Comment réconcilier ville et commerce ? Actes du colloque du 19 octobre 2017
Auteur moral
France. Conseil général de l'environnement et du développement durable
Auteur secondaire
Résumé
<p align="justify">Le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) a organisé un colloque avec l'ensemble des partenaires concernés à la suite de la publication de ses rapports "la revitalisation commerciale des centres-villes" (juillet 2016, avec l'inspection générale des Finances, n° 010404-01) et "Inscrire les dynamiques du commerce dans la ville durable" (mars 2017, n° 010468-01). Ce colloque ouvert à tous les acteurs et nourri d'expériences françaises et européennes, a permis de mettre en débat l'ensemble des enjeux socio-économiques, environnementaux et de cohésion territoriale afin de dégager une nouvelle approche pour le devenir des centres-villes et des périphéries commerciales.<br />En annexe des actes du colloque, un tiré à part de la revue Urbanisme, n°407, hiver 2017 intitulé : Comment réconcilier ville et commerce ?
Editeur
CGEDD
Descripteur Urbamet
urbanisme commercial
;ville
;commerce
;économie
;centre commercial
;périphérie
;tissu urbain
;entrée de ville
;centre-ville
;union européenne
;politique urbaine
;planification urbaine
;requalification urbaine
;mode de consommation
Descripteur écoplanete
ville durable
Thème
Aménagement urbain
Texte intégral
CGEDD
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Actes du colloque
Comment réconcilier ville et commerce ?
Colloque organisé par le Conseil général du développement durable
Le 19 octobre 2017 / Paris
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Comment réconcilier ville et commerce ?
Sommaire
Ouverture Anne-Marie LEVRAUT, Vice-présidente du CGEDD
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Présentation des constats et orientations des rapports produits par l'IGF et le CGEDD .....................................................................................................................8 Analyses et enjeux ........................................................................................................12
Interventions de Pascal Faure, directeur général des entreprises et de Paul Delduc, directeur général de l'aménagement, du logement et de la nature .................................................................28 Éclairage européen .......................................................................................................32 .......................................................................................43
Perspectives et propositions
Conclusion : synthèse des débats et discours de clôture des ministres David PHILOT, Directeur de cabinet du ministre de la cohésion des territoires ....................55 Glossaire .......................................................................................................................57
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Ouverture
Anne-Marie LEVRAUT
Vice-présidente du CGEDD
Mesdames et Messieurs les élus, Mesdames et Messieurs les professionnels du commerce, des villes et des territoires, Mesdames, Messieurs, Vous êtes très nombreux à avoir répondu présents à l'invitation du Conseil général de l'Environnement et du Développement durable, le CGEDD, que j'ai l'honneur de diriger sous la présidence de Nicolas HULOT, ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire, et je vous en remercie. Votre présence témoigne, si besoin était, de l'intérêt que suscite le thème de ce colloque : « Comment réconcilier ville et commerce ? » Elle montre aussi que la question des liens entre ville et commerce, avant d'être une affaire de spécialistes, intéresse toutes les composantes de notre société. Sans doute parce qu'elle met en relation et en tension deux phénomènes culturels majeurs de notre temps l'urbanisation de l'espace et la transformation de l'économie marchande qui sont aussi deux réalités structurantes de nos sociétés occidentales : le cadre de notre vie quotidienne et nos modes de consommation. Pour celles et ceux d'entre vous qui ne seraient pas familiers du CGEDD, je rappelle qu'il s'agit d'un organisme de conseil et d'audit dont le rôle est d'éclairer l'action publique sur l'ensemble des champs de compétence des trois ministères : transition écologique et solidaire, cohésion des territoires et transports. Il exerce ses missions à la demande des mi nistres compétents, mais peut aussi se saisir de sujets de fond, exerçant ainsi un devoir d'alerte, d'information et de vigilance. Ses rapports sont établis en toute indépendance et impartialité, à partir d'analyses et d'auditions, de l'expertise de ses membres et dans le cadre d'une démarche qualité rigoureuse, fondée sur la collégialité. Parmi nos travaux récents, plusieurs ont porté sur le logement et sur les territoires fragiles. En particulier, nous nous sommes intéressés au lien entre l'économie des territoires et l'organisation des espaces urbains, périphériques et ruraux, et c'est dans ce cadre que nous avons décidé d'approfondir la question des liens entre ville et commerce. Un mot, sur l'intitulé de ce colloque. Évoquer la « réconciliation » de la ville et du commerce, c'est rappeler à quel point, dans l'histoire de la France urbaine, et même, dans l'histoire de l'urbanisation, la ville et le commerce ont partie liée. Dans son oeuvre consa crée à la « civilisation matérielle », à l'économie et au capitalisme entre le XV e et le XVIIIe siècle, Fernand Braudel montre comment la ville, bien avant la Renaissance, est le lieu privilégié des échanges économiques. Ainsi, la ville et le marché sont étroitement imbriqués : « Toute ville, quelle qu'elle soit, est d'abord un marché », écrit Braudel, un marché que matérialise la place centrale de la ville ou du village la « place du marché » précisément avant que les nécessités de son expansion ne le portent à se déplacer à la périphérie : vers les bourgs puis les faubourgs.
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Ce lien historique entre ville et commerce n'est pas seulement d'ordre économique. C'est aussi un lien politique. Il explique pour une grande part ces libertés citadines qui, par la voie de chartes ou de franchises, ont été accordées aux bastides, Villefranche et autres Villeneuves pour mettre l'essor du commerce à l'abri de l'arbitraire seigneurial et du pouvoir ecclésiastique. C'est cette émancipation qui a rendu possible la naissance et la prospérité d'une classe urbaine industrieuse, artisanale et commerçante. Bref, c'est dans la ville que se créent les premières formes d'économie de marché, de sorte que le monde urbain est le berceau du commerce et que, réciproquement, le commerce a longtemps contribué à façonner la ville et ses espaces publics. Cette brève mise en perspective nous aide à prendre la mesure de ce que le phénomène qui nous occupe aujourd'hui peut avoir d'inédit et même d'extraordinaire. Ce phénomène est plus simple à décrire qu'à expliquer ou à maîtriser. Les liens qui unissaient historique ment ville et commerce se sont distendus ces dernières décennies et ce phénomène est davantage marqué en France que dans les pays européens voisins. Il oblige toutes les parties prenantes à s'interroger : pouvoirs publics, acteurs de la ville et monde du commerce, dont les métiers et les modes d'organisation sont en outre profondément bouleversés par la révolution numérique et les mutations sociétales contemporaines. Le CGEDD s'est efforcé d'analyser cet état de fait dans le cadre de deux rapports : · Le premier, publié en juillet 2016, résulte d'une commande interministérielle adressée à l'Inspection générale des finances et au CGEDD et portait sur « La revitalisation commerciale des centres villes ». La mission faisait suite à l'inquiétude croissante de nombreux maires et commerçants sur la déqualification de nombreux centres villes. Le second rapport, publié en mars 2017, relève du programme du CGEDD : « Inscrire les dynamiques commerciales dans la ville durable ».
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Ces rapports vous seront présentés conjointement dans un instant par les coordonnateurs des missions, côté inspection générale des Finances et côté CGEDD. Ils traitent de façon complémentaire de la place et des conditions d'implantation du commerce dans la ville, le premier à partir des phénomènes de fragilisation des centres-villes (particulièrement dans les villes moyennes), le second à partir de l'analyse de l'urbanisme commercial périphérique (sur tout le territoire). Ils sont révélateurs d'une question de société plus large. Sous l'influence d'une conception plus utilitariste que patrimoniale ou résidentielle de la ville, l'espace et le paysage urbain se sont profondément modifiés. Les règles d'urbanisme n'ont pas réussi à endiguer un phénomène massif et mal maîtrisé, comme en témoignent ces entrées de ville où les infrastructures et les enseignes semblent avoir poussé sans ordre ni contrôle. Ce phénomène centrifuge n'est évidemment pas resté sans effet sur nos coeurs de ville. On ne compte plus les centres de villes moyennes où le taux de vacance commerciale atteint 10 %, et ce taux peut aller jusqu'à dépasser 25 % pour les plus touchées. De sorte qu'avec le commerce, c'est la vie et le vivre-ensemble qui désertent nos centres urbains. « Le commerce est la chose du monde la plus utile à l'État » écrivait Montesquieu, qui célébrait dans un même élan les vertus adoucissantes du commerce sur les moeurs jouant sur le double sens du mot « commerce ». Outre le besoin l'un de l'autre qu'ont vendeur et acheteur, nous savons bien que l'animation commerciale est déterminante pour la vitalité des centres-villes et des quartiers mais qu'elle joue aussi un rôle important dans les rela-
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tions sociales. Elle est donc un facteur d'attractivité qui agit en retour sur d'autres aspects de la vie urbaine, l'usage des espaces publics, les équipements, le logement, la qualité du cadre de vie et le sentiment de sécurité. Au-delà des déséquilibres de l'espace urbain, audelà des conséquences désastreuses sur le coeur urbain et des nuisances de tous ordres qu'engendre aujourd'hui la dé-liaison entre ville et commerce, ce qui est en jeu c'est, en définitive, la diversité de nos modes de vie, une certaine forme de civilité. Il est donc urgent, de s'attaquer à un phénomène qui ne cesse de s'aggraver et qui ne s'arrêtera pas spontanément par le miracle de l'auto-régulation. Il appelle une action publique volontariste et globale qui ne se limite pas au commerce. Au-delà des secteurs ciblés par le plan d'action gouvernemental en cours de préparation, c'est la question de l'occupation de l'espace urbain, plus précisément des conditions d'implantation du commerce sur l'ensemble des villes et des territoires qui pose question et qui nécessite de revoir les dispositifs de planification et de régulation. Il s'agit de créer un meilleur équilibre de l'offre commerciale entre centre et périphérie et de créer les conditions propices à la réparation de la « France moche » des entrées de ville et de nombres d'espaces périurbains. Encore faut-il, pour trouver les bonnes réponses, poser le bon diagnostic. Que s'est-il donc passé pour qu'au cours des dernières décennies, la grande majorité des nouvelles implantations commerciales se soit faite dans les périphéries ou à l'extérieur du tissu urbain constitué ? Certes, au cours des Trente Glorieuses, la croissance a fait déborder les villes de leurs limites. Mais actuellement ce développement se poursuit encore, particulièrement en France, même dans les territoires où la démographie ne progresse plus, et là où l'offre est manifestement devenue surabondante, alors que les centres-villes an ciens et les autres pôles commerciaux existants sont souvent fragilisés voire mis en péril. Pourquoi de nombreux coeurs de villes, souvent dotés d'importants atouts patrimoniaux, ont-ils laissé décliner leur vitalité commerciale, si nécessaire à leur attrait et à leur anima tion ? Doit-on partager le terrible constat dressé par Olivier Razemon dans son essai récent intitulé : « La France a tué ses villes » ? Or, les pays voisins redoublent d'efforts pour préserver leurs centres-villes et limiter les développements périphériques, ces phénomènes ne sont donc pas inéluctables ? Le diagnostic posé dans nos rapports établit un état des lieux, sans complaisance mais aussi sans excès et sans stigmatisation. Les rapporteurs montrent ensuite l'intérêt, la nécessité mais aussi la possibilité d'une nouvelle approche permettant de réconcilier les dynamiques commerciales avec les villes et les territoires, et cela sans brider l'innovation et les adaptations nécessaires à l'évolution des modes de consommation et de l'avènement du numérique. D'où le titre de ce colloque « réconcilier » et l'importance de parler non seulement du « pourquoi » mais aussi du « comment ». Le sujet met l'accent sur l'impératif économique : la fluidité des échanges, le développement et l'emploi. Il renvoie à un triple enjeu qui correspond précisément aux préoccupations de nos trois ministères : · l'enjeu de la transition écologique, qui implique de s'interroger sur l'évolution des modes de consommation (notamment alimentaire), sur les moyens de préserver les paysages, et de limiter l'étalement urbain et de lutter contre la consommation de nouveaux espaces naturels ou agricoles ; l'enjeu des transports et de l'organisation d'une mobilité multimodale, plus équilibrée, plus économe, minimisant son empreinte carbone ; l'enjeu de la cohésion des territoires, qui invite à faire jouer pleinement aux commerces leur rôle aussi bien dans le développement économique des territoires périphériques que dans l'organisation de centralités, traditionnelles ou renouvelées, qui soient facilitatrices de mixité, d'échange et de lien social.
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En ouvrant le 29 mai dernier la semaine européenne du développement durable, Nicolas HULOT avait énoncé les valeurs qui doivent guider l'action en quatre mots clefs : solidarité, diversité, sobriété, humilité et dignité. Ces quatre mots peuvent servir de repères à nos débats de ce jour sur le lien entre ville et commerce, parce que chacun d'eux est porteur d'un questionnement spécifique sur le thème d'aujourd'hui : · Comment assurer la diversité nécessaire à l'identité et à l'attractivité d'un centreville traditionnel ou d'un autre pôle urbain et comment faciliter l'innovation nécessaire au maintien de cette diversité ? A propos de sobriété, si notre société évolue progressivement du « plus consommer » au « mieux consommer », quelles conséquences en tirer pour une meilleure organisation de l'espace et des lieux de commerce dans la ville et les territoires ? Enfin, l'humilité et la dignité incitent à considérer le client ou le commerçant avant tout comme une personne à respecter dans son environnement et ses interactions sociales.
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Voilà Mesdames et Messieurs quelques réflexions que je voulais vous faire partager avant que ne s'engagent les débats de cette journée qui seront je n'en doute pas sur un sujet aussi complexe, ouverts et constructifs entre tous les types d'acteurs concernés :
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ce matin sur le diagnostic et les enjeux, sur la manière dont nous pourrions ensemble consolider voire refonder le lien entre commerce et ville ; puis, cet après-midi, après un éclairage sur les pratiques européennes, sur la manière dont notre système de régulation et les règles du jeu entre acteurs pourraient être remaniés et tout simplement sur la manière de faire et refaire la ville avec le commerce, ensemble, dans les centres-villes, dans les quartiers et dans les périphéries urbaines.
Avant de donner la parole à Denis Cheissoux, journaliste à Radio France, chargé d'animer ce colloque, je voudrais souhaiter la bienvenue à nos invités de la séquence européenne et les remercier d'être venus de Berlin, de Londres et de Barcelone, et remercier toutes celles et tous ceux qui ont travaillé avec nous à la préparation de cette journée, notamment les services de la Direction générale de l`aménagement, du logement et de la nature et de la Direction générale des entreprises, les associations d'élus, tout particulièrement les partenaires de ce colloque : la Caisse des dépôts et consignations, l'Assemblée des communautés de France et Villes de France. Merci aussi à Pierre Narring et à l'équipe de communication du CGEDD. Je vous remercie pour votre attention et vous souhaite une très belle journée de rencontres et de débats.
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Présentation des constats et orientations des rapports produits par l'IGF et le CGEDD
Pierre-Mathieu DUHAMEL, inspecteur général des finances (IGF) Les deux rapports établis successivement par l'IGF et le CGEDD puis par le CGEDD s'inscrivant dans une continuité, Pierre Narring et moi avons fait le choix d'en rassembler les principaux constats et propositions. Pierre NARRING, ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts (CGEDD) A cette occasion, je souhaite remercier l'ensemble des équipes ayant contribué à la réalisation de ces deux rapports, à savoir, pour l'IGF, aux côtés de Pierre-Mathieu Duhamel : Julien Munch, Camille Freppel et Justine Janvier ; et, pour le CGEDD, à mes côtés : Jean-Paul Le Divenah et Hugo Marques (pour le premier rapport), puis Bruno Fareniaux, Dominique Stevens et Rouchdy Kbaier (pour le second), sous la supervision d'Alain Lecomte puis de Ruth Marques. Pierre-Mathieu DUHAMEL Dans le premier rapport réalisé conjointement par l'IGF et le CGEDD, portant sur la redynamisation commerciale des centres-villes, nous nous sommes focalisés sur environ 900 villes moyennes de 10 000 à 100 000 habitants, parmi lesquelles des villes-centres, des villes banlieues et des villes isolées. Dans ces villes, entre 2001 et 2015, une très forte évolution du taux de vacance commerciale a été observée, avec une moyenne passant de 6,1 % à 10,4 %. Les villes moyennes sont ainsi apparues proportionnellement davantage touchées par le phénomène, avec 55 % des villes moyennes affichant un taux de vacance commerciale supérieur au seuil d'alerte de 10 %, contre 27 % seulement parmi les grandes villes. Au sein de l'échantillon retenu, les villes en périphérie d'une ville-centre sont apparues souffrir proportionnellement le moins la plus forte progression du taux de vacance commerciale étant observée au sein des villes-centres et des villes isolées. En termes de dispersion, des écarts de plus en plus marqués entre les situations les plus critiques et celles les mieux maîtrisées ont par ailleurs été relevés. Les villes touchées par le phénomène sont ainsi apparues l'être proportionnellement plus fortement. Ces mesures statistiques ont permis d'établir une cartographie du phénomène, ainsi qu'un classement des villes les plus touchées. En tête de ce dernier, figurent 10 villes dont le taux de vacance commerciale excède aujourd'hui 15 % le centre-ville de Béziers affichant la dévitalisation commerciale la plus accentuée, avec un taux de vacance commerciale passé de 9,7 % en 2001 à près de 25 % en 2015. Au-delà de ces éléments statistiques, l'analyse menée visait à comprendre les mécanismes de cette dévitalisation commerciale. Pour ce faire, différents facteurs ont été pris en compte, ayant trait à l'environnement humain et socio-économique (le dynamisme démographique, le taux de vacance des logements, le revenu moyen ou médian des populations, le taux de chômage, le vieillissement des populations, etc.), à l'environnement urbain ou physique (les équipements et services collectifs, la sécurité urbaine, l'attractivité touristique, l'accessibilité, l'offre de stationnement, l'animation locale, etc.) et à l'activité commerciale elle-même (le niveau de renouvellement de l'offre, la concurrence environnante, les charges locatives et la fiscalité, etc.). A la lumière de ces paramètres, il s'est agi de mettre en regard les modes de vie et les attentes des consommateurs (en constante évolution) et l'offre commerciale des centres-villes (aux capacités d'adaptation plus ou moins importantes).
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Pierre NARRING Dans le cadre de la seconde mission conduite par le CGEDD, nous sommes partis du constat d'évolutions profondes dans le monde du commerce, pour partie liées à la nécessaire adaptation aux attentes et aux besoins des consommateurs, mais aussi à l'essor du e-commerce. Le développement du e-commerce demeure moins rapide en France que dans d'autres pays voisins, avec un chiffre d'affaires n'atteignant pas encore 10 % de celui du secteur. Néanmoins, les grandes enseignes s'attachent de plus en plus à développer des offres multicanales. Les pure players du e-commerce tels Amazon recherchent également des implantations et des complémentarités avec le commerce en magasins Chez les petits commerçants, cette intégration entre le commerce physique et le e-commerce apparaît plus difficile et moins avancée. Un certain retour de la proximité dans les attentes des consommateurs pourrait donner sa chance à la revitalisation des centres-villes, le cas échéant à travers le développement, en centre-ville, de petites surfaces, de lieux de destination ou d' « hyper-lieux » (articulés avec des espaces ludiques ou dédiés à la culture). Toutefois, cette proximité couplée avec l'usage des outils mobiles (smartphones) pourrait aussi s'incarner dans d'autres lieux que les centres-villes, s'agissant notamment des lieux de connexion intermodaux, , voire d'autres lieux périphériques plus vastes (avec des questions sensibles en termes de développement durable). Pour approfondir ces constats, un diagnostic a été établi sur l'ensemble du territoire, au-delà des seules villes moyennes considérées dans le cadre de la première mission conduite par l'IGF et le CGEDD, au regard de l'ensemble des critères du développement durable et dans une perspective plus large d'aménagement du territoire. Le développement sans limite des espaces commerciaux observé en France depuis cinq décennies avec, au cours de la période récente, 5 à 6 millions de m 2 autorisés chaque année par les commissions d'aménagement commercial ou les collectivités, ainsi qu'un stock de 5 millions de m2 de grands projets est apparu constituer un des principaux facteurs de fragilisation des centres-villes, en particulier dans les villes moyennes. Un découplage entre la consommation des ménages et l'augmentation des surfaces commerciales a également été constaté la première augmentant, depuis 2000, de 1,5 % par an en moyenne, pour une augmentation de la seconde de près de 3 % par an en moyenne. Ce décalage pourrait expliquer en partie le développement de friches dans les centres-villes, mais aussi dans les centres commerciaux, super ou hypermarchés. Parallèlement à cette obsolescence ou fragilisation, le constat a été fait d'investissements toujours conséquents, avec près de 5,2 milliards d'euros investis dans l'immobilier commercial en 2015. Une attention a par ailleurs été portée à l'inscription des opérations dans leur environnement, à différentes échelles territoriales. A cet égard, les labels couramment utilisés par les opérateurs immobiliers sont apparus se limiter à des facteurs d'intégration environnementale très ponctuels et ciblés, ne prenant pas nécessairement en compte les critères de consommation d'espaces et d'impacts sur l'étalement urbain, la mobilité, l'emploi, etc. Pour ce qui est des outils de régulation, malgré les précisions et ajustements apportés par la loi ACTPE (dite loi Pinel), les critères d'examen des projets sont apparues encore insuffisamment hiérarchisés et évalués. Les outils de planification (SRADDET, SCoT et PLUi) sont apparus permettre une prise en compte encore imparfaite du commerce. Les commissions départementales d'aménagement commercial, quant à elles, sont apparues ne pas jouer leur rôle, autorisant de fait la très grande majorité des projets (90 % en moyenne). Vis-à-vis de l'emploi, des enjeux considérables ont été mis en évidence le secteur du commerce ayant représenté 3,5 millions d'emploi en 2015, pour un chiffre d'affaires de 1 409 milliards d'euros). L'évolution des implantations commerciales est ainsi apparue avoir un impact très significatif sur les territoires. Cependant, la création de nouveaux Paris, le 19 octobre 2017
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emplois à travers le développement de commerces argument souvent utilisé pour défendre les projets proposés aux élus est apparue soulever un certain nombre d'interrogations, quant à la qualification et à la pérennité des emplois créés, à l'impact sur les secteurs avoisinants, etc. Autour de ces questions, peu d'études et de recherches ont semblé pouvoir être mobilisées en France, bien que le Cerema ait engagé récemment des travaux en ce sens. A l'échelle européenne, à travers des auditions organisées avec les services de la Direction du trésor au sein des ambassades, une attention a été portée au dispositif de planification mis en place en Allemagne, aux dispositifs de concertation mis en place dans certains pays tels que les Pays-Bas ou la Belgique, aux tests séquentiels développés au Royaume-Uni, ainsi qu'à la culture du centre-ville privilégiée en Italie ou dans certaines régions de l'Espagne telles que la Catalogne. Des approches permettant, en cohérence avec le droit européen, un meilleur équilibre entre la libre implantation du commerce, l'aménagement du territoire et la protection du consommateur (au sens de l'intérêt général) ont pu ainsi être mises en évidence. Tous ces constats conduisent à la nécessité d'agir rapidement sur les centres-villes, notamment dans les villes moyennes, en considérant ceux-ci dans leur environnement territorial des questions importantes se posant par ailleurs quant au devenir des périphéries et des entrées de ville. Des choix stratégiques ont ainsi semblé devoir être faits, le cas échéant pour anticiper une recomposition urbaine plus globale. Pierre-Mathieu DUHAMEL Dans le cadre de la mission conduite par l'IGF et le CGEDD, des échanges nombreux avec l'ensemble des parties prenantes ont permis d'élaborer un certain nombre de propositions relatives à la revitalisation commerciale des centres-villes. La première serait d'impulser la définition de stratégies locales équilibrées, à la bonne échelle territoriale (communale, intercommunale, voire au-delà) de telles stratégies pouvant prendre des formes multiples, à l'initiative des élus locaux et des autorités décentralisées, et se traduire éventuellement dans des documents d'urbanisme. Un autre levier serait de renforcer, à plus forte raison dans les situations les plus critiques, la coordination entre les acteurs du commerce eux-mêmes, le cas échéant en s'appuyant sur un pilote ou un manager de centre-ville. En parallèle, il conviendrait aussi de soutenir les acteurs du commerce dans leur adaptation au commerce de demain, c'est-à-dire au numérique et aux nouvelles attentes des consommateurs, le cas échéant en s'inspirant des dispositifs mis en place par certains de nos voisins européens. Enfin, la ressource foncière nécessiterait de pouvoir être mobilisée, au sein de projets globaux de requalification. Au-delà des traitements urbains et des efforts d'animation impulsés localement, des moyens d'ingénierie pourraient pour cela être mis à disposition des acteurs en charge de mener des opérations de revitalisation commerciale en centreville. Un réseau d'experts et d'opérateurs ayant une expérience en la matière pourrait ainsi être constitué. La Caisse des dépôts et consignations a déjà engagé des actions en ce sens, qui seraient à poursuivre en termes de financement de projet et de mise en place de sociétés de portage foncier commercial. Pierre NARRING Dans le cadre de la seconde mission conduite par le CGEDD, des propositions visant à répondre aux enjeux de l'ensemble des territoires ont été formulées, autour de trois axes principaux. Tout d'abord, il conviendrait, comme tel est le cas au Royaume-Uni, d'accorder et d'afficher une priorité à la consolidation des centres urbains et à la requalification des tissus commerciaux existants. A cet endroit, le changement de cap nécessiterait de pouvoir s'appuyer sur une parole forte de l'État. Les modifications législatives associées nécessiteraient également d'être préparées, en s'inspirant des pratiques observées dans Paris, le 19 octobre 2017
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les pays voisins et en cohérence avec le droit européen. Une obligation d'observation territoriale en matière de commerce devrait par ailleurs d'être rétablie, s'agissant notamment de suivre la dimension liée à l'emploi. La qualité des labels nécessiterait également d'été réexaminée. L'enjeu serait ensuite d'évaluer et de rénover les dispositifs de planification et de régulation existants (autour des autorisations d'exploitation commerciale notamment). Dans ce cadre, des études préalables d'impacts par un tiers indépendant pourraient être rendues obligatoires. Les critères de la loi ACTPE nécessiteraient également d'être précisés, s'agissant notamment de mieux prendre en compte la question de l'accessibilité et de la desserte des projets commerciaux par des transports collectifs. Le développement commercial nécessiterait par ailleurs d'être mieux pris en compte dans les outils de planification (SRADDET, SCoT et PLUi). Une autre mesure pourrait être de transférer, au moins pour les projets les plus significatifs, les attributions des commissions départementales d'aménagement commercial à des commissions régionales, pour permettre un examen à une échelle plus large. Enfin, il conviendrait d'engager et de préfigurer une politique partenariale de rénovation des périphéries urbaines et/ou commerciales. Dans cette optique, des expérimentations pourraient être menées, sous le pilotage des collectivités mais en lien avec des acteurs du commerce et des opérateurs immobiliers. Les échanges entre acteurs pourraient également être favorisés à travers la mise en place de réseaux, dans le prolongement de la démarche engagée en ce sens par la DGALN et la DGE. De manière plus transversale, un certain nombre de principes sont à mettre en oeuvre : · · · mobiliser l'ensemble des acteurs avec des formes de contractualisation autour de démarches globales, inventer de nouveaux modèles urbains pour les centres et les périphéries, développer un plan d'action permettant d'engager rapidement la revitalisation des centres-villes, pour aller vers une réforme de l'urbanisme commercial et, in fine, un renouvellement urbain des périphéries.
