Robert Auzelle, précurseur d'une approche durable de l'urbanisme et de l'architecture
Auteur moral
France. Ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie
Auteur secondaire
ANTONI, Robert-Max (dir.)
Résumé
Ce document restitue les communications et échanges de la rencontre organisée par le Séminaire Robert Auzelle, avec le soutien du Comité d'histoire des MEDDE & METL à l'occasion du centenaire de la naissance de R. Auzelle (1913-1983).
Descripteur Urbamet
architecte
;urbaniste
;enseignement
;création architecturale
;théorie de l'architecture
;documentation
Descripteur écoplanete
Thème
Emploi - Formation - Education
;Sciences humaines
Texte intégral
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DECEmbrE 2013
Robert Auzelle, précurseur d'une approche durable de l'urbanisme et de l'architecture
ministère de l'ÉgalitÉ des territoires et du logement ministère de l'Écologie, du dÉveloppement durable et de l'Énergie
Décembre 2013
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L'année 2013, est le centenaire de la naissance de Robert Auzelle, architecte et urbaniste.
Le séminaire Robert Auzelle avec le soutien du Comité d'histoire du Ministère de l'Égalité des territoires et du Logement et du Ministère de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie ont voulu à cette occasion actualiser l'image de Robert Auzelle et replacer son oeuvre dans une perspective historique en faisant dialoguer les derniers témoins avec les usagers et les professionnels d'aujourd'hui. Une journée d'étude s'est déroulée le mercredi 26 juin avec une matinée de débat autour de deux tables rondes. Ce sont ces deux tables rondes qui font l'objet des actes qui vous sont présentés. Une première table ronde aborde la vie et l'oeuvre de Robert Auzelle avec le témoignage de contemporains et de professionnels : praticiens, enseignants et chercheurs permettant de présenter l'homme, le professionnel et de le replacer dans le contexte de l'époque. Une deuxième table ronde réunissant des témoignages, d'habitants, de professionnels et d'élus, présente l'influence de Robert Auzelle sur ses pairs, et sur la production du cadre bâti de l'époque notamment par son rôle dans l'enseignement et dans l'animation de la profession. L'après-midi a été consacrée à une visite des opérations les plus abouties de Robert Auzelle.
Cette manifestation a été préparée par Jean-Pierre Decourcelle, architecte et urbaniste en chef de l'État, chargé de mission au Conseil général de l'environnement et du développement durable, et membre du conseil d'administration du Séminaire Robert Auzelle.
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Sommaire
Par Louis Michel SANCHE
Allocution d'ouverture
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Robert Auzelle 1913-1983 L'urbaniste et l'architecte à la mesure des hommes
Débat animé par Antoine LOUBIÈRE
8 9 9 11 13 17 17 20 23
L'homme, le professionnel
urbanisme et développement durable : les apports de robert auzelle
Rémi BAUDOUI
l'homme et son contexte
Anne-Marie JOSSE-AUZELLE, Marie-Pascale AUZELLE,Marie-Corentine SANDSTEDE
la période féconde de la reconstruction, de 1947 à 1957
Robert-Max ANTONI
Comprendre la démarche et l'oeuvre
l'oeuvre majeure : la cité de la plaine et le cimetière intercommunal de clamart : du projet à la réalisation
Christian BENILAN, Françoise WEETS
la méthode de travail de robert auzelle
Pierre LERY, Hector PATRIOTIS
relation entre urbanisme et architecture
Bernardo GARCIA
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L'enseignement et l'héritage de Robert Auzelle
Débat animé par Pierre Peillon
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Robert Auzelle : pédagogue
son rôle à l'académie d'architecture et dans la profession
Pierre-André DUFETEL
l'enseignement de robert auzelle au séminaire tony garnier et à l'institut d'urbanisme de paris, témoignages de ses élèves
Claude DAMERY, Jacques LEVY
Quel est l'héritage de robert auzelle pour les nouvelles générations ?
Aude VASPART
La pérennité des oeuvres de Robert Auzelle
le point de vue de la ville de clamart et du gestionnaire Hlm
Jean-Marc SEYLER
le point de vue des habitants
Victorine TOURE
le point de vue du gestionnaire du cimetière intercommunal
Catherine PÉLIGAT
Échanges avec la salle Clôture du colloque
Robert-Max ANTONI
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Allocution d'ouverture
Louis Michel SANCHE
Secrétaire général du Conseil général de l'environnement et du développement durable, Secrétaire du Comité d'histoire Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, Chers amis, En tant que Secrétaire du Comité d'histoire du Ministère de l'Égalité des territoires et du Logement et du Ministère de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie, je suis heureux de vous accueillir ce matin dans la Grande Arche de La Défense où nous organisons en général nos journées d'études consacrées à l'histoire parfois ancienne - des politiques publiques dont nos deux ministères ont la responsabilité. Cette journée est particulière. Elle a été organisée à l'initiative du Séminaire Robert Auzelle, institution consacrée à l'Art urbain que Robert-Max Antoni anime avec une énergie inlassable. Elle a été préparée avec le soutien du Comité d'histoire mais aussi avec une forte implication personnelle de Jean-Pierre Decourcelle que vous connaissez tous, dans le cadre de ses missions au sein du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) dont Robert Auzelle fut membre lorsqu'il portait le nom de Conseil général des Ponts et Chaussées. L'esprit de la réunion d'aujourd'hui est de constituer un événement mémoriel consistant à faire dialoguer des témoins qui ont eu la chance de connaître Robert Auzelle avec des acteurs professionnels d'aujourd'hui. L'année 2013 correspond en effet au centenaire de la naissance de Robert Auzelle, qui fut urbaniste en chef à la Direction de l'aménagement du territoire au ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme à Paris, professeur au Séminaire Atelier Tony Garnier et inspecteur général de la construction. Il s'agissait d'un grand praticien de l'urbanisme et de l'architecture. Son approche, qui s'appuyait sur de nombreux écrits pédagogiques, était en avance sur son temps. Elle préfigurait déjà les thèmes du développement durable qui ont été développés dans le débat public depuis la fin des années 1980. Aussi est-il important de mettre en valeur l'apport de ce concepteur qui a marqué l'époque de la reconstruction, notamment par sa méthode fondée sur la pluridisciplinarité, la concertation avec les habitants ainsi que la prise en compte de l'environnement et de l'aspect social. La ministre, Cécile Duflot, nous a rappelé la modernité étonnante de la démarche de Robert Auzelle dans un courrier adressé au président du Séminaire à l'automne 2012. Je la cite : « La méthode Robert Auzelle, si je peux m'exprimer ainsi, nous conduit à mettre en place une gouvernance ouverte, une délibération associant toutes les parties prenantes pour partager une vision globale de
Louis Michel Sanche.
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l'avenir, une planification stratégique renouvelée et participative, une mise en cohérence des efforts de chacun ». Cécile Duflot présente, en ce moment même, son deuxième projet de loi, le projet de loi dénommé « ALUR » (pour l'accès au logement et à l'urbanisme rénové). A cette occasion, elle exprime sa conviction qu'une démarche de développement durable doit s'appuyer sur l'intercommunalité, qui est une échelle appropriée pour traiter du développement urbain, de l'étalement urbain et de la solidarité entre les territoires. Dans cet esprit, notre rencontre d'aujourd'hui a pour objectif d'aborder et, espérons-le, d'éclairer deux questionnements principaux. · Quels enseignements pouvons-nous tirer des réalisations de Robert Auzelle et de ses apports théoriques, qui bénéficiaient à l'action menée par le ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme à l'époque où il en était un membre éminent ? · En quoi la pensée de Robert Auzelle apporte-t-elle encore maintenant une contribution transversale à une approche durable de l'urbanisme et de l'architecture ? Deux tables rondes aborderont successivement les différentes facettes de sa personnalité, de son oeuvre et de son indéniable talent. La première table ronde sera animée par Antoine Loubière, rédacteur en chef de la revue Urbanisme. Les participants y aborderont la vie et l'oeuvre de Robert Auzelle. Le témoignage de contemporains et de professionnels (praticiens, enseignants et chercheurs) permettra de présenter l'homme dans sa profession tout au long de sa vie active et de le replacer dans le contexte historique de l'époque. Robert Auzelle fut un grand praticien. Ses
principales réalisations témoignent de ses qualités de concepteur, attentif à l'usage des espaces et des ouvrages. On évoquera ainsi de nombreux plans d'urbanisme, le plan global de reconstruction de Neufchâtel-en-Bray, ville détruite en juin 1940, la réalisation du quartier de la Plaine à Clamart (1947-1953), la dalle piétonnière de La Défense, ainsi que ses réflexions sur l'habitat des morts qui l'occupa sa vie durant et qui l'amena à beaucoup contribuer à introduire, en France, la notion et la pratique du cimetière paysager. La seconde table ronde sera animée par Pierre Peillon, consultant et ancien conseiller du mouvement Hlm Elle réunira des témoignages d'habitants, de professionnels et d'élus et visera à présenter l'influence de Robert Auzelle sur ses pairs et sur la production du cadre bâti de l'époque. Cette influence passait par son rôle dans l'enseignement et dans l'animation de la profession. Je laisse maintenant aux intervenants, que je remercie, le soin de présenter en détail tous les enseignements que l'on peut tirer, en 2013, de l'oeuvre de Robert Auzelle.
La salle.
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Robert Auzelle 1913-1983 L'urbaniste et l'architecte à la mesure des hommes
Antoine LOUBIERE
Bonjour à tous. La table ronde que je suis chargé d'animer promet d'être extrêmement riche en témoignages, en analyses et en mises en perspective de l'oeuvre de Robert Auzelle. Son objet est effectivement d'étudier l'actualité de la pensée de Robert Auzelle, qui, comme l'a souligné Louis-Michel Sanche, était en avance sur son temps. Rémi Baudoui, notre premier intervenant, s'attachera à relier les apports de Robert Auzelle à l'approche actuelle de l'urbanisme et du développement durable.
Table ronde animée par Antoine LOUBIERE, Rédacteur en chef de la revue Urbanisme
Robert Auzelle a été, dès les années 1940, un important contributeur de la revue Urbanisme : il y a publié l'équivalent d'un ouvrage entier. Robert-Max Antoni et moi-même réfléchissons d'ailleurs à l'édition d'un ouvrage compilant ses articles. L'un de ceux-ci porte sur le destin du quartier de La Défense, où nous nous retrouvons aujourd'hui, que Robert Auzelle et René Magnan qualifiaient de « néocortex de la France », commandant l'activité intellectuelle et cognitive du pays. Sans plus tarder, je propose à Rémi Baudoui d'ouvrir les réflexions, en nous présentant les apports de Robert Auzelle à l'urbanisme et au développement durable.
A. Loubière (en haut de table) et de gauche à doite : R. Baudoui, R.M. Antoni, C. Benilan, F. Weets. Décembre 2013
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L'homme, le professionnel
Urbanisme et développement durable : les apports de Robert Auzelle
Rémi BAUDOUI
Professeur de l'Université de Genève, Institute for Environmental Sciences Mon exposé abordera la place de la pensée de Robert Auzelle dans le développement durable, pour en souligner l'extrême actualité. L'ouvrage « Clefs pour l'urbanisme » qu'il publia en 1971, démontre sa capacité à saisir les enjeux de la transformation de la planète, à l'époque de la mise en place du premier ministère de l'Environnement. Cet ouvrage présente l'une des premières réflexions sur la relation entre l'homme, l'urbanisme et l'environnement. La pensée de Robert Auzelle est une pensée en mouvement, rapide et efficace, critique à l'égard de l'urbanisme issu de la période de croissance des années 1950-1960 jusqu'aux années 1980. Comme nous le constaterons tout au long de la journée, Robert Auzelle est un homme de « coups de gueule ». Il n'hésite pas à exprimer ses pensées, notamment vis-à-vis de l'administration en charge de la reconstruction. La critique de l'urbanisme, notamment dans sa dimension technocratique, s'inscrit en toile de fond dans l'oeuvre de Robert Auzelle. Ainsi, il a écrit dans « Clefs pour l'urbanisme », « c'est par un urbanisme soustrait à la machinerie et aux machinations du pouvoir, remis au contrôle des usagers, que la contestation permanente peut devenir un modèle révolutionnaire nouveau ». Les mots sont ainsi extrêmement forts. De sa biographie, je soulignerai sa critique de l'enseignement de l'École nationale supérieure des beaux-arts (ENSBA) et son choix de poursuivre des études d'urbanisme, démarche qui était tout à fait novatrice pour un architecte à l'époque. Pour comprendre la pensée de Robert Auzelle, il faut avoir à l'esprit la dimension culturaliste de l'urbanisme tel qu'il était enseigné à l'Institut
d'urbanisme de Paris, sous l'influence de Gaston Bachelard et de Henri Bergson. Marcel Poëte ou encore Maximilien Sorre y déployaient une conception humaniste de l'urbanisme, envisageant l'urbaniste comme un chirurgien et non plus comme un boucher. Très tôt, Robert Auzelle se distingua par son travail sur les cimetières. La lecture de ses écrits sur la question, notamment dans la revue « Urbanisme », me conduit à soulever une question que je vous soumets. La reconstruction du sacré, autrement dit, la réinsertion du sacré dans la « dernière demeure » ne constituet-elle pas une manière d'interroger le logement des vivants ? L'interaction entre l'habitat des morts et l'habitat des vivants me semble particulièrement importante : c'est en pensant la dignité des morts que l'on peut penser la dignité des vivants. Cet élément clé de la pensée de Robert Auzelle a, à mon sens, été sous-estimé et mériterait d'être développé. De 1939 à 1946, Robert Auzelle fut à pied d'oeuvre dans un chantier de grande ampleur, celui des îlots insalubres parisiens. Au contact de Jacques Greber, Robert Auzelle démontra une vision intelligente du travail sur l'îlot, par la réadaptation de l'îlot intérieur et sa réhabilitation. Cette approche, qui intègre l'histoire de l'îlot dans sa modernisation, se distingue clairement des opérations de rénovation urbaine menées dans les années 1960. J'en viens à présent à la problématique de la reconstruction. Je propose de réfléchir, avec vous, sur le « malaise » de Robert Auzelle dans cette démarche. Nous l'avons vu, à travers l'Institut d'urbanisme de Paris, Robert Auzelle prône déjà un urbanisme humain, à l'opposé de l'opération de « grands travaux » que constituait la reconstruction à partir de 1944. Raoul Dautry, ingénieur polytechnicien nommé à la tête du ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme (MRU) par le Général de Gaulle, se voyait en effet contraint à l'époque de dresser une reconstruction d'urgence, bien qu'il eût préféré l'intégrer dans une démarche urbanistique. Robert Auzelle perçut très vite les limites du système technocratique mis en place à travers l'institution de ce ministère, qui était d'ailleurs davantage centré sur la reconstruction que sur l'urbanisme. Ses critiques portent sur l'application des thèses modernes et le renvoi à la « Charte d'Athènes » de Le
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Corbusier. Elles pointent par ailleurs l'absence de perspective dans la reconstruction, réalisée dans l'urgence et la pénurie, mais aussi le processus technocratique et centralisé de la démarche. Enfin, Robert Auzelle déplore le manque d'ambition dans le traitement du logement insalubre, qu'il qualifie de « camps de la mort lente ». En 1945, cette expression revêtait une tonalité particulièrement provocatrice et témoigne du caractère rebelle de la personnalité de Robert Auzelle. Dès lors, la réflexion autour des conditions de la reconstruction, de son rapport au local et de la place des usagers, s'est inscrite au coeur de la pensée de Robert Auzelle. Robert Auzelle préconisait la mise en place d'une gestion locale de l'urbanisme, tandis que l'époque était à la concentration du pouvoir au niveau de l'État. Il engageait par ailleurs une critique de la sectorisation des politiques publiques en matière d'urbanisme et d'aménagement, une question qui est d'ailleurs toujours d'actualité. Selon lui, celle-ci place le maire dans un rôle de « jongleur de subventions », lui ôtant ses capacités à fédérer un projet culturel de l'urbanisme. En 1948, Eugène Clausus-Petit fut nommé ministre de la Reconstruction et de l'Urbanisme. Ancien ébéniste entré dans la politique par son engagement dans la Résistance auprès du Général de Gaulle, il fut, dès 1941, séduit par la pensée de Le Corbusier et souhaitait inscrire la reconstruction dans une « renaissance gaullienne ». Il plaça l'application de la « Charte d'Athènes » à grande échelle au coeur de sa politique, tout en engageant un processus technique de rationalisation du secteur du bâtiment et des travaux publics et en affirmant la puissance de la Direction de la construction. Cette approche le conduisit à mettre à l'écart les architectes des Beaux-arts. Le discours de l'époque, très modernisateur, évacuait, au nom de la productivité, la question de la qualité architecturale et asseyait la volonté de standardisation du bâtiment et des travaux publics. Cette approche plaçait Robert Auzelle dans une position difficile. Celui-ci partageait avec Eugène Claudius-Petit des convictions chrétiennes et sociales très fortes ainsi qu'une conscience du devoir social de l'architecte. Robert Auzelle me semble avoir alors été pris dans le jeu des contradictions entre ses fonctions officielles et le cadre de la reconstruction. Néanmoins, il n'hésitait pas à contester l'action de son ministre. Ses critiques portaient
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sur l'industrialisation du bâtiment, à travers la baisse des normes dimensionnelles des logements, sur l'urbanisme de la productivité, qui efface la complexité de la pensée urbaine ainsi que sur la dimension du registre de l'urbanisme, qu'il considère être conduit contre les populations, oubliant l'homme, sa stature et sa culture. Concernant la « Charte d'Athènes », Robert Auzelle a écrit dans « Clefs pour l'urbanisme » qu'elle « a joué un certain rôle. Si la décomposition de la vie urbaine en quatre fonctions principales habiter, se recréer le corps et l'esprit, circuler - est utile lorsqu'il s'agit d'analyser les faits, elle devient dangereuse pour une application systématique ». La critique est forte. Elle traduit l'esprit fondamental de Robert Auzelle, celui de penser l'urbanisme dans une destinée humaine, hors des processus de modélisation et de systématisation. Plus tard, il a qualifié la reconstruction française de « faillite ». Permettez-moi de soumettre un second questionnement. Ne peut-on pas considérer l'activité professionnelle de Robert Auzelle dans les années 1950, notamment ses fonctions d'enseignement, comme une forme de repli, un moyen de prendre des distances face à une machinerie qu'il condamnait ? La cité de la Plaine à Clamart ne constitua-t-elle pas un cadre formidable d'expérimentation, loin du ministère ? Le plan d'urbanisme de Tahiti ne représenta-t-il pas le moyen de s'éloigner du monde de l'urbanisme bureaucratique ? Il est intéressant d'observer qu'Eugène Claudius-Petit ne tint pas rigueur à Robert Auzelle pour ses prises de position. Devenu maire de Firminy, Eugène Claudius-Petit s'engagea dans l'opération Firminy Vert, réalisée avec des architectes modernes. Il convoqua alors Robert Auzelle pour travailler sur l'extension du cimetière municipal. Trois aspects de la pensée de Robert Auzelle me semblent particulièrement intéressants au regard de l'approche actuelle du développement durable. L'urbanisme participe à la durabilité dès lors qu'il admet une réflexion entre l'homme, son bien-être et ses conditions de vie. La position éthique de l'urbanisme de Robert Auzelle implique toujours une position critique à l'égard de ce qu'il considère
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être une attitude dogmatique, qu'il s'agisse des « enfants de Le Corbusier », de l'urbanisme des mégastructures de Yona Friedman et de Peter Cook ou de la recherche absolue de la mobilité, qui conduit, selon lui, à détruire le territoire plus qu'à l'aménager. Robert Auzelle pose par ailleurs la question fondamentale de la réversibilité des processus d'aménagement : cette question est toujours d'actualité dans les réflexions sur l'aménagement durable. L'urbanisme de l'humain implique une interdisciplinarité : la connaissance du milieu exige en effet la confrontation des savoirs. Ce message est aujourd'hui particulièrement important pour traiter la problématique environnementale. Enfin, l'urbanisme responsable, comme l'écrit Robert Auzelle, « est celui qui défend les intérêts moraux des populations directement intéressées ». L'homme doit être au coeur de l'action urbaine. Encore une fois, Robert Auzelle propose une critique d'un urbanisme technocratique.
