme travail de rassemblement des connaissances, avec des rapports et des enquêtes sur les accidents sur lesquels on ne connaissait pratiquement rien auparavant. Le gouvernement Clémenceau met en place en 1909 une Commission pour l'étude du Code de la route qui va être active de 1909 à 1912. Clémenceau avait aussi déposé en 1908 un projet de loi sur la réforme du permis de conduire, et la répression des infrachor s-sér ie - juillet 2012 tions qui était très avancé en 1909 mais qui avorta du fait de la chute inopinée du gouvernement. Enfin, le rapport du conseiller de Paris Émile Massard, qui paraît en 1910, est un travail fondamental et pratiquement exhaustif sur la circulation urbaine. En ce qui concerne les routes proprement dites, les premières réalisations n'ont pas manqué qui vont être fondamentales pour l'avenir. En 1908, le premier congrès international de la route qui se tient à Paris va à préparer la fondation de l'Association Internationale Permanente des Congrès de la Route en 1909. Mais surtout, en 1910, c'est le premier débat à la Chambre des députés pour mettre à l'étude la révision du réseau des routes nationales. Ce débat fondamental ne sera pas suivi d'effet immédiatement et il faudra attendre 1930 pour que le Sur 650 000 km de routes, le réseau national en comptera 80 000 km (contre 40 000 avant 1930) et les « chemins départementaux » (vite rebaptisés « routes départementales ») 250 000 km. 7 l « pour mémoire » 41 Les transports en commun connaissent aussi des aboutissements vers 1910. La loi de finances pour 1909 remanie la Subvention des transports automobiles qui existe pourtant depuis 1898, mais que ses conditions restrictives ont empêché de vraiment fonctionner. La Subvention exclut encore le transport en montagne parce qu'il est saisonnier, mais ce dernier sera subventionné à partir de 1913. En 1909, une Conférence internationale est organisée à Paris et 15 pays signent sa Convention finale. Celle-ci établit le triptyque, document qui facilite le passage en douane des automobiles et sera d'ailleurs géré par le Touring-Club. Elle y généralise dans les 15 pays les plaques d'identité des véhicules (nos plaques minéralogiques). Enfin, elle établit quatre signaux de danger commun. En 1912 se crée le Syndicat général des transports publics automobiles qui organise cette même année un premier congrès. Les chemins de fer sont déjà en difficulté, et l'État doit reprendre en 1908 le réseau de l'ouest qui est pratiquement faillite. C'est une situation prémonitoire de celle des années 1930 qui aboutira à la nationalisation des chemins de fer. l'origine de la création de l'Office national du tourisme. En 1889 apparaît le 1er syndicat, celui de la ville de Grenoble. En fait, il s'agit du département de l'Isère. C'est pour lui qu'on invente le terme de Syndicat d'initiative. Le Touring-Club est créé en 1890. La 1ère Fédération date de 1895, avec la Savoie, la Haute Savoie, et l'Isère, sur une zone assez homogène. La 2e Fédération du Sud-Centre voit le jour en 1903. Elle est extrêmement hétérogène, avec ses départements qui vont du sud du Massif central aux Pyrénées. La même année 1903, le Touring-Club crée un bureau central des syndicats d'initiative. Ceux-ci tiennent leur 1er congrès national à Marseille sous la présidence d'Abel Ballif, le président du Touring-Club. En 1904, se développe une controverse sur la typologie des fédérations régionales. Comme l'écrivait de Souza, celle du Sud-Centre « n'est qu'un simple groupement routier » contrairement à celle des Alpes françaises. Il préconise, comme Médaille Gérardmer le Touring-Club d'ailleurs, des regroupements par Provinces Historiques. En 1905, le Touring-Club choisit SaintPierre de Chartreuse comme « site de démonstration » d'un syndicat d'initiative à créer. C'est un village de 900 habitants, admirablement situé. Léon Auscher, un des vice-présidents du Touring-Club, et futur créateur en 1920 de l'Union nationale des associations de tourisme, se charge de guider cette création. En 1908, lors de leur 5ème Congrès national, lorsque les syndicats d'initiative refusent de créer une Fédération nationale, le Touring-Club va être sollicité pour développer son bureau central des syndicats d'initiative mais il refuse. En 1910, il y a environ 250 syndicats d'initiative. Le système est quasiment féodal, avec un empilement territorial bien illustré par Bertrand Larique dans le cas de la Bretagne. On y trouve des syndicats de stations, d'arrondissement, de département. Il y a même deux syndicats départementaux dans le Finistère ! La forme des actions publicitaires se cherche. Deux affiches du syndicat de Grenoble vantent, avec l'aide des chemins de fer Paris Lyon Méditerranée, une station thermale d'altitude, Allevard les Bains, ou tout simplement les paysages alpins ( voir page suivante ). Un autre type d'images publicitaire prétend mentionner tous ses membres de la fédération des syndicats d'initiative du sud-ouest, et en devient totalement illisible. « pour mémoire » La construction du système des syndicats d'initiative L'organisation du système des syndicats d'initiative et ses problème vont être à l hor s-sér ie -juillet 2012 42 La Meije par Julien Lacaze Allevard-les Bains par Hugo d'Alesi La première organisation administrative et politique du tourisme L'Office national du tourisme est très structuré. Son directeur est statutairement un haut fonctionnaire du ministère des Travaux publics, qui est assisté d'un conseil d'administration comprenant les hor s-sér ie - juillet 2012 deux directeurs chargés des routes et des chemins de fer, et celui des collectivités locales au ministère de l'intérieur. Un conseil supérieur du tourisme a une mission consultative sur les mesures pour développer le tourisme. En fait, le bilan d'action de l'Office national avant 1914 est décevant. La subvention publique de 30 000 francs est ridicule, et les contributions privées qu'on attendait sont encore plus faibles. Surtout, il est en butte à l'hostilité larvée d'une bonne partie des syndicats d'initiative. Mais, cette création est pleine de promesses pour l'avenir. D'abord elle a officiellement légitimé la « question touristique ». l « pour mémoire » 43 L'institutionnalisation de l'Office permet le début d'une intégration nationale qui n'arrivait pas à se faire. En 1914, il est à l'origine d'un comité d'étude pour organiser et centraliser la publicité touristique française à l'étranger. En 1912, un Groupe du tourisme est créé à la Chambre des députés par Etienne Clémentel, un des leaders gouvernementaux les plus préoccupés d'économie. Il sera, d'ailleurs, le ministre de l'économie durant toute la guerre de 1914-1918. Le groupe sénatorial du tourisme sera créé par Le Roux en 1920. Enfin, en 1913, des états généraux du tourisme sont organisés, essentiellement par les milieux touristiques provinciaux et les associations régionalistes. Ils définissent une charte nationale du tourisme français qui sera mise en application après la guerre. Cette institutionnalisation du tourisme, ses liens avec le ministère des Travaux publics et son insertion politique doivent être replacés historiquement dans l'ensemble du développement de la mobilité. La carrière du 1er directeur de l'Office, Albert Mahieu (1864-1943) en est une excellente illustration. Après de 10 ans de service ordinaire à Rodez, Mahieu revient à Paris en 1900. En 1903, il est secrétaire, pour les Travaux publics, de la commission extraparlementaire sur les accidents de la route, dont le secrétaire général est un fonctionnaire du ministère de l'Intérieur. En 1908, il organise, avec l'inspecteur général Lethier, le 1er congrès international de la route. En 1909, il est secrétaire général de l'Association internationale des congrès de la route. Il en sera le président de 1920 à 1943. En 1909 et 1910, il est directeur de la navigation de la Seine. De 1909 à 1912, il est rapporteur de la commission chargé de préparer le code de la Albert Mahieu : Source archives du Sénat route. Fin 1910 et début 1911, il dirige l'Office national du tourisme. Fin 1911, il devient directeur du personnel et de la comptabilité du ministère. Puis est mobilisé en 1914. En 1916, il est le premier directeur des routes indépendant d'une direction plus générale. En 1920, il devient secrétaire général du ministère des Travaux publics, poste qui coiffe toute l'administration du ministère. De 1920 à 1925, il sera particulièrement impliqué dans la lutte pour la création d'un Office national des routes, qui va échouer en 1925. Albert Mahieu avait entamé une carrière politique en 1922 à Dunkerque et devient sénateur du Nord en 1924 ; il le reste jusqu'en 1941. Il crée, en 1926, la Revue générale des routes qui existe encore de nos jours. Il sera ministre de l'intérieur en 1932 et viceprésident du Sénat. « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 44 Échanges avec la salle Anne Etévé Je ne suis pas historienne et vous parlez d'une association très ancienne. Mais il y avait d'autres associations d'éducation populaire, ou même le mouvement des auberges de jeunesse qui avaient aussi un projet de mixité sociale et qui intégraient le voyage à la fois comme objectif de rencontre entre les hommes et d'émancipation. Ainsi, Joseph Rovan, avant la fin de la deuxième guerre mondiale, relança l'office franco-allemand de la jeunesse. Ces activités permettaient non seulement les voyages mais aussi la rencontre de la nature, le goût de la nature, que l'on retrouve encore aujourd'hui, ce qui permet de comprendre des initiatives comme Accueil Paysans ou des mouvements analogues qui sont une autre forme de tourisme. mement décentralisée. Des contestataires furent tentés de le couper en petits morceaux pour que chacun puisse faire son notable chez soi, comme dans le Finistère ou avec la rivalité entre Marseille et à Aix. Mais le TouringClub avait cette fonction de réunir des associations. pays avancés, le regroupement d'associations d'usagers de l'automobile et de la route et de touristes représente entre un adhérent pour 3 à 5 véhicules. En France, l'ensemble des associations automobiles ne rassemblent qu'un adhérent pour 50 véhicules. Nous sommes une exception absolue. C'est une vraie question historique, un problème de responsabilité et une perte pour le tourisme. Anne Querrien D'où le Touring-Club ressource ? tirait-il ses Jean Orselli Il tirait ses ressources de ses cotisants, avec des dons et des legs provenant de gens riches et ne bénéficiait d'aucune subvention de l'État. Il était démocratique et était animé par des élites modernes (chefs d'entreprises, industriels) ou traditionnelles (les notables) mais il y avait un tiers de gens de classes moyennes (instituteurs, hôteliers ...). M. Beucher A-t-on une idée de la composition des 125.000 membres du Touring-Club de France ? Jean Orselli Oui, je l'ai dit tout à l'heure, un tiers d'élites modernes, un tiers de notables traditionnels, dont beaucoup de ces rentiers intellectuels qui existaient à cette époque là, comme De Souza, et un tiers de gens de plus basse catégorie. Je rappelle que le Touring-Club était à l'origine une association de cyclistes. Jean Orselli Je n'ai parlé que de ce qui faisait partie des quatre objectifs de l'Office national du tourisme. Mais il avait déjà en 1905 des tourismes spécialisés : scolaire, nautique, hippique et il y a eu ensuite le tourisme aérien. Le Touring-Club subventionnait les auberges de jeunesse et agissait beaucoup en faveur de la nature, des sites et monuments, du reboisement de la montagne, de la protection des forêts. Il y avait une très grande quantité de comités qui étaient des lieux où se rencontraient les autres associations. Par exemple j'ai évoqué De Souza qui était secrétaire de l'association pour la protection des paysages. Le Touring-Club était une association nationale forte dans une France extrêhor s-sér ie - juillet 2012 Participant L'ampleur de la tâche assumée par le Touring-Club a été absolument fantastique et il a joué un rôle très précurseur. Lorsqu'on a été obligé de liquider le Touring-Club de France en 1983, nous avons constaté cette ampleur mais aussi la diversité de ses ressources, au-delà des ressources des adhérents (600 000 puis 250 000 à la fin) avec une grande partie de dons et de legs. Cela a constitué un patrimoine extrêmement important qui a été malheureusement ensuite dilapidé. Jean Orselli La question de la disparition du TouringClub est fondamentale. On ne peut pas en parler ici, mais aujourd'hui dans les l « pour mémoire » éclairages et témoignages 45 Guider le touriste : du guide rouge a ViaMichelin Stéphane Nicolas, responsable du patrimoine historique Michelin Alain Monferrand m'a invité à partager avec vous ce qu'il a joliment appelé « un feu d'artifices coloré », ce qui peut paraître paradoxal pour parler de Michelin puisque 98% du chiffre d'affaires de Michelin, c'est du pneu et le pneu c'est noir. Donc, pour faire un feu d'artifices coloré, on va essayer de parler d'autre chose. Mathieu Flonneau a commencé à lever un peu le voile. Le pneu a été la raison d'être de Michelin au départ. Quand on réfléchit bien, c'est un produit du quotidien qui fait partie de notre environnement à tous, qu'on circule à vélo, en voiture, en bus, en métro. On ne cesse de croiser et d'utiliser des pneus à tel point qu'on n'y fait plus attention. Pourtant, c'est un produit en constante évolution. Dès la fin du XIXe siècle, les frères Michelin ont capitalisé pour leur entreprise et se sont attachés à faire évoluer constamment un produit de qualité. Je vous présente quelques jalons de l'histoire industrielle du pneu Michelin. L'invention du premier pneu de vélo démontable a permis enfin de réparer rapidement une crevaison (1891). Les « pour mémoire » ©MEDDE l hor s-sér ie -juillet 2012 46 frères Michelin ont été les premiers à penser qu'on pouvait faire rouler une voiture sur de l'air, alors qu'on n'était pas persuadé que ces petits boudins en caoutchouc pourraient supporter le poids d'une voiture (1895). On connaît la suite. c'est un produit de haute technologie, en constante évolution. Un pneu, ça sert à voyager, il existe un prospectus qui représente un tricycle de Dion Bouton qui était le premier véhicule à avoir été équipé en série, en première va rajouter des places pour des passagers sur ces véhicules, avec qui je veux. On découvrait la notion de la mobilité individuelle. Les frères Michelin s'attachaient à fabriquer un produit industriel de qualité, en grande série, au meilleur prix possible. Passionnés d'innovation, pratiquant eux-mêmes l'automobile et le tourisme, ils percevaient l'immense champ en train de s'ouvrir devant eux, en se disant : « un pneu, c'est un produit fait pour servir, fait pour voyager, comment peut-on aider nos clients à pouvoir voyager ? Au-delà de l'action de leur fournir un produit de qualité, comment peut-on aussi leur fournir des outils pour les aider à voyager ? ». Et c'est dans la tête d'André Michelin qu'est né le fameux petit guide rouge, le guide Michelin, avec l'idée de le lancer exprès au moment de l'effervescence de l'exposition universelle de Paris en août 1900. Voyez la première édition du petit guide 1900. Même par rapport à celui que vous pouvez connaître aujourd'hui, c'est un petit ouvrage. Il est intéressant de lire ce qu'André Michelin nous dit dans la préface de ce guide : « le présent ouvrage a le désir de donner tous les renseignements qui peuvent être utiles à un chauffeur, voyageant en France, pour approvisionner son automobile, pour la réparer, pour lui permettre de se loger et de se nourrir, de correspondre par poste, télégraphe ou téléphone. Cet ouvrage paraît avec le siècle, il durera autant que lui ». Il fallait être un peu culotté pour envisager le développement de son ouvrage Guide Michelin 1900 : Source Michelin En 1946, les successeurs des frères Michelin ont été les premiers aussi à mettre sur le marché le pneu Michelin X, le fameux pneu radial qui permet de faire deux fois plus de kilomètres que le meilleur pneu d'avant-guerre. Dans les années 1990, on a lancé l'Energy Saver, un pneu qui permet de rouler en économisant du carburant, entrant ainsi dans la lignée du début de la notion de respect de l'environnement. C'est un produit qui peut paraître banal, qui fait partie de notre environnement mais hor s-sér ie - juillet 2012 monte, comme on dit, de pneus Michelin. L'un des arguments de vente en 1896 de ce véhicule était qu'il pouvait servir à faire du tourisme car on devenait autonome pour pouvoir décider, lorsqu'on habitait à Paris, d'aller passer deux jours à la mer à Deauville. On mettait en avant l'aspect très simple et la fiabilité de ce véhicule. Et l'on découvrait quelque chose qui commençait à être nouveau à l'époque, la liberté de la mobilité individuelle. Je vais pouvoir partir où je veux, quand je veux, et petit à petit, quand on l « pour mémoire » 47 sur un siècle. Il reconnaît quand même que « la présente édition, donc la première, sera évidemment trouvée très imparfaite, mais l'ouvrage se perfectionnera d'année en année, et il sera parfait d'autant plus vite que les chauffeurs répondront plus soigneusement et en plus grand nombre au questionnaire que nous prions de bien vouloir remplir et qu'ils trouveront à la page 57. Sans eux, nous ne pouvons rien, avec eux nous pouvons tout ». Le décor était planté. On souhaitait pouvoir synthétiser dans un petit ouvrage qu'on emportait très facilement avec soi en voyage tous les renseignements utiles. Le guide Michelin devait être avant tout un guide pratique. « Où est-ce que je peux trouver du carburant pour ma voiture, alors que le réseau de stations services n'existe pas ? ». Cet outil était là pour fédérer cette communauté automobiliste qui était en train de naître. Les frères Michelin s'apercevaient que ça intéressait de plus en plus de monde, des gens qui étaient un peu dispersés et qui commencent à se fédérer. Michelin se plaçait comme un acteur de cette fédération naissante. Par rapport à d'autres initiatives de guides, Michelin expliquait sa particularité : grâce au système de pictogrammes extrêmement simples, pourvu qu'on ait la légende pour pouvoir décrypter ce qui était dit dans le guide, le guide contenait dans un tout petit volume ce qu'on ne pouvait avoir qu'en achetant trois ou quatre ouvrages différents. On y trouvait donc des informations très pratiques comme des petits plans de « pour mémoire » ville dans les principales agglomérations françaises afin de pouvoir se repérer de façon autonome sans faire appel aux habitants. Vous connaissez la suite de l'histoire. La prophétie d'André Michelin s'est révélée exacte. Le guide dure depuis plus d'un siècle. Il est intéressant de voir l'évolution de ce petit guide rouge qui a suivi la montée en puissance de l'automobilisme et sa démocratisation, avec les nouveaux besoins des consommateurs. Ce qui était au départ un manuel technique (quand on parcourt cette première édition on sait ce qu'il faut faire en cas de panne, comment réparer sa voiture, comment Source Michelin on peut réparer un pneu) s'est peu à peu adapté à l'évolution des besoins des voyageurs. Dans les années 1920, il y a eu la naissance de la fameuse étoile de bonne table puisque ce guide avait vocation non à être un critique gastronomique - Michelin s'en est toujours défendu - , mais à apporter un conseil de bonnes adresses de confiance. Le guide a su évoluer. Mais ça ne suffisait pas. Pour André Michelin, c'était la première brique d'une stratégie qui se poursuivait. En 1908, il lança l'initiative intéressante du bureau l hor s-sér ie -juillet 2012 48 des itinéraires. C'était très simple : si je voulais voyager en France ou à l'étranger, par exemple aller de Paris à Montauban, je téléphonais ou j'écrivais au bureau, qui était dans l'immeuble Michelin à Paris, Boulevard Pereire. Quelques jours plus tard, je recevais chez moi une liasse de documents dactylographiés, qui vous décrivait très précisément la route à suivre : l'itinéraire balisé à suivre, des indications sur les dangers que pouvait comporter la route, les curiosités touristiques dans le cas où j'aurais un peu de temps pour en profiter. L'objectif était de pouvoir mettre au service du client toute la documentation que Michelin avait rassemblée pour la constitution de son guide et de continuer à mutualiser les expériences de la communauté automobiliste puisqu'on invitait les clients à faire un retour à Michelin, pour savoir s'ils étaient satisfaits de l'itinéraire reçu et s'ils avaient des suggestions à apporter pour améliorer le service. Légendes carte routière Source Michelin 400 millième de la carte du TCF. André Michelin, pratiquant lui-même l'automobile, estimait que c'était une bonne moyenne : sur une feuille qu'on pouvait déplier facilement devant soi, on avait la vision d'une portion de territoire qu'on pouvait parcourir dans une journée avec une voiture. La clé de lecture de la carte étant la légende, Michelin inventa une nouvelle hiérarchie de l'information visuelle en fonction du besoin de l'automobiliste. Plutôt que de représenter avec détail les zones boisées, il valait mieux attacher beaucoup d'importance à la largeur ou à la qualité du réseau routier sur le terrain où on allait voyager. La route est-elle large, de bonne qualité, dangereuse, pittoresque ? La notion touristique a été incluse dès les premières éditions de la carte Michelin. Le succès de la carte Michelin a été dû au fait qu'elle était spécifique à l'automobiliste, en lui apportant un service nouveau, fiable, en étant mise à jour en permanence et peu coûteuse. André Michelin voulait que le prix ne fût pas un obstacle à la grande diffusion de sa carte. Encore aujourd'hui, elle offre une masse d'informations pour un prix extrêmement modique. Imaginez l'organisation de ce bureau des itinéraires devant la masse des documentations qui pouvaient y être gérées au plus fort de son activité dans les années 1920 où il employait une centaine de personnes. Je rebondis sur un terme employé tout à l'heure de marchandisation de ces services car le guide et le bureau des itinéraires étaient complètement gratuits pour l'utilisateur, au nom d'une notion de service, d'accompagnement du client de la marque qui avait acheté ses pneus. Toutefois, ce service était aussi accessible gratuitement à toute autre personne. hor s-sér ie - juillet 2012 La stratégie d'André Michelin a été complétée par la carte routière Michelin (1910). Michelin n'était pas le premier à faire des cartes mais il voyait naître cette nouvelle communauté d'automobilistes et se disait qu'il fallait repenser l'outil cartographique pour répondre à un nouveau besoin. Ce nouvel outil adoptait une nouvelle échelle, le 200 millième, intermédiaire entre le 80 millième de l'état-major ou le Quelques exemples de cartes, vous avez le prototype d'une carte au 200 millième des environs de Clermont en 1908 qui était donnée gratuitement aux automobilistes de la région pour avoir leur ressenti et leur retour afin d'améliorer la carte définitive. La légende de la carte de 1910 comporte le code couleur sur la qualité du réseau routier ainsi que la numérotation systématique des routes, fil d'Ariane qui permet à l'automobiliste l « pour mémoire » 49 d'être sûr qu'il est sur le bon chemin. La carte typique des années 1950 comporte une couverture bleue et jaune qui a été utilisée très longtemps. On continue à dérouler le fil de la stratégie d'André Michelin. Il se disait : « tous ces outils c'est bien, mais ça reste du papier, sur le terrain, comment fait le client, comment fait l'automobiliste ? ». Vous voyez que tout a été pensé d'une façon très logique. C'était une réflexion extrêmement pragmatique au service du client, au service du touriste. André Michelin se disait : « sur le terrain, comment fais-je pour retrouver mon chemin ? Même si, grâce à la carte, je sais que, pour aller de Paris à Marseille, je dois suivre la Nationale 7, comment sur le terrain ai-je la certitude d'être sur le bon chemin ? Il posait la question de la présence de ces informations sur le bord des routes. Il eut une première initiative avec les plaques « Merci », action publicitaire dans la lignée de ce que faisaient des constructeurs automobiles de l'époque, où on subventionnait des plaques signalétiques sur le bord des routes (1908). Michelin offrait à chaque commune de France qui le demandait une plaque en tôle placée en hauteur et à double face jaune et bleue. Quand vous entriez dans la localité, vous y aviez le nom de celle-ci, le numéro de la route sur laquelle vous circuliez, et le message « automobilistes, attention aux enfants ». Quand vous en sortiez, de l'autre côté de la plaque se trouvait un énorme « Merci » pour avoir respecté le message de sécurité qui était délivré à l'entrée. Mais les plaques en tôle n'étaient pas durables (rouille, peinture défraîchie, détournement pour un autre usage). Michelin pensait qu'il était nécessaire d'imaginer une signalisation durable et uniforme. La signalisation ne devait pas être d'abord un levier publicitaire pour les constructeurs automobiles mais un véritable service rendu à l'automobiliste. Michelin fut à l'origine d'une pétition pour le numérotage des routes sur son stand au Salon de l'aéronautique de 1912, avec une affiche bordée de bleu-blancrouge puisque le premier signataire en était le président de la République de l'époque, Armand Fallières. On n'est pas sûr qu'il ait lu le titre de ce qu'il avait signé, peut-être pensait-il signer le Livre d'Or du stand ! Il y eut des milliers d'autres signatures. Au tout début de 1914, il fut décidé de demander au cantonnier de peindre le numéro des routes sur les bornes qui jalonnaient le réseau français. La Grande Guerre perturba cette initiative. Les choses se firent de façon très lente. Mais André Michelin fit preuve de beaucoup de patience et de ténacité sur cette question qui lui tenait vraiment à coeur, jusqu'à 1931, à la veille de sa mort, en faisant homologuer Michelin comme constructeur officiel de panneaux. Il en reste encore quelque bornes en place, peut-être cette silhouette vous dit-elle quelque chose. Pour concrétiser son idée d'une signalisation uniforme et durable, André Michelin concevait ces appareils de signalisation comme un pneu, comme un produit industriel, avec un cahier des charges extrêmement précis et des quantités d'essais avant une solution définitive. La plaque qui porte les indications est ici en lave volcanique émaillée, produit éminemment auvergnat, extraordinairement solide, contrairement à la tôle peinte. Hormis une fente due au gel, cette plaque est quasiment indestructible, enchâssée dans un support en béton armé très durable. Les indications, en bleu foncé sur un fond blanc, se distinguent très facilement de tout l'environnement du bord de la route. La hauteur a été scientifiquement étudiée, de façon à pouvoir être visible même de nuit dans le faisceau des phares d'une voiture, ce qui n'était pas le cas de la signalisation précédente. Grâce à ce cahier des charges, Michelin fut homologué comme fabricant officiel de signalisation routière (1931) et poursuivit cette activité de fabrication de panneaux en béton jusque dans les années 1970. Il garantissait à ses clients des poteaux qui dureraient 20 ans. Pour ceux qui n'ont pas été déposés dans le cadre d'une rénovation routière, 80 ans après, il y en a qui sont toujours en place. André Michelin continua de dérouler le fil de ses idées. Une initiative originale vint en 1917 au sujet des champs de bataille à partir d'une notion de pèlerinage vers des lieux qu'il ne faudrait pas oublier, d'où l'idée de ces guides pour transmettre une mémoire et offrir la possibilité à ceux qui s'étaient battus et aux familles des soldats tués de pouvoir retourner sur le théâtre des opérations avec un petit fascicule. Les guides des champs de bataille étaient « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 50 tout petits, très bien documentés et très bien illustrés de façon à pouvoir offrir une information fiable et de qualité à la portée de tous. Il y a eu plusieurs dizaines de titres dans la collection des champs de bataille, mais « Verdun » a été réédité jusque dans les années 1930. Dans cette publicité, on voit Bibendum portant le guide de Verdun en disant : « de belles étrennes pour vos enfants, les guides illustrés Michelin de vos champs de bataille ». C'était la nécessité de transmettre la mémoire, mais une mémoire qui fût malgré tout à la portée de tous. L'ensemble des bénéfices que Michelin retira de la vente de ces guides fut intégralement reversé à l'oeuvre pour la repopulation française car André Michelin avait aussi une très forte fibre patriotique. A la suite de ces guides des champs de bataille, on vit naître les guides régionaux à partir de l'expérience du bureau des itinéraires (1926). André Michelin se dit, « dans le fond, on pourrait rassembler dans un recueil l'ensemble des itinéraires qui nous sont le plus souvent demandés et qu'on en fasse des opuscules régionaux qu'on vende sous forme de guides ». Ceux-ci avaient le volume du guide Michelin actuel. L'idée de proposer des idées d'itinéraires touristiques connut rapidement le succès comme le montre une affiche des années 1930. C'est cette collection des guides régionaux qui a donné naissance au fameux guide vert dont vous avez peut-être été les utilisateurs. Voici l'édition de 1953 pour l'Auvergne, qui est le guide vert tel qu'on le peut garder en mémoire. Cet outil déjà très abouti a été le symbole d'un tourisme populaire de qualité peu coûteux, avec des indications un peu minimales mais de qualité pour guider les nouvelles catégories de touristes plus populaires qui sont apparus après 1945. C'est souvent dans le guide vert que beaucoup de gens ont appris quelques rudiments d'histoire de l'art ou d'architecture, notamment au travers, dans cette édition des années 1950, de ces fameux petits dessins noirs et blancs, faits à l'encre de Chine, qui avaient quelque part une vocation d'être volontairement intemporels. Ce sont des gens de Michelin qui redessinaient ces petites vignettes à partir de photos pour y gommer tout ce qui aurait pu donner une indication de temps. Il n'y avait jamais de voitures, jamais de personnages habillés sur ces dessins pour les rendre intemporels. Pour l'anecdote, voici un guide touristique d'Auvergne de couleur rouge mais au format du guide vert, beaucoup plus fin que celui d'après-guerre, Pourquoi Michelin faisait-il des guides touristiques en 1942, dans une période ne s'y prêtait pas très bien ? Cela voulait dire que la vie continuait. Je trouve très intéressant de lire ce que dit Bibendum dans la préface de cette édition de 1942 : « Paris, mai 1942, ami lecteur, votre voiture est aujourd'hui endormie dans votre garage, mais vous pouvez encore prendre quelques vacances. Si l'Auvergne vous tente, ce guide vous y conduira. Vous n'y trouverez plus ces programmes de voyages et de longues excursions que vous permettait d'accomplir la voiture, mais le train, l'autocar, la bicyclette revenue en vogue, vos jambes même réhabituées à la marche, vous laissent la faculté de circuler partout. Des villes riches en beaux monuments, des villages pittoresques, des jolis sites sont encore à votre portée, ce guide vous en proposant des promenades et des excursions Guide vert : Source Michelin hor s-sér ie - juillet 2012 l « pour mémoire » 51 sélectionnées, vous les fera connaître. Par ses descriptions détaillées et ses chapitres, un peu d'histoire, il vous rendra la visite attrayante. Et maintenant, ami lecteur, bonnes vacances ». Cette anecdote montre la capacité des équipes de Michelin à adapter leurs produits en fonction à la fois des circonstances et de l'évolution des moyens dont disposent les touristes. On ne pouvait plus circuler en voiture, on proposait malgré tout des informations pour pouvoir faire du tourisme à pied ou à vélo. Dans les années 1930, on découvre l'aboutissement de ce qu'avait imaginé André Michelin dès 1900 : des bornes de signalisation, le guide Michelin de l'année, le guide vert et les cartes. Avec cet ensemble, on a des outils d'aide à la mobilité qui se complètent et qui forment le fil d'Ariane pour organiser et maîtriser ses déplacements alors que faire un voyage en 1900, c'était vraiment se lancer à l'aventure parce qu'on ne savait pas trop où on allait. Il y a eu une utilisation stratégique de ces produits de mobilité qui, avaient plutôt vocation à être utilisés pour des activités pacifiques. Les soldats américains qui débarquèrent en Normandie en 1944 le firent avec un guide Michelin dans la poche. On voit une photo du guide de 1939, réédité par le War Office américain en 1944. Pourquoi ce document avait-il été choisi par l'armée américaine ? Ce n'était pas pour les adresses des hôtels évidemment, mais pour les plans de villes qui permettaient d'avoir beaucoup d'informations en très peu de place pour se repérer sur un territoire que les Américains ne connaissaient pas. Une photo en noir et blanc montre un véhicule américain qui vient au dépôt de la rue de Saussure en 1944 charger quelques milliers de cartes imprimées dans l'urgence par Michelin, des cartes pour aller en direction de Berlin. Certaines d'entre elles furent imprimées au dos de cartes anglaises qui avaient été faites pour l'armée nazie pour envahir l'Angleterre. Vous voyez ici une utilisation qui dépasse un peu le cadre touristique de ces outils de mobilité. Il y a eu un aspect international des outils développés par Michelin dont, sans ambiguïté, l'initiative pour guider le touriste était là pour soutenir l'activité industrielle du fabricant de pneus partout où Michelin développait cette industrie. Dès 1914, l'Angleterre bénéficia d'une couverture de cartes routières puis l'Espagne et l'Italie. Il y eu ViaMichelin : Source Michelin des exemples exotiques de cartes dès les années 1920 : États-Unis, Afrique du Nord, pistes du Sahara. Cette logique de produits cartographiques ou des guides à l'international se poursuit aujourd'hui. Les services rendus par Michelin se sont adaptés aux nouvelles technologies. En 1989, le Minitel reprenait, à 80 ans de distance, le principe du bureau des itinéraires d'informer pour aller du point A au point B. C'est le même principe qui a été repris en 2001 par ViaMichelin sur Internet : vous n'avez plus besoin d'attendre que l'information arrive dans votre boîte aux lettres, vous l'avez instantanément. Et 2010, on a lancé la carte 777, France Trafic en temps réel : on y trouve une complémentarité des outils numériques et du papier, une carte sur laquelle un certain nombre de flash codes peuvent être scannés avec un smartphone et qui vous informe en direct sur l'état du trafic dans les principales agglomérations de France. M. Boyer a évoqué la possibilité de faire du tourisme sur la lune. Cela me rappelle que Victor Puiseux, père d'un des gérants de Michelin, a été le premier à avoir fait l'atlas photographique de la lune à la fin du XIXe siècle. Cela donnerait peut-être une certaine légitimité à Michelin pour faire un ouvrage sur ces nouveaux champs de territoire : pourquoi pas un guide de découverte de la lune dans les années à venir ? « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 52 éclairages et témoignages Histoire et évolution des comportements touristiques des français professeur à l'université de Paris V ©MEDDE Jean-Didier Urbain, Je n'ai jamais vraiment été sociologue. Je préfère donc prévenir, si tant est que je le suis quand même un peu. Je suis avant tout anthropologue (mon doctorat d'État l'est d'ailleurs dans cette discipline) et ce pour une raison essentielle que vous allez comprendre immédiatement, à savoir que l'anthropologie a pour intérêt majeur et mission principale de parler du sujet en mettant l'homme au centre de ses pensées et réflexions sur le fait social et culturel. Le tourisme est un phénomène et le touriste, un sujet que l'on connaît finalement fort mal. Aussi me semble-t-il nécessaire de remettre sans cesse en avant cette question par trop négligée : que serait le tourisme sans le touriste ? Car l'on continue de penser que le touriste est un être assez sommaire, composé d'envies simples : se reposer, se distraire, voir de beaux paysages... Bref, une vision quasi caricaturale de la psychologie de cet acteur domine, alors qu'il est un sujet hor s-sér ie - juillet 2012 sans lequel rien ne serait finalement possible. Qu'en serait-il du phénomène sans lui ? C'est là-dessus que je voudrais revenir, en tenant compte de ce qui a été dit ce matin. Comme l'a dit Marc Boyer, la question : au fond qui est le touriste ? va à l'essentiel. Mais je crois qu'il y a plus essentiel encore. Un peu comme les féministes qui, dans les années 1960, disaient : « il y a plus inconnu que le soldat inconnu, c'est la mère du soldat inconnu », je dirais que la question plus essentielle encore est au fond pourquoi voyage-t-on ? Et pourquoi voyage-t-on de surcroît quand on n'a aucune raison, obligation ou nécessité de le faire ? C'est cela le touriste. C'est cette question qu'il pose. Et quant à son évolution, c'est cette autre : quelle est l'histoire de ce anti-héros des « voyages inutiles » ? ­ comme disait Paul Morand. Au fond, le tourisme n'est-il pas l'industrie du voyage inutile, par opposition au voyage vital, de survie, migration économique ou déplacement professionnel ? On ne fait pas du tourisme pour survivre. Le touriste est l'un des rares voyageurs qui dépensent de l'argent pour voyager ­ avec les migrants... C'est pour cela que l'ethnologue a pu être moqué par Jacques Meunier comme étant un « touriste subventionné ». Les autres voyagent pour gagner de l'argent et/ou sont payés pour le faire. C'est là une perspective très différente. Et il y a certains postulats sur lesquels il faut peut-être revenir. D'abord, croire que l'on aspire au voyage est une idée reçue très répandue, que j'ai encore entendue ce matin. Or c'est une erreur de penser que, dès qu'on peut voyager, on a envie de voyager. Ce n'est pas pour rien que Léo Lagrange a appelé les auberges de jeunesse « l'école du tourisme ». Et Marc Boyer a justement souligné qu'il y a à ce sujet une part largement mythique dans la représentation l « pour mémoire » 53 de 1936. Les congés payés n'ont pas provoqué à cette époque un déferlement des ouvriers sur les routes. Les ouvriers en vacances n'ont pas plus eu l'idée de partir qu'ils n'ont eu celle d'aller au musée ou au théâtre quand la loi leur a donné ce temps libre supplémentaire1 . Cela s'apprend, le voyage. Il est un loisir qui s'acquiert, se structure et s'élabore. C'est une envie mais une envie fragile. Pour avoir envie de voyager, il faut avoir des désirs porteurs au point de prendre le risque du bernard-l'ermite, qui sort de sa coquille pour se reproduire, courant le danger d'en périr. Dès qu'on sort de sa coquille, on est fragilisé et seul le plaisir escompté peut pousser à affronter ce danger qu'ignore la sédentarité. C'est plutôt à cela que je voudrais vous sensibiliser. Pourquoi voyage-t-on ? Tout le problème est là. Pascal disait : « Tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne pas savoir demeurer en repos, dans une chambre». Pourquoi ? Au fond, essayer d'approfondir la question du tourisme à partir de l'évaluation et l'évolution des désirs de celui qui le fait exister n'est pas une question subsidiaire. Elle interroge une réalité fondamentale qui est en propre de l'ordre de l'investigation anthropologique. Le sujet dont je vais vous parler n'est évidemment pas le sujet clinique, la personne, l'individu ou le cas caractériel isolé. C'est un sujet générique qui voyage pour son plaisir, qui a ce projet hédoniste, fût-il masochiste, ce qui peut expliquer certaines pratiques touristiques physiquement ou moralement éprouvantes, voire cruelles. Quand on veut, par exemple, avoir une initiation à la pêche en mer, qu'on se déguise pour cela en matelot et qu'on se fait insulter à l'envi par un capitaine tyrannique, il y a quelque chose d'un peu bizarre dans ce genre de simulacre « pédagogique » flagellateur... Ce que je veux évoquer, c'est donc ce sujet commun dans sa complexité, avec cette idée corollaire à l'appui consistant à rappeler aussi dans le même mouvement sa nature d'un point de vue historique... Évidemment, si je vous dis : « le tourisme ne serait rien sans le touriste », cela peut vous sembler être un truisme. Mais il est quand même intéressant que, du point de vue linguistique, le mot touriste soit apparu avant le mot tourisme. Robert Mandrou, dès la Renaissance, identifie des voyageurs qui sont pour lui des touristes, même s'ils ne sont pas encore nommés comme tels 2 . C'est-à-dire que ce ne sont ni des marchands ni des pèlerins ni des soldats. Ce sont des gens comme Montaigne, qui voyagent pour leur plaisir et éventuellement aussi pour leur santé. Montaigne était un peu un double, un mixte de voyage, sanitaire et culturel à la fois... Cette nuance linguistique veut simplement dire que le sujet (touriste) a précédé le phénomène (tourisme) ; et que réfléchir sur ce phénomène ne nous dispense certainement pas de réfléchir sur le sujet. Quand je me suis tourné il y a 25 ans en direction de cette problématique, d'abord à travers la sociologie des loisirs, j'ai été surpris de voir que l'on parlait du tourisme sans jamais vraiment penser au touriste : à l'homme et ses envies. Cela débouchait sur une vision fonctionnelle quasi caricaturale, avec par exemple celle des trois D de Joffre Dumazedier : Divertissement, Distraction et Développement 3 . Cela me parut « un peu » pauvre ou élémentaire pour traiter en profondeur de la psychologie du tourisme... Qu'apprenons-nous de plus sur ce sujet quand on s'approche de lui ? Ce matin, le voyage a été évoqué comme un comportement déterminé par la curiosité pour l'autre. Cette curiosité est pourtant loin d'aller de soi. Même quand on évoque des modèles comme Phileas Fogg ou Robinson Crusoé, dont on a fait des archétypes de voyage, il faut remarquer à quel point ces deux voyageurs-là sont peu curieux de l'autre. L'un est indifférent et l'autre xénophobe. Il ne faut pas se faire d'illusion : si Robinson Crusoé avait eu les moyens à sa disposition, il aurait exterminé tous les sauvages sur son île ; et il ne faut pas oublier que Fogg fait le tour du monde, Jules Verne le dit lui-même, comme un projectile guidé totalement inattentif aux pays qu'il traverse. Néanmoins, on a fait de ce naufragé et de ce globe-trotter des modèles. Comme quoi le savoir populaire accommode ces figures types du voyage et en fait des mythes selon ses désirs. Cf. Marc Boyer, L'inventiondutourisme, Paris, Gallimard, « Découvertes » n°288, 1996 - p.98 et suiv. 2 Robert Mandrou,IntroductionàlaFrance moderne. 1500-1640. Essai de psychologie historique, Paris, Albin Michel, 1998 ­ p.294 et suiv. [1961 et 1974]. 3 Joffre Dumazedier, Versunecivilisationdu loisir?, Paris, Le Seuil [1962]. « pour mémoire » 1 l hor s-sér ie -juillet 2012 54 L'intérêt de réfléchir sur le touriste est un problème que l'on a soulevé aussi ce matin en rappelant que le tourisme a existé après le touriste, comme industrie, commerce et organisation. Après tout, il est tout à fait envisageable de considérer que le touriste pourra continuer après le tourisme. Déjà dans son livre de 1972 sur le tourisme, Marc Boyer posait une question qu'on n'envisageait guère hier, ni aujourd'hui encore : est-ce que le tourisme est périssable4 ? Nous sommes tous peu ou prou en train de penser que le tourisme est quelque chose d'inépuisable. Que son marché ne peut qu'augmenter à l'infini si l'on s'y prend bien. Mais ce n'est pas parce que le nombre des voyages augmente que les possibilités commerciales augmentent elles aussi. C'est là que je voudrais évoquer les différentes formes que prend l'évolution des comportements avec un touriste devenu, engagé dans un processus d'autonomie croissante, un voyageur qui s'autoproduit et s'autoorganise de plus en plus, s'émancipant continûment d'une logistique et de services qu'on pense communément comme des médiations incontournables, voire immuables. Or le développement d'Internet est en train nous prouver exactement le contraire. C'est autour de cela que je veux un peu réfléchir avec vous. Au préalable, étant linguiste de formation, je pense qu'il y a déjà l'ambiguïté même des mots tourisme et touriste. Le problème de touriste est le même que celui du mot homme, qui renvoie tout à la fois à « genre humain » et à « espèce masculine » - à l'humain et au mâle. De même, le mot tourisme renvoie à la fois au genre « voyage fait pour hor s-sér ie - juillet 2012 le plaisir » (sens générique) et à l'espèce de voyage qui consiste à « faire un tour » (sens spécifique). C'est exactement ce second sens que retenait d'ailleurs Thomas Cook, qui parlait de ses voyages en termes de voyagescirculaires5 . Penser le tourisme et son évolution, c'est penser sa complexité, donc les différentes espèces qui constituent cette mobilité appelée génériquement tourisme. Faire un circuit, un tour, ce n'est pas la même chose que se transplanter en bord de mer ou ailleurs et y rester trois semaines sans bouger. Ce n'est évidemment pas le même projet. Ce n'est pas non plus la même chose que de faire des allers et des retours entre sa résidence secondaire et sa résidence principale. D'ailleurs, cette pratique a fait sauter au passage la définition ordinaire du touriste qui est « toute personne qui passe trois nuits ou davantage hors de son domicile principal, ou hors même de son domicile habituel ». Pour certains, cela ne colle pas : le résident secondaire va d'un chez lui à un autre chez lui. Il n'est pas hors de son domicile habituel. Donc nous avons affaire ici à une autre mobilité encore 6 . Viennent ensuite par simples combinaisons les formes hybrides, mêlant séjour, tourisme et résidence. Il faut bien voir que le vocabulaire doit nous inciter à la prudence, d'autant que ce n'est pas qu'une « affaire de mot » mais bien de concepts, donc une affaire de réalités. Ainsi, dire d'un tourisme qu'il est « de séjour » par opposition à un tourisme « itinérant » n'est pas cohérent. Tourisme itinérant est un pléonasme (comme prévoir à l'avance) et tourisme deséjour est un oxymore, contradictoire dans les termes (comme se hâter lentement), d'un point de vue linguistique du moins ! Mais pour parler de l'évolution des comportements touristiques avec une relative précision, il faut bien pourtant distinguer tout cela : cette diversité des usages exprimée par les mots, puisque c'est la variation même et les proportions de ces différentes pratiques de la mobilité qui sont indicatrices de tendances et d'évolutions. S'ajoute à cela un autre préalable essentiel. Pour comprendre un comportement « touristique », il faut savoir ce qui l'inspire. Autrement dit, un comportement n'est pas interprétable si on ne sait pas quelle attitude le détermine. On ne peut pas faire abstraction de cette part psychique au sein des pratiques et penser le touriste seulement en termes d'usager ou de client. Il faut aussi le penser en termes d'homme qui rêve, d'homme qui imagine et qui a un projet. Si on n'envisage pas le touriste comme cela, je ne vois pas très bien comment on peut faire de la prospective sur les tendances, puisque l'histoire de la société en général, donc des mobilités de loisirs en particulier, passe par l'évolution des désirs comme des phobies du citoyen, donc de ce voyageur. Marc Boyer, Letourisme, Paris, Le Seuil, 1982 ­ p. 237 et suiv. [1972]. 5 Cf. Daniel J. Boorstin, « Duvoyageurau touriste», in L'image ou ce qu'il advint du Rêve Américain, Paris, Julliard, 1963 ­ p.117. 6 Cf. Jean-Didier Urbain, Paradisverts.Désirsde campagneetpassionsrésidentielles, Paris, Payot & Rivages, 2008 ­ nouvelle édition augmentée [2002]. 4 l « pour mémoire » 55 D'où l'importance pour moi, en tant qu'anthropologue en tout cas, d'essayer de reconstruire les imaginaires et les représentations collectives qui sont à l'origine du désir de voyager. Et de comprendre comment ces représentations ont changé au cours du temps. Par exemple, à une époque, on voyageait pour sa santé, aujourd'hui on espère voyager sans attraper de maladies. Ce ne sont plus la même représentation du voyage ni le même voyageur qui circule. Cela est très net. Le dernier préalable auquel je pense est qu'une société a le tourisme qu'elle mérite. Comme le disait Marc Boyer, le tourisme n'est pas né n'importe où. Le tourisme est né en Angleterre, au début du XIXè siècle, et pas par hasard, puisque c'était là la société la plus urbanisée du monde. En 1861, 50% de la population britannique était dans les villes. Il a fallu attendre 1932 en France pour qu'il y eût pareillement 50% de la population dans les villes. On le sait, même statistiquement, c'est une loi quasi mécanique, plus une ville est grosse, plus elle émet du touriste, plus elle émet du voyageur. Il y a donc un lien de cause à effet avec un état de société. Autrement dit, le tourisme se dit à travers son touriste parce que le touriste est un symptôme de société. A travers les aspirations et les évolutions des désirs du touriste, se dit au fond beaucoup plus qu'une envie de voyager. Il s'y exprime une représentation du monde. S'y dit comment le touriste voit le monde. Comment le touriste va être attiré par certaines choses ou au contraire effrayé par d'autres. Comment aussi ce qui pouvait être des répulsions touristiques à une époque sont devenues des attractions touristiques ­ et inversement. Auparavant, ce voyageur évitait les favelas, les townships ou les slums. Maintenant, cela fait partie du patrimoine courant d'un « voyage circulaire » qui se veut un tant soit peu culturel. Ce qui était objet de dégoût jadis est devenu à présent un objet d'attirance... A ce propos, on a parlé de la mondialisation ce matin, comme s'il s'agissait simplement d'une extension de l'offre existante à de nouveaux clients. On pèche aussi beaucoup dans les expertises touristiques par ce défaut que j'appellerai la vanité de l'indigène. Nous croyons toujours être les mieux placés pour parler de notre pays et savoir ce qu'il offre de plus intéressant à l'oeil du visiteur étranger. Je crois que cela est particulièrement faux. C'est un peu comme la signalisation dans les villes : si elle si mauvaise, c'est parce qu'en général elle est faite par les indigènes. Il faudrait plutôt demander à un étranger de faire la signalisation : elle serait beaucoup mieux pensée. De la même façon, attirer des touristes chez soi, ce n'est pas forcément leur dire : « Venez chez nous parce qu'on a la Tour Eiffel et Notre-Dame». Il y a eu un reportage sur des touristes venant des grands pays émergents (BRICS), qui font des tours d'Europe en quinze jours. Qu'est-ce qui intéresse, par exemple, des Indiens visitant la France quand ils arrivent à Marseille ? Ce n'est pas NotreDame de la Garde, ni le vieux port ou la Canebière, mais comment est organisée la gare et quand ils vont pouvoir voir et prendre le TGV. Pour eux, l'attraction associée à la France, c'est le TGV. Vous voyez bien ici que si l'on accueille ce voyageur avec notre folklore et nos cathédrales, on peut être « un peu » décalé par rapport au désir et à l'attente de ce type de touriste... Le tourisme n'est finalement pas intéressant en soi. Il l'est comme symptôme de société. A travers lui, notre société (toute société) se raconte dans ses évolutions, ses mentalités, ses sensibilités. C'est pour cela que je me sens davantage anthropologue que sociologue car les sociologues ne s'occupent peu de ces faits. Avant qu'une discipline ne s'en empare, le synonyme d'anthropologie culturelle jusqu'au XIXè siècle, voire jusqu'au début du XXè siècle, était psychologie générale. L'objet de cette anthropologie est de déchiffrer et de reconstituer les mentalités, les représentations et les sensibilités collectives. C'est pour cette raison que l'anthropologue culturel se sent aussi très proche de l'historien des mentalités et des sensibilités. On peut évoquer à présent quelques tendances majeures. Il y a l'autonomie croissante du touriste, aux sens générique et spécifique. Ce sujet s'est émancipé des situations de surveillance et d'encadrement, des rythmes et cycles de vie imposés. C'est un voyageur qui a tendance à être de plus en plus fragmenté, voire éclaté en ses voyages, séjours, circuits et destinations. C'est aussi, vous le savez, quelqu'un qui a un rapport au temps modifié, dans la mesure où, avec des mobilités raccour« pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 56 cies et démultipliées, nos pratiques s'acheminent à l'horizon 2015 vers une moyenne qui serait de 5/6 jours pour les courts séjours7, lesquels s'allongeraient ainsi en contrepoint du raccourcissement des longs séjours de vingt à dix jours... Et quelqu'un qui a désormais un tel rapport au temps et à la vie ordinaire, si modifié, n'est plus une personne qui vit ses vacances sur le mode de la fin de cycle puisqu'elle est maintenant toujours suspendu entre deux voyages, en fait en transit perpétuel au sein de son quotidien. Quand on pense que le voyage pour motifs personnels en région parisienne atteint six voyages par an aujourd'hui et que le Français est au demeurant l'Européen le plus mobile sur son territoire, on en est maintenant à 45 km par jour et par habitant, ce qui est énorme (on en était encore à 30 km aux alentours des années 1990), force est donc de constater que l'on bouge beaucoup, de plus en plus souvent, pour des périodes de plus en plus courtes, au point même que s'est mis en place un tourisme international de proximité. Un week-end à Lisbonne, Berlin, Saint-Pétersbourg ou Cracovie n'est plus un grand voyage. Quand on voit que la Chine projette de faire une ligne TGV Pékin-Londres d'ici dix à quinze ans, mettant ces deux destinations à 72 heures l'une de l'autre, on ne peut même plus opposer l'argument de la fin de l'avion à cette évolution. Au niveau terrestre, se dessine d'autres solutions. Il est donc sûr que, de ce point de vue, on va voyager sans doute de plus en plus mais (peutêtre ou sans doute) selon des modalités très différentes. hor s-sér ie - juillet 2012 Comme vous le savez aussi, parmi les grands bénéficiaires de ces évolutions, vous avez le tourisme urbain. Il a explosé depuis une vingtaine d'années, alors que la ville était traditionnellement plutôt un lieu de fuite : un site plus émetteur que récepteur de touriste, à part les « villes cultes », objets de « pèlerinages » classiques. Je dirais que la ville explose comme destination parce qu'elle est un lieu de condensation adapté aux séjours courts, qui permet et offre bien des choses en un espace-temps restreint. Autre tendance, celle suscitée par ceux qu'on nomme les digital natives, les gens nés avec le numérique, qui sont des voyageurs opportunistes voyageant pour voyager mais qui se moquent passablement de la destination. Ils achètent parce que ce n'est pas cher mais, à la limite, ils ne consommeront pas leur achat, parce que ce n'est pas cher. Vous avez aussi ce que Josette Sicsic appelle si joliment les silver trotters, le voyageur du troisième âge, qui est en train d'inventer une nouvelle forme tourisme de retraite 8 . Ces gens sont des bi-résidents « délocalisés », qui vivent une partie de leur vie à l'étranger par choix et par économie. Ils sont de plus en plus nombreux. A l'appui de cette tendance à l'autonomie, on doit évoquer Internet et les nouvelles technologies. On dit qu'une voiture a autant d'électronique embarquée que le premier Airbus. Le touriste a, lui aussi, beaucoup d'électronique embarquée, pas seulement son portable ou son ordinateur mais encore son appareil numérique, sa carte bancaire, sa carte vitale internationale. Il peut surveiller ses comptes à 3000 km de distance ou plus sans problème. Il devient un cybertouriste qui vit dans la télécommunication, parfois avec excès, au point même de se ruer sur le premier cybercafé dès qu'il arrive quelque part plutôt que de visiter les lieux. Il passe son temps à envoyer des SMS et des MMS. Quand il se déplace, c'est avec son GPS, si bien qu'il ne peut même plus connaître les vertiges de l'égarement et les bonheurs du contact avec l'indigène à qui l'on demande son chemin. Cruciverbiste, il circule dans un monde quadrillé, maillé et préenregistré. Il y ainsi de très profonds changements. Avec cette nouvelle espèce de touriste, c'est le nouveau rapport au monde d'un être taraudé, hanté par sa relation prévisionnelle à la réalité, qui apparaît. Ce voyageur veut tout prévoir, avoir du « timing », ne pas être déçu, obtenir un retour sur investissement obligatoirement. Il ne veut pas rater son voyage parce que, pour lui, l'accident n'est pas une aventure, c'est une mésaventure. Tout ce qui sort du champ des possibles devient ­ je peux vous le dire, parce que j'ai travaillé sur 500 lettres de réclamations reçues à l'Observatoire national du tourisme ­ ce leitmotiv : « Ce n'était pas comme vous me l'aviez dit, j'ai été trahi ». Cf. Georges Cazes/Françoise Potier, « Un `systèmevacancier'français? », in Jean Viard, F . Potier et J .-D. Urbain,LaFrancedestempslibres etdesloisirs, La Tour d'Aigues, Éd. de l'Aube, 2002 ­ chapitre 2, p.56 et suiv. 8 Tant pour ces « boomers » inventifs que pour cette « génération Y » consumériste portée sur la braderie et le marchandage, voir Josette Sicsic, « Commentvoyagentlesavant-gardes? », in Touriscopie, publication mensuelle de veille sociologique et marketing en loisirs et tourisme, Paris, avril 2010. 7 l « pour mémoire » 57 schéma 1 schéma 2 Je pense que psychologiquement, nous entrons là dans une phase de la culture du voyage qui relève du donquichottisme, au sens propre du terme. Don Quichotte ne voyage pas pour voir le monde mais pour le vérifier : voir si ce qui est dans les livres correspond bien à ce qui est dans le monde... Quand un touriste dit en permanence « Ce n'est pas comme on nous l'avait dit », dans ce souci de vérifier, nous ne sommes plus dans une logique de découverte ni de rencontre mais bien dans une logique de contrôle et d'anticipation visant à retrouver des images et des situations déjà vues, programmées ou préconçues 9 . Je ne porte pas de jugement de valeur. Mais cette attitude anticipatrice et programmatique modifie complètement la psychologie du voyage. Une révolution est en train de se faire au regard de laquelle les mythes de la rupture, de la rencontre ou de l'aventure font un peu figure de vieilles lunes. Comment voulezvous que l'on valorise l'aventure alors que nous sommes à présent dans un univers de prévention ? Etymologiquement, c'est le contraire : l'aventure est ce qui advient ; la prévention est ce qu'on prévient ! Comment voulez-vous être un aventurier préventif ? Cela paraît curieux. Incompatible. Il y a ici encore un oxymore en forme de contradiction psychologique forte, voire paradoxale... Quand j'essaie de cerner les pôles psychologiques qui attirent le touriste, quelles sont les tendances fortes ? Dans le schéma 1, je propose une synthèse de ces tendances fortes, qui ne sont pas forcément spécifiques au touriste mais, génériques, propres à tout sujet. Selon ces deux axes, on distingue le Soi de l'Autrui et la Société du Désert. Puis les quatre désirs situés de part et d'autres de ces axes croisés : l'appel du désert, la rêverie cénobite (ainsi s'appelle le goût de l'ermitage collectif), la tentation sociétale (que traduisent les rapports fusionnels à des groupes affinitaires), et enfin le songe altruiste. J'ai bien mis « songe » parce que cela n'est peut-être en effet pour l'instant qu'un fantôme ou un mirage et pas encore véritablement un désir à l'objet clair. On rejoint ce que je vous disais à propos de Fogg et de Robinson Crusoe chez lesquels il n'y a pas de songe altruiste. Robinson se trouve un Vendredi, Fogg a Passepartout, puis Mrs Aouda, indienne que son serviteur sauve du bûcher et qui devient l'épouse du maître. Ces gens là ne rêvent pas de société, ni de l'autre, mais bien de compagnie. C'est la rêverie cénobite. De l'entre soi intime. Il me semble que c'est la tendance la plus forte aujourd'hui dans notre société. le schéma 2 permet d'expliciter ce qu'est l'appel du désert en termes de personne(s). C'est moi seul ou, à la limite, moi plus toi dans une relation narcissique. Le cénobitisme, c'est moi plus les miens. La tentation sociétale, c'est moi plus les mêmes. L'altérité, c'est évidemment moi plus les autres. Cf. Jean-Didier Urbain, Levoyageétaitpresque parfait.Essaisurlesvoyagesratés, Paris, Payot & Rivages, 2008 ­ conclusion, en particulier « Le complexe de la boule de cristal », p.483 et suiv. « pour mémoire » 9 l hor s-sér ie -juillet 2012 58 schéma 3 schéma 4 J'explicite dans le schéma 3 le désert sous la forme du vide, la grégarité sociétale sous la forme de la foule, le rassemblement cénobitique sous la forme de la tribu, et l'expérience de l'altérité sous la forme de l'Autre avec un grand A. Si les miens sont des êtres familiers, les mêmes ne sont que des inconnus tandis que les autres sont des étrangers ­ soit trois paliers bien distincts au sein de relation interpersonnelle. Dans le quatrième schéma, je montre que le désir de soi est une démarche extrêmement réflexive et introvertie par définition. Je dirais que quelque part, par le discours au moins et sa stratégie de communication, la figure emblématique au plan professionnel de cette introversion est illustrée par un voyagiste comme Terres d'Aventure. C'est le tourisme du désert, de nature, le tourisme du vide, non pas tant pour partager une expérience que pour avoir une transe, seul, en haut d'une dune ou d'une falaise, tout seul face à l'infini, comme un grand. On trouve des discours proches de celui des hor s-sér ie - juillet 2012 mystiques dans le catalogue de ce voyagiste. C'est tout à fait étonnant. Quand on regarde bien, on dirait presque que « c'est beau comme du Ella Maillart10 ». Ensuite, vous avez le désir des siens. C'est la tendance la plus forte, avec ce resserrement sur la tribu, la famille, le clan, le club, les amis, en termes de villégiature ou d'itinérance en bande. Le modèle du voyage aujourd'hui est représenté par le nouveau concept des petits groupes, entre 6 et 12 touristes. Ce n'est plus du tout le voyage collectif. De même, les bonnes vacances sédentaires se passent dans la résidence secondaire ou dans la famille des parents, où l'on vit dans un espace clos. C'est le syndrome de Candide démultiplié : on cultive son jardin et on est très heureux comme ça. C'est d'ailleurs, fondamentalement, cette simulation autarcique qui attire les gens à la campagne. Dans l'enquête que j'évoquais ce matin, faite par l'Observatoire nationale du tourisme sur les vacanciers fidèles à la campagne, pour quelles raisons fondamentales les gens vont-ils à la campagne ? Ce n'est pas pour la nature (8% des cas) mais pour le silence et les retrouvailles en famille et entre amis11 . La nature, c'est plutôt maintenant la montagne et le littoral, même s'il est passablement artificialisé ! C'est une question d'image. Certes, le désir de foule existe. On peut parler ici des sites balnéaires. La plage est un phénomène colossal qui, loin de se démoder, s'exporte et se mondialise du Vietnam jusqu'en Basse Californie. En France, la plage a la vie dure en dépit de sa mauvaise réputation. Cette forme de tourisme, qui relève en fait de la villégiature, résiste fort bien aux critiques des hérauts des loisirs culturels. Elle représente 30 à 35 millions d'individus concentrés sur 4% du territoire national entre juillet et août. On va à la plage pas seulement pour prendre un bain de Cf. Jean-Didier Urbain, L'idiotduvoyage. Histoiresdetouristes, Paris, Payot & Rivages, 2002 ­ p.230-232 [1991]. 11 Cf. J.-D. Urbain, Paradisverts.Désirsde campagneetpassionsrésidentielles, op. cit. ­ par exemple, chapitre X. 10 l « pour mémoire » 59 mer mais aussi pour prendre un bain de foule. J'ai travaillé sur ce sujet 12 . Je peux vous assurer que sur une plage déserte, les gens qui arrivent, par exemple les deuxièmes, ne vont pas se mettre le plus loin possible des premiers arrivés mais assez près. C'est la stratégie du hérisson, comme dit Schopenhauer, assez près pour se tenir compagnie, mais pas trop près non plus de peur de se piquer. Mais on s'agglomère quand même. Il y a là un désir d'être ensemble qui se dit, y compris à l'insu de ceux qui l'expriment par leurs comportements. C'est la tentation sociétale. Je pense que les parcs à thèmes, les campings, les croisières, les voyages organisés collectifs à 30 ou 40 relèvent de la même tendance, tout comme les festivals, grandes célébrations affinitaires s'il en fut ! Quant au désir de l'autre, il y a bien sûr les tourismes responsable, solidaire et humanitaire. Mais il ne faut pas se leurrer. Ils sont encore très marginaux et je ne sais pas si l'on peut envisager dans l'avenir un grand basculement altruiste dans les pratiques touristiques et, a fortiori, les mentalités. La première destination du touriste reste lui-même et les siens. Il est trop tôt pour se prononcer. Mais il y a bien néanmoins, outre celui d'un tourisme ethnographique déjà ancien, un marché du tourisme humanitaire, tourisme interventionniste et participatif, qui se commercialise et valorise ses voyages comme des expériences (souvent très onéreuses) de stages auprès de ceux qui rêvent d'incorporer un jour une ONG. Une anthropologue travaille sur les ramifications et les aspects équivoques de ce marché qui ne dit pas toujours son nom et surtout ses contradictions13 . Pour finir, je situerai le concept du Club Méditerranée. Ce matin, quelqu'un a dit que le Club Méditerranée était assez proche de Cook ! ? Mais cela n'a strictement rien à voir ! A l'origine, le concept a été pensé par Gérard Blitz, diamantaire anversois que le gouvernement chargea au sortir de la Seconde Guerre de la réinsertion des concentrationnaires belges. A cette fin, Blitz loua un hôtel en Savoie pour leur réapprendre à vivre ensemble. Puis quand il alla rendre visite à sa soeur quelques années plus tard, qui dirigeait un camp de toile à Calvi, il se dit : « Mais bien sûr, ce dont les gens ont besoin, c'est de vivre ensemble 14 ». Il avait eu l'idée de ce marché, très porteur fin des années 1940, début des années 1950, en pleine période de reconstruction, de mutation et d'urbanisation de la société. Son coup de génie fut de vendre du lien social. Du moment qu'il y a le soleil, la mer et un lieu clos, le Club Méditerranée peut s'installer partout. Il n'a strictement rien à faire du dehors. C'est bien pour cela qu'il a introduit le paréo, y compris à Tahiti, mais aussi en Grèce ou en Sicile. Le Club est dans l'anachronisme le plus total parce qu'il est dans l'utopie sociale. Son projet n'est pas le monde mais l'entre soi. Ce créneau a fait la gloire du Club Méditerranée, qui s'est très astucieusement situé, me semble-t-il, à mi-chemin du cénobitisme et de la grégarité, sur la diagonale du plaisir qui relie la tribu à la foule ­ et réciproquement15 . M. Michaux évoquait le manque de recherche dans le domaine de l'anthropologie. Effectivement, je suis dans la logique de l'autofinancement et de l'autoproduction depuis des années. Nous manquons cruellement de recherches et de moyens d'en développer en la matière. C'est bien pour cette raison, et en dépit des multiples intérêts qu'il y aurait à le connaître mieux, qu'on ne sait pas le plus souvent qui est au juste le touriste, lequel est la plupart du temps mal nommé de surcroît. 12 J.-D. Urbain, Surlaplage.Moeursetcoutumes balnéaires(XIXe -XXe siècles), Paris, Payot & Rivages, 2007 [1994]. 13 Nadège Chabloz, « Lemalentendu.Les rencontresparadoxalesdu`tourismesolidaire' », in Nouvelles [?] frontières du tourisme, Actes de la Recherche en Sciences sociales, n°170, Paris, Le Seuil, 2007. Voir aussi, dans le même n°, « Visiter les pauvres » de Xavier Zunigo. 14 Voir le remarquable article de Alain Ehrenberg, «LeClubMéditerranée:1935-1960 », in Les vacances. Un rêve, un produit, un miroir, revue Autrement, n°111, janvier 1990 ­ p.117-129. 15 Pour plus de commentaires et d'exemples sur cette typologie, cf. J.-D. Urbain, L'EnvieduMonde, Paris, Bréal , 2011 ­ Partie V, p.187-226. « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 60 éclairages et témoignages Des congés payés à l'ARTT : petite histoire du tourisme social Patrick Brault, Président de l'UNAT Résumer cinquante années de l'histoire du tourisme social en une demi-heure, est une mission bien difficile mais je vais essayer d'être fidèle à cette belle histoire. Cette brève intervention porte sur la grande histoire du tourisme social : mon prédécesseur, François Soulage, aujourd'hui président du Secours catholique, disait, dans une préface au livre de Jacques Chauvin, que « le développement du tourisme social et associatif en France était sans doute l'une des plus belles aventures de la seconde moitié du XXè siècle ». Avant 1936, il n'y avait pas de tourisme très organisé mais des initiatives associatives et généreuses. Des organisations populaires et laïques, proposaient déjà quelques aménagements d'activités de loisirs, éducatives et sportives notamment auprès des jeunes et des enfants. Le premier grand opérateur fut la Ligue de l'enseignement, créée en 1866 par Jean Mace avec les fameuses « Demoiselles ». Ce n'était pas encore très structuré mais plutôt une idée humaniste et généreuse. Le Touring-Club de France avait été créé en 1890 surtout pour faciliter les déplacements, en s'occupant des hor s-sér ie - juillet 2012 l « pour mémoire » 61 routes, de toute la signalétique routière, des problèmes d'hébergement et de restauration pour les rares touristes d'alors qui pouvaient se promener. La première auberge de jeunesse a été créée en 1930 par Marc Sangnier militant démocrate chrétien, pour accueillir les jeunes. Le Centre laïque des auberges de jeunesse (CLAJ), constitué en 1933, connut un essor rapide : en 1939, il y avait déjà 500 auberges de jeunesse en France. La première maison familiale a été créée en 1897, à Sète, au Lazaret : il y en avait une quarantaine 1939, souvent gérées par des associations familiales et plutôt confessionnelles. Le 20 juin 1936, l'acte fondateur a été la création des congés payés par Léo Lagrange, alors secrétaire d'État aux Sports. Mais il faut reconnaître que ce droit n'était pas très demandé, et qu'il est venu s'ajouter dans une liste de revendications sociales. On s'est donc retrouvé avec douze jours de congés ! La SNCF a, paraît-il, transporté 900 000 personnes cette année là. Mais il n'y avait pas encore d'organisation efficace ni de lieu d'accueil. Le fait que des ouvriers partent en vacances, c'était une petite révolution qui n'était pas prévue. La première année, il n'y eut pas un succès extraordinaire. A cette époque, 12 à 15% des Français partaient en vacances. La démocratisation des vacances était en marche, mais on sait que la Deuxième Guerre mondiale brisa net cet élan. Au cours des années de reconstruction d'après guerre, Jean Monnet mit en place le premier plan touristique, avec Henri Ingrand, commissaire au Tourisme, et Vincent Planque, inspecteur général du Tourisme, qui a traité les trois premiers plans. Il s'occupa d'abord de l'hôtellerie puis du secteur des vacances sociales. La création de la Caisse nationale des vacances, ancêtre de l'ANCV, par Jules Moch en 1948 ministre des Travaux Publics en charge du tourisme, n'eut pas un grand succès et périclita au bout de quatre-cinq ans à cause du manque de financement de l'État pour couvrir la différence entre ce que payaient les salariés et la valeur faciale de ce chèque vacances de l'époque. Le monde associatif s'organisait petit à petit après la guerre, avec trois grandes mouvances : la mouvance laïque de l'éducation et des enseignants, la mouvance politique et syndicale (Tourisme et Travail en 1944) et la mouvance chrétienne et familiale. Il y eu aussi des initiatives personnelles comme la création du Club Méditerranée par Gérard Blitz, initialement sous statut associatif (1950). Le fort développement économique au cours des fameuses Trente Glorieuses permettait des conditions très favorables pour l'évolution rapide des congés payés (trois semaines en 1956, quatre en 1969, cinq en 1982) et la forte progression du pouvoir d'achat (selon les statistiques de l'INSEE, + 5,9% par an entre 1969 et 1973, avec une pointe de + 10% en 1962). Dans ce conteste, des acteurs institutionnels et sociaux s'impliquaient dans l'essor du tourisme social. Même si le ministère du Tourisme n'a reconnu le concept de village de vacances qu'en 1968, l'État s'impliquait quand même. D'abord le ministère de l'Agriculture pour participer à l'aménagement du territoire, puis plus tard, le ministère du Tourisme. Il faut souligner que la dernière implication de l'État, reste le plan Patrimoine puis le plan de consolidation initié par Michèle Demessine, qui s'est malheureusement arrêté depuis 2005. Les Comités d'entreprise s'impliqueront beaucoup et, plus tardivement, les Comités d'oeuvre sociale et les Comités d'action sociale qui apporteront des aides directes à leurs salariés, souvent attribuées en référence à des quotients familiaux. Il y avait aussi des apports aux associations, pour financer les investissements sur les équipements, en contrepartie de systèmes de droits de réservation prioritaire. On a ensuite vu la création de villages de vacances par de gros comités d'entreprises (CCAS, RATP, SNCF, France-Telecom, la Snecma, la Poste, Air-France, Michelin, etc.) ce qui pose d'ailleurs aujourd'hui des questions pour pérenniser ce parc. Les Caisses d'Allocation Familiales (CAF) apportaient une aide directe aux familles, via les Bons Vacances, chacunes avec ses critères sélectifs spécifiques, même si la Caisse nationale donnait (encore aujourd'hui) une orientation générale nationale sur la politique familiale des vacances. Le conseil d'administration de la CNAF a cessé d'attribuer des subventions pour la création et la rénovation d'établissements en 1994. Les CAF s'interrogent aujourd'hui sur l'avenir de leurs propres établissements et en confient maintenant la gestion de plus en plus souvent à des opérateurs associatifs. « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 62 La création de l'Agence Nationale du Chèque-Vacances (ANCV) en 1982, après une longue gestation, a donné naissance à un acteur essentiel dans le développement des politiques sociales des vacances. La progression de son activité a été très importante : 3,3 millions de salariés en ont bénéficié en 2010 (3 Mds d'encours) et 130.000 bénéficiaires d'aides directes en 2011 (21 M), avec des perspectives de croissance plus importantes depuis l'ouverture des chèques-vacances aux PME et PMI en 2009. Pour permettre l'accueil de tous les publics et favoriser la démocratisation des vacances, de très nombreux opérateurs ont vu le jour, surtout après guerre. On peut citer : Jeunesse au Plein Air, (JPA), l'an cienne fédération nationale des oeuvres laïques des enfants et des vacances des adolescents (1938) ; l'association Tourisme et Travail qui fédérait, au-delà de la CGT et du Parti Communiste, des organisations comme la CFTC (1944) mais qui a périclité en 1986. La Fédération française de Tourisme populaire en a été une scission (1949) ; L'Organisation Centrale des Camps d'Auberge de Jeunesse, OCCAJ, était plutôt dans la mouvance démocratechrétienne et a regroupé beaucoup d'opérateurs par la suite. Fédération des Maisons Familiales La (1949) ; L'association Léo Lagrange (1950) ; FNACVAL (1953) ; La Renouveau (1954) ; Ligue de l'Enseignement qui a créé La ses propres maisons familiales (1955) ; L'association VTF qui provenait de hor s-sér ie - juillet 2012 la fusion de fédérations de tourisme populaire des années 1945-1950 ; FUAJ un des acteurs très imporLa tants, fusionnée de deux fédérations en 1956, qui gère aujourd'hui 160 auberges de jeunesse en France, sans compter les réseaux internationaux ; Centre nautique des Glénans, créé Le par Madame Vianney à partir d'un centre de formation international (1946) ; l'association VVF créée à l'initiative de la Caisse des dépôts, de la CNAV, de la Fédération française de tourisme populaire et de l'OCCAJ (1958) ; l'Union des Centres de vacances UCPA qui a regroupé des centres de montagne et nautiques (1966) ; L'association VAL très concentrée à l'origine sur le développement touristique en Auvergne (1968) ; l'UES-Vacanciel qui regroupe toutes les mutuelles qui ont des politiques de vacances sociales. Je n'ai pas parlé de tous les opérateurs, mais on voit bien que, après la guerre, il y a eu des initiatives très importantes. Parallèlement, le taux de départs en vacances augmentait, comme l'ont montré les études de l'INSEE dans ce graphique (ci-dessous) fait par Gilles Caire. Quand on met en parallèle le taux d'équipement en voitures et en télévisions, on voit bien qu'il y a eu une progression forte depuis 1945. Mais, depuis 1990, ce taux de départ stagne et a même un peu régressé, malgré un léger progrès en 2010. Globalement, on tourne autour de 60% de taux de départs de nos compatriotes, ce qui veut dire qu'il y a environ 40% de Français qui ne partent pas en vacances. Le tourisme associatif à vocation sociale dispose de concepts et de valeurs. On en trouve les références dans des statuts et des chartes comme ceux de l'UNAT ou de l'Organisation Internationale du Tourisme Social (OITS) qui lors de son congrès de Montréal (1996) a ratifié et adopté une déclaration intitulée « Pour une vision humaniste et sociale du tourisme ». Les principaux critères de référence du tourisme social sont une activité créatrice de lien social, un objectif éducatif, culturel, social, sportif, et une Taux de départs français : Source des Taux de départ en vacances des en vacances INSSEfrançais 100,0 95,0 90,0 85,0 80,0 75,0 70,0 65,0 60,0 55,0 50,0 45,0 40,0 35,0 30,0 25,0 20,0 : Historique INSEE Estimations Automobile Vacances Téléviseur 1936 : 12 % 1951 : 22 % 1958 : 31 % 1964 : 44 % 1973 : 50 % 1980 : 57 % 1990 : 59 % 2000 : 62 % 2004 : 65 % 2009 : 56 % (1) 2010 : 61 % (1) (1) Source : Opodo/Raffour l « pour mémoire » 1964 1965 1966 1967 1968 1969 1970 1971 1972 1973 1974 1975 1976 1977 1978 1979 1980 1981 1982 1983 1984 1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 Union nationale des associations de tourisme et de plein air ­ www.unat.asso.fr 8, rue César Franck ­ 75015 Paris / Tél: 01 47 83 21 73 63 gestion désintéressée des équipements avec des résultats de gestion qui sont réinvestis par les opérateurs dans leur projet statutaire et non redistribués à des actionnaires privés La gouvernance est démocratique, souvent avec un statut associatif, qui n'est pas exclusif, mais qui reste très majoritaire. On peut aussi citer comme caractéristique du secteur la volonté de brassage social, une attention spécifique portée à la question des vacances pour les publics handicapés, des prix qui intègrent le souci de la pérennité économique mais aussi celui de l'objet social des membres de l'association, la dimension marquée du développement local et de l'aménagement du territoire qui vise à favoriser les partenaires et les emplois locaux, le respect des conventions collectives et des accords d'entreprise pour le personnel et, enfin, une ouverture européenne et internationale. A la fin des Trente Glorieuses, les temps ont changé. Le tourisme social a été confronté à sept principaux problèmes qu'il faut traiter : Un taux de départs en vacances qui stagne autour de 60 % et qui a même eu tendance à régresser depuis 2004 ; besoin important de rénovation Un d'un parc d'équipements vieillissant lié aux besoins de sauvegarde du patrimoine, à de nouvelles règles de mise aux normes ou en conformité et à l'adaptation aux attentes qualitatives de la clientèle ; Des financements qui se raréfient, avec la fin des interventions de la CNAF et de l'État en 2005 ; Les contraintes nouvelles de la directive européenne et la fiscalisation des associations dans les années 2000, avec la fameuse directive des quatre P (produit, public, prix, publicité) ; nouveaux concepts concurrenLes tiels, notamment l'hôtellerie de plein air et le développement des résidences de tourisme, des meublés, des gîtes ; nouveaux comportements Des de la clientèle (la fragmentation des séjours, les courts séjours, les loisirs de proximités) ; Des opérateurs historiques qui ne sont pas parvenus à réussir ces mutations et qui disparaissent progressivement du paysage. L'UNAT, est une belle aventure depuis qu'elle a été constituée en 1920 par l'Automobile Club de France, le Touring-Club de France et le Club Alpes français (qui est le seul membre fondateur encore existant, et qui vient de reconstruire « le refuge du Goûter » au pied du Mont Blanc, axé sur le principe très écologique de « zéro déchet »). Depuis 1929, L'UNAT est reconnu d'utilité publique. Notre siège social est installé depuis 1932 au 8, rue César Franck à Paris 15ème. Pour la petite histoire, l'UNAT traitait les examens du permis de conduire en France jusqu'en 1971 avant que le service ne soit repris complètement par l'État. L'UNAT est membre de l'Organisation mondiale du tourisme depuis 1963. On a créé en 1968 un fond mutualiste de solidarité et en 2006, l'association « Tourisme équitable et solidaire » (ATES) qui, avec une trentaine d'autres associations, fait du voyage solidaire, notamment dans les pays d'Afrique. L'UNAT assure la représentation et la défense de ses membres, le soutien de la politique sociale des vacances axées sur l'accessibilité au plus grand nombre, la représentation et les intérêts du tourisme français et de ses membres dans les instances internationales comme l'Organisation internationale du tourisme social (OITS). L'Union rassemble 56 membres nationaux. Il y a un peu plus de 500 membres régionaux dans 21 UNAT régionales, 1 500 établissements pour 226 000 lits touristiques (5 % du parc touristique français, mais 10 à 15 % des lits dits marchands) 3,3 millions de personnes accueillies pour 24 millions de nuitées, 2,6 Mds de chiffre d'affaires et 20 000 emplois ETP. Je finirai mon propos en évoquant les quatre grands enjeux du tourisme associatif à vocation sociale pour demain. Il faut qualifier la pertinence de son action économique et sociale. Elle est parfois remise en cause (« à quoi servez-vous ? Quel est votre rôle ? Quelle est votre pertinence puisqu'il y a 40 % Français qui ne partent pas en vacances ? »). Par les temps qui courent, ce n'est pas tout à fait évident de gérer des notions importantes telles l'intérêt général et le brassage social. Il nous faut aussi accompagner les politiques territoriales menées depuis 10 à 15 ans par les régions dans le cadre de leurs schémas directeurs de développement touristique. Une des priorités est de garder l'accessibilité de nos produits à travers les politiques tarifaires. Il faut adapter notre offre pour répondre aux demandes du plus grand nombre. « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 64 Pour la rénovation du parc d'hébergement, on fait plutôt du travail qualitatif que du travail quantitatif. Comme tous les autres secteurs du tourisme il nous faut encore plus travailler sur la qualité des prestations, l'évolution des normes et le développement durable. Ce sont toutes les questions que Jean Didier Urbain évoquait à travers l'évolution des désirs. Trouver des financements, c'est un vrai problème et une urgence. Globalement, le tourisme social s'est développé avec des financements publics ou d'acteurs sociaux et des financements venant de son exploitation. Demain, il faudra trouver ce que j'appelle une troisième voie financière, à partir de mécénats et/ou de sources diversifiées plus importantes ce qui commence à se faire. Le quatrième grand enjeu consiste à internationaliser son action. On a une opportunité qui s'ouvre : Depuis le traité de Lisbonne de 2007, le tourisme est devenu une compétence européenne. La Commission a récemment mis en place un pré-programme qui cherche à mobiliser l'ensemble du tourisme associatif dans l'ensemble des pays européens, baptisé du nom de « Calypso ». Il a été doté de 3,5 M pour faire une pré-étude sur les politiques sociales dans les pays membres et voir comment on peut faire des tests pour développer le tourisme social au sein de la Communauté européenne. L'UNAT et plusieurs de ses membres ont adhéré à l'OITS pour développer le tourisme social en Europe et demain mondialement. Échanges avec la salle Alain Monferrand Comme vous avez été d'une précision quasi suisse sur l'horaire, vous avez droit à des questions, j'imagine. Philippe Moisset Est-ce qu'on travaille avec un flux, un patrimoine d'associations fixes, et s'en crée-t-il encore ? Quelle est la dynamique des opérateurs aujourd'hui ? concours de BVA qui a été très probante sur ce sujet. Par exemple le tourisme social n'a jamais été très ouvert aux populations des seniors, même s'il y a des opérateurs spécialisés sur ce public comme Vacances Bleues. Hors depuis quelques années maintenant, nous accompagnons l'ANCV dans le développement de son programme « seniors en vacances ». Cela parait maintenant un enjeu d'avenir au vu de l'évolution sociétale. Patrick Brault Il se crée encore des petites associations locales mais peu qui ont une structure d'envergure au-delà de leur territoire proche. On est plutôt dans la recherche de regroupements, de mutualisation pour avoir une meilleure visibilité afin de pouvoir occuper à la fois le terrain économique et le terrain social. Jean-Didier Urbain C'est pour cela qu'il est important de penser qu'il y a des raisons sociales de ne pas partir. Patrick Brault On considère que c'est la moitié de la population française qui ne part pas pour des raisons économiques. Le reste, ce sont les freins sociaux, personnels, professionnels, etc. Philippe Moisset Il en disparait ? Patrick Brault Oui, il en disparaît, et quelque unes récemment encore. Ce ne sont pas de grands noms, heureusement. Jean-Didier Urbain Une chose m'avait beaucoup frappé. Une des raisons avancées, dans 10 % des cas, est la solitude : les célibataires, les veufs ou les divorcés sont des gens qui partent moins, parce qu'ils se sentent déjà fragilisés socialement au quotidien. Ils voient le voyage comme une surexposition. Jean-Didier Urbain Vous avez rappelé le taux de 40 % de Français qui ne partent pas. Il y a un problème qu'on avait soulevé à la DATAR il y a quelques temps : ces non-partants, on les estime un peu rapidement comme des gens qui ne partent pas parce qu'ils ne le peuvent pas. Or, il y a des non-partants volontaires. Patrick Brault Il y a d'autres freins. Je suis président d'une petite association qui s'occupe du départ en vacances, pour des publics familiaux et jeunes très fragiles. On a par exemple 3,5 millions de personnes en France qui sont qualifiées « d'aidants », et pour les Caisses de retraite, cette question de la dépendance devient un Patrick Brault Il y a une étude de l'ANCV faite avec le hor s-sér ie - juillet 2012 l « pour mémoire » 65 vrai sujet de société. Mon association a d'ailleurs reçu le 1er prix de la fondation AG2R pour l'action qu'elle mène auprès de ces publics d'aidants. En général, les aidants sont des enfants ou des parents qui aident toutes les personnes qui ne peuvent plus se déplacer et/ou qui ont des handicaps. Pour les « aidants », laisser seul pendant 15 jours l'un de leur proche qui est non-mobile pour partir en vacances, c'est psychologiquement impensable. Il faut donc mener toute une action d'accompagnement préalable au départ. Ils ont besoin en même temps d'un répit, parce que c'est très exigeant à tout point de vue d'accompagner quelqu'un qui est handicapé ou qui est dans une maison médicalisée. C'est un des sujets sensibles sur lesquels je travaille très fortement d'autant que ces situations se développent. Les Caisses de retraite sont fortement parties prenantes de ce programme. Dans les années 1990, avec le développement du marché du tourisme et la pression foncière, il y a eu une tendance et une volonté de faire partir le tourisme social de ses implantations, parce qu'il y avait la possibilité d'y réimplanter des activités touristiques beaucoup plus rentables, d'où une période assez difficile pour le tourisme social. Il avait des équipements devenus obsolètes, du fait du peu de moyens dont il disposait. Surtout, on souhaitait récupérer les terrains sur lesquels ils étaient implantés. C'est vrai qu'un VVF à Cogolin ou à Saint-Tropez, ce n'était pas aussi prestigieux qu'un hôtel 4 étoiles ou une résidence de luxe. Ce phénomène a-t-il eu tendance à s'atténuer, le tourisme social est-il sorti un peu de la zone de turbulence ou bien est-ce toujours pareil ? Sur le bord de mer, il y a bien sûr la pression foncière qui est extrêmement importante si on veut y garder des hébergements du tourisme social. Personnellement j'ai dû intervenir récemment sur des situations de ce type en tant que Président de l'UNAT. C'est un vrai problème que de pouvoir garder une accessibilité tarifaire pour le grand public dans des secteurs balnéaires. Alors que la mer reste très attractive pour des familles avec des enfants, on a du mal à conserver des établissements sur le littoral là où il y a des pressions foncières très fortes. Les collectivités concernées s'interrogent souvent pour pérenniser une activité de tourisme social alors qu'elles ont potentiellement sur place des actifs importants, qu'elles sont tentées de réaliser d'une manière ou d'une autre. Le tourisme social a une vraie difficulté devant lui, pour à la fois tenir 40 à 50 % du parc qui se trouve sur des territoires touristiquement fragiles (et tout ne pourra probablement pas être gardé en totalité) et conserver aussi un patrimoine dans les zones touristiquement attractives, tout en essayant de résister aux pressions foncières et immobilières. Je ne veux pas développer davantage, mais j'aurais beaucoup de choses à dire sur ce sujet crucial pour l'avenir du secteur. Gérard Ruiz Patrick Brault a souligné le rôle qu'a joué le secteur du tourisme social dans l'aménagement du territoire. Sous le contrôle de Philippe Moisset qui, je crois, l'a beaucoup vécu, le tourisme social a souvent été un des pionniers en matière d'aménagement du territoire parce qu'il a été appelé par des collectivités territoriales pour s'implanter dans des espaces où les investisseurs privés ne voulaient pas aller au départ et où il n'y avait pas de marché. Juste après la guerre, le tourisme social était certainement implanté dans les lieux les plus emblématiques du tourisme, tels que la presqu'île d'Hyères, à la montagne (La Plagne, l'Alpe-d'Huez, etc.) ou en bord de mer (en Bretagne...). Patrick Brault Je crois qu'il est en plein dedans. En gros, sur les 1 500 établissements du secteur, il y en a à peu près la moitié qui est la propriété d'une collectivité territoriale et l'autre moitié qui est la propriété de l'économie sociale (associations, caisses d'allocations familiales, comités d'entreprise, mutuelle, etc). On a bien les deux problèmes que tu cites. Il y a des contraintes économiques très compliquées sur les territoires : ainsi 40 à 45 % de l'offre de tourisme social est faite sur des territoires ruraux ou de moyenne montagne, en difficulté, qui ont souvent été créés avec des politiques d'aménagement du territoire par les compagnies d'aménagement de l'époque, comme la Compagnie du BasRhône, ou la Somival. Alain Monferrand Nous allons précisément, après cette question, parler d'aménagement. Les années qui ont vu le développement du tourisme ont vu aussi des tentatives d'aménagement de grands espaces. Il s'agissait des espaces de montagne « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 66 qui n'avaient pas encore fait l'objet de stations : il y en avait beaucoup, c'était un potentiel énorme. Philippe Moisset, à l'époque jeune ingénieur du Génie Rural à Chambéry l'a vécu. Il va nous parler du fameux plan Michaux ; Puis Jean-Pierre Catalàa, qui était l'adjoint de Monsieur Biasini, va nous parler de la MIACA, la Mission d'aménagement de la Côte aquitaine, un peu vécue comme une sorte d'amélioration par rapport à ce qui s'était passé avec la mission Racine sur la côte languedocienne. Dates clés Nombre de semaines de congés payés 1936 : 2 semaines 1956 : 3 semaines 1968 : 4 semaines 1982 : 5 semaines Camping 1936 : Illustration fournie par M. Boyer hor s-sér ie - juillet 2012 l « pour mémoire » éclairages et témoignages Les grands plans d'aménagement touristique des Trente Glorieuses 67 Le plan neige de l'ingénieur général Michaux Philippe Moisset, ancien directeur de l'AFIT ©MEDDE Je vais essayer d'évoquer rapidement les développements assez atypiques qui se sont produits durant cette période d'une trentaine d'années, en prenant le terme de « Plan-neige » au sens général, pour nommer le développement très volontariste du tourisme d'hiver qui s'est déroulé entre les années 1960 et 1990 dans les montagnes françaises. Je vous en parle comme un témoin, pas comme un universitaire ou un historien, pour vous donner des impressions, des souvenirs, des jugements qui, évidemment, peuvent sans doute être contestés. Mais on ne peut pas s'exonérer de son histoire, c'est le point de vue que j'ai mémorisé. Je vais vous parler d'un ensemble d'idées et d'opérations innovantes qui sont nées sur le terrain à cette époque, et non, comme on pourrait l'imaginer, dans les bureaux d'une administration centrale ou même dans le cerveau génial d'un ministre. Ce sont les Savoyards qui ont principalement inventé ce développement des stations de sports d'hiver : comme souvent, l'innovation est fille de la nécessité plutôt que de l'intelligence théorique. Il y a eu une récupération et un encadrement public par l'État central, à partir du moment où les choses se sont mises à décoller d'une façon un peu significative. Je vous ai parlé de la montagne avant le plan neige, non pas pour émettre l'idée que c'était vétuste et gris auparavant : en effet, il y avait, avant la guerre, des développements de stations de sports d'hiver, principalement à partir de sites habités existants (le téléphérique des Glaciers à Chamonix dans les années 1930, des remontées mécaniques à Val d'Isère,... qui s'étaient construites à partir de villages). Les sports d'hiver en tant que tels étaient identifiés comme une activité de loisir à la mode. Trois initiatives intéressantes en site vierge en sont le témoignage : un Anglais, Lindsay, qui s'était installé à Méribel parce qu'il trouvait ce village très joli et il avait commencé à développer la station, Rochebrune à Megève, lorsque la famille Rothschild décida d'en faire un lieu de villégiature et, en Italie, à Sestrières, avec Agnelli. Les sports d'hiver existaient déjà avant la guerre, la pratique de loisir du ski avait été déjà expérimentée depuis le début du siècle, ainsi que son développement en site vierge. C'est probablement ce qui a alimenté les réflexions de la période de l'occupation. Selon la légende, que je n'ai jamais vérifiée personnellement auprès de Maurice Michaux, il est convenu que ce dernier et Laurent Chapis, dans leur stalag de prisonniers de guerre en Allemagne, discutaient beaucoup de tout cela plutôt que de jouer aux cartes, Val-d'Isère : Téléphérique-1952 Camille Hugel « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 68 et inventaient petit à petit les principes des développements futurs de stations en site vierge. Rentrée en Savoie, cette équipe proposa une démarche étonnante au Conseil général qui topa pour créer quelque chose qu'on n'avait jamais vu : une station de sports d'hiver nouvelle, dans un site d'altitude, avec des idées d'aménagement bien arrêtées, sur la séparation du ski, des voitures et les pistes, qui devaient se concentrer sur une grenouillère devant les bâtiments afin de permettre une pratique sans recours à la voiture. La structuration de la pensée de l'aménagement de la montagne était faite. Le département accepta d'aménager la station de Courchevel comme un grand lotissement sur un espace de maîtrise foncière, de prévoir les pistes, d'installer les remontées mécaniques, de créer les infrastructures et de revendre les terrains équipés à des particuliers ou des promoteurs. A l'époque, quelques chambériens avisés ont acheté vraiment à bas prix les chalets du jardin alpin. S'ils les ont encore, je peux vous dire que la taxation des plus-values - heureusement c'est ancien ­ risque d'être assez sévère... Le département créait cette opération avec un moteur financier qui était la vente de lots à des promoteurs ou à des individuels. Bien entendu, il assumait le portage de l'opération parce que la difficulté de celles-ci consistait, comme toujours, à fournir la trésorerie intermédiaire entre le moment où on investit énormément et celui où l'agent commence à rentrer. La collectivité publique pouvait le faire à l'époque, financièrement et juridiquement. Et cela marchait. Pourquoi ? Parce que les aménageurs avaient vu juste. Ils avaient la liberté, sur un terrain qui avait été bien choisi, de placer les choses là où il le fallait et de tout faire fonctionner pour le plaisir du skieur, ce que ne pouvaient pas faire évidemment ceux qui tiraient des remontées mécaniques à partir d'un village où il y avait les parcelles, la redescente, où il fallait passer chez Albert et pas passer chez Jules... etc. C'était bien plus compliqué. Là, on faisait comme il fallait rationnellement faire. Voici Courchevel. Vous voyez le schéma général tel qu'il se développait à l'époque et qui était exemplaire. Les fondamentaux fonctionnaient bien, l'économie décollait. On s'apercevait que tout ceci reposait sur les deux marchés très solides de l'immobilier de loisir (on vendait des appartements) et du séjour. A l'époque, pratiquement jusqu'aux années 1980, il ne s'est pas fait beaucoup d'études marketing sur tout cela. On considérait que le marché était là. On était au temps des Trente Glorieuses. Les pouvoirs d'achat grimpaient, il y avait des clients pour tout ce qu'on faisait. Le modèle Courchevel n'était pas reproductible parce qu'il était trop public : il impliquait trop la collectivité publique et les crédits publics. Donc on partit sur l'idée de mettre en piste, à partir de cet exemple, des opérateurs privés, dont l'intervention était encadrée et facilitée par la collectivité publique. Petit à petit les opérations commencèrent à se multiplier. Parallèlement, un conflit latent commençait à se manifester. La création du parc national de la Vanoise en 1963 résultait d'un arbitrage, puisqu'il fallut y tracer une limite entre les territoires qui étaient considérés comme domaines skiables équipables et ceux qui relevaient de la hor s-sér ie - juillet 2012 Courchevel l « pour mémoire » 69 protection de la nature. Si on n'entendit pas trop parler de ce conflit à l'époque, cela tenait en grande partie aux qualités des négociateurs des deux côtés et au fait qu'ils avaient besoin de conclure. M. Bardel, le créateur du parc, était un homme remarquable, plein de diplomatie, de courtoisie, d'une grande qualité humaine. Cette négociation a abouti, le trait a été tracé : les domaines skiables ont été sauvegardés, l'essentiel de la nature a été protégée et mise en valeur. Cela s'est fait. Mais cette démarche a mis en valeur les potentialités du développement du ski en Savoie, et les protecteurs de la nature de l'époque, principalement des forestiers, commençaient à se poser des questions sur le développement de ce système. Les affaires démarraient. L'État suivait en créant au Fonds de Développement Économique et Social (FDES) des prêts bonifiés, principalement destinés aux remontées mécaniques. Pour juger des projets, il créa informellement une commission, la commission Michaux ; où on retrouvait les quatre ministères principalement concernés et qui émettait un avis sur la faisabilité des dossiers. Tout ceci se formalisa par suite des tensions avec les forestiers et les défenseurs de la nature. En 1964, le gouvernement créa une Commission interministérielle ad hoc, présidée par le Commissaire général au Tourisme. L'administration du tourisme avait alors la prééminence. Cette commission d'arbitrage sur les difficultés et des conflits et donnait le feu vert au développement des stations nouvelles. On créa un service spécialisé (le SEATM) qui avait la particularité d'être localisé à Chambéry et qui a été l'opérateur de la commission interministérielle. Il étudiait et rapportait tous les dossiers qui venaient devant la commission. A l'époque, des personnalités de premier plan soutenaient toute cette avancée, passablement savoyardes d'ailleurs. A l'origine, les conseillers généraux qui décidèrent de lancer la station de Courchevel étaient plutôt de gauche (Pierre de la Gontrie, Pierre Cot, l'ancien ministre du Front Populaire qui siégeait au Conseil général de la Savoie, le père de Jean-Pierre Cot, devenu ensuite ministre) mais aussi de droite (Antoine Borel ; les ministres ou secrétaires d'État au Tourisme Pierre Dumas et, ultérieurement ; Joseph Fontanet qui était président du conseil général en 1964) et des commissaires généraux (Ravanel, familier de Chamonix, JeanPierre Dannaud) tous des hommes de grande qualité qui accompagnaient cette aventure avec leur sensibilité propre. Le SEATM élaborait sa « doctrine ». Il faisait un recensement général des sites français de toute la montagne française, à partir de critères techniques stabilisés par l'expérience et que je ne peux traiter faute de temps... Il s'élaborait alors une doctrine technique assez cohérente, je pense, qui permettait de sélectionner les sites les plus favorables. Le plan neige proprement dit était inscrit dans le Plan national 1971-1976, avec des moyens pour subventionner les infrastructures, gérés par le SEATM sur proposition des préfets. Tout ceci était désormais impulsé fortement par le niveau central. J'ai écrit que le SEATM était respecté et détesté. Il était respecté parce qu'il était compétent, il était l'émanation d'une volonté de l'État, il rapportait auprès de la Commission interministérielle de la montagne, il donnait des feux verts pour des financements, il avait une compétence technique particulière sur les domaines skiables, avec Émile Allais et Jean Cattelin, et, enfin, il était très volontariste. Mais il était aussi détesté. Ce que ce que l'on ne dit pas beaucoup, c'est que le SEATM a largement contribué à tuer dans l'oeuf beaucoup de projets déraisonnables : cela ne faisait pas des amis. Des projets étaient déraisonnables parce qu'ils étaient mal situés, qu'on ne pouvait pas y accéder, qu'ils étaient à l'ombre ou les pistes au soleil, qu'il y avait trop d'avalanches. Il y avait là d'excellentes raisons techniques pour refuser des dossiers mais aussi la crédibilité de l'aménageur pressenti qui n'était pas sérieux ou n'avait pas la dimension suffisante. Entre 1965 et 1990, les développements de stations se multipliaient, dont beaucoup d'entre eux en Savoie. Après la mise à l'écart de Maurice Michaux au début des années 1970, le SEATEM poursuivit activement ses travaux sous l'égide de Vincent Cambau, qui aurait aimé être là aujourd'hui. Il a été mon patron au service de la montagne entre 1972 et 1978, le bras droit de Michaux et un des détenteurs de la mémoire du Service. J'aimerais « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 70 bien le décider à écrire. Car on a écrit sur l'action du SEATM plutôt dans les universités et les vrais acteurs n'ont pas, à mon avis, suffisamment témoigné. Il faudrait que je m'y attache avec Vincent ...si j'arrive à le décider... Tout ceci se déroulait jusqu'à l'année 1990 qui a été considérée comme un tournant par l'intervenant précédent. L'année 1990 a été la fin d'une étape. On se posait la question du développement un peu aveugle de la production de lits, alors que la clientèle stagnait déjà depuis un certain nombre d'années. Les taux de départ aux sports d'hiver n'évoluaient pas. Une grande étude démontrait qu'il faudrait commencer à être vigilant. Il y eut une crise immobilière, deux années de manque de neige, bref, ça commençait à aller moins bien. Mais tout ceci est une autre histoire. Je vous ai montré une équipe de patrons du SEATM, rassemblés en 2001 ; C'était à peu près figurateur parce qu'on y voit trois IGREF et trois ingénieurs des Ponts et Chaussées. Vous avez de gauche à droite Vézinet, Pesset, Huet (IGREF), Moisset, qui n'a jamais été directeur, mais seulement adjoint, Cumin, Cambau et Charry. En guise de conclusion, je dirai que cette histoire a été peu ordinaire. C'est si difficile de générer du développement. Je suis allé plus tard à la DATAR où c'est ce qu'on essaie de faire en permanence et j'ai pu constater combien ce n'est pas facile. Et pourquoi cela a-t-il si bien marché ? Je pense d'abord que la prise de risque sur le concept avait lieu sur le terrain chez des hommes qui ne savaient peutêtre pas à quel niveau ils risquaient leur argent ou leur image politique. En tout cas, cette prise de risque et le modèle ont été pris en charge sur le terrain par des acteurs proches des réalités et des clients. La démarche était rationnelle et méthodique, (c'étaient des ingénieurs.... des architectes aussi... Il y avait des architectes, mais ils se chamaillaient plus que les ingénieurs) Les marchés étaient très porteurs dans cette période des Trente Glorieuses. Il y avait du répondant. L'État savait mettre en place des financements à long terme parce que tous ces aménagements nécessitaient des financements à long terme et à taux bas. Les contrats publics-privés me laissent rêveur aujourd'hui. Pour avoir participé au conventionnement de contrats publics-privés récemment, ce sont des armées d'avocats très haut de gamme et très chers qui produisent des quantités de documents très épais où, tout est prévu. Ils se bagarrent longtemps. A l'époque, on faisait une convention de concession qui devait tenir en 15 pages et vogue la galère ! Finalement, ça s'est passé pas si mal ! Le soutien du SEATM était technique, mais il pacifiait aussi les relations entre le public et le privé. C'est-à-dire qu'il donnait confiance aux uns et aux autres. Il faisait un peu le «go between». Malgré des imperfections ici et là, l'effet économique a été fort et durable et dure encore. Équipe de patrons du SEATM : de gauche à droite, Vézinet ; Pesset ; Huet ; Cumin ; Cambau et Charry. hor s-sér ie - juillet 2012 l « pour mémoire » éclairages et témoignages Les grands plans d'aménagement touristique des Trente Glorieuses 71 La mission d'aménagement de la cote aquitaine (MIACA) Jean-Pierre Catalàa, ingénieur général des Ponts et Chaussées, ancien directeur de l'OREAM Bordeaux Aquitaine, organisme d'études de la MIACA Quand Alain Monferrand m'a demandé si je voulais parler de la côte aquitaine et de la mission interministérielle d'aménagement de la côte aquitaine, je me suis dit : « 40 ans c'est loin ». Comme des intervenants depuis ce matin remontent beaucoup plus loin dans le temps, il doit être possible de dire quelque chose. Simplement je demande votre indulgence en ce qui concerne les documents graphiques. Ce service était une administration de mission interministérielle qui n'était pas faite pour durer, Il n'a pas duré 40 ans, loin de là. Mes sources graphiques ne sont pas très abondantes mais heureusement Christian Queffélec devrait fournir des photos juste après mon intervention pour illustrer un sujet voisin. Pourquoi l'aménagement de la côte aquitaine ? Vous avez bien sûr en mémoire la mission Racine1 qui s'occupait de l'aménagement touristique du LanguedocRoussillon. C'était une opération très importante, avec une intervention massive, y compris de l'État, bien avant la décentralisation. Il y a eu dans cet aménagement la création, ex nihilo, de grandes stations comme la Grande Motte. Je ne précise pas davantage. Pour la côte aquitaine, le sujet était un peu différent. Peut-être à cause de la différence de climat, la pression touristique sur ce territoire était un peu moindre. Ce n'est qu'en 1967 que la mission interministérielle fut créée, en fait à la fin de 1969, au moment où Jacques Chaban-Delmas, ce n'était pas tout à fait un hasard, était devenu Premier ministre. C'était le Premier ministre, au travers de la DATAR, qui exerçait la tutelle sur ces missions. La MIACA était alors présidée par Emile Biasini que, sans doute, certains d'entre vous ont connu. On créait en même temps une Organisation d'Études et d'Aménagement pour une Aire Métropolitaine (OREAM) car la DATAR demandait à l'OREAM, que j'avais été chargé de diriger, d'être aussi la tête pensante de la MIACA. Elle était à sa disposition en priorité pour l'aménagement de la côte aquitaine qui était la plus grande urgence, sachant que, par ailleurs, on y élaborait les chemins d'aménagement de ce qu'on appelait une métropole d'équilibre à l'époque, en l'occurrence celle de Bordeaux. Certains ont connu ce genre de concept dans d'autres régions. Pour la côte aquitaine, que fallait-il faire il y a 40 ans ? En fait, le tourisme existait déjà sous une forme élitiste à Arcachon et sur la côte basque depuis le Second Empire puisqu' Eugénie, l'impératrice, aimait bien ces sites qui devaient lui rappeler son pays. En sus de cette clientèle de haut niveau, peu à peu, comme partout ailleurs se développait très progressivement le tourisme de masse avec les congés payés. Les conséquences en étaient le risque 1 La mission interministérielle d'aménagement touristique du littoral du Languedoc-Roussillon est une structure administrative française créée en 1963 par l'État pour conduire de grands travaux d'infrastructure en vue de développer le littoral de la Méditerranée dans les départements du Gard, de l'Hérault, de l'Aude et des Pyrénées-Orientales. Cette mission était rattachée à la Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale (DATAR). Son dirigeant était Pierre Racine. « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 72 d'éparpillement de l'habitat un peu n'importe où, l'absence d'équipement, puisque personne ne se sentait responsable de les apporter, et les menaces de destruction du paysage qui pourraient être irrémédiables, comme on l'a vu sur d'autres côtes, dont on ne s'est pas préoccupé assez tôt. Il y avait aussi une raison qui n'apparaissait peut-être pas au premier abord, la protection de l'ensemble du massif forestier des Landes qui donne faussement l'impression de quelque chose de solide, qui serait là depuis des millénaires. Ce n'est pas du tout le cas. Certains savent peut-être que ce qui constitue la forêt landaise était un territoire très fragile, très mobile. Les vents parfois très violents sur la côte poussaient les dunes, créant un territoire instable et en même temps très marécageux en beaucoup d'endroits. Par les pèlerins de Saint-Jacques de Compostelle, on a des témoignages remontant au moins au XIIè siècle, ce pays était extrêmement dangereux parce qu'il était mouvant et qu'évidemment s'y étaient installés des marginaux qui attaquaient parfois les voyageurs. Ce n'est qu'à la fin du XVIIIè siècle qu'un ingénieur des Ponts, Brémontier, eut l'idée ­ et l'appliqua jusque vers 1810 ­ de fixer la dune sur le littoral d'abord puis de planter des pins sur l'ensemble de ce territoire. Cela explique l'uniformité de cette forêt mais la fragilité du substrat est restée. Donc, il fallait faire quelque chose. Vous allez comprendre assez vite. Quelquefois je me dis : « je raconte tout cela, alors que ces idées, notamment de protection de l'environnement, de hor s-sér ie - juillet 2012 lutte contre les diverses attaques par l'homme sont devenues la tarte à la crème d'aujourd'hui, où l'on se préoccupe davantage d'environnement, de développement durable, etc. Mais est-ce si évident ? ». Je vais vous rappeler ce qui était plus novateur à l'époque. Le schéma général d'aménagement était basé sur 3 principes : Empêcher la construction sur une grande partie du littoral, partout où il y avait la possibilité de ne pas construire et de conserver le littoral en l'état, en maintenant les quelques maisons qui pouvaient déjà y exister. Il fallait imiter l'urbanisation à quelques espaces et surtout greffer les extensions sur l'existant. Contrairement au Languedoc-Roussillon, il ne s'agissait absolument pas de créer des urbanisations nouvelles de grandes stations exnihilo. Cadrer ces extensions : même là où on admettait qu'il fallait urbaniser car il fallait bien recevoir les touristes, protéger au maximum en faisant des coupures à l'intérieur même des stations, protéger la nature, diversifier les hébergements parce qu'il y avait surtout des résidences secondaires et, spontanément, des lotissements sauvages qui s'étaient créés n'importe où dans la forêt, sans assainissement, sans rien, tout comme des campings, c'est-à-dire le degré zéro du tourisme à l'époque. Conforter cet espace en le dotant d'équipements touristiques beaucoup plus importants de sorte que les touristes ne se contentent pas d'aller sur la plage quand il fait beau. La partie nord du schéma d'aménagement correspond à la Gironde de la pointe de l'estuaire jusqu'au bassin d'Arcachon et la partie sud au littoral landais vers les étangs de Biscarosse et de Cazaux jusqu'à l'embouchure de l'Adour près de Bayonne. Comme on le voit dans les deux schémas, la côte a été divisée en des parties réservées strictement à des secteurs d'équilibre naturel et en des secteurs appelés unités principales d'aménagement, encore une fois greffées sur l'existant. Sur le premier schéma, on aperçoit 3 unités dans le Médoc, 3 autour du bassin d'Arcachon et 3 dans les Landes. Une fois ce schéma fait, on a réuni des équipes d'architectes pour que chacune des unités d'aménagement fît l'objet d'un schéma particulier, évidemment en rapport avec ce qu'on pouvait espérer en capacités d'hébergement et pour rendre effective la défense de la nature et de l'environnement. Ces équipes devaient comporter systématiquement des architectes et des urbanistes du cru, même quand elles étaient dirigées par un grand nom de l'architecture, car il nous paraissait important dans un contexte régional déterminé et un milieu naturel un peu spécial, que ces équipes ressentent et expriment cette sensibilité particulière au pays. On définissait, cela vous paraîtra trivial, des capacités d'hébergement à l'horizon de 15 ans. On s'était fixé l'échéance de 1980, en répartissant dans les différentes formes d'hébergement, leur localisation et les équipements qui comprenaient la protection et la mise en valeur des pay- l « pour mémoire » 73 et la forêt de protection qui est juste derrière. La forêt peut être complètement désarticulée par le vent marin, très fort à certaines époques. Lorsque le sol est piétiné, elle est mise en danger assez vite. Il fallait donc trouver des lieux pour garer les voitures, sans les placer n'importe où dans la forêt, et faire des cheminements y compris jusqu'à la plage, sur des caillebotis ; tout cela est banal mais nécessaire. Ces schémas étaient faits pour être approuvés en 1972. En fait, ils ont eu plusieurs vocations. L'une d'entre elles a consisté à donner la possibilité de les protéger, y compris sur un plan juridique, pour maintenir leurs prescriptions dans la durée et permettre leur réalisation. Ces schémas, déclarés directives nationales d'aménagement, avaient une valeur urbanistique, d'après la loi foncière de 1967, et s'imposaient aux documents d'urbanisme de l'époque. Je n'ai pas le temps de parler du lancement des opérations, ce qui n'était pas dans ma responsabilité. Les schémas définissaient la façon selon laquelle il fallait négocier avec les opérateurs privés ou semi-publics. Il y avait des actions transversales classiques. On pratiquait une politique de protection foncière car le risque dans tout aménagement, urbain ou non, est que la spéculation vienne contrarier, à cause des pressions de toute nature, la possibilité, y compris financière, de faire les opérations. On utilisait les armes disponibles à l'époque: les zones d'aménagement différées permettaient de préempter les terrains au prix antérieur à « pour mémoire » l'aménagement et d'acheter des terrains dans les territoires exposés. La MIACA fut prolongée en 1976 jusqu'à 1981, je crois. Elle avait été reçue assez fraîchement par les élus, toujours un peu jaloux de leurs prérogatives et de leurs possibilités de faire plaisir pour un permis de construire. Grâce au débat et à la publicité qui en a été faite, une grande campagne de communication permit de se rendre compte que, au bout de 10 ou 15 ans de travail, il y avait une demande des élus locaux pour que l'opération continue. Comme la décentralisation est arrivée en 1982-1983, les moyens de l'État n'étaient plus les mêmes, ni sa politique d'intervention. Mais on se rend compte, que ce qui avait présidé à la politique équilibrée d'aménagement que j'ai essayé de décrire dans ses grandes lignes a subsisté par la suite. Pour l'illustrer, le mieux est encore d'aller sur place. Après coup, le résultat est assez sympathique, quel que soit le lieu où vous irez. sages et notamment celle des espaces les plus délicats comme la dune côtière l hor s-sér ie -juillet 2012 74 éclairages et témoignages Les premières stations balnéaires en Europe Par Christian-Noël Queffélec Architecte - Ingénieur Général Hastings en 1910 le bord de mer Les études archéologiques et les textes montrent que l'idée même de ville balnéaire est fort ancienne. La ville Edipsos en Eubée (ville grecque de la mer Egée) était un lieu de plaisance autant qu'une station médicale. Les plus riches et les plus puissants des grecs considéraient qu'il était de bon ton d'y avoir une villa et ils rivalisaient entre eux à qui déploierait le plus de luxe et de goût pour son installation. hor s-sér ie - juillet 2012 Les Romains également, raffolaient des criques de la Méditerranée. Strabon qui écrivit une géographie de l'Italie à l'époque d'Auguste et de Tibère, observait que la frange côtière, du cap Misène (près de Naples) jusqu'au promontoire des Sirènes (face à Capri) - soit une cinquantaine de kilomètres - était totalement urbanisée. Il notait que les résidences et les jardins offraient une vision d'une cité ininterrompue. Auguste avait fait de Capri sa résidence personnelle, Tibère s'y installa à demeure à la fin de son règne. Mais ce mode de vie ne résista pas à la chute de l'empire. Les villas furent abandonnées. Il fallut attendre le XVIe siècle pour que le littoral soit l'objet d'une nouvelle considération. l « pour mémoire » 75 Les stations balnéaires en Angleterre Site thermale et site balnéaire : des lieux de thérapie En Angleterre, l'utilisation de l'eau à des fins thérapeutiques n'était pas nouvelle. Au Moyen Age, il était courant de partir en voyage pour aller chercher la guérison en des centres religieux, où l'eau jouait un rôle. La suppression des monastères dans les années 1530 mit rapidement fin à ces pratiques, du moins ouvertement, et dans une ville comme Bath, les sources existantes furent davantage associées aux cures laïques. Dans les années 1630, on découvrit des sources d'eau minérales à Tunbridge Wells, à Epsom, à Harrogate, et surtout à Scarborough sur la côte du Yorkshire ; ces villes constituèrent, avec Bath, les principales stations thermales de l'Angleterre du XVIIe siècle. Depuis le milieu du XVIe siècle, de nombreux médecins s'intéressèrent à l'action des bains froids sur la santé et au début du XVIIIe siècle, la pratique de la mer tant pour le plaisir que pour des raisons de santé1 était largement répandue et la plupart des côtes servaient à ces pratiques occasionnelles. La découverte d'une source d'eau minérale à Scarborough, conduisit à la création d'une station thermale, qui attira certains des membres les plus riches de la société du nord de l'Angleterre. Scarborough fit l'objet du tout premier guide de bord de mer, publié en 1734, dans lequel figurait une gravure montrant des gens se baignant pour la première fois dans la mer, certains à partir d'une cabine de bain roulante, bathingmachine2 . Vers le milieu du XVIIIe siècle, de nouvelles stations se créèrent sur le littoral. La plupart des nouvelles stations se développèrent dans le sud-est de l'Angleterre, profitant de la proximité de Londres. Au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle, les vacanciers séjournaient sur la côte du Kent à Ramsgate, à Douvres, à Folkestone et à Deal, et dans le Sussex à Hastings, Seahouses près d'Eastbourne et Worthing. Dans l'East Anglia (au nord de Londres), le petit hameau rural d'Old South End se transforma en station balnéaire. On peut aussi mentionner Great Yarmouth, dont les premiers bains furent construits sur la plage en 1759 pour un coût de 2 000 livres, investissement considérable pour l'époque. Dans le sud-ouest, plusieurs stations prospèrent dans le voisinage de Bath. En 1748, Weymouth se dota d'un établissement de bain, Teignmouth attira également des visiteurs et Exmouth reçut des habitants d'Exeter soucieux de soigner leur santé. Les stations balnéaires furent moins nombreuses dans le nord de l'Angleterre. Néanmoins, un établissement de bains est mentionné à Liverpool en 1708, sur la côte Est, près de Scarborough, à Whitby. Plus haut, sur la côte du Lancashire, Blackpool était encore un modeste hameau lorsqu'arrivèrent les premiers baigneurs en 1750. Le logement, équipements de loisirs et phase de développement Les tout premiers visiteurs devaient se loger chez l'habitant. A partir du milieu du XVIIIe siècle, on commença à construire des maisons individuelles plus grandes et plus confortables, avec des chambres supplémentaires permettant d'accueillir des visiteurs pendant l'été. 1 Ce fut le docteur Russel qui allait asseoir définitivement les vertus de l'eau froide et salée. Il publia, en 1750, A Dissertation on the Use of Seawater in the Diseases of the Glands. Russel ne faisait que redécouvrir d'anciens préceptes, dans L'Usage des Liquides, Hippocrate recommandait l'eau de mer pour les irritations de la peau. Pline l'Ancien fournissait dans son Histoire naturelle une recette pour une purge idéale : un tiers d'eau de mer, un tiers d'eau de pluie, un tiers de miel. Et Avicenne recommandait de se laver les dents à l'écume... Russel fut suivit de peu par l'écrivain britannique Tobias George Smollett (1721-1771), qui rédigea, en 1752, An Essay on the External Use of Water [...] with Particular Remarks upon the Present Method of Using the Mineral Wasters at Bath in Somersetshire, and a Plan for Rendering Them More Safe, Agreable and Efficacious. 2 Cette bathing machine est un dispositif inventé pour pénétrer dans la mer, à bonne hauteur, sans être vus des importuns. Il s'agissait d'un chariot tiré par des chevaux qui se présentait sous la forme d'une cabine posée sur quatre roues, dont la porte d'accès se trouvait à l'arrière, à l'opposé du siège avant réservé au conducteur. Une fois arrivée à un endroit ou la hauteur de l'eau était de l'ordre du mètre, la roulotte était disposée, l'arrière vers le large. On descendait alors une large capote en demi-cercle, allant jusqu'à l'eau ; on plaçait une échelle descendant de la plateforme du véhicule jusqu'au sol. Le baigneur utilisait ce chemin pour se plonger dans la mer ou bien se laisser porter par un assistant, le maître baigneur. Ce dispositif inventé par Benjamin Beatle apparait sur un dessin de Margate, datant de 1753 attribué à James Theobald. En 1810, la ville devait disposer d'une quarantaine de ces machines. « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 76 En 1769 commença une nouvelle étape dans l'essor des stations balnéaires anglaises. Elle fut marquée par la construction de Cecil Square à Margate sous la direction d'une association de propriétaires fonciers et d'hommes d'affaires. Cette nouvelle place, située en dehors du centre historique, établie en 1769 par « Mr Cecil, sir John Shaw, sir Edward Hales et quelques autres gentlemen » comprenait des bâtiments formés de grandes maisons familiales où devaient être hébergés des visiteurs durant l'été. S'y ajoutaient une rangée de magasins et une salle de fêtes construite sur mesure, ainsi qu'une bibliothèque de prêt, établie devant Fox's Tavern. Quelques années plus tard, tout près de Cecil Square, sir Henry Hawley créa Hawley Square. Achevée avant la fin des années 1780, cette place réunissait des maisons, une grande bibliothèque de prêt et un théâtre. Cette première génération de stations côtières connut un essor rapide durant les trente dernières années du XVIII e siècle. Au début du XIXe siècle, certaines stations s'agrandirent au même rythme que les nouvelles villes industrielles. En 1837, année de l'accession de la reine Victoria au trône, l'Angleterre disposait de toute une série de stations grandes ou petites, qui accueillaient des dizaines de milliers de visiteurs. Elles pouvaient s'enorgueillir de leurs bathing machines, de leurs salles de fêtes, de leurs théâtres, de leurs bibliothèques de prêt ainsi que de longues rangées de pensions de famille. hor s-sér ie - juillet 2012 L'exemple particulier de Brighton Brighton, avec sa plage bien orientée au sud, ponctuée par des célèbres pontons (piers) et bordée d'une large promenade, son élégante architecture géorgienne, regency et victorienne, les ruelles tortueuses de son quartier de pêcheurs contrastant avec les espaces verts et les allées généreusement fleuries devint le symbole et la reine des stations balnéaires anglaises. Elle fut lancée, au milieu du XVIIIe siècle, par le docteur Richard Russel qui vanta les bienfaits des bains de mer et l'absorption d'eau salée. Elle prit de l'importance, grâce au prince de Galles qui s'attacha à ce qui était autrefois un vieux village de pêcheurs, tombé en désuétude, du nom de Brighthelmstone. Le prince de Galles, futur George IV (1762-1830) séjourna à Brighton, apprécia le lieu et s'y implanta, entrainant avec lui bon nombre de serviteurs et de courtisans. L'intérêt manifesté pour ces nouveaux lieux tenait tout autant à la recherche d'un cadre de vie nouveau, différents des lieux traditionnels à la mode, comme Bath. En 1783, on organisa à Brighton des réunions hippiques. Le prince de Galles trouvait là un moyen d'échapper à ses créanciers qui assaillaient son palais du Carlton House à Londres. Une ancienne ferme en bord de mer lui servit de demeure. L'intervention de John Nash la transforma en Royal Pavilion, un symbole durable de l'architecture balnéaire. Nash, dont l'épouse était la maîtresse du prince, bâtit un pastiche du Taj Mahal. Le Pavillon Royal, cet édifice à l'orientale, tout de stuc et de pierre, reflétait l'éclatante personnalité de George. L'appel à John Nash et à Le Royal Pavillon à Brighton en 1902 l « pour mémoire » 77 des décorateurs de goût, permirent de créer un décor flamboyant unique pour les extravagantes festivités de cette véritable cour balnéaire, symbole de l'époque régence. Le pavillon, avec sa silhouette extraordinaire, toute de dômes bulbeux, de pinacles, de tourelles et de flèches, était une libre interprétation de l'architecture indienne, style auquel on donna le nom de gothique indien. A l'intérieur, toutes les pièces furent somptueusement décorées et meublées avec un style chinois dominant. Les visiteurs de l'époque ne manquèrent pas de se moquer de ce bâtiment. William Hazlitt y voyait des citrouilles et des boîtes à poivre, Cobbett, un assemblage de bulbes de tulipes et de navets. A partir des années 1820, allait se constituer un front continu en bord de mer. L'ensemble le plus ancien, le Royal Crescent (1798-1807) est caractérisé par des ardoises noires disposées de façon géométrique. Puis Thomas Read Kem lança, en 1823, la construction d'un grand lotissement sur ses terrains à l'est de la ville, inspiré par le travail de John Nash à Regent's Park ; les travaux s'étalèrent sur les deux décennies suivantes. A l'extrémité ouest, à Hove, Brunswick Town se construisit à partir de 1825, sur des terrains appartenant à la famille Scutt. Kemp Town et Brunswick Town, banlieues de Brighton, disposèrent de grandes places construites sur trois côtés, les extrémités ouvertes de la place étant reliées par une rue en arc de cercle. Brunswick Square (1825-1827) est remarquable par ses stucs, ses bow-windows, ses détails classiques et son élégante ornementation de fer forgé ouvragé. A l'extrémité Est, Lewes Crescent/Sussex Square, le coeur de Kemp Town, fruit des ambitions de Thomas Reid Kemp, est un ensemble grandiose. Sur ce front de mer, l'architecture victorienne vint mettre sa touche avec le Grand Hôtel et l'hôtel Métropole. Brighton possède un front de mer particulièrement étendu. Marine Parade part de Kemp Town à l'Est et se prolonge sous le nom de King's Road à l'Ouest jusqu'à Adélaïde Crescent, ce qui constitue une magnifique façade de plus de 2 1/2 miles, défendue par un mur contre la violence des vagues. Elle se prolonge jusqu'à la mer grâce au West Pier (construite en 1822 par Sir S. Brown et prolongée en 1866), et le Palace Pier, une jetée plus récente, longue de 500 mètres et à l'extrémité de laquelle s'élevait un élégant pavillon où se donnaient des représentations variées. Le Sea Life Center se dresse non loin du Palace Pier, point de rencontre des promenades supérieures et inférieures. Dans un aquarium en voûte, d'époque victorienne, le plus grand du monde à son inauguration (1872), on pouvait observer la vie sousmarine sous toutes ses formes, et de très près, on pouvait aussi se promener dans un impressionnant tunnel transparent au-dessus duquel évoluaient requins, pastenagues et anguilles de roche. Dès les années 1840, la compagnie de chemin de fer London, Brighton et South Coast, permit à un nombre sans cesse croissant de vacanciers de toutes classes sociales de se rendre à Brighton devenue véritable « Londres-sur-Mer ». D'autres sites connurent des destins analogues : Eastbourne, bien abrité par les South Downs la péninsule de Thanet, à l'est de la capitale, riche de ces trois stations majeures que furent Broadstairs, Margate et Ramsgate. enfin l'île de Wight connut un début de notoriété dès les années 1830 avec la reine Victoria, qui fuyait l'affluence de Brighton y trouva, pour quelque temps au moins, refuge. « pour mémoire » Le front de mer et le Brighton Hôtel l hor s-sér ie -juillet 2012 78 Les rivages de la mer du Nord Après l'Angleterre, la mode des bains de mer se répandit sur les rivages de la mer du Nord. Les fondateurs des établissements furent, bien souvent, des praticiens ayant fait leur apprentissage à Brighton ou à Scarborough. Avant la fin du XVIIIe siècle, il existait déjà une concurrence sévère entre les villes de Doberan et de Nordeney. Dans une analyse de climatologie comparée, il ressortait que la Baltique, aux marées moins marquées, aux vents moins violents, convenait aux complexions plus fragiles, tandis que la mer du Nord, plus agitée, était à conseiller aux tempéraments robustes. Parmi les foyers qui apparaissent à cette époque sur la côte, jusqu'à la frontière française, figuraient Scheveningen et Ostende. Scheveningen était fréquentée depuis longtemps - Voltaire et Diderot la mentionnaient et, avant eux, des voyageurs anglais dans leur Grand Tour. Ils venaient admirer la façon dont les Hollandais avaient su prospérer à l'abri de leurs formidables digues. d'une vocation balnéaire se confirma au XIXe siècle, entretenue par une clientèle d'anglais qui venaient visiter le site de la bataille de Waterloo. Le consul d'Angleterre fit construire un des premiers bâtiments sur la digue, le Pavillon Anglais. Dès 1834, la famille royale manifesta son intérêt pour la station balnéaire ; le roi Léopold Ier y séjournait. La villégiature royale fit rapidement d'Ostende un endroit à la mode pour la noblesse et la haute bourgeoisie. En 1839, Ostende fut reliée à la capitale par voie de chemin de fer et en 1846, on inaugura la malle Ostende-Douvres. L'architecte Henri Beyaert construisit en 1850 le premier Casino-Kursaal d'Ostende ; le bâtiment était en bois car, comme tous les bâtiments de la digue, il devait pouvoir être démoli rapidement en cas de guerre. En 1865, la ville d'Ostende fut démilitarisée ; une fois les fortifications démolies, la ville se développa rapidement. Ostende fut la résidence d'été du roi Léopold II. Féru d'urbanisme, le roi marqua la ville de son empreinte. Elle était le second port de Belgique, le lieu d'un trafic de voyageurs extrêmement important entre le continent et l'Angleterre. Comme infrastructures importantes, elle possédait en premier lieu une très grande digue, construite en blocs de pierre, de près de deux kilomètres de long sur dix mètres de haut et trente mètres de large, en comptant le chemin des voitures. Elle était bordée de grandes constructions neuves dont des hôtels et des villas. La principale était le Kursaal, bâti de 1876 à 1878, sur les plans de Naert, architecte de Bruxelles. La digue se prolongeait au-delà du palais du Roi, édifice dans le style des chalets, Ostende (ou Oostende en néerlandais) Au XVIIIe siècle, la mode des bains de mer, qui s'était développée en Angleterre, gagna la Belgique. Le début La plage et le Kursaal à Ostende hor s-sér ie - juillet 2012 l « pour mémoire » 79 jusqu'au fort Wellington, non loin de l'hippodrome Wellington, qui venait d'être aménagé. La seconde infrastructure structurante se trouvait être l'estacade, au N-E de la digue, composée de deux longues jetées protégeant l'entrée du port et s'avançant au loin dans la mer. Au-delà de l'entrée du port et du bassin de chasse, fut implanté le nouveau phare, haut de 57 mètres, qui permettait de voir à dix lieues du côté de la mer. Ostende était une des villes balnéaires les plus importantes de l'Europe. La saison allait du 1er juin au 15 octobre. Le nombre des étrangers qui fréquentaient la station s'élevait à plus de 12 000 chaque saison. Cette activité se concrétisait par un nombre conséquent d'hôtels, présents sur la digue ou répartis dans la ville. A l'intérieur de la ville, ils étaient aussi très présents, et leur nom faisait référence aux grands personnages publics, ainsi qu'aux contrées proches ou lointaines des estivants. Tous les hôtels de la digue et beaucoup de ceux de la ville restaient fermés en dehors de la saison. Il s'était aussi développé une pratique de la location dans des hôtels garnis ou des appartements meublés, qui trouvèrent place près de la digue et dans la ville. La pratique du bain de mer restait une pratique téméraire ; on pouvait également faire des promenades en bateau ; il en coûtait un peu. D'autres amusements étaient prévus : ânes et poneys, à l'extrémité sud de la digue ; courses à l'hippodrome Wellington, plusieurs fois dans la saison. Mais la plus simple des distractions consistait à jouir du paysage « pour mémoire » Les chariots en bord de mer à Ostende Le ManuelduVoyageurde Baedeker, de 1885, décrivit avec précision les habitudes en matière de bain de mer, pratique hautement codifiée. « On se baigne de 7 heures du matin à 7 heures du soir. On se procure les cartes nécessaires au bureau sur la plage. Un coupon donnant droit à une cabine (pas plus de 40 minutes), y compris le costume et deux serviettes, un franc, deux serviettes en plus, 20 centimes. On paie 50 centimes pour les enfants en dessous de 6 ans. Les baigneurs font bien d'avoir leur propre costume (5 francs et dessus dans la plupart des magasins de la rue de Flandres) quoiqu'il faille payer autant pour le faire garder que pour en louer un, car celui qu'on vous donne n'est pas toujours bon. Le baigneur ou la baigneuse, dont on peut très bien se passer, se paie 50 centimes. On donne cinq centimes au conducteur et autant à la personne qui nettoie la cabine ». Apparemment, il était impossible de s'affranchir d'un certain nombre de rites, dont le plus étonnant restait l'usage de ces cabines roulantes. Les deux sexes se baignent en commun, en costume complet. « On prend une carte et son costume et l'on monte dans la première cabine venue. Aussitôt un cheval s'y attelle pour vous conduire dans la mer, et le conducteur frappe un coup de manche de son fouet sur la cabine, pour vous avertir de vous asseoir, parce qu'on va partir. En sortant de la cabine pour entrer dans l'eau, on en remarquera bien le numéro pour n'avoir pas à la chercher trop longtemps au retour. A la partie antérieure de la cabine se trouve un cordon que l'on tire, lorsqu'on désire être ramené à terre. Il faut avoir soin de tourner le dos aux vagues qui déferlent ; avec un peu d'exercice on n'aura plus de peine à résister aux assauts de la lame. Si les vagues sont faibles ou font tout à fait défaut, on peut se faire donner des douches par le baigneur, c'est-à-dire se faire jeter de l'eau de mer par un baquet ». « Quant à la durée des bains, il serait difficile d'établir des règles absolues. La règle des Anglais, qui font autorité en matière de bains de mer, est : « three dips and out », trois plongeons et sortir ; toutefois on pourra fort bien, suivant sa constitution, rester 2, 4 et même 10 minutes dans l'eau. L'essentiel est de ne pas attendre, pour sortir, un second frisson ». l hor s-sér ie -juillet 2012 80 de la mer et de la foule, sur l'espace urbain majeur de la ville : la digue. Pour une clientèle mondaine, il y avait bien sûr le Kursaal et le Casino. Des restaurants, « Le premier est le Kursaal, qui comprend en outre un café et un cabinet de lecture, avec une grande salle où l'on peut mettre environ 400 tables et que l'on ferme au besoin avec des châssis vitrés. Il y a deux étages de galeries qui offrent la vue la plus étendues sur la mer et sur la terre ferme. Le Kursaal est le rendez-vous du monde élégant des bains et n'est ouvert qu'aux abonnés. Abonnement valable aussi pour le Casino ». La ville, qui connaissait une étonnante réussite, continua à s'étendre. En 1905, d'importants travaux furent entrepris à Ostende, dont l'église Saints Pierre et Paul, le théâtre, le bâtiment de la Poste, le pont Comte de Smet de Naeyer et les Galeries royales. D'autres exemples similaires pourraient être donnés : Blankenberghe (située à une dizaine de kilomètres de Bruges et une quinzaine d'Ostende) et à quelques kilomètres à l'est, Heyst, ou enfin Scheveningen, située sur la mer du Nord, à quatre à cinq kilomètres de La Haye. Dieppe l'hôtel Royal et le casino Dieppe, première station balnéaire Le modèle anglais Installée à l'embouchure de l'Arques, sur un amas de galets encadré par deux falaises, Dieppe (du mot norrois, la langue des Vikings, djepp, « profond ») hor s-sér ie - juillet 2012 dut son développement aux relations tumultueuses avec l'Angleterre 3 . La cité était une étape incontournable entre Londres et Paris, combinant, à partir de 1848, bateaux à vapeur et chemin de fer. La ville put alors bénéficier de l'installation d'une colonie anglaise qui contribua à l'éclosion, tout au long du XIXe siècle et de la Belle Époque, d'activités nouvelles, tels que les bains de mer, les courses de chevaux, le golf ou encore le football. thermales. Séduits par la réussite cet établissement, en 1776, Louis Laurence et Pierre Grieu dotèrent la ville de Dieppe d'une Maison de santé en s'appuyant sur les théories médicales prônées en France par les docteurs Maret en 1769 et Pecq de la Clôture en 1770. Cet éphémère mais luxueux établissement médical pratiquait les bains de baignoire ou dans la mer « à la lame », où les baigneurs Sans rappeler tous les événements historiques importants, on peut citer le départ de Guillaume, quatrième duc de Normandie, pour l'Angleterre en 1066, la conquête du port de Southampton par les Dieppois en 1339, la chute de la ville aux mains des Anglais, en 1420, après Azincourt, la « Grande Bombarderie » en 1694, par une flotte anglo-hollandaise la détruisit presque entièrement. Louis XIV ordonna sa reconstruction, confiée à l'architecte Ventabren, sur les plans de Vauban. Après la période napoléonienne, en 1815, la période redevint favorable à des échanges pacifiques avec l'Angleterre. La liaison transmanche, créée en 1763 entre Dieppe et Brighton puis Newhaven, reprit son essor. 