Notre conviction est que le moment d'agir est venu. De telles réformes peuvent aujourd'hui aboutir, du fait d'une adhésion de plus en plus large de nos concitoyens à de nouvelles valeurs de consommation (autour du développement durable et de la transition écologique), du fait de nouvelles échelles de gouvernance instaurées par la réforme de l'organisation territoriale (avec une montée en puissance des intercommunalités et des régions), mais aussi du fait d'une crise du commerce qui s'aggrave, mettant en évidence les limites du modèle français. Ce contexte fournit autant d'opportunités pour travailler, avec l'ensemble des acteurs, au renouvellement de l'urbanisme commercial à la française et à la réinvention du lien entre ville et commerce.
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Analyses et enjeux
I) Introduction
Marc ABADIE, directeur du réseau et des territoires, représentant du directeur général de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) Je souhaiterais tout d'abord saluer la qualité des travaux qui nous ont été présentés. La lucidité des constats produits devrait permettre de sortir d'un certain sensationnalisme autour de ces questions et montrer que le dossier est pris à bras le corps, y compris par les grands corps de contrôle de l'État. Ces travaux mettent aussi en évidence que, sur le terrain, des expériences sont menées, dont certaines sont complexes et se heurtent à des difficultés, mais dont certaines réussissent et laissent présager d'une sortie de la spirale négative observée. Le phénomène qui nous occupe aujourd'hui dépasse nos frontières et doit s'analyser dans ses grands mouvements (de métropolisation, de littoralisation, de redistribution des espaces, etc.). Il doit également s'analyser au regard des évolutions démographiques. Il importe ainsi de prendre du recul et de penser out of the box. La Caisse des dépôts et consignations est d'abord entrée dans ce sujet au regard de ses enjeux territoriaux. Avec la réforme territoriale de 2015 l'institution exerçant une mission historique auprès des élus, du monde de la recherche et des acteurs des territoires , il est apparu nécessaire de rebâtir la « Caisse des dépôts et consignations des territoires », y afin d'accompagner les grandes transitions à l'oeuvre dans ceux-ci : la transition numérique, la transition énergétique et écologique (avec des enjeux autour des nouvelles mobilités notamment) et la transition démographique (avec des enjeux forts d'adaptation au vieillissement de la population). La Caisse des dépôts et consignation est par ailleurs le banquier des notaires. Or, sur l'ensemble du territoire, ceux-ci font état de difficultés liées aux indivisions et à la complexité des successions, avec un impact sur la vacance commerciale. Avec les élus et leurs associations (l'Association des maires de France et Villes de France notamment), il est également apparu nécessaire d'échanger autour de problématiques quotidiennes, au-delà des cas examinés par les directions régionales. Pour approfondir ces analyses, des travaux complémentaires ont été engagés avec des universitaires, à travers notre institut de recherche. Enfin, la réflexion sur l'évolution de notre modèle européen de centre-ville recouvre des enjeux liés au commerce, mais aussi à l'habitat et au patrimoine, avec des interrogations sur la fiscalité et le devenir de la loi Malraux notamment. En mars 2016, pour aborder ce dossier, la Caisse des dépôts et consignations a fait le choix de privilégier une approche pragmatique, en envisageant une différenciation territoriale des stratégies et des politiques publiques. 80 villes ou agglomérations ont déjà exprimé le souhait de travailler avec nous dans ce cadre. En pratique, certaines métropoles françaises se portent bien. Cependant, ces mêmes métropoles peuvent rencontrer des difficultés au sein de leur aire urbaine, avec des situations par endroit très dégradées. D'autres métropoles ne se portent pas si bien. Les villes moyennes, quant à elles, apparaissent globalement plus touchées par le phénomène de dévitalisation des centres-villes. Une géographie complexe et nuancée apparaît ainsi devoir être prise en compte. A cet égard, l'approche intercommunale, permettant de recouper les bassins de vie avec le périmètre des institutions publiques, devrait ouvrir des perspectives. L'implication des régions, à travers les schémas régionaux de développement économique notamment, devrait également permettre l'essor de coopérations interterritoriales. Les outils de
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planification tels que les SCoT et les PLUi nécessiterait également de pouvoir être mobilisés, en lien avec les agences d'urbanisme. S'agissant de répondre à des situations hétérogènes, tous les partenaires nécessiteraient ainsi de pouvoir être réunis, autour de projets émanant des territoires. Inverser la tendance lourde à la dévitalisation des centres-villes nécessite un engagement sur le long terme, avec des projets à étaler sur 10 ou 12 ans, en cohérence avec l'horizon des schémas territoriaux. Un autre enjeu serait d'oser l'expérimentation. Dans cette optique, 10 sites démonstrateurs ont été identifiés dans le cadre du programme national lancé par la Caisse des dépôts et consignations. En l'absence de développement endogène spontané dans les territoires considérés, il conviendrait ainsi de favoriser l'émergence de solutions nouvelles et de modèles économiques originaux, avec des outils d'aménagement et de réalisation adaptés, des perspectives de mutualisation, etc. La Caisse des dépôts et consignations, dans son rôle d'investisseur à long terme, a vocation à accompagner de tels montages, en liaison avec les élus et le secteur privé. Avec son savoir-faire et sa vision de long terme, elle entend ainsi jouer un rôle facilitateur, dans des territoires où il est souvent difficile de donner de l'espoir à la population. Tel est le sens des propositions que nous avons faites dans le cadre de la préparation d'un futur plan gouvernemental. Philippe MOATI, professeur d'économie à l'université Paris Diderot et fondateur de l'observatoire société et consommation (OBSOCO) Les rapports qui nous ont été présentés sont effectivement remarquables de finesse, tant dans leurs constats que dans leurs préconisations. Je m'efforcerai pour ma part d'enrichir les éléments de diagnostic proposés. En 2014, le Pôle de compétitivité des industries du commerce (PICOM) a confié à l'OBSOCO une étude sur l'avenir du commerce physique. Pour traiter cette question, l'option a été prise d'interroger les cadres dirigeants de grands réseaux de distribution, à travers une enquête en ligne. Tous les acteurs ainsi interrogés ont indiqué anticiper une accélération de la transformation du secteur une majorité (53 %) envisageant même l'instauration d'un nouveau cadre. Les ruptures fondamentales ainsi attendues, s'apparentant à une nouvelle « révolution commerciale », pourraient même aboutir à une disparition du commerce tel que nous le connaissons la précédente révolution commerciale s'étant traduite par l'avènement de la grande distribution, en lien avec le développement de l'automobile. Parmi les causes de cette transformation, figure l'avènement du numérique. Selon la FEVAD, le e-commerce représente aujourd'hui 7 % du commerce de détail en France. Le choc apparaît ainsi limité. Néanmoins, le e-commerce continue de progresser. En outre, au-delà de cette approche purement quantitative, le e-commerce est appelé à se décliner, dans l'alimentaire notamment, avec des logiques de livraison à domicile et le développement d'offres de réapprovisionnement automatique des habitations. Dans ce cadre, de nouveaux acteurs pourraient émerger et bouleverser les dynamiques du secteur. En toile de fond, des changements sociétaux, autour des modes de vie et de consommation, percutent également le modèle économique de la grande distribution. Ce modèle s'épuise car il ne correspond plus aux attentes des consommateurs, de plus en plus éloignées des valeurs et des arguments du commerce de masse. Dans les pays développés, au-delà de la surenchère promotionnelle, une meilleure connaissance des besoins et des attentes immatérielles des consommateurs est désormais nécessaire. Le modèle de la grande distribution apparaît également de moins en moins soutenable, car s'appuyant sur des logiques consuméristes de plus en plus perçues par l'opinion publique comme peu compatibles avec le développement durable, voire peu favorables au lien social. Les enquêtes de l'OBSOCO mettent ainsi en évidence qu'un français sur deux
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serait aujourd'hui prêt à consommer moins pour consommer mieux. Face à cette pression sociétale, les enseignes sont déjà appelées à modifier leur discours, en se focalisant davantage sur le « manger mieux », le respect de l'environnement, le respect des petits producteurs, etc. Chaque révolution commerciale appelle par ailleurs une redéfinition des modes d'inscription territoriaux du commerce. Au plan quantitatif, dans un contexte de croissance molle, la consommation commercialisable par le commerce physique est appelée à régresser au profit du e-commerce. Cette contraction du marché du commerce physique, alors même que les capacités de celui-ci continuent de s'accroître, risque d'aboutir à une multiplication des friches. L'enquête réalisée en 2014 par l'OBSOCO a mis en évidence une forme d'irrationalité collective à cet égard, avec des dirigeants de grands réseaux de distribution anticipant une attrition de leur activité, tout en affichant la volonté de développer leur réseau (précisément pour faire face aux conséquences de cette attrition). Au plan qualitatif, de nouveaux formats sont amenés à se développer, avec une diversité plus importante dans le dimensionnement des espaces commerciaux et des conceptions différentes de ceux-ci. Les modèles économiques sont ainsi appelés à se transformer. Pour renouveler le secteur et répondre à la fois aux demandes de la société et aux enjeux environnementaux, les commerçants seront probablement contraints de passer du paradigme de « l'avoir » à celui de « l'être », à travers le développement de modèles expérientiels et serviciels, avec un questionnement sous-jacent sur la rentabilisation des points de contact physiques. Les acteurs qui ne seront pas capables de s'inscrire dans ce changement risquent d'être remplacés par d'autres. Tous les acteurs du commerce sont aujourd'hui conscients de traverser une période de turbulences, sans qu'un consensus émerge sur les stratégies d'adaptation à développer. Dans ce contexte, un besoin de régulation apparaît. A minima, l'enjeu serait de faire en sorte que la régulation n'ajoute pas à la complexité et à l'incertitude. A cet égard, le cadre de régulation actuel, hérité de la précédente révolution commerciale, nécessiterait d'être rénové. De nouvelles règles du jeu nécessiteraient d'être définies, répondant aux nouvelles manières de satisfaire les besoins des consommateurs. Alors qu'une vague de destruction créatrice se profile, la régulation mise en oeuvre nécessiterait de permettre une respiration du secteur, en évitant de trop consolider les positions acquises, ce qui risquerait de ralentir l'innovation et l'émergence de nouveaux modèles ou acteurs. Y compris à l'échelle internationale, une régulation trop malthusienne risquerait ainsi de faire prendre un retard considérable au commerce français, face aux acteurs globaux du commerce numérique notamment. Pour autant, des rails nécessitent d'être posés, avec un horizon de long terme, pour permettre aux acteurs de définir leurs stratégies dans un cadre réglementaire relativement stabilisé. A ce stade, je mettrai simplement en garde contre le retour de fausses oppositions ou de fausses associations. Alors que l'étalement urbain se poursuit bel et bien, avec un impact sur la localisation tant des populations que des emplois, le renforcement de la proximité ne saurait se limiter aux centres-villes. Il devrait être possible de développer également de la proximité en périphérie, sans confondre commerce urbain et commerce de centre-ville. En outre, le commerce de centre-ville ne saurait être réduit au petit commerce et/ou au commerce indépendant. Il existe aussi de petits commerces en périphérie, de même qu'il existe de grands commerces en centre-ville. La grande distribution sait également faire de petites surfaces et certains indépendants exploitent de grandes surfaces. De telles simplifications sont susceptibles de troubler la réflexion. Nos catégories héritées de la précédente révolution commerciale nécessiteraient au contraire d'être revues, de manière concertée, afin qu'un nouveau cadre puisse être instauré, permettant à la fois l'innovation et la préservation des externalités positives du commerce.
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II) Table ronde
Participent à cette table ronde : Sophie FONQUERNIE, agricultrice, vice-présidente du Conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté et membre de l'Autorité environnementale ; William G. KOEBERLÉ, président du Conseil du commerce de France et viceprésident de la Commission de concertation du commerce ; Maryse LAVRARD, première adjointe au maire de Châtellerault ; Jean-Yves MANO, président de l'Association nationale de défense des consommateurs et usagers (CLCV) ; Gaël PERDRIAU, maire de Saint-Étienne et président de Saint-Étienne-métropole ; Bernard REICHEN, architecte-urbaniste, grand prix de l'urbanisme 2005.
La table ronde est animée par Denis CHEISSOUX, journaliste. Denis CHEISSOUX Dans cette séquence consacrée aux analyses et enjeux, il est beaucoup question des villes moyennes. Je propose donc que nous débutions cette table ronde en évoquant le cas de la ville de Châtellerault. Sur les bords de la Vienne, Châtellerault compte aujourd'hui 33 000 habitants, au sein d'une agglomération de 97 000 habitants. Située au coeur d'un bassin industriel et dotée d'un patrimoine remarquable, cette ville fait néanmoins face à un taux de vacance commerciale de 22,5 % en son centre. La prise de conscience par la ville de cette situation a été progressive. Des efforts d'animation ont d'abord été entrepris, qui se sont révélés insuffisants. Quelle ont ensuite été les mesures prises ? Maryse LAVRARD La situation de Châtellerault est similaire à celle de nombreuses villes moyennes en France. En 2008, la nouvelle mandature a pris conscience de l'état dans lequel se trouvait le coeur de ville. Le taux de vacance de l'habitat y était déjà de 40 %. En 2015, le taux de vacance commerciale y a atteint 22,5 %. A partir de 2008, nous avons concentré nos efforts sur l'attractivité du coeur de ville. Dans ce cadre, l'accent a été mis sur les richesses patrimoniales. Une friche située sur le site d'un ancien hôpital a été reconfigurée. Il s'est agi aussi de réimplanter dans le coeur de ville une école, un conservatoire et une médiathèque. Des investissements ont été consentis dans les aménagements urbains, les voiries, etc. Cependant, nous avons subi conjointement les effets de la crise économique de 2008. Premier bassin industriel de Poitou-Charentes, Châtellerault a notamment souffert de la crise du secteur de l'automobile l'aéronautique constituant l'autre principal secteur industriel du territoire. Dans ce contexte, toutes nos actions de reconquête du coeur de ville n'ont pas produit les effets escomptés, tant sur l'habitat que sur le commerce. Nous nous sommes donc interrogés sur les leviers supplémentaires à actionner, le cas échéant au-delà des compétences relevant traditionnellement de la collectivité (espaces publics, services publics, etc.). Châtellerault a la chance d'être l'unique ville-centre de son agglomération. Le coeur de ville de Châtellerault est donc amené à battre pour la totalité de l'agglomération. Sur un marché de l'habitat très détendu, avec un taux de chômage inférieur à la moyenne nationale (à hauteur de 8 %), après une opération de renouvellement urbain sur un quartier périphérique en entrée de ville ayant bien réussie (avec un taux de vacance du logement ramené de 30 % à 0 %), il nous fallait envisager une requalification du coeur de ville, s'agissant notamment de développer une offre de logement de qualité et de donner une
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vision autre que celle d'un quartier prioritaire de la politique de la ville, en vue de répondre à la demande des cadres du secteur de l'aéronautique. Pour développer cette politique autour de l'habitat, nous aurions du reste souhaité pouvoir mobiliser davantage d'outils fiscaux. Nous n'entrons pas non plus dans un certain nombre de critères de la loi Pinel (en termes de croissance de la population notamment). Denis CHEISSOUX Qu'en est-il des grandes surfaces dans l'agglomération de Châtellerault ? Maryse LAVRARD Grâce à la convention « centre-ville de demain » que nous avons signée, des études ont pu être menées, qui ont mis en évidence, par rapport au bassin d'emplois et à la clientèle potentielle, une surabondance de 30 % des surfaces commerciales. Beaucoup trop d'hypermarchés ont ainsi fleuri dans l'agglomération au cours des trente dernières années. Ceci nous a amené à conduire une politique drastique. Dans le PLU que nous adopterons le 9 novembre 2017, aucune extension ni création de surfaces commerciales ne pourra être autorisée dans les zones commerciales actuelles. Seules les opérations de renouvellement pourront être envisagées. A l'inverse, en centre-ville, nous serons ouverts à tous les projets, y compris ceux ayant trait au développement de services numériques, de fablabs, etc. Dans la convention « centre-ville de demain », c'est précisément la perspective d'associer le commerce, l'habitat et le marketing territorial qui nous a semblé intéressante Châtellerault ayant absolument besoin de restaurer l'attractivité et l'image de son coeur de ville, en s'appuyant sur son cadre de vie et son patrimoine exceptionnel. Denis CHEISSOUX Vous êtes donc optimiste. Maryse LAVRARD Les actions plus larges entreprises autour du cadre de vie, avec des projets d'aménagement des bords de Vienne notamment, nous donnent des raisons d'espérer. Du reste, il nous faudra également retravailler les accès à la ville, s'agissant notamment de développer un axe Est-Ouest, au-delà de la structuration historique du territoire sur un axe Nord-Sud. Dans le centre-ville, l'enjeu sera également de développer un carré de rues commerçantes plutôt qu'une grande rue commerciale. Il s'agira ainsi de recréer une transversalité entre la gare, la mairie et le linéaire commercial (sans changement de destination possible au sein de celui-ci), en cohérence avec le réaménagement des bords de Vienne. Denis CHEISSOUX Il est également intéressant de rappeler que, sur un axe Nord-Sud, la région de Châtellerault marque également le passage de l'ardoise à la tuile romaine ! Je propose à présent de donner la parole au Maire de Saint-Étienne et président de Saint-Étienne Métropole. Cette ville de 165 000 habitants, située au coeur d'une agglomération de plus de 400 000 habitants, a été fortement sinistrée. Des initiatives y ont néanmoins été prises par les maires successifs et l'EPA local. Le design est également venu au secours de la ville.
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Gaël PERDRIAU La ville de Saint-Étienne a effectivement été frappée par cinq crises industrielles majeures depuis les années 80, dans les domaines du textile, des mines, de la sidérurgie, de la manufacture, etc. Elle a néanmoins pu sauvegarder un tissu industriel de PME et de PMI d'une grande densité. Au prix d'un endettement important, le tissu économique de la ville a ainsi pu fixer un certain nombre de sous-traitants et se reconvertir. Aujourd'hui, la ville abrite par exemple les trois leaders mondiaux en matière de textile médical (Sigvaris, Thuasne et Gibaud). Le taux de chômage de l'agglomération a ainsi pu être ramené dans la moyenne nationale. La démographie de la ville durant les années de crise, marquée par la perte de près de 50 000 habitants depuis les années 70, a néanmoins eu un impact significatif sur la vacance des logements, tant dans le parc privé (avec près de 10 000 logements vacants, soit 10 % de l'offre) que dans le parc social. On retrouve également à Saint-Étienne la même problématique qu'à Châtellerault, avec une offre de logement en centre-ville ne correspondant pas nécessairement aux besoins des populations. Dès 2014, nous avons tenté de corriger cette distorsion, en aérant la ville par la démolition d'îlots insalubres, en impulsant des opérations de rénovation, en assouplissant le PLU pour autoriser la construction de tropéziennes, ainsi qu'en menant un important travail de démarchage auprès des promoteurs et des investisseurs (en s'appuyant sur le zonage Pinel notamment). Nous avons également engagé une reconquête de l'espace public, pour redonner envie aux populations de fréquenter et d'habiter le centre-ville. Du fait de problématiques de propreté et de sécurité, la qualité de l'expérience en centre-ville s'était dégradée. Pour remédier à cela, nous avons également mené un important travail de démarchage auprès des enseignes la ville comptant environ 70 % d'enseignes indépendantes et 30 % de franchises. Denis CHEISSOUX Une association de commerçants a-t-elle pu être structurée et mobilisée ? Gaël PERDRIAU Les commerçants de la ville demeurent malheureusement insuffisamment solidaires. Une association a le mérite d'exister et de partager un certain nombre de problématiques. Cependant, des efforts supplémentaires pourraient être faits, s'agissant notamment de s'adapter aux nouveaux modes de consommation en faisant évoluer les horaires d'ouverture. Certes, les commerçants indépendants font face à des contraintes et peinent souvent à recruter du personnel. Néanmoins, il pourrait être préférable d'ouvrir et de fermer plus tard, en étant disponible entre 12 heures et 14 heures. Il en va de même pour la disponibilité des produits certains commerçants étant conduits, faute de disposer des couleurs ou tailles recherchées, à renvoyer eux-mêmes les clients vers la distribution en ligne. Denis CHEISSOUX Au-delà du centre-ville, la collectivité développe également un projet de requalification dans le secteur du Pont de l'âne-Monthieu. Gaël PERDRIAU Un appel à projet a effectivement été lancé pour proposer une nouvelle offre commerciale dans une ancienne friche industrielle située en entrée de ville. Les centres commerciaux situés au nord de Saint-Étienne génèrent aujourd'hui près de 450 millions d'euros de consommation, tandis que les activités commerciales situées au sud et au centre de la ville génèrent chacune environ 200 millions d'euros de consommation. Les études de la CCI ont néanmoins mis en évidence une déperdition commerciale de l'ordre Paris, le 19 octobre 2017
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de 600 millions d'euros, liée au choix d'un certain nombre de consommateurs de consommer à l'extérieur de l'agglomération, à Lyon notamment. Dans le cadre du SCoT, un travail a été engagé sur l'équilibre des implantations et des habitations. En outre, un certain nombre de familles reviennent s'installer à Saint-Étienne et les mises en chantier de logements privés se multiplient. Le développement d'une offre commerciale supplémentaire semblait donc pouvoir être envisagé, en vue de répondre aux besoins nouveaux et de capter une part de l'évasion commerciale constatée. Dans le cadre de l'appel à projets lancé à cet effet, le choix a été fait de définir un cahier des charges orienté vers le serviciel et l'expérience, avec des surfaces commerciales importantes destinées à attirer de nouvelles enseignes ou de nouveaux formats et à permettre le développement d'espaces de test des produits, d'ateliers, d'offres de loisir, etc. Aux États-Unis, les centres commerciaux se transforment aujourd'hui en ce sens. L'opérateur Apsys a ainsi été retenu. Aujourd'hui, deux tiers des espaces du projet ont d'ores et déjà été commercialisés. Devraient notamment s'y installer des enseignes tels que Décathlon ou Leroy-Merlin, avec des espaces de test et des ateliers, en intérieur et en extérieur. Une attention a également été portée à la complémentarité entre ce nouveau concept et les commerces du centre-ville, s'agissant notamment d'éviter les phénomènes de dispersion au profit des offres commerciales concentrées de l'agglomération lyonnaise. Des cartes de fidélité devraient être mises en place dans cette optique, en liaison avec l'association des commerçants du centre-ville. En centre-ville, avec un taux de vacance commerciale d'environ 15 %, nous avons également travaillé à l'identification des rues les plus atteintes, pour y expérimenter un certain nombre de concepts. Denis CHEISSOUX Dans le cadre de la Fête du livre de Saint-Étienne, une « rue de la République des livres » a notamment été créée. Gaël PERDRIAU Cette expérience a été initiée dans le cadre de la Biennale internationale du design. Cette rue, caractérisée par une vacance commerciale de plus de 40 %, a été ouverte à des artisans, designers et commerçants éphémères pour la durée de l'événement. La rue a pu ainsi être remplie à plus de 80 %, avec un flux continu de visiteurs. L'expérience a ensuite été prolongée dans le cadre de la Fête du livre, en lien avec des éditeurs locaux, pour proposer une offre complémentaire à celle des libraires. En décembre 2017, en toute laïcité, la rue devrait être rebaptisée « rue de la République de Noël », avec des magasins éphémères venant compléter l'offre commerciale locale. Du reste, certains propriétaires de la zone conservaient des attentes trop élevées en matière de loyers, préférant ne pas louer plutôt que de diminuer leurs prix. Il a donc été nécessaire de les convaincre, en leur expliquant le projet. Au final, leur bilan financier s'avère positif. A cet égard, nous réfléchissons également à la mobilisation des dispositifs fiscaux permettant aux collectivités d'agir sur les rez-de-chaussée vacants. Denis CHEISSOUX Au niveau de l'agglomération stéphanoise, un autre projet serait envisagé en entrée de ville, en direction de Clermont-Ferrand. Aurez-vous les moyens de maîtriser l'ensemble de ces projets ?
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Gaël PERDRIAU Ce projet a été bloqué. D'une part, nous ne souhaitions pas un développement commercial face au Musée d'art moderne. D'autre part, en cohérence avec le SCoT, l'enjeu serait de préserver cette zone. Nous continuons de défendre cette position devant la CNAC et les tribunaux. Le développement du centre commercial Apsys et la revitalisation du centre-ville devraient ainsi permettre d'assurer un équilibre territorial. En parallèle, l'accent devrait continuer à être mis sur la complémentarité avec le numérique, plutôt que sur la concurrence frontale avec celui-ci. Le site de e-commerce Cadeau Maestro a déjà ouvert une boutique en centre-ville de Saint-Étienne et envisage aujourd'hui de dupliquer ce modèle. Des startups ont également développé l'application Yatu, permettant de recevoir des messages promotionnels proactifs d'un certain nombre de commerçants du centre-ville. Denis CHEISSOUX Sophie Fonquernie, en tant qu'agricultrice dans le Doubs, vice-présidente du Conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté et membre de l'Autorité environnementale, quel regard portez-vous sur l'impact du développement urbain aux périphéries sur l'environnement et l'agriculture ? Sophie FONQUERNIE Un récent rapport de la Société d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) a fait état d'une consommation foncière de nouveau très importante en 2015 et 2016, à hauteur de 60 000 hectares. La consommation foncière représente ainsi la surface d'un département français tous les 5 ou 6 ans. Or il nous faudrait imaginer le foncier, de la même manière que l'eau ou l'énergie carbone, non pas comme une réserve infinie, mais comme un patrimoine dont nous sommes responsables. Après la Seconde Guerre mondiale, des zones commerciales se sont développées en proximité des villes, anéantissant la géographie, la géologie, la biologie et l'histoire de ces lieux. De manière plus générale, les bulldozers, les antibiotiques et les phytosanitaires ont fait table rase du monde agricole, pour y implanter des modèles maîtrisables par l'Homme. Aujourd'hui, il nous faudrait changer de paradigme, pour considérer différemment l'existant et la manière de l'aménager. Il conviendrait également d'inscrire réellement les objectifs de développement durable, de réduction des gaz à effet de serre et de lutte contre le changement climatique dans nos projets d'aménagement. A cet égard, la loi NOTRe pourrait permettre aux élus, à l'échelle d'un territoire cohérent, de mieux considérer les équilibres à assurer entre populations, entreprises, commerces, transports, services, productions et consommations d'énergie, etc. Une nouvelle relation plus complémentaire et plus équitable entre ville et campagne pourrait ainsi être développée. Denis CHEISSOUX Les SCoT devraient pouvoir accompagner de telles démarches, s'agissant de concilier les intérêts parfois contradictoires portés les aménageurs, les producteurs, etc. Sophie FONQUERNIE Il nous faudrait ainsi relier les enjeux plus fortement, pour aboutir à une meilleure utilisation du sol. Denis CHEISSOUX Vis-à-vis du commerce, quel peut être le rôle d'un Conseil régional ?