L'homme et son contexte
Anne-Marie JOSSE-AUZELLE, Marie-Pascale AUZELLE, Marie-Corentine SANDSTEDE,
les filles de Robert Auzelle Robert-Max Antoni nous a demandé d'évoquer des souvenirs de notre vie avec Robert Auzelle, notre père. Mes soeurs et moi vous présenterons, chacune à notre tour, le souvenir le plus marquant de notre vie avec lui. Robert Auzelle était un homme très réservé. Mais il pouvait rapidement nous entraîner dans des manifestations très joyeuses. Je me souviens en particulier des soirées où nos parents invitaient des amis pour assister, du haut du balcon de l'appartement, à la destruction des chars, des différents ateliers de l'École nationale supérieure des beaux-arts, remontés depuis la rue Bonaparte jusqu'au Panthéon. Mes soeurs et moi, nous avions la permission d'assister à cet incendie et au bizutage des nouveaux étudiants. Notre père pouvait également paraître sévère, comme me l'ont confié plusieurs de ses anciens élèves, qui ont beaucoup apprécié son honnêteté foncière et qui savaient pouvoir compter sur lui si le besoin s'en faisait sentir. Il était également très estimé des personnes qui travaillaient pour lui, car il essayait toujours de faire en sorte que leur travail leur fût facilité. Il traitait les gens avec respect et humanité, quels qu'ils fussent. J'ai eu le grand privilège de passer un mois de vacances avec lui, en août 1965. Il avait dû écourter ses vacances en Bretagne. Dominique Jankovic, qui travaillait avec lui pour son ouvrage « Dernières demeures », était tombé malade et il fallait terminer le livre. Hector Patriotis était présent, mais deux personnes semblaient numériquement insuffisantes pour achever l'ouvrage dans le délai imparti. Je suis venue pour assurer l'intendance et j'ai pu participer au travail. La charrette était fatigante, pour ne pas dire plus. Mais quel bonheur ! Je faisais le grouillot : dactylographie, correction des épreuves typographiques, rédaction des légendes et des commentaires... Avec papa, nous pouvions toujours exprimer notre opinion et nous savions qu'il en tiendrait compte. Quand le grouillot tardait à préparer le repas, mon père l'emmenait dîner dans un bon restaurant, ce qui n'était pas désagréable...
Antoine LOUBIERE
Après cet exposé passionnant, je vous propose d'entendre un premier témoignage, celui des trois filles de Robert Auzelle que nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui. Je leur donnerai successivement la parole.
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Ce merveilleux mois d'août est passé très vite. Il s'agissait effectivement de vacances car, selon la tradition familiale, elles correspondaient à un changement d'occupation. J'ai été servie. J'ai beaucoup appris, cela m'a aidée dans mon métier et ma vie personnelle : organisation, méthode de travail, rentabilisation du temps et de l'effort... J'ai appris, avant tout, à faire du mieux possible et à aller au bout des choses. J'ai souvent eu par la suite la possibilité de travailler avec lui et pour lui, ce que j'ai toujours beaucoup apprécié. La dernière photographie que j'ai de mon père a été prise lors d'une réception d'amis pour l'anniversaire de ma mère. Je suis assise à côté de lui et nous sommes tous les deux en proie à une crise de fou rire dont j'ai oublié la cause. Il est très réconfortant pour moi de regarder cette image.
Marie-Pascale AUZELLE
J'évoquerai également l'un des nombreux souvenirs magnifiques que j'ai de mon père. Il concerne mes dissertations de philosophie. Dès que le professeur de philosophie nous transmettait un sujet, trois ou quatre semaines en avance, je me précipitais voir papa. Après un moment de réflexion et de discussion, il parcourait sa bibliothèque, en extrayait un certain nombre de livres, me conseillant tel ou tel passage. Je repartais les bras chargés et ravie. Je me plongeais alors dans la lecture. Le dimanche suivant, je monopolisais papa pour un « grand moment philosophique », renouvelé éventuellement, suivant les besoins et les possibilités, le dimanche d'après. Ces moments étaient passionnants, exaltants. Il restait à rédiger la copie, ce qui, là, ne m'intéressait aucunement. Je relançais un « SOS papa » pour un troisième dimanche.
Les filles de Robert Auzelle.
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Mon professeur de philosophie n'a jamais apprécié « nos » idées à leur juste valeur. « Nous » n'avons jamais obtenu plus de neuf sur vingt. Cela m'importait peu, car je n'accordais aucun intérêt aux devoirs scolaires. C'étaient les heures fabuleuses d'échanges avec mon père qui m'apportaient du bonheur. Quant à mon père, il se réjouissait avec sagesse d'avoir échappé à la remarque professorale que l'un de ses amis avait récupérée sur la copie de dissertation rédigée pour son fils : « on ne peut demander mieux à votre âge ». Travailler avec mon père était tellement plaisant que ma soeur Anne Marie et moi-même lui avons demandé de nous conseiller et de corriger nos thèses de doctorat, alors que les sujets ne concernaient en rien sa profession. C'est certainement grâce à lui que nous avons obtenu un prix de thèse. de jeunes Allemands, donc apprendre à connaître leur culture et leurs traditions pour mieux les comprendre. La proposition était loin de m'enchanter. Mon père proposa de téléphoner à des amis résidant à Stuttgart. Leur fille, d'un an plus âgée que moi, poursuivait ses études à Tübingen. Il est certain, me dit-il, que j'y serai la bienvenue. L'affaire fut réglée. J'y allai à reculons, tel un mouton mené à l'abattoir. Aujourd'hui, cela fait 42 ans que j'habite en Allemagne. Nous sommes conscientes de notre chance d'avoir eu un tel père... et une telle mère. Notre mère l'a toujours soutenu et lui a donné la possibilité d'être ce qu'il a été. Pour nous, cela nous a permis d'être ce que nous sommes devenues.
Marie-Corentine SANDSTEDE
J'évoquerai une situation qui, comme beaucoup d'autres, montre la générosité foncière de notre père, son désir d'apprendre toujours, d'inciter à apprendre, sa disponibilité envers les autres et sa vision du futur. En septembre 1967, la famille revenait au complet de ses vacances en Bretagne. Ma soeur aînée reprenait l'université, ma jeune soeur retournait au lycée. Quant à moi, je devais attendre le début des cours de première année de licence d'histoire géographie. Ne voulant pas rester à la maison plus d'un mois sans rien faire, j'en parlai à mon père et lui annonçai que j'allais chercher un « petit boulot ». Il me proposa un voyage à l'étranger. J'acceptai car je croyais qu'il souhaitait m'emmener, avec ma mère, au Canada, où il devait tenir une conférence à l'occasion de l'exposition universelle de Montréal. Mon père remit vite les choses au point, me répondant qu'il préférait rester seul avec ma mère. Un peu déçue, je lui confiai alors que je souhaitais retourner encore une fois en Irlande. Mon père me fit remarquer que l'Irlande, pour moi, ce n'était plus « l'étranger » et que je parlais bien anglais. Il ajouta qu'un pays jouait et jouerait un rôle décisif en Europe et que c'est là qu'il souhaitait que j'aille : l'Allemagne. Je pourrais, pendant près de six semaines, y suivre des cours d'allemand, donc apprendre une nouvelle langue ; sortir avec
Antoine LOUBIERE
Merci beaucoup, Mesdames, pour vos témoignages très émouvants. La figure touchante du père que vous nous décrivez nous permet de découvrir une autre facette de cet homme. Notre table ronde se poursuit, avec l'intervention de Robert-Max Antoni, initiateur de ce séminaire, qui évoquera la figure de Robert Auzelle à travers un épisode historique, celui de la reconstruction.
La période féconde de la Reconstruction, de 1947 à 1957
Robert-Max ANTONI
Inspecteur général honoraire de la Construction, Président du Séminaire Robert Auzelle Je ne regrette pas d'avoir sollicité Rémi Baudoui et les filles de Robert Auzelle pour débuter ce colloque. Rémi Baudoui nous a décrit une figure inscrite dans l'histoire de notre pays, soulevant des problématiques toujours d'actualité. Les trois filles Auzelle nous ont offert un témoignage émouvant, dévoilant une facette de la personnalité de Robert Auzelle, peu perceptible dans les écrits qu'il nous a laissés.
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Je souhaite, avant toute chose, remercier le Comité d'histoire du ministère et plus particulièrement Louis-Michel Sanche et Patrick Février pour l'opportunité qu'ils nous offrent d'être réunis à l'occasion du centenaire de la naissance de Robert Auzelle. Si l'on me confiait la tâche d'écrire le scénario d'un film sur sa vie et son époque, je le scinderais en trois parties La première partie, de 1913 à 1947, raconterait sa « jeunesse studieuse». La seconde partie, de 1947 à 1957, celle que nous traiterons à présent, concernerait la « pleine maturité » de la période féconde de la reconstruction. Enfin, la troisième partie, que je n'évoquerai pas faute de temps, retraçant la période de 1957 à 1983, serait celle du « message de la sagesse », marquée par une production littéraire très importante, par des postes à la mesure de son talent, et bien entendu, par son attache au sein du Conseil général des Ponts et Chaussées. d'urbanisme de Paris, considérant indispensable la connaissance des disciplines relevant du domaine de l'urbanisme préalable à l'acte de bâtir. Ce choix était très original étant donné le faible nombre d'architectes dans cette institution. Il y rencontre Gaston Bardet et Marcel Poëte, tous deux profondément chrétiens, comme Robert Auzelle. L'ambiance particulière de l'Institut, les méthodes de travail et notamment les études préalables aux constructions, sont très différente de ce que Robert Auzelle a connu à l'ENSBA et de l'aspect doctrinaire qui se dégagera par la suite de la « Charte d'Athènes ». En 1939, Robert Auzelle parcourt la Hollande en bicyclette avec Paul Dufournet. Il y découvre l'architecture nordique, qui le marquera toute sa vie. L'architecture nordique, l'urbanisme fondé sur la simplicité des formes et le lien avec la nature, la chrétienté, et ce qui sera pour lui « l'ultime question », celle de la mort, marqueront profondément sa pensée. Il effectue son service militaire à la caserne du château de Vincennes, où il se lie d'amitié avec le sociologue Paul-Henri Chombart de Lauwe. Démobilisé, en 1941, il fait partie des douze contractuels recrutés par le ministère de la Reconstruction pour réaliser des plans d'urbanisme des villes sinistrées en SeineMaritime. Il échoit à Robert Auzelle de travailler sur la Ville de Neufchâtel-en-Bray détruite à 70%. En 1942, il devient lauréat de l'Institut d'Urbanisme de Paris. Sa thèse porte sur les « Problèmes de sépultures en urbanisme ». Dès cette période, le personnage se construit. Il signe son premier article dans la revue Urbanisme et s'inscrit à l'Ordre des Architectes. En 1943, le succès du plan d'urbanisme de Neufchâtel-en-Bray, innovant par la place laissée à la concertation avec les habitants, lui vaut d'être remarqué par l'Inspecteur général Marrast, qui lui propose le poste d'adjoint. Robert Auzelle devient ainsi fonctionnaire de l'État, dans la circonscription de Rennes, pour lutter, contre « l'habitat défectueux », tel qu'il le désignait.
