Intercommunalité dans les transports publics en milieu urbain.
BRUN (Gérard) ;FRERE (Séverine) ;GALLEZ (Caroline) ;GUERRINHA (Christophe) ;MENERAULT(Philippe) ;RICHER (Cyprien)
Auteur moral
France. Programme de recherche et d'innovation dans les transports terrestres
;France. Ministère de l'équipement. Direction de la recherche et de l'animation scientifique et technique
Auteur secondaire
Résumé
Le séminaire abordait la question des relations entre l'intercommunalité et les politiques de transports publics en milieu urbain. Il avait pour double objectif de rapporter les résultats d'une recherche réalisée par une équipe de chercheurs de l'INRETS (laboratoire Ville Mobilité Transports), de l'Institut d'Urbanisme de Paris (Créteil) et de l'université de Lille 1, et d'inviter des interlocuteurs locaux (acteurs et universitaires) à les discuter. La première partie des actes évoque l'histoire et les transformations récentes de l'intercommunalité des transports ; la seconde partie présente les diverses études de cas abordées ; la troisième partie propose une synthèse ainsi que les débats et discussions qui en découlent.
Editeur
MTETM
Descripteur Urbamet
transport public
;politique des transports
;plan de déplacements urbains
;transport en commun urbain
;coopération intercommunale
;organisation des transports
;commune
;agglomération
;réforme
;législation
;histoire
;évolution
;MOBILITE URBAINE
Descripteur écoplanete
Thème
Transports
Texte intégral
Programme de recherche et d'innovation dans les transports Groupe opérationnel 11 « Politique des transports »
Intercommunalité et transports publics en milieu urbain
Actes du séminaire d'échanges entre chercheurs et acteurs Amphithéâtre Caquot, ENPC-Paris, 24 mai 2005
Séverine FRÈRE (APPA / INRETS-LVMT) Caroline GALLEZ (INRETS-LVMT) Christophe GUERRINHA (CRETEIL-IUP-Université de Paris 12) Philippe MENERAULT (INRETS-LVMT) Cyprien RICHER (INRETS-LVMT)
Sommaire
Sommaire
Remerciements Introduction 3 5
Histoire et transformations récentes de l'intercommunalité transports
1. Réforme territoriale et dynamique de l'intercommunalité dans les transports collectifs urbains. Une approche diachronique Philippe Menerault 2. Les transformations récentes de l'intercommunalité en matière de transports publics urbains Cyprien Richer
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Présentation et discussion des études de cas
3. L'agglomération rennaise Christophe Guerrinha 4. La région stéphanoise Caroline Gallez 5. L'arrondissement de Valenciennes Séverine Frère 6. L'agglomération de Saint-Brieuc Philippe Menerault 7. Discussions et débats autour des études de cas Discutants : Noël Philippe (DGAST, Rennes Métropole), Ludovic Meyer (Chargé de mission PDU, Saint-Étienne Métropole), Guy Deléon (DGST, Lamballe communauté) 31 39 46 54
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Synthèse, conclusions et débats
8. Synthèse et conclusions Les transports urbains face à la structuration d'un pouvoir d'agglomération Caroline Gallez 9. Discussions et débats autour de la synthèse Discutants : Georges Gay (CRENAM, Université Jean Monnet de Saint-Étienne), Philippe Subra (Institut de géopolitique, Université de Paris 8), Jean Ollivro (RESO, Université de Rennes 2)
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10. Table ronde La réforme territoriale en quête de politiques urbaines durables, questions et débats issus de l'évolution de l'organisation des transports publics urbains Animée par Jean Frébault (CGPC) Participants : Alain Faure (CERAT, IEP de Grenoble), Serge Godard (Maire de Clermont-Ferrand, Pdt du SMTC), Chantal Duchène (GART), Alain Morcheoine (ADEME), Marc Wiel (Urbaniste). 82
Publications associées à la recherche
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Remerciements
Remerciements
Les travaux de recherche restitués dans le cadre du séminaire « Intercommunalité et transports publics en milieu urbain » organisé le 24 mai 2005 à l'École Nationale des Ponts et Chaussées, à Paris, ont été financés par l'Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Énergie (Ademe), dans le cadre du groupe opérationnel 11 « Politique des transports » du 3ème Programme de recherche et d'innovation dans les transports (Prédit). Les chercheurs remercient l'Ademe et plus spécifiquement M. Alain Morcheoine (Directeur de l'Air, du Bruit et de l'Efficacité Énergétique) et Mmes Nathalie Martinez et Anne Grenier (Ademe-DOST) pour la qualité de leur suivi. Ils remercient également le groupe 11 du Prédit, et plus particulièrement MM. Michel Rousselot (Président du GO 11 du Prédit) et Jacques Theys (DRAST-CPVS) qui ont apporté leur soutien à ce travail et qui, par leurs critiques ou suggestions, ont contribué à l'amélioration de la recherche. La qualité des échanges de cette journée doit beaucoup à la participation de MM. Michel Rousselot et Jean Frébault (Président de la 5ème section du Conseil Général des Ponts et Chaussées), qui ont animé les débats, ainsi qu'à l'ensemble des acteurs locaux, des universitaires et des experts (voir la liste ci-dessous) qui ont accepté de discuter, de commenter et de débattre des résultats de la recherche mais également des problématiques plus larges dans lesquelles elle s'insère. Nous les remercions vivement de leur contribution.
Liste de discutants et participants à la table ronde : Guy Deléon, directeur général des services techniques de Lamballe Communauté Chantal Duchène, directrice générale du GART Alain Faure, CERAT-PACTE, Institut d'Études Politiques de Grenoble Georges Gay, CRENAM, doyen de l'Université Jean Monnet de Saint-Etienne Serge Godard, maire de Clermont-Ferrand, président du SMTC Ludovic Meyer, chargé de mission PDU à Saint-Étienne Métropole Alain Morcheoine, directeur de l'air, des transports et de l'efficacité énergétique à l'Ademe Jean Ollivro, RESO, Université de Rennes 2 Noël Philippe, directeur général adjoint des services techniques de Rennes Métropole Philippe Subra, Institut de Géopolitique, Université de Paris 8 Marc Wiel, urbaniste
Les supports de présentation et la restitution des débats du séminaire ont bénéficié des compétences et de l'implication active de Christophe Guerrinha (IUP-Université de Paris 12) et de Cyprien Richer (Inrets-LVMT), qui ont également pris part aux travaux de recherche. Qu'ils en soient ici vivement remerciés.
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Introduction
Introduction
Le séminaire organisé le 24 mai 2005 à Paris, à l'École nationale des Ponts et Chaussées, abordait la question des relations entre l'intercommunalité et les politiques de transports publics en milieu urbain. Il avait pour double objectif de restituer les résultats d'une recherche réalisée par une équipe de chercheurs de l'Inrets (laboratoire Ville Mobilité Transports), de l'Institut d'urbanisme de Paris (CRETEIL) et de l'Université de Lille 1, et d'inviter des interlocuteurs locaux (acteurs et universitaires) à les discuter. Trente ans après l'instauration du Versement transport, impôt destiné à financer les transports collectifs urbains, l'organisation institutionnelle de ce champ de l'action publique locale connaît des changements importants liés notamment à la transformation du paysage intercommunal français. La loi Chevènement du 12 juillet 19991 a en effet suscité un mouvement de relance de l'intercommunalité de grande ampleur, notamment à travers la mise en place des communautés d'agglomération, dotées de compétences obligatoires en matière de transports urbains et d'aménagement. S'articulant à deux autres textes relatifs respectivement à l'aménagement du territoire la loi Voynet du 25 juin 19992 et à la coordination des politiques urbaines - la loi Gayssot-Besson du 30 décembre 2000, dite loi SRU3 - la loi Chevènement participe à la mise en oeuvre de la réforme territoriale qui accompagne l'acte II de la décentralisation. Il s'agit principalement de favoriser l'émergence de nouveaux territoires s'affranchissant des limites communales les pays en milieu rural et les agglomérations en milieu urbain et dotés des moyens d'élaborer et de mettre en oeuvre leurs projets. La cohérence territoriale de ces projets s'entend à la fois en termes de pertinence des périmètres des institutions en charge de les élaborer et de coordination des champs d'action sectoriels (déplacements, habitat, logement) concourant à leur mise en oeuvre. Cette double problématique de la quête d'un optimum dimensionnel et d'une plus grande intégration des politiques sectorielles se pose avec une acuité particulière dans le champ des transports urbains. D'une part, les évolutions de la mobilité quotidienne au cours des vingt dernières années, caractérisées par l'allongement des distances parcourues et un usage croissant de la voiture particulière, ont rapidement questionné la pertinence d'une frontière entre les réseaux de transports collectifs urbains et interurbains, institutionnalisée par le Périmètre de Transport Urbain. D'autre part, l'élaboration des politiques locales de déplacements se heurte à la fois à une forte segmentation des compétences relatives à la voirie, aux transports publics et au stationnement, ainsi qu'à une absence de cohérence entre les problématiques d'urbanisme et de transport. Ces difficultés d'intégration s'expliquent à la fois par la persistance d'un cloisonnement entre les cultures techniques mais également par l'éclatement des échelons géographiques de décision. Partant de ces constats, la recherche a porté sur l'analyse des relations réciproques entre la recomposition intercommunale et les enjeux de transports publics en milieu urbain, à partir d'un double questionnement : Dans un contexte de transformation rapide du paysage intercommunal et des périmètres de planification et de gestion des territoires à l'échelle locale, quelles sont les relations entre les nouvelles configurations institutionnelles et les politiques de transports publics en milieu urbain ? De cette analyse, que peut-on déduire de la capacité des structures intercommunales à participer à la « mise en cohérence territoriale » des politiques urbaines et, plus généralement, à intégrer les principes d'un développement durable des villes et des mobilités ?
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Loi relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale. Loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire. 3 Loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain.
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Intercommunalité et transports publics en milieu urbain, ENPC-Paris, 24 mai 2005
À ces questions complexes, ambiguës, voire prématurées au regard du caractère récent des transformations institutionnelles, deux types d'éclairages ont été apportés. Les principales phases de la coopération intercommunale et de la politique des transports collectifs urbains en France ont été retracées depuis la fin du XIXème siècle, mettant en évidence les facteurs d'incitation mis en place à l'échelle nationale. Par ailleurs, un bilan statistique et cartographique des transformations statutaires des autorités organisatrices des transports urbains a permis d'évaluer l'ampleur des évolutions survenues depuis le vote de la loi Chevènement. Ces apports ont été restitués dans la première partie de ce document. L'analyse des relations entre intercommunalité et politiques de transports publics a été approfondie à partir des études de cas réalisées entre 2003 et 2004 dans cinq agglomérations françaises : Rennes, Saint-Étienne, Valenciennes, Saint-Brieuc et Caen4. Pour chaque site, les trajectoires de la coopération intercommunale, de la planification stratégiques et des politiques de transports collectifs urbains ont été reconstituées sur une trentaine d'années. Les quatre premières agglomérations ont fait l'objet d'une présentation synthétique afin d'ouvrir les discussions avec les représentants des collectivités locales. La seconde partie du document rend compte de ces différents éléments. La synthèse réalisée à partir des cinq études de cas et les éléments de conclusion de ces travaux ont ensuite été présentés et soumis à l'analyse critique de trois universitaires, qui ont réagi en fonction de leur connaissance spécifique des terrains mais également en ouvrant le questionnement de façon plus large aux débats que suscite la mise en oeuvre de la réforme territoriale en France. Puis une table ronde réunissant plusieurs responsables et experts des transports publics, de l'urbanisme et de la politique locale a porté sur la capacité des nouvelles structures intercommunales à prendre en compte les principes d'un développement durable des villes et des mobilités, notamment à travers les politiques locales de transports publics. La synthèse et l'ensemble des débats font l'objet de la troisième partie de ce document.
Précisons que les études de cas ont été choisies en fonction de la dynamique intercommunale récente, mais également selon le choix effectué par les collectivités locales d'intégrer les transports publics au sein de structures intercommunales dotées d'autres compétences en matière d'aménagement de l'espace, de logement ou de développement économique (communautés d'agglomération), ou au contraire de confier l'exercice de la compétence transport à des structures intercommunales sectorielles (syndicats mixtes de transport).
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Première partie Histoire et transformations récentes de l'intercommunalité transports
Histoire et transformations récentes de l'intercommunalité transports
1. Réforme territoriale et dynamique de l'intercommunalité dans les transports collectifs urbains : une approche diachronique
Philippe Menerault La relation entre le transport public et la construction intercommunale est en France très marquée. Elle s'exprime clairement, par exemple, à travers les représentations fournies aux usagers dans les plans des réseaux de transports publics de province (figure 1). On y voit apparaître les lignes de transport, mais également toutes les communes qui composent l'ensemble intercommunal sur lequel est rendu le service, avec le nom de chacune, ainsi que la frontière qui sépare le territoire urbain de l'interurbain.
Figure 1 : Plan des transports publics, entre réseaux et territoires
Cette matérialisation du lien entre réseau et territoire s'inscrit dans une histoire longue et pour mieux comprendre les changements récents issus du renouveau du contexte législatif, mis en place à partir de la fin des années 1990, il est important de resituer d'abord les mécanismes qui ont façonné ce lien dans le mouvement plus général des réformes territoriales et de leurs différentes perspectives. On cherchera donc à tracer les grandes lignes de cette trajectoire intercommunale au niveau national, sur le temps long, en mettant en avant une série de phases qui la caractérise, ainsi que les principaux éléments qui touchent à la dimension territoriale des transports publics urbains, afin de repérer à la fois les correspondances et les singularités entre ces évolutions. En s'appuyant sur l'émergence des différents outils juridiques, on peut ainsi délimiter cinq périodes : d'abord, une intercommunalité associative qui marque les débuts de la coopération, du XIXème siècle au milieu des années 50 ; ensuite, la croissance urbaine et les besoins en équipements des agglomérations incitent l'État central à promouvoir et à tenter d'imposer de nouvelles formules juridiques, plus fédératives, qui prendront corps à partir de la fin des années 50 ; puis, le caractère autoritaire des réformes envisagées et le spectre des fusions de communes conduit, entre 1977 et 1983, à un rejet politique de la question intercommunale, à sa mise entre « parenthèses » ; les lois de Décentralisation du début des années 1980 reviennent peu sur les instruments de la coopération, mais l'esprit dans lequel elle est abordée change et le retour à une intercommunalité librement consentie, volontaire, marque une période où les problèmes de gestion prennent le pas sur ceux d'équipement des collectivités ; enfin, à partir des années 1990, l'accent est mis sur la construction de
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Intercommunalité et transports publics en milieu urbain, ENPC-Paris, 24 mai 2005
nouveaux cadres intercommunaux, portés par un effort législatif soutenu, dans une perspective revendiquant l'établissement d'un projet de territoire. Ces différentes étapes ne sont pas nécessairement toutes exclusives les unes des autres et encore aujourd'hui, une intercommunalité associative, portant sur objet unique ou limité, peut côtoyer une intercommunalité « de projet » plus intégrée, au sein des mêmes agglomérations, dans des institutions voisines. Il semble cependant que, considéré sur le temps long, on observe dans la définition des cadres institutionnels de l'intercommunalité, au niveau national, deux cycles d'inégale durée alternant souplesse et fermeté, séparés par une période de pause consécutive à la transformation du référentiel de l'action publique territoriale. 1.1. La naissance d'une intercommunalité associative et l'origine de l'organisation territoriale des transports publics urbains La première phase est aussi la plus longue. Elle s'étale sur plus d'un siècle, entre le XIXème et le début des années 1950. Elle s'inscrit dans la tradition associative des lois de 1837 sur les ententes intercommunales pour la gestion des biens indivis et de 1890 sur les Syndicats Intercommunaux à Vocation Unique qui incite des communes à travailler ensemble dans des domaines perçus comme strictement « techniques », comme la distribution d'électricité, l'eau, l'assainissement ... et plus tard les transports publics. Il s'agit alors de confier l'exercice d'une seule compétence à un organisme disposant d'un Conseil Syndical formé d'élus au second degré. L'appréciation portée par G.Baudelle sur cette forme de coopération à propos du travail des géographes sur l'objet intercommunal montre combien elle a été négligée : « on peut penser que la lenteur des constructions intercommunales et leur portée longtemps restreinte font que leur incidence sur l'organisation de l'espace et l'aménagement du territoire ont pu paraître limitées ». Pourtant, inscrite dans la durée, il semble bien que cette démarche intercommunale fondée sur l'incitation ait pesé sur les choix de localisations des équipements reliés par les réseaux et gérés de façon collective (Ph.Menerault, 1992, G.Dupuy, 1992), ait préfiguré les géographies intercommunales ultérieures et, en définitive, ait modelé l'organisation et le contenu de bien des cadres intercommunaux ultérieurs. Sur le plan des transports publics, au cours de cette phase se met en place la première frontière qui individualise le transport urbain et définit ainsi la notion de territoire (figure 2). Cette frontière répond aux demandes des entreprises exploitantes de réseaux de tramways qui sollicitent des communes la protection de leur activité contre la concurrence des autocaristes qui opèrent au niveau départemental : compétition de plus en plus vive depuis les années 1920. Les maires des communes-centre, qui sont les pouvoirs concédants, vont alors accepter de soutenir l'activité de leur transporteur en échanges de contreparties en termes de dessertes. Cela se traduit sur le plan juridique : Par l'arrêt du Conseil d'Etat de 1932 sur les autobus antibois, qui reconnaît aux maires le pouvoir d'autoriser et de déterminer les points d'arrêts sur sa commune ; Par la codification de la frontière du Périmètre Urbain, dans un décret d'application de la loi du 5 juillet 1949 réglementant la concurrence entre transport routier et ferroviaire à l'échelle départementale : l'article 3 du décret mentionne que « ne sont pas soumis à la coordination... les services urbains desservant une agglomération urbaine, autorisés ou organisés par les collectivités locales » et le décret précise que
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« sera considéré comme agglomération urbaine ... le territoire de la ville intéressée et les ensembles bâtis de sa périphérie ».
Figure 2 : Le périmètre urbain, une notion fondée sur la limite bâtie
Cette définition du territoire règle ainsi le problème des agglomérations pluri-communales en introduisant une limite fondée sur la continuité spatiale des constructions et non sur le découpage administratif des communes. Elle correspond à une réalité qui est celle des rapports entre un pouvoir concédant municipal, même si le réseau s'étend sur le territoire de plusieurs communes, et un concessionnaire privé pour qui la recherche de profit ne doit pas être entravée par des frontières administratives. Il n'y a pas, dans cette phase, d'interactions entre les dispositifs d'une intercommunalité associative mis en place et la question du territoire des transports urbains. 1.2. Vers une intercommunalité autoritaire, fédérative et d'équipement en décalage avec l'adaptation de l'organisation territoriale des transports collectifs urbains La deuxième phase de construction intercommunale est plus courte, à peine une vingtaine d'années, entre 1959 et 1977. Dans la période de forte croissance urbaine qualifiée de « Trente Glorieuses » par J. Fourastié, elle vise à doter les agglomérations d'institutions intégrées disposant de compétences étendues. La distinction entre milieux urbain et rural tend alors à être affirmée à travers l'émergence d'institutions différenciées. En 1959, deux formules juridiques nouvelles sont ainsi créées : d'un côté, le Syndicat Intercommunal à Vocation Multiple (SIVOM), prévu pour les campagnes ; de l'autre, le district - initialement dénommé urbain - et dénoncé, dès cette époque, par le juriste M. Bourjol comme une nouvelle collectivité territoriale. Dans cette même logique, à partir de 1966, est instituée la formule de la communauté urbaine, qui compte « les transports urbains de voyageurs » parmi les 12 compétences obligatoires initialement retenues dans la loi. Prolongeant ce mouvement dans son caractère autoritaire, le projet Fouchet de 1968 vise à « dépasser les initiatives locales spontanées en généralisant le principe des communautés urbaines ». Balayée par le mouvement social et la dissolution de l'Assemblée Nationale en juin 1968, l'idée sous-jacente de l'instauration d'une « super-commune » est reprise et
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adaptée ultérieurement par la loi Marcellin de juillet 1971 sur les fusions de communes. Elle s'inspire notamment des expériences allemande et danoise. Le bilan est quantitativement maigre et l'on n'enregistre alors finalement que 581 fusions concernant 1465 communes, contre 3482 prévues dans les Plans Départementaux. Après cet échec, le rapport Guichard « Vivre ensemble », publié en 1976, a tenté, sans plus de succès, de promouvoir l'idée de regroupements en communautés urbaines ou de communes, sous l'égide d'un « Schéma Départemental de Coopération », piloté par le Préfet. L'instauration de ces structures intercommunales aurait constitué une condition préalable à un transfert de compétences de l'Etat vers les collectivités locales. Par ses caractéristiques à la fois volontaristes au niveau central et répulsives à l'échelle locale, cette phase est marquée par la détermination à instituer une nouvelle collectivité, plus vaste, venant se substituer aux collectivités françaises de base, jugées alors trop nombreuses et inefficaces pour répondre aux besoins issus de la croissance urbaine. Pour le ministère de l'Intérieur, « la mise en place d'un réseau d'équipements collectifs dans une perspective d'aménagement du territoire est bien l'objectif fondamental de la politique de regroupement des communes »5. Il s'agissait de mettre en place un véritable dispositif supracommunal qui n'a pas abouti. Il reste que cette approche de l'intercommunalité a laissé des traces, notamment, neuf communautés urbaines (dont 4 créées par la loi), mais elle a aussi contribué à mettre la réforme territoriale entre parenthèses et à repousser sa remontée dans l'agenda politique aux années 1980. Durant cette phase, les transports publics sont concernés, d'abord au titre des compétences obligatoires des communautés urbaines, mais surtout, parce que la crise majeure que traversent les réseaux (crise à la fois technique, financière et organisationnelle), conduit à rechercher une adaptation profonde du système d'organisation territoriale. Le colloque de Tours, en 1970, qui réunit les exploitants, l'État et les collectivités locales, entérine la reconnaissance de la nécessité de cette refonte du système qui portera sur l'innovation technique (concours Cavaillé sur les modes nouveaux), sur la réforme des périmètres de transport et sur l'instauration de nouvelles ressources financières, avec le versementtransport. Sur le plan du périmètre, la crise du transport public qui conduit les collectivités à intervenir financièrement pour soutenir les réseaux, amène à redéfinir le dispositif mis en place en 1949. Par une circulaire du 7 octobre 1974, le Périmètre Urbain devient le « périmètre des transports urbains, et s'identifie désormais, non plus avec celui d'un ensemble bâti, mais avec celui du ressort territorial de l'autorité administrative compétente en matière de transports urbains ». Si le réseau de transports publics urbains déborde des frontières de la ville-centre, cette mesure est théoriquement favorable à l'organisation d'une coopération intercommunale. Deux possibilités sont alors envisageables (figure 3) : soit l'autorité organisatrice reste communale alors les extensions du réseau dans les communes voisines font l'objet de contrats spécifiques entre collectivités pour prendre en charge les déficits d'exploitation engendrés par l'extension des lignes, dans chacune des communes ; soit l'autorité organisatrice devient intercommunale et dans ce cas, qui est majoritaire, les collectivités périphériques demandent une amélioration de la desserte de leur territoire par le réseau urbain, et cela d'autant plus facilement qu'elles participent au financement du réseau, par l'intermédiaire de la nouvelle ressource que constitue le versement-transport.
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Trorial (J), Astier (H), « La réforme communale et l'aménagement du territoire : où en sont les regroupements de communes ? » Moniteur du Bâtiment et des Travaux Publics, n° 15, 1966, pp. 17-34, cité par Dall'Aglio (S), Petitet (S), « Territoire communal et solidarités territoriale : le cas de Villefranche/Saône », Espace Géographique, n° 2000, pp. 170-183. 2,
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Histoire et transformations récentes de l'intercommunalité transports
Figure 3 : Le périmètre des transports urbains (PTU)
L'évolution des conditions juridiques et financières va de paire pour favoriser un développement extensif de l'intercommunalité liée à la compétence « transports publics ». L'élargissement du versement-transport aux autorités organisatrices de province, à partir de 1973, en fonction de seuils démographiques de perception de cette taxe a joué, à certaines époques, un rôle essentiel dans la structuration de l'intercommunalité en matière de transports publics urbains. Le versement-transport est un impôt6 sur les salaires, payé par les employeurs de plus de 9 salariés situés à l'intérieur d'un Périmètre des Transports Urbains, s'ils n'effectuent pas euxmême le transport de leur personnel. D'abord affecté à l'investissement, son produit sera vite utilisé par les collectivités pour subvenir aux besoins de l'exploitation. Après la loi de juillet 1973 qui fixe le seuil de perception du versement-transport aux Périmètres de Transports Urbains de plus de 300.000 habitants, 7 agglomérations de province mettront en place cette taxe, mais cela n'influera pas sur la géographie du territoire des autorités organisatrices, car le seuil de population est jugé trop élevé par les élus qui demandent, par l'intermédiaire de l'Association des Maires de France, un abaissement de son seuil de perception. Ils l'obtiendront dès novembre 1974. Ce sont alors les Périmètres de Transports Urbains de plus de 100.000 habitants qui se trouvent concernés par le versement-transport. Entre 1975 et 1982, le rôle du versement-transport dans la dynamique intercommunale est capital ; 44 autorités organisatrices vont voter sa mise en place : pour 18 d'entre elles, la création d'un organisme intercommunal est obligatoire pour atteindre les 100.000 habitants. ; 16 autres se sont ouvertes à de nouvelles communes pour développer un réseau qui, du fait de l'activité des transporteurs, dépassait déjà souvent, le territoire de l'autorité organisatrice.
Dans cette phase, où de manière générale, la construction intercommunale est marquée par son caractère autoritaire et fédératif, la compétence transport voit paradoxalement son système territorial originel adapté, mais préservé, et se développe essentiellement sous forme de syndicats à vocation unique.
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À propos du versement-transport, la distinction entre taxe (ressource affectée) et impôt est objet de débat.
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1.3. L'éclipse intercommunale « Politique symbolique » pour les uns, « traumatisme » pour les autres, la loi Marcellin et ses avatars ont alimenté, à partir de la fin des années soixante-dix, une période de rejet de toute réflexion sur la recomposition territoriale à l'échelle intercommunale. Elle durera jusqu'à la loi de décentralisation de mars 1982, sur les droits et libertés des communes, des départements et des régions qui fait l'impasse sur la question intercommunale. Ce « trou noir » marque, en France, l'échec des formules autoritaires de regroupement et de fusion de communes ; la coopération est alors réduite à un mal nécessaire et circonscrit à des objets limités pour lesquels le registre des syndicats, à vocation unique ou multiples, apparaît approprié. Les politistes (F. Baraize, E. Négrier, 2001) ont analysé ce revers, en mettant en avant deux thèses complémentaires : d'un côté, celle controversée - de la résistance des notables politiques qui tirent bénéfice du cumul des mandats et paralysent les réformes visant la refonte territoriale ; de l'autre, celle de la soupape que constitue une « intercommunalité fonctionnelle » aux compétences de plus en plus étendues qui permet alors d'assurer la pérennité du système. Régulièrement dénoncé en raison de leur opacité institutionnelle, de leur déficit démocratique, voire de leur efficacité économique discutable, l'appendice fonctionnel de la commune demeure donc un instrument commode pour éloigner le spectre du regroupement, mais finit par poser problème en raison, soit de la multiplication de structures sans liens entre elles, soit de l'empilement de compétences. Sur le versant des transports publics, deux éléments importants marquent cette période : la création du GART7 en 1980, qui va militer pour un développement intensif et extensif de l'intercommunalité liée au transport public d'une part ; d'autre part, l'abaissement du seuil de perception du versement-transport à 30.000 habitants en 1982. Cette mesure aura un effet important et, entre 1982 et 1987, 80 Autorités organisatrices mettent en place le versementtransport, la plupart en étendant leur Périmètre des Transports Urbains. Cependant, dans ce nouveau contexte, le rapport de la taxe à l'intercommunalité est radicalement changé puisque dans la majorité des collectivités qui l'ont instituée, la commune-centre dispose maintenant à elle-seule de plus de 30.000 habitants ; elle n'est donc plus tributaire de sa périphérie, même si elle peut en rester solidaire. 1.4. La promotion d'une intercommunalité de gestion, volontaire et librement choisie en regard d'une extension du système territorial des transports publics urbains La période comprise entre 1983 et 1991 marque un changement de cap dans la manière d'aborder la réforme de l'intercommunalité. Avec les lois de décentralisation s'ouvre une nouvelle phase qui s'appuie cette fois sur le renforcement de l'échelon communal conforté dans ses attributions et dans ses pouvoirs. On assiste même durant cette période à la « dé-fusion » de plus de 200 communes. Le rapport Notebart de 1981, sur les communautés urbaines est explicite du changement de cap : « Actuellement, vouloir faire des communautés urbaines des collectivités territoriale [...] provoquerait une interférence dans la nouvelle répartition de l'administration locale en trois niveaux - commune, département, région - et constituerait une entorse à la décentralisation en coupant ces organismes intercommunaux des communes qu'ils regroupent et en détournant de celles-ci les compétences que l'Etat s'apprête à transférer ». L'explosion urbaine est alors achevée, la priorité passe de la construction à la gestion des équipements pour laquelle les organismes intercommunaux sont peu préparés, enfin, les exigences d'autonomie communale se
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GART : Groupement des Autorités Responsables des Transports
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Histoire et transformations récentes de l'intercommunalité transports
trouvent ravivées par le contenu même de la décentralisation ; autant de facteurs qui viennent mettre entre parenthèses la « politique de l'artichaut » qui consistait « à vider les communes au profit d'un cadre géographique plus large » (M. Bourjol, 1975). Dans la décennie 1980, sans être forcée, l'intercommunalité se trouve encouragée par le toilettage des outils pré-existants. Simplification des procédures de dissolution des organisations intercommunales, réduction optionnelle de certaines compétences obligatoires des communautés urbaines (loi de 1982), institution d'intercommunalités à la carte - ou à « géométrie variable » - (rapport Barbier de 1987 et loi Galland de 1988), et même possibilité d'adaptation des contributions municipales à l'évolution de leurs ressources financières (loi de janvier 1986), constituent autant de facteurs qui viennent assouplir les règles de la coopération entre communes, en vue de la stimuler. Seule procédure nouvelle, la Charte Intercommunale de Développement et d'Aménagement, introduite par la loi de 1983, est laissée à l'initiative des communes. Elle ouvre cependant de nouvelles voies en introduisant, d'une part, une coopération fondée sur la base de projets (déjà esquissée dans le rapport Guichard de 1976), et d'autre part, en posant le principe d'une contractualisation souple avec les départements, les régions ou l'Etat pour la réalisation de programmes pluriannuels ; en milieu totalement urbanisé, seules 9 chartes ont été signées. Dans ce contexte, G.Martin et S.Novarina constatent avec justesse que « la coopération intercommunale est avant tout un moyen pour les élus de préserver l'autonomie communale tout en démultipliant les services à la population ». Parallèlement, C.Brechon-Moulenes qui définit la fonction intercommunale en référence à l'idée « d'intérêt commun » la décline alors soit comme un relais du pouvoir municipal dans des limites étroitement encadrées (par exemple : « la gestion de réseaux dont les communes ont choisi le tracé ») ; soit comme le support d'un projet commun (exemple : chartes intercommunales). Au cours de cette période, se préparent en fait les conditions qui vont permettre de rouvrir le débat politique sur la réforme de l'intercommunalité, à partir de bases pacifiées, sinon partagées, introduisant ainsi la remontée de cette question sur l'agenda politique national. Du côté des transports publics, la Loi d'Orientation des Transports Intérieurs, de Charles Fiterman, introduit un élément nouveau avec les Plans de Déplacements Urbains. Ils prolongent les évolutions des plans de circulation des années soixante-dix en cherchant, d'une part, à « dé-techniciser » l'objet transport pour l'inclure dans la perspective plus large des déplacements ; et d'autre part, à permettre un renforcement de la dynamique intercommunale, pour cette procédure confiée à des autorités organisatrices des transports urbains majoritairement monovalentes. La procédure n'a cependant pas permis le décloisonnement des compétences escompté et l'étroitesse des leviers d'interventions de ces autorités organisatrices, a été parfois analysée comme un facteur explicatif de l'échec de la mise en oeuvre de ces premiers Plans de Déplacements Urbains. On assiste donc, dans cette phase, au niveau général, un changement profond qui met au premier plan la dimension souple, volontaire et librement choisie d'une intercommunalité au service des communes, et, au niveau des transports publics, des incitations à renforcer l'intercommunalité sur ses versants extensifs et intensifs.
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1.5. Intercommunalité de projet et mobilisation du système territorial des transports publics urbains La dernière phase de construction intercommunale qui s'ouvre, sur le plan législatif avec la loi Joxe (Administration territoriale de la République) du 6 février 1992, vise la mise en place d'une intercommunalité de projet. Elle initie un mouvement de réformes, en créant les communautés de communes et celles de villes, pour les agglomérations de plus de 20.000 habitants, deux outils disposant d'une autonomie fiscale et de compétences générales obligatoires en matière de développement économique et d'aménagement de l'espace. De plus, elle introduit avec la Taxe professionnelle unique, un outil fiscal qui jouera un rôle finalement proche de celui du versement-transport dans l'organisation spatiale de l'intercommunalité, mais cette fois dans le champ du développement économique et sans que des seuils de populations y soient associés. Sur l'ensemble de cette période, la réforme est guidée par une triple motivation (F.Scherrer et M.Vannier, 1995) : politique et institutionnelle d'abord, incarnée par « l'enjeu européen » ; motivation économique et fonctionnelle ensuite, au nom de l'efficacité et de la compétitivité, qui demanderait la constitution de réels pouvoirs d'agglomérations aux compétences, à l'échelle et à la légitimité accrues ; motivation sociale et culturelle enfin, dictée par une « identité territoriale » qui s'accommoderait mal de l'étroitesse de la maille communale dans une société de plus en plus mobile.
Cette phase s'inscrit à la fois dans le prolongement de l'action antérieure et en rupture avec celle-ci. Continuité d'abord, sur le principe de la nécessité de structurer la coopération entre communes dont le caractère inéluctable est désormais admis par la classe politique, dans son ensemble ; continuité ensuite, sur les modalités d'intervention, avec l'affirmation du refus d'une intercommunalité imposée ; continuité enfin, sur la finalité, à travers le rejet d'une supra-communalité incarnée par le report d'une élection au suffrage universel direct : pour les parlementaires, l'intercommunalité demeure donc largement conçue comme le prolongement de la commune. La rupture, quant à elle, vient à la fois de l'accélération du mouvement visant à organiser l'intercommunalité et de la définition d'un nouveau dispositif territorial dont l'objectif est de
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simplifier et de rationaliser l'édifice préexistant, notamment en réduisant le nombre des catégories disponibles : en l'espace de treize ans (1992-2005) se succèdent de très nombreux textes touchant à la construction intercommunale : rapports émanant d'associations (AMGVF, 1994), de parlementaires (Balligand, 1997 ; Mauroy, 2000), lois en projet (Perben, 1996) ou adoptées (Joxe, 1992 ; Pasqua, 1995 ; Voynet et Chevènement, 1999 ; Gayssot, 2000, Démocratie de Proximité, 2002). Précédemment, la compétence transports publics semblait porteuse de sa propre logique de développement intercommunal : les textes qui touchaient au domaine des transports étaient disjoints de ceux qui portaient sur la réforme territoriale. Dans cette dernière phase, tout se passe au contraire comme si la compétence transports publics se trouvait mobilisée et incluse dans des dispositifs qui l'internalisent, visant à la fois une cohérence territoriale (une échelle spatiale adaptée à l'évolution démographique) et une cohérence inter-sectorielle - la consolidation des compétences - , basée sur la notion de projet. Dans le processus de construction intercommunale, le rôle de l'État demeure déterminant, notamment sur les registres de l'impulsion, sur celui de la mise en forme et sur celui de l'encadrement du dispositif. On peut alors se demander comment, dans cette tourmente institutionnelle récente, évolue alors la géographie des organisations intercommunales en charge des transports publics et que peut nous apprendre une analyse statistique conduite à l'échelle nationale sur cette question. C'est l'entrée privilégiée dans le travail de Cyprien Richer qui s'inscrit en complément de cette approche diachronique (voir section 2). Il permettra également, avant d'aborder la question des interrelations entre transports publics et intercommunalité par le prisme des territoires locaux, de mieux discerner ce qui relève du mouvement d'ensemble de la construction intercommunale de ce qui relève des singularités locales ; de manière aussi à comprendre les enjeux, les mécanismes et les ressorts de l'appropriation territoriale du transport public.
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2. Les transformations récentes de l'intercommunalité en matière de transports publics urbains
1.1. Cyprien Richer Dans le prolongement de l'approche diachronique, cette partie propose d'analyser les effets des lois Chevènement et Gayssot-Besson sur la dynamique de l'intercommunalité en matière de transports urbains. Ce panorama à l'échelle nationale des transformations récentes tente de répondre aux interrogations suivantes : Quelles sont les conséquences des lois des ministères de l'Intérieur (1999) et des Transports (2000) sur les statuts et les périmètres des autorités organisatrices de transports urbains ? Que penser des transformations récentes face aux ambitions de renforcement de la cohérence territoriale (intersectorielle et spatiale) ? L'analyse se compose de deux approches, l'une statistique et l'autre géographique, qui exploitent les données des annuaires des transports collectifs urbains (CERTU, GART, DTT, UTP). Ce travail à l'échelle nationale propose un état des lieux qu'il convient de compléter par des approches locales pour nous permettre de mieux saisir l'appropriation territoriale de la compétence transport et de préciser les logiques qui sous-tendent à ces grandes tendances. 2.1. Le nouveau cadre législatif Ce travail s'intéresse principalement aux lois Chevènement (1999) et SRU (2000). Sans faire des transports urbains leur objet premier, celles-ci intègrent des dispositions qui influent directement sur la dynamique des autorités organisatrices : la communauté d'agglomération, créée par la loi Chevènement dispose d'une compétence obligatoire « organisation des transports urbains » ; la loi SRU relance les syndicats mixtes de transport. Ces deux lois poursuivent un objectif fondamental, renforcer la cohérence territoriale, qu'il convient de décliner en deux grandes espérances : l'une intersectorielle et l'autre spatiale. L'adéquation des territoires institutionnels et fonctionnels et la mise en cohérence des politiques urbaines sont des enjeux qui reviennent cycliquement au centre des préoccupations (Offner, 20028). Cependant, suivant les cadres de coopérations proposés, le législateur semble poursuivre l'un ou l'autre des enjeux, rarement les deux (figure 4).
Figure 4 : Nouveau cadre législatif sur la coopération intercommunale : Loi « Chevènement » (1999) ; Loi SRU ou « Gayssot-Besson » (2000) Un objectif fondamental :
Renforcer la cohérence territoriale
INTERSECTORIELLE
Améliorer la coordination des politiques urbaines
Deux déclinaisons :
SPATIALE
Renforcer la pertinence des périmètres
Des réponses pas univoques :
Les communautés d'agglomération (loi Chevènement)
Les syndicats mixtes de transport (loi SRU)
Offner J.-M., Menerault Ph., Sachet S., « Les transports urbains : entre secteurs, réseaux et territoires », Annuaire 2002 des collectivités locales, 2002.
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2.2. Approche statistique des transformations récentes Le traitement statistique de 1980 à 2003 des statuts juridiques des autorités organisatrices de transport urbain, effectué à partir des annuaires des transports urbains (CERTU-GARTDTT-UTP), permet de distinguer plusieurs phases (figure 5). La première, de 1980 à 1984, est marquée par l'émergence des autorités organisatrices intercommunales de type SIVU surtout - et SIVOM, aux dépens des autorités organisatrices communales. Ce glissement vers les formes syndicales, lié à la dynamique du versement transport détaillée dans l'approche historique, révèle surtout un cloisonnement de la compétence transport. La seconde période s'étend de 1984 à 1998. Jusqu'à la veille des réformes, les statuts des autorités organisatrices sont stables, malgré l'augmentation du nombre de réseaux. Les districts et les formes intégrées se développent peu, tandis que les SIVU dominent les formes intercommunales. Les communes reprèsentent toujours près de 2 autorités organisatrices sur 5.
Figure 5 : L'évolution des statuts des autorités organisatrices entre 1980 et 2003
(en pourcentage (%), le nombre de réseaux concernés est indiqué entre parenthèses sous la date)
4 11 12 7
6 12 9 16
4 12
4 20
3 18 5 2 5
6
5
Communauté Urbaine Communauté d'Agglomération
6 14 6 11 40 42
District Syndicat Mixte
10 21 23
28 21 11 9 3 11 11 2 9 20
autres* Communauté de Communes SIVOM SIVU Commune
52 42 32 37 37
11
19
1980 (101)
1984 (101)
1988 (157)
1992 (158)
1998 (205)
2002 (202)
2003 (241)
* les autres types d'autorités organisatrices correspondent aux Départements en 1980 et 1984 aux Syndicats d'Agglomérations Nouvelles (SAN) ou Communautés de Villes (CV) de 1988 à 1998
Source : Richer (2005) d'après les annuaires statistiques CERTU-GART-DTT-UTP
Cette longue inertie contraste avec la vague de transformation survenue à partir de 1999. La troisième période, pas totalement stabilisée, est marquée par l'abandon des formes juridiques sectorielles (SIVU) et de l'échelon communal. Les changements de statut concernent 60% des autorités organisatrices de transports urbains. Ce grand changement profite surtout à la nouvelle formule de coopération intercommunale instituée par la loi Chevènement : la communauté d'agglomération. En 2003, ce nouveau statut reprèsente 42% des autorités organisatrices de transport urbain. La sensation d'une
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« montée en intégration » des autorités compétentes en matière de transports urbains est perceptible. Au niveau de l'évolution des périmètres de transports urbains, on constate, entre 1998 et 2002, que seulement la moitié des réseaux conservent un PTU identique (figure 6). En effet, près d'une autorité organisatrice sur deux (47%) est animée par une dynamique d'extension géographique de leur périmètre de transport (les modifications de périmètre sont calculées en nombre de communes). L'intégration de nouvelles communes dans les PTU est bien souvent significative : en 2002, près de 40 autorités organisatrices voient leur périmètre s'étendre de plus de 10 communes supplémentaires. Ces extensions signifient, d'un point de vue fonctionnel, que de nouveaux espaces, souvent périurbains, sont à desservir.
Figure 6 : Évolution des périmètres de transport urbain (1998-2002)
Source : Richer (2005) d'après les annuaires statistiques CERTU-GART-DTT-UTP
L'extension des périmètres est également soutenue par le seuil de population nécessaire pour créer une communauté d'agglomération. Ce seuil fixé à 50 000 habitants semble avoir un effet similaire au seuil, jadis discriminant, du versement-transport9. Pour atteindre cette taille et constituer une communauté d'agglomération, 17 collectivités10 entre 1999 et 2002 ont intégré de nouvelles communes. Les incitatifs financiers par habitant, en moyenne deux fois plus important pour les communautés d'agglomération que pour les communautés de communes, ont joué un rôle déterminant. L'extension des périmètres est souvent significative, car dans 13 cas, l'augmentation pour atteindre le seuil est supérieur à 15 communes. Cependant, même si les effets territoriaux apparaissent identiques, ce n'est plus une dynamique spécifique aux transports publics qui encourage l'extension géographique des périmètres de transports urbains. Au final, l'examen statistique de l'évolution des statuts et des périmètres des transports urbains entre 1998 et 2002 révèle des transformations profondes qui tendent à considérer les autorités organisatrices comme des structures intercommunales plus intégrées et plus étalées. Cette tectonique dans le paysage institutionnel des transports publics urbains suit donc une double logique : Une logique intensive : 60% des autorités organisatrices changent de statut, dans plus de 9 cas sur 10, au profit d'un statut plus intégré ; en 2003, 40% des autorités organisatrices sont des communautés d'agglomération. Ces dynamiques s'orientent vers la recherche d'une cohérence intersectorielle par l'intégration des compétences.
Lorsque le seuil du versement-transport était fixé à 100 000 habitants. Voir la section 1. 10 communes, 5 SIVU, 1 SIVOM, 1 District de moins de 50 000 habitants en 1999, se sont étendus pour atteindre le seuil de 50 000 habitants et former une communautés d'agglomération.
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-
Une logique extensive : 47% des autorités organisatrices supportent une extension de leur périmètre de transport urbain. L'accroissement sensible de la dimension des périmètres de transport urbain est motivé par la recherche d'une plus grande cohérence spatiale.
À première vue, ces évolutions semblent favorables au décloisonnement de la compétence transport et à la reconnaissance des nouvelles échelles de l'urbain par l'extension des périmètres. L'analyse géographique, plus fine, peut nous permettre de tester cette interprétation. 2.3. Approche géographique des transformations récentes Pour rendre compte des dynamiques intensives et extensives des autorités arganisatrices des transports urbains (AOTU), trois supports cartographiques, construits à partir des données des annuaires statistiques des transports collectifs urbains, sont analysés. La réalisation de ces cartes a été motivée par la mise en relation de deux informations sur la période 1998-2002 : d'une part l'évolution du statut des autorités organisatrices et d'autre part, la modification des périmètres de transport en nombre de communes.
Figure 7 : Méthodologie de construction des cartes sur l'évolution, entre 1998 et 2002, des statuts et des périmètres des Communes, des SIVU et des Districts
Représentation de l'évolution des périmètres (en nombre de communes) par des cercles proportionnels
Taille du PTU (nombre de communes) : 60 25 15
Type d'Autorité Organisatrice des transports urbains :
d
- En 1998 : Commune, SIVU, ou District - En 2002 : identique à 1998 - En 2002 : transformation en communauté d'agglomération - En 2002 : transformation en un autre type d'AO
Représentation de l'évolution des statuts
juridiques
avec un jeu de couleurs
À titre d'exemple, ce figuré désigne le changement de statut et de périmètre d'une autorité organisatrice entre 1998 et 2002. Celle-ci voit son PTU augmenter conjointement à sa transformation en communauté d'agglomération.
Pour cartographier la première information, nous avons utilisé la couleur, et pour la seconde, des cercles proportionnels au nombre de communes du PTU (figure 7). Comme nous représentons une évolution entre deux dates (1998 et 2002), les informations ont été superposées, de telle sorte que l'on puisse lire facilement les changements : si le cercle proportionnel de 2002 est plus large que celui de 1998, cela veut dire que le réseau de transport représenté a vu son périmètre augmenter en nombre de communes. De la même manière, par le changement de couleur des cercles d'une période à l'autre, on exprime une modification du statut juridique des autorités organisatrices de transport urbain. Nous avons choisi de présenter trois cartes représentant respectivement les transformations des communes (figure 8), celles des SIVU (figure 9) et celles des Districts (figure 10) ; soit les trois formes juridiques les plus empruntées par les autorités organisatrices en 1998 (82% des cas). L'approche géographique est ensuite complétée par une analyse des syndicats mixtes que la loi SRU tente de relancer afin de favoriser les coopérations entre les autorités organisatrices urbaines et interurbaines.
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Figure 8 : Évolution des statuts juridiques et des périmètres des communes entre 1998 et 2002
Source : Richer (2005) d'après les annuaires statistiques CERTU-GART-DTT-UTP
(i) Transformations des communes (figure 8) Encore très répandues en 1998 dans le sud de la France, de nombreuses autorités organisatrices communales ont changé de statut en 2002 - près d'une sur deux. Cette échelle de gestion des transports urbains est délaissée, dans trois cas sur quatre, au profit des communautés d'agglomération. L'extension des périmètres, certes automatique, est généralement très significative (sept PTU passent ainsi de 1 à plus de 20 communes). Une telle logique extensive nécessite la recherche d'une adéquation entre les réseaux et les nouveaux périmètres de transport, qui demeure souvent à trouver.
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Figure 9 : Évolution des statuts juridiques et des périmètres des SIVU entre 1998 et 2002
Source : Richer (2005) d'après les annuaires statistiques CERTU-GART-DTT-UTP
(ii) Transformations des SIVU (figure 9) En 2002, on ne dénombre plus que 22 SIVU, contre 56 en 1998. Plus d'un tiers des SIVU se transforment en Communautés d'Agglomération ; ce changement s'accompagnant d'une extension spatiale assez sensible. En revanche, les SIVU qui n'ont pas changé de statut (1/3) et ceux qui sont remplacés par des Syndicats mixtes à vocation transport (1/5) ont rarement vu la taille de leur périmètre augmenter. La compétence transport public ne semble donc plus directement porteuse d'une dynamique d'extension géographique des intercommunalités, comme ce fut le cas à la suite de l'instauration du versement -transport.
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Figure 10 : Évolution des statuts juridiques et des périmètres des districts entre 1998 et 2002
Source : Richer (2005) d'après les annuaires statistiques CERTU-GART-DTT-UTP
(iii) Transformations des districts (figure 10) Les trois quarts des districts, supprimés par la loi Chevènement, se transforment en communautés d'agglomération, de forme relativement comparable. Les districts qui ne rassemblent pas 50 000 habitants, faute de pouvoir adhérer à une communauté d'agglomération, sont remplacés par des communautés de communes. Sauf exception (Montpellier ou Metz par exemple), la transformation des districts s'est opérée à périmètre constant. Lorsque le regroupement de nombreuses compétences est déjà acquis, au sein de structures assez intégrées, il semble que la logique extensive des périmètres ne suit pas.
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(iv) La question des syndicats mixtes de transport La loi du ministre des transports relance la formule juridique du syndicat mixte, jusqu'alors assez peu employée (5% des AO en 1998). Pour comprendre la dynamique des syndicats mixtes, la construction d'une typologie est nécessaire (figure 11). Elle est ici complétée par une carte (figure 12) qui s'inspire de cette classification. Les syndicats mixtes se sont développés récemment : ils ont été multipliés par trois entre 1998 et 2004, en passant de 10 à 31 syndicats. Ces syndicats demeurent cependant une formule modeste puisqu'ils représentent 11 % du total des autorités organisatrices en 2003. Trois types de syndicats mixtes peuvent être distingués : Les Syndicats mixtes « hérités » Cette classe rassemble les syndicats mixtes antérieurs aux réformes législatives récentes (avant 1999). La plupart des syndicats de ce type ont été créée dans les années 1970. Leur particularité, outre l'ancienneté, tient à deux éléments : leur composition (ces syndicats mixtes associent souvent l'échelon départemental) et leur stabilité. Les Syndicats mixtes « de préservation » Constitués récemment (depuis 1999), ils ne correspondent pas aux exigences de la loi SRU. Ces syndicats mixtes répondent à l'objectif de préserver l'unité du réseau de transports publics urbains face à la création de Communautés d'agglomération qui fragmentent les anciens Périmètres. Les Syndicats mixtes de type SRU Ces Syndicats Mixtes, mis en conformité avec la loi SRU, adoptent de nouveaux statuts destinés à favoriser la mise en oeuvre d'une politique intermodale, visant principalement la coordination des services, l'information et la tarification intégrée.
Figure 11 : Typologie des syndicats mixtes de transports 10 syndicats sur 31 16 syndicats sur 31 5 syndicats sur 31
syndicats mixtes « hérités »
(formés avant 1999)
Syndicats Mixtes « de préservation »
(formés depuis 1999)
Syndicats Mixtes « SRU »
(conformes à la loi SRU)
7 syndicats mixtes « hérités » sur 10 associent le département.
11 syndicats mixtes « de préservation » sur 16 remplacent un SIVU.
3 syndicats mixtes « SRU » sur 5 ont été créés et 2 transformés pour être compatibles avec la loi SRU.
On constate que très peu de syndicats mixtes récemment créés intègrent l'échelon départemental et aucun la région. La formule du syndicat mixte de type SRU est peu représentée (1/6 des syndicats Mixtes). La majorité des nouveaux syndicats mixtes (3/4) sont « de préservation » : ils ont été créés pour garantir l'unité du réseau (dont le fonctionnement antérieur été généralement assuré par un SIVU) face à la fragmentation des périmètres de transports urbains générée par la création de nombreuses communautés d'agglomérations (dont l'assise territoriale prend rarement appuie sur les périmètres de transports urbains malgré leur compétence obligatoire en matière de transport). Ces syndicats constituent plutôt une réponse à la loi Chevènement qu'une adhésion à la loi SRU.
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Figure 12 : Les syndicats mixtes de transports en 2004
Source : C.Richer (2005) d'après les annuaires statistiques CERTU-GART-DTT-UTP et données complémentaires fournies par le GART
L'adhésion à la loi SRU est limitée, et les ambitions du législateur en matière de syndicat mixte sont rarement atteintes. Le triplement du nombre de syndicats a surtout donné naissance à une forme « de préservation » liée à la loi Chevènement, qui se confond assez bien avec les anciens SIVU. On peut alors penser que la loi du ministre de l'Intérieur, par le déficit de cohérence des périmètres de certaines communautés d'agglomération (du point de vue des transports publics et vis-à-vis des anciens PTU), a engendré une nouvelle forme sectorielle d'autorité organisatrice. Un constat qui contraste avec les préoccupations initiales visant à décloisonner la compétence transport.