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Sophie FONQUERNIE Nous avons développé des outils de revitalisation des bourgs-centres et de rénovation des coeurs de ville, à travers des contrats de territoire et la reconnaissance de petites cités de caractère notamment. Cependant, ces outils s'avèrent encore insuffisants. Dans le cadre des SRADDET, en liaison avec les acteurs en charge du développement économique, il nous faudra exercer une vigilance accrue quant à la consommation des terres. Le raisonnement devrait être le même que celui développé autour de l'énergie ou de l'eau, pour conserver des stocks d'espaces à utiliser, tout en ayant une exigence de sobriété et d'efficacité (en matière de densification notamment). Au niveau régional, il nous appartient également de mener une réflexion sur l'alimentation. Dans le cadre d'un atelier régional des États généraux de l'alimentation, le Centre d'études et de prospective du ministère de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt a présenté une analyse de l'évolution des modes alimentaires, mettant en évidence les enjeux d'adaptation aux rythmes de vie, le développement de communautés alimentaires et une association croissante entre produits et services (avec une expérience humaine associée à l'achat alimentaire, un lien avec les producteurs, un sentiment de responsabilité vis-à-vis de la planète, etc.). Denis CHEISSOUX Il s'agit ainsi d'acheter du sens. Sophie FONQUERNIE C'est dans ce cadre que s'inscrit la recherche d'une alimentation de proximité, qui se trouve aujourd'hui au coeur des préoccupations de toutes les collectivités, qu'il s'agisse des villes, des départements (pour la restauration dans les collèges notamment) ou des régions. Pour accompagner ces dynamiques, internet constitue également un outil formidable. Denis CHEISSOUX En tant que productrice, par quels circuits commercialisez-vous votre morbier ? Sophie FONQUERNIE Nous travaillons avec une coopérative implantée en Bourgogne-Franche-Comté, qui aborde des marchés nationaux et internationaux. Denis CHEISSOUX William G. Koeberlé, pour vous qui travaillez avec des associations et fédérations de commerçants de différentes tailles, quels sont les enjeux du commerce d'aujourd'hui et de demain ? William G. KOEBERLÉ Philippe Moati a évoqué un poids du e-commerce de 7 % dans le chiffre d'affaires du commerce de détail. Il convient toutefois de préciser que ce chiffre est une moyenne. En pratique, la part du e-commerce atteint déjà 40 % dans le secteur des produits culturels, 22 % dans le secteur du jouet et 15 % dans le secteur de l'habillement. Dans les villes moyennes, cette transformation profonde risque d'accentuer encore la dévitalisation commerciale, s'ajoutant aux effets de la paupérisation et de la démographie négative. Denis CHEISSOUX Dans le secteur de la parfumerie, 60 % des consommateurs consultent aujourd'hui le net avant de consommer.
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William G. KOEBERLÉ En pratique, les clients peuvent toujours choisir de consommer en centre-ville, en périphérie ou sur internet. En parfumerie, il y a 5 ans, 5 % des clients avaient recours au net. Le métier apparaissait ainsi comme reposant fortement sur la relation avec le client. Le net représentait alors 1 % du chiffre d'affaires. En 2016, une étude menée auprès de l'ensemble des grandes enseignes a montré que 60 % des clients consultaient dorénavant le net, tout en étant 71 % à revenir ensuite en magasin, pour une part de chiffre d'affaires généré sur le net de 7 % seulement. En commerce, internet ne saurait être considéré uniquement comme un levier pour générer du chiffre d'affaires. Internet participe à la construction d'une expérience client. Et les indépendants ne prenant pas le pas du multi-canal risquent de disparaître. Denis CHEISSOUX C'est dans ce domaine que vous souhaiteriez accompagner les acteurs du commerce ? William G. KOEBERLÉ Il conviendrait tout d'abord d'instaurer une équité fiscale entre le commerce physique et le e-commerce. En pratique, les commerçants en centre-ville sont aujourd'hui confrontés à une diminution de leur chiffre d'affaires et à une augmentation de leurs taxes foncières, tandis que, par définition, les acteurs du e-commerce ne payent pas de taxes foncières. A cet égard, un crédit d'impôt sur le numérique nécessiterait d'être créé, pour aider les commerçants à s'adapter, à la fois individuellement et collectivement (à travers le développement de plateformes notamment). A défaut, nous risquons de voir des acteurs extérieurs s'implanter de manière très agressive sur le marché. Le 11 novembre 2016, à l'occasion de la fête des célibataires en Chine, en 24 heures, Alibaba a réalisé un chiffre d'affaires de plus de 17 milliards de dollars, soit le chiffre d'affaires annuel d'Auchan. Il appartient au commerce français de se préparer à faire face à la concurrence de tels acteurs Alibaba préparant déjà son entrée sur le marché français. Aujourd'hui, nous accusons encore un certain retard dans la modernisation de notre commerce. Autour du numérique, au-delà de l'aspect technique, il nous faudrait travailler sur la dimension relationnelle, en formant l'ensemble des acteurs. Dans le secteur de la parfumerie, les vendeuses étaient précédemment les gardiennes de la connaissance des produits. Aujourd'hui, les 60 % de clients ayant recours préalablement à internet ont une connaissance quasi-équivalente. Le rapport à la vente est donc profondément modifié. Les clients attendent désormais une expérience, voire un conseil en produits de beauté. Denis CHEISSOUX Dans ce cadre, comment maintenir l'équilibre et la complémentarité entre toutes les formes de commerce, s'agissant ainsi d'aider les centres-villes à se différencier ? William G. KOEBERLÉ Dans le cadre des stratégies mises en oeuvre, il conviendrait de ne pas systématiquement opposer la périphérie et le centre-ville. En pratique, la problématique de la vacance commerciale est générale. Dès lors, l'enjeu se trouve être de réfléchir aux moyens de préserver les 3,5 millions d'emplois du secteur du commerce. Au RoyaumeUni, la vacance commerciale, au-delà du seuil de 10 %, a produit des effets catastrophiques en termes d'emplois. Nous n'en sommes pas encore là. Il nous faut donc aborder le sujet collectivement et réguler ce qui peut l'être.
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Denis CHEISSOUX Les surfaces commerciales ne sont-elles pas malgré tout trop importantes dans certaines zones ? William G. KOEBERLÉ Ceci est également lié à l'évolution de la démographie. En pratique, les commerçants s'installent là où se trouvent les clients. Lorsque la population d'une ville diminue, les surfaces commerciales peuvent devenir trop importantes. Du reste, il convient de se méfier des moyennes. Au-delà des villes moyennes, certaines métropoles font aussi face à des difficultés. La réflexion doit ainsi être menée au niveau de chaque territoire. Denis CHEISSOUX La pratique des managers de ville a-t-elle vocation à être généralisée, le cas échéant dans un cadre réglementaire adapté ? William G. KOEBERLÉ En 2015, nous avons édité un recueil des bonnes pratiques, mettant l'accent sur l'intérêt, à conditions d'en avoir les moyens, de désigner un responsable en charge d'étudier les projets, de mobiliser les outils adaptés, etc. Denis CHEISSOUX Quel est votre regard sur l'étalement urbain ? William G. KOEBERLÉ Là encore, il convient de se méfier des moyennes. Chaque situation doit être étudiée localement. Dès lors que des habitations se développent, il est logique que des éléments de commerce se développent également. Les commerçants s'implantant là où se trouvent les clients, les objectifs en termes de régulation devraient davantage être centrés sur l'urbanisme. Denis CHEISSOUX Jean-Yves Mano, partagez-vous les diagnostics établis au cours de cette table ronde ? Jean-Yves MANO Le consommateur est-il responsable de la désertification des centres urbains ou s'est-il adapté à l'offre proposée ? Le cas échéant, pourquoi a-t-il ou est-il susceptible de faire évoluer ses habitudes ? Dans les villes moyennes ne possédant pas nécessairement de réseaux de transport très développés, il peut être nécessaire de posséder un véhicule. Or la tendance n'est plus nécessairement à l'utilisation de la voiture en centre-ville. Ceci appelle sans doute une adaptation de l'offre de transports. La ville de Metz a ainsi mis en place des rues piétonnes extrêmement commerçantes, desservies par un réseau de minibus électriques assurant une liaison avec des parkings en périphérie. Dans le fait de fréquenter un commerce, il existe également une dimension liée au plaisir d'acheter. Au-delà du besoin, la qualité esthétique de certains centres commerciaux peut faire que les consommateurs ont plaisir à s'y rendre. De même, les ouvertures le dimanche rencontrent généralement un succès, traduisant une attente chez les consommateurs de disposer d'un lieu agréable et disponible à des heures inhabituelles. Il devient aujourd'hui nécessaire de s'adapter à ces attentes. On observe par ailleurs un changement d'attitude chez les consommateurs, qui ne recherchent plus systématiquement le prix le plus bas dans une logique consumériste,
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mais privilégient de plus en plus des approches qualitatives, avec des réflexions autour du développement durable. Ceci est particulièrement vrai dans le domaine alimentaire, avec des consommateurs de plus en plus attentifs à la qualité des produits, aux méthodes d'élevage, etc. Les grandes enseignes s'adaptent à cette évolution, sans doute plus rapidement que les petits commerces alimentaires, qui pourraient capter davantage ces pratiques nouvelles. Enfin, on constate une différenciation entre l'attitude du consommateur vacancier et celle du consommateur résident. Les touristes adorent les villes moyennes, avec leurs marchés en centre-ville et leurs petites rues commerçantes. Dans leur vie quotidienne, ces consommateurs n'ont cependant pas nécessairement les mêmes attentes. A conditions de pouvoir capter ces attentes parfois divergentes, une revitalisation des centres-villes devrait être possible. Du reste, en centre-ville, la dynamique du commerce de proximité demeure étroitement liée à celle de l'habitat. A cet égard, au-delà de la fiscalité et des politiques nationales, des moyens devraient pouvoir être mobilisés localement, à travers les offices publics fonciers notamment, pour se réapproprier un certain nombre de bâtiments, en vue d'adapter l'offre de logements aux besoins nouveaux. Des baux à réhabilitation peuvent déjà être mis en place en ce sens, en liaison avec des bailleurs sociaux. De telles approches permettraient également de limiter l'étalement urbain, dont les conséquences sont dramatiques, du point de vue de l'utilisation des terres agricoles notamment. Peut-être n'avons-nous pas été suffisamment contraignants dans ce domaine, au nom de la liberté de faire. Nous sommes ainsi arrivés à des situations aberrantes, sur lesquelles il est aujourd'hui difficile de revenir. Denis CHEISSOUX Nous ne pouvions manquer de recueillir également la vision prospective d'un urbaniste, notamment sur les conditions de pérennité des centres-villes. Bernard REICHEN Tout l'enjeu se trouve être de préparer les territoires à un certain nombre de bouleversements, sans en connaître aujourd'hui les effets véritables. Dans ce cadre, les élus sont malgré tout confrontés à la réalité des territoires. Au-delà des grandes politiques de l'État, il leur appartient donc d'éviter de commettre certaines erreurs au niveau local, en se gardant d'agir par effet de mode, comme tel a pu être le cas trop souvent par le passé. En matière d'urbanisme, davantage encore aujourd'hui, la réponse n'est jamais dans la question. Il faut donc se méfier du syndrome de la réparation, très courant en France. Dans un contexte de mutations profondes, se dire que l'on va réparer le centre, tout en continuant à l'opposer aux périphéries, c'est faire face à l'échec. Dans les années 60-70, l'espace a évolué beaucoup plus vite que la société, autour du tout automobile. Aujourd'hui, alors que de nouvelles réflexions sont menées sur le rapport à l'automobile et à l'organisation des territoires, il importe de comprendre que nous ne reviendrons pas à une situation antérieure. Regardons plutôt les nouvelles hypothèses formulées à travers le monde, du côté de l'École de Lausanne ou dans le cadre du programme Post-car World notamment, avec une approche pragmatique. Denis CHEISSOUX De fait, le grand succès urbain de ces trente dernières années se trouve être le tramway. Bernard REICHEN Au cours des trente dernières années, le tramway est le seul acte urbain ayant réussi à associer un service efficace (en termes de maîtrise du temps quotidien), un nouveau principe de sociabilité (avec une autre façon de se rencontrer, à une autre vitesse) et un
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principe d'embellissement. Cet acte urbain a sauvé beaucoup de villes, en permettant de relier des territoires qui s'ignoraient et en sortant d'une logique très française d'empilement des dynamiques sectorielles. On a pu ainsi d'opérer un croisement entre un urbanisme des modes de vie et un urbanisme des tracés. A partir de cela, il devient possible de repenser la place de l'automobile, du commerce, etc. Pour ce qui est de l'étalement urbain et de la consommation des espaces agricoles ou naturels, dans le cadre de l'élaboration du SCoT de Montpellier, en 2004, il s'est agi d'opérer une inversion du regard. L'enjeu était de rompre avec une vision du territoire depuis la ville-centre, pour regarder celle-ci depuis la périphérie. Le monde agricole et les espaces naturels sont ainsi devenus les partenaires du développement de la ville et non plus ses variables d'ajustement. Des limites ont pu ainsi être fixées et des espaces naturels sanctuarisés. En parallèle, dans les zones de développement urbain, des niveaux d'intensité minimum et non maximum ont été fixés. En l'espace de 10 ans, cette approche a produit des effets réels sur les mécanismes de développement urbain et la manière de considérer le territoire. Denis CHEISSOUX La géographie aurait donc pris le pas sur l'histoire. Bernard REICHEN De la même manière que l'horizon a pris le pas sur la perspective. Le « gradient d'urbanité », cher à Jacques Levy, s'analyse ainsi et se travaille. On ne peut aujourd'hui qu'être favorable au retour du commerce en centre-ville. Cependant, nous savons qu'il ne s'agira pas du même commerce le monde des échanges, au sens large, étant appelé à évoluer. En parallèle, il serait peut-être temps que la ville aille au commerce. Tel est le sens du projet développé à Montpellier autour de la Route de la mer. Dans le cadre de ce projet, l'accent a été mis, au-delà de la reconfiguration de l'offre commerciale, en travaillant sur la place de la voiture et des parkings, sur la fabrication d'une ville de 30 000 habitants. L'enjeu est ici de comprendre la ville que l'on créé. Quelle est l'urbanité développée ? Comment y penser le rapport entre la ville et la nature ? Quelle mobilité créer autour des stations de tramway ? Comment penser le mode de vie des habitants (en termes de maîtrise du temps quotidien notamment) ? Dans cette optique, il conviendrait d'analyser les effets secondaires des mécanismes d'urbanisation mis en oeuvre, au-delà de leurs effets directs. Bernardo Secchi insistait ainsi sur la nécessité, pour assurer la survie d'un système, d'intégrer des principes correctifs à la règle. En France, lorsque toutes les procédures ont abouti, il demeure difficile de gérer les principes correctifs. Dans d'autres pays tels que l'Allemagne ou le Royaume-Uni, cette dimension est intégrée plus simplement. Une adaptation permanente à des réalités que l'on ne connaît pas nécessairement peut ainsi être assurée. En France, nous vivons encore sous le règne de l'utilité publique en matière d'urbanisme. Le problème est que ce modèle (s'appuyant sur la maîtrise totale des sols, les ZAC, etc.) ne fonctionne plus. A l'échelle d'un territoire, il devient aujourd'hui nécessaire de développer des logiques de partenariats privé/public. Les projets des programmes « réinventer Paris » et « inventons la métropole du Grand Paris » reposent ainsi sur des cessions d'actifs publics à des groupes privés cette constellation urbaine étant appelée à être reliée par des systèmes de transport, pour créer des formes urbaines reposant sur une articulation réinventée entre le privé et le public. Les territoires dont il est question aujourd'hui nécessiteraient ainsi de ne pas être considérés comme des unités homogènes sur lesquelles bâtir des projets dans un cadre réglementaire, mais comme des espaces où développer des mécaniques d'urbanisme permettant à la fois d'empêcher le pire et d'autoriser le meilleur. Des pôles urbains d'une autre nature sont ainsi appelés à se développer.
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Denis CHEISSOUX Dans ce cadre, des continuités naturelles pourraient-elles devenir des espaces de référence ? Bernard REICHEN Les rhizomes naturels et les circulations douces constituent un enjeu essentiel. La grande radiale de Copenhague et le Radweg de la Ruhr ont été développés en ce sens. De tels projets permettent aussi de réintroduire des logiques d'auto-organisation et d'appropriation des territoires, le cas échéant à travers de petits investissements territorialisés. Nous commençons à nous emparer de ces mécanismes. Cependant, il conviendrait d'éviter d'un faire un modèle figé. Conservons à cet égard une dynamique d'assemblages évolutifs. Dans le monde du commerce, il importe de passer d'une logique de produits ou de formats à une logique de projets, par le bais de l'assemblage. Un produit ou un format, par définition, possède une durée de vie limitée. Dans le système urbain de demain, la pérennité sera celle de l'assemblage et non celle des produits ou formats.
III) Débat avec la salle
Olivier RAZEMON, journaliste et auteur Il est surprenant qu'un nouveau projet de centre commercial soit aujourd'hui défendu par la ville de Saint-Étienne. Comme cela a été démontré très clairement ce matin, de tels projets sont en train de tuer les villes. Certes, une complémentarité avec le centre-ville a été évoquée, de même qu'une volonté de faire revenir un certain nombre de consommateurs de l'agglomération Lyonnaise. Néanmoins, le risque serait de susciter d'abord un report des consommations de la ville vers le nouveau centre commercial. Les études étant peu nombreuses sur le sujet, comment la ville est-elle certaine que le projet produira les effets escomptés ? Gaël PERDRIAU L'enjeu serait de répondre à un besoin de consommation de l'ordre de 600 millions d'euros aujourd'hui satisfait en dehors de l'agglomération, à Lyon notamment. Il ne s'agirait donc pas de faire venir les Lyonnais, mais de faire en sorte que les Stéphanois ne prennent plus leur voiture pour aller consommer à Lyon, y compris au bénéfice des commerces du centre-ville de Saint-Étienne. Dans cette optique, dans le cahier des charges du projet, un certain nombre d'exigences ont été fixées, en matière de surfaces et d'activités, afin d'éviter le report d'activités commerciales du centre-ville vers le nouveau centre commercial. L'accent a par ailleurs été mis sur la dimension expérientielle, s'agissant également de proposer une offre que les clients ne trouveront pas sur internet. Je continue de penser que ce projet devrait ainsi apporter un meilleur équilibre au territoire. Il nous appartiendra d'en faire le bilan dans 5 ou 10 ans. Michel PASCALIS, Club des entrepreneurs de Grasse La Caisse des dépôts et consignations a insisté sur la nécessité de penser en dehors des cases. Alors que le taux de vacance commerciale ne cesse d'augmenter dans certains centres-villes, il conviendrait de considérer ceux-ci comme des centres commerciaux à part entière. A l'instar d'un centre commercial, un centre-ville devrait être doté d'une vision, d'une stratégie de différenciation vis-à-vis de la concurrence, d'horaires unifiés et d'un plan de merchandising (assurant une cohérence de l'offre commerciale). Paris, le 19 octobre 2017
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Du reste, tout ceci ne saurait être possible sans une maîtrise du foncier. Compte tenu de la situation financière des collectivités, une participation du privé nécessiterait également d'être envisagée. Les professionnels du commerce pourraient être intéressés par des bâtiments à des prix peu élevés, pour redonner une dynamique commerciale à certains centres-villes. A cet égard, les contrats de revitalisation artisanale et commerciale (CRAC) pourraient constituer un levier. Maryse LAVRARD Nous avons déjà activé un certain nombre d'outils en ce sens. Il nous faudra également aborder la question de la maîtrise du foncier. La Caisse des dépôts et consignations nous accompagne dans cette démarche. Nous réfléchissons ainsi au développement d'une vision du centre-ville comme une « galerie commerciale », y compris en travaillant sur les aménagements environnementaux. La participation du privé, quant à elle, est une évidence. Francis PALOMBI, président de la Confédération des commerçants de France En liaison avec les services de l'État et la Commission de concertation du commerce, nous travaillons sur un projet d'adaptation en France du modèle québécois des sociétés de développement commercial. Sous la forme de sociétés coopératives d'intérêt collectif (SCIC), des coopératives de développement économique pourraient ainsi être développées en France, qui permettraient de rassembler l'ensemble des forces économiques de certains centres-villes (artisans, commerçants et professions libérales, tous secteurs confondus) le modèle des associations de commerçants et des unions commerciales ayant tendance à s'épuiser. Une dizaine d'expérimentations ont déjà été lancées en ce sens, dans des petites villes ou villes moyennes. Denis CHEISSOUX Les rapports présentés ce jour ont insisté sur l'importance de l'expérimentation. Nicolas GILLIO, Cerema Dans les prochaines années, avec la révolution commerciale annoncée, le commerce sera-t-il encore créateur d'emplois ? Cet argumentaire est régulièrement présent dans les projets soumis aux CDAC. Néanmoins, on observe aujourd'hui un fort découplage entre la création de surfaces commerciales et le nombre d'emplois générés. Denis CHEISSOUX De fait, les recherches sur la nature des emplois potentiellement créés par le commerce demeurent peu nombreuses. Les créations d'emplois annoncées dans le cadre de certains projets s'apparentent ainsi à une « boite noire ». Francis SARLIN, directeur de l'Office du commerce et de l'artisanat du Sénonais Dans la ville de Sens, qui compte 25 000 habitants dans une agglomération de 60 000 habitants, les élus ont fait le choix de créer un poste de manager du commerce. Dans le cadre du FISAC, un marché couvert en plein coeur de ville a ensuite été restauré. Ce marché correspond aujourd'hui à la demande des clients, à savoir « manger bien » et « manger sain ». Nous communiquons également beaucoup à travers cet équipement. En parallèle, nous avons ouvert une zone d'activité commerciale et un retail park en périphérie, en y faisant venir des enseignes de moyen ou de bas de gammes, afin de limiter l'évasion commerciale vers les villes voisines. Le taux de vacance commerciale du centre-ville a pu ainsi être ramené de plus de 22 % à 10 %. Le weekend, 32 % des clients du retail park fréquentent également le centreville, pour bénéficier d'un cadre sympathique et trouver des produits originaux.
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Autour des nouvelles technologies et du numérique, nous avons lancé une place de marché en ligne locale. Depuis le 1er janvier 2017, nous avons atteint 200 000 vues sur cette plateforme, avec plus de 6 000 visites sur la vitrine numérique de certains commerçants. L'adhésion à cette plateforme a été rendue obligatoire, pour assurer l'implication des commerçants. Tous ont également été formés à l'utilisation de cette plateforme, pour y faire découvrir leurs produits et répondre aux attentes des clients (dans des délais plus courts qu'à travers le e-commerce). Une opération « chèques cadeaux » a également été lancée par ce biais. Thomas WERQUIN, agence d'urbanisme, Hauts-de-France La question foncière est centrale lorsque nous élaborons des documents d'urbanisme (SCoT, PLU, DAAC, etc.). Dans ce cadre, se pose la question de la création de nouvelles zones commerciales en proche périphérie. Or, si le commerce s'installe là où se trouvent les clients, il s'installe aussi là où se trouve du foncier. Ceci, malgré un certain militantisme des agences d'urbanisme, conduit encore à implanter de grandes zones commerciales dans des zones agricoles. La Promenade de Flandre, grand centre commercial, a ainsi été inaugurée dans une zone agricole, à proximité de Tourcoing et de Roubaix, dont les centres-villes connaissent un certain nombre de difficultés. En tant qu'urbanistes, notre attention se porte sur la régulation du foncier pour éviter que le développement des zones commerciales s'effectue de manière « anarchique ». Mais quelle est la position des professionnels du commerce concernant cette régulation ? Faut-il réguler le foncier ou le commerce et, de manière plus générale, le territoire peuventils s'autoréguler ? Denis CHEISSOUX Il convient de noter que les Hauts-de-France affichent, de surcroît, une biodiversité relativement peu importante, avec des surfaces forestières peu étendues et beaucoup de champs de grandes cultures. William G. KOEBERLÉ Il n'appartient pas au commerce de décider s'il faut ou non réguler le foncier. Le commerçant, dès lors qu'il entrevoit la possibilité de réaliser du chiffre d'affaires et de faire vivre son entreprise, est dans son rôle. En réalité, le commerce n'est que la partie visible d'une transformation plus globale des implantations et de l'urbanisme. Sur un bassin tel que celui de l'agglomération lilloise, il conviendrait donc de faire en sorte que des réflexions puissent être menées avec les élus, l'administration, les acteurs du commerce, les représentants des clients, etc. Denis CHEISSOUX La réalité physique de la France pose néanmoins la question de l'utilisation des sols. William G. KOEBERLÉ Dans le monde germanique, des réflexions parviennent à être menées collectivement. En France, nous avons encore souvent tendance à raisonner au travers d'oppositions. Dans un univers concurrentiel, il normal que les acteurs du commerce aient envie d'exploiter les possibilités qui s'offrent à eux. En parallèle, la qualité et la responsabilité sociale font partie de nos préoccupations. Nous ne sommes cependant pas seuls dépositaires de ces enjeux. En outre, les solutions peuvent être différentes selon que l'on se trouve sur le territoire d'une métropole, d'une ville moyenne ou en zone rurale. Chaque situation nécessite d'être examinée au cas par cas.
