Ingénieur (l'), la décision et l'action publique. Les actes du colloque du 4 octobre 2011

Auteur moral
France. Conseil général de l'environnement et du développement durable
Auteur secondaire
Résumé
<div>é de la fusion des ingénieurs des Ponts et Chaussées et des ingénieurs du Génie rural et des Eaux et Forêts, le corps des IPEF fête ses deux ans en 2011. A cette occasion, Christian Leyrit, vice-président du conseil général de l'Environnement et du Développement durable, chef de corps des ingénieurs des Ponts des Eaux et des Forêts a convié l'ensemble de ce corps technique d'encadrement supérieur de la fonction publique d'État, à vocation interministérielle, à ce colloque. Ouvert par Christian Leyrit et Jean-Marc Bournigal, directeur de cabinet du ministre chargé de l'Agriculture, est présentée une restitution des résultats du questionnaire envoyé aux IPEF. Elle est suivie d'une table ronde intitulée " Quels ingénieurs pour la fonction publique de demain ? Le citoyen, l'expert et le décideur demain" en deux parties : le corps des IPEEF , la place et le rôle de l'ingénieur dans l'action publique. Le colloque est conclu par une allocution de la Ministre de l'écologique, du développement durable, des transports et du logement.</div>
Editeur
CGEDD
Descripteur Urbamet
agent d'aménagement ; fonction publique ; ministère ; processus de décision ; exercice des compétences
Descripteur écoplanete
Thème
Administration publique ; Emploi - Formation - Education
Texte intégral
L'ingénieur, la décision et l'action publique Les actes du colloque du 4 octobre 2011 Sommaire OUVERTURE .................................................................................................................................... 3 Christian LEYRIT Vice-président du conseil général de l'Environnement et du Développement durable, chef du corps des ingénieurs des Ponts, des Eaux et des Forêts Jean-Marc BOURNIGAL Directeur de cabinet de Bruno LEMAIRE, ministre de l'Agriculteur, de l'Alimentation, de la Pêche, de la Ruralité et de l'Aménagement du Territoire RESTITUTION DES RÉSULTATS DU QUESTIONNAIRE ENVOYÉ AUX IPEF ............................... 6 TABLE RONDE Quels ingénieurs pour la fonction publique de demain ? Le citoyen, l'expert et le décideur, demain Première partie : le corps des ingénieurs des Ponts, des Eaux et des Forêts (IPEF) ..................... 10 Deuxième partie : la place et le rôle de l'ingénieur dans l'action publique ....................................... 23 DÉBAT AVEC LA SALLE ............................................................................................................... 30 CONCLUSION ................................................................................................................................. 33 Christian LEYRIT Vice-président du conseil général de l'Environnement et du Développement durable, chef de corps des ingénieurs des Ponts, des Eaux et des Forêts Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET Ministre de l'Écologie, du Développement durable, des Transports et du Logement Colloque IPEF du 4 octobre 2011 / CGEDD 1/36 Colloque IPEF du 4 octobre 2011 / CGEDD 2/36 Ouverture Christian LEYRIT Vice-président du conseil général de l'Environnement et du Développement durable, chef du corps des ingénieurs des Ponts, des Eaux et des Forêts Messieurs les ministres, Madame la Sénatrice, Mesdames et Messieurs les Elus, Messieurs les Secrétaires généraux, Présidents, Vice-président, chers collègues, Mesdames et Messieurs, chers amis, je suis particulièrement heureux de vous accueillir aussi nombreux pour ce colloque que nous avons intitulé « L'ingénieur, la décision et l'action publique », deux ans tout juste après la création du corps des ingénieurs des Ponts, des Eaux et des Forêts (IPEF). Les deux corps fusionnés ont des racines très anciennes. Les termes « Eaux et Forêts » apparaissent dans une ordonnance de Philippe-Auguste en 1219 et le corps des Ponts et Chaussées a été créé par une ordonnance de 1716. L'école des Ponts et Chaussées a été créée en 1747 : elle est, de l'avis général, la plus ancienne école d'ingénieurs du monde. Cette fusion vise à favoriser le rapprochement des cultures et des savoir-faire dans le domaine du développement durable et de l'aménagement du territoire. En tant que chef du corps aujourd'hui, ayant succédé à Claude Martinand et avant de céder la place, dans quelques jours ou quelques semaines, à un responsable du MAAPRAT, il m'avait semblé important d'interroger les 3 700 IPEF avant cette rencontre pour connaître leur vision de la situation actuelle de l'avenir et de leur place dans l'Etat et dans la haute fonction publique. L'assistance de ce colloque, particulièrement nombreuse ­ vous êtes plus de 630 ­, composée d'IPEF de toutes origines, mais aussi de responsables d'autres Ministères, d'employeurs et de nombreux partenaires, témoigne de cette nécessité de réfléchir ensemble sur l'ingénieur dans la fonction publique de demain et sur la place de l'expert entre le citoyen et l'expert dans notre société nouvelle et mécanique. Je remercie les éminentes personnalités qui ont accepté de participer à la table ronde qui suivra, souvent en bouleversant leur agenda. Colloque IPEF du 4 octobre 2011 / CGEDD 3/36 Jean-Marc BOURNIGAL Directeur de cabinet de Bruno LEMAIRE, ministre de l'Agriculteur, de l'Alimentation, de la Pêche, de la Ruralité et de l'Aménagement du Territoire Messieurs les ministres, Madame la Sénatrice, Mesdames et Messieurs les Elus, Messieurs les Secrétaires généraux, Monsieur le Préfet, Madame la Présidente, chère Marion Guillou, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, je vous prie tout d'abord d'excuser Bruno Lemaire, qui a malheureusement été retenu à l'Assemblée nationale de façon impromptue et m'a demandé de le représenter. Au vu du succès de cette journée, l'initiative d'organiser ce colloque est justifiée. Deux ans après la création du corps des IPEF, la mobilisation autour de votre chef du corps démontre l'intérêt qui est le vôtre à la démarche prospective à laquelle vous vous livrerez cet après-midi. La fusion des corps des IGREF et des IPC a fait du corps des IPEF l'un des tout premiers corps d'encadrement supérieur de l'Etat, avec près de 4 000 ingénieurs. Vous êtes les premiers acteurs des politiques menées par l'Etat, notamment en matière d'aménagement du territoire, d'alimentation, d'agriculture et de développement durable, sujets au coeur des préoccupations de Bruno Lemaire. Cette fusion s'inscrit dans un vaste mouvement de modernisation de la fonction publique, qui s'est traduit d'une part par la réduction des corps, d'autre part par la revalorisation profonde des missions et des grandes structures de l'Etat, qui se met en place de façon extrêmement concrète aujourd'hui, tant au niveau des services déconcentrés qu'au niveau des départements, des régions et des centrales parisiennes. Dans ce cadre, la création des IPEF a permis de répondre à deux grands objectifs. Le premier était de favoriser une approche transversale des sujets. Nous ne pouvons plus nous permettre de traiter séparément des sujets qui couvrent plusieurs domaines à la fois, que ce soient ceux de l'aménagement du territoire, du développement durable, des aspects économiques, des aspects d'investissement, des aspects agricoles, ou du développement des territoires ruraux euxmêmes. Pour aborder la complexité de la totalité de ces sujets, il faut mener une gestion intégrée et disposer de compétences variées. Dans cette approche transversale, il fallait faire travailler ensemble les cadres techniques de nos deux Ministères : c'est l'objectif de la création du corps, mais également celui de la création des DRAAF, des DDTL et des DREAL. Ces deux démarches ont coïncidé pour aller dans le sens d'une plus grande transversalité des politiques publiques et d'une interrelation dans les métiers exercés par les cadres de nos deux Ministères. Le deuxième objectif est de garder un haut niveau de technicité tout en gagnant en diversité. Développer une vision transversale et globale des problèmes ne signifie pas que cette vision doit être générale et superficielle. Cela signifie qu'il faut parvenir à prendre en compte toutes les composantes d'un problème. Pour cela, il faut une culture scientifique et technique extrêmement solide. Tout est en effet lié. L'une des vertus du sondage mené par votre chef de corps est de montrer votre perception du rôle de la technicité par rapport à vos métiers. J'ai noté que la technicité était au coeur de vos préoccupations. Je ne peux que vous confirmer qu'elle est absolument vitale pour l'avenir. Technicité et pluridisciplinarité, voilà ce que nous demandons aux IPEF aujourd'hui. C'est bien évidemment le sens de la réforme qui a été menée. C'est également l'efficacité des politiques publiques que nous conduirons dans les années à venir qui est en jeu. Pour mettre en place un nouveau corps, nous avons suivi le principe général du respect des équilibres : l'existence de deux grands corps avec des métiers différents nécessitait une approche pragmatique dans la mise en oeuvre de la gestion et de la gouvernance du corps. Nous avons tenu compte de la diversité des savoir-faire et des cultures professionnelles, qui représentait une richesse à préserver. Nous avons choisi de préserver la diversité des modalités de recrutement et de respecter les particularités de la formation. Les modalités de recrutement du nouveau corps constituent un premier facteur de diversité : les IPEF sont recrutés parmi les élèves de l'Ecole Polytechnique, des Ecoles Colloque IPEF du 4 octobre 2011 / CGEDD 4/36 normales supérieures et d'autres grandes écoles scientifiques. C'est un atout à préserver. Pour mieux garantir l'adéquation des profils recrutés aux besoins des employeurs, nous avons trouvé des modalités équilibrées de constitution des jurys, en alternant la présidence par chacun des deux Ministères. Nous constatons ainsi un phénomène d'acculturation collective et une réelle coopération. Pour assurer l'unité du corps, une culture et une formation communes sont nécessaires. De ce point de vue, je salue la décision du chef du corps de mettre en place un tronc commun de formation de cinq mois et demi, sous la forme d'un master spécialisé placé sous l'égide du collège de formation des IPEF, en coopération avec les deux écoles historiques des deux corps, l'ENPC et l'ENGREF. Il s'agit d'un enjeu essentiel, auquel le ministre est particulièrement attentif, bien que cela n'interdise pas que quelques projets de formation spécifiques puissent être mis en place. De même, pour renforcer les compétences scientifiques du corps et favoriser la reconnaissance de ses membres à l'international, l'accès aux formations doctorantes reste toujours important. Je tiens cependant à préciser que cette possibilité doit être maintenue ouverte, mais aussi sous-tendue par rapport aux besoins dans le champ d'intervention du corps. Elle doit exprimer une réponse appropriée aux besoins des employeurs qui, compte-tenu de la complexité des éléments que nous devons gérer, sont multiples et variées. Les deux Ministères ont souhaité mener la fusion dans une logique de coopération. Ainsi, si la CAP est unique, la Présidence est alternée d'une année sur l'autre. Il en est de même du chef du corps, avec une alternance prévue au bout de deux ans pendant les quatre années suivant la fusion. Je salue à cet égard l'action conduite par Claude Martinand et Christian Leyrit. Nous attendons la nomination prochaine d'un nouveau chef du corps. Créer un corps commun implique de remettre à plat toute une série de procédures et de trouver les meilleurs compromis possibles. Cela ne va pas nécessairement sans frictions et doit se faire en conservant le sens de l'intérêt général. Les deux secrétaires généraux des Ministères, depuis plusieurs années, oeuvrent au quotidien pour que cette fusion se déroule de la meilleure façon possible, au service de l'intérêt général. Ainsi, nous avons adopté une convergence progressive des pratiques pour l'élaboration des tableaux d'avancement et nous avons opté pour un régime indemnitaire unique, qui sera mis en oeuvre progressivement, selon les secteurs d'emploi, jusqu'au 31 décembre 2014. Dès 2011, nos deux Ministères ont souhaité traiter selon le même régime indemnitaire tous les IPEF en Directions départementales des territoires, quelle que soit leur origine. De plus, afin de donner un sens concret à la fusion des deux corps, nous avons fait le choix d'un mode de gestion unique, en coresponsabilité, avec la création d'un service à compétence nationale dédié à la gestion et placé sous l'autorité des deux Secrétaires généraux. Enfin, je vous annonce qu'une charte de gestion des IPEF sera soumise à la concertation avant la fin de l'année, pour fixer les principes directeurs et les parcours professionnels des IPEF. Il