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Éléments de conclusion L'approche géographique permet d'affiner, à l'échelle nationale, la double logique des transformations récentes de l'intercommunalité en matière de transport : La logique intensive d'intégration de compétences est une condition favorable pour atteindre une plus grande cohérence intersectorielle. Cette dynamique est marquée par la création de nombreuses Communautés d'Agglomération. Cependant, les Syndicats Mixtes tendent à maintenir ou relancer une dynamique propre à la compétence transport. La logique extensive pose la question de la nouvelle pertinence des périmètres. D'une manière générale, les transports publics se trouvent entraînés, et subissent une dynamique d'extension géographique à laquelle ils sont associés, mais dont ils ne sont plus porteurs : dans 3 cas sur 4, l'extension du périmètre est la conséquence de la transformation du statut en communauté d'agglomération. Ces dynamiques posent surtout la question du mode de développement des transports publics.
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Pour approfondir les effets des transformations décrites dans ce panorama à l'échelle nationale, il est nécessaire de contextualiser les évolutions. Tel est l'objet de la présentation des études de cas effectuées dans les agglomérations de Rennes, Saint-Étienne, Valenciennes et Saint-Brieuc.
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Recomposition intercommunale et enjeux des transports publics en milieu urbain Séminaire d'échanges entre chercheurs et acteurs ENPC-Paris 24 mai 2005
Deuxième partie Présentation et discussion des études de cas
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Présentation et discussion des études de cas
3. L'agglomération rennaise
Christophe Guerrinha 3.1. Un espace dynamique marqué par un fort étalement urbain L'une des premières choses qui frappe l'observateur est la configuration spatiale assez originale de l'agglomération rennaise, qui du fait de la quasi-absence de banlieue fait passer très rapidement de la ville à la campagne ou plutôt de la ville-centre aux communes périurbaines polycentriques. L'urbanisation de la périphérie de Rennes est en effet constituée par une multitude de petits bourgs organisés de manière polycentrique autour de la ville-centre, séparés de celle-ci par une ceinture verte, mais néanmoins reliés à elle par un important maillage routier : le schéma des villettes (figure 13).
Figure 13 : Sites d'urbanisation dans l'agglomération rennaise
Source : Guerrinha et Frère (2005)
Les politiques d'aménagement volontaristes mises en oeuvre au sein du district ont appuyé une organisation spatiale préexistante en structurant le développement urbain périphérique, tout en renforçant le rôle métropolitain de la ville-centre, qui reste aujourd'hui encore largement dominante. Insérée au sein d'un espace communal de plus de 5.000 ha, la villecentre domine tout d'abord son territoire environnant en termes de superficie. Elle le domine ensuite en termes démographiques, puisque la ville de Rennes représente près de 40% de la population de l'aire urbaine. Elle compte une population de 212.000 habitants alors que le pôle urbain n'en regroupe que 250.000 et la communauté d'agglomération 370.000. L'aire urbaine rennaise, qui connaît par ailleurs l'une des plus fortes croissances démographiques et économiques, derrière Montpellier et Toulouse, est aussi caractérisée par le poids de la population vivant au sein de la couronne périurbaine, qui représente désormais près de la moitié de la population de l'aire urbaine.
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Souvent citée comme une bonne élève ou comme le modèle à suivre, l'agglomération rennaise est par ailleurs caractérisée par l'ancienneté de la coopération intercommunale et de la planification urbaine. Les politiques locales ont longtemps été marquées, chez les élus de gauche comme de droite, par un arrière-fond idéologique ou plus exactement une matrice politique d'origine sociale-chrétienne caractérisée par une forte volonté d'intervention sur le territoire. Le fort degré d'implication des édiles rennais s'exprime également à travers une certaine continuité technique et politique : l'agglomération est en effet caractérisée par la longévité du leadership politique au niveau de la ville-centre, mais à l'échelle de l'intercommunalité. En un demi-siècle, Rennes aura eu deux maires et le district devenu ensuite communauté d'agglomération n'aura quant à lui connu que trois présidents, Henri Fréville, Michel Philipponneau et Edmond Hervé. Le périmètre stable et réduit du district a par ailleurs permis d'asseoir les orientations politiques locales et a facilité les conditions de la production territoriale. Ainsi, la concentration des pouvoirs municipaux et intercommunaux au sein des mêmes mains constitue le fondement historique du fonctionnement d'une intercommunalité faiblement minée par les divergences partisanes, et donc marquée à cet égard par un certain consensus. La prise en compte des forces centrifuges intercommunales, notamment la reconnaissance politique des communes suburbaines, a permis aux politiques urbaines de se concevoir de manière stable et sur le long terme. La continuité du modèle rennais vient ainsi de l'entente tacite entre une ville-centre affirmant son ambition à devenir une métropole européenne et des communes suburbaines voulant préserver leur caractère rural. Cette entente a permis que les politiques urbaines du district puissent se concevoir de manière stable mais aussi sur le long terme. Cette modalité du rapport centre-périphérie est l'une des clés principales du consensus rennais. La fabrication de cette gouvernance partagée rennaise tient donc principalement dans la conclusion d'une sorte de pacte entre le centre et la périphérie. Les transports collectifs en sont un exemple révélateur, puisque que le Val qui ne concerne territorialement que la ville-centre s'est construit en parallèle d'une constante amélioration des liaisons vers les communes suburbaines. 3. 2. Les principales étapes de la dynamique spatiale de l'intercommunalité transport (i) La création du district de Rennes La création du district en 1971, dont le choix apparaît comme un compromis entre la communauté urbaine et un simple SIVOM, marque les débuts de la coopération intercommunale dans l'agglomération rennaise. L'objectif est alors principalement le développement économique. 1972 est l'année de la mise à l'étude du SDAU, de la création de l'agence d'urbanisme, mais aussi de la reprise en main de la gestion des transports collectifs par la municipalité rennaise, qui rachète la concession et élabore une nouvelle convention avec l'exploitant. Autre indice de la continuité du système organisationnel, l'exploitant n'a pas changé depuis lors. La municipalité opère de nombreux changements et améliore de manière significative l'offre du réseau, mais c'est surtout l'adoption du versement-transport qui permet de concrétiser cette volonté politique. La création de conventions bilatérales avec cinq communes est un premier pas au niveau intercommunal, même si le PTU reste confiné au territoire de la ville de Rennes (figure 14). (ii) Montée des préoccupations transports en commun et création du SITCAR À la fin des années 1970, la tentative d'intégrer la gestion des transports collectifs au sein du District échoue. En 1980, est créé en quelque sorte par défaut un syndicat à vocation unique (SITCAR : Syndicat Intercommunal des Transports Collectifs de l'Agglomération Rennaise). Les années quatre-vingt sont caractérisées par un fort développement de l'offre au sein de toutes les communes membres, le développement du projet de TCSP et donc de la montée en puissance de l'enjeu transport collectif au niveau intercommunal.
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Présentation et discussion des études de cas
Figure 14 : Évolution du périmètre de l'intercommunalité transport entre 1970 et 1990
Source : Guerrinha et Frère (2005)
(iii)
Intégration de la compétence transport et affirmation du pouvoir d'agglomération
La mise en oeuvre du Val provoque d'importants bouleversements institutionnels et techniques, parce qu'un tel projet engendre le besoin d'une structure juridique et financière pérenne, plus solide qu'un simple SIVU. Les éléments les plus marquants sont : - La disparition du SITCAR et l'intégration de la compétence au sein du district ; - L'affirmation du leadership intercommunal. Le maire de la ville-centre devient également président du district, marquant le portage politique du projet par le principal élu de l'agglomération ; - La création d'une SEM chargée de construire le Val mais aussi d'organiser les transports collectifs, qui renforce l'expertise technique et organise le portage financier. Il y a enfin, en lien avec le projet Val mais pas uniquement dans une vision de cause à effet, une concomitance au niveau de la construction intercommunale entre un projet politique (le projet d'agglomération de 1991), un projet financier (la fiscalité propre de 1991 et la TPU de 1992) ; et un projet technique : le TCSP.
(iv)
La consolidation de l'intercommunalité
La transformation du district en communauté d'agglomération en 2000 (figure 15) est un effet direct de la loi Chevènement, qui a par ailleurs à Rennes, eu un impact plutôt limité. Ainsi la taxe professionnelle unique est-elle déjà appliquée au sein de la structure intercommunale depuis 1992. Cette transformation permet néanmoins de consolider la structure intercommunale et d'accroître sa capacité d'expertise territoriale, notamment en termes de transports collectifs.
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Figure 15 : Évolution du périmètre de l'intercommunalité transport au début des années 2000
Source : Guerrinha et Frère (2005)
3.3. Les transports collectifs dans le projet politique de l'agglomération (i) Le SITCAR ou « l'apprentissage de l'intercommunalité » Créé en 1980 suite à la l'échec de la tentative d'intégration de la compétence transports collectifs au sein du district, le syndicat contribue néanmoins pendant plus de dix années à construire l'intercommunalité au sein de l'agglomération rennaise. Les années quatre-vingt sont l'âge d'or de l'extension du réseau au sein de toutes les communes membres. Et comme le décrit justement un élu : « le territoire de la ville n'est-il pas celui sur lequel voyage les bus ! Les arrêts de bus au sein des communes périurbaines ne sont-ils pas l'un des premiers aspects visibles de la politique communautaire ! »7 C'est par ailleurs sous le SITCAR que le projet de TCSP prend forme, et qu'émergent aussi sur le devant de la scène intercommunale les enjeux de transport collectifs. (ii) Le rôle majeur du TCSP : « le fil conducteur des politiques urbaines » Bon outil de valorisation de la ville de Rennes et plus globalement de l'agglomération, le TCSP se caractérise par sa capacité à réunir les principaux acteurs locaux autour d'un projet devenu politiquement consensuel et porteur. Le transport collectif a, par son intermédiaire, acquis un rôle majeur en termes politiques et techniques. Le projet transport « fait système » parce qu'il révèle de forts mécanismes technico-politiques : il contribue à construire un projet de territoire et une légitimité politique intercommunale. Le projet transport fait également « sens » parce qu'il véhicule certains référentiels d'action de type communautaire et, a fortiori, une image moderne de l'agglomération et de l'intercommunalité. Alors que les politiques de transports collectifs étaient depuis longtemps cantonnées dans la simple gestion du réseau, l'arrivée du TCSP renforce l'articulation avec les autres politiques urbaines et devient progressivement l'un des principaux fils conducteurs des élections municipales. Dans la dynamique territoriale rennaise, le TCSP a permis d'accompagner une forte volonté politique d'entreprendre et a aussi largement contribué pendant plus de trente ans à consolider le processus de construction intercommunale. (iii) Le rôle secondaire du PDU : « un outil d'accompagnement du projet Val ? » À Rennes, la réflexion sur les déplacements urbains n'intervient réellement qu'une fois les arbitrages sur le dossier du Val rendus. À l'inverse des schémas directeurs de 1983 et 1994, les PDU de 1996 et 2001 n'ont en effet jamais réellement été mis en avant par les élus et, à
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Entretien effectué avec Tourtelier, P., à Betton, le 7 juillet 2003.
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Présentation et discussion des études de cas
l'exception du TCSP, la thématique des déplacements a toujours eu un impact plutôt limité. Le PDU n'a pas été l'objet d'un véritable débat, son utilité concrète ayant davantage été d'accompagner et de légitimer le projet de TCSP, puis le projet de requalification de l'étoile ferroviaire. Il n'a pas non plus été l'occasion de reposer la question intercommunale : il ne la construit ou ne la renforce en aucune manière parce qu'elle était déjà construite et consolidée bien avant lui. Le PDU a néanmoins le mérite de synthétiser les enjeux et les objectifs des différentes études (schémas directeurs et projet d'agglomération) qui l'ont précédé, c'est un produit de l'histoire. 3.4. Une compétence transport collectif sectorisée L'histoire des politiques urbaines à Rennes laisse apparaître des modalités d'action publique distinctes, entre le champ des transports collectifs et le champ de l'aménagement (figure 16).
Figure 16 : Une compétence transports publics urbains sectorisée
Source : Guerrinha et Frère (2005)
Cette organisation dichotomique, clairement voulue par les élus, a permis pendant longtemps, et sur des territoires presque identiques, de préserver le consensus politique rennais entre une centralité, symbole d'une métropole économique dynamique, et une
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périphérie, au caractère apparemment rural. L'essentiel a été pendant longtemps de limiter la taille d'une l'intercommunalité alors de service, mais aussi l'influence de la ville de Rennes. Dans les années soixante-dix, pour la période « hors intercommunalité transport », les compétences sont séparées. Il y a d'un côté une intercommunalité généraliste chargée principalement du développement économique et de l'aménagement du territoire - le district -, qui fonctionne à minima et dont l'expertise est déléguée à l'agence d'urbanisme, et de l'autre il y a la ville de Rennes qui s'occupe des transports collectifs. Dans les années quatre-vingts, pour la période « intercommunalité transport », il y a la même configuration mais le SITCAR assume désormais la compétence transports collectifs. On passe progressivement d'un face-à-face entre ville-centre et district à un face-à-face entre le district et le SITCAR. La séparation entre les champs de l'aménagement et des transports s'illustre notamment par l'opposition entre le schéma des villettes du district, et le projet de TCSP du SITCAR. Le schéma directeur de 1983 propose un modèle où la densité liée au transport collectif est déconsidérée en faveur d'un développement privilégiant une organisation multipolaire autour d'une série de villettes périphériques. La limitation de l'urbain à travers la sauvegarde d'une certaine ruralité a toujours été un élément fort au sein de l'agglomération rennaise. La ceinture verte, bien que largement diminuée, reste par exemple un symbole très prégnant pour les élus et les techniciens. Cette représentation du territoire éloigne la perspective d'un TCSP. À l'inverse, le PDU LOTI, élément déclencheur des études de TCSP, prône un modèle où la densité urbaine est structurée autour des axes de transport collectif et notamment celui du VAL. La réalisation d'un TCSP dans l'agglomération rennaise fait ainsi naître un paradoxe entre deux représentations politiques et territoriales différenciées. Elle cristallise également les oppositions politiques des principaux acteurs locaux. Dans les années quatre-vingt-dix, la réunion des champs de l'aménagement et du transport sous le même toit institutionnel ne favorise pas pour autant une plus forte articulation, puisque l'externalisation de l'expertise aménagement et transports collectifs, respectivement à l'agence d'urbanisme et à la SEMTCAR, maintient des pratiques sectorielles. La planification rennaise se caractérise certes par un emboîtement des politiques publiques à partir d'un projet d'agglomération fondateur et pionnier réalisé en 1991 (le PDU doit par exemple être coordonné aux objectifs du projet d'agglomération et du schéma directeur), mais cette coordination verticale n'exclut pas un traitement différencié des champs techniques. Il y a toujours d'un côté le transport le service Transports urbains, infrastructures et principalement la SEMTCAR et de l'autre l'aménagement le service Aménagement, environnement, habitat et surtout l'agence d'urbanisme. Le passage en communauté d'agglomération en 2000, qui amène une consolidation de l'expertise territoriale, la redéfinition des services, et le développement des coordinations, laisse entrevoir des rapprochements entre le service aménagement et le service transport. L'expertise de la communauté d'agglomération en 2003 est ainsi divisée entre deux pôles d'expertise distincts : d'un côté l'aménagement de l'espace est géré par le service Prospective et Aménagement du Territoire puis est délégué à l'agence d'urbanisme, responsable des schémas directeurs, du SCOT, du PLH, des plans de développement, de la coordination des PLU, etc., mais par ailleurs mis à l'écart des enjeux de transports collectifs depuis le milieu des années quatre-vingts. De l'autre, l'expertise en matière de déplacements, principalement les PDU successifs, est confiée à un binôme constitué par la SEMTCAR et le service Déplacements, Transports Collectifs, Voirie et Infrastructures de la communauté d'agglomération. 3. 5. Les principes de l'articulation entre autorités organisatrices de transport Pendant longtemps le parent pauvre des politiques de transport collectif, ce n'est qu'à partir de la fin des années quatre-vingt dix que l'enjeu du ferroviaire est réactivé. La requalification
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Présentation et discussion des études de cas
de l'étoile ferroviaire est à ce titre un des enjeux du PDU LAURE approuvé en 2001 à travers la mise en place du titre intermodal Unipass sur le périmètre de fonctionnement du Pays de Rennes, EPCI créé en 1999 et regroupant la communauté d'agglomération et quatre communautés de communes. L'expérimentation du titre Unipass débute en 1999 sur une seule ligne, avant d'être généralisée à l'ensemble de l'étoile ferroviaire. Initialement impulsée par la SNCF et la communauté d'agglomération - même si cette dernière n'en a pas la compétence - la revalorisation de l'étoile ferroviaire (figure 17), par l'intermédiaire du titre intermodal Unipass, met ainsi en avant les nouveaux principes de l'articulation entre autorités organisatrices de transports, mais également la clarification de leurs rôles respectifs.
Figure 17 : Projets de revalorisation de l'étoile ferroviaire dans la région rennaise
Source : Guerrinha et Frère (2005)
L'enjeu du ferroviaire périurbain à Rennes est aussi celui de l'extension territoriale du domaine des transports collectifs vers les territoires périurbains. Cet enjeu pose la question de la création d'un syndicat mixte et donc la participation de la Région et du Département. Le Département d'Ille-et-Vilaine adopte à cet égard une position de retrait vis-à-vis des
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enjeux de transports collectifs. Il y a certes le leg historique : un ancien conflit avec la villecentre et un ancien conflit droite-gauche ; mais il y a surtout une politique de maillage du territoire par la route qui apparaît aujourd'hui comme contradictoire par rapport aux objectifs des politiques de transports collectifs. En revanche, depuis la régionalisation du transport ferroviaire la Région s'intéresse de plus en plus à l'urbain et au périurbain rennais. Et, bien qu'elle soit arrivée dans le projet d'étoile ferroviaire en cours de route, la collectivité y a eu un rôle fédérateur.
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Présentation et discussion des études de cas
4. La région stéphanoise
Caroline Gallez 4.1. Un territoire très morcelé Le site de la région stéphanoise présente un certain nombre de caractéristiques géographiques structurantes du point de vue du développement de l'urbanisation et des enjeux de transports (figure 18).
Figure 18 : Sites d'urbanisation en région stéphanoise
Source : Gallez et Guerrinha (2005)
Le site de l'ancien bassin minier est ainsi marqué par de fortes contraintes topographiques qui ont entraîné un développement linéaire de l'urbanisation le long des trois vallées de l'Ondaine, du Gier et Furan ; les densités élevées qui en résultent sont favorables à la mise en place de dessertes lourdes en transports collectifs, aussi bien dans la ville-centre que le long de l'ancien couloir industriel - c'est une des raisons objectives pour lesquelles SaintÉtienne a conservé une ligne de tramway. Par ailleurs, la proximité de Lyon et la quasi-continuité de l'urbanisation entre les deux régions urbaines expliquent l'importance des enjeux métropolitains et des flux d'échanges quotidiens entre les bassins d'emplois : la ligne de TER entre Lyon et Saint-Étienne occupe ainsi le premier rang d'importance en Rhône-Alpes du point de vue de la fréquentation.
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Au nord-ouest de l'agglomération principale, la Plaine du Forez constitue le principal réservoir de terrains constructibles de la région urbaine. L'agglomération stéphanoise se développe également vers le sud-ouest en direction de la proche Haute-Loire et sur les contreforts du massif du Pilat. En 1999, cet ensemble territorial compte un peu plus de 500 000 habitants et 188 000 emplois. Au coeur de cet espace urbanisé, Saint-Étienne (180 210 hab.) regroupe 36% de la population et 45% des emplois. Depuis les années 1970, la région stéphanoise connaît un mouvement d'étalement urbain de grande ampleur, qui accroît le déséquilibre entre les vallées industrielles, en perte d'attractivité, et les espaces périphériques plus dynamiques. Cette périurbanisation se produit dans un contexte de faible croissance démographique ; entre les deux derniers recensements, la région stéphanoise a même perdu 15 000 habitants, de sorte que la perte d'attractivité des centres traditionnels, qui n'est plus compensée par la croissance de la périphérie, se lit à l'échelle de la région urbaine. L'armature urbaine se caractérise par une forte multipolarisation, liée à la fois aux contraintes de relief, et à un mode de développement morcelé hérité de la période industrielle. Alors que les planificateurs, à la fin des années soixante, se félicitent de l'organisation polycentrique de la région stéphanoise en soulignant l'absence de banlieue, l'approche sociopolitique en révèle une réalité bien différente. Le processus de développement par juxtaposition de sous-ensembles autonomes sinon autonomistes hérité de la période industrielle a pendant longtemps constitué un frein à la construction d'une identité territoriale partagée8. Les échecs des deux tentatives de schémas directeurs, la première dans les années soixante-dix, et la seconde au début des années 1990, témoignent de la persistance des clivages qui s'expriment à différentes échelles : l'opposition historique entre la partie orientale de la vallée du Gier (qui formait un sous-bassin minier autonome et qui reste aujourd'hui encore plus tournée vers Lyon) et le reste de l'agglomération stéphanoise en est un exemple particulièrement marquant. À ces antagonismes s'ajoute l'hostilité que les élus des vallées industrielles témoignent à l'égard de la Plaine du Forez, liée à la crainte que celle-ci ne confisque l'essentiel des opportunités de développement local. Ces peurs s'étaient déjà exprimées au moment du premier SDAU, dont les ébauches prévoient une urbanisation volontaire vers AndrézieuxBouthéon. Elles sont une des raisons qui expliquent, en 1990, l'échec de la tentative de création d'un district urbain autour des communes de Saint-Étienne, Andrézieux-Bouthéon et Saint-Priest-en-Jarez. 4. 2. Dynamique intercommunale : l'exception des transports collectifs Le double échec du second schéma directeur et de la création d'un district urbain place « l'urgence intercommunale » au coeur des élections municipales de 1995. Dès le mois de décembre, la communauté de communes de Saint-Étienne Métropole se met en place sur un périmètre de 23 communes regroupant Saint-Chamond et la plus grande partie de l'agglomération stéphanoise (figure 19). Dans le nord-ouest de l'agglomération, deux autres communautés de communes (Forez Sud et Pays de Saint-Galmier) sont créées dès l'année suivante, en position défensive par rapport au centre. L'ambition de ces structures, aux périmètres restreints et aux compétences minimales9, se limite, dans un premier temps, à un apprentissage du travail en commun.
Cf. Gay G., 1999, Le chantier de l'intercommunalité dans l'agglomération stéphanoise : exigences présentes et inerties de la longue durée, in L'intercommunalité urbaine en débats, rapport de synthèse de la journée organisée le 13 octobre 1998 à l'IEP de Grenoble, INUDEL-OIPRA, p. 22-29. 9 Cf. Vant A. et Gay G., 1997, Saint-Étienne métropole, ou le découpage du territoire minime, Revue de Géographie de Lyon, vol. 72, n° pp. 177-196. 3,
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Présentation et discussion des études de cas
Figure 19 : Structuration intercommunale en région stéphanoise au début des années 1990
Source : Gallez et Guerrinha (2005)
En matière de transports publics, la trajectoire stéphanoise est moins singulière. Un syndicat mixte de transport, le syndicat du réseau des transports en commun de l'agglomération stéphanoise (SRTC), avait été créé en 1953, sur la base d'un accord ancien entre la ville-centre et le département (figure 20). Son périmètre se limitait à 6 communes. Au début des années 1970, les élus locaux décident de saisir l'opportunité de la généralisation du versement-transport (VT) pour créer le Syndicat intercommunal pour la coordination des transports en commun de la région stéphanoise (SITRAC), qui regroupe une douzaine de communes et rassemble environ 320 000 habitants. Le SRTC est toutefois maintenu dans ses fonctions d'autorité organisatrice (AO). La faible légitimité du Sitrac, dont la seule vocation est de percevoir et de redistribuer le VT, compromet dès lors le bon fonctionnement du système ; plusieurs entreprises usent en effet de l'argument légal selon lequel seules les AO peuvent percevoir le VT pour ne pas payer l'impôt. Il faut attendre les élections municipales de 1977, et la formation d'une coalition de gauche dans l'agglomération stéphanoise, pour que le portage politique des enjeux de transports collectifs favorise la normalisation de la situation. En décembre 1980, le Syndicat intercommunal pour l'organisation des transports de l'agglomération stéphanoise (SIOTAS) est créé, sur le même périmètre que celui du Sitrac. Comme dans plusieurs autres agglomérations françaises, l'implication des communes entraîne alors le retrait du département, le conseil général continuant, toutefois, à apporter un soutien financier au réseau urbain jusqu'en 2001. Par ailleurs, vers la fin des années soixante-dix, plusieurs communes de la vallée du Gier tentent de s'organiser au sein d'une structure intercommunale indépendante. En 1981, le maire de Saint-Chamond, Antoine Pinay, refuse d'adhérer au Siotas, à la fois parce qu'il se déclare opposé au principe du VT, et parce qu'il souhaite éviter toute forme de coopération
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Intercommunalité et transports publics en milieu urbain, ENPC-Paris, 24 mai 2005
qui aurait pu préfigurer un élargissement de l'agglomération stéphanoise à la vallée du Gier. Devant le refus massif des communes sollicitées par le maire de Saint-Chamond, le projet est laissé en suspens quelques années. Puis, en 1982, à la faveur de l'abaissement du seuil de perception du VT à 30 000 habitants, les négociations reprennent. Le 5 juillet 1985, le syndicat intercommunal des transports de la vallée du Gier (SITVAG) est créé autour des deux seules communes de Saint-Chamond et de Saint-Paul-en-Jarez. Deux autorités organisatrices des transports urbains, le Siotas et le Sitvag, vont donc coexister en région stéphanoise jusqu'à la création de la communauté d'agglomération de Saint-Étienne, en 2001.
Figure 20 : Du syndicat mixte de transport aux syndicats intercommunaux (SITRAC et SITVAG)
Source : Gallez et Guerrinha (2005)
4.3. Le tournant des années quatre-ving-dix Au milieu des années quatre-vingt-dix, si les ambitions des trois principales structures intercommunales de la région stéphanoise semblent singulièrement limitées, les ingrédients d'une réorganisation plus radicale du pouvoir local sont cependant déjà présents. Un premier élément favorable au changement concerne le rapprochement entre Saint-Étienne et Lyon, concrétisé par la coopération des collectivités locales au sein d'une structure informelle, la Région urbaine de Lyon (RUL). Cette structure, créée à la fin des années quatre-vingts à l'initiative de Raymond Barre, maire de Lyon et président de la Courly, a pour objectif de promouvoir une vision partagée de l'aménagement et du développement de l'espace métropolitain. L'expertise produite par la RUL en relation avec le réseau des agences d'urbanisme de la région Rhône-Alpes, conforte les élus stéphanois dans leur appropriation des enjeux locaux d'aménagement. Ces derniers obtiennent notamment l'élargissement du périmètre de la DTA, initialement limité à l'aire urbaine de Lyon, à l'ensemble du périmètre de la RUL. En matière de transports publics, un schéma d'aménagement intégrant l'ensemble des réseaux urbains, départementaux et régionaux est élaboré dans le cadre de la charte d'objectifs RUL 2010. Par ailleurs, les nécessités du fonctionnement métropolitain accroissent la légitimité du projet de desserte ferroviaire cadencée entre Firminy, Saint-Étienne et Lyon.
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Présentation et discussion des études de cas
Le second facteur d'évolution est propre à la région stéphanoise. Il concerne la montée des préoccupations relatives à la perte d'attractivité des centres urbains traditionnels. En quarante ans, Saint-Étienne a perdu 50 000 habitants, soit un peu plus d'un cinquième de ses habitants. Cette perte de substance est aujourd'hui perçue comme un risque de fragilisation pour l'ensemble de la région urbaine, et la nécessité d'y remédier rassemble une majorité des élus des vallées industrielles au-delà de leurs rivalités politiques et sociales. Face à cet enjeu, deux secteurs d'action sont mis au service d'une politique de renouvellement urbain : le logement et les transports publics. 4.4. Un PDU qui sert de catalyseur Le plan de déplacements urbains (PDU) entrepris dès 1996, anticipant de quelques mois le vote de la loi sur l'air, joue le rôle d'un catalyseur dans le processus de restructuration du pouvoir d'agglomération. En choisissant une aire d'étude qui dépasse largement le PTU, le PDU place les enjeux de transports publics au sein d'une problématique globale, formulée sous le terme de rééquilibrage spatial des territoires. Tout en se limitant à la réorganisation des transports collectifs (évitant ainsi d'outrepasser son objet), l'approche adoptée traite de l'organisation territoriale à travers une série de scénarios emboîtés dans l'espace et dans le temps, conçus comme les étapes successives d'un même projet (figure 21).
Figure 21 : Le PDU LAURE, des scénarios emboîtés dans l'espace et dans le temps
Source : Gallez et Guerrinha (2005) d'après le PDU du SIOTAS, 2000
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Le scénario A, au « fil de l'eau », se cantonne aux actions déjà engagées sur le périmètre des transports urbains ; le scénario C, perspective à long terme de l'organisation des réseaux à l'échelle de la région urbaine, repose sur la construction d'une seconde ligne de tramway, la revalorisation de l'étoile ferroviaire, le développement des interconnexions entre réseaux urbains et interurbains et la réalisation de pôles d'échanges multimodaux. Entre les deux, les scénarios B et B' figurent les étapes intermédiaires du projet, le premier dans un périmètre de référence limité au PTU et le second s'appliquant à l'ensemble de l'ancien couloir industriel. C'est la variante B' qui est retenue par le comité syndical du 17 décembre 1998. Parmi les raisons sont invoquées pour justifier ce choix figure la question institutionnelle : le Siotas n'ayant pas compétence dans la plaine du Forez, le choix du scénario C n'aurait été possible que « si les communes de la Plaine concernées par les projets s'étaient structurées en autorités organisatrices et associées au Siotas pour l'élaboration du plan de déplacements urbains10 ». Alors que le PDU évoquait l'hypothèse de création d'un syndicat mixte de transport, c'est finalement une communauté d'agglomération que choisissent les élus stéphanois. Le 1er janvier 2001, la communauté d'agglomération de Saint-Étienne Métropole est créée, sur un périmètre de 34 communes. Deux ans après, les résistances des communes de la partie orientale de la vallée du Gier ayant été vaincues, une nouvelle extension porte le périmètre de la communauté d'agglomération à 43 communes, recouvrant cette fois la totalité de l'ancien couloir industriel (figure 22).
Figure 22 : Émergence d'une intercommunalité de projet en région stéphanoise
Source : Gallez et Guerrinha, 2005 d'après le PDU du SIOTAS, 2000.
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SIOTAS, Plan de déplacements urbains, 16 mars 2000, page 46.
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Présentation et discussion des études de cas
Éléments de conclusion La création de la communauté d'agglomération de Saint-Étienne Métropole en 2001 marque l'aboutissement d'un lent processus de construction intercommunale, longtemps retardé par de multiples clivages politiques, sociaux et culturels. Son périmètre laisse de côté le sud de la Plaine du Forez, qui fut associé de manière systématique à toutes les réflexions sur l'aménagement de la région stéphanoise entreprises depuis la fin des années soixante. Les représentants de l'État semblent regretter la faible pertinence de ce choix, et encouragent les intercommunalités centrale et périphériques à formaliser leurs relations, en créant notamment un syndicat mixte de transport sur l'ensemble de la région urbaine. Il nous semble pourtant qu'une telle extension du périmètre de gestion des transports collectifs - également souhaitée par les deux communautés de communes périphériques pourrait desservir les objectifs de renouvellement urbain affichés par Saint-Étienne Métropole. En particulier, toute amélioration trop rapide de l'accessibilité entre centre et périphérie - qui constitue la motivation première de l'adhésion des collectivités périphériques à une structure de type syndicat mixte de transport ne ferait probablement qu'accélérer la fuite des habitants des zones centrales. Ainsi, loin de traduire un repli institutionnel, la priorité accordée aux projets circonscrits au territoire de la communauté d'agglomération pourrait, au moins dans un premier temps, accroître le succès potentiel d'une stratégie de rééquilibrage économique et social des territoires à l'échelle de la région stéphanoise. La position de Saint-Étienne Métropole quant à la création d'un syndicat mixte de transport est d'ailleurs réservée, ce qui n'empêche nullement le dialogue et les collaborations avec les collectivités périphériques. La récente mise en conformité du PDU LAURE avec la loi SRU a ainsi fait évoluer le projet d'aménagement vers la prise en compte de l'ensemble de la région stéphanoise y compris la Plaine du Forez tout en limitant l'échéancier de réalisation aux engagements de Saint-Étienne Métropole sur son propre territoire. Ce faisant, la collectivité prouve la possibilité, voire l'intérêt, de différencier le périmètre d'analyse, indispensable à la compréhension du fonctionnement territorial et à la formulation des priorités politiques, du ou des périmètre(s) politique(s) qui le composent.
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5. L'arrondissement de Valenciennes
Séverine Frère 5.1. Un arrondissement multipolaire à l'urbanisation éclatée L'arrondissement de Valenciennes compte environ 350 000 habitants répartis dans 82 communes. À côté d'une ville-centre de petite taille (42 000 habitants), se trouvent les pôles de Saint-Amand (17 175 habitants) et de Denain (20 360 habitants) et des communes à dominante rurale, dont la population est comprise entre 2000 et 3500 habitants (figure 23).
Figure 23 : Densités de population dans l'arrondissement de Valenciennes en 1999
Source : Frère et Richer (2005) d'après le RGP 1999
Les activités sont fortement concentrées à Valenciennes : on y dénombre environ la moitié des emplois de l'arrondissement. Valenciennes tient son rôle de centralité par les fonctions réunies sur son territoire : présence d'un pôle universitaire important, densité des équipements sanitaires et des équipements culturels. Le développement des activités de Saint-Amand, second pôle plus important de l'arrondissement, est plutôt orienté vers les loisirs (station thermale) et le tourisme. Saint-Amand, plus proche de Lille que Valenciennes, bénéficie de cette proximité, ce qui lui permet d'être relativement autonome par rapport à Valenciennes. La structure économique et sociale du Valenciennois, en mutation depuis la fin des années quatre-vingts, reste fortement empreinte par son passé industriel. À la fin des années soixantre-dix, la crise économique a touché de plein fouet l'arrondissement : entre 1975 et 1993, le quart des emplois sont perdus, laissant encore aujourd'hui des indicateurs tristement spécifiques au territoire : en 1993, le taux de chômage est de 20,4 %, en 2002, il est de 15%.
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Présentation et discussion des études de cas
Ce territoire est marqué par le leg d'un passé de crise, dont il reste les marques physiques avec les friches (10 % des friches recensées au niveau national, 39 % des friches du Nord Pas de Calais11) et la vétusté du parc de logements, mais aussi les stigmates humains et sociaux : sous-qualification de la main d'oeuvre, paupérisation, taux de chômage élevé. Toutefois, il serait erroné de voir dans le Valenciennois un territoire uniformément touché par la crise. Ce territoire a été l'enjeu de différentes politiques publiques. Depuis 1993, l'emploi industriel se développe avec l'affirmation d'un pôle transports, axé autour du matériel ferroviaire et de la construction automobile. Notons également qu'au-delà d'une « unité » de principe, sur ce territoire, les logiques partisanes pèsent encore très fortement. Cette question prend toute sa signification lorsqu'on examine la structuration intercommunale du Valenciennois. La construction et l'évolution de l'intercommunalité dans l'arrondissement se structurent en trois périodes, présentées ciaprès. 5.2. L'apprentissage de l'intercommunalité La première période (de 1965 à 1980), est marquée par un apprentissage de l'intercommunalité sous l'impulsion de la DDE. Dans ces années, les élus locaux sont restés en retrait des stratégies globales de développement local, qui sont, pour ainsi dire, aux mains des Houillères. Le pouvoir des grandes entreprises est une donnée consubstantielle de la réalité locale et on observe à cette époque une sorte de « troc féodal »12 car en échange de la sécurité de l'emploi, les élus et la population avaient renoncé à exercer la plus petite influence sur le devenir collectif de l'arrondissement. En 1967, est créé le syndicat intercommunal pour la promotion de l'enseignement supérieur de l'arrondissement de Valenciennes, dont le rôle était d'acquérir les terrains en vue de la future implantation d'une université. Parallèlement, la loi d'orientation foncière (LOF) confie aux services locaux de l'équipement l'élaboration de SDAU. À la même époque, les services du ministère de l'Équipement créent dans le département du Nord des équipes de chargés d'études, les Groupes d'Études et de Programmation (GEP). C'est dans ce cadre que l'équipe constituée autour d'André Talmant, ingénieur d'arrondissement, saura nouer avec les différents responsables locaux, en particulier avec les élus, des relations de collaboration13. Sa démarche est marquée par une éthique de l'action publique : dans sa conception, ceux qui doivent être au centre, ce sont les habitants, ce ne sont pas les entreprises et donc les partenaires principaux de l'État sont les représentants de la population, c'est-à-dire les élus locaux. Il met en application ces principes à l'occasion de l'élaboration du SDAU de l'arrondissement de Valenciennes, en faisant travailler les élus au sein de la CLAU14. Cette expérience particulièrement novatrice constitue, pour le Valenciennois, la première réflexion globale et le premier exemple d'intercommunalité. Après le départ de P.Calame et A.Talmant, qui lui a succédé, l'implication de la DDE décline. Parallèlement à cet apprentissage de l'intercommunalité qui, malgré les efforts de Talmant ne sera véritablement l'affaire que de quelques élus locaux - les formes de la coopération intercommunale dans l'arrondissement trahissent la modestie de l'ambition communautaire En effet, durant ces années, plusieurs SIVOM se sont mis en place suivant une logique strictement économique et utilitaire pour l'implantation d'équipements (figure 24).
Source Grand Projet de Ville du Valenciennois 2000/2006, convention GPV, 7 décembre 2001 P. Calame cité par P. Subra, in Le temps d'une reconversion, Le Valenciennois (1965-1995), Presses Universitaires de Vincennes, Saint-Denis, 1996., p. 117. 13 Subra P., 1996, ibid. 14 CLAU : Commission locale d'aménagement et d'urbanisme, en charge légalement de faire le SDAU.
12 11
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Figure 24 : Les SIVOM, premières structures intercommunales (1972-1992)
Source : Frère et Richer (2005)
5.3. Un schéma intercommunal morcelé suite à la loi ATR (1992) La deuxième période débute dans les années qutre-vingt dix, suite à la Loi d'administration territoriale de la République (ATR, dite loi Joxe). L'arrondissement se structure alors rapidement autour de 8 établissements intercommunaux à fiscalité propre (figure 25). Sept d'entre eux sont des communautés de communes. La plus importante d'entre elles, la communauté de communes de la Vallée de l'Escaut, rassemble 19 communes dont Valenciennes.
Figure 25 : L'intercommunalité dans le Valenciennois après la loi ATR (1992-1999)
Source : Frère et Richer, 2005
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Présentation et discussion des études de cas
Les regroupements se sont effectués largement en fonction des affinités partisanes et souvent sans continuité territoriale. En outre, le tracé prend en compte les ressources financières de l'arrondissement. Les quatre principales sources de taxe professionnelle de l'arrondissement se situent à Trith Saint-Léger (métallurgie et industrie automobile), à Hordain (industrie automobile), à Saint-Saulve (nombreuses PME), à Petite-Forêt (centre commercial). Trois des villes les plus riches de l'arrondissement jouxtent, en effet, la ville de Valenciennes (Trith Saint-Léger, Petite-Forêt, Saint Saulve). Parallèlement à cette organisation institutionnelle morcelée, se met en place une autre forme de partenariat à l'échelle de l'arrondissement, qui prend une forme moins intégrée, mais qui rassemble quand même l'ensemble des communes de l'arrondissement : l'Association pour le Développement du Valenciennois, créée en 1991. Son rôle consiste alors à assurer la représentation économique de l'arrondissement face aux partenaires institutionnels, dans l'optique du contrat de plan et des contrats d'agglomération. Néanmoins, les tentatives de transformation de l'association en SIVOM à la carte ou en syndicat mixte échouent. Deux raisons peuvent expliquer cet échec : d'une part, les élus de petites communes rurales étaient réticents à un renforcement du degré d'intégration de la coopération intercommunale ; d'autre part, Jean-Louis Borloo et Alain Bocquet craignaient de voir le rôle d'un élu socialiste ainsi renforcé. Ces diverses oppositions de principe ou sur le choix de la forme et des compétences d'une intercommunalité à l'échelle de l'arrondissement préfigurent les difficultés qui surgiront un peu plus tard, après le vote de la loi Chevènement. 5.4. L'impossible unification de l'arrondissement En dépit des différents discours en faveur de la constitution d'une communauté d'agglomération unique à l'échelle de l'arrondissement, le Valenciennois se scinde, suite au vote de la loi Chevènement, en deux communautés d'agglomération (figure 26).
Figure 26 : Les deux communautés d'agglomération du Valenciennois créées en 2001
Source : Frère et Richer (2005)
La communauté d'agglomération de « Valenciennes Métropole », qui regroupe 36 communes autour de Valenciennes, est présidée par Jean-Louis Borloo (PR), maire de Valenciennes et ministre de la Ville puis de l'Emploi et de la Cohésion sociale depuis 2002.
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La communauté d'agglomération de la « Porte du Hainaut » compte quant à elle 38 communes ; elle est présidée par Alain Bocquet, porte-parole du groupe communiste à l'Assemblée nationale et maire de Saint-Amand, centre principal de la structure communautaire. La communauté d'agglomération de la « Porte du Hainaut » compte quant à elle 38 communes ; elle est présidée par A.Bocquet, porte-parole du groupe communiste à l'Assemblée nationale et maire de Saint-Amand, centre principal de la structure communautaire. Cette configuration apparaît comme le produit d'un découpage politique, c'est-à-dire comme le résultat du clivage partisan gauche/droite et comme la constitution des fiefs de deux personnalités politiques d'envergure nationale (figure 27). En effet, l'activité politique d'Alain Bocquet et de Jean-Louis Borloo se combine entre le local et le national. Ce « double horizon 15 des pratiques » conduit ces élus à appréhender de façon particulière les enjeux de l'intercommunalité. La présidence d'une intercommunalité peut se concevoir comme un outil de consolidation du leadership local et comme une ressource supplémentaire pour peser sur la scène politique nationale. Le périmètre s'est finalement dessiné en fonction d'une répartition égale des ressources fiscales issues de la taxe professionnelle de part et d'autre.
Figure 27 : La couleur politique des communes du Valenciennois en 2001
Source : Frère et Richer, 2005
5.5. La dynamique des transports publics La question des déplacements s'est posée tardivement au sein du Valenciennois, notamment du fait que la main d'oeuvre ouvrière résidait, jusqu'à la crise des années soixante-dix, à proximité des mines et des usines. Puis, avec la crise, l'enjeu essentiel est le développement économique. Celui des transports s'est posé en termes de désenclavement de l'arrondissement, ainsi, le système de transports, déjà fortement structuré par le fonctionnement du système productif local, continue d'être développé en fonction des besoins des entreprises. Aujourd'hui, le contexte démographique et urbain demeure peu favorable à l'émergence d'enjeux forts en matière de développement des transports
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Cité par Dechy (2001), d'après une expression de J. Lagroye, De l'objet local à l'horizon local des pratiques, in A. Mabileau (dir.), A la recherche du local, Paris, L'Harmattan, 1993, pp. 166-182.
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collectifs. En outre, la faible densité, la forme du bâti très linéaire associés à un réseau routier suffisamment dimensionné ne posent pas de problème en termes de circulation automobile et ne favorisent pas le développement de nouvelles lignes de transport collectif. En 1973, le versement-transport est étendu aux agglomérations de province de plus de 300 000 habitants, puis de plus de 100 000 habitants en 1974. Le sénateur-maire de Valenciennes, Pierre Carous, prend l'initiative de réunir plusieurs maires de l'arrondissement, dont Jules Chevalier, maire d'Aulnoy lez Valenciennes, afin de constituer un syndicat intercommunal des transports. Le Syndicat Intercommunal des Transports Urbains de la Région de Valenciennes (SITURV) est alors créé en 1976 sur un périmètre relativement dense de 28 communes. Pierre Carous ayant refusé de présider le SITURV (soulignant la faible implication de la ville centre sur les questions de transports collectifs), c'est Georges Bustin, maire du Vieux Condé, qui assume cette tâche, largement assisté par le premier vice-président, Jules Chevalier. Très vite, Jules Chevalier s'intéresse à la création d'une société d'économie mixte qui serait chargée de l'exploitation du réseau de transports urbains. La SEMURVAL est créée en 1979, présidée par le maire d'Aulnoy. L'implication directe ou indirecte de ce dernier dans la présidence des deux structures marque le début d'une symbiose entre le SITURV et la SEMURVAL. L'extension du PTU s'opère ensuite par l'adhésion progressive des communes les moins peuplées : en 1989, il s'étend sur 65 communes et aujourd'hui sur 75 des 82 communes de l'arrondissement (figure 28).
Figure 28 : La croissance continue du Périmètre des Transports Urbains (1976-2001)
Source : Frère et Richer, 2005
En 2001, le SITURV se transforme en syndicat mixte. La compétence obligatoire « organisation des transports » des deux communautés d'agglomération a en effet remis en cause l'existence de l'autorité organisatrice sous sa forme antérieure. Pour permettre la continuité du service public de transport et en arguant de la nécessité d'assurer une gestion cohérente du réseau, les deux communautés d'agglomérations vont déléguer leurs compétences au SITURV. La même année, Francis Decourrière, conseiller municipal à Valenciennes, est élu président du syndicat mixte. Il représente le consensus entre les deux présidents des communautés d'agglomération. Ce changement de présidence marque la fin de la symbiose qui caractérisait les relations entre l'autorité organisatrice et l'exploitant.
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En outre, les évolutions à la baisse de la clientèle, les problèmes de temps de transport et les limites de capacité (versement-transport limité) ont précipité la recherche de solutions. Ainsi, dans les années quatre-vingt-dix, un projet d'organisation des transports publics « Transvilles » articulé autour d'un tramway associé à un redéploiement des lignes de bus dans l'agglomération (figure 29) est envisagé.
Figure 29 : Le projet « Transvilles »
Source : Frère et Richer, 2005
Ce projet a été beaucoup contesté. Les commerçants et riverains s'y sont opposés. En outre, le tramway porté techniquement par le SITURV et la SEMURVAL, a été perçu pendant longtemps comme un outil imposé par des élus politiquement opposés à la villecentre, ce qui a retardé sa mise en oeuvre. Puis, avec la volonté politique de redynamiser le centre-ville en perte de vitesse, les élus de Valenciennes ont perçu l'opportunité que constituait l'arrivée d'un tramway en tant qu'outil d'urbanisme. Il participe également au changement d'image de la ville souhaitée par Jean-Louis Borloo. Mais, les investissements liés au projet « Transvilles » posent aussi la question de l'équilibre entre les deux communautés d'agglomération : ces dernières participent de manière équivalente au financement du SITURV tandis que, dans une logique de centralité, les investissements se portent d'abord sur la ville centre. Le SITURV doit en permanence veiller à assurer un équilibre dans la qualité de service entre Valenciennes Métropole qui accueillera la phase 1 du TCSP sur son territoire et la Porte du Hainaut, qui doit bénéficier d'une compensation par une desserte adaptée, du type « transport à la demande ». Le SITURV doit ainsi composer en permanence avec les deux communautés d'agglomération ce qui a pour effet de complexifier et de ralentir son processus décisionnel. Éléments de conclusion La figure 30 résume la situation des transports publics dans les principales étapes de l'intercommunalité Valenciennoise. La première phase, des années soixante-dix jusqu'en 2001, est marquée par la sectorisation des compétences communautaires : l'intercommunalité transport fonctionne de manière autonome tandis que des structures plus intégrées n'arrivent pas à émerger.
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La deuxième période correspond à une phase de transition provoquée par la redéfinition du cadre législatif dû à la loi Chevènement sur la coopération intercommunale. Cette instabilité se caractérise par un PTU fragmenté en deux parties consécutivement à la création des deux communautés d'agglomérations. L'étape actuelle s'apparente à une « logique d'adaptation », c'est-à-dire à une volonté de sauvegarder le périmètre des transports qui semble correspondre à un territoire fonctionnel de gestion des transports. Un syndicat mixte gère désormais la compétence transport des communautés d'agglomérations, ce qui contribue à sectoriser de nouveau l'organisation des transports collectifs.
Figure 30 : De la sectorisation technique à l'instrumentalisation politique de la compétence transport
La configuration valenciennoise pose la question de la transversalité des actions et des politiques menées sur ce territoire. On assiste à Valenciennes à un cloisonnement encore important entre les structures et leurs acteurs. L'action publique est élaborée en « circuit fermé ». La deuxième question concerne la séparation de l'arrondissement en deux communautés d'agglomération : cela ne traduitil pas la meilleure forme de compromis entre un « espace de pouvoir » (échelle d'intervention politique) et un « territoire de projet » (échelle de planification et d'aménagement) ? Dans leur fonctionnement, les deux entités semblent se satisfaire de cette séparation et au fil du temps, s'autonomisent davantage. Les procédures de SCOT à venir paraissent confirmer cet effet de frontière.
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6. L'agglomération de Saint-Brieuc
Philippe Menerault L'agglomération de Saint-Brieuc se démarque des autres collectivités étudiées par sa taille. Si toutes les autres se situent dans des aires urbaines de plus de 300 000 habitants, celle-ci ne regroupe que 121.237 habitants. Il était cependant important d'introduire dans cette recherche un organisme urbain de dimension plus modeste, à la fois pour refléter la diversité de l'armature urbaine française et pour saisir s'il se comporte, dans les relations qui unissent le réseau au territoire, de manière identique aux autres collectivités ou, au contraire, si les processus, les phases et les mécanismes qui l'animent apparaissent singuliers. Quatre thèmes permettent de synthétiser les caractéristiques du rapport entre transports publics et intercommunalité dans le cas de Saint-Brieuc : d'abord, un cadrage sur l'organisation urbaine et ses correspondances avec la géographie de l'intercommunalité ; puis, sur le temps long, le rôle des transports publics dans les étapes qui ont marqué le développement de l'intercommunalité ; ensuite, toujours dans une approche diachronique, les éléments qui font des transports collectifs un puissant marqueur territorial pour la collectivité ; enfin, la dimension politique du territoire, à travers la question du leadership face à la dynamique intercommunale et aux enjeux du transport public. En conclusion, quelques questions vives sur la recomposition territoriale de l'agglomération briochine seront portées au débat. 6.1. Éléments de cadrage : organisation urbaine et extension intercommunale Il faut d'abord noter qu'au sein de son aire urbaine, Saint-Brieuc occupe une position dominante en termes démographique et économique. Elle regroupe ainsi 38% de la population et 53% des emplois de son aire urbaine. Par ailleurs, depuis 1975, l'agglomération se caractérise par sa croissance continue, mais avec un déclin démographique de la ville-centre sur la période 1975-1990 ; ce n'est qu'au dernier recensement qu'un redressement a été enregistré. Il profite aux quartiers centraux et péricentraux de la commune. Paradoxalement, malgré cette inversion de tendance, un sentiment de perte de vitalité du centre est ressenti par plusieurs de nos interlocuteurs ; à une autre échelle, les résultats électoraux de 2001 en constituent un indicateur. Deux autres traits généraux marquent l'agglomération : d'une part, le vieillissement de la population et d'autre part, un taux élevé de motorisation des ménages, seulement 18% d'entre eux ne disposant pas d'automobile. Le périmètre de l'aire urbaine de Saint-Brieuc (figure 31) rencontre à sa proximité immédiate deux autres aires urbaines : celle de Guingamp à l'ouest et celle de Lamballe à l'est ; cette dernière jouxtant même l'aire urbaine briochine.
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Figure 31 : Aire urbaine de Saint-Brieuc
Source : Menerault et Richer (2005)
Une telle situation a pour effet de créer une aura à la fois importante et discontinue de communes multipolarisées, au-delà de l'aire urbaine, mais elle tend aussi à réduire l'influence briochine directe et à contenir le périmètre de son aire urbaine. Ce contexte apparaît alors propice à un calage assez étroit des périmètres de l'intercommunalité et de l'aire urbaine (figure 32).
Figure 32 : Périmètres de l'aire urbaine et de la CA de Saint-Brieuc
Source : Menerault et Richer (2005)
Quatorze communes composent la Communauté d'agglomération de Saint-Brieuc (CABRI) qui compte 107 000 habitants (contre 121 000 dans l'aire urbaine, pour 23 communes). Le second élément à relier à cette configuration en aires urbaines multiples et voisines est qu'elle favorise l'émergence d'un complexe d'intercommunalités, sous la forme de nombreuses communautés de communes. La CABRI est la seule communauté d'agglomération à participer à ce dispositif qui s'est organisé, en 2003, dans le cadre d'un « Syndicat mixte de Pays » (figure 33).