3 Les établissements de bains de mer En 1754, un pavillon de santé avait été implanté à Brighton, conçu selon le modèle en vigueur dans les stations l « pour mémoire » 81 étaient portés dans l'eau et maintenus dans les vagues par de solides gaillards. Premier de ce type en France, il marqua la naissance de la balnéothérapie. De manière plus modeste, le Dieppois JeanBaptiste Deparis, installa, en 1809, six baignoires dans un hangar de chantier naval. En 1821, son établissement abritait un salon, des cabinets avec baignoires recueillant de l'eau de mer froide ou chaude, des douches, quatre voitures pour les bains de mer, un « pont volant » en planches et trente-cinq tentes. Les premiers établissements de bains présentaient une architecture de bois assez simple, voire rudimentaire comme les bains ouverts en 1815 à Pourvillesur-Mer, bien vite la construction de bâtiments esthétiquement plus élégants et plus confortables s'avéra incontournable. En 1822, les bains froids de Dieppe, dont l'architecte fut Pierre Chatelain, associait des activités balnéaires et des activités ludiques. Il est resté dans l'Histoire comme un des premiers archétypes avec sa galerie, reliant des pavillons couverts de toits terrasses et son jardin à l'anglaise. Son programme comportait des salons dévolus aux plaisirs dit de société (lecture, billard, musique), un restaurant, des espaces de soins. Un hôtel de voyageurs bâti en 1821 en bordure de la ville lui était attaché. Il mêlait également des salles à fonctions thérapeutique (bains chauds et froids) et des lieux de réjouissances (bals, concerts, spectacles). comme une partie de plaisir ; ils privilégiaient le choc du contact avec l'élément liquide. Dieppe fut le pionnier avec des pratiques de ce genre dès le Premier Empire ; elles furent poursuivies sous la Restauration avec l'avantage d'attirer à chaque fois une société choisie, famille impériale puis famille royale, autour desquelles gravitaient des membres de l'aristocratie et de la grande bourgeoisie. La proximité des côtes anglaises favorisa ce développement, mais la guerre et le blocus provoquèrent un recul de cette venue. L'aristocratie française se détourna du lieu. Il fallut attendre 1848, avec l'ouverture le 29 juillet de la ligne ParisDieppe, enfin achevée, pour voir venir une nouvelle clientèle : la bourgeoisie et d'artistes attirés par la beauté des paysages maritimes, à l'exemple des impressionnistes, avant que le développement des pratiques sportives et la démocratisation des loisirs balnéaires après la guerre de 1914-1918 n'entrainent l'apparition de nouvelles catégories de populations. varech ; on exploitait parcs à huitres et poissons. Au XVIIIe siècle, des chantiers de construction navale et des corderies s'y installèrent. Au siècle suivant, le ramassage des galets, utilisés notamment pour le broyage des matériaux, alimenta toute une industrie jusqu'à son interdiction en 1985, édictée pour protéger le littoral de l'érosion. Toutes ces fonctions n'allaient pas s'opposer au développement, au XIXe siècle, des activités de baignade. La disparition des fortifications dans les années 1830-1840 permit à la ville de s'ouvrir et de se tourner vers la mer, en offrant au regard un nouveau front bâti composé d'hôtels et de villas. Sous l'impulsion de Napoléon III, les chantiers navals et les pâtures laissent place à un jardin à l'anglaise en 1853. Un boulevard fut aménagé le long de la plage en 1901. Dieppe au début du XXe siècle En 1904, Dieppe était à la fois une cité industrielle, un port important de pêche et de commerce reliés par des services quotidiens de paquebots aux côtes de l'Angleterre. Située sur la Manche, à l'embouchure de la rivière d'Arques entre deux rangs de hautes falaises blanches, elle comprenait deux parties distinctes, d'une part le port et le faubourg du Pollet, d'autre part la ville proprement dite, agglomérée entre les bassins, les hauteurs du château et la rue Aguado. Le front de mer et le quartier situé en bas du château avaient été fortement modifiés. A côté de l'hôtel de ville, de construction récente, se trouvait l'établissement de bains chauds d'eau de mer et d'eau douce, avec hydrothérapie « pour mémoire » La ville et ses équipements Les premières évolutions du bord de mer Au-delà de l'enceinte urbaine, les terrains bordant la mer constituaient, en temps de paix, un lieu d'activités artisanales. La zone littorale resta placée sous contrôle militaire jusqu'en 1898 ; des activités traditionnelles y étaient tolérées. Les troupeaux y paissaient ; les lavandières étendaient leur linge sur les galets ; on y pratiquait la pêche à pied ; on récoltait le La clientèle Les bains de mer furent pratiqués à des fins thérapeutiques dès la fin du XVIe siècle. Ils n'étaient pas considérés l hor s-sér ie -juillet 2012 82 et piscine, dépendant du Casino, un bâtiment en briques. Il bordait la place SaintSaëns, sur laquelle se trouvait le théâtre récemment restauré et transformé avec goût, avec sa façade principale, en style Louis XV, donnant sur la plage, face au Casino. La rue de Sygogne avec la partie de la ville située en bas du château formait un quartier neuf composé de beaux hôtels particuliers et des villas. La plage se composait non seulement de la bordure de galet et de sable que la mer laissait à découvert deux fois par jour, mais aussi tout le vaste espace gazonné. Tout le long de la plage, du Casino à la jetée, courait le boulevard Maritime, composé d'une chaussée large de 9 mètres et d'un trottoir de 8 mètres. Ce trottoir, formé de carreaux d'asphalte était bordé du côté de la grève d'une main courante entrecoupée de rotondes qui accueillaient des bancs. La rue Aguado, qui constituait le fond de la plage, était bordée par de belles constructions, de grands hôtels (l'hôtel Royal) et par la Manufacture des tabacs. Outre ces deux édifices on remarquait, en allant de la jetée au Casino, le somptueux hôtel du prince Stourdza, en style Renaissance, et à côté la maison Graillon, petit hôtel en briques avec de charmantes sculptures, puis une villa de style mauresque, le Grand-Hôtel, le beau chalet normand Monplaisir, les hôtels des Étrangers, des Bains, de la Plage, du Rhin, la mairie, les Bains Chauds, la Porte d'Ouest, le théâtre et l'hôtel Français. Des fêtes étaient prévues à Dieppe pendant l'été : comice agricole et courses de comice, tir aux pigeons, concours de hor s-sér ie - juillet 2012 gymnastique, joutes du club nautique, grandes régates, concours de tir et grandes courses. Des trains spéciaux transportaient le public en face de l'hippodrome. En dépit des changements liés à l'usure du temps, les équipements caractéristiques de la ville balnéaire vont au cours des décennies garder leur fonction première. Aujourd'hui, les célèbres pelouses de Dieppe directement inspirées du jardin à l'anglaise de Napoléon III, accueillent de nombreuses manifestations. Le festival international du cerf-volant a trouvé là un espace idéal pour conquérir le ciel littoral tous les deux ans au mois d'août. Quelques enseignements De ces exemples, on voit poindre quelques règles. Ces lieux nouveaux qui connaissent une grande fortune naissent de deux pôles : une fonction utilitaire, le soin au corps, une fonction sociale, le besoin pour un groupe privilégié de se mettre à l'écart du monde dans un lieu spécifique sinon enchanteur. Mais chaque fois, sous l'effet de la vacuité, se recréent des lieux d'artifice, de rencontre et de plaisirs. Il n'est pas étonnant de retrouver des formes inhabituelles qui finissent par s'imposer comme des marqueurs d'un territoire, comme ces longues jetées, qui, outre leur fonction d'embarcadère, assurent une osmose avec la mer, comme ces casinos, usant des modèles de l'architecture traditionnelle de l'Inde, visant à plonger de visiteur dans une contrée inconnue. Les villes balnéaires du temps jadis nous font toujours rêver. l « pour mémoire » Illustrations fournies par C. Queffélec Table ronde 83 Rôle et poids du tourisme dans la vie des français et dans l'économie nationale Alain Monferrand La table ronde que je vais vous présenter regroupe Jacques Augustin, sous-directeur en charge du tourisme, l'ancien ministre Jacques Descamps, Paul Roll, directeur de l'Office du tourisme et des Congrès de Paris qui nous parlera du grand «Gateway» français et Philippe Moisset qui a exercé successivement les fonctions de directeur de la délégation aux investissements et aux produits puis du GIP-AFIT. Tout de suite, je voudrais demander à Jacques Augustin : « au fond, quelle est la politique pour le développement touristique à l'horizon 2020-2030 ? Vous êtes en charge de toutes les fonctions régaliennes de la politique du tourisme, comment voyez-vous son devenir et son organisation pour les prochaines années ? Jacques Augustin Depuis la loi sur le tourisme de 2009, l'État a pour mission de fixer le cadre de nos politiques touristiques de la France. Nous avons un opérateur qui est chargé de développer cela de manière très pratique, qui est notre nouvelle agence : Atout-France. Nous avons réfléchi sur ce que pourrait être ce cadre, à partir d'un constat statistique que tout le monde a en tête. La France est le premier pays visité au monde et, pourtant, nous sommes le troisième en matière de recettes après les États-Unis, pour des raisons qui sont liées strictement à la réalité nord-américaine, et après l'Espagne. Il est assez paradoxal de voir que, avec 52 millions de visiteurs, l'Espagne engrange 25% de recettes touristiques supplémentaires. Cela se vérifie en volume mais aussi en dépenses journalières : le touriste qui séjourne en Espagne dépense par nuit 77 et celui qui vient en France 62 . Le défi c'est que nous augmentions la dépense par visiteur. C'est bien d'être visité. Mais tout l'enjeu de la politique, à dix, vingt ou trente ans, c'est qu'on crée de la valeur ajoutée avec notre industrie touristique. A cette fin, nous avons balayé assez large et identifié deux étapes. A très court terme (deux à trois ans) il faut conduire une amélioration qualitative de notre offre, ce qui peut être assez rapidement mis en oeuvre, et à court et moyen terme, créer une nouvelle offre qui soit plus créatrice de valeur ajoutée. On s'est appuyés sur une étude très approfondie qui est sur le site du ministère et d'Atout-France. On y « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 84 compare l'Espagne et la France, pour voir où étaient les secteurs de l'activité touristique où l'Espagne crée de la valeur ajoutée et pourquoi nous en créions moins. A partir de là, on a identifié plusieurs axes d'action. A court terme, on a déjà engagé une amélioration qualitative en matière de classement des hébergements touristiques, ce qui a parfois pu défrayer un peu la chronique. Il s'agit de relancer, redynamiser, remuscler la démarche de qualité dans le tourisme. C'est le label national de la qualité de la prestation touristique, en parallèle avec la problématique des hébergements mais en couvrant tout le champ des activités touristiques (prestations, parcs...). Il faut aussi réfléchir pour faire en sorte que nos acteurs touristiques aient cette véritable formation. Il y a en particulier le problème spécifique de l'accueil, très prégnant. Pour le long terme, l'objectif de créer des axes forts de structuration d'une nouvelle offre touristique porteuse de valeur ajoutée. La ligne directrice est de faire séjourner les gens en France, indépendamment de leur transit sur le chemin d'autres destinations touristiques. Cet effet de transit sera toujours là, mais il faut que les gens qui nous traversent aient envie de rester, et que ceux qui avaient déjà envie de rester restent plus longtemps. L'idée est assez vite apparue qu'il fallait constituer des destinations à hor s-sér ie - juillet 2012 l'intérieur du territoire français, en sus de celles qui existent déjà, Paris, la Riviera, éventuellement le Mont Blanc. Ailleurs, c'est beaucoup moins constitué. Nous avons décidé de faire émerger d'autres destinations, avec comme espace pilote : «The Loire Valley», le Val de Loire, pour parler français. Une démarche a été engagée pour essayer au moins de coordonner toute l'offre de ce territoire dans un ensemble de destinations qui ne soit pas un agglomérat de produits touristiques disparates. Il s'agit d'inciter les acteurs territoriaux de la politique touristique à aller dans cette direction, bien entendu sans que l'État redevienne tout à coup girondin. Un deuxième axe consiste à développer les tourismes d'itinéraires : quand on pérégrine, on reste. De surcroît ce sont plutôt des catégories socioprofessionnelles aisées qui pratiquent ce genre d'activités, pas sous la forme de l'itinéraire pédestre, mais nous avons décidé de nous focaliser plutôt sur l'itinéraire à vélo. C'est toute la politique de la France à vélo que nous allons développer. Le troisième axe vise à relancer une politique de tourisme urbain en-dehors de Paris. Paris est magistralement administré en la matière. On n'en prendra que des leçons mais, partout ailleurs, c'est moins évident. Comme on l'a dit, on vient de plus en plus dans les pays pour voir les villes. On n'interdit pas les excursions à la campagne ou dans la périphérie de la ville, mais ce sont les villes qui sont les grands lieux de séjours touristiques, là où on trouve les hôtels. Pour constituer cette politique urbaine, nous avons à mener un travail de conceptualisation, avec notamment la conférence nationale permanente du tourisme urbain et l'association des villes d'art et d'histoire. Le quatrième axe est représenté par les politiques de croisière et de plaisance. Il y a des marges de progrès. Nous sommes en retard par rapport à nos amis espagnols alors qu'il n'y a aucune raison que nous soyons moins bons qu'eux en matière de croisière. Ce sont des stratégies à développer avec les villes portuaires et les opérateurs. Ainsi, Costa va lancer Le Havre comme terminal de croisière : 200 000 passagers vont embarquer au Havre sur six à huit mois. Comment fait-on pour acheminer 200 000 passagers de la région parisienne ou de Roissy au Havre ? Cette question n'est pas résolue quand on voit l'état de la gare Saint Lazare... En matière de navigation de plaisance, l'idée est de desserrer le goulot d'étranglement constitué par le manque d'anneaux, qui est un peu à relativiser, et surtout de favoriser le développement de la location comme premier stade de la pratique. Il faut surtout convaincre le plaisancier de débarquer, or un marin ne sort pas du port. De ce fait, nous avons appuyé la démarche Odyssea, un grand portail de géolocalisation qui permet au navigateur de savoir ce qu'il va trouver dans le port et, une fois qu'il y est, de visiter la périphérie, à charge pour le port labellisé Odyssea de mettre l « pour mémoire » 85 à sa disposition des moyens et des informations. Enfin, le tourisme d'affaires devrait se développer en région parisienne. C'est un point où nous sommes très forts mais où monte la concurrence. Comment relancer et réorganiser une offre du tourisme d'affaires qui soit un véritable produit d'appel ? On s'est rendu compte, par exemple, qu'on manquait de grands hôtels dotés de grandes salles de réunions. On peut réfléchir à des offres qui soient justement un conglomérat de petits hôtels autour de salles de réunion. Ce serait un peu un produit niche. En l'absence de Christian Mantéi, directeur général d'Atout-France, je voudrais terminer par la promotion de la destination France. C'est bien beau d'avoir un produit, encore faut-il le vendre à l'extérieur. L'analyse sur l'Espagne montre que c'est là que l'écart est le plus significatif. L'Espagne a une campagne de promotion que nous connaissons tous, soutenue par des pompes aspirantes, des réceptifs qui vont chercher les touristes et les font venir en Espagne. La promotion de la destination France est à l'ordre du jour avec le lancement de la marque «France» avec l'équation toujours difficile à résoudre de la question des moyens financiers. Voilà, Monsieur le Président. d'État au Tourisme qui a créé Maisons de la France, ce premier outil un peu pugnace permettant de faire du partenariat et d'accumuler plus de fonds pour être à la hauteur de nos concurrents. Jean-Jacques Descamps, vous êtes ici avec trois casquettes : le secrétaire d'État qui a créé le premier outil de promotion complètement original du tourisme français ; le Président de l'Agence nationale du chèque-vacances, dont nous avons abondamment parlé, et le président des plus beaux détours de France, Ce dernier rôle fera un contrepoint avec Paul Roll qui représente le produit d'appel « Paris ». Paris fait 49% de toutes les entrées culturelles de France. La seconde région, la Provence-Alpes-Côte-d'Azur, ne fait que 7% de parts de marché. Vous allez tout à l'heure, je crois, au congrès de cette association qui essaie précisément de vendre aux touristes ces magnifiques villages et villes qu'on ne connaît pas forcément. ronde le thème du « rôle et poids du tourisme dans la vie des Français et dans l'économie nationale ». Je pense que c'est depuis cent ans qu'on se pose la question et que personne n'a vraiment réussi à faire comprendre aux Français ce qu'était le tourisme. Probablement, on s'y est mal pris les uns et les autres mais, pour ce que je connais des trente ans, les questions sont toujours les mêmes. Les ministres qui se succèdent répondent toujours un peu de la même façon. Ils constatent des situations mais ont un peu de mal à agir très concrètement dans ce domaine extrêmement vaste et varié. Il faut donc essayer de reprendre les choses de façon un peu logique. J'en profite pour dire que vous avez eu raison. C'est vraiment cent ans. J'ai été le vérifier dans ma ville de Loches, en Touraine, dont je suis le maire, au passage je fais un peu de publicité pour ma ville qui mérite vraiment le détour. J'ai constaté que le premier office de tourisme s'est créé en 1910, qu'il y avait à l'époque une équipe de visionnaires sur le rôle du tourisme dans cette ville, qui a été largement abandonnée ensuite et qu'on retrouve maintenant. C'est-à-dire qu'on réinvente quelquefois l'eau chaude... On aurait mieux fait d'écouter nos ancêtres. Par rapport à tout ce que vous avez dit, je vais reclasser les choses un peu différemment. Le Français : est-ce le consommateur, le citoyen ou le professionnel ? Tout le monde est concerné par le tourisme « pour mémoire » Jean-Jacques Descamps Je vous remercie de votre invitation. Je vais essayer de replacer ces activités d'une façon un peu logique. J'ai compris que le thème de la journée était « Les cent ans d'histoire de l'administration du tourisme ». Mon âge vénérable me fait d'abord vous dire que j'en ai vécu au moins une bonne trentaine d'années de cette histoire, pas cent heureusement ! Il est assez amusant que vous ayez choisi pour la table Alain Monferrand Nous avons la chance d'avoir, avec Jean-Jacques Descamps, le secrétaire l hor s-sér ie -juillet 2012 86 mais personne ne s'en rend compte. Personne ne sait très bien justement ce que cela lui apporte et tout ce que cela peut lui apporter. Alors, on fait de la prose sans le savoir, si je peux dire. Le Français citoyen part en vacances mais ne structure pas toujours aussi bien qu'il le faudrait la façon de le faire. Or être touriste devient de plus en plus compliqué. J'allais dire, qu'à la limite, il faut être de plus en plus professionnel pour partir en vacances. Il faut savoir se servir d'Internet, choisir le meilleur rapport qualité-prix, déceler dans tout ce qu'on vous dit ce qui est vrai et ce qui est faux, ne pas se laisser impressionner par de belles photos derrière lesquelles il n'y a pas une vraie réalité. Mais il faut d'abord pouvoir partir en vacances. L'agence nationale des chèques vacances est une excellente idée. Cette idée formidable a la chance d'être libérale et sociale. On l'a toujours considérée comme une conquête sociale mais c'est d'abord une idée libérale et sociale. Elle est libérale parce qu'on laisse à chacun le choix de prendre ou non des chèques vacances et de les dépenser où il veut. On a trop souvent cherché à rendre un peu exclusif le rôle du chèque vacances dans le tourisme associatif. Non, le chèque vacances, on peut maintenant le dépenser partout. Le jour où on aura, comme Hervé Novelli, lancé son développement dans les PME, pratiquement tous les Français pourront utiliser le chèque vacances pour aller partout en France y compris pour aller à la boulangerie acheter un sandwich le jour où ils sont en vacances. C'est important. Le tourisme hor s-sér ie - juillet 2012 associatif, je m'excuse de le dire un peu brutalement, est obligé de subir une extraordinaire évolution dans la mesure où ce n'est plus le monopole du tourisme associatif qui fait le tourisme social. Le tourisme associatif est un acteur important du tourisme social mais ce dernier doit se faire partout. Le rôle de l'agence des chèques vacances est essentiel. Elle offre le moyen d'aller prendre des vacances dans des conditions financièrement plus favorables. Comme vous le savez, les produits financiers issus de la gestion de la trésorerie du chèque vacances servent à faire de l'action sociale. L'action sociale, c'est le deuxième métier de l'agence, il consiste aussi à aider les gens à partir en vacances quand ils ont des handicaps. Il ne faut pas oublier que ce n'est pas simplement parce que les gens n'ont pas d'argent qu'ils ne partent pas en vacances, c'est quelquefois parce qu'ils ne le veulent pas ; M. Braud l'a rappelé. Les handicaps ne sont pas seulement financiers. C'est la raison pour laquelle tout ne se règle pas seulement avec de l'argent. L'agence est donc une belle entreprise qui a deux métiers : le métier de l'émission des chèques vacances (il ne faut surtout qu'on l'ennuie dans sa façon de gérer cette affaire) et un rôle public consistant à avoir une politique sociale pour aider le plus possible à partir en vacances en France. C'est pour ces raisons que je suis très heureux de présider cette agence qui structure un peu le Français « consommateur » dans la gestion de ses vacances. Derrière l'organisation de celles-ci, il faut avoir en face de soi de vrais professionnels. Le deuxième problème est posé par le Français « citoyen ». Personne ne se rend compte ce que représente la dimension économique du tourisme dans notre pays, ni sa dimension culturelle car on ne sait pas bien où s'arrête le tourisme. Je dis toujours : il faut que le conservateur d'un musée soit formé au tourisme, si tant est que cela veuille dire quelque chose, c'est-à-dire formé aux conditions qui font que les touristes soient bien dans le musée que ce conservateur gère. Le personnel qui est à l'office de tourisme, payé par la mairie, doit faire exactement la même chose afin que le touriste soit bien accueilli dans la ville. Ce sont des métiers qui sont des métiers du tourisme, il n'y a pas seulement les agents de voyage, les hôteliers, les restaurateurs. Il existe des BTS en France élaborés pour faire ces métiers. Le problème est d'estimer le poids du tourisme. Il y a des actes à accomplir dans le domaine de la structuration de l'action de l'État pour bien faire prendre conscience aux Français citoyens ce qu'est le tourisme. M. Augustin l'a dit, c'est toute la dimension de l'État en matière de promotion : la Maison de la France. C'est pour cela que je l'ai créée quand j'étais aux affaires. A l'époque je pensais qu'un des problèmes était de mieux faire connaître le poids du tourisme en France, et la France à l'étranger. Pour ce faire, la Maison de la l « pour mémoire » 87 France était un outil à créer. Je pense qu'il aurait fallu la maintenir et non pas la refusionner avec une autre structure, même si c'est la décision de mon ami Hervé Novelli que j'aime beaucoup. A chacun son métier. Le métier de la promotion n'est ni de l'ingénierie ni de la formation. Il y a trois dimensions dans le tourisme : l'offre, qui relève de l'ingénierie touristique (Audit-France) la demande (la promotion, le marché, le marketing) la ressource humaine (la prévision, la réflexion, la recherche, la formation). Pour cette raison, avec Jean-Luc Michaux et Paul Dubrulle, on a créé l'Institut français du tourisme (IFT) sans demander ou alors très peu, Jacques Augustin le sait, à l'État. Si Atout France fait bien son métier de promotion et d'aide à l'ingénierie, il reste la dimension humaine. Or l'outil de formation aux métiers du tourisme en France n'est probablement pas le meilleur du monde alors qu'on pense souvent le contraire. D'après une étude que j'ai faite, on embauche dans les métiers du tourisme environ 40.000 personnes par an. On forme environ 40.000 personnes par an, mais ce ne sont pas les mêmes. Il y a un tas de gens qu'on forme pour le tourisme et qui ne vont plus dans le tourisme et un tas de gens qu'on embauche dans le tourisme et qui n'ont pas eu de formation dans le tourisme. Il y a quelque chose qui ne va pas. Pour former, il faut avoir pensé non le présent mais l'avenir. Qui cherche ce que sera demain dans le monde le tourisme ? quel couple offre-demande ? et qu'apporteront les nouvelles technologies et tous les changements culturels ? Il y a beaucoup de gens qui cherchent, comme disait le Général de Gaulle, il n'y en a pas beaucoup qui trouvent. Mais il y a beaucoup de gens qui cherchent, sans se coordonner les uns avec les autres, d'où la nécessité pour l'État de créer des plateformes permettant de travailler ensemble : chercheurs, formateurs, utilisateurs, entreprises, collectivités, tous ceux qui travaillent dans les métiers du tourisme. Pour tous ceux qui sont formés ou qui travaillent dans le tourisme, le vrai problème, c'est le professionnalisme. Cela me fait toujours doucement rigoler, si vous me permettez cette expression un peu vulgaire, de voir qui la première chose que fait chaque ministre en arrivant - j'en étais, je ne venais pas du tourisme, j'ai fait comme tous les autres - c'est dire : « Le tourisme, ça ne va pas bien, parce qu'on n'accueille pas et que la France n'est pas accueillante. Alors on va faire quelque chose pour l'accueil ». Or le problème, ce n'est pas de dire « accueillez mieux », c'est de leur dire « soyez professionnels », tout simplement. Je ne vois pas pourquoi on le demande pour le tourisme et pas pour le commerce et l'industrie. Chacun fait son travail. Chacun doit être accueillant si c'est le travail consiste à avoir des clients. Il vaut toujours mieux être accueillant avec ses clients. La vraie question n'est donc pas de former à l'accueil mais de développer les formations professionnalisantes aux métiers où il y a, par la force des choses, l'accueil. Ces métiers consistent à faire en sorte que le touriste se sente bien quand il vient, bien à tous les points de vue, dans un hôtel, un restaurant, un musée ou au cours d'une visite d'une centrale nucléaire... Cette exigence comporte l'accueil. Il y a beaucoup à faire pour professionnaliser les métiers d'où la création de l'IFT. Je suis assez content parce que, malgré mon âge canonique, j'ai encore un peu le contact avec l'avenir même si ce n'est pas le mien. Finalement, dans le tourisme, il faut penser au Français citoyen qui a de plus en plus de mal à créer ses propres vacances. La diversité du marché mondial est inimaginable : il y a autant de produits et de prix qu'il y a de pays dans le monde. Le Français citoyen doit comprendre que cette filière est une partie de l'avenir économique de notre pays. A cette fin, il faut de bons professionnels. On a encore beaucoup de progrès à faire dans l'éducation nationale, privée ou publique, dans les universités et partout pour que nous ayons non seulement de bons produits, de bons paysages, de bonnes pages de publicité un peu partout dans le monde mais aussi pour que les touristes français ou étrangers trouvent en France des gens qui soient de bons professionnels. A Château-Gonthier où je pars par le train, on va travailler pour ces cent plus belles petites villes de France entre 2 000 et 20 000 habitants qui, à mon avis, représentent un potentiel « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 88 touristique de développement assez extraordinaire. Même si on n'a rien demandé à l'État, je lui demande de nous écouter de temps en temps parce que, en-dehors de Paris, et je reconnais que M. Roll fait beaucoup de choses pour Paris, il y a toute la France derrière qui est encore pleine de possibilités pour développer le tourisme. tout le reste. Quelle est la situation du tourisme parisien actuel ? Le tourisme urbain se porte bien. Paris fait partie de ce mouvement-là. Paris est en train de vivre la meilleure année de son histoire en termes de taux d'occupation et de recettes unitaires. Paris n'a jamais eu une aussi belle image. Je reviens sur ce que disait le ministre Descamps : le sujet de l'image est bien évidemment une question de professionnalisme dans la prestation offerte. Mais il faut aussi qu'on apprenne à parler de nous-mêmes. Notre approche plutôt cartésienne nous interdit de dire du bien d'emblée. On en est plutôt à d'abord dire du négatif pour être crédible, puis du positif. Comme personne n'écoute la fin, on en reste à nos propres critiques. Selon des études sur l'image internationale de Paris, qui ne sont pas financées par nous-mêmes, Paris est la ville la plus désirée au monde. C'est la ville qu'on souhaite visiter en premier, quand on a la possibilité de quitter son propre pays. A partir de là, nous avons un fonds de commerce indéniable. Il est difficile d'améliorer les taux d'occupation des hôtels : quand vous arrivez à 80%, il y a seulement deux ou trois points supplémentaires à obtenir. On a une très belle image. Certes, les chauffeurs de taxi et les serveurs ne parlent pas cinq langues et une partie de nos musées n'ont pas de panneaux indicateurs en dix-neuf langues. Malgré tout, l'équilibre global fait que le touriste, au moment où il quitte Paris, dit à 97% qu'il reviendra. Le tourisme est une industrie mature. Ce n'est plus de l'artisanat additionné. Ce secteur économique dans notre ville est essentiel : 12% avec les emplois directs, 20% avec l'emploi indirect. Une fois le décor posé, que sait-on déjà quand on se projette sur les dix à quinze années à venir ? La première lacune du tourisme parisien est le manque de capacité hôtelière : d'ici à 2020-2025, il nous faudra « 32 000 chambres supplémentaires » sur un périmètre qui va de Roissy à Orly, de Versailles à Disney. Dans le seul département 75, on considère qu'il faut au total 14 000 chambres supplémentaires et on s'y attelle : 7 000 sur les emprises foncières contrôlées par la ville, 7 000 sur le foncier privé ou à partir de changements d'affectation de m2 de bureaux qui basculeront dans des m2 hôteliers. Le « chantier des 7 000 chambres » a été intégré par le maire dans son programme électoral de 2008. C'est assez original dans un programme électoral, ne trouvez-vous pas ? « Je m'engage à créer 7 000 chambres ». Un groupe de travail a déjà identifié l'équivalent de 4 000 chambres à faire construire par des promoteurs. Cette partie fonctionne. Du côté du privé, on est sur l'engagement des 7 000 chambres. On a déjà vu sortir de terre 1 250 chambres grâce, entre autres, à la transformation de carcasses de bureaux désamiantés. Si on se projette sur 2020-2025, le tourisme parisien devrait s'approcher d'un taux d'emplois directs et Alain Monferrand Paris est effectivement un peu le produit phare. Le comité d'histoire va célébrer bientôt les phares et balises dans une prochaine journée d'études. Paul, tu es un phare et peut-être une balise pour le tourisme français. Comment vois-tu les dix ou quinze prochaines années, compte tenu des résultats acquis mais aussi d'une concurrence de plus en plus forte y compris peut-être en Europe ? L'année prochaine, Londres se repaîtra des Jeux Olympiques et Berlin attend derrière avec plein d'autres défis. Paul Roll Bonjour, merci de votre invitation. Merci de ces mots plutôt gentils. Il est un peu vexant d'être réduit au statut de mastodonte ou de produit d'appel, mais j'essaierai d'être fort et de passer outre. Le cas du tourisme parisien est souvent plutôt mal analysé dans la mesure où il est un peu considéré comme l'enfant gâté, celui pour qui tout fonctionne et qu'il faut négliger en s'occupant de hor s-sér ie - juillet 2012 l « pour mémoire » 89 indirects de 25 à 30%. La ville de Paris doit assumer son tourisme pleinement et en anticipant ce que seront les contraintes de demain. Les contraintes de flux de visiteurs à amener dans notre ville devraient concerner à 75% le train, ce qui suppose que la SNCF développe un véritable modèle économique comme cela a été fait pour l'aérien. Pour ce grand enjeu, il faut l'ouverture de l'espace ferré à la concurrence, qui nous manque aujourd'hui, si l'on souhaite que cette activité soit durable. Une fois le touriste arrivé, on utilise les équipements existants comme le métro ou les équipements culturels. A Paris, on ne crée pas des équipements touristiques, on crée des équipements à la fois pour les habitants de la ville et les visiteurs de la ville dont des visiteurs étrangers. Les grands enjeux de demain sont « d'accompagner ce développement, de créer les capacités hôtelières, de nous adapter à la complexité des marchés de demain ». Les marchés actuels vivent sur un schéma plutôt occidental : on mange à partir de midi et demi, on a fini de déjeuner à deux heures et demie, on reprend à partir de sept heures et demie - huit heures. Or les marchés de demain seront pratiqués par des visiteurs qui mangent tout le temps, avec une complexité dans les goûts alimentaires : pour des végétariens, c'est facile, pour des végétaliens, c'est plus compliqué. Cela implique des restaurants adaptés, parfois deux cuisines dans un même établissement. Il faut préparer cette complexité. Le Louvre et la Tour Eiffel ne sont pas à même de faire face à ces flux. On ne va pas changer la Tour Eiffel, on ne va pas faire du Louvre un endroit où l'on va faire du « speed dating » ou de la « speed visit ». Il va falloir se poser des questions indéniables sur les jours de fermeture et l'élargissement des horaires d'ouverture. La contrainte non négociable est qu'il est inenvisageable de faire de nos villes, Paris comme toutes les autres, une ville qui deviendrait victime de son tourisme. Paradoxalement, Paris n'est pas une ville touristique. A 100 mètres des grands lieux touristiques, le tourisme est totalement intégré dans la ville. Au-delà, on ne voit plus de restaurants « à touristes » ou de magasins de souvenirs. Cette activité mixte fait la force de cette ville. Prague est une ville qu'on visite deux fois, une première et une dernière, parce qu'on a la certitude qu'elle ne changera pas. Notre véritable enjeu est que Paris soit une ville vivante où il y a toujours une raison de revenir, une ville qui évolue et bouge, avec des équipements nouveaux. Ainsi, le musée du Quai Branly, fait et conçu pour 500 000 visiteurs, a passé le cap du million. On doit avoir pour souci que cette ville reste vivante, qu'elle soit attractive pour des visites répétées et le partage d'expériences renouvelées. Pour cela, il faut un parfait équilibre entre les habitants et les visiteurs. Jean-Jacques Descamps Qu'avez-vous fait à Woody Allen pour qu'il fasse un film qui est vraiment la plus grande promotion de Paris que j'aie jamais vue ces derniers temps ? Je l'ai vu hier soir, c'est extraordinaire. Bravo, formidable, citoyen d'honneur de Paris ! Paul Roll Merci. D'abord, on a fait tout ce que les autres n'ont pas fait. Barcelone a versé à la production de son film précédent, qui était assez moyen, plus d'1M de subventions. On ne leur a pas laissé un centime mais on a facilité des échanges avec certains établissements hôteliers qui, en échange, obtenaient de la visibilité. On leur a facilité la vie en termes de tournage. Pour le reste, on a agi à l'opposé de toutes les autres villes. La meilleure indication de l'attractivité de notre ville est sa capacité « à produire » cette appétence, comme le montre cet exemple. Un deuxième exemple nous a probablement plus étonnés. Il y a un an et demi, l'espace publicitaire le plus cher au monde, au moment du Superball aux États-Unis, était les trente secondes à la mi-temps. Ces trente secondes ont été achetées par Google qui faisait pour la première fois de sa vie de la publicité. Cette publicité était dédiée exclusivement à Paris, avec une caméra posée sur barre, sur laquelle vous tapiez les mots clés à l'occasion d'une recherche pour quelqu'un qui parlait de venir à Paris, de rester à Paris, de se marier à Paris, d'avoir un enfant à « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 90 Paris, de baptiser son enfant à Paris. A la fin, le dernier mot était « à suivre ». Ce film, facile à trouver sur Youtube, représente une fois de plus la négation de toute cette capacité que nous avons d'être négatifs sur nous-mêmes. Ce n'est pas l'Amérique la plus sophistiquée qui regarde Superball et pourtant Google a considéré que Paris était un sujet d'attractivité ; nous n'aurions jamais pensé ou conçu une telle publicité en ces termes-là sur nous-mêmes. Paris, mastodonte, produit d'appel, aspirateur à touristes, est aujourd'hui un élément de capitalisation de la destination « France ». Il faut aujourd'hui profiter de ceux qui viennent à Paris pour proposer le reste de la France et ne pas tourner le dos à Paris, parce que c'est une ânerie. Le produit tête de gondole, on l'utilise, on ne le néglige pas. l'attention sur le fait que c'était très bien de faire de la promotion et de la gestion administrative mais il fallait se préoccuper de la façon dont on construisait le tourisme de demain et dont se constituait l'investissement. Cela a expliqué la création de la Délégation aux investissements, qui était une structure d'administration centrale dans laquelle on avait mis tous les services et bureaux qui avaient une relation avec ce sujet. Puis j'ai fait assez vite le constat que nous n'avions pas les moyens d'une intervention efficace de l'État : ni beaucoup d'argent, ni des procédures et des règlements. On avait un peu d'argent pour faire quelques opérations dites pilotes, qui n'intéressaient pas grand monde, et un on avait peu d'ingénierie. On a accepté ma proposition de mettre tout l'argent qu'on avait sur l'ingénierie en matière d'intelligence, en disant : «Comme les recherches, le développement, les études nationales ne sont pas faites, parce qu'elles sont trop chères isolément, on va essayer de les mettre ensemble autour d'un GIP et de structurer petit à petit la connaissance, la compréhension et les savoirs faire «. Cette proposition a marché à peu près car on y gagne beaucoup en souplesse et en efficacité quand les moyens sont mélangés avec des moyens privés ou parapublics dans une structure qui n'est plus assujettie à l'annualité. Mais l'idée principale est de savoir comment, dans ce pays, on investit dans la création du tourisme de demain. Après avoir passé huit à neuf ans à la Caisse des Dépôts, j'avais compris l'aspect incontournable des phénomènes financiers d'investissement, de rentabilité, de retour sur investissement, de renouvellement de l'investissement. Je sais bien que, dans le tourisme, on a toujours tendance à entendre ceux qui se plaignent de quelque chose. Cela génère, comme disait Paul Roll, un bruit de fond défaitiste, fataliste : «tout va mal, tout va aller encore plus mal»... Je ne veux pas rentrer dans ce débat mais il n'empêche que je n'ai pas une vision optimiste de la façon dont notre pays prépare son tourisme de demain, dont il investit, dont il met ses billes quelque part, dont circulent les moyens financiers. On parlait du Français consommateur. C'est le Français investisseur qui a financé le tourisme en grande partie en achetant les appartements dans toutes les stations, en investissant avec son argent. Il a été un bon investisseur à une certaine époque mais pas un très bon réinvestisseur, d'où ce phénomène bien connu de toutes ces stations dont la partie centrale vieillit et se nécrose petit à petit. On fait vivre le tourisme en reconstruisant du neuf à côté avec des plus-values : les promoteurs aiment bien cela. Lors d'une réunion récente en Tarentaise, le représentant écologiste de la région Rhône-Alpes faisait le bilan devant les responsables politiques du nombre d'autorisations de développement de lits en stock Alain Monferrand Avant les conclusions, on va interroger le vieux sage, mais tu vas m'en vouloir pendant des années... Oui, le sage : tu as été à la fois le directeur et l'animateur d'un de ces nouveaux organismes, le GIP-AFIT. Ce GIP est un symbole des transformations de l'administration du tourisme depuis cent ans. Philippe Moisset Il y avait un débat à l'époque sur l'organisation du ministère, avec Roger Godino, qui connaît un peu le tourisme et qui était conseiller de Michel Rocard. J'avais beaucoup attiré hor s-sér ie - juillet 2012 l « pour mémoire » 91 (20 000). Pour maîtriser le phénomène, il faudrait trouver les moyens pour rénover les coeurs des stations et ne pas vivre en déployant ailleurs. C'est lourd comme investissement de bousculer les propriétaires ou de trouver des incitations. Certes, le ministre a relancé un groupe de travail. Mais il est patent que depuis quinze ans on essaie de trouver des incitations à la rénovation des meublés de tourisme. Je n'ai jamais vu de politique publique où il y ait eu tant d'annonces avec si peu de résultats. C'est un peu accablant pour nous tous. En même temps, bien sûr, il y a des facteurs d'optimisme. On arrive à monter cahin-caha un dispositif de refinancement du tourisme social qui aura peut-être un petit effet si on arrive au bout. Il y a de nouvelles formes d'hébergement qui sortent ici ou là, adaptées à des fonctionnements plus proches de l'économie du marché (des roulottes, des chalets, des abris dans les arbres). Quand on regarde l'hôtellerie traditionnelle, certains Cassandre disent des choses très accablantes sur la disparition de cette petite hôtellerie et je ne suis pas sûr qu'ils aient totalement raison. Les lignes bougent. Il se passe des choses. Je ne suis pas certain que les meilleurs esprits économiques de ce pays y aient passé le temps qu'il faudrait. Je sais très bien qu'on essaie en permanence de faire comprendre au ministère de l'Economie des Finances qu'il faudrait y travailler un peu plus. Mon impression est que je ne suis pas certain qu'on soit complètement aux commandes de nombre de phénomènes. Peut-être le marché trouvera-t-il des solutions, mais je n'en suis pas sûr. en réunissant ces acteurs, le regard académique qui peut apporter le recul, la capacité d'évaluation et d'explication du Conseil général de l'environnement et du développement durable, du Conseil national du tourisme ou des inspections générales. Cela permettrait de mieux contribuer à la décision des politiques futures. Nous allons constituer ce Comité. Marc Boyer a donné son accord pour en être le président d'honneur. Bien d'autres personnalités y seront conviées, en particulier celles qui sont intervenues aujourd'hui ou qui seraient intéressées. Le comité sera installé dans les mois qui viennent avec toutes les bonnes volontés et les mémoires qui sont actives pour préparer l'avenir. Participant Le diable se cache un peu dans les détails, c'est ce que l'on dit. Ma question s'adresse à Paul Roll. La semaine dernière, je suis arrivé au terminal 1 de Roissy, venant de Copenhague, après 22 heures. J'ai mis trois heures pour aller à Aulnay-sousBois prendre le RER. Pour moi, cela allait. Mais j'ai vu quantité d'étrangers qui étaient arrivés là. J'ai eu la honte de ma vie : aucun accueil, les corridors fermaient, les seuls interlocuteurs des voyageurs étaient les pauvres chauffeurs de bus qui n'en pouvaient mais. Quand vous voyez les bus avec un énorme « bienvenue »... Naturellement, il n'y a pas des flots de gens qui arrivent après 22 heures et je sais que c'est momentané, toutefois cela dure depuis « pour mémoire » Jean-Luc Michaud Nombre de politiques ont été tentées. Quelques-unes ont réussi, beaucoup ont été oubliées, Qu'elles aient d'ailleurs été des succès ou des échecs, on en tire rarement les conséquences pour engager de nouvelles politiques. L'intérêt de cette journée est de permettre de mesurer l'importance de capitaliser les expériences. Cette démarche historique est fondamentale pour gagner du temps, éviter des recherches au profit d'actions utiles et correspondant aux évolutions du marché, des clientèles, de la technologie en matière de construction, d'urbanisme. Cela suppose que cette démarche historique soit projetée comme un outil de préparation de l'avenir. C'est dans cet esprit, je pense, que cette journée a été engagée. Nous l'évoquions tout à l'heure avec Alain Monferrand. Cela fait le lien avec ce qu'a dit Jean-Jacques Descamps concernant le rôle de l'Institut français du tourisme. Pourquoi ne pas constituer, la décision d'ailleurs est prise, je crois qu'on peut l'annoncer, de procéder avec des grands témoins une évaluation rétrospective de tout cela. Pourquoi ne pas créer un comité français d'histoire du tourisme qui formerait un regard évaluatif l hor s-sér ie -juillet 2012 92 quelques mois et doit durer encore quelques autres mois. Néanmoins, j'entends tout ce que vous dites. Or, il y a une semaine, quand j'étais dans le bus, je me disais : « mais comment se fait-il qu'il n'y ait pas seulement un papier qui soit remis à chaque passager pour lui indiquer le début du commencement de ce qu'il doit faire ? ». Je sais que nous, Français, on aime se plaindre. Mais, par rapport à ce qu'a dit M. le ministre sur la nécessité de l'accueil et la professionnalisation, il y a là un défaut qui, j'espère, ne sera pas récurrent dans l'avenir. une série de points faibles. Tout ne va pas s'améliorer. Mais votre remarque peut être faite sur toutes les autres destinations au monde. Je vous défie de me dire que l'accueil aux États-Unis est sympathique et chaleureux. Il est totalement glaçant voire intimidant. D'autres aspects fonctionnent mieux, mais globalement... Quand des touristes vous disent qu'à 97 ou 98% ils reviendront, je construis positivement tous les points qui restent à améliorer. Je suis navré que la seule remarque qui soit faite ici sur notre tourisme soit celle-là. Mais actons le fait qu'aujourd'hui notre tourisme est bien mieux perçu que ce que nous-mêmes avons comme regard sur le service qu'on offre. Ce n'est pas la Pravda qui a donné les 97 ou 98%, ce ne sont pas les chiffres électoraux de Ceausescu, c'est une enquête qui doit être aujourd'hui à quelques dizaines de milliers de répondants. Ce chiffre ne bouge pas de ce niveau. Apprenons à parler de l'impression d'ensemble qu'on donne et qui est remarquable. Il y a des leviers et des sujets d'amélioration. Participant Par qui a été faite l'enquête ? est n°1. C'est une étude qui comporte, de mémoire, 15 000 questionnaires sur une cinquantaine de villes. Si vous prenez les questionnaires les uns après les autres, aucun n'est financé par nous. Globalement, l'impression et le résultat sont-là. Je suis toujours très troublé par cette capacité que nous avons de nous dire du mal. Prenons les choses comme des lignes d'amélioration et non comme des fatalités négatives, alors que ce sujet est devenu pour nous primordial. La place dans la mondialisation de ce monde... Ecoutez, Paris est une ville touristique. Quand vous êtes commerçant, la première chose que vous apprenez à faire, c'est de parler de votre produit sans pour autant mentir ou cacher. Pardon de vous répondre aussi personnellement, mais il est vrai que je vis avec ce genre de questions. Il y a un moment où vous ne pouvez pas prendre à la légère le gagne-pain d'une ville comme la nôtre, ni laisser dire des choses qui sont en dehors de ce que le client juge. Paul Roll Je ne peux pas répondre parce que la réponse est dans les statistiques. On est tous capables de raconter une aventure abominable, avec un chauffeur de taxi qui était là ou n'était pas là... Or, mes statistiques montrent que 97% des visiteurs disent qu'ils reviendront. Aujourd'hui je vous défie, je le dis clairement, de trouver d'autres destinations avec un tel taux de satisfaction. Qu'est-ce que cela veut dire ? Le touriste sait faire la part des choses. Aéroports de Paris n'est pas parfait mais il faut tout de même acter les progrès accomplis dans les aéroports. Pour moi, qui y passe plus de temps que je ne voudrais, c'est indéniable, même s'il y des progrès à faire pour la police de l'air et des frontières, les files d'attente au petit matin, les taxis, l'accueil. Dans la chaîne du tourisme, il y a toute hor s-sér ie - juillet 2012 Anne Querrien Un des éléments positifs de Paris ­ ayant été correspondante d'un réseau européen pendant deux ans, j'ai vu les réactions - c'est le rapport qualitéprix. Paris est une ville formidable et pas très chère. A partir du moment où on se dit qu'on veut en tirer 25 à 30% de plus en recettes, il faut un niveau d'amélioration important. Or on peut se poser quand même des questions sur nos aéroports quand on fréquente tous Paul Roll C'est une enquête qui est en ligne, faite par nous (50 000 questionnaires remplis). Prenez une étude en ligne d'un organisme qui s'appelle Anholt. C'est un organisme anglais qui, tous les 2 ans, réalise une étude sur la perception des villes. Paris l « pour mémoire » 93 les aéroports de l'Europe de l'Ouest : le niveau de fonctionnalité est moche, c'est un style HLM. Quand on passe les barrières, il n'y a presque rien comme magasins. Comparé à Copenhague ou Francfort et ailleurs, avec en plus parfois les mêmes architectes, c'est un peu sidérant comme atmosphère. Le problème des transports est fondamental. Il y a un transport dédié en théorie au ferroviaire, mais le train est organisé de telle manière que personne ne peut le prendre parce qu'on ne sait pas où il est... La signalétique, c'est pourtant basique... Comment concevoir des améliorations pour éviter que des gens disent : « J'adore Paris, mais surtout n'y organisez pas la prochaine réunion... » ? J'ai vécu cela deux ans. d'un article de Jacques Attali dans le Point ou l'Express, qui avait été très mal accueilli à Roissy. il avait dit : « Roissy, l'aéroport le pire du monde ». Mais c'est démenti par les statistiques et les enquêtes. Je crois qu'il faut se replacer en perspective. Bien entendu qu'il y a des manques dans l'accueil. Bien entendu qu'on peut contester que la PAF, sur des aéroports soit particulièrement accueillante. Mais, par comparaison, on a un système d'accueil qui est assez performant. Il est améliorable, bien entendu. Pourtant, je crois qu'il ne faut pas sombrer dans le négatif. il faut d'abord se poser la question de la concurrence. Je reconnais effectivement - ayant fait les Ponts et Chaussées, je peux en dire un peu de mal - que les conceptions d'un certain nombre d'aéroports français ont été de belles performances techniques mais insuffisamment réfléchies en termes de pratiques d'accueil. Tout le monde connaît le problème des bagages à Paris. A Orly, la situation s'est améliorée. A Roissy, cela va bien dans certains coins, mais ailleurs c'est deux fois plus long. Quand vous êtes sur le terminal central, vous attendez une demi-heure de plus vos bagages que lorsque vous êtes dans un autre satellite. Ce ne sont pas des problèmes d'accueil, ce sont des problèmes de professionnalisme. Trouver son bagage, c'est un des éléments de l'accueil. Le problème des taxis relève d'un autre professionnalisme. Il y en a de bons et de moins bons. En Touraine, les gens ne se rendent pas compte qu'ils sont mis dans une concurrence beaucoup plus sévère. Auparavant, la Touraine était un pays où il faisait bon vivre. Tout le monde était là, les châteaux, c'était superbe. Maintenant, on se compare à beaucoup d'autres et il faut être meilleur. Dans le Nord, où il n'y avait pas de tourisme, l'accueil, au sens propre du terme, la conception du tourisme, la façon de le gérer au comité régional, c'était une autre gestion que celle du côté d'Orléans. D'un côté, il y a des gens qui ont vécu dans la facilité et « pour mémoire » Alain Monferrand Alors Monsieur le Ministre, on ne vous a pas invité pour que vous ne puissiez pas parler. Michel Saussy Je voudrais répondre, en tant que président du groupe de travail « accueil », créé au Comité national du tourisme. Le précédent ministre et l'actuel ont demandé qu'un groupe de travail rende un rapport sur le thème récurrent de l'accueil, en privilégiant le cas des zones dites de transit (les aéroports, les ports, les autoroutes, les gares). Le constat rejoint ce qui vient d'être dit. L'accueil est bon. En revanche, il y a une segmentation des types d'accueil, une appréhension de l'accueil par les professions qui est tout à fait différente. Il y a un besoin d'améliorer les choses. Cette demande avait été faite à la suite Jean-Jacques Descamps Oui, il faut malheureusement que je parte vite. Je suis un peu déçu par cette façon de prendre le problème de l'accueil, encore une fois. Evidemment, l'accueil, si c'est une jolie hôtesse qui vous accueille et vous dit bonjour... Je reviens au professionnalisme. Le problème, ce n'est pas seulement Paris, c'est toute la France. Paris est dans une meilleure situation : ses avantages compétitifs font que, quelles que soient les difficultés, on reviendra. Mais là où il y a moins d'avantages de compétitivité, il est plus important d'améliorer l'accueil ou le professionnalisme. A mon avis, l hor s-sér ie -juillet 2012 94 qui n'ont pas compris que maintenant ils étaient en concurrence. Du côté de ceux qui ont vécu dans la difficulté. Alors que tout le monde disait que dans le Nord, on ne pouvait pas faire de tourisme, eh bien, je peux vous dire que c'est une des régions qui est devenue la plus dynamique en matière de tourisme. C'est encore une fois un problème de professionnalisme. C'est vrai, Monsieur, avec un papier qu'on donne aux gens dans l'avion en leur disant : « vous allez avoir quelques problèmes, alors soyez gentils, ne nous en veuillez pas », c'est bien. Mais, moi qui suis dans l'avion, je me dis : « ils auraient pu se débrouiller pour qu'il n'y ait pas ces problèmes là ». C'est tout. Simplement, il faut être raisonnable. Quand vous allez dans l'aéroport de Singapour, vous vous dites : « c'est autre chose que l'aéroport de Paris ! ». C'est professionnel encore une fois. C'est là qu'on a une prise de conscience de la concurrence. M. Roll a raison, face au succès de Paris, de minimiser le cas d'un chauffeur de taxi qui vous embête... Mais, quand vous êtes dans une ville où il y a peu de tourisme et qu'on veut le développer, la défaillance du moindre chauffeur de taxi retombe sur tout le monde et il y a un risque de ne plus revenir. Il faut relativiser pour Paris, mais sans se faire plaisir, il ne faut pas dire qu'il n'y a pas de problèmes en France. Il y a un problème de professionnalisme, pas d'accueil. Si vous allez au Canada, un pays que j'aime bien et pour lequel j'ai beaucoup d'affection, la façon hor s-sér ie - juillet 2012 dont les gens vous servent est très différente par rapport à la Touraine. C'est une préoccupation qu'il ne faut pas prendre de façon négative, je suis d'accord avec M. Roll. Il faut positiver en disant : « Attention, nous avons besoin d'être meilleurs que les autres parce que nous avons de nouveaux concurrents à côté de nous et il faut faire mieux si on le peut ». Quand on a 80% de coefficient de remplissage, ce n'est pas grave, quand on en est à 40% et qu'on veut passer à 60%, je peux vous dire que la professionnalisation est un coup formidable pour avancer. C'est pour cela que j'ai tendance à penser qu'il faut prendre du recul par rapport à des cas particuliers. Excusez-moi de ma passion, je suis comme M. Roll, j'ai d'autres passions mais on est tous passionnés par ces problèmes du tourisme. Au terme de cette journée, quelles conclusions peut-on avoir sans encourir le risque d'une certaine naïveté et de quelques approximations, mais aussi en essayant de concourir par un peu d'étonnement à des préfigurations de perspectives nouvelles ? J'ai essayé de rassembler cela en 3 constats. Un premier constat est qu'il est difficile finalement de savoir de quoi l'on parle quand on parle de tourisme. En effet, c'est le touriste qui crée ou qui qualifie l'activité ou l'entreprise touristique ­ et donc, qu'est-ce qu'un touriste? Évidemment, nous avons la définition statistique : est touriste tout individu qui passe une nuit hors de son environnement habituel pour des motifs non liés à une activité rémunérée. Sauf cas particulier, une bonne partie de l'humanité est donc au moins une fois dans sa vie touriste, et pour beaucoup d'entre nous, nous passons une partie non négligeable de notre existence sous ce statut. Deux inconvénients : le touriste disparaît dans la population, et tout un chacun a une opinion sur la politique touristique, l'aménagement touristique, le service, l'accueil etc. Il est donc fort difficile de se faire reconnaître une expertise dans le management de l'économie touristique, car tout le monde s'estime expert : «le bon sens près de chez vous». Conséquence ennuyeuse : pas d'expert sur le sujet, égale, sujet pas sérieux. Cette définition devrait à mon sens être repensée : le fait de dormir hors de Alain Monferrand Merci, Monsieur le Ministre. Il est temps de conclure et je vais passer la parole à Monsieur Jacques Augustin, pour sa conclusion : « le tourisme, quelle histoire ! ». Jacques Augustin Je souhaite préciser que comme les intervenants précédents, je ne vais parler qu'en mon nom et non comme le représentant du ministre ou même de mon administration, ce qui est un grand facteur de simplification dans le registre de la liberté d'expression. l « pour mémoire » 95 chez soi parait fort peu discriminant, et pour parler crûment un peu primaire. Le banlieusard qui rentre chez lui et qui dort dans sa voiture sur la nationale 118 pour cause de neige devient un touriste au même titre que celui qui a passé quinze jours à visiter les châteaux de la Loire ... Plus sérieusement, le touriste d'affaires qui arrive pour une réunion, ne sort pas de son hôtel et repart sans avoir rien vu, ou le touriste médical, qui va se faire opérer de son cancer à Bangkok, peuvent-ils être comptabilisés, ressortent-ils au même registre économique que celui qui passe quinze jours dans un camping à Palavas les Flots ? C'est à mon sens cet amalgame qui discrédite le message que nous souhaitons tous faire passer, et qui ne passe d'ailleurs nulle part, sur l'importance du secteur économique du tourisme pour l'économie mondiale. Il serait donc indispensable de distinguer entre le tourisme de villégiature qui est caractérisé par le fait que l'intéressé dispose à sa guise de son temps, de toutes les autres formes de « tourisme » durant lesquelles si l'intéressé avait le choix et la liberté, il préférerait être ailleurs. On saurait alors davantage de quoi l'on parle, et donc on serait en mesure de valoriser les secteurs de manière intelligible, de sectoriser les diagnostics et les politiques de développement, et donc de devenir identifiable et lisible dans les leviers de l'économie mondiale. Je n'ouvrirai pas je vous rassure un long chapitre sur la statistique touristique, domaine bien connu de tous dans ses imprécisions, ses approximations et ses imperfections : on ne sait toujours pas compter précisément les visiteurs d'un lieu, les touristes du Vatican ne sont pas dans la statistique italienne... Problème de moyens assurément, mais aussi de réalité : les clients d'un restaurant sont-ils des touristes ou non ? Or chacun sait que faute de connaître la réalité au travers de ces données, on est dans l'incapacité de programmer et de piloter des politiques. Vaste sujet et pourtant qu'on pourrait imaginer maintenant résoudre par la traçabilité des téléphones portables et celle de l'utilisation des cartes de crédit... ce serait au moins aussi probant que les comptages sur les péages d'autoroute... Le deuxième constat est que l'univers touristique est probablement l'un de ceux qui connaît aujourd'hui les mutations structurelles les plus intenses. Le milliard de voyageurs internationaux devait être atteint selon l'OMT1 à la mi-2012 contre moins de 300 millions en 1980. Question : ces voyageurs sont-ils des touristes ou non ? Mais c'est l'arbre qui cache la forêt, à savoir le tourisme domestique évalué à sept milliards avec des chiffres qui donnent le tournis : 650 millions de voyageurs intérieur en Inde et deux milliards en Chine. Partout dans le monde les gens veulent voyager, profiter de temps à eux. La récente situation de crise a montré que ce tourisme de villégiature était le secteur économique qui était le moins impacté, parce que les vacances sont la dernière chose à laquelle on renonce, quitte à les réduire en coûts. Cette aspiration mondiale s'articule bien évidemment avec l'émergence de pays qui se veulent autant de destinations touristiques, et qui ont des ambitions en matière d'infrastructures et de captation de part de marché. L'OMT compte 154 pays adhérents. Le challenge est donc clair pour les vieux pays touristiques au capital et aux atouts certes difficilement contestables mais qui doivent faire face à des effets croisés. La saturation des lieux les plus emblématiques - voir Venise -, revient à les tuer, et la désertion potentielle des secteurs de villégiature n'est plus aisément duplicable. La massification pose évidemment le problème de la durabilité du tourisme. Il est clair que le tourisme sera durable ou ne sera plus, et il faut saluer ce secteur comme celui qui a depuis longtemps déjà engagé des démarches remarquables en la matière. Troisième constat, évidemment corrélé au précédent, c'est que nous sommes éminemment dans la dimension humaine, de manière sensiblement plus marquée peut être que dans d'autres secteurs des services - sauf évidemment la santé mais les ordres de grandeur ne sont heureusement pas les mêmes. Le tourisme, c'est une masse de gens, c'est la rencontre et la recherche du contact, c'est la connaissance des hommes et des civilisations plus finalement que celles des lieux ou des sites, c'est le plaisir de vivre, c'est « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 96 l'aventure individuelle ou collective... et j'en passe Cette dimension humaine est extrêmement prégnante d'abord dans ses composantes les plus factuelles : la capacité d'accueil et d'ouverture ­ le touriste a d'abord dérangé, au moins dans nos contrées. Le passage à l'ère de l'industrie touristique a posé d'autres problèmes et en particulier ceux liés à l'éthique, qu'elle soit morale ou économique. Les enclaves touristiques développées dans des pays de misère, avec leur cortège d'effets pervers, ne peuvent qu'interpeller notre conscience. Sous l'angle positif, le tourisme développe la solidarité entre les hommes, puisqu'il diffuse la richesse jusque dans les parties du monde les plus reculées, dans les pays marqués par la guerre, mais aussi parce qu'il met à disposition de tous ce qui relève du patrimoine de l'humanité. Il est porteur d'entraide, comme dans le cas du tsunami thaïlandais et facteur de stabilité mondiale, si l'on considère que se connaître conduit à atténuer les risques de conflits. Un mot pour rappeler aussi le rôle des vacances et donc du tourisme dans les politiques sociales : épanouissement, reconstruction, mixité sociale, cohésion nationale : tout ceci est bien connu mais est effectivement essentiel. Cette dimension humaine, elle se décline aussi dans une approche plus économique : quels produits imaginer pour les populations touristiques de demain dotée de tout les appendices technologiques portables. Que ce soit des populations qui viennent de loin, sous l'angle géographique mais aussi culturelle : c'est quoi la Renaissance pour un Chinois moyen ? mais aussi quels produits dans vingt ans pour une population à forte composante seniors +, ou pour des familles recomposées, ou pour une jeunesse imbibée de jeux vidéos et à la culture historique fragmentaire ? Ces considérations ne sont à mon avis pas triviales quand on est le premier pays visité au monde et qu'on entend le rester. La difficulté nous le savons, assez mondialement partagée, est que l'industrie touristique n'est toujours pas prise suffisamment au sérieux alors qu'à l'évidence elle ne saurait tarder à concerner chaque habitant et chaque recoin de la planète. Alors, et en conclusion, on voit bien l'importance de développer une politique solide de l'économie touristique, avec une structure dédiée au tourisme, une politique de promotion de la destination dotée de moyens adéquats, avec une image structurée et coordonnée sous une seule bannière, une profession regroupée au sein d'une fédération professionnelle puissante et écoutée des pouvoirs publics, des opérateurs touristiques professionnalisés et des acteurs impliqués, pratiquant l'accueil, les langues étrangères, acceptant de servir après 14 h et après 21 h et d'ouvrir les boutiques à l'heure du déjeuner si les croisiéristes sont là, ou encore de rebâtir une vaste politique de réhabilitation des infrastructures ou de développement des aménagements... Je crois que nous nous y employons tous. 1 L'organisation mondiale du tourisme (OMT) est une institution spécialisée des Nations Unies destinée à promouvoir et développer le tourisme. hor s-sér ie - juillet 2012 l « pour mémoire » 97 Table ronde : de gauche à droite, Philippe Moisset ; Paul Roll ; Jacques Augustin ; Alain Monferrand et Jean-Jacques Descamps. « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 98 Cour d'Honne ur (Accès réservé) (panneau) Place d'entrée des parkings Bo V e de Va -De nis et n G Ru e : Un sens unique de chaque Le premier côté. dessert à la cour d'honneur l'accès Arche. L'autre sens unique est celui de la route de la Demi-Lune . POISSY - ROUEN DANGE Eb ou R é eJ Ru ule s Ro u te l de a un m i- L De e Avenue A. Gleizes Tour Framatom e B O U LE VA RD CI RC CNIT Co l om be Place de la Statue s Nanterre Rueil-Malmaison i ULA IRE 4 La Grande Arche Accès aux parkings tin Tunnel A14 Ministère (panneau) P et P A B e Ru de sL o Georges Hu s aie sR ue ng Parc Centre Gare RATP TAXI Tunnel A14 B vers St-Germa in-en-Lay ou e lev ard de Neu illy Totem 7 en venant de Nanterre ou A14 ou de A 86 Accès aux parkings i Place de sortie des parkings 7 Livraisons Tour Pascal et Arche Sud Parking Pascal (panneau) B O Ver RN 3 1 4 Place d'entrée des parkings STOP s La B Dé re ctu réfe Vers Nanterre P se e t C e r g y - P o n t oi R A fen se Commercial Tour Pascal des QuatreTemp s A et B Tour Voltaire (ce ntre ) ue Parking Centre Feux tricolores i 8 P et P A B Feux tricolores U LE VA Ve Na rs Ru nter en Sain eil re ue t-G Malm du er Pré mai aison side n-en nt -Lay W e ilso - R N n 1 3 RD AIR CIRCUL E i Ver sS ure sne se Qu t ai d Bou e D logn e ion -Bo uton La Défense - centre B Pierre Gaud in rd va le ou D 9 A Pont de Neuilly ETOILE LA rr Fe V er e Fé lix y sS Ru Re gn au lt a int ri SE Hen A v IN 7 Ru e n B O v e O B A u E i E e U L e u a m b Quai de livraison de l'Arche Sud y lm A a G e R m tt D Asn ière s b P et P A B en provenance de Nanterre e tt CI a RC ULAIRE a Conseil Géné ral de l'Environnem ent et du Développ ement durable Journée d'étu des ul e va rd de la M issi on nd cha Mar Comment s'y rendre Comment s'in scrire « Cent ans d'administr ation du tourisme » rs Ve Pu tea ux Av ation « Cent ans d'administr du tourisme » hor s-sér ie - juillet 2012 l « pour mémoire » ntr (Ce e) Accueil Ministère de l'Éco logie, du rture Allocution d'ouveDéveloppement durable, des Transports et du Logemen t www.develop pem ent-durable. gouv.fr L'invention du tourism e ère la création de la premi des associations dans Le rôle déterminant Déjeuner * ale Table -ronde is et dans l'économie nation e dans la vie des frança Rôle et poids du tourism Allocution de clôture Les annexes Annexe I Les principaux acteurs de l'histoire administrative du tourisme (1910-1980) Rappel historique (1910-1980) 99 100 Arnault Berthonnet : Cent ans d'organisation administrative du tourisme - Les années 1910-1980 Les structures centrales de l'administration du tourisme (1910-1980) : quelques années de références Annexe II Christian Queffélec : La côte d'Émeraude ou les fleurs exquises du rêve et du divertissement 105 « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 100 Annexe I Cent ans d'organisation administrative du tourisme Les années 1910-1980 Arnaud Berthonnet Les structures centrales de l'administration du tourisme (1910-1980) : quelques années de références Sources : Annuaires du ministère des Travaux publics, du Commerce et de l'Agriculture, des travaux publics, des Postes et Télégraphes, du ministère de la Construction, du ministère de l'Équipement, etc., 1911 à 1981. 1911 Administration centrale du tourisme Ministre des Travaux publics, des Postes et des Télégraphes Direction du Personnel et de la Comptabilité Direction des Routes, de la Navigation et des Mines Sous-direction des Routes et Ponts M. Bordas (Fernand), sous-directeur. 1er bureau. Routes nationales. Ponts 2e bureau. Routes départementales. Police du roulage. Cantonniers. Office national du tourisme. Automobiles. Déclarationd'utilitépubliquedes travauxsurlesroutesdépartementales. Règlementdesalignements.Bornage. Policeduroulage. Droitdeplaceetdestationnement. Permissionsdevoirie.Posedes conduitesd'eauetdegaz. Cantonniersdesroutesnationales. Étudesgénéralesconcernantl'entretien desroutes,cylindrage,goudronnage. Statistiquedesroutes. ExamensdesprojetsdetravauxcommunauxcommuniquésparleMinistère del'Intérieur.Étudesdedistribution d'eaudanslesvillesetcommunes. Épurationd'eaud'égout. Champsdetir.Cheminsdefer militaires. Officenationaledutourisme.Congrès delaroute. Réglementationgénéraledelacirculationdesautomobiles.Immatriculation. ExamendesConducteurs. Réclamations. Subventionsauxservicespublics d'automobiles. M. Normand, chef de bureau. M. Bescherelle, sous-chef de bureau. M. Berthet, rédacteur. M. Roussotte, rédacteur stagiaire. M. Guenault, expéditionnaire. Sous-direction de la Navigation M. d'Hénouville, sous-directeur. Direction des Chemins de fer Sous-direction des concessions et travaux Sous-direction de l'Exploitation Direction des Mines, des voies ferrées d'intérêt local et des distributions d'énergie électrique 1932 Sous-secrétaire d'État, chargé des services des routes, de la circulation nationale et internationale, du tourisme et du transport des voyageurs sur terre et sur mer : M. GastonGérard, du 27 janvier 1931 au 3 juin Cabinet du sous-secrétariat d'État M. Baqué (Daniel), chef de cabinet, hor s-sér ie - juillet 2012 l « pour mémoire » 101 sous-directeur de l'Office national du tourisme. 1er Bureau. Budget. Travaux législatifs. Direction du Personnel, de la Comptabilité et de l'Administration générale Comptabilité 1936-1937 Commissariat général au Tourisme M. Roland-Marcel, Conseiller d'État, Commissaire Général. M. Peyromaure-Debord, Maître des Requêtes au Conseil d'État, délégué Général. M. Larrieu, chef de bureau. M. Lorion, sous-chef de bureau. M. Laval (Robert), rédacteur. M. Le gendre, faisant fonctions de rédacteur. Mme Sarraud, sténo-dactylographe. M. Charton, sténo-dactylographe. M. N..., sténo-dactylographe. 1938-1939 Commissariat général au Tourisme M. Roland-Marcel, Conseiller d'État, Commissaire Général. M. Peyromaure-Debord, Maître des Requêtes au Conseil d'État, délégué Général. M. Essig (Jean), inspecteur des Finances, conseiller financier. M. Larrieu ; chef de bureau. M. Lorion, sous-chef de bureau. M. Laval (Robert), rédacteur. M. Le Gendre, faisant fonctions de rédacteur. Mme Sarraud, sténo-dactylographe. M. Charton, sténo-dactylographe. M. N..., sténo-dactylographe. 1952 Direction générale au tourisme 8, avenue de l'Opéra - 75001 Paris. Directeur général : M. Boucoiran (Jean). Chef de service : M. Artaud-Macari (Joseph). Inspecteurs généraux : M. Herpin (Guy-Louis). M. Septembre (Georges). Sous-directeur : M. Deketelaere (Paul). Chargés de mission : M. Chamson (Max). M. Juge (Alphonse). M. Planque (Vincent). Mlle Ecker (Françoise). M. Anthonioz (Bernard). Mme Morin-Laborde (Colette). Mlle Polliot (Marguerite). M. Javion (Simone). Secrétariat et emplois rattachés. M. Bourrel, Rédacteur. Mme Charton, Adjoint adm. Mme Cerf, Sténo-dactylographe. Mlle Rigaux, Sténo-dactylographe. Mme Petitgas, Employé de bureau. Mlle Claverie, Employé de bureau. Mme Royer, Prép. Télép. Mme Bourrouilh, Prép. Télép. 1er Bureau. - Organisation générale et activités professionnelles. M. Dallot (Paul), Chef de bureau. 1ère section. Comités régionaux de tourisme et Syndicats d'initiative. - Sites et BeauxArts. ­ Stations classées et taxes de séjour. - Associations de tourisme. - Équipement collectif. 2e section Hôtellerie, reconstruction et équipement hôtels - Agences de voyage. - Guides. M. Dallot (Paul), Chef de bureau. M. Jocard (Paul), Adminsitrateur civil. M. Besso (Roger), Sous-Chef de bureau. M. Hedoin (Félix), Sous-Chef de bureau. M. Labarre, Rédacteur. Mlle Bousquet, rédacteur. M. Lier, Adjoint adm. Mlle Damiens, Adjoint adm. Mme Bouyssou, Secrétaire Sténo-dactylographe. Mme Moine, Dactylographe. Mlle Chabrillat, Employé de bureau. 2e Bureau. - Personnel. - Budget. Comptabilité. - Service intérieur. Diffusion du matériel de propagande. Régie d'avances et de recrues. M. Huet (Henri), Chef de bureau. Mme Renoir, Rédacteur. Mme Galland, Adj. adm. M. Constant, Régiss. d'av. M. Davois, Employé de bureau. Mlle Mazeyrat, Employé de bureau, Régisseur de recettes. Mme Dubray, Employé de bureau. Documentation, matériel de publicité, expositions. M. Chamson (Max), Chef de bureau. 3e Bureau. - Bureaux à l'étranger. Mlle Segalat (Odette), Chef de bureau. Mlle Argoulon, Rédacteur. Mme de la Rochebrochard, Adjoint adm. Mme Rigaudière, Secrétaire sténo-dactylographe. « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 102 4e Bureau. - Éditions de propagande. - Aide aux éditions locales. - Photothèque. M. Guillot (Yves), Chef de bureau. M. Clausier de Manoury, Adjoint adm. Mme Falcou, Adjoint adm. Mlle Drouot, Employé de bureau. Sections techniques 1ère Section technique. - Presse. - Informations. - Reportage. - Documentation. Cinéma. - Radio. - Télévision. - Expositions. M. Chanson (Max), Chargé de Mission. Mme Deketelaere, Rédacteur. Mme De Créty, Rédacteur. M. Manuleis, Adj. adm. Mlle Gruselle, Secrétaire sténo-dactylographe. Mme Meillassoux, Sténo-dactylographe. 2e Section technique.- Accueil. Conférences internationales. M. Bardy (René), Chargé de mission. En fonctions au Secrétariat général du Gouvernement. Mme Bolzinger, Sous-chef de bureau 1959 Commissariat Général au Tourisme 8, avenue de l'Opéra - 75001 Paris. Commissaire général : M. SAINTENY (Jean). Chef de service : M. Charton (Pierre). Inspecteurs généraux : M. Herpin (Guy-Louis). M. Bertrand (Lucien). Sous-directeur : M. Deketelaere (Paul). Chargés de mission : M. Chamson (Max). M. Juge (Alphonse). Mlle Ecker (Françoise). M. Anthonioz (Bernard). Mme Morin-Laborde (Colette). Mlle Polliot (Marguerite). Mlle Rouillard (Paule). M. Florentin (Jean). Mlle Balu (Monique). M. Robert (Antoine). Mlle Hennegrave (Marie-Claude). Secrétariat et emplois rattachés. Mme Charton, Adjoint administratif. Mlle Ehret (Jeannine), Secrétaire, sténodactylographe. I. - Affaires générales Bureau des Affaires générales, Affaires économiques et financières, Statistiques. Mlle Rozes (Huguette), Administrateur civil, chargée du bureau. Mlle Rouillard, Chargée de mission (Statistiques). II. - Activités touristiques 1er Bureau. A.T. - Activités professionnelles : industrie hôtelière, classement des hôtels, prix, prêts à l'hôtellerie. - Enseignement hôtelier, agences de voyages, transports, formation professionnelle. M. Le Roux (Paul), Agent supérieur, chargé du bureau. M. Labarre (Marc), Sous-Chef de bureau. M. Walker, Secrétaire d'administration. M. Lier, Adjoint administratif. M. Freva, Adjoint administratif. Mme Bouyssou, Secrétaire, sténodactylographe. 2e Bureau. A.T. - Équipement collectif, thermalisme, climatisme, tourisme dans les départements d'outremer. - Organisation intérieure : comités régionaux et syndicats d'initiative, commissions départementales, stations classées, taxe de séjour. M. Jocard (Louis), Administrateur civil, chargé du bureau. M. Hedoin (Félix), Sous-Chef de bureau. Mlle Damiens, Adjoint administratif. 3e Bureau. A.T. - Activités touristiques à but non lucratif : tourisme social, associations, hébergement complémentaire. M. Planque (Vincent), Chef de bureau, chargé du bureau. M. Lebrec (Georges), Sous-Chef de bureau. III. - Propagande 1er Bureau P - Personnel. - Budget. - Comptabilité. - Service intérieur. Diffusion du matériel de propagande. - Régies d'avances et de recettes. M. Huet (Henri), Chef de bureau, chargé du bureau. Mme Cohen (Andrée), Adjt administratif. M. Cesari (Pierre), Adjt administratif. 2e Bureau P - Bureaux à l'étranger. Tourisme technique. Affaires internationales. Mlle Segalat (Odette), Administrateur civil, chargé du bureau. M. D'Anthouard (Jean), Sous-Chef de bureau. hor s-sér ie - juillet 2012 l « pour mémoire » 103 Mlle Argouilon (S.), Rédacteur. Mme de la Rochebrochard (Y.), Chef de groupe. Mme Rigaudière, Secrétaire, sténodactylographe. 3e Bureau P - Éditions de propagande. - Aide aux éditions locales. - Photothèque. M. Guillot (Yves), Chef de bureau, chargé du bureau. Mme Clausier de manoury (Solange), Adjoint administratif. Mme Falcou (G.), Adjoint administratif. IV. - Sections techniques 1ère section technique - Presse. - Informations. - Reportages. Documentation. - Cinéma. - Radio. Télévision. - Expositions. M. Chamson (Max), Chargé de mission, chargé du bureau. Mme de Crety (J.), Rédacteur. M. Manuielis (J.) Adjoint administratif. Mme Combecau (M.), Secrétaire, sténodactylographe. 2e section technique - Accueil. Conférences internationales. M. Juge (Alphonse), Chargé de mission, chargé du bureau. 5 sténodactylographes. 10 agents de bureau. 1969 Cabinet du secrétaire d'état au tourisme Ministre de l'Équipement et du Logement : Albin Chalendon Marcel Anthonioz (1911-1976), secrétaire d'État au tourisme, du 20 juin 1969 au 5 juillet 1972 Commissaire général au tourisme : Jean Ravanel, Conseiller d'Etat. Chef de service : M. Mosca (Victor), administrateur civil. Inspection générale : M. Gaudibert (Paul). Délégations régionales, comités régionaux, commissions départementales, offices de tourisme, syndicats d'initiative - Commission d'aide aux éditions locales - Etudes et missions diverses. Mlle Aubin (Madeleine), administrateur civil hors classe. Exécution du plan et rapport avec le Commissariat au Plan - Classement des stations Problèmes relatifs aux casinos et aux jeux - Enseignement et formation professionnelle Assistance technique - Missions particulières en matière d'équipement. M. Lebrec (Georges), chef de bureau. Assistance et coopération technique. Division de la Statistique, des Études et de la Conjoncture Chargé de la division : M. Marc (Alfred), chargé de mission. I. Sous-direction de l'administration générale Sous-directeur : Deketelaere (Paul). Bureau du Personnel, du Budget et de la Comptabilité Chargée du bureau : Mme Renoir (Anne-Marie). Personnel - Budget Comptabilité - Service intérieur - Régies d'avances et de recettes. Affaires internationaes M. Anthouard (Jean d'), sous-chef de bureau. Bureaux à l'étranger et Diffusion Chargé du bureau : M. Couturier (François). Gestion des représentations à l'étranger - Diffusion. II. Sous-direction de la propagande et de la publicité Sous-directeur : Mme Renaudin (Claude). Adjoint au sous-directeur : Ségalat (Odette), administrateur civil de 1ère cl. Conseiller financier : M. Huet Henri, agent supérieur. Bureau de Production Chargée du bureau : Mlle Ségalat (Odette), administrateur civil de 1ère cl. Editions, matériels de vitrines et d'expositions ; films et enregistrement radiophoniques; aide aux éditions régionales et locales. Bureau de la Documentation Chargée du bureau : Mme Argoullan (Suzanne). Documentation - Bibliothèque - Photothèque. Bureau de la Promotion et des Relations extérieures Chargé du bureau : N... Relations extérieures - Campagnes de publicité - Promotion commerciale et congrès Information. Bureau de l'Accueil Chargé du bureau : N... III. Sous-direction de l'Aménagement Touristique Sous-directeur : N... Adjoint au sous-directeur : M. « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 104 Thomassin (Albert), administrateur civil hors classe. Bureau de l'Equipement collectif Chargé du bureau : N... Équipement collectif - Thermalisme Climatisme - Organisation des stations classées -Taxe de séjour. Bureau de l'Hôtellerie Chargé du bureau : N... Industrie hôtelière - Classement des hôtels - Prix - Prêts à l'hôtellerie - Régimes fiscaux Restaurants de tourisme. Bureau des Agences de voyage Chargée du bureau : Mme Carin (Jacqueline), administrateur civil de 2e cl. Agences de voyages - Transports Formation professionnelle ­ Promotion sociale. Bureau du Tourisme social Chargé du bureau : M. Planque (Vincent), agent supérieur. Activités touristiques à but non lucratif : tourisme social - Associations Hébergement complémentaire. 1978 Le Tourisme est rattaché au Ministère de la Jeunesse, des Sports et des Loisirs Ministre : Jean-Pierre Soisson Direction de l'aménagement et des professions touristiques Directeur : Bertrand Rebeillé-Borgella, sous-préfet hors-classe. I. Sous-direction de l'administration générale et des affaires financières hor s-sér ie - juillet 2012 II. Sous-direction des professions touristiques III. Sous-direction du tourisme social et des équipements collectifs - Délégation de la qualité de la vie - Service d'étude et aménagement touristiques de l'espace rural - Service d'étude et aménagement touristiques du littoral - Service d'étude et aménagement touristiques de la montagne - Service de l'action touristique et des relations internationales - Services extérieurs du tourisme Délégations régionales au tourisme Comités régionaux du tourisme Représentation des services officiels du tourisme français à l'étranger - Caisse nationale de vacances - Organisme divers - Union nationale des associations de tourisme (UNAT) 1946-1980 Henry Ingrand Georges Pompidou Guy-Louis Herpin, Vincent Planque Robert Hollier Jean Médecin Jean Boucoiran Jean Sainteny Pierre Dumas Jean Ravanel Jean-Pierre Dannaud Jacques Médecin Marcel Anthonioz Aimé Paquet Bertrand Rebeillé-Borgella Rappel historique (1910-1980) 1910 : création de l'Office national de tourisme (1910-1935) 1930-1931 : premier « ministre » chargé du tourisme (6 semaines) 1935 : création d'un Commissariat général au tourisme (40 ans avec des interruptions) 1948 : première direction générale au tourisme au sein du ministère des Travaux publics, des Transports et du Tourisme 1963-1978 : Secrétariat d'État au tourisme (15 ans) 1974 : le Tourisme est rattaché au ministère de la Qualité de la vie 1977 : le Tourisme est rattaché au ministère de la Culture et de l'Environnement 1978 : le tourisme est rattaché au ministère de la Jeunesse, des Sports et des Loisirs. Les principaux acteurs de l'histoire administrative du tourisme (1910-1980) 1910-1945 Alexandre Millerand Gaston Gourdeau Gaston Gérard Pierre Roland-Marcel Paul Peyromaure-Debord Henry de Ségogne l « pour mémoire » Annexe II 105 La côte d'Émeraude ou Les fleurs exquises du rêve et du divertissement par Christian-Noël Queffélec, Architecte, Ingénieur Général L'épopéedesvillesbalnéairesreste,pourunarchitecte,unesourcetoujours renouveléederéflexionsurlemétieretsurleprocessusdefabricationdesvilles.On yvoitcommentàpartird'undésirprofonddel'individu,correspondantàunmoment singulierdudéveloppementdelasensibilité,s'élaboreuneréponseconcrèteassociant latransformationd'unterritoireetlaréalisationdebâtimentsemblématiques.On découvre,viteséduit,cetteproductiond'uncadredevieoriginalrépondantsibien àunnouvelimaginaireencoursd'élaboration.Alorsqu'unearchitecturesouvent triste,issuedufonctionnalismeetdesrecherchestechnologiquessembles'imposer, denosjours,onestémerveilléparleplaisir, lavitalité,lesentimentdejubilationquiont guidélespasdesconstructeursdesvillesbalnéairesetleurontdonnélalibertéd'explorer desvoiesnouvelles.Loindel'étatd'espritque traduit,l'expressionbienterned'habitatpour untourismedemasse,ilssurentsefrayer uncheminoùsesontépanouiesmaintes réalisationsexemplaires,fleursexquisesdu rêveetdudivertissement. Letextequisuitn'enfaitpaspourautant lasimpleapologie.Ilchercheàdécriredes processus,l'élaborationdeprogrammesetde projets.Ilparledeméthodesetdemoyens. Ildécritdesrésultats.Ilfaitàsamanièreun bilan.Ilcherchedesconstantes.Ilopèreense laissantguiderparlerespectdupatrimoine maismontreaussilafièvred'unamateurque nourrirl'élandupassépourimaginerdes formesadaptéesàl'avenir. « pour mémoire » La plage du Casino à Paramé en 1905 l hor s-sér ie -juillet 2012 106 La Côte d'Émeraude est un nom inventé par l'avocat malouin Eugène Herpin, qui l'utilisa en 1894 pour le titre de son ouvrage, La Côte d'Émeraude, Saint-Malo et ses souvenirs. Il désignait ainsi « la partie des côtes bretonnes qui s'étend des roches sauvages du cap Fréhel aux grèves mystérieuses et mouvantes du mont Saint-Michel ». Les limites ont ensuite varié selon les auteurs. Aujourd'hui, l'expression désigne plus particulièrement, tout d'abord Saint-Malo, Dinard et Paramé, mais aussi toutes les stations balnéaires qui s'échelonnent le long de la côte, depuis la baie de Cancale jusqu'à la pointe du cap Fréhel. Cette zone, depuis la pointe de Grouin jusqu'au cap Fréhel, est constituée d'une côte très découpée. Quelques grandes plages alternent avec de nombreuses criques parfois difficiles d'accès, avec les grèves de baies profondes de la Frenaye et de l'Arguenon, fermées par les bouchots et les parcs à huîtres, ou encore le Havre de Rothéneuf, entièrement asséché à marée basse. principal de l'habitation a disparu par suite de l'érosion de la falaise. L'étude des tuiles et des briques retrouvées a conduit à dater la construction entre le milieu du Ier siècle et la fin du IIe siècle après J.-C. Des ruines ont été également mises à jour sur la plage de la station balnéaire de Sable-d'Or-les-Pins. Il existait, près du Guildo, une magnifique villa romaine. La grève était, jadis, dominée par un monument romain important, dont les ruines furent découvertes en 1850 ensablées sous les dunes. Il existait encore, au siècle dernier, à cet endroit, de beaux fragments de fresques, de plaques, de revêtements en coquillages, de marbres sculptés ou travaillés, qui garnissaient les murs d'une grande salle de bains. Ils montrent la présence d'une riche construction dans un site enchanteur, tout près de la mer et sur le bord d'une grève au sable fin et moiré. La mer servait l'été au plaisir des habitants, tandis que l'hiver, ils utilisaient des thermes dont l'existence dans la villa à été révélée par la découverte de tuyaux d'hypocauste. On pense, aujourd'hui, que le littoral de la Côte d'Émeraude était couvert de villas et de constructions romaines de toutes sortes, dont certaines devaient être des résidences d'été. Ces habitations possédaient des bains, le plus souvent composés d'une piscine de forme rectangulaire ou carrée, alimentée par une fontaine jaillissant soit d'une sorte de piédestal, soit d'un vase porté par une figure. Un escalier aux marches étroites et assez haute permettait d'y descendre. Le fond et les parois latérales étaient recouverts d'un enduit assez épais sur lequel une couche de bleu (carbonate de cuivre) y était uniformément étendue, pour des raisons esthétiques, pense-t-on. Dans les thermes, de grandes piscines d'eau froide permettaient aux baigneurs de se livrer à la natation après être passés par les différentes phases des bains d'étuve. SAINT-MALO Les premiers équipements balnéaires Saint-Malo est cité comme premier lieu des pratiques balnéaires de la période moderne. Deux dates servent alors de repère : la création du premier établissement de bains sur la plage en 1840, l'arrivée du chemin de fer en 1864 ouvrant l'ère des bains de mer dans la région malouine. De fait, en Bretagne, les premiers établissements de bains sont apparus vers 1830 à Gildas-deRhuys ou encore à Saint-Malo. La mode des bains de mer débuta sous LouisPhilippe. Un événement sert de date symbolique. Le mercredi 3 juin 1835, le conseil municipal de Saint-Malo eut à débattre de la proposition du docteur Chapel, adjoint au maire, d'insérer dans les journaux un article relatif aux bains de mer que l'on commençait à prendre, si commodément, sur l'immense et belle grève de Saint-Malo. Il s'agissait de lancer une campagne de publicité capable d'attirer une nouvelle clientèle à la belle saison. En 1835, la municipalité décida également de construire au plus tôt les toutes premières cabanes à baigneurs ; deux ou trois cabanes firent leur apparition sur la grande grève de Saint-Malo. Il existait également à Saint-Malo la UN PRÉCÉDENT INATTENDU Selon des études archéologiques récentes, les côtes nord de la Bretagne étaient déjà, à l'époque gallo-romaine, un lieu de fixation pour les amateurs de la mer et pour les premiers baigneurs. On a trouvé à quelques mètres du rivage, des villas avec thermes. L'une d'entre-elles, découverte en 1977 aux Sables d'Or, possédait des thermes identifiés par ses frigidarium, tépidarium et caldarium, par contre, le bâtiment hor s-sér ie - juillet 2012 l « pour mémoire » 107 fonction de surveillant de baignade. A l'aube de la saison des bains de 1836, elle fut évoquer car la personne qui en était chargée commençait à prendre de l'âge. La puissance publique se sentait responsable de la sécurité. Un autre élément marqua le début des pratiques balnéaires. Ce fut la construction, en 1838, d'un établissement de bains chauds appelé premier casino de Saint-Malo. Il fut financé sur fonds privés, à la suite d'une initiative du docteur Chapel qui provoqua la création de la Société des bains de mer de Saint-Malo. Après avoir obtenu une subvention de mille francs, la société acheta un terrain à l'emplacement du Fort de Thiange. Le conseil municipal délibéra alors, en cette année 1838 pour créer un établissement de bains. Le seul emplacement favorable était le terre-plein de la batterie avancée, alors à l'entrée de la digue du Sillon, qui par sa position, se trouvait à deux pas des lieux de baignade et de la plus agréable promenade de Saint-Malo. La construction ne pouvait se faire sans avoir au préalable reçu l'autorisation du Ministère de la Guerre, et la destruction de cette batterie ne pouvait être ordonnée que sur le bon plaisir du Directeur des fortifications. Le bâtiment allait bientôt se construire à l'entrée de la digue du Sillon. Par ailleurs, les cabines mobiles se trouvaient remisées sur la cale de la Porte Saint-Thomas, à proximité de la place Chateaubriand qui devint, avec ses cafés et son kiosque à musique, le lieu de réunion de la société mondaine. La plage du Bon-Secours, située à l'ouest des fortifications, accessible uniquement par la ville close, devint également une plage fréquentée par les familles ; elle bénéficia, dès 1851, d'un établissement de bains. La polyvalence du premier équipement Au rez-de-chaussée de l'établissement des bains de mer, on trouvait, en partie centrale, un salon de compagnie, à l'extrémité Est, un salon de jeu, séparé du premier par une simple cloison qui pouvait s'ouvrir à volonté pour former une seule pièce de douze mètres de long et de huit mètres de large. A l'extrémité Ouest, une petite pièce demi-circulaire servant à la distribution des rafraîchissements, était précédée de deux cabinets pour les dames, séparés par le vestibule menant au salon et d'où partait un escalier conduisant à une petite cuisine en sous-sol et desservant des locaux situés à l'étage. A l'extérieur, un mur à hauteur d'appui, surmonté d'une claire voie, délimitait une cour sur toute la longueur de la façade. Dix cabines de bains étaient placées devant l'édifice sur la grève. En 1843, l'établissement de bains de mer de Saint-Malo, qui dépendait du casino et était subventionné par la ville, connut des difficultés financières ; en 1845, il dut recevoir de la ville une somme de mille francs. (A cette époque on s'occupa également de l'établissement d'un Champ-de-Mars, sur le Sillon, dans la portion de la petite grève qui devait être desséchée par la création d'un bassin à flot.) Le second casino Autour des années 1860, on envisagea de construire un nouveau casino à Saint-Malo, avec tous les accessoires et dépendances nécessaires, mais la dépense, de l'ordre de cent mille francs, arrêta le projet. La solution retenue fut de transformer le casino existant en le conservant dans sa plus grande partie, tout en lui donnant plus d'espace et d'élégance. Malgré l'insuffisance des équipements (d'autres villes possédaient des établissements permettant de suivre des traitements hydrothérapiques rationnels, avec des bains chauds, des douches froides et chaudes), Saint-Malo commençait à connaître un grand succès avec pas moins de 60 000 voyageurs « pour mémoire » Les Remparts et le Rocher du Grand Bé sur lequel est érigé le Tombeau de Chateaubriand à Saint-Malo. l hor s-sér ie -juillet 2012 108 pendant les trois mois d'été. Toutefois, il fallait éviter au visiteur, pendant ses temps libres, de connaître l'ennui. Aussi aux excursions dans les environs, aux courses de chevaux déjà programmées, il fallait songer à ajouter des bals, des jeux, des concerts, du spectacle. On imagina un projet de nouvelle construction pour un casino plus monumental, qui se situerait dans le vaste emplacement isolé au milieu du terre-plein du quai Napoléon, entouré de jardins et de cours, disposé de manière à recevoir comme complément, un établissement hydrothérapique. Grâce au zèle de l'architecte Frangeul, un nouveau casino fut reconstruit, en 1868, par la Société des bains de mer ; il était situé sur son ancien emplacement, et certaines des parties anciennes furent conservées. Les murs et la façade principale, sur le quai Napoléon, furent réalisés en briques rouges, les encoignures, les encadrements des fenêtres en ciment et les corniches en bois. Des salons du nouveau casino, d'un côté, on découvrait la plage, les bains, la pleine mer, de l'autre, le port et le mouvement du quai Napoléon et la verdure d'un jardin. Le bâtiment pouvait accueillir des spectacles. L'exploitation d'un grand équipement n'était pas chose facile. En 1895, la ville, longuement sollicitée, accepta d'acheter le casino à la Société des bains de mer pour un prix de 30 000 francs ; la société conserva l'exploitation des bains chauds et du matériel sur la grève. Les cabines de bains La gestion de l'espace public était une activité économique. En décembre 1881, la Société du casino et des bains de mer de Saint-Malo obtint du préfet un arrêté qui l'autorisait à faire circuler sur la plage de Saint-Malo avoisinant le château 70 cabines de bains, pour une somme de quatre francs par cabine. Cet arrêté prenait le relai de celui qui lui concédait, pour une période de neuf ans, la jouissance de la Grande Grève et qui prenait fin le 1er juillet 1882. En 1887, puis en 1897, cette autorisation fut Vue générale de Saint-Malo reconduite sur la grande plage, toujours pour un nombre de 70 cabines. Mais en 1905, les affaires allant moins bien, seules 57 cabines circulèrent sur cette plage, dans la partie comprise entre le Fort national et le Château. Statut de la plage et équipement Au début, il n'existait à Saint-Malo, comme lieu majeur pour le bain, que la Grande Grève (ou plage des Bains), véritable salon en plein air, qui attirait toute la journée les étrangers et les Malouins durant la belle saison. La plage de Bon Secours, située à l'ouest de la ville close était alors négligée. On l'appelait «la grève des Pouilloux » et n'intéressait que quelques gamins et les humbles ménagères des petites rues voisines qui venaient y mettre leur linge à sécher. Les touristes n'y passaient que pour visiter le Grand Bé ou pour aller, à mer basse, prendre le bateau de Dinard. Cependant un modeste établissement de bains y planta ses tentes. Le tarif du bain y était fort modique : vingt-cinq centimes. Le Le côté Ouest des remparts de Saint-Malo. hor s-sér ie - juillet 2012 l « pour mémoire » 109 tenancier de l'établissement était fort aimable et complaisant. La plage, bien ensoleillée, ayant l'avantage d'être couverte d'un sable sec que ne recouvraient entièrement que les marées d'équinoxe, commença à séduire les familles puis connut un grand succès. Elle se couvrit de parasols, de chaises et de pliants. Madame veuve Morin, née Harvut, de Saint-Malo, obtint, par autorisation ministérielle du 29 mars 1877, la concession temporaire d'un terrain domanial, afin d'établir une cabane ou établissement de bains. Des cabines de bains individuelles commencèrent à circuler. Alors que son bail de cinq ans se terminait, en juin 1882, elle sollicitera l'autorisation de faire circuler ses dix cabines de bains, face à la rue Saint-Pierre. Le bail lui est accordé, cette fois pour une durée de dix ans, pour une redevance d'un franc par cabine. Le 21 mai 1902, Madame Veuve Cardinal obtint l'autorisation de faire circuler vingt cabines sur cette plage à la place de Madame Morin décédée. Elle ajoutera seize nouvelles cabines à aux dix que possédait sa mère. Deux autres établissements s'établirent sur cette plage mais ils eurent la sagesse de conserver le prix modique pour leur service, si bien que la plage conserva son caractère familial et bon enfant et son succès, à partir de 1908, devint considérable. le caleçon. Du Fort National à la Tour dans ce cas. Sous le Second Empire, Bidouane, seuls les hommes et les jeunes la tenue avec caleçon puis maillot gens pouvaient se baigner, et le simple obligatoire devint la règle. Les femmes caleçon était autorisé. La baignade était se baignaient, soit aux abords du Fort interdite entre la Tour Bidouane et le National, soit sur la grève de Paramé où rocher Pouilloux, près de la piscine de elles se rendaient alors par les bateaux Bon Secours. Les hommes ne devaient du Naye dont les bateliers possédaient le pas s'approcher des endroits occupés monopole du passage entre Saint-Malo par les femmes à moins d'une distance de et Saint-Servan. A cette époque, les petites filles revêtaient, pour se baigner, des pantalons qui ne servaient qu'en cette Le pont roulant à marée basse occasion et les femmes utilisaient de vieux vêtements : vieilles robes, chapeaux démodés et chaussures hors d'usage. Pour ne pas avoir à déambuler dans la ville en cette tenue, elles se changeaient tant bien que mal à l'abri du regard. Dès 1840, les premiers costumes de bain apparurent sur la Côte d'Émeraude. Apportés par les étrangères, ils étaient invariablement de couleur noir, orné d'une ganse rouge ; ils étaient complétés par un bonnet ciré orné lui aussi d'une ganse rouge. La tenue sur la plage devenait un sujet de polémique, qui trouva sa solution dans l'arrêté du 12 juillet 1856, pris pour assurer la décence sur les plages. La plage de l'Eventail fut autorisée aux baigneurs des deux sexes, à condition de porter un caleçon fermé, descendant jusqu'aux genoux et de porter un gilet de laine de couleur foncée joignant « pour mémoire » La vie sur la plage La tenue de bain Au tout début, il était d'usage, pour les hommes, de se baigner nus. Des grèves leur étaient exclusivement réservées ; la grève de Saint-Malo fut longtemps l hor s-sér ie -juillet 2012 110 deux cents mètres. Enfin, il était interdit de baigner les chevaux, laver des charrettes et voitures pendant la saison des bains, sur la partie de la grève située entre la porte Saint-Thomas et la croix de pierre du Sillon, d'y déposer des matériaux ou des ordures, de faire ses besoins. La sécurité En 1842, deux portions de grèves étaient affectées aux bains. La première, située à l'est du Fort-Royal était réservée aux cabanes de l'établissement du casino et, à cette époque, aux personnes du sexe féminin. Elle s'avançait en pente uniforme et présentait peu de danger pour les baigneurs. La seconde, située à l'ouest du Fort était destinée aux hommes et aux jeunes garçons. Elle était d'une inclinaison plus raide, plus resserrée entre les rochers ; elle offrait partout des profondeurs différentes, utiles pour les exercices de natation, mais elle était aussi plus dangereuse. La municipalité exprima son intention d'améliorer la sécurité des usagers. On parla de placer un bateau de sauvetage que l'on dirigerait sur des deux emplacements du littoral désignés pour les bains, mais une chaîne de rochers fort élevés, infranchissables, séparant les deux plages, rendait le projet difficile. A la même époque, un généreux étranger, étonné de voir la plage dépourvue de canot de sauvetage durant la saison des bains, versa à la caisse de la Société du casino une somme suffisante pour permettre à cette société de faire l'acquisition d'un bateau et de réaliser l'installation nécessaire. Le système répondait au besoin de la plage des femmes mais pour la plage hor s-sér ie - juillet 2012 des hommes, il fallait imaginer un autre moyen. Ce fut tout d'abord l'utilisation de bouées de sauvetage. Ce fut ensuite l'utilisation de catamarans, l'un mouillant au large du bas de l'eau des plus fortes marées, et l'autre à tiers, pour qu'il y eut au moins un des deux à flots. à l'auberge. Il existait néanmoins de modestes établissements fréquentés par les voyageurs, qui traitaient fort bien d'ailleurs, à raison de 3 F par jour tout compris, leur client de passage ou les étrangers, venus en villégiature sur les plages. Après la guerre de 1870, ce furent des villas entières qui furent louées pour les vacances. Les débats sur la fonction des espaces À Saint-Malo, un ensemble de contraintes géographiques et économiques allaient rendre difficile le développement d'une ville de villégiature balnéaire. L'existence de la place forte imposait des servitudes sur les abords. Une servitude non ædificandi, d'origine militaire, protégeait de toute occupation humaine les zones limitrophes du château, afin d'éviter qu'un ennemi potentiel utilisât comme refuge des bâtiments voisins des fortifications. La loi du 10 juillet 1951 et le décret d'application du 10 août 1853 définissaient trois zones concentriques commençant aux fortifications et s'étendant respectivement aux distances de 250 mètres, 487 mètres et 974 mètres. A ces contraintes s'ajoutaient la superficie réduite du site, une langue de terre entre port et mer, par certains temps, un climat hostile, une affectation de la zone déjà précise, le transport de voyageurs et de marchandise. Lorsqu'en 1840, la Société des bains de mer de Saint-Malo entreprit la construction d'un établissement de bains et d'un casino, seuls les baigneurs anglais fréquentaient régulièrement l'endroit. Le projet, porté par quelques notables éclairés, fut vivement critiqué par les autorités militaires qui imposèrent l'emploi de bois de gros oeuvre pour toute construction située en La ville de villégiature L'arrivée des estivants Au début du développement de l'activité balnéaire, Saint-Malo était une ville enserrée dans ses remparts, à l'extrémité d'une bande de terre étroite et entourée d'eau, appelée le Sillon. En 1840, SaintServan commençait à accueillir une colonie anglaise, se baignant déjà sur la plage des Fours-à-Chaux. Dès les années 1850, les Anglais arrivaient aux pieds de la ville close par des vapeurs venant de Southampton. Allait ainsi s'amorcer le phénomène de la villégiature balnéaire sur la Côte d'Émeraude. À Saint-Malo, le début des bains de mer commença avant 1840. Aux beaux jours, les Malouins avaient pris l'habitude de se retirer dans leurs maisons de campagne et, pendant un à deux mois, des fois davantage, ils louaient leurs appartements intra-muros aux premiers vacanciers, aux estivants français et étrangers. L'été se terminant, ils revenaient en ville et reprenaient leurs habitudes. Cette pratique du gîte chez l'habitant était fréquente. Il en coûtait de 100 F à 150 F par mois pour jouir paisiblement d'une grande salle et d'une cuisine, et de trois ou quatre chambres ayant presque toujours deux lits chacune. Il était rare de prendre pension l « pour mémoire » 111 plus ancien. De grands édifices comme le casino municipal des frères Perret ou le Grand-Hôtel-Franklin contribuèrent à faire de ce secteur un endroit clé de la villégiature de la Côte d'Émeraude, à la fois lié au passé maritime de Saint-Malo et doté d'une véritable vocation centralisatrice, autour du port, du bac, du pont roulant et du tramway. Le Casino des frères Perret et la Plage à Saint-Malo en 1907. Le casino a été inauguré en juillet 1899, détruit en 1944. PARAMÉ les concessions dans la deuxième zone de défense des fortifications, malgré les conséquences possibles sur les activités traditionnelles. On assista alors, plus radicalement qu'ailleurs, à la disparition progressive des activités traditionnelles pratiquées sur l'estran, ramassage du goémon, du sable, pêche à pied, au profit d'un usage codifié d'une grève, qui à Saint-Malo comme quelques années plus tard à Saint-Énogat, changea de nom pour devenir la plage. A partir de 1870, plus de trente ans après les premiers bains, quelques villas, des immeubles et des hôtels (villa Kervadec, Grand-Hôtel Franklin et Petit Franklin, Emeraude Palace, Jacques Cartier) furent construits en front de mer sur le sillon pour des propriétaires malouins, remplaçant peu à peu les bâtiments industriels liés aux chantiers de construction navale. Un essor de la construction se produit alors à SaintMalo, en dehors des murs, avec la construction de chalets sur la chaussée du Sillon élargie. Les activités liées aux bains de mer gagnèrent, en plus d'un siècle, la totalité de la langue de terre reliant la ville fortifiée à la terre ferme, s'insérant dans un parcellaire industriel front de mer, au pied des remparts de la cité. Sur le Sillon émergea ainsi un type d'habitat spécifique aux sites balnéaires jumelés à une place forte : des chalets de bois construits sans digue de protection, à proximité de la plage. La servitude de zone non ædificandi resta un obstacle majeur à l'édification des casinos de la station malouine ; ils devaient être construits à bonne distance de la ville intra-muros et des cales de débarquement des voyageurs en provenance de Grande-Bretagne et de Dinard, et par là même exclus d'une certaine animation propice à l'épanouissement des stations. Jusqu'en 1860, les terrains du Sillon furent l'objet de conflit entre les propriétaires désireux de faire construire une maison de villégiature « hors les murs », le service des Domaines, le Génie et la ville. Tandis que le conseil municipal cherchait à s'approprier les terrains non submersibles formant le Sillon pour les revendre à des privés, les industriels des chantiers navals et les militaires, essayaient de conserver leur emprise sur la voirie. En 1852, un décret fixa la propriété des terrains submersibles et les règles d'alignement des constructions à venir. L'État autorisait Un bourg sur un vaste territoire La commune de Paramé fut créée en 1790. Sur l'ensemble de ce territoire, la population était très dispersée, vivant en majeure partie du maraîchage et de la vente des produits aux habitants de Saint-Malo. Un bourg situé en retrait par rapport à la mer, et le dos tourné à la grève, formait un centre, avec son église datant du début du XIIIe siècle et ses quelques demeures du XVIe et XVIIe siècles. Au milieu du XIXe siècle, seuls les habitants de Saint-Malo connaissaient la grève immense de Paramé et son panorama pittoresque. Ils venaient y prendre des bains de mer et déjeuner sur l'herbe. Au bord de la mer, les jachères s'étendaient à l'infini. C'était là la distraction dominicale des Malouins, car de tout temps, les armateurs de Saint-Malo possédaient des maisons, de Cancale à Paramé, derrière le village, dans la campagne du côté de Saint-Ideuc. Mais déjà, cette petite agglomération connaissait un accroissement de la population estivale. A partir de 1850, elle « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 112 allait commencer une modernisation du bourg, l'urbanisation du territoire de la commune. On assista successivement au développement des quartiers de Rochebonne, du quartier de la cité des bains, du lotissement concerté de la Bais-Saint-Malo-Paramé, du lotissement concerté Frangeul-Auscher, puis Leroyer. Si 1879, la plupart des terrains n'était que sables et luzernes, mais le développement de l'urbanisation fut rapide. En 1885, on dénombrait déjà 180 villas ainsi que le Grand-Hôtel, le casino. On situe dans les années 1860 le démarrage de la villégiature balnéaire à Paramé. En 1866, M. Besnier ouvrit le premier établissement de bains sur la grève de Rochebonne ; avec ses cabines de bain roulantes, il était associé à un hôtel voisin. Les premières maisons de villégiature furent construites, par les notables de la région à partir de 18601970 (villa Beausite, Les Roches) sur la pointe de Rochebonne, point le plus haut du rivage. Suite à l'acquisition des terrains de Beaurivage par le banquier parisien Hébert, un plan de lotissement fut mis en place sur les nielles (ou dunes) de Paramé par la Société de la baie de Saint-Malo-Paramé, créée en 1881 à Paris afin d'aménager les terrains en une station nouvelle. Au coeur du lotissement, un Grand-Hôtel et un casino furent édifiés dès 1883. On assista alors à une croissance sans précédent de l'activité de construction de maisons de plaisance et d'hôtels de voyageurs entre 1881 et 1890. Les acheteurs de lot venaient de la région parisienne, du Nord ou de Normandie. Les différentes opérations d'urbanisation furent reliées entre elles. Les nouveaux équipements ainsi créés montraient un changement d'orientation : la volonté de se tourner vers la mer. En 1860, le boulevard des Bains fut ouvert pour relier le bourg aux quartiers balnéaires des nouveaux bains. Le long de cette voie, qui prit le nom de boulevard de Rochebonne, des maisons de plaisance apparurent jusqu'aux marges du bourg, en grande partie construites entre 1870 et 1880. Le boulevard des Bains fut suivi dix ans plus tard par les boulevards Hébert et Chateaubriand. Le bourg lui-même connut une mutation profonde. Une poste fut ouverte en 1850, face à l'église. Une nouvelle église plus grande fut édifiée en 1883 sur les plans de l'architecte Frangeul. L'église paroissiale fut transformée en mairie et en halles en 1886 sous la direction du même architecte. Les équipements comme l'éclairage urbain électrique furent signalés dès le début du siècle. A partir de 1911, la commune de Paramé se dota d'un réseau de distribution d'eau potable. En 1936, l'architecte Yves Hémar construisit des bains douches dans le bourg. La pointe de Rochebonne La Digue de Paramé sur la Côte d'Emeraude. La pointe rocheuse située à l'extrémité orientale de la plage de Rochebonne était occupé par des terres agricoles. Ce fut en cet endroit que les premières maisons hor s-sér ie - juillet 2012 l « pour mémoire » 113 le tracé étroit et sinueux du parcellaire antérieur à la station. Les villas de la cité des Bains furent construites directement sur la grève, sans digue de protection. En 1910, les Ponts et Chaussées répondirent positivement à la demande des riverains de construire un ouvrage de protection, demande renouvelée régulièrement par les propriétaires depuis 1886. Ce ne fut qu'en 1930 qu'un mur de soutènement fut édifié pour relier la digue des dunes à la cale de Rochebonne et pour protéger du même coup les villas du bord de mer. Le lotissement concerté de la baie de Saint-MaloParamé Paramé, la pointe de Rochebonne à marée basse en 1910. de villégiature furent édifiées, à partir de 1860. Très recherché pour sa situation panoramique et son espace boisé, le quartier accueillit entre 1860 et 1870 de grandes demeures (villas Beausite, Les Roches, Bel Horizon, Rochelettes, Rochebelle et les Grandes terrasses avec serres et communs) construites sur des terrains confortés avec un accès privé à la grève. Vers 1870, les trois villas Bel Horizon, Rochelette et Rochebelle furent réunies pour former l'hôtel Rochebelle. En 1890, le fort de Rochebonne de style néo-médiéval fut édifié à l'extrémité de la pointe sur des terrains rocheux acquis au domaine maritime sept ans plus tôt, selon des plans attribués à l'architecte Leroyer. Dans une impasse, dénommée primitivement impasse Hamon-Besnier, ce dernier, alors maire de Saint-Malo, fit construire, en 1878, trois villas pour sa famille : Castel Senbilion, Ermitage d'Aaron et le chalet Ridollet, qui constituèrent la cité du Petit Paradis. La rue devint impasse des Forts en 1922 et de nombreuses villas y furent édifiées au tournant du siècle ; l'une d'entre elles appelée villa des Pavillons fut la propriété de l'architecte rennais Hyacinthe Perrin. L'îlot de la cité des Bains L'îlot de la cité des Bains fut urbanisé entre 1883 et 1885 selon deux schémas : la rue de la cité des-Bains (rue Hébert en 1922), un chemin privé donnant sur la digue bordé de grandes villas construites en front de mer par deux propriétaires essentiellement, puis, la rue des Fleurs, chemin rural, un ensemble de maisons mitoyennes modestes édifiées entre 1883 et 1900. Situé à la marge du lotissement concerté de la Baie, l'îlot a conservé L'opération qui donna toute son ampleur et sa notoriété à Paramé fut sans conteste le lotissement concerté de la baie de Saint-Malo-Paramé. L'histoire en est ainsi contée. L'opération de Paramé commença en 1875, par l'achat de MM. Dejean et Cahours, propriétaires de terrains à Dinard, de 20 000 mètres carrés de terrain sur le bord de la mer à Paramé. Cette zone ne comportait alors que du sable, la maison de la cure de Saint-Malo et la petite villa connue sous le nom de l'Ermitage. Les terrains se négociaient alors à 50 centimes de mètre-carré. A la suite d'embarras divers, les acheteurs durent vendre tous leurs terrains sur deux rives de la Rance. Ceux de la rive gauche furent achetés par Maître Dubois, notaire à Laval, et les terrains de la rive droite, c'est-à-dire ceux de Paramé, échouèrent à un autre créancier, M. Hébert, banquier à Paris. Cette propriété, dite de Beaurivage, se composaient de terrains dunaires à « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 114 bâtir du littoral nord des communes de Saint-Malo et de Paramé. La propriété fit l'objet d'une vente de liquidation judiciaire, et, selon certaines sources, les huit hectares furent vendus au prix de 90.600 francs. Edouard Hébert, banquier parisien originaire de Normandie, hérita des terrains de Beaurivage en paiement de la dette de ses deux créditeurs. Un jour de 1880, ce dernier rencontra M. Péruvier du journal Le Figaro, qui acheta à son tour, puis avec d'autres amis, ils constituèrent une société pour aménager ce territoire. Cette société anonyme, prévue pour trente ans, dite Société de la baie de Saint-Malo-Paramé, avait ainsi pour principaux actionnaires des banquiers (Hébert, Desfossés), des négociants (Prévet, Suzanne) ou des artistes (Périvier, De Grave, Bertrand) ; elle avait pour objet la vente des terrains de Paramé et Saint-Malo, l'acquisition, l'édification et l'affermage d'un casino et d'un grand hôtel, et toute entreprise qui pourrait contribuer au développement du site. Un plan de lotissement fut réalisé en 1881, attribué à l'architecte Pouliquen. Entre 1881 et 1885, le Grand-Hôtel et le casino furent édifiés le long de la digue de Paramé, alors encore en construction depuis les terrains Palmié en SaintMalo. Le prolongement de la digue était nécessaire pour le développement de la station. En 1881, M. Hebert, propriétaire depuis 1880 des anciens terrains de la minoterie à l'est de l'épi de la Hoguette, s'engagea à céder les terrains nécessaires, à charge pour l'État de prolonger la digue et de l'entretenir. En outre, en 1888, MM. Hébert et Périvier contractèrent une promesse de cession hor s-sér ie - juillet 2012 gratuite à l'État des terrains Palmié dont ils étaient propriétaires depuis 1882, afin de reconstruire la tranche manquante de 278 mètres. Le boulevard central du lotissement resta une voie privée jusqu'en 1893. Entre 1880 et 1911, le littoral des communes de Saint-Malo se couvrit de sept cents maisons de villégiature et d'une cinquantaine d'hôtels et de pensions de famille. Les parcelles achetées par les actionnaires parisiens furent construites puis revendues ou louées. L'urbanisation se fit le long de voies suivant un plan en damier. En raison des difficultés financière, la société fut dissoute en 1885, et les parts revendues au gérant du casino, M. Bias Les villas. Les villas construites vers 1880 étaient toutes remarquables et nombre de leurs propriétaires étaient des gens très en vue à l'époque. Les plus caractéristiques disposaient de jardins fruitiers au bord même de la grève des bains et se trouvaient entourées de petits murs d'un mètre, murs protecteurs contre les vents du large ; on trouvait ainsi les maisons de messieurs Herbert, Prévost, Havez, « Le Petit Trianon », « La Villa des Dunes » aux fleurs odorantes et aux fruits savoureux, à dix mètres à peine de la mer. Deux villas, « La Villa Surcouf « et « La villa Duguay-Trouin » adoptèrent des formes rondes, déroutantes pour l'époque. D'autres maisons attiraient également l'attention : « Le Chalet du Trocadéro » du colonel Evelyne, chalet norvégien figurant au Trocadéro en 1878 et dont le propriétaire s'était rendu acquéreur en 1879 pour le transporter à Paramé en 1880, « Les Pavillons Indiens qui figuraient au Champs de Mars et servaient à abriter l'exposition du Prince de Galles, achetés par messieurs Prével et Desfossés et transplanter à Paramé. Parmi les autres villas remarquables en cette fin de siècle, il faut aussi signaler « La Maison Rose », propriété du directeur de l'Ecole d'Athènes, la « Villa Anaïs », propriété de l'un des directeurs du Palais Royal, la « Villa Sans Souci », la « Villa Saint-James », la « Villa Caprice » de M. Hébert, « Le Petit Trianon » loué chaque année par le préfet d'Ille-et-Vilaine de l'Epoque, la « Villa Pomponnette », située sur le bord de la digue, alors propriété de M. Bertrand, directeur du Théâtre des Variétés. Sur la digue, elle-même, on trouvait la « Villa Memphis » appartenant à Florian Giffard du Figaro, et la « Villa Honorine » appartenant à Pierre Griffard, également du Figaro. Le Grand-Hôtel Le Grand Hôtel de Paramé coûta, à l'époque, près de 800 000 francs. Il comptait 140 chambres, toutes meublées élégamment, en merisier ciré du pays, un bois utilisé dans toutes les villas de la station. Il possédait un grand portique avec une terrasse donnant la campagne et un beau jardin. La salle à manger de l'hôtel était toute à fait remarquable ; toute en colonnes et en vitrage, elle donnait largement sur la mer et la campagne. Il fut suivit d'autres réalisations ; en 1880, il y avait une dizaine d'autres hôtels un peu moins prestigieux, dont l'Hôtel de France, l'Hôtel des Bains, l'Hôtel Chateaubriand, l'Hôtel de la Plage, etc. Le nouveau casino Le premier casino de Paramé, construit l « pour mémoire » 115 par la première société, ne convenait pas au nouveau propriétaire, M. Biais, qui le fit transformer par M. Pigault, architecte. Il conçut un bâtiment qui abritait un salon de danse, un salon des dames, des salons des petits jeux, un salon du cercle, une salle de théâtre capable d'accueillir, tour à tour, des concerts, des bals d'enfants, des répétition théâtrales, durant toute la durée de la saison balnéaire. Toutes les commodités connues en cette fin de XIXe siècle furent introduites pour disposer d'un confort semblable à celui des hôtels parisiens. Les décorateurs accordèrent une attention toute particulière au revêtement des murs. Le grand salon d'attente, qui occupait le centre du casino, immense pièce de cent mètres carrés, était revêtu de tentures de velours bleu et vieil or ; le mobilier, fauteuils, divans était également couvert de ce même revêtement. A droite de cette pièce, en venant de la plage, on trouvait deux salons dits des petits-jeux, tendus vert mousse et vieil or, puis la salle de café avec tentures et encadrements de fenêtres en tissu grenat, ainsi qu'à proximité, le billard. A gauche du salon d'attente, on trouvait le salon du cercle, une pièce de huit mètres de haut, tapissée en étoffe grenat avec bordure vieux vert. Enfin, on arrivait à la salle de spectacle, un petit théâtre de dix-huit mètres sur dix. Sur les côtés, couraient des banquettes de velours vert. Huit grandes fenêtres décorées en velours de même couleur, avec lambrequins grenas brodés d'or, laissaient pénétrer des flots de lumière, venant se jouer dans les mille plis de tentures couleur saumon. Toutes les salles, luxe suprême en ces années 1880, possédaient un dispositif de ventilation. La plage et la digue Le territoire de Paramé bénéficiait de deux plages magnifiques : la plage du Casino, faisant suite à celle de SaintMalo, et la plage de Rochebonne. Site étiré le long de la digue des Dunes, Paramé constitua un quartier de villégiature très homogène, rythmé par des boulevards parallèles au rivage, sans véritable centre, si ce n'est le secteur de la Hoguette, autour du casino et du Grand-Hôtel (1883). Ce qui fit l'incomparable charme de Paramé fut, sans contexte, sa magnifique digue de granit, longue de deux kilomètres, allant de Saint-Malo à Rochebonne. Elle fut construite en plusieurs étapes. Les premières digues sont d'origine privée : il s'agit des digues Tourou et Palmie réalisées par des propriétaires d'industries ou de moulins sur le Sillon en Saint-Malo. Ces premiers travaux ne donnèrent pas entière satisfaction contre les attaques de la mer, et en 1853, ce fut l'administration des Ponts et Chaussées qui entreprit le prolongement de la digue de Saint-Malo à Paramé. Ce premier ouvrage s'étendait sur 278 mètres. En 1885, un décret présidentiel autorisa son prolongement entre Saint-Malo et Paramé par les Ponts et Chaussées. En 1886, un projet d'estacade prolongeant la digue au niveau de l'épi de la Hoguette est présenté dans un guide touristique. La digue fut réalisée en cinq tranches jusqu'en 1903, date à laquelle elle aboutit à Rochebonne. La digue sépara la mer des maisons. Elle fut interdite aux chevaux comme aux voitures de toutes sortes. Elle constitua la plus agréable des promenades. Elle donnait sur une plage de sable fin s'étendant en une courbe gracieuse jusqu'à la pointe de Rochebonne, partagée en deux par un petit promontoire appelé l'Epée de la Hoguette. Chaque année, depuis la création du casino, sur cette plage, avaient lieu des courses de chevaux. La plage servit également de Champ de Mars pour les troupes des garnisons de Saint-Malo et de Saint-Servan ; c'est là que se passaient, avant la saison des bains, les grandes revues et les leçons de tir à la cible. Selon les récits de l'époque, la plage s'éveillait à une heure matinale et ressemblait à un vaste hippodrome pour les cavaliers, puis la ville s'éveillait. Au saut du lit, baigneurs et baigneuses allaient se plonger dans la mer, sous l'oeil vigilant de maîtres baigneurs, à leur poste, armés de canots de sauvetage disposés à quelques mètres du rivage pour être prêts à venir en aide aux imprudents. Vers deux heures de l'après-midi, la plage désertée le matin, se ranimait. On y plantait les parasols et on y fixait les tentes. Les dames y prenaient place et s'activaient à quelques ouvrages de broderie, tandis que les jeunes filles jouaient au cricket ou au lawn tennis, et que les enfants s'ébattaient sur le sable ou construisaient des châteaux forts. Les hommes allaient au casino. L'heure de la baignade vespérale venue, la plage reprenait son agitation du matin et l'on y voyait ceux qui s'étaient attardées la veille au casino. Puis venait l'heure du diner. Après le repas, les promeneurs affluaient sur la digue avant d'aller terminer la soirée au casino. La plage de Paramé possédait également des établissements de bains de « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 116 mer. Avant même la création de la ville de villégiature et la construction du casino et du Grand Hôtel, il existait déjà un établissement de bain de mer sur la plage. Il fut créé à grands frais, à partir de 1864, par M. Courtel, avec l'aide de M J.M. Foucault. En juillet 1873, ces deux associés demandèrent à la préfecture, de renouveler le bail qui les autorisait à faire circuler leurs cabines mobiles, et le matériel nécessaire pour le service de leur établissement sur la grève de Rochebonne à Paramé. C'est à titre précaire que l'administration autorisera les deux hommes. En décembre 1878, M. Besnier, propriétaire demeurant au Mur Blanc à Saint-Méloir-desOndes, écrivit à son tour au Préfet, lui exposant qu'il possédait sur les bords de mer, à Rochebonne, un établissement de bains de mer chauds et froids, auquel étaient attachées des cabines circulant sur la grève vis-à-vis l'établissement, suivant l'autorisation du 5 avril 1866. Il avait chargé le sieur Courtel de la gestion de cet établissement et des cabines qui y étaient attachées. Ce dernier avait demandé en son nom propre, l'autorisation de faire circuler les dites cabines sur la plage, mais, frappé par une grave maladie, il devait abandonner la gestion de l'entreprise qui lui avait été confiée. Besnier voulait reprendre l'exploitation créée en 1864, et confiée au maître baigneur. A cette période, Foucault et Courtel souhaitaient disposer chacun d'une concession d'une longueur de cent mètres de plage. En janvier 1879, ils s'étaient partagés la plage à l'amiable, Foucault s'étant réservé la partie de grève située à l'ouest du boulevard de Paramé, face à l'hôtel qu'il tenait, hor s-sér ie - juillet 2012 et, Courtel, la partie est, vis-à-vis des terrains appartenant au sieur Besnier, dont il était jusqu'ici locataire, et avec lequel il partageait les frais et les bénéfices de son exploitation (Les cabines appartenaient à Félix Besnier.) Mais cet arrangement n'avait rien d'officiel et à la mort de Courtel, la question de la distribution des rôles entre Besnier, la veuve Courtel et Foucault se posa. L'administration de l'État, proposa alors à la commune de Paramé de reprendre la totalité de la concession, ce qu'elle accepta le 30 mars 1879. La commune résolut les différents et à partir de juillet 1879, trois exploitations furent chargées d'assurer le service des bains de mer sur la plage de Paramé, et malgré quelques ajustements, il en était ainsi en 1884. De nouveaux établissements de bains apparurent ensuite à Paramé. Le 20 novembre 1882, M. Dufossés, président de la société anonyme de la baie de Saint-Malo, prit la décision d'ouvrir un établissement de bains de mer sur la plage de la Hoguette et du Petit Moulin, face au nouveau casino et au Grand-Hôtel ; cet établissement, ouvert au début de l'été 1983, comporta 30 cabines. Cette histoire des concessions se poursuivit dans les années suivantes, le temps passant, avec d'autres propriétaires et gérants. En 1894, les concessionnaires étaient au nombre de trois, en filiation avec les trois entreprises primitives ; en 1900, des problèmes de frontières étaient toujours en débat. Des conflits existaient aussi avec d'autres usagers. En mai 1894, le conseil municipal de la ville de Paramé fut saisi d'une réclamation émanant d'étrangers sur la plage de Rochebonne, demandant que l'accès du boulevard de Rochebonne et la cale de ce boulevard à la grève fût complètement libre et qu'il ne fût plus donné d'autorisation de placer des cabanes fixes ou mobile sur la cale et sur la grève dans toute la largeur du boulevard. Un arrêté fut pris à cet effet. Le conseil municipal décida aussi que les cabines mobiles, une fois remontées en haut des sables, laissât entre elles un certain intervalle, afin que les personnes possédant des cabines fixes ou des tentes, ne fussent pas gêner pour se rendre elles-mêmes à la mer. Les campagnes de promotion Le développement d'une activité économique d'une telle importance ne va pas sans campagne de promotion, ou du moins sans dispositif d'information. A partir de 1885, pendant les trois mois d'été, Paramé eut son journal bihebdomadaire La Gazette de Paramé, une petite feuille rose, réalisée avec soin, chargée de renseigner le public sur les évènements de la saison, les distractions du casino et l'arrivée et le départ des étrangers. Elle était installée dans un pavillon en forme de chalet, qui était autrefois le Pavillon du Figaro, journal parisien qui lança la station. Ce pavillon avait été acheté par La Gazette de Paramé et transporté entre le casino et le Grand-Hôtel où il servait en même temps de bureau de renseignements et de cabinet de lecture, ainsi que de kiosque à journaux de tous pays. l « pour mémoire » 117 Transports et déplacement A Paramé, seul le bourg était doté d'un plan de voirie municipale, et d'un plan d'alignement en 1869. Dès 1861, le boulevard des Bains (actuel boulevard Rochebonne) fut réalisé pour relier le bourg de Paramé à la mer, suite à un arrêté préfectoral de Fréart en 1860. En 1877, le boulevard Chateaubriand fut percé parallèlement à la mer. En 1893, la Société des bains de mer de Paramé obtient de la commune le classement en voirie de petite communication du boulevard Hébert, au coeur du quartier des Bains et menant au casino de Paramé ; il fit, en 1912, l'objet de travaux importants. Au début du XXe siècle, l'avenue de la Gare reliant les quartiers balnéaires de Saint-Malo et de Paramé à la gare de chemin de fer fut créée sur un terrain endigué (actuelle avenue de Moka). En 1933, les avenues privées de la famille Duvoir furent cédées à la commune de Paramé. Six ans plus tard, ces voies perpendiculaires au boulevard Hébert et à la digue (avenue du Casino, avenue Jules-Simon, avenue Charles-Prévet) furent frappées d'alignement. Les rues Saint-Roch, Jules-Simon, Charles-Prévet, Picot-de-Clos-Rivière furent aussi l'objet de plans d'alignement en 1951. Pour faciliter le transport des estivants, un décret du 1er août 1888 déclara d'utilité publique l'établissement d'un réseau de tramway entre Saint-Malo, Saint-Servan et Paramé. Le réseau se composa de deux lignes distinctes. La première relia SaintServan, Saint-Malo et Paramé (18881949), la second Paramé à Rothéneuf (1895-1914). La première ligne, concédée à M. Wilmart, entra en service en avril 1888. En 1892, l'exploitation de la ligne revint à la Société des tramways bretons, constituée par décret. Un second décret, datant de 1897, déclara d'utilité publique l'établissement de la seconde ligne reliant Paramé à Rotheneuf et Cancale. L'exploitation fut accordée à la Société des tramways bretons et le matériel fourni par la Société Decauville. La déclaration d'utilité publique de la ligne, inaugurée en juillet 1898, fut accordée par le conseil général malgré certaines réserves tenant à son caractère spéculatif. Le trafic cessa pendant la Première Guerre mondiale ; il cessa définitivement en 1949. dites baraques Collet étaient utilisées à Paris au moment du jour de l'an. On y trouvait des costumes de bains, des parfums, des journaux, des jouets et de la pâtisserie. En 1898, un atelier de photographie ouvrit dans l'hôtel Notre-Dame-des-Grèves. Le Grand-Hôtel Franklin possédait, en 1891, un atelier de réparation mécanique pour ses clients. Saint-Servan A Saint-Servan, les sites balnéaires s'inscrivirent dans le tissu ancien. C'est en ces lieux que virent les premiers anglais en villégiature d'hiver ou d'été, en Bretagne, dès 1840. Sur les rives de la Rance, en face de Dinard, les plages encaissées se bordèrent de grands domaines privées, tandis qu'une ébauche de vie mondaine s'organisa autour de la plage des BasSablons, dans le casino-établissement de bains, dans les pensions de famille, dans les hôtels et les points de départ des régates. L'ensemble de ses différents sites connut un grand développement avec l'ouverture, en 1864, de la gare centrale de chemin de fer, implantée à égale distance de ces différents sites, et la construction de réseaux de digues, de voiries et de transport en commun. Des premiers aménagements de voiries, liés à l'activité balnéaire, eurent lieu dès 1840, date à laquelle la rue des Hauts-Sablons fut construite sur une dune sablonneuse. Dans la décennie suivante, les percements de voies furent nombreux : élargissement de la rue du Chapitre (1850), percement du boulevard Douville reliant le centre de Saint-Servan à la route de Rennes (1850), ouverture « pour mémoire » Les équipements commerciaux Selon les sources de l'époque, il semble que seul le quartier de Rochebonne en Paramé connut un essor commercial lié à la villégiature. En 1879, la mise en place de la station de tramway au carrefour de Rochebonne favorisa le développement des commerces dans le quartier. Après l'ouverture d'un bureau de tabac et d'une agence de location, vers 1900, on assista successivement à l'ouverture, dans des constructions de type chalet, d'un magasin d'articles de plage, d'un atelier de photographie, d'une épicerie et d'un grand magasin. En dehors du quartier de Rochebonne, seul le quartier de Courtoisville connut quelques transformations commerciales liées à la clientèle estivale. En 1884, le directeur du casino de Paramé fit construire sur la digue des cabanes provisoires entre le Grand-Hôtel et le Casino. Ces cabanes l hor s-sér ie -juillet 2012 118 pointe de la Vicomté, un domaine devenu l'un des quartiers les plus agréables de Dinard. A l'ouest de Saint-Enogat se trouve la commune de Saint-Lunaire. Ce centre balnéaire possède deux belles plages : à l'est, Saint-Lunaire, regardant SaintMalo, et à l'ouest, Longchamp, la plus vaste, tournée vers le cap Fréhel. La pointe du Décollé est reliée à la terre ferme par un pont naturel qui franchit la profonde crevasse du saut du Chat. La côte est, sur la Rance, qui borde la plage du Prieuré, très abritée, bénéficie d'un climat assez doux qualifié parfois de méditerranéen, qui a permit l'implantation d'une grande variété des plantations sur les escarpements de la falaise aménagée en jardins privatifs. La côte nord, sur la Manche, qui s'étend de la pointe du Moulinet à la pointe de la Roche Pelée et regroupe les principales plages, est plus sauvage et plus typique du littoral de la Côte d'Émeraude. La plage de l'Écluse, située dans une anse profonde entre les pointes escarpées du Moulinet et de la Malouine, est le coeur de la station. Sur ses dunes de sable ou à proximité ont été construits la plupart des équipements balnéaires qui structurent la station : établissements de bains, casinos et hôtels de prestige. Quant à Saint-Enogat, éloignée de l'agitation du centre, elle demeure une annexe de la grande plage bien que plus ample et moins profonde. Elle est également encadrée de deux avancées rocheuses (pointe des Ététés, à l'est, et pointe de la Roche Pelée, à l'ouest) sur lesquelles vinrent progressivement s'établir de nombreuses maisons de villégiature formant deux quartiers distincts à l'est et à l'ouest. Saint-Servan, vue générale de la côte de la rue de Constantine (1871), projet de boulevard entre le centre de SaintServan et la gare de chemin de fer (1877). En 1900, le boulevard de la Rance, desservant la plage des Fours-à-Chaux, fut aménagé. DINARD L'environnement géographique Située sur la rive gauche de la Rance, Dinard fait face à Saint-Malo. Etymologiquement, Dinard proviendrait du gaulois dunum, colline et du breton arzh, ours. C'est un riche Américain nommé Coppinger, puis des Anglais qui ont lancé Dinard vers 1850. Aujourd'hui la ville marque les visiteurs pour ses villas luxueuses, ses jardins et ses parcs. Elle se structure autour hor s-sér ie - juillet 2012 de points exceptionnels. On trouve, au nord-est, la pointe du Moulinet d'où il est possible de voir la côte, du cap Fréhel à l'ouest, Saint-Malo à l'est, l'estuaire de la Rance au sud. Entre la pointe du Moulinet et la pointe de la Malouine, à l'ouest, s'inscrit la grande plage ou plage de l'Ecluse. Cette belle plage est bordée par le Palais des Arts et du festival, le casino et de luxueux hôtels. Au-delà, on se dirige vers la pointe des Ététés, le beau jardin en terrasse du Port-Riou et la plage de saint-Énogat situés au bas de rochers escarpés. A l'est, de direction nord-estsud-ouest, s'allonge la promenade du Clair-de-Lune. Réservée au piéton, cette digue-promenade suit le bord de l'eau et bénéficie de beaux parterres fleuries, d'une remarquable végétation méditerranéenne. Elle donne un beau point de vue sur les villas et sur l'estuaire. Elle s'achève à la plage du Prieuré, qui doit son nom au prieuré fondé en 1324 à cet emplacement. En continuité, on trouve la l « pour mémoire » 119 Les débuts de la station La colonie anglaise Le site naturel remarquable de Dinard attira très tôt les villégiateurs anglais, les premiers découvreurs du site. Une plaque commémorative, située sur la promenade des Alliés, mentionne leur arrivée en 1836, date de l'installation du nouvel embarcadère à l'anse du Bec-dela-Vallée. Vers 1840, le consul anglais, Alpyn Thomson s'installa dans l'ancien prieuré des Trinitaires situé dans la baie du même nom, face à la ville fortifiée de Saint-Malo. Dix ans plus tard, il fut suivi par Jean Sedgwich, puis par Robert Monteith, vice-consul, installé précédemment au château de Montmarin. Ces pionniers firent partager les beautés du site à leurs amis anglo-saxons installés à Dinan. C'est ainsi que la famille Faber emménagea dans la villa Beauregard avant de faire construire, en 1856, sa propre demeure, la villa Sainte-Catherine, sur le promontoire du Bec-de-la-Vallée. Cette famille Faber réalisa les premières photographies de Dinard. Elles dévoilent une côte abrupte et rurale sur la plage de l'Ecluse et l'existence d'un hameau de pêcheurs sur la Rance, avec ses maisons en moellons de granite, aux pignons découverts, aux toitures d'ardoise et de chaume. A cette époque, les rues semblaient le fruit du hasard ; il existaient néanmoins deux centres rayonnants : la place de la République, aujourd'hui au coeur de l'activité commerçante, et la place du Calvaire, proche de l'église de SaintEnogat, le centre primitif de la commune avant la construction de la nouvelle église inaugurée en 1858 et située place du Général-de-Gaulle. Par ailleurs, le site de Dinard était, pour l'essentiel, vide de construction. La pointe du Moulinet avait partiellement une fonction militaire tandis que le reste des terrains était voué à l'agriculture et aux transports de marchandise en provenance de la Bretagne intérieure et à destination de Saint-Malo par le bac de la Rance. Dans ces années, les installations militaires de la pointe du Moulinet furent abandonnées et de nouvelles maisons s'implantaient, autour de la villa Sainte-Catherine, sur les vastes terrains de ce site de promontoire. L'établissement des bains de mer Le développement de Dinard fut aussi la conséquence de la popularité d'un maître nageur, Edouard Legros, qui s'était fait une réputation d'héroïsme sur les plages de Saint-Malo. En 1858, il décida de s'installer à Saint-Malo et entraîna avec lui, dit-on, un groupe de vingt-quatre baigneuses qui allait accroître d'autant la clientèle. Edouard Legros érigea un bâtiment sur la belle grève de l'Ecluse, avec la permission de l'autorité locale, en faisant appel, par souscription, aux notables et riches résidents de la station. Ainsi, dès les premiers jours de juin, dix cabines mobiles pouvaient s'installer sur la grève. L'établissement, bien que sommaire, possédait le fourneau nécessaire pour chauffer l'eau des baquets servant à prendre des bains de pieds, une coutume établie des riches étrangers, ainsi qu'une baraque en planches, construite sur la partie supérieure de la grève, sur le bord d'un terrain de dunes, dans le fond de l'anse, à l'ouest de la grève. Le 19 juin 1859, le maître baigneur sollicita, « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 120 auprès des autorités, le privilège exclusif de la baie de l'Ecluse pour y exploiter son établissement de bains de mer. La ville de Trouville avait obtenue une telle concession, encadrée par un arrêté portant la date du 19 mai 1858, donnant son accord sous réserve de ne pas priver les particuliers du droit de pêcher, d'échouer, de réparer les chaloupes ou bâtiments, de se promener, de pratiquer la grève comme voie de communication, ni même de prendre des bains, en se soumettant aux mesures qui auraient été arrêtées pour assurer l'administration, la surveillance et la « police des bains ». Des termes identiques furent utilisés par la sous-préfecture de Saint-Malo pour l'arrêté autorisant le premier établissement de bains de mer de la future station balnéaire de Dinard. Le 21 juillet 1859, Edouard Legros obtint une autorisation avec un bail de trois, six ou neuf ans, avec réserve par l'État de le révoquer sans indemnité, à quelque époque que ce soit. En 1860, la commune de Saint-Enogat demanda au préfet que la concession de Legros fut faite à son profit afin de créer des ressources par une sous-location. établissements, les subventionnant même, les exploitant. A Dinard, fin 1869, un éminent docteur en exercice dans la station, Amateur Du Gourlay, s'étant ému du manque d'hygiène des habitants, décida de créer un établissement de bains chauds ouvert en permanence toute l'année. En 1870, il créa l'établissement de bains chauds de la Vallée (il s'agit du ruisseau de Barbine), ouvrant ainsi un établissement hydro thérapeutique à deux pas de la grève de l'Ecluse, dans lequel on pouvait prendre des bains ou des douches, chauds ou froids. L'établissement fut ouvert fin 1872 et son exploitation fut confiée au sieur Claude Auguste. Cependant, l'établissement connut en 1874 une première faillite. Le 1er mai 1875, il fut vendu à Alfred Alix ; il fonctionna encore pendant cinq ans avant de disparaître devant la concurrence des nouveaux services proposés par le casino. En effet, le propriétaire du casino de Dinard, Elie Pompon, avait également demandé l'autorisation de créer un établissement de bain. Il obtint cette autorisation le 25 juillet 1873, jusqu'au 23 octobre 1979, date où elle fut transférée à M. Lagneau, directeur du nouveau casino de Dinard, construit en 1877 à l'emplacement du premier, dans de plus grandes proportions. Madame Legros bénéficia également le 25 juillet 1873 d'une nouvelle autorisation. Le plan se limitait au secteur Est de la Vallée. L'objectif de la municipalité était de réaliser une nouvelle ville sur cette partie du territoire, une zone située entre deux coteaux, qui s'étendaient, du nord au sud, sur une longueur de plus d'un kilomètre en séparant le bourg de Saint-Énogat de Dinard ; la Vallée était traversée par le ruisseau de Barbine qui s'écoulait vers la grève de l'Écluse. Dans ce projet, l'ancienne paroisse située à Saint-Enogat était déplacée dans l'anse du Prieuré, plus proche de Dinard. Ce nouveau centre, projeté autour d'une église qui venait d'être réalisée par l'architecte Lacroix, se trouva pourtant très vite en marge du développement de la station balnéaire. Si celle-ci n'était pas encore véritablement présente sur le site, son développement devait se faire autour de la plage de l'Ecluse. Sur les plans d'urbanisme de 1856 et de 1861 figurait déjà le tracé du futur boulevard Fréart qui devait relier la place de l'Eglise à la grève de l'Ecluse où se situait le premier établissement de bains d'Edouard Legros, suivi bientôt de l'indispensable casino. Les premières maisons de villégiature se sont construites au nord-est sur le site du Bec-de-la-Vallée ; en 1859 fut mis en service le premier bateau à vapeur. En 1866, le duc d'Audiffret-Pasquier fit construire son château de la Malouine sur les falaises de la plage de l'Ecluse et bientôt se prépara la venue de l'empereur Napoléon III. Bien que ce dernier ne soit jamais venu, les préparatifs liés à sa visite jouèrent un rôle moteur pour la médiatisation de la station. Le casino et le boulevard du Casino furent alors réalisés. A partir de cette date et jusqu'au Les nouveaux équipements de Dinard Après 1870, les bains de Dinard avaient acquis une grande réputation, dans toute l'Europe et même en Amérique. Parallèlement, sous le Second Empire, dans les grandes villes, sous l'impulsion d'éminents professeurs et docteurs, des établissements de bains populaires avaient été créées ; les municipalités s'étaient emparées du sujet, créant des hor s-sér ie - juillet 2012 Les étapes d'une nouvelle ville Un premier projet d'urbanisation a été déposé en 1856, sous la signature de l'architecte Eugène Lacroix. Il fut modifié en 1861 et partiellement réalisé. l « pour mémoire » 121 début des années trente, la ville ne cessa de se développer et l'ancien bourg de Saint-Enogat, situé plus à l'ouest, finit par être complètement absorbé par l'extension de cette nouvelle ville qui prit le nom, dès 1879, de Dinard-SaintEnogat. Ce fut une période faste pour les investisseurs et promoteurs. D'autres étapes furent décisives. En 1873, Joseph Rochaïd Dahdah, comte libanais en exil, arriva à Dinard. Riche et entreprenant, il marqua par ses place qui a pris aujourd'hui son nom : la place Rochaïd. Il y fit construire des halles en 1876 pour les marchés des poissons, viandes et légumes. Il fut le fermier du bac sur la Rance jusqu'en 1884. Il construisit plusieurs villas. Il fut à l'initiative de projets audacieux tels que l'ouverture de la ligne de chemin de fer Dinan-Dinard qui fut inaugurée en 1987 et la troué de la porte d'Émeraude qui sera réalisée plus tard par ses fils. La gare conduisit à ouvrir le boulevard Lhotelier vers 1890-1900. entrepreneur de Saint-Enogat, M. Lainé formula l'autorisation de créer un établissement de bains sur cette plage appelée, à l'époque, « grève du bourg » ; il allait rapidement louer ses huit ou dix cabines aux familles qui préféraient le calme de Saint-Enogat à la plage bruyante de Dinard. Début 1904, pour répondre aux demande d'une clientèle de plus en plus nombreuse, Henri Mancel, demeurant à Saint-Alexandre, agissant en tant que concessionnaire, et François Lodin, entrepreneur en menuiserie, se déclarèrent intéressés par la création d'un second établissement de bains. Il fut installé sur la partie ouest de la grève. En 1905, M. Mandel demanda à la commune de lui louer un terrain communal situé près d'un chemin conduisant à la grève. Mais il provoqua la protestation de riverains ; des cabines privées avaient déjà été installées par les propriétaires des villas voisines. Le maire décida de partager le terrain en trois bandes parallèles à la plage, avec des prix de location différents suivant la bande, et des règles de répartition entre les personnes et les entreprises intéressées. Faute de clients, les bains Mancel fermèrent fin décembre 1908. En 1879, Auguste Poussineau racheta le parc du Château de la Malouine au duc d'Audiffret Pasquier pour y construire un lotissement balnéaire de standing. La ville vit arriver le chemin de fer en 1883. Ainsi, se développèrent plusieurs pôles d'urbanisation, une des caractéristiques de Dinard. Le quartier balnéaire de la Rance rejoignit celui de la plage de l'Écluse qui prit un aspect de plus en plus monumental avec la réalisation d'un deuxième casino et du Grand-Hôtel « pour mémoire » La plage de l'Ecluse à Dinard en 1903. A côté du Royal-Hôtel, fut construit Le Crystal. Ce bâtiment, élevé en 1892 par un riche commerçant, M. Champion, pour accueillir un grand café-glacier et un casino, fut reconverti en hôtel en 1904. Sa tour entièrement vitrée, faisait office de phare. nombreux projets d'intérêt général l'urbanisation du centre-ville de Dinard. Il acquit de nombreux terrains dans la Vallée dont il assainit le versant oriental. Il construisit de nouvelles voies vers le centre, dont la rue de Verdun et la rue du Clos-de-la-Fontaine qui mènent à la Albert Lacroix, célèbre éditeur belge, investit à Saint-Enogat. En 1875, il construisit un nouvel hôtel à deux pas de la mer : L'Hôtel de la Mer, et entreprit, le lotissement des Villas de la Mer. Prévoyant la naissance d'une demande nouvelle de cabines roulantes, un l hor s-sér ie -juillet 2012 122 Royal. Plus à l'ouest, Saint-Énogat n'était plus qu'un faubourg de la grande station, à laquelle elle était reliée par le boulevard Albert Lacroix, réalisé en 1880. Le quartier de la gare resta cependant excentré et très peu urbanisé malgré des travaux de voirie qui le relièrent à l'Ecluse et à la Rance. Il fallut attendre le nouveau plan d'alignement et d'embellissement de 1925 pour que fussent envisagés de nouveaux projets dans la partie occidentale de la ville. Les années 1900-1910 furent une période de grands travaux avec la construction du Grand-Casino, de l'hôtel Royal et le percement du boulevard Edouard VII. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, Dinard connut à nouveau une période de prospérité ; la station possédait quatre casinos en 1928 et à cette date fut construit un nouvel hôtel de luxe : le Gallic-Hôtel, des projets grandioses furent dessinés par les architectes Lesage et Miltgen à la Vicomté. Ce fut aussi la période d'un vaste programme social appuyé par le maire Paul Crolard qui présenta un projet grandiose de citéjardin sur les terrains du Corbinais et de Saint-Alexandre qui fut très partiellement réalisé. Les années 1920 et 1930 furent une période de grands projets, tels que la réalisation par René Aillerie de la piscine à ciel ouvert et des cabines de bain fixes, du chemin de ronde allant de la plage de l'Ecluse à la pointe du Moulinet, de la construction du Casino-Balnéum de Maurice Fournier avec sa piscine d'eau de mer chauffée permettant de prendre des bains de mer en toute saison. La plage de l'Ecluse, principale plage de Dinard, devint, dès le début de la villégiature, le coeur de la station balnéaire. hor s-sér ie - juillet 2012 Située dans une anse profonde entre les pointes escarpées du Moulinet à l'est et de la Malouine à l'ouest, elle maintenant bordée au sud par une digue-promenade. Un premier établissement de bains y fut construit en 1859. A partir de cette période, la plage devint le monopole des baigneurs et la municipalité y interdit l'enlèvement des marnes et du sable utilisés par les agriculteurs de la commune. La plage commença à connaître un grand succès, comme le Grand Hôtel, ouvert en 1859 et dirigé par Elie Pompon. Chaque été plus de cinquante familles venaient prendre des bains de mer à Dinard. Les journaux introduisirent dans leurs feuilles une nouvelle rubrique, La gazette des bains de mer ; elle publia une liste complète des premiers baigneurs. En 1861, l'entreprise de Legros pouvait aligner vingt cabines, hélas, en 1864, Edouard Legros mourut, à l'âge de 53 ans. Sa veuve, son fils, Edouard Legros fils et le frère du célèbre baigneur reprit, dès juillet la direction des bains chauds. Les chemins de fer de la région amenèrent, cette année là, de nombreux baigneurs et l'affluence sur la grève grandit de jour en jour. A la mi-juillet, elle se couvrit littéralement de nombreux parisiens, Anglais et Espagnols, qui se réunissaient chaque jour dans une des plus vastes salles du Grand Hôtel transformée en théâtre. Le Grand Hôtel était toujours le seul de la station. Mais dès cette époque, leurs propriétaires projetaient d'édifier un premier casino avec bains sur la plage de l'Ecluse. Dinard atteignait déjà, à l'époque, une population de sept à huit mille personnes l'été. La mode des bains de mer alla grandissant jusqu'à la guerre de 1870, pour reprendre plus fortement après le conflit franco-prussien. En 1872, elle bénéficia de la création du chemin de fer d'Orléans à la mer par Alençon et aboutissant à Saint-Malo. Le casino de Leroyer Le premier casino, un bâtiment en bois, fut construit en 1866. Trop exigu et battu par les marées, il fut remplacé par un second casino, de trois niveaux, construit par Leroyer, père du légendaire pont-roulant de Saint-Malo. En novembre 1876, on créa pour ce projet la Société anonyme du Casino de Dinard. Elle fut chargée de racheter l'ancien établissement et les objets mobiliers appartenant à M. Pompon, nouvel actionnaire et gérant du Grand-Hôtel, ainsi que les deux établissements de bains existant sur la plage, celui de M. Pompon et celui de Mme Legros. Le nouveau casino fut construit en six mois. A l'étage inférieur, il comportait, sous le vaste salon de lecture entouré d'une terrasse, le service des bains chauds d'eau de mer et d'eau douce. Dans ce soubassement, on trouvait aussi le lavoir ou blanchisserie, la lingerie, les vestiaires, la lampisterie, les magasins, les écuries. Le service des bains chauds se composait de huit cabines de bains, avec quatre baignoires en cuivre pour l'eau de mer, et quatre en zing pour l'eau douce ; elles étaient mises à la disposition de la clientèle de 9 heures du matin à 5 heures du soir. Ils y avaient aussi deux pièces à eau, munies d'un matériel divers et à partir de 1886, d'un service d'hydrothérapie. Sur la plage, le casino mettait à disposition des tentes fermées, avec ou sans linge et costume, suivant le désir du client. A cette époque, une ordonnance de police interdisait de se baigner en maillot ou l « pour mémoire » 123 tricot collant ; le costume de rigueur est alors le gilet et le pantalon. Le casino ne conserva pas longtemps la plage pour lui tout seul. Le 24 octobre 1883, Laurent Ménétrier, peintre en bâtiment et entrepreneur à Dinard, demanda l'autorisation de faire circuler sur la partie ouest de la plage trente-deux cabines de bains. Il obtint cette autorisation le 4 avril 1884, et Alphonse Legros prit la direction de ce nouvel établissement. Mais un différent de voisinage, portant sur la construction d'un ouvrage sur pilotis servant de rangement au matériel de l'entreprise Ménétrier, différent avec le propriétaire du casino, M. Poussineau, poussa le préfet à limiter l'autorisation au 31 décembre 1988, date à laquelle la dite construction devait disparaître de la grève. Elle fut effectivement démontée au début de mai, et remontée début juin sur un terrain domanial. L'établissement de bain de Laurent Ménestrier se trouvait dans le fond de l'anse de la grève de l'Ecluse, au droit d'une propriété en friche appartenant à M. Champoin, agriculteur à Feins. En 1992, le propriétaire de ce terrain en forte déclivité décida de construire un bâtiment venant s'appuyer sur la limite même du rivage, avec l'idée de réaliser hôtel, « La Villa Crystal », ayant un accès direct au rivage. La cabane de Ménestrier obstruant les abords et apportant des nuisances (fumées et odeurs), M. Champion demanda au préfet d'ordonner son déplacement. N'obtenant pas satisfaction, il décida d'aménager un établissement de bains dans sa villa, et l'administration donnera son accord et partagea la plage de l'Ecluse. Il restait que l'établissement de bains Ménestrier amenait beaucoup d'inconvénients ; les lieux d'aisance y étaient sommaires. Il convenait de réduire la construction sur pilotis à un simple rangement de matériel. Le 20 août 1895, la Villa Crystal fermait par suite de faillite ; en février 1896, le maire demanda à Laurent Ménétrier de remplacer sa cabane par une autre de moindre importance montée sur roulettes, dans laquelle il pourra mettre un bureau et un dépôt de vêtements, cette dernière étant, après la saison, remisée en dehors du littoral. Le 23 mars 1896, un arrêté résilia la concession Ménétrier à partir du 1er juin 1896. Il faut aussi noter un autre mouvement de privatisation du littoral, commencé en 1874, avec l'installation sur place, par des particuliers, de cabines de bains pour leurs besoins personnels. Il apparut sur la plage du Prieuré puis de l'Ecluse. Ce choix n'était pas toujours bien avisé ; certaines d'entre-elles furent emportées par la mer. Un centre de thalassothérapie Construite en 1892, la villa Crystal devint en 1894, le Crystal Casino. Pour la première saison de l'établissement, Méphisto, la grande rivale de Sarah Bernhardt y vint, accompagnée de son professeur espagnol Roméo Liobet, des Folies Bergères de Paris. Le second casino de Dinard comprenait, outre les salles de spectacles, un établissement de bains chauds, d'eau de mer et d'eau douce, et des douches. Le 24 mai 1894, M. Liège architecte, fit une demande au nom de M. Champoin, propriétaire de la villa Crystal. A cette époque le bâtiment construit sur la grève de l'Ecluse était affecté principalement à un grand café-restaurant-concert. A cette fonction principale, le propriétaire voulait adjoindre tout un étage à l'usage de bains chauds et de salles d'hydrothérapie de premier ordre, comblant de cette façon une lacune qui manquait dans une ville d'eau de l'importance de Dinard. Pour installer des douches à eau de mer, il fallait disposer de cette eau. L'administration autorisa la construction d'un réservoir, au dessous du flot de mars, dans une anfractuosité de rocher, recouvert de rocailles pour se fondre dans l'environnement ; l'eau était ensuite acheminée à l'aide de pompes. Hélas, le Crystal Casino ferma ses portes en 1997, et le bâtiment prit le nom de Grand Café Glacier. En 1899, un nouveau projet allait faire revivre cette idée de doter Dinard La plage de l'Ecluse à Dinard, avec le casino « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 124 d'un établissement de bains modèle, dans lequel on pourrait se faire masser, se doucher à l'eau chaude et froide, sous forme de pluie ou de jets cinglants. La Villa Crystal fut louée par le Docteur Perret pour y installer un institut médical d'hydrothérapie, d'électrothérapie et de massothérapie et muni des plus récents appareils de radioscopie aux rayons X. Cinq ans plus tard, en juin 1904, d'importantes transformations furent effectuées par M. de Vlassov, dans la suite du Docteur Perret. Cet entrepreneur créa les Thermes de Dinard, un établissement d'hydrothérapie particulièrement bien équipé. En juillet 1904, l'intérieur de la Villa Crystal fut transformé ; elle fut associée par un petit hôtel élégant sous lequel fut installé un établissement de bains. En 1905, l'établissement des bains existant fut complété par une installation de bains turcs, bains chauds ou étuves, une innovation en France, connu sous le nom de hammam. Trois étages dans le Crystal Hôtel étaient réservés aux bains ; l'eau de mer était remontée au moyen d'une pompe ; elle était chauffée la température voulue par chacun. On trouvait également une piscine de douze mètres de long et de huit mètres de large et les perfectionnements les plus récents qui en faisaient un établissement d'hydrothérapie en pointe à l'époque. La partie hôtel composé de soixante chambres particulièrement soignées, disposait maintenant d'un jardin d'hiver. Il y avait aussi une pièce de consultation fut mise à la disposition de médecins extérieurs à l'établissement, pour l'auscultation des malades. Les clients pouvaient également disposer d'une équipe de masseurs, de coiffeurs, pédicures et manucures. hor s-sér ie - juillet 2012 La plage de l'Ecluse au début du XXe siècle Fin 1901, les terrains, situés au droit de la partie centrale de la plage, un ensemble de dunes (propriété de M. Poussineau), furent achetés par la Société Immobilière de Dinard-Saint-Enogat. Cette dernière fit construire, en un peu moins d'un an, à l'entrée de la plage et du côté ouest, un nouveau casino et un grand hôtel. Ils furent inaugurés le samedi 27 juillet 1902. Cet hôtel, appelé hôtel Royal, fut donc construit en 1902 à l'emplacement du square des Falaises dont le terrain appartenait à la famille Poussineau. Il fut vraisemblablement conçu par l'architecte E. Blanchet, qui construisit le Grand-Casino pour la même société dite Henry Ruhl et Cie. Ce bâtiment de 1902, de plan rectangulaire, de dix-huit travées en façade sur mer, conçu à l'origine, avec deux étages carrés recouverts d'une toiture en terrasse bordée d'une balustrade, s'avéra très vite insuffisant et fut surélevé, en 1904, d'un étage carré et de deux étages de comble en partie courante, de deux étages plus comble en partie centrale, et d'un étage suivi de deux étages de comble au niveau des deux pavillons d'extrémité. Ce fut le résultat du travail de L. Joubin architecte, et de l'entreprise Gonzalès de Dinard. La travée centrale est mise en valeur par un fronton à ailerons. Du ciment peint, imitant la pierre de taille, fut utilisé pour l'encadrement des baies et le chaînage des angles. Le casino, de plan ovoïde, était à l'origine composé d'un rez-de-chaussée et d'un étage de soubassement ; il était recouvert d'une terrasse d'où émergeait un dôme central. Une pièce ouverte à l'est, sur la plage, avec péristyle, était accessible de la terrasse par un escalier à degré. Les travaux de décoration furent dirigés par M. Charles et réalisés par M. Gabriel, présenté comme le spécialiste des grands théâtres de Paris. Une salle du rez-de-chaussée fut transformée en 1916 en salle de cinéma. Après la guerre, le casino fut transformé et agrandi par la construction de deux étages supplémentaires à usage de logements. Après la création du Grand Casino de Dinard en 1902, l'ancien casino de Dinard, créé en 1873 et refait totalement en 1877, réservé à la clientèle chic de la station, pris le nom de Hight-Life Casino pour se démarquer de la clientèle plus commune de son concurrent. En 1902, Henri Ruhl, directeur du Grand Condé de Chantilly et de l'hôtel Scribe à Paris, devint locataire de l'hôtel Royal et du Grand-Casino. Henri Bertrand fut nommé directeur. Ce dernier obtint l'autorisation, le 17 juillet 1903, de faire circuler vingt cabines de bains devant le nouveau casino sur une façade de deux cents mètres, et par arrêté du 17 mai 1904, quarante cabines. Début juillet 1904, Laurent Ménestrier fut pour sa part, autorisé à faire circuler cinquantedeux cabines en tout, sur 65 mètres de largeur à partir d'une ligne se dirigeant au nord en partant de l'angle ouest de l'avant corps de l'Hôtel Royal. A l'expiration de son autorisation, en 1908, la direction de l'Hôtel Royal décida de former avec les bains Ménétrier Les Bains de l'Hôtel Royal et des Malouines. En 1914, les bains Ménétrier furent vendus à Eugène Lemonnier, apparenté à la famille Legros, cependant tout s'arrêta pendant la guerre. En 1918, Madame l « pour mémoire » 125 Janvier, présente dans le domaine des bains de mer depuis qu'elle avait obtenue une concession le 16 janvier 1908, demanda l'autorisation de continuer pour la saison 1918. L'année suivante, en 1919, la ville se rendit adjudicataire du droit d'exploiter les bains de mer, sur la plage de l'Écluse, contre une somme de 2.000 francs ; elle concéda ensuite son autorisation aux bains Janvier en imposant des conditions portant sur l'entretien de la plage et sa libération totale en dehors de la saison. Les bains Janvier devinrent les seuls exploitants jusqu'à la Seconde Guerre Mondiale. La Ville obtint la concession sur toutes les plages de la commune en 1923, ce qui lui permit de faire des travaux d'aménagement sur les terrains communaux voisins, de débarrasser la plage de l'Écluse de certaines cabines délabrées, de créer des cabines simples et des cabines de luxe sous l'Hôtel Royal. On aménagea à la même époque l'emplacement occupé précédemment par la villa Sand Pit de Henry Moulton, terrain situé à l'entrée de la plage, que la ville avait acheté. Il y avait désormais une vaste plate-forme en ciment armé, sous laquelle on aménagea cent cabines simples, une remise pour le matériel des fêtes, le local du syndicat d'initiative et du poste de police, et des galeries d'exposition et magasins de thé, pâtisserie bretonne et crêpes dentelles. Le Casino-Balnéum de Maurice Fournier La saison d'hiver restait médiocre depuis la guerre. En 1924 et 1925, elle connut un renouveau. Les hôtels restèrent ouverts ainsi que de nombreuses pensions de famille ; de nombreuses villas furent louées en hiver et printemps, et le casino eut suffisamment de client. Néanmoins, pour donner plus d'allant à cette saison, on prit la décision de réaliser un « Palais Thermal », avec piscine pour permettre le bain en toutes saisons. On choisit de le bâtir sur un terrain communal situé en bordure de la digue de l'Écluse. Les travaux débutèrent fin 1927 et la piscine fut inaugurée le 11 août 1928. Avec ses mosaïques et ses ferronneries, elle avait la splendeur des belles réalisations de l'époque ; autour d'un espace de belle hauteur se développaient promenoirs et galeries. Deux étages de cabines entouraient la piscine, desservis par un couloir extérieur. A y regarder de plus près, cette immense construction était un exemple d'intégration des fonctions et centre plurifonctionnel avant la lettre. Il comprenait trois niveaux. L'entrée de plain-pied avec l'avenue du PrésidentWilson se trouvait au troisième niveau qui contenait des salons de jeux, un théâtre de 875 places, un salon de lecture. Un grand hall d'accès desservant ces différents locaux s'ouvrait sur une immense terrasse recouvrant la piscine ; cette terrasse était largement aménagée avec des pergolas et des bancs au milieu de fleurs et de verdure. Le deuxième niveau du Casino-Balnéum abritait un grand restaurant, un bar américain, une spacieuse salle des fêtes et un dancing, disposés autour de la piscine, vaste espace qui se composait d'un grand et d'un petit bassin établis suivant les règles imposées par la fédération sportive. Le Balnéum comprenait encore une installation hydrothérapique complète, sorte de hammam avec salles de sudation, douches, bains, massages. De plain pied avec la digue, le premier niveau abritait un cinéma de luxe de 450 places, indépendant du casino. Deux cents cabines environ étaient mises à la disposition de la clientèle. Quelques boutiques étaient également placées de part et d'autre de l'entrée de la digue. Ce bâtiment fut une illustration du style paquebot alors en vogue avec des salles disposées sur le pourtour d'un grand espace distribuées par de longues coursives. On y trouvait aussi des grandes compositions utilisant maintes colonnes et serliennes. Le volume du hall était éclairé par une lanterne à deux niveaux ; il était scandé de colonnes surmontées de vases fleuris et rehaussé de bas-relief par Auberlet. La piscine, au centre du complexe, était entièrement revêtue de mosaïque en camaïeu de bleus par l'atelier rennais des Odorico. A la même époque, on aménagea, sur un plan de l'architecte René Aillerie, dans la petite anse de la plage, près de la porte d'Émeraude, un « Pool », mot anglais désignant une piscine découverte de grande dimension, capable d'accueillir les matches de water-polo dans de l'eau de mer. Les autres quartiers de Dinard Le centre ville La partie considérée comme le centreville est située à l'est, le long de la Rance, et, elle est traversée du nord au sud par le boulevard Féart, créé à la naissance de la station de villégiature, puis d'est en ouest par la rue Levavasseur, artère commerçante prolongée par l'avenue Edouard-VII, plus résidentielle. Trois places sont aménagées à l'est du boule« pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 126 vard Féart : la place Paul-Crolard, la place Rochaïd avec ses halles et son marché et la place de la République, anciennement place de la Ville-en-Bois. La partie orientale de ce quartier, tournée vers la mer, a été occupée la première. Les maisons de villégiature y sont nombreuses et la plupart mitoyennes (avenue George-V, autrefois dénommée Grande Rue). C'est dans ce secteur urbain qui surplombe la mer que s'est installée la colonie anglaise avec son club de tennis dont le terrain vient d'être récemment loti. La pointe des Moulinet La pointe du Moulinet, bande de terre avancée vers la mer, borde la partie est de la plage de l'Écluse et fait face à la ville historique de Saint-Malo. Cet endroit stratégique donnant sur la Manche et sur la Rance possédait une batterie construite par Vauban en 1696 dont quelques vestiges de fondation sont encore visibles. Elle fut remplacée en 1861 par une nouvelle batterie, désaffectée et remise au Domaine par le service du Génie en 1900. Le chemin d'accès à la batterie et le chemin de ronde furent cédés à la ville de Dinard et les terrains acquis par Jacques Hennessy et Paul Darblay, propriétaire des villas la Garde et Saint-Germain. Sur ce site considéré comme l'un des plus beaux points de la côte s'installèrent de somptueuses demeures dès le début de la villégiature à Dinard. La villa Roche Pendante, connue grâce à des sources documentaires, fut vendue en 1906 et détruite peu avant la guerre de 1914 ; elle était la propriété de John Camac, Américain originaire de Philadelphie, qui l'avait fait construire en 1867 ; hor s-sér ie - juillet 2012 La pointe du Moulinet à Dinard elle est remplacée par la villa Granite House construite en 1923. Parmi, les premières demeures figurent également la première villa la Garde construite vers 1865-1870 pour la famille Roederer et la villa Saint-Germain primitivement appelée villa Mortemart, construite par François de Rochechouart, vicomte de Mortemart, entre 1868 et 1874. Le chemin de ronde qui parcourt la pointe a été terminé en 1928-1929, suite à l'acquisition d'un terrain domanial par la ville de Dinard, qui a permis d'y établir un chemin public allant de la plage de l'Écluse à la pointe du Moulinet. La porte d'Émeraude, située dans l'anse, a été ouverte en 1911, permettant ainsi une communication directe entre l'embarcadère et la plage de l'Écluse. Le lotissement concerté de la Malouine En 1879, Esmé d'Audiffret Pasquier vendit le parc de son château, dit la Malouine, à Auguste Poussineau, qui dès les années 1880, assura la promotion et l'aménagement du site. Un lotissement de luxe fut dès lors envisagé. Auguste Poussineau fit appel à Alexandre Angier, architecte à Saint-Brieuc qui réalisa plusieurs villas (Belle Assise, Roche Plate, Roches Brunes et Bel-Esbat). Certains lots furent vendus non bâtis ; ce fut le cas pour les villas Vélox et Ker Annick construites pour la famille de Boucheporn. La villa Bambino fut réalisée par l'architecte Bénard. Le lotissement était clôturé par une grille en fer forgé située à l'entre de l'actuelle avenue Poussineau. En juin 1909 fut créé le syndicat des propriétaires du parc de la Malouine. Les rues qui traversent ce lotissement sont aujourd'hui communales. Le quartier de Saint Enogat Le quartier de Saint-Enogat était le centre primitif de la commune ; il tend aujourd'hui à se confondre avec la ville de Dinard. La place du Calvaire, au coeur de ce quartier, où se tenait un marché, s'est transformée en un véritable carrefour. L'église située à proximité est une reconstruction datée de 1872-1874, hormis le clocher, de l'architecte Arthur Régnault. L'ancien édifice était du style Renaissance et affectait la forme d'une simple croix. Le déplacement de l'église paroissiale, en 1858, de Saint-Enogat l « pour mémoire » 127 plage de Port-Riou. Le lotissement initial, aujourd'hui détruit, était moins étendu. Il était composé du Grand-Hôtel de la Mer, de villas accolées louées à la journée, à la semaine ou au mois formant trois corps de bâtiments, de maisons individuelles et d'un établissement de bains. Les villas les Genêts, Bellevue, le Parc et les Tourelles formaient le premier corps de bâtiment au nord-ouest de la parcelle. Le deuxième corps de bâtiment était composé des villas Maisonnette, Shakespeare, Byron et Cézembre et le troisième corps au nord-est de la parcelle des villas le Bosquet et Harbour. Les maisons individuelles placées en bordure de la plage de Saint-Enogat, dites les Pavillons, se nommaient le Phare, la Corniche et le Nid. L'établissement de bains - villa des Bains et pavillon des Bains - était placé également en bordure de la plage avec location de cabines de bain. L'ensemble du terrain dit les Grandes Mielles avait été acheté par Albert Lacroix le 23 septembre 1875. Ce dernier fit probablement appel à l'architecte Liège de Saint-Servan. Un deuxième lot de terrains limitrophes du premier lotissement fut acheté le 28 décembre 1877 à Joseph-Auguste Parmentier par un groupe d'amis d'Albert Lacroix. Le quartier de la gare Le quartier de la gare, situé au sud de la ville de Dinard, fut créé à partir de l'installation du chemin de fer, inauguré en 1887. Il est principalement composé de petites maisons souvent résidentielles. Les plus anciennes sont situées à l'est de la ligne de chemin de fer. En 1900, Dinard ne s'étendait pas au-delà de la ligne de chemin de fer. Il fallut attendre le plan « pour mémoire » La Pointe de la Malouine à Dinard. à Dinard aurait pu mettre un terme à l'évolution urbaine du bourg, mais Saint-Enogat profita, comme Dinard, dès le début de la villégiature, de l'afflux des estivants. En 1865, dans le secteur de Villeneuve, proche de l'église, Henri Lefort créa un salon littéraire qui accueillait un groupe de poètes de la capitale. Mais ce fut Albert Lacroix, éditeur de Victor Hugo, qui fut le véritable promoteur de la plage de Saint-Enogat. Il y construit en 1875 son premier lotissement dit « des villas de la Mer » qui donna bientôt son nom à tout ce quartier de villégiature situé sur la rive est de la plage de Saint-Enogat. Un établissement de bains s'y installa en 1877 avec quelques cabines de bains réservées à la clientèle des villas et de l'hôtel de la Mer. Dans les années 1880, la ville se rendit propriétaire du sol du boulevard de la Mer où avaient été construites de belles villas, telle le Port Riou de M. de Rodays, qui assura une publicité constante à la station dans le journal parisien Le Figaro. Dans les années 1890 et surtout entre 1910 et 1930, on assista à un développement de la construction de villas, facilité par l'ouverture du boulevard AlbertLacroix commencé en 1879, qui relie Saint-Enogat à la Pointe de la Malouine. Ce fut également une période favorable aux équipements balnéaires, puisque la municipalité construisit un ensemble de cabines de bain fixes en 1923, que la société des tennis y implanta huit courts en 1924 et que des investissements privés lancèrent l'édification d'un hôtel de luxe, l'hôtel du Duc d'York puis hôtel Granville en 1929. Après cette date, peu d'édifices importants furent construits, hormis la villa Greystone, élevée en front de mer en 1938 par l'architecte Michel Roux-Spitz. Le lotissement des villas de la Mer Le lotissement des Villas de la Mer donna son nom à tout un secteur du quartier de Saint-Enogat qui s'étend de la partie orientale de la plage de Saint-Enogat à la l hor s-sér ie -juillet 2012 128 d'alignement, d'extension et d'embellissement de la ville en 1925 pour que fussent dessinés et envisagés de vastes projets dans la partie occidentale de la ville. La municipalité de Paul Crolard acheta dans ce quartier excentré de vastes terrains afin de constituer un secteur à bon marché destiné aux ouvriers, aux fonctionnaires et aux petits rentiers afin qu'ils y construisent des maisons à prix modérés. Un vaste projet de citéjardin dessiné dans les années 1920 est en partie réalisé avec la création en 1925 de la cité Pasteur, puis en 1931 de la cité Broussais. Le quartier de la plage du Prieuré La plage du Prieuré est la deuxième grande plage de Dinard, située dans l'estuaire de la Rance face à la ville de Saint-Servan. Orientée à l'est, elle est plus abritée et moins mondaine que sa voisine, la plage de l'Écluse. Elle doit son nom à l'ancien prieuré des trinitaires, situé au fond de la baie et fondé en 1324 par les frères Olivier et Geoffroy de Montfort. Ce prieuré transformé en habitation particulière a été occupé dès 1840 par un consul anglais. C'est l'un de ces consuls, Robert Monteih qui, fasciné par l'endroit, à fait découvrir Dinard à la colonie anglaise de Dinan dont les Faber. A côté du prieuré, se sont établies dans les années 1860, les Soeurs de la charité de Bayeux. Elles cédèrent, en 1871, leur établissement aux trinitaires de Valence qui y installèrent un pensionnat de jeunes filles. Le quartier de la plage du prieuré est également le noyau primitif de la nouvelle ville de Dinard, matérialisé en 1858 par l'église et la mairie-école située au hor s-sér ie - juillet 2012 sud du presbytère. Ce fut le lieu choisi en 1868 par l'architecte Pichot pour y construire la villa Eugénie qui se devait d'accueillir le couple impérial. Quelques villas se construisirent à cette période sur les falaises dont la villa Pontlevoy avec ses jardins en terrasses. Plus tard, en 1880, la famille Klekosky construisit en retrait du front de mer la villa Nahan, véritable château, aujourd'hui détruite, dont le parc a été en partie sauvegardé. La grève du Prieuré, était couverte, à la fin du siècle dernier, de grands arbres, d'arbustes et de verdure, avant de voir quelques villas s'y établir, face à Saint-Servan et Saint-Malo ; elles formaient un contraste heureux avec le fond de verdure des fours à chaux de la Vicomté. A partir de 1870, plusieurs cabanes de bains s'implantèrent sur la plage, surtout aux abords du couvent des Trinitaires, dans la partie ouest de la grève, mais un établissement de bains y faisait encore défaut. Petit à petit, la grève du Prieuré devint une plage de plus en plus fréquentée par les baigneurs. En 1893, M.Auvret, propriétaire aux abords du chemin de la Fosse Guézille, fit disparaître quelques rochers gênant l'accès des bains, ce qui rendit la plage plus attrayante. Des propriétés se construisirent à ses abords et le propriétaire de la villa « La Luzene », à proximité de la grève, M. Denys, décida en 1892 de créer un petit établissement de bains des plus modestes, mais susceptible de rendre de grands services aux habitants. La concession de faire circuler quatre cabanes sur la grève lui est accordée le 14 août 1892, à raison d'une redevance de 3 francs par cabane roulante, pour une durée de cinq ans ; elle fut ensuite renouvelée. En 1929, on réalisa sur la plage du Prieuré une plateforme afin de recevoir des cabines. Les propriétaires de cabines, trop nombreuses sur la plage de l'Ecluse, furent autorisés à les y transférer. L'utilisation de la grève fut gratuite cette année là ; un prix très modique fut pratiqué les années suivantes. Une piscine fut construite sur la plage dans les années 1930. La Vicomté Les terrains du lotissement de la Vicomté appartenaient à Mme veuve Joyau qui en vendit quelques parcelles à des particuliers et l'essentiel à la société PicardDubois et à Emile Dubois, architecte. Le domaine fut morcelé en vingt lots et mis en vente, à grand renfort de publicité, en 1900 dans le journal La Côte d'Émeraude. Suite à la mise en faillite d'Emile Dubois en janvier 1918, les terrains furent mis aux enchères. Ils devinrent la propriété de la société anonyme de la VicomtéDinard qui publia ses statuts en 1922 et passa sous la direction d'un architecte parisien, Victor Lesage. Entre 1922 et 1929, deux architectes parisiens, Victor Lesage et Charles Miltgen, conçurent un projet de station balnéaire dotée de tous les équipements : casino, hôtels, tennis, embarcadère, quartier commercial, dont il est rendu compte dans un document publicitaire publié en 1928. On y voyait la réalisation, par la ville de Dinard, d'un boulevard reliant la Vicomté à la plage du Prieuré, les prémices de la construction du casino et de l'hôtel Beauvallon, de style Art Déco, avec ce goût des décors en lignes brisées et les embrasures à ressauts. Une cale d'embarquement était également prévue. Le quartier com- l « pour mémoire » 129 La Fenêtre à Cancale, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle de véritables lotissements balnéaires prirent place autour de la ville haute. A la même période, sur le front de mer de la Houle, les vieilles maisons de pêcheurs furent rénovées et mises au goût du jour. Au tournant du siècle, Cancale, ville portuaire et ostréicole, s'affichait alors comme un lieu de villégiature pour des personnes aimant le calme et le pittoresque. mercial ne vit pas le jour, par contre le casino fut réalisé. Il fut détruit pendant la guerre, et l'hôtel Beauvallon, encore en place, fut transformé en appartements. Ce projet ambitieux n'avait pas connu le succès escompté ; il fut brisé dans son élan par la crise de 1929 et le départ de la clientèle aisée vers la Côte d'Azur. Pourtant, le site était loué par les plus grands. Anne de Noailles le désignait sous l'appellation de « Bosphore d'Occident ». Le projet fut relancé en 1964 par la société de vente de la VicomtéDinard qui réalisa un nouveau cahier des charges et de réglementation des parcelles. La reconquête des grèves A partir des années vingt, les municipalités achevèrent de retrouver la maîtrise de l'espace de la station. Aux initiatives individuelles - l'absence de contraintes édilitaires est significative de l'effacement de la puissance publique jusqu'en 1914 - succédèrent les plans d'extension mis en oeuvre par les municipalités. Cette réappropriation s'exprima par la maîtrise des réseaux de voiries, qui valida a posteriori les initiatives privées, mais surtout par l'aménagement des espaces libres et par la restitution du rivage à l'usage public. À Dinard, le Conseil municipal du 16 décembre 1900 fut consacré à ce thème, avec des débats agités. « Cette décision donne assurément satisfaction aux voeux si souvent exprimés par la population. La pointe du Moulinet est un des sites les plus pittoresques de notre commune, et c'est incontestablement l'endroit d'où l'on découvre le plus beau panorama de nos côtes. L'ouverture au public du chemin de ronde jusqu'à présent fermé [...] va constituer un nouvel attrait pour nos visiteurs. Mais la mesure ne serait pas complète si elle devait s'arrêter là. Il vous semblera sans doute comme à moi qu'il est indispensable pour la commune, afin de pouvoir en tirer tout le parti désirable, d'être autorisée à prolonger le chemin qui nous est concédé tout autour de l'ancienne batterie, en longeant les murs de la villa Saint-Germain [...]. Cela permettrait aux promeneurs de circuler librement, sans être obligés de revenir sur leurs pas ». Malgré ces efforts, le tracé des chemins de randonnée ne longe toujours pas le rivage dans sa totalité. Il subsiste des ruptures, vestiges des modes d'appropriation du rivage qui distinguait à l'origine les sites de promontoire et les sites de digue. Les étapes d'un développement A côté des villes de Saint-Malo et de Dinard, toutes les bourgades périphériques connurent, avec un petit décalage de temps, une transformation de leurs sites en stations balnéaires. Ce fut le cas de Cancale, Saint-Lunaire, Saint-Briac, Saint-Cast sur lesquels se déroulèrent des phénomènes analogues d'équipements et de lotissements. Il est vrai que la réputation de la côte d'Émeraude était alors assurée. L'imprimeur Joseph Bazouge dans son Guide du baigneur et du touriste à Saint-Malo-Saint-Servan, Dinard-Paramé, paru à Dinan en 1865 fournit une description de Saint-Malo, de son casino et de cent « petits pavillons roulants pour la toilette des baigneurs », ces cabanes traînées au bord du rivage par un cheval. Il précisait que la complète sécurité des personnes avait déjà été prévue. « Un bateau de sauvetage stationne incessamment sur les eaux de la Grande Grève et des surveillants « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 130 sont à proximité, prêts à s'élancer vers les flots, au premier cri d'alarme », précisait-il. Ainsi les baigneurs pouvaient-ils bénéficier, sans inquiétude d'une « grève vaste et unie, formée du sable le plus fin et disposée en pente douce » et d'une « eau toujours limpide et dans une agitation continuelle, sans être incommodés » et qui « offre à toute heure la précieuse facilité du bain à la lame». Bazouges montrait la même admiration pour Dinard : « Dinard voit ses pittoresques sommets se couvrir de ces retraites charmantes, de ses jardins suspendus comme ceux de la Sémiramis à Babylone, qui font d'admiration des touristes. Il semble que la baguette d'une fée bienfaisante a transformé, comme par enchantement, les arides falaises en parterres épanouis, les rocs abrupts en palais ». Le développement de la Côte d'Émeraude s'organisa autour de Saint-Malo et de Dinard. Il s'enchaîna en trois temps, autour de plusieurs types de pratiques et de groupes d'acteurs. Il y eut le temps des bains de mer, prolongeant la tradition de la villégiature thermale, et mis en scène par les inventeurs du site, le temps des stations balnéaires, orchestré par les guides et placé sous le signe de la spéculation jusqu'au lendemain de la Première Guerre mondiale, associé à l'arrivée du chemin de fer, enfin le temps de l'évasion, ponctué par la loi sur les congés payés qui inaugura le développement de la société de loisirs. certain nombre d'équipements. Celui qui vient d'abord à l'esprit est le casino, mais l'établissement de bain eut, à l'origine, un rôle déterminant. Dans un ouvrage publié en 2000, Les bains de mer sur la côte d'Émeraude, Henri Fremin le montre parfaitement en reprenant la description qu'en donna Madame Menestrier, petite fille de Laurent Menestrier, fondateur des bains du même nom, sur la plage de l'Ecluse à Dinard. «Ma grand'mère et mes tantes tenaient un « établissement de bains » : à cette époque, c'était une lourde entreprise ; tout se louait : les cabines, les chaises et les fauteuils, des tentes... et les costumes de bain ! Rien à voir avec les bikinis... c'était épais, solide, noir avec des galons blancs au col et aux manches !... Les femmes avaient des culottes, descendant sous les genoux, avec les vareuses montantes, fermées au ras du cou. Il fallait les rincer et les faire sécher au soleil... Pour le bain, une organisation compliquée : une grosse chaudière donnait des barriques d'eau chaude (eau douce !). Dans chaque cabine, à l'heure du bain, on portait un grand bain de pieds fumant... (Les dames se rinçaient avant de se rhabiller !). Il fallait donc beaucoup de personnes : des femmes pour le service des cabines, pour le lavage et le séchage des costumes et serviettes, pour le transport des bains de pieds, etc. ; des hommes pour monter et descendre ces lourdes cabines au gré des marées. Les chevaux étaient de solides percherons, et ils peinaient dans le sable où les roues s'enfonçaient. Enfin, tout l'hiver on continuait le travail : on rentrait les cabines (démontées) dans de grands hangars pour les réparer (peinture, etc...) et les femmes vérifiaient et raccommodaient les costumes de bain (peignoirs et serviettes). Tout devait être parfait au printemps pour une nouvelle saison estivale. En ce temps-là, pas encore d'automobiles!... c'était le règne du cheval ». La clientèle Dans la première période, la clientèle se composa d'aristocrates, attirés par le paysage littoral, de baigneurs, séduits par le discours médical, puis se furent des artistes, peintres, musiciens ou écrivains en quête de dépaysement, de nature et de pittoresque. Les premiers baigneurs étaient hébergés chez l'habitant, dans des maisons d'armateurs ou de simples logements mis à leur disposition le temps de la cure ou encore dans les couvents comme à Saint-Jacut, à Saint-Servan et à Dinard, à Saint-Gildas de Rhuys ou au Val-André. Si les artistes logeaient plus volontiers chez l'habitant, dans la tradition des voyageurs, lancée en France au début du XIXe siècle, les aristocrates et les grands bourgeois s'intéressèrent rapidement à des sites remarquables, comme ces pointes rocheuses qui s'élançaient dans la mer, offrant une perspective circulaire, et capables d'accueillir un jardin dans une conception paysagère à l'anglaise. Choisissant d'abord les endroits les mieux desservis depuis les grandes villes où ils résidaient, ils furent tout naturellement attirés par Dinard, proche de SaintMalo, puis, après l'arrivée du chemin de fer, par des lieux encore préservés car moins accessibles, comme Saint-Briac, Lancieux ou Saint-Jacut-de-la-Mer. Si le bord de la mer était à la mode, cette élite n'en cherchât pas moins à y reproduire les modèles qu'elle utilisait en d'autres Les équipements originaux Le développement des villes balnéaires s'est souvent cristallisé autour d'un hor s-sér ie - juillet 2012 l « pour mémoire » 131 lieux. Ainsi, ces premiers estivants firent-ils construire, pour eux-mêmes, ici le château et là la « malouinière », maison de villégiature des armateurs malouins depuis le XVIIe siècle. Pour la vie mondaine, elle disposa assez vite d'équipements, le casino, d'abord isolé, puis associé à l'établissement de bains, comme dans les villes thermales. Dès 1839, Saint-Malo se dota d'un premier casino alors qu'il fallut attendre 1866 pour ériger celui de Dinard. La deuxième génération de casinos apparut dans la cité malouine en 1868 et à Dinard en 1876 ; elle fut suivie d'une troisième génération en 1899 à Saint-Malo et en 1902 à Dinard. La colonie anglaise Pour les Anglais, la région était d'accès facile grâce à la présence du port à Saint-Malo. La ville développa d'ailleurs rapidement des lignes maritimes avec Southampton. Les anglais constituèrent deux colonies, l'une implantée dès 1840 à Saint-Servan puis sur le site du front de mer du Sillon, et l'autre, une dizaine d'années plus tard sur la rive gauche, à la Pointe du Moulinet. A Dinard, cette communauté eut une influence considérable dans l'invention et le développement de la ville balnéaire, en créant un cadre et un mode de vie proche qui resta une référence pour les élites françaises jusqu'au lendemain de la guerre 1914-1918. « A Dinard, la colonie anglo-américaine possède une organisation complète. Les gentlemen y ont leur cercle particulier. Les dames ont également le leur qui se nomme le « New Club » ou « Ladies Club ». Ce club -le premier club de dames ouvert en France - est en réalité le « home » de la colonie étrangère. C'est là qu'elle donne ses bals, five o'clock, concerts et tableaux vivants dans lesquels figurent les plus jolies filles et les plus select gentlemen de la colonie ». Issue de Dinan et d'Avranches, la colonie de Dinard se retrouvait dans ses clubs et cercles fermés et se rassemblait dans ses églises : l'église anglicane de Saint-Barthélemy fut édifiée à Dinard dès 1870. Ils apportèrent de nouveaux divertissements sportifs, chasses et tirs aux pigeons, régates et courses hippiques, lawn-tennis et golfs, le bain et la natation. A Saint-Servan, les cabines de bains roulantes à l'anglaise arrivèrent avec les premiers estivants installés dès 1840. La Société nautique de Saint-Malo-Saint-Servan fut créée en 1859 et les premières régates de Dinard se déroulèrent dix ans plus tard. L'influence anglo-saxonne ne se limita pas aux activités sportives et s'étendit jusqu'au secteur du commerce, avec l'installation à Dinard de boutiques à l'anglaise, formant galerie marchande. Contrairement à l'aristocratie qui initia un processus de conquête du rivage, la communauté anglaise se distingua par sa capacité d'intégration à un site portuaire existant, à Saint-Servan mais surtout à Dinard, dans l'ancien quartier du Bec-de-la-Vallée. Vers 1860, les colons anglais se construisirent leurs premières villas aux modèles importés d'outre-Manche, avec notamment des entrepreneurs originaires de Jersey. On retrouvait dans ces constructions de la première génération de la colonisation de nombreux motifs qui deviendront des poncifs de l'architecture de la villégiature balnéaire : bow-window, fenêtre à guillotine et véranda, hall et charpente apparente lambrissée, etc., jusqu'à la cour à l'anglaise pour maisons mitoyennes à appartement. Jusqu'à la crise de 1929, la colonie anglaise fut très présente. L'occupation du territoire En matière de construction, l'occupation de la côte fut d'abord une décision individuelle. Elle débutait le plus souvent à partir d'une pointe ou d'un promontoire pour se répandre progressivement sur tout le territoire. Il apparaissait alors une frange urbaine discontinue s'enroulant autour des sites naturels, orientée vers la mer, de maisons seulement occupées une partie de l'année. Implantées au pied de la ville à la manière d'un faubourg, comme au Sillon où elles s'inséraient dans un espace militaire, industriel et portuaire, elles formaient des nouveaux noyaux urbains, indépendants des centres antérieurs et qu'elles allaient absorber progressivement. On assista à un déplacement continu des centres de gravité entre le noyau traditionnel de l'église, de l'école, de la poste et des commerces avec celui de la station balnéaire avec sa digue, son casino, ses hôtels et ses boutiques. Une hiérarchisation consciente des espaces ne manifesta davantage dans des stations satellites créées ex-nihilo comme Saint-Lunaire où Emile Liège planifia la construction d'une station idéale non achevée : le grand-hôtel et le casino donnaient sur la plage avec, en retrait les hôtels de voyageurs et les commerces, entre les deux un secteur intermédiaire avec la nouvelle église. « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 132 Les conflits entre activités Les conflits entre activités ont été révélés par des oppositions clairement exprimées sur la voie publique. Ce fut le cas à Dinard, à propos de l'utilisation des sols de la plage de l'Ecluse, devenue, à partir des années 1870, le centre symbolique de la station balnéaire. Cette plage, la plus belle du littoral, avec ses dunes blanches descendant jusqu'à la mer, en sable fin, attiraient chaque été les baigneurs. Mais elle était l'objet de pratiques traditionnelles de la part des agriculteurs de la région, qui venaient là chercher des matériaux et des engrais dont ils avaient besoin. Le 28 juillet 1870, le conseil municipal de Saint-Enogat fut appelé à délibérer sur l'interdiction d'enlever du sable et de la marne dans la « grève des bains ». Les habitants de Dinard et les premiers baigneurs avaient exprimé leur souhait de voir la grève conservée en l'état, et protestaient contre les enlèvements de sable et de marne, de même que les destructions des dunes formant le fond de la baie et sur lesquelles étaient établis le casino, construit en 1866, et l'établissement de bains de mer, sources de richesse pour le pays. En février 1872, pourtant les habitants des Côtes-du-Nord, Pleslin, Tréméreuc, réclamèrent le droit de prendre le sable, marne et engrais, qu'ils avaient coutume de venir chercher autrefois dans la grève de l'Ecluse. Les fermiers de Saint-Enogat lancèrent une pétition et le conseil municipal se trouva obligé, en mai 1872, de faire une dérogation à l'arrêté pris le 26 août 1870. L'enlèvement des amendements marins, sables, coquillers, sable à bâtir et autres produits naturels, ne serait plus interdit de manière absolue que pendant la hor s-sér ie - juillet 2012 saison des bains de mer, soit pendant les mois de juin, juillet, août et septembre. Pendant le reste de l'année, ils pouvaient avoir lieu provisoirement et « à titre d'essai » au large d'une ligne définie à condition de passer par le Heaumet et la pointe de la Roche Pendante. Ces enlèvements de sable firent, au fil du temps, disparaître les magnifiques dunes de sable fin qui atteignaient des dizaines de hauteur sur toute la baie de l'Ecluse, comme le montrent, désormais, les photos les plus anciennes de Dinard. La naissance du tourisme Le développement des villes balnéaires constituait un marché des plus fructueux. C'est du moins ce que pensèrent les grands décideurs économiques de l'époque. C'est ainsi que les compagnies privées de chemin de fer allaient favoriser l'extension du réseau et participer, à grand renfort de publicité (affiches, guides touristiques et décors des gares), à l'émergence d'une industrie des bains de mer. Ce moment allait provoquer un changement considérable dans l'aménagement des lieux. Alors que la villégiature du temps des bains de mer s'organisait pour répondre aux usages des estivants, la station inaugura des espaces préconçus dans lesquels il fallait ensuite attirer les touristes. Il ne s'agissait plus de répondre à un besoin mais de le créer. Dans ce grand travail de promotion d'un nouveau type de loisir, s'engagèrent des personnalités de grands quotidiens parisiens, notamment du Figaro. Elles se firent les promoteurs des stations de la Côte d'Émeraude, Paramé, Saint-Lunaire et dans une moindre mesure Dinard. Avec l'appui de banquiers parisiens et rennais, elles firent construire de grands hôtels et casinos, au droit d'une digue qui fondait la plage mondaine ; ces équipements furent accompagnés de lotissements résidentiels implantés un peu à l'écart, comme à la Malouine ou à la pointe du Décollé, pour concilier intimité et vie mondaine. Désormais, cette nouvelle clientèle pouvait séjourner en famille et pour son plaisir, dans les hôtels de plus en plus nombreux et de plus en plus luxueux, ou encore dans les villas construites dans ces lotissements par les promoteurs de la station. Les modes d'implantation et de construction Au fil du temps, les modes de structuration de l'espace de la station se Le sillon et l'arrêt du tramway à Saint-Malo l « pour mémoire » 133 superposèrent et se juxtaposèrent, chaque groupe d'acteurs y laissant son empreinte. Aux vastes propriétés « éparpillées » et aux lotissements « désordonnés » des découvreurs succédèrent les lotissements « réguliers » des promoteurs. La bourgeoisie allait trouver sa place dans lotissements de luxe non loin des lieux fréquentés par les aristocrates. Elle choisit comme modèles de construction ceux mis à l'honneur par des architectes comme César Daly et Violletle-Duc, participants du style éclectique. Parallèlement à ce courant, les artistes et les intellectuels inventaient une autre manière de vivre et contribuaient, dans les sites périphériques, à la diffusion d'un autre type de villégiature basé sur le dépaysement. Ils furent à l'origine de la maison de villégiature conçue comme un refuge, qu'ils appelaient « cabane de plage » ou « chalet » et dont on trouve de nombreux exemples dans les lotissements d'Albert Lacroix à Saint-Énogat, d'Alfred Marinier à Saint-Cast ou encore d'Emile Bergerat à Saint-Lunaire, ainsi que de façon plus diffuse, à Paramé, avec les poètes Parnassiens réunis autour de Louis Tiercelin. Cette formule économique, ainsi mise à la mode, fut elle aussi déclinée par les architectes et les entrepreneurs locaux, en particulier à Saint-Lunaire, mais aussi à Lancieux et à Saint-Cast. L'urbanisme opérationnel Dinard avait pris l'image d'une ville « anglaise » avec ses commerces de luxe, ses lieux de culte, ses clubs et ses équipements sportifs. Cette conception de la ville balnéaire n'était pas celle des « nouveaux » promoteurs de la station qui voulaient mettre en place un système de consommation fondé sur la création de lotissements et la construction de maison de rapport. Ces spéculateurs se distinguaient également des personnalités qui s'étaient engagées dans la modernisation des infrastructures urbaines, dans la gestion de l'espace et le développement économique, Sylla Laraque à Saint-Lunaire ou Rochaïd Dahdah à Dinard. Ce dernier fut à l'origine de la construction d'équipements logistiques (halles, usines élévatrice des eaux, etc.) mais surtout d'un plan d'aménagement urbain déterminant pour le développement de la station. L'urbanisation de la Côte d'Émeraude utilisa essentiellement la pratique du lotissement. Certains territoires ont même donné lieu à des découpages successifs. Ce fut le cas du terrain du Château de la Malouine, construit pour le duc d'Audiffret Pasquier en 1865 sur la pointe de la Malouine. Le parc de cette grande demeure fut racheté en 1879 par Auguste Poussineau. Ce dernier y aménagea un lotissement de luxe qui fait encore la renommée de Dinard. Le château fut détruit pendant la guerre, hormis les communs, transformés en 1955 en habitation particulière. Le jardin d'agrément, d'une surface de 5.456 mètres carrés, fut de nouveau loti et divisé en cinq lots en 1957. J. Lemercier, architecte départemental et A. Fontaine, architecte de Saint-Briac furent chargés de définir le cahier des charges pour conserver la conception d'ensemble et l'esthétique du lieu. Les transports collectifs Le prolongement des voies ferrées, depuis Rennes jusqu'à Saint-Malo, en 1864, puis Dinard, en 1887, maintint ces stations en position dominante, en réduisant les temps de trajet mais surtout en instituant ces gares comme des points de passage obligés. L'accès depuis les grandes villes était, en effet, un critère discriminant, expliquant le développement tardif de certaines stations. Le développement des sites de la rive gauche de la Rance resta longtemps handicapé par le développement des réseaux de transports : chemins de fer et tramways. Le train ne desservit Dinard que plus de vingt ans après Saint-Malo, si bien, qu'avec son port, cette dernière bénéficiait d'un réel avantage, avant que la création d'un aérodrome à Pleurtuit (1909), qui devint une aérogare en 1931, permit à Dinard d'occuper une place prédominante jusqu'à la construction d'un aéroport à Saint-Malo, après la Seconde Guerre mondiale. « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 134 Ces réseaux de grande communication furent prolongés par de nouvelles routes côtières et par des lignes de tramway qui contribuèrent de faire de l'espace de villégiature balnéaire un espace hiérarchisé. Elles facilitaient les excursions et les promenades depuis les stations et permettaient l'accès aux structures de loisirs éloignées, en particulier les golfs. La construction de voies ferrées d'intérêt local débuta en 1888 avec la création de la ligne Saint-Servan-SaintMalo-Paramé. Les stations balnéaires voulaient être en pointe de la modernité et voulaient également avoir un service supplémentaire, à l'usage des touristes, pour compléter l'accès du territoire par chemin de fer, inauguré quelques années plus tôt. Jusqu'en 1898, les tramways de la Côte d'Émeraude furent les seules lignes ouvertes en Ille-et-Vilaine. Le tramway permettait d'accroître le dynamisme économique de la côte en reliant des pôles de centralité mais il permettait surtout de donner davantage de valeur à des terrains urbanisables en assurant leur déserte. Dans le choix du tracé, le plus souvent, il s'agissait de donner un moyen de se déplacer aux touristes avant de penser aux habitants, cependant cet objectif restait présent ; il explique en particulier le choix de la chambre de commerce de Saint-Malo de soutenir la création de la ligne Dinard-Saint-Briac, en 1896, et surtout son prolongement, au plus près du débarcadère, jusqu'au Bec-de-la-Vallée, malgré les protestations des estivants. C'est en revanche pour satisfaire une clientèle de touristes que furent conçus les projets d'électrification qui débutèrent dès 1906. Les lignes de tramway drainaient ainsi toute la bande littorale hor s-sér ie - juillet 2012 de Saint-Malo à Cancale et de Dinard à Saint-Briac, où elles favorisèrent le développement de la villégiature. En 1906, la ligne Matignon-Saint-Cast donne un nouvel essor à la station, tout comme l'embranchement depuis Le Guildo, ouvert en 1926, desservant Saint-Jacut-de-la-Mer et Lancieux, qui prirent alors une importance qu'elles n'avaient jamais connue. La jonction Saint-Briac-Lancieux, rendue possible par la construction d'un pont sur le Frémur en 1929, fut cependant un échec. Ces réseaux secondaires, aux mains de concessionnaires privés, allaient être victimes de la concurrence des transports routiers, moins coûteux, qui les supplantèrent dans les années vingt, puis celles des voitures individuelles dans les années trente. Cette concurrence Le Grand Hôtel Royal et le Palais de Cristal à Dinard en 1927 l « pour mémoire » 135 automobile explique leur disparition progressive entre 1914 et 1950. Le « Train de plaisir » A Dinard, à la toute fin du XIXe siècle, un service nouveau allait faire venir une nouvelle clientèle. A l'occasion des courses de Dinard, la Compagnie des chemins de fer de l'Ouest organisa, chaque année, des « Trains de plaisir » pour les Bains de Mer de Dinard. Ces trains sillonnaient la région et passaient dans des villes comme Betton, Combourg, Guichen entre autres. Ils intéressaient la petite bourgeoisie locale qui décidait de venir en famille. Cette clientèle se baignait fort peu, mais elle piqueniquait sur les rochers ou sur les bancs de la promenade avant de repartir le soir, en emportant en souvenir un joli bibelot en coquillage. Dans un ouvrage de 1904, dans La Côte d'Émeraude, Eugène Herpin s'est un peu moqué de ces paysans et de ces bourgeois modestes qui venaient ainsi sur la côte par le « Train de plaisir ». Désignant ainsi sous ce nom, le visiteur inaccoutumé de ces rivages, il le décrivit avec attention et donna par la même occasion une image de la ville et des villégiateurs plus fortunés. « Durant la saison estivale, un beau matin de 14 juillet, de courses et de régates, il apparaît tout à coup, dru comme une poussée de champignons. Et c'est partout, dans les rues, sur la plage, dans les tramways et les bateaux à vapeur, une vraie génération spontanée de baigneurs. J'aime voir « Le Train de plaisir », bien cossu dans son ample lévite noire, avec son gros chapeau mou à larges bords, sa bonne grosse chemise de toile écrue qui attache, autour du col, une mince « anguille » de soie verte, souvenir de la dernière assemblée du village. Les avez-vous remarqués, dimanche, les braves « Trains de plaisir » déambulant aux abords des casinos, de l'Hôtel Royal, au long des boulevards et de la rue Levavasseur ? Avec quelle admiration ils contemplaient les magasins des bijouteries, des antiquaires, des marchands de guipure et de dentelles. Et les autos qui amenaient les belles dames encapuchonnées ! Et les élégantes promeneuses en toilette blanche, ombrelles claires, vaporeux boas de plumes neigeuses ! Et les messieurs qui s'arrêtent et saluent ! Et sur la plage de l'Ecluse, les groupes de délicieux bébés en fine baptiste et en robes de mousseline ! Tout cela, quel spectacle nouveau pour le modeste « Train de plaisir ». [...] « Le Train du plaisir » va parfois jusqu'à prendre un bain, lors, on le voit s'avancer dans l'eau, donnant gentiment la main à sa grosse bourgeoise. Le froid de la mer les surprend désagréablement, et il suffit qu'une vague imprévue vienne tout à coup les mouiller un peu haut, plus vite qu'ils ne le pensaient, pour achever aussitôt de les désorienter. « Bobonne, disait l'autre jour l'un d'eux, qu'une lame avait mouillé sans crier gare, je crois que nous sommes volés ». Et majestueusement, donnant toujours la main à bobonne, il reprenait au grand amusement de tous, le chemin de sa cabine ». La visite s'achevait dans la soirée, et ces familles repartaient tranquillement par le train. La civilisation des loisirs Après le traumatisme de la Grande Guerre, une relance des projets se concrétisa dans les années vingt, sous l'influence des autorités locales, qui revendiquèrent la gestion du territoire jusqu'alors concédée à des acteurs privés. Les lois de 1919 sur les plans d'extension et d'embellissement des villes et sur la création des stations climatiques et touristiques leur en donnèrent les moyens juridiques et financiers. Durant la guerre, les hôtels avaient été trans« pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 136 formés en hôpitaux pour accueillir les soldats blessés, alors que des familles avaient trouvé refuge dans les villas des stations. Pour marquer la rupture avec ces années sombres, on entreprit la construction de nouveaux hôtels et de nouveaux casinos. Au même moment, on vit se construire des villas aux allures de châteaux forts et de manoirs, qui se distinguaient des constructions économiques de plus en plus nombreuses et des édifices structurants par leur monumentalité et leur style. La crise de 1929 et les nouvelles lois anglaises entraînèrent cependant le départ des élites auxquelles ils s'adressaient encore. Ainsi les projets de Lesage et Miltgen à la Vicomté et l'aménagement du site de Pen-Guen à Saint-Cast restèrent inachevés, le projet de Patout à Saint-Lunaire ne fut jamais réalisé. Dans les années trente, ce fut la petite bourgeoisie qui vint en grand nombre passer ses vacances de familles sur les plages de la Côte d'Émeraude à Lancieux, à Saint-Jacut-de-la-Mer ou à Saint-Cast, logeant dans des pensions de famille qui s'étaient multipliées dès les années vingt. La villégiature mondaine instaurée par la bourgeoisie à partir de 1880, se transforma pour répondre aux besoins d'évasion et de pratiques sportives, qui se généralisaient dans les villes au lendemain de la guerre de 1914-1918 ; la jeunesse devint le public privilégié. La plage de sable et de galets se substitua désormais à la digue pour devenir un espace de liberté, au centre de la vie balnéaire. Jeux de plages et clubs d'activités pour les enfants, plongeoirs et toboggans furent proposés aux touristes qui vinrent chercher au bord de la mer hor s-sér ie - juillet 2012 l'air pur et la tranquillité. Le processus de démocratisation s'acheva avec la loi de 1936 sur les congés payés, qui permit au monde ouvrier d'accéder lui aussi à la civilisation des loisirs, dans des hôtels bon marché et dans les campings aménagés, non sans difficulté, à la périphérie des stations. NOUVELLES FRAÎCHES DE LA CÔTE D'ÉMERAUDE Aujourd'hui, Saint-Malo, connue pour sa ville close, est l'une des villes les plus visitées de Bretagne et attire près de 2000 0000 touristes en été. Elle est première dans le classement des destinations préférées des Européens en France. Fruit d'une riche histoire maritime, elle demeure un port important de plaisance, pêche, commerce et voyageurs. Son port de commerce est le second de Bretagne, avec ses quatre bassins : Vauban, Duguay-Trouin, Jacques Cartier, Bouvet ; il y transite des engrais, du bois, du granit et des produits agroalimentaires. Le trafic de passagers, avec la Grande-Bretagne et l'Irlande mais aussi avec les îles Anglo-Normandes, représente, chaque année, plus d'un million de passagers. Le trafic à travers la Manche s'est nettement développé depuis la création de liaisons régulières avec l'Angleterre : Portsmouth et Poole. Il s'est également conforté, autant en passagers et marchandises, avec les îles de Jersey et Guernesey, où l'activité touristique s'est considérablement développée. L'avant-port de Saint-Malo possède deux terminaux ferries récents. Le renom de Saint-Malo tient également à ses activités culturelles et sportives. Suite à la décision prise par les organisateurs anglais de la Transat de contrer la démesure des bateaux, en 1976, en introduisant une limite de jauge et en restreignant l'accès de la Transat à des bateaux inférieurs à 17 mètres, quelques mois plus tard, en décembre 1976, un publicitaire français, Michel Etevenon, imagina de créer une nouvelle course entre Saint-Malo et la Guadeloupe, ouverte aux voiliers monocoques et multicoques, sans limitation de taille ni de catégorie. La Route du Rhum était née, dont la première édition reliant de Saint-Malo à Pointe à Pitre fut lancée à l'automne 1978. Dès cette première édition, à l'arrivée en Guadeloupe, une lutte épique opposa le Canadien Mike Birch sur son petit trimaran jaune au français Michel Malinowski sur son grand monocoque ; le Canadien l'emporte avec 98 secondes d'avance. Depuis lors, cette course n'a cessé d'accroître son renom et d'attirer un nombre considérable de curieux et de spectateurs à Saint-Malo. Les bateaux doivent être amarrés dans le bassin Vauban sous les remparts de la vieille ville, dix jours avant le départ, pour donner le temps aux organisateurs de procéder au contrôle de sécurité des bateaux, mais cela permet d'attirer un vaste public et de donner aux différents sponsors une publicité à la mesure de l'épreuve. Le départ est toujours un événement national suivi par les médias mais aussi sur place, par une foule d'amateurs, massés sur les grèves voisines ou accompagnant sur l'eau leurs champions. La Seconde Guerre mondiale mit un terme à la croissance de Dinard et à l'ère des mondanités. En juillet 1967, la l « pour mémoire » 137 ville perdit le Casino-Balnéum au profit d'une nouvelle attraction, synonyme de modernité, la piscine olympique. En 1973, un nouvel édifice, l'actuel palais des congrès, compléta les grands équipements municipaux. Aujourd'hui, la ville compte onze mille habitants sur un territoire de sept cent quatre-vingtquatre hectares. Elle est toujours considérée comme la station phare de la Côte d'Émeraude. Sa réputation mondaine, la variété de son front de mer, découpé par de nombreuses pointes rocheuses et de petites anses sablonneuses qui s'étendent sur plus de six kilomètres de la Vicomté à Saint-Enogat, sa situation exceptionnelle entre Manche et Rance face à la ville historique de Saint-Malo ont participé, de tout temps, à sa notoriété. De son histoire, elle a gardé quelques beaux ensembles, dont la maison dite du Prince Noir, le prieuré et sa chapelle et quelques manoirs (la Belle Issue, le Vieux Colombier, la Corbinais, les Cognets, la Haute Guais, le Val Poré et le manoir de la Baronnais). Quelques maisons urbaines anciennes sont également remarquables comme la villa Beauregard (où ont séjourné la famille Faber puis Picasso). La ville de Dinard est insérée aujourd'hui à l'intérieur d'un boulevard périphérique qui mène aux autres stations de villégiature de la Côte d'Émeraude. S'y distinguent six principaux quartiers : la plage du Prieuré, le centre-ville autour de la place de la République, la plage de l'Ecluse avec les pointes du Moulinet et de la Malouine, l'ancien quartier de Saint-Enogat, qui se confond aujourd'hui avec la ville et les Saint-Enogat plage quartiers plus périphériques et résidentiels de la Gare et de Saint-Alexandre. La ville continue d'évoluer. De nouveaux équipements ont été construits pour répondre à la demande actuelle de la clientèle. Un vaste établissement de thalassothérapie, associé à un hôtel, s'est installé en 1990 non loin de la plage de Saint-Enogat. Il abrite un espace pour la détente et la remise en forme avec sauna, hammam, salle de musculation, spa jacuzzi, piscine d'eau de mer, espace beauté avec sa gamme complète de soins du corps et du visage, salon de coiffure avec soins spécifique du cheveu. Par ailleurs, la ville n'a pas oublié l'esprit entreprenant de la colonie anglaise qui fit son succès ; il survit à travers un festival du film britannique. Illustrations fournies par C. Queffélec « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 138 Créé en 1995, le comité d'Histoire ministériel développe des activités dans les domaines de l'Écologie, du Développement durable, de l'Énergie, des Transports, de la Mer mais aussi dans ceux de l'Urbanisme, du Logement et de la Ville. Afin de valoriser le patrimoine historique du ministère et de contribuer au sentiment d'appartenance à ce ministère de chacun de ses agents, quelle que soit son origine, le comité d'Histoire s'appuie sur un Conseil scientifique, composé de chercheurs et de spécialistes reconnus, pour définir ses priorités d'intervention en matière d'histoire et de mémoire des administrations, des politiques publiques menées ainsi que des techniques, des métiers et des pratiques professionnelles qui ont été développés. Il cherche également à répondre aux attentes exprimées par les services, les opérateurs et les partenaires du ministère. Un programme prévisionnel de thèmes prioritaires (risques et catastrophes, innovations, territoires et milieux, mobilités et modes de vie) et de journées d'études a été arrêté pour les années 2012 à 2017. Le comité soutient et accompagne scientifiquement et financièrement des études et des recherches historiques. Il publie la revue semestrielle « Pour mémoire » (3000 exemplaires). Il organise des séminaires et des journées d'études dont il peut diffuser les actes dans des numéros spéciaux de la revue. Il peut favoriser la publication d'ouvrages de référence. Pour les besoins de la recherche, il constitue un fonds d'archives orales d'acteurs des politiques ministérielles. Il gère un centre documentaire ouvert au public doté de plus de 4 000 ouvrages. Il diffuse sur internet et sur intranet un guide des sources accessibles, la revue et les actes de journées d'études et de séminaires. Il peut participer à des manifestations avec des partenaires publics ou privés ». Le comité d'Histoire du ministère L' OrGAnISATIOn Du SECréTArIAT Du COMITé D'hISTOIrE Secrétaire Louis-Michel SANCHE ingénieur général des Ponts et Chaussées, secrétaire général du Conseil général de l'Environnement et du Développement durable tél. 01 40 81 68 23 fax. 01 40 81 23 24 louis-michel.sanche @developpement-durable.gouv.fr Secrétaire-délégué Patrick FÉVRIER administrateur civil hors classe Tél : 01 40 81 21 73 patrick.fevrier @developpement-durable.gouv.fr Adjointe au secrétaire délégué mission recueil de témoignages oraux Christiane CHANLIAU chargée de mission tél. 01 40 81 82 05 christiane.chanliau @developpement-durable.gouv.fr Accueil, assistance à la coordination et secrétariat Marie LACOR assistante Tél. : 01 40 81 36 75 marie.lacor @developpement-durable.gouv.fr Secteur documentation communication électronique Françoise PORCHET chargée d'études documentaires Tél. : 01 40 81 36 83 francoise.porchet @developpement-durable.gouv.fr Secteur études-recherches Stève BERNARDIN chargé de mission Tél. : 01 40 81 36 47 steve.bernardin @developpement-durable.gouv.fr Secteur animation-diffusion Marie-Thérèse RIEU chargée de mission Tél. : 01 40 81 15 38 marie-therese.rieu @developpement-durable.gouv.fr hor s-sér ie - juillet 2012 l « pour mémoire » 139 LE COnSEIL SCIEnTIfIquE Dominique BARJOT Professeur d'histoire contemporaine à l'Université Paris IV Bernard BARRAQUÉ Directeur de recherche au CNRS, CIRED-AgroParisTech Alain BILLON Ancien secrétaire délégué du comité d'Histoire François CARON Professeur émérite à l'Université Paris IV Florian CHARVOLIN Chargé de recherche au CNRS, MODYSUniversité Jean Monnet de Saint-Etienne Viviane CLAUDE Professeur à l'Institut d'Urbanisme de Paris, Université Paris XII Florence CONTENAY Inspectrice générale de l'Équipement honoraire Gabriel DUPUY Professeur émérite à l'Université de Paris I Philippe GENESTIER Professeur à l'ENTPE, chercheur au laboratoire RIVES-CNRS Vincent GUIGUENO Chargé de mission à la direction des Affaires Maritimes, chercheur associé au LATTS-CNRS André GUILLERME Professeur au CNAM, directeur du Centre d'histoire des techniques et l'environnement Bertrand LEMOINE Directeur de recherche au CNRS, directeur de l'atelier international du Grand Paris Claude MARTINAND Membre de l'ARAF, vice-président honoraire du CGEDD Geneviève MASSARD-GUILBAUD Directrice d'études à l'EHESS Alain MONFERRAND Ancien secrétaire-délégué du comité d'Histoire Antoine PICON Professeur à l'Université de Harvard, enseignant-chercheur à l'École des Ponts ParisTech, LATTS Anne QUERRIEN Ancienne directrice de la rédaction de la revue « Les Annales de la Recherche urbaine » Thibault TELLIER Maître de conférences en histoire contemporaine à l'Université Lille III Hélène VACHER Professeur à l'ENSA de Nancy Loïc VADELORGE Professeur d'histoire contemporaine à l'Université Paris XIII « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 140 L'ACTIVITé Du COMITé D'hISTOIrE Depuis 2006, 10 numéros de la revue semestrielle « Pour mémoire » ont commencé à présenter un panorama diversifié d'articles sur l'histoire de l'administration et des cultures professionnelles : le code de la route, l'histoire du climat, les villes nouvelles, la création du ministère de l'Équipement, l'action outremer et en Afrique des ingénieurs, le lagunage, la Grande Arche, les risques naturels, la protection de la nature, les plaques minéralogiques, les services déconcentrés de l'Équipement ou de l'Environnement, la construction des tours, la viabilité hivernale, le paysage, les travaux maritimes, les plateformes aériennes, les barrages, les parcs nationaux... La revue comprend aussi des témoignages d'acteurs des politiques publiques et de chercheurs. www.developpement-durable.gouv.fr/ Pour-memoire-la-revue-du-Comite-d.html Depuis 1995, le comité d'histoire a organisé des journées d'études, des conférences et des colloques, avec les directions d'administration centrale, le réseau scientifique et technique et les opérateurs, les universitaires et les chercheurs ainsi que des partenaires. hor s-sér ie - juillet 2012 En 2012, ces manifestations devraient porter sur la résorption de l'habitat insalubre, les missions de prospective, la restauration des terrains en montagne et les politiques publiques de l'architecture. Des numéros spéciaux de la revue peuvent servir à diffuser les actes de ces manifestations : en 2012, ils concernent les 100 ans d'administration du Tourisme, le 40 e anniversaire de la naissance du ministère de l'Environnement et la création en 1972 des établissements régionaux. www.developpement-durable.gouv.fr/ Prochaines-manifestations-du.html Le comité peut apporter son soutien à l'édition d'ouvrages tels que, en 2010, « Les ingénieurs des ponts au service de l'Afrique : témoignages 1945-1975 (L'Harmattan) et en 2011, « Jean-Eudes Roullier, un pionnier des politiques de l'espace urbain » (La Documentation française). www.developpement-durable.gouv.fr/ Des-publications-en-partenariat.html Depuis sa création, le comité a recueilli plus de 80 témoignages oraux destinés à préserver la mémoire des réalisations professionnelles et des métiers dans le ministère. LES OuTILS La bibliothèque, ouverte au public, comprend plus de 4 000 volumes, ouvrages spécialisés ou usuels. Elle est accessible au public du lundi au vendredi, sur rendez-vous Les sites consultables internet :www.developpement-durable. gouv.fr/(leministère/Histoireetarchives) intranet:intra.comite-histoire.cgpc.i2/ Le guide des sources, accessible sur l'internet et l'intranet, a été conçu pour faciliter le repérage des sources historiques dans les domaines de compétence du ministère ; Des dossiers bibliographiques et biographiques à consulter sur place ; La revue « pour mémoire » (semestriel + numéros spéciaux) ; La consultation d'archives orales. l « pour mémoire » 141 Vous souhaitez consulter les ressources du secrétariat du comité d'Histoire... Vous pensez que votre témoignage peut éclairer l'histoire du ministère de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie et des administrations dont il est l'héritier... Vous avez connaissance d'archives, de documents divers, d'objets intéressant l'histoire de ces administrations, alors... n'héSITEz PAS à nOuS COnTACTEr Conseil général de l'Environnement et du Développement durable 7e section - 20e étage - bureau 20.20 Tour Pascal B - 92055 La Défense cedex tél : 33 (0) 01 40 81 15 38 ou 36 83 fax : 33 (0)1 40 81 23 24 Secrétariat du comité d'Histoire courriel : comite.histoire@developpement-durable.gouv.fr « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 142 la revue du comité d'Histoire rédaction Tour Pascal B 20.20 92 055 La Défense Cedex téléphone : 01 40 81 15 38 ou 36 83 télécopie : 01 40 81 23 24 comite.histoire@developpement-durable.gouv.fr Pierre Chantereau et Alain Billon fondateurs de la publication directeur de la publication Louis-Michel Sanche rédacteur en chef Patrick Février Christiane Chanliau suivi de fabrication photo couverture René Dazy, congés payés de 1936 Annick Samy réalisation graphique impression couverture Intérieur SG/SPSSI/ATL 2 ISSN 1955-9550 imprimé sur du papier certifié écolabel européen hor s-sér ie - juillet 2012 l « pour mémoire » r e v u e d u m i n i s t è r e d e l' é c o l o g i e , d u d é v e l o P P e m e n t d u r a b l e e t d e l' é n e r g i e Conseil général de l'environnement et du développement durable comité d'histoire tour pasCal b 92055 la défense Cedex www.developpement-durable.gouv.fr (ATTENTION: OPTION de sacralisation d'un certain type de patrimoine immatériel ­ comme pour la mode assez bobo des rétro-campings ou des embouteillages artificiels sur la Nationale 7. Il subsiste donc jusque dans la subversion apparente de multiples ressources au développement touristique. Pour conclure, je ferai appel au L du cadavre exquis que j'ai jusqu'ici volontairement oublié : les libertés et les libérations que l'époque de la logistique low-cost remet en question. Y a-t-il véritablement une durabilité de ce tourisme, l hor s-sér ie -juillet 2012 34 à partir du moment où la logique du moindre-coût dépasse très largement le simple fait d'avoir un billet pas cher, avec les conditions sociales qui se trouvent derrière ? Eh bien, cette logique a probablement des limites, y compris des limites morales, j'y insiste pour stimuler la réflexion. Mais qui peut en juger ?... Peut-être le tourisme du XIXè siècle était-il à la fois «plus difficile et plus facile qu'aujourd'hui.Lestrajetsétaient plus lents, il n'y avait pas d'itinéraires fulgurants... Onn'avaitpasàretenirsa place ni à se préoccuper de visas sur les passed'autorisations ports, de change ou de vaccinations » notait André Siegfried. Évidemment cette tendance à l'hyper-encadrement et à la planification n'a fait que s'accroître jusqu'à aujourd'hui, avec les formalités particulièrement visibles et pesantes dans les aéroports de nos jours. Enfin, le même auteur remarquait qu'«il n'y avait plus de vie de repos et de loisirs au sens de l'«otium » nobiliaire, mais qu'il y avait désormais des vies pleines de distractions fatigantes » ! C'est un trait significatif des moeurs modernes relevait-il : « On est venu chercher moins la fameuse relaxation que la diversion, par rapport au train deviequotidiend'uneviedetravail,et à proprement parler l'évasion. On se reposera au retour dans le calme du bureauretrouvé!». Je vous laisse avec hor s-sér ie - juillet 2012 cette méditation sur cette civilisation du voyage qui, un temps a peut-être existé, mais dont la pratique réelle n'a jamais dépassé quelques cercles privilégiés très restreints. Échanges avec la salle Participant Vous avez sans doute oublié une chose extrêmement importante pour le E que sont les événements. Il ne suffit pas d'expliquer le tourisme par les transports mais l'évolution des grands événements a concouru à un développement fantastique du tourisme. De plus, il ne faut pas oublier que si on a beaucoup pensé au « tout voiture », en euros constants, le coût de la voiture a diminué alors qu'il en et pas de même pour le coût de la SNCF. L'aspect économique est extrêmement important. Henri Jaffeux En cette période où l'on se pose des questions sur l'avenir, il est de bon goût de faire de la prospective, et notamment à l'horizon de 2050. Avez-vous une idée de la suite ? En 2050, y aura-t-il encore un tourisme de masse mondialisé ? Mathieu Flonneau Je suis historien, cela ne vous aura pas échappé... -et par ce fait, loin de moi la volonté de nier les événements !-. Cela dit, la mondialisation en cours du tourisme vise très naturellement à faire entrer dans le jeu des tourismes internationaux les aires en émergence et en développement. C'est une réponse que les statistiques économiques peuvent donner. Il y a une dimension de l « pour mémoire » 35 prospérité individuelle qui permet aux sociétés qui étaient jusqu'ici décalées de rattraper les écarts de revenus et de faire du tourisme. Ce que l'OMT, dans ses statistiques met en évidence, c'est l'avènement du tourisme pour des aires géographiques et surtout humaines qui concernent à peu près trois milliards d'hommes. On a là véritablement et mathématiquement des perspectives de croissance considérables. qu'il fallait un peu gratter la chose parce qu'on n'y avait pas assez pensé. Par rapport à l'OMT, je pense que, de toute façon, les territoires des loisirs et du tourisme sont, comme pour toutes les mobilités, des territoires de la proximité avant tout. Les Chinois iront d'abord en Chine et aux alentours et non en Europe. Je pense qu'en 2050 on n'en sera pas encore là. Françoise Bourcy Au sein du Conseil de l'Europe, il y a eu un travail sur les perspectives des transports à l'horizon 2050, avec tout un volet sur le tourisme. On en a conclu Mathieu Flonneau C'est toutefois contredit, du fait de la capacité croissante de projection de pays asiatiques, par les queues qui sont au moment où je vous parle devant le Louvre ! Source : R. Doisneau « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 36 éclairages et témoignages Le rôle déterminant des associations dans la création de la première administration du tourisme en 1910 L'action du Touring-Club de France Jean Orselli, Ingénieur général des Ponts et Chaussées, Docteur en Histoire. La loi du 8 avril 1910 instituant l'Office national du tourisme se présente comme l'origine de l'administration du tourisme. Pourtant, l'organisation du tourisme avait commencé une trentaine d'années auparavant avec la création d'associations qui vont oeuvrer ensemble pour arriver à une reconnaissance officielle du tourisme. hor s-sér ie - juillet 2012 l « pour mémoire » ©MEDDE 37 C'est cette histoire dont on esquissera les grandes lignes ici1 . Une grande partie du présent article est due à Bertrand Larique qui a travaillé sur l'histoire des associations proprement « touristiques »2 . Son titre « L'Économie dutourismeenFrance » est fondamental en ce qu'il situe fermement l'histoire des débuts du tourisme en France dans le domaine économique. En effet, ce qui se passe de 1885 à 1914 est totalement lié à ce type de préoccupations. C'est la grande association nationale du Touring-Club de France qui va être au centre des synergies associatives qui vont se créer peu à peu. Le ministère des Travaux publics va, pour sa part, être à l'origine de l'organisation nationale qui apparaît en 1910, face à un émiettement administratif entre plusieurs ministères et entre les multiples collectivités locales d'une France très décentralisée à l'époque. signé d'Alphonse Daudet, qui traite, sur un mode humoristique, du tourisme en Suisse, qui en est la Mecque à l'époque. En fait, le livre n'est pas d'Alphonse Daudet, mais d'un de ses nègres, le journaliste Hugues Le Roux 3 qui va faire une belle carrière liée en grande partie au tourisme. Il sera le secrétaire général des États Généraux du Tourisme en 1913, et un de ses principaux organisateurs. Il deviendra sénateur après la guerre et fondera le Groupe Sénatorial du Tourisme en 1920. C'est donc vers cette date que la France commence à prendre conscience de l'importance économique du tourisme dans d'autres pays européens, la Suisse en l'occurrence. Le second auteur est un poète, Robert de Souza4 . En 1904, il est secrétaire général de l'Association pour la protection des paysages. Il prend alors part à une controverse sur ce que doivent être les Fédérations régionales de syndicats d'initiative qu'il définit ainsi : «aulieude seborneràétablirdesitinérairesàbon compte, la région de leur groupement devra présenter une figure géographique et ethnographique aussi homogènequepossible », c'est-à-dire proche des « anciennes provinces françaises ». En 1913, de Souza publiera Nicecapitale d'hiver5 , traité d'urbanisme appliqué absolument remarquable, où il analyse les fonctions du tourisme niçois, plaide pour de nouveaux types d'hôtels, la protection des sites, l'allongement de la trop courte saison touristique d'hiver et dénonce l'incurie de la municipalité niçoise. On est donc passé de la découverte de l'industrie du tourisme à l'étranger dans les années 1880 à la critique de celle qui s'est développée en France. L'émiettement des responsabilités est rompue La France encore très rurale de la fin du XIXe siècle et de la Belle Époque est très décentralisée et son administration centrale peu développée. L'administration d'alors est très différente de celle d'aujourd'hui. Les départements règnent sur les routes dont 5 % seulement sont des routes nationales. Ils règnent aussi sur les voies ferrées d'intérêt local qui permettent d'accéder aux stations de tourisme. L'administration d'État du tourisme est très éparpillée, entre quatre ministères, ceux de l'Intérieur, des Travaux publics, de la Prévoyance sociale et des Finances. La France découvre l'industrie du tourisme La société de l'époque se présente très différemment de la nôtre. On y trouve de nombreux intellectuels journalistes ou rentiers qui vont participer, autant que les acteurs économiques traditionnels, au développement du tourisme en France. On peut l'illustrer par deux oeuvres littéraires dont les auteurs vont jouer un rôle important dans les associations touristiques. En 1885, paraît Tartarin sur les Alpes, Les travaux de Jean Orselli ont porté sur l'histoire de la circulation, de ses accidents et des associations d'usagers de la route. Il a tiré de sa thèse un livre publié en 2012 chez L'Harmattan : Usages et usagers de la route, Requiem pour un million de morts : 1860-2010. 2 L'Économie du tourisme en France des années 1890 à la veille de la Seconde guerre mondiale. Organisation et développement d'un secteur socio-économique, thèse d'histoire de l'université de Bordeaux III, sous la direction de M. le Professeur Christophe Bouneau, 2006. 3 Hugues Le Roux (1860-1925) écrit depuis 1882 au Temps, au Figaro, au Journal, au Matin. Premier roman en 1885. Écrivain globe-trotter, essayiste, conférencier, auteur de théâtre, ses oeuvres sont très nombreuses (et totalement oubliées). Il finira sénateur de Seine-et-Oise de 1920 à 1925. « Homme de lettres, conférencier distingué épris d'aventures et voyageur infatigable qui exaltera de par le monde les vertus de notre pays » dit sa notice dans Le dictionnaire des parlementaires français de Jean Jolly, PUF, 1960. 4 Robert de Souza (1864-1946), poète symboliste, collabore comme journaliste à de nombreuses revues littéraires. 5 Robert de Souza, Nice, capitale d'hiver, BergerLevrault, 1913, réédition par les éditions Serre, 2001. « pour mémoire » 1 l hor s-sér ie -juillet 2012 38 Le ministère de l'Intérieur coiffe sur les collectivités locales. Il est l'organe principal du contrôle du tourisme. Il assure la police des stations. Il délègue des commissaires spéciaux pour surveiller le déroulement des saisons touristiques. Il contrôle la circulation des touristes étrangers, et les protège ou les surveille éventuellement via sa direction de la Sûreté générale. Il délivre les autorisations d'exploitation des jeux, en assure leur surveillance et la perception des taxes. Enfin, il est censé contrôler la protection du patrimoine touristique et l'affichage public, ce qu'il fait d'une façon fort peu efficace. Le ministère des Travaux publics est censé s'occuper des transports et des d'accès aux stations. Mais il est totalement bridé par la décentralisation des réseaux routiers et des voies ferrées d'intérêt local au niveau des départements. Le ministère en charge de la Prévoyance sociale s'occupe des établissements thermaux et climatiques (par climatiques, entendons les sanatoriums) qui sont une pièce maîtresse de l'équipement touristique. Enfin, le ministère des Finances traite des questions fiscales et douanières. La douane, assez rigide à l'époque, est particulièrement concernée car une très grande partie des touristes riches est étrangère. Sans oublier le système fiscal des octrois sur lequel est fondé une grande partie des recettes fiscales des communes. hor s-sér ie - juillet 2012 L'ascension du ministère des Travaux publics Ce qui va se passer, c'est une prise de pouvoir du ministère de Travaux publics. Le but est évidemment d'ordre économique. La problématique est double : briser l'emprise de la décentralisation qui bloque la coordination des initiatives, d'une part, et concentrer dans un ministère les fonctions éparpillées que nous avons décrites ci-dessus. Le ministère des Travaux publics va essentiellement s'appuyer sur les associations : D'abord les associations de « touristes et usagers de la route » : le Touring-Club de France initialement créé pour les cycliste et les Automobile-Clubs, Les associations sportives comme le Club Alpin Français, qui est très lié au Touring-Club, avec lequel il développe les sports d'hiver à côté de l'alpinisme, associations de promotion locales Les que sont les syndicats d'initiative, associations de professionnels de Les l'hôtellerie. Enfin, le ministère des Travaux publics français va susciter le rapprochement des administration des routes des divers pays européens. En effet, leurs routes y sont encore plus inadaptées qu'en France et ils souffrent tout autant de la décentralisation. L'Office national du tourisme est créé par l'article 123 de la loi de finances du 8 avril 1910, lequel est précisé par un décret du 24 août. Cet article est très court : il pose que l'Office national du tourisme est créé au ministère des Travaux publics. Il lui assigne des missions distinctes : primo, fournir au public des renseignements concernant le tourisme, secundo, rechercher les moyens propres à développer le tourisme dans trois domaines bien définis : les transports, la circulation routière, le séjour des touristes. Le Touring-Club de France, une association fédératrice Or, ces missions sont les domaines d'actions que le Touring-Club de France s'est fixé depuis 20 ans. Fondé en 1890, le Touring-Club de France est une association nationale non décentralisée, dont les instances locales sont de simple relais et n'ont guère d'autonomie. Ses dirigeants sont particulièrement dévoués et professionnels. Le TouringClub compte déjà 120 000 membres en 1910. Enfin, le Touring-Club pratique l'évergétisme en grand 6 . « Évergétisme : attitude des gouvernants ou des élites qui consistait à donner à la collectivité les édifices et les équipements dont elle avait besoin ou à distribuer des largesses au peuple ». Grand dictionnaire encyclopédique Larousse. Au XIXe siècle, les plus riches pratiquent couramment la construction de routes, les adductions d'eau, l'érection de statues, soit par des donations individuelles, soit par des « souscriptions ». 6 l « pour mémoire » 39 Touring-Club qui s'intéresse évidemment aussi aux touristes étrangers. La circulation routière à traction animale croît régulièrement et sera à son apogée en 1914. Le cyclisme (3,5 millions de bicyclettes en 1914) sont en pleine expansion, mais l'automobile n'en est qu'à ses débuts (de 4 000 automobiles en 1900 à 140 000 en 1914). Ce sont les grands domaines d'activité du TouringClub. En 1905, il avait subventionné pour 1 550 000 francs des travaux d'amélioration des routes et la création de la corniche de l'Estérel. Il subventionne la pose de signaux de danger et de direction, ainsi que des postes de secours. Il encourage aussi le goudronnage des routes, ce qui ne va pas se faire très vite. Il essaye de s'attacher les cantonniers et le personnel des infrastructures en général. Enfin, il participe très activement à l'évolution des réglementations du cyclisme et de l'automobilisme. En ce qui concerne le séjour, le TouringClub s'intéresse à tous les types d'hébergement, du touristes au voyageur. Il a commencé modestement en expédiant du papier hygiénique. Il a dessiné les plans d'une « chambre hygiénique type » pour les hôtels. Il distribue à prix coûtant des meubles spécifiquement créés pour les hôtels, des appareils sanitaires, de la peinture laquée. Sa propagande pour la modernisation des hôtels s'appuie sur des recensements des hôtels transformés qu'il indique dans ses guides et sur des diplômes d'hôtelier. Enfin, le Touring-Club a été à l'origine de la fondation du Syndicat national de l'industrie hôtelière. Il va aussi aider la création des syndicats d'initiative. « pour mémoire » Le Touring-Club et ses trois rôles dès l'origine : association d'usagers de la route, protection et connaissance du patrimoine touristique, hébergement des touristes. InRevue, janvier 1906. Source : Bibliothèque du Trocadéro, ville de Paris L'illustration ci-dessus reproduit une double page de la revue Touring-Club de janvier 1906, qui présente l'état de son « oeuvre » à la fin de 1905. Le Touring-Club est la principale source de renseignements sur le tourisme en 1905. Il édite une volumineuse revue mensuelle qui tire à 115 000 exemplaires. Il a commencé à éditer les 33 volumes d'un recensement quasi exhaustif des sites et monuments. Il vend ces ouvrages par souscription, mais il en distribue aussi, gratuitement, à des bibliothèques, des associations, des écoles. Il édite des cartes, des itinéraires, des guides routiers. On peut trouver dans ses implantations des conseils pour des projets de voyage. Enfin, le Touring-Club est résolument internationaliste : c'est ainsi, par exemple, qu'il subventionne la pratique de l'esperanto, et que son président, Abel Ballif, est impliqué dans diverses associations internationales. En matière de transport, les principaux interlocuteurs du Touring-Club sont évidemment les chemins de fer. Dans le détail, le Touring-Club s'attache à renseigner les usagers, à faciliter les correspondances entre les chemins de fer et les voies ferrées d'intérêt local. Il s'implique aussi dans le développement des lignes d'autocars, potentiellement subventionnés depuis 1898. Les exploitants d'autocars vont créer leur propre association et tenir leurs propres congrès en 1912. Quant aux douanes, c'est évidemment une préoccupation importante du l hor s-sér ie -juillet 2012 40 réseau national englobe la majeure partie des routes importantes et 1938 pour que les Services des ponts et chaussées soient chargés des « chemins départementaux »7. Une circulaire du ministère demanda donc, en 1908, aux ingénieurs en chef des départements des propositions de classement dans le réseau national en 1910, ce qui déclencha un tollé des départements. En 1911, on leur redemanda la même chose, mais en le baptisant « classement des routes touristiques ». En ce qui concerne le séjour, nous avons déjà recensé les nombreuses activités du Touring-Club jusqu'en 1905. En 1910, on peut signaler le deuxième concours du bon hôtelier, qui est un aboutissement dans la propagande du Touring-Club, qu'on pourrait comparer à la distribution d'étoiles du guide Michelin actuel. Mais, l'événement le plus important, c'est que, en 1908, puis à nouveau en 1909, les syndicats d'initiative se refusent à constituer une fédération nationale. Ils en sont pourtant à leur 5e Congrès national. Cette incapacité va entraîner la création de l'Office national du tourisme en 1910. Source : Boudon vers 1920 L'année 1910, un premier aboutissement L'année 1910, date de la création de l'Office national du tourisme, peut être tenue pour un aboutissement ­ ou un premier tournant ­ dans tous les domaines déjà évoqués. D'abord pour la circulation et les routes. Entre 1903 et 1908, la Commission extra-parlementaire sur les accidents de la circulation a fait un énorme travail de rassemblement des connaissances, avec des rapports et des enquêtes sur les accidents sur lesquels on ne connaissait pratiquement rien auparavant. Le gouvernement Clémenceau met en place en 1909 une Commission pour l'étude du Code de la route qui va être active de 1909 à 1912. Clémenceau avait aussi déposé en 1908 un projet de loi sur la réforme du permis de conduire, et la répression des infrachor s-sér ie - juillet 2012 tions qui était très avancé en 1909 mais qui avorta du fait de la chute inopinée du gouvernement. Enfin, le rapport du conseiller de Paris Émile Massard, qui paraît en 1910, est un travail fondamental et pratiquement exhaustif sur la circulation urbaine. En ce qui concerne les routes proprement dites, les premières réalisations n'ont pas manqué qui vont être fondamentales pour l'avenir. En 1908, le premier congrès international de la route qui se tient à Paris va à préparer la fondation de l'Association Internationale Permanente des Congrès de la Route en 1909. Mais surtout, en 1910, c'est le premier débat à la Chambre des députés pour mettre à l'étude la révision du réseau des routes nationales. Ce débat fondamental ne sera pas suivi d'effet immédiatement et il faudra attendre 1930 pour que le Sur 650 000 km de routes, le réseau national en comptera 80 000 km (contre 40 000 avant 1930) et les « chemins départementaux » (vite rebaptisés « routes départementales ») 250 000 km. 7 l « pour mémoire » 41 Les transports en commun connaissent aussi des aboutissements vers 1910. La loi de finances pour 1909 remanie la Subvention des transports automobiles qui existe pourtant depuis 1898, mais que ses conditions restrictives ont empêché de vraiment fonctionner. La Subvention exclut encore le transport en montagne parce qu'il est saisonnier, mais ce dernier sera subventionné à partir de 1913. En 1909, une Conférence internationale est organisée à Paris et 15 pays signent sa Convention finale. Celle-ci établit le triptyque, document qui facilite le passage en douane des automobiles et sera d'ailleurs géré par le Touring-Club. Elle y généralise dans les 15 pays les plaques d'identité des véhicules (nos plaques minéralogiques). Enfin, elle établit quatre signaux de danger commun. En 1912 se crée le Syndicat général des transports publics automobiles qui organise cette même année un premier congrès. Les chemins de fer sont déjà en difficulté, et l'État doit reprendre en 1908 le réseau de l'ouest qui est pratiquement faillite. C'est une situation prémonitoire de celle des années 1930 qui aboutira à la nationalisation des chemins de fer. l'origine de la création de l'Office national du tourisme. En 1889 apparaît le 1er syndicat, celui de la ville de Grenoble. En fait, il s'agit du département de l'Isère. C'est pour lui qu'on invente le terme de Syndicat d'initiative. Le Touring-Club est créé en 1890. La 1ère Fédération date de 1895, avec la Savoie, la Haute Savoie, et l'Isère, sur une zone assez homogène. La 2e Fédération du Sud-Centre voit le jour en 1903. Elle est extrêmement hétérogène, avec ses départements qui vont du sud du Massif central aux Pyrénées. La même année 1903, le Touring-Club crée un bureau central des syndicats d'initiative. Ceux-ci tiennent leur 1er congrès national à Marseille sous la présidence d'Abel Ballif, le président du Touring-Club. En 1904, se développe une controverse sur la typologie des fédérations régionales. Comme l'écrivait de Souza, celle du Sud-Centre « n'est qu'un simple groupement routier » contrairement à celle des Alpes françaises. Il préconise, comme Médaille Gérardmer le Touring-Club d'ailleurs, des regroupements par Provinces Historiques. En 1905, le Touring-Club choisit SaintPierre de Chartreuse comme « site de démonstration » d'un syndicat d'initiative à créer. C'est un village de 900 habitants, admirablement situé. Léon Auscher, un des vice-présidents du Touring-Club, et futur créateur en 1920 de l'Union nationale des associations de tourisme, se charge de guider cette création. En 1908, lors de leur 5ème Congrès national, lorsque les syndicats d'initiative refusent de créer une Fédération nationale, le Touring-Club va être sollicité pour développer son bureau central des syndicats d'initiative mais il refuse. En 1910, il y a environ 250 syndicats d'initiative. Le système est quasiment féodal, avec un empilement territorial bien illustré par Bertrand Larique dans le cas de la Bretagne. On y trouve des syndicats de stations, d'arrondissement, de département. Il y a même deux syndicats départementaux dans le Finistère ! La forme des actions publicitaires se cherche. Deux affiches du syndicat de Grenoble vantent, avec l'aide des chemins de fer Paris Lyon Méditerranée, une station thermale d'altitude, Allevard les Bains, ou tout simplement les paysages alpins ( voir page suivante ). Un autre type d'images publicitaire prétend mentionner tous ses membres de la fédération des syndicats d'initiative du sud-ouest, et en devient totalement illisible. « pour mémoire » La construction du système des syndicats d'initiative L'organisation du système des syndicats d'initiative et ses problème vont être à l hor s-sér ie -juillet 2012 42 La Meije par Julien Lacaze Allevard-les Bains par Hugo d'Alesi La première organisation administrative et politique du tourisme L'Office national du tourisme est très structuré. Son directeur est statutairement un haut fonctionnaire du ministère des Travaux publics, qui est assisté d'un conseil d'administration comprenant les hor s-sér ie - juillet 2012 deux directeurs chargés des routes et des chemins de fer, et celui des collectivités locales au ministère de l'intérieur. Un conseil supérieur du tourisme a une mission consultative sur les mesures pour développer le tourisme. En fait, le bilan d'action de l'Office national avant 1914 est décevant. La subvention publique de 30 000 francs est ridicule, et les contributions privées qu'on attendait sont encore plus faibles. Surtout, il est en butte à l'hostilité larvée d'une bonne partie des syndicats d'initiative. Mais, cette création est pleine de promesses pour l'avenir. D'abord elle a officiellement légitimé la « question touristique ». l « pour mémoire » 43 L'institutionnalisation de l'Office permet le début d'une intégration nationale qui n'arrivait pas à se faire. En 1914, il est à l'origine d'un comité d'étude pour organiser et centraliser la publicité touristique française à l'étranger. En 1912, un Groupe du tourisme est créé à la Chambre des députés par Etienne Clémentel, un des leaders gouvernementaux les plus préoccupés d'économie. Il sera, d'ailleurs, le ministre de l'économie durant toute la guerre de 1914-1918. Le groupe sénatorial du tourisme sera créé par Le Roux en 1920. Enfin, en 1913, des états généraux du tourisme sont organisés, essentiellement par les milieux touristiques provinciaux et les associations régionalistes. Ils définissent une charte nationale du tourisme français qui sera mise en application après la guerre. Cette institutionnalisation du tourisme, ses liens avec le ministère des Travaux publics et son insertion politique doivent être replacés historiquement dans l'ensemble du développement de la mobilité. La carrière du 1er directeur de l'Office, Albert Mahieu (1864-1943) en est une excellente illustration. Après de 10 ans de service ordinaire à Rodez, Mahieu revient à Paris en 1900. En 1903, il est secrétaire, pour les Travaux publics, de la commission extraparlementaire sur les accidents de la route, dont le secrétaire général est un fonctionnaire du ministère de l'Intérieur. En 1908, il organise, avec l'inspecteur général Lethier, le 1er congrès international de la route. En 1909, il est secrétaire général de l'Association internationale des congrès de la route. Il en sera le président de 1920 à 1943. En 1909 et 1910, il est directeur de la navigation de la Seine. De 1909 à 1912, il est rapporteur de la commission chargé de préparer le code de la Albert Mahieu : Source archives du Sénat route. Fin 1910 et début 1911, il dirige l'Office national du tourisme. Fin 1911, il devient directeur du personnel et de la comptabilité du ministère. Puis est mobilisé en 1914. En 1916, il est le premier directeur des routes indépendant d'une direction plus générale. En 1920, il devient secrétaire général du ministère des Travaux publics, poste qui coiffe toute l'administration du ministère. De 1920 à 1925, il sera particulièrement impliqué dans la lutte pour la création d'un Office national des routes, qui va échouer en 1925. Albert Mahieu avait entamé une carrière politique en 1922 à Dunkerque et devient sénateur du Nord en 1924 ; il le reste jusqu'en 1941. Il crée, en 1926, la Revue générale des routes qui existe encore de nos jours. Il sera ministre de l'intérieur en 1932 et viceprésident du Sénat. « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 44 Échanges avec la salle Anne Etévé Je ne suis pas historienne et vous parlez d'une association très ancienne. Mais il y avait d'autres associations d'éducation populaire, ou même le mouvement des auberges de jeunesse qui avaient aussi un projet de mixité sociale et qui intégraient le voyage à la fois comme objectif de rencontre entre les hommes et d'émancipation. Ainsi, Joseph Rovan, avant la fin de la deuxième guerre mondiale, relança l'office franco-allemand de la jeunesse. Ces activités permettaient non seulement les voyages mais aussi la rencontre de la nature, le goût de la nature, que l'on retrouve encore aujourd'hui, ce qui permet de comprendre des initiatives comme Accueil Paysans ou des mouvements analogues qui sont une autre forme de tourisme. mement décentralisée. Des contestataires furent tentés de le couper en petits morceaux pour que chacun puisse faire son notable chez soi, comme dans le Finistère ou avec la rivalité entre Marseille et à Aix. Mais le TouringClub avait cette fonction de réunir des associations. pays avancés, le regroupement d'associations d'usagers de l'automobile et de la route et de touristes représente entre un adhérent pour 3 à 5 véhicules. En France, l'ensemble des associations automobiles ne rassemblent qu'un adhérent pour 50 véhicules. Nous sommes une exception absolue. C'est une vraie question historique, un problème de responsabilité et une perte pour le tourisme. Anne Querrien D'où le Touring-Club ressource ? tirait-il ses Jean Orselli Il tirait ses ressources de ses cotisants, avec des dons et des legs provenant de gens riches et ne bénéficiait d'aucune subvention de l'État. Il était démocratique et était animé par des élites modernes (chefs d'entreprises, industriels) ou traditionnelles (les notables) mais il y avait un tiers de gens de classes moyennes (instituteurs, hôteliers ...). M. Beucher A-t-on une idée de la composition des 125.000 membres du Touring-Club de France ? Jean Orselli Oui, je l'ai dit tout à l'heure, un tiers d'élites modernes, un tiers de notables traditionnels, dont beaucoup de ces rentiers intellectuels qui existaient à cette époque là, comme De Souza, et un tiers de gens de plus basse catégorie. Je rappelle que le Touring-Club était à l'origine une association de cyclistes. Jean Orselli Je n'ai parlé que de ce qui faisait partie des quatre objectifs de l'Office national du tourisme. Mais il avait déjà en 1905 des tourismes spécialisés : scolaire, nautique, hippique et il y a eu ensuite le tourisme aérien. Le Touring-Club subventionnait les auberges de jeunesse et agissait beaucoup en faveur de la nature, des sites et monuments, du reboisement de la montagne, de la protection des forêts. Il y avait une très grande quantité de comités qui étaient des lieux où se rencontraient les autres associations. Par exemple j'ai évoqué De Souza qui était secrétaire de l'association pour la protection des paysages. Le Touring-Club était une association nationale forte dans une France extrêhor s-sér ie - juillet 2012 Participant L'ampleur de la tâche assumée par le Touring-Club a été absolument fantastique et il a joué un rôle très précurseur. Lorsqu'on a été obligé de liquider le Touring-Club de France en 1983, nous avons constaté cette ampleur mais aussi la diversité de ses ressources, au-delà des ressources des adhérents (600 000 puis 250 000 à la fin) avec une grande partie de dons et de legs. Cela a constitué un patrimoine extrêmement important qui a été malheureusement ensuite dilapidé. Jean Orselli La question de la disparition du TouringClub est fondamentale. On ne peut pas en parler ici, mais aujourd'hui dans les l « pour mémoire » éclairages et témoignages 45 Guider le touriste : du guide rouge a ViaMichelin Stéphane Nicolas, responsable du patrimoine historique Michelin Alain Monferrand m'a invité à partager avec vous ce qu'il a joliment appelé « un feu d'artifices coloré », ce qui peut paraître paradoxal pour parler de Michelin puisque 98% du chiffre d'affaires de Michelin, c'est du pneu et le pneu c'est noir. Donc, pour faire un feu d'artifices coloré, on va essayer de parler d'autre chose. Mathieu Flonneau a commencé à lever un peu le voile. Le pneu a été la raison d'être de Michelin au départ. Quand on réfléchit bien, c'est un produit du quotidien qui fait partie de notre environnement à tous, qu'on circule à vélo, en voiture, en bus, en métro. On ne cesse de croiser et d'utiliser des pneus à tel point qu'on n'y fait plus attention. Pourtant, c'est un produit en constante évolution. Dès la fin du XIXe siècle, les frères Michelin ont capitalisé pour leur entreprise et se sont attachés à faire évoluer constamment un produit de qualité. Je vous présente quelques jalons de l'histoire industrielle du pneu Michelin. L'invention du premier pneu de vélo démontable a permis enfin de réparer rapidement une crevaison (1891). Les « pour mémoire » ©MEDDE l hor s-sér ie -juillet 2012 46 frères Michelin ont été les premiers à penser qu'on pouvait faire rouler une voiture sur de l'air, alors qu'on n'était pas persuadé que ces petits boudins en caoutchouc pourraient supporter le poids d'une voiture (1895). On connaît la suite. c'est un produit de haute technologie, en constante évolution. Un pneu, ça sert à voyager, il existe un prospectus qui représente un tricycle de Dion Bouton qui était le premier véhicule à avoir été équipé en série, en première va rajouter des places pour des passagers sur ces véhicules, avec qui je veux. On découvrait la notion de la mobilité individuelle. Les frères Michelin s'attachaient à fabriquer un produit industriel de qualité, en grande série, au meilleur prix possible. Passionnés d'innovation, pratiquant eux-mêmes l'automobile et le tourisme, ils percevaient l'immense champ en train de s'ouvrir devant eux, en se disant : « un pneu, c'est un produit fait pour servir, fait pour voyager, comment peut-on aider nos clients à pouvoir voyager ? Au-delà de l'action de leur fournir un produit de qualité, comment peut-on aussi leur fournir des outils pour les aider à voyager ? ». Et c'est dans la tête d'André Michelin qu'est né le fameux petit guide rouge, le guide Michelin, avec l'idée de le lancer exprès au moment de l'effervescence de l'exposition universelle de Paris en août 1900. Voyez la première édition du petit guide 1900. Même par rapport à celui que vous pouvez connaître aujourd'hui, c'est un petit ouvrage. Il est intéressant de lire ce qu'André Michelin nous dit dans la préface de ce guide : « le présent ouvrage a le désir de donner tous les renseignements qui peuvent être utiles à un chauffeur, voyageant en France, pour approvisionner son automobile, pour la réparer, pour lui permettre de se loger et de se nourrir, de correspondre par poste, télégraphe ou téléphone. Cet ouvrage paraît avec le siècle, il durera autant que lui ». Il fallait être un peu culotté pour envisager le développement de son ouvrage Guide Michelin 1900 : Source Michelin En 1946, les successeurs des frères Michelin ont été les premiers aussi à mettre sur le marché le pneu Michelin X, le fameux pneu radial qui permet de faire deux fois plus de kilomètres que le meilleur pneu d'avant-guerre. Dans les années 1990, on a lancé l'Energy Saver, un pneu qui permet de rouler en économisant du carburant, entrant ainsi dans la lignée du début de la notion de respect de l'environnement. C'est un produit qui peut paraître banal, qui fait partie de notre environnement mais hor s-sér ie - juillet 2012 monte, comme on dit, de pneus Michelin. L'un des arguments de vente en 1896 de ce véhicule était qu'il pouvait servir à faire du tourisme car on devenait autonome pour pouvoir décider, lorsqu'on habitait à Paris, d'aller passer deux jours à la mer à Deauville. On mettait en avant l'aspect très simple et la fiabilité de ce véhicule. Et l'on découvrait quelque chose qui commençait à être nouveau à l'époque, la liberté de la mobilité individuelle. Je vais pouvoir partir où je veux, quand je veux, et petit à petit, quand on l « pour mémoire » 47 sur un siècle. Il reconnaît quand même que « la présente édition, donc la première, sera évidemment trouvée très imparfaite, mais l'ouvrage se perfectionnera d'année en année, et il sera parfait d'autant plus vite que les chauffeurs répondront plus soigneusement et en plus grand nombre au questionnaire que nous prions de bien vouloir remplir et qu'ils trouveront à la page 57. Sans eux, nous ne pouvons rien, avec eux nous pouvons tout ». Le décor était planté. On souhaitait pouvoir synthétiser dans un petit ouvrage qu'on emportait très facilement avec soi en voyage tous les renseignements utiles. Le guide Michelin devait être avant tout un guide pratique. « Où est-ce que je peux trouver du carburant pour ma voiture, alors que le réseau de stations services n'existe pas ? ». Cet outil était là pour fédérer cette communauté automobiliste qui était en train de naître. Les frères Michelin s'apercevaient que ça intéressait de plus en plus de monde, des gens qui étaient un peu dispersés et qui commencent à se fédérer. Michelin se plaçait comme un acteur de cette fédération naissante. Par rapport à d'autres initiatives de guides, Michelin expliquait sa particularité : grâce au système de pictogrammes extrêmement simples, pourvu qu'on ait la légende pour pouvoir décrypter ce qui était dit dans le guide, le guide contenait dans un tout petit volume ce qu'on ne pouvait avoir qu'en achetant trois ou quatre ouvrages différents. On y trouvait donc des informations très pratiques comme des petits plans de « pour mémoire » ville dans les principales agglomérations françaises afin de pouvoir se repérer de façon autonome sans faire appel aux habitants. Vous connaissez la suite de l'histoire. La prophétie d'André Michelin s'est révélée exacte. Le guide dure depuis plus d'un siècle. Il est intéressant de voir l'évolution de ce petit guide rouge qui a suivi la montée en puissance de l'automobilisme et sa démocratisation, avec les nouveaux besoins des consommateurs. Ce qui était au départ un manuel technique (quand on parcourt cette première édition on sait ce qu'il faut faire en cas de panne, comment réparer sa voiture, comment Source Michelin on peut réparer un pneu) s'est peu à peu adapté à l'évolution des besoins des voyageurs. Dans les années 1920, il y a eu la naissance de la fameuse étoile de bonne table puisque ce guide avait vocation non à être un critique gastronomique - Michelin s'en est toujours défendu - , mais à apporter un conseil de bonnes adresses de confiance. Le guide a su évoluer. Mais ça ne suffisait pas. Pour André Michelin, c'était la première brique d'une stratégie qui se poursuivait. En 1908, il lança l'initiative intéressante du bureau l hor s-sér ie -juillet 2012 48 des itinéraires. C'était très simple : si je voulais voyager en France ou à l'étranger, par exemple aller de Paris à Montauban, je téléphonais ou j'écrivais au bureau, qui était dans l'immeuble Michelin à Paris, Boulevard Pereire. Quelques jours plus tard, je recevais chez moi une liasse de documents dactylographiés, qui vous décrivait très précisément la route à suivre : l'itinéraire balisé à suivre, des indications sur les dangers que pouvait comporter la route, les curiosités touristiques dans le cas où j'aurais un peu de temps pour en profiter. L'objectif était de pouvoir mettre au service du client toute la documentation que Michelin avait rassemblée pour la constitution de son guide et de continuer à mutualiser les expériences de la communauté automobiliste puisqu'on invitait les clients à faire un retour à Michelin, pour savoir s'ils étaient satisfaits de l'itinéraire reçu et s'ils avaient des suggestions à apporter pour améliorer le service. Légendes carte routière Source Michelin 400 millième de la carte du TCF. André Michelin, pratiquant lui-même l'automobile, estimait que c'était une bonne moyenne : sur une feuille qu'on pouvait déplier facilement devant soi, on avait la vision d'une portion de territoire qu'on pouvait parcourir dans une journée avec une voiture. La clé de lecture de la carte étant la légende, Michelin inventa une nouvelle hiérarchie de l'information visuelle en fonction du besoin de l'automobiliste. Plutôt que de représenter avec détail les zones boisées, il valait mieux attacher beaucoup d'importance à la largeur ou à la qualité du réseau routier sur le terrain où on allait voyager. La route est-elle large, de bonne qualité, dangereuse, pittoresque ? La notion touristique a été incluse dès les premières éditions de la carte Michelin. Le succès de la carte Michelin a été dû au fait qu'elle était spécifique à l'automobiliste, en lui apportant un service nouveau, fiable, en étant mise à jour en permanence et peu coûteuse. André Michelin voulait que le prix ne fût pas un obstacle à la grande diffusion de sa carte. Encore aujourd'hui, elle offre une masse d'informations pour un prix extrêmement modique. Imaginez l'organisation de ce bureau des itinéraires devant la masse des documentations qui pouvaient y être gérées au plus fort de son activité dans les années 1920 où il employait une centaine de personnes. Je rebondis sur un terme employé tout à l'heure de marchandisation de ces services car le guide et le bureau des itinéraires étaient complètement gratuits pour l'utilisateur, au nom d'une notion de service, d'accompagnement du client de la marque qui avait acheté ses pneus. Toutefois, ce service était aussi accessible gratuitement à toute autre personne. hor s-sér ie - juillet 2012 La stratégie d'André Michelin a été complétée par la carte routière Michelin (1910). Michelin n'était pas le premier à faire des cartes mais il voyait naître cette nouvelle communauté d'automobilistes et se disait qu'il fallait repenser l'outil cartographique pour répondre à un nouveau besoin. Ce nouvel outil adoptait une nouvelle échelle, le 200 millième, intermédiaire entre le 80 millième de l'état-major ou le Quelques exemples de cartes, vous avez le prototype d'une carte au 200 millième des environs de Clermont en 1908 qui était donnée gratuitement aux automobilistes de la région pour avoir leur ressenti et leur retour afin d'améliorer la carte définitive. La légende de la carte de 1910 comporte le code couleur sur la qualité du réseau routier ainsi que la numérotation systématique des routes, fil d'Ariane qui permet à l'automobiliste l « pour mémoire » 49 d'être sûr qu'il est sur le bon chemin. La carte typique des années 1950 comporte une couverture bleue et jaune qui a été utilisée très longtemps. On continue à dérouler le fil de la stratégie d'André Michelin. Il se disait : « tous ces outils c'est bien, mais ça reste du papier, sur le terrain, comment fait le client, comment fait l'automobiliste ? ». Vous voyez que tout a été pensé d'une façon très logique. C'était une réflexion extrêmement pragmatique au service du client, au service du touriste. André Michelin se disait : « sur le terrain, comment fais-je pour retrouver mon chemin ? Même si, grâce à la carte, je sais que, pour aller de Paris à Marseille, je dois suivre la Nationale 7, comment sur le terrain ai-je la certitude d'être sur le bon chemin ? Il posait la question de la présence de ces informations sur le bord des routes. Il eut une première initiative avec les plaques « Merci », action publicitaire dans la lignée de ce que faisaient des constructeurs automobiles de l'époque, où on subventionnait des plaques signalétiques sur le bord des routes (1908). Michelin offrait à chaque commune de France qui le demandait une plaque en tôle placée en hauteur et à double face jaune et bleue. Quand vous entriez dans la localité, vous y aviez le nom de celle-ci, le numéro de la route sur laquelle vous circuliez, et le message « automobilistes, attention aux enfants ». Quand vous en sortiez, de l'autre côté de la plaque se trouvait un énorme « Merci » pour avoir respecté le message de sécurité qui était délivré à l'entrée. Mais les plaques en tôle n'étaient pas durables (rouille, peinture défraîchie, détournement pour un autre usage). Michelin pensait qu'il était nécessaire d'imaginer une signalisation durable et uniforme. La signalisation ne devait pas être d'abord un levier publicitaire pour les constructeurs automobiles mais un véritable service rendu à l'automobiliste. Michelin fut à l'origine d'une pétition pour le numérotage des routes sur son stand au Salon de l'aéronautique de 1912, avec une affiche bordée de bleu-blancrouge puisque le premier signataire en était le président de la République de l'époque, Armand Fallières. On n'est pas sûr qu'il ait lu le titre de ce qu'il avait signé, peut-être pensait-il signer le Livre d'Or du stand ! Il y eut des milliers d'autres signatures. Au tout début de 1914, il fut décidé de demander au cantonnier de peindre le numéro des routes sur les bornes qui jalonnaient le réseau français. La Grande Guerre perturba cette initiative. Les choses se firent de façon très lente. Mais André Michelin fit preuve de beaucoup de patience et de ténacité sur cette question qui lui tenait vraiment à coeur, jusqu'à 1931, à la veille de sa mort, en faisant homologuer Michelin comme constructeur officiel de panneaux. Il en reste encore quelque bornes en place, peut-être cette silhouette vous dit-elle quelque chose. Pour concrétiser son idée d'une signalisation uniforme et durable, André Michelin concevait ces appareils de signalisation comme un pneu, comme un produit industriel, avec un cahier des charges extrêmement précis et des quantités d'essais avant une solution définitive. La plaque qui porte les indications est ici en lave volcanique émaillée, produit éminemment auvergnat, extraordinairement solide, contrairement à la tôle peinte. Hormis une fente due au gel, cette plaque est quasiment indestructible, enchâssée dans un support en béton armé très durable. Les indications, en bleu foncé sur un fond blanc, se distinguent très facilement de tout l'environnement du bord de la route. La hauteur a été scientifiquement étudiée, de façon à pouvoir être visible même de nuit dans le faisceau des phares d'une voiture, ce qui n'était pas le cas de la signalisation précédente. Grâce à ce cahier des charges, Michelin fut homologué comme fabricant officiel de signalisation routière (1931) et poursuivit cette activité de fabrication de panneaux en béton jusque dans les années 1970. Il garantissait à ses clients des poteaux qui dureraient 20 ans. Pour ceux qui n'ont pas été déposés dans le cadre d'une rénovation routière, 80 ans après, il y en a qui sont toujours en place. André Michelin continua de dérouler le fil de ses idées. Une initiative originale vint en 1917 au sujet des champs de bataille à partir d'une notion de pèlerinage vers des lieux qu'il ne faudrait pas oublier, d'où l'idée de ces guides pour transmettre une mémoire et offrir la possibilité à ceux qui s'étaient battus et aux familles des soldats tués de pouvoir retourner sur le théâtre des opérations avec un petit fascicule. Les guides des champs de bataille étaient « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 50 tout petits, très bien documentés et très bien illustrés de façon à pouvoir offrir une information fiable et de qualité à la portée de tous. Il y a eu plusieurs dizaines de titres dans la collection des champs de bataille, mais « Verdun » a été réédité jusque dans les années 1930. Dans cette publicité, on voit Bibendum portant le guide de Verdun en disant : « de belles étrennes pour vos enfants, les guides illustrés Michelin de vos champs de bataille ». C'était la nécessité de transmettre la mémoire, mais une mémoire qui fût malgré tout à la portée de tous. L'ensemble des bénéfices que Michelin retira de la vente de ces guides fut intégralement reversé à l'oeuvre pour la repopulation française car André Michelin avait aussi une très forte fibre patriotique. A la suite de ces guides des champs de bataille, on vit naître les guides régionaux à partir de l'expérience du bureau des itinéraires (1926). André Michelin se dit, « dans le fond, on pourrait rassembler dans un recueil l'ensemble des itinéraires qui nous sont le plus souvent demandés et qu'on en fasse des opuscules régionaux qu'on vende sous forme de guides ». Ceux-ci avaient le volume du guide Michelin actuel. L'idée de proposer des idées d'itinéraires touristiques connut rapidement le succès comme le montre une affiche des années 1930. C'est cette collection des guides régionaux qui a donné naissance au fameux guide vert dont vous avez peut-être été les utilisateurs. Voici l'édition de 1953 pour l'Auvergne, qui est le guide vert tel qu'on le peut garder en mémoire. Cet outil déjà très abouti a été le symbole d'un tourisme populaire de qualité peu coûteux, avec des indications un peu minimales mais de qualité pour guider les nouvelles catégories de touristes plus populaires qui sont apparus après 1945. C'est souvent dans le guide vert que beaucoup de gens ont appris quelques rudiments d'histoire de l'art ou d'architecture, notamment au travers, dans cette édition des années 1950, de ces fameux petits dessins noirs et blancs, faits à l'encre de Chine, qui avaient quelque part une vocation d'être volontairement intemporels. Ce sont des gens de Michelin qui redessinaient ces petites vignettes à partir de photos pour y gommer tout ce qui aurait pu donner une indication de temps. Il n'y avait jamais de voitures, jamais de personnages habillés sur ces dessins pour les rendre intemporels. Pour l'anecdote, voici un guide touristique d'Auvergne de couleur rouge mais au format du guide vert, beaucoup plus fin que celui d'après-guerre, Pourquoi Michelin faisait-il des guides touristiques en 1942, dans une période ne s'y prêtait pas très bien ? Cela voulait dire que la vie continuait. Je trouve très intéressant de lire ce que dit Bibendum dans la préface de cette édition de 1942 : « Paris, mai 1942, ami lecteur, votre voiture est aujourd'hui endormie dans votre garage, mais vous pouvez encore prendre quelques vacances. Si l'Auvergne vous tente, ce guide vous y conduira. Vous n'y trouverez plus ces programmes de voyages et de longues excursions que vous permettait d'accomplir la voiture, mais le train, l'autocar, la bicyclette revenue en vogue, vos jambes même réhabituées à la marche, vous laissent la faculté de circuler partout. Des villes riches en beaux monuments, des villages pittoresques, des jolis sites sont encore à votre portée, ce guide vous en proposant des promenades et des excursions Guide vert : Source Michelin hor s-sér ie - juillet 2012 l « pour mémoire » 51 sélectionnées, vous les fera connaître. Par ses descriptions détaillées et ses chapitres, un peu d'histoire, il vous rendra la visite attrayante. Et maintenant, ami lecteur, bonnes vacances ». Cette anecdote montre la capacité des équipes de Michelin à adapter leurs produits en fonction à la fois des circonstances et de l'évolution des moyens dont disposent les touristes. On ne pouvait plus circuler en voiture, on proposait malgré tout des informations pour pouvoir faire du tourisme à pied ou à vélo. Dans les années 1930, on découvre l'aboutissement de ce qu'avait imaginé André Michelin dès 1900 : des bornes de signalisation, le guide Michelin de l'année, le guide vert et les cartes. Avec cet ensemble, on a des outils d'aide à la mobilité qui se complètent et qui forment le fil d'Ariane pour organiser et maîtriser ses déplacements alors que faire un voyage en 1900, c'était vraiment se lancer à l'aventure parce qu'on ne savait pas trop où on allait. Il y a eu une utilisation stratégique de ces produits de mobilité qui, avaient plutôt vocation à être utilisés pour des activités pacifiques. Les soldats américains qui débarquèrent en Normandie en 1944 le firent avec un guide Michelin dans la poche. On voit une photo du guide de 1939, réédité par le War Office américain en 1944. Pourquoi ce document avait-il été choisi par l'armée américaine ? Ce n'était pas pour les adresses des hôtels évidemment, mais pour les plans de villes qui permettaient d'avoir beaucoup d'informations en très peu de place pour se repérer sur un territoire que les Américains ne connaissaient pas. Une photo en noir et blanc montre un véhicule américain qui vient au dépôt de la rue de Saussure en 1944 charger quelques milliers de cartes imprimées dans l'urgence par Michelin, des cartes pour aller en direction de Berlin. Certaines d'entre elles furent imprimées au dos de cartes anglaises qui avaient été faites pour l'armée nazie pour envahir l'Angleterre. Vous voyez ici une utilisation qui dépasse un peu le cadre touristique de ces outils de mobilité. Il y a eu un aspect international des outils développés par Michelin dont, sans ambiguïté, l'initiative pour guider le touriste était là pour soutenir l'activité industrielle du fabricant de pneus partout où Michelin développait cette industrie. Dès 1914, l'Angleterre bénéficia d'une couverture de cartes routières puis l'Espagne et l'Italie. Il y eu ViaMichelin : Source Michelin des exemples exotiques de cartes dès les années 1920 : États-Unis, Afrique du Nord, pistes du Sahara. Cette logique de produits cartographiques ou des guides à l'international se poursuit aujourd'hui. Les services rendus par Michelin se sont adaptés aux nouvelles technologies. En 1989, le Minitel reprenait, à 80 ans de distance, le principe du bureau des itinéraires d'informer pour aller du point A au point B. C'est le même principe qui a été repris en 2001 par ViaMichelin sur Internet : vous n'avez plus besoin d'attendre que l'information arrive dans votre boîte aux lettres, vous l'avez instantanément. Et 2010, on a lancé la carte 777, France Trafic en temps réel : on y trouve une complémentarité des outils numériques et du papier, une carte sur laquelle un certain nombre de flash codes peuvent être scannés avec un smartphone et qui vous informe en direct sur l'état du trafic dans les principales agglomérations de France. M. Boyer a évoqué la possibilité de faire du tourisme sur la lune. Cela me rappelle que Victor Puiseux, père d'un des gérants de Michelin, a été le premier à avoir fait l'atlas photographique de la lune à la fin du XIXe siècle. Cela donnerait peut-être une certaine légitimité à Michelin pour faire un ouvrage sur ces nouveaux champs de territoire : pourquoi pas un guide de découverte de la lune dans les années à venir ? « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 52 éclairages et témoignages Histoire et évolution des comportements touristiques des français professeur à l'université de Paris V ©MEDDE Jean-Didier Urbain, Je n'ai jamais vraiment été sociologue. Je préfère donc prévenir, si tant est que je le suis quand même un peu. Je suis avant tout anthropologue (mon doctorat d'État l'est d'ailleurs dans cette discipline) et ce pour une raison essentielle que vous allez comprendre immédiatement, à savoir que l'anthropologie a pour intérêt majeur et mission principale de parler du sujet en mettant l'homme au centre de ses pensées et réflexions sur le fait social et culturel. Le tourisme est un phénomène et le touriste, un sujet que l'on connaît finalement fort mal. Aussi me semble-t-il nécessaire de remettre sans cesse en avant cette question par trop négligée : que serait le tourisme sans le touriste ? Car l'on continue de penser que le touriste est un être assez sommaire, composé d'envies simples : se reposer, se distraire, voir de beaux paysages... Bref, une vision quasi caricaturale de la psychologie de cet acteur domine, alors qu'il est un sujet hor s-sér ie - juillet 2012 sans lequel rien ne serait finalement possible. Qu'en serait-il du phénomène sans lui ? C'est là-dessus que je voudrais revenir, en tenant compte de ce qui a été dit ce matin. Comme l'a dit Marc Boyer, la question : au fond qui est le touriste ? va à l'essentiel. Mais je crois qu'il y a plus essentiel encore. Un peu comme les féministes qui, dans les années 1960, disaient : « il y a plus inconnu que le soldat inconnu, c'est la mère du soldat inconnu », je dirais que la question plus essentielle encore est au fond pourquoi voyage-t-on ? Et pourquoi voyage-t-on de surcroît quand on n'a aucune raison, obligation ou nécessité de le faire ? C'est cela le touriste. C'est cette question qu'il pose. Et quant à son évolution, c'est cette autre : quelle est l'histoire de ce anti-héros des « voyages inutiles » ? ­ comme disait Paul Morand. Au fond, le tourisme n'est-il pas l'industrie du voyage inutile, par opposition au voyage vital, de survie, migration économique ou déplacement professionnel ? On ne fait pas du tourisme pour survivre. Le touriste est l'un des rares voyageurs qui dépensent de l'argent pour voyager ­ avec les migrants... C'est pour cela que l'ethnologue a pu être moqué par Jacques Meunier comme étant un « touriste subventionné ». Les autres voyagent pour gagner de l'argent et/ou sont payés pour le faire. C'est là une perspective très différente. Et il y a certains postulats sur lesquels il faut peut-être revenir. D'abord, croire que l'on aspire au voyage est une idée reçue très répandue, que j'ai encore entendue ce matin. Or c'est une erreur de penser que, dès qu'on peut voyager, on a envie de voyager. Ce n'est pas pour rien que Léo Lagrange a appelé les auberges de jeunesse « l'école du tourisme ». Et Marc Boyer a justement souligné qu'il y a à ce sujet une part largement mythique dans la représentation l « pour mémoire » 53 de 1936. Les congés payés n'ont pas provoqué à cette époque un déferlement des ouvriers sur les routes. Les ouvriers en vacances n'ont pas plus eu l'idée de partir qu'ils n'ont eu celle d'aller au musée ou au théâtre quand la loi leur a donné ce temps libre supplémentaire1 . Cela s'apprend, le voyage. Il est un loisir qui s'acquiert, se structure et s'élabore. C'est une envie mais une envie fragile. Pour avoir envie de voyager, il faut avoir des désirs porteurs au point de prendre le risque du bernard-l'ermite, qui sort de sa coquille pour se reproduire, courant le danger d'en périr. Dès qu'on sort de sa coquille, on est fragilisé et seul le plaisir escompté peut pousser à affronter ce danger qu'ignore la sédentarité. C'est plutôt à cela que je voudrais vous sensibiliser. Pourquoi voyage-t-on ? Tout le problème est là. Pascal disait : « Tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne pas savoir demeurer en repos, dans une chambre». Pourquoi ? Au fond, essayer d'approfondir la question du tourisme à partir de l'évaluation et l'évolution des désirs de celui qui le fait exister n'est pas une question subsidiaire. Elle interroge une réalité fondamentale qui est en propre de l'ordre de l'investigation anthropologique. Le sujet dont je vais vous parler n'est évidemment pas le sujet clinique, la personne, l'individu ou le cas caractériel isolé. C'est un sujet générique qui voyage pour son plaisir, qui a ce projet hédoniste, fût-il masochiste, ce qui peut expliquer certaines pratiques touristiques physiquement ou moralement éprouvantes, voire cruelles. Quand on veut, par exemple, avoir une initiation à la pêche en mer, qu'on se déguise pour cela en matelot et qu'on se fait insulter à l'envi par un capitaine tyrannique, il y a quelque chose d'un peu bizarre dans ce genre de simulacre « pédagogique » flagellateur... Ce que je veux évoquer, c'est donc ce sujet commun dans sa complexité, avec cette idée corollaire à l'appui consistant à rappeler aussi dans le même mouvement sa nature d'un point de vue historique... Évidemment, si je vous dis : « le tourisme ne serait rien sans le touriste », cela peut vous sembler être un truisme. Mais il est quand même intéressant que, du point de vue linguistique, le mot touriste soit apparu avant le mot tourisme. Robert Mandrou, dès la Renaissance, identifie des voyageurs qui sont pour lui des touristes, même s'ils ne sont pas encore nommés comme tels 2 . C'est-à-dire que ce ne sont ni des marchands ni des pèlerins ni des soldats. Ce sont des gens comme Montaigne, qui voyagent pour leur plaisir et éventuellement aussi pour leur santé. Montaigne était un peu un double, un mixte de voyage, sanitaire et culturel à la fois... Cette nuance linguistique veut simplement dire que le sujet (touriste) a précédé le phénomène (tourisme) ; et que réfléchir sur ce phénomène ne nous dispense certainement pas de réfléchir sur le sujet. Quand je me suis tourné il y a 25 ans en direction de cette problématique, d'abord à travers la sociologie des loisirs, j'ai été surpris de voir que l'on parlait du tourisme sans jamais vraiment penser au touriste : à l'homme et ses envies. Cela débouchait sur une vision fonctionnelle quasi caricaturale, avec par exemple celle des trois D de Joffre Dumazedier : Divertissement, Distraction et Développement 3 . Cela me parut « un peu » pauvre ou élémentaire pour traiter en profondeur de la psychologie du tourisme... Qu'apprenons-nous de plus sur ce sujet quand on s'approche de lui ? Ce matin, le voyage a été évoqué comme un comportement déterminé par la curiosité pour l'autre. Cette curiosité est pourtant loin d'aller de soi. Même quand on évoque des modèles comme Phileas Fogg ou Robinson Crusoé, dont on a fait des archétypes de voyage, il faut remarquer à quel point ces deux voyageurs-là sont peu curieux de l'autre. L'un est indifférent et l'autre xénophobe. Il ne faut pas se faire d'illusion : si Robinson Crusoé avait eu les moyens à sa disposition, il aurait exterminé tous les sauvages sur son île ; et il ne faut pas oublier que Fogg fait le tour du monde, Jules Verne le dit lui-même, comme un projectile guidé totalement inattentif aux pays qu'il traverse. Néanmoins, on a fait de ce naufragé et de ce globe-trotter des modèles. Comme quoi le savoir populaire accommode ces figures types du voyage et en fait des mythes selon ses désirs. Cf. Marc Boyer, L'inventiondutourisme, Paris, Gallimard, « Découvertes » n°288, 1996 - p.98 et suiv. 2 Robert Mandrou,IntroductionàlaFrance moderne. 