Habitat III et la coopération urbaine

Auteur moral
France. Comité d'histoire de l'équipement, des transports et du logement
Auteur secondaire
Résumé
Actes de la journée d'étude : sur la route de Quito : regards rétrospectifs sur la conférence Habitat III<br /><br />La journée d'étude était en particulier dédiée à la mémoire de Georges Cavallier, haut fonctionnaire du ministère de l'Equipement qui avait, parmi de nomvreuses missions, conduit la délégation française à Habitat II en 1966.<br /><br />Le sommet Habitat III a vu l'ensemble des Etats s'accorder autour d'un nouvel agenda urbain (ou nouveau progrmme pour les villes), esquissant les engagements et les priorités d'actions en matière de développement urbain et territorial pour les vingt prochaînes années, et consacrant ainsi la place essentielle de la ville au sein des agendas internationaux. Le sujet avait en effet déjà été érigé en 2015 au rang de priorité dans l'Agenda 2030 de développement durable, et dans l'accord de Paris sur le climat.<br /><br />Vancouver, Istanbul, Quito : aperçus de 40 ans d'évolution des débats internationaux sur la ville<br /><br />Les acteurs de la ville : recompositions de l'action collective entre l'Etat, les collectivités locales, les entreprises et la société civile.<br /><br />Experts, savoirs et savoir-faire de l'urbain à l'international.<br /><br />La ville dans les politiques de coopération internationale.<br /><br />Conclusions de la journée : Habitat III en perspective.<br /><br />Dossier : coopération urbaine et circulations transnationales<br /><br />Georges Cavallier, ingénieur et humaniste<br /><br />Biographies des contributeurs.<br /><br />
Descripteur Urbamet
politique du logement ; coopération internationale ; analyse urbaine ; politique urbaine ; collectivité locale ; ville
Descripteur écoplanete
action foncière ; acteur de l'environnement ; aménagement foncier ; architecture urbaine
Thème
Habitat - Logement ; Aménagement urbain ; Collectivités territoriales
Texte intégral
n° hors série AUTOMNE - 2017 HABITAT III ET LA COOPÉRATION URBAINE COMITÉ D'HISTOIRE REVUE DES MINISTÈRES DE LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE ET SOLIDAIRE ET DE LA COHÉSION DES TERRITOIRES AUTOMNE - 2017 COMITÉ D'HISTOIRE REVUE DES MINISTÈRES DE LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE ET SOLIDAIRE DE LA COHÉSION DES TERRITOIRES Habitat III et la coopération urbaine 2 éditorial e numéro hors-série de la revue Pour mémoire s'appuie sur une journée d'étude intitulée « Sur la route de Quito. Regards rétrospectifs sur la conférence Habitat III », organisée le 20 septembre 2016 au ministère de la Transition écologique et solidaire par le comité d'histoire ministériel, en partenariat avec l'Agence française de développement (AFD), le Partenariat français pour la ville et les territoires (PFVT), la fédération Soliha et la revue Urbanisme. Nous étions alors à moins d'un mois de l'ouverture de la 3e conférence des Nations unies sur le logement et le développement urbain durable, plus connue sous le nom de « Habitat III », qui s'est tenue à Quito du 17 au 20 octobre 2016. La journée d'étude était en particulier dédiée à la mémoire de Georges Cavallier, haut fonctionnaire du ministère de l'Équipement qui avait, parmi de nombreuses missions, conduit la délégation française à Habitat II en 1996. La conception et la réalisation de cette publication, ainsi que de la journée d'étude, ont été coordonnées par Samuel Ripoll (Comité d'histoire, membre de l'équipe ministérielle pour Habitat III, doctorant en science politique), avec Xavier Benoist (délégué général de la fédération Soliha), Yves Dauge (ancien sénateur, co-président du PFVT), Antoine Loubière (rédacteur en chef de la revue Urbanisme), André Pollet (ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts honoraire) et Irène Salenson (responsable de la recherche urbaine à l'AFD). Nous tenons à remercier Evelyne Hardy, Jean Frebault et Agnès De Fleurieu, et plus largement l'ensemble des amis de Georges Cavallier qui ont contribué à ce travail. Le sommet Habitat III a vu l'ensemble des Etats s'accorder autour d'un Nouvel agenda urbain (ou Nouveau programme pour les villes), esquissant les engagements et les priorités d'actions en matière de développement urbain et territorial pour les vingt prochaines années, et consacrant ainsi la place essentielle de la ville au sein des agendas internationaux. Le sujet avait en effet déjà été érigé en 2015 au rang de priorité dans l'Agenda 2030 de développement durable, et dans l'accord de Paris sur le climat. Mais au-delà de ce cadre contemporain, Habitat III s'insérait dans un cycle plus long de conférences onusiennes ouvert à Vancouver en 1976 (Habitat I), et poursuivi à Istanbul en 1996 (Habitat II). Ce rythme si particulier invitait tout naturellement à un regard n° HS automne 2017 l « pour mémoire » 3 attentif aux événements du passé et aux transformations marquantes, afin de permettre une analyse pertinente des enjeux qui se dessinaient à la veille de la conférence de 2016. C'est pourquoi nous avons invité une vingtaine de spécialistes français représentant la diversité actuelle des acteurs de l'urbain à l'international à effectuer des «allersretours» dans le temps. Nous avons ainsi rassemblé des fonctionnaires impliqués dans les négociations internationales, des acteurs de la coopération décentralisée, des spécialistes de l'aide au développement, des militants de la société civile, des urbanistes travaillant tant en France qu'à l'étranger, des acteurs politiques, des chercheurs... Il s'agissait d'ouvrir un dialogue sur leurs perceptions et analyses des enjeux de la coopération urbaine, à la veille d'Habitat III, au prisme des évolutions majeures des dernières décennies, et ce autour de quatre grands thèmes : Les conférences « Habitat » méritent d'être replacées dans un contexte international plus vaste. Comment le débat sur la ville a-t-il évolué, en particulier depuis Habitat I, et avec quelle formulation des problèmes et quels acteurs ? Comment les acteurs français y ont-ils fait porter leur voix ? De Habitat I, structurée d'abord et avant tout autour des Etats, à Habitat II, qui a reconnu la place des collectivités locales dans le développement urbain et dans le concert international, la redéfinition du rôle des différents protagonistes de la ville (collectivités locales, entreprises, associations...) apparaît depuis les origines au coeur des débats. Comment ces acteurs ont-ils évolué ? Quels sont en particulier les modalités, les temporalités et les effets de leur projection à l'international ? Ingénieurs, urbanistes, sociologues... les spécialistes de l'urbain à l'international sont nombreux, apportant chacun avec eux leurs pratiques et leurs appareillages théoriques. Comment ces savoirs et pratiques se sont-ils transformés ou renouvelés, notamment depuis Habitat II ? Quelles sont les institutions et les acteurs qui les produisent et quels enjeux spécifiques voit-on apparaître aujourd'hui ? Enfin, les conférences « Habitat » interrogent avec une acuité particulière le rôle des politiques de coopération et la manière dont elles abordent les sujets urbains. Qu'en est-il en France ? Comment et avec quels acteurs la ville s'est-elle inscrite à l'agenda des politiques de coopération internationale ? « pour mémoire » l n° HS automne 2017 4 Au-delà des actes de la journée d'étude, et au regard des débats qui l'ont agitée, nous avons souhaité compléter ce hors-série, dans un second temps, par un dossier spécial autour d'une dimension essentielle des conférences « Habitat » : les échanges et la circulation transnationale de modèles, d'idées, d'acteurs et de politiques publiques en matière de développement urbain. En effet, la ville est un sujet complexe à aborder à l'échelle internationale, tant il se révèle à la fois immense (quels sont les enjeux de société qui n'ont pas de dimension urbaine ?) et spécifique (chaque ville a ses particularités). Contrairement aux COP, où les Etats négocient sur des réductions d'émissions de CO2 ou des améliorations de leur efficacité énergétique, les conférences Habitat ont plutôt vocation à identifier les enjeux communs et les outils adéquats pour y répondre, à mettre en mouvement des échanges de savoirs, à faciliter des stratégies d'alliances. Il apparaît donc pertinent de les réinscrire plus globalement dans le flux continu de déplacement des idées, des acteurs et des outils. Comment ces circulations s'organisent-elles ? Comment des idées et des politiques publiques passent-elles d'une ville à une autre, voire traversent les différentes échelles locales, nationales et internationales ? Comment les voyages des acteurs contribuent-ils à forger de nouvelles idées ? Et comment ces dynamiques d'interconnections rencontrent-elles, parfois, les conférences « Habitat » ? L'histoire de la coopération urbaine française, mais aussi plus largement celle de la prise en compte des questions urbaines dans les arènes internationales, reste encore largement à écrire. Là n'était pas notre ambition. Nous avons cependant tenu à ajouter des contributions de chercheurs qui, aujourd'hui, sont engagés dans des travaux historiques centrés explicitement sur ces questions, pour souligner les richesses possibles d'une telle approche. Les deux articles que nous proposons font écho à la mouvance, remarquablement féconde en ce moment, d'une histoire dite « transnationale » (on parle aussi d'histoire « globale » ou « connectée »), soucieuse des mécaniques concrètes par lesquelles se développent et se déplacent par delà les frontières des idées, des acteurs, des modèles, débordant ainsi le cadre traditionnel des Etats-Nations. n° HS automne 2017 l « pour mémoire » 5 L'article de Renaud Payre propose une sociohistoire des réseaux transnationaux de villes - des acteurs qui ont été au coeur d'Habitat II et III - et de leur rôle dans la circulation de politiques publiques au XXe siècle. Clément Orillard revient quant à lui sur l'export de l'expertise urbanistique française depuis le XVIIIe siècle, et permet d'éclairer les processus d'internationalisation de la fabrique des villes et les enjeux économiques et de concurrence internationale sous-jacents, un sujet majeur pourtant (trop) peu abordé dans le Nouvel agenda urbain. Pour terminer ce dossier spécial, nous avons également recueilli des témoignages d'acteurs qui ont traversé, à leur manière, un morceau d'histoire de la coopération urbaine. Patrick Braouezec, élu local en Seine-Saint-Denis depuis les années 80, évoque son engagement à l'international pour s'inspirer et échanger avec d'autres élus sur leurs pratiques du développement local, en particulier au travers de la création de réseaux. Annik Osmont et Charles Goldblum, qui ont travaillé pendant de nombreuses années au développement de la recherche et de la formation en coopération urbaine, reviennent en particulier sur la manière dont la circulation de modèles d'urbanisme entre le « Nord » et le « Sud » s'est érigée en objet de recherche. Enfin, des extraits de rapports et de réflexions de Georges Cavallier ont été rassemblés qui, loin de couvrir l'ensemble des champs dans lesquels il s'était engagé tout au long de sa vie professionnelle et militante, donnent à voir quelques-uns des éléments forts de sa pensée et de son action. Le lecteur pourra y découvrir, ou y redécouvrir, le parcours d'un ingénieur des ponts humaniste et atypique, curieux et voyageur, qui avait fait de la ville le coeur de son engagement national et international. Ce numéro de Pour mémoire, sans prétendre apporter une analyse complète ni de la conférence Habitat III, ni de l'histoire de la coopération urbaine, se veut plutôt une brique d'un plaidoyer plus vaste pour appuyer le recours à l'histoire - ou pour paraphraser modestement Patrick Boucheron, interroger « ce que peut l'histoire » - au service de notre compréhension des phénomènes urbains contemporains. Patrick Février Secrétaire délégué du Comité d'histoire « pour mémoire » l n° HS automne 2017 6 sommaire Actes de la journée d'étude : Sur la route de Quito : regards rétrospectifs sur la conférence habitat III Ouverture par Alain Lecomte 9 10 Introduction Maryse Gautier et Antoine Loubière 11 Vancouver, Istanbul, Quito : aperçus de 40 ans d'évolution des débats internationaux sur la ville Introduction : Agnès De Fleurieu Habitat III et l'évolution du débat international sur la ville Gustave Massiah La France à Istanbul : retour sur la position française à Habitat II Claude Praliaud La position française à Habitat III Yves-Laurent Sapoval 18 20 24 26 Les acteurs de la ville : recompositions de l'action collective entre l'État, les collectivités locales, les entreprises et la société civile Introduction : Anne Charreyron-Perchet Les réseaux transnationaux de villes : de nouveaux acteurs internationaux ? Astrid Frey L'internationalisation des villes, entre action publique intégrée et nouvelle étape dans la production urbaine Nicolas Maisetti Les associations, actrices de coopération à l'interface de l'action publique et des habitants Xavier de Lannoy La grande firme et la fabrique urbaine : au singulier ou au pluriel ? Dominique Lorrain 32 33 36 40 43 n° HS automne 2017 l « pour mémoire » 7 Introduction de l'après-midi Yves Dauge 50 Experts, savoirs et savoir-faire de l'urbain à l'international Table ronde animée par Brigitte Bariol-Mathais, avec Eric Huybrecht, Patrice Berger, Francois Noisette et Agnes Deboulet 52 La ville dans les politiques de coopération internationale Introduction : Anne Odic L'émergence de l'urbain dans les politiques de coopération françaises : pistes de réflexions Jean-Fabien Steck Les collectivités territoriales dans la coopération française : origines, spécificités et perspectives Elise Garcia Evolution des dynamiques des projets urbains en coopération : le rôle des acteurs et les sujets essentiels Pierre Jacquemot 65 67 71 75 Conclusions de la journée : Habitat III en perspective Henry de Cazotte 82 « pour mémoire » l n° HS automne 2017 8 Dossier : Coopération urbaine et circulations transnationales 85 À la croisée des routes intermunicipales. Réseaux de villes et configurations circulatoires (1913-2013) Renaud Payre Exporter l'expertise urbanistique française. Esquisse d'une histoire à travers ses marchés et ses agents Clément Orillard Itinéraire d'un élu local à l'international Entretien avec Patrick Braouezec La coopération urbaine comme chantier de recherche Entretien avec Annik Osmont et Charles Goldblum 86 92 106 111 Georges Cavallier, ingénieur et humaniste Biographies des contributeurs Comité d'histoire 119 132 135 n° HS automne 2017 l « pour mémoire » 9 ACTES DE LA JOURNÉE Sur la route de quito : regards rétrospectifs sur la conférence habitat III « pour mémoire » l n° HS automne 2017 10 actes Ouverture de la journée Alain Lecomte, président de la section « Habitat, cohésion sociale et développement territorial », Conseil général de l'Environnement et du Développement durable Quarante ans après Habitat I à Vancouver, vingt ans après Habitat II à Istanbul, et à moins d'un mois d'Habitat III à Quito, le moment semble opportun d'interroger dans la durée en particulier du point de vue français - le contexte, les idées, les acteurs et les politiques qui structurent les champs de la ville à l'international et de la coopération urbaine. Loin d'être un simple « luxe » historique, cette démarche doit permettre d'éclairer de manière nouvelle les enjeux contemporains. Les interventions d'aujourd'hui feront ainsi appel à des période plus ou moins lointaines, mais en se positionnant toujours dans la perspective d'Habitat III et des débats actuels. Je voudrais ici saluer et remercier les équipes du comité d'histoire ainsi que leurs partenaires qui ont rendu ce travail possible, à savoir l'Agence Française de Développement, le Partenariat Français pour la ville et les territoires, la revue Urbanisme, la fédération SOLIHA, ainsi que les amis du coordonnateur de la délégation française à Habitat II, Georges Cavallier, qui nous a quitté en 2012. Cette journée est dédiée à sa mémoire, lui qui avait incarné au sommet Habitat II d'Istanbul, en juin 1996, la politique n° HS automne 2017 urbaine française de la fin du XXe siècle. Il avait écrit la synthèse intitulée « De la ville à l'urbain » en qualité de coordonnateur des contributions françaises à ce sommet de l'ONU sur l'avenir des villes. Cinq ans plus tard, en juin 2001, il supervisera la participation française à la session extraordinaire de l'assemblée générale de l'ONU à New York, consacrée au bilan du sommet d'Istanbul. Du message d'Istanbul, Georges Cavallier retiendra plus particulièrement le combat pour le droit au logement. Mais il n'oubliera pas pour autant le second axe fort d'Habitat II : l'exigence d'un développement urbain durable, et il sera ainsi l'auteur du chapitre « Villes et autorités locales » du livre blanc français pour le sommet mondial du développement durable à Johannesbourg en 2002. Georges Cavallier était un homme de grande culture, sa vision des choses était fondée sur une accumulation de connaissance peu commune, sa pensée était claire, argumentée. Sa formation classique transparaissait à travers sa maitrise de la langue et son écriture riche et précise. Ses qualités humaines d'amabilité, d'urbanité, son style plein d'élégance, de finesse et d'humour, sa rigueur intellectuelle, en faisait un homme apprécié et recherché pour ses avis, ses conseils et ses expertises. Travailleur infatigable, il a poursuivi toute sa vie durant une activité administrative et des engagements associatifs au service des plus déshérités. Il nous a laissé une douzaine d'ouvrages publiés à la Documentation française et de nombreuses notes écrites tout au long de sa carrière riche d'expériences nationales et internationales, du Commissariat au plan à la direction de l'urbanisme, de la Délégation interministérielle à la ville au Conseil général des ponts et chaussées, de l'Institut des villes, à l'Observatoire régional foncier en Ile de France ou à la Fédération des PACT, du groupe des affaires urbaines à l'OCDE au comité habitat de la CEE/ONU à Genève et à la commission des Nations Unies sur les établissements humains de Nairobi. Grand commis de L'État, fonctionnaire atypique et militant, Georges Cavallier fut d'abord un grand humaniste. Il aura marqué de son empreinte l'histoire de l'urbanisme et de la politique de la ville en France et de son aura les femmes et les hommes qu'il aura accompagnés dans sa longue carrière. Son oeuvre est exemplaire et mérite à la fois reconnaissance et respect pour son ampleur et sa créativité. l « pour mémoire » actes 11 Introduction La conférence Habitat III Maryse Gautier, coprésidente du bureau préparatoire d'Habitat III, ministère de l'Environnement, de l'Énergie et de la Mer, et au ministère du Logement et de l'Habitat durable Le contexte d'Habitat III Afin d'éclairer le lecteur sur le contexte actuel, mon introduction portera sur les deux années de préparation d'Habitat III, et j'interviendrai à la fois sur la forme et sur le fond. Ce travail a débuté avec la tenue en septembre 2014 de la première commission préparatoire qui a initié une analyse de la situation urbaine dans le monde contemporain. Permettez-moi de mentionner quelques chiffres. Nous sommes aujourd'hui urbains et citadins à 54 %. La croissance urbaine s'est accompagnée d'une amélioration globale des conditions de vie. Entre 2002 et 2012, la pauvreté est passée de 26 % à 13 % dans le monde. Cette évolution est due pour beaucoup à la Chine, mais de réels progrès ont été constatés également en Afrique. Dans les villes, l'accès à l'eau et à l'assainissement a progressé. En quinze ans, le raccordement à l'eau est passé de 82 à 91 % en moyenne et l'accès à l'assainissement a atteint 68 %. Ces chiffres sont à mettre en parallèle d'un triple constat. Premièrement, la ville s'est agrandie et s'est développée. Cela s'accompagne néanmoins d'un déplacement de la pauvreté du rural vers l'urbain, dans des villes qui comptent de nombreux mal-logés. L'ONU nous apprend qu'en 2020, si rien n'est fait, 2 milliards d'individus logeront dans de mauvaises conditions, dans des bidonvilles ou assimilés. Deuxièmement, la situation économique et financière a beaucoup évolué. La débâcle financière de 2007-2008, la dernière en date, a abouti à une crise économique profonde. Or, malgré une épargne mondiale suffisante en quantité et de bonne qualité, l'accès à l'emprunt est devenu difficile. En conséquence, les pays ou les villes ont éprouvé des difficultés à investir et à répondre à leurs besoins financiers. Et enfin troisièmement, le changement climatique s'est manifesté, ces quinze dernières années, par des événements de plus en plus visibles et avec des impacts toujours plus importants. Heureusement, la prise de conscience de ce phénomène a bien progressé. Habitat III a pris en compte ces éléments. La préparation s'est appuyée également sur des avancées majeures au sein des Nations-Unies. Évoquons d'abord l'adoption en 2015 des objectifs du développement durable (ODD). Ce sont d'eux que je tire mes chiffres sur la pauvreté, sur le raccordement à l'eau ou à l'assainissement. Il faut souligner l'ODD n°11 spécialement dédié aux « Villes et communautés durables ». En 2015, il faut rappeler également les Accords internationaux de Paris sur le climat, de Sendai sur l'impact des catastrophes naturelles et d'Addis-Abeba sur le financement du développement. Ces événements ont tous permis, d'une façon ou d'une autre, de mettre en exergue le rôle de la ville dans le développement. En conséquence, on attend d'Habitat III qu'elle se situe dans la continuité de ces grands rendez-vous, qu'elle se fonde sur les résultats acquis pour renforcer le rôle de la ville, et qu'elle donne les moyens de mettre en oeuvre ces grands engagements. La PREPCOM 1, ou commission préparatoire n°1, a eu lieu en septembre 2014 à New York. Elle a élu un bureau de dix pays représentant l'ensemble des États des Nations Unies. Ce bureau a eu pour « pour mémoire » l n° HS automne 2017 12 objectif, avec le soutien du secrétariat de Habitat III, de mener le processus d'organisation de la conférence et des négociations. La France a été désignée comme co-présidente et j'ai eu le plaisir de partager cette responsabilité avec le ministre du Logement et du développement urbain de l'Équateur. Toutefois, nous avons souhaité que tous les partenaires de la ville aient leur mot à dire à chaque instant de cette préparation et qu'ils puissent être intégrés à toutes les décisions prises. Les opportunités de partage et d'échange ont ainsi été nombreuses. D'abord au cours de onze conférences régionales et thématiques, organisées un peu partout dans le monde. Elles étaient évidemment ouvertes à tous et les déclarations finales de chacune d'entre elles, élaborées avec la contribution des partenaires non étatiques, servaient de référence pour la préparation du Nouvel agenda urbain. Nous avons également demandé à 200 experts, répartis dans le monde entier et suivant leurs spécialités, de réfléchir sur des documents de politique générale, ou policy notes, sur des sujets comme le financement du développement urbain ou encore la mobilité. Tous ces éléments, les déclarations comme les policy notes, se retrouvent sur le web. Cette concertation a également été rendue possible par la structuration des parties prenantes auprès des Nations Unies. Tous les acteurs non-étatiques se sont regroupés en 15 clusters (collectivités locales, recherche, acteurs privés...) qui ont constitué la General Assembly of Partners (GAP), créée spécialement pour Habitat III. Nous avons également beaucoup travaillé avec la Global task force, qui rassemble tous les grands réseaux internationaux de collectivités locales, afin de disposer d'un accès direct aux villes et aux territoires au cours des débats. L'implication des parties prenantes au coeur du processus Ces deux années de préparation ont été marquées par la volonté d'associer les partenaires à chaque étape, tout en reconnaissant que la décision finale, comme pour toute conférence onusienne, reviendrai in fine aux Etats membres. Ouverture de la première commission préparatoire d'Habitat III, 17 septembre 2014. De gauche à droite : Joan Clos, secrétaire général d'Habitat III, Ban Ki-moon, secrétaire général des Nations unies, Maryse Gautier. ©UN Photo/Amanda Voisard n° HS automne 2017 l « pour mémoire » 13 Vers un Nouvel agenda urbain Début 2016, sur la base des éléments que je citais précédemment, nous avons commencé à préparer le Nouvel agenda urbain, cette déclaration qui sera soumise à Quito pour un accord international. Le bureau l'a préparé d'abord de manière informelle, toujours dans le dialogue, entre janvier et mars. A partir d'avril, les négociations formelles ont commencé. Nous avons continué à faire venir les parties prenantes à New York afin de maintenir le dialogue avec les Etats membres. La troisième et dernière PREPCOM est intervenue en juillet 2016 à Surabaya. Au cours de celle-ci, nous avons négocié le projet de document final. Nous avons également prolongé ce travail à New York il y a quinze jours. J'ai le plaisir de vous annoncer que ce Nouveau programme pour les villes est désormais agréé par l'ensemble des États membres. Ce document est de qualité. Il est condensé et solide, ambitieux et dynamique. Que faut-il en retenir en deux mots ? Nous plaçons la ville au centre des enjeux, mais restons conscients qu'elle ne pourra pas agir seule. Habitat III fera en sorte que les gouvernements nationaux aident les villes et les régions à agir, mais également que les villes interagissent avec les populations. Au cours de la conférence de Quito, il sera également important que les parties prenantes s'engagent sur des initiatives transnationales qui constitueront réellement la voie de la mise en oeuvre. « pour mémoire » Vue de Quito ©Pierre Mattot Ouverture officielle de la conférence Habitat III. De gauche à droite : Joan Clos, secrétaire général de la conférence, Ban Ki-moon, secrétaire général des Nations Unies, Rafael Correa, président de la république de l'Equateur. ©UN Photo/Eskinder Debebe l n° HS automne 2017 14 actes Introduction Retour sur Habitat II Antoine Loubière, rédacteur en chef de la revue Urbanisme Au moment d'Habitat II, j'étais alors rédacteur en chef de l'agence Innovapresse (ex-Urbapress). Avec Jean Audouin, son directeur, nous étions notamment chargés de rendre compte des Entretiens de Taksim, un ensemble de rencontres et de débats organisés au consulat de France à Istanbul. A la même époque, la revue Urbanisme animée par Bernard Écrement et Thierry Paquot avait consacré un numéro spécial1 aux positions et propositions de la France pour Habitat II. Une longue contribution de Georges Cavallier, intitulée « De la ville à l'urbain », fournissait les clés pour saisir les enjeux du sommet et de la position française. Vingt ans ont passé depuis Habitat II. Cette durée correspond presque à une génération. Ce temps écoulé permet de voir comment les idées cheminent, comment certaines sont passées à la trappe, comment aussi de nouvelles émergent ou d'anciennes se reformulent. J'aimerais donc replacer cet événement dans son contexte. Nous parlons en effet d'Istanbul en juin 1996. Le lieu et n° HS automne 2017 la date sont importants. Habitat II venait clore un cycle de conférences de l'ONU qui avait débuté en 1992 à Rio de Janeiro, avec un événement qui aura des effets considérables : le premier Sommet de la terre. En 1995, la conférence mondiale sur les femmes de Pékin avait également été un moment important marqué en particulier par l'intervention d'Hillary Clinton. Une fin de millénaire optimiste Cette fin de millénaire, entre la chute du Mur de Berlin en 1989 et l'attentat terroriste des Twin Towers du 11 septembre 2001, correspond, pour une part, à ce que Michel Lussault appelle « L'avènement du monde » (Seuil, 2013), ou du moins de la mondialisation contemporaine. Toutes les potentialités positives et négatives de ce qui adviendra ensuite se mettent en place durant ces quelques années. Mais une forme d'optimisme historique domine. En juin 1996, nous nous trouvions six mois après la signature à Paris des accords de Dayton, qui mettaient fin à la guerre dans l'ex-Yougoslavie, plus précisément en Bosnie-Herzégovine. Cette guerre civile s'était déroulée dans un pays européen, à deux heures d'avion de Paris. Elle avait provoqué la mort de près de 100 000 personnes, dont au moins 5 000 civils durant le seul siège de Sarajevo, l'un des plus longs de l'histoire (février 1992-décembre 1995). En cette année 1996, la guerre civile algérienne se poursuivait sur l'autre rive de la Méditerranée ; elle s'était déjà répercutée en France par une série d'attentats (entre juillet et octobre 1995). En juin 1996, le maire d'Istanbul s'appelait Recep Tayyip . Il avait été élu en 1994. Il sera emprisonné en 1998, avant de créer en 2001 l'AKP parti « islamo, conservateur ». Il entama ensuite une marche irrésistible vers le pouvoir politique en obtenant en 2002 la majorité 1 Urbanisme, n° 288, mai-juin 1996 l « pour mémoire » 15 à l'Assemblée nationale turque. Istanbul continue d'être le territoire privilégié des rêves de grandeur du président élu en 2014, autour d'un certain nombre d'énormes projets tels qu'un nouveau pont, un canal parallèle au Bosphore, un troisième aéroport, etc2. Le rôle étonnant de la place Taksim Le sommet de 1996 se déroulait donc au coeur de l'une de ces mégapoles qui devaient connaître de grandes transformations dans les années suivantes. Istanbul a également été marquée par l'apparition d'espaces politiques de type nouveau dans les années 2010-2015 marqués par l'occupation des places publiques par des manifestants comme les Indignés espagnols à Madrid et Barcelone ou le mouvement Occupy Wall Street à New York, sans bien sûr oublier les révolutions arabes de 2011 avec, comme épicentre en Egypte, la place Tahrir du Caire. Recep Tayyip , devenu Premier ministre, a en effet dû affronter une contestation particulièrement forte autour d'un enjeu urbain : le projet de démolition, en mai 2013, du parc Gezi, un des rares espaces verts au coeur d'une des centralités historiques de la cité stambouliote. Cet espace se situe à proximité de la célèbre place Taksim, qui fut le théâtre de violents affrontements entre la police et les manifestants. Or le consulat de France se trouve tout près, sur Istiklal Caddesi, au coeur du , le quartier dit européen. Durant le sommet Habitat II, les délégations françaises se retrouvaient au consulat, où se tenaient les Entretiens de Taksim. Pendant une quinzaine de jours, chaque soir, une série de conférences présentait les différentes facettes du savoir-faire français en matière urbaine. Le tout sous la houlette de Georges Cavallier, avec son allure un rien britannique, son flegme de diplomate, son art de la synthèse. Nous pouvions l'écouter expliquer les batailles juridico-politiques complexes menées par la France et l'Europe pour le droit au logement. Les Anglo-saxons n'apprécient guère les engagements juridiques trop contraignants, car ils interprètent le droit selon une autre optique que la nôtre. Un ingénieur au coeur des enjeux internationaux Ayant donc contribué, avec Jean Audouin et sous la direction de Georges Cavallier, à rédiger une synthèse des entretiens de Taksim, je peux témoigner de l'attention extrême de ce dernier à la précision et à 2 Lire à ce propos le petit livre de Yoann Morvan et Sinan Logie, Istanbul 2023 (éditions B2, 2014) et le récent ouvrage de Jean-François Pérouse Istanbul Planète. La ville-monde du XXIe siècle (La Découverte, 2017). « pour mémoire » l n° HS automne 2017 16 la justesse des mots employés, à la clarté du propos, à la force de l'expression. Belle leçon littéraire d'un ingénieur dont j'ai appris plus tard qu'il était également poète et dessinateur à ses heures. Cinq ans plus tard Georges Cavallier supervisera, comme coordonnateur national, la participation française à « Habitat II+5 », la session extraordinaire de l'assemblée générale des Nations Unies, en juin 2001 à New York, consacrée au bilan du sommet d'Istanbul. Un numéro hors-série (n° 15, janvier-février 2002) de la revue Urbanisme en rendra compte a posteriori sous le titre « Les villes à l'ONU ». Dans le rapport national approuvé par le gouvernement français en avril 2001, Georges Cavallier propose une vaste synthèse des politiques publiques menées durant la période 1996-2001. Cette époque est riche en lois structurantes : la loi SRU (relative à la solidarité et au renouvellement urbains), la loi Chevènement sur l'intercommunalité, la loi Voynet sur l'aménagement du territoire, etc. Dans cette synthèse, tous ces éléments, qui n'étaient pas forcément bien articulés, trouvaient une forme d'unité et de potentialité. Pour un autre numéro de la revue (n° 318, mai-juin 2001), paru avant l'assemblée générale de New York, Georges Cavallier m'avait accordé un entretien pour dresser un bilan plus général de la conférence d'Istanbul. Je voudrais le citer, avec son style inimitable : « Je ne suis pas sûr qu'on ait beaucoup avancé sur l'art et la manière de maîtriser l'étalement urbain, ni dans les villes du nord intégrées à l'éconon° HS automne 2017 mie-monde, ni, et encore moins, dans les villes du sud où, avec la pauvreté majoritaire, prolifèrent des quartiers de peuplement informel. » Elle contribuera à préparer la création, quelques années plus tard, de la CGLU (Cités et gouvernements locaux unis), qui deviendra leur principal porte-parole. A l'époque, Jacques Auxiette était très soucieux que les collectivités locales apparaissent sur la scène mondiale. En 1999 s'était déroulée la grande manifestation altermondialiste de Seattle, où des figures médiatiques comme celle de José Bové étaient apparues. Les forums sociaux mondiaux de Porto Alegre rassemblaient des milliers de participants. Des mouvements sociaux et des ONG faisaient davantage entendre leurs voix sur la mondialisation en cours que les collectivités locales et territoriales. Les collectivités occupent à présent une place extrêmement significative sur la scène mondiale. Nous l'avons constaté en particulier avec l'accession récente d'Anne Hidalgo à la présidence du C40 (Cities Climate Leadership Group). Lors de la COP21, alors que certains Etats étaient plutôt sur la défensive, de nombreuses grandes villes et métropoles se sont affichées comme les porteurs les plus déterminés des politiques de lutte contre le réchauffement climatique. Beaucoup de chemin reste évidemment à parcourir pour aboutir à des villes durables, inclusives et solidaires. Ce dessein est au coeur du Nouvel agenda urbain qui sera adopté lors de la conférence Habitat III. Il serait sans doute temps de passer d'un droit au logement à un droit à la ville, comme le proposent les militants Latino-Américains. Ils ont emprunté cette formule au philosophe Actualité de l'esprit d'Istanbul Dans le même numéro, j'avais interviewé une série d'élus. Il était important, cinq ans après Istanbul, de voir si l'esprit de cette rencontre perdurait. J'avais interrogé Jean-Paul Delevoye, président de l'Association des maires de France, Jacques Auxiette, maire de la Roche-surYon, trésorier de la Fédération mondiale des cités unies, André Rossinot, maire de Nancy, président de la Fédération nationale des agences d'urbanisme, et Jean-Marie Bockel, maire de Mulhouse, alors membre actif de l'Association des maires de grandes villes de France et de Cités unies France. André Rossinot expliquait notamment : « J'ai compris que le phénomène d'urbanisation était universel, qu'il marquait une vraie rupture dans l'histoire de l'Humanité. J'ai compris que nous n'avons qu'une seule Terre et qu'il faut la partager et utiliser les ressources de manière économe. » D'une certaine manière, l'esprit d'Istanbul a imprégné tous les discours sur la ville des quinze ou vingt dernières années. Il faut évoquer également la structuration au niveau mondial des collectivités locales. A la veille du sommet officiel de l'ONU à Istanbul, la première assemblée mondiale des villes et des autorités locales s'était réunie. l « pour mémoire » 17 Henri Lefèbvre, tout en lui donnant un contenu plus opératoire, notamment pour les habitants des quartiers informels. Mais je suis sûr d'une chose, c'est que Georges Cavallier aurait été heureux que nous évoquions sa mémoire en reliant Habitat II et Habitat III, en réfléchissant ensemble, aujourd'hui, aux vingt ans qui séparent ces deux événements. Newsletter de la conférence Habitat II du 12 juin 1996, avec Recep Tayyip Erdogan, alors maire d'Istanbul. ©Municipalité d'Istanbul « pour mémoire » l n° HS automne 2017 18 actes Vancouver, Istanbul, Quito : Aperçus de 40 ans de débats internationaux sur la ville Session introduite et animée par Agnès De Fleurieu, ancienne haut-fonctionnaire du ministère de l'Équipement, membre de la délégation française à Habitat II Cette première session est prospective et rétrospective. Prospective, puisque l'équipe française pour Habitat III se trouve parmi nous. Rétrospective, parce que nous accueillons un certain nombre de témoins qui ont réfléchi et agi depuis la conférence Habitat II pour un développement urbain équilibré. Elle est également rétrospective car nous évoquerons Georges Cavallier, que j'ai bien connu. J'ai eu le privilège de participer au comité de préparation d'Habitat II, de mesurer son engagement vis-à-vis de toutes ces populations qui, de par le monde, connaissent des conditions de vie inacceptables. Georges Cavallier était un poète et un dessinateur, mais également un jardinier exceptionnel. Il avait transformé les balcons de la rue Liancourt en jardins urbains absolument remarquables. En relisant les déclarations de Vancouver (1976) et d'Istanbul (1996), comme certains des écrits de Georges Cavallier, nous n° HS automne 2017 sommes frappés par les changements de vocabulaire, de répartition des rôles, de maîtrise des techniques, d'échange des connaissances, mais également par la persistance d'un certain nombre de grandes questions qui se trouvaient déjà au coeur des préoccupations. La déclaration de Vancouver, d'ailleurs largement reprise dans la déclaration finale de Habitat II, évoquait « les difficultés croissantes à satisfaire dans le monde les besoins vitaux et les aspirations des personnes de manière conforme à la dignité humaine ». Elle appelait, dans l'urgence, à « accorder la plus haute priorité à la réinstallation des personnes expulsées ou sans abris du fait de catastrophes naturelles ou de catastrophes provoquées par l'homme ». Elle faisait référence aux migrants involontaires, c'està-dire à ceux qui fuient la guerre et les catastrophes naturelles, mais aussi aux migrants économiques, qui n'ont pu rester dans leur pays du fait de l'inégalité des conditions de vie. En 2016, avec la Syrie, l'Irak, Lampedusa, les îles grecques, Calais ou Amatrice, nous nous rendons compte que l'urgence reste identique. Cette même déclaration évoquait une idée intéressante : « Les institutions compé- l « pour mémoire » 19 après Istanbul. Georges Cavallier faisait part d'un bilan en demi-teinte. Il soulignait la persistance de bon nombre de difficultés, notamment pour la mise en oeuvre du droit au logement et pour la généralisation de pratiques de bonne gouvernance, tant étatiques que locales. Il se réjouissait de la progression d'une dynamique des relations multipartenaires. Dans la revue Urbanisme, il concluait un article de 2001 en se déclarant « un inconditionnel de l'optimisme de l'action ». Durant toute sa vie professionnelle, il avait notamment oeuvré pour que l'État devienne, en matière d'urbanisme et d'habitat, un régulateur, un animateur de partenariats, tout en restant le garant de la solidarité nationale. tentes en matière d'établissement humain, de ville ou d'habitat, ne doivent pas, dans un monde en perpétuelle évolution, rester figées. Elles doivent être adaptables, réactives, régulièrement évaluées, correctement financées, même longtemps après leur création, sinon, il vaut mieux qu'elles disparaissent. » Cette idée, un peu provocante, était tout à fait novatrice. Sommet plus politique que technique, la conférence Habitat II se voulait quant à elle un point de départ plus qu'un aboutissement. Sur les questions au coeur de ce sommet, à savoir « comment assurer à tous un logement décent ? », et « comment rendre le développement urbain durable ? », des progrès ont été accomplis, mais beaucoup reste à faire. Soulignons la prudence de la déclaration finale qui se référait beaucoup aux engagements internationaux existants pour ne pas parler trop brutalement du droit au logement. Nous avons également évoqué la conférence de New York, cinq ans « pour mémoire » l n° HS automne 2017 20 actes Habitat III et l'évolution du débat international sur la ville Gustave Massiah, association AITEC, membre du Conseil international du Forum social mondial Avant de rentrer dans le vif du sujet, je voudrais rendre hommage à Georges Cavallier, que j'ai surtout connu à partir de la préparation de la conférence Habitat II. J'ai beaucoup apprécié cet homme. Il avait en même temps la capacité d'être passionné et de faire preuve d'une très grande élégance. Durant la préparation de la conférence d'Istanbul, il avait su laisser leur place aux parties prenantes, aux différentes catégories d'acteurs, en étant très attentif à ce que chacun pouvait apporter. qu'elles permettent d'appréhender le débat international sur la ville. Elles mêlent en réalité trois dimensions, à savoir l'évolution de la situation urbaine et sa compréhension, le débat sur les modèles de développement ou de transformation sociale, et l'évolution du système international et des stratégies des institutions internationales. Il est particulièrement utile d'étudier comment les conférences « Habitat » ont relié ces trois composantes. Dans une conférence internationale, ce sont les Etats qui négocient, qui rédigent la déclaration finale supposée déterminer leurs politiques futures. Les conséquences apparaissent toutefois de façon indirecte. En effet, les Etats ne modifient pas leurs politiques mécaniquement lorsqu'ils participent à une conférence internationale. Pour qu'il y ait une influence sur les politiques nationales, le premier enjeu réside A quoi servent les conférences internationales ? Contre nombre de discours trop pessimistes, je reste convaincu qu'elles sont utiles, ne serait-ce que parce n° HS automne 2017 dans la question du droit international, qui se construit sur la base des différents accords interétatiques. Nous le voyons notamment dans le domaine de la ville et de l'urbain. Un second enjeu consiste dans la progression des idées, qui pour certaines peuvent devenir un jour des évidences. C'est ce qu'on appelle l'« hégémonie culturelle ». Ce point est très important, car la manière de faire la ville est déterminée par la pensée urbaine. Le débat d'idées est sûrement le principal aspect des conférences internationales. Un troisième enjeu porte enfin sur la question des alliances entre les acteurs. Les conférences internationales cristallisent la confrontation entre des stratégies d'alliance variées. Comment pouvons-nous examiner ce point par rapport à la ville ? Comment pouvons-nous le considérer vis-à-vis des trois cycles de conférences internationales évoqués par Antoine Loubière ? l « pour mémoire » 21 De Habitat I à Habitat II L'ONU est une institution compliquée. Elle s'appelle « Nations Unies », mais sa charte débute par « Nous les peuples... », alors qu'elle consiste finalement en une institution d'Etats. Ces différents niveaux de compréhension sont toutefois intéressants. En 1972, la première conférence de Stockholm sur l'environnement et le développement partait de l'intuition que les transformations du milieu dans lequel nous vivions allaient bouleverser la donne mondiale. On y prenait conscience de la nouvelle révolution urbaine, des changements des rapports entre ville et campagne, du mal-logement, des exclus et des bidonvilles. Même s'il commençait alors à être contesté, le schéma de développement en vigueur était encore celui que nous pouvons nommer le modèle « keynésien » de l'Etat social. Les politiques urbaines et de logement y occupaient une grande place. En 1976, la conférence Habitat I, marquée par la référence à John F. C. Turner, l'auteur de Le logement est votre affaire, faisait progresser des idées majeures comme la centralité de la question foncière, l'émergence de la production sociale de l'habitat ou encore la participation des habitants 1re conférence de l'ONU sur l'environnement, Stockholm, 1972. Des militants environnementalistes manifestent devant les locaux où se déroule les négociations pour promouvoir un accord ambitieux. ©UN photo/ Yutaka Nagata « pour mémoire » l n° HS automne 2017 22 aux politiques urbaines. Cependant, les conférences internationales constituent aussi des moments où se construisent des contradictions appelées ensuite à se développer. Effectivement, après Habitat I, nous avons assisté à une remise en cause du modèle de l'État social et du modèle keynésien. Elle avait débuté en même temps que la conférence de Stockholm, avec la fin de la convertibilité du dollar, qui a ouvert la voie au néo-libéralisme. En 1979, la dette et les premiers programmes d'ajustement structurel modifièrent complètement la donne. Parallèlement à la financiarisation de l'économie mondiale, portée par la montée en puissance du capital financier et la doxa néolibérale, deux rapports des Nations Unies firent apparaître des contradictions inhérentes à ces modèles : la déclaration sur le droit au développement en 1986 et le rapport Brundtland sur le développement durable en 1989. L'année 1992 débuta par un débat fondamental sur l'environnement. Il fut notamment marqué par la publication de l'appel de Heidelberg, préparé par Claude Allègre. Dans ce texte, un certain nombre de prix Nobel adjuraient les chefs d'État de ne pas se laisser influencer par la vision « obscurantiste » des écologistes. Voilà le contexte, marqué par de fortes contradictions, dans lequel débuta à Rio la conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement. Habitat II s'inscrivait en 1996 dans la montée en puissance de la financiarisation et de la mondialisation économique. La stratégie de l'ONU mettait en avant le droit international et son renforcement à partir du protocole facultatif pour les droits économiques, sociaux et culturels lancé à la Conférence de Vienne en 1993. Les Nations Unies étaient contestées par la montée en puissance du système hérité des accords de Bretton Woods, et en particulier par le Fonds monétaires international (FMI), la Banque mondiale et l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Sous la houlette de Kofi Annan, elles se lancèrent à la recherche d'alliés pour leur permettre de peser dans les débats. Leurs premiers partenaires furent les sociétés civiles. Kofi Annan conclut une alliance avec des ONG, qui fonctionna assez bien, mais également avec des multinationales au sein du Global Compact. Cette démarche constitua une réussite puisque Ted Turner, le magnat des médias américain, versa un milliard de dollars pour compenser l'arrêt du financement des Etats-Unis aux Nations Unies. Nous nous trouvions donc dans une situation de tensions et de contradictions très fortes. Cette alliance avec les sociétés civiles portait sur la question des droits. Dans la série des conférences initiée en 1992 par Rio et achevée en 1996 par Habitat II, nous trouvions ainsi la conférence de Vienne sur les droits économiques, sociaux et culturels, la conférence de Pékin sur les droits des femmes, ainsi que la conférence de Copenhague sur les droits sociaux. Ouverture d'Habitat I. Le 1er ministre canadien Pierre Trudeau (à gauche) échange avec le secrétaire général des Nations Unies Kurt Waldheim ©UN Photo/Yutaka Nagata n° HS automne 2017 l « pour mémoire » 23 La conférence Habitat II a mis en avant le droit au logement, qui s'accompagnait de la notion d'accès aux services publics. Les associations défendaient alors l'idée de « sécurité foncière ». A l'occasion de cet événement, deux nouveaux acteurs sont apparus. D'une part, des sociétés civiles se sont constituées avec la fondation des grandes associations transnationales d'habitants telles que Habitat International Coalition. D'autre part, nous avons vu les collectivités locales chercher à se positionner en tant qu'acteurs internationaux. mation sociale. On observe en effet une opposition nette entre trois tendances. La première porte sur une accentuation de la financiarisation, notamment une financiarisation de la nature, une marchandisation du vivant. Cette tendance est très importante, car elle entérine l'idée que le marché est illimité et nécessaire pour sortir de la crise. Cette contradiction amène au prolongement du modèle de la ville libérale que nous connaissons aujourd'hui. La deuxième tendance, qui se présente comme concurrente de la première, est celle du Green New Deal. Elle est notamment portée par Amartya Sen, Joseph Stiglitz, Paul Krugman ou encore Thomas Piketty. Elle met en avant l'idée d'un retour vers une régulation publique. Ces théories ont évidemment des conséquences majeures sur ce que seront les modèles urbains dans la période à venir. Le Green New Deal constitue un modèle intéressant, qui s'inscrit dans le prolongement de Habitat II. Néanmoins, la question de l'environnement est devenue tellement fondamentale que naît l'idée plus radicale d'une véritable transition écologique, sociale et démocratique. Elle correspond à une transition et même à une révolution urbaine. De nouveaux concepts sont en cours d'émergence tels que les biens communs et les biens publics qui renouvellent la définition de la propriété, le « Buen Vivir » qui se prolonge dans la proposition de la prospérité sans croissance... Malheureusement, Habitat III ne fait pas référence à ces innovations. Cette conférence porte encore sur la contradiction entre la financiarisation et « pour mémoire » Habitat III, des contradictions ouvertes et un avenir incertain Après Habitat II, nous sommes entrés dans une période durant laquelle les tensions se sont développées encore plus fortement et ont préparé le contexte dans lequel va se tenir Habitat III. En 2008, la crise financière, avec en son épicentre la crise des subprimes, a clairement montré que le logement et la ville sont au coeur de la problématique. En 2011, des mouvements urbains d'occupation et de revendication de l'espace public se sont manifestés dans différents endroits du globe. En 2013, nous avons également assisté à la montée de nouvelles idéologies xénophobes, racistes, identitaires et sécuritaires. Une contradiction majeure porte aujourd'hui sur le modèle de transfor- la possibilité d'une régulation publique. Pour beaucoup de mouvements et d'acteurs, Habitat III constitue une régression par rapport à Habitat II. Par exemple, le droit au logement est devenu un droit progressif au logement, la lutte contre les expulsions s'est transformée en lutte contre les expulsions « arbitraires ». Nous nous trouvons dans une période de compromis quasi impossible à trouver, ce qui rend complexe toute perspective d'avancée. Toutefois, cette réalité n'est pas rédhibitoire, car les contradictions se déploieront dans l'avenir et feront apparaître de nouvelles possibilités. l n° HS automne 2017 24 actes La France à Istanbul : retour sur Habitat II Claude Praliaud, directeur de l'urbanisme de la ville de Paris, membre de la délégation française à Habitat II Lorsque j'étais jeune ingénieur des ponts et chaussées détaché au ministère de la Coopération, j'ai eu la chance d'être partie prenante de la délégation française menée par à Georges Cavallier. J'ajoute que je dois beaucoup à ce dernier, qui m'a fait découvrir la réflexion urbaine. C'est pourquoi je participe à cette journée avec une certaine émotion. Comme l'ont déjà exposé les précédents orateurs, je me souviens de la richesse, de la profondeur, de l'intérêt de toutes les réflexions qu'il avait pu animer dans le cadre de la préparation de la participation française à Habitat II. Je dois souligner l'importance du travail mené alors. Il existait à l'époque une véritable mobilisation des ministères, du monde associatif, des professionnels de l'urbanisme, des collectivités locales. Ces dernières commençaient à vouloir s'affirmer sur la scène internationale, comme l'a rappelé Gustave Massiah. Je vous invite à ce titre à lire la revue Urbanisme du mois de juin 1996 qu'Antoine Loubière évoquait. Ce numéro contient notamment un excellent texte de Georges Cavallier. En dépit de la richesse de cette préparation, il faut néanmoins rappeler la très faible participation politique à Habitat II. n° HS automne 2017 Pour moi qui travaillais alors au ministère de la Coopération, très concerné par l'Afrique, Habitat II était d'abord l'affirmation du phénomène international de l'urbanisation. Certains considéraient encore qu'il fallait « lutter » contre la ville. Ce point de vue était en voie de devenir minoritaire, mais la ville n'était pas encore considérée comme un potentiel vecteur de développement durable. Il s'agissait de faire prendre conscience que le développement du monde serait nécessairement urbain, et qu'une proportion toujours croissante de la population mondiale serait urbaine. Les enjeux sociaux, économiques, environnementaux se situaient désormais en ville. Habitat II a permis de marquer une étape dans le débat d'idées que décrivait Gustave Massiah. Le fait urbain était désormais reconnu au plan mondial. Il semble important de réaffirmer cet acquis de la conférence d'Istanbul. mier bilan de la conférence d'Istanbul et de ses suites. Je suis frappé par le fait que bien des thématiques et des problématiques soulevées lors de ces conférences sont encore d'une actualité brûlante et presque inquiétante : le droit au logement, l'affirmation du rôle des collectivités locales, la nécessité de penser le développement urbain au travers de partenariats notamment avec le monde économique, le début Habitat II : des sujets encore d'actualité Voilà quelques semaines que je parcours les écrits relatifs à Habitat II, ainsi qu'au sommet « Habitat II+5 » de 2001, qui avait proposé un pre- l « pour mémoire » 25 de l'affirmation de la problématique du développement urbain durable... Comment se fait-il que toutes ces interrogations restent d'actualité vingt ans plus tard ? Qu'est-ce qui a progressé ? Qu'est-ce qui n'a pas avancé ? Par exemple, dans le cadre de mes fonctions actuelles, je note que le droit au logement reste entièrement d'actualité, y compris à Paris. Pourtant, nous nous trouvons dans la capitale de la France. Cela montre bien que les problématiques évoquées ne se limitent pas aux villes du Sud. Un article, paru il y a peu, montre que l'insalubrité reste une réalité à Paris. La problématique est encore plus marquante au niveau du Grand Paris. Habitat II n'avait pas entièrement pris conscience d'un autre sujet, à savoir les évolutions de la mondialisation économique et ses impacts sur la fabrique de la ville. Cette conférence insistait certes beaucoup sur le partenariat entre tous les acteurs - Etat, collectivité, monde économique et monde associatif - pour construire cette « ville idéale ». Mais depuis, la mondialisation économique s'est renforcée. Pouvonsnous parler encore de « partenariat » ? Comment construire des relations équilibrées entre des collectivités locales et de grands groupes internationaux ? La question du rapport de force et de la capacité des collectivités à s'imposer mérite d'être posée. Les intérêts peuvent être extrêmement divergents. Habitat III doit mettre ce sujet sur la table. S'il doit y avoir « partenariat », encore faut-il que tous les partenaires partagent la volonté d'avancer vraiment collectivement. Un autre aspect concerne le développement durable. Ma réflexion sur ce sujet, ma prise de conscience, ont progressé depuis 1996. Mais je ne pense pas que nous soyons arrivés à maturité, notamment en termes de politiques publiques. Si la bataille des idées a peut-être été gagnée, la transformation des idées en réalités est loin d'être évidente. Sur ce point encore, Habitat III pourrait certainement apporter des avancées. La question de l'action a été évoquée. Peut-être est-il nécessaire que Habitat III prolonge Habitat II en réfléchissant concrètement aux actions à mener. Quelles sont celles qui ont été engagées depuis vingt ans et qui ont permis de progresser dans les domaines du logement, du développement urbain durable, dans la lutte contre la ségrégation ? Quels sont les phénomènes qui aujourd'hui entrent en contradiction avec cet objectif ? « pour mémoire » l n° HS automne 2017 26 actes La position française à Habitat III Yves-Laurent Sapoval, coordonnateur de la position française à Habitat III, ministère du Logement et de l'Habitat durable A la Délégation interministérielle à la Ville, Georges Cavallier « habitait » au premier étage du bâtiment. Nous trouvions toujours chez lui un accueil chaleureux et une réflexion de fond permettant de prendre du recul sur notre pratique professionnelle. Georges nous aidait à nous rendre compte que nous ne nous battions pas seulement pour des questions très « techniques » et bureaucratiques, mais que nos actions s'inscrivaient bien dans une problématique plus globale. Cette approche était riche et très encourageante. Evoquons maintenant les enjeux mondiaux en matière d'urbanisation. J'ignore quelle était la réalité à l'époque de Habitat II mais je constate qu'aujourd'hui, les projections sont tout simplement effrayantes. Chaque semaine, nous construisons l'équivalent d'une ville de 1,2 million d'habitants, et cette tendance est envisagée de manière continue jusqu'à l'horizon 2030. D'ici n° HS automne 2017 à 2050, le parc immobilier mondial devra doubler afin de répondre aux besoins. Cette situation nous place dans l'obligation de penser l'urbain à l'échelle internationale. Tel est le but de Habitat III et la responsabilité qui nous incombe à tous. C'est dans cette perspective que nous avons développé une position française pour la conférence de Quito. Il faut ici rappeler qu'au-delà de cette position propre, la France a joué un rôle important dans la préparation de la conférence Habitat III au travers de la co-présidence du comité préparatoire de Maryse Gautier. La France est attendue sur la scène internationale, car nous disposons d'une certaine expertise dans notre manière de produire la ville. Nous pouvons contribuer à l'urbanisation du monde, tant en matière d'ingénierie que de solutions techniques et industrielles. Nous avons également, me semble-t-il, des idées et des outils à apporter sur les dimensions sociales du développement urbain. L'action internationale en matière de ville durable a de nombreuses raisons d'être. Nous pouvons en bénéficier tout autant que nous y contribuons. Par exemple en Europe, nombreux sont ceux qui aujourd'hui promeuvent l'idée d'une politique de développement intégré des territoires. Ce principe vient en particulier de la politique française de la ville, centrée sur les quartiers en difficultés, selon une approche intégrée de développement économique, social et environnemental. Cette politique a longtemps été considérée comme innovante et exemplaire. Au moment ou certains la remettaient en cause en France, elle nous est revenue sous la forme d'une exigence européenne, notamment dans la Charte de Leipzig. Les idées et les méthodes que nous avions portées initialement au niveau national avaient fait leur chemin à l'étranger et nous revenaient sous une forme transformée et renforcée, ce qui a permis un nouvel élan au niveau national. Ce mouvement de va-et-vient est toujours intéressant et bénéfique. l « pour mémoire » 27 Un processus participatif Nous avons créé en 2011 le Partenariat français pour la ville et les territoires (PFVT), co-présidé par le Ministère des Affaires étrangères, le Ministère du logement et de l'habitat durable et Yves Dauge. Il n'a pas d'existence formelle, mais réunit régulièrement un collège formé de l'ensemble des acteurs français - Etat, professionnels, chercheurs, collectivités... - pour coordonner la présence française en matière de ville à l'international. Nous avons pris appui sur cette structure avec beaucoup de succès. Il me semble que cela constitue une innovation importante par rapport à Habitat II. Avant de déterminer la position française, nous avons demandé à chacun des acteurs du PFVT de produire une réflexion sur les points qui leur semblaient les plus importants. Il ne s'agissait pas de dresser un inventaire exhaustif mais plutôt de désigner les problématiques clefs sur lesquelles nous devions centrer notre travail. Nous avons bénéficié d'une excellente participation de l'ensemble de ces partenaires et en avons extrait une position nationale en tentant de définir quelques priorités. Cette approche participative mérite d'être soulignée. tions fortes de la transition écologique, sociale et démocratique : Un pacte contre l'exclusion urbaine La ville ne doit plus produire d'exclusion. Le droit au logement s'inscrit dans cette problématique. Je ne partage d'ailleurs pas entièrement l'avis des précédents intervenants. Nous sommes certes bien placés pour savoir, dans ce ministère, que toute la population n'est pas correctement logée, mais je crois cependant que le droit au logement, qui est maintenant opposable, progresse. Enfin, lutter contre l'exclusion urbaine nécessite de repenser la question de l'espace public et de l'accessibilité. Tous les quartiers doivent être intégrés aux villes, qu'ils soient riches ou pauvres, et quels que soient leurs habitants et leurs communautés. Un pacte pour la transition écologique et la croissance verte Il n'est plus possible de nier ni la réalité du changement climatique ni la nécessité de préserver les ressources naturelles. Il est désormais nécessaire de réfléchir à une « comptabilité globale » de la ville, qui permette d'établir un bilan carbone et un bilan des ressources sociales, environnementales et économiques. C'est aussi une manière de renoncer à l'opposition artificielle entre ville, campagne et hinterland. Dans la déclaration finale de Habitat III, nous soulignons la nécessité de la complémentarité des espaces. Le paradigme de la croissance radioconcentrique trouve ses limites en termes de systèmes de transports et de dynamique d'emploi. Nous encourageons le modèle d'une ville polycentrique. La réflexion du futur portera davantage sur le périurbain, sur la limite et la frange, que sur les centresvilles. Ce pacte doit être porteur de croissance et de bien-être pour les habitants. Un pacte pour une ville pour tous et par tous L'implication de l'ensemble des acteurs dans la planification, la construction et la gestion des villes est plus que jamais nécessaire. Mais ces différents acteurs doivent être en capacité d'agir réellement. Les collectivités locales, au moins dans un certain nombre de pays, possèdent une véritable capacité de se financer et d'opérer, mais il faut maintenant en faire de même pour les citoyens. La concertation ne consiste pas simplement à donner la parole aux gens, mais à leur permettre de se projeter dans l'action. Nous assistons également à une présence nouvelle et renforcée des entreprises et des acteurs privés. Depuis la COP21, une partie du secteur privé a pris la mesure de l'intérêt d'engager une démarche plus qualitative et davantage orientée sur le développement durable. Au regard de la déclaration finale de Quito, qui est globalement très satisfaisante, je formulerai cependant deux légers regrets. Tout d'abord, la question du numérique est certes évoquée, mais au regard des bouleversements qu'il introduit dans la vie de nos contemporains et des applications possibles pour les villes, elle pourrait être plus développée. Enfin, la question de la financiarisation de la ville, qui a des impacts majeurs, est peu abordée. Elle conduit à des phénomènes de spéculation, à la construction de quartiers fantômes, inoccupés, à l'exclusion de populations pour des rai« pour mémoire » La position en trois pactes La position française s'oriente autour de trois pactes, qui reprennent des orienta- l n° HS automne 2017 28 sons de dynamiques foncières déraisonnables. Il faut observer que les récentes crises économiques mondiales, en Asie dans les années 1990 comme en 2008 avec les subprimes, ont toutes été la conséquence de sujets immobiliers. Une réflexion mondiale devrait être menée sur ce sujet. Le Nouvel agenda urbain est un document très important et Habitat III promet d'être un moment fondateur. La France sera bien représentée à haut niveau à Quito, notamment sous l'ombrelle d'un pavillon commun à l'ensemble des acteurs et coordonné par le PFVT. L'enjeu de cette conférence, et l'enjeu pour la France, sera de ne pas de se limiter à un discours et à une présence ponctuelle, mais bien de se saisir de ce sujet pour agir dans notre pays et dans le monde sur le long terme. Le pavillon français à Habitat III. ©Camille Le Jean n° HS automne 2017 l « pour mémoire » 29 Débat avec la salle Dominique Figeat J'ai beaucoup travaillé avec Georges Cavallier. Nos chemins se sont souvent croisés, depuis le Commissariat général au Plan, dans les années 1970, jusqu'à l'Observatoire régional du foncier d'Île-de-France qu'il a présidé durant une quinzaine d'années, avant que je ne lui succède. Je me souviens notamment de notre intervention commune, en 1994 ou 1995, devant l'Union sociale pour l'habitat, afin de plaider en faveur d'un droit au logement opposable, et ce à une époque qui n'était pourtant guère favorable à ce type d'évolution. Habitat II a selon moi marqué notre action sur deux points. Le premier concerne le droit au logement et son application dans un pays comme la France. Ce débat idéologique était assez peu évident. Au départ, j'étais moi-même assez réticent à l'adoption de ce droit dont j'entrevoyais mal l'exécution effective. J'ai progressivement acquis la conviction qu'il était nécessaire, même si nous constatons que ses modalités d'application sont encore incertaines. Le deuxième point porte sur la relation aux collectivités locales. Avant Habitat II, la décentralisation de 1982 avait déjà commencé à restructurer les politiques urbaines en France. Elle a pris beaucoup de temps à s'appliquer techniquement. Habitat II marque une reconnaissance internationale forte de la responsabilité des collectivités locales et de la relation de l'ensemble des acteurs de l'urbain aux politiques publiques. Gustave Massiah a évoqué la centralité de la question foncière lors d'Habitat II. J'ai participé aux ateliers d'Istanbul, et n'ai pour ma part guère souvenir d'avoir traité ce sujet. Je dirais même que depuis Habitat II, j'ai le sentiment que notre pays n'a toujours pas pris conscience de l'importance de cette problématique. Nous avons connu beaucoup d'évolutions en matière législative et réglementaire concernant la politique urbaine, la politique de l'habitat et la responsabilité des collectivités locales. Néanmoins, sur le plan de la question foncière, nous avons finalement peu évolué et nous nous retrouvons ainsi aujourd'hui dépourvus d'outils et de politiques publiques pour faire face à la financiarisation de la ville, c'est-à-dire pour faire vite la prise de pouvoir du monde économique. Yves-Laurent Sapoval a évoqué comme priorité pour Habitat III l'enjeu d'une ville inclusive. Pour avoir été avant Habitat II l'un des acteurs de la création de la politique dite de « développement social des quartiers », je constate, trente ans après, que cette question du développement social reste le parent pauvre de la politique de la ville. Notre approche demeure urbaine au sens étroit du terme. Le lien entre développement économique, développement social, lutte contre l'exclusion sociale et politique urbaine n'est pas approprié. Les collectivités rechignent à partager le pouvoir avec les acteurs sociaux. En France, les méthodes d'intervention en matière de politique urbaine ont beaucoup progressé pour les banlieues, mais nous avons échoué dans les politiques intégrées de développement social. Michel Gérard J'ai dirigé le Secrétariat des missions d'urbanisme et d'habitat (SMUH) à partir de 1968, dont l'objectif était de permettre le passage à l'indépendance des États Africains dans les meilleures conditions possibles en urbanisme, aménagement et habitat. J'ai donc préparé la conférence Habitat I, et j'ai également été impliqué dans Habitat II. A présent, j'assiste à l'arrivée de Habitat III. Dès Vancouver, nous avions souligné la forte divergence dans la manière dont francophones et anglophones entendent le mot « habitat ». Pour un francophone, « habitat » veut dire « logement ». Pour un anglophone, « habitat » veut dire « milieu de vie ». Je suis conscient de l'importance de l'accès au logement pour tous. Je reste néanmoins réticent sur les positions prises dans la déclaration d'Istanbul sur le droit au logement. Ces idées n'ont pas réellement percé. Les Anglo-saxons y ont résisté violemment. Beaucoup d'entre nous savent les difficultés de son application. Ne menons pas des combats picrocholins sur ce sujet et reconnaissons que cette question reste difficile. Si nous n'aboutissons pas à des résultats précis, les déclarations de principes ne sont guère utiles. Jean Frébault Je tenais à m'associer à l'hommage à Georges Cavallier. Je lui ai succédé au Conseil général des Ponts et Chaussées devenu aujourd'hui le Conseil général de « pour mémoire » l n° HS automne 2017 30 l'environnement et du développement durable, qui organise cette journée. J'ai eu l'occasion de travailler avec lui puisqu'il m'avait notamment convié aux entretiens de Taksim à Istanbul. Je suis heureux que Yves-Laurent Sapoval ait un peu évoqué l'économie et la financiarisation. Cette dimension est un peu absente du débat. Or ce problème est mondial, comme nous pouvons le constater dans notre pays. Je fais également écho aux propos de Dominique Figeat sur la difficulté de mener en France des démarches intégrées. Comme notre réflexion sur la ville est victime d'une polarisation assez hexagonale, nous sommes persuadés d'avoir beaucoup à apprendre aux autres pays et autres villes, dans des territoires développés ou non. Auprès de Georges Cavallier, j'ai appris à cultiver une posture beaucoup plus humble. Enfin, je constate que nous sommes assez réticents, en France, à la participation des habitants. Je me souviens d'une visite professionnelle de favela au Brésil. Nous n'avions pas été reçus par le chef de projet, comme nous le faisons ici, mais par les représentants des habitants Dans le cadre de Habitat III, nous avons tenté de porter une certaine ambition et de lancer certains débats. Après celui sur le droit au logement, nous nous sommes efforcés d'engager celui sur le droit à la ville. Comme le disait Monsieur Loubière, le mot « droit » est toujours problématique aux Nations Unies. Toutefois, nous nous sommes demandés si la ville devait être attractive en raison de sa croissance économique ou si le droit à la ville devait consister en un droit à une autre façon de vivre, avec plus d'intégration sociale, plus de relation entre les citoyens et un peu moins de croissance. La croissance n'apporte pas forcément le bonheur. J'ignore quelles seront les suites de ce débat. Sous l'influence des négociateurs, l'expression « droit à la ville » figure avec beaucoup de précautions dans le texte. Je pense néanmoins que cela constitue une étape importante. Maintenant que nous disposons de cette déclaration, j'aimerais que nous nous souciions davantage de sa mise en oeuvre que nous ne l'avons fait pour Habitat II. que le droit international ne soit pas subordonné au droit des affaires. Cette lutte est encore en cours à un moment où la financiarisation de la ville et de l'économie se renforce de jour en jour. Deuxièmement, contrairement à ce que pensent certains, la ville compétitive et la ville solidaire ne sont pas compatibles. Ces deux approches méritent d'être discutées et approfondies. Je voudrais également souligner l'importance des stratégies d'alliance. Il existe des mouvements d'habitants importants, qu'on nomme à tort la « société civile », mais également de collectivités locales, d'experts et de chercheurs. Pour continuer à parler efficacement du droit à la ville, ces acteurs doivent se rassembler et se poser la question de leur relation avec les acteurs économiques. En tout état de cause, subordonner l'ensemble de la production urbaine aux grands acteurs économiques financiarisés me semble évidemment constituer une erreur Le DALO (droit au logement opposable) a constitué un progrès. Il résulte peut-être moins de Habitat II que de la conférence de Vienne (pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturel). Il est intéressant parce qu'il permet aux habitants et aux mouvements d'habitants de mener une lutte pour être mieux logés, et ce en leur donnant un cadre juridique. Je reste convaincu que c'est de cette façon que nous pourrons résoudre les problèmes de logement. Mais le DALO ne permet pas de résoudre tous les problèmes des villes, et notamment Gustave Massiah Je me félicite que la déclaration conserve des éléments qui permettent de poursuivre les débats autour du droit à la ville, qui en fait renvoie au débat plus large concernant les places respectives du social et du marché dans le développement. En revanche, nous devons analyser le contexte qui nous a conduit dans cette situation. Premièrement, depuis Rio de Janeiro en 2012, nous avons dû batailler pour Maryse Gautier J'ai été très sensible à différents messages des orateurs. Nous voyons en effet que des débats initiés lors d'Habitat II, voire d'Habitat I, sont toujours d'actualité. Rassurez-vous, nous nous sommes posé toutes ces questions pour préparer la conférence de Quito. n° HS automne 2017 l « pour mémoire » 31 la ségrégation sociale et spatiale dont souffrent nombre de quartiers populaires. C'est pourquoi le droit à la ville peut constituer une réponse intéressante. Le DALO ne consiste pas simplement dans la judiciarisation de la politique du logement, mais dans une interrogation sur la construction de la régulation publique qu'il faut désormais élargir à l'ensemble des composantes urbaines. L'exemple de l'Ecosse est intéressant. Le droit au logement opposable s'y applique plus facilement qu'en France. Il est possible de se rendre devant le tribunal pour demander l'octroi d'un logement. De plus, le parlement écossais a décidé de produire des logements sur la base des difficultés à appliquer le DALO. Selon Yves Dauge, nous avons en France trois sujets à traiter : la gouvernance, l'extension urbaine et les quartiers en difficulté. Je me demande pour ma part si ces trois items ne constituent pas une seule et même problématique, avec la question de savoir comment donner la parole et le pouvoir aux populations pour qu'elles agissent. Pour terminer, je souhaiterais insister à nouveau sur la question de la financiarisation, qui apparaît clairement dans nos échanges comme un sujet majeur pourtant non traité dans Habitat III. Je propose que nous réfléchissions à cette question pour adresser par exemple des demandes d'études à l'OCDE. Nous pourrions envisager la création d'un observatoire des investissements immobiliers. Il ne suffit pas de désigner la financiarisation comme un problème. Nous devons réfléchir sur les manières d'y apporter des éléments de réponse ou de clarification. Claude Praliaud L'affirmation d'un droit sans traduction juridique concrète génère une profonde frustration qui peut expliquer le développement de certains mouvements politiques. D'autre part, entre Habitat II et Habitat III, nous constatons que la question de la financiarisation de la ville s'est fortement développée. Cette évolution devrait se trouver à mon sens au coeur de la conférence Habitat III. Yves-Laurent Sapoval Nous avons échoué sur la question de l'empowerment. L'une des raisons de cet insuccès réside dans la question du communautarisme et les fantasmes qu'elle suscite. Il me semble que les pays qui sont moins réticents que nous à la notion de community ont mieux réussi dans ce domaine. « pour mémoire » l n° HS automne 2017 32 actes Les acteurs de la ville : recompositions de l'action collective entre l'État, les collectivités locales, les entreprises et la société civile Session introduite et animée par Anne Charreyron-Perchet, chargée de mission stratégique « ville durable », ministère de l'Environnement, de l'Énergie et de la Mer Cette deuxième table ronde est centrée sur les acteurs qui interviennent dans la fabrique urbaine, sur les transformations et les reconfigurations qui marquent leurs interactions depuis les précédentes conférences Habitat. Par rapport à Habitat I et II, les acteurs de Habitat III souhaitent que l'accent soit mis sur l'« opérationnalité », sur la mise en oeuvre concrète du Nouvel agenda urbain qui sera adopté à Quito. Cet enjeu dépendra des différents acteurs de la ville et de leurs capacités à s'organiser et à travailler ensemble. La table ronde est structurée autour de trois questions. Premièrement, comment le positionnement des différents acteurs a-t-il évolué entre Habitat II et Habitat III ? Les rôles de certains acteurs n° HS automne 2017 comme les collectivités et les entreprises se sont considérablement renforcés, comme le montreront Astrid Frey et Dominique Lorrain. Il existe néanmoins des façons de faire qui diffèrent suivant les sociétés. Par ailleurs, des acteurs issus de la société civile, et notamment des associations, ont également vu leur rôle évoluer, comme le soulignera Xavier de Lannoy. Deuxièmement, comment ces évolutions se traduisent-elles dans les modalités d'action ? Nicolas Maisetti nous présentera une cartographie des modes d'action internationale des collectivités locales. Nous verrons aussi comment les acteurs peuvent intervenir à différents niveaux dans le nouvel agenda urbain, tant dans sa conception que dans sa mise en oeuvre. Troisièmement, quels sont les impacts de ces évolutions des jeux d'acteurs sur la fabrique de la ville ? En quoi ces nouveaux modes d'actions influencentils la manière de concevoir et de gérer les territoires ? Comment cela se traduit-il dans le nouvel agenda urbain ? l « pour mémoire » actes 33 Les réseaux transnationaux de collectivités : de nouveaux acteurs internationaux ? Astrid Frey, Cités Unies France Les prémices d'une représentation mondiale des collectivités locales Habitat II a marqué la reconnaissance de l'échelon politique local par le système des Nations Unies. Afin de comprendre pourquoi cet événement est intervenu en 1996, je souhaiterais préciser différents éléments de contexte évoqués par Claude Praliaud dans son intervention. Premièrement, c'était une période qui a vu entérinée la reconnaissance par le système international de l'urbanisation croissante de la population mondiale. Cette idée s'accompagnait en particulier de la conviction, déjà portée dès les années 80 par des institutions comme la Banque Mondiale, que cette urbanisation devait être gérée au plus proche de ses réalités, en partenariat avec les collectivités territoriales. Deuxièmement, les réflexions se déplaçaient de la seule question du logement, comme c'était le cas lors d'Habitat I, à celle de la ville dans une compréhension plus globale. Et enfin troisièmement, il faut rappeler que les années 90 étaient marquées par la fin de la guerre froide qui a permis la restructuration du système international, mais aussi le rapprochement des principales organisations transnationales des collectivités locales qui étaient elles-mêmes jusqu'à présent structurées autour de cette ligne de séparation Est-Ouest. L'Assemblée mondiale des villes et des autorités locales s'est réunie pour la première fois en 1996. La deuxième session se déroulera d'ailleurs à Quito, un jour avant l'ouverture de Habitat III. Face à ce besoin de reconnaissance, la déclaration d'Istanbul, adoptée par les Etats, saluait les collectivités territoriales comme « les partenaires les plus proches des Etats » et devant jouer un rôle essentiel dans la mise en oeuvre du plan d'action issu des négociations. Ce document faisait également référence à la décentralisation et encourageait l'existence d'autorités locales démocratiques. Avec l'Agenda 21, les collectivités territoriales se positionnaient comme des acteurs locaux, mais participant d'un mouvement mondial. Après Habitat II, nous avons assisté au premier effort de création d'une organisation mondiale de représentation des autorités locales, la Coordination des associations mondiales des villes et autorités locales (CAMVAL), dont le secrétariat a été établi à Genève. Cette tentative a certes engagé une dynamique, mais a relativement échoué dans la mesure où un certain nombre de ses membres l'ont rapidement déserté. En 2000, le maire de Barcelone est devenu le président de la CAMVAL et a alors déplacé son siège dans la capitale de la Catalogne, où se trouve toujours aujourd'hui le siège de Cités et Gouvernements Locaux Unis (CGLU). L'UNACLA (The United Nations Advisory Committee on Local Authorities), plateforme de collectivités locales, a quant à elle été créée en 2000 avec la vocation de devenir l'organe consultatif en matière de questions urbaines d'ONU-Habitat et de représenter la voix « pour mémoire » l n° HS automne 2017 34 des collectivités locales dans la mise en oeuvre du programme d'Istanbul. ONUHabitat s'est ainsi très tôt positionnée comme la « porte d'entrée » des collectivités locales dans le système onusien. La question est aujourd'hui de savoir comment les collectivités pourraient intégrer les Nations Unies autrement que par la voie de ce seul programme. La mise en place de commissions de travail, dès la seconde réunion de CGLU en 2004, a permis à la jeune organisation d'alimenter les négociations internationales avec des cas concrets. Parmi ces commissions nous pouvons mentionner diverses thématiques qui aujourd'hui encore sont au coeur de nos efforts, comme par exemple « Décentralisation et autonomie locale », « Finances locales et développement », « Coopération au développement et diplomatie des villes », ou encore « Villes de périphérie ». Citons pour terminer la commission « Inclusion sociale, démocratie participative et droits humains », présidée par Monsieur Patrick Braouezec. Elle travaille sur le lien avec les habitants et les mouvements de citoyens. Les commissions étaient toutefois insuffisantes pour développer une véritable présence des collectivités dans le système international. Début 2013, CGLU a mis en place une Global taskforce, à la demande du président de l'organisation et maire d'Istanbul, Kadir Topbas. Elle réunit toutes les sections, structurées suivant les continents, de CGLU. Pour l'Europe, nous trouvons par exemple le Conseil des communes et régions d'Europe, mais aussi Cités Unies France, unique association nationale présente. Les années 2000 : vers un « siège à la table mondiale » ? La création de CGLU en 2004 à Paris a représenté un moment très important. Organisation mondiale des collectivités locales, elle résulte de la réunion de trois associations majeures : la Fédération mondiale des cités unies (FMCU), Union internationale des autorités locales (IULA) et Metropolis (association mondiale des grandes métropoles). Cette fusion fut le fruit de négociations très compliquées. Ce fut la voix prépondérante du président du comité préparatoire (Valéry Giscard d'Estaing, alors président du Conseil des communes et régions d'Europe) et seulement elle, qui permis finalement d'obtenir une majorité. Il faut ici préciser que les discussions ont été assez peu démocratiques dans la mesure où seules les autorités ayant les moyens financiers de se déplacer au grès des négociations, qui ont eu lieu aux quatre coins du monde, ont pu participer aux votes. Congrès de création de la CGLU en 2004, avec de gauche à droite M. Mkhatshwa, maire de Prettoria, M me Supplicy, maire de Sao Paulo et M. Delanoë, maire de Paris ©Mairie de Paris n° HS automne 2017 l « pour mémoire » 35 Cette Global taskforce réunit également des réseaux thématiques comme ICLEI (International Council for Local Environmental Initiatives) qui suit les négociations climatiques. Nous y trouvons par ailleurs des organismes associés comme ONU-Habitat ou encore DELOG (le groupe des principaux bailleurs en soutien à la décentralisation et au développement local), et enfin quelques représentants du secteur privé, dont plusieurs groupes français. La Global taskforce a été créée pour assumer un agenda international chargé à partir de 2013. Il a été en particulier nécessaire de mener toute la négociation préalable sur les objectifs du développement durable (ODD). Dès le lancement des discussions, elle a pu formuler des propositions. Elle a ensuite dû préparer la COP21, mais également la conférence internationale sur la réduction des risques de catastrophes de Sendai, en mars 2015, la conférence internationale sur le financement du développement qui s'est tenue à AddisAbeba en juillet 2015, et elle se concentre maintenant sur Habitat III. pratiques, elle ne doit pas répondre à un agenda distinct, mais se situer dans un agenda de l'action, de la mise en oeuvre, et ce notamment pour répondre à un impératif de transparence. Il faudra en effet pouvoir présenter aux citoyens les résultats concrets de ces négociations, des résultats qui les concerneront pour leur quotidien. Depuis 2015, avec toutes ces conférences, nous voyons que les Etats ne détiennent plus le monopole des solutions. Les collectivités territoriales se retrouvent de plus en plus en première ligne face aux problèmes mondiaux. Elles veulent y prendre leur part, parce qu'elles portent des solutions et veulent contribuer à la réalisation de cet agenda mondial. Voilà très concrètement l'ambition portée par la Global taskforce et par CGLU : revendiquer un siège à la table mondiale. Cette place peut s'acquérir de différentes façons, par exemple en entrant dans le conseil d'administration d'ONU-Habitat, en renforçant le lien avec le Conseil économique et social des Nations Unies, ou encore en créant un panel international de différents acteurs autour des questions d'urbanisation. Cette conférence constitue par ailleurs une occasion d'évoquer la problématique des outils à développer pour assurer la mise en oeuvre des accords internationaux. Premièrement, elle permet d'approfondir la question financière qui a été ouverte lors de la COP21, à savoir celle de l'accès des collectivités au fonds vert. La COP21 a également très fortement mis l'accent sur le nouveau phénomène des coalitions d'acteurs. Celles-ci sont seules en mesure de nous permettre d'atteindre les objectifs, c'est-à-dire de limiter à deux degrés Celsius la hausse de la température mondiale. Ni les Etats, ni les collectivités ne peuvent y parvenir seuls. D'autres alliances doivent être nouées avec des associations, avec les acteurs de la recherche, mais aussi avec le secteur privé. La conférence Climate Chance, qui se tiendra à Nantes la semaine prochaine, et qui réunira les acteurs non étatiques autour de la question du climat, aura pour vocation de travailler autour de ces thématiques. En conclusion, je souhaite poser quelques questions pour le futur. Quelle est la place des mégalopoles et des métropoles dans les réseaux de villes par rapport aux villes moyennes et petites ? Autour de la question du climat, des organismes comme le C40 se mettent en place. Il réunit 85 villes représentant 600 millions d'habitants, 25 % du PIB mondial et 70 % des émissions de gaz à effet de serre. L'un des défis de CGLU consiste précisément à ne pas assurer une représentation des villes par les seules métropoles. Nous devons veiller à garantir la diversité et la représentativité de la prise de parole. De même, comment les réseaux de villes doivent-ils accompagner la mondialisation ? Comment s'assurer que ces réseaux restent des traits d'union entre les populations et la gouvernance mondiale ? Cela pose in fine la question des valeurs endossées, des alliances à nouer et nous renvoie à la notion de coalitions, évoquée plus haut. « pour mémoire » Habitat III, un point d'orgue de la diplomatie des collectivités Pour les réseaux de collectivités, Habitat III doit impérativement s'inscrire dans la continuité de l'ensemble des négociations menées au long de l'année 2015. Pour des raisons l n° HS automne 2017 36 actes L'internationalisation des villes, entre action publique intégrée et nouvelle étape dans la production urbaine Nicolas Maisetti, chercheur en science politique associé au Laboratoire Techniques, Territoires et Sociétés (LATTS, UMR 8134 CNRS) Ce texte s'appuie sur une restitution partielle de mon travail de doctorat mené à l'université Paris I entre 2007 et 2012. Cette enquête sociologique explorait la question de l'internationalisation de la ville de Marseille. Mon travail se situe au carrefour de plusieurs disciplines et en premier lieu de la science politique : je m'intéresse d'abord à la question des pouvoirs dans la fabrication de l'action publique locale. Toutefois, en raison de son objet, cette recherche s'est appuyée sur d'autres traditions disciplinaires, à savoir les relations internationales et les études urbaines. C'est à partir des résultats de l'enquête que je propose d'exposer ici une carte des politiques internationales conçues et mises en oeuvre par les collectivités territoriales. Pour chaque catégorie d'action publique, je préciserai le dispositif, son histoire et ses enjeux en termes d'exercice des pouvoirs locaux. La cartographie des actions publiques internationales des gouvernements urbains © Nicolas Maisetti n° HS automne 2017 l « pour mémoire » 37 Le schéma que je vous propose représente certaines des formes possibles de l'internationalisation d'une ville ou d'une région et les dispositifs d'action publique mis en place à cette fin. En abscisse, j'ai représenté un continuum entre une « internationalisation extravertie » et une « internationalisation réceptive ». Par « internationalisation extravertie », j'entends des politiques publiques caractérisées par une projection internationale des ressources locales et régionales. Par « internationalisation réceptive », je décris le contraire, c'est-à-dire l'accueil des dynamiques internationales et l'ensemble des mobilisations locales destinées à obtenir des ressources trouvant leur origine en dehors de l'espace local. En effet, l'internationalisation des collectivités territoriales ne désigne pas uniquement une projection à l'extérieur, mais doit pouvoir également rendre compte de l'accueil des dynamiques internationales : hébergement de sièges d'organisations internationales, accueil d'événements politiques, culturels, sportifs à dimension internationale, etc. Bien entendu, la pertinence de ces axes du graphique peut être soumise à discussion dans la mesure où certaines politiques publiques internationales sont à la fois extraverties et réceptives. Il faut surtout concevoir ce schéma comme un guide de compréhension et non comme un instrument de classification rigide. En ordonnée, je décris un continuum entre une internationalisation de « haute intensité » et une internationalisation de « basse intensité ». Ce vocabulaire fait référence à la sociologie des relations internationales. L'internationalisation de basse intensité renvoie aux actions internationales qui revêtent une dimension symbolique et se traduisent par la mise en scène du pouvoir ou la mise en oeuvre d'instruments de communication politique. L'internationalisation de haute intensité évoque les actions internationales menées pour leurs retombées économiques directes et leurs effets attendus sur la croissance économique locale. évolution par strates laissant une place importante à la simultanéité des pratiques. Je me rappelle d'un entretien avec Bertrand Gallet, directeur général de Cités unies France, qui me disait en substance qu'en matière de coopération décentralisée, tout coexiste avec tout. Il ne sert à rien de dessiner un jardin à la française, où tout serait bien ordonné. Et en effet, au sein d'un même projet peuvent se retrouver à la fois : la démonstration de l'amitié internationale, apparemment propre aux opérations humanitaires et de solidarité ; la formation et l'accompagnement à la maîtrise de certaines compétences (qui n'est donc pas l'apanage des projets d'appui institutionnel) ; des échanges de bonnes pratiques (qui ne se limitent pas à l'inscription dans les réseaux internationaux) ; des projets de coopération économique qui ne concernent plus seulement les échanges nord-nord, mais de plus en plus nord-sud. C'est pourquoi il est vain de conclure à la disparition de formes supposées traditionnelles de la coopération (l'amitié et la solidarité internationale) au profit de formes supposées modernes (le développement économique, les dynamiques partenariales et la quête de la réciprocité). Trois tendances caractérisent l'histoire récente des coopérations décentralisées. Premièrement, nous observons une véritable professionnalisation des pratiques, qui semble aujourd'hui évidente et sur laquelle il n'est pas utile de revenir. Deuxièmement, il faut noter la consolidation du cadre juridique qui a balayé depuis une décennie les dernières incertitudes « pour mémoire » Les actions publiques internationales des gouvernements urbains Les coopérations décentralisées Les « coopérations décentralisées » forment la première de ces catégories d'action publique internationale menées par les gouvernements urbains. Ce sont, historiquement et dans l'imaginaire, les premiers dispositifs d'internationalisation des villes. Elles trouvent leur origine dans les jumelages initiés dans les années 1950. Elles ont beaucoup évolué pour faire aujourd'hui l'objet de coopérations techniques ancrées dans des logiques de projets. Toutefois, plutôt que d'envisager l'évolution de la coopération décentralisée comme une succession d'opérations de solidarité, puis d'opérations d'appui institutionnel, puis de coopérations économiques et ainsi de suite, j'y vois plutôt une l n° HS automne 2017 38 juridiques qui pesaient, en particulier sur la question de « l'intérêt local » des projets internationaux. Troisièmement, nous pouvons constater l'élargissement considérable du système d'acteurs : sur le plan vertical, les collectivités locales ne sont plus seules face à l'État, mais peuvent compter sur l'Union européenne et les organisations internationales non plus seulement comme guichets ou co-financeurs, mais aussi comme espaces d'actions dont elles peuvent contribuer à façonner les orientations politiques. Sur le plan horizontal, les élus et les fonctionnaires ne s'appuient plus seulement sur les experts en développement international, sur des associations qui représentent par exemple des « communautés » issues des migrations, mais de plus en plus sur les entreprises, les milieux d'affaires, voire les chambres de notaires, qui sont enrôlés dans les coopérations décentralisées et invités par les édiles lors de leurs voyages à l'étranger qui déclinent les injonctions de « diplomatie économique » et les transforment en « VRP internationaux » de leur territoire. progressif des pratiques européennes. Les principales villes et les régions ont reçu des financements dans le cadre des politiques régionales. À mesure des élargissements successifs de l'UE, ces fonds destinés au rattrapage des territoires en difficulté se sont raréfiés pour les villes françaises. Pour autant, leurs agents ont acquis une expertise dans le montage des demandes de subventions et des réponses aux appels à projets. Dès lors, elles sont parvenues à financer par l'UE leur politique internationale, en particulier leurs coopérations décentralisées, alors même que les conditions de co-financement du Ministère des affaires étrangères se durcissaient. Autrefois instrument du développement local et régional, l'Europe est ainsi devenue, par professionnalisation des agents, un guichet de financement de l'action internationale des collectivités locales. Cependant, le fait européen s'est peu à peu inscrit dans des routines bureaucratiques et sous la forme d'un savoir-faire local, si bien que l'Europe n'est pas seulement un bailleur, mais constitue un espace d'action locale à part entière. Depuis le milieu des années 2000, avec l'élargissement de l'Union européenne et l'échec du traité constitutionnel, le rapport des collectivités à l'Europe a changé. Les autorités locales et régionales, encouragées par l'État, ont peu à peu pris la mesure que l'UE ne se résumait pas à des financements et que ceux-ci allaient être de plus en plus réduits. Elle est un producteur de normes d'actions publiques et de règlements à appliquer. Pour éviter le contentieux communautaire et les sanctions qui ne manquent de tomber en cas d'entorses à la bonne application, il convient donc d'être présent en amont du calendrier européen, d'avoir une connaissance précise de la complexité des procédures et du circuit des institutions communautaires. Ces transformations institutionnelles ont ainsi invité les collectivités locales à développer un véritable lobbying à Bruxelles mené par des représentants dédiés à ces tâches. Ils passent par des bureaux de représentation, par des associations ou des réseaux, de type AFCCRE (Association française du conseil des communes et régions d'Europe) ou Eurocities, voire par des contacts directs entre les élus et les hauts fonctionnaires européens. L'enjeu est d'identifier et de dialoguer avec des interlocuteurs capables de les orienter vers les opportunités de financement ou les espaces pertinents de la prise de décision. L'enjeu est également de bénéficier d'une reconnaissance de la part des institutions européennes, quitte à court-circuiter (et à agacer) les personnels diplomatiques de l'État, regroupés au sein de la Représentation permanente de la France auprès de l'UE. Les politiques européennes Je voudrais ici évoquer les modalités par lesquelles les collectivités locales se saisissent du système politique européen. Il ne s'agit pas de regarder uniquement les politiques européennes destinées aux collectivités, mais bien d'interroger également la manière dont se traduit la mobilisation des acteurs locaux et régionaux auprès des institutions européennes. Dans les années 1980, les collectivités locales françaises ont fait l'apprentissage n° HS automne 2017 La diplomatie décentralisée La diplomatie décentralisée est une forme de coopération décentralisée, également évoquée dans la littérature par l'expression de « diplomatie des villes » ou de « paradiplomatie », qui désigne les engagements des gouvernements locaux sur des initiatives internationales telles que la résolution des conflits, les négociations climatiques internationales, etc. Mes recherches montrent que la diplomatie décentra- l « pour mémoire » 39 lisée n'a pas balayé les logiques d'État, bien au contraire. Certes, elle a fait évoluer les règles du jeu, en favorisant la reconnaissance internationale des villes et des régions. Cette contribution diplomatique pourrait illustrer à première vue un thème, bien connu de la sociologie des Relations internationales, celui de la « souveraineté perforée » des Etats qui ne sont plus des acteurs unitaires et ne sont plus les seuls protagonistes des échanges mondiaux. Ils sont des acteurs dotés de plusieurs « voix ». Reste à savoir si nous assistons à une cacophonie, à une succession de solos ou à un partage harmonieux des tâches. Mon hypothèse est que sur ce point, la diplomatie décentralisée témoigne d'une recomposition et non d'un retrait des gouvernements centraux. Certes, l'irruption des villes et des régions dans les relations internationales représente un défi dans des activités traditionnellement accaparées par les Etats. Mais au regard de l'articulation de la diplomatie décentralisée avec la politique étrangère d'État, la première apparaît comme partie intégrante de la seconde. À ce titre, la diplomatie décentralisée est saisie par les administrations centrales et locales comme une « enceinte déléguée » de la politique étrangère. Cette situation n'évacue ni les résistances de certains fonctionnaires du Quai d'Orsay, ni le fait que le desserrement de l'État a ouvert un espace juridique et politique pour l'expression potentielle d'une politique étrangère autonome à l'échelle des villes et des régions. La diplomatie décentralisée est un champ de tension propre aux rapports de pouvoir plutôt qu'un facteur « en soi » de situations conflictuelles. Les politiques protocolaires Les politiques protocolaires occupent une place importante dans les agendas des personnels politico-administratifs des collectivités territoriales. Elles illustrent bien l'interpénétration entre les aspects réceptifs et extravertis des politiques internationales ainsi qu'entre les rétributions symboliques et économiques de ces échanges. Parmi les politiques protocolaires, citons d'abord les visites des maires, qui en constituent les manifestations les plus visibles. Sur le modèle de la diplomatie économique du Quai d'Orsay, les maires et présidents de régions emmènent dans leurs déplacements internationaux des acteurs économiques locaux pour promouvoir leurs territoires. Nous retrouvons ici le tournant économique de l'internationalisation des villes et leur coexistence avec des enjeux symboliques puisqu'il s'agit tout autant, au cours de ces voyages, de dynamiser des partenariats techniques, de promouvoir leurs entreprises et de réaffirmer des liens d'amitié tout en apprenant éventuellement des bonnes pratiques. Le deuxième type de politique protocolaire s'incarne dans les « trophées internationaux de la gouvernance urbaine », dont l'expression est empruntée au sociologue Renaud Epstein. Cette démarche de distinction des collectivités est très ancienne et remonte aux années 1950, avec la création du concours des « Villes et villages fleuris ». Aujourd'hui, ces dispositifs se sont multipliés et ont beaucoup évolué. Longtemps cantonnés à la question du tourisme et du patrimoine, ils viennent désormais récompenser la qualité de la gestion territoriale et sont devenus un instrument privilégié de distinction des pouvoirs locaux dans la compétition internationale des territoires. Les politiques d'attractivité La dernière catégorie d'action publique est celle des politiques d'attractivité. Elles soulèvent la question de l'internationalisation des territoires comme une ressource capable de stimuler la croissance économique locale. Cette problématique s'intègre dans la compétition des espaces urbains, en particulier des espaces métropolitains. Sur le plan des politiques publiques, cela se traduit par la multiplication des initiatives de marketing territorial et de city branding et par une mobilisation destinée à favoriser l'implantation des entreprises internationales ou de leurs sièges régionaux. Sur un plan institutionnel, ces ambitions visent à attirer des organismes publics internationaux, comme par exemple des bailleurs de fonds multilatéraux. En conclusion, ce panorama très descriptif de l'internationalisation des villes, considéré sous l'angle d'une sociologie de l'action publique, permet d'envisager une série de dispositifs disparates. Il contribue à la compréhension de la manière dont les pouvoirs s'exercent aujourd'hui et dont le fait international n'est plus un simple contexte, mais un objet et un enjeu de la production urbaine. « pour mémoire » l n° HS automne 2017 40 actes Les associations, actrices de coopération à l'interface de l'action publique et des habitants Xavier de Lannoy, président de la fédération SOLIHA La création de Solidaires pour l'habitat (SOLIHA) résulte de la fusion de deux réseaux d'opérateurs autrefois présents sur les territoires : la fédération des PACT ARIM et la fédération « Habitat et développement ». Le mouvement SOLIHA représente aujourd'hui environ 150 associations et rassemble 3 200 administrateurs et 2 700 salariés. Son objectif est de promouvoir le maintien et l'accès à l'habitat des personnes défavorisées, fragiles et vulnérables, en mobilisant en particulier l'habitat privé. Reconnu comme service social d'intérêt général, SOLIHA incarne une action sur les territoires en partenariat avec les collectivités locales. Georges Cavallier a présidé le mouvement PACT ARIM entre 1999, soit 3 ans après Habitat II, et 2012. Peut-être sa présence à cette conférence et dans le débat d'idées lui avait-elle donné envie d'ouvrir ses horizons d'action, et en particulier de s'investir dans le mouvement associatif et d'apporter sa compétence et son humanité à ce réseau d'acteurs ? Tous ceux qui l'ont connu ont perçu que, derrière sa posture de serviteur de l'État et de l'intérêt général, pointait n° HS automne 2017 le militant, l'homme de conviction qui savait défendre un projet, une idée. Rappelons que Georges Cavallier, en tant que président de la fédération PACT, avait engagé un contentieux avec l'État sur la reconnaissance de la fonction de service social d'intérêt général de l'association. Ce statut constitue pour nous un élément important de la reconnaissance de notre rôle vis-à-vis de l'État et des collectivités locales. Les PACT ARIM à l'international : la diffusion d'un savoirfaire social Le mouvement SOLIHA, dans les années 1980 et 1990, est intervenu de façon très active dans la coopération internationale dans le domaine de l'habitat et du logement. Nous agissons aujourd'hui en France métropolitaine et aussi dans les départements d'outre-mer. En 2016, nous avons créé une association SOLIHA à Mayotte. Nous pouvons contribuer, avec d'autres, à construire des réponses aux grands défis mondiaux de la ville et à tenir les engagements hier pris à Istanbul, et ceux qui demain seront pris à Quito. En tant qu'opérateur présent sur le territoire, nous essayons de mettre en oeuvre le droit au logement et le droit à la ville comme leviers de lutte contre la pauvreté et l'exclusion. Nous pensons que la revitalisation des quartiers, des bourgs et des villes moyennes, constitue un élément de renforcement de la cohésion sociale et de la solidarité sur les territoires. Dès les années 1980, le Mouvement PACT ARIM s'est engagé dans des actions de coopération internationale dans le domaine de l'habitat. Au début des années 1990, avec l'appui des pouvoirs publics, il a structuré une offre de coopération internationale dans le domaine de la réhabilitation des quartiers existants, notamment les centres anciens paupérisés, et la lutte contre l'habitat insalubre. Une cinquantaine de projets de coopération ont ainsi été conduits, impliquant des associations locales du Mouvement, l « pour mémoire » 41 en Amérique latine, au Maghreb et en Afrique de l'Ouest. L'objectif de ces coopérations était, à partir d'un projet pilote, d'appuyer nos partenaires dans la définition et la mise en oeuvre d'une politique de réhabilitation en travaillant particulièrement sur les volets ingénierie sociale, financier et législatif. Dans ce cadre, l'une des principales originalités de l'offre de coopération du mouvement était la réflexion sur la figure d'opérateur de la réhabilitation de quartier, sur sa nécessaire adaptation aux pays ou villes partenaires, et sa position d'interface indispensable entre l'action publique et les habitants. Notre intervention reposait donc sur une logique de réponse à une demande locale et non d'optimisation d'une offre française. Ce mode coopératif implique de s'ouvrir à l'autre, et de prendre en compte ses exigences et ses contraintes. Cela signifie que les modes d'organisation et d'intervention sont par nature multiples et adaptés aux demandes différentes des pays partenaires et aux contextes politiques, économiques et culturels locaux. Cette offre de coopération a permis aux salariés du mouvement impliqués dans ces projets de prendre du recul sur leurs pratiques éprouvées dans un contexte français. Les acteurs concernés ont ainsi pu renouveler leur capacité d'innovation, et penser de nouveaux modes d'intervention en France, face à des situations sociales, économiques et urbaines de plus en plus complexes. « pour mémoire » Remettre les habitants au coeur des projets et des débats Face à ces réalités, les engagements pris à Istanbul semblent encore d'actualité et devront être approfondis à l'occasion d'Habitat III. Trois d'entre eux se révèlent particulièrement structurants aux yeux de notre mouvement, à savoir le droit au logement, le développement durable dans l'habitat, et enfin l'approche participative du projet. Quelles avancées avons-nous connu depuis 1996 ? L'année 2017 verra la célébration des dix ans du droit au logement opposable (DALO), dispositif marquant de la lutte contre l'exclusion. Ceux qui participent à des commissions DALO soulignent combien elles permettent de saisir la réalité de l'habitat d'aujourd'hui. Il faut également évoquer la COP 21 et les actions menées contre la précarité énergétique, qui constitue souvent un élément important de l'insalubrité. La France a pris des engagements très significatifs pour lutter contre ce problème. En revanche, nous avons encore de grands progrès à accomplir sur la question de la participation des habitants. Je pense principalement aux Un immeuble ciblé par des actions de lutte contre l'insalubrité en région parisienne ©Terra/G. Crossay l n° HS automne 2017 42 nouvelles formes de gouvernance forgées au cours de processus participatifs avec les habitants (par exemple au Brésil), à la place de la société civile dans nos fonctionnements démocratiques. Je pense que nous devons donner du poids aux mouvements et mobilisations diverses, souvent portées par les jeunes générations qui exigent une ville solidaire plutôt qu'une ville compétitive, qui s'engagent pour l'insertion des personnes fragiles, qui portent des projets alternatifs d'habitat, de droit à la ville. Nous devons favoriser l'échange autour des innovations, et apprendre des expérimentations mises en oeuvre par des villes dans le monde comme par exemple New Delhi, qui a pris des engagements pour une politique de « zéro expulsion ». Nous souhaitons qu'après Vancouver, qui donnait la place aux Etats, et Istanbul, qui reconnaissait le rôle des collectivités locales, la conférence Habitat III donne entièrement leur place aux habitants. La ville ne se fera jamais sans eux. Quelle parole ces sans-voix auront-ils à Quito ? Pour nous SOLIHA, quelles réponses, quels projets, pouvons-nous plus particulièrement porter à partir de notre histoire, de nos pratiques sur les territoires, et à partir de nos convictions ? Nous sommes porteurs depuis longtemps d'une politique dans le domaine de l'amélioration de l'habitat et de la réhabilitation des quartiers existants, c'est à dire des sites occupés, porteurs d'une culture et d'une tradition. Le développement urbain durable doit prendre d'avantage en compte cette n° HS automne 2017 réalité et cette approche de la ville et des quartiers. En effet, le développement d'une offre de logements à vocation sociale peut aussi se réaliser par la mobilisation d'un parc existant et le renforcement de sa fonction sociale. Il nous semble par ailleurs important de développer la solidarité des territoires, plutôt que leur compétitivité, en réfléchissant sur les stratégies d'alliances possibles pour optimiser les ressources dans le domaine des transports, des filières économiques locales, de l'accueil de populations nouvelles. Il faut également prendre en compte de nouvelles réalités dans le domaine de l'habitat et du logement, avec par exemple la problématique des réfugiés qui touche l'ensemble de la planète. L'observation et l'échange d'idées sur les réalités du développement urbain nous montrent bien que ces défis dépassent largement nos frontières. Ce sont des sujets globaux pour lesquels une réflexion entre peuples, entre pays, à partir des projets concrets, est indispensable. Nous souhaitons que la politique étrangère de la France puisse demain prendre en compte dans ses objectifs de coopération la nécessité de soutenir la création de ces liens humains porteurs de projets et d'expérimentations. L'enjeu est de taille et en vaut la peine. Une prise de conscience mondiale est plus que jamais nécessaire car, pour reprendre une citation de Georges Cavallier, « la ville est le destin du monde ». La «jungle» de Calais, en 2015 ©Nicolas Pinault l « pour mémoire » actes 43 La grande firme et la fabrique urbaine : au singulier ou au pluriel ? Dominique Lorrain, directeur de recherche émérite au CNRS Permettez moi d'abord de remercier le ministère de m'avoir invité à parler d'un sujet qui me tient à coeur depuis longtemps, à savoir la question du rôle des firmes dans la production de la ville. J'ai initié à ce titre un programme autofinancé de « portraits d'entreprise ». Dans la revue Flux, nous avons publié 47 articles sur 114 firmes internationales 1 . Les plus récents concernent les grands conglomérats familiaux d'Asie du sudest engagés dans la fabrique urbaine. Ces derniers travaux s'inscrivent dans le programme de recherche de la « Chaire Ville », soutenu par l'Agence française de développement (AFD), Engie et Suez. Cette expérience montre qu'il est possible de faire de la recherche, d'être indépendant et de coopérer avec les acteurs du marché. Mon propos tient ici en deux points. Premièrement, les grandes firmes jouent depuis longtemps un rôle fondamental dans la fabrique urbaine et en particulier à l'international, en coopération étroite avec les autres acteurs. Deuxièmement, la notion d'entreprise ou de firme constitue une catégorie très générale, dans laquelle nous mettons tout et son contraire, et qu'il convient donc de déconstruire. Il existe des firmes vertueuses, des firmes pirates, des firmes ancrées dans des territoires, des firmes nomades... Elles ne possèdent pas toutes le même business model. Elles n'entretiennent pas le même rapport au politique et aux institutions. Il est préférable d'en avoir une connaissance précise pour ne pas développer des généralités trop vagues. A l'international, il est nécessaire de nouer les bonnes coopérations avec les bons acteurs, ce qui nécessite une connaissance fine de la position et du rôle de chacun. plus, dans un univers concurrentiel et cette mise sous tension les force à progresser. Observons qu'elles diffèrent quelque peu des institutions publiques à l'agenda plus large. Pour ces raisons il n'est pas surprenant de remarquer que des organisations, disposant de ressources, tournées vers quelques buts finissent par s'imposer. Par ailleurs, le monde devient urbain ce qui nécessite de produire des réseaux, des logements et des équipements, et ce phénomène contribue ainsi à la formation d'un vaste marché global. Comme les firmes sont des « organisations orientées marchés », elles ont parfaitement pris conscience de ces évolutions et se sont adaptées C'est une seconde explication à l'émergence des grandes firmes dans la fabrique urbaine. Les Français sont présents à l'international depuis très longtemps. Ainsi à Hong Kong, Dragages et Travaux Le rôle des firmes et les enjeux internationaux Les firmes sont des êtres organisationnels dédiés à un objet social précis. Elles ont des compétences, des ressources humaines, financières et technologiques, et poursuivent des buts précis. Elles évoluent aussi, de plus en Voir http://chaire-ville.enpc.fr/les-portraitsdentreprises « pour mémoire » 1 l n° HS automne 2017 44 Publics, filiale du groupe Bouygues, remporte des succès éclatants. De même c'est au début des années 1980 que Jérôme Monod a déployé Lyonnaise des Eaux (aujourd'hui Suez) dans cette direction aux États-Unis, en Chine et dans le pourtour méditerranéen. Engie est également très présent à l'international, comme le sont Vinci ou Veolia. Dans cette perspective les firmes françaises ont développé des coopérations. Quand elles quittent le microcosme français, elles doivent apprendre « l'autre ». Il suffit de se représenter une société présente à la fois au Chili, en Chine, en Pologne et aux États-Unis pour comprendre qu'un apprentissage est nécessaire pour s'approprier ces différents systèmes politiques et institutionnels, avec leurs règles formelles et leurs codes sociaux informels. Afin de s'adapter à ces environnements parfois si différents, les entreprises coopèrent avec les acteurs locaux. C'est la raison pour laquelle les grandes firmes françaises ont depuis longtemps noué des partenariats avec les collectivités locales du monde entier mais aussi avec des associations, des entreprises locales... Ce travail d'adaptation et de connaissance pourrait être facilité par le fait que des collectivités locales françaises ont également noué des partenariats avec des collectivités étrangères. Ainsi, plutôt que de tenir des discours généraux sur leurs contextes politiques et institutionnels, ces entreprises pourraient promouvoir des démonstrateurs portés en commun avec les collectivités françaises dans n° HS automne 2017 lesquelles ces projets ont été réalisés. Si cette idée fait sens et fonctionne de manière naturelle dans de nombreux pays, force est de constater qu'elle elle progresse lentement en France. Je dirais, de façon politiquement incorrecte, que notre pays est à la fois efficace, en retard et contreproductif. Il est efficace si l'on pense par exemple à une initiative comme Vivapolis qui assure une coordination concrète des acteurs en offrant à l'international une interface unique. A l'inverse, la France est très en retard si l'on pense à la question de l'impossible gouvernance de la région parisienne, qui constitue réellement un mauvais message pour les dirigeants des grandes métropoles émergentes. Du point de vue du maire Chinois, Latino-américain ou Africain ce fonctionnement institutionnel est totalement incompréhensible. Enfin notre système est contre-productif par l'image qu'il donne à voir par certain disfonctionnements récurrents. Nous avons évoqué la ville de Marseille. Qu'est-ce que l'étranger retient en général de la cité phocéenne ? Sont-ce ses démarches de coopération ? N'est-ce pas plutôt ce qui passe à la télévision, y compris sur CNN, à savoir les trafics dans les cités et les règlements de compte sanglants, les rues envahies par des déchets, les grèves à répétition sur les lignes de ferry reliant la ville à la Corse ? Si un pays veut faire de l'international, il doit veiller à renvoyer une image claire sur tous les plans, aussi bien techniques, institutionnels ou imaginaires. Il serait utile de développer chez nous des vitrines qui mieux qu'un long discours assurent notre présence dans les conférences internationales. La meilleure façon pour un représentant de Singapour de vanter les compétences de la Ville-État dans la fabrique urbaine consiste à inviter des représentants étrangers dans sa ville pour leur montrer comment celle-ci fonctionne. Il en va de même pour Shenzhen, Zhuhai, Dubaï et un certain nombre d'autres métropoles. Le meilleur démonstrateur ne consiste pas à parler, mais à faire venir et à laisser observer. La firme, une notion très générale En France, nous trouvons trois familles principales d'entreprises urbaines : grands groupes de réseaux : citons Les EDF, Engie, Suez et Veolia. Installés dans le paysage industriel et institutionnel depuis plus d'un siècle, ce sont des êtres hybrides qui combinent des propriétés d'organisation marchande et des propriétés institutionnelles liées à des enjeux d'intérêt général. Ils sont très régulés, et leur business model porte sur le long terme. grands groupes de BTP, dans Les leur activité de construction, ont un business model sur environ deux ou trois ans. Ils se sont diversifié dans les infrastructures, et certains d'entre eux exercent également dans le domaine du facility management : ils gèrent l'exploitation de certains équipements. Ils combinent donc le court terme et le l « pour mémoire » 45 long terme, tout en étant plus proches des marchés. myriade de PME et de TPE. Ces Une petits promoteurs/constructeurs produisent aussi la ville. Dans différents pays, ils contribuent même à la transformer par des programmes de petite taille dont la somme finit par faire masse. Ce sont des acteurs peu connus, soumis aux aléas de l'économie et donc plus susceptibles de faire faillite ou d'être dépassés par des concurrents, mais leur rôle dans la production urbaine est fondamental. Le mot « firme » recouvre ainsi des catégories complètement différentes. D'un côté, nous trouvons la grande firme « à propriétés institutionnelles » qui existait déjà en 1900 et subsistera en 2050. De l'autre, des sociétés extrêmement volatiles qui montent des opérations et disparaissent parfois immédiatement après. Le rapport à la chose publique, à la responsabilité, à la transparence est donc évidemment profondément différent suivant le type d'entreprise que l'on considère. Par ailleurs, cette variété de formes d'entreprises intervenant dans les villes s'accroît lorsque l'on se projette à l'international. Au-delà de cette typologie sommairement énoncée, j'observe différents phénomènes intéressants. Tout d'abord, mentionnons la montée en puissance de l'industrie de la finance et du conseil. Aujourd'hui, des fonds souverains acquièrent des infrastructures, développent des logements, des centres commerciaux, des integrated resort, etc. Observons également l'implication de fonds de private equity. Ils sont intéressants parce qu'ils appliquent à des problématiques urbaines des instruments provenant des marchés financiers : les couvertures de risques, les taux de retour sur investissement, etc. Nous voici donc dans un monde totalement différent de l'urbanisme opérationnel à la française. Évoquons aussi les compagnies d'ingénierie diversifiée. Ces entreprises font du conseil et pilotent un certain nombre de projets intégrés de BTP. Cette activité est le domaine d'excellence des Anglais et des Américains. En alliance avec l'industrie de la finance, ils développent des projets stratégiques tout autour du monde. Enfin, je voudrais mentionner les grands conglomérats des pays émergents qui, il y a dix ans, n'apparaissaient pas dans les classements internationaux. Ils sont majoritairement issus de l'Asie du sud-est, de Chine, d'Inde, du Brésil. Nos grandes firmes sont spécialisées, régulées, cotées en bourse et non familiales, alors que ces conglomérats sont familiaux, possèdent un grand portefeuille d'activités, tout en assurant des missions de puissance publique. Le rapport entre intérêt privé et intérêt public est complètement différent du nôtre, mais ce système parvient néanmoins à produire des morceaux de ville. Ainsi le groupe Ayala, propriété d'une grande famille des Philippines, a conçu et construit le business district de Manille - Makati ­ et y gère également l'électricité, l'eau, les déchets... Quelques conclusions pour le débat international et la position française Il convient de redonner leur juste place à l'ensemble des protagonistes urbains. A côté de l'État, des collectivités, des ONG, les firmes ont un rôle important à jouer. Elles possèdent des ressources qui doivent être utilisées pour améliorer le fonctionnement des villes. A ce propos, il parait nécessaire de repenser la question de la maîtrise d'ouvrage pour voir quand et comment intégrer certaines firmes aux phases de conception, afin de se poser les bonnes questions, au bon moment, et non en fin de cycle. Il me semble que nous sommes parfois excessivement sévères avec nos entreprises. Le débat public est envahi par le « trop » : les compagnies sont trop grosses, trop puissantes, font trop de profits... Autant de qualificatifs qu'il convient de relativiser par la comparaison internationale. En fait, elles se trouvent en concurrence permanente avec des groupes étrangers, parfois plus importants qu'elles et qui, un jour, pourraient les absorber. La transformation du paysage industriel français depuis les années 1970 démontre que dans des univers concurrentiels rien n'est acquis. La globalisation redistribue les cartes et conforte de nouveaux entrants. Ce qui est codé parfois un peu vite en France comme une « grande » firme correspond à la « bonne taille » dans certaines activités. « pour mémoire » l n° HS automne 2017 46 Pour les années à venir, nous devons garder un certain nombre d'idées à l'esprit. Nous allons indiscutablement vers un mouvement d'urbanisation majeur qui s'opérera essentiellement dans les pays émergents et accroîtra considérablement les marchés urbains. Des réseaux de villes se constitueront et des entreprises se développeront. Il est important de saisir que ces partenariats produisent des mots, des concepts, des notions et des narrative qui permettent de faire circuler des modèles, des bonnes pratiques, des normes techniques, des choix institutionnels, etc. Si la France possède des compétences urbaines, ce que je pense, et souhaite avoir une place dans le concert international, elle doit s'organiser en conséquence. Enfin, la question de la ville de l'économie circulaire est de devenir stratégique. Elle probablement l'un des grands sobre et en train constitue chantiers des vingt à trente prochaines années. Cette problématique pose de nouveaux enjeux en termes de coopération. Pour le dire simplement, l'organisation actuelle relève d'une logique de silo et de spécialisation. Or les solutions de demain supposeront des coopérations intersectorielles, à l'intersection des différents domaines. Nous devons donc réfléchir à nos règles d'appel d'offres et à nos façons d'envisager la maîtrise d'ouvrage. Business district de Makati, Manille ©Themanilaxperience n° HS automne 2017 l « pour mémoire » 47 Débat avec la salle Maryse Brimont Monsieur Lorrain, vous évoquiez l'influence des entreprises en matière d'urbanisation. Dans le Nord, nous connaissons bien cette question. Il me semble que les entreprises du passé ont aussi un impact fort dans la fabrique urbaine, à travers la reconversion de friches industrielles. D'autre part, dans cette session, nous n'avons pas évoqués les entreprise de l'économie sociale et solidaire. Cette économie constitue un pan important de l'activité de la France. Or les acteurs éprouvent des difficultés pour participer pleinement aux politiques publiques d'urbanisme, d'aménagement, d'habitat et de logement. Dans cette période de transition, il me semble que nous défendons l'intérêt général au même titre que les collectivités territoriales. Nous n'appartenons pas au secteur marchand, même si nous sommes des entreprises. Nous nous trouvons à la jonction entre la ville, l'urbanisme, l'habitat, le logement et les habitants. Nous avons beaucoup de mal à nous faire reconnaître cette place. La réalité a montré que le problème n'était pas si simple, que leur approche très « techniciste » ne suffisait pas. Des éléments sociaux et politiques viennent interférer. Pourriez-vous résumer ce qui s'est passé au cours de cette décennie ? Où en sommes-nous de cette ambition annoncée ? Valérie Clerc Monsieur Lorrain, je vous remercie pour votre intervention très stimulante. Vous avez montré la grande diversité des firmes que vous avez étudiées. Sur la fin de votre allocution, vous avez dit qu'elles produisaient un certain nombre de modèles d'action, de narrative, qui font circuler des pratiques. En accord avec la diversité de firmes, existe-t-il plusieurs sortes de normes ou de modèles ? Avez-vous étudié cette problématique, notamment en relation avec les propos de Gustave Massiah sur la marchandisation ou la financiarisation de la ville ? Robert Spizzichino A propos des réseaux transnationaux de villes, l'intervention de Madame Frey n'a pas mentionné la constitution de réseaux engagés. Les grandes métropoles s'organisent pour peser sur des décisions d'État, c'est évident. Mais parallèlement, il existe des réseaux alternatifs de résistance comme le réseau des villes progressistes en Asie, le réseau des villes en transition, le réseau des villes écosocialistes. Il me semble important, à l'occasion d'Habitat III, de mesurer le poids que ces réseaux engagés entendent prendre par rapport aux grandes évolutions internationales. J'observe qu'ils sont souvent régionalisés. Il conviendra de tenir compte de ce phénomène à l'avenir. Anne Querrien J'ai le sentiment que la vision du monde que nous adoptons dans cette salle est semblable à celle que nous développions au moment de Habitat II, avec d'un côté la France et de l'autre le reste du monde, les pays émergents, le sud. Or, durant mes cinq dernières années dans ce ministère, j'ai participé à des coopérations européennes. Il me semble que c'est là l'échelle clef de notre action internationale. Dominique Lorrain a évoqué la ville sobre. Nous avions inscrit cet objectif dans les orientations stratégiques de la Direction générale de la politique régionale et urbaine (DG Regio). Nous avions réuni une trentaine d'experts de tous les pays européens, qui avaient défini une politique de développement intégré. Je m'étais rendu compte que ce que nous considérions en France comme relevant d'une recherche d'avant-garde faisait « pour mémoire » Michel Gérard Il me semble que les géants du web comme Google, Facebook ou encore Apple ne manqueront pas d'être présents d'une quelconque manière à Habitat III. Monsieur Lorrain, quel rôle leur donnez-vous dans le futur ? Dès à présent, ils adressent des propositions assez intéressantes à un certain nombre de villes, leur offrant de résoudre leurs difficultés dans tel ou tel domaine. L'analyse des big data permet sûrement d'obtenir des résultats très intéressants. Patrice Berger Ma question s'adresse à M. Lorrain. Il y a dix ou douze ans, certaines grandes entreprises françaises spécialisées dans le traitement des eaux et la collecte des déchets ont annoncé que, grâce à leur technicité nouvelle et à leur efficacité industrielle, elles allaient résoudre le problème du sous-équipement de certaines villes du sud. l n° HS automne 2017 48 l'objet d'un consensus relativement ancien parmi ces chercheurs. L'Europe existe-t-elle aujourd'hui dans ce domaine de la coopération urbaine ? Nicolas Maisetti avait raison de dire que l'échec du traité constitutionnel fait que nous nous occupons de la production des normes plus que de la construction de politiques vraiment communes. s'agit plutôt d'un demi-échec, qui résulte précisément de la concurrence entre modèles. J'ai été invité à des conférences internationales dans lesquelles j'ai été témoin d'une violence verbale inédite pour moi. Certaines ONG attaquaient un cadre de l'entreprise, homme courtois, polytechnicien et ingénieur des Ponts et chaussées, en le traitant de « capitaliste », parce qu'il refusait soidisant de fournir l'eau aux populations des pays émergents. Ils avaient même créé un site intitulé www.stopsuez.com. Ce projet a échoué parce qu'il s'est trouvé confronté à une violence instrumentalisée. Les acteurs ont ainsi préféré investir ailleurs plutôt que d'agir dans cet environnement hostile. Je vous recommande la lecture d'un rapport de Philippe Marin, disponible sur le site de la Banque mondiale, et portant sur les Partenariats public-privé, ou le numéro spécial 203 de Actes de la recherche, avec Franck Poupeau. Il montre que, même dans le cas où ces projets n'ont pas abouti, le nombre de kilomètres de tuyaux et de foyers connectés a néanmoins augmenté. Son bilan pour Buenos Aires est ainsi plutôt positif. Néanmoins, il est surtout intéressant d'observer ce qui s'est passé depuis. Les prix ont par exemple considérablement augmenté dans la capitale de l'Argentine, mais également à Cochabamba en Bolivie. La lutte contre les firmes n'a donc pas produit d'alternative à la hauteur des défis. Sur le fonds, cet échec s'explique par une autre raison que ni les chercheurs ni les firmes n'avaient discernée. Nous avons tenté de reproduire notre savoirfaire, c'est-à-dire le « grand système technique intégré » : pompage, traitement, transport, distribution. Ce type de démarche peut opérer dans des pays où les lois de propriété sont stabilisées, où il existe un cadastre, etc. Dans les pays émergents où le bidonville ou l'habitat informel domine, cela ne fonctionne pas. Aujourd'hui, les mêmes acteurs, mais également les ONG, l'AFD ou la Banque mondiale réfléchissent à la mise en oeuvre de « systèmes décentralisés » ou de « petits systèmes techniques ». Je suis incapable de vous dire lequel, du modèle historique ou de ce dernier, l'emportera. Ceci-dit, beaucoup se disent par exemple que nous ne parviendrons jamais à engager les travaux d'Haussmann en Afrique. Michel Gérard m'interrogeait sur les géants de l'internet. Effectivement, ces acteurs sont entrés dans le jeu et détiennent un pouvoir considérable. L'important pour eux, le coeur de leur business model, consiste dans l'accès à la data. Si elle leur permet de résoudre des problèmes urbains, ils agiront dans ce domaine. S'ils n'y parviennent pas, peu importe, ils revendront les mêmes data à d'autres acteurs du commerce. Aujourd'hui il existe tout de même un risque, car personne ne cherche à contrôler Google ou Facebook, qui possèdent pourtant un pouvoir important et des moyens financiers considérables. Dominique Lorrain En réponse à Patrice Berger et Valérie Clerc, je dirais que des modèles et des argumentaires semblent s'imposer dans le débat. Les Etats, les grandes ONG, les grandes entreprises et les agences de développement comme la Banque mondiale, contribuent à former une doctrine à l'échelle internationale, mais nous assistons toujours à une compétition dure entre ces différents modèles. C'est pourquoi il est très difficile, comme le suggérait Anne Querrien, d'organiser une réunion à l'échelle européenne afin d'obtenir un consensus. Chacun des pays européens a tendance à vouloir promouvoir son propre système au niveau international. Le modèle d'Europe du Nord reposant sur un acteur public local fort est éloigné du modèle britannique favorable au marché et à la privatisation, mais également du modèle français qui suppose un Etat central solide délégant à des entreprises un certain nombre de missions. Patrice Berger m'interrogeait sur l'échec du programme « Eau pour tous », formule qui était le slogan de Suez il y a quelques années. Il me semble qu'il n° HS automne 2017 Xavier de Lannoy Gustave Massiah a très bien introduit le débat ce matin. Est-ce qu'aujourd'hui l « pour mémoire » 49 le marché fait la ville ? L'Etat peut-il contrôler ce marché et à quel niveau ? Assistons-nous au contraire à une transition nécessaire ? Il me semble que l'économie sociale et solidaire aura toute sa place. Chacun des mots de cette formule est important. Ce modèle implique l'optimisation des ressources locales et la participation des habitants. Dans cette évolution que j'appelle de mes voeux, la place des populations, des alliances, des réseaux engagés, sera primordiale. Nous avons évoqué le C40, l'alliance de ces grandes métropoles qui réunissent 25 % du PIB mondial. Rappelons-nous qu'en parallèle, certains territoires sont en déshérence, y compris en France. Nous devons prendre en compte la problématique de la relation entre la métropolisation et les territoires ruraux. Comment créer des alternatives afin que les ressources des territoires soient mises en synergie dans une optique solidaire ? Nous avons réfléchi à des alliances locales entre des villes riches et des villes moins riches dans le domaine des équipements et des transports. Les entreprises doivent évidemment nous aider à relever ce défi. Nicolas Maisetti Depuis ce matin, j'entends qu'on oppose souvent l'Etat au marché. Des équipes du LATTS travaillent sur la question de la financiarisation de la fabrique urbaine, autour notamment de Ludovic Halbert. Lui et son équipe montrent, et notamment une thèse d'Antoine Guironnet sur l'investissement immobilier et ses effets sur la production urbaine, qu'il n'existe pas vraiment d'opposition entre l'Etat et le marché dans ce domaine. L'Etat est également un acteur de marché qui organise souvent lui-même la dérégulation. M. Spizzichino a évoqué les réseaux transnationaux de villes engagées qui cherchent à peser sur les décisions de l'État. J'avais parlé à ce sujet de « registres dissidents » dans l'internationalisation des villes, compte tenu de leur faible présence en France. Nous en avons vu se manifester au moment de la négociation sur les OGM, où certaines villes notamment en Seine-Saint-Denis s'étaient déclarées OGM free. De même, certaines villes ont refusé de participer aux négociations sur le TAFTA. Cette démarche est en réalité assez ancienne. Elle remonte aux années 1960 ou 1970 aux États-Unis, lorsqu'un certain nombre de villes, accomplissant un geste pionnier pour leur internationalisation, s'étaient déclarées en opposition à la politique étrangère de l'Amérique, notamment sur le nucléaire, et avaient noué des partenariats, entre autre avec des universités du bloc de l'Est. Les réseaux engagés possèdent une longue histoire et pèsent parfois sur les décisions de l'Etat. Astrid Frey L'un des défis pour CGLU consiste à savoir si nous pouvons demeurer dans le système de régulation international actuel. Cette position supposerait d'assumer la philosophie et les principes des Nations Unies, et donc de subir un phénomène d'acculturation. La question est de savoir comment nous pouvons conserver notre indépendance, afin d'être capables de porter des alternatives et de rester innovants, tout en restant ouverts à d'autres mouvements et d'autres réseaux ? Anne Charreyron-Perchet Yves-Laurent Sapoval me demande de préciser que, depuis le traité de Lisbonne, c'est la commission européenne qui négocie aux Nations Unies au nom de tous ses pays membres. Pour Habitat III, la Commission a organisé la concertation entre tous les pays afin de porter une position commune. « pour mémoire » l n° HS automne 2017 50 actes Introduction de l'après-midi Yves Dauge, ancien sénateur, coprésident du Partenariat Français pour la Ville et les Territoires Nous sommes quelques-uns à avoir côtoyé Georges Cavallier. Nous l'avons même plus que côtoyé, nous avons vécu avec lui, assumé avec lui d'importantes responsabilités. Cette haute personnalité du ministère de l'Équipement a profondément marqué son époque. J'ai eu la chance de participer à ce travail, notamment sur la question de la décentralisation : dans les années 1981 à 1984, il figurait avec Christian Vigouroux parmi les artisans de ce vaste chantier. Ces politiques, qui sont globalement positives, nous autorisent aujourd'hui à porter à l'international un discours sur le rôle de l'État et des collectivités locales. Il existait à l'époque une ambition que je cherche parfois aujourd'hui. Le ministère de l'Équipement possédait une force de compétences et de volontés remarquable. Parfois, j'interroge les nouveaux venus qui me confient leur ignorance de Georges Cavallier. C'est pourquoi ce travail de mémoire et de culture est important. C'est aussi de cette manière qu'il est possible d'assurer la continuité des politiques publiques. J'ai entendu avec plaisir le discours d'éloge prononcé ce matin par Alain Lecomte. Avec Evelyne Hardy et André Pollet, vous êtes de ceux qui ont vraiment connu Georges Cavallier. n° HS automne 2017 Vous l'avez accompagné à la Direction de l'urbanisme et des paysages et à la Délégation interministérielle à la ville que nous avions créée ensemble. Nous avons parlé ce matin de la politique de développement social. La politique de la ville, la politique des quartiers et la lutte contre l'exclusion constituent des composantes essentielles de l'expérience française. Soyons fiers de ces acquis et portons les dans le monde! Aujourd'hui la politique de la ville se poursuit bien qu'elle se soit beaucoup transformée. Elle était peutêtre à ses origines davantage animée par le militantisme qu'elle ne l'est aujourd'hui, et moins technocratisée. Aussi convient-il d'être attentif aux procédures qui viennent parfois tuer les visions et les ambitions. leur souhaitons le plus grand succès. Nous avons la chance de compter sur des personnalités comme les leurs pour porter avec une haute responsabilité le message de la France, qui occupe une position exceptionnelle. J'espère que des ministres se rendront à Quito pour porter sa voix. La proposition française s'articule autour de trois thèmes forts, qui ont été présentés ce matin par YvesLaurent Sapoval. Je vous rappelle que la position de la France s'inscrit aussi dans une position européenne. Si nous voulons jouer un rôle dans ce domaine comme dans d'autres, nous devons en passer par l'Europe. Je suis personnellement très sensible à cette dimension. A propos d'Habitat III, j'estime important de réfléchir à ce que nous ferons après la conférence elle-même. Je suis favorable à la création d'alliances, que j'avais encouragées dans l'exercice de mes fonctions au sein de ce ministère. En effet, qu'est-ce que la décentralisation si ce n'est l'alliance entre l'État et les collectivités territoriales ? Elle ne consiste pas à opposer les uns aux autres, à faire agir les uns sans les autres, mais bien le contraire. Dans mon expérience municipale, j'ai toujours également pratiqué l'alliance A Quito, promouvons les alliances territoriales Georges Cavallier a joué un rôle fondamental dans l'animation de la délégation française à la conférence Habitat II. Aujourd'hui, il convient également de saluer le travail de Maryse Gautier et d'Henry de Cazotte qui accomplissent une tâche similaire. Nous l « pour mémoire » 51 avec les grandes villes. En France et ailleurs, je ne conçois pas de politiques de villes moyennes sans alliance concrète avec des métropoles ou des villes capitales plus fortes. Par exemple il peut s'agir dans le domaine de la santé, de l'alliance entre un centre hospitalier universitaire et un hôpital de proximité, avec éventuellement une direction commune. En matière de culture, il en va de même car les grandes métropoles disposent d'équipements considérables, mais souvent trop refermés sur eux-mêmes. Le centre d'art dramatique, le centre de création et d'art contemporain, le grand orchestre, les fonds régionaux d'art contemporain..., toutes ces institutions peuvent passer des conventions avec des réseaux de villes moyennes, avec le soutien de l'État pour catalyser ces alliances. Dans ses textes, Georges Cavallier évoque d'ailleurs les problématiques de structure urbaine et de rééquilibrage des armatures urbaines. Cette réflexion pose la question de la relation entre la métropole, la ville moyenne, la petite ville et le monde rural. Nous devons travailler en réseau ou en chaîne. Nous ne développons pas suffisamment ce thème. En outre, pour bâtir ces alliances - et c'est le point le plus important - une construction intellectuelle, de la matière grise, des compétences sont nécessaires. Nous devons créer des plateformes de partenariat avec les acteurs. Brigitte Bariol-Mathais, ici présente, a ainsi été l'un des piliers de la structuration des agences d'urbanisme, qui vont dans ce sens. Pour changer les politiques urbaines, investissons dans l'intelligence J'aimerais que la France, lorsqu'elle parlera à Quito, formule des propositions concrètes. Elle devrait par exemple investir à l'international, aussi bien en termes de financements que de compétences, afin de créer des plateformes partenariales entre les villes et les États. Celles-ci aideront à développer ce que l'on nomme la maîtrise d'ouvrage publique. Cette problématique rejoint la question de la planification stratégique. Comment la maîtrise d'ouvrage public se construitelle ? Quels sont les types d'investissement nécessaires ? J'aimerais que ces réflexions soit portées à Quito, mais également au-delà de la conférence. Je voudrais ici mentionner mon expérience concernant la ville moyenne de Luang Prabang (Laos). J'y avais créé une plateforme de ce type il y a vingt ans, avec des financements qui provenaient du ministère des Affaires étrangères, de l'Europe et de l'Agence française de développement. Les Japonais et les Allemands nous avaient également aidés. Nous y avons formé des architectes et des urbanistes qui ont travaillé sur le projet global de développement et de préservation de cette