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Figure 33 : Intercommunalités au sein du Pays de Saint-Brieuc (2003)
Source : Menerault et Richer (2005)
La dimension institutionnelle des pays revêt en Bretagne une signification particulière ; elle permet, en effet, une inscription au Plan Régional d'Aménagement du Territoire et ouvre la possibilité d'obtenir des subventions sur projet, issues du conseil régional. 6.2. Aspects diachroniques du rôle des transports publics dans la dynamique spatiale de l'intercommunalité Dans l'histoire de l'intercommunalité briochine, deux compétences se sont épaulées pour modeler la géographie et le contenu de l'organisme d'agglomération : l'économie (considérée au sens large, de la gestion de zones d'activités à la réflexion et à l'intervention sur le développement) et les transports collectifs. Longtemps abordés dans le cadre de dispositifs séparés, peu contraignants pour les communes (SIVU et charte), à la construction décalée dans le temps, ces compétences ont représenté le socle du district à fiscalité propre créé en 1991 (figure 34). Dans la mise en place de l'intercommunalité briochine, il faut remarquer le hiatus important des années soixante-dix. Il est consécutif à l'échec d'une tentative de création d'un « Grand Saint-Brieuc » par fusion de communes, dans la ligne de la Loi Marcellin (1971). Cet essai a cependant laissé des stigmates et longtemps nourri la méfiance des élus des collectivités périphériques pour toute coopération intercommunale, en dehors de celle réalisée sur la gestion de biens indivis ou sur des objets perçus comme strictement techniques, comme les transports. Le district de 1991 est d'ailleurs, pour partie, bâti sur une crainte, une anticipation par rapport à la loi Joxe (ATR, 1992), afin qu'une une forme plus contraignante d'intercommunalité ne soit pas imposée localement par l'État. Si, à cette époque, la géographie du district (10 communes) épouse approximativement le périmètre de la Charte intercommunale de développement (12 communes) et dépasse largement celui des transports urbains, l'adhésion ultérieure de la commune de Plérin, collectivité stratégique par sa population, ses activités, sa proximité de Saint-Brieuc et son ouverture littorale, doit beaucoup au rôle du transport public comme élément physique de liaison et de cohésion territoriale. En effet, la desserte de la commune de Pordic par les transports collectifs se faisait par un passage sans arrêt dans celle de Plérin, ce qui a suscité des interrogations de la population et opéré une pression en direction des élus pour un rattachement au district, qui survient en 1996 avec celui de trois autres collectivités.
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À partir de cette date, l'organisme intercommunal acquiert progressivement et régulièrement de nouvelles compétences et, en 1999, après la loi Chevènement, le district est sans rupture majeure transformé en Communauté d'agglomération. Si des moyens financiers supplémentaires sont octroyés, le périmètre de l'intercommunalité retenu demeure constant. 6.3. Le réseau de transports publics urbains : puissant outil de marquage territorial La question de la signification du réseau de transports publics pour la construction du territoire intercommunal, abordée sur le temps long, est essentielle pour comprendre combien cette compétence joue un rôle particulier dans la dynamique de coopération locale. Quatre éléments nous ont paru particulièrement évocateurs de cet aspect dans le contexte de Saint-Brieuc ; ils touchent à des dimensions organisationnelles, physiques, mais aussi symboliques du transport. Le premier élément tient au rôle de la planification des déplacements dans la relance de l'intercommunalité et concerne une dimension organisationnelle du territoire. Après la rupture dans le dialogue intercommunal qui a suivi la tentative avortée de fusion de communes, la procédure de Plan de Déplacements Urbains, dans sa première mouture, issue de la loi d'Orientation des transports intérieurs (1982), a constitué un objet permettant localement de promouvoir l'idée d'une logique de coopération plus large. L'articulation transport/urbanisme, la dimension déplacements et non plus seulement transport, sur le versant intensif ; l'extension du périmètre de l'autorité organisatrice des transports, sur le versant extensif, ont été au coeur de la démarche de PDU conduite à l'échelle de 6 communes dans le cadre d'un syndicat d'études. Si l'approche transversale est restée modeste dans ses applications, le PDU a toutefois bien contribué à l'extension du Syndicat des transports urbains briochins.
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Figure 34 : Les étapes de la dynamique spatiale de l'intercommunalité briochine
Source : Menerault (2005)
La séparation des réseaux urbains et interurbains est le deuxième élément fort qui marque le rôle du transport public dans la construction territoriale et concerne tant une dimension organisationnelle que physique du territoire. Si cette tendance n'est pas propre à l'agglomération briochine, il faut constater ici que la collectivité a plusieurs fois interpellé l'exploitant du réseau pour qu'il transforme son mode de production du service et qu'elle a été jusqu'à en changer, ce qui est relativement peu courant dans le contexte français, hormis les phénomènes de concentration du secteur. En effet, la Compagnie Française de Transport a cédé son réseau à la Compagnie Armoricaine de Transport du groupe Verney à
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la fin des années soix ante pour des raisons de rentabilité. Or, Verney est le principal exploitant du réseau départemental et, dans un premier temps, la différenciation est faible entre l'offre urbaine et interurbaine. L'implication financière croissante de Saint-Brieuc dans un contrat qui n'a plus de « Risques et périls » que le nom, incite la collectivité à revendiquer l'individualisation nette de la desserte urbaine dans le milieu des années quatre-vingts,, d'autant que se constitue une autorité organisatrice intercommunale (SIVU) en quête d'identité. Cette demande conduit l'opérateur à créer la Société des Transports de l'Agglomération Briochine (SETAB), filiale urbaine distincte de l'interurbain. Pourtant, la séparation réalisée qui touche autant la gestion que la nature de l'offre et l'image du réseau, ne satisfait pas entièrement la collectivité qui change d'exploitant, en 1991, en recourant aux services du groupe Transexel (futur Kéolis) pour développer un réseau aux caractéristiques plus urbaines, dans cette période où s'affirme le concept de « génie urbain ». Le troisième élément qui fait du réseau de transport un marqueur territorial est cette fois plus spécifique à Saint-Brieuc - même s'il a été diffusé ultérieurement dans d'autres collectivités françaises - et touche à la fois à des dimensions organisationnelle, physique et symbolique. Il s'agit d'une innovation introduite en 1990 sous la dénomination de « Taxitub ». Elle consiste à desservir, à la demande, les secteurs peu denses de l'agglomération par des liaisons à la fois souple, adaptée à des extensions de périmètre et recourant à l'utilisation des taxis. Le système directement géré par la collectivité, fonctionne à partir d'une réservation opérée sans intervention humaine, par un dispositif informatisé. Il est initialement fondé sur la définition de « lignes virtuelles » (figure 35) parcourues par des taxis qui possèdent toutes les caractéristiques des lignes régulières : trajets fixes, arrêts matérialisés, horaires déterminés permettant de rejoindre un point de correspondance avec le réseau régulier ou de gagner directement le centre-ville de Saint-Brieuc. En ce sens, il matérialise une emprise étendue du réseau sur le territoire et tout particulièrement dans ses périphéries.
Figure 35 : Les lignes virtuelles de Taxitub
Ce système a été développé à Saint-Brieuc parallèlement à l'adhésion de nouvelles communes à l'autorité organisatrice des transports, pour lesquelles il a constitué une motivation forte au processus d'intégration intercommunale. De 16 lignes en 1990, on en compte 30 en 1995 irriguant les 10 communes du district, et 55 en 2004 qui parcourent les 14 collectivités de la communauté d'agglomération. Le cas de Saint-Brieuc apparaît alors tout à fait singulier dans le paysage français et d'une certaine manière, le fort capital symbolique qui s'attache aux « Taxitub » semble avoir permis au réseau de se doter d'une identité à partir de la desserte de ses territoires périphériques.
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Enfin, la dénomination du réseau et du territoire contribuent à témoigner de la dimension symbolique du transport public dans l'émergence d'une identité d'agglomération. En 1991, lorsque Transexel devient l'opérateur du réseau, le groupe créé une filiale d'exploitation appelée Compagnie des Autobus Briochins - désignée par le sigle de CABRI ; en 1999, lorsque la Communauté d'Agglomération est fondée, elle reprend les mêmes initiales, qui signifient alors simultanément Communauté d'Agglomération Briochine. Par ce choix, la collectivité tend donc à indiquer l'unité qui existe entre le réseau et le territoire qu'il dessert et dont il solidarise les lieux matériellement, mais aussi symboliquement. 6.4. Leadership d'agglomération « contrarié » et enjeux des transports publics urbains Si l'on aborde maintenant le rapport entre les transports publics et l'intercommunalité en partant, non plus du réseau, mais de l'organisation politique du territoire, le fait marquant qui caractérise la situation briochine est l'échec inattendu, aux élections municipales de 2001, de la liste sur laquelle se présentait le sénateur-maire sortant (Cl.Saunier) et l'élection du candidat UDF (B.Joncour), dans ce fief socialiste qui fut la patrie de l'écrivain Louis Guilloux. Sur le plan de la dynamique intercommunale, ce ne sont donc pas, dans ce cas, les répercussions de la loi Chevènement qui constituent le véritable élément de rupture. Elle offre simplement l'opportunité d'accompagner et d'amplifier un mouvement enclenché au début des années quatre-vingt-dix. La véritable coupure dans l'organisation territoriale provient des suites de la dernière élection municipale et de ses effets sur la construction intercommunale qui peuvent être exprimés par cinq registres différents. D'abord, la logique locale d'appropriation des fonctions intercommunales par un « grand élu » est mise à mal par les résultats électoraux. Si Cl.Saunier ne visait pas un fauteuil de maire, il briguait en revanche un mandat à la tête d'une intercommunalité dont il a été l'un des principaux artisans et porteurs, et cela dès l'origine. La nouvelle donne intercommunale, alors que la présidence de la communauté d'agglomération est confiée à un élu d'une petite commune périphérique est à mettre en regard de l'opinion exprimée par le politiste G.Marcou (2000) pour lequel « les communautés d'agglomérations qui vont négocier directement avec l'État, la région ou le département devront être présidées par des élus spécialistes de l'action publique ». Si cette spécialisation du personnel politique peut être discutée, l'évolution briochine illustre cependant l'existence de deux orientations divergentes dans la conduite du développement d'un pouvoir d'agglomération. Le contexte de renouvellement des élus de la ville-centre et de changement partisan de majorité conduit aussi à porter une attention particulière aux projets municipaux et éventuellement à les disjoindre d'opérations d'ordre intercommunal, pour affirmer l'action municipale et son marquage territorial. C'est le cas avec le projet urbain du « Champs de Mars » au coeur de Saint-Brieuc dont le traitement, repoussé par l'équipe politique précédente, est engagé actuellement, mais indépendamment des restructurations de la gare urbaine et du réseau de transport public qui bordent l'espace du projet. Du point de vue de l'urbanisme, il y a là une inversion des temporalités par rapport à une tendance dominante dans de nombreuses agglomérations où ce sont les interventions sur les réseaux de transport qui concourent à associer des opérations urbaines, dans le cadre d'aménagement de ZAC. La crise des services communautaires constitue un troisième aspect de la dynamique intercommunale briochine. Elle est conjoncturelle et se matérialise par le départ du directeur général et de trois des cinq directeurs de services de la communauté d'agglomération (figure 36). Le renouvellement politique, facteur d'incertitude, s'ajoute alors à un contexte d'offre d'emplois ouvert et de possibilités de promotions dans des organismes intercommunaux voisins. Ce n'est donc pas uniquement le personnel politique qui change après les élections de 2001, c'est aussi la majorité des responsables technico-administratifs de la structure d'agglomération.
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Figure 36 : Évolution des services techniques de la CABRI en 2003
Source : Menerault (2005)
Le changement politique constitue aussi une occasion de faire ressurgir des projets laissés en jachère par l'équipe précédente. C'est, dans le domaine des transports publics, le cas d'un projet de site propre qui bénéficie d'un substrat d'études abondant réalisé au cours de la période 1994-1997. Les réflexions sur la réorganisation du réseau de transports publics, appuyé sur un dispositif de site propre, ont été réactivées en 2002 et des études complémentaires effectuées à la demande de l'organisme intercommunal. Le Plan de Déplacements Urbains, réalisé en 2004, a été l'occasion de remettre en scène l'idée du site propre, mais son horizon temporel de réalisation, repoussé à 2013, tend à indiquer au-delà des difficultés techniques, que les tensions entre communes, par rapport à sa mise en oeuvre, sont encore à lever. Enfin, la nouvelle donne politique conduit à chercher des espaces de reconquête à un niveau intercommunal. Dans ce cadre, le « Syndicat mixte de Pays » et sa (sur)valorisation peut apparaître comme un lieu alternatif possible de contrôle du territoire local. Cet espace de projet, présidé par le maire socialiste de Lamballe, affirme progressivement son identité par un projet transversal de « Pays du vivant ». Il se trouve en charge de la planification stratégique au niveau de la réalisation du Schéma de cohérence territoriale, de l'élaboration du « Pays touristique », du SAGE et, dans le champ des transports, envisage même de promouvoir un « Plan de Déplacements de Pays ». Éléments de conclusion Pour conclure, nous soulèverons quelques interrogations sur l'interface entre intercommunalité et transports publics à propos de l'exemple de Saint-Brieuc, mais ces questionnements peuvent trouver une résonance dans un contexte plus large. La première interrogation concerne la Communauté d'agglomération, qui assume la compétence transports publics. Ne se trouve-t-elle pas aujourd'hui finalement prise en tenaille entre, d'une part, l'échelon communal, espace de légitimité et de représentation politique et, d'autre part, le Pays, espace du projet territorial. Dans ce cadre, le rôle de la communauté d'agglomération n'apparaît-il pas alors réduit à un espace de gestion sectorielle des compétences ? Une deuxième série de questions porte sur le rôle des autres partenaires institutionnels intervenant dans le champ des déplacements, dans le nouveau complexe local de pouvoirs : Quels leviers, quel pouvoir reste-t-il au niveau des services de l'État ?
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Comment le Plan Régional d'Aménagement du Territoire de Bretagne peut-il contribuer à modeler l'intercommunalité ? Comment se positionne le conseil général qui participe au syndicat mixte de Pays ? La communauté de communes de Lamballe qui a instauré le versement-transport sur son territoire et dispose d'un service de transports publics à la demande envisage-t-elle des synergies avec la CABRI pour le développement des transports collectifs ? Le syndicat mixte peut-il alors être un cadre de réflexion, puis un cadre d'action, adapté ? Enfin, un dernier point porte sur le succès du Taxitub en tant qu'attracteur intercommunal pour des collectivités périphériques et outil de desserte souple. Un tel succès ne contribue-il pas à occulter la question de la maîtrise de l'urbanisation au profit d'un accompagnement de la périurbanisation ?
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7. Discussions et débats autour des études de cas
Michel Rousselot (Président du GO11 Politique des transports du Prédit) Nous allons maintenant aborder les discussions sur les études de cas qui ont été présentées. Je donne la parole à Monsieur Noël Philippe, directeur général adjoint des services techniques de la communauté d'agglomération de Rennes Métropole. Noël Philippe (Directeur général adjoint des services techniques de Rennes Métropole) Quelles sont les caractéristiques principales du cas rennais ? Tout d'abord, la grande stabilité du district de Rennes à la fois au niveau politique et au niveau technique. Il y a eu, dans la structuration intercommunale, deux voies parallèles suivies d'un côté par le district, qui s'occupait principalement d'aménagement de l'espace et, de manière moindre, de développement économique ; et de l'autre par le syndicat intercommunal des transports en commun de l'agglomération rennaise (SITCAR), qui s'occupait de l'organisation des transports collectifs. Le district de Rennes a été la première intercommunalité de France à adopter le régime de la taxe professionnelle unique. Par ailleurs il est vrai de souligner, comme cela a été dit ce matin, que le débat sur le Plan de déplacements urbains (PDU) a été en partie occulté par celui du métro. Il y a quelque chose qui n'a pas été évoqué, qui concerne le fait que le périmètre des transports urbains (PTU) est très étendu, du fait notamment de la grande taille de la villecentre : le PTU de Rennes est à peu près équivalent à celui de Lille ou même de Lyon. Le territoire intercommunal est donc très marqué par la ville-centre, et par sa forte densité - qui justifie d'ailleurs la construction du VAL. On peut dire que le territoire de Rennes métropole se compose de Rennes et de 36 communes périphériques. On doit également rappeler que la ville-centre est entourée d'une rocade à 2 fois 2 voies et de 19 voies autoroutières, ce qui laisse entrevoir la nature des enjeux de déplacements locaux. Qu'en est-il de l'intercommunalité aujourd'hui dans l'agglomération rennaise ? Le PDU est en révision. Par ailleurs, il y a un Programme local de l'Habitat (PLH) très ambitieux, en cours d'élaboration sur le territoire de Rennes Métropole. Il y a en effet un gros problème de logement, dû à une crise de l'immobilier, marquée par une hausse importante des prix. La réponse qu'apporte le PLH est basée sur un développement des communes périurbaines et un développement plus modéré de la ville-centre. La deuxième étape pour les transports collectifs est d'ailleurs liée à ce développement de la périphérie. C'est la clé de la réussite du PLH, il y a un lien effectif entre les transports et le logement dans le plan. Quant aux relations avec le département et la région, elles s'améliorent. C'est devenu plus facile depuis mars 2004, avec le développement d'un projet de billettique très ambitieux à l'échelle régionale, dont l'étude a été cofinancée par la région, le département et Rennes métropole et qui est inscrit dans le contrat d'agglomération. La mise en oeuvre de ce projet pourrait déboucher sur la création d'un syndicat mixte de transport SRU. Michel Rousselot (Président du GO11 Politique des transports du Prédit) Rennes est un cas particulièrement intéressant vis-à-vis des relations entre les politiques de transport et les politiques d'aménagement. Le projet de VAL apparaît comme un élément d'exacerbation du risque d'incohérence entre les deux champs. Le VAL soulève une controverse parce qu'il y existe une contradiction entre le projet de développement des transports collectifs et l'urbanisation polycentrique en périphérie inscrite au schéma directeur. Cette contradiction apparente n'est-elle pas relayée par les à-coups de la structuration intercommunale, et ne se traduit-elle pas encore aujourd'hui une séparation des deux champs techniques ?
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Michel Phlipponneau (Géographe, ancien président du district de Rennes) Je relève une contradiction entre la volonté de développer l'habitat à la périphérie de Rennes et le projet de développement d'une deuxième ligne de métro. Étant donné le coût et les conséquences financières, on a de quoi se poser des questions sur la pertinence de ce développement ! Noël Philippe (Directeur général adjoint des services techniques de Rennes Métropole) Le débat sur le métro a été une question éminemment politique, qui continue à susciter des polémiques. Il n'y a pas de tant de contradiction entre l'aménagement urbain et le VAL : le schéma des villettes est certes particulier, il garde son importance dans la structuration de l'urbanisation périphérique, mais la densité de la ville de Rennes justifiait la construction d'un métro. Dans l'ensemble des documents d'urbanisme, la question des déplacements est présente. Le VAL est une réussite. Sa mise en circulation a entraîné une restructuration totale du réseau urbain et suburbain qui garantit un fonctionnement très satisfaisant. Michel Phlipponneau évoquait le PLH et la deuxième ligne de VAL. On va certes moins construire sur la ville, mais on va continuer d'assurer le renouvellement urbain. Christophe Guerrinha (CRETEIL-Institut d'Urbanisme de Paris) Que pouvez-vous nous dire du SCOT qui est en cours d'élaboration ? Noël Philippe (Directeur général adjoint des services techniques de Rennes Métropole) Pour le SCOT rennais, nous sommes dans une phase de négociation avec le département et la région, étant donné que les enjeux de déplacements dépassent le périmètre de l'intercommunalité. L'un des chantiers prioritaires est la mise en place de la billettique et d'une tarification intégrée. L'ensemble de l'aire urbaine représente 140 communes, soit presque l'équivalent du département. Nous avons mis en place un GIP. Il y aura un schéma de secteur sur Rennes Métropole. Pour l'instant, je ne peux pas vous en dire beaucoup plus, ne travaillant pas directement sur cette démarche. Jean-Marie Grellier (Syndicat mixte de transport de Charentes Maritimes) Quelles sont vos relations avec le Département et les autres AOT, notamment quelles sont les coopérations en matière d'offre et de tarification ? Noël Philippe (Directeur général adjoint des services techniques de Rennes Métropole) Concernant la tarification, nous avons créé le titre intermodal Unipass. Nous sommes toujours dans une phase d'expérimentation, mais elle devrait déboucher sur une politique plus globale. En ce qui concerne l'offre de transport, il n'existe pas vraiment de coordination. La coordination de l'offre constituera une deuxième étape, nous avons commencé par coordonner les tarifs. La création d'un syndicat mixte de transport sera alors peut-être nécessaire. Michel Rousselot (Président du GO11 Politique des transports du Prédit) Je donne maintenant la parole à Monsieur Ludovic Meyer, à propos du cas stéphanois. Ludovic Meyer (Chargé de mission PDU à Saint-Étienne Métropole) Je commencerai tout d'abord deux points importants, qui n'ont pas été rappelés ce matin. Le premier concerne la tradition stéphanoise en matière de transports publics : la première ligne de chemin de fer française (Andrézieux-Saint-Étienne) a été construite en région stéphanoise ; par ailleurs, c'est l'une des rares villes à avoir maintenu une ligne de tramway au moment où toutes les villes françaises démantelaient leurs réseaux. Un deuxième élément porte sur l'histoire récente du versement-transport. Au moment de l'élargissement du périmètre de Saint-Étienne Métropole, certaines entreprises de la vallée du Gier ont refusé de payer le VT. Elles ont déposé un recours judiciaire et l'ont emporté. Le
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sénateur-maire de Saint-Étienne, Michel Thiollière, a alors déposé un amendement permettant de moduler (dans l'espace et dans le temps) l'ajustement des taux de VT à l'intérieur d'un même PTU. Il y a donc aujourd'hui trois taux de perception du VT au sein du périmètre de la communauté d'agglomération. Il n'était pas certain que l'amendement puisse passer, la crainte étant que le cas stéphanois ne fasse jurisprudence. Le résultat est que cet amendement permet à la fois de « faire passer » la structuration intercommunale, mais aussi de conforter le pouvoir du président de la communauté d'agglomération. Pourtant, il me semble que toutes les questions ne sont pas réglées à propos de cet impôt. La logique de remise en cause du VT est en fait liée à l'inadéquation entre l'offre que l'on peut développer, et la taxe qui est prélevée. Ce qui soulève un réel problème de territorialisation : on ne peut pas desservir une commune rurale de la même manière que la zone dense, même si elle se trouve à l'intérieur du périmètre de l'agglomération. Par ailleurs, il y a un point sur lequel je ne suis pas d'accord avec vous, sur lequel je n'ai pas la même lecture. Je ne pense pas que Saint-Étienne Métropole soit responsable de l'échec de la création d'un syndicat mixte avec la Plaine du Forez. Il y a eu une incompréhension sur le premier PDU lié en partie au fait que le scénario C n'a pas été retenu. Cependant au moment de la révision du PDU, la communauté d'agglomération de Saint-Étienne Métropole a demandé aux collectivités de la Plaine l'autorisation d'inscrire un certain nombre d'actions sur leur territoire. Cela dit, le PTU est limité à 43 communes et hors de ce PTU, la communauté d'agglomération n'est pas compétente, c'est donc sur ce territoire que SaintÉtienne Métropole, légalement, peut programmer des actions. Les collectivités de la Plaine se sont récemment transformées. L'une d'elles (Forez Sud) est devenue une communauté d'agglomération et regroupe aujourd'hui 50 communes pour 80 000 habitants, sur un tissu qui est donc très rural. Il y a une vision très « départementalisée » des choses, notamment vis-à-vis des projets routiers. La compétence transports publics a d'ailleurs été déléguée au Département. Ce périmètre correspond également à une circonscription législative. Aujourd'hui cette collectivité cherche à attirer de nouvelles entreprises en s'appuyant sur le fait que leur taux de versement-transport est moins élevé qu'à Saint-Étienne Métropole... Concernant le syndicat mixte, les élus de Saint-Étienne Métropole ont une vision assez prudente. La communauté d'agglomération compte déjà 43 communes, ce qui est déjà ambitieux, même si le PDU et le SCOT concernent un périmètre beaucoup plus vaste. Il faut d'abord apprendre travailler ensemble. Aujourd'hui, c'est vrai que les élus se concentrent sur l'agglomération, même s'ils sont conscients que ce n'est pas le périmètre le plus pertinent. Le SCOT est en train de se faire avec la plaine du Forez, mais les transports n'en constituent pas vraiment un enjeu principal. Le PDU a déjà brossé à peu près tout ce qui pouvait être fait. L'enjeu serait plutôt de réfléchir au type de développement urbain. En revanche, il existe un réel besoin de développer une réflexion à l'échelle de la Région Urbaine de Lyon (RUL). C'est à cette échelle, qui compte 11 Autorités organisatrices de transports, que se situent les véritables enjeux de déplacements aujourd'hui. Pour ce qui concerne l'intermodalité, à Saint-Étienne nous n'en sommes pas encore à réfléchir à des titres uniques. S'il faut pour cela faire un syndicat mixte avec la Plaine du Forez, nous le ferons. Mais surtout, il ne faut pas manquer l'aire métropolitaine Lyon-Saint-Étienne, c'est à cette échelle, qui est celle de la vie quotidienne des stéphanois, qu'il faut mettre en oeuvre une véritable politique de transports. Même si nous avons la première ligne de TER en termes de fréquentation, la Région n'est pas la plus en pointe pour le TER. Il y a beaucoup d'affichage, et c'est surtout Saint-Étienne Métropole qui fait avancer la réflexion. Ce qui n'a pas été forcément beaucoup discuté, c'est du rôle très important (parfois trop important) des exploitants. Notamment celui de la SNCF vis-à-vis de la Région. Il est urgent que le pouvoir politique reprenne le pouvoir à cette échelle-là. Et la question des coûts est souvent un faux débat : les élus continuent bien de
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promouvoir les systèmes autoroutiers, alors que les collectivités n'en n'ont pas forcément les moyens. Chantal Duchène (Directrice générale du GART) J'aimerais revenir sur la question du versement-transport, et insister sur le fait que le VT n'est pas une taxe, c'est un impôt ! Cette distinction est importante, puisqu'en tant qu'impôt, le VT n'a pas de rapport avec le service rendu : les entreprises situées à l'intérieur du PTU doivent donc payer le VT même si elles ne sont pas desservies. C'est le lien entre les transports publics et le fonctionnement économique de l'agglomération que l'on remet en question lorsqu'on prétend relier le paiement du VT à l'existence d'une desserte. Le risque est donc de changer complètement la nature du versement-transport. Caroline Gallez (INRETS-LVMT) Pour répondre brièvement à Ludovic Meyer, je n'ai pas le sentiment que l'absence de création d'un syndicat mixte de transport soit un échec imputable à Saint-Étienne Métropole, ni même que cela soit un échec tout court, mais que cela relève au contraire d'un choix de la part communauté d'agglomération. Il m'a semblé que Saint-Étienne Métropole était réservée par rapport à la question du syndicat mixte parce qu'elle était dubitative à l'égard de l'implication effective des communautés de communes périphériques et du département en matière de transports publics. La crainte étant que la création d'un syndicat mixte ne conforte une position trop attentiste de leur part, la communauté d'agglomération souhaite qu'elles assument d'abord elles-mêmes la compétence transport ou qu'elles fassent preuve d'un engagement plus clair en matière de transports collectifs. C'est un choix politique qui a, me semble-t-il une certaine cohérence, et qui est de plus pertinent au regard des enjeux de renouvellement urbain qui sont aujourd'hui la priorité affichée par Saint-Étienne Métropole. Michel Rousselot (Président du GO11 Politique des transports du Prédit) Monsieur Guy Deléon, directeur général des services techniques de la communauté de communes de Lamballe, va maintenant réagir sur le cas de Saint-Brieuc. Guy Deléon (Directeur général des services techniques de la CC de Lamballe) J'ai quitté St Brieuc il y a trois ans, où j'occupais le poste de directeur du développement économique à la CABRI. Je souhaiterais tout d'abord faire plusieurs remarques à propos de la structuration du pouvoir d'agglomération. Je crois que l'affirmation du pouvoir d'agglomération, à Saint-Brieuc comme ailleurs, est incontestable et incontestée. C'est un fait positif, qui, malgré les difficultés évoquées, n'a pas amené que des problèmes. Et ce n'est pas non plus tout à fait ce que les services de l'État attendaient. L'essai de recomposition intercommunale par le haut n'a pas fonctionné en France, au contraire du mouvement de coopération volontaire des communes, qui a entraîné des réussites incontestables. La structuration intercommunale à Saint-Brieuc s'est effectivement développée autour de deux moteurs : d'une part autour de la compétence « développement économique » qui est de fait une notion floue, du moins en termes de contenu politique ; et d'autre part les transports publics, qui constituent un thème plus technique. La difficulté d'appréhender le développement économique est contre-balancée par l'exercice de la compétence transports, plus technique et surtout plus visible par la population. Il semble que cette structuration intercommunale sur l'agglomération de Saint-Brieuc soit assez cohérente avec la réalité de vie des briochins, en termes de déplacements, d'économie et d'urbanisme. Les transports publics illustrent la nécessité de la coopération intercommunale : ils aident le territoire à se structurer alors même que le fait intercommunal, encore aujourd'hui, reste quelque chose de difficile à appréhender et de controversé. Cependant après la structuration
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de l'agglomération, l'exercice de la compétence transport a eu du mal à dépasser le domaine technique pour aboutir à quelque chose de plus stratégique. Un autre point concerne les liens entre la ville-centre et les autres communes de l'agglomération. Il me semble que la ville-centre n'a pas su trouver complètement sa place. Elle est à la fois trop petite (elle représente moins de 50% de la population de la communauté d'agglomération) et se différencie en cela de Rennes. Et elle est aussi trop grande, parce que c'est la plus grande des communes, et que cela suscite une appréhension des petites communes face à l'intercommunalité. Or, les communes périphériques oublient ce qu'elle doivent à la ville-centre. En particulier, les principaux équipements communautaires se sont créés à la périphérie, en dehors du territoire de la ville-centre. Il est donc compliqué pour la ville-centre d'exister au sein de cette communauté d'agglomération, et les relations avec la périphérie restent difficiles. Cela se vérifie d'ailleurs au niveau des relations entre les services de la ville-centre et les services communautaire : il n'y a pas vraiment de passerelle entre les deux institutions, le dialogue se fait mal. Un troisième point porte sur les relations entre la CABRI et ses voisins au sein du Pays. Le syndicat mixte du Pays de Saint-Brieuc regroupe six communautés de communes et une communauté d'agglomération. Il ne faut pas se méprendre sur le rôle du Pays : il a un rôle de coordination, pas un rôle de décision. Le pays n'est que l'intégrateur des projets politiques qui sont élaborés par les différentes collectivités qu'il rassemble. Ceci pour nuancer l'interprétation, évoquée dans la monographie, selon laquelle l'agglomération serait prise « en tenailles » entre la ville-centre et le Pays. Il est vrai que la CABRI n'est pas très à l'aise au sein du Pays, en raison de rivalités politiques, ni au sein de l'Agence pour le développement économique (ADE), qui a le mérite de rapprocher les décideurs politiques et les représentants du monde économique. Le syndicat mixte de Saint-Brieuc est engagé dans le SCOT décliné, à l'échelle de la CABRI, sous forme d'un schéma de secteur. Il y a une perspective de Plan de déplacements de Pays qui reste à concrétiser. Par ailleurs, entre la CABRI et la communauté de communes de Lamballe, nous envisageons des relations autour d'un projet de transport à la demande qui serait mis en oeuvre sur le territoire de la communauté de communes. Un point concernant les positions du département et de la région. En matière de transports publics, il y a peu de choses à dire. Les choses pourraient peut-être prochainement évoluer, au moins pour ce qui concerne l'implication régionale, dans le cadre de la contractualisation région-Pays. La région Bretagne envisage de territorialiser toutes ses politiques, peut-être cela pourrait-il changer les perspectives en matière de transports publics ? Enfin une dernière remarque, ou plutôt une interrogation à propos de la réflexion de G.Marcou citée par Ph.Menerault. Je n'ai pas vraiment compris ce que cela voulait dire. Qu'est-ce que cela veut dire : « Il faut des élus spécialistes de l'action publique pour négocier avec l'État ? » Est-ce une question de taille, y a-t-il une hiérarchie entre les élus ? J'avoue que je suis dubitatif. Michel Phlipponneau (Géographe, ancien président du district de Rennes) Pourquoi la communauté de communes de Lamballe ne fait-elle pas partie de la CABRI ? Au niveau de la dotation globale de financement, il y a un vrai problème d'aménagement du territoire : on avantage les grandes villes ! Les communautés d'agglomération ont en effet davantage de DGF que les communautés de communes, qui, du coup, ne peuvent pas développer de réseau de transports collectifs.
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Philippe Menerault (INRETS-LVMT) Par rapport à votre remarque sur la professionnalisation des élus, il y a à chaque fois des modalités différentes au niveau du leadership. Il y a un vrai problème au niveau de la durée. Guy Deléon (Directeur général des services techniques de la CC de Lamballe) Pourquoi la communauté de communes de Lamballe n'est-elle pas dans la CABRI ? Eh bien, parce qu'elle l'a choisi. La coopération intercommunale est toujours perçue aujourd'hui pour de nombreux élus comme un mal nécessaire. C'est une avancée, car on sait désormais que l'intercommunalité est nécessaire. Le Pays est quelque part une autre réponse. Michel Phlipponneau (Géographe, ancien président du District de Rennes) Oui, mais il y a un vrai problème par rapport à la participation de l'État. L'aide varie de 1 à 4 entre les communautés de communes et les communautés d'agglomération ! Noël Philippe (Directeur général adjoint des services techniques de Rennes Métropole) Oui d'accord, mais malgré cela la communauté d'agglomération de Vitré n'a pas développé de transports ! Michel Rousselot (Président du GO11 Politique des transports du Predit) Pour conclure très brièvement ces débats autour des motivations et des conditions de la structuration intercommunale, je vous propose d'avancer une hypothèse, qui est celle de l'échelle de Perroquet. Il me semble, au vu des trajectoires historiques qui ont été reconstituées, qu'on peut identifier une période où l'intercommunalité a progressé à travers les politiques de transports publics, suivie d'une autre où c'est le développement économique qui prédomine, puis d'une autre où ce sont à nouveau les transports qui font évoluer la coopération intercommunale. D'où l'hypothèse d'une progression qui se ferait selon des logiques successivement extensives puis intensives, et qui permettrait d'aller vers des échelles de décision de plus en plus efficaces.
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Recomposition intercommunale et enjeux des transports publics en milieu urbain Séminaire d'échanges entre chercheurs et acteurs ENPC-Paris 24 mai 2005
Troisième partie Synthèse, conclusions et débats
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Synthèse, conclusions et débats
8. Les transports urbains face à la structuration d'un pouvoir d'agglomération
Caroline Gallez La cohérence territoriale des politiques d'urbanisme, de déplacements et de logement est un des principaux motifs de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain (SRU), dite loi Gayssot-Besson. Nous avons tenté d'évaluer la portée de cette orientation au regard des évolutions observées dans le champ des transports publics urbains, qui est également soumis aux influences indirectes de deux autres lois : la loi Chevènement, qui favorise la création d'intercommunalités de projet ; et la loi Voynet, qui propose la réorganisation des espaces urbanisés autour de deux maillons principaux : les pays et les agglomérations. Les observations issues des études de cas menées dans les agglomérations de Rennes, Saint-Étienne, Valenciennes, Caen et Saint-Brieuc sont venues compléter les analyses réalisées à l'échelle nationale (approche historique développée par Ph.Menerault ; bilan statistique et analyse cartographique réalisés par C.Richer). Elles ont permis de caractériser différents types de dynamiques territoriales, et d'identifier les principaux changements survenus depuis la mise en place du Versement transport, au début des années soixante-dix. Il convient à présent, sur la base des analyses effectuées, d'apprécier l'ampleur des évolutions produites par le nouveau contexte législatif. Or, parce que la réforme territoriale n'est pas une fin en soi elle n'est qu'un moyen mis au service d'objectifs de l'action publique , il ne s'agit pas seulement de se demander si les évolutions observées vont dans le sens d'une plus grande cohérence de l'action publique, mais également si ces évolutions favorisent ou non la prise en compte des principes de développement durable énoncés par les lois. Question difficile, ambiguë, voire prématurée, que nous allons aborder ici sous un angle particulier. La notion de cohérence territoriale renvoie à une double problématique : celle du choix de périmètres d'action adaptés à l'appréhension des enjeux de développement et d'organisation des espaces urbanisés ; et celle de la coordination des champs d'action sectoriels (plus spécifiquement, au sens de la loi SRU, des politiques d'urbanisme, de déplacements et de transports). En centrant notre propos sur l'élaboration et la mise en oeuvre de politiques de transports publics, nous nous interrogerons sur la pertinence des critères ou des dispositifs prévus par les lois pour satisfaire la mise en cohérence des périmètres d'action ou la coordination des politiques sectorielles. 8.1. Un changement radical des logiques territoriales des transports urbains La loi Chevènement, qui entraîne un mouvement sans précédent de restructuration du pouvoir local, introduit des ruptures dans les logiques de développement et d'organisation des transports urbains. L'essor des communautés d'agglomération, dotées de compétences obligatoires en matière d'organisation des transports publics et d'aménagement de l'espace, explique l'ampleur des transformations observées : 60% des autorités organisatrices de transports urbains (AOTU) ont changé de statut entre 1998 et 2002. Dans ce contexte, le premier constat que l'on peut établir est celui d'un changement radical de la dynamique territoriale des transports urbains. Alors que les intercommunalités issues de l'instauration du Versement transport, dans les années soixante-dix/quatre-vingts, répondaient principalement aux motivations sectorielles de développement des réseaux urbains, l'évolution des périmètres d'action, les modes d'organisation et la formulation des enjeux de transports urbains dépendent désormais d'une pluralité de facteurs, qui conditionnent la réorganisation du pouvoir local.
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À la logique autrefois dominante d'extension des réseaux urbains succèdent une diversité de stratégies politiques, qui placent les transports publics à la marge ou au coeur d'un projet territorialisé. À ce titre, si l'on compare les périmètres de transports urbains des différents sites au début des années 1990 et dans les années les plus récentes (figures 36 et 37), plusieurs constats peuvent être faits. On note tout d'abord une extension relativement importante des périmètres, qui tendent à s'affranchir réellement des frontières de la zone agglomérée (représentée sur les cartes sous la forme du pôle urbain), alors que les intercommunalités issues du versement-transport avaient peu transgressé ces frontières - à l'exception notable du cas de Rennes, où le périmètre du SITCAR s'est plus ou moins calé sur celui du district. Par ailleurs, les cartes montrent - et nous commenterons plus loin cet écart - que les périmètres des nouvelles communautés d'agglomération ne coïncident pas avec ceux des aires urbaines. Au-delà du changement de statut et de périmètre des transports urbains, d'autres signes tangibles des transformations induites par la mise en oeuvre de la réforme territoriales, variables selon les terrains, ont pu être relevés. Les conséquences les plus immédiates portent sur l'évolution statutaire des autorités organisatrices de transports urbains et sur les variations de périmètres de transports urbains (PTU) qui en découlent. Deux types de transformations ont pu être observées dans notre échantillon où, rappelons-le, le pouvoir d'agglomération prend systématiquement la forme d'une communauté d'agglomération. Les premières relèvent de logiques adaptatives : les collectivités locales optent pour une organisation sectorielle des transports urbains, sous forme d'un syndicat mixte de transport auquel la ou les communauté(s) d'agglomération délèguent leur compétence transport ; c'est le cas à Caen et à Valenciennes. Le second type de transformation relève de logiques intégratives : dans ce cas c'est la communauté d'agglomération qui exerce elle-même la compétence transport, en général assumée initialement par une structure de type syndicat à vocation unique. À Rennes et à Saint-Brieuc, l'intégration de la compétence transport est antérieure à la loi Chevènement (dans les deux cas elle survient à l'occasion de la création ou du renforcement d'un district urbain, liés au vote de la loi ATR de 1992) ; à Saint-Étienne en revanche, elle découle de la création d'une communauté d'agglomération en 2001. Si les logiques de réseau n'apparaissent plus prédominantes dans la définition des périmètres d'action ni dans le choix des formes institutionnelles, il ne faut pas négliger l'importance des enjeux de transports publics dans la construction ou dans le renforcement d'une identité d'agglomération. En révélant les solidarités territoriales, les politiques de transports publics peuvent convaincre les communes de l'intérêt de coopérer au sein d'une structure intercommunale. Les supports de cette prise de conscience peuvent être des démarches de plans de déplacements urbains particulières qui, en dépassant les enjeux strictement sectoriels du transport public, sont porteuses d'une vision territoriale (cf. SaintBrieuc au moment du PDU « LOTI » et, plus récemment, Saint-Étienne, avec l'élaboration du PDU « LAURE » et sa mise en conformité avec la loi SRU). Dans l'agglomération briochine, la mise en place d'un service innovant de transport à la demande (Taxitub) a conforté la dynamique de coopération réamorcée par le PDU au début des années 1980.
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Synthèse, conclusions et débats
Figure 36 : Comparaison entre les PTU et les aires urbaines en 1990
Figure 37 : Comparaison entre les PTU et les aires urbaines en 2004
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Au-delà des incidences particulières entre politiques de transports publics et identité d'agglomération, d'autres indices, qui varient toutefois sensiblement d'une région urbaine à l'autre, témoignent d'une politisation croissante des enjeux de transports publics urbains. Dans certaines agglomérations, on assiste à un renforcement des services techniques et de la capacité d'expertise propre, qui montre la volonté des élus de s'impliquer davantage dans la définition des politiques de transports. Dans le Valenciennois, le changement du mode de représentation des collectivités au sein de l'autorité organisatrice sert quant à lui de révélateur au nouveau rapport de force entre deux communautés d'agglomération « rivales », et modifie le débat politique local autour des enjeux de transports publics. Ces changements des cadres d'action sont-ils porteurs d'une évolution des politiques de transports publics ? Favorisent-ils une plus grande cohérence des politiques urbaines et, finalement, une meilleure prise en compte des principes de développement durable des villes et des mobilités ? Nous allons tenter d'apporter à ces questions complexes quelques éclairages issus d'une réflexion critique sur les critères et les dispositifs de « mise en cohérence territoriale » inscrits dans les lois récentes. Pour cela, nous aborderons successivement les deux aspects de la notion de cohérence territoriale, à savoir la question des périmètres d'action, et celle de la coordination des champs d'action sectoriels. 8.2. L'éternelle question du périmètre « pertinent » Question récurrente s'il en est, la nécessité d'adapter les périmètres institutionnels pour appréhender de façon plus globale et plus cohérente les enjeux du développement urbain, a en France une résonance particulière. Les lois Voynet, Chevènement et Gayssot-Besson reprennent à leur manière cette exhortation au choix du périmètre pertinent en superposant deux visions de la réorganisation territoriale. La première correspond à une vision normative et fonctionnelle des territoires, qui consiste à faire de l'aire urbaine au sens de bassin d'emploi défini par l'INSEE le périmètre au sein duquel doivent être considérées les questions de développement et d'organisation des espaces urbains. Elle porte la marque d'une époque où le renforcement des structures intercommunales ne visait pas à faire émerger de nouveaux pouvoirs locaux, mais à réaliser des économies d'échelles, et à constituer des relais locaux pour l'action de l'État16. La seconde approche renvoie à une vision pragmatique et politique, qui définit la pertinence d'un périmètre d'action à partir du projet qu'il permet d'élaborer et de mettre en oeuvre. Elle s'inscrit, au contraire de la précédente, dans un mouvement de revendication d'autonomie du pouvoir local qui, à partir des années 1990, s'affirme à l'échelle des agglomérations, et non plus uniquement à celle des villes-centres. La référence unanime à l'échelle d'agglomération et au projet, auxquels les textes donnent pourtant une définition et des finalités différentes, tente de masquer cette juxtaposition des cadres d'action. Il en résulte une confusion implicite entre périmètres de planification et périmètres de gestion des territoires urbains, qui ne fait qu'entretenir le mot d'ordre d'adaptation des périmètres fonctionnels aux périmètres institutionnels. Que dire de l'usage d'un tel critère, et de sa pertinence, dans le champ des transports publics urbains ? D'une part, on peut s'interroger sur « l'effet structurant » de la représentation véhiculée par l'aire urbaine. Si l'on se réfère à sa définition statistique, cette notion est porteuse d'une double référence : explicite, à un schéma monocentrique classique composé d'un centre (le pôle urbain) et de sa périphérie ; implicite, à l'organisation d'un système de transports qui déterminent les conditions d'accessibilité au pôle d'emploi principal.
Estèbe Ph. et Th. Kirszbaum, 1997, L'intercommunalité entre optimum territorial et pouvoir local. Lecture de la littérature récente, Rapport pour le Plan Urbain.
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Synthèse, conclusions et débats
Du point de vue de la formulation des enjeux de déplacements en général et de transports publics en particulier, l'aire urbaine impose donc un cadre de réflexion au sein duquel l'accessibilité au centre principal - qui fonde l'existence du bassin d'emploi et en garantit le bon fonctionnement - constitue implicitement un objectif prioritaire. Dans un tel cadre, le choix de projets de transports collectifs « crédibles » en périphérie peut difficilement s'écarter du développement de dessertes radio-concentriques, aujourd'hui reconnues comme des vecteurs particulièrement efficaces... de l'étalement urbain. Cette difficile émergence d'un modèle polycentrique, souvent évoqué comme plus durable que le modèle de croissance extensive à partir d'un centre unique, se pose également lorsqu'on aborde la question institutionnelle. Conçue comme un moyen de favoriser la coopération entre différentes autorités organisatrices de transports au sein de bassins d'emplois élargis, le syndicat mixte de transport récemment relancé par la loi Gayssot-Besson, apparaît comme une solution a priori séduisante. Toutefois, sa mise en oeuvre pratique semble éluder une question importante, qui concerne l'implication effective des collectivités périphériques et des départements dans la gestion des transports publics locaux. En dehors de quelques exceptions, les intercommunalités qui se mettent en place en périphérie des pôles urbains n'assument pas elles-mêmes la compétence transports publics, qui est exercée par les départements. Or, plusieurs facteurs structurels placent aujourd'hui cette collectivité dans une position de retrait relatif vis-à-vis des enjeux de transports urbains : la poursuite du processus de décentralisation conforte leur « spécialisation routière », alors que la montée en puissance des communautés d'agglomération accroît la discontinuité spatiale de leur périmètre d'action. De sorte qu'en l'absence de volonté politique claire des élus des intercommunalités périphériques ou du conseil général en faveur du développement des transports publics, la création d'un syndicat mixte de transport ne peut encourager les collectivités périphériques à assumer elles-mêmes la compétence transport, ni à envisager la mise en place de réseaux de desserte dans les pôles urbains secondaires. Au pire, elle légitime leur position attentiste vis-à-vis d'une structure dont elles espèrent avant tout l'amélioration des conditions d'accessibilité au centre. 8.3. Coordination des compétences sectorielles et enjeu d'intérêt communautaire Le deuxième aspect de la problématique de la cohérence territoriale porte sur la coordination des politiques sectorielles. En dehors des orientations énoncées par la loi Gayssot-Besson, qui prévoit l'articulation des politiques de déplacements, d'urbanisme et de logement au sein des Schémas de cohérence territoriale (SCOT), les dispositifs prescriptifs ou incitatifs en matière de coordination des actions sectorielles se limitent à deux aspects particuliers : la mise en compatibilité des documents de planification sectoriels avec le SCOT ; le renforcement de l'intercommunalité dite « de projet », disposant de compétences intégrées. Sur le plan de la coordination des procédures, deux remarques peuvent être faites. La première porte sur l'agenda d'élaboration des documents de planification : les Plans de déplacements urbains ont de fait été élaborés avant les SCOT, dont la plupart en sont encore à la phase de diagnostic ; or, on note que dans certaines agglomérations, qui ne disposaient pas de schéma directeur préalable, les PDU ont servi de base à la mise en place d'une analyse compréhensive du territoire (exemple stéphanois). À l'inverse, certains PDU ont dû composer avec les orientations de schémas directeurs préexistants, particulièrement volontaristes en matière de développement des infrastructures routières (exemple de Caen). La coordination des compétences sectorielles est quant à elle loin d'être réglée par la transformation de l'organisation institutionnelle. On note ainsi la persistance de fortes segmentations entre les compétences relatives aux transports et à l'urbanisme d'une part et, au sein du champ transports, entre les compétences relatives aux transports publics, à la voirie et au stationnement.
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Plus spécifiquement, on note que si le lien entre transport et urbanisme existe, il reste essentiellement univoque : quatre des cinq agglomérations ont ainsi mis en place des structures intercommunales en matière d'aménagement de l'espace, dont l'ambition était essentiellement de créer et de gérer des zones d'activités. Dans cette optique, le développement des infrastructures de transport découle des choix faits en matière d'aménagement, alors même que la loi Gayssot-Besson préconise de conditionner l'ouverture à l'urbanisation en fonction de la desserte en transports collectifs. Par ailleurs, très peu de communautés d'agglomération assument la compétence « voirie communautaire », encore moins celle relative au « stationnement communautaire ». Au-delà de la défense par les communes de leurs prérogatives, cette situation révèle l'absence de consensus pour agir sur la voirie ou sur le stationnement à l'échelle intercommunale, dont l'une des seules motivations serait de mettre en oeuvre une politique de régulation des déplacements automobiles. Plus généralement, ces questions renvoient à la notion « d'intérêt communautaire » inscrite dans la loi Chevènement. Les juristes en ont déjà souligné le caractère très imprécis17. Il semble surtout paradoxal de définir l'intérêt communautaire d'une compétence considérée isolément. Là encore, c'est le passage de l'intercommunalité de gestion à l'intercommunalité de projet qu'il paraît difficile d'appréhender. Dans le premier cas, c'est l'économie d'échelle réalisée par l'exercice collectif d'une compétence qui définissait l'intérêt communautaire. Dans le second cas, c'est le projet élaboré par l'EPCI sur un territoire donné qui définit l'intérêt communautaire de l'ensemble des compétences qui concourent à sa mise en oeuvre. Éléments de conclusion En conclusion, nous reviendrons sur les ambiguïtés des trois lois Voynet, Chevènement et Gayssot-Besson, qui tiennent à la juxtaposition de deux conceptions différentes de la question territoriale. Il existe semble-t-il un décalage entre les critères et dispositifs de mise en cohérence des politiques locales, attachés à une vision techniciste et normative des territoires, et les conditions effectives de la mise en oeuvre de la réforme territoriale, marquée par l'affirmation d'un pouvoir politique d'agglomération. Les outils d'analyse, et surtout d'évaluation des politiques publiques, doivent tenir compte de ce changement de contexte. Dépasser la question de l'optimum dimensionnel, en acceptant la différence entre périmètres d'analyse et périmètres politiques, permettrait par exemple de réexaminer la nature et la finalité des différents projets de planification prévus par les lois. La priorité devrait être accordée à la reformulation de la relation entre transports et urbanisme finalement peu problématisée plutôt qu'à l'élargissement des périmètres institutionnels. Dans cette perspective, la veille territoriale effectuée par les services de l'État, les agences d'urbanisme, et certains EPCI à l'échelle des régions urbaines reste indispensable, pour accompagner les collectivités dans la compréhension du fonctionnement de ces territoires et construire le dialogue entre les collectivités qui les composent.
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Cf. Benchendikh F., 2002, L'intérêt communautaire dans les agglomérations en pratique, AJDA 2002, pp. 13271331.