est évident qu'on ne fusionne pas deux corps sans réfléchir au positionnement, à l'avenir de ce corps et aux missions que l'on est en droit d'en attendre. C'est ce que l'on peut attendre de ce colloque, compte-tenu de la qualité des intervenants qui se succéderont aujourd'hui. Les discussions permettront encore de nourrir cette réflexion collective, que Bruno Lemaire appelle de ses voeux. Il faut faire vivre ce nouveau corps, en laissant au dispositif le temps de faire ses preuves, même s'il est inévitable que, dans cette phase initiale, des ajustements soient nécessaires. Le ministre est tout à fait prêt à aménager le dispositif si cela peut renforcer votre corps et servir vos intérêts et les intérêts des Ministères, très grands employeurs de ces IPEF. Je ne doute pas que les échanges, au cours de ce colloque, permettront de continuer dans cette voie de co-construction collective d'une vision de votre rôle et de ce que vous pouvez apporter à l'Etat et au secteur public de ce pays. Je vous remercie. Colloque IPEF du 4 octobre 2011 / CGEDD 5/36 Restitution des résultats du questionnaire envoyé aux IPEF Christian LEYRIT Vice-président du conseil général de l'Environnement et du Développement durable, chef du corps des ingénieurs des Ponts, des Eaux et des Forêts Nous avons élaboré, avec la Commission d'orientation et de suivi, un questionnaire anonyme que nous avons adressé aux 3 700 IPEF. Le taux de réponse a été particulièrement élevé (63 %) et il est supérieur à 50% en prenant en compte les réponses complètes (1 919 réponses complètes sur 2 327). Ce chiffre témoigne de l'intérêt des IPEF pour leur corps. Les réponses étaient très représentatives du profil du corps en termes de tranche d'âge, de sexe, d'employeur, etc. Aujourd'hui, les corps d'ingénieurs fonctionnaires sont un atout à préserver pour 91 % des répondants. Seuls 9 % des répondants estiment que cette notion est dépassée. Ce dernier taux est plus élevé chez les IPEF en disponibilité. Les corps de la Haute fonction publique sont un atout à préserver pour 74 % des répondants, une notion dépassée pour 11 %. 16 % des répondants ne se sont pas prononcés. La création d'un corps supérieur unique d'ingénieurs de l'Etat (Mines, IPEF, Armement, INSEE) est souhaitable pour 49 % des répondants. 35 % des répondants ne souhaitent pas cette création. Près de 20 % des répondants ne se sont pas prononcés sur cette question. Cette création d'un corps unique semble inéluctable à long terme pour 41 % des répondants et à court terme pour 12 % des répondants. Elle est utopique pour 13 % des répondants. Les deux corps qui constituent le corps des IPEF sont extrêmement anciens, tandis que le corps des IPEF n'a que deux ans d'existence. Aujourd'hui, plus de deux tiers des IPEF ayant répondu à ce questionnaire ont le sentiment que ce corps est peu connu (68 %). Cette impression concerne 50 % des répondants de moins de 35 ans et 59 % des ingénieurs-élèves ayant répondu à ce questionnaire. Colloque IPEF du 4 octobre 2011 / CGEDD 6/36 Pour 43 % des répondants, ce corps est perçu par l'opinion publique comme un corps d'ingénieurs de haut niveau. Pour 26 %, il s'agit d'un corps de managers et pour 31 % d'un corps de généralistes ayant un fort réseau relationnel. Les moins de 35 ans sont particulièrement nombreux parmi les IPEF estimant que ce corps est un corps de généralistes ayant un fort réseau relationnel. 10 % des IPEF ont un doctorat. Ce taux est de 25 % chez les plus jeunes. 43 % des IPEF considèrent que le pourcentage de doctorants parmi eux doit augmenter, non pas pour faire de la recherche, mais pour avoir une formation de chercheur. Au niveau international, avoir un doctorat est un élément extrêmement important, notamment dans les pays qui ne connaissent pas notre système d'écoles d'ingénieurs à la française (Allemagne, Espagne, etc.). Sans surprise, 70 % des titulaires de doctorat sont favorables à une augmentation de ce pourcentage. La création récente d'un tronc commun de formation de 5 mois et demi pour créer un minimum de culture commune est une bonne chose pour 91 % des répondants et inutile pour 9 % d'entre eux. 20 % des répondants de moins de 35 ans estiment ce tronc commun inutile. 48 % des répondants ingénieurs-élèves estiment au contraire ce tronc commun très positif. Il a été demandé aux répondants de classer par ordre de priorité ce qui leur paraissait le plus important pour la formation des IPEF. Ce qui domine est la formation scientifique et technique dans un domaine d'application. La formation professionnelle dans des stages est également considérée comme très importante. La formation générale, notamment sur le développement durable, arrive quelque peu en retrait. Plus de 80 % des répondants sont favorables à un stage long à l'international. Seuls 19 % des répondants estiment que ce stage doit être optionnel. Les formations des IPEF doivent permettre des parcours alternatifs au cursus de base (université étrangères) pour 92 % des élèves. 96 % des anciens élèves d'Ecoles Normales Supérieures ayant répondu au questionnaire sont favorables à ces parcours alternatifs. Les IPEF doivent avoir une expérience de terrain de premier ou de deuxième poste pour 88 % des répondants. Il s'agit d'un avantage assez unique. Il n'existe pas d'autre corps d'ingénieurs dans lesquels cette expérience de terrain est souhaitée de façon quasiment unanime. Les IPEF d'origine Agro sont encore plus favorables à cette expérience de terrain (93 % d'entre eux). Même chez les doctorants ayant répondu au questionnaire, 71 % considèrent que les IPEF doivent avoir une expérience de terrain de premier ou de deuxième poste. L'alternance entre les postes de terrain et les postes en administration centrale est une réelle valeur. Plus de deux répondants sur trois (69 %) estiment qu'il faut développer les allers-retours entre le public et le privé. Ce taux atteint 96 % chez les IPEF en disponibilité et s'établit à 76 % chez les jeunes. Il a été demandé aux IPEF en disponibilité s'ils étaient prêts à envisager un retour dans le secteur public. Pour ceux qui n'envisagent pas un retour vers le public, le principal motif de ce refus est la différence de rémunération entre le public et le privé. Nous avons demandé aux IPEF quelles étaient les orientations stratégiques à retenir pour le corps des IPEF. Répondre aux besoins des politiques publiques sur l'ensemble du territoire et assurer des fonctions de responsabilité a semblé très important à 94 % des répondants. Développer un corps ouvert sur l'extérieur est essentiel pour 80 % des répondants. Accroître la présence à l'international recueille le suffrage de 69 % des répondants. Accroître la présence des IPEF dans les collectivités territoriales importe pour 63 % des répondants. Notons qu'aujourd'hui, il y a moins d'IPEF dans toutes les collectivités territoriales françaises (179) qu'à Météo-France, alors même que l'Etat a décentralisé beaucoup de compétences et confié aux collectivités de nombreuses actions dont il était l'opérateur auparavant. Lorsque les deux corps étaient encore séparés, le recrutement annuel était de l'ordre de 90 agents par an, IPC et IGREF confondus. Le rythme de recrutement actuel, de 65 IPEF par an, paraît satisfaisant pour 42 % des répondants, trop élevé pour 13 % des répondants et trop faible pour 12 % des répondants. Colloque IPEF du 4 octobre 2011 / CGEDD 7/36 56 % des répondants ont estimé que, dans les postes de haute responsabilité, la place des ingénieurs était insuffisante. 51 % estimaient que cette place avait régressé au cours des dix dernières années. Seuls 5 % des répondants estimaient que cette place avait progressé et 44 % ne se prononçaient pas. Nous avons demandé aux IPEF quels étaient les grands défis auxquels ils pourraient apporter une contribution. L'aménagement et le développement durable des territoires a semblé important pour 97 % des répondants. La gestion et la préservation des espaces et des territoires importaient pour 94 % des répondants. Le climat et l'énergie semblaient essentiels pour 92 % des répondants. Ces trois sujets sont au coeur des préoccupations de nos Ministères et de l'Etat pour les années à venir. Ces réponses démontrent que ce corps est très ouvert sur les préoccupations d'avenir auxquelles notre monde sera confronté dans les années à venir. Notons tout de même que les sujets Economie et finances apparaissaient importants pour 50 % des répondants. De plus en plus d'ingénieurs occupent un premier poste à Bercy aujourd'hui. A moyen terme, à horizon de dix ans, une grande majorité des IPEF considère qu'il changeront d'activité et même d'employeur. Cela démontre que les IPEF sont assez mobiles. Nous avons enfin demandé aux IPEF quelles étaient, pour eux, les valeurs de référence du corps. Les expressions revenues les plus souvent dans leurs réponses sont « Technique ou technicité » (453 occurrences), « Compétences » (369 occurrences), « Service public » (239 occurrences), « Scientifique » (230 occurrences) et « Intérêt général » (179 occurrences). Nous avons par ailleurs établi un recueil de 190 pages d'observations libres, démontrant que les ingénieurs que nous avons interrogés peuvent nous apporter une grande richesse d'expériences. Colloque IPEF du 4 octobre 2011 / CGEDD 8/36 Table ronde Quels ingénieurs pour la fonction publique de demain ? Le citoyen, l'expert et le décideur, demain ... Débat animé par Brigitte JEANPERRIN, journaliste Avec : Jean-Paul DELEVOYE, Président du Conseil économique social et environnemental, ancien ministre Jacques BARROT, Membre du Conseil constitutionnel, ancien vice-président de la Commission Européenne, ancien ministre Fabienne KELLER, Sénatrice, ancien maire de Strasbourg Antoine RUFENACHT, Commissaire général pour le développement de la vallée de la Seine, ancien ministre, ancien maire du Havre Jérôme FILIPPINI, Secrétaire général adjoint du Gouvernement Marion GUILLOU, PDG de l'INRA et Présidente du Conseil d'administration de l'Ecole Polytechnique Antoine FREROT, PDG de Veolia Environnement Christian GAILLIARD de LAVERNEE, Préfet de la Région Lorraine Christian LEYRIT, Vice-président du conseil général de l'Environnement et du Développement durable, chef du corps des ingénieurs des Ponts, des Eaux et des Forêts Colloque IPEF du 4 octobre 2011 / CGEDD 9/36 Première partie : le corps des ingénieurs des Ponts, des Eaux et des Forêts (IPEF) Brigitte JEANPERRIN Bonjour à tous. C'est un plaisir d'être parmi vous aujourd'hui pour animer ce colloque sur le devenir des ingénieurs des IPEF. 91 % d'entre vous ont un sentiment de régression. Ce constat est paradoxal alors que la société est de plus en plus complexe et technique et que vos compétences sont de plus en plus nécessaires. Ce sentiment s'explique-t-il par le fait que l'Etat est de moins en moins opérateur ? Faut-il faire évoluer vos missions ? Faut-il que les IPEF se dirigent plus vers les collectivités locales ? Le métier d'ingénieur au service de l'Etat est-il toujours aussi attrayant ? Du point de vue des salaires, il est clair que le privé est plus avantageux. Il se pose également un problème de positionnement psychologique par rapport aux médias, aux ONG, à Internet, etc. Votre parole est-elle toujours précieuse et indispensable face aux citoyens et aux décideurs ? Nous accueillons, pour mener ce débat, de nombreux invités prestigieux. Commençons notre discussion par ce paradoxe. 