Rapport d'enquête sur la rupture d'alimentation électrique survenue au sein de la raffinerie Esso Raffinage située à Port-Jérôme-sur-Seine (76) le 10 mars 2022
Auteur moral
France. Bureau d'enquêtes et d'analyses sur les risques industriels
Auteur secondaire
Résumé
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; line-height: 100%;"><font face="Arial, sans-serif"><font size="3" style="font-size: 12pt">Le 9 mars 2022, l'unité URP, chargée de l'approvisionnement en utilités de la raffinerie (vapeur, électricité, gaz comprimé) prépare une intervention de maintenance programmée sur la liaison électrique L1, l'une des deux liaisons d'alimentation électrique de la sous-station 14. Cette sous-station alimente l'unité dans laquelle elle se trouve, ainsi que plusieurs unités adjacentes. L'opération va donc consister à basculer l'alimentation de la sous-station 14 sur une seule des deux liaisons qui l'approvisionne. Elle est programmée lors de la journée du jeudi 10 mars. Le mercredi 9 mars, la veille, les opérations en sous-station, visant à basculer l'alimentation sur une seule ligne, ont débuté et le 9 mars au soir le circuit est majoritairement basculé sur la liaison L2 (12 MW sur un total de 14 MW). À 0h59, un défaut sur l'un des câbles de la liaison L2 provoque l'arrêt de l'alimentation électrique. L'arrêt de l'alimentation électrique de la sous-station 14 entraine l'arrêt de l'alimentation de la distillation sous vide et de l'unité de production de froid. Par répercussion, ceci entraînera l'émission d'un panache de vapeur et de produits de distillation pendant le temps nécessaire à la remise en route de l'alimentation. L'accident ne fera aucune victime et les conséquences environnementales de l'accident resteront limitées. Le BEA-RI tire de l'analyse de cet accident des enseignements de sécurité en matière de vieillissement des câbles haute tension, des méthodes de contrôles de ces câbles, des moyens de prélèvement d'air déployés sur les sites Seveso et sur les impacts environnementaux que peut provoquer la mise en sécurité d'une installation. Outre ces enseignements de sécurité, le BEA-RI recommande à l'exploitant de : mettre en place un plan de renforcement de la fiabilité de son réseau électrique en recourant à de la surveillance plus régulière des câbles HT à partir de différentes méthodes de diagnostics et en procédant progressivement lorsque leur état le nécessite à leur remplacement dans le cadre notamment des grands arrêts ; réexaminer les priorités de délestage à la lumière des scénarios de l'étude de dangers dont l'élaboration est postérieure à l'élaboration de la liste de délestage ; vérifier si la durée minimale d'alimentation de secours des salles de contrôle s'avère suffisante pour permettre aux opérateurs une gestion pilotée des installations en cas de coupure des énergies ; améliorer la rapidité d'exécution des prélèvements d'air au moyen des canisters pour faire en sorte que la prise d'échantillons ait lieu concomitamment au rejet accidentel.</font></font></p>
Editeur
BEA-RI
Descripteur Urbamet
enquête
;risques industriels
;site industriel
;raffinerie
;électricité
;câble
Descripteur écoplanete
directive Seveso II
;raffinage du pétrole
Thème
Ressources - Nuisances
Texte intégral
Inspection général de l?environnement
et du développement durable
Bureau d?Enquêtes et d?Analyses
sur les Risques Industriels
Rapport d?enquête
Sur la rupture d?alimentation
électrique survenue au sein de la
raffinerie Esso Raffinage située à
Port-Jérôme-sur-Seine (76) le 10
mars 2022
Rapport d?enquête sur la rupture d?alimentation électrique survenue au sein de la raffinerie Esso Raffinage située à
Port-Jérôme-sur-Seine (76) le 10 mars 2022
N° MTE-BEARI-2023-002
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Bordereau documentaire
Organisme auteur : Bureau d?Enquêtes et d?analyses sur les risques industriels (BEA-RI)
Titre du document : Rapport d?enquête technique sur la rupture d?alimentation électrique survenue au
sein de la raffinerie Esso Raffinage située à Port-Jérôme-sur-Seine (76)
N° : MTE-BEARI-2023-002
Date du rapport : 28 mars 2023
Proposition de mots-clés : Câbles électriques, alimentation électrique, délestage, ...
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Avertissement
L?enquête technique faisant l?objet du présent rapport est réalisée dans le cadre des articles L. 501-1 à L.
501-19 du Code de l?Environnement.
Cette enquête a pour seul objet de prévenir de futurs accidents. Sans préjudice, le cas échéant, de
l?enquête judiciaire qui peut être ouverte, elle consiste à collecter et analyser les informations utiles, à
déterminer les circonstances et les causes certaines ou possibles de l?évènement, de l?accident ou de
l?incident et, s?il y a lieu, à établir des recommandations de sécurité. Elle ne vise pas à déterminer des
responsabilités.
En conséquence, l?utilisation de ce rapport à d?autres fins que la prévention pourrait conduire à des
interprétations erronées.
Au titre de ce rapport on entend par :
- Cause de l?accident : toute action ou événement de nature technique ou organisationnelle, volontaire
ou involontaire, active ou passive, ayant conduit à la survenance de l?accident. Elle peut être établie par
les éléments collectés lors de l?enquête, ou supposée de manière indirecte. Dans ce cas le rapport
d?enquête le précise explicitement.
- Facteur contributif : élément qui, sans être déterminant, a pu jouer un rôle dans la survenance ou dans
l?aggravation de l?accident.
- Enseignement de sécurité : élément de retour d?expérience tiré de l?analyse de l?évènement. Il peut
s?agir de pratiques à développer car de nature à éviter ou limiter les conséquences d?un accident, ou à
éviter car pouvant favoriser la survenance de l?accident ou aggraver ses conséquences.
- Recommandation de sécurité : proposition d?amélioration de la sécurité formulée par le BEA-RI, sur la
base des informations rassemblées dans le cadre de l?enquête de sécurité, en vue de prévenir des
accidents ou des incidents. Cette recommandation est adressée, au moment de la parution du rapport
définitif, à une personne physique ou morale qui dispose de deux mois à réception, pour faire part au
BEA des suites qu?elle entend y donner. La réponse est publiée sur le site du BEARI.
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Synthèse
Le 9 mars 2022, l?unité URP, chargée de l?approvisionnement en utilités de la raffinerie (vapeur,
électricité, gaz comprimé) prépare une intervention de maintenance programmée sur la liaison
électrique L1, l?une des deux liaisons d?alimentation électrique de la sous-station 14. Cette sous-station
alimente l'unité dans laquelle elle se trouve, ainsi que plusieurs unités adjacentes.
L?opération va donc consister à basculer l?alimentation de la sous-station 14 sur une seule des deux
liaisons qui l?approvisionne. Elle est programmée lors de la journée du jeudi 10 mars. Le mercredi 9 mars,
la veille, les opérations en sous-station, visant à basculer l?alimentation sur une seule ligne, ont débuté
et le 9 mars au soir le circuit est majoritairement basculé sur la liaison L2 (12 MW sur un total de 14 MW).
À 0h59, un défaut sur l?un des câbles de la liaison L2 provoque l?arrêt de l?alimentation électrique.