ville au patrimoine exceptionnel. Nous avons avec ce projet démontré la possibilité de telles démarches. Qu'est-ce qu'une agence d'urbanisme, sinon une plateforme ? Il est aujourd'hui nécessaire de les ouvrir à d'autres partenaires tels que la société civile, les entreprises et les habitants. Nous ne changerons pas les politiques urbaines sans investir dans l'intelligence et la formation, en révélant également les compétences locales, que trop souvent nous ignorons. Nous devons examiner cette question au retour de Quito, en lien étroit avec la coopération décentralisée, qui représente un atout formidable pour ces démarches. « pour mémoire » l n° HS automne 2017 52 actes Experts, savoirs et savoir-faire de l'urbain à l'international Table ronde animée par Brigitte Bariol-Mathais, déléguée générale de la Fédération nationale des agences d'urbanisme, avec Patrice Berger, directeur de l'international à l'Agence d'urbanisme de Lyon Agnès Deboulet, professeure de sociologie à l'université Paris VIII Vincennes Saint-Denis, Laboratoire LAVUE (UMR 7218 CNRS) Eric Huybrechts, en charge de l'international à l'Institut d'aménagement et d'urbanisme d'Ile-de-France François Noisette, consultant international, Association de professionnels « Villes en développement » Brigitte Bariol-Mathais Cette session vise à croiser les expériences et les savoirs des professionnels, ainsi que leurs apports à Habitat III. Nous souhaitons également examiner quelles sont les démarches qui, depuis Habitat II, ont généré de vrais changements. Nous étudierons ainsi quels sont les savoir-faire disponibles pour mettre en oeuvre le nouvel agenda urbain. Je suis pour ma part déléguée générale de la Fédération nationale des agences d'urbanisme (FNAU). Elle consiste en un réseau de professionnels et d'élus, actuellement présidé par Jean Rottner, le maire de Mulhouse. Nous essayons, en prenant appui sur l'expérience française et internationale des agences n° HS automne 2017 d'urbanisme, de contribuer aux débats internationaux. Nous participons ainsi au Partenariat Français pour la Ville et les Territoires (PFVT) et au Forum urbain mondial. Nous avons également contribué à la COP21, et nous serons au sommet Climate Chance qui aura lieu à Nantes très bientôt. Il est important pour nous de confronter ces pratiques avec d'autres cultures. Ces événements internationaux sont précieux, car ils permettent de partager des pratiques. En janvier 2016, pour contribuer à préparer la conférence Habitat III, nous avons organisé, avec le PFVT, l'Institut d'Aménagement et d'Urbanisme d'Îlede-France (IAU) et la FNAU, l'un des vingt-cinq campus urbains qui se sont tenus dans le monde pour la World Urban Campaign (WUC). Il était consacré à la planification intelligente ou smart planning. Ces échanges ont mobilisé des entreprises, des chercheurs, des professionnels, des élus et des représentants des Etats. A l'occasion de Quito, nous essayons également de lancer l'initiative d'une mise en réseau des agences d'urbanisme au niveau mondial. Nous organiserons ainsi un networking event avec des agences asiatiques, américaines, africaines et des réseaux. Bien sûr, les modes de gouvernance et les statuts de ces agences sont très différents d'un territoire à l'autre. Néanmoins, nous croyons beaucoup à la confrontation des expériences afin de contribuer à la mise en oeuvre des engagements d'Habitat III. l « pour mémoire » 53 Il intéressera également des acteurs internationaux tels qu'UN-Habitat et la Banque mondiale. Rentrons dès à présent dans le vif du sujet. Comment les pratiques ont-elles évolué au cours de ces vingt dernières années pour les professionnels ? Quels sont les défis auxquels nous sommes confrontés pour changer les façons de faire et répondre aux enjeux du Nouvel agenda urbain ? Plusieurs thèmes majeurs étaient présents dans la conférence Habitat II : les quartiers informels, le développement durable, les politiques décentralisées, le renouveau de la planification. Au sujet des quartiers informels, je me tourne vers Agnès Deboulet. Des avancées ont été accomplies depuis Habitat II, que ce soit en termes quantitatifs ou de reconnaissance d'usages. Quels sont les enjeux aujourd'hui dans ce domaine ? and rehabilitation, entre relocalisation et réhabilitation. Il existe en effet au sein de la plupart des pays une oscillation permanente, qui n'a guère changé depuis vingt ans, entre des politiques de réhabilitation in situ et des politiques de déplacement de la population, qu'on appelle « déguerpissement » en Afrique de l'ouest. Ces politiques persistent. Elles se sont paradoxalement renforcées depuis que les villes sont entrées dans le jeu de la compétition internationale. C'est d'ailleurs en particulier sur ce thème que le LAVUE a participé au rapport GOLD (Governance and Local Democracy) qui paraîtra également à Quito, coordonné par la principale association mondiale de collectivités locales, CGLU (Cités et Gouvernements Locaux Unis). Cette tension entre la compétitivité économique et la justice sociale traverse de façon permanente la problématique du maintien sur place et de la transformation qualitative des quartiers précaires. Certains quartiers ont connu des améliorations. Des politiques de réhabilitation plus qualitatives sont intervenues dans des régions où il n'était pas de tradition de s'intéresser à ces problématiques, comme par exemple les pays arabes. Cependant, nous pouvons noter également la persistance concomitante d'une tendance à l'éradication de ces zones et à l'éviction massive de populations souvent parmi les plus fragiles. Depuis vingt ans et la conférence d'Istanbul, les quartiers précaires se sont développés. Ils concentrent à présent jusqu'à 80 % de la population urbaine dans certaines métropoles et se répartissent partout en ville, aux périphéries mais aussi dans des quartiers centraux et « bien gérés ». En conséquence, ils sont considérés comme gênants pour le développement dans les pays émergents ou quasi émergents : ils « empêcheraient » les classes supérieures, mais aussi les nouvelles classes moyennes, de jouir d'un patrimoine ancien et des quartiers les mieux situés. Nous nous trouvons aujourd'hui face à un paradoxe plutôt qu'à un progrès. Nous réalisons des avancées en dents de scie, qui interrogent quant à la capacité des pouvoirs publics à adopter une ligne claire, qui ne soit ni l'éradication, ni l'éviction, mais plutôt la reconnaissance. Je ne parlerai pas en termes techniques. La question du rester sur place, du « faire-quartier », qui se pose dans tous les secteurs précaires, concerne la reconnaissance ou la considération. La question centrale est celle du transfert de compétences juridiques. Il ne s'agit plus de légaliser. Une abondante recherche, avec par exemple les travaux de Alain Durand-Lasserve ou de JeanFrançois Tribillon, a en effet montré que cette démarche ne fonctionne pas. Une sécurisation foncière est nécessaire, corollaire à un processus politique de reconnaissance. Il reste donc beaucoup à faire. Le Nouvel agenda urbain ne renouvelle pas fondamentalement la pensée sur ces quartiers. Au fur et à mesure de la coordination de notre ouvrage, j'ai « pour mémoire » Agnès Deboulet Nous venons d'achever, avec le soutien de l'AFD et avec le laboratoire LAVUE auquel je suis rattachée, un ouvrage intitulé Repenser les quartiers précaires. Il paraîtra à l'occasion de la conférence de Quito et constitue une somme d'écrits rédigés par des chercheurs internationaux. En m'appuyant sur ces travaux, je retiendrais volontiers la formule d'Ananya Roy dans un ouvrage de 2004 sur l'habitat informel qui avait fait date. Elle y évoquait la chorégraphie permanente dans le traitement des quartiers précaires entre resettlement l n° HS automne 2017 54 mobiliser, il est effectivement probable que le nombre de quartiers informels soit doublé d'ici à 2030. Tout le monde s'intéresse à la réhabilitation de ces quartiers, mais personne n'examine la question de l'anticipation. Comment faire la ville avec une production urbanistique qui sera massivement informelle ? On interroge beaucoup les professionnels de l'urbanisme sur la façon dont ils anticipent ce phénomène, mais on s'intéresse peu aux habitants qui, de fait, deviendront demain les acteurs principaux de la fabrique urbaine. Le Nouvel agenda urbain porte beaucoup sur la planification institutionnelle, avec notamment les outils cadastraux, sans poser la question des normes. Or ce sont elles qui génèrent de l'exclusion par la production d'un foncier cher qui bloque l'accès à la ville à une partie importante de la population. En outre, pour être mis en oeuvre correctement, la planification requiert une infrastructure intellectuelle, technique et institutionnelle importante, ce qui n'est pas possible dans tous les pays ni dans toutes les villes du monde. Nous avons donc besoin d'adapter nos méthodes selon les contextes. Dans certains pays et certaines villes, comme Kinshasa par exemple, qui compte 90 à 95 % d'habitat informel, nos modèles de planification conçus en France sont inopérants. Cette problématique de l'informel pose aux urbanistes des questions concernant l'identification des éléments essentiels à appliquer dans la planification, requérant un appui institutionnel et financier. La favela Rocinha de Rio de Janeiro en 1987 ©UN Photo/K McGlynn découvert que les efforts d'amélioration des quartiers précaires restent souvent insignifiants. Cela tient au fait que 40 % de la croissance démographique urbaine mondiale vient de ces quartiers (selon une estimation du forum de Davos), ce taux étant bien sûr plus important dans les villes en très fort développement. Nous parlons de quartiers qui, tous ou presque, doubleront de taille dans les vingt ans à venir. Nous parlons de villes qui se laissent submerger parce qu'elles ne se donnent pas les moyens d'anticiper la présence de pauvres ou de personnes qui n'ont pas accès au logement. Le sujet n'est donc pas celui de la réhabilitation, mais de n° HS automne 2017 l'anticipation, question esquivée par le Nouvel agenda urbain. Brigitte Bariol-Mathais Croisons votre intervention avec le témoignage d'acteurs de terrain. Comment ces enjeux de quartiers précaires peuvent-ils être intégrés à la planification ? Eric Huybrechts Je m'inscris entièrement dans les propos d'Agnès Deboulet. Le taux de croissance des villes informelles s'établit effectivement à 40 %. La croissance urbaine s'accélérant et les moyens, en particulier financiers, étant difficiles à l « pour mémoire » 55 Par exemple, nous avons appliqué le principe de la trame verte, bleue ou grise, dans un certain nombre de villes. Cette structuration est indispensable pour prévenir les inondations, gérer les îlots de chaleur, organiser la circulation urbaine et intégrer la ville formelle et informelle. Si nous n'agissons pas de cette manière, l'urbanisation informelle posera des problèmes considérables lorsqu'elle se massifiera. Or, les bailleurs internationaux, ainsi que nombre d'acteurs français, ne se penchent pas sur cette question. Planifier l'informel suppose aussi de travailler différemment, non seulement sur les aspects techniques et la mise à jour des normes, mais aussi sur la relation avec les institutions et les populations. Les ONG, en collaboration avec les collectivités locales, parviennent à produire des quartiers comptant des milliers de logements adaptés aux formes de l'habitat des populations parce que les projets sont directement négociés avec elles. Il convient de davantage encourager ce type de démarche plutôt que la production de logements sociaux normatifs, le plus souvent inadaptés au mode de vie des gens, comme nous pouvons le constater outre-mer. ne peuvent pas s'inscrire dans des villes respectant les normes internationales. Il convient selon moi de leur fournir du foncier peu ou pas équipé, une trame non assainie, et d'organiser la voirie primaire et secondaire avant que les terrains ne soient occupés. Les maires doivent accepter l'idée que leur foncier ne soit pas forcément rentable. Ils doivent le consacrer à des populations qui ne disposent pas des moyens de se loger, qui procèdent à de l'autoconstruction sans normes, par exemple avec des blocs sanitaires. J'ai eu l'occasion d'évoquer cette question avec des maires du sud comme celui d'Addis-Abeba. Ses responsables y développaient depuis plusieurs années des logements dits sociaux, qui en réalité s'adressaient aux classes moyennes et n'étaient pas accessibles aux populations les plus pauvres, celles comprises dans les trois derniers déciles de revenus. Durant cinquante ans, les bailleurs ne se sont pas intéressés à ce sujet, sauf à l'époque où Robert Mc Namara présidait la Banque Mondiale. Les maires des villes du sud devraient davantage prendre en compte ces problèmes, mais ils considèrent que cette démarche engendre une ville sous-équipée. Cette position est d'autant plus regrettable que ce problème est appelé à prendre une importance considérable. Le Lincoln Institute de Boston a remis à l'ordre du jour les travaux de Michel Arnaud, à savoir l'idée de structurer le développement urbain autour d'une trame, même non équipée, afin que les populations s'y installent, même dans le désordre, mais qu'elles y respectent les emprises. Cette expérience est en cours en Equateur, où elle est portée par Shlomo Angel et Ralf Gaakenheimer. Il est cependant encore difficile de faire reconnaître cette démarche. Elle est pourtant très simple puisqu'elle consiste à « tracer la ville » avant de l'équiper, en mettant de côté la question des normes de construction. Elle ne peut toutefois être menée que si elle s'accompagne de mesures de protection très fortes des espaces naturels à risque. Il convient par exemple d'empêcher les populations de s'installer le long des rivières, en zones inondables, pour les réorienter vers les espaces qui leur sont dévolus. Brigitte Bariol-Mathais François Noisette, n'est-il pas nécessaire, pour mettre en oeuvre le Nouvel agenda urbain pour les quartiers précaires, de travailler sur le droit et sur le financement, notamment auprès des bailleurs internationaux ? Ne convient-il pas de mener une politique urbaine dite soft et non hard, c'est-à-dire tournée vers les populations ? François Noisette Il me semble important de revenir d'abord sur les problèmes de définition. La question des quartiers précaires figurait en bonne place dans l'agenda de la conférence Habitat II. Au début des années 2000, ONU-Habitat avait défini le slum (quartier précaire) comme étant un quartier remplissant au moins l'un des cinq critères suivants : accès à l'eau non assuré, absence d'un système « pour mémoire » Patrice Berger Je me suis confronté pour la première fois à cette question il y a trente-cinq ans, lorsque j'étais assistant technique au Cameroun. Nous réalisions des lotissements municipaux à Yaoundé. Je suis convaincu que 20 à 30 % des populations des pays en développement l n° HS automne 2017 56 Un « quartier précaire » à Madagascar ©François Noisette moderne d'assainissement, matériaux de construction précaires, logements suroccupés, sécurité foncière non garantie. Nul ne s'est hasardé en France à calculer le taux de slums en ville suivant cette définition. Il est certainement encore très élevé, la sur-occupation de logements étant toujours assez répandue. La définition d'ONU-Habitat présente toutefois un inconvénient majeur. Elle conduit par exemple à considérer que 77 % des logements à Madagascar sont situés dans des quartiers précaires. Or les anciennes politiques urbaines ne sont pas en mesure de n° HS automne 2017 mener des actions sur les trois quarts des logements d'un pays, dont la population urbaine est par ailleurs toujours en forte croissance. En conséquence, tous les acteurs, que ce soit les bailleurs de fonds ou les pouvoirs publics, démissionnent. Il faut par ailleurs faire bien attention aux problèmes de vocabulaire, notamment entre les termes de quartiers, précaires, habitat précaire, bidonvilles... Je me souviens avoir vu des maisons dont le revêtement de façade était tout neuf, dont le toit était équipé de panneaux solaires photovoltaïques, et dont la valeur atteignait 150 000 ou 200 000 euros. Elles se trouvaient le long d'un chemin empierré, interdisant l'accès en voiture, mais que les propriétaires auraient eu les moyens de remettre en état. Cependant, comme ces habitants ne disposaient pas de titres de propriété et qu'ils n'avaient aucun espoir d'en obtenir un, ces maisons étaient considérées comme relevant de l'habitat précaire. Faute d'opérer des distinctions précises, aucune avancée n'est possible. Le cas du Maroc est intéressant. Il a mis en oeuvre le programme « Villes l « pour mémoire » 57 sans bidonvilles » en appliquant une définition très sélective. Elle est sûrement critiquable. Quoi qu'il en soit, ses responsables ont résorbé la moitié de ces quartiers pauvres en une décennie et peuvent espérer en être débarrassés dans dix ans. Leur objectif consistait à faire disparaître les quartiers très précaires, similaires par exemple à notre « jungle de Calais ». Il existe bien sûr d'autres espaces qui pourraient rentrer dans la définition du bidonville mais les Marocains ont choisi de se Un « quartier précaire » à Oulan Bator ©Eric Huybrecht concentrer sur ce sujet dans un premier temps et de traiter ultérieurement les autres problèmes d'habitat. Brigitte Bariol-Mathais La conférence Habitat II a permis la reconnaissance des enjeux de développement durable dans l'aménagement des villes. L'Agenda 21 et les approches intégrées sont devenus des marqueurs forts des politiques urbaines, notamment en Europe. Quelles avancées réelles avezvous constaté depuis cette époque ? Les engagements climatiques n'ont-ils pas modifié la donne, ouvrant de nouvelles opportunités, mais donnant une orientation très particulière aux politiques urbaines ? Depuis, nous avons également assisté à l'émergence de la smart city et de la notion de territoire intelligent. Ces avancées techniques offrent sans doute des possibilités considérables, mais présentent également un risque de « dérive techniciste » ou de green washing. « pour mémoire » l n° HS automne 2017 58 Eric Huybrechts En 1996, nous développions les transports à Beyrouth en construisant des tunnels et des ponts. Aujourd'hui, nous essayons, comme à Paris, de transformer les autoroutes urbaines en espaces publics piétonniers. Nous avons complètement inversé notre façon de concevoir la ville. Nous cherchions à l'époque à développer une cité plus mobile, tandis que nous cherchons désormais à la rendre plus compacte, plus intense. La conception même de la planification urbaine s'est ainsi complètement retournée en vingt ans. La raison principale de cette évolution tient selon moi à la prise en compte du développement durable et du changement climatique. créer de l'emploi dans les villes du sud. Les objectifs de développement durable (ODD) et la lutte contre le changement climatique les ont désormais amenés à considérer le transport en commun comme un sujet vertueux. Enfin, la coopération sur ce sujet peut présenter un intérêt pour l'ingénierie française. Toutefois, il me semble que cette démarche connaît plusieurs limites. Le discours est le même pour toutes les villes alors que les situations sont très différentes. Les objectifs des projets de coopération sont fondés sur des valeurs occidentales que les villes du sud ne partagent pas nécessairement. De plus, nos partenaires du sud continuent de développer des approches en silos, comme nous procédions en France il y a trente ans. Les modèles occidentaux ne sont par ailleurs pas les seuls à exister, et des phénomènes de concurrence se développent. Il existe de plus en plus de modèles de modernité qui fascinent certains décideurs du sud, comme par exemple Dubaï, Singapour... Ils peuvent cependant s'avérer parfois préjudiciables, car d'une part certains d'entre eux véhiculent une image à contre-courant des objectifs cités dans les conférences Habitat II et Habitat III, et d'autre part ils ne sont pas nécessairement plus adaptés à la réalité des villes en développement que les modèles occidentaux. François Noisette La question du « modèle urbain » constitue en fait un mauvais sujet. Le discours international, en particulier celui du développement durable, se transpose très bien dans les discours locaux qui s'en revendiquent. La vraie difficulté consiste dans la concrétisation de ces intentions. Cette étape est très compliquée. Par exemple, imaginons une ville où il existe une ligne de bus aménagée, et dans laquelle nous voulons en construire quarante-neuf autres. Nous montons un projet de 70 millions de dollars auprès de la Banque mondiale et n'obtenons jamais le financement. Le problème est ainsi de savoir comment industrialiser rapidement une bonne idée avec l'aide de partenaires locaux. Il est par exemple difficile d'expliquer à un maire du sud qu'il doit accepter l'installation de panneaux solaires photovoltaïques dans un quartier desservi par le réseau électrique. Ce type de contradiction est difficile à résoudre. Notre conception du développement durable se révèle par ailleurs très sophistiquée. Nos partenaires ont visité nos villes, entendu le discours de responsables comme par exemple le maire de Hambourg, et veulent bénéficier des mêmes équipements, que nous cherchons à leur vendre, comme des bus articulés. L'adaptation au terrain pose beaucoup de questions. Patrice Berger Je ne partage pas entièrement ce point de vue. Nous opérons dans des villes subsahariennes et asiatiques qui ne tiennent pas le même discours. L'échangeur d'autoroute en plein centre-ville y demeure un symbole de modernité. Je reste dubitatif face aux objectifs des conférences Habitat II et Habitat III, car ils sont trop nombreux et décrivent une sorte de ville idéale, assez éloignée des réalités des agglomérations du sud. En revanche, nous amorçons une transition positive en faveur du développement des transports en commun, liée notamment à une réelle volonté des maires du sud de lutter contre la congestion des villes. De plus, les bailleurs ont évolué sur le sujet. Il y a dix ans, la Banque mondiale promouvait le transport artisanal pour n° HS automne 2017 Agnès Deboulet Brigitte Bariol-Mathais François Noisette et Agnès Deboulet, partagez-vous ce constat sur la confrontation des modèles ? La question du développement durable nous concerne également. Je suis persuadée que la France est loin d'être vertueuse en ce domaine. l « pour mémoire » 59 Les quartiers précaires, souvent très denses, ne sont pas parmi les principaux émetteurs de gaz à effet de serre. En revanche, ils sont particulièrement touchés par le dérèglement climatique. Les quartiers où il n'existe pas d'infrastructures pour absorber les inondations et faire face à des climats extrêmes sont les plus vulnérables. Ceci renforce les difficultés environnementales voire sanitaires. Dans certains quartiers densément peuplés comme au Caire, la question des ordures ménagères ne se posait pas il y a vingt ans. Aujourd'hui, dans des espaces qui comptent 1 500 habitants à l'hectare, ce sujet est devenu central, en particulier dans les « quartiers d'invasion », c'est-à-dire de squat, d'occupation sauvage de terrains gouvernementaux. Comment gérerons-nous cette question des déchets et du recyclage dans dix ans ? Si nous menions un travail de fond avec les associations d'habitants, je suis persuadée qu'ils comprendraient l'intérêt du recyclage et de la biomasse, qui constitue une source d'énergie bon marché. Néanmoins, je suis d'accord sur le fait qu'il existe des décalages de modèles ahurissants, mais essentiellement au niveau des décideurs et des modes de gestion. suffisamment les contextualiser. Je vous propose, avant de poursuivre, de répondre à quelques questions de la salle. Michel Gérard J'ai beaucoup apprécié les propos de Patrice Berger, d'autant que je connais bien les expériences auxquelles il faisait référence. Le principal sujet de la conférence Habitat I en 1976 concernait les extensions urbaines et l'habitat informel. Le Secrétariat des Missions de l'Urbanisme et de l'Habitat que je dirigeais à l'époque, qui était le bras séculier de la France pour les politiques de développement en termes d'habitat, Brigitte Bariol-Mathais Si je résume vos positions, vous considérez que nous avons trop tendance à appliquer des modèles sans Vue de Dhaka, avec à gauche Karial, un des « quartiers précaires » de la ville. ©UN photo/Kibae Park « pour mémoire » l n° HS automne 2017 60 avait créé un audiovisuel intitulé « Le pouvoir de l'image ». Nous montrions comment il était facile de se laisser séduire par des schémas inadaptés aux contextes. Il est vraiment difficile de persuader des dirigeants de ne pas reproduire ce qu'ils voient dans d'autres pays. Dans les années 1970 et 1980, les trames assainies connaissaient un certain succès, sous la houlette de la Banque mondiale et à la suite de l'expérience de Pikine à Dakar. Mais comme nous produisions des terrains assainis, ils intéressaient un certain nombre de riches locaux qui tentaient de les racheter aux pauvres, malgré le contrôle de la Banque mondiale. Nous nous sommes alors encombrés de ce schéma et de normes internationales trop élevées au lieu de produire vite et bien pour satisfaire la demande locale et anticiper l'extension urbaine. Si cette condition n'est pas remplie, l'opération est évidemment vouée à l'échec. Dans ces années-là, j'avais connu le maire de Ngaoundéré, au Cameroun, qui menait de lui-même, sans jamais avoir assisté à aucun colloque comme celui d'aujourd'hui, une politique de cette nature. accueillent actuellement 80 % des habitants de l'agglomération. Nous nous sommes rendu compte que cette tâche était impossible, car pour 500 000 habitants que nous parviendrions à prendre en charge, nous devrions faire face à l'arrivée d'autant de personnes nouvelles dans ces quartiers chaque année. D'autre part, j'ai observé que ce colloque insistait particulièrement sur le droit au logement. Il me semble que le coeur de la problématique concerne davantage l'accès à l'éducation et au travail. droit « intermédiaire », c'est-à-dire une hybridation entre le droit coutumier et un droit romain importé des pays occidentaux, à l'initiative des dirigeants ou des populations. Nous avons pu montrer l'efficacité de cette démarche. Nous avons également mis en évidence que « l'informel » était en réalité profondément organisé. Or, qualifier un habitat d'« informel » revient précisément à nier tout le fond culturel, qui est fait de singularité et de diversification. Lorsque nous appréhendons une réalité sans en connaître le contexte, nous la qualifions d'informelle. Cette approche a donné lieu à de nombreux groupes de travail. Cinq ans après Istanbul, nous avons publié une déclaration « Habitat II+5 », à l'occasion du sommet du même nom à New York, qui reprenait tous ces résultats. Pour Habitat III, j'aimerais que nous essayions de refaire le même exercice. J'espère que cette conférence nous donnera l'occasion, comme Yves Dauge l'appelait de ses voeux, de revenir sur la notion de transfert de modèles. Nous savons pertinemment que lorsque nous adaptons nos propres schémas à une situation dont nous ignorons le contexte, nous aboutissons à des échecs. François Noisette l'a très bien rappelé. Annik Osmont J'ai exercé une activité d'enseignement et de recherche, et je profite de la retraite pour prendre du recul par rapport aux événements du passé. Je ne pense pas tant à la conférence Habitat I, au moment de laquelle j'étais un peu jeune, mais plutôt à Habitat II et bientôt Habitat III. Dans les années 1980, la recherche urbaine en faveur du développement s'est remarquablement développée. Elle a produit beaucoup de connaissances et de savoirs, pour faire référence au titre de la table ronde. Ce n'est donc pas un hasard si, à l'occasion de la conférence Habitat II, nous avons assisté à une rencontre exceptionnelle entre les chercheurs, les décideurs et le mouvement associatif. Ces acteurs se sont retrouvés autour de thèmes touchant en particulier à la gestion foncière. Nous y avons fait émerger la notion de droit coutumier, très répandu dans les pays du Sud, et de Zofia Mlocek Au cours de ces trois dernières années, j'ai travaillé avec l'université de Lisbonne à l'élaboration d'un plan de développement à l'horizon 2030 pour la ville de Luanda en Angola. Une bonne partie de ce plan concerne la réhabilitation de bidonvilles, qui n° HS automne 2017 François Noisette Nous ne travaillons pas suffisamment sur l'économie du logement et de la ville au regard des capacités des pays et des ménages. Nous nourrissons l'illusion qu'il suffit d'offrir aux populations un l « pour mémoire » 61 logement aux normes, en ne comptant pas plus de deux enfants par pièce, etc. Nous oublions complètement qu'un grand logement coûte cher à entretenir, et qu'il ne constitue souvent pas la priorité d'un ménage. Je ne nie pas le droit au logement ou le droit à la ville, mais j'estime qu'il convient de les replacer dans leur contexte. Quelles sont les priorités du droit à la ville ? Vaut-il mieux disposer d'une école de proximité pour les enfants ou d'un vaste logement, d'un transport en commun fonctionnel ou de bâtiments résilients aux intempéries ? Ces questions politiques sont très difficiles. Même en Europe, le budget municipal ne permet pas de tout traiter tous les ans. Même avec des aides internationales, nous ne pourrons pas tout réaliser, ne serait-ce que parce que les coûts de fonctionnement de la ville « améliorée » sont très élevés. A l'inverse, les villes précaires, que les populations se sont fabriquées, sont plus adaptées à leurs moyens. Cela ne signifie pas qu'il ne faut rien faire. L'accès à l'école et la sécurisation constituent selon moi de véritables priorités. Le problème est également de savoir comment discuter avec les populations. Dans un certain nombre de pays, la culture démocratique et la concertation des populations les plus pauvres ne sont pas encore à la mode. discussion. Pour cela je suggère de croiser les enjeux de décentralisation des politiques urbaines avec ceux de renouveau de la planification urbaine. La conférence Habitat II insistait pour que les villes et les collectivités locales soient actrices à part entière du développement urbain. Beaucoup de travail a été fait mais il reste néanmoins un long chemin à parcourir. Pour que les collectivités soient partout aptes à conduire des politiques urbaines, elles doivent disposer de ressources financières et de capacités de régulation. La France avait porté dans les débats du Forum urbain mondial la notion de maîtrise d'ouvrage publique urbaine, à laquelle Yves Dauge a fait référence. Elle reste difficile à partager, ne serait-ce que parce qu'elle est compliquée à traduire en anglais. De plus, par rapport à d'autres modèles basé sur la privatisation ou la financiarisation, beaucoup de collectivités ne disposent pas des moyens de conduire de telles politiques. En parallèle, nous sentons bien dans les agences d'urbanisme, dans les débats internationaux et dans les réseaux, un renouveau de la planification urbaine et territoriale. ONU-Habitat y a consacré des guidelines et la présente comme un outil de régulation et un médium pour associer les acteurs. Nous voudrions connaître vos témoignages sur ces enjeux. Comment renforcer les capacités des collectivités locales ? Quel rôle la planification stratégique peut-elle jouer pour répondre aux défis de la conférence Habitat III ? Patrice Berger Les capacités des collectivités locales sont extrêmement contrastées selon les situations. J'ai assisté à l'évolution des corps techniques de Hô chi minh ville, avec des budgets et des moyens de plus en plus adaptés. C'était en cela très différent de l'évolution des corps techniques des villes subsahariennes. Le vrai problème des villes en développement, que nous avions déjà étudié il y a trente ans et que nous réexaminons aujourd'hui, est celui de la fiscalité. Les villes africaines sont bien plus pauvres que leurs habitants. J'emprunte cette formule à Michel Arnaud. Si une fiscalité sérieuse était appliquée aux populations africaines, les agglomérations disposeraient d'un budget trois à dix fois supérieur. Il y a cependant des situations intéressantes, comme par exemple au Burkina Faso. Simon Compaoré, qui a été maire de Ouagadougou pendant plus de quinze ans, est maintenant ministre de l'intérieur. Il est désormais en capacité de faire évoluer la fiscalité, pour donner des recettes à l'agglomération et la doter de corps techniques plus complets et pérennes. J'aimerais que d'autres responsables s'inspirent de cet exemple. Concernant la planification, le véritable problème consiste, comme cela a été dit ce matin, à structurer les périphéries. Il existera toujours des personnes pour s'occuper des centres-villes. L'association ADP « Villes en développement » avait d'ailleurs consacré sa journée d'étude à ce sujet l'an dernier. La multipolarité est un beau sujet auquel l'AFD commence à s'intéresser. Elle dis« pour mémoire » Brigitte Bariol-Mathais Je vous propose maintenant d'aborder le troisième et dernier point de notre l n° HS automne 2017 62 pose d'un programme de cette nature pour Ouagadougou. Il faut ici évoquer l'action internationale des agences françaises d'urbanisme. Au cours des quinze dernières années, dixneuf de ces agences sont intervenues dans soixante villes dans le monde. Leurs missions se concentrent autour de la planification, des transports, du patrimoine, de la gouvernance, de l'environnement. Les régions concernées correspondent aux zones d'influence historiques de la France : le Maghreb, l'Afrique de l'ouest et l'Asie du sud-est. Toutefois, nous trouvons également des interventions dans des « BRIC », à savoir la Chine, le Brésil, la Russie, l'Inde. Même si leur action est limitée, ces agences ont néanmoins accumulé différentes expériences dans le monde entier. Le sujet du transport et de l'urbanisme est actuellement une priorité. Il répond à la demande des villes du sud, à la volonté des bailleurs de respecter les Objectifs du développement durable de l'ONU et les engagements climatiques, et enfin aux voeux des habitants. Le contexte est donc favorable. Pour nos agences, l'actualité de cette problématique constitue l'occasion d'expliquer, par exemple, à nos partenaires du sud la nécessité de structurer leurs villes en se fondant sur des schémas de transports en commun lourds ou semi-lourds (Bus à haut niveau de service). Le transport en commun, qu'il soit en site propre, qu'il consiste en un tramway ou en un métro aérien, constitue l'occasion de structurer une ville. Il nous permet de développer auprès de nos partenaires notre conception de l'espace public, le partage de la voirie ou le projet urbain autour de grandes stations. Il constitue donc un vecteur de transformation des villes qui répond à tous les objectifs, notamment ceux des conférences Habitat II et Habitat III. Ce sujet « transport et urbanisme » constitue à présent le tiers ou la moitié des demandes des villes du sud. Ces sollicitations viennent parfois également de l'AFD, de la CODATU (l'Association de coopération pour le développement et l'amélioration des transports urbains et périurbains) ou de l'autorité de transport de Lyon. L'agence d'urbanisme de l'aire métropolitaine lyonnaise est intervenue sur de nombreux sites, soit en coopération décentralisée, soit en contrat avec la Banque mondiale et l'AFD. Par exemple, avec l'appui de l'AFD, l'agence travaille avec la ville de Bamako où il est nécessaire de développer plusieurs centres secondaires en termes d'espaces publics et d'équipements. Le principal problème de Bamako tient au fait que le centre est concentré sur une seule rive. Il est nécessaire de décongestionner le centre-ville et de structurer la périphérie de cette agglomération qui comptera un jour 5 à 6 millions d'habitants. Addis-Abeba dispose quant à elle d'une géographie exceptionnelle qui peut lui permettre de développer une métropole de 12 millions d'habitants selon un plan en étoile de mer, alternant des corridors de transports en commun lourds et des corridors verts récréatifs et agricoles. © Agence d'urbanisme de Lyon n° HS automne 2017 l « pour mémoire » 63 En Inde, un métro est en construction à Kochi, capitale économique du Kerala. Nous leur proposons de développer l'espace public pour les piétons en dessous du métro aérien. Cette démarche de pensée n'est pas du tout évidente pour eux, même lorsque nous prévoyons des entrées charretières pour les commerçants. le plus souvent gérées directement par l'Etat central. Le fait même que le maire soit élu démocratiquement n'est pas acquis dans bon nombre de pays, à commencer par la Chine, qui exerce une influence certaine dans le monde, et se montre très réticente à l'idée de faire élire ses maires. Pour revenir à la question posée, attardons nous sur le premier terme, la « planification ». Le concernant, il convient d'être conscient d'un malentendu. En France nous traduisons l'expression master plan par deux notions assez différentes : la planification stratégique et le plan masse. La planification stratégique correspond à la culture que nous partageons globalement en France et que nous utilisons souvent dans nos activités internationales, avec les notions de vision partagée, de concertation... Cependant, il existe dans le monde d'autres écoles de pensée, comme l'urban design anglo-saxon, porté en particulier par de grandes agences australiennes, qui proposent et produisent des schémas directeurs qui ne sont absolument pas semblables aux nôtres. Il s'agit de grands plans de composition pour accueillir de grands projets d'investissement privé. Or cette solution fonctionne, car elle répond aux attentes de grands investisseurs privés. Le deuxième terme de la question posée est celui de « participation ». Là encore, nous nous formons une certaine idée de la participation centrée sur l'implication des populations. Toutefois, autour d'un schéma directeur, il existe d'autres formes de participation, difficiles à appréhender pour un intervenant étranger, souvent plus occultes et confidentielles, comme par exemple les négociations avec les propriétaires fonciers, avec les opérateurs économiques, avec les autres ministères, etc. Par exemple, lors d'un projet à Alexandrie, le ministère des Affaires étrangères égyptien insistait beaucoup pour que nous assistions à une réunion officiellement dédiée à la sécurité de notre mission de consultants. En fait, elle devait permettre aux ministères régaliens - le ministère de la défense en tête - de se prononcer sur nos termes de référence et de valider ou non notre proposition. Brigitte Bariol-Mathais Depuis Habitat II, nous sommes passés d'un urbanisme technique à un urbanisme d'acteur. Comment dès lors mettre en oeuvre une planification participative ? François Noisette Il est utile d'aborder cette question en interrogeant les évolutions qui ont marqué la figure du responsable municipal. Les maires ont désormais une véritable visibilité mondiale. Ils sont en ce moment un peu plus de trois cents à faire campagne, avec des moyens très conséquents, pour l'élection du président de CGLU. Il y a donc bien là un fort enjeu de pouvoir. Les deux candidats, le maire de Johannesburg, Parks Tau, et le maire de Kazan, Ilsur Metshin, développent des visions extrêmement différentes sur un certain nombre de sujets, et les débats se révèlent particulièrement houleux. Il existe également des cas intéressants dans des territoires ruraux. Faute d'encadrement et de moyens, de vraies capacités de gouvernance locale émergent dans différents pays du monde. Par contre, une part importante des collectivités de la planète n'ont pas de réelle autonomie politique, et sont Brigitte Bariol-Mathais De votre point de vue, Agnès Deboulet, comment peut-on construire une concertation vraiment participative, qui mobilise également les acteurs du projet et les habitants, en particulier ceux des quartiers précaires ? Agnès Deboulet Prenons le cas de la rénovation urbaine en France. Nous pouvons déjà reconnaître que le bilan des programmes n'est pas exemplaire. A titre d'exemple, des protocoles de configuration devaient être signés avec les conseils citoyens dans les quartiers en rénovation urbaine, pour établir des chartes de co-construction du projet urbain avec les habitants. Or, les citoyens ignorent systématiquement ce que sont ces protocoles, qui sont le plus souvent déjà signés quand les projets commencent. « pour mémoire » l n° HS automne 2017 64 Il existe à l'international des exemples intéressants que nous connaissons assez mal en France, et qui pourraient nous inspirer. Par exemple, il y a en Thaïlande un organisme ministériel qui a repris un programme de participation communautaire dans des bidonvilles et de soutien à l'épargne solidaire. Il est maintenant présent dans plus de mille quartiers dans lesquels de la réhabilitation participative a été développée à partir des communautés de base. En fait, l'essentiel du problème réside dans le soutien aux acteurs de base. Monsieur Sapoval disait ce matin que nous avions peur en France des communautés, du communautarisme. Peut-être est-ce l'une des raisons de la frilosité de notre pays vis-à-vis des démarches participatives. L'organisation communautaire constitue souvent l'une des forces des quartiers précaires. Or, en tant que puissance publique, qu'il s'agisse de l'autorité locale ou d'intervenants internationaux, il faut savoir trouver ces responsables, prendre langue avec eux, pour démultiplier les capacités d'agir. Nous devrions davantage étudier le travail de personnes comme Somsook Boonyabancha, qui a conçu cette organisation avec le ministère thaïlandais de la Ville. Il existe des exemples comparables dans toute l'Asie. Les mouvements sociaux ont toujours existé, notamment au travers d'organisations d'habitants très structurées au plan mondial. Slum Dwellers International (SDI) est par exemple présent dans quarante pays. Depuis vingt ans, ils se sont organisés et portent des revendications n° HS automne 2017 plus fortes. Le droit à la ville doit passer par eux. Eric Huybrechts La planification pose problème dans un certain nombre de pays puisque la ville planifiée produit mécaniquement des bidonvilles. Ce phénomène dénote une mauvaise allocation des ressources financières gérées par le marché. Je pense que la planification n'est pas en mesure de réguler ce type de phénomène, ou alors à la marge. Il serait plus judicieux de s'intéresser à la question de la fiscalité. La participation pose également des questions en termes de planification. Pour concevoir la ville à horizon de quinze ou vingt ans, avec qui devrions-nous organiser la concertation ? Les principaux concernés sont souvent les propriétaires fonciers, qui ne sont pas nécessairement intéressés par l'avenir de l'agglomération. J'observe que la situation en termes de participation est très différente suivant les pays. En 2006, l'Inde a inscrit dans la loi l'obligation de mettre sur internet toutes les décisions et tous les rapports administratifs dans les trente jours suivant leur adoption. Ce système d'une grande transparence fait frémir les autorités et les contraint à être très prudentes lorsqu'elles publient un document. Pour autant, les débats publics sont souvent extrêmement houleux, comme nous avons pu le constater à Mumbai. Ces projets urbains font éclater les contradictions, par exemple entre les habitants de Bollywood et ceux des bidonvilles. Avec l'accès à l'information instantanée, la nature du débat public change à tra- vers le monde, et pas seulement dans les pays développés. Cette réalité oblige à revoir le mode de préparation des projets. Il est nécessaire de beaucoup plus informer et d'intégrer davantage d'acteurs de la société civile. La concertation doit être beaucoup plus ouverte, et dans l'idéal cela devrait être aussi le cas du processus de décision. On peut regretter que la question de la ville numérique et de ses effets sur la transformation de la fabrique urbaine soit aussi peu prise en compte dans le Nouvel agenda urbain. l « pour mémoire » actes 65 La ville dans les politiques de coopération internationale Session introduite et animée par Anne Odic, cheffe de la Division collectivités locales et développement urbain, Agence française de développement (AFD) Je propose de présenter en guise d'introduction le regard que porte l'AFD, opérateur pivot de la coopération française, sur les enjeux internationaux du développement urbain, en particulier dans la perspective d'Habitat III. Compte tenu de l'ampleur de la croissance urbaine, l'enjeu pour l'agence consiste à accompagner la transition des territoires urbains vers davantage de sobriété, de durabilité et d'inclusion. Si cet objectif peut sembler ambitieux, nous avons constaté cependant dans bon nombre de villes qu'il est réalisable. Le maire de Johannesburg, par exemple, prend en main l'évolution de son territoire, aussi morcelé soit-il, pour le conduire vers plus de durabilité. Notre rôle consiste alors à assister les responsables politiques dans cette tâche. Nous portons une attention particulière aux villes secondaires et moyennes. En Afrique comme en Asie, elles accueilleront l'essentiel de la croissance urbaine dans les prochaines années. Elles n'ont parfois pas encore adopté de parti pris en matière d'urbanisme. En les accompagnant dès à présent de manière rapprochée, nous éviterons peut-être que la montée des fractures urbaines et l'étalement anarchique ne s'amplifient. Nous voulons également les aider à changer d'échelle en matière de capacité d'action et de prise de responsabilité. Aujourd'hui, de nombreuses villes sont en mesure de gérer des projets urbains. L'enjeu est alors de les aider à se projeter sur les vingt à quarante prochaines années, en mettant en place une planification stratégique, une gestion financière adaptée, et une programmation des investissements selon leurs capacités. Les spécificités de l'AFD sur le secteur urbain Trois grands éléments structurent notre intervention. Tout d'abord, le territoire constitue pour nous l'échelle d'intervention pertinente dans le domaine urbain. Quel que soit le projet, nous tentons d'adopter une vision transversale et transsectorielle. Cette démarche n'est pas toujours aisée, car nos partenaires ne partagent pas nécessairement cette approche et restent organisés de façon sectorielle. Nous sommes ainsi intervenus dans l'état de Rio de Janeiro, avec l'IAU Ile-de-France, pour aider ses responsables à réaliser une véritable planification stratégique, connectant mobilité et développement urbain. Autre grand principe d'intervention, nous plaçons les acteurs locaux au coeur des « pour mémoire » l n° HS automne 2017 66 échanges et projets de développement urbain. Nous sommes quasiment le seul bailleur à pouvoir consentir des prêts directs aux collectivités locales des pays en développement, ce qui facilite les échanges rapprochés avec la collectivité, quel que soit le niveau de décentralisation du pays. C'est pour nous un gage d'efficacité car les maires sont les acteurs qui connaissent le mieux les besoins de leurs habitants. Enfin, notre approche est pragmatique. Dans certains pays très centralisés, il est évident que nous ne pouvons pas consentir de prêts directs aux collectivités locales. Nos interlocuteurs sont alors l'État ou une agence urbaine. Même dans ce cas, nous estimons que nous devons parvenir à dialoguer directement avec la collectivité, afin de tenir compte de ses besoins. Dans un contexte ou les autres bailleurs de fonds ne peuvent généralement pas adopter ce type d'approche directe (excepté la BERD) et transversale, nous multiplions les échanges notamment avec l'Union Européenne ou la KFW, sur les stratégies et méthodes dans le secteur urbain. L'importance du renforcement des capacités et de l'accompagnement des responsables locaux est en revanche largement partagée par l'ensemble des bailleurs. Il s'agit d'un élément structurant de nos interventions, stratégique pour favoriser le passage à l'échelle des collectivités, de taille moyenne. Tous nos projets comportent donc un volet de coopération technique et de n° HS automne 2017 renforcement de capacités qui implique dès que possible un échange entre pairs. Les messages s'avèrent toujours plus efficaces lorsqu'ils sont portés par une collectivité, qu'elle soit du Nord ou du Sud, alors qu'un bailleur n'est pas toujours entendu. Les expériences de coopération décentralisée sur le long terme ont montré leur pertinence en termes de structuration de nos partenaires. Nous l'avons notamment constaté avec la ville de Porto-Novo, au Bénin, après vingt ans de coopération avec l'agglomération de Cergy et le Grand Lyon. Les collectivités étrangères avec lesquelles nous travaillons sont très en demande d'échanges avec des collectivités françaises. Il est aujourd'hui plus difficile pour nous de trouver des partenaires français en mesure de répondre aux besoins des villes du sud qu'il s'agisse d'une coopération décentralisée très structurante ou d'un échange plus informel entre équipes municipales pour bénéficier du point de vue français. Tout d'abord, nous promouvons la diversification et la facilitation de l'accès des villes au financement. Le terme de « financement » désigne les transferts de ressources de l'État, la fiscalité locale, mais également l'accès à l'emprunt. Ensuite, nous souhaitons aider les Etats à construire de véritables politiques de l'habitat. L'objectif est de permettre aux villes de limiter l'étalement urbain et la croissance de la ville informelle. Il est également nécessaire de diversifier la politique du logement pour ne pas la réduire à la seule accession à la propriété. Nous travaillons sur ce sujet en Afrique du sud et en Amérique latine notamment. Troisième et dernier point, nous développons une action particulière sur l' appui aux villes en crise. Ce sujet nous tient particulièrement à coeur car, hélas, il devient de plus en plus prégnant. Nous intervenons de plus en plus régulièrement à la suite de crises ou de conflits. Nous cherchons à structurer nos soutiens aux villes qui se reconstruisent, à privilégier des appuis souples et modulables sur le tissu local, et à trouver les moyens de passer de l'urgence à un développement pérenne. La participation à la conférence Habitat III Ces principes structurent également l'implication de l'AFD dans la préparation d'Habitat III. Nous avons naturellement participé à la construction de la position française, et nous interviendrons lors de la conférence pour délivrer trois messages clés, que nous développons depuis deux ans. l « pour mémoire » actes 67 L'émergence de l'urbain dans les politiques de coopération françaises : pistes de réflexion Jean-Fabien Steck, maître de conférences en géographie, université Paris X Nanterre, laboratoire LAVUE (UMR 7218 CNRS) Alors que la conférence Habitat III représente un moment important d'échanges et de discussions à propos des dynamiques de l'urbain à l'échelle mondiale ; alors qu'une telle conférence internationale met en scène une communauté internationale marquée par sa diversité mais tentant de s'engager sur une voie consensuelle afin de résoudre des problèmes complexes ; alors que la question de l'urbain se pose lors de ces conférences en des termes qui renvoient aux enjeux du développement, et notamment aux enjeux de la mise en oeuvre des Objectifs de Développement durable (ODD) - que l'on ne peut réduire ici au seul, quoique essentiel, objectif 111 - revenir sur l'émergence de l'urbain dans les politiques de coopération française n'est pas anodin. Il ne s'agit pas ici de proposer une histoire détaillée de cette émergence, elle reste encore en partie à faire, mais bien d'attirer l'atten- tion sur quelques éléments de réflexion qui permettent de saisir les spécificités d'un domaine d'intervention, l'urbain, qui apparaît à bien des égards comme le point de rencontre de plusieurs politiques, de plusieurs ambitions, notamment internationales, de plusieurs institutions, avec notamment l'émergence des collectivités locales dans les relations internationales 2 , et de plusieurs catégories d'acteurs aux stratégies souvent divergentes et parfois même contradictoires3 . Pour saisir cette émergence il est indispensable de la resituer dans ses contextes, et d'attirer en particulier l'attention sur certaines convergences. Il convient pour ce faire de mettre en regard les évolutions de la place de la ville dans les politiques de développement et dans les politiques de coopération avec les évolutions de la politique urbaine en France. Mais cette convergence ne doit pas simplement être étudiée du point de vue des seules politiques urbaines ou de coopération françaises, mais aussi par rapport à d'autres politiques urbaines, de coopération et de développement internationales, portées par d'autres agences de coopération multilatérale, nationale, États ou collectivités locales. Cette émergence de l'urbain dans les politiques de coopération française suppose donc aussi d'aborder Voir, entre beaucoup d'autres, D. Simon et al., « Developing and testing the Urban Sustainable Development Goal's targets and indicators ­ a fivecity study », Environment & Urbanization, vol.18 n°1, 2016, pp. 49-63 2 Y. Viltard, « Conceptualiser la "diplomatie des villes". Ou l'obligation faite aux relations internationales de penser l'action extérieure des gouvernements locaux », Revue française de science politique, n°58-3, 2008, p. 511-533 3 Sur les interventions des acteurs, voire J.-J. Gabas, « Acteurs et politiques publiques », Mondes en développement, n°124, 2003, pp. 33-47 « pour mémoire » 1 l n° HS automne 2017 68 la question des échelles d'intervention, et des terrains/villes/pays/ensembles régionaux privilégiés. Ces interventions ne sont pas linéaires, ni dans l'espace ni dans le temps, mais sont le fruit de stratégies et de temporalités différentielles. Nous devrons ainsi nous interroger sur les synchronies ou sur l'absence de synchronie entre différents acteurs ayant différents échéanciers et interroger de ce point de vue la question de la gouvernance des projets. mais on peut au moins évoquer l'un des plus célèbre d'entre-eux, le livre de Michaël Lipton, paru en 1977 : Why Poor People Stay Poors: Urban Bias in World Development4 . Le titre, qui sonne comme un slogan, indique clairement la position de l'auteur et pourrait résumer à lui seul une position assez répandue à l'époque. C'est dans ce contexte pourtant que la ville est devenue au cours des années soixante et surtout soixante-dix un enjeu pour les politiques de développement. Annik Osmont a ainsi bien décrypté les processus qui ont conduit à une émergence de l'urbain dans les discours (rapport de 1970) et dans les programmes (1975) de la Banque mondiale 5 . C'est aussi en 1976 que se tient à Vancouver la conférence Habitat I. Cette apparition des villes dans les préoccupations des grands bailleurs se fait d'abord par une intervention très sectorielle et ciblée sur les questions de logement. La politique de coopération française avait d'ailleurs à cette date déjà pris conscience de l'importance d'une intervention dans ce secteur, et a même vu, à partir de 1974, cette intervention décliner : ainsi, la part du budget de la Caisse française de développement (CFD) consacrée aux villes est passée de 20 % à 7 % à la fin des années quatre-vingt au profit d'interventions plus variées sectoriellement et de financements plus ponctuels 6 , démontrant déjà la difficulté d'appréhender les politiques et actions de coopération internationale de façon synchrone, même si l'importance que certains bailleurs accordaient précocement à la question du logement urbain a permis qu'elle devienne une question d'ampleur internationale. Ce premier temps de la montée en puissance des questions urbaines dans les politiques de développement et de coopération à l'échelle mondiale a été suivi par d'autres, qui ont marqué une réelle inflexion dans la façon de le concevoir. Ces autres temps ont été caractérisés par d'autres approches, moins sectorielles et de plus en plus systémiques et englobantes. Il en va ainsi, pour s'en tenir à quelques jalons, de la question de l'application aux villes des enjeux du développement durable (Habitat II, 1996), de l'importance du mouvement de métropolisation (rapport 2009 de la Banque mondiale, réinterrogeant les liens entre politiques de développement et politiques d'aménagement des territoires), de la somme de ces deux enjeux (African Economic Outlook, BAD-OCDE 2016) ou de l'équité et de la gouvernance (Quito 2016). Dans tous les cas, se pose en des termes renouvelés la question de la planification urbaine, et notamment de la planification urbaine stratégique, portée entre autre, et pour ne citer qu'un exemple, par des institutions comme Cities Alliances et ses City Development Strategy. Derrière la question du positionnement de la ville dans les politiques de développement et de M. Lipton, Why Poor People Stay Poor ?, Londres, Temple Smith, 1977 A. Osmont, La Banque mondiale et les villes, Paris, Karthala, 1995 6 A. Osmont, C. Goldblum, et al., Bilan prospectif de la recherche et de la formation en coopération urbaine en France. Paris : Ministère des Affaires étrangères, GEMDEV, IRD, ESA, juin 2013, http:// www.gemdev.org/evaluations/BilanProspectifRechercheUrbaine2013.pdf 5 4 Quelques éléments de contexte(s) On ne peut en effet aborder la question de l'émergence de l'urbain dans les politiques françaises de coopération sans aborder deux éléments de contexte fort, à deux échelles différentes : mondiale et nationale (française). L'échelle mondiale invite d'abord à questionner la place des villes dans les politiques de développement en général. Il convient de rappeler l'importance pendant longtemps de discours antivilles, invitant les politiques de développement à cibler d'abord le monde rural, pour au moins trois raisons : en lien avec les enjeux du développement agricole et des réels défis de la sécurité alimentaire ; du fait du nombre ; parce que cela apparaissait comme étant la meilleur façon de lutter contre la croissance urbaine. Il n'est pas possible ici de citer tous les ouvrages, travaux et arguments avancés en faveur d'une politique de développement rurale, n° HS automne 2017 l « pour mémoire » 69 coopération, des modalités d'actions, se pose également la question d'interventions qui relèveraient davantage du politique, notamment autour des grandes questions de gouvernance. L'émergence de l'urbain dans les politiques de coopération françaises doit donc être analysée dans ce contexte, en prenant en compte ces grandes évolutions internationales et en posant la question des modalités de son articulation et/ou de sa singularisation. Car si les formes d'intervention dans le domaine urbain des politiques de la coopération française ne peuvent être bien saisies qu'à l'aune de ce mouvement international, deux grandes séries de questions se posent sans cesse : celle du rapport, dans les relations internationales, aux autres politiques bilatérales et multilatérales ; celle des synchronies, ou de l'absence de synchronie dans les interventions. On ne peut l'aborder indépendamment d'une étude et d'une analyse des acteurs qui, en France, ont suscité et porté cette émergence de l'urbain dans les politiques de coopération. Des travaux d'historiens ont souligné l'importance, dans le cadre d'un urbanisme dit « de mission », qu'ont pris des acteurs issus du corps des ingénieurs des ponts et chaussées coloniaux7 dans le développement des villes nouvelles en France, montrant ainsi combien une expertise sur la ville construite en contexte colonial avait pu ensuite être valorisée ensuite en France. Mais il apparaît aussi très nettement que l'émergence de l'urbain dans les politiques de coopération doit en retour beaucoup à l'intérêt pour ces questions internationales portées par des ingénieurs des ponts et chaussées ayant fait leur carrière en France et participant à la montée en puissance de l'expertise urbaine au sein du ministère de l'Équipement et à la création, en 1981, de l'Institut des sciences et des techniques de l'équipement et de l'environnement pour le développement (ISTED). Il y a là, à travers l'étude de la circulation croisée de ces acteurs de premier plan de l'urbain, des éléments d'analyse essentiels pour saisir le rôle que des experts « nomades »8 ont pu avoir sur cette émergence, très contextuelle de ce fait, de l'urbain dans les politiques de coopération. On peut aussi insister sur le rôle que certains de ces acteurs ont pu avoir dans la définition de politiques urbaines dans des pays ayant acquis leur indépendance en 1960, singulièrement en Côte d'Ivoire avec la Direction générale des grands travaux9 . Cette histoire n'est pas linéaire. Elle est faite de relations dans un sens ou dans l'autre, de parcours individuels et de parcours de corps qui permettent de rendre compte du jeu entre différentes institutions et de leur implication dans l'introduction de l'urbain dans les politiques de coopération française. Dans cette perspective, le poids de la recherche mérite également d'être abordé, en particulier du point de vue institutionnel. Dans le contexte de l'émergence de l'urbain dans la politique de coopération française, quelle place accorder à la recherche en tant qu'associée à la mise en oeuvre de politiques de coopération urbaine et universitaire ? Quelle est sa place dans le montage de programmes de formation et de recherche ? Le Programme de recherche urbaine pour le développement, mené au début des années 2000, fournit à ce titre un exemple intéressant d'interactions entre la recherche et la coopération (ministère des affaires étrangères et ISTED). S'il semble donc impossible d'expliquer cette émergence de l'urbain dans les politiques de coopération françaises sans prendre en compte les acteurs qui permettent de la saisir, il est aussi indispensable de prendre la mesure des changements institutionnels. Ces derniers jouent en effet un rôle non négligeable dans la façon de concevoir les évolutions de la place de l'urbain, des projets et des modalités d'interventions. On ne retiendra ici que deux changements J.-C. Fredenucci, « L'entregent colonial des ingénieurs des Ponts et Chaussées dans l'urbanisme des années 1950-1970 », Vingtième Siècle. Revue d'histoire, n° 79-3, 2003, p. 79-91 8 E. Verdeil, « Expertises nomades au Sud. Éclairages sur la circulation des modèles urbains », Géocarrefour, n° 80-3, 2005, 165-169 9 J.-F. Steck, « Abidjan et le Plateau : quels modèles urbains pour la vitrine du « miracle » ivoirien ? », Géocarrefour, n° 80-3, 2005, 215-226 « pour mémoire » 7 Les acteurs et les institutions Au-delà de ce contexte international, essentiel, il faut également accorder une grande attention aux acteurs français eux-mêmes, et notamment au rôle qu'ont pu jouer des acteurs à la fois issus des administrations coloniales, notamment dans le secteur des ponts et chaussées, et des administrations nationales. l n° HS automne 2017 70 majeurs. Le premier concerne la montée en puissance des collectivités locales dans un contexte de décentralisation portée par les lois de 1982 et, concernant les politiques de coopération, par la loi de 1992 instituant la coopération décentralisée. L'implication des collectivités locales et des villes en particulier a donné une autre dimension à l'urbain dans les politiques de coopération, introduisant un nouvel acteur, avec des compétences jusqu'ici peu exploitées et renouvelant les approches opérationnelles de la coopération urbaine. L'autre grand changement est la réforme en 1999 du ministère des Affaires étrangères et la redéfinition des compétences, entre soutien institutionnel et projets de développements urbains, entre les différents acteurs nationaux. A ces facteurs contextuels individuels et institutionnels (il est difficile ici, on le voit bien, de dissocier pleinement les deux), s'ajoutent d'autres facteurs qui permettent de saisir cette émergence de l'urbain et son évolution au sein des politiques de coopération. Notamment, et il semble important de l'évoquer, l'importance que représentent les marchés urbains pour certains secteurs économiques, allant de l'expertise urbaine à l'offre de services en réseaux... Tout ceci a conduit la France à disposer d'une expertise certaine dans le secteur urbain et à la valoriser. Il pourrait être pertinent de tenter d'analyser cette histoire de l'émergence de l'urbain au sein des politiques de coopération française au regard de cette dimension économique, qui a déjà été analysée dans un récent programme de recherche franco-québén° HS automne 2017 cois portant sur les politiques agricoles et sur les politiques minières10 . La valorisation de l'expertise La question de l'expertise est essentielle pour saisir l'émergence et la présence de l'urbain dans les politiques de coopération françaises. L'expertise a pu jouer un double rôle : celui d'un facteur influençant l'inflexion urbaine des politiques de coopération au cours des dernières décennies ; celui d'être un enjeu et un objet de ces mêmes politiques de coopération. Dans le contexte actuel, l'expertise est de toute évidence un enjeu majeur à la fois de la diplomatie d'influence et de la diplomatie économique, deux orientations stratégiques à prendre en considération quand on aborde l'étude et l'analyse des politiques de développement et des politiques de coopération, dans un contexte qui semble de plus en plus concurrentiel : entre bailleurs multilatéraux et bailleurs bilatéraux ; entre bailleurs nationaux entre eux ; entre bailleurs du Nord et bailleurs du Sud. Ce qui est en jeu, outre le développement, c'est bien un positionnement stratégique des bailleurs qui repose sur leur capacité à porter et à exporter des modèles, à s'inscrire dans la construction normative internationale et à être capable d'y peser, de promouvoir ses modèles et ses compétences et, pourquoi pas, ses entreprises. Il n'est pas nécessaire ici d'approfondir la question des débats qui accompagnent les discussions sur les modalités de l'aide, liée ou non-liée, mais l'on voit bien où sont les enjeux. Ainsi, s'agissant de la France, il apparaît clairement que l'expertise, la promotion de l'expertise française, est un des nouveaux enjeux de l'urbain dans les politiques de coopération. Elle peut se traduire notamment par le rattachement du Partenariat français pour la ville et les territoires à Expertise France. Elle pose en retour la question du statut de l'expert et de ce que l'on en attend non seulement à propos de l'urbain, mais aussi à propos des politiques de coopération, d'influence et de promotion économique. La question se pose à la fois pour les experts d'État (grands corps et chercheurs, de façon différente et avec des enjeux qui ne sont pas toujours les mêmes) et pour les experts du secteur privé, acteurs essentiels aujourd'hui de la diffusion de modèles français. Il ressort de ces quelques pistes quelques éléments essentiels, comme les éléments de contexte, le rapport aux grands enjeux internationaux (de la participation à leur émergence à l'articulation à leurs évolutions et redéfinitions stratégiques) ou les jeux d'acteurs. D'autres méritent encore des approfondissements, notamment parce qu'ils sont très actuels et demandent sans doute une analyse post-Quito. B. Campbell, J.-J. Gabas, D. Pesche, V. Ribier (éds), Les transformations des politiques de coopération. Secteurs agricoles et miniers au Canada et en France, Paris, Karthala, 2016 10 l « pour mémoire » actes 71 Les collectivités territoriales dans la coopération française : origines, spécificités et perspectives Elise Garcia, docteure en géographie, chargée des relations internationales auprès du maire de Cergy Les origines de l'action internationale des collectivités territoriales (AICT) La coopération internationale française a longtemps relevé d'une compétence régalienne. En conséquence, l'AICT s'est construite, pendant de nombreuses années, en l'absence de cadre légal et dans une certaine forme de « clandestinité ». Les collectivités, longtemps encouragées par deux principales associations d'élus de sensibilités diverses (l'International Union of Local Authorities et la Fédération Mondiale des Cités Unies), ont progressivement affirmé leur intention politique d'intervenir dans ce domaine. Même si l'internationalisation des villes est bien antérieure, il est d'usage de faire débuter cette histoire par les jumelages de réconciliation franco-allemands initiés au cours des années 1950. Le traité de l'Elysée de 1963, acte officiel de cette réconciliation entre les deux Etats, avait ainsi été précédé par 130 jumelages qui allaient par la suite ouvrir la voie aux jumelages franco-américains et francocanadiens entre des communes liées par l'histoire du débarquement allié de 1944. C'est dans ce même esprit de réconciliation que, suite aux indépendances africaines des années 1960, des villes françaises se sont engagées auprès d'anciens territoires colonisés, notamment en Afrique de l'ouest, en conférant à leur action une dimension plus humanitaire. Le premier jumelage franco-africain est ainsi intervenu en 1958 entre Marseille et Abidjan. A cette époque, les collectivités ne bénéficiaient d'aucune autonomie décisionnelle, du fait d'un système encore très centralisé. Elles intervenaient de deux manières, soit en installant des comités de jumelage, auxquels était déléguée la mise en oeuvre des partenariats, ou bien en finançant des associations locales existantes ou créées à cet effet. La structuration juridique de l'action internationale des collectivités s'est ensuite inscrite dans le processus français de décentralisation à partir des années 1980. Quelles sont les spécificités des collectivités dans leur action internationale ? Vers l'affirmation d'une complémentarité État/ collectivités dans l'AICT Mon second point porte sur les spécificités de ces actions internationales au regard de l'intervention de l'Etat, sur « pour mémoire » l n° HS automne 2017 72 ce qui les en différencie et sur la nature de leurs relations. Aujourd'hui, ces rapports reposent principalement sur deux piliers. Premièrement, la reconnaissance de l'échelle territoriale de l'AICT. Elle peut être municipale, communautaire, départementale ou régionale. L'échelle de proximité des citoyens et des préoccupations locales lui confère une dimension humaine, alors que l'échelle des instances nationales peut paraître moins facilement repérable. Deuxièmement, la complémentarité des échelles d'intervention. Les termes de la loi Thiollière de 2007 et de la loi d'orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale de 2014 sont sans équivoque par rapport à leurs périmètres d'intervention respectifs. L'AICT doit être menée dans le respect des engagements internationaux de l'État. Les accords ne peuvent être conclus qu'avec des collectivités territoriales étrangères et leurs groupements. L'État est le seul à pouvoir conduire des négociations avec ses homologues étrangers. Il est également le seul à pouvoir intervenir sur des questions de défense. Les collectivités territoriales ne sont donc plus considérées comme des rivales, mais comme des acteurs complémentaires de la coopération bilatérale. L'État reconnaît leur expertise et peut envisager l'AICT comme un outil complémentaire de sa politique d'aide au développement. Cette AICT fait l'objet d'un dialogue institutionnalisé entre les parties à travers la Commission nationale de la coopération décentralisée (CNCD), créée en 1992. Cette commission est l'instance de concertation interministérielle et de dialogue entre l'État et les collectivités territoriales. C'est dans ce cadre que l'État soutient l'AICT et l'intègre dans ses instruments de politique étrangère. Il propose une stratégie pour sa mise en oeuvre à travers un document cadre qui présente les orientations françaises géographiques et thématiques. Cette série d'objectifs et d'engagements permet aux élus locaux de mener des actions coordonnées sur la base d'un socle commun. En plus de ces orientations stratégiques, l'État propose des appels à projets annuels ou triennaux, et offre également des fonds conjoints de soutien à la coopération décentralisée. Ils aident les collectivités qui y prétendent à s'inscrire dans les grandes orientations par le biais de critères thématiques ou géographiques. Cette démarche vise à influencer leurs orientations tout en respectant leur autonomie et leur liberté de choix. On peut cependant interroger la réalité de cette liberté lorsque les collectivités prétendent à un financement. L'influence de l'État reste toutefois à nuancer. Il ne cherche en effet pas à encadrer l'AICT à tout prix, et les cofinancements dont elles bénéficient ne sont que partiels. Sur le fond comme sur la forme, il leur laisse une grande marge de manoeuvre quant aux modalités de mise en oeuvre de leurs actions. A travers cette coordination et ce dispositif, les collectivités territoriales Réunion de la CNCD avec François Rebsamen (gauche), maire de Dijon et président de la CNCD, et Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères. © Ministère des affaires étrangères et du développement international/Bruno Chapiron. 2017 n° HS automne 2017 l « pour mémoire » 73 sont considérées et appuyées dans la fonction précise de l'aide publique au développement. Les collectivités territoriales ne sont en revanche pas ou peu incitées par l'État à développer une réflexion pour renforcer les impacts de leurs actions internationales sur leurs propres territoires, malgré l'enjeu évident en termes de légitimation de l'AICT. Ces procédures renvoient les collectivités à une fonction quasi exclusive « d'exportateur », ce qui peut interroger le sens même du partenariat. En tant que professionnels, nous essayons de dépasser ces considérations, à la fois devant nos partenaires étrangers, entre professionnels - comme en témoignent les travaux de l'ARRICOD (association des professionnels de l'action européenne et internationale des collectivités territoriales) - mais également devant les habitants de nos territoires. Si les deux catégories d'acteurs partagent une approche technique, la coopération décentralisée induit également une dimension territoriale, sociale et politique, liée à l'expérience des collectivités en France. L'action des associations de solidarité internationale et des ONG, qui ont plutôt développé une expérience au niveau international, est majoritairement tournée vers leurs pays d'intervention. On remarque cependant que de plus en plus d'ONG développent des actions locales en France, notamment sur des démarches d'éducation à la citoyenneté. Une autre spécificité de l'AICT repose sur sa démarche d'appui institutionnel : le soutien à la maîtrise d'ouvrage, le renforcement des capacités de gouvernance locale, etc. Malgré les évidentes différences de contexte, toutes les collectivités territoriales ont une compréhension partagée de la « chose publique », une légitimité électorale et une responsabilité vis-à-vis des citoyens des territoires. En outre, nous pouvons considérer que les collectivités sont a priori les mieux placées pour s'adresser à leurs semblables. En principe, les collectivités françaises évoluent vers un transfert de leurs compétences et laissent les ONG prendre en charge d'autres thématiques. Dans les faits, les frontières sont un peu plus poreuses. Nous constatons que de nombreuses ONG interviennent également sur le plan de l'appui institutionnel. Nombreuses sont également les collectivités à déléguer la maîtrise d'oeuvre de leurs projets à des ONG. C'est en particulier le cas de Cergy. Par ailleurs, la loi autorise les collectivités territoriales à financer des actions humanitaires d'urgence, qui relèvent plutôt, à mon sens, du domaine propre aux ONG. Les collectivités françaises ne possèdent ni les capacités, ni les dispositifs humains, ni les moyens techniques pour réagir rapidement à des situations de crise. Les ONG et les collectivités se distinguent également par des spécificités temporelles. La coopération s'inscrit dans le cadre d'un engagement à long terme alors que les actions des ONG sont plutôt déclinées sous forme de programmes sur un temps limité. Les ONG répondent à un objectif de développement des territoires partenaires. Elles sont donc vouées a priori à s'en aller lorsque l'objectif est considéré comme étant atteint. Leur intervention est liée à un problème à régler. En revanche, l'AICT ne vise pas uniquement à résoudre une problématique ou à pallier un manque. Elle a pour vocation principale de construire du partenariat. Dans les faits, les collectivités territoriales font également face à des contraintes temporelles. Les délais imposés par les appels à projets, souvent pluriannuels, nous obligent à réaliser des actions dans des délais parfois courts. L'AICT peut par ailleurs être tributaire des échéances et des calendriers électoraux. Elle peut évoluer en fonction des changements d'équipes exécutives. Nous l'avons constaté à la suite d'élections municipales, départementales et régionales. « pour mémoire » Les collectivités locales : des ONG comme les autres ? Dès lors que les collectivités territoriales sont considérées comme des acteurs de l'aide publique au développement (APD), nous pouvons nous demander où situer les frontières de leurs interventions visà-vis des ONG et des associations de solidarité internationale. Quelles sont les différences et les points communs entre leurs discours, leurs méthodes et leurs domaines d'interventions respectifs ? Il existe de véritables spécificités au plan théorique qu'il convient néanmoins de nuancer à l'épreuve de la réalité. l n° HS automne 2017 74 Repenser la question des bénéfices de l'AICT sur les territoires français Clarifier les spécificités de l'AICT par rapport aux autres acteurs ne constitue pas seulement un exercice théorique, c'est aussi un élément de fond qui est au coeur des débats sur sa légitimité. La réponse fournie par les collectivités sur ces enjeux de légitimation fait apparaître deux phénomènes corrélés. Premièrement on remarque chez elles une recherche de plus en plus affirmée de réciprocité, qui vise notamment à conforter leurs discours sur l'intérêt local de l'AICT, à répondre à leurs détracteurs et à se rassurer quant aux fondements égalitaires des partenariats. Ensuite, on observe également une différenciation stratégique selon les territoires d'intervention. Alors que la réciprocité avec les pays dits « pauvres » est difficilement démontrable et que les élus « s'enlisent » parfois dans des considérations idéologiques, le projecteur s'oriente de plus en plus vers les pays émergents avec lesquels cette réciprocité est plus facilement « chiffrable ». Je pense ici par exemple au cas d'une collectivité qui « développerait » son partenaire malien et « se développerait » grâce à son partenaire chinois. Cette hiérarchisation des partenariats est avant tout fondée sur des critères économiques et présente des limites sur les plans éthique et stratégique. Aujourd'hui, l'AICT subit des réductions budgétaires de plus en plus drastiques. Sa pérennité dépendra de plusieurs facteurs. Il convient, en premier lieu, d'insister sur la capacité des professionnels et des élus à décloisonner l'AICT et à ne plus la positionner comme une activité sectorielle mais plutôt comme un instrument d'innovation et de réponse aux enjeux territoriaux français. Sa légitimité ne se trouve plus uniquement dans son rôle d'acteur du développement à l'étranger mais, de plus en plus, dans sa fonction de moteur du développement local en France. Cela implique de faire émerger un autre modèle de partenariat, qui ne soit plus seulement fondé sur les besoins et les manques des partenaires dits du sud, mais sur la reconnaissance de leur expertise et de leur savoir-faire. Les actions et les projets doivent être pensés à partir des attentes des deux collectivités. Elles doivent identifier des enjeux partagés sur leurs territoires et s'efforcer de travailler ensemble dans une communauté d'intérêts. A l'approche de la conférence de Quito, je suis convaincue de l'impérieuse nécessité de forger une pensée commune des questions urbaines, environnementales, sociales, etc. Cette dimension est la condition sine qua non d'une AICT porteuse d'impacts locaux positifs, au-delà des discours. J'ai très récemment effectué une mission à Thiès (Sénégal) de soutien à un échange professionnel sur le thème de l'agroécologie en ville. Nous avons favorisé la rencontre entre l'association b.a-BA de Cergy, qui encourage la concertation aux pieds des immeubles et crée des jardins d'habitants dans des quartiers prioritaires, et le Centre d'écoute et d'encadrement pour un développement durable, une association Thiessoise qui forme des centaines de femmes au microjardinage. Cette semaine d'échange était très enrichissante, notamment pour b.a-BA qui a découvert de nouvelles approches techniques. La coordinatrice est vraiment revenue enrichie de cette expérience et pourra en faire profiter le territoire de Cergy. Pour conclure je citerai le géographe Roger Brunet: « l'on se sauve d'autant mieux que l'on est "solidaire" des voisins et de la nature. De l'environnement au sens plein : nous et les autres, nos habitats et les leurs, nos cultures et les leurs. L'entretien de notre pré carré implique un regard sur l'ensemble du paysage ». n° HS automne 2017 l « pour mémoire » actes 75 Evolution des dynamiques des projets urbains en coopération : le rôle des acteurs et les sujets essentiels Pierre Jacquemot, président du Gret, professeur à Sciences Po Paris Le Gret (Professionnels du développement solidaire) est une des grandes organisations de solidarité internationale (OSI) françaises. Elle compte 770 experts, majoritairement en Afrique et en Asie. La ville est un de ses thèmes majeurs de travail, comme pour d'autres OSI réunies dans un collectif appelé Groupe Initiatives. Mon implication dans ces organisations vient compléter une expérience ancienne au titre de la coopération française dans divers pays. J'ai en particulier représenté la France à ONU-Habitat à Nairobi au début des années 2000. Avant de rentrer dans le vif du sujet, je souhaite apporter à notre débat trois précisions. Premièrement, le milieu des années 2000 a marqué un tournant dans l'histoire de l'humanité : la part des urbains dans la population mondiale a dépassé celle des ruraux et 50% des urbains vivent désormais dans des villes de plus de 500 000 habitants. L'origine des taux de croissance se répartit pour moitié entre croissance démographique interne à la ville et apports migratoires. Deuxièmement, les taux de croissance urbaine les plus importants touchent d'ores et déjà les villes de rang secondaire et la tendance à la prolifération de nouvelles petites agglomérations qui franchissent chaque année le seuil de l'urbain s'observe pratiquement partout, avec une intensité particulière depuis les années 1990. Se pose subséquemment la question de l'identification et de la reconnaissance de cette strate d'agglomérations, espace tampon ou interface entre l'hinterland et la mégapole, dans le processus de développement. Troisièmement, cette urbanisation est le moteur d'une réorganisation profonde de la vie et des rapports humains : séparation radicale, spatiale et temporelle du travail productif et de la vie sociale, parachèvement de la séparation, non moins radicale, de l'espace public et de l'espace privé, rationalisation d'un urba- nisme pris entre le vertige de la démiurgie sociale et la puissance de la réglementation étatique. De fait, la ville est un lieu paradoxal de déculturation par la perte de repère et d'acculturation par la densité des échanges et les contacts prolongés entre urbains et ruraux de diverses origines. Elle détruit et invente en même temps. Dans la majorité des actions des OSI, on retrouve trois grandes préoccupations. Il y a tout d'abord la recherche d'une connaissance fine des situations locales, des besoins, des capacités et du rôle des acteurs, notamment en matière de réhabilitation des quartiers précaires. Les enquêtes de terrain préalables aux conceptions de solutions supposent une méthodologie rigoureuse et adaptée. Ensuite, les OSI partagent la volonté de contribuer à l'équipement et à la gestion des réseaux de fourniture d'eau, d'assainissement, d'habitat ou d'énergie, dans un cadre qui favorise l'inclusion du plus grand nombre et « pour mémoire » l n° HS automne 2017 76 la pérennité du service. Enfin, il y a un soucis d'accompagnement des acteurs locaux dans la mise en place des cadres de concertation entre les acteurs clés, sans s'enfermer dans des modèles préconçus. J'ai par exemple travaillé au Ghana avec des chefs traditionnels dans un certain nombre d'opérations, ce qui constituait une source extrêmement riche d'informations et d'améliorations de la capacité de mise en oeuvre. Je voudrais ici développer cinq points qui structurent l'intervention du Gret en milieu urbain. d'assainissement, installation de bornes fontaines), ou d'opérations de restructuration de quartiers sur la base de redécoupages du parcellaire, impliquant des « recasements » partiels des habitants, nombreux sont ceux qui mettent l'accent sur une dimension trop insuffisamment prise en considération, à savoir l'accompagnement social. Les méthodes « coup de poing » (dites aussi de « déguerpissement ») laissent peu à peu la place à des approches qui engagent les habitants, sécurisent les occupations foncières, prévoient l'amélioration de l'habitat et l'accès aux équipements publics. Leur bonne exécution passe par des mécanismes de concertation, de participation et de gestion des conflits, avec des montages juridiques parfois inédits. Il y a cependant encore des contradictions très fortes à prendre en compte, car les quartiers informels sont très largement la conséquence directe de politiques urbaines encore majoritairement promues à l'échelle internationale. pertinent d'organisation des services urbains est celui qui associe étroitement quatre acteurs : L'État, qui dispose de la fonction de régulation, doit s'occuper des règles générales de tarification, de mise en concurrence, des normes de qualité, du respect de l'environnement; Les autorités locales doivent définir le niveau de service à atteindre et le choix du mode de gestion et de l'opérateur ; L'opérateur, qui bénéficie d'une délégation sous la contrainte d'un cahier des charges définissant ses obligations, doit assurer la mission d'exploitation du service sur une base professionnelle ; usagers/citoyens doivent exercer Les en amont une fonction dans la définition des besoins et en aval dans le contrôle et l'évaluation des résultats. L'entrepreneuriat privé n'est donc pas un mot tabou pour les OSI, tant qu'il est encadré d'un côté par la régulation de l'État ou de ses avatars locaux et de l'autre par le contrôle effectif des usagers et des contribuables. Requalifier la ville Comme le mentionnait Agnès Deboulet, la question de la reconnaissance de la réalité des quartiers non formels est essentielle. Lors de la création d'UNHabitat en 1978, le mot d'ordre était de faire disparaître les bidonvilles en développant des programmes de relogement. A présent, au lieu de démolir des zones d'habitat informel, la politique préconisée est celle des opérations de requalification (slum upgrading), de la réhabilitation in situ, du raccordement à l'eau, à l'assainissement et à l'électricité, des équipements scolaires, sans négliger par ailleurs de fournir davantage de ressources pour la construction de logements abordables. Qu'il s'agisse d'opérations de réhabilitation de quartiers précaires, avec des interventions d'envergure variable, visant à consolider l'existant (amélioration de la chaussée, mise en place d'un réseau n° HS automne 2017 Répartir les rôles Les contraintes de disponibilité, d'accessibilité et de pérennité des ressources incitent à mobiliser toutes les solutions, notamment l'implication des acteurs privés et associatifs, dans la fourniture des services de base, qui relève pourtant du service public. L'histoire dans la plupart des pays a montré l'échec des modèles d'opérateurs étatiques centralisés bureaucratiques, privilégiant des approches technicistes. Aujourd'hui un consensus semble émerger sur le fait que le cadre le plus Donner accès aux services essentiels par des moyens non conventionnels Le secteur de l'eau est un bon terrain d'observation. Dans les quartiers non couverts par les modes d'approvisionnement conventionnels, la fourniture de service repose sur les initiatives privées l « pour mémoire » 77 ou communautaires. Éparpillées, elles recouvrent une large palette de services allant du colportage d'eau à domicile à la gestion de mini-réseaux, en passant par l'exploitation de bornes fontaines. Ces initiatives sont parfois appuyées par l'action des ONG ou de la coopération décentralisée et se nourrissent de plus en plus de la diffusion des idées et des pratiques de « bonne gestion » : transparence des décisions, responsabilité collective de la gestion de la ressource, paiement de l'eau au volume consommé... On rencontre aussi de véritables entrepreneurs qui ont su construire des structures plus élaborées jusqu'à gérer des réseaux, en général sans aucune aide étatique, et parfois même sans autorisation des pouvoirs publics. Le cas des villes secondaires du Cambodge est intéressant. Aux côtés des agences d'Etat qui ne couvrent que 35% des besoins, il existe près de 3000 services dits « non conventionnels » de l'eau. Ce marché s'est organisé, l'offre se concentrant de plus en plus autour de 300 entrepreneurs privés atteignant une taille qui leur permet de fournir de l'eau à une population allant de 4000 à 20 000 ménages, de se doter de compétences techniques et financières et d'un contrôle technique qui les a transformés en opérateurs crédibles, et ce en dépit d'un environnement institutionnel risqué et incertain. L'expérience montre cependant que concéder de cette manière au secteur privé une place dans le marché de l'eau ne suffit pas pour assurer ni l'accès au plus grand nombre ni l'amélioration continue Borne fontaine au Mozambique © Banque Mondiale/Eric Miller des services. Presque partout, l'intervention publique reste centrale pour établir des normes adaptées, susciter des dynamiques de régulation et organiser la transition des acteurs privés ou associatifs vers des logiques de service public. Mobiliser des ressources financières nouvelles Les chiffres sont éloquents. Le budget de la ville de Ouagadougou (1,5 millions d'habitants) est égale à celui de Noyon (15 000 habitants) et à la moitié de celui de Rodez (25 000 habitants) en France. L'assiette de la fiscalité locale au Sud est loin d'être parfaitement et totalement exploitée. Dans les pays de l'ODCE, les municipalités collectent environs 10% de la valeur ajoutée produite sur le territoire. En Afrique, quand une ville produit 100 dollars, la collectivité n'en encaisse que 0,6. Le gisement potentiel est donc gigantesque. Les ressources des villes sont en général limitées aux taxes locales pour services rendus aux usagers (droits de place sur les marchés et les gares, utilisation des abattoirs) et aux taxes sur toutes les activités susceptibles d'être fiscalisées (taxis, « pour mémoire » l n° HS automne 2017 78 charrettes, spectacles, artisanat de production, distribution quelle qu'en soit la forme). Des possibilités importantes existent en matière de taxes foncières et immobilières qui constituent à de nombreux égards l'impôt « idéal » pour les villes. En effet, il s'agit d'impôts qui augmentent rapidement avec le niveau d'urbanisation, qui reposent sur des valeurs objectives, et qui sont progressifs, car le patrimoine est plus concentré que le revenu. Ces taxes pourraient être revalorisées, notamment dans les quartiers les plus aisés. impôts et d'accepter de nouvelles formes d'imposition s'ils perçoivent les bénéfices des dépenses publiques qui y sont associées, et donc considèrent les impôts comme légitimes. Les villes du Sud qui s'impliquent dans des démarches participatives construisent leur propre manière de procéder selon leurs caractéristiques particulières. Le Sénégal, où la participation citoyenne a été érigée en principe reconnu par la loi, connaît une expérience probablement parmi les plus innovantes avec la « certification citoyenne » pour la bonne gou- Séance de concertation municipale en Mauritanie © P. Jacquemot Construire la citoyenneté concrète L'efficacité des actions dépend très largement de la capacité des bénéficiaires à se prendre en charge. La question du renforcement de la citoyenneté urbaine, qui revient sur le premier plan avec la préparation d'Habitat III, est ressentie par chacun comme cruciale dans cette quête pour approfondir les méthodes et conduire à la réussite des projets. Les situations évoluent partout. Sous la pression de la société civile des démarches participatives s'installent progressivement. Les mises en place de « budget participatif » se sont multipliées dans plusieurs pays du Sud. La méthode accroît la transparence de la gestion municipale et cet avantage est essentiel. En effet, les contribuables sont plus susceptibles de payer leurs n° HS automne 2017 l « pour mémoire » 79 vernance mise en place par le Forum civil dans une soixantaine de collectivités locales volontaires. Il s'agit d'un instrument d'évaluation des performances qui repose sur un référentiel de 38 indicateurs mesurables autour de 5 critères (transparence, équité, efficacité, redevabilité et participation), évalué par un comité local de certification. Un label est ensuite délivré avec différents niveaux de performance, ce qui crée une émulation positive entre communes. Parmi les effets notables attendus, on escompte une réallocation des dépenses en faveur de la lutte contre la pauvreté, une augmentation des recettes fiscales et une réduction de la corruption due à la transparence des discussions budgétaires et à la surveillance plus active par la société civile des travaux engagés par les municipalités. Cette citoyenneté en construction ne peut donc pas être évaluée uniquement par sa dimension juridique. Elle doit plutôt être perçue comme un ensemble de pratiques, comme une fabrique urbaine à l'intersection des politiques publiques, des mobilisations de diverses natures (revendicatives, festives) et des expériences associatives des usagers, des résidents, des voisins, des consommateurs, des citoyens. du Nouvel agenda urbain qui sortira d'Habitat III. Premièrement, la ville ne correspond pas le plus souvent à la « cité » rêvée par les urbanistes, avec sa mixité sociale et fonctionnelle. Dans ce contexte, il est toujours nécessaire d'accomplir des efforts pour créer de nouvelles relations entre les municipalités et les citoyens. Deuxièmement, une véritable politique de la ville est indispensable afin de veiller à ce que les agglomérations soient vivables et durables, notamment en matière de densification urbaine, de qualité de vie, de nouvelles formes de mobilité, de mixité sociale, de qualité de l'air, de gestion des déchets, d'utilisation optimale de l'eau et de l'énergie ainsi que d'investissements générateurs d'emplois. Troisièmement, le maximum doit être fait pour réorienter les ressources publiques au bénéfice des plus démunis. Cet objectif suppose un devoir de diligence très fort tant au niveau de l'État que des collectivités locales. Cette exigence n'a à ce jour encore rien d'évident. Les plus démunis sont toujours perdants, exclus du droit à la ville, lorsqu'il n'existe pas de contre-pouvoir. Enfin, il est indispensable de reconstruire en permanence du lien social, de créer une « sociabilité rapprochée ». Il convient d'inventer une nouvelle culture citoyenne. Elle peut passer par l'élection, mais peut également emprunter d'autres modalités pour créer des acteurs légitimes et des porteurs de projets. « pour mémoire » Voilà les préoccupations et les démarches qui orientent l'action des organisations de solidarité internationale. Elles n'ont pas la prétention d'être universellement pertinentes. Les taux de réussite ne sont pas négligeables, mais les opérations connaissent aussi des échecs, sources d'enseignement. C'est par la « capitalisation participative », c'est-à-dire l'échange avec les bénéficiaires et le recul critique sur leurs pratiques, qu'elles améliorent leurs performances. Quelques pistes pour Habitat III et ses suites Par-delà la diversité des pratiques de terrain, je voudrais suggérer quatre pistes d'action pour la mise en oeuvre l n° HS automne 2017 80 Débat avec la salle Annik Osmont Je souhaitais apporter une précision au tableau qu'a brossé Jean-Fabien Steck. Elle n'est pas négligeable, car elle constitue une spécificité française, en particulier vis-à-vis des autres pays qui pratiquent la coopération. Chaque fois que nous vivons une alternance politique, nous assistons à la création et à la disparition d'organismes. Dans le domaine de la recherche en coopération, ce mode de fonctionnement a eu des conséquences très négatives, car ce type de travail s'inscrit dans un temps assez long. Par exemple, un appel d'offres de recherche a pu être supprimé du jour au lendemain, alors que son financement était prévu. Des actions de formation très importantes avaient été engagées par le ministère de la Coopération pendant les années 1980, à l'époque où il était question de résorber l'assistance technique. La formation étant très importante dans le domaine de la coopération, nous avions concentré les efforts sur l'enseignement supérieur. Par exemple, dans mon établissement, l'Institut français d'urbanisme, nous avions créé deux écoles d'urbanisme, à Dakar et Lomé. Ces actions étaient extrêmement importantes car elles introduisaient des habitudes de meilleur équilibre entre les chercheurs ou experts français et leurs homologues africains. Cette fois encore, les écoles d'urbanisme ont été supprimées du jour au lendemain, à l'exception de celle de Lomé. tion de La Rochelle a l'expérience d'un certain nombre de coopérations avec l'Indonésie et le Mexique. Je confirme à Élise Garcia que la part du soutien du ministère des Affaires étrangères est assez faible. En fait, il n'apporte son soutien, à hauteur de 25 % en général, quelquefois plus, qu'à concurrence du numéraire que nous investissons dans le partenariat de coopération avec une collectivité. Or, l'expertise elle-même, détenue par certains de nos techniciens municipaux, par des ONG, par des laboratoires universitaires ou par des entreprises implantées sur notre territoire, est ce qui compte le plus en termes de coût et d'échange de savoirs. Lorsque nous remettons une offre, la part du non-numéraire est limitée à 10 %. Nous pensons, quant à nous, qu'il représente plutôt 60 % du coût, par rapport à 40 % qui sont en numéraire. Je souhaitais simplement apporter ce témoignage très concret. Par ailleurs, nous parlions précédemment des conflits qui peuvent exister entre les différents modèles de développement urbain. Cette approche pourrait être celle d'un acteur qui détiendrait une forme de modèle, par exemple une agence d'urbanisme. En revanche, dans la relation plus pragmatique entre deux collectivités, les interactions se développent plus simplement. Il ne viendrait à l'idée d'aucun de nos techniciens de venir donner la moindre leçon à un partenaire sur un modèle qui appartiendrait à La Rochelle. En adoptant une approche marquée par davantage d'humilité, nous pouvons susciter un échange qui soit également bénéfique pour notre territoire. Cela fait partie de ce que nous recherchons lorsque nous choisissons un partenaire. Dans la durée normale d'une coopération, qui à mon sens, pour obtenir des résultats, devrait atteindre dix, quinze voire vingt ans, nous estimons que nous bénéficierons à terme d'un retour sur investissement qui justifiera en partie notre apport en numéraire et en technicité. Agathe Euzen Dans la continuité de la réflexion sur la recherche, je voulais juste mentionner que le CNRS a lancé, l'an dernier, une prospective urbaine. Il souhaite s'interroger, par rapport à l'ensemble des problématiques sociétales et scientifiques, sur la recherche fondamentale et appliquée à mettre en oeuvre pour répondre aux enjeux auxquels nous serons confrontés dans dix ans. Éric Huybrechts Le Nouvel agenda urbain sera adopté dans les premiers jours de la conférence. Il présente des orientations très intéressantes sur la façon d'envisager la ville pour demain. Néanmoins, en termes d'engagements pour l'avenir, il se contente d'annoncer une évaluation d'ONU-Habitat qui servira de base aux décisions prises à l'occasion de la prochaine Assemblée Générale de l'ONU. En conséquence, nous ignorons dans quoi nous nous engageons en termes de mise en oeuvre, malgré le travail accompli par Maryse Gautier depuis deux ans et par la Campagne urbaine mondiale depuis cinq ans. Le document Michel Sabatier Je souhaite réagir de façon très pragmatique. La communauté d'aggloméran° HS automne 2017 l « pour mémoire » 81 est un peu décevant de ce point de vue. Il signifie que l'enjeu est devant nous. Que construirons-nous, en termes de coalitions et de regroupements, sur la base des orientations d'Habitat III ? Puisque nous bénéficions dans cette salle d'un panel intéressant de collectivités locales, de banques de développement et d'ONG, j'ai envie de poser la question suivante. Quelles sont les perspectives de nouveaux engagements que vous inspirent les orientations fixées dans le Nouvel agenda urbain ? intervenir en tandem. Comme chacun sait, il à participé de près à l'histoire de la coopération française sur les questions urbaines. Je l'ai compté comme collaborateur durant de nombreuses années. Il vous aurait dit comme moi que l'année 1998 a constitué une date charnière, avec la disparition du ministère de la Coopération. Dès lors qu'il n'existait plus d'administration dédiée, les activités de la direction générale du ministère des Affaires étrangères dans le domaine urbain sont devenues relativement résiduelles. A l'époque, j'étais directeur. Je comptais dans mes équipes non seulement des ingénieurs des ponts et chaussées détachés du ministère de l'Equipement, mais également beaucoup d'architectes. Cette histoire de la coopération a également été écrite par eux et par des urbanistes. Anne Odic Je ne pense pas qu'il nous revienne de répondre. Je laisserai Henry de Cazotte vous fournir des éléments tout à l'heure. Néanmoins, il existe déjà une convergence de vues. Nous la constatons également sur le terrain. Nous voyons dans quelle direction nous devrions aller pour un développement urbain durable, même si le but est loin et que nous manquons de moyens. Ce Nouvel agenda urbain en témoigne un peu. Je conviens que tout reste à faire. Néanmoins, il est utile de formuler les idées, d'en débattre, de préciser le rôle de l'Etat, de la collectivité et des populations dans la construction d'un agenda urbain durable. En restant optimiste, il est permis de penser que cette démarche contribue à mettre en place des éléments pour aboutir. Pierre Jacquemot Je souhaite revenir sur la question des alternances. Xavier Crépin devait être parmi nous aujourd'hui, nous devions « pour mémoire » l n° HS automne 2017 82 actes Conclusions de la journée Habitat III en perspectives Henry de Cazotte, représentant spécial pour Habitat III, ministère des Affaires étrangères et du Développement international La ville au coeur de l'agenda international La conférence Habitat III, qui aura lieu dans moins d'un mois à Quito, est tout à fait particulière. Elle intervient après la négociation par l'ensemble de la communauté internationale pendant cinq ans d'un nouvel agenda universel pour le développement durable, appelé « Agenda 2030 », et qui porte un nouveau regard sur les rapports nord-sud. Il affirme que nous sommes tous confrontés aux mêmes enjeux, aux mêmes difficultés, aux mêmes responsabilités vis-à-vis de l'avenir de notre planète. Avec 10 milliards d'habitants dans vingt ans, nous ne pouvons plus vivre comme il y a vingt ou quarante ans. La question urbaine a un tel impact global sur le monde qu'il était de notre devoir de l'intégrer dans cet agenda du développement durable. La ville est un n° HS automne 2017 vecteur de solutions. Avec ce Nouvel agenda urbain, sur lequel l'ensemble des Etats sont désormais tombés d'accords, nous avons essayé de construire un message en ce sens, avec Maryse Gautier et sa collègue équatorienne qui ont co-piloté le processus durant presque deux ans. Cette tâche n'était pas aisée à accomplir puisqu'elle réunissait 193 pays. Certaines collectivités locales disent que nous avons reculé. J'ignore si tel est le cas, mais quoi qu'il en soit, nous nous sommes efforcés de produire un document qui n'est pas, contrairement à ce que j'ai pu entendre, un regard du nord vers le sud. Au contraire, il s'agit d'un regard négocié par tout le monde. Les Africains, les Indonésiens, les Brésiliens ou encore bien d'autres ont eu autant de place que les partenaires européens et leur vision prétendument vertueuse. Notre modèle n'est pas nécessairement le meilleur, et je rappelle d'ailleurs que nous éprouvons quelques difficultés pour régler certains problèmes dans nos villes. Je suis confiant car les circonstances sont favorables. 2015 constitue en effet une date charnière pour la ville. Comme je vous le disais, l'an dernier, nous avons réécrit une définition internationalement partagée du développement durable avec l'agenda 2030 et l'accord de Paris sur le changement climatique. Nous avons traité de la gouvernance, du rôle des acteurs, de l'importance de la société civile et des alliances entre acteurs. Il me semble que l'ensemble de ces avancées a été pris en compte par les décideurs. Les avancées du Nouvel agenda urbain Le regard que propose le Nouvel agenda urbain sur la pauvreté me semble important : « Leave no one behind », comme le dit le texte. Si nos villes ne sont pas conçues pour réduire la pauvreté et les inégalités, c'est que nous faisons fausse route. Il est impossible de développer une approche de l « pour mémoire » 83 planification intelligente sans maintenir cet objectif en substance. C'est en tout cas ce que disent nos dirigeants qui ont adopté cet agenda. A mes yeux, un autre motif de confiance réside dans l'engagement de la société civile. Celui-ci est aujourd'hui globalement extrêmement fort, au niveau mondial comme au niveau local. En France en revanche, je ne suis pas persuadé que cette volonté soit si forte, tant la société civile est parcellisée. Il est difficile de comprendre pourquoi elle n'est pas aussi bien structurée que dans d'autres pays. Ce matin, je rencontrais des acteurs chinois de l'eau. Leur politique est en train de changer radicalement. Elle est poussée par un réseau de milliers de citoyens qui mesurent quotidiennement, avec leurs téléphones intelligents, la qualité de l'eau à la sortie des villes, des usines et des exploitations agricoles. Or, en France, nous comptons probablement autant d'associations de défense de la qualité de l'eau que de municipalités. Une véritable révolution de la société civile est en train de se produire à l'échelle mondiale. Grâce à elle, cet agenda urbain et ces objectifs du développement durable pourront réellement se mettre en oeuvre. Dans le Nouvel agenda urbain, nous avons également intégré la question financière. Nous avons réalisé un effort considérable pour affirmer que les problèmes de financement sont au coeur du sujet. Il a été fait référence dans les échanges d'aujourd'hui à la situation de l'Afrique subsaharienne. Cette question est désormais vraiment posée et nous pouvons espérer trouver des solutions. Le Président de la Banque mondiale était il y a peu à Paris et a traité du sujet avec le directeur général de l'AFD. Les stratégies des grandes banques de développement international vis-à-vis de l'autonomisation financière des villes ne sont pas encore à la hauteur de la situation actuelle, mais c'est un challenge qu'elles vont désormais tenter de prendre à bras le corps. Il convient également de parler des initiatives du sud et du dynamisme de certains responsables urbains. Nous nous sommes rendus à Surabaya avec Maryse Gautier, où nous avons rencontré la mairesse, une personnalité incroyable. Elle est à l'origine d'initiatives que j'aimerais bien reproduire en France. Il en va de même à Medellín, à Hô-Chi-Minh-Ville, à Libreville, à Johannesburg, à Dakar ou dans certaines grandes villes brésiliennes. Ces leaders locaux ont une telle capacité de décision, d'encouragement et de rassemblement autour de nouvelles politiques urbaines, que les progrès peuvent parfois s'avérer beaucoup plus rapides qu'escomptés. Le responsable chinois que j'ai rencontré ce matin m'a parlé de l'initiative des « Sponge Cities ». Leur objectif consiste à absorber l'eau. Moi qui vis dans le Gard, je peux vous assurer que personne n'y connaît ces initiatives. Nous aurions pourtant bien besoin d'absorber l'eau qui vient détruire notre environnement au moment des épisodes cévenols, ces fortes précipitations du mois de septembre. Quelques marges de progrès Je pense donc que nous sommes en présence de multiples signaux positifs. Vous avez aujourd'hui également soulevé un certain nombre de questions plus inquiétantes ou plus difficiles. Dans quelle mesure les pays en voie de développement auront-ils la capacité d'assumer l'accélération de cette urbanisation massive ? Les enjeux sont tels que nous ignorons s'il nous sera possible de progresser. Il existe également des obstacles et même des résistances en termes de gouvernance, de décentralisation, de ressources humaines ou de reconnaissance citoyenne. Il reste ainsi beaucoup à faire dans un certain nombre de pays. Un autre sujet d'inquiétude concerne le jeu des acteurs. Vous l'avez examiné pendant cette journée. Le secteur privé peut-il être vertueux ? La ville est produite essentiellement par le secteur privé et non par le secteur public. Paris a été produite au XIXè siècle par les frères Pereire, par des financiers, par la monétarisation du foncier. Bien sûr, les pouvoirs publics agissent, mais les acteurs privés jouerontils le jeu de cette ville durable ? Le sujet de leur association à ces travaux, aussi bien les bâtisseurs, les promoteurs que les financiers et tous ceux qui agissent dans la construction urbaine, est important. Il me semble que le Nouvel agenda urbain a peut-être échoué sur ce point, car il n'a pas su nouer un dialogue approfondi avec le secteur privé pour le rendre acteur de cette discussion et de « pour mémoire » l n° HS automne 2017 84 ces transformations. En vous écoutant, je me suis également interrogé sur une certaine forme de conformisme. Nous reproduisons souvent les mêmes modèles sans vouloir voir les difficultés qui peuvent se présenter. J'ai aussi entendu mentionner aujourd'hui le terme de « flexibilité ». Il signifie qu'il n'existe désormais plus de solution unique. Les démarches de planification doivent être souples et se pénétrer du substrat avec lequel elles opèrent. La réalité n'est évidemment pas la même à Porto-Novo et à Hô-Chi-MinhVille. Chaque culture, chaque société est différente. Peut-être est-il nécessaire de créer un nouveau concept, qui ne s'inscrive pas dans une démarche rationnelle d'ingénieur, mais dans une attitude qui se modèlerait davantage sur la société et sur ses acteurs ? Cette approche décrirait davantage un processus qu'une solution unique. J'aspire à ce que notre pays soit le plus actif possible sur ce point. Nous avons également entendu dire qu'il existe une offre de l'AFD, qui permet de financer cette action internationale en matière d'urbain. Nous devons saisir cette opportunité pour la pousser dans ses « retranchements », afin qu'elle soit le ferment de la créativité et de l'engagement, de l'ouverture et des partenariats. Cela est d'autant plus nécessaire qu'elle implique maintenant la Caisse des dépôts et consignations, dans le cadre d'un rapprochement potentiellement riche, et donc l'implication de l'ensemble des territoires français. Cette évolution inédite est extrêmement intéressante. pourquoi il serait nécessaire d'organiser un événement Habitat IV. Je n'ai pas posé cette question par provocation mais simplement parce que je n'estimais pas nécessaire d'attendre vingt ans pour nous réunir à nouveau. Vous n'avez en effet cessé aujourd'hui d'évoquer l'accélération galopante de l'urbanisation. Il serait donc pertinent que nous nous rencontrions plus souvent. Les Objectifs de développement durable ont une clause de rendez-vous dans quinze ans. Toutefois, d'ici là, nous nous réunirons trois fois, pour que la France présente à New York ses avancées sur l'ODD n°11, dédié à la ville. Entre aujourd'hui et 2030, ces trois moments, mais aussi les forum urbains mondiaux, nous permettront de faire le point. Je fais désormais partie des anciens puisque j'avais suivi de loin la conférence Habitat I à Vancouver en 1976. J'espère que vous me convierez à Habitat IV dans vingt ans. Ce clin d'oeil me permet de souligner qu'il existe un formidable gisement d'emplois et d'innovations dans le domaine dont nous avons parlé aujourd'hui. Il concerne des métiers mariant à la fois l'ingénierie, la sociologie, la géographie, l'agronomie, etc. La ville constitue l'espace de déploiement de toutes les initiatives pour la jeunesse qui entre aujourd'hui sur le marché du travail. J'encourage les plus jeunes à agir dans ce sens. La France et le Nouvel agenda urbain Comment la France doit-elle agir ? Avec nos compétences, avec les initiatives que nous avons menées et l'offre qui existe, il me semble que nous pouvons être à l'avant-garde de la mise en oeuvre de ce Nouvel agenda urbain. Il nous revient, en réseau avec d'autres acteurs étrangers, de construire ces solutions de demain. Nous devons bien sûr accomplir cette tâche avec nos valeurs, notre respect de la chose publique et de l'intérêt général, nos spécificités et nos compétences en matière de smart city, de partenariat public-privé, de modèles de logement social, de relations villecampagne, de contractualisation et de planification. Nous sommes d'excellents coopérants internationaux, avec un véritable appétit pour les relations internationales. Cela peut nous permettre de construire des plateformes d'expertise à même de tirer la meilleure substance du sud pour l'introduire dans un regard universel. On vient à ce propos de nous annoncer la naissance d'un réseau mondial des agences d'urbanisme, initiative que je salue. Nous possédons également une capacité d'innovation à valoriser sur les questions urbaines. n° HS automne 2017 Vers un Habitat IV ? Une conférence Habitat IV aura-t-elle lieu ? Lorsque nous avons négocié le dernier paragraphe du Nouvel agenda urbain avec Maryse Gautier, j'ai demandé l « pour mémoire » 85 DOSSIER Coopération urbaine et circulations transnationales « pour mémoire » l n° HS automne 2017 86 dossier À la croisée des routes intermunicipales Réseaux de villes et configurations circulatoires (1913-2013) Renaud Payre, professeur de science politique, Institut d'études politiques de Lyon, laboratoire Triangle (UMR 5206 CNRS) Cela fait cent ans que les municipalités de différents pays créént des regroupements et des associations pour systématiser leurs contacts, qui avaient bien évidemment commencé auparavant sous d'autres formes (correspondances, voyages d'étude, lectures), et qui continuent aujourd'hui à exister selon des modalités diverses. Cent ans que des groupements cherchent non seulement à défendre des intérêts urbains auprès des pouvoirs publics nationaux et internationaux, mais également à procéder à des échanges de savoirs, d'initiatives, de politiques entre ville et tentent ainsi de défendre une régulation intermunicipale ne passant plus uniquement par les États-nations. Cent ans d'activités, de questions, de débats, d'organisation au sein de groupements ébauchés à la fin du XIXe siècle, mais qui ne prennent une tournure permanente qu'en 1913 à Gand (Belgique). Les propos qui vont suivre s'inscrivent dans la lignée d'un ensemble d'enquêtes n° HS automne 2017 socio-historiques. Ces études souhaitent repérer le travail d'institutionnalisation des réseaux de villes, réseaux qui voient le jour dès la fin du XIXe siècle1-2 . En rétablissant une épaisseur historique des réseaux, en les isolant comme objets d'études, une nouvelle grille de lecture s'impose. Le réseau est bien saisi comme une configuration : il repose sur des initiatives de quelques villes, départements ou régions, sur des relations entre ces différents acteurs territoriaux. Les motifs d'engagement dans ces réseaux sont divers et reposent soit sur des stratégies politiques des représentants, soit sur des recherches de ressources cognitives (une forme d'expertise), soit également sur des recherches de ressources matérielles (atteindre Bruxelles pour bénéficier de financements européens). Par un effet d'agrégation, le réseau gagne en autonomie et pèse ­ à travers des ressources comme des contraintes ­ sur ces relations, voire sur le gouvernement des villes ou des territoires3 . Cette attention portée aux réseaux prolonge une analyse des formes de circulations transnationales d'acteurs, d'idées, de ressources. Le réseau est vu comme une institution établissant des connections. Une telle configuration repose sur l'existence d'un groupe d'acteurs individuels et collectifs qui investissent du temps, de l'énergie et des ressources dans l'établissement et l'entretien de connexions destinées à faire circuler des objets. Il s'agit de repérer qui sont les acteurs centraux de ces espaces de circulations et, par une analyse de réseaux, de proposer une étude des trajectoires de ces acteurs en repérant à la fois leurs Annuaire d'histoire administrative européenne, « Formation et transfert du savoir administratif municipal », 15, 2003 (ed : Nico Randeraad) 2 Contemporary european history, "Municipal Connections : Co-operation, Links and Transfers among European Cities in the Twentieth Century", 11(4), 2002 (ed : Pierre-Yves Saunier) 3 R. Payre, "The Importance of Being Connected: City Networks and Urban Government. Lyon and Eurocities (1990-2005)", International Journal of Urban and Regional Research, 2010/2, pp.260280 1 l « pour mémoire » 87 ressources sociales, leur formation, leur carrière et leur position politique. Ces espaces transnationaux reposent sur l'investissement d'acteurs de différentes nationalités qui d'ailleurs évoluent au gré des moments historiques. Ils s'appuient également sur l'accord de ces acteurs autour d'un langage et d'un projet politique communs. C'est bien la question du contenu des échanges qui est ici pointée. Trois configurations nous semblent devoir être dégagées : la première, internationaliste, est centrée sur la municipalité comme espace de transformation sociale et politique (des années 1900 aux années 1930) ; la deuxième est orientée vers le monde bipolaire et fait de la ville un vecteur de l'ordre international (des années 1940 aux années 1970) ; la troisième enfin fait de la ville un rempart à la globalisation (depuis les années 1980). délégations composées d'élus, d'employés et d'agents techniques qui se rendent dans d'autre villes, bien souvent dans des pays étrangers. C'est le cas en France. C'est également une pratique très largement diffusée au sein des municipalités d'Europe du Nord qui multiplient dès les années 1870 les enquêtes à l'étranger, participent à des congrès et à des expositions et créent ainsi un réseau transnational de compétences municipales 4-5 . L'ambition de ces déplacements est l'acquisition et l'application de nouvelles connaissances et la mise en place d'innovations dans les secteurs de la vie urbaine les plus divers. Le premier âge est un âge réformateur : une véritable « toile municipale » s'organise avec la création de l'Union internationale des villes en 1913 à Gand 6-7 qui, au nom de l'autonomie des villes, cherche à imposer une administration du monde par les municipalités interventionnistes. Ces réseaux reposent en partie sur une matrice socialiste : un socialisme internationaliste et municipaliste. C'est effectivement en 1913 et en marge de l'Exposition universelle que se tient le premier congrès international des villes. Ce congrès est orienté vers l'étude et la transformation de la vie municipale urbaine. Les organisateurs de cette manifestation figurent parmi les animateurs de la société bruxelloise internationaliste des premières décennies du siècle, et interviennent sur différentes scènes de la capitale belge : le Parti ouvrier, la franc-maçonnerie, les sciences sociales naissantes et l'activité internationaliste dans le domaine technique et savant (notamment à partir de l'Institut International de Bibliographie). Dans tous ces domaines, on perçoit la même volonté : dépasser l'organisation nationale comme unique cadre de l'action publique. L'Union internationale des villes, qui naît de ce congrès, poursuit quatre objectifs qui rejoignent ce projet : représenter les idées et les intérêts en matière municipale, mettre en rapport les administrations communales de divers pays, leur offrir des services d'utilité commune et enfin étudier la vie municipale. L'ambition est bien de développer une connaissance approfondie de la ville saisie comme un tout car « tout est dans la ville ». Ses artisans partagent un constat : le XIXe siècle a connu une urbanisation sans précédent. La cité serait « devenue un centre où s'exercent et s'amalgament toutes les activités de l'homme moderne » (1er congrès international des villes) 8 , de l'éducation au travail en passant par l'assistance et l'économie (notamment via les régies municipales directes ou semi directes). Ces mutations, pensent-ils, exigent une mise en commun des savoirs, M. Hietala, « La diffusion des innovations : Helsinki 1875­1917 », Genèses, 10, 1993, p.74­89 5 M. Hietala, "Transfer of German and Scandinavian Administrative Knowledge : Examples from Helsinki and the Association of Finnish Cities, 1870-1939", Yearbook of European Administrative History, 2003 6 P.-Y. Saunier, « La toile municipale au XIXe-XXe siècles : un panorama transnational vu d'Europe », Urban History Review, XXXIV (2), 2006 7 R. Payre, Une science communale ? Réseaux réformateurs et municipalité providence, Paris, CNRS Ed., 2007 8 Ibid. « pour mémoire » 4 Age 1 : Naissance de la toile intermunicipale (des années 1900 aux années 1930) Lorsque les premiers réseaux internationaux se forment, les circulations intermunicipales ont déjà une histoire qui remonte en grande partie à la fin du XIXe siècle. On peut penser aux voyages d'études municipales, c'est-à-dire aux l n° HS automne 2017 88 des expériences et des revendications. Le congrès fondateur de l'Union internationale des villes réunit des acteurs aux intérêts variés (élus, fonctionnaires d'Etat, employés municipaux et universitaires). La ville, dans sa totalité, leur paraît cristalliser l'ensemble des « problèmes » qu'ils avaient identifié auparavant. Ces hommes s'investissent dans la recherche de nouvelles manières de penser les possibles réformes urbaines, armés de la conviction que c'est par la cellule urbaine, conçue comme un tout à la fois sur le plan historique, sociologique et économique, que pourra être menée une réforme sociale internationale pour laquelle ils oeuvrent depuis quelques décennies. L'activité de l'Union va souffrir du premier conflit mondial. Il faut attendre 1924 pour que les édiles, essentiellement européens, se réunissent à nouveau lors du deuxième congrès international des villes d'Amsterdam. Les congrès se succèdent ensuite à un rythme relativement régulier : à Paris en 1925, à Séville et Barcelone en 1929, à Londres en 1932, à Berlin et Munich en 1939. Des conférences intermédiaires ont lieu en 1930 à Liège et Anvers, à Lyon en 1934, à Paris en 1937 ou encore à Glasgow en 1938. L'Union internationale des villes cherchera à deux reprises à obtenir la reconnaissance de la Société des Nations (SDN). En 1924-1925, elle tente ainsi d'y faire reconnaître la doctrine de l'intermunicipalité offrant aux villes la possibilité de nouer des relations internationales officielles. Après un premier refus de la part des Etats, les principaux responsables de l'Union n° HS automne 2017 internationale des villes se mobilisent à nouveau au moment où la conférence économique internationale, organisée en 1927 par la SDN, décide de créer un conseil économique permanent. Il s'agit d'y obtenir un siège pour mieux représenter les communes. Les dirigeants s'appuient sur un argument avancé dès 1924 : les communes sont les principaux entrepreneurs, employeurs et consommateurs dans les pays industrialisés. Cette fois encore, la démarche n'aboutit pas. Cette configuration circulatoire réformiste est donc marquée par des hommes venus du parti socialiste et épris d'internationalisme et de municipalisme. Le projet utopique « administrer le monde par la municipalité » se transforme petit à petit en objectif de plus en plus technique. Le réseau devient un vecteur d'échanges de bonnes pratiques en matière de gestion municipale. L'Union internationale des villes est par ailleurs un des réseaux de consolidation de la science de l'administration publique. devient concurrentielle à partir de 1951 avec la création du Conseil des communes d'Europe qui se distingue de l'ambition réformatrice des premiers réseaux de villes. L'Union internationale des villes poursuit quant à elle ses activités. L'association a, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, adopté un rôle d'expert municipal et de détenteur de connaissances techniques sur la ville. Ce rôle se construit en partie dans les interactions que les responsables de l'Union parviennent à créer avec de nouveaux interlocuteurs internationaux, et notamment dès août 1947 à travers l'obtention d'un statut consultatif officiel au sein du Conseil Économique et Social de l'Organisation des Nations Unies (ECOSOC). D'autre part, dans le contexte de l'après Seconde Guerre mondiale, le mouvement fédéraliste européen joue un rôle déterminant. En 1950, Adolphe Gasser (historien suisse et théoricien du fédéralisme), accompagné de Jean Bareth (membre de « la Fédération »), propose au cours d'une réunion à Seelisberg la création d'un Conseil des communes d'Europe. Il est finalement créé en juillet 1951 par des édiles français, allemands, suisses et italiens. Ce mouvement, qui s'avère être un concurrent direct de celui animé par l'Union internationale des villes, semble se distinguer nettement de l'idéal réformateur poursuivi depuis 1913. L'enjeu des fédéralistes est moins de perfectionner l'organisation municipale et de transformer le gouvernement des villes que de promouvoir l'idée d'une fédération Age 2 : les réseaux de villes dans un monde bipolaire (des années 1940 aux années 1970) Le deuxième âge est celui de l'après Seconde Guerre mondiale. De fait au niveau international, la toile municipale l « pour mémoire » 89 européenne, en sollicitant l'appui des administrations communales et surtout de l'ensemble des élus locaux. Après la Seconde Guerre mondiale, l'Union Internationale des Villes, définitivement renommée International Union of Local Authorities (IULA), est plus présente dans les pays scandinaves et d'Europe du Nord. Elle reste une association de maires urbains plus préoccupés par la diffusion des innovations techniques et administratives que par la structuration d'échanges politiques. Deux éléments doivent être avancés pour mesurer les transformations de la toile intermunicipale. Premièrement, on relève une mobilisation des élus locaux sur les enjeux internationaux. Des années 1950 à la fin des années 1970, le trait commun à toutes ces organisations (le CCE, l'Union internationale des maires pour le rapprochement franco allemand créée en 1947, ...) est d'être structurées par des militants politiques. La plupart des permanents sont membres de partis ou élus locaux. D'ailleurs ­ et c'est particulièrement vrai en France ­ les principaux partis créent à cette époque leurs propres associations d'élus locaux qui n'hésitent pas à développer des relations internationales. On peut d'autre part relever les effets des clivages politiques nationaux ­ voire internationaux ­ sur les associations d'élus et de municipalités. L'Association des maires de France connaît ainsi en 1947 une profonde crise liée au départ des élus municipaux communistes suite à l'évolution des alliances nationales. Deuxièmement ­ et c'est lié - c'est bien l'ordre international qui préside à la constitution de ces nouveaux réseaux. Le conseil des communes est, à ce titre, avant tout guidé vers la construction européenne (par les municipalités). Les réseaux sont également traversés par des conflits propres à la guerre froide. On le saisit particulièrement autour de la question des jumelages qui donnent lieu à des associations non seulement concurrentes mais aussi aux orientations politiques antagonistes 9 . Ainsi des instances nationales ­ partis politiques voire gouvernements ­ font des réseaux de villes des outils de légitimation de positions dans un monde bipolaire. Après la Seconde Guerre mondiale, c'est cette fois le gouvernement fédéral états-unien qui encourage les municipalités américaines à prendre part aux groupements internationaux : il attend d'elles qu'elles contribuent aux activités d'assistance technique vers les pays du Sud dans le cadre du Point IV program du président Truman, puis sous la présidence d'Eisenhower qu'elles jouent leur rôle dans la `people to people' diplomacy. On retiendra que cette configuration circulatoire est marquée par une concurrence des réseaux de villes de plus en plus marqués par la guerre froide et la construction d'un ordre international. On peut ainsi pointer la politisation de ces réseaux et leur volonté d'asseoir un discours davantage politique que celui porté à la veille de la Seconde Guerre Mondiale. Parmi les outils de construction des liens intermunicipaux, les relations bilatérales vont connaître un réel engouement à cette période à travers la pratique des jumelages, au nom notamment d'ambitions pacifistes et bien souvent fédéralistes. C'est là « l'invention d'une tradition communale » qui marque les relations intermunicipales pendant une quarantaine d'années10 . Age 3 : la désindustrialisation et la compétitivité territoriale (depuis les années 1980) Il est frappant de voir l'importance des réseaux intermunicipaux dans des périodes de crise économique. C'est vrai pour l'entre-deux-guerres comme pour la période qui commence dans la décennie 1980. C'est particulièrement net pour les villes britanniques dans lesquelles c'est la désindustrialisation qui conduit durant les années 1980 les élus municipaux et les responsables économiques à adopter de nouvelles stratégies économiques. Très concrètement, il s'agit de diversifier les activités, de s'orienter vers des activités de services, vers la confection d'une nouvelle image de la ville, et de trouver pour cela des ressources financières que les gouvernements conservateurs n'accordent A. Vion, La constitution des enjeux internationaux dans le gouvernement des villes françaises (1947-1995), Thèse de doctorat de science politique, Université Rennes 1, 2001. 10 Ibid. 9 « pour mémoire » l n° HS automne 2017 90 pas. Ce travail de production d'une nouvelle image de la ville est entrepris précocement par les Chambres de commerce puis par les élus qui s'investissent à l'international, notamment au niveau européen. Birmingham est une ville qui symbolise cette motivation économique d'engagement dans les réseaux internationaux : ses représentants jouent un rôle fondamental dans la création du réseau Eurocities, et s'appuient en parallèle largement sur les financements de la Commission Européenne pour transformer leur ville. La participation aux associations internationales de municipalités peut donc fournir des ressources. Le troisième âge est donc lié à la désindustrialisation. Les villes s'engagent dans un processus d'internationalisation notamment pour des raisons économiques et les principaux réseaux qui se structurent le font au nom du développement économique. C'est le cas du Club des eurométropoles (qui repose sur les chambres de commerce et notamment celle de Bordeaux) et d'Eurocities. La toile municipale ­ ou l'espace de circulations pré-existant ­ est ainsi investie par de nouveaux enjeux. En 1986, à Rotterdam, une réunion consacrée aux villes comme moteurs de la croissance en Europe a été le foyer de ce dernier réseau, Eurocities, qui repose en grande partie sur ces traditions intermunicipales. Le réseau des villes fondatrices s'appuie en effet sur des jumelages existants. Lyon est ainsi sollicité notamment pour la rencontre de Rotterdam de 1986 et surtout pour la conférence de Barcelone en 1990 en raison des relations bilatérales nouées et entretenues avec Francfort et Birmingham. n° HS automne 2017 Les années 1980 sont par ailleurs marquées par la multiplication des réseaux de villes ou de régions avec par exemple le réseau Métropolis ou encore, en 1985, l'Assemblée des régions d'Europe. Des réseaux plus thématiques défendant des intérêts sectoriels se structurent comme le réseau des villes éducatrices (initié par Barcelone), Luci (pour les villes Lumières), Délices, etc. On pourrait également évoquer la création en 1977 de l'autre côté de l'Atlantique du réseau Partners for Livable cities. Dans ce mouvement, il faut repérer en quoi les réseaux deviennent des instruments de promotion des villes. D'autres réseaux se forment autour d'enjeux davantage politiques. Les municipalités cherchent à s'emparer de nouvelles compétences et le réseau devient un outil de captation de telles compétences. Les États-Unis de Ronald Reagan voient des municipalités s'opposer à l'administration républicaine via une diplomatie locale. Cette politique municipale étrangère vise à défier les politiques nationales d'armement nucléaire, de défense civile, de relations avec les régimes révolutionnaires, de réception et d'accueil des réfugiés, de protection sociale. Les municipalités proposent une alternative politique à l'échelle globale, et elles le font à travers des congrès et des réseaux : la First International NFZ (Nuclear Free Zone), Local Authority Conference en 1984 ou encore le World Congress of Local Governments for a Sustainable Future organisé, en 1990, à New York et rendu possible par le Programme des Nations Unies pour l'Environnement et IULA11 . Nous retiendrons principalement deux choses de cette configuration circulatoire. Premièrement, un espace concurrentiel de la représentation des intérêts territoriaux se structure à partir des années 1980. Les réseaux de villes se multiplient à cette période et ce jusqu'à la fusion d'une partie d'entre eux sous le nom de Cités et gouvernements locaux unis en mai 2004. À Londres en 2005, les représentants de plusieurs mégapoles se réunissent pour prendre position sur la question du changement climatique, et fondent le Cities Climate Leadership Group (C40) en 2006. Deuxièmement, à travers ces réseaux, il est acquis que les villes sont davantage en mesure de faire face à la globalisation que les gouvernements nationaux. Autrement dit, les villes ­ soit comme moteurs de la croissance économique, soit comme sujets exposés aux effets de la crise ­ sont capables de construire une mondialisation distincte. A bien des égards, cette troisième configuration ­ dans un tout autre contexte international et économique ­ semble ressembler à la première tout en mobilisant des éléments de la deuxième. Le changement passera par les villes ­ même s'il n'est pas question de dépasser le néolibéralisme comme le souhaitaient les réformateurs du début du siècle. Mais les villes doivent proposer un ordre mondial plus juste tant sur le plan économique que politique ou climatique. 11 W. Magnusson, The search for political Space, Toronto, University of Toronto Press, 1996 l « pour mémoire » 91 En guise de conclusion, un programme : les réseaux comme grille d'analyse Le réseau est à la fois un objet et un point de vue scientifique. Les réseaux de villes permettent de saisir la circulation et la diffusion d'orientations et d'instruments de politiques publiques. Autrement dit, il s'agit de revenir sur l'importance des circulations intermunicipales dans la structuration des gouvernements urbains (des circulations qui par ailleurs donnent naissance à de nouveaux acteurs de l'action publique urbaine européenne : les bureaux des réseaux de villes). En prenant au sérieux les réseaux, leur genèse, les rapports de force qui s'y nouent, les conflits (sur les visées, sur l'institutionnalisation du réseau), on se distingue d'une simple approche en terme de transfert « mécanique » de modèles ou de politiques publiques d'un territoire à un autre. On se défait d'une lecture quelque peu fonctionnaliste des échanges et des transferts, pour adopter une analyse en termes de circulation, attentive aux acteurs qui rendent possible la circulation, aux conditions matérielles des échanges d'idées, de savoirs, ainsi qu'aux rapports de forces D'abord, nous observons les réseaux comme des groupes d'intérêts, pour lesquels il est question de s'unir pour agir. Les territoires et leurs représentants vont chercher à peser comme groupes de pressions. Quel travail politique est mis en oeuvre pour représenter les territoires ? En quoi certains thèmes mis à l'agenda politique ­ national ou européen ­ constituent-ils des opportunités ? On peut penser à des lois sur l'aménagement urbain de l'entre-deux-guerres tout comme aux nouvelles politiques climatiques contemporaines. Mais ce motif de création des réseaux n'est probablement pas suffisant. La plupart des réseaux appellent à des échanges de savoirs et de bonnes pratiques. En quoi cette revendication est-elle partagée par les territoires adhérents ? Comment mesurer et objectiver ces échanges ? En quoi certaines villes parviennent-elles à s'imposer comme des références et des modèles ? Observe-t-on une forme de compétition ? Comment, à travers la construction de modèles, les réseaux oeuvrent-ils à une forme de standardisation ? Quelle place jouent les bureaux des réseaux dans ce processus ? Les réseaux s'imposent également comme une forme d'action publique. De fait les acteurs nationaux comme les acteurs supranationaux mettent en place ­ ou soutiennent ­ des réseaux et ce notamment dans leurs politiques à destination des territoires. Est-ce une nouvelle forme d'action publique ? Les travaux socio-historiques nous aideront à avancer dans le débat. En quoi le réseau devient-il une nouvelle technologie de gouvernement ? Quelles visées se dégagent de la mise en oeuvre de cette technologie ? Quels en sont les effets ? Une fois de plus, est-ce une forme d'harmonisation en douceur des modes de gouvernement que l'on peut chercher à repérer ? Au niveau européen ou supranational, est-ce aussi une forme de contournement des États ? Une recherche de légitimation de l'action des villes comme celle qu'on a pu observer en Europe à la fin des années 1980 et au début des années 1990 ? Enfin, un quatrième champ de questionnement peut s'ouvrir autour du très périlleux thème des effets des circulations sur les gouvernements urbains. De fait l'interconnexion proposée par les réseaux n'est pas forcément la circulation de pratiques et de politiques publiques. Pour penser la circulation, il faut observer le retour des sessions thématiques, des congrès, des voyages proposés par les réseaux. Autrement dit, quels usages les acteurs territoriaux font-ils de ces échanges ? Comment peut-on objectiver les réceptions des débats ou encore des visites ? Etudier les réseaux permet ainsi de discuter de la notion de convergence des gouvernements des territoires et de l'action publique territoriale. Existe-t-il une convergence en douceur des gouvernements métropolitains ? Plutôt que d'invoquer les lois mystérieuses et invisibles de la mondialisation, nous pouvons pointer comment des transferts institutionnels et politiques s'opèrent entre différentes entités gouvernementales. Les réseaux ne peuvent être étudiés qu'au regard des inflexions, traductions et hybridations qui s'opèrent au cours des échanges. C'est bien une analyse territorialisée des réseaux que nous proposons dans nos études sur les premiers réseaux de villes comme sur les plus contemporains. « pour mémoire » l n° HS automne 2017 92 dossier Exporter l'expertise urbanistique française Esquisse d'une histoire à travers ses agents et ses marchés Clément Orillard, université Paris-Est, Lab'Urba (EA 3482) A côté des échanges liés aux réseaux ou aux organismes internationaux, la circulation de l'expertise française en matière d'urbanisme s'est aussi développée à travers des logiques d'exportation-importation qui s'inscrivent dans une histoire longue. Loin de faire un bilan de cette dernière, il s'agira ici d'en esquisser une possible analyse à travers deux pôles empruntant au vocabulaire économique : les agents et les marchés de cette expertise. A partir de cette ambition modeste, interroger les logiques de production et de consommation d'expertise peut se résumer à deux questions : Qui sont les agents exportateurs ? Quels sont les marchés importateurs ? L'urbanisme est un champ aux limites floues mais dont l'histoire est bornée. Le périmètre choisi ici correspond donc à n° HS automne 2017 toute expertise développée par tout type d'acteur professionnel dans le cadre de politiques publiques en urbanisme ou en aménagement urbain. La période choisie débute avec l'émergence du champ entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle, sanctionnée par la stabilisation du vocable « urbanisme » aux alentours de 1910-1920. Si l'étude de l'export et de l'import du XIXe au XXIe siècle implique le prisme national, celui-ci n'est pas sans rapport avec l'urbanisme qui a participé de la construction des États-providences nationaux, surtout en France où il est devenu une politique publique nationale en 1943. Les producteurs d'expertise étudiés sont donc des agents dont le siège de l'activité est en France et, en miroir, les différents périmètres nationaux sont abordés comme autant de marchés consommateurs. Multiplication et renouvellement des agents exportateurs Plusieurs auteurs ont décrit la nature cumulative de la construction d'un milieu professionnel français de l'urbanisme hétérogène1 . Au delà des professions "pré-urbanistiques" de l'architecte et de l'ingénieur, plusieurs figures d'urbanistes se succèdent : l'ingénieur sanitaire et le producteur de plan du XIXe siècle à la seconde guerre mondiale, le chargé d'études à partir de la seconde guerre mondiale et enfin les profession- Voir, en particulier, V. Claude, Faire la ville. Les métiers de l'urbanisme au XXe siècle, Marseille, Parenthèses, 2006. 