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9. Discussions et débats autour de la synthèse
Jean Frébault (Président de la 5ème section du CGPC) Les trois lois Voynet, Chevènement et Gayssot-Besson ont donné lieu à de nombreuses réflexions lors de leur mise en application. Il me semble que ces travaux montrent qu'il y a bien eu un bouleversement de la donne territoriale et la création de nouvelles dynamiques. Mais, il semble aussi que les débats autour des questions de périmètres demeurent toujours aussi vifs et que les questions de segmentations sectorielles soient loin d'être réglées. Je vous propose d'entamer sans plus attendre les discussions, en donnant la parole à Michel Phlipponneau, géographe et grand spécialiste des questions d'aménagement du territoire. Michel Phlipponneau (Géographe, ancien président du District de Rennes) Je crois qu'il n'y a pas de recette miracle concernant l'adaptation entre le système de transport et le système intercommunal. Vous avez dit « les trois lois », je dirais plutôt les quatre lois ! La loi relative à l'administration territoriale de la République (ATR) de 1992, avec la taxe professionnelle unique (TPU), dégageait les marges financières nécessaires au renforcement de l'intercommunalité urbaine. On n'aurait pas pu faire le VAL à Rennes sans la TPU ! L'idéal au fond serait d'harmoniser le périmètre de transport avec celui de l'aire urbaine. Il faudrait pour cela adapter l'institution en charge des transports à l'échelle de l'aire urbaine qu'il convient de desservir, or on constate qu'il n'y a aujourd'hui pas de correspondance. Il n'y en a pas non plus sur le plan des études. L'agence d'urbanisme qui fait des études sur l'ensemble de l'aire urbaine ne s'occupe pas des transports publics, qui sont assurés par le SITCAR. Même après la reprise en main des transports publics par le district, l'agence d'urbanisme reste dessaisie des questions relatives aux transports et ne s'occupe que de l'organisation générale du territoire. Faut-il néanmoins rechercher une autorité, un pouvoir local à cette échelle-là ? La recherche de l'autonomie du pouvoir local correspond à une vision pragmatique et politique de l'agglomération, je ne pense pas que cela soit idéal. Alors comment faire coïncider les deux ? Je pense qu'il faudrait insister davantage sur les questions financières, puisque le mode de transports choisi en dépend. La question du coût est essentielle pour réfléchir aux différents types d'organisations. Au début, le versement-transport était prélevé uniquement sur Rennes. Le PTU était limité à la ville-centre et à quatre communes suburbaines. Lorsqu'il y a eu la fiscalité propre, mais surtout avec la TPU, les choses ont été différentes. C'est cela qui a permis de faire le VAL. La TPU a par ailleurs entraîné une augmentation du nombre de communes du District, à cause de la dotation de solidarité, intéressante pour les communes périphériques à faible TP. La création récente de la communauté d'agglomération n'a pas vraiment changé les choses. Le problème, c'est le blocage financier. Il y a même une commune, Noyal-sur-Vilaine, qui s'est retirée de la communauté d'agglomération, qui est passée ainsi de 38 à 37 communes. Aujourd'hui, le bus passe à Noyal-sur-Vilaine mais ne s'y arrête plus. Il y a un blocage financier, la preuve c'est que la communauté d'agglomération ne s'étend plus. Le Pays de Rennes, c'est très beau, mais le problème c'est que les communes ne veulent plus entrer dans la communauté d'agglomération lorsqu'elles disposent d'une TP au produit élevé et à taux bas intéressant pour leurs entreprises qui ne veulent pas payer le VAL ! Il y a aujourd'hui un bourrelet d'entreprises qui s'est formé à l'extérieur des limites de la
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communauté d'agglomération. Tout cela montre à quel point les questions financières sont essentielles. Noël Philippe (Directeur général adjoint des services techniques de Rennes Métropole) Peut-on vraiment envisager de développer la desserte de transports collectifs à l'échelle de l'aire urbaine ? Le problème de la couverture de l'aire urbaine est bien celui du coût du transport, et de la rentabilité des services de transports. Alors, si l'on compare, le VAL est-il cher ? Je ne crois pas, précisément parce que les usagers amortissent le coût. Il faut savoir que le réseau suburbain représente 15% du trafic pour la moitié des coûts ! L'intercommunalité n'est peut être pas faite pour aller très loin : le département ou la région peuvent prendre le relais, et assurer la desserte suburbaine. Michel Phlipponneau (Géographe, ancien président du District de Rennes) Le VAL couvre ses coûts d'exploitation, mais vous ne tenez pas compte de l'investissement ! Par rapport à la question de la fiscalité locale au sein de l'agglomération, je voudrais signaler qu'il y a trois entreprises à Rennes qui se sont délocalisées pour des raisons financières, dont Canon. Jean Frébault (Président de la 5ème section du CGPC) Merci. Je passe à présent la parole à monsieur Jean Ollivro, qui est géographe et professeur à l'Université de Rennes 2. Jean Ollivro (Géographe, Professeur à l'Université de Rennes 2) Il y a en France une immense complexité, si vous me permettez l'expression, un grand bazar institutionnel. La superposition des structures est source de blocage. Il y a trop de réunions, les décisions sont de plus en plus difficiles à prendre. Cela semble particulièrement ressortir du cas de Valenciennes. Il y a par ailleurs un problème de calage de la triple articulation entre transports, territoires et densité. L'échelle de financement des transports publics est différente de l'échelle de la desserte. Quel est le territoire pertinent ? Le problème est que les limites évoluent sans cesse : le territoire et les densités sont mouvantes. D'où la nécessité, me semble-t-il, de démarches évolutives. Nous devons également prendre en compte la vie réelle de la population : 83% des gens se déplacent à moins de 20 km. C'est l'échelle de la vie quotidienne. C'est également l'échelle des transports publics. Les Pays sont-ils le territoire de l'avenir, les intercommunalités constituent-elles un élément transitoire ? Les Pays sont l'avenir parce qu'ils correspondent au territoire de la vie des gens. Nous devons réfléchir aux projets de transports collectifs en pensant non pas seulement à quoi ils servent, mais surtout à qui ils servent. C'est ainsi que nous pourrons cerner leur pertinence. Les transports publics sont de véritables marqueurs territoriaux. Or, aujourd'hui, on structure en raisonnant en termes de logiques d'accès, de réseaux radio-concentriques qui se développent au détriment de la périphérie. On ne prend pas en compte la logique sociale dans le dessin de ces réseaux. Michel Rousselot (Président du GO11 Politique des transports du Predit) Quelle est la bonne formule de développement intercommunal ? C'est, comme nous l'avons vu, très différent d'un endroit à l'autre, ce qui nous montre bien que les études de cas ne peuvent avoir de portée universelle. Les problèmes sont souvent politiques et financiers. Il me semble qu'aujourd'hui, nous devons nous demander quel doit être le contenu d'un projet urbain dans un contexte de crise, de faible croissance et de chômage. Les réflexions intercommunales doivent d'une part être mises au service de l'emploi et du développement
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économique, et le projet urbain doit à terme l'emporter sur les logiques sectorielles, notamment les logiques de transports collectifs. Patrice Aubertel (PUCA) Je pense qu'il serait intéressant de relier cohérence spatiale et cohésion sociale. Il y a des liens à faire, des rapprochements qui sont encore trop rarement effectués. Jean Frébault (Président de la 5è section du CGPC) Je passe à présent la parole à Georges Gay, géographe également, professeur à l'Université de Jean Monnet de Saint-Étienne et doyen de la faculté de Sciences humaines et sociales. Georges Gay (Géographe, Professeur à l'Université Jean Monnet de Saint-Étienne) La loi Chevènement a encouragé la coopération intercommunale à partir d'un argumentaire financier. En région stéphanoise, la question qui s'est posée, au cours d'un long processus de structuration intercommunale était : quelle forme de groupement intercommunal a une chance d'aboutir ? Par exemple, l'idée d'un très vaste district a échoué à la fin des années quatre-vingts face aux revendications d'autonomie des communes périphériques et en raison de la réticence des élus des vallées industrielles de s'allier avec la Plaine du Forez, par crainte de voir basculer le développement économique. Comment évaluer la pertinence d'un territoire ? Quelle est la bonne formule ? Quelle est la bonne taille de l'intercommunalité ? Ce sont autant de questions que l'on adresse de manière récurrente à la recherche. Le problème, à mon avis, est que ces questions restent enfermées dans un dialogue entre le politique et les techniciens. Le risque est alors de refléter de vieilles inerties spatiales. Oublie-t-on les habitants ? Oublie-t-on la vision, sans doute pertinente, du territoire par les habitants ? Le territoire de gestion pourrait de fait être défini à partir de la représentation du périmètre pertinent par les habitants. Nous avons récemment effectué, pour le compte de Saint-Étienne Métropole, une enquête d'opinion auprès des habitants pour analyser leurs représentations du territoire. Et le résultat montre que la Plaine du Forez ne fait pas partie, pour la population, de l'agglomération. En revanche, il existe un sentiment d'appartenance au bassin minier stéphanois. Si bien que le découpage actuel leur semble pertinent. Concernant le rôle des transports dans le rôle d'émulsion de l'intercommunalité, le PDU a effectivement été le premier document de planification qui ait fait l'unanimité à Saint-Étienne. Les politiques de transports ont `boosté` l'intercommunalité et lui ont donné du grain à moudre, à travers des projets comme l'électrification de la ligne entre Saint-Étienne et Firminy et celui de la deuxième ligne de tramway. En revanche, il me semble que l'objet de cette politique n'est pas très clair. Pourquoi cherche-t-on à favoriser l'intermodalité ? Pour assurer l'accessibilité avec la ville-centre ? Ou pour améliorer les relations vers Lyon ? Les choses ne sont pas clairement identifiées. Une anecdote met d'ailleurs cela en image. Il y a eu à la mairie de Saint-Étienne une exposition sur le tramway. Quelqu'un demandait aux personnes chargées de la communication de Saint-Étienne Métropole pourquoi le tramway allait jusqu'à Chateaucreux, alors qu'on aurait pu améliorer la ligne en gardant des trolleys-bus. En fait, ce qui motive le développement des chantiers, c'est davantage une logique de renouvellement urbain qu'une simple logique fonctionnelle de transport. L'enjeu est moins de desservir la gare, l'enjeu c'est la restructuration urbaine et l'élargissement du centre stéphanois. Et le traitement des espaces publics. Je conclurai en soulignant le fait que les politiques de transports élaborées dans le cadre des PDU ont été initiées sous des motifs de protection de l'environnement, mais que finalement ces PDU ont été instrumentalisés par les collectivités pour servir d'autres objectifs.
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Notamment, pour faire du renouvellement urbain, voire pour renforcer la construction intercommunale. Jean Frébault (Président de la 5ème section du CGPC) Le dernier intervenant de cette première série de discussions est Philippe Subra, géopolitiste à l'Université de Paris 8. Philippe Subra (Géopolitiste, Université de Paris 8) Tout à l'heure, Michel Phlipponneau a posé la question de l'adaptation de l'institution au périmètre de l'aire urbaine, qui apparaît comme un moyen de répondre à la question du périmètre pertinent. Pourquoi y arrive-t-on plus ou moins dans certains cas et pas dans d'autres ? La réponse est dans le politique. Les transports, parce qu'ils stimulent la coopération intercommunale, jouent un rôle particulier dans ce facteur politique. L'intercommunalité est fortement dépendante de la géopolitique locale qui désigne la rivalité des pouvoirs entre différents acteurs politiques au sein d'un même territoire. Dans certains cas, ces rapports de force favorisent l'intercommunalité. Dans d'autres cas en revanche, ils ralentissent et perturbent la construction intercommunale, d'où l'intérêt d'effectuer des études de cas, tant chaque territoire apparaît comme singulier à ce niveau. Concernant le cas du Valenciennois, qui est celui que je connais le moins mal, il me paraît important de mettre en avant la multiplicité des acteurs et des périodes. On a un premier temps de « rivalité contrôlée et apaisée », où chacun reste sur son territoire : la ville-centre à droite et la périphérie à gauche. C'est une sorte de premier « Yalta ». Le deuxième temps est celui d'une « rivalité exacerbée et débridée », en 1978/1979, une sorte de défoulement géopolitique lié à la crise sidérurgique qui conduit à une crise et en conséquence au gel des relations. On a alors des réponses et situations intercommunales aberrantes. Une sorte d'expression caricaturale des rivalités comme le montre la carte relative à l'intercommunalité dans le Valenciennois après la loi ATR, que je compare au découpage de la Bosnie, où les séparations ethniques sont remplacées par des séparations intercommunales ! On a enfin un troisième temps, une « phase d'apaisement » avec l'arrivée de Jean-Louis Borloo à la mairie de Valenciennes, qui correspond à une période de renouvellement politique avec la remontée de la droite. On a alors un deuxième « Yalta » dans une brasserie lilloise où le trésor de guerre (c'est-à-dire les ressources financières locales) est partagé sans tenir nullement compte du critère urbain. Mais à Valenciennes, s'il n'y avait pas eu de partage qui contrôlerait l'unique communauté d'agglomération ? Aujourd'hui, il y a deux communautés d'agglomération qui correspondent à deux forces politiques différentes. Elles illustrent très clairement le rôle du politique. Les deux communautés sont désormais associées au sein d'un syndicat mixte des transports. Elles sont donc « réconciliées » pour l'exercice de cette compétence transports. Cela marque bien l'importance de la représentation de la culture locale, des enjeux locaux. À Valenciennes, la culture locale est de donner la priorité au développement économique et à l'emploi. L'enjeu prioritaire c'est de faire venir les entreprises. Le travail est en effet une dimension essentielle. Le transport est un enjeu qui vient après, un enjeu secondaire. Ce cas nous amène à poser la question d'un leadership unique, qui se décline à la fois en termes de périmètre fonctionnel, qui varie selon l'importance de la couronne périurbaine ; ainsi que celle de la faisabilité politique du territoire, qui elle aussi varie selon les contextes. Par ailleurs, quels sont les nouveaux territoires de référence ? L'agglomération ? Le vrai pouvoir se déplace aujourd'hui vers l'intercommunalité. L'élu passe d'ailleurs de l'un à l'autre. Mais il existe de nombreux obstacles politiques ; notamment, la question de l'élection au suffrage universel du président de la communauté d'agglomération se pose. Par ailleurs, la structuration intercommunale introduit un nouveau rapport de force vis à vis des autres acteurs, l'État ou la région par exemple.
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Le transport est-il un enjeu politique ? C'est un enjeu important, du moins cela l'a été pendant longtemps, mais l'exercice de la compétence transport présente aussi un caractère discret, voire opaque. Pour le citoyen ordinaire, tout ce dont nous sommes en train de parler n'existe pas. Les citoyens ne connaissent pas les syndicats mixtes et autre SIVU. Il y a un réel déficit démocratique, un vrai manque de lisibilité territoriale. La situation est-elle en train de changer concernant les transports publics ? Trois points me semblent être intéressants à évoquer sur ce sujet. Le premier point concerne les projets de transports collectifs en site propre (TCSP), qui jouent un rôle important dans la construction de l'image d'une agglomération. Le TCSP, et plus spécifiquement le tramway, donne à une ville le statut de métropole régionale. Le VAL donne même, quant à lui, le statut de métropole européenne ! Par ailleurs, on note une multiplication des conflits autour des enjeux de transports entre les élus mais aussi avec la population. Les débats sont d'ailleurs souvent instrumentalisés : les transports apparaissent comme une véritable arme de guerre pour le politique. Le troisième point concerne les procédures de concertation. Il me semble qu'il existe encore une certaine crainte du débat public, même si la mise en place de ces procédures constitue en elle-même un premier pas vers le débat public.
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10. Table ronde - La réforme territoriale en quête de politiques urbaines durables, questions et débats issus de l'évolution de l'organisation des transports publics urbains
Jean Frébault (Président de la 5è section du CGPC18) Nous abordons la dernière partie de cette journée, avec une table ronde qui va reprendre les questions et les débats suscités par l'évolution récente de l'organisation des transports publics urbains, pour les replacer dans la perspective plus globale de la réforme territoriale et de la prise en compte des objectifs de développement durable des villes et des mobilités. Je donne la parole à Alain Faure, qui est politiste et chercheur CNRS au Centre de recherche sur le politique, l'administration, la ville et le territoire (CERAT). Alain Faure (CERAT-IEP de Grenoble) Dans la revue de l'ADELS19, Territoires, on pouvait lire il y a quelque temps la phrase suivante : « le XXIème siècle sera intercommunal ou ne sera pas ». Or il semble que l'on assiste aujourd'hui en France à un virage intercommunal. On le voit notamment dans l'évolution des rapports entre politique et technique. Alors que dans la période précédente, les solutions techniques s'imposaient au politique, aujourd'hui le rapport s'est inversé, le monde technique doit s'adresser au politique, et négocier le modèle. Le territoire est d'abord politique, et ensuite seulement il produit de l'action publique. Dans la pratique on observe que pour réussir la coopération intercommunale, il faut d'abord élaborer la politique sur un petit territoire. Pendant cette période, la rhétorique vertueuse sur la nécessité d'un dialogue élargi, d'un dialogue avec l'extérieur ne prend pas. Or, cette situation peut sembler particulièrement irrationnelle dans le champ des transports, tant la politique des transports est, par définition, territoriale. Je retiens également de l'analyse faite par mes collègues que les transports, pas plus que les autres champs d'action de la politique locale, ne fonctionnent de manière intersectorielle. Rien de nouveau sous le soleil, donc, même si des choses ont changé ? En écoutant les échanges aujourd'hui, et à la lecture de la synthèse des études de cas, je me suis posé plusieurs questions, que je vous livre comme des pistes de réflexion. 1° Est-ce que la politique des transports apporte sa pierre à la décentralisation ? Est-ce que ) l'on observe une certaine manière de faire la décentralisation dans le champ des transports ? Cette spécificité pourrait provenir du rapport des transports publics à une histoire longue, et au poids de cette histoire dans les décisions présentes, ce que les politistes analysent à partir de la notion de « sentier de dépendance » (path dependency). Existe-t-il une histoire particulière des transports, qui serait liée au divorce entre ville et campagne ? Y aurait-il dans ce champ d'action des tensions particulières entre centre et périphérie, tensions qui sont perçues de manière différente par le centre et par la périphérie ? 2° La deuxième série de questions porte sur l'expe rtise. On observe que les agglomérations ) sont en train de construire leur expertise propre. Cependant, quelle est la capacité de cette nouvelle expertise à reprendre les discours élaborés aux échelles nationale ou internationale ? N'assiste-t-on qu'à du mimétisme ? Quelle est la prégnance de l'idéologie professionnelle, de la culture technique ? 3° La troisième série d'interrogations porte sur l e leadership. Les nouveaux leaders ) politiques locaux construisent-ils un discours de gouvernement ? Ne sont-ils pas en train de
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Section Aménagement et Environnement du Conseil Général des Ponts et Chaussées. Association pour la Démocratie et l'Éducation Locale et Sociale.
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prendre conscience de la nécessité de faire un discours sur l'intérêt général local ? Est-ce que les leaders politiques portent des discours différents d'un territoire à l'autre ? Y a-t-il une stratégie de différentiation des valeurs, des symboles ? 4° Ces questions soulèvent à leur tour celles de l 'acceptabilité. D'un côté, il n'y a pas de ) changement politique si les politiques ne sont pas acceptées par la population. Certains projets de transport bloquent ainsi parfois sur le seuil de l'acceptabilité. Mais à l'inverse, on doit également prendre en compte le fait qu'une politique acceptable n'est pas nécessairement efficace. Jean Frébault (Président de la 5è section du CGPC) Il existe effectivement une tentation permanente à traiter les transports de manière sectorielle. Or, les transports sont l'un des premiers outils des politiques urbaines et leur portée dépasse largement les questions de déplacements. Quelles sont les réponses locales apportées à des problématiques aussi transversales que celles du développement durable, de l'acceptabilité ; quelles sont les tentatives de coordination, constituent effectivement des pistes à explorer. À l'échelle nationale, plusieurs instances de réflexion se sont intéressées, et s'intéressent encore à ces questions. En particulier, le Comité des directeurs du développement urbain (CODIRDU), que j'ai présidé, est une instance interministérielle qui s'est penchée sur la question de la cohérence entre les lois Voynet, Chevènement et Gayssot-Besson. Plus récemment, le « Rapport Peigné » du Conseil Général des Ponts et Chaussées a traité de la cohérence des politiques des collectivités locales en matière de planification urbaine, d'aménagement, d'organisation des déplacements et de stationnement. Les travaux du groupe Peigné ont réuni différents experts et représentants nationaux des collectivités locales, notamment le GART. Ils ont débouché sur l'élaboration de 16 mesures résultant de compromis entre les diverses parties prenantes, qui portent notamment sur les moyens de résoudre les problèmes de segmentation des périmètres d'action, et de segmentation des champs d'action sectoriels. L'une de ces propositions concerne, par exemple, la création de Conférences « Urbanisme-Déplacements » au niveau des aires urbaines ou métropolitaines, qui favoriseraient la coordination entre les autorités en charge de l'urbanisme et celles des déplacements. Le besoin de coordination est particulièrement important dans les espaces métropolitains. À titre d'exemple, la Région Urbaine de Lyon, c'est 6 SCOT et 11 AOTU ! Je redonne maintenant la parole aux intervenants, et propose à Chantal Duchène, directrice générale du Groupement des autorités responsables des transports (GART), de prendre part au débat. Chantal Duchène (Directrice générale du GART) L'aire urbaine est une vision technocratique, c'est une définition de l'INSEE qui ne correspond pas aux lieux d'exercice de la compétence politique. Est-ce que l'on doit obliger les collectivités locales à créer sur le périmètre des aires urbaines des structures dont on ne sait pas bien comment elles vont être contrôlées ? Il y a bien eu un bouleversement avec la loi Chevènement. La réforme intercommunale a bien marché, après le relatif échec de la loi ATR en 1992, et la principale preuve de ce succès est l'essor des communautés d'agglomération. Le GART, lors de l'élaboration de la loi Chevènement, avait insisté sur le fait que les transports publics et l'aménagement devaient être des compétences obligatoires pour les communautés d'agglomération. Et notre ligne de conduite est simple : nous souhaitons éviter toute remise en cause de cette complémentarité, c'est pour cela que nous sommes assez réservés sur les syndicats mixtes de transports de type SRU. D'ailleurs, très peu de syndicats mixtes se sont constitués ... Les communautés d'agglomération permettent quant à elles de gérer les compétences transports publics et urbanisme au sein de la même institution, même s'il l'on manque encore
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d'un véritable exécutif politique élu au suffrage universel : il faudra certainement penser à mettre un peu de démocratie dans tout cela. Il faudrait aussi ne pas penser uniquement en termes de transports publics, mais réunir au sein d'une même institution toutes les compétences qui concernent les déplacements. À ce sujet, la loi récente sur les responsabilités locales est le pire de ce qu'on pouvait faire. Elle a accentué la spécialisation et la sectorisation. Aux régions et aux agglomérations, elle confie la gestion des transports publics, aux départements la gestion des routes. Où est donc la cohérence ? On se construit des lendemains qui déchantent ! En France, les transports collectifs - sauf en Ile-de-France sont depuis longtemps de compétence locale. Ils font partie de ces services publics locaux qui organisent le « vivre ensemble ». Ce qui n'est pas le cas des routes ; les routes étaient gérées par l'État et les transports collectifs par le local. Aujourd'hui, les routes sont passées au département, et le problème de sectorisation persiste. Je voudrais revenir également sur la question de l'expertise. Historiquement, l'expertise en matière de transports publics était effectivement du côté de l'exploitant, tout simplement parce que c'était une activité privée qui est ensuite progressivement devenue publique. Aujourd'hui, la question de savoir qui possède l'expertise est encore très vive. Et, malheureusement, on ne peut pas toujours parler de partenariat équilibré. Par rapport à la question du leadership, je suis frappée qu'avec la recherche permanente d'un périmètre pertinent, on n'imagine pas autre chose que le leadership. Pourquoi ne pas penser à la coopération ? Ne devrait-on pas favoriser la mise en place de systèmes fédératifs ? Il faut conserver des institutions dont la taille soit « appréhendable » par les citoyens ! Jean Frébault (Président de la 5ème section du CGPC) Les propos évoqués successivement nous font part des nombreuses contradictions. D'une part, on entend bien une critique des périmètres qui, comme ceux des aires urbaines, n'ont pas de légitimité démocratique. Et l'on entend également des interrogations à propos des institutions comme les départements et les régions, qui s'organisent chacune de leur côté. Tout cela ne produit pas de cohérence. Il semble que pour sortir de cette logique de confrontation entre les lieux de pouvoirs, il faille penser à mettre en place des lieux de coopération. Je donne à présent la parole à Alain Morcheoine, directeur de l'air, des transports et de l'intensité énergétique à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie. Alain Morcheoine (Directeur de l'air, des transports et de l'efficacité énergétique à l'Ademe) C'est la première fois que le terme de « mobilité » a été prononcé, depuis le début de la journée. Et il a fallu attendre encore un peu pour entendre celui de « durable ». J'avoue que cela m'interroge un peu... En tant qu'agence d'objectifs, l'Ademe a un certain nombre de problèmes à résoudre. Nous avons tout d'abord des problèmes importants d'emboîtement des échelles auxquelles se mesurent les impacts environnementaux et se pose la question de leur gestion : cela va de la rue à la planète en passant par le quartier, la ville, la région, etc. D'où notre grande difficulté à manipuler une notion aussi bizarre que la limite de territoire, et notre prudence à l'égard des limites territoriales. Et nous avons également des problèmes d'échelles temporelles, qui nous conduisent à ne pas avoir de lecture statique des enjeux. Tout varie donc dans le temps et dans l'espace, en particulier les systèmes d'acteurs ... L'expert ne doit pas emprisonner le politique en lui fournissant une réponse, il doit proposer des espaces de solutions. C'est le politique qui décide ! Nous devons donc avoir un regard multiforme, voire probabiliste, des outils que nous souhaitons mettre à disposition des
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décideurs. La décision se prend par négociation et consensus : c'est donc nécessairement plus long, mais c'est aussi plus démocratique. L'une des difficultés est qu'il y a en France plus d'un élu au km2. On pourrait peut-être faire moins, mais n'y voyez surtout pas chez moi la prétention de supprimer des trônes ... Jean Frébault (Président de la 5ème section du CGPC) Merci pour ces remarques autour des questions d'échelles spatiales et temporelles. Je vais à présent proposer à Serge Godard, maire de Clermont-Ferrand, et président du syndicat mixte des transports clermontois (SMTC), de nous donner son point de vue d'élu et de praticien. Serge Godard (Maire de Clermont-Ferrand, Président du SMTC) Il y a beaucoup de contradictions, sans doute trop de trônes, et des communes qui n'ont pas envie de disparaître ! Le mérite de la loi Chevènement est d'avoir donné le premier coup de pied dans la fourmilière. Elle a permis un premier pas vers une cohérence politique et économique, avec l'affirmation d'un pouvoir d'agglomération. Elle a rapproché des éléments majeurs de cohérence territoriale, comme le versement-transport et la TPU. La loi Voynet, quant à elle, vise à mettre en cohérence des territoires qui se trouvent les uns à côté des autres, en veillant à ce qu'ils ne se mettent pas inutilement en compétition, au sein d'un périmètre qui est celui du Pays. L'aire urbaine est une définition technocratique. À Clermont-Ferrand, nous ne nous sommes pas intéressés à cette définition. Pourquoi ? L'agglomération de Clermont-Ferrand compte 21 communes pour 280 000 habitants, le Pays regroupe 9 EPCI associés vers un destin commun compte 350 000 habitants, c'est également le territoire d'élaboration du SCOT. L'aire urbaine compte quant à elle 420 000 habitants et le Département 500 000. Si on prend en compte l'aire urbaine, le département n'existe plus ! Il faut se poser la question de la cohérence de ce territoire en termes de déplacements de personnes. La ville-centre a tendance à croître, mais le Pays du Grand Clermont gagne plus de population que le centre. Malgré les efforts accomplis dans la ville-centre, on a du mal à éviter le départ des populations vers la grande couronne. Or, il est impossible sur ces territoires extérieurs de faire du transport public, c'est totalement inefficace. Clermont, comme d'autres grandes villes françaises, dispose d'une étoile ferroviaire. La solution est donc de se regrouper autour des points à partir desquels cela devient efficace de faire un peu de transports publics. Car, notre problème à Clermont, est bien de faire face à la croissance des flux de circulation automobile qui convergent chaque matin vers le centre. Alors comment faire de la cohérence en matière de transport ? À Clermont, la communauté d'agglomération n'a pas pris la compétence transports publics, et l'a transférée au syndicat mixte des transports clermontois (SMTC). Le département quant à lui s'intéresse très peu au SMTC. Faut-il dans ce cas donner la compétence transport aux différents EPCI représentés au sein du syndicat mixte ? Non, à mon sens, parce qu'il ne faut pas éparpiller la compétence dans différentes agglomérations. Par aillleurs, il faut organiser un transport routier cohérent, en travaillant à l'amélioration de l'accès au centre. D'où la nécessité de mieux coordonner les différentes autorités organisatrices qui interviennent pour faire fonctionner ce système. Mon idée, c'est qu'on ne fera pas des choses durables si on continue à éparpiller les autorités. Il faut organiser la multimodalité et l'intermodalité. Le problème n'est pas seulement politique mais ce sont plutôt des cultures techniques qui s'affrontent. Il faudrait un arbitre. Est-ce que cet arbitre peut être l'État ? Mais est-ce que cela peut être l'État qui se désengage financièrement du secteur des transports publics ?
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Jean Frébault (Président de la 5è section du CGPC) À Clermont, nous voyons qu'une question est posée en termes de coopération entre différents territoires. Faut-il un arbitre, il me semble que le débat est ouvert. Sur ces questions, et sur les autres, je donne maintenant la parole à Marc Wiel, urbaniste, qui a beaucoup réfléchi à la problématique ville et transports. Marc Wiel (urbaniste) Si nous parlions un peu de philosophie ? Je vous propose aussi d'essayer de nous projeter un peu plus dans le futur. Tout d'abord je voudrais dire que l''intercommunalité, dont il est beaucoup question ici, est une invention fort bizarre, un compromis pour ne pas supprimer la commune et de ce fait quelque chose d'intermédiaire entre ce qui permet l'accroissement d'une capacité d'arbitrage (notre tradition de la chose politique) et un rassemblement purement fédéral où il faudrait pour décider que presque tout le monde soit d'accord. C'est donc un « monstre » par rapport à notre culture de la chose politique! Mais étant « monstrueuse » que c'est une formule « inventive », « évolutive », qui gagne en capacité d'innovation et d'adaptation au contexte ce qu'elle perd en rationalité ou en efficacité. D'où une disparité supplémentaire des situations locales. Face à l'intercommunalité nous sommes toujours pris entre le sentiment d'une obligation d'accroître la capacité d'arbitrage pour gagner - croyons-nous - en efficacité, et le fait que pour pouvoir concrétiser quoique ce soit il faut toujours recourir à la négociation. Le droit des minorités limite de ce fait celui de la majorité. L'acquisition progressive de la capacité de négociation favorise la résolution des conflits car elle force au respect de l'altérité de l'interlocuteur. De ce point de vue le cas de Rennes m'est apparu un exemple particulièrement intéressant : c'est parce qu'il a été possible, dans la durée, de développer une capacité de négociation - entre le centre et la périphérie - qu'il a été finalement possible de mobiliser la capacité théorique d'arbitrage dont dispose juridiquement l'institution intercommunale. L'intercommunalité est donc un laboratoire particulièrement intéressant du processus même de décentralisation dans la mesure où elle est le seul dispositif institutionnel remettant en cause (sans l'avoir voulu) la commodité de savoir domaine par domaine quel est l'arbitre légitime. Autre remarque à propos de ce que je viens d'entendre : l'invention des contours de l'aire urbaine a été présentée comme une production purement technocratique. C'est encore pire que cela. C'est une invention (technicienne certes) qui prétend redonner une limite à la ville qui n'en a plus, faute de pouvoir (savoir) penser la ville sans limite franche. On demande donc aux statisticiens de dresser de nouveaux « remparts », conventionnels certes, pour ne pas avoir à changer notre représentation de la réalité urbaine. Il faut se convaincre que le sentiment d'appartenance à un territoire est devenu flou et politiquement cette nouveauté n'est pas mineure ; ce sentiment ne varie plus maintenant de façon discontinue (le « ou » plutôt que le « et ») dans l'espace (comme autrefois) mais de façon continue (le « et » et non plus le « ou »). Mais toute institution doit avoir des limites. Comment faire ? En fait nous sommes dans un processus où il faut donner une capacité d'arbitrage collective à des institutions construites sur des espaces reliés par des rapports d'interdépendances d'intensité et de natures différentes. Tout ce qui nous permet d'avancer, est toujours à l'opposé de notre conception de ce qui nous parait rationnel ou équitable dans la définition classique de la légitimité du pouvoir. Il nous faut intégrer (enfin) les différences. Aussi sommes-nous en permanence dans une quête de simplification de nos méthodes, tout en continuant d'inventer des trucs inimaginables qui se compliquent tous les jours davantage. Contenir son désir de rationalisation (et c'est dur pour un technicien) permet d'être inventif car une évolution maîtrisée nécessite toujours la combinaison d'une bonne interprétation du poids des nécessités mais également une suffisante confiance entre les acteurs. Cette confiance comme un capital, se dilapide ou s'accumule.
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Ce qu'il faut, c'est se connaître. Il faut se connaître pour coopérer, et coopérer pour ensuite pouvoir passer au stade des négociations. La coopération est un passage obligé, c'est le temps de l'interconnaissance. La négociation a besoin d'un prétexte financier. On ne peut pas fédérer durablement des acteurs ou des institutions sur le principe d'aller ensemble faire la quête auprès des institutions de rangs supérieurs ! Il faut pouvoir justifier l'existence de flux financiers - notamment entre centre et périphérie - qui permettront d'alimenter une transaction en perpétuel réajustement. Il faut bien sur que cette transaction permette de discuter des différents champs sectoriels en même temps. Le transport est de ce fait un puissant levier de négociation du fait que les flux financiers qui le caractérisent ont de lourdes conséquences sur l'aménagement. Aussi veillons à ne jamais enfermer les transports dans une politique sectorielle. Ce serait l'ensemble des capacités de négociation des territoires entre eux qui s'en trouveraient taries. Mais ce sont là des processus qui vont demander beaucoup de temps à se mettre en place, d'où l'intérêt comme on l'a fait ici d'adopter des méthodes d'analyses sur de longues périodes. Rien de durable ne se construit en effet dans ce domaine dans l'urgence ou sans une conviction partagée toujours trés laborieuse à construire. Le processus de périurbanisation de l'habitat va se poursuivre car les habitants quittent le centre alors que les emplois restent concentrés (sauf en Ile-de-France). Cette situation crée une plus grande vulnérabilité de l'organisation urbaine aux ruptures qui peuvent provenir de leur contexte environnemental (énergie, effet de serre, etc.). Les arbitrages nécessaires exigeront d'avoir progressé dans la capacité à négocier, va exiger plus d'aptitude dans la gouvernance. Le travail préalable aux SCOT est à mon avis une pièce maîtresse des ces travaux d'approches que les territoires sont en train de réaliser les uns par rapport aux autres, même si c'est dans dix ans ou plus que les effets seront visibles au travers des décisions encore inimaginables actuellement. L'essentiel est de commencer à rentrer dans une pratique de négociation entre les territoires sans attendre qu'un arbitre improbable vienne dire ce qu'il est utile, bon ou juste de faire. Les périphéries veulent-elles des emplois ? En contrepartie il faudra qu'elles assurent un taux d'habitat social proportionnel à ces emplois. Il existe en quelque sorte des négociations multilatérales et multisectorielles à construire entre les flux d'emplois, les flux d'habitat, les flux financiers et... les flux de déplacements. Il est vain de croire que la construction d'une institution nouvelle dans son périmètre ou ses compétences résoudra tout. Il y a des communautés urbaines qui ont plus de trente ans d'âge et qui exercent beaucoup mieux les compétences supplémentaires qu'elles ont choisies de se doter que leurs compétences dites obligatoires. La cohérence transport-urbanisme est encore quelque chose une notion mal appréhendée sur laquelle il y a encore beaucoup à travailler. La ville cohérente ne résulte pas d'un dessin ou d'une cartographie ou d'une judicieuse répartition des densités par rapport aux infrastructures. C'est à mon avis une ville dont les divers territoires ont réussis à formuler les réponses aux trois questions que je vais ci après présenter. Pour refonder cette notion de cohérence entre transports et urbanisme il faut pouvoir se mettre d'accord sur les conditions de la mobilité qui sont en adéquations avec les objectifs partagés en matière d'aménagement. Première question : Quelles sont les conditions de mobilité nécessaires, mais surtout suffisantes, pour garantir l'ouverture métropolitaine visée ? Ensuite, deuxième question, il convient de clarifier le lien entre le système des déplacements et l'équilibre recherché en particulier entre centre et périphérie ? Autrement dit que faut-il réclamer aux transports pour encadrer les évolutions en matière de mixité sociale ? À mon avis, la relation entre emplois, habitat et déplacements est prise à l'envers. Au lieu de réfléchir à la façon de maîtriser localement les évolutions respectives tant quantitatives que qualitatives des emplois et de l'habitat, nous construisons des infrastructures de transport en considérant que le « marché fera le reste », comme on dit que « Dieu reconnaîtra les siens ». Troisième question : quelles conditions de mobilités peuvent servir la politique de centralité recherchée ? En procédant de la sorte nous pouvons un jour
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espérer avoir la mobilité de notre urbanisme et non l'urbanisme de notre mobilité. Vouloir à répondre à ces questions peut paraître ambitieux. En fait, elle suppose surtout de raisonner différemment, de ne plus confondre le déplacement avec le besoin d'interaction sociale auquel il est lié. Cela suppose aussi de réfléchir à notre façon de nous organiser face à des circonstances immédiatement improbables : par exemple une flambée beaucoup plus sérieuse que jusqu'à présent et durable du prix du pétrole. Ce genre de prospective est d'autant plus capital qu'il permet de se convaincre d'une réalité très simple mais cruciale. Pour relever les défis de demain nous devons moins compter sur des investissements ou des bouleversements technologiques miraculeux que sur notre capacité d'organisation. C'est l'inconvénient de cette période d'invention de nouveaux rapports entre les institutions. Elle mobilise tellement les institutions que celles-ci deviennent « autistes » aux autres acteurs, lesquels se désimpliquent de la chose publique ainsi appropriée par des gens qui se querellent comme des chiffonniers. Peut être que le VT est un impôt mais que faut-il pour que les employeurs et la puissance publique collaborent un jour sur la question des transports ? L'évolution capable de nous permettre de relever tous les aléas du futurs est bien, à mon avis, dans la capacité collective de négocier à propos de tout ce qui constitue les vrais enjeux de l'organisation de la vie sociale. Jacques Gagneur (MTI Conseil) Juste une remarque, pour exprimer un étonnement, et je m'adresse en particulier à Marc Wiel, nous n'avons pas entendu prononcer le mot « foncier » dans ces débats. Je voudrais également poser une question à Monsieur Godard : vous avez entrepris récemment une démarche de PDU, quelles étaient vos motivations ? Serge Godard (Maire de Clermont-Ferrand, Président du SMTC) Ce qui nous a motivé Clermont-Ferrand, c'est la gestion du nombre de véhicules individuels qui tous les matins entrent dans la ville. C'est essayer de penser les déplacements des citoyens dans une toute autre optique que celle des pratiques actuelles, à travers le PDU. C'est essayer de rendre le transport public plus attrayant, et décourager l'usage de la voiture individuelle en ville. Et au-delà, c'est aussi faire voir la ville, à travers son système de déplacements, comme une métropole européenne. Jean Frébault (Président de la 5ème section du CGPC) Je vais maintenant vous proposer quelques mots de conclusion, pour clore provisoirement ces débats. Il me semble que plusieurs pistes émergent. D'une part, qu'attend-on des chercheurs, et de la recherche ? Il me semble que nous nous engageons dans une nouvelle phase, avec un regard critique des chercheurs sur l'ensemble des politiques locales. On sort ainsi d'une vision sectorielle des transports. Toutes les questions que nous avons évoquées ensemble sont très importantes. Il faut que la recherche se poursuive plus intensément que dans le passé dans cette voie. Il y a un grand intérêt à développer une fonction d'observation sur les territoires, et il faudrait que cela prenne de l'ampleur. Les chercheurs doivent participer à la construction de ces observatoires. Les partenaires et les acteurs publics doivent porter cette attente. D'autre part, quelles sont les questions qui portent sur l'action publique ? Il faut revisiter des schémas de pensée un peu trop fermés sur eux-mêmes. Tout ne passe pas par les collectivités locales, l'État doit être présent. Quelques pistes sont à explorer dans ce qui apparaît comme un jeu de redistribution des pouvoirs, qui ne peut pas aller trop vite. D'une part, la coopération, c'est une solution qui a été évoquée par différents intervenants, notamment Chantal Duchène qui a parlé de fédéralisme. D'autre part, la négociation ou la transaction, évoquées par Marc Wiel. Il me semble qu'il y a là matière à débats.
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Synthèse, conclusions et débats
Dans tout cela, quel doit être le rôle de l'État ? Les repères sont en train de se reconstruire, mais il reste à l'évidence beaucoup de questions en jachère. Il y a un discours des collectivités locales qui révèle une demande d'autonomie, et en même temps la loi Chevènement a été plébiscitée par les élus. L'État pourrait-il avoir un rôle de régulateur, d'arbitre ? C'est sans doute un rôle moins évident à installer, et à légitimer. À ce sujet, nous manquons de comparaisons européennes un peu structurées. Dans cette période de transition, il serait intéressant de voir comment évolue le rôle de l'État chez nos voisins européens.
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Synthèse, conclusions et débats
Publications associées à la recherche
Gallez C. et Menerault P. (dir), Recomposition intercommunale et enjeux des transports publics en milieu urbain, Rapport de convention Ademe-Inrets pour le 3ème Prédit, GO 11 « Politique des transports, juillet 2005, 277 pages. Ce rapport contient les chapitres cités dans le présent document : Menerault P., Réforme territoriale et dynamique de l'intercommunalité dans les transports collectifs urbains. Une approche diachronique, in Gallez C. et Menerault P. (dir), 2005, Chapitre 1, pp. 15-23. Richer C., Les transformations récentes de l'intercommunalité en matière de transports collectifs urbains, in Gallez C. et Menerault Ph. (dir), 2005, Chapitre 2, pp. 25-49. Guerrinha C. et Frère S., L'agglomération de Rennes, in Gallez C. et Menerault P. (dir), 2005, Chapitre 3, pp. 53-104. Gallez C. et Guerrinha C., La région stéphanoise, in Gallez C. et Menerault P. (dir), 2005, Chapitre 4, pp. 105-151. Frère S. et Richer C., L'arrondissement de Valenciennes, in Gallez C. et Menerault P. (dir), 2005, Chapitre 5, pp. 153-187. Bodin F. et Menerault P., L'agglomération de Caen, in Gallez C. et Menerault P. (dir), 2005, Chapitre 6, pp. 189-218. Menerault P., L'agglomération de Saint-Brieuc, in Gallez C. et Menerault P. (dir), 2005, Chapitre 7, pp. 219-240. Gallez C., Analyse transversale des études de cas et conclusions, in Gallez C. et Menerault P. (dir), 2005, Chapitre 8, pp. 243-267. Ce rapport est à paraître dans les collections des rapports de recherche de l'Inrets fin 2006début 2007. Gallez C., Les transports urbains face à la structuration du pouvoir d'agglomération, Pouvoirs locaux n° 3 ème trimestre 2005, pp. 70-74. 66,
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Ministère des Transports, de l'Équipement, du Tourisme et de la Mer Secrétariat Général DRAST Mission Transports Direction de publication : Gérard Brun Coordination d'édition : Frédérique Mounier Impression : Ministère des Transports, de l'Équipement, du Tourisme et de la Mer
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(ATTENTION: OPTION également de faire le SDAU.
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Figure 24 : Les SIVOM, premières structures intercommunales (1972-1992)
Source : Frère et Richer (2005)
5.3. Un schéma intercommunal morcelé suite à la loi ATR (1992) La deuxième période débute dans les années qutre-vingt dix, suite à la Loi d'administration territoriale de la République (ATR, dite loi Joxe). L'arrondissement se structure alors rapidement autour de 8 établissements intercommunaux à fiscalité propre (figure 25). Sept d'entre eux sont des communautés de communes. La plus importante d'entre elles, la communauté de communes de la Vallée de l'Escaut, rassemble 19 communes dont Valenciennes.
Figure 25 : L'intercommunalité dans le Valenciennois après la loi ATR (1992-1999)
Source : Frère et Richer, 2005
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Présentation et discussion des études de cas
Les regroupements se sont effectués largement en fonction des affinités partisanes et souvent sans continuité territoriale. En outre, le tracé prend en compte les ressources financières de l'arrondissement. Les quatre principales sources de taxe professionnelle de l'arrondissement se situent à Trith Saint-Léger (métallurgie et industrie automobile), à Hordain (industrie automobile), à Saint-Saulve (nombreuses PME), à Petite-Forêt (centre commercial). Trois des villes les plus riches de l'arrondissement jouxtent, en effet, la ville de Valenciennes (Trith Saint-Léger, Petite-Forêt, Saint Saulve). Parallèlement à cette organisation institutionnelle morcelée, se met en place une autre forme de partenariat à l'échelle de l'arrondissement, qui prend une forme moins intégrée, mais qui rassemble quand même l'ensemble des communes de l'arrondissement : l'Association pour le Développement du Valenciennois, créée en 1991. Son rôle consiste alors à assurer la représentation économique de l'arrondissement face aux partenaires institutionnels, dans l'optique du contrat de plan et des contrats d'agglomération. Néanmoins, les tentatives de transformation de l'association en SIVOM à la carte ou en syndicat mixte échouent. Deux raisons peuvent expliquer cet échec : d'une part, les élus de petites communes rurales étaient réticents à un renforcement du degré d'intégration de la coopération intercommunale ; d'autre part, Jean-Louis Borloo et Alain Bocquet craignaient de voir le rôle d'un élu socialiste ainsi renforcé. Ces diverses oppositions de principe ou sur le choix de la forme et des compétences d'une intercommunalité à l'échelle de l'arrondissement préfigurent les difficultés qui surgiront un peu plus tard, après le vote de la loi Chevènement. 5.4. L'impossible unification de l'arrondissement En dépit des différents discours en faveur de la constitution d'une communauté d'agglomération unique à l'échelle de l'arrondissement, le Valenciennois se scinde, suite au vote de la loi Chevènement, en deux communautés d'agglomération (figure 26).
Figure 26 : Les deux communautés d'agglomération du Valenciennois créées en 2001
Source : Frère et Richer (2005)
La communauté d'agglomération de « Valenciennes Métropole », qui regroupe 36 communes autour de Valenciennes, est présidée par Jean-Louis Borloo (PR), maire de Valenciennes et ministre de la Ville puis de l'Emploi et de la Cohésion sociale depuis 2002.
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La communauté d'agglomération de la « Porte du Hainaut » compte quant à elle 38 communes ; elle est présidée par Alain Bocquet, porte-parole du groupe communiste à l'Assemblée nationale et maire de Saint-Amand, centre principal de la structure communautaire. La communauté d'agglomération de la « Porte du Hainaut » compte quant à elle 38 communes ; elle est présidée par A.Bocquet, porte-parole du groupe communiste à l'Assemblée nationale et maire de Saint-Amand, centre principal de la structure communautaire. Cette configuration apparaît comme le produit d'un découpage politique, c'est-à-dire comme le résultat du clivage partisan gauche/droite et comme la constitution des fiefs de deux personnalités politiques d'envergure nationale (figure 27). En effet, l'activité politique d'Alain Bocquet et de Jean-Louis Borloo se combine entre le local et le national. Ce « double horizon 15 des pratiques » conduit ces élus à appréhender de façon particulière les enjeux de l'intercommunalité. La présidence d'une intercommunalité peut se concevoir comme un outil de consolidation du leadership local et comme une ressource supplémentaire pour peser sur la scène politique nationale. Le périmètre s'est finalement dessiné en fonction d'une répartition égale des ressources fiscales issues de la taxe professionnelle de part et d'autre.
Figure 27 : La couleur politique des communes du Valenciennois en 2001
Source : Frère et Richer, 2005
5.5. La dynamique des transports publics La question des déplacements s'est posée tardivement au sein du Valenciennois, notamment du fait que la main d'oeuvre ouvrière résidait, jusqu'à la crise des années soixante-dix, à proximité des mines et des usines. Puis, avec la crise, l'enjeu essentiel est le développement économique. Celui des transports s'est posé en termes de désenclavement de l'arrondissement, ainsi, le système de transports, déjà fortement structuré par le fonctionnement du système productif local, continue d'être développé en fonction des besoins des entreprises. Aujourd'hui, le contexte démographique et urbain demeure peu favorable à l'émergence d'enjeux forts en matière de développement des transports
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Cité par Dechy (2001), d'après une expression de J. Lagroye, De l'objet local à l'horizon local des pratiques, in A. Mabileau (dir.), A la recherche du local, Paris, L'Harmattan, 1993, pp. 166-182.
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collectifs. En outre, la faible densité, la forme du bâti très linéaire associés à un réseau routier suffisamment dimensionné ne posent pas de problème en termes de circulation automobile et ne favorisent pas le développement de nouvelles lignes de transport collectif. En 1973, le versement-transport est étendu aux agglomérations de province de plus de 300 000 habitants, puis de plus de 100 000 habitants en 1974. Le sénateur-maire de Valenciennes, Pierre Carous, prend l'initiative de réunir plusieurs maires de l'arrondissement, dont Jules Chevalier, maire d'Aulnoy lez Valenciennes, afin de constituer un syndicat intercommunal des transports. Le Syndicat Intercommunal des Transports Urbains de la Région de Valenciennes (SITURV) est alors créé en 1976 sur un périmètre relativement dense de 28 communes. Pierre Carous ayant refusé de présider le SITURV (soulignant la faible implication de la ville centre sur les questions de transports collectifs), c'est Georges Bustin, maire du Vieux Condé, qui assume cette tâche, largement assisté par le premier vice-président, Jules Chevalier. Très vite, Jules Chevalier s'intéresse à la création d'une société d'économie mixte qui serait chargée de l'exploitation du réseau de transports urbains. La SEMURVAL est créée en 1979, présidée par le maire d'Aulnoy. L'implication directe ou indirecte de ce dernier dans la présidence des deux structures marque le début d'une symbiose entre le SITURV et la SEMURVAL. L'extension du PTU s'opère ensuite par l'adhésion progressive des communes les moins peuplées : en 1989, il s'étend sur 65 communes et aujourd'hui sur 75 des 82 communes de l'arrondissement (figure 28).
Figure 28 : La croissance continue du Périmètre des Transports Urbains (1976-2001)
Source : Frère et Richer, 2005
En 2001, le SITURV se transforme en syndicat mixte. La compétence obligatoire « organisation des transports » des deux communautés d'agglomération a en effet remis en cause l'existence de l'autorité organisatrice sous sa forme antérieure. Pour permettre la continuité du service public de transport et en arguant de la nécessité d'assurer une gestion cohérente du réseau, les deux communautés d'agglomérations vont déléguer leurs compétences au SITURV. La même année, Francis Decourrière, conseiller municipal à Valenciennes, est élu président du syndicat mixte. Il représente le consensus entre les deux présidents des communautés d'agglomération. Ce changement de présidence marque la fin de la symbiose qui caractérisait les relations entre l'autorité organisatrice et l'exploitant.
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En outre, les évolutions à la baisse de la clientèle, les problèmes de temps de transport et les limites de capacité (versement-transport limité) ont précipité la recherche de solutions. Ainsi, dans les années quatre-vingt-dix, un projet d'organisation des transports publics « Transvilles » articulé autour d'un tramway associé à un redéploiement des lignes de bus dans l'agglomération (figure 29) est envisagé.
Figure 29 : Le projet « Transvilles »
Source : Frère et Richer, 2005
Ce projet a été beaucoup contesté. Les commerçants et riverains s'y sont opposés. En outre, le tramway porté techniquement par le SITURV et la SEMURVAL, a été perçu pendant longtemps comme un outil imposé par des élus politiquement opposés à la villecentre, ce qui a retardé sa mise en oeuvre. Puis, avec la volonté politique de redynamiser le centre-ville en perte de vitesse, les élus de Valenciennes ont perçu l'opportunité que constituait l'arrivée d'un tramway en tant qu'outil d'urbanisme. Il participe également au changement d'image de la ville souhaitée par Jean-Louis Borloo. Mais, les investissements liés au projet « Transvilles » posent aussi la question de l'équilibre entre les deux communautés d'agglomération : ces dernières participent de manière équivalente au financement du SITURV tandis que, dans une logique de centralité, les investissements se portent d'abord sur la ville centre. Le SITURV doit en permanence veiller à assurer un équilibre dans la qualité de service entre Valenciennes Métropole qui accueillera la phase 1 du TCSP sur son territoire et la Porte du Hainaut, qui doit bénéficier d'une compensation par une desserte adaptée, du type « transport à la demande ». Le SITURV doit ainsi composer en permanence avec les deux communautés d'agglomération ce qui a pour effet de complexifier et de ralentir son processus décisionnel. Éléments de conclusion La figure 30 résume la situation des transports publics dans les principales étapes de l'intercommunalité Valenciennoise. La première phase, des années soixante-dix jusqu'en 2001, est marquée par la sectorisation des compétences communautaires : l'intercommunalité transport fonctionne de manière autonome tandis que des structures plus intégrées n'arrivent pas à émerger.