91 % des IPEF ont un sentiment de régression. Estce dû à un problème de décentralisation, de déconcentration, d'organisation trop illisible, ou à un sentiment beaucoup plus profond ? Fabienne Keller, quel regard portez-vous, en tant qu'élue, sur ce sentiment de régression ? Fabienne KELLER Il existe certainement plusieurs facteurs. Vous évoquez la nouvelle organisation de l'action publique. Depuis 30 ans, un certain nombre de fonctions portées par l'Etat sont confiées progressivement aux collectivités territoriales. Les routes ont été récemment transférées aux conseils généraux et ne sont plus sous la responsabilité des directions territoriales. On a également fait disparaître, avec la mise en place de la RGPP, ce que nous appréciions beaucoup en tant qu'ingénieurs, à savoir les missions d'ingénierie publique, qui permettaient par exemple aux jeunes ingénieurs de construire des stations d'épuration. Brigitte JEANPERRIN Comment peut-on assurer les mêmes missions avec moins de moyens ? Fabienne KELLER La RGPP avait été menée avec énergie en régions. Elle n'est pas encore mise en place de la même manière au niveau central, où une réorganisation est nécessaire. La réalité de l'organisation publique est un réel éclatement. Or les IPEF ont des compétences dans des domaines qui sont au coeur de l'action publique, tels que l'aménagement urbain ou rural, qui nécessite des compétences environnementales, agricoles, hydrauliques, etc. Brigitte JEANPERRIN Avez-vous le sentiment que les IPEF sont « perdus » de manière passagère ou y a-t-il un réel manque de lien et de coordination ? Fabienne KELLER Les jeunes ingénieurs, dans nos régions, ne se sentent pas bien dans la fonction publique d'Etat car ils ne construisent plus, ne façonnent plus, ne portent plus de missions publiques importantes. Colloque IPEF du 4 octobre 2011 / CGEDD 10/36 Il se pose en outre un problème plus global du fait de cette nouvelle organisation de l'action publique. Nos grands corps devraient être présents dans les différents lieux où l'on porte cette action publique. J'ai été en charge de la Ville et Présidente déléguée de la Communauté urbaine de Strasbourg, qui compte de très grands services de construction, d'aménagement, de gestion de l'eau : nous aurions apprécié de pouvoir recourir à des ingénieurs. Brigitte JEANPERRIN Est-ce à vous de formuler des offres d'emploi ou est-ce aux Ministères de l'Environnement ou de l'Agriculture de vous envoyer des ingénieurs ? Fabienne KELLER Une vision plus intégrée est nécessaire : le passage en collectivité ou dans un établissement public doit être considéré comme positif, naturel et valorisé dans la carrière d'un jeune ingénieur. Les questions comme celles des grilles de salaires, notamment pour les jeunes, doivent être traitées. Les IPEF sont très nombreux dans les Directions générales et les Directions générales adjointes. Ils sont beaucoup moins nombreux dans les services des grosses collectivités, où nous en aurions pourtant besoin. La fonction publique territoriale n'a pas de corps d'ingénieurs. Seule la Ville de Paris a un corps d'ingénieurs. La fonction publique territoriale a pourtant besoin de ce sens de l'intérêt général, de la rigueur, de l'éthique, porté par la fonction publique d'Etat aujourd'hui. Brigitte JEANPERRIN Comment travaillez-vous aujourd'hui sans ces IPEF ? Fabienne KELLER Nous comptons énormément d'ingénieurs contractuels et quelques ingénieurs recrutés sur des concours d'ingénieurs de la fonction publique territoriale, n'ayant pas toujours un profil d'ingénieurs. L'INET réfléchit aujourd'hui à la création d'un cursus de formation à l'image des administrateurs territoriaux, pour créer un corps d'ingénieurs territoriaux. Il importe d'ouvrir un débat sur l'utilisation optimale des compétences d'ores et déjà présentes dans les corps d'Etat. Brigitte JEANPERRIN La Suède mène une réelle chasse aux ingénieurs d'Etat pour ses Directions territoriales. Pourquoi ne vous transformez-vous pas en recruteurs ? Pourquoi n'attirez-vous pas plus les ingénieurs ? Il ne s'agit pas seulement d'un problème de structure ! Fabienne KELLER Je mets ce sujet au débat. Des postes sont ouverts dans des villes de provinces attractives. Demandons-nous tous ensemble pourquoi ces postes n'attirent pas de candidats. Il faut analyser pour cela la façon dont les ingénieurs qui acceptent un tel poste sont gérés dans leur corps d'origine et comment cette expérience est valorisée et accompagnée. Les grands établissements publics auraient également besoin de ces ingénieurs aujourd'hui. La décentralisation est mûre : nous pourrions aujourd'hui passer à une autre phase, dans laquelle nous construirions les stratégies ensemble. Les difficultés budgétaires que nous connaissons tous nous obligent à gérer les ressources rares alors que la compétence est particulièrement précieuse. Le questionnaire a révélé que les jeunes ne s'identifient pas au corps des IPEF et sont demandeurs de repères historiques sur ce corps auquel ils appartiennent : il se pose également une question de positionnement et de légitimité. Colloque IPEF du 4 octobre 2011 / CGEDD 11/36 Brigitte JEANPERRIN Antoine Rufenacht, comment analyser ce sentiment de régression ? Antoine RUFENACHT Indiscutablement, la décentralisation a conduit à faire en sorte que l'Etat ne soit plus responsable de toute une série de politiques publiques essentielles dans les départements et les régions. Pourquoi les IPEF ne reviennent-ils pas aux politiques territoriales ? Je n'ai pas les réponses. J'ai été Président de Conseil régional durant six ans, Maire du Havre et Président de l'agglomération havraise pendant 15 ans. Je ne crois pas avoir jamais reçu de candidature d'un ingénieur des ponts et chaussées, à l'exception d'un ingénieur militaire du port du Havre, qui souhaitait poursuivre une carrière dans l'agglomération. Nous publions des offres. Brigitte JEANPERRIN Vous êtes aujourd'hui en charge de l'axe Seine. Avez-vous besoin des IPEF ? Les recrutez-vous ? Antoine RUFENACHT Le cabinet du Premier ministre m'a clairement signifié que je n'avais pas de budget pour recruter. Je dispose d'agents mis à ma disposition par les Ministères. J'ai été très bien servi, avec un excellent ancien Préfet de région, un enseignant ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, un excellent IGREF, un Conseiller d'Etat, etc. Brigitte JEANPERRIN Tout cela ne mériterait-il pas d'être plus énergique ? Antoine RUFENACHT L'Axe Seine a été lancé par le Président de la République il y a un peu plus de deux ans. La mission m'a été confiée en juin, pour un rapport à rendre au 30 septembre. C'est en effet une mission d'intérêt national que de vouloir ouvrir le Grand Paris sur sa façade maritime et de se tourner enfin vers le littoral en pensant aux ports et non seulement aux marins pêcheurs et aux touristes. Brigitte JEANPERRIN Comment voyez-vous le corps des IPEF sur cet Axe Seine ? Antoine RUFENACHT Les personnes qui m'ont aidé m'ont apporté des compétences considérables. Elles disposent d'un réseau très important et savent à quelle porte frapper. Il s'agit d'un atout considérable. Brigitte JEANPERRIN Marion Guillou, nous dressons le constat d'un paradoxe. Alors que la société est de plus en plus technique et exigeante, le corps des IPEF se sent en régression. Comment tout cela s'articule-t-il dans ce sentiment de laisser-aller ? Marion GUILLOU Il est difficile d'interpréter ce que quelques centaines de personnes ont exprimé à travers un sondage. J'ai le sentiment que le questionnement porte sur le rôle de l'expert et de la science dans la société. Colloque IPEF du 4 octobre 2011 / CGEDD 12/36 Les ingénieurs apportent des compétences scientifiques et techniques dans un processus de décision des fonctions publiques d'Etat, territoriales et hospitalière. Sur ce dernier point, permettez-moi d'exprimer un sentiment très personnel. La santé est un poste de dépense nationale très important. L'on aurait peut-être intérêt à disposer, dans ce secteur également, de quelques personnes à compétences scientifiques et techniques. Brigitte JEANPERRIN Cela implique-t-il d'élargir encore le corps ? Marion GUILLOU Je n'ai aucune idée du nombre idéal d'IPEF. Il existe néanmoins des secteurs assez larges dans lesquelles les décisions doivent impérativement être basées sur des considérations scientifiques et techniques. L'ingénieur doit-il relever d'un corps de l'Etat ou des fonctions publiques ? Les valeurs de technicité, de compétences, de service public et d'intérêt général, à mon sens, ne s'appliquent pas seulement à l'Etat, mais aussi aux fonctions publiques. Peut-être le désarroi des IPEF traduit-il le problème de la place de l'expert, mais aussi la question de l'évolution du rôle de l'Etat dans nos sociétés. Le rôle de l'Etat se décrit certes à travers les fonctions régaliennes (la sécurité, la supervision, etc.). Dans ces métiers, néanmoins, la place des ingénieurs opérateurs a été réduite. Brigitte JEANPERRIN Auparavant, l'Etat était opérateur. Aujourd'hui, entre les agences, les collectivités publiques, etc., qui est le recruteur central ? N'y a-t-il pas un manque en termes d'organisation ? Marion GUILLOU Les IPEF ont exprimé un sentiment de régression. Il s'agit peut-être d'un sentiment de régression du rôle de l'Etat ou du rôle de l'expert dans la société. Ils n'ont pas affirmé que leur métier ne leur plaisait pas. Brigitte JEANPERRIN Fabienne Keller a signalé que le passage en collectivité locale n'est pas pris en compte dans la carrière d'un IPEF. C'est un réel problème. Marion GUILLOU Il y a sans doute un manque d'estime vis-à-vis de certaines trajectoires. N'est-ce pas justement la gestion de long terme qui est ici en jeu ? Il est ici question de la gestion du corps. Il nous faut assurer le maintien des valeurs dans un monde qui change de repères. Il a été intéressant de constater à quel point les valeurs des IPEF sont partagées. Au-delà des valeurs communes, il faut aussi avoir une gestion de long terme qui garantirait à l'IPEF qu'on ne l'oubliera pas. En effet, derrière les corps de l'Etat, on cherche une certaine doctrine continue dans l'aménagement du territoire et l'écologie scientifique. Brigitte JEANPERRIN A contrario, faut-il toujours une telle continuité doctrinale ? Colloque IPEF du 4 octobre 2011 / CGEDD 13/36 Marion GUILLOU Il est question d'éthique, de services publics, de valeurs sociétales, etc. Ma conviction personnelle est que, sans un ensemble de gens compétents ayant la conviction qu'il faut faire marcher le collectif, nos sociétés ne seraient pas en très bon état. Il s'agit de l'une des missions des ingénieurs de l'Etat. Brigitte JEANPERRIN Pourquoi cette vocation n'est-elle plus mise en avant au sein même de l'Ecole Polytechnique ? Est-ce parce que l'Etat recrute moins ? Marion GUILLOU Les majors de Polytechnique rejoignent en général le corps des Mines et Télécom, qui leur propose un projet industriel. Les résultats plutôt médiocres du débouché IPEF l'année dernière sont à mon sens totalement conjoncturels. Brigitte JEANPERRIN Il s'agit également d'un problème de rémunération. Marion GUILLOU La rémunération a certes son importance. Néanmoins, les élèves sortent de Polytechnique avec un salaire annuel moyen de 41 000 euros. En début de carrière, au MAAPRAT notamment, les postes de la fonction publique ne sont pas si mal traités que cela. En outre, souvent, la fonction publique fait beaucoup confiance à ses jeunes. Les mauvais débouchés de la formation des IPEF constatés cette année résultent notamment d'un problème d'organisation. Les jeunes ne connaissent pas les corps de l'Etat. La demande est pourtant très forte. La plupart des élèves de l'X sont embauchés avant leur sortie de l'Ecole. Les corps de l'Etat doivent organiser leur retape. Brigitte JEANPERRIN Antoine Frérot, 70 % des jeunes IPEF interrogés estiment qu'il faut plus d'allers-retours entre le public et le privé, pour l'aspect scientifique, mais aussi par rapport à la carrière. Qu'en pensez-vous ? Antoine FREROT Il n'est plus temps d'opposer les deux mondes du secteur public et du secteur privé, qui servent tout deux l'intérêt général, bien que les missions y soient différentes. Pour mieux articuler ces deux secteurs, amenés à travailler ensemble, le fait d'avoir une expérience de chaque côté ne peut être que bénéfique. Cela est encore plus vrai pour certaines entreprises comme la mienne, au carrefour du public et du privé, de l'économique et de toutes les politiques de développement durable et d'aménagement du territoire. Brigitte JEANPERRIN Etes-vous favorable à ces allers-retours ou préférez-vous que les ingénieurs restent chez vous pour cultiver un esprit « Maison » ? Antoine FREROT Il est ici question d'échanges. Certains IPEF en entreprise souhaitent revenir dans la fonction publique. L'esprit « Maison » ne se décrète pas ; il se mérite. La France ne peut que gagner dans ces échanges et ces expériences croisées. Colloque IPEF du 4 octobre 2011 / CGEDD 14/36 Brigitte JEANPERRIN Il existe un réel attrait du privé. En début de carrière, il n'y a que peu de différence de rémunération, comme le soulignait Marion Guillou. Fabienne Keller et Antoine Rufenacht ont cependant souligné la difficulté de gérer la carrière des ingénieurs qui passent en collectivités territoriales. Comment gérer ces parcours ? Antoine FREROT Je ne suis pas persuadé que le désarroi des IPEF soit essentiellement dû à la rémunération. Le corps des IPEF est à mon sens géré de manière insuffisamment dynamique. Ceux qui souhaitent connaître des expériences diverses ne sont pas suffisamment aidés pour cela et ne sont pas correctement accueillis à leur retour. Le corps est aujourd'hui sclérosé. J'ai commencé ma carrière au début des années 80, alors que le corps des Ponts luttait contre les débuts de la décentralisation, mais ne pouvait pas s'opposer réellement à cette tendance politique forte. Il y a eu peu d'ingénieurs dans les collectivités territoriales, alors qu'il s'agissait du lieu de prédilection pour leur carrière car le Ministère a freiné ces évolutions. Le corps n'a pas voulu suffisamment épouser son temps et proposer à ses membres des vies diverses et variées. J'ai débuté ma carrière dans la recherche. Lorsque j'ai souhaité mettre fin à cette carrière de recherche pour occuper une place plus classique, j'ai dû rejoindre le