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Interventions de Pascal Faure, directeur général des entreprises et de Paul Delduc, directeur général de l'aménagement, du logement et de la nature
Pascal FAURE, directeur général des entreprises Mesdames et Messieurs, je souhaiterais tout d'abord remercier Anne-Marie Levraut pour l'organisation de ce colloque très réussi. Il me faut également excuser l'absence du Secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances, Benjamin Griveaux, qui devait clôturer cette journée mais qui se trouve retenu à l'Assemblée nationale par l'examen du projet de loi de finance. Je peux néanmoins vous assurer que les questions liées à l'urbanisme et au commerce lui tiennent à coeur. Le ministère de l'économie et des finances entend participer ainsi à l'élaboration et à la mise en oeuvre d'une véritable politique interministérielle en faveur de la revitalisation des centres de villes moyennes et, au-delà, de la croissance économique de l'ensemble des territoires de notre pays. La DGE demeure au service de l'action interministérielle, avec pour vocation de soutenir la compétitivité et la croissance des entreprises, qu'elles relèvent de l'industrie, des services ou du commerce. La DGE intègre également dans son action les enjeux du développement durable de notre économie. A ce titre, elle travaille en étroite relation avec la DGALN le développement urbanistique harmonieux ne pouvant être opposé au développement du commerce. Le lien extrêmement fort entre ville et commerce est à l'origine de toutes les civilisations modernes. En effet, c'est toujours de villes ou de ports tels que Bruges, Venise, Londres, New York ou Shanghai que sont venus le développement et la croissance. Ces villes se sont structurées par et pour le commerce. Il ne peut ainsi y avoir de commerce sans ville, pas plus qu'il ne peut y avoir de ville sans commerce. La dévitalisation des centres-villes et la dégradation de nombreuses périphéries soulèvent néanmoins des inquiétudes. Dans ce contexte, il importe de rappeler un certain nombre d'éléments fondamentaux. Avec plus de 10 % de la valeur ajoutée de l'économie française, le secteur du commerce demeure fondamental pour le pays et les territoires. Le commerce, reposant sur une demande intérieure soutenue, constitue également un facteur de résilience en cas de crise. Avec 1 entreprise sur 5 relevant du secteur, le commerce représente plus de 3 millions de salariés, avec une surreprésentation des jeunes parmi ces emplois (à hauteur de 34 %, contre 20 % dans les autres secteurs marchands). Soutenir le développement du commerce, c'est donc soutenir l'emploi et l'insertion des jeunes dans la vie active, y compris dans les territoires en difficultés. Alors que le e-commerce connaît une croissance extrêmement forte (14 % en 2016), le commerce physique est néanmoins appelé à évoluer, voire à se réinventer. Tous les acteurs sont ainsi amenés à développer de nouvelles stratégies pour répondre aux besoins des consommateurs. Certains développent des modèles commerciaux s'appuyant sur des surfaces de vente plus importantes, en vue de favoriser l'expérience client (à travers des démonstrateurs notamment) ; d'autres s'efforcent de développer des lieux de vente de proximité, d'une dimension plus réduite, en particulier dans les centres-villes. Alors que le e-commerce fait preuve d'une agilité reconnue, le commerce physique a ainsi besoin de s'adapter et de gagner en efficacité. Empêcher ces évolutions condamnerait beaucoup de nos enseignes françaises, avec un impact sur l'emploi. Paris, le 19 octobre 2017
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Dans ce contexte, on observe un besoin de régulation. Dans cette optique, la DGE assure le secrétariat de la Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC). Composée de personnalités qualifiées, de représentants des ministères compétents en matière d'urbanisme et d'élus locaux, la CNAC examine, en toute indépendance, les recours portant sur les décisions des commissions départementales d'aménagement commercial (CDAC) relatives aux projets locaux d'implantation ou d'extension des équipements commerciaux. Ces projets sont ainsi examinés au regard de trois critères : l'aménagement du territoire, la préservation de l'environnement et la protection des consommateurs, dans le respect du principe de liberté d'entreprendre (défini par la constitution et le droit communautaire). Dans ce cadre, un regard est porté sur l'intégration urbaine des implantations et leurs effets sur l'animation de la vie urbaine, vis-à-vis des commerces de centre-ville notamment. La procédure française d'autorisation joue ainsi un rôle déterminant dans la régulation des implantations commerciales. En 2016, 56 % des avis rendus par la CNAC, portant sur 40 % des surfaces proposées au développement, ont été favorables. Une bonne complémentarité entre les projets de revitalisation des centres-villes ou centres-bourgs et le développement des activités commerciales en périphéries a par ailleurs été observée de nombreux maires défendant devant la CNAC des projets d'ensemble. Tous les avis favorables de la CNAC ne donnent pas lieu à la réalisation de nouvelles implantations ni à la consommation d'espaces naturels. De nombreux projets autorisés portent sur la rénovation de centres commerciaux (avec une mise aux normes environnementales) ou la réhabilitation de friches industrielles ou commerciales. Lorsque la complémentarité entre un développement en périphérie et un projet de centre-ville n'est pas avérée, la CNAC peut émettre un avis défavorable l'artificialisation des sols constituant par ailleurs un problème plus global, au-delà du développement du commerce. Dans ce cadre, s'agissant notamment de garantir la liberté d'entreprendre, le ministère de l'économie et des finances n'est pas aujourd'hui favorable à l'introduction de nouvelles contraintes. A cet égard, les exemples étrangers relatifs aux autorisations d'aménagements commerciaux doivent être examinés avec prudence la France sortant à peine d'un long contentieux au niveau européen, en lien avec la mise en oeuvre de la directive Services. Le ministère se positionne néanmoins en faveur d'une optimisation des instruments actuels de régulation, s'agissant notamment d'améliorer la cohérence entre l'appréciation par la CNAC et les CDAC des critères législatifs. La DGE et la DGALN mènent en ce sens des actions de formation auprès des acteurs de terrain. Elles travaillent également, en lien avec le CGET, au partage des bonnes pratiques en matière d'urbanisme et d'aménagement commercial au sein du réseau « Commerce, ville et territoire », dans le prolongement du lancement du portail « coeur de ville ». En parallèle, la Commission de concertation du commerce a engagé un travail sur la revitalisation des centres-villes et le phénomène de la vacance commerciale. Au-delà de ces orientations, il apparaît aujourd'hui nécessaire d'adresser les causes des difficultés constatées dans les villes moyennes ou les périphéries. Parmi ces facteurs de dévitalisation figurent notamment : l'exode démographique, l'adaptation ou la qualité de l'offre de logement, l'empilement des normes, le départ des entreprises et de certains services publics, la pauvreté, le chômage, les difficultés d'accès aux transports ou à l'internet haut-débit, etc. Pour permettre une prise en compte globale et interministérielle de ces enjeux, dans le prolongement de la Conférence nationale des territoires de juillet 2017, un plan consacré aux villes moyennes est en cours de préparation par le Gouvernement. Des travaux ont été engagés en ce sens, sous l'égide du ministère de la cohésion des territoires, en lien avec le ministère de l'économie et des finances.
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Il s'agira d'agir prioritairement sur l'offre de logement, l'aménagement urbain et l'attractivité des villes concernées, afin de mieux fixer les populations et, avec elles, les clients du commerce. Le ministère de l'économie et des finances souhaite contribuer à la mise en oeuvre d'un volet consacré au développement économique et au commerce, structuré autour des orientations suivantes : · partager avec les professionnels et les élus un diagnostic autour des questions de revitalisation des territoires (pour affiner notre compréhension du phénomène, mettre en évidence ses signes précurseurs et développer, le cas échéant, des moyens d'intervention en amont) ; favoriser l'émergence de projets de revitalisation économique des centres-villes (en facilitant l'intégration des aspects réglementaires, en contribuant à la modernisation et à la synergie entre les outils existants, ainsi qu'en accompagnant les acteurs dans leurs réflexions stratégiques et en matière d'ingénierie).
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Il conviendra également de s'interroger sur l'impact des distorsions propres au secteur du commerce sur les acteurs du commerce physique dans les centres-villes. L'enjeu serait ainsi de pouvoir mobiliser tous les outils disponibles, au service des acteurs de terrain, de notre économie et de notre développement urbain durable. Avec l'énergie de tous, nous devrions pouvoir lever les freins existant dans les centresvilles, tout en poursuivant les efforts entrepris dans les périphéries, pour une meilleure prise en compte des enjeux environnementaux et d'aménagement du territoire. Paul DELDUC, directeur général de l'aménagement, du logement et de la nature De fait, le sujet qui nous occupe aujourd'hui a provoqué un rapprochement inédit entre la DGE et la DGALN autour de la thématique de l'urbanisme. Un travail partenarial a ainsi été engagé, partant du constat d'un certain nombre de réalités et de dysfonctionnements, au-delà du choc de l'émergence du e-commerce. D'autres pays européens ont agi autrement, en tension parfois avec le droit communautaire. Nous aurons l'occasion d'y revenir. Quoi qu'il en soit, en France, les acteurs du commerce, les collectivités, les acteurs de l'aménagement et l'État sont aujourd'hui appelés à réfléchir autrement et collectivement, sans pour autant remettre en cause la liberté d'entreprendre. Le citoyen est à la fois un habitant, un consommateur et un citoyen général. Notre rôle est donc de faire en sorte qu'il vive bien avec toutes ses casquettes, en dépit de la complexité que cela représente parfois. Certes, la liberté d'entreprendre, inscrite dans la constitution et dans les traités européens, demeure fondamentale. Néanmoins, les traités et la jurisprudence communautaires prévoient que l'aménagement du territoire puisse être considéré comme une raison impérieuse d'intérêt général justifiant de restreindre la liberté d'entreprendre, au regard de critères tels que la protection des centres-villes, l'usage économe du foncier, l'accessibilité des commerces pour tous et la limitation des transports. Le droit de l'urbanisme empiétant, par nature, sur le droit fondamental des propriétaires fonciers à user de leurs biens, il n'est pas choquant qu'une telle régulation puisse s'appliquer également au commerce. A cet endroit, l'enjeu se trouve être de parvenir à un équilibre, en considérant aussi les enjeux liés au commerce et au développement économique, ce que nos réglementations existantes et notre cadre de régulation ont vocation à permettre (à travers les SCoT notamment). Dans la perspective d'améliorer l'efficacité de ce dispositif, la DGALN et la DGE ont impulsé conjointement la création du réseau « Commerce, ville et territoire ». Composé de 400 membres représentant 240 structures dont un tiers de collectivités, un tiers d'acteurs
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privés et un tiers de structures autres (Etat, établissements publics et professionnels de l'aménagement) ce réseau a vocation à permettre le partage de constats, l'émergence de réflexions communes et la diffusion de bonnes pratiques, au-delà des intérêts propres de chacun. Au sein de ce réseau, le dialogue a été structuré autour de sous-groupes thématiques consacrés au renouvellement urbain et commercial, à l'équilibre entre centres et périphéries, à l'articulation entre planification et régulation des activités commerciales, à l'observation et à la connaissance, ainsi qu'à la mobilité et à la logistique. Dans le cadre de cette réflexion, aucune proposition ou expérimentation ne saurait être écartée a priori. Pour ce qui est des outils existants, il convient de souligner la progression des travaux au sein de la CNAC. La DGALN et la DGE continuent de travailler à la préparation des séances, ainsi qu'à la formation des agents des CDAC, s'agissant notamment de renforcer l'analyse de l'impact des dossiers présentés sur l'aménagement du territoire. En matière de planification, les élus présents ce jour ont fait la démonstration des démarches entreprises sur le terrain par les collectivités pour traduire leurs projets de territoire en documents d'urbanisme (SCoT, PLUi, etc.). A cet endroit, nous entendons la nécessité de ne pas figer les projets de territoire, le cas échéant pour permettre des ajustements. Dans le cadre de révision du règlement du PLU, en décembre 2015, la possibilité a ainsi été donnée de définir des territoires de projets, reposant sur des principes plutôt que sur des règles rigides. Au-delà de l'approche réglementaire, la démarche paysagère permet également d'aborder différemment le territoire et de faire s'exprimer les acteurs et les citoyens. Nous soutenons ainsi l'élaboration de plans de paysage, l'organisation d'ateliers des territoires autour de la requalification du paysage, etc. Le développement durable, enfin, s'invite de plus en plus dans les attentes et les préoccupations de nos concitoyens. De plus en plus de collectivités s'inscrivent ainsi dans la démarche des EcoQuartiers conduite par les pouvoirs publics. Dans les projets de renouvellement urbain, tous les aspects de la qualité de vie peuvent ainsi être pris en compte, y compris s'agissant des fonctionnalités de l'environnement urbain et des continuités écologiques. Du reste, à titre personnel, je crains que les retail parks monofonctionnels et détachés de la ville soient peu compatibles avec cette approche du développement durable ce modèle rencontrant par ailleurs déjà des difficultés aux États-Unis. Il convient ici de saluer l'initiative du CGEDD d'avoir organisé ce colloque, permettant aussi d'exprimer des points de divergence, donc de faire avancer le débat
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Éclairage européen
I) Introduction
Karima DELLI, députée européenne Dans l'inconscient, l'Europe est souvent associée à des contraintes ou normes susceptibles d'entraver les libertés. Pourtant, l'Europe propose avant tout des outils, des aides (y compris financières) et des orientations, s'agissant notamment de favoriser un développement urbain durable. Au niveau européen, il n'existe pas de définition de la ville. Il est question de zones urbaines, rurales ou « rurbaines ». En revanche, des indicateurs sont associés à la ville durable. La ville européenne du XXIème siècle se définit ainsi comme « bas-carbone » (l'enjeu étant de faire que les villes soient le moteur de la lutte contre le réchauffement climatique), désirable (afin que les habitants aiment leur ville), citoyenne (les habitants ne pouvant être réduits à des consommateurs), de proximité et connectée. 70 % de la population européenne est appelée à vivre en ville à l'horizon 2050. C'est donc dans la ville qu'est amenée à s'organiser la transition vers l'économie verte, par la stimulation aussi bien des citoyens et des consommateurs, à travers la rénovation ou le développement de bâtiments à basse énergie, le développement de transports durables, la mise en oeuvre des nouvelles technologies, etc. Pour faire face à l'enjeu transversal du développement urbain durable, l'action de l'Union européenne s'articule autour de politiques de cohésion, économiques, sociales et territoriales. En termes d'outils, pour la période 2014-2020, les règlements européens ont imposé l'affectation d'au moins 5 % des fonds du FEDER aux zones urbaines. La France, quant à elle, a fait le choix de porter à 10 % la part de l'urbain dans ses investissements sur la base du FEDER et du FSE, soit plus d'1 milliard d'euros d'investissements sur 7 ans. En complément de ces fonds de cohésion, des programmes européens de financement permettent le développement de projets, parmi lesquels le programme d'Actions urbaines innovatrices (UIA) et le programme de coopération URBACT. L'agenda urbain de l'Union européenne, impulsé sous la présidence néerlandaise et adopté en 2016, place les villes au coeur du projet européen. Cet agenda s'articule autour de trois objectifs principaux : · · · améliorer et simplifier la réglementation (pour mieux prendre en compte les besoins des villes et des citoyens et stimuler l'économie locale) ; favoriser les échanges entre les autorités urbaines, les États-membres et la Commission européenne ; faciliter l'accès des villes aux financements européens (à travers des projets pilotes notamment).
Cet agenda marque l'apparition d'une nouvelle méthode de gouvernance, dans laquelle la Commission européenne coopère avec les États-membres, les villes et les associations, au sein de douze partenariats thématiques, dont un autour de la transition vers le digital. Dans ce cadre, le programme UIA, lancé en 2015 et doté de 372 millions d'euros pour la période 2015-2020, a vocation à permettre l'expérimentation d'approches inédites pour relever les défis rencontrés par les villes. L'expérimentation nécessiterait ainsi d'être davantage appuyée en France.
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Le programme URBACT, quant à lui, a pour objet de faciliter l'apprentissage et les échanges de bonnes pratiques entre villes et régions européennes, à travers des réseaux thématiques et des groupes de travail. S'agissant de l'articulation entre ville et commerce, il n'existe pas, au niveau européen, de cadre juridique harmonisé pour l'urbanisme commercial. En 2006, en vertu du principe de subsidiarité, la Commission européenne a renvoyé à chaque État-membre la responsabilité de définir ses propres règles en la matière, dans le respect des principes communautaires de liberté d'établissement et de libre prestation des services. Cependant, en 2009, elle a introduit la notion d'intérêt général à l'aménagement du territoire, pouvant justifier des restrictions aux libertés fondamentales. La Commission européenne a ainsi reconnu la nécessité, dans certains cas, d'interdire l'implantation de certains commerces, au regard de critères ayant trait à la concurrence déloyale exercée vis-à-vis des commerces de centres-villes ou au risque environnemental notamment. A cet égard, un enjeu d'harmonisation apparaît. En Allemagne, aucun commerce n'a vocation à être implanté en dehors des centres-villes. En France, nous continuons de perdre tous les 6 ans une surface équivalente à celle d'un département. Dans l'agenda urbain européen, une attention a également été portée au commerce de proximité. De fait, les commerces de proximité et les marchés locaux apportent une plusvalue aux territoires, y compris en termes de lien social, d'animation des quartiers, d'originalité des produits, etc. Du reste, les enjeux du commerce de proximité sont également liés à ceux du transport. Les déplacements de demain sont appelés à dessiner la ville et la structuration commerciale des territoires. A l'échelle européenne, des travaux ont montré que les villes qui facilitent excessivement la circulation automobile sont celles où les petits commerces de proximité perdent leurs parts de marché face aux grandes surfaces périphériques. S'agissant de mesurer l'impact de cette évolution sur le pouvoir d'achat des consommateurs, il conviendrait aussi de prendre en compte le coût d'un véhicule (à hauteur de 215 euros par mois en moyenne), de même que le coût du gaspillage alimentaire (atteignant 30 % dans les pays développés). En outre, les sommes dépensées dans les centres commerciaux en périphérie n'améliorent pas nécessairement l'activité économique des territoires, a fortiori dans un contexte de révolution numérique favorisant le remplaçant des emplois dans les grandes surfaces. Au niveau européen, l'enjeu est davantage de favoriser les circulations douces et les transports collectifs, y compris dans l'optique de fidéliser les consommateurs en centreville. Il s'agit également par ce biais de redonner âme à la ville, en valorisant son histoire, son patrimoine culturel, son animation, sa vie sociale, etc. Dans les années à venir, alors que nos voisins sont confrontés aux mêmes problématiques, la métamorphose des centres-villes est appelée à devenir une grande cause européenne. Dans ce contexte, il serait souhaitable que la France porte prochainement une plateforme européenne de partage d'idées et de bonnes pratiques, avec un forum annuel, s'appuyant sur des visites de terrain, pour nourrir les réflexions sur les enjeux de la ville de demain : la mobilité, l'énergie, le commerce et l'artisanat, l'environnement et la vie saine, l'innovation, la culture, l'adaptation au e-commerce, etc. A condition de faire preuve d'audace et de concertation (y compris avec les habitants), ces défis devraient constituer une belle opportunité de réinventer la ville et de créer une nouvelle alchimie entre la ville et le commerce. Denis CHEISSOUX Nous aurons entendu que le droit européen autorise une régulation, s'agissant d'assurer un meilleur équilibre entre la liberté d'implantation et les critères de développement durable.
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II) Table ronde
Participent à cette table ronde : Rebecca NEIL, maître de conférences à l'université de Westminster ; Michael REINK, directeur de HDE, fédération du commerce d'Allemagne ; Ariella MASBOUNGI, architecte-urbaniste, grand prix de l'urbanisme 2016 ; Francesc POVEDANO, responsable du département du Commerce et des Marchés à la Mairie de Barcelone ; François-Xavier BRUNET, président de la Chambre de commerce et d'industrie de Tarbes et des Hautes-Pyrénées.
La table ronde est animée par Denis CHEISSOUX, journaliste. Denis CHEISSOUX Géographe, Michael Reink a exercé des responsabilités dans les domaines de l'aménagement du territoire et des transports. Il a également oeuvré auprès des collectivités locales. Il est aujourd'hui directeur de HDE, la fédération allemande des acteurs du commerce. Il a également contribué à fonder le réseau Urbanicom (réseau européen des acteurs de l'urbanisme et du commerce). Michael REINK Avec 450 000 sites et 3 millions d'employés, la branche du commerce en Allemagne a réalisé, en 2016, un chiffre d'affaires de 483 milliards d'euros, soit davantage que l'industrie automobile. Le chiffre d'affaires du commerce de détail allemand s'affiche ainsi en progression depuis la crise de 2009. Cependant, la situation n'est pas aussi réjouissante que celle dépeinte par les médias aux États-Unis. En parallèle, le e-commerce continue de se développer fortement, avec un chiffre d'affaires en croissance de près de 10 % chaque année. Nous réalisons chaque année une enquête auprès de nos distributeurs, pour recenser leurs préoccupations. Parmi celles-ci, le e-commerce est toujours très présent. En 2016, Amazon a réalisé un chiffre d'affaires de 8,1 millions d'euros en Allemagne, soit 40 % de l'ensemble du e-commerce enregistré sur le territoire. A l'échelle d'une ville, cela correspondrait à une zone piétonne entièrement dévolue à une seule enseigne. Du reste, plutôt que de considérer le e-commerce comme une menace, il convient de garder à l'esprit que celui-ci permet d'accéder à davantage de consommateurs. Au Royaume-Uni, le e-commerce représente un chiffre d'affaires additionnel de près d'1 milliard d'euros. De même, le e-commerce génère une croissance forte aux États-Unis. Ceci met en évidence un potentiel important. Par comparaison, l'impact du e-commerce demeure peu important en Allemagne. En France, le développement du e-commerce génère une balance commerciale (export-import) négative, traduisant une déperdition de chiffre d'affaires. Les surfaces commerciales ont connu une progression importante et régulière en Allemagne, depuis la réunification jusqu'au début des années 2000. Par la suite, cette augmentation s'est stabilisée, sans pour autant s'infléchir. Nous devrions ainsi atteindre un plafond à l'horizon 2020, avant de connaître une phase de régression. Ceci est à rapprocher de l'évolution de la démographie allemande. En cohérence avec son vieillissement, la population allemande est appelée à décroître à partir de 2020. En parallèle, des extrapolations faites à partir d'une enquête du ministère allemand en charge du commerce ont montré que le taux de vacance commerciale était amené à augmenter fortement. A partir de 2020, certains sites devraient devenir si peu attractifs que personne ne souhaitera les exploiter. Le taux de relocation des surfaces commerciales pourrait ainsi tomber à 50 %, donnant à la vacance commerciale un caractère structurel.
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De la même manière qu'en France et au Royaume-Uni, après une phase de substitution du personnel par des surfaces (entre les années 1970 et 2010), une phase de substitution des surfaces par le e-commerce s'est enclenchée en Allemagne. Ce mouvement devrait notamment concerner les secteurs de l'habillement, des accessoires et de la chaussure, dans lequel le e-commerce se développe fortement. Dans ce contexte, les urbanistes ont été amenés à considérer de grands centres d'approvisionnement, ainsi que des centres secondaires aux zones de chalandise de moindre importance. Dans les grands centres ou hypercentres, tous les types de commerce peuvent être envisagés ; tandis que les centres secondaires se concentrent généralement sur l'alimentation. En termes d'aménagement du territoire, il s'est agi ensuite d'envisager, au niveau fédéral puis au niveau des « Länder », une approche globale permettant d'aboutir à un approvisionnement optimal de la population. Au niveau municipal, il s'est agi d'envisager les conditions nécessaires à la préservation des centres-villes en tant que centres d'approvisionnement principaux. Un système reposant sur des centres principaux et intermédiaires a ainsi été privilégié la France conservant une structuration différente, concentrée autour de ses grandes agglomérations. Le système d'aménagement du territoire allemand a ainsi été conçu selon un cadre défini au niveau fédéral, avec une déclinaison au niveau des Länder toutes les décisions effectives en matière d'implantations commerciales étant ensuite renvoyées au niveau communal. Pour exercer cette auto-administration, les communes s'appuient sur des zonages relatifs au commerce, à l'habitat, aux activités, etc. Les commerces ont ainsi vocation à être implantés en centre-ville. Les commerces de plus de 1 200 m2 peuvent éventuellement être autorisés à s'installer en périphérie, sous réserve d'expertises démontrant une absence de nuisances et une implantation réellement impossible en centre-ville. Chaque commune conserve également la possibilité de développer son propre concept d'aménagement commercial, en définissant les assortiments de produits susceptibles d'être commercialisés en centre-ville ou en périphérie. La Commission européenne a porté un regard critique sur ce système d'aménagement, en faisant valoir un non-respect de la liberté d'établissement. En pratique, tous les plans d'aménagement du territoire ont vocation à créer des restrictions. L'enjeu est ensuite de savoir si ces restrictions sont justifiées. A cet égard, la Cour de justice européenne a établi une jurisprudence, justifiant les restrictions pour raisons impérieuses d'intérêt général (liées notamment à l'aménagement du territoire). Les législateurs nationaux devraient ainsi pouvoir bénéficier d'une marge de manoeuvre. En Allemagne, l'aménagement du territoire a bien pour objet d'aboutir à une utilisation des sols compatible avec l'intérêt général (y compris s'agissant d'assurer un approvisionnement optimal de la population) et non d'entraver la libre concurrence. Un avis de la Cour de justice européenne est attendu prochainement sur ce point. Dans le cadre d'une procédure judiciaire en cours, portant sur le plan d'aménagement de la municipalité d'Appingedam aux Pays-Bas, l'avocat général a estimé qu'un tel plan pouvait servir l'intérêt général. Ceci serait tout à fait compatible avec la conception allemande des plans locaux d'urbanisme. Pour en revenir au commerce en Allemagne, on constate que, si les dépenses de consommation demeurent stables, la part du commerce de détail dans les dépenses de consommation tend à diminuer, au profit du voyage et de la prévoyance notamment. Nous n'anticipons ainsi aucune dynamique de croissance significative pour le commerce de détail. En synthèse, nous anticipons à la fois un rétrécissement des surfaces commerciales et une augmentation structurelle de la vacance commerciale. Dans ce contexte, il nous Paris, le 19 octobre 2017
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faudra tâcher de préserver le commerce existant, dans les villes moyennes notamment. L'enjeu à cet égard sera de renforcer l'attractivité de celles-ci. Denis CHEISSOUX En tant qu'urbaniste, Rebecca Neil a beaucoup travaillé pour les collectivités locales. Elle est aujourd'hui maître de conférences à l'Université de Westminster, en master d'urbanisme et d'aménagement du territoire. Elle va nous parler de l'approche britannique et particulièrement de la méthode de « test séquentiel ». Rebecca NEIL Le « test séquentiel » a été mis en place au Royaume-Uni. Je me concentrerai néanmoins sur la mise en oeuvre de cette pratique en Angleterre. En Angleterre, le commerce de détail a connu la même évolution qu'en France. Dans les années 60-70, des surfaces commerciales se sont développées en périphérie des villes, essentiellement pour le commerce alimentaire. Par la suite, de grands magasins de commerce général, de bricolage ou de meubles ont également commencé à s'implanter en périphérie. Une densification progressive des implantations en périphérie a ainsi été observée. Dans les années 80, le gouvernement Thatcher a constaté les méfaits de ces pratiques En effet, des sites se développaient ainsi en dehors des villes, caractérisées par une concentration des commerces, sous la gestion de propriétaires fonciers uniques. L'impact sur certaines villes moyennes était catastrophique. Le développement du centre commercial de Merry Hill, dans les West Midlands, a par exemple réduit de deux-tiers la part de marché des commerces de centre-ville. Devant ce constat, le Gouvernement a instauré, à partir du début des années 90, une politique d'aménagement urbain reposant sur le principe du « town center first ». Cette politique est encore en vigueur aujourd'hui au Royaume-Uni. C'est dans le cadre de cette politique qu'une approche séquentielle a été développée. Il convient par ailleurs de noter que l'essor du commerce multicanal n'a pas véritablement impacté le développement des grandes surfaces en périphérie. Au contraire, celles-ci se sont étendues pour faire face aux besoins logistiques induits par le modèle commercial du « click and collect ». En centre-ville, l'impact du multicanal sur les implantations commerciales a été plus significatif. Le développement des surfaces commerciales en périphérie s'est ensuite structuré autour d'une synergie entre le loisir et le commerce, avec de grands centres commerciaux abritant des cinémas, des salles de sport, etc. A la différence de ce qui se pratique en France, la planification spatiale anglaise ne s'appuie pas sur des structures nationales ou régionales. La planification est assurée au niveau local, de manière très discrétionnaire, par les districts. Les décideurs locaux sont ainsi amenés à prendre en compte et à gérer l'ensemble des critères d'aménagement du territoire. Un processus d'appel permet néanmoins au gouvernement central d'imposer un certain nombre de décisions, autour des développements commerciaux de grande envergure notamment. Pour simplifier ce processus, un document cadre baptisé « National Planning Policy Framework » (NPPF) a été établi en 2012, intégrant la procédure du test séquentiel et reprenant le principe du « town center first » (s'agissant de planifier positivement le développement des centres urbains, d'y promouvoir la concurrence, de prendre en compte les besoins de la population en matière de loisirs, etc.). Ce cadre n'est pas contraignant juridiquement mais doit être pris en compte par les décideurs locaux. Dans le cadre de l'approche séquentielle, la délimitation du centre-ville est assurée par les autorités locales. Les implantations commerciales doivent y être envisagées en priorité. En l'absence d'espaces adaptés, il est néanmoins possible d'envisager un développement en périphérie du centre-ville. Lorsque les possibilités apparaissent également limitées ou
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peu adaptées en périphérie, il est ensuite possible d'envisager une implantation l'extérieur du centre.