L?arrêt de l?alimentation électrique de la sous-station 14 entraine l?arrêt de l?alimentation de la distillation
sous vide et de l?unité de production de froid. Par répercussion, ceci entraînera l?émission d?un panache
de vapeur et de produits de distillation pendant le temps nécessaire à la remise en route de
l?alimentation.
L?accident ne fera aucune victime et les conséquences environnementales de l?accident resteront
limitées.
Le BEA-RI tire de l?analyse de cet accident des enseignements de sécurité en matière de vieillissement
des câbles haute tension, des méthodes de contrôles de ces câbles, des moyens de prélèvement d?air
déployés sur les sites Seveso et sur les impacts environnementaux que peut provoquer la mise en
sécurité d'une installation.
Outre ces enseignements de sécurité, le BEA-RI recommande à l?exploitant de :
? Compte-tenu de l?âge des câbles électriques et des défaillances rencontrées depuis 3 ans, le BEA-
RI recommande à l?exploitant de mettre en place un plan de renforcement de la fiabilité de son
réseau électrique en recourant à de la surveillance plus régulière des câbles HT à partir de
différentes méthodes de diagnostics (contrôles visuels, mesures d?isolement, mesures de
tangente delta et de décharges partielles) et en procédant progressivement lorsque leur état le
nécessite à leur remplacement dans le cadre notamment des grands arrêts. Ce plan pourrait être
défini en tenant compte des expertises des câbles retirés (déjà réalisées ou celles à venir lors des
changements de câbles) qui peuvent permettre d'améliorer la connaissance des mécanismes de
dégradation (nature, ampleur, localisation et vitesse d'évolution) et tirer des enseignements sur
la nature et les fréquences de surveillance à mettre en place ;
? Réexaminer les priorités de délestage à la lumière des scénarios de l?étude de dangers dont
l?élaboration est postérieure à l?élaboration de la liste de délestage ;
? Compte-tenu que l?accident a montré la difficulté de rétablir l?alimentation dans un délai
inférieur à l'autonomie garantie par le design des salles de contrôle, vérifier si la durée minimale
d?alimentation de secours des salles de contrôle s?avère suffisante pour permettre aux
opérateurs une gestion pilotée des installations en cas de coupure des énergies ;
? Améliorer la rapidité d?exécution des prélèvements d?air au moyen des canisters pour faire en
sorte que la prise d?échantillons ait lieu concomitamment au rejet accidentel.
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Sommaire
I. Rappel sur l?enquête de sécurité .............................................................................................................. 6
II. Constats immédiats et engagement de l?enquête ............................................................................... 6
II.1 Les circonstances de l?accident ........................................................................................................................... 6
II.2 Le bilan de l?accident ............................................................................................................................................ 7
II.3 L?engagement et l?organisation de l?enquête ................................................................................................... 7
III. Contextualisation ........................................................................................................................................ 8
III.1 Présentation de l?entreprise ................................................................................................................................ 8
III.1.1 Les sociétés du groupe ExxonMobil en France .............................................................................. 8
III.1.2 La plateforme de Gravenchon ......................................................................................................... 8
III.2 Les installations et l?organisation des secours ................................................................................................10
III.2.1 Le fonctionnement général ............................................................................................................. 10
III.2.2 Les moyens de secours internes ..................................................................................................... 14
IV. Compte-rendu des investigations menées........................................................................................... 14
IV.1 Reconnaissance de terrain .................................................................................................................................14
V. Déroulement de l?évènement ................................................................................................................. 15
V.1 Déclenchement de l?évènement ........................................................................................................................15
V.2 L?intervention d?URP ............................................................................................................................................17
V.3 L?unité de traitement des gaz soufrés (STIG) ..................................................................................................18
V.4 L?intervention des secours publics ....................................................................................................................19
VI. Conclusions sur le scénario de l?événement ........................................................................................ 19
VI.1 Scénario .................................................................................................................................................................19
VI.2 Facteurs ayant contribué à réduire ou limiter les conséquences de la rupture d?alimentation ......... 20
VI.2.1 Le service de secours interne ......................................................................................................... 20
VI.2.2 Les opérateurs, les procédures d?urgence et le design des équipements ............................... 20
VI.2.3 La remise en service de l?alimentation électrique ........................................................................ 21
VI.3 Facteurs ayant contribué au phénomène dangereux ..................................................................................21
VI.3.1 L?absence de redondance au moment de la défaillance ............................................................ 21
VI.3.2 Le maintien de l?injection de vapeur ............................................................................................. 22
VI.3.3 La dépendance de certaines installations à l?énergie électrique .............................................. 22
VII. Enseignements de sécurité ...................................................................................................................... 22
VII.1 Le vieillissement des câbles d?alimentation électrique des unités industrielles .................................... 22
VII.2 Le contrôle des dégradations de l?isolant..................................................................................................... 23
VII.3 L?impact environnemental et sanitaire des mesures de mise en sécurité .............................................. 23
VII.4 Le recours des moyens de prélèvement de l?air .......................................................................................... 24
VIII. Recommandations de sécurité ............................................................................................................. 24
VIII.1 À destination de l?exploitant .......................................................................................................................... 24
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Rapport d?enquête
sur la rupture d?alimentation électrique survenue au sein de
la raffinerie Esso Raffinage située à Port-Jérôme-sur-Seine
(76)
I. Rappel sur l?enquête de sécurité
L?enquête technique faisant l?objet du présent rapport est réalisée dans le cadre des articles L. 501-1 à L.
501-19 du Code de l?Environnement. Cette enquête a pour seul objet de prévenir de futurs accidents.
Sans préjudice, le cas échéant, de l?enquête judiciaire qui peut être ouverte, elle consiste à collecter et
analyser les informations utiles, à déterminer les circonstances et les causes certaines ou possibles de
l?évènement, de l?accident ou de l?incident et, s?il y a lieu, à établir des recommandations de sécurité.
Elle ne vise pas à déterminer des responsabilités. En conséquence, l?utilisation de ce rapport à d?autres
fins que la prévention pourrait conduire à des interprétations erronées.
II. Constats immédiats et engagement de l?enquête
II.1 Les circonstances de l?accident
Le mercredi 9 mars 2022, la raffinerie de Port-Jérôme-sur-Seine fonctionne de manière normale et aucun
incident n?est signalé. L?unité de craquage catalytique (FCC) est à l?arrêt dans le cadre de son inspection
métallurgique. L?unité URP chargée de l?approvisionnement en utilités de la raffinerie (vapeur, électricité,
gaz comprimé) prépare une intervention de maintenance programmée sur l?une des deux liaisons
électriques qui alimentent l?une des sous-stations électriques de la raffinerie.
Cette sous-station alimente à son tour principalement trois unités :
? l?unité de distillation sous vide ;
? l?unité de production de froid ;
? l?unité de craquage catalytique.
Le 9 mars les opérations en sous-station, visant à basculer l?alimentation sur une seule ligne, ont débuté.
Le 9 mars au soir, le circuit est majoritairement basculé sur la liaison L2 (12 MW sur un total de 14 MW).
À 0h59, un défaut sur la liaison L2 entraîne le déclenchement des sécurités électriques.
L?alimentation de la sous-station est interrompue, et, par effet domino, celle des unités alimentées par
celle-ci dont le fonctionnement est immédiatement interrompu.