privé. Brigitte JEANPERRIN Que faudrait-il pour que les ingénieurs soient mieux accompagnés ? Antoine FREROT Le corps doit être un corps ouvert de professionnels ayant leurs valeurs, leurs compétences particulières, se demandant en permanence en quoi ils peuvent être utiles à la nation et au pays. Le corps des IPEF a la particularité d'être utile largement au-delà de la fonction publique d'Etat. Le corps doit favoriser au maximum l'implantation de ses ingénieurs partout où ils sont utiles. Brigitte JEANPERRIN Faut-il fusionner encore ce corps avec un autre pour parvenir à un corps plus large encore ? Votre propos ne témoigne-t-il pas déjà de l'échec de cette première fusion ? Antoine FREROT Je pense bien au contraire que nous ne sommes pas encore allés assez loin. Nos établissements d'enseignement supérieur et de recherche sont trop petits. Le regroupement, voire la fusion, des écoles d'ingénieurs avec l'Ecole Polytechnique pour construire un MIT à la française est à mon sens une nécessité. De la même façon, pour avoir une fonction publique de niveau mondial, il ne faut pas gérer un petit nombre d'ingénieurs. Les ingénieurs de la fonction publique devraient être regroupés dans un ensemble plus vaste. Je regrette que les Mines et les Télécoms soient distincts des Ponts et des IGREF. Un ensemble plus vaste serait certes plus difficile à gérer mais aurait du sens. Brigitte JEANPERRIN Jean-Paul Delevoye, comment réagissez vous à ces propos ? Colloque IPEF du 4 octobre 2011 / CGEDD 15/36 Jean-Paul DELEVOYE Ce débat typiquement français me laisse perplexe. On gère des structures et non des hommes. Le problème de l'état d'esprit des ingénieurs ne doit pas nous préoccuper. Le sujet principal est le suivant : A-t-on besoin de leurs compétences et ces compétences sont-elles bien placées au bon endroit ? Si ces compétences ne sont pas utiles, il convient de mettre fin à ces formations. Le vrai débat , au moment où les élus devront prendre des décisions de plus en plus compliquées, pour lesquelles ils auront de moins en moins la capacité de mesurer les compétences de leurs décisions, nous aurons besoin de plus en plus de technicité. A contrario, ne croyons plus au confort de l'ingénieur et au confort du corps. La légitimité de votre corps ne servirait à rien si celui-ci est inutile à la Nation. Brigitte JEANPERRIN Il faut donc plus de doctorants, de spécialistes et de scientifiques ouverts sur les nouvelles technologies. Jean-Paul DELEVOYE Ce n'est plus la légitimité du statut qui justifiera la carrière. Il s'agit de gérer non pas des carrières mais des compétences. Nous débattons aujourd'hui sur la défense de nos structures, en demandant à la société de s'adapter à nos structures et non à nos structures de s'adapter à la société. Le défi de demain est éminent technologique. Il est de dimension mondiale. Or on constitue de petits corps, avec de petits problèmes, sur de petits sujets, avec de petits élus. Ayez de l'ambition, ayez de l'enthousiasme ! Le génie français est réel : pourquoi ne forme-t-on pas les ingénieurs à être entrepreneurs ? Nous avons besoin d'ingénieurs-entrepreneurs ! En Allemagne, les architectes ne sont pas seulement dessinateurs, mais aussi entrepreneurs. Ils maîtrisent également le coût de la construction. On morcelle les compétences alors que l'on a besoin de compétences globales et d'audace. Brigitte JEANPERRIN Vous êtes donc d'accord avec Antoine Frérot : il faut gérer la mobilité entre le public et le privé. Jean-Paul DELEVOYE Il ne s'agit pas seulement d'un problème de mobilité et de gestion des carrières. On met en place des frontières qui n'existent pas dans la réalité. Nous avons besoin d'ingénieurs compétents. Or, dans le service public, on gère souvent plus des carrières que des compétences. La prime à l'ancienneté est une ineptie : on est bon ou on ne l'est pas. Les carrières sont linéaires, quelles que soient les compétences, en cas d'échec comme de réussite ! Cela n'a aucun sens ! Il convient d'entrer en compétition et en concurrence. Pourquoi jouer perdant d'avance ? Brigitte JEANPERRIN Comment le Préfet de région gère-t-il cette problématique de fonds ? Christian GAILLIARD de LAVERNEE Sur ma région, je rencontre en permanence des ingénieurs. Nous en avons grand besoin. L'Etat n'est plus opérateur suite à la décentralisation. La fonction publique d'Etat propose donc des métiers de régulateurs. Des enjeux importants de décision publique sont gérés au niveau déconcentré avec des ingénieurs. Ils ont ainsi un rôle de contrôle en matière de protection de l'environnement par exemple. Ainsi, en Moselle, 138 masses d'eaux doivent être mises en conformité : nous avons besoin d'ingénieurs compétents pour cela. Ces ingénieurs sont également chargés de la gestion des risques. Sur la plateforme chimique de Carling, après la succession historique de la carbochimie puis de la Colloque IPEF du 4 octobre 2011 / CGEDD 16/36 pétrochimie, nous devons faire face à une pollution par le benzène qui pourrait affecter une nappe d'eau considérable : le concours d'ingénieurs extrêmement pointus est indispensable sur ce sujet. Brigitte JEANPERRIN Vous êtes donc la colonne vertébrale face aux collectivités locales. Christian GAILLIARD de LAVERNEE Il reste, du côté de l'Etat, des métiers passionnants, avec un haut niveau technique pour répondre aux attentes sociales et au devoir de compte rendu des administrations publiques. Brigitte JEANPERRIN Pourquoi cette compétence ne pourrait-elle pas être celle de collectivités territoriales ? Christian GAILLIARD de LAVERNEE L'Etat est régulateur. Il joue à la fois un rôle constitutionnel et juridique et assure ces garanties au public. Les politiques publiques qui font appel à des talents d'opérateurs sont très largement des collectivités décentralisées. La réintroduction du terme « les fonctions publiques » suggérée par Marion Guillou est en ce sens très intéressante. Antoine Frérot suggérait une définition large des missions des ingénieurs. L'identité et la motivation des jeunes, à mon sens, tiennent à la mission qui leur est confiée plus qu'à leur fiche de paie. Il faut accorder une grande priorité à la conception d'une évolution des carrières avec un périmètre large. Lorsque je travaillais au Ministère de l'Agriculture, il y a quelques années, nous nous efforcions de ne pas pénaliser les ingénieurs travaillant en collectivités territoriales. Nous avions le sentiment d'être des précurseurs car, dans les années 80, ceux du corps préfectoral qui partaient en détachement dans les collectivités étaient considérés comme des renégats. Brigitte JEANPERRIN Est-ce avant tout un problème de culture ? Faudrait-il mettre en place un service des carrières qui représente ce nouveau corps car, en définitive, ce corps est éclaté en spécialités, en écoles d'origine, etc. ? Christian GAILLIARD de LAVERNEE L'émergence d'un service commun de gestion du nouveau corps, bi-ministériel, est en ce sens très pertinente, si elle s'adosse à la Direction générale de la fonction publique, dont la caractéristique est d'être le grand service des fonctions publiques. C'est dans ce champ qu'il faut chercher à construire des accompagnements et des valorisations des parcours qualifiants. La mobilité est très enrichissante et indispensable. J'ai toujours regretté la mobilité géographique que l'on impose parfois aux ingénieurs. En Lorraine, je vois se dessiner des carrières régionales extrêmement intéressantes de fonctionnaires passés d'un service territorial de l'Etat à une collectivité publique, à un établissement public d'aménagement, etc. : ces fonctionnaires exercent des métiers très différents et très enrichissants et capitalisent leur connaissance des territoires et des interlocuteurs dans la durée. Brigitte JEANPERRIN Fabienne Keller, partagez-vous ce point de vue ? Les ingénieurs perçoivent-ils la possibilité de mener un parcours professionnel intéressant en collectivité territoriale ? Colloque IPEF du 4 octobre 2011 / CGEDD 17/36 Fabienne KELLER Il existe certainement d'excellents exemples sur lesquels nous pourrions nous appuyer pour généraliser des parcours et de bonnes utilisations des compétences. Ne versons pas dans la sinistrose. Le temps où il était très mal perçu de rejoindre une collectivité territoriale est derrière nous. Il existe aujourd'hui une réelle attente sur des sujets d'actualité, tels que la protection de l'environnement face à la nécessité d'une production agricole suffisante pour nourrir la planète demain ou encore l'aménagement urbain prenant bien en compte la qualité de vie. Les IPEF évoluent sur ces créneaux compliqués. Brigitte JEANPERRIN N'ont-ils pas le sentiment de perdre du pouvoir en « descendant » dans une collectivité territoriale ? Fabienne KELLER Il faut entrer dans un autre schéma, dans lequel l'Etat n'est pas concurrent des collectivités territoriales, des établissements publics d'aménagement ou de l'agence de bassin. Je contrôle aujourd'hui l'application des textes réglementaires dans le domaine de l'environnement. Il est un fait que cela ne fonctionne pas correctement, car les institutions ne travaillent toutes ensemble pour satisfaire un même objectif. Nous avons ainsi 15 ans de retard en Bretagne sur la réglementation en termes de nitrates. L'Etat tarde à transposer les textes européens dans la réglementation française et à expliquer les textes communautaires aux collectivités qui doivent les appliquer. C'est en travaillant tous ensemble que nous pourrons mettre en oeuvre ces stratégies d'intérêt général. Peut-être les ingénieurs pourraient-ils être des précurseurs des synergies entre les différents porteurs d'action publique. Brigitte JEANPERRIN Qui doit être le chef d'orchestre de cette révolution ? Fabienne KELLER Pour l'heure, la loi ne donne le leadership à personne. Chacun a des compétences et doit bien travailler, en aidant l'autre. A cet égard, le fait de disposer de personnes ayant la culture de l'organisme par leur propre parcours peut permettre d'obtenir une réelle synergie de l'action publique. Marion GUILLOU La question de l'eau en Bretagne n'est pas simplement une question de coordination des services de l'Etat. En effet, la somme des intérêts individuels n'est pas égale à l'intérêt collectif. Il convient donc de trouver des incitations économiques pour que les acteurs individuels aient un intérêt dans ce que la collectivité vise. Sans financement, les agriculteurs ne réduiront pas le nombre de leurs animaux. Il ne faut pas seulement s'assurer de la concertation des services entre eux : il faut également rendre convergents les outils d'incitation économique, les analyses environnementales et les objectifs sociaux des individus. Jean-Paul DELEVOYE Vous avez employé l'expression « descendre au niveau des collectivités locales ». Il n'y a pas de haut, pas de bas. Il y a des défis à relever. Je souhaite relever quelques paradoxes de notre société sur lesquels l'ingénieur aura un rôle fondamental à jouer. Nous constatons aujourd'hui un réel discrédit de la parole publique. La société doit prendre des risques scientifiques, mais la population manifeste une peur irraisonnée, qui détruit le risque scientifique (OGM, nucléaire, etc.). Les décideurs publics ont besoin de « pondérateurs » de Colloque IPEF du 4 octobre 2011 / CGEDD 18/36 ces peurs irrationnelles afin d'éviter que, demain, des décisions stratégiques pour notre pays soient prises sur des éléments irrationnels et émotionnels. Les ingénieurs doivent s'organiser en Pôles Ingénieries qui serviront autant l'Etat que les collectivités territoriales. Ce n'est pas la différence des acteurs ou des centres de décisions, mais les territoires sur lesquels ces décisions s'appliqueront, qui sont en cause aujourd'hui. Les directeurs d'hôpitaux recrutent aujourd'hui des ingénieurs pour la maîtrise des process nécessaire pour la gestion des risques. Antoine RUFENACHT Je formulerai deux observations. La première est que les ingénieurs ne vont pas dans les collectivités territoriales car ils ont alors très peu de chances d'être replacés, à leur retour, dans de bonnes conditions dans leur corps d'origine. La deuxième concerne l'alternance politique. Un ingénieur accepte de travailler dans une grande ville pour travailler avec un maire, un Président de conseil général ou un Président de Conseil régional pour lequel il a de la considération ou de l'estime et qui poursuivra sa carrière. A un ou deux ans d'une échéance électorale, un maire n'a aucune chance de recruter un Directeur général des Services, qui redoutera ce manque de stabilité. Brigitte JEANPERRIN Un tel raisonnement est très français. Antoine RUFENACHT Aux Etats-Unis, le système n'est pas préférable. Ce phénomène était moins marqué aujourd'hui. La décentralisation a conduit à la mise en place de « roitelets » qui se considèrent comme des féodaux ayant tous les droits, y compris sur leurs