1500-1640. Essai de psychologie historique, Paris, Albin Michel, 1998 ­ p.294 et suiv. [1961 et 1974]. 3 Joffre Dumazedier, Versunecivilisationdu loisir?, Paris, Le Seuil [1962]. « pour mémoire » 1 l hor s-sér ie -juillet 2012 54 L'intérêt de réfléchir sur le touriste est un problème que l'on a soulevé aussi ce matin en rappelant que le tourisme a existé après le touriste, comme industrie, commerce et organisation. Après tout, il est tout à fait envisageable de considérer que le touriste pourra continuer après le tourisme. Déjà dans son livre de 1972 sur le tourisme, Marc Boyer posait une question qu'on n'envisageait guère hier, ni aujourd'hui encore : est-ce que le tourisme est périssable4 ? Nous sommes tous peu ou prou en train de penser que le tourisme est quelque chose d'inépuisable. Que son marché ne peut qu'augmenter à l'infini si l'on s'y prend bien. Mais ce n'est pas parce que le nombre des voyages augmente que les possibilités commerciales augmentent elles aussi. C'est là que je voudrais évoquer les différentes formes que prend l'évolution des comportements avec un touriste devenu, engagé dans un processus d'autonomie croissante, un voyageur qui s'autoproduit et s'autoorganise de plus en plus, s'émancipant continûment d'une logistique et de services qu'on pense communément comme des médiations incontournables, voire immuables. Or le développement d'Internet est en train nous prouver exactement le contraire. C'est autour de cela que je veux un peu réfléchir avec vous. Au préalable, étant linguiste de formation, je pense qu'il y a déjà l'ambiguïté même des mots tourisme et touriste. Le problème de touriste est le même que celui du mot homme, qui renvoie tout à la fois à « genre humain » et à « espèce masculine » - à l'humain et au mâle. De même, le mot tourisme renvoie à la fois au genre « voyage fait pour hor s-sér ie - juillet 2012 le plaisir » (sens générique) et à l'espèce de voyage qui consiste à « faire un tour » (sens spécifique). C'est exactement ce second sens que retenait d'ailleurs Thomas Cook, qui parlait de ses voyages en termes de voyagescirculaires5 . Penser le tourisme et son évolution, c'est penser sa complexité, donc les différentes espèces qui constituent cette mobilité appelée génériquement tourisme. Faire un circuit, un tour, ce n'est pas la même chose que se transplanter en bord de mer ou ailleurs et y rester trois semaines sans bouger. Ce n'est évidemment pas le même projet. Ce n'est pas non plus la même chose que de faire des allers et des retours entre sa résidence secondaire et sa résidence principale. D'ailleurs, cette pratique a fait sauter au passage la définition ordinaire du touriste qui est « toute personne qui passe trois nuits ou davantage hors de son domicile principal, ou hors même de son domicile habituel ». Pour certains, cela ne colle pas : le résident secondaire va d'un chez lui à un autre chez lui. Il n'est pas hors de son domicile habituel. Donc nous avons affaire ici à une autre mobilité encore 6 . Viennent ensuite par simples combinaisons les formes hybrides, mêlant séjour, tourisme et résidence. Il faut bien voir que le vocabulaire doit nous inciter à la prudence, d'autant que ce n'est pas qu'une « affaire de mot » mais bien de concepts, donc une affaire de réalités. Ainsi, dire d'un tourisme qu'il est « de séjour » par opposition à un tourisme « itinérant » n'est pas cohérent. Tourisme itinérant est un pléonasme (comme prévoir à l'avance) et tourisme deséjour est un oxymore, contradictoire dans les termes (comme se hâter lentement), d'un point de vue linguistique du moins ! Mais pour parler de l'évolution des comportements touristiques avec une relative précision, il faut bien pourtant distinguer tout cela : cette diversité des usages exprimée par les mots, puisque c'est la variation même et les proportions de ces différentes pratiques de la mobilité qui sont indicatrices de tendances et d'évolutions. S'ajoute à cela un autre préalable essentiel. Pour comprendre un comportement « touristique », il faut savoir ce qui l'inspire. Autrement dit, un comportement n'est pas interprétable si on ne sait pas quelle attitude le détermine. On ne peut pas faire abstraction de cette part psychique au sein des pratiques et penser le touriste seulement en termes d'usager ou de client. Il faut aussi le penser en termes d'homme qui rêve, d'homme qui imagine et qui a un projet. Si on n'envisage pas le touriste comme cela, je ne vois pas très bien comment on peut faire de la prospective sur les tendances, puisque l'histoire de la société en général, donc des mobilités de loisirs en particulier, passe par l'évolution des désirs comme des phobies du citoyen, donc de ce voyageur. Marc Boyer, Letourisme, Paris, Le Seuil, 1982 ­ p. 237 et suiv. [1972]. 5 Cf. Daniel J. Boorstin, « Duvoyageurau touriste», in L'image ou ce qu'il advint du Rêve Américain, Paris, Julliard, 1963 ­ p.117. 6 Cf. Jean-Didier Urbain, Paradisverts.Désirsde campagneetpassionsrésidentielles, Paris, Payot & Rivages, 2008 ­ nouvelle édition augmentée [2002]. 4 l « pour mémoire » 55 D'où l'importance pour moi, en tant qu'anthropologue en tout cas, d'essayer de reconstruire les imaginaires et les représentations collectives qui sont à l'origine du désir de voyager. Et de comprendre comment ces représentations ont changé au cours du temps. Par exemple, à une époque, on voyageait pour sa santé, aujourd'hui on espère voyager sans attraper de maladies. Ce ne sont plus la même représentation du voyage ni le même voyageur qui circule. Cela est très net. Le dernier préalable auquel je pense est qu'une société a le tourisme qu'elle mérite. Comme le disait Marc Boyer, le tourisme n'est pas né n'importe où. Le tourisme est né en Angleterre, au début du XIXè siècle, et pas par hasard, puisque c'était là la société la plus urbanisée du monde. En 1861, 50% de la population britannique était dans les villes. Il a fallu attendre 1932 en France pour qu'il y eût pareillement 50% de la population dans les villes. On le sait, même statistiquement, c'est une loi quasi mécanique, plus une ville est grosse, plus elle émet du touriste, plus elle émet du voyageur. Il y a donc un lien de cause à effet avec un état de société. Autrement dit, le tourisme se dit à travers son touriste parce que le touriste est un symptôme de société. A travers les aspirations et les évolutions des désirs du touriste, se dit au fond beaucoup plus qu'une envie de voyager. Il s'y exprime une représentation du monde. S'y dit comment le touriste voit le monde. Comment le touriste va être attiré par certaines choses ou au contraire effrayé par d'autres. Comment aussi ce qui pouvait être des répulsions touristiques à une époque sont devenues des attractions touristiques ­ et inversement. Auparavant, ce voyageur évitait les favelas, les townships ou les slums. Maintenant, cela fait partie du patrimoine courant d'un « voyage circulaire » qui se veut un tant soit peu culturel. Ce qui était objet de dégoût jadis est devenu à présent un objet d'attirance... A ce propos, on a parlé de la mondialisation ce matin, comme s'il s'agissait simplement d'une extension de l'offre existante à de nouveaux clients. On pèche aussi beaucoup dans les expertises touristiques par ce défaut que j'appellerai la vanité de l'indigène. Nous croyons toujours être les mieux placés pour parler de notre pays et savoir ce qu'il offre de plus intéressant à l'oeil du visiteur étranger. Je crois que cela est particulièrement faux. C'est un peu comme la signalisation dans les villes : si elle si mauvaise, c'est parce qu'en général elle est faite par les indigènes. Il faudrait plutôt demander à un étranger de faire la signalisation : elle serait beaucoup mieux pensée. De la même façon, attirer des touristes chez soi, ce n'est pas forcément leur dire : « Venez chez nous parce qu'on a la Tour Eiffel et Notre-Dame». Il y a eu un reportage sur des touristes venant des grands pays émergents (BRICS), qui font des tours d'Europe en quinze jours. Qu'est-ce qui intéresse, par exemple, des Indiens visitant la France quand ils arrivent à Marseille ? Ce n'est pas NotreDame de la Garde, ni le vieux port ou la Canebière, mais comment est organisée la gare et quand ils vont pouvoir voir et prendre le TGV. Pour eux, l'attraction associée à la France, c'est le TGV. Vous voyez bien ici que si l'on accueille ce voyageur avec notre folklore et nos cathédrales, on peut être « un peu » décalé par rapport au désir et à l'attente de ce type de touriste... Le tourisme n'est finalement pas intéressant en soi. Il l'est comme symptôme de société. A travers lui, notre société (toute société) se raconte dans ses évolutions, ses mentalités, ses sensibilités. C'est pour cela que je me sens davantage anthropologue que sociologue car les sociologues ne s'occupent peu de ces faits. Avant qu'une discipline ne s'en empare, le synonyme d'anthropologie culturelle jusqu'au XIXè siècle, voire jusqu'au début du XXè siècle, était psychologie générale. L'objet de cette anthropologie est de déchiffrer et de reconstituer les mentalités, les représentations et les sensibilités collectives. C'est pour cette raison que l'anthropologue culturel se sent aussi très proche de l'historien des mentalités et des sensibilités. On peut évoquer à présent quelques tendances majeures. Il y a l'autonomie croissante du touriste, aux sens générique et spécifique. Ce sujet s'est émancipé des situations de surveillance et d'encadrement, des rythmes et cycles de vie imposés. C'est un voyageur qui a tendance à être de plus en plus fragmenté, voire éclaté en ses voyages, séjours, circuits et destinations. C'est aussi, vous le savez, quelqu'un qui a un rapport au temps modifié, dans la mesure où, avec des mobilités raccour« pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 56 cies et démultipliées, nos pratiques s'acheminent à l'horizon 2015 vers une moyenne qui serait de 5/6 jours pour les courts séjours7, lesquels s'allongeraient ainsi en contrepoint du raccourcissement des longs séjours de vingt à dix jours... Et quelqu'un qui a désormais un tel rapport au temps et à la vie ordinaire, si modifié, n'est plus une personne qui vit ses vacances sur le mode de la fin de cycle puisqu'elle est maintenant toujours suspendu entre deux voyages, en fait en transit perpétuel au sein de son quotidien. Quand on pense que le voyage pour motifs personnels en région parisienne atteint six voyages par an aujourd'hui et que le Français est au demeurant l'Européen le plus mobile sur son territoire, on en est maintenant à 45 km par jour et par habitant, ce qui est énorme (on en était encore à 30 km aux alentours des années 1990), force est donc de constater que l'on bouge beaucoup, de plus en plus souvent, pour des périodes de plus en plus courtes, au point même que s'est mis en place un tourisme international de proximité. Un week-end à Lisbonne, Berlin, Saint-Pétersbourg ou Cracovie n'est plus un grand voyage. Quand on voit que la Chine projette de faire une ligne TGV Pékin-Londres d'ici dix à quinze ans, mettant ces deux destinations à 72 heures l'une de l'autre, on ne peut même plus opposer l'argument de la fin de l'avion à cette évolution. Au niveau terrestre, se dessine d'autres solutions. Il est donc sûr que, de ce point de vue, on va voyager sans doute de plus en plus mais (peutêtre ou sans doute) selon des modalités très différentes. hor s-sér ie - juillet 2012 Comme vous le savez aussi, parmi les grands bénéficiaires de ces évolutions, vous avez le tourisme urbain. Il a explosé depuis une vingtaine d'années, alors que la ville était traditionnellement plutôt un lieu de fuite : un site plus émetteur que récepteur de touriste, à part les « villes cultes », objets de « pèlerinages » classiques. Je dirais que la ville explose comme destination parce qu'elle est un lieu de condensation adapté aux séjours courts, qui permet et offre bien des choses en un espace-temps restreint. Autre tendance, celle suscitée par ceux qu'on nomme les digital natives, les gens nés avec le numérique, qui sont des voyageurs opportunistes voyageant pour voyager mais qui se moquent passablement de la destination. Ils achètent parce que ce n'est pas cher mais, à la limite, ils ne consommeront pas leur achat, parce que ce n'est pas cher. Vous avez aussi ce que Josette Sicsic appelle si joliment les silver trotters, le voyageur du troisième âge, qui est en train d'inventer une nouvelle forme tourisme de retraite 8 . Ces gens sont des bi-résidents « délocalisés », qui vivent une partie de leur vie à l'étranger par choix et par économie. Ils sont de plus en plus nombreux. A l'appui de cette tendance à l'autonomie, on doit évoquer Internet et les nouvelles technologies. On dit qu'une voiture a autant d'électronique embarquée que le premier Airbus. Le touriste a, lui aussi, beaucoup d'électronique embarquée, pas seulement son portable ou son ordinateur mais encore son appareil numérique, sa carte bancaire, sa carte vitale internationale. Il peut surveiller ses comptes à 3000 km de distance ou plus sans problème. Il devient un cybertouriste qui vit dans la télécommunication, parfois avec excès, au point même de se ruer sur le premier cybercafé dès qu'il arrive quelque part plutôt que de visiter les lieux. Il passe son temps à envoyer des SMS et des MMS. Quand il se déplace, c'est avec son GPS, si bien qu'il ne peut même plus connaître les vertiges de l'égarement et les bonheurs du contact avec l'indigène à qui l'on demande son chemin. Cruciverbiste, il circule dans un monde quadrillé, maillé et préenregistré. Il y ainsi de très profonds changements. Avec cette nouvelle espèce de touriste, c'est le nouveau rapport au monde d'un être taraudé, hanté par sa relation prévisionnelle à la réalité, qui apparaît. Ce voyageur veut tout prévoir, avoir du « timing », ne pas être déçu, obtenir un retour sur investissement obligatoirement. Il ne veut pas rater son voyage parce que, pour lui, l'accident n'est pas une aventure, c'est une mésaventure. Tout ce qui sort du champ des possibles devient ­ je peux vous le dire, parce que j'ai travaillé sur 500 lettres de réclamations reçues à l'Observatoire national du tourisme ­ ce leitmotiv : « Ce n'était pas comme vous me l'aviez dit, j'ai été trahi ». Cf. Georges Cazes/Françoise Potier, « Un `systèmevacancier'français? », in Jean Viard, F . Potier et J .-D. Urbain,LaFrancedestempslibres etdesloisirs, La Tour d'Aigues, Éd. de l'Aube, 2002 ­ chapitre 2, p.56 et suiv. 8 Tant pour ces « boomers » inventifs que pour cette « génération Y » consumériste portée sur la braderie et le marchandage, voir Josette Sicsic, « Commentvoyagentlesavant-gardes? », in Touriscopie, publication mensuelle de veille sociologique et marketing en loisirs et tourisme, Paris, avril 2010. 7 l « pour mémoire » 57 schéma 1 schéma 2 Je pense que psychologiquement, nous entrons là dans une phase de la culture du voyage qui relève du donquichottisme, au sens propre du terme. Don Quichotte ne voyage pas pour voir le monde mais pour le vérifier : voir si ce qui est dans les livres correspond bien à ce qui est dans le monde... Quand un touriste dit en permanence « Ce n'est pas comme on nous l'avait dit », dans ce souci de vérifier, nous ne sommes plus dans une logique de découverte ni de rencontre mais bien dans une logique de contrôle et d'anticipation visant à retrouver des images et des situations déjà vues, programmées ou préconçues 9 . Je ne porte pas de jugement de valeur. Mais cette attitude anticipatrice et programmatique modifie complètement la psychologie du voyage. Une révolution est en train de se faire au regard de laquelle les mythes de la rupture, de la rencontre ou de l'aventure font un peu figure de vieilles lunes. Comment voulezvous que l'on valorise l'aventure alors que nous sommes à présent dans un univers de prévention ? Etymologiquement, c'est le contraire : l'aventure est ce qui advient ; la prévention est ce qu'on prévient ! Comment voulez-vous être un aventurier préventif ? Cela paraît curieux. Incompatible. Il y a ici encore un oxymore en forme de contradiction psychologique forte, voire paradoxale... Quand j'essaie de cerner les pôles psychologiques qui attirent le touriste, quelles sont les tendances fortes ? Dans le schéma 1, je propose une synthèse de ces tendances fortes, qui ne sont pas forcément spécifiques au touriste mais, génériques, propres à tout sujet. Selon ces deux axes, on distingue le Soi de l'Autrui et la Société du Désert. Puis les quatre désirs situés de part et d'autres de ces axes croisés : l'appel du désert, la rêverie cénobite (ainsi s'appelle le goût de l'ermitage collectif), la tentation sociétale (que traduisent les rapports fusionnels à des groupes affinitaires), et enfin le songe altruiste. J'ai bien mis « songe » parce que cela n'est peut-être en effet pour l'instant qu'un fantôme ou un mirage et pas encore véritablement un désir à l'objet clair. On rejoint ce que je vous disais à propos de Fogg et de Robinson Crusoe chez lesquels il n'y a pas de songe altruiste. Robinson se trouve un Vendredi, Fogg a Passepartout, puis Mrs Aouda, indienne que son serviteur sauve du bûcher et qui devient l'épouse du maître. Ces gens là ne rêvent pas de société, ni de l'autre, mais bien de compagnie. C'est la rêverie cénobite. De l'entre soi intime. Il me semble que c'est la tendance la plus forte aujourd'hui dans notre société. le schéma 2 permet d'expliciter ce qu'est l'appel du désert en termes de personne(s). C'est moi seul ou, à la limite, moi plus toi dans une relation narcissique. Le cénobitisme, c'est moi plus les miens. La tentation sociétale, c'est moi plus les mêmes. L'altérité, c'est évidemment moi plus les autres. Cf. Jean-Didier Urbain, Levoyageétaitpresque parfait.Essaisurlesvoyagesratés, Paris, Payot & Rivages, 2008 ­ conclusion, en particulier « Le complexe de la boule de cristal », p.483 et suiv. « pour mémoire » 9 l hor s-sér ie -juillet 2012 58 schéma 3 schéma 4 J'explicite dans le schéma 3 le désert sous la forme du vide, la grégarité sociétale sous la forme de la foule, le rassemblement cénobitique sous la forme de la tribu, et l'expérience de l'altérité sous la forme de l'Autre avec un grand A. Si les miens sont des êtres familiers, les mêmes ne sont que des inconnus tandis que les autres sont des étrangers ­ soit trois paliers bien distincts au sein de relation interpersonnelle. Dans le quatrième schéma, je montre que le désir de soi est une démarche extrêmement réflexive et introvertie par définition. Je dirais que quelque part, par le discours au moins et sa stratégie de communication, la figure emblématique au plan professionnel de cette introversion est illustrée par un voyagiste comme Terres d'Aventure. C'est le tourisme du désert, de nature, le tourisme du vide, non pas tant pour partager une expérience que pour avoir une transe, seul, en haut d'une dune ou d'une falaise, tout seul face à l'infini, comme un grand. On trouve des discours proches de celui des hor s-sér ie - juillet 2012 mystiques dans le catalogue de ce voyagiste. C'est tout à fait étonnant. Quand on regarde bien, on dirait presque que « c'est beau comme du Ella Maillart10 ». Ensuite, vous avez le désir des siens. C'est la tendance la plus forte, avec ce resserrement sur la tribu, la famille, le clan, le club, les amis, en termes de villégiature ou d'itinérance en bande. Le modèle du voyage aujourd'hui est représenté par le nouveau concept des petits groupes, entre 6 et 12 touristes. Ce n'est plus du tout le voyage collectif. De même, les bonnes vacances sédentaires se passent dans la résidence secondaire ou dans la famille des parents, où l'on vit dans un espace clos. C'est le syndrome de Candide démultiplié : on cultive son jardin et on est très heureux comme ça. C'est d'ailleurs, fondamentalement, cette simulation autarcique qui attire les gens à la campagne. Dans l'enquête que j'évoquais ce matin, faite par l'Observatoire nationale du tourisme sur les vacanciers fidèles à la campagne, pour quelles raisons fondamentales les gens vont-ils à la campagne ? Ce n'est pas pour la nature (8% des cas) mais pour le silence et les retrouvailles en famille et entre amis11 . La nature, c'est plutôt maintenant la montagne et le littoral, même s'il est passablement artificialisé ! C'est une question d'image. Certes, le désir de foule existe. On peut parler ici des sites balnéaires. La plage est un phénomène colossal qui, loin de se démoder, s'exporte et se mondialise du Vietnam jusqu'en Basse Californie. En France, la plage a la vie dure en dépit de sa mauvaise réputation. Cette forme de tourisme, qui relève en fait de la villégiature, résiste fort bien aux critiques des hérauts des loisirs culturels. Elle représente 30 à 35 millions d'individus concentrés sur 4% du territoire national entre juillet et août. On va à la plage pas seulement pour prendre un bain de Cf. Jean-Didier Urbain, L'idiotduvoyage. Histoiresdetouristes, Paris, Payot & Rivages, 2002 ­ p.230-232 [1991]. 11 Cf. J.-D. Urbain, Paradisverts.Désirsde campagneetpassionsrésidentielles, op. cit. ­ par exemple, chapitre X. 10 l « pour mémoire » 59 mer mais aussi pour prendre un bain de foule. J'ai travaillé sur ce sujet 12 . Je peux vous assurer que sur une plage déserte, les gens qui arrivent, par exemple les deuxièmes, ne vont pas se mettre le plus loin possible des premiers arrivés mais assez près. C'est la stratégie du hérisson, comme dit Schopenhauer, assez près pour se tenir compagnie, mais pas trop près non plus de peur de se piquer. Mais on s'agglomère quand même. Il y a là un désir d'être ensemble qui se dit, y compris à l'insu de ceux qui l'expriment par leurs comportements. C'est la tentation sociétale. Je pense que les parcs à thèmes, les campings, les croisières, les voyages organisés collectifs à 30 ou 40 relèvent de la même tendance, tout comme les festivals, grandes célébrations affinitaires s'il en fut ! Quant au désir de l'autre, il y a bien sûr les tourismes responsable, solidaire et humanitaire. Mais il ne faut pas se leurrer. Ils sont encore très marginaux et je ne sais pas si l'on peut envisager dans l'avenir un grand basculement altruiste dans les pratiques touristiques et, a fortiori, les mentalités. La première destination du touriste reste lui-même et les siens. Il est trop tôt pour se prononcer. Mais il y a bien néanmoins, outre celui d'un tourisme ethnographique déjà ancien, un marché du tourisme humanitaire, tourisme interventionniste et participatif, qui se commercialise et valorise ses voyages comme des expériences (souvent très onéreuses) de stages auprès de ceux qui rêvent d'incorporer un jour une ONG. Une anthropologue travaille sur les ramifications et les aspects équivoques de ce marché qui ne dit pas toujours son nom et surtout ses contradictions13 . Pour finir, je situerai le concept du Club Méditerranée. Ce matin, quelqu'un a dit que le Club Méditerranée était assez proche de Cook ! ? Mais cela n'a strictement rien à voir ! A l'origine, le concept a été pensé par Gérard Blitz, diamantaire anversois que le gouvernement chargea au sortir de la Seconde Guerre de la réinsertion des concentrationnaires belges. A cette fin, Blitz loua un hôtel en Savoie pour leur réapprendre à vivre ensemble. Puis quand il alla rendre visite à sa soeur quelques années plus tard, qui dirigeait un camp de toile à Calvi, il se dit : « Mais bien sûr, ce dont les gens ont besoin, c'est de vivre ensemble 14 ». Il avait eu l'idée de ce marché, très porteur fin des années 1940, début des années 1950, en pleine période de reconstruction, de mutation et d'urbanisation de la société. Son coup de génie fut de vendre du lien social. Du moment qu'il y a le soleil, la mer et un lieu clos, le Club Méditerranée peut s'installer partout. Il n'a strictement rien à faire du dehors. C'est bien pour cela qu'il a introduit le paréo, y compris à Tahiti, mais aussi en Grèce ou en Sicile. Le Club est dans l'anachronisme le plus total parce qu'il est dans l'utopie sociale. Son projet n'est pas le monde mais l'entre soi. Ce créneau a fait la gloire du Club Méditerranée, qui s'est très astucieusement situé, me semble-t-il, à mi-chemin du cénobitisme et de la grégarité, sur la diagonale du plaisir qui relie la tribu à la foule ­ et réciproquement15 . M. Michaux évoquait le manque de recherche dans le domaine de l'anthropologie. Effectivement, je suis dans la logique de l'autofinancement et de l'autoproduction depuis des années. Nous manquons cruellement de recherches et de moyens d'en développer en la matière. C'est bien pour cette raison, et en dépit des multiples intérêts qu'il y aurait à le connaître mieux, qu'on ne sait pas le plus souvent qui est au juste le touriste, lequel est la plupart du temps mal nommé de surcroît. 12 J.-D. Urbain, Surlaplage.Moeursetcoutumes balnéaires(XIXe -XXe siècles), Paris, Payot & Rivages, 2007 [1994]. 13 Nadège Chabloz, « Lemalentendu.Les rencontresparadoxalesdu`tourismesolidaire' », in Nouvelles [?] frontières du tourisme, Actes de la Recherche en Sciences sociales, n°170, Paris, Le Seuil, 2007. Voir aussi, dans le même n°, « Visiter les pauvres » de Xavier Zunigo. 14 Voir le remarquable article de Alain Ehrenberg, «LeClubMéditerranée:1935-1960 », in Les vacances. Un rêve, un produit, un miroir, revue Autrement, n°111, janvier 1990 ­ p.117-129. 15 Pour plus de commentaires et d'exemples sur cette typologie, cf. J.-D. Urbain, L'EnvieduMonde, Paris, Bréal , 2011 ­ Partie V, p.187-226. « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 60 éclairages et témoignages Des congés payés à l'ARTT : petite histoire du tourisme social Patrick Brault, Président de l'UNAT Résumer cinquante années de l'histoire du tourisme social en une demi-heure, est une mission bien difficile mais je vais essayer d'être fidèle à cette belle histoire. Cette brève intervention porte sur la grande histoire du tourisme social : mon prédécesseur, François Soulage, aujourd'hui président du Secours catholique, disait, dans une préface au livre de Jacques Chauvin, que « le développement du tourisme social et associatif en France était sans doute l'une des plus belles aventures de la seconde moitié du XXè siècle ». Avant 1936, il n'y avait pas de tourisme très organisé mais des initiatives associatives et généreuses. Des organisations populaires et laïques, proposaient déjà quelques aménagements d'activités de loisirs, éducatives et sportives notamment auprès des jeunes et des enfants. Le premier grand opérateur fut la Ligue de l'enseignement, créée en 1866 par Jean Mace avec les fameuses « Demoiselles ». Ce n'était pas encore très structuré mais plutôt une idée humaniste et généreuse. Le Touring-Club de France avait été créé en 1890 surtout pour faciliter les déplacements, en s'occupant des hor s-sér ie - juillet 2012 l « pour mémoire » 61 routes, de toute la signalétique routière, des problèmes d'hébergement et de restauration pour les rares touristes d'alors qui pouvaient se promener. La première auberge de jeunesse a été créée en 1930 par Marc Sangnier militant démocrate chrétien, pour accueillir les jeunes. Le Centre laïque des auberges de jeunesse (CLAJ), constitué en 1933, connut un essor rapide : en 1939, il y avait déjà 500 auberges de jeunesse en France. La première maison familiale a été créée en 1897, à Sète, au Lazaret : il y en avait une quarantaine 1939, souvent gérées par des associations familiales et plutôt confessionnelles. Le 20 juin 1936, l'acte fondateur a été la création des congés payés par Léo Lagrange, alors secrétaire d'État aux Sports. Mais il faut reconnaître que ce droit n'était pas très demandé, et qu'il est venu s'ajouter dans une liste de revendications sociales. On s'est donc retrouvé avec douze jours de congés ! La SNCF a, paraît-il, transporté 900 000 personnes cette année là. Mais il n'y avait pas encore d'organisation efficace ni de lieu d'accueil. Le fait que des ouvriers partent en vacances, c'était une petite révolution qui n'était pas prévue. La première année, il n'y eut pas un succès extraordinaire. A cette époque, 12 à 15% des Français partaient en vacances. La démocratisation des vacances était en marche, mais on sait que la Deuxième Guerre mondiale brisa net cet élan. Au cours des années de reconstruction d'après guerre, Jean Monnet mit en place le premier plan touristique, avec Henri Ingrand, commissaire au Tourisme, et Vincent Planque, inspecteur général du Tourisme, qui a traité les trois premiers plans. Il s'occupa d'abord de l'hôtellerie puis du secteur des vacances sociales. La création de la Caisse nationale des vacances, ancêtre de l'ANCV, par Jules Moch en 1948 ministre des Travaux Publics en charge du tourisme, n'eut pas un grand succès et périclita au bout de quatre-cinq ans à cause du manque de financement de l'État pour couvrir la différence entre ce que payaient les salariés et la valeur faciale de ce chèque vacances de l'époque. Le monde associatif s'organisait petit à petit après la guerre, avec trois grandes mouvances : la mouvance laïque de l'éducation et des enseignants, la mouvance politique et syndicale (Tourisme et Travail en 1944) et la mouvance chrétienne et familiale. Il y eu aussi des initiatives personnelles comme la création du Club Méditerranée par Gérard Blitz, initialement sous statut associatif (1950). Le fort développement économique au cours des fameuses Trente Glorieuses permettait des conditions très favorables pour l'évolution rapide des congés payés (trois semaines en 1956, quatre en 1969, cinq en 1982) et la forte progression du pouvoir d'achat (selon les statistiques de l'INSEE, + 5,9% par an entre 1969 et 1973, avec une pointe de + 10% en 1962). Dans ce conteste, des acteurs institutionnels et sociaux s'impliquaient dans l'essor du tourisme social. Même si le ministère du Tourisme n'a reconnu le concept de village de vacances qu'en 1968, l'État s'impliquait quand même. D'abord le ministère de l'Agriculture pour participer à l'aménagement du territoire, puis plus tard, le ministère du Tourisme. Il faut souligner que la dernière implication de l'État, reste le plan Patrimoine puis le plan de consolidation initié par Michèle Demessine, qui s'est malheureusement arrêté depuis 2005. Les Comités d'entreprise s'impliqueront beaucoup et, plus tardivement, les Comités d'oeuvre sociale et les Comités d'action sociale qui apporteront des aides directes à leurs salariés, souvent attribuées en référence à des quotients familiaux. Il y avait aussi des apports aux associations, pour financer les investissements sur les équipements, en contrepartie de systèmes de droits de réservation prioritaire. On a ensuite vu la création de villages de vacances par de gros comités d'entreprises (CCAS, RATP, SNCF, France-Telecom, la Snecma, la Poste, Air-France, Michelin, etc.) ce qui pose d'ailleurs aujourd'hui des questions pour pérenniser ce parc. Les Caisses d'Allocation Familiales (CAF) apportaient une aide directe aux familles, via les Bons Vacances, chacunes avec ses critères sélectifs spécifiques, même si la Caisse nationale donnait (encore aujourd'hui) une orientation générale nationale sur la politique familiale des vacances. Le conseil d'administration de la CNAF a cessé d'attribuer des subventions pour la création et la rénovation d'établissements en 1994. Les CAF s'interrogent aujourd'hui sur l'avenir de leurs propres établissements et en confient maintenant la gestion de plus en plus souvent à des opérateurs associatifs. « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 62 La création de l'Agence Nationale du Chèque-Vacances (ANCV) en 1982, après une longue gestation, a donné naissance à un acteur essentiel dans le développement des politiques sociales des vacances. La progression de son activité a été très importante : 3,3 millions de salariés en ont bénéficié en 2010 (3 Mds d'encours) et 130.000 bénéficiaires d'aides directes en 2011 (21 M), avec des perspectives de croissance plus importantes depuis l'ouverture des chèques-vacances aux PME et PMI en 2009. Pour permettre l'accueil de tous les publics et favoriser la démocratisation des vacances, de très nombreux opérateurs ont vu le jour, surtout après guerre. On peut citer : Jeunesse au Plein Air, (JPA), l'an cienne fédération nationale des oeuvres laïques des enfants et des vacances des adolescents (1938) ; l'association Tourisme et Travail qui fédérait, au-delà de la CGT et du Parti Communiste, des organisations comme la CFTC (1944) mais qui a périclité en 1986. La Fédération française de Tourisme populaire en a été une scission (1949) ; L'Organisation Centrale des Camps d'Auberge de Jeunesse, OCCAJ, était plutôt dans la mouvance démocratechrétienne et a regroupé beaucoup d'opérateurs par la suite. Fédération des Maisons Familiales La (1949) ; L'association Léo Lagrange (1950) ; FNACVAL (1953) ; La Renouveau (1954) ; Ligue de l'Enseignement qui a créé La ses propres maisons familiales (1955) ; L'association VTF qui provenait de hor s-sér ie - juillet 2012 la fusion de fédérations de tourisme populaire des années 1945-1950 ; FUAJ un des acteurs très imporLa tants, fusionnée de deux fédérations en 1956, qui gère aujourd'hui 160 auberges de jeunesse en France, sans compter les réseaux internationaux ; Centre nautique des Glénans, créé Le par Madame Vianney à partir d'un centre de formation international (1946) ; l'association VVF créée à l'initiative de la Caisse des dépôts, de la CNAV, de la Fédération française de tourisme populaire et de l'OCCAJ (1958) ; l'Union des Centres de vacances UCPA qui a regroupé des centres de montagne et nautiques (1966) ; L'association VAL très concentrée à l'origine sur le développement touristique en Auvergne (1968) ; l'UES-Vacanciel qui regroupe toutes les mutuelles qui ont des politiques de vacances sociales. Je n'ai pas parlé de tous les opérateurs, mais on voit bien que, après la guerre, il y a eu des initiatives très importantes. Parallèlement, le taux de départs en vacances augmentait, comme l'ont montré les études de l'INSEE dans ce graphique (ci-dessous) fait par Gilles Caire. Quand on met en parallèle le taux d'équipement en voitures et en télévisions, on voit bien qu'il y a eu une progression forte depuis 1945. Mais, depuis 1990, ce taux de départ stagne et a même un peu régressé, malgré un léger progrès en 2010. Globalement, on tourne autour de 60% de taux de départs de nos compatriotes, ce qui veut dire qu'il y a environ 40% de Français qui ne partent pas en vacances. Le tourisme associatif à vocation sociale dispose de concepts et de valeurs. On en trouve les références dans des statuts et des chartes comme ceux de l'UNAT ou de l'Organisation Internationale du Tourisme Social (OITS) qui lors de son congrès de Montréal (1996) a ratifié et adopté une déclaration intitulée « Pour une vision humaniste et sociale du tourisme ». Les principaux critères de référence du tourisme social sont une activité créatrice de lien social, un objectif éducatif, culturel, social, sportif, et une Taux de départs français : Source des Taux de départ en vacances des en vacances INSSEfrançais 100,0 95,0 90,0 85,0 80,0 75,0 70,0 65,0 60,0 55,0 50,0 45,0 40,0 35,0 30,0 25,0 20,0 : Historique INSEE Estimations Automobile Vacances Téléviseur 1936 : 12 % 1951 : 22 % 1958 : 31 % 1964 : 44 % 1973 : 50 % 1980 : 57 % 1990 : 59 % 2000 : 62 % 2004 : 65 % 2009 : 56 % (1) 2010 : 61 % (1) (1) Source : Opodo/Raffour l « pour mémoire » 1964 1965 1966 1967 1968 1969 1970 1971 1972 1973 1974 1975 1976 1977 1978 1979 1980 1981 1982 1983 1984 1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 Union nationale des associations de tourisme et de plein air ­ www.unat.asso.fr 8, rue César Franck ­ 75015 Paris / Tél: 01 47 83 21 73 63 gestion désintéressée des équipements avec des résultats de gestion qui sont réinvestis par les opérateurs dans leur projet statutaire et non redistribués à des actionnaires privés La gouvernance est démocratique, souvent avec un statut associatif, qui n'est pas exclusif, mais qui reste très majoritaire. On peut aussi citer comme caractéristique du secteur la volonté de brassage social, une attention spécifique portée à la question des vacances pour les publics handicapés, des prix qui intègrent le souci de la pérennité économique mais aussi celui de l'objet social des membres de l'association, la dimension marquée du développement local et de l'aménagement du territoire qui vise à favoriser les partenaires et les emplois locaux, le respect des conventions collectives et des accords d'entreprise pour le personnel et, enfin, une ouverture européenne et internationale. A la fin des Trente Glorieuses, les temps ont changé. Le tourisme social a été confronté à sept principaux problèmes qu'il faut traiter : Un taux de départs en vacances qui stagne autour de 60 % et qui a même eu tendance à régresser depuis 2004 ; besoin important de rénovation Un d'un parc d'équipements vieillissant lié aux besoins de sauvegarde du patrimoine, à de nouvelles règles de mise aux normes ou en conformité et à l'adaptation aux attentes qualitatives de la clientèle ; Des financements qui se raréfient, avec la fin des interventions de la CNAF et de l'État en 2005 ; Les contraintes nouvelles de la directive européenne et la fiscalisation des associations dans les années 2000, avec la fameuse directive des quatre P (produit, public, prix, publicité) ; nouveaux concepts concurrenLes tiels, notamment l'hôtellerie de plein air et le développement des résidences de tourisme, des meublés, des gîtes ; nouveaux comportements Des de la clientèle (la fragmentation des séjours, les courts séjours, les loisirs de proximités) ; Des opérateurs historiques qui ne sont pas parvenus à réussir ces mutations et qui disparaissent progressivement du paysage. L'UNAT, est une belle aventure depuis qu'elle a été constituée en 1920 par l'Automobile Club de France, le Touring-Club de France et le Club Alpes français (qui est le seul membre fondateur encore existant, et qui vient de reconstruire « le refuge du Goûter » au pied du Mont Blanc, axé sur le principe très écologique de « zéro déchet »). Depuis 1929, L'UNAT est reconnu d'utilité publique. Notre siège social est installé depuis 1932 au 8, rue César Franck à Paris 15ème. Pour la petite histoire, l'UNAT traitait les examens du permis de conduire en France jusqu'en 1971 avant que le service ne soit repris complètement par l'État. L'UNAT est membre de l'Organisation mondiale du tourisme depuis 1963. On a créé en 1968 un fond mutualiste de solidarité et en 2006, l'association « Tourisme équitable et solidaire » (ATES) qui, avec une trentaine d'autres associations, fait du voyage solidaire, notamment dans les pays d'Afrique. L'UNAT assure la représentation et la défense de ses membres, le soutien de la politique sociale des vacances axées sur l'accessibilité au plus grand nombre, la représentation et les intérêts du tourisme français et de ses membres dans les instances internationales comme l'Organisation internationale du tourisme social (OITS). L'Union rassemble 56 membres nationaux. Il y a un peu plus de 500 membres régionaux dans 21 UNAT régionales, 1 500 établissements pour 226 000 lits touristiques (5 % du parc touristique français, mais 10 à 15 % des lits dits marchands) 3,3 millions de personnes accueillies pour 24 millions de nuitées, 2,6 Mds de chiffre d'affaires et 20 000 emplois ETP. Je finirai mon propos en évoquant les quatre grands enjeux du tourisme associatif à vocation sociale pour demain. Il faut qualifier la pertinence de son action économique et sociale. Elle est parfois remise en cause (« à quoi servez-vous ? Quel est votre rôle ? Quelle est votre pertinence puisqu'il y a 40 % Français qui ne partent pas en vacances ? »). Par les temps qui courent, ce n'est pas tout à fait évident de gérer des notions importantes telles l'intérêt général et le brassage social. Il nous faut aussi accompagner les politiques territoriales menées depuis 10 à 15 ans par les régions dans le cadre de leurs schémas directeurs de développement touristique. Une des priorités est de garder l'accessibilité de nos produits à travers les politiques tarifaires. Il faut adapter notre offre pour répondre aux demandes du plus grand nombre. « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 64 Pour la rénovation du parc d'hébergement, on fait plutôt du travail qualitatif que du travail quantitatif. Comme tous les autres secteurs du tourisme il nous faut encore plus travailler sur la qualité des prestations, l'évolution des normes et le développement durable. Ce sont toutes les questions que Jean Didier Urbain évoquait à travers l'évolution des désirs. Trouver des financements, c'est un vrai problème et une urgence. Globalement, le tourisme social s'est développé avec des financements publics ou d'acteurs sociaux et des financements venant de son exploitation. Demain, il faudra trouver ce que j'appelle une troisième voie financière, à partir de mécénats et/ou de sources diversifiées plus importantes ce qui commence à se faire. Le quatrième grand enjeu consiste à internationaliser son action. On a une opportunité qui s'ouvre : Depuis le traité de Lisbonne de 2007, le tourisme est devenu une compétence européenne. La Commission a récemment mis en place un pré-programme qui cherche à mobiliser l'ensemble du tourisme associatif dans l'ensemble des pays européens, baptisé du nom de « Calypso ». Il a été doté de 3,5 M pour faire une pré-étude sur les politiques sociales dans les pays membres et voir comment on peut faire des tests pour développer le tourisme social au sein de la Communauté européenne. L'UNAT et plusieurs de ses membres ont adhéré à l'OITS pour développer le tourisme social en Europe et demain mondialement. Échanges avec la salle Alain Monferrand Comme vous avez été d'une précision quasi suisse sur l'horaire, vous avez droit à des questions, j'imagine. Philippe Moisset Est-ce qu'on travaille avec un flux, un patrimoine d'associations fixes, et s'en crée-t-il encore ? Quelle est la dynamique des opérateurs aujourd'hui ? concours de BVA qui a été très probante sur ce sujet. Par exemple le tourisme social n'a jamais été très ouvert aux populations des seniors, même s'il y a des opérateurs spécialisés sur ce public comme Vacances Bleues. Hors depuis quelques années maintenant, nous accompagnons l'ANCV dans le développement de son programme « seniors en vacances ». Cela parait maintenant un enjeu d'avenir au vu de l'évolution sociétale. Patrick Brault Il se crée encore des petites associations locales mais peu qui ont une structure d'envergure au-delà de leur territoire proche. On est plutôt dans la recherche de regroupements, de mutualisation pour avoir une meilleure visibilité afin de pouvoir occuper à la fois le terrain économique et le terrain social. Jean-Didier Urbain C'est pour cela qu'il est important de penser qu'il y a des raisons sociales de ne pas partir. Patrick Brault On considère que c'est la moitié de la population française qui ne part pas pour des raisons économiques. Le reste, ce sont les freins sociaux, personnels, professionnels, etc. Philippe Moisset Il en disparait ? Patrick Brault Oui, il en disparaît, et quelque unes récemment encore. Ce ne sont pas de grands noms, heureusement. Jean-Didier Urbain Une chose m'avait beaucoup frappé. Une des raisons avancées, dans 10 % des cas, est la solitude : les célibataires, les veufs ou les divorcés sont des gens qui partent moins, parce qu'ils se sentent déjà fragilisés socialement au quotidien. Ils voient le voyage comme une surexposition. Jean-Didier Urbain Vous avez rappelé le taux de 40 % de Français qui ne partent pas. Il y a un problème qu'on avait soulevé à la DATAR il y a quelques temps : ces non-partants, on les estime un peu rapidement comme des gens qui ne partent pas parce qu'ils ne le peuvent pas. Or, il y a des non-partants volontaires. Patrick Brault Il y a d'autres freins. Je suis président d'une petite association qui s'occupe du départ en vacances, pour des publics familiaux et jeunes très fragiles. On a par exemple 3,5 millions de personnes en France qui sont qualifiées « d'aidants », et pour les Caisses de retraite, cette question de la dépendance devient un Patrick Brault Il y a une étude de l'ANCV faite avec le hor s-sér ie - juillet 2012 l « pour mémoire » 65 vrai sujet de société. Mon association a d'ailleurs reçu le 1er prix de la fondation AG2R pour l'action qu'elle mène auprès de ces publics d'aidants. En général, les aidants sont des enfants ou des parents qui aident toutes les personnes qui ne peuvent plus se déplacer et/ou qui ont des handicaps. Pour les « aidants », laisser seul pendant 15 jours l'un de leur proche qui est non-mobile pour partir en vacances, c'est psychologiquement impensable. Il faut donc mener toute une action d'accompagnement préalable au départ. Ils ont besoin en même temps d'un répit, parce que c'est très exigeant à tout point de vue d'accompagner quelqu'un qui est handicapé ou qui est dans une maison médicalisée. C'est un des sujets sensibles sur lesquels je travaille très fortement d'autant que ces situations se développent. Les Caisses de retraite sont fortement parties prenantes de ce programme. Dans les années 1990, avec le développement du marché du tourisme et la pression foncière, il y a eu une tendance et une volonté de faire partir le tourisme social de ses implantations, parce qu'il y avait la possibilité d'y réimplanter des activités touristiques beaucoup plus rentables, d'où une période assez difficile pour le tourisme social. Il avait des équipements devenus obsolètes, du fait du peu de moyens dont il disposait. Surtout, on souhaitait récupérer les terrains sur lesquels ils étaient implantés. C'est vrai qu'un VVF à Cogolin ou à Saint-Tropez, ce n'était pas aussi prestigieux qu'un hôtel 4 étoiles ou une résidence de luxe. Ce phénomène a-t-il eu tendance à s'atténuer, le tourisme social est-il sorti un peu de la zone de turbulence ou bien est-ce toujours pareil ? Sur le bord de mer, il y a bien sûr la pression foncière qui est extrêmement importante si on veut y garder des hébergements du tourisme social. Personnellement j'ai dû intervenir récemment sur des situations de ce type en tant que Président de l'UNAT. C'est un vrai problème que de pouvoir garder une accessibilité tarifaire pour le grand public dans des secteurs balnéaires. Alors que la mer reste très attractive pour des familles avec des enfants, on a du mal à conserver des établissements sur le littoral là où il y a des pressions foncières très fortes. Les collectivités concernées s'interrogent souvent pour pérenniser une activité de tourisme social alors qu'elles ont potentiellement sur place des actifs importants, qu'elles sont tentées de réaliser d'une manière ou d'une autre. Le tourisme social a une vraie difficulté devant lui, pour à la fois tenir 40 à 50 % du parc qui se trouve sur des territoires touristiquement fragiles (et tout ne pourra probablement pas être gardé en totalité) et conserver aussi un patrimoine dans les zones touristiquement attractives, tout en essayant de résister aux pressions foncières et immobilières. Je ne veux pas développer davantage, mais j'aurais beaucoup de choses à dire sur ce sujet crucial pour l'avenir du secteur. Gérard Ruiz Patrick Brault a souligné le rôle qu'a joué le secteur du tourisme social dans l'aménagement du territoire. Sous le contrôle de Philippe Moisset qui, je crois, l'a beaucoup vécu, le tourisme social a souvent été un des pionniers en matière d'aménagement du territoire parce qu'il a été appelé par des collectivités territoriales pour s'implanter dans des espaces où les investisseurs privés ne voulaient pas aller au départ et où il n'y avait pas de marché. Juste après la guerre, le tourisme social était certainement implanté dans les lieux les plus emblématiques du tourisme, tels que la presqu'île d'Hyères, à la montagne (La Plagne, l'Alpe-d'Huez, etc.) ou en bord de mer (en Bretagne...). Patrick Brault Je crois qu'il est en plein dedans. En gros, sur les 1 500 établissements du secteur, il y en a à peu près la moitié qui est la propriété d'une collectivité territoriale et l'autre moitié qui est la propriété de l'économie sociale (associations, caisses d'allocations familiales, comités d'entreprise, mutuelle, etc). On a bien les deux problèmes que tu cites. Il y a des contraintes économiques très compliquées sur les territoires : ainsi 40 à 45 % de l'offre de tourisme social est faite sur des territoires ruraux ou de moyenne montagne, en difficulté, qui ont souvent été créés avec des politiques d'aménagement du territoire par les compagnies d'aménagement de l'époque, comme la Compagnie du BasRhône, ou la Somival. Alain Monferrand Nous allons précisément, après cette question, parler d'aménagement. Les années qui ont vu le développement du tourisme ont vu aussi des tentatives d'aménagement de grands espaces. Il s'agissait des espaces de montagne « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 66 qui n'avaient pas encore fait l'objet de stations : il y en avait beaucoup, c'était un potentiel énorme. Philippe Moisset, à l'époque jeune ingénieur du Génie Rural à Chambéry l'a vécu. Il va nous parler du fameux plan Michaux ; Puis Jean-Pierre Catalàa, qui était l'adjoint de Monsieur Biasini, va nous parler de la MIACA, la Mission d'aménagement de la Côte aquitaine, un peu vécue comme une sorte d'amélioration par rapport à ce qui s'était passé avec la mission Racine sur la côte languedocienne. Dates clés Nombre de semaines de congés payés 1936 : 2 semaines 1956 : 3 semaines 1968 : 4 semaines 1982 : 5 semaines Camping 1936 : Illustration fournie par M. Boyer hor s-sér ie - juillet 2012 l « pour mémoire » éclairages et témoignages Les grands plans d'aménagement touristique des Trente Glorieuses 67 Le plan neige de l'ingénieur général Michaux Philippe Moisset, ancien directeur de l'AFIT ©MEDDE Je vais essayer d'évoquer rapidement les développements assez atypiques qui se sont produits durant cette période d'une trentaine d'années, en prenant le terme de « Plan-neige » au sens général, pour nommer le développement très volontariste du tourisme d'hiver qui s'est déroulé entre les années 1960 et 1990 dans les montagnes françaises. Je vous en parle comme un témoin, pas comme un universitaire ou un historien, pour vous donner des impressions, des souvenirs, des jugements qui, évidemment, peuvent sans doute être contestés. Mais on ne peut pas s'exonérer de son histoire, c'est le point de vue que j'ai mémorisé. Je vais vous parler d'un ensemble d'idées et d'opérations innovantes qui sont nées sur le terrain à cette époque, et non, comme on pourrait l'imaginer, dans les bureaux d'une administration centrale ou même dans le cerveau génial d'un ministre. Ce sont les Savoyards qui ont principalement inventé ce développement des stations de sports d'hiver : comme souvent, l'innovation est fille de la nécessité plutôt que de l'intelligence théorique. Il y a eu une récupération et un encadrement public par l'État central, à partir du moment où les choses se sont mises à décoller d'une façon un peu significative. Je vous ai parlé de la montagne avant le plan neige, non pas pour émettre l'idée que c'était vétuste et gris auparavant : en effet, il y avait, avant la guerre, des développements de stations de sports d'hiver, principalement à partir de sites habités existants (le téléphérique des Glaciers à Chamonix dans les années 1930, des remontées mécaniques à Val d'Isère,... qui s'étaient construites à partir de villages). Les sports d'hiver en tant que tels étaient identifiés comme une activité de loisir à la mode. Trois initiatives intéressantes en site vierge en sont le témoignage : un Anglais, Lindsay, qui s'était installé à Méribel parce qu'il trouvait ce village très joli et il avait commencé à développer la station, Rochebrune à Megève, lorsque la famille Rothschild décida d'en faire un lieu de villégiature et, en Italie, à Sestrières, avec Agnelli. Les sports d'hiver existaient déjà avant la guerre, la pratique de loisir du ski avait été déjà expérimentée depuis le début du siècle, ainsi que son développement en site vierge. C'est probablement ce qui a alimenté les réflexions de la période de l'occupation. Selon la légende, que je n'ai jamais vérifiée personnellement auprès de Maurice Michaux, il est convenu que ce dernier et Laurent Chapis, dans leur stalag de prisonniers de guerre en Allemagne, discutaient beaucoup de tout cela plutôt que de jouer aux cartes, Val-d'Isère : Téléphérique-1952 Camille Hugel « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 68 et inventaient petit à petit les principes des développements futurs de stations en site vierge. Rentrée en Savoie, cette équipe proposa une démarche étonnante au Conseil général qui topa pour créer quelque chose qu'on n'avait jamais vu : une station de sports d'hiver nouvelle, dans un site d'altitude, avec des idées d'aménagement bien arrêtées, sur la séparation du ski, des voitures et les pistes, qui devaient se concentrer sur une grenouillère devant les bâtiments afin de permettre une pratique sans recours à la voiture. La structuration de la pensée de l'aménagement de la montagne était faite. Le département accepta d'aménager la station de Courchevel comme un grand lotissement sur un espace de maîtrise foncière, de prévoir les pistes, d'installer les remontées mécaniques, de créer les infrastructures et de revendre les terrains équipés à des particuliers ou des promoteurs. A l'époque, quelques chambériens avisés ont acheté vraiment à bas prix les chalets du jardin alpin. S'ils les ont encore, je peux vous dire que la taxation des plus-values - heureusement c'est ancien ­ risque d'être assez sévère... Le département créait cette opération avec un moteur financier qui était la vente de lots à des promoteurs ou à des individuels. Bien entendu, il assumait le portage de l'opération parce que la difficulté de celles-ci consistait, comme toujours, à fournir la trésorerie intermédiaire entre le moment où on investit énormément et celui où l'agent commence à rentrer. La collectivité publique pouvait le faire à l'époque, financièrement et juridiquement. Et cela marchait. Pourquoi ? Parce que les aménageurs avaient vu juste. Ils avaient la liberté, sur un terrain qui avait été bien choisi, de placer les choses là où il le fallait et de tout faire fonctionner pour le plaisir du skieur, ce que ne pouvaient pas faire évidemment ceux qui tiraient des remontées mécaniques à partir d'un village où il y avait les parcelles, la redescente, où il fallait passer chez Albert et pas passer chez Jules... etc. C'était bien plus compliqué. Là, on faisait comme il fallait rationnellement faire. Voici Courchevel. Vous voyez le schéma général tel qu'il se développait à l'époque et qui était exemplaire. Les fondamentaux fonctionnaient bien, l'économie décollait. On s'apercevait que tout ceci reposait sur les deux marchés très solides de l'immobilier de loisir (on vendait des appartements) et du séjour. A l'époque, pratiquement jusqu'aux années 1980, il ne s'est pas fait beaucoup d'études marketing sur tout cela. On considérait que le marché était là. On était au temps des Trente Glorieuses. Les pouvoirs d'achat grimpaient, il y avait des clients pour tout ce qu'on faisait. Le modèle Courchevel n'était pas reproductible parce qu'il était trop public : il impliquait trop la collectivité publique et les crédits publics. Donc on partit sur l'idée de mettre en piste, à partir de cet exemple, des opérateurs privés, dont l'intervention était encadrée et facilitée par la collectivité publique. Petit à petit les opérations commencèrent à se multiplier. Parallèlement, un conflit latent commençait à se manifester. La création du parc national de la Vanoise en 1963 résultait d'un arbitrage, puisqu'il fallut y tracer une limite entre les territoires qui étaient considérés comme domaines skiables équipables et ceux qui relevaient de la hor s-sér ie - juillet 2012 Courchevel l « pour mémoire » 69 protection de la nature. Si on n'entendit pas trop parler de ce conflit à l'époque, cela tenait en grande partie aux qualités des négociateurs des deux côtés et au fait qu'ils avaient besoin de conclure. M. Bardel, le créateur du parc, était un homme remarquable, plein de diplomatie, de courtoisie, d'une grande qualité humaine. Cette négociation a abouti, le trait a été tracé : les domaines skiables ont été sauvegardés, l'essentiel de la nature a été protégée et mise en valeur. Cela s'est fait. Mais cette démarche a mis en valeur les potentialités du développement du ski en Savoie, et les protecteurs de la nature de l'époque, principalement des forestiers, commençaient à se poser des questions sur le développement de ce système. Les affaires démarraient. L'État suivait en créant au Fonds de Développement Économique et Social (FDES) des prêts bonifiés, principalement destinés aux remontées mécaniques. Pour juger des projets, il créa informellement une commission, la commission Michaux ; où on retrouvait les quatre ministères principalement concernés et qui émettait un avis sur la faisabilité des dossiers. Tout ceci se formalisa par suite des tensions avec les forestiers et les défenseurs de la nature. En 1964, le gouvernement créa une Commission interministérielle ad hoc, présidée par le Commissaire général au Tourisme. L'administration du tourisme avait alors la prééminence. Cette commission d'arbitrage sur les difficultés et des conflits et donnait le feu vert au développement des stations nouvelles. On créa un service spécialisé (le SEATM) qui avait la particularité d'être localisé à Chambéry et qui a été l'opérateur de la commission interministérielle. Il étudiait et rapportait tous les dossiers qui venaient devant la commission. A l'époque, des personnalités de premier plan soutenaient toute cette avancée, passablement savoyardes d'ailleurs. A l'origine, les conseillers généraux qui décidèrent de lancer la station de Courchevel étaient plutôt de gauche (Pierre de la Gontrie, Pierre Cot, l'ancien ministre du Front Populaire qui siégeait au Conseil général de la Savoie, le père de Jean-Pierre Cot, devenu ensuite ministre) mais aussi de droite (Antoine Borel ; les ministres ou secrétaires d'État au Tourisme Pierre Dumas et, ultérieurement ; Joseph Fontanet qui était président du conseil général en 1964) et des commissaires généraux (Ravanel, familier de Chamonix, JeanPierre Dannaud) tous des hommes de grande qualité qui accompagnaient cette aventure avec leur sensibilité propre. Le SEATM élaborait sa « doctrine ». Il faisait un recensement général des sites français de toute la montagne française, à partir de critères techniques stabilisés par l'expérience et que je ne peux traiter faute de temps... Il s'élaborait alors une doctrine technique assez cohérente, je pense, qui permettait de sélectionner les sites les plus favorables. Le plan neige proprement dit était inscrit dans le Plan national 1971-1976, avec des moyens pour subventionner les infrastructures, gérés par le SEATM sur proposition des préfets. Tout ceci était désormais impulsé fortement par le niveau central. J'ai écrit que le SEATM était respecté et détesté. Il était respecté parce qu'il était compétent, il était l'émanation d'une volonté de l'État, il rapportait auprès de la Commission interministérielle de la montagne, il donnait des feux verts pour des financements, il avait une compétence technique particulière sur les domaines skiables, avec Émile Allais et Jean Cattelin, et, enfin, il était très volontariste. Mais il était aussi détesté. Ce que ce que l'on ne dit pas beaucoup, c'est que le SEATM a largement contribué à tuer dans l'oeuf beaucoup de projets déraisonnables : cela ne faisait pas des amis. Des projets étaient déraisonnables parce qu'ils étaient mal situés, qu'on ne pouvait pas y accéder, qu'ils étaient à l'ombre ou les pistes au soleil, qu'il y avait trop d'avalanches. Il y avait là d'excellentes raisons techniques pour refuser des dossiers mais aussi la crédibilité de l'aménageur pressenti qui n'était pas sérieux ou n'avait pas la dimension suffisante. Entre 1965 et 1990, les développements de stations se multipliaient, dont beaucoup d'entre eux en Savoie. Après la mise à l'écart de Maurice Michaux au début des années 1970, le SEATEM poursuivit activement ses travaux sous l'égide de Vincent Cambau, qui aurait aimé être là aujourd'hui. Il a été mon patron au service de la montagne entre 1972 et 1978, le bras droit de Michaux et un des détenteurs de la mémoire du Service. J'aimerais « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 70 bien le décider à écrire. Car on a écrit sur l'action du SEATM plutôt dans les universités et les vrais acteurs n'ont pas, à mon avis, suffisamment témoigné. Il faudrait que je m'y attache avec Vincent ...si j'arrive à le décider... Tout ceci se déroulait jusqu'à l'année 1990 qui a été considérée comme un tournant par l'intervenant précédent. L'année 1990 a été la fin d'une étape. On se posait la question du développement un peu aveugle de la production de lits, alors que la clientèle stagnait déjà depuis un certain nombre d'années. Les taux de départ aux sports d'hiver n'évoluaient pas. Une grande étude démontrait qu'il faudrait commencer à être vigilant. Il y eut une crise immobilière, deux années de manque de neige, bref, ça commençait à aller moins bien. Mais tout ceci est une autre histoire. Je vous ai montré une équipe de patrons du SEATM, rassemblés en 2001 ; C'était à peu près figurateur parce qu'on y voit trois IGREF et trois ingénieurs des Ponts et Chaussées. Vous avez de gauche à droite Vézinet, Pesset, Huet (IGREF), Moisset, qui n'a jamais été directeur, mais seulement adjoint, Cumin, Cambau et Charry. En guise de conclusion, je dirai que cette histoire a été peu ordinaire. C'est si difficile de générer du développement. Je suis allé plus tard à la DATAR où c'est ce qu'on essaie de faire en permanence et j'ai pu constater combien ce n'est pas facile. Et pourquoi cela a-t-il si bien marché ? Je pense d'abord que la prise de risque sur le concept avait lieu sur le terrain chez des hommes qui ne savaient peutêtre pas à quel niveau ils risquaient leur argent ou leur image politique. En tout cas, cette prise de risque et le modèle ont été pris en charge sur le terrain par des acteurs proches des réalités et des clients. La démarche était rationnelle et méthodique, (c'étaient des ingénieurs.... des architectes aussi... Il y avait des architectes, mais ils se chamaillaient plus que les ingénieurs) Les marchés étaient très porteurs dans cette période des Trente Glorieuses. Il y avait du répondant. L'État savait mettre en place des financements à long terme parce que tous ces aménagements nécessitaient des financements à long terme et à taux bas. Les contrats publics-privés me laissent rêveur aujourd'hui. Pour avoir participé au conventionnement de contrats publics-privés récemment, ce sont des armées d'avocats très haut de gamme et très chers qui produisent des quantités de documents très épais où, tout est prévu. Ils se bagarrent longtemps. A l'époque, on faisait une convention de concession qui devait tenir en 15 pages et vogue la galère ! Finalement, ça s'est passé pas si mal ! Le soutien du SEATM était technique, mais il pacifiait aussi les relations entre le public et le privé. C'est-à-dire qu'il donnait confiance aux uns et aux autres. Il faisait un peu le «go between». Malgré des imperfections ici et là, l'effet économique a été fort et durable et dure encore. Équipe de patrons du SEATM : de gauche à droite, Vézinet ; Pesset ; Huet ; Cumin ; Cambau et Charry. hor s-sér ie - juillet 2012 l « pour mémoire » éclairages et témoignages Les grands plans d'aménagement touristique des Trente Glorieuses 71 La mission d'aménagement de la cote aquitaine (MIACA) Jean-Pierre Catalàa, ingénieur général des Ponts et Chaussées, ancien directeur de l'OREAM Bordeaux Aquitaine, organisme d'études de la MIACA Quand Alain Monferrand m'a demandé si je voulais parler de la côte aquitaine et de la mission interministérielle d'aménagement de la côte aquitaine, je me suis dit : « 40 ans c'est loin ». Comme des intervenants depuis ce matin remontent beaucoup plus loin dans le temps, il doit être possible de dire quelque chose. Simplement je demande votre indulgence en ce qui concerne les documents graphiques. Ce service était une administration de mission interministérielle qui n'était pas faite pour durer, Il n'a pas duré 40 ans, loin de là. Mes sources graphiques ne sont pas très abondantes mais heureusement Christian Queffélec devrait fournir des photos juste après mon intervention pour illustrer un sujet voisin. Pourquoi l'aménagement de la côte aquitaine ? Vous avez bien sûr en mémoire la mission Racine1 qui s'occupait de l'aménagement touristique du LanguedocRoussillon. C'était une opération très importante, avec une intervention massive, y compris de l'État, bien avant la décentralisation. Il y a eu dans cet aménagement la création, ex nihilo, de grandes stations comme la Grande Motte. Je ne précise pas davantage. Pour la côte aquitaine, le sujet était un peu différent. Peut-être à cause de la différence de climat, la pression touristique sur ce territoire était un peu moindre. Ce n'est qu'en 1967 que la mission interministérielle fut créée, en fait à la fin de 1969, au moment où Jacques Chaban-Delmas, ce n'était pas tout à fait un hasard, était devenu Premier ministre. C'était le Premier ministre, au travers de la DATAR, qui exerçait la tutelle sur ces missions. La MIACA était alors présidée par Emile Biasini que, sans doute, certains d'entre vous ont connu. On créait en même temps une Organisation d'Études et d'Aménagement pour une Aire Métropolitaine (OREAM) car la DATAR demandait à l'OREAM, que j'avais été chargé de diriger, d'être aussi la tête pensante de la MIACA. Elle était à sa disposition en priorité pour l'aménagement de la côte aquitaine qui était la plus grande urgence, sachant que, par ailleurs, on y élaborait les chemins d'aménagement de ce qu'on appelait une métropole d'équilibre à l'époque, en l'occurrence celle de Bordeaux. Certains ont connu ce genre de concept dans d'autres régions. Pour la côte aquitaine, que fallait-il faire il y a 40 ans ? En fait, le tourisme existait déjà sous une forme élitiste à Arcachon et sur la côte basque depuis le Second Empire puisqu' Eugénie, l'impératrice, aimait bien ces sites qui devaient lui rappeler son pays. En sus de cette clientèle de haut niveau, peu à peu, comme partout ailleurs se développait très progressivement le tourisme de masse avec les congés payés. Les conséquences en étaient le risque 1 La mission interministérielle d'aménagement touristique du littoral du Languedoc-Roussillon est une structure administrative française créée en 1963 par l'État pour conduire de grands travaux d'infrastructure en vue de développer le littoral de la Méditerranée dans les départements du Gard, de l'Hérault, de l'Aude et des Pyrénées-Orientales. Cette mission était rattachée à la Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale (DATAR). Son dirigeant était Pierre Racine. « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 72 d'éparpillement de l'habitat un peu n'importe où, l'absence d'équipement, puisque personne ne se sentait responsable de les apporter, et les menaces de destruction du paysage qui pourraient être irrémédiables, comme on l'a vu sur d'autres côtes, dont on ne s'est pas préoccupé assez tôt. Il y avait aussi une raison qui n'apparaissait peut-être pas au premier abord, la protection de l'ensemble du massif forestier des Landes qui donne faussement l'impression de quelque chose de solide, qui serait là depuis des millénaires. Ce n'est pas du tout le cas. Certains savent peut-être que ce qui constitue la forêt landaise était un territoire très fragile, très mobile. Les vents parfois très violents sur la côte poussaient les dunes, créant un territoire instable et en même temps très marécageux en beaucoup d'endroits. Par les pèlerins de Saint-Jacques de Compostelle, on a des témoignages remontant au moins au XIIè siècle, ce pays était extrêmement dangereux parce qu'il était mouvant et qu'évidemment s'y étaient installés des marginaux qui attaquaient parfois les voyageurs. Ce n'est qu'à la fin du XVIIIè siècle qu'un ingénieur des Ponts, Brémontier, eut l'idée ­ et l'appliqua jusque vers 1810 ­ de fixer la dune sur le littoral d'abord puis de planter des pins sur l'ensemble de ce territoire. Cela explique l'uniformité de cette forêt mais la fragilité du substrat est restée. Donc, il fallait faire quelque chose. Vous allez comprendre assez vite. Quelquefois je me dis : « je raconte tout cela, alors que ces idées, notamment de protection de l'environnement, de hor s-sér ie - juillet 2012 lutte contre les diverses attaques par l'homme sont devenues la tarte à la crème d'aujourd'hui, où l'on se préoccupe davantage d'environnement, de développement durable, etc. Mais est-ce si évident ? ». Je vais vous rappeler ce qui était plus novateur à l'époque. Le schéma général d'aménagement était basé sur 3 principes : Empêcher la construction sur une grande partie du littoral, partout où il y avait la possibilité de ne pas construire et de conserver le littoral en l'état, en maintenant les quelques maisons qui pouvaient déjà y exister. Il fallait imiter l'urbanisation à quelques espaces et surtout greffer les extensions sur l'existant. Contrairement au Languedoc-Roussillon, il ne s'agissait absolument pas de créer des urbanisations nouvelles de grandes stations exnihilo. Cadrer ces extensions : même là où on admettait qu'il fallait urbaniser car il fallait bien recevoir les touristes, protéger au maximum en faisant des coupures à l'intérieur même des stations, protéger la nature, diversifier les hébergements parce qu'il y avait surtout des résidences secondaires et, spontanément, des lotissements sauvages qui s'étaient créés n'importe où dans la forêt, sans assainissement, sans rien, tout comme des campings, c'est-à-dire le degré zéro du tourisme à l'époque. Conforter cet espace en le dotant d'équipements touristiques beaucoup plus importants de sorte que les touristes ne se contentent pas d'aller sur la plage quand il fait beau. La partie nord du schéma d'aménagement correspond à la Gironde de la pointe de l'estuaire jusqu'au bassin d'Arcachon et la partie sud au littoral landais vers les étangs de Biscarosse et de Cazaux jusqu'à l'embouchure de l'Adour près de Bayonne. Comme on le voit dans les deux schémas, la côte a été divisée en des parties réservées strictement à des secteurs d'équilibre naturel et en des secteurs appelés unités principales d'aménagement, encore une fois greffées sur l'existant. Sur le premier schéma, on aperçoit 3 unités dans le Médoc, 3 autour du bassin d'Arcachon et 3 dans les Landes. Une fois ce schéma fait, on a réuni des équipes d'architectes pour que chacune des unités d'aménagement fît l'objet d'un schéma particulier, évidemment en rapport avec ce qu'on pouvait espérer en capacités d'hébergement et pour rendre effective la défense de la nature et de l'environnement. Ces équipes devaient comporter systématiquement des architectes et des urbanistes du cru, même quand elles étaient dirigées par un grand nom de l'architecture, car il nous paraissait important dans un contexte régional déterminé et un milieu naturel un peu spécial, que ces équipes ressentent et expriment cette sensibilité particulière au pays. On définissait, cela vous paraîtra trivial, des capacités d'hébergement à l'horizon de 15 ans. On s'était fixé l'échéance de 1980, en répartissant dans les différentes formes d'hébergement, leur localisation et les équipements qui comprenaient la protection et la mise en valeur des pay- l « pour mémoire » 73 et la forêt de protection qui est juste derrière. La forêt peut être complètement désarticulée par le vent marin, très fort à certaines époques. Lorsque le sol est piétiné, elle est mise en danger assez vite. Il fallait donc trouver des lieux pour garer les voitures, sans les placer n'importe où dans la forêt, et faire des cheminements y compris jusqu'à la plage, sur des caillebotis ; tout cela est banal mais nécessaire. Ces schémas étaient faits pour être approuvés en 1972. En fait, ils ont eu plusieurs vocations. L'une d'entre elles a consisté à donner la possibilité de les protéger, y compris sur un plan juridique, pour maintenir leurs prescriptions dans la durée et permettre leur réalisation. Ces schémas, déclarés directives nationales d'aménagement, avaient une valeur urbanistique, d'après la loi foncière de 1967, et s'imposaient aux documents d'urbanisme de l'époque. Je n'ai pas le temps de parler du lancement des opérations, ce qui n'était pas dans ma responsabilité. Les schémas définissaient la façon selon laquelle il fallait négocier avec les opérateurs privés ou semi-publics. Il y avait des actions transversales classiques. On pratiquait une politique de protection foncière car le risque dans tout aménagement, urbain ou non, est que la spéculation vienne contrarier, à cause des pressions de toute nature, la possibilité, y compris financière, de faire les opérations. On utilisait les armes disponibles à l'époque: les zones d'aménagement différées permettaient de préempter les terrains au prix antérieur à « pour mémoire » l'aménagement et d'acheter des terrains dans les territoires exposés. La MIACA fut prolongée en 1976 jusqu'à 1981, je crois. Elle avait été reçue assez fraîchement par les élus, toujours un peu jaloux de leurs prérogatives et de leurs possibilités de faire plaisir pour un permis de construire. Grâce au débat et à la publicité qui en a été faite, une grande campagne de communication permit de se rendre compte que, au bout de 10 ou 15 ans de travail, il y avait une demande des élus locaux pour que l'opération continue. Comme la décentralisation est arrivée en 1982-1983, les moyens de l'État n'étaient plus les mêmes, ni sa politique d'intervention. Mais on se rend compte, que ce qui avait présidé à la politique équilibrée d'aménagement que j'ai essayé de décrire dans ses grandes lignes a subsisté par la suite. Pour l'illustrer, le mieux est encore d'aller sur place. Après coup, le résultat est assez sympathique, quel que soit le lieu où vous irez. sages et notamment celle des espaces les plus délicats comme la dune côtière l hor s-sér ie -juillet 2012 74 éclairages et témoignages Les premières stations balnéaires en Europe Par Christian-Noël Queffélec Architecte - Ingénieur Général Hastings en 1910 le bord de mer Les études archéologiques et les textes montrent que l'idée même de ville balnéaire est fort ancienne. La ville Edipsos en Eubée (ville grecque de la mer Egée) était un lieu de plaisance autant qu'une station médicale. Les plus riches et les plus puissants des grecs considéraient qu'il était de bon ton d'y avoir une villa et ils rivalisaient entre eux à qui déploierait le plus de luxe et de goût pour son installation. hor s-sér ie - juillet 2012 Les Romains également, raffolaient des criques de la Méditerranée. Strabon qui écrivit une géographie de l'Italie à l'époque d'Auguste et de Tibère, observait que la frange côtière, du cap Misène (près de Naples) jusqu'au promontoire des Sirènes (face à Capri) - soit une cinquantaine de kilomètres - était totalement urbanisée. Il notait que les résidences et les jardins offraient une vision d'une cité ininterrompue. Auguste avait fait de Capri sa résidence personnelle, Tibère s'y installa à demeure à la fin de son règne. Mais ce mode de vie ne résista pas à la chute de l'empire. Les villas furent abandonnées. Il fallut attendre le XVIe siècle pour que le littoral soit l'objet d'une nouvelle considération. l « pour mémoire » 75 Les stations balnéaires en Angleterre Site thermale et site balnéaire : des lieux de thérapie En Angleterre, l'utilisation de l'eau à des fins thérapeutiques n'était pas nouvelle. Au Moyen Age, il était courant de partir en voyage pour aller chercher la guérison en des centres religieux, où l'eau jouait un rôle. La suppression des monastères dans les années 1530 mit rapidement fin à ces pratiques, du moins ouvertement, et dans une ville comme Bath, les sources existantes furent davantage associées aux cures laïques. Dans les années 1630, on découvrit des sources d'eau minérales à Tunbridge Wells, à Epsom, à Harrogate, et surtout à Scarborough sur la côte du Yorkshire ; ces villes constituèrent, avec Bath, les principales stations thermales de l'Angleterre du XVIIe siècle. Depuis le milieu du XVIe siècle, de nombreux médecins s'intéressèrent à l'action des bains froids sur la santé et au début du XVIIIe siècle, la pratique de la mer tant pour le plaisir que pour des raisons de santé1 était largement répandue et la plupart des côtes servaient à ces pratiques occasionnelles. La découverte d'une source d'eau minérale à Scarborough, conduisit à la création d'une station thermale, qui attira certains des membres les plus riches de la société du nord de l'Angleterre. Scarborough fit l'objet du tout premier guide de bord de mer, publié en 1734, dans lequel figurait une gravure montrant des gens se baignant pour la première fois dans la mer, certains à partir d'une cabine de bain roulante, bathingmachine2 . Vers le milieu du XVIIIe siècle, de nouvelles stations se créèrent sur le littoral. La plupart des nouvelles stations se développèrent dans le sud-est de l'Angleterre, profitant de la proximité de Londres. Au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle, les vacanciers séjournaient sur la côte du Kent à Ramsgate, à Douvres, à Folkestone et à Deal, et dans le Sussex à Hastings, Seahouses près d'Eastbourne et Worthing. Dans l'East Anglia (au nord de Londres), le petit hameau rural d'Old South End se transforma en station balnéaire. On peut aussi mentionner Great Yarmouth, dont les premiers bains furent construits sur la plage en 1759 pour un coût de 2 000 livres, investissement considérable pour l'époque. Dans le sud-ouest, plusieurs stations prospèrent dans le voisinage de Bath. En 1748, Weymouth se dota d'un établissement de bain, Teignmouth attira également des visiteurs et Exmouth reçut des habitants d'Exeter soucieux de soigner leur santé. Les stations balnéaires furent moins nombreuses dans le nord de l'Angleterre. Néanmoins, un établissement de bains est mentionné à Liverpool en 1708, sur la côte Est, près de Scarborough, à Whitby. Plus haut, sur la côte du Lancashire, Blackpool était encore un modeste hameau lorsqu'arrivèrent les premiers baigneurs en 1750. Le logement, équipements de loisirs et phase de développement Les tout premiers visiteurs devaient se loger chez l'habitant. A partir du milieu du XVIIIe siècle, on commença à construire des maisons individuelles plus grandes et plus confortables, avec des chambres supplémentaires permettant d'accueillir des visiteurs pendant l'été. 1 Ce fut le docteur Russel qui allait asseoir définitivement les vertus de l'eau froide et salée. Il publia, en 1750, A Dissertation on the Use of Seawater in the Diseases of the Glands. Russel ne faisait que redécouvrir d'anciens préceptes, dans L'Usage des Liquides, Hippocrate recommandait l'eau de mer pour les irritations de la peau. Pline l'Ancien fournissait dans son Histoire naturelle une recette pour une purge idéale : un tiers d'eau de mer, un tiers d'eau de pluie, un tiers de miel. Et Avicenne recommandait de se laver les dents à l'écume... Russel fut suivit de peu par l'écrivain britannique Tobias George Smollett (1721-1771), qui rédigea, en 1752, An Essay on the External Use of Water [...] with Particular Remarks upon the Present Method of Using the Mineral Wasters at Bath in Somersetshire, and a Plan for Rendering Them More Safe, Agreable and Efficacious. 2 Cette bathing machine est un dispositif inventé pour pénétrer dans la mer, à bonne hauteur, sans être vus des importuns. Il s'agissait d'un chariot tiré par des chevaux qui se présentait sous la forme d'une cabine posée sur quatre roues, dont la porte d'accès se trouvait à l'arrière, à l'opposé du siège avant réservé au conducteur. Une fois arrivée à un endroit ou la hauteur de l'eau était de l'ordre du mètre, la roulotte était disposée, l'arrière vers le large. On descendait alors une large capote en demi-cercle, allant jusqu'à l'eau ; on plaçait une échelle descendant de la plateforme du véhicule jusqu'au sol. Le baigneur utilisait ce chemin pour se plonger dans la mer ou bien se laisser porter par un assistant, le maître baigneur. Ce dispositif inventé par Benjamin Beatle apparait sur un dessin de Margate, datant de 1753 attribué à James Theobald. En 1810, la ville devait disposer d'une quarantaine de ces machines. « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 76 En 1769 commença une nouvelle étape dans l'essor des stations balnéaires anglaises. Elle fut marquée par la construction de Cecil Square à Margate sous la direction d'une association de propriétaires fonciers et d'hommes d'affaires. Cette nouvelle place, située en dehors du centre historique, établie en 1769 par « Mr Cecil, sir John Shaw, sir Edward Hales et quelques autres gentlemen » comprenait des bâtiments formés de grandes maisons familiales où devaient être hébergés des visiteurs durant l'été. S'y ajoutaient une rangée de magasins et une salle de fêtes construite sur mesure, ainsi qu'une bibliothèque de prêt, établie devant Fox's Tavern. Quelques années plus tard, tout près de Cecil Square, sir Henry Hawley créa Hawley Square. Achevée avant la fin des années 1780, cette place réunissait des maisons, une grande bibliothèque de prêt et un théâtre. Cette première génération de stations côtières connut un essor rapide durant les trente dernières années du XVIII e siècle. Au début du XIXe siècle, certaines stations s'agrandirent au même rythme que les nouvelles villes industrielles. En 1837, année de l'accession de la reine Victoria au trône, l'Angleterre disposait de toute une série de stations grandes ou petites, qui accueillaient des dizaines de milliers de visiteurs. Elles pouvaient s'enorgueillir de leurs bathing machines, de leurs salles de fêtes, de leurs théâtres, de leurs bibliothèques de prêt ainsi que de longues rangées de pensions de famille. hor s-sér ie - juillet 2012 L'exemple particulier de Brighton Brighton, avec sa plage bien orientée au sud, ponctuée par des célèbres pontons (piers) et bordée d'une large promenade, son élégante architecture géorgienne, regency et victorienne, les ruelles tortueuses de son quartier de pêcheurs contrastant avec les espaces verts et les allées généreusement fleuries devint le symbole et la reine des stations balnéaires anglaises. Elle fut lancée, au milieu du XVIIIe siècle, par le docteur Richard Russel qui vanta les bienfaits des bains de mer et l'absorption d'eau salée. Elle prit de l'importance, grâce au prince de Galles qui s'attacha à ce qui était autrefois un vieux village de pêcheurs, tombé en désuétude, du nom de Brighthelmstone. Le prince de Galles, futur George IV (1762-1830) séjourna à Brighton, apprécia le lieu et s'y implanta, entrainant avec lui bon nombre de serviteurs et de courtisans. L'intérêt manifesté pour ces nouveaux lieux tenait tout autant à la recherche d'un cadre de vie nouveau, différents des lieux traditionnels à la mode, comme Bath. En 1783, on organisa à Brighton des réunions hippiques. Le prince de Galles trouvait là un moyen d'échapper à ses créanciers qui assaillaient son palais du Carlton House à Londres. Une ancienne ferme en bord de mer lui servit de demeure. L'intervention de John Nash la transforma en Royal Pavilion, un symbole durable de l'architecture balnéaire. Nash, dont l'épouse était la maîtresse du prince, bâtit un pastiche du Taj Mahal. Le Pavillon Royal, cet édifice à l'orientale, tout de stuc et de pierre, reflétait l'éclatante personnalité de George. L'appel à John Nash et à Le Royal Pavillon à Brighton en 1902 l « pour mémoire » 77 des décorateurs de goût, permirent de créer un décor flamboyant unique pour les extravagantes festivités de cette véritable cour balnéaire, symbole de l'époque régence. Le pavillon, avec sa silhouette extraordinaire, toute de dômes bulbeux, de pinacles, de tourelles et de flèches, était une libre interprétation de l'architecture indienne, style auquel on donna le nom de gothique indien. A l'intérieur, toutes les pièces furent somptueusement décorées et meublées avec un style chinois dominant. Les visiteurs de l'époque ne manquèrent pas de se moquer de ce bâtiment. William Hazlitt y voyait des citrouilles et des boîtes à poivre, Cobbett, un assemblage de bulbes de tulipes et de navets. A partir des années 1820, allait se constituer un front continu en bord de mer. L'ensemble le plus ancien, le Royal Crescent (1798-1807) est caractérisé par des ardoises noires disposées de façon géométrique. Puis Thomas Read Kem lança, en 1823, la construction d'un grand lotissement sur ses terrains à l'est de la ville, inspiré par le travail de John Nash à Regent's Park ; les travaux s'étalèrent sur les deux décennies suivantes. A l'extrémité ouest, à Hove, Brunswick Town se construisit à partir de 1825, sur des terrains appartenant à la famille Scutt. Kemp Town et Brunswick Town, banlieues de Brighton, disposèrent de grandes places construites sur trois côtés, les extrémités ouvertes de la place étant reliées par une rue en arc de cercle. Brunswick Square (1825-1827) est remarquable par ses stucs, ses bow-windows, ses détails classiques et son élégante ornementation de fer forgé ouvragé. A l'extrémité Est, Lewes Crescent/Sussex Square, le coeur de Kemp Town, fruit des ambitions de Thomas Reid Kemp, est un ensemble grandiose. Sur ce front de mer, l'architecture victorienne vint mettre sa touche avec le Grand Hôtel et l'hôtel Métropole. Brighton possède un front de mer particulièrement étendu. Marine Parade part de Kemp Town à l'Est et se prolonge sous le nom de King's Road à l'Ouest jusqu'à Adélaïde Crescent, ce qui constitue une magnifique façade de plus de 2 1/2 miles, défendue par un mur contre la violence des vagues. Elle se prolonge jusqu'à la mer grâce au West Pier (construite en 1822 par Sir S. Brown et prolongée en 1866), et le Palace Pier, une jetée plus récente, longue de 500 mètres et à l'extrémité de laquelle s'élevait un élégant pavillon où se donnaient des représentations variées. Le Sea Life Center se dresse non loin du Palace Pier, point de rencontre des promenades supérieures et inférieures. Dans un aquarium en voûte, d'époque victorienne, le plus grand du monde à son inauguration (1872), on pouvait observer la vie sousmarine sous toutes ses formes, et de très près, on pouvait aussi se promener dans un impressionnant tunnel transparent au-dessus duquel évoluaient requins, pastenagues et anguilles de roche. Dès les années 1840, la compagnie de chemin de fer London, Brighton et South Coast, permit à un nombre sans cesse croissant de vacanciers de toutes classes sociales de se rendre à Brighton devenue véritable « Londres-sur-Mer ». D'autres sites connurent des destins analogues : Eastbourne, bien abrité par les South Downs la péninsule de Thanet, à l'est de la capitale, riche de ces trois stations majeures que furent Broadstairs, Margate et Ramsgate. enfin l'île de Wight connut un début de notoriété dès les années 1830 avec la reine Victoria, qui fuyait l'affluence de Brighton y trouva, pour quelque temps au moins, refuge. « pour mémoire » Le front de mer et le Brighton Hôtel l hor s-sér ie -juillet 2012 78 Les rivages de la mer du Nord Après l'Angleterre, la mode des bains de mer se répandit sur les rivages de la mer du Nord. Les fondateurs des établissements furent, bien souvent, des praticiens ayant fait leur apprentissage à Brighton ou à Scarborough. Avant la fin du XVIIIe siècle, il existait déjà une concurrence sévère entre les villes de Doberan et de Nordeney. Dans une analyse de climatologie comparée, il ressortait que la Baltique, aux marées moins marquées, aux vents moins violents, convenait aux complexions plus fragiles, tandis que la mer du Nord, plus agitée, était à conseiller aux tempéraments robustes. Parmi les foyers qui apparaissent à cette époque sur la côte, jusqu'à la frontière française, figuraient Scheveningen et Ostende. Scheveningen était fréquentée depuis longtemps - Voltaire et Diderot la mentionnaient et, avant eux, des voyageurs anglais dans leur Grand Tour. Ils venaient admirer la façon dont les Hollandais avaient su prospérer à l'abri de leurs formidables digues. d'une vocation balnéaire se confirma au XIXe siècle, entretenue par une clientèle d'anglais qui venaient visiter le site de la bataille de Waterloo. Le consul d'Angleterre fit construire un des premiers bâtiments sur la digue, le Pavillon Anglais. Dès 1834, la famille royale manifesta son intérêt pour la station balnéaire ; le roi Léopold Ier y séjournait. La villégiature royale fit rapidement d'Ostende un endroit à la mode pour la noblesse et la haute bourgeoisie. En 1839, Ostende fut reliée à la capitale par voie de chemin de fer et en 1846, on inaugura la malle Ostende-Douvres. L'architecte Henri Beyaert construisit en 1850 le premier Casino-Kursaal d'Ostende ; le bâtiment était en bois car, comme tous les bâtiments de la digue, il devait pouvoir être démoli rapidement en cas de guerre. En 1865, la ville d'Ostende fut démilitarisée ; une fois les fortifications démolies, la ville se développa rapidement. Ostende fut la résidence d'été du roi Léopold II. Féru d'urbanisme, le roi marqua la ville de son empreinte. Elle était le second port de Belgique, le lieu d'un trafic de voyageurs extrêmement important entre le continent et l'Angleterre. Comme infrastructures importantes, elle possédait en premier lieu une très grande digue, construite en blocs de pierre, de près de deux kilomètres de long sur dix mètres de haut et trente mètres de large, en comptant le chemin des voitures. Elle était bordée de grandes constructions neuves dont des hôtels et des villas. La principale était le Kursaal, bâti de 1876 à 1878, sur les plans de Naert, architecte de Bruxelles. La digue se prolongeait au-delà du palais du Roi, édifice dans le style des chalets, Ostende (ou Oostende en néerlandais) Au XVIIIe siècle, la mode des bains de mer, qui s'était développée en Angleterre, gagna la Belgique. Le début La plage et le Kursaal à Ostende hor s-sér ie - juillet 2012 l « pour mémoire » 79 jusqu'au fort Wellington, non loin de l'hippodrome Wellington, qui venait d'être aménagé. La seconde infrastructure structurante se trouvait être l'estacade, au N-E de la digue, composée de deux longues jetées protégeant l'entrée du port et s'avançant au loin dans la mer. Au-delà de l'entrée du port et du bassin de chasse, fut implanté le nouveau phare, haut de 57 mètres, qui permettait de voir à dix lieues du côté de la mer. Ostende était une des villes balnéaires les plus importantes de l'Europe. La saison allait du 1er juin au 15 octobre. Le nombre des étrangers qui fréquentaient la station s'élevait à plus de 12 000 chaque saison. Cette activité se concrétisait par un nombre conséquent d'hôtels, présents sur la digue ou répartis dans la ville. A l'intérieur de la ville, ils étaient aussi très présents, et leur nom faisait référence aux grands personnages publics, ainsi qu'aux contrées proches ou lointaines des estivants. Tous les hôtels de la digue et beaucoup de ceux de la ville restaient fermés en dehors de la saison. Il s'était aussi développé une pratique de la location dans des hôtels garnis ou des appartements meublés, qui trouvèrent place près de la digue et dans la ville. La pratique du bain de mer restait une pratique téméraire ; on pouvait également faire des promenades en bateau ; il en coûtait un peu. D'autres amusements étaient prévus : ânes et poneys, à l'extrémité sud de la digue ; courses à l'hippodrome Wellington, plusieurs fois dans la saison. Mais la plus simple des distractions consistait à jouir du paysage « pour mémoire » Les chariots en bord de mer à Ostende Le ManuelduVoyageurde Baedeker, de 1885, décrivit avec précision les habitudes en matière de bain de mer, pratique hautement codifiée. « On se baigne de 7 heures du matin à 7 heures du soir. On se procure les cartes nécessaires au bureau sur la plage. Un coupon donnant droit à une cabine (pas plus de 40 minutes), y compris le costume et deux serviettes, un franc, deux serviettes en plus, 20 centimes. On paie 50 centimes pour les enfants en dessous de 6 ans. Les baigneurs font bien d'avoir leur propre costume (5 francs et dessus dans la plupart des magasins de la rue de Flandres) quoiqu'il faille payer autant pour le faire garder que pour en louer un, car celui qu'on vous donne n'est pas toujours bon. Le baigneur ou la baigneuse, dont on peut très bien se passer, se paie 50 centimes. On donne cinq centimes au conducteur et autant à la personne qui nettoie la cabine ». Apparemment, il était impossible de s'affranchir d'un certain nombre de rites, dont le plus étonnant restait l'usage de ces cabines roulantes. Les deux sexes se baignent en commun, en costume complet. « On prend une carte et son costume et l'on monte dans la première cabine venue. Aussitôt un cheval s'y attelle pour vous conduire dans la mer, et le conducteur frappe un coup de manche de son fouet sur la cabine, pour vous avertir de vous asseoir, parce qu'on va partir. En sortant de la cabine pour entrer dans l'eau, on en remarquera bien le numéro pour n'avoir pas à la chercher trop longtemps au retour. A la partie antérieure de la cabine se trouve un cordon que l'on tire, lorsqu'on désire être ramené à terre. Il faut avoir soin de tourner le dos aux vagues qui déferlent ; avec un peu d'exercice on n'aura plus de peine à résister aux assauts de la lame. Si les vagues sont faibles ou font tout à fait défaut, on peut se faire donner des douches par le baigneur, c'est-à-dire se faire jeter de l'eau de mer par un baquet ». « Quant à la durée des bains, il serait difficile d'établir des règles absolues. La règle des Anglais, qui font autorité en matière de bains de mer, est : « three dips and out », trois plongeons et sortir ; toutefois on pourra fort bien, suivant sa constitution, rester 2, 4 et même 10 minutes dans l'eau. L'essentiel est de ne pas attendre, pour sortir, un second frisson ». l hor s-sér ie -juillet 2012 80 de la mer et de la foule, sur l'espace urbain majeur de la ville : la digue. Pour une clientèle mondaine, il y avait bien sûr le Kursaal et le Casino. Des restaurants, « Le premier est le Kursaal, qui comprend en outre un café et un cabinet de lecture, avec une grande salle où l'on peut mettre environ 400 tables et que l'on ferme au besoin avec des châssis vitrés. Il y a deux étages de galeries qui offrent la vue la plus étendues sur la mer et sur la terre ferme. Le Kursaal est le rendez-vous du monde élégant des bains et n'est ouvert qu'aux abonnés. Abonnement valable aussi pour le Casino ». La ville, qui connaissait une étonnante réussite, continua à s'étendre. En 1905, d'importants travaux furent entrepris à Ostende, dont l'église Saints Pierre et Paul, le théâtre, le bâtiment de la Poste, le pont Comte de Smet de Naeyer et les Galeries royales. D'autres exemples similaires pourraient être donnés : Blankenberghe (située à une dizaine de kilomètres de Bruges et une quinzaine d'Ostende) et à quelques kilomètres à l'est, Heyst, ou enfin Scheveningen, située sur la mer du Nord, à quatre à cinq kilomètres de La Haye. Dieppe l'hôtel Royal et le casino Dieppe, première station balnéaire Le modèle anglais Installée à l'embouchure de l'Arques, sur un amas de galets encadré par deux falaises, Dieppe (du mot norrois, la langue des Vikings, djepp, « profond ») hor s-sér ie - juillet 2012 dut son développement aux relations tumultueuses avec l'Angleterre 3 . La cité était une étape incontournable entre Londres et Paris, combinant, à partir de 1848, bateaux à vapeur et chemin de fer. La ville put alors bénéficier de l'installation d'une colonie anglaise qui contribua à l'éclosion, tout au long du XIXe siècle et de la Belle Époque, d'activités nouvelles, tels que les bains de mer, les courses de chevaux, le golf ou encore le football. thermales. Séduits par la réussite cet établissement, en 1776, Louis Laurence et Pierre Grieu dotèrent la ville de Dieppe d'une Maison de santé en s'appuyant sur les théories médicales prônées en France par les docteurs Maret en 1769 et Pecq de la Clôture en 1770. Cet éphémère mais luxueux établissement médical pratiquait les bains de baignoire ou dans la mer « à la lame », où les baigneurs Sans rappeler tous les événements historiques importants, on peut citer le départ de Guillaume, quatrième duc de Normandie, pour l'Angleterre en 1066, la conquête du port de Southampton par les Dieppois en 1339, la chute de la ville aux mains des Anglais, en 1420, après Azincourt, la « Grande Bombarderie » en 1694, par une flotte anglo-hollandaise la détruisit presque entièrement. Louis XIV ordonna sa reconstruction, confiée à l'architecte Ventabren, sur les plans de Vauban. Après la période napoléonienne, en 1815, la période redevint favorable à des échanges pacifiques avec l'Angleterre. La liaison transmanche, créée en 1763 entre Dieppe et Brighton puis Newhaven, reprit son essor. 3 Les établissements de bains de mer En 1754, un pavillon de santé avait été implanté à Brighton, conçu selon le modèle en vigueur dans les stations l « pour mémoire » 81 étaient portés dans l'eau et maintenus dans les vagues par de solides gaillards. Premier de ce type en France, il marqua la naissance de la balnéothérapie. De manière plus modeste, le Dieppois JeanBaptiste Deparis, installa, en 1809, six baignoires dans un hangar de chantier naval. En 1821, son établissement abritait un salon, des cabinets avec baignoires recueillant de l'eau de mer froide ou chaude, des douches, quatre voitures pour les bains de mer, un « pont volant » en planches et trente-cinq tentes. Les premiers établissements de bains présentaient une architecture de bois assez simple, voire rudimentaire comme les bains ouverts en 1815 à Pourvillesur-Mer, bien vite la construction de bâtiments esthétiquement plus élégants et plus confortables s'avéra incontournable. En 1822, les bains froids de Dieppe, dont l'architecte fut Pierre Chatelain, associait des activités balnéaires et des activités ludiques. Il est resté dans l'Histoire comme un des premiers archétypes avec sa galerie, reliant des pavillons couverts de toits terrasses et son jardin à l'anglaise. Son programme comportait des salons dévolus aux plaisirs dit de société (lecture, billard, musique), un restaurant, des espaces de soins. Un hôtel de voyageurs bâti en 1821 en bordure de la ville lui était attaché. Il mêlait également des salles à fonctions thérapeutique (bains chauds et froids) et des lieux de réjouissances (bals, concerts, spectacles). comme une partie de plaisir ; ils privilégiaient le choc du contact avec l'élément liquide. Dieppe fut le pionnier avec des pratiques de ce genre dès le Premier Empire ; elles furent poursuivies sous la Restauration avec l'avantage d'attirer à chaque fois une société choisie, famille impériale puis famille royale, autour desquelles gravitaient des membres de l'aristocratie et de la grande bourgeoisie. La proximité des côtes anglaises favorisa ce développement, mais la guerre et le blocus provoquèrent un recul de cette venue. L'aristocratie française se détourna du lieu. Il fallut attendre 1848, avec l'ouverture le 29 juillet de la ligne ParisDieppe, enfin achevée, pour voir venir une nouvelle clientèle : la bourgeoisie et d'artistes attirés par la beauté des paysages maritimes, à l'exemple des impressionnistes, avant que le développement des pratiques sportives et la démocratisation des loisirs balnéaires après la guerre de 1914-1918 n'entrainent l'apparition de nouvelles catégories de populations. varech ; on exploitait parcs à huitres et poissons. Au XVIIIe siècle, des chantiers de construction navale et des corderies s'y installèrent. Au siècle suivant, le ramassage des galets, utilisés notamment pour le broyage des matériaux, alimenta toute une industrie jusqu'à son interdiction en 1985, édictée pour protéger le littoral de l'érosion. Toutes ces fonctions n'allaient pas s'opposer au développement, au XIXe siècle, des activités de baignade. La disparition des fortifications dans les années 1830-1840 permit à la ville de s'ouvrir et de se tourner vers la mer, en offrant au regard un nouveau front bâti composé d'hôtels et de villas. Sous l'impulsion de Napoléon III, les chantiers navals et les pâtures laissent place à un jardin à l'anglaise en 1853. Un boulevard fut aménagé le long de la plage en 1901. Dieppe au début du XXe siècle En 1904, Dieppe était à la fois une cité industrielle, un port important de pêche et de commerce reliés par des services quotidiens de paquebots aux côtes de l'Angleterre. Située sur la Manche, à l'embouchure de la rivière d'Arques entre deux rangs de hautes falaises blanches, elle comprenait deux parties distinctes, d'une part le port et le faubourg du Pollet, d'autre part la ville proprement dite, agglomérée entre les bassins, les hauteurs du château et la rue Aguado. Le front de mer et le quartier situé en bas du château avaient été fortement modifiés. A côté de l'hôtel de ville, de construction récente, se trouvait l'établissement de bains chauds d'eau de mer et d'eau douce, avec hydrothérapie « pour mémoire » La ville et ses équipements Les premières évolutions du bord de mer Au-delà de l'enceinte urbaine, les terrains bordant la mer constituaient, en temps de paix, un lieu d'activités artisanales. La zone littorale resta placée sous contrôle militaire jusqu'en 1898 ; des activités traditionnelles y étaient tolérées. Les troupeaux y paissaient ; les lavandières étendaient leur linge sur les galets ; on y pratiquait la pêche à pied ; on récoltait le La clientèle Les bains de mer furent pratiqués à des fins thérapeutiques dès la fin du XVIe siècle. Ils n'étaient pas considérés l hor s-sér ie -juillet 2012 82 et piscine, dépendant du Casino, un bâtiment en briques. Il bordait la place SaintSaëns, sur laquelle se trouvait le théâtre récemment restauré et transformé avec goût, avec sa façade principale, en style Louis XV, donnant sur la plage, face au Casino. La rue de Sygogne avec la partie de la ville située en bas du château formait un quartier neuf composé de beaux hôtels particuliers et des villas. La plage se composait non seulement de la bordure de galet et de sable que la mer laissait à découvert deux fois par jour, mais aussi tout le vaste espace gazonné. Tout le long de la plage, du Casino à la jetée, courait le boulevard Maritime, composé d'une chaussée large de 9 mètres et d'un trottoir de 8 mètres. Ce trottoir, formé de carreaux d'asphalte était bordé du côté de la grève d'une main courante entrecoupée de rotondes qui accueillaient des bancs. La rue Aguado, qui constituait le fond de la plage, était bordée par de belles constructions, de grands hôtels (l'hôtel Royal) et par la Manufacture des tabacs. Outre ces deux édifices on remarquait, en allant de la jetée au Casino, le somptueux hôtel du prince Stourdza, en style Renaissance, et à côté la maison Graillon, petit hôtel en briques avec de charmantes sculptures, puis une villa de style mauresque, le Grand-Hôtel, le beau chalet normand Monplaisir, les hôtels des Étrangers, des Bains, de la Plage, du Rhin, la mairie, les Bains Chauds, la Porte d'Ouest, le théâtre et l'hôtel Français. Des fêtes étaient prévues à Dieppe pendant l'été : comice agricole et courses de comice, tir aux pigeons, concours de hor s-sér ie - juillet 2012 gymnastique, joutes du club nautique, grandes régates, concours de tir et grandes courses. Des trains spéciaux transportaient le public en face de l'hippodrome. En dépit des changements liés à l'usure du temps, les équipements caractéristiques de la ville balnéaire vont au cours des décennies garder leur fonction première. Aujourd'hui, les célèbres pelouses de Dieppe directement inspirées du jardin à l'anglaise de Napoléon III, accueillent de nombreuses manifestations. Le festival international du cerf-volant a trouvé là un espace idéal pour conquérir le ciel littoral tous les deux ans au mois d'août. Quelques enseignements De ces exemples, on voit poindre quelques règles. Ces lieux nouveaux qui connaissent une grande fortune naissent de deux pôles : une fonction utilitaire, le soin au corps, une fonction sociale, le besoin pour un groupe privilégié de se mettre à l'écart du monde dans un lieu spécifique sinon enchanteur. Mais chaque fois, sous l'effet de la vacuité, se recréent des lieux d'artifice, de rencontre et de plaisirs. Il n'est pas étonnant de retrouver des formes inhabituelles qui finissent par s'imposer comme des marqueurs d'un territoire, comme ces longues jetées, qui, outre leur fonction d'embarcadère, assurent une osmose avec la mer, comme ces casinos, usant des modèles de l'architecture traditionnelle de l'Inde, visant à plonger de visiteur dans une contrée inconnue. Les villes balnéaires du temps jadis nous font toujours rêver. l « pour mémoire » Illustrations fournies par C. Queffélec Table ronde 83 Rôle et poids du tourisme dans la vie des français et dans l'économie nationale Alain Monferrand La table ronde que je vais vous présenter regroupe Jacques Augustin, sous-directeur en charge du tourisme, l'ancien ministre Jacques Descamps, Paul Roll, directeur de l'Office du tourisme et des Congrès de Paris qui nous parlera du grand «Gateway» français et Philippe Moisset qui a exercé successivement les fonctions de directeur de la délégation aux investissements et aux produits puis du GIP-AFIT. Tout de suite, je voudrais demander à Jacques Augustin : « au fond, quelle est la politique pour le développement touristique à l'horizon 2020-2030 ? Vous êtes en charge de toutes les fonctions régaliennes de la politique du tourisme, comment voyez-vous son devenir et son organisation pour les prochaines années ? Jacques Augustin Depuis la loi sur le tourisme de 2009, l'État a pour mission de fixer le cadre de nos politiques touristiques de la France. Nous avons un opérateur qui est chargé de développer cela de manière très pratique, qui est notre nouvelle agence : Atout-France. Nous avons réfléchi sur ce que pourrait être ce cadre, à partir d'un constat statistique que tout le monde a en tête. La France est le premier pays visité au monde et, pourtant, nous sommes le troisième en matière de recettes après les États-Unis, pour des raisons qui sont liées strictement à la réalité nord-américaine, et après l'Espagne. Il est assez paradoxal de voir que, avec 52 millions de visiteurs, l'Espagne engrange 25% de recettes touristiques supplémentaires. Cela se vérifie en volume mais aussi en dépenses journalières : le touriste qui séjourne en Espagne dépense par nuit 77 et celui qui vient en France 62 . Le défi c'est que nous augmentions la dépense par visiteur. C'est bien d'être visité. Mais tout l'enjeu de la politique, à dix, vingt ou trente ans, c'est qu'on crée de la valeur ajoutée avec notre industrie touristique. A cette fin, nous avons balayé assez large et identifié deux étapes. A très court terme (deux à trois ans) il faut conduire une amélioration qualitative de notre offre, ce qui peut être assez rapidement mis en oeuvre, et à court et moyen terme, créer une nouvelle offre qui soit plus créatrice de valeur ajoutée. On s'est appuyés sur une étude très approfondie qui est sur le site du ministère et d'Atout-France. On y « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 84 compare l'Espagne et la France, pour voir où étaient les secteurs de l'activité touristique où l'Espagne crée de la valeur ajoutée et pourquoi nous en créions moins. A partir de là, on a identifié plusieurs axes d'action. A court terme, on a déjà engagé une amélioration qualitative en matière de classement des hébergements touristiques, ce qui a parfois pu défrayer un peu la chronique. Il s'agit de relancer, redynamiser, remuscler la démarche de qualité dans le tourisme. C'est le label national de la qualité de la prestation touristique, en parallèle avec la problématique des hébergements mais en couvrant tout le champ des activités touristiques (prestations, parcs...). Il faut aussi réfléchir pour faire en sorte que nos acteurs touristiques aient cette véritable formation. Il y a en particulier le problème spécifique de l'accueil, très prégnant. Pour le long terme, l'objectif de créer des axes forts de structuration d'une nouvelle offre touristique porteuse de valeur ajoutée. La ligne directrice est de faire séjourner les gens en France, indépendamment de leur transit sur le chemin d'autres destinations touristiques. Cet effet de transit sera toujours là, mais il faut que les gens qui nous traversent aient envie de rester, et que ceux qui avaient déjà envie de rester restent plus longtemps. L'idée est assez vite apparue qu'il fallait constituer des destinations à hor s-sér ie - juillet 2012 l'intérieur du territoire français, en sus de celles qui existent déjà, Paris, la Riviera, éventuellement le Mont Blanc. Ailleurs, c'est beaucoup moins constitué. Nous avons décidé de faire émerger d'autres destinations, avec comme espace pilote : «The Loire Valley», le Val de Loire, pour parler français. Une démarche a été engagée pour essayer au moins de coordonner toute l'offre de ce territoire dans un ensemble de destinations qui ne soit pas un agglomérat de produits touristiques disparates. Il s'agit d'inciter les acteurs territoriaux de la politique touristique à aller dans cette direction, bien entendu sans que l'État redevienne tout à coup girondin. Un deuxième axe consiste à développer les tourismes d'itinéraires : quand on pérégrine, on reste. De surcroît ce sont plutôt des catégories socioprofessionnelles aisées qui pratiquent ce genre d'activités, pas sous la forme de l'itinéraire pédestre, mais nous avons décidé de nous focaliser plutôt sur l'itinéraire à vélo. C'est toute la politique de la France à vélo que nous allons développer. Le troisième axe vise à relancer une politique de tourisme urbain en-dehors de Paris. Paris est magistralement administré en la matière. On n'en prendra que des leçons mais, partout ailleurs, c'est moins évident. Comme on l'a dit, on vient de plus en plus dans les pays pour voir les villes. On n'interdit pas les excursions à la campagne ou dans la périphérie de la ville, mais ce sont les villes qui sont les grands lieux de séjours touristiques, là où on trouve les hôtels. Pour constituer cette politique urbaine, nous avons à mener un travail de conceptualisation, avec notamment la conférence nationale permanente du tourisme urbain et l'association des villes d'art et d'histoire. Le quatrième axe est représenté par les politiques de croisière et de plaisance. Il y a des marges de progrès. Nous sommes en retard par rapport à nos amis espagnols alors qu'il n'y a aucune raison que nous soyons moins bons qu'eux en matière de croisière. Ce sont des stratégies à développer avec les villes portuaires et les opérateurs. Ainsi, Costa va lancer Le Havre comme terminal de croisière : 200 000 passagers vont embarquer au Havre sur six à huit mois. Comment fait-on pour acheminer 200 000 passagers de la région parisienne ou de Roissy au Havre ? Cette question n'est pas résolue quand on voit l'état de la gare Saint Lazare... En matière de navigation de plaisance, l'idée est de desserrer le goulot d'étranglement constitué par le manque d'anneaux, qui est un peu à relativiser, et surtout de favoriser le développement de la location comme premier stade de la pratique. Il faut surtout convaincre le plaisancier de débarquer, or un marin ne sort pas du port. De ce fait, nous avons appuyé la démarche Odyssea, un grand portail de géolocalisation qui permet au navigateur de savoir ce qu'il va trouver dans le port et, une fois qu'il y est, de visiter la périphérie, à charge pour le port labellisé Odyssea de mettre l « pour mémoire » 85 à sa disposition des moyens et des informations. Enfin, le tourisme d'affaires devrait se développer en région parisienne. C'est un point où nous sommes très forts mais où monte la concurrence. Comment relancer et réorganiser une offre du tourisme d'affaires qui soit un véritable produit d'appel ? On s'est rendu compte, par exemple, qu'on manquait de grands hôtels dotés de grandes salles de réunions. On peut réfléchir à des offres qui soient justement un conglomérat de petits hôtels autour de salles de réunion. Ce serait un peu un produit niche. En l'absence de Christian Mantéi, directeur général d'Atout-France, je voudrais terminer par la promotion de la destination France. C'est bien beau d'avoir un produit, encore faut-il le vendre à l'extérieur. L'analyse sur l'Espagne montre que c'est là que l'écart est le plus significatif. L'Espagne a une campagne de promotion que nous connaissons tous, soutenue par des pompes aspirantes, des réceptifs qui vont chercher les touristes et les font venir en Espagne. La promotion de la destination France est à l'ordre du jour avec le lancement de la marque «France» avec l'équation toujours difficile à résoudre de la question des moyens financiers. Voilà, Monsieur le Président. d'État au Tourisme qui a créé Maisons de la France, ce premier outil un peu pugnace permettant de faire du partenariat et d'accumuler plus de fonds pour être à la hauteur de nos concurrents. Jean-Jacques Descamps, vous êtes ici avec trois casquettes : le secrétaire d'État qui a créé le premier outil de promotion complètement original du tourisme français ; le Président de l'Agence nationale du chèque-vacances, dont nous avons abondamment parlé, et le président des plus beaux détours de France, Ce dernier rôle fera un contrepoint avec Paul Roll qui représente le produit d'appel « Paris ». Paris fait 49% de toutes les entrées culturelles de France. La seconde région, la Provence-Alpes-Côte-d'Azur, ne fait que 7% de parts de marché. Vous allez tout à l'heure, je crois, au congrès de cette association qui essaie précisément de vendre aux touristes ces magnifiques villages et villes qu'on ne connaît pas forcément. ronde le thème du « rôle et poids du tourisme dans la vie des Français et dans l'économie nationale ». Je pense que c'est depuis cent ans qu'on se pose la question et que personne n'a vraiment réussi à faire comprendre aux Français ce qu'était le tourisme. Probablement, on s'y est mal pris les uns et les autres mais, pour ce que je connais des trente ans, les questions sont toujours les mêmes. Les ministres qui se succèdent répondent toujours un peu de la même façon. Ils constatent des situations mais ont un peu de mal à agir très concrètement dans ce domaine extrêmement vaste et varié. Il faut donc essayer de reprendre les choses de façon un peu logique. J'en profite pour dire que vous avez eu raison. C'est vraiment cent ans. J'ai été le vérifier dans ma ville de Loches, en Touraine, dont je suis le maire, au passage je fais un peu de publicité pour ma ville qui mérite vraiment le détour. J'ai constaté que le premier office de tourisme s'est créé en 1910, qu'il y avait à l'époque une équipe de visionnaires sur le rôle du tourisme dans cette ville, qui a été largement abandonnée ensuite et qu'on retrouve maintenant. C'est-à-dire qu'on réinvente quelquefois l'eau chaude... On aurait mieux fait d'écouter nos ancêtres. Par rapport à tout ce que vous avez dit, je vais reclasser les choses un peu différemment. Le Français : est-ce le consommateur, le citoyen ou le professionnel ? Tout le monde est concerné par le tourisme « pour mémoire » Jean-Jacques Descamps Je vous remercie de votre invitation. Je vais essayer de replacer ces activités d'une façon un peu logique. J'ai compris que le thème de la journée était « Les cent ans d'histoire de l'administration du tourisme ». Mon âge vénérable me fait d'abord vous dire que j'en ai vécu au moins une bonne trentaine d'années de cette histoire, pas cent heureusement ! Il est assez amusant que vous ayez choisi pour la table Alain Monferrand Nous avons la chance d'avoir, avec Jean-Jacques Descamps, le secrétaire l hor s-sér ie -juillet 2012 86 mais personne ne s'en rend compte. Personne ne sait très bien justement ce que cela lui apporte et tout ce que cela peut lui apporter. Alors, on fait de la prose sans le savoir, si je peux dire. Le Français citoyen part en vacances mais ne structure pas toujours aussi bien qu'il le faudrait la façon de le faire. Or être touriste devient de plus en plus compliqué. J'allais dire, qu'à la limite, il faut être de plus en plus professionnel pour partir en vacances. Il faut savoir se servir d'Internet, choisir le meilleur rapport qualité-prix, déceler dans tout ce qu'on vous dit ce qui est vrai et ce qui est faux, ne pas se laisser impressionner par de belles photos derrière lesquelles il n'y a pas une vraie réalité. Mais il faut d'abord pouvoir partir en vacances. L'agence nationale des chèques vacances est une excellente idée. Cette idée formidable a la chance d'être libérale et sociale. On l'a toujours considérée comme une conquête sociale mais c'est d'abord une idée libérale et sociale. Elle est libérale parce qu'on laisse à chacun le choix de prendre ou non des chèques vacances et de les dépenser où il veut. On a trop souvent cherché à rendre un peu exclusif le rôle du chèque vacances dans le tourisme associatif. Non, le chèque vacances, on peut maintenant le dépenser partout. Le jour où on aura, comme Hervé Novelli, lancé son développement dans les PME, pratiquement tous les Français pourront utiliser le chèque vacances pour aller partout en France y compris pour aller à la boulangerie acheter un sandwich le jour où ils sont en vacances. C'est important. Le tourisme hor s-sér ie - juillet 2012 associatif, je m'excuse de le dire un peu brutalement, est obligé de subir une extraordinaire évolution dans la mesure où ce n'est plus le monopole du tourisme associatif qui fait le tourisme social. Le tourisme associatif est un acteur important du tourisme social mais ce dernier doit se faire partout. Le rôle de l'agence des chèques vacances est essentiel. Elle offre le moyen d'aller prendre des vacances dans des conditions financièrement plus favorables. Comme vous le savez, les produits financiers issus de la gestion de la trésorerie du chèque vacances servent à faire de l'action sociale. L'action sociale, c'est le deuxième métier de l'agence, il consiste aussi à aider les gens à partir en vacances quand ils ont des handicaps. Il ne faut pas oublier que ce n'est pas simplement parce que les gens n'ont pas d'argent qu'ils ne partent pas en vacances, c'est quelquefois parce qu'ils ne le veulent pas ; M. Braud l'a rappelé. Les handicaps ne sont pas seulement financiers. C'est la raison pour laquelle tout ne se règle pas seulement avec de l'argent. L'agence est donc une belle entreprise qui a deux métiers : le métier de l'émission des chèques vacances (il ne faut surtout qu'on l'ennuie dans sa façon de gérer cette affaire) et un rôle public consistant à avoir une politique sociale pour aider le plus possible à partir en vacances en France. C'est pour ces raisons que je suis très heureux de présider cette agence qui structure un peu le Français « consommateur » dans la gestion de ses vacances. Derrière l'organisation de celles-ci, il faut avoir en face de soi de vrais professionnels. Le deuxième problème est posé par le Français « citoyen ». Personne ne se rend compte ce que représente la dimension économique du tourisme dans notre pays, ni sa dimension culturelle car on ne sait pas bien où s'arrête le tourisme. Je dis toujours : il faut que le conservateur d'un musée soit formé au tourisme, si tant est que cela veuille dire quelque chose, c'est-à-dire formé aux conditions qui font que les touristes soient bien dans le musée que ce conservateur gère. Le personnel qui est à l'office de tourisme, payé par la mairie, doit faire exactement la même chose afin que le touriste soit bien accueilli dans la ville. Ce sont des métiers qui sont des métiers du tourisme, il n'y a pas seulement les agents de voyage, les hôteliers, les restaurateurs. Il existe des BTS en France élaborés pour faire ces métiers. Le problème est d'estimer le poids du tourisme. Il y a des actes à accomplir dans le domaine de la structuration de l'action de l'État pour bien faire prendre conscience aux Français citoyens ce qu'est le tourisme. M. Augustin l'a dit, c'est toute la dimension de l'État en matière de promotion : la Maison de la France. C'est pour cela que je l'ai créée quand j'étais aux affaires. A l'époque je pensais qu'un des problèmes était de mieux faire connaître le poids du tourisme en France, et la France à l'étranger. Pour ce faire, la Maison de la l « pour mémoire » 87 France était un outil à créer. Je pense qu'il aurait fallu la maintenir et non pas la refusionner avec une autre structure, même si c'est la décision de mon ami Hervé Novelli que j'aime beaucoup. A chacun son métier. Le métier de la promotion n'est ni de l'ingénierie ni de la formation. Il y a trois dimensions dans le tourisme : l'offre, qui relève de l'ingénierie touristique (Audit-France) la demande (la promotion, le marché, le marketing) la ressource humaine (la prévision, la réflexion, la recherche, la formation). Pour cette raison, avec Jean-Luc Michaux et Paul Dubrulle, on a créé l'Institut français du tourisme (IFT) sans demander ou alors très peu, Jacques Augustin le sait, à l'État. Si Atout France fait bien son métier de promotion et d'aide à l'ingénierie, il reste la dimension humaine. Or l'outil de formation aux métiers du tourisme en France n'est probablement pas le meilleur du monde alors qu'on pense souvent le contraire. D'après une étude que j'ai faite, on embauche dans les métiers du tourisme environ 40.000 personnes par an. On forme environ 40.000 personnes par an, mais ce ne sont pas les mêmes. Il y a un tas de gens qu'on forme pour le tourisme et qui ne vont plus dans le tourisme et un tas de gens qu'on embauche dans le tourisme et qui n'ont pas eu de formation dans le tourisme. Il y a quelque chose qui ne va pas. Pour former, il faut avoir pensé non le présent mais l'avenir. Qui cherche ce que sera demain dans le monde le tourisme ? quel couple offre-demande ? et qu'apporteront les nouvelles technologies et tous les changements culturels ? Il y a beaucoup de gens qui cherchent, comme disait le Général de Gaulle, il n'y en a pas beaucoup qui trouvent. Mais il y a beaucoup de gens qui cherchent, sans se coordonner les uns avec les autres, d'où la nécessité pour l'État de créer des plateformes permettant de travailler ensemble : chercheurs, formateurs, utilisateurs, entreprises, collectivités, tous ceux qui travaillent dans les métiers du tourisme. Pour tous ceux qui sont formés ou qui travaillent dans le tourisme, le vrai problème, c'est le professionnalisme. Cela me fait toujours doucement rigoler, si vous me permettez cette expression un peu vulgaire, de voir qui la première chose que fait chaque ministre en arrivant - j'en étais, je ne venais pas du tourisme, j'ai fait comme tous les autres - c'est dire : « Le tourisme, ça ne va pas bien, parce qu'on n'accueille pas et que la France n'est pas accueillante. Alors on va faire quelque chose pour l'accueil ». Or le problème, ce n'est pas de dire « accueillez mieux », c'est de leur dire « soyez professionnels », tout simplement. Je ne vois pas pourquoi on le demande pour le tourisme et pas pour le commerce et l'industrie. Chacun fait son travail. Chacun doit être accueillant si c'est le travail consiste à avoir des clients. Il vaut toujours mieux être accueillant avec ses clients. La vraie question n'est donc pas de former à l'accueil mais de développer les formations professionnalisantes aux métiers où il y a, par la force des choses, l'accueil. Ces métiers consistent à faire en sorte que le touriste se sente bien quand il vient, bien à tous les points de vue, dans un hôtel, un restaurant, un musée ou au cours d'une visite d'une centrale nucléaire... Cette exigence comporte l'accueil. Il y a beaucoup à faire pour professionnaliser les métiers d'où la création de l'IFT. Je suis assez content parce que, malgré mon âge canonique, j'ai encore un peu le contact avec l'avenir même si ce n'est pas le mien. Finalement, dans le tourisme, il faut penser au Français citoyen qui a de plus en plus de mal à créer ses propres vacances. La diversité du marché mondial est inimaginable : il y a autant de produits et de prix qu'il y a de pays dans le monde. Le Français citoyen doit comprendre que cette filière est une partie de l'avenir économique de notre pays. A cette fin, il faut de bons professionnels. On a encore beaucoup de progrès à faire dans l'éducation nationale, privée ou publique, dans les universités et partout pour que nous ayons non seulement de bons produits, de bons paysages, de bonnes pages de publicité un peu partout dans le monde mais aussi pour que les touristes français ou étrangers trouvent en France des gens qui soient de bons professionnels. A Château-Gonthier où je pars par le train, on va travailler pour ces cent plus belles petites villes de France entre 2 000 et 20 000 habitants qui, à mon avis, représentent un potentiel « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 88 touristique de développement assez extraordinaire. Même si on n'a rien demandé à l'État, je lui demande de nous écouter de temps en temps parce que, en-dehors de Paris, et je reconnais que M. Roll fait beaucoup de choses pour Paris, il y a toute la France derrière qui est encore pleine de possibilités pour développer le tourisme. tout le reste. Quelle est la situation du tourisme parisien actuel ? Le tourisme urbain se porte bien. Paris fait partie de ce mouvement-là. Paris est en train de vivre la meilleure année de son histoire en termes de taux d'occupation et de recettes unitaires. Paris n'a jamais eu une aussi belle image. Je reviens sur ce que disait le ministre Descamps : le sujet de l'image est bien évidemment une question de professionnalisme dans la prestation offerte. Mais il faut aussi qu'on apprenne à parler de nous-mêmes. Notre approche plutôt cartésienne nous interdit de dire du bien d'emblée. On en est plutôt à d'abord dire du négatif pour être crédible, puis du positif. Comme personne n'écoute la fin, on en reste à nos propres critiques. Selon des études sur l'image internationale de Paris, qui ne sont pas financées par nous-mêmes, Paris est la ville la plus désirée au monde. C'est la ville qu'on souhaite visiter en premier, quand on a la possibilité de quitter son propre pays. A partir de là, nous avons un fonds de commerce indéniable. Il est difficile d'améliorer les taux d'occupation des hôtels : quand vous arrivez à 80%, il y a seulement deux ou trois points supplémentaires à obtenir. On a une très belle image. Certes, les chauffeurs de taxi et les serveurs ne parlent pas cinq langues et une partie de nos musées n'ont pas de panneaux indicateurs en dix-neuf langues. Malgré tout, l'équilibre global fait que le touriste, au moment où il quitte Paris, dit à 97% qu'il reviendra. Le tourisme est une industrie mature. Ce n'est plus de l'artisanat additionné. Ce secteur économique dans notre ville est essentiel : 12% avec les emplois directs, 20% avec l'emploi indirect. Une fois le décor posé, que sait-on déjà quand on se projette sur les dix à quinze années à venir ? La première lacune du tourisme parisien est le manque de capacité hôtelière : d'ici à 2020-2025, il nous faudra « 32 000 chambres supplémentaires » sur un périmètre qui va de Roissy à Orly, de Versailles à Disney. Dans le seul département 75, on considère qu'il faut au total 14 000 chambres supplémentaires et on s'y attelle : 7 000 sur les emprises foncières contrôlées par la ville, 7 000 sur le foncier privé ou à partir de changements d'affectation de m2 de bureaux qui basculeront dans des m2 hôteliers. Le « chantier des 7 000 chambres » a été intégré par le maire dans son programme électoral de 2008. C'est assez original dans un programme électoral, ne trouvez-vous pas ? « Je m'engage à créer 7 000 chambres ». Un groupe de travail a déjà identifié l'équivalent de 4 000 chambres à faire construire par des promoteurs. Cette partie fonctionne. Du côté du privé, on est sur l'engagement des 7 000 chambres. On a déjà vu sortir de terre 1 250 chambres grâce, entre autres, à la transformation de carcasses de bureaux désamiantés. Si on se projette sur 2020-2025, le tourisme parisien devrait s'approcher d'un taux d'emplois directs et Alain Monferrand Paris est effectivement un peu le produit phare. Le comité d'histoire va célébrer bientôt les phares et balises dans une prochaine journée d'études. Paul, tu es un phare et peut-être une balise pour le tourisme français. Comment vois-tu les dix ou quinze prochaines années, compte tenu des résultats acquis mais aussi d'une concurrence de plus en plus forte y compris peut-être en Europe ? L'année prochaine, Londres se repaîtra des Jeux Olympiques et Berlin attend derrière avec plein d'autres défis. Paul Roll Bonjour, merci de votre invitation. Merci de ces mots plutôt gentils. Il est un peu vexant d'être réduit au statut de mastodonte ou de produit d'appel, mais j'essaierai d'être fort et de passer outre. Le cas du tourisme parisien est souvent plutôt mal analysé dans la mesure où il est un peu considéré comme l'enfant gâté, celui pour qui tout fonctionne et qu'il faut négliger en s'occupant de hor s-sér ie - juillet 2012 l « pour mémoire » 89 indirects de 25 à 30%. La ville de Paris doit assumer son tourisme pleinement et en anticipant ce que seront les contraintes de demain. Les contraintes de flux de visiteurs à amener dans notre ville devraient concerner à 75% le train, ce qui suppose que la SNCF développe un véritable modèle économique comme cela a été fait pour l'aérien. Pour ce grand enjeu, il faut l'ouverture de l'espace ferré à la concurrence, qui nous manque aujourd'hui, si l'on souhaite que cette activité soit durable. Une fois le touriste arrivé, on utilise les équipements existants comme le métro ou les équipements culturels. A Paris, on ne crée pas des équipements touristiques, on crée des équipements à la fois pour les habitants de la ville et les visiteurs de la ville dont des visiteurs étrangers. Les grands enjeux de demain sont « d'accompagner ce développement, de créer les capacités hôtelières, de nous adapter à la complexité des marchés de demain ». Les marchés actuels vivent sur un schéma plutôt occidental : on mange à partir de midi et demi, on a fini de déjeuner à deux heures et demie, on reprend à partir de sept heures et demie - huit heures. Or les marchés de demain seront pratiqués par des visiteurs qui mangent tout le temps, avec une complexité dans les goûts alimentaires : pour des végétariens, c'est facile, pour des végétaliens, c'est plus compliqué. Cela implique des restaurants adaptés, parfois deux cuisines dans un même établissement. Il faut préparer cette complexité. Le Louvre et la Tour Eiffel ne sont pas à même de faire face à ces flux. On ne va pas changer la Tour Eiffel, on ne va pas faire du Louvre un endroit où l'on va faire du « speed dating » ou de la « speed visit ». Il va falloir se poser des questions indéniables sur les jours de fermeture et l'élargissement des horaires d'ouverture. La contrainte non négociable est qu'il est inenvisageable de faire de nos villes, Paris comme toutes les autres, une ville qui deviendrait victime de son tourisme. Paradoxalement, Paris n'est pas une ville touristique. A 100 mètres des grands lieux touristiques, le tourisme est totalement intégré dans la ville. Au-delà, on ne voit plus de restaurants « à touristes » ou de magasins de souvenirs. Cette activité mixte fait la force de cette ville. Prague est une ville qu'on visite deux fois, une première et une dernière, parce qu'on a la certitude qu'elle ne changera pas. Notre véritable enjeu est que Paris soit une ville vivante où il y a toujours une raison de revenir, une ville qui évolue et bouge, avec des équipements nouveaux. Ainsi, le musée du Quai Branly, fait et conçu pour 500 000 visiteurs, a passé le cap du million. On doit avoir pour souci que cette ville reste vivante, qu'elle soit attractive pour des visites répétées et le partage d'expériences renouvelées. Pour cela, il faut un parfait équilibre entre les habitants et les visiteurs. Jean-Jacques Descamps Qu'avez-vous fait à Woody Allen pour qu'il fasse un film qui est vraiment la plus grande promotion de Paris que j'aie jamais vue ces derniers temps ? Je l'ai vu hier soir, c'est extraordinaire. Bravo, formidable, citoyen d'honneur de Paris ! Paul Roll Merci. D'abord, on a fait tout ce que les autres n'ont pas fait. Barcelone a versé à la production de son film précédent, qui était assez moyen, plus d'1M de subventions. On ne leur a pas laissé un centime mais on a facilité des échanges avec certains établissements hôteliers qui, en échange, obtenaient de la visibilité. On leur a facilité la vie en termes de tournage. Pour le reste, on a agi à l'opposé de toutes les autres villes. La meilleure indication de l'attractivité de notre ville est sa capacité « à produire » cette appétence, comme le montre cet exemple. Un deuxième exemple nous a probablement plus étonnés. Il y a un an et demi, l'espace publicitaire le plus cher au monde, au moment du Superball aux États-Unis, était les trente secondes à la mi-temps. Ces trente secondes ont été achetées par Google qui faisait pour la première fois de sa vie de la publicité. Cette publicité était dédiée exclusivement à Paris, avec une caméra posée sur barre, sur laquelle vous tapiez les mots clés à l'occasion d'une recherche pour quelqu'un qui parlait de venir à Paris, de rester à Paris, de se marier à Paris, d'avoir un enfant à « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 90 Paris, de baptiser son enfant à Paris. A la fin, le dernier mot était « à suivre ». Ce film, facile à trouver sur Youtube, représente une fois de plus la négation de toute cette capacité que nous avons d'être négatifs sur nous-mêmes. Ce n'est pas l'Amérique la plus sophistiquée qui regarde Superball et pourtant Google a considéré que Paris était un sujet d'attractivité ; nous n'aurions jamais pensé ou conçu une telle publicité en ces termes-là sur nous-mêmes. Paris, mastodonte, produit d'appel, aspirateur à touristes, est aujourd'hui un élément de capitalisation de la destination « France ». Il faut aujourd'hui profiter de ceux qui viennent à Paris pour proposer le reste de la France et ne pas tourner le dos à Paris, parce que c'est une ânerie. Le produit tête de gondole, on l'utilise, on ne le néglige pas. l'attention sur le fait que c'était très bien de faire de la promotion et de la gestion administrative mais il fallait se préoccuper de la façon dont on construisait le tourisme de demain et dont se constituait l'investissement. Cela a expliqué la création de la Délégation aux investissements, qui était une structure d'administration centrale dans laquelle on avait mis tous les services et bureaux qui avaient une relation avec ce sujet. Puis j'ai fait assez vite le constat que nous n'avions pas les moyens d'une intervention efficace de l'État : ni beaucoup d'argent, ni des procédures et des règlements. On avait un peu d'argent pour faire quelques opérations dites pilotes, qui n'intéressaient pas grand monde, et un on avait peu d'ingénierie. On a accepté ma proposition de mettre tout l'argent qu'on avait sur l'ingénierie en matière d'intelligence, en disant : «Comme les recherches, le développement, les études nationales ne sont pas faites, parce qu'elles sont trop chères isolément, on va essayer de les mettre ensemble autour d'un GIP et de structurer petit à petit la connaissance, la compréhension et les savoirs faire «. Cette proposition a marché à peu près car on y gagne beaucoup en souplesse et en efficacité quand les moyens sont mélangés avec des moyens privés ou parapublics dans une structure qui n'est plus assujettie à l'annualité. Mais l'idée principale est de savoir comment, dans ce pays, on investit dans la création du tourisme de demain. Après avoir passé huit à neuf ans à la Caisse des Dépôts, j'avais compris l'aspect incontournable des phénomènes financiers d'investissement, de rentabilité, de retour sur investissement, de renouvellement de l'investissement. Je sais bien que, dans le tourisme, on a toujours tendance à entendre ceux qui se plaignent de quelque chose. Cela génère, comme disait Paul Roll, un bruit de fond défaitiste, fataliste : «tout va mal, tout va aller encore plus mal»... Je ne veux pas rentrer dans ce débat mais il n'empêche que je n'ai pas une vision optimiste de la façon dont notre pays prépare son tourisme de demain, dont il investit, dont il met ses billes quelque part, dont circulent les moyens financiers. On parlait du Français consommateur. C'est le Français investisseur qui a financé le tourisme en grande partie en achetant les appartements dans toutes les stations, en investissant avec son argent. Il a été un bon investisseur à une certaine époque mais pas un très bon réinvestisseur, d'où ce phénomène bien connu de toutes ces stations dont la partie centrale vieillit et se nécrose petit à petit. On fait vivre le tourisme en reconstruisant du neuf à côté avec des plus-values : les promoteurs aiment bien cela. Lors d'une réunion récente en Tarentaise, le représentant écologiste de la région Rhône-Alpes faisait le bilan devant les responsables politiques du nombre d'autorisations de développement de lits en stock Alain Monferrand Avant les conclusions, on va interroger le vieux sage, mais tu vas m'en vouloir pendant des années... Oui, le sage : tu as été à la fois le directeur et l'animateur d'un de ces nouveaux organismes, le GIP-AFIT. Ce GIP est un symbole des transformations de l'administration du tourisme depuis cent ans. Philippe Moisset Il y avait un débat à l'époque sur l'organisation du ministère, avec Roger Godino, qui connaît un peu le tourisme et qui était conseiller de Michel Rocard. J'avais beaucoup attiré hor s-sér ie - juillet 2012 l « pour mémoire » 91 (20 000). Pour maîtriser le phénomène, il faudrait trouver les moyens pour rénover les coeurs des stations et ne pas vivre en déployant ailleurs. C'est lourd comme investissement de bousculer les propriétaires ou de trouver des incitations. Certes, le ministre a relancé un groupe de travail. Mais il est patent que depuis quinze ans on essaie de trouver des incitations à la rénovation des meublés de tourisme. Je n'ai jamais vu de politique publique où il y ait eu tant d'annonces avec si peu de résultats. C'est un peu accablant pour nous tous. En même temps, bien sûr, il y a des facteurs d'optimisme. On arrive à monter cahin-caha un dispositif de refinancement du tourisme social qui aura peut-être un petit effet si on arrive au bout. Il y a de nouvelles formes d'hébergement