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La deuxième période correspond à une phase de transition provoquée par la redéfinition du cadre législatif dû à la loi Chevènement sur la coopération intercommunale. Cette instabilité se caractérise par un PTU fragmenté en deux parties consécutivement à la création des deux communautés d'agglomérations. L'étape actuelle s'apparente à une « logique d'adaptation », c'est-à-dire à une volonté de sauvegarder le périmètre des transports qui semble correspondre à un territoire fonctionnel de gestion des transports. Un syndicat mixte gère désormais la compétence transport des communautés d'agglomérations, ce qui contribue à sectoriser de nouveau l'organisation des transports collectifs.
Figure 30 : De la sectorisation technique à l'instrumentalisation politique de la compétence transport
La configuration valenciennoise pose la question de la transversalité des actions et des politiques menées sur ce territoire. On assiste à Valenciennes à un cloisonnement encore important entre les structures et leurs acteurs. L'action publique est élaborée en « circuit fermé ». La deuxième question concerne la séparation de l'arrondissement en deux communautés d'agglomération : cela ne traduitil pas la meilleure forme de compromis entre un « espace de pouvoir » (échelle d'intervention politique) et un « territoire de projet » (échelle de planification et d'aménagement) ? Dans leur fonctionnement, les deux entités semblent se satisfaire de cette séparation et au fil du temps, s'autonomisent davantage. Les procédures de SCOT à venir paraissent confirmer cet effet de frontière.
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6. L'agglomération de Saint-Brieuc
Philippe Menerault L'agglomération de Saint-Brieuc se démarque des autres collectivités étudiées par sa taille. Si toutes les autres se situent dans des aires urbaines de plus de 300 000 habitants, celle-ci ne regroupe que 121.237 habitants. Il était cependant important d'introduire dans cette recherche un organisme urbain de dimension plus modeste, à la fois pour refléter la diversité de l'armature urbaine française et pour saisir s'il se comporte, dans les relations qui unissent le réseau au territoire, de manière identique aux autres collectivités ou, au contraire, si les processus, les phases et les mécanismes qui l'animent apparaissent singuliers. Quatre thèmes permettent de synthétiser les caractéristiques du rapport entre transports publics et intercommunalité dans le cas de Saint-Brieuc : d'abord, un cadrage sur l'organisation urbaine et ses correspondances avec la géographie de l'intercommunalité ; puis, sur le temps long, le rôle des transports publics dans les étapes qui ont marqué le développement de l'intercommunalité ; ensuite, toujours dans une approche diachronique, les éléments qui font des transports collectifs un puissant marqueur territorial pour la collectivité ; enfin, la dimension politique du territoire, à travers la question du leadership face à la dynamique intercommunale et aux enjeux du transport public. En conclusion, quelques questions vives sur la recomposition territoriale de l'agglomération briochine seront portées au débat. 6.1. Éléments de cadrage : organisation urbaine et extension intercommunale Il faut d'abord noter qu'au sein de son aire urbaine, Saint-Brieuc occupe une position dominante en termes démographique et économique. Elle regroupe ainsi 38% de la population et 53% des emplois de son aire urbaine. Par ailleurs, depuis 1975, l'agglomération se caractérise par sa croissance continue, mais avec un déclin démographique de la ville-centre sur la période 1975-1990 ; ce n'est qu'au dernier recensement qu'un redressement a été enregistré. Il profite aux quartiers centraux et péricentraux de la commune. Paradoxalement, malgré cette inversion de tendance, un sentiment de perte de vitalité du centre est ressenti par plusieurs de nos interlocuteurs ; à une autre échelle, les résultats électoraux de 2001 en constituent un indicateur. Deux autres traits généraux marquent l'agglomération : d'une part, le vieillissement de la population et d'autre part, un taux élevé de motorisation des ménages, seulement 18% d'entre eux ne disposant pas d'automobile. Le périmètre de l'aire urbaine de Saint-Brieuc (figure 31) rencontre à sa proximité immédiate deux autres aires urbaines : celle de Guingamp à l'ouest et celle de Lamballe à l'est ; cette dernière jouxtant même l'aire urbaine briochine.
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Présentation et discussion des études de cas
Figure 31 : Aire urbaine de Saint-Brieuc
Source : Menerault et Richer (2005)
Une telle situation a pour effet de créer une aura à la fois importante et discontinue de communes multipolarisées, au-delà de l'aire urbaine, mais elle tend aussi à réduire l'influence briochine directe et à contenir le périmètre de son aire urbaine. Ce contexte apparaît alors propice à un calage assez étroit des périmètres de l'intercommunalité et de l'aire urbaine (figure 32).
Figure 32 : Périmètres de l'aire urbaine et de la CA de Saint-Brieuc
Source : Menerault et Richer (2005)
Quatorze communes composent la Communauté d'agglomération de Saint-Brieuc (CABRI) qui compte 107 000 habitants (contre 121 000 dans l'aire urbaine, pour 23 communes). Le second élément à relier à cette configuration en aires urbaines multiples et voisines est qu'elle favorise l'émergence d'un complexe d'intercommunalités, sous la forme de nombreuses communautés de communes. La CABRI est la seule communauté d'agglomération à participer à ce dispositif qui s'est organisé, en 2003, dans le cadre d'un « Syndicat mixte de Pays » (figure 33).
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Figure 33 : Intercommunalités au sein du Pays de Saint-Brieuc (2003)
Source : Menerault et Richer (2005)
La dimension institutionnelle des pays revêt en Bretagne une signification particulière ; elle permet, en effet, une inscription au Plan Régional d'Aménagement du Territoire et ouvre la possibilité d'obtenir des subventions sur projet, issues du conseil régional. 6.2. Aspects diachroniques du rôle des transports publics dans la dynamique spatiale de l'intercommunalité Dans l'histoire de l'intercommunalité briochine, deux compétences se sont épaulées pour modeler la géographie et le contenu de l'organisme d'agglomération : l'économie (considérée au sens large, de la gestion de zones d'activités à la réflexion et à l'intervention sur le développement) et les transports collectifs. Longtemps abordés dans le cadre de dispositifs séparés, peu contraignants pour les communes (SIVU et charte), à la construction décalée dans le temps, ces compétences ont représenté le socle du district à fiscalité propre créé en 1991 (figure 34). Dans la mise en place de l'intercommunalité briochine, il faut remarquer le hiatus important des années soixante-dix. Il est consécutif à l'échec d'une tentative de création d'un « Grand Saint-Brieuc » par fusion de communes, dans la ligne de la Loi Marcellin (1971). Cet essai a cependant laissé des stigmates et longtemps nourri la méfiance des élus des collectivités périphériques pour toute coopération intercommunale, en dehors de celle réalisée sur la gestion de biens indivis ou sur des objets perçus comme strictement techniques, comme les transports. Le district de 1991 est d'ailleurs, pour partie, bâti sur une crainte, une anticipation par rapport à la loi Joxe (ATR, 1992), afin qu'une une forme plus contraignante d'intercommunalité ne soit pas imposée localement par l'État. Si, à cette époque, la géographie du district (10 communes) épouse approximativement le périmètre de la Charte intercommunale de développement (12 communes) et dépasse largement celui des transports urbains, l'adhésion ultérieure de la commune de Plérin, collectivité stratégique par sa population, ses activités, sa proximité de Saint-Brieuc et son ouverture littorale, doit beaucoup au rôle du transport public comme élément physique de liaison et de cohésion territoriale. En effet, la desserte de la commune de Pordic par les transports collectifs se faisait par un passage sans arrêt dans celle de Plérin, ce qui a suscité des interrogations de la population et opéré une pression en direction des élus pour un rattachement au district, qui survient en 1996 avec celui de trois autres collectivités.
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Présentation et discussion des études de cas
À partir de cette date, l'organisme intercommunal acquiert progressivement et régulièrement de nouvelles compétences et, en 1999, après la loi Chevènement, le district est sans rupture majeure transformé en Communauté d'agglomération. Si des moyens financiers supplémentaires sont octroyés, le périmètre de l'intercommunalité retenu demeure constant. 6.3. Le réseau de transports publics urbains : puissant outil de marquage territorial La question de la signification du réseau de transports publics pour la construction du territoire intercommunal, abordée sur le temps long, est essentielle pour comprendre combien cette compétence joue un rôle particulier dans la dynamique de coopération locale. Quatre éléments nous ont paru particulièrement évocateurs de cet aspect dans le contexte de Saint-Brieuc ; ils touchent à des dimensions organisationnelles, physiques, mais aussi symboliques du transport. Le premier élément tient au rôle de la planification des déplacements dans la relance de l'intercommunalité et concerne une dimension organisationnelle du territoire. Après la rupture dans le dialogue intercommunal qui a suivi la tentative avortée de fusion de communes, la procédure de Plan de Déplacements Urbains, dans sa première mouture, issue de la loi d'Orientation des transports intérieurs (1982), a constitué un objet permettant localement de promouvoir l'idée d'une logique de coopération plus large. L'articulation transport/urbanisme, la dimension déplacements et non plus seulement transport, sur le versant intensif ; l'extension du périmètre de l'autorité organisatrice des transports, sur le versant extensif, ont été au coeur de la démarche de PDU conduite à l'échelle de 6 communes dans le cadre d'un syndicat d'études. Si l'approche transversale est restée modeste dans ses applications, le PDU a toutefois bien contribué à l'extension du Syndicat des transports urbains briochins.
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Figure 34 : Les étapes de la dynamique spatiale de l'intercommunalité briochine
Source : Menerault (2005)
La séparation des réseaux urbains et interurbains est le deuxième élément fort qui marque le rôle du transport public dans la construction territoriale et concerne tant une dimension organisationnelle que physique du territoire. Si cette tendance n'est pas propre à l'agglomération briochine, il faut constater ici que la collectivité a plusieurs fois interpellé l'exploitant du réseau pour qu'il transforme son mode de production du service et qu'elle a été jusqu'à en changer, ce qui est relativement peu courant dans le contexte français, hormis les phénomènes de concentration du secteur. En effet, la Compagnie Française de Transport a cédé son réseau à la Compagnie Armoricaine de Transport du groupe Verney à
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la fin des années soix ante pour des raisons de rentabilité. Or, Verney est le principal exploitant du réseau départemental et, dans un premier temps, la différenciation est faible entre l'offre urbaine et interurbaine. L'implication financière croissante de Saint-Brieuc dans un contrat qui n'a plus de « Risques et périls » que le nom, incite la collectivité à revendiquer l'individualisation nette de la desserte urbaine dans le milieu des années quatre-vingts,, d'autant que se constitue une autorité organisatrice intercommunale (SIVU) en quête d'identité. Cette demande conduit l'opérateur à créer la Société des Transports de l'Agglomération Briochine (SETAB), filiale urbaine distincte de l'interurbain. Pourtant, la séparation réalisée qui touche autant la gestion que la nature de l'offre et l'image du réseau, ne satisfait pas entièrement la collectivité qui change d'exploitant, en 1991, en recourant aux services du groupe Transexel (futur Kéolis) pour développer un réseau aux caractéristiques plus urbaines, dans cette période où s'affirme le concept de « génie urbain ». Le troisième élément qui fait du réseau de transport un marqueur territorial est cette fois plus spécifique à Saint-Brieuc - même s'il a été diffusé ultérieurement dans d'autres collectivités françaises - et touche à la fois à des dimensions organisationnelle, physique et symbolique. Il s'agit d'une innovation introduite en 1990 sous la dénomination de « Taxitub ». Elle consiste à desservir, à la demande, les secteurs peu denses de l'agglomération par des liaisons à la fois souple, adaptée à des extensions de périmètre et recourant à l'utilisation des taxis. Le système directement géré par la collectivité, fonctionne à partir d'une réservation opérée sans intervention humaine, par un dispositif informatisé. Il est initialement fondé sur la définition de « lignes virtuelles » (figure 35) parcourues par des taxis qui possèdent toutes les caractéristiques des lignes régulières : trajets fixes, arrêts matérialisés, horaires déterminés permettant de rejoindre un point de correspondance avec le réseau régulier ou de gagner directement le centre-ville de Saint-Brieuc. En ce sens, il matérialise une emprise étendue du réseau sur le territoire et tout particulièrement dans ses périphéries.
Figure 35 : Les lignes virtuelles de Taxitub
Ce système a été développé à Saint-Brieuc parallèlement à l'adhésion de nouvelles communes à l'autorité organisatrice des transports, pour lesquelles il a constitué une motivation forte au processus d'intégration intercommunale. De 16 lignes en 1990, on en compte 30 en 1995 irriguant les 10 communes du district, et 55 en 2004 qui parcourent les 14 collectivités de la communauté d'agglomération. Le cas de Saint-Brieuc apparaît alors tout à fait singulier dans le paysage français et d'une certaine manière, le fort capital symbolique qui s'attache aux « Taxitub » semble avoir permis au réseau de se doter d'une identité à partir de la desserte de ses territoires périphériques.
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Enfin, la dénomination du réseau et du territoire contribuent à témoigner de la dimension symbolique du transport public dans l'émergence d'une identité d'agglomération. En 1991, lorsque Transexel devient l'opérateur du réseau, le groupe créé une filiale d'exploitation appelée Compagnie des Autobus Briochins - désignée par le sigle de CABRI ; en 1999, lorsque la Communauté d'Agglomération est fondée, elle reprend les mêmes initiales, qui signifient alors simultanément Communauté d'Agglomération Briochine. Par ce choix, la collectivité tend donc à indiquer l'unité qui existe entre le réseau et le territoire qu'il dessert et dont il solidarise les lieux matériellement, mais aussi symboliquement. 6.4. Leadership d'agglomération « contrarié » et enjeux des transports publics urbains Si l'on aborde maintenant le rapport entre les transports publics et l'intercommunalité en partant, non plus du réseau, mais de l'organisation politique du territoire, le fait marquant qui caractérise la situation briochine est l'échec inattendu, aux élections municipales de 2001, de la liste sur laquelle se présentait le sénateur-maire sortant (Cl.Saunier) et l'élection du candidat UDF (B.Joncour), dans ce fief socialiste qui fut la patrie de l'écrivain Louis Guilloux. Sur le plan de la dynamique intercommunale, ce ne sont donc pas, dans ce cas, les répercussions de la loi Chevènement qui constituent le véritable élément de rupture. Elle offre simplement l'opportunité d'accompagner et d'amplifier un mouvement enclenché au début des années quatre-vingt-dix. La véritable coupure dans l'organisation territoriale provient des suites de la dernière élection municipale et de ses effets sur la construction intercommunale qui peuvent être exprimés par cinq registres différents. D'abord, la logique locale d'appropriation des fonctions intercommunales par un « grand élu » est mise à mal par les résultats électoraux. Si Cl.Saunier ne visait pas un fauteuil de maire, il briguait en revanche un mandat à la tête d'une intercommunalité dont il a été l'un des principaux artisans et porteurs, et cela dès l'origine. La nouvelle donne intercommunale, alors que la présidence de la communauté d'agglomération est confiée à un élu d'une petite commune périphérique est à mettre en regard de l'opinion exprimée par le politiste G.Marcou (2000) pour lequel « les communautés d'agglomérations qui vont négocier directement avec l'État, la région ou le département devront être présidées par des élus spécialistes de l'action publique ». Si cette spécialisation du personnel politique peut être discutée, l'évolution briochine illustre cependant l'existence de deux orientations divergentes dans la conduite du développement d'un pouvoir d'agglomération. Le contexte de renouvellement des élus de la ville-centre et de changement partisan de majorité conduit aussi à porter une attention particulière aux projets municipaux et éventuellement à les disjoindre d'opérations d'ordre intercommunal, pour affirmer l'action municipale et son marquage territorial. C'est le cas avec le projet urbain du « Champs de Mars » au coeur de Saint-Brieuc dont le traitement, repoussé par l'équipe politique précédente, est engagé actuellement, mais indépendamment des restructurations de la gare urbaine et du réseau de transport public qui bordent l'espace du projet. Du point de vue de l'urbanisme, il y a là une inversion des temporalités par rapport à une tendance dominante dans de nombreuses agglomérations où ce sont les interventions sur les réseaux de transport qui concourent à associer des opérations urbaines, dans le cadre d'aménagement de ZAC. La crise des services communautaires constitue un troisième aspect de la dynamique intercommunale briochine. Elle est conjoncturelle et se matérialise par le départ du directeur général et de trois des cinq directeurs de services de la communauté d'agglomération (figure 36). Le renouvellement politique, facteur d'incertitude, s'ajoute alors à un contexte d'offre d'emplois ouvert et de possibilités de promotions dans des organismes intercommunaux voisins. Ce n'est donc pas uniquement le personnel politique qui change après les élections de 2001, c'est aussi la majorité des responsables technico-administratifs de la structure d'agglomération.
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Figure 36 : Évolution des services techniques de la CABRI en 2003
Source : Menerault (2005)
Le changement politique constitue aussi une occasion de faire ressurgir des projets laissés en jachère par l'équipe précédente. C'est, dans le domaine des transports publics, le cas d'un projet de site propre qui bénéficie d'un substrat d'études abondant réalisé au cours de la période 1994-1997. Les réflexions sur la réorganisation du réseau de transports publics, appuyé sur un dispositif de site propre, ont été réactivées en 2002 et des études complémentaires effectuées à la demande de l'organisme intercommunal. Le Plan de Déplacements Urbains, réalisé en 2004, a été l'occasion de remettre en scène l'idée du site propre, mais son horizon temporel de réalisation, repoussé à 2013, tend à indiquer au-delà des difficultés techniques, que les tensions entre communes, par rapport à sa mise en oeuvre, sont encore à lever. Enfin, la nouvelle donne politique conduit à chercher des espaces de reconquête à un niveau intercommunal. Dans ce cadre, le « Syndicat mixte de Pays » et sa (sur)valorisation peut apparaître comme un lieu alternatif possible de contrôle du territoire local. Cet espace de projet, présidé par le maire socialiste de Lamballe, affirme progressivement son identité par un projet transversal de « Pays du vivant ». Il se trouve en charge de la planification stratégique au niveau de la réalisation du Schéma de cohérence territoriale, de l'élaboration du « Pays touristique », du SAGE et, dans le champ des transports, envisage même de promouvoir un « Plan de Déplacements de Pays ». Éléments de conclusion Pour conclure, nous soulèverons quelques interrogations sur l'interface entre intercommunalité et transports publics à propos de l'exemple de Saint-Brieuc, mais ces questionnements peuvent trouver une résonance dans un contexte plus large. La première interrogation concerne la Communauté d'agglomération, qui assume la compétence transports publics. Ne se trouve-t-elle pas aujourd'hui finalement prise en tenaille entre, d'une part, l'échelon communal, espace de légitimité et de représentation politique et, d'autre part, le Pays, espace du projet territorial. Dans ce cadre, le rôle de la communauté d'agglomération n'apparaît-il pas alors réduit à un espace de gestion sectorielle des compétences ? Une deuxième série de questions porte sur le rôle des autres partenaires institutionnels intervenant dans le champ des déplacements, dans le nouveau complexe local de pouvoirs : Quels leviers, quel pouvoir reste-t-il au niveau des services de l'État ?
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Comment le Plan Régional d'Aménagement du Territoire de Bretagne peut-il contribuer à modeler l'intercommunalité ? Comment se positionne le conseil général qui participe au syndicat mixte de Pays ? La communauté de communes de Lamballe qui a instauré le versement-transport sur son territoire et dispose d'un service de transports publics à la demande envisage-t-elle des synergies avec la CABRI pour le développement des transports collectifs ? Le syndicat mixte peut-il alors être un cadre de réflexion, puis un cadre d'action, adapté ? Enfin, un dernier point porte sur le succès du Taxitub en tant qu'attracteur intercommunal pour des collectivités périphériques et outil de desserte souple. Un tel succès ne contribue-il pas à occulter la question de la maîtrise de l'urbanisation au profit d'un accompagnement de la périurbanisation ?
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7. Discussions et débats autour des études de cas
Michel Rousselot (Président du GO11 Politique des transports du Prédit) Nous allons maintenant aborder les discussions sur les études de cas qui ont été présentées. Je donne la parole à Monsieur Noël Philippe, directeur général adjoint des services techniques de la communauté d'agglomération de Rennes Métropole. Noël Philippe (Directeur général adjoint des services techniques de Rennes Métropole) Quelles sont les caractéristiques principales du cas rennais ? Tout d'abord, la grande stabilité du district de Rennes à la fois au niveau politique et au niveau technique. Il y a eu, dans la structuration intercommunale, deux voies parallèles suivies d'un côté par le district, qui s'occupait principalement d'aménagement de l'espace et, de manière moindre, de développement économique ; et de l'autre par le syndicat intercommunal des transports en commun de l'agglomération rennaise (SITCAR), qui s'occupait de l'organisation des transports collectifs. Le district de Rennes a été la première intercommunalité de France à adopter le régime de la taxe professionnelle unique. Par ailleurs il est vrai de souligner, comme cela a été dit ce matin, que le débat sur le Plan de déplacements urbains (PDU) a été en partie occulté par celui du métro. Il y a quelque chose qui n'a pas été évoqué, qui concerne le fait que le périmètre des transports urbains (PTU) est très étendu, du fait notamment de la grande taille de la villecentre : le PTU de Rennes est à peu près équivalent à celui de Lille ou même de Lyon. Le territoire intercommunal est donc très marqué par la ville-centre, et par sa forte densité - qui justifie d'ailleurs la construction du VAL. On peut dire que le territoire de Rennes métropole se compose de Rennes et de 36 communes périphériques. On doit également rappeler que la ville-centre est entourée d'une rocade à 2 fois 2 voies et de 19 voies autoroutières, ce qui laisse entrevoir la nature des enjeux de déplacements locaux. Qu'en est-il de l'intercommunalité aujourd'hui dans l'agglomération rennaise ? Le PDU est en révision. Par ailleurs, il y a un Programme local de l'Habitat (PLH) très ambitieux, en cours d'élaboration sur le territoire de Rennes Métropole. Il y a en effet un gros problème de logement, dû à une crise de l'immobilier, marquée par une hausse importante des prix. La réponse qu'apporte le PLH est basée sur un développement des communes périurbaines et un développement plus modéré de la ville-centre. La deuxième étape pour les transports collectifs est d'ailleurs liée à ce développement de la périphérie. C'est la clé de la réussite du PLH, il y a un lien effectif entre les transports et le logement dans le plan. Quant aux relations avec le département et la région, elles s'améliorent. C'est devenu plus facile depuis mars 2004, avec le développement d'un projet de billettique très ambitieux à l'échelle régionale, dont l'étude a été cofinancée par la région, le département et Rennes métropole et qui est inscrit dans le contrat d'agglomération. La mise en oeuvre de ce projet pourrait déboucher sur la création d'un syndicat mixte de transport SRU. Michel Rousselot (Président du GO11 Politique des transports du Prédit) Rennes est un cas particulièrement intéressant vis-à-vis des relations entre les politiques de transport et les politiques d'aménagement. Le projet de VAL apparaît comme un élément d'exacerbation du risque d'incohérence entre les deux champs. Le VAL soulève une controverse parce qu'il y existe une contradiction entre le projet de développement des transports collectifs et l'urbanisation polycentrique en périphérie inscrite au schéma directeur. Cette contradiction apparente n'est-elle pas relayée par les à-coups de la structuration intercommunale, et ne se traduit-elle pas encore aujourd'hui une séparation des deux champs techniques ?
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Michel Phlipponneau (Géographe, ancien président du district de Rennes) Je relève une contradiction entre la volonté de développer l'habitat à la périphérie de Rennes et le projet de développement d'une deuxième ligne de métro. Étant donné le coût et les conséquences financières, on a de quoi se poser des questions sur la pertinence de ce développement ! Noël Philippe (Directeur général adjoint des services techniques de Rennes Métropole) Le débat sur le métro a été une question éminemment politique, qui continue à susciter des polémiques. Il n'y a pas de tant de contradiction entre l'aménagement urbain et le VAL : le schéma des villettes est certes particulier, il garde son importance dans la structuration de l'urbanisation périphérique, mais la densité de la ville de Rennes justifiait la construction d'un métro. Dans l'ensemble des documents d'urbanisme, la question des déplacements est présente. Le VAL est une réussite. Sa mise en circulation a entraîné une restructuration totale du réseau urbain et suburbain qui garantit un fonctionnement très satisfaisant. Michel Phlipponneau évoquait le PLH et la deuxième ligne de VAL. On va certes moins construire sur la ville, mais on va continuer d'assurer le renouvellement urbain. Christophe Guerrinha (CRETEIL-Institut d'Urbanisme de Paris) Que pouvez-vous nous dire du SCOT qui est en cours d'élaboration ? Noël Philippe (Directeur général adjoint des services techniques de Rennes Métropole) Pour le SCOT rennais, nous sommes dans une phase de négociation avec le département et la région, étant donné que les enjeux de déplacements dépassent le périmètre de l'intercommunalité. L'un des chantiers prioritaires est la mise en place de la billettique et d'une tarification intégrée. L'ensemble de l'aire urbaine représente 140 communes, soit presque l'équivalent du département. Nous avons mis en place un GIP. Il y aura un schéma de secteur sur Rennes Métropole. Pour l'instant, je ne peux pas vous en dire beaucoup plus, ne travaillant pas directement sur cette démarche. Jean-Marie Grellier (Syndicat mixte de transport de Charentes Maritimes) Quelles sont vos relations avec le Département et les autres AOT, notamment quelles sont les coopérations en matière d'offre et de tarification ? Noël Philippe (Directeur général adjoint des services techniques de Rennes Métropole) Concernant la tarification, nous avons créé le titre intermodal Unipass. Nous sommes toujours dans une phase d'expérimentation, mais elle devrait déboucher sur une politique plus globale. En ce qui concerne l'offre de transport, il n'existe pas vraiment de coordination. La coordination de l'offre constituera une deuxième étape, nous avons commencé par coordonner les tarifs. La création d'un syndicat mixte de transport sera alors peut-être nécessaire. Michel Rousselot (Président du GO11 Politique des transports du Prédit) Je donne maintenant la parole à Monsieur Ludovic Meyer, à propos du cas stéphanois. Ludovic Meyer (Chargé de mission PDU à Saint-Étienne Métropole) Je commencerai tout d'abord deux points importants, qui n'ont pas été rappelés ce matin. Le premier concerne la tradition stéphanoise en matière de transports publics : la première ligne de chemin de fer française (Andrézieux-Saint-Étienne) a été construite en région stéphanoise ; par ailleurs, c'est l'une des rares villes à avoir maintenu une ligne de tramway au moment où toutes les villes françaises démantelaient leurs réseaux. Un deuxième élément porte sur l'histoire récente du versement-transport. Au moment de l'élargissement du périmètre de Saint-Étienne Métropole, certaines entreprises de la vallée du Gier ont refusé de payer le VT. Elles ont déposé un recours judiciaire et l'ont emporté. Le
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sénateur-maire de Saint-Étienne, Michel Thiollière, a alors déposé un amendement permettant de moduler (dans l'espace et dans le temps) l'ajustement des taux de VT à l'intérieur d'un même PTU. Il y a donc aujourd'hui trois taux de perception du VT au sein du périmètre de la communauté d'agglomération. Il n'était pas certain que l'amendement puisse passer, la crainte étant que le cas stéphanois ne fasse jurisprudence. Le résultat est que cet amendement permet à la fois de « faire passer » la structuration intercommunale, mais aussi de conforter le pouvoir du président de la communauté d'agglomération. Pourtant, il me semble que toutes les questions ne sont pas réglées à propos de cet impôt. La logique de remise en cause du VT est en fait liée à l'inadéquation entre l'offre que l'on peut développer, et la taxe qui est prélevée. Ce qui soulève un réel problème de territorialisation : on ne peut pas desservir une commune rurale de la même manière que la zone dense, même si elle se trouve à l'intérieur du périmètre de l'agglomération. Par ailleurs, il y a un point sur lequel je ne suis pas d'accord avec vous, sur lequel je n'ai pas la même lecture. Je ne pense pas que Saint-Étienne Métropole soit responsable de l'échec de la création d'un syndicat mixte avec la Plaine du Forez. Il y a eu une incompréhension sur le premier PDU lié en partie au fait que le scénario C n'a pas été retenu. Cependant au moment de la révision du PDU, la communauté d'agglomération de Saint-Étienne Métropole a demandé aux collectivités de la Plaine l'autorisation d'inscrire un certain nombre d'actions sur leur territoire. Cela dit, le PTU est limité à 43 communes et hors de ce PTU, la communauté d'agglomération n'est pas compétente, c'est donc sur ce territoire que SaintÉtienne Métropole, légalement, peut programmer des actions. Les collectivités de la Plaine se sont récemment transformées. L'une d'elles (Forez Sud) est devenue une communauté d'agglomération et regroupe aujourd'hui 50 communes pour 80 000 habitants, sur un tissu qui est donc très rural. Il y a une vision très « départementalisée » des choses, notamment vis-à-vis des projets routiers. La compétence transports publics a d'ailleurs été déléguée au Département. Ce périmètre correspond également à une circonscription législative. Aujourd'hui cette collectivité cherche à attirer de nouvelles entreprises en s'appuyant sur le fait que leur taux de versement-transport est moins élevé qu'à Saint-Étienne Métropole... Concernant le syndicat mixte, les élus de Saint-Étienne Métropole ont une vision assez prudente. La communauté d'agglomération compte déjà 43 communes, ce qui est déjà ambitieux, même si le PDU et le SCOT concernent un périmètre beaucoup plus vaste. Il faut d'abord apprendre travailler ensemble. Aujourd'hui, c'est vrai que les élus se concentrent sur l'agglomération, même s'ils sont conscients que ce n'est pas le périmètre le plus pertinent. Le SCOT est en train de se faire avec la plaine du Forez, mais les transports n'en constituent pas vraiment un enjeu principal. Le PDU a déjà brossé à peu près tout ce qui pouvait être fait. L'enjeu serait plutôt de réfléchir au type de développement urbain. En revanche, il existe un réel besoin de développer une réflexion à l'échelle de la Région Urbaine de Lyon (RUL). C'est à cette échelle, qui compte 11 Autorités organisatrices de transports, que se situent les véritables enjeux de déplacements aujourd'hui. Pour ce qui concerne l'intermodalité, à Saint-Étienne nous n'en sommes pas encore à réfléchir à des titres uniques. S'il faut pour cela faire un syndicat mixte avec la Plaine du Forez, nous le ferons. Mais surtout, il ne faut pas manquer l'aire métropolitaine Lyon-Saint-Étienne, c'est à cette échelle, qui est celle de la vie quotidienne des stéphanois, qu'il faut mettre en oeuvre une véritable politique de transports. Même si nous avons la première ligne de TER en termes de fréquentation, la Région n'est pas la plus en pointe pour le TER. Il y a beaucoup d'affichage, et c'est surtout Saint-Étienne Métropole qui fait avancer la réflexion. Ce qui n'a pas été forcément beaucoup discuté, c'est du rôle très important (parfois trop important) des exploitants. Notamment celui de la SNCF vis-à-vis de la Région. Il est urgent que le pouvoir politique reprenne le pouvoir à cette échelle-là. Et la question des coûts est souvent un faux débat : les élus continuent bien de
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promouvoir les systèmes autoroutiers, alors que les collectivités n'en n'ont pas forcément les moyens. Chantal Duchène (Directrice générale du GART) J'aimerais revenir sur la question du versement-transport, et insister sur le fait que le VT n'est pas une taxe, c'est un impôt ! Cette distinction est importante, puisqu'en tant qu'impôt, le VT n'a pas de rapport avec le service rendu : les entreprises situées à l'intérieur du PTU doivent donc payer le VT même si elles ne sont pas desservies. C'est le lien entre les transports publics et le fonctionnement économique de l'agglomération que l'on remet en question lorsqu'on prétend relier le paiement du VT à l'existence d'une desserte. Le risque est donc de changer complètement la nature du versement-transport. Caroline Gallez (INRETS-LVMT) Pour répondre brièvement à Ludovic Meyer, je n'ai pas le sentiment que l'absence de création d'un syndicat mixte de transport soit un échec imputable à Saint-Étienne Métropole, ni même que cela soit un échec tout court, mais que cela relève au contraire d'un choix de la part communauté d'agglomération. Il m'a semblé que Saint-Étienne Métropole était réservée par rapport à la question du syndicat mixte parce qu'elle était dubitative à l'égard de l'implication effective des communautés de communes périphériques et du département en matière de transports publics. La crainte étant que la création d'un syndicat mixte ne conforte une position trop attentiste de leur part, la communauté d'agglomération souhaite qu'elles assument d'abord elles-mêmes la compétence transport ou qu'elles fassent preuve d'un engagement plus clair en matière de transports collectifs. C'est un choix politique qui a, me semble-t-il une certaine cohérence, et qui est de plus pertinent au regard des enjeux de renouvellement urbain qui sont aujourd'hui la priorité affichée par Saint-Étienne Métropole. Michel Rousselot (Président du GO11 Politique des transports du Prédit) Monsieur Guy Deléon, directeur général des services techniques de la communauté de communes de Lamballe, va maintenant réagir sur le cas de Saint-Brieuc. Guy Deléon (Directeur général des services techniques de la CC de Lamballe) J'ai quitté St Brieuc il y a trois ans, où j'occupais le poste de directeur du développement économique à la CABRI. Je souhaiterais tout d'abord faire plusieurs remarques à propos de la structuration du pouvoir d'agglomération. Je crois que l'affirmation du pouvoir d'agglomération, à Saint-Brieuc comme ailleurs, est incontestable et incontestée. C'est un fait positif, qui, malgré les difficultés évoquées, n'a pas amené que des problèmes. Et ce n'est pas non plus tout à fait ce que les services de l'État attendaient. L'essai de recomposition intercommunale par le haut n'a pas fonctionné en France, au contraire du mouvement de coopération volontaire des communes, qui a entraîné des réussites incontestables. La structuration intercommunale à Saint-Brieuc s'est effectivement développée autour de deux moteurs : d'une part autour de la compétence « développement économique » qui est de fait une notion floue, du moins en termes de contenu politique ; et d'autre part les transports publics, qui constituent un thème plus technique. La difficulté d'appréhender le développement économique est contre-balancée par l'exercice de la compétence transports, plus technique et surtout plus visible par la population. Il semble que cette structuration intercommunale sur l'agglomération de Saint-Brieuc soit assez cohérente avec la réalité de vie des briochins, en termes de déplacements, d'économie et d'urbanisme. Les transports publics illustrent la nécessité de la coopération intercommunale : ils aident le territoire à se structurer alors même que le fait intercommunal, encore aujourd'hui, reste quelque chose de difficile à appréhender et de controversé. Cependant après la structuration
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de l'agglomération, l'exercice de la compétence transport a eu du mal à dépasser le domaine technique pour aboutir à quelque chose de plus stratégique. Un autre point concerne les liens entre la ville-centre et les autres communes de l'agglomération. Il me semble que la ville-centre n'a pas su trouver complètement sa place. Elle est à la fois trop petite (elle représente moins de 50% de la population de la communauté d'agglomération) et se différencie en cela de Rennes. Et elle est aussi trop grande, parce que c'est la plus grande des communes, et que cela suscite une appréhension des petites communes face à l'intercommunalité. Or, les communes périphériques oublient ce qu'elle doivent à la ville-centre. En particulier, les principaux équipements communautaires se sont créés à la périphérie, en dehors du territoire de la ville-centre. Il est donc compliqué pour la ville-centre d'exister au sein de cette communauté d'agglomération, et les relations avec la périphérie restent difficiles. Cela se vérifie d'ailleurs au niveau des relations entre les services de la ville-centre et les services communautaire : il n'y a pas vraiment de passerelle entre les deux institutions, le dialogue se fait mal. Un troisième point porte sur les relations entre la CABRI et ses voisins au sein du Pays. Le syndicat mixte du Pays de Saint-Brieuc regroupe six communautés de communes et une communauté d'agglomération. Il ne faut pas se méprendre sur le rôle du Pays : il a un rôle de coordination, pas un rôle de décision. Le pays n'est que l'intégrateur des projets politiques qui sont élaborés par les différentes collectivités qu'il rassemble. Ceci pour nuancer l'interprétation, évoquée dans la monographie, selon laquelle l'agglomération serait prise « en tenailles » entre la ville-centre et le Pays. Il est vrai que la CABRI n'est pas très à l'aise au sein du Pays, en raison de rivalités politiques, ni au sein de l'Agence pour le développement économique (ADE), qui a le mérite de rapprocher les décideurs politiques et les représentants du monde économique. Le syndicat mixte de Saint-Brieuc est engagé dans le SCOT décliné, à l'échelle de la CABRI, sous forme d'un schéma de secteur. Il y a une perspective de Plan de déplacements de Pays qui reste à concrétiser. Par ailleurs, entre la CABRI et la communauté de communes de Lamballe, nous envisageons des relations autour d'un projet de transport à la demande qui serait mis en oeuvre sur le territoire de la communauté de communes. Un point concernant les positions du département et de la région. En matière de transports publics, il y a peu de choses à dire. Les choses pourraient peut-être prochainement évoluer, au moins pour ce qui concerne l'implication régionale, dans le cadre de la contractualisation région-Pays. La région Bretagne envisage de territorialiser toutes ses politiques, peut-être cela pourrait-il changer les perspectives en matière de transports publics ? Enfin une dernière remarque, ou plutôt une interrogation à propos de la réflexion de G.Marcou citée par Ph.Menerault. Je n'ai pas vraiment compris ce que cela voulait dire. Qu'est-ce que cela veut dire : « Il faut des élus spécialistes de l'action publique pour négocier avec l'État ? » Est-ce une question de taille, y a-t-il une hiérarchie entre les élus ? J'avoue que je suis dubitatif. Michel Phlipponneau (Géographe, ancien président du district de Rennes) Pourquoi la communauté de communes de Lamballe ne fait-elle pas partie de la CABRI ? Au niveau de la dotation globale de financement, il y a un vrai problème d'aménagement du territoire : on avantage les grandes villes ! Les communautés d'agglomération ont en effet davantage de DGF que les communautés de communes, qui, du coup, ne peuvent pas développer de réseau de transports collectifs.
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Philippe Menerault (INRETS-LVMT) Par rapport à votre remarque sur la professionnalisation des élus, il y a à chaque fois des modalités différentes au niveau du leadership. Il y a un vrai problème au niveau de la durée. Guy Deléon (Directeur général des services techniques de la CC de Lamballe) Pourquoi la communauté de communes de Lamballe n'est-elle pas dans la CABRI ? Eh bien, parce qu'elle l'a choisi. La coopération intercommunale est toujours perçue aujourd'hui pour de nombreux élus comme un mal nécessaire. C'est une avancée, car on sait désormais que l'intercommunalité est nécessaire. Le Pays est quelque part une autre réponse. Michel Phlipponneau (Géographe, ancien président du District de Rennes) Oui, mais il y a un vrai problème par rapport à la participation de l'État. L'aide varie de 1 à 4 entre les communautés de communes et les communautés d'agglomération ! Noël Philippe (Directeur général adjoint des services techniques de Rennes Métropole) Oui d'accord, mais malgré cela la communauté d'agglomération de Vitré n'a pas développé de transports ! Michel Rousselot (Président du GO11 Politique des transports du Predit) Pour conclure très brièvement ces débats autour des motivations et des conditions de la structuration intercommunale, je vous propose d'avancer une hypothèse, qui est celle de l'échelle de Perroquet. Il me semble, au vu des trajectoires historiques qui ont été reconstituées, qu'on peut identifier une période où l'intercommunalité a progressé à travers les politiques de transports publics, suivie d'une autre où c'est le développement économique qui prédomine, puis d'une autre où ce sont à nouveau les transports qui font évoluer la coopération intercommunale. D'où l'hypothèse d'une progression qui se ferait selon des logiques successivement extensives puis intensives, et qui permettrait d'aller vers des échelles de décision de plus en plus efficaces.
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Recomposition intercommunale et enjeux des transports publics en milieu urbain Séminaire d'échanges entre chercheurs et acteurs ENPC-Paris 24 mai 2005
Troisième partie Synthèse, conclusions et débats
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Synthèse, conclusions et débats
8. Les transports urbains face à la structuration d'un pouvoir d'agglomération
Caroline Gallez La cohérence territoriale des politiques d'urbanisme, de déplacements et de logement est un des principaux motifs de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain (SRU), dite loi Gayssot-Besson. Nous avons tenté d'évaluer la portée de cette orientation au regard des évolutions observées dans le champ des transports publics urbains, qui est également soumis aux influences indirectes de deux autres lois : la loi Chevènement, qui favorise la création d'intercommunalités de projet ; et la loi Voynet, qui propose la réorganisation des espaces urbanisés autour de deux maillons principaux : les pays et les agglomérations. Les observations issues des études de cas menées dans les agglomérations de Rennes, Saint-Étienne, Valenciennes, Caen et Saint-Brieuc sont venues compléter les analyses réalisées à l'échelle nationale (approche historique développée par Ph.Menerault ; bilan statistique et analyse cartographique réalisés par C.Richer). Elles ont permis de caractériser différents types de dynamiques territoriales, et d'identifier les principaux changements survenus depuis la mise en place du Versement transport, au début des années soixante-dix. Il convient à présent, sur la base des analyses effectuées, d'apprécier l'ampleur des évolutions produites par le nouveau contexte législatif. Or, parce que la réforme territoriale n'est pas une fin en soi elle n'est qu'un moyen mis au service d'objectifs de l'action publique , il ne s'agit pas seulement de se demander si les évolutions observées vont dans le sens d'une plus grande cohérence de l'action publique, mais également si ces évolutions favorisent ou non la prise en compte des principes de développement durable énoncés par les lois. Question difficile, ambiguë, voire prématurée, que nous allons aborder ici sous un angle particulier. La notion de cohérence territoriale renvoie à une double problématique : celle du choix de périmètres d'action adaptés à l'appréhension des enjeux de développement et d'organisation des espaces urbanisés ; et celle de la coordination des champs d'action sectoriels (plus spécifiquement, au sens de la loi SRU, des politiques d'urbanisme, de déplacements et de transports). En centrant notre propos sur l'élaboration et la mise en oeuvre de politiques de transports publics, nous nous interrogerons sur la pertinence des critères ou des dispositifs prévus par les lois pour satisfaire la mise en cohérence des périmètres d'action ou la coordination des politiques sectorielles. 8.1. Un changement radical des logiques territoriales des transports urbains La loi Chevènement, qui entraîne un mouvement sans précédent de restructuration du pouvoir local, introduit des ruptures dans les logiques de développement et d'organisation des transports urbains. L'essor des communautés d'agglomération, dotées de compétences obligatoires en matière d'organisation des transports publics et d'aménagement de l'espace, explique l'ampleur des transformations observées : 60% des autorités organisatrices de transports urbains (AOTU) ont changé de statut entre 1998 et 2002. Dans ce contexte, le premier constat que l'on peut établir est celui d'un changement radical de la dynamique territoriale des transports urbains. Alors que les intercommunalités issues de l'instauration du Versement transport, dans les années soixante-dix/quatre-vingts, répondaient principalement aux motivations sectorielles de développement des réseaux urbains, l'évolution des périmètres d'action, les modes d'organisation et la formulation des enjeux de transports urbains dépendent désormais d'une pluralité de facteurs, qui conditionnent la réorganisation du pouvoir local.
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À la logique autrefois dominante d'extension des réseaux urbains succèdent une diversité de stratégies politiques, qui placent les transports publics à la marge ou au coeur d'un projet territorialisé. À ce titre, si l'on compare les périmètres de transports urbains des différents sites au début des années 1990 et dans les années les plus récentes (figures 36 et 37), plusieurs constats peuvent être faits. On note tout d'abord une extension relativement importante des périmètres, qui tendent à s'affranchir réellement des frontières de la zone agglomérée (représentée sur les cartes sous la forme du pôle urbain), alors que les intercommunalités issues du versement-transport avaient peu transgressé ces frontières - à l'exception notable du cas de Rennes, où le périmètre du SITCAR s'est plus ou moins calé sur celui du district. Par ailleurs, les cartes montrent - et nous commenterons plus loin cet écart - que les périmètres des nouvelles communautés d'agglomération ne coïncident pas avec ceux des aires urbaines. Au-delà du changement de statut et de périmètre des transports urbains, d'autres signes tangibles des transformations induites par la mise en oeuvre de la réforme territoriales, variables selon les terrains, ont pu être relevés. Les conséquences les plus immédiates portent sur l'évolution statutaire des autorités organisatrices de transports urbains et sur les variations de périmètres de transports urbains (PTU) qui en découlent. Deux types de transformations ont pu être observées dans notre échantillon où, rappelons-le, le pouvoir d'agglomération prend systématiquement la forme d'une communauté d'agglomération. Les premières relèvent de logiques adaptatives : les collectivités locales optent pour une organisation sectorielle des transports urbains, sous forme d'un syndicat mixte de transport auquel la ou les communauté(s) d'agglomération délèguent leur compétence transport ; c'est le cas à Caen et à Valenciennes. Le second type de transformation relève de logiques intégratives : dans ce cas c'est la communauté d'agglomération qui exerce elle-même la compétence transport, en général assumée initialement par une structure de type syndicat à vocation unique. À Rennes et à Saint-Brieuc, l'intégration de la compétence transport est antérieure à la loi Chevènement (dans les deux cas elle survient à l'occasion de la création ou du renforcement d'un district urbain, liés au vote de la loi ATR de 1992) ; à Saint-Étienne en revanche, elle découle de la création d'une communauté d'agglomération en 2001. Si les logiques de réseau n'apparaissent plus prédominantes dans la définition des périmètres d'action ni dans le choix des formes institutionnelles, il ne faut pas négliger l'importance des enjeux de transports publics dans la construction ou dans le renforcement d'une identité d'agglomération. En révélant les solidarités territoriales, les politiques de transports publics peuvent convaincre les communes de l'intérêt de coopérer au sein d'une structure intercommunale. Les supports de cette prise de conscience peuvent être des démarches de plans de déplacements urbains particulières qui, en dépassant les enjeux strictement sectoriels du transport public, sont porteuses d'une vision territoriale (cf. SaintBrieuc au moment du PDU « LOTI » et, plus récemment, Saint-Étienne, avec l'élaboration du PDU « LAURE » et sa mise en conformité avec la loi SRU). Dans l'agglomération briochine, la mise en place d'un service innovant de transport à la demande (Taxitub) a conforté la dynamique de coopération réamorcée par le PDU au début des années 1980.
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Synthèse, conclusions et débats
Figure 36 : Comparaison entre les PTU et les aires urbaines en 1990
Figure 37 : Comparaison entre les PTU et les aires urbaines en 2004
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Au-delà des incidences particulières entre politiques de transports publics et identité d'agglomération, d'autres indices, qui varient toutefois sensiblement d'une région urbaine à l'autre, témoignent d'une politisation croissante des enjeux de transports publics urbains. Dans certaines agglomérations, on assiste à un renforcement des services techniques et de la capacité d'expertise propre, qui montre la volonté des élus de s'impliquer davantage dans la définition des politiques de transports. Dans le Valenciennois, le changement du mode de représentation des collectivités au sein de l'autorité organisatrice sert quant à lui de révélateur au nouveau rapport de force entre deux communautés d'agglomération « rivales », et modifie le débat politique local autour des enjeux de transports publics. Ces changements des cadres d'action sont-ils porteurs d'une évolution des politiques de transports publics ? Favorisent-ils une plus grande cohérence des politiques urbaines et, finalement, une meilleure prise en compte des principes de développement durable des villes et des mobilités ? Nous allons tenter d'apporter à ces questions complexes quelques éclairages issus d'une réflexion critique sur les critères et les dispositifs de « mise en cohérence territoriale » inscrits dans les lois récentes. Pour cela, nous aborderons successivement les deux aspects de la notion de cohérence territoriale, à savoir la question des périmètres d'action, et celle de la coordination des champs d'action sectoriels. 8.2. L'éternelle question du périmètre « pertinent » Question récurrente s'il en est, la nécessité d'adapter les périmètres institutionnels pour appréhender de façon plus globale et plus cohérente les enjeux du développement urbain, a en France une résonance particulière. Les lois Voynet, Chevènement et Gayssot-Besson reprennent à leur manière cette exhortation au choix du périmètre pertinent en superposant deux visions de la réorganisation territoriale. La première correspond à une vision normative et fonctionnelle des territoires, qui consiste à faire de l'aire urbaine au sens de bassin d'emploi défini par l'INSEE le périmètre au sein duquel doivent être considérées les questions de développement et d'organisation des espaces urbains. Elle porte la marque d'une époque où le renforcement des structures intercommunales ne visait pas à faire émerger de nouveaux pouvoirs locaux, mais à réaliser des économies d'échelles, et à constituer des relais locaux pour l'action de l'État16. La seconde approche renvoie à une vision pragmatique et politique, qui définit la pertinence d'un périmètre d'action à partir du projet qu'il permet d'élaborer et de mettre en oeuvre. Elle s'inscrit, au contraire de la précédente, dans un mouvement de revendication d'autonomie du pouvoir local qui, à partir des années 1990, s'affirme à l'échelle des agglomérations, et non plus uniquement à celle des villes-centres. La référence unanime à l'échelle d'agglomération et au projet, auxquels les textes donnent pourtant une définition et des finalités différentes, tente de masquer cette juxtaposition des cadres d'action. Il en résulte une confusion implicite entre périmètres de planification et périmètres de gestion des territoires urbains, qui ne fait qu'entretenir le mot d'ordre d'adaptation des périmètres fonctionnels aux périmètres institutionnels. Que dire de l'usage d'un tel critère, et de sa pertinence, dans le champ des transports publics urbains ? D'une part, on peut s'interroger sur « l'effet structurant » de la représentation véhiculée par l'aire urbaine. Si l'on se réfère à sa définition statistique, cette notion est porteuse d'une double référence : explicite, à un schéma monocentrique classique composé d'un centre (le pôle urbain) et de sa périphérie ; implicite, à l'organisation d'un système de transports qui déterminent les conditions d'accessibilité au pôle d'emploi principal.
Estèbe Ph. et Th. Kirszbaum, 1997, L'intercommunalité entre optimum territorial et pouvoir local. Lecture de la littérature récente, Rapport pour le Plan Urbain.
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Du point de vue de la formulation des enjeux de déplacements en général et de transports publics en particulier, l'aire urbaine impose donc un cadre de réflexion au sein duquel l'accessibilité au centre principal - qui fonde l'existence du bassin d'emploi et en garantit le bon fonctionnement - constitue implicitement un objectif prioritaire. Dans un tel cadre, le choix de projets de transports collectifs « crédibles » en périphérie peut difficilement s'écarter du développement de dessertes radio-concentriques, aujourd'hui reconnues comme des vecteurs particulièrement efficaces... de l'étalement urbain. Cette difficile émergence d'un modèle polycentrique, souvent évoqué comme plus durable que le modèle de croissance extensive à partir d'un centre unique, se pose également lorsqu'on aborde la question institutionnelle. Conçue comme un moyen de favoriser la coopération entre différentes autorités organisatrices de transports au sein de bassins d'emplois élargis, le syndicat mixte de transport récemment relancé par la loi Gayssot-Besson, apparaît comme une solution a priori séduisante. Toutefois, sa mise en oeuvre pratique semble éluder une question importante, qui concerne l'implication effective des collectivités périphériques et des départements dans la gestion des transports publics locaux. En dehors de quelques exceptions, les intercommunalités qui se mettent en place en périphérie des pôles urbains n'assument pas elles-mêmes la compétence transports publics, qui est exercée par les départements. Or, plusieurs facteurs structurels placent aujourd'hui cette collectivité dans une position de retrait relatif vis-à-vis des enjeux de transports urbains : la poursuite du processus de décentralisation conforte leur « spécialisation routière », alors que la montée en puissance des communautés d'agglomération accroît la discontinuité spatiale de leur périmètre d'action. De sorte qu'en l'absence de volonté politique claire des élus des intercommunalités périphériques ou du conseil général en faveur du développement des transports publics, la création d'un syndicat mixte de transport ne peut encourager les collectivités périphériques à assumer elles-mêmes la compétence transport, ni à envisager la mise en place de réseaux de desserte dans les pôles urbains secondaires. Au pire, elle légitime leur position attentiste vis-à-vis d'une structure dont elles espèrent avant tout l'amélioration des conditions d'accessibilité au centre. 8.3. Coordination des compétences sectorielles et enjeu d'intérêt communautaire Le deuxième aspect de la problématique de la cohérence territoriale porte sur la coordination des politiques sectorielles. En dehors des orientations énoncées par la loi Gayssot-Besson, qui prévoit l'articulation des politiques de déplacements, d'urbanisme et de logement au sein des Schémas de cohérence territoriale (SCOT), les dispositifs prescriptifs ou incitatifs en matière de coordination des actions sectorielles se limitent à deux aspects particuliers : la mise en compatibilité des documents de planification sectoriels avec le SCOT ; le renforcement de l'intercommunalité dite « de projet », disposant de compétences intégrées. Sur le plan de la coordination des procédures, deux remarques peuvent être faites. La première porte sur l'agenda d'élaboration des documents de planification : les Plans de déplacements urbains ont de fait été élaborés avant les SCOT, dont la plupart en sont encore à la phase de diagnostic ; or, on note que dans certaines agglomérations, qui ne disposaient pas de schéma directeur préalable, les PDU ont servi de base à la mise en place d'une analyse compréhensive du territoire (exemple stéphanois). À l'inverse, certains PDU ont dû composer avec les orientations de schémas directeurs préexistants, particulièrement volontaristes en matière de développement des infrastructures routières (exemple de Caen). La coordination des compétences sectorielles est quant à elle loin d'être réglée par la transformation de l'organisation institutionnelle. On note ainsi la persistance de fortes segmentations entre les compétences relatives aux transports et à l'urbanisme d'une part et, au sein du champ transports, entre les compétences relatives aux transports publics, à la voirie et au stationnement.