agents. Il faut aussi savoir dresser le procès de la décentralisation et du mode de fonctionnement d'un certain nombre d'élus. Brigitte JEANPERRIN Jacques Barrot, les IPEF sont-ils bien considérés à Bruxelles ? Jacques BARROT Je souhaite évoquer tout d'abord les experts nationaux, qui sont très prisés, et vous faire part de ma nostalgie. J'ai géré durant 25 ans un petit département. Mon seul souci était alors d'aller au Ministère de l'Equipement ou du Ministère de l'Agriculture pour qu'on mette à ma disposition un bon DDE ou un bon DDA. J'estime, comme Antoine Frérot, qu'il ne faut plus opposer public et privé. La France perd aujourd'hui des parts de marché sur le plan industriel et sur le plan des services. Les ingénieurs nous aident à dynamiser l'économie française. Essayons de donner quelques raisons du spleen des IPEF. La première est l'enchevêtrement des niveaux de responsabilité. La France s'est décentralisée de manière désordonnée. On ne sait pas très bien à quels niveaux les décisions sont prises. Cela complique considérablement le rôle des ingénieurs. La seconde est le fait que l'Etat ne parvient plus à décider. Il est riche d'une expertise très forte, mais incapable de décider du tracé d'une autoroute entre Saint-Etienne et Lyon ou du tracé de la ligne à grande vitesse allant jusqu'à Nice ! Cela peut décourager même les meilleurs ingénieurs. Brigitte JEANPERRIN Cela tient aussi au fait que l'Europe prend des décisions à la place de l'Etat sur de nombreux sujets. Colloque IPEF du 4 octobre 2011 / CGEDD 19/36 Jacques BARROT Absolument pas ! Nous avons besoin, pour entrer à part entière dans l'Europe et y jouer notre rôle, de régler nos problèmes nationaux. Je reste convaincu qu'il existe des richesses extraordinaires dans nos corps d'ingénieurs. Je rejoins néanmoins Antoine Frérot sur le fait qu'une gestion des corps d'ingénieurs plus appropriée au temps d'aujourd'hui serait nécessaire, notamment pour exporter nos savoir-faire et notre richesse d'expertise. Il faut probablement aller vers un regroupement de tous ces corps qui permette de garder la spécificité de chaque corps mais aussi d'aller vers les besoins de l'économie moderne, de l'Etat et de l'Union Européenne. Il existe des postes d'experts nationaux pour de jeunes ingénieurs qui doivent permettre à la France de jouer un rôle déterminant en Europe. Brigitte JEANPERRIN Les ingénieurs français sont-ils suffisamment reconnus ? Ne faudrait-il pas plus de docteurs et d'ingénieurs-généralistes alors que nos ingénieurs sont d'une certaine manière hyperspécialisés ? Jacques BARROT Il est vrai qu'il convient d'éviter un excès de spécialisation. Néanmoins, une bonne spécialisation permet d'avoir une expertise solide. Je me suis beaucoup appuyé sur le corps des ingénieurs des Ponts et Chaussées pour tenter de comprendre l'Europe de la mobilité et des transports. Il y a là, pour le génie français, de larges possibilités de s'investir. Brigitte JEANPERRIN Jérôme Filippini, c'est à vous que revient la responsabilité de l'évolution organisationnelle du corps. Comment réagissez-vous ? Jérôme FILIPPINI Je n'ai pas cette vision anxiogène ou dépressive reproduite dans les résultats du questionnaire. Le rôle de l'Etat se transforme profondément alors que notre société évolue. Les résultats du sondage démontrent que nous devons relever un certain nombre de défis. Le premier porte sur notre capacité à passer de l'expertise au management et de services déconcentrés aux administrations centrales. Le Secrétaire général du Gouvernement est à la fois responsable de la préparation des nominations de cadres dirigeants et gestionnaire d'une partie des ingénieurs occupant des postes de Directeurs d'administrations territoriales de l'Etat. Les ingénieurs ont bien l'envie de rejoindre ces postes, et les administrations souhaitent recruter des ingénieurs. Prenons l'exemple du vivier de Directeurs départementaux interministériels. Leur tâche est certes rude, car ce sont eux qui doivent mettre en oeuvre cette transformation essentielle qui consiste à augmenter l'inter ministérialité tant en réduisent le nombre des silos et tuyaux d'orgue. Plutôt que de tenir un discours démotivant, il faut continuer à donner envie, inviter des Directeurs départementaux des territoires à présenter leurs actions, etc. Que changer pour gérer tout cela ? La France a la frénésie du « big is beautiful ». Le Président Poulit attirait l'attention sur la nécessité de ne pas constituer de corps trop grands et trop généralistes. Les ingénieurs n'ont pas à exercer des métiers d'énarques. Je ne crois pas du tout à la constitution d'un « super bureau » de gestion des carrières des IPEF. Il faut favoriser les passerelles, et non se reposer sur un grand gestionnaire central des carrières. Colloque IPEF du 4 octobre 2011 / CGEDD 20/36 Brigitte JEANPERRIN Fabienne Keller racontait la vie de l'élu qui doit attendre qu'un certain nombre de décisions successives soient prises pour que les situations avancent enfin, pour l'eau en Bretagne par exemple. L'ingénieur, à quelque niveau qu'il soit, est complètement « coincé » par des ordres hiérarchiques de cloisonnement. Faut-il travailler sur ce point ? Jérôme FILIPPINI Je suis sensible aux propos de Fabienne Keller. Néanmoins, la situation était-elle préférable avant la réforme territoriale de l'Etat, quand nous comptions, au niveau régional, 20 Directions ? Nous comptons aujourd'hui, autour des Préfets de région, 7 à 8 Directions. Etait-il préférable de compter 10 Directions départementales alors que nous en comptons deux à trois aujourd'hui ? Les Directions départementales des territoires sont-elles des structures dans lesquelles le métier est moins intéressant aujourd'hui qu'auparavant ? Je répondrais à la fois oui et non. Nous avons décidé collectivement de faire en sorte que l'Etat ne remplisse plus les mêmes fonctions qu'auparavant. De nombreuses politiques publiques se mettent aujourd'hui en oeuvre de façon transversale car les équipes, aujourd'hui, sont réunies. Donnons leur envie d'y aller. Antoine FREROT Jérôme Filippini vient d'avancer deux propositions contradictoires. Il explique en effet que les nouvelles missions proposées sont multidimensionnelles et que nos corps soit disant interministériels n'ont pas vocation à l'être davantage. Les corps d'ingénieurs de la fonction publique ont des vocations interministérielles. L'idée d'attacher un corps à un Ministère est totalement dépassée aujourd'hui. L'Etat met en oeuvre cette pluri dimensionnalité et cette polyvalence. N'attachons pas un corps à un Ministère ou même à une profession. Les ingénieurs français, dans le monde entier, sont réputés pour être plus généralistes que spécialisés. Leur capacité à gérer des problématiques larges et complexes est très appréciée. Tout milite aujourd'hui pour élargir la communauté des ingénieurs de la fonction publique à l'ensemble des métiers d'ingénieurs. Jérôme FILIPPINI Je souhaitais simplement exprimer le fait que tout ne pourra pas se régler par des organigrammes et des regroupements d'institutions. Je ne contredis pas du tout le fait qu'il faille beaucoup plus de mobilité et d'interministérialité. Christian GAILLIARD de LAVERNEE On attend que ce corps d'ingénieurs cultive les métiers. Nous construisons une ville nouvelle dans le Nord de la Moselle. Nous avons besoin d'ingénieurs qui soient à la fois architectes, urbanistes, énergéticiens, économistes, naturalistes, etc. La gestion des compétences impose d'assurer à chacun que son parcours est identifié et que sa compétence en termes de métier est valorisée. C'est tout le contraire d'un contexte dans lequel chacun saurait tout faire, c'est-à-dire rien faire. Brigitte JEANPERRIN Ne peut-on pas recruter sous contrat des ingénieurs à un moment spécifique et leur permettre une mobilité assez large ? Le corps a-t-il besoin de s'élargir ? Christian GAILLIARD de LAVERNEE Nous avons une fonction publique de statuts en France. Capitalisons la gestion de corps, très précieuse, qui permet de construire une carrière dans le sens de l'élaboration d'une compétence toujours enrichie, utilisable au moment de l'orientation. Une petite entreprise ne peut pas s'offrir une telle gestion : son recrutement est plus hasardeux. Colloque IPEF du 4 octobre 2011 / CGEDD 21/36 Fabienne KELLER Rappelons une évidence. La fonction publique française est très appréciée dans les autres pays, en particulier en Europe. A Strasbourg, l'ENA a dispensé beaucoup de formations pour les nouveaux Etats-Membres d'Europe centrale et des pays baltes afin de les aider à se créer une fonction publique ayant une éthique et des règles et assurant un état de droit. Nous avons réellement besoin de cette culture et de ce corps au service de l'action publique, d'autant plus que ces missions d'intérêt général sont portées de manière éclatée par différentes cultures. Marion GUILLOU Il est question de deux sujets : les lieux d'emplois, qui peuvent être divers, et la gestion de compétences. Les changements climatiques ou la gestion de l'eau sont des sujets qui devront être suivis sur le long terme. Sur de tels sujets, majeurs pour les générations futures, il convient de mettre en place une doctrine, c'est-à-dire un corpus de convictions de long terme, appuyées sur des éléments factuels. Si nous voulons gérer les activités humaines par rapport aux changements climatiques, nous devons nous fixer un objectif de long terme. Comment construire cette chaîne de responsabilité de long terme si la commune ou l'Etat recrute sans discernement ? Ce n'est pas une question de structure d'emploi, mais de gestion de conscience collective appuyée sur des faits techniques ou scientifiques de long terme. Comment assume-t-on le long terme dans des sociétés attachées à l'événementiel et au court terme ? Antoine FREROT Le débat ne réside pas dans le fait que le corps doive exister ou non. A l'étranger, les corps comme le nôtre n'existent pas. En Allemagne, les corps de la fonction publique n'existent pas. Les ingénieurs qui travaillent dans les différentes fonctions publiques se sont d'eux-mêmes regroupés, dans ce qui ressemble plus à un club qu'à un corps. Dans ce « club », les membres cherchent à s'épauler, à construire des doctrines et des carrières. Il semble essentiel de rassembler des professionnels qui partagent une même vision et une même compétence. Colloque IPEF du 4 octobre 2011 / CGEDD 22/36 Deuxième partie : la place et le rôle de l'ingénieur dans l'action publique Brigitte JEANPERRIN Christian Leyrit, quelle doit être la stratégie du corps ? Comment l'ingénieur peut-il intervenir pour conseiller le décideur sur les bonnes pratiques face aux médias, aux ONG, etc. ? Christian LEYRIT Je n'ai personnellement pas perçu de spleen dans les réponses des IPEF au questionnaire que nous leur avons soumis. Il est vrai que l'Etat change et que les fonctions qui étaient autrefois des fonctions considérées comme des fonctions nobles sont en voie de régression. L'Etat devient régulateur et non plus opérateur. Les interrogations sont donc naturelles. Je suis convaincu qu'il y a, dans les collectivités, des sujets absolument passionnants pour les IPEF. Ils sont pourtant peu nombreux à être Directeurs généraux des services d'une grande ville, d'un conseil général ou d'un Conseil régional. Il est essentiel de développer l'international. Nous comptons aujourd'hui seulement 150 IPEF à l'international, dont 35 à Bruxelles. Cela est très insuffisant. Les évolutions en cours peuvent en ce sens être une chance. Dans le système ancien, j'étais personnellement hostile à la spécialisation. Les Préfets étaient énarques, les DDE ingénieurs des Ponts, les DRIRE ingénieurs des Mines, etc. Tout cela est totalement dépassé. J'ai longtemps été le seul Préfet issu d'un corps d'ingénieurs. Nous avons besoin d'un brassage de culture. Pour un cadre de 50 ans, les études suivies à 20 ans et le rang à la sortie de l'Ecole sont plus importants que l'expérience des cinq dernières années. Cela n'a aucun sens et est assez unique en Europe. Il faut privilégier les compétences et les résultats aux origines. Dans le rapport remis par Messieurs Canepa et Folz au Premier ministre en 2009, il était dit que « l'apport des grands corps d'ingénieurs de l'Etat à la croissance économique de notre pays est incontestable ». Plusieurs des secteurs dans lesquels la France occupe une position de leader mondial sont des secteurs dans lesquels les corps d'ingénieurs de l'Etat ont joué un rôle majeur (travaux publics, bâtiment, eau, armement, nucléaire, etc.). Cela est largement dû à la qualité exceptionnelle du partenariat entre public et privé, au développement de l'innovation et au soutien actif à l'exportation. Je crois personnellement que les ingénieurs, même s'ils travaillent pour l'Etat, ont à jouer un rôle majeur de soutien à l'économie et à l'exportation. Il s'agit d'un enjeu très important. Brigitte JEANPERRIN A l'avenir, quelle devra être la place des ingénieurs en cas de catastrophe et de besoin urgent d'une expertise ? L'IPEF n'est-il pas en porte-à-faux entre les médias, l'opinion, les politiques, etc. ? Christian LEYRIT Autrefois, l'opinion publique avait le sentiment que les ingénieurs décidaient à la place des politiques. La médiatisation, l'arrivée d'Internet et le poids de la société civile ont apporté des changements considérables. Le rôle de l'ingénieur ou de l'expert a évolué. Nous avons pu le constater avec la catastrophe de Fukushima, le sujet du gaz de schiste, etc. : l'intervention médiatique est extrêmement massive, exerçant une pression sur le politique qui doit prendre des décisions rapides. Il est très facile, aujourd'hui, sur Internet, de mobiliser 10 000, 20 000 ou 50 000 personnes sur un sujet. Cela représente un défi nouveau pour les ingénieurs aujourd'hui. Colloque IPEF du 4 octobre 2011 / CGEDD 23/36 Brigitte JEANPERRIN L'ingénieur doit-il être plus exposé ? Doit-il avoir plus de latitude ? Doit-il être plus écouté ? Doit-il communiquer ? Doit-il expertiser plus vite ? Marion GUILLOU L'ingénieur à la française doit être une source d'innovation. Il ne suffit pas, aujourd'hui, d'avoir raison pour s'imposer. Il faut savoir dialoguer, comprendre les objections et construire un mouvement consensuel dans une direction donnée. La compétence a du sens : pour être en charge d'une centrale nucléaire, il vaut mieux en connaître le fonctionnement. Brigitte JEANPERRIN L'expert-ingénieur a-t-il toujours la même place dans la chaîne de décision, ? Marion GUILLOU Tout dépend si la décision est technique et scientifique. Nous étions convoqués la semaine dernière au procès sur l'arrachage des OGM. Nos OGM étaient autorisés. Nous pensions utile d'en conserver en France. 