qui sortent ici ou là, adaptées à des fonctionnements plus proches de l'économie du marché (des roulottes, des chalets, des abris dans les arbres). Quand on regarde l'hôtellerie traditionnelle, certains Cassandre disent des choses très accablantes sur la disparition de cette petite hôtellerie et je ne suis pas sûr qu'ils aient totalement raison. Les lignes bougent. Il se passe des choses. Je ne suis pas certain que les meilleurs esprits économiques de ce pays y aient passé le temps qu'il faudrait. Je sais très bien qu'on essaie en permanence de faire comprendre au ministère de l'Economie des Finances qu'il faudrait y travailler un peu plus. Mon impression est que je ne suis pas certain qu'on soit complètement aux commandes de nombre de phénomènes. Peut-être le marché trouvera-t-il des solutions, mais je n'en suis pas sûr. en réunissant ces acteurs, le regard académique qui peut apporter le recul, la capacité d'évaluation et d'explication du Conseil général de l'environnement et du développement durable, du Conseil national du tourisme ou des inspections générales. Cela permettrait de mieux contribuer à la décision des politiques futures. Nous allons constituer ce Comité. Marc Boyer a donné son accord pour en être le président d'honneur. Bien d'autres personnalités y seront conviées, en particulier celles qui sont intervenues aujourd'hui ou qui seraient intéressées. Le comité sera installé dans les mois qui viennent avec toutes les bonnes volontés et les mémoires qui sont actives pour préparer l'avenir. Participant Le diable se cache un peu dans les détails, c'est ce que l'on dit. Ma question s'adresse à Paul Roll. La semaine dernière, je suis arrivé au terminal 1 de Roissy, venant de Copenhague, après 22 heures. J'ai mis trois heures pour aller à Aulnay-sousBois prendre le RER. Pour moi, cela allait. Mais j'ai vu quantité d'étrangers qui étaient arrivés là. J'ai eu la honte de ma vie : aucun accueil, les corridors fermaient, les seuls interlocuteurs des voyageurs étaient les pauvres chauffeurs de bus qui n'en pouvaient mais. Quand vous voyez les bus avec un énorme « bienvenue »... Naturellement, il n'y a pas des flots de gens qui arrivent après 22 heures et je sais que c'est momentané, toutefois cela dure depuis « pour mémoire » Jean-Luc Michaud Nombre de politiques ont été tentées. Quelques-unes ont réussi, beaucoup ont été oubliées, Qu'elles aient d'ailleurs été des succès ou des échecs, on en tire rarement les conséquences pour engager de nouvelles politiques. L'intérêt de cette journée est de permettre de mesurer l'importance de capitaliser les expériences. Cette démarche historique est fondamentale pour gagner du temps, éviter des recherches au profit d'actions utiles et correspondant aux évolutions du marché, des clientèles, de la technologie en matière de construction, d'urbanisme. Cela suppose que cette démarche historique soit projetée comme un outil de préparation de l'avenir. C'est dans cet esprit, je pense, que cette journée a été engagée. Nous l'évoquions tout à l'heure avec Alain Monferrand. Cela fait le lien avec ce qu'a dit Jean-Jacques Descamps concernant le rôle de l'Institut français du tourisme. Pourquoi ne pas constituer, la décision d'ailleurs est prise, je crois qu'on peut l'annoncer, de procéder avec des grands témoins une évaluation rétrospective de tout cela. Pourquoi ne pas créer un comité français d'histoire du tourisme qui formerait un regard évaluatif l hor s-sér ie -juillet 2012 92 quelques mois et doit durer encore quelques autres mois. Néanmoins, j'entends tout ce que vous dites. Or, il y a une semaine, quand j'étais dans le bus, je me disais : « mais comment se fait-il qu'il n'y ait pas seulement un papier qui soit remis à chaque passager pour lui indiquer le début du commencement de ce qu'il doit faire ? ». Je sais que nous, Français, on aime se plaindre. Mais, par rapport à ce qu'a dit M. le ministre sur la nécessité de l'accueil et la professionnalisation, il y a là un défaut qui, j'espère, ne sera pas récurrent dans l'avenir. une série de points faibles. Tout ne va pas s'améliorer. Mais votre remarque peut être faite sur toutes les autres destinations au monde. Je vous défie de me dire que l'accueil aux États-Unis est sympathique et chaleureux. Il est totalement glaçant voire intimidant. D'autres aspects fonctionnent mieux, mais globalement... Quand des touristes vous disent qu'à 97 ou 98% ils reviendront, je construis positivement tous les points qui restent à améliorer. Je suis navré que la seule remarque qui soit faite ici sur notre tourisme soit celle-là. Mais actons le fait qu'aujourd'hui notre tourisme est bien mieux perçu que ce que nous-mêmes avons comme regard sur le service qu'on offre. Ce n'est pas la Pravda qui a donné les 97 ou 98%, ce ne sont pas les chiffres électoraux de Ceausescu, c'est une enquête qui doit être aujourd'hui à quelques dizaines de milliers de répondants. Ce chiffre ne bouge pas de ce niveau. Apprenons à parler de l'impression d'ensemble qu'on donne et qui est remarquable. Il y a des leviers et des sujets d'amélioration. Participant Par qui a été faite l'enquête ? est n°1. C'est une étude qui comporte, de mémoire, 15 000 questionnaires sur une cinquantaine de villes. Si vous prenez les questionnaires les uns après les autres, aucun n'est financé par nous. Globalement, l'impression et le résultat sont-là. Je suis toujours très troublé par cette capacité que nous avons de nous dire du mal. Prenons les choses comme des lignes d'amélioration et non comme des fatalités négatives, alors que ce sujet est devenu pour nous primordial. La place dans la mondialisation de ce monde... Ecoutez, Paris est une ville touristique. Quand vous êtes commerçant, la première chose que vous apprenez à faire, c'est de parler de votre produit sans pour autant mentir ou cacher. Pardon de vous répondre aussi personnellement, mais il est vrai que je vis avec ce genre de questions. Il y a un moment où vous ne pouvez pas prendre à la légère le gagne-pain d'une ville comme la nôtre, ni laisser dire des choses qui sont en dehors de ce que le client juge. Paul Roll Je ne peux pas répondre parce que la réponse est dans les statistiques. On est tous capables de raconter une aventure abominable, avec un chauffeur de taxi qui était là ou n'était pas là... Or, mes statistiques montrent que 97% des visiteurs disent qu'ils reviendront. Aujourd'hui je vous défie, je le dis clairement, de trouver d'autres destinations avec un tel taux de satisfaction. Qu'est-ce que cela veut dire ? Le touriste sait faire la part des choses. Aéroports de Paris n'est pas parfait mais il faut tout de même acter les progrès accomplis dans les aéroports. Pour moi, qui y passe plus de temps que je ne voudrais, c'est indéniable, même s'il y des progrès à faire pour la police de l'air et des frontières, les files d'attente au petit matin, les taxis, l'accueil. Dans la chaîne du tourisme, il y a toute hor s-sér ie - juillet 2012 Anne Querrien Un des éléments positifs de Paris ­ ayant été correspondante d'un réseau européen pendant deux ans, j'ai vu les réactions - c'est le rapport qualitéprix. Paris est une ville formidable et pas très chère. A partir du moment où on se dit qu'on veut en tirer 25 à 30% de plus en recettes, il faut un niveau d'amélioration important. Or on peut se poser quand même des questions sur nos aéroports quand on fréquente tous Paul Roll C'est une enquête qui est en ligne, faite par nous (50 000 questionnaires remplis). Prenez une étude en ligne d'un organisme qui s'appelle Anholt. C'est un organisme anglais qui, tous les 2 ans, réalise une étude sur la perception des villes. Paris l « pour mémoire » 93 les aéroports de l'Europe de l'Ouest : le niveau de fonctionnalité est moche, c'est un style HLM. Quand on passe les barrières, il n'y a presque rien comme magasins. Comparé à Copenhague ou Francfort et ailleurs, avec en plus parfois les mêmes architectes, c'est un peu sidérant comme atmosphère. Le problème des transports est fondamental. Il y a un transport dédié en théorie au ferroviaire, mais le train est organisé de telle manière que personne ne peut le prendre parce qu'on ne sait pas où il est... La signalétique, c'est pourtant basique... Comment concevoir des améliorations pour éviter que des gens disent : « J'adore Paris, mais surtout n'y organisez pas la prochaine réunion... » ? J'ai vécu cela deux ans. d'un article de Jacques Attali dans le Point ou l'Express, qui avait été très mal accueilli à Roissy. il avait dit : « Roissy, l'aéroport le pire du monde ». Mais c'est démenti par les statistiques et les enquêtes. Je crois qu'il faut se replacer en perspective. Bien entendu qu'il y a des manques dans l'accueil. Bien entendu qu'on peut contester que la PAF, sur des aéroports soit particulièrement accueillante. Mais, par comparaison, on a un système d'accueil qui est assez performant. Il est améliorable, bien entendu. Pourtant, je crois qu'il ne faut pas sombrer dans le négatif. il faut d'abord se poser la question de la concurrence. Je reconnais effectivement - ayant fait les Ponts et Chaussées, je peux en dire un peu de mal - que les conceptions d'un certain nombre d'aéroports français ont été de belles performances techniques mais insuffisamment réfléchies en termes de pratiques d'accueil. Tout le monde connaît le problème des bagages à Paris. A Orly, la situation s'est améliorée. A Roissy, cela va bien dans certains coins, mais ailleurs c'est deux fois plus long. Quand vous êtes sur le terminal central, vous attendez une demi-heure de plus vos bagages que lorsque vous êtes dans un autre satellite. Ce ne sont pas des problèmes d'accueil, ce sont des problèmes de professionnalisme. Trouver son bagage, c'est un des éléments de l'accueil. Le problème des taxis relève d'un autre professionnalisme. Il y en a de bons et de moins bons. En Touraine, les gens ne se rendent pas compte qu'ils sont mis dans une concurrence beaucoup plus sévère. Auparavant, la Touraine était un pays où il faisait bon vivre. Tout le monde était là, les châteaux, c'était superbe. Maintenant, on se compare à beaucoup d'autres et il faut être meilleur. Dans le Nord, où il n'y avait pas de tourisme, l'accueil, au sens propre du terme, la conception du tourisme, la façon de le gérer au comité régional, c'était une autre gestion que celle du côté d'Orléans. D'un côté, il y a des gens qui ont vécu dans la facilité et « pour mémoire » Alain Monferrand Alors Monsieur le Ministre, on ne vous a pas invité pour que vous ne puissiez pas parler. Michel Saussy Je voudrais répondre, en tant que président du groupe de travail « accueil », créé au Comité national du tourisme. Le précédent ministre et l'actuel ont demandé qu'un groupe de travail rende un rapport sur le thème récurrent de l'accueil, en privilégiant le cas des zones dites de transit (les aéroports, les ports, les autoroutes, les gares). Le constat rejoint ce qui vient d'être dit. L'accueil est bon. En revanche, il y a une segmentation des types d'accueil, une appréhension de l'accueil par les professions qui est tout à fait différente. Il y a un besoin d'améliorer les choses. Cette demande avait été faite à la suite Jean-Jacques Descamps Oui, il faut malheureusement que je parte vite. Je suis un peu déçu par cette façon de prendre le problème de l'accueil, encore une fois. Evidemment, l'accueil, si c'est une jolie hôtesse qui vous accueille et vous dit bonjour... Je reviens au professionnalisme. Le problème, ce n'est pas seulement Paris, c'est toute la France. Paris est dans une meilleure situation : ses avantages compétitifs font que, quelles que soient les difficultés, on reviendra. Mais là où il y a moins d'avantages de compétitivité, il est plus important d'améliorer l'accueil ou le professionnalisme. A mon avis, l hor s-sér ie -juillet 2012 94 qui n'ont pas compris que maintenant ils étaient en concurrence. Du côté de ceux qui ont vécu dans la difficulté. Alors que tout le monde disait que dans le Nord, on ne pouvait pas faire de tourisme, eh bien, je peux vous dire que c'est une des régions qui est devenue la plus dynamique en matière de tourisme. C'est encore une fois un problème de professionnalisme. C'est vrai, Monsieur, avec un papier qu'on donne aux gens dans l'avion en leur disant : « vous allez avoir quelques problèmes, alors soyez gentils, ne nous en veuillez pas », c'est bien. Mais, moi qui suis dans l'avion, je me dis : « ils auraient pu se débrouiller pour qu'il n'y ait pas ces problèmes là ». C'est tout. Simplement, il faut être raisonnable. Quand vous allez dans l'aéroport de Singapour, vous vous dites : « c'est autre chose que l'aéroport de Paris ! ». C'est professionnel encore une fois. C'est là qu'on a une prise de conscience de la concurrence. M. Roll a raison, face au succès de Paris, de minimiser le cas d'un chauffeur de taxi qui vous embête... Mais, quand vous êtes dans une ville où il y a peu de tourisme et qu'on veut le développer, la défaillance du moindre chauffeur de taxi retombe sur tout le monde et il y a un risque de ne plus revenir. Il faut relativiser pour Paris, mais sans se faire plaisir, il ne faut pas dire qu'il n'y a pas de problèmes en France. Il y a un problème de professionnalisme, pas d'accueil. Si vous allez au Canada, un pays que j'aime bien et pour lequel j'ai beaucoup d'affection, la façon hor s-sér ie - juillet 2012 dont les gens vous servent est très différente par rapport à la Touraine. C'est une préoccupation qu'il ne faut pas prendre de façon négative, je suis d'accord avec M. Roll. Il faut positiver en disant : « Attention, nous avons besoin d'être meilleurs que les autres parce que nous avons de nouveaux concurrents à côté de nous et il faut faire mieux si on le peut ». Quand on a 80% de coefficient de remplissage, ce n'est pas grave, quand on en est à 40% et qu'on veut passer à 60%, je peux vous dire que la professionnalisation est un coup formidable pour avancer. C'est pour cela que j'ai tendance à penser qu'il faut prendre du recul par rapport à des cas particuliers. Excusez-moi de ma passion, je suis comme M. Roll, j'ai d'autres passions mais on est tous passionnés par ces problèmes du tourisme. Au terme de cette journée, quelles conclusions peut-on avoir sans encourir le risque d'une certaine naïveté et de quelques approximations, mais aussi en essayant de concourir par un peu d'étonnement à des préfigurations de perspectives nouvelles ? J'ai essayé de rassembler cela en 3 constats. Un premier constat est qu'il est difficile finalement de savoir de quoi l'on parle quand on parle de tourisme. En effet, c'est le touriste qui crée ou qui qualifie l'activité ou l'entreprise touristique ­ et donc, qu'est-ce qu'un touriste? Évidemment, nous avons la définition statistique : est touriste tout individu qui passe une nuit hors de son environnement habituel pour des motifs non liés à une activité rémunérée. Sauf cas particulier, une bonne partie de l'humanité est donc au moins une fois dans sa vie touriste, et pour beaucoup d'entre nous, nous passons une partie non négligeable de notre existence sous ce statut. Deux inconvénients : le touriste disparaît dans la population, et tout un chacun a une opinion sur la politique touristique, l'aménagement touristique, le service, l'accueil etc. Il est donc fort difficile de se faire reconnaître une expertise dans le management de l'économie touristique, car tout le monde s'estime expert : «le bon sens près de chez vous». Conséquence ennuyeuse : pas d'expert sur le sujet, égale, sujet pas sérieux. Cette définition devrait à mon sens être repensée : le fait de dormir hors de Alain Monferrand Merci, Monsieur le Ministre. Il est temps de conclure et je vais passer la parole à Monsieur Jacques Augustin, pour sa conclusion : « le tourisme, quelle histoire ! ». Jacques Augustin Je souhaite préciser que comme les intervenants précédents, je ne vais parler qu'en mon nom et non comme le représentant du ministre ou même de mon administration, ce qui est un grand facteur de simplification dans le registre de la liberté d'expression. l « pour mémoire » 95 chez soi parait fort peu discriminant, et pour parler crûment un peu primaire. Le banlieusard qui rentre chez lui et qui dort dans sa voiture sur la nationale 118 pour cause de neige devient un touriste au même titre que celui qui a passé quinze jours à visiter les châteaux de la Loire ... Plus sérieusement, le touriste d'affaires qui arrive pour une réunion, ne sort pas de son hôtel et repart sans avoir rien vu, ou le touriste médical, qui va se faire opérer de son cancer à Bangkok, peuvent-ils être comptabilisés, ressortent-ils au même registre économique que celui qui passe quinze jours dans un camping à Palavas les Flots ? C'est à mon sens cet amalgame qui discrédite le message que nous souhaitons tous faire passer, et qui ne passe d'ailleurs nulle part, sur l'importance du secteur économique du tourisme pour l'économie mondiale. Il serait donc indispensable de distinguer entre le tourisme de villégiature qui est caractérisé par le fait que l'intéressé dispose à sa guise de son temps, de toutes les autres formes de « tourisme » durant lesquelles si l'intéressé avait le choix et la liberté, il préférerait être ailleurs. On saurait alors davantage de quoi l'on parle, et donc on serait en mesure de valoriser les secteurs de manière intelligible, de sectoriser les diagnostics et les politiques de développement, et donc de devenir identifiable et lisible dans les leviers de l'économie mondiale. Je n'ouvrirai pas je vous rassure un long chapitre sur la statistique touristique, domaine bien connu de tous dans ses imprécisions, ses approximations et ses imperfections : on ne sait toujours pas compter précisément les visiteurs d'un lieu, les touristes du Vatican ne sont pas dans la statistique italienne... Problème de moyens assurément, mais aussi de réalité : les clients d'un restaurant sont-ils des touristes ou non ? Or chacun sait que faute de connaître la réalité au travers de ces données, on est dans l'incapacité de programmer et de piloter des politiques. Vaste sujet et pourtant qu'on pourrait imaginer maintenant résoudre par la traçabilité des téléphones portables et celle de l'utilisation des cartes de crédit... ce serait au moins aussi probant que les comptages sur les péages d'autoroute... Le deuxième constat est que l'univers touristique est probablement l'un de ceux qui connaît aujourd'hui les mutations structurelles les plus intenses. Le milliard de voyageurs internationaux devait être atteint selon l'OMT1 à la mi-2012 contre moins de 300 millions en 1980. Question : ces voyageurs sont-ils des touristes ou non ? Mais c'est l'arbre qui cache la forêt, à savoir le tourisme domestique évalué à sept milliards avec des chiffres qui donnent le tournis : 650 millions de voyageurs intérieur en Inde et deux milliards en Chine. Partout dans le monde les gens veulent voyager, profiter de temps à eux. La récente situation de crise a montré que ce tourisme de villégiature était le secteur économique qui était le moins impacté, parce que les vacances sont la dernière chose à laquelle on renonce, quitte à les réduire en coûts. Cette aspiration mondiale s'articule bien évidemment avec l'émergence de pays qui se veulent autant de destinations touristiques, et qui ont des ambitions en matière d'infrastructures et de captation de part de marché. L'OMT compte 154 pays adhérents. Le challenge est donc clair pour les vieux pays touristiques au capital et aux atouts certes difficilement contestables mais qui doivent faire face à des effets croisés. La saturation des lieux les plus emblématiques - voir Venise -, revient à les tuer, et la désertion potentielle des secteurs de villégiature n'est plus aisément duplicable. La massification pose évidemment le problème de la durabilité du tourisme. Il est clair que le tourisme sera durable ou ne sera plus, et il faut saluer ce secteur comme celui qui a depuis longtemps déjà engagé des démarches remarquables en la matière. Troisième constat, évidemment corrélé au précédent, c'est que nous sommes éminemment dans la dimension humaine, de manière sensiblement plus marquée peut être que dans d'autres secteurs des services - sauf évidemment la santé mais les ordres de grandeur ne sont heureusement pas les mêmes. Le tourisme, c'est une masse de gens, c'est la rencontre et la recherche du contact, c'est la connaissance des hommes et des civilisations plus finalement que celles des lieux ou des sites, c'est le plaisir de vivre, c'est « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 96 l'aventure individuelle ou collective... et j'en passe Cette dimension humaine est extrêmement prégnante d'abord dans ses composantes les plus factuelles : la capacité d'accueil et d'ouverture ­ le touriste a d'abord dérangé, au moins dans nos contrées. Le passage à l'ère de l'industrie touristique a posé d'autres problèmes et en particulier ceux liés à l'éthique, qu'elle soit morale ou économique. Les enclaves touristiques développées dans des pays de misère, avec leur cortège d'effets pervers, ne peuvent qu'interpeller notre conscience. Sous l'angle positif, le tourisme développe la solidarité entre les hommes, puisqu'il diffuse la richesse jusque dans les parties du monde les plus reculées, dans les pays marqués par la guerre, mais aussi parce qu'il met à disposition de tous ce qui relève du patrimoine de l'humanité. Il est porteur d'entraide, comme dans le cas du tsunami thaïlandais et facteur de stabilité mondiale, si l'on considère que se connaître conduit à atténuer les risques de conflits. Un mot pour rappeler aussi le rôle des vacances et donc du tourisme dans les politiques sociales : épanouissement, reconstruction, mixité sociale, cohésion nationale : tout ceci est bien connu mais est effectivement essentiel. Cette dimension humaine, elle se décline aussi dans une approche plus économique : quels produits imaginer pour les populations touristiques de demain dotée de tout les appendices technologiques portables. Que ce soit des populations qui viennent de loin, sous l'angle géographique mais aussi culturelle : c'est quoi la Renaissance pour un Chinois moyen ? mais aussi quels produits dans vingt ans pour une population à forte composante seniors +, ou pour des familles recomposées, ou pour une jeunesse imbibée de jeux vidéos et à la culture historique fragmentaire ? Ces considérations ne sont à mon avis pas triviales quand on est le premier pays visité au monde et qu'on entend le rester. La difficulté nous le savons, assez mondialement partagée, est que l'industrie touristique n'est toujours pas prise suffisamment au sérieux alors qu'à l'évidence elle ne saurait tarder à concerner chaque habitant et chaque recoin de la planète. Alors, et en conclusion, on voit bien l'importance de développer une politique solide de l'économie touristique, avec une structure dédiée au tourisme, une politique de promotion de la destination dotée de moyens adéquats, avec une image structurée et coordonnée sous une seule bannière, une profession regroupée au sein d'une fédération professionnelle puissante et écoutée des pouvoirs publics, des opérateurs touristiques professionnalisés et des acteurs impliqués, pratiquant l'accueil, les langues étrangères, acceptant de servir après 14 h et après 21 h et d'ouvrir les boutiques à l'heure du déjeuner si les croisiéristes sont là, ou encore de rebâtir une vaste politique de réhabilitation des infrastructures ou de développement des aménagements... Je crois que nous nous y employons tous. 1 L'organisation mondiale du tourisme (OMT) est une institution spécialisée des Nations Unies destinée à promouvoir et développer le tourisme. hor s-sér ie - juillet 2012 l « pour mémoire » 97 Table ronde : de gauche à droite, Philippe Moisset ; Paul Roll ; Jacques Augustin ; Alain Monferrand et Jean-Jacques Descamps. « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 98 Cour d'Honne ur (Accès réservé) (panneau) Place d'entrée des parkings Bo V e de Va -De nis et n G Ru e : Un sens unique de chaque Le premier côté. dessert à la cour d'honneur l'accès Arche. L'autre sens unique est celui de la route de la Demi-Lune . POISSY - ROUEN DANGE Eb ou R é eJ Ru ule s Ro u te l de a un m i- L De e Avenue A. Gleizes Tour Framatom e B O U LE VA RD CI RC CNIT Co l om be Place de la Statue s Nanterre Rueil-Malmaison i ULA IRE 4 La Grande Arche Accès aux parkings tin Tunnel A14 Ministère (panneau) P et P A B e Ru de sL o Georges Hu s aie sR ue ng Parc Centre Gare RATP TAXI Tunnel A14 B vers St-Germa in-en-Lay ou e lev ard de Neu illy Totem 7 en venant de Nanterre ou A14 ou de A 86 Accès aux parkings i Place de sortie des parkings 7 Livraisons Tour Pascal et Arche Sud Parking Pascal (panneau) B O Ver RN 3 1 4 Place d'entrée des parkings STOP s La B Dé re ctu réfe Vers Nanterre P se e t C e r g y - P o n t oi R A fen se Commercial Tour Pascal des QuatreTemp s A et B Tour Voltaire (ce ntre ) ue Parking Centre Feux tricolores i 8 P et P A B Feux tricolores U LE VA Ve Na rs Ru nter en Sain eil re ue t-G Malm du er Pré mai aison side n-en nt -Lay W e ilso - R N n 1 3 RD AIR CIRCUL E i Ver sS ure sne se Qu t ai d Bou e D logn e ion -Bo uton La Défense - centre B Pierre Gaud in rd va le ou D 9 A Pont de Neuilly ETOILE LA rr Fe V er e Fé lix y sS Ru Re gn au lt a int ri SE Hen A v IN 7 Ru e n B O v e O B A u E i E e U L e u a m b Quai de livraison de l'Arche Sud y lm A a G e R m tt D Asn ière s b P et P A B en provenance de Nanterre e tt CI a RC ULAIRE a Conseil Géné ral de l'Environnem ent et du Développ ement durable Journée d'étu des ul e va rd de la M issi on nd cha Mar Comment s'y rendre Comment s'in scrire « Cent ans d'administr ation du tourisme » rs Ve Pu tea ux Av ation « Cent ans d'administr du tourisme » hor s-sér ie - juillet 2012 l « pour mémoire » ntr (Ce e) Accueil Ministère de l'Éco logie, du rture Allocution d'ouveDéveloppement durable, des Transports et du Logemen t www.develop pem ent-durable. gouv.fr L'invention du tourism e ère la création de la premi des associations dans Le rôle déterminant Déjeuner * ale Table -ronde is et dans l'économie nation e dans la vie des frança Rôle et poids du tourism Allocution de clôture Les annexes Annexe I Les principaux acteurs de l'histoire administrative du tourisme (1910-1980) Rappel historique (1910-1980) 99 100 Arnault Berthonnet : Cent ans d'organisation administrative du tourisme - Les années 1910-1980 Les structures centrales de l'administration du tourisme (1910-1980) : quelques années de références Annexe II Christian Queffélec : La côte d'Émeraude ou les fleurs exquises du rêve et du divertissement 105 « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 100 Annexe I Cent ans d'organisation administrative du tourisme Les années 1910-1980 Arnaud Berthonnet Les structures centrales de l'administration du tourisme (1910-1980) : quelques années de références Sources : Annuaires du ministère des Travaux publics, du Commerce et de l'Agriculture, des travaux publics, des Postes et Télégraphes, du ministère de la Construction, du ministère de l'Équipement, etc., 1911 à 1981. 1911 Administration centrale du tourisme Ministre des Travaux publics, des Postes et des Télégraphes Direction du Personnel et de la Comptabilité Direction des Routes, de la Navigation et des Mines Sous-direction des Routes et Ponts M. Bordas (Fernand), sous-directeur. 1er bureau. Routes nationales. Ponts 2e bureau. Routes départementales. Police du roulage. Cantonniers. Office national du tourisme. Automobiles. Déclarationd'utilitépubliquedes travauxsurlesroutesdépartementales. Règlementdesalignements.Bornage. Policeduroulage. Droitdeplaceetdestationnement. Permissionsdevoirie.Posedes conduitesd'eauetdegaz. Cantonniersdesroutesnationales. Étudesgénéralesconcernantl'entretien desroutes,cylindrage,goudronnage. Statistiquedesroutes. ExamensdesprojetsdetravauxcommunauxcommuniquésparleMinistère del'Intérieur.Étudesdedistribution d'eaudanslesvillesetcommunes. Épurationd'eaud'égout. Champsdetir.Cheminsdefer militaires. Officenationaledutourisme.Congrès delaroute. Réglementationgénéraledelacirculationdesautomobiles.Immatriculation. ExamendesConducteurs. Réclamations. Subventionsauxservicespublics d'automobiles. M. Normand, chef de bureau. M. Bescherelle, sous-chef de bureau. M. Berthet, rédacteur. M. Roussotte, rédacteur stagiaire. M. Guenault, expéditionnaire. Sous-direction de la Navigation M. d'Hénouville, sous-directeur. Direction des Chemins de fer Sous-direction des concessions et travaux Sous-direction de l'Exploitation Direction des Mines, des voies ferrées d'intérêt local et des distributions d'énergie électrique 1932 Sous-secrétaire d'État, chargé des services des routes, de la circulation nationale et internationale, du tourisme et du transport des voyageurs sur terre et sur mer : M. GastonGérard, du 27 janvier 1931 au 3 juin Cabinet du sous-secrétariat d'État M. Baqué (Daniel), chef de cabinet, hor s-sér ie - juillet 2012 l « pour mémoire » 101 sous-directeur de l'Office national du tourisme. 1er Bureau. Budget. Travaux législatifs. Direction du Personnel, de la Comptabilité et de l'Administration générale Comptabilité 1936-1937 Commissariat général au Tourisme M. Roland-Marcel, Conseiller d'État, Commissaire Général. M. Peyromaure-Debord, Maître des Requêtes au Conseil d'État, délégué Général. M. Larrieu, chef de bureau. M. Lorion, sous-chef de bureau. M. Laval (Robert), rédacteur. M. Le gendre, faisant fonctions de rédacteur. Mme Sarraud, sténo-dactylographe. M. Charton, sténo-dactylographe. M. N..., sténo-dactylographe. 1938-1939 Commissariat général au Tourisme M. Roland-Marcel, Conseiller d'État, Commissaire Général. M. Peyromaure-Debord, Maître des Requêtes au Conseil d'État, délégué Général. M. Essig (Jean), inspecteur des Finances, conseiller financier. M. Larrieu ; chef de bureau. M. Lorion, sous-chef de bureau. M. Laval (Robert), rédacteur. M. Le Gendre, faisant fonctions de rédacteur. Mme Sarraud, sténo-dactylographe. M. Charton, sténo-dactylographe. M. N..., sténo-dactylographe. 1952 Direction générale au tourisme 8, avenue de l'Opéra - 75001 Paris. Directeur général : M. Boucoiran (Jean). Chef de service : M. Artaud-Macari (Joseph). Inspecteurs généraux : M. Herpin (Guy-Louis). M. Septembre (Georges). Sous-directeur : M. Deketelaere (Paul). Chargés de mission : M. Chamson (Max). M. Juge (Alphonse). M. Planque (Vincent). Mlle Ecker (Françoise). M. Anthonioz (Bernard). Mme Morin-Laborde (Colette). Mlle Polliot (Marguerite). M. Javion (Simone). Secrétariat et emplois rattachés. M. Bourrel, Rédacteur. Mme Charton, Adjoint adm. Mme Cerf, Sténo-dactylographe. Mlle Rigaux, Sténo-dactylographe. Mme Petitgas, Employé de bureau. Mlle Claverie, Employé de bureau. Mme Royer, Prép. Télép. Mme Bourrouilh, Prép. Télép. 1er Bureau. - Organisation générale et activités professionnelles. M. Dallot (Paul), Chef de bureau. 1ère section. Comités régionaux de tourisme et Syndicats d'initiative. - Sites et BeauxArts. ­ Stations classées et taxes de séjour. - Associations de tourisme. - Équipement collectif. 2e section Hôtellerie, reconstruction et équipement hôtels - Agences de voyage. - Guides. M. Dallot (Paul), Chef de bureau. M. Jocard (Paul), Adminsitrateur civil. M. Besso (Roger), Sous-Chef de bureau. M. Hedoin (Félix), Sous-Chef de bureau. M. Labarre, Rédacteur. Mlle Bousquet, rédacteur. M. Lier, Adjoint adm. Mlle Damiens, Adjoint adm. Mme Bouyssou, Secrétaire Sténo-dactylographe. Mme Moine, Dactylographe. Mlle Chabrillat, Employé de bureau. 2e Bureau. - Personnel. - Budget. Comptabilité. - Service intérieur. Diffusion du matériel de propagande. Régie d'avances et de recrues. M. Huet (Henri), Chef de bureau. Mme Renoir, Rédacteur. Mme Galland, Adj. adm. M. Constant, Régiss. d'av. M. Davois, Employé de bureau. Mlle Mazeyrat, Employé de bureau, Régisseur de recettes. Mme Dubray, Employé de bureau. Documentation, matériel de publicité, expositions. M. Chamson (Max), Chef de bureau. 3e Bureau. - Bureaux à l'étranger. Mlle Segalat (Odette), Chef de bureau. Mlle Argoulon, Rédacteur. Mme de la Rochebrochard, Adjoint adm. Mme Rigaudière, Secrétaire sténo-dactylographe. « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 102 4e Bureau. - Éditions de propagande. - Aide aux éditions locales. - Photothèque. M. Guillot (Yves), Chef de bureau. M. Clausier de Manoury, Adjoint adm. Mme Falcou, Adjoint adm. Mlle Drouot, Employé de bureau. Sections techniques 1ère Section technique. - Presse. - Informations. - Reportage. - Documentation. Cinéma. - Radio. - Télévision. - Expositions. M. Chanson (Max), Chargé de Mission. Mme Deketelaere, Rédacteur. Mme De Créty, Rédacteur. M. Manuleis, Adj. adm. Mlle Gruselle, Secrétaire sténo-dactylographe. Mme Meillassoux, Sténo-dactylographe. 2e Section technique.- Accueil. Conférences internationales. M. Bardy (René), Chargé de mission. En fonctions au Secrétariat général du Gouvernement. Mme Bolzinger, Sous-chef de bureau 1959 Commissariat Général au Tourisme 8, avenue de l'Opéra - 75001 Paris. Commissaire général : M. SAINTENY (Jean). Chef de service : M. Charton (Pierre). Inspecteurs généraux : M. Herpin (Guy-Louis). M. Bertrand (Lucien). Sous-directeur : M. Deketelaere (Paul). Chargés de mission : M. Chamson (Max). M. Juge (Alphonse). Mlle Ecker (Françoise). M. Anthonioz (Bernard). Mme Morin-Laborde (Colette). Mlle Polliot (Marguerite). Mlle Rouillard (Paule). M. Florentin (Jean). Mlle Balu (Monique). M. Robert (Antoine). Mlle Hennegrave (Marie-Claude). Secrétariat et emplois rattachés. Mme Charton, Adjoint administratif. Mlle Ehret (Jeannine), Secrétaire, sténodactylographe. I. - Affaires générales Bureau des Affaires générales, Affaires économiques et financières, Statistiques. Mlle Rozes (Huguette), Administrateur civil, chargée du bureau. Mlle Rouillard, Chargée de mission (Statistiques). II. - Activités touristiques 1er Bureau. A.T. - Activités professionnelles : industrie hôtelière, classement des hôtels, prix, prêts à l'hôtellerie. - Enseignement hôtelier, agences de voyages, transports, formation professionnelle. M. Le Roux (Paul), Agent supérieur, chargé du bureau. M. Labarre (Marc), Sous-Chef de bureau. M. Walker, Secrétaire d'administration. M. Lier, Adjoint administratif. M. Freva, Adjoint administratif. Mme Bouyssou, Secrétaire, sténodactylographe. 2e Bureau. A.T. - Équipement collectif, thermalisme, climatisme, tourisme dans les départements d'outremer. - Organisation intérieure : comités régionaux et syndicats d'initiative, commissions départementales, stations classées, taxe de séjour. M. Jocard (Louis), Administrateur civil, chargé du bureau. M. Hedoin (Félix), Sous-Chef de bureau. Mlle Damiens, Adjoint administratif. 3e Bureau. A.T. - Activités touristiques à but non lucratif : tourisme social, associations, hébergement complémentaire. M. Planque (Vincent), Chef de bureau, chargé du bureau. M. Lebrec (Georges), Sous-Chef de bureau. III. - Propagande 1er Bureau P - Personnel. - Budget. - Comptabilité. - Service intérieur. Diffusion du matériel de propagande. - Régies d'avances et de recettes. M. Huet (Henri), Chef de bureau, chargé du bureau. Mme Cohen (Andrée), Adjt administratif. M. Cesari (Pierre), Adjt administratif. 2e Bureau P - Bureaux à l'étranger. Tourisme technique. Affaires internationales. Mlle Segalat (Odette), Administrateur civil, chargé du bureau. M. D'Anthouard (Jean), Sous-Chef de bureau. hor s-sér ie - juillet 2012 l « pour mémoire » 103 Mlle Argouilon (S.), Rédacteur. Mme de la Rochebrochard (Y.), Chef de groupe. Mme Rigaudière, Secrétaire, sténodactylographe. 3e Bureau P - Éditions de propagande. - Aide aux éditions locales. - Photothèque. M. Guillot (Yves), Chef de bureau, chargé du bureau. Mme Clausier de manoury (Solange), Adjoint administratif. Mme Falcou (G.), Adjoint administratif. IV. - Sections techniques 1ère section technique - Presse. - Informations. - Reportages. Documentation. - Cinéma. - Radio. Télévision. - Expositions. M. Chamson (Max), Chargé de mission, chargé du bureau. Mme de Crety (J.), Rédacteur. M. Manuielis (J.) Adjoint administratif. Mme Combecau (M.), Secrétaire, sténodactylographe. 2e section technique - Accueil. Conférences internationales. M. Juge (Alphonse), Chargé de mission, chargé du bureau. 5 sténodactylographes. 10 agents de bureau. 1969 Cabinet du secrétaire d'état au tourisme Ministre de l'Équipement et du Logement : Albin Chalendon Marcel Anthonioz (1911-1976), secrétaire d'État au tourisme, du 20 juin 1969 au 5 juillet 1972 Commissaire général au tourisme : Jean Ravanel, Conseiller d'Etat. Chef de service : M. Mosca (Victor), administrateur civil. Inspection générale : M. Gaudibert (Paul). Délégations régionales, comités régionaux, commissions départementales, offices de tourisme, syndicats d'initiative - Commission d'aide aux éditions locales - Etudes et missions diverses. Mlle Aubin (Madeleine), administrateur civil hors classe. Exécution du plan et rapport avec le Commissariat au Plan - Classement des stations Problèmes relatifs aux casinos et aux jeux - Enseignement et formation professionnelle Assistance technique - Missions particulières en matière d'équipement. M. Lebrec (Georges), chef de bureau. Assistance et coopération technique. Division de la Statistique, des Études et de la Conjoncture Chargé de la division : M. Marc (Alfred), chargé de mission. I. Sous-direction de l'administration générale Sous-directeur : Deketelaere (Paul). Bureau du Personnel, du Budget et de la Comptabilité Chargée du bureau : Mme Renoir (Anne-Marie). Personnel - Budget Comptabilité - Service intérieur - Régies d'avances et de recettes. Affaires internationaes M. Anthouard (Jean d'), sous-chef de bureau. Bureaux à l'étranger et Diffusion Chargé du bureau : M. Couturier (François). Gestion des représentations à l'étranger - Diffusion. II. Sous-direction de la propagande et de la publicité Sous-directeur : Mme Renaudin (Claude). Adjoint au sous-directeur : Ségalat (Odette), administrateur civil de 1ère cl. Conseiller financier : M. Huet Henri, agent supérieur. Bureau de Production Chargée du bureau : Mlle Ségalat (Odette), administrateur civil de 1ère cl. Editions, matériels de vitrines et d'expositions ; films et enregistrement radiophoniques; aide aux éditions régionales et locales. Bureau de la Documentation Chargée du bureau : Mme Argoullan (Suzanne). Documentation - Bibliothèque - Photothèque. Bureau de la Promotion et des Relations extérieures Chargé du bureau : N... Relations extérieures - Campagnes de publicité - Promotion commerciale et congrès Information. Bureau de l'Accueil Chargé du bureau : N... III. Sous-direction de l'Aménagement Touristique Sous-directeur : N... Adjoint au sous-directeur : M. « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 104 Thomassin (Albert), administrateur civil hors classe. Bureau de l'Equipement collectif Chargé du bureau : N... Équipement collectif - Thermalisme Climatisme - Organisation des stations classées -Taxe de séjour. Bureau de l'Hôtellerie Chargé du bureau : N... Industrie hôtelière - Classement des hôtels - Prix - Prêts à l'hôtellerie - Régimes fiscaux Restaurants de tourisme. Bureau des Agences de voyage Chargée du bureau : Mme Carin (Jacqueline), administrateur civil de 2e cl. Agences de voyages - Transports Formation professionnelle ­ Promotion sociale. Bureau du Tourisme social Chargé du bureau : M. Planque (Vincent), agent supérieur. Activités touristiques à but non lucratif : tourisme social - Associations Hébergement complémentaire. 1978 Le Tourisme est rattaché au Ministère de la Jeunesse, des Sports et des Loisirs Ministre : Jean-Pierre Soisson Direction de l'aménagement et des professions touristiques Directeur : Bertrand Rebeillé-Borgella, sous-préfet hors-classe. I. Sous-direction de l'administration générale et des affaires financières hor s-sér ie - juillet 2012 II. Sous-direction des professions touristiques III. Sous-direction du tourisme social et des équipements collectifs - Délégation de la qualité de la vie - Service d'étude et aménagement touristiques de l'espace rural - Service d'étude et aménagement touristiques du littoral - Service d'étude et aménagement touristiques de la montagne - Service de l'action touristique et des relations internationales - Services extérieurs du tourisme Délégations régionales au tourisme Comités régionaux du tourisme Représentation des services officiels du tourisme français à l'étranger - Caisse nationale de vacances - Organisme divers - Union nationale des associations de tourisme (UNAT) 1946-1980 Henry Ingrand Georges Pompidou Guy-Louis Herpin, Vincent Planque Robert Hollier Jean Médecin Jean Boucoiran Jean Sainteny Pierre Dumas Jean Ravanel Jean-Pierre Dannaud Jacques Médecin Marcel Anthonioz Aimé Paquet Bertrand Rebeillé-Borgella Rappel historique (1910-1980) 1910 : création de l'Office national de tourisme (1910-1935) 1930-1931 : premier « ministre » chargé du tourisme (6 semaines) 1935 : création d'un Commissariat général au tourisme (40 ans avec des interruptions) 1948 : première direction générale au tourisme au sein du ministère des Travaux publics, des Transports et du Tourisme 1963-1978 : Secrétariat d'État au tourisme (15 ans) 1974 : le Tourisme est rattaché au ministère de la Qualité de la vie 1977 : le Tourisme est rattaché au ministère de la Culture et de l'Environnement 1978 : le tourisme est rattaché au ministère de la Jeunesse, des Sports et des Loisirs. Les principaux acteurs de l'histoire administrative du tourisme (1910-1980) 1910-1945 Alexandre Millerand Gaston Gourdeau Gaston Gérard Pierre Roland-Marcel Paul Peyromaure-Debord Henry de Ségogne l « pour mémoire » Annexe II 105 La côte d'Émeraude ou Les fleurs exquises du rêve et du divertissement par Christian-Noël Queffélec, Architecte, Ingénieur Général L'épopéedesvillesbalnéairesreste,pourunarchitecte,unesourcetoujours renouveléederéflexionsurlemétieretsurleprocessusdefabricationdesvilles.On yvoitcommentàpartird'undésirprofonddel'individu,correspondantàunmoment singulierdudéveloppementdelasensibilité,s'élaboreuneréponseconcrèteassociant latransformationd'unterritoireetlaréalisationdebâtimentsemblématiques.On découvre,viteséduit,cetteproductiond'uncadredevieoriginalrépondantsibien àunnouvelimaginaireencoursd'élaboration.Alorsqu'unearchitecturesouvent triste,issuedufonctionnalismeetdesrecherchestechnologiquessembles'imposer, denosjours,onestémerveilléparleplaisir, lavitalité,lesentimentdejubilationquiont guidélespasdesconstructeursdesvillesbalnéairesetleurontdonnélalibertéd'explorer desvoiesnouvelles.Loindel'étatd'espritque traduit,l'expressionbienterned'habitatpour untourismedemasse,ilssurentsefrayer uncheminoùsesontépanouiesmaintes réalisationsexemplaires,fleursexquisesdu rêveetdudivertissement. Letextequisuitn'enfaitpaspourautant lasimpleapologie.Ilchercheàdécriredes processus,l'élaborationdeprogrammesetde projets.Ilparledeméthodesetdemoyens. Ildécritdesrésultats.Ilfaitàsamanièreun bilan.Ilcherchedesconstantes.Ilopèreense laissantguiderparlerespectdupatrimoine maismontreaussilafièvred'unamateurque nourrirl'élandupassépourimaginerdes formesadaptéesàl'avenir. « pour mémoire » La plage du Casino à Paramé en 1905 l hor s-sér ie -juillet 2012 106 La Côte d'Émeraude est un nom inventé par l'avocat malouin Eugène Herpin, qui l'utilisa en 1894 pour le titre de son ouvrage, La Côte d'Émeraude, Saint-Malo et ses souvenirs. Il désignait ainsi « la partie des côtes bretonnes qui s'étend des roches sauvages du cap Fréhel aux grèves mystérieuses et mouvantes du mont Saint-Michel ». Les limites ont ensuite varié selon les auteurs. Aujourd'hui, l'expression désigne plus particulièrement, tout d'abord Saint-Malo, Dinard et Paramé, mais aussi toutes les stations balnéaires qui s'échelonnent le long de la côte, depuis la baie de Cancale jusqu'à la pointe du cap Fréhel. Cette zone, depuis la pointe de Grouin jusqu'au cap Fréhel, est constituée d'une côte très découpée. Quelques grandes plages alternent avec de nombreuses criques parfois difficiles d'accès, avec les grèves de baies profondes de la Frenaye et de l'Arguenon, fermées par les bouchots et les parcs à huîtres, ou encore le Havre de Rothéneuf, entièrement asséché à marée basse. principal de l'habitation a disparu par suite de l'érosion de la falaise. L'étude des tuiles et des briques retrouvées a conduit à dater la construction entre le milieu du Ier siècle et la fin du IIe siècle après J.-C. Des ruines ont été également mises à jour sur la plage de la station balnéaire de Sable-d'Or-les-Pins. Il existait, près du Guildo, une magnifique villa romaine. La grève était, jadis, dominée par un monument romain important, dont les ruines furent découvertes en 1850 ensablées sous les dunes. Il existait encore, au siècle dernier, à cet endroit, de beaux fragments de fresques, de plaques, de revêtements en coquillages, de marbres sculptés ou travaillés, qui garnissaient les murs d'une grande salle de bains. Ils montrent la présence d'une riche construction dans un site enchanteur, tout près de la mer et sur le bord d'une grève au sable fin et moiré. La mer servait l'été au plaisir des habitants, tandis que l'hiver, ils utilisaient des thermes dont l'existence dans la villa à été révélée par la découverte de tuyaux d'hypocauste. On pense, aujourd'hui, que le littoral de la Côte d'Émeraude était couvert de villas et de constructions romaines de toutes sortes, dont certaines devaient être des résidences d'été. Ces habitations possédaient des bains, le plus souvent composés d'une piscine de forme rectangulaire ou carrée, alimentée par une fontaine jaillissant soit d'une sorte de piédestal, soit d'un vase porté par une figure. Un escalier aux marches étroites et assez haute permettait d'y descendre. Le fond et les parois latérales étaient recouverts d'un enduit assez épais sur lequel une couche de bleu (carbonate de cuivre) y était uniformément étendue, pour des raisons esthétiques, pense-t-on. Dans les thermes, de grandes piscines d'eau froide permettaient aux baigneurs de se livrer à la natation après être passés par les différentes phases des bains d'étuve. SAINT-MALO Les premiers équipements balnéaires Saint-Malo est cité comme premier lieu des pratiques balnéaires de la période moderne. Deux dates servent alors de repère : la création du premier établissement de bains sur la plage en 1840, l'arrivée du chemin de fer en 1864 ouvrant l'ère des bains de mer dans la région malouine. De fait, en Bretagne, les premiers établissements de bains sont apparus vers 1830 à Gildas-deRhuys ou encore à Saint-Malo. La mode des bains de mer débuta sous LouisPhilippe. Un événement sert de date symbolique. Le mercredi 3 juin 1835, le conseil municipal de Saint-Malo eut à débattre de la proposition du docteur Chapel, adjoint au maire, d'insérer dans les journaux un article relatif aux bains de mer que l'on commençait à prendre, si commodément, sur l'immense et belle grève de Saint-Malo. Il s'agissait de lancer une campagne de publicité capable d'attirer une nouvelle clientèle à la belle saison. En 1835, la municipalité décida également de construire au plus tôt les toutes premières cabanes à baigneurs ; deux ou trois cabanes firent leur apparition sur la grande grève de Saint-Malo. Il existait également à Saint-Malo la UN PRÉCÉDENT INATTENDU Selon des études archéologiques récentes, les côtes nord de la Bretagne étaient déjà, à l'époque gallo-romaine, un lieu de fixation pour les amateurs de la mer et pour les premiers baigneurs. On a trouvé à quelques mètres du rivage, des villas avec thermes. L'une d'entre-elles, découverte en 1977 aux Sables d'Or, possédait des thermes identifiés par ses frigidarium, tépidarium et caldarium, par contre, le bâtiment hor s-sér ie - juillet 2012 l « pour mémoire » 107 fonction de surveillant de baignade. A l'aube de la saison des bains de 1836, elle fut évoquer car la personne qui en était chargée commençait à prendre de l'âge. La puissance publique se sentait responsable de la sécurité. Un autre élément marqua le début des pratiques balnéaires. Ce fut la construction, en 1838, d'un établissement de bains chauds appelé premier casino de Saint-Malo. Il fut financé sur fonds privés, à la suite d'une initiative du docteur Chapel qui provoqua la création de la Société des bains de mer de Saint-Malo. Après avoir obtenu une subvention de mille francs, la société acheta un terrain à l'emplacement du Fort de Thiange. Le conseil municipal délibéra alors, en cette année 1838 pour créer un établissement de bains. Le seul emplacement favorable était le terre-plein de la batterie avancée, alors à l'entrée de la digue du Sillon, qui par sa position, se trouvait à deux pas des lieux de baignade et de la plus agréable promenade de Saint-Malo. La construction ne pouvait se faire sans avoir au préalable reçu l'autorisation du Ministère de la Guerre, et la destruction de cette batterie ne pouvait être ordonnée que sur le bon plaisir du Directeur des fortifications. Le bâtiment allait bientôt se construire à l'entrée de la digue du Sillon. Par ailleurs, les cabines mobiles se trouvaient remisées sur la cale de la Porte Saint-Thomas, à proximité de la place Chateaubriand qui devint, avec ses cafés et son kiosque à musique, le lieu de réunion de la société mondaine. La plage du Bon-Secours, située à l'ouest des fortifications, accessible uniquement par la ville close, devint également une plage fréquentée par les familles ; elle bénéficia, dès 1851, d'un établissement de bains. La polyvalence du premier équipement Au rez-de-chaussée de l'établissement des bains de mer, on trouvait, en partie centrale, un salon de compagnie, à l'extrémité Est, un salon de jeu, séparé du premier par une simple cloison qui pouvait s'ouvrir à volonté pour former une seule pièce de douze mètres de long et de huit mètres de large. A l'extrémité Ouest, une petite pièce demi-circulaire servant à la distribution des rafraîchissements, était précédée de deux cabinets pour les dames, séparés par le vestibule menant au salon et d'où partait un escalier conduisant à une petite cuisine en sous-sol et desservant des locaux situés à l'étage. A l'extérieur, un mur à hauteur d'appui, surmonté d'une claire voie, délimitait une cour sur toute la longueur de la façade. Dix cabines de bains étaient placées devant l'édifice sur la grève. En 1843, l'établissement de bains de mer de Saint-Malo, qui dépendait du casino et était subventionné par la ville, connut des difficultés financières ; en 1845, il dut recevoir de la ville une somme de mille francs. (A cette époque on s'occupa également de l'établissement d'un Champ-de-Mars, sur le Sillon, dans la portion de la petite grève qui devait être desséchée par la création d'un bassin à flot.) Le second casino Autour des années 1860, on envisagea de construire un nouveau casino à Saint-Malo, avec tous les accessoires et dépendances nécessaires, mais la dépense, de l'ordre de cent mille francs, arrêta le projet. La solution retenue fut de transformer le casino existant en le conservant dans sa plus grande partie, tout en lui donnant plus d'espace et d'élégance. Malgré l'insuffisance des équipements (d'autres villes possédaient des établissements permettant de suivre des traitements hydrothérapiques rationnels, avec des bains chauds, des douches froides et chaudes), Saint-Malo commençait à connaître un grand succès avec pas moins de 60 000 voyageurs « pour mémoire » Les Remparts et le Rocher du Grand Bé sur lequel est érigé le Tombeau de Chateaubriand à Saint-Malo. l hor s-sér ie -juillet 2012 108 pendant les trois mois d'été. Toutefois, il fallait éviter au visiteur, pendant ses temps libres, de connaître l'ennui. Aussi aux excursions dans les environs, aux courses de chevaux déjà programmées, il fallait songer à ajouter des bals, des jeux, des concerts, du spectacle. On imagina un projet de nouvelle construction pour un casino plus monumental, qui se situerait dans le vaste emplacement isolé au milieu du terre-plein du quai Napoléon, entouré de jardins et de cours, disposé de manière à recevoir comme complément, un établissement hydrothérapique. Grâce au zèle de l'architecte Frangeul, un nouveau casino fut reconstruit, en 1868, par la Société des bains de mer ; il était situé sur son ancien emplacement, et certaines des parties anciennes furent conservées. Les murs et la façade principale, sur le quai Napoléon, furent réalisés en briques rouges, les encoignures, les encadrements des fenêtres en ciment et les corniches en bois. Des salons du nouveau casino, d'un côté, on découvrait la plage, les bains, la pleine mer, de l'autre, le port et le mouvement du quai Napoléon et la verdure d'un jardin. Le bâtiment pouvait accueillir des spectacles. L'exploitation d'un grand équipement n'était pas chose facile. En 1895, la ville, longuement sollicitée, accepta d'acheter le casino à la Société des bains de mer pour un prix de 30 000 francs ; la société conserva l'exploitation des bains chauds et du matériel sur la grève. Les cabines de bains La gestion de l'espace public était une activité économique. En décembre 1881, la Société du casino et des bains de mer de Saint-Malo obtint du préfet un arrêté qui l'autorisait à faire circuler sur la plage de Saint-Malo avoisinant le château 70 cabines de bains, pour une somme de quatre francs par cabine. Cet arrêté prenait le relai de celui qui lui concédait, pour une période de neuf ans, la jouissance de la Grande Grève et qui prenait fin le 1er juillet 1882. En 1887, puis en 1897, cette autorisation fut Vue générale de Saint-Malo reconduite sur la grande plage, toujours pour un nombre de 70 cabines. Mais en 1905, les affaires allant moins bien, seules 57 cabines circulèrent sur cette plage, dans la partie comprise entre le Fort national et le Château. Statut de la plage et équipement Au début, il n'existait à Saint-Malo, comme lieu majeur pour le bain, que la Grande Grève (ou plage des Bains), véritable salon en plein air, qui attirait toute la journée les étrangers et les Malouins durant la belle saison. La plage de Bon Secours, située à l'ouest de la ville close était alors négligée. On l'appelait «la grève des Pouilloux » et n'intéressait que quelques gamins et les humbles ménagères des petites rues voisines qui venaient y mettre leur linge à sécher. Les touristes n'y passaient que pour visiter le Grand Bé ou pour aller, à mer basse, prendre le bateau de Dinard. Cependant un modeste établissement de bains y planta ses tentes. Le tarif du bain y était fort modique : vingt-cinq centimes. Le Le côté Ouest des remparts de Saint-Malo. hor s-sér ie - juillet 2012 l « pour mémoire » 109 tenancier de l'établissement était fort aimable et complaisant. La plage, bien ensoleillée, ayant l'avantage d'être couverte d'un sable sec que ne recouvraient entièrement que les marées d'équinoxe, commença à séduire les familles puis connut un grand succès. Elle se couvrit de parasols, de chaises et de pliants. Madame veuve Morin, née Harvut, de Saint-Malo, obtint, par autorisation ministérielle du 29 mars 1877, la concession temporaire d'un terrain domanial, afin d'établir une cabane ou établissement de bains. Des cabines de bains individuelles commencèrent à circuler. Alors que son bail de cinq ans se terminait, en juin 1882, elle sollicitera l'autorisation de faire circuler ses dix cabines de bains, face à la rue Saint-Pierre. Le bail lui est accordé, cette fois pour une durée de dix ans, pour une redevance d'un franc par cabine. Le 21 mai 1902, Madame Veuve Cardinal obtint l'autorisation de faire circuler vingt cabines sur cette plage à la place de Madame Morin décédée. Elle ajoutera seize nouvelles cabines à aux dix que possédait sa mère. Deux autres établissements s'établirent sur cette plage mais ils eurent la sagesse de conserver le prix modique pour leur service, si bien que la plage conserva son caractère familial et bon enfant et son succès, à partir de 1908, devint considérable. le caleçon. Du Fort National à la Tour dans ce cas. Sous le Second Empire, Bidouane, seuls les hommes et les jeunes la tenue avec caleçon puis maillot gens pouvaient se baigner, et le simple obligatoire devint la règle. Les femmes caleçon était autorisé. La baignade était se baignaient, soit aux abords du Fort interdite entre la Tour Bidouane et le National, soit sur la grève de Paramé où rocher Pouilloux, près de la piscine de elles se rendaient alors par les bateaux Bon Secours. Les hommes ne devaient du Naye dont les bateliers possédaient le pas s'approcher des endroits occupés monopole du passage entre Saint-Malo par les femmes à moins d'une distance de et Saint-Servan. A cette époque, les petites filles revêtaient, pour se baigner, des pantalons qui ne servaient qu'en cette Le pont roulant à marée basse occasion et les femmes utilisaient de vieux vêtements : vieilles robes, chapeaux démodés et chaussures hors d'usage. Pour ne pas avoir à déambuler dans la ville en cette tenue, elles se changeaient tant bien que mal à l'abri du regard. Dès 1840, les premiers costumes de bain apparurent sur la Côte d'Émeraude. Apportés par les étrangères, ils étaient invariablement de couleur noir, orné d'une ganse rouge ; ils étaient complétés par un bonnet ciré orné lui aussi d'une ganse rouge. La tenue sur la plage devenait un sujet de polémique, qui trouva sa solution dans l'arrêté du 12 juillet 1856, pris pour assurer la décence sur les plages. La plage de l'Eventail fut autorisée aux baigneurs des deux sexes, à condition de porter un caleçon fermé, descendant jusqu'aux genoux et de porter un gilet de laine de couleur foncée joignant « pour mémoire » La vie sur la plage La tenue de bain Au tout début, il était d'usage, pour les hommes, de se baigner nus. Des grèves leur étaient exclusivement réservées ; la grève de Saint-Malo fut longtemps l hor s-sér ie -juillet 2012 110 deux cents mètres. Enfin, il était interdit de baigner les chevaux, laver des charrettes et voitures pendant la saison des bains, sur la partie de la grève située entre la porte Saint-Thomas et la croix de pierre du Sillon, d'y déposer des matériaux ou des ordures, de faire ses besoins. La sécurité En 1842, deux portions de grèves étaient affectées aux bains. La première, située à l'est du Fort-Royal était réservée aux cabanes de l'établissement du casino et, à cette époque, aux personnes du sexe féminin. Elle s'avançait en pente uniforme et présentait peu de danger pour les baigneurs. La seconde, située à l'ouest du Fort était destinée aux hommes et aux jeunes garçons. Elle était d'une inclinaison plus raide, plus resserrée entre les rochers ; elle offrait partout des profondeurs différentes, utiles pour les exercices de natation, mais elle était aussi plus dangereuse. La municipalité exprima son intention d'améliorer la sécurité des usagers. On parla de placer un bateau de sauvetage que l'on dirigerait sur des deux emplacements du littoral désignés pour les bains, mais une chaîne de rochers fort élevés, infranchissables, séparant les deux plages, rendait le projet difficile. A la même époque, un généreux étranger, étonné de voir la plage dépourvue de canot de sauvetage durant la saison des bains, versa à la caisse de la Société du casino une somme suffisante pour permettre à cette société de faire l'acquisition d'un bateau et de réaliser l'installation nécessaire. Le système répondait au besoin de la plage des femmes mais pour la plage hor s-sér ie - juillet 2012 des hommes, il fallait imaginer un autre moyen. Ce fut tout d'abord l'utilisation de bouées de sauvetage. Ce fut ensuite l'utilisation de catamarans, l'un mouillant au large du bas de l'eau des plus fortes marées, et l'autre à tiers, pour qu'il y eut au moins un des deux à flots. à l'auberge. Il existait néanmoins de modestes établissements fréquentés par les voyageurs, qui traitaient fort bien d'ailleurs, à raison de 3 F par jour tout compris, leur client de passage ou les étrangers, venus en villégiature sur les plages. Après la guerre de 1870, ce furent des villas entières qui furent louées pour les vacances. Les débats sur la fonction des espaces À Saint-Malo, un ensemble de contraintes géographiques et économiques allaient rendre difficile le développement d'une ville de villégiature balnéaire. L'existence de la place forte imposait des servitudes sur les abords. Une servitude non ædificandi, d'origine militaire, protégeait de toute occupation humaine les zones limitrophes du château, afin d'éviter qu'un ennemi potentiel utilisât comme refuge des bâtiments voisins des fortifications. La loi du 10 juillet 1951 et le décret d'application du 10 août 1853 définissaient trois zones concentriques commençant aux fortifications et s'étendant respectivement aux distances de 250 mètres, 487 mètres et 974 mètres. A ces contraintes s'ajoutaient la superficie réduite du site, une langue de terre entre port et mer, par certains temps, un climat hostile, une affectation de la zone déjà précise, le transport de voyageurs et de marchandise. Lorsqu'en 1840, la Société des bains de mer de Saint-Malo entreprit la construction d'un établissement de bains et d'un casino, seuls les baigneurs anglais fréquentaient régulièrement l'endroit. Le projet, porté par quelques notables éclairés, fut vivement critiqué par les autorités militaires qui imposèrent l'emploi de bois de gros oeuvre pour toute construction située en La ville de villégiature L'arrivée des estivants Au début du développement de l'activité balnéaire, Saint-Malo était une ville enserrée dans ses remparts, à l'extrémité d'une bande de terre étroite et entourée d'eau, appelée le Sillon. En 1840, SaintServan commençait à accueillir une colonie anglaise, se baignant déjà sur la plage des Fours-à-Chaux. Dès les années 1850, les Anglais arrivaient aux pieds de la ville close par des vapeurs venant de Southampton. Allait ainsi s'amorcer le phénomène de la villégiature balnéaire sur la Côte d'Émeraude. À Saint-Malo, le début des bains de mer commença avant 1840. Aux beaux jours, les Malouins avaient pris l'habitude de se retirer dans leurs maisons de campagne et, pendant un à deux mois, des fois davantage, ils louaient leurs appartements intra-muros aux premiers vacanciers, aux estivants français et étrangers. L'été se terminant, ils revenaient en ville et reprenaient leurs habitudes. Cette pratique du gîte chez l'habitant était fréquente. Il en coûtait de 100 F à 150 F par mois pour jouir paisiblement d'une grande salle et d'une cuisine, et de trois ou quatre chambres ayant presque toujours deux lits chacune. Il était rare de prendre pension l « pour mémoire » 111 plus ancien. De grands édifices comme le casino municipal des frères Perret ou le Grand-Hôtel-Franklin contribuèrent à faire de ce secteur un endroit clé de la villégiature de la Côte d'Émeraude, à la fois lié au passé maritime de Saint-Malo et doté d'une véritable vocation centralisatrice, autour du port, du bac, du pont roulant et du tramway. Le Casino des frères Perret et la Plage à Saint-Malo en 1907. Le casino a été inauguré en juillet 1899, détruit en 1944. PARAMÉ les concessions dans la deuxième zone de défense des fortifications, malgré les conséquences possibles sur les activités traditionnelles. On assista alors, plus radicalement qu'ailleurs, à la disparition progressive des activités traditionnelles pratiquées sur l'estran, ramassage du goémon, du sable, pêche à pied, au profit d'un usage codifié d'une grève, qui à Saint-Malo comme quelques années plus tard à Saint-Énogat, changea de nom pour devenir la plage. A partir de 1870, plus de trente ans après les premiers bains, quelques villas, des immeubles et des hôtels (villa Kervadec, Grand-Hôtel Franklin et Petit Franklin, Emeraude Palace, Jacques Cartier) furent construits en front de mer sur le sillon pour des propriétaires malouins, remplaçant peu à peu les bâtiments industriels liés aux chantiers de construction navale. Un essor de la construction se produit alors à SaintMalo, en dehors des murs, avec la construction de chalets sur la chaussée du Sillon élargie. Les activités liées aux bains de mer gagnèrent, en plus d'un siècle, la totalité de la langue de terre reliant la ville fortifiée à la terre ferme, s'insérant dans un parcellaire industriel front de mer, au pied des remparts de la cité. Sur le Sillon émergea ainsi un type d'habitat spécifique aux sites balnéaires jumelés à une place forte : des chalets de bois construits sans digue de protection, à proximité de la plage. La servitude de zone non ædificandi resta un obstacle majeur à l'édification des casinos de la station malouine ; ils devaient être construits à bonne distance de la ville intra-muros et des cales de débarquement des voyageurs en provenance de Grande-Bretagne et de Dinard, et par là même exclus d'une certaine animation propice à l'épanouissement des stations. Jusqu'en 1860, les terrains du Sillon furent l'objet de conflit entre les propriétaires désireux de faire construire une maison de villégiature « hors les murs », le service des Domaines, le Génie et la ville. Tandis que le conseil municipal cherchait à s'approprier les terrains non submersibles formant le Sillon pour les revendre à des privés, les industriels des chantiers navals et les militaires, essayaient de conserver leur emprise sur la voirie. En 1852, un décret fixa la propriété des terrains submersibles et les règles d'alignement des constructions à venir. L'État autorisait Un bourg sur un vaste territoire La commune de Paramé fut créée en 1790. Sur l'ensemble de ce territoire, la population était très dispersée, vivant en majeure partie du maraîchage et de la vente des produits aux habitants de Saint-Malo. Un bourg situé en retrait par rapport à la mer, et le dos tourné à la grève, formait un centre, avec son église datant du début du XIIIe siècle et ses quelques demeures du XVIe et XVIIe siècles. Au milieu du XIXe siècle, seuls les habitants de Saint-Malo connaissaient la grève immense de Paramé et son panorama pittoresque. Ils venaient y prendre des bains de mer et déjeuner sur l'herbe. Au bord de la mer, les jachères s'étendaient à l'infini. C'était là la distraction dominicale des Malouins, car de tout temps, les armateurs de Saint-Malo possédaient des maisons, de Cancale à Paramé, derrière le village, dans la campagne du côté de Saint-Ideuc. Mais déjà, cette petite agglomération connaissait un accroissement de la population estivale. A partir de 1850, elle « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 112 allait commencer une modernisation du bourg, l'urbanisation du territoire de la commune. On assista successivement au développement des quartiers de Rochebonne, du quartier de la cité des bains, du lotissement concerté de la Bais-Saint-Malo-Paramé, du lotissement concerté Frangeul-Auscher, puis Leroyer. Si 1879, la plupart des terrains n'était que sables et luzernes, mais le développement de l'urbanisation fut rapide. En 1885, on dénombrait déjà 180 villas ainsi que le Grand-Hôtel, le casino. On situe dans les années 1860 le démarrage de la villégiature balnéaire à Paramé. En 1866, M. Besnier ouvrit le premier établissement de bains sur la grève de Rochebonne ; avec ses cabines de bain roulantes, il était associé à un hôtel voisin. Les premières maisons de villégiature furent construites, par les notables de la région à partir de 18601970 (villa Beausite, Les Roches) sur la pointe de Rochebonne, point le plus haut du rivage. Suite à l'acquisition des terrains de Beaurivage par le banquier parisien Hébert, un plan de lotissement fut mis en place sur les nielles (ou dunes) de Paramé par la Société de la baie de Saint-Malo-Paramé, créée en 1881 à Paris afin d'aménager les terrains en une station nouvelle. Au coeur du lotissement, un Grand-Hôtel et un casino furent édifiés dès 1883. On assista alors à une croissance sans précédent de l'activité de construction de maisons de plaisance et d'hôtels de voyageurs entre 1881 et 1890. Les acheteurs de lot venaient de la région parisienne, du Nord ou de Normandie. Les différentes opérations d'urbanisation furent reliées entre elles. Les nouveaux équipements ainsi créés montraient un changement d'orientation : la volonté de se tourner vers la mer. En 1860, le boulevard des Bains fut ouvert pour relier le bourg aux quartiers balnéaires des nouveaux bains. Le long de cette voie, qui prit le nom de boulevard de Rochebonne, des maisons de plaisance apparurent jusqu'aux marges du bourg, en grande partie construites entre 1870 et 1880. Le boulevard des Bains fut suivi dix ans plus tard par les boulevards Hébert et Chateaubriand. Le bourg lui-même connut une mutation profonde. Une poste fut ouverte en 1850, face à l'église. Une nouvelle église plus grande fut édifiée en 1883 sur les plans de l'architecte Frangeul. L'église paroissiale fut transformée en mairie et en halles en 1886 sous la direction du même architecte. Les équipements comme l'éclairage urbain électrique furent signalés dès le début du siècle. A partir de 1911, la commune de Paramé se dota d'un réseau de distribution d'eau potable. En 1936, l'architecte Yves Hémar construisit des bains douches dans le bourg. La pointe de Rochebonne La Digue de Paramé sur la Côte d'Emeraude. La pointe rocheuse située à l'extrémité orientale de la plage de Rochebonne était occupé par des terres agricoles. Ce fut en cet endroit que les premières maisons hor s-sér ie - juillet 2012 l « pour mémoire » 113 le tracé étroit et sinueux du parcellaire antérieur à la station. Les villas de la cité des Bains furent construites directement sur la grève, sans digue de protection. En 1910, les Ponts et Chaussées répondirent positivement à la demande des riverains de construire un ouvrage de protection, demande renouvelée régulièrement par les propriétaires depuis 1886. Ce ne fut qu'en 1930 qu'un mur de soutènement fut édifié pour relier la digue des dunes à la cale de Rochebonne et pour protéger du même coup les villas du bord de mer. Le lotissement concerté de la baie de Saint-MaloParamé Paramé, la pointe de Rochebonne à marée basse en 1910. de villégiature furent édifiées, à partir de 1860. Très recherché pour sa situation panoramique et son espace boisé, le quartier accueillit entre 1860 et 1870 de grandes demeures (villas Beausite, Les Roches, Bel Horizon, Rochelettes, Rochebelle et les Grandes terrasses avec serres et communs) construites sur des terrains confortés avec un accès privé à la grève. Vers 1870, les trois villas Bel Horizon, Rochelette et Rochebelle furent réunies pour former l'hôtel Rochebelle. En 1890, le fort de Rochebonne de style néo-médiéval fut édifié à l'extrémité de la pointe sur des terrains rocheux acquis au domaine maritime sept ans plus tôt, selon des plans attribués à l'architecte Leroyer. Dans une impasse, dénommée primitivement impasse Hamon-Besnier, ce dernier, alors maire de Saint-Malo, fit construire, en 1878, trois villas pour sa famille : Castel Senbilion, Ermitage d'Aaron et le chalet Ridollet, qui constituèrent la cité du Petit Paradis. La rue devint impasse des Forts en 1922 et de nombreuses villas y furent édifiées au tournant du siècle ; l'une d'entre elles appelée villa des Pavillons fut la propriété de l'architecte rennais Hyacinthe Perrin. L'îlot de la cité des Bains L'îlot de la cité des Bains fut urbanisé entre 1883 et 1885 selon deux schémas : la rue de la cité des-Bains (rue Hébert en 1922), un chemin privé donnant sur la digue bordé de grandes villas construites en front de mer par deux propriétaires essentiellement, puis, la rue des Fleurs, chemin rural, un ensemble de maisons mitoyennes modestes édifiées entre 1883 et 1900. Situé à la marge du lotissement concerté de la Baie, l'îlot a conservé L'opération qui donna toute son ampleur et sa notoriété à Paramé fut sans conteste le lotissement concerté de la baie de Saint-Malo-Paramé. L'histoire en est ainsi contée. L'opération de Paramé commença en 1875, par l'achat de MM. Dejean et Cahours, propriétaires de terrains à Dinard, de 20 000 mètres carrés de terrain sur le bord de la mer à Paramé. Cette zone ne comportait alors que du sable, la maison de la cure de Saint-Malo et la petite villa connue sous le nom de l'Ermitage. Les terrains se négociaient alors à 50 centimes de mètre-carré. A la suite d'embarras divers, les acheteurs durent vendre tous leurs terrains sur deux rives de la Rance. Ceux de la rive gauche furent achetés par Maître Dubois, notaire à Laval, et les terrains de la rive droite, c'est-à-dire ceux de Paramé, échouèrent à un autre créancier, M. Hébert, banquier à Paris. Cette propriété, dite de Beaurivage, se composaient de terrains dunaires à « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 114 bâtir du littoral nord des communes de Saint-Malo et de Paramé. La propriété fit l'objet d'une vente de liquidation judiciaire, et, selon certaines sources, les huit hectares furent vendus au prix de 90.600 francs. Edouard Hébert, banquier parisien originaire de Normandie, hérita des terrains de Beaurivage en paiement de la dette de ses deux créditeurs. Un jour de 1880, ce dernier rencontra M. Péruvier du journal Le Figaro, qui acheta à son tour, puis avec d'autres amis, ils constituèrent une société pour aménager ce territoire. Cette société anonyme, prévue pour trente ans, dite Société de la baie de Saint-Malo-Paramé, avait ainsi pour principaux actionnaires des banquiers (Hébert, Desfossés), des négociants (Prévet, Suzanne) ou des artistes (Périvier, De Grave, Bertrand) ; elle avait pour objet la vente des terrains de Paramé et Saint-Malo, l'acquisition, l'édification et l'affermage d'un casino et d'un grand hôtel, et toute entreprise qui pourrait contribuer au développement du site. Un plan de lotissement fut réalisé en 1881, attribué à l'architecte Pouliquen. Entre 1881 et 1885, le Grand-Hôtel et le casino furent édifiés le long de la digue de Paramé, alors encore en construction depuis les terrains Palmié en SaintMalo. Le prolongement de la digue était nécessaire pour le développement de la station. En 1881, M. Hebert, propriétaire depuis 1880 des anciens terrains de la minoterie à l'est de l'épi de la Hoguette, s'engagea à céder les terrains nécessaires, à charge pour l'État de prolonger la digue et de l'entretenir. En outre, en 1888, MM. Hébert et Périvier contractèrent une promesse de cession hor s-sér ie - juillet 2012 gratuite à l'État des terrains Palmié dont ils étaient propriétaires depuis 1882, afin de reconstruire la tranche manquante de 278 mètres. Le boulevard central du lotissement resta une voie privée jusqu'en 1893. Entre 1880 et 1911, le littoral des communes de Saint-Malo se couvrit de sept cents maisons de villégiature et d'une cinquantaine d'hôtels et de pensions de famille. Les parcelles achetées par les actionnaires parisiens furent construites puis revendues ou louées. L'urbanisation se fit le long de voies suivant un plan en damier. En raison des difficultés financière, la société fut dissoute en 1885, et les parts revendues au gérant du casino, M. Bias Les villas. Les villas construites vers 1880 étaient toutes remarquables et nombre de leurs propriétaires étaient des gens très en vue à l'époque. Les plus caractéristiques disposaient de jardins fruitiers au bord même de la grève des bains et se trouvaient entourées de petits murs d'un mètre, murs protecteurs contre les vents du large ; on trouvait ainsi les maisons de messieurs Herbert, Prévost, Havez, « Le Petit Trianon », « La Villa des Dunes » aux fleurs odorantes et aux fruits savoureux, à dix mètres à peine de la mer. Deux villas, « La Villa Surcouf « et « La villa Duguay-Trouin » adoptèrent des formes rondes, déroutantes pour l'époque. D'autres maisons attiraient également l'attention : « Le Chalet du Trocadéro » du colonel Evelyne, chalet norvégien figurant au Trocadéro en 1878 et dont le propriétaire s'était rendu acquéreur en 1879 pour le transporter à Paramé en 1880, « Les Pavillons Indiens qui figuraient au Champs de Mars et servaient à abriter l'exposition du Prince de Galles, achetés par messieurs Prével et Desfossés et transplanter à Paramé. Parmi les autres villas remarquables en cette fin de siècle, il faut aussi signaler « La Maison Rose », propriété du directeur de l'Ecole d'Athènes, la « Villa Anaïs », propriété de l'un des directeurs du Palais Royal, la « Villa Sans Souci », la « Villa Saint-James », la « Villa Caprice » de M. Hébert, « Le Petit Trianon » loué chaque année par le préfet d'Ille-et-Vilaine de l'Epoque, la « Villa Pomponnette », située sur le bord de la digue, alors propriété de M. Bertrand, directeur du Théâtre des Variétés. Sur la digue, elle-même, on trouvait la « Villa Memphis » appartenant à Florian Giffard du Figaro, et la « Villa Honorine » appartenant à Pierre Griffard, également du Figaro. Le Grand-Hôtel Le Grand Hôtel de Paramé coûta, à l'époque, près de 800 000 francs. Il comptait 140 chambres, toutes meublées élégamment, en merisier ciré du pays, un bois utilisé dans toutes les villas de la station. Il possédait un grand portique avec une terrasse donnant la campagne et un beau jardin. La salle à manger de l'hôtel était toute à fait remarquable ; toute en colonnes et en vitrage, elle donnait largement sur la mer et la campagne. Il fut suivit d'autres réalisations ; en 1880, il y avait une dizaine d'autres hôtels un peu moins prestigieux, dont l'Hôtel de France, l'Hôtel des Bains, l'Hôtel Chateaubriand, l'Hôtel de la Plage, etc. Le nouveau casino Le premier casino de Paramé, construit l « pour mémoire » 115 par la première société, ne convenait pas au nouveau propriétaire, M. Biais, qui le fit transformer par M. Pigault, architecte. Il conçut un bâtiment qui abritait un salon de danse, un salon des dames, des salons des petits jeux, un salon du cercle, une salle de théâtre capable d'accueillir, tour à tour, des concerts, des bals d'enfants, des répétition théâtrales, durant toute la durée de la saison balnéaire. Toutes les commodités connues en cette fin de XIXe siècle furent introduites pour disposer d'un confort semblable à celui des hôtels parisiens. Les décorateurs accordèrent une attention toute particulière au revêtement des murs. Le grand salon d'attente, qui occupait le centre du casino, immense pièce de cent mètres carrés, était revêtu de tentures de velours bleu et vieil or ; le mobilier, fauteuils, divans était également couvert de ce même revêtement. A droite de cette pièce, en venant de la plage, on trouvait deux salons dits des petits-jeux, tendus vert mousse et vieil or, puis la salle de café avec tentures et encadrements de fenêtres en tissu grenat, ainsi qu'à proximité, le billard. A gauche du salon d'attente, on trouvait le salon du cercle, une pièce de huit mètres de haut, tapissée en étoffe grenat avec bordure vieux vert. Enfin, on arrivait à la salle de spectacle, un petit théâtre de dix-huit mètres sur dix. Sur les côtés, couraient des banquettes de velours vert. Huit grandes fenêtres décorées en velours de même couleur, avec lambrequins grenas brodés d'or, laissaient pénétrer des flots de lumière, venant se jouer dans les mille plis de tentures couleur saumon. Toutes les salles, luxe suprême en ces années 1880, possédaient un dispositif de ventilation. La plage et la digue Le territoire de Paramé bénéficiait de deux plages magnifiques : la plage du Casino, faisant suite à celle de SaintMalo, et la plage de Rochebonne. Site étiré le long de la digue des Dunes, Paramé constitua un quartier de villégiature très homogène, rythmé par des boulevards parallèles au rivage, sans véritable centre, si ce n'est le secteur de la Hoguette, autour du casino et du Grand-Hôtel (1883). Ce qui fit l'incomparable charme de Paramé fut, sans contexte, sa magnifique digue de granit, longue de deux kilomètres, allant de Saint-Malo à Rochebonne. Elle fut construite en plusieurs étapes. Les premières digues sont d'origine privée : il s'agit des digues Tourou et Palmie réalisées par des propriétaires d'industries ou de moulins sur le Sillon en Saint-Malo. Ces premiers travaux ne donnèrent pas entière satisfaction contre les attaques de la mer, et en 1853, ce fut l'administration des Ponts et Chaussées qui entreprit le prolongement de la digue de Saint-Malo à Paramé. Ce premier ouvrage s'étendait sur 278 mètres. En 1885, un décret présidentiel autorisa son prolongement entre Saint-Malo et Paramé par les Ponts et Chaussées. En 1886, un projet d'estacade prolongeant la digue au niveau de l'épi de la Hoguette est présenté dans un guide touristique. La digue fut réalisée en cinq tranches jusqu'en 1903, date à laquelle elle aboutit à Rochebonne. La digue sépara la mer des maisons. Elle fut interdite aux chevaux comme aux voitures de toutes sortes. Elle constitua la plus agréable des promenades. Elle donnait sur une plage de sable fin s'étendant en une courbe gracieuse jusqu'à la pointe de Rochebonne, partagée en deux par un petit promontoire appelé l'Epée de la Hoguette. Chaque année, depuis la création du casino, sur cette plage, avaient lieu des courses de chevaux. La plage servit également de Champ de Mars pour les troupes des garnisons de Saint-Malo et de Saint-Servan ; c'est là que se passaient, avant la saison des bains, les grandes revues et les leçons de tir à la cible. Selon les récits de l'époque, la plage s'éveillait à une heure matinale et ressemblait à un vaste hippodrome pour les cavaliers, puis la ville s'éveillait. Au saut du lit, baigneurs et baigneuses allaient se plonger dans la mer, sous l'oeil vigilant de maîtres baigneurs, à leur poste, armés de canots de sauvetage disposés à quelques mètres du rivage pour être prêts à venir en aide aux imprudents. Vers deux heures de l'après-midi, la plage désertée le matin, se ranimait. On y plantait les parasols et on y fixait les tentes. Les dames y prenaient place et s'activaient à quelques ouvrages de broderie, tandis que les jeunes filles jouaient au cricket ou au lawn tennis, et que les enfants s'ébattaient sur le sable ou construisaient des châteaux forts. Les hommes allaient au casino. L'heure de la baignade vespérale venue, la plage reprenait son agitation du matin et l'on y voyait ceux qui s'étaient attardées la veille au casino. Puis venait l'heure du diner. Après le repas, les promeneurs affluaient sur la digue avant d'aller terminer la soirée au casino. La plage de Paramé possédait également des établissements de bains de « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 116 mer. Avant même la création de la ville de villégiature et la construction du casino et du Grand Hôtel, il existait déjà un établissement de bain de mer sur la plage. Il fut créé à grands frais, à partir de 1864, par M. Courtel, avec l'aide de M J.M. Foucault. En juillet 1873, ces deux associés demandèrent à la préfecture, de renouveler le bail qui les autorisait à faire circuler leurs cabines mobiles, et le matériel nécessaire pour le service de leur établissement sur la grève de Rochebonne à Paramé. C'est à titre précaire que l'administration autorisera les deux hommes. En décembre 1878, M. Besnier, propriétaire demeurant au Mur Blanc à Saint-Méloir-desOndes, écrivit à son tour au Préfet, lui exposant qu'il possédait sur les bords de mer, à Rochebonne, un établissement de bains de mer chauds et froids, auquel étaient attachées des cabines circulant sur la grève vis-à-vis l'établissement, suivant l'autorisation du 5 avril 1866. Il avait chargé le sieur Courtel de la gestion de cet établissement et des cabines qui y étaient attachées. Ce dernier avait demandé en son nom propre, l'autorisation de faire circuler les dites cabines sur la plage, mais, frappé par une grave maladie, il devait abandonner la gestion de l'entreprise qui lui avait été confiée. Besnier voulait reprendre l'exploitation créée en 1864, et confiée au maître baigneur. A cette période, Foucault et Courtel souhaitaient disposer chacun d'une concession d'une longueur de cent mètres de plage. En janvier 1879, ils s'étaient partagés la plage à l'amiable, Foucault s'étant réservé la partie de grève située à l'ouest du boulevard de Paramé, face à l'hôtel qu'il tenait, hor s-sér ie - juillet 2012 et, Courtel, la partie est, vis-à-vis des terrains appartenant au sieur Besnier, dont il était jusqu'ici locataire, et avec lequel il partageait les frais et les bénéfices de son exploitation (Les cabines appartenaient à Félix Besnier.) Mais cet arrangement n'avait rien d'officiel et à la mort de Courtel, la question de la distribution des rôles entre Besnier, la veuve Courtel et Foucault se posa. L'administration de l'État, proposa alors à la commune de Paramé de reprendre la totalité de la concession, ce qu'elle accepta le 30 mars 1879. La commune résolut les différents et à partir de juillet 1879, trois exploitations furent chargées d'assurer le service des bains de mer sur la plage de Paramé, et malgré quelques ajustements, il en était ainsi en 1884. De nouveaux établissements de bains apparurent ensuite à Paramé. Le 20 novembre 1882, M. Dufossés, président de la société anonyme de la baie de Saint-Malo, prit la décision d'ouvrir un établissement de bains de mer sur la plage de la Hoguette et du Petit Moulin, face au nouveau casino et au Grand-Hôtel ; cet établissement, ouvert au début de l'été 1983, comporta 30 cabines. Cette histoire des concessions se poursuivit dans les années suivantes, le temps passant, avec d'autres propriétaires et gérants. En 1894, les concessionnaires étaient au nombre de trois, en filiation avec les trois entreprises primitives ; en 1900, des problèmes de frontières étaient toujours en débat. Des conflits existaient aussi avec d'autres usagers. En mai 1894, le conseil municipal de la ville de Paramé fut saisi d'une réclamation émanant d'étrangers sur la plage de Rochebonne, demandant que l'accès du boulevard de Rochebonne et la cale de ce boulevard à la grève fût complètement libre et qu'il ne fût plus donné d'autorisation de placer des cabanes fixes ou mobile sur la cale et sur la grève dans toute la largeur du boulevard. Un arrêté fut pris à cet effet. Le conseil municipal décida aussi que les cabines mobiles, une fois remontées en haut des sables, laissât entre elles un certain intervalle, afin que les personnes possédant des cabines fixes ou des tentes, ne fussent pas gêner pour se rendre elles-mêmes à la mer. Les campagnes de promotion Le développement d'une activité économique d'une telle importance ne va pas sans campagne de promotion, ou du moins sans dispositif d'information. A partir de 1885, pendant les trois mois d'été, Paramé eut son journal bihebdomadaire La Gazette de Paramé, une petite feuille rose, réalisée avec soin, chargée de renseigner le public sur les évènements de la saison, les distractions du casino et l'arrivée et le départ des étrangers. Elle était installée dans un pavillon en forme de chalet, qui était autrefois le Pavillon du Figaro, journal parisien qui lança la station. Ce pavillon avait été acheté par La Gazette de Paramé et transporté entre le casino et le Grand-Hôtel où il servait en même temps de bureau de renseignements et de cabinet de lecture, ainsi que de kiosque à journaux de tous pays. l « pour mémoire » 117 Transports et déplacement A Paramé, seul le bourg était doté d'un plan de voirie municipale, et d'un plan d'alignement en 1869. Dès 1861, le boulevard des Bains (actuel boulevard Rochebonne) fut réalisé pour relier le bourg de Paramé à la mer, suite à un arrêté préfectoral de Fréart en 1860. En 1877, le boulevard Chateaubriand fut percé parallèlement à la mer. En 1893, la Société des bains de mer de Paramé obtient de la commune le classement en voirie de petite communication du boulevard Hébert, au coeur du quartier des Bains et menant au casino de Paramé ; il fit, en 1912, l'objet de travaux importants. Au début du XXe siècle, l'avenue de la Gare reliant les quartiers balnéaires de Saint-Malo et de Paramé à la gare de chemin de fer fut créée sur un terrain endigué (actuelle avenue de Moka). En 1933, les avenues privées de la famille Duvoir furent cédées à la commune de Paramé. Six ans plus tard, ces voies perpendiculaires au boulevard Hébert et à la digue (avenue du Casino, avenue Jules-Simon, avenue Charles-Prévet) furent frappées d'alignement. Les rues Saint-Roch, Jules-Simon, Charles-Prévet, Picot-de-Clos-Rivière furent aussi l'objet de plans d'alignement en 1951. Pour faciliter le transport des estivants, un décret du 1er août 1888 déclara d'utilité publique l'établissement d'un réseau de tramway entre Saint-Malo, Saint-Servan et Paramé. Le réseau se composa de deux lignes distinctes. La première relia SaintServan, Saint-Malo et Paramé (18881949), la second Paramé à Rothéneuf (1895-1914). La première ligne, concédée à M. Wilmart, entra en service en avril 1888. En 1892, l'exploitation de la ligne revint à la Société des tramways bretons, constituée par décret. Un second décret, datant de 1897, déclara d'utilité publique l'établissement de la seconde ligne reliant Paramé à Rotheneuf et Cancale. L'exploitation fut accordée à la Société des tramways bretons et le matériel fourni par la Société Decauville. La déclaration d'utilité publique de la ligne, inaugurée en juillet 1898, fut accordée par le conseil général malgré certaines réserves tenant à son caractère spéculatif. Le trafic cessa pendant la Première Guerre mondiale ; il cessa définitivement en 1949. dites baraques Collet étaient utilisées à Paris au moment du jour de l'an. On y trouvait des costumes de bains, des parfums, des journaux, des jouets et de la pâtisserie. En 1898, un atelier de photographie ouvrit dans l'hôtel Notre-Dame-des-Grèves. Le Grand-Hôtel Franklin possédait, en 1891, un atelier de réparation mécanique pour ses clients. Saint-Servan A Saint-Servan, les sites balnéaires s'inscrivirent dans le tissu ancien. C'est en ces lieux que virent les premiers anglais en villégiature d'hiver ou d'été, en Bretagne, dès 1840. Sur les rives de la Rance, en face de Dinard, les plages encaissées se bordèrent de grands domaines privées, tandis qu'une ébauche de vie mondaine s'organisa autour de la plage des BasSablons, dans le casino-établissement de bains, dans les pensions de famille, dans les hôtels et les points de départ des régates. L'ensemble de ses différents sites connut un grand développement avec l'ouverture, en 1864, de la gare centrale de chemin de fer, implantée à égale distance de ces différents sites, et la construction de réseaux de digues, de voiries et de transport en commun. Des premiers aménagements de voiries, liés à l'activité balnéaire, eurent lieu dès 1840, date à laquelle la rue des Hauts-Sablons fut construite sur une dune sablonneuse. Dans la décennie suivante, les percements de voies furent nombreux : élargissement de la rue du Chapitre (1850), percement du boulevard Douville reliant le centre de Saint-Servan à la route de Rennes (1850), ouverture « pour mémoire » Les équipements commerciaux Selon les sources de l'époque, il semble que seul le quartier de Rochebonne en Paramé connut un essor commercial lié à la villégiature. En 1879, la mise en place de la station de tramway au carrefour de Rochebonne favorisa le développement des commerces dans le quartier. Après l'ouverture d'un bureau de tabac et d'une agence de location, vers 1900, on assista successivement à l'ouverture, dans des constructions de type chalet, d'un magasin d'articles de plage, d'un atelier de photographie, d'une épicerie et d'un grand magasin. En dehors du quartier de Rochebonne, seul le quartier de Courtoisville connut quelques transformations commerciales liées à la clientèle estivale. En 1884, le directeur du casino de Paramé fit construire sur la digue des cabanes provisoires entre le Grand-Hôtel et le Casino. Ces cabanes l hor s-sér ie -juillet 2012 118 pointe de la Vicomté, un domaine devenu l'un des quartiers les plus agréables de Dinard. A l'ouest de Saint-Enogat se trouve la commune de Saint-Lunaire. Ce centre balnéaire possède deux belles plages : à l'est, Saint-Lunaire, regardant SaintMalo, et à l'ouest, Longchamp, la plus vaste, tournée vers le cap Fréhel. La pointe du Décollé est reliée à la terre ferme par un pont naturel qui franchit la profonde crevasse du saut du Chat. La côte est, sur la Rance, qui borde la plage du Prieuré, très abritée, bénéficie d'un climat assez doux qualifié parfois de méditerranéen, qui a permit l'implantation d'une grande variété des plantations sur les escarpements de la falaise aménagée en jardins privatifs. La côte nord, sur la Manche, qui s'étend de la pointe du Moulinet à la pointe de la Roche Pelée et regroupe les principales plages, est plus sauvage et plus typique du littoral de la Côte d'Émeraude. La plage de l'Écluse, située dans une anse profonde entre les pointes escarpées du Moulinet et de la Malouine, est le coeur de la station. Sur ses dunes de sable ou à proximité ont été construits la plupart des équipements balnéaires qui structurent la station : établissements de bains, casinos et hôtels de prestige. Quant à Saint-Enogat, éloignée de l'agitation du centre, elle demeure une annexe de la grande plage bien que plus ample et moins profonde. Elle est également encadrée de deux avancées rocheuses (pointe des Ététés, à l'est, et pointe de la Roche Pelée, à l'ouest) sur lesquelles vinrent progressivement s'établir de nombreuses maisons de villégiature formant deux quartiers distincts à l'est et à l'ouest. Saint-Servan, vue générale de la côte de la rue de Constantine (1871), projet de boulevard entre le centre de SaintServan et la gare de chemin de fer (1877). En 1900, le boulevard de la Rance, desservant la plage des Fours-à-Chaux, fut aménagé. DINARD L'environnement géographique Située sur la rive gauche de la Rance, Dinard fait face à Saint-Malo. Etymologiquement, Dinard proviendrait du gaulois dunum, colline et du breton arzh, ours. C'est un riche Américain nommé Coppinger, puis des Anglais qui ont lancé Dinard vers 1850. Aujourd'hui la ville marque les visiteurs pour ses villas luxueuses, ses jardins et ses parcs. Elle se structure autour hor s-sér ie - juillet 2012 de points exceptionnels. On trouve, au nord-est, la pointe du Moulinet d'où il est possible de voir la côte, du cap Fréhel à l'ouest, Saint-Malo à l'est, l'estuaire de la Rance au sud. Entre la pointe du Moulinet et la pointe de la Malouine, à l'ouest, s'inscrit la grande plage ou plage de l'Ecluse. Cette belle plage est bordée par le Palais des Arts et du festival, le casino et de luxueux hôtels. Au-delà, on se dirige vers la pointe des Ététés, le beau jardin en terrasse du Port-Riou et la plage de saint-Énogat situés au bas de rochers escarpés. A l'est, de direction nord-estsud-ouest, s'allonge la promenade du Clair-de-Lune. Réservée au piéton, cette digue-promenade suit le bord de l'eau et bénéficie de beaux parterres fleuries, d'une remarquable végétation méditerranéenne. Elle donne un beau point de vue sur les villas et sur l'estuaire. Elle s'achève à la plage du Prieuré, qui doit son nom au prieuré fondé en 1324 à cet emplacement. En continuité, on trouve la l « pour mémoire » 119 Les débuts de la station La colonie anglaise Le site naturel remarquable de Dinard attira très tôt les villégiateurs anglais, les premiers découvreurs du site. Une plaque commémorative, située sur la promenade des Alliés, mentionne leur arrivée en 1836, date de l'installation du nouvel embarcadère à l'anse du Bec-dela-Vallée. Vers 1840, le consul anglais, Alpyn Thomson s'installa dans l'ancien prieuré des Trinitaires situé dans la baie du même nom, face à la ville fortifiée de Saint-Malo. Dix ans plus tard, il fut suivi par Jean Sedgwich, puis par Robert Monteith, vice-consul, installé précédemment au château de Montmarin. Ces pionniers firent partager les beautés du site à leurs amis anglo-saxons installés à Dinan. C'est ainsi que la famille Faber emménagea dans la villa Beauregard avant de faire construire, en 1856, sa propre demeure, la villa Sainte-Catherine, sur le promontoire du Bec-de-la-Vallée. Cette famille Faber réalisa les premières photographies de Dinard. Elles dévoilent une côte abrupte et rurale sur la plage de l'Ecluse et l'existence d'un hameau de pêcheurs sur la Rance, avec ses maisons en moellons de granite, aux pignons découverts, aux toitures d'ardoise et de chaume. A cette époque, les rues semblaient le fruit du hasard ; il existaient néanmoins deux centres rayonnants : la place de la République, aujourd'hui au coeur de l'activité commerçante, et la place du Calvaire, proche de l'église de SaintEnogat, le centre primitif de la commune avant la construction de la nouvelle église inaugurée en 1858 et située place du Général-de-Gaulle. Par ailleurs, le site de Dinard était, pour l'essentiel, vide de construction. La pointe du Moulinet avait partiellement une fonction militaire tandis que le reste des terrains était voué à l'agriculture et aux transports de marchandise en provenance de la Bretagne intérieure et à destination de Saint-Malo par le bac de la Rance. Dans ces années, les installations militaires de la pointe du Moulinet furent abandonnées et de nouvelles maisons s'implantaient, autour de la villa Sainte-Catherine, sur les vastes terrains de ce site de promontoire. L'établissement des bains de mer Le développement de Dinard fut aussi la conséquence de la popularité d'un maître nageur, Edouard Legros, qui s'était fait une réputation d'héroïsme sur les plages de Saint-Malo. En 1858, il décida de s'installer à Saint-Malo et entraîna avec lui, dit-on, un groupe de vingt-quatre baigneuses qui allait accroître d'autant la clientèle. Edouard Legros érigea un bâtiment sur la belle grève de l'Ecluse, avec la permission de l'autorité locale, en faisant appel, par souscription, aux notables et riches résidents de la station. Ainsi, dès les premiers jours de juin, dix cabines mobiles pouvaient s'installer sur la grève. L'établissement, bien que sommaire, possédait le fourneau nécessaire pour chauffer l'eau des baquets servant à prendre des bains de pieds, une coutume établie des riches étrangers, ainsi qu'une baraque en planches, construite sur la partie supérieure de la grève, sur le bord d'un terrain de dunes, dans le fond de l'anse, à l'ouest de la grève. Le 19 juin 1859, le maître baigneur sollicita, « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 120 auprès des autorités, le privilège exclusif de la baie de l'Ecluse pour y exploiter son établissement de bains de mer. La ville de Trouville avait obtenue une telle concession, encadrée par un arrêté portant la date du 19 mai 1858, donnant son accord sous réserve de ne pas priver les particuliers du droit de pêcher, d'échouer, de réparer les chaloupes ou bâtiments, de se promener, de pratiquer la grève comme voie de communication, ni même de prendre des bains, en se soumettant aux mesures qui auraient été arrêtées pour assurer l'administration, la surveillance et la « police des bains ». Des termes identiques furent utilisés par la sous-préfecture de Saint-Malo pour l'arrêté autorisant le premier établissement de bains de mer de la future station balnéaire de Dinard. Le 21 juillet 1859, Edouard Legros obtint une autorisation avec un bail de trois, six ou neuf ans, avec réserve par l'État de le révoquer sans indemnité, à quelque époque que ce soit. En 1860, la commune de Saint-Enogat demanda au préfet que la concession de Legros fut faite à son profit afin de créer des ressources par une sous-location. établissements, les subventionnant même, les exploitant. A Dinard, fin 1869, un éminent docteur en exercice dans la station, Amateur Du Gourlay, s'étant ému du manque d'hygiène des habitants, décida de créer un établissement de bains chauds ouvert en permanence toute l'année. En 1870, il créa l'établissement de bains chauds de la Vallée (il s'agit du ruisseau de Barbine), ouvrant ainsi un établissement hydro thérapeutique à deux pas de la grève de l'Ecluse, dans lequel on pouvait prendre des bains ou des douches, chauds ou froids. L'établissement fut ouvert fin 1872 et son exploitation fut confiée au sieur Claude Auguste. Cependant, l'établissement connut en 1874 une première faillite. Le 1er mai 1875, il fut vendu à Alfred Alix ; il fonctionna encore pendant cinq ans avant de disparaître devant la concurrence des nouveaux services proposés par le casino. En effet, le propriétaire du casino de Dinard, Elie Pompon, avait également demandé l'autorisation de créer un établissement de bain. Il obtint cette autorisation le 25 juillet 1873, jusqu'au 23 octobre 1979, date où elle fut transférée à M. Lagneau, directeur du nouveau casino de Dinard, construit en 1877 à l'emplacement du premier, dans de plus grandes proportions. Madame Legros bénéficia également le 25 juillet 1873 d'une nouvelle autorisation. Le plan se limitait au secteur Est de la Vallée. L'objectif de la municipalité était de réaliser une nouvelle ville sur cette partie du territoire, une zone située entre deux coteaux, qui s'étendaient, du nord au sud, sur une longueur de plus d'un kilomètre en séparant le bourg de Saint-Énogat de Dinard ; la Vallée était traversée par le ruisseau de Barbine qui s'écoulait vers la grève de l'Écluse. Dans ce projet, l'ancienne paroisse située à Saint-Enogat était déplacée dans l'anse du Prieuré, plus proche de Dinard. Ce nouveau centre, projeté autour d'une église qui venait d'être réalisée par l'architecte Lacroix, se trouva pourtant très vite en marge du développement de la station balnéaire. Si celle-ci n'était pas encore véritablement présente sur le site, son développement devait se faire autour de la plage de l'Ecluse. Sur les plans d'urbanisme de 1856 et de 1861 figurait déjà le tracé du futur boulevard Fréart qui devait relier la place de l'Eglise à la grève de l'Ecluse où se situait le premier établissement de bains d'Edouard Legros, suivi bientôt de l'indispensable casino. Les premières maisons de villégiature se sont construites au nord-est sur le site du Bec-de-la-Vallée ; en 1859 fut mis en service le premier bateau à vapeur. En 1866, le duc d'Audiffret-Pasquier fit construire son château de la Malouine sur les falaises de la plage de l'Ecluse et bientôt se prépara la venue de l'empereur Napoléon III. Bien que ce dernier ne soit jamais venu, les préparatifs liés à sa visite jouèrent un rôle moteur pour la médiatisation de la station. Le casino et le boulevard du Casino furent alors réalisés. A partir de cette date et jusqu'au Les nouveaux équipements de Dinard Après 1870, les bains de Dinard avaient acquis une grande réputation, dans toute l'Europe et même en Amérique. Parallèlement, sous le Second Empire, dans les grandes villes, sous l'impulsion d'éminents professeurs et docteurs, des établissements de bains populaires avaient été créées ; les municipalités s'étaient emparées du sujet, créant des hor s-sér ie - juillet 2012 Les étapes d'une nouvelle ville Un premier projet d'urbanisation a été déposé en 1856, sous la signature de l'architecte Eugène Lacroix. Il fut modifié en 1861 et partiellement réalisé. l « pour mémoire » 121 début des années trente, la ville ne cessa de se développer et l'ancien bourg de Saint-Enogat, situé plus à l'ouest, finit par être complètement absorbé par l'extension de cette nouvelle ville qui prit le nom, dès 1879, de Dinard-SaintEnogat. Ce fut une période faste pour les investisseurs et promoteurs. D'autres étapes furent décisives. En 1873, Joseph Rochaïd Dahdah, comte libanais en exil, arriva à Dinard. Riche et entreprenant, il marqua par ses place qui a pris aujourd'hui son nom : la place Rochaïd. Il y fit construire des halles en 1876 pour les marchés des poissons, viandes et légumes. Il fut le fermier du bac sur la Rance jusqu'en 1884. Il construisit plusieurs villas. Il fut à l'initiative de projets audacieux tels que l'ouverture de la ligne de chemin de fer Dinan-Dinard qui fut inaugurée en 1987 et la troué de la porte d'Émeraude qui sera réalisée plus tard par ses fils. La gare conduisit à ouvrir le boulevard Lhotelier vers 1890-1900. entrepreneur de Saint-Enogat, M. Lainé formula l'autorisation de créer un établissement de bains sur cette plage appelée, à l'époque, « grève du bourg » ; il allait rapidement louer ses huit ou dix cabines aux familles qui préféraient le calme de Saint-Enogat à la plage bruyante de Dinard. Début 1904, pour répondre aux demande d'une clientèle de plus en plus nombreuse, Henri Mancel, demeurant à Saint-Alexandre, agissant en tant que concessionnaire, et François Lodin, entrepreneur en menuiserie, se déclarèrent intéressés par la création d'un second établissement de bains. Il fut installé sur la partie ouest de la grève. En 1905, M. Mandel demanda à la commune de lui louer un terrain communal situé près d'un chemin conduisant à la grève. Mais il provoqua la protestation de riverains ; des cabines privées avaient déjà été installées par les propriétaires des villas voisines. Le maire décida de partager le terrain en trois bandes parallèles à la plage, avec des prix de location différents suivant la bande, et des règles de répartition entre les personnes et les entreprises intéressées. Faute de clients, les bains Mancel fermèrent fin décembre 1908. En 1879, Auguste Poussineau racheta le parc du Château de la Malouine au duc d'Audiffret Pasquier pour y construire un lotissement balnéaire de standing. La ville vit arriver le chemin de fer en 1883. Ainsi, se développèrent plusieurs pôles d'urbanisation, une des caractéristiques de Dinard. Le quartier balnéaire de la Rance rejoignit celui de la plage de l'Écluse qui prit un aspect de plus en plus monumental avec la réalisation d'un deuxième casino et du Grand-Hôtel « pour mémoire » La plage de l'Ecluse à Dinard en 1903. A côté du Royal-Hôtel, fut construit Le Crystal. Ce bâtiment, élevé en 1892 par un riche commerçant, M. Champion, pour accueillir un grand café-glacier et un casino, fut reconverti en hôtel en 1904. Sa tour entièrement vitrée, faisait office de phare. nombreux projets d'intérêt général l'urbanisation du centre-ville de Dinard. Il acquit de nombreux terrains dans la Vallée dont il assainit le versant oriental. Il construisit de nouvelles voies vers le centre, dont la rue de Verdun et la rue du Clos-de-la-Fontaine qui mènent à la Albert Lacroix, célèbre éditeur belge, investit à Saint-Enogat. En 1875, il construisit un nouvel hôtel à deux pas de la mer : L'Hôtel de la Mer, et entreprit, le lotissement des Villas de la Mer. Prévoyant la naissance d'une demande nouvelle de cabines roulantes, un l hor s-sér ie -juillet 2012 122 Royal. Plus à l'ouest, Saint-Énogat n'était plus qu'un faubourg de la grande station, à laquelle elle était reliée par le boulevard Albert Lacroix, réalisé en 1880. Le quartier de la gare resta cependant excentré et très peu urbanisé malgré des travaux de voirie qui le relièrent à l'Ecluse et à la Rance. Il fallut attendre le nouveau plan d'alignement et d'embellissement de 1925 pour que fussent envisagés de nouveaux projets dans la partie occidentale de la ville. Les années 1900-1910 furent une période de grands travaux avec la construction du Grand-Casino, de l'hôtel Royal et le percement du boulevard Edouard VII. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, Dinard connut à nouveau une période de prospérité ; la station possédait quatre casinos en 1928 et à cette date fut construit un nouvel hôtel de luxe : le Gallic-Hôtel, des projets grandioses furent dessinés par les architectes Lesage et Miltgen à la Vicomté. Ce fut aussi la période d'un vaste programme social appuyé par le maire Paul Crolard qui présenta un projet grandiose de citéjardin sur les terrains du Corbinais et de Saint-Alexandre qui fut très partiellement réalisé. Les années 1920 et 1930 furent une période de grands projets, tels que la réalisation par René Aillerie de la piscine à ciel ouvert et des cabines de bain fixes, du chemin de ronde allant de la plage de l'Ecluse à la pointe du Moulinet, de la construction du Casino-Balnéum de Maurice Fournier avec sa piscine d'eau de mer chauffée permettant de prendre des bains de mer en toute saison. La plage de l'Ecluse, principale plage de Dinard, devint, dès le début de la villégiature, le coeur de la station balnéaire. hor s-sér ie - juillet 2012 Située dans une anse profonde entre les pointes escarpées du Moulinet à l'est et de la Malouine à l'ouest, elle maintenant bordée au sud par une digue-promenade. Un premier établissement de bains y fut construit en 1859. A partir de cette période, la plage devint le monopole des baigneurs et la municipalité y interdit l'enlèvement des marnes et du sable utilisés par les agriculteurs de la commune. La plage commença à connaître un grand succès, comme le Grand Hôtel, ouvert en 1859 et dirigé par Elie Pompon. Chaque été plus de cinquante familles venaient prendre des bains de mer à Dinard. Les journaux introduisirent dans leurs feuilles une nouvelle rubrique, La gazette des bains de mer ; elle publia une liste complète des premiers baigneurs. En 1861, l'entreprise de Legros pouvait aligner vingt cabines, hélas, en 1864, Edouard Legros mourut, à l'âge de 53 ans. Sa veuve, son fils, Edouard Legros fils et le frère du célèbre baigneur reprit, dès juillet la direction des bains chauds. Les chemins de fer de la région amenèrent, cette année là, de nombreux baigneurs et l'affluence sur la grève grandit de jour en jour. A la mi-juillet, elle se couvrit littéralement de nombreux parisiens, Anglais et Espagnols, qui se réunissaient chaque jour dans une des plus vastes salles du Grand Hôtel transformée en théâtre. Le Grand Hôtel était toujours le seul de la station. Mais dès cette époque, leurs propriétaires projetaient d'édifier un premier casino avec bains sur la plage de l'Ecluse. Dinard atteignait déjà, à l'époque, une population de sept à huit mille personnes l'été. La mode des bains de mer alla grandissant jusqu'à la guerre de 1870, pour reprendre plus fortement après le conflit franco-prussien. En 1872, elle bénéficia de la création du chemin de fer d'Orléans à la mer par Alençon et aboutissant à Saint-Malo. Le casino de Leroyer Le premier casino, un bâtiment en bois, fut construit en 1866. Trop exigu et battu par les marées, il fut remplacé par un second casino, de trois niveaux, construit par Leroyer, père du légendaire pont-roulant de Saint-Malo. En novembre 1876, on créa pour ce projet la Société anonyme du Casino de Dinard. Elle fut chargée de racheter l'ancien établissement et les objets mobiliers appartenant à M. Pompon, nouvel actionnaire et gérant du Grand-Hôtel, ainsi que les deux établissements de bains existant sur la plage, celui de M. Pompon et celui de Mme Legros. Le nouveau casino fut construit en six mois. A l'étage inférieur, il comportait, sous le vaste salon de lecture entouré d'une terrasse, le service des bains chauds d'eau de mer et d'eau douce. Dans ce soubassement, on trouvait aussi le lavoir ou blanchisserie, la lingerie, les vestiaires, la lampisterie, les magasins, les écuries. Le service des bains chauds se composait de huit cabines de bains, avec quatre baignoires en cuivre pour l'eau de mer, et quatre en zing pour l'eau douce ; elles étaient mises à la disposition de la clientèle de 9 heures du matin à 5 heures du soir. Ils y avaient aussi deux pièces à eau, munies d'un matériel divers et à partir de 1886, d'un service d'hydrothérapie. Sur la plage, le casino mettait à disposition des tentes fermées, avec ou sans linge et costume, suivant le désir du client. A cette époque, une ordonnance de police interdisait de se baigner en maillot ou l « pour mémoire » 123 tricot collant ; le costume de rigueur est alors le gilet et le pantalon. Le casino ne conserva pas longtemps la plage pour lui tout seul. Le 24 octobre 1883, Laurent Ménétrier, peintre en bâtiment et entrepreneur à Dinard, demanda l'autorisation de faire circuler sur la partie ouest de la plage trente-deux cabines de bains. Il obtint cette autorisation le 4 avril 1884, et Alphonse Legros prit la direction de ce nouvel établissement. Mais un différent de voisinage, portant sur la construction d'un ouvrage sur pilotis servant de rangement au matériel de l'entreprise Ménétrier, différent avec le propriétaire du casino, M. Poussineau, poussa le préfet à limiter l'autorisation au 31 décembre 1988, date à laquelle la dite construction devait disparaître de la grève. Elle fut effectivement démontée au début de mai, et remontée début juin sur un terrain domanial. L'établissement de bain de Laurent Ménestrier se trouvait dans le fond de l'anse de la grève de l'Ecluse, au droit d'une propriété en friche appartenant à M. Champoin, agriculteur à Feins. En 1992, le propriétaire de ce terrain en forte déclivité décida de construire un bâtiment venant s'appuyer sur la limite même du rivage, avec l'idée de réaliser hôtel, « La Villa Crystal », ayant un accès direct au rivage. La cabane de Ménestrier obstruant les abords et apportant des nuisances (fumées et odeurs), M. Champion demanda au préfet d'ordonner son déplacement. N'obtenant pas satisfaction, il décida d'aménager un établissement de bains dans sa villa, et l'administration donnera son accord et partagea la plage de l'Ecluse. Il restait que l'établissement de bains Ménestrier amenait beaucoup d'inconvénients ; les lieux d'aisance y étaient sommaires. Il convenait de réduire la construction sur pilotis à un simple rangement de matériel. Le 20 août 1895, la Villa Crystal fermait par suite de faillite ; en février 1896, le maire demanda à Laurent Ménétrier de remplacer sa cabane par une autre de moindre importance montée sur roulettes, dans laquelle il pourra mettre un bureau et un dépôt de vêtements, cette dernière étant, après la saison, remisée en dehors du littoral. Le 23 mars 1896, un arrêté résilia la concession Ménétrier à partir du 1er juin 1896. Il faut aussi noter un autre mouvement de privatisation du littoral, commencé en 1874, avec l'installation sur place, par des particuliers, de cabines de bains pour leurs besoins personnels. Il apparut sur la plage du Prieuré puis de l'Ecluse. Ce choix n'était pas toujours bien avisé ; certaines d'entre-elles furent emportées par la mer. Un centre de thalassothérapie Construite en 1892, la villa Crystal devint en 1894, le Crystal Casino. Pour la première saison de l'établissement, Méphisto, la grande rivale de Sarah Bernhardt y vint, accompagnée de son professeur espagnol Roméo Liobet, des Folies Bergères de Paris. Le second casino de Dinard comprenait, outre les salles de spectacles, un établissement de bains chauds, d'eau de mer et d'eau douce, et des douches. Le 24 mai 1894, M. Liège architecte, fit une demande au nom de M. Champoin, propriétaire de la villa Crystal. A cette époque le bâtiment construit sur la grève de l'Ecluse était affecté principalement à un grand café-restaurant-concert. A cette fonction principale, le propriétaire voulait adjoindre tout un étage à l'usage de bains chauds et de salles d'hydrothérapie de premier ordre, comblant de cette façon une lacune qui manquait dans une ville d'eau de l'importance de Dinard. Pour installer des douches à eau de mer, il fallait disposer de cette eau. L'administration autorisa la construction d'un réservoir, au dessous du flot de mars, dans une anfractuosité de rocher, recouvert de rocailles pour se fondre dans l'environnement ; l'eau était ensuite acheminée à l'aide de pompes. Hélas, le Crystal Casino ferma ses portes en 1997, et le bâtiment prit le nom de Grand Café Glacier. En 1899, un nouveau projet allait faire revivre cette idée de doter Dinard La plage de l'Ecluse à Dinard, avec le casino « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 124 d'un établissement de bains modèle, dans lequel on pourrait se faire masser, se doucher à l'eau chaude et froide, sous forme de pluie ou de jets cinglants. La Villa Crystal fut louée par le Docteur Perret pour y installer un institut médical d'hydrothérapie, d'électrothérapie et de massothérapie et muni des plus récents appareils de radioscopie aux rayons X. Cinq ans plus tard, en juin 1904, d'importantes transformations furent effectuées par M. de Vlassov, dans la suite du Docteur Perret. Cet entrepreneur créa les Thermes de Dinard, un établissement d'hydrothérapie particulièrement bien équipé. En juillet 1904, l'intérieur de la Villa Crystal fut transformé ; elle fut associée par un petit hôtel élégant sous lequel fut installé un établissement de bains. En 1905, l'établissement des bains existant fut complété par une installation de bains turcs, bains chauds ou étuves, une innovation en France, connu sous le nom de hammam. Trois étages dans le Crystal Hôtel étaient réservés aux bains ; l'eau de mer était remontée au moyen d'une pompe ; elle était chauffée la température voulue par chacun. On trouvait également une piscine de douze mètres de long et de huit mètres de large et les perfectionnements les plus récents qui en faisaient un établissement d'hydrothérapie en pointe à l'époque. La partie hôtel composé de soixante chambres particulièrement soignées, disposait maintenant d'un jardin d'hiver. Il y avait aussi une pièce de consultation fut mise à la disposition de médecins extérieurs à l'établissement, pour l'auscultation des malades. Les clients pouvaient également disposer d'une équipe de masseurs, de coiffeurs, pédicures et manucures. hor s-sér ie - juillet 2012 La plage de l'Ecluse au début du XXe siècle Fin 1901, les terrains, situés au droit de la partie centrale de la plage, un ensemble de dunes (propriété de M. Poussineau), furent achetés par la Société Immobilière de Dinard-Saint-Enogat. Cette dernière fit construire, en un peu moins d'un an, à l'entrée de la plage et du côté ouest, un nouveau casino et un grand hôtel. Ils furent inaugurés le samedi 27 juillet 1902. Cet hôtel, appelé hôtel Royal, fut donc construit en 1902 à l'emplacement du square des Falaises dont le terrain appartenait à la famille Poussineau. Il fut vraisemblablement conçu par l'architecte E. Blanchet, qui construisit le Grand-Casino pour la même société dite Henry Ruhl et Cie. Ce bâtiment de 1902, de plan rectangulaire, de dix-huit travées en façade sur mer, conçu à l'origine, avec deux étages carrés recouverts d'une toiture en terrasse bordée d'une balustrade, s'avéra très vite insuffisant et fut surélevé, en 1904, d'un étage carré et de deux étages de comble en partie courante, de deux étages plus comble en partie centrale, et d'un étage suivi de deux étages de comble au niveau des deux pavillons d'extrémité. Ce fut le résultat du travail de L. Joubin architecte, et de l'entreprise Gonzalès de Dinard. La travée centrale est mise en valeur par un fronton à ailerons. Du ciment peint, imitant la pierre de taille, fut utilisé pour l'encadrement des baies et le chaînage des angles. Le casino, de plan ovoïde, était à l'origine composé d'un rez-de-chaussée et d'un étage de soubassement ; il était recouvert d'une terrasse d'où émergeait un dôme central. Une pièce ouverte à l'est, sur la plage, avec péristyle, était accessible de la terrasse par un escalier à degré. Les travaux de décoration furent dirigés par M. Charles et réalisés par M. Gabriel, présenté comme le spécialiste des grands théâtres de Paris. Une salle du rez-de-chaussée fut transformée en 1916 en salle de cinéma. Après la guerre, le casino fut transformé et agrandi par la construction de deux étages supplémentaires à usage de logements. Après la création du Grand Casino de Dinard en 1902, l'ancien casino de Dinard, créé en 1873 et refait totalement en 1877, réservé à la clientèle chic de la station, pris le nom de Hight-Life Casino pour se démarquer de la clientèle plus commune de son concurrent. En 1902, Henri Ruhl, directeur du Grand Condé de Chantilly et de l'hôtel Scribe à Paris, devint locataire de l'hôtel Royal et du Grand-Casino. Henri Bertrand fut nommé directeur. Ce dernier obtint l'autorisation, le 17 juillet 1903, de faire circuler vingt cabines de bains devant le nouveau casino sur une façade de deux cents mètres, et par arrêté du 17 mai 1904, quarante cabines. Début juillet 1904, Laurent Ménestrier fut pour sa part, autorisé à faire circuler cinquantedeux cabines en tout, sur 65 mètres de largeur à partir d'une ligne se dirigeant au nord en partant de l'angle ouest de l'avant corps de l'Hôtel Royal. A l'expiration de son autorisation, en 1908, la direction de l'Hôtel Royal décida de former avec les bains Ménétrier Les Bains de l'Hôtel Royal et des Malouines. En 1914, les bains Ménétrier furent vendus à Eugène Lemonnier, apparenté à la famille Legros, cependant tout s'arrêta pendant la guerre. En 1918, Madame l « pour mémoire » 125 Janvier, présente dans le domaine des bains de mer depuis qu'elle avait obtenue une concession le 16 janvier 1908, demanda l'autorisation de continuer pour la saison 1918. L'année suivante, en 1919, la ville se rendit adjudicataire du droit d'exploiter les bains de mer, sur la plage de l'Écluse, contre une somme de 2.000 francs ; elle concéda ensuite son autorisation aux bains Janvier en imposant des conditions portant sur l'entretien de la plage et sa libération totale en dehors de la saison. Les bains Janvier devinrent les seuls exploitants jusqu'à la Seconde Guerre Mondiale. La Ville obtint la concession sur toutes les plages de la commune en 1923, ce qui lui permit de faire des travaux d'aménagement sur les terrains communaux voisins, de débarrasser la plage de l'Écluse de certaines cabines délabrées, de créer des cabines simples et des cabines de luxe sous l'Hôtel Royal. On aménagea à la même époque l'emplacement occupé précédemment par la villa Sand Pit de Henry Moulton, terrain situé à l'entrée de la plage, que la ville avait acheté. Il y avait désormais une vaste plate-forme en ciment armé, sous laquelle on aménagea cent cabines simples, une remise pour le matériel des fêtes, le local du syndicat d'initiative et du poste de police, et des galeries d'exposition et magasins de thé, pâtisserie bretonne et crêpes dentelles. Le Casino-Balnéum de Maurice Fournier La saison d'hiver restait médiocre depuis la guerre. En 1924 et 1925, elle connut un renouveau. Les hôtels restèrent ouverts ainsi que de nombreuses pensions de famille ; de nombreuses villas furent louées en hiver et printemps, et le casino eut suffisamment de client. Néanmoins, pour donner plus d'allant à cette saison, on prit la décision de réaliser un « Palais Thermal », avec piscine pour permettre le bain en toutes saisons. On choisit de le bâtir sur un terrain communal situé en bordure de la digue de l'Écluse. Les travaux débutèrent fin 1927 et la piscine fut inaugurée le 11 août 1928. Avec ses mosaïques et ses ferronneries, elle avait la splendeur des belles réalisations de l'époque ; autour d'un espace de belle hauteur se développaient promenoirs et galeries. Deux étages de cabines entouraient la piscine, desservis par un couloir extérieur. A y regarder de plus près, cette immense construction était un exemple d'intégration des fonctions et centre plurifonctionnel avant la lettre. Il comprenait trois niveaux. L'entrée de plain-pied avec l'avenue du PrésidentWilson se trouvait au troisième niveau qui contenait des salons de jeux, un théâtre de 875 places, un salon de lecture. Un grand hall d'accès desservant ces différents locaux s'ouvrait sur une immense terrasse recouvrant la piscine ; cette terrasse était largement aménagée avec des pergolas et des bancs au milieu de fleurs et de verdure. Le deuxième niveau du Casino-Balnéum abritait un grand restaurant, un bar américain, une spacieuse salle des fêtes et un dancing, disposés autour de la piscine, vaste espace qui se composait d'un grand et d'un petit bassin établis suivant les règles imposées par la fédération sportive. Le Balnéum comprenait encore une installation hydrothérapique complète, sorte de hammam avec salles de sudation, douches, bains, massages. De plain pied avec la digue, le premier niveau abritait un cinéma de luxe de 450 places, indépendant du casino. Deux cents cabines environ étaient mises à la disposition de la clientèle. Quelques boutiques étaient également placées de part et d'autre de l'entrée de la digue. Ce bâtiment fut une illustration du style paquebot alors en vogue avec des salles disposées sur le pourtour d'un grand espace distribuées par de longues coursives. On y trouvait aussi des grandes compositions utilisant maintes colonnes et serliennes. Le volume du hall était éclairé par une lanterne à deux niveaux ; il était scandé de colonnes surmontées de vases fleuris et rehaussé de bas-relief par Auberlet. La piscine, au centre du complexe, était entièrement revêtue de mosaïque en camaïeu de bleus par l'atelier rennais des Odorico. A la même époque, on aménagea, sur un plan de l'architecte René Aillerie, dans la petite anse de la plage, près de la porte d'Émeraude, un « Pool », mot anglais désignant une piscine découverte de grande dimension, capable d'accueillir les matches de water-polo dans de l'eau de mer. Les autres quartiers de Dinard Le centre ville La partie considérée comme le centreville est située à l'est, le long de la Rance, et, elle est traversée du nord au sud par le boulevard Féart, créé à la naissance de la station de villégiature, puis d'est en ouest par la rue Levavasseur, artère commerçante prolongée par l'avenue Edouard-VII, plus résidentielle. Trois places sont aménagées à l'est du boule« pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 126 vard Féart : la place Paul-Crolard, la place Rochaïd avec ses halles et son marché et la place de la République, anciennement place de la Ville-en-Bois. La partie orientale de ce quartier, tournée vers la mer, a été occupée la première. Les maisons de villégiature y sont nombreuses et la plupart mitoyennes (avenue George-V, autrefois dénommée Grande Rue). C'est dans ce secteur urbain qui surplombe la mer que s'est installée la colonie anglaise avec son club de tennis dont le terrain vient d'être récemment loti. La pointe des Moulinet La pointe du Moulinet, bande de terre avancée vers la mer, borde la partie est de la plage de l'Écluse et fait face à la ville historique de Saint-Malo. Cet endroit stratégique donnant sur la Manche et sur la Rance possédait une batterie construite par Vauban en 1696 dont quelques vestiges de fondation sont encore visibles. Elle fut remplacée en 1861 par une nouvelle batterie, désaffectée et remise au Domaine par le service du Génie en 1900. Le chemin d'accès à la batterie et le chemin de ronde furent cédés à la ville de Dinard et les terrains acquis par Jacques Hennessy et Paul Darblay, propriétaire des villas la Garde et Saint-Germain. Sur ce site considéré comme l'un des plus beaux points de la côte s'installèrent de somptueuses demeures dès le début de la villégiature à Dinard. La villa Roche Pendante, connue grâce à des sources documentaires, fut vendue en 1906 et détruite peu avant la guerre de 1914 ; elle était la propriété de John Camac, Américain originaire de Philadelphie, qui l'avait fait construire en 1867 ; hor s-sér ie - juillet 2012 La pointe du Moulinet à Dinard elle est remplacée par la villa Granite House construite en 1923. Parmi, les premières demeures figurent également la première villa la Garde construite vers 1865-1870 pour la famille Roederer et la villa Saint-Germain primitivement appelée villa Mortemart, construite par François de Rochechouart, vicomte de Mortemart, entre 1868 et 1874. Le chemin de ronde qui parcourt la pointe a été terminé en 1928-1929, suite à l'acquisition d'un terrain domanial par la ville de Dinard, qui a permis d'y établir un chemin public allant de la plage de l'Écluse à la pointe du Moulinet. La porte d'Émeraude, située dans l'anse, a été ouverte en 1911, permettant ainsi une communication directe entre l'embarcadère et la plage de l'Écluse. Le lotissement concerté de la Malouine En 1879, Esmé d'Audiffret Pasquier vendit le parc de son château, dit la Malouine, à Auguste Poussineau, qui dès les années 1880, assura la promotion et l'aménagement du site. Un lotissement de luxe fut dès lors envisagé. Auguste Poussineau fit appel à Alexandre Angier, architecte à Saint-Brieuc qui réalisa plusieurs villas (Belle Assise, Roche Plate, Roches Brunes et Bel-Esbat). Certains lots furent vendus non bâtis ; ce fut le cas pour les villas Vélox et Ker Annick construites pour la famille de Boucheporn. La villa Bambino fut réalisée par l'architecte Bénard. Le lotissement était clôturé par une grille en fer forgé située à l'entre de l'actuelle avenue Poussineau. En juin 1909 fut créé le syndicat des propriétaires du parc de la Malouine. Les rues qui traversent ce lotissement sont aujourd'hui communales. Le quartier de Saint Enogat Le quartier de Saint-Enogat était le centre primitif de la commune ; il tend aujourd'hui à se confondre avec la ville de Dinard. La place du Calvaire, au coeur de ce quartier, où se tenait un marché, s'est transformée en un véritable carrefour. L'église située à proximité est une reconstruction datée de 1872-1874, hormis le clocher, de l'architecte Arthur Régnault. L'ancien édifice était du style Renaissance et affectait la forme d'une simple croix. Le déplacement de l'église paroissiale, en 1858, de Saint-Enogat l « pour mémoire » 127 plage de Port-Riou. Le lotissement initial, aujourd'hui détruit, était moins étendu. Il était composé du Grand-Hôtel de la Mer, de villas accolées louées à la journée, à la semaine ou au mois formant trois corps de bâtiments, de maisons individuelles et d'un établissement de bains. Les villas les Genêts, Bellevue, le Parc et les Tourelles formaient le premier corps de bâtiment au nord-ouest de la parcelle. Le deuxième corps de bâtiment était composé des villas Maisonnette, Shakespeare, Byron et Cézembre et le troisième corps au nord-est de la parcelle des villas le Bosquet et Harbour. Les maisons individuelles placées en bordure de la plage de Saint-Enogat, dites les Pavillons, se nommaient le Phare, la Corniche et le Nid. L'établissement de bains - villa des Bains et pavillon des Bains - était placé également en bordure de la plage avec location de cabines de bain. L'ensemble du terrain dit les Grandes Mielles avait été acheté par Albert Lacroix le 23 septembre 1875. Ce dernier fit probablement appel à l'architecte Liège de Saint-Servan. Un deuxième lot de terrains limitrophes du premier lotissement fut acheté le 28 décembre 1877 à Joseph-Auguste Parmentier par un groupe d'amis d'Albert Lacroix. Le quartier de la gare Le quartier de la gare, situé au sud de la ville de Dinard, fut créé à partir de l'installation du chemin de fer, inauguré en 1887. Il est principalement composé de petites maisons souvent résidentielles. Les plus anciennes sont situées à l'est de la ligne de chemin de fer. En 1900, Dinard ne s'étendait pas au-delà de la ligne de chemin de fer. Il fallut attendre le plan « pour mémoire » La Pointe de la Malouine à Dinard. à Dinard aurait pu mettre un terme à l'évolution urbaine du bourg, mais Saint-Enogat profita, comme Dinard, dès le début de la villégiature, de l'afflux des estivants. En 1865, dans le secteur de Villeneuve, proche de l'église, Henri Lefort créa un salon littéraire qui accueillait un groupe de poètes de la capitale. Mais ce fut Albert Lacroix, éditeur de Victor Hugo, qui fut le véritable promoteur de la plage de Saint-Enogat. Il y construit en 1875 son premier lotissement dit « des villas de la Mer » qui donna bientôt son nom à tout ce quartier de villégiature situé sur la rive est de la plage de Saint-Enogat. Un établissement de bains s'y installa en 1877 avec quelques cabines de bains réservées à la clientèle des villas et de l'hôtel de la Mer. Dans les années 1880, la ville se rendit propriétaire du sol du boulevard de la Mer où avaient été construites de belles villas, telle le Port Riou de M. de Rodays, qui assura une publicité constante à la station dans le journal parisien Le Figaro. Dans les années 1890 et surtout entre 1910 et 1930, on assista à un développement de la construction de villas, facilité par l'ouverture du boulevard AlbertLacroix commencé en 1879, qui relie Saint-Enogat à la Pointe de la Malouine. Ce fut également une période favorable aux équipements balnéaires, puisque la municipalité construisit un ensemble de cabines de bain fixes en 1923, que la société des tennis y implanta huit courts en 1924 et que des investissements privés lancèrent l'édification d'un hôtel de luxe, l'hôtel du Duc d'York puis hôtel Granville en 1929. Après cette date, peu d'édifices importants furent construits, hormis la villa Greystone, élevée en front de mer en 1938 par l'architecte Michel Roux-Spitz. Le lotissement des villas de la Mer Le lotissement des Villas de la Mer donna son nom à tout un secteur du quartier de Saint-Enogat qui s'étend de la partie orientale de la plage de Saint-Enogat à la l hor s-sér ie -juillet 2012 128 d'alignement, d'extension et d'embellissement de la ville en 1925 pour que fussent dessinés et envisagés de vastes projets dans la partie occidentale de la ville. La municipalité de Paul Crolard acheta dans ce quartier excentré de vastes terrains afin de constituer un secteur à bon marché destiné aux ouvriers, aux fonctionnaires et aux petits rentiers afin qu'ils y construisent des maisons à prix modérés. Un vaste projet de citéjardin dessiné dans les années 1920 est en partie réalisé avec la création en 1925 de la cité Pasteur, puis en 1931 de la cité Broussais. Le quartier de la plage du Prieuré La plage du Prieuré est la deuxième grande plage de Dinard, située dans l'estuaire de la Rance face à la ville de Saint-Servan. Orientée à l'est, elle est plus abritée et moins mondaine que sa voisine, la plage de l'Écluse. Elle doit son nom à l'ancien prieuré des trinitaires, situé au fond de la baie et fondé en 1324 par les frères Olivier et Geoffroy de Montfort. Ce prieuré transformé en habitation particulière a été occupé dès 1840 par un consul anglais. C'est l'un de ces consuls, Robert Monteih qui, fasciné par l'endroit, à fait découvrir Dinard à la colonie anglaise de Dinan dont les Faber. A côté du prieuré, se sont établies dans les années 1860, les Soeurs de la charité de Bayeux. Elles cédèrent, en 1871, leur établissement aux trinitaires de Valence qui y installèrent un pensionnat de jeunes filles. Le quartier de la plage du prieuré est également le noyau primitif de la nouvelle ville de Dinard, matérialisé en 1858 par l'église et la mairie-école située au hor s-sér ie - juillet 2012 sud du presbytère. Ce fut le lieu choisi en 1868 par l'architecte Pichot pour y construire la villa Eugénie qui se devait d'accueillir le couple impérial. Quelques villas se construisirent à cette période sur les falaises dont la villa Pontlevoy avec ses jardins en terrasses. Plus tard, en 1880, la famille Klekosky construisit en retrait du front de mer la villa Nahan, véritable château, aujourd'hui détruite, dont le parc a été en partie sauvegardé. La grève du Prieuré, était couverte, à la fin du siècle dernier, de grands arbres, d'arbustes et de verdure, avant de voir quelques villas s'y établir, face à Saint-Servan et Saint-Malo ; elles formaient un contraste heureux avec le fond de verdure des fours à chaux de la Vicomté. A partir de 1870, plusieurs cabanes de bains s'implantèrent sur la plage, surtout aux abords du couvent des Trinitaires, dans la partie ouest de la grève, mais un établissement de bains y faisait encore défaut. Petit à petit, la grève du Prieuré devint une plage de plus en plus fréquentée par les baigneurs. En 1893, M.Auvret, propriétaire aux abords du chemin de la Fosse Guézille, fit disparaître quelques rochers gênant l'accès des bains, ce qui rendit la plage plus attrayante. Des propriétés se construisirent à ses abords et le propriétaire de la villa « La Luzene », à proximité de la grève, M. Denys, décida en 1892 de créer un petit établissement de bains des plus modestes, mais susceptible de rendre de grands services aux habitants. La concession de faire circuler quatre cabanes sur la grève lui est accordée le 14 août 1892, à raison d'une redevance de 3 francs par cabane roulante, pour une durée de cinq ans ; elle fut ensuite renouvelée. En 1929, on réalisa sur la plage du Prieuré une plateforme afin de recevoir des cabines. Les propriétaires de cabines, trop nombreuses sur la plage de l'Ecluse, furent autorisés à les y transférer. L'utilisation de la grève fut gratuite cette année là ; un prix très modique fut pratiqué les années suivantes. Une piscine fut construite sur la plage dans les années 1930. La Vicomté Les terrains du lotissement de la Vicomté appartenaient à Mme veuve Joyau qui en vendit quelques parcelles à des particuliers et l'essentiel à la société PicardDubois et à Emile Dubois, architecte. Le domaine fut morcelé en vingt lots et mis en vente, à grand renfort de publicité, en 1900 dans le journal La Côte d'Émeraude. Suite à la mise en faillite d'Emile Dubois en janvier 1918, les terrains furent mis aux enchères. Ils devinrent la propriété de la société anonyme de la VicomtéDinard qui publia ses statuts en 1922 et passa sous la direction d'un architecte parisien, Victor Lesage. Entre 1922 et 1929, deux architectes parisiens, Victor Lesage et Charles Miltgen, conçurent un projet de station balnéaire dotée de tous les équipements : casino, hôtels, tennis, embarcadère, quartier commercial, dont il est rendu compte dans un document publicitaire publié en 1928. On y voyait la réalisation, par la ville de Dinard, d'un boulevard reliant la Vicomté à la plage du Prieuré, les prémices de la construction du casino et de l'hôtel Beauvallon, de style Art Déco, avec ce goût des décors en lignes brisées et les embrasures à ressauts. Une cale d'embarquement était également prévue. Le quartier com- l « pour mémoire » 129 La Fenêtre à Cancale, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle de véritables lotissements balnéaires prirent place autour de la ville haute. A la même période, sur le front de mer de la Houle, les vieilles maisons de pêcheurs furent rénovées et mises au goût du jour. Au tournant du siècle, Cancale, ville portuaire et ostréicole, s'affichait alors comme un lieu de villégiature pour des personnes aimant le calme et le pittoresque. mercial ne vit pas le jour, par contre le casino fut réalisé. Il fut détruit pendant la guerre, et l'hôtel Beauvallon, encore en place, fut transformé en appartements. Ce projet ambitieux n'avait pas connu le succès escompté ; il fut brisé dans son élan par la crise de 1929 et le départ de la clientèle aisée vers la Côte d'Azur. Pourtant, le site était loué par les plus grands. Anne de Noailles le désignait sous l'appellation de « Bosphore d'Occident ». Le projet fut relancé en 1964 par la société de vente de la VicomtéDinard qui réalisa un nouveau cahier des charges et de réglementation des parcelles. La reconquête des grèves A partir des années vingt, les municipalités achevèrent de retrouver la maîtrise de l'espace de la station. Aux initiatives individuelles - l'absence de contraintes édilitaires est significative de l'effacement de la puissance publique jusqu'en 1914 - succédèrent les plans d'extension mis en oeuvre par les municipalités. Cette réappropriation s'exprima par la maîtrise des réseaux de voiries, qui valida a posteriori les initiatives privées, mais surtout par l'aménagement des espaces libres et par la restitution du rivage à l'usage public. À Dinard, le Conseil municipal du 16 décembre 1900 fut consacré à ce thème, avec des débats agités. « Cette décision donne assurément satisfaction aux voeux si souvent exprimés par la population. La pointe du Moulinet est un des sites les plus pittoresques de notre commune, et c'est incontestablement l'endroit d'où l'on découvre le plus beau panorama de nos côtes. L'ouverture au public du chemin de ronde jusqu'à présent fermé [...] va constituer un nouvel attrait pour nos visiteurs. Mais la mesure ne serait pas complète si elle devait s'arrêter là. Il vous semblera sans doute comme à moi qu'il est indispensable pour la commune, afin de pouvoir en tirer tout le parti désirable, d'être autorisée à prolonger le chemin qui nous est concédé tout autour de l'ancienne batterie, en longeant les murs de la villa Saint-Germain [...]