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II.2 Le bilan de l?accident
L?incident a provoqué l?arrêt de l?alimentation électrique et de l?alimentation en eau de refroidissement
de la tour de distillation sous vide. Cet arrêt brutal a provoqué l?arrêt de la condensation de la tour,
conduisant à sa montée en pression et à l?ouverture automatique des soupapes de sécurité pour prévenir
tout risque de perte d?intégrité de la colonne.
En terme de dégâts matériels, l?inspection interne conduite par l?industriel dans les premières heures qui
ont suivi le retour à la normale a conclu que l?installation n?a pas connu de dommages, grâce au
déclenchement des soupapes et aux actions entreprises dans les phases de crise.
L?évènement n?a généré aucun dommage humain non plus.
L?ouverture des soupapes a provoqué l?émission d?un panache composé de vapeur et d?hydrocarbures.
Selon les informations communiquées par l'exploitant à l'administration, le flux rejeté en tête de la tour
de distillation lors de l?ouverture des soupapes (altitude > 30 m) était gazeux (300 °C, 0,55 bar rel.),
essentiellement constitué de vapeur d?eau (environ 5 t/h) avec un entraînement initial et limité
d?hydrocarbures gazeux (gasoil) strippés par la vapeur d?eau.
La nature des substances émises a pu être confirmée par les analyses des prélèvements réalisés au cours
de la séquence accidentelle (3 prélèvements réalisés dans la zone de panachage).
Une société située à environ 1,5 km a fait état de personnes incommodées sans que des suites médicales
aient été signalées.
À la suite de l?accident, la tour de distillation sous vide a fait l?objet d?un examen par le service
d?inspection reconnu (SIR1) de la raffinerie avant la remise en service.
II.3 L?engagement et l?organisation de l?enquête
Au vu des circonstances et du contexte de l?accident, le directeur du bureau d?enquêtes et d?analyses
sur les risques industriels (BEA-RI) a décidé l?ouverture d?une enquête après en avoir informé le directeur
général de la prévention des risques.
Les enquêteurs techniques du BEA-RI se sont rendus sur le site de la raffinerie de Port-Jérôme le mercredi
16 mars 2022. Ils ont rencontré les représentants de l?exploitant et ont pu s?entretenir avec l?inspection
des installations classées.
Ils ont recueilli les témoignages ou déclarations écrites des acteurs impliqués dans l?évènement et dans
sa gestion. Ils ont eu, consécutivement à ces entretiens et aux réunions techniques organisées par la
suite, communication des pièces et documents nécessaires à leur enquête.
1 Un service inspection reconnu est une entité de l?établissement industriel remplissant des conditions d?indépendance et
d?organisation précisées par la réglementation. Il est principalement chargé du suivi et de l?inspection des équipements sous
pression, en vue de garantir la sécurité des personnes et des biens, et de contribuer à la protection de l'environnement. Il concourt
également à la fiabilité des installations dont il assure le suivi en intervenant, en tant que de besoin, sous forme de préconisations
lors de leur conception ou de leur mise en service. Ce service est reconnu par décision préfectorale sur la base d?une demande et
d?un audit de la DREAL territorialement compétente.
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III. Contextualisation
III.1 Présentation de l?entreprise
III.1.1 Les sociétés du groupe ExxonMobil en France
Les activités de production du groupe ExxonMobil sont assurées en France par les sociétés Esso Raffinage
qui couvre l?activité du raffinage (producteur, fournisseur et distributeur des produits du raffinage :
carburant, lubrifiants, huiles, paraffine et bitume) et ExxonMobil Chemical France (EMCF) qui regroupe
toute l?activité chimie (production et vente d'oléfines, d'aromatiques, de fluides, de caoutchouc
synthétique, de polyéthylène, de polypropylène, de plastifiants, de bases pour les lubrifiants
synthétiques, d'additifs pour les carburants, ?).
Le groupe ExxonMobil en France dispose de deux sites de production :
? La plateforme de Gravenchon qui regroupe des activités de raffinage (20% de la capacité de
raffinage en France) et de pétrochimie ;
? La raffinerie de Fos-sur-Mer dédiée aux opérations de raffinage (10% de la capacité de raffinage
en France).
L?ensemble du groupe emploie en France près de 2800 collaborateurs.
Figure 1 : Carte des implantations de la société ExxonMobil en France métropolitaine (source : Revue Nos Energies n° 1 ? ExxonMobil)
III.1.2 La plateforme de Gravenchon
Sur près de 700 hectares, la plateforme de Gravenchon regroupe une raffinerie et une usine de
fabrication de lubrifiants finis exploitées par Esso Raffinage, ainsi qu?un site pétrochimique exploité par
EMCF. Ces deux entités emploient 2150 collaborateurs.
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Compte tenu des procédés employés et des substances stockées, le site relève de la directive
Seveso2, pour le stockage de matières dangereuses (produits inflammables, toxiques, dangereux pour
l?environnement ou réagissant avec l?eau) et de la directive IED3 relative aux émissions industrielles pour
le raffinage et l?activité de fabrication de produits chimiques organiques.
Les produits issus des procédés sont utilisés dans de nombreux domaines d?application : carburants
routiers, maritimes ou aviation, lubrifiants, produits de base pour la fabrication d?emballages ou de
conditionnements plastiques, matières premières pour l?industrie ou les équipementiers du secteur de
l?automobile.
En 2020, la plateforme a annoncé une capacité de raffinage de 19 millions de tonnes et une capacité de
fabrication de matières premières pour l?industrie chimique de 2 millions de tonnes.
Figure 2 : Synoptique des débouchés des produits ExxonMobil (source : Revue Nos Energies n° 2 ? ExxonMobil)
Compte tenu de son statut Seveso seuil haut, le site dispose d?un plan d?opération interne qui s?appuie
sur une organisation interne de la sécurité et un service interne d?incendie et de secours (cf. point III.2.2).
Cette organisation vaut pour les deux entités qui exploitent les installations. En outre, la plateforme
2 Directive 2012/18/UE du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012 concernant la maîtrise des dangers liés aux accidents
majeurs impliquant des substances dangereuses, modifiant puis abrogeant la directive 96/82/CE du Conseil
3 Directive 2010/75/UE du Parlement européen et du Conseil du 24 novembre 2010 relative aux émissions industrielles (prévention
et réduction intégrées de la pollution)
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figure depuis l?arrêté du 6 janvier 2022 sur la liste des plateformes industrielles reconnues au niveau
national4.
Pour les situations présentant un danger grave à l?extérieur de l?emprise foncière de l?établissement, le
Préfet du département dispose du Plan Particulier d?Intervention (PPI) de la zone industrielle de Port-
Jérôme qui a été approuvé le 27 février 2011.
III.2 Les installations et l?organisation des secours
III.2.1 Le fonctionnement général
À l?image de la grande majorité des grands sites chimiques ou pétrochimiques, le site de Gravenchon est
une plateforme intégrée composée de Q villages R ou d?unités, dédiés à des fonctions spécifiques dans la
chaîne de fabrication des produits. Chaque village Q dépend R au moins d?un autre qui lui est
interconnecté afin de permettre les échanges de produits et le partage d?utilités (électricité, vapeur, eau
de refroidissement, air comprimé, eaux déminéralisées/traitées, gaz, ?).