la jeunesse studieuse (1913-1947)
Mon intervention portera particulièrement sur la période de la reconstruction. Auparavant, je me dois d'évoquer la jeunesse studieuse de Robert Auzelle, essentielle pour comprendre ce qui suivra. En 1913, Robert Auzelle est né à Coulommiers, place du Marché, près de la rue qui, grâce à l'intervention du Séminaire Robert Auzelle et de la municipalité, porte aujourd'hui son nom. Le jeune Auzelle parcourut la Brie et fut influencé par ses grands paysages, par la simplicité des constructions en pierres meulière ramassées dans les champs et par l'horizontalité qui caractérise le plateau de la Brie. Blessé au coude suite à un accident dont il garda un léger handicap, il partit en vacances à Saint-Wandrille et rencontra l'homme qui fut à l'origine de sa vocation d'architecte : le père Carton, curé de Saint-Wandrille et ancien commis d'architecte. Robert Auzelle resta un an en pension avec le père Carton et prépara le concours d'entrée à l'École nationale supérieure des beaux-arts (ENSBA), qu'il présenta avec succès en candidat libre. Il y entra en 1931 et en sortit diplômé cinq ans plus tard, âgé seulement de 23 ans, au terme d'un parcours brillant. En 1936, à une époque où il ne pouvait ignorer l'existence des congrès internationaux d'architecture moderne (CIAM) dont celui de 1933, avec quelques camarades, il s'inscrivit à l'Institut
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la période féconde de la reconstruction (1947-1957)
A la Libération, en 1944, tandis que « l'effervescent » Raoul Dautry est à la tête du ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme (MRU), Robert Auzelle est nommé Urbaniste en chef et se voit
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confier avec Roger Millet, en 1947, l'Exposition internationale de l'habitat et de l'urbanisme. Cette exposition est une réussite. Elle présente en particulier les plans de Lurçat à Maubeuge et ceux de Saint-Dié de Le Corbusier. En 1948, André Prothin lui confie la direction du centre d'étude à la Direction générale de l'urbanisme permettant à Robert Auzelle de disposer d'une petite équipe d'experts consultants extérieurs de haut niveau. La Reconstruction voit se succéder deux présidents de la République et 24 gouvernements. Dans ces conditions, la continuité de la politique de l'État est assurée par l'administration. Robert Auzelle bénéficie de la confiance de sa hiérarchie et surtout, de la « protection » d'André Prothin. A 34 ans, Robert Auzelle dispose déjà d'une formidable expérience de terrain, il dispose d'un bureau au ministère où Jean Gohier l'assiste, il exerce à titre libéral la profession d'architecte associé avec Raymond Gervaise. Il est également professeur à l'Institut d'urbanisme de Paris, où il succède à Jacques Greber à la chaire de composition. Robert Auzelle se distingue de ses confrères de l'époque dans sa perception de l'espace. Deux courants s'affrontent alors : le mouvement de l'urbanisme moderne, incarné par Le Corbusier et les grands ensembles qui en découleront ; et le mouvement de l'urbanisme traditionnel, incarné par les Grands prix de Rome. Robert Auzelle emprunte une voie différente, celle de « l'organisation consciente de l'espace » : « prenons la peine de nous instruire avant de prétendre construire, première condition d'un urbanisme qui soit une oeuvre globale et surtout consciente », écrira-t-il. Deux opérations emblématiques illustrent cette perception : la Cité de la Plaine à Clamart avec le cimetière intercommunal et le centre administratif et culturel de Neufchâtel-en-Bray. Robert Auzelle y applique les cinq principes d'une « organisations consciente de l'espace ». Celle-ci impose tout d'abord d'avoir des connaissances, ce qu'il promouvra avec Ivan Jankovic à travers la publication, de l'encyclopédie de l'urbanisme. Il préconisera une représentation de l'espace qui permet de représenter les espaces dans des visions séquentielles d'un cheminement: « l'espace constitue l'essentiel de l'Art urbain ». Pour mettre au point la composition, Robert Auzelle a inventé un appareil, le « maquettoscope », pour vérifier comment le cheminement piétonnier offrait aux usagers de nouveaux points de vue sur l'espace urbain. Il développe les éléments qui caractérisent l'implantation des bâtiments, par l'étude de l'ensoleillement, des vents, des plantations et du paysage Par ailleurs. Il prône le travail en équipe pluridisciplinaire appliquant « l'organisation polyphonique », enseignée par Gaston Bardet, ainsi que la consultation des habitants, déjà expérimentée à Neufchâtel-en-Bray. Dans le cadre de la Cité de la Plaine à Clamart, si la consultation des habitants n'a pas pu être réalisée (le terrain étant vierge), Robert Auzelle constate : « pouvait-il en être autrement à défaut d'une communauté urbaine ». L'intercommunalité est pour lui la condition nécessaire à l'évaluation des véritables besoins du territoire et des populations dans notre pays. A Clamart, Robert Auzelle met en oeuvre, la méthode d'organisation polyphonique, avec E. Dechaudat, R. Gervaise, A. Mahé, A. Taponier et l'ingénieur Monvoisin. Pour le cimetière, la deuxième version élaborée avec I. Jankovic, admet une composition libre et une symbolique forte, miroir de la Cité de la Plaine. Enfin, la Petite bibliothèque ronde de l'Atelier de Montrouge réalisée par la suite en 1963 avec son accord s'inscrit au coeur de la Cité. Nous arrivons en 1957, à la fin de cette période, Robert Auzelle marque son désaccord sur la politique des grands ensembles marquée par la recherche rapide d'objectifs quantitatifs avec une normalisation et une industrialisation à outrance. Dans ces conditions, la construction des dernières tranches de la Cité se poursuit sans lui, avec l'architecte Gervaise. Dans les années 90, la rénovation nécessitant d'isoler thermiquement les bâtiments tout en respectant une enveloppe financière a conduit à modifier l'aspect des immeubles. Une exception cependant, à la demande de l'Architecte des bâtiments de France, les maisons et petits immeubles de la première tranche ont été conservés en témoignage de l'aspect d'origine. Robert Auzelle, décédé en 1983, conscient que rien ne peut être conservé éternellement en aurait compris les raisons. En 2013, sur l'emplacement du centre commercial obsolète, une nouvelle réalisation, constituée par 3 petits immeubles et un parc avec un plan d'eau, s'inscrit heureusement en respect de l'esprit de la composition d'origine
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A Neufchâtel-en-Bray, le Séminaire Robert Auzelle avec la Ville et le Conseil d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) de Seine Maritime ont organisé le samedi 8 juin dernier, une rencontre et une visite du centre administratif et culturel de Neufchâtel-en-Bray. La vision à 360 degrés visible et commentée sur www.arturbain.fr permet de remarquer que l'implantation des bâtiments et leur architecture, sont implantés de manière à mettre en valeur les espaces libres et plantés et donner la priorité aux piétons. L'aménagement intérieur récent du théâtre et l'adjonction d'un bâtiment administratif réalisés par l'architecte H. Rattez respectent l'esprit des lieux En conclusion, à l'occasion du Centenaire de la naissance de Robert Auzelle, il convient de reconnaître la durabilité et les qualités sociales, architecturales et environnementales de ces ensembles architecturaux et urbains de logement social et de services publics. Cela explique l'ambition partagée par la Ville de Clamart et la Ville de Neufchâtel-en-Bray pour candidater au titre du Patrimoine Mondial de l'Unesco. Cette ambition, quels qu'en soient les aboutissements, permettra de mieux faire connaître les oeuvres de Robert Auzelle et de mobiliser les populations autour de cet héritage. Le Séminaire Robert Auzelle soutiendra ces initiatives et continuera de transmettre, comme il le fait depuis bientôt trente ans, un enseignement, nous dirons, écologique de l'Art urbain.
Le bureau de Robert Auzelle.
Clamart la Cité de la Plaine - Vue du mail. Décembre 2013
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L'entrée du cimetière.
Comprendre la démarche et l'oeuvre
Antoine LOUBIERE
Nous ouvrons le deuxième temps de la table ronde, qui abordera plus précisément la démarche opérationnelle de Robert Auzelle et son oeuvre. Les deux intervenants que nous accueillons à présent, Christian Benilan et Françoise Weets, sont chargés de la protection d'une partie de cette oeuvre.
L'oeuvre majeure : la cité de la Plaine et le cimetière intercommunal de Clamart : du projet à la réalisation
Christian BENILAN
Chef du service territorial de l'architecture et du patrimoine des Hauts-de-Seine
Françoise WEETS
Architecte des Bâtiments de France des Hauts-de-Seine
Christian BENILAN
La cité de la Plaine et le cimetière intercommunal de Clamart constituent bien l'une des oeuvres majeures de Robert Auzelle. En 1995, le Séminaire Robert Auzelle avait souhaité que le cimetière soit protégé au titre des sites inscrits. Je citerai une partie de l'argumentaire de notre administration pour soutenir cette démarche : « Robert Auzelle a été parmi les premiers à chercher à définir les fonctions auxquelles devait satisfaire un véritable « champs de repos », révolutionnant ainsi les cimetières traditionnels, (i) pour accueillir les défunts dans des conditions conformes à l'hygiène et aux traditions et (ii) pour accueillir les familles des défunts dans un cadre digne et propice au recueillement, sans oublier les facilités d'accès et de circulation ». La construction du cimetière a démarré en 1947. On y accède par un péristyle couvert, en béton brut, isolé du trafic routier par une esplanade. Robert Auzelle a voulu ainsi marquer clairement le passage dans le monde de la sérénité et de la quiétude. Mais
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le cimetière : 32 Ha. syndicat intercommunal
la cité de la plaine : 34 Ha. 1 500 logements 7 000 habitants
la petite bibliothèque ronde
Plan du site de Clamart.
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ce péristyle joue également le rôle d'un lieu de rassemblement couvert, lieu de cérémonie laïque ou religieuse. Après cet espace de transition fermé, les visiteurs accèdent à une vaste pelouse ovale, cernée par une voie de circulation qui dessert les différentes parties du cimetière. Le cimetière est en effet desservi par un réseau de circulation étroit à sens unique, avec un caniveau drainant qui évite le réseau général d'évacuation des eaux pluviales. Enfin, le site comprend de nombreux arbres et l'ensemble constitue un parc paysager. Pour comprendre l'importance que Robert Auzelle accordait à la végétation, il convient de le citer : « La végétation est le décor de la mort, comme elle l'est de la vie ». Aussi, la répartition des essences obéit-elle à une recherche raffinée, qui tient compte des saisons, de la croissance des espèces ou de la nature du sol. Un cimetière est un lieu qui se transforme en permanence. Des menaces pèsent sur le cimetière intercommunal de Clamart, telles que l'élargissement des allées qui nuirait à la circulation lente et réduite voulue par l'architecte, le non-respect des normes des tombes, ou encore le renouvellement maladroit des plantations. La proposition d'inscription du cimetière de Clamart à l'inventaire général du patrimoine culturel de la France visait à parer à ces menaces. Le cimetière a fait l'objet d'un arrêté de protection le 19 mars 1996, par le ministère de l'Équipement. Le cimetière est depuis sous le contrôle de l'Architecte des bâtiments de France (ABF) compétent sur le secteur. Il n'est pas courant pour un ABF de s'occuper des tombes. Depuis cette date, nous avons travaillé sur différents champs de surveillance, sur la conservation des allées, sur le choix des tombes conforme aux prescriptions de Robert Auzelle et sur un projet de signalétique déposé en 1998 qui permet de se repérer, suivant un design contemporain, adapté au lieu. S'agissant de la cité de la Plaine, le projet de rénovation élaboré au milieu des années 90 visait à réhabiliter l'ensemble suite à son vieillissement. Il s'agissait en particulier de respecter les normes d'isolation. La cité étant vaste, les moyens de l'époque ne permettaient pas de proposer une réhabilitation à l'identique : l'objectif était en effet de permettre à chaque habitant, de retrouver rapidement un logement digne. Contrairement au cimetière, la cité n'était pas protégée (seule
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la bibliothèque l'était). Ma mission à l'époque, fut d'éviter que la rénovation ne porte atteinte à l'oeuvre de Robert Auzelle. La solution médiane a consisté à restituer à l'identique les premiers bâtiments et à conserver la totalité des maisons individuelles en brique apparente, ainsi que les habitations longeant l'axe menant vers le cimetière. Au total, environ 25 % des immeubles ont ainsi été conservés à l'identique. Sur les autres bâtiments, il a été décidé de réaliser un projet différencié, en conservant, selon le bâtiment, de 5 à 60 % de brique. Les bâtiments les plus proches du centre sont ceux qui comportent le plus de brique. J'ai quitté le suivi de la Ville de Clamart à la fin des années 2000. Je cède la parole à Françoise Weets, qui m'y a succédé.
Françoise WEETS
Suite à l'inscription de la Petite bibliothèque ronde ponctuant la coulée verte centrale au titre des monuments historiques, le cimetière intercommunal fut inscrit en 1996 au titre des sites protégés. A cette période, une amorce d'étude de zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP) était engagée par la Ville de Clamart. Le 20 février 2004, la loi a rendu possible d'inscrire la protection des sites dans le cadre de la zone de protection du patrimoine. A Clamart, l'étude est donc entrée en vigueur le 24 juillet 2009. En janvier 2011, suite à une année de recherche de compatibilité maximum avec le plan local d'urbanisme (PLU) de la Ville, un document patrimonial a été publié, pour signifier l'intérêt patrimonial pour la ville de cette forme urbaine et paysagère. Des objectifs de préservation et de mise en valeur de la cité jardin ont été définis : · la conservation de l'organisation générale du plan ; · la conservation des équilibres entre les espaces bâtis, les espaces libres, les espaces d'habitat, les espaces commerciaux, les espaces partagés, les espaces piétons et les espaces voitures ; · une demande d'étude phytosanitaire sur l'ensemble du patrimoine végétal pour mieux en maîtriser le renouvellement ;
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· l'entretien et la restauration des constructions dans le respect de l'architecture initiale. Ces objectifs sont déclinés dans un volet réglementaire, qui distingue des bâtiments repères, des possibilités pour le maintien et l'entretien des constructions existantes et pour l'établissement de constructions futures. La composition du quartier est issue d'une étude globale, concernant à la fois les volumes bâtis et les espaces paysagers. Ils sont organisés de telle façon que les uns et les autres se mettent en valeur. La composition architecturale est entière. La nouvelle composition découle de l'organisation consciente de l'espace que défend son auteur dans ses écrits en 1962. Elle permet d'inscrire les nouveaux secteurs ultérieurement soumis au projet en continuité de ces objectifs. L'étude de ZPPAUP rappelle l'ensemble de la démarche sur l'entrée du cimetière, marquée par la grande esplanade dallée et les grands porches constitués de béton de grande qualité, qui constituent un filtre vers l'espace central du cimetière. A partir de l'espace central, les perspectives paysagères permettent, à l'est, de distinguer un parcellaire de cimetière inscrit dans des jardins ; et à l'ouest, une zone forestière, où devait, au départ, s'installer un funérarium. Des objectifs réglementaires de la ZPPAUP concernant le cimetière sont également précisés. Robert Auzelle avait élaboré un cahier des charges, précisant les obligations d'implantation des stèles, exigeant une volumétrie, des hauteurs maximales et le respect des perspectives paysagères. J'évoquerai à présent quelques projets proposés dans les années 2000. Sur le cimetière tout d'abord, un projet présenté en Commission départementale des sites, porte sur une maison funéraire, placée, après étude, sur l'esplanade, en position latérale afin de ne pas perturber la composition principale de Robert Auzelle. Sur la cité de la Plaine, côté logement, un jury de concours a retenu une opération de logement en position d'ouverture le long de la grande coulée verte, paysage fédérateur de la cité. La Petite bibliothèque ronde est en fin de perspective. Ces projets ont été analysés au regard des critères initiaux de l'étude générale de Robert Auzelle. Trois unités d'habitation, ainsi qu'un plan d'eau central ont été installés. Je conclurai en soulignant que les caractéristiques de la cité de la Plaine ont été évaluées et reconnues. La composition urbaine est organisée suivant l'organisation consciente de l'espace que
La petite bibliothèque ronde. G. Thurnauer, J. Renaudie, J-L. Véret et P. Riboulet. Décembre 2013
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défend Robert Auzelle. Elle reprend les principes de la cité jardin imaginés par les urbanistes anglais du XIXE siècle. La ZPPAUP a mis en valeur la conception de la cité. Depuis janvier 2011, l'application du document a permis d'ancrer significativement la prise de conscience de l'importance d'une protection de cette oeuvre. Les services de la Direction régionale des affaires culturelles, ainsi que le service territorial de l'architecture et du patrimoine accompagnent la commune de Clamart dans ce projet de valorisation et dans les oeuvres qui pourraient venir le compléter. Cette oeuvre urbaine architecturale et paysagère particulière nécessite une reconnaissance nationale plus affirmée et plus partagée, dans l'objectif d'une prise de conscience de son caractère universel et d'une inscription au patrimoine mondial de l'Unesco. Cette ambition est partagée par nos services et soutenue par le Séminaire Robert Auzelle.
La méthode de travail de Robert Auzelle : entretiens avec Pierre Lery et Hector Patriotis
Pierre LERY
Architecte ayant travaillé avec Robert Auzelle
Hector PATRIOTIS
Architecte ayant travaillé avec Robert Auzelle
Pierre LERY
Robert Auzelle était professeur d'urbanisme à l'École des beaux-arts. Je souhaitais à l'époque suivre des cours à l'Institut d'urbanisme et participer à son travail. Il m'a immédiatement proposé d'entrer en relation avec l'équipe en charge de la cité de la Plaine. J'ai commencé à travailler avec l'agence Gervaise sur ce projet. Débutant, j'ai commencé en bas de l'échelle, en tant que dessinateur. L'agence étant petite, j'ai rapidement pris des responsabilités et suis devenu projeteur, puis chef d'agence, responsable de la conception des projets de l'agence Gervaise, qui elle-même, travaillait pour le compte de Robert Auzelle. Sur la cité de la Plaine, nous réalisions les plans d'exécution des immeubles de R+4. J'évoquerai l'exigence de calepinage des briques. Celles-ci, d'origine locale, étaient hors gabarit, et devaient correspondre en matière de briquetage aux dimensions des baies. Nous avons réalisé un travail important de calepinage, afin d'éviter les faux joints dans les embrasures des baies. Dans le contexte historique, la cité de la Plaine a d'abord découlé d'une vision régionale. Robert Auzelle a cherché à reconstituer l'habitat traditionnel local, dans des conditions d'habitabilité de l'époque moderne. Il pensait à l'harmonie universelle, qui disait à l'homme : « tu viens de la terre et tu retourneras à la terre ». Robert Auzelle estimait que ce processus devait s'inscrire dans un cadre naturel. C'est dans cet esprit qu'il a créé le cimetière de Clamart.
Antoine LOUBIERE
Nous vous proposons à présent de visionner deux films, présentant les entretiens avec Pierre Lery et Hector Patriotis. Ils ont été successivement élèves, collaborateurs puis associés de Robert Auzelle.
Jeux des toitures rondes.
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adapté à ses habitants. C'est dans cet esprit qu'il a proposé d'organiser un service du logement de la ville et un service social, pour que la ville, elle-même, construise sa propre cité et y loge ses habitants, en vue d'établir une « cité de gens heureux ». La proximité, l'habitat dans des conditions naturelles suivant l'adage « air, soleil, verdure », constituent tout simplement l'application anticipée de l'écologie. Je comparerai les idées d'Auzelle et son besoin de s'exprimer à travers diverses activités, à un système planétaire dont il était le moteur. Dans ce système, il avait constitué une cellule d'une dizaine de personnes, dont je faisais partie. Chacun de nous poursuivait ses activités, à l'Institut d'urbanisme, à la revue Urbanisme, aux documents d'urbanisme, aux cimetières... De mon côté, je m'occupais du projet de Clamart.
Pierre LERY.
Robert Auzelle élaborait toujours des schémas d'ensoleillement et d'intervention de l'air dans les bâtiments. Il conservait toujours la préoccupation de créer des conditions écologiques avant la lettre. Par la suite, la recherche du rendement a évincé le caractère artisanal de l'urbanisme, tel qu'il existait dans la cité de la Plaine. L'opération était en effet une entreprise locale, nourrie de financements locaux et pour des populations locales, dont le bonheur correspondait aux conditions d'habitabilité de l'endroit. Robert Auzelle admirait les cités jardins anglaises, néerlandaises et allemandes, où les constructions étaient en brique. Il était attentif à employer des maçons capables de réaliser des briquetages de qualité. Dès l'origine, Robert Auzelle a proposé la double construction, comprenant un mur en brique et une cloison isolante. En termes d'économies d'énergies, ces réalisations étaient bien en avance sur les technologies de l'époque. Robert Auzelle anticipait en tout point : il a lui-même fait constituer la structure opérationnelle permettant à la cité Hlm d'exister. Il relevait de la pensée platonicienne, selon laquelle il n'existe pas d'acte qui ne soit fondé sur une idée. Robert Auzelle défendait l'idée d'un logement
L'équipe de Clamart, qu'il avait constituée autour de lui, regroupait des architectes d'opérations, tous clamartois : Mahé, Taponier, Dechaudat, Monvoisin... Seul son adjoint, travaillait à Paris. Nous nous réunissions régulièrement à l'agence Gervaise, où l'ensemble de l'opération a été dessinée. Chaque proposition n'était adoptée qu'après débat, que Robert Auzelle arbitrait en dernier ressort. Il s'agissait véritablement d'une polyphonie. Robert Auzelle fut plus qu'un précurseur. Il a très tôt compris que la nature était vivante, que ce « vivant » comprenait les individus, les végétaux, les conditions d'habitabilité. Il savait que la problématique écologique visait précisément à faire durer les conditions de vie des individus. Il appelait cela un « art de vivre ». Robert Auzelle était enfin un enseignant charismatique. Ses conférences à l'IUP et au Séminaire Tony Garnier étaient très suivies. Conscient de la grandeur de son message, il souhaitait le transmettre à des personnes dignes de le recevoir : « si vous donnez un sens à votre action, vous la vivez ». Il souhaitait que les gens s'attachent à « l'être » davantage qu'à « l'avoir », qu'ils se « convertissent » à la responsabilité. C'est bien dans cet esprit que Robert Auzelle percevait les cimetières comme un lieu de retour à la nature ; la ville, comme une phase de transition ; et les hommes, comme des êtres de passage sur terre, qui se doivent d'être maîtres d'eux-mêmes, d'être responsables.