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Plus spécifiquement, on note que si le lien entre transport et urbanisme existe, il reste essentiellement univoque : quatre des cinq agglomérations ont ainsi mis en place des structures intercommunales en matière d'aménagement de l'espace, dont l'ambition était essentiellement de créer et de gérer des zones d'activités. Dans cette optique, le développement des infrastructures de transport découle des choix faits en matière d'aménagement, alors même que la loi Gayssot-Besson préconise de conditionner l'ouverture à l'urbanisation en fonction de la desserte en transports collectifs. Par ailleurs, très peu de communautés d'agglomération assument la compétence « voirie communautaire », encore moins celle relative au « stationnement communautaire ». Au-delà de la défense par les communes de leurs prérogatives, cette situation révèle l'absence de consensus pour agir sur la voirie ou sur le stationnement à l'échelle intercommunale, dont l'une des seules motivations serait de mettre en oeuvre une politique de régulation des déplacements automobiles. Plus généralement, ces questions renvoient à la notion « d'intérêt communautaire » inscrite dans la loi Chevènement. Les juristes en ont déjà souligné le caractère très imprécis17. Il semble surtout paradoxal de définir l'intérêt communautaire d'une compétence considérée isolément. Là encore, c'est le passage de l'intercommunalité de gestion à l'intercommunalité de projet qu'il paraît difficile d'appréhender. Dans le premier cas, c'est l'économie d'échelle réalisée par l'exercice collectif d'une compétence qui définissait l'intérêt communautaire. Dans le second cas, c'est le projet élaboré par l'EPCI sur un territoire donné qui définit l'intérêt communautaire de l'ensemble des compétences qui concourent à sa mise en oeuvre. Éléments de conclusion En conclusion, nous reviendrons sur les ambiguïtés des trois lois Voynet, Chevènement et Gayssot-Besson, qui tiennent à la juxtaposition de deux conceptions différentes de la question territoriale. Il existe semble-t-il un décalage entre les critères et dispositifs de mise en cohérence des politiques locales, attachés à une vision techniciste et normative des territoires, et les conditions effectives de la mise en oeuvre de la réforme territoriale, marquée par l'affirmation d'un pouvoir politique d'agglomération. Les outils d'analyse, et surtout d'évaluation des politiques publiques, doivent tenir compte de ce changement de contexte. Dépasser la question de l'optimum dimensionnel, en acceptant la différence entre périmètres d'analyse et périmètres politiques, permettrait par exemple de réexaminer la nature et la finalité des différents projets de planification prévus par les lois. La priorité devrait être accordée à la reformulation de la relation entre transports et urbanisme finalement peu problématisée plutôt qu'à l'élargissement des périmètres institutionnels. Dans cette perspective, la veille territoriale effectuée par les services de l'État, les agences d'urbanisme, et certains EPCI à l'échelle des régions urbaines reste indispensable, pour accompagner les collectivités dans la compréhension du fonctionnement de ces territoires et construire le dialogue entre les collectivités qui les composent.
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Cf. Benchendikh F., 2002, L'intérêt communautaire dans les agglomérations en pratique, AJDA 2002, pp. 13271331.
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9. Discussions et débats autour de la synthèse
Jean Frébault (Président de la 5ème section du CGPC) Les trois lois Voynet, Chevènement et Gayssot-Besson ont donné lieu à de nombreuses réflexions lors de leur mise en application. Il me semble que ces travaux montrent qu'il y a bien eu un bouleversement de la donne territoriale et la création de nouvelles dynamiques. Mais, il semble aussi que les débats autour des questions de périmètres demeurent toujours aussi vifs et que les questions de segmentations sectorielles soient loin d'être réglées. Je vous propose d'entamer sans plus attendre les discussions, en donnant la parole à Michel Phlipponneau, géographe et grand spécialiste des questions d'aménagement du territoire. Michel Phlipponneau (Géographe, ancien président du District de Rennes) Je crois qu'il n'y a pas de recette miracle concernant l'adaptation entre le système de transport et le système intercommunal. Vous avez dit « les trois lois », je dirais plutôt les quatre lois ! La loi relative à l'administration territoriale de la République (ATR) de 1992, avec la taxe professionnelle unique (TPU), dégageait les marges financières nécessaires au renforcement de l'intercommunalité urbaine. On n'aurait pas pu faire le VAL à Rennes sans la TPU ! L'idéal au fond serait d'harmoniser le périmètre de transport avec celui de l'aire urbaine. Il faudrait pour cela adapter l'institution en charge des transports à l'échelle de l'aire urbaine qu'il convient de desservir, or on constate qu'il n'y a aujourd'hui pas de correspondance. Il n'y en a pas non plus sur le plan des études. L'agence d'urbanisme qui fait des études sur l'ensemble de l'aire urbaine ne s'occupe pas des transports publics, qui sont assurés par le SITCAR. Même après la reprise en main des transports publics par le district, l'agence d'urbanisme reste dessaisie des questions relatives aux transports et ne s'occupe que de l'organisation générale du territoire. Faut-il néanmoins rechercher une autorité, un pouvoir local à cette échelle-là ? La recherche de l'autonomie du pouvoir local correspond à une vision pragmatique et politique de l'agglomération, je ne pense pas que cela soit idéal. Alors comment faire coïncider les deux ? Je pense qu'il faudrait insister davantage sur les questions financières, puisque le mode de transports choisi en dépend. La question du coût est essentielle pour réfléchir aux différents types d'organisations. Au début, le versement-transport était prélevé uniquement sur Rennes. Le PTU était limité à la ville-centre et à quatre communes suburbaines. Lorsqu'il y a eu la fiscalité propre, mais surtout avec la TPU, les choses ont été différentes. C'est cela qui a permis de faire le VAL. La TPU a par ailleurs entraîné une augmentation du nombre de communes du District, à cause de la dotation de solidarité, intéressante pour les communes périphériques à faible TP. La création récente de la communauté d'agglomération n'a pas vraiment changé les choses. Le problème, c'est le blocage financier. Il y a même une commune, Noyal-sur-Vilaine, qui s'est retirée de la communauté d'agglomération, qui est passée ainsi de 38 à 37 communes. Aujourd'hui, le bus passe à Noyal-sur-Vilaine mais ne s'y arrête plus. Il y a un blocage financier, la preuve c'est que la communauté d'agglomération ne s'étend plus. Le Pays de Rennes, c'est très beau, mais le problème c'est que les communes ne veulent plus entrer dans la communauté d'agglomération lorsqu'elles disposent d'une TP au produit élevé et à taux bas intéressant pour leurs entreprises qui ne veulent pas payer le VAL ! Il y a aujourd'hui un bourrelet d'entreprises qui s'est formé à l'extérieur des limites de la
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communauté d'agglomération. Tout cela montre à quel point les questions financières sont essentielles. Noël Philippe (Directeur général adjoint des services techniques de Rennes Métropole) Peut-on vraiment envisager de développer la desserte de transports collectifs à l'échelle de l'aire urbaine ? Le problème de la couverture de l'aire urbaine est bien celui du coût du transport, et de la rentabilité des services de transports. Alors, si l'on compare, le VAL est-il cher ? Je ne crois pas, précisément parce que les usagers amortissent le coût. Il faut savoir que le réseau suburbain représente 15% du trafic pour la moitié des coûts ! L'intercommunalité n'est peut être pas faite pour aller très loin : le département ou la région peuvent prendre le relais, et assurer la desserte suburbaine. Michel Phlipponneau (Géographe, ancien président du District de Rennes) Le VAL couvre ses coûts d'exploitation, mais vous ne tenez pas compte de l'investissement ! Par rapport à la question de la fiscalité locale au sein de l'agglomération, je voudrais signaler qu'il y a trois entreprises à Rennes qui se sont délocalisées pour des raisons financières, dont Canon. Jean Frébault (Président de la 5ème section du CGPC) Merci. Je passe à présent la parole à monsieur Jean Ollivro, qui est géographe et professeur à l'Université de Rennes 2. Jean Ollivro (Géographe, Professeur à l'Université de Rennes 2) Il y a en France une immense complexité, si vous me permettez l'expression, un grand bazar institutionnel. La superposition des structures est source de blocage. Il y a trop de réunions, les décisions sont de plus en plus difficiles à prendre. Cela semble particulièrement ressortir du cas de Valenciennes. Il y a par ailleurs un problème de calage de la triple articulation entre transports, territoires et densité. L'échelle de financement des transports publics est différente de l'échelle de la desserte. Quel est le territoire pertinent ? Le problème est que les limites évoluent sans cesse : le territoire et les densités sont mouvantes. D'où la nécessité, me semble-t-il, de démarches évolutives. Nous devons également prendre en compte la vie réelle de la population : 83% des gens se déplacent à moins de 20 km. C'est l'échelle de la vie quotidienne. C'est également l'échelle des transports publics. Les Pays sont-ils le territoire de l'avenir, les intercommunalités constituent-elles un élément transitoire ? Les Pays sont l'avenir parce qu'ils correspondent au territoire de la vie des gens. Nous devons réfléchir aux projets de transports collectifs en pensant non pas seulement à quoi ils servent, mais surtout à qui ils servent. C'est ainsi que nous pourrons cerner leur pertinence. Les transports publics sont de véritables marqueurs territoriaux. Or, aujourd'hui, on structure en raisonnant en termes de logiques d'accès, de réseaux radio-concentriques qui se développent au détriment de la périphérie. On ne prend pas en compte la logique sociale dans le dessin de ces réseaux. Michel Rousselot (Président du GO11 Politique des transports du Predit) Quelle est la bonne formule de développement intercommunal ? C'est, comme nous l'avons vu, très différent d'un endroit à l'autre, ce qui nous montre bien que les études de cas ne peuvent avoir de portée universelle. Les problèmes sont souvent politiques et financiers. Il me semble qu'aujourd'hui, nous devons nous demander quel doit être le contenu d'un projet urbain dans un contexte de crise, de faible croissance et de chômage. Les réflexions intercommunales doivent d'une part être mises au service de l'emploi et du développement
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économique, et le projet urbain doit à terme l'emporter sur les logiques sectorielles, notamment les logiques de transports collectifs. Patrice Aubertel (PUCA) Je pense qu'il serait intéressant de relier cohérence spatiale et cohésion sociale. Il y a des liens à faire, des rapprochements qui sont encore trop rarement effectués. Jean Frébault (Président de la 5è section du CGPC) Je passe à présent la parole à Georges Gay, géographe également, professeur à l'Université de Jean Monnet de Saint-Étienne et doyen de la faculté de Sciences humaines et sociales. Georges Gay (Géographe, Professeur à l'Université Jean Monnet de Saint-Étienne) La loi Chevènement a encouragé la coopération intercommunale à partir d'un argumentaire financier. En région stéphanoise, la question qui s'est posée, au cours d'un long processus de structuration intercommunale était : quelle forme de groupement intercommunal a une chance d'aboutir ? Par exemple, l'idée d'un très vaste district a échoué à la fin des années quatre-vingts face aux revendications d'autonomie des communes périphériques et en raison de la réticence des élus des vallées industrielles de s'allier avec la Plaine du Forez, par crainte de voir basculer le développement économique. Comment évaluer la pertinence d'un territoire ? Quelle est la bonne formule ? Quelle est la bonne taille de l'intercommunalité ? Ce sont autant de questions que l'on adresse de manière récurrente à la recherche. Le problème, à mon avis, est que ces questions restent enfermées dans un dialogue entre le politique et les techniciens. Le risque est alors de refléter de vieilles inerties spatiales. Oublie-t-on les habitants ? Oublie-t-on la vision, sans doute pertinente, du territoire par les habitants ? Le territoire de gestion pourrait de fait être défini à partir de la représentation du périmètre pertinent par les habitants. Nous avons récemment effectué, pour le compte de Saint-Étienne Métropole, une enquête d'opinion auprès des habitants pour analyser leurs représentations du territoire. Et le résultat montre que la Plaine du Forez ne fait pas partie, pour la population, de l'agglomération. En revanche, il existe un sentiment d'appartenance au bassin minier stéphanois. Si bien que le découpage actuel leur semble pertinent. Concernant le rôle des transports dans le rôle d'émulsion de l'intercommunalité, le PDU a effectivement été le premier document de planification qui ait fait l'unanimité à Saint-Étienne. Les politiques de transports ont `boosté` l'intercommunalité et lui ont donné du grain à moudre, à travers des projets comme l'électrification de la ligne entre Saint-Étienne et Firminy et celui de la deuxième ligne de tramway. En revanche, il me semble que l'objet de cette politique n'est pas très clair. Pourquoi cherche-t-on à favoriser l'intermodalité ? Pour assurer l'accessibilité avec la ville-centre ? Ou pour améliorer les relations vers Lyon ? Les choses ne sont pas clairement identifiées. Une anecdote met d'ailleurs cela en image. Il y a eu à la mairie de Saint-Étienne une exposition sur le tramway. Quelqu'un demandait aux personnes chargées de la communication de Saint-Étienne Métropole pourquoi le tramway allait jusqu'à Chateaucreux, alors qu'on aurait pu améliorer la ligne en gardant des trolleys-bus. En fait, ce qui motive le développement des chantiers, c'est davantage une logique de renouvellement urbain qu'une simple logique fonctionnelle de transport. L'enjeu est moins de desservir la gare, l'enjeu c'est la restructuration urbaine et l'élargissement du centre stéphanois. Et le traitement des espaces publics. Je conclurai en soulignant le fait que les politiques de transports élaborées dans le cadre des PDU ont été initiées sous des motifs de protection de l'environnement, mais que finalement ces PDU ont été instrumentalisés par les collectivités pour servir d'autres objectifs.
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Notamment, pour faire du renouvellement urbain, voire pour renforcer la construction intercommunale. Jean Frébault (Président de la 5ème section du CGPC) Le dernier intervenant de cette première série de discussions est Philippe Subra, géopolitiste à l'Université de Paris 8. Philippe Subra (Géopolitiste, Université de Paris 8) Tout à l'heure, Michel Phlipponneau a posé la question de l'adaptation de l'institution au périmètre de l'aire urbaine, qui apparaît comme un moyen de répondre à la question du périmètre pertinent. Pourquoi y arrive-t-on plus ou moins dans certains cas et pas dans d'autres ? La réponse est dans le politique. Les transports, parce qu'ils stimulent la coopération intercommunale, jouent un rôle particulier dans ce facteur politique. L'intercommunalité est fortement dépendante de la géopolitique locale qui désigne la rivalité des pouvoirs entre différents acteurs politiques au sein d'un même territoire. Dans certains cas, ces rapports de force favorisent l'intercommunalité. Dans d'autres cas en revanche, ils ralentissent et perturbent la construction intercommunale, d'où l'intérêt d'effectuer des études de cas, tant chaque territoire apparaît comme singulier à ce niveau. Concernant le cas du Valenciennois, qui est celui que je connais le moins mal, il me paraît important de mettre en avant la multiplicité des acteurs et des périodes. On a un premier temps de « rivalité contrôlée et apaisée », où chacun reste sur son territoire : la ville-centre à droite et la périphérie à gauche. C'est une sorte de premier « Yalta ». Le deuxième temps est celui d'une « rivalité exacerbée et débridée », en 1978/1979, une sorte de défoulement géopolitique lié à la crise sidérurgique qui conduit à une crise et en conséquence au gel des relations. On a alors des réponses et situations intercommunales aberrantes. Une sorte d'expression caricaturale des rivalités comme le montre la carte relative à l'intercommunalité dans le Valenciennois après la loi ATR, que je compare au découpage de la Bosnie, où les séparations ethniques sont remplacées par des séparations intercommunales ! On a enfin un troisième temps, une « phase d'apaisement » avec l'arrivée de Jean-Louis Borloo à la mairie de Valenciennes, qui correspond à une période de renouvellement politique avec la remontée de la droite. On a alors un deuxième « Yalta » dans une brasserie lilloise où le trésor de guerre (c'est-à-dire les ressources financières locales) est partagé sans tenir nullement compte du critère urbain. Mais à Valenciennes, s'il n'y avait pas eu de partage qui contrôlerait l'unique communauté d'agglomération ? Aujourd'hui, il y a deux communautés d'agglomération qui correspondent à deux forces politiques différentes. Elles illustrent très clairement le rôle du politique. Les deux communautés sont désormais associées au sein d'un syndicat mixte des transports. Elles sont donc « réconciliées » pour l'exercice de cette compétence transports. Cela marque bien l'importance de la représentation de la culture locale, des enjeux locaux. À Valenciennes, la culture locale est de donner la priorité au développement économique et à l'emploi. L'enjeu prioritaire c'est de faire venir les entreprises. Le travail est en effet une dimension essentielle. Le transport est un enjeu qui vient après, un enjeu secondaire. Ce cas nous amène à poser la question d'un leadership unique, qui se décline à la fois en termes de périmètre fonctionnel, qui varie selon l'importance de la couronne périurbaine ; ainsi que celle de la faisabilité politique du territoire, qui elle aussi varie selon les contextes. Par ailleurs, quels sont les nouveaux territoires de référence ? L'agglomération ? Le vrai pouvoir se déplace aujourd'hui vers l'intercommunalité. L'élu passe d'ailleurs de l'un à l'autre. Mais il existe de nombreux obstacles politiques ; notamment, la question de l'élection au suffrage universel du président de la communauté d'agglomération se pose. Par ailleurs, la structuration intercommunale introduit un nouveau rapport de force vis à vis des autres acteurs, l'État ou la région par exemple.
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Le transport est-il un enjeu politique ? C'est un enjeu important, du moins cela l'a été pendant longtemps, mais l'exercice de la compétence transport présente aussi un caractère discret, voire opaque. Pour le citoyen ordinaire, tout ce dont nous sommes en train de parler n'existe pas. Les citoyens ne connaissent pas les syndicats mixtes et autre SIVU. Il y a un réel déficit démocratique, un vrai manque de lisibilité territoriale. La situation est-elle en train de changer concernant les transports publics ? Trois points me semblent être intéressants à évoquer sur ce sujet. Le premier point concerne les projets de transports collectifs en site propre (TCSP), qui jouent un rôle important dans la construction de l'image d'une agglomération. Le TCSP, et plus spécifiquement le tramway, donne à une ville le statut de métropole régionale. Le VAL donne même, quant à lui, le statut de métropole européenne ! Par ailleurs, on note une multiplication des conflits autour des enjeux de transports entre les élus mais aussi avec la population. Les débats sont d'ailleurs souvent instrumentalisés : les transports apparaissent comme une véritable arme de guerre pour le politique. Le troisième point concerne les procédures de concertation. Il me semble qu'il existe encore une certaine crainte du débat public, même si la mise en place de ces procédures constitue en elle-même un premier pas vers le débat public.
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10. Table ronde - La réforme territoriale en quête de politiques urbaines durables, questions et débats issus de l'évolution de l'organisation des transports publics urbains
Jean Frébault (Président de la 5è section du CGPC18) Nous abordons la dernière partie de cette journée, avec une table ronde qui va reprendre les questions et les débats suscités par l'évolution récente de l'organisation des transports publics urbains, pour les replacer dans la perspective plus globale de la réforme territoriale et de la prise en compte des objectifs de développement durable des villes et des mobilités. Je donne la parole à Alain Faure, qui est politiste et chercheur CNRS au Centre de recherche sur le politique, l'administration, la ville et le territoire (CERAT). Alain Faure (CERAT-IEP de Grenoble) Dans la revue de l'ADELS19, Territoires, on pouvait lire il y a quelque temps la phrase suivante : « le XXIème siècle sera intercommunal ou ne sera pas ». Or il semble que l'on assiste aujourd'hui en France à un virage intercommunal. On le voit notamment dans l'évolution des rapports entre politique et technique. Alors que dans la période précédente, les solutions techniques s'imposaient au politique, aujourd'hui le rapport s'est inversé, le monde technique doit s'adresser au politique, et négocier le modèle. Le territoire est d'abord politique, et ensuite seulement il produit de l'action publique. Dans la pratique on observe que pour réussir la coopération intercommunale, il faut d'abord élaborer la politique sur un petit territoire. Pendant cette période, la rhétorique vertueuse sur la nécessité d'un dialogue élargi, d'un dialogue avec l'extérieur ne prend pas. Or, cette situation peut sembler particulièrement irrationnelle dans le champ des transports, tant la politique des transports est, par définition, territoriale. Je retiens également de l'analyse faite par mes collègues que les transports, pas plus que les autres champs d'action de la politique locale, ne fonctionnent de manière intersectorielle. Rien de nouveau sous le soleil, donc, même si des choses ont changé ? En écoutant les échanges aujourd'hui, et à la lecture de la synthèse des études de cas, je me suis posé plusieurs questions, que je vous livre comme des pistes de réflexion. 1° Est-ce que la politique des transports apporte sa pierre à la décentralisation ? Est-ce que ) l'on observe une certaine manière de faire la décentralisation dans le champ des transports ? Cette spécificité pourrait provenir du rapport des transports publics à une histoire longue, et au poids de cette histoire dans les décisions présentes, ce que les politistes analysent à partir de la notion de « sentier de dépendance » (path dependency). Existe-t-il une histoire particulière des transports, qui serait liée au divorce entre ville et campagne ? Y aurait-il dans ce champ d'action des tensions particulières entre centre et périphérie, tensions qui sont perçues de manière différente par le centre et par la périphérie ? 2° La deuxième série de questions porte sur l'expe rtise. On observe que les agglomérations ) sont en train de construire leur expertise propre. Cependant, quelle est la capacité de cette nouvelle expertise à reprendre les discours élaborés aux échelles nationale ou internationale ? N'assiste-t-on qu'à du mimétisme ? Quelle est la prégnance de l'idéologie professionnelle, de la culture technique ? 3° La troisième série d'interrogations porte sur l e leadership. Les nouveaux leaders ) politiques locaux construisent-ils un discours de gouvernement ? Ne sont-ils pas en train de
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Section Aménagement et Environnement du Conseil Général des Ponts et Chaussées. Association pour la Démocratie et l'Éducation Locale et Sociale.
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prendre conscience de la nécessité de faire un discours sur l'intérêt général local ? Est-ce que les leaders politiques portent des discours différents d'un territoire à l'autre ? Y a-t-il une stratégie de différentiation des valeurs, des symboles ? 4° Ces questions soulèvent à leur tour celles de l 'acceptabilité. D'un côté, il n'y a pas de ) changement politique si les politiques ne sont pas acceptées par la population. Certains projets de transport bloquent ainsi parfois sur le seuil de l'acceptabilité. Mais à l'inverse, on doit également prendre en compte le fait qu'une politique acceptable n'est pas nécessairement efficace. Jean Frébault (Président de la 5è section du CGPC) Il existe effectivement une tentation permanente à traiter les transports de manière sectorielle. Or, les transports sont l'un des premiers outils des politiques urbaines et leur portée dépasse largement les questions de déplacements. Quelles sont les réponses locales apportées à des problématiques aussi transversales que celles du développement durable, de l'acceptabilité ; quelles sont les tentatives de coordination, constituent effectivement des pistes à explorer. À l'échelle nationale, plusieurs instances de réflexion se sont intéressées, et s'intéressent encore à ces questions. En particulier, le Comité des directeurs du développement urbain (CODIRDU), que j'ai présidé, est une instance interministérielle qui s'est penchée sur la question de la cohérence entre les lois Voynet, Chevènement et Gayssot-Besson. Plus récemment, le « Rapport Peigné » du Conseil Général des Ponts et Chaussées a traité de la cohérence des politiques des collectivités locales en matière de planification urbaine, d'aménagement, d'organisation des déplacements et de stationnement. Les travaux du groupe Peigné ont réuni différents experts et représentants nationaux des collectivités locales, notamment le GART. Ils ont débouché sur l'élaboration de 16 mesures résultant de compromis entre les diverses parties prenantes, qui portent notamment sur les moyens de résoudre les problèmes de segmentation des périmètres d'action, et de segmentation des champs d'action sectoriels. L'une de ces propositions concerne, par exemple, la création de Conférences « Urbanisme-Déplacements » au niveau des aires urbaines ou métropolitaines, qui favoriseraient la coordination entre les autorités en charge de l'urbanisme et celles des déplacements. Le besoin de coordination est particulièrement important dans les espaces métropolitains. À titre d'exemple, la Région Urbaine de Lyon, c'est 6 SCOT et 11 AOTU ! Je redonne maintenant la parole aux intervenants, et propose à Chantal Duchène, directrice générale du Groupement des autorités responsables des transports (GART), de prendre part au débat. Chantal Duchène (Directrice générale du GART) L'aire urbaine est une vision technocratique, c'est une définition de l'INSEE qui ne correspond pas aux lieux d'exercice de la compétence politique. Est-ce que l'on doit obliger les collectivités locales à créer sur le périmètre des aires urbaines des structures dont on ne sait pas bien comment elles vont être contrôlées ? Il y a bien eu un bouleversement avec la loi Chevènement. La réforme intercommunale a bien marché, après le relatif échec de la loi ATR en 1992, et la principale preuve de ce succès est l'essor des communautés d'agglomération. Le GART, lors de l'élaboration de la loi Chevènement, avait insisté sur le fait que les transports publics et l'aménagement devaient être des compétences obligatoires pour les communautés d'agglomération. Et notre ligne de conduite est simple : nous souhaitons éviter toute remise en cause de cette complémentarité, c'est pour cela que nous sommes assez réservés sur les syndicats mixtes de transports de type SRU. D'ailleurs, très peu de syndicats mixtes se sont constitués ... Les communautés d'agglomération permettent quant à elles de gérer les compétences transports publics et urbanisme au sein de la même institution, même s'il l'on manque encore
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d'un véritable exécutif politique élu au suffrage universel : il faudra certainement penser à mettre un peu de démocratie dans tout cela. Il faudrait aussi ne pas penser uniquement en termes de transports publics, mais réunir au sein d'une même institution toutes les compétences qui concernent les déplacements. À ce sujet, la loi récente sur les responsabilités locales est le pire de ce qu'on pouvait faire. Elle a accentué la spécialisation et la sectorisation. Aux régions et aux agglomérations, elle confie la gestion des transports publics, aux départements la gestion des routes. Où est donc la cohérence ? On se construit des lendemains qui déchantent ! En France, les transports collectifs - sauf en Ile-de-France sont depuis longtemps de compétence locale. Ils font partie de ces services publics locaux qui organisent le « vivre ensemble ». Ce qui n'est pas le cas des routes ; les routes étaient gérées par l'État et les transports collectifs par le local. Aujourd'hui, les routes sont passées au département, et le problème de sectorisation persiste. Je voudrais revenir également sur la question de l'expertise. Historiquement, l'expertise en matière de transports publics était effectivement du côté de l'exploitant, tout simplement parce que c'était une activité privée qui est ensuite progressivement devenue publique. Aujourd'hui, la question de savoir qui possède l'expertise est encore très vive. Et, malheureusement, on ne peut pas toujours parler de partenariat équilibré. Par rapport à la question du leadership, je suis frappée qu'avec la recherche permanente d'un périmètre pertinent, on n'imagine pas autre chose que le leadership. Pourquoi ne pas penser à la coopération ? Ne devrait-on pas favoriser la mise en place de systèmes fédératifs ? Il faut conserver des institutions dont la taille soit « appréhendable » par les citoyens ! Jean Frébault (Président de la 5ème section du CGPC) Les propos évoqués successivement nous font part des nombreuses contradictions. D'une part, on entend bien une critique des périmètres qui, comme ceux des aires urbaines, n'ont pas de légitimité démocratique. Et l'on entend également des interrogations à propos des institutions comme les départements et les régions, qui s'organisent chacune de leur côté. Tout cela ne produit pas de cohérence. Il semble que pour sortir de cette logique de confrontation entre les lieux de pouvoirs, il faille penser à mettre en place des lieux de coopération. Je donne à présent la parole à Alain Morcheoine, directeur de l'air, des transports et de l'intensité énergétique à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie. Alain Morcheoine (Directeur de l'air, des transports et de l'efficacité énergétique à l'Ademe) C'est la première fois que le terme de « mobilité » a été prononcé, depuis le début de la journée. Et il a fallu attendre encore un peu pour entendre celui de « durable ». J'avoue que cela m'interroge un peu... En tant qu'agence d'objectifs, l'Ademe a un certain nombre de problèmes à résoudre. Nous avons tout d'abord des problèmes importants d'emboîtement des échelles auxquelles se mesurent les impacts environnementaux et se pose la question de leur gestion : cela va de la rue à la planète en passant par le quartier, la ville, la région, etc. D'où notre grande difficulté à manipuler une notion aussi bizarre que la limite de territoire, et notre prudence à l'égard des limites territoriales. Et nous avons également des problèmes d'échelles temporelles, qui nous conduisent à ne pas avoir de lecture statique des enjeux. Tout varie donc dans le temps et dans l'espace, en particulier les systèmes d'acteurs ... L'expert ne doit pas emprisonner le politique en lui fournissant une réponse, il doit proposer des espaces de solutions. C'est le politique qui décide ! Nous devons donc avoir un regard multiforme, voire probabiliste, des outils que nous souhaitons mettre à disposition des
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décideurs. La décision se prend par négociation et consensus : c'est donc nécessairement plus long, mais c'est aussi plus démocratique. L'une des difficultés est qu'il y a en France plus d'un élu au km2. On pourrait peut-être faire moins, mais n'y voyez surtout pas chez moi la prétention de supprimer des trônes ... Jean Frébault (Président de la 5ème section du CGPC) Merci pour ces remarques autour des questions d'échelles spatiales et temporelles. Je vais à présent proposer à Serge Godard, maire de Clermont-Ferrand, et président du syndicat mixte des transports clermontois (SMTC), de nous donner son point de vue d'élu et de praticien. Serge Godard (Maire de Clermont-Ferrand, Président du SMTC) Il y a beaucoup de contradictions, sans doute trop de trônes, et des communes qui n'ont pas envie de disparaître ! Le mérite de la loi Chevènement est d'avoir donné le premier coup de pied dans la fourmilière. Elle a permis un premier pas vers une cohérence politique et économique, avec l'affirmation d'un pouvoir d'agglomération. Elle a rapproché des éléments majeurs de cohérence territoriale, comme le versement-transport et la TPU. La loi Voynet, quant à elle, vise à mettre en cohérence des territoires qui se trouvent les uns à côté des autres, en veillant à ce qu'ils ne se mettent pas inutilement en compétition, au sein d'un périmètre qui est celui du Pays. L'aire urbaine est une définition technocratique. À Clermont-Ferrand, nous ne nous sommes pas intéressés à cette définition. Pourquoi ? L'agglomération de Clermont-Ferrand compte 21 communes pour 280 000 habitants, le Pays regroupe 9 EPCI associés vers un destin commun compte 350 000 habitants, c'est également le territoire d'élaboration du SCOT. L'aire urbaine compte quant à elle 420 000 habitants et le Département 500 000. Si on prend en compte l'aire urbaine, le département n'existe plus ! Il faut se poser la question de la cohérence de ce territoire en termes de déplacements de personnes. La ville-centre a tendance à croître, mais le Pays du Grand Clermont gagne plus de population que le centre. Malgré les efforts accomplis dans la ville-centre, on a du mal à éviter le départ des populations vers la grande couronne. Or, il est impossible sur ces territoires extérieurs de faire du transport public, c'est totalement inefficace. Clermont, comme d'autres grandes villes françaises, dispose d'une étoile ferroviaire. La solution est donc de se regrouper autour des points à partir desquels cela devient efficace de faire un peu de transports publics. Car, notre problème à Clermont, est bien de faire face à la croissance des flux de circulation automobile qui convergent chaque matin vers le centre. Alors comment faire de la cohérence en matière de transport ? À Clermont, la communauté d'agglomération n'a pas pris la compétence transports publics, et l'a transférée au syndicat mixte des transports clermontois (SMTC). Le département quant à lui s'intéresse très peu au SMTC. Faut-il dans ce cas donner la compétence transport aux différents EPCI représentés au sein du syndicat mixte ? Non, à mon sens, parce qu'il ne faut pas éparpiller la compétence dans différentes agglomérations. Par aillleurs, il faut organiser un transport routier cohérent, en travaillant à l'amélioration de l'accès au centre. D'où la nécessité de mieux coordonner les différentes autorités organisatrices qui interviennent pour faire fonctionner ce système. Mon idée, c'est qu'on ne fera pas des choses durables si on continue à éparpiller les autorités. Il faut organiser la multimodalité et l'intermodalité. Le problème n'est pas seulement politique mais ce sont plutôt des cultures techniques qui s'affrontent. Il faudrait un arbitre. Est-ce que cet arbitre peut être l'État ? Mais est-ce que cela peut être l'État qui se désengage financièrement du secteur des transports publics ?
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Jean Frébault (Président de la 5è section du CGPC) À Clermont, nous voyons qu'une question est posée en termes de coopération entre différents territoires. Faut-il un arbitre, il me semble que le débat est ouvert. Sur ces questions, et sur les autres, je donne maintenant la parole à Marc Wiel, urbaniste, qui a beaucoup réfléchi à la problématique ville et transports. Marc Wiel (urbaniste) Si nous parlions un peu de philosophie ? Je vous propose aussi d'essayer de nous projeter un peu plus dans le futur. Tout d'abord je voudrais dire que l''intercommunalité, dont il est beaucoup question ici, est une invention fort bizarre, un compromis pour ne pas supprimer la commune et de ce fait quelque chose d'intermédiaire entre ce qui permet l'accroissement d'une capacité d'arbitrage (notre tradition de la chose politique) et un rassemblement purement fédéral où il faudrait pour décider que presque tout le monde soit d'accord. C'est donc un « monstre » par rapport à notre culture de la chose politique! Mais étant « monstrueuse » que c'est une formule « inventive », « évolutive », qui gagne en capacité d'innovation et d'adaptation au contexte ce qu'elle perd en rationalité ou en efficacité. D'où une disparité supplémentaire des situations locales. Face à l'intercommunalité nous sommes toujours pris entre le sentiment d'une obligation d'accroître la capacité d'arbitrage pour gagner - croyons-nous - en efficacité, et le fait que pour pouvoir concrétiser quoique ce soit il faut toujours recourir à la négociation. Le droit des minorités limite de ce fait celui de la majorité. L'acquisition progressive de la capacité de négociation favorise la résolution des conflits car elle force au respect de l'altérité de l'interlocuteur. De ce point de vue le cas de Rennes m'est apparu un exemple particulièrement intéressant : c'est parce qu'il a été possible, dans la durée, de développer une capacité de négociation - entre le centre et la périphérie - qu'il a été finalement possible de mobiliser la capacité théorique d'arbitrage dont dispose juridiquement l'institution intercommunale. L'intercommunalité est donc un laboratoire particulièrement intéressant du processus même de décentralisation dans la mesure où elle est le seul dispositif institutionnel remettant en cause (sans l'avoir voulu) la commodité de savoir domaine par domaine quel est l'arbitre légitime. Autre remarque à propos de ce que je viens d'entendre : l'invention des contours de l'aire urbaine a été présentée comme une production purement technocratique. C'est encore pire que cela. C'est une invention (technicienne certes) qui prétend redonner une limite à la ville qui n'en a plus, faute de pouvoir (savoir) penser la ville sans limite franche. On demande donc aux statisticiens de dresser de nouveaux « remparts », conventionnels certes, pour ne pas avoir à changer notre représentation de la réalité urbaine. Il faut se convaincre que le sentiment d'appartenance à un territoire est devenu flou et politiquement cette nouveauté n'est pas mineure ; ce sentiment ne varie plus maintenant de façon discontinue (le « ou » plutôt que le « et ») dans l'espace (comme autrefois) mais de façon continue (le « et » et non plus le « ou »). Mais toute institution doit avoir des limites. Comment faire ? En fait nous sommes dans un processus où il faut donner une capacité d'arbitrage collective à des institutions construites sur des espaces reliés par des rapports d'interdépendances d'intensité et de natures différentes. Tout ce qui nous permet d'avancer, est toujours à l'opposé de notre conception de ce qui nous parait rationnel ou équitable dans la définition classique de la légitimité du pouvoir. Il nous faut intégrer (enfin) les différences. Aussi sommes-nous en permanence dans une quête de simplification de nos méthodes, tout en continuant d'inventer des trucs inimaginables qui se compliquent tous les jours davantage. Contenir son désir de rationalisation (et c'est dur pour un technicien) permet d'être inventif car une évolution maîtrisée nécessite toujours la combinaison d'une bonne interprétation du poids des nécessités mais également une suffisante confiance entre les acteurs. Cette confiance comme un capital, se dilapide ou s'accumule.
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Ce qu'il faut, c'est se connaître. Il faut se connaître pour coopérer, et coopérer pour ensuite pouvoir passer au stade des négociations. La coopération est un passage obligé, c'est le temps de l'interconnaissance. La négociation a besoin d'un prétexte financier. On ne peut pas fédérer durablement des acteurs ou des institutions sur le principe d'aller ensemble faire la quête auprès des institutions de rangs supérieurs ! Il faut pouvoir justifier l'existence de flux financiers - notamment entre centre et périphérie - qui permettront d'alimenter une transaction en perpétuel réajustement. Il faut bien sur que cette transaction permette de discuter des différents champs sectoriels en même temps. Le transport est de ce fait un puissant levier de négociation du fait que les flux financiers qui le caractérisent ont de lourdes conséquences sur l'aménagement. Aussi veillons à ne jamais enfermer les transports dans une politique sectorielle. Ce serait l'ensemble des capacités de négociation des territoires entre eux qui s'en trouveraient taries. Mais ce sont là des processus qui vont demander beaucoup de temps à se mettre en place, d'où l'intérêt comme on l'a fait ici d'adopter des méthodes d'analyses sur de longues périodes. Rien de durable ne se construit en effet dans ce domaine dans l'urgence ou sans une conviction partagée toujours trés laborieuse à construire. Le processus de périurbanisation de l'habitat va se poursuivre car les habitants quittent le centre alors que les emplois restent concentrés (sauf en Ile-de-France). Cette situation crée une plus grande vulnérabilité de l'organisation urbaine aux ruptures qui peuvent provenir de leur contexte environnemental (énergie, effet de serre, etc.). Les arbitrages nécessaires exigeront d'avoir progressé dans la capacité à négocier, va exiger plus d'aptitude dans la gouvernance. Le travail préalable aux SCOT est à mon avis une pièce maîtresse des ces travaux d'approches que les territoires sont en train de réaliser les uns par rapport aux autres, même si c'est dans dix ans ou plus que les effets seront visibles au travers des décisions encore inimaginables actuellement. L'essentiel est de commencer à rentrer dans une pratique de négociation entre les territoires sans attendre qu'un arbitre improbable vienne dire ce qu'il est utile, bon ou juste de faire. Les périphéries veulent-elles des emplois ? En contrepartie il faudra qu'elles assurent un taux d'habitat social proportionnel à ces emplois. Il existe en quelque sorte des négociations multilatérales et multisectorielles à construire entre les flux d'emplois, les flux d'habitat, les flux financiers et... les flux de déplacements. Il est vain de croire que la construction d'une institution nouvelle dans son périmètre ou ses compétences résoudra tout. Il y a des communautés urbaines qui ont plus de trente ans d'âge et qui exercent beaucoup mieux les compétences supplémentaires qu'elles ont choisies de se doter que leurs compétences dites obligatoires. La cohérence transport-urbanisme est encore quelque chose une notion mal appréhendée sur laquelle il y a encore beaucoup à travailler. La ville cohérente ne résulte pas d'un dessin ou d'une cartographie ou d'une judicieuse répartition des densités par rapport aux infrastructures. C'est à mon avis une ville dont les divers territoires ont réussis à formuler les réponses aux trois questions que je vais ci après présenter. Pour refonder cette notion de cohérence entre transports et urbanisme il faut pouvoir se mettre d'accord sur les conditions de la mobilité qui sont en adéquations avec les objectifs partagés en matière d'aménagement. Première question : Quelles sont les conditions de mobilité nécessaires, mais surtout suffisantes, pour garantir l'ouverture métropolitaine visée ? Ensuite, deuxième question, il convient de clarifier le lien entre le système des déplacements et l'équilibre recherché en particulier entre centre et périphérie ? Autrement dit que faut-il réclamer aux transports pour encadrer les évolutions en matière de mixité sociale ? À mon avis, la relation entre emplois, habitat et déplacements est prise à l'envers. Au lieu de réfléchir à la façon de maîtriser localement les évolutions respectives tant quantitatives que qualitatives des emplois et de l'habitat, nous construisons des infrastructures de transport en considérant que le « marché fera le reste », comme on dit que « Dieu reconnaîtra les siens ». Troisième question : quelles conditions de mobilités peuvent servir la politique de centralité recherchée ? En procédant de la sorte nous pouvons un jour
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espérer avoir la mobilité de notre urbanisme et non l'urbanisme de notre mobilité. Vouloir à répondre à ces questions peut paraître ambitieux. En fait, elle suppose surtout de raisonner différemment, de ne plus confondre le déplacement avec le besoin d'interaction sociale auquel il est lié. Cela suppose aussi de réfléchir à notre façon de nous organiser face à des circonstances immédiatement improbables : par exemple une flambée beaucoup plus sérieuse que jusqu'à présent et durable du prix du pétrole. Ce genre de prospective est d'autant plus capital qu'il permet de se convaincre d'une réalité très simple mais cruciale. Pour relever les défis de demain nous devons moins compter sur des investissements ou des bouleversements technologiques miraculeux que sur notre capacité d'organisation. C'est l'inconvénient de cette période d'invention de nouveaux rapports entre les institutions. Elle mobilise tellement les institutions que celles-ci deviennent « autistes » aux autres acteurs, lesquels se désimpliquent de la chose publique ainsi appropriée par des gens qui se querellent comme des chiffonniers. Peut être que le VT est un impôt mais que faut-il pour que les employeurs et la puissance publique collaborent un jour sur la question des transports ? L'évolution capable de nous permettre de relever tous les aléas du futurs est bien, à mon avis, dans la capacité collective de négocier à propos de tout ce qui constitue les vrais enjeux de l'organisation de la vie sociale. Jacques Gagneur (MTI Conseil) Juste une remarque, pour exprimer un étonnement, et je m'adresse en particulier à Marc Wiel, nous n'avons pas entendu prononcer le mot « foncier » dans ces débats. Je voudrais également poser une question à Monsieur Godard : vous avez entrepris récemment une démarche de PDU, quelles étaient vos motivations ? Serge Godard (Maire de Clermont-Ferrand, Président du SMTC) Ce qui nous a motivé Clermont-Ferrand, c'est la gestion du nombre de véhicules individuels qui tous les matins entrent dans la ville. C'est essayer de penser les déplacements des citoyens dans une toute autre optique que celle des pratiques actuelles, à travers le PDU. C'est essayer de rendre le transport public plus attrayant, et décourager l'usage de la voiture individuelle en ville. Et au-delà, c'est aussi faire voir la ville, à travers son système de déplacements, comme une métropole européenne. Jean Frébault (Président de la 5ème section du CGPC) Je vais maintenant vous proposer quelques mots de conclusion, pour clore provisoirement ces débats. Il me semble que plusieurs pistes émergent. D'une part, qu'attend-on des chercheurs, et de la recherche ? Il me semble que nous nous engageons dans une nouvelle phase, avec un regard critique des chercheurs sur l'ensemble des politiques locales. On sort ainsi d'une vision sectorielle des transports. Toutes les questions que nous avons évoquées ensemble sont très importantes. Il faut que la recherche se poursuive plus intensément que dans le passé dans cette voie. Il y a un grand intérêt à développer une fonction d'observation sur les territoires, et il faudrait que cela prenne de l'ampleur. Les chercheurs doivent participer à la construction de ces observatoires. Les partenaires et les acteurs publics doivent porter cette attente. D'autre part, quelles sont les questions qui portent sur l'action publique ? Il faut revisiter des schémas de pensée un peu trop fermés sur eux-mêmes. Tout ne passe pas par les collectivités locales, l'État doit être présent. Quelques pistes sont à explorer dans ce qui apparaît comme un jeu de redistribution des pouvoirs, qui ne peut pas aller trop vite. D'une part, la coopération, c'est une solution qui a été évoquée par différents intervenants, notamment Chantal Duchène qui a parlé de fédéralisme. D'autre part, la négociation ou la transaction, évoquées par Marc Wiel. Il me semble qu'il y a là matière à débats.
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Dans tout cela, quel doit être le rôle de l'État ? Les repères sont en train de se reconstruire, mais il reste à l'évidence beaucoup de questions en jachère. Il y a un discours des collectivités locales qui révèle une demande d'autonomie, et en même temps la loi Chevènement a été plébiscitée par les élus. L'État pourrait-il avoir un rôle de régulateur, d'arbitre ? C'est sans doute un rôle moins évident à installer, et à légitimer. À ce sujet, nous manquons de comparaisons européennes un peu structurées. Dans cette période de transition, il serait intéressant de voir comment évolue le rôle de l'État chez nos voisins européens.
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Publications associées à la recherche
Gallez C. et Menerault P. (dir), Recomposition intercommunale et enjeux des transports publics en milieu urbain, Rapport de convention Ademe-Inrets pour le 3ème Prédit, GO 11 « Politique des transports, juillet 2005, 277 pages. Ce rapport contient les chapitres cités dans le présent document : Menerault P., Réforme territoriale et dynamique de l'intercommunalité dans les transports collectifs urbains. Une approche diachronique, in Gallez C. et Menerault P. (dir), 2005, Chapitre 1, pp. 15-23. Richer C., Les transformations récentes de l'intercommunalité en matière de transports collectifs urbains, in Gallez C. et Menerault Ph. (dir), 2005, Chapitre 2, pp. 25-49. Guerrinha C. et Frère S., L'agglomération de Rennes, in Gallez C. et Menerault P. (dir), 2005, Chapitre 3, pp. 53-104. Gallez C. et Guerrinha C., La région stéphanoise, in Gallez C. et Menerault P. (dir), 2005, Chapitre 4, pp. 105-151. Frère S. et Richer C., L'arrondissement de Valenciennes, in Gallez C. et Menerault P. (dir), 2005, Chapitre 5, pp. 153-187. Bodin F. et Menerault P., L'agglomération de Caen, in Gallez C. et Menerault P. (dir), 2005, Chapitre 6, pp. 189-218. Menerault P., L'agglomération de Saint-Brieuc, in Gallez C. et Menerault P. (dir), 2005, Chapitre 7, pp. 219-240. Gallez C., Analyse transversale des études de cas et conclusions, in Gallez C. et Menerault P. (dir), 2005, Chapitre 8, pp. 243-267. Ce rapport est à paraître dans les collections des rapports de recherche de l'Inrets fin 2006début 2007. Gallez C., Les transports urbains face à la structuration du pouvoir d'agglomération, Pouvoirs locaux n° 3 ème trimestre 2005, pp. 70-74. 66,
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Ministère des Transports, de l'Équipement, du Tourisme et de la Mer Secrétariat Général DRAST Mission Transports Direction de publication : Gérard Brun Coordination d'édition : Frédérique Mounier Impression : Ministère des Transports, de l'Équipement, du Tourisme et de la Mer
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INVALIDE) (ATTENTION: OPTION urce : Frère et Richer (2005)
5.3. Un schéma intercommunal morcelé suite à la loi ATR (1992) La deuxième période débute dans les années qutre-vingt dix, suite à la Loi d'administration territoriale de la République (ATR, dite loi Joxe). L'arrondissement se structure alors rapidement autour de 8 établissements intercommunaux à fiscalité propre (figure 25). Sept d'entre eux sont des communautés de communes. La plus importante d'entre elles, la communauté de communes de la Vallée de l'Escaut, rassemble 19 communes dont Valenciennes.
Figure 25 : L'intercommunalité dans le Valenciennois après la loi ATR (1992-1999)
Source : Frère et Richer, 2005
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Les regroupements se sont effectués largement en fonction des affinités partisanes et souvent sans continuité territoriale. En outre, le tracé prend en compte les ressources financières de l'arrondissement. Les quatre principales sources de taxe professionnelle de l'arrondissement se situent à Trith Saint-Léger (métallurgie et industrie automobile), à Hordain (industrie automobile), à Saint-Saulve (nombreuses PME), à Petite-Forêt (centre commercial). Trois des villes les plus riches de l'arrondissement jouxtent, en effet, la ville de Valenciennes (Trith Saint-Léger, Petite-Forêt, Saint Saulve). Parallèlement à cette organisation institutionnelle morcelée, se met en place une autre forme de partenariat à l'échelle de l'arrondissement, qui prend une forme moins intégrée, mais qui rassemble quand même l'ensemble des communes de l'arrondissement : l'Association pour le Développement du Valenciennois, créée en 1991. Son rôle consiste alors à assurer la représentation économique de l'arrondissement face aux partenaires institutionnels, dans l'optique du contrat de plan et des contrats d'agglomération. Néanmoins, les tentatives de transformation de l'association en SIVOM à la carte ou en syndicat mixte échouent. Deux raisons peuvent expliquer cet échec : d'une part, les élus de petites communes rurales étaient réticents à un renforcement du degré d'intégration de la coopération intercommunale ; d'autre part, Jean-Louis Borloo et Alain Bocquet craignaient de voir le rôle d'un élu socialiste ainsi renforcé. Ces diverses oppositions de principe ou sur le choix de la forme et des compétences d'une intercommunalité à l'échelle de l'arrondissement préfigurent les difficultés qui surgiront un peu plus tard, après le vote de la loi Chevènement. 5.4. L'impossible unification de l'arrondissement En dépit des différents discours en faveur de la constitution d'une communauté d'agglomération unique à l'échelle de l'arrondissement, le Valenciennois se scinde, suite au vote de la loi Chevènement, en deux communautés d'agglomération (figure 26).
Figure 26 : Les deux communautés d'agglomération du Valenciennois créées en 2001
Source : Frère et Richer (2005)
La communauté d'agglomération de « Valenciennes Métropole », qui regroupe 36 communes autour de Valenciennes, est présidée par Jean-Louis Borloo (PR), maire de Valenciennes et ministre de la Ville puis de l'Emploi et de la Cohésion sociale depuis 2002.
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La communauté d'agglomération de la « Porte du Hainaut » compte quant à elle 38 communes ; elle est présidée par Alain Bocquet, porte-parole du groupe communiste à l'Assemblée nationale et maire de Saint-Amand, centre principal de la structure communautaire. La communauté d'agglomération de la « Porte du Hainaut » compte quant à elle 38 communes ; elle est présidée par A.Bocquet, porte-parole du groupe communiste à l'Assemblée nationale et maire de Saint-Amand, centre principal de la structure communautaire. Cette configuration apparaît comme le produit d'un découpage politique, c'est-à-dire comme le résultat du clivage partisan gauche/droite et comme la constitution des fiefs de deux personnalités politiques d'envergure nationale (figure 27). En effet, l'activité politique d'Alain Bocquet et de Jean-Louis Borloo se combine entre le local et le national. Ce « double horizon 15 des pratiques » conduit ces élus à appréhender de façon particulière les enjeux de l'intercommunalité. La présidence d'une intercommunalité peut se concevoir comme un outil de consolidation du leadership local et comme une ressource supplémentaire pour peser sur la scène politique nationale. Le périmètre s'est finalement dessiné en fonction d'une répartition égale des ressources fiscales issues de la taxe professionnelle de part et d'autre.
Figure 27 : La couleur politique des communes du Valenciennois en 2001
Source : Frère et Richer, 2005
5.5. La dynamique des transports publics La question des déplacements s'est posée tardivement au sein du Valenciennois, notamment du fait que la main d'oeuvre ouvrière résidait, jusqu'à la crise des années soixante-dix, à proximité des mines et des usines. Puis, avec la crise, l'enjeu essentiel est le développement économique. Celui des transports s'est posé en termes de désenclavement de l'arrondissement, ainsi, le système de transports, déjà fortement structuré par le fonctionnement du système productif local, continue d'être développé en fonction des besoins des entreprises. Aujourd'hui, le contexte démographique et urbain demeure peu favorable à l'émergence d'enjeux forts en matière de développement des transports
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Cité par Dechy (2001), d'après une expression de J. Lagroye, De l'objet local à l'horizon local des pratiques, in A. Mabileau (dir.), A la recherche du local, Paris, L'Harmattan, 1993, pp. 166-182.