1 l « pour mémoire » 93 nels de l'urbanisme opérationnel. Or dans chacune de ces catégories nombre d'acteurs individuels ou collectifs français ont aussi développé une action dans un périmètre bien plus large que celui du territoire national. Ils ont ainsi constitué progressivement un milieu de l'exportation de l'urbanisme français. formelle une administration en charge du patrimoine de l'État. Les aléas politiques que connaît la France durant tout le XIXe siècle ont pu encourager cette immigration. Elle a pris une forme plus organisée dans le cadre de la « Mission artistique française » constituée en 1816 par Joachim Lebreton qui a joué un rôle clé dans l'émergence d'un milieu artistique professionnel au Brésil2 . Au contraire de l'architecture, le monde du génie civil est fortement structuré dès le milieu du XIXe siècle à travers des formations, notamment celle de l'École nationale des ponts et chaussées (ENPC), et des sociétés privées constituant une véritable industrie des travaux publics. Ces entreprises, soutenues par des capitaux importants et une demande nationale forte, connaissent une croissance très rapide qui leur permet de s'orienter vers les marchés étrangers dès que la demande nationale fléchit vers le milieu du XIXe siècle, et notamment vers le bassin méditerranéen, l'Europe Centrale, la Russie, puis à partir des années 1880, l'Amérique Latine, la Chine et l'Afrique. Le cas le plus connu est celui de la Société de construction des Batignolles (SCB) fondée en 1846 par Ernest Gouin, formé à l'ENPC, qui compte en 1913 pas moins de onze filiales hors de la métropole dont six hors du périmètre de l'Empire colonial3 . de la mise en place de techniques sanitaires dans le cadre de l'hygiénisme dès les années 1850, jusqu'à la définition d'une réglementation basée sur le plan comme outil avec la loi Cornudet de 1919. Deux foyers interconnectés apparaissent comme des lieux clés dans le développement de ces innovations successives qui seront rassemblées sous le vocable "urbanisme". Or tous deux sont aussi des vecteurs clés d'une exportation de l'expertise française dans ce champ. Cette exportation est rapidement importante, ce qui est paradoxal tant la France n'est pas forcément le pays le plus avancé au sein du mouvement international touchant à ces questions par rapport à l'Allemagne, le Royaume Uni ou même la Belgique. En réalité, la force de cette expertise semble s'appuyer sur les positions acquises par l'architecture et le génie civil et français. Le premier foyer correspond aux administrations municipales qui se structurent dès le XIXe siècle et en premier lieu, celle de Paris. Le développement de cette dernière est marqué par les travaux d'Haussmann sous le Second Empire qui ont un impact important à l'étranger et qui, tout en étant une systématisation de techniques parfois anciennes, participent du mouvement de modernisation. A côté des importations qui les ont nourris, les services de la ville de Paris développent une véritable action d'expor- Avant l'urbanisme : architectes immigrés et filiales d'entreprises de travaux publics L'aménagement de l'environnement bâti est marqué en France par la structuration par l'État, relativement tôt, de deux champs professionnels : l'architecture et le génie civil. Or l'exportation de l'expertise française dans ces deux champs s'inscrit dans des modalités différentes. Milieu dont l'exercice est encore peu formalisé avant la seconde moitié du XXe siècle en France, l'architecture française s'exporte surtout à travers l'immigration de professionnels français, comme d'autres artistes compatriotes mais aussi comme d'autres architectes européens. L'importance acquise par le classicisme français, puis par le discours issu de l'École nationale supérieure des beaux-arts (ENSBA) dans les débats architecturaux à travers différents pays, fait que nombre de gouvernements étrangers font appel à des architectes français dès le XVIIIe siècle. Il s'agit souvent de réaliser des programmes d'édifices publics de différentes natures, parfois d'y développer l'enseignement de l'architecture voire de mettre en place localement d'une manière plus ou moins Entre le sanitaire et le plan : la ville de Paris et la Société française des urbanistes (SFU) à l'étranger La naissance de l'urbanisme en France se déploie sur une longue période allant L. M. Schwarcz et A. P. Simioni, « La colonie des artistes français à Rio de Janeiro en 1816 : un passé recomposé », Brésil(s), n°10 (2016). 3 R. Park, D. Barjot, La société de construction des Batignolles. Des origines à la Première Guerre mondiale, Paris, PUPS, 2005. « pour mémoire » 2 l n° HS automne 2017 94 Plan directeur d'Istanbul réalisé par Henri Prost, nd. (1935-1950) ©Académie d'architecture/Cité de l'architecture et du patrimoine/Archives d'architecture du XXe siècle sollicité pour développer des missions à l'étranger. L'expertise de son directeur, l'architecte Joseph Antoine Bouvard, et d'un de ses principaux cadres, l'ingénieur-paysagiste Jean-Claude Nicolas Forestier, se déploie sur un périmètre plus vaste (Belgique, Espagne et surtout Empire Ottoman, Argentine, Brésil, Cuba, Maroc). Les missions de ces experts sont courtes la plupart du temps, en général moins d'un an4 . Bechmann et Forestier permettent d'aborder le second foyer d'innovations urbaines auquel ils participent aussi : le mouvement militant qui se développe au sein du Musée Social (et participe à la discussion de la loi Cornudet). Les acteurs de ce mouvement déploient rapidement une action à l'étranger qui s'appuie sur l'importance internationale acquise par l'architecture Beaux-Arts. Léon Jaussely fait figure de pionnier en remportant des concours internationaux pour la production de plans de grandes villes (lauréat à Barcelone en 1905 puis remarqué à celui pour le Grand Berlin en 1910) 5 . Ce groupe issu du Musée social fonde en 1911 la Société française des architectes-urbanistes, devenue en 1921 la Société française des urbanistes (SFU) dont trois grandes figures de l'exportation de l'expertise française sont issues. tation de ces techniques à la demande de villes étrangères. Cette exportation s'appuie d'abord sur son service des Études et travaux des eaux d'égouts et d'assainissement de la Seine. Ses deux premiers directeurs, les ingénieurs des ponts et chaussées Alfred Durand-Claye et Georges Bechmann, développent ainsi une carrière d'expert essentiellement en n° HS automne 2017 Europe (Angleterre, Italie, Allemagne, Belgique, Hongrie, Roumanie, Grèce mais aussi Egypte). Au début du XXe siècle, l'autre service en charge des travaux de modernisation de Paris dans la poursuite de l'oeuvre haussmannienne, le service des Promenades et plantations, est lui aussi B. Landau, « Techniciens parisiens et échanges internationaux » in André Lortie (dir.), Paris s'exporte. Architecture modèle ou modèles d'architecture, Paris, Picard, 1995, p.205-215. 5 Voir la notice biographique du fond Léon Jaussely, archives de la Cité de l'architecture et du patrimoine (http://archiwebture.citechaillot.fr/ fonds/FRAPN02_ JAUSS). 4 l « pour mémoire » 95 Responsable dès 1913 de la planification des grandes villes du Maroc puis d'Alger, l'architecte Henri Prost est en charge de l'aménagement d'Istanbul de 1936 à 1951 6 . Troisième du concours pour la nouvelle capitale de l'Australie en 1912, l'architecte et sociologue Donat Alfred Agache développe une carrière essentiellement brésilienne à partir de 1932 d'abord à Rio puis pour d'autres villes 7. Collaborateur de Prost pour le plan d'Alger, l'ingénieur centralien Maurice Rotival déploie, lui aussi, à partir de 1939 l'essentiel de sa pratique à l'étranger notamment à Caracas au Venezuela 8 . Deux autres figures de la SFU diffusent les pratiques urbanistiques françaises dans l'Empire colonial : le cabinet des frères René et Raymond Danger, géomètres et architectes, en Afrique du Nord et au Moyen Orient et l'architecte Louis-Georges Pineau en Indochine 9 . D'autres architectes non membres de la SFU mais ayant une carrière prolifique à l'étranger développent une pratique importante en matière de planification urbaine. Après la conception du Fairmount Parkway à Philadelphie dès 1917, Jacques Gréber s'occupe de la planification d'Ottawa, de Montréal et de Québec à partir de 194510 . Correspondant local du cabinet Danger lors de l'établissement du plan d'extension de Damas à partir de 1932, Michel Ecochard devient directeur du service de l'Urbanisme en Syrie (1940-44) et au Maroc (1947-53) avant d'entamer une carrière d'urbaniste libéral travaillant en Iran, au Sénégal, en Guinée et à nouveau en Syrie et au Liban où il est une figure fondatrice du champ 11 . La « fonction étude » en urbanisme intégrée dans la politique de coopération La Seconde guerre mondiale engage un mouvement d'institutionnalisation de l'urbanisme qui devient l'objet de politiques publiques importantes et donne naissance à un nouveau genre de production préalable à la planification : les études d'urbanisme. L'expertise répondant à cette demande est le produit non plus d'une action individuelle mais plutôt d'acteurs collectifs, dont plusieurs s'inscrivent dans un nouvel activisme qui s'oriente notamment vers le développement du Tiers Monde. En parallèle, l'État met en place une politique d'actions urbanistiques dans ses colonies en multipliant les missions techniques. Avec la décolonisation, la politique dite de « coopération » prend le relais dans ces territoires nouvellement indépendants, et inclut rapidement des territoires extérieurs à l'ancien Empire. La création d'un Secrétariat des missions d'urbanisme et d'habitat (SMUH) dès 1959, devenu en 1978 l'Agence coopération et aménagement (ACA), permet de coordonner ces missions 12 . La mise en place de la « coopération décentralisée » à partir de 1983 touche l'urbanisme en permettant aux collectivités locales et à leurs organismes d'y participer. L'exportation de l'expertise française en urbanisme est ainsi reconfigurée au prisme de ces trois tendances nouvelles. Une partie importante de cette production d'études est rapidement sous-trai- tée « en externe » auprès de structures variées. Une partie d'entre elles plonge ses racines dans un militantisme social naturellement intéressé par les pays en développement. Le réseau Economie et humanisme, fondé en 1941 par le père dominicain Joseph Lebret, est à la fois une figure de la transition entre action individuelle et collective et l'un des principaux inventeurs de méthodologies d'enquête sociale développées dès 1945 pour le nouveau ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme. En s'appuyant sur le courant social de l'Église catholique, qui innerve l'enseignement et un réseau de conseillers politiques, c'est un acteur majeur de diffusion de ces techniques dans le Tiers Monde, surtout en P. Pinon et C. Bilsel (dir.), From the Imperial Capital to the Republican Modern City : Henri Prost's Planning of Istanbul (1936-1951), Istanbul, Istanbul Aratirmalari Enstitüsü, 2010 (version française virtuelle de l'exposition à la Cité de l'architecture et du patrimoine : https://expositions-virtuelles. citedelarchitecture.fr/prost/00-OUVERTURE.html). 7 D. K. Underwood, « Alfred Agache, French Sociology, and Modern Urbanism in France and Brazil », Journal of the Society of Architectural Historians vol. 50 n°2 (1991), p.130-166. 8 C. Hein, « Maurice Rotival: French Planning on a World-Scale », Planning Perspectives vol.17 n°3 et 4 (2002), p.247-265, 325-344. 9 Notices biographiques des fonds Danger frères et fils, Société des plans régulateurs de villes et Louis-Georges Pineau, Cité de l'architecture et du patrimoine (http://archiwebture.citechaillot.fr/ fonds/FRAPN02_DANGE - http://archiwebture. citechaillot.fr/fonds/FRAPN02_PINLO) 10 J. M'Bala, « Prévenir l'exurbanisation : le Plan Gréber de 1950 pour Montréal », Urban History Review / Revue d'histoire urbaine vol.29 n°2 (2001), p.62-70. 11 E. Verdeil, « Michel Ecochard in Lebanon and Syria (1956-1968). The spread of Modernism, the Building of the Independent States and the Rise of Local professionals of planning », communication au 12e congrès de l'Association européenne d'histoire urbaine, Lyon, 2008. 12 Voir l'historique dans J.-L. Vénard, Intervention française dans le secteur urbain : en Afrique noire francophone, Paris, Economica, 1986. « pour mémoire » 6 l n° HS automne 2017 96 Amérique Latine, notamment au Brésil, mais aussi au Sénégal et au Liban13 . Une autre structure d'études en urbanisme s'inscrivant dans le réseau du catholicisme social est le Bureau d'études et de réalisations urbaines (BERU) fondé en 1957. Cette coopérative, qui a un rôle majeur en France notamment dans la planification de la Basse Vallée de la Seine, développe très vite une action en Algérie, en Tunisie, en Italie, en Israël, et au Congo Kinshasa14 . A partir de la fin des années soixante et du début des années soixante-dix, c'est un autre militantisme de gauche et tiers-mondiste qui prend le relais à travers la création de bureaux d'études spécialisés dans les contextes de développement. Appartiennent à cette catégorie le Groupe Huit fondé en 1967 en Tunisie et qui étend son action à partir de 1977 ailleurs en Afrique et en Haïti puis en Chine dans les années quatrevingt, ou encore ACT consultants, fondé en 1970 à Paris par d'autres militants actifs du développement15 . D'autres organismes généralistes s'occupant de développement valorisent aussi une expertise urbanistique comme le GRET. Le versant activiste de ce militantisme urbanistique se structure avec la fondation en 1983 de l'ONG Association internationale de techniciens, experts et chercheurs (AITEC). Une autre partie de ces structures d'études est le fruit de la recherche de relais de croissance par des sociétés capitalistiques. Paribas, groupe financier largement impliqué dans le secteur de l'immobilier, fonde en 1948 un bureau n° HS automne 2017 d'étude, l'Omnium technique de l'habitat (OTH). Si des filiales sont rapidement créées en Algérie et au Maroc à la fin de la période coloniale, son action se déploie après la décolonisation sur des marchés d'Europe de l'Ouest, d'Amérique du Nord et d'Amérique Latine notamment à travers la vente de procédés de construction. Celle-ci est dynamisée après le choc pétrolier : la création des filiales OTH International en 1975 et OTH Développement en 1980 renforce sa position en Afrique tout en lui permettant de devenir un acteur clé de l'ingénierie urbaine en Irak, en Egypte et en Arabie Saoudite16 . La SERETES, filiale urbaine de la SERETE, société d'ingénierie fondée en 1947, dispose quant à elle de correspondants en Suisse et en Espagne et d'une filiale au Brésil 17. L'État a aussi progressivement développé une capacité d'étude « en interne » sous la forme de nouveaux organismes publics ou para-publics en charge de missions d'étude. Certains créés dans le cadre de l'administration coloniale sont directement à destination de l'action dans ce périmètre avant de se développer au-delà. C'est le cas du Bureau central d'étude pour les équipements d'outre mer (BCEOM) créé en 1949 18 comme de la Société d'études pour le développement économique et social (SEDES) créée en 1956 par la Caisse des dépôts et consignations. La coopération en urbanisme se développe aussi à partir d'organismes agissant sur le territoire national et accumulant ainsi une expertise précieuse. Leur action à l'étranger peut prendre la forme d'une filiale spécialisée comme lorsque la SCET, filiale en aménagement urbain de la Caisse des dépôts créée en 1955, fonde en 1959 la SCET-Coopération, renommée dix ans plus tard SCETInternational19 . Ces missions de coopération, tout en représentant une part non négligeable des études produites, peuvent aussi ne pas être isolées dans un département spécifique. C'est notamment le cas au sein de l'Institut d'aménagement et d'urbanisme de la région parisienne (IAURP), créé en 1960, et qui devient en 1976 Institut d'aménagement et d'urbanisme de la région Ile de France (IAURIF). Malgré une action qui se déploie sur plusieurs continents à partir de 1967, il ne constitue un département chargé de ces actions qu'au début des années quatre-vingts 20 . Avec la coopération décentralisée, les agences d'urbanisme se lancent en effet elles aussi dans D. Pelletier, Économie et humanisme. De l'utopie communautaire au combat pour le TiersMonde (1941-1966), Paris, éditions du Cerf, 1996. 14 M. Prévot, Catholicisme social et urbanisme. Maurice Ducreux (1924-1985) et la fabrique de la cité, Rennes, PUR, 2015. 15 « Hommage à Lucien Godin », site internet du Groupe Huit, 01/06/2016 (http://groupehuit. com/fr/hommage-%C3%A0-lucien-godin-0) et Entretien avec Gustave Massiah in T. Paquot (dir.), Conversations sur la ville et sur l'urbain, Gollion, InFolio, 2008, p.526-539. 16 P. Jambard, « Ingénierie, banque et État en France : l'O.T.H. face à la crise des années 19701980 », Entreprises et histoire n°71 (2013), p.127136. 17 Voir V. Claude, op. cit., p.172-173. 18 Association des anciens et amis du BCEOM, 60 ans au service du développement. Histoire du BCEOM, Paris, éditions 3A, 2009. 19 Caisse des dépôts et consignations, 30 ans de coopération internationale, Paris, Caisse des dépôts et consignations, 1988. 20 « Partenariats et international ­ Champs géographiques », site internet de l'IAU (https://www. iau-idf.fr/linternational/missions-a-linternational/ champs-geographiques.html). 13 l « pour mémoire » 97 l'action à l'international. Deux vont plus particulièrement développer ce type de missions : l'Agence d'urbanisme de la communauté urbaine de Lyon à partir de 1991 à Ho Chi Minh Ville, et l'Atelier parisien d'urbanisme (APUR) à partir de 1992 à Phnom Penh après une expérience au Liban dès 197721 . maritime). A côté de celles-ci, des opérateurs publics peuvent aussi s'engager eux-mêmes directement dans l'export comme Aéroports de Paris au début des années soixante-dix. La réalisation d'opérations d'envergure ou innovantes sur le territoire national suscite aussi progressivement une demande importante de la part d'opérateurs étrangers. Le Groupe central des villes nouvelles (GCVN) fondé en 1970 crée ainsi un poste « architecture, urbanisme, exportation » et fonde en 1984 le Groupement d'Intérêt Economique « Villes Nouvelles de France » (GIE VNF), associant tous les établissements publics d'aménagement de villes nouvelles. Celui-ci intervient en Amérique Latine, en Afrique et en Asie. A partir de 2003, le GIE s'ouvre à d'autres acteurs publics (sociétés d'économie mixte locales, établissements publics d'aménagement de rénovation urbaine etc.) et prend le nom d'« Aménageurs et Développeurs en France » (GIE ADEFRANCE) 24 . Dès 1987, les PactArim, organismes para-publics coordonnant les Opérations programmées d'amélioration de l'habitat (OPAH), développent des missions de coopération avant que ne soit fondé en 1993 le Pact-Arim International qui intervient au Maghreb, en Amérique Latine et en Europe de l'Est 25 . A côté de ces acteurs publics ou parapublics, les acteurs privés de la promotion immobilière restent très majoritairement dans un cadre national. Certains, comme les grandes foncières commerciales, s'aventurent au maximum dans quelques pays européens comme l'Espagne, l'Italie ou la Pologne. En fait, l'expertise privée opérationnelle s'exporte avec le retour au premier plan dans les années quatre-vingt du génie civil et de l'architecture, qui profitent pleinement de la libéralisation en marche de l'économie mondiale. Les groupes de travaux publics s'appuient sur un acquis, leur action continue à l'international, et bénéficient de la nouvelle conjoncture. Après de nombreuses restructurations et l'arrivée de nouveaux acteurs, le choc pétrolier engage ce milieu à trouver des relais de croissance au-delà du marché national. La position dominante de groupes de BTP français dans le monde comme SGE et Eiffage leur permet de profiter de la libéralisation mondiale des marchés de services urbains 26 . Ces groupes développent une ingénierie urbaine importante à destination des marchés émergents qui deviennent rapidement des acteurs incontournables. Exporter la fabrique de la ville : assistance à maîtrise d'ouvrage et maîtrise d'oeuvre A partir des années soixante, l'État puis les collectivités locales se lancent dans la production urbaine avec la constitution d'un milieu de la maîtrise d'ouvrage publique et de la maîtrise d'oeuvre urbaines. L'action à l'export des différents acteurs de cette politique d'aménagement, qui passe par divers canaux, est plus contrastée. A l'image de la SCET, les acteurs publics et para-publics de la maîtrise d'ouvrage urbaine se comportent comme des prestataires d'assistance à maîtrise d'ouvrage locale en exportant des méthodes et des démarches notamment en programmation et montage d'opérations. Dès la fin des années cinquante, l'État constitue des filiales d'études à l'export nommées Sociétés françaises d'études et de réalisations (SOFRE) liées aux principaux maîtres d'ouvrage publics d'infrastructure : la Sofrérail, filiale de la SNCF créée en 195722 , la Sofrétu, filiale de la RATP en 1960 23 , rejointes par la Sofréavia en 1969 (aéroports et transport aérien) et la Sofrémer en 1976 (ports et transport Les activités internationales de l'Agence d'urbanisme de l'agglomération lyonnaise, Lyon, UrbaLyon, 2008 et « International », site internet de l'APUR (http://www.apur.org/activites-internationales). 22 M. Tessier, « Les actions de coopération internationale de la SNCF pour le transfert de connaissance », Revue générale des chemins de fer, juillet-aout 1983, p.395-400. 23 A. Jeux, « La SOFRETU et la coopération technique dans les transports urbains », Revue générale des chemins de fer, mars 1983, p.139-144. 24 GIE ADEFRANCE, Rapport d'activité, 2009. 25 E. Salin, « La réhabilitation dans les centres anciens dans les grandes villes du Sud : entre maintien des populations pauvres et tentatives de gentrification ? » in M. Gravari-Barbas (dir.), Habiter le patrimoine, enjeux, approches, vécu, Rennes, PUR, 2005, p.281-295. 26 D. Barjot, « Introduction », Histoire, économie et société, vol.14 n°2 (1995), pp. 147-161. « pour mémoire » 21 l n° HS automne 2017 98 Les acteurs de l'architecture profitent eux aussi de la conjoncture mais grâce à une transformation majeure du milieu professionnel. Après le renforcement de la renommée internationale de l'architecture française à travers la politique mitterrandienne de grands travaux, la crise immobilière et les négociations du GATT sur la libéralisation des services posent la question de l'exportation. Très rares sont les agences qui ont alors participé à des missions de coopération préparant une action plus large à l'export comme ARTE Charpentier à Shanghai 27. Face au constat de cette faiblesse, le milieu professionnel et la direction de l'Architecture et du patrimoine du ministère de la Culture fondent en 1996 l'association « Architectes français à l'export » (AFEX) 28 . Quelques agences françaises se rapprochent alors du modèle des grandes agences anglosaxonnes. Or, comme la plupart de ces agences comptant au moins un associé formé en urbanisme et ayant bénéficié des grandes ZAC lancées en France, elles répondent rapidement à des commandes de maîtrise d'oeuvre urbaines notamment en Chine puis en Russie. français en urbanisme, trois types successifs semblent émerger. Le premier s'inscrit dans la grande vague de politiques de modernisation, articulée avec la première mondialisation qui va du XIXe siècle au début de la première guerre mondiale. Le deuxième est issu de la colonisation française puis de la décolonisation. Enfin, le troisième s'inscrit dans la deuxième mondialisation des années soixante-dix à nos jours et les politiques de modernisation des pays dits « émergents ». Pour chaque type, la construction des marchés puise principalement dans des registres différents : culturel pour le premier, politique pour le second, économique pour le troisième. modernisation » pour l'expertise française, notamment urbaine, que le gouvernement français a pu soutenir dans une concurrence avec l'Angleterre puis avec l'Allemagne30 . Ainsi, l'Asie du XIXe et du début du XXe siècle, qui n'est pas une aire de réception du positivisme, n'est pas un marché important pour cette expertise malgré, par exemple, le rôle du centralien Emile Pelegrin dans le développement de l'éclairage public au Japon à partir de la fin des années 1860 31 . Au contraire, en Russie, dans l'Empire ottoman, ou dans les jeunes républiques latino-américaines, cette adhésion à une pensée universaliste française de la modernité apparaît comme la matrice d'une « francophilie » culturelle 32 dont Les marchés de la modernisation : des constructions politico-culturelles Au XIXe siècle, les classes dirigeantes de nombreux pays cherchent à intégrer la mondialisation déployée à partir de l'Europe en transformant leur système politique et économique, et ceci dans le cadre d'une double construction de la nation et de l'Etat. Ces politiques de modernisation s'appuient sur l'adoption d'une culture de la « modernité » produite en Europe depuis le XVIIIe siècle. Très tôt, la France s'affirme comme l'un de ses principaux foyers à travers le saint-simonisme et la philosophie positiviste d'Auguste Comte, qui produisent des discours dont l'aire de réception est structurée à travers la création de l'Alliance française en 1883 29 . Cette aire correspond à autant de « marchés de la Les trois types de marchés importateurs Lorsque l'on analyse les marchés où s'est déployée l'action à l'international des diverses catégories d'experts n° HS automne 2017 P. Clément, « Une longue histoire ­ ARTE Charpentier et la Chine » in Wenyi Zhou et Pierre Chambron, De l'architecture à la ville ­ ARTE Charpentier en Chine 2002-2012, Paris, ICI Interface, 2012. 28 F. Contenay, Rapport du groupe de travail architecture et exportation, Paris, MATET, 1995. 29 F. Chaubet, « L'Alliance française ou la diplomatie de la langue (1883-1914) », Revue historique, n°632(2004), p.763-785. 30 Voir A. Novick, « Foreign Hires: French Experts and the Urbanism of Buenos Aires 1907-32 » in Joe Nasr, Mercedes Volait (dir.), Urbanism: Imported or Exported ? Native Aspirations and Foreign Plans, Chichester, Wiley-Academy, 2003, p.265289. 31 B. Brizay, « La France et les Français au Japon » in P. Bonichon, P. Geny, J. Némo (dir.), Présences françaises outre-mer (XVIe-XXIe siècle). Tome 1, Paris, ASOM ­ Karthala, 2012, p.709-717 32 J. Laurent, « La philosophie russe et le positivisme », Archives de Philosophie, vol.79 (2016), p. 229-231 ; G. Iiksel et E. Szurek (dir.), Turcs et Français. Une histoire culturelle, 1860-1960, Rennes, PUR, 2014 ; D. Roland, L'Amérique latine et la France. Acteurs et réseaux d'une relation culturelle, Rennes, PUR, 2011. 27 l « pour mémoire » 99 l'importation d'expertise française est une conséquence. Mais cette importation a une évolution très contrastée en fonction des pays. En Russie, l'architecture française occupe une place non négligeable dès le XVIIIe siècle et les entreprises de travaux publics sont fortement présentes du XIXe au début du XXe. Mais la Révolution d'Octobre 1917 est un moment de rupture et dans les quelques périodes d'ouverture qui suivent, l'URSS se tourne plus facilement vers l'expertise allemande. Il faut attendre la fin du régime communiste et le boom pétrolier des années 2000 pour que la Russie, devenue économie émergente, renoue avec cette francophilie urbanistique. Dans le périmètre de l'(Ex-)Empire ottoman, l'usage de l'expertise française est variable. Avec l'avènement de la République de Mustafa Kemal, l'urbanisme turc connaît une période francophile. Consultant officieux du gouvernement dès 1924, Henri Prost est à la tête du bureau d'urbanisme de la ville d'Istanbul de 1936 à 195233 . René Danger est aussi actif durant la même période en Turquie. Mais l'expertise française est fortement concurrencée par l'expertise allemande, puis par l'expertise nord-américaine qui s'impose, notamment diffusée par les institutions internationales. En Egypte, nettement marquée par le saint-simonisme, l'usage de l'expertise française s'inscrit dans le temps long. Dès le début du XIXe siècle, les cadres de l'administration locale en charge de la modernisation du pays, comme le directeur des Travaux publics Burhan Bey puis le ministre Ali Pasha Mubarak, sont formés en France. Quelques industriels tentent l'aventure comme Charles Lebon qui implante l'éclairage au gaz à Alexandrie et au Caire dans les années 1860. Surtout, de 1867 à 1897, il est fait appel aux cadres du service des promenades et plantations de la ville de Paris, Pierre Barillet-Deschamps et Gustave Delchevalerie, et à d'autres ingénieurs français pour prendre la direction de services en charge de l'aménagement de secteurs importants du Caire34 . De la fin du XIXe siècle à la seconde guerre mondiale, la domination de la Grande Bretagne correspond à une relative éclipse de l'expertise française, mais qui est par la suite de nouveau mobilisée. En 1954, l'étude des transports publics du Caire est confiée à la RATP puis la conception du métro, livré en 1987, à la Sofretu. A partir de 1981, l'IAURIF est missionné par le gouvernement pour mettre au point le schéma directeur du Grand Caire puis pour diverses études qui poursuivent cette réflexion 35 . C'est l'Amérique Latine qui apparaît très tôt comme une aire géographique majeure d'importation d'expertise française en urbanisme, malgré une concurrence importante impliquant l'expertise d'abord allemande ou espagnole puis nord-américaine. Le Brésil a une politique précoce d'importation de cette expertise même si elle est discontinue. L'architecte Grandjean de Montigny, membre de la « Mission artistique française », joue un rôle clé en devenant le premier professeur d'architecture de la nouvelle académie des Beaux-Arts et en concevant plusieurs projets de bâtiments publics. Au début du XXe siècle, on assiste aussi à une montée en puissance progressive des entreprises françaises de travaux publics. La Compagnie des Batignolles construit le port de Récife en 1918 puis fonde en 1934 une filiale, Brasilia Obras Publicas (BOP), pour déployer son activité dans le reste de l'Amérique Latine. Durant la même période, de nombreux architectes français s'établissent au Brésil pour répondre aux commandes publiques et privées. En matière d'urbanisme, l'expertise française est mobilisée très tôt à travers des acteurs clés. De 1862 à 1880, le gouvernement impérial charge un ingénieur civil et botaniste français, Auguste Marie Glaziou, de réaliser une série de nouveaux parcs et espaces publics pour sa capitale 36 . De 1927 à 1932, l'architecte-urbaniste Donat Alfred Agache produit un plan fondateur pour la mairie progressiste de Rio. A partir de 1941, il devient un des urbanistes officiels de la dictature de l'Estado Novo et réalise les plans de Recife, Porto Alegre, Curitiba. De 1947 à 1954, le père Lebret et le réseau Économie et humanisme lancent leurs premières enquêtes sociales dans P. Pinon et C. Bilsel (dir.), op. cit. M. Volait, « Making Cairo Modern (1870-1950) : Multiple Models for a European-style Urbanism » in J. Nasr, M. Volait (dir.), op. cit., p.17-50. 35 T. Souami, « Liens interpersonnels et circulation des idées en urbanisme. L'exemple des interventions de l'IAURIF au Caire et à Beyrouth », Géocarrefour vol 80 n°3 (2005), p.237-247. 36 M. Da Silva Pereira, « Paris-Rio : le passé américain et le goût du monument » in A.Lortie (dir.), op. cit., p.140-148. 34 33 « pour mémoire » l n° HS automne 2017 100 le Tiers monde à Sao Paulo où ils fondent un bureau d'études, la SAGMACS. A partir de 1977, l'IAURIF travaille au Brésil sur l'étude des transports collectifs de l'État de Sao Paulo avec la Sofrérail puis sur d'autres missions à Brasilia, Rio et Curitiba. Dès 1992, le GIEVNF est aussi largement mobilisé pour des missions très diverses, surtout pour l'État de Sao Paulo. L'Argentine est le pays qui fait le plus constamment appel à l'expertise française. Dès l'indépendance en 1816, des ingénieurs et architectes français participent à la fondation des services locaux de la construction à la demande des autorités locales. A la fin du XIXe siècle, l'architecture Beaux-Arts triomphe et plusieurs d'élèves de l'ENSBA développent une carrière argentine37. D'un autre côté, les entreprises françaises de travaux publics jouent un rôle clé dans le marché local, notamment dans la construction portuaire, jusqu'à la première guerre mondiale. L'urbanisme de Buenos Aires se développe dans cette atmosphère très francophile. Dès 1868, le gouvernement argentin fait appel à des professionnels français pour l'aider à bâtir des politiques publiques en matière de conception de jardin, règlement de construction, cadastre, etc. De grands techniciens de la ville de Paris interviennent dans la capitale argentine comme Charles Thays, ancien assistant d'Alphand, directeur des parcs et promenades de Buenos Aires dès 1891, Bouvard, à la tête de la commission pour le premier plan d'aménagement en 1909, ou encore Forestier, expert clé du second plan publié en 1923. n° HS automne 2017 La planification est ensuite laissée aux mains de professionnels locaux, mais la tradition francophile reste importante. Le Corbusier collabore ainsi au plan régulateur de Buenos Aires de 1947. Plus largement, le champ de l'urbanisme en Argentine s'inscrit directement dans la continuité du modèle fran- çais à travers la figure fondatrice de l'ingénieur Carlo Maria della Paolera, formé en France 38 . L'importation d'expertise française se renouvelle à partir des années soixante dans le cadre de la politique de coopération. Elle correspond notamment à la mise en place de la planification de l'aire métropolitaine Schéma directeur « Année 2000 » de la région métropolitaine de Buenos Aires, 1970 ©Presidencia de la Nacion, Argentina l « pour mémoire » 101 de Buenos Aires à laquelle collaborent dès 1967 l'IAURP puis la Sofrérail pour un projet de RER. Après le retour à la démocratie en 1983, l'IAURIF revient à Buenos Aires pour assister les acteurs de l'aire métropolitaine sur différents sujets. A partir de 1988, le GIEVNF intervient sur un projet de ville nouvelle privée puis sur divers projets d'infrastructure pour des municipalités 39 . La ville de Buenos Aires fait aussi appel à l'APUR ou au réseau Pact-Arim 40 . La présence continue des entreprises françaises de travaux publics durant tout le XXe siècle permet à leurs filiales concessionnaires de réseaux urbains de remporter plusieurs marchés lors des privatisations dès 1989. A côté de ces deux pays, d'autres font appel à l'expertise française. Mais à part le Venezuela, où la planification de Caracas confiée en 1939 et 1946 à Maurice Rotival 41 apparaît comme un événement isolé, il semble que cela soit surtout le cas à partir des années soixante. L'administration de la ville de Mexico missionne la Sofretu pour la mise en place du métro livré à partir de 1969, l'IAURP sur la planification du Grand Mexico à partir de 1982, ou encore le Pact-Arim International pour travailler sur la réhabilitation du centre ancien de Mexico à partir de 1998. Le gouvernement de Bolivie confie en 1977 à un groupement associant notamment l'IAURP et Economie et humanisme une expertise du schéma directeur de la Paz. La ville de Santiago du Chili fait appel dès 1994 à l'APUR pour travailler sur la question du patrimoine. Cette extension du marché latino-américain s'appuie sur la mise en place de la politique française de coopération et ses aides au développement. Les marchés du développement : la poursuite d'un héritage controversé En se constituant un empire colonial très vaste, la France a construit un territoire qu'elle a dû administrer et où les questions urbaines sont devenues majeures du fait de l'accélération de son urbanisation au XXe siècle. Dès les années vingt, certains espaces sont des terrains privilégiés pour l'expérimentation d'une expertise française en urbanisme. La fin de la seconde guerre mondiale voit la construction d'une administration plus dense en charge du « développement » de la « France d'Outre-Mer ». La reconversion partielle de cette administration après la décolonisation dans la « coopération » contribue à maintenir la demande en expertise française, notamment urbanistique, dans les nouveaux pays indépendants. Cette dépendance, spécificité française, évolue différemment en fonction des aires géographiques. Dans le Maghreb, le cadre juridique français reste un modèle et l'usage de l'expertise française est relativement constant. Si des professionnels locaux prennent place dans les organismes de planification issus de l'administration coloniale, le déficit local en matière d'études urbaines maintient une présence française. En Algérie, les organismes issus en particulier du Plan de Constantine de 1956 sont conservés, voire les experts eux-mêmes comme l'architecte Jean de Maisonseul. C'est en 1968 que de nouveaux organismes sont mis en place pour rompre avec l'héritage colonial mais l'expertise française, bien que mise en concurrence avec d'autres, reste présente notamment à travers le travail du BERU sur la région d'Alger pour le Bureau national d'études économiques et techniques 42 . A partir de 1977, l'IAURIF développe une série de missions sur la planification et l'aménagement d'Oran, d'Annaba et surtout d'Alger. Au Maroc, l'État fonde en 1967 un Centre d'expérimentation, de recherche et de formation (CERF) dirigé par un coopérant français. A partir de 1977, l'IAURIF intervient dans le pays pour ne plus en partir et devenir une des sources majeures d'études urbaines avec près d'une quinzaine de missions. Interviennent aussi la SCET International et le BCEOM ainsi que des bureaux d'études dont certains spécialisés dans l'urbain comme le Groupe Huit. Entre 1985 et 1995, la planification des grandes villes marocaines est même le monopole R. Gutierrez (dir.), Manifestaciones francesas en Argentina. Del academismo a la modernidad (1889-1960), Buenos Aires, CEDODAL, 2011. 38 A. Novick, art. cit. 39 C. Orillard, « Politique française des « villes nouvelles » et études à l'export. Le cas de l'action en Argentine », Histoire urbaine, à paraître. 40 A. Novick et L. Furlong, « Rénovation sectorielle et logiques résidentielles : le programme RECUP-Boca à Buenos Aires » in M. Memoli, H. Rivière Arc (dir.), Le pari urbain en Amérique latine. Vivre dans le centre des villes, Paris, Armand Collin, 2006, p.89-1075. 41 C. Hein, art. cit. 42 S. Almi, Urbanisme et colonisation. Présence française en Algérie, Sprimont, Mardaga, 2002. « pour mémoire » 37 l n° HS automne 2017 102 d'un architecte, Michel Pinseau, qui est un proche du roi43 . A partir des années 2000, le Maroc fait appel à l'APUR et à l'Agence d'urbanisme du Grand Lyon. Sa montée en puissance économique se traduisant par une politique de ville nouvelle, il fait appel à des agences d'architecture françaises dont il devient l'un des débouchés à l'export. Du côté du Machrek, la situation est très contrastée. La Syrie fait appel à Ecochard qui avait travaillé en Syrie et au Liban durant la période mandataire pour le plan directeur de Damas entre 1964 et 1968. Mais c'est au Liban que l'expertise française reste très largement mobilisée jusqu'à nos jours. Dès la fin des années cinquante, le gouvernement fait appel à deux acteurs français pour faire évoluer les documents d'urbanisme de Beyrouth : l'IRFED du père Lebret et de nouveau Ecochard. Le relais est pris par les organismes publics d'études français dans les années soixante-dix. Dès 1972, l'IAURP est appelé par le ministère des Travaux publics pour le schéma directeur du Grand Beyrouth et le développement industriel, et il effectue ainsi une douzaine de missions jusque dans les années 2000. En parallèle, l'APUR participe en 1977 à la mise au point du plan pour le centre de Beyrouth. Le Liban présente même un rare exemple de prise de contrôle d'un acteur français par un acteur local. En 1978, l'entreprise de BTP OGER est reprise par Rafik Hariri, transformée en bureau d'études, redéployée vers le Moyen Orient et utilisée comme appui pour la constitution de la société SOLIDERE en charge de la reconstruction après la guerre civile à partir de 199144 . n° HS automne 2017 Les pays d'Afrique sub-saharienne issus de l'Empire constituent l'aire géographique qui reste la plus durablement sous l'emprise de l'expertise française. Cette dernière s'étend même rapidement aux ex-colonies belges et à l'Île Maurice. De 1959 à 1964, le Fond d'aide et de coopération finance la poursuite des orientations adoptées lors de la fin de la période coloniale et la construction des nouvelles capitales auxquelles participent des bureaux d'étude français comme la SETAP à Abidjan en 1960. Puis le SMUH monte en puissance dans ces territoires dès 1965. Il apporte un appui technique et anime plusieurs équipes permanentes comme le BNETD à Abidjan, le BEAU à Kinshasa ou le MATIM à l'Ile Maurice. Dans d'autres villes, il participe au lancement de missions d'urbanisme ou coordonne des études dans d'autres. Ici encore, la SCET International et le BCEOM participent largement aux études urbaines et à la planification45 . C'est aussi le cas de bureaux d'études spécialisés dans la coopération comme le Groupe Huit ou le Centre africain des sciences humaines appliquées à Abidjan, et d'autres non spécialisés comme le BERU à Kinshasa ou encore la Compagnie d'études économiques et de gestion industrielle à Abidjan. L'IAURIF prend aussi place parmi ces producteurs d'études dès les années soixantedix et nombre d'agences d'urbanisme françaises lui emboîtent le pas avec les débuts de la coopération décentralisée. Enfin, le périmètre indochinois est un cas particulier. Après les conflits, la demande d'expertise se réoriente vers l'aide technique des pays "frères" com- munistes, celle de l'URSS notamment pour le Vietnam. Mais, dans les années quatre-vingt, avec la fin de cette aide et leur politique d'ouverture, ces pays font appel de nouveau à l'expertise française. La coopération décentralisée joue ici aussi pleinement son rôle, l'IAURIF effectuant sept missions à Hanoi de 1990 à 2002 et l'APUR s'impliquant à Phnom Penh de 1992 à 2009 ainsi que pour des missions plus courtes à Vientiane et Ho Chi Minh Ville. Au Vietnam, l'exportation d'expertise urbanistique s'inscrit désormais dans une nouvelle perspective, celle de l'émergence économique. Les marchés de l'émergence : une logique politico-économique Dans les années soixante-dix, des pays de régions sous-développées s'appuient sur certaines ressources importantes ou sur une dynamique économique très favorable pour mettre en place une planification étatique forte de leur développement socio-économique, basée notamment sur l'importation d'expertise étrangère46 . Dans certains de ces marchés, les experts français acquièrent P. Philifert, « Maroc : des études urbaines saisies par le changement ? », Géocarrefour vol.85 n°4 (2010), p.323-331. 44 E. Verdeil, Une ville et ses urbanistes : Beyrouth en reconstruction, thèse de doctorat, Paris 1, 2002 et Eric Verdeil, Beyrouth et ses urbanistes. Une ville en plan (1946-1975), Beyrouth, Presses de l'IFPO, 2011. 45 J.-L. Vénard, op. cit. et L. Haguenauer-Caceres, « Construire à l'étranger. Le rôle de la SCET Coopération en Côte d'Ivoire de 1959 à 1976 », Histoire urbaine n°23 (2008), p.145-159. 46 Voir C. Jaffrelot (dir.), L'enjeu mondial. Les pays émergents, Paris, Presses de Sciences Po, 2014. 43 l « pour mémoire » 103 une place non négligeable. La France est alors une puissance économique importante, fondatrice du G7 en 1976, et développant une politique géostratégique autonome au sein du camp occidental. Surtout, sous Valéry Giscard d'Estaing, l'aide technique est réorientée vers le soutien à l'économie française en particulier à travers l'approvisionnement en pétrole et le développement de marchés, réorientations en partie conservées sous François Mitterrand47. Le déploiement de ces « marchés de l'émergence », bien que passant souvent par la signature d'accords de coopération culturelle, scientifique et technique, est donc d'abord sous-tendu non par une adhésion culturelle mais par des intérêts politico-économiques bilatéraux. Dans le monde arabe dont la France est proche depuis 1964, la demande d'expertise est liée à la montée en puissance économique de plusieurs pays à la suite du choc pétrolier, notamment ceux de la péninsule arabique. Dès les années soixante, quelques architectes français sont en charge de projets d'équipements publics dans certains pays. S'ils se situent hors de l'ancien périmètre du mandat français au Proche Orient, cette exportation de l'expertise peut cependant s'appuyer sur l'expérience française au Liban ou en Syrie. Après avoir été lauréat du concours pour le musée national du Koweït, Michel Ecochard réalise ainsi en 1973 avec une équipe franco-libanaise le plan de la nouvelle capitale du Sultanat d'Oman. Aéroports de Paris obtient l'un de ses premiers contrats à l'export en 1974 pour la conception et la réalisation de l'aéroport d'Abu Dhabi. C'est surtout l'Arabie Saoudite, signataire dès 1963 d'un accord bilatéral de coopération, qui fait un usage important de cette expertise. En 1976, elle lance un appel d'offre pour l'étude de la planification des six principales agglomérations du pays dont trois impliquent des bureaux d'études français : la SCET International avec la SEDES pour la capitale, Riyad, la SERETE pour Jizzah, et OTH secondant l'agence saoudienne IDEA pour la ville nouvelle industrielle de Yanbu48 . L'IAURIF participe aussi à ces trois études. La coopération française marque le pas dans les années quatrevingt-dix bien que le GIEVNF obtienne en 2000 une mission d'appui à l'équipe d'urbanistes locaux pour le nouveau plan de Riyad. L'Asie, coeur de ces « marchés émergents », est dominée par l'aide technique japonaise depuis les années cinquante. Pourtant l'expertise française conquiert de nouvelles positions à partir de la fin des années soixante-dix. C'est le cas de l'Asie du Sud-Est et notamment de l'Indonésie. Si ce pays fait appel à une filiale de Schneider & Cie pour réaliser cinq des plus importants ports du pays dès 1957, c'est à partir de 1972 que son gouvernement cherche l'appui économique de la France. Suite au choc pétrolier, le gouvernement de Valéry Giscard d'Estaing en fait un partenaire majeur, partenariat poursuivi sous François Mitterrand du fait de la proximité de ce pays avec le Vietnam. Aéroports de Paris et Sofréavia remportent en 1976 le contrat d'étude du nouvel aéroport de Djakarta prolongé par l'étude de plusieurs aéroports régionaux. En 1982, cette coopération prend une autre dimension avec l'accord de coopération bilatérale d'aide technique signé entre les ministres français et indonésien en charge de l'urbanisme. Dans ce cadre, le GIEVNF mène de 1984 à 1989 sa première expérience d'assistance technique pour la conception d'une ville nouvelle, Bekaci, dans l'agglomération de Djakarta, avec notamment OTH et Economie et Humanisme. Entre 1994 et 1996, la Sofrerail puis Systra sont chargés de la planification d'une ligne à grande vitesse pour l'île de Java. L'accord inclut aussi un volet de formation d'urbanistes indonésiens en France. En Malaisie, pays frère et rival de l'Indonésie, l'imaginaire haussmannien semble aussi jouer un rôle clé dans le choix par le gouvernement, en 1995, de l'agence d'architecture Dubus-Richez pour participer à la conception de la future nouvelle capitale Putrajaya, puis en 1997 dans l'implication de l'agence Viguier pour la ville nouvelle de Bandar Nusajaya en face de Singapour. En Thaïlande, les expériences sont plus éparses : Bouygues est choisi en 1990 pour construire la ville nouvelle de Muang Thong Thani (conçue par une équipe australienne) puis le GIEVNF est F. Godement, « Une politique française pour l'Asie-Pacifique ? », Politique étrangère 1995/4, p.959-970 et H. Terres, « Le « pivot » français vers l'Asie : une ébauche déjà dépassée ? », Politique étrangère 2016/1, p. 177-188. 48 Sur Riyad, voir B. George et L.-P. van der Brulle, « Riyadh, architectes français en Arabie Saoudite » in M. Culot et J.-M. Thiveaud, Architectures françaises outre-mer, Liège, Mardaga, 1992, p.206-219 et P. Menoret, Royaume d'asphalte : Jeunesse en révolte à Riyad, Paris, La Découverte, 2016. « pour mémoire » 47 l n° HS automne 2017 104 Dubus & Richez, Plan masse de la ville nouvelle de Putrajaya, nouvelle capitale administrative de Malaisie, 1997 ©Dubus & Associés chargé en 1996 de concevoir l'aménagement d'un vaste terrain de l'Université Chulalongkorn dans le centre de Bangkok. Mais ces actions sont stoppées par la crise économique asiatique49 . La percée française en Asie touche aussi et surtout le monde chinois. A Taiwan, c'est suite au choix de la Sofrerail en 1990 pour la conception de la ligne à grande vitesse Taipeh-Tsioying que l'IAURIF et le GIEVNF sont chargés de l'évaluation de la politique de villes nouvelles qui lui est associée en 1992-1993 50 . Mais c'est en Chine même que cette importation est massive et durable. Après avoir reconnu précocement le régime communiste, la France signe avec ce pays un accord de coopération scientifique dès 1978. C'est dans ce cadre que sont développés les premiers échanges entre experts français et chinois, jusqu'à la visite officielle du ministre français de l'Équipement en 1985 qui scelle une coopération approfondie en urbanisme. L'importation de l'expertise architecturale débute avec l'aide technique pour la rénovation du quartier de l'ancienne concession française de Shanghai, lancée en 1984. Avec l'AFEX et la création en 1997 d'un Observatoire de l'architecture de la Chine contemporaine, à l'initiative du ministère de la Culture français, elle se développe non seulement à travers des projets d'équipements mais Voir O. Petit, L'influence des villes nouvelles françaises en Asie dans leur rapport avec les idées, les entreprises et les hommes de l'art français, rapport pour le ministère de l'Équipement, 2002. 50 G. Antier, Près de Taipeh : terminus Danhai, Cahiers de l'IAURIF n°104-105 (1993), p.190-192. 49 n° HS automne 2017 l « pour mémoire » 105 aussi des études de conception urbaine. L'IAURIF effectue des missions d'évaluation des politiques urbanistiques dès 1986 pour le compte des Instituts d'urbanisme de Pékin et de Shanghai. Au total, il réalise plus d'une vingtaine de missions dont certaines ont eu un impact déterminant sur l'urbanisme chinois comme par exemple l'aide technique pour la mise en place de la compétition internationale pour la conception du quartier d'affaires de Pudong à Shanghai en 199251 . Le GIEVNF effectue lui aussi cinq missions depuis l'étude de la ville historique de Suzhou (1991-94) jusqu'à l'étude de l'aménagement d'un nouveau quartier de Tianjin (2003). des questions dans la période actuelle de désengagement de l'État mais aussi des autres acteurs publics. Au-delà de l'expertise professionnelle, qui est relativement bien renseignée même si les données sont fragmentées et parfois manquantes, l'urbanisme français s'est aussi exporté à travers la formation c'est à dire le public international de ses instituts et écoles et la diffusion du ou des modèles sur lesquels sont basés ces derniers. Les études encore très limitées sur ce sujet semblent montrer que ce secteur est aussi fortement marqué par cette dimension internationale 52 . Conclusion L'exportation est donc un fait majeur de l'urbanisme français. Depuis ses origines et tout au long de son histoire, la plupart de ses acteurs clés, qu'ils soient individuels ou collectifs, ont eu une action à l'international qui est souvent non négligeable dans le développement de leurs pratiques. Dans plusieurs pays de différents continents, ces acteurs se sont relayés au cours du XXe siècle dans l'établissement puis le maintien d'une importation de l'expertise française. Dans cette histoire, les acteurs publics, et au premier rang l'État, jouent un rôle central. Les données manquent pour la période précédant la seconde guerre mondiale mais sont éclatantes pour la période qui suit jusqu'à nos jours, malgré la décentralisation des années quatrevingts - ce qui ne manque pas de poser C. Henriot, « Les politiques chinoises de villes nouvelles : trajectoire et ajustements de l'action publique urbaine à Shanghai », Géocarrefour vol.90 n°1 (2015), p.27-38. 51 M. Jolé, Histoire turque de l'Institut d'urbanisme de Paris. Des étudiants de 1919 à 1969, Istanbul, IFEA, 2016. « pour mémoire » 51 l n° HS automne 2017 106 dossier Itinéraire d'un élu local à l'international Entretien avec Patrick Braouezec Propos recueillis par Samuel Ripoll Patrick Braouezec est président de l'établissement public territorial « Plaine Commune » et vice-président de la métropole du Grand Paris. Il avait auparavant été maire de Saint-Denis (1991-2004) et député de la SeineSaint-Denis (1993-2012). Il est également membre fondateur et co-animateur de la commission Inclusion sociale, démocratie participative et droits humains de Cités et gouvernement locaux unis, l'association des collectivités locales. Des premiers jumelages jusqu'à l'implication dans les réseaux de villes et dans les arènes onusiennes, mais aussi dans les forum sociaux mondiaux, il revient avec nous sur son engagement à l'international. Comment, en tant qu'élu local, vous êtes vous intéressé à l'international ? Quel était le contexte de l'action internationale de Saint-Denis lors de votre arrivée à la municipalité ? Comme beaucoup de villes, nous étions engagés dans des jumelages à l'international, qui s'étaient construits au lendemain de la 2e guerre mondiale. Nous avions ainsi au début des années 80, lorsque j'étais encore maire adjoint, des relations avec Gera (RDA), Coatbridge (Ecosse), Sesto San Giovanni (Italie) et Kievski (Quartier de Moscou). Ces villes avaient des caractéristiques assez similaires à Saint-Denis, et partageaient en particulier une certaine histoire, assez violente, de l'industrialisation. Puis, petit à petit, nous avons développé un travail plus directement en lien avec la ville de Saint-Denis au travers n° HS automne 2017 d'associations de personnes originaires de certains pays - je pense à l'Algérie, au Maroc, au Mali -, ce qui nous a amené à nous impliquer sur des coopérations décentralisées. En parallèle des jumelages « traditionnels », nous avons ainsi lancé ces partenariats sur des thèmes très précis, avec des échanges non plus uniquement sur des projets de loisir, sportifs ou culturels, mais sur des questions de formation, de renforcement de l'administration publique, de transports comme à Agadir, ou encore de désenclavement de certains villages au Mali. Tout cela nous a amené finalement à étendre les relations internationales que nous avions jusqu'à présent à d'autres pays et d'autres types de coopération. communiste. Comment ce facteur politique a-t-il influencé l'action internationale de la ville ? Y avait-il une approche particulière de ces questions au sein du PCF ? Il y avait au sein du PCF le groupe de travail POLEX (politique extérieure), qui avait longtemps été sous la responsabilité politique de Jean Kanapa, puis de Maxime Gremetz à partir de 1978 et pendant vingt ans, puis de Francis Wurtz. Leur approche des relations internationales était extrêmement marquée par une prégnance de l'URSS et des pays de l'Est, et restait très largement orientée et dictée par une vision solidaire avec le bloc soviétique. Par exemple, si les villes communistes n'étaient pas membres du Conseil des communes et des régions d'Europe (CCRE), c'était parce qu'il s'agissait d'une association qui Saint-Denis a par ailleurs longtemps été un bastion historique du parti l « pour mémoire » 107 événement ? Quels ont été ses impacts et ses suites, notamment pour la ville de Saint-Denis ? Je crois qu'Habitat II a été un moment charnière à bien des égards. Nous y avions été invités en tant que membres du bureau de la FMCU. Globalement, un des grands résultats pour moi a consisté dans la reconnaissance par l'ONU et les Etats du rôle fondamental des villes dans le devenir du monde urbain et dans la cohésion sociale. C'est d'ailleurs à partir de là qu'on a commencé à parler de « pouvoirs locaux ». Nous avons aussi pu rencontrer à Istanbul un grand nombre de villes qui partageaient notre engagement. C'est là que j'ai rencontré pour la première fois Raul Pont qui venait d'être élu maire de Porto Alegre. Istanbul a donc été un moment important dans la prise de conscience que l'international pouvait aussi permettre de se ressourcer et d'avoir des échanges d'expériences, d'expérimentations, notamment autour de la question du budget participatif et de la démocratie participative. Habitat II a permis de créer une véritable dynamique. C'est dans ce mouvement qu'en 1998 la municipalité de Barcelone, alors dirigée par Joan Clos, a pris l'initiative d'inviter les villes autour de l'écriture d'une charte des Droits de l'homme dans la ville. Plus d'une centaine de villes se sont retrouvées sur ce projet, et SaintDenis s'est particulièrement engagée dans son animation avec Barcelone et Venise. Nous y avons travaillé avec des personnalités comme l'historienne « pour mémoire » Une délégation de Coatbridge en visite dans un bidonville de Saint-Denis, 1968. ©Archives municipales de Saint-Denis/Pierre Douzenel contribuait au rapprochement des villes dans la perspective de la construction européenne, et bien entendu, le PCF ne pouvait pas s'y retrouver. Les villes communistes s'inscrivaient ainsi dans d'autres formes d'actions, toujours sur le même prétexte de la paix et de la solidarité entre les peuples, avec notamment une autre association, la Fédération Mondiale des Villes Jumelées (qui deviendra la Fédération Mondiale des Cités Unies, FMCU) qui incitait les villes à dépasser le mur en pleine guerre froide. A Saint-Denis nous avons assez rapidement pris des distances par rapport à cette approche, tout en continuant à explorer des thèmes comme celui de la paix. J'ai participé à un voyage au Japon, organisé par les Villes pour la Paix, pour le 50e anniversaire de Hiroshima et Nagasaki, en 1995. J'y ai découvert un nouvel espace politique et géographique, et aussi une nouvelle façon de voir les relations internationales autour de grands thèmes comme le désarmement nucléaire. Dans le même temps, la ville de Saint-Denis était membre de la FMCU, et aussi, paradoxalement pour une ville communiste, de l'International Union of Local Authorities (IULA). Nous avons d'ailleurs été très engagés dans le rapprochement souhaité de ces deux organisations, qui a abouti ensuite à la création de Cités et Gouvernement Locaux Unis (CGLU). Vous étiez présent au sommet Habitat II à Istanbul en 1996. Pourriez-vous nous raconter comment vous avez vécu cet l n° HS automne 2017 108 et militante Madeleine Reberioux ou encore les juristes Mireille DelmasMarty et Joan Bandres. Nous avons été invité en 1999, avec Barcelone, à participer à un sommet à Porto Alegre qui portait sur le budget participatif. C'est à ce moment que s'est construit, avec le soutien de l'Union Européenne, le réseau URB-AL, qui rassemblait des villes latino-américaines avec également neuf villes européennes, et qui a donné ensuite naissance à l'Observatoire international de la Démocratie Participative, qui existe toujours au sein de CGLU. Je fais ici une petite parenthèse. Quand Marta Suplicy a été élue maire de São Paulo en 2000, juste avant le Forum social de Porto Alegre, elle m'a invité à sa cérémonie d'investiture. Je me suis retrouvé avec les grands maires d'Amérique latine et d'Amérique centrale (Mexico, Asunción, Montevideo, Buenos Aires...). Je me demandais un peu ce que je faisais là jusqu'au moment où elle m'a donné la parole pour que j'explique ce que nous avions mis en place au niveau du budget participatif à Saint-Denis, parce qu'elle voulait créer un réseau des villes Latino-américaines autour de ces questions. En 2000, nous avons également signé la Charte européenne des droits de l'homme dans la ville, aux côtés de deux cent autres municipalités, dont Belfast n° HS automne 2017 et des villes italiennes qui avaient activement porté la démarche. Cette vaste dynamique s'est ensuite prolongée en parallèle des forums sociaux mondiaux, en particulier ceux de Porto Alegre, et la tenue du Forum social européen à Saint-Denis en 2003. Les forums sociaux ont un volet dédié à la ville au travers du Forum des Autorités Locales (FAL), qui connait depuis le début une participation importante. Ces événements ont permis pour la première fois d'organiser des rencontres entre les mouvements sociaux et les élus autour des questions urbaines. Du point de vue français, j'étais lors du premier forum social encore assez isolé. Mais dès la deuxième édition la mobilisation s'est accrue, avec la participation de plus de soixante-dix villes de l'hexagone. De nombreuses municipalités ont vu l'intérêt qu'elles pouvaient en retirer, les échanges d'expériences et d'idées. C'est de cette manière que Nanterre a développé des initiatives internationales sur les villes de banlieues, notamment en lançant le FALP (Forum des autorités locales de périphéries). Il y a bien sûr d'autres collectivités en France qui ont contribué à promouvoir cette action internationale, comme le Conseil général de Seine-Saint-Denis, celui du Val-deMarne, ou encore la municipalité d'Aubagne sur la question des villes pour la paix. Habitat II a permis de créer une véritable dynamique La ville de Barcelone occupe depuis longtemps une place prépondérante dans les débats internationaux sur la ville. Elle s'est engagée dès les années 80 dans la structuration de réseaux transnationaux de collectivités, dans l'organisation de sommets mondiaux, et dans la coopération de ville à ville sur de nombreuses thématiques, notamment la planification stratégique. Vous-même êtes en collaboration étroite avec elle depuis les années 90. Pourriez-vous nous raconter l'histoire de cette relation ? Notre histoire avec Barcelone remonte en effet au début des années 90. Nos liens sont depuis restés forts, et ce même lorsque la droite s'est emparée de la municipalité entre 2011 et 2015. Après avoir pris en 1993 la décision de construire le stade de France, nous avons contacté dès 1994 la mairie de Barcelone pour étudier ce qu'ils avaient mis en place dans le cadre des Jeux olympiques de 1992 et de leur plan stratégique. Nous nous sommes beaucoup inspirés de ce plan pour élaborer le projet urbain de la Plaine et faire en sorte que le stade ne vienne pas se poser comme une « soucoupe volante » sur le territoire, de manière hors-sol, mais qu'il vienne bien s'intégrer dans son environnement. C'était une expérience très intéressante. Nous avons ensuite approfondi ce partenariat en 1998 avec la conférence organisée par Joan Clos dont j'ai déjà parlé tout à l'heure. Barcelone s'est d'autre part beaucoup impliquée dans la Commission Inclusion sociale et démocratie participative de l « pour mémoire » 109 CGLU, que je co-présidais avec elle. Mais petit à petit, l'inclusion sociale et la démocratie participative n'étant plus forcément le moteur ou le centre de leur action publique, ils s'en sont un peu écartés. Mais nos relations nous ont permis néanmoins de maintenir en place la commission pendant un temps et de trouver de nouveaux partenariats avec par exemple Mexico ou Guangzhou, de manière à faire en sorte que cette commission continue à exister et à être la seule commission au sein de CGLU avec peut-être la commission Culture, également issue de Porto Alegre qui joue un rôle réellement politique autour des questions de villes et de métropoles. On sent bien qu'au sein de ces réseaux de villes ­ et de CGLU en particulier ­ il y a une tendance très forte à ce que l'administration prenne en main les problématiques sans qu'il y ait de débat politique. Bien souvent, nous avons dû imposer ces débats. Je me souviendrai toujours de l'ancienne secrétaire générale de CGLU, Élisabeth Gateau, à qui j'avais mené la vie dure lors du congrès de Mexico. Dans le projet de résolution finale il y avait beaucoup de choses qui ne nous convenaient pas parce qu'elles étaient très en deçà de l'exigence politique qu'on devait avoir sur le devenir des métropoles et des villes. J'ai participé personnellement à ces réunions parfois jusqu'à trois heure du matin, je leur disais que pour moi, une résolution finale d'une organisation comme celle-là n'était pas anecdotique, et qu'elle avait une portée universelle, parce que nous représentions les pouvoirs locaux. Si nous voulons être entendu au niveau de l'ONU et d'autres organismes, il faut que cette parole fasse sens et véhicule de vraies idées. Il faut que ce soit une vraie parole politique et pas simplement un ramassis de lieux communs passe-partout. n'aurait pas pu exister et mener un travail réellement politique sans la participation de Barcelone, de Bogota, de Nuremberg, de Mexico, de Quito, de Nantes ou encore de Guangzhou. De même, la commission culture doit beaucoup à l'engagement de Lille et Barcelone. CGLU se pose aujourd'hui la question de savoir comment investir davantage les élus parce qu'un élu dans une commission, c'est ce qui la fait vivre. Un des combats que l'on mène, c'est de faire en sorte que cela ne soit pas l'administration qui prenne le dessus, dans les groupes thématiques comme dans le pilotage global de CGLU. Ou plus précisément, comme il me semble qu'ils ont déjà le dessus, l'enjeu c'est que le politique reprenne sa part dans le devenir de ces associations. La structuration des collectivités locales à l'échelle mondiale a en effet connu un véritable élan en 2004 avec la création de CGLU, issue de la fusion des deux principales associations FMCU et IULA. Après avoir oeuvré à ce rapprochement, vous avez milité pour la création de la commission inclusion sociale, démocratie participative et droits humains, que vous co-animez encore aujourd'hui. Comment et pourquoi cette commission a-t-elle été conçue ? Comment voyez-vous votre place aujourd'hui au sein de CGLU ? La création de cette commission s'est faite dans la lignée du FAL qui accompagnait les forums sociaux. Nous nous sommes aperçus que nous avions structuré un certain nombre de villes autour de ce Forum, qui méritaient de peser au sein de CGLU sur les questions de démocratie participative et d'inclusion sociale, et nous avons donc fait cette proposition. Mais cela n'a pas été une bataille facile. Au départ les commissions thématiques de CGLU n'étaient pas prévues, l'organisation ne devait reposer que sur des sections régionales. Leur création en 2005 a aidé les pouvoirs locaux à mieux y trouver leur compte. Je pense que CGLU fonctionne d'abord grâce à la mobilisation des villes elles-mêmes et des élus. La commission inclusion sociale Vous vous êtes impliqué dans la préparation d'Habitat III et avez participé à la conférence en octobre dernier. Quel bilan en tirez-vous ? Comme beaucoup de ces sommets, le verre est à moitié vide ou à moitié plein selon que l'on est pessimiste ou optimiste. Il y a eu un travail préparatoire important dans lequel je me suis beaucoup impliqué. Nous avons eu de nombreuses de séances de travail à Barcelone, Nairobi, New York, qui étaient particulièrement intéressantes. Ce qui était aussi intéressant, c'était de voir que les idées que nous avons défendues sur la métropole inclusive, sur le droit à la ville pour tous, sur les questions de polycentrisme au sein des métropoles, ont fait leur petit bonhomme de chemin. « pour mémoire » l n° HS automne 2017 110 Ce n'était pas gagné d'avance. Nous avons senti qu'il y avait, notamment de la part des Anglo-Saxons, beaucoup de réticences par rapport à cette question du droit à la ville. Ce que je regrette beaucoup, c'est le très faible traitement médiatique dont Habitat III a fait l'objet, surtout si on le compare à la COP21, qui a fait l'objet d'un véritable battage médiatique. C'est tout de même un rendez-vous qui n'a lieu que tous les vingt ans, qui fixe un certain nombre d'objectifs sur les questions urbaines qui sont, on le voit bien, des questions politiques à part entière et à mes yeux au moins aussi importantes que les problématiques environnementales. Jamais on n'en a parlé une seule fois à l'échelon national. C'est assez déplorable. Le document final d'Habitat III est un document plutôt intéressant mais qui, comme souvent avec ce genre de papier, ne donne pas le sentiment que beaucoup de femmes et d'hommes politiques aient participé à la sa rédaction. Ce sont des administrations qui l'ont écrit, et c'est là où on est bien souvent sur du consensus mou ou sur quelque chose de fade. La conférence Habitat III en elle-même n'était pas particulièrement intéressante. Il y a eu des moments certes riches, notamment sur les tables rondes, qui n'étaient d'ailleurs pas vraiment des tables rondes mais plutôt des successions d'interventions. On voyait à ce titre qu'on était dans le tout et son contraire. On sentait que cela aurait mérité plus de débat contradictoire, et n° HS automne 2017 de mettre en perspective deux scénarios opposés, en s'intéressant à la question du type de croissance voulu pour les villes et à la question des métropoles attractive et compétitives. Faut-il amplifier le phénomène de métropolisation ? À deux ou trois reprises, notamment à New York où j'avais posé la question, on nous répond qu'en 2050, 80 % de la planète vivra dans un tissu urbain dense de type grande ville, métropole ou mégalopole. Est-ce souhaitable ? Est-ce inévitable ? Que fait-on à partir du moment où l'on considère que ce n'est pas souhaitable ? Est-ce qu'on laisse faire au nom de la compétitivité ou est-ce que le politique reprend le dessus en disant que ce n'est pas viable ? Aujourd'hui, l'une des questions clés sur le territoire français est de se demander jusqu'où doit aller la métropolisation. Et pour faire quoi ? Est-ce pour continuer à accentuer le désert français ou est-ce pour développer des métropoles qui deviennent rayonnantes et qui irriguent l'ensemble du territoire par des redistributions permettant aux autres territoires de devenir des centralités à part entière ? Toutes ces questions n'ont pas été tranchées, alors qu'elles me semblent fondamentales et valables dans tous les pays. C'est en effet valable sur le grand Paris et dans les métropoles moins peuplées, c'est ressenti de la même façon à Badalona par rapport à Barcelone, dans les banlieues de Madrid etc. C'est le cas aussi des villes brésiliennes avec lesquelles on a des contacts comme São Paulo ou Porto Alegre. D'ailleurs les échanges que nous avons eu avec d'autres villes sur ce sujet tout au long du processus nous ont été très utiles dans nos propres réflexions sur le Grand Paris. Je pense d'autre part que Habitat III a confirmé la présence des pouvoirs locaux dans les arènes internationales. Il faut tirer son chapeau à CGLU qui a su le faire de manière unie et consensuelle, parce qu'il existe une tendance des grosses villes à vouloir être les représentantes de tout le monde sans nécessairement obtenir l'accord des autres. Enfin, même si cela ne se retrouve pas toujours dans le document final, nous avons eu à Quito des débats sur de nombreuses thématiques, comme par exemple le foncier. Je me rappelle d'ailleurs une anecdote lors du Forum social mondial à Bamako en 2006. Lors d'une table ronde à laquelle j'avais participé, on voyait les questions foncières se poser de façon différente en Europe et en Afrique, mais finalement avec le même fond, et en particulier sur le sujet de la propriété foncière. La terre ne doit appartenir à personne. Elle devrait être exploitée par des gens en agriculture, elle devrait pouvoir être l'objet de construction, mais on devrait être propriétaire seulement du bâti et pas de la terre. l « pour mémoire » dossier 111 La coopération urbaine comme chantier de recherche Entretien avec Annik Osmont et Charles Goldblum Propos recueillis par Samuel Ripoll De quels savoirs a-t-on besoin pour analyser et éclairer la coopération urbaine ? Comment le paysage français de la recherche et de la formation en la matière s'est-il constitué ? Nous revenons sur ces questions avec deux chercheurs - Annik Osmont, anthropologue, et Charles Goldblum, urbaniste - qui ont consacré leur vie professionnelle à l'étude des transformations des villes dites du « Sud », et plus particulièrement à l'action spécifique des coopérations internationales et des transferts de modèles sur les systèmes urbains. Ils évoquent avec nous leurs parcours intellectuels et institutionnels, notamment depuis les années 60, l'évolution de leurs relations avec les acteurs du développement, et les apports possibles de la recherche et de la formation aux politiques de coopération. Comment avez-vous commencé à vous intéresser aux questions de coopération urbaine ? Dans quel contexte intellectuel ? Annik Osmont Mon Intérêt s'est porté très tôt sur la ville comme socio-système urbain, projection dans l'espace des rapports sociaux (ce que nous apprenait le sociologue Paul Henri Chombart de Lauwe dans les années cinquante). La ville lieu du changement social (Paris insurgé, en 1871, en 1944...), objet d'enjeux de développement économique très puissants. La reconstruction dans les années 50 du Havre, lieu de ma jeunesse, était l'objet de débats urbanistiques, sociaux et culturels qui agitaient jour après jour l'ensemble de la population. Mais la ville-port, c'est aussi l'ouverture au monde et ses cultures diversifiées, vers le Nord, vers les Amériques, qui stimule l'imaginaire vers la recherche d'un « Ailleurs » prometteur. Les deux thématiques se sont rencontrées à l'occasion du choc qu'a représenté la guerre d'Algérie, et plus généralement la prise de conscience des méfaits de la colonisation. Après des études de philosophie, j'ai évolué vers l'anthropologie, en suivant la formation de Georges Balandier à l'EHESS. Sa Sociologie des Brazzavilles noires (Presses de Sciences Po, 1954) était ma référence. Il y avait aussi le fort courant des tenants anglo-saxons de l'anthropologie sociale. C'est au Centre d'études africaines, dirigé par Balandier, que j'ai effectué mes premières recherches sur Dakar, dès 1965. J'étais intéressée par les pratiques des acteurs de la ville, d'abord à une échelle microsociale, celle d'une anthropologie de l'espace habité en ville. Très vite s'est posée la question du transfert des modèles d'habitat, dans une configuration de dualisme culturel entre tradition et modernité. En fait, les observations sur le terrain m'ont permis de conclure à une articulation entre tradition et modernité, à travers des pratiques souvent subtiles d'hybridation culturelle. Et c'est toujours cela qui a sous-tendu l'ensemble de mes recherches et de mes réflexions, qu'il s'agisse des pratiques citadines d'installation en ville et de son usage, ou de celles qui produisent les politiques urbaines et leur mise oeuvre. « pour mémoire » l n° HS automne 2017 112 Passant à l'échelle macro-sociale, je me suis intéressée à l'analyse des projets et interventions de la Banque mondiale, acteur dominant du développement au travers de l'ajustement structurel au plan macro-économique, et par une action sectorielle au plan urbain. Il fallait montrer comment l'idéologie néolibérale nourrissait cette entreprise. Il fallait comprendre comment se produisait, avec quels acteurs, le discours dominant à vocation universelle. Je m'attachais aussi à comprendre comment les acteurs nationaux interprétaient les règles, parfois les contournaient et les détournaient, utilisant la ruse et pratiquant l'hybridation culturelle. J'ai fait systématiquement ce travail pour trois pays : le Sénégal, le Burkina Faso, et la Tunisie. Mais j'ai pu vérifier mes analyses dans d'autres pays, notamment au Brésil. J'ai pu aussi constater comment le terme de « gouvernance » pouvait habilement servir à masquer le contenu politique des mesures mises en place dans le cadre d'une mondialisation efficace. Cette recherche fut assez solitaire pendant quelques années. Par ailleurs, en 1965, j'ai été conviée à participer à la création de l'atelier d'urbanisme de l'École nationale des ponts et chaussées (ENPC), sous l'égide de Guy Lagneau, grand orfèvre du schéma directeur de la région parisienne, dont le slogan, « Il faut urbaniser les ingénieurs », marquait bien le caractère innovant de cette entreprise. Pluridisciplinarité chez les enseignants et les étudiants, n° HS automne 2017 Vue d'un quartier «moderne» de Dakar en 1962 ©UN Photo accueil d'étudiants étrangers, apports sollicités des sciences humaines, je m'y trouvai à l'aise dès le début, me spécialisant rapidement dans un enseignement sur les questions urbaines dans les pays en développement. L'innovation était à l'ordre du jour, et dès le début des années 70, j'ai pu organiser chaque année un projet de fin d'études sur ces questions, essentiellement en Afrique. Charles Goldblum Ma démarche relative aux questions de coopération urbaine se situe au croisement de trois domaines d'intérêt : les villes, l'urbanisme et les politiques urbaines ; l'Asie du Sud-Est, ses espaces et ses sociétés ; la modernité et le développement. De là sont nées des interrogations résultant de lectures croisées de Lewis Mumford, de Paul Mus et de Walter Benjamin, mais aussi bien d'Henri Lefebvre, de Georges Condominas et d'Yves Lacoste. C'est en fait une première expérience d'acteur de la coopération française au Cambodge, à la fin des années 1960, en tant qu'enseignant en urbanisme à la Faculté d'Architecture de l'Université royale des Beaux-Arts, suivi d'une mission intermittente de coopération technique auprès de la MAET (Mission française d'aide économique et technique) à Vientiane (Laos), qui a donné corps à ce croisement, aux interrogations critiques de l'époque sur les jeux de modèles de pensée et d'action dans le champ de l'urbanisme. C'était à un moment où l'assistance technique dans ce domaine était sollicitée tant sur le plan de la formation que de l'expertise ­ mais dans un contexte marqué par l'importance de l'aide multilatérale et, en ce qui concerne Phnom Penh, par le passage d'un l « pour mémoire » 113 urbanisme de prestige, de composition urbaine (associé à une conception architecturale « Khmère moderne ») à un urbanisme correctif. L'interruption brutale d'un premier projet de thèse sur Phnom Penh avec l'entrée du Cambodge dans la seconde guerre d'Indochine, mais aussi la radicalité des positions anti-urbaines à laquelle celle-ci ouvrait la voie, ont constitué des références marquantes pour l'examen des questions de recherche que j'ai développées ultérieurement dans d'autres contexte de l'Asie du Sud-Est émergente : l'héritage colonial dans la planification urbaine pour Singapour ; la métropolisation pour Bangkok ; la transition urbaine pour Phnom Penh et Vientiane. Quelle que fût la nature des structures de recherche dans lesquelles ces travaux ont été menés (centres spécialisés sur l'Asie ou sur les questions de développement, laboratoires associés aux écoles d'architecture ou à l'Institut d'urbanisme), la question des villes et de leur développement a toujours constitué un élément central pour mes recherches, et la recherche un élément déterminant pour mes actions individuelles et collectives de coopération urbaine dans les domaines de la formation et de l'expertise. convergence, avec l'Institut d'urbanisme de Paris 8 comme institution de rattachement et pôle de rayonnement de nos activités scientifiques communes. Nous avons, au besoin, contribué à créer ces dispositifs de formation et de recherche. Ainsi, c'est en commun que nous avons oeuvré à la mise en place d'une structure d'enseignement cohérente sur la question des villes et de leur développement dans les pays des Suds au sein du DESS d'urbanisme et aménagement. Outre l'intégration de nos spécialités respectives dans ce dispositif, nous avons créé des enseignements conjoints novateurs, tel le cours « Anthropologie urbaine et tiers-monde ». Visant à ouvrir l'esprit de nos étudiants, futurs urbanistes, à la question de l'intervention urbaine sur des territoires distincts, ce cours les incitait à réinterroger les conceptions, représentations et pratiques de l'espace à l'oeuvre dans l'urbanisme tel que pratiqué et enseigné en France. C'est ce même partage d'une distance critique relative à la circulation des modèles dans le champ de l'urbanisme qui a nourri nos activités communes au sein des réseaux et structures de recherche concernant les villes du Sud et le développement, et qui nous a conduits à concevoir et organiser conjointement des programmes et séminaires de recherche dans ce domaine. A. O. et C. G. : Ces deux cheminements intellectuels, ici esquissés dans leur spécificité, ont, dès les années 1970, trouvé les espaces institutionnels propres au développement de leurs complémentarités et points de Vue de Singapour en 1970 ©Berkeley geography/Urbain J. Kinet Comment expliquez-vous l'émergence, dans les années 70, d'une recherche explicitement tournée vers les questions de coopération urbaine ? Comment s'est-elle installée dans le « pour mémoire » l n° HS automne 2017 114 paysage institutionnel de la recherche française ? A. O. et C. G. : La recherche, on le sait, n'est pas seulement l'offre de produire des connaissances. Elle dépend aussi d'une demande, qui a deux expressions identifiées : une demande politicoinstitutionnelle, et une demande liée aux politiques de recherche et à ses organismes. Il n'y a pas forcément une concordance de temps entre les deux sphères. Dans les années soixante et la première moitié de la décennie soixante dix, la politique de coopération française avait pour priorité l'agriculture, la santé et l'éducation. Les villes n'apparaissaient que dans les projets de grosses infrastructures, ports et aéroports, aménagement de grosses industries, et quelques opérations de rénovation urbaine et de construction de logements. L'intérêt porté par la Banque mondiale dès 1970 à l'urbanisation comme facteur de développement a fait évoluer la demande de recherche. Fin 70, début 80 et après, le CNRS d'abord, puis l'ORSTOM 1 qui avait un monopole de recherche sur les pays en développement mais prenait peu en compte le secteur des sciences humaines, se lancèrent dans la mise en oeuvre d'une politique de recherche dans ce qui s'appela par la suite le « développement urbain ». L'ORSTOM créa en 1982 le département des socio-systèmes urbains, et le ministère de la recherche annonça la même année la création d'un programme mobilisateur de recherche urbaine en n° HS automne 2017 coopération, doté de moyens qui lui permirent de lancer des appels d'offres jusqu'en 1993. L'ensemble de ces moyens donna la possibilité à la recherche universitaire de se développer. En ce qui concerne l'Institut d'urbanisme de l'Université de Paris 8, nous avons pu créer dans les années 80 un groupe de recherche, RUPHUS (Recherche urbaine, politiques de l'habitat, et urbanisation dans les pays du sud), nous permettant d'avoir notre place à l'Institut d'urbanisme, même si notre position était marginale et considérée comme de peu d'intérêt. Mais lorsque fut créé le Laboratoire TMU (Théorie des mutations urbaines), ce début d'existence nous permit d'y obtenir la création d'un groupe spécifique et pérenne sur les questions des politiques urbaines. Ce dynamisme institutionnel nous a permis également de commencer à exister pour le ministère de la coopération, où nous avons pu favoriser la création, en 1982, du département du développement urbain. Cette évolution, en grande partie imputable à l'évolution des institutions de recherche, ne nous a pas permis toutefois de venir à bout de quelques principes institutionnels de la recherche en coopération : la division des champs de recherche en aires culturelles rigides (les africanistes, les américanistes, les orientalistes), le classement mono-disciplinaire des chercheurs, et l'appui à des programmes de recherche ayant comme terrain les pays dits de la « zone de solidarité prioritaire ». Cependant, peu à peu et grâce à la diversité des moyens mis en oeuvre, ces verrous ont sauté : la pluridisciplina- rité, absolument indispensable dans le champ de la recherche urbaine, et l'établissement de partenariats de recherche avec de nombreux pays, notamment en Amérique latine et en Extrême Orient, ont permis un très bon niveau de production scientifique. Du côté de la demande politicoinstitutionnelle, un manque de cohérence assez patent dans la définition d'objectifs politiques de coopération, puis d'appui au développement urbain, s'est traduit par un manque de visibilité, accentué par les alternances politiques que nous avons connues. A chacune d'elles, on a vu disparaître et apparaître nombre d'organismes, chacun appliquant une politique difficile à cerner. Vous avez souvent été amenés à travailler avec les acteurs des politiques de coopération, par exemple à l'occasion de la conférence Habitat II, ou de manière plus visible encore dans le cadre du Programme de recherche urbaine pour le développement entre 2001 et 2004. Quelle a été la genèse de cette rencontre entre la recherche et les politiques de développement ? Quels en ont été les principaux aboutissements ? A. O. et C. G. : C'est l'irruption de la Banque mondiale dans le domaine urbain, très précisément au début des années 80, qui a entraîné une articulation entre politiques de recherche et politiques de développement. En Office de la recherche scientifique et technique d'Outre mer, aujourd'hui Institut de recherche pour le développement (IRD) 1 l « pour mémoire » 115 Afrique, si on regarde le cas du Sénégal, le pays a signé quatre plans d'ajustement structurel, et quatre projets de développement urbain portant sur Dakar, entre 1980 et 1994. Côté urbain, il s'agissait de fournir un appui institutionnel aux institutions locales de gestion urbaine, avec la perspective d'accompagner et de compenser au plan local un désengagement de l'État, notamment dans le domaine des services publics. Le thème de la gouvernance fit son apparition vers 1992, et l'appui institutionnel se déplaça vers un chantier plus politique, celui de la décentralisation, qui enclencha des programmes spécifiques dans ce domaine. La coopération française se joignit, avec un peu de retard, à cet objectif, d'abord en développant ce qui existait déjà, la coopération décentralisée (loi de 1992), puis en finançant également des programmes nationaux de décentralisation. Face à cette évolution rapide et radicale, nombre de chercheurs ont déplacé leurs centres d'intérêt vers ce qui constitue le champ du développement urbain. Les politiques de coopération pour le développement sont devenues des objets de recherches scientifiques. A cet égard le GEMDEV (Groupement pour l'étude de la mondialisation et du développement, créé en 1983) était un lieu très stimulant pour aborder les questions du développement, de la mondialisation, du rôle des Etats des pays en voie de développement. Dans ces échanges, la question urbaine a été assez vite centrale. Des échanges avaient lieu également avec d'autres structures, telles que l'AITEC (Association internationale de techniciens et chercheurs) avec des ONG, notamment le GRET, et des réseaux européens tels que N'AERUS et l'EADI. Avec ces différents acteurs, nous avons beaucoup investi dans la préparation (Haut conseil de la coopération internationale), instance rattachée au premier ministre (à l'époque Lionel Jospin), devenait l'instance de coordination et de mise en cohérence de l'action extérieure de la France. Le développement urbain y avait sa place, et nous avons participé aux activités du groupe dédié que coordonnaient Georges Cavallier et Yves Dauge. C'est dans cet environnement favorable qu'a pu commencer, et s'installer durablement, l'aventure qui a eu son point d'orgue avec le PRUD (Programme de recherche urbaine pour le développement), confié au GEMDEV, et géré sur un plan administratif par l'ISTED. Le déclencheur fut la demande formulée en 1999 par la direction de la Coopération du ministère des Affaires étrangères qui nous chargeait, dans le cadre du GEMDEV, d'établir un bilan de la recherche urbaine en coopération et de proposer des éléments pour la dynamiser. La demande était claire. Notre rapport, remis en 2000, mettait en lumière les acquis, et surtout les manques, dans deux domaines fondamentaux de la recherche urbaine : les stratégies et les logiques d'acteurs, et l'analyse des interventions sur la ville (la planification urbaine, les partenariats public-privé, la gouvernance urbaine). Ce rapport fut immédiatement suivi de la mise en route du programme de recherche, prévu pour se dérouler sur quatre ans, de 2001 à 2004. Il s'agissait d'un programme incitatif, pris en charge par la sous-direction de « pour mémoire » C'est l'irruption de la Banque mondiale dans le domaine urbain, très précisément au début des années 80, qui a entraîné une articulation entre politiques de recherche et politiques de développement. d'Habitat II (Istanbul, 1996), notamment dans la production d'une Déclaration des chercheurs diffusée lors de cette conférence. L'accent était mis sur le rôle des collectivités locales dans les interventions sur la ville, accompagné, sur un plan plus politique, d'une exigence démocratique. Dans cette dynamique, avec le même souci de problématiser les questions nouvelles qui se posaient aux chercheurs et aux responsables des politiques urbaines, nous avons organisé en 1997-1998, dans le cadre du GEMDEV, un séminaire de recherche, ouvert aux décideurs, sur « Villes et citadins dans la mondialisation », dont les contributions furent publiées sous ce titre en 2003. La création en 1997 du HCCI l n° HS automne 2017 116 la recherche du Ministère en charge de la coopération, qui allait donc innover en laissant un peu de côté les recherches archéologiques, son champ traditionnel, pour s'intéresser au développement urbain. Il a fallu toute l'opiniâtreté des deux sous-directeurs successifs qui ont géré le PRUD pour secouer des habitudes très ancrées dans le ministère. Le programme a mobilisé trente équipes de recherche mixtes Nord-Sud (environ 265 chercheurs). La seule restriction imposée était de se limiter géographiquement aux pays dits de la zone de solidarité prioritaire, au nombre d'une quarantaine à l'époque. Des réunions régionales permirent des restitutions partielles des recherches, à Hanoi, Rabat, Dakar, La Havane, ce qui permit de faire connaître la portée de ces recherches. La restitution finale eut lieu lors d'un colloque international tenu à l'UNESCO, en 2004, sur le thème « Gouverner les villes du Sud. Défis pour la recherche et pour l'action ». De cet important travail a résulté la publication de douze ouvrages, et de nombreux articles. Cet ensemble de travaux a contribué à dépasser la distinction entre la recherche sur les villes en développement, souvent centrée sur l'identification des problèmes, et la recherche en coopération, supposée tournée vers l'intervention urbaine. En érigeant la coopération urbaine, les dispositifs de l'aide et la place des acteurs, en objets de la recherche scientifique, ces travaux ont notamment permis d'éclairer la question de la complexification du gouvernement des villes, liée en particulier à la multiplication des agents externes, dans n° HS automne 2017 des contextes d'assistance technique et d'aide publique au développement. La dynamique engendrée par cette aventure qui marque une rencontre entre demande et offre de recherche ne s'est pas arrêtée à ce stade. Une sorte de réseau de fait s'est constitué, qui n'a pas eu d'existence institutionnelle, mais qui s'est manifesté jusqu'à ces dernières années dans des activités de réflexion et d'échanges. Ainsi, de 2006 à 2008, un groupe de réflexion, animé par le GEMDEV, a été installé par le ministère des affaires étrangères sur le thème de « La gouvernance urbaine ». Ce groupe a fonctionné sous forme de panels réunissant des chercheurs, des praticiens et des décideurs, et a publié en 2009 un rapport intitulé « La gouvernance urbaine dans tous ses états », qui a mis l'accent sur la grande diversité et la singularité des dispositifs de gouvernance urbaine que rencontre l'observation empirique. Signalons qu'une des recommandations de cette étude concernait la planification urbaine stratégique, considérée comme étant susceptible de constituer un appui à la gouvernance urbaine démocratique. Cette recommandation fut reprise par les affaires étrangères, et c'est tout naturellement qu'on a retrouvé d'anciens membres du PRUD dans les activités du Partenariat français pour la ville et les territoires (PFVT). Cette présence, cette activité de veille scientifique, atteste la possibilité pour les chercheurs d'éclairer les décideurs qui le souhaitent, et de contribuer ainsi à une meilleure efficacité des interventions dans le domaine urbain. Comment s'est structurée la formation en matière de coopération urbaine ? Pour quelles raisons des enseignements dédiés aux villes des pays en développement ont-ils vu le jour ? Quelle était leur place au sein du système universitaire français ? A. O. et C. G. : Dans les formations créées à l'occasion des grands bouleversements de 1968, l'urbanisme a trouvé sa place dans l'Université. Créé en 1969 sous la forme d'un département de l'université expérimentale de Vincennes, l'Institut d'urbanisme (futur Institut français d'urbanisme, IFU), resta au sein de Paris 8 jusqu'en 2009, date à laquelle il rejoignit l'Université de Marne-la-Vallée, et fusionna en 2014 avec l'IUP (Institut d'urbanisme de Paris 10) pour devenir l'École d'urbanisme de Paris (EUP). A travers ces tribulations, nous sommes quelques-uns à avoir pu favoriser dès les années 1970 la création à Paris 8 d'enseignements concernant les problèmes urbains dans les pays du Sud, qui s'organisèrent comme une des filières du DESS, au début des années 80. Cela s'imposait, pour deux raisons majeures. La première raison était qu'il fallait accueillir ceux de nos étudiants qui souhaitaient devenir assistants techniques ou experts dans le domaine du développement urbain des pays du Sud, et des étudiants étrangers, souvent détachés pour un temps de leur administration, qui venaient avec l'objectif d'acquérir un diplôme universitaire français valorisable dans leur pays. Il fallait donc ouvrir les étudiants à la comparaison pays par pays, et leur donner des clés l « pour mémoire » 117 L'autre grande raison qui imposait que nous ayons une visibilité propre à l'IFU est que nous avons très tôt été sollicités par nombre d'organismes pour intervenir et souvent animer des actions de formation continue en France et à l'étranger, dans le domaine du développement urbain. Ces actions ont assez souvent été menées en collaboration avec la direction de la formation continue de l'École nationale des ponts et chaussées (ENPC), notamment en Tunisie et au Sénégal. Le Ministère de la coopération a fait régulièrement appel à nous, notamment dans des sessions de formation continue de hauts fonctionnaires africains, gérées par l'ENA. Entrée de l'université de Vincennes ©Service photo de l'université Paris 8 de lecture des positions des institutions internationales en la matière. Soulignons aussi que nous avons accueilli à Paris 8 toutes les vagues de réfugiés des dictatures européennes (Espagne, Portugal, Grèce, Allemagne de l'Est, Hongrie, Tchécoslovaquie...) et d'Amérique latine (Argentine, Brésil, Chili...). Tous avaient des diplômes, beaucoup avaient une expérience professionnelle, et certains ont pu assurer des enseignements à l'IFU, notamment des proches de Manuel Castells, tel Jordi Borja, sur la planification urbaine stratégique à Barcelone. Pour nos étudiants et pour nous-mêmes, toutes ces expériences rassemblées ont été une source d'enrichissement intellectuel incomparable, le contact avec la grande diversité du monde nous incitant constamment à une humilité assumée dans nos enseignements, et nous donnant des arguments pour le refus d'une diffusion inconsidérée de modèles occidentaux (nos modèles) sans prise en compte de la singularité des pays qui se les voient imposer. Cette dynamique assez particulière nous a permis d'installer nos enseignements de manière pérenne dans une filière du DESS appelée « Aménagement urbain dans les pays en développement », qui devint une filière du master dans les années 90, intitulée « Expertise internationale/ Villes en développement ». Cette filière est devenue diplôme d'université dans la dernière transformation de l'IFU en EUP. Cependant, on notera qu'un tel diplôme, considéré comme marginal dans le nouvel ensemble, est forcément moins valorisé qu'une filière à part entière de master. Mais les choses ont pris une dimension beaucoup plus importante dans le domaine de la coopération universitaire, dans laquelle nous avons commencé à intervenir très tôt : dans les années 70, nous avons contribué activement à la création d'écoles d'architecture et d'urbanisme à Dakar, à Lomé, à Tunis ; de formations de troisième cycle inspirées des DESS et DEA de l'IFU. A partir des années 1980, prenant appui sur des activités de recherche, d'autres coopérations universitaires en urbanisme ont été mises en place avec plusieurs pays d'Asie du Sud-Est. Les échanges initiés dans ces programmes ont évidemment été d'une grande richesse, et nous ont bien sûr confirmés dans une pratique d'écoute et une posture d'humilité dans un domaine, celui du développement urbain, qui souffre mal l'imposition de modèles à vocation universelle venus d'ailleurs. « pour mémoire » l n° HS automne 2017 118 Bibliographie indicative C. Goldblum et A. Osmont, (eds), Villes et citadins dans la mondialisation, Paris, Karthala, 2003 C. Goldblum et A. Osmont, « Gouvernance urbaine et coopération internationale », in S. Bellina, H. Magro et V. de Villemeur (eds) : La gouvernance démocratique : un nouveau paradigme pour le développement ? Paris, Karthala, 2008 C. Goldblum et A. Osmont, « Quelle place pour les villes dans la production des connaissances sur le développement », In V. Geronimi, I. Bellier, J.-J. Gabas, M. Vernières et Y. Viltard (eds), Savoirs et politiques de développement, Paris, KarthalaGemdev, 2008 C. Goldblum, Spatial Planning for a Sustainable Singapore, Springer Netherlands/Singapore Institute of Planners, 2008 (co-editors: W. Tai-Chee et B. Yuen) C. Goldblum, Territoires de l'urbain en Asie du Sud-Est. Métropolisations en mode mineur, Editions du CNRS, 2012 (codirection avec M. Franck et C. Taillard) C. Goldblum, Transitions urbaines en Asie du Sud-Est. De la métropolisation et de ses formes dérivées, Editions de l'IRD/IRASEC, 2017 (codirection avec K.Peyronnie et B. Sisoulath) A. Osmont, « Stratégies familiales, stratégies résidentielles en milieu urbain : un système résidentiel dans l'agglomération dakaroise » in E. Le Bris, A. Osmont, A. Sinou, A. Marie, Famille et résidence en ville africaine, Paris, L'Harmattan, 1987 A. Osmont, La Banque mondiale et les villes. Du développement à l'ajustement. Paris, Karthala, 1995 A. Osmont, « Citta e economia : la citta efficiente », in M. Balbo (Ed) La citta inclusiva ; argomentiper la citta dei PSV, Milano, Franco Angeli, 2002 (2003 pour l'édition espagnole) n° HS automne 2017 l « pour mémoire » 119 GEORGES CAVALLIER Ingénieur et humaniste (1934-2012) Textes réunis par André Pollet, Antoine Loubière, Evelyne Hardy et Xavier Benoist « pour mémoire » l n° HS automne 2017 120 Georges Cavallier, ingénieur et humaniste Par André Pollet et Antoine Loubière Georges Cavallier ©Fédération Soliha Ancien élève de l'École Polytechnique (1954) et de l'École nationale des ponts et chaussée (1959) devenu un grand commis de l'État, Georges Cavallier aura marqué de son empreinte l'histoire de l'urbanisme et de la politique de la ville en France. Expert reconnu dans ces domaines, il fut un éminent représentant de la France au plan international, en témoigne le rôle de représentant de la France qu'il a tenu au sommet Habitat II. Homme de grande culture, ses analyses fondées sur une accumulation de connaissances peu commune le rendirent visionnaire sur bien des sujets aujourd'hui d'actualité, comme la gouvernance urbaine qui mêle citoyenneté et autorité publique ou les enjeux revendiqués de santé et de développement urbain durable. Humaniste engagé, il mena un combat tenace pour le droit au logement, l'amélioration du parc privé social et la lutte contre l'habitat indigne. Des causes qu'il défendra ardemment à la présidence de la Fédération des PACT, ou au Conseil national de l'habitat. n° HS automne 2017 l « pour mémoire » 121 Décédé le 17 septembre 2012 à l'âge de 78 ans, il était un personnage au fond discret mais il avait incarné, au sommet Habitat II d'Istanbul, en juin 1996, « la politique urbaine française ». Une politique dont il avait écrit la synthèse à travers la contribution française à Habitat II dont il était le rapporteur1 . En effet, Georges Cavallier, plus que d'autres, avait compris le nécessaire passage de l'État opérateur à l'État régulateur. Et pour lui, la politique urbaine était évidemment une co-production avec l'ensemble des acteurs, au premier rang desquels les collectivités locales. C'est dans cette perspective qu'il avait été un artisan de la création de l'Institut des Villes en janvier 2001 sous la présidence d'Edmond Hervé, alors maire de Rennes, contribuant notamment à la rédaction de la publication Santé, ville et développement durable. Cinq ans plus tard, il supervise, comme coordonnateur national, la participation française à la session extraordinaire de l'assemblée générale des Nations Unies, en juin 2001 à New York, consacré au bilan du sommet d'Istanbul. Un numéro hors série d'Urbanisme en témoigne2 ainsi qu'un entretien publié dans le n° 318 en réponse à la question « Que reste-t-il de l'esprit d'Istanbul ? »3 . Parmi les conclusions essentielles tirées de ce sommet, il met particulièrement l'accent sur l'importance d'une bonne gouvernance urbaine comme facteur déterminant de croissance dès lors que l'efficacité économique dépend de plus en plus des relations locales entre différents décideurs. D'ailleurs, à ce sujet et à la demande de la Fondation européenne pour l'amélioration du cadre de vie et des conditions de travail, Georges Cavallier a produit, en 1998, un important rapport prospectif relatif à l'importance des enjeux liés à l'avenir des villes, et à la nécessité d'une meilleure maîtrise collective du développement urbain. Un autre thème d'Habitat II, l'importance du devenir des villes pour le développement durable, a nourri sa réflexion sur les villes. Elle est transcrite avec clarté et précision dans sa contribution au livre blanc français pour le sommet mondial du développement durable à Johannesburg en 2002. Du message d'Habitat II, Georges Cavallier retiendra également, à partir de 1999, le combat pour le droit au logement. À son habitude, il le mènera de manière efficace et concrète, en acceptant Publiée dans le numéro spécial d'Urbanisme, n° 288, mai-juin 1996, « La France à Istanbul ». 2 Urbanisme hors série n° 15, « Les villes à l'ONU. Rapport français 2001 », janv.-fév. 2002. 3 Urbanisme n° 318, mai-juin 2001. « pour mémoire » 1 de prendre, au moment de sa retraite de président de la 5e section du Conseil général des ponts et chaussées, la présidence de la Fédération nationale des PACT, grand réseau associatif ancré dans les territoires et très actif dans l'insertion par le logement et dans l'amélioration du parc privé à occupation sociale. Il assume cette présidence, malgré la maladie qui l'avait frappé, jusqu'en juin 2012, passant ensuite le relais à Xavier de Lannoy. Entre-temps, il ne délaissera pas l'urbanisme proprement dit, puisqu'il assumera notamment la présidence de l'Observatoire régional du foncier d'Île-de-France. Sans évoquer en détail sa longue carrière de haut-fonctionnaire, on mentionnera notamment son rôle déterminant à la création de la Délégation interministérielle à la ville (DIV) au côté d'Yves Dauge et sa fonction de directeur de cabinet des ministres de la Ville en 1992 et 1993. On ne comprendrait rien à Georges Cavallier si on oubliait son souci constant de servir l'État en faisant avancer des conceptions et des pratiques contre les discriminations, pour la mixité sociale, pour le droit au logement, pour un développement urbain durable et solidaire. l n° HS automne 2017 122 Que reste-t-il de l'esprit d'Istanbul ? Georges Cavallier, coordonnateur des contributions françaises au Sommet mondial des villes d'Istanbul en juin 1996, également chargé de préparer, pour la France, le bilan d'Habitat II, répond à la revue Urbanisme à la question « Que reste-t-il de l'esprit d'Istanbul ? ». Extraits de l'interview de Georges Cavallier par Antoine Loubière, Revue Urbanisme n° 318, mai-juin 2001, pp. 29-32. En mai 1996, Urbanisme consacrait un numéro entier à l'événement Habitat II, sommet mondial des villes organisé par l'ONU à Istanbul, dans la lignée des autres de la fin du siècle (Rio sur l'environnement, Pékin sur les femmes...). La déclaration d'Istanbul affirmait le droit à un logement décent pour tous et la nécessité d'un développement urbain durable. Parallèlement, la première Assemblée mondiale des villes et autorités locales faisait entendre la voix des élus locaux et leur aspiration à une extension de la décentralisation dans le cadre d'une véritable gouvernance urbaine. Cinq ans après, lors d'une assemblée générale extraordinaire à New York du 5 au 8 juin 2001, l'ONU tire le bilan d'Habitat II. Un bilan mitigé de l'avis de nombreux acteurs des politiques urbaines et de l'habitat notamment en matière de droit effectif à un logement décent, en particulier dans les pays en développement. Cependant, le mouvement de décentralisation a connu de nouvelles avancées. Et les deux grandes associations internationales d'élus locaux ont tenu un «congrès de l'unité» à Rio de Janeiro, début mai 2001. Cette étape de Rio sur la route de New York permet aux maires de s'affirmer sur la scène politique internationale, au moment où les débats sur la mondialisation ont tendance à se polariser entre les grandes entreprises multinationales et lesdites «ONG» (organisations non gouvernementales), symbolisées par un homme comme José Bové. Quels ont été les temps forts de l'événement Habitat II? Georges Cavallier: J'en vois trois. D'abord, le caractère novateur n° HS automne 2017 et fondateur de la première Assemblée mondiale des villes et autorités locales (AMVAL) qui s'est tenue avant le sommet intergouvernemental. C'était la première fois que les maires des cinq continents, dans une ferveur certaine, avec le zèle du néophyte, tenaient un rassemblement ouvert, témoignant de la prise de conscience du rôle majeur que doivent jouer les autorités locales dans la conduite du développement urbain. Ensuite, l'organisation, également pour la première fois, par rapport aux autre grands sommets mondiaux (Rio, Pékin, La Caire...) au sein de la même conférence intergouvernementale, d'une séquence consacrée à des dialogues thématiques entre les délégations nationales et les autres acteurs du développement urbain: collectivités territoriales, organisations non gouvernementales (ONG), entreprises privées et publiques, organismes de recherche... Il n'est pas sûr que tous les intervenants aient été représentatifs, ni les thèmes abordés tous stratégiques, mais le précédent ainsi créé est tout à fait essentiel. Troisième temps fort: la conférence intergouvernementale elle-même avec, d'un côté, la présence du gotha des chefs d'État et de gouvernement des pays en développement et, de l'autre, l'absence systématique de leurs homologues des pays riches. Il y avait, certes, des raisons objectives à cette absence (les invitations ont été envoyées tardivement), mais il est révélateur que les pays les plus urbanisés n'aient pas été représentés au plus haut niveau. Qu'est-ce que la préparation d'Istanbul avait fait apparaître de la perception française des enjeux d'un sommet mondial des villes, tant du côté des administrations d'État que du monde des collectivités locales? G.C.: Ce qui m'a frappé, à l'époque, c'est l'adhésion spontanée des différents responsables qui ont eu à intervenir dans cette préparation, tant au sein des administrations centrales que des organisations professionnelles et des associations nationales d'élus. Cette dynamique participative contrastait avec une certaine passivité du côté des décideurs politiques centraux. Il n'y a pas eu une seule réunion interministérielle à Matignon pour valider les positions françaises... sauf une, pendant le sommet luimême, sur les questions du logement, alors même qu'il n'y avait, en la matière, nul besoin d'arbitrage puisque les positions étaient consensuelles. Du côté des associations nationales d'autorités locales, c'était l « pour mémoire » 123 blèmes au plus près des réalités, au plus près du terrain et qu'il faut donc décentraliser, en veillant à ce que le processus de décentralisation renforce la transparence et la légitimité démocratiques, sans mettre en tension la démocratie représentative et la démocratie participative qui peuvent et doivent se conforter mutuellement. L'idée enfin, que la complexité du fait urbain oblige les différents niveaux de pouvoirs publics à coopérer, que la conjugaison de leurs efforts est plus important que le partage de leurs compétences. Qu'est qui n'est pas acquis de l'esprit d'Istanbul? G.C.: Je regrette qu'on n'ait pas encore réussi à faire prendre en considération, à leur juste valeur, les enjeux liés au développement urbain et à leur triple impact sur le développement économique, la cohésion sociale et la protection de l'environnement. La sensibilisation des décideurs macroéconomiques n'est toujours pas suffisante. Nombre d'entr'eux considèrent la ville comme une simple résultante, la trace au sol, en quelque sorte, des différentes politiques sectorielles. C'est à tord qu'ils négligent l'importance intrinsèque des formes urbaines et le poids des acteurs locaux, alors même que la ségrégation spatiale est un accélérateur redoutable de la ségrégation sociale, ils ne voient pas suffisamment que dans une économie dominée par la matière grise et les services, les villes deviennent le lieu privilégié, le moteur du développement. Dès lors que l'efficacité économique dépend de plus en plus des relations locales entre différents décideurs, une bonne gouvernance devient un facteur de croissance et de compétitivité économiques. Autre message qui n'est pas passé: l'importance du devenir des villes pour le développement durable. On ne saurait par exemple, réduire les émissions de gaz à effet de serre sans maîtriser les déplacements des citadins, parce que les modes de vie urbains se sont imposés sur l'ensemble du territoire, c'est d'abord dans les villes qu'il faut agir pour faire évoluer les comportements et les modes de consommation. De plus, c'est seulement à l'échelle de l'agglomération qu'on peut conduire, de façon concrète, réaliste et crédible les politiques véritablement intersectorielles, intégrées, systémiques qu'appelle le développement durable. Brochure de la conférence Habitat II ©Nations Unies la première fois que je les voyais travailler concrètement ensemble, et cela n'a pas concerné que leurs permanents. J'ai vu des élus engager autour d'une même table un véritable travail collectif débouchant sur la déclaration des maires français, qui a fortement marqué les débats de l'AMVAL. On pourrait en dire autant des chercheurs et des ONG. Tous sentaient la nécessité de mettre en perspective l'ensemble des politiques urbaines menées en France et aussi de les resituer par rapport au reste du monde. Cinq ans après, quelle appréciation portez-vous sur l'impact d'Habitat II dans les esprits des décideurs français et étrangers? G.C.: Plusieurs idées essentielles ont fait leur chemin au point d'en être devenues banales. D'abord, l'idée que le marché seul, ne peut aboutir à des villes satisfaisantes, à un développement urbain durable et, par conséquent, la nécessité d'une maîtrise publique du mouvement d'urbanisation, réaffirmée sous des formes et des langages différents dans la plupart des pays. L'idée, aussi, que les politiques urbaines, pour être efficaces, doivent être horizontales, globales, partenariales, «holistiques». L'idée encore, que ces politiques doivent s'inscrire dans la durée et passent par des actions de longue haleine et des stratégies à long terme. L'idée qu'il faut traiter les pro- « pour mémoire » l n° HS automne 2017 124 Défis pour la gouvernance urbaine dans l'Union européenne A la demande de la Fondation européenne pour l'amélioration du cadre de vie et des conditions de travail, Georges Cavallier a produit, en 1998, un important rapport prospectif relatif à l'importance des enjeux liés à l'avenir des villes, et à la nécessité d'une meilleure maîtrise collective du développement urbain. Extraits du rapport Défis pour la gouvernance urbaine dans l'Union européenne, Fondation européenne pour l'amélioration du cadre de vie et des conditions de travail, 1998, 92 p. (disponible sur www.eurofound.ie) La nécessité d'une meilleure maîtrise collective du développement urbain. L'importance et la complexité des défis auxquels les villes doivent faire face ne laissent aucun doute: en matière de politique urbaine, l'intervention publique est plus que jamais nécessaire. Le marché, seul, ne peut, à l'évidence, rendre la ville économiquement efficace, écologiquement prudente et socialement harmonieuse. Un tel objectif dépend au premier chef de la capacité des pouvoirs publics à tous les échelons de combiner les demandes émanant des intérêts différents et également légitimes, de dégager et de faire accepter des synthèses et des solutions effectives, de trouver un bon équilibre entre les prélèvements à effectuer et les services offerts. Le Sommet d'Istanbul a mis l'accent, à ce titre, sur le rôle majeur que doivent désormais jouer, en matière de politique urbaine, les autorités locales. La conférence a souligné en effet qu'une capacité effective de gestion coordonnée et démocratique à l'échelle de l'agglomération passe par l'existence d'une autorité politique responsable, capable non seulement d'optimiser l'exploitation technique, mais aussi d'articuler une pluralité d'acteurs porteurs de responsabilités et de droits tout en suscitant l'adhésion des populations. Elle a considéré en conséquence que chaque pays devait, dans son propre cadre juridique, promouvoir la décentralisation et chercher n° HS automne 2017 à renforcer les capacités financières et institutionnelles des autorités locales. L'impact de la mondialisation des échanges. La cohésion sociale des pays développés est mise à mal, car dans un monde où la performance compte plus que la puissance du nombre, les riches ont de moins en moins besoin de leurs pauvres. La remise en question de l'égalité des chances sape les fondements mêmes de la vie démocratique. La citoyenneté est en désarroi parce que la globalisation, qui apparaît comme un processus sans visage et sans garant, bouleverse les cadres d'appartenance reconnue où se sont, de longue date, organisées nos sociétés européennes: l'entreprise et le territoire. La mobilité du cadre des dépendances réelles introduit un décalage de plus en plus troublant. La montée des inégalités invite à renforcer l'État-nation qui est l'espace naturel de la solidarité. Mais la redistribution est plus difficile que jamais, tandis que la faille se creuse entre le pouvoir économique de l'État et celui des financiers, des banques centrales et des marchés. De plus, l'émergence des processus de décision relevant d'instances internationales, et notamment de la Communauté européenne, limite corrélativement les marges de manoeuvre des États-nations. Les coûts sociaux de la globalisation restent à la charge des collectivités publiques telles qu'elles existaient avant l'ouverture des frontières, alors que ces coûts ont maintenant changé carrément d'échelle. Une société urbaine toujours plus complexe. Sous l'effet d'un double processus d'autonomisation des individus et de la diversification du corps social, chaque citadin jouit désormais d'une autonomie relative croissante par rapport aux groupes dont il est issu et dont dépend sa vie sociale. [...] La société urbaine d'aujourd'hui agrège plusieurs catégories de population qui se trouvent dans des situations sans précédent, plus ou moins dépourvues de repères, et dont l'importance va croissant. Par ailleurs, les partenaires institutionnels sont multiples, il y a de plus en plus de décideurs en jeu et leur système de l « pour mémoire » 125 valeurs sont différents et parfois même opposés. L'application du principe de subsidiarité demeure incertaine. [...] Le choix des solutions souhaitables est de plus en plus controversé. Il résulte de plus en plus d'un processus laborieux de dialogue, de discussions et de contre-expertises, rendu plus délicat par la nécessité et la difficulté d'arbitrer entre des valeurs complètement hétérogènes. Crise du politique et crise de la citoyenneté L'absence de discours politique convaincant est cruellement ressentie. Les citadins ne se résignent guère à vivre dans l'incertain et l'inexplicable. Ils déplorent l'impuissance de leurs responsables politiques. Le sentiment que les gouvernements ne sont plus en mesure de maîtriser l'évolution économique et ses conséquences s'accroît. L'incapacité des politiques publiques à contrecarrer la progression continue du chômage et des exclusions a contribué très fortement à une prise de conscience, aujourd'hui largement partagée, d'une disjonction possible entre croissance économique et progrès social. Or, ce qui faisait lien dans nos sociétés, c'était le mythe partagé du progrès, la croyance collective dans l'avenir, le rêve devenant progressivement réalité grâce à l'ascension sociale. La remise en question de ce cheminement ouvre une période d'interrogation et de doute collectif qui s'étend très largement, au-delà même de ceux qui subissent le chômage, la précarité, l'exclusion, c'est-à-dire, l'insécurité ici et maintenant. La crise du politique se double d'une crise de la citoyenneté. L'inconscient collectif ressent, confusément, un sentiment de déracinement à l'égard d'un passé perdu et d'insécurité à l'endroit d'un futur inconnu. [...] Nous sommes en effet entrés dans une période marquée par un avenir incertain, voire aléatoire. Toute prévision devient difficile car les mêmes causes ne produisent plus toujours les mêmes effets. Une évolution inéluctable: du gouvernement des villes à la gouvernance urbaine. Pour relever ce défi de l'innovation, pour permettre au pouvoir local de mieux accomplir sa double tâche d'agrégation des demandes et d'élaboration d'une offre pertinente, pour faire en sorte qu'il puisse répondre aux enjeux qui naissent de la transformation contemporaine des rapports entre la société, l'économique et le politique, il faut, à l'évidence, adapter profondément les formes et les méthodes du gouvernement des villes: mettre en oeuvre des logiques plus concertées, davantage négociées, mieux localisées, dans lesquelles les politiques sectorielles deviennent plus porteuses, en se combinant dans des stratégies bien territorialisées; se séparer d'un rapport gestionnaire à l'espace pour accéder à une production politique du territoire; privilégier des approches qui soient à la fois globales, c'està-dire pluridisciplinaires et partenariales, c'est-à-dire unissant les efforts de toutes les parties prenantes, à chaque niveau, comme entre les différents niveaux. Pour y parvenir, point n'est besoin de créer de toutes pièces de nouvelles institutions. Il suffit d'instaurer progressivement de nouvelles relations entre les autorités publiques, notamment locales, et la société civile. Passer de l'action publique classique à la gouvernance, c'est donc adopter de nouvelles modalités d'action et de prise de décision, plus partenariales, plus interactives, plus flexibles. C'est créer la conscience locale d'intérêts collectifs et les moyens de la gérer. Intégrer les préoccupations du bien-être dans les stratégies urbaines Poursuivant ses prises de position en faveur du développement durable et de la refonte de la gouvernance urbaine, Georges Cavallier inclut dans l'ouvrage « Villes, santé et développement durable », l'exigence des questions liées à la santé dans la prospective de la ville de demain. Extraits de l'ouvrage Villes, santé et développement durable, La documentation française, Collection Villes et société, 2007, 549 p. «La santé a cessé d'être considérée comme le domaine exclusif des professionnels de la médecine, de même que le développement durable n'est plus, depuis longtemps, le monopole des militants de l'environnement. Ces deux concepts, en effet, comme les enjeux qui s'y attachent, se sont progressivement et « pour mémoire » l n° HS automne 2017 126 fortement élargis. Ils ont, chemin faisant, changé de nature en même temps que de portée. Ils s'inscrivent maintenant, l'un et l'autre, dans une perspective ambitieuse et globale d'amélioration de la qualité de la vie et de promotion du bien-être.» Santé et développement durable: perspectives et prospective «L'avenir ne se prévoit pas, il se prépare» disait Braudel. Certes, mais comment? D'abord, sans doute, en tirant les leçons du passé. Rien de tel qu'une plongée dans les dernières décennies pour prendre la mesure de l'évolution des idées et des moeurs, apprécier les progrès de la médecine, de l'hygiène et du génie sanitaire, retracer la transformation des formes urbaines, saisir et évaluer les grands changements qui permettent de comprendre où nous en sommes et de prendre de meilleures décisions. Le futur, disait Nietzche, «appartient à celui qui a la plus longue mémoire». Cette plongée rétrospective doit aussi nous mettre en garde contre les dangers qui guettent en permanence, ici comme ailleurs, ceux qui décident. Eviter d'abord de succomber aux effets de mode. Le conformisme ambiant fait trop souvent des ravages. Il inhibe le jugement, favorise une attitude passive, incite à adopter des manières de penser passagères, mais momentanément de bon ton, même dans le milieu scientifique. L'engouement pour la théorie des miasmes mortifères, par exemple, a fait perdre beaucoup de temps à l'hygiène publique, d'autant qu'elle a résisté longtemps à la découverte des microbes. Il faut toujours se méfier des solutions qui font, sur le moment, l'unanimité, mais qui apparaîtront dix, vingt ou trente ans plus tard inadaptées ou désuètes. Au cours des trente dernières années, nos villes ont été adaptées, parfois férocement, à l'usage de l'automobile. Aujourd'hui, on se préoccupe à juste titre de faire place aux cyclistes et aux piétons, mais en retombant parfois dans les mêmes rigidités, alors même que les solutions évolutives s'avèrent, en toute circonstances, les solutions les plus avisées. La souplesse, l'adaptabilité, la révern° HS automne 2017 Les efforts considérables engagés pour humaniser les grands ensembles doivent nous aider à nous rappeler que les solutions d'aujourd'hui sont souvent les problèmes de demain sibilité doivent être toujours considérées comme des critères majeurs des choix à effectuer. Le passé peut aussi nous rappeler qu'il faut se méfier de la menace permanente des effets pervers qui s'attachent presque toujours aux meilleures intentions et à des solutions fonctionnellement pertinentes. C'est ainsi qu'on est bien loin d'en avoir fini avec les séquelles dramatiques de la décision prise de protéger les structures métalliques des bâtiments en les floquant à l'amiante. Autre exemple: les urbanistes n'ont pas toujours su anticiper les conséquences dommageables de leurs choix. Les modèles urbains inspirés par la charte d'Athènes et le fonctionnalisme résultaient d'une vision purement physique et quantitative des besoins humains. Ils y répondaient par la logique d'agencements rationnels, la volonté louable d'ouvrir la ville à l'air et au soleil, mais sans prendre en compte la dimension psychologique et identitaire de l'homme, non plus que la compréhension des comportements ou le rôle des représentations sociales. Les résultats n'ont pas tardé. Les efforts considérables engagés pour humaniser les grands ensembles doivent nous aider à nous rappeler que les solutions d'aujourd'hui sont souvent les problèmes de demain. Regarder dans le rétroviseur est indispensable pour bien conduire, mais à l'évidence ne peut suffire. Il faut avant tout voir vers l'avant, et aussi loin que possible. De même, ce n'est pas tout de bien connaître le passé pour bien faire face aux nécessités immédiates. On ne saurait entrer dans l'avenir à reculons. Même si elles ont besoin de continuité et de pérennité, les politiques publiques de santé et de développement durable ne peuvent s'affranchir d'une visée à long terme et d'un fort investissement politique. Leurs responsables doivent savoir anticiper, en considérant le futur pour ce qu'il est: un territoire à explorer et à construire. Pour joindre l'avenir au présent, il faut engager une démarche prospective, considérer la pluralité des possibles puis rétrécir la perspective en s'attachant à prévoir ce qui peut l'être, à apprécier les chances et les risques, à repérer les inerties, les tendances l « pour mémoire » 127 lourdes et les facteurs de rupture. On peut ainsi réduire l'incertitude sans évidemment y mettre fin. On établit alors une stratégie qui précise les enjeux, affiche les options et constitue un véritable guide pour l'action en avenir incertain. Ainsi, face au réchauffement climatique et compte tenu des engagements pris dans le cadre du protocole de Kyoto, il faut impérativement mettre en place un plan pluriannuel de remise à niveau énergétique du patrimoine bâti existant car, en 2050, subsisteront plus de la moitié et peut être encore les deux tiers des logements d'aujourd'hui. Ce programme de requalification devrait être pensé dans une logique intégrée de transformation durable de la ville existante, qui reste à concevoir. Autre exemple d'évolution inéluctable lourde de conséquences multiples pour l'évolution de nos villes: le vieillissement de la population, qui commence à faire sentir ses effets avec l'arrivée à l'âge de la retraite de la génération du baby-boom et qui va devenir un enjeu majeur des politiques urbaines. On est loin pourtant d'avoir pris la juste mesure des problèmes qui s'attachent à cette révolution silencieuse. Notre pays affiche un retard important en matière d'anticipation du vieillissement. Dans ces domaines, comme dans tous les autres, le phare de la prospective ne doit pas cesser d'éclairer les politiques de santé publique. La prévention, en particulier, ne doit pas être sacrifiée, comme elle l'a trop souvent été, à la gestion du quotidien. Une véritable politique de prévention, ne se réduisant pas à des opérations de sensibilisation ou de dépistage, doit être un des moteurs de la promotion de la santé. Faire obstacle à ce qui peut être empêché n'implique pas seulement de développer la prévention médicale classique. Dans l'acception large du concept de santé, c'est évidemment une approche préventive globale qui doit être mise en oeuvre dans chaque agglomération, c'est-à-dire une approche intégrant la santé dans un ensemble d'interventions sociales et environnementales comme un élément transversal d'une politique urbaine cohérente. Il convient de façon générale d'intégrer systématiquement les préoccupations de santé, c'est-à-dire de bien être physique, mental et social de la population, dans toutes les stratégies de développement ou de renouvellement urbains s'inscrivant dans la durée. Et au premier chef dans la planification urbaine. En introduisant l'obligation d'élaborer un Projet d'aménagement et de développement durable (PADD), la loi Solidarité et renouvellement urbains (SRU) a mis les collectivités locales en situation de repenser l'organisation urbaine de telle façon qu'elle puisse répondre aux exigences de qualité de vie des générations actuelles sans nuire à celle des générations futures. Les préoccupations de santé et de développement durable doivent aussi nourrir les grands projets d'aménagement et de rénovation urbaine. Encore faut-il être en mesure de déterminer, cas par cas, la hiérarchie des priorités à prendre en compte par une évaluation concertée des différents facteurs environnementaux et sociaux liés au choix à arrêter. Mais pour que la qualité de vie des citadins puisse devenir le véritable moteur de l'action publique, il faut évidemment être capable de la caractériser et de la mesurer. Les villes, acteurs incontournables du développement durable L'une des dernières contributions officielles de Georges Cavallier dans les débats internationaux se fit à l'occasion du sommet de la terre de Johannesburg en 2002. Elle visait les enjeux urbains et le rôle des autorités locales, déterminants majeurs de toute politique réaliste de développement durable dans un monde « urbain » profondément transformé. Extraits «Villes et autorités locales», in Livre blanc des acteurs français du développement durable présenté lors du Sommet mondial du développement durable de l'ONU à Johannesburg en septembre 2002, pp. 113-124 L'ascension des villes, nouvelle donne planétaire Longtemps alimenté par la pression démographique et par l'exode rural, accéléré aujourd'hui par la mondialisation des échanges, le mouvement mondial d'urbanisation n'épargne aucun continent, ni même aucun pays. Trois milliards de personnes vivent aujourd'hui en ville (150 millions seulement cent ans plus tôt). La polarisation territoriale de la croissance, la concentration urbaine sont des réalités universelles. Mais ces phénomènes touchent très inégalement les différents continents. Dans les pays du Sud, le milieu urbain accueille plus de « pour mémoire » l n° HS automne 2017 128 80% de la croissance démographique totale (qui représente 95% de la croissance démographique mondiale). La population urbaine de ces pays est maintenant dix fois plus nombreuse qu'elle ne l'était il y a un demi-siècle. Elle va encore doubler d'ici 2020. La vie urbaine transforme inévitablement les attitudes et les comportements, les habitudes individuelles et les relations sociales. Le mouvement d'urbanisation ouvre la voie à de nouveaux modes de vie qui pénètrent aujourd'hui rapidement l'ensemble des territoires. C'est donc sur la manière de vivre et de consommer des citadins qu'il faut agir pour provoquer la prise de conscience et les changements qu'appelle le développement durable. L'étalement et la balkanisation du tissu urbain Le mouvement mondial d'urbanisation s'accompagne partout, même si les situations locales demeurent fort contrastées, de deux phénomènes qui vont totalement à l'encontre des préoccupations de développement durable. Les agglomérations urbaines tendent à envahir leur périphérie et à se développer en tâche d'huile. Cette tendance à l'étalement urbain est tout à fait générale. Elle est génératrice de gaspillages, de consommations excessives d'énergie, de pollutions. La ville tend à se couper en morceaux. Des quartiers paupérisés décrochent et se marginalisent tandis que les quartiers aisés sont de plus en plus tentés de s'enfermer sur eux-mêmes, à l'abri de la misère et de la violence. Cette menace de balkanisation du tissu urbain fait peser sur la société tout entière un risque majeur de sécession larvée, voire de rupture brutale. Les villes deviennent le lieu privilégié d'articulation du global et du local, dans la triple dimension économique, sociale et écologique. La manière dont se structurent et se gèrent les agglomérations urbaines a un impact déterminant sur la viabilité à long terme de leur développement. Elle peut avoir aussi de fortes incidences globales. De nouvelles orientations sont à privilégier Conforter et moderniser l'action publique locale, adapter le territoire institutionnel des pouvoirs locaux à la réalité de l'évolution des agglomérations urbaines, améliorer la coopération entre les collectivités territoriales et le secteur privé, sans rien remettre en cause des acquis de la démocratie représentative, n° HS automne 2017 créer les conditions d'une démocratie participative ancrée dans le local, faire évoluer le rôle de l'État central vers un État stratège, régulateur et «facilitateur», renforcer la coordination des politiques urbaines nationales tant au niveau central qu'à l'échelon des services déconcentrés de l'État tels sont les enjeux. La montée en puissance des dynamiques locales et des démarches de projet d'agglomération appellent un renouveau de la planification territoriale qui doit devenir plus stratégique pour mieux intégrer les enjeux du développement durable en aménageant le territoire au plus près des réalités locales et des attentes des usagers: mettre les politiques de l'habitat et du logement au service du développement durable, considérer la lutte contre toutes les formes d'exclusion comme une priorité de l'ensemble des politiques publiques, et promouvoir l'organisation des services urbains de base (eau, assainissement, énergie, déplacements...) pour répondre à des besoins vitaux, fondamentaux, quotidiens des habitants... Faire de la politique urbaine et de l'action des autorités locales des enjeux majeurs des politiques de coopération internationales. Face aux défis de la mondialisation et aux synergies qui relient désormais le local au global, nul ne peut plus se désintéresser de la question urbaine. L'ampleur du mouvement d'urbanisation, qui va se poursuivre dans les prochaines décennies dans les pays en développement, l'extraordinaire importance des investissements nécessaires pour assurer un accès, même minimal, de tous aux services de base, le fort impact du fait urbain sur le traitement des grands problèmes à l'échelle planétaire imposent que le développement urbain soit l'une des priorités majeures tant des politiques de coopération bilatérales et multilatérales que des négociations internationales. Parce que la ville est devenue le lieu de création des richesses, celui où la productivité est la plus élevée, parce qu'elle constitue, et constituera de plus en plus, le principal marché solvable pour l'agriculture, l'aide ciblée sur l'urbain engendre des effets importants tant en termes de croissance économique que de réduction de la pauvreté. l « pour mémoire » 129 Un engagement militant au service du projet social du Mouvement PACT Spécialiste national et international de la politique de la ville, il a, pendant sa présidence de la Fédération des Pact, très rapidement perçu tous les enjeux du logement, en particulier ceux du parc privé à finalité sociale et ceux du logement des personnes défavorisées. Dans ces domaines, il a plaidé avec ténacité et clairvoyance auprès des pouvoirs publics afin que la politique publique sur le parc privé existe à part entière, soit ambitieuse, et prenne en compte prioritairement les populations les plus en difficulté. Partenaire des associations d'insertion par le logement comme du Mouvement HLM, il a contribué à maintenir les moyens et rôles de l'État et des collectivités dans la politique du logement, et de conserver au logement sa place particulière à chaque étape de la décentralisation, de sorte de mieux articuler politique nationale du logement et stratégies territoriales de l'habitat. Il n'a eu de cesse de contribuer à faire reconnaître par la loi le droit au logement opposable, la décence du logement, la lutte contre les discriminations dans l'accès au logement et la place des associations agissant dans ces domaines. Son engagement fut total, convaincu que les associations avaient un rôle essentiel à tenir dans la mise en oeuvre opérationnelle des politiques de l'habitat. Issu après la Deuxième Guerre Mondiale de la volonté de militants associatifs oeuvrant pour l'amélioration de l'habitat des personnes les plus défavorisées occupant le parc privé, le Mouvement PACT réunissait 141 associations en métropole et outre mer. Il regroupait plus de 2500 administrateurs bénévoles et plus de 2000 salariés. Ce mouvement a notamment été l'un des acteurs essentiels de la réhabilitation de l'habitat des centres et quartiers anciens durant les années 70/80. Depuis la fusion de la Fédération des PACT, en 2015, avec la Fédération Habitat et Développement, ce mouvement rebaptisé SOLIHA, solidaires pour l'habitat, représente aujourd'hui un réseau professionnel de plus de 2500 salariés. Quelques extraits de ses interventions en tant que président des PACT sont réunis ci après. Extraits du rapport Discrimination dans l'accès au logement, Conseil National de l'Habitat, 2005, 44p. disponible sur www.pact-habitat.org/uploads/File/Rapport/ rap_discrim_cnh.pdf Pour ceux qui cherchent un logement, parce qu'ils n'en ont pas encore ou parce qu'ils veulent quitter celui où ils s'estiment assignés à résidence, la réalité du droit au logement ne dépend que des suites données à leurs démarches. Or la location (ou l'acquisition) d'un logement, dès lors qu'elle concerne ces ménages fragiles ou précarisés, devient une véritable transaction sociale qui interpelle forcément la puissance publique et déborde largement le simple face-à- face entre un bailleur et un candidat locataire (ou entre un vendeur et un accédant). C'est pourquoi la lutte contre les discriminations dans l'accès au logement participe directement à la construction du droit au logement ainsi qu'à son évolution souhaitée vers une opposabilité qui soit autant politique que juridique. L'habitat dégradé, dont l'état obère les conditions d'existence des personnes qui s'y trouvent logées et constitue un véritable déni à leur dignité, abrite, de fait, des populations en difficulté ou en situation de précarité qui n'ont pu accéder à un logement convenable. Une forte proportion de familles immigrées y réside (85% des enfants victimes de saturnisme sont originaires de l'Afrique sub-saharienne). Dans les régions à forte tension du marché locatif et à forte présence de population immigrée ou d'origine immigrée, le parc insalubre, les hôtels meublés sordides, l'habitat précaire, accueillent massivement ces populations à des niveaux de loyer très supérieurs à la valeur d'usage des locaux. Cette situation est, pour une bonne part le résultat de pratiques discriminatoires diffuses et multiformes dans l'accès au logement de droit commun. Extraits de Union sociale - la revue de l'Uniopps, octobre 2006. Ne dissimulons pas qu'il reste beaucoup à faire, dans notre pays, pour parvenir à une définition politique partagée de l'opposabilité, pour passer du registre affectif au régime juridique « pour mémoire » l n° HS automne 2017 130 d'une prérogative individuelle obligeant la puissance publique et sanctionnée par le juge, comme le sont le droit à la scolarité et le droit à la protection de la santé. Outre qu'il n'est guère possible de définir en la matière des catégories d'ayants droits, on peut s'interroger sur la capacité des mécanismes de la politique nationale du logement à se prêter à l'introduction du droit opposable, qui devrait désormais sous tendre l'ensemble du dispositif et conduire à en remanier profondément la gouvernance. [...] Parler de droit au logement ne suffit pas. Quelle que soit sa condition, chaque citoyen a droit à un logement convenable et pas à un logement au rabais. L'exigence du droit au logement doit être clairement celle du droit au logement décent, concept que que le Mouvement Pact Arim a contribué à faire émerger. Revenir sur ces caractéristiques serait accepter des conditions d'occupation incompatibles avec la dignité humaine. le nombre de ménages va croître bien plus vite que la population, donc que la demande de logements va s'intensifier. C'est dire qu'il faudra inscrire résolument l'effort public dans la durée. Extrait des actes des journées professionnelles de l'UNAFO table ronde avec Paul Bouchet et Bernard Lacharme (Haut Comité), Thierry Repentin (sénateur), et Freek Spinnewijn (FEANTSA) - Novembre 2006. La politique nationale du logement s'assigne deux grands objectifs: loger tous les habitants de ce pays, assurer un meilleur équilibre social par la mixité des peuplements et la diversification des formes d'habitat et des statuts d'occupation. Ces deux objectifs sont potentiellement contradictoires. Progresser dans la mise en oeuvre du droit au logement opposable implique de se fixer des règles de conduite propres à lever cette contradiction et à assurer dans le temps la compatibilité de ces deux objectifs. La lutte contre les discriminations à l'accès au logement, qu'elles soient directes ou systémiques, doit être en particulier placée au coeur même de la démarche. [...] La pénurie actuelle de logements abordables rend la question du droit au logement particulièrement cruciale, mais elle a toute chance de le rester pendant longtemps, même si un effort accru de développement de l'offre accessible venait à permettre de résorber progressivement les retards cumulés. En effet, les estimations à l'horizon 2030 convergent pour montrer que, du fait de l'évolution des modes de vie et du vieillissement, n° HS automne 2017 Geogres Cavallier, entouré de Jean-Michel David à gauche, délégué général de la FAPIL, et Gilles Desrumaux, délégué général de l'UNAFO, sur le pont des Arts, le 5 novembre 2010, lors de la mobilisation du collectif des associations unies pour une nouvelle politique publique pour des personnes sans abri et mal logées. © Fédération Soliha l « pour mémoire » 131 Biographie de Georges Cavallier (18 mars 1934 - 17 septembre 2012) Ingénieur général honoraire des ponts et chaussées. Ancien élève de l'École polytechnique (X54) ; Ancien élève de l'École nationale des ponts et chaussées (1959). 