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Hector PATRIOTIS
J'ai été présenté à Monsieur Auzelle par l'architecte Georges Candilis, qui travaillait avec Le Corbusier. Robert Auzelle m'a proposé de suivre son enseignement au Séminaire Atelier Tony Garnier à l'École des beaux-arts (ENSBA). La première année d'enseignement a porté sur le déplacement dans la ville, la deuxième, sur le développement de la Ville de Dijon. Je suis entré dans le monde de l'urbanisme à travers le Séminaire Atelier Tony Garnier. Deux professeurs y enseignaient : Robert Auzelle et André Gutton. Je me suis très vite senti proche de la pensée de Robert Auzelle. Il m'a proposé de travailler avec lui, j'en ignore encore les raisons. A partir de ce moment, Robert Auzelle a cessé d'être mon professeur. Le côtoyant tous les jours, j'ai découvert sa personnalité. Contrairement à d'autres, il ne se comportait pas comme le maître, ou le « patron ». Il était très modeste. Nos relations de travail n'ont jamais été empreintes de compétition. Que les idées viennent de lui ou de moi, elles devenaient des idées communes et notre objectif a toujours été d'aboutir à ce que nous considérions comme le meilleur résultat possible. J'ai travaillé sur le projet de La Défense, notamment sur la proposition des plans de deux tours. J'assistais Monsieur Auzelle dans la résolution des problèmes qui existent toujours sur ce type de projets et parfois, je le représentais aux réunions. La Tête Défense était considérée comme l'extrémité de Paris. A l'origine, nous avions proposé une composition avec un petit théâtre, et plus tard, dans le cadre d'un concours fermé, nous avons conservé cette idée, enrichissant le programme, pour l'étude plus ample de la terminaison de l'axe de Paris. Dans notre projet, l'axe traversait un centre culturel, que nous avons proposé de scinder en quatre salles, de part et d'autre de l'axe, réunies sous la dalle par des espaces communs. Les quatre toitures créaient quant à elles un grand théâtre, dans l'esprit de la Grèce Antique. Ce projet a été remarqué au plus haut niveau. Nous avions commencé l'étude en vue de sa réalisation. La disparition du président Pompidou a mis un terme au projet. J'ai compris, peu à peu, l'influence de Monsieur Auzelle, à travers l'estime que lui portaient les personnalités imminentes de son entourage, parmi lesquelles, Eugène Claudius-Petit. J'ai eu la chance de nouer avec Robert Auzelle une relation humaine. Nous avions une passion commune pour la poésie. Je ne suis ni disciple de Robert Auzelle, ni historien. Je garde en mémoire l'homme tout autant que ses réalisations.
Antoine LOUBIERE
Je cède la parole à Bernardo Garcia, de Pixea Architecture, l'un des architectes du nouveau projet de la Plaine.
Hector PATRIOTIS.
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Relation entre urbanisme et architecture
Bernardo GARCIA
Pixea Architecture, architecte associé à Partenaires Architectes J'ai la chance aujourd'hui d'être à la même table que deux de mes éminents professeurs de l'École d'architecture. Comme le dirait Robert Auzelle, j'espère qu'ils m'ont bien instruit, car j'ai construit. Dans le cadre d'une opération commandée par Clamart Habitat, Pixea Architecture a été en charge d'un projet de construction de 140 logements sociaux (la moitié en accession sociale, l'autre en locative sociale), en lieu et place de l'ancien supermarché. Notre opération s'insère dans un projet, plus vaste, de grand parc, confié à un paysagiste. Conscients de la charge historique du site de la cité de la Plaine, nous avons choisi de nous inscrire dans la continuité de l'oeuvre de Robert Auzelle, s'agissant de l'alignement du bâti et de l'insertion des logements dans les jardins (jardins privatifs au pied des logements et jardins collectifs à plus grande distance). Nous nous sommes appuyés sur les photographies de la cité dans les années 50, ainsi que sur les quelques plans d'appartements de l'époque dont nous disposions. La typologie des appartements de l'époque est comparable aux appartements contemporains (chambres, séjour, cuisine et salle de bains différenciés), bien que les normes et les surfaces aient évolué. Les plans originaux de Robert Auzelle que nous avons retrouvés présentent une série d'appartements, aménagés pour répondre aux besoins de différents types de ménages (familles de quatre enfants, homme avec sa mère, personne âgée...), et modulables pour être au plus proche de la vie de chaque famille. Sans aller aussi loin dans la prise en compte du désir des habitants, l'exécution admet, pour les appartements en accession, des modifications de cloisonnement et des surfaces en fonction des volontés des acquéreurs. Les bâtiments sont plus épais que ce que prévoyait la typologie de Robert Auzelle. Aujourd'hui en effet, la ventilation mécanique contrôlée permet d'épaissir le bâti pour répondre aux normes de bâtiments basse consommation (BBC). La simplicité des volumes reste néanmoins proche des conceptions de Robert Auzelle, de même que le souci constant de partir de la qualité de l'usage pour construire le bâtiment d'ensemble.
Plan des appartements.
Antoine LOUBIERE
Merci. La parole est maintenant à la salle.
Pierre PEILLON
Lyonnais d'origine, j'ai toujours été frappé par l'appellation « Séminaire Atelier Tony Garnier ». Robert Auzelle et Tony Garnier se connaissaient-ils ? Et au-delà, certains d'entre vous ont-ils déjà réfléchi à la filiation entre ces deux grands architectes ? J'identifie pour ma part trois éléments de correspondance. Tous deux étaient partagés entre, d'une part, une culture classique et une connaissance de l'antique ; et d'autre part, les exigences de l'époque moderne. Par ailleurs, Robert Auzelle comme Tony Garnier s'attachaient à intégrer les bâtiments dans un espace public riche, diversifié et complexe, et non l'inverse. Enfin, tous deux entretenaient une relation de proximité avec les collectivités locales. Dans le cas de Tony Garnier, sa relation avec Édouard Herriot fut en effet un élément fondamental de son action.
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Voici donc quelques éléments de réflexion que je soumets à vos réactions.
Robert-Max ANTONI
André Gutton a fait appel à Robert Auzelle au moment où le Séminaire Atelier Tony Garnier a été constitué. L'atelier servait à répondre à des commandes passées par diverses institutions étatiques ou régionales. Le Séminaire était centré sur l'enseignement et la réflexion. S'agissant de la référence lyonnaise, il est vrai que Tony Garnier représentait l'architecture moderne des CIAM (Congrès internationaux d'architecture moderne), mais également, en tant que Grand prix de Rome, l'architecture classique.
Rémi BAUDOUI
La figure de Tony Garnier est fondatrice pour les urbanistes culturalistes et les architectes qui reconvertissent la question de l'embellissement en question d'urbanisme, au fondement de la Société française des urbanistes (SFU). La référence à Tony Garnier renvoie à cette culture d'architectes qui assument la révision du regard sur la ville, et la ville comme objet d'étude et de recherche.
Bernardo GARCIA
De manière anecdotique, Tony Garnier a construit l'Hôtel de Ville de Boulogne Billancourt, une ville proche de Clamart. Ce monument est d'ailleurs l'un des plus beaux bâtiments des années 30.
Antoine LOUBIERE
Je remercie tous nos intervenants, qui nous ont offert des témoignages émouvants et des regards réflexifs sur la figure de Robert Auzelle, qui continue de nous interpeller.
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L'enseignement et l'héritage de Robert Auzelle
Table ronde animée par Pierre PEILLON, consultant et ancien conseiller du mouvement Hlm
Pierre PEILLON
Cette deuxième table ronde étudiera la manière dont Robert Auzelle, enseignant, pédagogue et auteur d'opérations concrètes, a marqué l'histoire de l'architecture et de l'urbanisme, mais aussi comment sa pensée éclaire certains débats caractéristiques de l'époque actuelle. Il ne s'agit en effet pas uniquement de rendre hommage à un « grand ancien ». Nos réflexions viseront également à souligner la pertinence des réponses qu'il a apportées aux problèmes de l'époque, notamment du logement social. Par ailleurs, certaines des valeurs fondamentales de la pensée et de l'action de Robert Auzelle, semblent conférer à ses oeuvres une grande pérennité. Celle-ci se révèle clairement dans la cité de la Plaine à Clamart. Robert Auzelle apparaît ainsi comme un homme d'une grande modernité. Nous proposons, à travers cette table ronde, de « revisiter » l'oeuvre de Robert Auzelle. Nous verrons en quoi celle-ci constitue une source de réflexion, notamment dans le cadre des questionnements sur l'avenir des cités Hlm. La première partie de la table ronde sera consacrée à la figure de Robert Auzelle comme pédagogue ; la seconde, à la pérennité de ses oeuvres, notamment à travers l'exemple de la cité de la Plaine. Il était prévu que nous recevions Pierre-André Dufetel, qui a été très proche de Robert Auzelle et son collaborateur direct à l'Académie d'architecture dans les années 70. Ne pouvant être présent, il a préparé un document dont Jean-Pierre Decourcelle va nous donner lecture.
De gauche à doite : P. Peillon, J.M. Seyler, V. Touré, C. Peligat. Décembre 2013
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Robert Auzelle : pédagogue
Son rôle à l'Académie d'architecture et dans la profession
Pierre-André DUFETEL
Architecte Témoignage lu par Jean-Pierre DECOURCELLE, architecte et urbaniste en chef de l'État, chargé de mission au Conseil général de l'Environnement et du Développement durable, membre du Conseil d'administration du Séminaire Robert Auzelle. Avant de restituer le témoignage de Pierre André Dufetel, empêché aujourd'hui d'être parmi nous, je voudrais vous présenter quelques extraits du document qu'il nous a transmis.
Pierre André Dufetel a travaillé avec Robert Auzelle à l'Académie d'architecture, comme vice-président sous la présidence d'Auzelle de 1976 à 1979. Il a par la suite été nommé président, puis en 1981, Robert Auzelle réalise un second mandat, jusqu'à sa disparition en 1983. Je citerai des extraits du témoignage de Pierre André Dufetel, sur la relation qu'entretenaient ces deux hommes. Pierre André Dufetel l'a intitulé « Éloge de Robert Auzelle ». « Mes rapports avec Robert Auzelle sont une longue histoire. J'avais suivi ses cours pendant les deux années du cycle à l'Institut d'Urbanisme en complément de mes études à l'École des beaux-arts. Sa personnalité, solide comme le granit de sa région d'adoption, et la valeur de ses publications m'avaient incité à garder des contacts. Après avoir vécu plusieurs mois au Soudan comme cartographe aérien de l'Afrique Noire inconnue en 1946, j'avais conçu mon diplôme de DPLG (diplômé par le gouvernement) pour la première fois dans l'histoire, non pas comme un simple projet prouvant une aptitude, mais comme une thèse associant l'aménagement d'un territoire à une architecture adaptée à des sites précis. Lauréat du prix du meilleur diplôme de l'année 1953, j'avais soumis à Robert Auzelle l'idée d'en faire aussi mon diplôme d'urbanisme. Cette idée lui plut beaucoup, mais resta sans suite, faute de temps ». « Il était architecte en chef de Neufchâtel-en-Bray. Étant moi-même chargé des Universités de Rouen et de Caen, je m'arrangeais pour organiser mes rendez-vous de chantier les mêmes jours que les siens, afin de déjeuner ensemble sur place, et de poursuivre nos passionnants débats. Élu comme membre titulaire de l'Académie d'architecture, au moment où il allait luimême en devenir président, il me demanda d'entrer dans son bureau, d'abord comme trésorier, puis comme vice-président
Jean-Pierre Decourcelle - Photo MEDDE.
Mais avant, je voudrais rappeler que Pierre André Dufetel est né en 1922 à Boulogne-sur-Mer. Fils d'architecte et neveu de décorateur, il poursuit ses études à l'ENSBA et reçoit le Grand prix de Rome en 1952. A partir de 1965, il est nommé architecte en chef des ZUP, conseiller technique du ministère de l'Éducation nationale, architecte conseil des ministères de l'Urbanisme et du Logement et professeur à l'Académie internationale d'architecture. La construction scolaire constitue son domaine de prédilection. Il réalise en effet de nombreux groupes scolaires, parfois expérimentaux.
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chargé de l'organisation des grands congrès, des cycles de conférences et des relations internationales ». « L'Académie d'architecture descend de l'Académie royale d'architecture créée par Colbert en 1673 (...). Sous l'Empire, elle est recréée sous forme de « société d'architecture », et prendra, plus tard, le nom d'académie A l'heure actuelle, toujours influente et active, elle comprend 120 membres élus sur titres, et gère ce qui n'est pas traité par l'ordre ou par les syndicats, dans l'esprit culturel ». A l'Académie d'architecture, Pierre André Dufetel a contribué à l'édition d'un ouvrage sur onze profils d'architectes. Il a organisé à l'Unesco un symposium de deux jours sous la présidence conjointe du Président de la République, de Robert Auzelle et de Jean Connehaye. « Chargé, en tant que vice-président, d'être le chef d'état-major de cette opération, j'organisais des tables rondes pluridisciplinaires et les thèmes d'étude de chacune d'entre elles, notamment sur la mise en oeuvre de la loi de 1977, déclarant pour la première fois l'architecture d'utilité publique. Le succès remporté par cet événement a placé l'Académie au premier rang des grandes institutions de l'État auprès de la culture. A l'issue des années statutaires de sa présidence, Robert Auzelle me demanda de lui succéder. Mon étroite collaboration avec Robert Auzelle se poursuivit une fois de plus en 1982, alors que François Mitterrand, élu à la présidence de la République, annonça son intention de faire disparaître les institutions professionnelles. Mon image bien connue de gaulliste historique dès 19401 risquant de faire peser sur notre académie un préjudice énorme, je demandai à Robert Auzelle de me succéder à nouveau. Il l'accepta, jusqu'à sa mort subite au cours de son mandat, au grand regret de tous ceux qui appréciaient ses hautes qualités. Il appartient à votre table ronde de définir, cas par cas, la pensée d'urbaniste et d'architecte de Robert Auzelle. Je puis affirmer que sur le plan de la philosophie, nous partagions une identité de vues sur les deux approches essentielles nées au siècle de Périclès : Celle de Platon exprime l'idéal et la transcendance, adepte du beau, du vrai, du bon, pour qui dans l'organisation de la cité, la connaissance doit s'effacer devant le mythe. Il s'agit de la conception buissonnante de l'architecte. Celle d'Aristote, très encyclopédique, d'un univers fini, propose une classification rigoureuse et hiérarchisée. Cette approche linéaire qui écarte toute improvisation, est celle de l'ingénieur. Comme vous pouvez le constater à l'issue de ce témoignage, mon association avec Robert Auzelle pendant plus de trente ans se révéla féconde, au bénéfice de l'architecture et de l'Académie. Je tiens aujourd'hui à lui en rendre hommage ».
Pierre PEILLON
Merci d'avoir rendu compte de ce témoignage, intéressant et émouvant, sur une période importante dans l'histoire de l'architecture en France. Je vous propose à présent de visionner deux films présentant des entretiens avec Jacques Lévy et Claude Damery.
1 Pierre André Dufetel a notamment participé à la première manifestation de la Résistance le 11 novembre 1940 à l'Arc de triomphe et fut arrêté.
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L'enseignement de Robert Auzelle au Séminaire Tony Garnier et à l'Institut d'Urbanisme de Paris, témoignages de ses élèves
Claude DAMERY
Architecte Robert Auzelle, nous avons été chargés de produire ces enquêtes dans la France entière. A l'époque, chaque urbaniste en chef était affecté à une région. A l'issue de ces enquêtes, chacun d'entre eux devait phosphorer sur un projet d'aménagement. Ces dispositifs n'ont pas bien fonctionné, jusqu'à la loi de décentralisation intervenue vingt ans plus tard. Robert Auzelle était avant tout un humaniste, et un hygiéniste. Il était très admiratif des réalisations construites en Suède dans les années 40 et 50. Il a d'ailleurs publié de nombreuses réalisations suédoises dans l'encyclopédie. Le plan qu'il a réalisé pour Clamart était extraordinaire. Auzelle a conçu l'implantation des immeubles en fonction des projections d'ombres aux équinoxes. Il est dommage qu'il n'ait pas été en charge de l'architecture dans son ensemble, au vu de la qualité de l'entrée du cimetière qu'il a réalisée. Robert Auzelle était trop modeste. Si je n'avais pas connu Robert Auzelle, je n'aurais pas été urbaniste.