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Présentation et discussion des études de cas
collectifs. En outre, la faible densité, la forme du bâti très linéaire associés à un réseau routier suffisamment dimensionné ne posent pas de problème en termes de circulation automobile et ne favorisent pas le développement de nouvelles lignes de transport collectif. En 1973, le versement-transport est étendu aux agglomérations de province de plus de 300 000 habitants, puis de plus de 100 000 habitants en 1974. Le sénateur-maire de Valenciennes, Pierre Carous, prend l'initiative de réunir plusieurs maires de l'arrondissement, dont Jules Chevalier, maire d'Aulnoy lez Valenciennes, afin de constituer un syndicat intercommunal des transports. Le Syndicat Intercommunal des Transports Urbains de la Région de Valenciennes (SITURV) est alors créé en 1976 sur un périmètre relativement dense de 28 communes. Pierre Carous ayant refusé de présider le SITURV (soulignant la faible implication de la ville centre sur les questions de transports collectifs), c'est Georges Bustin, maire du Vieux Condé, qui assume cette tâche, largement assisté par le premier vice-président, Jules Chevalier. Très vite, Jules Chevalier s'intéresse à la création d'une société d'économie mixte qui serait chargée de l'exploitation du réseau de transports urbains. La SEMURVAL est créée en 1979, présidée par le maire d'Aulnoy. L'implication directe ou indirecte de ce dernier dans la présidence des deux structures marque le début d'une symbiose entre le SITURV et la SEMURVAL. L'extension du PTU s'opère ensuite par l'adhésion progressive des communes les moins peuplées : en 1989, il s'étend sur 65 communes et aujourd'hui sur 75 des 82 communes de l'arrondissement (figure 28).
Figure 28 : La croissance continue du Périmètre des Transports Urbains (1976-2001)
Source : Frère et Richer, 2005
En 2001, le SITURV se transforme en syndicat mixte. La compétence obligatoire « organisation des transports » des deux communautés d'agglomération a en effet remis en cause l'existence de l'autorité organisatrice sous sa forme antérieure. Pour permettre la continuité du service public de transport et en arguant de la nécessité d'assurer une gestion cohérente du réseau, les deux communautés d'agglomérations vont déléguer leurs compétences au SITURV. La même année, Francis Decourrière, conseiller municipal à Valenciennes, est élu président du syndicat mixte. Il représente le consensus entre les deux présidents des communautés d'agglomération. Ce changement de présidence marque la fin de la symbiose qui caractérisait les relations entre l'autorité organisatrice et l'exploitant.
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En outre, les évolutions à la baisse de la clientèle, les problèmes de temps de transport et les limites de capacité (versement-transport limité) ont précipité la recherche de solutions. Ainsi, dans les années quatre-vingt-dix, un projet d'organisation des transports publics « Transvilles » articulé autour d'un tramway associé à un redéploiement des lignes de bus dans l'agglomération (figure 29) est envisagé.
Figure 29 : Le projet « Transvilles »
Source : Frère et Richer, 2005
Ce projet a été beaucoup contesté. Les commerçants et riverains s'y sont opposés. En outre, le tramway porté techniquement par le SITURV et la SEMURVAL, a été perçu pendant longtemps comme un outil imposé par des élus politiquement opposés à la villecentre, ce qui a retardé sa mise en oeuvre. Puis, avec la volonté politique de redynamiser le centre-ville en perte de vitesse, les élus de Valenciennes ont perçu l'opportunité que constituait l'arrivée d'un tramway en tant qu'outil d'urbanisme. Il participe également au changement d'image de la ville souhaitée par Jean-Louis Borloo. Mais, les investissements liés au projet « Transvilles » posent aussi la question de l'équilibre entre les deux communautés d'agglomération : ces dernières participent de manière équivalente au financement du SITURV tandis que, dans une logique de centralité, les investissements se portent d'abord sur la ville centre. Le SITURV doit en permanence veiller à assurer un équilibre dans la qualité de service entre Valenciennes Métropole qui accueillera la phase 1 du TCSP sur son territoire et la Porte du Hainaut, qui doit bénéficier d'une compensation par une desserte adaptée, du type « transport à la demande ». Le SITURV doit ainsi composer en permanence avec les deux communautés d'agglomération ce qui a pour effet de complexifier et de ralentir son processus décisionnel. Éléments de conclusion La figure 30 résume la situation des transports publics dans les principales étapes de l'intercommunalité Valenciennoise. La première phase, des années soixante-dix jusqu'en 2001, est marquée par la sectorisation des compétences communautaires : l'intercommunalité transport fonctionne de manière autonome tandis que des structures plus intégrées n'arrivent pas à émerger.
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La deuxième période correspond à une phase de transition provoquée par la redéfinition du cadre législatif dû à la loi Chevènement sur la coopération intercommunale. Cette instabilité se caractérise par un PTU fragmenté en deux parties consécutivement à la création des deux communautés d'agglomérations. L'étape actuelle s'apparente à une « logique d'adaptation », c'est-à-dire à une volonté de sauvegarder le périmètre des transports qui semble correspondre à un territoire fonctionnel de gestion des transports. Un syndicat mixte gère désormais la compétence transport des communautés d'agglomérations, ce qui contribue à sectoriser de nouveau l'organisation des transports collectifs.
Figure 30 : De la sectorisation technique à l'instrumentalisation politique de la compétence transport
La configuration valenciennoise pose la question de la transversalité des actions et des politiques menées sur ce territoire. On assiste à Valenciennes à un cloisonnement encore important entre les structures et leurs acteurs. L'action publique est élaborée en « circuit fermé ». La deuxième question concerne la séparation de l'arrondissement en deux communautés d'agglomération : cela ne traduitil pas la meilleure forme de compromis entre un « espace de pouvoir » (échelle d'intervention politique) et un « territoire de projet » (échelle de planification et d'aménagement) ? Dans leur fonctionnement, les deux entités semblent se satisfaire de cette séparation et au fil du temps, s'autonomisent davantage. Les procédures de SCOT à venir paraissent confirmer cet effet de frontière.
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6. L'agglomération de Saint-Brieuc
Philippe Menerault L'agglomération de Saint-Brieuc se démarque des autres collectivités étudiées par sa taille. Si toutes les autres se situent dans des aires urbaines de plus de 300 000 habitants, celle-ci ne regroupe que 121.237 habitants. Il était cependant important d'introduire dans cette recherche un organisme urbain de dimension plus modeste, à la fois pour refléter la diversité de l'armature urbaine française et pour saisir s'il se comporte, dans les relations qui unissent le réseau au territoire, de manière identique aux autres collectivités ou, au contraire, si les processus, les phases et les mécanismes qui l'animent apparaissent singuliers. Quatre thèmes permettent de synthétiser les caractéristiques du rapport entre transports publics et intercommunalité dans le cas de Saint-Brieuc : d'abord, un cadrage sur l'organisation urbaine et ses correspondances avec la géographie de l'intercommunalité ; puis, sur le temps long, le rôle des transports publics dans les étapes qui ont marqué le développement de l'intercommunalité ; ensuite, toujours dans une approche diachronique, les éléments qui font des transports collectifs un puissant marqueur territorial pour la collectivité ; enfin, la dimension politique du territoire, à travers la question du leadership face à la dynamique intercommunale et aux enjeux du transport public. En conclusion, quelques questions vives sur la recomposition territoriale de l'agglomération briochine seront portées au débat. 6.1. Éléments de cadrage : organisation urbaine et extension intercommunale Il faut d'abord noter qu'au sein de son aire urbaine, Saint-Brieuc occupe une position dominante en termes démographique et économique. Elle regroupe ainsi 38% de la population et 53% des emplois de son aire urbaine. Par ailleurs, depuis 1975, l'agglomération se caractérise par sa croissance continue, mais avec un déclin démographique de la ville-centre sur la période 1975-1990 ; ce n'est qu'au dernier recensement qu'un redressement a été enregistré. Il profite aux quartiers centraux et péricentraux de la commune. Paradoxalement, malgré cette inversion de tendance, un sentiment de perte de vitalité du centre est ressenti par plusieurs de nos interlocuteurs ; à une autre échelle, les résultats électoraux de 2001 en constituent un indicateur. Deux autres traits généraux marquent l'agglomération : d'une part, le vieillissement de la population et d'autre part, un taux élevé de motorisation des ménages, seulement 18% d'entre eux ne disposant pas d'automobile. Le périmètre de l'aire urbaine de Saint-Brieuc (figure 31) rencontre à sa proximité immédiate deux autres aires urbaines : celle de Guingamp à l'ouest et celle de Lamballe à l'est ; cette dernière jouxtant même l'aire urbaine briochine.
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Présentation et discussion des études de cas
Figure 31 : Aire urbaine de Saint-Brieuc
Source : Menerault et Richer (2005)
Une telle situation a pour effet de créer une aura à la fois importante et discontinue de communes multipolarisées, au-delà de l'aire urbaine, mais elle tend aussi à réduire l'influence briochine directe et à contenir le périmètre de son aire urbaine. Ce contexte apparaît alors propice à un calage assez étroit des périmètres de l'intercommunalité et de l'aire urbaine (figure 32).
Figure 32 : Périmètres de l'aire urbaine et de la CA de Saint-Brieuc
Source : Menerault et Richer (2005)
Quatorze communes composent la Communauté d'agglomération de Saint-Brieuc (CABRI) qui compte 107 000 habitants (contre 121 000 dans l'aire urbaine, pour 23 communes). Le second élément à relier à cette configuration en aires urbaines multiples et voisines est qu'elle favorise l'émergence d'un complexe d'intercommunalités, sous la forme de nombreuses communautés de communes. La CABRI est la seule communauté d'agglomération à participer à ce dispositif qui s'est organisé, en 2003, dans le cadre d'un « Syndicat mixte de Pays » (figure 33).
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Figure 33 : Intercommunalités au sein du Pays de Saint-Brieuc (2003)
Source : Menerault et Richer (2005)
La dimension institutionnelle des pays revêt en Bretagne une signification particulière ; elle permet, en effet, une inscription au Plan Régional d'Aménagement du Territoire et ouvre la possibilité d'obtenir des subventions sur projet, issues du conseil régional. 6.2. Aspects diachroniques du rôle des transports publics dans la dynamique spatiale de l'intercommunalité Dans l'histoire de l'intercommunalité briochine, deux compétences se sont épaulées pour modeler la géographie et le contenu de l'organisme d'agglomération : l'économie (considérée au sens large, de la gestion de zones d'activités à la réflexion et à l'intervention sur le développement) et les transports collectifs. Longtemps abordés dans le cadre de dispositifs séparés, peu contraignants pour les communes (SIVU et charte), à la construction décalée dans le temps, ces compétences ont représenté le socle du district à fiscalité propre créé en 1991 (figure 34). Dans la mise en place de l'intercommunalité briochine, il faut remarquer le hiatus important des années soixante-dix. Il est consécutif à l'échec d'une tentative de création d'un « Grand Saint-Brieuc » par fusion de communes, dans la ligne de la Loi Marcellin (1971). Cet essai a cependant laissé des stigmates et longtemps nourri la méfiance des élus des collectivités périphériques pour toute coopération intercommunale, en dehors de celle réalisée sur la gestion de biens indivis ou sur des objets perçus comme strictement techniques, comme les transports. Le district de 1991 est d'ailleurs, pour partie, bâti sur une crainte, une anticipation par rapport à la loi Joxe (ATR, 1992), afin qu'une une forme plus contraignante d'intercommunalité ne soit pas imposée localement par l'État. Si, à cette époque, la géographie du district (10 communes) épouse approximativement le périmètre de la Charte intercommunale de développement (12 communes) et dépasse largement celui des transports urbains, l'adhésion ultérieure de la commune de Plérin, collectivité stratégique par sa population, ses activités, sa proximité de Saint-Brieuc et son ouverture littorale, doit beaucoup au rôle du transport public comme élément physique de liaison et de cohésion territoriale. En effet, la desserte de la commune de Pordic par les transports collectifs se faisait par un passage sans arrêt dans celle de Plérin, ce qui a suscité des interrogations de la population et opéré une pression en direction des élus pour un rattachement au district, qui survient en 1996 avec celui de trois autres collectivités.
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À partir de cette date, l'organisme intercommunal acquiert progressivement et régulièrement de nouvelles compétences et, en 1999, après la loi Chevènement, le district est sans rupture majeure transformé en Communauté d'agglomération. Si des moyens financiers supplémentaires sont octroyés, le périmètre de l'intercommunalité retenu demeure constant. 6.3. Le réseau de transports publics urbains : puissant outil de marquage territorial La question de la signification du réseau de transports publics pour la construction du territoire intercommunal, abordée sur le temps long, est essentielle pour comprendre combien cette compétence joue un rôle particulier dans la dynamique de coopération locale. Quatre éléments nous ont paru particulièrement évocateurs de cet aspect dans le contexte de Saint-Brieuc ; ils touchent à des dimensions organisationnelles, physiques, mais aussi symboliques du transport. Le premier élément tient au rôle de la planification des déplacements dans la relance de l'intercommunalité et concerne une dimension organisationnelle du territoire. Après la rupture dans le dialogue intercommunal qui a suivi la tentative avortée de fusion de communes, la procédure de Plan de Déplacements Urbains, dans sa première mouture, issue de la loi d'Orientation des transports intérieurs (1982), a constitué un objet permettant localement de promouvoir l'idée d'une logique de coopération plus large. L'articulation transport/urbanisme, la dimension déplacements et non plus seulement transport, sur le versant intensif ; l'extension du périmètre de l'autorité organisatrice des transports, sur le versant extensif, ont été au coeur de la démarche de PDU conduite à l'échelle de 6 communes dans le cadre d'un syndicat d'études. Si l'approche transversale est restée modeste dans ses applications, le PDU a toutefois bien contribué à l'extension du Syndicat des transports urbains briochins.
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Figure 34 : Les étapes de la dynamique spatiale de l'intercommunalité briochine
Source : Menerault (2005)
La séparation des réseaux urbains et interurbains est le deuxième élément fort qui marque le rôle du transport public dans la construction territoriale et concerne tant une dimension organisationnelle que physique du territoire. Si cette tendance n'est pas propre à l'agglomération briochine, il faut constater ici que la collectivité a plusieurs fois interpellé l'exploitant du réseau pour qu'il transforme son mode de production du service et qu'elle a été jusqu'à en changer, ce qui est relativement peu courant dans le contexte français, hormis les phénomènes de concentration du secteur. En effet, la Compagnie Française de Transport a cédé son réseau à la Compagnie Armoricaine de Transport du groupe Verney à
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la fin des années soix ante pour des raisons de rentabilité. Or, Verney est le principal exploitant du réseau départemental et, dans un premier temps, la différenciation est faible entre l'offre urbaine et interurbaine. L'implication financière croissante de Saint-Brieuc dans un contrat qui n'a plus de « Risques et périls » que le nom, incite la collectivité à revendiquer l'individualisation nette de la desserte urbaine dans le milieu des années quatre-vingts,, d'autant que se constitue une autorité organisatrice intercommunale (SIVU) en quête d'identité. Cette demande conduit l'opérateur à créer la Société des Transports de l'Agglomération Briochine (SETAB), filiale urbaine distincte de l'interurbain. Pourtant, la séparation réalisée qui touche autant la gestion que la nature de l'offre et l'image du réseau, ne satisfait pas entièrement la collectivité qui change d'exploitant, en 1991, en recourant aux services du groupe Transexel (futur Kéolis) pour développer un réseau aux caractéristiques plus urbaines, dans cette période où s'affirme le concept de « génie urbain ». Le troisième élément qui fait du réseau de transport un marqueur territorial est cette fois plus spécifique à Saint-Brieuc - même s'il a été diffusé ultérieurement dans d'autres collectivités françaises - et touche à la fois à des dimensions organisationnelle, physique et symbolique. Il s'agit d'une innovation introduite en 1990 sous la dénomination de « Taxitub ». Elle consiste à desservir, à la demande, les secteurs peu denses de l'agglomération par des liaisons à la fois souple, adaptée à des extensions de périmètre et recourant à l'utilisation des taxis. Le système directement géré par la collectivité, fonctionne à partir d'une réservation opérée sans intervention humaine, par un dispositif informatisé. Il est initialement fondé sur la définition de « lignes virtuelles » (figure 35) parcourues par des taxis qui possèdent toutes les caractéristiques des lignes régulières : trajets fixes, arrêts matérialisés, horaires déterminés permettant de rejoindre un point de correspondance avec le réseau régulier ou de gagner directement le centre-ville de Saint-Brieuc. En ce sens, il matérialise une emprise étendue du réseau sur le territoire et tout particulièrement dans ses périphéries.
Figure 35 : Les lignes virtuelles de Taxitub
Ce système a été développé à Saint-Brieuc parallèlement à l'adhésion de nouvelles communes à l'autorité organisatrice des transports, pour lesquelles il a constitué une motivation forte au processus d'intégration intercommunale. De 16 lignes en 1990, on en compte 30 en 1995 irriguant les 10 communes du district, et 55 en 2004 qui parcourent les 14 collectivités de la communauté d'agglomération. Le cas de Saint-Brieuc apparaît alors tout à fait singulier dans le paysage français et d'une certaine manière, le fort capital symbolique qui s'attache aux « Taxitub » semble avoir permis au réseau de se doter d'une identité à partir de la desserte de ses territoires périphériques.
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Enfin, la dénomination du réseau et du territoire contribuent à témoigner de la dimension symbolique du transport public dans l'émergence d'une identité d'agglomération. En 1991, lorsque Transexel devient l'opérateur du réseau, le groupe créé une filiale d'exploitation appelée Compagnie des Autobus Briochins - désignée par le sigle de CABRI ; en 1999, lorsque la Communauté d'Agglomération est fondée, elle reprend les mêmes initiales, qui signifient alors simultanément Communauté d'Agglomération Briochine. Par ce choix, la collectivité tend donc à indiquer l'unité qui existe entre le réseau et le territoire qu'il dessert et dont il solidarise les lieux matériellement, mais aussi symboliquement. 6.4. Leadership d'agglomération « contrarié » et enjeux des transports publics urbains Si l'on aborde maintenant le rapport entre les transports publics et l'intercommunalité en partant, non plus du réseau, mais de l'organisation politique du territoire, le fait marquant qui caractérise la situation briochine est l'échec inattendu, aux élections municipales de 2001, de la liste sur laquelle se présentait le sénateur-maire sortant (Cl.Saunier) et l'élection du candidat UDF (B.Joncour), dans ce fief socialiste qui fut la patrie de l'écrivain Louis Guilloux. Sur le plan de la dynamique intercommunale, ce ne sont donc pas, dans ce cas, les répercussions de la loi Chevènement qui constituent le véritable élément de rupture. Elle offre simplement l'opportunité d'accompagner et d'amplifier un mouvement enclenché au début des années quatre-vingt-dix. La véritable coupure dans l'organisation territoriale provient des suites de la dernière élection municipale et de ses effets sur la construction intercommunale qui peuvent être exprimés par cinq registres différents. D'abord, la logique locale d'appropriation des fonctions intercommunales par un « grand élu » est mise à mal par les résultats électoraux. Si Cl.Saunier ne visait pas un fauteuil de maire, il briguait en revanche un mandat à la tête d'une intercommunalité dont il a été l'un des principaux artisans et porteurs, et cela dès l'origine. La nouvelle donne intercommunale, alors que la présidence de la communauté d'agglomération est confiée à un élu d'une petite commune périphérique est à mettre en regard de l'opinion exprimée par le politiste G.Marcou (2000) pour lequel « les communautés d'agglomérations qui vont négocier directement avec l'État, la région ou le département devront être présidées par des élus spécialistes de l'action publique ». Si cette spécialisation du personnel politique peut être discutée, l'évolution briochine illustre cependant l'existence de deux orientations divergentes dans la conduite du développement d'un pouvoir d'agglomération. Le contexte de renouvellement des élus de la ville-centre et de changement partisan de majorité conduit aussi à porter une attention particulière aux projets municipaux et éventuellement à les disjoindre d'opérations d'ordre intercommunal, pour affirmer l'action municipale et son marquage territorial. C'est le cas avec le projet urbain du « Champs de Mars » au coeur de Saint-Brieuc dont le traitement, repoussé par l'équipe politique précédente, est engagé actuellement, mais indépendamment des restructurations de la gare urbaine et du réseau de transport public qui bordent l'espace du projet. Du point de vue de l'urbanisme, il y a là une inversion des temporalités par rapport à une tendance dominante dans de nombreuses agglomérations où ce sont les interventions sur les réseaux de transport qui concourent à associer des opérations urbaines, dans le cadre d'aménagement de ZAC. La crise des services communautaires constitue un troisième aspect de la dynamique intercommunale briochine. Elle est conjoncturelle et se matérialise par le départ du directeur général et de trois des cinq directeurs de services de la communauté d'agglomération (figure 36). Le renouvellement politique, facteur d'incertitude, s'ajoute alors à un contexte d'offre d'emplois ouvert et de possibilités de promotions dans des organismes intercommunaux voisins. Ce n'est donc pas uniquement le personnel politique qui change après les élections de 2001, c'est aussi la majorité des responsables technico-administratifs de la structure d'agglomération.
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Figure 36 : Évolution des services techniques de la CABRI en 2003
Source : Menerault (2005)
Le changement politique constitue aussi une occasion de faire ressurgir des projets laissés en jachère par l'équipe précédente. C'est, dans le domaine des transports publics, le cas d'un projet de site propre qui bénéficie d'un substrat d'études abondant réalisé au cours de la période 1994-1997. Les réflexions sur la réorganisation du réseau de transports publics, appuyé sur un dispositif de site propre, ont été réactivées en 2002 et des études complémentaires effectuées à la demande de l'organisme intercommunal. Le Plan de Déplacements Urbains, réalisé en 2004, a été l'occasion de remettre en scène l'idée du site propre, mais son horizon temporel de réalisation, repoussé à 2013, tend à indiquer au-delà des difficultés techniques, que les tensions entre communes, par rapport à sa mise en oeuvre, sont encore à lever. Enfin, la nouvelle donne politique conduit à chercher des espaces de reconquête à un niveau intercommunal. Dans ce cadre, le « Syndicat mixte de Pays » et sa (sur)valorisation peut apparaître comme un lieu alternatif possible de contrôle du territoire local. Cet espace de projet, présidé par le maire socialiste de Lamballe, affirme progressivement son identité par un projet transversal de « Pays du vivant ». Il se trouve en charge de la planification stratégique au niveau de la réalisation du Schéma de cohérence territoriale, de l'élaboration du « Pays touristique », du SAGE et, dans le champ des transports, envisage même de promouvoir un « Plan de Déplacements de Pays ». Éléments de conclusion Pour conclure, nous soulèverons quelques interrogations sur l'interface entre intercommunalité et transports publics à propos de l'exemple de Saint-Brieuc, mais ces questionnements peuvent trouver une résonance dans un contexte plus large. La première interrogation concerne la Communauté d'agglomération, qui assume la compétence transports publics. Ne se trouve-t-elle pas aujourd'hui finalement prise en tenaille entre, d'une part, l'échelon communal, espace de légitimité et de représentation politique et, d'autre part, le Pays, espace du projet territorial. Dans ce cadre, le rôle de la communauté d'agglomération n'apparaît-il pas alors réduit à un espace de gestion sectorielle des compétences ? Une deuxième série de questions porte sur le rôle des autres partenaires institutionnels intervenant dans le champ des déplacements, dans le nouveau complexe local de pouvoirs : Quels leviers, quel pouvoir reste-t-il au niveau des services de l'État ?
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Comment le Plan Régional d'Aménagement du Territoire de Bretagne peut-il contribuer à modeler l'intercommunalité ? Comment se positionne le conseil général qui participe au syndicat mixte de Pays ? La communauté de communes de Lamballe qui a instauré le versement-transport sur son territoire et dispose d'un service de transports publics à la demande envisage-t-elle des synergies avec la CABRI pour le développement des transports collectifs ? Le syndicat mixte peut-il alors être un cadre de réflexion, puis un cadre d'action, adapté ? Enfin, un dernier point porte sur le succès du Taxitub en tant qu'attracteur intercommunal pour des collectivités périphériques et outil de desserte souple. Un tel succès ne contribue-il pas à occulter la question de la maîtrise de l'urbanisation au profit d'un accompagnement de la périurbanisation ?
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7. Discussions et débats autour des études de cas
Michel Rousselot (Président du GO11 Politique des transports du Prédit) Nous allons maintenant aborder les discussions sur les études de cas qui ont été présentées. Je donne la parole à Monsieur Noël Philippe, directeur général adjoint des services techniques de la communauté d'agglomération de Rennes Métropole. Noël Philippe (Directeur général adjoint des services techniques de Rennes Métropole) Quelles sont les caractéristiques principales du cas rennais ? Tout d'abord, la grande stabilité du district de Rennes à la fois au niveau politique et au niveau technique. Il y a eu, dans la structuration intercommunale, deux voies parallèles suivies d'un côté par le district, qui s'occupait principalement d'aménagement de l'espace et, de manière moindre, de développement économique ; et de l'autre par le syndicat intercommunal des transports en commun de l'agglomération rennaise (SITCAR), qui s'occupait de l'organisation des transports collectifs. Le district de Rennes a été la première intercommunalité de France à adopter le régime de la taxe professionnelle unique. Par ailleurs il est vrai de souligner, comme cela a été dit ce matin, que le débat sur le Plan de déplacements urbains (PDU) a été en partie occulté par celui du métro. Il y a quelque chose qui n'a pas été évoqué, qui concerne le fait que le périmètre des transports urbains (PTU) est très étendu, du fait notamment de la grande taille de la villecentre : le PTU de Rennes est à peu près équivalent à celui de Lille ou même de Lyon. Le territoire intercommunal est donc très marqué par la ville-centre, et par sa forte densité - qui justifie d'ailleurs la construction du VAL. On peut dire que le territoire de Rennes métropole se compose de Rennes et de 36 communes périphériques. On doit également rappeler que la ville-centre est entourée d'une rocade à 2 fois 2 voies et de 19 voies autoroutières, ce qui laisse entrevoir la nature des enjeux de déplacements locaux. Qu'en est-il de l'intercommunalité aujourd'hui dans l'agglomération rennaise ? Le PDU est en révision. Par ailleurs, il y a un Programme local de l'Habitat (PLH) très ambitieux, en cours d'élaboration sur le territoire de Rennes Métropole. Il y a en effet un gros problème de logement, dû à une crise de l'immobilier, marquée par une hausse importante des prix. La réponse qu'apporte le PLH est basée sur un développement des communes périurbaines et un développement plus modéré de la ville-centre. La deuxième étape pour les transports collectifs est d'ailleurs liée à ce développement de la périphérie. C'est la clé de la réussite du PLH, il y a un lien effectif entre les transports et le logement dans le plan. Quant aux relations avec le département et la région, elles s'améliorent. C'est devenu plus facile depuis mars 2004, avec le développement d'un projet de billettique très ambitieux à l'échelle régionale, dont l'étude a été cofinancée par la région, le département et Rennes métropole et qui est inscrit dans le contrat d'agglomération. La mise en oeuvre de ce projet pourrait déboucher sur la création d'un syndicat mixte de transport SRU. Michel Rousselot (Président du GO11 Politique des transports du Prédit) Rennes est un cas particulièrement intéressant vis-à-vis des relations entre les politiques de transport et les politiques d'aménagement. Le projet de VAL apparaît comme un élément d'exacerbation du risque d'incohérence entre les deux champs. Le VAL soulève une controverse parce qu'il y existe une contradiction entre le projet de développement des transports collectifs et l'urbanisation polycentrique en périphérie inscrite au schéma directeur. Cette contradiction apparente n'est-elle pas relayée par les à-coups de la structuration intercommunale, et ne se traduit-elle pas encore aujourd'hui une séparation des deux champs techniques ?
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Michel Phlipponneau (Géographe, ancien président du district de Rennes) Je relève une contradiction entre la volonté de développer l'habitat à la périphérie de Rennes et le projet de développement d'une deuxième ligne de métro. Étant donné le coût et les conséquences financières, on a de quoi se poser des questions sur la pertinence de ce développement ! Noël Philippe (Directeur général adjoint des services techniques de Rennes Métropole) Le débat sur le métro a été une question éminemment politique, qui continue à susciter des polémiques. Il n'y a pas de tant de contradiction entre l'aménagement urbain et le VAL : le schéma des villettes est certes particulier, il garde son importance dans la structuration de l'urbanisation périphérique, mais la densité de la ville de Rennes justifiait la construction d'un métro. Dans l'ensemble des documents d'urbanisme, la question des déplacements est présente. Le VAL est une réussite. Sa mise en circulation a entraîné une restructuration totale du réseau urbain et suburbain qui garantit un fonctionnement très satisfaisant. Michel Phlipponneau évoquait le PLH et la deuxième ligne de VAL. On va certes moins construire sur la ville, mais on va continuer d'assurer le renouvellement urbain. Christophe Guerrinha (CRETEIL-Institut d'Urbanisme de Paris) Que pouvez-vous nous dire du SCOT qui est en cours d'élaboration ? Noël Philippe (Directeur général adjoint des services techniques de Rennes Métropole) Pour le SCOT rennais, nous sommes dans une phase de négociation avec le département et la région, étant donné que les enjeux de déplacements dépassent le périmètre de l'intercommunalité. L'un des chantiers prioritaires est la mise en place de la billettique et d'une tarification intégrée. L'ensemble de l'aire urbaine représente 140 communes, soit presque l'équivalent du département. Nous avons mis en place un GIP. Il y aura un schéma de secteur sur Rennes Métropole. Pour l'instant, je ne peux pas vous en dire beaucoup plus, ne travaillant pas directement sur cette démarche. Jean-Marie Grellier (Syndicat mixte de transport de Charentes Maritimes) Quelles sont vos relations avec le Département et les autres AOT, notamment quelles sont les coopérations en matière d'offre et de tarification ? Noël Philippe (Directeur général adjoint des services techniques de Rennes Métropole) Concernant la tarification, nous avons créé le titre intermodal Unipass. Nous sommes toujours dans une phase d'expérimentation, mais elle devrait déboucher sur une politique plus globale. En ce qui concerne l'offre de transport, il n'existe pas vraiment de coordination. La coordination de l'offre constituera une deuxième étape, nous avons commencé par coordonner les tarifs. La création d'un syndicat mixte de transport sera alors peut-être nécessaire. Michel Rousselot (Président du GO11 Politique des transports du Prédit) Je donne maintenant la parole à Monsieur Ludovic Meyer, à propos du cas stéphanois. Ludovic Meyer (Chargé de mission PDU à Saint-Étienne Métropole) Je commencerai tout d'abord deux points importants, qui n'ont pas été rappelés ce matin. Le premier concerne la tradition stéphanoise en matière de transports publics : la première ligne de chemin de fer française (Andrézieux-Saint-Étienne) a été construite en région stéphanoise ; par ailleurs, c'est l'une des rares villes à avoir maintenu une ligne de tramway au moment où toutes les villes françaises démantelaient leurs réseaux. Un deuxième élément porte sur l'histoire récente du versement-transport. Au moment de l'élargissement du périmètre de Saint-Étienne Métropole, certaines entreprises de la vallée du Gier ont refusé de payer le VT. Elles ont déposé un recours judiciaire et l'ont emporté. Le
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sénateur-maire de Saint-Étienne, Michel Thiollière, a alors déposé un amendement permettant de moduler (dans l'espace et dans le temps) l'ajustement des taux de VT à l'intérieur d'un même PTU. Il y a donc aujourd'hui trois taux de perception du VT au sein du périmètre de la communauté d'agglomération. Il n'était pas certain que l'amendement puisse passer, la crainte étant que le cas stéphanois ne fasse jurisprudence. Le résultat est que cet amendement permet à la fois de « faire passer » la structuration intercommunale, mais aussi de conforter le pouvoir du président de la communauté d'agglomération. Pourtant, il me semble que toutes les questions ne sont pas réglées à propos de cet impôt. La logique de remise en cause du VT est en fait liée à l'inadéquation entre l'offre que l'on peut développer, et la taxe qui est prélevée. Ce qui soulève un réel problème de territorialisation : on ne peut pas desservir une commune rurale de la même manière que la zone dense, même si elle se trouve à l'intérieur du périmètre de l'agglomération. Par ailleurs, il y a un point sur lequel je ne suis pas d'accord avec vous, sur lequel je n'ai pas la même lecture. Je ne pense pas que Saint-Étienne Métropole soit responsable de l'échec de la création d'un syndicat mixte avec la Plaine du Forez. Il y a eu une incompréhension sur le premier PDU lié en partie au fait que le scénario C n'a pas été retenu. Cependant au moment de la révision du PDU, la communauté d'agglomération de Saint-Étienne Métropole a demandé aux collectivités de la Plaine l'autorisation d'inscrire un certain nombre d'actions sur leur territoire. Cela dit, le PTU est limité à 43 communes et hors de ce PTU, la communauté d'agglomération n'est pas compétente, c'est donc sur ce territoire que SaintÉtienne Métropole, légalement, peut programmer des actions. Les collectivités de la Plaine se sont récemment transformées. L'une d'elles (Forez Sud) est devenue une communauté d'agglomération et regroupe aujourd'hui 50 communes pour 80 000 habitants, sur un tissu qui est donc très rural. Il y a une vision très « départementalisée » des choses, notamment vis-à-vis des projets routiers. La compétence transports publics a d'ailleurs été déléguée au Département. Ce périmètre correspond également à une circonscription législative. Aujourd'hui cette collectivité cherche à attirer de nouvelles entreprises en s'appuyant sur le fait que leur taux de versement-transport est moins élevé qu'à Saint-Étienne Métropole... Concernant le syndicat mixte, les élus de Saint-Étienne Métropole ont une vision assez prudente. La communauté d'agglomération compte déjà 43 communes, ce qui est déjà ambitieux, même si le PDU et le SCOT concernent un périmètre beaucoup plus vaste. Il faut d'abord apprendre travailler ensemble. Aujourd'hui, c'est vrai que les élus se concentrent sur l'agglomération, même s'ils sont conscients que ce n'est pas le périmètre le plus pertinent. Le SCOT est en train de se faire avec la plaine du Forez, mais les transports n'en constituent pas vraiment un enjeu principal. Le PDU a déjà brossé à peu près tout ce qui pouvait être fait. L'enjeu serait plutôt de réfléchir au type de développement urbain. En revanche, il existe un réel besoin de développer une réflexion à l'échelle de la Région Urbaine de Lyon (RUL). C'est à cette échelle, qui compte 11 Autorités organisatrices de transports, que se situent les véritables enjeux de déplacements aujourd'hui. Pour ce qui concerne l'intermodalité, à Saint-Étienne nous n'en sommes pas encore à réfléchir à des titres uniques. S'il faut pour cela faire un syndicat mixte avec la Plaine du Forez, nous le ferons. Mais surtout, il ne faut pas manquer l'aire métropolitaine Lyon-Saint-Étienne, c'est à cette échelle, qui est celle de la vie quotidienne des stéphanois, qu'il faut mettre en oeuvre une véritable politique de transports. Même si nous avons la première ligne de TER en termes de fréquentation, la Région n'est pas la plus en pointe pour le TER. Il y a beaucoup d'affichage, et c'est surtout Saint-Étienne Métropole qui fait avancer la réflexion. Ce qui n'a pas été forcément beaucoup discuté, c'est du rôle très important (parfois trop important) des exploitants. Notamment celui de la SNCF vis-à-vis de la Région. Il est urgent que le pouvoir politique reprenne le pouvoir à cette échelle-là. Et la question des coûts est souvent un faux débat : les élus continuent bien de
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promouvoir les systèmes autoroutiers, alors que les collectivités n'en n'ont pas forcément les moyens. Chantal Duchène (Directrice générale du GART) J'aimerais revenir sur la question du versement-transport, et insister sur le fait que le VT n'est pas une taxe, c'est un impôt ! Cette distinction est importante, puisqu'en tant qu'impôt, le VT n'a pas de rapport avec le service rendu : les entreprises situées à l'intérieur du PTU doivent donc payer le VT même si elles ne sont pas desservies. C'est le lien entre les transports publics et le fonctionnement économique de l'agglomération que l'on remet en question lorsqu'on prétend relier le paiement du VT à l'existence d'une desserte. Le risque est donc de changer complètement la nature du versement-transport. Caroline Gallez (INRETS-LVMT) Pour répondre brièvement à Ludovic Meyer, je n'ai pas le sentiment que l'absence de création d'un syndicat mixte de transport soit un échec imputable à Saint-Étienne Métropole, ni même que cela soit un échec tout court, mais que cela relève au contraire d'un choix de la part communauté d'agglomération. Il m'a semblé que Saint-Étienne Métropole était réservée par rapport à la question du syndicat mixte parce qu'elle était dubitative à l'égard de l'implication effective des communautés de communes périphériques et du département en matière de transports publics. La crainte étant que la création d'un syndicat mixte ne conforte une position trop attentiste de leur part, la communauté d'agglomération souhaite qu'elles assument d'abord elles-mêmes la compétence transport ou qu'elles fassent preuve d'un engagement plus clair en matière de transports collectifs. C'est un choix politique qui a, me semble-t-il une certaine cohérence, et qui est de plus pertinent au regard des enjeux de renouvellement urbain qui sont aujourd'hui la priorité affichée par Saint-Étienne Métropole. Michel Rousselot (Président du GO11 Politique des transports du Prédit) Monsieur Guy Deléon, directeur général des services techniques de la communauté de communes de Lamballe, va maintenant réagir sur le cas de Saint-Brieuc. Guy Deléon (Directeur général des services techniques de la CC de Lamballe) J'ai quitté St Brieuc il y a trois ans, où j'occupais le poste de directeur du développement économique à la CABRI. Je souhaiterais tout d'abord faire plusieurs remarques à propos de la structuration du pouvoir d'agglomération. Je crois que l'affirmation du pouvoir d'agglomération, à Saint-Brieuc comme ailleurs, est incontestable et incontestée. C'est un fait positif, qui, malgré les difficultés évoquées, n'a pas amené que des problèmes. Et ce n'est pas non plus tout à fait ce que les services de l'État attendaient. L'essai de recomposition intercommunale par le haut n'a pas fonctionné en France, au contraire du mouvement de coopération volontaire des communes, qui a entraîné des réussites incontestables. La structuration intercommunale à Saint-Brieuc s'est effectivement développée autour de deux moteurs : d'une part autour de la compétence « développement économique » qui est de fait une notion floue, du moins en termes de contenu politique ; et d'autre part les transports publics, qui constituent un thème plus technique. La difficulté d'appréhender le développement économique est contre-balancée par l'exercice de la compétence transports, plus technique et surtout plus visible par la population. Il semble que cette structuration intercommunale sur l'agglomération de Saint-Brieuc soit assez cohérente avec la réalité de vie des briochins, en termes de déplacements, d'économie et d'urbanisme. Les transports publics illustrent la nécessité de la coopération intercommunale : ils aident le territoire à se structurer alors même que le fait intercommunal, encore aujourd'hui, reste quelque chose de difficile à appréhender et de controversé. Cependant après la structuration
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Présentation et discussion des études de cas
de l'agglomération, l'exercice de la compétence transport a eu du mal à dépasser le domaine technique pour aboutir à quelque chose de plus stratégique. Un autre point concerne les liens entre la ville-centre et les autres communes de l'agglomération. Il me semble que la ville-centre n'a pas su trouver complètement sa place. Elle est à la fois trop petite (elle représente moins de 50% de la population de la communauté d'agglomération) et se différencie en cela de Rennes. Et elle est aussi trop grande, parce que c'est la plus grande des communes, et que cela suscite une appréhension des petites communes face à l'intercommunalité. Or, les communes périphériques oublient ce qu'elle doivent à la ville-centre. En particulier, les principaux équipements communautaires se sont créés à la périphérie, en dehors du territoire de la ville-centre. Il est donc compliqué pour la ville-centre d'exister au sein de cette communauté d'agglomération, et les relations avec la périphérie restent difficiles. Cela se vérifie d'ailleurs au niveau des relations entre les services de la ville-centre et les services communautaire : il n'y a pas vraiment de passerelle entre les deux institutions, le dialogue se fait mal. Un troisième point porte sur les relations entre la CABRI et ses voisins au sein du Pays. Le syndicat mixte du Pays de Saint-Brieuc regroupe six communautés de communes et une communauté d'agglomération. Il ne faut pas se méprendre sur le rôle du Pays : il a un rôle de coordination, pas un rôle de décision. Le pays n'est que l'intégrateur des projets politiques qui sont élaborés par les différentes collectivités qu'il rassemble. Ceci pour nuancer l'interprétation, évoquée dans la monographie, selon laquelle l'agglomération serait prise « en tenailles » entre la ville-centre et le Pays. Il est vrai que la CABRI n'est pas très à l'aise au sein du Pays, en raison de rivalités politiques, ni au sein de l'Agence pour le développement économique (ADE), qui a le mérite de rapprocher les décideurs politiques et les représentants du monde économique. Le syndicat mixte de Saint-Brieuc est engagé dans le SCOT décliné, à l'échelle de la CABRI, sous forme d'un schéma de secteur. Il y a une perspective de Plan de déplacements de Pays qui reste à concrétiser. Par ailleurs, entre la CABRI et la communauté de communes de Lamballe, nous envisageons des relations autour d'un projet de transport à la demande qui serait mis en oeuvre sur le territoire de la communauté de communes. Un point concernant les positions du département et de la région. En matière de transports publics, il y a peu de choses à dire. Les choses pourraient peut-être prochainement évoluer, au moins pour ce qui concerne l'implication régionale, dans le cadre de la contractualisation région-Pays. La région Bretagne envisage de territorialiser toutes ses politiques, peut-être cela pourrait-il changer les perspectives en matière de transports publics ? Enfin une dernière remarque, ou plutôt une interrogation à propos de la réflexion de G.Marcou citée par Ph.Menerault. Je n'ai pas vraiment compris ce que cela voulait dire. Qu'est-ce que cela veut dire : « Il faut des élus spécialistes de l'action publique pour négocier avec l'État ? » Est-ce une question de taille, y a-t-il une hiérarchie entre les élus ? J'avoue que je suis dubitatif. Michel Phlipponneau (Géographe, ancien président du district de Rennes) Pourquoi la communauté de communes de Lamballe ne fait-elle pas partie de la CABRI ? Au niveau de la dotation globale de financement, il y a un vrai problème d'aménagement du territoire : on avantage les grandes villes ! Les communautés d'agglomération ont en effet davantage de DGF que les communautés de communes, qui, du coup, ne peuvent pas développer de réseau de transports collectifs.
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Philippe Menerault (INRETS-LVMT) Par rapport à votre remarque sur la professionnalisation des élus, il y a à chaque fois des modalités différentes au niveau du leadership. Il y a un vrai problème au niveau de la durée. Guy Deléon (Directeur général des services techniques de la CC de Lamballe) Pourquoi la communauté de communes de Lamballe n'est-elle pas dans la CABRI ? Eh bien, parce qu'elle l'a choisi. La coopération intercommunale est toujours perçue aujourd'hui pour de nombreux élus comme un mal nécessaire. C'est une avancée, car on sait désormais que l'intercommunalité est nécessaire. Le Pays est quelque part une autre réponse. Michel Phlipponneau (Géographe, ancien président du District de Rennes) Oui, mais il y a un vrai problème par rapport à la participation de l'État. L'aide varie de 1 à 4 entre les communautés de communes et les communautés d'agglomération ! Noël Philippe (Directeur général adjoint des services techniques de Rennes Métropole) Oui d'accord, mais malgré cela la communauté d'agglomération de Vitré n'a pas développé de transports ! Michel Rousselot (Président du GO11 Politique des transports du Predit) Pour conclure très brièvement ces débats autour des motivations et des conditions de la structuration intercommunale, je vous propose d'avancer une hypothèse, qui est celle de l'échelle de Perroquet. Il me semble, au vu des trajectoires historiques qui ont été reconstituées, qu'on peut identifier une période où l'intercommunalité a progressé à travers les politiques de transports publics, suivie d'une autre où c'est le développement économique qui prédomine, puis d'une autre où ce sont à nouveau les transports qui font évoluer la coopération intercommunale. D'où l'hypothèse d'une progression qui se ferait selon des logiques successivement extensives puis intensives, et qui permettrait d'aller vers des échelles de décision de plus en plus efficaces.
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Recomposition intercommunale et enjeux des transports publics en milieu urbain Séminaire d'échanges entre chercheurs et acteurs ENPC-Paris 24 mai 2005
Troisième partie Synthèse, conclusions et débats
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Synthèse, conclusions et débats
8. Les transports urbains face à la structuration d'un pouvoir d'agglomération
Caroline Gallez La cohérence territoriale des politiques d'urbanisme, de déplacements et de logement est un des principaux motifs de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain (SRU), dite loi Gayssot-Besson. Nous avons tenté d'évaluer la portée de cette orientation au regard des évolutions observées dans le champ des transports publics urbains, qui est également soumis aux influences indirectes de deux autres lois : la loi Chevènement, qui favorise la création d'intercommunalités de projet ; et la loi Voynet, qui propose la réorganisation des espaces urbanisés autour de deux maillons principaux : les pays et les agglomérations. Les observations issues des études de cas menées dans les agglomérations de Rennes, Saint-Étienne, Valenciennes, Caen et Saint-Brieuc sont venues compléter les analyses réalisées à l'échelle nationale (approche historique développée par Ph.Menerault ; bilan statistique et analyse cartographique réalisés par C.Richer). Elles ont permis de caractériser différents types de dynamiques territoriales, et d'identifier les principaux changements survenus depuis la mise en place du Versement transport, au début des années soixante-dix. Il convient à présent, sur la base des analyses effectuées, d'apprécier l'ampleur des évolutions produites par le nouveau contexte législatif. Or, parce que la réforme territoriale n'est pas une fin en soi elle n'est qu'un moyen mis au service d'objectifs de l'action publique , il ne s'agit pas seulement de se demander si les évolutions observées vont dans le sens d'une plus grande cohérence de l'action publique, mais également si ces évolutions favorisent ou non la prise en compte des principes de développement durable énoncés par les lois. Question difficile, ambiguë, voire prématurée, que nous allons aborder ici sous un angle particulier. La notion de cohérence territoriale renvoie à une double problématique : celle du choix de périmètres d'action adaptés à l'appréhension des enjeux de développement et d'organisation des espaces urbanisés ; et celle de la coordination des champs d'action sectoriels (plus spécifiquement, au sens de la loi SRU, des politiques d'urbanisme, de déplacements et de transports). En centrant notre propos sur l'élaboration et la mise en oeuvre de politiques de transports publics, nous nous interrogerons sur la pertinence des critères ou des dispositifs prévus par les lois pour satisfaire la mise en cohérence des périmètres d'action ou la coordination des politiques sectorielles. 8.1. Un changement radical des logiques territoriales des transports urbains La loi Chevènement, qui entraîne un mouvement sans précédent de restructuration du pouvoir local, introduit des ruptures dans les logiques de développement et d'organisation des transports urbains. L'essor des communautés d'agglomération, dotées de compétences obligatoires en matière d'organisation des transports publics et d'aménagement de l'espace, explique l'ampleur des transformations observées : 60% des autorités organisatrices de transports urbains (AOTU) ont changé de statut entre 1998 et 2002. Dans ce contexte, le premier constat que l'on peut établir est celui d'un changement radical de la dynamique territoriale des transports urbains. Alors que les intercommunalités issues de l'instauration du Versement transport, dans les années soixante-dix/quatre-vingts, répondaient principalement aux motivations sectorielles de développement des réseaux urbains, l'évolution des périmètres d'action, les modes d'organisation et la formulation des enjeux de transports urbains dépendent désormais d'une pluralité de facteurs, qui conditionnent la réorganisation du pouvoir local.
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À la logique autrefois dominante d'extension des réseaux urbains succèdent une diversité de stratégies politiques, qui placent les transports publics à la marge ou au coeur d'un projet territorialisé. À ce titre, si l'on compare les périmètres de transports urbains des différents sites au début des années 1990 et dans les années les plus récentes (figures 36 et 37), plusieurs constats peuvent être faits. On note tout d'abord une extension relativement importante des périmètres, qui tendent à s'affranchir réellement des frontières de la zone agglomérée (représentée sur les cartes sous la forme du pôle urbain), alors que les intercommunalités issues du versement-transport avaient peu transgressé ces frontières - à l'exception notable du cas de Rennes, où le périmètre du SITCAR s'est plus ou moins calé sur celui du district. Par ailleurs, les cartes montrent - et nous commenterons plus loin cet écart - que les périmètres des nouvelles communautés d'agglomération ne coïncident pas avec ceux des aires urbaines. Au-delà du changement de statut et de périmètre des transports urbains, d'autres signes tangibles des transformations induites par la mise en oeuvre de la réforme territoriales, variables selon les terrains, ont pu être relevés. Les conséquences les plus immédiates portent sur l'évolution statutaire des autorités organisatrices de transports urbains et sur les variations de périmètres de transports urbains (PTU) qui en découlent. Deux types de transformations ont pu être observées dans notre échantillon où, rappelons-le, le pouvoir d'agglomération prend systématiquement la forme d'une communauté d'agglomération. Les premières relèvent de logiques adaptatives : les collectivités locales optent pour une organisation sectorielle des transports urbains, sous forme d'un syndicat mixte de transport auquel la ou les communauté(s) d'agglomération délèguent leur compétence transport ; c'est le cas à Caen et à Valenciennes. Le second type de transformation relève de logiques intégratives : dans ce cas c'est la communauté d'agglomération qui exerce elle-même la compétence transport, en général assumée initialement par une structure de type syndicat à vocation unique. À Rennes et à Saint-Brieuc, l'intégration de la compétence transport est antérieure à la loi Chevènement (dans les deux cas elle survient à l'occasion de la création ou du renforcement d'un district urbain, liés au vote de la loi ATR de 1992) ; à Saint-Étienne en revanche, elle découle de la création d'une communauté d'agglomération en 2001. Si les logiques de réseau n'apparaissent plus prédominantes dans la définition des périmètres d'action ni dans le choix des formes institutionnelles, il ne faut pas négliger l'importance des enjeux de transports publics dans la construction ou dans le renforcement d'une identité d'agglomération. En révélant les solidarités territoriales, les politiques de transports publics peuvent convaincre les communes de l'intérêt de coopérer au sein d'une structure intercommunale. Les supports de cette prise de conscience peuvent être des démarches de plans de déplacements urbains particulières qui, en dépassant les enjeux strictement sectoriels du transport public, sont porteuses d'une vision territoriale (cf. SaintBrieuc au moment du PDU « LOTI » et, plus récemment, Saint-Étienne, avec l'élaboration du PDU « LAURE » et sa mise en conformité avec la loi SRU). Dans l'agglomération briochine, la mise en place d'un service innovant de transport à la demande (Taxitub) a conforté la dynamique de coopération réamorcée par le PDU au début des années 1980.