La plateforme est divisée en une douzaine de Q villages R placés sous la direction d?un chef d?unité.
Photographie 1 : Villages de la plateforme de Port-Jérôme-sur-Seine (Source : Présentation ExxonMobil)
De gauche à droite et de haut en bas : Vistalon, BCI, Pegase, MEE, LPP, PE, Distillation, URP, Additifs, Escorez, Conversion, Huiles
Deux de ces unités ont particulièrement intéressé le BEA-RI dans le cadre de cette enquête :
? L?unité Distillation : qui regroupe les unités de distillation atmosphérique et sous vide.
4 En application de l?article L515-48 du code de l?environnement, une plateforme industrielle se définit comme le regroupement
d'installations mentionnées à l'article L. 511-1 sur un territoire délimité et homogène conduisant, par la similarité ou la
complémentarité des activités de ces installations, à la mutualisation de la gestion de certains des biens et services qui leurs sont
nécessaires. La liste des plateformes est fixée par un arrêté du ministre chargé des installations classées pour la protection de
l'environnement.
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? L?unité URP : qui regroupe l?activité de fourniture d?utilités pour toute la plateforme.
Pour fonctionner, les unités concernées par l'incident sont connectées au réseau RTE par deux liaisons
haute tension 90 kV. En plus de cette alimentation extérieure, le site dispose au sein de l?unité URP de
deux turbines vapeurs T1 et T2 d?une puissance unitaire de 27MVA (21 MW) et délivrant une tension de
15kV. Depuis URP, deux liaisons haute tension (L1 et L2) (15kV) alimentent la sous-station (15kV - 400V)
de l?unité distillation. Cette sous-station alimente ensuite d?autres unités ou villages.
Figure 3 : schéma de représentation de la distribution de l'électricité
Chacune des liaisons URP/Sous-station est constituée de 4 câbles tripolaires avec conducteur en
aluminium de 240 mm² de section. La longueur des câbles est approximativement de 560 m. Ils sont
enterrés sur toute leur longueur et empruntent des passages protégés au niveau des franchissements de
route. Ces liaisons sont dimensionnées de sorte à assurer une redondance d?une liaison vis-à-vis de
l?autre. Ainsi, une seule liaison peut suffire à véhiculer la puissance nécessaire à l?alimentation de la sous-
station.
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Photographie 2 : Coupe du câble de la liaison L1. Câble constitué
de trois phases en torsades, âme en aluminium
La majorité du temps, les deux liaisons (les 8 câbles) sont utilisées simultanément.
La sous-station alimente :
? le bloc dans lequel elle se situe et qui comprend l?unité de distillation sous vide ;
? le bloc qui comprend l?unité de production de froid ;
? le bloc qui comprend l?unité de craquage catalytique en lit fluidisé ou FCC.
Gaine
Remplissage
Isolant
Âme conductrice
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Figure 4 : Schéma de principe des interactions entre les différentes unités impliquées dans la séquence accidentelle
Electricité Refroidissement
En cas de défaut d?alimentation détecté sur le réseau RTE ou de déséquilibre important entre production
et consommation, l?exploitant dispose d'un système de délestage de charges et de transfert
automatique pour préserver les moyens de production d?URP mais aussi les unités prioritaires du site
(EMCF, Raffinerie) qui ont besoin d?électricité pour effectuer les manoeuvres d?arrêt et de sauvegarde en
vue d?un redémarrage dans des conditions économiquement acceptables (encrassement, bouchage,
endommagement des équipements ?)5.
Cet ordre de délestage a été mis en place depuis les années 80 et est automatisé depuis 1993. Selon nos
interlocuteurs, il a été établi en privilégiant des critères technico-économiques, certaines unités étant
plus difficiles à redémarrer que d'autres. Ainsi, même si les modalités d?évaluation des risques ont
notablement évolué depuis cette période, les installations débranchées en dernier recours demeurent
celles qui sont les plus complexes à redémarrer et dont l?arrêt aurait un impact économique important.
Enfin, les salles de contrôle sont dotées d?un système de secours (constitué d?onduleurs et de batteries)
qui permet d?alimenter pendant une certaine durée6 les fonctions de sécurité : consoles tableautistes,
systèmes d?alarmes et de signalisation, automate de sécurité, sécurité machines (systèmes instrument à
relais), système de contrôle et régulation et l?éclairage de secours de la salle de contrôle.
5 Point 5.7 de la notice de réexamen de l?étude de dangers décembre 2021
6 La durée d'alimentation de secours ne sera pas précisée pour des raisons de sûreté.
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III.2.2 Les moyens de secours internes
En application de la réglementation applicable aux sites de stockage de liquides inflammables7,
l'exploitant a choisi d?être autonome en matière de lutte contre l?incendie. Cela signifie que l?exploitant
s?est doté de moyens de lutte contre l?incendie suffisants pour faire face à une liste de scénarios
d?accidents préétablis par la réglementation et l?étude de dangers de l?installation. Les services
d?incendie et de secours publics demeurent mobilisables pour les accidents les plus importants et
notamment ceux qui ont été retenus pour élaborer le PPI. Pour les autres, l?exploitant doit se doter des
moyens suffisants pour y faire face seul.
Pour rendre opérationnelle cette stratégie, l'industriel s?appuie, entre autre, sur un service de secours
interne basé au Poste de commandement Incendie (PCI) implanté sur le site.
Une équipe de 24 sapeurs-pompiers d?usine dispose de 4 fourgons-pompes mousse et de 4 camions-
citernes émulseur. Ces moyens généraux s?ajoutent aux installations fixes présentes au sein de chaque
unité (réseau d?hydrants) et aux équipiers de seconde intervention que chaque unité met à disposition
en cas d?incendie.
Les opérations de secours se font sous la direction d?une organisation bien définie qui fait intervenir les
fonctions de chef d?unité, de superintendant et de directeur de la raffinerie en fonction de l?ampleur de
l?évènement et du niveau de plan mis en oeuvre (POI, PPI).
IV. Compte-rendu des investigations menées
IV.1 Reconnaissance de terrain
Les enquêteurs techniques du BEA-RI se sont rendus sur le site de la raffinerie de Port-Jérôme le mercredi
16 mars 2022 après avoir rencontré l?inspection des installations classées de l?Unité Départementale du
Havre et des représentants du SDIS 76.
La visite de terrain a permis de visualiser les installations impliquées dans la séquence accidentelle et de
comprendre le fonctionnement des installations.
La visite a également permis de prendre connaissance de la politique de prévention des accidents
majeurs, de l?organisation mise en place en termes de gestion de la sécurité et, plus spécifiquement en
lien avec l?objet de l?enquête. Elle a enfin permis d?évoquer les retours d?expérience tirés par l?industriel
lors d?événements antérieurs et d?examiner ce que l?industriel a mis en place en matière d?entretien et
de suivi de ses installations électriques notamment à la suite de pertes d?utilités électriques rencontrées
en 2019 et 2020.
Le jour de notre visite, l?alimentation mise en défaut quelques jours auparavant avait été rétablie.
L?exploitant avait procédé au redémarrage de la distillation sous vide en accord avec les services du
Préfet. Des actions étaient engagées en vue d?expertiser le câble susceptible d?être à l?origine de la
rupture d?alimentation (travaux de recherche, d?affouillements et de remplacement).