Jacques LEVY
Architecte
Claude DAMERY
J'ai connu Robert Auzelle à mon entrée à l'Institut d'urbanisme, qui, à l'époque, était hébergé à l'Institut d'art et d'archéologie. Robert Auzelle y enseignait. Son enseignement était extraordinaire et passionnant. Robert Auzelle usait d'une pédagogie particulière, très efficace. Il nous invitait à concevoir des solutions alternatives aux programmes de ses planches de l'encyclopédie. Il récupérait nos travaux, les photographiait, puis les projetait à l'écran pour les commenter. C'était étonnant. A l'époque, André Prothin gérait les programmes d'action régionale qui comportaient des enquêtes préalables. Grâce à
Jacques LEVY
Je tenais à vous dire ce que je dois à Robert Auzelle. Au cours de toutes mes années de pratique, j'ai suivi rigoureusement et en toute conscience l'enseignement de Robert Auzelle pour un urbanisme responsable et citoyen. Son enseignement était unique : contrairement à l'enseignement de l'ENSBA, il était théorique car universitaire, mais pluridisciplinaire et particulièrement diversifié : Pierre Lavedan nous enseignait l'histoire de l'urbanisme, le Docteur Hazemann nous enseignait l'hygiène des villes, et Maximilien Sorre, la sociologie urbaine. Le caractère trop « formel » à mon sens de l'enseignement des beaux-arts m'a conduit à m'inscrire à l'Institut d'urbanisme. L'enseignement prodigué a été essentiel dans ma formation d'architecte et d'urbaniste.
Claude DAMERY. Décembre 2013
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Robert Auzelle prônait un enseignement à l'échelle humaine, qui s'appuyait sur une analyse « écologique » des problèmes (analyse des cycles, de la climatologie, du contexte urbain), ce qui ne correspondait pas au mouvement de l'époque. Robert Auzelle prônait également un urbanisme à l'échelle sociale, au service de l'homme. J'ai conservé, dans toutes les opérations que j'ai créées, le même contact avec les habitants. Il s'agit là d'un enseignement fondamental d'Auzelle : être au service des habitants, dans le présent mais également en projection dans l'avenir. Pour les ZUP d'Annecy puis de Seynod, dont, grâce à lui, j'ai été chargé de l'urbanisme et de la réalisation, j'ai appliqué pleinement son enseignement. Durant les trente années passées à travailler avec la commune, j'ai toujours conservé le contact avec les habitants et les élus. A Angers, j'ai par ailleurs eu l'occasion d'être coopté par quinze familles pour étudier, avec elles pendant trois ans, un habitat de logements sociaux. Cette démarche dépassait à mon sens, le concept d'écoquartiers actuels, et le projet co-géré par les habitants vit bien depuis trente ans. Je dois à Robert Auzelle, passeur et initiateur, toute ma pratique et mon approche du métier d'urbaniste et d'architecte. Robert Auzelle accordait une grande importance aux relations humaines et sociales entre les habitants. Il avait d'ailleurs développé un concept de relation entre les différents volumes bâtis qui favorise les échanges entre les habitants et la vie sociale. La cité de la Plaine s'inscrit dans un urbanisme typique des pays du Nord (Pays-Bas, Suède, Finlande, Norvège) et du RoyaumeUni. J'ai récemment eu l'occasion de visiter les cités de Patrick Geddes à Édimbourg, l'un des maîtres d'Auzelle. Il fut très émouvant de constater la relation entre la pensée d'Auzelle et celle de ses inspirateurs. Robert Auzelle était modeste et ne mettait pas en avant ses réalisations dans ses cours de composition urbaine. Il était un praticien iconoclaste et révolutionnaire, mais participait en même temps à l'appareil d'État. Il était écartelé entre ses fonctions publiques et son opposition à l'urbanisme académique, dogmatique et technocratique à l'origine des grands ensembles. Je retiens de la pensée d'Auzelle son approche pluridisciplinaire, le respect de l'environnement - Robert Auzelle a été, pour moi, l'inventeur du développement durable - ainsi que la prise en compte de la vie sociale pour permettre l'évolution des modes de vie. Je suis heureux aujourd'hui, de pouvoir illustrer son enseignement et de témoigner de l'importance qu'il a eue pour ma pratique.
Pierre PEILLON
Après ces témoignages passionnants, j'invite Aude Vaspart, architecte libérale et administratrice du Séminaire Robert Auzelle, à évoquer l'héritage d'Auzelle dans les nouvelles générations.
Jacques LEVY. Décembre 2013
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Quel est l'héritage de Robert Auzelle pour les nouvelles générations ?
Aude VASPART
Architecte consultante du Séminaire Robert Auzelle L'enseignement et l'oeuvre de Robert Auzelle ne sont pas et ne seront jamais - suffisamment présents dans les écoles d'architecture aujourd'hui. C'est pourquoi mon propos portera davantage sur l'héritage de Robert Auzelle dans l'enseignement du Séminaire ainsi que sur les actions mises en place par le Séminaire pour perpétuer cet héritage. Robert Auzelle a marqué son époque par son approche de la pluridisciplinarité, la concertation avec les habitants et sa réflexion permanente sur la finalité de l'urbanisme, nécessaires et utiles à la formation des futurs professionnels. Jean Marie Charpentier, ancien élève d'Auzelle, emploie ces mots : « Robert Auzelle était écologue avant l'heure, convaincu de l'utilité de l'interdisciplinarité. Il reste étonnamment moderne et actuel ». Le Séminaire Robert Auzelle est une association de loi 1901, créé en 1984 à l'initiative d'un groupe de professeurs qui enseignaient en école d'architecture et avaient bien connu Robert Auzelle et son enseignement. Définissant l'Art urbain comme « l'ensemble des démarches pluridisciplinaires conduisant à améliorer le cadre de vie, avec un souci d'évaluation de la qualité architecturale, de la qualité de la vie sociale et du respect de l'environnement », le Séminaire vise à transmettre les valeurs héritées de Robert Auzelle. Pour cela, il organise des activités pédagogiques auprès d'étudiants, enseignants, universitaires, mais aussi d'élus et de professionnels. Chaque année, le Séminaire Robert Auzelle définit un thème de réflexion, en rapport avec la politique publique de développement durable. Nous constatons chaque année qu'il est possible de rapprocher le thème de réflexion aux préoccupations et écrits de Robert Auzelle. Sur la base de chaque thème annuel, le Séminaire rencontre les organisations professionnelles pour connaître les actions engagées par chaque profession sur le thème ; puis organise le Prix national arturbain.fr auprès des maîtres d'ouvrage afin de récompenser des opérations exemplaires sur le thème. Enfin, le Séminaire interroge les universitaires enseignants et
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les étudiants, par le Concours international arturbain.fr, qui leur permet d'apporter des réponses sur la problématique annuelle à travers une esquisse. La carrière de pédagogue de Robert Auzelle débute en 1945, quand il remplace Jacques Greber à l'Institut d'urbanisme de Paris, en tant que professeur de composition, puis professeur de théorie. En parallèle, il enseigne à l'ENSBA à partir de 1961. C'est là qu'il créera, avec André Gutton, le Séminaire Atelier Tony Garnier. Je citerai Robert Auzelle : « Le Séminaire Atelier Tony Garnier s'adresse à de jeunes architectes diplômables ou diplômés. Ils sont ce que l'enseignement qu'ils ont reçu les a fait, ils sont plus ou moins doués, ils ont plus ou moins de talent, d'imagination. Qu'importe, nous nous proposons de leur donner progressivement le sens de l'intérêt général, nous entendons développer en eux la notion exacte de leur responsabilité personnelle à l'égard de la société dont ils font partie (...). Car il nous importe peu d'en faire des rêveurs de villes nouvelles, des amateurs d'utopie ou des imagiers de science-fiction : nous voulons en faire des hommes de collaboration efficace ». Outre les cours théoriques, le Séminaire Atelier Tony Garnier permettait aux étudiants de travailler sur des projets réels, à travers des contrats conclus avec des administrations ou des organismes privés. Il s'agissait d'une grande innovation à l'époque. Je mettrai en évidence cinq axes de concordance entre l'approche de Robert Auzelle et les actions du Séminaire. Le premier concerne les deux manifestations organisées par le Séminaire pour les étudiants et enseignants, directement inspirées de la pédagogie développée par Robert Auzelle et s'appuyant sur les principes de l'organisation consciente de l'espace : · Le Concours international, qui s'adresse aux étudiants en master et reprend des principes chers à Auzelle, tels que le travail sur des sites réels et la formation d'équipes pluridisciplinaires ; · Les bourses de l'Art urbain, qui s'adressent aux jeunes diplômés, récompensant leur projet de fin d'étude.
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Conformément à la pensée d'Auzelle, ces deux manifestations accordent une place équivalente aux études préalables et au projet en lui-même. Le deuxième axe de concordance relève du langage. Robert Auzelle avait constaté un profond décalage entre l'enseignement de l'architecture en France et la réalité de la commande. Il lui a dès lors paru essentiel de mettre en forme un document qui présenterait des réalisations exemplaires, « afin que les étudiants puissent se forger un fond de culture indispensable à la formation d'un esprit d'observation et à une sensibilisation à l'art de la composition ». Nous avons beaucoup évoqué cette encyclopédie au cours de la matinée. Le Séminaire Robert Auzelle a proposé, avec l'accord de sa famille, une mise en ligne des planches de l'encyclopédie, qui constituent une source d'information considérable pour les professionnels, les étudiants, mais également les citoyens qui s'intéressent à leur cadre de vie. Dans le prolongement de l'encyclopédie, le Séminaire Robert Auzelle a développé le « vocabulaire français de l'Art urbain », dont l'objectif est de disposer d'un recueil de définitions sur l'Art urbain pour proposer un langage commun entre l'universitaire, le professionnel, l'élu et le citoyen. L'ouvrage adopte un mode de représentation très pédagogue, cher à Robert Auzelle, associant textes et plans de compositions urbaines. Le troisième axe de concordance porte sur les réalisations. Audelà de la théorie, Robert Auzelle a en effet laissé un héritage considérable au travers de celles-ci. Comme nous l'avons évoqué ce matin, à Neufchâtel-en-Bray comme à Clamart, Robert Auzelle innove en se démarquant de la production massive des grands ensembles et en développant des réflexions nouvelles sur les modes de vie, les incidences des densités sur les surfaces bâties, le rôle et la localisation des équipements de quartier, les relations entre les classes sociales, ou encore la séparation des circulations piétonnes et automobiles. Le séminaire Robert Auzelle organise le Prix national arturbain.fr, dans le cadre duquel il invite des professionnels à présenter leurs opérations exemplaires, répondant aux axes de préoccupations soulevés par Robert Auzelle. Le quatrième axe de concordance concerne la pluridisciplinarité, prônée par Robert Auzelle de manière quasi-systématique, tant au Centre d'études que dans ses opérations. Le Séminaire Robert Auzelle inscrit ce principe au coeur de ses activités, notamment dans l'organisation de rencontres professionnelles associant tous les acteurs du cadre de vie , et aussi dans la mise en avant de la pluridisciplinarité des équipes dans les opérations exemplaires primées. Enfin, l'éthique du cadre de vie a marqué la pensée et l'oeuvre de Robert Auzelle. Le choix du thème annuel porté par le Séminaire Robert Auzelle s'inscrit systématiquement en rapport avec ces préoccupations. L'héritage de Robert Auzelle est considérable. Son enseignement nous semble plus que jamais d'actualité, tant il était visionnaire. Pour comprendre et transmettre cet héritage, il convient de se placer du point de vue de Robert Auzelle, en contradiction avec ses contemporains. Robert Auzelle n'envisageait pas l'architecture et l'urbanisme par le construit, mais par le vide. Il écrivait ainsi : « J'ai insisté sur l'importance du vide dans l'Art urbain, indépendamment des pleins qui le déterminent, on peut apprécier le vide en soi. Si cette notion était plus généralement répandue, si elle donnait lieu à des recherches - auxquelles d'autres disciplines ne devraient pas rester étrangères, si enfin elle était enseignée, peut-être alors pourrions-nous espérer une amélioration du cadre de notre vie urbaine ».
Pierre PEILLON
Merci. Nous ouvrons maintenant le deuxième temps de cette table ronde, consacré à la réalisation de la cité de la Plaine et la pérennité de cette oeuvre.
séminaire robert auzelle - arturbain.fr Association reconnue d'utilité publique pour la promotion de l'art urbain Arche de la Défense 92055 La Défense cedex Tél. : +33(0)1 40 81 71 35 Fax. : +33(0)1 40 81 73 90 mail : arturbain@i-carre.net site Internet : www.arturbain.fr
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La pérennité des oeuvres de Robert Auzelle
Le point de vue de la Ville de Clamart et du gestionnaire Hlm
Philippe KALTENBACH2
Sénateur maire de Clamart, représenté par Jean-Marc SEYLER, adjoint à l'urbanisme de la Ville de Clamart Le quartier de la cité de la Plaine a aujourd'hui soixante ans. Bien conçu à l'origine, nous pouvons dire qu'il a bien vieilli. Nous l'entretenons et le surveillons. A bien des égards, il peut encore, malgré son âge certain, inspirer l'aménagement de nombreux nouveaux quartiers dans nos villes. Le premier plan de la cité de la Plaine, datant de 1953, prévoyait 1 500 logements. Certains logements individuels sont devenus des logements collectifs, afin de densifier davantage l'opération pour aboutir à 2 000 logements. La conception de la cité n'a en revanche pas évolué : nous retrouvons l'alignement des immeubles et la coulée verte, sur laquelle se concentrent les équipements commerciaux, scolaires, culturels et sportifs. Seul le centre commercial a été déplacé vers la route départementale 906, en bordure du tramway. Les images de la cité en 1967 mettent en évidence la qualité du cadre de vie : petits immeubles de quatre étages, immeubles à taille humaine de deux étages, pavillons pour les logements individuels et plus d'une centaine de petites maisons de ville. Le centre commercial comportait de grands espaces de jeux. La coulée verte traversait la Cité en son centre, permettant aux piétons de circuler sans croiser de véhicules. Soixante ans après, la cité est encore plus verte qu'à l'origine, grâce aux plantations et aux efforts d'entretien. La rénovation
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Maisons sur mail.
de la cité, du bâti et des façades a demandé un investissement important à Clamart Habitat et à la Ville. L'originalité de la cité réside dans l'orientation des bâtiments qui évite les vis-à-vis, permet leur ensoleillement et tient compte des vents dominants. Les immeubles sont disposés pour favoriser le bien-être des habitants. Les espaces verts et les allées piétonnes sont nombreux et seules deux voiries traversent la cité. L'opération d'Auzelle intègre également 25 logements pour personnes âgées : des studios en rez-de-chaussée et des jardins communs. La cité comprend également, depuis l'origine, des ateliers d'artistes. L'idée est bien celle d'un brassage des populations dans cette cité, petite ville de 5 000 habitants. La conception des logements favorise leur ensoleillement et donc l'éclairage naturel de toutes les pièces ainsi que des parties communes, ce qui est exceptionnel pour l'époque. La bibliothèque « La Joie par les Livres », inscrite au patrimoine historique, fait figure de référence dans la construction de bibliothèques enfantines. Dans l'évolution de la cité depuis soixante ans, le bien-être des habitants est resté au centre des préoccupations. Les équipements,
Il s'agit des propos tenus par Philippe Kaltenbach dans le film projeté lors de cette séance. Décembre 2013
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l'animation et la vie associative sont privilégiés et contribuent à la qualité de vie dans le quartier, qui connaît un taux de rotation très faible. Certaines personnes y résident depuis cinquante ans, de nombreux résidents aujourd'hui adultes, y ont grandi. Cet attachement est exceptionnel pour un ensemble d'habitat social de cette ampleur. En déplaçant le centre commercial, nous avons reconstitué la coulée verte initiale. Le chantier d'aménagement du parc paysager est en cours. A terme, les habitants pourront de nouveau traverser la cité sans rencontrer de construction. L'arrivée prochaine du tramway améliorera la desserte du quartier, qui sera relié au métro Châtillon, sur la ligne 4. La cité de la Plaine est un exemple de quartier bien conçu. Elle a su conserver son caractère convivial porté dès l'origine et préserver la qualité de vie des habitants. à moi sur la prise en compte des vents. Les constructions hautes qui caractérisent généralement les ensembles Hlm favorisent les courants d'air. Dans la cité de la Plaine, ce facteur est pris en compte, la pression perpétuelle du vent est effacée, comme vous pourrez le constater cet après-midi à l'occasion de la visite. La petite bibliothèque ronde et l'animation qui en est faite par l'association qui gère l'établissement apportent une touche « humaine » au quartier. Le cimetière constitue le symbole de la conception de Robert Auzelle. Dans l'ensemble, la cité offre toujours, soixante ans après sa conception, un cadre de vie privilégié. Les principes qui ont guidé la conception, les matériaux choisis, l'intégration de la problématique énergétique, témoignent d'une pensée humaine et d'une vision à long terme.
Pierre PEILLON
Tandis que l'époque était alors à la standardisation et à la normalisation du logement, à l'opposé de la reconnaissance des pratiques sociales réelles, en quoi la prise en compte, par Robert Auzelle, de l'usager a-t-elle permis de créer un lien particulier entre l'habitant et l'habitat ?
Pierre PEILLON
Je souhaite à présent m'adresser à Jean Marc Seyler, adjoint à l'urbanisme de la Ville de Clamart, pour lui poser deux questions. Nous l'avons vu, la qualité de vie dans la cité de la Plaine résulte, d'une part de la conception originale du quartier, et d'autre part de la gestion qu'assurent la Ville et l'office d'Hlm. Quels sont, selon vous, les éléments décisifs en matière de conception qui expliquent les atouts du quartier ? Et quels éléments lui ont permis d'être un quartier « durable » avant l'heure, en l'absence de toute législation en la matière ?