. Cela permettrait aux promeneurs de circuler librement, sans être obligés de revenir sur leurs pas ». Malgré ces efforts, le tracé des chemins de randonnée ne longe toujours pas le rivage dans sa totalité. Il subsiste des ruptures, vestiges des modes d'appropriation du rivage qui distinguait à l'origine les sites de promontoire et les sites de digue. Les étapes d'un développement A côté des villes de Saint-Malo et de Dinard, toutes les bourgades périphériques connurent, avec un petit décalage de temps, une transformation de leurs sites en stations balnéaires. Ce fut le cas de Cancale, Saint-Lunaire, Saint-Briac, Saint-Cast sur lesquels se déroulèrent des phénomènes analogues d'équipements et de lotissements. Il est vrai que la réputation de la côte d'Émeraude était alors assurée. L'imprimeur Joseph Bazouge dans son Guide du baigneur et du touriste à Saint-Malo-Saint-Servan, Dinard-Paramé, paru à Dinan en 1865 fournit une description de Saint-Malo, de son casino et de cent « petits pavillons roulants pour la toilette des baigneurs », ces cabanes traînées au bord du rivage par un cheval. Il précisait que la complète sécurité des personnes avait déjà été prévue. « Un bateau de sauvetage stationne incessamment sur les eaux de la Grande Grève et des surveillants « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 130 sont à proximité, prêts à s'élancer vers les flots, au premier cri d'alarme », précisait-il. Ainsi les baigneurs pouvaient-ils bénéficier, sans inquiétude d'une « grève vaste et unie, formée du sable le plus fin et disposée en pente douce » et d'une « eau toujours limpide et dans une agitation continuelle, sans être incommodés » et qui « offre à toute heure la précieuse facilité du bain à la lame». Bazouges montrait la même admiration pour Dinard : « Dinard voit ses pittoresques sommets se couvrir de ces retraites charmantes, de ses jardins suspendus comme ceux de la Sémiramis à Babylone, qui font d'admiration des touristes. Il semble que la baguette d'une fée bienfaisante a transformé, comme par enchantement, les arides falaises en parterres épanouis, les rocs abrupts en palais ». Le développement de la Côte d'Émeraude s'organisa autour de Saint-Malo et de Dinard. Il s'enchaîna en trois temps, autour de plusieurs types de pratiques et de groupes d'acteurs. Il y eut le temps des bains de mer, prolongeant la tradition de la villégiature thermale, et mis en scène par les inventeurs du site, le temps des stations balnéaires, orchestré par les guides et placé sous le signe de la spéculation jusqu'au lendemain de la Première Guerre mondiale, associé à l'arrivée du chemin de fer, enfin le temps de l'évasion, ponctué par la loi sur les congés payés qui inaugura le développement de la société de loisirs. certain nombre d'équipements. Celui qui vient d'abord à l'esprit est le casino, mais l'établissement de bain eut, à l'origine, un rôle déterminant. Dans un ouvrage publié en 2000, Les bains de mer sur la côte d'Émeraude, Henri Fremin le montre parfaitement en reprenant la description qu'en donna Madame Menestrier, petite fille de Laurent Menestrier, fondateur des bains du même nom, sur la plage de l'Ecluse à Dinard. «Ma grand'mère et mes tantes tenaient un « établissement de bains » : à cette époque, c'était une lourde entreprise ; tout se louait : les cabines, les chaises et les fauteuils, des tentes... et les costumes de bain ! Rien à voir avec les bikinis... c'était épais, solide, noir avec des galons blancs au col et aux manches !... Les femmes avaient des culottes, descendant sous les genoux, avec les vareuses montantes, fermées au ras du cou. Il fallait les rincer et les faire sécher au soleil... Pour le bain, une organisation compliquée : une grosse chaudière donnait des barriques d'eau chaude (eau douce !). Dans chaque cabine, à l'heure du bain, on portait un grand bain de pieds fumant... (Les dames se rinçaient avant de se rhabiller !). Il fallait donc beaucoup de personnes : des femmes pour le service des cabines, pour le lavage et le séchage des costumes et serviettes, pour le transport des bains de pieds, etc. ; des hommes pour monter et descendre ces lourdes cabines au gré des marées. Les chevaux étaient de solides percherons, et ils peinaient dans le sable où les roues s'enfonçaient. Enfin, tout l'hiver on continuait le travail : on rentrait les cabines (démontées) dans de grands hangars pour les réparer (peinture, etc...) et les femmes vérifiaient et raccommodaient les costumes de bain (peignoirs et serviettes). Tout devait être parfait au printemps pour une nouvelle saison estivale. En ce temps-là, pas encore d'automobiles!... c'était le règne du cheval ». La clientèle Dans la première période, la clientèle se composa d'aristocrates, attirés par le paysage littoral, de baigneurs, séduits par le discours médical, puis se furent des artistes, peintres, musiciens ou écrivains en quête de dépaysement, de nature et de pittoresque. Les premiers baigneurs étaient hébergés chez l'habitant, dans des maisons d'armateurs ou de simples logements mis à leur disposition le temps de la cure ou encore dans les couvents comme à Saint-Jacut, à Saint-Servan et à Dinard, à Saint-Gildas de Rhuys ou au Val-André. Si les artistes logeaient plus volontiers chez l'habitant, dans la tradition des voyageurs, lancée en France au début du XIXe siècle, les aristocrates et les grands bourgeois s'intéressèrent rapidement à des sites remarquables, comme ces pointes rocheuses qui s'élançaient dans la mer, offrant une perspective circulaire, et capables d'accueillir un jardin dans une conception paysagère à l'anglaise. Choisissant d'abord les endroits les mieux desservis depuis les grandes villes où ils résidaient, ils furent tout naturellement attirés par Dinard, proche de SaintMalo, puis, après l'arrivée du chemin de fer, par des lieux encore préservés car moins accessibles, comme Saint-Briac, Lancieux ou Saint-Jacut-de-la-Mer. Si le bord de la mer était à la mode, cette élite n'en cherchât pas moins à y reproduire les modèles qu'elle utilisait en d'autres Les équipements originaux Le développement des villes balnéaires s'est souvent cristallisé autour d'un hor s-sér ie - juillet 2012 l « pour mémoire » 131 lieux. Ainsi, ces premiers estivants firent-ils construire, pour eux-mêmes, ici le château et là la « malouinière », maison de villégiature des armateurs malouins depuis le XVIIe siècle. Pour la vie mondaine, elle disposa assez vite d'équipements, le casino, d'abord isolé, puis associé à l'établissement de bains, comme dans les villes thermales. Dès 1839, Saint-Malo se dota d'un premier casino alors qu'il fallut attendre 1866 pour ériger celui de Dinard. La deuxième génération de casinos apparut dans la cité malouine en 1868 et à Dinard en 1876 ; elle fut suivie d'une troisième génération en 1899 à Saint-Malo et en 1902 à Dinard. La colonie anglaise Pour les Anglais, la région était d'accès facile grâce à la présence du port à Saint-Malo. La ville développa d'ailleurs rapidement des lignes maritimes avec Southampton. Les anglais constituèrent deux colonies, l'une implantée dès 1840 à Saint-Servan puis sur le site du front de mer du Sillon, et l'autre, une dizaine d'années plus tard sur la rive gauche, à la Pointe du Moulinet. A Dinard, cette communauté eut une influence considérable dans l'invention et le développement de la ville balnéaire, en créant un cadre et un mode de vie proche qui resta une référence pour les élites françaises jusqu'au lendemain de la guerre 1914-1918. « A Dinard, la colonie anglo-américaine possède une organisation complète. Les gentlemen y ont leur cercle particulier. Les dames ont également le leur qui se nomme le « New Club » ou « Ladies Club ». Ce club -le premier club de dames ouvert en France - est en réalité le « home » de la colonie étrangère. C'est là qu'elle donne ses bals, five o'clock, concerts et tableaux vivants dans lesquels figurent les plus jolies filles et les plus select gentlemen de la colonie ». Issue de Dinan et d'Avranches, la colonie de Dinard se retrouvait dans ses clubs et cercles fermés et se rassemblait dans ses églises : l'église anglicane de Saint-Barthélemy fut édifiée à Dinard dès 1870. Ils apportèrent de nouveaux divertissements sportifs, chasses et tirs aux pigeons, régates et courses hippiques, lawn-tennis et golfs, le bain et la natation. A Saint-Servan, les cabines de bains roulantes à l'anglaise arrivèrent avec les premiers estivants installés dès 1840. La Société nautique de Saint-Malo-Saint-Servan fut créée en 1859 et les premières régates de Dinard se déroulèrent dix ans plus tard. L'influence anglo-saxonne ne se limita pas aux activités sportives et s'étendit jusqu'au secteur du commerce, avec l'installation à Dinard de boutiques à l'anglaise, formant galerie marchande. Contrairement à l'aristocratie qui initia un processus de conquête du rivage, la communauté anglaise se distingua par sa capacité d'intégration à un site portuaire existant, à Saint-Servan mais surtout à Dinard, dans l'ancien quartier du Bec-de-la-Vallée. Vers 1860, les colons anglais se construisirent leurs premières villas aux modèles importés d'outre-Manche, avec notamment des entrepreneurs originaires de Jersey. On retrouvait dans ces constructions de la première génération de la colonisation de nombreux motifs qui deviendront des poncifs de l'architecture de la villégiature balnéaire : bow-window, fenêtre à guillotine et véranda, hall et charpente apparente lambrissée, etc., jusqu'à la cour à l'anglaise pour maisons mitoyennes à appartement. Jusqu'à la crise de 1929, la colonie anglaise fut très présente. L'occupation du territoire En matière de construction, l'occupation de la côte fut d'abord une décision individuelle. Elle débutait le plus souvent à partir d'une pointe ou d'un promontoire pour se répandre progressivement sur tout le territoire. Il apparaissait alors une frange urbaine discontinue s'enroulant autour des sites naturels, orientée vers la mer, de maisons seulement occupées une partie de l'année. Implantées au pied de la ville à la manière d'un faubourg, comme au Sillon où elles s'inséraient dans un espace militaire, industriel et portuaire, elles formaient des nouveaux noyaux urbains, indépendants des centres antérieurs et qu'elles allaient absorber progressivement. On assista à un déplacement continu des centres de gravité entre le noyau traditionnel de l'église, de l'école, de la poste et des commerces avec celui de la station balnéaire avec sa digue, son casino, ses hôtels et ses boutiques. Une hiérarchisation consciente des espaces ne manifesta davantage dans des stations satellites créées ex-nihilo comme Saint-Lunaire où Emile Liège planifia la construction d'une station idéale non achevée : le grand-hôtel et le casino donnaient sur la plage avec, en retrait les hôtels de voyageurs et les commerces, entre les deux un secteur intermédiaire avec la nouvelle église. « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 132 Les conflits entre activités Les conflits entre activités ont été révélés par des oppositions clairement exprimées sur la voie publique. Ce fut le cas à Dinard, à propos de l'utilisation des sols de la plage de l'Ecluse, devenue, à partir des années 1870, le centre symbolique de la station balnéaire. Cette plage, la plus belle du littoral, avec ses dunes blanches descendant jusqu'à la mer, en sable fin, attiraient chaque été les baigneurs. Mais elle était l'objet de pratiques traditionnelles de la part des agriculteurs de la région, qui venaient là chercher des matériaux et des engrais dont ils avaient besoin. Le 28 juillet 1870, le conseil municipal de Saint-Enogat fut appelé à délibérer sur l'interdiction d'enlever du sable et de la marne dans la « grève des bains ». Les habitants de Dinard et les premiers baigneurs avaient exprimé leur souhait de voir la grève conservée en l'état, et protestaient contre les enlèvements de sable et de marne, de même que les destructions des dunes formant le fond de la baie et sur lesquelles étaient établis le casino, construit en 1866, et l'établissement de bains de mer, sources de richesse pour le pays. En février 1872, pourtant les habitants des Côtes-du-Nord, Pleslin, Tréméreuc, réclamèrent le droit de prendre le sable, marne et engrais, qu'ils avaient coutume de venir chercher autrefois dans la grève de l'Ecluse. Les fermiers de Saint-Enogat lancèrent une pétition et le conseil municipal se trouva obligé, en mai 1872, de faire une dérogation à l'arrêté pris le 26 août 1870. L'enlèvement des amendements marins, sables, coquillers, sable à bâtir et autres produits naturels, ne serait plus interdit de manière absolue que pendant la hor s-sér ie - juillet 2012 saison des bains de mer, soit pendant les mois de juin, juillet, août et septembre. Pendant le reste de l'année, ils pouvaient avoir lieu provisoirement et « à titre d'essai » au large d'une ligne définie à condition de passer par le Heaumet et la pointe de la Roche Pendante. Ces enlèvements de sable firent, au fil du temps, disparaître les magnifiques dunes de sable fin qui atteignaient des dizaines de hauteur sur toute la baie de l'Ecluse, comme le montrent, désormais, les photos les plus anciennes de Dinard. La naissance du tourisme Le développement des villes balnéaires constituait un marché des plus fructueux. C'est du moins ce que pensèrent les grands décideurs économiques de l'époque. C'est ainsi que les compagnies privées de chemin de fer allaient favoriser l'extension du réseau et participer, à grand renfort de publicité (affiches, guides touristiques et décors des gares), à l'émergence d'une industrie des bains de mer. Ce moment allait provoquer un changement considérable dans l'aménagement des lieux. Alors que la villégiature du temps des bains de mer s'organisait pour répondre aux usages des estivants, la station inaugura des espaces préconçus dans lesquels il fallait ensuite attirer les touristes. Il ne s'agissait plus de répondre à un besoin mais de le créer. Dans ce grand travail de promotion d'un nouveau type de loisir, s'engagèrent des personnalités de grands quotidiens parisiens, notamment du Figaro. Elles se firent les promoteurs des stations de la Côte d'Émeraude, Paramé, Saint-Lunaire et dans une moindre mesure Dinard. Avec l'appui de banquiers parisiens et rennais, elles firent construire de grands hôtels et casinos, au droit d'une digue qui fondait la plage mondaine ; ces équipements furent accompagnés de lotissements résidentiels implantés un peu à l'écart, comme à la Malouine ou à la pointe du Décollé, pour concilier intimité et vie mondaine. Désormais, cette nouvelle clientèle pouvait séjourner en famille et pour son plaisir, dans les hôtels de plus en plus nombreux et de plus en plus luxueux, ou encore dans les villas construites dans ces lotissements par les promoteurs de la station. Les modes d'implantation et de construction Au fil du temps, les modes de structuration de l'espace de la station se Le sillon et l'arrêt du tramway à Saint-Malo l « pour mémoire » 133 superposèrent et se juxtaposèrent, chaque groupe d'acteurs y laissant son empreinte. Aux vastes propriétés « éparpillées » et aux lotissements « désordonnés » des découvreurs succédèrent les lotissements « réguliers » des promoteurs. La bourgeoisie allait trouver sa place dans lotissements de luxe non loin des lieux fréquentés par les aristocrates. Elle choisit comme modèles de construction ceux mis à l'honneur par des architectes comme César Daly et Violletle-Duc, participants du style éclectique. Parallèlement à ce courant, les artistes et les intellectuels inventaient une autre manière de vivre et contribuaient, dans les sites périphériques, à la diffusion d'un autre type de villégiature basé sur le dépaysement. Ils furent à l'origine de la maison de villégiature conçue comme un refuge, qu'ils appelaient « cabane de plage » ou « chalet » et dont on trouve de nombreux exemples dans les lotissements d'Albert Lacroix à Saint-Énogat, d'Alfred Marinier à Saint-Cast ou encore d'Emile Bergerat à Saint-Lunaire, ainsi que de façon plus diffuse, à Paramé, avec les poètes Parnassiens réunis autour de Louis Tiercelin. Cette formule économique, ainsi mise à la mode, fut elle aussi déclinée par les architectes et les entrepreneurs locaux, en particulier à Saint-Lunaire, mais aussi à Lancieux et à Saint-Cast. L'urbanisme opérationnel Dinard avait pris l'image d'une ville « anglaise » avec ses commerces de luxe, ses lieux de culte, ses clubs et ses équipements sportifs. Cette conception de la ville balnéaire n'était pas celle des « nouveaux » promoteurs de la station qui voulaient mettre en place un système de consommation fondé sur la création de lotissements et la construction de maison de rapport. Ces spéculateurs se distinguaient également des personnalités qui s'étaient engagées dans la modernisation des infrastructures urbaines, dans la gestion de l'espace et le développement économique, Sylla Laraque à Saint-Lunaire ou Rochaïd Dahdah à Dinard. Ce dernier fut à l'origine de la construction d'équipements logistiques (halles, usines élévatrice des eaux, etc.) mais surtout d'un plan d'aménagement urbain déterminant pour le développement de la station. L'urbanisation de la Côte d'Émeraude utilisa essentiellement la pratique du lotissement. Certains territoires ont même donné lieu à des découpages successifs. Ce fut le cas du terrain du Château de la Malouine, construit pour le duc d'Audiffret Pasquier en 1865 sur la pointe de la Malouine. Le parc de cette grande demeure fut racheté en 1879 par Auguste Poussineau. Ce dernier y aménagea un lotissement de luxe qui fait encore la renommée de Dinard. Le château fut détruit pendant la guerre, hormis les communs, transformés en 1955 en habitation particulière. Le jardin d'agrément, d'une surface de 5.456 mètres carrés, fut de nouveau loti et divisé en cinq lots en 1957. J. Lemercier, architecte départemental et A. Fontaine, architecte de Saint-Briac furent chargés de définir le cahier des charges pour conserver la conception d'ensemble et l'esthétique du lieu. Les transports collectifs Le prolongement des voies ferrées, depuis Rennes jusqu'à Saint-Malo, en 1864, puis Dinard, en 1887, maintint ces stations en position dominante, en réduisant les temps de trajet mais surtout en instituant ces gares comme des points de passage obligés. L'accès depuis les grandes villes était, en effet, un critère discriminant, expliquant le développement tardif de certaines stations. Le développement des sites de la rive gauche de la Rance resta longtemps handicapé par le développement des réseaux de transports : chemins de fer et tramways. Le train ne desservit Dinard que plus de vingt ans après Saint-Malo, si bien, qu'avec son port, cette dernière bénéficiait d'un réel avantage, avant que la création d'un aérodrome à Pleurtuit (1909), qui devint une aérogare en 1931, permit à Dinard d'occuper une place prédominante jusqu'à la construction d'un aéroport à Saint-Malo, après la Seconde Guerre mondiale. « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 134 Ces réseaux de grande communication furent prolongés par de nouvelles routes côtières et par des lignes de tramway qui contribuèrent de faire de l'espace de villégiature balnéaire un espace hiérarchisé. Elles facilitaient les excursions et les promenades depuis les stations et permettaient l'accès aux structures de loisirs éloignées, en particulier les golfs. La construction de voies ferrées d'intérêt local débuta en 1888 avec la création de la ligne Saint-Servan-SaintMalo-Paramé. Les stations balnéaires voulaient être en pointe de la modernité et voulaient également avoir un service supplémentaire, à l'usage des touristes, pour compléter l'accès du territoire par chemin de fer, inauguré quelques années plus tôt. Jusqu'en 1898, les tramways de la Côte d'Émeraude furent les seules lignes ouvertes en Ille-et-Vilaine. Le tramway permettait d'accroître le dynamisme économique de la côte en reliant des pôles de centralité mais il permettait surtout de donner davantage de valeur à des terrains urbanisables en assurant leur déserte. Dans le choix du tracé, le plus souvent, il s'agissait de donner un moyen de se déplacer aux touristes avant de penser aux habitants, cependant cet objectif restait présent ; il explique en particulier le choix de la chambre de commerce de Saint-Malo de soutenir la création de la ligne Dinard-Saint-Briac, en 1896, et surtout son prolongement, au plus près du débarcadère, jusqu'au Bec-de-la-Vallée, malgré les protestations des estivants. C'est en revanche pour satisfaire une clientèle de touristes que furent conçus les projets d'électrification qui débutèrent dès 1906. Les lignes de tramway drainaient ainsi toute la bande littorale hor s-sér ie - juillet 2012 de Saint-Malo à Cancale et de Dinard à Saint-Briac, où elles favorisèrent le développement de la villégiature. En 1906, la ligne Matignon-Saint-Cast donne un nouvel essor à la station, tout comme l'embranchement depuis Le Guildo, ouvert en 1926, desservant Saint-Jacut-de-la-Mer et Lancieux, qui prirent alors une importance qu'elles n'avaient jamais connue. La jonction Saint-Briac-Lancieux, rendue possible par la construction d'un pont sur le Frémur en 1929, fut cependant un échec. Ces réseaux secondaires, aux mains de concessionnaires privés, allaient être victimes de la concurrence des transports routiers, moins coûteux, qui les supplantèrent dans les années vingt, puis celles des voitures individuelles dans les années trente. Cette concurrence Le Grand Hôtel Royal et le Palais de Cristal à Dinard en 1927 l « pour mémoire » 135 automobile explique leur disparition progressive entre 1914 et 1950. Le « Train de plaisir » A Dinard, à la toute fin du XIXe siècle, un service nouveau allait faire venir une nouvelle clientèle. A l'occasion des courses de Dinard, la Compagnie des chemins de fer de l'Ouest organisa, chaque année, des « Trains de plaisir » pour les Bains de Mer de Dinard. Ces trains sillonnaient la région et passaient dans des villes comme Betton, Combourg, Guichen entre autres. Ils intéressaient la petite bourgeoisie locale qui décidait de venir en famille. Cette clientèle se baignait fort peu, mais elle piqueniquait sur les rochers ou sur les bancs de la promenade avant de repartir le soir, en emportant en souvenir un joli bibelot en coquillage. Dans un ouvrage de 1904, dans La Côte d'Émeraude, Eugène Herpin s'est un peu moqué de ces paysans et de ces bourgeois modestes qui venaient ainsi sur la côte par le « Train de plaisir ». Désignant ainsi sous ce nom, le visiteur inaccoutumé de ces rivages, il le décrivit avec attention et donna par la même occasion une image de la ville et des villégiateurs plus fortunés. « Durant la saison estivale, un beau matin de 14 juillet, de courses et de régates, il apparaît tout à coup, dru comme une poussée de champignons. Et c'est partout, dans les rues, sur la plage, dans les tramways et les bateaux à vapeur, une vraie génération spontanée de baigneurs. J'aime voir « Le Train de plaisir », bien cossu dans son ample lévite noire, avec son gros chapeau mou à larges bords, sa bonne grosse chemise de toile écrue qui attache, autour du col, une mince « anguille » de soie verte, souvenir de la dernière assemblée du village. Les avez-vous remarqués, dimanche, les braves « Trains de plaisir » déambulant aux abords des casinos, de l'Hôtel Royal, au long des boulevards et de la rue Levavasseur ? Avec quelle admiration ils contemplaient les magasins des bijouteries, des antiquaires, des marchands de guipure et de dentelles. Et les autos qui amenaient les belles dames encapuchonnées ! Et les élégantes promeneuses en toilette blanche, ombrelles claires, vaporeux boas de plumes neigeuses ! Et les messieurs qui s'arrêtent et saluent ! Et sur la plage de l'Ecluse, les groupes de délicieux bébés en fine baptiste et en robes de mousseline ! Tout cela, quel spectacle nouveau pour le modeste « Train de plaisir ». [...] « Le Train du plaisir » va parfois jusqu'à prendre un bain, lors, on le voit s'avancer dans l'eau, donnant gentiment la main à sa grosse bourgeoise. Le froid de la mer les surprend désagréablement, et il suffit qu'une vague imprévue vienne tout à coup les mouiller un peu haut, plus vite qu'ils ne le pensaient, pour achever aussitôt de les désorienter. « Bobonne, disait l'autre jour l'un d'eux, qu'une lame avait mouillé sans crier gare, je crois que nous sommes volés ». Et majestueusement, donnant toujours la main à bobonne, il reprenait au grand amusement de tous, le chemin de sa cabine ». La visite s'achevait dans la soirée, et ces familles repartaient tranquillement par le train. La civilisation des loisirs Après le traumatisme de la Grande Guerre, une relance des projets se concrétisa dans les années vingt, sous l'influence des autorités locales, qui revendiquèrent la gestion du territoire jusqu'alors concédée à des acteurs privés. Les lois de 1919 sur les plans d'extension et d'embellissement des villes et sur la création des stations climatiques et touristiques leur en donnèrent les moyens juridiques et financiers. Durant la guerre, les hôtels avaient été trans« pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 136 formés en hôpitaux pour accueillir les soldats blessés, alors que des familles avaient trouvé refuge dans les villas des stations. Pour marquer la rupture avec ces années sombres, on entreprit la construction de nouveaux hôtels et de nouveaux casinos. Au même moment, on vit se construire des villas aux allures de châteaux forts et de manoirs, qui se distinguaient des constructions économiques de plus en plus nombreuses et des édifices structurants par leur monumentalité et leur style. La crise de 1929 et les nouvelles lois anglaises entraînèrent cependant le départ des élites auxquelles ils s'adressaient encore. Ainsi les projets de Lesage et Miltgen à la Vicomté et l'aménagement du site de Pen-Guen à Saint-Cast restèrent inachevés, le projet de Patout à Saint-Lunaire ne fut jamais réalisé. Dans les années trente, ce fut la petite bourgeoisie qui vint en grand nombre passer ses vacances de familles sur les plages de la Côte d'Émeraude à Lancieux, à Saint-Jacut-de-la-Mer ou à Saint-Cast, logeant dans des pensions de famille qui s'étaient multipliées dès les années vingt. La villégiature mondaine instaurée par la bourgeoisie à partir de 1880, se transforma pour répondre aux besoins d'évasion et de pratiques sportives, qui se généralisaient dans les villes au lendemain de la guerre de 1914-1918 ; la jeunesse devint le public privilégié. La plage de sable et de galets se substitua désormais à la digue pour devenir un espace de liberté, au centre de la vie balnéaire. Jeux de plages et clubs d'activités pour les enfants, plongeoirs et toboggans furent proposés aux touristes qui vinrent chercher au bord de la mer hor s-sér ie - juillet 2012 l'air pur et la tranquillité. Le processus de démocratisation s'acheva avec la loi de 1936 sur les congés payés, qui permit au monde ouvrier d'accéder lui aussi à la civilisation des loisirs, dans des hôtels bon marché et dans les campings aménagés, non sans difficulté, à la périphérie des stations. NOUVELLES FRAÎCHES DE LA CÔTE D'ÉMERAUDE Aujourd'hui, Saint-Malo, connue pour sa ville close, est l'une des villes les plus visitées de Bretagne et attire près de 2000 0000 touristes en été. Elle est première dans le classement des destinations préférées des Européens en France. Fruit d'une riche histoire maritime, elle demeure un port important de plaisance, pêche, commerce et voyageurs. Son port de commerce est le second de Bretagne, avec ses quatre bassins : Vauban, Duguay-Trouin, Jacques Cartier, Bouvet ; il y transite des engrais, du bois, du granit et des produits agroalimentaires. Le trafic de passagers, avec la Grande-Bretagne et l'Irlande mais aussi avec les îles Anglo-Normandes, représente, chaque année, plus d'un million de passagers. Le trafic à travers la Manche s'est nettement développé depuis la création de liaisons régulières avec l'Angleterre : Portsmouth et Poole. Il s'est également conforté, autant en passagers et marchandises, avec les îles de Jersey et Guernesey, où l'activité touristique s'est considérablement développée. L'avant-port de Saint-Malo possède deux terminaux ferries récents. Le renom de Saint-Malo tient également à ses activités culturelles et sportives. Suite à la décision prise par les organisateurs anglais de la Transat de contrer la démesure des bateaux, en 1976, en introduisant une limite de jauge et en restreignant l'accès de la Transat à des bateaux inférieurs à 17 mètres, quelques mois plus tard, en décembre 1976, un publicitaire français, Michel Etevenon, imagina de créer une nouvelle course entre Saint-Malo et la Guadeloupe, ouverte aux voiliers monocoques et multicoques, sans limitation de taille ni de catégorie. La Route du Rhum était née, dont la première édition reliant de Saint-Malo à Pointe à Pitre fut lancée à l'automne 1978. Dès cette première édition, à l'arrivée en Guadeloupe, une lutte épique opposa le Canadien Mike Birch sur son petit trimaran jaune au français Michel Malinowski sur son grand monocoque ; le Canadien l'emporte avec 98 secondes d'avance. Depuis lors, cette course n'a cessé d'accroître son renom et d'attirer un nombre considérable de curieux et de spectateurs à Saint-Malo. Les bateaux doivent être amarrés dans le bassin Vauban sous les remparts de la vieille ville, dix jours avant le départ, pour donner le temps aux organisateurs de procéder au contrôle de sécurité des bateaux, mais cela permet d'attirer un vaste public et de donner aux différents sponsors une publicité à la mesure de l'épreuve. Le départ est toujours un événement national suivi par les médias mais aussi sur place, par une foule d'amateurs, massés sur les grèves voisines ou accompagnant sur l'eau leurs champions. La Seconde Guerre mondiale mit un terme à la croissance de Dinard et à l'ère des mondanités. En juillet 1967, la l « pour mémoire » 137 ville perdit le Casino-Balnéum au profit d'une nouvelle attraction, synonyme de modernité, la piscine olympique. En 1973, un nouvel édifice, l'actuel palais des congrès, compléta les grands équipements municipaux. Aujourd'hui, la ville compte onze mille habitants sur un territoire de sept cent quatre-vingtquatre hectares. Elle est toujours considérée comme la station phare de la Côte d'Émeraude. Sa réputation mondaine, la variété de son front de mer, découpé par de nombreuses pointes rocheuses et de petites anses sablonneuses qui s'étendent sur plus de six kilomètres de la Vicomté à Saint-Enogat, sa situation exceptionnelle entre Manche et Rance face à la ville historique de Saint-Malo ont participé, de tout temps, à sa notoriété. De son histoire, elle a gardé quelques beaux ensembles, dont la maison dite du Prince Noir, le prieuré et sa chapelle et quelques manoirs (la Belle Issue, le Vieux Colombier, la Corbinais, les Cognets, la Haute Guais, le Val Poré et le manoir de la Baronnais). Quelques maisons urbaines anciennes sont également remarquables comme la villa Beauregard (où ont séjourné la famille Faber puis Picasso). La ville de Dinard est insérée aujourd'hui à l'intérieur d'un boulevard périphérique qui mène aux autres stations de villégiature de la Côte d'Émeraude. S'y distinguent six principaux quartiers : la plage du Prieuré, le centre-ville autour de la place de la République, la plage de l'Ecluse avec les pointes du Moulinet et de la Malouine, l'ancien quartier de Saint-Enogat, qui se confond aujourd'hui avec la ville et les Saint-Enogat plage quartiers plus périphériques et résidentiels de la Gare et de Saint-Alexandre. La ville continue d'évoluer. De nouveaux équipements ont été construits pour répondre à la demande actuelle de la clientèle. Un vaste établissement de thalassothérapie, associé à un hôtel, s'est installé en 1990 non loin de la plage de Saint-Enogat. Il abrite un espace pour la détente et la remise en forme avec sauna, hammam, salle de musculation, spa jacuzzi, piscine d'eau de mer, espace beauté avec sa gamme complète de soins du corps et du visage, salon de coiffure avec soins spécifique du cheveu. Par ailleurs, la ville n'a pas oublié l'esprit entreprenant de la colonie anglaise qui fit son succès ; il survit à travers un festival du film britannique. Illustrations fournies par C. Queffélec « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 138 Créé en 1995, le comité d'Histoire ministériel développe des activités dans les domaines de l'Écologie, du Développement durable, de l'Énergie, des Transports, de la Mer mais aussi dans ceux de l'Urbanisme, du Logement et de la Ville. Afin de valoriser le patrimoine historique du ministère et de contribuer au sentiment d'appartenance à ce ministère de chacun de ses agents, quelle que soit son origine, le comité d'Histoire s'appuie sur un Conseil scientifique, composé de chercheurs et de spécialistes reconnus, pour définir ses priorités d'intervention en matière d'histoire et de mémoire des administrations, des politiques publiques menées ainsi que des techniques, des métiers et des pratiques professionnelles qui ont été développés. Il cherche également à répondre aux attentes exprimées par les services, les opérateurs et les partenaires du ministère. Un programme prévisionnel de thèmes prioritaires (risques et catastrophes, innovations, territoires et milieux, mobilités et modes de vie) et de journées d'études a été arrêté pour les années 2012 à 2017. Le comité soutient et accompagne scientifiquement et financièrement des études et des recherches historiques. Il publie la revue semestrielle « Pour mémoire » (3000 exemplaires). Il organise des séminaires et des journées d'études dont il peut diffuser les actes dans des numéros spéciaux de la revue. Il peut favoriser la publication d'ouvrages de référence. Pour les besoins de la recherche, il constitue un fonds d'archives orales d'acteurs des politiques ministérielles. Il gère un centre documentaire ouvert au public doté de plus de 4 000 ouvrages. Il diffuse sur internet et sur intranet un guide des sources accessibles, la revue et les actes de journées d'études et de séminaires. Il peut participer à des manifestations avec des partenaires publics ou privés ». Le comité d'Histoire du ministère L' OrGAnISATIOn Du SECréTArIAT Du COMITé D'hISTOIrE Secrétaire Louis-Michel SANCHE ingénieur général des Ponts et Chaussées, secrétaire général du Conseil général de l'Environnement et du Développement durable tél. 01 40 81 68 23 fax. 01 40 81 23 24 louis-michel.sanche @developpement-durable.gouv.fr Secrétaire-délégué Patrick FÉVRIER administrateur civil hors classe Tél : 01 40 81 21 73 patrick.fevrier @developpement-durable.gouv.fr Adjointe au secrétaire délégué mission recueil de témoignages oraux Christiane CHANLIAU chargée de mission tél. 01 40 81 82 05 christiane.chanliau @developpement-durable.gouv.fr Accueil, assistance à la coordination et secrétariat Marie LACOR assistante Tél. : 01 40 81 36 75 marie.lacor @developpement-durable.gouv.fr Secteur documentation communication électronique Françoise PORCHET chargée d'études documentaires Tél. : 01 40 81 36 83 francoise.porchet @developpement-durable.gouv.fr Secteur études-recherches Stève BERNARDIN chargé de mission Tél. : 01 40 81 36 47 steve.bernardin @developpement-durable.gouv.fr Secteur animation-diffusion Marie-Thérèse RIEU chargée de mission Tél. : 01 40 81 15 38 marie-therese.rieu @developpement-durable.gouv.fr hor s-sér ie - juillet 2012 l « pour mémoire » 139 LE COnSEIL SCIEnTIfIquE Dominique BARJOT Professeur d'histoire contemporaine à l'Université Paris IV Bernard BARRAQUÉ Directeur de recherche au CNRS, CIRED-AgroParisTech Alain BILLON Ancien secrétaire délégué du comité d'Histoire François CARON Professeur émérite à l'Université Paris IV Florian CHARVOLIN Chargé de recherche au CNRS, MODYSUniversité Jean Monnet de Saint-Etienne Viviane CLAUDE Professeur à l'Institut d'Urbanisme de Paris, Université Paris XII Florence CONTENAY Inspectrice générale de l'Équipement honoraire Gabriel DUPUY Professeur émérite à l'Université de Paris I Philippe GENESTIER Professeur à l'ENTPE, chercheur au laboratoire RIVES-CNRS Vincent GUIGUENO Chargé de mission à la direction des Affaires Maritimes, chercheur associé au LATTS-CNRS André GUILLERME Professeur au CNAM, directeur du Centre d'histoire des techniques et l'environnement Bertrand LEMOINE Directeur de recherche au CNRS, directeur de l'atelier international du Grand Paris Claude MARTINAND Membre de l'ARAF, vice-président honoraire du CGEDD Geneviève MASSARD-GUILBAUD Directrice d'études à l'EHESS Alain MONFERRAND Ancien secrétaire-délégué du comité d'Histoire Antoine PICON Professeur à l'Université de Harvard, enseignant-chercheur à l'École des Ponts ParisTech, LATTS Anne QUERRIEN Ancienne directrice de la rédaction de la revue « Les Annales de la Recherche urbaine » Thibault TELLIER Maître de conférences en histoire contemporaine à l'Université Lille III Hélène VACHER Professeur à l'ENSA de Nancy Loïc VADELORGE Professeur d'histoire contemporaine à l'Université Paris XIII « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 140 L'ACTIVITé Du COMITé D'hISTOIrE Depuis 2006, 10 numéros de la revue semestrielle « Pour mémoire » ont commencé à présenter un panorama diversifié d'articles sur l'histoire de l'administration et des cultures professionnelles : le code de la route, l'histoire du climat, les villes nouvelles, la création du ministère de l'Équipement, l'action outremer et en Afrique des ingénieurs, le lagunage, la Grande Arche, les risques naturels, la protection de la nature, les plaques minéralogiques, les services déconcentrés de l'Équipement ou de l'Environnement, la construction des tours, la viabilité hivernale, le paysage, les travaux maritimes, les plateformes aériennes, les barrages, les parcs nationaux... La revue comprend aussi des témoignages d'acteurs des politiques publiques et de chercheurs. www.developpement-durable.gouv.fr/ Pour-memoire-la-revue-du-Comite-d.html Depuis 1995, le comité d'histoire a organisé des journées d'études, des conférences et des colloques, avec les directions d'administration centrale, le réseau scientifique et technique et les opérateurs, les universitaires et les chercheurs ainsi que des partenaires. hor s-sér ie - juillet 2012 En 2012, ces manifestations devraient porter sur la résorption de l'habitat insalubre, les missions de prospective, la restauration des terrains en montagne et les politiques publiques de l'architecture. Des numéros spéciaux de la revue peuvent servir à diffuser les actes de ces manifestations : en 2012, ils concernent les 100 ans d'administration du Tourisme, le 40 e anniversaire de la naissance du ministère de l'Environnement et la création en 1972 des établissements régionaux. www.developpement-durable.gouv.fr/ Prochaines-manifestations-du.html Le comité peut apporter son soutien à l'édition d'ouvrages tels que, en 2010, « Les ingénieurs des ponts au service de l'Afrique : témoignages 1945-1975 (L'Harmattan) et en 2011, « Jean-Eudes Roullier, un pionnier des politiques de l'espace urbain » (La Documentation française). www.developpement-durable.gouv.fr/ Des-publications-en-partenariat.html Depuis sa création, le comité a recueilli plus de 80 témoignages oraux destinés à préserver la mémoire des réalisations professionnelles et des métiers dans le ministère. LES OuTILS La bibliothèque, ouverte au public, comprend plus de 4 000 volumes, ouvrages spécialisés ou usuels. Elle est accessible au public du lundi au vendredi, sur rendez-vous Les sites consultables internet :www.developpement-durable. gouv.fr/(leministère/Histoireetarchives) intranet:intra.comite-histoire.cgpc.i2/ Le guide des sources, accessible sur l'internet et l'intranet, a été conçu pour faciliter le repérage des sources historiques dans les domaines de compétence du ministère ; Des dossiers bibliographiques et biographiques à consulter sur place ; La revue « pour mémoire » (semestriel + numéros spéciaux) ; La consultation d'archives orales. l « pour mémoire » 141 Vous souhaitez consulter les ressources du secrétariat du comité d'Histoire... Vous pensez que votre témoignage peut éclairer l'histoire du ministère de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie et des administrations dont il est l'héritier... Vous avez connaissance d'archives, de documents divers, d'objets intéressant l'histoire de ces administrations, alors... n'héSITEz PAS à nOuS COnTACTEr Conseil général de l'Environnement et du Développement durable 7e section - 20e étage - bureau 20.20 Tour Pascal B - 92055 La Défense cedex tél : 33 (0) 01 40 81 15 38 ou 36 83 fax : 33 (0)1 40 81 23 24 Secrétariat du comité d'Histoire courriel : comite.histoire@developpement-durable.gouv.fr « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 142 la revue du comité d'Histoire rédaction Tour Pascal B 20.20 92 055 La Défense Cedex téléphone : 01 40 81 15 38 ou 36 83 télécopie : 01 40 81 23 24 comite.histoire@developpement-durable.gouv.fr Pierre Chantereau et Alain Billon fondateurs de la publication directeur de la publication Louis-Michel Sanche rédacteur en chef Patrick Février Christiane Chanliau suivi de fabrication photo couverture René Dazy, congés payés de 1936 Annick Samy réalisation graphique impression couverture Intérieur SG/SPSSI/ATL 2 ISSN 1955-9550 imprimé sur du papier certifié écolabel européen hor s-sér ie - juillet 2012 l « pour mémoire » r e v u e d u m i n i s t è r e d e l' é c o l o g i e , d u d é v e l o P P e m e n t d u r a b l e e t d e l' é n e r g i e Conseil général de l'environnement et du développement durable comité d'histoire tour pasCal b 92055 la défense Cedex www.developpement-durable.gouv.fr INVALIDE) (ATTENTION: OPTION subversion apparente de multiples ressources au développement touristique. Pour conclure, je ferai appel au L du cadavre exquis que j'ai jusqu'ici volontairement oublié : les libertés et les libérations que l'époque de la logistique low-cost remet en question. Y a-t-il véritablement une durabilité de ce tourisme, l hor s-sér ie -juillet 2012 34 à partir du moment où la logique du moindre-coût dépasse très largement le simple fait d'avoir un billet pas cher, avec les conditions sociales qui se trouvent derrière ? Eh bien, cette logique a probablement des limites, y compris des limites morales, j'y insiste pour stimuler la réflexion. Mais qui peut en juger ?... Peut-être le tourisme du XIXè siècle était-il à la fois «plus difficile et plus facile qu'aujourd'hui.Lestrajetsétaient plus lents, il n'y avait pas d'itinéraires fulgurants... Onn'avaitpasàretenirsa place ni à se préoccuper de visas sur les passed'autorisations ports, de change ou de vaccinations » notait André Siegfried. Évidemment cette tendance à l'hyper-encadrement et à la planification n'a fait que s'accroître jusqu'à aujourd'hui, avec les formalités particulièrement visibles et pesantes dans les aéroports de nos jours. Enfin, le même auteur remarquait qu'«il n'y avait plus de vie de repos et de loisirs au sens de l'«otium » nobiliaire, mais qu'il y avait désormais des vies pleines de distractions fatigantes » ! C'est un trait significatif des moeurs modernes relevait-il : « On est venu chercher moins la fameuse relaxation que la diversion, par rapport au train deviequotidiend'uneviedetravail,et à proprement parler l'évasion. On se reposera au retour dans le calme du bureauretrouvé!». Je vous laisse avec hor s-sér ie - juillet 2012 cette méditation sur cette civilisation du voyage qui, un temps a peut-être existé, mais dont la pratique réelle n'a jamais dépassé quelques cercles privilégiés très restreints. Échanges avec la salle Participant Vous avez sans doute oublié une chose extrêmement importante pour le E que sont les événements. Il ne suffit pas d'expliquer le tourisme par les transports mais l'évolution des grands événements a concouru à un développement fantastique du tourisme. De plus, il ne faut pas oublier que si on a beaucoup pensé au « tout voiture », en euros constants, le coût de la voiture a diminué alors qu'il en et pas de même pour le coût de la SNCF. L'aspect économique est extrêmement important. Henri Jaffeux En cette période où l'on se pose des questions sur l'avenir, il est de bon goût de faire de la prospective, et notamment à l'horizon de 2050. Avez-vous une idée de la suite ? En 2050, y aura-t-il encore un tourisme de masse mondialisé ? Mathieu Flonneau Je suis historien, cela ne vous aura pas échappé... -et par ce fait, loin de moi la volonté de nier les événements !-. Cela dit, la mondialisation en cours du tourisme vise très naturellement à faire entrer dans le jeu des tourismes internationaux les aires en émergence et en développement. C'est une réponse que les statistiques économiques peuvent donner. Il y a une dimension de l « pour mémoire » 35 prospérité individuelle qui permet aux sociétés qui étaient jusqu'ici décalées de rattraper les écarts de revenus et de faire du tourisme. Ce que l'OMT, dans ses statistiques met en évidence, c'est l'avènement du tourisme pour des aires géographiques et surtout humaines qui concernent à peu près trois milliards d'hommes. On a là véritablement et mathématiquement des perspectives de croissance considérables. qu'il fallait un peu gratter la chose parce qu'on n'y avait pas assez pensé. Par rapport à l'OMT, je pense que, de toute façon, les territoires des loisirs et du tourisme sont, comme pour toutes les mobilités, des territoires de la proximité avant tout. Les Chinois iront d'abord en Chine et aux alentours et non en Europe. Je pense qu'en 2050 on n'en sera pas encore là. Françoise Bourcy Au sein du Conseil de l'Europe, il y a eu un travail sur les perspectives des transports à l'horizon 2050, avec tout un volet sur le tourisme. On en a conclu Mathieu Flonneau C'est toutefois contredit, du fait de la capacité croissante de projection de pays asiatiques, par les queues qui sont au moment où je vous parle devant le Louvre ! Source : R. Doisneau « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 36 éclairages et témoignages Le rôle déterminant des associations dans la création de la première administration du tourisme en 1910 L'action du Touring-Club de France Jean Orselli, Ingénieur général des Ponts et Chaussées, Docteur en Histoire. La loi du 8 avril 1910 instituant l'Office national du tourisme se présente comme l'origine de l'administration du tourisme. Pourtant, l'organisation du tourisme avait commencé une trentaine d'années auparavant avec la création d'associations qui vont oeuvrer ensemble pour arriver à une reconnaissance officielle du tourisme. hor s-sér ie - juillet 2012 l « pour mémoire » ©MEDDE 37 C'est cette histoire dont on esquissera les grandes lignes ici1 . Une grande partie du présent article est due à Bertrand Larique qui a travaillé sur l'histoire des associations proprement « touristiques »2 . Son titre « L'Économie dutourismeenFrance » est fondamental en ce qu'il situe fermement l'histoire des débuts du tourisme en France dans le domaine économique. En effet, ce qui se passe de 1885 à 1914 est totalement lié à ce type de préoccupations. C'est la grande association nationale du Touring-Club de France qui va être au centre des synergies associatives qui vont se créer peu à peu. Le ministère des Travaux publics va, pour sa part, être à l'origine de l'organisation nationale qui apparaît en 1910, face à un émiettement administratif entre plusieurs ministères et entre les multiples collectivités locales d'une France très décentralisée à l'époque. signé d'Alphonse Daudet, qui traite, sur un mode humoristique, du tourisme en Suisse, qui en est la Mecque à l'époque. En fait, le livre n'est pas d'Alphonse Daudet, mais d'un de ses nègres, le journaliste Hugues Le Roux 3 qui va faire une belle carrière liée en grande partie au tourisme. Il sera le secrétaire général des États Généraux du Tourisme en 1913, et un de ses principaux organisateurs. Il deviendra sénateur après la guerre et fondera le Groupe Sénatorial du Tourisme en 1920. C'est donc vers cette date que la France commence à prendre conscience de l'importance économique du tourisme dans d'autres pays européens, la Suisse en l'occurrence. Le second auteur est un poète, Robert de Souza4 . En 1904, il est secrétaire général de l'Association pour la protection des paysages. Il prend alors part à une controverse sur ce que doivent être les Fédérations régionales de syndicats d'initiative qu'il définit ainsi : «aulieude seborneràétablirdesitinérairesàbon compte, la région de leur groupement devra présenter une figure géographique et ethnographique aussi homogènequepossible », c'est-à-dire proche des « anciennes provinces françaises ». En 1913, de Souza publiera Nicecapitale d'hiver5 , traité d'urbanisme appliqué absolument remarquable, où il analyse les fonctions du tourisme niçois, plaide pour de nouveaux types d'hôtels, la protection des sites, l'allongement de la trop courte saison touristique d'hiver et dénonce l'incurie de la municipalité niçoise. On est donc passé de la découverte de l'industrie du tourisme à l'étranger dans les années 1880 à la critique de celle qui s'est développée en France. L'émiettement des responsabilités est rompue La France encore très rurale de la fin du XIXe siècle et de la Belle Époque est très décentralisée et son administration centrale peu développée. L'administration d'alors est très différente de celle d'aujourd'hui. Les départements règnent sur les routes dont 5 % seulement sont des routes nationales. Ils règnent aussi sur les voies ferrées d'intérêt local qui permettent d'accéder aux stations de tourisme. L'administration d'État du tourisme est très éparpillée, entre quatre ministères, ceux de l'Intérieur, des Travaux publics, de la Prévoyance sociale et des Finances. La France découvre l'industrie du tourisme La société de l'époque se présente très différemment de la nôtre. On y trouve de nombreux intellectuels journalistes ou rentiers qui vont participer, autant que les acteurs économiques traditionnels, au développement du tourisme en France. On peut l'illustrer par deux oeuvres littéraires dont les auteurs vont jouer un rôle important dans les associations touristiques. En 1885, paraît Tartarin sur les Alpes, Les travaux de Jean Orselli ont porté sur l'histoire de la circulation, de ses accidents et des associations d'usagers de la route. Il a tiré de sa thèse un livre publié en 2012 chez L'Harmattan : Usages et usagers de la route, Requiem pour un million de morts : 1860-2010. 2 L'Économie du tourisme en France des années 1890 à la veille de la Seconde guerre mondiale. Organisation et développement d'un secteur socio-économique, thèse d'histoire de l'université de Bordeaux III, sous la direction de M. le Professeur Christophe Bouneau, 2006. 3 Hugues Le Roux (1860-1925) écrit depuis 1882 au Temps, au Figaro, au Journal, au Matin. Premier roman en 1885. Écrivain globe-trotter, essayiste, conférencier, auteur de théâtre, ses oeuvres sont très nombreuses (et totalement oubliées). Il finira sénateur de Seine-et-Oise de 1920 à 1925. « Homme de lettres, conférencier distingué épris d'aventures et voyageur infatigable qui exaltera de par le monde les vertus de notre pays » dit sa notice dans Le dictionnaire des parlementaires français de Jean Jolly, PUF, 1960. 4 Robert de Souza (1864-1946), poète symboliste, collabore comme journaliste à de nombreuses revues littéraires. 5 Robert de Souza, Nice, capitale d'hiver, BergerLevrault, 1913, réédition par les éditions Serre, 2001. « pour mémoire » 1 l hor s-sér ie -juillet 2012 38 Le ministère de l'Intérieur coiffe sur les collectivités locales. Il est l'organe principal du contrôle du tourisme. Il assure la police des stations. Il délègue des commissaires spéciaux pour surveiller le déroulement des saisons touristiques. Il contrôle la circulation des touristes étrangers, et les protège ou les surveille éventuellement via sa direction de la Sûreté générale. Il délivre les autorisations d'exploitation des jeux, en assure leur surveillance et la perception des taxes. Enfin, il est censé contrôler la protection du patrimoine touristique et l'affichage public, ce qu'il fait d'une façon fort peu efficace. Le ministère des Travaux publics est censé s'occuper des transports et des d'accès aux stations. Mais il est totalement bridé par la décentralisation des réseaux routiers et des voies ferrées d'intérêt local au niveau des départements. Le ministère en charge de la Prévoyance sociale s'occupe des établissements thermaux et climatiques (par climatiques, entendons les sanatoriums) qui sont une pièce maîtresse de l'équipement touristique. Enfin, le ministère des Finances traite des questions fiscales et douanières. La douane, assez rigide à l'époque, est particulièrement concernée car une très grande partie des touristes riches est étrangère. Sans oublier le système fiscal des octrois sur lequel est fondé une grande partie des recettes fiscales des communes. hor s-sér ie - juillet 2012 L'ascension du ministère des Travaux publics Ce qui va se passer, c'est une prise de pouvoir du ministère de Travaux publics. Le but est évidemment d'ordre économique. La problématique est double : briser l'emprise de la décentralisation qui bloque la coordination des initiatives, d'une part, et concentrer dans un ministère les fonctions éparpillées que nous avons décrites ci-dessus. Le ministère des Travaux publics va essentiellement s'appuyer sur les associations : D'abord les associations de « touristes et usagers de la route » : le Touring-Club de France initialement créé pour les cycliste et les Automobile-Clubs, Les associations sportives comme le Club Alpin Français, qui est très lié au Touring-Club, avec lequel il développe les sports d'hiver à côté de l'alpinisme, associations de promotion locales Les que sont les syndicats d'initiative, associations de professionnels de Les l'hôtellerie. Enfin, le ministère des Travaux publics français va susciter le rapprochement des administration des routes des divers pays européens. En effet, leurs routes y sont encore plus inadaptées qu'en France et ils souffrent tout autant de la décentralisation. L'Office national du tourisme est créé par l'article 123 de la loi de finances du 8 avril 1910, lequel est précisé par un décret du 24 août. Cet article est très court : il pose que l'Office national du tourisme est créé au ministère des Travaux publics. Il lui assigne des missions distinctes : primo, fournir au public des renseignements concernant le tourisme, secundo, rechercher les moyens propres à développer le tourisme dans trois domaines bien définis : les transports, la circulation routière, le séjour des touristes. Le Touring-Club de France, une association fédératrice Or, ces missions sont les domaines d'actions que le Touring-Club de France s'est fixé depuis 20 ans. Fondé en 1890, le Touring-Club de France est une association nationale non décentralisée, dont les instances locales sont de simple relais et n'ont guère d'autonomie. Ses dirigeants sont particulièrement dévoués et professionnels. Le TouringClub compte déjà 120 000 membres en 1910. Enfin, le Touring-Club pratique l'évergétisme en grand 6 . « Évergétisme : attitude des gouvernants ou des élites qui consistait à donner à la collectivité les édifices et les équipements dont elle avait besoin ou à distribuer des largesses au peuple ». Grand dictionnaire encyclopédique Larousse. Au XIXe siècle, les plus riches pratiquent couramment la construction de routes, les adductions d'eau, l'érection de statues, soit par des donations individuelles, soit par des « souscriptions ». 6 l « pour mémoire » 39 Touring-Club qui s'intéresse évidemment aussi aux touristes étrangers. La circulation routière à traction animale croît régulièrement et sera à son apogée en 1914. Le cyclisme (3,5 millions de bicyclettes en 1914) sont en pleine expansion, mais l'automobile n'en est qu'à ses débuts (de 4 000 automobiles en 1900 à 140 000 en 1914). Ce sont les grands domaines d'activité du TouringClub. En 1905, il avait subventionné pour 1 550 000 francs des travaux d'amélioration des routes et la création de la corniche de l'Estérel. Il subventionne la pose de signaux de danger et de direction, ainsi que des postes de secours. Il encourage aussi le goudronnage des routes, ce qui ne va pas se faire très vite. Il essaye de s'attacher les cantonniers et le personnel des infrastructures en général. Enfin, il participe très activement à l'évolution des réglementations du cyclisme et de l'automobilisme. En ce qui concerne le séjour, le TouringClub s'intéresse à tous les types d'hébergement, du touristes au voyageur. Il a commencé modestement en expédiant du papier hygiénique. Il a dessiné les plans d'une « chambre hygiénique type » pour les hôtels. Il distribue à prix coûtant des meubles spécifiquement créés pour les hôtels, des appareils sanitaires, de la peinture laquée. Sa propagande pour la modernisation des hôtels s'appuie sur des recensements des hôtels transformés qu'il indique dans ses guides et sur des diplômes d'hôtelier. Enfin, le Touring-Club a été à l'origine de la fondation du Syndicat national de l'industrie hôtelière. Il va aussi aider la création des syndicats d'initiative. « pour mémoire » Le Touring-Club et ses trois rôles dès l'origine : association d'usagers de la route, protection et connaissance du patrimoine touristique, hébergement des touristes. InRevue, janvier 1906. Source : Bibliothèque du Trocadéro, ville de Paris L'illustration ci-dessus reproduit une double page de la revue Touring-Club de janvier 1906, qui présente l'état de son « oeuvre » à la fin de 1905. Le Touring-Club est la principale source de renseignements sur le tourisme en 1905. Il édite une volumineuse revue mensuelle qui tire à 115 000 exemplaires. Il a commencé à éditer les 33 volumes d'un recensement quasi exhaustif des sites et monuments. Il vend ces ouvrages par souscription, mais il en distribue aussi, gratuitement, à des bibliothèques, des associations, des écoles. Il édite des cartes, des itinéraires, des guides routiers. On peut trouver dans ses implantations des conseils pour des projets de voyage. Enfin, le Touring-Club est résolument internationaliste : c'est ainsi, par exemple, qu'il subventionne la pratique de l'esperanto, et que son président, Abel Ballif, est impliqué dans diverses associations internationales. En matière de transport, les principaux interlocuteurs du Touring-Club sont évidemment les chemins de fer. Dans le détail, le Touring-Club s'attache à renseigner les usagers, à faciliter les correspondances entre les chemins de fer et les voies ferrées d'intérêt local. Il s'implique aussi dans le développement des lignes d'autocars, potentiellement subventionnés depuis 1898. Les exploitants d'autocars vont créer leur propre association et tenir leurs propres congrès en 1912. Quant aux douanes, c'est évidemment une préoccupation importante du l hor s-sér ie -juillet 2012 40 réseau national englobe la majeure partie des routes importantes et 1938 pour que les Services des ponts et chaussées soient chargés des « chemins départementaux »7. Une circulaire du ministère demanda donc, en 1908, aux ingénieurs en chef des départements des propositions de classement dans le réseau national en 1910, ce qui déclencha un tollé des départements. En 1911, on leur redemanda la même chose, mais en le baptisant « classement des routes touristiques ». En ce qui concerne le séjour, nous avons déjà recensé les nombreuses activités du Touring-Club jusqu'en 1905. En 1910, on peut signaler le deuxième concours du bon hôtelier, qui est un aboutissement dans la propagande du Touring-Club, qu'on pourrait comparer à la distribution d'étoiles du guide Michelin actuel. Mais, l'événement le plus important, c'est que, en 1908, puis à nouveau en 1909, les syndicats d'initiative se refusent à constituer une fédération nationale. Ils en sont pourtant à leur 5e Congrès national. Cette incapacité va entraîner la création de l'Office national du tourisme en 1910. Source : Boudon vers 1920 L'année 1910, un premier aboutissement L'année 1910, date de la création de l'Office national du tourisme, peut être tenue pour un aboutissement ­ ou un premier tournant ­ dans tous les domaines déjà évoqués. D'abord pour la circulation et les routes. Entre 1903 et 1908, la Commission extra-parlementaire sur les accidents de la circulation a fait un énorme travail de rassemblement des connaissances, avec des rapports et des enquêtes sur les accidents sur lesquels on ne connaissait pratiquement rien auparavant. Le gouvernement Clémenceau met en place en 1909 une Commission pour l'étude du Code de la route qui va être active de 1909 à 1912. Clémenceau avait aussi déposé en 1908 un projet de loi sur la réforme du permis de conduire, et la répression des infrachor s-sér ie - juillet 2012 tions qui était très avancé en 1909 mais qui avorta du fait de la chute inopinée du gouvernement. Enfin, le rapport du conseiller de Paris Émile Massard, qui paraît en 1910, est un travail fondamental et pratiquement exhaustif sur la circulation urbaine. En ce qui concerne les routes proprement dites, les premières réalisations n'ont pas manqué qui vont être fondamentales pour l'avenir. En 1908, le premier congrès international de la route qui se tient à Paris va à préparer la fondation de l'Association Internationale Permanente des Congrès de la Route en 1909. Mais surtout, en 1910, c'est le premier débat à la Chambre des députés pour mettre à l'étude la révision du réseau des routes nationales. Ce débat fondamental ne sera pas suivi d'effet immédiatement et il faudra attendre 1930 pour que le Sur 650 000 km de routes, le réseau national en comptera 80 000 km (contre 40 000 avant 1930) et les « chemins départementaux » (vite rebaptisés « routes départementales ») 250 000 km. 7 l « pour mémoire » 41 Les transports en commun connaissent aussi des aboutissements vers 1910. La loi de finances pour 1909 remanie la Subvention des transports automobiles qui existe pourtant depuis 1898, mais que ses conditions restrictives ont empêché de vraiment fonctionner. La Subvention exclut encore le transport en montagne parce qu'il est saisonnier, mais ce dernier sera subventionné à partir de 1913. En 1909, une Conférence internationale est organisée à Paris et 15 pays signent sa Convention finale. Celle-ci établit le triptyque, document qui facilite le passage en douane des automobiles et sera d'ailleurs géré par le Touring-Club. Elle y généralise dans les 15 pays les plaques d'identité des véhicules (nos plaques minéralogiques). Enfin, elle établit quatre signaux de danger commun. En 1912 se crée le Syndicat général des transports publics automobiles qui organise cette même année un premier congrès. Les chemins de fer sont déjà en difficulté, et l'État doit reprendre en 1908 le réseau de l'ouest qui est pratiquement faillite. C'est une situation prémonitoire de celle des années 1930 qui aboutira à la nationalisation des chemins de fer. l'origine de la création de l'Office national du tourisme. En 1889 apparaît le 1er syndicat, celui de la ville de Grenoble. En fait, il s'agit du département de l'Isère. C'est pour lui qu'on invente le terme de Syndicat d'initiative. Le Touring-Club est créé en 1890. La 1ère Fédération date de 1895, avec la Savoie, la Haute Savoie, et l'Isère, sur une zone assez homogène. La 2e Fédération du Sud-Centre voit le jour en 1903. Elle est extrêmement hétérogène, avec ses départements qui vont du sud du Massif central aux Pyrénées. La même année 1903, le Touring-Club crée un bureau central des syndicats d'initiative. Ceux-ci tiennent leur 1er congrès national à Marseille sous la présidence d'Abel Ballif, le président du Touring-Club. En 1904, se développe une controverse sur la typologie des fédérations régionales. Comme l'écrivait de Souza, celle du Sud-Centre « n'est qu'un simple groupement routier » contrairement à celle des Alpes françaises. Il préconise, comme Médaille Gérardmer le Touring-Club d'ailleurs, des regroupements par Provinces Historiques. En 1905, le Touring-Club choisit SaintPierre de Chartreuse comme « site de démonstration » d'un syndicat d'initiative à créer. C'est un village de 900 habitants, admirablement situé. Léon Auscher, un des vice-présidents du Touring-Club, et futur créateur en 1920 de l'Union nationale des associations de tourisme, se charge de guider cette création. En 1908, lors de leur 5ème Congrès national, lorsque les syndicats d'initiative refusent de créer une Fédération nationale, le Touring-Club va être sollicité pour développer son bureau central des syndicats d'initiative mais il refuse. En 1910, il y a environ 250 syndicats d'initiative. Le système est quasiment féodal, avec un empilement territorial bien illustré par Bertrand Larique dans le cas de la Bretagne. On y trouve des syndicats de stations, d'arrondissement, de département. Il y a même deux syndicats départementaux dans le Finistère ! La forme des actions publicitaires se cherche. Deux affiches du syndicat de Grenoble vantent, avec l'aide des chemins de fer Paris Lyon Méditerranée, une station thermale d'altitude, Allevard les Bains, ou tout simplement les paysages alpins ( voir page suivante ). Un autre type d'images publicitaire prétend mentionner tous ses membres de la fédération des syndicats d'initiative du sud-ouest, et en devient totalement illisible. « pour mémoire » La construction du système des syndicats d'initiative L'organisation du système des syndicats d'initiative et ses problème vont être à l hor s-sér ie -juillet 2012 42 La Meije par Julien Lacaze Allevard-les Bains par Hugo d'Alesi La première organisation administrative et politique du tourisme L'Office national du tourisme est très structuré. Son directeur est statutairement un haut fonctionnaire du ministère des Travaux publics, qui est assisté d'un conseil d'administration comprenant les hor s-sér ie - juillet 2012 deux directeurs chargés des routes et des chemins de fer, et celui des collectivités locales au ministère de l'intérieur. Un conseil supérieur du tourisme a une mission consultative sur les mesures pour développer le tourisme. En fait, le bilan d'action de l'Office national avant 1914 est décevant. La subvention publique de 30 000 francs est ridicule, et les contributions privées qu'on attendait sont encore plus faibles. Surtout, il est en butte à l'hostilité larvée d'une bonne partie des syndicats d'initiative. Mais, cette création est pleine de promesses pour l'avenir. D'abord elle a officiellement légitimé la « question touristique ». l « pour mémoire » 43 L'institutionnalisation de l'Office permet le début d'une intégration nationale qui n'arrivait pas à se faire. En 1914, il est à l'origine d'un comité d'étude pour organiser et centraliser la publicité touristique française à l'étranger. En 1912, un Groupe du tourisme est créé à la Chambre des députés par Etienne Clémentel, un des leaders gouvernementaux les plus préoccupés d'économie. Il sera, d'ailleurs, le ministre de l'économie durant toute la guerre de 1914-1918. Le groupe sénatorial du tourisme sera créé par Le Roux en 1920. Enfin, en 1913, des états généraux du tourisme sont organisés, essentiellement par les milieux touristiques provinciaux et les associations régionalistes. Ils définissent une charte nationale du tourisme français qui sera mise en application après la guerre. Cette institutionnalisation du tourisme, ses liens avec le ministère des Travaux publics et son insertion politique doivent être replacés historiquement dans l'ensemble du développement de la mobilité. La carrière du 1er directeur de l'Office, Albert Mahieu (1864-1943) en est une excellente illustration. Après de 10 ans de service ordinaire à Rodez, Mahieu revient à Paris en 1900. En 1903, il est secrétaire, pour les Travaux publics, de la commission extraparlementaire sur les accidents de la route, dont le secrétaire général est un fonctionnaire du ministère de l'Intérieur. En 1908, il organise, avec l'inspecteur général Lethier, le 1er congrès international de la route. En 1909, il est secrétaire général de l'Association internationale des congrès de la route. Il en sera le président de 1920 à 1943. En 1909 et 1910, il est directeur de la navigation de la Seine. De 1909 à 1912, il est rapporteur de la commission chargé de préparer le code de la Albert Mahieu : Source archives du Sénat route. Fin 1910 et début 1911, il dirige l'Office national du tourisme. Fin 1911, il devient directeur du personnel et de la comptabilité du ministère. Puis est mobilisé en 1914. En 1916, il est le premier directeur des routes indépendant d'une direction plus générale. En 1920, il devient secrétaire général du ministère des Travaux publics, poste qui coiffe toute l'administration du ministère. De 1920 à 1925, il sera particulièrement impliqué dans la lutte pour la création d'un Office national des routes, qui va échouer en 1925. Albert Mahieu avait entamé une carrière politique en 1922 à Dunkerque et devient sénateur du Nord en 1924 ; il le reste jusqu'en 1941. Il crée, en 1926, la Revue générale des routes qui existe encore de nos jours. Il sera ministre de l'intérieur en 1932 et viceprésident du Sénat. « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 44 Échanges avec la salle Anne Etévé Je ne suis pas historienne et vous parlez d'une association très ancienne. Mais il y avait d'autres associations d'éducation populaire, ou même le mouvement des auberges de jeunesse qui avaient aussi un projet de mixité sociale et qui intégraient le voyage à la fois comme objectif de rencontre entre les hommes et d'émancipation. Ainsi, Joseph Rovan, avant la fin de la deuxième guerre mondiale, relança l'office franco-allemand de la jeunesse. Ces activités permettaient non seulement les voyages mais aussi la rencontre de la nature, le goût de la nature, que l'on retrouve encore aujourd'hui, ce qui permet de comprendre des initiatives comme Accueil Paysans ou des mouvements analogues qui sont une autre forme de tourisme. mement décentralisée. Des contestataires furent tentés de le couper en petits morceaux pour que chacun puisse faire son notable chez soi, comme dans le Finistère ou avec la rivalité entre Marseille et à Aix. Mais le TouringClub avait cette fonction de réunir des associations. pays avancés, le regroupement d'associations d'usagers de l'automobile et de la route et de touristes représente entre un adhérent pour 3 à 5 véhicules. En France, l'ensemble des associations automobiles ne rassemblent qu'un adhérent pour 50 véhicules. Nous sommes une exception absolue. C'est une vraie question historique, un problème de responsabilité et une perte pour le tourisme. Anne Querrien D'où le Touring-Club ressource ? tirait-il ses Jean Orselli Il tirait ses ressources de ses cotisants, avec des dons et des legs provenant de gens riches et ne bénéficiait d'aucune subvention de l'État. Il était démocratique et était animé par des élites modernes (chefs d'entreprises, industriels) ou traditionnelles (les notables) mais il y avait un tiers de gens de classes moyennes (instituteurs, hôteliers ...). M. Beucher A-t-on une idée de la composition des 125.000 membres du Touring-Club de France ? Jean Orselli Oui, je l'ai dit tout à l'heure, un tiers d'élites modernes, un tiers de notables traditionnels, dont beaucoup de ces rentiers intellectuels qui existaient à cette époque là, comme De Souza, et un tiers de gens de plus basse catégorie. Je rappelle que le Touring-Club était à l'origine une association de cyclistes. Jean Orselli Je n'ai parlé que de ce qui faisait partie des quatre objectifs de l'Office national du tourisme. Mais il avait déjà en 1905 des tourismes spécialisés : scolaire, nautique, hippique et il y a eu ensuite le tourisme aérien. Le Touring-Club subventionnait les auberges de jeunesse et agissait beaucoup en faveur de la nature, des sites et monuments, du reboisement de la montagne, de la protection des forêts. Il y avait une très grande quantité de comités qui étaient des lieux où se rencontraient les autres associations. Par exemple j'ai évoqué De Souza qui était secrétaire de l'association pour la protection des paysages. Le Touring-Club était une association nationale forte dans une France extrêhor s-sér ie - juillet 2012 Participant L'ampleur de la tâche assumée par le Touring-Club a été absolument fantastique et il a joué un rôle très précurseur. Lorsqu'on a été obligé de liquider le Touring-Club de France en 1983, nous avons constaté cette ampleur mais aussi la diversité de ses ressources, au-delà des ressources des adhérents (600 000 puis 250 000 à la fin) avec une grande partie de dons et de legs. Cela a constitué un patrimoine extrêmement important qui a été malheureusement ensuite dilapidé. Jean Orselli La question de la disparition du TouringClub est fondamentale. On ne peut pas en parler ici, mais aujourd'hui dans les l « pour mémoire » éclairages et témoignages 45 Guider le touriste : du guide rouge a ViaMichelin Stéphane Nicolas, responsable du patrimoine historique Michelin Alain Monferrand m'a invité à partager avec vous ce qu'il a joliment appelé « un feu d'artifices coloré », ce qui peut paraître paradoxal pour parler de Michelin puisque 98% du chiffre d'affaires de Michelin, c'est du pneu et le pneu c'est noir. Donc, pour faire un feu d'artifices coloré, on va essayer de parler d'autre chose. Mathieu Flonneau a commencé à lever un peu le voile. Le pneu a été la raison d'être de Michelin au départ. Quand on réfléchit bien, c'est un produit du quotidien qui fait partie de notre environnement à tous, qu'on circule à vélo, en voiture, en bus, en métro. On ne cesse de croiser et d'utiliser des pneus à tel point qu'on n'y fait plus attention. Pourtant, c'est un produit en constante évolution. Dès la fin du XIXe siècle, les frères Michelin ont capitalisé pour leur entreprise et se sont attachés à faire évoluer constamment un produit de qualité. Je vous présente quelques jalons de l'histoire industrielle du pneu Michelin. L'invention du premier pneu de vélo démontable a permis enfin de réparer rapidement une crevaison (1891). Les « pour mémoire » ©MEDDE l hor s-sér ie -juillet 2012 46 frères Michelin ont été les premiers à penser qu'on pouvait faire rouler une voiture sur de l'air, alors qu'on n'était pas persuadé que ces petits boudins en caoutchouc pourraient supporter le poids d'une voiture (1895). On connaît la suite. c'est un produit de haute technologie, en constante évolution. Un pneu, ça sert à voyager, il existe un prospectus qui représente un tricycle de Dion Bouton qui était le premier véhicule à avoir été équipé en série, en première va rajouter des places pour des passagers sur ces véhicules, avec qui je veux. On découvrait la notion de la mobilité individuelle. Les frères Michelin s'attachaient à fabriquer un produit industriel de qualité, en grande série, au meilleur prix possible. Passionnés d'innovation, pratiquant eux-mêmes l'automobile et le tourisme, ils percevaient l'immense champ en train de s'ouvrir devant eux, en se disant : « un pneu, c'est un produit fait pour servir, fait pour voyager, comment peut-on aider nos clients à pouvoir voyager ? Au-delà de l'action de leur fournir un produit de qualité, comment peut-on aussi leur fournir des outils pour les aider à voyager ? ». Et c'est dans la tête d'André Michelin qu'est né le fameux petit guide rouge, le guide Michelin, avec l'idée de le lancer exprès au moment de l'effervescence de l'exposition universelle de Paris en août 1900. Voyez la première édition du petit guide 1900. Même par rapport à celui que vous pouvez connaître aujourd'hui, c'est un petit ouvrage. Il est intéressant de lire ce qu'André Michelin nous dit dans la préface de ce guide : « le présent ouvrage a le désir de donner tous les renseignements qui peuvent être utiles à un chauffeur, voyageant en France, pour approvisionner son automobile, pour la réparer, pour lui permettre de se loger et de se nourrir, de correspondre par poste, télégraphe ou téléphone. Cet ouvrage paraît avec le siècle, il durera autant que lui ». Il fallait être un peu culotté pour envisager le développement de son ouvrage Guide Michelin 1900 : Source Michelin En 1946, les successeurs des frères Michelin ont été les premiers aussi à mettre sur le marché le pneu Michelin X, le fameux pneu radial qui permet de faire deux fois plus de kilomètres que le meilleur pneu d'avant-guerre. Dans les années 1990, on a lancé l'Energy Saver, un pneu qui permet de rouler en économisant du carburant, entrant ainsi dans la lignée du début de la notion de respect de l'environnement. C'est un produit qui peut paraître banal, qui fait partie de notre environnement mais hor s-sér ie - juillet 2012 monte, comme on dit, de pneus Michelin. L'un des arguments de vente en 1896 de ce véhicule était qu'il pouvait servir à faire du tourisme car on devenait autonome pour pouvoir décider, lorsqu'on habitait à Paris, d'aller passer deux jours à la mer à Deauville. On mettait en avant l'aspect très simple et la fiabilité de ce véhicule. Et l'on découvrait quelque chose qui commençait à être nouveau à l'époque, la liberté de la mobilité individuelle. Je vais pouvoir partir où je veux, quand je veux, et petit à petit, quand on l « pour mémoire » 47 sur un siècle. Il reconnaît quand même que « la présente édition, donc la première, sera évidemment trouvée très imparfaite, mais l'ouvrage se perfectionnera d'année en année, et il sera parfait d'autant plus vite que les chauffeurs répondront plus soigneusement et en plus grand nombre au questionnaire que nous prions de bien vouloir remplir et qu'ils trouveront à la page 57. Sans eux, nous ne pouvons rien, avec eux nous pouvons tout ». Le décor était planté. On souhaitait pouvoir synthétiser dans un petit ouvrage qu'on emportait très facilement avec soi en voyage tous les renseignements utiles. Le guide Michelin devait être avant tout un guide pratique. « Où est-ce que je peux trouver du carburant pour ma voiture, alors que le réseau de stations services n'existe pas ? ». Cet outil était là pour fédérer cette communauté automobiliste qui était en train de naître. Les frères Michelin s'apercevaient que ça intéressait de plus en plus de monde, des gens qui étaient un peu dispersés et qui commencent à se fédérer. Michelin se plaçait comme un acteur de cette fédération naissante. Par rapport à d'autres initiatives de guides, Michelin expliquait sa particularité : grâce au système de pictogrammes extrêmement simples, pourvu qu'on ait la légende pour pouvoir décrypter ce qui était dit dans le guide, le guide contenait dans un tout petit volume ce qu'on ne pouvait avoir qu'en achetant trois ou quatre ouvrages différents. On y trouvait donc des informations très pratiques comme des petits plans de « pour mémoire » ville dans les principales agglomérations françaises afin de pouvoir se repérer de façon autonome sans faire appel aux habitants. Vous connaissez la suite de l'histoire. La prophétie d'André Michelin s'est révélée exacte. Le guide dure depuis plus d'un siècle. Il est intéressant de voir l'évolution de ce petit guide rouge qui a suivi la montée en puissance de l'automobilisme et sa démocratisation, avec les nouveaux besoins des consommateurs. Ce qui était au départ un manuel technique (quand on parcourt cette première édition on sait ce qu'il faut faire en cas de panne, comment réparer sa voiture, comment Source Michelin on peut réparer un pneu) s'est peu à peu adapté à l'évolution des besoins des voyageurs. Dans les années 1920, il y a eu la naissance de la fameuse étoile de bonne table puisque ce guide avait vocation non à être un critique gastronomique - Michelin s'en est toujours défendu - , mais à apporter un conseil de bonnes adresses de confiance. Le guide a su évoluer. Mais ça ne suffisait pas. Pour André Michelin, c'était la première brique d'une stratégie qui se poursuivait. En 1908, il lança l'initiative intéressante du bureau l hor s-sér ie -juillet 2012 48 des itinéraires. C'était très simple : si je voulais voyager en France ou à l'étranger, par exemple aller de Paris à Montauban, je téléphonais ou j'écrivais au bureau, qui était dans l'immeuble Michelin à Paris, Boulevard Pereire. Quelques jours plus tard, je recevais chez moi une liasse de documents dactylographiés, qui vous décrivait très précisément la route à suivre : l'itinéraire balisé à suivre, des indications sur les dangers que pouvait comporter la route, les curiosités touristiques dans le cas où j'aurais un peu de temps pour en profiter. L'objectif était de pouvoir mettre au service du client toute la documentation que Michelin avait rassemblée pour la constitution de son guide et de continuer à mutualiser les expériences de la communauté automobiliste puisqu'on invitait les clients à faire un retour à Michelin, pour savoir s'ils étaient satisfaits de l'itinéraire reçu et s'ils avaient des suggestions à apporter pour améliorer le service. Légendes carte routière Source Michelin 400 millième de la carte du TCF. André Michelin, pratiquant lui-même l'automobile, estimait que c'était une bonne moyenne : sur une feuille qu'on pouvait déplier facilement devant soi, on avait la vision d'une portion de territoire qu'on pouvait parcourir dans une journée avec une voiture. La clé de lecture de la carte étant la légende, Michelin inventa une nouvelle hiérarchie de l'information visuelle en fonction du besoin de l'automobiliste. Plutôt que de représenter avec détail les zones boisées, il valait mieux attacher beaucoup d'importance à la largeur ou à la qualité du réseau routier sur le terrain où on allait voyager. La route est-elle large, de bonne qualité, dangereuse, pittoresque ? La notion touristique a été incluse dès les premières éditions de la carte Michelin. Le succès de la carte Michelin a été dû au fait qu'elle était spécifique à l'automobiliste, en lui apportant un service nouveau, fiable, en étant mise à jour en permanence et peu coûteuse. André Michelin voulait que le prix ne fût pas un obstacle à la grande diffusion de sa carte. Encore aujourd'hui, elle offre une masse d'informations pour un prix extrêmement modique. Imaginez l'organisation de ce bureau des itinéraires devant la masse des documentations qui pouvaient y être gérées au plus fort de son activité dans les années 1920 où il employait une centaine de personnes. Je rebondis sur un terme employé tout à l'heure de marchandisation de ces services car le guide et le bureau des itinéraires étaient complètement gratuits pour l'utilisateur, au nom d'une notion de service, d'accompagnement du client de la marque qui avait acheté ses pneus. Toutefois, ce service était aussi accessible gratuitement à toute autre personne. hor s-sér ie - juillet 2012 La stratégie d'André Michelin a été complétée par la carte routière Michelin (1910). Michelin n'était pas le premier à faire des cartes mais il voyait naître cette nouvelle communauté d'automobilistes et se disait qu'il fallait repenser l'outil cartographique pour répondre à un nouveau besoin. Ce nouvel outil adoptait une nouvelle échelle, le 200 millième, intermédiaire entre le 80 millième de l'état-major ou le Quelques exemples de cartes, vous avez le prototype d'une carte au 200 millième des environs de Clermont en 1908 qui était donnée gratuitement aux automobilistes de la région pour avoir leur ressenti et leur retour afin d'améliorer la carte définitive. La légende de la carte de 1910 comporte le code couleur sur la qualité du réseau routier ainsi que la numérotation systématique des routes, fil d'Ariane qui permet à l'automobiliste l « pour mémoire » 49 d'être sûr qu'il est sur le bon chemin. La carte typique des années 1950 comporte une couverture bleue et jaune qui a été utilisée très longtemps. On continue à dérouler le fil de la stratégie d'André Michelin. Il se disait : « tous ces outils c'est bien, mais ça reste du papier, sur le terrain, comment fait le client, comment fait l'automobiliste ? ». Vous voyez que tout a été pensé d'une façon très logique. C'était une réflexion extrêmement pragmatique au service du client, au service du touriste. André Michelin se disait : « sur le terrain, comment fais-je pour retrouver mon chemin ? Même si, grâce à la carte, je sais que, pour aller de Paris à Marseille, je dois suivre la Nationale 7, comment sur le terrain ai-je la certitude d'être sur le bon chemin ? Il posait la question de la présence de ces informations sur le bord des routes. Il eut une première initiative avec les plaques « Merci », action publicitaire dans la lignée de ce que faisaient des constructeurs automobiles de l'époque, où on subventionnait des plaques signalétiques sur le bord des routes (1908). Michelin offrait à chaque commune de France qui le demandait une plaque en tôle placée en hauteur et à double face jaune et bleue. Quand vous entriez dans la localité, vous y aviez le nom de celle-ci, le numéro de la route sur laquelle vous circuliez, et le message « automobilistes, attention aux enfants ». Quand vous en sortiez, de l'autre côté de la plaque se trouvait un énorme « Merci » pour avoir respecté le message de sécurité qui était délivré à l'entrée. Mais les plaques en tôle n'étaient pas durables (rouille, peinture défraîchie, détournement pour un autre usage). Michelin pensait qu'il était nécessaire d'imaginer une signalisation durable et uniforme. La signalisation ne devait pas être d'abord un levier publicitaire pour les constructeurs automobiles mais un véritable service rendu à l'automobiliste. Michelin fut à l'origine d'une pétition pour le numérotage des routes sur son stand au Salon de l'aéronautique de 1912, avec une affiche bordée de bleu-blancrouge puisque le premier signataire en était le président de la République de l'époque, Armand Fallières. On n'est pas sûr qu'il ait lu le titre de ce qu'il avait signé, peut-être pensait-il signer le Livre d'Or du stand ! Il y eut des milliers d'autres signatures. Au tout début de 1914, il fut décidé de demander au cantonnier de peindre le numéro des routes sur les bornes qui jalonnaient le réseau français. La Grande Guerre perturba cette initiative. Les choses se firent de façon très lente. Mais André Michelin fit preuve de beaucoup de patience et de ténacité sur cette question qui lui tenait vraiment à coeur, jusqu'à 1931, à la veille de sa mort, en faisant homologuer Michelin comme constructeur officiel de panneaux. Il en reste encore quelque bornes en place, peut-être cette silhouette vous dit-elle quelque chose. Pour concrétiser son idée d'une signalisation uniforme et durable, André Michelin concevait ces appareils de signalisation comme un pneu, comme un produit industriel, avec un cahier des charges extrêmement précis et des quantités d'essais avant une solution définitive. La plaque qui porte les indications est ici en lave volcanique émaillée, produit éminemment auvergnat, extraordinairement solide, contrairement à la tôle peinte. Hormis une fente due au gel, cette plaque est quasiment indestructible, enchâssée dans un support en béton armé très durable. Les indications, en bleu foncé sur un fond blanc, se distinguent très facilement de tout l'environnement du bord de la route. La hauteur a été scientifiquement étudiée, de façon à pouvoir être visible même de nuit dans le faisceau des phares d'une voiture, ce qui n'était pas le cas de la signalisation précédente. Grâce à ce cahier des charges, Michelin fut homologué comme fabricant officiel de signalisation routière (1931) et poursuivit cette activité de fabrication de panneaux en béton jusque dans les années 1970. Il garantissait à ses clients des poteaux qui dureraient 20 ans. Pour ceux qui n'ont pas été déposés dans le cadre d'une rénovation routière, 80 ans après, il y en a qui sont toujours en place. André Michelin continua de dérouler le fil de ses idées. Une initiative originale vint en 1917 au sujet des champs de bataille à partir d'une notion de pèlerinage vers des lieux qu'il ne faudrait pas oublier, d'où l'idée de ces guides pour transmettre une mémoire et offrir la possibilité à ceux qui s'étaient battus et aux familles des soldats tués de pouvoir retourner sur le théâtre des opérations avec un petit fascicule. Les guides des champs de bataille étaient « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 50 tout petits, très bien documentés et très bien illustrés de façon à pouvoir offrir une information fiable et de qualité à la portée de tous. Il y a eu plusieurs dizaines de titres dans la collection des champs de bataille, mais « Verdun » a été réédité jusque dans les années 1930. Dans cette publicité, on voit Bibendum portant le guide de Verdun en disant : « de belles étrennes pour vos enfants, les guides illustrés Michelin de vos champs de bataille ». C'était la nécessité de transmettre la mémoire, mais une mémoire qui fût malgré tout à la portée de tous. L'ensemble des bénéfices que Michelin retira de la vente de ces guides fut intégralement reversé à l'oeuvre pour la repopulation française car André Michelin avait aussi une très forte fibre patriotique. A la suite de ces guides des champs de bataille, on vit naître les guides régionaux à partir de l'expérience du bureau des itinéraires (1926). André Michelin se dit, « dans le fond, on pourrait rassembler dans un recueil l'ensemble des itinéraires qui nous sont le plus souvent demandés et qu'on en fasse des opuscules régionaux qu'on vende sous forme de guides ». Ceux-ci avaient le volume du guide Michelin actuel. L'idée de proposer des idées d'itinéraires touristiques connut rapidement le succès comme le montre une affiche des années 1930. C'est cette collection des guides régionaux qui a donné naissance au fameux guide vert dont vous avez peut-être été les utilisateurs. Voici l'édition de 1953 pour l'Auvergne, qui est le guide vert tel qu'on le peut garder en mémoire. Cet outil déjà très abouti a été le symbole d'un tourisme populaire de qualité peu coûteux, avec des indications un peu minimales mais de qualité pour guider les nouvelles catégories de touristes plus populaires qui sont apparus après 1945. C'est souvent dans le guide vert que beaucoup de gens ont appris quelques rudiments d'histoire de l'art ou d'architecture, notamment au travers, dans cette édition des années 1950, de ces fameux petits dessins noirs et blancs, faits à l'encre de Chine, qui avaient quelque part une vocation d'être volontairement intemporels. Ce sont des gens de Michelin qui redessinaient ces petites vignettes à partir de photos pour y gommer tout ce qui aurait pu donner une indication de temps. Il n'y avait jamais de voitures, jamais de personnages habillés sur ces dessins pour les rendre intemporels. Pour l'anecdote, voici un guide touristique d'Auvergne de couleur rouge mais au format du guide vert, beaucoup plus fin que celui d'après-guerre, Pourquoi Michelin faisait-il des guides touristiques en 1942, dans une période ne s'y prêtait pas très bien ? Cela voulait dire que la vie continuait. Je trouve très intéressant de lire ce que dit Bibendum dans la préface de cette édition de 1942 : « Paris, mai 1942, ami lecteur, votre voiture est aujourd'hui endormie dans votre garage, mais vous pouvez encore prendre quelques vacances. Si l'Auvergne vous tente, ce guide vous y conduira. Vous n'y trouverez plus ces programmes de voyages et de longues excursions que vous permettait d'accomplir la voiture, mais le train, l'autocar, la bicyclette revenue en vogue, vos jambes même réhabituées à la marche, vous laissent la faculté de circuler partout. Des villes riches en beaux monuments, des villages pittoresques, des jolis sites sont encore à votre portée, ce guide vous en proposant des promenades et des excursions Guide vert : Source Michelin hor s-sér ie - juillet 2012 l « pour mémoire » 51 sélectionnées, vous les fera connaître. Par ses descriptions détaillées et ses chapitres, un peu d'histoire, il vous rendra la visite attrayante. Et maintenant, ami lecteur, bonnes vacances ». Cette anecdote montre la capacité des équipes de Michelin à adapter leurs produits en fonction à la fois des circonstances et de l'évolution des moyens dont disposent les touristes. On ne pouvait plus circuler en voiture, on proposait malgré tout des informations pour pouvoir faire du tourisme à pied ou à vélo. Dans les années 1930, on découvre l'aboutissement de ce qu'avait imaginé André Michelin dès 1900 : des bornes de signalisation, le guide Michelin de l'année, le guide vert et les cartes. Avec cet ensemble, on a des outils d'aide à la mobilité qui se complètent et qui forment le fil d'Ariane pour organiser et maîtriser ses déplacements alors que faire un voyage en 1900, c'était vraiment se lancer à l'aventure parce qu'on ne savait pas trop où on allait. Il y a eu une utilisation stratégique de ces produits de mobilité qui, avaient plutôt vocation à être utilisés pour des activités pacifiques. Les soldats américains qui débarquèrent en Normandie en 1944 le firent avec un guide Michelin dans la poche. On voit une photo du guide de 1939, réédité par le War Office américain en 1944. Pourquoi ce document avait-il été choisi par l'armée américaine ? Ce n'était pas pour les adresses des hôtels évidemment, mais pour les plans de villes qui permettaient d'avoir beaucoup d'informations en très peu de place pour se repérer sur un territoire que les Américains ne connaissaient pas. Une photo en noir et blanc montre un véhicule américain qui vient au dépôt de la rue de Saussure en 1944 charger quelques milliers de cartes imprimées dans l'urgence par Michelin, des cartes pour aller en direction de Berlin. Certaines d'entre elles furent imprimées au dos de cartes anglaises qui avaient été faites pour l'armée nazie pour envahir l'Angleterre. Vous voyez ici une utilisation qui dépasse un peu le cadre touristique de ces outils de mobilité. Il y a eu un aspect international des outils développés par Michelin dont, sans ambiguïté, l'initiative pour guider le touriste était là pour soutenir l'activité industrielle du fabricant de pneus partout où Michelin développait cette industrie. Dès 1914, l'Angleterre bénéficia d'une couverture de cartes routières puis l'Espagne et l'Italie. Il y eu ViaMichelin : Source Michelin des exemples exotiques de cartes dès les années 1920 : États-Unis, Afrique du Nord, pistes du Sahara. Cette logique de produits cartographiques ou des guides à l'international se poursuit aujourd'hui. Les services rendus par Michelin se sont adaptés aux nouvelles technologies. En 1989, le Minitel reprenait, à 80 ans de distance, le principe du bureau des itinéraires d'informer pour aller du point A au point B. C'est le même principe qui a été repris en 2001 par ViaMichelin sur Internet : vous n'avez plus besoin d'attendre que l'information arrive dans votre boîte aux lettres, vous l'avez instantanément. Et 2010, on a lancé la carte 777, France Trafic en temps réel : on y trouve une complémentarité des outils numériques et du papier, une carte sur laquelle un certain nombre de flash codes peuvent être scannés avec un smartphone et qui vous informe en direct sur l'état du trafic dans les principales agglomérations de France. M. Boyer a évoqué la possibilité de faire du tourisme sur la lune. Cela me rappelle que Victor Puiseux, père d'un des gérants de Michelin, a été le premier à avoir fait l'atlas photographique de la lune à la fin du XIXe siècle. Cela donnerait peut-être une certaine légitimité à Michelin pour faire un ouvrage sur ces nouveaux champs de territoire : pourquoi pas un guide de découverte de la lune dans les années à venir ? « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 52 éclairages et témoignages Histoire et évolution des comportements touristiques des français professeur à l'université de Paris V ©MEDDE Jean-Didier Urbain, Je n'ai jamais vraiment été sociologue. Je préfère donc prévenir, si tant est que je le suis quand même un peu. Je suis avant tout anthropologue (mon doctorat d'État l'est d'ailleurs dans cette discipline) et ce pour une raison essentielle que vous allez comprendre immédiatement, à savoir que l'anthropologie a pour intérêt majeur et mission principale de parler du sujet en mettant l'homme au centre de ses pensées et réflexions sur le fait social et culturel. Le tourisme est un phénomène et le touriste, un sujet que l'on connaît finalement fort mal. Aussi me semble-t-il nécessaire de remettre sans cesse en avant cette question par trop négligée : que serait le tourisme sans le touriste ? Car l'on continue de penser que le touriste est un être assez sommaire, composé d'envies simples : se reposer, se distraire, voir de beaux paysages... Bref, une vision quasi caricaturale de la psychologie de cet acteur domine, alors qu'il est un sujet hor s-sér ie - juillet 2012 sans lequel rien ne serait finalement possible. Qu'en serait-il du phénomène sans lui ? C'est là-dessus que je voudrais revenir, en tenant compte de ce qui a été dit ce matin. Comme l'a dit Marc Boyer, la question : au fond qui est le touriste ? va à l'essentiel. Mais je crois qu'il y a plus essentiel encore. Un peu comme les féministes qui, dans les années 1960, disaient : « il y a plus inconnu que le soldat inconnu, c'est la mère du soldat inconnu », je dirais que la question plus essentielle encore est au fond pourquoi voyage-t-on ? Et pourquoi voyage-t-on de surcroît quand on n'a aucune raison, obligation ou nécessité de le faire ? C'est cela le touriste. C'est cette question qu'il pose. Et quant à son évolution, c'est cette autre : quelle est l'histoire de ce anti-héros des « voyages inutiles » ? ­ comme disait Paul Morand. Au fond, le tourisme n'est-il pas l'industrie du voyage inutile, par opposition au voyage vital, de survie, migration économique ou déplacement professionnel ? On ne fait pas du tourisme pour survivre. Le touriste est l'un des rares voyageurs qui dépensent de l'argent pour voyager ­ avec les migrants... C'est pour cela que l'ethnologue a pu être moqué par Jacques Meunier comme étant un « touriste subventionné ». Les autres voyagent pour gagner de l'argent et/ou sont payés pour le faire. C'est là une perspective très différente. Et il y a certains postulats sur lesquels il faut peut-être revenir. D'abord, croire que l'on aspire au voyage est une idée reçue très répandue, que j'ai encore entendue ce matin. Or c'est une erreur de penser que, dès qu'on peut voyager, on a envie de voyager. Ce n'est pas pour rien que Léo Lagrange a appelé les auberges de jeunesse « l'école du tourisme ». Et Marc Boyer a justement souligné qu'il y a à ce sujet une part largement mythique dans la représentation l « pour mémoire » 53 de 1936. Les congés payés n'ont pas provoqué à cette époque un déferlement des ouvriers sur les routes. Les ouvriers en vacances n'ont pas plus eu l'idée de partir qu'ils n'ont eu celle d'aller au musée ou au théâtre quand la loi leur a donné ce temps libre supplémentaire1 . Cela s'apprend, le voyage. Il est un loisir qui s'acquiert, se structure et s'élabore. C'est une envie mais une envie fragile. Pour avoir envie de voyager, il faut avoir des désirs porteurs au point de prendre le risque du bernard-l'ermite, qui sort de sa coquille pour se reproduire, courant le danger d'en périr. Dès qu'on sort de sa coquille, on est fragilisé et seul le plaisir escompté peut pousser à affronter ce danger qu'ignore la sédentarité. C'est plutôt à cela que je voudrais vous sensibiliser. Pourquoi voyage-t-on ? Tout le problème est là. Pascal disait : « Tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne pas savoir demeurer en repos, dans une chambre». Pourquoi ? Au fond, essayer d'approfondir la question du tourisme à partir de l'évaluation et l'évolution des désirs de celui qui le fait exister n'est pas une question subsidiaire. Elle interroge une réalité fondamentale qui est en propre de l'ordre de l'investigation anthropologique. Le sujet dont je vais vous parler n'est évidemment pas le sujet clinique, la personne, l'individu ou le cas caractériel isolé. C'est un sujet générique qui voyage pour son plaisir, qui a ce projet hédoniste, fût-il masochiste, ce qui peut expliquer certaines pratiques touristiques physiquement ou moralement éprouvantes, voire cruelles. Quand on veut, par exemple, avoir une initiation à la pêche en mer, qu'on se déguise pour cela en matelot et qu'on se fait insulter à l'envi par un capitaine tyrannique, il y a quelque chose d'un peu bizarre dans ce genre de simulacre « pédagogique » flagellateur... Ce que je veux évoquer, c'est donc ce sujet commun dans sa complexité, avec cette idée corollaire à l'appui consistant à rappeler aussi dans le même mouvement sa nature d'un point de vue historique... Évidemment, si je vous dis : « le tourisme ne serait rien sans le touriste », cela peut vous sembler être un truisme. Mais il est quand même intéressant que, du point de vue linguistique, le mot touriste soit apparu avant le mot tourisme. Robert Mandrou, dès la Renaissance, identifie des voyageurs qui sont pour lui des touristes, même s'ils ne sont pas encore nommés comme tels 2 . C'est-à-dire que ce ne sont ni des marchands ni des pèlerins ni des soldats. Ce sont des gens comme Montaigne, qui voyagent pour leur plaisir et éventuellement aussi pour leur santé. Montaigne était un peu un double, un mixte de voyage, sanitaire et culturel à la fois... Cette nuance linguistique veut simplement dire que le sujet (touriste) a précédé le phénomène (tourisme) ; et que réfléchir sur ce phénomène ne nous dispense certainement pas de réfléchir sur le sujet. Quand je me suis tourné il y a 25 ans en direction de cette problématique, d'abord à travers la sociologie des loisirs, j'ai été surpris de voir que l'on parlait du tourisme sans jamais vraiment penser au touriste : à l'homme et ses envies. Cela débouchait sur une vision fonctionnelle quasi caricaturale, avec par exemple celle des trois D de Joffre Dumazedier : Divertissement, Distraction et Développement 3 . Cela me parut « un peu » pauvre ou élémentaire pour traiter en profondeur de la psychologie du tourisme... Qu'apprenons-nous de plus sur ce sujet quand on s'approche de lui ? Ce matin, le voyage a été évoqué comme un comportement déterminé par la curiosité pour l'autre. Cette curiosité est pourtant loin d'aller de soi. Même quand on évoque des modèles comme Phileas Fogg ou Robinson Crusoé, dont on a fait des archétypes de voyage, il faut remarquer à quel point ces deux voyageurs-là sont peu curieux de l'autre. L'un est indifférent et l'autre xénophobe. Il ne faut pas se faire d'illusion : si Robinson Crusoé avait eu les moyens à sa disposition, il aurait exterminé tous les sauvages sur son île ; et il ne faut pas oublier que Fogg fait le tour du monde, Jules Verne le dit lui-même, comme un projectile guidé totalement inattentif aux pays qu'il traverse. Néanmoins, on a fait de ce naufragé et de ce globe-trotter des modèles. Comme quoi le savoir populaire accommode ces figures types du voyage et en fait des mythes selon ses désirs. Cf. Marc Boyer, L'inventiondutourisme, Paris, Gallimard, « Découvertes » n°288, 1996 - p.98 et suiv. 2 Robert Mandrou,IntroductionàlaFrance moderne. 1500-1640. Essai de psychologie historique, Paris, Albin Michel, 1998 ­ p.294 et suiv. [1961 et 1974]. 3 Joffre Dumazedier, Versunecivilisationdu loisir?, Paris, Le Seuil [1962]. « pour mémoire » 1 l hor s-sér ie -juillet 2012 54 L'intérêt de réfléchir sur le touriste est un problème que l'on a soulevé aussi ce matin en rappelant que le tourisme a existé après le touriste, comme industrie, commerce et organisation. Après tout, il est tout à fait envisageable de considérer que le touriste pourra continuer après le tourisme. Déjà dans son livre de 1972 sur le tourisme, Marc Boyer posait une question qu'on n'envisageait guère hier, ni aujourd'hui encore : est-ce que le tourisme est périssable4 ? Nous sommes tous peu ou prou en train de penser que le tourisme est quelque chose d'inépuisable. Que son marché ne peut qu'augmenter à l'infini si l'on s'y prend bien. Mais ce n'est pas parce que le nombre des voyages augmente que les possibilités commerciales augmentent elles aussi. C'est là que je voudrais évoquer les différentes formes que prend l'évolution des comportements avec un touriste devenu, engagé dans un processus d'autonomie croissante, un voyageur qui s'autoproduit et s'autoorganise de plus en plus, s'émancipant continûment d'une logistique et de services qu'on pense communément comme des médiations incontournables, voire immuables. Or le développement d'Internet est en train nous prouver exactement le contraire. C'est autour de cela que je veux un peu réfléchir avec vous. Au préalable, étant linguiste de formation, je pense qu'il y a déjà l'ambiguïté même des mots tourisme et touriste. Le problème de touriste est le même que celui du mot homme, qui renvoie tout à la fois à « genre humain » et à « espèce masculine » - à l'humain et au mâle. De même, le mot tourisme renvoie à la fois au genre « voyage fait pour hor s-sér ie - juillet 2012 le plaisir » (sens générique) et à l'espèce de voyage qui consiste à « faire un tour » (sens spécifique). C'est exactement ce second sens que retenait d'ailleurs Thomas Cook, qui parlait de ses voyages en termes de voyagescirculaires5 . Penser le tourisme et son évolution, c'est penser sa complexité, donc les différentes espèces qui constituent cette mobilité appelée génériquement tourisme. Faire un circuit, un tour, ce n'est pas la même chose que se transplanter en bord de mer ou ailleurs et y rester trois semaines sans bouger. Ce n'est évidemment pas le même projet. Ce n'est pas non plus la même chose que de faire des allers et des retours entre sa résidence secondaire et sa résidence principale. D'ailleurs, cette pratique a fait sauter au passage la définition ordinaire du touriste qui est « toute personne qui passe trois nuits ou davantage hors de son domicile principal, ou hors même de son domicile habituel ». Pour certains, cela ne colle pas : le résident secondaire va d'un chez lui à un autre chez lui. Il n'est pas hors de son domicile habituel. Donc nous avons affaire ici à une autre mobilité encore 6 . Viennent ensuite par simples combinaisons les formes hybrides, mêlant séjour, tourisme et résidence. Il faut bien voir que le vocabulaire doit nous inciter à la prudence, d'autant que ce n'est pas qu'une « affaire de mot » mais bien de concepts, donc une affaire de réalités. Ainsi, dire d'un tourisme qu'il est « de séjour » par opposition à un tourisme « itinérant » n'est pas cohérent. Tourisme itinérant est un pléonasme (comme prévoir à l'avance) et tourisme deséjour est un oxymore, contradictoire dans les termes (comme se hâter lentement), d'un point de vue linguistique du moins ! Mais pour parler de l'évolution des comportements touristiques avec une relative précision, il faut bien pourtant distinguer tout cela : cette diversité des usages exprimée par les mots, puisque c'est la variation même et les proportions de ces différentes pratiques de la mobilité qui sont indicatrices de tendances et d'évolutions. S'ajoute à cela un autre préalable essentiel. Pour comprendre un comportement « touristique », il faut savoir ce qui l'inspire. Autrement dit, un comportement n'est pas interprétable si on ne sait pas quelle attitude le détermine. On ne peut pas faire abstraction de cette part psychique au sein des pratiques et penser le touriste seulement en termes d'usager ou de client. Il faut aussi le penser en termes d'homme qui rêve, d'homme qui imagine et qui a un projet. Si on n'envisage pas le touriste comme cela, je ne vois pas très bien comment on peut faire de la prospective sur les tendances, puisque l'histoire de la société en général, donc des mobilités de loisirs en particulier, passe par l'évolution des désirs comme des phobies du citoyen, donc de ce voyageur. Marc Boyer, Letourisme, Paris, Le Seuil, 1982 ­ p. 237 et suiv. [1972]. 5 Cf. Daniel J. Boorstin, « Duvoyageurau touriste», in L'image ou ce qu'il advint du Rêve Américain, Paris, Julliard, 1963 ­ p.117. 6 Cf. Jean-Didier Urbain, Paradisverts.Désirsde campagneetpassionsrésidentielles, Paris, Payot & Rivages, 2008 ­ nouvelle édition augmentée [2002]. 4 l « pour mémoire » 55 D'où l'importance pour moi, en tant qu'anthropologue en tout cas, d'essayer de reconstruire les imaginaires et les représentations collectives qui sont à l'origine du désir de voyager. Et de comprendre comment ces représentations ont changé au cours du temps. Par exemple, à une époque, on voyageait pour sa santé, aujourd'hui on espère voyager sans attraper de maladies. Ce ne sont plus la même représentation du voyage ni le même voyageur qui circule. Cela est très net. Le dernier préalable auquel je pense est qu'une société a le tourisme qu'elle mérite. Comme le disait Marc Boyer, le tourisme n'est pas né n'importe où. Le tourisme est né en Angleterre, au début du XIXè siècle, et pas par hasard, puisque c'était là la société la plus urbanisée du monde. En 1861, 50% de la population britannique était dans les villes. Il a fallu attendre 1932 en France pour qu'il y eût pareillement 50% de la population dans les villes. On le sait, même statistiquement, c'est une loi quasi mécanique, plus une ville est grosse, plus elle émet du touriste, plus elle émet du voyageur. Il y a donc un lien de cause à effet avec un état de société. Autrement dit, le tourisme se dit à travers son touriste parce que le touriste est un symptôme de société. A travers les aspirations et les évolutions des désirs du touriste, se dit au fond beaucoup plus qu'une envie de voyager. Il s'y exprime une représentation du monde. S'y dit comment le touriste voit le monde. Comment le touriste va être attiré par certaines choses ou au contraire effrayé par d'autres. Comment aussi ce qui pouvait être des répulsions touristiques à une époque sont devenues des attractions touristiques ­ et inversement. Auparavant, ce voyageur évitait les favelas, les townships ou les slums. Maintenant, cela fait partie du patrimoine courant d'un « voyage circulaire » qui se veut un tant soit peu culturel. Ce qui était objet de dégoût jadis est devenu à présent un objet d'attirance... A ce propos, on a parlé de la mondialisation ce matin, comme s'il s'agissait simplement d'une extension de l'offre existante à de nouveaux clients. On pèche aussi beaucoup dans les expertises touristiques par ce défaut que j'appellerai la vanité de l'indigène. Nous croyons toujours être les mieux placés pour parler de notre pays et savoir ce qu'il offre de plus intéressant à l'oeil du visiteur étranger. Je crois que cela est particulièrement faux. C'est un peu comme la signalisation dans les villes : si elle si mauvaise, c'est parce qu'en général elle est faite par les indigènes. Il faudrait plutôt demander à un étranger de faire la signalisation : elle serait beaucoup mieux pensée. De la même façon, attirer des touristes chez soi, ce n'est pas forcément leur dire : « Venez chez nous parce qu'on a la Tour Eiffel et Notre-Dame». Il y a eu un reportage sur des touristes venant des grands pays émergents (BRICS), qui font des tours d'Europe en quinze jours. Qu'est-ce qui intéresse, par exemple, des Indiens visitant la France quand ils arrivent à Marseille ? Ce n'est pas NotreDame de la Garde, ni le vieux port ou la Canebière, mais comment est organisée la gare et quand ils vont pouvoir voir et prendre le TGV. Pour eux, l'attraction associée à la France, c'est le TGV. Vous voyez bien ici que si l'on accueille ce voyageur avec notre folklore et nos cathédrales, on peut être « un peu » décalé par rapport au désir et à l'attente de ce type de touriste... Le tourisme n'est finalement pas intéressant en soi. Il l'est comme symptôme de société. A travers lui, notre société (toute société) se raconte dans ses évolutions, ses mentalités, ses sensibilités. C'est pour cela que je me sens davantage anthropologue que sociologue car les sociologues ne s'occupent peu de ces faits. Avant qu'une discipline ne s'en empare, le synonyme d'anthropologie culturelle jusqu'au XIXè siècle, voire jusqu'au début du XXè siècle, était psychologie générale. L'objet de cette anthropologie est de déchiffrer et de reconstituer les mentalités, les représentations et les sensibilités collectives. C'est pour cette raison que l'anthropologue culturel se sent aussi très proche de l'historien des mentalités et des sensibilités. On peut évoquer à présent quelques tendances majeures. Il y a l'autonomie croissante du touriste, aux sens générique et spécifique. Ce sujet s'est émancipé des situations de surveillance et d'encadrement, des rythmes et cycles de vie imposés. C'est un voyageur qui a tendance à être de plus en plus fragmenté, voire éclaté en ses voyages, séjours, circuits et destinations. C'est aussi, vous le savez, quelqu'un qui a un rapport au temps modifié, dans la mesure où, avec des mobilités raccour« pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 56 cies et démultipliées, nos pratiques s'acheminent à l'horizon 2015 vers une moyenne qui serait de 5/6 jours pour les courts séjours7, lesquels s'allongeraient ainsi en contrepoint du raccourcissement des longs séjours de vingt à dix jours... Et quelqu'un qui a désormais un tel rapport au temps et à la vie ordinaire, si modifié, n'est plus une personne qui vit ses vacances sur le mode de la fin de cycle puisqu'elle est maintenant toujours suspendu entre deux voyages, en fait en transit perpétuel au sein de son quotidien. Quand on pense que le voyage pour motifs personnels en région parisienne atteint six voyages par an aujourd'hui et que le Français est au demeurant l'Européen le plus mobile sur son territoire, on en est maintenant à 45 km par jour et par habitant, ce qui est énorme (on en était encore à 30 km aux alentours des années 1990), force est donc de constater que l'on bouge beaucoup, de plus en plus souvent, pour des périodes de plus en plus courtes, au point même que s'est mis en place un tourisme international de proximité. Un week-end à Lisbonne, Berlin, Saint-Pétersbourg ou Cracovie n'est plus un grand voyage. Quand on voit que la Chine projette de faire une ligne TGV Pékin-Londres d'ici dix à quinze ans, mettant ces deux destinations à 72 heures l'une de l'autre, on ne peut même plus opposer l'argument de la fin de l'avion à cette évolution. Au niveau terrestre, se dessine d'autres solutions. Il est donc sûr que, de ce point de vue, on va voyager sans doute de plus en plus mais (peutêtre ou sans doute) selon des modalités très différentes. hor s-sér ie - juillet 2012 Comme vous le savez aussi, parmi les grands bénéficiaires de ces évolutions, vous avez le tourisme urbain. Il a explosé depuis une vingtaine d'années, alors que la ville était traditionnellement plutôt un lieu de fuite : un site plus émetteur que récepteur de touriste, à part les « villes cultes », objets de « pèlerinages » classiques. Je dirais que la ville explose comme destination parce qu'elle est un lieu de condensation adapté aux séjours courts, qui permet et offre bien des choses en un espace-temps restreint. Autre tendance, celle suscitée par ceux qu'on nomme les digital natives, les gens nés avec le numérique, qui sont des voyageurs opportunistes voyageant pour voyager mais qui se moquent passablement de la destination. Ils achètent parce que ce n'est pas cher mais, à la limite, ils ne consommeront pas leur achat, parce que ce n'est pas cher. Vous avez aussi ce que Josette Sicsic appelle si joliment les silver trotters, le voyageur du troisième âge, qui est en train d'inventer une nouvelle forme tourisme de retraite 8 . Ces gens sont des bi-résidents « délocalisés », qui vivent une partie de leur vie à l'étranger par choix et par économie. Ils sont de plus en plus nombreux. A l'appui de cette tendance à l'autonomie, on doit évoquer Internet et les nouvelles technologies. On dit qu'une voiture a autant d'électronique embarquée que le premier Airbus. Le touriste a, lui aussi, beaucoup d'électronique embarquée, pas seulement son portable ou son ordinateur mais encore son appareil numérique, sa carte bancaire, sa carte vitale internationale. Il peut surveiller ses comptes à 3000 km de distance ou plus sans problème. Il devient un cybertouriste qui vit dans la télécommunication, parfois avec excès, au point même de se ruer sur le premier cybercafé dès qu'il arrive quelque part plutôt que de visiter les lieux. Il passe son temps à envoyer des SMS et des MMS. Quand il se déplace, c'est avec son GPS, si bien qu'il ne peut même plus connaître les vertiges de l'égarement et les bonheurs du contact avec l'indigène à qui l'on demande son chemin. Cruciverbiste, il circule dans un monde quadrillé, maillé et préenregistré. Il y ainsi de très profonds changements. Avec cette nouvelle espèce de touriste, c'est le nouveau rapport au monde d'un être taraudé, hanté par sa relation prévisionnelle à la réalité, qui apparaît. Ce voyageur veut tout prévoir, avoir du « timing », ne pas être déçu, obtenir un retour sur investissement obligatoirement. Il ne veut pas rater son voyage parce que, pour lui, l'accident n'est pas une aventure, c'est une mésaventure. Tout ce qui sort du champ des possibles devient ­ je peux vous le dire, parce que j'ai travaillé sur 500 lettres de réclamations reçues à l'Observatoire national du tourisme ­ ce leitmotiv : « Ce n'était pas comme vous me l'aviez dit, j'ai été trahi ». Cf. Georges Cazes/Françoise Potier, « Un `systèmevacancier'français? », in Jean Viard, F . Potier et J .-D. Urbain,LaFrancedestempslibres etdesloisirs, La Tour d'Aigues, Éd. de l'Aube, 2002 ­ chapitre 2, p.56 et suiv. 8 Tant pour ces « boomers » inventifs que pour cette « génération Y » consumériste portée sur la braderie et le marchandage, voir Josette Sicsic, « Commentvoyagentlesavant-gardes? », in Touriscopie, publication mensuelle de veille sociologique et marketing en loisirs et tourisme, Paris, avril 2010. 7 l « pour mémoire » 57 schéma 1 schéma 2 Je pense que psychologiquement, nous entrons là dans une phase de la culture du voyage qui relève du donquichottisme, au sens propre du terme. Don Quichotte ne voyage pas pour voir le monde mais pour le vérifier : voir si ce qui est dans les livres correspond bien à ce qui est dans le monde... Quand un touriste dit en permanence « Ce n'est pas comme on nous l'avait dit », dans ce souci de vérifier, nous ne sommes plus dans une logique de découverte ni de rencontre mais bien dans une logique de contrôle et d'anticipation visant à retrouver des images et des situations déjà vues, programmées ou préconçues 9 . Je ne porte pas de jugement de valeur. Mais cette attitude anticipatrice et programmatique modifie complètement la psychologie du voyage. Une révolution est en train de se faire au regard de laquelle les mythes de la rupture, de la rencontre ou de l'aventure font un peu figure de vieilles lunes. Comment voulezvous que l'on valorise l'aventure alors que nous sommes à présent dans un univers de prévention ? Etymologiquement, c'est le contraire : l'aventure est ce qui advient ; la prévention est ce qu'on prévient ! Comment voulez-vous être un aventurier préventif ? Cela paraît curieux. Incompatible. Il y a ici encore un oxymore en forme de contradiction psychologique forte, voire paradoxale... Quand j'essaie de cerner les pôles psychologiques qui attirent le touriste, quelles sont les tendances fortes ? Dans le schéma 1, je propose une synthèse de ces tendances fortes, qui ne sont pas forcément spécifiques au touriste mais, génériques, propres à tout sujet. Selon ces deux axes, on distingue le Soi de l'Autrui et la Société du Désert. Puis les quatre désirs situés de part et d'autres de ces axes croisés : l'appel du désert, la rêverie cénobite (ainsi s'appelle le goût de l'ermitage collectif), la tentation sociétale (que traduisent les rapports fusionnels à des groupes affinitaires), et enfin le songe altruiste. J'ai bien mis « songe » parce que cela n'est peut-être en effet pour l'instant qu'un fantôme ou un mirage et pas encore véritablement un désir à l'objet clair. On rejoint ce que je vous disais à propos de Fogg et de Robinson Crusoe chez lesquels il n'y a pas de songe altruiste. Robinson se trouve un Vendredi, Fogg a Passepartout, puis Mrs Aouda, indienne que son serviteur sauve du bûcher et qui devient l'épouse du maître. Ces gens là ne rêvent pas de société, ni de l'autre, mais bien de compagnie. C'est la rêverie cénobite. De l'entre soi intime. Il me semble que c'est la tendance la plus forte aujourd'hui dans notre société. le schéma 2 permet d'expliciter ce qu'est l'appel du désert en termes de personne(s). C'est moi seul ou, à la limite, moi plus toi dans une relation narcissique. Le cénobitisme, c'est moi plus les miens. La tentation sociétale, c'est moi plus les mêmes. L'altérité, c'est évidemment moi plus les autres. Cf. Jean-Didier Urbain, Levoyageétaitpresque parfait.Essaisurlesvoyagesratés, Paris, Payot & Rivages, 2008 ­ conclusion, en particulier « Le complexe de la boule de cristal », p.483 et suiv. « pour mémoire » 9 l hor s-sér ie -juillet 2012 58 schéma 3 schéma 4 J'explicite dans le schéma 3 le désert sous la forme du vide, la grégarité sociétale sous la forme de la foule, le rassemblement cénobitique sous la forme de la tribu, et l'expérience de l'altérité sous la forme de l'Autre avec un grand A. Si les miens sont des êtres familiers, les mêmes ne sont que des inconnus tandis que les autres sont des étrangers ­ soit trois paliers bien distincts au sein de relation interpersonnelle. Dans le quatrième schéma, je montre que le désir de soi est une démarche extrêmement réflexive et introvertie par définition. Je dirais que quelque part, par le discours au moins et sa stratégie de communication, la figure emblématique au plan professionnel de cette introversion est illustrée par un voyagiste comme Terres d'Aventure. C'est le tourisme du désert, de nature, le tourisme du vide, non pas tant pour partager une expérience que pour avoir une transe, seul, en haut d'une dune ou d'une falaise, tout seul face à l'infini, comme un grand. On trouve des discours proches de celui des hor s-sér ie - juillet 2012 mystiques dans le catalogue de ce voyagiste. C'est tout à fait étonnant. Quand on regarde bien, on dirait presque que « c'est beau comme du Ella Maillart10 ». Ensuite, vous avez le désir des siens. C'est la tendance la plus forte, avec ce resserrement sur la tribu, la famille, le clan, le club, les amis, en termes de villégiature ou d'itinérance en bande. Le modèle du voyage aujourd'hui est représenté par le nouveau concept des petits groupes, entre 6 et 12 touristes. Ce n'est plus du tout le voyage collectif. De même, les bonnes vacances sédentaires se passent dans la résidence secondaire ou dans la famille des parents, où l'on vit dans un espace clos. C'est le syndrome de Candide démultiplié : on cultive son jardin et on est très heureux comme ça. C'est d'ailleurs, fondamentalement, cette simulation autarcique qui attire les gens à la campagne. Dans l'enquête que j'évoquais ce matin, faite par l'Observatoire nationale du tourisme sur les vacanciers fidèles à la campagne, pour quelles raisons fondamentales les gens vont-ils à la campagne ? Ce n'est pas pour la nature (8% des cas) mais pour le silence et les retrouvailles en famille et entre amis11 . La nature, c'est plutôt maintenant la montagne et le littoral, même s'il est passablement artificialisé ! C'est une question d'image. Certes, le désir de foule existe. On peut parler ici des sites balnéaires. La plage est un phénomène colossal qui, loin de se démoder, s'exporte et se mondialise du Vietnam jusqu'en Basse Californie. En France, la plage a la vie dure en dépit de sa mauvaise réputation. Cette forme de tourisme, qui relève en fait de la villégiature, résiste fort bien aux critiques des hérauts des loisirs culturels. Elle représente 30 à 35 millions d'individus concentrés sur 4% du territoire national entre juillet et août. On va à la plage pas seulement pour prendre un bain de Cf. Jean-Didier Urbain, L'idiotduvoyage. Histoiresdetouristes, Paris, Payot & Rivages, 2002 ­ p.230-232 [1991]. 11 Cf. J.-D. Urbain, Paradisverts.Désirsde campagneetpassionsrésidentielles, op. cit. ­ par exemple, chapitre X. 10 l « pour mémoire » 59 mer mais aussi pour prendre un bain de foule. J'ai travaillé sur ce sujet 12 . Je peux vous assurer que sur une plage déserte, les gens qui arrivent, par exemple les deuxièmes, ne vont pas se mettre le plus loin possible des premiers arrivés mais assez près. C'est la stratégie du hérisson, comme dit Schopenhauer, assez près pour se tenir compagnie, mais pas trop près non plus de peur de se piquer. Mais on s'agglomère quand même. Il y a là un désir d'être ensemble qui se dit, y compris à l'insu de ceux qui l'expriment par leurs comportements. C'est la tentation sociétale. Je pense que les parcs à thèmes, les campings, les croisières, les voyages organisés collectifs à 30 ou 40 relèvent de la même tendance, tout comme les festivals, grandes célébrations affinitaires s'il en fut ! Quant au désir de l'autre, il y a bien sûr les tourismes responsable, solidaire et humanitaire. Mais il ne faut pas se leurrer. Ils sont encore très marginaux et je ne sais pas si l'on peut envisager dans l'avenir un grand basculement altruiste dans les pratiques touristiques et, a fortiori, les mentalités. La première destination du touriste reste lui-même et les siens. Il est trop tôt pour se prononcer. Mais il y a bien néanmoins, outre celui d'un tourisme ethnographique déjà ancien, un marché du tourisme humanitaire, tourisme interventionniste et participatif, qui se commercialise et valorise ses voyages comme des expériences (souvent très onéreuses) de stages auprès de ceux qui rêvent d'incorporer un jour une ONG. Une anthropologue travaille sur les ramifications et les aspects équivoques de ce marché qui ne dit pas toujours son nom et surtout ses contradictions13 . Pour finir, je situerai le concept du Club Méditerranée. Ce matin, quelqu'un a dit que le Club Méditerranée était assez proche de Cook ! ? Mais cela n'a strictement rien à voir ! A l'origine, le concept a été pensé par Gérard Blitz, diamantaire anversois que le gouvernement chargea au sortir de la Seconde Guerre de la réinsertion des concentrationnaires belges. A cette fin, Blitz loua un hôtel en Savoie pour leur réapprendre à vivre ensemble. Puis quand il alla rendre visite à sa soeur quelques années plus tard, qui dirigeait un camp de toile à Calvi, il se dit : « Mais bien sûr, ce dont les gens ont besoin, c'est de vivre ensemble 14 ». Il avait eu l'idée de ce marché, très porteur fin des années 1940, début des années 1950, en pleine période de reconstruction, de mutation et d'urbanisation de la société. Son coup de génie fut de vendre du lien social. Du moment qu'il y a le soleil, la mer et un lieu clos, le Club Méditerranée peut s'installer partout. Il n'a strictement rien à faire du dehors. C'est bien pour cela qu'il a introduit le paréo, y compris à Tahiti, mais aussi en Grèce ou en Sicile. Le Club est dans l'anachronisme le plus total parce qu'il est dans l'utopie sociale. Son projet n'est pas le monde mais l'entre soi. Ce créneau a fait la gloire du Club Méditerranée, qui s'est très astucieusement situé, me semble-t-il, à mi-chemin du cénobitisme et de la grégarité, sur la diagonale du plaisir qui relie la tribu à la foule ­ et réciproquement15 . M. Michaux évoquait le manque de recherche dans le domaine de l'anthropologie. Effectivement, je suis dans la logique de l'autofinancement et de l'autoproduction depuis des années. Nous manquons cruellement de recherches et de moyens d'en développer en la matière. C'est bien pour cette raison, et en dépit des multiples intérêts qu'il y aurait à le connaître mieux, qu'on ne sait pas le plus souvent qui est au juste le touriste, lequel est la plupart du temps mal nommé de surcroît. 12 J.-D. Urbain, Surlaplage.Moeursetcoutumes balnéaires(XIXe -XXe siècles), Paris, Payot & Rivages, 2007 [1994]. 13 Nadège Chabloz, « Lemalentendu.Les rencontresparadoxalesdu`tourismesolidaire' », in Nouvelles [?] frontières du tourisme, Actes de la Recherche en Sciences sociales, n°170, Paris, Le Seuil, 2007. Voir aussi, dans le même n°, « Visiter les pauvres » de Xavier Zunigo. 14 Voir le remarquable article de Alain Ehrenberg, «LeClubMéditerranée:1935-1960 », in Les vacances. Un rêve, un produit, un miroir, revue Autrement, n°111, janvier 1990 ­ p.117-129. 15 Pour plus de commentaires et d'exemples sur cette typologie, cf. J.