7 Arrêté du 3 octobre 2010 relatif au stockage en réservoirs aériens manufacturés exploités au sein d'une installation classée
soumise à autorisation au titre de l'une ou plusieurs des rubriques 1436, 4330, 4331, 4722, 4734, 4742, 4743, 4744, 4746, 4747 ou
4748, ou pour le pétrole brut au titre de l'une ou plusieurs des rubriques nos 4510 ou 4511 de la législation des installations classées
pour la protection de l'environnement
Rapport d?enquête sur la rupture d?alimentation électrique survenue au sein de la raffinerie Esso Raffinage située à
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V. Déroulement de l?évènement
V.1 Déclenchement de l?évènement
Le 9 mars 2022, l?unité URP, chargée de l?approvisionnement en utilités de la raffinerie (vapeur,
électricité, gaz comprimé) prépare une intervention de maintenance programmée sur la liaison
électrique L1, l?une des deux liaisons d?alimentation électrique d'une sous-station. Cette sous-station
alimente l'unité dans laquelle elle se trouve, ainsi que plusieurs unités adjacentes.
L?exploitant souhaite profiter du grand arrêt de l?unité de craquage catalytique, unité consommatrice
en électricité et classée critique en termes d?alimentation, pour procéder à cette opération. Il s?agit de
procéder à une opération de contrôle et d?entretien des disjoncteurs et des relais au niveau des tableaux
de départ et d?arrivée de la liaison.
L?opération va donc consister à basculer l?alimentation de la sous-station sur une seule des deux liaisons.
Ce type de basculement est une opération assez classique qui est opérée plusieurs fois par an et réalisée
en interne.
L?opération est programmée au cours de la journée du jeudi 10 mars sur le créneau de 7h à 17h. Le
protocole d?intervention prévoit également une obligation de remise en service en 1 heure en cas d?aléa
technique qui nécessiterait de devoir disposer de l?alimentation L1.
Mercredi 9 mars au soir, le circuit est donc totalement basculé sur la liaison L2.
À 0h59, un défaut de mise à la terre sur l?un des câbles de la liaison L2 provoque le déclenchement de la
protection homopolaire sur le départ du câble et donc l?arrêt de l?alimentation électrique. Toute bascule
sur la liaison L1 est impossible en raison de sa consignation.
L?arrêt de l?alimentation électrique de la sous-station entraine l?arrêt de l?alimentation du bloc de la
distillation sous vide et le bloc de l'unité de production de froid. Pour rappel, le bloc accueillant l'unité
de craquage catalytique est déjà à l?arrêt dans le cadre de l?inspection métallurgique en cours.
La sous-station n'alimentant plus les fonctions électriques de ces blocs, les opérateurs se retrouvent
privés d?alimentation électrique et d?éclairage. Le système de secours (constitué d?onduleurs et de
batteries) prend le relais pour alimenter les fonctions de sécurité : consoles tableautistes, systèmes
d?alarmes et de signalisation, automate de sécurité, sécurité machines (systèmes instrument à relais),
système de contrôle et régulation et l?éclairage de secours de la salle de contrôle.
L'arrêt de l'alimentation électrique provoque l'arrêt des équipements de puissance et par conséquent
l'arrêt des pompes d'alimentation et de soutirage des produits. L'alimentation en vapeur de la tour de
distillation sous vide reste opérationnelle.
L?arrêt de l?alimentation sur le bloc qui assure la fonction de refroidissement entraîne l?arrêt des pompes
P5A/B, P1 et P2/3 qui s?y trouvent :
? P5A A et B permettent d?alimenter en eau de refroidissement les échangeurs de la distillation ;
? Les pompes P1, P2 et P3 alimentent les unités URP (Centrale), PF2-TGP (Conversion), Curat
(production d?huiles) et HOP (Unité de polymérisation). Les turbines vapeurs (TP2 et TP3) utilisées
pour entraîner mécaniquement les pompes 2 et 3 (P2/3) ne permettent pas de maintenir en
fonctionnement les pompes car elles nécessitent malgré tout de l?électricité8.
8 Le système de sécurité de survitesse des turbines P2 et P3 est alimenté en électricité 48V. Si la puissance est fournie par la
vapeur sur la turbine, le démarrage des turbines n'a pas pu s'opérer à cause de ce système de sécurité qui n?était plus alimenté
électriquement.
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Figure 5 : Représentation de la perte d?utilités consécutivement à la perte d?alimentation sur la liaison L2
Les quatre derniers blocs cités précédemment (HOP, URP, Conversion et CURAT) peuvent subvenir à
leurs besoins en eaux de refroidissement en branchant les installations sur le réseau incendie.
Le refroidissement (cooling) ne dispose pas de solution de secours compte tenu des besoins très
importants en eaux (1300m3/h).
En l?absence de ce dernier, l'étape de condensation des gaz issus de la tour de distillation sous vide cesse
et l?extraction des gaz ne se fait plus. Pour autant, l?injection de vapeur, dont la production n?est pas
affectée par la rupture d?alimentation électrique de la sous-station à l'arrêt, est maintenue.
À partir de 1h00, en l?absence d?extraction des gaz, la pression commence à augmenter à l?intérieur de
la tour de distillation sous vide.
À 1h26, la pression interne atteint la pression de tarage des soupapes et un panache commence à
s?échapper de la tour de distillation sous vide.
Au même moment, plusieurs aérothermes dont le refroidissement n?est plus assuré montent en
température. Les moyens du service de secours interne, alertés une dizaine de minutes auparavant, se
mettent en place et procèdent au refroidissement des aérothermes à l?aide du canon tourelle d?un
fourgon pompe mousse (1500l/min).
Au bout d?une quarantaine de minutes après la coupure électrique, la pression atteint un maximum à
1,7 bar abs. La pression sera ainsi stabilisée autour de la pression de tarage des soupapes soit 1,5 bar abs.
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Figure 6 : Evolution de la pression interne de la tour de distillation sous vide dans le temps.
(pression exprimée en mmHg ? 1000 mmHg ? 1,3 bar)
À 1h42, le chef PCI demande l?activation du POI sectoriel du bloc où se situe la distillation sous vide. Les
blocs adjacents sont confinés. La zone de l'unité de craquage catalytique, en opération d?inspection
métallurgique, est évacuée.
À 1h56, plusieurs moyens en eau sont mis en oeuvre : le canon tourelle du fourgon pompe mousse (débit
réduit à 1200l/min) alimenté par le réseau d?eau d?extinction interne (hydrant) et une lance fixe
(5000l/min) pour assurer le refroidissement de la ligne Gas Oil, ainsi que les lances fixes des unités
voisines.
À 2h08, un départ de feu est constaté sous la tour de distillation. Il sera éteint à l?aide d?une lance canon
fixe. Celui-ci est consécutif à l?inflammation des projections d?hydrocarbures issues des rejets de
soupapes au contact des éléments chauds de la tour.
À 2h15, la RD110 a été coupée par précaution et sera ré-ouverte à 4h22. Au même moment, l?exploitant
met en place une mission environnement chargée d?expertiser, de surveiller et d?anticiper les impacts
potentiels de l?événement sur l?eau, l?air et le sol.