1961 : Chef de l'arrondissement Belgique - Paris Est au Service de la Navigation du Nord-Pas de Calais ; 1969 : Chargé de mission au Commissariat au Plan ; 1971 : Chef du Secrétariat général aux affaires régionales de Lorraine ; 1975 : Chef du service régional et urbain au Commissariat au Plan ; 1980 : Directeur adjoint de l'urbanisme et des paysages au ministère de l'Équipement ; 1985 : Coordinateur de la mission en charge de la rénovation des musées de l'Éducation Nationale ; 1988 : Délégué adjoint à la Délégation interministérielle à la ville, dont il a contribué à la création ; 1992 : Directeur de cabinet des ministres de la ville ; 1993 : Président de la Ve section du Conseil Général des Ponts et Chaussées en charge de l'urbanisme de l'aménagement du territoire et de l'environnement ; 1999-2012 : Président de la Fédération Nationale des PACT ; 2002-2010 : Conseiller des présidents de l'Institut des Villes ; 2001-2011 : Président de l'Observatoire Foncier en Ile-de-France ; Administrateur de l'Opac de Paris et de l'ANAH ; Membre du Conseil social HLM et du Conseil National de l'Habitat. Missions internationales : Siège au groupe des affaires urbaines de l'OCDE ; Représentation de la France au comité Habitat de la CEE/ONU à Genève et à la Commission des Nations Unies sur les établissements humains à Nairobi ; Coordonnateur national pour le Sommet des Nations Unies sur l'avenir des Villes ­ Habitat II à Istanbul en 1996 ; Auteur du chapitre « Villes et autorités locales » du Livre blanc français pour le Sommet mondial du Développement durable à Johannesburg en 2002. pour la négociation des contrats de ville de la nouvelle génération (2000-2006), mai 1999 Rapports internationaux Défis pour la gouvernance urbaine dans l'Union européenne, Fondation européenne pour l'amélioration du cadre de vie et des conditions de travail, 1998, 92 p. Rapport national cinq ans après Habitat II, présenté à l'assemblée générale des Nations unies de 2001, reproduit dans la revue Urbanisme, HS n° 15, janvier-février 2002 « Villes et autorités locales », in Livre blanc des acteurs français du développement durable présenté lors du Sommet mondial du développement durable de l'ONU à Johannesburg en septembre 2002, pp. 113-124 Ouvrages collectifs, coordonnés à l'Institut des Villes, publiés par La documentation française, collection « Villes et société » Villes et économie, 2002 Villes et vieillir, 2004 Villes en évolution, 2005 Conduite politique du projet urbain, 2006 Villes, santé et développement durable, 2007 Villes et politiques temporelles, 2009 Villes en évolution 2, 2010. « pour mémoire » Bibliographie indicative Rapports ministériels Rapport au Ministre délégué à la ville et au Ministre de l'Équipement, des Transports et du Logement en vue de la création d'un organisme national interpartenaires favorisant l'échange des savoirs et des savoir-faire sur la ville et les politiques urbaines (futur Institut des villes crée en 2002), 1998 Rapport au Ministre délégué à la Ville pour de nouvelles recommandations l n° HS automne 2017 132 Biographies des contributeurs BARRIOL Brigitte Architecte-urbaniste en chef de l'État, elle est depuis 2011 déléguée générale de la Fédération nationale des agences d'urbanisme. Elle avait auparavant été onze ans à la tête de l'agence d'urbanisme de la région stéphanoise. BERGER Patrice Architecte et urbaniste, également diplômé de Sciences Po Paris, il est depuis 17 ans directeur des activités internationales de l'Agence d'urbanisme de l'aire métropolitaine lyonnaise. Il avait auparavant travaillé plusieurs années en Afrique sub-saharienne comme urbaniste, notamment à Yaoundé et Douala. BRAOUEZEC Patrick Président de l'établissement public territorial « Plaine Commune » et vice-président de la métropole du Grand Paris, il avait auparavant été maire de Saint-Denis (19912004) et député de la Seine-SaintDenis (1993-2012). Il est également membre fondateur et co-animateur de la commission Inclusion sociale, démocratie participative et droits humains de Cités et gouvernement locaux unis. CHARREYRON-PERCHET Anne Urbaniste, elle est en charge des questions liées à la ville durable au sein du Commissariat général au développement durable (Ministère de l'environnement, de l'énergie et de la mer). Ses travaux portent notamment sur les questions de résilience urbaine et d'innovation. Auteure de plusieurs rapports et articles sur ces sujets, elle intervient comme experte à l'échelle européenne et participe à de nombreux projets en lien avec d'autres pays. Ses travaux sur l'innovation l'amènent aujourd'hui à travailler plus spécifiquement sur la question des villes et territoires intelligents du point de vue des enjeux pour ces territoires, tant en termes de gouvernance, de gestion urbaine que de développement économique local, DAUGE Yves Urbaniste, il a entre autre occupé les fonctions de Directeur de l'habitat et de l'urbanisme (1982-1985) au ministère de l'Équipement, avant de prendre la tête de la Délégation interministérielle à la ville. Ancien député (1997-2001) puis sénateur d'Indre-et-Loire (2001-2011), il a également été maire de Chinon (19892005). Il est depuis 2011 co-président du Partenariat Français pour la Ville et les Territoires. DEBOULET Agnès Professeure de sociologie à l'université Paris VIII, ses recherches, menées au sein du LAVUE (Laboratoire architecture ville urbanisme environnement, UMR 7218 CNRS) portent notamment sur les questions de mobilisations urbaines et de citoyenneté dans les quartiers précaires et les quartiers en restructuration en particulier au Caire et à Beyrouth, mais également en Europe. Elle a dirigé en 2016 la publication d'un ouvrage intitulé « Repenser les quartiers précaires » (collection Études de l'AFD). DE CAZOTTE Henry Ingénieur agronome diplômé de l'Ecole polytechnique fédérale de Zurich et ancien élève de l'ESSEC, il a été le Représentant spécial Habitat III du ministère des Affaires étrangères et du Développement international. Il avait auparavant été Conseiller spécial du Coordonnateur exécutif de la conférence des Nations unies « Rio + 20 », puis coordinateur pour la France des négociations sur le développement post-2015 et sur le financement du développement. Il a réalisé une grande partie de sa carrière à l'Agence Française de Développement (directeur de la communication, directeur de l'antenne de Johannesburg...). DE FLEURIEU Agnès Ancienne élève de l'ENA, elle a passé sa carrière dans de nombreux ministères et notamment au ministère des Transports, au ministère de la Coopération et au ministère des Affaires étrangères. Elle était membre de la délégation française à Habitat II. n° HS automne 2017 l « pour mémoire » 133 DE LANNOY Xavier Président de la fédération SOLIHA (Solidaires pour l'habitat), il avait auparavant travaillé pour la Caisse des dépôts pour laquelle il avait notamment dirigé les antennes de la région Limousin et de la région Centre. FREY Astrid Experte en coopération décentralisée et en négociations multilatérales à Cités Unies France depuis 2005, elle s'était notamment engagée depuis l'origine sur les négociations des Objectifs de développement durable aux Nations Unies. GARCIA Elise Docteure en géographie, sa thèse, soutenue en 2013, s'intitulait « L'action internationale des collectivités territoriales : un outil de développement des territoires français ? ». Elle est désormais chargée des relations internationales auprès du maire de Cergy. Elle est également engagée au sein de l'ARRICOD (Association des professionnels de l'action européenne et internationale des collectivités territoriales). GAUTIER Maryse Ingénieure Générale des Ponts, des Eaux et des Forêts, elle est actuellement inspectrice générale au Conseil général de l'environnement et du développement durable (ministère de l'Environnement, de l'Energie et de la Mer, et ministère du Logement et de l'Habitat durable). Elle a été déléguée pour la France auprès des Nations Unies pour la préparation de la Conférence Habitat III, dont elle a co-présidé avec l'Equateur la Commission Préparatoire. Auparavant, elle avait passé 17 années à la Banque mondiale, où elle a travaillé comme experte sur le développement urbain en région méditerranéenne et en Amérique latine, ainsi qu'aux Philippines comme directrice des programmes. GOLDBLUM Charles Charles Goldblum est professeur émérite en urbanisme à l'Université Paris 8 et ancien directeur de l'Institut français d'urbanisme (IFU). Ancien vice-président du GEMDEV, il a assuré, de 2001 à 2005, la présidence du Comité scientifique du Programme de recherche urbaine pour le développement (PRUD) initié par le ministère des Affaires étrangères. Il est actuellement membre du comité directeur du GEMDEV et chercheur associé à l'Unité mixte de recherche Architecture Urbanisme Société : savoirs, enseignement, recherche (UMR AUSser 3329 du CNRS). HUYBRECHTS Eric Architecte et urbaniste, il dispose de 30 ans d'expérience sur les questions urbaines en France et à l'international, mêlant expertise (conseil, assistance à la maîtrise d'ouvrage...), enseignement et recherche. Il est actuellement en charge des questions internationales à l'Institut d'aménagement et d'urbanisme d'Ile de France et enseignant dans différents masters d'urbanisme. JACQUEMOT Pierre Ancien Ambassadeur de France (Kenya, Ghana, RD Congo) et ancien Directeur du développement du ministère des Affaires étrangères, il est désormais président du Groupe Initiatives et du GRET, et membre du Conseil national du développement et de la solidarité internationale (CNDSI). Il est également maître de conférences à l'Institut d'Etudes Politiques de Paris et chercheur associé à l'IRIS. Il a publié en 2016 aux éditions Karthala « L'Afrique des possibles, les défis de l'émergence ». LORRAIN Dominique Directeur de recherche émérite au CNRS, ses recherches portent sur les réformes des infrastructures, et plus particulièrement sur les politiques de libéralisation, les stratégies d'entreprises et les politiques urbaines à l'échelle internationale. Il a enseigné entre autre à Sciences Po Paris, et dans un MBA conjoint de l'Ecole des Ponts ParisTech et de l'université de Tongji à Shanghai. Il a notamment coordonné deux ouvrages sur les grandes villes : en 2011, «Métropoles XXL en pays émergents», en 2017, «Métropoles en Méditerranée. Gouverner par les rentes», tous deux aux Presses de Sciences Po. LOUBIERE Antoine Journaliste spécialisé dans les politiques urbaines et le développement territorial, il est rédacteur en chef de la revue Urbanisme depuis octobre 2000. Diplômé du Centre de formation des journalistes (CFJ), il a par ailleurs été auditeur de l'IHEDATE (Institut des hautes études de développement « pour mémoire » l n° HS automne 2017 134 et d'aménagement des territoires en Europe). Il est l'auteur, avec Jean Audouin, du livre « Les Banlieues » (Hachette, 1996). MAISETTI Nicolas Chercheur post-doctorant en science politique (LATTS, Université Paris Est), il est l'auteur de « Marseille ville du monde » aux éditions Karthala (2017) et « Opération culturelle et pouvoirs urbains » à l'Harmattan (2015). Il travaille sur les politiques urbaines d'internationalisation. MASSIAH Gustave Ingénieur et économiste, il s'est spécialisé dès les années 60 sur les questions urbaines et de développement, en parallèle d'un engagement militant altermondialiste. Il est notamment membre fondateur de l'Association Internationale de techniciens, d'Experts et de Chercheurs (Aitec), et est toujours membre du conseil international du Forum social mondial et du conseil scientifique d'Attac. NOISETTE François Ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts, il a fondé Kalutere Polis en 2013. Il valorise plus de trente années d'expérience de pilotage et de mise en oeuvre du développement territorial et urbain en France et dans les pays en développement. Il était le représentant technique du ministère des Affaires étrangères pour la préparation d'Habitat II. Il est aussi trésorier de AdP ­ Villes en Développement, association qui réunit des professionnels engagés dans le développement des villes du Sud. ODIC Anne Diplômée de Sciences Po Paris, elle est aujourd'hui responsable à l'Agence Française de Développement de la division « Collectivités locales et développement urbain ». Elle avait auparavant eu différents postes au sein de l'agence en France et à l'étranger, notamment en Afrique du Sud. ORILLARD Clément Architecte DPLG, il est aujourd'hui maître de conférence à l'Institut d'urbanisme de Paris. Ses travaux portent sur la structuration des champs disciplinaires et professionnels de l'urbanisme prise dans une perspective internationale, et sur la co-construction des acteurs institutionnels privés et publics de l'aménagement en France. OSMONT Annik Socio-anthropologue, HDR, maître de conférences honoraire (Institut Français d'Urbanisme (IFU), université de Paris 8), elle a été responsable de la filière « Expertise internationale, villes en développement » du DESS de l'IFU, et enseignante à l'Ecole Nationale des Ponts et Chaussées de 1965 à 1992. Ancienne vice- présidente et membre du comité de direction du GEMDEV, elle a été secrétaire exécutive du Programme de Recherche Urbaine pour le Développement de 2001 à 2004. Elle a co-animé, avec Charles Goldblum, de 2007 à 2009, un groupe de réflexion sur la gouvernance urbaine. Elle est membre du PFVT depuis 2011. PAYRE Renaud Professeur de science politique à l'Institut d'Études Politiques de Lyon, dont il est actuellement directeur. Il mène des recherches au sein du laboratoire TRIANGLE (UMR 5206) notamment sur l'action publique urbaine et sur les circulations transnationales d'acteurs et de savoirs municipaux, avec une approche sociohistorique (début XXe à nos jours). PRALIAUD Claude Ingénieur des ponts, des eaux et des forêts, il est aujourd'hui directeur de l'urbanisme à la ville de Paris. Auparavant, il avait notamment travaillé au cabinet du maire de Paris mais aussi au ministère de la coopération ­ pour lequel il s'était impliqué dans Habitat II ou encore à l'ambassade d'Alger. SAPOVAL Yves-Laurent Architecte-Urbaniste en chef de l'État, il est aujourd'hui conseiller auprès du directeur de l'Habitat, de l'Urbanisme et des Paysages (ministère du Logement et de l'Habitat durable). Après des postes en cabinets ministériels, il avait auparavant exercé les fonctions de Délégué Interministériel à la ville (2006-2008). STECK Jean-Fabien Maître de conférences à l'Université de Paris-Nanterre, il est membre de l'UMR LAVUE. Géographe urbain, il étudie les usages dits informels des espaces publics et les enjeux de leur planification en Afrique de l'Ouest. Il aborde la question des circulations de modèles et des coopérations. n° HS automne 2017 l « pour mémoire » 135 LE COMITÉ D'HISTOIRE « pour mémoire » l n° HS automne 2017 136 Créé en 1995, le comité d'Histoire ministériel développe des activités dans les domaines de l'Écologie, du Développement durable, de l'Énergie, des Transports, de la Mer mais aussi dans ceux de l'Urbanisme, du Logement et de la Ville. Afin de valoriser le patrimoine historique du ministère et de promouvoir une analyse historique des politiques ministérielles, le comité d'Histoire s'appuie sur un Conseil scientifique, composé de chercheurs et de spécialistes reconnus, pour définir ses priorités d'intervention en matière d'histoire et de mémoire des administrations, des politiques publiques menées ainsi que des techniques, des métiers et des pratiques professionnelles qui ont été développés. Il cherche également à répondre aux attentes exprimées par les services, les opérateurs et les partenaires du ministère. Le comité soutient et accompagne scientifiquement et financièrement des études et des recherches historiques. Il publie la revue semestrielle « Pour mémoire » (2000 exemplaires). Il organise des séminaires et des journées d'études dont il peut diffuser les actes dans des numéros spéciaux de la revue. Il peut favoriser la publication d'ouvrages de référence. Pour les besoins de la recherche, il constitue un fonds d'archives orales d'acteurs des politiques ministérielles. Il gère un centre documentaire ouvert au public doté de plus de 4 000 ouvrages. Il diffuse sur internet et sur intranet un guide des sources accessibles, la revue et les actes de journées d'études et de séminaires. Il peut participer à des manifestations avec des partenaires publics ou privés. n° HS automne 2017 Le comité d'Histoire du ministère L' ORGANISATION DU SECRÉTARIAT DU COMITÉ D'HISTOIRE Secrétaire Philippe CARON ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts Secrétaire général du Conseil général de l'Environnement et du Développement durable Tél. : 01 40 81 68 23 philippe.caron @developpement-durable.gouv.fr Secrétaire-délégué Patrick FÉVRIER administrateur général Tél. : 01 40 81 21 73 patrick.fevrier @developpement-durable.gouv.fr Adjointe au secrétaire délégué recueil de témoignages oraux Christiane CHANLIAU chargée de mission Tél. :01 40 81 82 05 christiane.chanliau @developpement-durable.gouv.fr Événementiel, édition Lorette PEUVOT chargée de mission Tél. : 01 40 81 15 38 lorette.peuvot @developpement-durable.gouv.fr Études-recherches Samuel RIPOLL chargé de mission Tél. : 01 40 81 26 63 samuel.ripoll @developpement-durable.gouv.fr Documentation communication électronique Nicole BOUDARD-DI-FIORE documentaliste Tél. : 01 40 81 36 83 nicole.boudard-di-fiore @developpement-durable.gouv.fr Assistance à la coordination et à la publication N.... secrétaire de rédaction Tél. : 01 40 81 .. .. l « pour mémoire » 137 LE CONSEIL SCIENTIFIQUE Dominique BARJOT Professeur d'histoire contemporaine à l'Université Paris IV Bernard BARRAQUÉ Directeur de recherche émérite au CNRS, AgroParisTech Alain BELTRAN Directeur de recherches CNRS, Université Paris I, laboratoire SIRICE (UMR 8138) Alain BILLON Ancien secrétaire délégué du Comité d'histoire Florian CHARVOLIN Chargé de recherche au CNRS, Centre Max Weber (UMR 5283) Kostas CHATZIS Chercheur au laboratoire Techniques Territoires Sociétés (LATTS, UMR 8134) Florence CONTENAY Inspectrice générale de l'Équipement honoraire Andrée CORVOL DESSERT Présidente d'honneur du Groupe d'Histoire des Forêts Françaises, Directrice de recherche émérite au CNRS, Membre de l'Academie d'Agriculture de France Gabriel DUPUY Professeur émérite à l'Université Paris I Jean-Michel FOURNIAU Directeur de recherches à l'IFSTTAR Stéphane FRIOUX Maître de conférences en histoire contemporaine à l'Université Lumière de Lyon 2, laboratoire LARHRA (UMR 5190) Philippe GENESTIER Professeur à l'ENTPE, laboratoire EVS-RIVES (UMR 5600) Vincent GUIGUENO Conservateur en chef du patrimoine, musée de la Marine Anne-Marie GRANET-ABISSET Professeur d'histoire contemporaine, Université Pierre Mendès-France Grenoble, laboratoire LARHRA (UMR 5190) André GUILLERME Professeur émérite d'histoire des techniques au CNAM Bertrand LEMOINE Directeur de recherche au CNRS, Centre André Chastel (UMR 8150) Alain MONFERRAND Ancien secrétaire-délégué du Comité d'histoire Arnaud PASSALACQUA Maîtres de conférences en histoire contemporaine à l'université Paris-Diderot, laboratoire ICT (EA 337) Antoine PICON Directeur de recherche à l'Ecole des Ponts ParisTech, Professeur à la Harvard Graduate School of Design Anne QUERRIEN Ancienne directrice de la rédaction de la revue « Les Annales de la Recherche urbaine » Thibault TELLIER Professeur d'histoire contemporaine à l'Institut d'études politiques de Rennes, laboratoire IRHiS (UMR 8529) Hélène VACHER Professeur à l'Ecole Nationale Supérieure d'Architecture de Nancy, laboratoire LHAC Loïc VADELORGE Professeur à l'université Paris-Est, laboratoire ACP (EA 3350) « pour mémoire » l n° HS automne 2017 138 Activités du Comité d'histoire Depuis 2006, 18 numéros de la revue semestrielle Pour mémoire ont déjà présenté un panorama diversifié d'articles sur l'histoire de l'administration et des cultures professionnelles. Pour 2017-2018, les principales thématiques traitées concernent l'histoire du corps des Ponts et Chaussées, les enjeux transfrontaliers, et le patrimoine immobilier des armées. https://www.ecologique-solidaire. gouv.fr/memoire-du-ministere-comitedhistoire-ministeriel#e3 Depuis 1995, le Comité d'histoire a organisé ou co-organisé des journées d'études et des colloques, le plus souvent en partenariat avec des chercheurs, des acteurs et des experts. Les événements programmés en 2017-2018 portent notamment sur une analyse de la loi d'orientation foncière (1967) et de ses impacts, sur le ministère de l'équipement et la politique de la ville, les bassins miniers. https://www.ecologique-solidaire. gouv.fr/memoire-du-ministere-comitedhistoire-ministeriel#e4 Les actes des journées d'études organisées par le Comité d'histoire sont publiées dans des numéros spéciaux de la revue. D'autres types de journées d'études sont publiées sur internet, dans la revue, ou dans des livres. https://www.ecologique-solidaire. gouv.fr/memoire-du-ministere-comitedhistoire-ministeriel#e4 Le comité peut apporter son soutien à l'édition d'ouvrages issus par exemple de thèses dont les sujets ont un rapport avec les politiques ministérielles. https://www.ecologique-solidaire. gouv.fr/memoire-du-ministere-comitedhistoire-ministeriel#e7 Depuis sa création, le comité a recueilli près de 250 témoignages oraux destinés à préserver la mémoire de personnalités de ces ministères. Il s'est intéressé à l'évolution des métiers, des cultures professionnelles, et des bouleversements qui ont touché l'administration. www.archives-orales.developpementdurable.gouv.fr n° HS automne 2017 l « pour mémoire » 139 Vous souhaitez consulter les ressources du secrétariat du comité d'Histoire... Vous pensez que votre témoignage peut éclairer l'histoire du ministère de la Transition écologique et solidaire et des administrations dont il est l'héritier... Vous avez connaissance d'archives, de documents divers, d'objets intéressant l'histoire de ces administrations, alors... N'HÉSITEZPASÀNOUSCONTACTER OU NOUS RETROUVER ? Secrétariat du comité d'Histoire Conseil général de l'Environnement et du Développement durable Tour Séquoia - 92055 La Défense cedex tél : 33 (0) 01 40 81 21 73 Internet : http://www.ecologiquesolidaire.gouv.fr/memoire-du-ministere http://www.archives-orales. developpement-durable.gouv.fr/index. html Intranet : http://intra.comite-histoire. cgedd.i2/ courriel : comite.histoire@developpement-durable. gouv.fr « pour mémoire » l n° HS automne 2017 140 la revue du comité d'Histoire rédaction Tour Séquoia - bureau 30.01 92 055 La Défense cedex téléphone : 01 40 81 15 38 comite.histoire@developpement-durable.gouv.fr Pierre Chantereau et Alain Billon fondateurs de la publication directeur de la publication Philippe Caron rédacteur en chef Patrick Février Samuel Ripoll conception et coordination du hors-série conception graphique de la couverture 53 rue Lemercier - Paris 75017 société Amarante Design graphique, crédit photo couverture UN Photo/Yutaka Nagata Légende premier ministre canadien Pierre Trudeau ouvre la 1e conférence des Nations Le Unies sur les établissements humains (Habitat I). Vancouver, 31 mai 1976 crédits photos Tous droits réservés Annick Samy réalisation graphique impression couverture Intérieur SG/SPSSI/ATL 2 ISSN 1955-9550 ISSN ressource en ligne 2266-5196 imprimé sur du papier certifié écolabel européen n° HS automne 2017 l « pour mémoire » COMITÉ D'HISTOIRE Tour Séquoia 92055 L a DéfenSe ceDex www.ecologique-solidaire.gouv.fr / www.cohesion-territoires.gouv.fr (ATTENTION: OPTION des enjeux symboliques puisqu'il s'agit tout autant, au cours de ces voyages, de dynamiser des partenariats techniques, de promouvoir leurs entreprises et de réaffirmer des liens d'amitié tout en apprenant éventuellement des bonnes pratiques. Le deuxième type de politique protocolaire s'incarne dans les « trophées internationaux de la gouvernance urbaine », dont l'expression est empruntée au sociologue Renaud Epstein. Cette démarche de distinction des collectivités est très ancienne et remonte aux années 1950, avec la création du concours des « Villes et villages fleuris ». Aujourd'hui, ces dispositifs se sont multipliés et ont beaucoup évolué. Longtemps cantonnés à la question du tourisme et du patrimoine, ils viennent désormais récompenser la qualité de la gestion territoriale et sont devenus un instrument privilégié de distinction des pouvoirs locaux dans la compétition internationale des territoires. Les politiques d'attractivité La dernière catégorie d'action publique est celle des politiques d'attractivité. Elles soulèvent la question de l'internationalisation des territoires comme une ressource capable de stimuler la croissance économique locale. Cette problématique s'intègre dans la compétition des espaces urbains, en particulier des espaces métropolitains. Sur le plan des politiques publiques, cela se traduit par la multiplication des initiatives de marketing territorial et de city branding et par une mobilisation destinée à favoriser l'implantation des entreprises internationales ou de leurs sièges régionaux. Sur un plan institutionnel, ces ambitions visent à attirer des organismes publics internationaux, comme par exemple des bailleurs de fonds multilatéraux. En conclusion, ce panorama très descriptif de l'internationalisation des villes, considéré sous l'angle d'une sociologie de l'action publique, permet d'envisager une série de dispositifs disparates. Il contribue à la compréhension de la manière dont les pouvoirs s'exercent aujourd'hui et dont le fait international n'est plus un simple contexte, mais un objet et un enjeu de la production urbaine. « pour mémoire » l n° HS automne 2017 40 actes Les associations, actrices de coopération à l'interface de l'action publique et des habitants Xavier de Lannoy, président de la fédération SOLIHA La création de Solidaires pour l'habitat (SOLIHA) résulte de la fusion de deux réseaux d'opérateurs autrefois présents sur les territoires : la fédération des PACT ARIM et la fédération « Habitat et développement ». Le mouvement SOLIHA représente aujourd'hui environ 150 associations et rassemble 3 200 administrateurs et 2 700 salariés. Son objectif est de promouvoir le maintien et l'accès à l'habitat des personnes défavorisées, fragiles et vulnérables, en mobilisant en particulier l'habitat privé. Reconnu comme service social d'intérêt général, SOLIHA incarne une action sur les territoires en partenariat avec les collectivités locales. Georges Cavallier a présidé le mouvement PACT ARIM entre 1999, soit 3 ans après Habitat II, et 2012. Peut-être sa présence à cette conférence et dans le débat d'idées lui avait-elle donné envie d'ouvrir ses horizons d'action, et en particulier de s'investir dans le mouvement associatif et d'apporter sa compétence et son humanité à ce réseau d'acteurs ? Tous ceux qui l'ont connu ont perçu que, derrière sa posture de serviteur de l'État et de l'intérêt général, pointait n° HS automne 2017 le militant, l'homme de conviction qui savait défendre un projet, une idée. Rappelons que Georges Cavallier, en tant que président de la fédération PACT, avait engagé un contentieux avec l'État sur la reconnaissance de la fonction de service social d'intérêt général de l'association. Ce statut constitue pour nous un élément important de la reconnaissance de notre rôle vis-à-vis de l'État et des collectivités locales. Les PACT ARIM à l'international : la diffusion d'un savoirfaire social Le mouvement SOLIHA, dans les années 1980 et 1990, est intervenu de façon très active dans la coopération internationale dans le domaine de l'habitat et du logement. Nous agissons aujourd'hui en France métropolitaine et aussi dans les départements d'outre-mer. En 2016, nous avons créé une association SOLIHA à Mayotte. Nous pouvons contribuer, avec d'autres, à construire des réponses aux grands défis mondiaux de la ville et à tenir les engagements hier pris à Istanbul, et ceux qui demain seront pris à Quito. En tant qu'opérateur présent sur le territoire, nous essayons de mettre en oeuvre le droit au logement et le droit à la ville comme leviers de lutte contre la pauvreté et l'exclusion. Nous pensons que la revitalisation des quartiers, des bourgs et des villes moyennes, constitue un élément de renforcement de la cohésion sociale et de la solidarité sur les territoires. Dès les années 1980, le Mouvement PACT ARIM s'est engagé dans des actions de coopération internationale dans le domaine de l'habitat. Au début des années 1990, avec l'appui des pouvoirs publics, il a structuré une offre de coopération internationale dans le domaine de la réhabilitation des quartiers existants, notamment les centres anciens paupérisés, et la lutte contre l'habitat insalubre. Une cinquantaine de projets de coopération ont ainsi été conduits, impliquant des associations locales du Mouvement, l « pour mémoire » 41 en Amérique latine, au Maghreb et en Afrique de l'Ouest. L'objectif de ces coopérations était, à partir d'un projet pilote, d'appuyer nos partenaires dans la définition et la mise en oeuvre d'une politique de réhabilitation en travaillant particulièrement sur les volets ingénierie sociale, financier et législatif. Dans ce cadre, l'une des principales originalités de l'offre de coopération du mouvement était la réflexion sur la figure d'opérateur de la réhabilitation de quartier, sur sa nécessaire adaptation aux pays ou villes partenaires, et sa position d'interface indispensable entre l'action publique et les habitants. Notre intervention reposait donc sur une logique de réponse à une demande locale et non d'optimisation d'une offre française. Ce mode coopératif implique de s'ouvrir à l'autre, et de prendre en compte ses exigences et ses contraintes. Cela signifie que les modes d'organisation et d'intervention sont par nature multiples et adaptés aux demandes différentes des pays partenaires et aux contextes politiques, économiques et culturels locaux. Cette offre de coopération a permis aux salariés du mouvement impliqués dans ces projets de prendre du recul sur leurs pratiques éprouvées dans un contexte français. Les acteurs concernés ont ainsi pu renouveler leur capacité d'innovation, et penser de nouveaux modes d'intervention en France, face à des situations sociales, économiques et urbaines de plus en plus complexes. « pour mémoire » Remettre les habitants au coeur des projets et des débats Face à ces réalités, les engagements pris à Istanbul semblent encore d'actualité et devront être approfondis à l'occasion d'Habitat III. Trois d'entre eux se révèlent particulièrement structurants aux yeux de notre mouvement, à savoir le droit au logement, le développement durable dans l'habitat, et enfin l'approche participative du projet. Quelles avancées avons-nous connu depuis 1996 ? L'année 2017 verra la célébration des dix ans du droit au logement opposable (DALO), dispositif marquant de la lutte contre l'exclusion. Ceux qui participent à des commissions DALO soulignent combien elles permettent de saisir la réalité de l'habitat d'aujourd'hui. Il faut également évoquer la COP 21 et les actions menées contre la précarité énergétique, qui constitue souvent un élément important de l'insalubrité. La France a pris des engagements très significatifs pour lutter contre ce problème. En revanche, nous avons encore de grands progrès à accomplir sur la question de la participation des habitants. Je pense principalement aux Un immeuble ciblé par des actions de lutte contre l'insalubrité en région parisienne ©Terra/G. Crossay l n° HS automne 2017 42 nouvelles formes de gouvernance forgées au cours de processus participatifs avec les habitants (par exemple au Brésil), à la place de la société civile dans nos fonctionnements démocratiques. Je pense que nous devons donner du poids aux mouvements et mobilisations diverses, souvent portées par les jeunes générations qui exigent une ville solidaire plutôt qu'une ville compétitive, qui s'engagent pour l'insertion des personnes fragiles, qui portent des projets alternatifs d'habitat, de droit à la ville. Nous devons favoriser l'échange autour des innovations, et apprendre des expérimentations mises en oeuvre par des villes dans le monde comme par exemple New Delhi, qui a pris des engagements pour une politique de « zéro expulsion ». Nous souhaitons qu'après Vancouver, qui donnait la place aux Etats, et Istanbul, qui reconnaissait le rôle des collectivités locales, la conférence Habitat III donne entièrement leur place aux habitants. La ville ne se fera jamais sans eux. Quelle parole ces sans-voix auront-ils à Quito ? Pour nous SOLIHA, quelles réponses, quels projets, pouvons-nous plus particulièrement porter à partir de notre histoire, de nos pratiques sur les territoires, et à partir de nos convictions ? Nous sommes porteurs depuis longtemps d'une politique dans le domaine de l'amélioration de l'habitat et de la réhabilitation des quartiers existants, c'est à dire des sites occupés, porteurs d'une culture et d'une tradition. Le développement urbain durable doit prendre d'avantage en compte cette n° HS automne 2017 réalité et cette approche de la ville et des quartiers. En effet, le développement d'une offre de logements à vocation sociale peut aussi se réaliser par la mobilisation d'un parc existant et le renforcement de sa fonction sociale. Il nous semble par ailleurs important de développer la solidarité des territoires, plutôt que leur compétitivité, en réfléchissant sur les stratégies d'alliances possibles pour optimiser les ressources dans le domaine des transports, des filières économiques locales, de l'accueil de populations nouvelles. Il faut également prendre en compte de nouvelles réalités dans le domaine de l'habitat et du logement, avec par exemple la problématique des réfugiés qui touche l'ensemble de la planète. L'observation et l'échange d'idées sur les réalités du développement urbain nous montrent bien que ces défis dépassent largement nos frontières. Ce sont des sujets globaux pour lesquels une réflexion entre peuples, entre pays, à partir des projets concrets, est indispensable. Nous souhaitons que la politique étrangère de la France puisse demain prendre en compte dans ses objectifs de coopération la nécessité de soutenir la création de ces liens humains porteurs de projets et d'expérimentations. L'enjeu est de taille et en vaut la peine. Une prise de conscience mondiale est plus que jamais nécessaire car, pour reprendre une citation de Georges Cavallier, « la ville est le destin du monde ». La «jungle» de Calais, en 2015 ©Nicolas Pinault l « pour mémoire » actes 43 La grande firme et la fabrique urbaine : au singulier ou au pluriel ? Dominique Lorrain, directeur de recherche émérite au CNRS Permettez moi d'abord de remercier le ministère de m'avoir invité à parler d'un sujet qui me tient à coeur depuis longtemps, à savoir la question du rôle des firmes dans la production de la ville. J'ai initié à ce titre un programme autofinancé de « portraits d'entreprise ». Dans la revue Flux, nous avons publié 47 articles sur 114 firmes internationales 1 . Les plus récents concernent les grands conglomérats familiaux d'Asie du sudest engagés dans la fabrique urbaine. Ces derniers travaux s'inscrivent dans le programme de recherche de la « Chaire Ville », soutenu par l'Agence française de développement (AFD), Engie et Suez. Cette expérience montre qu'il est possible de faire de la recherche, d'être indépendant et de coopérer avec les acteurs du marché. Mon propos tient ici en deux points. Premièrement, les grandes firmes jouent depuis longtemps un rôle fondamental dans la fabrique urbaine et en particulier à l'international, en coopération étroite avec les autres acteurs. Deuxièmement, la notion d'entreprise ou de firme constitue une catégorie très générale, dans laquelle nous mettons tout et son contraire, et qu'il convient donc de déconstruire. Il existe des firmes vertueuses, des firmes pirates, des firmes ancrées dans des territoires, des firmes nomades... Elles ne possèdent pas toutes le même business model. Elles n'entretiennent pas le même rapport au politique et aux institutions. Il est préférable d'en avoir une connaissance précise pour ne pas développer des généralités trop vagues. A l'international, il est nécessaire de nouer les bonnes coopérations avec les bons acteurs, ce qui nécessite une connaissance fine de la position et du rôle de chacun. plus, dans un univers concurrentiel et cette mise sous tension les force à progresser. Observons qu'elles diffèrent quelque peu des institutions publiques à l'agenda plus large. Pour ces raisons il n'est pas surprenant de remarquer que des organisations, disposant de ressources, tournées vers quelques buts finissent par s'imposer. Par ailleurs, le monde devient urbain ce qui nécessite de produire des réseaux, des logements et des équipements, et ce phénomène contribue ainsi à la formation d'un vaste marché global. Comme les firmes sont des « organisations orientées marchés », elles ont parfaitement pris conscience de ces évolutions et se sont adaptées C'est une seconde explication à l'émergence des grandes firmes dans la fabrique urbaine. Les Français sont présents à l'international depuis très longtemps. Ainsi à Hong Kong, Dragages et Travaux Le rôle des firmes et les enjeux internationaux Les firmes sont des êtres organisationnels dédiés à un objet social précis. Elles ont des compétences, des ressources humaines, financières et technologiques, et poursuivent des buts précis. Elles évoluent aussi, de plus en Voir http://chaire-ville.enpc.fr/les-portraitsdentreprises « pour mémoire » 1 l n° HS automne 2017 44 Publics, filiale du groupe Bouygues, remporte des succès éclatants. De même c'est au début des années 1980 que Jérôme Monod a déployé Lyonnaise des Eaux (aujourd'hui Suez) dans cette direction aux États-Unis, en Chine et dans le pourtour méditerranéen. Engie est également très présent à l'international, comme le sont Vinci ou Veolia. Dans cette perspective les firmes françaises ont développé des coopérations. Quand elles quittent le microcosme français, elles doivent apprendre « l'autre ». Il suffit de se représenter une société présente à la fois au Chili, en Chine, en Pologne et aux États-Unis pour comprendre qu'un apprentissage est nécessaire pour s'approprier ces différents systèmes politiques et institutionnels, avec leurs règles formelles et leurs codes sociaux informels. Afin de s'adapter à ces environnements parfois si différents, les entreprises coopèrent avec les acteurs locaux. C'est la raison pour laquelle les grandes firmes françaises ont depuis longtemps noué des partenariats avec les collectivités locales du monde entier mais aussi avec des associations, des entreprises locales... Ce travail d'adaptation et de connaissance pourrait être facilité par le fait que des collectivités locales françaises ont également noué des partenariats avec des collectivités étrangères. Ainsi, plutôt que de tenir des discours généraux sur leurs contextes politiques et institutionnels, ces entreprises pourraient promouvoir des démonstrateurs portés en commun avec les collectivités françaises dans n° HS automne 2017 lesquelles ces projets ont été réalisés. Si cette idée fait sens et fonctionne de manière naturelle dans de nombreux pays, force est de constater qu'elle elle progresse lentement en France. Je dirais, de façon politiquement incorrecte, que notre pays est à la fois efficace, en retard et contreproductif. Il est efficace si l'on pense par exemple à une initiative comme Vivapolis qui assure une coordination concrète des acteurs en offrant à l'international une interface unique. A l'inverse, la France est très en retard si l'on pense à la question de l'impossible gouvernance de la région parisienne, qui constitue réellement un mauvais message pour les dirigeants des grandes métropoles émergentes. Du point de vue du maire Chinois, Latino-américain ou Africain ce fonctionnement institutionnel est totalement incompréhensible. Enfin notre système est contre-productif par l'image qu'il donne à voir par certain disfonctionnements récurrents. Nous avons évoqué la ville de Marseille. Qu'est-ce que l'étranger retient en général de la cité phocéenne ? Sont-ce ses démarches de coopération ? N'est-ce pas plutôt ce qui passe à la télévision, y compris sur CNN, à savoir les trafics dans les cités et les règlements de compte sanglants, les rues envahies par des déchets, les grèves à répétition sur les lignes de ferry reliant la ville à la Corse ? Si un pays veut faire de l'international, il doit veiller à renvoyer une image claire sur tous les plans, aussi bien techniques, institutionnels ou imaginaires. Il serait utile de développer chez nous des vitrines qui mieux qu'un long discours assurent notre présence dans les conférences internationales. La meilleure façon pour un représentant de Singapour de vanter les compétences de la Ville-État dans la fabrique urbaine consiste à inviter des représentants étrangers dans sa ville pour leur montrer comment celle-ci fonctionne. Il en va de même pour Shenzhen, Zhuhai, Dubaï et un certain nombre d'autres métropoles. Le meilleur démonstrateur ne consiste pas à parler, mais à faire venir et à laisser observer. La firme, une notion très générale En France, nous trouvons trois familles principales d'entreprises urbaines : grands groupes de réseaux : citons Les EDF, Engie, Suez et Veolia. Installés dans le paysage industriel et institutionnel depuis plus d'un siècle, ce sont des êtres hybrides qui combinent des propriétés d'organisation marchande et des propriétés institutionnelles liées à des enjeux d'intérêt général. Ils sont très régulés, et leur business model porte sur le long terme. grands groupes de BTP, dans Les leur activité de construction, ont un business model sur environ deux ou trois ans. Ils se sont diversifié dans les infrastructures, et certains d'entre eux exercent également dans le domaine du facility management : ils gèrent l'exploitation de certains équipements. Ils combinent donc le court terme et le l « pour mémoire » 45 long terme, tout en étant plus proches des marchés. myriade de PME et de TPE. Ces Une petits promoteurs/constructeurs produisent aussi la ville. Dans différents pays, ils contribuent même à la transformer par des programmes de petite taille dont la somme finit par faire masse. Ce sont des acteurs peu connus, soumis aux aléas de l'économie et donc plus susceptibles de faire faillite ou d'être dépassés par des concurrents, mais leur rôle dans la production urbaine est fondamental. Le mot « firme » recouvre ainsi des catégories complètement différentes. D'un côté, nous trouvons la grande firme « à propriétés institutionnelles » qui existait déjà en 1900 et subsistera en 2050. De l'autre, des sociétés extrêmement volatiles qui montent des opérations et disparaissent parfois immédiatement après. Le rapport à la chose publique, à la responsabilité, à la transparence est donc évidemment profondément différent suivant le type d'entreprise que l'on considère. Par ailleurs, cette variété de formes d'entreprises intervenant dans les villes s'accroît lorsque l'on se projette à l'international. Au-delà de cette typologie sommairement énoncée, j'observe différents phénomènes intéressants. Tout d'abord, mentionnons la montée en puissance de l'industrie de la finance et du conseil. Aujourd'hui, des fonds souverains acquièrent des infrastructures, développent des logements, des centres commerciaux, des integrated resort, etc. Observons également l'implication de fonds de private equity. Ils sont intéressants parce qu'ils appliquent à des problématiques urbaines des instruments provenant des marchés financiers : les couvertures de risques, les taux de retour sur investissement, etc. Nous voici donc dans un monde totalement différent de l'urbanisme opérationnel à la française. Évoquons aussi les compagnies d'ingénierie diversifiée. Ces entreprises font du conseil et pilotent un certain nombre de projets intégrés de BTP. Cette activité est le domaine d'excellence des Anglais et des Américains. En alliance avec l'industrie de la finance, ils développent des projets stratégiques tout autour du monde. Enfin, je voudrais mentionner les grands conglomérats des pays émergents qui, il y a dix ans, n'apparaissaient pas dans les classements internationaux. Ils sont majoritairement issus de l'Asie du sud-est, de Chine, d'Inde, du Brésil. Nos grandes firmes sont spécialisées, régulées, cotées en bourse et non familiales, alors que ces conglomérats sont familiaux, possèdent un grand portefeuille d'activités, tout en assurant des missions de puissance publique. Le rapport entre intérêt privé et intérêt public est complètement différent du nôtre, mais ce système parvient néanmoins à produire des morceaux de ville. Ainsi le groupe Ayala, propriété d'une grande famille des Philippines, a conçu et construit le business district de Manille - Makati ­ et y gère également l'électricité, l'eau, les déchets... Quelques conclusions pour le débat international et la position française Il convient de redonner leur juste place à l'ensemble des protagonistes urbains. A côté de l'État, des collectivités, des ONG, les firmes ont un rôle important à jouer. Elles possèdent des ressources qui doivent être utilisées pour améliorer le fonctionnement des villes. A ce propos, il parait nécessaire de repenser la question de la maîtrise d'ouvrage pour voir quand et comment intégrer certaines firmes aux phases de conception, afin de se poser les bonnes questions, au bon moment, et non en fin de cycle. Il me semble que nous sommes parfois excessivement sévères avec nos entreprises. Le débat public est envahi par le « trop » : les compagnies sont trop grosses, trop puissantes, font trop de profits... Autant de qualificatifs qu'il convient de relativiser par la comparaison internationale. En fait, elles se trouvent en concurrence permanente avec des groupes étrangers, parfois plus importants qu'elles et qui, un jour, pourraient les absorber. La transformation du paysage industriel français depuis les années 1970 démontre que dans des univers concurrentiels rien n'est acquis. La globalisation redistribue les cartes et conforte de nouveaux entrants. Ce qui est codé parfois un peu vite en France comme une « grande » firme correspond à la « bonne taille » dans certaines activités. « pour mémoire » l n° HS automne 2017 46 Pour les années à venir, nous devons garder un certain nombre d'idées à l'esprit. Nous allons indiscutablement vers un mouvement d'urbanisation majeur qui s'opérera essentiellement dans les pays émergents et accroîtra considérablement les marchés urbains. Des réseaux de villes se constitueront et des entreprises se développeront. Il est important de saisir que ces partenariats produisent des mots, des concepts, des notions et des narrative qui permettent de faire circuler des modèles, des bonnes pratiques, des normes techniques, des choix institutionnels, etc. Si la France possède des compétences urbaines, ce que je pense, et souhaite avoir une place dans le concert international, elle doit s'organiser en conséquence. Enfin, la question de la ville de l'économie circulaire est de devenir stratégique. Elle probablement l'un des grands sobre et en train constitue chantiers des vingt à trente prochaines années. Cette problématique pose de nouveaux enjeux en termes de coopération. Pour le dire simplement, l'organisation actuelle relève d'une logique de silo et de spécialisation. Or les solutions de demain supposeront des coopérations intersectorielles, à l'intersection des différents domaines. Nous devons donc réfléchir à nos règles d'appel d'offres et à nos façons d'envisager la maîtrise d'ouvrage. Business district de Makati, Manille ©Themanilaxperience n° HS automne 2017 l « pour mémoire » 47 Débat avec la salle Maryse Brimont Monsieur Lorrain, vous évoquiez l'influence des entreprises en matière d'urbanisation. Dans le Nord, nous connaissons bien cette question. Il me semble que les entreprises du passé ont aussi un impact fort dans la fabrique urbaine, à travers la reconversion de friches industrielles. D'autre part, dans cette session, nous n'avons pas évoqués les entreprise de l'économie sociale et solidaire. Cette économie constitue un pan important de l'activité de la France. Or les acteurs éprouvent des difficultés pour participer pleinement aux politiques publiques d'urbanisme, d'aménagement, d'habitat et de logement. Dans cette période de transition, il me semble que nous défendons l'intérêt général au même titre que les collectivités territoriales. Nous n'appartenons pas au secteur marchand, même si nous sommes des entreprises. Nous nous trouvons à la jonction entre la ville, l'urbanisme, l'habitat, le logement et les habitants. Nous avons beaucoup de mal à nous faire reconnaître cette place. La réalité a montré que le problème n'était pas si simple, que leur approche très « techniciste » ne suffisait pas. Des éléments sociaux et politiques viennent interférer. Pourriez-vous résumer ce qui s'est passé au cours de cette décennie ? Où en sommes-nous de cette ambition annoncée ? Valérie Clerc Monsieur Lorrain, je vous remercie pour votre intervention très stimulante. Vous avez montré la grande diversité des firmes que vous avez étudiées. Sur la fin de votre allocution, vous avez dit qu'elles produisaient un certain nombre de modèles d'action, de narrative, qui font circuler des pratiques. En accord avec la diversité de firmes, existe-t-il plusieurs sortes de normes ou de modèles ? Avez-vous étudié cette problématique, notamment en relation avec les propos de Gustave Massiah sur la marchandisation ou la financiarisation de la ville ? Robert Spizzichino A propos des réseaux transnationaux de villes, l'intervention de Madame Frey n'a pas mentionné la constitution de réseaux engagés. Les grandes métropoles s'organisent pour peser sur des décisions d'État, c'est évident. Mais parallèlement, il existe des réseaux alternatifs de résistance comme le réseau des villes progressistes en Asie, le réseau des villes en transition, le réseau des villes écosocialistes. Il me semble important, à l'occasion d'Habitat III, de mesurer le poids que ces réseaux engagés entendent prendre par rapport aux grandes évolutions internationales. J'observe qu'ils sont souvent régionalisés. Il conviendra de tenir compte de ce phénomène à l'avenir. Anne Querrien J'ai le sentiment que la vision du monde que nous adoptons dans cette salle est semblable à celle que nous développions au moment de Habitat II, avec d'un côté la France et de l'autre le reste du monde, les pays émergents, le sud. Or, durant mes cinq dernières années dans ce ministère, j'ai participé à des coopérations européennes. Il me semble que c'est là l'échelle clef de notre action internationale. Dominique Lorrain a évoqué la ville sobre. Nous avions inscrit cet objectif dans les orientations stratégiques de la Direction générale de la politique régionale et urbaine (DG Regio). Nous avions réuni une trentaine d'experts de tous les pays européens, qui avaient défini une politique de développement intégré. Je m'étais rendu compte que ce que nous considérions en France comme relevant d'une recherche d'avant-garde faisait « pour mémoire » Michel Gérard Il me semble que les géants du web comme Google, Facebook ou encore Apple ne manqueront pas d'être présents d'une quelconque manière à Habitat III. Monsieur Lorrain, quel rôle leur donnez-vous dans le futur ? Dès à présent, ils adressent des propositions assez intéressantes à un certain nombre de villes, leur offrant de résoudre leurs difficultés dans tel ou tel domaine. L'analyse des big data permet sûrement d'obtenir des résultats très intéressants. Patrice Berger Ma question s'adresse à M. Lorrain. Il y a dix ou douze ans, certaines grandes entreprises françaises spécialisées dans le traitement des eaux et la collecte des déchets ont annoncé que, grâce à leur technicité nouvelle et à leur efficacité industrielle, elles allaient résoudre le problème du sous-équipement de certaines villes du sud. l n° HS automne 2017 48 l'objet d'un consensus relativement ancien parmi ces chercheurs. L'Europe existe-t-elle aujourd'hui dans ce domaine de la coopération urbaine ? Nicolas Maisetti avait raison de dire que l'échec du traité constitutionnel fait que nous nous occupons de la production des normes plus que de la construction de politiques vraiment communes. s'agit plutôt d'un demi-échec, qui résulte précisément de la concurrence entre modèles. J'ai été invité à des conférences internationales dans lesquelles j'ai été témoin d'une violence verbale inédite pour moi. Certaines ONG attaquaient un cadre de l'entreprise, homme courtois, polytechnicien et ingénieur des Ponts et chaussées, en le traitant de « capitaliste », parce qu'il refusait soidisant de fournir l'eau aux populations des pays émergents. Ils avaient même créé un site intitulé www.stopsuez.com. Ce projet a échoué parce qu'il s'est trouvé confronté à une violence instrumentalisée. Les acteurs ont ainsi préféré investir ailleurs plutôt que d'agir dans cet environnement hostile. Je vous recommande la lecture d'un rapport de Philippe Marin, disponible sur le site de la Banque mondiale, et portant sur les Partenariats public-privé, ou le numéro spécial 203 de Actes de la recherche, avec Franck Poupeau. Il montre que, même dans le cas où ces projets n'ont pas abouti, le nombre de kilomètres de tuyaux et de foyers connectés a néanmoins augmenté. Son bilan pour Buenos Aires est ainsi plutôt positif. Néanmoins, il est surtout intéressant d'observer ce qui s'est passé depuis. Les prix ont par exemple considérablement augmenté dans la capitale de l'Argentine, mais également à Cochabamba en Bolivie. La lutte contre les firmes n'a donc pas produit d'alternative à la hauteur des défis. Sur le fonds, cet échec s'explique par une autre raison que ni les chercheurs ni les firmes n'avaient discernée. Nous avons tenté de reproduire notre savoirfaire, c'est-à-dire le « grand système technique intégré » : pompage, traitement, transport, distribution. Ce type de démarche peut opérer dans des pays où les lois de propriété sont stabilisées, où il existe un cadastre, etc. Dans les pays émergents où le bidonville ou l'habitat informel domine, cela ne fonctionne pas. Aujourd'hui, les mêmes acteurs, mais également les ONG, l'AFD ou la Banque mondiale réfléchissent à la mise en oeuvre de « systèmes décentralisés » ou de « petits systèmes techniques ». Je suis incapable de vous dire lequel, du modèle historique ou de ce dernier, l'emportera. Ceci-dit, beaucoup se disent par exemple que nous ne parviendrons jamais à engager les travaux d'Haussmann en Afrique. Michel Gérard m'interrogeait sur les géants de l'internet. Effectivement, ces acteurs sont entrés dans le jeu et détiennent un pouvoir considérable. L'important pour eux, le coeur de leur business model, consiste dans l'accès à la data. Si elle leur permet de résoudre des problèmes urbains, ils agiront dans ce domaine. S'ils n'y parviennent pas, peu importe, ils revendront les mêmes data à d'autres acteurs du commerce. Aujourd'hui il existe tout de même un risque, car personne ne cherche à contrôler Google ou Facebook, qui possèdent pourtant un pouvoir important et des moyens financiers considérables. Dominique Lorrain En réponse à Patrice Berger et Valérie Clerc, je dirais que des modèles et des argumentaires semblent s'imposer dans le débat. Les Etats, les grandes ONG, les grandes entreprises et les agences de développement comme la Banque mondiale, contribuent à former une doctrine à l'échelle internationale, mais nous assistons toujours à une compétition dure entre ces différents modèles. C'est pourquoi il est très difficile, comme le suggérait Anne Querrien, d'organiser une réunion à l'échelle européenne afin d'obtenir un consensus. Chacun des pays européens a tendance à vouloir promouvoir son propre système au niveau international. Le modèle d'Europe du Nord reposant sur un acteur public local fort est éloigné du modèle britannique favorable au marché et à la privatisation, mais également du modèle français qui suppose un Etat central solide délégant à des entreprises un certain nombre de missions. Patrice Berger m'interrogeait sur l'échec du programme « Eau pour tous », formule qui était le slogan de Suez il y a quelques années. Il me semble qu'il n° HS automne 2017 Xavier de Lannoy Gustave Massiah a très bien introduit le débat ce matin. Est-ce qu'aujourd'hui l « pour mémoire » 49 le marché fait la ville ? L'Etat peut-il contrôler ce marché et à quel niveau ? Assistons-nous au contraire à une transition nécessaire ? Il me semble que l'économie sociale et solidaire aura toute sa place. Chacun des mots de cette formule est important. Ce modèle implique l'optimisation des ressources locales et la participation des habitants. Dans cette évolution que j'appelle de mes voeux, la place des populations, des alliances, des réseaux engagés, sera primordiale. Nous avons évoqué le C40, l'alliance de ces grandes métropoles qui réunissent 25 % du PIB mondial. Rappelons-nous qu'en parallèle, certains territoires sont en déshérence, y compris en France. Nous devons prendre en compte la problématique de la relation entre la métropolisation et les territoires ruraux. Comment créer des alternatives afin que les ressources des territoires soient mises en synergie dans une optique solidaire ? Nous avons réfléchi à des alliances locales entre des villes riches et des villes moins riches dans le domaine des équipements et des transports. Les entreprises doivent évidemment nous aider à relever ce défi. Nicolas Maisetti Depuis ce matin, j'entends qu'on oppose souvent l'Etat au marché. Des équipes du LATTS travaillent sur la question de la financiarisation de la fabrique urbaine, autour notamment de Ludovic Halbert. Lui et son équipe montrent, et notamment une thèse d'Antoine Guironnet sur l'investissement immobilier et ses effets sur la production urbaine, qu'il n'existe pas vraiment d'opposition entre l'Etat et le marché dans ce domaine. L'Etat est également un acteur de marché qui organise souvent lui-même la dérégulation. M. Spizzichino a évoqué les réseaux transnationaux de villes engagées qui cherchent à peser sur les décisions de l'État. J'avais parlé à ce sujet de « registres dissidents » dans l'internationalisation des villes, compte tenu de leur faible présence en France. Nous en avons vu se manifester au moment de la négociation sur les OGM, où certaines villes notamment en Seine-Saint-Denis s'étaient déclarées OGM free. De même, certaines villes ont refusé de participer aux négociations sur le TAFTA. Cette démarche est en réalité assez ancienne. Elle remonte aux années 1960 ou 1970 aux États-Unis, lorsqu'un certain nombre de villes, accomplissant un geste pionnier pour leur internationalisation, s'étaient déclarées en opposition à la politique étrangère de l'Amérique, notamment sur le nucléaire, et avaient noué des partenariats, entre autre avec des universités du bloc de l'Est. Les réseaux engagés possèdent une longue histoire et pèsent parfois sur les décisions de l'Etat. Astrid Frey L'un des défis pour CGLU consiste à savoir si nous pouvons demeurer dans le système de régulation international actuel. Cette position supposerait d'assumer la philosophie et les principes des Nations Unies, et donc de subir un phénomène d'acculturation. La question est de savoir comment nous pouvons conserver notre indépendance, afin d'être capables de porter des alternatives et de rester innovants, tout en restant ouverts à d'autres mouvements et d'autres réseaux ? Anne Charreyron-Perchet Yves-Laurent Sapoval me demande de préciser que, depuis le traité de Lisbonne, c'est la commission européenne qui négocie aux Nations Unies au nom de tous ses pays membres. Pour Habitat III, la Commission a organisé la concertation entre tous les pays afin de porter une position commune. « pour mémoire » l n° HS automne 2017 50 actes Introduction de l'après-midi Yves Dauge, ancien sénateur, coprésident du Partenariat Français pour la Ville et les Territoires Nous sommes quelques-uns à avoir côtoyé Georges Cavallier. Nous l'avons même plus que côtoyé, nous avons vécu avec lui, assumé avec lui d'importantes responsabilités. Cette haute personnalité du ministère de l'Équipement a profondément marqué son époque. J'ai eu la chance de participer à ce travail, notamment sur la question de la décentralisation : dans les années 1981 à 1984, il figurait avec Christian Vigouroux parmi les artisans de ce vaste chantier. Ces politiques, qui sont globalement positives, nous autorisent aujourd'hui à porter à l'international un discours sur le rôle de l'État et des collectivités locales. Il existait à l'époque une ambition que je cherche parfois aujourd'hui. Le ministère de l'Équipement possédait une force de compétences et de volontés remarquable. Parfois, j'interroge les nouveaux venus qui me confient leur ignorance de Georges Cavallier. C'est pourquoi ce travail de mémoire et de culture est important. C'est aussi de cette manière qu'il est possible d'assurer la continuité des politiques publiques. J'ai entendu avec plaisir le discours d'éloge prononcé ce matin par Alain Lecomte. Avec Evelyne Hardy et André Pollet, vous êtes de ceux qui ont vraiment connu Georges Cavallier. n° HS automne 2017 Vous l'avez accompagné à la Direction de l'urbanisme et des paysages et à la Délégation interministérielle à la ville que nous avions créée ensemble. Nous avons parlé ce matin de la politique de développement social. La politique de la ville, la politique des quartiers et la lutte contre l'exclusion constituent des composantes essentielles de l'expérience française. Soyons fiers de ces acquis et portons les dans le monde! Aujourd'hui la politique de la ville se poursuit bien qu'elle se soit beaucoup transformée. Elle était peutêtre à ses origines davantage animée par le militantisme qu'elle ne l'est aujourd'hui, et moins technocratisée. Aussi convient-il d'être attentif aux procédures qui viennent parfois tuer les visions et les ambitions. leur souhaitons le plus grand succès. Nous avons la chance de compter sur des personnalités comme les leurs pour porter avec une haute responsabilité le message de la France, qui occupe une position exceptionnelle. J'espère que des ministres se rendront à Quito pour porter sa voix. La proposition française s'articule autour de trois thèmes forts, qui ont été présentés ce matin par YvesLaurent Sapoval. Je vous rappelle que la position de la France s'inscrit aussi dans une position européenne. Si nous voulons jouer un rôle dans ce domaine comme dans d'autres, nous devons en passer par l'Europe. Je suis personnellement très sensible à cette dimension. A propos d'Habitat III, j'estime important de réfléchir à ce que nous ferons après la conférence elle-même. Je suis favorable à la création d'alliances, que j'avais encouragées dans l'exercice de mes fonctions au sein de ce ministère. En effet, qu'est-ce que la décentralisation si ce n'est l'alliance entre l'État et les collectivités territoriales ? Elle ne consiste pas à opposer les uns aux autres, à faire agir les uns sans les autres, mais bien le contraire. Dans mon expérience municipale, j'ai toujours également pratiqué l'alliance A Quito, promouvons les alliances territoriales Georges Cavallier a joué un rôle fondamental dans l'animation de la délégation française à la conférence Habitat II. Aujourd'hui, il convient également de saluer le travail de Maryse Gautier et d'Henry de Cazotte qui accomplissent une tâche similaire. Nous l « pour mémoire » 51 avec les grandes villes. En France et ailleurs, je ne conçois pas de politiques de villes moyennes sans alliance concrète avec des métropoles ou des villes capitales plus fortes. Par exemple il peut s'agir dans le domaine de la santé, de l'alliance entre un centre hospitalier universitaire et un hôpital de proximité, avec éventuellement une direction commune. En matière de culture, il en va de même car les grandes métropoles disposent d'équipements considérables, mais souvent trop refermés sur eux-mêmes. Le centre d'art dramatique, le centre de création et d'art contemporain, le grand orchestre, les fonds régionaux d'art contemporain..., toutes ces institutions peuvent passer des conventions avec des réseaux de villes moyennes, avec le soutien de l'État pour catalyser ces alliances. Dans ses textes, Georges Cavallier évoque d'ailleurs les problématiques de structure urbaine et de rééquilibrage des armatures urbaines. Cette réflexion pose la question de la relation entre la métropole, la ville moyenne, la petite ville et le monde rural. Nous devons travailler en réseau ou en chaîne. Nous ne développons pas suffisamment ce thème. En outre, pour bâtir ces alliances - et c'est le point le plus important - une construction intellectuelle, de la matière grise, des compétences sont nécessaires. Nous devons créer des plateformes de partenariat avec les acteurs. Brigitte Bariol-Mathais, ici présente, a ainsi été l'un des piliers de la structuration des agences d'urbanisme, qui vont dans ce sens. Pour changer les politiques urbaines, investissons dans l'intelligence J'aimerais que la France, lorsqu'elle parlera à Quito, formule des propositions concrètes. Elle devrait par exemple investir à l'international, aussi bien en termes de financements que de compétences, afin de créer des plateformes partenariales entre les villes et les États. Celles-ci aideront à développer ce que l'on nomme la maîtrise d'ouvrage publique. Cette problématique rejoint la question de la planification stratégique. Comment la maîtrise d'ouvrage public se construitelle ? Quels sont les types d'investissement nécessaires ? J'aimerais que ces réflexions soit portées à Quito, mais également au-delà de la conférence. Je voudrais ici mentionner mon expérience concernant la ville moyenne de Luang Prabang (Laos). J'y avais créé une plateforme de ce type il y a vingt ans, avec des financements qui provenaient du ministère des Affaires étrangères, de l'Europe et de l'Agence française de développement. Les Japonais et les Allemands nous avaient également aidés. Nous y avons formé des architectes et des urbanistes qui ont travaillé sur le projet global de développement et de préservation de cette ville au patrimoine exceptionnel. Nous avons avec ce projet démontré la possibilité de telles démarches. Qu'est-ce qu'une agence d'urbanisme, sinon une plateforme ? Il est aujourd'hui nécessaire de les ouvrir à d'autres partenaires tels que la société civile, les entreprises et les habitants. Nous ne changerons pas les politiques urbaines sans investir dans l'intelligence et la formation, en révélant également les compétences locales, que trop souvent nous ignorons. Nous devons examiner cette question au retour de Quito, en lien étroit avec la coopération décentralisée, qui représente un atout formidable pour ces démarches. « pour mémoire » l n° HS automne 2017 52 actes Experts, savoirs et savoir-faire de l'urbain à l'international Table ronde animée par Brigitte Bariol-Mathais, déléguée générale de la Fédération nationale des agences d'urbanisme, avec Patrice Berger, directeur de l'international à l'Agence d'urbanisme de Lyon Agnès Deboulet, professeure de sociologie à l'université Paris VIII Vincennes Saint-Denis, Laboratoire LAVUE (UMR 7218 CNRS) Eric Huybrechts, en charge de l'international à l'Institut d'aménagement et d'urbanisme d'Ile-de-France François Noisette, consultant international, Association de professionnels « Villes en développement » Brigitte Bariol-Mathais Cette session vise à croiser les expériences et les savoirs des professionnels, ainsi que leurs apports à Habitat III. Nous souhaitons également examiner quelles sont les démarches qui, depuis Habitat II, ont généré de vrais changements. Nous étudierons ainsi quels sont les savoir-faire disponibles pour mettre en oeuvre le nouvel agenda urbain. Je suis pour ma part déléguée générale de la Fédération nationale des agences d'urbanisme (FNAU). Elle consiste en un réseau de professionnels et d'élus, actuellement présidé par Jean Rottner, le maire de Mulhouse. Nous essayons, en prenant appui sur l'expérience française et internationale des agences n° HS automne 2017 d'urbanisme, de contribuer aux débats internationaux. Nous participons ainsi au Partenariat Français pour la Ville et les Territoires (PFVT) et au Forum urbain mondial. Nous avons également contribué à la COP21, et nous serons au sommet Climate Chance qui aura lieu à Nantes très bientôt. Il est important pour nous de confronter ces pratiques avec d'autres cultures. Ces événements internationaux sont précieux, car ils permettent de partager des pratiques. En janvier 2016, pour contribuer à préparer la conférence Habitat III, nous avons organisé, avec le PFVT, l'Institut d'Aménagement et d'Urbanisme d'Îlede-France (IAU) et la FNAU, l'un des vingt-cinq campus urbains qui se sont tenus dans le monde pour la World Urban Campaign (WUC). Il était consacré à la planification intelligente ou smart planning. Ces échanges ont mobilisé des entreprises, des chercheurs, des professionnels, des élus et des représentants des Etats. A l'occasion de Quito, nous essayons également de lancer l'initiative d'une mise en réseau des agences d'urbanisme au niveau mondial. Nous organiserons ainsi un networking event avec des agences asiatiques, américaines, africaines et des réseaux. Bien sûr, les modes de gouvernance et les statuts de ces agences sont très différents d'un territoire à l'autre. Néanmoins, nous croyons beaucoup à la confrontation des expériences afin de contribuer à la mise en oeuvre des engagements d'Habitat III. l « pour mémoire » 53 Il intéressera également des acteurs internationaux tels qu'UN-Habitat et la Banque mondiale. Rentrons dès à présent dans le vif du sujet. Comment les pratiques ont-elles évolué au cours de ces vingt dernières années pour les professionnels ? Quels sont les défis auxquels nous sommes confrontés pour changer les façons de faire et répondre aux enjeux du Nouvel agenda urbain ? Plusieurs thèmes majeurs étaient présents dans la conférence Habitat II : les quartiers informels, le développement durable, les politiques décentralisées, le renouveau de la planification. Au sujet des quartiers informels, je me tourne vers Agnès Deboulet. Des avancées ont été accomplies depuis Habitat II, que ce soit en termes quantitatifs ou de reconnaissance d'usages. Quels sont les enjeux aujourd'hui dans ce domaine ? and rehabilitation, entre relocalisation et réhabilitation. Il existe en effet au sein de la plupart des pays une oscillation permanente, qui n'a guère changé depuis vingt ans, entre des politiques de réhabilitation in situ et des politiques de déplacement de la population, qu'on appelle « déguerpissement » en Afrique de l'ouest. Ces politiques persistent. Elles se sont paradoxalement renforcées depuis que les villes sont entrées dans le jeu de la compétition internationale. C'est d'ailleurs en particulier sur ce thème que le LAVUE a participé au rapport GOLD (Governance and Local Democracy) qui paraîtra également à Quito, coordonné par la principale association mondiale de collectivités locales, CGLU (Cités et Gouvernements Locaux Unis). Cette tension entre la compétitivité économique et la justice sociale traverse de façon permanente la problématique du maintien sur place et de la transformation qualitative des quartiers précaires. Certains quartiers ont connu des améliorations. Des politiques de réhabilitation plus qualitatives sont intervenues dans des régions où il n'était pas de tradition de s'intéresser à ces problématiques, comme par exemple les pays arabes. Cependant, nous pouvons noter également la persistance concomitante d'une tendance à l'éradication de ces zones et à l'éviction massive de populations souvent parmi les plus fragiles. Depuis vingt ans et la conférence d'Istanbul, les quartiers précaires se sont développés. Ils concentrent à présent jusqu'à 80 % de la population urbaine dans certaines métropoles et se répartissent partout en ville, aux périphéries mais aussi dans des quartiers centraux et « bien gérés ». En conséquence, ils sont considérés comme gênants pour le développement dans les pays émergents ou quasi émergents : ils « empêcheraient » les classes supérieures, mais aussi les nouvelles classes moyennes, de jouir d'un patrimoine ancien et des quartiers les mieux situés. Nous nous trouvons aujourd'hui face à un paradoxe plutôt qu'à un progrès. Nous réalisons des avancées en dents de scie, qui interrogent quant à la capacité des pouvoirs publics à adopter une ligne claire, qui ne soit ni l'éradication, ni l'éviction, mais plutôt la reconnaissance. Je ne parlerai pas en termes techniques. La question du rester sur place, du « faire-quartier », qui se pose dans tous les secteurs précaires, concerne la reconnaissance ou la considération. La question centrale est celle du transfert de compétences juridiques. Il ne s'agit plus de légaliser. Une abondante recherche, avec par exemple les travaux de Alain Durand-Lasserve ou de JeanFrançois Tribillon, a en effet montré que cette démarche ne fonctionne pas. Une sécurisation foncière est nécessaire, corollaire à un processus politique de reconnaissance. Il reste donc beaucoup à faire. Le Nouvel agenda urbain ne renouvelle pas fondamentalement la pensée sur ces quartiers. Au fur et à mesure de la coordination de notre ouvrage, j'ai « pour mémoire » Agnès Deboulet Nous venons d'achever, avec le soutien de l'AFD et avec le laboratoire LAVUE auquel je suis rattachée, un ouvrage intitulé Repenser les quartiers précaires. Il paraîtra à l'occasion de la conférence de Quito et constitue une somme d'écrits rédigés par des chercheurs internationaux. En m'appuyant sur ces travaux, je retiendrais volontiers la formule d'Ananya Roy dans un ouvrage de 2004 sur l'habitat informel qui avait fait date. Elle y évoquait la chorégraphie permanente dans le traitement des quartiers précaires entre resettlement l n° HS automne 2017 54 mobiliser, il est effectivement probable que le nombre de quartiers informels soit doublé d'ici à 2030. Tout le monde s'intéresse à la réhabilitation de ces quartiers, mais personne n'examine la question de l'anticipation. Comment faire la ville avec une production urbanistique qui sera massivement informelle ? On interroge beaucoup les professionnels de l'urbanisme sur la façon dont ils anticipent ce phénomène, mais on s'intéresse peu aux habitants qui, de fait, deviendront demain les acteurs principaux de la fabrique urbaine. Le Nouvel agenda urbain porte beaucoup sur la planification institutionnelle, avec notamment les outils cadastraux, sans poser la question des normes. Or ce sont elles qui génèrent de l'exclusion par la production d'un foncier cher qui bloque l'accès à la ville à une partie importante de la population. En outre, pour être mis en oeuvre correctement, la planification requiert une infrastructure intellectuelle, technique et institutionnelle importante, ce qui n'est pas possible dans tous les pays ni dans toutes les villes du monde. Nous avons donc besoin d'adapter nos méthodes selon les contextes. Dans certains pays et certaines villes, comme Kinshasa par exemple, qui compte 90 à 95 % d'habitat informel, nos modèles de planification conçus en France sont inopérants. Cette problématique de l'informel pose aux urbanistes des questions concernant l'identification des éléments essentiels à appliquer dans la planification, requérant un appui institutionnel et financier. La favela Rocinha de Rio de Janeiro en 1987 ©UN Photo/K McGlynn découvert que les efforts d'amélioration des quartiers précaires restent souvent insignifiants. Cela tient au fait que 40 % de la croissance démographique urbaine mondiale vient de ces quartiers (selon une estimation du forum de Davos), ce taux étant bien sûr plus important dans les villes en très fort développement. Nous parlons de quartiers qui, tous ou presque, doubleront de taille dans les vingt ans à venir. Nous parlons de villes qui se laissent submerger parce qu'elles ne se donnent pas les moyens d'anticiper la présence de pauvres ou de personnes qui n'ont pas accès au logement. Le sujet n'est donc pas celui de la réhabilitation, mais de n° HS automne 2017 l'anticipation, question esquivée par le Nouvel agenda urbain. Brigitte Bariol-Mathais Croisons votre intervention avec le témoignage d'acteurs de terrain. Comment ces enjeux de quartiers précaires peuvent-ils être intégrés à la planification ? Eric Huybrechts Je m'inscris entièrement dans les propos d'Agnès Deboulet. Le taux de croissance des villes informelles s'établit effectivement à 40 %. La croissance urbaine s'accélérant et les moyens, en particulier financiers, étant difficiles à l « pour mémoire » 55 Par exemple, nous avons appliqué le principe de la trame verte, bleue ou grise, dans un certain nombre de villes. Cette structuration est indispensable pour prévenir les inondations, gérer les îlots de chaleur, organiser la circulation urbaine et intégrer la ville formelle et informelle. Si nous n'agissons pas de cette manière, l'urbanisation informelle posera des problèmes considérables lorsqu'elle se massifiera. Or, les bailleurs internationaux, ainsi que nombre d'acteurs français, ne se penchent pas sur cette question. Planifier l'informel suppose aussi de travailler différemment, non seulement sur les aspects techniques et la mise à jour des normes, mais aussi sur la relation avec les institutions et les populations. Les ONG, en collaboration avec les collectivités locales, parviennent à produire des quartiers comptant des milliers de logements adaptés aux formes de l'habitat des populations parce que les projets sont directement négociés avec elles. Il convient de davantage encourager ce type de démarche plutôt que la production de logements sociaux normatifs, le plus souvent inadaptés au mode de vie des gens, comme nous pouvons le constater outre-mer. ne peuvent pas s'inscrire dans des villes respectant les normes internationales. Il convient selon moi de leur fournir du foncier peu ou pas équipé, une trame non assainie, et d'organiser la voirie primaire et secondaire avant que les terrains ne soient occupés. Les maires doivent accepter l'idée que leur foncier ne soit pas forcément rentable. Ils doivent le consacrer à des populations qui ne disposent pas des moyens de se loger, qui procèdent à de l'autoconstruction sans normes, par exemple avec des blocs sanitaires. J'ai eu l'occasion d'évoquer cette question avec des maires du sud comme celui d'Addis-Abeba. Ses responsables y développaient depuis plusieurs années des logements dits sociaux, qui en réalité s'adressaient aux classes moyennes et n'étaient pas accessibles aux populations les plus pauvres, celles comprises dans les trois derniers déciles de revenus. Durant cinquante ans, les bailleurs ne se sont pas intéressés à ce sujet, sauf à l'époque où Robert Mc Namara présidait la Banque Mondiale. Les maires des villes du sud devraient davantage prendre en compte ces problèmes, mais ils considèrent que cette démarche engendre une ville sous-équipée. Cette position est d'autant plus regrettable que ce problème est appelé à prendre une importance considérable. Le Lincoln Institute de Boston a remis à l'ordre du jour les travaux de Michel Arnaud, à savoir l'idée de structurer le développement urbain autour d'une trame, même non équipée, afin que les populations s'y installent, même dans le désordre, mais qu'elles y respectent les emprises. Cette expérience est en cours en Equateur, où elle est portée par Shlomo Angel et Ralf Gaakenheimer. Il est cependant encore difficile de faire reconnaître cette démarche. Elle est pourtant très simple puisqu'elle consiste à « tracer la ville » avant de l'équiper, en mettant de côté la question des normes de construction. Elle ne peut toutefois être menée que si elle s'accompagne de mesures de protection très fortes des espaces naturels à risque. Il convient par exemple d'empêcher les populations de s'installer le long des rivières, en zones inondables, pour les réorienter vers les espaces qui leur sont dévolus. Brigitte Bariol-Mathais François Noisette, n'est-il pas nécessaire, pour mettre en oeuvre le Nouvel agenda urbain pour les quartiers précaires, de travailler sur le droit et sur le financement, notamment auprès des bailleurs internationaux ? Ne convient-il pas de mener une politique urbaine dite soft et non hard, c'est-à-dire tournée vers les populations ? François Noisette Il me semble important de revenir d'abord sur les problèmes de définition. La question des quartiers précaires figurait en bonne place dans l'agenda de la conférence Habitat II. Au début des années 2000, ONU-Habitat avait défini le slum (quartier précaire) comme étant un quartier remplissant au moins l'un des cinq critères suivants : accès à l'eau non assuré, absence d'un système « pour mémoire » Patrice Berger Je me suis confronté pour la première fois à cette question il y a trente-cinq ans, lorsque j'étais assistant technique au Cameroun. Nous réalisions des lotissements municipaux à Yaoundé. Je suis convaincu que 20 à 30 % des populations des pays en développement l n° HS automne 2017 56 Un « quartier précaire » à Madagascar ©François Noisette moderne d'assainissement, matériaux de construction précaires, logements suroccupés, sécurité foncière non garantie. Nul ne s'est hasardé en France à calculer le taux de slums en ville suivant cette définition. Il est certainement encore très élevé, la sur-occupation de logements étant toujours assez répandue. La définition d'ONU-Habitat présente toutefois un inconvénient majeur. Elle conduit par exemple à considérer que 77 % des logements à Madagascar sont situés dans des quartiers précaires. Or les anciennes politiques urbaines ne sont pas en mesure de n° HS automne 2017 mener des actions sur les trois quarts des logements d'un pays, dont la population urbaine est par ailleurs toujours en forte croissance. En conséquence, tous les acteurs, que ce soit les bailleurs de fonds ou les pouvoirs publics, démissionnent. Il faut par ailleurs faire bien attention aux problèmes de vocabulaire, notamment entre les termes de quartiers, précaires, habitat précaire, bidonvilles... Je me souviens avoir vu des maisons dont le revêtement de façade était tout neuf, dont le toit était équipé de panneaux solaires photovoltaïques, et dont la valeur atteignait 150 000 ou 200 000 euros. Elles se trouvaient le long d'un chemin empierré, interdisant l'accès en voiture, mais que les propriétaires auraient eu les moyens de remettre en état. Cependant, comme ces habitants ne disposaient pas de titres de propriété et qu'ils n'avaient aucun espoir d'en obtenir un, ces maisons étaient considérées comme relevant de l'habitat précaire. Faute d'opérer des distinctions précises, aucune avancée n'est possible. Le cas du Maroc est intéressant. Il a mis en oeuvre le programme « Villes l « pour mémoire » 57 sans bidonvilles » en appliquant une définition très sélective. Elle est sûrement critiquable. Quoi qu'il en soit, ses responsables ont résorbé la moitié de ces quartiers pauvres en une décennie et peuvent espérer en être débarrassés dans dix ans. Leur objectif consistait à faire disparaître les quartiers très précaires, similaires par exemple à notre « jungle de Calais ». Il existe bien sûr d'autres espaces qui pourraient rentrer dans la définition du bidonville mais les Marocains ont choisi de se Un « quartier précaire » à Oulan Bator ©Eric Huybrecht concentrer sur ce sujet dans un premier temps et de traiter ultérieurement les autres problèmes d'habitat. Brigitte Bariol-Mathais La conférence Habitat II a permis la reconnaissance des enjeux de développement durable dans l'aménagement des villes. L'Agenda 21 et les approches intégrées sont devenus des marqueurs forts des politiques urbaines, notamment en Europe. Quelles avancées réelles avezvous constaté depuis cette époque ? Les engagements climatiques n'ont-ils pas modifié la donne, ouvrant de nouvelles opportunités, mais donnant une orientation très particulière aux politiques urbaines ? Depuis, nous avons également assisté à l'émergence de la smart city et de la notion de territoire intelligent. Ces avancées techniques offrent sans doute des possibilités considérables, mais présentent également un risque de « dérive techniciste » ou de green washing. « pour mémoire » l n° HS automne 2017 58 Eric Huybrechts En 1996, nous développions les transports à Beyrouth en construisant des tunnels et des ponts. Aujourd'hui, nous essayons, comme à Paris, de transformer les autoroutes urbaines en espaces publics piétonniers. Nous avons complètement inversé notre façon de concevoir la ville. Nous cherchions à l'époque à développer une cité plus mobile, tandis que nous cherchons désormais à la rendre plus compacte, plus intense. La conception même de la planification urbaine s'est ainsi complètement retournée en vingt ans. La raison principale de cette évolution tient selon moi à la prise en compte du développement durable et du changement climatique. créer de l'emploi dans les villes du sud. Les objectifs de développement durable (ODD) et la lutte contre le changement climatique les ont désormais amenés à considérer le transport en commun comme un sujet vertueux. Enfin, la coopération sur ce sujet peut présenter un intérêt pour l'ingénierie française. Toutefois, il me semble que cette démarche connaît plusieurs limites. Le discours est le même pour toutes les villes alors que les situations sont très différentes. Les objectifs des projets de coopération sont fondés sur des valeurs occidentales que les villes du sud ne partagent pas nécessairement. De plus, nos partenaires du sud continuent de développer des approches en silos, comme nous procédions en France il y a trente ans. Les modèles occidentaux ne sont par ailleurs pas les seuls à exister, et des phénomènes de concurrence se développent. Il existe de plus en plus de modèles de modernité qui fascinent certains décideurs du sud, comme par exemple Dubaï, Singapour... Ils peuvent cependant s'avérer parfois préjudiciables, car d'une part certains d'entre eux véhiculent une image à contre-courant des objectifs cités dans les conférences Habitat II et Habitat III, et d'autre part ils ne sont pas nécessairement plus adaptés à la réalité des villes en développement que les modèles occidentaux. François Noisette La question du « modèle urbain » constitue en fait un mauvais sujet. Le discours international, en particulier celui du développement durable, se transpose très bien dans les discours locaux qui s'en revendiquent. La vraie difficulté consiste dans la concrétisation de ces intentions. Cette étape est très compliquée. Par exemple, imaginons une ville où il existe une ligne de bus aménagée, et dans laquelle nous voulons en construire quarante-neuf autres. Nous montons un projet de 70 millions de dollars auprès de la Banque mondiale et n'obtenons jamais le financement. Le problème est ainsi de savoir comment industrialiser rapidement une bonne idée avec l'aide de partenaires locaux. Il est par exemple difficile d'expliquer à un maire du sud qu'il doit accepter l'installation de panneaux solaires photovoltaïques dans un quartier desservi par le réseau électrique. Ce type de contradiction est difficile à résoudre. Notre conception du développement durable se révèle par ailleurs très sophistiquée. Nos partenaires ont visité nos villes, entendu le discours de responsables comme par exemple le maire de Hambourg, et veulent bénéficier des mêmes équipements, que nous cherchons à leur vendre, comme des bus articulés. L'adaptation au terrain pose beaucoup de questions. Patrice Berger Je ne partage pas entièrement ce point de vue. Nous opérons dans des villes subsahariennes et asiatiques qui ne tiennent pas le même discours. L'échangeur d'autoroute en plein centre-ville y demeure un symbole de modernité. Je reste dubitatif face aux objectifs des conférences Habitat II et Habitat III, car ils sont trop nombreux et décrivent une sorte de ville idéale, assez éloignée des réalités des agglomérations du sud. En revanche, nous amorçons une transition positive en faveur du développement des transports en commun, liée notamment à une réelle volonté des maires du sud de lutter contre la congestion des villes. De plus, les bailleurs ont évolué sur le sujet. Il y a dix ans, la Banque mondiale promouvait le transport artisanal pour n° HS automne 2017 Agnès Deboulet Brigitte Bariol-Mathais François Noisette et Agnès Deboulet, partagez-vous ce constat sur la confrontation des modèles ? La question du développement durable nous concerne également. Je suis persuadée que la France est loin d'être vertueuse en ce domaine. l « pour mémoire » 59 Les quartiers précaires, souvent très denses, ne sont pas parmi les principaux émetteurs de gaz à effet de serre. En revanche, ils sont particulièrement touchés par le dérèglement climatique. Les quartiers où il n'existe pas d'infrastructures pour absorber les inondations et faire face à des climats extrêmes sont les plus vulnérables. Ceci renforce les difficultés environnementales voire sanitaires. Dans certains quartiers densément peuplés comme au Caire, la question des ordures ménagères ne se posait pas il y a vingt ans. Aujourd'hui, dans des espaces qui comptent 1 500 habitants à l'hectare, ce sujet est devenu central, en particulier dans les « quartiers d'invasion », c'est-à-dire de squat, d'occupation sauvage de terrains gouvernementaux. Comment gérerons-nous cette question des déchets et du recyclage dans dix ans ? Si nous menions un travail de fond avec les associations d'habitants, je suis persuadée qu'ils comprendraient l'intérêt du recyclage et de la biomasse, qui constitue une source d'énergie bon marché. Néanmoins, je suis d'accord sur le fait qu'il existe des décalages de modèles ahurissants, mais essentiellement au niveau des décideurs et des modes de gestion. suffisamment les contextualiser. Je vous propose, avant de poursuivre, de répondre à quelques questions de la salle. Michel Gérard J'ai beaucoup apprécié les propos de Patrice Berger, d'autant que je connais bien les expériences auxquelles il faisait référence. Le principal sujet de la conférence Habitat I en 1976 concernait les extensions urbaines et l'habitat informel. Le Secrétariat des Missions de l'Urbanisme et de l'Habitat que je dirigeais à l'époque, qui était le bras séculier de la France pour les politiques de développement en termes d'habitat, Brigitte Bariol-Mathais Si je résume vos positions, vous considérez que nous avons trop tendance à appliquer des modèles sans Vue de Dhaka, avec à gauche Karial, un des « quartiers précaires » de la ville. ©UN photo/Kibae Park « pour mémoire » l n° HS automne 2017 60 avait créé un audiovisuel intitulé « Le pouvoir de l'image ». Nous montrions comment il était facile de se laisser séduire par des schémas inadaptés aux contextes. Il est vraiment difficile de persuader des dirigeants de ne pas reproduire ce qu'ils voient dans d'autres pays. Dans les années 1970 et 1980, les trames assainies connaissaient un certain succès, sous la houlette de la Banque mondiale et à la suite de l'expérience de Pikine à Dakar. Mais comme nous produisions des terrains assainis, ils intéressaient un certain nombre de riches locaux qui tentaient de les racheter aux pauvres, malgré le contrôle de la Banque mondiale. Nous nous sommes alors encombrés de ce schéma et de normes internationales trop élevées au lieu de produire vite et bien pour satisfaire la demande locale et anticiper l'extension urbaine. Si cette condition n'est pas remplie, l'opération est évidemment vouée à l'échec. Dans ces années-là, j'avais connu le maire de Ngaoundéré, au Cameroun, qui menait de lui-même, sans jamais avoir assisté à aucun colloque comme celui d'aujourd'hui, une politique de cette nature. accueillent actuellement 80 % des habitants de l'agglomération. Nous nous sommes rendu compte que cette tâche était impossible, car pour 500 000 habitants que nous parviendrions à prendre en charge, nous devrions faire face à l'arrivée d'autant de personnes nouvelles dans ces quartiers chaque année. D'autre part, j'ai observé que ce colloque insistait particulièrement sur le droit au logement. Il me semble que le coeur de la problématique concerne davantage l'accès à l'éducation et au travail. droit « intermédiaire », c'est-à-dire une hybridation entre le droit coutumier et un droit romain importé des pays occidentaux, à l'initiative des dirigeants ou des populations. Nous avons pu montrer l'efficacité de cette démarche. Nous avons également mis en évidence que « l'informel » était en réalité profondément organisé. Or, qualifier un habitat d'« informel » revient précisément à nier tout le fond culturel, qui est fait de singularité et de diversification. Lorsque nous appréhendons une réalité sans en connaître le contexte, nous la qualifions d'informelle. Cette approche a donné lieu à de nombreux groupes de travail. Cinq ans après Istanbul, nous avons publié une déclaration « Habitat II+5 », à l'occasion du sommet du même nom à New York, qui reprenait tous ces résultats. Pour Habitat III, j'aimerais que nous essayions de refaire le même exercice. J'espère que cette conférence nous donnera l'occasion, comme Yves Dauge l'appelait de ses voeux, de revenir sur la notion de transfert de modèles. Nous savons pertinemment que lorsque nous adaptons nos propres schémas à une situation dont nous ignorons le contexte, nous aboutissons à des échecs. François Noisette l'a très bien rappelé. Annik Osmont J'ai exercé une activité d'enseignement et de recherche, et je profite de la retraite pour prendre du recul par rapport aux événements du passé. Je ne pense pas tant à la conférence Habitat I, au moment de laquelle j'étais un peu jeune, mais plutôt à Habitat II et bientôt Habitat III. Dans les années 1980, la recherche urbaine en faveur du développement s'est remarquablement développée. Elle a produit beaucoup de connaissances et de savoirs, pour faire référence au titre de la table ronde. Ce n'est donc pas un hasard si, à l'occasion de la conférence Habitat II, nous avons assisté à une rencontre exceptionnelle entre les chercheurs, les décideurs et le mouvement associatif. Ces acteurs se sont retrouvés autour de thèmes touchant en particulier à la gestion foncière. Nous y avons fait émerger la notion de droit coutumier, très répandu dans les pays du Sud, et de Zofia Mlocek Au cours de ces trois dernières années, j'ai travaillé avec l'université de Lisbonne à l'élaboration d'un plan de développement à l'horizon 2030 pour la ville de Luanda en Angola. Une bonne partie de ce plan concerne la réhabilitation de bidonvilles, qui n° HS automne 2017 François Noisette Nous ne travaillons pas suffisamment sur l'économie du logement et de la ville au regard des capacités des pays et des ménages. Nous nourrissons l'illusion qu'il suffit d'offrir aux populations un l « pour mémoire » 61 logement aux normes, en ne comptant pas plus de deux enfants par pièce, etc. Nous oublions complètement qu'un grand logement coûte cher à entretenir, et qu'il ne constitue souvent pas la priorité d'un ménage. Je ne nie pas le droit au logement ou le droit à la ville, mais j'estime qu'il convient de les replacer dans leur contexte. Quelles sont les priorités du droit à la ville ? Vaut-il mieux disposer d'une école de proximité pour les enfants ou d'un vaste logement, d'un transport en commun fonctionnel ou de bâtiments résilients aux intempéries ? Ces questions politiques sont très difficiles. Même en Europe, le budget municipal ne permet pas de tout traiter tous les ans. Même avec des aides internationales, nous ne pourrons pas tout réaliser, ne serait-ce que parce que les coûts de fonctionnement de la ville « améliorée » sont très élevés. A l'inverse, les villes précaires, que les populations se sont fabriquées, sont plus adaptées à leurs moyens. Cela ne signifie pas qu'il ne faut rien faire. L'accès à l'école et la sécurisation constituent selon moi de véritables priorités. Le problème est également de savoir comment discuter avec les populations. Dans un certain nombre de pays, la culture démocratique et la concertation des populations les plus pauvres ne sont pas encore à la mode. discussion. Pour cela je suggère de croiser les enjeux de décentralisation des politiques urbaines avec ceux de renouveau de la planification urbaine. La conférence Habitat II insistait pour que les villes et les collectivités locales soient actrices à part entière du développement urbain. Beaucoup de travail a été fait mais il reste néanmoins un long chemin à parcourir. Pour que les collectivités soient partout aptes à conduire des politiques urbaines, elles doivent disposer de ressources financières et de capacités de régulation. La France avait porté dans les débats du Forum urbain mondial la notion de maîtrise d'ouvrage publique urbaine, à laquelle Yves Dauge a fait référence. Elle reste difficile à partager, ne serait-ce que parce qu'elle est compliquée à traduire en anglais. De plus, par rapport à d'autres modèles basé sur la privatisation ou la financiarisation, beaucoup de collectivités ne disposent pas des moyens de conduire de telles politiques. En parallèle, nous sentons bien dans les agences d'urbanisme, dans les débats internationaux et dans les réseaux, un renouveau de la planification urbaine et territoriale. ONU-Habitat y a consacré des guidelines et la présente comme un outil de régulation et un médium pour associer les acteurs. Nous voudrions connaître vos témoignages sur ces enjeux. Comment renforcer les capacités des collectivités locales ? Quel rôle la planification stratégique peut-elle jouer pour répondre aux défis de la conférence Habitat III ? Patrice Berger Les capacités des collectivités locales sont extrêmement contrastées selon les situations. J'ai assisté à l'évolution des corps techniques de Hô chi minh ville, avec des budgets et des moyens de plus en plus adaptés. C'était en cela très différent de l'évolution des corps techniques des villes subsahariennes. Le vrai problème des villes en développement, que nous avions déjà étudié il y a trente ans et que nous réexaminons aujourd'hui, est celui de la fiscalité. Les villes africaines sont bien plus pauvres que leurs habitants. J'emprunte cette formule à Michel Arnaud. Si une fiscalité sérieuse était appliquée aux populations africaines, les agglomérations disposeraient d'un budget trois à dix fois supérieur. Il y a cependant des situations intéressantes, comme par exemple au Burkina Faso. Simon Compaoré, qui a été maire de Ouagadougou pendant plus de quinze ans, est maintenant ministre de l'intérieur. Il est désormais en capacité de faire évoluer la fiscalité, pour donner des recettes à l'agglomération et la doter de corps techniques plus complets et pérennes. J'aimerais que d'autres responsables s'inspirent de cet exemple. Concernant la planification, le véritable problème consiste, comme cela a été dit ce matin, à structurer les périphéries. Il existera toujours des personnes pour s'occuper des centres-villes. L'association ADP « Villes en développement » avait d'ailleurs consacré sa journée d'étude à ce sujet l'an dernier. La multipolarité est un beau sujet auquel l'AFD commence à s'intéresser. Elle dis« pour mémoire » Brigitte Bariol-Mathais Je vous propose maintenant d'aborder le troisième et dernier point de notre l n° HS automne 2017 62 pose d'un programme de cette nature pour Ouagadougou. Il faut ici évoquer l'action internationale des agences françaises d'urbanisme. Au cours des quinze dernières années, dixneuf de ces agences sont intervenues dans soixante villes dans le monde. Leurs missions se concentrent autour de la planification, des transports, du patrimoine, de la gouvernance, de l'environnement. Les régions concernées correspondent aux zones d'influence historiques de la France : le Maghreb, l'Afrique de l'ouest et l'Asie du sud-est. Toutefois, nous trouvons également des interventions dans des « BRIC », à savoir la Chine, le Brésil, la Russie, l'Inde. Même si leur action est limitée, ces agences ont néanmoins accumulé différentes expériences dans le monde entier. Le sujet du transport et de l'urbanisme est actuellement une priorité. Il répond à la demande des villes du sud, à la volonté des bailleurs de respecter les Objectifs du développement durable de l'ONU et les engagements climatiques, et enfin aux voeux des habitants. Le contexte est donc favorable. Pour nos agences, l'actualité de cette problématique constitue l'occasion d'expliquer, par exemple, à nos partenaires du sud la nécessité de structurer leurs villes en se fondant sur des schémas de transports en commun lourds ou semi-lourds (Bus à haut niveau de service). Le transport en commun, qu'il soit en site propre, qu'il consiste en un tramway ou en un métro aérien, constitue l'occasion de structurer une ville. Il nous permet de développer auprès de nos partenaires notre conception de l'espace public, le partage de la voirie ou le projet urbain autour de grandes stations. Il constitue donc un vecteur de transformation des villes qui répond à tous les objectifs, notamment ceux des conférences Habitat II et Habitat III. Ce sujet « transport et urbanisme » constitue à présent le tiers ou la moitié des demandes des villes du sud. Ces sollicitations viennent parfois également de l'AFD, de la CODATU (l'Association de coopération pour le développement et l'amélioration des transports urbains et périurbains) ou de l'autorité de transport de Lyon. L'agence d'urbanisme de l'aire métropolitaine lyonnaise est intervenue sur de nombreux sites, soit en coopération décentralisée, soit en contrat avec la Banque mondiale et l'AFD. Par exemple, avec l'appui de l'AFD, l'agence travaille avec la ville de Bamako où il est nécessaire de développer plusieurs centres secondaires en termes d'espaces publics et d'équipements. Le principal problème de Bamako tient au fait que le centre est concentré sur une seule rive. Il est nécessaire de décongestionner le centre-ville et de structurer la périphérie de cette agglomération qui comptera un jour 5 à 6 millions d'habitants. Addis-Abeba dispose quant à elle d'une géographie exceptionnelle qui peut lui permettre de développer une métropole de 12 millions d'habitants selon un plan en étoile de mer, alternant des corridors de transports en commun lourds et des corridors verts récréatifs et agricoles. © Agence d'urbanisme de Lyon n° HS automne 2017 l « pour mémoire » 63 En Inde, un métro est en construction à Kochi, capitale économique du Kerala. Nous leur proposons de développer l'espace public pour les piétons en dessous du métro aérien. Cette démarche de pensée n'est pas du tout évidente pour eux, même lorsque nous prévoyons des entrées charretières pour les commerçants. le plus souvent gérées directement par l'Etat central. Le fait même que le maire soit élu démocratiquement n'est pas acquis dans bon nombre de pays, à commencer par la Chine, qui exerce une influence certaine dans le monde, et se montre très réticente à l'idée de faire élire ses maires. Pour revenir à la question posée, attardons nous sur le premier terme, la « planification ». Le concernant, il convient d'être conscient d'un malentendu. En France nous traduisons l'expression master plan par deux notions assez différentes : la planification stratégique et le plan masse. La planification stratégique correspond à la culture que nous partageons globalement en France et que nous utilisons souvent dans nos activités internationales, avec les notions de vision partagée, de concertation... Cependant, il existe dans le monde d'autres écoles de pensée, comme l'urban design anglo-saxon, porté en particulier par de grandes agences australiennes, qui proposent et produisent des schémas directeurs qui ne sont absolument pas semblables aux nôtres. Il s'agit de grands plans de composition pour accueillir de grands projets d'investissement privé. Or cette solution fonctionne, car elle répond aux attentes de grands investisseurs privés. Le deuxième terme de la question posée est celui de « participation ». Là encore, nous nous formons une certaine idée de la participation centrée sur l'implication des populations. Toutefois, autour d'un schéma directeur, il existe d'autres formes de participation, difficiles à appréhender pour un intervenant étranger, souvent plus occultes et confidentielles, comme par exemple les négociations avec les propriétaires fonciers, avec les opérateurs économiques, avec les autres ministères, etc. Par exemple, lors d'un projet à Alexandrie, le ministère des Affaires étrangères égyptien insistait beaucoup pour que nous assistions à une réunion officiellement dédiée à la sécurité de notre mission de consultants. En fait, elle devait permettre aux ministères régaliens - le ministère de la défense en tête - de se prononcer sur nos termes de référence et de valider ou non notre proposition. Brigitte Bariol-Mathais Depuis Habitat II, nous sommes passés d'un urbanisme technique à un urbanisme d'acteur. Comment dès lors mettre en oeuvre une planification participative ? François Noisette Il est utile d'aborder cette question en interrogeant les évolutions qui ont marqué la figure du responsable municipal. Les maires ont désormais une véritable visibilité mondiale. Ils sont en ce moment un peu plus de trois cents à faire campagne, avec des moyens très conséquents, pour l'élection du président de CGLU. Il y a donc bien là un fort enjeu de pouvoir. Les deux candidats, le maire de Johannesburg, Parks Tau, et le maire de Kazan, Ilsur Metshin, développent des visions extrêmement différentes sur un certain nombre de sujets, et les débats se révèlent particulièrement houleux. Il existe également des cas intéressants dans des territoires ruraux. Faute d'encadrement et de moyens, de vraies capacités de gouvernance locale émergent dans différents pays du monde. Par contre, une part importante des collectivités de la planète n'ont pas de réelle autonomie politique, et sont Brigitte Bariol-Mathais De votre point de vue, Agnès Deboulet, comment peut-on construire une concertation vraiment participative, qui mobilise également les acteurs du projet et les habitants, en particulier ceux des quartiers précaires ? Agnès Deboulet Prenons le cas de la rénovation urbaine en France. Nous pouvons déjà reconnaître que le bilan des programmes n'est pas exemplaire. A titre d'exemple, des protocoles de configuration devaient être signés avec les conseils citoyens dans les quartiers en rénovation urbaine, pour établir des chartes de co-construction du projet urbain avec les habitants. Or, les citoyens ignorent systématiquement ce que sont ces protocoles, qui sont le plus souvent déjà signés quand les projets commencent. « pour mémoire » l n° HS automne 2017 64 Il existe à l'international des exemples intéressants que nous connaissons assez mal en France, et qui pourraient nous inspirer. Par exemple, il y a en Thaïlande un organisme ministériel qui a repris un programme de participation communautaire dans des bidonvilles et de soutien à l'épargne solidaire. Il est maintenant présent dans plus de mille quartiers dans lesquels de la réhabilitation participative a été développée à partir des communautés de base. En fait, l'essentiel du problème réside dans le soutien aux acteurs de base. Monsieur Sapoval disait ce matin que nous avions peur en France des communautés, du communautarisme. Peut-être est-ce l'une des raisons de la frilosité de notre pays vis-à-vis des démarches participatives. L'organisation communautaire constitue souvent l'une des forces des quartiers précaires. Or, en tant que puissance publique, qu'il s'agisse de l'autorité locale ou d'intervenants internationaux, il faut savoir trouver ces responsables, prendre langue avec eux, pour démultiplier les capacités d'agir. Nous devrions davantage étudier le travail de personnes comme Somsook Boonyabancha, qui a conçu cette organisation avec le ministère thaïlandais de la Ville. Il existe des exemples comparables dans toute l'Asie. Les mouvements sociaux ont toujours existé, notamment au travers d'organisations d'habitants très structurées au plan mondial. Slum Dwellers International (SDI) est par exemple présent dans quarante pays. Depuis vingt ans, ils se sont organisés et portent des revendications n° HS automne 2017 plus fortes. Le droit à la ville doit passer par eux. Eric Huybrechts La planification pose problème dans un certain nombre de pays puisque la ville planifiée produit mécaniquement des bidonvilles. Ce phénomène dénote une mauvaise allocation des ressources financières gérées par le marché. Je pense que la planification n'est pas en mesure de réguler ce type de phénomène, ou alors à la marge. Il serait plus judicieux de s'intéresser à la question de la fiscalité. La participation pose également des questions en termes de planification. Pour concevoir la ville à horizon de quinze ou vingt ans, avec qui devrions-nous organiser la concertation ? Les principaux concernés sont souvent les propriétaires fonciers, qui ne sont pas nécessairement intéressés par l'avenir de l'agglomération. J'observe que la situation en termes de participation est très différente suivant les pays. En 2006, l'Inde a inscrit dans la loi l'obligation de mettre sur internet toutes les décisions et tous les rapports administratifs dans les trente jours suivant leur adoption. Ce système d'une grande transparence fait frémir les autorités et les contraint à être très prudentes lorsqu'elles publient un document. Pour autant, les débats publics sont souvent extrêmement houleux, comme nous avons pu le constater à Mumbai. Ces projets urbains font éclater les contradictions, par exemple entre les habitants de Bollywood et ceux des bidonvilles. Avec l'accès à l'information instantanée, la nature du débat public change à tra- vers le monde, et pas seulement dans les pays développés. Cette réalité oblige à revoir le mode de préparation des projets. Il est nécessaire de beaucoup plus informer et d'intégrer davantage d'acteurs de la société civile. La concertation doit être beaucoup plus ouverte, et dans l'idéal cela devrait être aussi le cas du processus de décision. On peut regretter que la question de la ville numérique et de ses effets sur la transformation de la fabrique urbaine soit aussi peu prise en compte dans le Nouvel agenda urbain. l « pour mémoire » actes 65 La ville dans les politiques de coopération internationale Session introduite et animée par Anne Odic, cheffe de la Division collectivités locales et développement urbain, Agence française de développement (AFD) Je propose de présenter en guise d'introduction le regard que porte l'AFD, opérateur pivot de la coopération française, sur les enjeux internationaux du développement urbain, en particulier dans la perspective d'Habitat III. Compte tenu de l'ampleur de la croissance urbaine, l'enjeu pour l'agence consiste à accompagner la transition des territoires urbains vers davantage de sobriété, de durabilité et d'inclusion. Si cet objectif peut sembler ambitieux, nous avons constaté cependant dans bon nombre de villes qu'il est réalisable. Le maire de Johannesburg, par exemple, prend en main l'évolution de son territoire, aussi morcelé soit-il, pour le conduire vers plus de durabilité. Notre rôle consiste alors à assister les responsables politiques dans cette tâche. Nous portons une attention particulière aux villes secondaires et moyennes. En Afrique comme en Asie, elles accueilleront l'essentiel de la croissance urbaine dans les prochaines années. Elles n'ont parfois pas encore adopté de parti pris en matière d'urbanisme. En les accompagnant dès à présent de manière rapprochée, nous éviterons peut-être que la montée des fractures urbaines et l'étalement anarchique ne s'amplifient. Nous voulons également les aider à changer d'échelle en matière de capacité d'action et de prise de responsabilité. Aujourd'hui, de nombreuses villes sont en mesure de gérer des projets urbains. L'enjeu est alors de les aider à se projeter sur les vingt à quarante prochaines années, en mettant en place une planification stratégique, une gestion financière adaptée, et une programmation des investissements selon leurs capacités. Les spécificités de l'AFD sur le secteur urbain Trois grands éléments structurent notre intervention. Tout d'abord, le territoire constitue pour nous l'échelle d'intervention pertinente dans le domaine urbain. Quel que soit le projet, nous tentons d'adopter une vision transversale et transsectorielle. Cette démarche n'est pas toujours aisée, car nos partenaires ne partagent pas nécessairement cette approche et restent organisés de façon sectorielle. Nous sommes ainsi intervenus dans l'état de Rio de Janeiro, avec l'IAU Ile-de-France, pour aider ses responsables à réaliser une véritable planification stratégique, connectant mobilité et développement urbain. Autre grand principe d'intervention, nous plaçons les acteurs locaux au coeur des « pour mémoire » l n° HS automne 2017 66 échanges et projets de développement urbain. Nous sommes quasiment le seul bailleur à pouvoir consentir des prêts directs aux collectivités locales des pays en développement, ce qui facilite les échanges rapprochés avec la collectivité, quel que soit le niveau de décentralisation du pays. C'est pour nous un gage d'efficacité car les maires sont les acteurs qui connaissent le mieux les besoins de leurs habitants. Enfin, notre approche est pragmatique. Dans certains pays très centralisés, il est évident que nous ne pouvons pas consentir de prêts directs aux collectivités locales. Nos interlocuteurs sont alors l'État ou une agence urbaine. Même dans ce cas, nous estimons que nous devons parvenir à dialoguer directement avec la collectivité, afin de tenir compte de ses besoins. Dans un contexte ou les autres bailleurs de fonds ne peuvent généralement pas adopter ce type d'approche directe (excepté la BERD) et transversale, nous multiplions les échanges notamment avec l'Union Européenne ou la KFW, sur les stratégies et méthodes dans le secteur urbain. L'importance du renforcement des capacités et de l'accompagnement des responsables locaux est en revanche largement partagée par l'ensemble des bailleurs. Il s'agit d'un élément structurant de nos interventions, stratégique pour favoriser le passage à l'échelle des collectivités, de taille moyenne. Tous nos projets comportent donc un volet de coopération technique et de n° HS automne 2017 renforcement de capacités qui implique dès que possible un échange entre pairs. Les messages s'avèrent toujours plus efficaces lorsqu'ils sont portés par une collectivité, qu'elle soit du Nord ou du Sud, alors qu'un bailleur n'est pas toujours entendu. Les expériences de coopération décentralisée sur le long terme ont montré leur pertinence en termes de structuration de nos partenaires. Nous l'avons notamment constaté avec la ville de Porto-Novo, au Bénin, après vingt ans de coopération avec l'agglomération de Cergy et le Grand Lyon. Les collectivités étrangères avec lesquelles nous travaillons sont très en demande d'échanges avec des collectivités françaises. Il est aujourd'hui plus difficile pour nous de trouver des partenaires français en mesure de répondre aux besoins des villes du sud qu'il s'agisse d'une coopération décentralisée très structurante ou d'un échange plus informel entre équipes municipales pour bénéficier du point de vue français. Tout d'abord, nous promouvons la diversification et la facilitation de l'accès des villes au financement. Le terme de « financement » désigne les transferts de ressources de l'État, la fiscalité locale, mais également l'accès à l'emprunt. Ensuite, nous souhaitons aider les Etats à construire de véritables politiques de l'habitat. L'objectif est de permettre aux villes de limiter l'étalement urbain et la croissance de la ville informelle. Il est également nécessaire de diversifier la politique du logement pour ne pas la réduire à la seule accession à la propriété. Nous travaillons sur ce sujet en Afrique du sud et en Amérique latine notamment. Troisième et dernier point, nous développons une action particulière sur l' appui aux villes en crise. Ce sujet nous tient particulièrement à coeur car, hélas, il devient de plus en plus prégnant. Nous intervenons de plus en plus régulièrement à la suite de crises ou de conflits. Nous cherchons à structurer nos soutiens aux villes qui se reconstruisent, à privilégier des appuis souples et modulables sur le tissu local, et à trouver les moyens de passer de l'urgence à un développement pérenne. La participation à la conférence Habitat III Ces principes structurent également l'implication de l'AFD dans la préparation d'Habitat III. Nous avons naturellement participé à la construction de la position française, et nous interviendrons lors de la conférence pour délivrer trois messages clés, que nous développons depuis deux ans. l « pour mémoire » actes 67 L'émergence de l'urbain dans les politiques de coopération françaises : pistes de réflexion Jean-Fabien Steck, maître de conférences en géographie, université Paris X Nanterre, laboratoire LAVUE (UMR 7218 CNRS) Alors que la conférence Habitat III représente un moment important d'échanges et de discussions à propos des dynamiques de l'urbain à l'échelle mondiale ; alors qu'une telle conférence internationale met en scène une communauté internationale marquée par sa diversité mais tentant de s'engager sur une voie consensuelle afin de résoudre des problèmes complexes ; alors que la question de l'urbain se pose lors de ces conférences en des termes qui renvoient aux enjeux du développement, et notamment aux enjeux de la mise en oeuvre des Objectifs de Développement durable (ODD) - que l'on ne peut réduire ici au seul, quoique essentiel, objectif 111 - revenir sur l'émergence de l'urbain dans les politiques de coopération française n'est pas anodin. Il ne s'agit pas ici de proposer une histoire détaillée de cette émergence, elle reste encore en partie à faire, mais bien d'attirer l'atten- tion sur quelques éléments de réflexion qui permettent de saisir les spécificités d'un domaine d'intervention, l'urbain, qui apparaît à bien des égards comme le point de rencontre de plusieurs politiques, de plusieurs ambitions, notamment internationales, de plusieurs institutions, avec notamment l'émergence des collectivités locales dans les relations internationales 2 , et de plusieurs catégories d'acteurs aux stratégies souvent divergentes et parfois même contradictoires3 . Pour saisir cette émergence il est indispensable de la resituer dans ses contextes, et d'attirer en particulier l'attention sur certaines convergences. Il convient pour ce faire de mettre en regard les évolutions de la place de la ville dans les politiques de développement et dans les politiques de coopération avec les évolutions de la politique urbaine en France. Mais cette convergence ne doit pas simplement être étudiée du point de vue des seules politiques urbaines ou de coopération françaises, mais aussi par rapport à d'autres politiques urbaines, de coopération et de développement internationales, portées par d'autres agences de coopération multilatérale, nationale, États ou collectivités locales. Cette émergence de l'urbain dans les politiques de coopération française suppose donc aussi d'aborder Voir, entre beaucoup d'autres, D. Simon et al., « Developing and testing the Urban Sustainable Development Goal's targets and indicators ­ a fivecity study », Environment & Urbanization, vol.18 n°1, 2016, pp. 49-63 2 Y. Viltard, « Conceptualiser la "diplomatie des villes". Ou l'obligation faite aux relations internationales de penser l'action extérieure des gouvernements locaux », Revue française de science politique, n°58-3, 2008, p. 511-533 3 Sur les interventions des acteurs, voire J.-J. Gabas, « Acteurs et politiques publiques », Mondes en développement, n°124, 2003, pp. 33-47 « pour mémoire » 1 l n° HS automne 2017 68 la question des échelles d'intervention, et des terrains/villes/pays/ensembles régionaux privilégiés. Ces interventions ne sont pas linéaires, ni dans l'espace ni dans le temps, mais sont le fruit de stratégies et de temporalités différentielles. Nous devrons ainsi nous interroger sur les synchronies ou sur l'absence de synchronie entre différents acteurs ayant différents échéanciers et interroger de ce point de vue la question de la gouvernance des projets. mais on peut au moins évoquer l'un des plus célèbre d'entre-eux, le livre de Michaël Lipton, paru en 1977 : Why Poor People Stay Poors: Urban Bias in World Development4 . Le titre, qui sonne comme un slogan, indique clairement la position de l'auteur et pourrait résumer à lui seul une position assez répandue à l'époque. C'est dans ce contexte pourtant que la ville est devenue au cours des années soixante et surtout soixante-dix un enjeu pour les politiques de développement. Annik Osmont a ainsi bien décrypté les processus qui ont conduit à une émergence de l'urbain dans les discours (rapport de 1970) et dans les programmes (1975) de la Banque mondiale 5 . C'est aussi en 1976 que se tient à Vancouver la conférence Habitat I. Cette apparition des villes dans les préoccupations des grands bailleurs se fait d'abord par une intervention très sectorielle et ciblée sur les questions de logement. La politique de coopération française avait d'ailleurs à cette date déjà pris conscience de l'importance d'une intervention dans ce secteur, et a même vu, à partir de 1974, cette intervention décliner : ainsi, la part du budget de la Caisse française de développement (CFD) consacrée aux villes est passée de 20 % à 7 % à la fin des années quatre-vingt au profit d'interventions plus variées sectoriellement et de financements plus ponctuels 6 , démontrant déjà la difficulté d'appréhender les politiques et actions de coopération internationale de façon synchrone, même si l'importance que certains bailleurs accordaient précocement à la question du logement urbain a permis qu'elle devienne une question d'ampleur internationale. Ce premier temps de la montée en puissance des questions urbaines dans les politiques de développement et de coopération à l'échelle mondiale a été suivi par d'autres, qui ont marqué une réelle inflexion dans la façon de le concevoir. Ces autres temps ont été caractérisés par d'autres approches, moins sectorielles et de plus en plus systémiques et englobantes. Il en va ainsi, pour s'en tenir à quelques jalons, de la question de l'application aux villes des enjeux du développement durable (Habitat II, 1996), de l'importance du mouvement de métropolisation (rapport 2009 de la Banque mondiale, réinterrogeant les liens entre politiques de développement et politiques d'aménagement des territoires), de la somme de ces deux enjeux (African Economic Outlook, BAD-OCDE 2016) ou de l'équité et de la gouvernance (Quito 2016). Dans tous les cas, se pose en des termes renouvelés la question de la planification urbaine, et notamment de la planification urbaine stratégique, portée entre autre, et pour ne citer qu'un exemple, par des institutions comme Cities Alliances et ses City Development Strategy. Derrière la question du positionnement de la ville dans les politiques de développement et de M. Lipton, Why Poor People Stay Poor ?, Londres, Temple Smith, 1977 A. Osmont, La Banque mondiale et les villes, Paris, Karthala, 1995 6 A. Osmont, C. Goldblum, et al., Bilan prospectif de la recherche et de la formation en coopération urbaine en France. Paris : Ministère des Affaires étrangères, GEMDEV, IRD, ESA, juin 2013, http:// www.gemdev.org/evaluations/BilanProspectifRechercheUrbaine2013.pdf 5 4 Quelques éléments de contexte(s) On ne peut en effet aborder la question de l'émergence de l'urbain dans les politiques françaises de coopération sans aborder deux éléments de contexte fort, à deux échelles différentes : mondiale et nationale (française). L'échelle mondiale invite d'abord à questionner la place des villes dans les politiques de développement en général. Il convient de rappeler l'importance pendant longtemps de discours antivilles, invitant les politiques de développement à cibler d'abord le monde rural, pour au moins trois raisons : en lien avec les enjeux du développement agricole et des réels défis de la sécurité alimentaire ; du fait du nombre ; parce que cela apparaissait comme étant la meilleur façon de lutter contre la croissance urbaine. Il n'est pas possible ici de citer tous les ouvrages, travaux et arguments avancés en faveur d'une politique de développement rurale, n° HS automne 2017 l « pour mémoire » 69 coopération, des modalités d'actions, se pose également la question d'interventions qui relèveraient davantage du politique, notamment autour des grandes questions de gouvernance. L'émergence de l'urbain dans les politiques de coopération françaises doit donc être analysée dans ce contexte, en prenant en compte ces grandes évolutions internationales et en posant la question des modalités de son articulation et/ou de sa singularisation. Car si les formes d'intervention dans le domaine urbain des politiques de la coopération française ne peuvent être bien saisies qu'à l'aune de ce mouvement international, deux grandes séries de questions se posent sans cesse : celle du rapport, dans les relations internationales, aux autres politiques bilatérales et multilatérales ; celle des synchronies, ou de l'absence de synchronie dans les interventions. On ne peut l'aborder indépendamment d'une étude et d'une analyse des acteurs qui, en France, ont suscité et porté cette émergence de l'urbain dans les politiques de coopération. Des travaux d'historiens ont souligné l'importance, dans le cadre d'un urbanisme dit « de mission », qu'ont pris des acteurs issus du corps des ingénieurs des ponts et chaussées coloniaux7 dans le développement des villes nouvelles en France, montrant ainsi combien une expertise sur la ville construite en contexte colonial avait pu ensuite être valorisée ensuite en France. Mais il apparaît aussi très nettement que l'émergence de l'urbain dans les politiques de coopération doit en retour beaucoup à l'intérêt pour ces questions internationales portées par des ingénieurs des ponts et chaussées ayant fait leur carrière en France et participant à la montée en puissance de l'expertise urbaine au sein du ministère de l'Équipement et à la création, en 1981, de l'Institut des sciences et des techniques de l'équipement et de l'environnement pour le développement (ISTED). Il y a là, à travers l'étude de la circulation croisée de ces acteurs de premier plan de l'urbain, des éléments d'analyse essentiels pour saisir le rôle que des experts « nomades »8 ont pu avoir sur cette émergence, très contextuelle de ce fait, de l'urbain dans les politiques de coopération. On peut aussi insister sur le rôle que certains de ces acteurs ont pu avoir dans la définition de politiques urbaines dans des pays ayant acquis leur indépendance en 1960, singulièrement en Côte d'Ivoire avec la Direction générale des grands travaux9 . Cette histoire n'est pas linéaire. Elle est faite de relations dans un sens ou dans l'autre, de parcours individuels et de parcours de corps qui permettent de rendre compte du jeu entre différentes institutions et de leur implication dans l'introduction de l'urbain dans les politiques de coopération française. Dans cette perspective, le poids de la recherche mérite également d'être abordé, en particulier du point de vue institutionnel. Dans le contexte de l'émergence de l'urbain dans la politique de coopération française, quelle place accorder à la recherche en tant qu'associée à la mise en oeuvre de politiques de coopération urbaine et universitaire ? Quelle est sa place dans le montage de programmes de formation et de recherche ? Le Programme de recherche urbaine pour le développement, mené au début des années 2000, fournit à ce titre un exemple intéressant d'interactions entre la recherche et la coopération (ministère des affaires étrangères et ISTED). S'il semble donc impossible d'expliquer cette émergence de l'urbain dans les politiques de coopération françaises sans prendre en compte les acteurs qui permettent de la saisir, il est aussi indispensable de prendre la mesure des changements institutionnels. Ces derniers jouent en effet un rôle non négligeable dans la façon de concevoir les évolutions de la place de l'urbain, des projets et des modalités d'interventions. On ne retiendra ici que deux changements J.-C. Fredenucci, « L'entregent colonial des ingénieurs des Ponts et Chaussées dans l'urbanisme des années 1950-1970 », Vingtième Siècle. Revue d'histoire, n° 79-3, 2003, p. 79-91 8 E. Verdeil, « Expertises nomades au Sud. Éclairages sur la circulation des modèles urbains », Géocarrefour, n° 80-3, 2005, 165-169 9 J.-F. Steck, « Abidjan et le Plateau : quels modèles urbains pour la vitrine du « miracle » ivoirien ? », Géocarrefour, n° 80-3, 2005, 215-226 « pour mémoire » 7 Les acteurs et les institutions Au-delà de ce contexte international, essentiel, il faut également accorder une grande attention aux acteurs français eux-mêmes, et notamment au rôle qu'ont pu jouer des acteurs à la fois issus des administrations coloniales, notamment dans le secteur des ponts et chaussées, et des administrations nationales. l n° HS automne 2017 70 majeurs. Le premier concerne la montée en puissance des collectivités locales dans un contexte de décentralisation portée par les lois de 1982 et, concernant les politiques de coopération, par la loi de 1992 instituant la coopération décentralisée. L'implication des collectivités locales et des villes en particulier a donné une autre dimension à l'urbain dans les politiques de coopération, introduisant un nouvel acteur, avec des compétences jusqu'ici peu exploitées et renouvelant les approches opérationnelles de la coopération urbaine. L'autre grand changement est la réforme en 1999 du ministère des Affaires étrangères et la redéfinition des compétences, entre soutien institutionnel et projets de développements urbains, entre les différents acteurs nationaux. A ces facteurs contextuels individuels et institutionnels (il est difficile ici, on le voit bien, de dissocier pleinement les deux), s'ajoutent d'autres facteurs qui permettent de saisir cette émergence de l'urbain et son évolution au sein des politiques de coopération. Notamment, et il semble important de l'évoquer, l'importance que représentent les marchés urbains pour certains secteurs économiques, allant de l'expertise urbaine à l'offre de services en réseaux... Tout ceci a conduit la France à disposer d'une expertise certaine dans le secteur urbain et à la valoriser. Il pourrait être pertinent de tenter d'analyser cette histoire de l'émergence de l'urbain au sein des politiques de coopération française au regard de cette dimension économique, qui a déjà été analysée dans un récent programme de recherche franco-québén° HS automne 2017 cois portant sur les politiques agricoles et sur les politiques minières10 . La valorisation de l'expertise La question de l'expertise est essentielle pour saisir l'émergence et la présence de l'urbain dans les politiques de coopération françaises. L'expertise a pu jouer un double rôle : celui d'un facteur influençant l'inflexion urbaine des politiques de coopération au cours des dernières décennies ; celui d'être un enjeu et un objet de ces mêmes politiques de coopération. Dans le contexte actuel, l'expertise est de toute évidence un enjeu majeur à la fois de la diplomatie d'influence et de la diplomatie économique, deux orientations stratégiques à prendre en considération quand on aborde l'étude et l'analyse des politiques de développement et des politiques de coopération, dans un contexte qui semble de plus en plus concurrentiel : entre bailleurs multilatéraux et bailleurs bilatéraux ; entre bailleurs nationaux entre eux ; entre bailleurs du Nord et bailleurs du Sud. Ce qui est en jeu, outre le développement, c'est bien un positionnement stratégique des bailleurs qui repose sur leur capacité à porter et à exporter des modèles, à s'inscrire dans la construction normative internationale et à être capable d'y peser, de promouvoir ses modèles et ses compétences et, pourquoi pas, ses entreprises. Il n'est pas nécessaire ici d'approfondir la question des débats qui accompagnent les discussions sur les modalités de l'aide, liée ou non-liée, mais l'on voit bien où sont les enjeux. Ainsi, s'agissant de la France, il apparaît clairement que l'expertise, la promotion de l'expertise française, est un des nouveaux enjeux de l'urbain dans les politiques de coopération. Elle peut se traduire notamment par le rattachement du Partenariat français pour la ville et les territoires à Expertise France. Elle pose en retour la question du statut de l'expert et de ce que l'on en attend non seulement à propos de l'urbain, mais aussi à propos des politiques de coopération, d'influence et de promotion économique. La question se pose à la fois pour les experts d'État (grands corps et chercheurs, de façon différente et avec des enjeux qui ne sont pas toujours les mêmes) et pour les experts du secteur privé, acteurs essentiels aujourd'hui de la diffusion de modèles français. Il ressort de ces quelques pistes quelques éléments essentiels, comme les éléments de contexte, le rapport aux grands enjeux internationaux (de la participation à leur émergence à l'articulation à leurs évolutions et redéfinitions stratégiques) ou les jeux d'acteurs. D'autres méritent encore des approfondissements, notamment parce qu'ils sont très actuels et demandent sans doute une analyse post-Quito. B. Campbell, J.-J. Gabas, D. Pesche, V. Ribier (éds), Les transformations des politiques de coopération. Secteurs agricoles et miniers au Canada et en France, Paris, Karthala, 2016 10 l « pour mémoire » actes 71 Les collectivités territoriales dans la coopération française : origines, spécificités et perspectives Elise Garcia, docteure en géographie, chargée des relations internationales auprès du maire de Cergy Les origines de l'action internationale des collectivités territoriales (AICT) La coopération internationale française a longtemps relevé d'une compétence régalienne. En conséquence, l'AICT s'est construite, pendant de nombreuses années, en l'absence de cadre légal et dans une certaine forme de « clandestinité ». Les collectivités, longtemps encouragées par deux principales associations d'élus de sensibilités diverses (l'International Union of Local Authorities et la Fédération Mondiale des Cités Unies), ont progressivement affirmé leur intention politique d'intervenir dans ce domaine. Même si l'internationalisation des villes est bien antérieure, il est d'usage de faire débuter cette histoire par les jumelages de réconciliation franco-allemands initiés au cours des années 1950. Le traité de l'Elysée de 1963, acte officiel de cette réconciliation entre les deux Etats, avait ainsi été précédé par 130 jumelages qui allaient par la suite ouvrir la voie aux jumelages franco-américains et francocanadiens entre des communes liées par l'histoire du débarquement allié de 1944. C'est dans ce même esprit de réconciliation que, suite aux indépendances africaines des années 1960, des villes françaises se sont engagées auprès d'anciens territoires colonisés, notamment en Afrique de l'ouest, en conférant à leur action une dimension plus humanitaire. Le premier jumelage franco-africain est ainsi intervenu en 1958 entre Marseille et Abidjan. A cette époque, les collectivités ne bénéficiaient d'aucune autonomie décisionnelle, du fait d'un système encore très centralisé. Elles intervenaient de deux manières, soit en installant des comités de jumelage, auxquels était déléguée la mise en oeuvre des partenariats, ou bien en finançant des associations locales existantes ou créées à cet effet. La structuration juridique de l'action internationale des collectivités s'est ensuite inscrite dans le processus français de décentralisation à partir des années 1980. Quelles sont les spécificités des collectivités dans leur action internationale ? Vers l'affirmation d'une complémentarité État/ collectivités dans l'AICT Mon second point porte sur les spécificités de ces actions internationales au regard de l'intervention de l'Etat, sur « pour mémoire » l n° HS automne 2017 72 ce qui les en différencie et sur la nature de leurs relations. Aujourd'hui, ces rapports reposent principalement sur deux piliers. Premièrement, la reconnaissance de l'échelle territoriale de l'AICT. Elle peut être municipale, communautaire, départementale ou régionale. L'échelle de proximité des citoyens et des préoccupations locales lui confère une dimension humaine, alors que l'échelle des instances nationales peut paraître moins facilement repérable. Deuxièmement, la complémentarité des échelles d'intervention. Les termes de la loi Thiollière de 2007 et de la loi d'orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale de 2014 sont sans équivoque par rapport à leurs périmètres d'intervention respectifs. L'AICT doit être menée dans le respect des engagements internationaux de l'État. Les accords ne peuvent être conclus qu'avec des collectivités territoriales étrangères et leurs groupements. L'État est le seul à pouvoir conduire des négociations avec ses homologues étrangers. Il est également le seul à pouvoir intervenir sur des questions de défense. Les collectivités territoriales ne sont donc plus considérées comme des rivales, mais comme des acteurs complémentaires de la coopération bilatérale. L'État reconnaît leur expertise et peut envisager l'AICT comme un outil complémentaire de sa politique d'aide au développement. Cette AICT fait l'objet d'un dialogue institutionnalisé entre les parties à travers la Commission nationale de la coopération décentralisée (CNCD), créée en 1992. Cette commission est l'instance de concertation interministérielle et de dialogue entre l'État et les collectivités territoriales. C'est dans ce cadre que l'État soutient l'AICT et l'intègre dans ses instruments de politique étrangère. Il propose une stratégie pour sa mise en oeuvre à travers un document cadre qui présente les orientations françaises géographiques et thématiques. Cette série d'objectifs et d'engagements permet aux élus locaux de mener des actions coordonnées sur la base d'un socle commun. En plus de ces orientations stratégiques, l'État propose des appels à projets annuels ou triennaux, et offre également des fonds conjoints de soutien à la coopération décentralisée. Ils aident les collectivités qui y prétendent à s'inscrire dans les grandes orientations par le biais de critères thématiques ou géographiques. Cette démarche vise à influencer leurs orientations tout en respectant leur autonomie et leur liberté de choix. On peut cependant interroger la réalité de cette liberté lorsque les collectivités prétendent à un financement. L'influence de l'État reste toutefois à nuancer. Il ne cherche en effet pas à encadrer l'AICT à tout prix, et les cofinancements dont elles bénéficient ne sont que partiels. Sur le fond comme sur la forme, il leur laisse une grande marge de manoeuvre quant aux modalités de mise en oeuvre de leurs actions. A travers cette coordination et ce dispositif, les collectivités territoriales Réunion de la CNCD avec François Rebsamen (gauche), maire de Dijon et président de la CNCD, et Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères. © Ministère des affaires étrangères et du développement international/Bruno Chapiron. 