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Dans le cadre de la planification urbaine et de l'allocation des surfaces commerciales, les autorités locales sont tenues de mettre en oeuvre ce test séquentiel. Les allocations à l'extérieur du centre-ville doivent ainsi être justifiées. L'approche séquentielle doit également être mise en oeuvre au moment de prendre des décisions individuelles concernant les projets d'aménagement commercial les demandes devant être traitées par les autorités locales. Les porteurs d'un projet de développement hors du centre-ville doivent ainsi prouver que leur projet n'aurait pu être envisagé en centre-ville. S'ils surmontent ce test séquentiel, ils doivent ensuite réaliser une étude d'impact de leur proposition sur les commerces existant au centre-ville. Les demandes ne satisfaisant pas à ces deux tests ont vocation à être refusées. Les demandes satisfaisant à ces deux tests peuvent ensuite être examinées au regard d'autres critères. Dans ce processus, le problème est qu'il appartient au candidat d'apporter la preuve qu'un test séquentiel a été réalisé avec succès, alors même que ce succès conditionne l'acceptation de sa demande. Un risque de conflit d'intérêts apparaît à cet endroit. Lorsque le « retail statement » d'un candidat est validé par les autorités locales, celles-ci peuvent être amenées à réclamer un test des sites alternatifs, s'agissant d'examiner leur adéquation au projet, leur viabilité et leur disponibilité. Dans ce cadre, le NPPF a prévu qu'une certaine flexibilité puisse être demandée aux porteurs de projets, pour favoriser une implantation en centre-ville. Autour de la ville d'Exeter, le test séquentiel a ainsi empêché le développement d'un centre de commerce et de loisirs en dehors du centre-ville, au motif qu'un tel développement apparaissait possible sur un site alternatif en proximité du centre-ville. Les porteurs du projet, arguant d'un besoin important de surfaces commerciales, d'espaces de stationnement et d'accès routiers, ainsi que d'enjeux liés à la propriété du foncier, n'ont pas été en mesure de démontrer que, en faisant preuve d'une certaine flexibilité, ils ne pourraient envisager une implantation sur le site alternatif. Dans le cadre de la procédure d'appel, le Gouvernement a par ailleurs considéré que la disponibilité du site alternatif ne pouvait être examinée au regard de la seule propriété du foncier. Dans le cadre du test d'impact, pour un projet d'aménagement en dehors du centreville, il appartient ensuite au candidat d'évaluer les conséquences de son projet sur les commerces du centre-ville. Pour vérifier les résultats de ce test, les collectivités locales sont souvent amenées à faire appel à des experts, avec des incidences sur le coût et le délai de traitement des dossiers. Le test séquentiel apparaît ainsi efficace pour permettre une maîtrise de l'aménagement urbain. Cependant, cette approche soulève un certain nombre de questions et de défis. Tout d'abord, le cadre de cette procédure, au-delà de son caractère non-contraignant juridiquement, demeure peu précis, avec certaines ambiguïtés, autour de la flexibilité demandée aux porteurs de projets, de l'appréciation de l'adéquation des sites, etc. Des décisions très hétérogènes peuvent ainsi être prises. En pratique, au RoyaumeUni, la mise en oeuvre de cette approche a nécessité l'établissement d'une jurisprudence, à mesure que des stratégies de contournement ont été développées par les porteurs de projets ceux-ci préférant généralement éviter les implantations plus complexes en centreville. La responsabilité confiée aux porteurs de projets de réaliser eux-mêmes les études pose également question, de même que la capacité des collectivités locales à appréhender ensuite des données souvent complexes. Pour être pleinement efficace, s'agissant notamment de renforcer l'attractivité d'un centre-ville, l'approche séquentielle nécessite par ailleurs d'être associée à stratégie plus large, reposant sur une planification proactive de l'aménagement urbain et une mobilisation des acteurs.
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Denis CHEISSOUX Nous accueillons à présent Francesc Povedano, en charge du commerce et des marchés au sein de la mairie de Barcelone. Francesc POVEDANO Historiquement, la Catalogne a toujours été un centre d'attraction pour le commerce. Une réglementation y a donc été développée, au-delà de la loi nationale espagnole relative au commerce de détail l'Espagne étant divisée en communautés autonomes disposant chacune de compétences en matière de régulation du commerce. En 1974, une première réglementation relative au commerce a été adoptée en Catalogne, aboutissant à la création du premier centre commercial privé en Espagne. Différentes normes propres à la Catalogne ont ensuite été définies, à travers la déclinaison de la législation nationale relative aux équipements commerciaux, le développement de plans territoriaux pour les équipements commerciaux (PTSEC), puis la transposition de la directive européenne relative aux services dans le marché intérieur (mettant fin aux PTSEC). En 2009, un nouveau décret-loi relatif à l'organisation des installations commerciales a été adopté. Cette réglementation urbanistique propre à la Catalogne a introduit, s'agissant de planifier l'implantation des surfaces commerciales, le concept de « tissu urbain consolidé ». Dans les villes de plus de 5 000 habitants la Catalogne comptant 943 communes, dont 70 % affichent moins de 5 000 habitants ont ainsi été définies, au regard de la population des tissus urbains, les zones susceptibles d'accueillir tels ou tels types d'établissements commerciaux (avec des catégories d'établissements commerciaux correspondant aux surfaces occupées : moins de 800 m2, de 800 à 1 300 m2, de 1 300 à 2 500 m2, plus de 2 500 m2). Deux régimes d'autorisation ont également été définis, applicables en fonction de la nature et du dimensionnement des projets d'implantation : un régime de simple communication, ne nécessitant qu'une déclaration à l'administration ; un régime de licence commerciale, pour les implantations de plus de 2 500 m2 dans un tissu urbain consolidé de plus de 50 000 habitants, nécessitant le dépôt d'un dossier d'impact environnemental et de durabilité. Cette réglementation est applicable à l'ensemble de la Catalogne. Cependant, la ville de Barcelone, compte tenu de ses spécificités, dispose également, en vertu d'une loi adoptée en 1998, de son propre règlement en matière d'urbanisme. La municipalité de Barcelone est ainsi compétente pour accorder des licences commerciales à des établissements dont la surface est inférieure à 5 000 m2. Au-delà, le projet doit s'inscrire dans un plan particulier de développement et une licence commerciale doit être délivrée par la Généralité de Catalogne. Pour exercer cette compétence en matière de planification et de régulation du développement commercial, la municipalité de Barcelone s'appuie sur des plans urbanistiques spéciaux. Un plan spécial pour le commerce non-alimentaire (PECNAB) a ainsi été défini, permettant une planification des implantations sur la base de critères d'accessibilité, de durabilité, etc. En parallèle, un plan spécial pour le commerce alimentaire (PECAB) a été développé, permettant une planification des implantations autour de pôles, en vue de protéger les structures particulières que constituent les 43 marchés municipaux de Barcelone. Des plans spécifiques d'utilisation ont par ailleurs été établis pour les différents quartiers de Barcelone, dont celui du centre historique (Ciutat Vella). Ces plans d'utilisation ont vocation à encadrer le renouvellement des établissements (et non leur implantation), en vue d'assurer un équilibre entre les différentes activités commerciales (hôtels, établissements touristiques, commerces alimentaires, bars, etc.).
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La municipalité de Barcelone développe également des projets pilotes d'aires de promotion de l'économie urbaine (APEU), s'inspirant des expérimentations menées en Allemagne et au Royaume-Uni. Denis CHEISSOUX On constate que des réglementations ont été mises en oeuvre en Allemagne, au Royaume-Uni et en Catalogne, sans que ces pays ou territoires puissent pour autant être qualifiés d'anti-libéraux. Du reste, les caractéristiques de ces territoires sont différentes, en termes de superficie et de densité de population. Ariella Masboungi, vous êtes architecte-urbaniste et essayiste. Vous avez reçu le grand prix de l'urbanisme en 2016. Quel regard portez-vous sur ces exemples de réglementations reposant sur d'autres logiques ? Ariella MASBOUNGI La ville désirable évoquée par Karima Delli est une ville que l'on pratique avec les pieds, que l'on ressent et que l'on aime. Or la ville a été faite par le commerce. Si le territoire du commerce se réduit dans les villes, comme cela a été démontré aujourd'hui, comment faire que les villes soient attractives et désirables ? Les villes européennes sont extraordinaires, au Royaume-Uni, en Espagne, en Allemagne, aux Pays-Bas, en France et au-delà. Si nous venions à perdre ce patrimoine, que resterait-il de l'Europe ? Or ces villes s'incarnent dans leur centre. En dehors de quelques villes nouvelles telles que Louvain-la-Neuve en Belgique, est-on capable aujourd'hui de citer des chefs-d'oeuvre urbains fabriqués en périphérie ? Nous disposons aujourd'hui, dans les centralités, de lieux historiques inimaginablement beaux, que nous sommes malheureusement prêts à brader. Face à ces enjeux, il conviendrait tout d'abord de distinguer l'étalement urbain et les extensions urbaines le premier résultant d'un laisser-faire et les secondes marquant le développement de nouvelles polarités. Les trois réglementations européennes qui nous ont été présentées ont été mises en place sur des territoires denses, où l'espace est limité. En France, où l'espace rural demeure important, beaucoup considèrent que les zones urbaines peuvent encore s'étendre. Cependant, en pratique, l'étalement urbain est une catastrophe. Les élus en soulignent l'impact sur l'agriculture, l'autonomie alimentaire des métropoles, l'assèchement des sols, la maîtrise des risques d'incendies, etc. Le Directeur général des entreprises a mis l'accent sur la nécessité de tenir compte des enjeux en termes d'emplois. Aujourd'hui, cet argument ne me semble plus guère entendable, j'y reviendrai. De plus, la ville durable ne saurait se réduire aux EcoQuartiers et aux bâtiments durables. Construire la ville durable, c'est avant tout réfléchir à la manière de préserver le territoire. A cet égard, on constate que le Royaume-Uni, pays ultralibéral, a mis en place des dispositions pour stopper l'étalement urbain et sauver les centralités (y compris les plus petites) les villes britanniques ayant commencé à souffrir bien avant les villes françaises. Certes, aucun système n'est idéal. Les dispositifs mis en place au Royaume-Uni ou en Allemagne rencontrent ainsi des difficultés. Néanmoins, de tels dispositifs pourraient produire des résultats en France, dans un pays habitué à la règle et au fonctionnement centralisé. La France gagnerait ainsi à se doter d'un droit négatif, permettant réellement de stopper certains projets d'aménagement, pour ne plus construire qu'autour de lieux déjà urbanisés. Vis-à-vis des pays d'Europe du Nord et du Royaume-Uni, la France conserve un droit permissif. C 'est comme si tout y était constructible, sauf ce qui fait l'objet d'une décision contraire, le cas échéant dans le cadre d'un SCoT. Au Royaume-Uni, aux Pays-Bas et en Allemagne, rien n'est constructible, sauf ce qui fait l'objet d'une décision contraire.
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Il nous faudrait ainsi développer des dispositifs nationaux, pour mettre fin au laisserfaire désastreux du modèle français. Il conviendrait également de faire en sorte que nos élus, à l'instar de ceux de Châtellerault, de Saint-Étienne, de Bordeaux, de Nantes ou de Metz, s'engagent et prennent des décisions d'aménagement du territoire, quitte à risquer de ne pas être réélus. A Birmingham, à Manchester, à Liverpool ou à Londres, c'est parce que des maires courageux ont développé de véritables projets que la réglementation a pu être appliquée intelligemment. A Liverpool, qui figurait parmi les villes les plus sinistrées du Royaume-Uni, un centre commercial en plein-air est venu réparer le centre-ville et conforter le tissu existant. En France, nous aurions besoin d'un pouvoir politique plus affirmé autour de la préservation des territoires et de la nécessaire polarisation du commerce dans les coeurs de ville et les nouvelles centralités. Il nous faudrait aussi encourager les élus à prendre des risques, tout en étant à l'écoute des populations (pour tenir compte de l'évolution des modes de vie). Les commerces éphémères, faisant que la ville vit, nécessiteraient également d'être développés. L'accent nécessiterait ainsi d'être mis sur la qualité de vie et le vivre ensemble. Nous ne saurions renoncer à la qualité de vie exceptionnelle des villes européennes, sous prétexte de créer des emplois. Ce chantage à l'emploi est d'autant plus inacceptable que l'emploi généré par les grands centres commerciaux ne saurait être calculé au m 2. En pratique, dans la durée, l'emploi dans les grands centres commerciaux tend à diminuer. En outre, les grands centres commerciaux détruisent par ailleurs des emplois, dans les zones environnantes. Tel devrait encore être le cas avec le projet EuropaCity. Davantage d'études nécessiteraient d'être réalisées autour de ces sujets. La question de la nature des emplois créés par les centres commerciaux nécessiterait également d'être posée. A Liverpool, à Manchester ou à Londres, des aménageurs privés se sont vus chargés, dans le cadre de négociations avec les autorités locales, de former et d'embaucher la population locale. Il n'est pas certain que la même logique soit appliquée dans le cadre d'un projet comme EuropaCity. A cet égard, nous pourrions nous inspirer des britanniques. A l'occasion du salon des centres commerciaux, le MAPIC, j'ai pu constater que trois types de projets étaient présentés : des projets high-tech (toujours entourés de parkings), des copies de l'ancien (plagiat) et, plus rarement, des projets originaux (avec des rues, des places, etc.). En général, ces derniers sont britanniques, car ils se positionnent dans les villes. Ils sont ainsi destinés à fabriquer du tissu urbain. En France, nous continuons de bâtir des centres commerciaux entourés de parkings. Toutes ces approches développées à l'étranger devraient nous faire réfléchir, voire nous inspirer. Denis CHEISSOUX Il semblait également important de recueillir le point de vue des CCI. FrançoisXavier Brunet, en tant que président de la CCI des Hautes-Pyrénées, quelles sont vos réactions par rapport aux approches européennes qui viennent d'être évoquées ? François-Xavier BRUNET Mon point de vue sera aussi celui d'un pratiquant du commerce en centre-ville, étant moi-même exploitant de deux points de vente dans deux centres-villes, l'un de 45 000 habitants et l'autre de 8 000 habitants, dans le domaine de la distribution au grand public de produits d'assurance. En préambule, je ferai observer que la problématique de la réconciliation entre la ville et le commerce ne saurait être réduite à une double opposition. D'une part, il conviendrait
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d'abandonner, s'agissant de penser l'urbanisme commercial, une logique d'opposition entre les formes de distribution. En effet, les clients du commerce sont désormais hybrides et autonomes, souhaitant pouvoir piocher dans la grande distribution, le commerce de proximité et le digital. D'autre part, il conviendrait d'écarter l'opposition stérile entre la régulation et la libre concurrence. Permettre la libre concurrence ne doit pas aboutir à laisser faire n'importe quoi ; aménager le territoire de manière durable ne saurait signifier entraver la liberté d'établissement. Avec l'adaptation par Jean-Pierre Raffarin de la loi Royer, l'urbanisme commercial français était parvenu à une forme d'équilibre. Cependant, la France a ensuite adapté son droit de l'urbanisme en fonction de son interprétation des exigences européennes. Suite à l'adoption de la directive communautaire relative aux services dans le marché intérieur, la France a ainsi réformé son droit de l'urbanisme à deux reprises : en 2008 (avec la loi LME) et en 2014 (avec la loi ACTPE). Cette adaptation s'est traduite par un relèvement du seuil d'autorisation de 300 à 1 000 m2, ce qui a généré le fleurissement d'équipements de 990 m 2 dans toutes les agglomérations françaises. De surcroît, de manière absurde et à rebours de l'Histoire, les études d'impact et les mesures de la zone de chalandise ont été retirées des critères d'appréciation des projets d'urbanisme commercial. Là encore, cette évolution a produit des effets délétères. Au sein des CDAC, la représentation des CCI et des CMA a été supprimée, au motif que celles-ci seraient des opérateurs concurrents des pétitionnaires. Or les CCI et les CMA demeurent des opérateurs de l'État ce dont l'État sait d'ailleurs se souvenir dans le cadre de ses orientations budgétaires. Et je ne reviendrais pas sur la fusion, dans le cadre de la loi Pinel, dans un objectif de simplification, entre la demande d'autorisation commerciale et la demande de permis de construire. Ces évolutions ont abouti à ce que le régime des autorisations commerciales français devienne une « machine à dire oui ». De 2009 à 2015, 90 % des projets présentés en CDAC ont été autorisés, sans le moindre discernement. Des surfaces commerciales équivalant à plus de 6,5 millions de m 2 ont ainsi été autorisées, dans un pays se voulant pourtant culturellement à l'antithèse de l'ultralibéralisme. Ceci nous conduit aujourd'hui à des réflexions sur le devenir du tissu commercial des villes moyennes et des villes moyennes elles-mêmes, qui constituent pourtant l'essentiel de la société française, au-delà des grandes métropoles. Je rejoins par ailleurs Ariella Masboungi sur les effets de l'étalement urbain. Nos règlements d'urbanisme ont favorisé un développement horizontal de l'habitat, à la poursuite du mythe de l'accès à la propriété pour tous, ce qui a abouti à une imperméabilisation des sols, ainsi qu'à une augmentation des dépenses publiques consacrées à la voirie, à l'assainissement, aux équipements scolaires, etc. Notre manière de concevoir l'urbanisme a ainsi favorisé l'émergence d'un mode de vie périphérique et, par construction, d'un mode de consommation périphérique. Face à ce constat, les CCI sont convaincues de la nécessité de rétablir les études d'impact économique, en vue d'éclairer les membres des CDAC dans leurs décisions. Cette mission pourrait être confiée aux CCI 70 % des CCI, en tant qu'établissements publics, animant déjà des observatoires du commerce dans leur territoire. Il conviendrait que le Gouvernement et le législateur s'emparent de cette question. Une autre proposition serait de rabaisser le seuil au-delà duquel les projets d'aménagement commercial doivent faire l'objet d'une autorisation. Enfin, de manière générale, l'enjeu serait de remettre le commerce au coeur de nos réflexions et de nos priorités en matière d'urbanisme. Dans les centres-villes et centresbourgs, le commerce n'est pas uniquement un vecteur d'animation ou de lien social. Il représente également des entreprises, avec leurs salariés et leurs clients.
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Les villes se sont créées autour du commerce et des marchés. Il conviendrait donc de remettre le commerce au coeur des réflexions en matière d'urbanisme. Denis CHEISSOUX Nous aurons l'occasion d'échanger encore autour de ces questions à l'issue de la table ronde suivante.
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Perspectives et propositions
I) Rappel des recommandations du CGEDD
Denis CHEISSOUX En synthèse, à travers les rapports présentés ce jour, le CGEDD a préconisé la mise en oeuvre d'une nouvelle politique de régulation, s'appuyant une obligation de réaliser des études d'impact préalables, une régionalisation des commissions d'aménagement commercial, une meilleure articulation des niveaux de planification (SRADDET, SCoT et PLUi), ainsi qu'une incitation à développer des projets de requalification des centres-villes et de restructuration des périphéries s'inscrivant dans une logique de continuité urbaine.
II) Table ronde
Participent à cette table ronde : Philippe SCHMIT, secrétaire général de l'Assemblée des communautés de France (ADCF) ; Michel-François DELANNOY, directeur du programme « centres-villes de demain » à la Caisse des dépôts et consignations ; Antoine FREY, président du groupe Frey et président du Conseil national des centres commerciaux (CNCC) ; Pierre JARLIER, maire et président de la communauté de communes du Pays de Saint-Flour, président de la commission aménagement et urbanisme de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalités (AMF) ; Michel PAZOUMIAN, président de l'Institut de la ville et du commerce ; Christophe PEREZ, directeur de la SERM, opérateur d'aménagement de Montpellier.
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La table ronde est animée par Denis CHEISSOUX, journaliste. Denis CHEISSOUX Philippe Schmit, quelques mots sur la manière dont le réseau des intercommunalités perçoit aujourd'hui le territoire. Philippe SCHMIT J'interviendrai dans le cadre de cette table ronde en remplacement de la représentante de l'Assemblée des communautés de France (ADCF) au sein de la CNAC, Corine Casanova. Celle-ci m'a chargé de vous faire part d'un certain nombre d'observations et de vous transmettre un certain nombre de messages. Dès 2011, l'ADCF avait lancé une pétition pour réclamer un débat national autour de l'urbanisme commercial. Cette demande, formulée au moment de la proposition de loi Ollier-Piron, était cependant demeurée lettre morte. Aujourd'hui, ce débat s'engage. L'organisation de ce colloque en est l'illustration. Y compris localement, le commerce n'est plus écarté des réflexions sur l'urbanisme. Alors qu'un constat semble aujourd'hui partagé, il conviendrait toutefois d'éviter que des incompréhensions aboutissent à un décalage entre le consensus affiché et la réalité des pratiques sur le terrain. Il conviendrait pour cela de ne pas trop simplifier le débat. Ce colloque a pour thème la relation entre la ville et le commerce. Or les villes sont plurielles et hétérogènes. Tous les centres-villes ne sauraient être considérés de la même manière. Toutes les villes n'ont pas Paris, le 19 octobre 2017
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nécessairement les mêmes capacités, s'agissant de travailler à la fois à l'évolution de l'habitat, du commerce, des transports collectifs, etc. L'enjeu serait également de sortir d'une opposition caricaturale entre le centre-ville et la périphérie. Dans certains territoires, des oppositions entre périphéries se révèlent bien plus inquiétantes, avec un risque de dévitalisation de certains pôles. Par ailleurs, tous les espaces commerciaux n'ont pas la capacité, d'un point de vue économique, de se régénérer sans faire l'objet d'extensions. Tous les espaces commerciaux n'ont pas non plus nécessairement la capacité de recevoir la diversification des fonctions souhaitée par l'urbanisme. Le monde des collectivités fait face aujourd'hui à plusieurs évolutions, avec la montée en compétences des régions (à travers les SRADDET et les schémas régionaux de développement économique, d'innovation et d'internationalisation notamment) et le développement de blocs locaux autour des intercommunalités. Ces nouveaux périmètres devraient permettre aux collectivités de gagner en pertinence vis-à-vis des bassins de consommation. De plus, la loi NOTRe a confié aux intercommunalités une responsabilité en matière de développement d'une politique locale du commerce. En dépit du caractère structurant du commerce pour le territoire, cette dimension était jusqu'alors absente du Code général des collectivités. L'ADCF est persuadée que le commerce a souffert avant tout d'une absence de portage politique au niveau des territoires. Les initiatives individuelles de chacun des maires, en dépit de leur légitimité, ont conduit, dans leur addition, à la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui. Pour sortir de cette situation et sauver les coeurs de ville, au-delà des efforts entrepris par les communes-centres, l'enjeu est d'assurer une plus grande cohérence à l'échelle des agglomérations. L'accent nécessiterait pour cela d'être mis sur le travail collectif des élus et le portage politique à l'échelle des territoires. Chaque dossier transmis à la CDAC nécessiterait de faire l'objet d'une décision préalable du Conseil communautaire compétent. Des stratégies devraient être développées, à l'échelle des intercommunalités et des bassins. Du reste, on constate que les projets soumis à la CNAC sont aujourd'hui largement défendus par les élus. En pratique, les projets ne sont guère contestés que par des élus des territoires voisins défendant leurs propres projets. La posture des élus apparaît ainsi quelque peu schizophrène. Les opérateurs participent aussi à ce jeu de faux-semblants, en prenant, dans une logique de greenwashing, des engagements autour des ENR, de la végétalisation, du stationnement perméable, etc. Le problème est que les CDAC et la CNAC ne disposent d'aucun droit de suivi sur la réalisation de ces engagements. Denis CHEISSOUX Antoine Frey, quelle est la position du CNCC concernant ces enjeux ? Antoine FREY Contrairement à ce qui est parfois sous-entendu de manière profondément choquante, l'industrie des centres commerciaux ne procède à aucun chantage auprès des élus. En termes de gouvernance, les projets portés par les professionnels des centres commerciaux, souvent en centre-ville, le sont avec voire à l'initiative des élus. Il est également surprenant d'entendre systématiquement le commerce associé à l'étalement urbain. En pratique, tel n'est pas le cas. Seuls 2,5 % des terres cultivables artificialisées le sont par le commerce. Il n'est pas toujours tenu compte non plus du e-commerce, dont la concurrence impacte les coeurs de ville, 7 jours sur 7 et 365 jours par an, en ne créant aucun lien social et en employant, à chiffre d'affaires comparable, deux fois moins de salariés que le commerce physique.