60 faucheurs sont venus les arracher de la France entière. Il est préférable de leur démontrer en quoi les OGM peuvent intéresser la société plutôt que d'avancer que nous avions le droit pour nous. On demande à l'ingénieur un croisement avec les sciences humaines et sociales. Il doit désormais également accepter que le résultat raisonnable ne soit pas convaincant en lui seul. Dans notre société ouverte, avec des modes de communication multipliés, chacun a accès l'information. On n'attend plus l'expert pour se forger une opinion. Nous devons accepter de former les ingénieurs dans ce contexte extrêmement interactif. Il n'y a plus, aujourd'hui, de source unique des savoirs, qui ont de multiples provenances. Brigitte JEANPERRIN Le politique ne doit-il pas prendre ce constat en compte et laisser l'ingénieur au coeur de la décision ? Le politique est toujours sous la pression des médias, d'Internet, des organisations écologistes : il n'attend plus l'expertise. Marion GUILLOU Au contraire, souvent, les politiques préfèrent s'appuyer sur les experts. La réelle question est de savoir si cet argumentaire suffit ou non à l'opinion. Brigitte JEANPERRIN Le corps a donc de l'avenir en matière d'expertise. Marion GUILLOU La compétence technique et scientifique, sous réserve que l'ingénieur sache s'ouvrir à un monde multi source, est essentielle. Jean-Paul DELEVOYE Auparavant, l'ingénieur devait simplement être compétent. Aujourd'hui, en sus, l'expertise doit avoir du crédit. En l'absence de crédit de la parole publique, tout est possible. Dans ce contexte de discrédit de Colloque IPEF du 4 octobre 2011 / CGEDD 24/36 la parole publique, il n'y a plus d'expertises. Le décideur est de plus en plus confronté à un choc des expertises. Les experts n'apporteront plus des certitudes mais des incertitudes. L'expert n'est plus dans la réponse mais dans le questionnement. La vraie question à laquelle nous devons répondre est la suivante : comment amener l'opinion à s'approprier une décision qui soit dans l'intérêt général ? Cela pose un problème de temporalité : le politique doit accepter que le temps de la décision ne fonctionne pas sans appropriation des enjeux par l'opinion. Nous devons prendre du recul pour reconstruire le crédit de la parole publique, très fragile aujourd'hui. Brigitte JEANPERRIN En cas de catastrophe, comment gérez-vous la parole de l'expert pour avoir une parole politique crédible ? Jean-Paul DELEVOYE La décision est un problème d'intérêt général. Je suis très favorable à la constitution d'un corps élargi d'ingénieurs de la fonction publique alors que se développe aujourd'hui dans l'opinion le patrimoine commun de la planète. Le bien commun ne pourra pas être géré par les intérêts privés s'ils ne sont pas guidés par une régulation de caractère public. L'eau, le territoire, les réseaux sont des biens communs. Cela n'exclut pas les partenariats avec les intérêts privés. Le financement des infrastructures, élément majeur pour la mobilité des marchés européens, ne sera pas possible avec des rotations de capitaux à 7 ans alors que ces infrastructures nécessitent des investissements à 40 ou à 50 ans. Des réponses à caractère technique, d'intérêt commun, échappent à la temporalité. Le politique doit accepter aujourd'hui que son calendrier de décisions n'est peut-être pas conforme à celui de ses élections. La décision ne doit pas être uniquement prise en termes de retour d'investissement électoral. L'opinion gère le court-terme alors que chacun sait que les solutions sont à moyen et long terme. Le vrai débat consiste à s'interroger sur la décision politique durable. Or, aujourd'hui, la rapidité avec laquelle on décide et la fragilité des arguments développés ont conduit à une réelle instabilité décisionnelle. Brigitte JEANPERRIN Comment l'ingénieur se situe-t-il dans tout cela ? Jean-Paul DELEVOYE L'ingénieur ne peut pas revendiquer tous les savoirs et toutes les compétences. A contrario, il doit être celui qui permet au décideur de trouver la bonne expertise au bon endroit. L'ingénieur ne peut pas être compétent sur tout, mais il peut mobiliser d'autres experts sur un sujet donné. Brigitte JEANPERRIN L'ingénieur peut-il prendre le temps de mener son analyse face aux urgences ? Jean-Paul DELEVOYE C'est au politique de prendre ses responsabilité. Le dialogue doit être permanent. Sur des sujets comme les OGM ou les nanotechnologies, l'irrationalité des peurs a totalement envahi le débat scientifique ! Brigitte JEANPERRIN Fabienne Keller, comment réagissez-vous en tant qu'élue ? Colloque IPEF du 4 octobre 2011 / CGEDD 25/36 Fabienne KELLER Il est difficile de définir la place de l'ingénieur dans la prise de décision politique. Les élus ont pourtant réellement besoin des ingénieurs. Prenons l'exemple de l'accident de la centrale nucléaire Fukushima. Le discours politique démagogique consiste à affirmer qu'il faut fermer les centrales nucléaires. Un tel discours n'est pas responsable car cet arrêt a une série de conséquences. Néanmoins, ne pas tirer les leçons d'un tel accident est problématique également. Ce sujet a pourtant disparu des écrans aujourd'hui. Comment porter ce sujet dans le débat public et interpeler chacun sur sa relation à l'énergie ? La centrale d'Achères traite les trois-quarts de l'eau d'Ile-de-France, avec un traitement vertical. Il faut pulser l'air pour pulser l'eau. La centrale d'Achères consomme aujourd'hui autant d'énergie que la communauté urbaine de Nantes. Elle enlève plus de polluants qu'auparavant, mais génère une pollution secondaire. Vaut-il mieux laisser les polluants dans l'eau ou faut-il une usine nucléaire de plus ? Il s'agit d'un débat dans lequel les IPEF sont compétents. Ils n'ont pas la solution, mais ils peuvent expliquer les arbitrages possibles pour le respect de l'environnement. Brigitte JEANPERRIN Qui doit sonner à leur porte ? Fabienne KELLER Les IPEF ont, sur les sujets d'aménagement urbain, d'équilibre de transports, de densité urbaine, de qualité de vie et de respect de l'environnement, une vraie compétence et une vraie expérience. La société a besoin de personnes pouvant apporter des éclairages sur les risques et avantages de certains scénarios. Antoine FREROT Les choses ont évolué depuis e que vous avez quitté le corps des ingénieurs car les IPEF ont inventé la station d'épuration qui ne consomme plus d'énergie mais en produit ! Tel sera le cas de la station d'épuration de Prague. Fabienne KELLER La centrale d'Achères est en cours de mise à niveau. Je ne sais pas quelle est la collectivité qui a tranché sur ce sujet. Le système a néanmoins explosé en termes de consommation d'énergie. Brigitte JEANPERRIN Où doit-on placer l'ingénieur dans la chaîne de décision, surtout lorsque des catastrophes surviennent et que l'opinion se fait pressante ? A-t-on le temps d'attendre l'expert ? Antoine FREROT L'expert doit être placé là où la complexité se trouve. Des propositions basées sur une analyse parcellaire ou sur la raison ne suffisent plus pour justifier les décisions. Les problèmes sont de plus en plus imbriqués et les résoudre suppose de savoir gérer la complexité. Les IPEF auraient le blues car ils ne « construisent » plus. C'est à mon sens l'inverse : « faire faire » est plus riche d'avenir que « faire ». En effet, « faire faire » suppose d'apprendre à gérer la complexité. Il s'agit aujourd'hui d'une compétence recherchée et demandée. Colloque IPEF du 4 octobre 2011 / CGEDD 26/36 Brigitte JEANPERRIN L'avis des IPEF est-il toujours déterminant par rapport aux décideurs et aux politiques ? Antoine FREROT L'expérience des IPEF qui ont eu à gérer des problèmes multidimensionnels, contrairement à d'autres ingénieurs d'Etat, notamment en postes territoriaux, avec des élus locaux, des associations, etc. est certainement la plus importante en matière de gestion des problèmes complexes. La complexité est la même dans le public et dans le privé. Brigitte JEANPERRIN Le privé a-t-il le temps d'attendre l'expertise d'un ingénieur ? Antoine FREROT Le choc du court terme et du long terme est le même dans le public et dans le privé. Il faut gérer cette contradiction permanente entre court, moyen et long terme. Brigitte JEANPERRIN Les actionnaires acceptent-ils de vous accorder le temps nécessaire ? Antoine FREROT Les actionnaires n'investissent que s'ils sont certains de recevoir des profits et des dividendes. Dans beaucoup de débats, tel que celui portant sur la gestion et la distribution de l'eau en France, la passion a pris la place de la raison. Dans les secteurs public et privé, les problématiques sont de plus en plus similaires et de plus en plus complexes. Il faut de plus en plus d'énergie pour faire accepter une décision. Brigitte JEANPERRIN Antoine Rufenacht, quelle est votre réaction sur la place de l'ingénieur entre l'appui à la décision politique et la pression de l'opinion ? Antoine RUFENACHT La place de l'ingénieur reste évidemment centrale. La parole de l'expert, néanmoins, n'est pas nécessairement indiscutable car celui-ci peut se tromper. Je ne partage pas l'opinion de Jean-Paul Delevoye estimant que les politiques décident trop vite. Ils décident au contraire trop lentement, mais réagissent trop vite. Ils se croient obligés, dans une obligation de communication, de réagir immédiatement et, pour être meilleurs que leur adversaire politique, d'affirmer avec plus de force ce qui s'avère parfois être des contrevérités. Ils se sentent de plus très prisonniers de la dictature de l'Internet, comme ils étaient autrefois prisonniers des manifestants ou des pétitionnaires. Brigitte JEANPERRIN La gestion des conséquences de la tempête Xynthia a été très maladroite. L'ingénieur doit-il être mis plus en avant vis-à-vis de l'opinion pour que celle-ci comprenne qu'il faut laisser le temps à l'expertise ? Ou doit-il rester dans l'ombre ? Colloque IPEF du 4 octobre 2011 / CGEDD 27/36 Antoine RUFENACHT Je ne crois pas que l'ingénieur doive être mis en avant. L'ingénieur n'a pas de légitimité démocratique. Il n'est pas élu. Les politiques doivent porter la parole des ingénieurs, avec prudence et en ayant à l'idée que les ingénieurs peuvent se tromper, changer d'avis ou diverger sur des analyses. Brigitte JEANPERRIN Christian Gailliard de Lavernée, comment gère-t-on la précipitation en temps que Préfet de région ? Christian GAILLIARD de LAVERNEE Nous avons grand besoin d'une parole technique qui fasse autorité. L'attente sociale est formidable en la matière. Je suis frappé par la démission de l'appareil d'Etat. Ce sont souvent les bureaux d'étude, et non plus les ingénieurs d'Etat, qui font aujourd'hui autorité. En réalité, par difficulté d'assumer l'obligation d'autorité et de crédit, nous avons sous-traité certains contrôles à des scientifiques et des bureaux d'études dont nous ne connaissons pas l'actionnariat. Nous avons besoin de réseaux techniques : nous devons les renforcer et les relancer, avec l'assiette large de toutes les techniques nécessaires dans les politiques publiques. Jean-Paul DELEVOYE La carte intercommunale est en