2017 n° HS automne 2017 l « pour mémoire » 73 sont considérées et appuyées dans la fonction précise de l'aide publique au développement. Les collectivités territoriales ne sont en revanche pas ou peu incitées par l'État à développer une réflexion pour renforcer les impacts de leurs actions internationales sur leurs propres territoires, malgré l'enjeu évident en termes de légitimation de l'AICT. Ces procédures renvoient les collectivités à une fonction quasi exclusive « d'exportateur », ce qui peut interroger le sens même du partenariat. En tant que professionnels, nous essayons de dépasser ces considérations, à la fois devant nos partenaires étrangers, entre professionnels - comme en témoignent les travaux de l'ARRICOD (association des professionnels de l'action européenne et internationale des collectivités territoriales) - mais également devant les habitants de nos territoires. Si les deux catégories d'acteurs partagent une approche technique, la coopération décentralisée induit également une dimension territoriale, sociale et politique, liée à l'expérience des collectivités en France. L'action des associations de solidarité internationale et des ONG, qui ont plutôt développé une expérience au niveau international, est majoritairement tournée vers leurs pays d'intervention. On remarque cependant que de plus en plus d'ONG développent des actions locales en France, notamment sur des démarches d'éducation à la citoyenneté. Une autre spécificité de l'AICT repose sur sa démarche d'appui institutionnel : le soutien à la maîtrise d'ouvrage, le renforcement des capacités de gouvernance locale, etc. Malgré les évidentes différences de contexte, toutes les collectivités territoriales ont une compréhension partagée de la « chose publique », une légitimité électorale et une responsabilité vis-à-vis des citoyens des territoires. En outre, nous pouvons considérer que les collectivités sont a priori les mieux placées pour s'adresser à leurs semblables. En principe, les collectivités françaises évoluent vers un transfert de leurs compétences et laissent les ONG prendre en charge d'autres thématiques. Dans les faits, les frontières sont un peu plus poreuses. Nous constatons que de nombreuses ONG interviennent également sur le plan de l'appui institutionnel. Nombreuses sont également les collectivités à déléguer la maîtrise d'oeuvre de leurs projets à des ONG. C'est en particulier le cas de Cergy. Par ailleurs, la loi autorise les collectivités territoriales à financer des actions humanitaires d'urgence, qui relèvent plutôt, à mon sens, du domaine propre aux ONG. Les collectivités françaises ne possèdent ni les capacités, ni les dispositifs humains, ni les moyens techniques pour réagir rapidement à des situations de crise. Les ONG et les collectivités se distinguent également par des spécificités temporelles. La coopération s'inscrit dans le cadre d'un engagement à long terme alors que les actions des ONG sont plutôt déclinées sous forme de programmes sur un temps limité. Les ONG répondent à un objectif de développement des territoires partenaires. Elles sont donc vouées a priori à s'en aller lorsque l'objectif est considéré comme étant atteint. Leur intervention est liée à un problème à régler. En revanche, l'AICT ne vise pas uniquement à résoudre une problématique ou à pallier un manque. Elle a pour vocation principale de construire du partenariat. Dans les faits, les collectivités territoriales font également face à des contraintes temporelles. Les délais imposés par les appels à projets, souvent pluriannuels, nous obligent à réaliser des actions dans des délais parfois courts. L'AICT peut par ailleurs être tributaire des échéances et des calendriers électoraux. Elle peut évoluer en fonction des changements d'équipes exécutives. Nous l'avons constaté à la suite d'élections municipales, départementales et régionales. « pour mémoire » Les collectivités locales : des ONG comme les autres ? Dès lors que les collectivités territoriales sont considérées comme des acteurs de l'aide publique au développement (APD), nous pouvons nous demander où situer les frontières de leurs interventions visà-vis des ONG et des associations de solidarité internationale. Quelles sont les différences et les points communs entre leurs discours, leurs méthodes et leurs domaines d'interventions respectifs ? Il existe de véritables spécificités au plan théorique qu'il convient néanmoins de nuancer à l'épreuve de la réalité. l n° HS automne 2017 74 Repenser la question des bénéfices de l'AICT sur les territoires français Clarifier les spécificités de l'AICT par rapport aux autres acteurs ne constitue pas seulement un exercice théorique, c'est aussi un élément de fond qui est au coeur des débats sur sa légitimité. La réponse fournie par les collectivités sur ces enjeux de légitimation fait apparaître deux phénomènes corrélés. Premièrement on remarque chez elles une recherche de plus en plus affirmée de réciprocité, qui vise notamment à conforter leurs discours sur l'intérêt local de l'AICT, à répondre à leurs détracteurs et à se rassurer quant aux fondements égalitaires des partenariats. Ensuite, on observe également une différenciation stratégique selon les territoires d'intervention. Alors que la réciprocité avec les pays dits « pauvres » est difficilement démontrable et que les élus « s'enlisent » parfois dans des considérations idéologiques, le projecteur s'oriente de plus en plus vers les pays émergents avec lesquels cette réciprocité est plus facilement « chiffrable ». Je pense ici par exemple au cas d'une collectivité qui « développerait » son partenaire malien et « se développerait » grâce à son partenaire chinois. Cette hiérarchisation des partenariats est avant tout fondée sur des critères économiques et présente des limites sur les plans éthique et stratégique. Aujourd'hui, l'AICT subit des réductions budgétaires de plus en plus drastiques. Sa pérennité dépendra de plusieurs facteurs. Il convient, en premier lieu, d'insister sur la capacité des professionnels et des élus à décloisonner l'AICT et à ne plus la positionner comme une activité sectorielle mais plutôt comme un instrument d'innovation et de réponse aux enjeux territoriaux français. Sa légitimité ne se trouve plus uniquement dans son rôle d'acteur du développement à l'étranger mais, de plus en plus, dans sa fonction de moteur du développement local en France. Cela implique de faire émerger un autre modèle de partenariat, qui ne soit plus seulement fondé sur les besoins et les manques des partenaires dits du sud, mais sur la reconnaissance de leur expertise et de leur savoir-faire. Les actions et les projets doivent être pensés à partir des attentes des deux collectivités. Elles doivent identifier des enjeux partagés sur leurs territoires et s'efforcer de travailler ensemble dans une communauté d'intérêts. A l'approche de la conférence de Quito, je suis convaincue de l'impérieuse nécessité de forger une pensée commune des questions urbaines, environnementales, sociales, etc. Cette dimension est la condition sine qua non d'une AICT porteuse d'impacts locaux positifs, au-delà des discours. J'ai très récemment effectué une mission à Thiès (Sénégal) de soutien à un échange professionnel sur le thème de l'agroécologie en ville. Nous avons favorisé la rencontre entre l'association b.a-BA de Cergy, qui encourage la concertation aux pieds des immeubles et crée des jardins d'habitants dans des quartiers prioritaires, et le Centre d'écoute et d'encadrement pour un développement durable, une association Thiessoise qui forme des centaines de femmes au microjardinage. Cette semaine d'échange était très enrichissante, notamment pour b.a-BA qui a découvert de nouvelles approches techniques. La coordinatrice est vraiment revenue enrichie de cette expérience et pourra en faire profiter le territoire de Cergy. Pour conclure je citerai le géographe Roger Brunet: « l'on se sauve d'autant mieux que l'on est "solidaire" des voisins et de la nature. De l'environnement au sens plein : nous et les autres, nos habitats et les leurs, nos cultures et les leurs. L'entretien de notre pré carré implique un regard sur l'ensemble du paysage ». n° HS automne 2017 l « pour mémoire » actes 75 Evolution des dynamiques des projets urbains en coopération : le rôle des acteurs et les sujets essentiels Pierre Jacquemot, président du Gret, professeur à Sciences Po Paris Le Gret (Professionnels du développement solidaire) est une des grandes organisations de solidarité internationale (OSI) françaises. Elle compte 770 experts, majoritairement en Afrique et en Asie. La ville est un de ses thèmes majeurs de travail, comme pour d'autres OSI réunies dans un collectif appelé Groupe Initiatives. Mon implication dans ces organisations vient compléter une expérience ancienne au titre de la coopération française dans divers pays. J'ai en particulier représenté la France à ONU-Habitat à Nairobi au début des années 2000. Avant de rentrer dans le vif du sujet, je souhaite apporter à notre débat trois précisions. Premièrement, le milieu des années 2000 a marqué un tournant dans l'histoire de l'humanité : la part des urbains dans la population mondiale a dépassé celle des ruraux et 50% des urbains vivent désormais dans des villes de plus de 500 000 habitants. L'origine des taux de croissance se répartit pour moitié entre croissance démographique interne à la ville et apports migratoires. Deuxièmement, les taux de croissance urbaine les plus importants touchent d'ores et déjà les villes de rang secondaire et la tendance à la prolifération de nouvelles petites agglomérations qui franchissent chaque année le seuil de l'urbain s'observe pratiquement partout, avec une intensité particulière depuis les années 1990. Se pose subséquemment la question de l'identification et de la reconnaissance de cette strate d'agglomérations, espace tampon ou interface entre l'hinterland et la mégapole, dans le processus de développement. Troisièmement, cette urbanisation est le moteur d'une réorganisation profonde de la vie et des rapports humains : séparation radicale, spatiale et temporelle du travail productif et de la vie sociale, parachèvement de la séparation, non moins radicale, de l'espace public et de l'espace privé, rationalisation d'un urba- nisme pris entre le vertige de la démiurgie sociale et la puissance de la réglementation étatique. De fait, la ville est un lieu paradoxal de déculturation par la perte de repère et d'acculturation par la densité des échanges et les contacts prolongés entre urbains et ruraux de diverses origines. Elle détruit et invente en même temps. Dans la majorité des actions des OSI, on retrouve trois grandes préoccupations. Il y a tout d'abord la recherche d'une connaissance fine des situations locales, des besoins, des capacités et du rôle des acteurs, notamment en matière de réhabilitation des quartiers précaires. Les enquêtes de terrain préalables aux conceptions de solutions supposent une méthodologie rigoureuse et adaptée. Ensuite, les OSI partagent la volonté de contribuer à l'équipement et à la gestion des réseaux de fourniture d'eau, d'assainissement, d'habitat ou d'énergie, dans un cadre qui favorise l'inclusion du plus grand nombre et « pour mémoire » l n° HS automne 2017 76 la pérennité du service. Enfin, il y a un soucis d'accompagnement des acteurs locaux dans la mise en place des cadres de concertation entre les acteurs clés, sans s'enfermer dans des modèles préconçus. J'ai par exemple travaillé au Ghana avec des chefs traditionnels dans un certain nombre d'opérations, ce qui constituait une source extrêmement riche d'informations et d'améliorations de la capacité de mise en oeuvre. Je voudrais ici développer cinq points qui structurent l'intervention du Gret en milieu urbain. d'assainissement, installation de bornes fontaines), ou d'opérations de restructuration de quartiers sur la base de redécoupages du parcellaire, impliquant des « recasements » partiels des habitants, nombreux sont ceux qui mettent l'accent sur une dimension trop insuffisamment prise en considération, à savoir l'accompagnement social. Les méthodes « coup de poing » (dites aussi de « déguerpissement ») laissent peu à peu la place à des approches qui engagent les habitants, sécurisent les occupations foncières, prévoient l'amélioration de l'habitat et l'accès aux équipements publics. Leur bonne exécution passe par des mécanismes de concertation, de participation et de gestion des conflits, avec des montages juridiques parfois inédits. Il y a cependant encore des contradictions très fortes à prendre en compte, car les quartiers informels sont très largement la conséquence directe de politiques urbaines encore majoritairement promues à l'échelle internationale. pertinent d'organisation des services urbains est celui qui associe étroitement quatre acteurs : L'État, qui dispose de la fonction de régulation, doit s'occuper des règles générales de tarification, de mise en concurrence, des normes de qualité, du respect de l'environnement; Les autorités locales doivent définir le niveau de service à atteindre et le choix du mode de gestion et de l'opérateur ; L'opérateur, qui bénéficie d'une délégation sous la contrainte d'un cahier des charges définissant ses obligations, doit assurer la mission d'exploitation du service sur une base professionnelle ; usagers/citoyens doivent exercer Les en amont une fonction dans la définition des besoins et en aval dans le contrôle et l'évaluation des résultats. L'entrepreneuriat privé n'est donc pas un mot tabou pour les OSI, tant qu'il est encadré d'un côté par la régulation de l'État ou de ses avatars locaux et de l'autre par le contrôle effectif des usagers et des contribuables. Requalifier la ville Comme le mentionnait Agnès Deboulet, la question de la reconnaissance de la réalité des quartiers non formels est essentielle. Lors de la création d'UNHabitat en 1978, le mot d'ordre était de faire disparaître les bidonvilles en développant des programmes de relogement. A présent, au lieu de démolir des zones d'habitat informel, la politique préconisée est celle des opérations de requalification (slum upgrading), de la réhabilitation in situ, du raccordement à l'eau, à l'assainissement et à l'électricité, des équipements scolaires, sans négliger par ailleurs de fournir davantage de ressources pour la construction de logements abordables. Qu'il s'agisse d'opérations de réhabilitation de quartiers précaires, avec des interventions d'envergure variable, visant à consolider l'existant (amélioration de la chaussée, mise en place d'un réseau n° HS automne 2017 Répartir les rôles Les contraintes de disponibilité, d'accessibilité et de pérennité des ressources incitent à mobiliser toutes les solutions, notamment l'implication des acteurs privés et associatifs, dans la fourniture des services de base, qui relève pourtant du service public. L'histoire dans la plupart des pays a montré l'échec des modèles d'opérateurs étatiques centralisés bureaucratiques, privilégiant des approches technicistes. Aujourd'hui un consensus semble émerger sur le fait que le cadre le plus Donner accès aux services essentiels par des moyens non conventionnels Le secteur de l'eau est un bon terrain d'observation. Dans les quartiers non couverts par les modes d'approvisionnement conventionnels, la fourniture de service repose sur les initiatives privées l « pour mémoire » 77 ou communautaires. Éparpillées, elles recouvrent une large palette de services allant du colportage d'eau à domicile à la gestion de mini-réseaux, en passant par l'exploitation de bornes fontaines. Ces initiatives sont parfois appuyées par l'action des ONG ou de la coopération décentralisée et se nourrissent de plus en plus de la diffusion des idées et des pratiques de « bonne gestion » : transparence des décisions, responsabilité collective de la gestion de la ressource, paiement de l'eau au volume consommé... On rencontre aussi de véritables entrepreneurs qui ont su construire des structures plus élaborées jusqu'à gérer des réseaux, en général sans aucune aide étatique, et parfois même sans autorisation des pouvoirs publics. Le cas des villes secondaires du Cambodge est intéressant. Aux côtés des agences d'Etat qui ne couvrent que 35% des besoins, il existe près de 3000 services dits « non conventionnels » de l'eau. Ce marché s'est organisé, l'offre se concentrant de plus en plus autour de 300 entrepreneurs privés atteignant une taille qui leur permet de fournir de l'eau à une population allant de 4000 à 20 000 ménages, de se doter de compétences techniques et financières et d'un contrôle technique qui les a transformés en opérateurs crédibles, et ce en dépit d'un environnement institutionnel risqué et incertain. L'expérience montre cependant que concéder de cette manière au secteur privé une place dans le marché de l'eau ne suffit pas pour assurer ni l'accès au plus grand nombre ni l'amélioration continue Borne fontaine au Mozambique © Banque Mondiale/Eric Miller des services. Presque partout, l'intervention publique reste centrale pour établir des normes adaptées, susciter des dynamiques de régulation et organiser la transition des acteurs privés ou associatifs vers des logiques de service public. Mobiliser des ressources financières nouvelles Les chiffres sont éloquents. Le budget de la ville de Ouagadougou (1,5 millions d'habitants) est égale à celui de Noyon (15 000 habitants) et à la moitié de celui de Rodez (25 000 habitants) en France. L'assiette de la fiscalité locale au Sud est loin d'être parfaitement et totalement exploitée. Dans les pays de l'ODCE, les municipalités collectent environs 10% de la valeur ajoutée produite sur le territoire. En Afrique, quand une ville produit 100 dollars, la collectivité n'en encaisse que 0,6. Le gisement potentiel est donc gigantesque. Les ressources des villes sont en général limitées aux taxes locales pour services rendus aux usagers (droits de place sur les marchés et les gares, utilisation des abattoirs) et aux taxes sur toutes les activités susceptibles d'être fiscalisées (taxis, « pour mémoire » l n° HS automne 2017 78 charrettes, spectacles, artisanat de production, distribution quelle qu'en soit la forme). Des possibilités importantes existent en matière de taxes foncières et immobilières qui constituent à de nombreux égards l'impôt « idéal » pour les villes. En effet, il s'agit d'impôts qui augmentent rapidement avec le niveau d'urbanisation, qui reposent sur des valeurs objectives, et qui sont progressifs, car le patrimoine est plus concentré que le revenu. Ces taxes pourraient être revalorisées, notamment dans les quartiers les plus aisés. impôts et d'accepter de nouvelles formes d'imposition s'ils perçoivent les bénéfices des dépenses publiques qui y sont associées, et donc considèrent les impôts comme légitimes. Les villes du Sud qui s'impliquent dans des démarches participatives construisent leur propre manière de procéder selon leurs caractéristiques particulières. Le Sénégal, où la participation citoyenne a été érigée en principe reconnu par la loi, connaît une expérience probablement parmi les plus innovantes avec la « certification citoyenne » pour la bonne gou- Séance de concertation municipale en Mauritanie © P. Jacquemot Construire la citoyenneté concrète L'efficacité des actions dépend très largement de la capacité des bénéficiaires à se prendre en charge. La question du renforcement de la citoyenneté urbaine, qui revient sur le premier plan avec la préparation d'Habitat III, est ressentie par chacun comme cruciale dans cette quête pour approfondir les méthodes et conduire à la réussite des projets. Les situations évoluent partout. Sous la pression de la société civile des démarches participatives s'installent progressivement. Les mises en place de « budget participatif » se sont multipliées dans plusieurs pays du Sud. La méthode accroît la transparence de la gestion municipale et cet avantage est essentiel. En effet, les contribuables sont plus susceptibles de payer leurs n° HS automne 2017 l « pour mémoire » 79 vernance mise en place par le Forum civil dans une soixantaine de collectivités locales volontaires. Il s'agit d'un instrument d'évaluation des performances qui repose sur un référentiel de 38 indicateurs mesurables autour de 5 critères (transparence, équité, efficacité, redevabilité et participation), évalué par un comité local de certification. Un label est ensuite délivré avec différents niveaux de performance, ce qui crée une émulation positive entre communes. Parmi les effets notables attendus, on escompte une réallocation des dépenses en faveur de la lutte contre la pauvreté, une augmentation des recettes fiscales et une réduction de la corruption due à la transparence des discussions budgétaires et à la surveillance plus active par la société civile des travaux engagés par les municipalités. Cette citoyenneté en construction ne peut donc pas être évaluée uniquement par sa dimension juridique. Elle doit plutôt être perçue comme un ensemble de pratiques, comme une fabrique urbaine à l'intersection des politiques publiques, des mobilisations de diverses natures (revendicatives, festives) et des expériences associatives des usagers, des résidents, des voisins, des consommateurs, des citoyens. du Nouvel agenda urbain qui sortira d'Habitat III. Premièrement, la ville ne correspond pas le plus souvent à la « cité » rêvée par les urbanistes, avec sa mixité sociale et fonctionnelle. Dans ce contexte, il est toujours nécessaire d'accomplir des efforts pour créer de nouvelles relations entre les municipalités et les citoyens. Deuxièmement, une véritable politique de la ville est indispensable afin de veiller à ce que les agglomérations soient vivables et durables, notamment en matière de densification urbaine, de qualité de vie, de nouvelles formes de mobilité, de mixité sociale, de qualité de l'air, de gestion des déchets, d'utilisation optimale de l'eau et de l'énergie ainsi que d'investissements générateurs d'emplois. Troisièmement, le maximum doit être fait pour réorienter les ressources publiques au bénéfice des plus démunis. Cet objectif suppose un devoir de diligence très fort tant au niveau de l'État que des collectivités locales. Cette exigence n'a à ce jour encore rien d'évident. Les plus démunis sont toujours perdants, exclus du droit à la ville, lorsqu'il n'existe pas de contre-pouvoir. Enfin, il est indispensable de reconstruire en permanence du lien social, de créer une « sociabilité rapprochée ». Il convient d'inventer une nouvelle culture citoyenne. Elle peut passer par l'élection, mais peut également emprunter d'autres modalités pour créer des acteurs légitimes et des porteurs de projets. « pour mémoire » Voilà les préoccupations et les démarches qui orientent l'action des organisations de solidarité internationale. Elles n'ont pas la prétention d'être universellement pertinentes. Les taux de réussite ne sont pas négligeables, mais les opérations connaissent aussi des échecs, sources d'enseignement. C'est par la « capitalisation participative », c'est-à-dire l'échange avec les bénéficiaires et le recul critique sur leurs pratiques, qu'elles améliorent leurs performances. Quelques pistes pour Habitat III et ses suites Par-delà la diversité des pratiques de terrain, je voudrais suggérer quatre pistes d'action pour la mise en oeuvre l n° HS automne 2017 80 Débat avec la salle Annik Osmont Je souhaitais apporter une précision au tableau qu'a brossé Jean-Fabien Steck. Elle n'est pas négligeable, car elle constitue une spécificité française, en particulier vis-à-vis des autres pays qui pratiquent la coopération. Chaque fois que nous vivons une alternance politique, nous assistons à la création et à la disparition d'organismes. Dans le domaine de la recherche en coopération, ce mode de fonctionnement a eu des conséquences très négatives, car ce type de travail s'inscrit dans un temps assez long. Par exemple, un appel d'offres de recherche a pu être supprimé du jour au lendemain, alors que son financement était prévu. Des actions de formation très importantes avaient été engagées par le ministère de la Coopération pendant les années 1980, à l'époque où il était question de résorber l'assistance technique. La formation étant très importante dans le domaine de la coopération, nous avions concentré les efforts sur l'enseignement supérieur. Par exemple, dans mon établissement, l'Institut français d'urbanisme, nous avions créé deux écoles d'urbanisme, à Dakar et Lomé. Ces actions étaient extrêmement importantes car elles introduisaient des habitudes de meilleur équilibre entre les chercheurs ou experts français et leurs homologues africains. Cette fois encore, les écoles d'urbanisme ont été supprimées du jour au lendemain, à l'exception de celle de Lomé. tion de La Rochelle a l'expérience d'un certain nombre de coopérations avec l'Indonésie et le Mexique. Je confirme à Élise Garcia que la part du soutien du ministère des Affaires étrangères est assez faible. En fait, il n'apporte son soutien, à hauteur de 25 % en général, quelquefois plus, qu'à concurrence du numéraire que nous investissons dans le partenariat de coopération avec une collectivité. Or, l'expertise elle-même, détenue par certains de nos techniciens municipaux, par des ONG, par des laboratoires universitaires ou par des entreprises implantées sur notre territoire, est ce qui compte le plus en termes de coût et d'échange de savoirs. Lorsque nous remettons une offre, la part du non-numéraire est limitée à 10 %. Nous pensons, quant à nous, qu'il représente plutôt 60 % du coût, par rapport à 40 % qui sont en numéraire. Je souhaitais simplement apporter ce témoignage très concret. Par ailleurs, nous parlions précédemment des conflits qui peuvent exister entre les différents modèles de développement urbain. Cette approche pourrait être celle d'un acteur qui détiendrait une forme de modèle, par exemple une agence d'urbanisme. En revanche, dans la relation plus pragmatique entre deux collectivités, les interactions se développent plus simplement. Il ne viendrait à l'idée d'aucun de nos techniciens de venir donner la moindre leçon à un partenaire sur un modèle qui appartiendrait à La Rochelle. En adoptant une approche marquée par davantage d'humilité, nous pouvons susciter un échange qui soit également bénéfique pour notre territoire. Cela fait partie de ce que nous recherchons lorsque nous choisissons un partenaire. Dans la durée normale d'une coopération, qui à mon sens, pour obtenir des résultats, devrait atteindre dix, quinze voire vingt ans, nous estimons que nous bénéficierons à terme d'un retour sur investissement qui justifiera en partie notre apport en numéraire et en technicité. Agathe Euzen Dans la continuité de la réflexion sur la recherche, je voulais juste mentionner que le CNRS a lancé, l'an dernier, une prospective urbaine. Il souhaite s'interroger, par rapport à l'ensemble des problématiques sociétales et scientifiques, sur la recherche fondamentale et appliquée à mettre en oeuvre pour répondre aux enjeux auxquels nous serons confrontés dans dix ans. Éric Huybrechts Le Nouvel agenda urbain sera adopté dans les premiers jours de la conférence. Il présente des orientations très intéressantes sur la façon d'envisager la ville pour demain. Néanmoins, en termes d'engagements pour l'avenir, il se contente d'annoncer une évaluation d'ONU-Habitat qui servira de base aux décisions prises à l'occasion de la prochaine Assemblée Générale de l'ONU. En conséquence, nous ignorons dans quoi nous nous engageons en termes de mise en oeuvre, malgré le travail accompli par Maryse Gautier depuis deux ans et par la Campagne urbaine mondiale depuis cinq ans. Le document Michel Sabatier Je souhaite réagir de façon très pragmatique. La communauté d'aggloméran° HS automne 2017 l « pour mémoire » 81 est un peu décevant de ce point de vue. Il signifie que l'enjeu est devant nous. Que construirons-nous, en termes de coalitions et de regroupements, sur la base des orientations d'Habitat III ? Puisque nous bénéficions dans cette salle d'un panel intéressant de collectivités locales, de banques de développement et d'ONG, j'ai envie de poser la question suivante. Quelles sont les perspectives de nouveaux engagements que vous inspirent les orientations fixées dans le Nouvel agenda urbain ? intervenir en tandem. Comme chacun sait, il à participé de près à l'histoire de la coopération française sur les questions urbaines. Je l'ai compté comme collaborateur durant de nombreuses années. Il vous aurait dit comme moi que l'année 1998 a constitué une date charnière, avec la disparition du ministère de la Coopération. Dès lors qu'il n'existait plus d'administration dédiée, les activités de la direction générale du ministère des Affaires étrangères dans le domaine urbain sont devenues relativement résiduelles. A l'époque, j'étais directeur. Je comptais dans mes équipes non seulement des ingénieurs des ponts et chaussées détachés du ministère de l'Equipement, mais également beaucoup d'architectes. Cette histoire de la coopération a également été écrite par eux et par des urbanistes. Anne Odic Je ne pense pas qu'il nous revienne de répondre. Je laisserai Henry de Cazotte vous fournir des éléments tout à l'heure. Néanmoins, il existe déjà une convergence de vues. Nous la constatons également sur le terrain. Nous voyons dans quelle direction nous devrions aller pour un développement urbain durable, même si le but est loin et que nous manquons de moyens. Ce Nouvel agenda urbain en témoigne un peu. Je conviens que tout reste à faire. Néanmoins, il est utile de formuler les idées, d'en débattre, de préciser le rôle de l'Etat, de la collectivité et des populations dans la construction d'un agenda urbain durable. En restant optimiste, il est permis de penser que cette démarche contribue à mettre en place des éléments pour aboutir. Pierre Jacquemot Je souhaite revenir sur la question des alternances. Xavier Crépin devait être parmi nous aujourd'hui, nous devions « pour mémoire » l n° HS automne 2017 82 actes Conclusions de la journée Habitat III en perspectives Henry de Cazotte, représentant spécial pour Habitat III, ministère des Affaires étrangères et du Développement international La ville au coeur de l'agenda international La conférence Habitat III, qui aura lieu dans moins d'un mois à Quito, est tout à fait particulière. Elle intervient après la négociation par l'ensemble de la communauté internationale pendant cinq ans d'un nouvel agenda universel pour le développement durable, appelé « Agenda 2030 », et qui porte un nouveau regard sur les rapports nord-sud. Il affirme que nous sommes tous confrontés aux mêmes enjeux, aux mêmes difficultés, aux mêmes responsabilités vis-à-vis de l'avenir de notre planète. Avec 10 milliards d'habitants dans vingt ans, nous ne pouvons plus vivre comme il y a vingt ou quarante ans. La question urbaine a un tel impact global sur le monde qu'il était de notre devoir de l'intégrer dans cet agenda du développement durable. La ville est un n° HS automne 2017 vecteur de solutions. Avec ce Nouvel agenda urbain, sur lequel l'ensemble des Etats sont désormais tombés d'accords, nous avons essayé de construire un message en ce sens, avec Maryse Gautier et sa collègue équatorienne qui ont co-piloté le processus durant presque deux ans. Cette tâche n'était pas aisée à accomplir puisqu'elle réunissait 193 pays. Certaines collectivités locales disent que nous avons reculé. J'ignore si tel est le cas, mais quoi qu'il en soit, nous nous sommes efforcés de produire un document qui n'est pas, contrairement à ce que j'ai pu entendre, un regard du nord vers le sud. Au contraire, il s'agit d'un regard négocié par tout le monde. Les Africains, les Indonésiens, les Brésiliens ou encore bien d'autres ont eu autant de place que les partenaires européens et leur vision prétendument vertueuse. Notre modèle n'est pas nécessairement le meilleur, et je rappelle d'ailleurs que nous éprouvons quelques difficultés pour régler certains problèmes dans nos villes. Je suis confiant car les circonstances sont favorables. 2015 constitue en effet une date charnière pour la ville. Comme je vous le disais, l'an dernier, nous avons réécrit une définition internationalement partagée du développement durable avec l'agenda 2030 et l'accord de Paris sur le changement climatique. Nous avons traité de la gouvernance, du rôle des acteurs, de l'importance de la société civile et des alliances entre acteurs. Il me semble que l'ensemble de ces avancées a été pris en compte par les décideurs. Les avancées du Nouvel agenda urbain Le regard que propose le Nouvel agenda urbain sur la pauvreté me semble important : « Leave no one behind », comme le dit le texte. Si nos villes ne sont pas conçues pour réduire la pauvreté et les inégalités, c'est que nous faisons fausse route. Il est impossible de développer une approche de l « pour mémoire » 83 planification intelligente sans maintenir cet objectif en substance. C'est en tout cas ce que disent nos dirigeants qui ont adopté cet agenda. A mes yeux, un autre motif de confiance réside dans l'engagement de la société civile. Celui-ci est aujourd'hui globalement extrêmement fort, au niveau mondial comme au niveau local. En France en revanche, je ne suis pas persuadé que cette volonté soit si forte, tant la société civile est parcellisée. Il est difficile de comprendre pourquoi elle n'est pas aussi bien structurée que dans d'autres pays. Ce matin, je rencontrais des acteurs chinois de l'eau. Leur politique est en train de changer radicalement. Elle est poussée par un réseau de milliers de citoyens qui mesurent quotidiennement, avec leurs téléphones intelligents, la qualité de l'eau à la sortie des villes, des usines et des exploitations agricoles. Or, en France, nous comptons probablement autant d'associations de défense de la qualité de l'eau que de municipalités. Une véritable révolution de la société civile est en train de se produire à l'échelle mondiale. Grâce à elle, cet agenda urbain et ces objectifs du développement durable pourront réellement se mettre en oeuvre. Dans le Nouvel agenda urbain, nous avons également intégré la question financière. Nous avons réalisé un effort considérable pour affirmer que les problèmes de financement sont au coeur du sujet. Il a été fait référence dans les échanges d'aujourd'hui à la situation de l'Afrique subsaharienne. Cette question est désormais vraiment posée et nous pouvons espérer trouver des solutions. Le Président de la Banque mondiale était il y a peu à Paris et a traité du sujet avec le directeur général de l'AFD. Les stratégies des grandes banques de développement international vis-à-vis de l'autonomisation financière des villes ne sont pas encore à la hauteur de la situation actuelle, mais c'est un challenge qu'elles vont désormais tenter de prendre à bras le corps. Il convient également de parler des initiatives du sud et du dynamisme de certains responsables urbains. Nous nous sommes rendus à Surabaya avec Maryse Gautier, où nous avons rencontré la mairesse, une personnalité incroyable. Elle est à l'origine d'initiatives que j'aimerais bien reproduire en France. Il en va de même à Medellín, à Hô-Chi-Minh-Ville, à Libreville, à Johannesburg, à Dakar ou dans certaines grandes villes brésiliennes. Ces leaders locaux ont une telle capacité de décision, d'encouragement et de rassemblement autour de nouvelles politiques urbaines, que les progrès peuvent parfois s'avérer beaucoup plus rapides qu'escomptés. Le responsable chinois que j'ai rencontré ce matin m'a parlé de l'initiative des « Sponge Cities ». Leur objectif consiste à absorber l'eau. Moi qui vis dans le Gard, je peux vous assurer que personne n'y connaît ces initiatives. Nous aurions pourtant bien besoin d'absorber l'eau qui vient détruire notre environnement au moment des épisodes cévenols, ces fortes précipitations du mois de septembre. Quelques marges de progrès Je pense donc que nous sommes en présence de multiples signaux positifs. Vous avez aujourd'hui également soulevé un certain nombre de questions plus inquiétantes ou plus difficiles. Dans quelle mesure les pays en voie de développement auront-ils la capacité d'assumer l'accélération de cette urbanisation massive ? Les enjeux sont tels que nous ignorons s'il nous sera possible de progresser. Il existe également des obstacles et même des résistances en termes de gouvernance, de décentralisation, de ressources humaines ou de reconnaissance citoyenne. Il reste ainsi beaucoup à faire dans un certain nombre de pays. Un autre sujet d'inquiétude concerne le jeu des acteurs. Vous l'avez examiné pendant cette journée. Le secteur privé peut-il être vertueux ? La ville est produite essentiellement par le secteur privé et non par le secteur public. Paris a été produite au XIXè siècle par les frères Pereire, par des financiers, par la monétarisation du foncier. Bien sûr, les pouvoirs publics agissent, mais les acteurs privés jouerontils le jeu de cette ville durable ? Le sujet de leur association à ces travaux, aussi bien les bâtisseurs, les promoteurs que les financiers et tous ceux qui agissent dans la construction urbaine, est important. Il me semble que le Nouvel agenda urbain a peut-être échoué sur ce point, car il n'a pas su nouer un dialogue approfondi avec le secteur privé pour le rendre acteur de cette discussion et de « pour mémoire » l n° HS automne 2017 84 ces transformations. En vous écoutant, je me suis également interrogé sur une certaine forme de conformisme. Nous reproduisons souvent les mêmes modèles sans vouloir voir les difficultés qui peuvent se présenter. J'ai aussi entendu mentionner aujourd'hui le terme de « flexibilité ». Il signifie qu'il n'existe désormais plus de solution unique. Les démarches de planification doivent être souples et se pénétrer du substrat avec lequel elles opèrent. La réalité n'est évidemment pas la même à Porto-Novo et à Hô-Chi-MinhVille. Chaque culture, chaque société est différente. Peut-être est-il nécessaire de créer un nouveau concept, qui ne s'inscrive pas dans une démarche rationnelle d'ingénieur, mais dans une attitude qui se modèlerait davantage sur la société et sur ses acteurs ? Cette approche décrirait davantage un processus qu'une solution unique. J'aspire à ce que notre pays soit le plus actif possible sur ce point. Nous avons également entendu dire qu'il existe une offre de l'AFD, qui permet de financer cette action internationale en matière d'urbain. Nous devons saisir cette opportunité pour la pousser dans ses « retranchements », afin qu'elle soit le ferment de la créativité et de l'engagement, de l'ouverture et des partenariats. Cela est d'autant plus nécessaire qu'elle implique maintenant la Caisse des dépôts et consignations, dans le cadre d'un rapprochement potentiellement riche, et donc l'implication de l'ensemble des territoires français. Cette évolution inédite est extrêmement intéressante. pourquoi il serait nécessaire d'organiser un événement Habitat IV. Je n'ai pas posé cette question par provocation mais simplement parce que je n'estimais pas nécessaire d'attendre vingt ans pour nous réunir à nouveau. Vous n'avez en effet cessé aujourd'hui d'évoquer l'accélération galopante de l'urbanisation. Il serait donc pertinent que nous nous rencontrions plus souvent. Les Objectifs de développement durable ont une clause de rendez-vous dans quinze ans. Toutefois, d'ici là, nous nous réunirons trois fois, pour que la France présente à New York ses avancées sur l'ODD n°11, dédié à la ville. Entre aujourd'hui et 2030, ces trois moments, mais aussi les forum urbains mondiaux, nous permettront de faire le point. Je fais désormais partie des anciens puisque j'avais suivi de loin la conférence Habitat I à Vancouver en 1976. J'espère que vous me convierez à Habitat IV dans vingt ans. Ce clin d'oeil me permet de souligner qu'il existe un formidable gisement d'emplois et d'innovations dans le domaine dont nous avons parlé aujourd'hui. Il concerne des métiers mariant à la fois l'ingénierie, la sociologie, la géographie, l'agronomie, etc. La ville constitue l'espace de déploiement de toutes les initiatives pour la jeunesse qui entre aujourd'hui sur le marché du travail. J'encourage les plus jeunes à agir dans ce sens. La France et le Nouvel agenda urbain Comment la France doit-elle agir ? Avec nos compétences, avec les initiatives que nous avons menées et l'offre qui existe, il me semble que nous pouvons être à l'avant-garde de la mise en oeuvre de ce Nouvel agenda urbain. Il nous revient, en réseau avec d'autres acteurs étrangers, de construire ces solutions de demain. Nous devons bien sûr accomplir cette tâche avec nos valeurs, notre respect de la chose publique et de l'intérêt général, nos spécificités et nos compétences en matière de smart city, de partenariat public-privé, de modèles de logement social, de relations villecampagne, de contractualisation et de planification. Nous sommes d'excellents coopérants internationaux, avec un véritable appétit pour les relations internationales. Cela peut nous permettre de construire des plateformes d'expertise à même de tirer la meilleure substance du sud pour l'introduire dans un regard universel. On vient à ce propos de nous annoncer la naissance d'un réseau mondial des agences d'urbanisme, initiative que je salue. Nous possédons également une capacité d'innovation à valoriser sur les questions urbaines. n° HS automne 2017 Vers un Habitat IV ? Une conférence Habitat IV aura-t-elle lieu ? Lorsque nous avons négocié le dernier paragraphe du Nouvel agenda urbain avec Maryse Gautier, j'ai demandé l « pour mémoire » 85 DOSSIER Coopération urbaine et circulations transnationales « pour mémoire » l n° HS automne 2017 86 dossier À la croisée des routes intermunicipales Réseaux de villes et configurations circulatoires (1913-2013) Renaud Payre, professeur de science politique, Institut d'études politiques de Lyon, laboratoire Triangle (UMR 5206 CNRS) Cela fait cent ans que les municipalités de différents pays créént des regroupements et des associations pour systématiser leurs contacts, qui avaient bien évidemment commencé auparavant sous d'autres formes (correspondances, voyages d'étude, lectures), et qui continuent aujourd'hui à exister selon des modalités diverses. Cent ans que des groupements cherchent non seulement à défendre des intérêts urbains auprès des pouvoirs publics nationaux et internationaux, mais également à procéder à des échanges de savoirs, d'initiatives, de politiques entre ville et tentent ainsi de défendre une régulation intermunicipale ne passant plus uniquement par les États-nations. Cent ans d'activités, de questions, de débats, d'organisation au sein de groupements ébauchés à la fin du XIXe siècle, mais qui ne prennent une tournure permanente qu'en 1913 à Gand (Belgique). Les propos qui vont suivre s'inscrivent dans la lignée d'un ensemble d'enquêtes n° HS automne 2017 socio-historiques. Ces études souhaitent repérer le travail d'institutionnalisation des réseaux de villes, réseaux qui voient le jour dès la fin du XIXe siècle1-2 . En rétablissant une épaisseur historique des réseaux, en les isolant comme objets d'études, une nouvelle grille de lecture s'impose. Le réseau est bien saisi comme une configuration : il repose sur des initiatives de quelques villes, départements ou régions, sur des relations entre ces différents acteurs territoriaux. Les motifs d'engagement dans ces réseaux sont divers et reposent soit sur des stratégies politiques des représentants, soit sur des recherches de ressources cognitives (une forme d'expertise), soit également sur des recherches de ressources matérielles (atteindre Bruxelles pour bénéficier de financements européens). Par un effet d'agrégation, le réseau gagne en autonomie et pèse ­ à travers des ressources comme des contraintes ­ sur ces relations, voire sur le gouvernement des villes ou des territoires3 . Cette attention portée aux réseaux prolonge une analyse des formes de circulations transnationales d'acteurs, d'idées, de ressources. Le réseau est vu comme une institution établissant des connections. Une telle configuration repose sur l'existence d'un groupe d'acteurs individuels et collectifs qui investissent du temps, de l'énergie et des ressources dans l'établissement et l'entretien de connexions destinées à faire circuler des objets. Il s'agit de repérer qui sont les acteurs centraux de ces espaces de circulations et, par une analyse de réseaux, de proposer une étude des trajectoires de ces acteurs en repérant à la fois leurs Annuaire d'histoire administrative européenne, « Formation et transfert du savoir administratif municipal », 15, 2003 (ed : Nico Randeraad) 2 Contemporary european history, "Municipal Connections : Co-operation, Links and Transfers among European Cities in the Twentieth Century", 11(4), 2002 (ed : Pierre-Yves Saunier) 3 R. Payre, "The Importance of Being Connected: City Networks and Urban Government. Lyon and Eurocities (1990-2005)", International Journal of Urban and Regional Research, 2010/2, pp.260280 1 l « pour mémoire » 87 ressources sociales, leur formation, leur carrière et leur position politique. Ces espaces transnationaux reposent sur l'investissement d'acteurs de différentes nationalités qui d'ailleurs évoluent au gré des moments historiques. Ils s'appuient également sur l'accord de ces acteurs autour d'un langage et d'un projet politique communs. C'est bien la question du contenu des échanges qui est ici pointée. Trois configurations nous semblent devoir être dégagées : la première, internationaliste, est centrée sur la municipalité comme espace de transformation sociale et politique (des années 1900 aux années 1930) ; la deuxième est orientée vers le monde bipolaire et fait de la ville un vecteur de l'ordre international (des années 1940 aux années 1970) ; la troisième enfin fait de la ville un rempart à la globalisation (depuis les années 1980). délégations composées d'élus, d'employés et d'agents techniques qui se rendent dans d'autre villes, bien souvent dans des pays étrangers. C'est le cas en France. C'est également une pratique très largement diffusée au sein des municipalités d'Europe du Nord qui multiplient dès les années 1870 les enquêtes à l'étranger, participent à des congrès et à des expositions et créent ainsi un réseau transnational de compétences municipales 4-5 . L'ambition de ces déplacements est l'acquisition et l'application de nouvelles connaissances et la mise en place d'innovations dans les secteurs de la vie urbaine les plus divers. Le premier âge est un âge réformateur : une véritable « toile municipale » s'organise avec la création de l'Union internationale des villes en 1913 à Gand 6-7 qui, au nom de l'autonomie des villes, cherche à imposer une administration du monde par les municipalités interventionnistes. Ces réseaux reposent en partie sur une matrice socialiste : un socialisme internationaliste et municipaliste. C'est effectivement en 1913 et en marge de l'Exposition universelle que se tient le premier congrès international des villes. Ce congrès est orienté vers l'étude et la transformation de la vie municipale urbaine. Les organisateurs de cette manifestation figurent parmi les animateurs de la société bruxelloise internationaliste des premières décennies du siècle, et interviennent sur différentes scènes de la capitale belge : le Parti ouvrier, la franc-maçonnerie, les sciences sociales naissantes et l'activité internationaliste dans le domaine technique et savant (notamment à partir de l'Institut International de Bibliographie). Dans tous ces domaines, on perçoit la même volonté : dépasser l'organisation nationale comme unique cadre de l'action publique. L'Union internationale des villes, qui naît de ce congrès, poursuit quatre objectifs qui rejoignent ce projet : représenter les idées et les intérêts en matière municipale, mettre en rapport les administrations communales de divers pays, leur offrir des services d'utilité commune et enfin étudier la vie municipale. L'ambition est bien de développer une connaissance approfondie de la ville saisie comme un tout car « tout est dans la ville ». Ses artisans partagent un constat : le XIXe siècle a connu une urbanisation sans précédent. La cité serait « devenue un centre où s'exercent et s'amalgament toutes les activités de l'homme moderne » (1er congrès international des villes) 8 , de l'éducation au travail en passant par l'assistance et l'économie (notamment via les régies municipales directes ou semi directes). Ces mutations, pensent-ils, exigent une mise en commun des savoirs, M. Hietala, « La diffusion des innovations : Helsinki 1875­1917 », Genèses, 10, 1993, p.74­89 5 M. Hietala, "Transfer of German and Scandinavian Administrative Knowledge : Examples from Helsinki and the Association of Finnish Cities, 1870-1939", Yearbook of European Administrative History, 2003 6 P.-Y. Saunier, « La toile municipale au XIXe-XXe siècles : un panorama transnational vu d'Europe », Urban History Review, XXXIV (2), 2006 7 R. Payre, Une science communale ? Réseaux réformateurs et municipalité providence, Paris, CNRS Ed., 2007 8 Ibid. « pour mémoire » 4 Age 1 : Naissance de la toile intermunicipale (des années 1900 aux années 1930) Lorsque les premiers réseaux internationaux se forment, les circulations intermunicipales ont déjà une histoire qui remonte en grande partie à la fin du XIXe siècle. On peut penser aux voyages d'études municipales, c'est-à-dire aux l n° HS automne 2017 88 des expériences et des revendications. Le congrès fondateur de l'Union internationale des villes réunit des acteurs aux intérêts variés (élus, fonctionnaires d'Etat, employés municipaux et universitaires). La ville, dans sa totalité, leur paraît cristalliser l'ensemble des « problèmes » qu'ils avaient identifié auparavant. Ces hommes s'investissent dans la recherche de nouvelles manières de penser les possibles réformes urbaines, armés de la conviction que c'est par la cellule urbaine, conçue comme un tout à la fois sur le plan historique, sociologique et économique, que pourra être menée une réforme sociale internationale pour laquelle ils oeuvrent depuis quelques décennies. L'activité de l'Union va souffrir du premier conflit mondial. Il faut attendre 1924 pour que les édiles, essentiellement européens, se réunissent à nouveau lors du deuxième congrès international des villes d'Amsterdam. Les congrès se succèdent ensuite à un rythme relativement régulier : à Paris en 1925, à Séville et Barcelone en 1929, à Londres en 1932, à Berlin et Munich en 1939. Des conférences intermédiaires ont lieu en 1930 à Liège et Anvers, à Lyon en 1934, à Paris en 1937 ou encore à Glasgow en 1938. L'Union internationale des villes cherchera à deux reprises à obtenir la reconnaissance de la Société des Nations (SDN). En 1924-1925, elle tente ainsi d'y faire reconnaître la doctrine de l'intermunicipalité offrant aux villes la possibilité de nouer des relations internationales officielles. Après un premier refus de la part des Etats, les principaux responsables de l'Union n° HS automne 2017 internationale des villes se mobilisent à nouveau au moment où la conférence économique internationale, organisée en 1927 par la SDN, décide de créer un conseil économique permanent. Il s'agit d'y obtenir un siège pour mieux représenter les communes. Les dirigeants s'appuient sur un argument avancé dès 1924 : les communes sont les principaux entrepreneurs, employeurs et consommateurs dans les pays industrialisés. Cette fois encore, la démarche n'aboutit pas. Cette configuration circulatoire réformiste est donc marquée par des hommes venus du parti socialiste et épris d'internationalisme et de municipalisme. Le projet utopique « administrer le monde par la municipalité » se transforme petit à petit en objectif de plus en plus technique. Le réseau devient un vecteur d'échanges de bonnes pratiques en matière de gestion municipale. L'Union internationale des villes est par ailleurs un des réseaux de consolidation de la science de l'administration publique. devient concurrentielle à partir de 1951 avec la création du Conseil des communes d'Europe qui se distingue de l'ambition réformatrice des premiers réseaux de villes. L'Union internationale des villes poursuit quant à elle ses activités. L'association a, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, adopté un rôle d'expert municipal et de détenteur de connaissances techniques sur la ville. Ce rôle se construit en partie dans les interactions que les responsables de l'Union parviennent à créer avec de nouveaux interlocuteurs internationaux, et notamment dès août 1947 à travers l'obtention d'un statut consultatif officiel au sein du Conseil Économique et Social de l'Organisation des Nations Unies (ECOSOC). D'autre part, dans le contexte de l'après Seconde Guerre mondiale, le mouvement fédéraliste européen joue un rôle déterminant. En 1950, Adolphe Gasser (historien suisse et théoricien du fédéralisme), accompagné de Jean Bareth (membre de « la Fédération »), propose au cours d'une réunion à Seelisberg la création d'un Conseil des communes d'Europe. Il est finalement créé en juillet 1951 par des édiles français, allemands, suisses et italiens. Ce mouvement, qui s'avère être un concurrent direct de celui animé par l'Union internationale des villes, semble se distinguer nettement de l'idéal réformateur poursuivi depuis 1913. L'enjeu des fédéralistes est moins de perfectionner l'organisation municipale et de transformer le gouvernement des villes que de promouvoir l'idée d'une fédération Age 2 : les réseaux de villes dans un monde bipolaire (des années 1940 aux années 1970) Le deuxième âge est celui de l'après Seconde Guerre mondiale. De fait au niveau international, la toile municipale l « pour mémoire » 89 européenne, en sollicitant l'appui des administrations communales et surtout de l'ensemble des élus locaux. Après la Seconde Guerre mondiale, l'Union Internationale des Villes, définitivement renommée International Union of Local Authorities (IULA), est plus présente dans les pays scandinaves et d'Europe du Nord. Elle reste une association de maires urbains plus préoccupés par la diffusion des innovations techniques et administratives que par la structuration d'échanges politiques. Deux éléments doivent être avancés pour mesurer les transformations de la toile intermunicipale. Premièrement, on relève une mobilisation des élus locaux sur les enjeux internationaux. Des années 1950 à la fin des années 1970, le trait commun à toutes ces organisations (le CCE, l'Union internationale des maires pour le rapprochement franco allemand créée en 1947, ...) est d'être structurées par des militants politiques. La plupart des permanents sont membres de partis ou élus locaux. D'ailleurs ­ et c'est particulièrement vrai en France ­ les principaux partis créent à cette époque leurs propres associations d'élus locaux qui n'hésitent pas à développer des relations internationales. On peut d'autre part relever les effets des clivages politiques nationaux ­ voire internationaux ­ sur les associations d'élus et de municipalités. L'Association des maires de France connaît ainsi en 1947 une profonde crise liée au départ des élus municipaux communistes suite à l'évolution des alliances nationales. Deuxièmement ­ et c'est lié - c'est bien l'ordre international qui préside à la constitution de ces nouveaux réseaux. Le conseil des communes est, à ce titre, avant tout guidé vers la construction européenne (par les municipalités). Les réseaux sont également traversés par des conflits propres à la guerre froide. On le saisit particulièrement autour de la question des jumelages qui donnent lieu à des associations non seulement concurrentes mais aussi aux orientations politiques antagonistes 9 . Ainsi des instances nationales ­ partis politiques voire gouvernements ­ font des réseaux de villes des outils de légitimation de positions dans un monde bipolaire. Après la Seconde Guerre mondiale, c'est cette fois le gouvernement fédéral états-unien qui encourage les municipalités américaines à prendre part aux groupements internationaux : il attend d'elles qu'elles contribuent aux activités d'assistance technique vers les pays du Sud dans le cadre du Point IV program du président Truman, puis sous la présidence d'Eisenhower qu'elles jouent leur rôle dans la `people to people' diplomacy. On retiendra que cette configuration circulatoire est marquée par une concurrence des réseaux de villes de plus en plus marqués par la guerre froide et la construction d'un ordre international. On peut ainsi pointer la politisation de ces réseaux et leur volonté d'asseoir un discours davantage politique que celui porté à la veille de la Seconde Guerre Mondiale. Parmi les outils de construction des liens intermunicipaux, les relations bilatérales vont connaître un réel engouement à cette période à travers la pratique des jumelages, au nom notamment d'ambitions pacifistes et bien souvent fédéralistes. C'est là « l'invention d'une tradition communale » qui marque les relations intermunicipales pendant une quarantaine d'années10 . Age 3 : la désindustrialisation et la compétitivité territoriale (depuis les années 1980) Il est frappant de voir l'importance des réseaux intermunicipaux dans des périodes de crise économique. C'est vrai pour l'entre-deux-guerres comme pour la période qui commence dans la décennie 1980. C'est particulièrement net pour les villes britanniques dans lesquelles c'est la désindustrialisation qui conduit durant les années 1980 les élus municipaux et les responsables économiques à adopter de nouvelles stratégies économiques. Très concrètement, il s'agit de diversifier les activités, de s'orienter vers des activités de services, vers la confection d'une nouvelle image de la ville, et de trouver pour cela des ressources financières que les gouvernements conservateurs n'accordent A. Vion, La constitution des enjeux internationaux dans le gouvernement des villes françaises (1947-1995), Thèse de doctorat de science politique, Université Rennes 1, 2001. 10 Ibid. 9 « pour mémoire » l n° HS automne 2017 90 pas. Ce travail de production d'une nouvelle image de la ville est entrepris précocement par les Chambres de commerce puis par les élus qui s'investissent à l'international, notamment au niveau européen. Birmingham est une ville qui symbolise cette motivation économique d'engagement dans les réseaux internationaux : ses représentants jouent un rôle fondamental dans la création du réseau Eurocities, et s'appuient en parallèle largement sur les financements de la Commission Européenne pour transformer leur ville. La participation aux associations internationales de municipalités peut donc fournir des ressources. Le troisième âge est donc lié à la désindustrialisation. Les villes s'engagent dans un processus d'internationalisation notamment pour des raisons économiques et les principaux réseaux qui se structurent le font au nom du développement économique. C'est le cas du Club des eurométropoles (qui repose sur les chambres de commerce et notamment celle de Bordeaux) et d'Eurocities. La toile municipale ­ ou l'espace de circulations pré-existant ­ est ainsi investie par de nouveaux enjeux. En 1986, à Rotterdam, une réunion consacrée aux villes comme moteurs de la croissance en Europe a été le foyer de ce dernier réseau, Eurocities, qui repose en grande partie sur ces traditions intermunicipales. Le réseau des villes fondatrices s'appuie en effet sur des jumelages existants. Lyon est ainsi sollicité notamment pour la rencontre de Rotterdam de 1986 et surtout pour la conférence de Barcelone en 1990 en raison des relations bilatérales nouées et entretenues avec Francfort et Birmingham. n° HS automne 2017 Les années 1980 sont par ailleurs marquées par la multiplication des réseaux de villes ou de régions avec par exemple le réseau Métropolis ou encore, en 1985, l'Assemblée des régions d'Europe. Des réseaux plus thématiques défendant des intérêts sectoriels se structurent comme le réseau des villes éducatrices (initié par Barcelone), Luci (pour les villes Lumières), Délices, etc. On pourrait également évoquer la création en 1977 de l'autre côté de l'Atlantique du réseau Partners for Livable cities. Dans ce mouvement, il faut repérer en quoi les réseaux deviennent des instruments de promotion des villes. D'autres réseaux se forment autour d'enjeux davantage politiques. Les municipalités cherchent à s'emparer de nouvelles compétences et le réseau devient un outil de captation de telles compétences. Les États-Unis de Ronald Reagan voient des municipalités s'opposer à l'administration républicaine via une diplomatie locale. Cette politique municipale étrangère vise à défier les politiques nationales d'armement nucléaire, de défense civile, de relations avec les régimes révolutionnaires, de réception et d'accueil des réfugiés, de protection sociale. Les municipalités proposent une alternative politique à l'échelle globale, et elles le font à travers des congrès et des réseaux : la First International NFZ (Nuclear Free Zone), Local Authority Conference en 1984 ou encore le World Congress of Local Governments for a Sustainable Future organisé, en 1990, à New York et rendu possible par le Programme des Nations Unies pour l'Environnement et IULA11 . Nous retiendrons principalement deux choses de cette configuration circulatoire. Premièrement, un espace concurrentiel de la représentation des intérêts territoriaux se structure à partir des années 1980. Les réseaux de villes se multiplient à cette période et ce jusqu'à la fusion d'une partie d'entre eux sous le nom de Cités et gouvernements locaux unis en mai 2004. À Londres en 2005, les représentants de plusieurs mégapoles se réunissent pour prendre position sur la question du changement climatique, et fondent le Cities Climate Leadership Group (C40) en 2006. Deuxièmement, à travers ces réseaux, il est acquis que les villes sont davantage en mesure de faire face à la globalisation que les gouvernements nationaux. Autrement dit, les villes ­ soit comme moteurs de la croissance économique, soit comme sujets exposés aux effets de la crise ­ sont capables de construire une mondialisation distincte. A bien des égards, cette troisième configuration ­ dans un tout autre contexte international et économique ­ semble ressembler à la première tout en mobilisant des éléments de la deuxième. Le changement passera par les villes ­ même s'il n'est pas question de dépasser le néolibéralisme comme le souhaitaient les réformateurs du début du siècle. Mais les villes doivent proposer un ordre mondial plus juste tant sur le plan économique que politique ou climatique. 11 W. Magnusson, The search for political Space, Toronto, University of Toronto Press, 1996 l « pour mémoire » 91 En guise de conclusion, un programme : les réseaux comme grille d'analyse Le réseau est à la fois un objet et un point de vue scientifique. Les réseaux de villes permettent de saisir la circulation et la diffusion d'orientations et d'instruments de politiques publiques. Autrement dit, il s'agit de revenir sur l'importance des circulations intermunicipales dans la structuration des gouvernements urbains (des circulations qui par ailleurs donnent naissance à de nouveaux acteurs de l'action publique urbaine européenne : les bureaux des réseaux de villes). En prenant au sérieux les réseaux, leur genèse, les rapports de force qui s'y nouent, les conflits (sur les visées, sur l'institutionnalisation du réseau), on se distingue d'une simple approche en terme de transfert « mécanique » de modèles ou de politiques publiques d'un territoire à un autre. On se défait d'une lecture quelque peu fonctionnaliste des échanges et des transferts, pour adopter une analyse en termes de circulation, attentive aux acteurs qui rendent possible la circulation, aux conditions matérielles des échanges d'idées, de savoirs, ainsi qu'aux rapports de forces D'abord, nous observons les réseaux comme des groupes d'intérêts, pour lesquels il est question de s'unir pour agir. Les territoires et leurs représentants vont chercher à peser comme groupes de pressions. Quel travail politique est mis en oeuvre pour représenter les territoires ? En quoi certains thèmes mis à l'agenda politique ­ national ou européen ­ constituent-ils des opportunités ? On peut penser à des lois sur l'aménagement urbain de l'entre-deux-guerres tout comme aux nouvelles politiques climatiques contemporaines. Mais ce motif de création des réseaux n'est probablement pas suffisant. La plupart des réseaux appellent à des échanges de savoirs et de bonnes pratiques. En quoi cette revendication est-elle partagée par les territoires adhérents ? Comment mesurer et objectiver ces échanges ? En quoi certaines villes parviennent-elles à s'imposer comme des références et des modèles ? Observe-t-on une forme de compétition ? Comment, à travers la construction de modèles, les réseaux oeuvrent-ils à une forme de standardisation ? Quelle place jouent les bureaux des réseaux dans ce processus ? Les réseaux s'imposent également comme une forme d'action publique. De fait les acteurs nationaux comme les acteurs supranationaux mettent en place ­ ou soutiennent ­ des réseaux et ce notamment dans leurs politiques à destination des territoires. Est-ce une nouvelle forme d'action publique ? Les travaux socio-historiques nous aideront à avancer dans le débat. En quoi le réseau devient-il une nouvelle technologie de gouvernement ? Quelles visées se dégagent de la mise en oeuvre de cette technologie ? Quels en sont les effets ? Une fois de plus, est-ce une forme d'harmonisation en douceur des modes de gouvernement que l'on peut chercher à repérer ? Au niveau européen ou supranational, est-ce aussi une forme de contournement des États ? Une recherche de légitimation de l'action des villes comme celle qu'on a pu observer en Europe à la fin des années 1980 et au début des années 1990 ? Enfin, un quatrième champ de questionnement peut s'ouvrir autour du très périlleux thème des effets des circulations sur les gouvernements urbains. De fait l'interconnexion proposée par les réseaux n'est pas forcément la circulation de pratiques et de politiques publiques. Pour penser la circulation, il faut observer le retour des sessions thématiques, des congrès, des voyages proposés par les réseaux. Autrement dit, quels usages les acteurs territoriaux font-ils de ces échanges ? Comment peut-on objectiver les réceptions des débats ou encore des visites ? Etudier les réseaux permet ainsi de discuter de la notion de convergence des gouvernements des territoires et de l'action publique territoriale. Existe-t-il une convergence en douceur des gouvernements métropolitains ? Plutôt que d'invoquer les lois mystérieuses et invisibles de la mondialisation, nous pouvons pointer comment des transferts institutionnels et politiques s'opèrent entre différentes entités gouvernementales. Les réseaux ne peuvent être étudiés qu'au regard des inflexions, traductions et hybridations qui s'opèrent au cours des échanges. C'est bien une analyse territorialisée des réseaux que nous proposons dans nos études sur les premiers réseaux de villes comme sur les plus contemporains. « pour mémoire » l n° HS automne 2017 92 dossier Exporter l'expertise urbanistique française Esquisse d'une histoire à travers ses agents et ses marchés Clément Orillard, université Paris-Est, Lab'Urba (EA 3482) A côté des échanges liés aux réseaux ou aux organismes internationaux, la circulation de l'expertise française en matière d'urbanisme s'est aussi développée à travers des logiques d'exportation-importation qui s'inscrivent dans une histoire longue. Loin de faire un bilan de cette dernière, il s'agira ici d'en esquisser une possible analyse à travers deux pôles empruntant au vocabulaire économique : les agents et les marchés de cette expertise. A partir de cette ambition modeste, interroger les logiques de production et de consommation d'expertise peut se résumer à deux questions : Qui sont les agents exportateurs ? Quels sont les marchés importateurs ? L'urbanisme est un champ aux limites floues mais dont l'histoire est bornée. Le périmètre choisi ici correspond donc à n° HS automne 2017 toute expertise développée par tout type d'acteur professionnel dans le cadre de politiques publiques en urbanisme ou en aménagement urbain. La période choisie débute avec l'émergence du champ entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle, sanctionnée par la stabilisation du vocable « urbanisme » aux alentours de 1910-1920. Si l'étude de l'export et de l'import du XIXe au XXIe siècle implique le prisme national, celui-ci n'est pas sans rapport avec l'urbanisme qui a participé de la construction des États-providences nationaux, surtout en France où il est devenu une politique publique nationale en 1943. Les producteurs d'expertise étudiés sont donc des agents dont le siège de l'activité est en France et, en miroir, les différents périmètres nationaux sont abordés comme autant de marchés consommateurs. Multiplication et renouvellement des agents exportateurs Plusieurs auteurs ont décrit la nature cumulative de la construction d'un milieu professionnel français de l'urbanisme hétérogène1 . Au delà des professions "pré-urbanistiques" de l'architecte et de l'ingénieur, plusieurs figures d'urbanistes se succèdent : l'ingénieur sanitaire et le producteur de plan du XIXe siècle à la seconde guerre mondiale, le chargé d'études à partir de la seconde guerre mondiale et enfin les profession- Voir, en particulier, V. Claude, Faire la ville. Les métiers de l'urbanisme au XXe siècle, Marseille, Parenthèses, 2006. 1 l « pour mémoire » 93 nels de l'urbanisme opérationnel. Or dans chacune de ces catégories nombre d'acteurs individuels ou collectifs français ont aussi développé une action dans un périmètre bien plus large que celui du territoire national. Ils ont ainsi constitué progressivement un milieu de l'exportation de l'urbanisme français. formelle une administration en charge du patrimoine de l'État. Les aléas politiques que connaît la France durant tout le XIXe siècle ont pu encourager cette immigration. Elle a pris une forme plus organisée dans le cadre de la « Mission artistique française » constituée en 1816 par Joachim Lebreton qui a joué un rôle clé dans l'émergence d'un milieu artistique professionnel au Brésil2 . Au contraire de l'architecture, le monde du génie civil est fortement structuré dès le milieu du XIXe siècle à travers des formations, notamment celle de l'École nationale des ponts et chaussées (ENPC), et des sociétés privées constituant une véritable industrie des travaux publics. Ces entreprises, soutenues par des capitaux importants et une demande nationale forte, connaissent une croissance très rapide qui leur permet de s'orienter vers les marchés étrangers dès que la demande nationale fléchit vers le milieu du XIXe siècle, et notamment vers le bassin méditerranéen, l'Europe Centrale, la Russie, puis à partir des années 1880, l'Amérique Latine, la Chine et l'Afrique. Le cas le plus connu est celui de la Société de construction des Batignolles (SCB) fondée en 1846 par Ernest Gouin, formé à l'ENPC, qui compte en 1913 pas moins de onze filiales hors de la métropole dont six hors du périmètre de l'Empire colonial3 . de la mise en place de techniques sanitaires dans le cadre de l'hygiénisme dès les années 1850, jusqu'à la définition d'une réglementation basée sur le plan comme outil avec la loi Cornudet de 1919. Deux foyers interconnectés apparaissent comme des lieux clés dans le développement de ces innovations successives qui seront rassemblées sous le vocable "urbanisme". Or tous deux sont aussi des vecteurs clés d'une exportation de l'expertise française dans ce champ. Cette exportation est rapidement importante, ce qui est paradoxal tant la France n'est pas forcément le pays le plus avancé au sein du mouvement international touchant à ces questions par rapport à l'Allemagne, le Royaume Uni ou même la Belgique. En réalité, la force de cette expertise semble s'appuyer sur les positions acquises par l'architecture et le génie civil et français. Le premier foyer correspond aux administrations municipales qui se structurent dès le XIXe siècle et en premier lieu, celle de Paris. Le développement de cette dernière est marqué par les travaux d'Haussmann sous le Second Empire qui ont un impact important à l'étranger et qui, tout en étant une systématisation de techniques parfois anciennes, participent du mouvement de modernisation. A côté des importations qui les ont nourris, les services de la ville de Paris développent une véritable action d'expor- Avant l'urbanisme : architectes immigrés et filiales d'entreprises de travaux publics L'aménagement de l'environnement bâti est marqué en France par la structuration par l'État, relativement tôt, de deux champs professionnels : l'architecture et le génie civil. Or l'exportation de l'expertise française dans ces deux champs s'inscrit dans des modalités différentes. Milieu dont l'exercice est encore peu formalisé avant la seconde moitié du XXe siècle en France, l'architecture française s'exporte surtout à travers l'immigration de professionnels français, comme d'autres artistes compatriotes mais aussi comme d'autres architectes européens. L'importance acquise par le classicisme français, puis par le discours issu de l'École nationale supérieure des beaux-arts (ENSBA) dans les débats architecturaux à travers différents pays, fait que nombre de gouvernements étrangers font appel à des architectes français dès le XVIIIe siècle. Il s'agit souvent de réaliser des programmes d'édifices publics de différentes natures, parfois d'y développer l'enseignement de l'architecture voire de mettre en place localement d'une manière plus ou moins Entre le sanitaire et le plan : la ville de Paris et la Société française des urbanistes (SFU) à l'étranger La naissance de l'urbanisme en France se déploie sur une longue période allant L. M. Schwarcz et A. P. Simioni, « La colonie des artistes français à Rio de Janeiro en 1816 : un passé recomposé », Brésil(s), n°10 (2016). 3 R. Park, D. Barjot, La société de construction des Batignolles. Des origines à la Première Guerre mondiale, Paris, PUPS, 2005. « pour mémoire » 2 l n° HS automne 2017 94 Plan directeur d'Istanbul réalisé par Henri Prost, nd. (1935-1950) ©Académie d'architecture/Cité de l'architecture et du patrimoine/Archives d'architecture du XXe siècle sollicité pour développer des missions à l'étranger. L'expertise de son directeur, l'architecte Joseph Antoine Bouvard, et d'un de ses principaux cadres, l'ingénieur-paysagiste Jean-Claude Nicolas Forestier, se déploie sur un périmètre plus vaste (Belgique, Espagne et surtout Empire Ottoman, Argentine, Brésil, Cuba, Maroc). Les missions de ces experts sont courtes la plupart du temps, en général moins d'un an4 . Bechmann et Forestier permettent d'aborder le second foyer d'innovations urbaines auquel ils participent aussi : le mouvement militant qui se développe au sein du Musée Social (et participe à la discussion de la loi Cornudet). Les acteurs de ce mouvement déploient rapidement une action à l'étranger qui s'appuie sur l'importance internationale acquise par l'architecture Beaux-Arts. Léon Jaussely fait figure de pionnier en remportant des concours internationaux pour la production de plans de grandes villes (lauréat à Barcelone en 1905 puis remarqué à celui pour le Grand Berlin en 1910) 5 . Ce groupe issu du Musée social fonde en 1911 la Société française des architectes-urbanistes, devenue en 1921 la Société française des urbanistes (SFU) dont trois grandes figures de l'exportation de l'expertise française sont issues. tation de ces techniques à la demande de villes étrangères. Cette exportation s'appuie d'abord sur son service des Études et travaux des eaux d'égouts et d'assainissement de la Seine. Ses deux premiers directeurs, les ingénieurs des ponts et chaussées Alfred Durand-Claye et Georges Bechmann, développent ainsi une carrière d'expert essentiellement en n° HS automne 2017 Europe (Angleterre, Italie, Allemagne, Belgique, Hongrie, Roumanie, Grèce mais aussi Egypte). Au début du XXe siècle, l'autre service en charge des travaux de modernisation de Paris dans la poursuite de l'oeuvre haussmannienne, le service des Promenades et plantations, est lui aussi B. Landau, « Techniciens parisiens et échanges internationaux » in André Lortie (dir.), Paris s'exporte. Architecture modèle ou modèles d'architecture, Paris, Picard, 1995, p.205-215. 5 Voir la notice biographique du fond Léon Jaussely, archives de la Cité de l'architecture et du patrimoine (http://archiwebture.citechaillot.fr/ fonds/FRAPN02_ JAUSS). 4 l « pour mémoire » 95 Responsable dès 1913 de la planification des grandes villes du Maroc puis d'Alger, l'architecte Henri Prost est en charge de l'aménagement d'Istanbul de 1936 à 1951 6 . Troisième du concours pour la nouvelle capitale de l'Australie en 1912, l'architecte et sociologue Donat Alfred Agache développe une carrière essentiellement brésilienne à partir de 1932 d'abord à Rio puis pour d'autres villes 7. Collaborateur de Prost pour le plan d'Alger, l'ingénieur centralien Maurice Rotival déploie, lui aussi, à partir de 1939 l'essentiel de sa pratique à l'étranger notamment à Caracas au Venezuela 8 . Deux autres figures de la SFU diffusent les pratiques urbanistiques françaises dans l'Empire colonial : le cabinet des frères René et Raymond Danger, géomètres et architectes, en Afrique du Nord et au Moyen Orient et l'architecte Louis-Georges Pineau en Indochine 9 . D'autres architectes non membres de la SFU mais ayant une carrière prolifique à l'étranger développent une pratique importante en matière de planification urbaine. Après la conception du Fairmount Parkway à Philadelphie dès 1917, Jacques Gréber s'occupe de la planification d'Ottawa, de Montréal et de Québec à partir de 194510 . Correspondant local du cabinet Danger lors de l'établissement du plan d'extension de Damas à partir de 1932, Michel Ecochard devient directeur du service de l'Urbanisme en Syrie (1940-44) et au Maroc (1947-53) avant d'entamer une carrière d'urbaniste libéral travaillant en Iran, au Sénégal, en Guinée et à nouveau en Syrie et au Liban où il est une figure fondatrice du champ 11 . La « fonction étude » en urbanisme intégrée dans la politique de coopération La Seconde guerre mondiale engage un mouvement d'institutionnalisation de l'urbanisme qui devient l'objet de politiques publiques importantes et donne naissance à un nouveau genre de production préalable à la planification : les études d'urbanisme. L'expertise répondant à cette demande est le produit non plus d'une action individuelle mais plutôt d'acteurs collectifs, dont plusieurs s'inscrivent dans un nouvel activisme qui s'oriente notamment vers le développement du Tiers Monde. En parallèle, l'État met en place une politique d'actions urbanistiques dans ses colonies en multipliant les missions techniques. Avec la décolonisation, la politique dite de « coopération » prend le relais dans ces territoires nouvellement indépendants, et inclut rapidement des territoires extérieurs à l'ancien Empire. La création d'un Secrétariat des missions d'urbanisme et d'habitat (SMUH) dès 1959, devenu en 1978 l'Agence coopération et aménagement (ACA), permet de coordonner ces missions 12 . La mise en place de la « coopération décentralisée » à partir de 1983 touche l'urbanisme en permettant aux collectivités locales et à leurs organismes d'y participer. L'exportation de l'expertise française en urbanisme est ainsi reconfigurée au prisme de ces trois tendances nouvelles. Une partie importante de cette production d'études est rapidement sous-trai- tée « en externe » auprès de structures variées. Une partie d'entre elles plonge ses racines dans un militantisme social naturellement intéressé par les pays en développement. Le réseau Economie et humanisme, fondé en 1941 par le père dominicain Joseph Lebret, est à la fois une figure de la transition entre action individuelle et collective et l'un des principaux inventeurs de méthodologies d'enquête sociale développées dès 1945 pour le nouveau ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme. En s'appuyant sur le courant social de l'Église catholique, qui innerve l'enseignement et un réseau de conseillers politiques, c'est un acteur majeur de diffusion de ces techniques dans le Tiers Monde, surtout en P. Pinon et C. Bilsel (dir.), From the Imperial Capital to the Republican Modern City : Henri Prost's Planning of Istanbul (1936-1951), Istanbul, Istanbul Aratirmalari Enstitüsü, 2010 (version française virtuelle de l'exposition à la Cité de l'architecture et du patrimoine : https://expositions-virtuelles. citedelarchitecture.fr/prost/00-OUVERTURE.html). 7 D. K. Underwood, « Alfred Agache, French Sociology, and Modern Urbanism in France and Brazil », Journal of the Society of Architectural Historians vol. 50 n°2 (1991), p.130-166. 8 C. Hein, « Maurice Rotival: French Planning on a World-Scale », Planning Perspectives vol.17 n°3 et 4 (2002), p.247-265, 325-344. 9 Notices biographiques des fonds Danger frères et fils, Société des plans régulateurs de villes et Louis-Georges Pineau, Cité de l'architecture et du patrimoine (http://archiwebture.citechaillot.fr/ fonds/FRAPN02_DANGE - http://archiwebture. citechaillot.fr/fonds/FRAPN02_PINLO) 10 J. M'Bala, « Prévenir l'exurbanisation : le Plan Gréber de 1950 pour Montréal », Urban History Review / Revue d'histoire urbaine vol.29 n°2 (2001), p.62-70. 11 E. Verdeil, « Michel Ecochard in Lebanon and Syria (1956-1968). The spread of Modernism, the Building of the Independent States and the Rise of Local professionals of planning », communication au 12e congrès de l'Association européenne d'histoire urbaine, Lyon, 2008. 12 Voir l'historique dans J.-L. Vénard, Intervention française dans le secteur urbain : en Afrique noire francophone, Paris, Economica, 1986. « pour mémoire » 6 l n° HS automne 2017 96 Amérique Latine, notamment au Brésil, mais aussi au Sénégal et au Liban13 . Une autre structure d'études en urbanisme s'inscrivant dans le réseau du catholicisme social est le Bureau d'études et de réalisations urbaines (BERU) fondé en 1957. Cette coopérative, qui a un rôle majeur en France notamment dans la planification de la Basse Vallée de la Seine, développe très vite une action en Algérie, en Tunisie, en Italie, en Israël, et au Congo Kinshasa14 . A partir de la fin des années soixante et du début des années soixante-dix, c'est un autre militantisme de gauche et tiers-mondiste qui prend le relais à travers la création de bureaux d'études spécialisés dans les contextes de développement. Appartiennent à cette catégorie le Groupe Huit fondé en 1967 en Tunisie et qui étend son action à partir de 1977 ailleurs en Afrique et en Haïti puis en Chine dans les années quatrevingt, ou encore ACT consultants, fondé en 1970 à Paris par d'autres militants actifs du développement15 . D'autres organismes généralistes s'occupant de développement valorisent aussi une expertise urbanistique comme le GRET. Le versant activiste de ce militantisme urbanistique se structure avec la fondation en 1983 de l'ONG Association internationale de techniciens, experts et chercheurs (AITEC). Une autre partie de ces structures d'études est le fruit de la recherche de relais de croissance par des sociétés capitalistiques. Paribas, groupe financier largement impliqué dans le secteur de l'immobilier, fonde en 1948 un bureau n° HS automne 2017 d'étude, l'Omnium technique de l'habitat (OTH). Si des filiales sont rapidement créées en Algérie et au Maroc à la fin de la période coloniale, son action se déploie après la décolonisation sur des marchés d'Europe de l'Ouest, d'Amérique du Nord et d'Amérique Latine notamment à travers la vente de procédés de construction. Celle-ci est dynamisée après le choc pétrolier : la création des filiales OTH International en 1975 et OTH Développement en 1980 renforce sa position en Afrique tout en lui permettant de devenir un acteur clé de l'ingénierie urbaine en Irak, en Egypte et en Arabie Saoudite16 . La SERETES, filiale urbaine de la SERETE, société d'ingénierie fondée en 1947, dispose quant à elle de correspondants en Suisse et en Espagne et d'une filiale au Brésil 17. L'État a aussi progressivement développé une capacité d'étude « en interne » sous la forme de nouveaux organismes publics ou para-publics en charge de missions d'étude. Certains créés dans le cadre de l'administration coloniale sont directement à destination de l'action dans ce périmètre avant de se développer au-delà. C'est le cas du Bureau central d'étude pour les équipements d'outre mer (BCEOM) créé en 1949 18 comme de la Société d'études pour le développement économique et social (SEDES) créée en 1956 par la Caisse des dépôts et consignations. La coopération en urbanisme se développe aussi à partir d'organismes agissant sur le territoire national et accumulant ainsi une expertise précieuse. Leur action à l'étranger peut prendre la forme d'une filiale spécialisée comme lorsque la SCET, filiale en aménagement urbain de la Caisse des dépôts créée en 1955, fonde en 1959 la SCET-Coopération, renommée dix ans plus tard SCETInternational19 . Ces missions de coopération, tout en représentant une part non négligeable des études produites, peuvent aussi ne pas être isolées dans un département spécifique. C'est notamment le cas au sein de l'Institut d'aménagement et d'urbanisme de la région parisienne (IAURP), créé en 1960, et qui devient en 1976 Institut d'aménagement et d'urbanisme de la région Ile de France (IAURIF). Malgré une action qui se déploie sur plusieurs continents à partir de 1967, il ne constitue un département chargé de ces actions qu'au début des années quatre-vingts 20 . Avec la coopération décentralisée, les agences d'urbanisme se lancent en effet elles aussi dans D. Pelletier, Économie et humanisme. De l'utopie communautaire au combat pour le TiersMonde (1941-1966), Paris, éditions du Cerf, 1996. 14 M. Prévot, Catholicisme social et urbanisme. Maurice Ducreux (1924-1985) et la fabrique de la cité, Rennes, PUR, 2015. 15 « Hommage à Lucien Godin », site internet du Groupe Huit, 01/06/2016 (http://groupehuit. com/fr/hommage-%C3%A0-lucien-godin-0) et Entretien avec Gustave Massiah in T. Paquot (dir.), Conversations sur la ville et sur l'urbain, Gollion, InFolio, 2008, p.526-539. 16 P. Jambard, « Ingénierie, banque et État en France : l'O.T.H. face à la crise des années 19701980 », Entreprises et histoire n°71 (2013), p.127136. 17 Voir V. Claude, op. cit., p.172-173. 18 Association des anciens et amis du BCEOM, 60 ans au service du développement. Histoire du BCEOM, Paris, éditions 3A, 2009. 19 Caisse des dépôts et consignations, 30 ans de coopération internationale, Paris, Caisse des dépôts et consignations, 1988. 20 « Partenariats et international ­ Champs géographiques », site internet de l'IAU (https://www. iau-idf.fr/linternational/missions-a-linternational/ champs-geographiques.html). 13 l « pour mémoire » 97 l'action à l'international. Deux vont plus particulièrement développer ce type de missions : l'Agence d'urbanisme de la communauté urbaine de Lyon à partir de 1991 à Ho Chi Minh Ville, et l'Atelier parisien d'urbanisme (APUR) à partir de 1992 à Phnom Penh après une expérience au Liban dès 197721 . maritime). A côté de celles-ci, des opérateurs publics peuvent aussi s'engager eux-mêmes directement dans l'export comme Aéroports de Paris au début des années soixante-dix. La réalisation d'opérations d'envergure ou innovantes sur le territoire national suscite aussi progressivement une demande importante de la part d'opérateurs étrangers. Le Groupe central des villes nouvelles (GCVN) fondé en 1970 crée ainsi un poste « architecture, urbanisme, exportation » et fonde en 1984 le Groupement d'Intérêt Economique « Villes Nouvelles de France » (GIE VNF), associant tous les établissements publics d'aménagement de villes nouvelles. Celui-ci intervient en Amérique Latine, en Afrique et en Asie. A partir de 2003, le GIE s'ouvre à d'autres acteurs publics (sociétés d'économie mixte locales, établissements publics d'aménagement de rénovation urbaine etc.) et prend le nom d'« Aménageurs et Développeurs en France » (GIE ADEFRANCE) 24 . Dès 1987, les PactArim, organismes para-publics coordonnant les Opérations programmées d'amélioration de l'habitat (OPAH), développent des missions de coopération avant que ne soit fondé en 1993 le Pact-Arim International qui intervient au Maghreb, en Amérique Latine et en Europe de l'Est 25 . A côté de ces acteurs publics ou parapublics, les acteurs privés de la promotion immobilière restent très majoritairement dans un cadre national. Certains, comme les grandes foncières commerciales, s'aventurent au maximum dans quelques pays européens comme l'Espagne, l'Italie ou la Pologne. En fait, l'expertise privée opérationnelle s'exporte avec le retour au premier plan dans les années quatre-vingt du génie civil et de l'architecture, qui profitent pleinement de la libéralisation en marche de l'économie mondiale. Les groupes de travaux publics s'appuient sur un acquis, leur action continue à l'international, et bénéficient de la nouvelle conjoncture. Après de nombreuses restructurations et l'arrivée de nouveaux acteurs, le choc pétrolier engage ce milieu à trouver des relais de croissance au-delà du marché national. La position dominante de groupes de BTP français dans le monde comme SGE et Eiffage leur permet de profiter de la libéralisation mondiale des marchés de services urbains 26 . Ces groupes développent une ingénierie urbaine importante à destination des marchés émergents qui deviennent rapidement des acteurs incontournables. Exporter la fabrique de la ville : assistance à maîtrise d'ouvrage et maîtrise d'oeuvre A partir des années soixante, l'État puis les collectivités locales se lancent dans la production urbaine avec la constitution d'un milieu de la maîtrise d'ouvrage publique et de la maîtrise d'oeuvre urbaines. L'action à l'export des différents acteurs de cette politique d'aménagement, qui passe par divers canaux, est plus contrastée. A l'image de la SCET, les acteurs publics et para-publics de la maîtrise d'ouvrage urbaine se comportent comme des prestataires d'assistance à maîtrise d'ouvrage locale en exportant des méthodes et des démarches notamment en programmation et montage d'opérations. Dès la fin des années cinquante, l'État constitue des filiales d'études à l'export nommées Sociétés françaises d'études et de réalisations (SOFRE) liées aux principaux maîtres d'ouvrage publics d'infrastructure : la Sofrérail, filiale de la SNCF créée en 195722 , la Sofrétu, filiale de la RATP en 1960 23 , rejointes par la Sofréavia en 1969 (aéroports et transport aérien) et la Sofrémer en 1976 (ports et transport Les activités internationales de l'Agence d'urbanisme de l'agglomération lyonnaise, Lyon, UrbaLyon, 2008 et « International », site internet de l'APUR (http://www.apur.org/activites-internationales). 22 M. Tessier, « Les actions de coopération internationale de la SNCF pour le transfert de connaissance », Revue générale des chemins de fer, juillet-aout 1983, p.395-400. 23 A. Jeux, « La SOFRETU et la coopération technique dans les transports urbains », Revue générale des chemins de fer, mars 1983, p.139-144. 24 GIE ADEFRANCE, Rapport d'activité, 2009. 25 E. Salin, « La réhabilitation dans les centres anciens dans les grandes villes du Sud : entre maintien des populations pauvres et tentatives de gentrification ? » in M. Gravari-Barbas (dir.), Habiter le patrimoine, enjeux, approches, vécu, Rennes, PUR, 2005, p.281-295. 26 D. Barjot, « Introduction », Histoire, économie et société, vol.14 n°2 (1995), pp. 147-161. « pour mémoire » 21 l n° HS automne 2017 98 Les acteurs de l'architecture profitent eux aussi de la conjoncture mais grâce à une transformation majeure du milieu professionnel. Après le renforcement de la renommée internationale de l'architecture française à travers la politique mitterrandienne de grands travaux, la crise immobilière et les négociations du GATT sur la libéralisation des services posent la question de l'exportation. Très rares sont les agences qui ont alors participé à des missions de coopération préparant une action plus large à l'export comme ARTE Charpentier à Shanghai 27. Face au constat de cette faiblesse, le milieu professionnel et la direction de l'Architecture et du patrimoine du ministère de la Culture fondent en 1996 l'association « Architectes français à l'export » (AFEX) 28 . Quelques agences françaises se rapprochent alors du modèle des grandes agences anglosaxonnes. Or, comme la plupart de ces agences comptant au moins un associé formé en urbanisme et ayant bénéficié des grandes ZAC lancées en France, elles répondent rapidement à des commandes de maîtrise d'oeuvre urbaines notamment en Chine puis en Russie. français en urbanisme, trois types successifs semblent émerger. Le premier s'inscrit dans la grande vague de politiques de modernisation, articulée avec la première mondialisation qui va du XIXe siècle au début de la première guerre mondiale. Le deuxième est issu de la colonisation française puis de la décolonisation. Enfin, le troisième s'inscrit dans la deuxième mondialisation des années soixante-dix à nos jours et les politiques de modernisation des pays dits « émergents ». Pour chaque type, la construction des marchés puise principalement dans des registres différents : culturel pour le premier, politique pour le second, économique pour le troisième. modernisation » pour l'expertise française, notamment urbaine, que le gouvernement français a pu soutenir dans une concurrence avec l'Angleterre puis avec l'Allemagne30 . Ainsi, l'Asie du XIXe et du début du XXe siècle, qui n'est pas une aire de réception du positivisme, n'est pas un marché important pour cette expertise malgré, par exemple, le rôle du centralien Emile Pelegrin dans le développement de l'éclairage public au Japon à partir de la fin des années 1860 31 . Au contraire, en Russie, dans l'Empire ottoman, ou dans les jeunes républiques latino-américaines, cette adhésion à une pensée universaliste française de la modernité apparaît comme la matrice d'une « francophilie » culturelle 32 dont Les marchés de la modernisation : des constructions politico-culturelles Au XIXe siècle, les classes dirigeantes de nombreux pays cherchent à intégrer la mondialisation déployée à partir de l'Europe en transformant leur système politique et économique, et ceci dans le cadre d'une double construction de la nation et de l'Etat. Ces politiques de modernisation s'appuient sur l'adoption d'une culture de la « modernité » produite en Europe depuis le XVIIIe siècle. Très tôt, la France s'affirme comme l'un de ses principaux foyers à travers le saint-simonisme et la philosophie positiviste d'Auguste Comte, qui produisent des discours dont l'aire de réception est structurée à travers la création de l'Alliance française en 1883 29 . Cette aire correspond à autant de « marchés de la Les trois types de marchés importateurs Lorsque l'on analyse les marchés où s'est déployée l'action à l'international des diverses catégories d'experts n° HS automne 2017 P. Clément, « Une longue histoire ­ ARTE Charpentier et la Chine » in Wenyi Zhou et Pierre Chambron, De l'architecture à la ville ­ ARTE Charpentier en Chine 2002-2012, Paris, ICI Interface, 2012. 28 F. Contenay, Rapport du groupe de travail architecture et exportation, Paris, MATET, 1995. 29 F. Chaubet, « L'Alliance française ou la diplomatie de la langue (1883-1914) », Revue historique, n°632(2004), p.763-785. 30 Voir A. Novick, « Foreign Hires: French Experts and the Urbanism of Buenos Aires 1907-32 » in Joe Nasr, Mercedes Volait (dir.), Urbanism: Imported or Exported ? Native Aspirations and Foreign Plans, Chichester, Wiley-Academy, 2003, p.265289. 31 B. Brizay, « La France et les Français au Japon » in P. Bonichon, P. Geny, J. Némo (dir.), Présences françaises outre-mer (XVIe-XXIe siècle). Tome 1, Paris, ASOM ­ Karthala, 2012, p.709-717 32 J. Laurent, « La philosophie russe et le positivisme », Archives de Philosophie, vol.79 (2016), p. 229-231 ; G. Iiksel et E. Szurek (dir.), Turcs et Français. Une histoire culturelle, 1860-1960, Rennes, PUR, 2014 ; D. Roland, L'Amérique latine et la France. Acteurs et réseaux d'une relation culturelle, Rennes, PUR, 2011. 27 l « pour mémoire » 99 l'importation d'expertise française est une conséquence. Mais cette importation a une évolution très contrastée en fonction des pays. En Russie, l'architecture française occupe une place non négligeable dès le XVIIIe siècle et les entreprises de travaux publics sont fortement présentes du XIXe au début du XXe. Mais la Révolution d'Octobre 1917 est un moment de rupture et dans les quelques périodes d'ouverture qui suivent, l'URSS se tourne plus facilement vers l'expertise allemande. Il faut attendre la fin du régime communiste et le boom pétrolier des années 2000 pour que la Russie, devenue économie émergente, renoue avec cette francophilie urbanistique. Dans le périmètre de l'(Ex-)Empire ottoman, l'usage de l'expertise française est variable. Avec l'avènement de la République de Mustafa Kemal, l'urbanisme turc connaît une période francophile. Consultant officieux du gouvernement dès 1924, Henri Prost est à la tête du bureau d'urbanisme de la ville d'Istanbul de 1936 à 195233 . René Danger est aussi actif durant la même période en Turquie. Mais l'expertise française est fortement concurrencée par l'expertise allemande, puis par l'expertise nord-américaine qui s'impose, notamment diffusée par les institutions internationales. En Egypte, nettement marquée par le saint-simonisme, l'usage de l'expertise française s'inscrit dans le temps long. Dès le début du XIXe siècle, les cadres de l'administration locale en charge de la modernisation du pays, comme le directeur des Travaux publics Burhan Bey puis le ministre Ali Pasha Mubarak, sont formés en France. Quelques industriels tentent l'aventure comme Charles Lebon qui implante l'éclairage au gaz à Alexandrie et au Caire dans les années 1860. Surtout, de 1867 à 1897, il est fait appel aux cadres du service des promenades et plantations de la ville de Paris, Pierre Barillet-Deschamps et Gustave Delchevalerie, et à d'autres ingénieurs français pour prendre la direction de services en charge de l'aménagement de secteurs importants du Caire34 . De la fin du XIXe siècle à la seconde guerre mondiale, la domination de la Grande Bretagne correspond à une relative éclipse de l'expertise française, mais qui est par la suite de nouveau mobilisée. En 1954, l'étude des transports publics du Caire est confiée à la RATP puis la conception du métro, livré en 1987, à la Sofretu. A partir de 1981, l'IAURIF est missionné par le gouvernement pour mettre au point le schéma directeur du Grand Caire puis pour diverses études qui poursuivent cette réflexion 35 . C'est l'Amérique Latine qui apparaît très tôt comme une aire géographique majeure d'importation d'expertise française en urbanisme, malgré une concurrence importante impliquant l'expertise d'abord allemande ou espagnole puis nord-américaine. Le Brésil a une politique précoce d'importation de cette expertise même si elle est discontinue. L'architecte Grandjean de Montigny, membre de la « Mission artistique française », joue un rôle clé en devenant le premier professeur d'architecture de la nouvelle académie des Beaux-Arts et en concevant plusieurs projets de bâtiments publics. Au début du XXe siècle, on assiste aussi à une montée en puissance progressive des entreprises françaises de travaux publics. La Compagnie des Batignolles construit le port de Récife en 1918 puis fonde en 1934 une filiale, Brasilia Obras Publicas (BOP), pour déployer son activité dans le reste de l'Amérique Latine. Durant la même période, de nombreux architectes français s'établissent au Brésil pour répondre aux commandes publiques et privées. En matière d'urbanisme, l'expertise française est mobilisée très tôt à travers des acteurs clés. De 1862 à 1880, le gouvernement impérial charge un ingénieur civil et botaniste français, Auguste Marie Glaziou, de réaliser une série de nouveaux parcs et espaces publics pour sa capitale 36 . De 1927 à 1932, l'architecte-urbaniste Donat Alfred Agache produit un plan fondateur pour la mairie progressiste de Rio. A partir de 1941, il devient un des urbanistes officiels de la dictature de l'Estado Novo et réalise les plans de Recife, Porto Alegre, Curitiba. De 1947 à 1954, le père Lebret et le réseau Économie et humanisme lancent leurs premières enquêtes sociales dans P. Pinon et C. Bilsel (dir.), op. cit. M. Volait, « Making Cairo Modern (1870-1950) : Multiple Models for a European-style Urbanism » in J. Nasr, M. Volait (dir.), op. cit., p.17-50. 35 T. Souami, « Liens interpersonnels et circulation des idées en urbanisme. L'exemple des interventions de l'IAURIF au Caire et à Beyrouth », Géocarrefour vol 80 n°3 (2005), p.237-247. 36 M. Da Silva Pereira, « Paris-Rio : le passé américain et le goût du monument » in A.Lortie (dir.), op. cit., p.140-148. 34 33 « pour mémoire » l n° HS automne 2017 100 le Tiers monde à Sao Paulo où ils fondent un bureau d'études, la SAGMACS. A partir de 1977, l'IAURIF travaille au Brésil sur l'étude des transports collectifs de l'État de Sao Paulo avec la Sofrérail puis sur d'autres missions à Brasilia, Rio et Curitiba. Dès 1992, le GIEVNF est aussi largement mobilisé pour des missions très diverses, surtout pour l'État de Sao Paulo. L'Argentine est le pays qui fait le plus constamment appel à l'expertise française. Dès l'indépendance en 1816, des ingénieurs et architectes français participent à la fondation des services locaux de la construction à la demande des autorités locales. A la fin du XIXe siècle, l'architecture Beaux-Arts triomphe et plusieurs d'élèves de l'ENSBA développent une carrière argentine37. D'un autre côté, les entreprises françaises de travaux publics jouent un rôle clé dans le marché local, notamment dans la construction portuaire, jusqu'à la première guerre mondiale. L'urbanisme de Buenos Aires se développe dans cette atmosphère très francophile. Dès 1868, le gouvernement argentin fait appel à des professionnels français pour l'aider à bâtir des politiques publiques en matière de conception de jardin, règlement de construction, cadastre, etc. De grands techniciens de la ville de Paris interviennent dans la capitale argentine comme Charles Thays, ancien assistant d'Alphand, directeur des parcs et promenades de Buenos Aires dès 1891, Bouvard, à la tête de la commission pour le premier plan d'aménagement en 1909, ou encore Forestier, expert clé du second plan publié en 1923. n° HS automne 2017 La planification est ensuite laissée aux mains de professionnels locaux, mais la tradition francophile reste importante. Le Corbusier collabore ainsi au plan régulateur de Buenos Aires de 1947. Plus largement, le champ de l'urbanisme en Argentine s'inscrit directement dans la continuité du modèle fran- çais à travers la figure fondatrice de l'ingénieur Carlo Maria della Paolera, formé en France 38 . L'importation d'expertise française se renouvelle à partir des années soixante dans le cadre de la politique de coopération. Elle correspond notamment à la mise en place de la planification de l'aire métropolitaine Schéma directeur « Année 2000 » de la région métropolitaine de Buenos Aires, 1970 ©Presidencia de la Nacion, Argentina l « pour mémoire » 101 de Buenos Aires à laquelle collaborent dès 1967 l'IAURP puis la Sofrérail pour un projet de RER. Après le retour à la démocratie en 1983, l'IAURIF revient à Buenos Aires pour assister les acteurs de l'aire métropolitaine sur différents sujets. A partir de 1988, le GIEVNF intervient sur un projet de ville nouvelle privée puis sur divers projets d'infrastructure pour des municipalités 39 . La ville de Buenos Aires fait aussi appel à l'APUR ou au réseau Pact-Arim 40 . La présence continue des entreprises françaises de travaux publics durant tout le XXe siècle permet à leurs filiales concessionnaires de réseaux urbains de remporter plusieurs marchés lors des privatisations dès 1989. A côté de ces deux pays, d'autres font appel à l'expertise française. Mais à part le Venezuela, où la planification de Caracas confiée en 1939 et 1946 à Maurice Rotival 41 apparaît comme un événement isolé, il semble que cela soit surtout le cas à partir des années soixante. L'administration de la ville de Mexico missionne la Sofretu pour la mise en place du métro livré à partir de 1969, l'IAURP sur la planification du Grand Mexico à partir de 1982, ou encore le Pact-Arim International pour travailler sur la réhabilitation du centre ancien de Mexico à partir de 1998. Le gouvernement de Bolivie confie en 1977 à un groupement associant notamment l'IAURP et Economie et humanisme une expertise du schéma directeur de la Paz. La ville de Santiago du Chili fait appel dès 1994 à l'APUR pour travailler sur la question du patrimoine. Cette extension du marché latino-américain s'appuie sur la mise en place de la politique française de coopération et ses aides au développement. Les marchés du développement : la poursuite d'un héritage controversé En se constituant un empire colonial très vaste, la France a construit un territoire qu'elle a dû administrer et où les questions urbaines sont devenues majeures du fait de l'accélération de son urbanisation au XXe siècle. Dès les années vingt, certains espaces sont des terrains privilégiés pour l'expérimentation d'une expertise française en urbanisme. La fin de la seconde guerre mondiale voit la construction d'une administration plus dense en charge du « développement » de la « France d'Outre-Mer ». La reconversion partielle de cette administration après la décolonisation dans la « coopération » contribue à maintenir la demande en expertise française, notamment urbanistique, dans les nouveaux pays indépendants. Cette dépendance, spécificité française, évolue différemment en fonction des aires géographiques. Dans le Maghreb, le cadre juridique français reste un modèle et l'usage de l'expertise française est relativement constant. Si des professionnels locaux prennent place dans les organismes de planification issus de l'administration coloniale, le déficit local en matière d'études urbaines maintient une présence française. En Algérie, les organismes issus en particulier du Plan de Constantine de 1956 sont conservés, voire les experts eux-mêmes comme l'architecte Jean de Maisonseul. C'est en 1968 que de nouveaux organismes sont mis en place pour rompre avec l'héritage colonial mais l'expertise française, bien que mise en concurrence avec d'autres, reste présente notamment à travers le travail du BERU sur la région d'Alger pour le Bureau national d'études économiques et techniques 42 . A partir de 1977, l'IAURIF développe une série de missions sur la planification et l'aménagement d'Oran, d'Annaba et surtout d'Alger. Au Maroc, l'État fonde en 1967 un Centre d'expérimentation, de recherche et de formation (CERF) dirigé par un coopérant français. A partir de 1977, l'IAURIF intervient dans le pays pour ne plus en partir et devenir une des sources majeures d'études urbaines avec près d'une quinzaine de missions. Interviennent aussi la SCET International et le BCEOM ainsi que des bureaux d'études dont certains spécialisés dans l'urbain comme le Groupe Huit. Entre 1985 et 1995, la planification des grandes villes marocaines est même le monopole R. Gutierrez (dir.), Manifestaciones francesas en Argentina. Del academismo a la modernidad (1889-1960), Buenos Aires, CEDODAL, 2011. 38 A. Novick, art. cit. 39 C. Orillard, « Politique française des « villes nouvelles » et études à l'export. Le cas de l'action en Argentine », Histoire urbaine, à paraître. 40 A. Novick et L. Furlong, « Rénovation sectorielle et logiques résidentielles : le programme RECUP-Boca à Buenos Aires » in M. Memoli, H. Rivière Arc (dir.), Le pari urbain en Amérique latine. Vivre dans le centre des villes, Paris, Armand Collin, 2006, p.89-1075. 41 C. Hein, art. cit. 42 S. Almi, Urbanisme et colonisation. Présence française en Algérie, Sprimont, Mardaga, 2002. « pour mémoire » 37 l n° HS automne 2017 102 d'un architecte, Michel Pinseau, qui est un proche du roi43 . A partir des années 2000, le Maroc fait appel à l'APUR et à l'Agence d'urbanisme du Grand Lyon. Sa montée en puissance économique se traduisant par une politique de ville nouvelle, il fait appel à des agences d'architecture françaises dont il devient l'un des débouchés à l'export. Du côté du Machrek, la situation est très contrastée. La Syrie fait appel à Ecochard qui avait travaillé en Syrie et au Liban durant la période mandataire pour le plan directeur de Damas entre 1964 et 1968. Mais c'est au Liban que l'expertise française reste très largement mobilisée jusqu'à nos jours. Dès la fin des années cinquante, le gouvernement fait appel à deux acteurs français pour faire évoluer les documents d'urbanisme de Beyrouth : l'IRFED du père Lebret et de nouveau Ecochard. Le relais est pris par les organismes publics d'études français dans les années soixante-dix. Dès 1972, l'IAURP est appelé par le ministère des Travaux publics pour le schéma directeur du Grand Beyrouth et le développement industriel, et il effectue ainsi une douzaine de missions jusque dans les années 2000. En parallèle, l'APUR participe en 1977 à la mise au point du plan pour le centre de Beyrouth. Le Liban présente même un rare exemple de prise de contrôle d'un acteur français par un acteur local. En 1978, l'entreprise de BTP OGER est reprise par Rafik Hariri, transformée en bureau d'études, redéployée vers le Moyen Orient et utilisée comme appui pour la constitution de la société SOLIDERE en charge de la reconstruction après la guerre civile à partir de 199144 . n° HS automne 2017 Les pays d'Afrique sub-saharienne issus de l'Empire constituent l'aire géographique qui reste la plus durablement sous l'emprise de l'expertise française. Cette dernière s'étend même rapidement aux ex-colonies belges et à l'Île Maurice. De 1959 à 1964, le Fond d'aide et de coopération finance la poursuite des orientations adoptées lors de la fin de la période coloniale et la construction des nouvelles capitales auxquelles participent des bureaux d'étude français comme la SETAP à Abidjan en 1960. Puis le SMUH monte en puissance dans ces territoires dès 1965. Il apporte un appui technique et anime plusieurs équipes permanentes comme le BNETD à Abidjan, le BEAU à Kinshasa ou le MATIM à l'Ile Maurice. Dans d'autres villes, il participe au lancement de missions d'urbanisme ou coordonne des études dans d'autres. Ici encore, la SCET International et le BCEOM participent largement aux études urbaines et à la planification45 . C'est aussi le cas de bureaux d'études spécialisés dans la coopération comme le Groupe Huit ou le Centre africain des sciences humaines appliquées à Abidjan, et d'autres non spécialisés comme le BERU à Kinshasa ou encore la Compagnie d'études économiques et de gestion industrielle à Abidjan. L'IAURIF prend aussi place parmi ces producteurs d'études dès les années soixantedix et nombre d'agences d'urbanisme françaises lui emboîtent le pas avec les débuts de la coopération décentralisée. Enfin, le périmètre indochinois est un cas particulier. Après les conflits, la demande d'expertise se réoriente vers l'aide technique des pays "frères" com- munistes, celle de l'URSS notamment pour le Vietnam. Mais, dans les années quatre-vingt, avec la fin de cette aide et leur politique d'ouverture, ces pays font appel de nouveau à l'expertise française. La coopération décentralisée joue ici aussi pleinement son rôle, l'IAURIF effectuant sept missions à Hanoi de 1990 à 2002 et l'APUR s'impliquant à Phnom Penh de 1992 à 2009 ainsi que pour des missions plus courtes à Vientiane et Ho Chi Minh Ville. Au Vietnam, l'exportation d'expertise urbanistique s'inscrit désormais dans une nouvelle perspective, celle de l'émergence économique. Les marchés de l'émergence : une logique politico-économique Dans les années soixante-dix, des pays de régions sous-développées s'appuient sur certaines ressources importantes ou sur une dynamique économique très favorable pour mettre en place une planification étatique forte de leur développement socio-économique, basée notamment sur l'importation d'expertise étrangère46 . Dans certains de ces marchés, les experts français acquièrent P. Philifert, « Maroc : des études urbaines saisies par le changement ? », Géocarrefour vol.85 n°4 (2010), p.323-331. 44 E. Verdeil, Une ville et ses urbanistes : Beyrouth en reconstruction, thèse de doctorat, Paris 1, 2002 et Eric Verdeil, Beyrouth et ses urbanistes. Une ville en plan (1946-1975), Beyrouth, Presses de l'IFPO, 2011. 45 J.-L. Vénard, op. cit. et L. Haguenauer-Caceres, « Construire à l'étranger. Le rôle de la SCET Coopération en Côte d'Ivoire de 1959 à 1976 », Histoire urbaine n°23 (2008), p.145-159. 46 Voir C. Jaffrelot (dir.), L'enjeu mondial. Les pays émergents, Paris, Presses de Sciences Po, 2014. 43 l « pour mémoire » 103 une place non négligeable. La France est alors une puissance économique importante, fondatrice du G7 en 1976, et développant une politique géostratégique autonome au sein du camp occidental. Surtout, sous Valéry Giscard d'Estaing, l'aide technique est réorientée vers le soutien à l'économie française en particulier à travers l'approvisionnement en pétrole et le développement de marchés, réorientations en partie conservées sous François Mitterrand47. Le déploiement de ces « marchés de l'émergence », bien que passant souvent par la signature d'accords de coopération culturelle, scientifique et technique, est donc d'abord sous-tendu non par une adhésion culturelle mais par des intérêts politico-économiques bilatéraux. Dans le monde arabe dont la France est proche depuis 1964, la demande d'expertise est liée à la montée en puissance économique de plusieurs pays à la suite du choc pétrolier, notamment ceux de la péninsule arabique. Dès les années soixante, quelques architectes français sont en charge de projets d'équipements publics dans certains pays. S'ils se situent hors de l'ancien périmètre du mandat français au Proche Orient, cette exportation de l'expertise peut cependant s'appuyer sur l'expérience française au Liban ou en Syrie. Après avoir été lauréat du concours pour le musée national du Koweït, Michel Ecochard réalise ainsi en 1973 avec une équipe franco-libanaise le plan de la nouvelle capitale du Sultanat d'Oman. Aéroports de Paris obtient l'un de ses premiers contrats à l'export en 1974 pour la conception et la réalisation de l'aéroport d'Abu Dhabi. C'est surtout l'Arabie Saoudite, signataire dès 1963 d'un accord bilatéral de coopération, qui fait un usage important de cette expertise. En 1976, elle lance un appel d'offre pour l'étude de la planification des six principales agglomérations du pays dont trois impliquent des bureaux d'études français : la SCET International avec la SEDES pour la capitale, Riyad, la SERETE pour Jizzah, et OTH secondant l'agence saoudienne IDEA pour la ville nouvelle industrielle de Yanbu48 . L'IAURIF participe aussi à ces trois études. La coopération française marque le pas dans les années quatrevingt-dix bien que le GIEVNF obtienne en 2000 une mission d'appui à l'équipe d'urbanistes locaux pour le nouveau plan de Riyad. L'Asie, coeur de ces « marchés émergents », est dominée par l'aide technique japonaise depuis les années cinquante. Pourtant l'expertise française conquiert de nouvelles positions à partir de la fin des années soixante-dix. C'est le cas de l'Asie du Sud-Est et notamment de l'Indonésie. Si ce pays fait appel à une filiale de Schneider & Cie pour réaliser cinq des plus importants ports du pays dès 1957, c'est à partir de 1972 que son gouvernement cherche l'appui économique de la France. Suite au choc pétrolier, le gouvernement de Valéry Giscard d'Estaing en fait un partenaire majeur, partenariat poursuivi sous François Mitterrand du fait de la proximité de ce pays avec le Vietnam. Aéroports de Paris et Sofréavia remportent en 1976 le contrat d'étude du nouvel aéroport de Djakarta prolongé par l'étude de plusieurs aéroports régionaux. En 1982, cette coopération prend une autre dimension avec l'accord de coopération bilatérale d'aide technique signé entre les ministres français et indonésien en charge de l'urbanisme. Dans ce cadre, le GIEVNF mène de 1984 à 1989 sa première expérience d'assistance technique pour la conception d'une ville nouvelle, Bekaci, dans l'agglomération de Djakarta, avec notamment OTH et Economie et Humanisme. Entre 1994 et 1996, la Sofrerail puis Systra sont chargés de la planification d'une ligne à grande vitesse pour l'île de Java. L'accord inclut aussi un volet de formation d'urbanistes indonésiens en France. En Malaisie, pays frère et rival de l'Indonésie, l'imaginaire haussmannien semble aussi jouer un rôle clé dans le choix par le gouvernement, en 1995, de l'agence d'architecture Dubus-Richez pour participer à la conception de la future nouvelle capitale Putrajaya, puis en 1997 dans l'implication de l'agence Viguier pour la ville nouvelle de Bandar Nusajaya en face de Singapour. En Thaïlande, les expériences sont plus éparses : Bouygues est choisi en 1990 pour construire la ville nouvelle de Muang Thong Thani (conçue par une équipe australienne) puis le GIEVNF est F. Godement, « Une politique française pour l'Asie-Pacifique ? », Politique étrangère 1995/4, p.959-970 et H. Terres, « Le « pivot » français vers l'Asie : une ébauche déjà dépassée ? », Politique étrangère 2016/1, p. 177-188. 48 Sur Riyad, voir B. George et L.-P. van der Brulle, « Riyadh, architectes français en Arabie Saoudite » in M. Culot et J.-M. Thiveaud, Architectures françaises outre-mer, Liège, Mardaga, 1992, p.206-219 et P. Menoret, Royaume d'asphalte : Jeunesse en révolte à Riyad, Paris, La Découverte, 2016. « pour mémoire » 47 l n° HS automne 2017 104 Dubus & Richez, Plan masse de la ville nouvelle de Putrajaya, nouvelle capitale administrative de Malaisie, 1997 ©Dubus & Associés chargé en 1996 de concevoir l'aménagement d'un vaste terrain de l'Université Chulalongkorn dans le centre de Bangkok. Mais ces actions sont stoppées par la crise économique asiatique49 . La percée française en Asie touche aussi et surtout le monde chinois. A Taiwan, c'est suite au choix de la Sofrerail en 1990 pour la conception de la ligne à grande vitesse Taipeh-Tsioying que l'IAURIF et le GIEVNF sont chargés de l'évaluation de la politique de villes nouvelles qui lui est associée en 1992-1993 50 . Mais c'est en Chine même que cette importation est massive et durable. Après avoir reconnu précocement le régime communiste, la France signe avec ce pays un accord de coopération scientifique dès 1978. C'est dans ce cadre que sont développés les premiers échanges entre experts français et chinois, jusqu'à la visite officielle du ministre français de l'Équipement en 1985 qui scelle une coopération approfondie en urbanisme. L'importation de l'expertise architecturale débute avec l'aide technique pour la rénovation du quartier de l'ancienne concession française de Shanghai, lancée en 1984. Avec l'AFEX et la création en 1997 d'un Observatoire de l'architecture de la Chine contemporaine, à l'initiative du ministère de la Culture français, elle se développe non seulement à travers des projets d'équipements mais Voir O. Petit, L'influence des villes nouvelles françaises en Asie dans leur rapport avec les idées, les entreprises et les hommes de l'art français, rapport pour le ministère de l'Équipement, 2002. 50 G. Antier, Près de Taipeh : terminus Danhai, Cahiers de l'IAURIF n°104-105 (1993), p.190-192. 49 n° HS automne 2017 l « pour mémoire » 105 aussi des études de conception urbaine. L'IAURIF effectue des missions d'évaluation des politiques urbanistiques dès 1986 pour le compte des Instituts d'urbanisme de Pékin et de Shanghai. Au total, il réalise plus d'une vingtaine de missions dont certaines ont eu un impact déterminant sur l'urbanisme chinois comme par exemple l'aide technique pour la mise en place de la compétition internationale pour la conception du quartier d'affaires de Pudong à Shanghai en 199251 . Le GIEVNF effectue lui aussi cinq missions depuis l'étude de la ville historique de Suzhou (1991-94) jusqu'à l'étude de l'aménagement d'un nouveau quartier de Tianjin (2003). des questions dans la période actuelle de désengagement de l'État mais aussi des autres acteurs publics. Au-delà de l'expertise professionnelle, qui est relativement bien renseignée même si les données sont fragmentées et parfois manquantes, l'urbanisme français s'est aussi exporté à travers la formation c'est à dire le public international de ses instituts et écoles et la diffusion du ou des modèles sur lesquels sont basés ces derniers. Les études encore très limitées sur ce sujet semblent montrer que ce secteur est aussi fortement marqué par cette dimension internationale 52 . Conclusion L'exportation est donc un fait majeur de l'urbanisme français. Depuis ses origines et tout au long de son histoire, la plupart de ses acteurs clés, qu'ils soient individuels ou collectifs, ont eu une action à l'international qui est souvent non négligeable dans le développement de leurs pratiques. Dans plusieurs pays de différents continents, ces acteurs se sont relayés au cours du XXe siècle dans l'établissement puis le maintien d'une importation de l'expertise française. Dans cette histoire, les acteurs publics, et au premier rang l'État, jouent un rôle central. Les données manquent pour la période précédant la seconde guerre mondiale mais sont éclatantes pour la période qui suit jusqu'à nos jours, malgré la décentralisation des années quatrevingts - ce qui ne manque pas de poser C. Henriot, « Les politiques chinoises de villes nouvelles : trajectoire et ajustements de l'action publique urbaine à Shanghai », Géocarrefour vol.90 n°1 (2015), p.27-38. 51 M. Jolé, Histoire turque de l'Institut d'urbanisme de Paris. Des étudiants de 1919 à 1969, Istanbul, IFEA, 2016. « pour mémoire » 51 l n° HS automne 2017 106 dossier Itinéraire d'un élu local à l'international Entretien avec Patrick Braouezec Propos recueillis par Samuel Ripoll Patrick Braouezec est président de l'établissement public territorial « Plaine Commune » et vice-président de la métropole du Grand Paris. Il avait auparavant été maire de Saint-Denis (1991-2004) et député de la SeineSaint-Denis (1993-2012). Il est également membre fondateur et co-animateur de la commission Inclusion sociale, démocratie participative et droits humains de Cités et gouvernement locaux unis, l'association des collectivités locales. Des premiers jumelages jusqu'à l'implication dans les réseaux de villes et dans les arènes onusiennes, mais aussi dans les forum sociaux mondiaux, il revient avec nous sur son engagement à l'international. Comment, en tant qu'élu local, vous êtes vous intéressé à l'international ? Quel était le contexte de l'action internationale de Saint-Denis lors de votre arrivée à la municipalité ? Comme beaucoup de villes, nous étions engagés dans des jumelages à l'international, qui s'étaient construits au lendemain de la 2e guerre mondiale. Nous avions ainsi au début des années 80, lorsque j'étais encore maire adjoint, des relations avec Gera (RDA), Coatbridge (Ecosse), Sesto San Giovanni (Italie) et Kievski (Quartier de Moscou). Ces villes avaient des caractéristiques assez similaires à Saint-Denis, et partageaient en particulier une certaine histoire, assez violente, de l'industrialisation. Puis, petit à petit, nous avons développé un travail plus directement en lien avec la ville de Saint-Denis au travers n° HS automne 2017 d'associations de personnes originaires de certains pays - je pense à l'Algérie, au Maroc, au Mali -, ce qui nous a amené à nous impliquer sur des coopérations décentralisées. En parallèle des jumelages « traditionnels », nous avons ainsi lancé ces partenariats sur des thèmes très précis, avec des échanges non plus uniquement sur des projets de loisir, sportifs ou culturels, mais sur des questions de formation, de renforcement de l'administration publique, de transports comme à Agadir, ou encore de désenclavement de certains villages au Mali. Tout cela nous a amené finalement à étendre les relations internationales que nous avions jusqu'à présent à d'autres pays et d'autres types de coopération. communiste. Comment ce facteur politique a-t-il influencé l'action internationale de la ville ? Y avait-il une approche particulière de ces questions au sein du PCF ? Il y avait au sein du PCF le groupe de travail POLEX (politique extérieure), qui avait longtemps été sous la responsabilité politique de Jean Kanapa, puis de Maxime Gremetz à partir de 1978 et pendant vingt ans, puis de Francis Wurtz. Leur approche des relations internationales était extrêmement marquée par une prégnance de l'URSS et des pays de l'Est, et restait très largement orientée et dictée par une vision solidaire avec le bloc soviétique. Par exemple, si les villes communistes n'étaient pas membres du Conseil des communes et des régions d'Europe (CCRE), c'était parce qu'il s'agissait d'une association qui Saint-Denis a par ailleurs longtemps été un bastion historique du parti l « pour mémoire » 107 événement ? Quels ont été ses impacts et ses suites, notamment pour la ville de Saint-Denis ? Je crois qu'Habitat II a été un moment charnière à bien des égards. Nous y avions été invités en tant que membres du bureau de la FMCU. Globalement, un des grands résultats pour moi a consisté dans la reconnaissance par l'ONU et les Etats du rôle fondamental des villes dans le devenir du monde urbain et dans la cohésion sociale. C'est d'ailleurs à partir de là qu'on a commencé à parler de « pouvoirs locaux ». Nous avons aussi pu rencontrer à Istanbul un grand nombre de villes qui partageaient notre engagement. C'est là que j'ai rencontré pour la première fois Raul Pont qui venait d'être élu maire de Porto Alegre. Istanbul a donc été un moment important dans la prise de conscience que l'international pouvait aussi permettre de se ressourcer et d'avoir des échanges d'expériences, d'expérimentations, notamment autour de la question du budget participatif et de la démocratie participative. Habitat II a permis de créer une véritable dynamique. C'est dans ce mouvement qu'en 1998 la municipalité de Barcelone, alors dirigée par Joan Clos, a pris l'initiative d'inviter les villes autour de l'écriture d'une charte des Droits de l'homme dans la ville. Plus d'une centaine de villes se sont retrouvées sur ce projet, et SaintDenis s'est particulièrement engagée dans son animation avec Barcelone et Venise. Nous y avons travaillé avec des personnalités comme l'historienne « pour mémoire » Une délégation de Coatbridge en visite dans un bidonville de Saint-Denis, 1968. ©Archives municipales de Saint-Denis/Pierre Douzenel contribuait au rapprochement des villes dans la perspective de la construction européenne, et bien entendu, le PCF ne pouvait pas s'y retrouver. Les villes communistes s'inscrivaient ainsi dans d'autres formes d'actions, toujours sur le même prétexte de la paix et de la solidarité entre les peuples, avec notamment une autre association, la Fédération Mondiale des Villes Jumelées (qui deviendra la Fédération Mondiale des Cités Unies, FMCU) qui incitait les villes à dépasser le mur en pleine guerre froide. A Saint-Denis nous avons assez rapidement pris des distances par rapport à cette approche, tout en continuant à explorer des thèmes comme celui de la paix. J'ai participé à un voyage au Japon, organisé par les Villes pour la Paix, pour le 50e anniversaire de Hiroshima et Nagasaki, en 1995. J'y ai découvert un nouvel espace politique et géographique, et aussi une nouvelle façon de voir les relations internationales autour de grands thèmes comme le désarmement nucléaire. Dans le même temps, la ville de Saint-Denis était membre de la FMCU, et aussi, paradoxalement pour une ville communiste, de l'International Union of Local Authorities (IULA). Nous avons d'ailleurs été très engagés dans le rapprochement souhaité de ces deux organisations, qui a abouti ensuite à la création de Cités et Gouvernement Locaux Unis (CGLU). Vous étiez présent au sommet Habitat II à Istanbul en 1996. Pourriez-vous nous raconter comment vous avez vécu cet l n° HS automne 2017 108 et militante Madeleine Reberioux ou encore les juristes Mireille DelmasMarty et Joan Bandres. Nous avons été invité en 1999, avec Barcelone, à participer à un sommet à Porto Alegre qui portait sur le budget participatif. C'est à ce moment que s'est construit, avec le soutien de l'Union Européenne, le réseau URB-AL, qui rassemblait des villes latino-américaines avec également neuf villes européennes, et qui a donné ensuite naissance à l'Observatoire international de la Démocratie Participative, qui existe toujours au sein de CGLU. Je fais ici une petite parenthèse. Quand Marta Suplicy a été élue maire de São Paulo en 2000, juste avant le Forum social de Porto Alegre, elle m'a invité à sa cérémonie d'investiture. Je me suis retrouvé avec les grands maires d'Amérique latine et d'Amérique centrale (Mexico, Asunción, Montevideo, Buenos Aires...). Je me demandais un peu ce que je faisais là jusqu'au moment où elle m'a donné la parole pour que j'explique ce que nous avions mis en place au niveau du budget participatif à Saint-Denis, parce qu'elle voulait créer un réseau des villes Latino-américaines autour de ces questions. En 2000, nous avons également signé la Charte européenne des droits de l'homme dans la ville, aux côtés de deux cent autres municipalités, dont Belfast n° HS automne 2017 et des villes italiennes qui avaient activement porté la démarche. Cette vaste dynamique s'est ensuite prolongée en parallèle des forums sociaux mondiaux, en particulier ceux de Porto Alegre, et la tenue du Forum social européen à Saint-Denis en 2003. Les forums sociaux ont un volet dédié à la ville au travers du Forum des Autorités Locales (FAL), qui connait depuis le début une participation importante. Ces événements ont permis pour la première fois d'organiser des rencontres entre les mouvements sociaux et les élus autour des questions urbaines. Du point de vue français, j'étais lors du premier forum social encore assez isolé. Mais dès la deuxième édition la mobilisation s'est accrue, avec la participation de plus de soixante-dix villes de l'hexagone. De nombreuses municipalités ont vu l'intérêt qu'elles pouvaient en retirer, les échanges d'expériences et d'idées. C'est de cette manière que Nanterre a développé des initiatives internationales sur les villes de banlieues, notamment en lançant le FALP (Forum des autorités locales de périphéries). Il y a bien sûr d'autres collectivités en France qui ont contribué à promouvoir cette action internationale, comme le Conseil général de Seine-Saint-Denis, celui du Val-deMarne, ou encore la municipalité d'Aubagne sur la question des villes pour la paix. Habitat II a permis de créer une véritable dynamique La ville de Barcelone occupe depuis longtemps une place prépondérante dans les débats internationaux sur la ville. Elle s'est engagée dès les années 80 dans la structuration de réseaux transnationaux de collectivités, dans l'organisation de sommets mondiaux, et dans la coopération de ville à ville sur de nombreuses thématiques, notamment la planification stratégique. Vous-même êtes en collaboration étroite avec elle depuis les années 90. Pourriez-vous nous raconter l'histoire de cette relation ? Notre histoire avec Barcelone remonte en effet au début des années 90. Nos liens sont depuis restés forts, et ce même lorsque la droite s'est emparée de la municipalité entre 2011 et 2015. Après avoir pris en 1993 la décision de construire le stade de France, nous avons contacté dès 1994 la mairie de Barcelone pour étudier ce qu'ils avaient mis en place dans le cadre des Jeux olympiques de 1992 et de leur plan stratégique. Nous nous sommes beaucoup inspirés de ce plan pour élaborer le projet urbain de la Plaine et faire en sorte que le stade ne vienne pas se poser comme une « soucoupe volante » sur le territoire, de manière hors-sol, mais qu'il vienne bien s'intégrer dans son environnement. C'était une expérience très intéressante. Nous avons ensuite approfondi ce partenariat en 1998 avec la conférence organisée par Joan Clos dont j'ai déjà parlé tout à l'heure. Barcelone s'est d'autre part beaucoup impliquée dans la Commission Inclusion sociale et démocratie participative de l « pour mémoire » 109 CGLU, que je co-présidais avec elle. Mais petit à petit, l'inclusion sociale et la démocratie participative n'étant plus forcément le moteur ou le centre de leur action publique, ils s'en sont un peu écartés. Mais nos relations nous ont permis néanmoins de maintenir en place la commission pendant un temps et de trouver de nouveaux partenariats avec par exemple Mexico ou Guangzhou, de manière à faire en sorte que cette commission continue à exister et à être la seule commission au sein de CGLU avec peut-être la commission Culture, également issue de Porto Alegre qui joue un rôle réellement politique autour des questions de villes et de métropoles. On sent bien qu'au sein de ces réseaux de villes ­ et de CGLU en particulier ­ il y a une tendance très forte à ce que l'administration prenne en main les problématiques sans qu'il y ait de débat politique. Bien souvent, nous avons dû imposer ces débats. Je me souviendrai toujours de l'ancienne secrétaire générale de CGLU, Élisabeth Gateau, à qui j'avais mené la vie dure lors du congrès de Mexico. Dans le projet de résolution finale il y avait beaucoup de choses qui ne nous convenaient pas parce qu'elles étaient très en deçà de l'exigence politique qu'on devait avoir sur le devenir des métropoles et des villes. J'ai participé personnellement à ces réunions parfois jusqu'à trois heure du matin, je leur disais que pour moi, une résolution finale d'une organisation comme celle-là n'était pas anecdotique, et qu'elle avait une portée universelle, parce que nous représentions les pouvoirs locaux. Si nous voulons être entendu au niveau de l'ONU et d'autres organismes, il faut que cette parole fasse sens et véhicule de vraies idées. Il faut que ce soit une vraie parole politique et pas simplement un ramassis de lieux communs passe-partout. n'aurait pas pu exister et mener un travail réellement politique sans la participation de Barcelone, de Bogota, de Nuremberg, de Mexico, de Quito, de Nantes ou encore de Guangzhou. De même, la commission culture doit beaucoup à l'engagement de Lille et Barcelone. CGLU se pose aujourd'hui la question de savoir comment investir davantage les élus parce qu'un élu dans une commission, c'est ce qui la fait vivre. Un des combats que l'on mène, c'est de faire en sorte que cela ne soit pas l'administration qui prenne le dessus, dans les groupes thématiques comme dans le pilotage global de CGLU. Ou plus précisément, comme il me semble qu'ils ont déjà le dessus, l'enjeu c'est que le politique reprenne sa part dans le devenir de ces associations. La structuration des collectivités locales à l'échelle mondiale a en effet connu un véritable élan en 2004 avec la création de CGLU, issue de la fusion des deux principales associations FMCU et IULA. Après avoir oeuvré à ce rapprochement, vous avez milité pour la création de la commission inclusion sociale, démocratie participative et droits humains, que vous co-animez encore aujourd'hui. Comment et pourquoi cette commission a-t-elle été conçue ? Comment voyez-vous votre place aujourd'hui au sein de CGLU ? La création de cette commission s'est faite dans la lignée du FAL qui accompagnait les forums sociaux. Nous nous sommes aperçus que nous avions structuré un certain nombre de villes autour de ce Forum, qui méritaient de peser au sein de CGLU sur les questions de démocratie participative et d'inclusion sociale, et nous avons donc fait cette proposition. Mais cela n'a pas été une bataille facile. Au départ les commissions thématiques de CGLU n'étaient pas prévues, l'organisation ne devait reposer que sur des sections régionales. Leur création en 2005 a aidé les pouvoirs locaux à mieux y trouver leur compte. Je pense que CGLU fonctionne d'abord grâce à la mobilisation des villes elles-mêmes et des élus. La commission inclusion sociale Vous vous êtes impliqué dans la préparation d'Habitat III et avez participé à la conférence en octobre dernier. Quel bilan en tirez-vous ? Comme beaucoup de ces sommets, le verre est à moitié vide ou à moitié plein selon que l'on est pessimiste ou optimiste. Il y a eu un travail préparatoire important dans lequel je me suis beaucoup impliqué. Nous avons eu de nombreuses de séances de travail à Barcelone, Nairobi, New York, qui étaient particulièrement intéressantes. Ce qui était aussi intéressant, c'était de voir que les idées que nous avons défendues sur la métropole inclusive, sur le droit à la ville pour tous, sur les questions de polycentrisme au sein des métropoles, ont fait leur petit bonhomme de chemin. « pour mémoire » l n° HS automne 2017 110 Ce n'était pas gagné d'avance. Nous avons senti qu'il y avait, notamment de la part des Anglo-Saxons, beaucoup de réticences par rapport à cette question du droit à la ville. Ce que je regrette beaucoup, c'est le très faible traitement médiatique dont Habitat III a fait l'objet, surtout si on le compare à la COP21, qui a fait l'objet d'un véritable battage médiatique. C'est tout de même un rendez-vous qui n'a lieu que tous les vingt ans, qui fixe un certain nombre d'objectifs sur les questions urbaines qui sont, on le voit bien, des questions politiques à part entière et à mes yeux au moins aussi importantes que les problématiques environnementales. Jamais on n'en a parlé une seule fois à l'échelon national. C'est assez déplorable. Le document final d'Habitat III est un document plutôt intéressant mais qui, comme souvent avec ce genre de papier, ne donne pas le sentiment que beaucoup de femmes et d'hommes politiques aient participé à la sa rédaction. Ce sont des administrations qui l'ont écrit, et c'est là où on est bien souvent sur du consensus mou ou sur quelque chose de fade. La conférence Habitat III en elle-même n'était pas particulièrement intéressante. Il y a eu des moments certes riches, notamment sur les tables rondes, qui n'étaient d'ailleurs pas vraiment des tables rondes mais plutôt des successions d'interventions. On voyait à ce titre qu'on était dans le tout et son contraire. On sentait que cela aurait mérité plus de débat contradictoire, et n° HS automne 2017 de mettre en perspective deux scénarios opposés, en s'intéressant à la question du type de croissance voulu pour les villes et à la question des métropoles attractive et compétitives. Faut-il amplifier le phénomène de métropolisation ? À deux ou trois reprises, notamment à New York où j'avais posé la question, on nous répond qu'en 2050, 80 % de la planète vivra dans un tissu urbain dense de type grande ville, métropole ou mégalopole. Est-ce souhaitable ? Est-ce inévitable ? Que fait-on à partir du moment où l'on considère que ce n'est pas souhaitable ? Est-ce qu'on laisse faire au nom de la compétitivité ou est-ce que le politique reprend le dessus en disant que ce n'est pas viable ? Aujourd'hui, l'une des questions clés sur le territoire français est de se demander jusqu'où doit aller la métropolisation. Et pour faire quoi ? Est-ce pour continuer à accentuer le désert français ou est-ce pour développer des métropoles qui deviennent rayonnantes et qui irriguent l'ensemble du territoire par des redistributions permettant aux autres territoires de devenir des centralités à part entière ? Toutes ces questions n'ont pas été tranchées, alors qu'elles me semblent fondamentales et valables dans tous les pays. C'est en effet valable sur le grand Paris et dans les métropoles moins peuplées, c'est ressenti de la même façon à Badalona par rapport à Barcelone, dans les banlieues de Madrid etc. C'est le cas aussi des villes brésiliennes avec lesquelles on a des contacts comme São Paulo ou Porto Alegre. D'ailleurs les échanges que nous avons eu avec d'autres villes sur ce sujet tout au long du processus nous ont été très utiles dans nos propres réflexions sur le Grand Paris. Je pense d'autre part que Habitat III a confirmé la présence des pouvoirs locaux dans les arènes internationales. Il faut tirer son chapeau à CGLU qui a su le faire de manière unie et consensuelle, parce qu'il existe une tendance des grosses villes à vouloir être les représentantes de tout le monde sans nécessairement obtenir l'accord des autres. Enfin, même si cela ne se retrouve pas toujours dans le document final, nous avons eu à Quito des débats sur de nombreuses thématiques, comme par exemple le foncier. Je me rappelle d'ailleurs une anecdote lors du Forum social mondial à Bamako en 2006. Lors d'une table ronde à laquelle j'avais participé, on voyait les questions foncières se poser de façon différente en Europe et en Afrique, mais finalement avec le même fond, et en particulier sur le sujet de la propriété foncière. La terre ne doit appartenir à personne. Elle devrait être exploitée par des gens en agriculture, elle devrait pouvoir être l'objet de construction, mais on devrait être propriétaire seulement du bâti et pas de la terre. l « pour mémoire » dossier 111 La coopération urbaine comme chantier de recherche Entretien avec Annik Osmont et Charles Goldblum Propos recueillis par Samuel Ripoll De quels savoirs a-t-on besoin pour analyser et éclairer la coopération urbaine ? Comment le paysage français de la recherche et de la formation en la matière s'est-il constitué ? Nous revenons sur ces questions avec deux chercheurs - Annik Osmont, anthropologue, et Charles Goldblum, urbaniste - qui ont consacré leur vie professionnelle à l'étude des transformations des villes dites du « Sud », et plus particulièrement à l'action spécifique des coopérations internationales et des transferts de modèles sur les systèmes urbains. Ils évoquent avec nous leurs parcours intellectuels et institutionnels, notamment depuis les années 60, l'évolution de leurs relations avec les acteurs du développement, et les apports possibles de la recherche et de la formation aux politiques de coopération. Comment avez-vous commencé à vous intéresser aux questions de coopération urbaine ? Dans quel contexte intellectuel ? Annik Osmont Mon Intérêt s'est porté très tôt sur la ville comme socio-système urbain, projection dans l'espace des rapports sociaux (ce que nous apprenait le sociologue Paul Henri Chombart de Lauwe dans les années cinquante). La ville lieu du changement social (Paris insurgé, en 1871, en 1944...), objet d'enjeux de développement économique très puissants. La reconstruction dans les années 50 du Havre, lieu de ma jeunesse, était l'objet de débats urbanistiques, sociaux et culturels qui agitaient jour après jour l'ensemble de la population. Mais la ville-port, c'est aussi l'ouverture au monde et ses cultures diversifiées, vers le Nord, vers les Amériques, qui stimule l'imaginaire vers la recherche d'un « Ailleurs » prometteur. Les deux thématiques se sont rencontrées à l'occasion du choc qu'a représenté la guerre d'Algérie, et plus généralement la prise de conscience des méfaits de la colonisation. Après des études de philosophie, j'ai évolué vers l'anthropologie, en suivant la formation de Georges Balandier à l'EHESS. Sa Sociologie des Brazzavilles noires (Presses de Sciences Po, 1954) était ma référence. Il y avait aussi le fort courant des tenants anglo-saxons de l'anthropologie sociale. C'est au Centre d'études africaines, dirigé par Balandier, que j'ai effectué mes premières recherches sur Dakar, dès 1965. J'étais intéressée par les pratiques des acteurs de la ville, d'abord à une échelle microsociale, celle d'une anthropologie de l'espace habité en ville. Très vite s'est posée la question du transfert des modèles d'habitat, dans une configuration de dualisme culturel entre tradition et modernité. En fait, les observations sur le terrain m'ont permis de conclure à une articulation entre tradition et modernité, à travers des pratiques souvent subtiles d'hybridation culturelle. Et c'est toujours cela qui a sous-tendu l'ensemble de mes recherches et de mes réflexions, qu'il s'agisse des pratiques citadines d'installation en ville et de son usage, ou de celles qui produisent les politiques urbaines et leur mise oeuvre. « pour mémoire » l n° HS automne 2017 112 Passant à l'échelle macro-sociale, je me suis intéressée à l'analyse des projets et interventions de la Banque mondiale, acteur dominant du développement au travers de l'ajustement structurel au plan macro-économique, et par une action sectorielle au plan urbain. Il fallait montrer comment l'idéologie néolibérale nourrissait cette entreprise. Il fallait comprendre comment se produisait, avec quels acteurs, le discours dominant à vocation universelle. Je m'attachais aussi à comprendre comment les acteurs nationaux interprétaient les règles, parfois les contournaient et les détournaient, utilisant la ruse et pratiquant l'hybridation culturelle. J'ai fait systématiquement ce travail pour trois pays : le Sénégal, le Burkina Faso, et la Tunisie. Mais j'ai pu vérifier mes analyses dans d'autres pays, notamment au Brésil. J'ai pu aussi constater comment le terme de « gouvernance » pouvait habilement servir à masquer le contenu politique des mesures mises en place dans le cadre d'une mondialisation efficace. Cette recherche fut assez solitaire pendant quelques années. Par ailleurs, en 1965, j'ai été conviée à participer à la création de l'atelier d'urbanisme de l'École nationale des ponts et chaussées (ENPC), sous l'égide de Guy Lagneau, grand orfèvre du schéma directeur de la région parisienne, dont le slogan, « Il faut urbaniser les ingénieurs », marquait bien le caractère innovant de cette entreprise. Pluridisciplinarité chez les enseignants et les étudiants, n° HS automne 2017 Vue d'un quartier «moderne» de Dakar en 1962 ©UN Photo accueil d'étudiants étrangers, apports sollicités des sciences humaines, je m'y trouvai à l'aise dès le début, me spécialisant rapidement dans un enseignement sur les questions urbaines dans les pays en développement. L'innovation était à l'ordre du jour, et dès le début des années 70, j'ai pu organiser chaque année un projet de fin d'études sur ces questions, essentiellement en Afrique. Charles Goldblum Ma démarche relative aux questions de coopération urbaine se situe au croisement de trois domaines d'intérêt : les villes, l'urbanisme et les politiques urbaines ; l'Asie du Sud-Est, ses espaces et ses sociétés ; la modernité et le développement. De là sont nées des interrogations résultant de lectures croisées de Lewis Mumford, de Paul Mus et de Walter Benjamin, mais aussi bien d'Henri Lefebvre, de Georges Condominas et d'Yves Lacoste. C'est en fait une première expérience d'acteur de la coopération française au Cambodge, à la fin des années 1960, en tant qu'enseignant en urbanisme à la Faculté d'Architecture de l'Université royale des Beaux-Arts, suivi d'une mission intermittente de coopération technique auprès de la MAET (Mission française d'aide économique et technique) à Vientiane (Laos), qui a donné corps à ce croisement, aux interrogations critiques de l'époque sur les jeux de modèles de pensée et d'action dans le champ de l'urbanisme. C'était à un moment où l'assistance technique dans ce domaine était sollicitée tant sur le plan de la formation que de l'expertise ­ mais dans un contexte marqué par l'importance de l'aide multilatérale et, en ce qui concerne Phnom Penh, par le passage d'un l « pour mémoire » 113 urbanisme de prestige, de composition urbaine (associé à une conception architecturale « Khmère moderne ») à un urbanisme correctif. L'interruption brutale d'un premier projet de thèse sur Phnom Penh avec l'entrée du Cambodge dans la seconde guerre d'Indochine, mais aussi la radicalité des positions anti-urbaines à laquelle celle-ci ouvrait la voie, ont constitué des références marquantes pour l'examen des questions de recherche que j'ai développées ultérieurement dans d'autres contexte de l'Asie du Sud-Est émergente : l'héritage colonial dans la planification urbaine pour Singapour ; la métropolisation pour Bangkok ; la transition urbaine pour Phnom Penh et Vientiane. Quelle que fût la nature des structures de recherche dans lesquelles ces travaux ont été menés (centres spécialisés sur l'Asie ou sur les questions de développement, laboratoires associés aux écoles d'architecture ou à l'Institut d'urbanisme), la question des villes et de leur développement a toujours constitué un élément central pour mes recherches, et la recherche un élément déterminant pour mes actions individuelles et collectives de coopération urbaine dans les domaines de la formation et de l'expertise. convergence, avec l'Institut d'urbanisme de Paris 8 comme institution de rattachement et pôle de rayonnement de nos activités scientifiques communes. Nous avons, au besoin, contribué à créer ces dispositifs de formation et de recherche. Ainsi, c'est en commun que nous avons oeuvré à la mise en place d'une structure d'enseignement cohérente sur la question des villes et de leur développement dans les pays des Suds au sein du DESS d'urbanisme et aménagement. Outre l'intégration de nos spécialités respectives dans ce dispositif, nous avons créé des enseignements conjoints novateurs, tel le cours « Anthropologie urbaine et tiers-monde ». Visant à ouvrir l'esprit de nos étudiants, futurs urbanistes, à la question de l'intervention urbaine sur des territoires distincts, ce cours les incitait à réinterroger les conceptions, représentations et pratiques de l'espace à l'oeuvre dans l'urbanisme tel que pratiqué et enseigné en France. C'est ce même partage d'une distance critique relative à la circulation des modèles dans le champ de l'urbanisme qui a nourri nos activités communes au sein des réseaux et structures de recherche concernant les villes du Sud et le développement, et qui nous a conduits à concevoir et organiser conjointement des programmes et séminaires de recherche dans ce domaine. A. O. et C. G. : Ces deux cheminements intellectuels, ici esquissés dans leur spécificité, ont, dès les années 1970, trouvé les espaces institutionnels propres au développement de leurs complémentarités et points de Vue de Singapour en 1970 ©Berkeley geography/Urbain J. Kinet Comment expliquez-vous l'émergence, dans les années 70, d'une recherche explicitement tournée vers les questions de coopération urbaine ? Comment s'est-elle installée dans le « pour mémoire » l n° HS automne 2017 114 paysage institutionnel de la recherche française ? A. O. et C. G. : La recherche, on le sait, n'est pas seulement l'offre de produire des connaissances. Elle dépend aussi d'une demande, qui a deux expressions identifiées : une demande politicoinstitutionnelle, et une demande liée aux politiques de recherche et à ses organismes. Il n'y a pas forcément une concordance de temps entre les deux sphères. Dans les années soixante et la première moitié de la décennie soixante dix, la politique de coopération française avait pour priorité l'agriculture, la santé et l'éducation. Les villes n'apparaissaient que dans les projets de grosses infrastructures, ports et aéroports, aménagement de grosses industries, et quelques opérations de rénovation urbaine et de construction de logements. L'intérêt porté par la Banque mondiale dès 1970 à l'urbanisation comme facteur de développement a fait évoluer la demande de recherche. Fin 70, début 80 et après, le CNRS d'abord, puis l'ORSTOM 1 qui avait un monopole de recherche sur les pays en développement mais prenait peu en compte le secteur des sciences humaines, se lancèrent dans la mise en oeuvre d'une politique de recherche dans ce qui s'appela par la suite le « développement urbain ». L'ORSTOM créa en 1982 le département des socio-systèmes urbains, et le ministère de la recherche annonça la même année la création d'un programme mobilisateur de recherche urbaine en n° HS automne 2017 coopération, doté de moyens qui lui permirent de lancer des appels d'offres jusqu'en 1993. L'ensemble de ces moyens donna la possibilité à la recherche universitaire de se développer. En ce qui concerne l'Institut d'urbanisme de l'Université de Paris 8, nous avons pu créer dans les années 80 un groupe de recherche, RUPHUS (Recherche urbaine, politiques de l'habitat, et urbanisation dans les pays du sud), nous permettant d'avoir notre place à l'Institut d'urbanisme, même si notre position était marginale et considérée comme de peu d'intérêt. Mais lorsque fut créé le Laboratoire TMU (Théorie des mutations urbaines), ce début d'existence nous permit d'y obtenir la création d'un groupe spécifique et pérenne sur les questions des politiques urbaines. Ce dynamisme institutionnel nous a permis également de commencer à exister pour le ministère de la coopération, où nous avons pu favoriser la création, en 1982, du département du développement urbain. Cette évolution, en grande partie imputable à l'évolution des institutions de recherche, ne nous a pas permis toutefois de venir à bout de quelques principes institutionnels de la recherche en coopération : la division des champs de recherche en aires culturelles rigides (les africanistes, les américanistes, les orientalistes), le classement mono-disciplinaire des chercheurs, et l'appui à des programmes de recherche ayant comme terrain les pays dits de la « zone de solidarité prioritaire ». Cependant, peu à peu et grâce à la diversité des moyens mis en oeuvre, ces verrous ont sauté : la pluridisciplina- rité, absolument indispensable dans le champ de la recherche urbaine, et l'établissement de partenariats de recherche avec de nombreux pays, notamment en Amérique latine et en Extrême Orient, ont permis un très bon niveau de production scientifique. Du côté de la demande politicoinstitutionnelle, un manque de cohérence assez patent dans la définition d'objectifs politiques de coopération, puis d'appui au développement urbain, s'est traduit par un manque de visibilité, accentué par les alternances politiques que nous avons connues. A chacune d'elles, on a vu disparaître et apparaître nombre d'organismes, chacun appliquant une politique difficile à cerner. Vous avez souvent été amenés à travailler avec les acteurs des politiques de coopération, par exemple à l'occasion de la conférence Habitat II, ou de manière plus visible encore dans le cadre du Programme de recherche urbaine pour le développement entre 2001 et 2004. Quelle a été la genèse de cette rencontre entre la recherche et les politiques de développement ? Quels en ont été les principaux aboutissements ? A. O. et C. G. : C'est l'irruption de la Banque mondiale dans le domaine urbain, très précisément au début des années 80, qui a entraîné une articulation entre politiques de recherche et politiques de développement. En Office de la recherche scientifique et technique d'Outre mer, aujourd'hui Institut de recherche pour le développement (IRD) 1 l « pour mémoire » 115 Afrique, si on regarde le cas du Sénégal, le pays a signé quatre plans d'ajustement structurel, et quatre projets de développement urbain portant sur Dakar, entre 1980 et 1994. Côté urbain, il s'agissait de fournir un appui institutionnel aux institutions locales de gestion urbaine, avec la perspective d'accompagner et de compenser au plan local un désengagement de l'État, notamment dans le domaine des services publics. Le thème de la gouvernance fit son apparition vers 1992, et l'appui institutionnel se déplaça vers un chantier plus politique, celui de la décentralisation, qui enclencha des programmes spécifiques dans ce domaine. La coopération française se joignit, avec un peu de retard, à cet objectif, d'abord en développant ce qui existait déjà, la coopération décentralisée (loi de 1992), puis en finançant également des programmes nationaux de décentralisation. Face à cette évolution rapide et radicale, nombre de chercheurs ont déplacé leurs centres d'intérêt vers ce qui constitue le champ du développement urbain. Les politiques de coopération pour le développement sont devenues des objets de recherches scientifiques. A cet égard le GEMDEV (Groupement pour l'étude de la mondialisation et du développement, créé en 1983) était un lieu très stimulant pour aborder les questions du développement, de la mondialisation, du rôle des Etats des pays en voie de développement. Dans ces échanges, la question urbaine a été assez vite centrale. Des échanges avaient lieu également avec d'autres structures, telles que l'AITEC (Association internationale de techniciens et chercheurs) avec des ONG, notamment le GRET, et des réseaux européens tels que N'AERUS et l'EADI. Avec ces différents acteurs, nous avons beaucoup investi dans la préparation (Haut conseil de la coopération internationale), instance rattachée au premier ministre (à l'époque Lionel Jospin), devenait l'instance de coordination et de mise en cohérence de l'action extérieure de la France. Le développement urbain y avait sa place, et nous avons participé aux activités du groupe dédié que coordonnaient Georges Cavallier et Yves Dauge. C'est dans cet environnement favorable qu'a pu commencer, et s'installer durablement, l'aventure qui a eu son point d'orgue avec le PRUD (Programme de recherche urbaine pour le développement), confié au GEMDEV, et géré sur un plan administratif par l'ISTED. Le déclencheur fut la demande formulée en 1999 par la direction de la Coopération du ministère des Affaires étrangères qui nous chargeait, dans le cadre du GEMDEV, d'établir un bilan de la recherche urbaine en coopération et de proposer des éléments pour la dynamiser. La demande était claire. Notre rapport, remis en 2000, mettait en lumière les acquis, et surtout les manques, dans deux domaines fondamentaux de la recherche urbaine : les stratégies et les logiques d'acteurs, et l'analyse des interventions sur la ville (la planification urbaine, les partenariats public-privé, la gouvernance urbaine). Ce rapport fut immédiatement suivi de la mise en route du programme de recherche, prévu pour se dérouler sur quatre ans, de 2001 à 2004. Il s'agissait d'un programme incitatif, pris en charge par la sous-direction de « pour mémoire » C'est l'irruption de la Banque mondiale dans le domaine urbain, très précisément au début des années 80, qui a entraîné une articulation entre politiques de recherche et politiques de développement. d'Habitat II (Istanbul, 1996), notamment dans la production d'une Déclaration des chercheurs diffusée lors de cette conférence. L'accent était mis sur le rôle des collectivités locales dans les interventions sur la ville, accompagné, sur un plan plus politique, d'une exigence démocratique. Dans cette dynamique, avec le même souci de problématiser les questions nouvelles qui se posaient aux chercheurs et aux responsables des politiques urbaines, nous avons organisé en 1997-1998, dans le cadre du GEMDEV, un séminaire de recherche, ouvert aux décideurs, sur « Villes et citadins dans la mondialisation », dont les contributions furent publiées sous ce titre en 2003. La création en 1997 du HCCI l n° HS automne 2017 116 la recherche du Ministère en charge de la coopération, qui allait donc innover en laissant un peu de côté les recherches archéologiques, son champ traditionnel, pour s'intéresser au développement urbain. Il a fallu toute l'opiniâtreté des deux sous-directeurs successifs qui ont géré le PRUD pour secouer des habitudes très ancrées dans le ministère. Le programme a mobilisé trente équipes de recherche mixtes Nord-Sud (environ 265 chercheurs). La seule restriction imposée était de se limiter géographiquement aux pays dits de la zone de solidarité prioritaire, au nombre d'une quarantaine à l'époque. Des réunions régionales permirent des restitutions partielles des recherches, à Hanoi, Rabat, Dakar, La Havane, ce qui permit de faire connaître la portée de ces recherches. La restitution finale eut lieu lors d'un colloque international tenu à l'UNESCO, en 2004, sur le thème « Gouverner les villes du Sud. Défis pour la recherche et pour l'action ». De cet important travail a résulté la publication de douze ouvrages, et de nombreux articles. Cet ensemble de travaux a contribué à dépasser la distinction entre la recherche sur les villes en développement, souvent centrée sur l'identification des problèmes, et la recherche en coopération, supposée tournée vers l'intervention urbaine. En érigeant la coopération urbaine, les dispositifs de l'aide et la place des acteurs, en objets de la recherche scientifique, ces travaux ont notamment permis d'éclairer la question de la complexification du gouvernement des villes, liée en particulier à la multiplication des agents externes, dans n° HS automne 2017 des contextes d'assistance technique et d'aide publique au développement. La dynamique engendrée par cette aventure qui marque une rencontre entre demande et offre de recherche ne s'est pas arrêtée à ce stade. Une sorte de réseau de fait s'est constitué, qui n'a pas eu d'existence institutionnelle, mais qui s'est manifesté jusqu'à ces dernières années dans des activités de réflexion et d'échanges. Ainsi, de 2006 à 2008, un groupe de réflexion, animé par le GEMDEV, a été installé par le ministère des affaires étrangères sur le thème de « La gouvernance urbaine ». Ce groupe a fonctionné sous forme de panels réunissant des chercheurs, des praticiens et des décideurs, et a publié en 2009 un rapport intitulé « La gouvernance urbaine dans tous ses états », qui a mis l'accent sur la grande diversité et la singularité des dispositifs de gouvernance urbaine que rencontre l'observation empirique. Signalons qu'une des recommandations de cette étude concernait la planification urbaine stratégique, considérée comme étant susceptible de constituer un appui à la gouvernance urbaine démocratique. Cette recommandation fut reprise par les affaires étrangères, et c'est tout naturellement qu'on a retrouvé d'anciens membres du PRUD dans les activités du Partenariat français pour la ville et les territoires (PFVT). Cette présence, cette activité de veille scientifique, atteste la possibilité pour les chercheurs d'éclairer les décideurs qui le souhaitent, et de contribuer ainsi à une meilleure efficacité des interventions dans le domaine urbain. Comment s'est structurée la formation en matière de coopération urbaine ? Pour quelles raisons des enseignements dédiés aux villes des pays en développement ont-ils vu le jour ? Quelle était leur place au sein du système universitaire français ? A. O. et C. G. : Dans les formations créées à l'occasion des grands bouleversements de 1968, l'urbanisme a trouvé sa place dans l'Université. Créé en 1969 sous la forme d'un département de l'université expérimentale de Vincennes, l'Institut d'urbanisme (futur Institut français d'urbanisme, IFU), resta au sein de Paris 8 jusqu'en 2009, date à laquelle il rejoignit l'Université de Marne-la-Vallée, et fusionna en 2014 avec l'IUP (Institut d'urbanisme de Paris 10) pour devenir l'École d'urbanisme de Paris (EUP). A travers ces tribulations, nous sommes quelques-uns à avoir pu favoriser dès les années 1970 la création à Paris 8 d'enseignements concernant les problèmes urbains dans les pays du Sud, qui s'organisèrent comme une des filières du DESS, au début des années 80. Cela s'imposait, pour deux raisons majeures. La première raison était qu'il fallait accueillir ceux de nos étudiants qui souhaitaient devenir assistants techniques ou experts dans le domaine du développement urbain des pays du Sud, et des étudiants étrangers, souvent détachés pour un temps de leur administration, qui venaient avec l'objectif d'acquérir un diplôme universitaire français valorisable dans leur pays. Il fallait donc ouvrir les étudiants à la comparaison pays par pays, et leur donner des clés l « pour mémoire » 117 L'autre grande raison qui imposait que nous ayons une visibilité propre à l'IFU est que nous avons très tôt été sollicités par nombre d'organismes pour intervenir et souvent animer des actions de formation continue en France et à l'étranger, dans le domaine du développement urbain. Ces actions ont assez souvent été menées en collaboration avec la direction de la formation continue de l'École nationale des ponts et chaussées (ENPC), notamment en Tunisie et au Sénégal. Le Ministère de la coopération a fait régulièrement appel à nous, notamment dans des sessions de formation continue de hauts fonctionnaires africains, gérées par l'ENA. Entrée de l'université de Vincennes ©Service photo de l'université Paris 8 de lecture des positions des institutions internationales en la matière. Soulignons aussi que nous avons accueilli à Paris 8 toutes les vagues de réfugiés des dictatures européennes (Espagne, Portugal, Grèce, Allemagne de l'Est, Hongrie, Tchécoslovaquie...) et d'Amérique latine (Argentine, Brésil, Chili...). Tous avaient des diplômes, beaucoup avaient une expérience professionnelle, et certains ont pu assurer des enseignements à l'IFU, notamment des proches de Manuel Castells, tel Jordi Borja, sur la planification urbaine stratégique à Barcelone. Pour nos étudiants et pour nous-mêmes, toutes ces expériences rassemblées ont été une source d'enrichissement intellectuel incomparable, le contact avec la grande diversité du monde nous incitant constamment à une humilité assumée dans nos enseignements, et nous donnant des arguments pour le refus d'une diffusion inconsidérée de modèles occidentaux (nos modèles) sans prise en compte de la singularité des pays qui se les voient imposer. Cette dynamique assez particulière nous a permis d'installer nos enseignements de manière pérenne dans une filière du DESS appelée « Aménagement urbain dans les pays en développement », qui devint une filière du master dans les années 90, intitulée « Expertise internationale/ Villes en développement ». Cette filière est devenue diplôme d'université dans la dernière transformation de l'IFU en EUP. Cependant, on notera qu'un tel diplôme, considéré comme marginal dans le nouvel ensemble, est forcément moins valorisé qu'une filière à part entière de master. Mais les choses ont pris une dimension beaucoup plus importante dans le domaine de la coopération universitaire, dans laquelle nous avons commencé à intervenir très tôt : dans les années 70, nous avons contribué activement à la création d'écoles d'architecture et d'urbanisme à Dakar, à Lomé, à Tunis ; de formations de troisième cycle inspirées des DESS et DEA de l'IFU. A partir des années 1980, prenant appui sur des activités de recherche, d'autres coopérations universitaires en urbanisme ont été mises en place avec plusieurs pays d'Asie du Sud-Est. Les échanges initiés dans ces programmes ont évidemment été d'une grande richesse, et nous ont bien sûr confirmés dans une pratique d'écoute et une posture d'humilité dans un domaine, celui du développement urbain, qui souffre mal l'imposition de modèles à vocation universelle venus d'ailleurs. « pour mémoire » l n° HS automne 2017 118 Bibliographie indicative C. Goldblum et A. Osmont, (eds), Villes et citadins dans la mondialisation, Paris, Karthala, 2003 C. Goldblum et A. Osmont, « Gouvernance urbaine et coopération internationale », in S. Bellina, H. Magro et V. de Villemeur (eds) : La gouvernance démocratique : un nouveau paradigme pour le développement ? Paris, Karthala, 2008 C. Goldblum et A. Osmont, « Quelle place pour les villes dans la production des connaissances sur le développement », In V. Geronimi, I. Bellier, J.