Selon les estimations de l?exploitant :
- L?essentiel du panache provient des soupapes ouvertes. Le rejet est, dans un premier temps,
composé d?un mélange de vapeurs d?hydrocarbures ;
- Au bout d?une dizaine de minutes, la proportion d?hydrocarbures diminue sensiblement pour
atteindre quelques pourcents.
V.2 L?intervention d?URP
Dès le début de la défaillance qui intervient sur la liaison L2, les opérateurs de l?unité URP sont informés
de celle-ci. Leur action immédiate se concentre autour de deux objectifs :
- Maintenir en fonctionnement la production de vapeur et d?électricité pour le reste de la
plateforme par l?intermédiaire des chaudières et des turbines. L?arrêt brutal de l?alimentation
peut en effet provoquer une soudaine baisse de consommation qui peut avoir des répercussions
sur la production ;
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- Analyser les causes de l?incident et procéder aux reconnaissances dans la sous-station dans le
but de rétablir l?alimentation des blocs. Ces opérations prennent du temps car le défaut peut se
situer au niveau des câbles mais aussi au niveau des blocs alimentés en aval de la sous-station.
À 2h20, la reconnaissance a été faite par les spécialistes électricité de l?unité URP. La réalimentation des
blocs peut être opérée mais de manière progressive par la liaison L1 et les trois câbles opérationnels de
la liaison L2. L?ensemble des machines ne peut être alimenté en même temps afin d?éviter un appel de
puissance trop important. L?ordre de réalimentation des équipements est établi entre le chef d?unité
d?URP et de DISTILLATION.
À 2h48, l?électricité sur la pompe P5A est rétablie ce qui permet de relancer les tours de refroidissement
(cooling).
À 2h57, la condensation est de nouveau opérationnelle. La pression dans la tour de distillation
commence à diminuer.
À 2h58, la pression interne à la colonne repasse en-dessous de la pression de tarage des soupapes de
sécurité. C?est l?heure à laquelle on peut estimer l?arrêt du panache.
Figure 7 : Evolution de la pression interne de la tour de distillation sous vide dans le temps.
À 3h, soit 12 minutes après la remise en route de la pompe, la pression repasse en-dessous de 0,7 bar
abs.
V.3 L?unité de traitement des gaz soufrés (STIG)
L?Unité de récupération du soufre (STIG) dépollue les courants gazeux riches en H2S en provenance des
unités de la raffinerie et du vapocraqueur de l?établissement ExxonMobil Chemical France. Cette unité
produit du soufre. Du fait de l?arrêt brutal de la distillation sous vide et compte tenu de l?arrêt du
vapocraqueur, l?unité (traitement des gaz) n?est plus suffisamment alimentée en H2S.
À 3h15, un réseau de mesures de H2S et de SO2 est mis en oeuvre au niveau de la porte A du site.
À 3h26, le poste de commandement exploitant émet l?ordre de poser deux canisters sur des parkings
situés à l?extérieur du site. La fonction environnement informe Atmo Normandie9 de la situation, qui
active à distance le canister de la zone Lillebonne.
À 3h30, l?unité est mise au ralentie et son arrêt est envisagé. Dans une telle éventualité, les gaz produits
auraient été envoyés à la torchère pour y être incinérés.
9 ATMO Normandie est l?association agréée par le ministère de l?environnement pour surveiller la qualité
de l'air en Basse et Haute-Normandie.
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À 3h40, l?unité de désulfuration de gazole et de kérosène (CHD3) remonte en débit afin de maintenir
STIG en fonctionnement. Celle-ci sera maintenue en fonctionnement ainsi jusqu?au retour à la normale.
À 4h15, les résultats des analyses d?atmosphères H2S et SO2 effectuées depuis 3h15 sont négatifs (seuils
de détection du matériel utilisé non-atteints).
V.4 L?intervention des secours publics
L?intervention a été essentiellement conduite par les services d?incendie et de secours internes de
l?industriel. Dans le cadre des procédures en place, dès l?activation du POI, les services de secours publics
ainsi que l?inspection des installations classées ont été informés de cette activation. Une inspectrice de
l?environnement de la DREAL et des officiers de liaison du SDIS 76 ont pu rejoindre la cellule de crise de
l?industriel pour suivre le déroulement de l?intervention, être informés en direct de l?évolution du sinistre
et anticiper le cas échéant sa montée en puissance.
VI. Conclusions sur le scénario de l?événement
VI.1 Scénario
Le déclenchement des protections homopolaires au départ de la liaison L2 conduit à suspecter
l?apparition d?un courant de fuite. L?exploitant ne nous a signalé aucun chantier d?affouillement à
proximité de la liaison qui aurait pu être à l?origine de son endommagement. La remise en service de la
liaison L1 et de trois câbles de la liaison L2 écarte l?hypothèse d?un défaut électrique à l?aval ou à l?amont
des liaisons.
La cause de ce défaut a donc été recherchée du côté du câble lui-même et, en particulier, de l?isolant
qui a pu, au fil des années, perdre son intégrité et ses propriétés mécaniques et isolantes.
À la suite de l?accident, l'industriel a procédé à une expertise du câble impliqué dans l?accident. Cette
expertise a porté sur l?examen de 5 échantillons allant de quelques dizaines de centimètres à 2,5 mètres
de long et prélevés en raison de leur état et de leur localisation par rapport au point de défaillance.
L'échantillon le plus éloigné a été réalisé à près de 28 m de la zone endommagée.
L?expertise a permis d?établir l?existence de dégradations (arbre d?eau, corrosion, présence d?eau?)
affectant le câble et en particulier l'isolant. L?accumulation de ces dégradations et notamment la
concentration d?arbres d?eau en une zone du câble sont à l?origine de la défaillance de la liaison L2 et du
déclenchement des sécurités électriques. Ces dégradations ont été localisées essentiellement sur les
échantillons prélevés proches de la zone du défaut initial.
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Photographie 3 : Photo de la dégradation du câble
(Source RINA : Rapport n°2022-0750 Rev. 1 du 13 septembre 2022)
Ces mécanismes de dégradations sont assez classiques et couramment observés sur les câbles HT. Leur
origine et leur développement dans le temps dépendent de plusieurs facteurs : mode de fabrication,
nature des matériaux, âge, mode de pose ou conditions d?exploitation. Les câbles des liaisons L1 et L2
ont été posés dans les années 70, dans des tranchées et non des caniveaux techniques dédiés, selon des
méthodes conformes aux pratiques du moment.
Il n?existe pas de durée maximale d?utilisation des câbles. À titre de comparaison, les câbles fabriqués
aujourd?hui et posés selon des règles qui ont elles-mêmes évoluées dans le temps, ont une durée de vie
garantie de 25 ans environ. Il ne s'agit en aucun cas d'une durée limite d'utilisation au-delà de laquelle le
câble devrait être changé. Mais cette durée donne une indication sur le niveau de fiabilité que l?on peut
attendre de câbles fabriqués et posés dans les années 70 selon des normes et des règles de l?art qui ont
notablement évolué depuis, notamment pour améliorer la sécurité et la fiabilité des installations. À cela
s?ajoute, dans le cas de la raffinerie de Port-Jérôme, une antériorité de défaillances (2019 et 2020) qui
traduit dans les faits une baisse du niveau de fiabilité.