-D. Urbain, L'EnvieduMonde, Paris, Bréal , 2011 ­ Partie V, p.187-226. « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 60 éclairages et témoignages Des congés payés à l'ARTT : petite histoire du tourisme social Patrick Brault, Président de l'UNAT Résumer cinquante années de l'histoire du tourisme social en une demi-heure, est une mission bien difficile mais je vais essayer d'être fidèle à cette belle histoire. Cette brève intervention porte sur la grande histoire du tourisme social : mon prédécesseur, François Soulage, aujourd'hui président du Secours catholique, disait, dans une préface au livre de Jacques Chauvin, que « le développement du tourisme social et associatif en France était sans doute l'une des plus belles aventures de la seconde moitié du XXè siècle ». Avant 1936, il n'y avait pas de tourisme très organisé mais des initiatives associatives et généreuses. Des organisations populaires et laïques, proposaient déjà quelques aménagements d'activités de loisirs, éducatives et sportives notamment auprès des jeunes et des enfants. Le premier grand opérateur fut la Ligue de l'enseignement, créée en 1866 par Jean Mace avec les fameuses « Demoiselles ». Ce n'était pas encore très structuré mais plutôt une idée humaniste et généreuse. Le Touring-Club de France avait été créé en 1890 surtout pour faciliter les déplacements, en s'occupant des hor s-sér ie - juillet 2012 l « pour mémoire » 61 routes, de toute la signalétique routière, des problèmes d'hébergement et de restauration pour les rares touristes d'alors qui pouvaient se promener. La première auberge de jeunesse a été créée en 1930 par Marc Sangnier militant démocrate chrétien, pour accueillir les jeunes. Le Centre laïque des auberges de jeunesse (CLAJ), constitué en 1933, connut un essor rapide : en 1939, il y avait déjà 500 auberges de jeunesse en France. La première maison familiale a été créée en 1897, à Sète, au Lazaret : il y en avait une quarantaine 1939, souvent gérées par des associations familiales et plutôt confessionnelles. Le 20 juin 1936, l'acte fondateur a été la création des congés payés par Léo Lagrange, alors secrétaire d'État aux Sports. Mais il faut reconnaître que ce droit n'était pas très demandé, et qu'il est venu s'ajouter dans une liste de revendications sociales. On s'est donc retrouvé avec douze jours de congés ! La SNCF a, paraît-il, transporté 900 000 personnes cette année là. Mais il n'y avait pas encore d'organisation efficace ni de lieu d'accueil. Le fait que des ouvriers partent en vacances, c'était une petite révolution qui n'était pas prévue. La première année, il n'y eut pas un succès extraordinaire. A cette époque, 12 à 15% des Français partaient en vacances. La démocratisation des vacances était en marche, mais on sait que la Deuxième Guerre mondiale brisa net cet élan. Au cours des années de reconstruction d'après guerre, Jean Monnet mit en place le premier plan touristique, avec Henri Ingrand, commissaire au Tourisme, et Vincent Planque, inspecteur général du Tourisme, qui a traité les trois premiers plans. Il s'occupa d'abord de l'hôtellerie puis du secteur des vacances sociales. La création de la Caisse nationale des vacances, ancêtre de l'ANCV, par Jules Moch en 1948 ministre des Travaux Publics en charge du tourisme, n'eut pas un grand succès et périclita au bout de quatre-cinq ans à cause du manque de financement de l'État pour couvrir la différence entre ce que payaient les salariés et la valeur faciale de ce chèque vacances de l'époque. Le monde associatif s'organisait petit à petit après la guerre, avec trois grandes mouvances : la mouvance laïque de l'éducation et des enseignants, la mouvance politique et syndicale (Tourisme et Travail en 1944) et la mouvance chrétienne et familiale. Il y eu aussi des initiatives personnelles comme la création du Club Méditerranée par Gérard Blitz, initialement sous statut associatif (1950). Le fort développement économique au cours des fameuses Trente Glorieuses permettait des conditions très favorables pour l'évolution rapide des congés payés (trois semaines en 1956, quatre en 1969, cinq en 1982) et la forte progression du pouvoir d'achat (selon les statistiques de l'INSEE, + 5,9% par an entre 1969 et 1973, avec une pointe de + 10% en 1962). Dans ce conteste, des acteurs institutionnels et sociaux s'impliquaient dans l'essor du tourisme social. Même si le ministère du Tourisme n'a reconnu le concept de village de vacances qu'en 1968, l'État s'impliquait quand même. D'abord le ministère de l'Agriculture pour participer à l'aménagement du territoire, puis plus tard, le ministère du Tourisme. Il faut souligner que la dernière implication de l'État, reste le plan Patrimoine puis le plan de consolidation initié par Michèle Demessine, qui s'est malheureusement arrêté depuis 2005. Les Comités d'entreprise s'impliqueront beaucoup et, plus tardivement, les Comités d'oeuvre sociale et les Comités d'action sociale qui apporteront des aides directes à leurs salariés, souvent attribuées en référence à des quotients familiaux. Il y avait aussi des apports aux associations, pour financer les investissements sur les équipements, en contrepartie de systèmes de droits de réservation prioritaire. On a ensuite vu la création de villages de vacances par de gros comités d'entreprises (CCAS, RATP, SNCF, France-Telecom, la Snecma, la Poste, Air-France, Michelin, etc.) ce qui pose d'ailleurs aujourd'hui des questions pour pérenniser ce parc. Les Caisses d'Allocation Familiales (CAF) apportaient une aide directe aux familles, via les Bons Vacances, chacunes avec ses critères sélectifs spécifiques, même si la Caisse nationale donnait (encore aujourd'hui) une orientation générale nationale sur la politique familiale des vacances. Le conseil d'administration de la CNAF a cessé d'attribuer des subventions pour la création et la rénovation d'établissements en 1994. Les CAF s'interrogent aujourd'hui sur l'avenir de leurs propres établissements et en confient maintenant la gestion de plus en plus souvent à des opérateurs associatifs. « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 62 La création de l'Agence Nationale du Chèque-Vacances (ANCV) en 1982, après une longue gestation, a donné naissance à un acteur essentiel dans le développement des politiques sociales des vacances. La progression de son activité a été très importante : 3,3 millions de salariés en ont bénéficié en 2010 (3 Mds d'encours) et 130.000 bénéficiaires d'aides directes en 2011 (21 M), avec des perspectives de croissance plus importantes depuis l'ouverture des chèques-vacances aux PME et PMI en 2009. Pour permettre l'accueil de tous les publics et favoriser la démocratisation des vacances, de très nombreux opérateurs ont vu le jour, surtout après guerre. On peut citer : Jeunesse au Plein Air, (JPA), l'an cienne fédération nationale des oeuvres laïques des enfants et des vacances des adolescents (1938) ; l'association Tourisme et Travail qui fédérait, au-delà de la CGT et du Parti Communiste, des organisations comme la CFTC (1944) mais qui a périclité en 1986. La Fédération française de Tourisme populaire en a été une scission (1949) ; L'Organisation Centrale des Camps d'Auberge de Jeunesse, OCCAJ, était plutôt dans la mouvance démocratechrétienne et a regroupé beaucoup d'opérateurs par la suite. Fédération des Maisons Familiales La (1949) ; L'association Léo Lagrange (1950) ; FNACVAL (1953) ; La Renouveau (1954) ; Ligue de l'Enseignement qui a créé La ses propres maisons familiales (1955) ; L'association VTF qui provenait de hor s-sér ie - juillet 2012 la fusion de fédérations de tourisme populaire des années 1945-1950 ; FUAJ un des acteurs très imporLa tants, fusionnée de deux fédérations en 1956, qui gère aujourd'hui 160 auberges de jeunesse en France, sans compter les réseaux internationaux ; Centre nautique des Glénans, créé Le par Madame Vianney à partir d'un centre de formation international (1946) ; l'association VVF créée à l'initiative de la Caisse des dépôts, de la CNAV, de la Fédération française de tourisme populaire et de l'OCCAJ (1958) ; l'Union des Centres de vacances UCPA qui a regroupé des centres de montagne et nautiques (1966) ; L'association VAL très concentrée à l'origine sur le développement touristique en Auvergne (1968) ; l'UES-Vacanciel qui regroupe toutes les mutuelles qui ont des politiques de vacances sociales. Je n'ai pas parlé de tous les opérateurs, mais on voit bien que, après la guerre, il y a eu des initiatives très importantes. Parallèlement, le taux de départs en vacances augmentait, comme l'ont montré les études de l'INSEE dans ce graphique (ci-dessous) fait par Gilles Caire. Quand on met en parallèle le taux d'équipement en voitures et en télévisions, on voit bien qu'il y a eu une progression forte depuis 1945. Mais, depuis 1990, ce taux de départ stagne et a même un peu régressé, malgré un léger progrès en 2010. Globalement, on tourne autour de 60% de taux de départs de nos compatriotes, ce qui veut dire qu'il y a environ 40% de Français qui ne partent pas en vacances. Le tourisme associatif à vocation sociale dispose de concepts et de valeurs. On en trouve les références dans des statuts et des chartes comme ceux de l'UNAT ou de l'Organisation Internationale du Tourisme Social (OITS) qui lors de son congrès de Montréal (1996) a ratifié et adopté une déclaration intitulée « Pour une vision humaniste et sociale du tourisme ». Les principaux critères de référence du tourisme social sont une activité créatrice de lien social, un objectif éducatif, culturel, social, sportif, et une Taux de départs français : Source des Taux de départ en vacances des en vacances INSSEfrançais 100,0 95,0 90,0 85,0 80,0 75,0 70,0 65,0 60,0 55,0 50,0 45,0 40,0 35,0 30,0 25,0 20,0 : Historique INSEE Estimations Automobile Vacances Téléviseur 1936 : 12 % 1951 : 22 % 1958 : 31 % 1964 : 44 % 1973 : 50 % 1980 : 57 % 1990 : 59 % 2000 : 62 % 2004 : 65 % 2009 : 56 % (1) 2010 : 61 % (1) (1) Source : Opodo/Raffour l « pour mémoire » 1964 1965 1966 1967 1968 1969 1970 1971 1972 1973 1974 1975 1976 1977 1978 1979 1980 1981 1982 1983 1984 1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 Union nationale des associations de tourisme et de plein air ­ www.unat.asso.fr 8, rue César Franck ­ 75015 Paris / Tél: 01 47 83 21 73 63 gestion désintéressée des équipements avec des résultats de gestion qui sont réinvestis par les opérateurs dans leur projet statutaire et non redistribués à des actionnaires privés La gouvernance est démocratique, souvent avec un statut associatif, qui n'est pas exclusif, mais qui reste très majoritaire. On peut aussi citer comme caractéristique du secteur la volonté de brassage social, une attention spécifique portée à la question des vacances pour les publics handicapés, des prix qui intègrent le souci de la pérennité économique mais aussi celui de l'objet social des membres de l'association, la dimension marquée du développement local et de l'aménagement du territoire qui vise à favoriser les partenaires et les emplois locaux, le respect des conventions collectives et des accords d'entreprise pour le personnel et, enfin, une ouverture européenne et internationale. A la fin des Trente Glorieuses, les temps ont changé. Le tourisme social a été confronté à sept principaux problèmes qu'il faut traiter : Un taux de départs en vacances qui stagne autour de 60 % et qui a même eu tendance à régresser depuis 2004 ; besoin important de rénovation Un d'un parc d'équipements vieillissant lié aux besoins de sauvegarde du patrimoine, à de nouvelles règles de mise aux normes ou en conformité et à l'adaptation aux attentes qualitatives de la clientèle ; Des financements qui se raréfient, avec la fin des interventions de la CNAF et de l'État en 2005 ; Les contraintes nouvelles de la directive européenne et la fiscalisation des associations dans les années 2000, avec la fameuse directive des quatre P (produit, public, prix, publicité) ; nouveaux concepts concurrenLes tiels, notamment l'hôtellerie de plein air et le développement des résidences de tourisme, des meublés, des gîtes ; nouveaux comportements Des de la clientèle (la fragmentation des séjours, les courts séjours, les loisirs de proximités) ; Des opérateurs historiques qui ne sont pas parvenus à réussir ces mutations et qui disparaissent progressivement du paysage. L'UNAT, est une belle aventure depuis qu'elle a été constituée en 1920 par l'Automobile Club de France, le Touring-Club de France et le Club Alpes français (qui est le seul membre fondateur encore existant, et qui vient de reconstruire « le refuge du Goûter » au pied du Mont Blanc, axé sur le principe très écologique de « zéro déchet »). Depuis 1929, L'UNAT est reconnu d'utilité publique. Notre siège social est installé depuis 1932 au 8, rue César Franck à Paris 15ème. Pour la petite histoire, l'UNAT traitait les examens du permis de conduire en France jusqu'en 1971 avant que le service ne soit repris complètement par l'État. L'UNAT est membre de l'Organisation mondiale du tourisme depuis 1963. On a créé en 1968 un fond mutualiste de solidarité et en 2006, l'association « Tourisme équitable et solidaire » (ATES) qui, avec une trentaine d'autres associations, fait du voyage solidaire, notamment dans les pays d'Afrique. L'UNAT assure la représentation et la défense de ses membres, le soutien de la politique sociale des vacances axées sur l'accessibilité au plus grand nombre, la représentation et les intérêts du tourisme français et de ses membres dans les instances internationales comme l'Organisation internationale du tourisme social (OITS). L'Union rassemble 56 membres nationaux. Il y a un peu plus de 500 membres régionaux dans 21 UNAT régionales, 1 500 établissements pour 226 000 lits touristiques (5 % du parc touristique français, mais 10 à 15 % des lits dits marchands) 3,3 millions de personnes accueillies pour 24 millions de nuitées, 2,6 Mds de chiffre d'affaires et 20 000 emplois ETP. Je finirai mon propos en évoquant les quatre grands enjeux du tourisme associatif à vocation sociale pour demain. Il faut qualifier la pertinence de son action économique et sociale. Elle est parfois remise en cause (« à quoi servez-vous ? Quel est votre rôle ? Quelle est votre pertinence puisqu'il y a 40 % Français qui ne partent pas en vacances ? »). Par les temps qui courent, ce n'est pas tout à fait évident de gérer des notions importantes telles l'intérêt général et le brassage social. Il nous faut aussi accompagner les politiques territoriales menées depuis 10 à 15 ans par les régions dans le cadre de leurs schémas directeurs de développement touristique. Une des priorités est de garder l'accessibilité de nos produits à travers les politiques tarifaires. Il faut adapter notre offre pour répondre aux demandes du plus grand nombre. « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 64 Pour la rénovation du parc d'hébergement, on fait plutôt du travail qualitatif que du travail quantitatif. Comme tous les autres secteurs du tourisme il nous faut encore plus travailler sur la qualité des prestations, l'évolution des normes et le développement durable. Ce sont toutes les questions que Jean Didier Urbain évoquait à travers l'évolution des désirs. Trouver des financements, c'est un vrai problème et une urgence. Globalement, le tourisme social s'est développé avec des financements publics ou d'acteurs sociaux et des financements venant de son exploitation. Demain, il faudra trouver ce que j'appelle une troisième voie financière, à partir de mécénats et/ou de sources diversifiées plus importantes ce qui commence à se faire. Le quatrième grand enjeu consiste à internationaliser son action. On a une opportunité qui s'ouvre : Depuis le traité de Lisbonne de 2007, le tourisme est devenu une compétence européenne. La Commission a récemment mis en place un pré-programme qui cherche à mobiliser l'ensemble du tourisme associatif dans l'ensemble des pays européens, baptisé du nom de « Calypso ». Il a été doté de 3,5 M pour faire une pré-étude sur les politiques sociales dans les pays membres et voir comment on peut faire des tests pour développer le tourisme social au sein de la Communauté européenne. L'UNAT et plusieurs de ses membres ont adhéré à l'OITS pour développer le tourisme social en Europe et demain mondialement. Échanges avec la salle Alain Monferrand Comme vous avez été d'une précision quasi suisse sur l'horaire, vous avez droit à des questions, j'imagine. Philippe Moisset Est-ce qu'on travaille avec un flux, un patrimoine d'associations fixes, et s'en crée-t-il encore ? Quelle est la dynamique des opérateurs aujourd'hui ? concours de BVA qui a été très probante sur ce sujet. Par exemple le tourisme social n'a jamais été très ouvert aux populations des seniors, même s'il y a des opérateurs spécialisés sur ce public comme Vacances Bleues. Hors depuis quelques années maintenant, nous accompagnons l'ANCV dans le développement de son programme « seniors en vacances ». Cela parait maintenant un enjeu d'avenir au vu de l'évolution sociétale. Patrick Brault Il se crée encore des petites associations locales mais peu qui ont une structure d'envergure au-delà de leur territoire proche. On est plutôt dans la recherche de regroupements, de mutualisation pour avoir une meilleure visibilité afin de pouvoir occuper à la fois le terrain économique et le terrain social. Jean-Didier Urbain C'est pour cela qu'il est important de penser qu'il y a des raisons sociales de ne pas partir. Patrick Brault On considère que c'est la moitié de la population française qui ne part pas pour des raisons économiques. Le reste, ce sont les freins sociaux, personnels, professionnels, etc. Philippe Moisset Il en disparait ? Patrick Brault Oui, il en disparaît, et quelque unes récemment encore. Ce ne sont pas de grands noms, heureusement. Jean-Didier Urbain Une chose m'avait beaucoup frappé. Une des raisons avancées, dans 10 % des cas, est la solitude : les célibataires, les veufs ou les divorcés sont des gens qui partent moins, parce qu'ils se sentent déjà fragilisés socialement au quotidien. Ils voient le voyage comme une surexposition. Jean-Didier Urbain Vous avez rappelé le taux de 40 % de Français qui ne partent pas. Il y a un problème qu'on avait soulevé à la DATAR il y a quelques temps : ces non-partants, on les estime un peu rapidement comme des gens qui ne partent pas parce qu'ils ne le peuvent pas. Or, il y a des non-partants volontaires. Patrick Brault Il y a d'autres freins. Je suis président d'une petite association qui s'occupe du départ en vacances, pour des publics familiaux et jeunes très fragiles. On a par exemple 3,5 millions de personnes en France qui sont qualifiées « d'aidants », et pour les Caisses de retraite, cette question de la dépendance devient un Patrick Brault Il y a une étude de l'ANCV faite avec le hor s-sér ie - juillet 2012 l « pour mémoire » 65 vrai sujet de société. Mon association a d'ailleurs reçu le 1er prix de la fondation AG2R pour l'action qu'elle mène auprès de ces publics d'aidants. En général, les aidants sont des enfants ou des parents qui aident toutes les personnes qui ne peuvent plus se déplacer et/ou qui ont des handicaps. Pour les « aidants », laisser seul pendant 15 jours l'un de leur proche qui est non-mobile pour partir en vacances, c'est psychologiquement impensable. Il faut donc mener toute une action d'accompagnement préalable au départ. Ils ont besoin en même temps d'un répit, parce que c'est très exigeant à tout point de vue d'accompagner quelqu'un qui est handicapé ou qui est dans une maison médicalisée. C'est un des sujets sensibles sur lesquels je travaille très fortement d'autant que ces situations se développent. Les Caisses de retraite sont fortement parties prenantes de ce programme. Dans les années 1990, avec le développement du marché du tourisme et la pression foncière, il y a eu une tendance et une volonté de faire partir le tourisme social de ses implantations, parce qu'il y avait la possibilité d'y réimplanter des activités touristiques beaucoup plus rentables, d'où une période assez difficile pour le tourisme social. Il avait des équipements devenus obsolètes, du fait du peu de moyens dont il disposait. Surtout, on souhaitait récupérer les terrains sur lesquels ils étaient implantés. C'est vrai qu'un VVF à Cogolin ou à Saint-Tropez, ce n'était pas aussi prestigieux qu'un hôtel 4 étoiles ou une résidence de luxe. Ce phénomène a-t-il eu tendance à s'atténuer, le tourisme social est-il sorti un peu de la zone de turbulence ou bien est-ce toujours pareil ? Sur le bord de mer, il y a bien sûr la pression foncière qui est extrêmement importante si on veut y garder des hébergements du tourisme social. Personnellement j'ai dû intervenir récemment sur des situations de ce type en tant que Président de l'UNAT. C'est un vrai problème que de pouvoir garder une accessibilité tarifaire pour le grand public dans des secteurs balnéaires. Alors que la mer reste très attractive pour des familles avec des enfants, on a du mal à conserver des établissements sur le littoral là où il y a des pressions foncières très fortes. Les collectivités concernées s'interrogent souvent pour pérenniser une activité de tourisme social alors qu'elles ont potentiellement sur place des actifs importants, qu'elles sont tentées de réaliser d'une manière ou d'une autre. Le tourisme social a une vraie difficulté devant lui, pour à la fois tenir 40 à 50 % du parc qui se trouve sur des territoires touristiquement fragiles (et tout ne pourra probablement pas être gardé en totalité) et conserver aussi un patrimoine dans les zones touristiquement attractives, tout en essayant de résister aux pressions foncières et immobilières. Je ne veux pas développer davantage, mais j'aurais beaucoup de choses à dire sur ce sujet crucial pour l'avenir du secteur. Gérard Ruiz Patrick Brault a souligné le rôle qu'a joué le secteur du tourisme social dans l'aménagement du territoire. Sous le contrôle de Philippe Moisset qui, je crois, l'a beaucoup vécu, le tourisme social a souvent été un des pionniers en matière d'aménagement du territoire parce qu'il a été appelé par des collectivités territoriales pour s'implanter dans des espaces où les investisseurs privés ne voulaient pas aller au départ et où il n'y avait pas de marché. Juste après la guerre, le tourisme social était certainement implanté dans les lieux les plus emblématiques du tourisme, tels que la presqu'île d'Hyères, à la montagne (La Plagne, l'Alpe-d'Huez, etc.) ou en bord de mer (en Bretagne...). Patrick Brault Je crois qu'il est en plein dedans. En gros, sur les 1 500 établissements du secteur, il y en a à peu près la moitié qui est la propriété d'une collectivité territoriale et l'autre moitié qui est la propriété de l'économie sociale (associations, caisses d'allocations familiales, comités d'entreprise, mutuelle, etc). On a bien les deux problèmes que tu cites. Il y a des contraintes économiques très compliquées sur les territoires : ainsi 40 à 45 % de l'offre de tourisme social est faite sur des territoires ruraux ou de moyenne montagne, en difficulté, qui ont souvent été créés avec des politiques d'aménagement du territoire par les compagnies d'aménagement de l'époque, comme la Compagnie du BasRhône, ou la Somival. Alain Monferrand Nous allons précisément, après cette question, parler d'aménagement. Les années qui ont vu le développement du tourisme ont vu aussi des tentatives d'aménagement de grands espaces. Il s'agissait des espaces de montagne « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 66 qui n'avaient pas encore fait l'objet de stations : il y en avait beaucoup, c'était un potentiel énorme. Philippe Moisset, à l'époque jeune ingénieur du Génie Rural à Chambéry l'a vécu. Il va nous parler du fameux plan Michaux ; Puis Jean-Pierre Catalàa, qui était l'adjoint de Monsieur Biasini, va nous parler de la MIACA, la Mission d'aménagement de la Côte aquitaine, un peu vécue comme une sorte d'amélioration par rapport à ce qui s'était passé avec la mission Racine sur la côte languedocienne. Dates clés Nombre de semaines de congés payés 1936 : 2 semaines 1956 : 3 semaines 1968 : 4 semaines 1982 : 5 semaines Camping 1936 : Illustration fournie par M. Boyer hor s-sér ie - juillet 2012 l « pour mémoire » éclairages et témoignages Les grands plans d'aménagement touristique des Trente Glorieuses 67 Le plan neige de l'ingénieur général Michaux Philippe Moisset, ancien directeur de l'AFIT ©MEDDE Je vais essayer d'évoquer rapidement les développements assez atypiques qui se sont produits durant cette période d'une trentaine d'années, en prenant le terme de « Plan-neige » au sens général, pour nommer le développement très volontariste du tourisme d'hiver qui s'est déroulé entre les années 1960 et 1990 dans les montagnes françaises. Je vous en parle comme un témoin, pas comme un universitaire ou un historien, pour vous donner des impressions, des souvenirs, des jugements qui, évidemment, peuvent sans doute être contestés. Mais on ne peut pas s'exonérer de son histoire, c'est le point de vue que j'ai mémorisé. Je vais vous parler d'un ensemble d'idées et d'opérations innovantes qui sont nées sur le terrain à cette époque, et non, comme on pourrait l'imaginer, dans les bureaux d'une administration centrale ou même dans le cerveau génial d'un ministre. Ce sont les Savoyards qui ont principalement inventé ce développement des stations de sports d'hiver : comme souvent, l'innovation est fille de la nécessité plutôt que de l'intelligence théorique. Il y a eu une récupération et un encadrement public par l'État central, à partir du moment où les choses se sont mises à décoller d'une façon un peu significative. Je vous ai parlé de la montagne avant le plan neige, non pas pour émettre l'idée que c'était vétuste et gris auparavant : en effet, il y avait, avant la guerre, des développements de stations de sports d'hiver, principalement à partir de sites habités existants (le téléphérique des Glaciers à Chamonix dans les années 1930, des remontées mécaniques à Val d'Isère,... qui s'étaient construites à partir de villages). Les sports d'hiver en tant que tels étaient identifiés comme une activité de loisir à la mode. Trois initiatives intéressantes en site vierge en sont le témoignage : un Anglais, Lindsay, qui s'était installé à Méribel parce qu'il trouvait ce village très joli et il avait commencé à développer la station, Rochebrune à Megève, lorsque la famille Rothschild décida d'en faire un lieu de villégiature et, en Italie, à Sestrières, avec Agnelli. Les sports d'hiver existaient déjà avant la guerre, la pratique de loisir du ski avait été déjà expérimentée depuis le début du siècle, ainsi que son développement en site vierge. C'est probablement ce qui a alimenté les réflexions de la période de l'occupation. Selon la légende, que je n'ai jamais vérifiée personnellement auprès de Maurice Michaux, il est convenu que ce dernier et Laurent Chapis, dans leur stalag de prisonniers de guerre en Allemagne, discutaient beaucoup de tout cela plutôt que de jouer aux cartes, Val-d'Isère : Téléphérique-1952 Camille Hugel « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 68 et inventaient petit à petit les principes des développements futurs de stations en site vierge. Rentrée en Savoie, cette équipe proposa une démarche étonnante au Conseil général qui topa pour créer quelque chose qu'on n'avait jamais vu : une station de sports d'hiver nouvelle, dans un site d'altitude, avec des idées d'aménagement bien arrêtées, sur la séparation du ski, des voitures et les pistes, qui devaient se concentrer sur une grenouillère devant les bâtiments afin de permettre une pratique sans recours à la voiture. La structuration de la pensée de l'aménagement de la montagne était faite. Le département accepta d'aménager la station de Courchevel comme un grand lotissement sur un espace de maîtrise foncière, de prévoir les pistes, d'installer les remontées mécaniques, de créer les infrastructures et de revendre les terrains équipés à des particuliers ou des promoteurs. A l'époque, quelques chambériens avisés ont acheté vraiment à bas prix les chalets du jardin alpin. S'ils les ont encore, je peux vous dire que la taxation des plus-values - heureusement c'est ancien ­ risque d'être assez sévère... Le département créait cette opération avec un moteur financier qui était la vente de lots à des promoteurs ou à des individuels. Bien entendu, il assumait le portage de l'opération parce que la difficulté de celles-ci consistait, comme toujours, à fournir la trésorerie intermédiaire entre le moment où on investit énormément et celui où l'agent commence à rentrer. La collectivité publique pouvait le faire à l'époque, financièrement et juridiquement. Et cela marchait. Pourquoi ? Parce que les aménageurs avaient vu juste. Ils avaient la liberté, sur un terrain qui avait été bien choisi, de placer les choses là où il le fallait et de tout faire fonctionner pour le plaisir du skieur, ce que ne pouvaient pas faire évidemment ceux qui tiraient des remontées mécaniques à partir d'un village où il y avait les parcelles, la redescente, où il fallait passer chez Albert et pas passer chez Jules... etc. C'était bien plus compliqué. Là, on faisait comme il fallait rationnellement faire. Voici Courchevel. Vous voyez le schéma général tel qu'il se développait à l'époque et qui était exemplaire. Les fondamentaux fonctionnaient bien, l'économie décollait. On s'apercevait que tout ceci reposait sur les deux marchés très solides de l'immobilier de loisir (on vendait des appartements) et du séjour. A l'époque, pratiquement jusqu'aux années 1980, il ne s'est pas fait beaucoup d'études marketing sur tout cela. On considérait que le marché était là. On était au temps des Trente Glorieuses. Les pouvoirs d'achat grimpaient, il y avait des clients pour tout ce qu'on faisait. Le modèle Courchevel n'était pas reproductible parce qu'il était trop public : il impliquait trop la collectivité publique et les crédits publics. Donc on partit sur l'idée de mettre en piste, à partir de cet exemple, des opérateurs privés, dont l'intervention était encadrée et facilitée par la collectivité publique. Petit à petit les opérations commencèrent à se multiplier. Parallèlement, un conflit latent commençait à se manifester. La création du parc national de la Vanoise en 1963 résultait d'un arbitrage, puisqu'il fallut y tracer une limite entre les territoires qui étaient considérés comme domaines skiables équipables et ceux qui relevaient de la hor s-sér ie - juillet 2012 Courchevel l « pour mémoire » 69 protection de la nature. Si on n'entendit pas trop parler de ce conflit à l'époque, cela tenait en grande partie aux qualités des négociateurs des deux côtés et au fait qu'ils avaient besoin de conclure. M. Bardel, le créateur du parc, était un homme remarquable, plein de diplomatie, de courtoisie, d'une grande qualité humaine. Cette négociation a abouti, le trait a été tracé : les domaines skiables ont été sauvegardés, l'essentiel de la nature a été protégée et mise en valeur. Cela s'est fait. Mais cette démarche a mis en valeur les potentialités du développement du ski en Savoie, et les protecteurs de la nature de l'époque, principalement des forestiers, commençaient à se poser des questions sur le développement de ce système. Les affaires démarraient. L'État suivait en créant au Fonds de Développement Économique et Social (FDES) des prêts bonifiés, principalement destinés aux remontées mécaniques. Pour juger des projets, il créa informellement une commission, la commission Michaux ; où on retrouvait les quatre ministères principalement concernés et qui émettait un avis sur la faisabilité des dossiers. Tout ceci se formalisa par suite des tensions avec les forestiers et les défenseurs de la nature. En 1964, le gouvernement créa une Commission interministérielle ad hoc, présidée par le Commissaire général au Tourisme. L'administration du tourisme avait alors la prééminence. Cette commission d'arbitrage sur les difficultés et des conflits et donnait le feu vert au développement des stations nouvelles. On créa un service spécialisé (le SEATM) qui avait la particularité d'être localisé à Chambéry et qui a été l'opérateur de la commission interministérielle. Il étudiait et rapportait tous les dossiers qui venaient devant la commission. A l'époque, des personnalités de premier plan soutenaient toute cette avancée, passablement savoyardes d'ailleurs. A l'origine, les conseillers généraux qui décidèrent de lancer la station de Courchevel étaient plutôt de gauche (Pierre de la Gontrie, Pierre Cot, l'ancien ministre du Front Populaire qui siégeait au Conseil général de la Savoie, le père de Jean-Pierre Cot, devenu ensuite ministre) mais aussi de droite (Antoine Borel ; les ministres ou secrétaires d'État au Tourisme Pierre Dumas et, ultérieurement ; Joseph Fontanet qui était président du conseil général en 1964) et des commissaires généraux (Ravanel, familier de Chamonix, JeanPierre Dannaud) tous des hommes de grande qualité qui accompagnaient cette aventure avec leur sensibilité propre. Le SEATM élaborait sa « doctrine ». Il faisait un recensement général des sites français de toute la montagne française, à partir de critères techniques stabilisés par l'expérience et que je ne peux traiter faute de temps... Il s'élaborait alors une doctrine technique assez cohérente, je pense, qui permettait de sélectionner les sites les plus favorables. Le plan neige proprement dit était inscrit dans le Plan national 1971-1976, avec des moyens pour subventionner les infrastructures, gérés par le SEATM sur proposition des préfets. Tout ceci était désormais impulsé fortement par le niveau central. J'ai écrit que le SEATM était respecté et détesté. Il était respecté parce qu'il était compétent, il était l'émanation d'une volonté de l'État, il rapportait auprès de la Commission interministérielle de la montagne, il donnait des feux verts pour des financements, il avait une compétence technique particulière sur les domaines skiables, avec Émile Allais et Jean Cattelin, et, enfin, il était très volontariste. Mais il était aussi détesté. Ce que ce que l'on ne dit pas beaucoup, c'est que le SEATM a largement contribué à tuer dans l'oeuf beaucoup de projets déraisonnables : cela ne faisait pas des amis. Des projets étaient déraisonnables parce qu'ils étaient mal situés, qu'on ne pouvait pas y accéder, qu'ils étaient à l'ombre ou les pistes au soleil, qu'il y avait trop d'avalanches. Il y avait là d'excellentes raisons techniques pour refuser des dossiers mais aussi la crédibilité de l'aménageur pressenti qui n'était pas sérieux ou n'avait pas la dimension suffisante. Entre 1965 et 1990, les développements de stations se multipliaient, dont beaucoup d'entre eux en Savoie. Après la mise à l'écart de Maurice Michaux au début des années 1970, le SEATEM poursuivit activement ses travaux sous l'égide de Vincent Cambau, qui aurait aimé être là aujourd'hui. Il a été mon patron au service de la montagne entre 1972 et 1978, le bras droit de Michaux et un des détenteurs de la mémoire du Service. J'aimerais « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 70 bien le décider à écrire. Car on a écrit sur l'action du SEATM plutôt dans les universités et les vrais acteurs n'ont pas, à mon avis, suffisamment témoigné. Il faudrait que je m'y attache avec Vincent ...si j'arrive à le décider... Tout ceci se déroulait jusqu'à l'année 1990 qui a été considérée comme un tournant par l'intervenant précédent. L'année 1990 a été la fin d'une étape. On se posait la question du développement un peu aveugle de la production de lits, alors que la clientèle stagnait déjà depuis un certain nombre d'années. Les taux de départ aux sports d'hiver n'évoluaient pas. Une grande étude démontrait qu'il faudrait commencer à être vigilant. Il y eut une crise immobilière, deux années de manque de neige, bref, ça commençait à aller moins bien. Mais tout ceci est une autre histoire. Je vous ai montré une équipe de patrons du SEATM, rassemblés en 2001 ; C'était à peu près figurateur parce qu'on y voit trois IGREF et trois ingénieurs des Ponts et Chaussées. Vous avez de gauche à droite Vézinet, Pesset, Huet (IGREF), Moisset, qui n'a jamais été directeur, mais seulement adjoint, Cumin, Cambau et Charry. En guise de conclusion, je dirai que cette histoire a été peu ordinaire. C'est si difficile de générer du développement. Je suis allé plus tard à la DATAR où c'est ce qu'on essaie de faire en permanence et j'ai pu constater combien ce n'est pas facile. Et pourquoi cela a-t-il si bien marché ? Je pense d'abord que la prise de risque sur le concept avait lieu sur le terrain chez des hommes qui ne savaient peutêtre pas à quel niveau ils risquaient leur argent ou leur image politique. En tout cas, cette prise de risque et le modèle ont été pris en charge sur le terrain par des acteurs proches des réalités et des clients. La démarche était rationnelle et méthodique, (c'étaient des ingénieurs.... des architectes aussi... Il y avait des architectes, mais ils se chamaillaient plus que les ingénieurs) Les marchés étaient très porteurs dans cette période des Trente Glorieuses. Il y avait du répondant. L'État savait mettre en place des financements à long terme parce que tous ces aménagements nécessitaient des financements à long terme et à taux bas. Les contrats publics-privés me laissent rêveur aujourd'hui. Pour avoir participé au conventionnement de contrats publics-privés récemment, ce sont des armées d'avocats très haut de gamme et très chers qui produisent des quantités de documents très épais où, tout est prévu. Ils se bagarrent longtemps. A l'époque, on faisait une convention de concession qui devait tenir en 15 pages et vogue la galère ! Finalement, ça s'est passé pas si mal ! Le soutien du SEATM était technique, mais il pacifiait aussi les relations entre le public et le privé. C'est-à-dire qu'il donnait confiance aux uns et aux autres. Il faisait un peu le «go between». Malgré des imperfections ici et là, l'effet économique a été fort et durable et dure encore. Équipe de patrons du SEATM : de gauche à droite, Vézinet ; Pesset ; Huet ; Cumin ; Cambau et Charry. hor s-sér ie - juillet 2012 l « pour mémoire » éclairages et témoignages Les grands plans d'aménagement touristique des Trente Glorieuses 71 La mission d'aménagement de la cote aquitaine (MIACA) Jean-Pierre Catalàa, ingénieur général des Ponts et Chaussées, ancien directeur de l'OREAM Bordeaux Aquitaine, organisme d'études de la MIACA Quand Alain Monferrand m'a demandé si je voulais parler de la côte aquitaine et de la mission interministérielle d'aménagement de la côte aquitaine, je me suis dit : « 40 ans c'est loin ». Comme des intervenants depuis ce matin remontent beaucoup plus loin dans le temps, il doit être possible de dire quelque chose. Simplement je demande votre indulgence en ce qui concerne les documents graphiques. Ce service était une administration de mission interministérielle qui n'était pas faite pour durer, Il n'a pas duré 40 ans, loin de là. Mes sources graphiques ne sont pas très abondantes mais heureusement Christian Queffélec devrait fournir des photos juste après mon intervention pour illustrer un sujet voisin. Pourquoi l'aménagement de la côte aquitaine ? Vous avez bien sûr en mémoire la mission Racine1 qui s'occupait de l'aménagement touristique du LanguedocRoussillon. C'était une opération très importante, avec une intervention massive, y compris de l'État, bien avant la décentralisation. Il y a eu dans cet aménagement la création, ex nihilo, de grandes stations comme la Grande Motte. Je ne précise pas davantage. Pour la côte aquitaine, le sujet était un peu différent. Peut-être à cause de la différence de climat, la pression touristique sur ce territoire était un peu moindre. Ce n'est qu'en 1967 que la mission interministérielle fut créée, en fait à la fin de 1969, au moment où Jacques Chaban-Delmas, ce n'était pas tout à fait un hasard, était devenu Premier ministre. C'était le Premier ministre, au travers de la DATAR, qui exerçait la tutelle sur ces missions. La MIACA était alors présidée par Emile Biasini que, sans doute, certains d'entre vous ont connu. On créait en même temps une Organisation d'Études et d'Aménagement pour une Aire Métropolitaine (OREAM) car la DATAR demandait à l'OREAM, que j'avais été chargé de diriger, d'être aussi la tête pensante de la MIACA. Elle était à sa disposition en priorité pour l'aménagement de la côte aquitaine qui était la plus grande urgence, sachant que, par ailleurs, on y élaborait les chemins d'aménagement de ce qu'on appelait une métropole d'équilibre à l'époque, en l'occurrence celle de Bordeaux. Certains ont connu ce genre de concept dans d'autres régions. Pour la côte aquitaine, que fallait-il faire il y a 40 ans ? En fait, le tourisme existait déjà sous une forme élitiste à Arcachon et sur la côte basque depuis le Second Empire puisqu' Eugénie, l'impératrice, aimait bien ces sites qui devaient lui rappeler son pays. En sus de cette clientèle de haut niveau, peu à peu, comme partout ailleurs se développait très progressivement le tourisme de masse avec les congés payés. Les conséquences en étaient le risque 1 La mission interministérielle d'aménagement touristique du littoral du Languedoc-Roussillon est une structure administrative française créée en 1963 par l'État pour conduire de grands travaux d'infrastructure en vue de développer le littoral de la Méditerranée dans les départements du Gard, de l'Hérault, de l'Aude et des Pyrénées-Orientales. Cette mission était rattachée à la Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale (DATAR). Son dirigeant était Pierre Racine. « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 72 d'éparpillement de l'habitat un peu n'importe où, l'absence d'équipement, puisque personne ne se sentait responsable de les apporter, et les menaces de destruction du paysage qui pourraient être irrémédiables, comme on l'a vu sur d'autres côtes, dont on ne s'est pas préoccupé assez tôt. Il y avait aussi une raison qui n'apparaissait peut-être pas au premier abord, la protection de l'ensemble du massif forestier des Landes qui donne faussement l'impression de quelque chose de solide, qui serait là depuis des millénaires. Ce n'est pas du tout le cas. Certains savent peut-être que ce qui constitue la forêt landaise était un territoire très fragile, très mobile. Les vents parfois très violents sur la côte poussaient les dunes, créant un territoire instable et en même temps très marécageux en beaucoup d'endroits. Par les pèlerins de Saint-Jacques de Compostelle, on a des témoignages remontant au moins au XIIè siècle, ce pays était extrêmement dangereux parce qu'il était mouvant et qu'évidemment s'y étaient installés des marginaux qui attaquaient parfois les voyageurs. Ce n'est qu'à la fin du XVIIIè siècle qu'un ingénieur des Ponts, Brémontier, eut l'idée ­ et l'appliqua jusque vers 1810 ­ de fixer la dune sur le littoral d'abord puis de planter des pins sur l'ensemble de ce territoire. Cela explique l'uniformité de cette forêt mais la fragilité du substrat est restée. Donc, il fallait faire quelque chose. Vous allez comprendre assez vite. Quelquefois je me dis : « je raconte tout cela, alors que ces idées, notamment de protection de l'environnement, de hor s-sér ie - juillet 2012 lutte contre les diverses attaques par l'homme sont devenues la tarte à la crème d'aujourd'hui, où l'on se préoccupe davantage d'environnement, de développement durable, etc. Mais est-ce si évident ? ». Je vais vous rappeler ce qui était plus novateur à l'époque. Le schéma général d'aménagement était basé sur 3 principes : Empêcher la construction sur une grande partie du littoral, partout où il y avait la possibilité de ne pas construire et de conserver le littoral en l'état, en maintenant les quelques maisons qui pouvaient déjà y exister. Il fallait imiter l'urbanisation à quelques espaces et surtout greffer les extensions sur l'existant. Contrairement au Languedoc-Roussillon, il ne s'agissait absolument pas de créer des urbanisations nouvelles de grandes stations exnihilo. Cadrer ces extensions : même là où on admettait qu'il fallait urbaniser car il fallait bien recevoir les touristes, protéger au maximum en faisant des coupures à l'intérieur même des stations, protéger la nature, diversifier les hébergements parce qu'il y avait surtout des résidences secondaires et, spontanément, des lotissements sauvages qui s'étaient créés n'importe où dans la forêt, sans assainissement, sans rien, tout comme des campings, c'est-à-dire le degré zéro du tourisme à l'époque. Conforter cet espace en le dotant d'équipements touristiques beaucoup plus importants de sorte que les touristes ne se contentent pas d'aller sur la plage quand il fait beau. La partie nord du schéma d'aménagement correspond à la Gironde de la pointe de l'estuaire jusqu'au bassin d'Arcachon et la partie sud au littoral landais vers les étangs de Biscarosse et de Cazaux jusqu'à l'embouchure de l'Adour près de Bayonne. Comme on le voit dans les deux schémas, la côte a été divisée en des parties réservées strictement à des secteurs d'équilibre naturel et en des secteurs appelés unités principales d'aménagement, encore une fois greffées sur l'existant. Sur le premier schéma, on aperçoit 3 unités dans le Médoc, 3 autour du bassin d'Arcachon et 3 dans les Landes. Une fois ce schéma fait, on a réuni des équipes d'architectes pour que chacune des unités d'aménagement fît l'objet d'un schéma particulier, évidemment en rapport avec ce qu'on pouvait espérer en capacités d'hébergement et pour rendre effective la défense de la nature et de l'environnement. Ces équipes devaient comporter systématiquement des architectes et des urbanistes du cru, même quand elles étaient dirigées par un grand nom de l'architecture, car il nous paraissait important dans un contexte régional déterminé et un milieu naturel un peu spécial, que ces équipes ressentent et expriment cette sensibilité particulière au pays. On définissait, cela vous paraîtra trivial, des capacités d'hébergement à l'horizon de 15 ans. On s'était fixé l'échéance de 1980, en répartissant dans les différentes formes d'hébergement, leur localisation et les équipements qui comprenaient la protection et la mise en valeur des pay- l « pour mémoire » 73 et la forêt de protection qui est juste derrière. La forêt peut être complètement désarticulée par le vent marin, très fort à certaines époques. Lorsque le sol est piétiné, elle est mise en danger assez vite. Il fallait donc trouver des lieux pour garer les voitures, sans les placer n'importe où dans la forêt, et faire des cheminements y compris jusqu'à la plage, sur des caillebotis ; tout cela est banal mais nécessaire. Ces schémas étaient faits pour être approuvés en 1972. En fait, ils ont eu plusieurs vocations. L'une d'entre elles a consisté à donner la possibilité de les protéger, y compris sur un plan juridique, pour maintenir leurs prescriptions dans la durée et permettre leur réalisation. Ces schémas, déclarés directives nationales d'aménagement, avaient une valeur urbanistique, d'après la loi foncière de 1967, et s'imposaient aux documents d'urbanisme de l'époque. Je n'ai pas le temps de parler du lancement des opérations, ce qui n'était pas dans ma responsabilité. Les schémas définissaient la façon selon laquelle il fallait négocier avec les opérateurs privés ou semi-publics. Il y avait des actions transversales classiques. On pratiquait une politique de protection foncière car le risque dans tout aménagement, urbain ou non, est que la spéculation vienne contrarier, à cause des pressions de toute nature, la possibilité, y compris financière, de faire les opérations. On utilisait les armes disponibles à l'époque: les zones d'aménagement différées permettaient de préempter les terrains au prix antérieur à « pour mémoire » l'aménagement et d'acheter des terrains dans les territoires exposés. La MIACA fut prolongée en 1976 jusqu'à 1981, je crois. Elle avait été reçue assez fraîchement par les élus, toujours un peu jaloux de leurs prérogatives et de leurs possibilités de faire plaisir pour un permis de construire. Grâce au débat et à la publicité qui en a été faite, une grande campagne de communication permit de se rendre compte que, au bout de 10 ou 15 ans de travail, il y avait une demande des élus locaux pour que l'opération continue. Comme la décentralisation est arrivée en 1982-1983, les moyens de l'État n'étaient plus les mêmes, ni sa politique d'intervention. Mais on se rend compte, que ce qui avait présidé à la politique équilibrée d'aménagement que j'ai essayé de décrire dans ses grandes lignes a subsisté par la suite. Pour l'illustrer, le mieux est encore d'aller sur place. Après coup, le résultat est assez sympathique, quel que soit le lieu où vous irez. sages et notamment celle des espaces les plus délicats comme la dune côtière l hor s-sér ie -juillet 2012 74 éclairages et témoignages Les premières stations balnéaires en Europe Par Christian-Noël Queffélec Architecte - Ingénieur Général Hastings en 1910 le bord de mer Les études archéologiques et les textes montrent que l'idée même de ville balnéaire est fort ancienne. La ville Edipsos en Eubée (ville grecque de la mer Egée) était un lieu de plaisance autant qu'une station médicale. Les plus riches et les plus puissants des grecs considéraient qu'il était de bon ton d'y avoir une villa et ils rivalisaient entre eux à qui déploierait le plus de luxe et de goût pour son installation. hor s-sér ie - juillet 2012 Les Romains également, raffolaient des criques de la Méditerranée. Strabon qui écrivit une géographie de l'Italie à l'époque d'Auguste et de Tibère, observait que la frange côtière, du cap Misène (près de Naples) jusqu'au promontoire des Sirènes (face à Capri) - soit une cinquantaine de kilomètres - était totalement urbanisée. Il notait que les résidences et les jardins offraient une vision d'une cité ininterrompue. Auguste avait fait de Capri sa résidence personnelle, Tibère s'y installa à demeure à la fin de son règne. Mais ce mode de vie ne résista pas à la chute de l'empire. Les villas furent abandonnées. Il fallut attendre le XVIe siècle pour que le littoral soit l'objet d'une nouvelle considération. l « pour mémoire » 75 Les stations balnéaires en Angleterre Site thermale et site balnéaire : des lieux de thérapie En Angleterre, l'utilisation de l'eau à des fins thérapeutiques n'était pas nouvelle. Au Moyen Age, il était courant de partir en voyage pour aller chercher la guérison en des centres religieux, où l'eau jouait un rôle. La suppression des monastères dans les années 1530 mit rapidement fin à ces pratiques, du moins ouvertement, et dans une ville comme Bath, les sources existantes furent davantage associées aux cures laïques. Dans les années 1630, on découvrit des sources d'eau minérales à Tunbridge Wells, à Epsom, à Harrogate, et surtout à Scarborough sur la côte du Yorkshire ; ces villes constituèrent, avec Bath, les principales stations thermales de l'Angleterre du XVIIe siècle. Depuis le milieu du XVIe siècle, de nombreux médecins s'intéressèrent à l'action des bains froids sur la santé et au début du XVIIIe siècle, la pratique de la mer tant pour le plaisir que pour des raisons de santé1 était largement répandue et la plupart des côtes servaient à ces pratiques occasionnelles. La découverte d'une source d'eau minérale à Scarborough, conduisit à la création d'une station thermale, qui attira certains des membres les plus riches de la société du nord de l'Angleterre. Scarborough fit l'objet du tout premier guide de bord de mer, publié en 1734, dans lequel figurait une gravure montrant des gens se baignant pour la première fois dans la mer, certains à partir d'une cabine de bain roulante, bathingmachine2 . Vers le milieu du XVIIIe siècle, de nouvelles stations se créèrent sur le littoral. La plupart des nouvelles stations se développèrent dans le sud-est de l'Angleterre, profitant de la proximité de Londres. Au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle, les vacanciers séjournaient sur la côte du Kent à Ramsgate, à Douvres, à Folkestone et à Deal, et dans le Sussex à Hastings, Seahouses près d'Eastbourne et Worthing. Dans l'East Anglia (au nord de Londres), le petit hameau rural d'Old South End se transforma en station balnéaire. On peut aussi mentionner Great Yarmouth, dont les premiers bains furent construits sur la plage en 1759 pour un coût de 2 000 livres, investissement considérable pour l'époque. Dans le sud-ouest, plusieurs stations prospèrent dans le voisinage de Bath. En 1748, Weymouth se dota d'un établissement de bain, Teignmouth attira également des visiteurs et Exmouth reçut des habitants d'Exeter soucieux de soigner leur santé. Les stations balnéaires furent moins nombreuses dans le nord de l'Angleterre. Néanmoins, un établissement de bains est mentionné à Liverpool en 1708, sur la côte Est, près de Scarborough, à Whitby. Plus haut, sur la côte du Lancashire, Blackpool était encore un modeste hameau lorsqu'arrivèrent les premiers baigneurs en 1750. Le logement, équipements de loisirs et phase de développement Les tout premiers visiteurs devaient se loger chez l'habitant. A partir du milieu du XVIIIe siècle, on commença à construire des maisons individuelles plus grandes et plus confortables, avec des chambres supplémentaires permettant d'accueillir des visiteurs pendant l'été. 1 Ce fut le docteur Russel qui allait asseoir définitivement les vertus de l'eau froide et salée. Il publia, en 1750, A Dissertation on the Use of Seawater in the Diseases of the Glands. Russel ne faisait que redécouvrir d'anciens préceptes, dans L'Usage des Liquides, Hippocrate recommandait l'eau de mer pour les irritations de la peau. Pline l'Ancien fournissait dans son Histoire naturelle une recette pour une purge idéale : un tiers d'eau de mer, un tiers d'eau de pluie, un tiers de miel. Et Avicenne recommandait de se laver les dents à l'écume... Russel fut suivit de peu par l'écrivain britannique Tobias George Smollett (1721-1771), qui rédigea, en 1752, An Essay on the External Use of Water [...] with Particular Remarks upon the Present Method of Using the Mineral Wasters at Bath in Somersetshire, and a Plan for Rendering Them More Safe, Agreable and Efficacious. 2 Cette bathing machine est un dispositif inventé pour pénétrer dans la mer, à bonne hauteur, sans être vus des importuns. Il s'agissait d'un chariot tiré par des chevaux qui se présentait sous la forme d'une cabine posée sur quatre roues, dont la porte d'accès se trouvait à l'arrière, à l'opposé du siège avant réservé au conducteur. Une fois arrivée à un endroit ou la hauteur de l'eau était de l'ordre du mètre, la roulotte était disposée, l'arrière vers le large. On descendait alors une large capote en demi-cercle, allant jusqu'à l'eau ; on plaçait une échelle descendant de la plateforme du véhicule jusqu'au sol. Le baigneur utilisait ce chemin pour se plonger dans la mer ou bien se laisser porter par un assistant, le maître baigneur. Ce dispositif inventé par Benjamin Beatle apparait sur un dessin de Margate, datant de 1753 attribué à James Theobald. En 1810, la ville devait disposer d'une quarantaine de ces machines. « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 76 En 1769 commença une nouvelle étape dans l'essor des stations balnéaires anglaises. Elle fut marquée par la construction de Cecil Square à Margate sous la direction d'une association de propriétaires fonciers et d'hommes d'affaires. Cette nouvelle place, située en dehors du centre historique, établie en 1769 par « Mr Cecil, sir John Shaw, sir Edward Hales et quelques autres gentlemen » comprenait des bâtiments formés de grandes maisons familiales où devaient être hébergés des visiteurs durant l'été. S'y ajoutaient une rangée de magasins et une salle de fêtes construite sur mesure, ainsi qu'une bibliothèque de prêt, établie devant Fox's Tavern. Quelques années plus tard, tout près de Cecil Square, sir Henry Hawley créa Hawley Square. Achevée avant la fin des années 1780, cette place réunissait des maisons, une grande bibliothèque de prêt et un théâtre. Cette première génération de stations côtières connut un essor rapide durant les trente dernières années du XVIII e siècle. Au début du XIXe siècle, certaines stations s'agrandirent au même rythme que les nouvelles villes industrielles. En 1837, année de l'accession de la reine Victoria au trône, l'Angleterre disposait de toute une série de stations grandes ou petites, qui accueillaient des dizaines de milliers de visiteurs. Elles pouvaient s'enorgueillir de leurs bathing machines, de leurs salles de fêtes, de leurs théâtres, de leurs bibliothèques de prêt ainsi que de longues rangées de pensions de famille. hor s-sér ie - juillet 2012 L'exemple particulier de Brighton Brighton, avec sa plage bien orientée au sud, ponctuée par des célèbres pontons (piers) et bordée d'une large promenade, son élégante architecture géorgienne, regency et victorienne, les ruelles tortueuses de son quartier de pêcheurs contrastant avec les espaces verts et les allées généreusement fleuries devint le symbole et la reine des stations balnéaires anglaises. Elle fut lancée, au milieu du XVIIIe siècle, par le docteur Richard Russel qui vanta les bienfaits des bains de mer et l'absorption d'eau salée. Elle prit de l'importance, grâce au prince de Galles qui s'attacha à ce qui était autrefois un vieux village de pêcheurs, tombé en désuétude, du nom de Brighthelmstone. Le prince de Galles, futur George IV (1762-1830) séjourna à Brighton, apprécia le lieu et s'y implanta, entrainant avec lui bon nombre de serviteurs et de courtisans. L'intérêt manifesté pour ces nouveaux lieux tenait tout autant à la recherche d'un cadre de vie nouveau, différents des lieux traditionnels à la mode, comme Bath. En 1783, on organisa à Brighton des réunions hippiques. Le prince de Galles trouvait là un moyen d'échapper à ses créanciers qui assaillaient son palais du Carlton House à Londres. Une ancienne ferme en bord de mer lui servit de demeure. L'intervention de John Nash la transforma en Royal Pavilion, un symbole durable de l'architecture balnéaire. Nash, dont l'épouse était la maîtresse du prince, bâtit un pastiche du Taj Mahal. Le Pavillon Royal, cet édifice à l'orientale, tout de stuc et de pierre, reflétait l'éclatante personnalité de George. L'appel à John Nash et à Le Royal Pavillon à Brighton en 1902 l « pour mémoire » 77 des décorateurs de goût, permirent de créer un décor flamboyant unique pour les extravagantes festivités de cette véritable cour balnéaire, symbole de l'époque régence. Le pavillon, avec sa silhouette extraordinaire, toute de dômes bulbeux, de pinacles, de tourelles et de flèches, était une libre interprétation de l'architecture indienne, style auquel on donna le nom de gothique indien. A l'intérieur, toutes les pièces furent somptueusement décorées et meublées avec un style chinois dominant. Les visiteurs de l'époque ne manquèrent pas de se moquer de ce bâtiment. William Hazlitt y voyait des citrouilles et des boîtes à poivre, Cobbett, un assemblage de bulbes de tulipes et de navets. A partir des années 1820, allait se constituer un front continu en bord de mer. L'ensemble le plus ancien, le Royal Crescent (1798-1807) est caractérisé par des ardoises noires disposées de façon géométrique. Puis Thomas Read Kem lança, en 1823, la construction d'un grand lotissement sur ses terrains à l'est de la ville, inspiré par le travail de John Nash à Regent's Park ; les travaux s'étalèrent sur les deux décennies suivantes. A l'extrémité ouest, à Hove, Brunswick Town se construisit à partir de 1825, sur des terrains appartenant à la famille Scutt. Kemp Town et Brunswick Town, banlieues de Brighton, disposèrent de grandes places construites sur trois côtés, les extrémités ouvertes de la place étant reliées par une rue en arc de cercle. Brunswick Square (1825-1827) est remarquable par ses stucs, ses bow-windows, ses détails classiques et son élégante ornementation de fer forgé ouvragé. A l'extrémité Est, Lewes Crescent/Sussex Square, le coeur de Kemp Town, fruit des ambitions de Thomas Reid Kemp, est un ensemble grandiose. Sur ce front de mer, l'architecture victorienne vint mettre sa touche avec le Grand Hôtel et l'hôtel Métropole. Brighton possède un front de mer particulièrement étendu. Marine Parade part de Kemp Town à l'Est et se prolonge sous le nom de King's Road à l'Ouest jusqu'à Adélaïde Crescent, ce qui constitue une magnifique façade de plus de 2 1/2 miles, défendue par un mur contre la violence des vagues. Elle se prolonge jusqu'à la mer grâce au West Pier (construite en 1822 par Sir S. Brown et prolongée en 1866), et le Palace Pier, une jetée plus récente, longue de 500 mètres et à l'extrémité de laquelle s'élevait un élégant pavillon où se donnaient des représentations variées. Le Sea Life Center se dresse non loin du Palace Pier, point de rencontre des promenades supérieures et inférieures. Dans un aquarium en voûte, d'époque victorienne, le plus grand du monde à son inauguration (1872), on pouvait observer la vie sousmarine sous toutes ses formes, et de très près, on pouvait aussi se promener dans un impressionnant tunnel transparent au-dessus duquel évoluaient requins, pastenagues et anguilles de roche. Dès les années 1840, la compagnie de chemin de fer London, Brighton et South Coast, permit à un nombre sans cesse croissant de vacanciers de toutes classes sociales de se rendre à Brighton devenue véritable « Londres-sur-Mer ». D'autres sites connurent des destins analogues : Eastbourne, bien abrité par les South Downs la péninsule de Thanet, à l'est de la capitale, riche de ces trois stations majeures que furent Broadstairs, Margate et Ramsgate. enfin l'île de Wight connut un début de notoriété dès les années 1830 avec la reine Victoria, qui fuyait l'affluence de Brighton y trouva, pour quelque temps au moins, refuge. « pour mémoire » Le front de mer et le Brighton Hôtel l hor s-sér ie -juillet 2012 78 Les rivages de la mer du Nord Après l'Angleterre, la mode des bains de mer se répandit sur les rivages de la mer du Nord. Les fondateurs des établissements furent, bien souvent, des praticiens ayant fait leur apprentissage à Brighton ou à Scarborough. Avant la fin du XVIIIe siècle, il existait déjà une concurrence sévère entre les villes de Doberan et de Nordeney. Dans une analyse de climatologie comparée, il ressortait que la Baltique, aux marées moins marquées, aux vents moins violents, convenait aux complexions plus fragiles, tandis que la mer du Nord, plus agitée, était à conseiller aux tempéraments robustes. Parmi les foyers qui apparaissent à cette époque sur la côte, jusqu'à la frontière française, figuraient Scheveningen et Ostende. Scheveningen était fréquentée depuis longtemps - Voltaire et Diderot la mentionnaient et, avant eux, des voyageurs anglais dans leur Grand Tour. Ils venaient admirer la façon dont les Hollandais avaient su prospérer à l'abri de leurs formidables digues. d'une vocation balnéaire se confirma au XIXe siècle, entretenue par une clientèle d'anglais qui venaient visiter le site de la bataille de Waterloo. Le consul d'Angleterre fit construire un des premiers bâtiments sur la digue, le Pavillon Anglais. Dès 1834, la famille royale manifesta son intérêt pour la station balnéaire ; le roi Léopold Ier y séjournait. La villégiature royale fit rapidement d'Ostende un endroit à la mode pour la noblesse et la haute bourgeoisie. En 1839, Ostende fut reliée à la capitale par voie de chemin de fer et en 1846, on inaugura la malle Ostende-Douvres. L'architecte Henri Beyaert construisit en 1850 le premier Casino-Kursaal d'Ostende ; le bâtiment était en bois car, comme tous les bâtiments de la digue, il devait pouvoir être démoli rapidement en cas de guerre. En 1865, la ville d'Ostende fut démilitarisée ; une fois les fortifications démolies, la ville se développa rapidement. Ostende fut la résidence d'été du roi Léopold II. Féru d'urbanisme, le roi marqua la ville de son empreinte. Elle était le second port de Belgique, le lieu d'un trafic de voyageurs extrêmement important entre le continent et l'Angleterre. Comme infrastructures importantes, elle possédait en premier lieu une très grande digue, construite en blocs de pierre, de près de deux kilomètres de long sur dix mètres de haut et trente mètres de large, en comptant le chemin des voitures. Elle était bordée de grandes constructions neuves dont des hôtels et des villas. La principale était le Kursaal, bâti de 1876 à 1878, sur les plans de Naert, architecte de Bruxelles. La digue se prolongeait au-delà du palais du Roi, édifice dans le style des chalets, Ostende (ou Oostende en néerlandais) Au XVIIIe siècle, la mode des bains de mer, qui s'était développée en Angleterre, gagna la Belgique. Le début La plage et le Kursaal à Ostende hor s-sér ie - juillet 2012 l « pour mémoire » 79 jusqu'au fort Wellington, non loin de l'hippodrome Wellington, qui venait d'être aménagé. La seconde infrastructure structurante se trouvait être l'estacade, au N-E de la digue, composée de deux longues jetées protégeant l'entrée du port et s'avançant au loin dans la mer. Au-delà de l'entrée du port et du bassin de chasse, fut implanté le nouveau phare, haut de 57 mètres, qui permettait de voir à dix lieues du côté de la mer. Ostende était une des villes balnéaires les plus importantes de l'Europe. La saison allait du 1er juin au 15 octobre. Le nombre des étrangers qui fréquentaient la station s'élevait à plus de 12 000 chaque saison. Cette activité se concrétisait par un nombre conséquent d'hôtels, présents sur la digue ou répartis dans la ville. A l'intérieur de la ville, ils étaient aussi très présents, et leur nom faisait référence aux grands personnages publics, ainsi qu'aux contrées proches ou lointaines des estivants. Tous les hôtels de la digue et beaucoup de ceux de la ville restaient fermés en dehors de la saison. Il s'était aussi développé une pratique de la location dans des hôtels garnis ou des appartements meublés, qui trouvèrent place près de la digue et dans la ville. La pratique du bain de mer restait une pratique téméraire ; on pouvait également faire des promenades en bateau ; il en coûtait un peu. D'autres amusements étaient prévus : ânes et poneys, à l'extrémité sud de la digue ; courses à l'hippodrome Wellington, plusieurs fois dans la saison. Mais la plus simple des distractions consistait à jouir du paysage « pour mémoire » Les chariots en bord de mer à Ostende Le ManuelduVoyageurde Baedeker, de 1885, décrivit avec précision les habitudes en matière de bain de mer, pratique hautement codifiée. « On se baigne de 7 heures du matin à 7 heures du soir. On se procure les cartes nécessaires au bureau sur la plage. Un coupon donnant droit à une cabine (pas plus de 40 minutes), y compris le costume et deux serviettes, un franc, deux serviettes en plus, 20 centimes. On paie 50 centimes pour les enfants en dessous de 6 ans. Les baigneurs font bien d'avoir leur propre costume (5 francs et dessus dans la plupart des magasins de la rue de Flandres) quoiqu'il faille payer autant pour le faire garder que pour en louer un, car celui qu'on vous donne n'est pas toujours bon. Le baigneur ou la baigneuse, dont on peut très bien se passer, se paie 50 centimes. On donne cinq centimes au conducteur et autant à la personne qui nettoie la cabine ». Apparemment, il était impossible de s'affranchir d'un certain nombre de rites, dont le plus étonnant restait l'usage de ces cabines roulantes. Les deux sexes se baignent en commun, en costume complet. « On prend une carte et son costume et l'on monte dans la première cabine venue. Aussitôt un cheval s'y attelle pour vous conduire dans la mer, et le conducteur frappe un coup de manche de son fouet sur la cabine, pour vous avertir de vous asseoir, parce qu'on va partir. En sortant de la cabine pour entrer dans l'eau, on en remarquera bien le numéro pour n'avoir pas à la chercher trop longtemps au retour. A la partie antérieure de la cabine se trouve un cordon que l'on tire, lorsqu'on désire être ramené à terre. Il faut avoir soin de tourner le dos aux vagues qui déferlent ; avec un peu d'exercice on n'aura plus de peine à résister aux assauts de la lame. Si les vagues sont faibles ou font tout à fait défaut, on peut se faire donner des douches par le baigneur, c'est-à-dire se faire jeter de l'eau de mer par un baquet ». « Quant à la durée des bains, il serait difficile d'établir des règles absolues. La règle des Anglais, qui font autorité en matière de bains de mer, est : « three dips and out », trois plongeons et sortir ; toutefois on pourra fort bien, suivant sa constitution, rester 2, 4 et même 10 minutes dans l'eau. L'essentiel est de ne pas attendre, pour sortir, un second frisson ». l hor s-sér ie -juillet 2012 80 de la mer et de la foule, sur l'espace urbain majeur de la ville : la digue. Pour une clientèle mondaine, il y avait bien sûr le Kursaal et le Casino. Des restaurants, « Le premier est le Kursaal, qui comprend en outre un café et un cabinet de lecture, avec une grande salle où l'on peut mettre environ 400 tables et que l'on ferme au besoin avec des châssis vitrés. Il y a deux étages de galeries qui offrent la vue la plus étendues sur la mer et sur la terre ferme. Le Kursaal est le rendez-vous du monde élégant des bains et n'est ouvert qu'aux abonnés. Abonnement valable aussi pour le Casino ». La ville, qui connaissait une étonnante réussite, continua à s'étendre. En 1905, d'importants travaux furent entrepris à Ostende, dont l'église Saints Pierre et Paul, le théâtre, le bâtiment de la Poste, le pont Comte de Smet de Naeyer et les Galeries royales. D'autres exemples similaires pourraient être donnés : Blankenberghe (située à une dizaine de kilomètres de Bruges et une quinzaine d'Ostende) et à quelques kilomètres à l'est, Heyst, ou enfin Scheveningen, située sur la mer du Nord, à quatre à cinq kilomètres de La Haye. Dieppe l'hôtel Royal et le casino Dieppe, première station balnéaire Le modèle anglais Installée à l'embouchure de l'Arques, sur un amas de galets encadré par deux falaises, Dieppe (du mot norrois, la langue des Vikings, djepp, « profond ») hor s-sér ie - juillet 2012 dut son développement aux relations tumultueuses avec l'Angleterre 3 . La cité était une étape incontournable entre Londres et Paris, combinant, à partir de 1848, bateaux à vapeur et chemin de fer. La ville put alors bénéficier de l'installation d'une colonie anglaise qui contribua à l'éclosion, tout au long du XIXe siècle et de la Belle Époque, d'activités nouvelles, tels que les bains de mer, les courses de chevaux, le golf ou encore le football. thermales. Séduits par la réussite cet établissement, en 1776, Louis Laurence et Pierre Grieu dotèrent la ville de Dieppe d'une Maison de santé en s'appuyant sur les théories médicales prônées en France par les docteurs Maret en 1769 et Pecq de la Clôture en 1770. Cet éphémère mais luxueux établissement médical pratiquait les bains de baignoire ou dans la mer « à la lame », où les baigneurs Sans rappeler tous les événements historiques importants, on peut citer le départ de Guillaume, quatrième duc de Normandie, pour l'Angleterre en 1066, la conquête du port de Southampton par les Dieppois en 1339, la chute de la ville aux mains des Anglais, en 1420, après Azincourt, la « Grande Bombarderie » en 1694, par une flotte anglo-hollandaise la détruisit presque entièrement. Louis XIV ordonna sa reconstruction, confiée à l'architecte Ventabren, sur les plans de Vauban. Après la période napoléonienne, en 1815, la période redevint favorable à des échanges pacifiques avec l'Angleterre. La liaison transmanche, créée en 1763 entre Dieppe et Brighton puis Newhaven, reprit son essor. 3 Les établissements de bains de mer En 1754, un pavillon de santé avait été implanté à Brighton, conçu selon le modèle en vigueur dans les stations l « pour mémoire » 81 étaient portés dans l'eau et maintenus dans les vagues par de solides gaillards. Premier de ce type en France, il marqua la naissance de la balnéothérapie. De manière plus modeste, le Dieppois JeanBaptiste Deparis, installa, en 1809, six baignoires dans un hangar de chantier naval. En 1821, son établissement abritait un salon, des cabinets avec baignoires recueillant de l'eau de mer froide ou chaude, des douches, quatre voitures pour les bains de mer, un « pont volant » en planches et trente-cinq tentes. Les premiers établissements de bains présentaient une architecture de bois assez simple, voire rudimentaire comme les bains ouverts en 1815 à Pourvillesur-Mer, bien vite la construction de bâtiments esthétiquement plus élégants et plus confortables s'avéra incontournable. En 1822, les bains froids de Dieppe, dont l'architecte fut Pierre Chatelain, associait des activités balnéaires et des activités ludiques. Il est resté dans l'Histoire comme un des premiers archétypes avec sa galerie, reliant des pavillons couverts de toits terrasses et son jardin à l'anglaise. Son programme comportait des salons dévolus aux plaisirs dit de société (lecture, billard, musique), un restaurant, des espaces de soins. Un hôtel de voyageurs bâti en 1821 en bordure de la ville lui était attaché. Il mêlait également des salles à fonctions thérapeutique (bains chauds et froids) et des lieux de réjouissances (bals, concerts, spectacles). comme une partie de plaisir ; ils privilégiaient le choc du contact avec l'élément liquide. Dieppe fut le pionnier avec des pratiques de ce genre dès le Premier Empire ; elles furent poursuivies sous la Restauration avec l'avantage d'attirer à chaque fois une société choisie, famille impériale puis famille royale, autour desquelles gravitaient des membres de l'aristocratie et de la grande bourgeoisie. La proximité des côtes anglaises favorisa ce développement, mais la guerre et le blocus provoquèrent un recul de cette venue. L'aristocratie française se détourna du lieu. Il fallut attendre 1848, avec l'ouverture le 29 juillet de la ligne ParisDieppe, enfin achevée, pour voir venir une nouvelle clientèle : la bourgeoisie et d'artistes attirés par la beauté des paysages maritimes, à l'exemple des impressionnistes, avant que le développement des pratiques sportives et la démocratisation des loisirs balnéaires après la guerre de 1914-1918 n'entrainent l'apparition de nouvelles catégories de populations. varech ; on exploitait parcs à huitres et poissons. Au XVIIIe siècle, des chantiers de construction navale et des corderies s'y installèrent. Au siècle suivant, le ramassage des galets, utilisés notamment pour le broyage des matériaux, alimenta toute une industrie jusqu'à son interdiction en 1985, édictée pour protéger le littoral de l'érosion. Toutes ces fonctions n'allaient pas s'opposer au développement, au XIXe siècle, des activités de baignade. La disparition des fortifications dans les années 1830-1840 permit à la ville de s'ouvrir et de se tourner vers la mer, en offrant au regard un nouveau front bâti composé d'hôtels et de villas. Sous l'impulsion de Napoléon III, les chantiers navals et les pâtures laissent place à un jardin à l'anglaise en 1853. Un boulevard fut aménagé le long de la plage en 1901. Dieppe au début du XXe siècle En 1904, Dieppe était à la fois une cité industrielle, un port important de pêche et de commerce reliés par des services quotidiens de paquebots aux côtes de l'Angleterre. Située sur la Manche, à l'embouchure de la rivière d'Arques entre deux rangs de hautes falaises blanches, elle comprenait deux parties distinctes, d'une part le port et le faubourg du Pollet, d'autre part la ville proprement dite, agglomérée entre les bassins, les hauteurs du château et la rue Aguado. Le front de mer et le quartier situé en bas du château avaient été fortement modifiés. A côté de l'hôtel de ville, de construction récente, se trouvait l'établissement de bains chauds d'eau de mer et d'eau douce, avec hydrothérapie « pour mémoire » La ville et ses équipements Les premières évolutions du bord de mer Au-delà de l'enceinte urbaine, les terrains bordant la mer constituaient, en temps de paix, un lieu d'activités artisanales. La zone littorale resta placée sous contrôle militaire jusqu'en 1898 ; des activités traditionnelles y étaient tolérées. Les troupeaux y paissaient ; les lavandières étendaient leur linge sur les galets ; on y pratiquait la pêche à pied ; on récoltait le La clientèle Les bains de mer furent pratiqués à des fins thérapeutiques dès la fin du XVIe siècle. Ils n'étaient pas considérés l hor s-sér ie -juillet 2012 82 et piscine, dépendant du Casino, un bâtiment en briques. Il bordait la place SaintSaëns, sur laquelle se trouvait le théâtre récemment restauré et transformé avec goût, avec sa façade principale, en style Louis XV, donnant sur la plage, face au Casino. La rue de Sygogne avec la partie de la ville située en bas du château formait un quartier neuf composé de beaux hôtels particuliers et des villas. La plage se composait non seulement de la bordure de galet et de sable que la mer laissait à découvert deux fois par jour, mais aussi tout le vaste espace gazonné. Tout le long de la plage, du Casino à la jetée, courait le boulevard Maritime, composé d'une chaussée large de 9 mètres et d'un trottoir de 8 mètres. Ce trottoir, formé de carreaux d'asphalte était bordé du côté de la grève d'une main courante entrecoupée de rotondes qui accueillaient des bancs. La rue Aguado, qui constituait le fond de la plage, était bordée par de belles constructions, de grands hôtels (l'hôtel Royal) et par la Manufacture des tabacs. Outre ces deux édifices on remarquait, en allant de la jetée au Casino, le somptueux hôtel du prince Stourdza, en style Renaissance, et à côté la maison Graillon, petit hôtel en briques avec de charmantes sculptures, puis une villa de style mauresque, le Grand-Hôtel, le beau chalet normand Monplaisir, les hôtels des Étrangers, des Bains, de la Plage, du Rhin, la mairie, les Bains Chauds, la Porte d'Ouest, le théâtre et l'hôtel Français. Des fêtes étaient prévues à Dieppe pendant l'été : comice agricole et courses de comice, tir aux pigeons, concours de hor s-sér ie - juillet 2012 gymnastique, joutes du club nautique, grandes régates, concours de tir et grandes courses. Des trains spéciaux transportaient le public en face de l'hippodrome. En dépit des changements liés à l'usure du temps, les équipements caractéristiques de la ville balnéaire vont au cours des décennies garder leur fonction première. Aujourd'hui, les célèbres pelouses de Dieppe directement inspirées du jardin à l'anglaise de Napoléon III, accueillent de nombreuses manifestations. Le festival international du cerf-volant a trouvé là un espace idéal pour conquérir le ciel littoral tous les deux ans au mois d'août. Quelques enseignements De ces exemples, on voit poindre quelques règles. Ces lieux nouveaux qui connaissent une grande fortune naissent de deux pôles : une fonction utilitaire, le soin au corps, une fonction sociale, le besoin pour un groupe privilégié de se mettre à l'écart du monde dans un lieu spécifique sinon enchanteur. Mais chaque fois, sous l'effet de la vacuité, se recréent des lieux d'artifice, de rencontre et de plaisirs. Il n'est pas étonnant de retrouver des formes inhabituelles qui finissent par s'imposer comme des marqueurs d'un territoire, comme ces longues jetées, qui, outre leur fonction d'embarcadère, assurent une osmose avec la mer, comme ces casinos, usant des modèles de l'architecture traditionnelle de l'Inde, visant à plonger de visiteur dans une contrée inconnue. Les villes balnéaires du temps jadis nous font toujours rêver. l « pour mémoire » Illustrations fournies par C. Queffélec Table ronde 83 Rôle et poids du tourisme dans la vie des français et dans l'économie nationale Alain Monferrand La table ronde que je vais vous présenter regroupe Jacques Augustin, sous-directeur en charge du tourisme, l'ancien ministre Jacques Descamps, Paul Roll, directeur de l'Office du tourisme et des Congrès de Paris qui nous parlera du grand «Gateway» français et Philippe Moisset qui a exercé successivement les fonctions de directeur de la délégation aux investissements et aux produits puis du GIP-AFIT. Tout de suite, je voudrais demander à Jacques Augustin : « au fond, quelle est la politique pour le développement touristique à l'horizon 2020-2030 ? Vous êtes en charge de toutes les fonctions régaliennes de la politique du tourisme, comment voyez-vous son devenir et son organisation pour les prochaines années ? Jacques Augustin Depuis la loi sur le tourisme de 2009, l'État a pour mission de fixer le cadre de nos politiques touristiques de la France. Nous avons un opérateur qui est chargé de développer cela de manière très pratique, qui est notre nouvelle agence : Atout-France. Nous avons réfléchi sur ce que pourrait être ce cadre, à partir d'un constat statistique que tout le monde a en tête. La France est le premier pays visité au monde et, pourtant, nous sommes le troisième en matière de recettes après les États-Unis, pour des raisons qui sont liées strictement à la réalité nord-américaine, et après l'Espagne. Il est assez paradoxal de voir que, avec 52 millions de visiteurs, l'Espagne engrange 25% de recettes touristiques supplémentaires. Cela se vérifie en volume mais aussi en dépenses journalières : le touriste qui séjourne en Espagne dépense par nuit 77 et celui qui vient en France 62 . Le défi c'est que nous augmentions la dépense par visiteur. C'est bien d'être visité. Mais tout l'enjeu de la politique, à dix, vingt ou trente ans, c'est qu'on crée de la valeur ajoutée avec notre industrie touristique. A cette fin, nous avons balayé assez large et identifié deux étapes. A très court terme (deux à trois ans) il faut conduire une amélioration qualitative de notre offre, ce qui peut être assez rapidement mis en oeuvre, et à court et moyen terme, créer une nouvelle offre qui soit plus créatrice de valeur ajoutée. On s'est appuyés sur une étude très approfondie qui est sur le site du ministère et d'Atout-France. On y « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 84 compare l'Espagne et la France, pour voir où étaient les secteurs de l'activité touristique où l'Espagne crée de la valeur ajoutée et pourquoi nous en créions moins. A partir de là, on a identifié plusieurs axes d'action. A court terme, on a déjà engagé une amélioration qualitative en matière de classement des hébergements touristiques, ce qui a parfois pu défrayer un peu la chronique. Il s'agit de relancer, redynamiser, remuscler la démarche de qualité dans le tourisme. C'est le label national de la qualité de la prestation touristique, en parallèle avec la problématique des hébergements mais en couvrant tout le champ des activités touristiques (prestations, parcs...). Il faut aussi réfléchir pour faire en sorte que nos acteurs touristiques aient cette véritable formation. Il y a en particulier le problème spécifique de l'accueil, très prégnant. Pour le long terme, l'objectif de créer des axes forts de structuration d'une nouvelle offre touristique porteuse de valeur ajoutée. La ligne directrice est de faire séjourner les gens en France, indépendamment de leur transit sur le chemin d'autres destinations touristiques. Cet effet de transit sera toujours là, mais il faut que les gens qui nous traversent aient envie de rester, et que ceux qui avaient déjà envie de rester restent plus longtemps. L'idée est assez vite apparue qu'il fallait constituer des destinations à hor s-sér ie - juillet 2012 l'intérieur du territoire français, en sus de celles qui existent déjà, Paris, la Riviera, éventuellement le Mont Blanc. Ailleurs, c'est beaucoup moins constitué. Nous avons décidé de faire émerger d'autres destinations, avec comme espace pilote : «The Loire Valley», le Val de Loire, pour parler français. Une démarche a été engagée pour essayer au moins de coordonner toute l'offre de ce territoire dans un ensemble de destinations qui ne soit pas un agglomérat de produits touristiques disparates. Il s'agit d'inciter les acteurs territoriaux de la politique touristique à aller dans cette direction, bien entendu sans que l'État redevienne tout à coup girondin. Un deuxième axe consiste à développer les tourismes d'itinéraires : quand on pérégrine, on reste. De surcroît ce sont plutôt des catégories socioprofessionnelles aisées qui pratiquent ce genre d'activités, pas sous la forme de l'itinéraire pédestre, mais nous avons décidé de nous focaliser plutôt sur l'itinéraire à vélo. C'est toute la politique de la France à vélo que nous allons développer. Le troisième axe vise à relancer une politique de tourisme urbain en-dehors de Paris. Paris est magistralement administré en la matière. On n'en prendra que des leçons mais, partout ailleurs, c'est moins évident. Comme on l'a dit, on vient de plus en plus dans les pays pour voir les villes. On n'interdit pas les excursions à la campagne ou dans la périphérie de la ville, mais ce sont les villes qui sont les grands lieux de séjours touristiques, là où on trouve les hôtels. Pour constituer cette politique urbaine, nous avons à mener un travail de conceptualisation, avec notamment la conférence nationale permanente du tourisme urbain et l'association des villes d'art et d'histoire. Le quatrième axe est représenté par les politiques de croisière et de plaisance. Il y a des marges de progrès. Nous sommes en retard par rapport à nos amis espagnols alors qu'il n'y a aucune raison que nous soyons moins bons qu'eux en matière de croisière. Ce sont des stratégies à développer avec les villes portuaires et les opérateurs. Ainsi, Costa va lancer Le Havre comme terminal de croisière : 200 000 passagers vont embarquer au Havre sur six à huit mois. Comment fait-on pour acheminer 200 000 passagers de la région parisienne ou de Roissy au Havre ? Cette question n'est pas résolue quand on voit l'état de la gare Saint Lazare... En matière de navigation de plaisance, l'idée est de desserrer le goulot d'étranglement constitué par le manque d'anneaux, qui est un peu à relativiser, et surtout de favoriser le développement de la location comme premier stade de la pratique. Il faut surtout convaincre le plaisancier de débarquer, or un marin ne sort pas du port. De ce fait, nous avons appuyé la démarche Odyssea, un grand portail de géolocalisation qui permet au navigateur de savoir ce qu'il va trouver dans le port et, une fois qu'il y est, de visiter la périphérie, à charge pour le port labellisé Odyssea de mettre l « pour mémoire » 85 à sa disposition des moyens et des informations. Enfin, le tourisme d'affaires devrait se développer en région parisienne. C'est un point où nous sommes très forts mais où monte la concurrence. Comment relancer et réorganiser une offre du tourisme d'affaires qui soit un véritable produit d'appel ? On s'est rendu compte, par exemple, qu'on manquait de grands hôtels dotés de grandes salles de réunions. On peut réfléchir à des offres qui soient justement un conglomérat de petits hôtels autour de salles de réunion. Ce serait un peu un produit niche. En l'absence de Christian Mantéi, directeur général d'Atout-France, je voudrais terminer par la promotion de la destination France. C'est bien beau d'avoir un produit, encore faut-il le vendre à l'extérieur. L'analyse sur l'Espagne montre que c'est là que l'écart est le plus significatif. L'Espagne a une campagne de promotion que nous connaissons tous, soutenue par des pompes aspirantes, des réceptifs qui vont chercher les touristes et les font venir en Espagne. La promotion de la destination France est à l'ordre du jour avec le lancement de la marque «France» avec l'équation toujours difficile à résoudre de la question des moyens financiers. Voilà, Monsieur le Président. d'État au Tourisme qui a créé Maisons de la France, ce premier outil un peu pugnace permettant de faire du partenariat et d'accumuler plus de fonds pour être à la hauteur de nos concurrents. Jean-Jacques Descamps, vous êtes ici avec trois casquettes : le secrétaire d'État qui a créé le premier outil de promotion complètement original du tourisme français ; le Président de l'Agence nationale du chèque-vacances, dont nous avons abondamment parlé, et le président des plus beaux détours de France, Ce dernier rôle fera un contrepoint avec Paul Roll qui représente le produit d'appel « Paris ». Paris fait 49% de toutes les entrées culturelles de France. La seconde région, la Provence-Alpes-Côte-d'Azur, ne fait que 7% de parts de marché. Vous allez tout à l'heure, je crois, au congrès de cette association qui essaie précisément de vendre aux touristes ces magnifiques villages et villes qu'on ne connaît pas forcément. ronde le thème du « rôle et poids du tourisme dans la vie des Français et dans l'économie nationale ». Je pense que c'est depuis cent ans qu'on se pose la question et que personne n'a vraiment réussi à faire comprendre aux Français ce qu'était le tourisme. Probablement, on s'y est mal pris les uns et les autres mais, pour ce que je connais des trente ans, les questions sont toujours les mêmes. Les ministres qui se succèdent répondent toujours un peu de la même façon. Ils constatent des situations mais ont un peu de mal à agir très concrètement dans ce domaine extrêmement vaste et varié. Il faut donc essayer de reprendre les choses de façon un peu logique. J'en profite pour dire que vous avez eu raison. C'est vraiment cent ans. J'ai été le vérifier dans ma ville de Loches, en Touraine, dont je suis le maire, au passage je fais un peu de publicité pour ma ville qui mérite vraiment le détour. J'ai constaté que le premier office de tourisme s'est créé en 1910, qu'il y avait à l'époque une équipe de visionnaires sur le rôle du tourisme dans cette ville, qui a été largement abandonnée ensuite et qu'on retrouve maintenant. C'est-à-dire qu'on réinvente quelquefois l'eau chaude... On aurait mieux fait d'écouter nos ancêtres. Par rapport à tout ce que vous avez dit, je vais reclasser les choses un peu différemment. Le Français : est-ce le consommateur, le citoyen ou le professionnel ? Tout le monde est concerné par le tourisme « pour mémoire » Jean-Jacques Descamps Je vous remercie de votre invitation. Je vais essayer de replacer ces activités d'une façon un peu logique. J'ai compris que le thème de la journée était « Les cent ans d'histoire de l'administration du tourisme ». Mon âge vénérable me fait d'abord vous dire que j'en ai vécu au moins une bonne trentaine d'années de cette histoire, pas cent heureusement ! Il est assez amusant que vous ayez choisi pour la table Alain Monferrand Nous avons la chance d'avoir, avec Jean-Jacques Descamps, le secrétaire l hor s-sér ie -juillet 2012 86 mais personne ne s'en rend compte. Personne ne sait très bien justement ce que cela lui apporte et tout ce que cela peut lui apporter. Alors, on fait de la prose sans le savoir, si je peux dire. Le Français citoyen part en vacances mais ne structure pas toujours aussi bien qu'il le faudrait la façon de le faire. Or être touriste devient de plus en plus compliqué. J'allais dire, qu'à la limite, il faut être de plus en plus professionnel pour partir en vacances. Il faut savoir se servir d'Internet, choisir le meilleur rapport qualité-prix, déceler dans tout ce qu'on vous dit ce qui est vrai et ce qui est faux, ne pas se laisser impressionner par de belles photos derrière lesquelles il n'y a pas une vraie réalité. Mais il faut d'abord pouvoir partir en vacances. L'agence nationale des chèques vacances est une excellente idée. Cette idée formidable a la chance d'être libérale et sociale. On l'a toujours considérée comme une conquête sociale mais c'est d'abord une idée libérale et sociale. Elle est libérale parce qu'on laisse à chacun le choix de prendre ou non des chèques vacances et de les dépenser où il veut. On a trop souvent cherché à rendre un peu exclusif le rôle du chèque vacances dans le tourisme associatif. Non, le chèque vacances, on peut maintenant le dépenser partout. Le jour où on aura, comme Hervé Novelli, lancé son développement dans les PME, pratiquement tous les Français pourront utiliser le chèque vacances pour aller partout en France y compris pour aller à la boulangerie acheter un sandwich le jour où ils sont en vacances. C'est important. Le tourisme hor s-sér ie - juillet 2012 associatif, je m'excuse de le dire un peu brutalement, est obligé de subir une extraordinaire évolution dans la mesure où ce n'est plus le monopole du tourisme associatif qui fait le tourisme social. Le tourisme associatif est un acteur important du tourisme social mais ce dernier doit se faire partout. Le rôle de l'agence des chèques vacances est essentiel. Elle offre le moyen d'aller prendre des vacances dans des conditions financièrement plus favorables. Comme vous le savez, les produits financiers issus de la gestion de la trésorerie du chèque vacances servent à faire de l'action sociale. L'action sociale, c'est le deuxième métier de l'agence, il consiste aussi à aider les gens à partir en vacances quand ils ont des handicaps. Il ne faut pas oublier que ce n'est pas simplement parce que les gens n'ont pas d'argent qu'ils ne partent pas en vacances, c'est quelquefois parce qu'ils ne le veulent pas ; M. Braud l'a rappelé. Les handicaps ne sont pas seulement financiers. C'est la raison pour laquelle tout ne se règle pas seulement avec de l'argent. L'agence est donc une belle entreprise qui a deux métiers : le métier de l'émission des chèques vacances (il ne faut surtout qu'on l'ennuie dans sa façon de gérer cette affaire) et un rôle public consistant à avoir une politique sociale pour aider le plus possible à partir en vacances en France. C'est pour ces raisons que je suis très heureux de présider cette agence qui structure un peu le Français « consommateur » dans la gestion de ses vacances. Derrière l'organisation de celles-ci, il faut avoir en face de soi de vrais professionnels. Le deuxième problème est posé par le Français « citoyen ». Personne ne se rend compte ce que représente la dimension économique du tourisme dans notre pays, ni sa dimension culturelle car on ne sait pas bien où s'arrête le tourisme. Je dis toujours : il faut que le conservateur d'un musée soit formé au tourisme, si tant est que cela veuille dire quelque chose, c'est-à-dire formé aux conditions qui font que les touristes soient bien dans le musée que ce conservateur gère. Le personnel qui est à l'office de tourisme, payé par la mairie, doit faire exactement la même chose afin que le touriste soit bien accueilli dans la ville. Ce sont des métiers qui sont des métiers du tourisme, il n'y a pas seulement les agents de voyage, les hôteliers, les restaurateurs. Il existe des BTS en France élaborés pour faire ces métiers. Le problème est d'estimer le poids du tourisme. Il y a des actes à accomplir dans le domaine de la structuration de l'action de l'État pour bien faire prendre conscience aux Français citoyens ce qu'est le tourisme. M. Augustin l'a dit, c'est toute la dimension de l'État en matière de promotion : la Maison de la France. C'est pour cela que je l'ai créée quand j'étais aux affaires. A l'époque je pensais qu'un des problèmes était de mieux faire connaître le poids du tourisme en France, et la France à l'étranger. Pour ce faire, la Maison de la l « pour mémoire » 87 France était un outil à créer. Je pense qu'il aurait fallu la maintenir et non pas la refusionner avec une autre structure, même si c'est la décision de mon ami Hervé Novelli que j'aime beaucoup. A chacun son métier. Le métier de la promotion n'est ni de l'ingénierie ni de la formation. Il y a trois dimensions dans le tourisme : l'offre, qui relève de l'ingénierie touristique (Audit-France) la demande (la promotion, le marché, le marketing) la ressource humaine (la prévision, la réflexion, la recherche, la formation). Pour cette raison, avec Jean-Luc Michaux et Paul Dubrulle, on a créé l'Institut français du tourisme (IFT) sans demander ou alors très peu, Jacques Augustin le sait, à l'État. Si Atout France fait bien son métier de promotion et d'aide à l'ingénierie, il reste la dimension humaine. Or l'outil de formation aux métiers du tourisme en France n'est probablement pas le meilleur du monde alors qu'on pense souvent le contraire. D'après une étude que j'ai faite, on embauche dans les métiers du tourisme environ 40.000 personnes par an. On forme environ 40.000 personnes par an, mais ce ne sont pas les mêmes. Il y a un tas de gens qu'on forme pour le tourisme et qui ne vont plus dans le tourisme et un tas de gens qu'on embauche dans le tourisme et qui n'ont pas eu de formation dans le tourisme. Il y a quelque chose qui ne va pas. Pour former, il faut avoir pensé non le présent mais l'avenir. Qui cherche ce que sera demain dans le monde le tourisme ? quel couple offre-demande ? et qu'apporteront les nouvelles technologies et tous les changements culturels ? Il y a beaucoup de gens qui cherchent, comme disait le Général de Gaulle, il n'y en a pas beaucoup qui trouvent. Mais il y a beaucoup de gens qui cherchent, sans se coordonner les uns avec les autres, d'où la nécessité pour l'État de créer des plateformes permettant de travailler ensemble : chercheurs, formateurs, utilisateurs, entreprises, collectivités, tous ceux qui travaillent dans les métiers du tourisme. Pour tous ceux qui sont formés ou qui travaillent dans le tourisme, le vrai problème, c'est le professionnalisme. Cela me fait toujours doucement rigoler, si vous me permettez cette expression un peu vulgaire, de voir qui la première chose que fait chaque ministre en arrivant - j'en étais, je ne venais pas du tourisme, j'ai fait comme tous les autres - c'est dire : « Le tourisme, ça ne va pas bien, parce qu'on n'accueille pas et que la France n'est pas accueillante. Alors on va faire quelque chose pour l'accueil ». Or le problème, ce n'est pas de dire « accueillez mieux », c'est de leur dire « soyez professionnels », tout simplement. Je ne vois pas pourquoi on le demande pour le tourisme et pas pour le commerce et l'industrie. Chacun fait son travail. Chacun doit être accueillant si c'est le travail consiste à avoir des clients. Il vaut toujours mieux être accueillant avec ses clients. La vraie question n'est donc pas de former à l'accueil mais de développer les formations professionnalisantes aux métiers où il y a, par la force des choses, l'accueil. Ces métiers consistent à faire en sorte que le touriste se sente bien quand il vient, bien à tous les points de vue, dans un hôtel, un restaurant, un musée ou au cours d'une visite d'une centrale nucléaire... Cette exigence comporte l'accueil. Il y a beaucoup à faire pour professionnaliser les métiers d'où la création de l'IFT. Je suis assez content parce que, malgré mon âge canonique, j'ai encore un peu le contact avec l'avenir même si ce n'est pas le mien. Finalement, dans le tourisme, il faut penser au Français citoyen qui a de plus en plus de mal à créer ses propres vacances. La diversité du marché mondial est inimaginable : il y a autant de produits et de prix qu'il y a de pays dans le monde. Le Français citoyen doit comprendre que cette filière est une partie de l'avenir économique de notre pays. A cette fin, il faut de bons professionnels. On a encore beaucoup de progrès à faire dans l'éducation nationale, privée ou publique, dans les universités et partout pour que nous ayons non seulement de bons produits, de bons paysages, de bonnes pages de publicité un peu partout dans le monde mais aussi pour que les touristes français ou étrangers trouvent en France des gens qui soient de bons professionnels. A Château-Gonthier où je pars par le train, on va travailler pour ces cent plus belles petites villes de France entre 2 000 et 20 000 habitants qui, à mon avis, représentent un potentiel « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 88 touristique de développement assez extraordinaire. Même si on n'a rien demandé à l'État, je lui demande de nous écouter de temps en temps parce que, en-dehors de Paris, et je reconnais que M. Roll fait beaucoup de choses pour Paris, il y a toute la France derrière qui est encore pleine de possibilités pour développer le tourisme. tout le reste. Quelle est la situation du tourisme parisien actuel ? Le tourisme urbain se porte bien. Paris fait partie de ce mouvement-là. Paris est en train de vivre la meilleure année de son histoire en termes de taux d'occupation et de recettes unitaires. Paris n'a jamais eu une aussi belle image. Je reviens sur ce que disait le ministre Descamps : le sujet de l'image est bien évidemment une question de professionnalisme dans la prestation offerte. Mais il faut aussi qu'on apprenne à parler de nous-mêmes. Notre approche plutôt cartésienne nous interdit de dire du bien d'emblée. On en est plutôt à d'abord dire du négatif pour être crédible, puis du positif. Comme personne n'écoute la fin, on en reste à nos propres critiques. Selon des études sur l'image internationale de Paris, qui ne sont pas financées par nous-mêmes, Paris est la ville la plus désirée au monde. C'est la ville qu'on souhaite visiter en premier, quand on a la possibilité de quitter son propre pays. A partir de là, nous avons un fonds de commerce indéniable. Il est difficile d'améliorer les taux d'occupation des hôtels : quand vous arrivez à 80%, il y a seulement deux ou trois points supplémentaires à obtenir. On a une très belle image. Certes, les chauffeurs de taxi et les serveurs ne parlent pas cinq langues et une partie de nos musées n'ont pas de panneaux indicateurs en dix-neuf langues. Malgré tout, l'équilibre global fait que le touriste, au moment où il quitte Paris, dit à 97% qu'il reviendra. Le tourisme est une industrie mature. Ce n'est plus de l'artisanat additionné. Ce secteur économique dans notre ville est essentiel : 12% avec les emplois directs, 20% avec l'emploi indirect. Une fois le décor posé, que sait-on déjà quand on se projette sur les dix à quinze années à venir ? La première lacune du tourisme parisien est le manque de capacité hôtelière : d'ici à 2020-2025, il nous faudra « 32 000 chambres supplémentaires » sur un périmètre qui va de Roissy à Orly, de Versailles à Disney. Dans le seul département 75, on considère qu'il faut au total 14 000 chambres supplémentaires et on s'y attelle : 7 000 sur les emprises foncières contrôlées par la ville, 7 000 sur le foncier privé ou à partir de changements d'affectation de m2 de bureaux qui basculeront dans des m2 hôteliers. Le « chantier des 7 000 chambres » a été intégré par le maire dans son programme électoral de 2008. C'est assez original dans un programme électoral, ne trouvez-vous pas ? « Je m'engage à créer 7 000 chambres ». Un groupe de travail a déjà identifié l'équivalent de 4 000 chambres à faire construire par des promoteurs. Cette partie fonctionne. Du côté du privé, on est sur l'engagement des 7 000 chambres. On a déjà vu sortir de terre 1 250 chambres grâce, entre autres, à la transformation de carcasses de bureaux désamiantés. Si on se projette sur 2020-2025, le tourisme parisien devrait s'approcher d'un taux d'emplois directs et Alain Monferrand Paris est effectivement un peu le produit phare. Le comité d'histoire va célébrer bientôt les phares et balises dans une prochaine journée d'études. Paul, tu es un phare et peut-être une balise pour le tourisme français. Comment vois-tu les dix ou quinze prochaines années, compte tenu des résultats acquis mais aussi d'une concurrence de plus en plus forte y compris peut-être en Europe ? L'année prochaine, Londres se repaîtra des Jeux Olympiques et Berlin attend derrière avec plein d'autres défis. Paul Roll Bonjour, merci de votre invitation. Merci de ces mots plutôt gentils. Il est un peu vexant d'être réduit au statut de mastodonte ou de produit d'appel, mais j'essaierai d'être fort et de passer outre. Le cas du tourisme parisien est souvent plutôt mal analysé dans la mesure où il est un peu considéré comme l'enfant gâté, celui pour qui tout fonctionne et qu'il faut négliger en s'occupant de hor s-sér ie - juillet 2012 l « pour mémoire » 89 indirects de 25 à 30%. La ville de Paris doit assumer son tourisme pleinement et en anticipant ce que seront les contraintes de demain. Les contraintes de flux de visiteurs à amener dans notre ville devraient concerner à 75% le train, ce qui suppose que la SNCF développe un véritable modèle économique comme cela a été fait pour l'aérien. Pour ce grand enjeu, il faut l'ouverture de l'espace ferré à la concurrence, qui nous manque aujourd'hui, si l'on souhaite que cette activité soit durable. Une fois le touriste arrivé, on utilise les équipements existants comme le métro ou les équipements culturels. A Paris, on ne crée pas des équipements touristiques, on crée des équipements à la fois pour les habitants de la ville et les visiteurs de la ville dont des visiteurs étrangers. Les grands enjeux de demain sont « d'accompagner ce développement, de créer les capacités hôtelières, de nous adapter à la complexité des marchés de demain ». Les marchés actuels vivent sur un schéma plutôt occidental : on mange à partir de midi et demi, on a fini de déjeuner à deux heures et demie, on reprend à partir de sept heures et demie - huit heures. Or les marchés de demain seront pratiqués par des visiteurs qui mangent tout le temps, avec une complexité dans les goûts alimentaires : pour des végétariens, c'est facile, pour des végétaliens, c'est plus compliqué. Cela implique des restaurants adaptés, parfois deux cuisines dans un même établissement. Il faut préparer cette complexité. Le Louvre et la Tour Eiffel ne sont pas à même de faire face à ces flux. On ne va pas changer la Tour Eiffel, on ne va pas faire du Louvre un endroit où l'on va faire du « speed dating » ou de la « speed visit ». Il va falloir se poser des questions indéniables sur les jours de fermeture et l'élargissement des horaires d'ouverture. La contrainte non négociable est qu'il est inenvisageable de faire de nos villes, Paris comme toutes les autres, une ville qui deviendrait victime de son tourisme. Paradoxalement, Paris n'est pas une ville touristique. A 100 mètres des grands lieux touristiques, le tourisme est totalement intégré dans la ville. Au-delà, on ne voit plus de restaurants « à touristes » ou de magasins de souvenirs. Cette activité mixte fait la force de cette ville. Prague est une ville qu'on visite deux fois, une première et une dernière, parce qu'on a la certitude qu'elle ne changera pas. Notre véritable enjeu est que Paris soit une ville vivante où il y a toujours une raison de revenir, une ville qui évolue et bouge, avec des équipements nouveaux. Ainsi, le musée du Quai Branly, fait et conçu pour 500 000 visiteurs, a passé le cap du million. On doit avoir pour souci que cette ville reste vivante, qu'elle soit attractive pour des visites répétées et le partage d'expériences renouvelées. Pour cela, il faut un parfait équilibre entre les habitants et les visiteurs. Jean-Jacques Descamps Qu'avez-vous fait à Woody Allen pour qu'il fasse un film qui est vraiment la plus grande promotion de Paris que j'aie jamais vue ces derniers temps ? Je l'ai vu hier soir, c'est extraordinaire. Bravo, formidable, citoyen d'honneur de Paris ! Paul Roll Merci. D'abord, on a fait tout ce que les autres n'ont pas fait. Barcelone a versé à la production de son film précédent, qui était assez moyen, plus d'1M de subventions. On ne leur a pas laissé un centime mais on a facilité des échanges avec certains établissements hôteliers qui, en échange, obtenaient de la visibilité. On leur a facilité la vie en termes de tournage. Pour le reste, on a agi à l'opposé de toutes les autres villes. La meilleure indication de l'attractivité de notre ville est sa capacité « à produire » cette appétence, comme le montre cet exemple. Un deuxième exemple nous a probablement plus étonnés. Il y a un an et demi, l'espace publicitaire le plus cher au monde, au moment du Superball aux États-Unis, était les trente secondes à la mi-temps. Ces trente secondes ont été achetées par Google qui faisait pour la première fois de sa vie de la publicité. Cette publicité était dédiée exclusivement à Paris, avec une caméra posée sur barre, sur laquelle vous tapiez les mots clés à l'occasion d'une recherche pour quelqu'un qui parlait de venir à Paris, de rester à Paris, de se marier à Paris, d'avoir un enfant à « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 90 Paris, de baptiser son enfant à Paris. A la fin, le dernier mot était « à suivre ». Ce film, facile à trouver sur Youtube, représente une fois de plus la négation de toute cette capacité que nous avons d'être négatifs sur nous-mêmes. Ce n'est pas l'Amérique la plus sophistiquée qui regarde Superball et pourtant Google a considéré que Paris était un sujet d'attractivité ; nous n'aurions jamais pensé ou conçu une telle publicité en ces termes-là sur nous-mêmes. Paris, mastodonte, produit d'appel, aspirateur à touristes, est aujourd'hui un élément de capitalisation de la destination « France ». Il faut aujourd'hui profiter de ceux qui viennent à Paris pour proposer le reste de la France et ne pas tourner le dos à Paris, parce que c'est une ânerie. Le produit tête de gondole, on l'utilise, on ne le néglige pas. l'attention sur le fait que c'était très bien de faire de la promotion et de la gestion administrative mais il fallait se préoccuper de la façon dont on construisait le tourisme de demain et dont se constituait l'investissement. Cela a expliqué la création de la Délégation aux investissements, qui était une structure d'administration centrale dans laquelle on avait mis tous les services et bureaux qui avaient une relation avec ce sujet. Puis j'ai fait assez vite le constat que nous n'avions pas les moyens d'une intervention efficace de l'État : ni beaucoup d'argent, ni des procédures et des règlements. On avait un peu d'argent pour faire quelques opérations dites pilotes, qui n'intéressaient pas grand monde, et un on avait peu d'ingénierie. On a accepté ma proposition de mettre tout l'argent qu'on avait sur l'ingénierie en matière d'intelligence, en disant : «Comme les recherches, le développement, les études nationales ne sont pas faites, parce qu'elles sont trop chères isolément, on va essayer de les mettre ensemble autour d'un GIP et de structurer petit à petit la connaissance, la compréhension et les savoirs faire «. Cette proposition a marché à peu près car on y gagne beaucoup en souplesse et en efficacité quand les moyens sont mélangés avec des moyens privés ou parapublics dans une structure qui n'est plus assujettie à l'annualité. Mais l'idée principale est de savoir comment, dans ce pays, on investit dans la création du tourisme de demain. Après avoir passé huit à neuf ans à la Caisse des Dépôts, j'avais compris l'aspect incontournable des phénomènes financiers d'investissement, de rentabilité, de retour sur investissement, de renouvellement de l'investissement. Je sais bien que, dans le tourisme, on a toujours tendance à entendre ceux qui se plaignent de quelque chose. Cela génère, comme disait Paul Roll, un bruit de fond défaitiste, fataliste : «tout va mal, tout va aller encore plus mal»... Je ne veux pas rentrer dans ce débat mais il n'empêche que je n'ai pas une vision optimiste de la façon dont notre pays prépare son tourisme de demain, dont il investit, dont il met ses billes quelque part, dont circulent les moyens financiers. On parlait du Français consommateur. C'est le Français investisseur qui a financé le tourisme en grande partie en achetant les appartements dans toutes les stations, en investissant avec son argent. Il a été un bon investisseur à une certaine époque mais pas un très bon réinvestisseur, d'où ce phénomène bien connu de toutes ces stations dont la partie centrale vieillit et se nécrose petit à petit. On fait vivre le tourisme en reconstruisant du neuf à côté avec des plus-values : les promoteurs aiment bien cela. Lors d'une réunion récente en Tarentaise, le représentant écologiste de la région Rhône-Alpes faisait le bilan devant les responsables politiques du nombre d'autorisations de développement de lits en stock Alain Monferrand Avant les conclusions, on va interroger le vieux sage, mais tu vas m'en vouloir pendant des années... Oui, le sage : tu as été à la fois le directeur et l'animateur d'un de ces nouveaux organismes, le GIP-AFIT. Ce GIP est un symbole des transformations de l'administration du tourisme depuis cent ans. Philippe Moisset Il y avait un débat à l'époque sur l'organisation du ministère, avec Roger Godino, qui connaît un peu le tourisme et qui était conseiller de Michel Rocard. J'avais beaucoup attiré hor s-sér ie - juillet 2012 l « pour mémoire » 91 (20 000). Pour maîtriser le phénomène, il faudrait trouver les moyens pour rénover les coeurs des stations et ne pas vivre en déployant ailleurs. C'est lourd comme investissement de bousculer les propriétaires ou de trouver des incitations. Certes, le ministre a relancé un groupe de travail. Mais il est patent que depuis quinze ans on essaie de trouver des incitations à la rénovation des meublés de tourisme. Je n'ai jamais vu de politique publique où il y ait eu tant d'annonces avec si peu de résultats. C'est un peu accablant pour nous tous. En même temps, bien sûr, il y a des facteurs d'optimisme. On arrive à monter cahin-caha un dispositif de refinancement du tourisme social qui aura peut-être un petit effet si on arrive au bout. Il y a de nouvelles formes d'hébergement qui sortent ici ou là, adaptées à des fonctionnements plus proches de l'économie du marché (des roulottes, des chalets, des abris dans les arbres). Quand on regarde l'hôtellerie traditionnelle, certains Cassandre disent des choses très accablantes sur la disparition de cette petite hôtellerie et je ne suis pas sûr qu'ils aient totalement raison. Les lignes bougent. Il se passe des choses. Je ne suis pas certain que les meilleurs esprits économiques de ce pays y aient passé le temps qu'il faudrait. Je sais très bien qu'on essaie en permanence de faire comprendre au ministère de l'Economie des Finances qu'il faudrait y travailler un peu plus. Mon impression est que je ne suis pas certain qu'on soit complètement aux commandes de nombre de phénomènes. Peut-être le marché trouvera-t-il des solutions, mais je n'en suis pas sûr. en réunissant ces acteurs, le regard académique qui peut apporter le recul, la capacité d'évaluation et d'explication du Conseil général de l'environnement et du développement durable, du Conseil national du tourisme ou des inspections générales. Cela permettrait de mieux contribuer à la décision des politiques futures. Nous allons constituer ce Comité. Marc Boyer a donné son accord pour en être le président d'honneur. Bien d'autres personnalités y seront conviées, en particulier celles qui sont intervenues aujourd'hui ou qui seraient intéressées. Le comité sera installé dans les mois qui viennent avec toutes les bonnes volontés et les mémoires qui sont actives pour préparer l'avenir. Participant Le diable se cache un peu dans les détails, c'est ce que l'on dit. Ma question s'adresse à Paul Roll. La semaine dernière, je suis arrivé au terminal 1 de Roissy, venant de Copenhague, après 22 heures. J'ai mis trois heures pour aller à Aulnay-sousBois prendre le RER. Pour moi, cela allait. Mais j'ai vu quantité d'étrangers qui étaient arrivés là. J'ai eu la honte de ma vie : aucun accueil, les corridors fermaient, les seuls interlocuteurs des voyageurs étaient les pauvres chauffeurs de bus qui n'en pouvaient mais. Quand vous voyez les bus avec un énorme « bienvenue »... Naturellement, il n'y a pas des flots de gens qui arrivent après 22 heures et je sais que c'est momentané, toutefois cela dure depuis « pour mémoire » Jean-Luc Michaud Nombre de politiques ont été tentées. Quelques-unes ont réussi, beaucoup ont été oubliées, Qu'elles aient d'ailleurs été des succès ou des échecs, on en tire rarement les conséquences pour engager de nouvelles politiques. L'intérêt de cette journée est de permettre de mesurer l'importance de capitaliser les expériences. Cette démarche historique est fondamentale pour gagner du temps, éviter des recherches au profit d'actions utiles et correspondant aux évolutions du marché, des clientèles, de la technologie en matière de construction, d'urbanisme. Cela suppose que cette démarche historique soit projetée comme un outil de préparation de l'avenir. C'est dans cet esprit, je pense, que cette journée a été engagée. Nous l'évoquions tout à l'heure avec Alain Monferrand. Cela fait le lien avec ce qu'a dit Jean-Jacques Descamps concernant le rôle de l'Institut français du tourisme. Pourquoi ne pas constituer, la décision d'ailleurs est prise, je crois qu'on peut l'annoncer, de procéder avec des grands témoins une évaluation rétrospective de tout cela. Pourquoi ne pas créer un comité français d'histoire du tourisme qui formerait un regard évaluatif l hor s-sér ie -juillet 2012 92 quelques mois et doit durer encore quelques autres mois. Néanmoins, j'entends tout ce que vous dites. Or, il y a une semaine, quand j'étais dans le bus, je me disais : « mais comment se fait-il qu'il n'y ait pas seulement un papier qui soit remis à chaque passager pour lui indiquer le début du commencement de ce qu'il doit faire ? ». Je sais que nous, Français, on aime se plaindre. Mais, par rapport à ce qu'a dit M. le ministre sur la nécessité de l'accueil et la professionnalisation, il y a là un défaut qui, j'espère, ne sera pas récurrent dans l'avenir. une série de points faibles. Tout ne va pas s'améliorer. Mais votre remarque peut être faite sur toutes les autres destinations au monde. Je vous défie de me dire que l'accueil aux États-Unis est sympathique et chaleureux. Il est totalement glaçant voire intimidant. D'autres aspects fonctionnent mieux, mais globalement... Quand des touristes vous disent qu'à 97 ou 98% ils reviendront, je construis positivement tous les points qui restent à améliorer. Je suis navré que la seule remarque qui soit faite ici sur notre tourisme soit celle-là. Mais actons le fait qu'aujourd'hui notre tourisme est bien mieux perçu que ce que nous-mêmes avons comme regard sur le service qu'on offre. Ce n'est pas la Pravda qui a donné les 97 ou 98%, ce ne sont pas les chiffres électoraux de Ceausescu, c'est une enquête qui doit être aujourd'hui à quelques dizaines de milliers de répondants. Ce chiffre ne bouge pas de ce niveau. Apprenons à parler de l'impression d'ensemble qu'on donne et qui est remarquable. Il y a des leviers et des sujets d'amélioration. Participant Par qui a été faite l'enquête ? est n°1. C'est une étude qui comporte, de mémoire, 15 000 questionnaires sur une cinquantaine de villes. Si vous prenez les questionnaires les uns après les autres, aucun n'est financé par nous. Globalement, l'impression et le résultat sont-là. Je suis toujours très troublé par cette capacité que nous avons de nous dire du mal. Prenons les choses comme des lignes d'amélioration et non comme des fatalités négatives, alors que ce sujet est devenu pour nous primordial. La place dans la mondialisation de ce monde... Ecoutez, Paris est une ville touristique. Quand vous êtes commerçant, la première chose que vous apprenez à faire, c'est de parler de votre produit sans pour autant mentir ou cacher. Pardon de vous répondre aussi personnellement, mais il est vrai que je vis avec ce genre de questions. Il y a un moment où vous ne pouvez pas prendre à la légère le gagne-pain d'une ville comme la nôtre, ni laisser dire des choses qui sont en dehors de ce que le client juge. Paul Roll Je ne peux pas répondre parce que la réponse est dans les statistiques. On est tous capables de raconter une aventure abominable, avec un chauffeur de taxi qui était là ou n'était pas là... Or, mes statistiques montrent que 97% des visiteurs disent qu'ils reviendront. Aujourd'hui je vous défie, je le dis clairement, de trouver d'autres destinations avec un tel taux de satisfaction. Qu'est-ce que cela veut dire ? Le touriste sait faire la part des choses. Aéroports de Paris n'est pas parfait mais il faut tout de même acter les progrès accomplis dans les aéroports. Pour moi, qui y passe plus de temps que je ne voudrais, c'est indéniable, même s'il y des progrès à faire pour la police de l'air et des frontières, les files d'attente au petit matin, les taxis, l'accueil. Dans la chaîne du tourisme, il y a toute hor s-sér ie - juillet 2012 Anne Querrien Un des éléments positifs de Paris ­ ayant été correspondante d'un réseau européen pendant deux ans, j'ai vu les réactions - c'est le rapport qualitéprix. Paris est une ville formidable et pas très chère. A partir du moment où on se dit qu'on veut en tirer 25 à 30% de plus en recettes, il faut un niveau d'amélioration important. Or on peut se poser quand même des questions sur nos aéroports quand on fréquente tous Paul Roll C'est une enquête qui est en ligne, faite par nous (50 000 questionnaires remplis). Prenez une étude en ligne d'un organisme qui s'appelle Anholt. C'est un organisme anglais qui, tous les 2 ans, réalise une étude sur la perception des villes. Paris l « pour mémoire » 93 les aéroports de l'Europe de l'Ouest : le niveau de fonctionnalité est moche, c'est un style HLM. Quand on passe les barrières, il n'y a presque rien comme magasins. Comparé à Copenhague ou Francfort et ailleurs, avec en plus parfois les mêmes architectes, c'est un peu sidérant comme atmosphère. Le problème des transports est fondamental. Il y a un transport dédié en théorie au ferroviaire, mais le train est organisé de telle manière que personne ne peut le prendre parce qu'on ne sait pas où il est... La signalétique, c'est pourtant basique... Comment concevoir des améliorations pour éviter que des gens disent : « J'adore Paris, mais surtout n'y organisez pas la prochaine réunion... » ? J'ai vécu cela deux ans. d'un article de Jacques Attali dans le Point ou l'Express, qui avait été très mal accueilli à Roissy. il avait dit : « Roissy, l'aéroport le pire du monde ». Mais c'est démenti par les statistiques et les enquêtes. Je crois qu'il faut se replacer en perspective. Bien entendu qu'il y a des manques dans l'accueil. Bien entendu qu'on peut contester que la PAF, sur des aéroports soit particulièrement accueillante. Mais, par comparaison, on a un système d'accueil qui est assez performant. Il est améliorable, bien entendu. Pourtant, je crois qu'il ne faut pas sombrer dans le négatif. il faut d'abord se poser la question de la concurrence. Je reconnais effectivement - ayant fait les Ponts et Chaussées, je peux en dire un peu de mal - que les conceptions d'un certain nombre d'aéroports français ont été de belles performances techniques mais insuffisamment réfléchies en termes de pratiques d'accueil. Tout le monde connaît le problème des bagages à Paris. A Orly, la situation s'est améliorée. A Roissy, cela va bien dans certains coins, mais ailleurs c'est deux fois plus long. Quand vous êtes sur le terminal central, vous attendez une demi-heure de plus vos bagages que lorsque vous êtes dans un autre satellite. Ce ne sont pas des problèmes d'accueil, ce sont des problèmes de professionnalisme. Trouver son bagage, c'est un des éléments de l'accueil. Le problème des taxis relève d'un autre professionnalisme. Il y en a de bons et de moins bons. En Touraine, les gens ne se rendent pas compte qu'ils sont mis dans une concurrence beaucoup plus sévère. Auparavant, la Touraine était un pays où il faisait bon vivre. Tout le monde était là, les châteaux, c'était superbe. Maintenant, on se compare à beaucoup d'autres et il faut être meilleur. Dans le Nord, où il n'y avait pas de tourisme, l'accueil, au sens propre du terme, la conception du tourisme, la façon de le gérer au comité régional, c'était une autre gestion que celle du côté d'Orléans. D'un côté, il y a des gens qui ont vécu dans la facilité et « pour mémoire » Alain Monferrand Alors Monsieur le Ministre, on ne vous a pas invité pour que vous ne puissiez pas parler. Michel Saussy Je voudrais répondre, en tant que président du groupe de travail « accueil », créé au Comité national du tourisme. Le précédent ministre et l'actuel ont demandé qu'un groupe de travail rende un rapport sur le thème récurrent de l'accueil, en privilégiant le cas des zones dites de transit (les aéroports, les ports, les autoroutes, les gares). Le constat rejoint ce qui vient d'être dit. L'accueil est bon. En revanche, il y a une segmentation des types d'accueil, une appréhension de l'accueil par les professions qui est tout à fait différente. Il y a un besoin d'améliorer les choses. Cette demande avait été faite à la suite Jean-Jacques Descamps Oui, il faut malheureusement que je parte vite. Je suis un peu déçu par cette façon de prendre le problème de l'accueil, encore une fois. Evidemment, l'accueil, si c'est une jolie hôtesse qui vous accueille et vous dit bonjour... Je reviens au professionnalisme. Le problème, ce n'est pas seulement Paris, c'est toute la France. Paris est dans une meilleure situation : ses avantages compétitifs font que, quelles que soient les difficultés, on reviendra. Mais là où il y a moins d'avantages de compétitivité, il est plus important d'améliorer l'accueil ou le professionnalisme. A mon avis, l hor s-sér ie -juillet 2012 94 qui n'ont pas compris que maintenant ils étaient en concurrence. Du côté de ceux qui ont vécu dans la difficulté. Alors que tout le monde disait que dans le Nord, on ne pouvait pas faire de tourisme, eh bien, je peux vous dire que c'est une des régions qui est devenue la plus dynamique en matière de tourisme. C'est encore une fois un problème de professionnalisme. C'est vrai, Monsieur, avec un papier qu'on donne aux gens dans l'avion en leur disant : « vous allez avoir quelques problèmes, alors soyez gentils, ne nous en veuillez pas », c'est bien. Mais, moi qui suis dans l'avion, je me dis : « ils auraient pu se débrouiller pour qu'il n'y ait pas ces problèmes là ». C'est tout. Simplement, il faut être raisonnable. Quand vous allez dans l'aéroport de Singapour, vous vous dites : « c'est autre chose que l'aéroport de Paris ! ». C'est professionnel encore une fois. C'est là qu'on a une prise de conscience de la concurrence. M. Roll a raison, face au succès de Paris, de minimiser le cas d'un chauffeur de taxi qui vous embête... Mais, quand vous êtes dans une ville où il y a peu de tourisme et qu'on veut le développer, la défaillance du moindre chauffeur de taxi retombe sur tout le monde et il y a un risque de ne plus revenir. Il faut relativiser pour Paris, mais sans se faire plaisir, il ne faut pas dire qu'il n'y a pas de problèmes en France. Il y a un problème de professionnalisme, pas d'accueil. Si vous allez au Canada, un pays que j'aime bien et pour lequel j'ai beaucoup d'affection, la façon hor s-sér ie - juillet 2012 dont les gens vous servent est très différente par rapport à la Touraine. C'est une préoccupation qu'il ne faut pas prendre de façon négative, je suis d'accord avec M. Roll. Il faut positiver en disant : « Attention, nous avons besoin d'être meilleurs que les autres parce que nous avons de nouveaux concurrents à côté de nous et il faut faire mieux si on le peut ». Quand on a 80% de coefficient de remplissage, ce n'est pas grave, quand on en est à 40% et qu'on veut passer à 60%, je peux vous dire que la professionnalisation est un coup formidable pour avancer. C'est pour cela que j'ai tendance à penser qu'il faut prendre du recul par rapport à des cas particuliers. Excusez-moi de ma passion, je suis comme M. Roll, j'ai d'autres passions mais on est tous passionnés par ces problèmes du tourisme. Au terme de cette journée, quelles conclusions peut-on avoir sans encourir le risque d'une certaine naïveté et de quelques approximations, mais aussi en essayant de concourir par un peu d'étonnement à des préfigurations de perspectives nouvelles ? J'ai essayé de rassembler cela en 3 constats. Un premier constat est qu'il est difficile finalement de savoir de quoi l'on parle quand on parle de tourisme. En effet, c'est le touriste qui crée ou qui qualifie l'activité ou l'entreprise touristique ­ et donc, qu'est-ce qu'un touriste? Évidemment, nous avons la définition statistique : est touriste tout individu qui passe une nuit hors de son environnement habituel pour des motifs non liés à une activité rémunérée. Sauf cas particulier, une bonne partie de l'humanité est donc au moins une fois dans sa vie touriste, et pour beaucoup d'entre nous, nous passons une partie non négligeable de notre existence sous ce statut. Deux inconvénients : le touriste disparaît dans la population, et tout un chacun a une opinion sur la politique touristique, l'aménagement touristique, le service, l'accueil etc. Il est donc fort difficile de se faire reconnaître une expertise dans le management de l'économie touristique, car tout le monde s'estime expert : «le bon sens près de chez vous». Conséquence ennuyeuse : pas d'expert sur le sujet, égale, sujet pas sérieux. Cette définition devrait à mon sens être repensée : le fait de dormir hors de Alain Monferrand Merci, Monsieur le Ministre. Il est temps de conclure et je vais passer la parole à Monsieur Jacques Augustin, pour sa conclusion : « le tourisme, quelle histoire ! ». Jacques Augustin Je souhaite préciser que comme les intervenants précédents, je ne vais parler qu'en mon nom et non comme le représentant du ministre ou même de mon administration, ce qui est un grand facteur de simplification dans le registre de la liberté d'expression. l « pour mémoire » 95 chez soi parait fort peu discriminant, et pour parler crûment un peu primaire. Le banlieusard qui rentre chez lui et qui dort dans sa voiture sur la nationale 118 pour cause de neige devient un touriste au même titre que celui qui a passé quinze jours à visiter les châteaux de la Loire ... Plus sérieusement, le touriste d'affaires qui arrive pour une réunion, ne sort pas de son hôtel et repart sans avoir rien vu, ou le touriste médical, qui va se faire opérer de son cancer à Bangkok, peuvent-ils être comptabilisés, ressortent-ils au même registre économique que celui qui passe quinze jours dans un camping à Palavas les Flots ? C'est à mon sens cet amalgame qui discrédite le message que nous souhaitons tous faire passer, et qui ne passe d'ailleurs nulle part, sur l'importance du secteur économique du tourisme pour l'économie mondiale. Il serait donc indispensable de distinguer entre le tourisme de villégiature qui est caractérisé par le fait que l'intéressé dispose à sa guise de son temps, de toutes les autres formes de « tourisme » durant lesquelles si l'intéressé avait le choix et la liberté, il préférerait être ailleurs. On saurait alors davantage de quoi l'on parle, et donc on serait en mesure de valoriser les secteurs de manière intelligible, de sectoriser les diagnostics et les politiques de développement, et donc de devenir identifiable et lisible dans les leviers de l'économie mondiale. Je n'ouvrirai pas je vous rassure un long chapitre sur la statistique touristique, domaine bien connu de tous dans ses imprécisions, ses approximations et ses imperfections : on ne sait toujours pas compter précisément les visiteurs d'un lieu, les touristes du Vatican ne sont pas dans la statistique italienne... Problème de moyens assurément, mais aussi de réalité : les clients d'un restaurant sont-ils des touristes ou non ? Or chacun sait que faute de connaître la réalité au travers de ces données, on est dans l'incapacité de programmer et de piloter des politiques. Vaste sujet et pourtant qu'on pourrait imaginer maintenant résoudre par la traçabilité des téléphones portables et celle de l'utilisation des cartes de crédit... ce serait au moins aussi probant que les comptages sur les péages d'autoroute... Le deuxième constat est que l'univers touristique est probablement l'un de ceux qui connaît aujourd'hui les mutations structurelles les plus intenses. Le milliard de voyageurs internationaux devait être atteint selon l'OMT1 à la mi-2012 contre moins de 300 millions en 1980. Question : ces voyageurs sont-ils des touristes ou non ? Mais c'est l'arbre qui cache la forêt, à savoir le tourisme domestique évalué à sept milliards avec des chiffres qui donnent le tournis : 650 millions de voyageurs intérieur en Inde et deux milliards en Chine. Partout dans le monde les gens veulent voyager, profiter de temps à eux. La récente situation de crise a montré que ce tourisme de villégiature était le secteur économique qui était le moins impacté, parce que les vacances sont la dernière chose à laquelle on renonce, quitte à les réduire en coûts. Cette aspiration mondiale s'articule bien évidemment avec l'émergence de pays qui se veulent autant de destinations touristiques, et qui ont des ambitions en matière d'infrastructures et de captation de part de marché. L'OMT compte 154 pays adhérents. Le challenge est donc clair pour les vieux pays touristiques au capital et aux atouts certes difficilement contestables mais qui doivent faire face à des effets croisés. La saturation des lieux les plus emblématiques - voir Venise -, revient à les tuer, et la désertion potentielle des secteurs de villégiature n'est plus aisément duplicable. La massification pose évidemment le problème de la durabilité du tourisme. Il est clair que le tourisme sera durable ou ne sera plus, et il faut saluer ce secteur comme celui qui a depuis longtemps déjà engagé des démarches remarquables en la matière. Troisième constat, évidemment corrélé au précédent, c'est que nous sommes éminemment dans la dimension humaine, de manière sensiblement plus marquée peut être que dans d'autres secteurs des services - sauf évidemment la santé mais les ordres de grandeur ne sont heureusement pas les mêmes. Le tourisme, c'est une masse de gens, c'est la rencontre et la recherche du contact, c'est la connaissance des hommes et des civilisations plus finalement que celles des lieux ou des sites, c'est le plaisir de vivre, c'est « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 96 l'aventure individuelle ou collective... et j'en passe Cette dimension humaine est extrêmement prégnante d'abord dans ses composantes les plus factuelles : la capacité d'accueil et d'ouverture ­ le touriste a d'abord dérangé, au moins dans nos contrées. Le passage à l'ère de l'industrie touristique a posé d'autres problèmes et en particulier ceux liés à l'éthique, qu'elle soit morale ou économique. Les enclaves touristiques développées dans des pays de misère, avec leur cortège d'effets pervers, ne peuvent qu'interpeller notre conscience. Sous l'angle positif, le tourisme développe la solidarité entre les hommes, puisqu'il diffuse la richesse jusque dans les parties du monde les plus reculées, dans les pays marqués par la guerre, mais aussi parce qu'il met à disposition de tous ce qui relève du patrimoine de l'humanité. Il est porteur d'entraide, comme dans le cas du tsunami thaïlandais et facteur de stabilité mondiale, si l'on considère que se connaître conduit à atténuer les risques de conflits. Un mot pour rappeler aussi le rôle des vacances et donc du tourisme dans les politiques sociales : épanouissement, reconstruction, mixité sociale, cohésion nationale : tout ceci est bien connu mais est effectivement essentiel. Cette dimension humaine, elle se décline aussi dans une approche plus économique : quels produits imaginer pour les populations touristiques de demain dotée de tout les appendices technologiques portables. Que ce soit des populations qui viennent de loin, sous l'angle géographique mais aussi culturelle : c'est quoi la Renaissance pour un Chinois moyen ? mais aussi quels produits dans vingt ans pour une population à forte composante seniors +, ou pour des familles recomposées, ou pour une jeunesse imbibée de jeux vidéos et à la culture historique fragmentaire ? Ces considérations ne sont à mon avis pas triviales quand on est le premier pays visité au monde et qu'on entend le rester. La difficulté nous le savons, assez mondialement partagée, est que l'industrie touristique n'est toujours pas prise suffisamment au sérieux alors qu'à l'évidence elle ne saurait tarder à concerner chaque habitant et chaque recoin de la planète. Alors, et en conclusion, on voit bien l'importance de développer une politique solide de l'économie touristique, avec une structure dédiée au tourisme, une politique de promotion de la destination dotée de moyens adéquats, avec une image structurée et coordonnée sous une seule bannière, une profession regroupée au sein d'une fédération professionnelle puissante et écoutée des pouvoirs publics, des opérateurs touristiques professionnalisés et des acteurs impliqués, pratiquant l'accueil, les langues étrangères, acceptant de servir après 14 h et après 21 h et d'ouvrir les boutiques à l'heure du déjeuner si les croisiéristes sont là, ou encore de rebâtir une vaste politique de réhabilitation des infrastructures ou de développement des aménagements... Je crois que nous nous y employons tous. 1 L'organisation mondiale du tourisme (OMT) est une institution spécialisée des Nations Unies destinée à promouvoir et développer le tourisme. hor s-sér ie - juillet 2012 l « pour mémoire » 97 Table ronde : de gauche à droite, Philippe Moisset ; Paul Roll ; Jacques Augustin ; Alain Monferrand et Jean-Jacques Descamps. « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 98 Cour d'Honne ur (Accès réservé) (panneau) Place d'entrée des parkings Bo V e de Va -De nis et n G Ru e : Un sens unique de chaque Le premier côté. dessert à la cour d'honneur l'accès Arche. L'autre sens unique est celui de la route de la Demi-Lune . POISSY - ROUEN DANGE Eb ou R é eJ Ru ule s Ro u te l de a un m i- L De e Avenue A. Gleizes Tour Framatom e B O U LE VA RD CI RC CNIT Co l om be Place de la Statue s Nanterre Rueil-Malmaison i ULA IRE 4 La Grande Arche Accès aux parkings tin Tunnel A14 Ministère (panneau) P et P A B e Ru de sL o Georges Hu s aie sR ue ng Parc Centre Gare RATP TAXI Tunnel A14 B vers St-Germa in-en-Lay ou e lev ard de Neu illy Totem 7 en venant de Nanterre ou A14 ou de A 86 Accès aux parkings i Place de sortie des parkings 7 Livraisons Tour Pascal et Arche Sud Parking Pascal (panneau) B O Ver RN 3 1 4 Place d'entrée des parkings STOP s La B Dé re ctu réfe Vers Nanterre P se e t C e r g y - P o n t oi R A fen se Commercial Tour Pascal des QuatreTemp s A et B Tour Voltaire (ce ntre ) ue Parking Centre Feux tricolores i 8 P et P A B Feux tricolores U LE VA Ve Na rs Ru nter en Sain eil re ue t-G Malm du er Pré mai aison side n-en nt -Lay W e ilso - R N n 1 3 RD AIR CIRCUL E i Ver sS ure sne se Qu t ai d Bou e D logn e ion -Bo uton La Défense - centre B Pierre Gaud in rd va le ou D 9 A Pont de Neuilly ETOILE LA rr Fe V er e Fé lix y sS Ru Re gn au lt a int ri SE Hen A v IN 7 Ru e n B O v e O B A u E i E e U L e u a m b Quai de livraison de l'Arche Sud y lm A a G e R m tt D Asn ière s b P et P A B en provenance de Nanterre e tt CI a RC ULAIRE a Conseil Géné ral de l'Environnem ent et du Développ ement durable Journée d'étu des ul e va rd de la M issi on nd cha Mar Comment s'y rendre Comment s'in scrire « Cent ans d'administr ation du tourisme » rs Ve Pu tea ux Av ation « Cent ans d'administr du tourisme » hor s-sér ie - juillet 2012 l « pour mémoire » ntr (Ce e) Accueil Ministère de l'Éco logie, du rture Allocution d'ouveDéveloppement durable, des Transports et du Logemen t www.develop pem ent-durable. gouv.fr L'invention du tourism e ère la création de la premi des associations dans Le rôle déterminant Déjeuner * ale Table -ronde is et dans l'économie nation e dans la vie des frança Rôle et poids du tourism Allocution de clôture Les annexes Annexe I Les principaux acteurs de l'histoire administrative du tourisme (1910-1980) Rappel historique (1910-1980) 99 100 Arnault Berthonnet : Cent ans d'organisation administrative du tourisme - Les années 1910-1980 Les structures centrales de l'administration du tourisme (1910-1980) : quelques années de références Annexe II Christian Queffélec : La côte d'Émeraude ou les fleurs exquises du rêve et du divertissement 105 « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 100 Annexe I Cent ans d'organisation administrative du tourisme Les années 1910-1980 Arnaud Berthonnet Les structures centrales de l'administration du tourisme (1910-1980) : quelques années de références Sources : Annuaires du ministère des Travaux publics, du Commerce et de l'Agriculture, des travaux publics, des Postes et Télégraphes, du ministère de la Construction, du ministère de l'Équipement, etc., 1911 à 1981. 1911 Administration centrale du tourisme Ministre des Travaux publics, des Postes et des Télégraphes Direction du Personnel et de la Comptabilité Direction des Routes, de la Navigation et des Mines Sous-direction des Routes et Ponts M. Bordas (Fernand), sous-directeur. 1er bureau. Routes nationales. Ponts 2e bureau. Routes départementales. Police du roulage. Cantonniers. Office national du tourisme. Automobiles. Déclarationd'utilitépubliquedes travauxsurlesroutesdépartementales. Règlementdesalignements.Bornage. Policeduroulage. Droitdeplaceetdestationnement. Permissionsdevoirie.Posedes conduitesd'eauetdegaz. Cantonniersdesroutesnationales. Étudesgénéralesconcernantl'entretien desroutes,cylindrage,goudronnage. Statistiquedesroutes. ExamensdesprojetsdetravauxcommunauxcommuniquésparleMinistère del'Intérieur.Étudesdedistribution d'eaudanslesvillesetcommunes. Épurationd'eaud'égout. Champsdetir.Cheminsdefer militaires. Officenationaledutourisme.Congrès delaroute. Réglementationgénéraledelacirculationdesautomobiles.Immatriculation. ExamendesConducteurs. Réclamations. Subventionsauxservicespublics d'automobiles. M. Normand, chef de bureau. M. Bescherelle, sous-chef de bureau. M. Berthet, rédacteur. M. Roussotte, rédacteur stagiaire. M. Guenault, expéditionnaire. Sous-direction de la Navigation M. d'Hénouville, sous-directeur. Direction des Chemins de fer Sous-direction des concessions et travaux Sous-direction de l'Exploitation Direction des Mines, des voies ferrées d'intérêt local et des distributions d'énergie électrique 1932 Sous-secrétaire d'État, chargé des services des routes, de la circulation nationale et internationale, du tourisme et du transport des voyageurs sur terre et sur mer : M. GastonGérard, du 27 janvier 1931 au 3 juin Cabinet du sous-secrétariat d'État M. Baqué (Daniel), chef de cabinet, hor s-sér ie - juillet 2012 l « pour mémoire » 101 sous-directeur de l'Office national du tourisme. 1er Bureau. Budget. Travaux législatifs. Direction du Personnel, de la Comptabilité et de l'Administration générale Comptabilité 1936-1937 Commissariat général au Tourisme M. Roland-Marcel, Conseiller d'État, Commissaire Général. M. Peyromaure-Debord, Maître des Requêtes au Conseil d'État, délégué Général. M. Larrieu, chef de bureau. M. Lorion, sous-chef de bureau. M. Laval (Robert), rédacteur. M. Le gendre, faisant fonctions de rédacteur. Mme Sarraud, sténo-dactylographe. M. Charton, sténo-dactylographe. M. N..., sténo-dactylographe. 1938-1939 Commissariat général au Tourisme M. Roland-Marcel, Conseiller d'État, Commissaire Général. M. Peyromaure-Debord, Maître des Requêtes au Conseil d'État, délégué Général. M. Essig (Jean), inspecteur des Finances, conseiller financier. M. Larrieu ; chef de bureau. M. Lorion, sous-chef de bureau. M. Laval (Robert), rédacteur. M. Le Gendre, faisant fonctions de rédacteur. Mme Sarraud, sténo-dactylographe. M. Charton, sténo-dactylographe. M. N..., sténo-dactylographe. 1952 Direction générale au tourisme 8, avenue de l'Opéra - 75001 Paris. Directeur général : M. Boucoiran (Jean). Chef de service : M. Artaud-Macari (Joseph). Inspecteurs généraux : M. Herpin (Guy-Louis). M. Septembre (Georges). Sous-directeur : M. Deketelaere (Paul). Chargés de mission : M. Chamson (Max). M. Juge (Alphonse). M. Planque (Vincent). Mlle Ecker (Françoise). M. Anthonioz (Bernard). Mme Morin-Laborde (Colette). Mlle Polliot (Marguerite). M. Javion (Simone). Secrétariat et emplois rattachés. M. Bourrel, Rédacteur. Mme Charton, Adjoint adm. Mme Cerf, Sténo-dactylographe. Mlle Rigaux, Sténo-dactylographe. Mme Petitgas, Employé de bureau. Mlle Claverie, Employé de bureau. Mme Royer, Prép. Télép. Mme Bourrouilh, Prép. Télép. 1er Bureau. - Organisation générale et activités professionnelles. M. Dallot (Paul), Chef de bureau. 1ère section. Comités régionaux de tourisme et Syndicats d'initiative. - Sites et BeauxArts. ­ Stations classées et taxes de séjour. - Associations de tourisme. - Équipement collectif. 2e section Hôtellerie, reconstruction et équipement hôtels - Agences de voyage. - Guides. M. Dallot (Paul), Chef de bureau. M. Jocard (Paul), Adminsitrateur civil. M. Besso (Roger), Sous-Chef de bureau. M. Hedoin (Félix), Sous-Chef de bureau. M. Labarre, Rédacteur. Mlle Bousquet, rédacteur. M. Lier, Adjoint adm. Mlle Damiens, Adjoint adm. Mme Bouyssou, Secrétaire Sténo-dactylographe. Mme Moine, Dactylographe. Mlle Chabrillat, Employé de bureau. 2e Bureau. - Personnel. - Budget. Comptabilité. - Service intérieur. Diffusion du matériel de propagande. Régie d'avances et de recrues. M. Huet (Henri), Chef de bureau. Mme Renoir, Rédacteur. Mme Galland, Adj. adm. M. Constant, Régiss. d'av. M. Davois, Employé de bureau. Mlle Mazeyrat, Employé de bureau, Régisseur de recettes. Mme Dubray, Employé de bureau. Documentation, matériel de publicité, expositions. M. Chamson (Max), Chef de bureau. 3e Bureau. - Bureaux à l'étranger. Mlle Segalat (Odette), Chef de bureau. Mlle Argoulon, Rédacteur. Mme de la Rochebrochard, Adjoint adm. Mme Rigaudière, Secrétaire sténo-dactylographe. « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 102 4e Bureau. - Éditions de propagande. - Aide aux éditions locales. - Photothèque. M. Guillot (Yves), Chef de bureau. M. Clausier de Manoury, Adjoint adm. Mme Falcou, Adjoint adm. Mlle Drouot, Employé de bureau. Sections techniques 1ère Section technique. - Presse. - Informations. - Reportage. - Documentation. Cinéma. - Radio. - Télévision. - Expositions. M. Chanson (Max), Chargé de Mission. Mme Deketelaere, Rédacteur. Mme De Créty, Rédacteur. M. Manuleis, Adj. adm. Mlle Gruselle, Secrétaire sténo-dactylographe. Mme Meillassoux, Sténo-dactylographe. 2e Section technique.- Accueil. Conférences internationales. M. Bardy (René), Chargé de mission. En fonctions au Secrétariat général du Gouvernement. Mme Bolzinger, Sous-chef de bureau 1959 Commissariat Général au Tourisme 8, avenue de l'Opéra - 75001 Paris. Commissaire général : M. SAINTENY (Jean). Chef de service : M. Charton (Pierre). Inspecteurs généraux : M. Herpin (Guy-Louis). M. Bertrand (Lucien). Sous-directeur : M. Deketelaere (Paul). Chargés de mission : M. Chamson (Max). M. Juge (Alphonse). Mlle Ecker (Françoise). M. Anthonioz (Bernard). Mme Morin-Laborde (Colette). Mlle Polliot (Marguerite). Mlle Rouillard (Paule). M. Florentin (Jean). Mlle Balu (Monique). M. Robert (Antoine). Mlle Hennegrave (Marie-Claude). Secrétariat et emplois rattachés. Mme Charton, Adjoint administratif. Mlle Ehret (Jeannine), Secrétaire, sténodactylographe. I. - Affaires générales Bureau des Affaires générales, Affaires économiques et financières, Statistiques. Mlle Rozes (Huguette), Administrateur civil, chargée du bureau. Mlle Rouillard, Chargée de mission (Statistiques). II. - Activités touristiques 1er Bureau. A.T. - Activités professionnelles : industrie hôtelière, classement des hôtels, prix, prêts à l'hôtellerie. - Enseignement hôtelier, agences de voyages, transports, formation professionnelle. M. Le Roux (Paul), Agent supérieur, chargé du bureau. M. Labarre (Marc), Sous-Chef de bureau. M. Walker, Secrétaire d'administration. M. Lier, Adjoint administratif. M. Freva, Adjoint administratif. Mme Bouyssou, Secrétaire, sténodactylographe. 2e Bureau. A.T. - Équipement collectif, thermalisme, climatisme, tourisme dans les départements d'outremer. - Organisation intérieure : comités régionaux et syndicats d'initiative, commissions départementales, stations classées, taxe de séjour. M. Jocard (Louis), Administrateur civil, chargé du bureau. M. Hedoin (Félix), Sous-Chef de bureau. Mlle Damiens, Adjoint administratif. 3e Bureau. A.T. - Activités touristiques à but non lucratif : tourisme social, associations, hébergement complémentaire. M. Planque (Vincent), Chef de bureau, chargé du bureau. M. Lebrec (Georges), Sous-Chef de bureau. III. - Propagande 1er Bureau P - Personnel. - Budget. - Comptabilité. - Service intérieur. Diffusion du matériel de propagande. - Régies d'avances et de recettes. M. Huet (Henri), Chef de bureau, chargé du bureau. Mme Cohen (Andrée), Adjt administratif. M. Cesari (Pierre), Adjt administratif. 2e Bureau P - Bureaux à l'étranger. Tourisme technique. Affaires internationales. Mlle Segalat (Odette), Administrateur civil, chargé du bureau. M. D'Anthouard (Jean), Sous-Chef de bureau. hor s-sér ie - juillet 2012 l « pour mémoire » 103 Mlle Argouilon (S.), Rédacteur. Mme de la Rochebrochard (Y.), Chef de groupe. Mme Rigaudière, Secrétaire, sténodactylographe. 3e Bureau P - Éditions de propagande. - Aide aux éditions locales. - Photothèque. M. Guillot (Yves), Chef de bureau, chargé du bureau. Mme Clausier de manoury (Solange), Adjoint administratif. Mme Falcou (G.), Adjoint administratif. IV. - Sections techniques 1ère section technique - Presse. - Informations. - Reportages. Documentation. - Cinéma. - Radio. Télévision. - Expositions. M. Chamson (Max), Chargé de mission, chargé du bureau. Mme de Crety (J.), Rédacteur. M. Manuielis (J.) Adjoint administratif. Mme Combecau (M.), Secrétaire, sténodactylographe. 2e section technique - Accueil. Conférences internationales. M. Juge (Alphonse), Chargé de mission, chargé du bureau. 5 sténodactylographes. 10 agents de bureau. 1969 Cabinet du secrétaire d'état au tourisme Ministre de l'Équipement et du Logement : Albin Chalendon Marcel Anthonioz (1911-1976), secrétaire d'État au tourisme, du 20 juin 1969 au 5 juillet 1972 Commissaire général au tourisme : Jean Ravanel, Conseiller d'Etat. Chef de service : M. Mosca (Victor), administrateur civil. Inspection générale : M. Gaudibert (Paul). Délégations régionales, comités régionaux, commissions départementales, offices de tourisme, syndicats d'initiative - Commission d'aide aux éditions locales - Etudes et missions diverses. Mlle Aubin (Madeleine), administrateur civil hors classe. Exécution du plan et rapport avec le Commissariat au Plan - Classement des stations Problèmes relatifs aux casinos et aux jeux - Enseignement et formation professionnelle Assistance technique - Missions particulières en matière d'équipement. M. Lebrec (Georges), chef de bureau. Assistance et coopération technique. Division de la Statistique, des Études et de la Conjoncture Chargé de la division : M. Marc (Alfred), chargé de mission. I. Sous-direction de l'administration générale Sous-directeur : Deketelaere (Paul). Bureau du Personnel, du Budget et de la Comptabilité Chargée du bureau : Mme Renoir (Anne-Marie). Personnel - Budget Comptabilité - Service intérieur - Régies d'avances et de recettes. Affaires internationaes M. Anthouard (Jean d'), sous-chef de bureau. Bureaux à l'étranger et Diffusion Chargé du bureau : M. Couturier (François). Gestion des représentations à l'étranger - Diffusion. II. Sous-direction de la propagande et de la publicité Sous-directeur : Mme Renaudin (Claude). Adjoint au sous-directeur : Ségalat (Odette), administrateur civil de 1ère cl. Conseiller financier : M. Huet Henri, agent supérieur. Bureau de Production Chargée du bureau : Mlle Ségalat (Odette), administrateur civil de 1ère cl. Editions, matériels de vitrines et d'expositions ; films et enregistrement radiophoniques; aide aux éditions régionales et locales. Bureau de la Documentation Chargée du bureau : Mme Argoullan (Suzanne). Documentation - Bibliothèque - Photothèque. Bureau de la Promotion et des Relations extérieures Chargé du bureau : N... Relations extérieures - Campagnes de publicité - Promotion commerciale et congrès Information. Bureau de l'Accueil Chargé du bureau : N... III. Sous-direction de l'Aménagement Touristique Sous-directeur : N... Adjoint au sous-directeur : M. « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 104 Thomassin (Albert), administrateur civil hors classe. Bureau de l'Equipement collectif Chargé du bureau : N... Équipement collectif - Thermalisme Climatisme - Organisation des stations classées -Taxe de séjour. Bureau de l'Hôtellerie Chargé du bureau : N... Industrie hôtelière - Classement des hôtels - Prix - Prêts à l'hôtellerie - Régimes fiscaux Restaurants de tourisme. Bureau des Agences de voyage Chargée du bureau : Mme Carin (Jacqueline), administrateur civil de 2e cl. Agences de voyages - Transports Formation professionnelle ­ Promotion sociale. Bureau du Tourisme social Chargé du bureau : M. Planque (Vincent), agent supérieur. Activités touristiques à but non lucratif : tourisme social - Associations Hébergement complémentaire. 