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Synthèse, conclusions et débats
Figure 36 : Comparaison entre les PTU et les aires urbaines en 1990
Figure 37 : Comparaison entre les PTU et les aires urbaines en 2004
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Au-delà des incidences particulières entre politiques de transports publics et identité d'agglomération, d'autres indices, qui varient toutefois sensiblement d'une région urbaine à l'autre, témoignent d'une politisation croissante des enjeux de transports publics urbains. Dans certaines agglomérations, on assiste à un renforcement des services techniques et de la capacité d'expertise propre, qui montre la volonté des élus de s'impliquer davantage dans la définition des politiques de transports. Dans le Valenciennois, le changement du mode de représentation des collectivités au sein de l'autorité organisatrice sert quant à lui de révélateur au nouveau rapport de force entre deux communautés d'agglomération « rivales », et modifie le débat politique local autour des enjeux de transports publics. Ces changements des cadres d'action sont-ils porteurs d'une évolution des politiques de transports publics ? Favorisent-ils une plus grande cohérence des politiques urbaines et, finalement, une meilleure prise en compte des principes de développement durable des villes et des mobilités ? Nous allons tenter d'apporter à ces questions complexes quelques éclairages issus d'une réflexion critique sur les critères et les dispositifs de « mise en cohérence territoriale » inscrits dans les lois récentes. Pour cela, nous aborderons successivement les deux aspects de la notion de cohérence territoriale, à savoir la question des périmètres d'action, et celle de la coordination des champs d'action sectoriels. 8.2. L'éternelle question du périmètre « pertinent » Question récurrente s'il en est, la nécessité d'adapter les périmètres institutionnels pour appréhender de façon plus globale et plus cohérente les enjeux du développement urbain, a en France une résonance particulière. Les lois Voynet, Chevènement et Gayssot-Besson reprennent à leur manière cette exhortation au choix du périmètre pertinent en superposant deux visions de la réorganisation territoriale. La première correspond à une vision normative et fonctionnelle des territoires, qui consiste à faire de l'aire urbaine au sens de bassin d'emploi défini par l'INSEE le périmètre au sein duquel doivent être considérées les questions de développement et d'organisation des espaces urbains. Elle porte la marque d'une époque où le renforcement des structures intercommunales ne visait pas à faire émerger de nouveaux pouvoirs locaux, mais à réaliser des économies d'échelles, et à constituer des relais locaux pour l'action de l'État16. La seconde approche renvoie à une vision pragmatique et politique, qui définit la pertinence d'un périmètre d'action à partir du projet qu'il permet d'élaborer et de mettre en oeuvre. Elle s'inscrit, au contraire de la précédente, dans un mouvement de revendication d'autonomie du pouvoir local qui, à partir des années 1990, s'affirme à l'échelle des agglomérations, et non plus uniquement à celle des villes-centres. La référence unanime à l'échelle d'agglomération et au projet, auxquels les textes donnent pourtant une définition et des finalités différentes, tente de masquer cette juxtaposition des cadres d'action. Il en résulte une confusion implicite entre périmètres de planification et périmètres de gestion des territoires urbains, qui ne fait qu'entretenir le mot d'ordre d'adaptation des périmètres fonctionnels aux périmètres institutionnels. Que dire de l'usage d'un tel critère, et de sa pertinence, dans le champ des transports publics urbains ? D'une part, on peut s'interroger sur « l'effet structurant » de la représentation véhiculée par l'aire urbaine. Si l'on se réfère à sa définition statistique, cette notion est porteuse d'une double référence : explicite, à un schéma monocentrique classique composé d'un centre (le pôle urbain) et de sa périphérie ; implicite, à l'organisation d'un système de transports qui déterminent les conditions d'accessibilité au pôle d'emploi principal.
Estèbe Ph. et Th. Kirszbaum, 1997, L'intercommunalité entre optimum territorial et pouvoir local. Lecture de la littérature récente, Rapport pour le Plan Urbain.
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Synthèse, conclusions et débats
Du point de vue de la formulation des enjeux de déplacements en général et de transports publics en particulier, l'aire urbaine impose donc un cadre de réflexion au sein duquel l'accessibilité au centre principal - qui fonde l'existence du bassin d'emploi et en garantit le bon fonctionnement - constitue implicitement un objectif prioritaire. Dans un tel cadre, le choix de projets de transports collectifs « crédibles » en périphérie peut difficilement s'écarter du développement de dessertes radio-concentriques, aujourd'hui reconnues comme des vecteurs particulièrement efficaces... de l'étalement urbain. Cette difficile émergence d'un modèle polycentrique, souvent évoqué comme plus durable que le modèle de croissance extensive à partir d'un centre unique, se pose également lorsqu'on aborde la question institutionnelle. Conçue comme un moyen de favoriser la coopération entre différentes autorités organisatrices de transports au sein de bassins d'emplois élargis, le syndicat mixte de transport récemment relancé par la loi Gayssot-Besson, apparaît comme une solution a priori séduisante. Toutefois, sa mise en oeuvre pratique semble éluder une question importante, qui concerne l'implication effective des collectivités périphériques et des départements dans la gestion des transports publics locaux. En dehors de quelques exceptions, les intercommunalités qui se mettent en place en périphérie des pôles urbains n'assument pas elles-mêmes la compétence transports publics, qui est exercée par les départements. Or, plusieurs facteurs structurels placent aujourd'hui cette collectivité dans une position de retrait relatif vis-à-vis des enjeux de transports urbains : la poursuite du processus de décentralisation conforte leur « spécialisation routière », alors que la montée en puissance des communautés d'agglomération accroît la discontinuité spatiale de leur périmètre d'action. De sorte qu'en l'absence de volonté politique claire des élus des intercommunalités périphériques ou du conseil général en faveur du développement des transports publics, la création d'un syndicat mixte de transport ne peut encourager les collectivités périphériques à assumer elles-mêmes la compétence transport, ni à envisager la mise en place de réseaux de desserte dans les pôles urbains secondaires. Au pire, elle légitime leur position attentiste vis-à-vis d'une structure dont elles espèrent avant tout l'amélioration des conditions d'accessibilité au centre. 8.3. Coordination des compétences sectorielles et enjeu d'intérêt communautaire Le deuxième aspect de la problématique de la cohérence territoriale porte sur la coordination des politiques sectorielles. En dehors des orientations énoncées par la loi Gayssot-Besson, qui prévoit l'articulation des politiques de déplacements, d'urbanisme et de logement au sein des Schémas de cohérence territoriale (SCOT), les dispositifs prescriptifs ou incitatifs en matière de coordination des actions sectorielles se limitent à deux aspects particuliers : la mise en compatibilité des documents de planification sectoriels avec le SCOT ; le renforcement de l'intercommunalité dite « de projet », disposant de compétences intégrées. Sur le plan de la coordination des procédures, deux remarques peuvent être faites. La première porte sur l'agenda d'élaboration des documents de planification : les Plans de déplacements urbains ont de fait été élaborés avant les SCOT, dont la plupart en sont encore à la phase de diagnostic ; or, on note que dans certaines agglomérations, qui ne disposaient pas de schéma directeur préalable, les PDU ont servi de base à la mise en place d'une analyse compréhensive du territoire (exemple stéphanois). À l'inverse, certains PDU ont dû composer avec les orientations de schémas directeurs préexistants, particulièrement volontaristes en matière de développement des infrastructures routières (exemple de Caen). La coordination des compétences sectorielles est quant à elle loin d'être réglée par la transformation de l'organisation institutionnelle. On note ainsi la persistance de fortes segmentations entre les compétences relatives aux transports et à l'urbanisme d'une part et, au sein du champ transports, entre les compétences relatives aux transports publics, à la voirie et au stationnement.
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Plus spécifiquement, on note que si le lien entre transport et urbanisme existe, il reste essentiellement univoque : quatre des cinq agglomérations ont ainsi mis en place des structures intercommunales en matière d'aménagement de l'espace, dont l'ambition était essentiellement de créer et de gérer des zones d'activités. Dans cette optique, le développement des infrastructures de transport découle des choix faits en matière d'aménagement, alors même que la loi Gayssot-Besson préconise de conditionner l'ouverture à l'urbanisation en fonction de la desserte en transports collectifs. Par ailleurs, très peu de communautés d'agglomération assument la compétence « voirie communautaire », encore moins celle relative au « stationnement communautaire ». Au-delà de la défense par les communes de leurs prérogatives, cette situation révèle l'absence de consensus pour agir sur la voirie ou sur le stationnement à l'échelle intercommunale, dont l'une des seules motivations serait de mettre en oeuvre une politique de régulation des déplacements automobiles. Plus généralement, ces questions renvoient à la notion « d'intérêt communautaire » inscrite dans la loi Chevènement. Les juristes en ont déjà souligné le caractère très imprécis17. Il semble surtout paradoxal de définir l'intérêt communautaire d'une compétence considérée isolément. Là encore, c'est le passage de l'intercommunalité de gestion à l'intercommunalité de projet qu'il paraît difficile d'appréhender. Dans le premier cas, c'est l'économie d'échelle réalisée par l'exercice collectif d'une compétence qui définissait l'intérêt communautaire. Dans le second cas, c'est le projet élaboré par l'EPCI sur un territoire donné qui définit l'intérêt communautaire de l'ensemble des compétences qui concourent à sa mise en oeuvre. Éléments de conclusion En conclusion, nous reviendrons sur les ambiguïtés des trois lois Voynet, Chevènement et Gayssot-Besson, qui tiennent à la juxtaposition de deux conceptions différentes de la question territoriale. Il existe semble-t-il un décalage entre les critères et dispositifs de mise en cohérence des politiques locales, attachés à une vision techniciste et normative des territoires, et les conditions effectives de la mise en oeuvre de la réforme territoriale, marquée par l'affirmation d'un pouvoir politique d'agglomération. Les outils d'analyse, et surtout d'évaluation des politiques publiques, doivent tenir compte de ce changement de contexte. Dépasser la question de l'optimum dimensionnel, en acceptant la différence entre périmètres d'analyse et périmètres politiques, permettrait par exemple de réexaminer la nature et la finalité des différents projets de planification prévus par les lois. La priorité devrait être accordée à la reformulation de la relation entre transports et urbanisme finalement peu problématisée plutôt qu'à l'élargissement des périmètres institutionnels. Dans cette perspective, la veille territoriale effectuée par les services de l'État, les agences d'urbanisme, et certains EPCI à l'échelle des régions urbaines reste indispensable, pour accompagner les collectivités dans la compréhension du fonctionnement de ces territoires et construire le dialogue entre les collectivités qui les composent.
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Cf. Benchendikh F., 2002, L'intérêt communautaire dans les agglomérations en pratique, AJDA 2002, pp. 13271331.
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Synthèse, conclusions et débats
9. Discussions et débats autour de la synthèse
Jean Frébault (Président de la 5ème section du CGPC) Les trois lois Voynet, Chevènement et Gayssot-Besson ont donné lieu à de nombreuses réflexions lors de leur mise en application. Il me semble que ces travaux montrent qu'il y a bien eu un bouleversement de la donne territoriale et la création de nouvelles dynamiques. Mais, il semble aussi que les débats autour des questions de périmètres demeurent toujours aussi vifs et que les questions de segmentations sectorielles soient loin d'être réglées. Je vous propose d'entamer sans plus attendre les discussions, en donnant la parole à Michel Phlipponneau, géographe et grand spécialiste des questions d'aménagement du territoire. Michel Phlipponneau (Géographe, ancien président du District de Rennes) Je crois qu'il n'y a pas de recette miracle concernant l'adaptation entre le système de transport et le système intercommunal. Vous avez dit « les trois lois », je dirais plutôt les quatre lois ! La loi relative à l'administration territoriale de la République (ATR) de 1992, avec la taxe professionnelle unique (TPU), dégageait les marges financières nécessaires au renforcement de l'intercommunalité urbaine. On n'aurait pas pu faire le VAL à Rennes sans la TPU ! L'idéal au fond serait d'harmoniser le périmètre de transport avec celui de l'aire urbaine. Il faudrait pour cela adapter l'institution en charge des transports à l'échelle de l'aire urbaine qu'il convient de desservir, or on constate qu'il n'y a aujourd'hui pas de correspondance. Il n'y en a pas non plus sur le plan des études. L'agence d'urbanisme qui fait des études sur l'ensemble de l'aire urbaine ne s'occupe pas des transports publics, qui sont assurés par le SITCAR. Même après la reprise en main des transports publics par le district, l'agence d'urbanisme reste dessaisie des questions relatives aux transports et ne s'occupe que de l'organisation générale du territoire. Faut-il néanmoins rechercher une autorité, un pouvoir local à cette échelle-là ? La recherche de l'autonomie du pouvoir local correspond à une vision pragmatique et politique de l'agglomération, je ne pense pas que cela soit idéal. Alors comment faire coïncider les deux ? Je pense qu'il faudrait insister davantage sur les questions financières, puisque le mode de transports choisi en dépend. La question du coût est essentielle pour réfléchir aux différents types d'organisations. Au début, le versement-transport était prélevé uniquement sur Rennes. Le PTU était limité à la ville-centre et à quatre communes suburbaines. Lorsqu'il y a eu la fiscalité propre, mais surtout avec la TPU, les choses ont été différentes. C'est cela qui a permis de faire le VAL. La TPU a par ailleurs entraîné une augmentation du nombre de communes du District, à cause de la dotation de solidarité, intéressante pour les communes périphériques à faible TP. La création récente de la communauté d'agglomération n'a pas vraiment changé les choses. Le problème, c'est le blocage financier. Il y a même une commune, Noyal-sur-Vilaine, qui s'est retirée de la communauté d'agglomération, qui est passée ainsi de 38 à 37 communes. Aujourd'hui, le bus passe à Noyal-sur-Vilaine mais ne s'y arrête plus. Il y a un blocage financier, la preuve c'est que la communauté d'agglomération ne s'étend plus. Le Pays de Rennes, c'est très beau, mais le problème c'est que les communes ne veulent plus entrer dans la communauté d'agglomération lorsqu'elles disposent d'une TP au produit élevé et à taux bas intéressant pour leurs entreprises qui ne veulent pas payer le VAL ! Il y a aujourd'hui un bourrelet d'entreprises qui s'est formé à l'extérieur des limites de la
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communauté d'agglomération. Tout cela montre à quel point les questions financières sont essentielles. Noël Philippe (Directeur général adjoint des services techniques de Rennes Métropole) Peut-on vraiment envisager de développer la desserte de transports collectifs à l'échelle de l'aire urbaine ? Le problème de la couverture de l'aire urbaine est bien celui du coût du transport, et de la rentabilité des services de transports. Alors, si l'on compare, le VAL est-il cher ? Je ne crois pas, précisément parce que les usagers amortissent le coût. Il faut savoir que le réseau suburbain représente 15% du trafic pour la moitié des coûts ! L'intercommunalité n'est peut être pas faite pour aller très loin : le département ou la région peuvent prendre le relais, et assurer la desserte suburbaine. Michel Phlipponneau (Géographe, ancien président du District de Rennes) Le VAL couvre ses coûts d'exploitation, mais vous ne tenez pas compte de l'investissement ! Par rapport à la question de la fiscalité locale au sein de l'agglomération, je voudrais signaler qu'il y a trois entreprises à Rennes qui se sont délocalisées pour des raisons financières, dont Canon. Jean Frébault (Président de la 5ème section du CGPC) Merci. Je passe à présent la parole à monsieur Jean Ollivro, qui est géographe et professeur à l'Université de Rennes 2. Jean Ollivro (Géographe, Professeur à l'Université de Rennes 2) Il y a en France une immense complexité, si vous me permettez l'expression, un grand bazar institutionnel. La superposition des structures est source de blocage. Il y a trop de réunions, les décisions sont de plus en plus difficiles à prendre. Cela semble particulièrement ressortir du cas de Valenciennes. Il y a par ailleurs un problème de calage de la triple articulation entre transports, territoires et densité. L'échelle de financement des transports publics est différente de l'échelle de la desserte. Quel est le territoire pertinent ? Le problème est que les limites évoluent sans cesse : le territoire et les densités sont mouvantes. D'où la nécessité, me semble-t-il, de démarches évolutives. Nous devons également prendre en compte la vie réelle de la population : 83% des gens se déplacent à moins de 20 km. C'est l'échelle de la vie quotidienne. C'est également l'échelle des transports publics. Les Pays sont-ils le territoire de l'avenir, les intercommunalités constituent-elles un élément transitoire ? Les Pays sont l'avenir parce qu'ils correspondent au territoire de la vie des gens. Nous devons réfléchir aux projets de transports collectifs en pensant non pas seulement à quoi ils servent, mais surtout à qui ils servent. C'est ainsi que nous pourrons cerner leur pertinence. Les transports publics sont de véritables marqueurs territoriaux. Or, aujourd'hui, on structure en raisonnant en termes de logiques d'accès, de réseaux radio-concentriques qui se développent au détriment de la périphérie. On ne prend pas en compte la logique sociale dans le dessin de ces réseaux. Michel Rousselot (Président du GO11 Politique des transports du Predit) Quelle est la bonne formule de développement intercommunal ? C'est, comme nous l'avons vu, très différent d'un endroit à l'autre, ce qui nous montre bien que les études de cas ne peuvent avoir de portée universelle. Les problèmes sont souvent politiques et financiers. Il me semble qu'aujourd'hui, nous devons nous demander quel doit être le contenu d'un projet urbain dans un contexte de crise, de faible croissance et de chômage. Les réflexions intercommunales doivent d'une part être mises au service de l'emploi et du développement
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économique, et le projet urbain doit à terme l'emporter sur les logiques sectorielles, notamment les logiques de transports collectifs. Patrice Aubertel (PUCA) Je pense qu'il serait intéressant de relier cohérence spatiale et cohésion sociale. Il y a des liens à faire, des rapprochements qui sont encore trop rarement effectués. Jean Frébault (Président de la 5è section du CGPC) Je passe à présent la parole à Georges Gay, géographe également, professeur à l'Université de Jean Monnet de Saint-Étienne et doyen de la faculté de Sciences humaines et sociales. Georges Gay (Géographe, Professeur à l'Université Jean Monnet de Saint-Étienne) La loi Chevènement a encouragé la coopération intercommunale à partir d'un argumentaire financier. En région stéphanoise, la question qui s'est posée, au cours d'un long processus de structuration intercommunale était : quelle forme de groupement intercommunal a une chance d'aboutir ? Par exemple, l'idée d'un très vaste district a échoué à la fin des années quatre-vingts face aux revendications d'autonomie des communes périphériques et en raison de la réticence des élus des vallées industrielles de s'allier avec la Plaine du Forez, par crainte de voir basculer le développement économique. Comment évaluer la pertinence d'un territoire ? Quelle est la bonne formule ? Quelle est la bonne taille de l'intercommunalité ? Ce sont autant de questions que l'on adresse de manière récurrente à la recherche. Le problème, à mon avis, est que ces questions restent enfermées dans un dialogue entre le politique et les techniciens. Le risque est alors de refléter de vieilles inerties spatiales. Oublie-t-on les habitants ? Oublie-t-on la vision, sans doute pertinente, du territoire par les habitants ? Le territoire de gestion pourrait de fait être défini à partir de la représentation du périmètre pertinent par les habitants. Nous avons récemment effectué, pour le compte de Saint-Étienne Métropole, une enquête d'opinion auprès des habitants pour analyser leurs représentations du territoire. Et le résultat montre que la Plaine du Forez ne fait pas partie, pour la population, de l'agglomération. En revanche, il existe un sentiment d'appartenance au bassin minier stéphanois. Si bien que le découpage actuel leur semble pertinent. Concernant le rôle des transports dans le rôle d'émulsion de l'intercommunalité, le PDU a effectivement été le premier document de planification qui ait fait l'unanimité à Saint-Étienne. Les politiques de transports ont `boosté` l'intercommunalité et lui ont donné du grain à moudre, à travers des projets comme l'électrification de la ligne entre Saint-Étienne et Firminy et celui de la deuxième ligne de tramway. En revanche, il me semble que l'objet de cette politique n'est pas très clair. Pourquoi cherche-t-on à favoriser l'intermodalité ? Pour assurer l'accessibilité avec la ville-centre ? Ou pour améliorer les relations vers Lyon ? Les choses ne sont pas clairement identifiées. Une anecdote met d'ailleurs cela en image. Il y a eu à la mairie de Saint-Étienne une exposition sur le tramway. Quelqu'un demandait aux personnes chargées de la communication de Saint-Étienne Métropole pourquoi le tramway allait jusqu'à Chateaucreux, alors qu'on aurait pu améliorer la ligne en gardant des trolleys-bus. En fait, ce qui motive le développement des chantiers, c'est davantage une logique de renouvellement urbain qu'une simple logique fonctionnelle de transport. L'enjeu est moins de desservir la gare, l'enjeu c'est la restructuration urbaine et l'élargissement du centre stéphanois. Et le traitement des espaces publics. Je conclurai en soulignant le fait que les politiques de transports élaborées dans le cadre des PDU ont été initiées sous des motifs de protection de l'environnement, mais que finalement ces PDU ont été instrumentalisés par les collectivités pour servir d'autres objectifs.
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Notamment, pour faire du renouvellement urbain, voire pour renforcer la construction intercommunale. Jean Frébault (Président de la 5ème section du CGPC) Le dernier intervenant de cette première série de discussions est Philippe Subra, géopolitiste à l'Université de Paris 8. Philippe Subra (Géopolitiste, Université de Paris 8) Tout à l'heure, Michel Phlipponneau a posé la question de l'adaptation de l'institution au périmètre de l'aire urbaine, qui apparaît comme un moyen de répondre à la question du périmètre pertinent. Pourquoi y arrive-t-on plus ou moins dans certains cas et pas dans d'autres ? La réponse est dans le politique. Les transports, parce qu'ils stimulent la coopération intercommunale, jouent un rôle particulier dans ce facteur politique. L'intercommunalité est fortement dépendante de la géopolitique locale qui désigne la rivalité des pouvoirs entre différents acteurs politiques au sein d'un même territoire. Dans certains cas, ces rapports de force favorisent l'intercommunalité. Dans d'autres cas en revanche, ils ralentissent et perturbent la construction intercommunale, d'où l'intérêt d'effectuer des études de cas, tant chaque territoire apparaît comme singulier à ce niveau. Concernant le cas du Valenciennois, qui est celui que je connais le moins mal, il me paraît important de mettre en avant la multiplicité des acteurs et des périodes. On a un premier temps de « rivalité contrôlée et apaisée », où chacun reste sur son territoire : la ville-centre à droite et la périphérie à gauche. C'est une sorte de premier « Yalta ». Le deuxième temps est celui d'une « rivalité exacerbée et débridée », en 1978/1979, une sorte de défoulement géopolitique lié à la crise sidérurgique qui conduit à une crise et en conséquence au gel des relations. On a alors des réponses et situations intercommunales aberrantes. Une sorte d'expression caricaturale des rivalités comme le montre la carte relative à l'intercommunalité dans le Valenciennois après la loi ATR, que je compare au découpage de la Bosnie, où les séparations ethniques sont remplacées par des séparations intercommunales ! On a enfin un troisième temps, une « phase d'apaisement » avec l'arrivée de Jean-Louis Borloo à la mairie de Valenciennes, qui correspond à une période de renouvellement politique avec la remontée de la droite. On a alors un deuxième « Yalta » dans une brasserie lilloise où le trésor de guerre (c'est-à-dire les ressources financières locales) est partagé sans tenir nullement compte du critère urbain. Mais à Valenciennes, s'il n'y avait pas eu de partage qui contrôlerait l'unique communauté d'agglomération ? Aujourd'hui, il y a deux communautés d'agglomération qui correspondent à deux forces politiques différentes. Elles illustrent très clairement le rôle du politique. Les deux communautés sont désormais associées au sein d'un syndicat mixte des transports. Elles sont donc « réconciliées » pour l'exercice de cette compétence transports. Cela marque bien l'importance de la représentation de la culture locale, des enjeux locaux. À Valenciennes, la culture locale est de donner la priorité au développement économique et à l'emploi. L'enjeu prioritaire c'est de faire venir les entreprises. Le travail est en effet une dimension essentielle. Le transport est un enjeu qui vient après, un enjeu secondaire. Ce cas nous amène à poser la question d'un leadership unique, qui se décline à la fois en termes de périmètre fonctionnel, qui varie selon l'importance de la couronne périurbaine ; ainsi que celle de la faisabilité politique du territoire, qui elle aussi varie selon les contextes. Par ailleurs, quels sont les nouveaux territoires de référence ? L'agglomération ? Le vrai pouvoir se déplace aujourd'hui vers l'intercommunalité. L'élu passe d'ailleurs de l'un à l'autre. Mais il existe de nombreux obstacles politiques ; notamment, la question de l'élection au suffrage universel du président de la communauté d'agglomération se pose. Par ailleurs, la structuration intercommunale introduit un nouveau rapport de force vis à vis des autres acteurs, l'État ou la région par exemple.
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Le transport est-il un enjeu politique ? C'est un enjeu important, du moins cela l'a été pendant longtemps, mais l'exercice de la compétence transport présente aussi un caractère discret, voire opaque. Pour le citoyen ordinaire, tout ce dont nous sommes en train de parler n'existe pas. Les citoyens ne connaissent pas les syndicats mixtes et autre SIVU. Il y a un réel déficit démocratique, un vrai manque de lisibilité territoriale. La situation est-elle en train de changer concernant les transports publics ? Trois points me semblent être intéressants à évoquer sur ce sujet. Le premier point concerne les projets de transports collectifs en site propre (TCSP), qui jouent un rôle important dans la construction de l'image d'une agglomération. Le TCSP, et plus spécifiquement le tramway, donne à une ville le statut de métropole régionale. Le VAL donne même, quant à lui, le statut de métropole européenne ! Par ailleurs, on note une multiplication des conflits autour des enjeux de transports entre les élus mais aussi avec la population. Les débats sont d'ailleurs souvent instrumentalisés : les transports apparaissent comme une véritable arme de guerre pour le politique. Le troisième point concerne les procédures de concertation. Il me semble qu'il existe encore une certaine crainte du débat public, même si la mise en place de ces procédures constitue en elle-même un premier pas vers le débat public.
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10. Table ronde - La réforme territoriale en quête de politiques urbaines durables, questions et débats issus de l'évolution de l'organisation des transports publics urbains
Jean Frébault (Président de la 5è section du CGPC18) Nous abordons la dernière partie de cette journée, avec une table ronde qui va reprendre les questions et les débats suscités par l'évolution récente de l'organisation des transports publics urbains, pour les replacer dans la perspective plus globale de la réforme territoriale et de la prise en compte des objectifs de développement durable des villes et des mobilités. Je donne la parole à Alain Faure, qui est politiste et chercheur CNRS au Centre de recherche sur le politique, l'administration, la ville et le territoire (CERAT). Alain Faure (CERAT-IEP de Grenoble) Dans la revue de l'ADELS19, Territoires, on pouvait lire il y a quelque temps la phrase suivante : « le XXIème siècle sera intercommunal ou ne sera pas ». Or il semble que l'on assiste aujourd'hui en France à un virage intercommunal. On le voit notamment dans l'évolution des rapports entre politique et technique. Alors que dans la période précédente, les solutions techniques s'imposaient au politique, aujourd'hui le rapport s'est inversé, le monde technique doit s'adresser au politique, et négocier le modèle. Le territoire est d'abord politique, et ensuite seulement il produit de l'action publique. Dans la pratique on observe que pour réussir la coopération intercommunale, il faut d'abord élaborer la politique sur un petit territoire. Pendant cette période, la rhétorique vertueuse sur la nécessité d'un dialogue élargi, d'un dialogue avec l'extérieur ne prend pas. Or, cette situation peut sembler particulièrement irrationnelle dans le champ des transports, tant la politique des transports est, par définition, territoriale. Je retiens également de l'analyse faite par mes collègues que les transports, pas plus que les autres champs d'action de la politique locale, ne fonctionnent de manière intersectorielle. Rien de nouveau sous le soleil, donc, même si des choses ont changé ? En écoutant les échanges aujourd'hui, et à la lecture de la synthèse des études de cas, je me suis posé plusieurs questions, que je vous livre comme des pistes de réflexion. 1° Est-ce que la politique des transports apporte sa pierre à la décentralisation ? Est-ce que ) l'on observe une certaine manière de faire la décentralisation dans le champ des transports ? Cette spécificité pourrait provenir du rapport des transports publics à une histoire longue, et au poids de cette histoire dans les décisions présentes, ce que les politistes analysent à partir de la notion de « sentier de dépendance » (path dependency). Existe-t-il une histoire particulière des transports, qui serait liée au divorce entre ville et campagne ? Y aurait-il dans ce champ d'action des tensions particulières entre centre et périphérie, tensions qui sont perçues de manière différente par le centre et par la périphérie ? 2° La deuxième série de questions porte sur l'expe rtise. On observe que les agglomérations ) sont en train de construire leur expertise propre. Cependant, quelle est la capacité de cette nouvelle expertise à reprendre les discours élaborés aux échelles nationale ou internationale ? N'assiste-t-on qu'à du mimétisme ? Quelle est la prégnance de l'idéologie professionnelle, de la culture technique ? 3° La troisième série d'interrogations porte sur l e leadership. Les nouveaux leaders ) politiques locaux construisent-ils un discours de gouvernement ? Ne sont-ils pas en train de
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Section Aménagement et Environnement du Conseil Général des Ponts et Chaussées. Association pour la Démocratie et l'Éducation Locale et Sociale.
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prendre conscience de la nécessité de faire un discours sur l'intérêt général local ? Est-ce que les leaders politiques portent des discours différents d'un territoire à l'autre ? Y a-t-il une stratégie de différentiation des valeurs, des symboles ? 4° Ces questions soulèvent à leur tour celles de l 'acceptabilité. D'un côté, il n'y a pas de ) changement politique si les politiques ne sont pas acceptées par la population. Certains projets de transport bloquent ainsi parfois sur le seuil de l'acceptabilité. Mais à l'inverse, on doit également prendre en compte le fait qu'une politique acceptable n'est pas nécessairement efficace. Jean Frébault (Président de la 5è section du CGPC) Il existe effectivement une tentation permanente à traiter les transports de manière sectorielle. Or, les transports sont l'un des premiers outils des politiques urbaines et leur portée dépasse largement les questions de déplacements. Quelles sont les réponses locales apportées à des problématiques aussi transversales que celles du développement durable, de l'acceptabilité ; quelles sont les tentatives de coordination, constituent effectivement des pistes à explorer. À l'échelle nationale, plusieurs instances de réflexion se sont intéressées, et s'intéressent encore à ces questions. En particulier, le Comité des directeurs du développement urbain (CODIRDU), que j'ai présidé, est une instance interministérielle qui s'est penchée sur la question de la cohérence entre les lois Voynet, Chevènement et Gayssot-Besson. Plus récemment, le « Rapport Peigné » du Conseil Général des Ponts et Chaussées a traité de la cohérence des politiques des collectivités locales en matière de planification urbaine, d'aménagement, d'organisation des déplacements et de stationnement. Les travaux du groupe Peigné ont réuni différents experts et représentants nationaux des collectivités locales, notamment le GART. Ils ont débouché sur l'élaboration de 16 mesures résultant de compromis entre les diverses parties prenantes, qui portent notamment sur les moyens de résoudre les problèmes de segmentation des périmètres d'action, et de segmentation des champs d'action sectoriels. L'une de ces propositions concerne, par exemple, la création de Conférences « Urbanisme-Déplacements » au niveau des aires urbaines ou métropolitaines, qui favoriseraient la coordination entre les autorités en charge de l'urbanisme et celles des déplacements. Le besoin de coordination est particulièrement important dans les espaces métropolitains. À titre d'exemple, la Région Urbaine de Lyon, c'est 6 SCOT et 11 AOTU ! Je redonne maintenant la parole aux intervenants, et propose à Chantal Duchène, directrice générale du Groupement des autorités responsables des transports (GART), de prendre part au débat. Chantal Duchène (Directrice générale du GART) L'aire urbaine est une vision technocratique, c'est une définition de l'INSEE qui ne correspond pas aux lieux d'exercice de la compétence politique. Est-ce que l'on doit obliger les collectivités locales à créer sur le périmètre des aires urbaines des structures dont on ne sait pas bien comment elles vont être contrôlées ? Il y a bien eu un bouleversement avec la loi Chevènement. La réforme intercommunale a bien marché, après le relatif échec de la loi ATR en 1992, et la principale preuve de ce succès est l'essor des communautés d'agglomération. Le GART, lors de l'élaboration de la loi Chevènement, avait insisté sur le fait que les transports publics et l'aménagement devaient être des compétences obligatoires pour les communautés d'agglomération. Et notre ligne de conduite est simple : nous souhaitons éviter toute remise en cause de cette complémentarité, c'est pour cela que nous sommes assez réservés sur les syndicats mixtes de transports de type SRU. D'ailleurs, très peu de syndicats mixtes se sont constitués ... Les communautés d'agglomération permettent quant à elles de gérer les compétences transports publics et urbanisme au sein de la même institution, même s'il l'on manque encore
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d'un véritable exécutif politique élu au suffrage universel : il faudra certainement penser à mettre un peu de démocratie dans tout cela. Il faudrait aussi ne pas penser uniquement en termes de transports publics, mais réunir au sein d'une même institution toutes les compétences qui concernent les déplacements. À ce sujet, la loi récente sur les responsabilités locales est le pire de ce qu'on pouvait faire. Elle a accentué la spécialisation et la sectorisation. Aux régions et aux agglomérations, elle confie la gestion des transports publics, aux départements la gestion des routes. Où est donc la cohérence ? On se construit des lendemains qui déchantent ! En France, les transports collectifs - sauf en Ile-de-France sont depuis longtemps de compétence locale. Ils font partie de ces services publics locaux qui organisent le « vivre ensemble ». Ce qui n'est pas le cas des routes ; les routes étaient gérées par l'État et les transports collectifs par le local. Aujourd'hui, les routes sont passées au département, et le problème de sectorisation persiste. Je voudrais revenir également sur la question de l'expertise. Historiquement, l'expertise en matière de transports publics était effectivement du côté de l'exploitant, tout simplement parce que c'était une activité privée qui est ensuite progressivement devenue publique. Aujourd'hui, la question de savoir qui possède l'expertise est encore très vive. Et, malheureusement, on ne peut pas toujours parler de partenariat équilibré. Par rapport à la question du leadership, je suis frappée qu'avec la recherche permanente d'un périmètre pertinent, on n'imagine pas autre chose que le leadership. Pourquoi ne pas penser à la coopération ? Ne devrait-on pas favoriser la mise en place de systèmes fédératifs ? Il faut conserver des institutions dont la taille soit « appréhendable » par les citoyens ! Jean Frébault (Président de la 5ème section du CGPC) Les propos évoqués successivement nous font part des nombreuses contradictions. D'une part, on entend bien une critique des périmètres qui, comme ceux des aires urbaines, n'ont pas de légitimité démocratique. Et l'on entend également des interrogations à propos des institutions comme les départements et les régions, qui s'organisent chacune de leur côté. Tout cela ne produit pas de cohérence. Il semble que pour sortir de cette logique de confrontation entre les lieux de pouvoirs, il faille penser à mettre en place des lieux de coopération. Je donne à présent la parole à Alain Morcheoine, directeur de l'air, des transports et de l'intensité énergétique à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie. Alain Morcheoine (Directeur de l'air, des transports et de l'efficacité énergétique à l'Ademe) C'est la première fois que le terme de « mobilité » a été prononcé, depuis le début de la journée. Et il a fallu attendre encore un peu pour entendre celui de « durable ». J'avoue que cela m'interroge un peu... En tant qu'agence d'objectifs, l'Ademe a un certain nombre de problèmes à résoudre. Nous avons tout d'abord des problèmes importants d'emboîtement des échelles auxquelles se mesurent les impacts environnementaux et se pose la question de leur gestion : cela va de la rue à la planète en passant par le quartier, la ville, la région, etc. D'où notre grande difficulté à manipuler une notion aussi bizarre que la limite de territoire, et notre prudence à l'égard des limites territoriales. Et nous avons également des problèmes d'échelles temporelles, qui nous conduisent à ne pas avoir de lecture statique des enjeux. Tout varie donc dans le temps et dans l'espace, en particulier les systèmes d'acteurs ... L'expert ne doit pas emprisonner le politique en lui fournissant une réponse, il doit proposer des espaces de solutions. C'est le politique qui décide ! Nous devons donc avoir un regard multiforme, voire probabiliste, des outils que nous souhaitons mettre à disposition des
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décideurs. La décision se prend par négociation et consensus : c'est donc nécessairement plus long, mais c'est aussi plus démocratique. L'une des difficultés est qu'il y a en France plus d'un élu au km2. On pourrait peut-être faire moins, mais n'y voyez surtout pas chez moi la prétention de supprimer des trônes ... Jean Frébault (Président de la 5ème section du CGPC) Merci pour ces remarques autour des questions d'échelles spatiales et temporelles. Je vais à présent proposer à Serge Godard, maire de Clermont-Ferrand, et président du syndicat mixte des transports clermontois (SMTC), de nous donner son point de vue d'élu et de praticien. Serge Godard (Maire de Clermont-Ferrand, Président du SMTC) Il y a beaucoup de contradictions, sans doute trop de trônes, et des communes qui n'ont pas envie de disparaître ! Le mérite de la loi Chevènement est d'avoir donné le premier coup de pied dans la fourmilière. Elle a permis un premier pas vers une cohérence politique et économique, avec l'affirmation d'un pouvoir d'agglomération. Elle a rapproché des éléments majeurs de cohérence territoriale, comme le versement-transport et la TPU. La loi Voynet, quant à elle, vise à mettre en cohérence des territoires qui se trouvent les uns à côté des autres, en veillant à ce qu'ils ne se mettent pas inutilement en compétition, au sein d'un périmètre qui est celui du Pays. L'aire urbaine est une définition technocratique. À Clermont-Ferrand, nous ne nous sommes pas intéressés à cette définition. Pourquoi ? L'agglomération de Clermont-Ferrand compte 21 communes pour 280 000 habitants, le Pays regroupe 9 EPCI associés vers un destin commun compte 350 000 habitants, c'est également le territoire d'élaboration du SCOT. L'aire urbaine compte quant à elle 420 000 habitants et le Département 500 000. Si on prend en compte l'aire urbaine, le département n'existe plus ! Il faut se poser la question de la cohérence de ce territoire en termes de déplacements de personnes. La ville-centre a tendance à croître, mais le Pays du Grand Clermont gagne plus de population que le centre. Malgré les efforts accomplis dans la ville-centre, on a du mal à éviter le départ des populations vers la grande couronne. Or, il est impossible sur ces territoires extérieurs de faire du transport public, c'est totalement inefficace. Clermont, comme d'autres grandes villes françaises, dispose d'une étoile ferroviaire. La solution est donc de se regrouper autour des points à partir desquels cela devient efficace de faire un peu de transports publics. Car, notre problème à Clermont, est bien de faire face à la croissance des flux de circulation automobile qui convergent chaque matin vers le centre. Alors comment faire de la cohérence en matière de transport ? À Clermont, la communauté d'agglomération n'a pas pris la compétence transports publics, et l'a transférée au syndicat mixte des transports clermontois (SMTC). Le département quant à lui s'intéresse très peu au SMTC. Faut-il dans ce cas donner la compétence transport aux différents EPCI représentés au sein du syndicat mixte ? Non, à mon sens, parce qu'il ne faut pas éparpiller la compétence dans différentes agglomérations. Par aillleurs, il faut organiser un transport routier cohérent, en travaillant à l'amélioration de l'accès au centre. D'où la nécessité de mieux coordonner les différentes autorités organisatrices qui interviennent pour faire fonctionner ce système. Mon idée, c'est qu'on ne fera pas des choses durables si on continue à éparpiller les autorités. Il faut organiser la multimodalité et l'intermodalité. Le problème n'est pas seulement politique mais ce sont plutôt des cultures techniques qui s'affrontent. Il faudrait un arbitre. Est-ce que cet arbitre peut être l'État ? Mais est-ce que cela peut être l'État qui se désengage financièrement du secteur des transports publics ?
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Jean Frébault (Président de la 5è section du CGPC) À Clermont, nous voyons qu'une question est posée en termes de coopération entre différents territoires. Faut-il un arbitre, il me semble que le débat est ouvert. Sur ces questions, et sur les autres, je donne maintenant la parole à Marc Wiel, urbaniste, qui a beaucoup réfléchi à la problématique ville et transports. Marc Wiel (urbaniste) Si nous parlions un peu de philosophie ? Je vous propose aussi d'essayer de nous projeter un peu plus dans le futur. Tout d'abord je voudrais dire que l''intercommunalité, dont il est beaucoup question ici, est une invention fort bizarre, un compromis pour ne pas supprimer la commune et de ce fait quelque chose d'intermédiaire entre ce qui permet l'accroissement d'une capacité d'arbitrage (notre tradition de la chose politique) et un rassemblement purement fédéral où il faudrait pour décider que presque tout le monde soit d'accord. C'est donc un « monstre » par rapport à notre culture de la chose politique! Mais étant « monstrueuse » que c'est une formule « inventive », « évolutive », qui gagne en capacité d'innovation et d'adaptation au contexte ce qu'elle perd en rationalité ou en efficacité. D'où une disparité supplémentaire des situations locales. Face à l'intercommunalité nous sommes toujours pris entre le sentiment d'une obligation d'accroître la capacité d'arbitrage pour gagner - croyons-nous - en efficacité, et le fait que pour pouvoir concrétiser quoique ce soit il faut toujours recourir à la négociation. Le droit des minorités limite de ce fait celui de la majorité. L'acquisition progressive de la capacité de négociation favorise la résolution des conflits car elle force au respect de l'altérité de l'interlocuteur. De ce point de vue le cas de Rennes m'est apparu un exemple particulièrement intéressant : c'est parce qu'il a été possible, dans la durée, de développer une capacité de négociation - entre le centre et la périphérie - qu'il a été finalement possible de mobiliser la capacité théorique d'arbitrage dont dispose juridiquement l'institution intercommunale. L'intercommunalité est donc un laboratoire particulièrement intéressant du processus même de décentralisation dans la mesure où elle est le seul dispositif institutionnel remettant en cause (sans l'avoir voulu) la commodité de savoir domaine par domaine quel est l'arbitre légitime. Autre remarque à propos de ce que je viens d'entendre : l'invention des contours de l'aire urbaine a été présentée comme une production purement technocratique. C'est encore pire que cela. C'est une invention (technicienne certes) qui prétend redonner une limite à la ville qui n'en a plus, faute de pouvoir (savoir) penser la ville sans limite franche. On demande donc aux statisticiens de dresser de nouveaux « remparts », conventionnels certes, pour ne pas avoir à changer notre représentation de la réalité urbaine. Il faut se convaincre que le sentiment d'appartenance à un territoire est devenu flou et politiquement cette nouveauté n'est pas mineure ; ce sentiment ne varie plus maintenant de façon discontinue (le « ou » plutôt que le « et ») dans l'espace (comme autrefois) mais de façon continue (le « et » et non plus le « ou »). Mais toute institution doit avoir des limites. Comment faire ? En fait nous sommes dans un processus où il faut donner une capacité d'arbitrage collective à des institutions construites sur des espaces reliés par des rapports d'interdépendances d'intensité et de natures différentes. Tout ce qui nous permet d'avancer, est toujours à l'opposé de notre conception de ce qui nous parait rationnel ou équitable dans la définition classique de la légitimité du pouvoir. Il nous faut intégrer (enfin) les différences. Aussi sommes-nous en permanence dans une quête de simplification de nos méthodes, tout en continuant d'inventer des trucs inimaginables qui se compliquent tous les jours davantage. Contenir son désir de rationalisation (et c'est dur pour un technicien) permet d'être inventif car une évolution maîtrisée nécessite toujours la combinaison d'une bonne interprétation du poids des nécessités mais également une suffisante confiance entre les acteurs. Cette confiance comme un capital, se dilapide ou s'accumule.
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Ce qu'il faut, c'est se connaître. Il faut se connaître pour coopérer, et coopérer pour ensuite pouvoir passer au stade des négociations. La coopération est un passage obligé, c'est le temps de l'interconnaissance. La négociation a besoin d'un prétexte financier. On ne peut pas fédérer durablement des acteurs ou des institutions sur le principe d'aller ensemble faire la quête auprès des institutions de rangs supérieurs ! Il faut pouvoir justifier l'existence de flux financiers - notamment entre centre et périphérie - qui permettront d'alimenter une transaction en perpétuel réajustement. Il faut bien sur que cette transaction permette de discuter des différents champs sectoriels en même temps. Le transport est de ce fait un puissant levier de négociation du fait que les flux financiers qui le caractérisent ont de lourdes conséquences sur l'aménagement. Aussi veillons à ne jamais enfermer les transports dans une politique sectorielle. Ce serait l'ensemble des capacités de négociation des territoires entre eux qui s'en trouveraient taries. Mais ce sont là des processus qui vont demander beaucoup de temps à se mettre en place, d'où l'intérêt comme on l'a fait ici d'adopter des méthodes d'analyses sur de longues périodes. Rien de durable ne se construit en effet dans ce domaine dans l'urgence ou sans une conviction partagée toujours trés laborieuse à construire. Le processus de périurbanisation de l'habitat va se poursuivre car les habitants quittent le centre alors que les emplois restent concentrés (sauf en Ile-de-France). Cette situation crée une plus grande vulnérabilité de l'organisation urbaine aux ruptures qui peuvent provenir de leur contexte environnemental (énergie, effet de serre, etc.). Les arbitrages nécessaires exigeront d'avoir progressé dans la capacité à négocier, va exiger plus d'aptitude dans la gouvernance. Le travail préalable aux SCOT est à mon avis une pièce maîtresse des ces travaux d'approches que les territoires sont en train de réaliser les uns par rapport aux autres, même si c'est dans dix ans ou plus que les effets seront visibles au travers des décisions encore inimaginables actuellement. L'essentiel est de commencer à rentrer dans une pratique de négociation entre les territoires sans attendre qu'un arbitre improbable vienne dire ce qu'il est utile, bon ou juste de faire. Les périphéries veulent-elles des emplois ? En contrepartie il faudra qu'elles assurent un taux d'habitat social proportionnel à ces emplois. Il existe en quelque sorte des négociations multilatérales et multisectorielles à construire entre les flux d'emplois, les flux d'habitat, les flux financiers et... les flux de déplacements. Il est vain de croire que la construction d'une institution nouvelle dans son périmètre ou ses compétences résoudra tout. Il y a des communautés urbaines qui ont plus de trente ans d'âge et qui exercent beaucoup mieux les compétences supplémentaires qu'elles ont choisies de se doter que leurs compétences dites obligatoires. La cohérence transport-urbanisme est encore quelque chose une notion mal appréhendée sur laquelle il y a encore beaucoup à travailler. La ville cohérente ne résulte pas d'un dessin ou d'une cartographie ou d'une judicieuse répartition des densités par rapport aux infrastructures. C'est à mon avis une ville dont les divers territoires ont réussis à formuler les réponses aux trois questions que je vais ci après présenter. Pour refonder cette notion de cohérence entre transports et urbanisme il faut pouvoir se mettre d'accord sur les conditions de la mobilité qui sont en adéquations avec les objectifs partagés en matière d'aménagement. Première question : Quelles sont les conditions de mobilité nécessaires, mais surtout suffisantes, pour garantir l'ouverture métropolitaine visée ? Ensuite, deuxième question, il convient de clarifier le lien entre le système des déplacements et l'équilibre recherché en particulier entre centre et périphérie ? Autrement dit que faut-il réclamer aux transports pour encadrer les évolutions en matière de mixité sociale ? À mon avis, la relation entre emplois, habitat et déplacements est prise à l'envers. Au lieu de réfléchir à la façon de maîtriser localement les évolutions respectives tant quantitatives que qualitatives des emplois et de l'habitat, nous construisons des infrastructures de transport en considérant que le « marché fera le reste », comme on dit que « Dieu reconnaîtra les siens ». Troisième question : quelles conditions de mobilités peuvent servir la politique de centralité recherchée ? En procédant de la sorte nous pouvons un jour
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espérer avoir la mobilité de notre urbanisme et non l'urbanisme de notre mobilité. Vouloir à répondre à ces questions peut paraître ambitieux. En fait, elle suppose surtout de raisonner différemment, de ne plus confondre le déplacement avec le besoin d'interaction sociale auquel il est lié. Cela suppose aussi de réfléchir à notre façon de nous organiser face à des circonstances immédiatement improbables : par exemple une flambée beaucoup plus sérieuse que jusqu'à présent et durable du prix du pétrole. Ce genre de prospective est d'autant plus capital qu'il permet de se convaincre d'une réalité très simple mais cruciale. Pour relever les défis de demain nous devons moins compter sur des investissements ou des bouleversements technologiques miraculeux que sur notre capacité d'organisation. C'est l'inconvénient de cette période d'invention de nouveaux rapports entre les institutions. Elle mobilise tellement les institutions que celles-ci deviennent « autistes » aux autres acteurs, lesquels se désimpliquent de la chose publique ainsi appropriée par des gens qui se querellent comme des chiffonniers. Peut être que le VT est un impôt mais que faut-il pour que les employeurs et la puissance publique collaborent un jour sur la question des transports ? L'évolution capable de nous permettre de relever tous les aléas du futurs est bien, à mon avis, dans la capacité collective de négocier à propos de tout ce qui constitue les vrais enjeux de l'organisation de la vie sociale. Jacques Gagneur (MTI Conseil) Juste une remarque, pour exprimer un étonnement, et je m'adresse en particulier à Marc Wiel, nous n'avons pas entendu prononcer le mot « foncier » dans ces débats. Je voudrais également poser une question à Monsieur Godard : vous avez entrepris récemment une démarche de PDU, quelles étaient vos motivations ? Serge Godard (Maire de Clermont-Ferrand, Président du SMTC) Ce qui nous a motivé Clermont-Ferrand, c'est la gestion du nombre de véhicules individuels qui tous les matins entrent dans la ville. C'est essayer de penser les déplacements des citoyens dans une toute autre optique que celle des pratiques actuelles, à travers le PDU. C'est essayer de rendre le transport public plus attrayant, et décourager l'usage de la voiture individuelle en ville. Et au-delà, c'est aussi faire voir la ville, à travers son système de déplacements, comme une métropole européenne. Jean Frébault (Président de la 5ème section du CGPC) Je vais maintenant vous proposer quelques mots de conclusion, pour clore provisoirement ces débats. Il me semble que plusieurs pistes émergent. D'une part, qu'attend-on des chercheurs, et de la recherche ? Il me semble que nous nous engageons dans une nouvelle phase, avec un regard critique des chercheurs sur l'ensemble des politiques locales. On sort ainsi d'une vision sectorielle des transports. Toutes les questions que nous avons évoquées ensemble sont très importantes. Il faut que la recherche se poursuive plus intensément que dans le passé dans cette voie. Il y a un grand intérêt à développer une fonction d'observation sur les territoires, et il faudrait que cela prenne de l'ampleur. Les chercheurs doivent participer à la construction de ces observatoires. Les partenaires et les acteurs publics doivent porter cette attente. D'autre part, quelles sont les questions qui portent sur l'action publique ? Il faut revisiter des schémas de pensée un peu trop fermés sur eux-mêmes. Tout ne passe pas par les collectivités locales, l'État doit être présent. Quelques pistes sont à explorer dans ce qui apparaît comme un jeu de redistribution des pouvoirs, qui ne peut pas aller trop vite. D'une part, la coopération, c'est une solution qui a été évoquée par différents intervenants, notamment Chantal Duchène qui a parlé de fédéralisme. D'autre part, la négociation ou la transaction, évoquées par Marc Wiel. Il me semble qu'il y a là matière à débats.
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Synthèse, conclusions et débats
Dans tout cela, quel doit être le rôle de l'État ? Les repères sont en train de se reconstruire, mais il reste à l'évidence beaucoup de questions en jachère. Il y a un discours des collectivités locales qui révèle une demande d'autonomie, et en même temps la loi Chevènement a été plébiscitée par les élus. L'État pourrait-il avoir un rôle de régulateur, d'arbitre ? C'est sans doute un rôle moins évident à installer, et à légitimer. À ce sujet, nous manquons de comparaisons européennes un peu structurées. Dans cette période de transition, il serait intéressant de voir comment évolue le rôle de l'État chez nos voisins européens.
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Publications associées à la recherche
Gallez C. et Menerault P. (dir), Recomposition intercommunale et enjeux des transports publics en milieu urbain, Rapport de convention Ademe-Inrets pour le 3ème Prédit, GO 11 « Politique des transports, juillet 2005, 277 pages. Ce rapport contient les chapitres cités dans le présent document : Menerault P., Réforme territoriale et dynamique de l'intercommunalité dans les transports collectifs urbains. Une approche diachronique, in Gallez C. et Menerault P. (dir), 2005, Chapitre 1, pp. 15-23. Richer C., Les transformations récentes de l'intercommunalité en matière de transports collectifs urbains, in Gallez C. et Menerault Ph. (dir), 2005, Chapitre 2, pp. 25-49. Guerrinha C. et Frère S., L'agglomération de Rennes, in Gallez C. et Menerault P. (dir), 2005, Chapitre 3, pp. 53-104. Gallez C. et Guerrinha C., La région stéphanoise, in Gallez C. et Menerault P. (dir), 2005, Chapitre 4, pp. 105-151. Frère S. et Richer C., L'arrondissement de Valenciennes, in Gallez C. et Menerault P. (dir), 2005, Chapitre 5, pp. 153-187. Bodin F. et Menerault P., L'agglomération de Caen, in Gallez C. et Menerault P. (dir), 2005, Chapitre 6, pp. 189-218. Menerault P., L'agglomération de Saint-Brieuc, in Gallez C. et Menerault P. (dir), 2005, Chapitre 7, pp. 219-240. Gallez C., Analyse transversale des études de cas et conclusions, in Gallez C. et Menerault P. (dir), 2005, Chapitre 8, pp. 243-267. Ce rapport est à paraître dans les collections des rapports de recherche de l'Inrets fin 2006début 2007. Gallez C., Les transports urbains face à la structuration du pouvoir d'agglomération, Pouvoirs locaux n° 3 ème trimestre 2005, pp. 70-74. 66,
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Intercommunalité et transports publics en milieu urbain, ENPC-Paris, 24 mai 2005
Ministère des Transports, de l'Équipement, du Tourisme et de la Mer Secrétariat Général DRAST Mission Transports Direction de publication : Gérard Brun Coordination d'édition : Frédérique Mounier Impression : Ministère des Transports, de l'Équipement, du Tourisme et de la Mer
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INVALIDE)