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S'agissant du caractère supposé permissif des CDAC, il convient de rappeler que 50 % des dossiers sont ensuite sanctionnés en CNAC. Pour développer un centre commercial en France, la durée moyenne des procédures et des opérations est aujourd'hui de 15 ans. Le CNCC serait du reste favorable à un rabaissement du seuil d'autorisation des projets d'implantation commerciale. La croissance des surfaces commerciales autorisées a atteint 22 % en 2016. Cependant, cette croissance a été essentiellement tirée par des implantations en stand-alone en sortie de ville. Les centres commerciaux et retail parks, quant à eux, ont enregistré une décroissance de 2 % de leurs surfaces commerciales. Etant fier de mon industrie, je souhaitais ainsi rétablir quelques vérités. Denis CHEISSOUX Quel est votre positionnement par rapport à la revitalisation des centres-villes ? Antoine FREY Nous sommes tout à fait conscients du mal qui frappe un certain nombre de centresvilles. Cependant, nous pensons que ces centres-villes ne sauraient être sauvés en empêchant les centres commerciaux périurbains de se restructurer. Face à la concurrence du e-commerce notamment, les centres commerciaux doivent aujourd'hui s'adapter, pour offrir une expérience valorisante et qui respecte les êtres humains. Les centres-villes constituent les plus merveilleux des espaces commerciaux. C'est précisément pour cette raison que certains centres commerciaux s'efforcent, sans doute à tort, de pasticher un centre-ville. L'enjeu serait donc davantage d'inciter les opérateurs de centres commerciaux à retourner en centre-ville. Aujourd'hui, les contraintes et les barrières à l'entrée conduisent encore de nombreux opérateurs à privilégier les implantations en périphérie. A cet égard, le parcours des projets nécessiterait d'être simplifié. Denis CHEISSOUX Conviendrait-il par ailleurs d'envisager une mutualisation des projets ? Que faire également par rapport au développement anticipé des friches ? Antoine FREY Il nous faut être lucide sur ce point. Tous les commerces périurbains ne sont pas appelés à souffrir. Cependant, certains sont amenés à disparaître. Autour des agglomérations de taille moyenne, le développement commercial périurbain s'est généralement structuré d'abord autour de premières zones commerciales, positionnées de manière stratégique. Ensuite, d'autres zones commerciales ont été développés, géographiquement à l'opposée, dans un objectif de rééquilibrage. En cohérence avec le maillage territoriale des enseignes, d'autres zones se sont finalement développées. A l'avenir, toutes ces zones commerciales ne devraient pas être en capacité de perdurer. Certaines, cristallisant encore un certain succès et suscitant l'appétit des enseignes, devraient avoir la possibilité de se restructurer. D'autres devraient disparaitre ou muter vers d'autres usages. L'Eurométropole de Strasbourg a ainsi confié au groupe Frey des prérogatives en matière d'expropriation et de préemption pour restructurer sa zone commerciale nord. Dans cette zone, moyennant un investissement privé de 70 millions d'euros, les commerces devraient être reconcentrés dans un équipement de nouvelle génération, libérant le foncier nécessaire à la reconstitution d'une continuité urbaine à travers le logement. Cette zone devrait perdurer en tant que deuxième pôle commercial de la métropole (avec un chiffre d'affaires de l'ordre de 500 millions d'euros), derrière le centreville (au chiffre d'affaires de l'ordre de 800 millions d'euros). Les autres pôles commerciaux de la métropole devraient en revanche connaître d'importantes difficultés à moyen terme. Paris, le 19 octobre 2017
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S'agissant d'envisager la mutation des zones commerciales amenées à disparaître, une piste pourrait être d'y développer des solutions viables et écologiques pour la livraison au dernier kilomètre des ventes en ligne celles-ci connaissant une croissance exponentielle, avec des enjeux forts en termes de logistique associée. Denis CHEISSOUX Quel regard portez-vous sur les perspectives de régulation évoquées ? Antoine FREY Dans le cadre de la régulation existante, le développement d'un projet peut déjà s'avérer complexe. Dans l'agglomération d'Amiens, la conduite d'une opération de 40 000 m2, inaugurée très récemment avec le Président de la région des Hauts-de-France et les élus de l'agglomération, a ainsi nécessité 12 ans. D'importants efforts de concertation avec la collectivité ont été nécessaires pour présenter un dossier cohérent à la CDAC. Les autorisations délivrées étant systématiquement contestées, des recours ont ensuite été adressés, avec des effets dilatoires importants. Alors que la durée moyenne de développement d'un projet est déjà de 15 ans, il ne me paraîtrait pas opportun de complexifier et de rallonger encore les procédures. Dans 15 ans, qu'en sera-t-il du chiffre d'affaires du e-commerce et qu'en sera-t-il des équipements commerciaux n'ayant pu se restructurer ? Denis CHEISSOUX Michel Pazoumian, le débat autour de la relation entre centres-villes et périphéries est ancien. Dans les années 2000, les développements commerciaux périphériques ont été soutenus par des taux d'intérêts peu élevés les promoteurs étant dans leur rôle en développant des surfaces commerciales. La crise de 2008 a ensuite conduit à une régression du pouvoir d'achat, poussant les consommateurs à rechercher encore davantage des prix bas. Par le croisement de ces effets conjoncturels, mais aussi pour des raisons structurelles, nous faisons aujourd'hui face à des taux de vacance commerciale importants, dans les centres des villes moyennes notamment. Quel est votre regard sur ces évolutions ? Michel PAZOUMIAN Mon regard sera essentiellement celui du commerce spécialisé. Je souhaiterais tout d'abord souligner que nous avons énormément apprécié les rapports du CGEDD, marquant un premier positionnement de l'État, à l'écoute des acteurs du commerce. Il était important d'ouvrir ce débat. La France conserve de nombreuses spécificités en matière de commerce. Les hypermarchés y ont été inventés. Beaucoup prédisent leur disparition, à l'instar des centres commerciaux américains. Cependant, il convient de rappeler que les centres commerciaux américains ont été portés par les grands magasins, confrontés eux-mêmes à des difficultés. En France, les grands magasins sont moins nombreux aujourd'hui mais perdurent, avec les Galeries Lafayette et le Printemps notamment. Les hypermarchés, quant à eux, s'ils se réduisent, le cas échéant en cédant des surfaces à des moyennes surfaces spécialisées (à Portet-sur-Garonne par exemple), ont également entrepris de se transformer. Les grandes chaînes telles que Carrefour ont par ailleurs des stratégies de développement de supermarchés, affaiblissant l'attraction des hypermarchés. Certains hypermarchés de proche couronne correspondent aussi à des centres urbains, dans le cadre de l'étalement urbain et pour les populations environnantes. Le développement des retail parks en France fait quant à lui débat. Dans certains territoires, de beaux équipements remplacent ainsi les anciens. Cependant, certains retail parks demeurent contestés dans leur esthétique et leur pertinence. Pour le commerce en général, l'année 2008 a représenté un traumatisme important. Avec la chute des rendements, les enseignes ont compris, certes avec un peu de retard, à Paris, le 19 octobre 2017
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partir de 2012-2013, la nécessité d'évoluer vers le multicanal et le digital, sous peine de disparaître. Certaines enseignes ont déjà disparu, parmi lesquelles Bata, Virgin, etc. D'autres telles que la Fnac et Darty se sont regroupées, dans l'optique d'optimiser leurs approvisionnements et de répondre aux consommateurs avec des prix plus compétitifs. D'autres ont également entrepris de réduire leur réseau, n'hésitant pas à fermer des points de vente non-rentables. Denis CHEISSOUX La vacance commerciale est aujourd'hui en hausse, y compris dans les périphéries. Pour autant, les surfaces commerciales continuent de se multiplier en périphérie et de nouveaux retail parks sont implantés. Michel PAZOUMIAN A cet égard, Antoine Frey a défendu une profession recherchée par les élus, sur l'ensemble du territoire. Tous les élus recherchent aujourd'hui des investisseurs et des promoteurs. Néanmoins, pourquoi envisager des projets aussi importants ? A Strasbourg ou à Montpellier, pourquoi risquer ainsi de déstabiliser le commerce existant ? Ne pourrait-on pas envisager plutôt la requalification de retail parks en déshérence ou le développement de projets plus réduits avec des capacités foncières d'extension ? Du reste, certains élus ont tendance à encourager le développement des retail parks les surfaces commerciales nouvelles générant des emplois, avec une visibilité importante, y compris pour les élus. A Dinard, on dénombre ainsi trois retail parks, si bien que les enseignes s'interrogent sur celui qui leur permettra de préserver leur chiffre d'affaires et leurs emplois. Denis CHEISSOUX La problématique de la connaissance des emplois ainsi créés à déjà été évoquée ce jour. Michel PAZOUMIAN De fait, peu d'outils sont aujourd'hui disponibles pour évaluer les impacts réels des projets en termes d'emplois. Antoine FREY A Strasbourg, la restructuration de la zone commerciale de Vendenheim devrait mobiliser près de 70 millions d'euros d'investissements. L'enjeu sera notamment de réaménager les voiries, pour éviter un télescopage entre les flux pendulaires et les flux commerciaux, tout en reconstituant une continuité urbaine. La collectivité devrait contribuer à cet effort d'investissement à hauteur de 9 millions d'euros. Le reste devrait être apporté par les opérateurs. Pour financer cette restructuration, il faudra donc créer de la valeur la rentabilité de telles opérations ayant tendance à diminuer. Il convient pour cela de valoriser le foncier, s'agissant de déplacer des commerces en confrontation avec le tissu d'habitations pavillonnaires, pour permettre le développement de nouveaux logements et la réalisation d'une couture urbaine. Michel PAZOUMIAN A Metz, un certain nombre d'enseignes ont fait le choix de rejoindre le retail park de la Compagnie de Phalsbourg, pour y trouver un environnement nouveau, plus esthétique et plus attractif vis-à-vis des consommateurs, avec davantage de surfaces pour développer des concepts originaux. Dans un contexte d'évolution permanente des concepts commerciaux, les promoteurs ont ainsi la capacité d'apporter du neuf.
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Denis CHEISSOUX Christophe Perez, en l'espace de 40 ans, la ville de Montpellier est passée de 100 000 à 450 000 habitants. Dans ce contexte, au-delà du centre-ville, les centres commerciaux Polygone et Odysseum se sont développés. Le projet Ode à la mer a ensuite été engagé, prévoyant le développement de nouvelles surfaces commerciales, mais aussi la requalification d'un certain nombre de zones commerciales. Comment ce projet a-t-il été porté par les aménageurs et les élus ? Christophe PEREZ A Montpellier, la croissance démographique est soutenue depuis les années 80. Dans ce cadre, il devient nécessaire de produire la ville, afin qu'elle soit multifonctionnelle et favorise la mixité sociale. Le commerce, en tant qu'élément fondateur de la ville, est partie intégrante de cette démarche. Dans chacun des quartiers se construisant progressivement, il s'agit ainsi d'envisager la ville dans toutes ses dimensions, afin qu'elle soit au service des habitants et qu'elle devienne « aimable ». Dans le cadre du projet Ode à la mer, l'objectif serait de rassembler l'extension urbaine d'aujourd'hui et l'étalement urbain du commerce des années 60-70. Le moment est ainsi venu de réconcilier la ville avec ce commerce. Le projet Ode à la mer s'inscrit dans un environnement caractérisé par 200 000 m2 de commerces, avec 2 hypermarchés de 12 000 m2 chacun, ainsi qu'un certain nombre de « boites à chaussures » le long de la Route de la mer. L'enjeu serait d'amener la ville dans cette zone, en permettant l'installation de 30 000 nouveaux habitants. Le commerce résultant de l'étalement urbain est ainsi amené à faire partie de la ville. Denis CHEISSOUX La zone devrait également être desservie par un tramway.
Christophe PEREZ L'objectif serait effectivement de faire le lien entre cette zone et le tramway qui parcourt la ville de Montpellier. Le projet Ode à la mer emporte également un objectif de préservation de la biodiversité. L'urbain ne devrait ainsi occuper qu'un tiers de l'espace libéré, avec une densité à même de limiter l'étalement. Le reste devrait être restitué à la nature, à l'agroécologie et à l'agriculture. En pratique, 100 000 m2 de surfaces commerciales sont appelés à être démolis, pour permettre la reconstruction d'un projet urbain de 110 000 m2. Les 100 000 m2 de surfaces commerciales restantes feront l'objet d'une démarche de régénération, en lien avec les propriétaires.
Denis CHEISSOUX L'ambition serait donc de bâtir un véritable quartier supplémentaire.
Christophe PEREZ Pour porter cette ambition, le choix a été fait de s'appuyer sur la société d'économie mixte de la métropole cette structure constituant le lieu de la coopération entre le public et le privé au sein du territoire. Après une mise en concurrence sévère, le groupe Frey a été retenu par la métropole et la SERM pour réaliser une partie du projet, soit opérer le réaménagement de 62 000 m2 de
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surfaces commerciales. Dans le cahier des charges, il a cependant été négocié que 70 % des enseignes appelées à s'implanter dans ces 62 000 m2 soient déjà installées sur le site aujourd'hui. Plutôt que de pratiquer une politique de la « terre brûlée », l'enjeu sera d'accompagner ces enseignes, pour leur permettre de rejoindre le projet. L'étape suivante a été pour la SERM, avec le soutien de la Caisse des dépôts et consignations, d'acheter un certain nombre de ces commerces. Plus de 20 000 m2 de surfaces ont déjà été acquis et d'autres acquisitions foncières sont envisagées. Il s'agira également de soutenir un certain nombre de ces commerces durant le temps de l'opération les délais d'obtention des autorisations et de mise en oeuvre des chantiers de construction pouvant être relativement longs. Denis CHEISSOUX Au final, la métropole de Montpellier comptera néanmoins un pôle commercial supplémentaire. Christophe PEREZ Nous demeurerons vigilants sur ce point, dans le cadre du SCoT. Un noyau urbain et commercial sera conservé au niveau du coeur de ville. La SERM y est déjà propriétaire d'une centaine de locaux commerciaux. Des opérations de rénovation urbaine y seront également poursuivies. A Montpellier, une particularité est que certains équipements commerciaux, installés initialement en périphérie, sont aujourd'hui au coeur de la ville. Tel est le cas notamment du centre commercial Odysseum. Denis CHEISSOUX Quelle cohérence est aujourd'hui envisagée entre l'Ode à la mer, l'Odysseum, le Polygone et le centre-ville ? Christophe PEREZ Une cohérence sera assurée entre les noyaux urbains ainsi constitués, disposant chacun de commerces de proximité et reliés entre eux par le tramway. Sur un périmètre plus large, ces pôles bénéficieront également du rayonnement de la métropole, y compris à l'international (avec une ouverture sur la méditerranée notamment). Denis CHEISSOUX Pierre Jarlier, en tant maire de Saint-Flour et président de la communauté de commune du Pays de Saint-Flour, mais aussi président de la commission aménagement et urbanisme de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalités, quelle est votre position sur ces sujets ? Pierre JARLIER Je ne reviendrai pas sur les constats faits au cours de cette journée. De fait, les traumatismes sont nombreux, dans les centres-villes comme dans les périphéries. Et l'urbanisation mal maitrisée des années 90 continue d'avoir des impacts financiers sur les collectivités (avec des décisions prises à l'échelle de certaines communes se traduisant par des formes de dumping fiscal aux conséquences dévastatrices pour les communes voisines), ainsi que des impacts économiques sur les centres-villes (avec le développement de friches commerciales complexes à réhabiliter, alors même que les coeurs de ville fondent le lien social et le vivre ensemble). A cet égard, les rapports du CGEDD ouvrent néanmoins des perspectives très intéressantes. Il était temps que l'État appréhende les enjeux de cette urbanisation sauvage aux effets dévastateurs.
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Nous disposons aujourd'hui d'outils nouveaux pour faire face à ces enjeux. Comme la souligné Philippe Schmit, nous disposons désormais d'outils d'organisation à l'échelle territoriale, avec des intercommunalités plus puissantes. Ceci devrait permettre de prendre des décisions d'urbanisation à des échelles plus pertinentes, dans le cadre d'approches stratégiques et solidaires, permettant de dépasser les petits conflits de territoires et les intérêts personnels. Par ce biais, les projets de territoire devraient pouvoir intégrer pleinement la question du développement commercial, en cohérence avec les enjeux liés à l'habitat, à la santé, à la mobilité etc. L'enjeu serait ainsi de rapprocher l'urbanisme de l'urbanisme commercial. Loi NOTRe a pour cela prévu des outils de planification à toutes les échelles stratégiques pertinentes, avec les SRADDET et les SRDEII (pour aborder les grands enjeux commerciaux à l'échelle régionale), les SCoT (pour envisager l'implantation globale des surfaces commerciales à l'échelle d'un territoire ou d'un bassin de vie) et les PLUi (pour décliner des stratégies et des projets de développement commercial, avec un caractère prescriptif, le cas échéant pour redynamiser les centres-villes). Lorsque ces outils seront partagés par les élus, des approches concertées pourront être mises en oeuvre, s'agissant notamment d'éviter une surabondance des implantations commerciales en périphérie, sans pour autant opposer celles-ci aux coeurs de ville. Une concertation pourra également être organisée avec les populations, pour renforcer l'acceptabilité des projets. Denis CHEISSOUX La priorité accordée aux centres-villes ne nécessiterait-elle pas néanmoins d'être inscrite dans la loi ? Pierre JARLIER Il conviendrait effectivement d'inscrire dans la loi un certain nombre de mesures pour revitaliser nos centres-villes. Du reste, les projets de territoire ainsi définis nécessiterait de pouvoir s'appuyer sur une gouvernance adaptée, y compris vis-à-vis des autorisations commerciales. Aujourd'hui, les CDAC délivrent des autorisations, qui sont ensuite réexaminées quasisystématiquement par la CNAC. Dans ce cadre, les concurrents positionnés sur le territoire déposent généralement eux-mêmes un certain nombre de recours. C'est pour cette raison que les projets nécessitent 15 ans pour aboutir. Il conviendrait de faire évoluer ce système. Dans le cadre de la gouvernance des projets territoriaux, l'avis des élus de l'intercommunalité nécessiterait de pouvoir être sollicité. Pour l'examen des dossiers en commission d'aménagement commercial, une échelle régionale pourrait également permettre de sortir des lobbyings locaux les régions étant compétentes en matière de développement économique. Un seuil nécessiterait toutefois d'être fixé, pour éviter la mise en oeuvre de procédures complexes pour des projets portant sur des surfaces peu importantes. A cet égard, le seuil de 2 500 m2 proposé par le CGEDD pourrait s'avérer trop faible la plupart des implantations commerciales en périphérie excédant cette surface. La question des observatoires est également essentielle. Le CGEDD a proposé la mise en place d'un observatoire financé par les intercommunalités. Or celles-ci ne disposent pas nécessairement des moyens ni des outils de connaissance nécessaires. En revanche, nous avons la chance de disposer, en France, de CCI effectuant un important travail. Le Cerema est également un excellent outil. Denis CHEISSOUX Sans être un bureau d'études, le Cerema pourrait intervenir au plan méthodologique.
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Pierre JARLIER Ceci permettrait de développer une véritable connaissance de l'évolution du commerce. Dans le cadre de la planification, il serait ainsi possible de mieux cibler les implantations potentielles. Enfin, il conviendrait absolument de faire en sorte que les dossiers des porteurs de projets intègrent des études d'impacts réalisées par des organismes impartiaux, afin que les élus puissent prendre les bonnes décisions, en fonction de la réelle capacité d'accueil des territoires. Philippe SCHMIT L'ADCF organise des débats avec les élus locaux autour de ces questions commerciales. Ce qu'il en ressort est que la classe politique locale est aujourd'hui dans une forme d'expectative. Les élus locaux sont de plus en plus nombreux à comprendre que les déséquilibres commerciaux, dans les centres-villes notamment, sont le symptôme d'un certain nombre de dysfonctionnements dans les territoires (en lien avec l'évolution des populations, des services publics, etc..). Ils s'interrogent néanmoins sur la traduction de la transformation numérique dans les territoires. Beaucoup peinent à mesurer la manière dont la révolution numérique se traduit dans le fonctionnement des territoires. Peut-être certains espaces commerciaux disqualifiés pourraient-ils être reconvertis pour répondre aux besoins logistiques du e-commerce. Cependant, en matière d'urbanisme, comment traduire cela ? Comment anticiper et préparer de telles évolutions ? Par ailleurs, les communes ont transféré à leur intercommunalité la responsabilité de l'ensemble de leur développement économique. Depuis le 1 er janvier 2017, la maîtrise d'ouvrage de toutes les zones d'activités a ainsi été transférée au niveau intercommunal. Et la gestion de ces zones d'activités soulève d'importantes questions pour les intercommunalités. Quel devenir pour ces zones ? Comment les prioriser ? Comment décider de leur évolution ? Depuis peu, nous commençons à nouer un dialogue autour de l'articulation public/privé. Aujourd'hui, ce dialogue doit nous aider à suivre l'évolution du commerce, pour que les élus puissent disposer de bases sur lesquelles décider. Michel PAZOUMIAN Le problème se pose moins dans les grandes villes qui croissent de plus de 5 000 habitants par an et attirent de nombreux investisseurs que dans les petits territoires peu attractifs, s'agissant notamment des villes frappées par la désindustrialisation du pays. Dans ces villes, au-delà de l'accompagnement par la Caisse des dépôts et consignations, comment développer des capacités d'investissement et mobiliser des compétences d'ingénierie ? En pratique, dans des villes telles que Vierzon, les investisseurs privés sont absents, que ce soit pour restaurer la périphérie ou revitaliser le centre-ville. Il conviendrait aujourd'hui d'accompagner ces territoires. Denis CHEISSOUX Michel-François Delannoy, le programme « centres-villes de demain » de la Caisse des dépôts et consignations, que vous pilotez, vise précisément à appuyer les collectivités, s'agissant notamment des villes moyennes. Depuis 18 mois, 80 villes y ont fait appel et 10 sites démonstrateurs ont été identifiés. S'agit-il d'un « plan Marshall » mis en place par la Caisse des dépôts et consignations pour les centres-villes ? Michel-François DELANNOY Le dispositif mis en oeuvre par la Caisse des dépôts et consignations constitue une expérience sans véritable équivalent, qui inspire les réflexions du Gouvernement pour la mise en place d'un programme national centré sur les villes moyennes.
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A ce stade, il est déjà possible de tirer de cette expérience un certain nombre d'enseignements. Le projet territorial, pour peu qu'il soit qualifié à la bonne échelle, apparaît constituer une bonne réponse. Cependant, à cet égard, une forme d'injustice apparaît également, dans la mesure où les territoires les plus en difficulté et faisant face à la plus grande complexité sont souvent ceux dans lesquels l'expertise et les capacités d'ingénierie sont les moins importantes. Ces disparités nécessiteraient aujourd'hui d'être corrigées. Les villes de Châtellerault, Perpignan, Tarbes ou Sens, ayant signé une convention « centres-villes de demain », ont exprimé un certain nombre d'interrogations et de préoccupations quant à la manière d'agir dans la crise. Il nous faut aujourd'hui apporter à ces villes de l'expertise et les aider à penser leur stratégie, quitte à les accompagner dans un changement de paradigme, s'agissant notamment d'envisager un développement urbain ne s'appuyant pas nécessairement sur un développement démographique à brève échéance. La Caisse des dépôts et consignations, à travers un certain nombre d'outils, s'efforce d'apporter à ces villes des capacités d'expertise et d'ingénierie, pour leur permettre de penser leur projet et d'identifier des solutions, en termes de montages financiers notamment (dans des territoires où les moyens publics sont parfois amoindris). Beaucoup de dispositifs existent par ailleurs, en matière d'habitat, de renouvellement urbain, etc. Cependant, encore faut-il savoir les optimiser, les rassembler et les mettre au service d'un projet. C'est en ce sens que le Gouvernement réfléchit à la mise en place d'un « contrat intégrateur » autour du projet des villes moyennes. L'enjeu serait ainsi de fédérer l'ensemble des moyens et des ressources disponibles, y compris s'agissant de faire fonctionner les outils réglementaires. La Caisse des dépôts et consignations s'attache également à apporter, à son niveau, avec ses moyens et ses métiers, des réponses aux enjeux essentiels que constituent la maîtrise du foncier et la transformation des usages. Ces leviers ont vocation à permettre, le cas échéant, un travail sur l'existant, en vue de lui donner une nouvelle attractivité et d'y développer une nouvelle offre, tout en considérant les enjeux en termes de préservation du patrimoine, d'efficacité énergétique, d'accessibilité, de sécurité, etc. L'enjeu serait ainsi, dans ces territoires, de faire converger un certain nombre de dispositifs et d'organiser un système normatif permettant aux acteurs locaux d'agir mieux et de manière plus accompagnée. Michel PAZOUMIAN De fait, rien n'est inéluctable pour le monde du commerce. Lorsque les élus sont mobilisés, comme tel est le cas à Mulhouse ou à Limoges, des aménagements urbains peuvent être opérés, pour donner espoir à la population. Le commerce suit ensuite ou du moins n'abandonne pas le territoire. Dans la ville de Niort, par exemple, 60 millions d'euros sur 4 ans ont été investis dans les aménagements urbains, avec une piétonisation du centre-ville. Le privé a ensuite rejoint la démarche, en reprenant plusieurs immeubles. L'enseigne H&M s'est installée et de nouveaux logements ont été développés. De tels exemples sont nombreux. Antoine FREY Je constate avec un certain soulagement que nous partageons tous une même opinion, selon laquelle il n'existe pas de solution simple à un problème aussi complexe. Dans ce contexte, l'expertise en matière d'urbanisme fait parfois défaut et les petites villes se trouvent parfois démunies. Dès lors, il devient nécessaire de faire travailler ensemble le public et le privé. Pierre JARLIER La revitalisation des centres-villes nécessite une expertise transversale, dès lors qu'il est question de gestion de l'habitat, de maîtrise foncière, de transformation des usages, Paris, le 19 octobre 2017
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etc. Des sujets aussi complexes nécessitent également une ingénierie territoriale de qualité. Dans les villes moyennes, et sans doute davantage encore dans les petites villes les difficultés des centres-villes n'étant pas nécessairement corrélées au nombre d'habitants , dans le prolongement des dynamiques territoriales déjà engagées (autour de l'habitat notamment), il nous faudra envisager le développement de contrats globaux, avec des crédits d'investissement et d'ingénierie associés.
III) Débat avec la salle
Ariella MASBOUNGI En pratique, la requalification des fameuses « boites à chaussures », évoquée dans le cadre du projet Ode à la mer, s'avère très complexe. En effet, du fait d'une spécificité fiscale française conférant à un bien la valeur que celui-ci aurait s'il fonctionnait bien, de tels commerces se révèlent souvent impossibles à exproprier et très coûteux à recomposer. Du reste, beaucoup de centres commerciaux sont aujourd'hui en cours d'abandon dans les villes. L'ouvrage « Le maire, l'architecte, le centre-ville... et les centres commerciaux », de Jean-Noël Carpentier (maire d'une commune périphérique francilienne) et David Mangin (urbaniste), en est l'illustration. Les opérateurs commerciaux abandonnent de tels territoires, privilégiant des implantations plus grandes et plus éloignées. A cet égard, sans s'opposer aux opérateurs commerciaux, les urbanismes s'efforcent de conseiller les élus ceux-ci conservant la responsabilité de leurs projets. La France est très regardée vis-à-vis de ces sujets en Europe. Elle a donc une responsabilité importante. Aujourd'hui, alors que notre ministre de la transition écologique et solidaire est un grand écologiste, nous ne saurions échouer dans notre effort d'urbanisme et de développement durable. Or notre modèle urbain continue d'engendrer un gaspillage dramatique des sols. En dépit des recompositions opérées par la loi NOTRe, notre gouvernance en la matière demeure défectueuse, avec pour conséquence un étalement urbain forcené au-delà des grandes métropoles. Les opérateurs commerciaux peuvent nous aider dans la prise en charge de ces problématiques. Plutôt que d'attaquer les territoires non-urbanisés en grande périphérie, ils peuvent nous aider à recomposer les centres-villes et à sauver les zones périphériques déjà urbanisées. Antoine FREY Nous serons très heureux de le faire. Maryse LAVRARD L'intérêt de la convention « centres-villes de demain » réside d'une part, dans la mise en oeuvre d'une approche transversale et, d'autre part, dans l'ingénierie apportée par la Caisse des dépôts et consignations. Il est néanmoins regrettable que les départements et les régions soient absentes du dispositif. En effet, l'habitat relève de la compétence des départements. Le commerce, quant à lui, relève de la compétence des régions. Si ces collectivités s'engagent également, sous le regard de l'État, le dispositif portera ses fruits. De manière très concrète, à Châtellerault, notre convention est déclinée en actions, avec un chiffrage de l'apport de chaque intervenant. Telle est la réalité du quotidien. Pascal MADRY, directeur de l'Institut pour la ville et le commerce Nous manquons également d'une réflexion prospective sur les lieux de commerce de demain, s'agissant notamment de prendre en compte le développement du e-commerce. Nous avons beaucoup débattu, dans le cadre de ce colloque, de la question des centresvilles et des périphéries, à périmètre constant. Or il conviendrait de mettre en perspective ces lieux avec les évolutions du peuplement et des nouvelles technologies. Paris, le 19 octobre 2017
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Aujourd'hui, la population s'étale. En parallèle, le commerce n'a jamais été autant polarisé. A Châtellerault, le commerce se réalise à 90 % dans le centre-ville et dans deux zones commerciales. Les habitants n'ont jamais été aussi éloignés de leurs commerces, avec des durées de déplacement importantes associées. Alors que de nouveaux acteurs sont en train de domestiquer le commerce, avec des systèmes d'approvisionnement à domicile, et que nos centres et nos périphéries sont en train de devenir des lieux de destination, il conviendrait de tenir compte de ces enjeux. Elsa SACKSICK, AdDen Avocats Il convient de rappeler qu'en France, en l'absence de planification, il demeure impossible de construire. En l'absence de PLU, le foncier est inconstructible. En l'absence de SCoT, il demeure impossible de demander une autorisation d'exploitation commerciale. Le SRADDET pourrait quant à lui constituer un instrument intéressant. Malheureusement, le commerce n'y a pas été intégré explicitement par la loi. Les limitations ou interdictions vis-à-vis du commerce doivent donc y être justifiées par d'autres critères, relatifs à l'équilibre des territoires notamment. Du reste, au-delà des aspects juridiques et de planification, si un opérateur préfère créer une implantation sur la base d'une coque nouvelle, plutôt que d'investir dans de l'existant, c'est avant tout pour des raisons économiques. Il conviendrait également de traiter ces questions. Denis CHEISSOUX Merci à tous.