-J. Gabas, M. Vernières et Y. Viltard (eds), Savoirs et politiques de développement, Paris, KarthalaGemdev, 2008 C. Goldblum, Spatial Planning for a Sustainable Singapore, Springer Netherlands/Singapore Institute of Planners, 2008 (co-editors: W. Tai-Chee et B. Yuen) C. Goldblum, Territoires de l'urbain en Asie du Sud-Est. Métropolisations en mode mineur, Editions du CNRS, 2012 (codirection avec M. Franck et C. Taillard) C. Goldblum, Transitions urbaines en Asie du Sud-Est. De la métropolisation et de ses formes dérivées, Editions de l'IRD/IRASEC, 2017 (codirection avec K.Peyronnie et B. Sisoulath) A. Osmont, « Stratégies familiales, stratégies résidentielles en milieu urbain : un système résidentiel dans l'agglomération dakaroise » in E. Le Bris, A. Osmont, A. Sinou, A. Marie, Famille et résidence en ville africaine, Paris, L'Harmattan, 1987 A. Osmont, La Banque mondiale et les villes. Du développement à l'ajustement. Paris, Karthala, 1995 A. Osmont, « Citta e economia : la citta efficiente », in M. Balbo (Ed) La citta inclusiva ; argomentiper la citta dei PSV, Milano, Franco Angeli, 2002 (2003 pour l'édition espagnole) n° HS automne 2017 l « pour mémoire » 119 GEORGES CAVALLIER Ingénieur et humaniste (1934-2012) Textes réunis par André Pollet, Antoine Loubière, Evelyne Hardy et Xavier Benoist « pour mémoire » l n° HS automne 2017 120 Georges Cavallier, ingénieur et humaniste Par André Pollet et Antoine Loubière Georges Cavallier ©Fédération Soliha Ancien élève de l'École Polytechnique (1954) et de l'École nationale des ponts et chaussée (1959) devenu un grand commis de l'État, Georges Cavallier aura marqué de son empreinte l'histoire de l'urbanisme et de la politique de la ville en France. Expert reconnu dans ces domaines, il fut un éminent représentant de la France au plan international, en témoigne le rôle de représentant de la France qu'il a tenu au sommet Habitat II. Homme de grande culture, ses analyses fondées sur une accumulation de connaissances peu commune le rendirent visionnaire sur bien des sujets aujourd'hui d'actualité, comme la gouvernance urbaine qui mêle citoyenneté et autorité publique ou les enjeux revendiqués de santé et de développement urbain durable. Humaniste engagé, il mena un combat tenace pour le droit au logement, l'amélioration du parc privé social et la lutte contre l'habitat indigne. Des causes qu'il défendra ardemment à la présidence de la Fédération des PACT, ou au Conseil national de l'habitat. n° HS automne 2017 l « pour mémoire » 121 Décédé le 17 septembre 2012 à l'âge de 78 ans, il était un personnage au fond discret mais il avait incarné, au sommet Habitat II d'Istanbul, en juin 1996, « la politique urbaine française ». Une politique dont il avait écrit la synthèse à travers la contribution française à Habitat II dont il était le rapporteur1 . En effet, Georges Cavallier, plus que d'autres, avait compris le nécessaire passage de l'État opérateur à l'État régulateur. Et pour lui, la politique urbaine était évidemment une co-production avec l'ensemble des acteurs, au premier rang desquels les collectivités locales. C'est dans cette perspective qu'il avait été un artisan de la création de l'Institut des Villes en janvier 2001 sous la présidence d'Edmond Hervé, alors maire de Rennes, contribuant notamment à la rédaction de la publication Santé, ville et développement durable. Cinq ans plus tard, il supervise, comme coordonnateur national, la participation française à la session extraordinaire de l'assemblée générale des Nations Unies, en juin 2001 à New York, consacré au bilan du sommet d'Istanbul. Un numéro hors série d'Urbanisme en témoigne2 ainsi qu'un entretien publié dans le n° 318 en réponse à la question « Que reste-t-il de l'esprit d'Istanbul ? »3 . Parmi les conclusions essentielles tirées de ce sommet, il met particulièrement l'accent sur l'importance d'une bonne gouvernance urbaine comme facteur déterminant de croissance dès lors que l'efficacité économique dépend de plus en plus des relations locales entre différents décideurs. D'ailleurs, à ce sujet et à la demande de la Fondation européenne pour l'amélioration du cadre de vie et des conditions de travail, Georges Cavallier a produit, en 1998, un important rapport prospectif relatif à l'importance des enjeux liés à l'avenir des villes, et à la nécessité d'une meilleure maîtrise collective du développement urbain. Un autre thème d'Habitat II, l'importance du devenir des villes pour le développement durable, a nourri sa réflexion sur les villes. Elle est transcrite avec clarté et précision dans sa contribution au livre blanc français pour le sommet mondial du développement durable à Johannesburg en 2002. Du message d'Habitat II, Georges Cavallier retiendra également, à partir de 1999, le combat pour le droit au logement. À son habitude, il le mènera de manière efficace et concrète, en acceptant Publiée dans le numéro spécial d'Urbanisme, n° 288, mai-juin 1996, « La France à Istanbul ». 2 Urbanisme hors série n° 15, « Les villes à l'ONU. Rapport français 2001 », janv.-fév. 2002. 3 Urbanisme n° 318, mai-juin 2001. « pour mémoire » 1 de prendre, au moment de sa retraite de président de la 5e section du Conseil général des ponts et chaussées, la présidence de la Fédération nationale des PACT, grand réseau associatif ancré dans les territoires et très actif dans l'insertion par le logement et dans l'amélioration du parc privé à occupation sociale. Il assume cette présidence, malgré la maladie qui l'avait frappé, jusqu'en juin 2012, passant ensuite le relais à Xavier de Lannoy. Entre-temps, il ne délaissera pas l'urbanisme proprement dit, puisqu'il assumera notamment la présidence de l'Observatoire régional du foncier d'Île-de-France. Sans évoquer en détail sa longue carrière de haut-fonctionnaire, on mentionnera notamment son rôle déterminant à la création de la Délégation interministérielle à la ville (DIV) au côté d'Yves Dauge et sa fonction de directeur de cabinet des ministres de la Ville en 1992 et 1993. On ne comprendrait rien à Georges Cavallier si on oubliait son souci constant de servir l'État en faisant avancer des conceptions et des pratiques contre les discriminations, pour la mixité sociale, pour le droit au logement, pour un développement urbain durable et solidaire. l n° HS automne 2017 122 Que reste-t-il de l'esprit d'Istanbul ? Georges Cavallier, coordonnateur des contributions françaises au Sommet mondial des villes d'Istanbul en juin 1996, également chargé de préparer, pour la France, le bilan d'Habitat II, répond à la revue Urbanisme à la question « Que reste-t-il de l'esprit d'Istanbul ? ». Extraits de l'interview de Georges Cavallier par Antoine Loubière, Revue Urbanisme n° 318, mai-juin 2001, pp. 29-32. En mai 1996, Urbanisme consacrait un numéro entier à l'événement Habitat II, sommet mondial des villes organisé par l'ONU à Istanbul, dans la lignée des autres de la fin du siècle (Rio sur l'environnement, Pékin sur les femmes...). La déclaration d'Istanbul affirmait le droit à un logement décent pour tous et la nécessité d'un développement urbain durable. Parallèlement, la première Assemblée mondiale des villes et autorités locales faisait entendre la voix des élus locaux et leur aspiration à une extension de la décentralisation dans le cadre d'une véritable gouvernance urbaine. Cinq ans après, lors d'une assemblée générale extraordinaire à New York du 5 au 8 juin 2001, l'ONU tire le bilan d'Habitat II. Un bilan mitigé de l'avis de nombreux acteurs des politiques urbaines et de l'habitat notamment en matière de droit effectif à un logement décent, en particulier dans les pays en développement. Cependant, le mouvement de décentralisation a connu de nouvelles avancées. Et les deux grandes associations internationales d'élus locaux ont tenu un «congrès de l'unité» à Rio de Janeiro, début mai 2001. Cette étape de Rio sur la route de New York permet aux maires de s'affirmer sur la scène politique internationale, au moment où les débats sur la mondialisation ont tendance à se polariser entre les grandes entreprises multinationales et lesdites «ONG» (organisations non gouvernementales), symbolisées par un homme comme José Bové. Quels ont été les temps forts de l'événement Habitat II? Georges Cavallier: J'en vois trois. D'abord, le caractère novateur n° HS automne 2017 et fondateur de la première Assemblée mondiale des villes et autorités locales (AMVAL) qui s'est tenue avant le sommet intergouvernemental. C'était la première fois que les maires des cinq continents, dans une ferveur certaine, avec le zèle du néophyte, tenaient un rassemblement ouvert, témoignant de la prise de conscience du rôle majeur que doivent jouer les autorités locales dans la conduite du développement urbain. Ensuite, l'organisation, également pour la première fois, par rapport aux autre grands sommets mondiaux (Rio, Pékin, La Caire...) au sein de la même conférence intergouvernementale, d'une séquence consacrée à des dialogues thématiques entre les délégations nationales et les autres acteurs du développement urbain: collectivités territoriales, organisations non gouvernementales (ONG), entreprises privées et publiques, organismes de recherche... Il n'est pas sûr que tous les intervenants aient été représentatifs, ni les thèmes abordés tous stratégiques, mais le précédent ainsi créé est tout à fait essentiel. Troisième temps fort: la conférence intergouvernementale elle-même avec, d'un côté, la présence du gotha des chefs d'État et de gouvernement des pays en développement et, de l'autre, l'absence systématique de leurs homologues des pays riches. Il y avait, certes, des raisons objectives à cette absence (les invitations ont été envoyées tardivement), mais il est révélateur que les pays les plus urbanisés n'aient pas été représentés au plus haut niveau. Qu'est-ce que la préparation d'Istanbul avait fait apparaître de la perception française des enjeux d'un sommet mondial des villes, tant du côté des administrations d'État que du monde des collectivités locales? G.C.: Ce qui m'a frappé, à l'époque, c'est l'adhésion spontanée des différents responsables qui ont eu à intervenir dans cette préparation, tant au sein des administrations centrales que des organisations professionnelles et des associations nationales d'élus. Cette dynamique participative contrastait avec une certaine passivité du côté des décideurs politiques centraux. Il n'y a pas eu une seule réunion interministérielle à Matignon pour valider les positions françaises... sauf une, pendant le sommet luimême, sur les questions du logement, alors même qu'il n'y avait, en la matière, nul besoin d'arbitrage puisque les positions étaient consensuelles. Du côté des associations nationales d'autorités locales, c'était l « pour mémoire » 123 blèmes au plus près des réalités, au plus près du terrain et qu'il faut donc décentraliser, en veillant à ce que le processus de décentralisation renforce la transparence et la légitimité démocratiques, sans mettre en tension la démocratie représentative et la démocratie participative qui peuvent et doivent se conforter mutuellement. L'idée enfin, que la complexité du fait urbain oblige les différents niveaux de pouvoirs publics à coopérer, que la conjugaison de leurs efforts est plus important que le partage de leurs compétences. Qu'est qui n'est pas acquis de l'esprit d'Istanbul? G.C.: Je regrette qu'on n'ait pas encore réussi à faire prendre en considération, à leur juste valeur, les enjeux liés au développement urbain et à leur triple impact sur le développement économique, la cohésion sociale et la protection de l'environnement. La sensibilisation des décideurs macroéconomiques n'est toujours pas suffisante. Nombre d'entr'eux considèrent la ville comme une simple résultante, la trace au sol, en quelque sorte, des différentes politiques sectorielles. C'est à tord qu'ils négligent l'importance intrinsèque des formes urbaines et le poids des acteurs locaux, alors même que la ségrégation spatiale est un accélérateur redoutable de la ségrégation sociale, ils ne voient pas suffisamment que dans une économie dominée par la matière grise et les services, les villes deviennent le lieu privilégié, le moteur du développement. Dès lors que l'efficacité économique dépend de plus en plus des relations locales entre différents décideurs, une bonne gouvernance devient un facteur de croissance et de compétitivité économiques. Autre message qui n'est pas passé: l'importance du devenir des villes pour le développement durable. On ne saurait par exemple, réduire les émissions de gaz à effet de serre sans maîtriser les déplacements des citadins, parce que les modes de vie urbains se sont imposés sur l'ensemble du territoire, c'est d'abord dans les villes qu'il faut agir pour faire évoluer les comportements et les modes de consommation. De plus, c'est seulement à l'échelle de l'agglomération qu'on peut conduire, de façon concrète, réaliste et crédible les politiques véritablement intersectorielles, intégrées, systémiques qu'appelle le développement durable. Brochure de la conférence Habitat II ©Nations Unies la première fois que je les voyais travailler concrètement ensemble, et cela n'a pas concerné que leurs permanents. J'ai vu des élus engager autour d'une même table un véritable travail collectif débouchant sur la déclaration des maires français, qui a fortement marqué les débats de l'AMVAL. On pourrait en dire autant des chercheurs et des ONG. Tous sentaient la nécessité de mettre en perspective l'ensemble des politiques urbaines menées en France et aussi de les resituer par rapport au reste du monde. Cinq ans après, quelle appréciation portez-vous sur l'impact d'Habitat II dans les esprits des décideurs français et étrangers? G.C.: Plusieurs idées essentielles ont fait leur chemin au point d'en être devenues banales. D'abord, l'idée que le marché seul, ne peut aboutir à des villes satisfaisantes, à un développement urbain durable et, par conséquent, la nécessité d'une maîtrise publique du mouvement d'urbanisation, réaffirmée sous des formes et des langages différents dans la plupart des pays. L'idée, aussi, que les politiques urbaines, pour être efficaces, doivent être horizontales, globales, partenariales, «holistiques». L'idée encore, que ces politiques doivent s'inscrire dans la durée et passent par des actions de longue haleine et des stratégies à long terme. L'idée qu'il faut traiter les pro- « pour mémoire » l n° HS automne 2017 124 Défis pour la gouvernance urbaine dans l'Union européenne A la demande de la Fondation européenne pour l'amélioration du cadre de vie et des conditions de travail, Georges Cavallier a produit, en 1998, un important rapport prospectif relatif à l'importance des enjeux liés à l'avenir des villes, et à la nécessité d'une meilleure maîtrise collective du développement urbain. Extraits du rapport Défis pour la gouvernance urbaine dans l'Union européenne, Fondation européenne pour l'amélioration du cadre de vie et des conditions de travail, 1998, 92 p. (disponible sur www.eurofound.ie) La nécessité d'une meilleure maîtrise collective du développement urbain. L'importance et la complexité des défis auxquels les villes doivent faire face ne laissent aucun doute: en matière de politique urbaine, l'intervention publique est plus que jamais nécessaire. Le marché, seul, ne peut, à l'évidence, rendre la ville économiquement efficace, écologiquement prudente et socialement harmonieuse. Un tel objectif dépend au premier chef de la capacité des pouvoirs publics à tous les échelons de combiner les demandes émanant des intérêts différents et également légitimes, de dégager et de faire accepter des synthèses et des solutions effectives, de trouver un bon équilibre entre les prélèvements à effectuer et les services offerts. Le Sommet d'Istanbul a mis l'accent, à ce titre, sur le rôle majeur que doivent désormais jouer, en matière de politique urbaine, les autorités locales. La conférence a souligné en effet qu'une capacité effective de gestion coordonnée et démocratique à l'échelle de l'agglomération passe par l'existence d'une autorité politique responsable, capable non seulement d'optimiser l'exploitation technique, mais aussi d'articuler une pluralité d'acteurs porteurs de responsabilités et de droits tout en suscitant l'adhésion des populations. Elle a considéré en conséquence que chaque pays devait, dans son propre cadre juridique, promouvoir la décentralisation et chercher n° HS automne 2017 à renforcer les capacités financières et institutionnelles des autorités locales. L'impact de la mondialisation des échanges. La cohésion sociale des pays développés est mise à mal, car dans un monde où la performance compte plus que la puissance du nombre, les riches ont de moins en moins besoin de leurs pauvres. La remise en question de l'égalité des chances sape les fondements mêmes de la vie démocratique. La citoyenneté est en désarroi parce que la globalisation, qui apparaît comme un processus sans visage et sans garant, bouleverse les cadres d'appartenance reconnue où se sont, de longue date, organisées nos sociétés européennes: l'entreprise et le territoire. La mobilité du cadre des dépendances réelles introduit un décalage de plus en plus troublant. La montée des inégalités invite à renforcer l'État-nation qui est l'espace naturel de la solidarité. Mais la redistribution est plus difficile que jamais, tandis que la faille se creuse entre le pouvoir économique de l'État et celui des financiers, des banques centrales et des marchés. De plus, l'émergence des processus de décision relevant d'instances internationales, et notamment de la Communauté européenne, limite corrélativement les marges de manoeuvre des États-nations. Les coûts sociaux de la globalisation restent à la charge des collectivités publiques telles qu'elles existaient avant l'ouverture des frontières, alors que ces coûts ont maintenant changé carrément d'échelle. Une société urbaine toujours plus complexe. Sous l'effet d'un double processus d'autonomisation des individus et de la diversification du corps social, chaque citadin jouit désormais d'une autonomie relative croissante par rapport aux groupes dont il est issu et dont dépend sa vie sociale. [...] La société urbaine d'aujourd'hui agrège plusieurs catégories de population qui se trouvent dans des situations sans précédent, plus ou moins dépourvues de repères, et dont l'importance va croissant. Par ailleurs, les partenaires institutionnels sont multiples, il y a de plus en plus de décideurs en jeu et leur système de l « pour mémoire » 125 valeurs sont différents et parfois même opposés. L'application du principe de subsidiarité demeure incertaine. [...] Le choix des solutions souhaitables est de plus en plus controversé. Il résulte de plus en plus d'un processus laborieux de dialogue, de discussions et de contre-expertises, rendu plus délicat par la nécessité et la difficulté d'arbitrer entre des valeurs complètement hétérogènes. Crise du politique et crise de la citoyenneté L'absence de discours politique convaincant est cruellement ressentie. Les citadins ne se résignent guère à vivre dans l'incertain et l'inexplicable. Ils déplorent l'impuissance de leurs responsables politiques. Le sentiment que les gouvernements ne sont plus en mesure de maîtriser l'évolution économique et ses conséquences s'accroît. L'incapacité des politiques publiques à contrecarrer la progression continue du chômage et des exclusions a contribué très fortement à une prise de conscience, aujourd'hui largement partagée, d'une disjonction possible entre croissance économique et progrès social. Or, ce qui faisait lien dans nos sociétés, c'était le mythe partagé du progrès, la croyance collective dans l'avenir, le rêve devenant progressivement réalité grâce à l'ascension sociale. La remise en question de ce cheminement ouvre une période d'interrogation et de doute collectif qui s'étend très largement, au-delà même de ceux qui subissent le chômage, la précarité, l'exclusion, c'est-à-dire, l'insécurité ici et maintenant. La crise du politique se double d'une crise de la citoyenneté. L'inconscient collectif ressent, confusément, un sentiment de déracinement à l'égard d'un passé perdu et d'insécurité à l'endroit d'un futur inconnu. [...] Nous sommes en effet entrés dans une période marquée par un avenir incertain, voire aléatoire. Toute prévision devient difficile car les mêmes causes ne produisent plus toujours les mêmes effets. Une évolution inéluctable: du gouvernement des villes à la gouvernance urbaine. Pour relever ce défi de l'innovation, pour permettre au pouvoir local de mieux accomplir sa double tâche d'agrégation des demandes et d'élaboration d'une offre pertinente, pour faire en sorte qu'il puisse répondre aux enjeux qui naissent de la transformation contemporaine des rapports entre la société, l'économique et le politique, il faut, à l'évidence, adapter profondément les formes et les méthodes du gouvernement des villes: mettre en oeuvre des logiques plus concertées, davantage négociées, mieux localisées, dans lesquelles les politiques sectorielles deviennent plus porteuses, en se combinant dans des stratégies bien territorialisées; se séparer d'un rapport gestionnaire à l'espace pour accéder à une production politique du territoire; privilégier des approches qui soient à la fois globales, c'està-dire pluridisciplinaires et partenariales, c'est-à-dire unissant les efforts de toutes les parties prenantes, à chaque niveau, comme entre les différents niveaux. Pour y parvenir, point n'est besoin de créer de toutes pièces de nouvelles institutions. Il suffit d'instaurer progressivement de nouvelles relations entre les autorités publiques, notamment locales, et la société civile. Passer de l'action publique classique à la gouvernance, c'est donc adopter de nouvelles modalités d'action et de prise de décision, plus partenariales, plus interactives, plus flexibles. C'est créer la conscience locale d'intérêts collectifs et les moyens de la gérer. Intégrer les préoccupations du bien-être dans les stratégies urbaines Poursuivant ses prises de position en faveur du développement durable et de la refonte de la gouvernance urbaine, Georges Cavallier inclut dans l'ouvrage « Villes, santé et développement durable », l'exigence des questions liées à la santé dans la prospective de la ville de demain. Extraits de l'ouvrage Villes, santé et développement durable, La documentation française, Collection Villes et société, 2007, 549 p. «La santé a cessé d'être considérée comme le domaine exclusif des professionnels de la médecine, de même que le développement durable n'est plus, depuis longtemps, le monopole des militants de l'environnement. Ces deux concepts, en effet, comme les enjeux qui s'y attachent, se sont progressivement et « pour mémoire » l n° HS automne 2017 126 fortement élargis. Ils ont, chemin faisant, changé de nature en même temps que de portée. Ils s'inscrivent maintenant, l'un et l'autre, dans une perspective ambitieuse et globale d'amélioration de la qualité de la vie et de promotion du bien-être.» Santé et développement durable: perspectives et prospective «L'avenir ne se prévoit pas, il se prépare» disait Braudel. Certes, mais comment? D'abord, sans doute, en tirant les leçons du passé. Rien de tel qu'une plongée dans les dernières décennies pour prendre la mesure de l'évolution des idées et des moeurs, apprécier les progrès de la médecine, de l'hygiène et du génie sanitaire, retracer la transformation des formes urbaines, saisir et évaluer les grands changements qui permettent de comprendre où nous en sommes et de prendre de meilleures décisions. Le futur, disait Nietzche, «appartient à celui qui a la plus longue mémoire». Cette plongée rétrospective doit aussi nous mettre en garde contre les dangers qui guettent en permanence, ici comme ailleurs, ceux qui décident. Eviter d'abord de succomber aux effets de mode. Le conformisme ambiant fait trop souvent des ravages. Il inhibe le jugement, favorise une attitude passive, incite à adopter des manières de penser passagères, mais momentanément de bon ton, même dans le milieu scientifique. L'engouement pour la théorie des miasmes mortifères, par exemple, a fait perdre beaucoup de temps à l'hygiène publique, d'autant qu'elle a résisté longtemps à la découverte des microbes. Il faut toujours se méfier des solutions qui font, sur le moment, l'unanimité, mais qui apparaîtront dix, vingt ou trente ans plus tard inadaptées ou désuètes. Au cours des trente dernières années, nos villes ont été adaptées, parfois férocement, à l'usage de l'automobile. Aujourd'hui, on se préoccupe à juste titre de faire place aux cyclistes et aux piétons, mais en retombant parfois dans les mêmes rigidités, alors même que les solutions évolutives s'avèrent, en toute circonstances, les solutions les plus avisées. La souplesse, l'adaptabilité, la révern° HS automne 2017 Les efforts considérables engagés pour humaniser les grands ensembles doivent nous aider à nous rappeler que les solutions d'aujourd'hui sont souvent les problèmes de demain sibilité doivent être toujours considérées comme des critères majeurs des choix à effectuer. Le passé peut aussi nous rappeler qu'il faut se méfier de la menace permanente des effets pervers qui s'attachent presque toujours aux meilleures intentions et à des solutions fonctionnellement pertinentes. C'est ainsi qu'on est bien loin d'en avoir fini avec les séquelles dramatiques de la décision prise de protéger les structures métalliques des bâtiments en les floquant à l'amiante. Autre exemple: les urbanistes n'ont pas toujours su anticiper les conséquences dommageables de leurs choix. Les modèles urbains inspirés par la charte d'Athènes et le fonctionnalisme résultaient d'une vision purement physique et quantitative des besoins humains. Ils y répondaient par la logique d'agencements rationnels, la volonté louable d'ouvrir la ville à l'air et au soleil, mais sans prendre en compte la dimension psychologique et identitaire de l'homme, non plus que la compréhension des comportements ou le rôle des représentations sociales. Les résultats n'ont pas tardé. Les efforts considérables engagés pour humaniser les grands ensembles doivent nous aider à nous rappeler que les solutions d'aujourd'hui sont souvent les problèmes de demain. Regarder dans le rétroviseur est indispensable pour bien conduire, mais à l'évidence ne peut suffire. Il faut avant tout voir vers l'avant, et aussi loin que possible. De même, ce n'est pas tout de bien connaître le passé pour bien faire face aux nécessités immédiates. On ne saurait entrer dans l'avenir à reculons. Même si elles ont besoin de continuité et de pérennité, les politiques publiques de santé et de développement durable ne peuvent s'affranchir d'une visée à long terme et d'un fort investissement politique. Leurs responsables doivent savoir anticiper, en considérant le futur pour ce qu'il est: un territoire à explorer et à construire. Pour joindre l'avenir au présent, il faut engager une démarche prospective, considérer la pluralité des possibles puis rétrécir la perspective en s'attachant à prévoir ce qui peut l'être, à apprécier les chances et les risques, à repérer les inerties, les tendances l « pour mémoire » 127 lourdes et les facteurs de rupture. On peut ainsi réduire l'incertitude sans évidemment y mettre fin. On établit alors une stratégie qui précise les enjeux, affiche les options et constitue un véritable guide pour l'action en avenir incertain. Ainsi, face au réchauffement climatique et compte tenu des engagements pris dans le cadre du protocole de Kyoto, il faut impérativement mettre en place un plan pluriannuel de remise à niveau énergétique du patrimoine bâti existant car, en 2050, subsisteront plus de la moitié et peut être encore les deux tiers des logements d'aujourd'hui. Ce programme de requalification devrait être pensé dans une logique intégrée de transformation durable de la ville existante, qui reste à concevoir. Autre exemple d'évolution inéluctable lourde de conséquences multiples pour l'évolution de nos villes: le vieillissement de la population, qui commence à faire sentir ses effets avec l'arrivée à l'âge de la retraite de la génération du baby-boom et qui va devenir un enjeu majeur des politiques urbaines. On est loin pourtant d'avoir pris la juste mesure des problèmes qui s'attachent à cette révolution silencieuse. Notre pays affiche un retard important en matière d'anticipation du vieillissement. Dans ces domaines, comme dans tous les autres, le phare de la prospective ne doit pas cesser d'éclairer les politiques de santé publique. La prévention, en particulier, ne doit pas être sacrifiée, comme elle l'a trop souvent été, à la gestion du quotidien. Une véritable politique de prévention, ne se réduisant pas à des opérations de sensibilisation ou de dépistage, doit être un des moteurs de la promotion de la santé. Faire obstacle à ce qui peut être empêché n'implique pas seulement de développer la prévention médicale classique. Dans l'acception large du concept de santé, c'est évidemment une approche préventive globale qui doit être mise en oeuvre dans chaque agglomération, c'est-à-dire une approche intégrant la santé dans un ensemble d'interventions sociales et environnementales comme un élément transversal d'une politique urbaine cohérente. Il convient de façon générale d'intégrer systématiquement les préoccupations de santé, c'est-à-dire de bien être physique, mental et social de la population, dans toutes les stratégies de développement ou de renouvellement urbains s'inscrivant dans la durée. Et au premier chef dans la planification urbaine. En introduisant l'obligation d'élaborer un Projet d'aménagement et de développement durable (PADD), la loi Solidarité et renouvellement urbains (SRU) a mis les collectivités locales en situation de repenser l'organisation urbaine de telle façon qu'elle puisse répondre aux exigences de qualité de vie des générations actuelles sans nuire à celle des générations futures. Les préoccupations de santé et de développement durable doivent aussi nourrir les grands projets d'aménagement et de rénovation urbaine. Encore faut-il être en mesure de déterminer, cas par cas, la hiérarchie des priorités à prendre en compte par une évaluation concertée des différents facteurs environnementaux et sociaux liés au choix à arrêter. Mais pour que la qualité de vie des citadins puisse devenir le véritable moteur de l'action publique, il faut évidemment être capable de la caractériser et de la mesurer. Les villes, acteurs incontournables du développement durable L'une des dernières contributions officielles de Georges Cavallier dans les débats internationaux se fit à l'occasion du sommet de la terre de Johannesburg en 2002. Elle visait les enjeux urbains et le rôle des autorités locales, déterminants majeurs de toute politique réaliste de développement durable dans un monde « urbain » profondément transformé. Extraits «Villes et autorités locales», in Livre blanc des acteurs français du développement durable présenté lors du Sommet mondial du développement durable de l'ONU à Johannesburg en septembre 2002, pp. 113-124 L'ascension des villes, nouvelle donne planétaire Longtemps alimenté par la pression démographique et par l'exode rural, accéléré aujourd'hui par la mondialisation des échanges, le mouvement mondial d'urbanisation n'épargne aucun continent, ni même aucun pays. Trois milliards de personnes vivent aujourd'hui en ville (150 millions seulement cent ans plus tôt). La polarisation territoriale de la croissance, la concentration urbaine sont des réalités universelles. Mais ces phénomènes touchent très inégalement les différents continents. Dans les pays du Sud, le milieu urbain accueille plus de « pour mémoire » l n° HS automne 2017 128 80% de la croissance démographique totale (qui représente 95% de la croissance démographique mondiale). La population urbaine de ces pays est maintenant dix fois plus nombreuse qu'elle ne l'était il y a un demi-siècle. Elle va encore doubler d'ici 2020. La vie urbaine transforme inévitablement les attitudes et les comportements, les habitudes individuelles et les relations sociales. Le mouvement d'urbanisation ouvre la voie à de nouveaux modes de vie qui pénètrent aujourd'hui rapidement l'ensemble des territoires. C'est donc sur la manière de vivre et de consommer des citadins qu'il faut agir pour provoquer la prise de conscience et les changements qu'appelle le développement durable. L'étalement et la balkanisation du tissu urbain Le mouvement mondial d'urbanisation s'accompagne partout, même si les situations locales demeurent fort contrastées, de deux phénomènes qui vont totalement à l'encontre des préoccupations de développement durable. Les agglomérations urbaines tendent à envahir leur périphérie et à se développer en tâche d'huile. Cette tendance à l'étalement urbain est tout à fait générale. Elle est génératrice de gaspillages, de consommations excessives d'énergie, de pollutions. La ville tend à se couper en morceaux. Des quartiers paupérisés décrochent et se marginalisent tandis que les quartiers aisés sont de plus en plus tentés de s'enfermer sur eux-mêmes, à l'abri de la misère et de la violence. Cette menace de balkanisation du tissu urbain fait peser sur la société tout entière un risque majeur de sécession larvée, voire de rupture brutale. Les villes deviennent le lieu privilégié d'articulation du global et du local, dans la triple dimension économique, sociale et écologique. La manière dont se structurent et se gèrent les agglomérations urbaines a un impact déterminant sur la viabilité à long terme de leur développement. Elle peut avoir aussi de fortes incidences globales. De nouvelles orientations sont à privilégier Conforter et moderniser l'action publique locale, adapter le territoire institutionnel des pouvoirs locaux à la réalité de l'évolution des agglomérations urbaines, améliorer la coopération entre les collectivités territoriales et le secteur privé, sans rien remettre en cause des acquis de la démocratie représentative, n° HS automne 2017 créer les conditions d'une démocratie participative ancrée dans le local, faire évoluer le rôle de l'État central vers un État stratège, régulateur et «facilitateur», renforcer la coordination des politiques urbaines nationales tant au niveau central qu'à l'échelon des services déconcentrés de l'État tels sont les enjeux. La montée en puissance des dynamiques locales et des démarches de projet d'agglomération appellent un renouveau de la planification territoriale qui doit devenir plus stratégique pour mieux intégrer les enjeux du développement durable en aménageant le territoire au plus près des réalités locales et des attentes des usagers: mettre les politiques de l'habitat et du logement au service du développement durable, considérer la lutte contre toutes les formes d'exclusion comme une priorité de l'ensemble des politiques publiques, et promouvoir l'organisation des services urbains de base (eau, assainissement, énergie, déplacements...) pour répondre à des besoins vitaux, fondamentaux, quotidiens des habitants... Faire de la politique urbaine et de l'action des autorités locales des enjeux majeurs des politiques de coopération internationales. Face aux défis de la mondialisation et aux synergies qui relient désormais le local au global, nul ne peut plus se désintéresser de la question urbaine. L'ampleur du mouvement d'urbanisation, qui va se poursuivre dans les prochaines décennies dans les pays en développement, l'extraordinaire importance des investissements nécessaires pour assurer un accès, même minimal, de tous aux services de base, le fort impact du fait urbain sur le traitement des grands problèmes à l'échelle planétaire imposent que le développement urbain soit l'une des priorités majeures tant des politiques de coopération bilatérales et multilatérales que des négociations internationales. Parce que la ville est devenue le lieu de création des richesses, celui où la productivité est la plus élevée, parce qu'elle constitue, et constituera de plus en plus, le principal marché solvable pour l'agriculture, l'aide ciblée sur l'urbain engendre des effets importants tant en termes de croissance économique que de réduction de la pauvreté. l « pour mémoire » 129 Un engagement militant au service du projet social du Mouvement PACT Spécialiste national et international de la politique de la ville, il a, pendant sa présidence de la Fédération des Pact, très rapidement perçu tous les enjeux du logement, en particulier ceux du parc privé à finalité sociale et ceux du logement des personnes défavorisées. Dans ces domaines, il a plaidé avec ténacité et clairvoyance auprès des pouvoirs publics afin que la politique publique sur le parc privé existe à part entière, soit ambitieuse, et prenne en compte prioritairement les populations les plus en difficulté. Partenaire des associations d'insertion par le logement comme du Mouvement HLM, il a contribué à maintenir les moyens et rôles de l'État et des collectivités dans la politique du logement, et de conserver au logement sa place particulière à chaque étape de la décentralisation, de sorte de mieux articuler politique nationale du logement et stratégies territoriales de l'habitat. Il n'a eu de cesse de contribuer à faire reconnaître par la loi le droit au logement opposable, la décence du logement, la lutte contre les discriminations dans l'accès au logement et la place des associations agissant dans ces domaines. Son engagement fut total, convaincu que les associations avaient un rôle essentiel à tenir dans la mise en oeuvre opérationnelle des politiques de l'habitat. Issu après la Deuxième Guerre Mondiale de la volonté de militants associatifs oeuvrant pour l'amélioration de l'habitat des personnes les plus défavorisées occupant le parc privé, le Mouvement PACT réunissait 141 associations en métropole et outre mer. Il regroupait plus de 2500 administrateurs bénévoles et plus de 2000 salariés. Ce mouvement a notamment été l'un des acteurs essentiels de la réhabilitation de l'habitat des centres et quartiers anciens durant les années 70/80. Depuis la fusion de la Fédération des PACT, en 2015, avec la Fédération Habitat et Développement, ce mouvement rebaptisé SOLIHA, solidaires pour l'habitat, représente aujourd'hui un réseau professionnel de plus de 2500 salariés. Quelques extraits de ses interventions en tant que président des PACT sont réunis ci après. Extraits du rapport Discrimination dans l'accès au logement, Conseil National de l'Habitat, 2005, 44p. disponible sur www.pact-habitat.org/uploads/File/Rapport/ rap_discrim_cnh.pdf Pour ceux qui cherchent un logement, parce qu'ils n'en ont pas encore ou parce qu'ils veulent quitter celui où ils s'estiment assignés à résidence, la réalité du droit au logement ne dépend que des suites données à leurs démarches. Or la location (ou l'acquisition) d'un logement, dès lors qu'elle concerne ces ménages fragiles ou précarisés, devient une véritable transaction sociale qui interpelle forcément la puissance publique et déborde largement le simple face-à- face entre un bailleur et un candidat locataire (ou entre un vendeur et un accédant). C'est pourquoi la lutte contre les discriminations dans l'accès au logement participe directement à la construction du droit au logement ainsi qu'à son évolution souhaitée vers une opposabilité qui soit autant politique que juridique. L'habitat dégradé, dont l'état obère les conditions d'existence des personnes qui s'y trouvent logées et constitue un véritable déni à leur dignité, abrite, de fait, des populations en difficulté ou en situation de précarité qui n'ont pu accéder à un logement convenable. Une forte proportion de familles immigrées y réside (85% des enfants victimes de saturnisme sont originaires de l'Afrique sub-saharienne). Dans les régions à forte tension du marché locatif et à forte présence de population immigrée ou d'origine immigrée, le parc insalubre, les hôtels meublés sordides, l'habitat précaire, accueillent massivement ces populations à des niveaux de loyer très supérieurs à la valeur d'usage des locaux. Cette situation est, pour une bonne part le résultat de pratiques discriminatoires diffuses et multiformes dans l'accès au logement de droit commun. Extraits de Union sociale - la revue de l'Uniopps, octobre 2006. Ne dissimulons pas qu'il reste beaucoup à faire, dans notre pays, pour parvenir à une définition politique partagée de l'opposabilité, pour passer du registre affectif au régime juridique « pour mémoire » l n° HS automne 2017 130 d'une prérogative individuelle obligeant la puissance publique et sanctionnée par le juge, comme le sont le droit à la scolarité et le droit à la protection de la santé. Outre qu'il n'est guère possible de définir en la matière des catégories d'ayants droits, on peut s'interroger sur la capacité des mécanismes de la politique nationale du logement à se prêter à l'introduction du droit opposable, qui devrait désormais sous tendre l'ensemble du dispositif et conduire à en remanier profondément la gouvernance. [...] Parler de droit au logement ne suffit pas. Quelle que soit sa condition, chaque citoyen a droit à un logement convenable et pas à un logement au rabais. L'exigence du droit au logement doit être clairement celle du droit au logement décent, concept que que le Mouvement Pact Arim a contribué à faire émerger. Revenir sur ces caractéristiques serait accepter des conditions d'occupation incompatibles avec la dignité humaine. le nombre de ménages va croître bien plus vite que la population, donc que la demande de logements va s'intensifier. C'est dire qu'il faudra inscrire résolument l'effort public dans la durée. Extrait des actes des journées professionnelles de l'UNAFO table ronde avec Paul Bouchet et Bernard Lacharme (Haut Comité), Thierry Repentin (sénateur), et Freek Spinnewijn (FEANTSA) - Novembre 2006. La politique nationale du logement s'assigne deux grands objectifs: loger tous les habitants de ce pays, assurer un meilleur équilibre social par la mixité des peuplements et la diversification des formes d'habitat et des statuts d'occupation. Ces deux objectifs sont potentiellement contradictoires. Progresser dans la mise en oeuvre du droit au logement opposable implique de se fixer des règles de conduite propres à lever cette contradiction et à assurer dans le temps la compatibilité de ces deux objectifs. La lutte contre les discriminations à l'accès au logement, qu'elles soient directes ou systémiques, doit être en particulier placée au coeur même de la démarche. [...] La pénurie actuelle de logements abordables rend la question du droit au logement particulièrement cruciale, mais elle a toute chance de le rester pendant longtemps, même si un effort accru de développement de l'offre accessible venait à permettre de résorber progressivement les retards cumulés. En effet, les estimations à l'horizon 2030 convergent pour montrer que, du fait de l'évolution des modes de vie et du vieillissement, n° HS automne 2017 Geogres Cavallier, entouré de Jean-Michel David à gauche, délégué général de la FAPIL, et Gilles Desrumaux, délégué général de l'UNAFO, sur le pont des Arts, le 5 novembre 2010, lors de la mobilisation du collectif des associations unies pour une nouvelle politique publique pour des personnes sans abri et mal logées. © Fédération Soliha l « pour mémoire » 131 Biographie de Georges Cavallier (18 mars 1934 - 17 septembre 2012) Ingénieur général honoraire des ponts et chaussées. Ancien élève de l'École polytechnique (X54) ; Ancien élève de l'École nationale des ponts et chaussées (1959). 1961 : Chef de l'arrondissement Belgique - Paris Est au Service de la Navigation du Nord-Pas de Calais ; 1969 : Chargé de mission au Commissariat au Plan ; 1971 : Chef du Secrétariat général aux affaires régionales de Lorraine ; 1975 : Chef du service régional et urbain au Commissariat au Plan ; 1980 : Directeur adjoint de l'urbanisme et des paysages au ministère de l'Équipement ; 1985 : Coordinateur de la mission en charge de la rénovation des musées de l'Éducation Nationale ; 1988 : Délégué adjoint à la Délégation interministérielle à la ville, dont il a contribué à la création ; 1992 : Directeur de cabinet des ministres de la ville ; 1993 : Président de la Ve section du Conseil Général des Ponts et Chaussées en charge de l'urbanisme de l'aménagement du territoire et de l'environnement ; 1999-2012 : Président de la Fédération Nationale des PACT ; 2002-2010 : Conseiller des présidents de l'Institut des Villes ; 2001-2011 : Président de l'Observatoire Foncier en Ile-de-France ; Administrateur de l'Opac de Paris et de l'ANAH ; Membre du Conseil social HLM et du Conseil National de l'Habitat. Missions internationales : Siège au groupe des affaires urbaines de l'OCDE ; Représentation de la France au comité Habitat de la CEE/ONU à Genève et à la Commission des Nations Unies sur les établissements humains à Nairobi ; Coordonnateur national pour le Sommet des Nations Unies sur l'avenir des Villes ­ Habitat II à Istanbul en 1996 ; Auteur du chapitre « Villes et autorités locales » du Livre blanc français pour le Sommet mondial du Développement durable à Johannesburg en 2002. pour la négociation des contrats de ville de la nouvelle génération (2000-2006), mai 1999 Rapports internationaux Défis pour la gouvernance urbaine dans l'Union européenne, Fondation européenne pour l'amélioration du cadre de vie et des conditions de travail, 1998, 92 p. Rapport national cinq ans après Habitat II, présenté à l'assemblée générale des Nations unies de 2001, reproduit dans la revue Urbanisme, HS n° 15, janvier-février 2002 « Villes et autorités locales », in Livre blanc des acteurs français du développement durable présenté lors du Sommet mondial du développement durable de l'ONU à Johannesburg en septembre 2002, pp. 113-124 Ouvrages collectifs, coordonnés à l'Institut des Villes, publiés par La documentation française, collection « Villes et société » Villes et économie, 2002 Villes et vieillir, 2004 Villes en évolution, 2005 Conduite politique du projet urbain, 2006 Villes, santé et développement durable, 2007 Villes et politiques temporelles, 2009 Villes en évolution 2, 2010. « pour mémoire » Bibliographie indicative Rapports ministériels Rapport au Ministre délégué à la ville et au Ministre de l'Équipement, des Transports et du Logement en vue de la création d'un organisme national interpartenaires favorisant l'échange des savoirs et des savoir-faire sur la ville et les politiques urbaines (futur Institut des villes crée en 2002), 1998 Rapport au Ministre délégué à la Ville pour de nouvelles recommandations l n° HS automne 2017 132 Biographies des contributeurs BARRIOL Brigitte Architecte-urbaniste en chef de l'État, elle est depuis 2011 déléguée générale de la Fédération nationale des agences d'urbanisme. Elle avait auparavant été onze ans à la tête de l'agence d'urbanisme de la région stéphanoise. BERGER Patrice Architecte et urbaniste, également diplômé de Sciences Po Paris, il est depuis 17 ans directeur des activités internationales de l'Agence d'urbanisme de l'aire métropolitaine lyonnaise. Il avait auparavant travaillé plusieurs années en Afrique sub-saharienne comme urbaniste, notamment à Yaoundé et Douala. BRAOUEZEC Patrick Président de l'établissement public territorial « Plaine Commune » et vice-président de la métropole du Grand Paris, il avait auparavant été maire de Saint-Denis (19912004) et député de la Seine-SaintDenis (1993-2012). Il est également membre fondateur et co-animateur de la commission Inclusion sociale, démocratie participative et droits humains de Cités et gouvernement locaux unis. CHARREYRON-PERCHET Anne Urbaniste, elle est en charge des questions liées à la ville durable au sein du Commissariat général au développement durable (Ministère de l'environnement, de l'énergie et de la mer). Ses travaux portent notamment sur les questions de résilience urbaine et d'innovation. Auteure de plusieurs rapports et articles sur ces sujets, elle intervient comme experte à l'échelle européenne et participe à de nombreux projets en lien avec d'autres pays. Ses travaux sur l'innovation l'amènent aujourd'hui à travailler plus spécifiquement sur la question des villes et territoires intelligents du point de vue des enjeux pour ces territoires, tant en termes de gouvernance, de gestion urbaine que de développement économique local, DAUGE Yves Urbaniste, il a entre autre occupé les fonctions de Directeur de l'habitat et de l'urbanisme (1982-1985) au ministère de l'Équipement, avant de prendre la tête de la Délégation interministérielle à la ville. Ancien député (1997-2001) puis sénateur d'Indre-et-Loire (2001-2011), il a également été maire de Chinon (19892005). Il est depuis 2011 co-président du Partenariat Français pour la Ville et les Territoires. DEBOULET Agnès Professeure de sociologie à l'université Paris VIII, ses recherches, menées au sein du LAVUE (Laboratoire architecture ville urbanisme environnement, UMR 7218 CNRS) portent notamment sur les questions de mobilisations urbaines et de citoyenneté dans les quartiers précaires et les quartiers en restructuration en particulier au Caire et à Beyrouth, mais également en Europe. Elle a dirigé en 2016 la publication d'un ouvrage intitulé « Repenser les quartiers précaires » (collection Études de l'AFD). DE CAZOTTE Henry Ingénieur agronome diplômé de l'Ecole polytechnique fédérale de Zurich et ancien élève de l'ESSEC, il a été le Représentant spécial Habitat III du ministère des Affaires étrangères et du Développement international. Il avait auparavant été Conseiller spécial du Coordonnateur exécutif de la conférence des Nations unies « Rio + 20 », puis coordinateur pour la France des négociations sur le développement post-2015 et sur le financement du développement. Il a réalisé une grande partie de sa carrière à l'Agence Française de Développement (directeur de la communication, directeur de l'antenne de Johannesburg...). DE FLEURIEU Agnès Ancienne élève de l'ENA, elle a passé sa carrière dans de nombreux ministères et notamment au ministère des Transports, au ministère de la Coopération et au ministère des Affaires étrangères. Elle était membre de la délégation française à Habitat II. n° HS automne 2017 l « pour mémoire » 133 DE LANNOY Xavier Président de la fédération SOLIHA (Solidaires pour l'habitat), il avait auparavant travaillé pour la Caisse des dépôts pour laquelle il avait notamment dirigé les antennes de la région Limousin et de la région Centre. FREY Astrid Experte en coopération décentralisée et en négociations multilatérales à Cités Unies France depuis 2005, elle s'était notamment engagée depuis l'origine sur les négociations des Objectifs de développement durable aux Nations Unies. GARCIA Elise Docteure en géographie, sa thèse, soutenue en 2013, s'intitulait « L'action internationale des collectivités territoriales : un outil de développement des territoires français ? ». Elle est désormais chargée des relations internationales auprès du maire de Cergy. Elle est également engagée au sein de l'ARRICOD (Association des professionnels de l'action européenne et internationale des collectivités territoriales). GAUTIER Maryse Ingénieure Générale des Ponts, des Eaux et des Forêts, elle est actuellement inspectrice générale au Conseil général de l'environnement et du développement durable (ministère de l'Environnement, de l'Energie et de la Mer, et ministère du Logement et de l'Habitat durable). Elle a été déléguée pour la France auprès des Nations Unies pour la préparation de la Conférence Habitat III, dont elle a co-présidé avec l'Equateur la Commission Préparatoire. Auparavant, elle avait passé 17 années à la Banque mondiale, où elle a travaillé comme experte sur le développement urbain en région méditerranéenne et en Amérique latine, ainsi qu'aux Philippines comme directrice des programmes. GOLDBLUM Charles Charles Goldblum est professeur émérite en urbanisme à l'Université Paris 8 et ancien directeur de l'Institut français d'urbanisme (IFU). Ancien vice-président du GEMDEV, il a assuré, de 2001 à 2005, la présidence du Comité scientifique du Programme de recherche urbaine pour le développement (PRUD) initié par le ministère des Affaires étrangères. Il est actuellement membre du comité directeur du GEMDEV et chercheur associé à l'Unité mixte de recherche Architecture Urbanisme Société : savoirs, enseignement, recherche (UMR AUSser 3329 du CNRS). HUYBRECHTS Eric Architecte et urbaniste, il dispose de 30 ans d'expérience sur les questions urbaines en France et à l'international, mêlant expertise (conseil, assistance à la maîtrise d'ouvrage...), enseignement et recherche. Il est actuellement en charge des questions internationales à l'Institut d'aménagement et d'urbanisme d'Ile de France et enseignant dans différents masters d'urbanisme. JACQUEMOT Pierre Ancien Ambassadeur de France (Kenya, Ghana, RD Congo) et ancien Directeur du développement du ministère des Affaires étrangères, il est désormais président du Groupe Initiatives et du GRET, et membre du Conseil national du développement et de la solidarité internationale (CNDSI). Il est également maître de conférences à l'Institut d'Etudes Politiques de Paris et chercheur associé à l'IRIS. Il a publié en 2016 aux éditions Karthala « L'Afrique des possibles, les défis de l'émergence ». LORRAIN Dominique Directeur de recherche émérite au CNRS, ses recherches portent sur les réformes des infrastructures, et plus particulièrement sur les politiques de libéralisation, les stratégies d'entreprises et les politiques urbaines à l'échelle internationale. Il a enseigné entre autre à Sciences Po Paris, et dans un MBA conjoint de l'Ecole des Ponts ParisTech et de l'université de Tongji à Shanghai. Il a notamment coordonné deux ouvrages sur les grandes villes : en 2011, «Métropoles XXL en pays émergents», en 2017, «Métropoles en Méditerranée. Gouverner par les rentes», tous deux aux Presses de Sciences Po. LOUBIERE Antoine Journaliste spécialisé dans les politiques urbaines et le développement territorial, il est rédacteur en chef de la revue Urbanisme depuis octobre 2000. Diplômé du Centre de formation des journalistes (CFJ), il a par ailleurs été auditeur de l'IHEDATE (Institut des hautes études de développement « pour mémoire » l n° HS automne 2017 134 et d'aménagement des territoires en Europe). Il est l'auteur, avec Jean Audouin, du livre « Les Banlieues » (Hachette, 1996). MAISETTI Nicolas Chercheur post-doctorant en science politique (LATTS, Université Paris Est), il est l'auteur de « Marseille ville du monde » aux éditions Karthala (2017) et « Opération culturelle et pouvoirs urbains » à l'Harmattan (2015). Il travaille sur les politiques urbaines d'internationalisation. MASSIAH Gustave Ingénieur et économiste, il s'est spécialisé dès les années 60 sur les questions urbaines et de développement, en parallèle d'un engagement militant altermondialiste. Il est notamment membre fondateur de l'Association Internationale de techniciens, d'Experts et de Chercheurs (Aitec), et est toujours membre du conseil international du Forum social mondial et du conseil scientifique d'Attac. NOISETTE François Ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts, il a fondé Kalutere Polis en 2013. Il valorise plus de trente années d'expérience de pilotage et de mise en oeuvre du développement territorial et urbain en France et dans les pays en développement. Il était le représentant technique du ministère des Affaires étrangères pour la préparation d'Habitat II. Il est aussi trésorier de AdP ­ Villes en Développement, association qui réunit des professionnels engagés dans le développement des villes du Sud. ODIC Anne Diplômée de Sciences Po Paris, elle est aujourd'hui responsable à l'Agence Française de Développement de la division « Collectivités locales et développement urbain ». Elle avait auparavant eu différents postes au sein de l'agence en France et à l'étranger, notamment en Afrique du Sud. ORILLARD Clément Architecte DPLG, il est aujourd'hui maître de conférence à l'Institut d'urbanisme de Paris. Ses travaux portent sur la structuration des champs disciplinaires et professionnels de l'urbanisme prise dans une perspective internationale, et sur la co-construction des acteurs institutionnels privés et publics de l'aménagement en France. OSMONT Annik Socio-anthropologue, HDR, maître de conférences honoraire (Institut Français d'Urbanisme (IFU), université de Paris 8), elle a été responsable de la filière « Expertise internationale, villes en développement » du DESS de l'IFU, et enseignante à l'Ecole Nationale des Ponts et Chaussées de 1965 à 1992. Ancienne vice- présidente et membre du comité de direction du GEMDEV, elle a été secrétaire exécutive du Programme de Recherche Urbaine pour le Développement de 2001 à 2004. Elle a co-animé, avec Charles Goldblum, de 2007 à 2009, un groupe de réflexion sur la gouvernance urbaine. Elle est membre du PFVT depuis 2011. PAYRE Renaud Professeur de science politique à l'Institut d'Études Politiques de Lyon, dont il est actuellement directeur. Il mène des recherches au sein du laboratoire TRIANGLE (UMR 5206) notamment sur l'action publique urbaine et sur les circulations transnationales d'acteurs et de savoirs municipaux, avec une approche sociohistorique (début XXe à nos jours). PRALIAUD Claude Ingénieur des ponts, des eaux et des forêts, il est aujourd'hui directeur de l'urbanisme à la ville de Paris. Auparavant, il avait notamment travaillé au cabinet du maire de Paris mais aussi au ministère de la coopération ­ pour lequel il s'était impliqué dans Habitat II ou encore à l'ambassade d'Alger. SAPOVAL Yves-Laurent Architecte-Urbaniste en chef de l'État, il est aujourd'hui conseiller auprès du directeur de l'Habitat, de l'Urbanisme et des Paysages (ministère du Logement et de l'Habitat durable). Après des postes en cabinets ministériels, il avait auparavant exercé les fonctions de Délégué Interministériel à la ville (2006-2008). STECK Jean-Fabien Maître de conférences à l'Université de Paris-Nanterre, il est membre de l'UMR LAVUE. Géographe urbain, il étudie les usages dits informels des espaces publics et les enjeux de leur planification en Afrique de l'Ouest. Il aborde la question des circulations de modèles et des coopérations. n° HS automne 2017 l « pour mémoire » 135 LE COMITÉ D'HISTOIRE « pour mémoire » l n° HS automne 2017 136 Créé en 1995, le comité d'Histoire ministériel développe des activités dans les domaines de l'Écologie, du Développement durable, de l'Énergie, des Transports, de la Mer mais aussi dans ceux de l'Urbanisme, du Logement et de la Ville. Afin de valoriser le patrimoine historique du ministère et de promouvoir une analyse historique des politiques ministérielles, le comité d'Histoire s'appuie sur un Conseil scientifique, composé de chercheurs et de spécialistes reconnus, pour définir ses priorités d'intervention en matière d'histoire et de mémoire des administrations, des politiques publiques menées ainsi que des techniques, des métiers et des pratiques professionnelles qui ont été développés. Il cherche également à répondre aux attentes exprimées par les services, les opérateurs et les partenaires du ministère. Le comité soutient et accompagne scientifiquement et financièrement des études et des recherches historiques. Il publie la revue semestrielle « Pour mémoire » (2000 exemplaires). Il organise des séminaires et des journées d'études dont il peut diffuser les actes dans des numéros spéciaux de la revue. Il peut favoriser la publication d'ouvrages de référence. Pour les besoins de la recherche, il constitue un fonds d'archives orales d'acteurs des politiques ministérielles. Il gère un centre documentaire ouvert au public doté de plus de 4 000 ouvrages. Il diffuse sur internet et sur intranet un guide des sources accessibles, la revue et les actes de journées d'études et de séminaires. Il peut participer à des manifestations avec des partenaires publics ou privés. n° HS automne 2017 Le comité d'Histoire du ministère L' ORGANISATION DU SECRÉTARIAT DU COMITÉ D'HISTOIRE Secrétaire Philippe CARON ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts Secrétaire général du Conseil général de l'Environnement et du Développement durable Tél. : 01 40 81 68 23 philippe.caron @developpement-durable.gouv.fr Secrétaire-délégué Patrick FÉVRIER administrateur général Tél. : 01 40 81 21 73 patrick.fevrier @developpement-durable.gouv.fr Adjointe au secrétaire délégué recueil de témoignages oraux Christiane CHANLIAU chargée de mission Tél. :01 40 81 82 05 christiane.chanliau @developpement-durable.gouv.fr Événementiel, édition Lorette PEUVOT chargée de mission Tél. : 01 40 81 15 38 lorette.peuvot @developpement-durable.gouv.fr Études-recherches Samuel RIPOLL chargé de mission Tél. : 01 40 81 26 63 samuel.ripoll @developpement-durable.gouv.fr Documentation communication électronique Nicole BOUDARD-DI-FIORE documentaliste Tél. : 01 40 81 36 83 nicole.boudard-di-fiore @developpement-durable.gouv.fr Assistance à la coordination et à la publication N.... secrétaire de rédaction Tél. : 01 40 81 .. .. l « pour mémoire » 137 LE CONSEIL SCIENTIFIQUE Dominique BARJOT Professeur d'histoire contemporaine à l'Université Paris IV Bernard BARRAQUÉ Directeur de recherche émérite au CNRS, AgroParisTech Alain BELTRAN Directeur de recherches CNRS, Université Paris I, laboratoire SIRICE (UMR 8138) Alain BILLON Ancien secrétaire délégué du Comité d'histoire Florian CHARVOLIN Chargé de recherche au CNRS, Centre Max Weber (UMR 5283) Kostas CHATZIS Chercheur au laboratoire Techniques Territoires Sociétés (LATTS, UMR 8134) Florence CONTENAY Inspectrice générale de l'Équipement honoraire Andrée CORVOL DESSERT Présidente d'honneur du Groupe d'Histoire des Forêts Françaises, Directrice de recherche émérite au CNRS, Membre de l'Academie d'Agriculture de France Gabriel DUPUY Professeur émérite à l'Université Paris I Jean-Michel FOURNIAU Directeur de recherches à l'IFSTTAR Stéphane FRIOUX Maître de conférences en histoire contemporaine à l'Université Lumière de Lyon 2, laboratoire LARHRA (UMR 5190) Philippe GENESTIER Professeur à l'ENTPE, laboratoire EVS-RIVES (UMR 5600) Vincent GUIGUENO Conservateur en chef du patrimoine, musée de la Marine Anne-Marie GRANET-ABISSET Professeur d'histoire contemporaine, Université Pierre Mendès-France Grenoble, laboratoire LARHRA (UMR 5190) André GUILLERME Professeur émérite d'histoire des techniques au CNAM Bertrand LEMOINE Directeur de recherche au CNRS, Centre André Chastel (UMR 8150) Alain MONFERRAND Ancien secrétaire-délégué du Comité d'histoire Arnaud PASSALACQUA Maîtres de conférences en histoire contemporaine à l'université Paris-Diderot, laboratoire ICT (EA 337) Antoine PICON Directeur de recherche à l'Ecole des Ponts ParisTech, Professeur à la Harvard Graduate School of Design Anne QUERRIEN Ancienne directrice de la rédaction de la revue « Les Annales de la Recherche urbaine » Thibault TELLIER Professeur d'histoire contemporaine à l'Institut d'études politiques de Rennes, laboratoire IRHiS (UMR 8529) Hélène VACHER Professeur à l'Ecole Nationale Supérieure d'Architecture de Nancy, laboratoire LHAC Loïc VADELORGE Professeur à l'université Paris-Est, laboratoire ACP (EA 3350) « pour mémoire » l n° HS automne 2017 138 Activités du Comité d'histoire Depuis 2006, 18 numéros de la revue semestrielle Pour mémoire ont déjà présenté un panorama diversifié d'articles sur l'histoire de l'administration et des cultures professionnelles. Pour 2017-2018, les principales thématiques traitées concernent l'histoire du corps des Ponts et Chaussées, les enjeux transfrontaliers, et le patrimoine immobilier des armées. https://www.ecologique-solidaire. gouv.fr/memoire-du-ministere-comitedhistoire-ministeriel#e3 Depuis 1995, le Comité d'histoire a organisé ou co-organisé des journées d'études et des colloques, le plus souvent en partenariat avec des chercheurs, des acteurs et des experts. Les événements programmés en 2017-2018 portent notamment sur une analyse de la loi d'orientation foncière (1967) et de ses impacts, sur le ministère de l'équipement et la politique de la ville, les bassins miniers. https://www.ecologique-solidaire. gouv.fr/memoire-du-ministere-comitedhistoire-ministeriel#e4 Les actes des journées d'études organisées par le Comité d'histoire sont publiées dans des numéros spéciaux de la revue. D'autres types de journées d'études sont publiées sur internet, dans la revue, ou dans des livres. https://www.ecologique-solidaire. gouv.fr/memoire-du-ministere-comitedhistoire-ministeriel#e4 Le comité peut apporter son soutien à l'édition d'ouvrages issus par exemple de thèses dont les sujets ont un rapport avec les politiques ministérielles. https://www.ecologique-solidaire. gouv.fr/memoire-du-ministere-comitedhistoire-ministeriel#e7 Depuis sa création, le comité a recueilli près de 250 témoignages oraux destinés à préserver la mémoire de personnalités de ces ministères. Il s'est intéressé à l'évolution des métiers, des cultures professionnelles, et des bouleversements qui ont touché l'administration. www.archives-orales.developpementdurable.gouv.fr n° HS automne 2017 l « pour mémoire » 139 Vous souhaitez consulter les ressources du secrétariat du comité d'Histoire... Vous pensez que votre témoignage peut éclairer l'histoire du ministère de la Transition écologique et solidaire et des administrations dont il est l'héritier... Vous avez connaissance d'archives, de documents divers, d'objets intéressant l'histoire de ces administrations, alors... N'HÉSITEZPASÀNOUSCONTACTER OU NOUS RETROUVER ? Secrétariat du comité d'Histoire Conseil général de l'Environnement et du Développement durable Tour Séquoia - 92055 La Défense cedex tél : 33 (0) 01 40 81 21 73 Internet : http://www.ecologiquesolidaire.gouv.fr/memoire-du-ministere http://www.archives-orales. developpement-durable.gouv.fr/index. html Intranet : http://intra.comite-histoire. cgedd.i2/ courriel : comite.histoire@developpement-durable. gouv.fr « pour mémoire » l n° HS automne 2017 140 la revue du comité d'Histoire rédaction Tour Séquoia - bureau 30.01 92 055 La Défense cedex téléphone : 01 40 81 15 38 comite.histoire@developpement-durable.gouv.fr Pierre Chantereau et Alain Billon fondateurs de la publication directeur de la publication Philippe Caron rédacteur en chef Patrick Février Samuel Ripoll conception et coordination du hors-série conception graphique de la couverture 53 rue Lemercier - Paris 75017 société Amarante Design graphique, crédit photo couverture UN Photo/Yutaka Nagata Légende premier ministre canadien Pierre Trudeau ouvre la 1e conférence des Nations Le Unies sur les établissements humains (Habitat I). Vancouver, 31 mai 1976 crédits photos Tous droits réservés Annick Samy réalisation graphique impression couverture Intérieur SG/SPSSI/ATL 2 ISSN 1955-9550 ISSN ressource en ligne 2266-5196 imprimé sur du papier certifié écolabel européen n° HS automne 2017 l « pour mémoire » COMITÉ D'HISTOIRE Tour Séquoia 92055 L a DéfenSe ceDex www.ecologique-solidaire.gouv.fr / www.cohesion-territoires.gouv.fr INVALIDE) (ATTENTION: OPTION prenant éventuellement des bonnes pratiques. Le deuxième type de politique protocolaire s'incarne dans les « trophées internationaux de la gouvernance urbaine », dont l'expression est empruntée au sociologue Renaud Epstein. Cette démarche de distinction des collectivités est très ancienne et remonte aux années 1950, avec la création du concours des « Villes et villages fleuris ». Aujourd'hui, ces dispositifs se sont multipliés et ont beaucoup évolué. Longtemps cantonnés à la question du tourisme et du patrimoine, ils viennent désormais récompenser la qualité de la gestion territoriale et sont devenus un instrument privilégié de distinction des pouvoirs locaux dans la compétition internationale des territoires. Les politiques d'attractivité La dernière catégorie d'action publique est celle des politiques d'attractivité. Elles soulèvent la question de l'internationalisation des territoires comme une ressource capable de stimuler la croissance économique locale. Cette problématique s'intègre dans la compétition des espaces urbains, en particulier des espaces métropolitains. Sur le plan des politiques publiques, cela se traduit par la multiplication des initiatives de marketing territorial et de city branding et par une mobilisation destinée à favoriser l'implantation des entreprises internationales ou de leurs sièges régionaux. Sur un plan institutionnel, ces ambitions visent à attirer des organismes publics internationaux, comme par exemple des bailleurs de fonds multilatéraux. En conclusion, ce panorama très descriptif de l'internationalisation des villes, considéré sous l'angle d'une sociologie de l'action publique, permet d'envisager une série de dispositifs disparates. Il contribue à la compréhension de la manière dont les pouvoirs s'exercent aujourd'hui et dont le fait international n'est plus un simple contexte, mais un objet et un enjeu de la production urbaine. « pour mémoire » l n° HS automne 2017 40 actes Les associations, actrices de coopération à l'interface de l'action publique et des habitants Xavier de Lannoy, président de la fédération SOLIHA La création de Solidaires pour l'habitat (SOLIHA) résulte de la fusion de deux réseaux d'opérateurs autrefois présents sur les territoires : la fédération des PACT ARIM et la fédération « Habitat et développement ». Le mouvement SOLIHA représente aujourd'hui environ 150 associations et rassemble 3 200 administrateurs et 2 700 salariés. Son objectif est de promouvoir le maintien et l'accès à l'habitat des personnes défavorisées, fragiles et vulnérables, en mobilisant en particulier l'habitat privé. Reconnu comme service social d'intérêt général, SOLIHA incarne une action sur les territoires en partenariat avec les collectivités locales. Georges Cavallier a présidé le mouvement PACT ARIM entre 1999, soit 3 ans après Habitat II, et 2012. Peut-être sa présence à cette conférence et dans le débat d'idées lui avait-elle donné envie d'ouvrir ses horizons d'action, et en particulier de s'investir dans le mouvement associatif et d'apporter sa compétence et son humanité à ce réseau d'acteurs ? Tous ceux qui l'ont connu ont perçu que, derrière sa posture de serviteur de l'État et de l'intérêt général, pointait n° HS automne 2017 le militant, l'homme de conviction qui savait défendre un projet, une idée. Rappelons que Georges Cavallier, en tant que président de la fédération PACT, avait engagé un contentieux avec l'État sur la reconnaissance de la fonction de service social d'intérêt général de l'association. Ce statut constitue pour nous un élément important de la reconnaissance de notre rôle vis-à-vis de l'État et des collectivités locales. Les PACT ARIM à l'international : la diffusion d'un savoirfaire social Le mouvement SOLIHA, dans les années 1980 et 1990, est intervenu de façon très active dans la coopération internationale dans le domaine de l'habitat et du logement. Nous agissons aujourd'hui en France métropolitaine et aussi dans les départements d'outre-mer. En 2016, nous avons créé une association SOLIHA à Mayotte. Nous pouvons contribuer, avec d'autres, à construire des réponses aux grands défis mondiaux de la ville et à tenir les engagements hier pris à Istanbul, et ceux qui demain seront pris à Quito. En tant qu'opérateur présent sur le territoire, nous essayons de mettre en oeuvre le droit au logement et le droit à la ville comme leviers de lutte contre la pauvreté et l'exclusion. Nous pensons que la revitalisation des quartiers, des bourgs et des villes moyennes, constitue un élément de renforcement de la cohésion sociale et de la solidarité sur les territoires. Dès les années 1980, le Mouvement PACT ARIM s'est engagé dans des actions de coopération internationale dans le domaine de l'habitat. Au début des années 1990, avec l'appui des pouvoirs publics, il a structuré une offre de coopération internationale dans le domaine de la réhabilitation des quartiers existants, notamment les centres anciens paupérisés, et la lutte contre l'habitat insalubre. Une cinquantaine de projets de coopération ont ainsi été conduits, impliquant des associations locales du Mouvement, l « pour mémoire » 41 en Amérique latine, au Maghreb et en Afrique de l'Ouest. L'objectif de ces coopérations était, à partir d'un projet pilote, d'appuyer nos partenaires dans la définition et la mise en oeuvre d'une politique de réhabilitation en travaillant particulièrement sur les volets ingénierie sociale, financier et législatif. Dans ce cadre, l'une des principales originalités de l'offre de coopération du mouvement était la réflexion sur la figure d'opérateur de la réhabilitation de quartier, sur sa nécessaire adaptation aux pays ou villes partenaires, et sa position d'interface indispensable entre l'action publique et les habitants. Notre intervention reposait donc sur une logique de réponse à une demande locale et non d'optimisation d'une offre française. Ce mode coopératif implique de s'ouvrir à l'autre, et de prendre en compte ses exigences et ses contraintes. Cela signifie que les modes d'organisation et d'intervention sont par nature multiples et adaptés aux demandes différentes des pays partenaires et aux contextes politiques, économiques et culturels locaux. Cette offre de coopération a permis aux salariés du mouvement impliqués dans ces projets de prendre du recul sur leurs pratiques éprouvées dans un contexte français. Les acteurs concernés ont ainsi pu renouveler leur capacité d'innovation, et penser de nouveaux modes d'intervention en France, face à des situations sociales, économiques et urbaines de plus en plus complexes. « pour mémoire » Remettre les habitants au coeur des projets et des débats Face à ces réalités, les engagements pris à Istanbul semblent encore d'actualité et devront être approfondis à l'occasion d'Habitat III. Trois d'entre eux se révèlent particulièrement structurants aux yeux de notre mouvement, à savoir le droit au logement, le développement durable dans l'habitat, et enfin l'approche participative du projet. Quelles avancées avons-nous connu depuis 1996 ? L'année 2017 verra la célébration des dix ans du droit au logement opposable (DALO), dispositif marquant de la lutte contre l'exclusion. Ceux qui participent à des commissions DALO soulignent combien elles permettent de saisir la réalité de l'habitat d'aujourd'hui. Il faut également évoquer la COP 21 et les actions menées contre la précarité énergétique, qui constitue souvent un élément important de l'insalubrité. La France a pris des engagements très significatifs pour lutter contre ce problème. En revanche, nous avons encore de grands progrès à accomplir sur la question de la participation des habitants. Je pense principalement aux Un immeuble ciblé par des actions de lutte contre l'insalubrité en région parisienne ©Terra/G. Crossay l n° HS automne 2017 42 nouvelles formes de gouvernance forgées au cours de processus participatifs avec les habitants (par exemple au Brésil), à la place de la société civile dans nos fonctionnements démocratiques. Je pense que nous devons donner du poids aux mouvements et mobilisations diverses, souvent portées par les jeunes générations qui exigent une ville solidaire plutôt qu'une ville compétitive, qui s'engagent pour l'insertion des personnes fragiles, qui portent des projets alternatifs d'habitat, de droit à la ville. Nous devons favoriser l'échange autour des innovations, et apprendre des expérimentations mises en oeuvre par des villes dans le monde comme par exemple New Delhi, qui a pris des engagements pour une politique de « zéro expulsion ». Nous souhaitons qu'après Vancouver, qui donnait la place aux Etats, et Istanbul, qui reconnaissait le rôle des collectivités locales, la conférence Habitat III donne entièrement leur place aux habitants. La ville ne se fera jamais sans eux. Quelle parole ces sans-voix auront-ils à Quito ? Pour nous SOLIHA, quelles réponses, quels projets, pouvons-nous plus particulièrement porter à partir de notre histoire, de nos pratiques sur les territoires, et à partir de nos convictions ? Nous sommes porteurs depuis longtemps d'une politique dans le domaine de l'amélioration de l'habitat et de la réhabilitation des quartiers existants, c'est à dire des sites occupés, porteurs d'une culture et d'une tradition. Le développement urbain durable doit prendre d'avantage en compte cette n° HS automne 2017 réalité et cette approche de la ville et des quartiers. En effet, le développement d'une offre de logements à vocation sociale peut aussi se réaliser par la mobilisation d'un parc existant et le renforcement de sa fonction sociale. Il nous semble par ailleurs important de développer la solidarité des territoires, plutôt que leur compétitivité, en réfléchissant sur les stratégies d'alliances possibles pour optimiser les ressources dans le domaine des transports, des filières économiques locales, de l'accueil de populations nouvelles. Il faut également prendre en compte de nouvelles réalités dans le domaine de l'habitat et du logement, avec par exemple la problématique des réfugiés qui touche l'ensemble de la planète. L'observation et l'échange d'idées sur les réalités du développement urbain nous montrent bien que ces défis dépassent largement nos frontières. Ce sont des sujets globaux pour lesquels une réflexion entre peuples, entre pays, à partir des projets concrets, est indispensable. Nous souhaitons que la politique étrangère de la France puisse demain prendre en compte dans ses objectifs de coopération la nécessité de soutenir la création de ces liens humains porteurs de projets et d'expérimentations. L'enjeu est de taille et en vaut la peine. Une prise de conscience mondiale est plus que jamais nécessaire car, pour reprendre une citation de Georges Cavallier, « la ville est le destin du monde ». La «jungle» de Calais, en 2015 ©Nicolas Pinault l « pour mémoire » actes 43 La grande firme et la fabrique urbaine : au singulier ou au pluriel ? Dominique Lorrain, directeur de recherche émérite au CNRS Permettez moi d'abord de remercier le ministère de m'avoir invité à parler d'un sujet qui me tient à coeur depuis longtemps, à savoir la question du rôle des firmes dans la production de la ville. J'ai initié à ce titre un programme autofinancé de « portraits d'entreprise ». Dans la revue Flux, nous avons publié 47 articles sur 114 firmes internationales 1 . Les plus récents concernent les grands conglomérats familiaux d'Asie du sudest engagés dans la fabrique urbaine. Ces derniers travaux s'inscrivent dans le programme de recherche de la « Chaire Ville », soutenu par l'Agence française de développement (AFD), Engie et Suez. Cette expérience montre qu'il est possible de faire de la recherche, d'être indépendant et de coopérer avec les acteurs du marché. Mon propos tient ici en deux points. Premièrement, les grandes firmes jouent depuis longtemps un rôle fondamental dans la fabrique urbaine et en particulier à l'international, en coopération étroite avec les autres acteurs. Deuxièmement, la notion d'entreprise ou de firme constitue une catégorie très générale, dans laquelle nous mettons tout et son contraire, et qu'il convient donc de déconstruire. Il existe des firmes vertueuses, des firmes pirates, des firmes ancrées dans des territoires, des firmes nomades... Elles ne possèdent pas toutes le même business model. Elles n'entretiennent pas le même rapport au politique et aux institutions. Il est préférable d'en avoir une connaissance précise pour ne pas développer des généralités trop vagues. A l'international, il est nécessaire de nouer les bonnes coopérations avec les bons acteurs, ce qui nécessite une connaissance fine de la position et du rôle de chacun. plus, dans un univers concurrentiel et cette mise sous tension les force à progresser. Observons qu'elles diffèrent quelque peu des institutions publiques à l'agenda plus large. Pour ces raisons il n'est pas surprenant de remarquer que des organisations, disposant de ressources, tournées vers quelques buts finissent par s'imposer. Par ailleurs, le monde devient urbain ce qui nécessite de produire des réseaux, des logements et des équipements, et ce phénomène contribue ainsi à la formation d'un vaste marché global. Comme les firmes sont des « organisations orientées marchés », elles ont parfaitement pris conscience de ces évolutions et se sont adaptées C'est une seconde explication à l'émergence des grandes firmes dans la fabrique urbaine. Les Français sont présents à l'international depuis très longtemps. Ainsi à Hong Kong, Dragages et Travaux Le rôle des firmes et les enjeux internationaux Les firmes sont des êtres organisationnels dédiés à un objet social précis. Elles ont des compétences, des ressources humaines, financières et technologiques, et poursuivent des buts précis. Elles évoluent aussi, de plus en Voir http://chaire-ville.enpc.fr/les-portraitsdentreprises « pour mémoire » 1 l n° HS automne 2017 44 Publics, filiale du groupe Bouygues, remporte des succès éclatants. De même c'est au début des années 1980 que Jérôme Monod a déployé Lyonnaise des Eaux (aujourd'hui Suez) dans cette direction aux États-Unis, en Chine et dans le pourtour méditerranéen. Engie est également très présent à l'international, comme le sont Vinci ou Veolia. Dans cette perspective les firmes françaises ont développé des coopérations. Quand elles quittent le microcosme français, elles doivent apprendre « l'autre ». Il suffit de se représenter une société présente à la fois au Chili, en Chine, en Pologne et aux États-Unis pour comprendre qu'un apprentissage est nécessaire pour s'approprier ces différents systèmes politiques et institutionnels, avec leurs règles formelles et leurs codes sociaux informels. Afin de s'adapter à ces environnements parfois si différents, les entreprises coopèrent avec les acteurs locaux. C'est la raison pour laquelle les grandes firmes françaises ont depuis longtemps noué des partenariats avec les collectivités locales du monde entier mais aussi avec des associations, des entreprises locales... Ce travail d'adaptation et de connaissance pourrait être facilité par le fait que des collectivités locales françaises ont également noué des partenariats avec des collectivités étrangères. Ainsi, plutôt que de tenir des discours généraux sur leurs contextes politiques et institutionnels, ces entreprises pourraient promouvoir des démonstrateurs portés en commun avec les collectivités françaises dans n° HS automne 2017 lesquelles ces projets ont été réalisés. Si cette idée fait sens et fonctionne de manière naturelle dans de nombreux pays, force est de constater qu'elle elle progresse lentement en France. Je dirais, de façon politiquement incorrecte, que notre pays est à la fois efficace, en retard et contreproductif. Il est efficace si l'on pense par exemple à une initiative comme Vivapolis qui assure une coordination concrète des acteurs en offrant à l'international une interface unique. A l'inverse, la France est très en retard si l'on pense à la question de l'impossible gouvernance de la région parisienne, qui constitue réellement un mauvais message pour les dirigeants des grandes métropoles émergentes. Du point de vue du maire Chinois, Latino-américain ou Africain ce fonctionnement institutionnel est totalement incompréhensible. Enfin notre système est contre-productif par l'image qu'il donne à voir par certain disfonctionnements récurrents. Nous avons évoqué la ville de Marseille. Qu'est-ce que l'étranger retient en général de la cité phocéenne ? Sont-ce ses démarches de coopération ? N'est-ce pas plutôt ce qui passe à la télévision, y compris sur CNN, à savoir les trafics dans les cités et les règlements de compte sanglants, les rues envahies par des déchets, les grèves à répétition sur les lignes de ferry reliant la ville à la Corse ? Si un pays veut faire de l'international, il doit veiller à renvoyer une image claire sur tous les plans, aussi bien techniques, institutionnels ou imaginaires. Il serait utile de développer chez nous des vitrines qui mieux qu'un long discours assurent notre présence dans les conférences internationales. La meilleure façon pour un représentant de Singapour de vanter les compétences de la Ville-État dans la fabrique urbaine consiste à inviter des représentants étrangers dans sa ville pour leur montrer comment celle-ci fonctionne. Il en va de même pour Shenzhen, Zhuhai, Dubaï et un certain nombre d'autres métropoles. Le meilleur démonstrateur ne consiste pas à parler, mais à faire venir et à laisser observer. La firme, une notion très générale En France, nous trouvons trois familles principales d'entreprises urbaines : grands groupes de réseaux : citons Les EDF, Engie, Suez et Veolia. Installés dans le paysage industriel et institutionnel depuis plus d'un siècle, ce sont des êtres hybrides qui combinent des propriétés d'organisation marchande et des propriétés institutionnelles liées à des enjeux d'intérêt général. Ils sont très régulés, et leur business model porte sur le long terme. grands groupes de BTP, dans Les leur activité de construction, ont un business model sur environ deux ou trois ans. Ils se sont diversifié dans les infrastructures, et certains d'entre eux exercent également dans le domaine du facility management : ils gèrent l'exploitation de certains équipements. Ils combinent donc le court terme et le l « pour mémoire » 45 long terme, tout en étant plus proches des marchés. myriade de PME et de TPE. Ces Une petits promoteurs/constructeurs produisent aussi la ville. Dans différents pays, ils contribuent même à la transformer par des programmes de petite taille dont la somme finit par faire masse. Ce sont des acteurs peu connus, soumis aux aléas de l'économie et donc plus susceptibles de faire faillite ou d'être dépassés par des concurrents, mais leur rôle dans la production urbaine est fondamental. Le mot « firme » recouvre ainsi des catégories complètement différentes. D'un côté, nous trouvons la grande firme « à propriétés institutionnelles » qui existait déjà en 1900 et subsistera en 2050. De l'autre, des sociétés extrêmement volatiles qui montent des opérations et disparaissent parfois immédiatement après. Le rapport à la chose publique, à la responsabilité, à la transparence est donc évidemment profondément différent suivant le type d'entreprise que l'on considère. Par ailleurs, cette variété de formes d'entreprises intervenant dans les villes s'accroît lorsque l'on se projette à l'international. Au-delà de cette typologie sommairement énoncée, j'observe différents phénomènes intéressants. Tout d'abord, mentionnons la montée en puissance de l'industrie de la finance et du conseil. Aujourd'hui, des fonds souverains acquièrent des infrastructures, développent des logements, des centres commerciaux, des integrated resort, etc. Observons également l'implication de fonds de private equity. Ils sont intéressants parce qu'ils appliquent à des problématiques urbaines des instruments provenant des marchés financiers : les couvertures de risques, les taux de retour sur investissement, etc. Nous voici donc dans un monde totalement différent de l'urbanisme opérationnel à la française. Évoquons aussi les compagnies d'ingénierie diversifiée. Ces entreprises font du conseil et pilotent un certain nombre de projets intégrés de BTP. Cette activité est le domaine d'excellence des Anglais et des Américains. En alliance avec l'industrie de la finance, ils développent des projets stratégiques tout autour du monde. Enfin, je voudrais mentionner les grands conglomérats des pays émergents qui, il y a dix ans, n'apparaissaient pas dans les classements internationaux. Ils sont majoritairement issus de l'Asie du sud-est, de Chine, d'Inde, du Brésil. Nos grandes firmes sont spécialisées, régulées, cotées en bourse et non familiales, alors que ces conglomérats sont familiaux, possèdent un grand portefeuille d'activités, tout en assurant des missions de puissance publique. Le rapport entre intérêt privé et intérêt public est complètement différent du nôtre, mais ce système parvient néanmoins à produire des morceaux de ville. Ainsi le groupe Ayala, propriété d'une grande famille des Philippines, a conçu et construit le business district de Manille - Makati ­ et y gère également l'électricité, l'eau, les déchets... Quelques conclusions pour le débat international et la position française Il convient de redonner leur juste place à l'ensemble des protagonistes urbains. A côté de l'État, des collectivités, des ONG, les firmes ont un rôle important à jouer. Elles possèdent des ressources qui doivent être utilisées pour améliorer le fonctionnement des villes. A ce propos, il parait nécessaire de repenser la question de la maîtrise d'ouvrage pour voir quand et comment intégrer certaines firmes aux phases de conception, afin de se poser les bonnes questions, au bon moment, et non en fin de cycle. Il me semble que nous sommes parfois excessivement sévères avec nos entreprises. Le débat public est envahi par le « trop » : les compagnies sont trop grosses, trop puissantes, font trop de profits... Autant de qualificatifs qu'il convient de relativiser par la comparaison internationale. En fait, elles se trouvent en concurrence permanente avec des groupes étrangers, parfois plus importants qu'elles et qui, un jour, pourraient les absorber. La transformation du paysage industriel français depuis les années 1970 démontre que dans des univers concurrentiels rien n'est acquis. La globalisation redistribue les cartes et conforte de nouveaux entrants. Ce qui est codé parfois un peu vite en France comme une « grande » firme correspond à la « bonne taille » dans certaines activités. « pour mémoire » l n° HS automne 2017 46 Pour les années à venir, nous devons garder un certain nombre d'idées à l'esprit. Nous allons indiscutablement vers un mouvement d'urbanisation majeur qui s'opérera essentiellement dans les pays émergents et accroîtra considérablement les marchés urbains. Des réseaux de villes se constitueront et des entreprises se développeront. Il est important de saisir que ces partenariats produisent des mots, des concepts, des notions et des narrative qui permettent de faire circuler des modèles, des bonnes pratiques, des normes techniques, des choix institutionnels, etc. Si la France possède des compétences urbaines, ce que je pense, et souhaite avoir une place dans le concert international, elle doit s'organiser en conséquence. Enfin, la question de la ville de l'économie circulaire est de devenir stratégique. Elle probablement l'un des grands sobre et en train constitue chantiers des vingt à trente prochaines années. Cette problématique pose de nouveaux enjeux en termes de coopération. Pour le dire simplement, l'organisation actuelle relève d'une logique de silo et de spécialisation. Or les solutions de demain supposeront des coopérations intersectorielles, à l'intersection des différents domaines. Nous devons donc réfléchir à nos règles d'appel d'offres et à nos façons d'envisager la maîtrise d'ouvrage. Business district de Makati, Manille ©Themanilaxperience n° HS automne 2017 l « pour mémoire » 47 Débat avec la salle Maryse Brimont Monsieur Lorrain, vous évoquiez l'influence des entreprises en matière d'urbanisation. Dans le Nord, nous connaissons bien cette question. Il me semble que les entreprises du passé ont aussi un impact fort dans la fabrique urbaine, à travers la reconversion de friches industrielles. D'autre part, dans cette session, nous n'avons pas évoqués les entreprise de l'économie sociale et solidaire. Cette économie constitue un pan important de l'activité de la France. Or les acteurs éprouvent des difficultés pour participer pleinement aux politiques publiques d'urbanisme, d'aménagement, d'habitat et de logement. Dans cette période de transition, il me semble que nous défendons l'intérêt général au même titre que les collectivités territoriales. Nous n'appartenons pas au secteur marchand, même si nous sommes des entreprises. Nous nous trouvons à la jonction entre la ville, l'urbanisme, l'habitat, le logement et les habitants. Nous avons beaucoup de mal à nous faire reconnaître cette place. La réalité a montré que le problème n'était pas si simple, que leur approche très « techniciste » ne suffisait pas. Des éléments sociaux et politiques viennent interférer. Pourriez-vous résumer ce qui s'est passé au cours de cette décennie ? Où en sommes-nous de cette ambition annoncée ? Valérie Clerc Monsieur Lorrain, je vous remercie pour votre intervention très stimulante. Vous avez montré la grande diversité des firmes que vous avez étudiées. Sur la fin de votre allocution, vous avez dit qu'elles produisaient un certain nombre de modèles d'action, de narrative, qui font circuler des pratiques. En accord avec la diversité de firmes, existe-t-il plusieurs sortes de normes ou de modèles ? Avez-vous étudié cette problématique, notamment en relation avec les propos de Gustave Massiah sur la marchandisation ou la financiarisation de la ville ? Robert Spizzichino A propos des réseaux transnationaux de villes, l'intervention de Madame Frey n'a pas mentionné la constitution de réseaux engagés. Les grandes métropoles s'organisent pour peser sur des décisions d'État, c'est évident. Mais parallèlement, il existe des réseaux alternatifs de résistance comme le réseau des villes progressistes en Asie, le réseau des villes en transition, le réseau des villes écosocialistes. Il me semble important, à l'occasion d'Habitat III, de mesurer le poids que ces réseaux engagés entendent prendre par rapport aux grandes évolutions internationales. J'observe qu'ils sont souvent régionalisés. Il conviendra de tenir compte de ce phénomène à l'avenir. Anne Querrien J'ai le sentiment que la vision du monde que nous adoptons dans cette salle est semblable à celle que nous développions au moment de Habitat II, avec d'un côté la France et de l'autre le reste du monde, les pays émergents, le sud. Or, durant mes cinq dernières années dans ce ministère, j'ai participé à des coopérations européennes. Il me semble que c'est là l'échelle clef de notre action internationale. Dominique Lorrain a évoqué la ville sobre. Nous avions inscrit cet objectif dans les orientations stratégiques de la Direction générale de la politique régionale et urbaine (DG Regio). Nous avions réuni une trentaine d'experts de tous les pays européens, qui avaient défini une politique de développement intégré. Je m'étais rendu compte que ce que nous considérions en France comme relevant d'une recherche d'avant-garde faisait « pour mémoire » Michel Gérard Il me semble que les géants du web comme Google, Facebook ou encore Apple ne manqueront pas d'être présents d'une quelconque manière à Habitat III. Monsieur Lorrain, quel rôle leur donnez-vous dans le futur ? Dès à présent, ils adressent des propositions assez intéressantes à un certain nombre de villes, leur offrant de résoudre leurs difficultés dans tel ou tel domaine. L'analyse des big data permet sûrement d'obtenir des résultats très intéressants. Patrice Berger Ma question s'adresse à M. Lorrain. Il y a dix ou douze ans, certaines grandes entreprises françaises spécialisées dans le traitement des eaux et la collecte des déchets ont annoncé que, grâce à leur technicité nouvelle et à leur efficacité industrielle, elles allaient résoudre le problème du sous-équipement de certaines villes du sud. l n° HS automne 2017 48 l'objet d'un consensus relativement ancien parmi ces chercheurs. L'Europe existe-t-elle aujourd'hui dans ce domaine de la coopération urbaine ? Nicolas Maisetti avait raison de dire que l'échec du traité constitutionnel fait que nous nous occupons de la production des normes plus que de la construction de politiques vraiment communes. s'agit plutôt d'un demi-échec, qui résulte précisément de la concurrence entre modèles. J'ai été invité à des conférences internationales dans lesquelles j'ai été témoin d'une violence verbale inédite pour moi. Certaines ONG attaquaient un cadre de l'entreprise, homme courtois, polytechnicien et ingénieur des Ponts et chaussées, en le traitant de « capitaliste », parce qu'il refusait soidisant de fournir l'eau aux populations des pays émergents. Ils avaient même créé un site intitulé www.stopsuez.com. Ce projet a échoué parce qu'il s'est trouvé confronté à une violence instrumentalisée. Les acteurs ont ainsi préféré investir ailleurs plutôt que d'agir dans cet environnement hostile. Je vous recommande la lecture d'un rapport de Philippe Marin, disponible sur le site de la Banque mondiale, et portant sur les Partenariats public-privé, ou le numéro spécial 203 de Actes de la recherche, avec Franck Poupeau. Il montre que, même dans le cas où ces projets n'ont pas abouti, le nombre de kilomètres de tuyaux et de foyers connectés a néanmoins augmenté. Son bilan pour Buenos Aires est ainsi plutôt positif. Néanmoins, il est surtout intéressant d'observer ce qui s'est passé depuis. Les prix ont par exemple considérablement augmenté dans la capitale de l'Argentine, mais également à Cochabamba en Bolivie. La lutte contre les firmes n'a donc pas produit d'alternative à la hauteur des défis. Sur le fonds, cet échec s'explique par une autre raison que ni les chercheurs ni les firmes n'avaient discernée. Nous avons tenté de reproduire notre savoirfaire, c'est-à-dire le « grand système technique intégré » : pompage, traitement, transport, distribution. Ce type de démarche peut opérer dans des pays où les lois de propriété sont stabilisées, où il existe un cadastre, etc. Dans les pays émergents où le bidonville ou l'habitat informel domine, cela ne fonctionne pas. Aujourd'hui, les mêmes acteurs, mais également les ONG, l'AFD ou la Banque mondiale réfléchissent à la mise en oeuvre de « systèmes décentralisés » ou de « petits systèmes techniques ». Je suis incapable de vous dire lequel, du modèle historique ou de ce dernier, l'emportera. Ceci-dit, beaucoup se disent par exemple que nous ne parviendrons jamais à engager les travaux d'Haussmann en Afrique. Michel Gérard m'interrogeait sur les géants de l'internet. Effectivement, ces acteurs sont entrés dans le jeu et détiennent un pouvoir considérable. L'important pour eux, le coeur de leur business model, consiste dans l'accès à la data. Si elle leur permet de résoudre des problèmes urbains, ils agiront dans ce domaine. S'ils n'y parviennent pas, peu importe, ils revendront les mêmes data à d'autres acteurs du commerce. Aujourd'hui il existe tout de même un risque, car personne ne cherche à contrôler Google ou Facebook, qui possèdent pourtant un pouvoir important et des moyens financiers considérables. Dominique Lorrain En réponse à Patrice Berger et Valérie Clerc, je dirais que des modèles et des argumentaires semblent s'imposer dans le débat. Les Etats, les grandes ONG, les grandes entreprises et les agences de développement comme la Banque mondiale, contribuent à former une doctrine à l'échelle internationale, mais nous assistons toujours à une compétition dure entre ces différents modèles. C'est pourquoi il est très difficile, comme le suggérait Anne Querrien, d'organiser une réunion à l'échelle européenne afin d'obtenir un consensus. Chacun des pays européens a tendance à vouloir promouvoir son propre système au niveau international. Le modèle d'Europe du Nord reposant sur un acteur public local fort est éloigné du modèle britannique favorable au marché et à la privatisation, mais également du modèle français qui suppose un Etat central solide délégant à des entreprises un certain nombre de missions. Patrice Berger m'interrogeait sur l'échec du programme « Eau pour tous », formule qui était le slogan de Suez il y a quelques années. Il me semble qu'il n° HS automne 2017 Xavier de Lannoy Gustave Massiah a très bien introduit le débat ce matin. Est-ce qu'aujourd'hui l « pour mémoire » 49 le marché fait la ville ? L'Etat peut-il contrôler ce marché et à quel niveau ? Assistons-nous au contraire à une transition nécessaire ? Il me semble que l'économie sociale et solidaire aura toute sa place. Chacun des mots de cette formule est important. Ce modèle implique l'optimisation des ressources locales et la participation des habitants. Dans cette évolution que j'appelle de mes voeux, la place des populations, des alliances, des réseaux engagés, sera primordiale. Nous avons évoqué le C40, l'alliance de ces grandes métropoles qui réunissent 25 % du PIB mondial. Rappelons-nous qu'en parallèle, certains territoires sont en déshérence, y compris en France. Nous devons prendre en compte la problématique de la relation entre la métropolisation et les territoires ruraux. Comment créer des alternatives afin que les ressources des territoires soient mises en synergie dans une optique solidaire ? Nous avons réfléchi à des alliances locales entre des villes riches et des villes moins riches dans le domaine des équipements et des transports. Les entreprises doivent évidemment nous aider à relever ce défi. Nicolas Maisetti Depuis ce matin, j'entends qu'on oppose souvent l'Etat au marché. Des équipes du LATTS travaillent sur la question de la financiarisation de la fabrique urbaine, autour notamment de Ludovic Halbert. Lui et son équipe montrent, et notamment une thèse d'Antoine Guironnet sur l'investissement immobilier et ses effets sur la production urbaine, qu'il n'existe pas vraiment d'opposition entre l'Etat et le marché dans ce domaine. L'Etat est également un acteur de marché qui organise souvent lui-même la dérégulation. M. Spizzichino a évoqué les réseaux transnationaux de villes engagées qui cherchent à peser sur les décisions de l'État. J'avais parlé à ce sujet de « registres dissidents » dans l'internationalisation des villes, compte tenu de leur faible présence en France. Nous en avons vu se manifester au moment de la négociation sur les OGM, où certaines villes notamment en Seine-Saint-Denis s'étaient déclarées OGM free. De même, certaines villes ont refusé de participer aux négociations sur le TAFTA. Cette démarche est en réalité assez ancienne. Elle remonte aux années 1960 ou 1970 aux États-Unis, lorsqu'un certain nombre de villes, accomplissant un geste pionnier pour leur internationalisation, s'étaient déclarées en opposition à la politique étrangère de l'Amérique, notamment sur le nucléaire, et avaient noué des partenariats, entre autre avec des universités du bloc de l'Est. Les réseaux engagés possèdent une longue histoire et pèsent parfois sur les décisions de l'Etat. Astrid Frey L'un des défis pour CGLU consiste à savoir si nous pouvons demeurer dans le système de régulation international actuel. Cette position supposerait d'assumer la philosophie et les principes des Nations Unies, et donc de subir un phénomène d'acculturation. La question est de savoir comment nous pouvons conserver notre indépendance, afin d'être capables de porter des alternatives et de rester innovants, tout en restant ouverts à d'autres mouvements et d'autres réseaux ? Anne Charreyron-Perchet Yves-Laurent Sapoval me demande de préciser que, depuis le traité de Lisbonne, c'est la commission européenne qui négocie aux Nations Unies au nom de tous ses pays membres. Pour Habitat III, la Commission a organisé la concertation entre tous les pays afin de porter une position commune. « pour mémoire » l n° HS automne 2017 50 actes Introduction de l'après-midi Yves Dauge, ancien sénateur, coprésident du Partenariat Français pour la Ville et les Territoires Nous sommes quelques-uns à avoir côtoyé Georges Cavallier. Nous l'avons même plus que côtoyé, nous avons vécu avec lui, assumé avec lui d'importantes responsabilités. Cette haute personnalité du ministère de l'Équipement a profondément marqué son époque. J'ai eu la chance de participer à ce travail, notamment sur la question de la décentralisation : dans les années 1981 à 1984, il figurait avec Christian Vigouroux parmi les artisans de ce vaste chantier. Ces politiques, qui sont globalement positives, nous autorisent aujourd'hui à porter à l'international un discours sur le rôle de l'État et des collectivités locales. Il existait à l'époque une ambition que je cherche parfois aujourd'hui. Le ministère de l'Équipement possédait une force de compétences et de volontés remarquable. Parfois, j'interroge les nouveaux venus qui me confient leur ignorance de Georges Cavallier. C'est pourquoi ce travail de mémoire et de culture est important. C'est aussi de cette manière qu'il est possible d'assurer la continuité des politiques publiques. J'ai entendu avec plaisir le discours d'éloge prononcé ce matin par Alain Lecomte. Avec Evelyne Hardy et André Pollet, vous êtes de ceux qui ont vraiment connu Georges Cavallier. n° HS automne 2017 Vous l'avez accompagné à la Direction de l'urbanisme et des paysages et à la Délégation interministérielle à la ville que nous avions créée ensemble. Nous avons parlé ce matin de la politique de développement social. La politique de la ville, la politique des quartiers et la lutte contre l'exclusion constituent des composantes essentielles de l'expérience française. Soyons fiers de ces acquis et portons les dans le monde! Aujourd'hui la politique de la ville se poursuit bien qu'elle se soit beaucoup transformée. Elle était peutêtre à ses origines davantage animée par le militantisme qu'elle ne l'est aujourd'hui, et moins technocratisée. Aussi convient-il d'être attentif aux procédures qui viennent parfois tuer les visions et les ambitions. leur souhaitons le plus grand succès. Nous avons la chance de compter sur des personnalités comme les leurs pour porter avec une haute responsabilité le message de la France, qui occupe une position exceptionnelle. J'espère que des ministres se rendront à Quito pour porter sa voix. La proposition française s'articule autour de trois thèmes forts, qui ont été présentés ce matin par YvesLaurent Sapoval. Je vous rappelle que la position de la France s'inscrit aussi dans une position européenne. Si nous voulons jouer un rôle dans ce domaine comme dans d'autres, nous devons en passer par l'Europe. Je suis personnellement très sensible à cette dimension. A propos d'Habitat III, j'estime important de réfléchir à ce que nous ferons après la conférence elle-même. Je suis favorable à la création d'alliances, que j'avais encouragées dans l'exercice de mes fonctions au sein de ce ministère. En effet, qu'est-ce que la décentralisation si ce n'est l'alliance entre l'État et les collectivités territoriales ? Elle ne consiste pas à opposer les uns aux autres, à faire agir les uns sans les autres, mais bien le contraire. Dans mon expérience municipale, j'ai toujours également pratiqué l'alliance A Quito, promouvons les alliances territoriales Georges Cavallier a joué un rôle fondamental dans l'animation de la délégation française à la conférence Habitat II. Aujourd'hui, il convient également de saluer le travail de Maryse Gautier et d'Henry de Cazotte qui accomplissent une tâche similaire. Nous l « pour mémoire » 51 avec les grandes villes. En France et ailleurs, je ne conçois pas de politiques de villes moyennes sans alliance concrète avec des métropoles ou des villes capitales plus fortes. Par exemple il peut s'agir dans le domaine de la santé, de l'alliance entre un centre hospitalier universitaire et un hôpital de proximité, avec éventuellement une direction commune. En matière de culture, il en va de même car les grandes métropoles disposent d'équipements considérables, mais souvent trop refermés sur eux-mêmes. Le centre d'art dramatique, le centre de création et d'art contemporain, le grand orchestre, les fonds régionaux d'art contemporain..., toutes ces institutions peuvent passer des conventions avec des réseaux de villes moyennes, avec le soutien de l'État pour catalyser ces alliances. Dans ses textes, Georges Cavallier évoque d'ailleurs les problématiques de structure urbaine et de rééquilibrage des armatures urbaines. Cette réflexion pose la question de la relation entre la métropole, la ville moyenne, la petite ville et le monde rural. Nous devons travailler en réseau ou en chaîne. Nous ne développons pas suffisamment ce thème. En outre, pour bâtir ces alliances - et c'est le point le plus important - une construction intellectuelle, de la matière grise, des compétences sont nécessaires. Nous devons créer des plateformes de partenariat avec les acteurs. Brigitte Bariol-Mathais, ici présente, a ainsi été l'un des piliers de la structuration des agences d'urbanisme, qui vont dans ce sens. Pour changer les politiques urbaines, investissons dans l'intelligence J'aimerais que la France, lorsqu'elle parlera à Quito, formule des propositions concrètes. Elle devrait par exemple investir à l'international, aussi bien en termes de financements que de compétences, afin de créer des plateformes partenariales entre les villes et les États. Celles-ci aideront à développer ce que l'on nomme la maîtrise d'ouvrage publique. Cette problématique rejoint la question de la planification stratégique. Comment la maîtrise d'ouvrage public se construitelle ? Quels sont les types d'investissement nécessaires ? J'aimerais que ces réflexions soit portées à Quito, mais également au-delà de la conférence. Je voudrais ici mentionner mon expérience concernant la ville moyenne de Luang Prabang (Laos). J'y avais créé une plateforme de ce type il y a vingt ans, avec des financements qui provenaient du ministère des Affaires étrangères, de l'Europe et de l'Agence française de développement. Les Japonais et les Allemands nous avaient également aidés. Nous y avons formé des architectes et des urbanistes qui ont travaillé sur le projet global de développement et de préservation de cette ville au patrimoine exceptionnel. Nous avons avec ce projet démontré la possibilité de telles démarches. Qu'est-ce qu'une agence d'urbanisme, sinon une plateforme ? Il est aujourd'hui nécessaire de les ouvrir à d'autres partenaires tels que la société civile, les entreprises et les habitants. Nous ne changerons pas les politiques urbaines sans investir dans l'intelligence et la formation, en révélant également les compétences locales, que trop souvent nous ignorons. Nous devons examiner cette question au retour de Quito, en lien étroit avec la coopération décentralisée, qui représente un atout formidable pour ces démarches. « pour mémoire » l n° HS automne 2017 52 actes Experts, savoirs et savoir-faire de l'urbain à l'international Table ronde animée par Brigitte Bariol-Mathais, déléguée générale de la Fédération nationale des agences d'urbanisme, avec Patrice Berger, directeur de l'international à l'Agence d'urbanisme de Lyon Agnès Deboulet, professeure de sociologie à l'université Paris VIII Vincennes Saint-Denis, Laboratoire LAVUE (UMR 7218 CNRS) Eric Huybrechts, en charge de l'international à l'Institut d'aménagement et d'urbanisme d'Ile-de-France François Noisette, consultant international, Association de professionnels « Villes en développement » Brigitte Bariol-Mathais Cette session vise à croiser les expériences et les savoirs des professionnels, ainsi que leurs apports à Habitat III. Nous souhaitons également examiner quelles sont les démarches qui, depuis Habitat II, ont généré de vrais changements. Nous étudierons ainsi quels sont les savoir-faire disponibles pour mettre en oeuvre le nouvel agenda urbain. Je suis pour ma part déléguée générale de la Fédération nationale des agences d'urbanisme (FNAU). Elle consiste en un réseau de professionnels et d'élus, actuellement présidé par Jean Rottner, le maire de Mulhouse. Nous essayons, en prenant appui sur l'expérience française et internationale des agences n° HS automne 2017 d'urbanisme, de contribuer aux débats internationaux. Nous participons ainsi au Partenariat Français pour la Ville et les Territoires (PFVT) et au Forum urbain mondial. Nous avons également contribué à la COP21, et nous serons au sommet Climate Chance qui aura lieu à Nantes très bientôt. Il est important pour nous de confronter ces pratiques avec d'autres cultures. Ces événements internationaux sont précieux, car ils permettent de partager des pratiques. En janvier 2016, pour contribuer à préparer la conférence Habitat III, nous avons organisé, avec le PFVT, l'Institut d'Aménagement et d'Urbanisme d'Îlede-France (IAU) et la FNAU, l'un des vingt-cinq campus urbains qui se sont tenus dans le monde pour la World Urban Campaign (WUC). Il était consacré à la planification intelligente ou smart planning. Ces échanges ont mobilisé des entreprises, des chercheurs, des professionnels, des élus et des représentants des Etats. A l'occasion de Quito, nous essayons également de lancer l'initiative d'une mise en réseau des agences d'urbanisme au niveau mondial. Nous organiserons ainsi un networking event avec des agences asiatiques, américaines, africaines et des réseaux. Bien sûr, les modes de gouvernance et les statuts de ces agences sont très différents d'un territoire à l'autre. Néanmoins, nous croyons beaucoup à la confrontation des expériences afin de contribuer à la mise en oeuvre des engagements d'Habitat III. l « pour mémoire » 53 Il intéressera également des acteurs internationaux tels qu'UN-Habitat et la Banque mondiale. Rentrons dès à présent dans le vif du sujet. Comment les pratiques ont-elles évolué au cours de ces vingt dernières années pour les professionnels ? Quels sont les défis auxquels nous sommes confrontés pour changer les façons de faire et répondre aux enjeux du Nouvel agenda urbain ? Plusieurs thèmes majeurs étaient présents dans la conférence Habitat II : les quartiers informels, le développement durable, les politiques décentralisées, le renouveau de la planification. Au sujet des quartiers informels, je me tourne vers Agnès Deboulet. Des avancées ont été accomplies depuis Habitat II, que ce soit en termes quantitatifs ou de reconnaissance d'usages. Quels sont les enjeux aujourd'hui dans ce domaine ? and rehabilitation, entre relocalisation et réhabilitation. Il existe en effet au sein de la plupart des pays une oscillation permanente, qui n'a guère changé depuis vingt ans, entre des politiques de réhabilitation in situ et des politiques de déplacement de la population, qu'on appelle « déguerpissement » en Afrique de l'ouest. Ces politiques persistent. Elles se sont paradoxalement renforcées depuis que les villes sont entrées dans le jeu de la compétition internationale. C'est d'ailleurs en particulier sur ce thème que le LAVUE a participé au rapport GOLD (Governance and Local Democracy) qui paraîtra également à Quito, coordonné par la principale association mondiale de collectivités locales, CGLU (Cités et Gouvernements Locaux Unis). Cette tension entre la compétitivité économique et la justice sociale traverse de façon permanente la problématique du maintien sur place et de la transformation qualitative des quartiers précaires. Certains quartiers ont connu des améliorations. Des politiques de réhabilitation plus qualitatives sont intervenues dans des régions où il n'était pas de tradition de s'intéresser à ces problématiques, comme par exemple les pays arabes. Cependant, nous pouvons noter également la persistance concomitante d'une tendance à l'éradication de ces zones et à l'éviction massive de populations souvent parmi les plus fragiles. Depuis vingt ans et la conférence d'Istanbul, les quartiers précaires se sont développés. Ils concentrent à présent jusqu'à 80 % de la population urbaine dans certaines métropoles et se répartissent partout en ville, aux périphéries mais aussi dans des quartiers centraux et « bien gérés ». En conséquence, ils sont considérés comme gênants pour le développement dans les pays émergents ou quasi émergents : ils « empêcheraient » les classes supérieures, mais aussi les nouvelles classes moyennes, de jouir d'un patrimoine ancien et des quartiers les mieux situés. Nous nous trouvons aujourd'hui face à un paradoxe plutôt qu'à un progrès. Nous réalisons des avancées en dents de scie, qui interrogent quant à la capacité des pouvoirs publics à adopter une ligne claire, qui ne soit ni l'éradication, ni l'éviction, mais plutôt la reconnaissance. Je ne parlerai pas en termes techniques. La question du rester sur place, du « faire-quartier », qui se pose dans tous les secteurs précaires, concerne la reconnaissance ou la considération. La question centrale est celle du transfert de compétences juridiques. Il ne s'agit plus de légaliser. Une abondante recherche, avec par exemple les travaux de Alain Durand-Lasserve ou de JeanFrançois Tribillon, a en effet montré que cette démarche ne fonctionne pas. Une sécurisation foncière est nécessaire, corollaire à un processus politique de reconnaissance. Il reste donc beaucoup à faire. Le Nouvel agenda urbain ne renouvelle pas fondamentalement la pensée sur ces quartiers. Au fur et à mesure de la coordination de notre ouvrage, j'ai « pour mémoire » Agnès Deboulet Nous venons d'achever, avec le soutien de l'AFD et avec le laboratoire LAVUE auquel je suis rattachée, un ouvrage intitulé Repenser les quartiers précaires. Il paraîtra à l'occasion de la conférence de Quito et constitue une somme d'écrits rédigés par des chercheurs internationaux. En m'appuyant sur ces travaux, je retiendrais volontiers la formule d'Ananya Roy dans un ouvrage de 2004 sur l'habitat informel qui avait fait date. Elle y évoquait la chorégraphie permanente dans le traitement des quartiers précaires entre resettlement l n° HS automne 2017 54 mobiliser, il est effectivement probable que le nombre de quartiers informels soit doublé d'ici à 2030. Tout le monde s'intéresse à la réhabilitation de ces quartiers, mais personne n'examine la question de l'anticipation. Comment faire la ville avec une production urbanistique qui sera massivement informelle ? On interroge beaucoup les professionnels de l'urbanisme sur la façon dont ils anticipent ce phénomène, mais on s'intéresse peu aux habitants qui, de fait, deviendront demain les acteurs principaux de la fabrique urbaine. Le Nouvel agenda urbain porte beaucoup sur la planification institutionnelle, avec notamment les outils cadastraux, sans poser la question des normes. Or ce sont elles qui génèrent de l'exclusion par la production d'un foncier cher qui bloque l'accès à la ville à une partie importante de la population. En outre, pour être mis en oeuvre correctement, la planification requiert une infrastructure intellectuelle, technique et institutionnelle importante, ce qui n'est pas possible dans tous les pays ni dans toutes les villes du monde. Nous avons donc besoin d'adapter nos méthodes selon les contextes. Dans certains pays et certaines villes, comme Kinshasa par exemple, qui compte 90 à 95 % d'habitat informel, nos modèles de planification conçus en France sont inopérants. Cette problématique de l'informel pose aux urbanistes des questions concernant l'identification des éléments essentiels à appliquer dans la planification, requérant un appui institutionnel et financier. La favela Rocinha de Rio de Janeiro en 1987 ©UN Photo/K McGlynn découvert que les efforts d'amélioration des quartiers précaires restent souvent insignifiants. Cela tient au fait que 40 % de la croissance démographique urbaine mondiale vient de ces quartiers (selon une estimation du forum de Davos), ce taux étant bien sûr plus important dans les villes en très fort développement. Nous parlons de quartiers qui, tous ou presque, doubleront de taille dans les vingt ans à venir. Nous parlons de villes qui se laissent submerger parce qu'elles ne se donnent pas les moyens d'anticiper la présence de pauvres ou de personnes qui n'ont pas accès au logement. Le sujet n'est donc pas celui de la réhabilitation, mais de n° HS automne 2017 l'anticipation, question esquivée par le Nouvel agenda urbain. Brigitte Bariol-Mathais Croisons votre intervention avec le témoignage d'acteurs de terrain. Comment ces enjeux de quartiers précaires peuvent-ils être intégrés à la planification ? Eric Huybrechts Je m'inscris entièrement dans les propos d'Agnès Deboulet. Le taux de croissance des villes informelles s'établit effectivement à 40 %. La croissance urbaine s'accélérant et les moyens, en particulier financiers, étant difficiles à l « pour mémoire » 55 Par exemple, nous avons appliqué le principe de la trame verte, bleue ou grise, dans un certain nombre de villes. Cette structuration est indispensable pour prévenir les inondations, gérer les îlots de chaleur, organiser la circulation urbaine et intégrer la ville formelle et informelle. Si nous n'agissons pas de cette manière, l'urbanisation informelle posera des problèmes considérables lorsqu'elle se massifiera. Or, les bailleurs internationaux, ainsi que nombre d'acteurs français, ne se penchent pas sur cette question. Planifier l'informel suppose aussi de travailler différemment, non seulement sur les aspects techniques et la mise à jour des normes, mais aussi sur la relation avec les institutions et les populations. Les ONG, en collaboration avec les collectivités locales, parviennent à produire des quartiers comptant des milliers de logements adaptés aux formes de l'habitat des populations parce que les projets sont directement négociés avec elles. Il convient de davantage encourager ce type de démarche plutôt que la production de logements sociaux normatifs, le plus souvent inadaptés au mode de vie des gens, comme nous pouvons le constater outre-mer. ne peuvent pas s'inscrire dans des villes respectant les normes internationales. Il convient selon moi de leur fournir du foncier peu ou pas équipé, une trame non assainie, et d'organiser la voirie primaire et secondaire avant que les terrains ne soient occupés. Les maires doivent accepter l'idée que leur foncier ne soit pas forcément rentable. Ils doivent le consacrer à des populations qui ne disposent pas des moyens de se loger, qui procèdent à de l'autoconstruction sans normes, par exemple avec des blocs sanitaires. J'ai eu l'occasion d'évoquer cette question avec des maires du sud comme celui d'Addis-Abeba. Ses responsables y développaient depuis plusieurs années des logements dits sociaux, qui en réalité s'adressaient aux classes moyennes et n'étaient pas accessibles aux populations les plus pauvres, celles comprises dans les trois derniers déciles de revenus. Durant cinquante ans, les bailleurs ne se sont pas intéressés à ce sujet, sauf à l'époque où Robert Mc Namara présidait la Banque Mondiale. Les maires des villes du sud devraient davantage prendre en compte ces problèmes, mais ils considèrent que cette démarche engendre une ville sous-équipée. Cette position est d'autant plus regrettable que ce problème est appelé à prendre une importance considérable. Le Lincoln Institute de Boston a remis à l'ordre du jour les travaux de Michel Arnaud, à savoir l'idée de structurer le développement urbain autour d'une trame, même non équipée, afin que les populations s'y installent, même dans le désordre, mais qu'elles y respectent les emprises. Cette expérience est en cours en Equateur, où elle est portée par Shlomo Angel et Ralf Gaakenheimer. Il est cependant encore difficile de faire reconnaître cette démarche. Elle est pourtant très simple puisqu'elle consiste à « tracer la ville » avant de l'équiper, en mettant de côté la question des normes de construction. Elle ne peut toutefois être menée que si elle s'accompagne de mesures de protection très fortes des espaces naturels à risque. Il convient par exemple d'empêcher les populations de s'installer le long des rivières, en zones inondables, pour les réorienter vers les espaces qui leur sont dévolus. Brigitte Bariol-Mathais François Noisette, n'est-il pas nécessaire, pour mettre en oeuvre le Nouvel agenda urbain pour les quartiers précaires, de travailler sur le droit et sur le financement, notamment auprès des bailleurs internationaux ? Ne convient-il pas de mener une politique urbaine dite soft et non hard, c'est-à-dire tournée vers les populations ? François Noisette Il me semble important de revenir d'abord sur les problèmes de définition. La question des quartiers précaires figurait en bonne place dans l'agenda de la conférence Habitat II. Au début des années 2000, ONU-Habitat avait défini le slum (quartier précaire) comme étant un quartier remplissant au moins l'un des cinq critères suivants : accès à l'eau non assuré, absence d'un système « pour mémoire » Patrice Berger Je me suis confronté pour la première fois à cette question il y a trente-cinq ans, lorsque j'étais assistant technique au Cameroun. Nous réalisions des lotissements municipaux à Yaoundé. Je suis convaincu que 20 à 30 % des populations des pays en développement l n° HS automne 2017 56 Un « quartier précaire » à Madagascar ©François Noisette moderne d'assainissement, matériaux de construction précaires, logements suroccupés, sécurité foncière non garantie. Nul ne s'est hasardé en France à calculer le taux de slums en ville suivant cette définition. Il est certainement encore très élevé, la sur-occupation de logements étant toujours assez répandue. La définition d'ONU-Habitat présente toutefois un inconvénient majeur. Elle conduit par exemple à considérer que 77 % des logements à Madagascar sont situés dans des quartiers précaires. Or les anciennes politiques urbaines ne sont pas en mesure de n° HS automne 2017 mener des actions sur les trois quarts des logements d'un pays, dont la population urbaine est par ailleurs toujours en forte croissance. En conséquence, tous les acteurs, que ce soit les bailleurs de fonds ou les pouvoirs publics, démissionnent. Il faut par ailleurs faire bien attention aux problèmes de vocabulaire, notamment entre les termes de quartiers, précaires, habitat précaire, bidonvilles... Je me souviens avoir vu des maisons dont le revêtement de façade était tout neuf, dont le toit était équipé de panneaux solaires photovoltaïques, et dont la valeur atteignait 150 000 ou 200 000 euros. Elles se trouvaient le long d'un chemin empierré, interdisant l'accès en voiture, mais que les propriétaires auraient eu les moyens de remettre en état. Cependant, comme ces habitants ne disposaient pas de titres de propriété et qu'ils n'avaient aucun espoir d'en obtenir un, ces maisons étaient considérées comme relevant de l'habitat précaire. Faute d'opérer des distinctions précises, aucune avancée n'est possible. Le cas du Maroc est intéressant. Il a mis en oeuvre le programme « Villes l « pour mémoire » 57 sans bidonvilles » en appliquant une définition très sélective. Elle est sûrement critiquable. Quoi qu'il en soit, ses responsables ont résorbé la moitié de ces quartiers pauvres en une décennie et peuvent espérer en être débarrassés dans dix ans. Leur objectif consistait à faire disparaître les quartiers très précaires, similaires par exemple à notre « jungle de Calais ». Il existe bien sûr d'autres espaces qui pourraient rentrer dans la définition du bidonville mais les Marocains ont choisi de se Un « quartier précaire » à Oulan Bator ©Eric Huybrecht concentrer sur ce sujet dans un premier temps et de traiter ultérieurement les autres problèmes d'habitat. Brigitte Bariol-Mathais La conférence Habitat II a permis la reconnaissance des enjeux de développement durable dans l'aménagement des villes. L'Agenda 21 et les approches intégrées sont devenus des marqueurs forts des politiques urbaines, notamment en Europe. Quelles avancées réelles avezvous constaté depuis cette époque ? Les engagements climatiques n'ont-ils pas modifié la donne, ouvrant de nouvelles opportunités, mais donnant une orientation très particulière aux politiques urbaines ? Depuis, nous avons également assisté à l'émergence de la smart city et de la notion de territoire intelligent. Ces avancées techniques offrent sans doute des possibilités considérables, mais présentent également un risque de « dérive techniciste » ou de green washing. « pour mémoire » l n° HS automne 2017 58 Eric Huybrechts En 1996, nous développions les transports à Beyrouth en construisant des tunnels et des ponts. Aujourd'hui, nous essayons, comme à Paris, de transformer les autoroutes urbaines en espaces publics piétonniers. Nous avons complètement inversé notre façon de concevoir la ville. Nous cherchions à l'époque à développer une cité plus mobile, tandis que nous cherchons désormais à la rendre plus compacte, plus intense. La conception même de la planification urbaine s'est ainsi complètement retournée en vingt ans. La raison principale de cette évolution tient selon moi à la prise en compte du développement durable et du changement climatique. créer de l'emploi dans les villes du sud. Les objectifs de développement durable (ODD) et la lutte contre le changement climatique les ont désormais amenés à considérer le transport en commun comme un sujet vertueux. Enfin, la coopération sur ce sujet peut présenter un intérêt pour l'ingénierie française. Toutefois, il me semble que cette démarche connaît plusieurs limites. Le discours est le même pour toutes les villes alors que les situations sont très différentes. Les objectifs des projets de coopération sont fondés sur des valeurs occidentales que les villes du sud ne partagent pas nécessairement. De plus, nos partenaires du sud continuent de développer des approches en silos, comme nous procédions en France il y a trente ans. Les modèles occidentaux ne sont par ailleurs pas les seuls à exister, et des phénomènes de concurrence se développent. Il existe de plus en plus de modèles de modernité qui fascinent certains décideurs du