VI.2 Facteurs ayant contribué à réduire ou limiter les conséquences de la rupture
d?alimentation
VI.2.1 Le service de secours interne
L?intervention rapide du service de secours interne a permis, grâce aux moyens dont il dispose, d?avoir
une action de refroidissement sur les aérothermes et une action d?extinction sur les départs de feu au
pied de la colonne de distillation. La coordination a été assurée par le superintendant en liaison avec les
chefs d?unité concernés et le responsable des sapeurs-pompiers.
Cette intervention a ainsi permis de maîtriser le risque accidentel dans l?attente du redémarrage de la
condensation de la distillation.
VI.2.2 Les opérateurs, les procédures d?urgence et le design des équipements
L?évènement a fait intervenir un certain nombre d?éléments de sécurité (détection alarme
actionnement, transmission de l?alerte) dont le bon fonctionnement a permis une intervention rapide
des secours internes et de limiter les conséquences de l?interruption d?alimentation.
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En outre, les opérateurs, formés aux situations d?urgence, ont rapidement pu constater que l?intégralité
des organes de supervision fonctionnait grâce à l?alimentation de secours dont sont pourvues les salles
de contrôle. Dès lors, il leur a été possible d?avoir une vision globale de la situation du process et de
prendre les décisions qui ont permis de revenir à la situation normale. Interrogés sur les actions
conduites au cours de l?évènement, les intervenants n?ont pas manifesté de difficulté particulière, une
fois passée la phase de surprise due à la perte d?éclairage à l?intérieur de la salle de contrôle.
Sur la tour de distillation, les soupapes ont également fonctionné, ce qui a permis de contenir
l?augmentation de pression sans mettre en péril l?intégrité de l?équipement et provoquer un accident
plus important.
VI.2.3 La remise en service de l?alimentation électrique
Contrairement à ce qui est souvent pratiqué dans ce type d?installations, l'exploitant ne procède pas à
un grand arrêt de toutes ses installations mais à des arrêts par activité. Le besoin d?utilités est donc quasi-
permanent sur un site de cette ampleur. La redondance au niveau des approvisionnements répond donc
à deux objectifs : réduire le risque de perte d?utilités en rendant la probabilité d?une coupure électrique
la plus faible possible et, également, permettre les opérations de maintenance sans nécessiter un arrêt
complet des installations.
Selon l?industriel, chaque intervention de maintenance préventive sur une installation en
fonctionnement fait l?objet d?une évaluation risques / avantages qui conduit à la décision ou non de
réaliser l?opération en maintenant les activités en fonctionnement. Il s?agit généralement d?opérations
simples et limitées dans le temps. En cas de décision de procéder à l?intervention, URP (production
d?utilités) doit être en mesure de rétablir la fourniture d?utilités dans un délai d?une heure.
L?examen du compte-rendu d?intervention montre qu?URP a été en mesure de rétablir le courant vers
2h20 soit 80 minutes après la coupure. Compte-tenu de l?heure à laquelle s?est produite la défaillance
et de la nécessité de contrôler l?ensemble des installations amont et aval (pour vérifier que le problème
n?était pas ailleurs dans l?installation), ce délai apparaît au BEA-RI optimisé, et donc ayant contribué à
limiter les conséquences de la coupure électrique.
Toutefois, cet incident devrait, dans le cas d?une maintenance sur un réseau électrique, amener
l?industriel à considérer, dans l?évaluation risques / avantages de son intervention, un délai nécessaire
pour une remise en route supérieur à une heure.
VI.3 Facteurs ayant contribué au phénomène dangereux
VI.3.1 L?absence de redondance au moment de la défaillance
En programmant une opération de maintenance sur la liaison L1, alors que la distillation sous vide était
exploitée et alimentée par la seule liaison L2, l'exploitant a temporairement réduit le niveau de
redondance et donc de fiabilité de son installation. Une défaillance similaire en phase d?exploitation
normale (avec les liaisons L1 et L2 opérationnelles) n?aurait pas eu les mêmes conséquences puisque
l?installation permet de basculer l?alimentation d?une liaison à l?autre. C?est précisément ce qui s?est
produit lors d?une interruption d?alimentation intervenue en 2020 sur cette même installation sans que
cela ait eu la moindre conséquence sur le fonctionnement du site.
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VI.3.2 Le maintien de l?injection de vapeur
L?arrêt du cooling a eu pour conséquence l?arrêt de la condensation au niveau des aérothermes et l?arrêt
du maintien sous vide de la tour de distillation. Pour autant, dans le même temps, l'industriel n?a pas fait
le choix de stopper l?injection de vapeur. Celle-ci a simplement été diminuée de 6 t/h à 1 t/h.
Deux raisons sous-tendent cette décision.
La première répond à une contrainte d?exploitation : en procédant ainsi l?exploitant préserve les chances
d?un redémarrage rapide de l?installation et réduit le coût d?indisponibilité de son outil industriel.
La deuxième raison avancée tient à des raisons de sécurité : la vapeur à 200°C est plus froide que les
produits qui se trouvent dans la tour. La vapeur assure ainsi un refroidissement et réduit les risques liés
à une montée en température de l?équipement.
Néanmoins, cette décision a contribué à provoquer la montée en pression de la colonne de distillation,
l?ouverture des soupapes de sécurité et l?émission d?un panache constitué de vapeurs d?hydrocarbures
et de gaz.
VI.3.3 La dépendance de certaines installations à l?énergie électrique
Les pompes employées au niveau des tours de refroidissement sont au nombre de cinq. Trois d?entre
elles, fonctionnent exclusivement à l?électricité, les deux autres sont mécaniquement entraînées par des
turbines vapeurs. L?interruption de l?alimentation électrique a provoqué l?arrêt des trois premières
citées. Compte-tenu du fait que la production de vapeur était toujours opérationnelle sur l?ensemble du
site (car non impactée par la rupture d?alimentation), l?exploitant aurait pu s?attendre à conserver les
capacités des pompes mues par des turbines vapeurs. Toutefois, ces dernières nécessitant une
alimentation électrique (alimentation d'un système de sécurité), elles n?ont pu être utilisées
contrairement à ce que l?exploitant aurait pu s?attendre. Il convient toutefois de préciser que ces
pompes n'auraient pas permis d'assurer pleinement les besoins en refroidissement des unités de
distillation en plus du réseau qu'elles alimentent en temps normal.
VII. Enseignements de sécurité
VII.1 Le vieillissement des câbles d?alimentation électrique des unités industrielles
Les câbles d?alimentation électriques sont, au même titre que d?autres équipements industriels, sujets à
des mécanismes de vieillissement qui, sur le long terme, peuvent nuire au bon fonctionnement des
installations. Les désordres peuvent concerner différents aspects : les points de raccordement aux
départs et aux arrivées, les raccords entre câbles nécessaires pour réaliser de longs raccordements, les
isolants synthétiques utilisés dans leur fabrication. Du fait des protections dont sont aujourd?hui
pourvues les installations, ces dégradations ne conduisent pas systématiquement à des accidents graves
mais elles engendrent à minima :
- Des situations dégradées en termes de sécurité (conduite et mise en sécurité des installations en
mode dégradé) ;
- Des arrêts d?urgence d?installations qui peuvent avoir des conséquences matérielles sur l?outil de
production ;
- Une interruption plus ou moins longue de la production.