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Conclusion : synthèse des débats discours de clôture des ministres
David PHILOT
Directeur de cabinet du ministre de la cohésion des territoires
et
Les rapports du CGEDD et de l'IGF, les échanges produits au cours de cette journée, ainsi que les rencontres que nous menons au sein des territoires, nous interpellent. A la lumière de ces réflexions, les pouvoirs publics et le ministère que je représente sont aujourd'hui mûrs pour travailler de manière renouvelée sur le commerce, l'urbanisme commercial et, de façon plus large, l'aménagement du territoire. Autour de ces enjeux, une approche stratégique plus riche et plus globale apparaît nécessaire. Telle est la vision que nous partageons et tel est le sens du plan d'action que nous entendons mettre en place. Le constat est aujourd'hui celui d'un déséquilibre, résultant d'un modèle d'aménagement commercial en grande partie dépassé, sur le plan de l'aménagement urbain et environnemental, sur le plan économique et vis-à-vis de l'animation de la vie urbaine. Nous avons développé des surfaces commerciales importantes, à hauteur de 3 millions de m2 autorisés chaque année. J'ai moi-même eu l'occasion de présider un certain nombre de CDAC et force est de constater que les projets y sont toujours présentés sous un angle utile, en termes de création d'emplois et d'activité. Dans ce contexte, les aspects liés à l'insertion paysagère et au développement durable ne sont souvent négociés qu'à la marge. Ce modèle a permis, un temps, de répondre aux attentes des consommateurs. Il s'inscrivait également en cohérence avec un mode de vie recueillant un consensus social. Aujourd'hui, ce consensus social apparaît toutefois moins assuré. Au plan économique, la concentration des capacités a conduit à des situations de suroffre commerciale et de chevauchement des zones de chalandise, avec un impact sur les petits commerces mais aussi sur les grandes enseignes. Les centres-villes, quant à eux, sont confrontés à une perte d'attractivité, dans les villes moyennes mais aussi dans les petites villes, voire dans certaines métropoles. Le taux de vacance commerciale progresse, ce qui doit nous alerter. De la même manière, le modèle américain, ayant lui aussi reposé sur de très grandes surfaces, apparaît à bout de souffle, avec de très grandes enseignes connaissant des difficultés, sous l'effet de la concurrence du e-commerce notamment (par ailleurs créateur d'emplois et d'activité). Le modèle d'aménagement commercial à la française apparaît ainsi devoir être repensé, en réintégrant les fonctions commerciales dans le renouvellement urbain et dans la construction de la ville de demain. Les enjeux écologiques associés à la consommation des espaces naturels et agricoles sont également considérables. Les ministres de la transition écologique et solidaire et de la cohésion des territoires y sont très attentifs. Pour faire face à ces enjeux, le Gouvernement entend résolument agir, en portant une attention à la fois au soutien de l'activité économique et à l'aménagement du territoire la recherche de solutions imposant de ne pas considérer ces deux objectifs comme contradictoires. Il s'agira pour cela de faire converger l'ensemble des acteurs, autour d'objectifs partagés et dans le cadre d'une vision équilibrée. Un cadre devra être construit pour permettre aux élus de rééquilibrer leurs territoires et de revitaliser leurs villes et centres-villes. Rien ne pourra se faire sans eux. Il s'agira néanmoins de leur permettre de penser l'aménagement commercial à la bonne échelle, avec un accompagnement adapté. L'État et ses établissements publics devront également Paris, le 19 octobre 2017
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être mobilisés, pour créer les conditions favorables au développement d'un commerce accessible, durable et rentable. Les acteurs du commerce devront également être embarqués, dans l'élaboration des projets, la mise en oeuvre des investissements et le développement de politiques d'attractivité. Des solutions ne pourront ainsi être trouvées que dans le cadre de partenariats publics (entre l'État, ses opérateurs et les collectivités locales) et privés (entre les territoires et les acteurs économiques privés). Cette action a vocation à être portée de manière interministérielle. Vis-à-vis des villes moyennes, jouant un rôle central dans l'équilibre des territoires, un plan d'action spécifique devrait être mis en oeuvre, avec un volet consacré à l'habitat et un volet consacré au commerce, dans le cadre d'une approche globale. Le ministre de la cohésion des territoires a déjà évoqué cette question dans le cadre du Congrès des villes de France. D'autres annonces devraient être faites par le Gouvernement dans les semaines à venir. Pour aboutir à la déclinaison de solutions concrètes et pragmatiques, une piste pourrait être de travailler sur des promotions de villes, avec une approche contractuelle. S'agissant d'opérer un rééquilibrage entre centres-villes et périphéries, l'enjeu sera de faire en sorte que l'ensemble des acteurs (élus, État et acteurs du commerce) prennent leurs responsabilités. Il nous faudra pour cela être exigeant dans le cadre des contrats établis. En matière d'ingénierie, des compétences devront être mobilisées, s'agissant de recréer des mix commerciaux attractifs notamment. Aujourd'hui, de telles compétences demeurent rares, y compris dans les villes de taille importante. A cet égard, l'État pourrait renforcer les moyens et les compétences de l'EPARECA, au-delà des quartiers de la politique de la ville. De l'ingénierie privée pourrait également être mobilisée. L'enjeu serait ainsi de mobiliser des ressources publiques et privées, dans des territoires identifiés conjointement, pour établir des diagnostics et proposer des solutions. Les restructurations et les moyens d'intervention devront être envisagés en fonction des situations les besoins et les solutions pouvant être très hétérogènes, en termes d'animation et de coordination, de requalification du bâti, de redéfinition de l'offre commerciale, etc. Des projets devront ainsi pouvoir être portés, y compris s'agissant de répondre à l'évolution des modes de vie et des attentes des consommateurs. De nombreuses enseignes ont aujourd'hui envie de réinvestir les centres-villes, le cas échéant avec de petits formats. Il s'agira donc de s'appuyer sur ces acteurs. Les foncières pourraient également être sollicitées. Des startups développent également de nouvelles approches, y compris autour des commerces de bouches, sur des marchés émergents et en réponse à une demande sociale forte. Ces perspectives doivent nous rendre ambitieux et optimistes. Le ministère de la cohésion des territoires, avec le concours du CGEDD, de la DGALN et des inspections générales, a par ailleurs travaillé au lancement d'un appel à projets, en lien avec sa stratégie relative au logement, pour faire évoluer les zones commerciales périphériques de certaines zones tendues en morceaux de ville. L'objectif serait ainsi de développer du logement dans ces zones, sans consommer de nouveaux espaces et en y améliorant la qualité urbaine. Cinq ou six collectivités seront sélectionnées dans le cadre de cet appel à projets, en vue de faire émerger des opérations pilotes, susceptibles ensuite d'être reproduites. En conclusion, je souhaiterais remercier les organisateurs et l'ensemble des participants à ce colloque, parmi lesquels la DGALN, la DGE, les inspections interministérielles, le CGEDD et l'IGF. Il est important que nos réflexions collectives puissent ainsi être alimentées.
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Glossaire
ACTPE CCI CDA CGET CMA CNAC CNCC DAAC DGALN DGE EnR EPA EPARECA FEDER FISAC FSE PECAB PECNAB PLU PLUI SCoT SRADDET SRDEII Urbact Loi pour l'artisanat, le commerce et les très petites entreprises Chambres de commerce et d'industrie Commissions départementales d'aménagement commercial Commissariat général à l'égalité des territoires Chambre des Métiers et de l'Artisanat Commission nationale d'aménagement commercial Compagnie nationale des commissaires aux comptes Délégation Académique aux Arts et à la Culture Direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature Direction des grandes entreprises Énergies renouvelables Établissement public administratif Établissement public national d'aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux Fonds européen de développement régional Fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce Fonds social européen Plan spécial pour le commerce alimentaire Plan spécial pour le commerce non-alimentaire Plan local d'urbanisme Plan local d'urbanisme intercommunal Schéma de cohérence territoriale Schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires Schéma régional de développement économique, d'innovation et d'internationalisation Programme d'échange d'expériences entre villes européennes souhaitant partager leur savoir-faire et le diffuser auprès de tous les acteurs des politiques urbaines.
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(ATTENTION: OPTION ormes susceptibles d'entraver les libertés. Pourtant, l'Europe propose avant tout des outils, des aides (y compris financières) et des orientations, s'agissant notamment de favoriser un développement urbain durable. Au niveau européen, il n'existe pas de définition de la ville. Il est question de zones urbaines, rurales ou « rurbaines ». En revanche, des indicateurs sont associés à la ville durable. La ville européenne du XXIème siècle se définit ainsi comme « bas-carbone » (l'enjeu étant de faire que les villes soient le moteur de la lutte contre le réchauffement climatique), désirable (afin que les habitants aiment leur ville), citoyenne (les habitants ne pouvant être réduits à des consommateurs), de proximité et connectée. 70 % de la population européenne est appelée à vivre en ville à l'horizon 2050. C'est donc dans la ville qu'est amenée à s'organiser la transition vers l'économie verte, par la stimulation aussi bien des citoyens et des consommateurs, à travers la rénovation ou le développement de bâtiments à basse énergie, le développement de transports durables, la mise en oeuvre des nouvelles technologies, etc. Pour faire face à l'enjeu transversal du développement urbain durable, l'action de l'Union européenne s'articule autour de politiques de cohésion, économiques, sociales et territoriales. En termes d'outils, pour la période 2014-2020, les règlements européens ont imposé l'affectation d'au moins 5 % des fonds du FEDER aux zones urbaines. La France, quant à elle, a fait le choix de porter à 10 % la part de l'urbain dans ses investissements sur la base du FEDER et du FSE, soit plus d'1 milliard d'euros d'investissements sur 7 ans. En complément de ces fonds de cohésion, des programmes européens de financement permettent le développement de projets, parmi lesquels le programme d'Actions urbaines innovatrices (UIA) et le programme de coopération URBACT. L'agenda urbain de l'Union européenne, impulsé sous la présidence néerlandaise et adopté en 2016, place les villes au coeur du projet européen. Cet agenda s'articule autour de trois objectifs principaux : · · · améliorer et simplifier la réglementation (pour mieux prendre en compte les besoins des villes et des citoyens et stimuler l'économie locale) ; favoriser les échanges entre les autorités urbaines, les États-membres et la Commission européenne ; faciliter l'accès des villes aux financements européens (à travers des projets pilotes notamment).
Cet agenda marque l'apparition d'une nouvelle méthode de gouvernance, dans laquelle la Commission européenne coopère avec les États-membres, les villes et les associations, au sein de douze partenariats thématiques, dont un autour de la transition vers le digital. Dans ce cadre, le programme UIA, lancé en 2015 et doté de 372 millions d'euros pour la période 2015-2020, a vocation à permettre l'expérimentation d'approches inédites pour relever les défis rencontrés par les villes. L'expérimentation nécessiterait ainsi d'être davantage appuyée en France.
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Le programme URBACT, quant à lui, a pour objet de faciliter l'apprentissage et les échanges de bonnes pratiques entre villes et régions européennes, à travers des réseaux thématiques et des groupes de travail. S'agissant de l'articulation entre ville et commerce, il n'existe pas, au niveau européen, de cadre juridique harmonisé pour l'urbanisme commercial. En 2006, en vertu du principe de subsidiarité, la Commission européenne a renvoyé à chaque État-membre la responsabilité de définir ses propres règles en la matière, dans le respect des principes communautaires de liberté d'établissement et de libre prestation des services. Cependant, en 2009, elle a introduit la notion d'intérêt général à l'aménagement du territoire, pouvant justifier des restrictions aux libertés fondamentales. La Commission européenne a ainsi reconnu la nécessité, dans certains cas, d'interdire l'implantation de certains commerces, au regard de critères ayant trait à la concurrence déloyale exercée vis-à-vis des commerces de centres-villes ou au risque environnemental notamment. A cet égard, un enjeu d'harmonisation apparaît. En Allemagne, aucun commerce n'a vocation à être implanté en dehors des centres-villes. En France, nous continuons de perdre tous les 6 ans une surface équivalente à celle d'un département. Dans l'agenda urbain européen, une attention a également été portée au commerce de proximité. De fait, les commerces de proximité et les marchés locaux apportent une plusvalue aux territoires, y compris en termes de lien social, d'animation des quartiers, d'originalité des produits, etc. Du reste, les enjeux du commerce de proximité sont également liés à ceux du transport. Les déplacements de demain sont appelés à dessiner la ville et la structuration commerciale des territoires. A l'échelle européenne, des travaux ont montré que les villes qui facilitent excessivement la circulation automobile sont celles où les petits commerces de proximité perdent leurs parts de marché face aux grandes surfaces périphériques. S'agissant de mesurer l'impact de cette évolution sur le pouvoir d'achat des consommateurs, il conviendrait aussi de prendre en compte le coût d'un véhicule (à hauteur de 215 euros par mois en moyenne), de même que le coût du gaspillage alimentaire (atteignant 30 % dans les pays développés). En outre, les sommes dépensées dans les centres commerciaux en périphérie n'améliorent pas nécessairement l'activité économique des territoires, a fortiori dans un contexte de révolution numérique favorisant le remplaçant des emplois dans les grandes surfaces. Au niveau européen, l'enjeu est davantage de favoriser les circulations douces et les transports collectifs, y compris dans l'optique de fidéliser les consommateurs en centreville. Il s'agit également par ce biais de redonner âme à la ville, en valorisant son histoire, son patrimoine culturel, son animation, sa vie sociale, etc. Dans les années à venir, alors que nos voisins sont confrontés aux mêmes problématiques, la métamorphose des centres-villes est appelée à devenir une grande cause européenne. Dans ce contexte, il serait souhaitable que la France porte prochainement une plateforme européenne de partage d'idées et de bonnes pratiques, avec un forum annuel, s'appuyant sur des visites de terrain, pour nourrir les réflexions sur les enjeux de la ville de demain : la mobilité, l'énergie, le commerce et l'artisanat, l'environnement et la vie saine, l'innovation, la culture, l'adaptation au e-commerce, etc. A condition de faire preuve d'audace et de concertation (y compris avec les habitants), ces défis devraient constituer une belle opportunité de réinventer la ville et de créer une nouvelle alchimie entre la ville et le commerce. Denis CHEISSOUX Nous aurons entendu que le droit européen autorise une régulation, s'agissant d'assurer un meilleur équilibre entre la liberté d'implantation et les critères de développement durable.
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II) Table ronde
Participent à cette table ronde : Rebecca NEIL, maître de conférences à l'université de Westminster ; Michael REINK, directeur de HDE, fédération du commerce d'Allemagne ; Ariella MASBOUNGI, architecte-urbaniste, grand prix de l'urbanisme 2016 ; Francesc POVEDANO, responsable du département du Commerce et des Marchés à la Mairie de Barcelone ; François-Xavier BRUNET, président de la Chambre de commerce et d'industrie de Tarbes et des Hautes-Pyrénées.
La table ronde est animée par Denis CHEISSOUX, journaliste. Denis CHEISSOUX Géographe, Michael Reink a exercé des responsabilités dans les domaines de l'aménagement du territoire et des transports. Il a également oeuvré auprès des collectivités locales. Il est aujourd'hui directeur de HDE, la fédération allemande des acteurs du commerce. Il a également contribué à fonder le réseau Urbanicom (réseau européen des acteurs de l'urbanisme et du commerce). Michael REINK Avec 450 000 sites et 3 millions d'employés, la branche du commerce en Allemagne a réalisé, en 2016, un chiffre d'affaires de 483 milliards d'euros, soit davantage que l'industrie automobile. Le chiffre d'affaires du commerce de détail allemand s'affiche ainsi en progression depuis la crise de 2009. Cependant, la situation n'est pas aussi réjouissante que celle dépeinte par les médias aux États-Unis. En parallèle, le e-commerce continue de se développer fortement, avec un chiffre d'affaires en croissance de près de 10 % chaque année. Nous réalisons chaque année une enquête auprès de nos distributeurs, pour recenser leurs préoccupations. Parmi celles-ci, le e-commerce est toujours très présent. En 2016, Amazon a réalisé un chiffre d'affaires de 8,1 millions d'euros en Allemagne, soit 40 % de l'ensemble du e-commerce enregistré sur le territoire. A l'échelle d'une ville, cela correspondrait à une zone piétonne entièrement dévolue à une seule enseigne. Du reste, plutôt que de considérer le e-commerce comme une menace, il convient de garder à l'esprit que celui-ci permet d'accéder à davantage de consommateurs. Au Royaume-Uni, le e-commerce représente un chiffre d'affaires additionnel de près d'1 milliard d'euros. De même, le e-commerce génère une croissance forte aux États-Unis. Ceci met en évidence un potentiel important. Par comparaison, l'impact du e-commerce demeure peu important en Allemagne. En France, le développement du e-commerce génère une balance commerciale (export-import) négative, traduisant une déperdition de chiffre d'affaires. Les surfaces commerciales ont connu une progression importante et régulière en Allemagne, depuis la réunification jusqu'au début des années 2000. Par la suite, cette augmentation s'est stabilisée, sans pour autant s'infléchir. Nous devrions ainsi atteindre un plafond à l'horizon 2020, avant de connaître une phase de régression. Ceci est à rapprocher de l'évolution de la démographie allemande. En cohérence avec son vieillissement, la population allemande est appelée à décroître à partir de 2020. En parallèle, des extrapolations faites à partir d'une enquête du ministère allemand en charge du commerce ont montré que le taux de vacance commerciale était amené à augmenter fortement. A partir de 2020, certains sites devraient devenir si peu attractifs que personne ne souhaitera les exploiter. Le taux de relocation des surfaces commerciales pourrait ainsi tomber à 50 %, donnant à la vacance commerciale un caractère structurel.
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De la même manière qu'en France et au Royaume-Uni, après une phase de substitution du personnel par des surfaces (entre les années 1970 et 2010), une phase de substitution des surfaces par le e-commerce s'est enclenchée en Allemagne. Ce mouvement devrait notamment concerner les secteurs de l'habillement, des accessoires et de la chaussure, dans lequel le e-commerce se développe fortement. Dans ce contexte, les urbanistes ont été amenés à considérer de grands centres d'approvisionnement, ainsi que des centres secondaires aux zones de chalandise de moindre importance. Dans les grands centres ou hypercentres, tous les types de commerce peuvent être envisagés ; tandis que les centres secondaires se concentrent généralement sur l'alimentation. En termes d'aménagement du territoire, il s'est agi ensuite d'envisager, au niveau fédéral puis au niveau des « Länder », une approche globale permettant d'aboutir à un approvisionnement optimal de la population. Au niveau municipal, il s'est agi d'envisager les conditions nécessaires à la préservation des centres-villes en tant que centres d'approvisionnement principaux. Un système reposant sur des centres principaux et intermédiaires a ainsi été privilégié la France conservant une structuration différente, concentrée autour de ses grandes agglomérations. Le système d'aménagement du territoire allemand a ainsi été conçu selon un cadre défini au niveau fédéral, avec une déclinaison au niveau des Länder toutes les décisions effectives en matière d'implantations commerciales étant ensuite renvoyées au niveau communal. Pour exercer cette auto-administration, les communes s'appuient sur des zonages relatifs au commerce, à l'habitat, aux activités, etc. Les commerces ont ainsi vocation à être implantés en centre-ville. Les commerces de plus de 1 200 m2 peuvent éventuellement être autorisés à s'installer en périphérie, sous réserve d'expertises démontrant une absence de nuisances et une implantation réellement impossible en centre-ville. Chaque commune conserve également la possibilité de développer son propre concept d'aménagement commercial, en définissant les assortiments de produits susceptibles d'être commercialisés en centre-ville ou en périphérie. La Commission européenne a porté un regard critique sur ce système d'aménagement, en faisant valoir un non-respect de la liberté d'établissement. En pratique, tous les plans d'aménagement du territoire ont vocation à créer des restrictions. L'enjeu est ensuite de savoir si ces restrictions sont justifiées. A cet égard, la Cour de justice européenne a établi une jurisprudence, justifiant les restrictions pour raisons impérieuses d'intérêt général (liées notamment à l'aménagement du territoire). Les législateurs nationaux devraient ainsi pouvoir bénéficier d'une marge de manoeuvre. En Allemagne, l'aménagement du territoire a bien pour objet d'aboutir à une utilisation des sols compatible avec l'intérêt général (y compris s'agissant d'assurer un approvisionnement optimal de la population) et non d'entraver la libre concurrence. Un avis de la Cour de justice européenne est attendu prochainement sur ce point. Dans le cadre d'une procédure judiciaire en cours, portant sur le plan d'aménagement de la municipalité d'Appingedam aux Pays-Bas, l'avocat général a estimé qu'un tel plan pouvait servir l'intérêt général. Ceci serait tout à fait compatible avec la conception allemande des plans locaux d'urbanisme. Pour en revenir au commerce en Allemagne, on constate que, si les dépenses de consommation demeurent stables, la part du commerce de détail dans les dépenses de consommation tend à diminuer, au profit du voyage et de la prévoyance notamment. Nous n'anticipons ainsi aucune dynamique de croissance significative pour le commerce de détail. En synthèse, nous anticipons à la fois un rétrécissement des surfaces commerciales et une augmentation structurelle de la vacance commerciale. Dans ce contexte, il nous Paris, le 19 octobre 2017
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faudra tâcher de préserver le commerce existant, dans les villes moyennes notamment. L'enjeu à cet égard sera de renforcer l'attractivité de celles-ci. Denis CHEISSOUX En tant qu'urbaniste, Rebecca Neil a beaucoup travaillé pour les collectivités locales. Elle est aujourd'hui maître de conférences à l'Université de Westminster, en master d'urbanisme et d'aménagement du territoire. Elle va nous parler de l'approche britannique et particulièrement de la méthode de « test séquentiel ». Rebecca NEIL Le « test séquentiel » a été mis en place au Royaume-Uni. Je me concentrerai néanmoins sur la mise en oeuvre de cette pratique en Angleterre. En Angleterre, le commerce de détail a connu la même évolution qu'en France. Dans les années 60-70, des surfaces commerciales se sont développées en périphérie des villes, essentiellement pour le commerce alimentaire. Par la suite, de grands magasins de commerce général, de bricolage ou de meubles ont également commencé à s'implanter en périphérie. Une densification progressive des implantations en périphérie a ainsi été observée. Dans les années 80, le gouvernement Thatcher a constaté les méfaits de ces pratiques En effet, des sites se développaient ainsi en dehors des villes, caractérisées par une concentration des commerces, sous la gestion de propriétaires fonciers uniques. L'impact sur certaines villes moyennes était catastrophique. Le développement du centre commercial de Merry Hill, dans les West Midlands, a par exemple réduit de deux-tiers la part de marché des commerces de centre-ville. Devant ce constat, le Gouvernement a instauré, à partir du début des années 90, une politique d'aménagement urbain reposant sur le principe du « town center first ». Cette politique est encore en vigueur aujourd'hui au Royaume-Uni. C'est dans le cadre de cette politique qu'une approche séquentielle a été développée. Il convient par ailleurs de noter que l'essor du commerce multicanal n'a pas véritablement impacté le développement des grandes surfaces en périphérie. Au contraire, celles-ci se sont étendues pour faire face aux besoins logistiques induits par le modèle commercial du « click and collect ». En centre-ville, l'impact du multicanal sur les implantations commerciales a été plus significatif. Le développement des surfaces commerciales en périphérie s'est ensuite structuré autour d'une synergie entre le loisir et le commerce, avec de grands centres commerciaux abritant des cinémas, des salles de sport, etc. A la différence de ce qui se pratique en France, la planification spatiale anglaise ne s'appuie pas sur des structures nationales ou régionales. La planification est assurée au niveau local, de manière très discrétionnaire, par les districts. Les décideurs locaux sont ainsi amenés à prendre en compte et à gérer l'ensemble des critères d'aménagement du territoire. Un processus d'appel permet néanmoins au gouvernement central d'imposer un certain nombre de décisions, autour des développements commerciaux de grande envergure notamment. Pour simplifier ce processus, un document cadre baptisé « National Planning Policy Framework » (NPPF) a été établi en 2012, intégrant la procédure du test séquentiel et reprenant le principe du « town center first » (s'agissant de planifier positivement le développement des centres urbains, d'y promouvoir la concurrence, de prendre en compte les besoins de la population en matière de loisirs, etc.). Ce cadre n'est pas contraignant juridiquement mais doit être pris en compte par les décideurs locaux. Dans le cadre de l'approche séquentielle, la délimitation du centre-ville est assurée par les autorités locales. Les implantations commerciales doivent y être envisagées en priorité. En l'absence d'espaces adaptés, il est néanmoins possible d'envisager un développement en périphérie du centre-ville. Lorsque les possibilités apparaissent également limitées ou
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peu adaptées en périphérie, il est ensuite possible d'envisager une implantation l'extérieur du centre.
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Dans le cadre de la planification urbaine et de l'allocation des surfaces commerciales, les autorités locales sont tenues de mettre en oeuvre ce test séquentiel. Les allocations à l'extérieur du centre-ville doivent ainsi être justifiées. L'approche séquentielle doit également être mise en oeuvre au moment de prendre des décisions individuelles concernant les projets d'aménagement commercial les demandes devant être traitées par les autorités locales. Les porteurs d'un projet de développement hors du centre-ville doivent ainsi prouver que leur projet n'aurait pu être envisagé en centre-ville. S'ils surmontent ce test séquentiel, ils doivent ensuite réaliser une étude d'impact de leur proposition sur les commerces existant au centre-ville. Les demandes ne satisfaisant pas à ces deux tests ont vocation à être refusées. Les demandes satisfaisant à ces deux tests peuvent ensuite être examinées au regard d'autres critères. Dans ce processus, le problème est qu'il appartient au candidat d'apporter la preuve qu'un test séquentiel a été réalisé avec succès, alors même que ce succès conditionne l'acceptation de sa demande. Un risque de conflit d'intérêts apparaît à cet endroit. Lorsque le « retail statement » d'un candidat est validé par les autorités locales, celles-ci peuvent être amenées à réclamer un test des sites alternatifs, s'agissant d'examiner leur adéquation au projet, leur viabilité et leur disponibilité. Dans ce cadre, le NPPF a prévu qu'une certaine flexibilité puisse être demandée aux porteurs de projets, pour favoriser une implantation en centre-ville. Autour de la ville d'Exeter, le test séquentiel a ainsi empêché le développement d'un centre de commerce et de loisirs en dehors du centre-ville, au motif qu'un tel développement apparaissait possible sur un site alternatif en proximité du centre-ville. Les porteurs du projet, arguant d'un besoin important de surfaces commerciales, d'espaces de stationnement et d'accès routiers, ainsi que d'enjeux liés à la propriété du foncier, n'ont pas été en mesure de démontrer que, en faisant preuve d'une certaine flexibilité, ils ne pourraient envisager une implantation sur le site alternatif. Dans le cadre de la procédure d'appel, le Gouvernement a par ailleurs considéré que la disponibilité du site alternatif ne pouvait être examinée au regard de la seule propriété du foncier. Dans le cadre du test d'impact, pour un projet d'aménagement en dehors du centreville, il appartient ensuite au candidat d'évaluer les conséquences de son projet sur les commerces du centre-ville. Pour vérifier les résultats de ce test, les collectivités locales sont souvent amenées à faire appel à des experts, avec des incidences sur le coût et le délai de traitement des dossiers. Le test séquentiel apparaît ainsi efficace pour permettre une maîtrise de l'aménagement urbain. Cependant, cette approche soulève un certain nombre de questions et de défis. Tout d'abord, le cadre de cette procédure, au-delà de son caractère non-contraignant juridiquement, demeure peu précis, avec certaines ambiguïtés, autour de la flexibilité demandée aux porteurs de projets, de l'appréciation de l'adéquation des sites, etc. Des décisions très hétérogènes peuvent ainsi être prises. En pratique, au RoyaumeUni, la mise en oeuvre de cette approche a nécessité l'établissement d'une jurisprudence, à mesure que des stratégies de contournement ont été développées par les porteurs de projets ceux-ci préférant généralement éviter les implantations plus complexes en centreville. La responsabilité confiée aux porteurs de projets de réaliser eux-mêmes les études pose également question, de même que la capacité des collectivités locales à appréhender ensuite des données souvent complexes. Pour être pleinement efficace, s'agissant notamment de renforcer l'attractivité d'un centre-ville, l'approche séquentielle nécessite par ailleurs d'être associée à stratégie plus large, reposant sur une planification proactive de l'aménagement urbain et une mobilisation des acteurs.