1978 Le Tourisme est rattaché au Ministère de la Jeunesse, des Sports et des Loisirs Ministre : Jean-Pierre Soisson Direction de l'aménagement et des professions touristiques Directeur : Bertrand Rebeillé-Borgella, sous-préfet hors-classe. I. Sous-direction de l'administration générale et des affaires financières hor s-sér ie - juillet 2012 II. Sous-direction des professions touristiques III. Sous-direction du tourisme social et des équipements collectifs - Délégation de la qualité de la vie - Service d'étude et aménagement touristiques de l'espace rural - Service d'étude et aménagement touristiques du littoral - Service d'étude et aménagement touristiques de la montagne - Service de l'action touristique et des relations internationales - Services extérieurs du tourisme Délégations régionales au tourisme Comités régionaux du tourisme Représentation des services officiels du tourisme français à l'étranger - Caisse nationale de vacances - Organisme divers - Union nationale des associations de tourisme (UNAT) 1946-1980 Henry Ingrand Georges Pompidou Guy-Louis Herpin, Vincent Planque Robert Hollier Jean Médecin Jean Boucoiran Jean Sainteny Pierre Dumas Jean Ravanel Jean-Pierre Dannaud Jacques Médecin Marcel Anthonioz Aimé Paquet Bertrand Rebeillé-Borgella Rappel historique (1910-1980) 1910 : création de l'Office national de tourisme (1910-1935) 1930-1931 : premier « ministre » chargé du tourisme (6 semaines) 1935 : création d'un Commissariat général au tourisme (40 ans avec des interruptions) 1948 : première direction générale au tourisme au sein du ministère des Travaux publics, des Transports et du Tourisme 1963-1978 : Secrétariat d'État au tourisme (15 ans) 1974 : le Tourisme est rattaché au ministère de la Qualité de la vie 1977 : le Tourisme est rattaché au ministère de la Culture et de l'Environnement 1978 : le tourisme est rattaché au ministère de la Jeunesse, des Sports et des Loisirs. Les principaux acteurs de l'histoire administrative du tourisme (1910-1980) 1910-1945 Alexandre Millerand Gaston Gourdeau Gaston Gérard Pierre Roland-Marcel Paul Peyromaure-Debord Henry de Ségogne l « pour mémoire » Annexe II 105 La côte d'Émeraude ou Les fleurs exquises du rêve et du divertissement par Christian-Noël Queffélec, Architecte, Ingénieur Général L'épopéedesvillesbalnéairesreste,pourunarchitecte,unesourcetoujours renouveléederéflexionsurlemétieretsurleprocessusdefabricationdesvilles.On yvoitcommentàpartird'undésirprofonddel'individu,correspondantàunmoment singulierdudéveloppementdelasensibilité,s'élaboreuneréponseconcrèteassociant latransformationd'unterritoireetlaréalisationdebâtimentsemblématiques.On découvre,viteséduit,cetteproductiond'uncadredevieoriginalrépondantsibien àunnouvelimaginaireencoursd'élaboration.Alorsqu'unearchitecturesouvent triste,issuedufonctionnalismeetdesrecherchestechnologiquessembles'imposer, denosjours,onestémerveilléparleplaisir, lavitalité,lesentimentdejubilationquiont guidélespasdesconstructeursdesvillesbalnéairesetleurontdonnélalibertéd'explorer desvoiesnouvelles.Loindel'étatd'espritque traduit,l'expressionbienterned'habitatpour untourismedemasse,ilssurentsefrayer uncheminoùsesontépanouiesmaintes réalisationsexemplaires,fleursexquisesdu rêveetdudivertissement. Letextequisuitn'enfaitpaspourautant lasimpleapologie.Ilchercheàdécriredes processus,l'élaborationdeprogrammesetde projets.Ilparledeméthodesetdemoyens. Ildécritdesrésultats.Ilfaitàsamanièreun bilan.Ilcherchedesconstantes.Ilopèreense laissantguiderparlerespectdupatrimoine maismontreaussilafièvred'unamateurque nourrirl'élandupassépourimaginerdes formesadaptéesàl'avenir. « pour mémoire » La plage du Casino à Paramé en 1905 l hor s-sér ie -juillet 2012 106 La Côte d'Émeraude est un nom inventé par l'avocat malouin Eugène Herpin, qui l'utilisa en 1894 pour le titre de son ouvrage, La Côte d'Émeraude, Saint-Malo et ses souvenirs. Il désignait ainsi « la partie des côtes bretonnes qui s'étend des roches sauvages du cap Fréhel aux grèves mystérieuses et mouvantes du mont Saint-Michel ». Les limites ont ensuite varié selon les auteurs. Aujourd'hui, l'expression désigne plus particulièrement, tout d'abord Saint-Malo, Dinard et Paramé, mais aussi toutes les stations balnéaires qui s'échelonnent le long de la côte, depuis la baie de Cancale jusqu'à la pointe du cap Fréhel. Cette zone, depuis la pointe de Grouin jusqu'au cap Fréhel, est constituée d'une côte très découpée. Quelques grandes plages alternent avec de nombreuses criques parfois difficiles d'accès, avec les grèves de baies profondes de la Frenaye et de l'Arguenon, fermées par les bouchots et les parcs à huîtres, ou encore le Havre de Rothéneuf, entièrement asséché à marée basse. principal de l'habitation a disparu par suite de l'érosion de la falaise. L'étude des tuiles et des briques retrouvées a conduit à dater la construction entre le milieu du Ier siècle et la fin du IIe siècle après J.-C. Des ruines ont été également mises à jour sur la plage de la station balnéaire de Sable-d'Or-les-Pins. Il existait, près du Guildo, une magnifique villa romaine. La grève était, jadis, dominée par un monument romain important, dont les ruines furent découvertes en 1850 ensablées sous les dunes. Il existait encore, au siècle dernier, à cet endroit, de beaux fragments de fresques, de plaques, de revêtements en coquillages, de marbres sculptés ou travaillés, qui garnissaient les murs d'une grande salle de bains. Ils montrent la présence d'une riche construction dans un site enchanteur, tout près de la mer et sur le bord d'une grève au sable fin et moiré. La mer servait l'été au plaisir des habitants, tandis que l'hiver, ils utilisaient des thermes dont l'existence dans la villa à été révélée par la découverte de tuyaux d'hypocauste. On pense, aujourd'hui, que le littoral de la Côte d'Émeraude était couvert de villas et de constructions romaines de toutes sortes, dont certaines devaient être des résidences d'été. Ces habitations possédaient des bains, le plus souvent composés d'une piscine de forme rectangulaire ou carrée, alimentée par une fontaine jaillissant soit d'une sorte de piédestal, soit d'un vase porté par une figure. Un escalier aux marches étroites et assez haute permettait d'y descendre. Le fond et les parois latérales étaient recouverts d'un enduit assez épais sur lequel une couche de bleu (carbonate de cuivre) y était uniformément étendue, pour des raisons esthétiques, pense-t-on. Dans les thermes, de grandes piscines d'eau froide permettaient aux baigneurs de se livrer à la natation après être passés par les différentes phases des bains d'étuve. SAINT-MALO Les premiers équipements balnéaires Saint-Malo est cité comme premier lieu des pratiques balnéaires de la période moderne. Deux dates servent alors de repère : la création du premier établissement de bains sur la plage en 1840, l'arrivée du chemin de fer en 1864 ouvrant l'ère des bains de mer dans la région malouine. De fait, en Bretagne, les premiers établissements de bains sont apparus vers 1830 à Gildas-deRhuys ou encore à Saint-Malo. La mode des bains de mer débuta sous LouisPhilippe. Un événement sert de date symbolique. Le mercredi 3 juin 1835, le conseil municipal de Saint-Malo eut à débattre de la proposition du docteur Chapel, adjoint au maire, d'insérer dans les journaux un article relatif aux bains de mer que l'on commençait à prendre, si commodément, sur l'immense et belle grève de Saint-Malo. Il s'agissait de lancer une campagne de publicité capable d'attirer une nouvelle clientèle à la belle saison. En 1835, la municipalité décida également de construire au plus tôt les toutes premières cabanes à baigneurs ; deux ou trois cabanes firent leur apparition sur la grande grève de Saint-Malo. Il existait également à Saint-Malo la UN PRÉCÉDENT INATTENDU Selon des études archéologiques récentes, les côtes nord de la Bretagne étaient déjà, à l'époque gallo-romaine, un lieu de fixation pour les amateurs de la mer et pour les premiers baigneurs. On a trouvé à quelques mètres du rivage, des villas avec thermes. L'une d'entre-elles, découverte en 1977 aux Sables d'Or, possédait des thermes identifiés par ses frigidarium, tépidarium et caldarium, par contre, le bâtiment hor s-sér ie - juillet 2012 l « pour mémoire » 107 fonction de surveillant de baignade. A l'aube de la saison des bains de 1836, elle fut évoquer car la personne qui en était chargée commençait à prendre de l'âge. La puissance publique se sentait responsable de la sécurité. Un autre élément marqua le début des pratiques balnéaires. Ce fut la construction, en 1838, d'un établissement de bains chauds appelé premier casino de Saint-Malo. Il fut financé sur fonds privés, à la suite d'une initiative du docteur Chapel qui provoqua la création de la Société des bains de mer de Saint-Malo. Après avoir obtenu une subvention de mille francs, la société acheta un terrain à l'emplacement du Fort de Thiange. Le conseil municipal délibéra alors, en cette année 1838 pour créer un établissement de bains. Le seul emplacement favorable était le terre-plein de la batterie avancée, alors à l'entrée de la digue du Sillon, qui par sa position, se trouvait à deux pas des lieux de baignade et de la plus agréable promenade de Saint-Malo. La construction ne pouvait se faire sans avoir au préalable reçu l'autorisation du Ministère de la Guerre, et la destruction de cette batterie ne pouvait être ordonnée que sur le bon plaisir du Directeur des fortifications. Le bâtiment allait bientôt se construire à l'entrée de la digue du Sillon. Par ailleurs, les cabines mobiles se trouvaient remisées sur la cale de la Porte Saint-Thomas, à proximité de la place Chateaubriand qui devint, avec ses cafés et son kiosque à musique, le lieu de réunion de la société mondaine. La plage du Bon-Secours, située à l'ouest des fortifications, accessible uniquement par la ville close, devint également une plage fréquentée par les familles ; elle bénéficia, dès 1851, d'un établissement de bains. La polyvalence du premier équipement Au rez-de-chaussée de l'établissement des bains de mer, on trouvait, en partie centrale, un salon de compagnie, à l'extrémité Est, un salon de jeu, séparé du premier par une simple cloison qui pouvait s'ouvrir à volonté pour former une seule pièce de douze mètres de long et de huit mètres de large. A l'extrémité Ouest, une petite pièce demi-circulaire servant à la distribution des rafraîchissements, était précédée de deux cabinets pour les dames, séparés par le vestibule menant au salon et d'où partait un escalier conduisant à une petite cuisine en sous-sol et desservant des locaux situés à l'étage. A l'extérieur, un mur à hauteur d'appui, surmonté d'une claire voie, délimitait une cour sur toute la longueur de la façade. Dix cabines de bains étaient placées devant l'édifice sur la grève. En 1843, l'établissement de bains de mer de Saint-Malo, qui dépendait du casino et était subventionné par la ville, connut des difficultés financières ; en 1845, il dut recevoir de la ville une somme de mille francs. (A cette époque on s'occupa également de l'établissement d'un Champ-de-Mars, sur le Sillon, dans la portion de la petite grève qui devait être desséchée par la création d'un bassin à flot.) Le second casino Autour des années 1860, on envisagea de construire un nouveau casino à Saint-Malo, avec tous les accessoires et dépendances nécessaires, mais la dépense, de l'ordre de cent mille francs, arrêta le projet. La solution retenue fut de transformer le casino existant en le conservant dans sa plus grande partie, tout en lui donnant plus d'espace et d'élégance. Malgré l'insuffisance des équipements (d'autres villes possédaient des établissements permettant de suivre des traitements hydrothérapiques rationnels, avec des bains chauds, des douches froides et chaudes), Saint-Malo commençait à connaître un grand succès avec pas moins de 60 000 voyageurs « pour mémoire » Les Remparts et le Rocher du Grand Bé sur lequel est érigé le Tombeau de Chateaubriand à Saint-Malo. l hor s-sér ie -juillet 2012 108 pendant les trois mois d'été. Toutefois, il fallait éviter au visiteur, pendant ses temps libres, de connaître l'ennui. Aussi aux excursions dans les environs, aux courses de chevaux déjà programmées, il fallait songer à ajouter des bals, des jeux, des concerts, du spectacle. On imagina un projet de nouvelle construction pour un casino plus monumental, qui se situerait dans le vaste emplacement isolé au milieu du terre-plein du quai Napoléon, entouré de jardins et de cours, disposé de manière à recevoir comme complément, un établissement hydrothérapique. Grâce au zèle de l'architecte Frangeul, un nouveau casino fut reconstruit, en 1868, par la Société des bains de mer ; il était situé sur son ancien emplacement, et certaines des parties anciennes furent conservées. Les murs et la façade principale, sur le quai Napoléon, furent réalisés en briques rouges, les encoignures, les encadrements des fenêtres en ciment et les corniches en bois. Des salons du nouveau casino, d'un côté, on découvrait la plage, les bains, la pleine mer, de l'autre, le port et le mouvement du quai Napoléon et la verdure d'un jardin. Le bâtiment pouvait accueillir des spectacles. L'exploitation d'un grand équipement n'était pas chose facile. En 1895, la ville, longuement sollicitée, accepta d'acheter le casino à la Société des bains de mer pour un prix de 30 000 francs ; la société conserva l'exploitation des bains chauds et du matériel sur la grève. Les cabines de bains La gestion de l'espace public était une activité économique. En décembre 1881, la Société du casino et des bains de mer de Saint-Malo obtint du préfet un arrêté qui l'autorisait à faire circuler sur la plage de Saint-Malo avoisinant le château 70 cabines de bains, pour une somme de quatre francs par cabine. Cet arrêté prenait le relai de celui qui lui concédait, pour une période de neuf ans, la jouissance de la Grande Grève et qui prenait fin le 1er juillet 1882. En 1887, puis en 1897, cette autorisation fut Vue générale de Saint-Malo reconduite sur la grande plage, toujours pour un nombre de 70 cabines. Mais en 1905, les affaires allant moins bien, seules 57 cabines circulèrent sur cette plage, dans la partie comprise entre le Fort national et le Château. Statut de la plage et équipement Au début, il n'existait à Saint-Malo, comme lieu majeur pour le bain, que la Grande Grève (ou plage des Bains), véritable salon en plein air, qui attirait toute la journée les étrangers et les Malouins durant la belle saison. La plage de Bon Secours, située à l'ouest de la ville close était alors négligée. On l'appelait «la grève des Pouilloux » et n'intéressait que quelques gamins et les humbles ménagères des petites rues voisines qui venaient y mettre leur linge à sécher. Les touristes n'y passaient que pour visiter le Grand Bé ou pour aller, à mer basse, prendre le bateau de Dinard. Cependant un modeste établissement de bains y planta ses tentes. Le tarif du bain y était fort modique : vingt-cinq centimes. Le Le côté Ouest des remparts de Saint-Malo. hor s-sér ie - juillet 2012 l « pour mémoire » 109 tenancier de l'établissement était fort aimable et complaisant. La plage, bien ensoleillée, ayant l'avantage d'être couverte d'un sable sec que ne recouvraient entièrement que les marées d'équinoxe, commença à séduire les familles puis connut un grand succès. Elle se couvrit de parasols, de chaises et de pliants. Madame veuve Morin, née Harvut, de Saint-Malo, obtint, par autorisation ministérielle du 29 mars 1877, la concession temporaire d'un terrain domanial, afin d'établir une cabane ou établissement de bains. Des cabines de bains individuelles commencèrent à circuler. Alors que son bail de cinq ans se terminait, en juin 1882, elle sollicitera l'autorisation de faire circuler ses dix cabines de bains, face à la rue Saint-Pierre. Le bail lui est accordé, cette fois pour une durée de dix ans, pour une redevance d'un franc par cabine. Le 21 mai 1902, Madame Veuve Cardinal obtint l'autorisation de faire circuler vingt cabines sur cette plage à la place de Madame Morin décédée. Elle ajoutera seize nouvelles cabines à aux dix que possédait sa mère. Deux autres établissements s'établirent sur cette plage mais ils eurent la sagesse de conserver le prix modique pour leur service, si bien que la plage conserva son caractère familial et bon enfant et son succès, à partir de 1908, devint considérable. le caleçon. Du Fort National à la Tour dans ce cas. Sous le Second Empire, Bidouane, seuls les hommes et les jeunes la tenue avec caleçon puis maillot gens pouvaient se baigner, et le simple obligatoire devint la règle. Les femmes caleçon était autorisé. La baignade était se baignaient, soit aux abords du Fort interdite entre la Tour Bidouane et le National, soit sur la grève de Paramé où rocher Pouilloux, près de la piscine de elles se rendaient alors par les bateaux Bon Secours. Les hommes ne devaient du Naye dont les bateliers possédaient le pas s'approcher des endroits occupés monopole du passage entre Saint-Malo par les femmes à moins d'une distance de et Saint-Servan. A cette époque, les petites filles revêtaient, pour se baigner, des pantalons qui ne servaient qu'en cette Le pont roulant à marée basse occasion et les femmes utilisaient de vieux vêtements : vieilles robes, chapeaux démodés et chaussures hors d'usage. Pour ne pas avoir à déambuler dans la ville en cette tenue, elles se changeaient tant bien que mal à l'abri du regard. Dès 1840, les premiers costumes de bain apparurent sur la Côte d'Émeraude. Apportés par les étrangères, ils étaient invariablement de couleur noir, orné d'une ganse rouge ; ils étaient complétés par un bonnet ciré orné lui aussi d'une ganse rouge. La tenue sur la plage devenait un sujet de polémique, qui trouva sa solution dans l'arrêté du 12 juillet 1856, pris pour assurer la décence sur les plages. La plage de l'Eventail fut autorisée aux baigneurs des deux sexes, à condition de porter un caleçon fermé, descendant jusqu'aux genoux et de porter un gilet de laine de couleur foncée joignant « pour mémoire » La vie sur la plage La tenue de bain Au tout début, il était d'usage, pour les hommes, de se baigner nus. Des grèves leur étaient exclusivement réservées ; la grève de Saint-Malo fut longtemps l hor s-sér ie -juillet 2012 110 deux cents mètres. Enfin, il était interdit de baigner les chevaux, laver des charrettes et voitures pendant la saison des bains, sur la partie de la grève située entre la porte Saint-Thomas et la croix de pierre du Sillon, d'y déposer des matériaux ou des ordures, de faire ses besoins. La sécurité En 1842, deux portions de grèves étaient affectées aux bains. La première, située à l'est du Fort-Royal était réservée aux cabanes de l'établissement du casino et, à cette époque, aux personnes du sexe féminin. Elle s'avançait en pente uniforme et présentait peu de danger pour les baigneurs. La seconde, située à l'ouest du Fort était destinée aux hommes et aux jeunes garçons. Elle était d'une inclinaison plus raide, plus resserrée entre les rochers ; elle offrait partout des profondeurs différentes, utiles pour les exercices de natation, mais elle était aussi plus dangereuse. La municipalité exprima son intention d'améliorer la sécurité des usagers. On parla de placer un bateau de sauvetage que l'on dirigerait sur des deux emplacements du littoral désignés pour les bains, mais une chaîne de rochers fort élevés, infranchissables, séparant les deux plages, rendait le projet difficile. A la même époque, un généreux étranger, étonné de voir la plage dépourvue de canot de sauvetage durant la saison des bains, versa à la caisse de la Société du casino une somme suffisante pour permettre à cette société de faire l'acquisition d'un bateau et de réaliser l'installation nécessaire. Le système répondait au besoin de la plage des femmes mais pour la plage hor s-sér ie - juillet 2012 des hommes, il fallait imaginer un autre moyen. Ce fut tout d'abord l'utilisation de bouées de sauvetage. Ce fut ensuite l'utilisation de catamarans, l'un mouillant au large du bas de l'eau des plus fortes marées, et l'autre à tiers, pour qu'il y eut au moins un des deux à flots. à l'auberge. Il existait néanmoins de modestes établissements fréquentés par les voyageurs, qui traitaient fort bien d'ailleurs, à raison de 3 F par jour tout compris, leur client de passage ou les étrangers, venus en villégiature sur les plages. Après la guerre de 1870, ce furent des villas entières qui furent louées pour les vacances. Les débats sur la fonction des espaces À Saint-Malo, un ensemble de contraintes géographiques et économiques allaient rendre difficile le développement d'une ville de villégiature balnéaire. L'existence de la place forte imposait des servitudes sur les abords. Une servitude non ædificandi, d'origine militaire, protégeait de toute occupation humaine les zones limitrophes du château, afin d'éviter qu'un ennemi potentiel utilisât comme refuge des bâtiments voisins des fortifications. La loi du 10 juillet 1951 et le décret d'application du 10 août 1853 définissaient trois zones concentriques commençant aux fortifications et s'étendant respectivement aux distances de 250 mètres, 487 mètres et 974 mètres. A ces contraintes s'ajoutaient la superficie réduite du site, une langue de terre entre port et mer, par certains temps, un climat hostile, une affectation de la zone déjà précise, le transport de voyageurs et de marchandise. Lorsqu'en 1840, la Société des bains de mer de Saint-Malo entreprit la construction d'un établissement de bains et d'un casino, seuls les baigneurs anglais fréquentaient régulièrement l'endroit. Le projet, porté par quelques notables éclairés, fut vivement critiqué par les autorités militaires qui imposèrent l'emploi de bois de gros oeuvre pour toute construction située en La ville de villégiature L'arrivée des estivants Au début du développement de l'activité balnéaire, Saint-Malo était une ville enserrée dans ses remparts, à l'extrémité d'une bande de terre étroite et entourée d'eau, appelée le Sillon. En 1840, SaintServan commençait à accueillir une colonie anglaise, se baignant déjà sur la plage des Fours-à-Chaux. Dès les années 1850, les Anglais arrivaient aux pieds de la ville close par des vapeurs venant de Southampton. Allait ainsi s'amorcer le phénomène de la villégiature balnéaire sur la Côte d'Émeraude. À Saint-Malo, le début des bains de mer commença avant 1840. Aux beaux jours, les Malouins avaient pris l'habitude de se retirer dans leurs maisons de campagne et, pendant un à deux mois, des fois davantage, ils louaient leurs appartements intra-muros aux premiers vacanciers, aux estivants français et étrangers. L'été se terminant, ils revenaient en ville et reprenaient leurs habitudes. Cette pratique du gîte chez l'habitant était fréquente. Il en coûtait de 100 F à 150 F par mois pour jouir paisiblement d'une grande salle et d'une cuisine, et de trois ou quatre chambres ayant presque toujours deux lits chacune. Il était rare de prendre pension l « pour mémoire » 111 plus ancien. De grands édifices comme le casino municipal des frères Perret ou le Grand-Hôtel-Franklin contribuèrent à faire de ce secteur un endroit clé de la villégiature de la Côte d'Émeraude, à la fois lié au passé maritime de Saint-Malo et doté d'une véritable vocation centralisatrice, autour du port, du bac, du pont roulant et du tramway. Le Casino des frères Perret et la Plage à Saint-Malo en 1907. Le casino a été inauguré en juillet 1899, détruit en 1944. PARAMÉ les concessions dans la deuxième zone de défense des fortifications, malgré les conséquences possibles sur les activités traditionnelles. On assista alors, plus radicalement qu'ailleurs, à la disparition progressive des activités traditionnelles pratiquées sur l'estran, ramassage du goémon, du sable, pêche à pied, au profit d'un usage codifié d'une grève, qui à Saint-Malo comme quelques années plus tard à Saint-Énogat, changea de nom pour devenir la plage. A partir de 1870, plus de trente ans après les premiers bains, quelques villas, des immeubles et des hôtels (villa Kervadec, Grand-Hôtel Franklin et Petit Franklin, Emeraude Palace, Jacques Cartier) furent construits en front de mer sur le sillon pour des propriétaires malouins, remplaçant peu à peu les bâtiments industriels liés aux chantiers de construction navale. Un essor de la construction se produit alors à SaintMalo, en dehors des murs, avec la construction de chalets sur la chaussée du Sillon élargie. Les activités liées aux bains de mer gagnèrent, en plus d'un siècle, la totalité de la langue de terre reliant la ville fortifiée à la terre ferme, s'insérant dans un parcellaire industriel front de mer, au pied des remparts de la cité. Sur le Sillon émergea ainsi un type d'habitat spécifique aux sites balnéaires jumelés à une place forte : des chalets de bois construits sans digue de protection, à proximité de la plage. La servitude de zone non ædificandi resta un obstacle majeur à l'édification des casinos de la station malouine ; ils devaient être construits à bonne distance de la ville intra-muros et des cales de débarquement des voyageurs en provenance de Grande-Bretagne et de Dinard, et par là même exclus d'une certaine animation propice à l'épanouissement des stations. Jusqu'en 1860, les terrains du Sillon furent l'objet de conflit entre les propriétaires désireux de faire construire une maison de villégiature « hors les murs », le service des Domaines, le Génie et la ville. Tandis que le conseil municipal cherchait à s'approprier les terrains non submersibles formant le Sillon pour les revendre à des privés, les industriels des chantiers navals et les militaires, essayaient de conserver leur emprise sur la voirie. En 1852, un décret fixa la propriété des terrains submersibles et les règles d'alignement des constructions à venir. L'État autorisait Un bourg sur un vaste territoire La commune de Paramé fut créée en 1790. Sur l'ensemble de ce territoire, la population était très dispersée, vivant en majeure partie du maraîchage et de la vente des produits aux habitants de Saint-Malo. Un bourg situé en retrait par rapport à la mer, et le dos tourné à la grève, formait un centre, avec son église datant du début du XIIIe siècle et ses quelques demeures du XVIe et XVIIe siècles. Au milieu du XIXe siècle, seuls les habitants de Saint-Malo connaissaient la grève immense de Paramé et son panorama pittoresque. Ils venaient y prendre des bains de mer et déjeuner sur l'herbe. Au bord de la mer, les jachères s'étendaient à l'infini. C'était là la distraction dominicale des Malouins, car de tout temps, les armateurs de Saint-Malo possédaient des maisons, de Cancale à Paramé, derrière le village, dans la campagne du côté de Saint-Ideuc. Mais déjà, cette petite agglomération connaissait un accroissement de la population estivale. A partir de 1850, elle « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 112 allait commencer une modernisation du bourg, l'urbanisation du territoire de la commune. On assista successivement au développement des quartiers de Rochebonne, du quartier de la cité des bains, du lotissement concerté de la Bais-Saint-Malo-Paramé, du lotissement concerté Frangeul-Auscher, puis Leroyer. Si 1879, la plupart des terrains n'était que sables et luzernes, mais le développement de l'urbanisation fut rapide. En 1885, on dénombrait déjà 180 villas ainsi que le Grand-Hôtel, le casino. On situe dans les années 1860 le démarrage de la villégiature balnéaire à Paramé. En 1866, M. Besnier ouvrit le premier établissement de bains sur la grève de Rochebonne ; avec ses cabines de bain roulantes, il était associé à un hôtel voisin. Les premières maisons de villégiature furent construites, par les notables de la région à partir de 18601970 (villa Beausite, Les Roches) sur la pointe de Rochebonne, point le plus haut du rivage. Suite à l'acquisition des terrains de Beaurivage par le banquier parisien Hébert, un plan de lotissement fut mis en place sur les nielles (ou dunes) de Paramé par la Société de la baie de Saint-Malo-Paramé, créée en 1881 à Paris afin d'aménager les terrains en une station nouvelle. Au coeur du lotissement, un Grand-Hôtel et un casino furent édifiés dès 1883. On assista alors à une croissance sans précédent de l'activité de construction de maisons de plaisance et d'hôtels de voyageurs entre 1881 et 1890. Les acheteurs de lot venaient de la région parisienne, du Nord ou de Normandie. Les différentes opérations d'urbanisation furent reliées entre elles. Les nouveaux équipements ainsi créés montraient un changement d'orientation : la volonté de se tourner vers la mer. En 1860, le boulevard des Bains fut ouvert pour relier le bourg aux quartiers balnéaires des nouveaux bains. Le long de cette voie, qui prit le nom de boulevard de Rochebonne, des maisons de plaisance apparurent jusqu'aux marges du bourg, en grande partie construites entre 1870 et 1880. Le boulevard des Bains fut suivi dix ans plus tard par les boulevards Hébert et Chateaubriand. Le bourg lui-même connut une mutation profonde. Une poste fut ouverte en 1850, face à l'église. Une nouvelle église plus grande fut édifiée en 1883 sur les plans de l'architecte Frangeul. L'église paroissiale fut transformée en mairie et en halles en 1886 sous la direction du même architecte. Les équipements comme l'éclairage urbain électrique furent signalés dès le début du siècle. A partir de 1911, la commune de Paramé se dota d'un réseau de distribution d'eau potable. En 1936, l'architecte Yves Hémar construisit des bains douches dans le bourg. La pointe de Rochebonne La Digue de Paramé sur la Côte d'Emeraude. La pointe rocheuse située à l'extrémité orientale de la plage de Rochebonne était occupé par des terres agricoles. Ce fut en cet endroit que les premières maisons hor s-sér ie - juillet 2012 l « pour mémoire » 113 le tracé étroit et sinueux du parcellaire antérieur à la station. Les villas de la cité des Bains furent construites directement sur la grève, sans digue de protection. En 1910, les Ponts et Chaussées répondirent positivement à la demande des riverains de construire un ouvrage de protection, demande renouvelée régulièrement par les propriétaires depuis 1886. Ce ne fut qu'en 1930 qu'un mur de soutènement fut édifié pour relier la digue des dunes à la cale de Rochebonne et pour protéger du même coup les villas du bord de mer. Le lotissement concerté de la baie de Saint-MaloParamé Paramé, la pointe de Rochebonne à marée basse en 1910. de villégiature furent édifiées, à partir de 1860. Très recherché pour sa situation panoramique et son espace boisé, le quartier accueillit entre 1860 et 1870 de grandes demeures (villas Beausite, Les Roches, Bel Horizon, Rochelettes, Rochebelle et les Grandes terrasses avec serres et communs) construites sur des terrains confortés avec un accès privé à la grève. Vers 1870, les trois villas Bel Horizon, Rochelette et Rochebelle furent réunies pour former l'hôtel Rochebelle. En 1890, le fort de Rochebonne de style néo-médiéval fut édifié à l'extrémité de la pointe sur des terrains rocheux acquis au domaine maritime sept ans plus tôt, selon des plans attribués à l'architecte Leroyer. Dans une impasse, dénommée primitivement impasse Hamon-Besnier, ce dernier, alors maire de Saint-Malo, fit construire, en 1878, trois villas pour sa famille : Castel Senbilion, Ermitage d'Aaron et le chalet Ridollet, qui constituèrent la cité du Petit Paradis. La rue devint impasse des Forts en 1922 et de nombreuses villas y furent édifiées au tournant du siècle ; l'une d'entre elles appelée villa des Pavillons fut la propriété de l'architecte rennais Hyacinthe Perrin. L'îlot de la cité des Bains L'îlot de la cité des Bains fut urbanisé entre 1883 et 1885 selon deux schémas : la rue de la cité des-Bains (rue Hébert en 1922), un chemin privé donnant sur la digue bordé de grandes villas construites en front de mer par deux propriétaires essentiellement, puis, la rue des Fleurs, chemin rural, un ensemble de maisons mitoyennes modestes édifiées entre 1883 et 1900. Situé à la marge du lotissement concerté de la Baie, l'îlot a conservé L'opération qui donna toute son ampleur et sa notoriété à Paramé fut sans conteste le lotissement concerté de la baie de Saint-Malo-Paramé. L'histoire en est ainsi contée. L'opération de Paramé commença en 1875, par l'achat de MM. Dejean et Cahours, propriétaires de terrains à Dinard, de 20 000 mètres carrés de terrain sur le bord de la mer à Paramé. Cette zone ne comportait alors que du sable, la maison de la cure de Saint-Malo et la petite villa connue sous le nom de l'Ermitage. Les terrains se négociaient alors à 50 centimes de mètre-carré. A la suite d'embarras divers, les acheteurs durent vendre tous leurs terrains sur deux rives de la Rance. Ceux de la rive gauche furent achetés par Maître Dubois, notaire à Laval, et les terrains de la rive droite, c'est-à-dire ceux de Paramé, échouèrent à un autre créancier, M. Hébert, banquier à Paris. Cette propriété, dite de Beaurivage, se composaient de terrains dunaires à « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 114 bâtir du littoral nord des communes de Saint-Malo et de Paramé. La propriété fit l'objet d'une vente de liquidation judiciaire, et, selon certaines sources, les huit hectares furent vendus au prix de 90.600 francs. Edouard Hébert, banquier parisien originaire de Normandie, hérita des terrains de Beaurivage en paiement de la dette de ses deux créditeurs. Un jour de 1880, ce dernier rencontra M. Péruvier du journal Le Figaro, qui acheta à son tour, puis avec d'autres amis, ils constituèrent une société pour aménager ce territoire. Cette société anonyme, prévue pour trente ans, dite Société de la baie de Saint-Malo-Paramé, avait ainsi pour principaux actionnaires des banquiers (Hébert, Desfossés), des négociants (Prévet, Suzanne) ou des artistes (Périvier, De Grave, Bertrand) ; elle avait pour objet la vente des terrains de Paramé et Saint-Malo, l'acquisition, l'édification et l'affermage d'un casino et d'un grand hôtel, et toute entreprise qui pourrait contribuer au développement du site. Un plan de lotissement fut réalisé en 1881, attribué à l'architecte Pouliquen. Entre 1881 et 1885, le Grand-Hôtel et le casino furent édifiés le long de la digue de Paramé, alors encore en construction depuis les terrains Palmié en SaintMalo. Le prolongement de la digue était nécessaire pour le développement de la station. En 1881, M. Hebert, propriétaire depuis 1880 des anciens terrains de la minoterie à l'est de l'épi de la Hoguette, s'engagea à céder les terrains nécessaires, à charge pour l'État de prolonger la digue et de l'entretenir. En outre, en 1888, MM. Hébert et Périvier contractèrent une promesse de cession hor s-sér ie - juillet 2012 gratuite à l'État des terrains Palmié dont ils étaient propriétaires depuis 1882, afin de reconstruire la tranche manquante de 278 mètres. Le boulevard central du lotissement resta une voie privée jusqu'en 1893. Entre 1880 et 1911, le littoral des communes de Saint-Malo se couvrit de sept cents maisons de villégiature et d'une cinquantaine d'hôtels et de pensions de famille. Les parcelles achetées par les actionnaires parisiens furent construites puis revendues ou louées. L'urbanisation se fit le long de voies suivant un plan en damier. En raison des difficultés financière, la société fut dissoute en 1885, et les parts revendues au gérant du casino, M. Bias Les villas. Les villas construites vers 1880 étaient toutes remarquables et nombre de leurs propriétaires étaient des gens très en vue à l'époque. Les plus caractéristiques disposaient de jardins fruitiers au bord même de la grève des bains et se trouvaient entourées de petits murs d'un mètre, murs protecteurs contre les vents du large ; on trouvait ainsi les maisons de messieurs Herbert, Prévost, Havez, « Le Petit Trianon », « La Villa des Dunes » aux fleurs odorantes et aux fruits savoureux, à dix mètres à peine de la mer. Deux villas, « La Villa Surcouf « et « La villa Duguay-Trouin » adoptèrent des formes rondes, déroutantes pour l'époque. D'autres maisons attiraient également l'attention : « Le Chalet du Trocadéro » du colonel Evelyne, chalet norvégien figurant au Trocadéro en 1878 et dont le propriétaire s'était rendu acquéreur en 1879 pour le transporter à Paramé en 1880, « Les Pavillons Indiens qui figuraient au Champs de Mars et servaient à abriter l'exposition du Prince de Galles, achetés par messieurs Prével et Desfossés et transplanter à Paramé. Parmi les autres villas remarquables en cette fin de siècle, il faut aussi signaler « La Maison Rose », propriété du directeur de l'Ecole d'Athènes, la « Villa Anaïs », propriété de l'un des directeurs du Palais Royal, la « Villa Sans Souci », la « Villa Saint-James », la « Villa Caprice » de M. Hébert, « Le Petit Trianon » loué chaque année par le préfet d'Ille-et-Vilaine de l'Epoque, la « Villa Pomponnette », située sur le bord de la digue, alors propriété de M. Bertrand, directeur du Théâtre des Variétés. Sur la digue, elle-même, on trouvait la « Villa Memphis » appartenant à Florian Giffard du Figaro, et la « Villa Honorine » appartenant à Pierre Griffard, également du Figaro. Le Grand-Hôtel Le Grand Hôtel de Paramé coûta, à l'époque, près de 800 000 francs. Il comptait 140 chambres, toutes meublées élégamment, en merisier ciré du pays, un bois utilisé dans toutes les villas de la station. Il possédait un grand portique avec une terrasse donnant la campagne et un beau jardin. La salle à manger de l'hôtel était toute à fait remarquable ; toute en colonnes et en vitrage, elle donnait largement sur la mer et la campagne. Il fut suivit d'autres réalisations ; en 1880, il y avait une dizaine d'autres hôtels un peu moins prestigieux, dont l'Hôtel de France, l'Hôtel des Bains, l'Hôtel Chateaubriand, l'Hôtel de la Plage, etc. Le nouveau casino Le premier casino de Paramé, construit l « pour mémoire » 115 par la première société, ne convenait pas au nouveau propriétaire, M. Biais, qui le fit transformer par M. Pigault, architecte. Il conçut un bâtiment qui abritait un salon de danse, un salon des dames, des salons des petits jeux, un salon du cercle, une salle de théâtre capable d'accueillir, tour à tour, des concerts, des bals d'enfants, des répétition théâtrales, durant toute la durée de la saison balnéaire. Toutes les commodités connues en cette fin de XIXe siècle furent introduites pour disposer d'un confort semblable à celui des hôtels parisiens. Les décorateurs accordèrent une attention toute particulière au revêtement des murs. Le grand salon d'attente, qui occupait le centre du casino, immense pièce de cent mètres carrés, était revêtu de tentures de velours bleu et vieil or ; le mobilier, fauteuils, divans était également couvert de ce même revêtement. A droite de cette pièce, en venant de la plage, on trouvait deux salons dits des petits-jeux, tendus vert mousse et vieil or, puis la salle de café avec tentures et encadrements de fenêtres en tissu grenat, ainsi qu'à proximité, le billard. A gauche du salon d'attente, on trouvait le salon du cercle, une pièce de huit mètres de haut, tapissée en étoffe grenat avec bordure vieux vert. Enfin, on arrivait à la salle de spectacle, un petit théâtre de dix-huit mètres sur dix. Sur les côtés, couraient des banquettes de velours vert. Huit grandes fenêtres décorées en velours de même couleur, avec lambrequins grenas brodés d'or, laissaient pénétrer des flots de lumière, venant se jouer dans les mille plis de tentures couleur saumon. Toutes les salles, luxe suprême en ces années 1880, possédaient un dispositif de ventilation. La plage et la digue Le territoire de Paramé bénéficiait de deux plages magnifiques : la plage du Casino, faisant suite à celle de SaintMalo, et la plage de Rochebonne. Site étiré le long de la digue des Dunes, Paramé constitua un quartier de villégiature très homogène, rythmé par des boulevards parallèles au rivage, sans véritable centre, si ce n'est le secteur de la Hoguette, autour du casino et du Grand-Hôtel (1883). Ce qui fit l'incomparable charme de Paramé fut, sans contexte, sa magnifique digue de granit, longue de deux kilomètres, allant de Saint-Malo à Rochebonne. Elle fut construite en plusieurs étapes. Les premières digues sont d'origine privée : il s'agit des digues Tourou et Palmie réalisées par des propriétaires d'industries ou de moulins sur le Sillon en Saint-Malo. Ces premiers travaux ne donnèrent pas entière satisfaction contre les attaques de la mer, et en 1853, ce fut l'administration des Ponts et Chaussées qui entreprit le prolongement de la digue de Saint-Malo à Paramé. Ce premier ouvrage s'étendait sur 278 mètres. En 1885, un décret présidentiel autorisa son prolongement entre Saint-Malo et Paramé par les Ponts et Chaussées. En 1886, un projet d'estacade prolongeant la digue au niveau de l'épi de la Hoguette est présenté dans un guide touristique. La digue fut réalisée en cinq tranches jusqu'en 1903, date à laquelle elle aboutit à Rochebonne. La digue sépara la mer des maisons. Elle fut interdite aux chevaux comme aux voitures de toutes sortes. Elle constitua la plus agréable des promenades. Elle donnait sur une plage de sable fin s'étendant en une courbe gracieuse jusqu'à la pointe de Rochebonne, partagée en deux par un petit promontoire appelé l'Epée de la Hoguette. Chaque année, depuis la création du casino, sur cette plage, avaient lieu des courses de chevaux. La plage servit également de Champ de Mars pour les troupes des garnisons de Saint-Malo et de Saint-Servan ; c'est là que se passaient, avant la saison des bains, les grandes revues et les leçons de tir à la cible. Selon les récits de l'époque, la plage s'éveillait à une heure matinale et ressemblait à un vaste hippodrome pour les cavaliers, puis la ville s'éveillait. Au saut du lit, baigneurs et baigneuses allaient se plonger dans la mer, sous l'oeil vigilant de maîtres baigneurs, à leur poste, armés de canots de sauvetage disposés à quelques mètres du rivage pour être prêts à venir en aide aux imprudents. Vers deux heures de l'après-midi, la plage désertée le matin, se ranimait. On y plantait les parasols et on y fixait les tentes. Les dames y prenaient place et s'activaient à quelques ouvrages de broderie, tandis que les jeunes filles jouaient au cricket ou au lawn tennis, et que les enfants s'ébattaient sur le sable ou construisaient des châteaux forts. Les hommes allaient au casino. L'heure de la baignade vespérale venue, la plage reprenait son agitation du matin et l'on y voyait ceux qui s'étaient attardées la veille au casino. Puis venait l'heure du diner. Après le repas, les promeneurs affluaient sur la digue avant d'aller terminer la soirée au casino. La plage de Paramé possédait également des établissements de bains de « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 116 mer. Avant même la création de la ville de villégiature et la construction du casino et du Grand Hôtel, il existait déjà un établissement de bain de mer sur la plage. Il fut créé à grands frais, à partir de 1864, par M. Courtel, avec l'aide de M J.M. Foucault. En juillet 1873, ces deux associés demandèrent à la préfecture, de renouveler le bail qui les autorisait à faire circuler leurs cabines mobiles, et le matériel nécessaire pour le service de leur établissement sur la grève de Rochebonne à Paramé. C'est à titre précaire que l'administration autorisera les deux hommes. En décembre 1878, M. Besnier, propriétaire demeurant au Mur Blanc à Saint-Méloir-desOndes, écrivit à son tour au Préfet, lui exposant qu'il possédait sur les bords de mer, à Rochebonne, un établissement de bains de mer chauds et froids, auquel étaient attachées des cabines circulant sur la grève vis-à-vis l'établissement, suivant l'autorisation du 5 avril 1866. Il avait chargé le sieur Courtel de la gestion de cet établissement et des cabines qui y étaient attachées. Ce dernier avait demandé en son nom propre, l'autorisation de faire circuler les dites cabines sur la plage, mais, frappé par une grave maladie, il devait abandonner la gestion de l'entreprise qui lui avait été confiée. Besnier voulait reprendre l'exploitation créée en 1864, et confiée au maître baigneur. A cette période, Foucault et Courtel souhaitaient disposer chacun d'une concession d'une longueur de cent mètres de plage. En janvier 1879, ils s'étaient partagés la plage à l'amiable, Foucault s'étant réservé la partie de grève située à l'ouest du boulevard de Paramé, face à l'hôtel qu'il tenait, hor s-sér ie - juillet 2012 et, Courtel, la partie est, vis-à-vis des terrains appartenant au sieur Besnier, dont il était jusqu'ici locataire, et avec lequel il partageait les frais et les bénéfices de son exploitation (Les cabines appartenaient à Félix Besnier.) Mais cet arrangement n'avait rien d'officiel et à la mort de Courtel, la question de la distribution des rôles entre Besnier, la veuve Courtel et Foucault se posa. L'administration de l'État, proposa alors à la commune de Paramé de reprendre la totalité de la concession, ce qu'elle accepta le 30 mars 1879. La commune résolut les différents et à partir de juillet 1879, trois exploitations furent chargées d'assurer le service des bains de mer sur la plage de Paramé, et malgré quelques ajustements, il en était ainsi en 1884. De nouveaux établissements de bains apparurent ensuite à Paramé. Le 20 novembre 1882, M. Dufossés, président de la société anonyme de la baie de Saint-Malo, prit la décision d'ouvrir un établissement de bains de mer sur la plage de la Hoguette et du Petit Moulin, face au nouveau casino et au Grand-Hôtel ; cet établissement, ouvert au début de l'été 1983, comporta 30 cabines. Cette histoire des concessions se poursuivit dans les années suivantes, le temps passant, avec d'autres propriétaires et gérants. En 1894, les concessionnaires étaient au nombre de trois, en filiation avec les trois entreprises primitives ; en 1900, des problèmes de frontières étaient toujours en débat. Des conflits existaient aussi avec d'autres usagers. En mai 1894, le conseil municipal de la ville de Paramé fut saisi d'une réclamation émanant d'étrangers sur la plage de Rochebonne, demandant que l'accès du boulevard de Rochebonne et la cale de ce boulevard à la grève fût complètement libre et qu'il ne fût plus donné d'autorisation de placer des cabanes fixes ou mobile sur la cale et sur la grève dans toute la largeur du boulevard. Un arrêté fut pris à cet effet. Le conseil municipal décida aussi que les cabines mobiles, une fois remontées en haut des sables, laissât entre elles un certain intervalle, afin que les personnes possédant des cabines fixes ou des tentes, ne fussent pas gêner pour se rendre elles-mêmes à la mer. Les campagnes de promotion Le développement d'une activité économique d'une telle importance ne va pas sans campagne de promotion, ou du moins sans dispositif d'information. A partir de 1885, pendant les trois mois d'été, Paramé eut son journal bihebdomadaire La Gazette de Paramé, une petite feuille rose, réalisée avec soin, chargée de renseigner le public sur les évènements de la saison, les distractions du casino et l'arrivée et le départ des étrangers. Elle était installée dans un pavillon en forme de chalet, qui était autrefois le Pavillon du Figaro, journal parisien qui lança la station. Ce pavillon avait été acheté par La Gazette de Paramé et transporté entre le casino et le Grand-Hôtel où il servait en même temps de bureau de renseignements et de cabinet de lecture, ainsi que de kiosque à journaux de tous pays. l « pour mémoire » 117 Transports et déplacement A Paramé, seul le bourg était doté d'un plan de voirie municipale, et d'un plan d'alignement en 1869. Dès 1861, le boulevard des Bains (actuel boulevard Rochebonne) fut réalisé pour relier le bourg de Paramé à la mer, suite à un arrêté préfectoral de Fréart en 1860. En 1877, le boulevard Chateaubriand fut percé parallèlement à la mer. En 1893, la Société des bains de mer de Paramé obtient de la commune le classement en voirie de petite communication du boulevard Hébert, au coeur du quartier des Bains et menant au casino de Paramé ; il fit, en 1912, l'objet de travaux importants. Au début du XXe siècle, l'avenue de la Gare reliant les quartiers balnéaires de Saint-Malo et de Paramé à la gare de chemin de fer fut créée sur un terrain endigué (actuelle avenue de Moka). En 1933, les avenues privées de la famille Duvoir furent cédées à la commune de Paramé. Six ans plus tard, ces voies perpendiculaires au boulevard Hébert et à la digue (avenue du Casino, avenue Jules-Simon, avenue Charles-Prévet) furent frappées d'alignement. Les rues Saint-Roch, Jules-Simon, Charles-Prévet, Picot-de-Clos-Rivière furent aussi l'objet de plans d'alignement en 1951. Pour faciliter le transport des estivants, un décret du 1er août 1888 déclara d'utilité publique l'établissement d'un réseau de tramway entre Saint-Malo, Saint-Servan et Paramé. Le réseau se composa de deux lignes distinctes. La première relia SaintServan, Saint-Malo et Paramé (18881949), la second Paramé à Rothéneuf (1895-1914). La première ligne, concédée à M. Wilmart, entra en service en avril 1888. En 1892, l'exploitation de la ligne revint à la Société des tramways bretons, constituée par décret. Un second décret, datant de 1897, déclara d'utilité publique l'établissement de la seconde ligne reliant Paramé à Rotheneuf et Cancale. L'exploitation fut accordée à la Société des tramways bretons et le matériel fourni par la Société Decauville. La déclaration d'utilité publique de la ligne, inaugurée en juillet 1898, fut accordée par le conseil général malgré certaines réserves tenant à son caractère spéculatif. Le trafic cessa pendant la Première Guerre mondiale ; il cessa définitivement en 1949. dites baraques Collet étaient utilisées à Paris au moment du jour de l'an. On y trouvait des costumes de bains, des parfums, des journaux, des jouets et de la pâtisserie. En 1898, un atelier de photographie ouvrit dans l'hôtel Notre-Dame-des-Grèves. Le Grand-Hôtel Franklin possédait, en 1891, un atelier de réparation mécanique pour ses clients. Saint-Servan A Saint-Servan, les sites balnéaires s'inscrivirent dans le tissu ancien. C'est en ces lieux que virent les premiers anglais en villégiature d'hiver ou d'été, en Bretagne, dès 1840. Sur les rives de la Rance, en face de Dinard, les plages encaissées se bordèrent de grands domaines privées, tandis qu'une ébauche de vie mondaine s'organisa autour de la plage des BasSablons, dans le casino-établissement de bains, dans les pensions de famille, dans les hôtels et les points de départ des régates. L'ensemble de ses différents sites connut un grand développement avec l'ouverture, en 1864, de la gare centrale de chemin de fer, implantée à égale distance de ces différents sites, et la construction de réseaux de digues, de voiries et de transport en commun. Des premiers aménagements de voiries, liés à l'activité balnéaire, eurent lieu dès 1840, date à laquelle la rue des Hauts-Sablons fut construite sur une dune sablonneuse. Dans la décennie suivante, les percements de voies furent nombreux : élargissement de la rue du Chapitre (1850), percement du boulevard Douville reliant le centre de Saint-Servan à la route de Rennes (1850), ouverture « pour mémoire » Les équipements commerciaux Selon les sources de l'époque, il semble que seul le quartier de Rochebonne en Paramé connut un essor commercial lié à la villégiature. En 1879, la mise en place de la station de tramway au carrefour de Rochebonne favorisa le développement des commerces dans le quartier. Après l'ouverture d'un bureau de tabac et d'une agence de location, vers 1900, on assista successivement à l'ouverture, dans des constructions de type chalet, d'un magasin d'articles de plage, d'un atelier de photographie, d'une épicerie et d'un grand magasin. En dehors du quartier de Rochebonne, seul le quartier de Courtoisville connut quelques transformations commerciales liées à la clientèle estivale. En 1884, le directeur du casino de Paramé fit construire sur la digue des cabanes provisoires entre le Grand-Hôtel et le Casino. Ces cabanes l hor s-sér ie -juillet 2012 118 pointe de la Vicomté, un domaine devenu l'un des quartiers les plus agréables de Dinard. A l'ouest de Saint-Enogat se trouve la commune de Saint-Lunaire. Ce centre balnéaire possède deux belles plages : à l'est, Saint-Lunaire, regardant SaintMalo, et à l'ouest, Longchamp, la plus vaste, tournée vers le cap Fréhel. La pointe du Décollé est reliée à la terre ferme par un pont naturel qui franchit la profonde crevasse du saut du Chat. La côte est, sur la Rance, qui borde la plage du Prieuré, très abritée, bénéficie d'un climat assez doux qualifié parfois de méditerranéen, qui a permit l'implantation d'une grande variété des plantations sur les escarpements de la falaise aménagée en jardins privatifs. La côte nord, sur la Manche, qui s'étend de la pointe du Moulinet à la pointe de la Roche Pelée et regroupe les principales plages, est plus sauvage et plus typique du littoral de la Côte d'Émeraude. La plage de l'Écluse, située dans une anse profonde entre les pointes escarpées du Moulinet et de la Malouine, est le coeur de la station. Sur ses dunes de sable ou à proximité ont été construits la plupart des équipements balnéaires qui structurent la station : établissements de bains, casinos et hôtels de prestige. Quant à Saint-Enogat, éloignée de l'agitation du centre, elle demeure une annexe de la grande plage bien que plus ample et moins profonde. Elle est également encadrée de deux avancées rocheuses (pointe des Ététés, à l'est, et pointe de la Roche Pelée, à l'ouest) sur lesquelles vinrent progressivement s'établir de nombreuses maisons de villégiature formant deux quartiers distincts à l'est et à l'ouest. Saint-Servan, vue générale de la côte de la rue de Constantine (1871), projet de boulevard entre le centre de SaintServan et la gare de chemin de fer (1877). En 1900, le boulevard de la Rance, desservant la plage des Fours-à-Chaux, fut aménagé. DINARD L'environnement géographique Située sur la rive gauche de la Rance, Dinard fait face à Saint-Malo. Etymologiquement, Dinard proviendrait du gaulois dunum, colline et du breton arzh, ours. C'est un riche Américain nommé Coppinger, puis des Anglais qui ont lancé Dinard vers 1850. Aujourd'hui la ville marque les visiteurs pour ses villas luxueuses, ses jardins et ses parcs. Elle se structure autour hor s-sér ie - juillet 2012 de points exceptionnels. On trouve, au nord-est, la pointe du Moulinet d'où il est possible de voir la côte, du cap Fréhel à l'ouest, Saint-Malo à l'est, l'estuaire de la Rance au sud. Entre la pointe du Moulinet et la pointe de la Malouine, à l'ouest, s'inscrit la grande plage ou plage de l'Ecluse. Cette belle plage est bordée par le Palais des Arts et du festival, le casino et de luxueux hôtels. Au-delà, on se dirige vers la pointe des Ététés, le beau jardin en terrasse du Port-Riou et la plage de saint-Énogat situés au bas de rochers escarpés. A l'est, de direction nord-estsud-ouest, s'allonge la promenade du Clair-de-Lune. Réservée au piéton, cette digue-promenade suit le bord de l'eau et bénéficie de beaux parterres fleuries, d'une remarquable végétation méditerranéenne. Elle donne un beau point de vue sur les villas et sur l'estuaire. Elle s'achève à la plage du Prieuré, qui doit son nom au prieuré fondé en 1324 à cet emplacement. En continuité, on trouve la l « pour mémoire » 119 Les débuts de la station La colonie anglaise Le site naturel remarquable de Dinard attira très tôt les villégiateurs anglais, les premiers découvreurs du site. Une plaque commémorative, située sur la promenade des Alliés, mentionne leur arrivée en 1836, date de l'installation du nouvel embarcadère à l'anse du Bec-dela-Vallée. Vers 1840, le consul anglais, Alpyn Thomson s'installa dans l'ancien prieuré des Trinitaires situé dans la baie du même nom, face à la ville fortifiée de Saint-Malo. Dix ans plus tard, il fut suivi par Jean Sedgwich, puis par Robert Monteith, vice-consul, installé précédemment au château de Montmarin. Ces pionniers firent partager les beautés du site à leurs amis anglo-saxons installés à Dinan. C'est ainsi que la famille Faber emménagea dans la villa Beauregard avant de faire construire, en 1856, sa propre demeure, la villa Sainte-Catherine, sur le promontoire du Bec-de-la-Vallée. Cette famille Faber réalisa les premières photographies de Dinard. Elles dévoilent une côte abrupte et rurale sur la plage de l'Ecluse et l'existence d'un hameau de pêcheurs sur la Rance, avec ses maisons en moellons de granite, aux pignons découverts, aux toitures d'ardoise et de chaume. A cette époque, les rues semblaient le fruit du hasard ; il existaient néanmoins deux centres rayonnants : la place de la République, aujourd'hui au coeur de l'activité commerçante, et la place du Calvaire, proche de l'église de SaintEnogat, le centre primitif de la commune avant la construction de la nouvelle église inaugurée en 1858 et située place du Général-de-Gaulle. Par ailleurs, le site de Dinard était, pour l'essentiel, vide de construction. La pointe du Moulinet avait partiellement une fonction militaire tandis que le reste des terrains était voué à l'agriculture et aux transports de marchandise en provenance de la Bretagne intérieure et à destination de Saint-Malo par le bac de la Rance. Dans ces années, les installations militaires de la pointe du Moulinet furent abandonnées et de nouvelles maisons s'implantaient, autour de la villa Sainte-Catherine, sur les vastes terrains de ce site de promontoire. L'établissement des bains de mer Le développement de Dinard fut aussi la conséquence de la popularité d'un maître nageur, Edouard Legros, qui s'était fait une réputation d'héroïsme sur les plages de Saint-Malo. En 1858, il décida de s'installer à Saint-Malo et entraîna avec lui, dit-on, un groupe de vingt-quatre baigneuses qui allait accroître d'autant la clientèle. Edouard Legros érigea un bâtiment sur la belle grève de l'Ecluse, avec la permission de l'autorité locale, en faisant appel, par souscription, aux notables et riches résidents de la station. Ainsi, dès les premiers jours de juin, dix cabines mobiles pouvaient s'installer sur la grève. L'établissement, bien que sommaire, possédait le fourneau nécessaire pour chauffer l'eau des baquets servant à prendre des bains de pieds, une coutume établie des riches étrangers, ainsi qu'une baraque en planches, construite sur la partie supérieure de la grève, sur le bord d'un terrain de dunes, dans le fond de l'anse, à l'ouest de la grève. Le 19 juin 1859, le maître baigneur sollicita, « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 120 auprès des autorités, le privilège exclusif de la baie de l'Ecluse pour y exploiter son établissement de bains de mer. La ville de Trouville avait obtenue une telle concession, encadrée par un arrêté portant la date du 19 mai 1858, donnant son accord sous réserve de ne pas priver les particuliers du droit de pêcher, d'échouer, de réparer les chaloupes ou bâtiments, de se promener, de pratiquer la grève comme voie de communication, ni même de prendre des bains, en se soumettant aux mesures qui auraient été arrêtées pour assurer l'administration, la surveillance et la « police des bains ». Des termes identiques furent utilisés par la sous-préfecture de Saint-Malo pour l'arrêté autorisant le premier établissement de bains de mer de la future station balnéaire de Dinard. Le 21 juillet 1859, Edouard Legros obtint une autorisation avec un bail de trois, six ou neuf ans, avec réserve par l'État de le révoquer sans indemnité, à quelque époque que ce soit. En 1860, la commune de Saint-Enogat demanda au préfet que la concession de Legros fut faite à son profit afin de créer des ressources par une sous-location. établissements, les subventionnant même, les exploitant. A Dinard, fin 1869, un éminent docteur en exercice dans la station, Amateur Du Gourlay, s'étant ému du manque d'hygiène des habitants, décida de créer un établissement de bains chauds ouvert en permanence toute l'année. En 1870, il créa l'établissement de bains chauds de la Vallée (il s'agit du ruisseau de Barbine), ouvrant ainsi un établissement hydro thérapeutique à deux pas de la grève de l'Ecluse, dans lequel on pouvait prendre des bains ou des douches, chauds ou froids. L'établissement fut ouvert fin 1872 et son exploitation fut confiée au sieur Claude Auguste. Cependant, l'établissement connut en 1874 une première faillite. Le 1er mai 1875, il fut vendu à Alfred Alix ; il fonctionna encore pendant cinq ans avant de disparaître devant la concurrence des nouveaux services proposés par le casino. En effet, le propriétaire du casino de Dinard, Elie Pompon, avait également demandé l'autorisation de créer un établissement de bain. Il obtint cette autorisation le 25 juillet 1873, jusqu'au 23 octobre 1979, date où elle fut transférée à M. Lagneau, directeur du nouveau casino de Dinard, construit en 1877 à l'emplacement du premier, dans de plus grandes proportions. Madame Legros bénéficia également le 25 juillet 1873 d'une nouvelle autorisation. Le plan se limitait au secteur Est de la Vallée. L'objectif de la municipalité était de réaliser une nouvelle ville sur cette partie du territoire, une zone située entre deux coteaux, qui s'étendaient, du nord au sud, sur une longueur de plus d'un kilomètre en séparant le bourg de Saint-Énogat de Dinard ; la Vallée était traversée par le ruisseau de Barbine qui s'écoulait vers la grève de l'Écluse. Dans ce projet, l'ancienne paroisse située à Saint-Enogat était déplacée dans l'anse du Prieuré, plus proche de Dinard. Ce nouveau centre, projeté autour d'une église qui venait d'être réalisée par l'architecte Lacroix, se trouva pourtant très vite en marge du développement de la station balnéaire. Si celle-ci n'était pas encore véritablement présente sur le site, son développement devait se faire autour de la plage de l'Ecluse. Sur les plans d'urbanisme de 1856 et de 1861 figurait déjà le tracé du futur boulevard Fréart qui devait relier la place de l'Eglise à la grève de l'Ecluse où se situait le premier établissement de bains d'Edouard Legros, suivi bientôt de l'indispensable casino. Les premières maisons de villégiature se sont construites au nord-est sur le site du Bec-de-la-Vallée ; en 1859 fut mis en service le premier bateau à vapeur. En 1866, le duc d'Audiffret-Pasquier fit construire son château de la Malouine sur les falaises de la plage de l'Ecluse et bientôt se prépara la venue de l'empereur Napoléon III. Bien que ce dernier ne soit jamais venu, les préparatifs liés à sa visite jouèrent un rôle moteur pour la médiatisation de la station. Le casino et le boulevard du Casino furent alors réalisés. A partir de cette date et jusqu'au Les nouveaux équipements de Dinard Après 1870, les bains de Dinard avaient acquis une grande réputation, dans toute l'Europe et même en Amérique. Parallèlement, sous le Second Empire, dans les grandes villes, sous l'impulsion d'éminents professeurs et docteurs, des établissements de bains populaires avaient été créées ; les municipalités s'étaient emparées du sujet, créant des hor s-sér ie - juillet 2012 Les étapes d'une nouvelle ville Un premier projet d'urbanisation a été déposé en 1856, sous la signature de l'architecte Eugène Lacroix. Il fut modifié en 1861 et partiellement réalisé. l « pour mémoire » 121 début des années trente, la ville ne cessa de se développer et l'ancien bourg de Saint-Enogat, situé plus à l'ouest, finit par être complètement absorbé par l'extension de cette nouvelle ville qui prit le nom, dès 1879, de Dinard-SaintEnogat. Ce fut une période faste pour les investisseurs et promoteurs. D'autres étapes furent décisives. En 1873, Joseph Rochaïd Dahdah, comte libanais en exil, arriva à Dinard. Riche et entreprenant, il marqua par ses place qui a pris aujourd'hui son nom : la place Rochaïd. Il y fit construire des halles en 1876 pour les marchés des poissons, viandes et légumes. Il fut le fermier du bac sur la Rance jusqu'en 1884. Il construisit plusieurs villas. Il fut à l'initiative de projets audacieux tels que l'ouverture de la ligne de chemin de fer Dinan-Dinard qui fut inaugurée en 1987 et la troué de la porte d'Émeraude qui sera réalisée plus tard par ses fils. La gare conduisit à ouvrir le boulevard Lhotelier vers 1890-1900. entrepreneur de Saint-Enogat, M. Lainé formula l'autorisation de créer un établissement de bains sur cette plage appelée, à l'époque, « grève du bourg » ; il allait rapidement louer ses huit ou dix cabines aux familles qui préféraient le calme de Saint-Enogat à la plage bruyante de Dinard. Début 1904, pour répondre aux demande d'une clientèle de plus en plus nombreuse, Henri Mancel, demeurant à Saint-Alexandre, agissant en tant que concessionnaire, et François Lodin, entrepreneur en menuiserie, se déclarèrent intéressés par la création d'un second établissement de bains. Il fut installé sur la partie ouest de la grève. En 1905, M. Mandel demanda à la commune de lui louer un terrain communal situé près d'un chemin conduisant à la grève. Mais il provoqua la protestation de riverains ; des cabines privées avaient déjà été installées par les propriétaires des villas voisines. Le maire décida de partager le terrain en trois bandes parallèles à la plage, avec des prix de location différents suivant la bande, et des règles de répartition entre les personnes et les entreprises intéressées. Faute de clients, les bains Mancel fermèrent fin décembre 1908. En 1879, Auguste Poussineau racheta le parc du Château de la Malouine au duc d'Audiffret Pasquier pour y construire un lotissement balnéaire de standing. La ville vit arriver le chemin de fer en 1883. Ainsi, se développèrent plusieurs pôles d'urbanisation, une des caractéristiques de Dinard. Le quartier balnéaire de la Rance rejoignit celui de la plage de l'Écluse qui prit un aspect de plus en plus monumental avec la réalisation d'un deuxième casino et du Grand-Hôtel « pour mémoire » La plage de l'Ecluse à Dinard en 1903. A côté du Royal-Hôtel, fut construit Le Crystal. Ce bâtiment, élevé en 1892 par un riche commerçant, M. Champion, pour accueillir un grand café-glacier et un casino, fut reconverti en hôtel en 1904. Sa tour entièrement vitrée, faisait office de phare. nombreux projets d'intérêt général l'urbanisation du centre-ville de Dinard. Il acquit de nombreux terrains dans la Vallée dont il assainit le versant oriental. Il construisit de nouvelles voies vers le centre, dont la rue de Verdun et la rue du Clos-de-la-Fontaine qui mènent à la Albert Lacroix, célèbre éditeur belge, investit à Saint-Enogat. En 1875, il construisit un nouvel hôtel à deux pas de la mer : L'Hôtel de la Mer, et entreprit, le lotissement des Villas de la Mer. Prévoyant la naissance d'une demande nouvelle de cabines roulantes, un l hor s-sér ie -juillet 2012 122 Royal. Plus à l'ouest, Saint-Énogat n'était plus qu'un faubourg de la grande station, à laquelle elle était reliée par le boulevard Albert Lacroix, réalisé en 1880. Le quartier de la gare resta cependant excentré et très peu urbanisé malgré des travaux de voirie qui le relièrent à l'Ecluse et à la Rance. Il fallut attendre le nouveau plan d'alignement et d'embellissement de 1925 pour que fussent envisagés de nouveaux projets dans la partie occidentale de la ville. Les années 1900-1910 furent une période de grands travaux avec la construction du Grand-Casino, de l'hôtel Royal et le percement du boulevard Edouard VII. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, Dinard connut à nouveau une période de prospérité ; la station possédait quatre casinos en 1928 et à cette date fut construit un nouvel hôtel de luxe : le Gallic-Hôtel, des projets grandioses furent dessinés par les architectes Lesage et Miltgen à la Vicomté. Ce fut aussi la période d'un vaste programme social appuyé par le maire Paul Crolard qui présenta un projet grandiose de citéjardin sur les terrains du Corbinais et de Saint-Alexandre qui fut très partiellement réalisé. Les années 1920 et 1930 furent une période de grands projets, tels que la réalisation par René Aillerie de la piscine à ciel ouvert et des cabines de bain fixes, du chemin de ronde allant de la plage de l'Ecluse à la pointe du Moulinet, de la construction du Casino-Balnéum de Maurice Fournier avec sa piscine d'eau de mer chauffée permettant de prendre des bains de mer en toute saison. La plage de l'Ecluse, principale plage de Dinard, devint, dès le début de la villégiature, le coeur de la station balnéaire. hor s-sér ie - juillet 2012 Située dans une anse profonde entre les pointes escarpées du Moulinet à l'est et de la Malouine à l'ouest, elle maintenant bordée au sud par une digue-promenade. Un premier établissement de bains y fut construit en 1859. A partir de cette période, la plage devint le monopole des baigneurs et la municipalité y interdit l'enlèvement des marnes et du sable utilisés par les agriculteurs de la commune. La plage commença à connaître un grand succès, comme le Grand Hôtel, ouvert en 1859 et dirigé par Elie Pompon. Chaque été plus de cinquante familles venaient prendre des bains de mer à Dinard. Les journaux introduisirent dans leurs feuilles une nouvelle rubrique, La gazette des bains de mer ; elle publia une liste complète des premiers baigneurs. En 1861, l'entreprise de Legros pouvait aligner vingt cabines, hélas, en 1864, Edouard Legros mourut, à l'âge de 53 ans. Sa veuve, son fils, Edouard Legros fils et le frère du célèbre baigneur reprit, dès juillet la direction des bains chauds. Les chemins de fer de la région amenèrent, cette année là, de nombreux baigneurs et l'affluence sur la grève grandit de jour en jour. A la mi-juillet, elle se couvrit littéralement de nombreux parisiens, Anglais et Espagnols, qui se réunissaient chaque jour dans une des plus vastes salles du Grand Hôtel transformée en théâtre. Le Grand Hôtel était toujours le seul de la station. Mais dès cette époque, leurs propriétaires projetaient d'édifier un premier casino avec bains sur la plage de l'Ecluse. Dinard atteignait déjà, à l'époque, une population de sept à huit mille personnes l'été. La mode des bains de mer alla grandissant jusqu'à la guerre de 1870, pour reprendre plus fortement après le conflit franco-prussien. En 1872, elle bénéficia de la création du chemin de fer d'Orléans à la mer par Alençon et aboutissant à Saint-Malo. Le casino de Leroyer Le premier casino, un bâtiment en bois, fut construit en 1866. Trop exigu et battu par les marées, il fut remplacé par un second casino, de trois niveaux, construit par Leroyer, père du légendaire pont-roulant de Saint-Malo. En novembre 1876, on créa pour ce projet la Société anonyme du Casino de Dinard. Elle fut chargée de racheter l'ancien établissement et les objets mobiliers appartenant à M. Pompon, nouvel actionnaire et gérant du Grand-Hôtel, ainsi que les deux établissements de bains existant sur la plage, celui de M. Pompon et celui de Mme Legros. Le nouveau casino fut construit en six mois. A l'étage inférieur, il comportait, sous le vaste salon de lecture entouré d'une terrasse, le service des bains chauds d'eau de mer et d'eau douce. Dans ce soubassement, on trouvait aussi le lavoir ou blanchisserie, la lingerie, les vestiaires, la lampisterie, les magasins, les écuries. Le service des bains chauds se composait de huit cabines de bains, avec quatre baignoires en cuivre pour l'eau de mer, et quatre en zing pour l'eau douce ; elles étaient mises à la disposition de la clientèle de 9 heures du matin à 5 heures du soir. Ils y avaient aussi deux pièces à eau, munies d'un matériel divers et à partir de 1886, d'un service d'hydrothérapie. Sur la plage, le casino mettait à disposition des tentes fermées, avec ou sans linge et costume, suivant le désir du client. A cette époque, une ordonnance de police interdisait de se baigner en maillot ou l « pour mémoire » 123 tricot collant ; le costume de rigueur est alors le gilet et le pantalon. Le casino ne conserva pas longtemps la plage pour lui tout seul. Le 24 octobre 1883, Laurent Ménétrier, peintre en bâtiment et entrepreneur à Dinard, demanda l'autorisation de faire circuler sur la partie ouest de la plage trente-deux cabines de bains. Il obtint cette autorisation le 4 avril 1884, et Alphonse Legros prit la direction de ce nouvel établissement. Mais un différent de voisinage, portant sur la construction d'un ouvrage sur pilotis servant de rangement au matériel de l'entreprise Ménétrier, différent avec le propriétaire du casino, M. Poussineau, poussa le préfet à limiter l'autorisation au 31 décembre 1988, date à laquelle la dite construction devait disparaître de la grève. Elle fut effectivement démontée au début de mai, et remontée début juin sur un terrain domanial. L'établissement de bain de Laurent Ménestrier se trouvait dans le fond de l'anse de la grève de l'Ecluse, au droit d'une propriété en friche appartenant à M. Champoin, agriculteur à Feins. En 1992, le propriétaire de ce terrain en forte déclivité décida de construire un bâtiment venant s'appuyer sur la limite même du rivage, avec l'idée de réaliser hôtel, « La Villa Crystal », ayant un accès direct au rivage. La cabane de Ménestrier obstruant les abords et apportant des nuisances (fumées et odeurs), M. Champion demanda au préfet d'ordonner son déplacement. N'obtenant pas satisfaction, il décida d'aménager un établissement de bains dans sa villa, et l'administration donnera son accord et partagea la plage de l'Ecluse. Il restait que l'établissement de bains Ménestrier amenait beaucoup d'inconvénients ; les lieux d'aisance y étaient sommaires. Il convenait de réduire la construction sur pilotis à un simple rangement de matériel. Le 20 août 1895, la Villa Crystal fermait par suite de faillite ; en février 1896, le maire demanda à Laurent Ménétrier de remplacer sa cabane par une autre de moindre importance montée sur roulettes, dans laquelle il pourra mettre un bureau et un dépôt de vêtements, cette dernière étant, après la saison, remisée en dehors du littoral. Le 23 mars 1896, un arrêté résilia la concession Ménétrier à partir du 1er juin 1896. Il faut aussi noter un autre mouvement de privatisation du littoral, commencé en 1874, avec l'installation sur place, par des particuliers, de cabines de bains pour leurs besoins personnels. Il apparut sur la plage du Prieuré puis de l'Ecluse. Ce choix n'était pas toujours bien avisé ; certaines d'entre-elles furent emportées par la mer. Un centre de thalassothérapie Construite en 1892, la villa Crystal devint en 1894, le Crystal Casino. Pour la première saison de l'établissement, Méphisto, la grande rivale de Sarah Bernhardt y vint, accompagnée de son professeur espagnol Roméo Liobet, des Folies Bergères de Paris. Le second casino de Dinard comprenait, outre les salles de spectacles, un établissement de bains chauds, d'eau de mer et d'eau douce, et des douches. Le 24 mai 1894, M. Liège architecte, fit une demande au nom de M. Champoin, propriétaire de la villa Crystal. A cette époque le bâtiment construit sur la grève de l'Ecluse était affecté principalement à un grand café-restaurant-concert. A cette fonction principale, le propriétaire voulait adjoindre tout un étage à l'usage de bains chauds et de salles d'hydrothérapie de premier ordre, comblant de cette façon une lacune qui manquait dans une ville d'eau de l'importance de Dinard. Pour installer des douches à eau de mer, il fallait disposer de cette eau. L'administration autorisa la construction d'un réservoir, au dessous du flot de mars, dans une anfractuosité de rocher, recouvert de rocailles pour se fondre dans l'environnement ; l'eau était ensuite acheminée à l'aide de pompes. Hélas, le Crystal Casino ferma ses portes en 1997, et le bâtiment prit le nom de Grand Café Glacier. En 1899, un nouveau projet allait faire revivre cette idée de doter Dinard La plage de l'Ecluse à Dinard, avec le casino « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 124 d'un établissement de bains modèle, dans lequel on pourrait se faire masser, se doucher à l'eau chaude et froide, sous forme de pluie ou de jets cinglants. La Villa Crystal fut louée par le Docteur Perret pour y installer un institut médical d'hydrothérapie, d'électrothérapie et de massothérapie et muni des plus récents appareils de radioscopie aux rayons X. Cinq ans plus tard, en juin 1904, d'importantes transformations furent effectuées par M. de Vlassov, dans la suite du Docteur Perret. Cet entrepreneur créa les Thermes de Dinard, un établissement d'hydrothérapie particulièrement bien équipé. En juillet 1904, l'intérieur de la Villa Crystal fut transformé ; elle fut associée par un petit hôtel élégant sous lequel fut installé un établissement de bains. En 1905, l'établissement des bains existant fut complété par une installation de bains turcs, bains chauds ou étuves, une innovation en France, connu sous le nom de hammam. Trois étages dans le Crystal Hôtel étaient réservés aux bains ; l'eau de mer était remontée au moyen d'une pompe ; elle était chauffée la température voulue par chacun. On trouvait également une piscine de douze mètres de long et de huit mètres de large et les perfectionnements les plus récents qui en faisaient un établissement d'hydrothérapie en pointe à l'époque. La partie hôtel composé de soixante chambres particulièrement soignées, disposait maintenant d'un jardin d'hiver. Il y avait aussi une pièce de consultation fut mise à la disposition de médecins extérieurs à l'établissement, pour l'auscultation des malades. Les clients pouvaient également disposer d'une équipe de masseurs, de coiffeurs, pédicures et manucures. hor s-sér ie - juillet 2012 La plage de l'Ecluse au début du XXe siècle Fin 1901, les terrains, situés au droit de la partie centrale de la plage, un ensemble de dunes (propriété de M. Poussineau), furent achetés par la Société Immobilière de Dinard-Saint-Enogat. Cette dernière fit construire, en un peu moins d'un an, à l'entrée de la plage et du côté ouest, un nouveau casino et un grand hôtel. Ils furent inaugurés le samedi 27 juillet 1902. Cet hôtel, appelé hôtel Royal, fut donc construit en 1902 à l'emplacement du square des Falaises dont le terrain appartenait à la famille Poussineau. Il fut vraisemblablement conçu par l'architecte E. Blanchet, qui construisit le Grand-Casino pour la même société dite Henry Ruhl et Cie. Ce bâtiment de 1902, de plan rectangulaire, de dix-huit travées en façade sur mer, conçu à l'origine, avec deux étages carrés recouverts d'une toiture en terrasse bordée d'une balustrade, s'avéra très vite insuffisant et fut surélevé, en 1904, d'un étage carré et de deux étages de comble en partie courante, de deux étages plus comble en partie centrale, et d'un étage suivi de deux étages de comble au niveau des deux pavillons d'extrémité. Ce fut le résultat du travail de L. Joubin architecte, et de l'entreprise Gonzalès de Dinard. La travée centrale est mise en valeur par un fronton à ailerons. Du ciment peint, imitant la pierre de taille, fut utilisé pour l'encadrement des baies et le chaînage des angles. Le casino, de plan ovoïde, était à l'origine composé d'un rez-de-chaussée et d'un étage de soubassement ; il était recouvert d'une terrasse d'où émergeait un dôme central. Une pièce ouverte à l'est, sur la plage, avec péristyle, était accessible de la terrasse par un escalier à degré. Les travaux de décoration furent dirigés par M. Charles et réalisés par M. Gabriel, présenté comme le spécialiste des grands théâtres de Paris. Une salle du rez-de-chaussée fut transformée en 1916 en salle de cinéma. Après la guerre, le casino fut transformé et agrandi par la construction de deux étages supplémentaires à usage de logements. Après la création du Grand Casino de Dinard en 1902, l'ancien casino de Dinard, créé en 1873 et refait totalement en 1877, réservé à la clientèle chic de la station, pris le nom de Hight-Life Casino pour se démarquer de la clientèle plus commune de son concurrent. En 1902, Henri Ruhl, directeur du Grand Condé de Chantilly et de l'hôtel Scribe à Paris, devint locataire de l'hôtel Royal et du Grand-Casino. Henri Bertrand fut nommé directeur. Ce dernier obtint l'autorisation, le 17 juillet 1903, de faire circuler vingt cabines de bains devant le nouveau casino sur une façade de deux cents mètres, et par arrêté du 17 mai 1904, quarante cabines. Début juillet 1904, Laurent Ménestrier fut pour sa part, autorisé à faire circuler cinquantedeux cabines en tout, sur 65 mètres de largeur à partir d'une ligne se dirigeant au nord en partant de l'angle ouest de l'avant corps de l'Hôtel Royal. A l'expiration de son autorisation, en 1908, la direction de l'Hôtel Royal décida de former avec les bains Ménétrier Les Bains de l'Hôtel Royal et des Malouines. En 1914, les bains Ménétrier furent vendus à Eugène Lemonnier, apparenté à la famille Legros, cependant tout s'arrêta pendant la guerre. En 1918, Madame l « pour mémoire » 125 Janvier, présente dans le domaine des bains de mer depuis qu'elle avait obtenue une concession le 16 janvier 1908, demanda l'autorisation de continuer pour la saison 1918. L'année suivante, en 1919, la ville se rendit adjudicataire du droit d'exploiter les bains de mer, sur la plage de l'Écluse, contre une somme de 2.000 francs ; elle concéda ensuite son autorisation aux bains Janvier en imposant des conditions portant sur l'entretien de la plage et sa libération totale en dehors de la saison. Les bains Janvier devinrent les seuls exploitants jusqu'à la Seconde Guerre Mondiale. La Ville obtint la concession sur toutes les plages de la commune en 1923, ce qui lui permit de faire des travaux d'aménagement sur les terrains communaux voisins, de débarrasser la plage de l'Écluse de certaines cabines délabrées, de créer des cabines simples et des cabines de luxe sous l'Hôtel Royal. On aménagea à la même époque l'emplacement occupé précédemment par la villa Sand Pit de Henry Moulton, terrain situé à l'entrée de la plage, que la ville avait acheté. Il y avait désormais une vaste plate-forme en ciment armé, sous laquelle on aménagea cent cabines simples, une remise pour le matériel des fêtes, le local du syndicat d'initiative et du poste de police, et des galeries d'exposition et magasins de thé, pâtisserie bretonne et crêpes dentelles. Le Casino-Balnéum de Maurice Fournier La saison d'hiver restait médiocre depuis la guerre. En 1924 et 1925, elle connut un renouveau. Les hôtels restèrent ouverts ainsi que de nombreuses pensions de famille ; de nombreuses villas furent louées en hiver et printemps, et le casino eut suffisamment de client. Néanmoins, pour donner plus d'allant à cette saison, on prit la décision de réaliser un « Palais Thermal », avec piscine pour permettre le bain en toutes saisons. On choisit de le bâtir sur un terrain communal situé en bordure de la digue de l'Écluse. Les travaux débutèrent fin 1927 et la piscine fut inaugurée le 11 août 1928. Avec ses mosaïques et ses ferronneries, elle avait la splendeur des belles réalisations de l'époque ; autour d'un espace de belle hauteur se développaient promenoirs et galeries. Deux étages de cabines entouraient la piscine, desservis par un couloir extérieur. A y regarder de plus près, cette immense construction était un exemple d'intégration des fonctions et centre plurifonctionnel avant la lettre. Il comprenait trois niveaux. L'entrée de plain-pied avec l'avenue du PrésidentWilson se trouvait au troisième niveau qui contenait des salons de jeux, un théâtre de 875 places, un salon de lecture. Un grand hall d'accès desservant ces différents locaux s'ouvrait sur une immense terrasse recouvrant la piscine ; cette terrasse était largement aménagée avec des pergolas et des bancs au milieu de fleurs et de verdure. Le deuxième niveau du Casino-Balnéum abritait un grand restaurant, un bar américain, une spacieuse salle des fêtes et un dancing, disposés autour de la piscine, vaste espace qui se composait d'un grand et d'un petit bassin établis suivant les règles imposées par la fédération sportive. Le Balnéum comprenait encore une installation hydrothérapique complète, sorte de hammam avec salles de sudation, douches, bains, massages. De plain pied avec la digue, le premier niveau abritait un cinéma de luxe de 450 places, indépendant du casino. Deux cents cabines environ étaient mises à la disposition de la clientèle. Quelques boutiques étaient également placées de part et d'autre de l'entrée de la digue. Ce bâtiment fut une illustration du style paquebot alors en vogue avec des salles disposées sur le pourtour d'un grand espace distribuées par de longues coursives. On y trouvait aussi des grandes compositions utilisant maintes colonnes et serliennes. Le volume du hall était éclairé par une lanterne à deux niveaux ; il était scandé de colonnes surmontées de vases fleuris et rehaussé de bas-relief par Auberlet. La piscine, au centre du complexe, était entièrement revêtue de mosaïque en camaïeu de bleus par l'atelier rennais des Odorico. A la même époque, on aménagea, sur un plan de l'architecte René Aillerie, dans la petite anse de la plage, près de la porte d'Émeraude, un « Pool », mot anglais désignant une piscine découverte de grande dimension, capable d'accueillir les matches de water-polo dans de l'eau de mer. Les autres quartiers de Dinard Le centre ville La partie considérée comme le centreville est située à l'est, le long de la Rance, et, elle est traversée du nord au sud par le boulevard Féart, créé à la naissance de la station de villégiature, puis d'est en ouest par la rue Levavasseur, artère commerçante prolongée par l'avenue Edouard-VII, plus résidentielle. Trois places sont aménagées à l'est du boule« pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 126 vard Féart : la place Paul-Crolard, la place Rochaïd avec ses halles et son marché et la place de la République, anciennement place de la Ville-en-Bois. La partie orientale de ce quartier, tournée vers la mer, a été occupée la première. Les maisons de villégiature y sont nombreuses et la plupart mitoyennes (avenue George-V, autrefois dénommée Grande Rue). C'est dans ce secteur urbain qui surplombe la mer que s'est installée la colonie anglaise avec son club de tennis dont le terrain vient d'être récemment loti. La pointe des Moulinet La pointe du Moulinet, bande de terre avancée vers la mer, borde la partie est de la plage de l'Écluse et fait face à la ville historique de Saint-Malo. Cet endroit stratégique donnant sur la Manche et sur la Rance possédait une batterie construite par Vauban en 1696 dont quelques vestiges de fondation sont encore visibles. Elle fut remplacée en 1861 par une nouvelle batterie, désaffectée et remise au Domaine par le service du Génie en 1900. Le chemin d'accès à la batterie et le chemin de ronde furent cédés à la ville de Dinard et les terrains acquis par Jacques Hennessy et Paul Darblay, propriétaire des villas la Garde et Saint-Germain. Sur ce site considéré comme l'un des plus beaux points de la côte s'installèrent de somptueuses demeures dès le début de la villégiature à Dinard. La villa Roche Pendante, connue grâce à des sources documentaires, fut vendue en 1906 et détruite peu avant la guerre de 1914 ; elle était la propriété de John Camac, Américain originaire de Philadelphie, qui l'avait fait construire en 1867 ; hor s-sér ie - juillet 2012 La pointe du Moulinet à Dinard elle est remplacée par la villa Granite House construite en 1923. Parmi, les premières demeures figurent également la première villa la Garde construite vers 1865-1870 pour la famille Roederer et la villa Saint-Germain primitivement appelée villa Mortemart, construite par François de Rochechouart, vicomte de Mortemart, entre 1868 et 1874. Le chemin de ronde qui parcourt la pointe a été terminé en 1928-1929, suite à l'acquisition d'un terrain domanial par la ville de Dinard, qui a permis d'y établir un chemin public allant de la plage de l'Écluse à la pointe du Moulinet. La porte d'Émeraude, située dans l'anse, a été ouverte en 1911, permettant ainsi une communication directe entre l'embarcadère et la plage de l'Écluse. Le lotissement concerté de la Malouine En 1879, Esmé d'Audiffret Pasquier vendit le parc de son château, dit la Malouine, à Auguste Poussineau, qui dès les années 1880, assura la promotion et l'aménagement du site. Un lotissement de luxe fut dès lors envisagé. Auguste Poussineau fit appel à Alexandre Angier, architecte à Saint-Brieuc qui réalisa plusieurs villas (Belle Assise, Roche Plate, Roches Brunes et Bel-Esbat). Certains lots furent vendus non bâtis ; ce fut le cas pour les villas Vélox et Ker Annick construites pour la famille de Boucheporn. La villa Bambino fut réalisée par l'architecte Bénard. Le lotissement était clôturé par une grille en fer forgé située à l'entre de l'actuelle avenue Poussineau. En juin 1909 fut créé le syndicat des propriétaires du parc de la Malouine. Les rues qui traversent ce lotissement sont aujourd'hui communales. Le quartier de Saint Enogat Le quartier de Saint-Enogat était le centre primitif de la commune ; il tend aujourd'hui à se confondre avec la ville de Dinard. La place du Calvaire, au coeur de ce quartier, où se tenait un marché, s'est transformée en un véritable carrefour. L'église située à proximité est une reconstruction datée de 1872-1874, hormis le clocher, de l'architecte Arthur Régnault. L'ancien édifice était du style Renaissance et affectait la forme d'une simple croix. Le déplacement de l'église paroissiale, en 1858, de Saint-Enogat l « pour mémoire » 127 plage de Port-Riou. Le lotissement initial, aujourd'hui détruit, était moins étendu. Il était composé du Grand-Hôtel de la Mer, de villas accolées louées à la journée, à la semaine ou au mois formant trois corps de bâtiments, de maisons individuelles et d'un établissement de bains. Les villas les Genêts, Bellevue, le Parc et les Tourelles formaient le premier corps de bâtiment au nord-ouest de la parcelle. Le deuxième corps de bâtiment était composé des villas Maisonnette, Shakespeare, Byron et Cézembre et le troisième corps au nord-est de la parcelle des villas le Bosquet et Harbour. Les maisons individuelles placées en bordure de la plage de Saint-Enogat, dites les Pavillons, se nommaient le Phare, la Corniche et le Nid. L'établissement de bains - villa des Bains et pavillon des Bains - était placé également en bordure de la plage avec location de cabines de bain. L'ensemble du terrain dit les Grandes Mielles avait été acheté par Albert Lacroix le 23 septembre 1875. Ce dernier fit probablement appel à l'architecte Liège de Saint-Servan. Un deuxième lot de terrains limitrophes du premier lotissement fut acheté le 28 décembre 1877 à Joseph-Auguste Parmentier par un groupe d'amis d'Albert Lacroix. Le quartier de la gare Le quartier de la gare, situé au sud de la ville de Dinard, fut créé à partir de l'installation du chemin de fer, inauguré en 1887. Il est principalement composé de petites maisons souvent résidentielles. Les plus anciennes sont situées à l'est de la ligne de chemin de fer. En 1900, Dinard ne s'étendait pas au-delà de la ligne de chemin de fer. Il fallut attendre le plan « pour mémoire » La Pointe de la Malouine à Dinard. à Dinard aurait pu mettre un terme à l'évolution urbaine du bourg, mais Saint-Enogat profita, comme Dinard, dès le début de la villégiature, de l'afflux des estivants. En 1865, dans le secteur de Villeneuve, proche de l'église, Henri Lefort créa un salon littéraire qui accueillait un groupe de poètes de la capitale. Mais ce fut Albert Lacroix, éditeur de Victor Hugo, qui fut le véritable promoteur de la plage de Saint-Enogat. Il y construit en 1875 son premier lotissement dit « des villas de la Mer » qui donna bientôt son nom à tout ce quartier de villégiature situé sur la rive est de la plage de Saint-Enogat. Un établissement de bains s'y installa en 1877 avec quelques cabines de bains réservées à la clientèle des villas et de l'hôtel de la Mer. Dans les années 1880, la ville se rendit propriétaire du sol du boulevard de la Mer où avaient été construites de belles villas, telle le Port Riou de M. de Rodays, qui assura une publicité constante à la station dans le journal parisien Le Figaro. Dans les années 1890 et surtout entre 1910 et 1930, on assista à un développement de la construction de villas, facilité par l'ouverture du boulevard AlbertLacroix commencé en 1879, qui relie Saint-Enogat à la Pointe de la Malouine. Ce fut également une période favorable aux équipements balnéaires, puisque la municipalité construisit un ensemble de cabines de bain fixes en 1923, que la société des tennis y implanta huit courts en 1924 et que des investissements privés lancèrent l'édification d'un hôtel de luxe, l'hôtel du Duc d'York puis hôtel Granville en 1929. Après cette date, peu d'édifices importants furent construits, hormis la villa Greystone, élevée en front de mer en 1938 par l'architecte Michel Roux-Spitz. Le lotissement des villas de la Mer Le lotissement des Villas de la Mer donna son nom à tout un secteur du quartier de Saint-Enogat qui s'étend de la partie orientale de la plage de Saint-Enogat à la l hor s-sér ie -juillet 2012 128 d'alignement, d'extension et d'embellissement de la ville en 1925 pour que fussent dessinés et envisagés de vastes projets dans la partie occidentale de la ville. La municipalité de Paul Crolard acheta dans ce quartier excentré de vastes terrains afin de constituer un secteur à bon marché destiné aux ouvriers, aux fonctionnaires et aux petits rentiers afin qu'ils y construisent des maisons à prix modérés. Un vaste projet de citéjardin dessiné dans les années 1920 est en partie réalisé avec la création en 1925 de la cité Pasteur, puis en 1931 de la cité Broussais. Le quartier de la plage du Prieuré La plage du Prieuré est la deuxième grande plage de Dinard, située dans l'estuaire de la Rance face à la ville de Saint-Servan. Orientée à l'est, elle est plus abritée et moins mondaine que sa voisine, la plage de l'Écluse. Elle doit son nom à l'ancien prieuré des trinitaires, situé au fond de la baie et fondé en 1324 par les frères Olivier et Geoffroy de Montfort. Ce prieuré transformé en habitation particulière a été occupé dès 1840 par un consul anglais. C'est l'un de ces consuls, Robert Monteih qui, fasciné par l'endroit, à fait découvrir Dinard à la colonie anglaise de Dinan dont les Faber. A côté du prieuré, se sont établies dans les années 1860, les Soeurs de la charité de Bayeux. Elles cédèrent, en 1871, leur établissement aux trinitaires de Valence qui y installèrent un pensionnat de jeunes filles. Le quartier de la plage du prieuré est également le noyau primitif de la nouvelle ville de Dinard, matérialisé en 1858 par l'église et la mairie-école située au hor s-sér ie - juillet 2012 sud du presbytère. Ce fut le lieu choisi en 1868 par l'architecte Pichot pour y construire la villa Eugénie qui se devait d'accueillir le couple impérial. Quelques villas se construisirent à cette période sur les falaises dont la villa Pontlevoy avec ses jardins en terrasses. Plus tard, en 1880, la famille Klekosky construisit en retrait du front de mer la villa Nahan, véritable château, aujourd'hui détruite, dont le parc a été en partie sauvegardé. La grève du Prieuré, était couverte, à la fin du siècle dernier, de grands arbres, d'arbustes et de verdure, avant de voir quelques villas s'y établir, face à Saint-Servan et Saint-Malo ; elles formaient un contraste heureux avec le fond de verdure des fours à chaux de la Vicomté. A partir de 1870, plusieurs cabanes de bains s'implantèrent sur la plage, surtout aux abords du couvent des Trinitaires, dans la partie ouest de la grève, mais un établissement de bains y faisait encore défaut. Petit à petit, la grève du Prieuré devint une plage de plus en plus fréquentée par les baigneurs. En 1893, M.Auvret, propriétaire aux abords du chemin de la Fosse Guézille, fit disparaître quelques rochers gênant l'accès des bains, ce qui rendit la plage plus attrayante. Des propriétés se construisirent à ses abords et le propriétaire de la villa « La Luzene », à proximité de la grève, M. Denys, décida en 1892 de créer un petit établissement de bains des plus modestes, mais susceptible de rendre de grands services aux habitants. La concession de faire circuler quatre cabanes sur la grève lui est accordée le 14 août 1892, à raison d'une redevance de 3 francs par cabane roulante, pour une durée de cinq ans ; elle fut ensuite renouvelée. En 1929, on réalisa sur la plage du Prieuré une plateforme afin de recevoir des cabines. Les propriétaires de cabines, trop nombreuses sur la plage de l'Ecluse, furent autorisés à les y transférer. L'utilisation de la grève fut gratuite cette année là ; un prix très modique fut pratiqué les années suivantes. Une piscine fut construite sur la plage dans les années 1930. La Vicomté Les terrains du lotissement de la Vicomté appartenaient à Mme veuve Joyau qui en vendit quelques parcelles à des particuliers et l'essentiel à la société PicardDubois et à Emile Dubois, architecte. Le domaine fut morcelé en vingt lots et mis en vente, à grand renfort de publicité, en 1900 dans le journal La Côte d'Émeraude. Suite à la mise en faillite d'Emile Dubois en janvier 1918, les terrains furent mis aux enchères. Ils devinrent la propriété de la société anonyme de la VicomtéDinard qui publia ses statuts en 1922 et passa sous la direction d'un architecte parisien, Victor Lesage. Entre 1922 et 1929, deux architectes parisiens, Victor Lesage et Charles Miltgen, conçurent un projet de station balnéaire dotée de tous les équipements : casino, hôtels, tennis, embarcadère, quartier commercial, dont il est rendu compte dans un document publicitaire publié en 1928. On y voyait la réalisation, par la ville de Dinard, d'un boulevard reliant la Vicomté à la plage du Prieuré, les prémices de la construction du casino et de l'hôtel Beauvallon, de style Art Déco, avec ce goût des décors en lignes brisées et les embrasures à ressauts. Une cale d'embarquement était également prévue. Le quartier com- l « pour mémoire » 129 La Fenêtre à Cancale, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle de véritables lotissements balnéaires prirent place autour de la ville haute. A la même période, sur le front de mer de la Houle, les vieilles maisons de pêcheurs furent rénovées et mises au goût du jour. Au tournant du siècle, Cancale, ville portuaire et ostréicole, s'affichait alors comme un lieu de villégiature pour des personnes aimant le calme et le pittoresque. mercial ne vit pas le jour, par contre le casino fut réalisé. Il fut détruit pendant la guerre, et l'hôtel Beauvallon, encore en place, fut transformé en appartements. Ce projet ambitieux n'avait pas connu le succès escompté ; il fut brisé dans son élan par la crise de 1929 et le départ de la clientèle aisée vers la Côte d'Azur. Pourtant, le site était loué par les plus grands. Anne de Noailles le désignait sous l'appellation de « Bosphore d'Occident ». Le projet fut relancé en 1964 par la société de vente de la VicomtéDinard qui réalisa un nouveau cahier des charges et de réglementation des parcelles. La reconquête des grèves A partir des années vingt, les municipalités achevèrent de retrouver la maîtrise de l'espace de la station. Aux initiatives individuelles - l'absence de contraintes édilitaires est significative de l'effacement de la puissance publique jusqu'en 1914 - succédèrent les plans d'extension mis en oeuvre par les municipalités. Cette réappropriation s'exprima par la maîtrise des réseaux de voiries, qui valida a posteriori les initiatives privées, mais surtout par l'aménagement des espaces libres et par la restitution du rivage à l'usage public. À Dinard, le Conseil municipal du 16 décembre 1900 fut consacré à ce thème, avec des débats agités. « Cette décision donne assurément satisfaction aux voeux si souvent exprimés par la population. La pointe du Moulinet est un des sites les plus pittoresques de notre commune, et c'est incontestablement l'endroit d'où l'on découvre le plus beau panorama de nos côtes. L'ouverture au public du chemin de ronde jusqu'à présent fermé [...] va constituer un nouvel attrait pour nos visiteurs. Mais la mesure ne serait pas complète si elle devait s'arrêter là. Il vous semblera sans doute comme à moi qu'il est indispensable pour la commune, afin de pouvoir en tirer tout le parti désirable, d'être autorisée à prolonger le chemin qui nous est concédé tout autour de l'ancienne batterie, en longeant les murs de la villa Saint-Germain [...]. Cela permettrait aux promeneurs de circuler librement, sans être obligés de revenir sur leurs pas ». Malgré ces efforts, le tracé des chemins de randonnée ne longe toujours pas le rivage dans sa totalité. Il subsiste des ruptures, vestiges des modes d'appropriation du rivage qui distinguait à l'origine les sites de promontoire et les sites de digue. Les étapes d'un développement A côté des villes de Saint-Malo et de Dinard, toutes les bourgades périphériques connurent, avec un petit décalage de temps, une transformation de leurs sites en stations balnéaires. Ce fut le cas de Cancale, Saint-Lunaire, Saint-Briac, Saint-Cast sur lesquels se déroulèrent des phénomènes analogues d'équipements et de lotissements. Il est vrai que la réputation de la côte d'Émeraude était alors assurée. L'imprimeur Joseph Bazouge dans son Guide du baigneur et du touriste à Saint-Malo-Saint-Servan, Dinard-Paramé, paru à Dinan en 1865 fournit une description de Saint-Malo, de son casino et de cent « petits pavillons roulants pour la toilette des baigneurs », ces cabanes traînées au bord du rivage par un cheval. Il précisait que la complète sécurité des personnes avait déjà été prévue. « Un bateau de sauvetage stationne incessamment sur les eaux de la Grande Grève et des surveillants « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 130 sont à proximité, prêts à s'élancer vers les flots, au premier cri d'alarme », précisait-il. Ainsi les baigneurs pouvaient-ils bénéficier, sans inquiétude d'une « grève vaste et unie, formée du sable le plus fin et disposée en pente douce » et d'une « eau toujours limpide et dans une agitation continuelle, sans être incommodés » et qui « offre à toute heure la précieuse facilité du bain à la lame». Bazouges montrait la même admiration pour Dinard : « Dinard voit ses pittoresques sommets se couvrir de ces retraites charmantes, de ses jardins suspendus comme ceux de la Sémiramis à Babylone, qui font d'admiration des touristes. Il semble que la baguette d'une fée bienfaisante a transformé, comme par enchantement, les arides falaises en parterres épanouis, les rocs abrupts en palais ». Le développement de la Côte d'Émeraude s'organisa autour de Saint-Malo et de Dinard. Il s'enchaîna en trois temps, autour de plusieurs types de pratiques et de groupes d'acteurs. Il y eut le temps des bains de mer, prolongeant la tradition de la villégiature thermale, et mis en scène par les inventeurs du site, le temps des stations balnéaires, orchestré par les guides et placé sous le signe de la spéculation jusqu'au lendemain de la Première Guerre mondiale, associé à l'arrivée du chemin de fer, enfin le temps de l'évasion, ponctué par la loi sur les congés payés qui inaugura le développement de la société de loisirs. certain nombre d'équipements. Celui qui vient d'abord à l'esprit est le casino, mais l'établissement de bain eut, à l'origine, un rôle déterminant. Dans un ouvrage publié en 2000, Les bains de mer sur la côte d'Émeraude, Henri Fremin le montre parfaitement en reprenant la description qu'en donna Madame Menestrier, petite fille de Laurent Menestrier, fondateur des bains du même nom, sur la plage de l'Ecluse à Dinard. «Ma grand'mère et mes tantes tenaient un « établissement de bains » : à cette époque, c'était une lourde entreprise ; tout se louait : les cabines, les chaises et les fauteuils, des tentes... et les costumes de bain ! Rien à voir avec les bikinis... c'était épais, solide, noir avec des galons blancs au col et aux manches !... Les femmes avaient des culottes, descendant sous les genoux, avec les vareuses montantes, fermées au ras du cou. Il fallait les rincer et les faire sécher au soleil... Pour le bain, une organisation compliquée : une grosse chaudière donnait des barriques d'eau chaude (eau douce !). Dans chaque cabine, à l'heure du bain, on portait un grand bain de pieds fumant... (Les dames se rinçaient avant de se rhabiller !). Il fallait donc beaucoup de personnes : des femmes pour le service des cabines, pour le lavage et le séchage des costumes et serviettes, pour le transport des bains de pieds, etc. ; des hommes pour monter et descendre ces lourdes cabines au gré des marées. Les chevaux étaient de solides percherons, et ils peinaient dans le sable où les roues s'enfonçaient. Enfin, tout l'hiver on continuait le travail : on rentrait les cabines (démontées) dans de grands hangars pour les réparer (peinture, etc...) et les femmes vérifiaient et raccommodaient les costumes de bain (peignoirs et serviettes). Tout devait être parfait au printemps pour une nouvelle saison estivale. En ce temps-là, pas encore d'automobiles!... c'était le règne du cheval ». La clientèle Dans la première période, la clientèle se composa d'aristocrates, attirés par le paysage littoral, de baigneurs, séduits par le discours médical, puis se furent des artistes, peintres, musiciens ou écrivains en quête de dépaysement, de nature et de pittoresque. Les premiers baigneurs étaient hébergés chez l'habitant, dans des maisons d'armateurs ou de simples logements mis à leur disposition le temps de la cure ou encore dans les couvents comme à Saint-Jacut, à Saint-Servan et à Dinard, à Saint-Gildas de Rhuys ou au Val-André. Si les artistes logeaient plus volontiers chez l'habitant, dans la tradition des voyageurs, lancée en France au début du XIXe siècle, les aristocrates et les grands bourgeois s'intéressèrent rapidement à des sites remarquables, comme ces pointes rocheuses qui s'élançaient dans la mer, offrant une perspective circulaire, et capables d'accueillir un jardin dans une conception paysagère à l'anglaise. Choisissant d'abord les endroits les mieux desservis depuis les grandes villes où ils résidaient, ils furent tout naturellement attirés par Dinard, proche de SaintMalo, puis, après l'arrivée du chemin de fer, par des lieux encore préservés car moins accessibles, comme Saint-Briac, Lancieux ou Saint-Jacut-de-la-Mer. Si le bord de la mer était à la mode, cette élite n'en cherchât pas moins à y reproduire les modèles qu'elle utilisait en d'autres Les équipements originaux Le développement des villes balnéaires s'est souvent cristallisé autour d'un hor s-sér ie - juillet 2012 l « pour mémoire » 131 lieux. Ainsi, ces premiers estivants firent-ils construire, pour eux-mêmes, ici le château et là la « malouinière », maison de villégiature des armateurs malouins depuis le XVIIe siècle. Pour la vie mondaine, elle disposa assez vite d'équipements, le casino, d'abord isolé, puis associé à l'établissement de bains, comme dans les villes thermales. Dès 1839, Saint-Malo se dota d'un premier casino alors qu'il fallut attendre 1866 pour ériger celui de Dinard. La deuxième génération de casinos apparut dans la cité malouine en 1868 et à Dinard en 1876 ; elle fut suivie d'une troisième génération en 1899 à Saint-Malo et en 1902 à Dinard. La colonie anglaise Pour les Anglais, la région était d'accès facile grâce à la présence du port à Saint-Malo. La ville développa d'ailleurs rapidement des lignes maritimes avec Southampton. Les anglais constituèrent deux colonies, l'une implantée dès 1840 à Saint-Servan puis sur le site du front de mer du Sillon, et l'autre, une dizaine d'années plus tard sur la rive gauche, à la Pointe du Moulinet. A Dinard, cette communauté eut une influence considérable dans l'invention et le développement de la ville balnéaire, en créant un cadre et un mode de vie proche qui resta une référence pour les élites françaises jusqu'au lendemain de la guerre 1914-1918. « A Dinard, la colonie anglo-américaine possède une organisation complète. Les gentlemen y ont leur cercle particulier. Les dames ont également le leur qui se nomme le « New Club » ou « Ladies Club ». Ce club -le premier club de dames ouvert en France - est en réalité le « home » de la colonie étrangère. C'est là qu'elle donne ses bals, five o'clock, concerts et tableaux vivants dans lesquels figurent les plus jolies filles et les plus select gentlemen de la colonie ». Issue de Dinan et d'Avranches, la colonie de Dinard se retrouvait dans ses clubs et cercles fermés et se rassemblait dans ses églises : l'église anglicane de Saint-Barthélemy fut édifiée à Dinard dès 1870. Ils apportèrent de nouveaux divertissements sportifs, chasses et tirs aux pigeons, régates et courses hippiques, lawn-tennis et golfs, le bain et la natation. A Saint-Servan, les cabines de bains roulantes à l'anglaise arrivèrent avec les premiers estivants installés dès 1840. La Société nautique de Saint-Malo-Saint-Servan fut créée en 1859 et les premières régates de Dinard se déroulèrent dix ans plus tard. L'influence anglo-saxonne ne se limita pas aux activités sportives et s'étendit jusqu'au secteur du commerce, avec l'installation à Dinard de boutiques à l'anglaise, formant galerie marchande. Contrairement à l'aristocratie qui initia un processus de conquête du rivage, la communauté anglaise se distingua par sa capacité d'intégration à un site portuaire existant, à Saint-Servan mais surtout à Dinard, dans l'ancien quartier du Bec-de-la-Vallée. Vers 1860, les colons anglais se construisirent leurs premières villas aux modèles importés d'outre-Manche, avec notamment des entrepreneurs originaires de Jersey. On retrouvait dans ces constructions de la première génération de la colonisation de nombreux motifs qui deviendront des poncifs de l'architecture de la villégiature balnéaire : bow-window, fenêtre à guillotine et véranda, hall et charpente apparente lambrissée, etc., jusqu'à la cour à l'anglaise pour maisons mitoyennes à appartement. Jusqu'à la crise de 1929, la colonie anglaise fut très présente. L'occupation du territoire En matière de construction, l'occupation de la côte fut d'abord une décision individuelle. Elle débutait le plus souvent à partir d'une pointe ou d'un promontoire pour se répandre progressivement sur tout le territoire. Il apparaissait alors une frange urbaine discontinue s'enroulant autour des sites naturels, orientée vers la mer, de maisons seulement occupées une partie de l'année. Implantées au pied de la ville à la manière d'un faubourg, comme au Sillon où elles s'inséraient dans un espace militaire, industriel et portuaire, elles formaient des nouveaux noyaux urbains, indépendants des centres antérieurs et qu'elles allaient absorber progressivement. On assista à un déplacement continu des centres de gravité entre le noyau traditionnel de l'église, de l'école, de la poste et des commerces avec celui de la station balnéaire avec sa digue, son casino, ses hôtels et ses boutiques. Une hiérarchisation consciente des espaces ne manifesta davantage dans des stations satellites créées ex-nihilo comme Saint-Lunaire où Emile Liège planifia la construction d'une station idéale non achevée : le grand-hôtel et le casino donnaient sur la plage avec, en retrait les hôtels de voyageurs et les commerces, entre les deux un secteur intermédiaire avec la nouvelle église. « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 132 Les conflits entre activités Les conflits entre activités ont été révélés par des oppositions clairement exprimées sur la voie publique. Ce fut le cas à Dinard, à propos de l'utilisation des sols de la plage de l'Ecluse, devenue, à partir des années 1870, le centre symbolique de la station balnéaire. Cette plage, la plus belle du littoral, avec ses dunes blanches descendant jusqu'à la mer, en sable fin, attiraient chaque été les baigneurs. Mais elle était l'objet de pratiques traditionnelles de la part des agriculteurs de la région, qui venaient là chercher des matériaux et des engrais dont ils avaient besoin. Le 28 juillet 1870, le conseil municipal de Saint-Enogat fut appelé à délibérer sur l'interdiction d'enlever du sable et de la marne dans la « grève des bains ». Les habitants de Dinard et les premiers baigneurs avaient exprimé leur souhait de voir la grève conservée en l'état, et protestaient contre les enlèvements de sable et de marne, de même que les destructions des dunes formant le fond de la baie et sur lesquelles étaient établis le casino, construit en 1866, et l'établissement de bains de mer, sources de richesse pour le pays. En février 1872, pourtant les habitants des Côtes-du-Nord, Pleslin, Tréméreuc, réclamèrent le droit de prendre le sable, marne et engrais, qu'ils avaient coutume de venir chercher autrefois dans la grève de l'Ecluse. Les fermiers de Saint-Enogat lancèrent une pétition et le conseil municipal se trouva obligé, en mai 1872, de faire une dérogation à l'arrêté pris le 26 août 1870. L'enlèvement des amendements marins, sables, coquillers, sable à bâtir et autres produits naturels, ne serait plus interdit de manière absolue que pendant la hor s-sér ie - juillet 2012 saison des bains de mer, soit pendant les mois de juin, juillet, août et septembre. Pendant le reste de l'année, ils pouvaient avoir lieu provisoirement et « à titre d'essai » au large d'une ligne définie à condition de passer par le Heaumet et la pointe de la Roche Pendante. Ces enlèvements de sable firent, au fil du temps, disparaître les magnifiques dunes de sable fin qui atteignaient des dizaines de hauteur sur toute la baie de l'Ecluse, comme le montrent, désormais, les photos les plus anciennes de Dinard. La naissance du tourisme Le développement des villes balnéaires constituait un marché des plus fructueux. C'est du moins ce que pensèrent les grands décideurs économiques de l'époque. C'est ainsi que les compagnies privées de chemin de fer allaient favoriser l'extension du réseau et participer, à grand renfort de publicité (affiches, guides touristiques et décors des gares), à l'émergence d'une industrie des bains de mer. Ce moment allait provoquer un changement considérable dans l'aménagement des lieux. Alors que la villégiature du temps des bains de mer s'organisait pour répondre aux usages des estivants, la station inaugura des espaces préconçus dans lesquels il fallait ensuite attirer les touristes. Il ne s'agissait plus de répondre à un besoin mais de le créer. Dans ce grand travail de promotion d'un nouveau type de loisir, s'engagèrent des personnalités de grands quotidiens parisiens, notamment du Figaro. Elles se firent les promoteurs des stations de la Côte d'Émeraude, Paramé, Saint-Lunaire et dans une moindre mesure Dinard. Avec l'appui de banquiers parisiens et rennais, elles firent construire de grands hôtels et casinos, au droit d'une digue qui fondait la plage mondaine ; ces équipements furent accompagnés de lotissements résidentiels implantés un peu à l'écart, comme à la Malouine ou à la pointe du Décollé, pour concilier intimité et vie mondaine. Désormais, cette nouvelle clientèle pouvait séjourner en famille et pour son plaisir, dans les hôtels de plus en plus nombreux et de plus en plus luxueux, ou encore dans les villas construites dans ces lotissements par les promoteurs de la station. Les modes d'implantation et de construction Au fil du temps, les modes de structuration de l'espace de la station se Le sillon et l'arrêt du tramway à Saint-Malo l « pour mémoire » 133 superposèrent et se juxtaposèrent, chaque groupe d'acteurs y laissant son empreinte. Aux vastes propriétés « éparpillées » et aux lotissements « désordonnés » des découvreurs succédèrent les lotissements « réguliers » des promoteurs. La bourgeoisie allait trouver sa place dans lotissements de luxe non loin des lieux fréquentés par les aristocrates. Elle choisit comme modèles de construction ceux mis à l'honneur par des architectes comme César Daly et Violletle-Duc, participants du style éclectique. Parallèlement à ce courant, les artistes et les intellectuels inventaient une autre manière de vivre et contribuaient, dans les sites périphériques, à la diffusion d'un autre type de villégiature basé sur le dépaysement. Ils furent à l'origine de la maison de villégiature conçue comme un refuge, qu'ils appelaient « cabane de plage » ou « chalet » et dont on trouve de nombreux exemples dans les lotissements d'Albert Lacroix à Saint-Énogat, d'Alfred Marinier à Saint-Cast ou encore d'Emile Bergerat à Saint-Lunaire, ainsi que de façon plus diffuse, à Paramé, avec les poètes Parnassiens réunis autour de Louis Tiercelin. Cette formule économique, ainsi mise à la mode, fut elle aussi déclinée par les architectes et les entrepreneurs locaux, en particulier à Saint-Lunaire, mais aussi à Lancieux et à Saint-Cast. L'urbanisme opérationnel Dinard avait pris l'image d'une ville « anglaise » avec ses commerces de luxe, ses lieux de culte, ses clubs et ses équipements sportifs. Cette conception de la ville balnéaire n'était pas celle des « nouveaux » promoteurs de la station qui voulaient mettre en place un système de consommation fondé sur la création de lotissements et la construction de maison de rapport. Ces spéculateurs se distinguaient également des personnalités qui s'étaient engagées dans la modernisation des infrastructures urbaines, dans la gestion de l'espace et le développement économique, Sylla Laraque à Saint-Lunaire ou Rochaïd Dahdah à Dinard. Ce dernier fut à l'origine de la construction d'équipements logistiques (halles, usines élévatrice des eaux, etc.) mais surtout d'un plan d'aménagement urbain déterminant pour le développement de la station. L'urbanisation de la Côte d'Émeraude utilisa essentiellement la pratique du lotissement. Certains territoires ont même donné lieu à des découpages successifs. Ce fut le cas du terrain du Château de la Malouine, construit pour le duc d'Audiffret Pasquier en 1865 sur la pointe de la Malouine. Le parc de cette grande demeure fut racheté en 1879 par Auguste Poussineau. Ce dernier y aménagea un lotissement de luxe qui fait encore la renommée de Dinard. Le château fut détruit pendant la guerre, hormis les communs, transformés en 1955 en habitation particulière. Le jardin d'agrément, d'une surface de 5.456 mètres carrés, fut de nouveau loti et divisé en cinq lots en 1957. J. Lemercier, architecte départemental et A. Fontaine, architecte de Saint-Briac furent chargés de définir le cahier des charges pour conserver la conception d'ensemble et l'esthétique du lieu. Les transports collectifs Le prolongement des voies ferrées, depuis Rennes jusqu'à Saint-Malo, en 1864, puis Dinard, en 1887, maintint ces stations en position dominante, en réduisant les temps de trajet mais surtout en instituant ces gares comme des points de passage obligés. L'accès depuis les grandes villes était, en effet, un critère discriminant, expliquant le développement tardif de certaines stations. Le développement des sites de la rive gauche de la Rance resta longtemps handicapé par le développement des réseaux de transports : chemins de fer et tramways. Le train ne desservit Dinard que plus de vingt ans après Saint-Malo, si bien, qu'avec son port, cette dernière bénéficiait d'un réel avantage, avant que la création d'un aérodrome à Pleurtuit (1909), qui devint une aérogare en 1931, permit à Dinard d'occuper une place prédominante jusqu'à la construction d'un aéroport à Saint-Malo, après la Seconde Guerre mondiale. « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 134 Ces réseaux de grande communication furent prolongés par de nouvelles routes côtières et par des lignes de tramway qui contribuèrent de faire de l'espace de villégiature balnéaire un espace hiérarchisé. Elles facilitaient les excursions et les promenades depuis les stations et permettaient l'accès aux structures de loisirs éloignées, en particulier les golfs. La construction de voies ferrées d'intérêt local débuta en 1888 avec la création de la ligne Saint-Servan-SaintMalo-Paramé. Les stations balnéaires voulaient être en pointe de la modernité et voulaient également avoir un service supplémentaire, à l'usage des touristes, pour compléter l'accès du territoire par chemin de fer, inauguré quelques années plus tôt. Jusqu'en 1898, les tramways de la Côte d'Émeraude furent les seules lignes ouvertes en Ille-et-Vilaine. Le tramway permettait d'accroître le dynamisme économique de la côte en reliant des pôles de centralité mais il permettait surtout de donner davantage de valeur à des terrains urbanisables en assurant leur déserte. Dans le choix du tracé, le plus souvent, il s'agissait de donner un moyen de se déplacer aux touristes avant de penser aux habitants, cependant cet objectif restait présent ; il explique en particulier le choix de la chambre de commerce de Saint-Malo de soutenir la création de la ligne Dinard-Saint-Briac, en 1896, et surtout son prolongement, au plus près du débarcadère, jusqu'au Bec-de-la-Vallée, malgré les protestations des estivants. C'est en revanche pour satisfaire une clientèle de touristes que furent conçus les projets d'électrification qui débutèrent dès 1906. Les lignes de tramway drainaient ainsi toute la bande littorale hor s-sér ie - juillet 2012 de Saint-Malo à Cancale et de Dinard à Saint-Briac, où elles favorisèrent le développement de la villégiature. En 1906, la ligne Matignon-Saint-Cast donne un nouvel essor à la station, tout comme l'embranchement depuis Le Guildo, ouvert en 1926, desservant Saint-Jacut-de-la-Mer et Lancieux, qui prirent alors une importance qu'elles n'avaient jamais connue. La jonction Saint-Briac-Lancieux, rendue possible par la construction d'un pont sur le Frémur en 1929, fut cependant un échec. Ces réseaux secondaires, aux mains de concessionnaires privés, allaient être victimes de la concurrence des transports routiers, moins coûteux, qui les supplantèrent dans les années vingt, puis celles des voitures individuelles dans les années trente. Cette concurrence Le Grand Hôtel Royal et le Palais de Cristal à Dinard en 1927 l « pour mémoire » 135 automobile explique leur disparition progressive entre 1914 et 1950. Le « Train de plaisir » A Dinard, à la toute fin du XIXe siècle, un service nouveau allait faire venir une nouvelle clientèle. A l'occasion des courses de Dinard, la Compagnie des chemins de fer de l'Ouest organisa, chaque année, des « Trains de plaisir » pour les Bains de Mer de Dinard. Ces trains sillonnaient la région et passaient dans des villes comme Betton, Combourg, Guichen entre autres. Ils intéressaient la petite bourgeoisie locale qui décidait de venir en famille. Cette clientèle se baignait fort peu, mais elle piqueniquait sur les rochers ou sur les bancs de la promenade avant de repartir le soir, en emportant en souvenir un joli bibelot en coquillage. Dans un ouvrage de 1904, dans La Côte d'Émeraude, Eugène Herpin s'est un peu moqué de ces paysans et de ces bourgeois modestes qui venaient ainsi sur la côte par le « Train de plaisir ». Désignant ainsi sous ce nom, le visiteur inaccoutumé de ces rivages, il le décrivit avec attention et donna par la même occasion une image de la ville et des villégiateurs plus fortunés. « Durant la saison estivale, un beau matin de 14 juillet, de courses et de régates, il apparaît tout à coup, dru comme une poussée de champignons. Et c'est partout, dans les rues, sur la plage, dans les tramways et les bateaux à vapeur, une vraie génération spontanée de baigneurs. J'aime voir « Le Train de plaisir », bien cossu dans son ample lévite noire, avec son gros chapeau mou à larges bords, sa bonne grosse chemise de toile écrue qui attache, autour du col, une mince « anguille » de soie verte, souvenir de la dernière assemblée du village. Les avez-vous remarqués, dimanche, les braves « Trains de plaisir » déambulant aux abords des casinos, de l'Hôtel Royal, au long des boulevards et de la rue Levavasseur ? Avec quelle admiration ils contemplaient les magasins des bijouteries, des antiquaires, des marchands de guipure et de dentelles. Et les autos qui amenaient les belles dames encapuchonnées ! Et les élégantes promeneuses en toilette blanche, ombrelles claires, vaporeux boas de plumes neigeuses ! Et les messieurs qui s'arrêtent et saluent ! Et sur la plage de l'Ecluse, les groupes de délicieux bébés en fine baptiste et en robes de mousseline ! Tout cela, quel spectacle nouveau pour le modeste « Train de plaisir ». [...] « Le Train du plaisir » va parfois jusqu'à prendre un bain, lors, on le voit s'avancer dans l'eau, donnant gentiment la main à sa grosse bourgeoise. Le froid de la mer les surprend désagréablement, et il suffit qu'une vague imprévue vienne tout à coup les mouiller un peu haut, plus vite qu'ils ne le pensaient, pour achever aussitôt de les désorienter. « Bobonne, disait l'autre jour l'un d'eux, qu'une lame avait mouillé sans crier gare, je crois que nous sommes volés ». Et majestueusement, donnant toujours la main à bobonne, il reprenait au grand amusement de tous, le chemin de sa cabine ». La visite s'achevait dans la soirée, et ces familles repartaient tranquillement par le train. La civilisation des loisirs Après le traumatisme de la Grande Guerre, une relance des projets se concrétisa dans les années vingt, sous l'influence des autorités locales, qui revendiquèrent la gestion du territoire jusqu'alors concédée à des acteurs privés. Les lois de 1919 sur les plans d'extension et d'embellissement des villes et sur la création des stations climatiques et touristiques leur en donnèrent les moyens juridiques et financiers. Durant la guerre, les hôtels avaient été trans« pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 136 formés en hôpitaux pour accueillir les soldats blessés, alors que des familles avaient trouvé refuge dans les villas des stations. Pour marquer la rupture avec ces années sombres, on entreprit la construction de nouveaux hôtels et de nouveaux casinos. Au même moment, on vit se construire des villas aux allures de châteaux forts et de manoirs, qui se distinguaient des constructions économiques de plus en plus nombreuses et des édifices structurants par leur monumentalité et leur style. La crise de 1929 et les nouvelles lois anglaises entraînèrent cependant le départ des élites auxquelles ils s'adressaient encore. Ainsi les projets de Lesage et Miltgen à la Vicomté et l'aménagement du site de Pen-Guen à Saint-Cast restèrent inachevés, le projet de Patout à Saint-Lunaire ne fut jamais réalisé. Dans les années trente, ce fut la petite bourgeoisie qui vint en grand nombre passer ses vacances de familles sur les plages de la Côte d'Émeraude à Lancieux, à Saint-Jacut-de-la-Mer ou à Saint-Cast, logeant dans des pensions de famille qui s'étaient multipliées dès les années vingt. La villégiature mondaine instaurée par la bourgeoisie à partir de 1880, se transforma pour répondre aux besoins d'évasion et de pratiques sportives, qui se généralisaient dans les villes au lendemain de la guerre de 1914-1918 ; la jeunesse devint le public privilégié. La plage de sable et de galets se substitua désormais à la digue pour devenir un espace de liberté, au centre de la vie balnéaire. Jeux de plages et clubs d'activités pour les enfants, plongeoirs et toboggans furent proposés aux touristes qui vinrent chercher au bord de la mer hor s-sér ie - juillet 2012 l'air pur et la tranquillité. Le processus de démocratisation s'acheva avec la loi de 1936 sur les congés payés, qui permit au monde ouvrier d'accéder lui aussi à la civilisation des loisirs, dans des hôtels bon marché et dans les campings aménagés, non sans difficulté, à la périphérie des stations. NOUVELLES FRAÎCHES DE LA CÔTE D'ÉMERAUDE Aujourd'hui, Saint-Malo, connue pour sa ville close, est l'une des villes les plus visitées de Bretagne et attire près de 2000 0000 touristes en été. Elle est première dans le classement des destinations préférées des Européens en France. Fruit d'une riche histoire maritime, elle demeure un port important de plaisance, pêche, commerce et voyageurs. Son port de commerce est le second de Bretagne, avec ses quatre bassins : Vauban, Duguay-Trouin, Jacques Cartier, Bouvet ; il y transite des engrais, du bois, du granit et des produits agroalimentaires. Le trafic de passagers, avec la Grande-Bretagne et l'Irlande mais aussi avec les îles Anglo-Normandes, représente, chaque année, plus d'un million de passagers. Le trafic à travers la Manche s'est nettement développé depuis la création de liaisons régulières avec l'Angleterre : Portsmouth et Poole. Il s'est également conforté, autant en passagers et marchandises, avec les îles de Jersey et Guernesey, où l'activité touristique s'est considérablement développée. L'avant-port de Saint-Malo possède deux terminaux ferries récents. Le renom de Saint-Malo tient également à ses activités culturelles et sportives. Suite à la décision prise par les organisateurs anglais de la Transat de contrer la démesure des bateaux, en 1976, en introduisant une limite de jauge et en restreignant l'accès de la Transat à des bateaux inférieurs à 17 mètres, quelques mois plus tard, en décembre 1976, un publicitaire français, Michel Etevenon, imagina de créer une nouvelle course entre Saint-Malo et la Guadeloupe, ouverte aux voiliers monocoques et multicoques, sans limitation de taille ni de catégorie. La Route du Rhum était née, dont la première édition reliant de Saint-Malo à Pointe à Pitre fut lancée à l'automne 1978. Dès cette première édition, à l'arrivée en Guadeloupe, une lutte épique opposa le Canadien Mike Birch sur son petit trimaran jaune au français Michel Malinowski sur son grand monocoque ; le Canadien l'emporte avec 98 secondes d'avance. Depuis lors, cette course n'a cessé d'accroître son renom et d'attirer un nombre considérable de curieux et de spectateurs à Saint-Malo. Les bateaux doivent être amarrés dans le bassin Vauban sous les remparts de la vieille ville, dix jours avant le départ, pour donner le temps aux organisateurs de procéder au contrôle de sécurité des bateaux, mais cela permet d'attirer un vaste public et de donner aux différents sponsors une publicité à la mesure de l'épreuve. Le départ est toujours un événement national suivi par les médias mais aussi sur place, par une foule d'amateurs, massés sur les grèves voisines ou accompagnant sur l'eau leurs champions. La Seconde Guerre mondiale mit un terme à la croissance de Dinard et à l'ère des mondanités. En juillet 1967, la l « pour mémoire » 137 ville perdit le Casino-Balnéum au profit d'une nouvelle attraction, synonyme de modernité, la piscine olympique. En 1973, un nouvel édifice, l'actuel palais des congrès, compléta les grands équipements municipaux. Aujourd'hui, la ville compte onze mille habitants sur un territoire de sept cent quatre-vingtquatre hectares. Elle est toujours considérée comme la station phare de la Côte d'Émeraude. Sa réputation mondaine, la variété de son front de mer, découpé par de nombreuses pointes rocheuses et de petites anses sablonneuses qui s'étendent sur plus de six kilomètres de la Vicomté à Saint-Enogat, sa situation exceptionnelle entre Manche et Rance face à la ville historique de Saint-Malo ont participé, de tout temps, à sa notoriété. De son histoire, elle a gardé quelques beaux ensembles, dont la maison dite du Prince Noir, le prieuré et sa chapelle et quelques manoirs (la Belle Issue, le Vieux Colombier, la Corbinais, les Cognets, la Haute Guais, le Val Poré et le manoir de la Baronnais). Quelques maisons urbaines anciennes sont également remarquables comme la villa Beauregard (où ont séjourné la famille Faber puis Picasso). La ville de Dinard est insérée aujourd'hui à l'intérieur d'un boulevard périphérique qui mène aux autres stations de villégiature de la Côte d'Émeraude. S'y distinguent six principaux quartiers : la plage du Prieuré, le centre-ville autour de la place de la République, la plage de l'Ecluse avec les pointes du Moulinet et de la Malouine, l'ancien quartier de Saint-Enogat, qui se confond aujourd'hui avec la ville et les Saint-Enogat plage quartiers plus périphériques et résidentiels de la Gare et de Saint-Alexandre. La ville continue d'évoluer. De nouveaux équipements ont été construits pour répondre à la demande actuelle de la clientèle. Un vaste établissement de thalassothérapie, associé à un hôtel, s'est installé en 1990 non loin de la plage de Saint-Enogat. Il abrite un espace pour la détente et la remise en forme avec sauna, hammam, salle de musculation, spa jacuzzi, piscine d'eau de mer, espace beauté avec sa gamme complète de soins du corps et du visage, salon de coiffure avec soins spécifique du cheveu. Par ailleurs, la ville n'a pas oublié l'esprit entreprenant de la colonie anglaise qui fit son succès ; il survit à travers un festival du film britannique. Illustrations fournies par C. Queffélec « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 138 Créé en 1995, le comité d'Histoire ministériel développe des activités dans les domaines de l'Écologie, du Développement durable, de l'Énergie, des Transports, de la Mer mais aussi dans ceux de l'Urbanisme, du Logement et de la Ville. Afin de valoriser le patrimoine historique du ministère et de contribuer au sentiment d'appartenance à ce ministère de chacun de ses agents, quelle que soit son origine, le comité d'Histoire s'appuie sur un Conseil scientifique, composé de chercheurs et de spécialistes reconnus, pour définir ses priorités d'intervention en matière d'histoire et de mémoire des administrations, des politiques publiques menées ainsi que des techniques, des métiers et des pratiques professionnelles qui ont été développés. Il cherche également à répondre aux attentes exprimées par les services, les opérateurs et les partenaires du ministère. Un programme prévisionnel de thèmes prioritaires (risques et catastrophes, innovations, territoires et milieux, mobilités et modes de vie) et de journées d'études a été arrêté pour les années 2012 à 2017. Le comité soutient et accompagne scientifiquement et financièrement des études et des recherches historiques. Il publie la revue semestrielle « Pour mémoire » (3000 exemplaires). Il organise des séminaires et des journées d'études dont il peut diffuser les actes dans des numéros spéciaux de la revue. Il peut favoriser la publication d'ouvrages de référence. Pour les besoins de la recherche, il constitue un fonds d'archives orales d'acteurs des politiques ministérielles. Il gère un centre documentaire ouvert au public doté de plus de 4 000 ouvrages. Il diffuse sur internet et sur intranet un guide des sources accessibles, la revue et les actes de journées d'études et de séminaires. Il peut participer à des manifestations avec des partenaires publics ou privés ». Le comité d'Histoire du ministère L' OrGAnISATIOn Du SECréTArIAT Du COMITé D'hISTOIrE Secrétaire Louis-Michel SANCHE ingénieur général des Ponts et Chaussées, secrétaire général du Conseil général de l'Environnement et du Développement durable tél. 01 40 81 68 23 fax. 01 40 81 23 24 louis-michel.sanche @developpement-durable.gouv.fr Secrétaire-délégué Patrick FÉVRIER administrateur civil hors classe Tél : 01 40 81 21 73 patrick.fevrier @developpement-durable.gouv.fr Adjointe au secrétaire délégué mission recueil de témoignages oraux Christiane CHANLIAU chargée de mission tél. 01 40 81 82 05 christiane.chanliau @developpement-durable.gouv.fr Accueil, assistance à la coordination et secrétariat Marie LACOR assistante Tél. : 01 40 81 36 75 marie.lacor @developpement-durable.gouv.fr Secteur documentation communication électronique Françoise PORCHET chargée d'études documentaires Tél. : 01 40 81 36 83 francoise.porchet @developpement-durable.gouv.fr Secteur études-recherches Stève BERNARDIN chargé de mission Tél. : 01 40 81 36 47 steve.bernardin @developpement-durable.gouv.fr Secteur animation-diffusion Marie-Thérèse RIEU chargée de mission Tél. : 01 40 81 15 38 marie-therese.rieu @developpement-durable.gouv.fr hor s-sér ie - juillet 2012 l « pour mémoire » 139 LE COnSEIL SCIEnTIfIquE Dominique BARJOT Professeur d'histoire contemporaine à l'Université Paris IV Bernard BARRAQUÉ Directeur de recherche au CNRS, CIRED-AgroParisTech Alain BILLON Ancien secrétaire délégué du comité d'Histoire François CARON Professeur émérite à l'Université Paris IV Florian CHARVOLIN Chargé de recherche au CNRS, MODYSUniversité Jean Monnet de Saint-Etienne Viviane CLAUDE Professeur à l'Institut d'Urbanisme de Paris, Université Paris XII Florence CONTENAY Inspectrice générale de l'Équipement honoraire Gabriel DUPUY Professeur émérite à l'Université de Paris I Philippe GENESTIER Professeur à l'ENTPE, chercheur au laboratoire RIVES-CNRS Vincent GUIGUENO Chargé de mission à la direction des Affaires Maritimes, chercheur associé au LATTS-CNRS André GUILLERME Professeur au CNAM, directeur du Centre d'histoire des techniques et l'environnement Bertrand LEMOINE Directeur de recherche au CNRS, directeur de l'atelier international du Grand Paris Claude MARTINAND Membre de l'ARAF, vice-président honoraire du CGEDD Geneviève MASSARD-GUILBAUD Directrice d'études à l'EHESS Alain MONFERRAND Ancien secrétaire-délégué du comité d'Histoire Antoine PICON Professeur à l'Université de Harvard, enseignant-chercheur à l'École des Ponts ParisTech, LATTS Anne QUERRIEN Ancienne directrice de la rédaction de la revue « Les Annales de la Recherche urbaine » Thibault TELLIER Maître de conférences en histoire contemporaine à l'Université Lille III Hélène VACHER Professeur à l'ENSA de Nancy Loïc VADELORGE Professeur d'histoire contemporaine à l'Université Paris XIII « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 140 L'ACTIVITé Du COMITé D'hISTOIrE Depuis 2006, 10 numéros de la revue semestrielle « Pour mémoire » ont commencé à présenter un panorama diversifié d'articles sur l'histoire de l'administration et des cultures professionnelles : le code de la route, l'histoire du climat, les villes nouvelles, la création du ministère de l'Équipement, l'action outremer et en Afrique des ingénieurs, le lagunage, la Grande Arche, les risques naturels, la protection de la nature, les plaques minéralogiques, les services déconcentrés de l'Équipement ou de l'Environnement, la construction des tours, la viabilité hivernale, le paysage, les travaux maritimes, les plateformes aériennes, les barrages, les parcs nationaux... La revue comprend aussi des témoignages d'acteurs des politiques publiques et de chercheurs. www.developpement-durable.gouv.fr/ Pour-memoire-la-revue-du-Comite-d.html Depuis 1995, le comité d'histoire a organisé des journées d'études, des conférences et des colloques, avec les directions d'administration centrale, le réseau scientifique et technique et les opérateurs, les universitaires et les chercheurs ainsi que des partenaires. hor s-sér ie - juillet 2012 En 2012, ces manifestations devraient porter sur la résorption de l'habitat insalubre, les missions de prospective, la restauration des terrains en montagne et les politiques publiques de l'architecture. Des numéros spéciaux de la revue peuvent servir à diffuser les actes de ces manifestations : en 2012, ils concernent les 100 ans d'administration du Tourisme, le 40 e anniversaire de la naissance du ministère de l'Environnement et la création en 1972 des établissements régionaux. www.developpement-durable.gouv.fr/ Prochaines-manifestations-du.html Le comité peut apporter son soutien à l'édition d'ouvrages tels que, en 2010, « Les ingénieurs des ponts au service de l'Afrique : témoignages 1945-1975 (L'Harmattan) et en 2011, « Jean-Eudes Roullier, un pionnier des politiques de l'espace urbain » (La Documentation française). www.developpement-durable.gouv.fr/ Des-publications-en-partenariat.html Depuis sa création, le comité a recueilli plus de 80 témoignages oraux destinés à préserver la mémoire des réalisations professionnelles et des métiers dans le ministère. LES OuTILS La bibliothèque, ouverte au public, comprend plus de 4 000 volumes, ouvrages spécialisés ou usuels. Elle est accessible au public du lundi au vendredi, sur rendez-vous Les sites consultables internet :www.developpement-durable. gouv.fr/(leministère/Histoireetarchives) intranet:intra.comite-histoire.cgpc.i2/ Le guide des sources, accessible sur l'internet et l'intranet, a été conçu pour faciliter le repérage des sources historiques dans les domaines de compétence du ministère ; Des dossiers bibliographiques et biographiques à consulter sur place ; La revue « pour mémoire » (semestriel + numéros spéciaux) ; La consultation d'archives orales. l « pour mémoire » 141 Vous souhaitez consulter les ressources du secrétariat du comité d'Histoire... Vous pensez que votre témoignage peut éclairer l'histoire du ministère de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie et des administrations dont il est l'héritier... Vous avez connaissance d'archives, de documents divers, d'objets intéressant l'histoire de ces administrations, alors... n'héSITEz PAS à nOuS COnTACTEr Conseil général de l'Environnement et du Développement durable 7e section - 20e étage - bureau 20.20 Tour Pascal B - 92055 La Défense cedex tél : 33 (0) 01 40 81 15 38 ou 36 83 fax : 33 (0)1 40 81 23 24 Secrétariat du comité d'Histoire courriel : comite.histoire@developpement-durable.gouv.fr « pour mémoire » l hor s-sér ie -juillet 2012 142 la revue du comité d'Histoire rédaction Tour Pascal B 20.20 92 055 La Défense Cedex téléphone : 01 40 81 15 38 ou 36 83 télécopie : 01 40 81 23 24 comite.histoire@developpement-durable.gouv.fr Pierre Chantereau et Alain Billon fondateurs de la publication directeur de la publication Louis-Michel Sanche rédacteur en chef Patrick Février Christiane Chanliau suivi de fabrication photo couverture René Dazy, congés payés de 1936 Annick Samy réalisation graphique impression couverture Intérieur SG/SPSSI/ATL 2 ISSN 1955-9550 imprimé sur du papier certifié écolabel européen hor s-sér ie - juillet 2012 l « pour mémoire » r e v u e d u m i n i s t è r e d e l' é c o l o g i e , d u d é v e l o P P e m e n t d u r a b l e e t d e l' é n e r g i e Conseil général de l'environnement et du développement durable comité d'histoire tour pasCal b 92055 la défense Cedex www.developpement-durable.gouv.fr INVALIDE)

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