cours de refonte. J'ai été très malheureux de constater que nous avions pris la réforme sur la modification des frontières territoriales sur la rationalisation sans nous demander de quel type de services nous devions nous doter pour offrir une égalité républicaine sur le territoire, tant dans l'accès à la réponse que dans la qualité de la réponse. Il faut aujourd'hui déconnecter la gestion des territoires de la création de Pôles Ingénieries permettant d'avoir une puissance d'ingénierie à la disposition des décideurs d'Etat ou des collectivités d'Etat. Sans quoi nous risquons d'avoir un déséquilibre de plus en plus important entre le décideur public et le décideur des entreprises privées. Le privé est obligé de sécuriser ses investissements par rapport à ses actionnaires. L'expertise qui lui permet de sécuriser ses investissements est essentielle. Le problème du politique est qu'il souhaite sécuriser son retour d'investissement électoral sans avoir fondé sa décision sur une expertise. Nous devons revenir à une éthique de la décision publique, même si cela est contraire au souhait des politiques de décider rapidement. Nous devons reconstruire un crédit dans la parole publique et une confiance dans le décideur public et l'ingénieur dont l'expertise est parfois instrumentalisée et exploitée. L'élaboration de la décision ne doit pas être polluée par des intérêts particuliers contraires à l'intérêt général. Brigitte JEANPERRIN Jacques Barrot, vous avez vécu l'évolution des normes et la pression des lobbies sur le secteur du transport. A l'avenir, où l'expert devra-t-il se situer dans l'appui à la décision ? Doit-il être mis plus en avant pour rassurer l'opinion ? Jacques BARROT Il faut gérer la complexité, mais aussi savoir préparer l'avenir. Insistons, après l'appel à l'éthique des politiques et des décideurs, sur l'éthique de l'ingénieur, qui est appelé à la mission formidable de gérer la complexité et de préparer l'avenir. Il faut pour cela faire montre d'une grande honnêteté intellectuelle. L'on ne peut pas se contenter de reprendre un certain nombre d'idées reçues. Il faut également avoir beaucoup de modestie et d'ouverture sur le monde dans ce contexte de mondialisation. Pour avoir des termes de comparaison, il ne faut pas hésiter à observer ce qui se fait ailleurs. Pour imaginer cette Europe de la mobilité, il faut emprunter ici et là, telle trouvaille, telle innovation. Colloque IPEF du 4 octobre 2011 / CGEDD 28/36 A Bruxelles, on a quelquefois parlé de la « méthode Barrot ». J'écoutais beaucoup et je puisais dans l'expertise de ceux qui m'entouraient. Brigitte JEANPERRIN De nombreux sujets se télescopent dans le temps de la décision. La manière dont nous souhaitons faire évoluer le corps des ingénieurs français vers l'appui aux décideurs a-t-elle de l'avenir par rapport aux lobbies européens ? Jacques BARROT Le corps des IPEF a de l'avenir. C'est en simulant ce que peut être l'avenir que nous pouvons mettre les ministres des Transports devant leurs responsabilités. Cela suppose une expertise solide et honnête intellectuellement. Brigitte JEANPERRIN L'expertise est politique. L'Allemagne a décidé de sortir du nucléaire et de se lancer dans l'énergie alternative. La France ne sortira pas du nucléaire pour l'heure. A quel moment le poids de l'expert estil essentiel dans la décision ? Jacques BARROT J'ai le sentiment que les ministres compétents n'ont pas suffisamment utilisé l'expertise et débattu sur ces sujets. Il existe une réelle faiblesse de la décision en Europe, qui tient au fait que les conseils se perdent souvent dans une phraséologie qui n'aborde pas les questions de fonds. Un Commissaire à l'énergie, ayant plus d'autorité, aurait pu imposer ces débats et amener une expertise qui aurait facilité les prises de décision. Jean-Paul DELEVOYE Je reviens sur l'exemple de Fukushima. Les avis émis par de hautes autorités mondiales sur le nucléaire avaient clairement stipulé que le mur de protection de la centrale nucléaire ne pouvait résister qu'à des vagues de six mètres de haut. Si la préconisation de l'expertise mondiale avait été appliquée, cet accident ne serait pas survenu. La décision allemande est éminemment politique : on piétine l'expertise pour un profit électoral d'alliance avec les Verts. Colloque IPEF du 4 octobre 2011 / CGEDD 29/36 Débat avec la salle Michel ROUSSELOT, IGPEF retraité J'ai été Directeur du personnel du Ministère de l'Equipement durant plusieurs années. J'ai retrouvé dans ce colloque de nombreuses questions dont nous débattions alors déjà. Je souhaite formuler deux observations. On a confondu optimiser les structures et mieux gérer les hommes. Ce sont deux démarches différentes, bien qu'elles soient interdépendantes. Dans le premier cas, il faut bien maîtriser la décentralisation et voir comment peuvent fonctionner tous les systèmes de décision. Dans le deuxième cas, il faut s'intéresser aux hommes et aux femmes, les connaître, les aider, les conseiller dans leurs évolutions de carrière, tout en ayant le souci de placer les meilleures personnes au meilleur poste. L'amélioration des compétences est essentielle. Trois types de compétences peuvent être améliorés. Les premières sont les techniques de l'ingénieur, qui perdent aujourd'hui beaucoup d'importance car cette capacité technique est disponible chez des bureaux spécialisés. Il faut maîtriser par ailleurs les sciences humaines et sociales, notamment l'économie et la sociologie. Il faut enfin mesurer l'importance du débat public : savoir faire évoluer un débat public est une compétence précieuse. C'est dans ces domaines que les responsables du corps des IPEF devront faire évoluer les formations initiale et continue et le suivi des performances. Marion GUILLOU Nous touchons à un paradoxe : les compétences scientifiques et techniques pourraient se trouver ailleurs, sous réserve de rencontrer les bons interlocuteurs, et les IPEF devraient être formés aux sciences humaines et sociales. Les ingénieurs doivent apporter une analyse scientifique et technique ! En Grande-Bretagne, le Directeur des Affaires sanitaires était un docteur en philosophie allemande, tout à fait brillant. Lorsque s'est annoncée la crise de la vache folle, il ne savait même pas ce qu'était une « souche ». Comment gérer un problème sanitaire quand on ne sait pas poser les bonnes questions aux spécialistes ? Je vous rejoins dans le souhait d'élargir la palette des compétences et de disposer d'ingénieurs ouverts. Il convient néanmoins que nous conservions nos compétences scientifiques et techniques. Colloque IPEF du 4 octobre 2011 / CGEDD 30/36 Thierry DUCLAUX, vice-président de l'Union des Ingénieurs des Ponts, des Eaux et de Forêts (UNIPEF) En collectivité territoriale, les ingénieurs ne sont pas plus nombreux qu'il y a 20 ans. Nous pouvons discourir longuement sur les avenirs possibles pour les IPEF. Encore faut-il leur permettre de s'investir dans ces avenirs. Quelles mesures concrètes prendre pour qu'il soit possible de passer par une collectivité territoriale sans être « oublié » par le corps ? Ne faut-il pas encore ouvrir les formations initiales dans des domaines plus large et permettre encore plus d'accès au doctorat ? La compétence et la formation par la recherche sont aujourd'hui très attendues. Jean-Paul DELEVOYE En tant que ministre de la fonction publique, j'ai toujours veillé à placer la bonne compétence au bon endroit. J'ai eu un jour à faire à un ministre d'un pays candidat à l'entrée dans l'Union européenne qui recherchait, pour son cabinet, un haut fonctionnaire pour gérer les fonds européens. Nous y avons envoyé un Préfet : six mois plus tard, celui-ci n'avait toujours reçu aucun salaire car il n'y avait pas de connexion entre les Ministères ! Aucune gestion des ressources humaines ne permet d'exploiter les compétences dans l'intérêt du pays ! On peut comprendre que le fonctionnaire n'ait aujourd'hui aucun intérêt à rejoindre une collectivité locale : il serait « fusillé » dans sa carrière ! Mon propos est volontairement provocant. Jean-François MONTEILS , Secrétaire général du MEEDTL Vous vous inquiétiez de savoir s'il existait des gestionnaires pour le corps des IPEF. Je suis heureux de pouvoir doublement vous rassurer : j'assure cette fonction, avec Jean-Marie Aurand. Dans quelques jours, je proposerai à la ministre, qui l'acceptera sans doute, la nomination d'un IPEF sur l'un des postes régionaux les plus importants de ce Ministère. Sa formation initiale est certainement importante dans ce choix. Néanmoins, parmi les critères présidant à ce choix figure également le fait qu'il s'agit d'un ingénieur passé en collectivité territoriale dans un poste à responsabilité et dans une Direction départementale de l'Etat. Il s'agit là d'une manifestation de l'intérêt attaché par cet ingénieur à la formation interministérielle. Un certain nombre des sujets mentionnés aujourd'hui sont donc intéressants mais dépassés. La réorganisation de l'administration territoriale offre des possibilités extraordinairement intéressantes pour les ingénieurs. Nous sommes aujourd'hui dans une phase difficile : il s'agit de donner de la visibilité dans un paysage en plein bouleversement. Tout cela avance dans un sens positif. Laurent ROSSO, Directeur de l'ENGREF J'ai le plaisir de former, avec nos collègues de l'ENPC, ces IPEF. Nous devons apporter à ces ingénieurs des compétences diverses et variées afin qu'ils soient capables d'innover, de manager et des piloter des opérations, dans des organisations industrielles mais aussi dans les systèmes publics. En quoi les IPEF ont-ils des particularités suffisantes pour être qualifiés de spécifiques ? Ils sont de moins en moins présents dans les secteurs captifs. Il ne suffit pas d'être IPEF pour être embauché dans une structure où l'on est en concurrence avec d'autres ingénieurs. Où la spécificité des IPEF réside-t-elle ? Les IPEF sont des scientifiques et disposent d'un background particulier qui leur permet d'affronter les systèmes auxquels ils sont confrontés d'abord sur un plan technique. Cela est nécessaire mais non suffisant, car les enjeux auxquels sont confrontés les IPEF sont au-delà des aspects techniques. Nous devons apporter aux IPEF des sciences politiques, des sciences économiques, des sciences sociales, de l'éthique, etc. avant leur passage sur le marché de l'emploi, mais sur le terrain. Nous les plaçons donc en situation de commande publique ou privée, et nous portons un regard critique sur leurs compétences techniques, indispensables à la prise de décision. Colloque IPEF du 4 octobre 2011 / CGEDD 31/36 A part chez les jeunes IPEF, pour beaucoup, la technique ne fait plus partie de la pratique quotidienne des IPEF. En effet, beaucoup ont des responsabilités et sont cadres dirigeants. Se pose donc la question de leur préparation à ce niveau de compétence et du moment de leur formation où ces acquis doivent leur être apportés. Le premier poste est la continuité de la formation et doit légitimer le savoir-faire technique. Très vite, en revanche, les IPEF passent sur autre cadre de lecture. Il convient de s'interroger sur notre façon de les accompagner. Antoine FREROT Parmi les facteurs différenciant des IPEF figure cette capacité rare de mixer une problématique technique avec une problématique politique, un problématique d'aménagement de territoire, etc. à différents niveaux d'échelons institutionnels. Seuls les IPEF ont cette expérience et cette compétence. Dans notre temps, cela s'apprenait sur le terrain. Le monde étant plus complexe, nous pouvons envisager de préparer aujourd'hui les IPEF à cela. Il est clair que le caractère multidimensionnel des sujets que les IPEF ont à aborder et à gérer les différencie des autres. Je ne crois pas qu'en prenant des responsabilités, on ne fait plus de technique. Cela rejoint la question de la formation par la recherche. Un chercheur qui devient manager ne fait certes plus de recherche. La capacité de comprendre les enjeux de la science et de la technique est essentielle pour assurer un manager dès lors qu'il y a à manager des aspects techniques. J'ai été l'un des premiers IPEF à suivre une formation de recherche et à obtenir un doctorat. Tout au long de ma carrière, cette capacité de comprendre les enjeux de la technologie m'a été fondamentalement utile. Cela n'exclut pas, par ailleurs, des formations de management. Jacques BARROT Nous avons effectivement l'impression que la bureaucratie s'empare des meilleurs ingénieurs et les conduit à faire de la paperasse au lieu de leur permettre de perfectionner leur connaissance des enjeux technologiques et de jouer pleinement leur rôle. Je signale pour la jeune génération qu'il y a des places d'expert national très intéressantes à Bruxelles. Pierre COMPTE, chargé de mission pour l'Enseignement supérieur au MEEDTL, ancien Président de la Commission des titres d'ingénieurs