Jean-Marc SEYLER
Cette prise en compte s'intègre dans un ensemble. L'aménagement des logements répond encore tout à fait aux attentes des habitants : tous les logements de la cité de la Plaine sont traversants (comme nous le demandons aujourd'hui dans les nouvelles opérations), les tailles des pièces sont tout à fait satisfaisantes. Ainsi, la commission d'attribution des logements n'a jamais été confrontée au refus d'un logement dans la cité de la Plaine pour des raisons liées à la qualité de celui-ci. L'unique problème au regard des standards actuels concerne les normes d'accessibilité aux personnes handicapées.
Jean-Marc SEYLER
La pérennité de la qualité de vie dans la cité de la Plaine découle de l'ensemble de la réflexion menée lors de la conception de l'opération. Comme l'a indiqué M. le Sénateur maire, le taux de rotation est particulièrement faible. En règle générale, en logement Hlm, il est de l'ordre de 8 à 10 %, à La Plaine, il est un peu supérieur à 6 %. Les différents intervenants ont cité l'ensemble des facteurs qui contribuent à la qualité de vie dans le quartier, qu'il s'agisse de la hauteur des immeubles, de l'espace, de l'ensoleillement ou de l'équipement. Je partage tous ces éléments, et j'insisterai quant
Pierre PEILLON
A l'opposé de la majeure partie des quartiers Hlm, la cité de la Plaine forme un ensemble cohérent, irrigué tout du long, sans interruption, par deux voies de circulation. qui en outre la relient aux quartiers contigus. En quoi cet aspect constitue-t-il un atout, voire participe à la pérennité du quartier ?
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Jean-Marc SEYLER
Il s'agit effectivement d'un atout important. Des réflexions sont en cours pour améliorer la maîtrise de la départementale 906, en raison de l'installation du tramway qui générera d'importantes modifications. A Clamart, la présence du bois occupe un tiers du territoire. Nous travaillons actuellement à l'ouverture de l'espace par rapport au mail, un axe très végétalisé, qui mène vers le cimetière. Les constructions aux abords de cet axe ne sont pas uniformes, mais conservent une identité de hauteur et de gabarit. Dans l'esprit des populations, la cité de la Plaine s'intègre bien dans l'ensemble du Haut Clamart. Le quartier est ouvert sur la ville. En tant que représentante d'une association de défense des consommateurs dans les domaines de la consommation, du logement et du cadre de vie, je peux témoigner de l'importance du cadre de vie pour les populations. Si comme dans toutes les cités, des aspects pourraient être améliorés, les logements conçus il y a soixante ans ne vieillissent pas : ils restent adaptés aux familles qui les habitent. Les taux de rotation sont très faibles, comme le soulignait Jean Marc Seyler. Pour la plupart, les rotations sont dues à un changement de composition familiale, non à une envie de quitter le quartier. La cité de la Plaine favorise par ailleurs la mixité sociale, contrairement aux grands ensembles, qui génèrent un certain anonymat. majorité des locataires accepteraient que la cité soit reconstruite de la même manière.
Le point de vue des habitants
Victorine TOURÉ
Présidente de l'Union locale CLCV de Clamart
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Pierre PEILLON
Pouvez-vous nous préciser combien de logements compte chaque montée ?
Pierre PEILLON
Notre intervenante suivante est Victorine Touré, responsable d'une association de locataires. Vous résidez dans la cité de la Plaine depuis de nombreuses années. Quels éléments de conception et de gestion ont, à votre sens, assuré la qualité du quartier et sa pérennité ?
Victorine TOURÉ
Une montée ne compte qu'une dizaine de logements ; donc tous les habitants d'une montée se connaissent.
Victorine TOURE
J'évoquerai en premier lieu le cadre de vie offert par la cité de la Plaine, à la fois ville et village. La cité « voit le jour de tous les côtés » : la lumière y est abondante, les espaces verts sont nombreux. S'il fallait tout reconstruire aujourd'hui, la grande
3 La CLCV (Consommation, logement et cadre de vie) est une association nationale qui défend exclusivement les intérêts spécifiques des consommateurs et des usagers.
Les nouvelles constructions sur le mail.
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Nous espérons que la cité de la Plaine conservera le même esprit dans les prochaines décennies. Cela ne sera possible que si les nouveaux logements sont conçus selon les mêmes principes.
Victorine TOURÉ
Les nouvelles constructions en périphérie s'intègrent bien dans le paysage de la cité de la Plaine. Les réhabilitations portent aussi bien sur l'intérieur des logements (remise aux normes) que sur l'extérieur. Les usagers perçoivent toujours bien les interventions extérieures aux logements. En revanche, pour les interventions portant sur l'intérieur des logements, l'association que je représente doit parfois traiter des réclamations. Ces cas sont toujours réglés sans grande difficulté.
Pierre PEILLON
Plusieurs intervenants ont souligné l'importance des espaces verts. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
Victorine TOURÉ
Les espaces verts, en particulier la coulée verte qui relie la cité de la Plaine et la cité de la Garenne, jouent un rôle primordial dans la qualité du cadre de vie. Tous les immeubles donnent accès à quelques arbres et à des pelouses très bien entretenues. J'ai toujours habité Clamart. En comparaison avec d'autres cités dans d'autres communes et d'autres régions, le patrimoine de Clamart Habitat est exceptionnel.
Pierre PEILLON
Au regard de l'histoire du quartier, comment percevez-vous la dernière opération portant sur la coulée verte et la construction des immeubles d'Antin Résidence ?
Victorine TOURÉ
Il s'agit là de l'évolution normale de la cité. L'ancien centre commercial a été détruit, le nouveau centre commercial redynamise quant à lui la vie du quartier. Cette évolution me semble positive.
Pierre PEILLON
Un intervenant de la table ronde évoquait les difficultés posées par la réhabilitation au regard des enjeux patrimoniaux. En tant qu'usagère de ces lieux, comment percevez-vous les évolutions, transitions et adaptations que le quartier a connues ces dernières années ?
Pierre PEILLON
Merci.
La cité de la plaine. Décembre 2013
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Le point de vue du gestionnaire du cimetière intercommunal
Catherine PÉLIGAT
Directrice du Cimetière intercommunal systématiquement deux masses strictement construction du cimetière s'achève en 1958. égales. La
Pierre PEILLON
Nous accueillons maintenant la directrice du cimetière intercommunal. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur la place de l'art funéraire dans l'oeuvre d'Auzelle ? En quoi le cimetière intercommunal est-il original ? Quel est le lien entre le cimetière, le quartier, la ville ?
Catherine PÉLIGAT
Robert Auzelle s'est beaucoup intéressé à l'art funéraire. Son ouvrage « Dernières demeures », qui rassemble toutes ses publications et interventions sur la question, débute ainsi : « Même si vous n'y songez pas, sachez qu'elles nous attendent ». A partir de 1938, Robert Auzelle prend conscience de la faible attention accordée à ces dernières demeures dans l'architecture et l'urbanisme et, sous l'influence de son maître Paul Bigot, il commence à travailler sur le thème du cimetière. De 1938 à 1944, Robert Auzelle étudie les sépultures. Ses recherches le conduisent aux États-Unis, en Allemagne et en Suède. Elles le conduisent à élaborer certaines conceptions nouvelles dans le domaine du cimetière paysager. En 1947, à la création du Syndicat du cimetière intercommunal de Clamart, sous l'influence des secrétaires généraux des communes, Robert Auzelle est choisi comme architecte pour construire la cité et le cimetière. Il s'agit bien d'une opération d'urbanisme globale : le plan d'expropriation de 80 hectares correspond pour moitié à la cité, pour moitié au cimetière ; et les plans de masse présentent
En 1965, Robert Auzelle rassemble l'ensemble des études qu'il a réalisées et, avec Dominique Jankovic, publie « Dernières demeures », qui représente, encore aujourd'hui, l'ouvrage de référence en matière funéraire. Robert Auzelle y aborde tous les aspects de l'art funéraire, qu'ils soient philosophiques, techniques, ou qu'ils concernent la gestion quotidienne du cimetière (disposition des sépultures, entretien etc.). A travers son oeuvre et ses écrits, Robert Auzelle a posé les bases du fonctionnement du Syndicat du cimetière intercommunal. Les principes d'Auzelle sont d'une extraordinaire modernité : soixante ans après, les principes de gestion du cimetière restent inchangés. Le cimetière participe à la vie de la cité à plusieurs titres, « de nos maisons debout à nos maisons couchées », pour reprendre les mots de la Comtesse de Noailles. Les habitants qui y résident depuis longtemps y accompagnent leurs morts. Nous ne recensons aucun acte de vandalisme ou de dégradation. Pourtant, le cimetière n'est fermé que par des portillons de verre d'un mètre de haut. Le lieu est totalement respecté. Il revêt par ailleurs une valeur d'exemple : une étude de l'Atelier parisien d'urbanisme (APUR) pour la Ville de Paris a choisi ce site comme illustration d'un cimetière ouvert sur la cité. Le cimetière de Clamart tel qu'imaginé par Auzelle est résolument moderne. Pour Robert Auzelle, « l'homme est d'instinct cet architecte improvisé, que son installation dans l'au-delà, sa demeure dans l'éternité, préoccupe autant que son habitation temporelle ». Le cimetière intercommunal de Clamart dégage bien cette sensation de sérénité et d'apaisement. Il constitue par ailleurs un lieu de promenade pour tous les habitants de la cité. Une partie du cimetière, de dix hectares, a été cédée à la Ville de Clamart pour construire un terrain de sport. Le cimetière constitue ainsi un véritable trait d'union entre la vie de la cité, les activités
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sportives et les autres quartiers. Adossé au bois de Clamart, le cimetière est en effet un espace traversant.
Pierre PEILLON
Votre intervention souligne bien la place du cimetière dans la pratique sociale du quartier, au-delà de sa fonction première.
Catherine PÉLIGAT
Tout à fait. J'insisterai enfin sur l'approche « développement durable » de la conception de Robert Auzelle. Ainsi, les fossés drainants sur les chaussées permettent de récupérer les eaux de pluie pour la végétation. Auzelle avait imaginé l'utilisation de véhicules électriques pour transporter les corps. Ces véhicules ont fonctionné jusque dans les années 80, puis ont été abandonnés. Aujourd'hui, la circulation dans le cimetière repose de nouveau sur ce type de véhicules. Un arboretum a été élaboré afin de mettre en valeur les arbres remarquables plantés lors de la construction du cimetière. A l'occasion de la rénovation du parvis, un bassin de récupération des eaux pluviales a été installé afin d'arroser la grande pelouse. Un columbarium a été ouvert il y a deux ans pour répondre à l'augmentation des demandes d'incinérations. La préoccupation du Conseil des élus qui administre le cimetière est ainsi de conserver l'esprit d'Auzelle, de faire vivre ce site tel qu'il a été conçu, mais également de l'adapter aux contraintes et aux demandes d'aujourd'hui.
Le cimetiere paysager et les monuments dessinées par Robert Auzelle.
Pierre PEILLON
Merci. Il est intéressant de constater qu'un cimetière peut constituer un véritable quartier de la ville.
La tombe de Robert Auzelle et de son épouse.
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Échanges avec la salle
Dominique DORÉ
Journaliste Il est rare de disposer de tant de recul sur une opération répondant aux principes du développement durable. Avez-vous eu l'opportunité de mener une étude sur les coûts globaux de l'opération de la cité de la Plaine, qui tienne compte de la réduction des charges de fonctionnement, en lien notamment avec la meilleure isolation des logements ? Une telle étude serait susceptible de démontrer qu'à long terme, ce type de projet est moins onéreux qu'un projet conventionnel. dans le paysage. Ces travaux ont représenté cinq ans d'études et 5 millions d'euros d'investissement.
Pierre PEILLON
L'observation de Madame Doré est tout à fait pertinente. Peut-être pourriez-vous proposer ce type d'étude, confrontant l'investissement initial aux économies réalisées sur la durée de vie de l'opération, à un étudiant stagiaire.
Christophe ROY
Tout à fait. J'ajoute que l'action de Clamart Habitat concerne également les espaces verts. Depuis plusieurs années, l'organisation dispose en effet d'une équipe de quinze jardiniers dédiée à la gestion de ces espaces, autrefois sous-traitée à un prestataire. Des investissements importants ont été réalisés dernièrement pour continuer de valoriser le parc que constitue la cité de la Plaine.
Jean-Marc SEYLER
Avant que Christophe Roy, directeur de Clamart Habitat, ne réponde à cette question, permettez-moi d'apporter un complément sur les évolutions du quartier. La gestion de la cité par un organisme unique, Clamart Habitat, favorise une gestion cohérente des évolutions de la cité.
Christophe ROY
Directeur de Clamart Habitat Il est impossible d'établir des ratios de coûts globaux depuis la création de la cité de la Plaine. En revanche, nous disposons de données relatives à la fois à la gestion quotidienne de l'ensemble de la cité et aux opérations menées par Clamart Habitat. Ainsi, sur les dix dernières années, nous avons par exemple pu constater l'atteinte de l'objectif de 17 % de baisse de charges sur le chauffage grâce à l'isolation des façades. Par ailleurs, Clamart Habitat entretient annuellement les constructions. Récemment, un protocole d'accord conclu avec les associations locales, a porté sur le remplacement de tous les vide-ordures de la cité par des containers enterrés intégrés
Alain NAMAN
Urbaniste expert international Ancien élève de Robert Auzelle au Séminaire Atelier Tony Garnier, je souhaite apporter un témoignage. Je parlerai au nom de mes anciens camarades que j'ai eu l'occasion de retrouver aujourd'hui. A travers son enseignement, au-delà des aspects techniques, Robert Auzelle nous a transmis une conception, un esprit : l'apprentissage perpétuel, la pluridisciplinarité et la responsabilité. Cet enseignement nous a conduits à des activités professionnelles diversifiées, en France comme à l'international. C'est au Séminaire Atelier Tony Garnier que le directeur de l'Atelier parisien d'urbanisme (l'Apur), jury des projets que nous présentions, a recruté certains d'entre nous. Les préceptes qui
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nous ont été enseignés sont véritablement au fondement de notre pratique. nombre de clamartois du centre-ville, logés jusqu'alors dans des conditions relativement précaires, ont pu être logés dans la cité. A l'époque, les Clamartois ne fréquentaient pas la cité de la Plaine. Il existait une fracture profonde, qui a perduré jusqu'à la réalisation de l'aménagement prolongeant la cité de la Plaine. Aujourd'hui, la cité est un quartier vivant, bien intégré à Clamart. Ce lien ne s'est créé qu'au bout de quarante ans.
Robert-Max ANTONI
Ma question s'adresse à Madame Péligat, qui d'ailleurs m'a indiqué que le cimetière intercommunal de Clamart a été reconnu sur le plan européen. Avez-vous identifié, dans le monde, des grands ensembles d'habitation à proximité d'un cimetière, qui présentent une conception de l'espace telle que Robert Auzelle l'a illustrée à Clamart ?
Victorine TOURÉ
Je suis née à Clamart. J'y ai vécu dans des logements « frappés d'alignement », et me suis installée en 1965 dans la cité de la Plaine. A l'époque de mon enfance, la Plaine était peuplé de maraîchers. Mes parents et moi y récoltions notre alimentation. Les maraîchers ont disparu aujourd'hui, puis la cité exemplaire a été construite. Je n'ai jamais véritablement ressenti la fracture que vous décrivez, bien qu'aujourd'hui, certains disent encore « moi, je ne monte pas au Petit Clamart ! ». Les mentalités n'évoluent pas rapidement.
Catherine PÉLIGAT
Effectivement, le cimetière intercommunal a été admis en 2012 dans l'association « La route des cimetières d'Europe ». Il s'agit du troisième cimetière français admis, les deux autres étant le cimetière du Père Lachaise et le cimetière du Montparnasse. Le cimetière intercommunal a été reconnu davantage pour sa dimension paysagère que pour son architecture. Je n'ai pas connaissance d'autres exemples de conceptions globales d'urbanisme comprenant une cité totale, de la vie à la mort. Le cimetière intercommunal de Clamart constitue, à mon sens, une exception en la matière.
Manuel HERNANDEZ
Chargé de communication à Clamart Habitat Le Petit Clamart était un lieu bien particulier à la fin du XIXe siècle. Il marquait la limite entre Paris et la province. Les malfrats, interdits de la petite couronne, y passaient pour entrer en région parisienne. Une gendarmerie y a d'ailleurs été installée en 1860. Je pense que l'esprit des lieux a perduré dans l'imaginaire de certaines populations.
Jacques-Henri BORD
Membre du Séminaire Robert Auzelle Je livrerai un commentaire sur les débuts de la cité de la Plaine. Lorsque la décision a été prise de réaliser l'opération Auzelle, le territoire était extérieur à la commune de Clamart. Il n'existait aucune voie de communication entre la ville et le haut de la Plaine. On n'y accédait que par un chemin. L'ensemble de l'opération était desservi par la route nationale 306, voie stratégique qui reliait la Porte d'Orléans à Villacoublay. L'opération telle que pensée par Robert Auzelle a permis de prévoir l'agglomération de cette partie du territoire communal à la commune initiale et de désenclaver le Jardin parisien, lieu très peu connu à l'époque. A partir de 1965, quand les bâtiments ont été livrés, un certain
Catherine PÉLIGAT
La présence du bois, séparant le Bas Clamart du Haut Clamart marquait également une séparation physique entre les deux zones.
Victorine TOURÉ
La différence entre le Bas Clamart et le Haut Clamart s'est considérablement atténuée.