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Pour réduire le risque de dégradation et en prévenir les conséquences, la pose de câble doit répondre à
des préconisations précises fixées par les normes en vigueur10. Durant la durée de vie de l?installation et
particulièrement lorsque les durées de fonctionnement dépassent les durées de vie garanties par les
constructeurs, les câbles doivent faire l?objet de contrôle régulier pour identifier d?éventuels signes de
dégradation.
VII.2 Le contrôle des dégradations de l?isolant
Les contrôles électriques prévus aujourd?hui par la réglementation (Code du travail, réglementation
ICPE) ou dans le cadre assurantiel (référentiel APSAD par exemple) visent à prévenir le risque incendie
et le risque d?électrocution. Ils sont réalisés sur les installations électriques qui sont par définition
accessibles pour permettre ce contrôle. Les réseaux enterrés ne font pas l?objet de contrôles réguliers.
Confronté à un problème de défaillance d?un câble en 2019, l'exploitant a procédé à des contrôles de
ses câbles d?alimentation par la méthode des décharges partielles (IEC 60270 ou IEEE 400-2). Cette
méthode a conduit l'exploitant à engager des actions correctives sur certains types de désordres
concernant notamment les défauts de raccords ou de connexions aux tableaux. Cette méthode de
contrôle s?avère en revanche inopérante pour prévenir des dégradations qui peuvent affecter les
isolants. C?est la raison pour laquelle elle n?a pas permis d?anticiper la rupture d?alimentation à l?origine
de la présente enquête et, avant elle, une autre défaillance qui s?était produite en 2020.
La mesure préconisée pour évaluer le vieillissement de l?isolant d?un câble et en particulier le phénomène
d?arborescence11 à l?origine du claquage est la méthode de la tangente delta. La méthode consiste à
mesurer le facteur de puissance de l?isolant. Plus que la valeur en tant que telle (il n?existe pas de valeur
guide ou de seuil normatif), c?est son évolution dans le temps qui permet de tirer un enseignement sur
la qualité de l?isolant. Une telle mesure doit donc être renouvelée à intervalle régulier (surtout pour des
câbles qui ont largement dépassé la durée de vie garantie par le constructeur) et doit être interprétée.
De manière générale, les méthodes de contrôle développées pour les câbles HT sont plus complexes à
mettre en oeuvre, voire inopérantes pour certaines d?entre elles, dans le cas des câbles BT. Une
généralisation de ces contrôles n?aurait donc pas de sens sur ce type de câble.
VII.3 L?impact environnemental et sanitaire des mesures de mise en sécurité
En dépit de l?importance de la défaillance (arrêt accidentel de l?alimentation électrique d?une unité de
distillation), les mesures techniques prévues pour faire face à ce genre de situation (alimentation de
secours, soupapes de sécurité, détections, protections électriques, ?) ainsi que les mesures
organisationnelles (personnels présents entraînés et compétents, procédures de délestage, ?) ont
finalement permis de limiter les conséquences de la perte d?alimentation. Le fait que les événements se
soient déroulés conformément à ce qui était prévu constitue donc en soi un enseignement de sécurité
positif.
Il ne doit toutefois pas occulter le constat que cette mise en sécurité a conduit à l?émission d?un panache
de vapeur et de produits de distillation qui a été ressenti à l?extérieur du site. Il est donc important de
conserver à l?esprit que la mise en sécurité peut avoir des impacts ou générer des nuisances, voire des
10 Arrêté du 17 mai 2001 fixant les conditions techniques auxquelles doivent satisfaire les distributions d'énergie électrique,
NFC11-201,
11 Phénomène d?endommagement dû aux décharges partielles qui progresse à travers l?isolant, selon un chemin ressemblant aux
branches d'un arbre. C?est un mécanisme de panne courant et une source de défauts électriques dans les câbles électriques
souterrains.
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pollutions, à l?extérieur d?un site industriel qui doivent être gérés dans le cadre des plans d?urgence en
disposant idéalement d?une information sur la nature et les quantités des substances rejetées. C?est la
raison pour laquelle le déploiement en cours de moyens de prélèvement ou de mesures dans les environs
du site de Port-Jérôme apparaît, dans un contexte post-accidentel de Rouen, particulièrement opportun.
VII.4 Le recours des moyens de prélèvement de l?air
L?analyse du compte-rendu des opérations fait apparaître que l?ordre de procéder à des prélèvements
d?air ambiant au moyen de canisters a été donné à 3h26 soit une trentaine de minutes après la fermeture
théorique du panache. Coïncidence ou pas, la décision intervient également au moment où se pose la
question du maintien en fonctionnement de l?unité de traitement des gaz soufrés dont l?arrêt aurait
conduit à une orientation des gaz vers la torchère. Le déploiement de moyens de prélèvements d?air sur
les sites Seveso est relativement récent et fait suite à l?accident de Lubrizol. Aussi, la décision de
procéder à des prélèvements et des analyses dans un contexte de risque de dégagement d?hydrogène
sulfuré apparaît en soi pertinente. Toutefois, il sera opportun d'améliorer la rapidité de mise en oeuvre
de ces nouveaux dispositifs, consécutivement à l?ouverture des soupapes pour déterminer la
composition du rejet et évaluer ses conséquences sanitaires et environnementales.
VIII. Recommandations de sécurité
VIII.1 À destination de l?exploitant
? Compte-tenu de l?âge des câbles électriques et des défaillances rencontrées depuis 3 ans, le BEA-
RI recommande à l?exploitant de mettre en place un plan de renforcement de la fiabilité de son
réseau électrique en recourant à de la surveillance plus régulière des câbles HT à partir de
différentes méthodes de diagnostics (contrôles visuels, mesures d?isolement, mesures de
tangente delta et de décharges partielles) et en procédant progressivement lorsque leur état le
nécessite à leur remplacement dans le cadre notamment des grands arrêts. Ce plan pourrait être
défini en tenant compte des expertises des câbles retirés (déjà réalisées ou celles à venir lors des
changements de câbles) qui peuvent permettre d'améliorer la connaissance des mécanismes de
dégradation (nature, ampleur, localisation et vitesse d'évolution) et tirer des enseignements sur
la nature et les fréquences de surveillance à mettre en place ;
? Réexaminer les priorités de délestage à la lumière des scénarios de l?étude de dangers dont
l?élaboration est postérieure à l?élaboration de la liste de délestage ;
? Compte-tenu que l?accident a montré la difficulté de rétablir l?alimentation dans un délai
inférieur à l'autonomie garantie par le design des salles de contrôle, vérifier si la durée minimale
d?alimentation de secours des salles de contrôle s?avère suffisante pour permettre aux
opérateurs une gestion pilotée des installations en cas de coupure des énergies ;
? Améliorer la rapidité d?exécution des prélèvements d?air au moyen des canisters pour faire en
sorte que la prise d?échantillons ait lieu concomitamment au rejet accidentel.
Rapport d?enquête sur la rupture d?alimentation électrique survenue au sein de la raffinerie Esso Raffinage située à
Port-Jérôme-sur-Seine (76) le 10 mars 2022
N° MTE-BEARI-2023-002
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Bureau d?enquêtes et d?Analyses
sur les Risques Industriels
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