Nous avons entendu beaucoup d'échanges intéressants aujourd'hui, dont le CGEDD devra se saisir. Un certain nombre de sujets auraient cependant mérité d'être plus clairs dans les champs qu'ils visaient. Il a été question d'ingénieurs, d'ingénieurs de l'Etat, d'ingénieurs de la fonction publique, du corps des IPEF, etc. sans distinction. Nous comptons 600 000 ingénieurs en France mais seulement quelques dizaines de milliers dans la fonction publique. Le corps des IPEF regroupe un certain nombre d'ingénieurs, qui ne sont pas tous des élèves de l'ENPC ou de l'ENGREF. Les formations sont diverses au sein des corps. Il faut prendre garde de ne pas tout mélanger. Brigitte JEANPERRIN Merci à tous. Colloque IPEF du 4 octobre 2011 / CGEDD 32/36 Conclusion Christian LEYRIT Vice-président du conseil général de l'Environnement et du Développement durable, chef de corps des ingénieurs des Ponts, des Eaux et des Forêts J'ai été très heureux de vous accueillir pour ce débat extrêmement fourni et intéressant. Ce corps a deux ans d'existence. Il m'avait semblé utile de mener cette réflexion et d'interroger les IPEF sur leur avenir. Au cours de cette table ronde, plusieurs questions ont été posées : Quels ingénieurs pour la fonction publique de demain dans un Etat plus régulateur qu'opérateur ? Quelle place pour l'ingénieur au sein de la décision et de l'action publique, face à des citoyens de mieux en mieux informés et à des décideurs de plus en plus soumis à la pression médiatique et à l'urgence ? D'éminentes personnalités, que je remercie vivement, ont apporté leurs contributions. Certains ont soulevé le réel besoin d'ingénieurs de l'Etat dans les collectivités. La nécessité de ne plus opposer secteur public et secteur privé, leurs problématiques étant les mêmes, a été soulignée à plusieurs reprises. Il est essentiel d'encourager les passages de l'un à l'autre. La question de l'enseignement supérieur a également été évoquée, certains déplorant que l'enseignement supérieur français soit trop étroit : ne faudrait-il pas créer un MIT à la française ? Il existe un réel besoin de technique et de technologie dans notre société. Le défi technologique impose d'avoir plus d'ambition et d'enthousiasme pour ce corps. Dans des corps habitués à être opérateurs plus que régulateurs, aujourd'hui, Antoine Frérot a souligné le fait que « faire faire » est plus porteur d'avenir que « faire ». La nécessité de reconstituer le crédit de la parole publique a été instamment mise en lumière. Cela passe par de l'expertise. Jacques Barrot disait que l'ingénieur a le formidable rôle de préparer l'avenir et de gérer la complexité. La proximité du terrain des IPEF est un atout formidable. Colloque IPEF du 4 octobre 2011 / CGEDD 33/36 L'importance de l'expertise de haut niveau pour un Etat régulateur a également été considéré comme essentielle. Le rôle de l'ingénieur est également de trouver les bons experts pour intervenir dans une décision publique. Il a été constaté par trois anciens ministres que « les politiques réagissent trop vite, mais décident trop lentement ». Madame la ministre, les sujets que nous avons abordés rejoignent les questions posées dans le cadre du projet stratégique que vous avez lancé pour ce Ministère, qui est à la fois, comme vous le dites souvent, le Ministère de la vie quotidienne et du long terme. Comment maintenir les compétences acquises dans le domaine d'excellence ? Comment aider nos entreprises dans la compétition mondiale ? Le partenariat public/privé est un enjeu extrêmement important pour aider nos entreprises. Comment gérer les nouvelles interfaces pour promouvoir le développement durable et modifier le comportement des citoyens ? Enfin, comment attirer de meilleurs jeunes au service de l'Etat ? Nous sommes impatients, Madame la ministre, de vous entendre en tant que responsable de ce Ministère, mais aussi en tant qu'Ingénieur des Ponts, des Eaux et des Forêts. Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET Ministre de l'Écologie, du Développement durable, des Transports et du Logement Monsieur le Membre du Conseil constitutionnel, Monsieur le Président du Conseil Economique Social et Environnemental, Messieurs les Préfets, Madame la Directrice générale, Monsieur le Président, Messieurs les Directeurs généraux, Monsieur le Secrétaire général, Mesdames, Messieurs, en écoutant Christian Leyrit, je pensais parodier ces vers de Victor Hugo : « Ce corps avait deux ans. Les IPEF remplaçaient... ». Je ne suis pas parvenue à faire des alexandrins. J'y renonce donc. Néanmoins, un petit poème aurait été utile pour vous remercier d'avoir pris l'initiative de ce colloque et pour vous remercier tous d'avoir répondu aussi nombreux à l'invitation. Le moment est parfaitement choisi et cette réflexion n'était pas inutile. Je suis très sensible au choix du jour : ce sujet de réflexion me semble être une question pour chaque instant de la vie quotidienne du ministre que je suis. C'est une question qui est aussi au coeur de l'avenir et du métier exercé par les IPEF. Je souhaite apporter quelques commentaires de conclusions sur les deux thèmes successivement abordés. Le corps des IPEF Dans Le Monde d'aujourd'hui figure un article du Français Jules Hoffman, prix Nobel de médecine 2011, qui ne souhaite passer qu'un message : la réhabilitation de la science. Ce message doit rencontrer un écho important chez nous tous qui avons une formation scientifique. Je suis moi-même ingénieure des ponts, des eaux et de forêts. J'ai considéré avec un intérêt particulier le questionnaire adressé en juillet dernier à tous les IPEF : le premier enseignement est qu'une majorité d'entre eux pense que le corps n'est pas assez connu. Ne serait-ce que pour cela, cette journée avait du sens. Le taux de réponse élevé, plus de 50 %, démontre l'engagement et la motivation des IPEF. Nous avons la responsabilité de transformer cette énergie. Nous disposons d'un matériau considérable, avec plus de 200 pages d'observations, qui seront utiles pour la suite et pourront alimenter les réflexions qui devront se poursuivre après cette journée. Colloque IPEF du 4 octobre 2011 / CGEDD 34/36 Les IPEF se montrent très attachés à leur corps, quelle que soit leur position, qu'ils exercent au service de l'Etat, dans le privé ou dans les collectivités territoriales. Ce résultat peut paraître étonnant compte-tenu du caractère récent de ce corps. Un grand nombre de questions ont été posées sur l'avenir des ingénieurs. A ce propos, le rapport remis au Premier ministre par Messieurs Canepa et Folz en 2009 avait bien mis en évidence que l'Etat avait besoin de cadres supérieurs à formation scientifique et technique pour garantir son indépendance de jugement. Cela est d'autant plus vrai dans un environnement complexe et dans des secteurs qui ne cessent d'intégrer de nouvelles technologies. L'existence d'une filière technique qui ne serait pas séparée artificiellement, dans son encadrement supérieur, des autres filières, représente bien un atout majeur de la fonction publique française et un levier de modernisation de l'Etat, à l'heure où cela est plus que jamais d'actualité. Dans cet esprit, la notion de corps n'a rien de figé : on doit pouvoir échanger avec son environnement et évoluer. L'évolution, c'est aussi l'ouverture. Avec la fusion, il y a deux ans, les deux corps ont su pratiquer cette ouverture. Il faut féliciter les Secrétariats généraux des deux Ministères qui ont mis en oeuvre cette fusion. Il était déjà question de cette fusion lorsque j'étais moi-même à l'ENGREF. Ce travail a été fastidieux. Il a fallu inventer une structure de gestion biministérielle. C'est aujourd'hui une réussite. Le rapprochement des deux cultures est un atout à faire fructifier. C'est également un atout dans la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement, au niveau central et aux niveaux déconcentrés, mais aussi au sein des collectivités territoriales ou de l'ensemble des entreprises. Notre corps est vu d'abord comme un corps d'ingénieurs de haut niveau, mais aussi un corps de généralistes et de managers. C'est la multiplicité de ces facettes qui en fait tout l'intérêt. Il importe d'avoir de solides racines lorsque son titre s'achève sur le mot « forêt ». Vous souhaitez augmenter le nombre d'IPEF titulaires d'un doctorat. Cela a un coût, mais c'est un investissement pour l'avenir et pour l'ensemble de la formation du corps, ainsi qu'un sésame pour nous faire connaître auprès de tous les interlocuteurs étrangers. Je suis très disposée à ce qu'une réflexion approfondie puisse être menée par les deux Ministères sur cette question. S'agissant de la formation initiale et du tronc commun, nous sommes encore dans une période de rodage du nouveau système. Ils représentent un élément important pour l'attractivité du corps. Nous devons poursuivre ces travaux dans ce monde où règne la concurrence, y compris avec les universités étrangères les plus prestigieuses. Nous devons offrir une formation de qualité bien identifiée, qui prépare à l'avenir mais permette aussi des parcours alternatifs à ce cursus de base lorsque cela est justifié. C'est aussi parce que le corps laisse une certaine liberté qu'il conserve tout son intérêt. Vous voulez un corps plus ouvert sur l'extérieur, avec davantage d'allers-retours entre le public et le privé. Ce sujet est ancien et n'a jamais été totalement révolu. Je partage ce souci d'ouverture, pour avoir fait moi-même un début de carrières avec des allers-retours entre public et privé et avoir été alors assez mal comprise par les gestionnaires du corps. La place et le rôle de l'ingénieur dans l'action publique Je suis très convaincue que, moyennant ces quelques adaptations à la façon dont les ingénieurs sont gérés, ceux-ci ont un grand avenir partout mais aussi à l'intérieur de la structure. Nous avons besoin d'une expertise indépendante, d'une expertise opposable, d'une expertise maison, qui soit à la fois pointue dans tous les domaines et transversale. Nous avons besoin de spécialistes des interactions complexes. Ainsi, l'interaction entre urbanisme et transports est aujourd'hui au coeur du quotidien de nos concitoyens ; nous devons trouver, dans notre corps, ces compétences croisées qui font toute la richesse des ingénieurs du corps. Colloque IPEF du 4 octobre 2011 / CGEDD 35/36 On a l'habitude de déplorer une crise de l'expertise, imputée aux erreurs de communication de certaines politiques publiques dépassées ou d'échecs avérés. Un certain nombre d'événements déstabilisateurs sont certes survenus, mais ils ont contribué à faire émerger un nouveau modèle de gouvernance dont le MEDDTL se veut le fer de lance, le pilote et l'exemple. Ces crises ont renforcé des attentes légitimes de nos concitoyens par rapport à une multitude de réseaux, qui sont autant de sources d'informations. L'expertise n'est pas déconsidérée. Elle appelle toujours plus d'exigence et est toujours plus demandée, dans la plus grande qualité. Le Grenelle de l'Environnement affirme le droit d'accès à l'information environnementale et l'exigence d'une expertise pluraliste pour le développement durable. La vocation de l'expertise publique et singulièrement des IPEF se trouve ici renforcée. Je reprends à dessein les termes de la Commission d'orientation et de suivi : « expertise publique vivante et sociale, impliquant souvent le recours à une analyse systémique ». Dans mon esprit, nous parlons bien à l'ensemble des IPEF, à l'intérieur, dans les organismes déconcentrés, dans les collectivités, dans le privé, dans des organismes scientifiques et techniques, etc. Ils sont tous des membres vivants de ce corps. Chacun participe de cette richesse et de cette image que je crois forte et que je voudrais toujours plus forte dans les années à venir, d'un corps d'excellence qui a beaucoup à apporter à la modernité. C'est tout le mal que je vous souhaite. Colloque IPEF du 4 octobre 2011 / CGEDD 36/36 (ATTENTION: OPTION prit, nous parlons bien à l'ensemble des IPEF, à l'intérieur, dans les organismes déconcentrés, dans les collectivités, dans le privé, dans des organismes scientifiques et techniques, etc. Ils sont tous des membres vivants de ce corps. Chacun participe de cette richesse et de cette image que je crois forte et que je voudrais toujours plus forte dans les années à venir, d'un corps d'excellence qui a beaucoup à apporter à la modernité. C'est tout le mal que je vous souhaite. Colloque IPEF du 4 octobre 2011 / CGEDD 36/36 INVALIDE) (ATTENTION: OPTION sont tous des membres vivants de ce corps. Chacun participe de cette richesse et de cette image que je crois forte et que je voudrais toujours plus forte dans les années à venir, d'un corps d'excellence qui a beaucoup à apporter à la modernité. C'est tout le mal que je vous souhaite. Colloque IPEF du 4 octobre 2011 / CGEDD 36/36 INVALIDE)

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