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Hector PATRIOTIS
Lorsque nous avons conçu les espaces verts du cimetière, pour qu'il conserve son caractère de parc, nous avons établi une plaquette précisant les dimensions des monuments pour qu'ils s'intègrent dans la végétation. Ces préceptes sont-ils toujours pris en compte ?
Catherine PÉLIGAT
En effet. Les dimensions prévues dans les réglementations de base sont les mêmes qu'à l'époque de la conception du cimetière.
Hector PATRIOTIS
Permettez-moi de citer quelques anecdotes. Les personnes qui ont connu Robert Auzelle disaient souvent que si vous preniez l'escalier avec Robert Auzelle, il parlerait de politique au premier étage, puis de football, mais vous pouviez être sûr que dès le quatrième étage, il parlerait de cimetières. Robert Auzelle évoquait la mort avec beaucoup d'aise et de sérénité. Pour lui, un cimetière était un lieu pour les vivants. Un jour, Monsieur Trouvelot, architecte du Louvre, avec qui j'ai eu la chance de travailler pour l'installation d'un patio où se situe aujourd'hui la Pyramide du Louvre, m'a demandé : « Comment un garçon méditerranéen comme vous peut-il être à l'aise avec Monsieur Auzelle, un garçon si froid » ? En réalité, Monsieur Auzelle n'était pas un homme froid. Il savait être très amusant. Il était également un travailleur infatigable. Le jour de la naissance de sa fille Anne Marie, Robert Auzelle travaillait loin de chez lui. Face aux reproches de sa femme, il lui a répondu « J'ai été présent neufs mois auparavant ! ». Ce fut un grand plaisir de travailler avec Monsieur Auzelle.
Catherine PÉLIGAT
Robert Auzelle avait effectivement émis le souhait que soit demandé aux familles de choisir parmi la dizaine de monuments types qu'il avait imaginée, leur laissant libre choix du matériau. A l'époque, le conseil d'administration n'avait pas retenu cette proposition. Malgré tout, dans la première partie du secteur paysager, cette règle a été appliquée. Ainsi, le cadre paysager est diversifié, mais rythmé par des monuments identiques dans des matériaux différents. L'attachement à la propriété privée qui caractérise l'esprit français, ainsi que l'état de la législation funéraire, rendent difficile l'application de ces préceptes paysagers. Il est difficile également d'indiquer aux familles en période de deuil que le monument qu'ils ont choisi ne correspond pas à notre conception des lieux. Je conserve néanmoins dans mon bureau le recueil des monuments types. Lorsqu'une famille me demande un conseil sur le monument, je leur propose systématiquement l'un de ceux conçus par Auzelle. Par ailleurs, Françoise Weets veille au cadre paysager : toutes les demandes de stèles dans le secteur paysager sont soumises à l'architecte des Bâtiments de France.
Christian BENILAN
Ma question s'adresse à Catherine Péligat. Je suis retourné récemment au cimetière et j'ai été frappé par le silence qui y régnait. J'ai observé un convoi funéraire et j'ai remarqué qu'il roulait au pas. Respectait-il une réglementation de limitation de vitesse, ou s'était-il pris au jeu de l'ambiance particulière du cimetière ?
Hector PATRIOTIS
Ces monuments types constituaient avant tout des exemples à proposer aux familles qui le souhaitaient. J'évoquais davantage les dimensions des monuments.
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Catherine PÉLIGAT
Il existe effectivement une réglementation de limitation de vitesse, en raison de l'étroitesse des voies et de la présence de promeneurs. En règle générale, le nombre de voitures suivant le convoi est limité à cinq, en raison de l'absence d'espace de stationnement. Pour le reste, nous demandons aux familles de le suivre à pieds. Cela participe au rituel et à l'accompagnement du mort.
Pierre PEILLON
Je remercie l'ensemble des intervenants, ainsi que tous les participants qui ont nourri ce débat.
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Clôture du colloque
L'actualité de Robert Auzelle et l'Art urbain
Robert-Max ANTONI
Inspecteur général honoraire de la Construction, Président du Séminaire Robert Auzelle Nous avons beaucoup appris ce matin. Les témoignages exprimés autour de cette tribune ainsi que les films réalisés par Jean Pierre Decourcelle - l'organisateur de cette manifestationy - ont permis de retracer l'histoire d'une époque. Aujourd'hui, il me semble que nous vivons à nouveau une époque de reconstruction. Celleci porte sur l'habitat, mais également sur les aspects spirituels. Robert Auzelle a apporté toutes les réflexions utiles à cette nouvelle reconstruction. Les habitants ont toujours été la priorité de Robert Auzelle. Les opérations qu'il menait n'étaient pas financières. Elles s'inscrivaient avant tout dans une recherche de la satisfaction des besoins des familles destinées à vivre dans ces ensembles. Je suis heureux d'apprendre que le cimetière intercommunal de Clamart est reconnu au niveau européen, au même titre que deux cimetières parisiens prestigieux. L'ensemble que constituent la Cité de la Plaine, le cimetière intercommunal et la Petite bibliothèque ronde, mérite d'être reconsidéré, par ceux qui ne connaissent pas ce lieu ni l'oeuvre de Robert Auzelle, comme ayant une « valeur universelle exceptionnelle ». Le Sénateur maire, l'équipe municipale, les associations et les habitants partagent la fierté de cette opération, exemplaire à plusieurs titres pour les acteurs chargés de créer ou de gérer des quartiers d'habitation. Le discours de Cécile Duflot 4 tenu aujourd'hui à la sortie du Conseil des ministres constitue une étape importante. L'intercommunalité était déjà envisagée comme une nécessité par Robert Auzelle, pour gérer des territoires, non pas dans les limites de leurs entités
Présentation par Cécile Duflot de son projet de loi dénommé « ALUR » (pour l'accès au logement et à l'urbanisme rénové). Décembre 2013
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administratives, mais comme des ensembles géographiques humains, sociaux et économiques méritant une attention particulière. Je vous remercie pour vos interventions et vos observations. Cet après-midi, nous aurons l'occasion de voir d'un oeil nouveau la Cité de la Plaine et le cimetière, et de comprendre la conception de « l'espace auzellien », que l'on retrouve à Clamart comme à Neufchâtel-en-Bray. Les deux communes ont d'ailleurs le projet de se jumeler pour conjuguer leurs efforts, pour une meilleure reconnaissance de la qualité d'un cadre de vie, au travers de ces opérations exemplaires à l'échelle de notre pays.
R-M. Antoni.
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Robert Auzelle, précurseur d'une approche durable de l'urbanisme et de l'architecture hors série du comité d'Histoire
rédaction Tour Pascal B 20.20
92 055 La Défense Cedex téléphone : 01 40 81 15 38 ou 36 83 télécopie : 01 40 81 23 24 comite.histoire@developpement-durable.gouv.fr Pierre Chantereau et Alain Billon
fondateurs de la publication
directeur de la publication
Louis-Michel Sanche
rédacteur en chef
Patrick Février Christiane Chanliau
suivi de fabrication
crédit photo
Jean-Pierre Decourcelle
Eric Rillardon
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réalisation graphique
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(ATTENTION: OPTION ilisation de véhicules électriques pour transporter les corps. Ces véhicules ont fonctionné jusque dans les années 80, puis ont été abandonnés. Aujourd'hui, la circulation dans le cimetière repose de nouveau sur ce type de véhicules. Un arboretum a été élaboré afin de mettre en valeur les arbres remarquables plantés lors de la construction du cimetière. A l'occasion de la rénovation du parvis, un bassin de récupération des eaux pluviales a été installé afin d'arroser la grande pelouse. Un columbarium a été ouvert il y a deux ans pour répondre à l'augmentation des demandes d'incinérations. La préoccupation du Conseil des élus qui administre le cimetière est ainsi de conserver l'esprit d'Auzelle, de faire vivre ce site tel qu'il a été conçu, mais également de l'adapter aux contraintes et aux demandes d'aujourd'hui.
Le cimetiere paysager et les monuments dessinées par Robert Auzelle.
Pierre PEILLON
Merci. Il est intéressant de constater qu'un cimetière peut constituer un véritable quartier de la ville.
La tombe de Robert Auzelle et de son épouse.
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Échanges avec la salle
Dominique DORÉ
Journaliste Il est rare de disposer de tant de recul sur une opération répondant aux principes du développement durable. Avez-vous eu l'opportunité de mener une étude sur les coûts globaux de l'opération de la cité de la Plaine, qui tienne compte de la réduction des charges de fonctionnement, en lien notamment avec la meilleure isolation des logements ? Une telle étude serait susceptible de démontrer qu'à long terme, ce type de projet est moins onéreux qu'un projet conventionnel. dans le paysage. Ces travaux ont représenté cinq ans d'études et 5 millions d'euros d'investissement.
Pierre PEILLON
L'observation de Madame Doré est tout à fait pertinente. Peut-être pourriez-vous proposer ce type d'étude, confrontant l'investissement initial aux économies réalisées sur la durée de vie de l'opération, à un étudiant stagiaire.
Christophe ROY
Tout à fait. J'ajoute que l'action de Clamart Habitat concerne également les espaces verts. Depuis plusieurs années, l'organisation dispose en effet d'une équipe de quinze jardiniers dédiée à la gestion de ces espaces, autrefois sous-traitée à un prestataire. Des investissements importants ont été réalisés dernièrement pour continuer de valoriser le parc que constitue la cité de la Plaine.
Jean-Marc SEYLER
Avant que Christophe Roy, directeur de Clamart Habitat, ne réponde à cette question, permettez-moi d'apporter un complément sur les évolutions du quartier. La gestion de la cité par un organisme unique, Clamart Habitat, favorise une gestion cohérente des évolutions de la cité.
Christophe ROY
Directeur de Clamart Habitat Il est impossible d'établir des ratios de coûts globaux depuis la création de la cité de la Plaine. En revanche, nous disposons de données relatives à la fois à la gestion quotidienne de l'ensemble de la cité et aux opérations menées par Clamart Habitat. Ainsi, sur les dix dernières années, nous avons par exemple pu constater l'atteinte de l'objectif de 17 % de baisse de charges sur le chauffage grâce à l'isolation des façades. Par ailleurs, Clamart Habitat entretient annuellement les constructions. Récemment, un protocole d'accord conclu avec les associations locales, a porté sur le remplacement de tous les vide-ordures de la cité par des containers enterrés intégrés
Alain NAMAN
Urbaniste expert international Ancien élève de Robert Auzelle au Séminaire Atelier Tony Garnier, je souhaite apporter un témoignage. Je parlerai au nom de mes anciens camarades que j'ai eu l'occasion de retrouver aujourd'hui. A travers son enseignement, au-delà des aspects techniques, Robert Auzelle nous a transmis une conception, un esprit : l'apprentissage perpétuel, la pluridisciplinarité et la responsabilité. Cet enseignement nous a conduits à des activités professionnelles diversifiées, en France comme à l'international. C'est au Séminaire Atelier Tony Garnier que le directeur de l'Atelier parisien d'urbanisme (l'Apur), jury des projets que nous présentions, a recruté certains d'entre nous. Les préceptes qui
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nous ont été enseignés sont véritablement au fondement de notre pratique. nombre de clamartois du centre-ville, logés jusqu'alors dans des conditions relativement précaires, ont pu être logés dans la cité. A l'époque, les Clamartois ne fréquentaient pas la cité de la Plaine. Il existait une fracture profonde, qui a perduré jusqu'à la réalisation de l'aménagement prolongeant la cité de la Plaine. Aujourd'hui, la cité est un quartier vivant, bien intégré à Clamart. Ce lien ne s'est créé qu'au bout de quarante ans.
Robert-Max ANTONI
Ma question s'adresse à Madame Péligat, qui d'ailleurs m'a indiqué que le cimetière intercommunal de Clamart a été reconnu sur le plan européen. Avez-vous identifié, dans le monde, des grands ensembles d'habitation à proximité d'un cimetière, qui présentent une conception de l'espace telle que Robert Auzelle l'a illustrée à Clamart ?
Victorine TOURÉ
Je suis née à Clamart. J'y ai vécu dans des logements « frappés d'alignement », et me suis installée en 1965 dans la cité de la Plaine. A l'époque de mon enfance, la Plaine était peuplé de maraîchers. Mes parents et moi y récoltions notre alimentation. Les maraîchers ont disparu aujourd'hui, puis la cité exemplaire a été construite. Je n'ai jamais véritablement ressenti la fracture que vous décrivez, bien qu'aujourd'hui, certains disent encore « moi, je ne monte pas au Petit Clamart ! ». Les mentalités n'évoluent pas rapidement.
Catherine PÉLIGAT
Effectivement, le cimetière intercommunal a été admis en 2012 dans l'association « La route des cimetières d'Europe ». Il s'agit du troisième cimetière français admis, les deux autres étant le cimetière du Père Lachaise et le cimetière du Montparnasse. Le cimetière intercommunal a été reconnu davantage pour sa dimension paysagère que pour son architecture. Je n'ai pas connaissance d'autres exemples de conceptions globales d'urbanisme comprenant une cité totale, de la vie à la mort. Le cimetière intercommunal de Clamart constitue, à mon sens, une exception en la matière.
Manuel HERNANDEZ
Chargé de communication à Clamart Habitat Le Petit Clamart était un lieu bien particulier à la fin du XIXe siècle. Il marquait la limite entre Paris et la province. Les malfrats, interdits de la petite couronne, y passaient pour entrer en région parisienne. Une gendarmerie y a d'ailleurs été installée en 1860. Je pense que l'esprit des lieux a perduré dans l'imaginaire de certaines populations.
Jacques-Henri BORD
Membre du Séminaire Robert Auzelle Je livrerai un commentaire sur les débuts de la cité de la Plaine. Lorsque la décision a été prise de réaliser l'opération Auzelle, le territoire était extérieur à la commune de Clamart. Il n'existait aucune voie de communication entre la ville et le haut de la Plaine. On n'y accédait que par un chemin. L'ensemble de l'opération était desservi par la route nationale 306, voie stratégique qui reliait la Porte d'Orléans à Villacoublay. L'opération telle que pensée par Robert Auzelle a permis de prévoir l'agglomération de cette partie du territoire communal à la commune initiale et de désenclaver le Jardin parisien, lieu très peu connu à l'époque. A partir de 1965, quand les bâtiments ont été livrés, un certain
Catherine PÉLIGAT
La présence du bois, séparant le Bas Clamart du Haut Clamart marquait également une séparation physique entre les deux zones.
Victorine TOURÉ
La différence entre le Bas Clamart et le Haut Clamart s'est considérablement atténuée.
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Hector PATRIOTIS
Lorsque nous avons conçu les espaces verts du cimetière, pour qu'il conserve son caractère de parc, nous avons établi une plaquette précisant les dimensions des monuments pour qu'ils s'intègrent dans la végétation. Ces préceptes sont-ils toujours pris en compte ?
Catherine PÉLIGAT
En effet. Les dimensions prévues dans les réglementations de base sont les mêmes qu'à l'époque de la conception du cimetière.
Hector PATRIOTIS
Permettez-moi de citer quelques anecdotes. Les personnes qui ont connu Robert Auzelle disaient souvent que si vous preniez l'escalier avec Robert Auzelle, il parlerait de politique au premier étage, puis de football, mais vous pouviez être sûr que dès le quatrième étage, il parlerait de cimetières. Robert Auzelle évoquait la mort avec beaucoup d'aise et de sérénité. Pour lui, un cimetière était un lieu pour les vivants. Un jour, Monsieur Trouvelot, architecte du Louvre, avec qui j'ai eu la chance de travailler pour l'installation d'un patio où se situe aujourd'hui la Pyramide du Louvre, m'a demandé : « Comment un garçon méditerranéen comme vous peut-il être à l'aise avec Monsieur Auzelle, un garçon si froid » ? En réalité, Monsieur Auzelle n'était pas un homme froid. Il savait être très amusant. Il était également un travailleur infatigable. Le jour de la naissance de sa fille Anne Marie, Robert Auzelle travaillait loin de chez lui. Face aux reproches de sa femme, il lui a répondu « J'ai été présent neufs mois auparavant ! ». Ce fut un grand plaisir de travailler avec Monsieur Auzelle.
Catherine PÉLIGAT
Robert Auzelle avait effectivement émis le souhait que soit demandé aux familles de choisir parmi la dizaine de monuments types qu'il avait imaginée, leur laissant libre choix du matériau. A l'époque, le conseil d'administration n'avait pas retenu cette proposition. Malgré tout, dans la première partie du secteur paysager, cette règle a été appliquée. Ainsi, le cadre paysager est diversifié, mais rythmé par des monuments identiques dans des matériaux différents. L'attachement à la propriété privée qui caractérise l'esprit français, ainsi que l'état de la législation funéraire, rendent difficile l'application de ces préceptes paysagers. Il est difficile également d'indiquer aux familles en période de deuil que le monument qu'ils ont choisi ne correspond pas à notre conception des lieux. Je conserve néanmoins dans mon bureau le recueil des monuments types. Lorsqu'une famille me demande un conseil sur le monument, je leur propose systématiquement l'un de ceux conçus par Auzelle. Par ailleurs, Françoise Weets veille au cadre paysager : toutes les demandes de stèles dans le secteur paysager sont soumises à l'architecte des Bâtiments de France.
Christian BENILAN
Ma question s'adresse à Catherine Péligat. Je suis retourné récemment au cimetière et j'ai été frappé par le silence qui y régnait. J'ai observé un convoi funéraire et j'ai remarqué qu'il roulait au pas. Respectait-il une réglementation de limitation de vitesse, ou s'était-il pris au jeu de l'ambiance particulière du cimetière ?