sud, comme par exemple Dubaï, Singapour... Ils peuvent cependant s'avérer parfois préjudiciables, car d'une part certains d'entre eux véhiculent une image à contre-courant des objectifs cités dans les conférences Habitat II et Habitat III, et d'autre part ils ne sont pas nécessairement plus adaptés à la réalité des villes en développement que les modèles occidentaux. François Noisette La question du « modèle urbain » constitue en fait un mauvais sujet. Le discours international, en particulier celui du développement durable, se transpose très bien dans les discours locaux qui s'en revendiquent. La vraie difficulté consiste dans la concrétisation de ces intentions. Cette étape est très compliquée. Par exemple, imaginons une ville où il existe une ligne de bus aménagée, et dans laquelle nous voulons en construire quarante-neuf autres. Nous montons un projet de 70 millions de dollars auprès de la Banque mondiale et n'obtenons jamais le financement. Le problème est ainsi de savoir comment industrialiser rapidement une bonne idée avec l'aide de partenaires locaux. Il est par exemple difficile d'expliquer à un maire du sud qu'il doit accepter l'installation de panneaux solaires photovoltaïques dans un quartier desservi par le réseau électrique. Ce type de contradiction est difficile à résoudre. Notre conception du développement durable se révèle par ailleurs très sophistiquée. Nos partenaires ont visité nos villes, entendu le discours de responsables comme par exemple le maire de Hambourg, et veulent bénéficier des mêmes équipements, que nous cherchons à leur vendre, comme des bus articulés. L'adaptation au terrain pose beaucoup de questions. Patrice Berger Je ne partage pas entièrement ce point de vue. Nous opérons dans des villes subsahariennes et asiatiques qui ne tiennent pas le même discours. L'échangeur d'autoroute en plein centre-ville y demeure un symbole de modernité. Je reste dubitatif face aux objectifs des conférences Habitat II et Habitat III, car ils sont trop nombreux et décrivent une sorte de ville idéale, assez éloignée des réalités des agglomérations du sud. En revanche, nous amorçons une transition positive en faveur du développement des transports en commun, liée notamment à une réelle volonté des maires du sud de lutter contre la congestion des villes. De plus, les bailleurs ont évolué sur le sujet. Il y a dix ans, la Banque mondiale promouvait le transport artisanal pour n° HS automne 2017 Agnès Deboulet Brigitte Bariol-Mathais François Noisette et Agnès Deboulet, partagez-vous ce constat sur la confrontation des modèles ? La question du développement durable nous concerne également. Je suis persuadée que la France est loin d'être vertueuse en ce domaine. l « pour mémoire » 59 Les quartiers précaires, souvent très denses, ne sont pas parmi les principaux émetteurs de gaz à effet de serre. En revanche, ils sont particulièrement touchés par le dérèglement climatique. Les quartiers où il n'existe pas d'infrastructures pour absorber les inondations et faire face à des climats extrêmes sont les plus vulnérables. Ceci renforce les difficultés environnementales voire sanitaires. Dans certains quartiers densément peuplés comme au Caire, la question des ordures ménagères ne se posait pas il y a vingt ans. Aujourd'hui, dans des espaces qui comptent 1 500 habitants à l'hectare, ce sujet est devenu central, en particulier dans les « quartiers d'invasion », c'est-à-dire de squat, d'occupation sauvage de terrains gouvernementaux. Comment gérerons-nous cette question des déchets et du recyclage dans dix ans ? Si nous menions un travail de fond avec les associations d'habitants, je suis persuadée qu'ils comprendraient l'intérêt du recyclage et de la biomasse, qui constitue une source d'énergie bon marché. Néanmoins, je suis d'accord sur le fait qu'il existe des décalages de modèles ahurissants, mais essentiellement au niveau des décideurs et des modes de gestion. suffisamment les contextualiser. Je vous propose, avant de poursuivre, de répondre à quelques questions de la salle. Michel Gérard J'ai beaucoup apprécié les propos de Patrice Berger, d'autant que je connais bien les expériences auxquelles il faisait référence. Le principal sujet de la conférence Habitat I en 1976 concernait les extensions urbaines et l'habitat informel. Le Secrétariat des Missions de l'Urbanisme et de l'Habitat que je dirigeais à l'époque, qui était le bras séculier de la France pour les politiques de développement en termes d'habitat, Brigitte Bariol-Mathais Si je résume vos positions, vous considérez que nous avons trop tendance à appliquer des modèles sans Vue de Dhaka, avec à gauche Karial, un des « quartiers précaires » de la ville. ©UN photo/Kibae Park « pour mémoire » l n° HS automne 2017 60 avait créé un audiovisuel intitulé « Le pouvoir de l'image ». Nous montrions comment il était facile de se laisser séduire par des schémas inadaptés aux contextes. Il est vraiment difficile de persuader des dirigeants de ne pas reproduire ce qu'ils voient dans d'autres pays. Dans les années 1970 et 1980, les trames assainies connaissaient un certain succès, sous la houlette de la Banque mondiale et à la suite de l'expérience de Pikine à Dakar. Mais comme nous produisions des terrains assainis, ils intéressaient un certain nombre de riches locaux qui tentaient de les racheter aux pauvres, malgré le contrôle de la Banque mondiale. Nous nous sommes alors encombrés de ce schéma et de normes internationales trop élevées au lieu de produire vite et bien pour satisfaire la demande locale et anticiper l'extension urbaine. Si cette condition n'est pas remplie, l'opération est évidemment vouée à l'échec. Dans ces années-là, j'avais connu le maire de Ngaoundéré, au Cameroun, qui menait de lui-même, sans jamais avoir assisté à aucun colloque comme celui d'aujourd'hui, une politique de cette nature. accueillent actuellement 80 % des habitants de l'agglomération. Nous nous sommes rendu compte que cette tâche était impossible, car pour 500 000 habitants que nous parviendrions à prendre en charge, nous devrions faire face à l'arrivée d'autant de personnes nouvelles dans ces quartiers chaque année. D'autre part, j'ai observé que ce colloque insistait particulièrement sur le droit au logement. Il me semble que le coeur de la problématique concerne davantage l'accès à l'éducation et au travail. droit « intermédiaire », c'est-à-dire une hybridation entre le droit coutumier et un droit romain importé des pays occidentaux, à l'initiative des dirigeants ou des populations. Nous avons pu montrer l'efficacité de cette démarche. Nous avons également mis en évidence que « l'informel » était en réalité profondément organisé. Or, qualifier un habitat d'« informel » revient précisément à nier tout le fond culturel, qui est fait de singularité et de diversification. Lorsque nous appréhendons une réalité sans en connaître le contexte, nous la qualifions d'informelle. Cette approche a donné lieu à de nombreux groupes de travail. Cinq ans après Istanbul, nous avons publié une déclaration « Habitat II+5 », à l'occasion du sommet du même nom à New York, qui reprenait tous ces résultats. Pour Habitat III, j'aimerais que nous essayions de refaire le même exercice. J'espère que cette conférence nous donnera l'occasion, comme Yves Dauge l'appelait de ses voeux, de revenir sur la notion de transfert de modèles. Nous savons pertinemment que lorsque nous adaptons nos propres schémas à une situation dont nous ignorons le contexte, nous aboutissons à des échecs. François Noisette l'a très bien rappelé. Annik Osmont J'ai exercé une activité d'enseignement et de recherche, et je profite de la retraite pour prendre du recul par rapport aux événements du passé. Je ne pense pas tant à la conférence Habitat I, au moment de laquelle j'étais un peu jeune, mais plutôt à Habitat II et bientôt Habitat III. Dans les années 1980, la recherche urbaine en faveur du développement s'est remarquablement développée. Elle a produit beaucoup de connaissances et de savoirs, pour faire référence au titre de la table ronde. Ce n'est donc pas un hasard si, à l'occasion de la conférence Habitat II, nous avons assisté à une rencontre exceptionnelle entre les chercheurs, les décideurs et le mouvement associatif. Ces acteurs se sont retrouvés autour de thèmes touchant en particulier à la gestion foncière. Nous y avons fait émerger la notion de droit coutumier, très répandu dans les pays du Sud, et de Zofia Mlocek Au cours de ces trois dernières années, j'ai travaillé avec l'université de Lisbonne à l'élaboration d'un plan de développement à l'horizon 2030 pour la ville de Luanda en Angola. Une bonne partie de ce plan concerne la réhabilitation de bidonvilles, qui n° HS automne 2017 François Noisette Nous ne travaillons pas suffisamment sur l'économie du logement et de la ville au regard des capacités des pays et des ménages. Nous nourrissons l'illusion qu'il suffit d'offrir aux populations un l « pour mémoire » 61 logement aux normes, en ne comptant pas plus de deux enfants par pièce, etc. Nous oublions complètement qu'un grand logement coûte cher à entretenir, et qu'il ne constitue souvent pas la priorité d'un ménage. Je ne nie pas le droit au logement ou le droit à la ville, mais j'estime qu'il convient de les replacer dans leur contexte. Quelles sont les priorités du droit à la ville ? Vaut-il mieux disposer d'une école de proximité pour les enfants ou d'un vaste logement, d'un transport en commun fonctionnel ou de bâtiments résilients aux intempéries ? Ces questions politiques sont très difficiles. Même en Europe, le budget municipal ne permet pas de tout traiter tous les ans. Même avec des aides internationales, nous ne pourrons pas tout réaliser, ne serait-ce que parce que les coûts de fonctionnement de la ville « améliorée » sont très élevés. A l'inverse, les villes précaires, que les populations se sont fabriquées, sont plus adaptées à leurs moyens. Cela ne signifie pas qu'il ne faut rien faire. L'accès à l'école et la sécurisation constituent selon moi de véritables priorités. Le problème est également de savoir comment discuter avec les populations. Dans un certain nombre de pays, la culture démocratique et la concertation des populations les plus pauvres ne sont pas encore à la mode. discussion. Pour cela je suggère de croiser les enjeux de décentralisation des politiques urbaines avec ceux de renouveau de la planification urbaine. La conférence Habitat II insistait pour que les villes et les collectivités locales soient actrices à part entière du développement urbain. Beaucoup de travail a été fait mais il reste néanmoins un long chemin à parcourir. Pour que les collectivités soient partout aptes à conduire des politiques urbaines, elles doivent disposer de ressources financières et de capacités de régulation. La France avait porté dans les débats du Forum urbain mondial la notion de maîtrise d'ouvrage publique urbaine, à laquelle Yves Dauge a fait référence. Elle reste difficile à partager, ne serait-ce que parce qu'elle est compliquée à traduire en anglais. De plus, par rapport à d'autres modèles basé sur la privatisation ou la financiarisation, beaucoup de collectivités ne disposent pas des moyens de conduire de telles politiques. En parallèle, nous sentons bien dans les agences d'urbanisme, dans les débats internationaux et dans les réseaux, un renouveau de la planification urbaine et territoriale. ONU-Habitat y a consacré des guidelines et la présente comme un outil de régulation et un médium pour associer les acteurs. Nous voudrions connaître vos témoignages sur ces enjeux. Comment renforcer les capacités des collectivités locales ? Quel rôle la planification stratégique peut-elle jouer pour répondre aux défis de la conférence Habitat III ? Patrice Berger Les capacités des collectivités locales sont extrêmement contrastées selon les situations. J'ai assisté à l'évolution des corps techniques de Hô chi minh ville, avec des budgets et des moyens de plus en plus adaptés. C'était en cela très différent de l'évolution des corps techniques des villes subsahariennes. Le vrai problème des villes en développement, que nous avions déjà étudié il y a trente ans et que nous réexaminons aujourd'hui, est celui de la fiscalité. Les villes africaines sont bien plus pauvres que leurs habitants. J'emprunte cette formule à Michel Arnaud. Si une fiscalité sérieuse était appliquée aux populations africaines, les agglomérations disposeraient d'un budget trois à dix fois supérieur. Il y a cependant des situations intéressantes, comme par exemple au Burkina Faso. Simon Compaoré, qui a été maire de Ouagadougou pendant plus de quinze ans, est maintenant ministre de l'intérieur. Il est désormais en capacité de faire évoluer la fiscalité, pour donner des recettes à l'agglomération et la doter de corps techniques plus complets et pérennes. J'aimerais que d'autres responsables s'inspirent de cet exemple. Concernant la planification, le véritable problème consiste, comme cela a été dit ce matin, à structurer les périphéries. Il existera toujours des personnes pour s'occuper des centres-villes. L'association ADP « Villes en développement » avait d'ailleurs consacré sa journée d'étude à ce sujet l'an dernier. La multipolarité est un beau sujet auquel l'AFD commence à s'intéresser. Elle dis« pour mémoire » Brigitte Bariol-Mathais Je vous propose maintenant d'aborder le troisième et dernier point de notre l n° HS automne 2017 62 pose d'un programme de cette nature pour Ouagadougou. Il faut ici évoquer l'action internationale des agences françaises d'urbanisme. Au cours des quinze dernières années, dixneuf de ces agences sont intervenues dans soixante villes dans le monde. Leurs missions se concentrent autour de la planification, des transports, du patrimoine, de la gouvernance, de l'environnement. Les régions concernées correspondent aux zones d'influence historiques de la France : le Maghreb, l'Afrique de l'ouest et l'Asie du sud-est. Toutefois, nous trouvons également des interventions dans des « BRIC », à savoir la Chine, le Brésil, la Russie, l'Inde. Même si leur action est limitée, ces agences ont néanmoins accumulé différentes expériences dans le monde entier. Le sujet du transport et de l'urbanisme est actuellement une priorité. Il répond à la demande des villes du sud, à la volonté des bailleurs de respecter les Objectifs du développement durable de l'ONU et les engagements climatiques, et enfin aux voeux des habitants. Le contexte est donc favorable. Pour nos agences, l'actualité de cette problématique constitue l'occasion d'expliquer, par exemple, à nos partenaires du sud la nécessité de structurer leurs villes en se fondant sur des schémas de transports en commun lourds ou semi-lourds (Bus à haut niveau de service). Le transport en commun, qu'il soit en site propre, qu'il consiste en un tramway ou en un métro aérien, constitue l'occasion de structurer une ville. Il nous permet de développer auprès de nos partenaires notre conception de l'espace public, le partage de la voirie ou le projet urbain autour de grandes stations. Il constitue donc un vecteur de transformation des villes qui répond à tous les objectifs, notamment ceux des conférences Habitat II et Habitat III. Ce sujet « transport et urbanisme » constitue à présent le tiers ou la moitié des demandes des villes du sud. Ces sollicitations viennent parfois également de l'AFD, de la CODATU (l'Association de coopération pour le développement et l'amélioration des transports urbains et périurbains) ou de l'autorité de transport de Lyon. L'agence d'urbanisme de l'aire métropolitaine lyonnaise est intervenue sur de nombreux sites, soit en coopération décentralisée, soit en contrat avec la Banque mondiale et l'AFD. Par exemple, avec l'appui de l'AFD, l'agence travaille avec la ville de Bamako où il est nécessaire de développer plusieurs centres secondaires en termes d'espaces publics et d'équipements. Le principal problème de Bamako tient au fait que le centre est concentré sur une seule rive. Il est nécessaire de décongestionner le centre-ville et de structurer la périphérie de cette agglomération qui comptera un jour 5 à 6 millions d'habitants. Addis-Abeba dispose quant à elle d'une géographie exceptionnelle qui peut lui permettre de développer une métropole de 12 millions d'habitants selon un plan en étoile de mer, alternant des corridors de transports en commun lourds et des corridors verts récréatifs et agricoles. © Agence d'urbanisme de Lyon n° HS automne 2017 l « pour mémoire » 63 En Inde, un métro est en construction à Kochi, capitale économique du Kerala. Nous leur proposons de développer l'espace public pour les piétons en dessous du métro aérien. Cette démarche de pensée n'est pas du tout évidente pour eux, même lorsque nous prévoyons des entrées charretières pour les commerçants. le plus souvent gérées directement par l'Etat central. Le fait même que le maire soit élu démocratiquement n'est pas acquis dans bon nombre de pays, à commencer par la Chine, qui exerce une influence certaine dans le monde, et se montre très réticente à l'idée de faire élire ses maires. Pour revenir à la question posée, attardons nous sur le premier terme, la « planification ». Le concernant, il convient d'être conscient d'un malentendu. En France nous traduisons l'expression master plan par deux notions assez différentes : la planification stratégique et le plan masse. La planification stratégique correspond à la culture que nous partageons globalement en France et que nous utilisons souvent dans nos activités internationales, avec les notions de vision partagée, de concertation... Cependant, il existe dans le monde d'autres écoles de pensée, comme l'urban design anglo-saxon, porté en particulier par de grandes agences australiennes, qui proposent et produisent des schémas directeurs qui ne sont absolument pas semblables aux nôtres. Il s'agit de grands plans de composition pour accueillir de grands projets d'investissement privé. Or cette solution fonctionne, car elle répond aux attentes de grands investisseurs privés. Le deuxième terme de la question posée est celui de « participation ». Là encore, nous nous formons une certaine idée de la participation centrée sur l'implication des populations. Toutefois, autour d'un schéma directeur, il existe d'autres formes de participation, difficiles à appréhender pour un intervenant étranger, souvent plus occultes et confidentielles, comme par exemple les négociations avec les propriétaires fonciers, avec les opérateurs économiques, avec les autres ministères, etc. Par exemple, lors d'un projet à Alexandrie, le ministère des Affaires étrangères égyptien insistait beaucoup pour que nous assistions à une réunion officiellement dédiée à la sécurité de notre mission de consultants. En fait, elle devait permettre aux ministères régaliens - le ministère de la défense en tête - de se prononcer sur nos termes de référence et de valider ou non notre proposition. Brigitte Bariol-Mathais Depuis Habitat II, nous sommes passés d'un urbanisme technique à un urbanisme d'acteur. Comment dès lors mettre en oeuvre une planification participative ? François Noisette Il est utile d'aborder cette question en interrogeant les évolutions qui ont marqué la figure du responsable municipal. Les maires ont désormais une véritable visibilité mondiale. Ils sont en ce moment un peu plus de trois cents à faire campagne, avec des moyens très conséquents, pour l'élection du président de CGLU. Il y a donc bien là un fort enjeu de pouvoir. Les deux candidats, le maire de Johannesburg, Parks Tau, et le maire de Kazan, Ilsur Metshin, développent des visions extrêmement différentes sur un certain nombre de sujets, et les débats se révèlent particulièrement houleux. Il existe également des cas intéressants dans des territoires ruraux. Faute d'encadrement et de moyens, de vraies capacités de gouvernance locale émergent dans différents pays du monde. Par contre, une part importante des collectivités de la planète n'ont pas de réelle autonomie politique, et sont Brigitte Bariol-Mathais De votre point de vue, Agnès Deboulet, comment peut-on construire une concertation vraiment participative, qui mobilise également les acteurs du projet et les habitants, en particulier ceux des quartiers précaires ? Agnès Deboulet Prenons le cas de la rénovation urbaine en France. Nous pouvons déjà reconnaître que le bilan des programmes n'est pas exemplaire. A titre d'exemple, des protocoles de configuration devaient être signés avec les conseils citoyens dans les quartiers en rénovation urbaine, pour établir des chartes de co-construction du projet urbain avec les habitants. Or, les citoyens ignorent systématiquement ce que sont ces protocoles, qui sont le plus souvent déjà signés quand les projets commencent. « pour mémoire » l n° HS automne 2017 64 Il existe à l'international des exemples intéressants que nous connaissons assez mal en France, et qui pourraient nous inspirer. Par exemple, il y a en Thaïlande un organisme ministériel qui a repris un programme de participation communautaire dans des bidonvilles et de soutien à l'épargne solidaire. Il est maintenant présent dans plus de mille quartiers dans lesquels de la réhabilitation participative a été développée à partir des communautés de base. En fait, l'essentiel du problème réside dans le soutien aux acteurs de base. Monsieur Sapoval disait ce matin que nous avions peur en France des communautés, du communautarisme. Peut-être est-ce l'une des raisons de la frilosité de notre pays vis-à-vis des démarches participatives. L'organisation communautaire constitue souvent l'une des forces des quartiers précaires. Or, en tant que puissance publique, qu'il s'agisse de l'autorité locale ou d'intervenants internationaux, il faut savoir trouver ces responsables, prendre langue avec eux, pour démultiplier les capacités d'agir. Nous devrions davantage étudier le travail de personnes comme Somsook Boonyabancha, qui a conçu cette organisation avec le ministère thaïlandais de la Ville. Il existe des exemples comparables dans toute l'Asie. Les mouvements sociaux ont toujours existé, notamment au travers d'organisations d'habitants très structurées au plan mondial. Slum Dwellers International (SDI) est par exemple présent dans quarante pays. Depuis vingt ans, ils se sont organisés et portent des revendications n° HS automne 2017 plus fortes. Le droit à la ville doit passer par eux. Eric Huybrechts La planification pose problème dans un certain nombre de pays puisque la ville planifiée produit mécaniquement des bidonvilles. Ce phénomène dénote une mauvaise allocation des ressources financières gérées par le marché. Je pense que la planification n'est pas en mesure de réguler ce type de phénomène, ou alors à la marge. Il serait plus judicieux de s'intéresser à la question de la fiscalité. La participation pose également des questions en termes de planification. Pour concevoir la ville à horizon de quinze ou vingt ans, avec qui devrions-nous organiser la concertation ? Les principaux concernés sont souvent les propriétaires fonciers, qui ne sont pas nécessairement intéressés par l'avenir de l'agglomération. J'observe que la situation en termes de participation est très différente suivant les pays. En 2006, l'Inde a inscrit dans la loi l'obligation de mettre sur internet toutes les décisions et tous les rapports administratifs dans les trente jours suivant leur adoption. Ce système d'une grande transparence fait frémir les autorités et les contraint à être très prudentes lorsqu'elles publient un document. Pour autant, les débats publics sont souvent extrêmement houleux, comme nous avons pu le constater à Mumbai. Ces projets urbains font éclater les contradictions, par exemple entre les habitants de Bollywood et ceux des bidonvilles. Avec l'accès à l'information instantanée, la nature du débat public change à tra- vers le monde, et pas seulement dans les pays développés. Cette réalité oblige à revoir le mode de préparation des projets. Il est nécessaire de beaucoup plus informer et d'intégrer davantage d'acteurs de la société civile. La concertation doit être beaucoup plus ouverte, et dans l'idéal cela devrait être aussi le cas du processus de décision. On peut regretter que la question de la ville numérique et de ses effets sur la transformation de la fabrique urbaine soit aussi peu prise en compte dans le Nouvel agenda urbain. l « pour mémoire » actes 65 La ville dans les politiques de coopération internationale Session introduite et animée par Anne Odic, cheffe de la Division collectivités locales et développement urbain, Agence française de développement (AFD) Je propose de présenter en guise d'introduction le regard que porte l'AFD, opérateur pivot de la coopération française, sur les enjeux internationaux du développement urbain, en particulier dans la perspective d'Habitat III. Compte tenu de l'ampleur de la croissance urbaine, l'enjeu pour l'agence consiste à accompagner la transition des territoires urbains vers davantage de sobriété, de durabilité et d'inclusion. Si cet objectif peut sembler ambitieux, nous avons constaté cependant dans bon nombre de villes qu'il est réalisable. Le maire de Johannesburg, par exemple, prend en main l'évolution de son territoire, aussi morcelé soit-il, pour le conduire vers plus de durabilité. Notre rôle consiste alors à assister les responsables politiques dans cette tâche. Nous portons une attention particulière aux villes secondaires et moyennes. En Afrique comme en Asie, elles accueilleront l'essentiel de la croissance urbaine dans les prochaines années. Elles n'ont parfois pas encore adopté de parti pris en matière d'urbanisme. En les accompagnant dès à présent de manière rapprochée, nous éviterons peut-être que la montée des fractures urbaines et l'étalement anarchique ne s'amplifient. Nous voulons également les aider à changer d'échelle en matière de capacité d'action et de prise de responsabilité. Aujourd'hui, de nombreuses villes sont en mesure de gérer des projets urbains. L'enjeu est alors de les aider à se projeter sur les vingt à quarante prochaines années, en mettant en place une planification stratégique, une gestion financière adaptée, et une programmation des investissements selon leurs capacités. Les spécificités de l'AFD sur le secteur urbain Trois grands éléments structurent notre intervention. Tout d'abord, le territoire constitue pour nous l'échelle d'intervention pertinente dans le domaine urbain. Quel que soit le projet, nous tentons d'adopter une vision transversale et transsectorielle. Cette démarche n'est pas toujours aisée, car nos partenaires ne partagent pas nécessairement cette approche et restent organisés de façon sectorielle. Nous sommes ainsi intervenus dans l'état de Rio de Janeiro, avec l'IAU Ile-de-France, pour aider ses responsables à réaliser une véritable planification stratégique, connectant mobilité et développement urbain. Autre grand principe d'intervention, nous plaçons les acteurs locaux au coeur des « pour mémoire » l n° HS automne 2017 66 échanges et projets de développement urbain. Nous sommes quasiment le seul bailleur à pouvoir consentir des prêts directs aux collectivités locales des pays en développement, ce qui facilite les échanges rapprochés avec la collectivité, quel que soit le niveau de décentralisation du pays. C'est pour nous un gage d'efficacité car les maires sont les acteurs qui connaissent le mieux les besoins de leurs habitants. Enfin, notre approche est pragmatique. Dans certains pays très centralisés, il est évident que nous ne pouvons pas consentir de prêts directs aux collectivités locales. Nos interlocuteurs sont alors l'État ou une agence urbaine. Même dans ce cas, nous estimons que nous devons parvenir à dialoguer directement avec la collectivité, afin de tenir compte de ses besoins. Dans un contexte ou les autres bailleurs de fonds ne peuvent généralement pas adopter ce type d'approche directe (excepté la BERD) et transversale, nous multiplions les échanges notamment avec l'Union Européenne ou la KFW, sur les stratégies et méthodes dans le secteur urbain. L'importance du renforcement des capacités et de l'accompagnement des responsables locaux est en revanche largement partagée par l'ensemble des bailleurs. Il s'agit d'un élément structurant de nos interventions, stratégique pour favoriser le passage à l'échelle des collectivités, de taille moyenne. Tous nos projets comportent donc un volet de coopération technique et de n° HS automne 2017 renforcement de capacités qui implique dès que possible un échange entre pairs. Les messages s'avèrent toujours plus efficaces lorsqu'ils sont portés par une collectivité, qu'elle soit du Nord ou du Sud, alors qu'un bailleur n'est pas toujours entendu. Les expériences de coopération décentralisée sur le long terme ont montré leur pertinence en termes de structuration de nos partenaires. Nous l'avons notamment constaté avec la ville de Porto-Novo, au Bénin, après vingt ans de coopération avec l'agglomération de Cergy et le Grand Lyon. Les collectivités étrangères avec lesquelles nous travaillons sont très en demande d'échanges avec des collectivités françaises. Il est aujourd'hui plus difficile pour nous de trouver des partenaires français en mesure de répondre aux besoins des villes du sud qu'il s'agisse d'une coopération décentralisée très structurante ou d'un échange plus informel entre équipes municipales pour bénéficier du point de vue français. Tout d'abord, nous promouvons la diversification et la facilitation de l'accès des villes au financement. Le terme de « financement » désigne les transferts de ressources de l'État, la fiscalité locale, mais également l'accès à l'emprunt. Ensuite, nous souhaitons aider les Etats à construire de véritables politiques de l'habitat. L'objectif est de permettre aux villes de limiter l'étalement urbain et la croissance de la ville informelle. Il est également nécessaire de diversifier la politique du logement pour ne pas la réduire à la seule accession à la propriété. Nous travaillons sur ce sujet en Afrique du sud et en Amérique latine notamment. Troisième et dernier point, nous développons une action particulière sur l' appui aux villes en crise. Ce sujet nous tient particulièrement à coeur car, hélas, il devient de plus en plus prégnant. Nous intervenons de plus en plus régulièrement à la suite de crises ou de conflits. Nous cherchons à structurer nos soutiens aux villes qui se reconstruisent, à privilégier des appuis souples et modulables sur le tissu local, et à trouver les moyens de passer de l'urgence à un développement pérenne. La participation à la conférence Habitat III Ces principes structurent également l'implication de l'AFD dans la préparation d'Habitat III. Nous avons naturellement participé à la construction de la position française, et nous interviendrons lors de la conférence pour délivrer trois messages clés, que nous développons depuis deux ans. l « pour mémoire » actes 67 L'émergence de l'urbain dans les politiques de coopération françaises : pistes de réflexion Jean-Fabien Steck, maître de conférences en géographie, université Paris X Nanterre, laboratoire LAVUE (UMR 7218 CNRS) Alors que la conférence Habitat III représente un moment important d'échanges et de discussions à propos des dynamiques de l'urbain à l'échelle mondiale ; alors qu'une telle conférence internationale met en scène une communauté internationale marquée par sa diversité mais tentant de s'engager sur une voie consensuelle afin de résoudre des problèmes complexes ; alors que la question de l'urbain se pose lors de ces conférences en des termes qui renvoient aux enjeux du développement, et notamment aux enjeux de la mise en oeuvre des Objectifs de Développement durable (ODD) - que l'on ne peut réduire ici au seul, quoique essentiel, objectif 111 - revenir sur l'émergence de l'urbain dans les politiques de coopération française n'est pas anodin. Il ne s'agit pas ici de proposer une histoire détaillée de cette émergence, elle reste encore en partie à faire, mais bien d'attirer l'atten- tion sur quelques éléments de réflexion qui permettent de saisir les spécificités d'un domaine d'intervention, l'urbain, qui apparaît à bien des égards comme le point de rencontre de plusieurs politiques, de plusieurs ambitions, notamment internationales, de plusieurs institutions, avec notamment l'émergence des collectivités locales dans les relations internationales 2 , et de plusieurs catégories d'acteurs aux stratégies souvent divergentes et parfois même contradictoires3 . Pour saisir cette émergence il est indispensable de la resituer dans ses contextes, et d'attirer en particulier l'attention sur certaines convergences. Il convient pour ce faire de mettre en regard les évolutions de la place de la ville dans les politiques de développement et dans les politiques de coopération avec les évolutions de la politique urbaine en France. Mais cette convergence ne doit pas simplement être étudiée du point de vue des seules politiques urbaines ou de coopération françaises, mais aussi par rapport à d'autres politiques urbaines, de coopération et de développement internationales, portées par d'autres agences de coopération multilatérale, nationale, États ou collectivités locales. Cette émergence de l'urbain dans les politiques de coopération française suppose donc aussi d'aborder Voir, entre beaucoup d'autres, D. Simon et al., « Developing and testing the Urban Sustainable Development Goal's targets and indicators ­ a fivecity study », Environment & Urbanization, vol.18 n°1, 2016, pp. 49-63 2 Y. Viltard, « Conceptualiser la "diplomatie des villes". Ou l'obligation faite aux relations internationales de penser l'action extérieure des gouvernements locaux », Revue française de science politique, n°58-3, 2008, p. 511-533 3 Sur les interventions des acteurs, voire J.-J. Gabas, « Acteurs et politiques publiques », Mondes en développement, n°124, 2003, pp. 33-47 « pour mémoire » 1 l n° HS automne 2017 68 la question des échelles d'intervention, et des terrains/villes/pays/ensembles régionaux privilégiés. Ces interventions ne sont pas linéaires, ni dans l'espace ni dans le temps, mais sont le fruit de stratégies et de temporalités différentielles. Nous devrons ainsi nous interroger sur les synchronies ou sur l'absence de synchronie entre différents acteurs ayant différents échéanciers et interroger de ce point de vue la question de la gouvernance des projets. mais on peut au moins évoquer l'un des plus célèbre d'entre-eux, le livre de Michaël Lipton, paru en 1977 : Why Poor People Stay Poors: Urban Bias in World Development4 . Le titre, qui sonne comme un slogan, indique clairement la position de l'auteur et pourrait résumer à lui seul une position assez répandue à l'époque. C'est dans ce contexte pourtant que la ville est devenue au cours des années soixante et surtout soixante-dix un enjeu pour les politiques de développement. Annik Osmont a ainsi bien décrypté les processus qui ont conduit à une émergence de l'urbain dans les discours (rapport de 1970) et dans les programmes (1975) de la Banque mondiale 5 . C'est aussi en 1976 que se tient à Vancouver la conférence Habitat I. Cette apparition des villes dans les préoccupations des grands bailleurs se fait d'abord par une intervention très sectorielle et ciblée sur les questions de logement. La politique de coopération française avait d'ailleurs à cette date déjà pris conscience de l'importance d'une intervention dans ce secteur, et a même vu, à partir de 1974, cette intervention décliner : ainsi, la part du budget de la Caisse française de développement (CFD) consacrée aux villes est passée de 20 % à 7 % à la fin des années quatre-vingt au profit d'interventions plus variées sectoriellement et de financements plus ponctuels 6 , démontrant déjà la difficulté d'appréhender les politiques et actions de coopération internationale de façon synchrone, même si l'importance que certains bailleurs accordaient précocement à la question du logement urbain a permis qu'elle devienne une question d'ampleur internationale. Ce premier temps de la montée en puissance des questions urbaines dans les politiques de développement et de coopération à l'échelle mondiale a été suivi par d'autres, qui ont marqué une réelle inflexion dans la façon de le concevoir. Ces autres temps ont été caractérisés par d'autres approches, moins sectorielles et de plus en plus systémiques et englobantes. Il en va ainsi, pour s'en tenir à quelques jalons, de la question de l'application aux villes des enjeux du développement durable (Habitat II, 1996), de l'importance du mouvement de métropolisation (rapport 2009 de la Banque mondiale, réinterrogeant les liens entre politiques de développement et politiques d'aménagement des territoires), de la somme de ces deux enjeux (African Economic Outlook, BAD-OCDE 2016) ou de l'équité et de la gouvernance (Quito 2016). Dans tous les cas, se pose en des termes renouvelés la question de la planification urbaine, et notamment de la planification urbaine stratégique, portée entre autre, et pour ne citer qu'un exemple, par des institutions comme Cities Alliances et ses City Development Strategy. Derrière la question du positionnement de la ville dans les politiques de développement et de M. Lipton, Why Poor People Stay Poor ?, Londres, Temple Smith, 1977 A. Osmont, La Banque mondiale et les villes, Paris, Karthala, 1995 6 A. Osmont, C. Goldblum, et al., Bilan prospectif de la recherche et de la formation en coopération urbaine en France. Paris : Ministère des Affaires étrangères, GEMDEV, IRD, ESA, juin 2013, http:// www.gemdev.org/evaluations/BilanProspectifRechercheUrbaine2013.pdf 5 4 Quelques éléments de contexte(s) On ne peut en effet aborder la question de l'émergence de l'urbain dans les politiques françaises de coopération sans aborder deux éléments de contexte fort, à deux échelles différentes : mondiale et nationale (française). L'échelle mondiale invite d'abord à questionner la place des villes dans les politiques de développement en général. Il convient de rappeler l'importance pendant longtemps de discours antivilles, invitant les politiques de développement à cibler d'abord le monde rural, pour au moins trois raisons : en lien avec les enjeux du développement agricole et des réels défis de la sécurité alimentaire ; du fait du nombre ; parce que cela apparaissait comme étant la meilleur façon de lutter contre la croissance urbaine. Il n'est pas possible ici de citer tous les ouvrages, travaux et arguments avancés en faveur d'une politique de développement rurale, n° HS automne 2017 l « pour mémoire » 69 coopération, des modalités d'actions, se pose également la question d'interventions qui relèveraient davantage du politique, notamment autour des grandes questions de gouvernance. L'émergence de l'urbain dans les politiques de coopération françaises doit donc être analysée dans ce contexte, en prenant en compte ces grandes évolutions internationales et en posant la question des modalités de son articulation et/ou de sa singularisation. Car si les formes d'intervention dans le domaine urbain des politiques de la coopération française ne peuvent être bien saisies qu'à l'aune de ce mouvement international, deux grandes séries de questions se posent sans cesse : celle du rapport, dans les relations internationales, aux autres politiques bilatérales et multilatérales ; celle des synchronies, ou de l'absence de synchronie dans les interventions. On ne peut l'aborder indépendamment d'une étude et d'une analyse des acteurs qui, en France, ont suscité et porté cette émergence de l'urbain dans les politiques de coopération. Des travaux d'historiens ont souligné l'importance, dans le cadre d'un urbanisme dit « de mission », qu'ont pris des acteurs issus du corps des ingénieurs des ponts et chaussées coloniaux7 dans le développement des villes nouvelles en France, montrant ainsi combien une expertise sur la ville construite en contexte colonial avait pu ensuite être valorisée ensuite en France. Mais il apparaît aussi très nettement que l'émergence de l'urbain dans les politiques de coopération doit en retour beaucoup à l'intérêt pour ces questions internationales portées par des ingénieurs des ponts et chaussées ayant fait leur carrière en France et participant à la montée en puissance de l'expertise urbaine au sein du ministère de l'Équipement et à la création, en 1981, de l'Institut des sciences et des techniques de l'équipement et de l'environnement pour le développement (ISTED). Il y a là, à travers l'étude de la circulation croisée de ces acteurs de premier plan de l'urbain, des éléments d'analyse essentiels pour saisir le rôle que des experts « nomades »8 ont pu avoir sur cette émergence, très contextuelle de ce fait, de l'urbain dans les politiques de coopération. On peut aussi insister sur le rôle que certains de ces acteurs ont pu avoir dans la définition de politiques urbaines dans des pays ayant acquis leur indépendance en 1960, singulièrement en Côte d'Ivoire avec la Direction générale des grands travaux9 . Cette histoire n'est pas linéaire. Elle est faite de relations dans un sens ou dans l'autre, de parcours individuels et de parcours de corps qui permettent de rendre compte du jeu entre différentes institutions et de leur implication dans l'introduction de l'urbain dans les politiques de coopération française. Dans cette perspective, le poids de la recherche mérite également d'être abordé, en particulier du point de vue institutionnel. Dans le contexte de l'émergence de l'urbain dans la politique de coopération française, quelle place accorder à la recherche en tant qu'associée à la mise en oeuvre de politiques de coopération urbaine et universitaire ? Quelle est sa place dans le montage de programmes de formation et de recherche ? Le Programme de recherche urbaine pour le développement, mené au début des années 2000, fournit à ce titre un exemple intéressant d'interactions entre la recherche et la coopération (ministère des affaires étrangères et ISTED). S'il semble donc impossible d'expliquer cette émergence de l'urbain dans les politiques de coopération françaises sans prendre en compte les acteurs qui permettent de la saisir, il est aussi indispensable de prendre la mesure des changements institutionnels. Ces derniers jouent en effet un rôle non négligeable dans la façon de concevoir les évolutions de la place de l'urbain, des projets et des modalités d'interventions. On ne retiendra ici que deux changements J.-C. Fredenucci, « L'entregent colonial des ingénieurs des Ponts et Chaussées dans l'urbanisme des années 1950-1970 », Vingtième Siècle. Revue d'histoire, n° 79-3, 2003, p. 79-91 8 E. Verdeil, « Expertises nomades au Sud. Éclairages sur la circulation des modèles urbains », Géocarrefour, n° 80-3, 2005, 165-169 9 J.-F. Steck, « Abidjan et le Plateau : quels modèles urbains pour la vitrine du « miracle » ivoirien ? », Géocarrefour, n° 80-3, 2005, 215-226 « pour mémoire » 7 Les acteurs et les institutions Au-delà de ce contexte international, essentiel, il faut également accorder une grande attention aux acteurs français eux-mêmes, et notamment au rôle qu'ont pu jouer des acteurs à la fois issus des administrations coloniales, notamment dans le secteur des ponts et chaussées, et des administrations nationales. l n° HS automne 2017 70 majeurs. Le premier concerne la montée en puissance des collectivités locales dans un contexte de décentralisation portée par les lois de 1982 et, concernant les politiques de coopération, par la loi de 1992 instituant la coopération décentralisée. L'implication des collectivités locales et des villes en particulier a donné une autre dimension à l'urbain dans les politiques de coopération, introduisant un nouvel acteur, avec des compétences jusqu'ici peu exploitées et renouvelant les approches opérationnelles de la coopération urbaine. L'autre grand changement est la réforme en 1999 du ministère des Affaires étrangères et la redéfinition des compétences, entre soutien institutionnel et projets de développements urbains, entre les différents acteurs nationaux. A ces facteurs contextuels individuels et institutionnels (il est difficile ici, on le voit bien, de dissocier pleinement les deux), s'ajoutent d'autres facteurs qui permettent de saisir cette émergence de l'urbain et son évolution au sein des politiques de coopération. Notamment, et il semble important de l'évoquer, l'importance que représentent les marchés urbains pour certains secteurs économiques, allant de l'expertise urbaine à l'offre de services en réseaux... Tout ceci a conduit la France à disposer d'une expertise certaine dans le secteur urbain et à la valoriser. Il pourrait être pertinent de tenter d'analyser cette histoire de l'émergence de l'urbain au sein des politiques de coopération française au regard de cette dimension économique, qui a déjà été analysée dans un récent programme de recherche franco-québén° HS automne 2017 cois portant sur les politiques agricoles et sur les politiques minières10 . La valorisation de l'expertise La question de l'expertise est essentielle pour saisir l'émergence et la présence de l'urbain dans les politiques de coopération françaises. L'expertise a pu jouer un double rôle : celui d'un facteur influençant l'inflexion urbaine des politiques de coopération au cours des dernières décennies ; celui d'être un enjeu et un objet de ces mêmes politiques de coopération. Dans le contexte actuel, l'expertise est de toute évidence un enjeu majeur à la fois de la diplomatie d'influence et de la diplomatie économique, deux orientations stratégiques à prendre en considération quand on aborde l'étude et l'analyse des politiques de développement et des politiques de coopération, dans un contexte qui semble de plus en plus concurrentiel : entre bailleurs multilatéraux et bailleurs bilatéraux ; entre bailleurs nationaux entre eux ; entre bailleurs du Nord et bailleurs du Sud. Ce qui est en jeu, outre le développement, c'est bien un positionnement stratégique des bailleurs qui repose sur leur capacité à porter et à exporter des modèles, à s'inscrire dans la construction normative internationale et à être capable d'y peser, de promouvoir ses modèles et ses compétences et, pourquoi pas, ses entreprises. Il n'est pas nécessaire ici d'approfondir la question des débats qui accompagnent les discussions sur les modalités de l'aide, liée ou non-liée, mais l'on voit bien où sont les enjeux. Ainsi, s'agissant de la France, il apparaît clairement que l'expertise, la promotion de l'expertise française, est un des nouveaux enjeux de l'urbain dans les politiques de coopération. Elle peut se traduire notamment par le rattachement du Partenariat français pour la ville et les territoires à Expertise France. Elle pose en retour la question du statut de l'expert et de ce que l'on en attend non seulement à propos de l'urbain, mais aussi à propos des politiques de coopération, d'influence et de promotion économique. La question se pose à la fois pour les experts d'État (grands corps et chercheurs, de façon différente et avec des enjeux qui ne sont pas toujours les mêmes) et pour les experts du secteur privé, acteurs essentiels aujourd'hui de la diffusion de modèles français. Il ressort de ces quelques pistes quelques éléments essentiels, comme les éléments de contexte, le rapport aux grands enjeux internationaux (de la participation à leur émergence à l'articulation à leurs évolutions et redéfinitions stratégiques) ou les jeux d'acteurs. D'autres méritent encore des approfondissements, notamment parce qu'ils sont très actuels et demandent sans doute une analyse post-Quito. B. Campbell, J.-J. Gabas, D. Pesche, V. Ribier (éds), Les transformations des politiques de coopération. Secteurs agricoles et miniers au Canada et en France, Paris, Karthala, 2016 10 l « pour mémoire » actes 71 Les collectivités territoriales dans la coopération française : origines, spécificités et perspectives Elise Garcia, docteure en géographie, chargée des relations internationales auprès du maire de Cergy Les origines de l'action internationale des collectivités territoriales (AICT) La coopération internationale française a longtemps relevé d'une compétence régalienne. En conséquence, l'AICT s'est construite, pendant de nombreuses années, en l'absence de cadre légal et dans une certaine forme de « clandestinité ». Les collectivités, longtemps encouragées par deux principales associations d'élus de sensibilités diverses (l'International Union of Local Authorities et la Fédération Mondiale des Cités Unies), ont progressivement affirmé leur intention politique d'intervenir dans ce domaine. Même si l'internationalisation des villes est bien antérieure, il est d'usage de faire débuter cette histoire par les jumelages de réconciliation franco-allemands initiés au cours des années 1950. Le traité de l'Elysée de 1963, acte officiel de cette réconciliation entre les deux Etats, avait ainsi été précédé par 130 jumelages qui allaient par la suite ouvrir la voie aux jumelages franco-américains et francocanadiens entre des communes liées par l'histoire du débarquement allié de 1944. C'est dans ce même esprit de réconciliation que, suite aux indépendances africaines des années 1960, des villes françaises se sont engagées auprès d'anciens territoires colonisés, notamment en Afrique de l'ouest, en conférant à leur action une dimension plus humanitaire. Le premier jumelage franco-africain est ainsi intervenu en 1958 entre Marseille et Abidjan. A cette époque, les collectivités ne bénéficiaient d'aucune autonomie décisionnelle, du fait d'un système encore très centralisé. Elles intervenaient de deux manières, soit en installant des comités de jumelage, auxquels était déléguée la mise en oeuvre des partenariats, ou bien en finançant des associations locales existantes ou créées à cet effet. La structuration juridique de l'action internationale des collectivités s'est ensuite inscrite dans le processus français de décentralisation à partir des années 1980. Quelles sont les spécificités des collectivités dans leur action internationale ? Vers l'affirmation d'une complémentarité État/ collectivités dans l'AICT Mon second point porte sur les spécificités de ces actions internationales au regard de l'intervention de l'Etat, sur « pour mémoire » l n° HS automne 2017 72 ce qui les en différencie et sur la nature de leurs relations. Aujourd'hui, ces rapports reposent principalement sur deux piliers. Premièrement, la reconnaissance de l'échelle territoriale de l'AICT. Elle peut être municipale, communautaire, départementale ou régionale. L'échelle de proximité des citoyens et des préoccupations locales lui confère une dimension humaine, alors que l'échelle des instances nationales peut paraître moins facilement repérable. Deuxièmement, la complémentarité des échelles d'intervention. Les termes de la loi Thiollière de 2007 et de la loi d'orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale de 2014 sont sans équivoque par rapport à leurs périmètres d'intervention respectifs. L'AICT doit être menée dans le respect des engagements internationaux de l'État. Les accords ne peuvent être conclus qu'avec des collectivités territoriales étrangères et leurs groupements. L'État est le seul à pouvoir conduire des négociations avec ses homologues étrangers. Il est également le seul à pouvoir intervenir sur des questions de défense. Les collectivités territoriales ne sont donc plus considérées comme des rivales, mais comme des acteurs complémentaires de la coopération bilatérale. L'État reconnaît leur expertise et peut envisager l'AICT comme un outil complémentaire de sa politique d'aide au développement. Cette AICT fait l'objet d'un dialogue institutionnalisé entre les parties à travers la Commission nationale de la coopération décentralisée (CNCD), créée en 1992. Cette commission est l'instance de concertation interministérielle et de dialogue entre l'État et les collectivités territoriales. C'est dans ce cadre que l'État soutient l'AICT et l'intègre dans ses instruments de politique étrangère. Il propose une stratégie pour sa mise en oeuvre à travers un document cadre qui présente les orientations françaises géographiques et thématiques. Cette série d'objectifs et d'engagements permet aux élus locaux de mener des actions coordonnées sur la base d'un socle commun. En plus de ces orientations stratégiques, l'État propose des appels à projets annuels ou triennaux, et offre également des fonds conjoints de soutien à la coopération décentralisée. Ils aident les collectivités qui y prétendent à s'inscrire dans les grandes orientations par le biais de critères thématiques ou géographiques. Cette démarche vise à influencer leurs orientations tout en respectant leur autonomie et leur liberté de choix. On peut cependant interroger la réalité de cette liberté lorsque les collectivités prétendent à un financement. L'influence de l'État reste toutefois à nuancer. Il ne cherche en effet pas à encadrer l'AICT à tout prix, et les cofinancements dont elles bénéficient ne sont que partiels. Sur le fond comme sur la forme, il leur laisse une grande marge de manoeuvre quant aux modalités de mise en oeuvre de leurs actions. A travers cette coordination et ce dispositif, les collectivités territoriales Réunion de la CNCD avec François Rebsamen (gauche), maire de Dijon et président de la CNCD, et Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères. © Ministère des affaires étrangères et du développement international/Bruno Chapiron. 2017 n° HS automne 2017 l « pour mémoire » 73 sont considérées et appuyées dans la fonction précise de l'aide publique au développement. Les collectivités territoriales ne sont en revanche pas ou peu incitées par l'État à développer une réflexion pour renforcer les impacts de leurs actions internationales sur leurs propres territoires, malgré l'enjeu évident en termes de légitimation de l'AICT. Ces procédures renvoient les collectivités à une fonction quasi exclusive « d'exportateur », ce qui peut interroger le sens même du partenariat. En tant que professionnels, nous essayons de dépasser ces considérations, à la fois devant nos partenaires étrangers, entre professionnels - comme en témoignent les travaux de l'ARRICOD (association des professionnels de l'action européenne et internationale des collectivités territoriales) - mais également devant les habitants de nos territoires. Si les deux catégories d'acteurs partagent une approche technique, la coopération décentralisée induit également une dimension territoriale, sociale et politique, liée à l'expérience des collectivités en France. L'action des associations de solidarité internationale et des ONG, qui ont plutôt développé une expérience au niveau international, est majoritairement tournée vers leurs pays d'intervention. On remarque cependant que de plus en plus d'ONG développent des actions locales en France, notamment sur des démarches d'éducation à la citoyenneté. Une autre spécificité de l'AICT repose sur sa démarche d'appui institutionnel : le soutien à la maîtrise d'ouvrage, le renforcement des capacités de gouvernance locale, etc. Malgré les évidentes différences de contexte, toutes les collectivités territoriales ont une compréhension partagée de la « chose publique », une légitimité électorale et une responsabilité vis-à-vis des citoyens des territoires. En outre, nous pouvons considérer que les collectivités sont a priori les mieux placées pour s'adresser à leurs semblables. En principe, les collectivités françaises évoluent vers un transfert de leurs compétences et laissent les ONG prendre en charge d'autres thématiques. Dans les faits, les frontières sont un peu plus poreuses. Nous constatons que de nombreuses ONG interviennent également sur le plan de l'appui institutionnel. Nombreuses sont également les collectivités à déléguer la maîtrise d'oeuvre de leurs projets à des ONG. C'est en particulier le cas de Cergy. Par ailleurs, la loi autorise les collectivités territoriales à financer des actions humanitaires d'urgence, qui relèvent plutôt, à mon sens, du domaine propre aux ONG. Les collectivités françaises ne possèdent ni les capacités, ni les dispositifs humains, ni les moyens techniques pour réagir rapidement à des situations de crise. Les ONG et les collectivités se distinguent également par des spécificités temporelles. La coopération s'inscrit dans le cadre d'un engagement à long terme alors que les actions des ONG sont plutôt déclinées sous forme de programmes sur un temps limité. Les ONG répondent à un objectif de développement des territoires partenaires. Elles sont donc vouées a priori à s'en aller lorsque l'objectif est considéré comme étant atteint. Leur intervention est liée à un problème à régler. En revanche, l'AICT ne vise pas uniquement à résoudre une problématique ou à pallier un manque. Elle a pour vocation principale de construire du partenariat. Dans les faits, les collectivités territoriales font également face à des contraintes temporelles. Les délais imposés par les appels à projets, souvent pluriannuels, nous obligent à réaliser des actions dans des délais parfois courts. L'AICT peut par ailleurs être tributaire des échéances et des calendriers électoraux. Elle peut évoluer en fonction des changements d'équipes exécutives. Nous l'avons constaté à la suite d'élections municipales, départementales et régionales. « pour mémoire » Les collectivités locales : des ONG comme les autres ? Dès lors que les collectivités territoriales sont considérées comme des acteurs de l'aide publique au développement (APD), nous pouvons nous demander où situer les frontières de leurs interventions visà-vis des ONG et des associations de solidarité internationale. Quelles sont les différences et les points communs entre leurs discours, leurs méthodes et leurs domaines d'interventions respectifs ? Il existe de véritables spécificités au plan théorique qu'il convient néanmoins de nuancer à l'épreuve de la réalité. l n° HS automne 2017 74 Repenser la question des bénéfices de l'AICT sur les territoires français Clarifier les spécificités de l'AICT par rapport aux autres acteurs ne constitue pas seulement un exercice théorique, c'est aussi un élément de fond qui est au coeur des débats sur sa légitimité. La réponse fournie par les collectivités sur ces enjeux de légitimation fait apparaître deux phénomènes corrélés. Premièrement on remarque chez elles une recherche de plus en plus affirmée de réciprocité, qui vise notamment à conforter leurs discours sur l'intérêt local de l'AICT, à répondre à leurs détracteurs et à se rassurer quant aux fondements égalitaires des partenariats. Ensuite, on observe également une différenciation stratégique selon les territoires d'intervention. Alors que la réciprocité avec les pays dits « pauvres » est difficilement démontrable et que les élus « s'enlisent » parfois dans des considérations idéologiques, le projecteur s'oriente de plus en plus vers les pays émergents avec lesquels cette réciprocité est plus facilement « chiffrable ». Je pense ici par exemple au cas d'une collectivité qui « développerait » son partenaire malien et « se développerait » grâce à son partenaire chinois. Cette hiérarchisation des partenariats est avant tout fondée sur des critères économiques et présente des limites sur les plans éthique et stratégique. Aujourd'hui, l'AICT subit des réductions budgétaires de plus en plus drastiques. Sa pérennité dépendra de plusieurs facteurs. Il convient, en premier lieu, d'insister sur la capacité des professionnels et des élus à décloisonner l'AICT et à ne plus la positionner comme une activité sectorielle mais plutôt comme un instrument d'innovation et de réponse aux enjeux territoriaux français. Sa légitimité ne se trouve plus uniquement dans son rôle d'acteur du développement à l'étranger mais, de plus en plus, dans sa fonction de moteur du développement local en France. Cela implique de faire émerger un autre modèle de partenariat, qui ne soit plus seulement fondé sur les besoins et les manques des partenaires dits du sud, mais sur la reconnaissance de leur expertise et de leur savoir-faire. Les actions et les projets doivent être pensés à partir des attentes des deux collectivités. Elles doivent identifier des enjeux partagés sur leurs territoires et s'efforcer de travailler ensemble dans une communauté d'intérêts. A l'approche de la conférence de Quito, je suis convaincue de l'impérieuse nécessité de forger une pensée commune des questions urbaines, environnementales, sociales, etc. Cette dimension est la condition sine qua non d'une AICT porteuse d'impacts locaux positifs, au-delà des discours. J'ai très récemment effectué une mission à Thiès (Sénégal) de soutien à un échange professionnel sur le thème de l'agroécologie en ville. Nous avons favorisé la rencontre entre l'association b.a-BA de Cergy, qui encourage la concertation aux pieds des immeubles et crée des jardins d'habitants dans des quartiers prioritaires, et le Centre d'écoute et d'encadrement pour un développement durable, une association Thiessoise qui forme des centaines de femmes au microjardinage. Cette semaine d'échange était très enrichissante, notamment pour b.a-BA qui a découvert de nouvelles approches techniques. La coordinatrice est vraiment revenue enrichie de cette expérience et pourra en faire profiter le territoire de Cergy. Pour conclure je citerai le géographe Roger Brunet: « l'on se sauve d'autant mieux que l'on est "solidaire" des voisins et de la nature. De l'environnement au sens plein : nous et les autres, nos habitats et les leurs, nos cultures et les leurs. L'entretien de notre pré carré implique un regard sur l'ensemble du paysage ». n° HS automne 2017 l « pour mémoire » actes 75 Evolution des dynamiques des projets urbains en coopération : le rôle des acteurs et les sujets essentiels Pierre Jacquemot, président du Gret, professeur à Sciences Po Paris Le Gret (Professionnels du développement solidaire) est une des grandes organisations de solidarité internationale (OSI) françaises. Elle compte 770 experts, majoritairement en Afrique et en Asie. La ville est un de ses thèmes majeurs de travail, comme pour d'autres OSI réunies dans un collectif appelé Groupe Initiatives. Mon implication dans ces organisations vient compléter une expérience ancienne au titre de la coopération française dans divers pays. J'ai en particulier représenté la France à ONU-Habitat à Nairobi au début des années 2000. Avant de rentrer dans le vif du sujet, je souhaite apporter à notre débat trois précisions. Premièrement, le milieu des années 2000 a marqué un tournant dans l'histoire de l'humanité : la part des urbains dans la population mondiale a dépassé celle des ruraux et 50% des urbains vivent désormais dans des villes de plus de 500 000 habitants. L'origine des taux de croissance se répartit pour moitié entre croissance démographique interne à la ville et apports migratoires. Deuxièmement, les taux de croissance urbaine les plus importants touchent d'ores et déjà les villes de rang secondaire et la tendance à la prolifération de nouvelles petites agglomérations qui franchissent chaque année le seuil de l'urbain s'observe pratiquement partout, avec une intensité particulière depuis les années 1990. Se pose subséquemment la question de l'identification et de la reconnaissance de cette strate d'agglomérations, espace tampon ou interface entre l'hinterland et la mégapole, dans le processus de développement. Troisièmement, cette urbanisation est le moteur d'une réorganisation profonde de la vie et des rapports humains : séparation radicale, spatiale et temporelle du travail productif et de la vie sociale, parachèvement de la séparation, non moins radicale, de l'espace public et de l'espace privé, rationalisation d'un urba- nisme pris entre le vertige de la démiurgie sociale et la puissance de la réglementation étatique. De fait, la ville est un lieu paradoxal de déculturation par la perte de repère et d'acculturation par la densité des échanges et les contacts prolongés entre urbains et ruraux de diverses origines. Elle détruit et invente en même temps. Dans la majorité des actions des OSI, on retrouve trois grandes préoccupations. Il y a tout d'abord la recherche d'une connaissance fine des situations locales, des besoins, des capacités et du rôle des acteurs, notamment en matière de réhabilitation des quartiers précaires. Les enquêtes de terrain préalables aux conceptions de solutions supposent une méthodologie rigoureuse et adaptée. Ensuite, les OSI partagent la volonté de contribuer à l'équipement et à la gestion des réseaux de fourniture d'eau, d'assainissement, d'habitat ou d'énergie, dans un cadre qui favorise l'inclusion du plus grand nombre et « pour mémoire » l n° HS automne 2017 76 la pérennité du service. Enfin, il y a un soucis d'accompagnement des acteurs locaux dans la mise en place des cadres de concertation entre les acteurs clés, sans s'enfermer dans des modèles préconçus. J'ai par exemple travaillé au Ghana avec des chefs traditionnels dans un certain nombre d'opérations, ce qui constituait une source extrêmement riche d'informations et d'améliorations de la capacité de mise en oeuvre. Je voudrais ici développer cinq points qui structurent l'intervention du Gret en milieu urbain. d'assainissement, installation de bornes fontaines), ou d'opérations de restructuration de quartiers sur la base de redécoupages du parcellaire, impliquant des « recasements » partiels des habitants, nombreux sont ceux qui mettent l'accent sur une dimension trop insuffisamment prise en considération, à savoir l'accompagnement social. Les méthodes « coup de poing » (dites aussi de « déguerpissement ») laissent peu à peu la place à des approches qui engagent les habitants, sécurisent les occupations foncières, prévoient l'amélioration de l'habitat et l'accès aux équipements publics. Leur bonne exécution passe par des mécanismes de concertation, de participation et de gestion des conflits, avec des montages juridiques parfois inédits. Il y a cependant encore des contradictions très fortes à prendre en compte, car les quartiers informels sont très largement la conséquence directe de politiques urbaines encore majoritairement promues à l'échelle internationale. pertinent d'organisation des services urbains est celui qui associe étroitement quatre acteurs : L'État, qui dispose de la fonction de régulation, doit s'occuper des règles générales de tarification, de mise en concurrence, des normes de qualité, du respect de l'environnement; Les autorités locales doivent définir le niveau de service à atteindre et le choix du mode de gestion et de l'opérateur ; L'opérateur, qui bénéficie d'une délégation sous la contrainte d'un cahier des charges définissant ses obligations, doit assurer la mission d'exploitation du service sur une base professionnelle ; usagers/citoyens doivent exercer Les en amont une fonction dans la définition des besoins et en aval dans le contrôle et l'évaluation des résultats. L'entrepreneuriat privé n'est donc pas un mot tabou pour les OSI, tant qu'il est encadré d'un côté par la régulation de l'État ou de ses avatars locaux et de l'autre par le contrôle effectif des usagers et des contribuables. Requalifier la ville Comme le mentionnait Agnès Deboulet, la question de la reconnaissance de la réalité des quartiers non formels est essentielle. Lors de la création d'UNHabitat en 1978, le mot d'ordre était de faire disparaître les bidonvilles en développant des programmes de relogement. A présent, au lieu de démolir des zones d'habitat informel, la politique préconisée est celle des opérations de requalification (slum upgrading), de la réhabilitation in situ, du raccordement à l'eau, à l'assainissement et à l'électricité, des équipements scolaires, sans négliger par ailleurs de fournir davantage de ressources pour la construction de logements abordables. Qu'il s'agisse d'opérations de réhabilitation de quartiers précaires, avec des interventions d'envergure variable, visant à consolider l'existant (amélioration de la chaussée, mise en place d'un réseau n° HS automne 2017 Répartir les rôles Les contraintes de disponibilité, d'accessibilité et de pérennité des ressources incitent à mobiliser toutes les solutions, notamment l'implication des acteurs privés et associatifs, dans la fourniture des services de base, qui relève pourtant du service public. L'histoire dans la plupart des pays a montré l'échec des modèles d'opérateurs étatiques centralisés bureaucratiques, privilégiant des approches technicistes. Aujourd'hui un consensus semble émerger sur le fait que le cadre le plus Donner accès aux services essentiels par des moyens non conventionnels Le secteur de l'eau est un bon terrain d'observation. Dans les quartiers non couverts par les modes d'approvisionnement conventionnels, la fourniture de service repose sur les initiatives privées l « pour mémoire » 77 ou communautaires. Éparpillées, elles recouvrent une large palette de services allant du colportage d'eau à domicile à la gestion de mini-réseaux, en passant par l'exploitation de bornes fontaines. Ces initiatives sont parfois appuyées par l'action des ONG ou de la coopération décentralisée et se nourrissent de plus en plus de la diffusion des idées et des pratiques de « bonne gestion » : transparence des décisions, responsabilité collective de la gestion de la ressource, paiement de l'eau au volume consommé... On rencontre aussi de véritables entrepreneurs qui ont su construire des structures plus élaborées jusqu'à gérer des réseaux, en général sans aucune aide étatique, et parfois même sans autorisation des pouvoirs publics. Le cas des villes secondaires du Cambodge est intéressant. Aux côtés des agences d'Etat qui ne couvrent que 35% des besoins, il existe près de 3000 services dits « non conventionnels » de l'eau. Ce marché s'est organisé, l'offre se concentrant de plus en plus autour de 300 entrepreneurs privés atteignant une taille qui leur permet de fournir de l'eau à une population allant de 4000 à 20 000 ménages, de se doter de compétences techniques et financières et d'un contrôle technique qui les a transformés en opérateurs crédibles, et ce en dépit d'un environnement institutionnel risqué et incertain. L'expérience montre cependant que concéder de cette manière au secteur privé une place dans le marché de l'eau ne suffit pas pour assurer ni l'accès au plus grand nombre ni l'amélioration continue Borne fontaine au Mozambique © Banque Mondiale/Eric Miller des services. Presque partout, l'intervention publique reste centrale pour établir des normes adaptées, susciter des dynamiques de régulation et organiser la transition des acteurs privés ou associatifs vers des logiques de service public. Mobiliser des ressources financières nouvelles Les chiffres sont éloquents. Le budget de la ville de Ouagadougou (1,5 millions d'habitants) est égale à celui de Noyon (15 000 habitants) et à la moitié de celui de Rodez (25 000 habitants) en France. L'assiette de la fiscalité locale au Sud est loin d'être parfaitement et totalement exploitée. Dans les pays de l'ODCE, les municipalités collectent environs 10% de la valeur ajoutée produite sur le territoire. En Afrique, quand une ville produit 100 dollars, la collectivité n'en encaisse que 0,6. Le gisement potentiel est donc gigantesque. Les ressources des villes sont en général limitées aux taxes locales pour services rendus aux usagers (droits de place sur les marchés et les gares, utilisation des abattoirs) et aux taxes sur toutes les activités susceptibles d'être fiscalisées (taxis, « pour mémoire » l n° HS automne 2017 78 charrettes, spectacles, artisanat de production, distribution quelle qu'en soit la forme). Des possibilités importantes existent en matière de taxes foncières et immobilières qui constituent à de nombreux égards l'impôt « idéal » pour les villes. En effet, il s'agit d'impôts qui augmentent rapidement avec le niveau d'urbanisation, qui reposent sur des valeurs objectives, et qui sont progressifs, car le patrimoine est plus concentré que le revenu. Ces taxes pourraient être revalorisées, notamment dans les quartiers les plus aisés. impôts et d'accepter de nouvelles formes d'imposition s'ils perçoivent les bénéfices des dépenses publiques qui y sont associées, et donc considèrent les impôts comme légitimes. Les villes du Sud qui s'impliquent dans des démarches participatives construisent leur propre manière de procéder selon leurs caractéristiques particulières. Le Sénégal, où la participation citoyenne a été érigée en principe reconnu par la loi, connaît une expérience probablement parmi les plus innovantes avec la « certification citoyenne » pour la bonne gou- Séance de concertation municipale en Mauritanie © P. Jacquemot Construire la citoyenneté concrète L'efficacité des actions dépend très largement de la capacité des bénéficiaires à se prendre en charge. La question du renforcement de la citoyenneté urbaine, qui revient sur le premier plan avec la préparation d'Habitat III, est ressentie par chacun comme cruciale dans cette quête pour approfondir les méthodes et conduire à la réussite des projets. Les situations évoluent partout. Sous la pression de la société civile des démarches participatives s'installent progressivement. Les mises en place de « budget participatif » se sont multipliées dans plusieurs pays du Sud. La méthode accroît la transparence de la gestion municipale et cet avantage est essentiel. En effet, les contribuables sont plus susceptibles de payer leurs n° HS automne 2017 l « pour mémoire » 79 vernance mise en place par le Forum civil dans une soixantaine de collectivités locales volontaires. Il s'agit d'un instrument d'évaluation des performances qui repose sur un référentiel de 38 indicateurs mesurables autour de 5 critères (transparence, équité, efficacité, redevabilité et participation), évalué par un comité local de certification. Un label est ensuite délivré avec différents niveaux de performance, ce qui crée une émulation positive entre communes. Parmi les effets notables attendus, on escompte une réallocation des dépenses en faveur de la lutte contre la pauvreté, une augmentation des recettes fiscales et une réduction de la corruption due à la transparence des discussions budgétaires et à la surveillance plus active par la société civile des travaux engagés par les municipalités. Cette citoyenneté en construction ne peut donc pas être évaluée uniquement par sa dimension juridique. Elle doit plutôt être perçue comme un ensemble de pratiques, comme une fabrique urbaine à l'intersection des politiques publiques, des mobilisations de diverses natures (revendicatives, festives) et des expériences associatives des usagers, des résidents, des voisins, des consommateurs, des citoyens. du Nouvel agenda urbain qui sortira d'Habitat III. Premièrement, la ville ne correspond pas le plus souvent à la « cité » rêvée par les urbanistes, avec sa mixité sociale et fonctionnelle. Dans ce contexte, il est toujours nécessaire d'accomplir des efforts pour créer de nouvelles relations entre les municipalités et les citoyens. Deuxièmement, une véritable politique de la ville est indispensable afin de veiller à ce que les agglomérations soient vivables et durables, notamment en matière de densification urbaine, de qualité de vie, de nouvelles formes de mobilité, de mixité sociale, de qualité de l'air, de gestion des déchets, d'utilisation optimale de l'eau et de l'énergie ainsi que d'investissements générateurs d'emplois. Troisièmement, le maximum doit être fait pour réorienter les ressources publiques au bénéfice des plus démunis. Cet objectif suppose un devoir de diligence très fort tant au niveau de l'État que des collectivités locales. Cette exigence n'a à ce jour encore rien d'évident. Les plus démunis sont toujours perdants, exclus du droit à la ville, lorsqu'il n'existe pas de contre-pouvoir. Enfin, il est indispensable de reconstruire en permanence du lien social, de créer une « sociabilité rapprochée ». Il convient d'inventer une nouvelle culture citoyenne. Elle peut passer par l'élection, mais peut également emprunter d'autres modalités pour créer des acteurs légitimes et des porteurs de projets. « pour mémoire » Voilà les préoccupations et les démarches qui orientent l'action des organisations de solidarité internationale. Elles n'ont pas la prétention d'être universellement pertinentes. Les taux de réussite ne sont pas négligeables, mais les opérations connaissent aussi des échecs, sources d'enseignement. C'est par la « capitalisation participative », c'est-à-dire l'échange avec les bénéficiaires et le recul critique sur leurs pratiques, qu'elles améliorent leurs performances. Quelques pistes pour Habitat III et ses suites Par-delà la diversité des pratiques de terrain, je voudrais suggérer quatre pistes d'action pour la mise en oeuvre l n° HS automne 2017 80 Débat avec la salle Annik Osmont Je souhaitais apporter une précision au tableau qu'a brossé Jean-Fabien Steck. Elle n'est pas négligeable, car elle constitue une spécificité française, en particulier vis-à-vis des autres pays qui pratiquent la coopération. Chaque fois que nous vivons une alternance politique, nous assistons à la création et à la disparition d'organismes. Dans le domaine de la recherche en coopération, ce mode de fonctionnement a eu des conséquences très négatives, car ce type de travail s'inscrit dans un temps assez long. Par exemple, un appel d'offres de recherche a pu être supprimé du jour au lendemain, alors que son financement était prévu. Des actions de formation très importantes avaient été engagées par le ministère de la Coopération pendant les années 1980, à l'époque où il était question de résorber l'assistance technique. La formation étant très importante dans le domaine de la coopération, nous avions concentré les efforts sur l'enseignement supérieur. Par exemple, dans mon établissement, l'Institut français d'urbanisme, nous avions créé deux écoles d'urbanisme, à Dakar et Lomé. Ces actions étaient extrêmement importantes car elles introduisaient des habitudes de meilleur équilibre entre les chercheurs ou experts français et leurs homologues africains. Cette fois encore, les écoles d'urbanisme ont été supprimées du jour au lendemain, à l'exception de celle de Lomé. tion de La Rochelle a l'expérience d'un certain nombre de coopérations avec l'Indonésie et le Mexique. Je confirme à Élise Garcia que la part du soutien du ministère des Affaires étrangères est assez faible. En fait, il n'apporte son soutien, à hauteur de 25 % en général, quelquefois plus, qu'à concurrence du numéraire que nous investissons dans le partenariat de coopération avec une collectivité. Or, l'expertise elle-même, détenue par certains de nos techniciens municipaux, par des ONG, par des laboratoires universitaires ou par des entreprises implantées sur notre territoire, est ce qui compte le plus en termes de coût et d'échange de savoirs. Lorsque nous remettons une offre, la part du non-numéraire est limitée à 10 %. Nous pensons, quant à nous, qu'il représente plutôt 60 % du coût, par rapport à 40 % qui sont en numéraire. Je souhaitais simplement apporter ce témoignage très concret. Par ailleurs, nous parlions précédemment des conflits qui peuvent exister entre les différents modèles de développement urbain. Cette approche pourrait être celle d'un acteur qui détiendrait une forme de modèle, par exemple une agence d'urbanisme. En revanche, dans la relation plus pragmatique entre deux collectivités, les interactions se développent plus simplement. Il ne viendrait à l'idée d'aucun de nos techniciens de venir donner la moindre leçon à un partenaire sur un modèle qui appartiendrait à La Rochelle. En adoptant une approche marquée par davantage d'humilité, nous pouvons susciter un échange qui soit également bénéfique pour notre territoire. Cela fait partie de ce que nous recherchons lorsque nous choisissons un partenaire. Dans la durée normale d'une coopération, qui à mon sens, pour obtenir des résultats, devrait atteindre dix, quinze voire vingt ans, nous estimons que nous bénéficierons à terme d'un retour sur investissement qui justifiera en partie notre apport en numéraire et en technicité. Agathe Euzen Dans la continuité de la réflexion sur la recherche, je voulais juste mentionner que le CNRS a lancé, l'an dernier, une prospective urbaine. Il souhaite s'interroger, par rapport à l'ensemble des problématiques sociétales et scientifiques, sur la recherche fondamentale et appliquée à mettre en oeuvre pour répondre aux enjeux auxquels nous serons confrontés dans dix ans. Éric Huybrechts Le Nouvel agenda urbain sera adopté dans les premiers jours de la conférence. Il présente des orientations très intéressantes sur la façon d'envisager la ville pour demain. Néanmoins, en termes d'engagements pour l'avenir, il se contente d'annoncer une évaluation d'ONU-Habitat qui servira de base aux décisions prises à l'occasion de la prochaine Assemblée Générale de l'ONU. En conséquence, nous ignorons dans quoi nous nous engageons en termes de mise en oeuvre, malgré le travail accompli par Maryse Gautier depuis deux ans et par la Campagne urbaine mondiale depuis cinq ans. Le document Michel Sabatier Je souhaite réagir de façon très pragmatique. La communauté d'aggloméran° HS automne 2017 l « pour mémoire » 81 est un peu décevant de ce point de vue. Il signifie que l'enjeu est devant nous. Que construirons-nous, en termes de coalitions et de regroupements, sur la base des orientations d'Habitat III ? Puisque nous bénéficions dans cette salle d'un panel intéressant de collectivités locales, de banques de développement et d'ONG, j'ai envie de poser la question suivante. Quelles sont les perspectives de nouveaux engagements que vous inspirent les orientations fixées dans le Nouvel agenda urbain ? intervenir en tandem. Comme chacun sait, il à participé de près à l'histoire de la coopération française sur les questions urbaines. Je l'ai compté comme collaborateur durant de nombreuses années. Il vous aurait dit comme moi que l'année 1998 a constitué une date charnière, avec la disparition du ministère de la Coopération. Dès lors qu'il n'existait plus d'administration dédiée, les activités de la direction générale du ministère des Affaires étrangères dans le domaine urbain sont devenues relativement résiduelles. A l'époque, j'étais directeur. Je comptais dans mes équipes non seulement des ingénieurs des ponts et chaussées détachés du ministère de l'Equipement, mais également beaucoup d'architectes. Cette histoire de la coopération a également été écrite par eux et par des urbanistes. Anne Odic Je ne pense pas qu'il nous revienne de répondre. Je laisserai Henry de Cazotte vous fournir des éléments tout à l'heure. Néanmoins, il existe déjà une convergence de vues. Nous la constatons également sur le terrain. Nous voyons dans quelle direction nous devrions aller pour un développement urbain durable, même si le but est loin et que nous manquons de moyens. Ce Nouvel agenda urbain en témoigne un peu. Je conviens que tout reste à faire. Néanmoins, il est utile de formuler les idées, d'en débattre, de préciser le rôle de l'Etat, de la collectivité et des populations dans la construction d'un agenda urbain durable. En restant optimiste, il est permis de penser que cette démarche contribue à mettre en place des éléments pour aboutir. Pierre Jacquemot Je souhaite revenir sur la question des alternances. Xavier Crépin devait être parmi nous aujourd'hui, nous devions « pour mémoire » l n° HS automne 2017 82 actes Conclusions de la journée Habitat III en perspectives Henry de Cazotte, représentant spécial pour Habitat III, ministère des Affaires étrangères et du Développement international La ville au coeur de l'agenda international La conférence Habitat III, qui aura lieu dans moins d'un mois à Quito, est tout à fait particulière. Elle intervient après la négociation par l'ensemble de la communauté internationale pendant cinq ans d'un nouvel agenda universel pour le développement durable, appelé « Agenda 2030 », et qui porte un nouveau regard sur les rapports nord-sud. Il affirme que nous sommes tous confrontés aux mêmes enjeux, aux mêmes difficultés, aux mêmes responsabilités vis-à-vis de l'avenir de notre planète. Avec 10 milliards d'habitants dans vingt ans, nous ne pouvons plus vivre comme il y a vingt ou quarante ans. La question urbaine a un tel impact global sur le monde qu'il était de notre devoir de l'intégrer dans cet agenda du développement durable. La ville est un n° HS automne 2017 vecteur de solutions. Avec ce Nouvel agenda urbain, sur lequel l'ensemble des Etats sont désormais tombés d'accords, nous avons essayé de construire un message en ce sens, avec Maryse Gautier et sa collègue équatorienne qui ont co-piloté le processus durant presque deux ans. Cette tâche n'était pas aisée à accomplir puisqu'elle réunissait 193 pays. Certaines collectivités locales disent que nous avons reculé. J'ignore si tel est le cas, mais quoi qu'il en soit, nous nous sommes efforcés de produire un document qui n'est pas, contrairement à ce que j'ai pu entendre, un regard du nord vers le sud. Au contraire, il s'agit d'un regard négocié par tout le monde. Les Africains, les Indonésiens, les Brésiliens ou encore bien d'autres ont eu autant de place que les partenaires européens et leur vision prétendument vertueuse. Notre modèle n'est pas nécessairement le meilleur, et je rappelle d'ailleurs que nous éprouvons quelques difficultés pour régler certains problèmes dans nos villes. Je suis confiant car les circonstances sont favorables. 2015 constitue en effet une date charnière pour la ville. Comme je vous le disais, l'an dernier, nous avons réécrit une définition internationalement partagée du développement durable avec l'agenda 2030 et l'accord de Paris sur le changement climatique. Nous avons traité de la gouvernance, du rôle des acteurs, de l'importance de la société civile et des alliances entre acteurs. Il me semble que l'ensemble de ces avancées a été pris en compte par les décideurs. Les avancées du Nouvel agenda urbain Le regard que propose le Nouvel agenda urbain sur la pauvreté me semble important : « Leave no one behind », comme le dit le texte. Si nos villes ne sont pas conçues pour réduire la pauvreté et les inégalités, c'est que nous faisons fausse route. Il est impossible de développer une approche de l « pour mémoire » 83 planification intelligente sans maintenir cet objectif en substance. C'est en tout cas ce que disent nos dirigeants qui ont adopté cet agenda. A mes yeux, un autre motif de confiance réside dans l'engagement de la société civile. Celui-ci est aujourd'hui globalement extrêmement fort, au niveau mondial comme au niveau local. En France en revanche, je ne suis pas persuadé que cette volonté soit si forte, tant la société civile est parcellisée. Il est difficile de comprendre pourquoi elle n'est pas aussi bien structurée que dans d'autres pays. Ce matin, je rencontrais des acteurs chinois de l'eau. Leur politique est en train de changer radicalement. Elle est poussée par un réseau de milliers de citoyens qui mesurent quotidiennement, avec leurs téléphones intelligents, la qualité de l'eau à la sortie des villes, des usines et des exploitations agricoles. Or, en France, nous comptons probablement autant d'associations de défense de la qualité de l'eau que de municipalités. Une véritable révolution de la société civile est en train de se produire à l'échelle mondiale. Grâce à elle, cet agenda urbain et ces objectifs du développement durable pourront réellement se mettre en oeuvre. Dans le Nouvel agenda urbain, nous avons également intégré la question financière. Nous avons réalisé un effort considérable pour affirmer que les problèmes de financement sont au coeur du sujet. Il a été fait référence dans les échanges d'aujourd'hui à la situation de l'Afrique subsaharienne. Cette question est désormais vraiment posée et nous pouvons espérer trouver des solutions. Le Président de la Banque mondiale était il y a peu à Paris et a traité du sujet avec le directeur général de l'AFD. Les stratégies des grandes banques de développement international vis-à-vis de l'autonomisation financière des villes ne sont pas encore à la hauteur de la situation actuelle, mais c'est un challenge qu'elles vont désormais tenter de prendre à bras le corps. Il convient également de parler des initiatives du sud et du dynamisme de certains responsables urbains. Nous nous sommes rendus à Surabaya avec Maryse Gautier, où nous avons rencontré la mairesse, une personnalité incroyable. Elle est à l'origine d'initiatives que j'aimerais bien reproduire en France. Il en va de même à Medellín, à Hô-Chi-Minh-Ville, à Libreville, à Johannesburg, à Dakar ou dans certaines grandes villes brésiliennes. Ces leaders locaux ont une telle capacité de décision, d'encouragement et de rassemblement autour de nouvelles politiques urbaines, que les progrès peuvent parfois s'avérer beaucoup plus rapides qu'escomptés. Le responsable chinois que j'ai rencontré ce matin m'a parlé de l'initiative des « Sponge Cities ». Leur objectif consiste à absorber l'eau. Moi qui vis dans le Gard, je peux vous assurer que personne n'y connaît ces initiatives. Nous aurions pourtant bien besoin d'absorber l'eau qui vient détruire notre environnement au moment des épisodes cévenols, ces fortes précipitations du mois de septembre. Quelques marges de progrès Je pense donc que nous sommes en présence de multiples signaux positifs. Vous avez aujourd'hui également soulevé un certain nombre de questions plus inquiétantes ou plus difficiles. Dans quelle mesure les pays en voie de développement auront-ils la capacité d'assumer l'accélération de cette urbanisation massive ? Les enjeux sont tels que nous ignorons s'il nous sera possible de progresser. Il existe également des obstacles et même des résistances en termes de gouvernance, de décentralisation, de ressources humaines ou de reconnaissance citoyenne. Il reste ainsi beaucoup à faire dans un certain nombre de pays. Un autre sujet d'inquiétude concerne le jeu des acteurs. Vous l'avez examiné pendant cette journée. Le secteur privé peut-il être vertueux ? La ville est produite essentiellement par le secteur privé et non par le secteur public. Paris a été produite au XIXè siècle par les frères Pereire, par des financiers, par la monétarisation du foncier. Bien sûr, les pouvoirs publics agissent, mais les acteurs privés jouerontils le jeu de cette ville durable ? Le sujet de leur association à ces travaux, aussi bien les bâtisseurs, les promoteurs que les financiers et tous ceux qui agissent dans la construction urbaine, est important. Il me semble que le Nouvel agenda urbain a peut-être échoué sur ce point, car il n'a pas su nouer un dialogue approfondi avec le secteur privé pour le rendre acteur de cette discussion et de « pour mémoire » l n° HS automne 2017 84 ces transformations. En vous écoutant, je me suis également interrogé sur une certaine forme de conformisme. Nous reproduisons souvent les mêmes modèles sans vouloir voir les difficultés qui peuvent se présenter. J'ai aussi entendu mentionner aujourd'hui le terme de « flexibilité ». Il signifie qu'il n'existe désormais plus de solution unique. Les démarches de planification doivent être souples et se pénétrer du substrat avec lequel elles opèrent. La réalité n'est évidemment pas la même à Porto-Novo et à Hô-Chi-MinhVille. Chaque culture, chaque société est différente. Peut-être est-il nécessaire de créer un nouveau concept, qui ne s'inscrive pas dans une démarche rationnelle d'ingénieur, mais dans une attitude qui se modèlerait davantage sur la société et sur ses acteurs ? Cette approche décrirait davantage un processus qu'une solution unique. J'aspire à ce que notre pays soit le plus actif possible sur ce point. Nous avons également entendu dire qu'il existe une offre de l'AFD, qui permet de financer cette action internationale en matière d'urbain. Nous devons saisir cette opportunité pour la pousser dans ses « retranchements », afin qu'elle soit le ferment de la créativité et de l'engagement, de l'ouverture et des partenariats. Cela est d'autant plus nécessaire qu'elle implique maintenant la Caisse des dépôts et consignations, dans le cadre d'un rapprochement potentiellement riche, et donc l'implication de l'ensemble des territoires français. Cette évolution inédite est extrêmement intéressante. pourquoi il serait nécessaire d'organiser un événement Habitat IV. Je n'ai pas posé cette question par provocation mais simplement parce que je n'estimais pas nécessaire d'attendre vingt ans pour nous réunir à nouveau. Vous n'avez en effet cessé aujourd'hui d'évoquer l'accélération galopante de l'urbanisation. Il serait donc pertinent que nous nous rencontrions plus souvent. Les Objectifs de développement durable ont une clause de rendez-vous dans quinze ans. Toutefois, d'ici là, nous nous réunirons trois fois, pour que la France présente à New York ses avancées sur l'ODD n°11, dédié à la ville. Entre aujourd'hui et 2030, ces trois moments, mais aussi les forum urbains mondiaux, nous permettront de faire le point. Je fais désormais partie des anciens puisque j'avais suivi de loin la conférence Habitat I à Vancouver en 1976. J'espère que vous me convierez à Habitat IV dans vingt ans. Ce clin d'oeil me permet de souligner qu'il existe un formidable gisement d'emplois et d'innovations dans le domaine dont nous avons parlé aujourd'hui. Il concerne des métiers mariant à la fois l'ingénierie, la sociologie, la géographie, l'agronomie, etc. La ville constitue l'espace de déploiement de toutes les initiatives pour la jeunesse qui entre aujourd'hui sur le marché du travail. J'encourage les plus jeunes à agir dans ce sens. La France et le Nouvel agenda urbain Comment la France doit-elle agir ? Avec nos compétences, avec les initiatives que nous avons menées et l'offre qui existe, il me semble que nous pouvons être à l'avant-garde de la mise en oeuvre de ce Nouvel agenda urbain. Il nous revient, en réseau avec d'autres acteurs étrangers, de construire ces solutions de demain. Nous devons bien sûr accomplir cette tâche avec nos valeurs, notre respect de la chose publique et de l'intérêt général, nos spécificités et nos compétences en matière de smart city, de partenariat public-privé, de modèles de logement social, de relations villecampagne, de contractualisation et de planification. Nous sommes d'excellents coopérants internationaux, avec un véritable appétit pour les relations internationales. Cela peut nous permettre de construire des plateformes d'expertise à même de tirer la meilleure substance du sud pour l'introduire dans un regard universel. On vient à ce propos de nous annoncer la naissance d'un réseau mondial des agences d'urbanisme, initiative que je salue. Nous possédons également une capacité d'innovation à valoriser sur les questions urbaines. n° HS automne 2017 Vers un Habitat IV ? Une conférence Habitat IV aura-t-elle lieu ? Lorsque nous avons négocié le dernier paragraphe du Nouvel agenda urbain avec Maryse Gautier, j'ai demandé l « pour mémoire » 85 DOSSIER Coopération urbaine et circulations transnationales « pour mémoire » l n° HS automne 2017 86 dossier À la croisée des routes intermunicipales Réseaux de villes et configurations circulatoires (1913-2013) Renaud Payre, professeur de science politique, Institut d'études politiques de Lyon, laboratoire Triangle (UMR 5206 CNRS) Cela fait cent ans que les municipalités de différents pays créént des regroupements et des associations pour systématiser leurs contacts, qui avaient bien évidemment commencé auparavant sous d'autres formes (correspondances, voyages d'étude, lectures), et qui continuent aujourd'hui à exister selon des modalités diverses. Cent ans que des groupements cherchent non seulement à défendre des intérêts urbains auprès des pouvoirs publics nationaux et internationaux, mais également à procéder à des échanges de savoirs, d'initiatives, de politiques entre ville et tentent ainsi de défendre une régulation intermunicipale ne passant plus uniquement par les États-nations. Cent ans d'activités, de questions, de débats, d'organisation au sein de groupements ébauchés à la fin du XIXe siècle, mais qui ne prennent une tournure permanente qu'en 1913 à Gand (Belgique). Les propos qui vont suivre s'inscrivent dans la lignée d'un ensemble d'enquêtes n° HS automne 2017 socio-historiques. Ces études souhaitent repérer le travail d'institutionnalisation des réseaux de villes, réseaux qui voient le jour dès la fin du XIXe siècle1-2 . En rétablissant une épaisseur historique des réseaux, en les isolant comme objets d'études, une nouvelle grille de lecture s'impose. Le réseau est bien saisi comme une configuration : il repose sur des initiatives de quelques villes, départements ou régions, sur des relations entre ces différents acteurs territoriaux. Les motifs d'engagement dans ces réseaux sont divers et reposent soit sur des stratégies politiques des représentants, soit sur des recherches de ressources cognitives (une forme d'expertise), soit également sur des recherches de ressources matérielles (atteindre Bruxelles pour bénéficier de financements européens). Par un effet d'agrégation, le réseau gagne en autonomie et pèse ­ à travers des ressources comme des contraintes ­ sur ces relations, voire sur le gouvernement des villes ou des territoires3 . Cette attention portée aux réseaux prolonge une analyse des formes de circulations transnationales d'acteurs, d'idées, de ressources. Le réseau est vu comme une institution établissant des connections. Une telle configuration repose sur l'existence d'un groupe d'acteurs individuels et collectifs qui investissent du temps, de l'énergie et des ressources dans l'établissement et l'entretien de connexions destinées à faire circuler des objets. Il s'agit de repérer qui sont les acteurs centraux de ces espaces de circulations et, par une analyse de réseaux, de proposer une étude des trajectoires de ces acteurs en repérant à la fois leurs Annuaire d'histoire administrative européenne, « Formation et transfert du savoir administratif municipal », 15, 2003 (ed : Nico Randeraad) 2 Contemporary european history, "Municipal Connections : Co-operation, Links and Transfers among European Cities in the Twentieth Century", 11(4), 2002 (ed : Pierre-Yves Saunier) 3 R. Payre, "The Importance of Being Connected: City Networks and Urban Government. Lyon and Eurocities (1990-2005)", International Journal of Urban and Regional Research, 2010/2, pp.260280 1 l « pour mémoire » 87 ressources sociales, leur formation, leur carrière et leur position politique. Ces espaces transnationaux reposent sur l'investissement d'acteurs de différentes nationalités qui d'ailleurs évoluent au gré des moments historiques. Ils s'appuient également sur l'accord de ces acteurs autour d'un langage et d'un projet politique communs. C'est bien la question du contenu des échanges qui est ici pointée. Trois configurations nous semblent devoir être dégagées : la première, internationaliste, est centrée sur la municipalité comme espace de transformation sociale et politique (des années 1900 aux années 1930) ; la deuxième est orientée vers le monde bipolaire et fait de la ville un vecteur de l'ordre international (des années 1940 aux années 1970) ; la troisième enfin fait de la ville un rempart à la globalisation (depuis les années 1980). délégations composées d'élus, d'employés et d'agents techniques qui se rendent dans d'autre villes, bien souvent dans des pays étrangers. C'est le cas en France. C'est également une pratique très largement diffusée au sein des municipalités d'Europe du Nord qui multiplient dès les années 1870 les enquêtes à l'étranger, participent à des congrès et à des expositions et créent ainsi un réseau transnational de compétences municipales 4-5 . L'ambition de ces déplacements est l'acquisition et l'application de nouvelles connaissances et la mise en place d'innovations dans les secteurs de la vie urbaine les plus divers. Le premier âge est un âge réformateur : une véritable « toile municipale » s'organise avec la création de l'Union internationale des villes en 1913 à Gand 6-7 qui, au nom de l'autonomie des villes, cherche à imposer une administration du monde par les municipalités interventionnistes. Ces réseaux reposent en partie sur une matrice socialiste : un socialisme internationaliste et municipaliste. C'est effectivement en 1913 et en marge de l'Exposition universelle que se tient le premier congrès international des villes. Ce congrès est orienté vers l'étude et la transformation de la vie municipale urbaine. Les organisateurs de cette manifestation figurent parmi les animateurs de la société bruxelloise internationaliste des premières décennies du siècle, et interviennent sur différentes scènes de la capitale belge : le Parti ouvrier, la franc-maçonnerie, les sciences sociales naissantes et l'activité internationaliste dans le domaine technique et savant (notamment à partir de l'Institut International de Bibliographie). Dans tous ces domaines, on perçoit la même volonté : dépasser l'organisation nationale comme unique cadre de l'action publique. L'Union internationale des villes, qui naît de ce congrès, poursuit quatre objectifs qui rejoignent ce projet : représenter les idées et les intérêts en matière municipale, mettre en rapport les administrations communales de divers pays, leur offrir des services d'utilité commune et enfin étudier la vie municipale. L'ambition est bien de développer une connaissance approfondie de la ville saisie comme un tout car « tout est dans la ville ». Ses artisans partagent un constat : le XIXe siècle a connu une urbanisation sans précédent. La cité serait « devenue un centre où s'exercent et s'amalgament toutes les activités de l'homme moderne » (1er congrès international des villes) 8 , de l'éducation au travail en passant par l'assistance et l'économie (notamment via les régies municipales directes ou semi directes). Ces mutations, pensent-ils, exigent une mise en commun des savoirs, M. Hietala, « La diffusion des innovations : Helsinki 1875­1917 », Genèses, 10, 1993, p.74­89 5 M. Hietala, "Transfer of German and Scandinavian Administrative Knowledge : Examples from Helsinki and the Association of Finnish Cities, 1870-1939", Yearbook of European Administrative History, 2003 6 P.-Y. Saunier, « La toile municipale au XIXe-XXe siècles : un panorama transnational vu d'Europe », Urban History Review, XXXIV (2), 2006 7 R. Payre, Une science communale ? Réseaux réformateurs et municipalité providence, Paris, CNRS Ed., 2007 8 Ibid. « pour mémoire » 4 Age 1 : Naissance de la toile intermunicipale (des années 1900 aux années 1930) Lorsque les premiers réseaux internationaux se forment, les circulations intermunicipales ont déjà une histoire qui remonte en grande partie à la fin du XIXe siècle. On peut penser aux voyages d'études municipales, c'est-à-dire aux l n° HS automne 2017 88 des expériences et des revendications. Le congrès fondateur de l'Union internationale des villes réunit des acteurs aux intérêts variés (élus, fonctionnaires d'Etat, employés municipaux et universitaires). La ville, dans sa totalité, leur paraît cristalliser l'ensemble des « problèmes » qu'ils avaient identifié auparavant. Ces hommes s'investissent dans la recherche de nouvelles manières de penser les possibles réformes urbaines, armés de la conviction que c'est par la cellule urbaine, conçue comme un tout à la fois sur le plan historique, sociologique et économique, que pourra être menée une réforme sociale internationale pour laquelle ils oeuvrent depuis quelques décennies. L'activité de l'Union va souffrir du premier conflit mondial. Il faut attendre 1924 pour que les édiles, essentiellement européens, se réunissent à nouveau lors du deuxième congrès international des villes d'Amsterdam. Les congrès se succèdent ensuite à un rythme relativement régulier : à Paris en 1925, à Séville et Barcelone en 1929, à Londres en 1932, à Berlin et Munich en 1939. Des conférences intermédiaires ont lieu en 1930 à Liège et Anvers, à Lyon en 1934, à Paris en 1937 ou encore à Glasgow en 1938. L'Union internationale des villes cherchera à deux reprises à obtenir la reconnaissance de la Société des Nations (SDN). En 1924-1925, elle tente ainsi d'y faire reconnaître la doctrine de l'intermunicipalité offrant aux villes la possibilité de nouer des relations internationales officielles. Après un premier refus de la part des Etats, les principaux responsables de l'Union n° HS automne 2017 internationale des villes se mobilisent à nouveau au moment où la conférence économique internationale, organisée en 1927 par la SDN, décide de créer un conseil économique permanent. Il s'agit d'y obtenir un siège pour mieux représenter les communes. Les dirigeants s'appuient sur un argument avancé dès 1924 : les communes sont les principaux entrepreneurs, employeurs et consommateurs dans les pays industrialisés. Cette fois encore, la démarche n'aboutit pas. Cette configuration circulatoire réformiste est donc marquée par des hommes venus du parti socialiste et épris d'internationalisme et de municipalisme. Le projet utopique « administrer le monde par la municipalité » se transforme petit à petit en objectif de plus en plus technique. Le réseau devient un vecteur d'échanges de bonnes pratiques en matière de gestion municipale. L'Union internationale des villes est par ailleurs un des réseaux de consolidation de la science de l'administration publique. devient concurrentielle à partir de 1951 avec la création du Conseil des communes d'Europe qui se distingue de l'ambition réformatrice des premiers réseaux de villes. L'Union internationale des villes poursuit quant à elle ses activités. L'association a, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, adopté un rôle d'expert municipal et de détenteur de connaissances techniques sur la ville. Ce rôle se construit en partie dans les interactions que les responsables de l'Union parviennent à créer avec de nouveaux interlocuteurs internationaux, et notamment dès août 1947 à travers l'obtention d'un statut consultatif officiel au sein du Conseil Économique et Social de l'Organisation des Nations Unies (ECOSOC). D'autre part, dans le contexte de l'après Seconde Guerre mondiale, le mouvement fédéraliste européen joue un rôle déterminant. En 1950, Adolphe Gasser (historien suisse et théoricien du fédéralisme), accompagné de Jean Bareth (membre de « la Fédération »), propose au cours d'une réunion à Seelisberg la création d'un Conseil des communes d'Europe. Il est finalement créé en juillet 1951 par des édiles français, allemands, suisses et italiens. Ce mouvement, qui s'avère être un concurrent direct de celui animé par l'Union internationale des villes, semble se distinguer nettement de l'idéal réformateur poursuivi depuis 1913. L'enjeu des fédéralistes est moins de perfectionner l'organisation municipale et de transformer le gouvernement des villes que de promouvoir l'idée d'une fédération Age 2 : les réseaux de villes dans un monde bipolaire (des années 1940 aux années 1970) Le deuxième âge est celui de l'après Seconde Guerre mondiale. De fait au niveau international, la toile municipale l « pour mémoire » 89 européenne, en sollicitant l'appui des administrations communales et surtout de l'ensemble des élus locaux. Après la Seconde Guerre mondiale, l'Union Internationale des Villes, définitivement renommée International Union of Local Authorities (IULA), est plus présente dans les pays scandinaves et d'Europe du Nord. Elle reste une association de maires urbains plus préoccupés par la diffusion des innovations techniques et administratives que par la structuration d'échanges politiques. Deux éléments doivent être avancés pour mesurer les transformations de la toile intermunicipale. Premièrement, on relève une mobilisation des élus locaux sur les enjeux internationaux. Des années 1950 à la fin des années 1970, le trait commun à toutes ces organisations (le CCE, l'Union internationale des maires pour le rapprochement franco allemand créée en 1947, ...) est d'être structurées par des militants politiques. La plupart des permanents sont membres de partis ou élus locaux. D'ailleurs ­ et c'est particulièrement vrai en France ­ les principaux partis créent à cette époque leurs propres associations d'élus locaux qui n'hésitent pas à développer des relations internationales. On peut d'autre part relever les effets des clivages politiques nationaux ­ voire internationaux ­ sur les associations d'élus et de municipalités. L'Association des maires de France connaît ainsi en 1947 une profonde crise liée au départ des élus municipaux communistes suite à l'évolution des alliances nationales. Deuxièmement ­ et c'est lié - c'est bien l'ordre international qui préside à la constitution de ces nouveaux réseaux. Le conseil des communes est, à ce titre, avant tout guidé vers la construction européenne (par les municipalités). Les réseaux sont également traversés par des conflits propres à la guerre froide. On le saisit particulièrement autour de la question des jumelages qui donnent lieu à des associations non seulement concurrentes mais aussi aux orientations politiques antagonistes 9 . Ainsi des instances nationales ­ partis politiques voire gouvernements ­ font des réseaux de villes des outils de légitimation de positions dans un monde bipolaire. Après la Seconde Guerre mondiale, c'est cette fois le gouvernement fédéral états-unien qui encourage les municipalités américaines à prendre part aux groupements internationaux : il attend d'elles qu'elles contribuent aux activités d'assistance technique vers les pays du Sud dans le cadre du Point IV program du président Truman, puis sous la présidence d'Eisenhower qu'elles jouent leur rôle dans la `people to people' diplomacy. On retiendra que cette configuration circulatoire est marquée par une concurrence des réseaux de villes de plus en plus marqués par la guerre froide et la construction d'un ordre international. On peut ainsi pointer la politisation de ces réseaux et leur volonté d'asseoir un discours davantage politique que celui porté à la veille de la Seconde Guerre Mondiale. Parmi les outils de construction des liens intermunicipaux, les relations bilatérales vont connaître un réel engouement à cette période à travers la pratique des jumelages, au nom notamment d'ambitions pacifistes et bien souvent fédéralistes. C'est là « l'invention d'une tradition communale » qui marque les relations intermunicipales pendant une quarantaine d'années10 . Age 3 : la désindustrialisation et la compétitivité territoriale (depuis les années 1980) Il est frappant de voir l'importance des réseaux intermunicipaux dans des périodes de crise économique. C'est vrai pour l'entre-deux-guerres comme pour la période qui commence dans la décennie 1980. C'est particulièrement net pour les villes britanniques dans lesquelles c'est la désindustrialisation qui conduit durant les années 1980 les élus municipaux et les responsables économiques à adopter de nouvelles stratégies économiques. Très concrètement, il s'agit de diversifier les activités, de s'orienter vers des activités de services, vers la confection d'une nouvelle image de la ville, et de trouver pour cela des ressources financières que les gouvernements conservateurs n'accordent A. Vion, La constitution des enjeux internationaux dans le gouvernement des villes françaises (1947-1995), Thèse de doctorat de science politique, Université Rennes 1, 2001. 10 Ibid. 9 « pour mémoire » l n° HS automne 2017 90 pas. Ce travail de production d'une nouvelle image de la ville est entrepris précocement par les Chambres de commerce puis par les élus qui s'investissent à l'international, notamment au niveau européen. Birmingham est une ville qui symbolise cette motivation économique d'engagement dans les réseaux internationaux : ses représentants jouent un rôle fondamental dans la création du réseau Eurocities, et s'appuient en parallèle largement sur les financements de la Commission Européenne pour transformer leur ville. La participation aux associations internationales de municipalités peut donc fournir des ressources. Le troisième âge est donc lié à la désindustrialisation. Les villes s'engagent dans un processus d'internationalisation notamment pour des raisons économiques et les principaux réseaux qui se structurent le font au nom du développement économique. C'est le cas du Club des eurométropoles (qui repose sur les chambres de commerce et notamment celle de Bordeaux) et d'Eurocities. La toile municipale ­ ou l'espace de circulations pré-existant ­ est ainsi investie par de nouveaux enjeux. En 1986, à Rotterdam, une réunion consacrée aux villes comme moteurs de la croissance en Europe a été le foyer de ce dernier réseau, Eurocities, qui repose en grande partie sur ces traditions intermunicipales. Le réseau des villes fondatrices s'appuie en effet sur des jumelages existants. Lyon est ainsi sollicité notamment pour la rencontre de Rotterdam de 1986 et surtout pour la conférence de Barcelone en 1990 en raison des relations bilatérales nouées et entretenues avec Francfort et Birmingham. n° HS automne 2017 Les années 1980 sont par ailleurs marquées par la multiplication des réseaux de villes ou de régions avec par exemple le réseau Métropolis ou encore, en 1985, l'Assemblée des régions d'Europe. Des réseaux plus thématiques défendant des intérêts sectoriels se structurent comme le réseau des villes éducatrices (initié par Barcelone), Luci (pour les villes Lumières), Délices, etc. On pourrait également évoquer la création en 1977 de l'autre côté de l'Atlantique du réseau Partners for Livable cities. Dans ce mouvement, il faut repérer en quoi les réseaux deviennent des instruments de promotion des villes. D'autres réseaux se forment autour d'enjeux davantage politiques. Les municipalités cherchent à s'emparer de nouvelles compétences et le réseau devient un outil de captation de telles compétences. Les États-Unis de Ronald Reagan voient des municipalités s'opposer à l'administration républicaine via une diplomatie locale. Cette politique municipale étrangère vise à défier les politiques nationales d'armement nucléaire, de défense civile, de relations avec les régimes révolutionnaires, de réception et d'accueil des réfugiés, de protection sociale. Les municipalités proposent une alternative politique à l'échelle globale, et elles le font à travers des congrès et des réseaux : la First International NFZ (Nuclear Free Zone), Local Authority Conference en 1984 ou encore le World Congress of Local Governments for a Sustainable Future organisé, en 1990, à New York et rendu possible par le Programme des Nations Unies pour l'Environnement et IULA11 . Nous retiendrons principalement deux choses de cette configuration circulatoire. Premièrement, un espace concurrentiel de la représentation des intérêts territoriaux se structure à partir des années 1980. Les réseaux de villes se multiplient à cette période et ce jusqu'à la fusion d'une partie d'entre eux sous le nom de Cités et gouvernements locaux unis en mai 2004. À Londres en 2005, les représentants de plusieurs mégapoles se réunissent pour prendre position sur la question du changement climatique, et fondent le Cities Climate Leadership Group (C40) en 2006. Deuxièmement, à travers ces réseaux, il est acquis que les villes sont davantage en mesure de faire face à la globalisation que les gouvernements nationaux. Autrement dit, les villes ­ soit comme moteurs de la croissance économique, soit comme sujets exposés aux effets de la crise ­ sont capables de construire une mondialisation distincte. A bien des égards, cette troisième configuration ­ dans un tout autre contexte international et économique ­ semble ressembler à la première tout en mobilisant des éléments de la deuxième. Le changement passera par les villes ­ même s'il n'est pas question de dépasser le néolibéralisme comme le souhaitaient les réformateurs du début du siècle. Mais les villes doivent proposer un ordre mondial plus juste tant sur le plan économique que politique ou climatique. 11 W. Magnusson, The search for political Space, Toronto, University of Toronto Press, 1996 l « pour mémoire » 91 En guise de conclusion, un programme : les réseaux comme grille d'analyse Le réseau est à la fois un objet et un point de vue scientifique. Les réseaux de villes permettent de saisir la circulation et la diffusion d'orientations et d'instruments de politiques publiques. Autrement dit, il s'agit de revenir sur l'importance des circulations intermunicipales dans la structuration des gouvernements urbains (des circulations qui par ailleurs donnent naissance à de nouveaux acteurs de l'action publique urbaine européenne : les bureaux des réseaux de villes). En prenant au sérieux les réseaux, leur genèse, les rapports de force qui s'y nouent, les conflits (sur les visées, sur l'institutionnalisation du réseau), on se distingue d'une simple approche en terme de transfert « mécanique » de modèles ou de politiques publiques d'un territoire à un autre. On se défait d'une lecture quelque peu fonctionnaliste des échanges et des transferts, pour adopter une analyse en termes de circulation, attentive aux acteurs qui rendent possible la circulation, aux conditions matérielles des échanges d'idées, de savoirs, ainsi qu'aux rapports de forces D'abord, nous observons les réseaux comme des groupes d'intérêts, pour lesquels il est question de s'unir pour agir. Les territoires et leurs représentants vont chercher à peser comme groupes de pressions. Quel travail politique est mis en oeuvre pour représenter les territoires ? En quoi certains thèmes mis à l'agenda politique ­ national ou européen ­ constituent-ils des opportunités ? On peut penser à des lois sur l'aménagement urbain de l'entre-deux-guerres tout comme aux nouvelles politiques climatiques contemporaines. Mais ce motif de création des réseaux n'est probablement pas suffisant. La plupart des réseaux appellent à des échanges de savoirs et de bonnes pratiques. En quoi cette revendication est-elle partagée par les territoires adhérents ? Comment mesurer et objectiver ces échanges ? En quoi certaines villes parviennent-elles à s'imposer comme des références et des modèles ? Observe-t-on une forme de compétition ? Comment, à travers la construction de modèles, les réseaux oeuvrent-ils à une forme de standardisation ? Quelle place jouent les bureaux des réseaux dans ce processus ? Les réseaux s'imposent également comme une forme d'action publique. De fait les acteurs nationaux comme les acteurs supranationaux mettent en place ­ ou soutiennent ­ des réseaux et ce notamment dans leurs politiques à destination des territoires. Est-ce une nouvelle forme d'action publique ? Les travaux socio-historiques nous aideront à avancer dans le débat. En quoi le réseau devient-il une nouvelle technologie de gouvernement ? Quelles visées se dégagent de la mise en oeuvre de cette technologie ? Quels en sont les effets ? Une fois de plus, est-ce une forme d'harmonisation en douceur des modes de gouvernement que l'on peut chercher à repérer ? Au niveau européen ou supranational, est-ce aussi une forme de contournement des États ? Une recherche de légitimation de l'action des villes comme celle qu'on a pu observer en Europe à la fin des années 1980 et au début des années 1990 ? Enfin, un quatrième champ de questionnement peut s'ouvrir autour du très périlleux thème des effets des circulations sur les gouvernements urbains. De fait l'interconnexion proposée par les réseaux n'est pas forcément la circulation de pratiques et de politiques publiques. Pour penser la circulation, il faut observer le retour des sessions thématiques, des congrès, des voyages proposés par les réseaux. Autrement dit, quels usages les acteurs territoriaux font-ils de ces échanges ? Comment peut-on objectiver les réceptions des débats ou encore des visites ? Etudier les réseaux permet ainsi de discuter de la notion de convergence des gouvernements des territoires et de l'action publique territoriale. Existe-t-il une convergence en douceur des gouvernements métropolitains ? Plutôt que d'invoquer les lois mystérieuses et invisibles de la mondialisation, nous pouvons pointer comment des transferts institutionnels et politiques s'opèrent entre différentes entités gouvernementales. Les réseaux ne peuvent être étudiés qu'au regard des inflexions, traductions et hybridations qui s'opèrent au cours des échanges. C'est bien une analyse territorialisée des réseaux que nous proposons dans nos études sur les premiers réseaux de villes comme sur les plus contemporains. « pour mémoire » l n° HS automne 2017 92 dossier Exporter l'expertise urbanistique française Esquisse d'une histoire à travers ses agents et ses marchés Clément Orillard, université Paris-Est, Lab'Urba (EA 3482) A côté des échanges liés aux réseaux ou aux organismes internationaux, la circulation de l'expertise française en matière d'urbanisme s'est aussi développée à travers des logiques d'exportation-importation qui s'inscrivent dans une histoire longue. Loin de faire un bilan de cette dernière, il s'agira ici d'en esquisser une possible analyse à travers deux pôles empruntant au vocabulaire économique : les agents et les marchés de cette expertise. A partir de cette ambition modeste, interroger les logiques de production et de consommation d'expertise peut se résumer à deux questions : Qui sont les agents exportateurs ? Quels sont les marchés importateurs ? L'urbanisme est un champ aux limites floues mais dont l'histoire est bornée. Le périmètre choisi ici correspond donc à n° HS automne 2017 toute expertise développée par tout type d'acteur professionnel dans le cadre de politiques publiques en urbanisme ou en aménagement urbain. La période choisie débute avec l'émergence du champ entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle, sanctionnée par la stabilisation du vocable « urbanisme » aux alentours de 1910-1920. Si l'étude de l'export et de l'import du XIXe au XXIe siècle implique le prisme national, celui-ci n'est pas sans rapport avec l'urbanisme qui a participé de la construction des États-providences nationaux, surtout en France où il est devenu une politique publique nationale en 1943. Les producteurs d'expertise étudiés sont donc des agents dont le siège de l'activité est en France et, en miroir, les différents périmètres nationaux sont abordés comme autant de marchés consommateurs. Multiplication et renouvellement des agents exportateurs Plusieurs auteurs ont décrit la nature cumulative de la construction d'un milieu professionnel français de l'urbanisme hétérogène1 . Au delà des professions "pré-urbanistiques" de l'architecte et de l'ingénieur, plusieurs figures d'urbanistes se succèdent : l'ingénieur sanitaire et le producteur de plan du XIXe siècle à la seconde guerre mondiale, le chargé d'études à partir de la seconde guerre mondiale et enfin les profession- Voir, en particulier, V. Claude, Faire la ville. Les métiers de l'urbanisme au XXe siècle, Marseille, Parenthèses, 2006. 1 l « pour mémoire » 93 nels de l'urbanisme opérationnel. Or dans chacune de ces catégories nombre d'acteurs individuels ou collectifs français ont aussi développé une action dans un périmètre bien plus large que celui du territoire national. Ils ont ainsi constitué progressivement un milieu de l'exportation de l'urbanisme français. formelle une administration en charge du patrimoine de l'État. Les aléas politiques que connaît la France durant tout le XIXe siècle ont pu encourager cette immigration. Elle a pris une forme plus organisée dans le cadre de la « Mission artistique française » constituée en 1816 par Joachim Lebreton qui a joué un rôle clé dans l'émergence d'un milieu artistique professionnel au Brésil2 . Au contraire de l'architecture, le monde du génie civil est fortement structuré dès le milieu du XIXe siècle à travers des formations, notamment celle de l'École nationale des ponts et chaussées (ENPC), et des sociétés privées constituant une véritable industrie des travaux publics. Ces entreprises, soutenues par des capitaux importants et une demande nationale forte, connaissent une croissance très rapide qui leur permet de s'orienter vers les marchés étrangers dès que la demande nationale fléchit vers le milieu du XIXe siècle, et notamment vers le bassin méditerranéen, l'Europe Centrale, la Russie, puis à partir des années 1880, l'Amérique Latine, la Chine et l'Afrique. Le cas le plus connu est celui de la Société de construction des Batignolles (SCB) fondée en 1846 par Ernest Gouin, formé à l'ENPC, qui compte en 1913 pas moins de onze filiales hors de la métropole dont six hors du périmètre de l'Empire colonial3 . de la mise en place de techniques sanitaires dans le cadre de l'hygiénisme dès les années 1850, jusqu'à la définition d'une réglementation basée sur le plan comme outil avec la loi Cornudet de 1919. Deux foyers interconnectés apparaissent comme des lieux clés dans le développement de ces innovations successives qui seront rassemblées sous le vocable "urbanisme". Or tous deux sont aussi des vecteurs clés d'une exportation de l'expertise française dans ce champ. Cette exportation est rapidement importante, ce qui est paradoxal tant la France n'est pas forcément le pays le plus avancé au sein du mouvement international touchant à ces questions par rapport à l'Allemagne, le Royaume Uni ou même la Belgique. En réalité, la force de cette expertise semble s'appuyer sur les positions acquises par l'architecture et le génie civil et français. Le premier foyer correspond aux administrations municipales qui se structurent dès le XIXe siècle et en premier lieu, celle de Paris. Le développement de cette dernière est marqué par les travaux d'Haussmann sous le Second Empire qui ont un impact important à l'étranger et qui, tout en étant une systématisation de techniques parfois anciennes, participent du mouvement de modernisation. A côté des importations qui les ont nourris, les services de la ville de Paris développent une véritable action d'expor- Avant l'urbanisme : architectes immigrés et filiales d'entreprises de travaux publics L'aménagement de l'environnement bâti est marqué en France par la structuration par l'État, relativement tôt, de deux champs professionnels : l'architecture et le génie civil. Or l'exportation de l'expertise française dans ces deux champs s'inscrit dans des modalités différentes. Milieu dont l'exercice est encore peu formalisé avant la seconde moitié du XXe siècle en France, l'architecture française s'exporte surtout à travers l'immigration de professionnels français, comme d'autres artistes compatriotes mais aussi comme d'autres architectes européens. L'importance acquise par le classicisme français, puis par le discours issu de l'École nationale supérieure des beaux-arts (ENSBA) dans les débats architecturaux à travers différents pays, fait que nombre de gouvernements étrangers font appel à des architectes français dès le XVIIIe siècle. Il s'agit souvent de réaliser des programmes d'édifices publics de différentes natures, parfois d'y développer l'enseignement de l'architecture voire de mettre en place localement d'une manière plus ou moins Entre le sanitaire et le plan : la ville de Paris et la Société française des urbanistes (SFU) à l'étranger La naissance de l'urbanisme en France se déploie sur une longue période allant L. M. Schwarcz et A. P. Simioni, « La colonie des artistes français à Rio de Janeiro en 1816 : un passé recomposé », Brésil(s), n°10 (2016). 3 R. Park, D. Barjot, La société de construction des Batignolles. Des origines à la Première Guerre mondiale, Paris, PUPS, 2005. « pour mémoire » 2 l n° HS automne 2017 94 Plan directeur d'Istanbul réalisé par Henri Prost, nd. (1935-1950) ©Académie d'architecture/Cité de l'architecture et du patrimoine/Archives d'architecture du XXe siècle sollicité pour développer des missions à l'étranger. L'expertise de son directeur, l'architecte Joseph Antoine Bouvard, et d'un de ses principaux cadres, l'ingénieur-paysagiste Jean-Claude Nicolas Forestier, se déploie sur un périmètre plus vaste (Belgique, Espagne et surtout Empire Ottoman, Argentine, Brésil, Cuba, Maroc). Les missions de ces experts sont courtes la plupart du temps, en général moins d'un an4 . Bechmann et Forestier permettent d'aborder le second foyer d'innovations urbaines auquel ils participent aussi : le mouvement militant qui se développe au sein du Musée Social (et participe à la discussion de la loi Cornudet). Les acteurs de ce mouvement déploient rapidement une action à l'étranger qui s'appuie sur l'importance internationale acquise par l'architecture Beaux-Arts. Léon Jaussely fait figure de pionnier en remportant des concours internationaux pour la production de plans de grandes villes (lauréat à Barcelone en 1905 puis remarqué à celui pour le Grand Berlin en 1910) 5 . Ce groupe issu du Musée social fonde en 1911 la Société française des architectes-urbanistes, devenue en 1921 la Société française des urbanistes (SFU) dont trois grandes figures de l'exportation de l'expertise française sont issues. tation de ces techniques à la demande de villes étrangères. Cette exportation s'appuie d'abord sur son service des Études et travaux des eaux d'égouts et d'assainissement de la Seine. Ses deux premiers directeurs, les ingénieurs des ponts et chaussées Alfred Durand-Claye et Georges Bechmann, développent ainsi une carrière d'expert essentiellement en n° HS automne 2017 Europe (Angleterre, Italie, Allemagne, Belgique, Hongrie, Roumanie, Grèce mais aussi Egypte). Au début du XXe siècle, l'autre service en charge des travaux de modernisation de Paris dans la poursuite de l'oeuvre haussmannienne, le service des Promenades et plantations, est lui aussi B. Landau, « Techniciens parisiens et échanges internationaux » in André Lortie (dir.), Paris s'exporte. Architecture modèle ou modèles d'architecture, Paris, Picard, 1995, p.205-215. 5 Voir la notice biographique du fond Léon Jaussely, archives de la Cité de l'architecture et du patrimoine (http://archiwebture.citechaillot.fr/ fonds/FRAPN02_ JAUSS). 4 l « pour mémoire » 95 Responsable dès 1913 de la planification des grandes villes du Maroc puis d'Alger, l'architecte Henri Prost est en charge de l'aménagement d'Istanbul de 1936 à 1951 6 . Troisième du concours pour la nouvelle capitale de l'Australie en 1912, l'architecte et sociologue Donat Alfred Agache développe une carrière essentiellement brésilienne à partir de 1932 d'abord à Rio puis pour d'autres villes 7. Collaborateur de Prost pour le plan d'Alger, l'ingénieur centralien Maurice Rotival déploie, lui aussi, à partir de 1939 l'essentiel de sa pratique à l'étranger notamment à Caracas au Venezuela 8 . Deux autres figures de la SFU diffusent les pratiques urbanistiques françaises dans l'Empire colonial : le cabinet des frères René et Raymond Danger, géomètres et architectes, en Afrique du Nord et au Moyen Orient et l'architecte Louis-Georges Pineau en Indochine 9 . D'autres architectes non membres de la SFU mais ayant une carrière prolifique à l'étranger développent une pratique importante en matière de planification urbaine. Après la conception du Fairmount Parkway à Philadelphie dès 1917, Jacques Gréber s'occupe de la planification d'Ottawa, de Montréal et de Québec à partir de 194510 . Correspondant local du cabinet Danger lors de l'établissement du plan d'extension de Damas à partir de 1932, Michel Ecochard devient directeur du service de l'Urbanisme en Syrie (1940-44) et au Maroc (1947-53) avant d'entamer une carrière d'urbaniste libéral travaillant en Iran, au Sénégal, en Guinée et à nouveau en Syrie et au Liban où il est une figure fondatrice du champ 11 . La « fonction étude » en urbanisme intégrée dans la politique de coopération La Seconde guerre mondiale engage un mouvement d'institutionnalisation de l'urbanisme qui devient l'objet de politiques publiques importantes et donne naissance à un nouveau genre de production préalable à la planification : les études d'urbanisme. L'expertise répondant à cette demande est le produit non plus d'une action individuelle mais plutôt d'acteurs collectifs, dont plusieurs s'inscrivent dans un nouvel activisme qui s'oriente notamment vers le développement du Tiers Monde. En parallèle, l'État met en place une politique d'actions urbanistiques dans ses colonies en multipliant les missions techniques. Avec la décolonisation, la politique dite de « coopération » prend le relais dans ces territoires nouvellement indépendants, et inclut rapidement des territoires extérieurs à l'ancien Empire. La création d'un Secrétariat des missions d'urbanisme et d'habitat (SMUH) dès 1959, devenu en 1978 l'Agence coopération et aménagement (ACA), permet de coordonner ces missions 12 . La mise en place de la « coopération décentralisée » à partir de 1983 touche l'urbanisme en permettant aux collectivités locales et à leurs organismes d'y participer. L'exportation de l'expertise française en urbanisme est ainsi reconfigurée au prisme de ces trois tendances nouvelles. Une partie importante de cette production d'études est rapidement sous-trai- tée « en externe » auprès de structures variées. Une partie d'entre elles plonge ses racines dans un militantisme social naturellement intéressé par les pays en développement. Le réseau Economie et humanisme, fondé en 1941 par le père dominicain Joseph Lebret, est à la fois une figure de la transition entre action individuelle et collective et l'un des principaux inventeurs de méthodologies d'enquête sociale développées dès 1945 pour le nouveau ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme. En s'appuyant sur le courant social de l'Église catholique, qui innerve l'enseignement et un réseau de conseillers politiques, c'est un acteur majeur de diffusion de ces techniques dans le Tiers Monde, surtout en P. Pinon et C. Bilsel (dir.), From the Imperial Capital to the Republican Modern City : Henri Prost's Planning of Istanbul (1936-1951), Istanbul, Istanbul Aratirmalari Enstitüsü, 2010 (version française virtuelle de l'exposition à la Cité de l'architecture et du patrimoine : https://expositions-virtuelles. citedelarchitecture.fr/prost/00-OUVERTURE.html). 7 D. K. Underwood, « Alfred Agache, French Sociology, and Modern Urbanism in France and Brazil », Journal of the Society of Architectural Historians vol. 50 n°2 (1991), p.130-166. 8 C. Hein, « Maurice Rotival: French Planning on a World-Scale », Planning Perspectives vol.17 n°3 et 4 (2002), p.247-265, 325-344. 9 Notices biographiques des fonds Danger frères et fils, Société des plans régulateurs de villes et Louis-Georges Pineau, Cité de l'architecture et du patrimoine (http://archiwebture.citechaillot.fr/ fonds/FRAPN02_DANGE - http://archiwebture. citechaillot.fr/fonds/FRAPN02_PINLO) 10 J. M'Bala, « Prévenir l'exurbanisation : le Plan Gréber de 1950 pour Montréal », Urban History Review / Revue d'histoire urbaine vol.29 n°2 (2001), p.62-70. 11 E. Verdeil, « Michel Ecochard in Lebanon and Syria (1956-1968). The spread of Modernism, the Building of the Independent States and the Rise of Local professionals of planning », communication au 12e congrès de l'Association européenne d'histoire urbaine, Lyon, 2008. 12 Voir l'historique dans J.-L. Vénard, Intervention française dans le secteur urbain : en Afrique noire francophone, Paris, Economica, 1986. « pour mémoire » 6 l n° HS automne 2017 96 Amérique Latine, notamment au Brésil, mais aussi au Sénégal et au Liban13 . Une autre structure d'études en urbanisme s'inscrivant dans le réseau du catholicisme social est le Bureau d'études et de réalisations urbaines (BERU) fondé en 1957. Cette coopérative, qui a un rôle majeur en France notamment dans la planification de la Basse Vallée de la Seine, développe très vite une action en Algérie, en Tunisie, en Italie, en Israël, et au Congo Kinshasa14 . A partir de la fin des années soixante et du début des années soixante-dix, c'est un autre militantisme de gauche et tiers-mondiste qui prend le relais à travers la création de bureaux d'études spécialisés dans les contextes de développement. Appartiennent à cette catégorie le Groupe Huit fondé en 1967 en Tunisie et qui étend son action à partir de 1977 ailleurs en Afrique et en Haïti puis en Chine dans les années quatrevingt, ou encore ACT consultants, fondé en 1970 à Paris par d'autres militants actifs du développement15 . D'autres organismes généralistes s'occupant de développement valorisent aussi une expertise urbanistique comme le GRET. Le versant activiste de ce militantisme urbanistique se structure avec la fondation en 1983 de l'ONG Association internationale de techniciens, experts et chercheurs (AITEC). Une autre partie de ces structures d'études est le fruit de la recherche de relais de croissance par des sociétés capitalistiques. Paribas, groupe financier largement impliqué dans le secteur de l'immobilier, fonde en 1948 un bureau n° HS automne 2017 d'étude, l'Omnium technique de l'habitat (OTH). Si des filiales sont rapidement créées en Algérie et au Maroc à la fin de la période coloniale, son action se déploie après la décolonisation sur des marchés d'Europe de l'Ouest, d'Amérique du Nord et d'Amérique Latine notamment à travers la vente de procédés de construction. Celle-ci est dynamisée après le choc pétrolier : la création des filiales OTH International en 1975 et OTH Développement en 1980 renforce sa position en Afrique tout en lui permettant de devenir un acteur clé de l'ingénierie urbaine en Irak, en Egypte et en Arabie Saoudite16 . La SERETES, filiale urbaine de la SERETE, société d'ingénierie fondée en 1947, dispose quant à elle de correspondants en Suisse et en Espagne et d'une filiale au Brésil 17. L'État a aussi progressivement développé une capacité d'étude « en interne » sous la forme de nouveaux organismes publics ou para-publics en charge de missions d'étude. Certains créés dans le cadre de l'administration coloniale sont directement à destination de l'action dans ce périmètre avant de se développer au-delà. C'est le cas du Bureau central d'étude pour les équipements d'outre mer (BCEOM) créé en 1949 18 comme de la Société d'études pour le développement économique et social (SEDES) créée en 1956 par la Caisse des dépôts et consignations. La coopération en urbanisme se développe aussi à partir d'organismes agissant sur le territoire national et accumulant ainsi une expertise précieuse. Leur action à l'étranger peut prendre la forme d'une filiale spécialisée comme lorsque la SCET, filiale en aménagement urbain de la Caisse des dépôts créée en 1955, fonde en 1959 la SCET-Coopération, renommée dix ans plus tard SCETInternational19 . Ces missions de coopération, tout en représentant une part non négligeable des études produites, peuvent aussi ne pas être isolées dans un département spécifique. C'est notamment le cas au sein de l'Institut d'aménagement et d'urbanisme de la région parisienne (IAURP), créé en 1960, et qui devient en 1976 Institut d'aménagement et d'urbanisme de la région Ile de France (IAURIF). Malgré une action qui se déploie sur plusieurs continents à partir de 1967, il ne constitue un département chargé de ces actions qu'au début des années quatre-vingts 20 . Avec la coopération décentralisée, les agences d'urbanisme se lancent en effet elles aussi dans D. Pelletier, Économie et humanisme. De l'utopie communautaire au combat pour le TiersMonde (1941-1966), Paris, éditions du Cerf, 1996. 14 M. Prévot, Catholicisme social et urbanisme. Maurice Ducreux (1924-1985) et la fabrique de la cité, Rennes, PUR, 2015. 15 « Hommage à Lucien Godin », site internet du Groupe Huit, 01/06/2016 (http://groupehuit. com/fr/hommage-%C3%A0-lucien-godin-0) et Entretien avec Gustave Massiah in T. Paquot (dir.), Conversations sur la ville et sur l'urbain, Gollion, InFolio, 2008, p.526-539. 16 P. Jambard, « Ingénierie, banque et État en France : l'O.T.H. face à la crise des années 19701980 », Entreprises et histoire n°71 (2013), p.127136. 17 Voir V. Claude, op. cit., p.172-173. 18 Association des anciens et amis du BCEOM, 60 ans au service du développement. Histoire du BCEOM, Paris, éditions 3A, 2009. 19 Caisse des dépôts et consignations, 30 ans de coopération internationale, Paris, Caisse des dépôts et consignations, 1988. 20 « Partenariats et international ­ Champs géographiques », site internet de l'IAU (https://www. iau-idf.fr/linternational/missions-a-linternational/ champs-geographiques.html). 13 l « pour mémoire » 97 l'action à l'international. Deux vont plus particulièrement développer ce type de missions : l'Agence d'urbanisme de la communauté urbaine de Lyon à partir de 1991 à Ho Chi Minh Ville, et l'Atelier parisien d'urbanisme (APUR) à partir de 1992 à Phnom Penh après une expérience au Liban dès 197721 . maritime). A côté de celles-ci, des opérateurs publics peuvent aussi s'engager eux-mêmes directement dans l'export comme Aéroports de Paris au début des années soixante-dix. La réalisation d'opérations d'envergure ou innovantes sur le territoire national suscite aussi progressivement une demande importante de la part d'opérateurs étrangers. Le Groupe central des villes nouvelles (GCVN) fondé en 1970 crée ainsi un poste « architecture, urbanisme, exportation » et fonde en 1984 le Groupement d'Intérêt Economique « Villes Nouvelles de France » (GIE VNF), associant tous les établissements publics d'aménagement de villes nouvelles. Celui-ci intervient en Amérique Latine, en Afrique et en Asie. A partir de 2003, le GIE s'ouvre à d'autres acteurs publics (sociétés d'économie mixte locales, établissements publics d'aménagement de rénovation urbaine etc.) et prend le nom d'« Aménageurs et Développeurs en France » (GIE ADEFRANCE) 24 . Dès 1987, les PactArim, organismes para-publics coordonnant les Opérations programmées d'amélioration de l'habitat (OPAH), développent des missions de coopération avant que ne soit fondé en 1993 le Pact-Arim International qui intervient au Maghreb, en Amérique Latine et en Europe de l'Est 25 . A côté de ces acteurs publics ou parapublics, les acteurs privés de la promotion immobilière restent très majoritairement dans un cadre national. Certains, comme les grandes foncières commerciales, s'aventurent au maximum dans quelques pays européens comme l'Espagne, l'Italie ou la Pologne. En fait, l'expertise privée opérationnelle s'exporte avec le retour au premier plan dans les années quatre-vingt du génie civil et de l'architecture, qui profitent pleinement de la libéralisation en marche de l'économie mondiale. Les groupes de travaux publics s'appuient sur un acquis, leur action continue à l'international, et bénéficient de la nouvelle conjoncture. Après de nombreuses restructurations et l'arrivée de nouveaux acteurs, le choc pétrolier engage ce milieu à trouver des relais de croissance au-delà du marché national. La position dominante de groupes de BTP français dans le monde comme SGE et Eiffage leur permet de profiter de la libéralisation mondiale des marchés de services urbains 26 . Ces groupes développent une ingénierie urbaine importante à destination des marchés émergents qui deviennent rapidement des acteurs incontournables. Exporter la fabrique de la ville : assistance à maîtrise d'ouvrage et maîtrise d'oeuvre A partir des années soixante, l'État puis les collectivités locales se lancent dans la production urbaine avec la constitution d'un milieu de la maîtrise d'ouvrage publique et de la maîtrise d'oeuvre urbaines. L'action à l'export des différents acteurs de cette politique d'aménagement, qui passe par divers canaux, est plus contrastée. A l'image de la SCET, les acteurs publics et para-publics de la maîtrise d'ouvrage urbaine se comportent comme des prestataires d'assistance à maîtrise d'ouvrage locale en exportant des méthodes et des démarches notamment en programmation et montage d'opérations. Dès la fin des années cinquante, l'État constitue des filiales d'études à l'export nommées Sociétés françaises d'études et de réalisations (SOFRE) liées aux principaux maîtres d'ouvrage publics d'infrastructure : la Sofrérail, filiale de la SNCF créée en 195722 , la Sofrétu, filiale de la RATP en 1960 23 , rejointes par la Sofréavia en 1969 (aéroports et transport aérien) et la Sofrémer en 1976 (ports et transport Les activités internationales de l'Agence d'urbanisme de l'agglomération lyonnaise, Lyon, UrbaLyon, 2008 et « International », site internet de l'APUR (http://www.apur.org/activites-internationales). 