Hector PATRIOTIS
Ces monuments types constituaient avant tout des exemples à proposer aux familles qui le souhaitaient. J'évoquais davantage les dimensions des monuments.
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Catherine PÉLIGAT
Il existe effectivement une réglementation de limitation de vitesse, en raison de l'étroitesse des voies et de la présence de promeneurs. En règle générale, le nombre de voitures suivant le convoi est limité à cinq, en raison de l'absence d'espace de stationnement. Pour le reste, nous demandons aux familles de le suivre à pieds. Cela participe au rituel et à l'accompagnement du mort.
Pierre PEILLON
Je remercie l'ensemble des intervenants, ainsi que tous les participants qui ont nourri ce débat.
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Clôture du colloque
L'actualité de Robert Auzelle et l'Art urbain
Robert-Max ANTONI
Inspecteur général honoraire de la Construction, Président du Séminaire Robert Auzelle Nous avons beaucoup appris ce matin. Les témoignages exprimés autour de cette tribune ainsi que les films réalisés par Jean Pierre Decourcelle - l'organisateur de cette manifestationy - ont permis de retracer l'histoire d'une époque. Aujourd'hui, il me semble que nous vivons à nouveau une époque de reconstruction. Celleci porte sur l'habitat, mais également sur les aspects spirituels. Robert Auzelle a apporté toutes les réflexions utiles à cette nouvelle reconstruction. Les habitants ont toujours été la priorité de Robert Auzelle. Les opérations qu'il menait n'étaient pas financières. Elles s'inscrivaient avant tout dans une recherche de la satisfaction des besoins des familles destinées à vivre dans ces ensembles. Je suis heureux d'apprendre que le cimetière intercommunal de Clamart est reconnu au niveau européen, au même titre que deux cimetières parisiens prestigieux. L'ensemble que constituent la Cité de la Plaine, le cimetière intercommunal et la Petite bibliothèque ronde, mérite d'être reconsidéré, par ceux qui ne connaissent pas ce lieu ni l'oeuvre de Robert Auzelle, comme ayant une « valeur universelle exceptionnelle ». Le Sénateur maire, l'équipe municipale, les associations et les habitants partagent la fierté de cette opération, exemplaire à plusieurs titres pour les acteurs chargés de créer ou de gérer des quartiers d'habitation. Le discours de Cécile Duflot 4 tenu aujourd'hui à la sortie du Conseil des ministres constitue une étape importante. L'intercommunalité était déjà envisagée comme une nécessité par Robert Auzelle, pour gérer des territoires, non pas dans les limites de leurs entités
Présentation par Cécile Duflot de son projet de loi dénommé « ALUR » (pour l'accès au logement et à l'urbanisme rénové). Décembre 2013
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administratives, mais comme des ensembles géographiques humains, sociaux et économiques méritant une attention particulière. Je vous remercie pour vos interventions et vos observations. Cet après-midi, nous aurons l'occasion de voir d'un oeil nouveau la Cité de la Plaine et le cimetière, et de comprendre la conception de « l'espace auzellien », que l'on retrouve à Clamart comme à Neufchâtel-en-Bray. Les deux communes ont d'ailleurs le projet de se jumeler pour conjuguer leurs efforts, pour une meilleure reconnaissance de la qualité d'un cadre de vie, au travers de ces opérations exemplaires à l'échelle de notre pays.
R-M. Antoni.
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Robert Auzelle, précurseur d'une approche durable de l'urbanisme et de l'architecture hors série du comité d'Histoire
rédaction Tour Pascal B 20.20
92 055 La Défense Cedex téléphone : 01 40 81 15 38 ou 36 83 télécopie : 01 40 81 23 24 comite.histoire@developpement-durable.gouv.fr Pierre Chantereau et Alain Billon
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rédacteur en chef
Patrick Février Christiane Chanliau
suivi de fabrication
crédit photo
Jean-Pierre Decourcelle
Eric Rillardon
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INVALIDE) (ATTENTION: OPTION epose de nouveau sur ce type de véhicules. Un arboretum a été élaboré afin de mettre en valeur les arbres remarquables plantés lors de la construction du cimetière. A l'occasion de la rénovation du parvis, un bassin de récupération des eaux pluviales a été installé afin d'arroser la grande pelouse. Un columbarium a été ouvert il y a deux ans pour répondre à l'augmentation des demandes d'incinérations. La préoccupation du Conseil des élus qui administre le cimetière est ainsi de conserver l'esprit d'Auzelle, de faire vivre ce site tel qu'il a été conçu, mais également de l'adapter aux contraintes et aux demandes d'aujourd'hui.
Le cimetiere paysager et les monuments dessinées par Robert Auzelle.
Pierre PEILLON
Merci. Il est intéressant de constater qu'un cimetière peut constituer un véritable quartier de la ville.
La tombe de Robert Auzelle et de son épouse.
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Échanges avec la salle
Dominique DORÉ
Journaliste Il est rare de disposer de tant de recul sur une opération répondant aux principes du développement durable. Avez-vous eu l'opportunité de mener une étude sur les coûts globaux de l'opération de la cité de la Plaine, qui tienne compte de la réduction des charges de fonctionnement, en lien notamment avec la meilleure isolation des logements ? Une telle étude serait susceptible de démontrer qu'à long terme, ce type de projet est moins onéreux qu'un projet conventionnel. dans le paysage. Ces travaux ont représenté cinq ans d'études et 5 millions d'euros d'investissement.
Pierre PEILLON
L'observation de Madame Doré est tout à fait pertinente. Peut-être pourriez-vous proposer ce type d'étude, confrontant l'investissement initial aux économies réalisées sur la durée de vie de l'opération, à un étudiant stagiaire.
Christophe ROY
Tout à fait. J'ajoute que l'action de Clamart Habitat concerne également les espaces verts. Depuis plusieurs années, l'organisation dispose en effet d'une équipe de quinze jardiniers dédiée à la gestion de ces espaces, autrefois sous-traitée à un prestataire. Des investissements importants ont été réalisés dernièrement pour continuer de valoriser le parc que constitue la cité de la Plaine.
Jean-Marc SEYLER
Avant que Christophe Roy, directeur de Clamart Habitat, ne réponde à cette question, permettez-moi d'apporter un complément sur les évolutions du quartier. La gestion de la cité par un organisme unique, Clamart Habitat, favorise une gestion cohérente des évolutions de la cité.
Christophe ROY
Directeur de Clamart Habitat Il est impossible d'établir des ratios de coûts globaux depuis la création de la cité de la Plaine. En revanche, nous disposons de données relatives à la fois à la gestion quotidienne de l'ensemble de la cité et aux opérations menées par Clamart Habitat. Ainsi, sur les dix dernières années, nous avons par exemple pu constater l'atteinte de l'objectif de 17 % de baisse de charges sur le chauffage grâce à l'isolation des façades. Par ailleurs, Clamart Habitat entretient annuellement les constructions. Récemment, un protocole d'accord conclu avec les associations locales, a porté sur le remplacement de tous les vide-ordures de la cité par des containers enterrés intégrés
Alain NAMAN
Urbaniste expert international Ancien élève de Robert Auzelle au Séminaire Atelier Tony Garnier, je souhaite apporter un témoignage. Je parlerai au nom de mes anciens camarades que j'ai eu l'occasion de retrouver aujourd'hui. A travers son enseignement, au-delà des aspects techniques, Robert Auzelle nous a transmis une conception, un esprit : l'apprentissage perpétuel, la pluridisciplinarité et la responsabilité. Cet enseignement nous a conduits à des activités professionnelles diversifiées, en France comme à l'international. C'est au Séminaire Atelier Tony Garnier que le directeur de l'Atelier parisien d'urbanisme (l'Apur), jury des projets que nous présentions, a recruté certains d'entre nous. Les préceptes qui
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nous ont été enseignés sont véritablement au fondement de notre pratique. nombre de clamartois du centre-ville, logés jusqu'alors dans des conditions relativement précaires, ont pu être logés dans la cité. A l'époque, les Clamartois ne fréquentaient pas la cité de la Plaine. Il existait une fracture profonde, qui a perduré jusqu'à la réalisation de l'aménagement prolongeant la cité de la Plaine. Aujourd'hui, la cité est un quartier vivant, bien intégré à Clamart. Ce lien ne s'est créé qu'au bout de quarante ans.
Robert-Max ANTONI
Ma question s'adresse à Madame Péligat, qui d'ailleurs m'a indiqué que le cimetière intercommunal de Clamart a été reconnu sur le plan européen. Avez-vous identifié, dans le monde, des grands ensembles d'habitation à proximité d'un cimetière, qui présentent une conception de l'espace telle que Robert Auzelle l'a illustrée à Clamart ?
Victorine TOURÉ
Je suis née à Clamart. J'y ai vécu dans des logements « frappés d'alignement », et me suis installée en 1965 dans la cité de la Plaine. A l'époque de mon enfance, la Plaine était peuplé de maraîchers. Mes parents et moi y récoltions notre alimentation. Les maraîchers ont disparu aujourd'hui, puis la cité exemplaire a été construite. Je n'ai jamais véritablement ressenti la fracture que vous décrivez, bien qu'aujourd'hui, certains disent encore « moi, je ne monte pas au Petit Clamart ! ». Les mentalités n'évoluent pas rapidement.
Catherine PÉLIGAT
Effectivement, le cimetière intercommunal a été admis en 2012 dans l'association « La route des cimetières d'Europe ». Il s'agit du troisième cimetière français admis, les deux autres étant le cimetière du Père Lachaise et le cimetière du Montparnasse. Le cimetière intercommunal a été reconnu davantage pour sa dimension paysagère que pour son architecture. Je n'ai pas connaissance d'autres exemples de conceptions globales d'urbanisme comprenant une cité totale, de la vie à la mort. Le cimetière intercommunal de Clamart constitue, à mon sens, une exception en la matière.
Manuel HERNANDEZ
Chargé de communication à Clamart Habitat Le Petit Clamart était un lieu bien particulier à la fin du XIXe siècle. Il marquait la limite entre Paris et la province. Les malfrats, interdits de la petite couronne, y passaient pour entrer en région parisienne. Une gendarmerie y a d'ailleurs été installée en 1860. Je pense que l'esprit des lieux a perduré dans l'imaginaire de certaines populations.
Jacques-Henri BORD
Membre du Séminaire Robert Auzelle Je livrerai un commentaire sur les débuts de la cité de la Plaine. Lorsque la décision a été prise de réaliser l'opération Auzelle, le territoire était extérieur à la commune de Clamart. Il n'existait aucune voie de communication entre la ville et le haut de la Plaine. On n'y accédait que par un chemin. L'ensemble de l'opération était desservi par la route nationale 306, voie stratégique qui reliait la Porte d'Orléans à Villacoublay. L'opération telle que pensée par Robert Auzelle a permis de prévoir l'agglomération de cette partie du territoire communal à la commune initiale et de désenclaver le Jardin parisien, lieu très peu connu à l'époque. A partir de 1965, quand les bâtiments ont été livrés, un certain
Catherine PÉLIGAT
La présence du bois, séparant le Bas Clamart du Haut Clamart marquait également une séparation physique entre les deux zones.
Victorine TOURÉ
La différence entre le Bas Clamart et le Haut Clamart s'est considérablement atténuée.
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Hector PATRIOTIS
Lorsque nous avons conçu les espaces verts du cimetière, pour qu'il conserve son caractère de parc, nous avons établi une plaquette précisant les dimensions des monuments pour qu'ils s'intègrent dans la végétation. Ces préceptes sont-ils toujours pris en compte ?
Catherine PÉLIGAT
En effet. Les dimensions prévues dans les réglementations de base sont les mêmes qu'à l'époque de la conception du cimetière.
Hector PATRIOTIS
Permettez-moi de citer quelques anecdotes. Les personnes qui ont connu Robert Auzelle disaient souvent que si vous preniez l'escalier avec Robert Auzelle, il parlerait de politique au premier étage, puis de football, mais vous pouviez être sûr que dès le quatrième étage, il parlerait de cimetières. Robert Auzelle évoquait la mort avec beaucoup d'aise et de sérénité. Pour lui, un cimetière était un lieu pour les vivants. Un jour, Monsieur Trouvelot, architecte du Louvre, avec qui j'ai eu la chance de travailler pour l'installation d'un patio où se situe aujourd'hui la Pyramide du Louvre, m'a demandé : « Comment un garçon méditerranéen comme vous peut-il être à l'aise avec Monsieur Auzelle, un garçon si froid » ? En réalité, Monsieur Auzelle n'était pas un homme froid. Il savait être très amusant. Il était également un travailleur infatigable. Le jour de la naissance de sa fille Anne Marie, Robert Auzelle travaillait loin de chez lui. Face aux reproches de sa femme, il lui a répondu « J'ai été présent neufs mois auparavant ! ». Ce fut un grand plaisir de travailler avec Monsieur Auzelle.
Catherine PÉLIGAT
Robert Auzelle avait effectivement émis le souhait que soit demandé aux familles de choisir parmi la dizaine de monuments types qu'il avait imaginée, leur laissant libre choix du matériau. A l'époque, le conseil d'administration n'avait pas retenu cette proposition. Malgré tout, dans la première partie du secteur paysager, cette règle a été appliquée. Ainsi, le cadre paysager est diversifié, mais rythmé par des monuments identiques dans des matériaux différents. L'attachement à la propriété privée qui caractérise l'esprit français, ainsi que l'état de la législation funéraire, rendent difficile l'application de ces préceptes paysagers. Il est difficile également d'indiquer aux familles en période de deuil que le monument qu'ils ont choisi ne correspond pas à notre conception des lieux. Je conserve néanmoins dans mon bureau le recueil des monuments types. Lorsqu'une famille me demande un conseil sur le monument, je leur propose systématiquement l'un de ceux conçus par Auzelle. Par ailleurs, Françoise Weets veille au cadre paysager : toutes les demandes de stèles dans le secteur paysager sont soumises à l'architecte des Bâtiments de France.
Christian BENILAN
Ma question s'adresse à Catherine Péligat. Je suis retourné récemment au cimetière et j'ai été frappé par le silence qui y régnait. J'ai observé un convoi funéraire et j'ai remarqué qu'il roulait au pas. Respectait-il une réglementation de limitation de vitesse, ou s'était-il pris au jeu de l'ambiance particulière du cimetière ?
Hector PATRIOTIS
Ces monuments types constituaient avant tout des exemples à proposer aux familles qui le souhaitaient. J'évoquais davantage les dimensions des monuments.
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Catherine PÉLIGAT
Il existe effectivement une réglementation de limitation de vitesse, en raison de l'étroitesse des voies et de la présence de promeneurs. En règle générale, le nombre de voitures suivant le convoi est limité à cinq, en raison de l'absence d'espace de stationnement. Pour le reste, nous demandons aux familles de le suivre à pieds. Cela participe au rituel et à l'accompagnement du mort.
Pierre PEILLON
Je remercie l'ensemble des intervenants, ainsi que tous les participants qui ont nourri ce débat.
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Clôture du colloque
L'actualité de Robert Auzelle et l'Art urbain
Robert-Max ANTONI
Inspecteur général honoraire de la Construction, Président du Séminaire Robert Auzelle Nous avons beaucoup appris ce matin. Les témoignages exprimés autour de cette tribune ainsi que les films réalisés par Jean Pierre Decourcelle - l'organisateur de cette manifestationy - ont permis de retracer l'histoire d'une époque. Aujourd'hui, il me semble que nous vivons à nouveau une époque de reconstruction. Celleci porte sur l'habitat, mais également sur les aspects spirituels. Robert Auzelle a apporté toutes les réflexions utiles à cette nouvelle reconstruction. Les habitants ont toujours été la priorité de Robert Auzelle. Les opérations qu'il menait n'étaient pas financières. Elles s'inscrivaient avant tout dans une recherche de la satisfaction des besoins des familles destinées à vivre dans ces ensembles. Je suis heureux d'apprendre que le cimetière intercommunal de Clamart est reconnu au niveau européen, au même titre que deux cimetières parisiens prestigieux. L'ensemble que constituent la Cité de la Plaine, le cimetière intercommunal et la Petite bibliothèque ronde, mérite d'être reconsidéré, par ceux qui ne connaissent pas ce lieu ni l'oeuvre de Robert Auzelle, comme ayant une « valeur universelle exceptionnelle ». Le Sénateur maire, l'équipe municipale, les associations et les habitants partagent la fierté de cette opération, exemplaire à plusieurs titres pour les acteurs chargés de créer ou de gérer des quartiers d'habitation. Le discours de Cécile Duflot 4 tenu aujourd'hui à la sortie du Conseil des ministres constitue une étape importante. L'intercommunalité était déjà envisagée comme une nécessité par Robert Auzelle, pour gérer des territoires, non pas dans les limites de leurs entités
Présentation par Cécile Duflot de son projet de loi dénommé « ALUR » (pour l'accès au logement et à l'urbanisme rénové). Décembre 2013
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administratives, mais comme des ensembles géographiques humains, sociaux et économiques méritant une attention particulière. Je vous remercie pour vos interventions et vos observations. Cet après-midi, nous aurons l'occasion de voir d'un oeil nouveau la Cité de la Plaine et le cimetière, et de comprendre la conception de « l'espace auzellien », que l'on retrouve à Clamart comme à Neufchâtel-en-Bray. Les deux communes ont d'ailleurs le projet de se jumeler pour conjuguer leurs efforts, pour une meilleure reconnaissance de la qualité d'un cadre de vie, au travers de ces opérations exemplaires à l'échelle de notre pays.
R-M. Antoni.
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Robert Auzelle, précurseur d'une approche durable de l'urbanisme et de l'architecture hors série du comité d'Histoire
rédaction Tour Pascal B 20.20
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