22 M. Tessier, « Les actions de coopération internationale de la SNCF pour le transfert de connaissance », Revue générale des chemins de fer, juillet-aout 1983, p.395-400. 23 A. Jeux, « La SOFRETU et la coopération technique dans les transports urbains », Revue générale des chemins de fer, mars 1983, p.139-144. 24 GIE ADEFRANCE, Rapport d'activité, 2009. 25 E. Salin, « La réhabilitation dans les centres anciens dans les grandes villes du Sud : entre maintien des populations pauvres et tentatives de gentrification ? » in M. Gravari-Barbas (dir.), Habiter le patrimoine, enjeux, approches, vécu, Rennes, PUR, 2005, p.281-295. 26 D. Barjot, « Introduction », Histoire, économie et société, vol.14 n°2 (1995), pp. 147-161. « pour mémoire » 21 l n° HS automne 2017 98 Les acteurs de l'architecture profitent eux aussi de la conjoncture mais grâce à une transformation majeure du milieu professionnel. Après le renforcement de la renommée internationale de l'architecture française à travers la politique mitterrandienne de grands travaux, la crise immobilière et les négociations du GATT sur la libéralisation des services posent la question de l'exportation. Très rares sont les agences qui ont alors participé à des missions de coopération préparant une action plus large à l'export comme ARTE Charpentier à Shanghai 27. Face au constat de cette faiblesse, le milieu professionnel et la direction de l'Architecture et du patrimoine du ministère de la Culture fondent en 1996 l'association « Architectes français à l'export » (AFEX) 28 . Quelques agences françaises se rapprochent alors du modèle des grandes agences anglosaxonnes. Or, comme la plupart de ces agences comptant au moins un associé formé en urbanisme et ayant bénéficié des grandes ZAC lancées en France, elles répondent rapidement à des commandes de maîtrise d'oeuvre urbaines notamment en Chine puis en Russie. français en urbanisme, trois types successifs semblent émerger. Le premier s'inscrit dans la grande vague de politiques de modernisation, articulée avec la première mondialisation qui va du XIXe siècle au début de la première guerre mondiale. Le deuxième est issu de la colonisation française puis de la décolonisation. Enfin, le troisième s'inscrit dans la deuxième mondialisation des années soixante-dix à nos jours et les politiques de modernisation des pays dits « émergents ». Pour chaque type, la construction des marchés puise principalement dans des registres différents : culturel pour le premier, politique pour le second, économique pour le troisième. modernisation » pour l'expertise française, notamment urbaine, que le gouvernement français a pu soutenir dans une concurrence avec l'Angleterre puis avec l'Allemagne30 . Ainsi, l'Asie du XIXe et du début du XXe siècle, qui n'est pas une aire de réception du positivisme, n'est pas un marché important pour cette expertise malgré, par exemple, le rôle du centralien Emile Pelegrin dans le développement de l'éclairage public au Japon à partir de la fin des années 1860 31 . Au contraire, en Russie, dans l'Empire ottoman, ou dans les jeunes républiques latino-américaines, cette adhésion à une pensée universaliste française de la modernité apparaît comme la matrice d'une « francophilie » culturelle 32 dont Les marchés de la modernisation : des constructions politico-culturelles Au XIXe siècle, les classes dirigeantes de nombreux pays cherchent à intégrer la mondialisation déployée à partir de l'Europe en transformant leur système politique et économique, et ceci dans le cadre d'une double construction de la nation et de l'Etat. Ces politiques de modernisation s'appuient sur l'adoption d'une culture de la « modernité » produite en Europe depuis le XVIIIe siècle. Très tôt, la France s'affirme comme l'un de ses principaux foyers à travers le saint-simonisme et la philosophie positiviste d'Auguste Comte, qui produisent des discours dont l'aire de réception est structurée à travers la création de l'Alliance française en 1883 29 . Cette aire correspond à autant de « marchés de la Les trois types de marchés importateurs Lorsque l'on analyse les marchés où s'est déployée l'action à l'international des diverses catégories d'experts n° HS automne 2017 P. Clément, « Une longue histoire ­ ARTE Charpentier et la Chine » in Wenyi Zhou et Pierre Chambron, De l'architecture à la ville ­ ARTE Charpentier en Chine 2002-2012, Paris, ICI Interface, 2012. 28 F. Contenay, Rapport du groupe de travail architecture et exportation, Paris, MATET, 1995. 29 F. Chaubet, « L'Alliance française ou la diplomatie de la langue (1883-1914) », Revue historique, n°632(2004), p.763-785. 30 Voir A. Novick, « Foreign Hires: French Experts and the Urbanism of Buenos Aires 1907-32 » in Joe Nasr, Mercedes Volait (dir.), Urbanism: Imported or Exported ? Native Aspirations and Foreign Plans, Chichester, Wiley-Academy, 2003, p.265289. 31 B. Brizay, « La France et les Français au Japon » in P. Bonichon, P. Geny, J. Némo (dir.), Présences françaises outre-mer (XVIe-XXIe siècle). Tome 1, Paris, ASOM ­ Karthala, 2012, p.709-717 32 J. Laurent, « La philosophie russe et le positivisme », Archives de Philosophie, vol.79 (2016), p. 229-231 ; G. Iiksel et E. Szurek (dir.), Turcs et Français. Une histoire culturelle, 1860-1960, Rennes, PUR, 2014 ; D. Roland, L'Amérique latine et la France. Acteurs et réseaux d'une relation culturelle, Rennes, PUR, 2011. 27 l « pour mémoire » 99 l'importation d'expertise française est une conséquence. Mais cette importation a une évolution très contrastée en fonction des pays. En Russie, l'architecture française occupe une place non négligeable dès le XVIIIe siècle et les entreprises de travaux publics sont fortement présentes du XIXe au début du XXe. Mais la Révolution d'Octobre 1917 est un moment de rupture et dans les quelques périodes d'ouverture qui suivent, l'URSS se tourne plus facilement vers l'expertise allemande. Il faut attendre la fin du régime communiste et le boom pétrolier des années 2000 pour que la Russie, devenue économie émergente, renoue avec cette francophilie urbanistique. Dans le périmètre de l'(Ex-)Empire ottoman, l'usage de l'expertise française est variable. Avec l'avènement de la République de Mustafa Kemal, l'urbanisme turc connaît une période francophile. Consultant officieux du gouvernement dès 1924, Henri Prost est à la tête du bureau d'urbanisme de la ville d'Istanbul de 1936 à 195233 . René Danger est aussi actif durant la même période en Turquie. Mais l'expertise française est fortement concurrencée par l'expertise allemande, puis par l'expertise nord-américaine qui s'impose, notamment diffusée par les institutions internationales. En Egypte, nettement marquée par le saint-simonisme, l'usage de l'expertise française s'inscrit dans le temps long. Dès le début du XIXe siècle, les cadres de l'administration locale en charge de la modernisation du pays, comme le directeur des Travaux publics Burhan Bey puis le ministre Ali Pasha Mubarak, sont formés en France. Quelques industriels tentent l'aventure comme Charles Lebon qui implante l'éclairage au gaz à Alexandrie et au Caire dans les années 1860. Surtout, de 1867 à 1897, il est fait appel aux cadres du service des promenades et plantations de la ville de Paris, Pierre Barillet-Deschamps et Gustave Delchevalerie, et à d'autres ingénieurs français pour prendre la direction de services en charge de l'aménagement de secteurs importants du Caire34 . De la fin du XIXe siècle à la seconde guerre mondiale, la domination de la Grande Bretagne correspond à une relative éclipse de l'expertise française, mais qui est par la suite de nouveau mobilisée. En 1954, l'étude des transports publics du Caire est confiée à la RATP puis la conception du métro, livré en 1987, à la Sofretu. A partir de 1981, l'IAURIF est missionné par le gouvernement pour mettre au point le schéma directeur du Grand Caire puis pour diverses études qui poursuivent cette réflexion 35 . C'est l'Amérique Latine qui apparaît très tôt comme une aire géographique majeure d'importation d'expertise française en urbanisme, malgré une concurrence importante impliquant l'expertise d'abord allemande ou espagnole puis nord-américaine. Le Brésil a une politique précoce d'importation de cette expertise même si elle est discontinue. L'architecte Grandjean de Montigny, membre de la « Mission artistique française », joue un rôle clé en devenant le premier professeur d'architecture de la nouvelle académie des Beaux-Arts et en concevant plusieurs projets de bâtiments publics. Au début du XXe siècle, on assiste aussi à une montée en puissance progressive des entreprises françaises de travaux publics. La Compagnie des Batignolles construit le port de Récife en 1918 puis fonde en 1934 une filiale, Brasilia Obras Publicas (BOP), pour déployer son activité dans le reste de l'Amérique Latine. Durant la même période, de nombreux architectes français s'établissent au Brésil pour répondre aux commandes publiques et privées. En matière d'urbanisme, l'expertise française est mobilisée très tôt à travers des acteurs clés. De 1862 à 1880, le gouvernement impérial charge un ingénieur civil et botaniste français, Auguste Marie Glaziou, de réaliser une série de nouveaux parcs et espaces publics pour sa capitale 36 . De 1927 à 1932, l'architecte-urbaniste Donat Alfred Agache produit un plan fondateur pour la mairie progressiste de Rio. A partir de 1941, il devient un des urbanistes officiels de la dictature de l'Estado Novo et réalise les plans de Recife, Porto Alegre, Curitiba. De 1947 à 1954, le père Lebret et le réseau Économie et humanisme lancent leurs premières enquêtes sociales dans P. Pinon et C. Bilsel (dir.), op. cit. M. Volait, « Making Cairo Modern (1870-1950) : Multiple Models for a European-style Urbanism » in J. Nasr, M. Volait (dir.), op. cit., p.17-50. 35 T. Souami, « Liens interpersonnels et circulation des idées en urbanisme. L'exemple des interventions de l'IAURIF au Caire et à Beyrouth », Géocarrefour vol 80 n°3 (2005), p.237-247. 36 M. Da Silva Pereira, « Paris-Rio : le passé américain et le goût du monument » in A.Lortie (dir.), op. cit., p.140-148. 34 33 « pour mémoire » l n° HS automne 2017 100 le Tiers monde à Sao Paulo où ils fondent un bureau d'études, la SAGMACS. A partir de 1977, l'IAURIF travaille au Brésil sur l'étude des transports collectifs de l'État de Sao Paulo avec la Sofrérail puis sur d'autres missions à Brasilia, Rio et Curitiba. Dès 1992, le GIEVNF est aussi largement mobilisé pour des missions très diverses, surtout pour l'État de Sao Paulo. L'Argentine est le pays qui fait le plus constamment appel à l'expertise française. Dès l'indépendance en 1816, des ingénieurs et architectes français participent à la fondation des services locaux de la construction à la demande des autorités locales. A la fin du XIXe siècle, l'architecture Beaux-Arts triomphe et plusieurs d'élèves de l'ENSBA développent une carrière argentine37. D'un autre côté, les entreprises françaises de travaux publics jouent un rôle clé dans le marché local, notamment dans la construction portuaire, jusqu'à la première guerre mondiale. L'urbanisme de Buenos Aires se développe dans cette atmosphère très francophile. Dès 1868, le gouvernement argentin fait appel à des professionnels français pour l'aider à bâtir des politiques publiques en matière de conception de jardin, règlement de construction, cadastre, etc. De grands techniciens de la ville de Paris interviennent dans la capitale argentine comme Charles Thays, ancien assistant d'Alphand, directeur des parcs et promenades de Buenos Aires dès 1891, Bouvard, à la tête de la commission pour le premier plan d'aménagement en 1909, ou encore Forestier, expert clé du second plan publié en 1923. n° HS automne 2017 La planification est ensuite laissée aux mains de professionnels locaux, mais la tradition francophile reste importante. Le Corbusier collabore ainsi au plan régulateur de Buenos Aires de 1947. Plus largement, le champ de l'urbanisme en Argentine s'inscrit directement dans la continuité du modèle fran- çais à travers la figure fondatrice de l'ingénieur Carlo Maria della Paolera, formé en France 38 . L'importation d'expertise française se renouvelle à partir des années soixante dans le cadre de la politique de coopération. Elle correspond notamment à la mise en place de la planification de l'aire métropolitaine Schéma directeur « Année 2000 » de la région métropolitaine de Buenos Aires, 1970 ©Presidencia de la Nacion, Argentina l « pour mémoire » 101 de Buenos Aires à laquelle collaborent dès 1967 l'IAURP puis la Sofrérail pour un projet de RER. Après le retour à la démocratie en 1983, l'IAURIF revient à Buenos Aires pour assister les acteurs de l'aire métropolitaine sur différents sujets. A partir de 1988, le GIEVNF intervient sur un projet de ville nouvelle privée puis sur divers projets d'infrastructure pour des municipalités 39 . La ville de Buenos Aires fait aussi appel à l'APUR ou au réseau Pact-Arim 40 . La présence continue des entreprises françaises de travaux publics durant tout le XXe siècle permet à leurs filiales concessionnaires de réseaux urbains de remporter plusieurs marchés lors des privatisations dès 1989. A côté de ces deux pays, d'autres font appel à l'expertise française. Mais à part le Venezuela, où la planification de Caracas confiée en 1939 et 1946 à Maurice Rotival 41 apparaît comme un événement isolé, il semble que cela soit surtout le cas à partir des années soixante. L'administration de la ville de Mexico missionne la Sofretu pour la mise en place du métro livré à partir de 1969, l'IAURP sur la planification du Grand Mexico à partir de 1982, ou encore le Pact-Arim International pour travailler sur la réhabilitation du centre ancien de Mexico à partir de 1998. Le gouvernement de Bolivie confie en 1977 à un groupement associant notamment l'IAURP et Economie et humanisme une expertise du schéma directeur de la Paz. La ville de Santiago du Chili fait appel dès 1994 à l'APUR pour travailler sur la question du patrimoine. Cette extension du marché latino-américain s'appuie sur la mise en place de la politique française de coopération et ses aides au développement. Les marchés du développement : la poursuite d'un héritage controversé En se constituant un empire colonial très vaste, la France a construit un territoire qu'elle a dû administrer et où les questions urbaines sont devenues majeures du fait de l'accélération de son urbanisation au XXe siècle. Dès les années vingt, certains espaces sont des terrains privilégiés pour l'expérimentation d'une expertise française en urbanisme. La fin de la seconde guerre mondiale voit la construction d'une administration plus dense en charge du « développement » de la « France d'Outre-Mer ». La reconversion partielle de cette administration après la décolonisation dans la « coopération » contribue à maintenir la demande en expertise française, notamment urbanistique, dans les nouveaux pays indépendants. Cette dépendance, spécificité française, évolue différemment en fonction des aires géographiques. Dans le Maghreb, le cadre juridique français reste un modèle et l'usage de l'expertise française est relativement constant. Si des professionnels locaux prennent place dans les organismes de planification issus de l'administration coloniale, le déficit local en matière d'études urbaines maintient une présence française. En Algérie, les organismes issus en particulier du Plan de Constantine de 1956 sont conservés, voire les experts eux-mêmes comme l'architecte Jean de Maisonseul. C'est en 1968 que de nouveaux organismes sont mis en place pour rompre avec l'héritage colonial mais l'expertise française, bien que mise en concurrence avec d'autres, reste présente notamment à travers le travail du BERU sur la région d'Alger pour le Bureau national d'études économiques et techniques 42 . A partir de 1977, l'IAURIF développe une série de missions sur la planification et l'aménagement d'Oran, d'Annaba et surtout d'Alger. Au Maroc, l'État fonde en 1967 un Centre d'expérimentation, de recherche et de formation (CERF) dirigé par un coopérant français. A partir de 1977, l'IAURIF intervient dans le pays pour ne plus en partir et devenir une des sources majeures d'études urbaines avec près d'une quinzaine de missions. Interviennent aussi la SCET International et le BCEOM ainsi que des bureaux d'études dont certains spécialisés dans l'urbain comme le Groupe Huit. Entre 1985 et 1995, la planification des grandes villes marocaines est même le monopole R. Gutierrez (dir.), Manifestaciones francesas en Argentina. Del academismo a la modernidad (1889-1960), Buenos Aires, CEDODAL, 2011. 38 A. Novick, art. cit. 39 C. Orillard, « Politique française des « villes nouvelles » et études à l'export. Le cas de l'action en Argentine », Histoire urbaine, à paraître. 40 A. Novick et L. Furlong, « Rénovation sectorielle et logiques résidentielles : le programme RECUP-Boca à Buenos Aires » in M. Memoli, H. Rivière Arc (dir.), Le pari urbain en Amérique latine. Vivre dans le centre des villes, Paris, Armand Collin, 2006, p.89-1075. 41 C. Hein, art. cit. 42 S. Almi, Urbanisme et colonisation. Présence française en Algérie, Sprimont, Mardaga, 2002. « pour mémoire » 37 l n° HS automne 2017 102 d'un architecte, Michel Pinseau, qui est un proche du roi43 . A partir des années 2000, le Maroc fait appel à l'APUR et à l'Agence d'urbanisme du Grand Lyon. Sa montée en puissance économique se traduisant par une politique de ville nouvelle, il fait appel à des agences d'architecture françaises dont il devient l'un des débouchés à l'export. Du côté du Machrek, la situation est très contrastée. La Syrie fait appel à Ecochard qui avait travaillé en Syrie et au Liban durant la période mandataire pour le plan directeur de Damas entre 1964 et 1968. Mais c'est au Liban que l'expertise française reste très largement mobilisée jusqu'à nos jours. Dès la fin des années cinquante, le gouvernement fait appel à deux acteurs français pour faire évoluer les documents d'urbanisme de Beyrouth : l'IRFED du père Lebret et de nouveau Ecochard. Le relais est pris par les organismes publics d'études français dans les années soixante-dix. Dès 1972, l'IAURP est appelé par le ministère des Travaux publics pour le schéma directeur du Grand Beyrouth et le développement industriel, et il effectue ainsi une douzaine de missions jusque dans les années 2000. En parallèle, l'APUR participe en 1977 à la mise au point du plan pour le centre de Beyrouth. Le Liban présente même un rare exemple de prise de contrôle d'un acteur français par un acteur local. En 1978, l'entreprise de BTP OGER est reprise par Rafik Hariri, transformée en bureau d'études, redéployée vers le Moyen Orient et utilisée comme appui pour la constitution de la société SOLIDERE en charge de la reconstruction après la guerre civile à partir de 199144 . n° HS automne 2017 Les pays d'Afrique sub-saharienne issus de l'Empire constituent l'aire géographique qui reste la plus durablement sous l'emprise de l'expertise française. Cette dernière s'étend même rapidement aux ex-colonies belges et à l'Île Maurice. De 1959 à 1964, le Fond d'aide et de coopération finance la poursuite des orientations adoptées lors de la fin de la période coloniale et la construction des nouvelles capitales auxquelles participent des bureaux d'étude français comme la SETAP à Abidjan en 1960. Puis le SMUH monte en puissance dans ces territoires dès 1965. Il apporte un appui technique et anime plusieurs équipes permanentes comme le BNETD à Abidjan, le BEAU à Kinshasa ou le MATIM à l'Ile Maurice. Dans d'autres villes, il participe au lancement de missions d'urbanisme ou coordonne des études dans d'autres. Ici encore, la SCET International et le BCEOM participent largement aux études urbaines et à la planification45 . C'est aussi le cas de bureaux d'études spécialisés dans la coopération comme le Groupe Huit ou le Centre africain des sciences humaines appliquées à Abidjan, et d'autres non spécialisés comme le BERU à Kinshasa ou encore la Compagnie d'études économiques et de gestion industrielle à Abidjan. L'IAURIF prend aussi place parmi ces producteurs d'études dès les années soixantedix et nombre d'agences d'urbanisme françaises lui emboîtent le pas avec les débuts de la coopération décentralisée. Enfin, le périmètre indochinois est un cas particulier. Après les conflits, la demande d'expertise se réoriente vers l'aide technique des pays "frères" com- munistes, celle de l'URSS notamment pour le Vietnam. Mais, dans les années quatre-vingt, avec la fin de cette aide et leur politique d'ouverture, ces pays font appel de nouveau à l'expertise française. La coopération décentralisée joue ici aussi pleinement son rôle, l'IAURIF effectuant sept missions à Hanoi de 1990 à 2002 et l'APUR s'impliquant à Phnom Penh de 1992 à 2009 ainsi que pour des missions plus courtes à Vientiane et Ho Chi Minh Ville. Au Vietnam, l'exportation d'expertise urbanistique s'inscrit désormais dans une nouvelle perspective, celle de l'émergence économique. Les marchés de l'émergence : une logique politico-économique Dans les années soixante-dix, des pays de régions sous-développées s'appuient sur certaines ressources importantes ou sur une dynamique économique très favorable pour mettre en place une planification étatique forte de leur développement socio-économique, basée notamment sur l'importation d'expertise étrangère46 . Dans certains de ces marchés, les experts français acquièrent P. Philifert, « Maroc : des études urbaines saisies par le changement ? », Géocarrefour vol.85 n°4 (2010), p.323-331. 44 E. Verdeil, Une ville et ses urbanistes : Beyrouth en reconstruction, thèse de doctorat, Paris 1, 2002 et Eric Verdeil, Beyrouth et ses urbanistes. Une ville en plan (1946-1975), Beyrouth, Presses de l'IFPO, 2011. 45 J.-L. Vénard, op. cit. et L. Haguenauer-Caceres, « Construire à l'étranger. Le rôle de la SCET Coopération en Côte d'Ivoire de 1959 à 1976 », Histoire urbaine n°23 (2008), p.145-159. 46 Voir C. Jaffrelot (dir.), L'enjeu mondial. Les pays émergents, Paris, Presses de Sciences Po, 2014. 43 l « pour mémoire » 103 une place non négligeable. La France est alors une puissance économique importante, fondatrice du G7 en 1976, et développant une politique géostratégique autonome au sein du camp occidental. Surtout, sous Valéry Giscard d'Estaing, l'aide technique est réorientée vers le soutien à l'économie française en particulier à travers l'approvisionnement en pétrole et le développement de marchés, réorientations en partie conservées sous François Mitterrand47. Le déploiement de ces « marchés de l'émergence », bien que passant souvent par la signature d'accords de coopération culturelle, scientifique et technique, est donc d'abord sous-tendu non par une adhésion culturelle mais par des intérêts politico-économiques bilatéraux. Dans le monde arabe dont la France est proche depuis 1964, la demande d'expertise est liée à la montée en puissance économique de plusieurs pays à la suite du choc pétrolier, notamment ceux de la péninsule arabique. Dès les années soixante, quelques architectes français sont en charge de projets d'équipements publics dans certains pays. S'ils se situent hors de l'ancien périmètre du mandat français au Proche Orient, cette exportation de l'expertise peut cependant s'appuyer sur l'expérience française au Liban ou en Syrie. Après avoir été lauréat du concours pour le musée national du Koweït, Michel Ecochard réalise ainsi en 1973 avec une équipe franco-libanaise le plan de la nouvelle capitale du Sultanat d'Oman. Aéroports de Paris obtient l'un de ses premiers contrats à l'export en 1974 pour la conception et la réalisation de l'aéroport d'Abu Dhabi. C'est surtout l'Arabie Saoudite, signataire dès 1963 d'un accord bilatéral de coopération, qui fait un usage important de cette expertise. En 1976, elle lance un appel d'offre pour l'étude de la planification des six principales agglomérations du pays dont trois impliquent des bureaux d'études français : la SCET International avec la SEDES pour la capitale, Riyad, la SERETE pour Jizzah, et OTH secondant l'agence saoudienne IDEA pour la ville nouvelle industrielle de Yanbu48 . L'IAURIF participe aussi à ces trois études. La coopération française marque le pas dans les années quatrevingt-dix bien que le GIEVNF obtienne en 2000 une mission d'appui à l'équipe d'urbanistes locaux pour le nouveau plan de Riyad. L'Asie, coeur de ces « marchés émergents », est dominée par l'aide technique japonaise depuis les années cinquante. Pourtant l'expertise française conquiert de nouvelles positions à partir de la fin des années soixante-dix. C'est le cas de l'Asie du Sud-Est et notamment de l'Indonésie. Si ce pays fait appel à une filiale de Schneider & Cie pour réaliser cinq des plus importants ports du pays dès 1957, c'est à partir de 1972 que son gouvernement cherche l'appui économique de la France. Suite au choc pétrolier, le gouvernement de Valéry Giscard d'Estaing en fait un partenaire majeur, partenariat poursuivi sous François Mitterrand du fait de la proximité de ce pays avec le Vietnam. Aéroports de Paris et Sofréavia remportent en 1976 le contrat d'étude du nouvel aéroport de Djakarta prolongé par l'étude de plusieurs aéroports régionaux. En 1982, cette coopération prend une autre dimension avec l'accord de coopération bilatérale d'aide technique signé entre les ministres français et indonésien en charge de l'urbanisme. Dans ce cadre, le GIEVNF mène de 1984 à 1989 sa première expérience d'assistance technique pour la conception d'une ville nouvelle, Bekaci, dans l'agglomération de Djakarta, avec notamment OTH et Economie et Humanisme. Entre 1994 et 1996, la Sofrerail puis Systra sont chargés de la planification d'une ligne à grande vitesse pour l'île de Java. L'accord inclut aussi un volet de formation d'urbanistes indonésiens en France. En Malaisie, pays frère et rival de l'Indonésie, l'imaginaire haussmannien semble aussi jouer un rôle clé dans le choix par le gouvernement, en 1995, de l'agence d'architecture Dubus-Richez pour participer à la conception de la future nouvelle capitale Putrajaya, puis en 1997 dans l'implication de l'agence Viguier pour la ville nouvelle de Bandar Nusajaya en face de Singapour. En Thaïlande, les expériences sont plus éparses : Bouygues est choisi en 1990 pour construire la ville nouvelle de Muang Thong Thani (conçue par une équipe australienne) puis le GIEVNF est F. Godement, « Une politique française pour l'Asie-Pacifique ? », Politique étrangère 1995/4, p.959-970 et H. Terres, « Le « pivot » français vers l'Asie : une ébauche déjà dépassée ? », Politique étrangère 2016/1, p. 177-188. 48 Sur Riyad, voir B. George et L.-P. van der Brulle, « Riyadh, architectes français en Arabie Saoudite » in M. Culot et J.-M. Thiveaud, Architectures françaises outre-mer, Liège, Mardaga, 1992, p.206-219 et P. Menoret, Royaume d'asphalte : Jeunesse en révolte à Riyad, Paris, La Découverte, 2016. « pour mémoire » 47 l n° HS automne 2017 104 Dubus & Richez, Plan masse de la ville nouvelle de Putrajaya, nouvelle capitale administrative de Malaisie, 1997 ©Dubus & Associés chargé en 1996 de concevoir l'aménagement d'un vaste terrain de l'Université Chulalongkorn dans le centre de Bangkok. Mais ces actions sont stoppées par la crise économique asiatique49 . La percée française en Asie touche aussi et surtout le monde chinois. A Taiwan, c'est suite au choix de la Sofrerail en 1990 pour la conception de la ligne à grande vitesse Taipeh-Tsioying que l'IAURIF et le GIEVNF sont chargés de l'évaluation de la politique de villes nouvelles qui lui est associée en 1992-1993 50 . Mais c'est en Chine même que cette importation est massive et durable. Après avoir reconnu précocement le régime communiste, la France signe avec ce pays un accord de coopération scientifique dès 1978. C'est dans ce cadre que sont développés les premiers échanges entre experts français et chinois, jusqu'à la visite officielle du ministre français de l'Équipement en 1985 qui scelle une coopération approfondie en urbanisme. L'importation de l'expertise architecturale débute avec l'aide technique pour la rénovation du quartier de l'ancienne concession française de Shanghai, lancée en 1984. Avec l'AFEX et la création en 1997 d'un Observatoire de l'architecture de la Chine contemporaine, à l'initiative du ministère de la Culture français, elle se développe non seulement à travers des projets d'équipements mais Voir O. Petit, L'influence des villes nouvelles françaises en Asie dans leur rapport avec les idées, les entreprises et les hommes de l'art français, rapport pour le ministère de l'Équipement, 2002. 50 G. Antier, Près de Taipeh : terminus Danhai, Cahiers de l'IAURIF n°104-105 (1993), p.190-192. 49 n° HS automne 2017 l « pour mémoire » 105 aussi des études de conception urbaine. L'IAURIF effectue des missions d'évaluation des politiques urbanistiques dès 1986 pour le compte des Instituts d'urbanisme de Pékin et de Shanghai. Au total, il réalise plus d'une vingtaine de missions dont certaines ont eu un impact déterminant sur l'urbanisme chinois comme par exemple l'aide technique pour la mise en place de la compétition internationale pour la conception du quartier d'affaires de Pudong à Shanghai en 199251 . Le GIEVNF effectue lui aussi cinq missions depuis l'étude de la ville historique de Suzhou (1991-94) jusqu'à l'étude de l'aménagement d'un nouveau quartier de Tianjin (2003). des questions dans la période actuelle de désengagement de l'État mais aussi des autres acteurs publics. Au-delà de l'expertise professionnelle, qui est relativement bien renseignée même si les données sont fragmentées et parfois manquantes, l'urbanisme français s'est aussi exporté à travers la formation c'est à dire le public international de ses instituts et écoles et la diffusion du ou des modèles sur lesquels sont basés ces derniers. Les études encore très limitées sur ce sujet semblent montrer que ce secteur est aussi fortement marqué par cette dimension internationale 52 . Conclusion L'exportation est donc un fait majeur de l'urbanisme français. Depuis ses origines et tout au long de son histoire, la plupart de ses acteurs clés, qu'ils soient individuels ou collectifs, ont eu une action à l'international qui est souvent non négligeable dans le développement de leurs pratiques. Dans plusieurs pays de différents continents, ces acteurs se sont relayés au cours du XXe siècle dans l'établissement puis le maintien d'une importation de l'expertise française. Dans cette histoire, les acteurs publics, et au premier rang l'État, jouent un rôle central. Les données manquent pour la période précédant la seconde guerre mondiale mais sont éclatantes pour la période qui suit jusqu'à nos jours, malgré la décentralisation des années quatrevingts - ce qui ne manque pas de poser C. Henriot, « Les politiques chinoises de villes nouvelles : trajectoire et ajustements de l'action publique urbaine à Shanghai », Géocarrefour vol.90 n°1 (2015), p.27-38. 51 M. Jolé, Histoire turque de l'Institut d'urbanisme de Paris. Des étudiants de 1919 à 1969, Istanbul, IFEA, 2016. « pour mémoire » 51 l n° HS automne 2017 106 dossier Itinéraire d'un élu local à l'international Entretien avec Patrick Braouezec Propos recueillis par Samuel Ripoll Patrick Braouezec est président de l'établissement public territorial « Plaine Commune » et vice-président de la métropole du Grand Paris. Il avait auparavant été maire de Saint-Denis (1991-2004) et député de la SeineSaint-Denis (1993-2012). Il est également membre fondateur et co-animateur de la commission Inclusion sociale, démocratie participative et droits humains de Cités et gouvernement locaux unis, l'association des collectivités locales. Des premiers jumelages jusqu'à l'implication dans les réseaux de villes et dans les arènes onusiennes, mais aussi dans les forum sociaux mondiaux, il revient avec nous sur son engagement à l'international. Comment, en tant qu'élu local, vous êtes vous intéressé à l'international ? Quel était le contexte de l'action internationale de Saint-Denis lors de votre arrivée à la municipalité ? Comme beaucoup de villes, nous étions engagés dans des jumelages à l'international, qui s'étaient construits au lendemain de la 2e guerre mondiale. Nous avions ainsi au début des années 80, lorsque j'étais encore maire adjoint, des relations avec Gera (RDA), Coatbridge (Ecosse), Sesto San Giovanni (Italie) et Kievski (Quartier de Moscou). Ces villes avaient des caractéristiques assez similaires à Saint-Denis, et partageaient en particulier une certaine histoire, assez violente, de l'industrialisation. Puis, petit à petit, nous avons développé un travail plus directement en lien avec la ville de Saint-Denis au travers n° HS automne 2017 d'associations de personnes originaires de certains pays - je pense à l'Algérie, au Maroc, au Mali -, ce qui nous a amené à nous impliquer sur des coopérations décentralisées. En parallèle des jumelages « traditionnels », nous avons ainsi lancé ces partenariats sur des thèmes très précis, avec des échanges non plus uniquement sur des projets de loisir, sportifs ou culturels, mais sur des questions de formation, de renforcement de l'administration publique, de transports comme à Agadir, ou encore de désenclavement de certains villages au Mali. Tout cela nous a amené finalement à étendre les relations internationales que nous avions jusqu'à présent à d'autres pays et d'autres types de coopération. communiste. Comment ce facteur politique a-t-il influencé l'action internationale de la ville ? Y avait-il une approche particulière de ces questions au sein du PCF ? Il y avait au sein du PCF le groupe de travail POLEX (politique extérieure), qui avait longtemps été sous la responsabilité politique de Jean Kanapa, puis de Maxime Gremetz à partir de 1978 et pendant vingt ans, puis de Francis Wurtz. Leur approche des relations internationales était extrêmement marquée par une prégnance de l'URSS et des pays de l'Est, et restait très largement orientée et dictée par une vision solidaire avec le bloc soviétique. Par exemple, si les villes communistes n'étaient pas membres du Conseil des communes et des régions d'Europe (CCRE), c'était parce qu'il s'agissait d'une association qui Saint-Denis a par ailleurs longtemps été un bastion historique du parti l « pour mémoire » 107 événement ? Quels ont été ses impacts et ses suites, notamment pour la ville de Saint-Denis ? Je crois qu'Habitat II a été un moment charnière à bien des égards. Nous y avions été invités en tant que membres du bureau de la FMCU. Globalement, un des grands résultats pour moi a consisté dans la reconnaissance par l'ONU et les Etats du rôle fondamental des villes dans le devenir du monde urbain et dans la cohésion sociale. C'est d'ailleurs à partir de là qu'on a commencé à parler de « pouvoirs locaux ». Nous avons aussi pu rencontrer à Istanbul un grand nombre de villes qui partageaient notre engagement. C'est là que j'ai rencontré pour la première fois Raul Pont qui venait d'être élu maire de Porto Alegre. Istanbul a donc été un moment important dans la prise de conscience que l'international pouvait aussi permettre de se ressourcer et d'avoir des échanges d'expériences, d'expérimentations, notamment autour de la question du budget participatif et de la démocratie participative. Habitat II a permis de créer une véritable dynamique. C'est dans ce mouvement qu'en 1998 la municipalité de Barcelone, alors dirigée par Joan Clos, a pris l'initiative d'inviter les villes autour de l'écriture d'une charte des Droits de l'homme dans la ville. Plus d'une centaine de villes se sont retrouvées sur ce projet, et SaintDenis s'est particulièrement engagée dans son animation avec Barcelone et Venise. Nous y avons travaillé avec des personnalités comme l'historienne « pour mémoire » Une délégation de Coatbridge en visite dans un bidonville de Saint-Denis, 1968. ©Archives municipales de Saint-Denis/Pierre Douzenel contribuait au rapprochement des villes dans la perspective de la construction européenne, et bien entendu, le PCF ne pouvait pas s'y retrouver. Les villes communistes s'inscrivaient ainsi dans d'autres formes d'actions, toujours sur le même prétexte de la paix et de la solidarité entre les peuples, avec notamment une autre association, la Fédération Mondiale des Villes Jumelées (qui deviendra la Fédération Mondiale des Cités Unies, FMCU) qui incitait les villes à dépasser le mur en pleine guerre froide. A Saint-Denis nous avons assez rapidement pris des distances par rapport à cette approche, tout en continuant à explorer des thèmes comme celui de la paix. J'ai participé à un voyage au Japon, organisé par les Villes pour la Paix, pour le 50e anniversaire de Hiroshima et Nagasaki, en 1995. J'y ai découvert un nouvel espace politique et géographique, et aussi une nouvelle façon de voir les relations internationales autour de grands thèmes comme le désarmement nucléaire. Dans le même temps, la ville de Saint-Denis était membre de la FMCU, et aussi, paradoxalement pour une ville communiste, de l'International Union of Local Authorities (IULA). Nous avons d'ailleurs été très engagés dans le rapprochement souhaité de ces deux organisations, qui a abouti ensuite à la création de Cités et Gouvernement Locaux Unis (CGLU). Vous étiez présent au sommet Habitat II à Istanbul en 1996. Pourriez-vous nous raconter comment vous avez vécu cet l n° HS automne 2017 108 et militante Madeleine Reberioux ou encore les juristes Mireille DelmasMarty et Joan Bandres. Nous avons été invité en 1999, avec Barcelone, à participer à un sommet à Porto Alegre qui portait sur le budget participatif. C'est à ce moment que s'est construit, avec le soutien de l'Union Européenne, le réseau URB-AL, qui rassemblait des villes latino-américaines avec également neuf villes européennes, et qui a donné ensuite naissance à l'Observatoire international de la Démocratie Participative, qui existe toujours au sein de CGLU. Je fais ici une petite parenthèse. Quand Marta Suplicy a été élue maire de São Paulo en 2000, juste avant le Forum social de Porto Alegre, elle m'a invité à sa cérémonie d'investiture. Je me suis retrouvé avec les grands maires d'Amérique latine et d'Amérique centrale (Mexico, Asunción, Montevideo, Buenos Aires...). Je me demandais un peu ce que je faisais là jusqu'au moment où elle m'a donné la parole pour que j'explique ce que nous avions mis en place au niveau du budget participatif à Saint-Denis, parce qu'elle voulait créer un réseau des villes Latino-américaines autour de ces questions. En 2000, nous avons également signé la Charte européenne des droits de l'homme dans la ville, aux côtés de deux cent autres municipalités, dont Belfast n° HS automne 2017 et des villes italiennes qui avaient activement porté la démarche. Cette vaste dynamique s'est ensuite prolongée en parallèle des forums sociaux mondiaux, en particulier ceux de Porto Alegre, et la tenue du Forum social européen à Saint-Denis en 2003. Les forums sociaux ont un volet dédié à la ville au travers du Forum des Autorités Locales (FAL), qui connait depuis le début une participation importante. Ces événements ont permis pour la première fois d'organiser des rencontres entre les mouvements sociaux et les élus autour des questions urbaines. Du point de vue français, j'étais lors du premier forum social encore assez isolé. Mais dès la deuxième édition la mobilisation s'est accrue, avec la participation de plus de soixante-dix villes de l'hexagone. De nombreuses municipalités ont vu l'intérêt qu'elles pouvaient en retirer, les échanges d'expériences et d'idées. C'est de cette manière que Nanterre a développé des initiatives internationales sur les villes de banlieues, notamment en lançant le FALP (Forum des autorités locales de périphéries). Il y a bien sûr d'autres collectivités en France qui ont contribué à promouvoir cette action internationale, comme le Conseil général de Seine-Saint-Denis, celui du Val-deMarne, ou encore la municipalité d'Aubagne sur la question des villes pour la paix. Habitat II a permis de créer une véritable dynamique La ville de Barcelone occupe depuis longtemps une place prépondérante dans les débats internationaux sur la ville. Elle s'est engagée dès les années 80 dans la structuration de réseaux transnationaux de collectivités, dans l'organisation de sommets mondiaux, et dans la coopération de ville à ville sur de nombreuses thématiques, notamment la planification stratégique. Vous-même êtes en collaboration étroite avec elle depuis les années 90. Pourriez-vous nous raconter l'histoire de cette relation ? Notre histoire avec Barcelone remonte en effet au début des années 90. Nos liens sont depuis restés forts, et ce même lorsque la droite s'est emparée de la municipalité entre 2011 et 2015. Après avoir pris en 1993 la décision de construire le stade de France, nous avons contacté dès 1994 la mairie de Barcelone pour étudier ce qu'ils avaient mis en place dans le cadre des Jeux olympiques de 1992 et de leur plan stratégique. Nous nous sommes beaucoup inspirés de ce plan pour élaborer le projet urbain de la Plaine et faire en sorte que le stade ne vienne pas se poser comme une « soucoupe volante » sur le territoire, de manière hors-sol, mais qu'il vienne bien s'intégrer dans son environnement. C'était une expérience très intéressante. Nous avons ensuite approfondi ce partenariat en 1998 avec la conférence organisée par Joan Clos dont j'ai déjà parlé tout à l'heure. Barcelone s'est d'autre part beaucoup impliquée dans la Commission Inclusion sociale et démocratie participative de l « pour mémoire » 109 CGLU, que je co-présidais avec elle. Mais petit à petit, l'inclusion sociale et la démocratie participative n'étant plus forcément le moteur ou le centre de leur action publique, ils s'en sont un peu écartés. Mais nos relations nous ont permis néanmoins de maintenir en place la commission pendant un temps et de trouver de nouveaux partenariats avec par exemple Mexico ou Guangzhou, de manière à faire en sorte que cette commission continue à exister et à être la seule commission au sein de CGLU avec peut-être la commission Culture, également issue de Porto Alegre qui joue un rôle réellement politique autour des questions de villes et de métropoles. On sent bien qu'au sein de ces réseaux de villes ­ et de CGLU en particulier ­ il y a une tendance très forte à ce que l'administration prenne en main les problématiques sans qu'il y ait de débat politique. Bien souvent, nous avons dû imposer ces débats. Je me souviendrai toujours de l'ancienne secrétaire générale de CGLU, Élisabeth Gateau, à qui j'avais mené la vie dure lors du congrès de Mexico. Dans le projet de résolution finale il y avait beaucoup de choses qui ne nous convenaient pas parce qu'elles étaient très en deçà de l'exigence politique qu'on devait avoir sur le devenir des métropoles et des villes. J'ai participé personnellement à ces réunions parfois jusqu'à trois heure du matin, je leur disais que pour moi, une résolution finale d'une organisation comme celle-là n'était pas anecdotique, et qu'elle avait une portée universelle, parce que nous représentions les pouvoirs locaux. Si nous voulons être entendu au niveau de l'ONU et d'autres organismes, il faut que cette parole fasse sens et véhicule de vraies idées. Il faut que ce soit une vraie parole politique et pas simplement un ramassis de lieux communs passe-partout. n'aurait pas pu exister et mener un travail réellement politique sans la participation de Barcelone, de Bogota, de Nuremberg, de Mexico, de Quito, de Nantes ou encore de Guangzhou. De même, la commission culture doit beaucoup à l'engagement de Lille et Barcelone. CGLU se pose aujourd'hui la question de savoir comment investir davantage les élus parce qu'un élu dans une commission, c'est ce qui la fait vivre. Un des combats que l'on mène, c'est de faire en sorte que cela ne soit pas l'administration qui prenne le dessus, dans les groupes thématiques comme dans le pilotage global de CGLU. Ou plus précisément, comme il me semble qu'ils ont déjà le dessus, l'enjeu c'est que le politique reprenne sa part dans le devenir de ces associations. La structuration des collectivités locales à l'échelle mondiale a en effet connu un véritable élan en 2004 avec la création de CGLU, issue de la fusion des deux principales associations FMCU et IULA. Après avoir oeuvré à ce rapprochement, vous avez milité pour la création de la commission inclusion sociale, démocratie participative et droits humains, que vous co-animez encore aujourd'hui. Comment et pourquoi cette commission a-t-elle été conçue ? Comment voyez-vous votre place aujourd'hui au sein de CGLU ? La création de cette commission s'est faite dans la lignée du FAL qui accompagnait les forums sociaux. Nous nous sommes aperçus que nous avions structuré un certain nombre de villes autour de ce Forum, qui méritaient de peser au sein de CGLU sur les questions de démocratie participative et d'inclusion sociale, et nous avons donc fait cette proposition. Mais cela n'a pas été une bataille facile. Au départ les commissions thématiques de CGLU n'étaient pas prévues, l'organisation ne devait reposer que sur des sections régionales. Leur création en 2005 a aidé les pouvoirs locaux à mieux y trouver leur compte. Je pense que CGLU fonctionne d'abord grâce à la mobilisation des villes elles-mêmes et des élus. La commission inclusion sociale Vous vous êtes impliqué dans la préparation d'Habitat III et avez participé à la conférence en octobre dernier. Quel bilan en tirez-vous ? Comme beaucoup de ces sommets, le verre est à moitié vide ou à moitié plein selon que l'on est pessimiste ou optimiste. Il y a eu un travail préparatoire important dans lequel je me suis beaucoup impliqué. Nous avons eu de nombreuses de séances de travail à Barcelone, Nairobi, New York, qui étaient particulièrement intéressantes. Ce qui était aussi intéressant, c'était de voir que les idées que nous avons défendues sur la métropole inclusive, sur le droit à la ville pour tous, sur les questions de polycentrisme au sein des métropoles, ont fait leur petit bonhomme de chemin. « pour mémoire » l n° HS automne 2017 110 Ce n'était pas gagné d'avance. Nous avons senti qu'il y avait, notamment de la part des Anglo-Saxons, beaucoup de réticences par rapport à cette question du droit à la ville. Ce que je regrette beaucoup, c'est le très faible traitement médiatique dont Habitat III a fait l'objet, surtout si on le compare à la COP21, qui a fait l'objet d'un véritable battage médiatique. C'est tout de même un rendez-vous qui n'a lieu que tous les vingt ans, qui fixe un certain nombre d'objectifs sur les questions urbaines qui sont, on le voit bien, des questions politiques à part entière et à mes yeux au moins aussi importantes que les problématiques environnementales. Jamais on n'en a parlé une seule fois à l'échelon national. C'est assez déplorable. Le document final d'Habitat III est un document plutôt intéressant mais qui, comme souvent avec ce genre de papier, ne donne pas le sentiment que beaucoup de femmes et d'hommes politiques aient participé à la sa rédaction. Ce sont des administrations qui l'ont écrit, et c'est là où on est bien souvent sur du consensus mou ou sur quelque chose de fade. La conférence Habitat III en elle-même n'était pas particulièrement intéressante. Il y a eu des moments certes riches, notamment sur les tables rondes, qui n'étaient d'ailleurs pas vraiment des tables rondes mais plutôt des successions d'interventions. On voyait à ce titre qu'on était dans le tout et son contraire. On sentait que cela aurait mérité plus de débat contradictoire, et n° HS automne 2017 de mettre en perspective deux scénarios opposés, en s'intéressant à la question du type de croissance voulu pour les villes et à la question des métropoles attractive et compétitives. Faut-il amplifier le phénomène de métropolisation ? À deux ou trois reprises, notamment à New York où j'avais posé la question, on nous répond qu'en 2050, 80 % de la planète vivra dans un tissu urbain dense de type grande ville, métropole ou mégalopole. Est-ce souhaitable ? Est-ce inévitable ? Que fait-on à partir du moment où l'on considère que ce n'est pas souhaitable ? Est-ce qu'on laisse faire au nom de la compétitivité ou est-ce que le politique reprend le dessus en disant que ce n'est pas viable ? Aujourd'hui, l'une des questions clés sur le territoire français est de se demander jusqu'où doit aller la métropolisation. Et pour faire quoi ? Est-ce pour continuer à accentuer le désert français ou est-ce pour développer des métropoles qui deviennent rayonnantes et qui irriguent l'ensemble du territoire par des redistributions permettant aux autres territoires de devenir des centralités à part entière ? Toutes ces questions n'ont pas été tranchées, alors qu'elles me semblent fondamentales et valables dans tous les pays. C'est en effet valable sur le grand Paris et dans les métropoles moins peuplées, c'est ressenti de la même façon à Badalona par rapport à Barcelone, dans les banlieues de Madrid etc. C'est le cas aussi des villes brésiliennes avec lesquelles on a des contacts comme São Paulo ou Porto Alegre. D'ailleurs les échanges que nous avons eu avec d'autres villes sur ce sujet tout au long du processus nous ont été très utiles dans nos propres réflexions sur le Grand Paris. Je pense d'autre part que Habitat III a confirmé la présence des pouvoirs locaux dans les arènes internationales. Il faut tirer son chapeau à CGLU qui a su le faire de manière unie et consensuelle, parce qu'il existe une tendance des grosses villes à vouloir être les représentantes de tout le monde sans nécessairement obtenir l'accord des autres. Enfin, même si cela ne se retrouve pas toujours dans le document final, nous avons eu à Quito des débats sur de nombreuses thématiques, comme par exemple le foncier. Je me rappelle d'ailleurs une anecdote lors du Forum social mondial à Bamako en 2006. Lors d'une table ronde à laquelle j'avais participé, on voyait les questions foncières se poser de façon différente en Europe et en Afrique, mais finalement avec le même fond, et en particulier sur le sujet de la propriété foncière. La terre ne doit appartenir à personne. Elle devrait être exploitée par des gens en agriculture, elle devrait pouvoir être l'objet de construction, mais on devrait être propriétaire seulement du bâti et pas de la terre. l « pour mémoire » dossier 111 La coopération urbaine comme chantier de recherche Entretien avec Annik Osmont et Charles Goldblum Propos recueillis par Samuel Ripoll De quels savoirs a-t-on besoin pour analyser et éclairer la coopération urbaine ? Comment le paysage français de la recherche et de la formation en la matière s'est-il constitué ? Nous revenons sur ces questions avec deux chercheurs - Annik Osmont, anthropologue, et Charles Goldblum, urbaniste - qui ont consacré leur vie professionnelle à l'étude des transformations des villes dites du « Sud », et plus particulièrement à l'action spécifique des coopérations internationales et des transferts de modèles sur les systèmes urbains. Ils évoquent avec nous leurs parcours intellectuels et institutionnels, notamment depuis les années 60, l'évolution de leurs relations avec les acteurs du développement, et les apports possibles de la recherche et de la formation aux politiques de coopération. Comment avez-vous commencé à vous intéresser aux questions de coopération urbaine ? Dans quel contexte intellectuel ? Annik Osmont Mon Intérêt s'est porté très tôt sur la ville comme socio-système urbain, projection dans l'espace des rapports sociaux (ce que nous apprenait le sociologue Paul Henri Chombart de Lauwe dans les années cinquante). La ville lieu du changement social (Paris insurgé, en 1871, en 1944...), objet d'enjeux de développement économique très puissants. La reconstruction dans les années 50 du Havre, lieu de ma jeunesse, était l'objet de débats urbanistiques, sociaux et culturels qui agitaient jour après jour l'ensemble de la population. Mais la ville-port, c'est aussi l'ouverture au monde et ses cultures diversifiées, vers le Nord, vers les Amériques, qui stimule l'imaginaire vers la recherche d'un « Ailleurs » prometteur. Les deux thématiques se sont rencontrées à l'occasion du choc qu'a représenté la guerre d'Algérie, et plus généralement la prise de conscience des méfaits de la colonisation. Après des études de philosophie, j'ai évolué vers l'anthropologie, en suivant la formation de Georges Balandier à l'EHESS. Sa Sociologie des Brazzavilles noires (Presses de Sciences Po, 1954) était ma référence. Il y avait aussi le fort courant des tenants anglo-saxons de l'anthropologie sociale. C'est au Centre d'études africaines, dirigé par Balandier, que j'ai effectué mes premières recherches sur Dakar, dès 1965. J'étais intéressée par les pratiques des acteurs de la ville, d'abord à une échelle microsociale, celle d'une anthropologie de l'espace habité en ville. Très vite s'est posée la question du transfert des modèles d'habitat, dans une configuration de dualisme culturel entre tradition et modernité. En fait, les observations sur le terrain m'ont permis de conclure à une articulation entre tradition et modernité, à travers des pratiques souvent subtiles d'hybridation culturelle. Et c'est toujours cela qui a sous-tendu l'ensemble de mes recherches et de mes réflexions, qu'il s'agisse des pratiques citadines d'installation en ville et de son usage, ou de celles qui produisent les politiques urbaines et leur mise oeuvre. « pour mémoire » l n° HS automne 2017 112 Passant à l'échelle macro-sociale, je me suis intéressée à l'analyse des projets et interventions de la Banque mondiale, acteur dominant du développement au travers de l'ajustement structurel au plan macro-économique, et par une action sectorielle au plan urbain. Il fallait montrer comment l'idéologie néolibérale nourrissait cette entreprise. Il fallait comprendre comment se produisait, avec quels acteurs, le discours dominant à vocation universelle. Je m'attachais aussi à comprendre comment les acteurs nationaux interprétaient les règles, parfois les contournaient et les détournaient, utilisant la ruse et pratiquant l'hybridation culturelle. J'ai fait systématiquement ce travail pour trois pays : le Sénégal, le Burkina Faso, et la Tunisie. Mais j'ai pu vérifier mes analyses dans d'autres pays, notamment au Brésil. J'ai pu aussi constater comment le terme de « gouvernance » pouvait habilement servir à masquer le contenu politique des mesures mises en place dans le cadre d'une mondialisation efficace. Cette recherche fut assez solitaire pendant quelques années. Par ailleurs, en 1965, j'ai été conviée à participer à la création de l'atelier d'urbanisme de l'École nationale des ponts et chaussées (ENPC), sous l'égide de Guy Lagneau, grand orfèvre du schéma directeur de la région parisienne, dont le slogan, « Il faut urbaniser les ingénieurs », marquait bien le caractère innovant de cette entreprise. Pluridisciplinarité chez les enseignants et les étudiants, n° HS automne 2017 Vue d'un quartier «moderne» de Dakar en 1962 ©UN Photo accueil d'étudiants étrangers, apports sollicités des sciences humaines, je m'y trouvai à l'aise dès le début, me spécialisant rapidement dans un enseignement sur les questions urbaines dans les pays en développement. L'innovation était à l'ordre du jour, et dès le début des années 70, j'ai pu organiser chaque année un projet de fin d'études sur ces questions, essentiellement en Afrique. Charles Goldblum Ma démarche relative aux questions de coopération urbaine se situe au croisement de trois domaines d'intérêt : les villes, l'urbanisme et les politiques urbaines ; l'Asie du Sud-Est, ses espaces et ses sociétés ; la modernité et le développement. De là sont nées des interrogations résultant de lectures croisées de Lewis Mumford, de Paul Mus et de Walter Benjamin, mais aussi bien d'Henri Lefebvre, de Georges Condominas et d'Yves Lacoste. C'est en fait une première expérience d'acteur de la coopération française au Cambodge, à la fin des années 1960, en tant qu'enseignant en urbanisme à la Faculté d'Architecture de l'Université royale des Beaux-Arts, suivi d'une mission intermittente de coopération technique auprès de la MAET (Mission française d'aide économique et technique) à Vientiane (Laos), qui a donné corps à ce croisement, aux interrogations critiques de l'époque sur les jeux de modèles de pensée et d'action dans le champ de l'urbanisme. C'était à un moment où l'assistance technique dans ce domaine était sollicitée tant sur le plan de la formation que de l'expertise ­ mais dans un contexte marqué par l'importance de l'aide multilatérale et, en ce qui concerne Phnom Penh, par le passage d'un l « pour mémoire » 113 urbanisme de prestige, de composition urbaine (associé à une conception architecturale « Khmère moderne ») à un urbanisme correctif. L'interruption brutale d'un premier projet de thèse sur Phnom Penh avec l'entrée du Cambodge dans la seconde guerre d'Indochine, mais aussi la radicalité des positions anti-urbaines à laquelle celle-ci ouvrait la voie, ont constitué des références marquantes pour l'examen des questions de recherche que j'ai développées ultérieurement dans d'autres contexte de l'Asie du Sud-Est émergente : l'héritage colonial dans la planification urbaine pour Singapour ; la métropolisation pour Bangkok ; la transition urbaine pour Phnom Penh et Vientiane. Quelle que fût la nature des structures de recherche dans lesquelles ces travaux ont été menés (centres spécialisés sur l'Asie ou sur les questions de développement, laboratoires associés aux écoles d'architecture ou à l'Institut d'urbanisme), la question des villes et de leur développement a toujours constitué un élément central pour mes recherches, et la recherche un élément déterminant pour mes actions individuelles et collectives de coopération urbaine dans les domaines de la formation et de l'expertise. convergence, avec l'Institut d'urbanisme de Paris 8 comme institution de rattachement et pôle de rayonnement de nos activités scientifiques communes. Nous avons, au besoin, contribué à créer ces dispositifs de formation et de recherche. Ainsi, c'est en commun que nous avons oeuvré à la mise en place d'une structure d'enseignement cohérente sur la question des villes et de leur développement dans les pays des Suds au sein du DESS d'urbanisme et aménagement. Outre l'intégration de nos spécialités respectives dans ce dispositif, nous avons créé des enseignements conjoints novateurs, tel le cours « Anthropologie urbaine et tiers-monde ». Visant à ouvrir l'esprit de nos étudiants, futurs urbanistes, à la question de l'intervention urbaine sur des territoires distincts, ce cours les incitait à réinterroger les conceptions, représentations et pratiques de l'espace à l'oeuvre dans l'urbanisme tel que pratiqué et enseigné en France. C'est ce même partage d'une distance critique relative à la circulation des modèles dans le champ de l'urbanisme qui a nourri nos activités communes au sein des réseaux et structures de recherche concernant les villes du Sud et le développement, et qui nous a conduits à concevoir et organiser conjointement des programmes et séminaires de recherche dans ce domaine. A. O. et C. G. : Ces deux cheminements intellectuels, ici esquissés dans leur spécificité, ont, dès les années 1970, trouvé les espaces institutionnels propres au développement de leurs complémentarités et points de Vue de Singapour en 1970 ©Berkeley geography/Urbain J. Kinet Comment expliquez-vous l'émergence, dans les années 70, d'une recherche explicitement tournée vers les questions de coopération urbaine ? Comment s'est-elle installée dans le « pour mémoire » l n° HS automne 2017 114 paysage institutionnel de la recherche française ? A. O. et C. G. : La recherche, on le sait, n'est pas seulement l'offre de produire des connaissances. Elle dépend aussi d'une demande, qui a deux expressions identifiées : une demande politicoinstitutionnelle, et une demande liée aux politiques de recherche et à ses organismes. Il n'y a pas forcément une concordance de temps entre les deux sphères. Dans les années soixante et la première moitié de la décennie soixante dix, la politique de coopération française avait pour priorité l'agriculture, la santé et l'éducation. Les villes n'apparaissaient que dans les projets de grosses infrastructures, ports et aéroports, aménagement de grosses industries, et quelques opérations de rénovation urbaine et de construction de logements. L'intérêt porté par la Banque mondiale dès 1970 à l'urbanisation comme facteur de développement a fait évoluer la demande de recherche. Fin 70, début 80 et après, le CNRS d'abord, puis l'ORSTOM 1 qui avait un monopole de recherche sur les pays en développement mais prenait peu en compte le secteur des sciences humaines, se lancèrent dans la mise en oeuvre d'une politique de recherche dans ce qui s'appela par la suite le « développement urbain ». L'ORSTOM créa en 1982 le département des socio-systèmes urbains, et le ministère de la recherche annonça la même année la création d'un programme mobilisateur de recherche urbaine en n° HS automne 2017 coopération, doté de moyens qui lui permirent de lancer des appels d'offres jusqu'en 1993. L'ensemble de ces moyens donna la possibilité à la recherche universitaire de se développer. En ce qui concerne l'Institut d'urbanisme de l'Université de Paris 8, nous avons pu créer dans les années 80 un groupe de recherche, RUPHUS (Recherche urbaine, politiques de l'habitat, et urbanisation dans les pays du sud), nous permettant d'avoir notre place à l'Institut d'urbanisme, même si notre position était marginale et considérée comme de peu d'intérêt. Mais lorsque fut créé le Laboratoire TMU (Théorie des mutations urbaines), ce début d'existence nous permit d'y obtenir la création d'un groupe spécifique et pérenne sur les questions des politiques urbaines. Ce dynamisme institutionnel nous a permis également de commencer à exister pour le ministère de la coopération, où nous avons pu favoriser la création, en 1982, du département du développement urbain. Cette évolution, en grande partie imputable à l'évolution des institutions de recherche, ne nous a pas permis toutefois de venir à bout de quelques principes institutionnels de la recherche en coopération : la division des champs de recherche en aires culturelles rigides (les africanistes, les américanistes, les orientalistes), le classement mono-disciplinaire des chercheurs, et l'appui à des programmes de recherche ayant comme terrain les pays dits de la « zone de solidarité prioritaire ». Cependant, peu à peu et grâce à la diversité des moyens mis en oeuvre, ces verrous ont sauté : la pluridisciplina- rité, absolument indispensable dans le champ de la recherche urbaine, et l'établissement de partenariats de recherche avec de nombreux pays, notamment en Amérique latine et en Extrême Orient, ont permis un très bon niveau de production scientifique. Du côté de la demande politicoinstitutionnelle, un manque de cohérence assez patent dans la définition d'objectifs politiques de coopération, puis d'appui au développement urbain, s'est traduit par un manque de visibilité, accentué par les alternances politiques que nous avons connues. A chacune d'elles, on a vu disparaître et apparaître nombre d'organismes, chacun appliquant une politique difficile à cerner. Vous avez souvent été amenés à travailler avec les acteurs des politiques de coopération, par exemple à l'occasion de la conférence Habitat II, ou de manière plus visible encore dans le cadre du Programme de recherche urbaine pour le développement entre 2001 et 2004. Quelle a été la genèse de cette rencontre entre la recherche et les politiques de développement ? Quels en ont été les principaux aboutissements ? A. O. et C. G. : C'est l'irruption de la Banque mondiale dans le domaine urbain, très précisément au début des années 80, qui a entraîné une articulation entre politiques de recherche et politiques de développement. En Office de la recherche scientifique et technique d'Outre mer, aujourd'hui Institut de recherche pour le développement (IRD) 1 l « pour mémoire » 115 Afrique, si on regarde le cas du Sénégal, le pays a signé quatre plans d'ajustement structurel, et quatre projets de développement urbain portant sur Dakar, entre 1980 et 1994. Côté urbain, il s'agissait de fournir un appui institutionnel aux institutions locales de gestion urbaine, avec la perspective d'accompagner et de compenser au plan local un désengagement de l'État, notamment dans le domaine des services publics. Le thème de la gouvernance fit son apparition vers 1992, et l'appui institutionnel se déplaça vers un chantier plus politique, celui de la décentralisation, qui enclencha des programmes spécifiques dans ce domaine. La coopération française se joignit, avec un peu de retard, à cet objectif, d'abord en développant ce qui existait déjà, la coopération décentralisée (loi de 1992), puis en finançant également des programmes nationaux de décentralisation. Face à cette évolution rapide et radicale, nombre de chercheurs ont déplacé leurs centres d'intérêt vers ce qui constitue le champ du développement urbain. Les politiques de coopération pour le développement sont devenues des objets de recherches scientifiques. A cet égard le GEMDEV (Groupement pour l'étude de la mondialisation et du développement, créé en 1983) était un lieu très stimulant pour aborder les questions du développement, de la mondialisation, du rôle des Etats des pays en voie de développement. Dans ces échanges, la question urbaine a été assez vite centrale. Des échanges avaient lieu également avec d'autres structures, telles que l'AITEC (Association internationale de techniciens et chercheurs) avec des ONG, notamment le GRET, et des réseaux européens tels que N'AERUS et l'EADI. Avec ces différents acteurs, nous avons beaucoup investi dans la préparation (Haut conseil de la coopération internationale), instance rattachée au premier ministre (à l'époque Lionel Jospin), devenait l'instance de coordination et de mise en cohérence de l'action extérieure de la France. Le développement urbain y avait sa place, et nous avons participé aux activités du groupe dédié que coordonnaient Georges Cavallier et Yves Dauge. C'est dans cet environnement favorable qu'a pu commencer, et s'installer durablement, l'aventure qui a eu son point d'orgue avec le PRUD (Programme de recherche urbaine pour le développement), confié au GEMDEV, et géré sur un plan administratif par l'ISTED. Le déclencheur fut la demande formulée en 1999 par la direction de la Coopération du ministère des Affaires étrangères qui nous chargeait, dans le cadre du GEMDEV, d'établir un bilan de la recherche urbaine en coopération et de proposer des éléments pour la dynamiser. La demande était claire. Notre rapport, remis en 2000, mettait en lumière les acquis, et surtout les manques, dans deux domaines fondamentaux de la recherche urbaine : les stratégies et les logiques d'acteurs, et l'analyse des interventions sur la ville (la planification urbaine, les partenariats public-privé, la gouvernance urbaine). Ce rapport fut immédiatement suivi de la mise en route du programme de recherche, prévu pour se dérouler sur quatre ans, de 2001 à 2004. Il s'agissait d'un programme incitatif, pris en charge par la sous-direction de « pour mémoire » C'est l'irruption de la Banque mondiale dans le domaine urbain, très précisément au début des années 80, qui a entraîné une articulation entre politiques de recherche et politiques de développement. d'Habitat II (Istanbul, 1996), notamment dans la production d'une Déclaration des chercheurs diffusée lors de cette conférence. L'accent était mis sur le rôle des collectivités locales dans les interventions sur la ville, accompagné, sur un plan plus politique, d'une exigence démocratique. Dans cette dynamique, avec le même souci de problématiser les questions nouvelles qui se posaient aux chercheurs et aux responsables des politiques urbaines, nous avons organisé en 1997-1998, dans le cadre du GEMDEV, un séminaire de recherche, ouvert aux décideurs, sur « Villes et citadins dans la mondialisation », dont les contributions furent publiées sous ce titre en 2003. La création en 1997 du HCCI l n° HS automne 2017 116 la recherche du Ministère en charge de la coopération, qui allait donc innover en laissant un peu de côté les recherches archéologiques, son champ traditionnel, pour s'intéresser au développement urbain. Il a fallu toute l'opiniâtreté des deux sous-directeurs successifs qui ont géré le PRUD pour secouer des habitudes très ancrées dans le ministère. Le programme a mobilisé trente équipes de recherche mixtes Nord-Sud (environ 265 chercheurs). La seule restriction imposée était de se limiter géographiquement aux pays dits de la zone de solidarité prioritaire, au nombre d'une quarantaine à l'époque. Des réunions régionales permirent des restitutions partielles des recherches, à Hanoi, Rabat, Dakar, La Havane, ce qui permit de faire connaître la portée de ces recherches. La restitution finale eut lieu lors d'un colloque international tenu à l'UNESCO, en 2004, sur le thème « Gouverner les villes du Sud. Défis pour la recherche et pour l'action ». De cet important travail a résulté la publication de douze ouvrages, et de nombreux articles. Cet ensemble de travaux a contribué à dépasser la distinction entre la recherche sur les villes en développement, souvent centrée sur l'identification des problèmes, et la recherche en coopération, supposée tournée vers l'intervention urbaine. En érigeant la coopération urbaine, les dispositifs de l'aide et la place des acteurs, en objets de la recherche scientifique, ces travaux ont notamment permis d'éclairer la question de la complexification du gouvernement des villes, liée en particulier à la multiplication des agents externes, dans n° HS automne 2017 des contextes d'assistance technique et d'aide publique au développement. La dynamique engendrée par cette aventure qui marque une rencontre entre demande et offre de recherche ne s'est pas arrêtée à ce stade. Une sorte de réseau de fait s'est constitué, qui n'a pas eu d'existence institutionnelle, mais qui s'est manifesté jusqu'à ces dernières années dans des activités de réflexion et d'échanges. Ainsi, de 2006 à 2008, un groupe de réflexion, animé par le GEMDEV, a été installé par le ministère des affaires étrangères sur le thème de « La gouvernance urbaine ». Ce groupe a fonctionné sous forme de panels réunissant des chercheurs, des praticiens et des décideurs, et a publié en 2009 un rapport intitulé « La gouvernance urbaine dans tous ses états », qui a mis l'accent sur la grande diversité et la singularité des dispositifs de gouvernance urbaine que rencontre l'observation empirique. Signalons qu'une des recommandations de cette étude concernait la planification urbaine stratégique, considérée comme étant susceptible de constituer un appui à la gouvernance urbaine démocratique. Cette recommandation fut reprise par les affaires étrangères, et c'est tout naturellement qu'on a retrouvé d'anciens membres du PRUD dans les activités du Partenariat français pour la ville et les territoires (PFVT). Cette présence, cette activité de veille scientifique, atteste la possibilité pour les chercheurs d'éclairer les décideurs qui le souhaitent, et de contribuer ainsi à une meilleure efficacité des interventions dans le domaine urbain. Comment s'est structurée la formation en matière de coopération urbaine ? Pour quelles raisons des enseignements dédiés aux villes des pays en développement ont-ils vu le jour ? Quelle était leur place au sein du système universitaire français ? A. O. et C. G. : Dans les formations créées à l'occasion des grands bouleversements de 1968, l'urbanisme a trouvé sa place dans l'Université. Créé en 1969 sous la forme d'un département de l'université expérimentale de Vincennes, l'Institut d'urbanisme (futur Institut français d'urbanisme, IFU), resta au sein de Paris 8 jusqu'en 2009, date à laquelle il rejoignit l'Université de Marne-la-Vallée, et fusionna en 2014 avec l'IUP (Institut d'urbanisme de Paris 10) pour devenir l'École d'urbanisme de Paris (EUP). A travers ces tribulations, nous sommes quelques-uns à avoir pu favoriser dès les années 1970 la création à Paris 8 d'enseignements concernant les problèmes urbains dans les pays du Sud, qui s'organisèrent comme une des filières du DESS, au début des années 80. Cela s'imposait, pour deux raisons majeures. La première raison était qu'il fallait accueillir ceux de nos étudiants qui souhaitaient devenir assistants techniques ou experts dans le domaine du développement urbain des pays du Sud, et des étudiants étrangers, souvent détachés pour un temps de leur administration, qui venaient avec l'objectif d'acquérir un diplôme universitaire français valorisable dans leur pays. Il fallait donc ouvrir les étudiants à la comparaison pays par pays, et leur donner des clés l « pour mémoire » 117 L'autre grande raison qui imposait que nous ayons une visibilité propre à l'IFU est que nous avons très tôt été sollicités par nombre d'organismes pour intervenir et souvent animer des actions de formation continue en France et à l'étranger, dans le domaine du développement urbain. Ces actions ont assez souvent été menées en collaboration avec la direction de la formation continue de l'École nationale des ponts et chaussées (ENPC), notamment en Tunisie et au Sénégal. Le Ministère de la coopération a fait régulièrement appel à nous, notamment dans des sessions de formation continue de hauts fonctionnaires africains, gérées par l'ENA. Entrée de l'université de Vincennes ©Service photo de l'université Paris 8 de lecture des positions des institutions internationales en la matière. Soulignons aussi que nous avons accueilli à Paris 8 toutes les vagues de réfugiés des dictatures européennes (Espagne, Portugal, Grèce, Allemagne de l'Est, Hongrie, Tchécoslovaquie...) et d'Amérique latine (Argentine, Brésil, Chili...). Tous avaient des diplômes, beaucoup avaient une expérience professionnelle, et certains ont pu assurer des enseignements à l'IFU, notamment des proches de Manuel Castells, tel Jordi Borja, sur la planification urbaine stratégique à Barcelone. Pour nos étudiants et pour nous-mêmes, toutes ces expériences rassemblées ont été une source d'enrichissement intellectuel incomparable, le contact avec la grande diversité du monde nous incitant constamment à une humilité assumée dans nos enseignements, et nous donnant des arguments pour le refus d'une diffusion inconsidérée de modèles occidentaux (nos modèles) sans prise en compte de la singularité des pays qui se les voient imposer. Cette dynamique assez particulière nous a permis d'installer nos enseignements de manière pérenne dans une filière du DESS appelée « Aménagement urbain dans les pays en développement », qui devint une filière du master dans les années 90, intitulée « Expertise internationale/ Villes en développement ». Cette filière est devenue diplôme d'université dans la dernière transformation de l'IFU en EUP. Cependant, on notera qu'un tel diplôme, considéré comme marginal dans le nouvel ensemble, est forcément moins valorisé qu'une filière à part entière de master. Mais les choses ont pris une dimension beaucoup plus importante dans le domaine de la coopération universitaire, dans laquelle nous avons commencé à intervenir très tôt : dans les années 70, nous avons contribué activement à la création d'écoles d'architecture et d'urbanisme à Dakar, à Lomé, à Tunis ; de formations de troisième cycle inspirées des DESS et DEA de l'IFU. A partir des années 1980, prenant appui sur des activités de recherche, d'autres coopérations universitaires en urbanisme ont été mises en place avec plusieurs pays d'Asie du Sud-Est. Les échanges initiés dans ces programmes ont évidemment été d'une grande richesse, et nous ont bien sûr confirmés dans une pratique d'écoute et une posture d'humilité dans un domaine, celui du développement urbain, qui souffre mal l'imposition de modèles à vocation universelle venus d'ailleurs. « pour mémoire » l n° HS automne 2017 118 Bibliographie indicative C. Goldblum et A. Osmont, (eds), Villes et citadins dans la mondialisation, Paris, Karthala, 2003 C. Goldblum et A. Osmont, « Gouvernance urbaine et coopération internationale », in S. Bellina, H. Magro et V. de Villemeur (eds) : La gouvernance démocratique : un nouveau paradigme pour le développement ? Paris, Karthala, 2008 C. Goldblum et A. Osmont, « Quelle place pour les villes dans la production des connaissances sur le développement », In V. Geronimi, I. Bellier, J.-J. Gabas, M. Vernières et Y. Viltard (eds), Savoirs et politiques de développement, Paris, KarthalaGemdev, 2008 C. Goldblum, Spatial Planning for a Sustainable Singapore, Springer Netherlands/Singapore Institute of Planners, 2008 (co-editors: W. Tai-Chee et B. Yuen) C. Goldblum, Territoires de l'urbain en Asie du Sud-Est. Métropolisations en mode mineur, Editions du CNRS, 2012 (codirection avec M. Franck et C. Taillard) C. Goldblum, Transitions urbaines en Asie du Sud-Est. De la métropolisation et de ses formes dérivées, Editions de l'IRD/IRASEC, 2017 (codirection avec K.Peyronnie et B. Sisoulath) A. Osmont, « Stratégies familiales, stratégies résidentielles en milieu urbain : un système résidentiel dans l'agglomération dakaroise » in E. Le Bris, A. Osmont, A. Sinou, A. Marie, Famille et résidence en ville africaine, Paris, L'Harmattan, 1987 A. Osmont, La Banque mondiale et les villes. Du développement à l'ajustement. Paris, Karthala, 1995 A. Osmont, « Citta e economia : la citta efficiente », in M. Balbo (Ed) La citta inclusiva ; argomentiper la citta dei PSV, Milano, Franco Angeli, 2002 (2003 pour l'édition espagnole) n° HS automne 2017 l « pour mémoire » 119 GEORGES CAVALLIER Ingénieur et humaniste (1934-2012) Textes réunis par André Pollet, Antoine Loubière, Evelyne Hardy et Xavier Benoist « pour mémoire » l n° HS automne 2017 120 Georges Cavallier, ingénieur et humaniste Par André Pollet et Antoine Loubière Georges Cavallier ©Fédération Soliha Ancien élève de l'École Polytechnique (1954) et de l'École nationale des ponts et chaussée (1959) devenu un grand commis de l'État, Georges Cavallier aura marqué de son empreinte l'histoire de l'urbanisme et de la politique de la ville en France. Expert reconnu dans ces domaines, il fut un éminent représentant de la France au plan international, en témoigne le rôle de représentant de la France qu'il a tenu au sommet Habitat II. Homme de grande culture, ses analyses fondées sur une accumulation de connaissances peu commune le rendirent visionnaire sur bien des sujets aujourd'hui d'actualité, comme la gouvernance urbaine qui mêle citoyenneté et autorité publique ou les enjeux revendiqués de santé et de développement urbain durable. Humaniste engagé, il mena un combat tenace pour le droit au logement, l'amélioration du parc privé social et la lutte contre l'habitat indigne. Des causes qu'il défendra ardemment à la présidence de la Fédération des PACT, ou au Conseil national de l'habitat. n° HS automne 2017 l « pour mémoire » 121 Décédé le 17 septembre 2012 à l'âge de 78 ans, il était un personnage au fond discret mais il avait incarné, au sommet Habitat II d'Istanbul, en juin 1996, « la politique urbaine française ». Une politique dont il avait écrit la synthèse à travers la contribution française à Habitat II dont il était le rapporteur1 . En effet, Georges Cavallier, plus que d'autres, avait compris le nécessaire passage de l'État opérateur à l'État régulateur. Et pour lui, la politique urbaine était évidemment une co-production avec l'ensemble des acteurs, au premier rang desquels les collectivités locales. C'est dans cette perspective qu'il avait été un artisan de la création de l'Institut des Villes en janvier 2001 sous la présidence d'Edmond Hervé, alors maire de Rennes, contribuant notamment à la rédaction de la publication Santé, ville et développement durable. Cinq ans plus tard, il supervise, comme coordonnateur national, la participation française à la session extraordinaire de l'assemblée générale des Nations Unies, en juin 2001 à New York, consacré au bilan du sommet d'Istanbul. Un numéro hors série d'Urbanisme en témoigne2 ainsi qu'un entretien publié dans le n° 318 en réponse à la question « Que reste-t-il de l'esprit d'Istanbul ? »3 . Parmi les conclusions essentielles tirées de ce sommet, il met particulièrement l'accent sur l'importance d'une bonne gouvernance urbaine comme facteur déterminant de croissance dès lors que l'efficacité économique dépend de plus en plus des relations locales entre différents décideurs. D'ailleurs, à ce sujet et à la demande de la Fondation européenne pour l'amélioration du cadre de vie et des conditions de travail, Georges Cavallier a produit, en 1998, un important rapport prospectif relatif à l'importance des enjeux liés à l'avenir des villes, et à la nécessité d'une meilleure maîtrise collective du développement urbain. Un autre thème d'Habitat II, l'importance du devenir des villes pour le développement durable, a nourri sa réflexion sur les villes. Elle est transcrite avec clarté et précision dans sa contribution au livre blanc français pour le sommet mondial du développement durable à Johannesburg en 2002. Du message d'Habitat II, Georges Cavallier retiendra également, à partir de 1999, le combat pour le droit au logement. À son habitude, il le mènera de manière efficace et concrète, en acceptant Publiée dans le numéro spécial d'Urbanisme, n° 288, mai-juin 1996, « La France à Istanbul ». 2 Urbanisme hors série n° 15, « Les villes à l'ONU. Rapport français 2001 », janv.-fév. 2002. 3 Urbanisme n° 318, mai-juin 2001. « pour mémoire » 1 de prendre, au moment de sa retraite de président de la 5e section du Conseil général des ponts et chaussées, la présidence de la Fédération nationale des PACT, grand réseau associatif ancré dans les territoires et très actif dans l'insertion par le logement et dans l'amélioration du parc privé à occupation sociale. Il assume cette présidence, malgré la maladie qui l'avait frappé, jusqu'en juin 2012, passant ensuite le relais à Xavier de Lannoy. Entre-temps, il ne délaissera pas l'urbanisme proprement dit, puisqu'il assumera notamment la présidence de l'Observatoire régional du foncier d'Île-de-France. Sans évoquer en détail sa longue carrière de haut-fonctionnaire, on mentionnera notamment son rôle déterminant à la création de la Délégation interministérielle à la ville (DIV) au côté d'Yves Dauge et sa fonction de directeur de cabinet des ministres de la Ville en 1992 et 1993. On ne comprendrait rien à Georges Cavallier si on oubliait son souci constant de servir l'État en faisant avancer des conceptions et des pratiques contre les discriminations, pour la mixité sociale, pour le droit au logement, pour un développement urbain durable et solidaire. l n° HS automne 2017 122 Que reste-t-il de l'esprit d'Istanbul ? Georges Cavallier, coordonnateur des contributions françaises au Sommet mondial des villes d'Istanbul en juin 1996, également chargé de préparer, pour la France, le bilan d'Habitat II, répond à la revue Urbanisme à la question « Que reste-t-il de l'esprit d'Istanbul ? ». Extraits de l'interview de Georges Cavallier par Antoine Loubière, Revue Urbanisme n° 318, mai-juin 2001, pp. 29-32. En mai 1996, Urbanisme consacrait un numéro entier à l'événement Habitat II, sommet mondial des villes organisé par l'ONU à Istanbul, dans la lignée des autres de la fin du siècle (Rio sur l'environnement, Pékin sur les femmes...). La déclaration d'Istanbul affirmait le droit à un logement décent pour tous et la nécessité d'un développement urbain durable. Parallèlement, la première Assemblée mondiale des villes et autorités locales faisait entendre la voix des élus locaux et leur aspiration à une extension de la décentralisation dans le cadre d'une véritable gouvernance urbaine. Cinq ans après, lors d'une assemblée générale extraordinaire à New York du 5 au 8 juin 2001, l'ONU tire le bilan d'Habitat II. Un bilan mitigé de l'avis de nombreux acteurs des politiques urbaines et de l'habitat notamment en matière de droit effectif à un logement décent, en particulier dans les pays en développement. Cependant, le mouvement de décentralisation a connu de nouvelles avancées. Et les deux grandes associations internationales d'élus locaux ont tenu un «congrès de l'unité» à Rio de Janeiro, début mai 2001. Cette étape de Rio sur la route de New York permet aux maires de s'affirmer sur la scène politique internationale, au moment où les débats sur la mondialisation ont tendance à se polariser entre les grandes entreprises multinationales et lesdites «ONG» (organisations non gouvernementales), symbolisées par un homme comme José Bové. Quels ont été les temps forts de l'événement Habitat II? Georges Cavallier: J'en vois trois. D'abord, le caractère novateur n° HS automne 2017 et fondateur de la première Assemblée mondiale des villes et autorités locales (AMVAL) qui s'est tenue avant le sommet intergouvernemental. C'était la première fois que les maires des cinq continents, dans une ferveur certaine, avec le zèle du néophyte, tenaient un rassemblement ouvert, témoignant de la prise de conscience du rôle majeur que doivent jouer les autorités locales dans la conduite du développement urbain. Ensuite, l'organisation, également pour la première fois, par rapport aux autre grands sommets mondiaux (Rio, Pékin, La Caire...) au sein de la même conférence intergouvernementale, d'une séquence consacrée à des dialogues thématiques entre les délégations nationales et les autres acteurs du développement urbain: collectivités territoriales, organisations non gouvernementales (ONG), entreprises privées et publiques, organismes de recherche... Il n'est pas sûr que tous les intervenants aient été représentatifs, ni les thèmes abordés tous stratégiques, mais le précédent ainsi créé est tout à fait essentiel. Troisième temps fort: la conférence intergouvernementale elle-même avec, d'un côté, la présence du gotha des chefs d'État et de gouvernement des pays en développement et, de l'autre, l'absence systématique de leurs homologues des pays riches. Il y avait, certes, des raisons objectives à cette absence (les invitations ont été envoyées tardivement), mais il est révélateur que les pays les plus urbanisés n'aient pas été représentés au plus haut niveau. Qu'est-ce que la préparation d'Istanbul avait fait apparaître de la perception française des enjeux d'un sommet mondial des villes, tant du côté des administrations d'État que du monde des collectivités locales? G.C.: Ce qui m'a frappé, à l'époque, c'est l'adhésion spontanée des différents responsables qui ont eu à intervenir dans cette préparation, tant au sein des administrations centrales que des organisations professionnelles et des associations nationales d'élus. Cette dynamique participative contrastait avec une certaine passivité du côté des décideurs politiques centraux. Il n'y a pas eu une seule réunion interministérielle à Matignon pour valider les positions françaises... sauf une, pendant le sommet luimême, sur les questions du logement, alors même qu'il n'y avait, en la matière, nul besoin d'arbitrage puisque les positions étaient consensuelles. Du côté des associations nationales d'autorités locales, c'était l « pour mémoire » 123 blèmes au plus près des réalités, au plus près du terrain et qu'il faut donc décentraliser, en veillant à ce que le processus de décentralisation renforce la transparence et la légitimité démocratiques, sans mettre en tension la démocratie représentative et la démocratie participative qui peuvent et doivent se conforter mutuellement. L'idée enfin, que la complexité du fait urbain oblige les différents niveaux de pouvoirs publics à coopérer, que la conjugaison de leurs efforts est plus important que le partage de leurs compétences. Qu'est qui n'est pas acquis de l'esprit d'Istanbul? G.C.: Je regrette qu'on n'ait pas encore réussi à faire prendre en considération, à leur juste valeur, les enjeux liés au développement urbain et à leur triple impact sur le développement économique, la cohésion sociale et la protection de l'environnement. La sensibilisation des décideurs macroéconomiques n'est toujours pas suffisante. Nombre d'entr'eux considèrent la ville comme une simple résultante, la trace au sol, en quelque sorte, des différentes politiques sectorielles. C'est à tord qu'ils négligent l'importance intrinsèque des formes urbaines et le poids des acteurs locaux, alors même que la ségrégation spatiale est un accélérateur redoutable de la ségrégation sociale, ils ne voient pas suffisamment que dans une économie dominée par la matière grise et les services, les villes deviennent le lieu privilégié, le moteur du développement. Dès lors que l'efficacité économique dépend de plus en plus des relations locales entre différents décideurs, une bonne gouvernance devient un facteur de croissance et de compétitivité économiques. Autre message qui n'est pas passé: l'importance du devenir des villes pour le développement durable. On ne saurait par exemple, réduire les émissions de gaz à effet de serre sans maîtriser les déplacements des citadins, parce que les modes de vie urbains se sont imposés sur l'ensemble du territoire, c'est d'abord dans les villes qu'il faut agir pour faire évoluer les comportements et les modes de consommation. De plus, c'est seulement à l'échelle de l'agglomération qu'on peut conduire, de façon concrète, réaliste et crédible les politiques véritablement intersectorielles, intégrées, systémiques qu'appelle le développement durable. Brochure de la conférence Habitat II ©Nations Unies la première fois que je les voyais travailler concrètement ensemble, et cela n'a pas concerné que leurs permanents. J'ai vu des élus engager autour d'une même table un véritable travail collectif débouchant sur la déclaration des maires français, qui a fortement marqué les débats de l'AMVAL. On pourrait en dire autant des chercheurs et des ONG. Tous sentaient la nécessité de mettre en perspective l'ensemble des politiques urbaines menées en France et aussi de les resituer par rapport au reste du monde. Cinq ans après, quelle appréciation portez-vous sur l'impact d'Habitat II dans les esprits des décideurs français et étrangers? G.C.: Plusieurs idées essentielles ont fait leur chemin au point d'en être devenues banales. D'abord, l'idée que le marché seul, ne peut aboutir à des villes satisfaisantes, à un développement urbain durable et, par conséquent, la nécessité d'une maîtrise publique du mouvement d'urbanisation, réaffirmée sous des formes et des langages différents dans la plupart des pays. L'idée, aussi, que les politiques urbaines, pour être efficaces, doivent être horizontales, globales, partenariales, «holistiques». L'idée encore, que ces politiques doivent s'inscrire dans la durée et passent par des actions de longue haleine et des stratégies à long terme. L'idée qu'il faut traiter les pro- « pour mémoire » l n° HS automne 2017 124 Défis pour la gouvernance urbaine dans l'Union européenne A la demande de la Fondation européenne pour l'amélioration du cadre de vie et des conditions de travail, Georges Cavallier a produit, en 1998, un important rapport prospectif relatif à l'importance des enjeux liés à l'avenir des villes, et à la nécessité d'une meilleure maîtrise collective du développement urbain. Extraits du rapport Défis pour la gouvernance urbaine dans l'Union européenne, Fondation européenne pour l'amélioration du cadre de vie et des conditions de travail, 1998, 92 p. (disponible sur www.eurofound.ie) La nécessité d'une meilleure maîtrise collective du développement urbain. L'importance et la complexité des défis auxquels les villes doivent faire face ne laissent aucun doute: en matière de politique urbaine, l'intervention publique est plus que jamais nécessaire. Le marché, seul, ne peut, à l'évidence, rendre la ville économiquement efficace, écologiquement prudente et socialement harmonieuse. Un tel objectif dépend au premier chef de la capacité des pouvoirs publics à tous les échelons de combiner les demandes émanant des intérêts différents et également légitimes, de dégager et de faire accepter des synthèses et des solutions effectives, de trouver un bon équilibre entre les prélèvements à effectuer et les services offerts. Le Sommet d'Istanbul a mis l'accent, à ce titre, sur le rôle majeur que doivent désormais jouer, en matière de politique urbaine, les autorités locales. La conférence a souligné en effet qu'une capacité effective de gestion coordonnée et démocratique à l'échelle de l'agglomération passe par l'existence d'une autorité politique responsable, capable non seulement d'optimiser l'exploitation technique, mais aussi d'articuler une pluralité d'acteurs porteurs de responsabilités et de droits tout en suscitant l'adhésion des populations. Elle a considéré en conséquence que chaque pays devait, dans son propre cadre juridique, promouvoir la décentralisation et chercher n° HS automne 2017 à renforcer les capacités financières et institutionnelles des autorités locales. L'impact de la mondialisation des échanges. La cohésion sociale des pays développés est mise à mal, car dans un monde où la performance compte plus que la puissance du nombre, les riches ont de moins en moins besoin de leurs pauvres. La remise en question de l'égalité des chances sape les fondements mêmes de la vie démocratique. La citoyenneté est en désarroi parce que la globalisation, qui apparaît comme un processus sans visage et sans garant, bouleverse les cadres d'appartenance reconnue où se sont, de longue date, organisées nos sociétés européennes: l'entreprise et le territoire. La mobilité du cadre des dépendances réelles introduit un décalage de plus en plus troublant. La montée des inégalités invite à renforcer l'État-nation qui est l'espace naturel de la solidarité. Mais la redistribution est plus difficile que jamais, tandis que la faille se creuse entre le pouvoir économique de l'État et celui des financiers, des banques centrales et des marchés. De plus, l'émergence des processus de décision relevant d'instances internationales, et notamment de la Communauté européenne, limite corrélativement les marges de manoeuvre des États-nations. Les coûts sociaux de la globalisation restent à la charge des collectivités publiques telles qu'elles existaient avant l'ouverture des frontières, alors que ces coûts ont maintenant changé carrément d'échelle. Une société urbaine toujours plus complexe. Sous l'effet d'un double processus d'autonomisation des individus et de la diversification du corps social, chaque citadin jouit désormais d'une autonomie relative croissante par rapport aux groupes dont il est issu et dont dépend sa vie sociale. [...] La société urbaine d'aujourd'hui agrège plusieurs catégories de population qui se trouvent dans des situations sans précédent, plus ou moins dépourvues de repères, et dont l'importance va croissant. Par ailleurs, les partenaires institutionnels sont multiples, il y a de plus en plus de décideurs en jeu et leur système de l « pour mémoire » 125 valeurs sont différents et parfois même opposés. L'application du principe de subsidiarité demeure incertaine. [...] Le choix des solutions souhaitables est de plus en plus controversé. Il résulte de plus en plus d'un processus laborieux de dialogue, de discussions et de contre-expertises, rendu plus délicat par la nécessité et la difficulté d'arbitrer entre des valeurs complètement hétérogènes. Crise du politique et crise de la citoyenneté L'absence de discours politique convaincant est cruellement ressentie. Les citadins ne se résignent guère à vivre dans l'incertain et l'inexplicable. Ils déplorent l'impuissance de leurs responsables politiques. Le sentiment que les gouvernements ne sont plus en mesure de maîtriser l'évolution économique et ses conséquences s'accroît. L'incapacité des politiques publiques à contrecarrer la progression continue du chômage et des exclusions a contribué très fortement à une prise de conscience, aujourd'hui largement partagée, d'une disjonction possible entre croissance économique et progrès social. Or, ce qui faisait lien dans nos sociétés, c'était le mythe partagé du progrès, la croyance collective dans l'avenir, le rêve devenant progressivement réalité grâce à l'ascension sociale. La remise en question de ce cheminement ouvre une période d'interrogation et de doute collectif qui s'étend très largement, au-delà même de ceux qui subissent le chômage, la précarité, l'exclusion, c'est-à-dire, l'insécurité ici et maintenant. La crise du politique se double d'une crise de la citoyenneté. L'inconscient collectif ressent, confusément, un sentiment de déracinement à l'égard d'un passé perdu et d'insécurité à l'endroit d'un futur inconnu. [...] Nous sommes en effet entrés dans une période marquée par un avenir incertain, voire aléatoire. Toute prévision devient difficile car les mêmes causes ne produisent plus toujours les mêmes effets. Une évolution inéluctable: du gouvernement des villes à la gouvernance urbaine. Pour relever ce défi de l'innovation, pour permettre au pouvoir local de mieux accomplir sa double tâche d'agrégation des demandes et d'élaboration d'une offre pertinente, pour faire en sorte qu'il puisse répondre aux enjeux qui naissent de la transformation contemporaine des rapports entre la société, l'économique et le politique, il faut, à l'évidence, adapter profondément les formes et les méthodes du gouvernement des villes: mettre en oeuvre des logiques plus concertées, davantage négociées, mieux localisées, dans lesquelles les politiques sectorielles deviennent plus porteuses, en se combinant dans des stratégies bien territorialisées; se séparer d'un rapport gestionnaire à l'espace pour accéder à une production politique du territoire; privilégier des approches qui soient à la fois globales, c'està-dire pluridisciplinaires et partenariales, c'est-à-dire unissant les efforts de toutes les parties prenantes, à chaque niveau, comme entre les différents niveaux. Pour y parvenir, point n'est besoin de créer de toutes pièces de nouvelles institutions. Il suffit d'instaurer progressivement de nouvelles relations entre les autorités publiques, notamment locales, et la société civile. Passer de l'action publique classique à la gouvernance, c'est donc adopter de nouvelles modalités d'action et de prise de décision, plus partenariales, plus interactives, plus flexibles. C'est créer la conscience locale d'intérêts collectifs et les moyens de la gérer. Intégrer les préoccupations du bien-être dans les stratégies urbaines Poursuivant ses prises de position en faveur du développement durable et de la refonte de la gouvernance urbaine, Georges Cavallier inclut dans l'ouvrage « Villes, santé et développement durable », l'exigence des questions liées à la santé dans la prospective de la ville de demain. Extraits de l'ouvrage Villes, santé et développement durable, La documentation française, Collection Villes et société, 2007, 549 p. «La santé a cessé d'être considérée comme le domaine exclusif des professionnels de la médecine, de même que le développement durable n'est plus, depuis longtemps, le monopole des militants de l'environnement. Ces deux concepts, en effet, comme les enjeux qui s'y attachent, se sont progressivement et « pour mémoire » l n° HS automne 2017 126 fortement élargis. Ils ont, chemin faisant, changé de nature en même temps que de portée. Ils s'inscrivent maintenant, l'un et l'autre, dans une perspective ambitieuse et globale d'amélioration de la qualité de la vie et de promotion du bien-être.» Santé et développement durable: perspectives et prospective «L'avenir ne se prévoit pas, il se prépare» disait Braudel. Certes, mais comment? D'abord, sans doute, en tirant les leçons du passé. Rien de tel qu'une plongée dans les dernières décennies pour prendre la mesure de l'évolution des idées et des moeurs, apprécier les progrès de la médecine, de l'hygiène et du génie sanitaire, retracer la transformation des formes urbaines, saisir et évaluer les grands changements qui permettent de comprendre où nous en sommes et de prendre de meilleures décisions. Le futur, disait Nietzche, «appartient à celui qui a la plus longue mémoire». Cette plongée rétrospective doit aussi nous mettre en garde contre les dangers qui guettent en permanence, ici comme ailleurs, ceux qui décident. Eviter d'abord de succomber aux effets de mode. Le conformisme ambiant fait trop souvent des ravages. Il inhibe le jugement, favorise une attitude passive, incite à adopter des manières de penser passagères, mais momentanément de bon ton, même dans le milieu scientifique. L'engouement pour la théorie des miasmes mortifères, par exemple, a fait perdre beaucoup de temps à l'hygiène publique, d'autant qu'elle a résisté longtemps à la découverte des microbes. Il faut toujours se méfier des solutions qui font, sur le moment, l'unanimité, mais qui apparaîtront dix, vingt ou trente ans plus tard inadaptées ou désuètes. Au cours des trente dernières années, nos villes ont été adaptées, parfois férocement, à l'usage de l'automobile. Aujourd'hui, on se préoccupe à juste titre de faire place aux cyclistes et aux piétons, mais en retombant parfois dans les mêmes rigidités, alors même que les solutions évolutives s'avèrent, en toute circonstances, les solutions les plus avisées. La souplesse, l'adaptabilité, la révern° HS automne 2017 Les efforts considérables engagés pour humaniser les grands ensembles doivent nous aider à nous rappeler que les solutions d'aujourd'hui sont souvent les problèmes de demain sibilité doivent être toujours considérées comme des critères majeurs des choix à effectuer. Le passé peut aussi nous rappeler qu'il faut se méfier de la menace permanente des effets pervers qui s'attachent presque toujours aux meilleures intentions et à des solutions fonctionnellement pertinentes. C'est ainsi qu'on est bien loin d'en avoir fini avec les séquelles dramatiques de la décision prise de protéger les structures métalliques des bâtiments en les floquant à l'amiante. Autre exemple: les urbanistes n'ont pas toujours su anticiper les conséquences dommageables de leurs choix. Les modèles urbains inspirés par la charte d'Athènes et le fonctionnalisme résultaient d'une vision purement physique et quantitative des besoins humains. Ils y répondaient par la logique d'agencements rationnels, la volonté louable d'ouvrir la ville à l'air et au soleil, mais sans prendre en compte la dimension psychologique et identitaire de l'homme, non plus que la compréhension des comportements ou le rôle des représentations sociales. Les résultats n'ont pas tardé. Les efforts considérables engagés pour humaniser les grands ensembles doivent nous aider à nous rappeler que les solutions d'aujourd'hui sont souvent les problèmes de demain. Regarder dans le rétroviseur est indispensable pour bien conduire, mais à l'évidence ne peut suffire. Il faut avant tout voir vers l'avant, et aussi loin que possible. De même, ce n'est pas tout de bien connaître le passé pour bien faire face aux nécessités immédiates. On ne saurait entrer dans l'avenir à reculons. Même si elles ont besoin de continuité et de pérennité, les politiques publiques de santé et de développement durable ne peuvent s'affranchir d'une visée à long terme et d'un fort investissement politique. Leurs responsables doivent savoir anticiper, en considérant le futur pour ce qu'il est: un territoire à explorer et à construire. Pour joindre l'avenir au présent, il faut engager une démarche prospective, considérer la pluralité des possibles puis rétrécir la perspective en s'attachant à prévoir ce qui peut l'être, à apprécier les chances et les risques, à repérer les inerties, les tendances l « pour mémoire » 127 lourdes et les facteurs de rupture. On peut ainsi réduire l'incertitude sans évidemment y mettre fin. On établit alors une stratégie qui précise les enjeux, affiche les options et constitue un véritable guide pour l'action en avenir incertain. Ainsi, face au réchauffement climatique et compte tenu des engagements pris dans le cadre du protocole de Kyoto, il faut impérativement mettre en place un plan pluriannuel de remise à niveau énergétique du patrimoine bâti existant car, en 2050, subsisteront plus de la moitié et peut être encore les deux tiers des logements d'aujourd'hui. Ce programme de requalification devrait être pensé dans une logique intégrée de transformation durable de la ville existante, qui reste à concevoir. Autre exemple d'évolution inéluctable lourde de conséquences multiples pour l'évolution de nos villes: le vieillissement de la population, qui commence à faire sentir ses effets avec l'arrivée à l'âge de la retraite de la génération du baby-boom et qui va devenir un enjeu majeur des politiques urbaines. On est loin pourtant d'avoir pris la juste mesure des problèmes qui s'attachent à cette révolution silencieuse. Notre pays affiche un retard important en matière d'anticipation du vieillissement. Dans ces domaines, comme dans tous les autres, le phare de la prospective ne doit pas cesser d'éclairer les politiques de santé publique. La prévention, en particulier, ne doit pas être sacrifiée, comme elle l'a trop souvent été, à la gestion du quotidien. Une véritable politique de prévention, ne se réduisant pas à des opérations de sensibilisation ou de dépistage, doit être un des moteurs de la promotion de la santé. Faire obstacle à ce qui peut être empêché n'implique pas seulement de développer la prévention médicale classique. Dans l'acception large du concept de santé, c'est évidemment une approche préventive globale qui doit être mise en oeuvre dans chaque agglomération, c'est-à-dire une approche intégrant la santé dans un ensemble d'interventions sociales et environnementales comme un élément transversal d'une politique urbaine cohérente. Il convient de façon générale d'intégrer systématiquement les préoccupations de santé, c'est-à-dire de bien être physique, mental et social de la population, dans toutes les stratégies de développement ou de renouvellement urbains s'inscrivant dans la durée. Et au premier chef dans la planification urbaine. En introduisant l'obligation d'élaborer un Projet d'aménagement et de développement durable (PADD), la loi Solidarité et renouvellement urbains (SRU) a mis les collectivités locales en situation de repenser l'organisation urbaine de telle façon qu'elle puisse répondre aux exigences de qualité de vie des générations actuelles sans nuire à celle des générations futures. Les préoccupations de santé et de développement durable doivent aussi nourrir les grands projets d'aménagement et de rénovation urbaine. Encore faut-il être en mesure de déterminer, cas par cas, la hiérarchie des priorités à prendre en compte par une évaluation concertée des différents facteurs environnementaux et sociaux liés au choix à arrêter. Mais pour que la qualité de vie des citadins puisse devenir le véritable moteur de l'action publique, il faut évidemment être capable de la caractériser et de la mesurer. Les villes, acteurs incontournables du développement durable L'une des dernières contributions officielles de Georges Cavallier dans les débats internationaux se fit à l'occasion du sommet de la terre de Johannesburg en 2002. Elle visait les enjeux urbains et le rôle des autorités locales, déterminants majeurs de toute politique réaliste de développement durable dans un monde « urbain » profondément transformé. Extraits «Villes et autorités locales», in Livre blanc des acteurs français du développement durable présenté lors du Sommet mondial du développement durable de l'ONU à Johannesburg en septembre 2002, pp. 113-124 L'ascension des villes, nouvelle donne planétaire Longtemps alimenté par la pression démographique et par l'exode rural, accéléré aujourd'hui par la mondialisation des échanges, le mouvement mondial d'urbanisation n'épargne aucun continent, ni même aucun pays. Trois milliards de personnes vivent aujourd'hui en ville (150 millions seulement cent ans plus tôt). La polarisation territoriale de la croissance, la concentration urbaine sont des réalités universelles. Mais ces phénomènes touchent très inégalement les différents continents. Dans les pays du Sud, le milieu urbain accueille plus de « pour mémoire » l n° HS automne 2017 128 80% de la croissance démographique totale (qui représente 95% de la croissance démographique mondiale). La population urbaine de ces pays est maintenant dix fois plus nombreuse qu'elle ne l'était il y a un demi-siècle. Elle va encore doubler d'ici 2020. La vie urbaine transforme inévitablement les attitudes et les comportements, les habitudes individuelles et les relations sociales. Le mouvement d'urbanisation ouvre la voie à de nouveaux modes de vie qui pénètrent aujourd'hui rapidement l'ensemble des territoires. C'est donc sur la manière de vivre et de consommer des citadins qu'il faut agir pour provoquer la prise de conscience et les changements qu'appelle le développement durable. L'étalement et la balkanisation du tissu urbain Le mouvement mondial d'urbanisation s'accompagne partout, même si les situations locales demeurent fort contrastées, de deux phénomènes qui vont totalement à l'encontre des préoccupations de développement durable. Les agglomérations urbaines tendent à envahir leur périphérie et à se développer en tâche d'huile. Cette tendance à l'étalement urbain est tout à fait générale. Elle est génératrice de gaspillages, de consommations excessives d'énergie, de pollutions. La ville tend à se couper en morceaux. Des quartiers paupérisés décrochent et se marginalisent tandis que les quartiers aisés sont de plus en plus tentés de s'enfermer sur eux-mêmes, à l'abri de la misère et de la violence. Cette menace de balkanisation du tissu urbain fait peser sur la société tout entière un risque majeur de sécession larvée, voire de rupture brutale. Les villes deviennent le lieu privilégié d'articulation du global et du local, dans la triple dimension économique, sociale et écologique. La manière dont se structurent et se gèrent les agglomérations urbaines a un impact déterminant sur la viabilité à long terme de leur développement. Elle peut avoir aussi de fortes incidences globales. De nouvelles orientations sont à privilégier Conforter et moderniser l'action publique locale, adapter le territoire institutionnel des pouvoirs locaux à la réalité de l'évolution des agglomérations urbaines, améliorer la coopération entre les collectivités territoriales et le secteur privé, sans rien remettre en cause des acquis de la démocratie représentative, n° HS automne 2017 créer les conditions d'une démocratie participative ancrée dans le local, faire évoluer le rôle de l'État central vers un État stratège, régulateur et «facilitateur», renforcer la coordination des politiques urbaines nationales tant au niveau central qu'à l'échelon des services déconcentrés de l'État tels sont les enjeux. La montée en puissance des dynamiques locales et des démarches de projet d'agglomération appellent un renouveau de la planification territoriale qui doit devenir plus stratégique pour mieux intégrer les enjeux du développement durable en aménageant le territoire au plus près des réalités locales et des attentes des usagers: mettre les politiques de l'habitat et du logement au service du développement durable, considérer la lutte contre toutes les formes d'exclusion comme une priorité de l'ensemble des politiques publiques, et promouvoir l'organisation des services urbains de base (eau, assainissement, énergie, déplacements...) pour répondre à des besoins vitaux, fondamentaux, quotidiens des habitants... Faire de la politique urbaine et de l'action des autorités locales des enjeux majeurs des politiques de coopération internationales. Face aux défis de la mondialisation et aux synergies qui relient désormais le local au global, nul ne peut plus se désintéresser de la question urbaine. L'ampleur du mouvement d'urbanisation, qui va se poursuivre dans les prochaines décennies dans les pays en développement, l'extraordinaire importance des investissements nécessaires pour assurer un accès, même minimal, de tous aux services de base, le fort impact du fait urbain sur le traitement des grands problèmes à l'échelle planétaire imposent que le développement urbain soit l'une des priorités majeures tant des politiques de coopération bilatérales et multilatérales que des négociations internationales. Parce que la ville est devenue le lieu de création des richesses, celui où la productivité est la plus élevée, parce qu'elle constitue, et constituera de plus en plus, le principal marché solvable pour l'agriculture, l'aide ciblée sur l'urbain engendre des effets importants tant en termes de croissance économique que de réduction de la pauvreté. l « pour mémoire » 129 Un engagement militant au service du projet social du Mouvement PACT Spécialiste national et international de la politique de la ville, il a, pendant sa présidence de la Fédération des Pact, très rapidement perçu tous les enjeux du logement, en particulier ceux du parc privé à finalité sociale et ceux du logement des personnes défavorisées. Dans ces domaines, il a plaidé avec ténacité et clairvoyance auprès des pouvoirs publics afin que la politique publique sur le parc privé existe à part entière, soit ambitieuse, et prenne en compte prioritairement les populations les plus en difficulté. Partenaire des associations d'insertion par le logement comme du Mouvement HLM, il a contribué à maintenir les moyens et rôles de l'État et des collectivités dans la politique du logement, et de conserver au logement sa place particulière à chaque étape de la décentralisation, de sorte de mieux articuler politique nationale du logement et stratégies territoriales de l'habitat. Il n'a eu de cesse de contribuer à faire reconnaître par la loi le droit au logement opposable, la décence du logement, la lutte contre les discriminations dans l'accès au logement et la place des associations agissant dans ces domaines. Son engagement fut total, convaincu que les associations avaient un rôle essentiel à tenir dans la mise en oeuvre opérationnelle des politiques de l'habitat. Issu après la Deuxième Guerre Mondiale de la volonté de militants associatifs oeuvrant pour l'amélioration de l'habitat des personnes les plus défavorisées occupant le parc privé, le Mouvement PACT réunissait 141 associations en métropole et outre mer. Il regroupait plus de 2500 administrateurs bénévoles et plus de 2000 salariés. Ce mouvement a notamment été l'un des acteurs essentiels de la réhabilitation de l'habitat des centres et quartiers anciens durant les années 70/80. Depuis la fusion de la Fédération des PACT, en 2015, avec la Fédération Habitat et Développement, ce mouvement rebaptisé SOLIHA, solidaires pour l'habitat, représente aujourd'hui un réseau professionnel de plus de 2500 salariés. Quelques extraits de ses interventions en tant que président des PACT sont réunis ci après. Extraits du rapport Discrimination dans l'accès au logement, Conseil National de l'Habitat, 2005, 44p. disponible sur www.pact-habitat.org/uploads/File/Rapport/ rap_discrim_cnh.pdf Pour ceux qui cherchent un logement, parce qu'ils n'en ont pas encore ou parce qu'ils veulent quitter celui où ils s'estiment assignés à résidence, la réalité du droit au logement ne dépend que des suites données à leurs démarches. Or la location (ou l'acquisition) d'un logement, dès lors qu'elle concerne ces ménages fragiles ou précarisés, devient une véritable transaction sociale qui interpelle forcément la puissance publique et déborde largement le simple face-à- face entre un bailleur et un candidat locataire (ou entre un vendeur et un accédant). C'est pourquoi la lutte contre les discriminations dans l'accès au logement participe directement à la construction du droit au logement ainsi qu'à son évolution souhaitée vers une opposabilité qui soit autant politique que juridique. L'habitat dégradé, dont l'état obère les conditions d'existence des personnes qui s'y trouvent logées et constitue un véritable déni à leur dignité, abrite, de fait, des populations en difficulté ou en situation de précarité qui n'ont pu accéder à un logement convenable. Une forte proportion de familles immigrées y réside (85% des enfants victimes de saturnisme sont originaires de l'Afrique sub-saharienne). Dans les régions à forte tension du marché locatif et à forte présence de population immigrée ou d'origine immigrée, le parc insalubre, les hôtels meublés sordides, l'habitat précaire, accueillent massivement ces populations à des niveaux de loyer très supérieurs à la valeur d'usage des locaux. Cette situation est, pour une bonne part le résultat de pratiques discriminatoires diffuses et multiformes dans l'accès au logement de droit commun. Extraits de Union sociale - la revue de l'Uniopps, octobre 2006. Ne dissimulons pas qu'il reste beaucoup à faire, dans notre pays, pour parvenir à une définition politique partagée de l'opposabilité, pour passer du registre affectif au régime juridique « pour mémoire » l n° HS automne 2017 130 d'une prérogative individuelle obligeant la puissance publique et sanctionnée par le juge, comme le sont le droit à la scolarité et le droit à la protection de la santé. Outre qu'il n'est guère possible de définir en la matière des catégories d'ayants droits, on peut s'interroger sur la capacité des mécanismes de la politique nationale du logement à se prêter à l'introduction du droit opposable, qui devrait désormais sous tendre l'ensemble du dispositif et conduire à en remanier profondément la gouvernance. [...] Parler de droit au logement ne suffit pas. Quelle que soit sa condition, chaque citoyen a droit à un logement convenable et pas à un logement au rabais. L'exigence du droit au logement doit être clairement celle du droit au logement décent, concept que que le Mouvement Pact Arim a contribué à faire émerger. Revenir sur ces caractéristiques serait accepter des conditions d'occupation incompatibles avec la dignité humaine. le nombre de ménages va croître bien plus vite que la population, donc que la demande de logements va s'intensifier. C'est dire qu'il faudra inscrire résolument l'effort public dans la durée. Extrait des actes des journées professionnelles de l'UNAFO table ronde avec Paul Bouchet et Bernard Lacharme (Haut Comité), Thierry Repentin (sénateur), et Freek Spinnewijn (FEANTSA) - Novembre 2006. La politique nationale du logement s'assigne deux grands objectifs: loger tous les habitants de ce pays, assurer un meilleur équilibre social par la mixité des peuplements et la diversification des formes d'habitat et des statuts d'occupation. Ces deux objectifs sont potentiellement contradictoires. Progresser dans la mise en oeuvre du droit au logement opposable implique de se fixer des règles de conduite propres à lever cette contradiction et à assurer dans le temps la compatibilité de ces deux objectifs. La lutte contre les discriminations à l'accès au logement, qu'elles soient directes ou systémiques, doit être en particulier placée au coeur même de la démarche. [...] La pénurie actuelle de logements abordables rend la question du droit au logement particulièrement cruciale, mais elle a toute chance de le rester pendant longtemps, même si un effort accru de développement de l'offre accessible venait à permettre de résorber progressivement les retards cumulés. En effet, les estimations à l'horizon 2030 convergent pour montrer que, du fait de l'évolution des modes de vie et du vieillissement, n° HS automne 2017 Geogres Cavallier, entouré de Jean-Michel David à gauche, délégué général de la FAPIL, et Gilles Desrumaux, délégué général de l'UNAFO, sur le pont des Arts, le 5 novembre 2010, lors de la mobilisation du collectif des associations unies pour une nouvelle politique publique pour des personnes sans abri et mal logées. © Fédération Soliha l « pour mémoire » 131 Biographie de Georges Cavallier (18 mars 1934 - 17 septembre 2012) Ingénieur général honoraire des ponts et chaussées. Ancien élève de l'École polytechnique (X54) ; Ancien élève de l'École nationale des ponts et chaussées (1959). 1961 : Chef de l'arrondissement Belgique - Paris Est au Service de la Navigation du Nord-Pas de Calais ; 1969 : Chargé de mission au Commissariat au Plan ; 1971 : Chef du Secrétariat général aux affaires régionales de Lorraine ; 1975 : Chef du service régional et urbain au Commissariat au Plan ; 1980 : Directeur adjoint de l'urbanisme et des paysages au ministère de l'Équipement ; 1985 : Coordinateur de la mission en charge de la rénovation des musées de l'Éducation Nationale ; 1988 : Délégué adjoint à la Délégation interministérielle à la ville, dont il a contribué à la création ; 1992 : Directeur de cabinet des ministres de la ville ; 1993 : Président de la Ve section du Conseil Général des Ponts et Chaussées en charge de l'urbanisme de l'aménagement du territoire et de l'environnement ; 1999-2012 : Président de la Fédération Nationale des PACT ; 2002-2010 : Conseiller des présidents de l'Institut des Villes ; 2001-2011 : Président de l'Observatoire Foncier en Ile-de-France ; Administrateur de l'Opac de Paris et de l'ANAH ; Membre du Conseil social HLM et du Conseil National de l'Habitat. Missions internationales : Siège au groupe des affaires urbaines de l'OCDE ; Représentation de la France au comité Habitat de la CEE/ONU à Genève et à la Commission des Nations Unies sur les établissements humains à Nairobi ; Coordonnateur national pour le Sommet des Nations Unies sur l'avenir des Villes ­ Habitat II à Istanbul en 1996 ; Auteur du chapitre « Villes et autorités locales » du Livre blanc français pour le Sommet mondial du Développement durable à Johannesburg en 2002. pour la négociation des contrats de ville de la nouvelle génération (2000-2006), mai 1999 Rapports internationaux Défis pour la gouvernance urbaine dans l'Union européenne, Fondation européenne pour l'amélioration du cadre de vie et des conditions de travail, 1998, 92 p. Rapport national cinq ans après Habitat II, présenté à l'assemblée générale des Nations unies de 2001, reproduit dans la revue Urbanisme, HS n° 15, janvier-février 2002 « Villes et autorités locales », in Livre blanc des acteurs français du développement durable présenté lors du Sommet mondial du développement durable de l'ONU à Johannesburg en septembre 2002, pp. 113-124 Ouvrages collectifs, coordonnés à l'Institut des Villes, publiés par La documentation française, collection « Villes et société » Villes et économie, 2002 Villes et vieillir, 2004 Villes en évolution, 2005 Conduite politique du projet urbain, 2006 Villes, santé et développement durable, 2007 Villes et politiques temporelles, 2009 Villes en évolution 2, 2010. « pour mémoire » Bibliographie indicative Rapports ministériels Rapport au Ministre délégué à la ville et au Ministre de l'Équipement, des Transports et du Logement en vue de la création d'un organisme national interpartenaires favorisant l'échange des savoirs et des savoir-faire sur la ville et les politiques urbaines (futur Institut des villes crée en 2002), 1998 Rapport au Ministre délégué à la Ville pour de nouvelles recommandations l n° HS automne 2017 132 Biographies des contributeurs BARRIOL Brigitte Architecte-urbaniste en chef de l'État, elle est depuis 2011 déléguée générale de la Fédération nationale des agences d'urbanisme. Elle avait auparavant été onze ans à la tête de l'agence d'urbanisme de la région stéphanoise. BERGER Patrice Architecte et urbaniste, également diplômé de Sciences Po Paris, il est depuis 17 ans directeur des activités internationales de l'Agence d'urbanisme de l'aire métropolitaine lyonnaise. Il avait auparavant travaillé plusieurs années en Afrique sub-saharienne comme urbaniste, notamment à Yaoundé et Douala. BRAOUEZEC Patrick Président de l'établissement public territorial « Plaine Commune » et vice-président de la métropole du Grand Paris, il avait auparavant été maire de Saint-Denis (19912004) et député de la Seine-SaintDenis (1993-2012). Il est également membre fondateur et co-animateur de la commission Inclusion sociale, démocratie participative et droits humains de Cités et gouvernement locaux unis. CHARREYRON-PERCHET Anne Urbaniste, elle est en charge des questions liées à la ville durable au sein du Commissariat général au développement durable (Ministère de l'environnement, de l'énergie et de la mer). Ses travaux portent notamment sur les questions de résilience urbaine et d'innovation. Auteure de plusieurs rapports et articles sur ces sujets, elle intervient comme experte à l'échelle européenne et participe à de nombreux projets en lien avec d'autres pays. Ses travaux sur l'innovation l'amènent aujourd'hui à travailler plus spécifiquement sur la question des villes et territoires intelligents du point de vue des enjeux pour ces territoires, tant en termes de gouvernance, de gestion urbaine que de développement économique local, DAUGE Yves Urbaniste, il a entre autre occupé les fonctions de Directeur de l'habitat et de l'urbanisme (1982-1985) au ministère de l'Équipement, avant de prendre la tête de la Délégation interministérielle à la ville. Ancien député (1997-2001) puis sénateur d'Indre-et-Loire (2001-2011), il a également été maire de Chinon (19892005). Il est depuis 2011 co-président du Partenariat Français pour la Ville et les Territoires. DEBOULET Agnès Professeure de sociologie à l'université Paris VIII, ses recherches, menées au sein du LAVUE (Laboratoire architecture ville urbanisme environnement, UMR 7218 CNRS) portent notamment sur les questions de mobilisations urbaines et de citoyenneté dans les quartiers précaires et les quartiers en restructuration en particulier au Caire et à Beyrouth, mais également en Europe. Elle a dirigé en 2016 la publication d'un ouvrage intitulé « Repenser les quartiers précaires » (collection Études de l'AFD). DE CAZOTTE Henry Ingénieur agronome diplômé de l'Ecole polytechnique fédérale de Zurich et ancien élève de l'ESSEC, il a été le Représentant spécial Habitat III du ministère des Affaires étrangères et du Développement international. Il avait auparavant été Conseiller spécial du Coordonnateur exécutif de la conférence des Nations unies « Rio + 20 », puis coordinateur pour la France des négociations sur le développement post-2015 et sur le financement du développement. Il a réalisé une grande partie de sa carrière à l'Agence Française de Développement (directeur de la communication, directeur de l'antenne de Johannesburg...). DE FLEURIEU Agnès Ancienne élève de l'ENA, elle a passé sa carrière dans de nombreux ministères et notamment au ministère des Transports, au ministère de la Coopération et au ministère des Affaires étrangères. Elle était membre de la délégation française à Habitat II. n° HS automne 2017 l « pour mémoire » 133 DE LANNOY Xavier Président de la fédération SOLIHA (Solidaires pour l'habitat), il avait auparavant travaillé pour la Caisse des dépôts pour laquelle il avait notamment dirigé les antennes de la région Limousin et de la région Centre. FREY Astrid Experte en coopération décentralisée et en négociations multilatérales à Cités Unies France depuis 2005, elle s'était notamment engagée depuis l'origine sur les négociations des Objectifs de développement durable aux Nations Unies. GARCIA Elise Docteure en géographie, sa thèse, soutenue en 2013, s'intitulait « L'action internationale des collectivités territoriales : un outil de développement des territoires français ? ». Elle est désormais chargée des relations internationales auprès du maire de Cergy. Elle est également engagée au sein de l'ARRICOD (Association des professionnels de l'action européenne et internationale des collectivités territoriales). GAUTIER Maryse Ingénieure Générale des Ponts, des Eaux et des Forêts, elle est actuellement inspectrice générale au Conseil général de l'environnement et du développement durable (ministère de l'Environnement, de l'Energie et de la Mer, et ministère du Logement et de l'Habitat durable). Elle a été déléguée pour la France auprès des Nations Unies pour la préparation de la Conférence Habitat III, dont elle a co-présidé avec l'Equateur la Commission Préparatoire. Auparavant, elle avait passé 17 années à la Banque mondiale, où elle a travaillé comme experte sur le développement urbain en région méditerranéenne et en Amérique latine, ainsi qu'aux Philippines comme directrice des programmes. GOLDBLUM Charles Charles Goldblum est professeur émérite en urbanisme à l'Université Paris 8 et ancien directeur de l'Institut français d'urbanisme (IFU). Ancien vice-président du GEMDEV, il a assuré, de 2001 à 2005, la présidence du Comité scientifique du Programme de recherche urbaine pour le développement (PRUD) initié par le ministère des Affaires étrangères. Il est actuellement membre du comité directeur du GEMDEV et chercheur associé à l'Unité mixte de recherche Architecture Urbanisme Société : savoirs, enseignement, recherche (UMR AUSser 3329 du CNRS). HUYBRECHTS Eric Architecte et urbaniste, il dispose de 30 ans d'expérience sur les questions urbaines en France et à l'international, mêlant expertise (conseil, assistance à la maîtrise d'ouvrage...), enseignement et recherche. Il est actuellement en charge des questions internationales à l'Institut d'aménagement et d'urbanisme d'Ile de France et enseignant dans différents masters d'urbanisme. JACQUEMOT Pierre Ancien Ambassadeur de France (Kenya, Ghana, RD Congo) et ancien Directeur du développement du ministère des Affaires étrangères, il est désormais président du Groupe Initiatives et du GRET, et membre du Conseil national du développement et de la solidarité internationale (CNDSI). Il est également maître de conférences à l'Institut d'Etudes Politiques de Paris et chercheur associé à l'IRIS. Il a publié en 2016 aux éditions Karthala « L'Afrique des possibles, les défis de l'émergence ». LORRAIN Dominique Directeur de recherche émérite au CNRS, ses recherches portent sur les réformes des infrastructures, et plus particulièrement sur les politiques de libéralisation, les stratégies d'entreprises et les politiques urbaines à l'échelle internationale. Il a enseigné entre autre à Sciences Po Paris, et dans un MBA conjoint de l'Ecole des Ponts ParisTech et de l'université de Tongji à Shanghai. Il a notamment coordonné deux ouvrages sur les grandes villes : en 2011, «Métropoles XXL en pays émergents», en 2017, «Métropoles en Méditerranée. Gouverner par les rentes», tous deux aux Presses de Sciences Po. LOUBIERE Antoine Journaliste spécialisé dans les politiques urbaines et le développement territorial, il est rédacteur en chef de la revue Urbanisme depuis octobre 2000. Diplômé du Centre de formation des journalistes (CFJ), il a par ailleurs été auditeur de l'IHEDATE (Institut des hautes études de développement « pour mémoire » l n° HS automne 2017 134 et d'aménagement des territoires en Europe). Il est l'auteur, avec Jean Audouin, du livre « Les Banlieues » (Hachette, 1996). MAISETTI Nicolas Chercheur post-doctorant en science politique (LATTS, Université Paris Est), il est l'auteur de « Marseille ville du monde » aux éditions Karthala (2017) et « Opération culturelle et pouvoirs urbains » à l'Harmattan (2015). Il travaille sur les politiques urbaines d'internationalisation. MASSIAH Gustave Ingénieur et économiste, il s'est spécialisé dès les années 60 sur les questions urbaines et de développement, en parallèle d'un engagement militant altermondialiste. Il est notamment membre fondateur de l'Association Internationale de techniciens, d'Experts et de Chercheurs (Aitec), et est toujours membre du conseil international du Forum social mondial et du conseil scientifique d'Attac. NOISETTE François Ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts, il a fondé Kalutere Polis en 2013. Il valorise plus de trente années d'expérience de pilotage et de mise en oeuvre du développement territorial et urbain en France et dans les pays en développement. Il était le représentant technique du ministère des Affaires étrangères pour la préparation d'Habitat II. Il est aussi trésorier de AdP ­ Villes en Développement, association qui réunit des professionnels engagés dans le développement des villes du Sud. ODIC Anne Diplômée de Sciences Po Paris, elle est aujourd'hui responsable à l'Agence Française de Développement de la division « Collectivités locales et développement urbain ». Elle avait auparavant eu différents postes au sein de l'agence en France et à l'étranger, notamment en Afrique du Sud. ORILLARD Clément Architecte DPLG, il est aujourd'hui maître de conférence à l'Institut d'urbanisme de Paris. Ses travaux portent sur la structuration des champs disciplinaires et professionnels de l'urbanisme prise dans une perspective internationale, et sur la co-construction des acteurs institutionnels privés et publics de l'aménagement en France. OSMONT Annik Socio-anthropologue, HDR, maître de conférences honoraire (Institut Français d'Urbanisme (IFU), université de Paris 8), elle a été responsable de la filière « Expertise internationale, villes en développement » du DESS de l'IFU, et enseignante à l'Ecole Nationale des Ponts et Chaussées de 1965 à 1992. Ancienne vice- présidente et membre du comité de direction du GEMDEV, elle a été secrétaire exécutive du Programme de Recherche Urbaine pour le Développement de 2001 à 2004. Elle a co-animé, avec Charles Goldblum, de 2007 à 2009, un groupe de réflexion sur la gouvernance urbaine. Elle est membre du PFVT depuis 2011. PAYRE Renaud Professeur de science politique à l'Institut d'Études Politiques de Lyon, dont il est actuellement directeur. Il mène des recherches au sein du laboratoire TRIANGLE (UMR 5206) notamment sur l'action publique urbaine et sur les circulations transnationales d'acteurs et de savoirs municipaux, avec une approche sociohistorique (début XXe à nos jours). PRALIAUD Claude Ingénieur des ponts, des eaux et des forêts, il est aujourd'hui directeur de l'urbanisme à la ville de Paris. Auparavant, il avait notamment travaillé au cabinet du maire de Paris mais aussi au ministère de la coopération ­ pour lequel il s'était impliqué dans Habitat II ou encore à l'ambassade d'Alger. SAPOVAL Yves-Laurent Architecte-Urbaniste en chef de l'État, il est aujourd'hui conseiller auprès du directeur de l'Habitat, de l'Urbanisme et des Paysages (ministère du Logement et de l'Habitat durable). Après des postes en cabinets ministériels, il avait auparavant exercé les fonctions de Délégué Interministériel à la ville (2006-2008). STECK Jean-Fabien Maître de conférences à l'Université de Paris-Nanterre, il est membre de l'UMR LAVUE. Géographe urbain, il étudie les usages dits informels des espaces publics et les enjeux de leur planification en Afrique de l'Ouest. Il aborde la question des circulations de modèles et des coopérations. n° HS automne 2017 l « pour mémoire » 135 LE COMITÉ D'HISTOIRE « pour mémoire » l n° HS automne 2017 136 Créé en 1995, le comité d'Histoire ministériel développe des activités dans les domaines de l'Écologie, du Développement durable, de l'Énergie, des Transports, de la Mer mais aussi dans ceux de l'Urbanisme, du Logement et de la Ville. Afin de valoriser le patrimoine historique du ministère et de promouvoir une analyse historique des politiques ministérielles, le comité d'Histoire s'appuie sur un Conseil scientifique, composé de chercheurs et de spécialistes reconnus, pour définir ses priorités d'intervention en matière d'histoire et de mémoire des administrations, des politiques publiques menées ainsi que des techniques, des métiers et des pratiques professionnelles qui ont été développés. Il cherche également à répondre aux attentes exprimées par les services, les opérateurs et les partenaires du ministère. Le comité soutient et accompagne scientifiquement et financièrement des études et des recherches historiques. Il publie la revue semestrielle « Pour mémoire » (2000 exemplaires). Il organise des séminaires et des journées d'études dont il peut diffuser les actes dans des numéros spéciaux de la revue. Il peut favoriser la publication d'ouvrages de référence. Pour les besoins de la recherche, il constitue un fonds d'archives orales d'acteurs des politiques ministérielles. Il gère un centre documentaire ouvert au public doté de plus de 4 000 ouvrages. Il diffuse sur internet et sur intranet un guide des sources accessibles, la revue et les actes de journées d'études et de séminaires. Il peut participer à des manifestations avec des partenaires publics ou privés. n° HS automne 2017 Le comité d'Histoire du ministère L' ORGANISATION DU SECRÉTARIAT DU COMITÉ D'HISTOIRE Secrétaire Philippe CARON ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts Secrétaire général du Conseil général de l'Environnement et du Développement durable Tél. : 01 40 81 68 23 philippe.caron @developpement-durable.gouv.fr Secrétaire-délégué Patrick FÉVRIER administrateur général Tél. : 01 40 81 21 73 patrick.fevrier @developpement-durable.gouv.fr Adjointe au secrétaire délégué recueil de témoignages oraux Christiane CHANLIAU chargée de mission Tél. :01 40 81 82 05 christiane.chanliau @developpement-durable.gouv.fr Événementiel, édition Lorette PEUVOT chargée de mission Tél. : 01 40 81 15 38 lorette.peuvot @developpement-durable.gouv.fr Études-recherches Samuel RIPOLL chargé de mission Tél. : 01 40 81 26 63 samuel.ripoll @developpement-durable.gouv.fr Documentation communication électronique Nicole BOUDARD-DI-FIORE documentaliste Tél. : 01 40 81 36 83 nicole.boudard-di-fiore @developpement-durable.gouv.fr Assistance à la coordination et à la publication N.... secrétaire de rédaction Tél. : 01 40 81 .. .. l « pour mémoire » 137 LE CONSEIL SCIENTIFIQUE Dominique BARJOT Professeur d'histoire contemporaine à l'Université Paris IV Bernard BARRAQUÉ Directeur de recherche émérite au CNRS, AgroParisTech Alain BELTRAN Directeur de recherches CNRS, Université Paris I, laboratoire SIRICE (UMR 8138) Alain BILLON Ancien secrétaire délégué du Comité d'histoire Florian CHARVOLIN Chargé de recherche au CNRS, Centre Max Weber (UMR 5283) Kostas CHATZIS Chercheur au laboratoire Techniques Territoires Sociétés (LATTS, UMR 8134) Florence CONTENAY Inspectrice générale de l'Équipement honoraire Andrée CORVOL DESSERT Présidente d'honneur du Groupe d'Histoire des Forêts Françaises, Directrice de recherche émérite au CNRS, Membre de l'Academie d'Agriculture de France Gabriel DUPUY Professeur émérite à l'Université Paris I Jean-Michel FOURNIAU Directeur de recherches à l'IFSTTAR Stéphane FRIOUX Maître de conférences en histoire contemporaine à l'Université Lumière de Lyon 2, laboratoire LARHRA (UMR 5190) Philippe GENESTIER Professeur à l'ENTPE, laboratoire EVS-RIVES (UMR 5600) Vincent GUIGUENO Conservateur en chef du patrimoine, musée de la Marine Anne-Marie GRANET-ABISSET Professeur d'histoire contemporaine, Université Pierre Mendès-France Grenoble, laboratoire LARHRA (UMR 5190) André GUILLERME Professeur émérite d'histoire des techniques au CNAM Bertrand LEMOINE Directeur de recherche au CNRS, Centre André Chastel (UMR 8150) Alain MONFERRAND Ancien secrétaire-délégué du Comité d'histoire Arnaud PASSALACQUA Maîtres de conférences en histoire contemporaine à l'université Paris-Diderot, laboratoire ICT (EA 337) Antoine PICON Directeur de recherche à l'Ecole des Ponts ParisTech, Professeur à la Harvard Graduate School of Design Anne QUERRIEN Ancienne directrice de la rédaction de la revue « Les Annales de la Recherche urbaine » Thibault TELLIER Professeur d'histoire contemporaine à l'Institut d'études politiques de Rennes, laboratoire IRHiS (UMR 8529) Hélène VACHER Professeur à l'Ecole Nationale Supérieure d'Architecture de Nancy, laboratoire LHAC Loïc VADELORGE Professeur à l'université Paris-Est, laboratoire ACP (EA 3350) « pour mémoire » l n° HS automne 2017 138 Activités du Comité d'histoire Depuis 2006, 18 numéros de la revue semestrielle Pour mémoire ont déjà présenté un panorama diversifié d'articles sur l'histoire de l'administration et des cultures professionnelles. Pour 2017-2018, les principales thématiques traitées concernent l'histoire du corps des Ponts et Chaussées, les enjeux transfrontaliers, et le patrimoine immobilier des armées. https://www.ecologique-solidaire. gouv.fr/memoire-du-ministere-comitedhistoire-ministeriel#e3 Depuis 1995, le Comité d'histoire a organisé ou co-organisé des journées d'études et des colloques, le plus souvent en partenariat avec des chercheurs, des acteurs et des experts. Les événements programmés en 2017-2018 portent notamment sur une analyse de la loi d'orientation foncière (1967) et de ses impacts, sur le ministère de l'équipement et la politique de la ville, les bassins miniers. https://www.ecologique-solidaire. gouv.fr/memoire-du-ministere-comitedhistoire-ministeriel#e4 Les actes des journées d'études organisées par le Comité d'histoire sont publiées dans des numéros spéciaux de la revue. D'autres types de journées d'études sont publiées sur internet, dans la revue, ou dans des livres. https://www.ecologique-solidaire. gouv.fr/memoire-du-ministere-comitedhistoire-ministeriel#e4 Le comité peut apporter son soutien à l'édition d'ouvrages issus par exemple de thèses dont les sujets ont un rapport avec les politiques ministérielles. https://www.ecologique-solidaire. gouv.fr/memoire-du-ministere-comitedhistoire-ministeriel#e7 Depuis sa création, le comité a recueilli près de 250 témoignages oraux destinés à préserver la mémoire de personnalités de ces ministères. Il s'est intéressé à l'évolution des métiers, des cultures professionnelles, et des bouleversements qui ont touché l'administration. www.archives-orales.developpementdurable.gouv.fr n° HS automne 2017 l « pour mémoire » 139 Vous souhaitez consulter les ressources du secrétariat du comité d'Histoire... Vous pensez que votre témoignage peut éclairer l'histoire du ministère de la Transition écologique et solidaire et des administrations dont il est l'héritier... Vous avez connaissance d'archives, de documents divers, d'objets intéressant l'histoire de ces administrations, alors... N'HÉSITEZPASÀNOUSCONTACTER OU NOUS RETROUVER ? Secrétariat du comité d'Histoire Conseil général de l'Environnement et du Développement durable Tour Séquoia - 92055 La Défense cedex tél : 33 (0) 01 40 81 21 73 Internet : http://www.ecologiquesolidaire.gouv.fr/memoire-du-ministere http://www.archives-orales. developpement-durable.gouv.fr/index. html Intranet : http://intra.comite-histoire. cgedd.i2/ courriel : comite.histoire@developpement-durable. gouv.fr « pour mémoire » l n° HS automne 2017 140 la revue du comité d'Histoire rédaction Tour Séquoia - bureau 30.01 92 055 La Défense cedex téléphone : 01 40 81 15 38 comite.histoire@developpement-durable.gouv.fr Pierre Chantereau et Alain Billon fondateurs de la publication directeur de la publication Philippe Caron rédacteur en chef Patrick Février Samuel Ripoll conception et coordination du hors-série conception graphique de la couverture 53 rue Lemercier - Paris 75017 société Amarante Design graphique, crédit photo couverture UN Photo/Yutaka Nagata Légende premier ministre canadien Pierre Trudeau ouvre la 1e conférence des Nations Le Unies sur les établissements humains (Habitat I). Vancouver, 31 mai 1976 crédits photos Tous droits réservés Annick Samy réalisation graphique impression couverture Intérieur SG/SPSSI/ATL 2 ISSN 1955-9550 ISSN ressource en ligne 2266-5196 imprimé sur du papier certifié écolabel européen n° HS automne 2017 l « pour mémoire » COMITÉ D'HISTOIRE Tour Séquoia 92055 L a DéfenSe ceDex www.ecologique-solidaire.gouv.fr / www.cohesion-territoires.gouv.fr INVALIDE)

puce  Accés à la notice sur le site du portail documentaire du Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires

  Liste complète des notices publiques