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Denis CHEISSOUX Nous accueillons à présent Francesc Povedano, en charge du commerce et des marchés au sein de la mairie de Barcelone. Francesc POVEDANO Historiquement, la Catalogne a toujours été un centre d'attraction pour le commerce. Une réglementation y a donc été développée, au-delà de la loi nationale espagnole relative au commerce de détail l'Espagne étant divisée en communautés autonomes disposant chacune de compétences en matière de régulation du commerce. En 1974, une première réglementation relative au commerce a été adoptée en Catalogne, aboutissant à la création du premier centre commercial privé en Espagne. Différentes normes propres à la Catalogne ont ensuite été définies, à travers la déclinaison de la législation nationale relative aux équipements commerciaux, le développement de plans territoriaux pour les équipements commerciaux (PTSEC), puis la transposition de la directive européenne relative aux services dans le marché intérieur (mettant fin aux PTSEC). En 2009, un nouveau décret-loi relatif à l'organisation des installations commerciales a été adopté. Cette réglementation urbanistique propre à la Catalogne a introduit, s'agissant de planifier l'implantation des surfaces commerciales, le concept de « tissu urbain consolidé ». Dans les villes de plus de 5 000 habitants la Catalogne comptant 943 communes, dont 70 % affichent moins de 5 000 habitants ont ainsi été définies, au regard de la population des tissus urbains, les zones susceptibles d'accueillir tels ou tels types d'établissements commerciaux (avec des catégories d'établissements commerciaux correspondant aux surfaces occupées : moins de 800 m2, de 800 à 1 300 m2, de 1 300 à 2 500 m2, plus de 2 500 m2). Deux régimes d'autorisation ont également été définis, applicables en fonction de la nature et du dimensionnement des projets d'implantation : un régime de simple communication, ne nécessitant qu'une déclaration à l'administration ; un régime de licence commerciale, pour les implantations de plus de 2 500 m2 dans un tissu urbain consolidé de plus de 50 000 habitants, nécessitant le dépôt d'un dossier d'impact environnemental et de durabilité. Cette réglementation est applicable à l'ensemble de la Catalogne. Cependant, la ville de Barcelone, compte tenu de ses spécificités, dispose également, en vertu d'une loi adoptée en 1998, de son propre règlement en matière d'urbanisme. La municipalité de Barcelone est ainsi compétente pour accorder des licences commerciales à des établissements dont la surface est inférieure à 5 000 m2. Au-delà, le projet doit s'inscrire dans un plan particulier de développement et une licence commerciale doit être délivrée par la Généralité de Catalogne. Pour exercer cette compétence en matière de planification et de régulation du développement commercial, la municipalité de Barcelone s'appuie sur des plans urbanistiques spéciaux. Un plan spécial pour le commerce non-alimentaire (PECNAB) a ainsi été défini, permettant une planification des implantations sur la base de critères d'accessibilité, de durabilité, etc. En parallèle, un plan spécial pour le commerce alimentaire (PECAB) a été développé, permettant une planification des implantations autour de pôles, en vue de protéger les structures particulières que constituent les 43 marchés municipaux de Barcelone. Des plans spécifiques d'utilisation ont par ailleurs été établis pour les différents quartiers de Barcelone, dont celui du centre historique (Ciutat Vella). Ces plans d'utilisation ont vocation à encadrer le renouvellement des établissements (et non leur implantation), en vue d'assurer un équilibre entre les différentes activités commerciales (hôtels, établissements touristiques, commerces alimentaires, bars, etc.).
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La municipalité de Barcelone développe également des projets pilotes d'aires de promotion de l'économie urbaine (APEU), s'inspirant des expérimentations menées en Allemagne et au Royaume-Uni. Denis CHEISSOUX On constate que des réglementations ont été mises en oeuvre en Allemagne, au Royaume-Uni et en Catalogne, sans que ces pays ou territoires puissent pour autant être qualifiés d'anti-libéraux. Du reste, les caractéristiques de ces territoires sont différentes, en termes de superficie et de densité de population. Ariella Masboungi, vous êtes architecte-urbaniste et essayiste. Vous avez reçu le grand prix de l'urbanisme en 2016. Quel regard portez-vous sur ces exemples de réglementations reposant sur d'autres logiques ? Ariella MASBOUNGI La ville désirable évoquée par Karima Delli est une ville que l'on pratique avec les pieds, que l'on ressent et que l'on aime. Or la ville a été faite par le commerce. Si le territoire du commerce se réduit dans les villes, comme cela a été démontré aujourd'hui, comment faire que les villes soient attractives et désirables ? Les villes européennes sont extraordinaires, au Royaume-Uni, en Espagne, en Allemagne, aux Pays-Bas, en France et au-delà. Si nous venions à perdre ce patrimoine, que resterait-il de l'Europe ? Or ces villes s'incarnent dans leur centre. En dehors de quelques villes nouvelles telles que Louvain-la-Neuve en Belgique, est-on capable aujourd'hui de citer des chefs-d'oeuvre urbains fabriqués en périphérie ? Nous disposons aujourd'hui, dans les centralités, de lieux historiques inimaginablement beaux, que nous sommes malheureusement prêts à brader. Face à ces enjeux, il conviendrait tout d'abord de distinguer l'étalement urbain et les extensions urbaines le premier résultant d'un laisser-faire et les secondes marquant le développement de nouvelles polarités. Les trois réglementations européennes qui nous ont été présentées ont été mises en place sur des territoires denses, où l'espace est limité. En France, où l'espace rural demeure important, beaucoup considèrent que les zones urbaines peuvent encore s'étendre. Cependant, en pratique, l'étalement urbain est une catastrophe. Les élus en soulignent l'impact sur l'agriculture, l'autonomie alimentaire des métropoles, l'assèchement des sols, la maîtrise des risques d'incendies, etc. Le Directeur général des entreprises a mis l'accent sur la nécessité de tenir compte des enjeux en termes d'emplois. Aujourd'hui, cet argument ne me semble plus guère entendable, j'y reviendrai. De plus, la ville durable ne saurait se réduire aux EcoQuartiers et aux bâtiments durables. Construire la ville durable, c'est avant tout réfléchir à la manière de préserver le territoire. A cet égard, on constate que le Royaume-Uni, pays ultralibéral, a mis en place des dispositions pour stopper l'étalement urbain et sauver les centralités (y compris les plus petites) les villes britanniques ayant commencé à souffrir bien avant les villes françaises. Certes, aucun système n'est idéal. Les dispositifs mis en place au Royaume-Uni ou en Allemagne rencontrent ainsi des difficultés. Néanmoins, de tels dispositifs pourraient produire des résultats en France, dans un pays habitué à la règle et au fonctionnement centralisé. La France gagnerait ainsi à se doter d'un droit négatif, permettant réellement de stopper certains projets d'aménagement, pour ne plus construire qu'autour de lieux déjà urbanisés. Vis-à-vis des pays d'Europe du Nord et du Royaume-Uni, la France conserve un droit permissif. C 'est comme si tout y était constructible, sauf ce qui fait l'objet d'une décision contraire, le cas échéant dans le cadre d'un SCoT. Au Royaume-Uni, aux Pays-Bas et en Allemagne, rien n'est constructible, sauf ce qui fait l'objet d'une décision contraire.
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Il nous faudrait ainsi développer des dispositifs nationaux, pour mettre fin au laisserfaire désastreux du modèle français. Il conviendrait également de faire en sorte que nos élus, à l'instar de ceux de Châtellerault, de Saint-Étienne, de Bordeaux, de Nantes ou de Metz, s'engagent et prennent des décisions d'aménagement du territoire, quitte à risquer de ne pas être réélus. A Birmingham, à Manchester, à Liverpool ou à Londres, c'est parce que des maires courageux ont développé de véritables projets que la réglementation a pu être appliquée intelligemment. A Liverpool, qui figurait parmi les villes les plus sinistrées du Royaume-Uni, un centre commercial en plein-air est venu réparer le centre-ville et conforter le tissu existant. En France, nous aurions besoin d'un pouvoir politique plus affirmé autour de la préservation des territoires et de la nécessaire polarisation du commerce dans les coeurs de ville et les nouvelles centralités. Il nous faudrait aussi encourager les élus à prendre des risques, tout en étant à l'écoute des populations (pour tenir compte de l'évolution des modes de vie). Les commerces éphémères, faisant que la ville vit, nécessiteraient également d'être développés. L'accent nécessiterait ainsi d'être mis sur la qualité de vie et le vivre ensemble. Nous ne saurions renoncer à la qualité de vie exceptionnelle des villes européennes, sous prétexte de créer des emplois. Ce chantage à l'emploi est d'autant plus inacceptable que l'emploi généré par les grands centres commerciaux ne saurait être calculé au m 2. En pratique, dans la durée, l'emploi dans les grands centres commerciaux tend à diminuer. En outre, les grands centres commerciaux détruisent par ailleurs des emplois, dans les zones environnantes. Tel devrait encore être le cas avec le projet EuropaCity. Davantage d'études nécessiteraient d'être réalisées autour de ces sujets. La question de la nature des emplois créés par les centres commerciaux nécessiterait également d'être posée. A Liverpool, à Manchester ou à Londres, des aménageurs privés se sont vus chargés, dans le cadre de négociations avec les autorités locales, de former et d'embaucher la population locale. Il n'est pas certain que la même logique soit appliquée dans le cadre d'un projet comme EuropaCity. A cet égard, nous pourrions nous inspirer des britanniques. A l'occasion du salon des centres commerciaux, le MAPIC, j'ai pu constater que trois types de projets étaient présentés : des projets high-tech (toujours entourés de parkings), des copies de l'ancien (plagiat) et, plus rarement, des projets originaux (avec des rues, des places, etc.). En général, ces derniers sont britanniques, car ils se positionnent dans les villes. Ils sont ainsi destinés à fabriquer du tissu urbain. En France, nous continuons de bâtir des centres commerciaux entourés de parkings. Toutes ces approches développées à l'étranger devraient nous faire réfléchir, voire nous inspirer. Denis CHEISSOUX Il semblait également important de recueillir le point de vue des CCI. FrançoisXavier Brunet, en tant que président de la CCI des Hautes-Pyrénées, quelles sont vos réactions par rapport aux approches européennes qui viennent d'être évoquées ? François-Xavier BRUNET Mon point de vue sera aussi celui d'un pratiquant du commerce en centre-ville, étant moi-même exploitant de deux points de vente dans deux centres-villes, l'un de 45 000 habitants et l'autre de 8 000 habitants, dans le domaine de la distribution au grand public de produits d'assurance. En préambule, je ferai observer que la problématique de la réconciliation entre la ville et le commerce ne saurait être réduite à une double opposition. D'une part, il conviendrait
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d'abandonner, s'agissant de penser l'urbanisme commercial, une logique d'opposition entre les formes de distribution. En effet, les clients du commerce sont désormais hybrides et autonomes, souhaitant pouvoir piocher dans la grande distribution, le commerce de proximité et le digital. D'autre part, il conviendrait d'écarter l'opposition stérile entre la régulation et la libre concurrence. Permettre la libre concurrence ne doit pas aboutir à laisser faire n'importe quoi ; aménager le territoire de manière durable ne saurait signifier entraver la liberté d'établissement. Avec l'adaptation par Jean-Pierre Raffarin de la loi Royer, l'urbanisme commercial français était parvenu à une forme d'équilibre. Cependant, la France a ensuite adapté son droit de l'urbanisme en fonction de son interprétation des exigences européennes. Suite à l'adoption de la directive communautaire relative aux services dans le marché intérieur, la France a ainsi réformé son droit de l'urbanisme à deux reprises : en 2008 (avec la loi LME) et en 2014 (avec la loi ACTPE). Cette adaptation s'est traduite par un relèvement du seuil d'autorisation de 300 à 1 000 m2, ce qui a généré le fleurissement d'équipements de 990 m 2 dans toutes les agglomérations françaises. De surcroît, de manière absurde et à rebours de l'Histoire, les études d'impact et les mesures de la zone de chalandise ont été retirées des critères d'appréciation des projets d'urbanisme commercial. Là encore, cette évolution a produit des effets délétères. Au sein des CDAC, la représentation des CCI et des CMA a été supprimée, au motif que celles-ci seraient des opérateurs concurrents des pétitionnaires. Or les CCI et les CMA demeurent des opérateurs de l'État ce dont l'État sait d'ailleurs se souvenir dans le cadre de ses orientations budgétaires. Et je ne reviendrais pas sur la fusion, dans le cadre de la loi Pinel, dans un objectif de simplification, entre la demande d'autorisation commerciale et la demande de permis de construire. Ces évolutions ont abouti à ce que le régime des autorisations commerciales français devienne une « machine à dire oui ». De 2009 à 2015, 90 % des projets présentés en CDAC ont été autorisés, sans le moindre discernement. Des surfaces commerciales équivalant à plus de 6,5 millions de m 2 ont ainsi été autorisées, dans un pays se voulant pourtant culturellement à l'antithèse de l'ultralibéralisme. Ceci nous conduit aujourd'hui à des réflexions sur le devenir du tissu commercial des villes moyennes et des villes moyennes elles-mêmes, qui constituent pourtant l'essentiel de la société française, au-delà des grandes métropoles. Je rejoins par ailleurs Ariella Masboungi sur les effets de l'étalement urbain. Nos règlements d'urbanisme ont favorisé un développement horizontal de l'habitat, à la poursuite du mythe de l'accès à la propriété pour tous, ce qui a abouti à une imperméabilisation des sols, ainsi qu'à une augmentation des dépenses publiques consacrées à la voirie, à l'assainissement, aux équipements scolaires, etc. Notre manière de concevoir l'urbanisme a ainsi favorisé l'émergence d'un mode de vie périphérique et, par construction, d'un mode de consommation périphérique. Face à ce constat, les CCI sont convaincues de la nécessité de rétablir les études d'impact économique, en vue d'éclairer les membres des CDAC dans leurs décisions. Cette mission pourrait être confiée aux CCI 70 % des CCI, en tant qu'établissements publics, animant déjà des observatoires du commerce dans leur territoire. Il conviendrait que le Gouvernement et le législateur s'emparent de cette question. Une autre proposition serait de rabaisser le seuil au-delà duquel les projets d'aménagement commercial doivent faire l'objet d'une autorisation. Enfin, de manière générale, l'enjeu serait de remettre le commerce au coeur de nos réflexions et de nos priorités en matière d'urbanisme. Dans les centres-villes et centresbourgs, le commerce n'est pas uniquement un vecteur d'animation ou de lien social. Il représente également des entreprises, avec leurs salariés et leurs clients.
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Les villes se sont créées autour du commerce et des marchés. Il conviendrait donc de remettre le commerce au coeur des réflexions en matière d'urbanisme. Denis CHEISSOUX Nous aurons l'occasion d'échanger encore autour de ces questions à l'issue de la table ronde suivante.
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Perspectives et propositions
I) Rappel des recommandations du CGEDD
Denis CHEISSOUX En synthèse, à travers les rapports présentés ce jour, le CGEDD a préconisé la mise en oeuvre d'une nouvelle politique de régulation, s'appuyant une obligation de réaliser des études d'impact préalables, une régionalisation des commissions d'aménagement commercial, une meilleure articulation des niveaux de planification (SRADDET, SCoT et PLUi), ainsi qu'une incitation à développer des projets de requalification des centres-villes et de restructuration des périphéries s'inscrivant dans une logique de continuité urbaine.
II) Table ronde
Participent à cette table ronde : Philippe SCHMIT, secrétaire général de l'Assemblée des communautés de France (ADCF) ; Michel-François DELANNOY, directeur du programme « centres-villes de demain » à la Caisse des dépôts et consignations ; Antoine FREY, président du groupe Frey et président du Conseil national des centres commerciaux (CNCC) ; Pierre JARLIER, maire et président de la communauté de communes du Pays de Saint-Flour, président de la commission aménagement et urbanisme de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalités (AMF) ; Michel PAZOUMIAN, président de l'Institut de la ville et du commerce ; Christophe PEREZ, directeur de la SERM, opérateur d'aménagement de Montpellier.
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La table ronde est animée par Denis CHEISSOUX, journaliste. Denis CHEISSOUX Philippe Schmit, quelques mots sur la manière dont le réseau des intercommunalités perçoit aujourd'hui le territoire. Philippe SCHMIT J'interviendrai dans le cadre de cette table ronde en remplacement de la représentante de l'Assemblée des communautés de France (ADCF) au sein de la CNAC, Corine Casanova. Celle-ci m'a chargé de vous faire part d'un certain nombre d'observations et de vous transmettre un certain nombre de messages. Dès 2011, l'ADCF avait lancé une pétition pour réclamer un débat national autour de l'urbanisme commercial. Cette demande, formulée au moment de la proposition de loi Ollier-Piron, était cependant demeurée lettre morte. Aujourd'hui, ce débat s'engage. L'organisation de ce colloque en est l'illustration. Y compris localement, le commerce n'est plus écarté des réflexions sur l'urbanisme. Alors qu'un constat semble aujourd'hui partagé, il conviendrait toutefois d'éviter que des incompréhensions aboutissent à un décalage entre le consensus affiché et la réalité des pratiques sur le terrain. Il conviendrait pour cela de ne pas trop simplifier le débat. Ce colloque a pour thème la relation entre la ville et le commerce. Or les villes sont plurielles et hétérogènes. Tous les centres-villes ne sauraient être considérés de la même manière. Toutes les villes n'ont pas Paris, le 19 octobre 2017
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nécessairement les mêmes capacités, s'agissant de travailler à la fois à l'évolution de l'habitat, du commerce, des transports collectifs, etc. L'enjeu serait également de sortir d'une opposition caricaturale entre le centre-ville et la périphérie. Dans certains territoires, des oppositions entre périphéries se révèlent bien plus inquiétantes, avec un risque de dévitalisation de certains pôles. Par ailleurs, tous les espaces commerciaux n'ont pas la capacité, d'un point de vue économique, de se régénérer sans faire l'objet d'extensions. Tous les espaces commerciaux n'ont pas non plus nécessairement la capacité de recevoir la diversification des fonctions souhaitée par l'urbanisme. Le monde des collectivités fait face aujourd'hui à plusieurs évolutions, avec la montée en compétences des régions (à travers les SRADDET et les schémas régionaux de développement économique, d'innovation et d'internationalisation notamment) et le développement de blocs locaux autour des intercommunalités. Ces nouveaux périmètres devraient permettre aux collectivités de gagner en pertinence vis-à-vis des bassins de consommation. De plus, la loi NOTRe a confié aux intercommunalités une responsabilité en matière de développement d'une politique locale du commerce. En dépit du caractère structurant du commerce pour le territoire, cette dimension était jusqu'alors absente du Code général des collectivités. L'ADCF est persuadée que le commerce a souffert avant tout d'une absence de portage politique au niveau des territoires. Les initiatives individuelles de chacun des maires, en dépit de leur légitimité, ont conduit, dans leur addition, à la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui. Pour sortir de cette situation et sauver les coeurs de ville, au-delà des efforts entrepris par les communes-centres, l'enjeu est d'assurer une plus grande cohérence à l'échelle des agglomérations. L'accent nécessiterait pour cela d'être mis sur le travail collectif des élus et le portage politique à l'échelle des territoires. Chaque dossier transmis à la CDAC nécessiterait de faire l'objet d'une décision préalable du Conseil communautaire compétent. Des stratégies devraient être développées, à l'échelle des intercommunalités et des bassins. Du reste, on constate que les projets soumis à la CNAC sont aujourd'hui largement défendus par les élus. En pratique, les projets ne sont guère contestés que par des élus des territoires voisins défendant leurs propres projets. La posture des élus apparaît ainsi quelque peu schizophrène. Les opérateurs participent aussi à ce jeu de faux-semblants, en prenant, dans une logique de greenwashing, des engagements autour des ENR, de la végétalisation, du stationnement perméable, etc. Le problème est que les CDAC et la CNAC ne disposent d'aucun droit de suivi sur la réalisation de ces engagements. Denis CHEISSOUX Antoine Frey, quelle est la position du CNCC concernant ces enjeux ? Antoine FREY Contrairement à ce qui est parfois sous-entendu de manière profondément choquante, l'industrie des centres commerciaux ne procède à aucun chantage auprès des élus. En termes de gouvernance, les projets portés par les professionnels des centres commerciaux, souvent en centre-ville, le sont avec voire à l'initiative des élus. Il est également surprenant d'entendre systématiquement le commerce associé à l'étalement urbain. En pratique, tel n'est pas le cas. Seuls 2,5 % des terres cultivables artificialisées le sont par le commerce. Il n'est pas toujours tenu compte non plus du e-commerce, dont la concurrence impacte les coeurs de ville, 7 jours sur 7 et 365 jours par an, en ne créant aucun lien social et en employant, à chiffre d'affaires comparable, deux fois moins de salariés que le commerce physique.
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S'agissant du caractère supposé permissif des CDAC, il convient de rappeler que 50 % des dossiers sont ensuite sanctionnés en CNAC. Pour développer un centre commercial en France, la durée moyenne des procédures et des opérations est aujourd'hui de 15 ans. Le CNCC serait du reste favorable à un rabaissement du seuil d'autorisation des projets d'implantation commerciale. La croissance des surfaces commerciales autorisées a atteint 22 % en 2016. Cependant, cette croissance a été essentiellement tirée par des implantations en stand-alone en sortie de ville. Les centres commerciaux et retail parks, quant à eux, ont enregistré une décroissance de 2 % de leurs surfaces commerciales. Etant fier de mon industrie, je souhaitais ainsi rétablir quelques vérités. Denis CHEISSOUX Quel est votre positionnement par rapport à la revitalisation des centres-villes ? Antoine FREY Nous sommes tout à fait conscients du mal qui frappe un certain nombre de centresvilles. Cependant, nous pensons que ces centres-villes ne sauraient être sauvés en empêchant les centres commerciaux périurbains de se restructurer. Face à la concurrence du e-commerce notamment, les centres commerciaux doivent aujourd'hui s'adapter, pour offrir une expérience valorisante et qui respecte les êtres humains. Les centres-villes constituent les plus merveilleux des espaces commerciaux. C'est précisément pour cette raison que certains centres commerciaux s'efforcent, sans doute à tort, de pasticher un centre-ville. L'enjeu serait donc davantage d'inciter les opérateurs de centres commerciaux à retourner en centre-ville. Aujourd'hui, les contraintes et les barrières à l'entrée conduisent encore de nombreux opérateurs à privilégier les implantations en périphérie. A cet égard, le parcours des projets nécessiterait d'être simplifié. Denis CHEISSOUX Conviendrait-il par ailleurs d'envisager une mutualisation des projets ? Que faire également par rapport au développement anticipé des friches ? Antoine FREY Il nous faut être lucide sur ce point. Tous les commerces périurbains ne sont pas appelés à souffrir. Cependant, certains sont amenés à disparaître. Autour des agglomérations de taille moyenne, le développement commercial périurbain s'est généralement structuré d'abord autour de premières zones commerciales, positionnées de manière stratégique. Ensuite, d'autres zones commerciales ont été développés, géographiquement à l'opposée, dans un objectif de rééquilibrage. En cohérence avec le maillage territoriale des enseignes, d'autres zones se sont finalement développées. A l'avenir, toutes ces zones commerciales ne devraient pas être en capacité de perdurer. Certaines, cristallisant encore un certain succès et suscitant l'appétit des enseignes, devraient avoir la possibilité de se restructurer. D'autres devraient disparaitre ou muter vers d'autres usages. L'Eurométropole de Strasbourg a ainsi confié au groupe Frey des prérogatives en matière d'expropriation et de préemption pour restructurer sa zone commerciale nord. Dans cette zone, moyennant un investissement privé de 70 millions d'euros, les commerces devraient être reconcentrés dans un équipement de nouvelle génération, libérant le foncier nécessaire à la reconstitution d'une continuité urbaine à travers le logement. Cette zone devrait perdurer en tant que deuxième pôle commercial de la métropole (avec un chiffre d'affaires de l'ordre de 500 millions d'euros), derrière le centreville (au chiffre d'affaires de l'ordre de 800 millions d'euros). Les autres pôles commerciaux de la métropole devraient en revanche connaître d'importantes difficultés à moyen terme. Paris, le 19 octobre 2017
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S'agissant d'envisager la mutation des zones commerciales amenées à disparaître, une piste pourrait être d'y développer des solutions viables et écologiques pour la livraison au dernier kilomètre des ventes en ligne celles-ci connaissant une croissance exponentielle, avec des enjeux forts en termes de logistique associée. Denis CHEISSOUX Quel regard portez-vous sur les perspectives de régulation évoquées ? Antoine FREY Dans le cadre de la régulation existante, le développement d'un projet peut déjà s'avérer complexe. Dans l'agglomération d'Amiens, la conduite d'une opération de 40 000 m2, inaugurée très récemment avec le Président de la région des Hauts-de-France et les élus de l'agglomération, a ainsi nécessité 12 ans. D'importants efforts de concertation avec la collectivité ont été nécessaires pour présenter un dossier cohérent à la CDAC. Les autorisations délivrées étant systématiquement contestées, des recours ont ensuite été adressés, avec des effets dilatoires importants. Alors que la durée moyenne de développement d'un projet est déjà de 15 ans, il ne me paraîtrait pas opportun de complexifier et de rallonger encore les procédures. Dans 15 ans, qu'en sera-t-il du chiffre d'affaires du e-commerce et qu'en sera-t-il des équipements commerciaux n'ayant pu se restructurer ? Denis CHEISSOUX Michel Pazoumian, le débat autour de la relation entre centres-villes et périphéries est ancien. Dans les années 2000, les développements commerciaux périphériques ont été soutenus par des taux d'intérêts peu élevés les promoteurs étant dans leur rôle en développant des surfaces commerciales. La crise de 2008 a ensuite conduit à une régression du pouvoir d'achat, poussant les consommateurs à rechercher encore davantage des prix bas. Par le croisement de ces effets conjoncturels, mais aussi pour des raisons structurelles, nous faisons aujourd'hui face à des taux de vacance commerciale importants, dans les centres des villes moyennes notamment. Quel est votre regard sur ces évolutions ? Michel PAZOUMIAN Mon regard sera essentiellement celui du commerce spécialisé. Je souhaiterais tout d'abord souligner que nous avons énormément apprécié les rapports du CGEDD, marquant un premier positionnement de l'État, à l'écoute des acteurs du commerce. Il était important d'ouvrir ce débat. La France conserve de nombreuses spécificités en matière de commerce. Les hypermarchés y ont été inventés. Beaucoup prédisent leur disparition, à l'instar des centres commerciaux américains. Cependant, il convient de rappeler que les centres commerciaux américains ont été portés par les grands magasins, confrontés eux-mêmes à des difficultés. En France, les grands magasins sont moins nombreux aujourd'hui mais perdurent, avec les Galeries Lafayette et le Printemps notamment. Les hypermarchés, quant à eux, s'ils se réduisent, le cas échéant en cédant des surfaces à des moyennes surfaces spécialisées (à Portet-sur-Garonne par exemple), ont également entrepris de se transformer. Les grandes chaînes telles que Carrefour ont par ailleurs des stratégies de développement de supermarchés, affaiblissant l'attraction des hypermarchés. Certains hypermarchés de proche couronne correspondent aussi à des centres urbains, dans le cadre de l'étalement urbain et pour les populations environnantes. Le développement des retail parks en France fait quant à lui débat. Dans certains territoires, de beaux équipements remplacent ainsi les anciens. Cependant, certains retail parks demeurent contestés dans leur esthétique et leur pertinence. Pour le commerce en général, l'année 2008 a représenté un traumatisme important. Avec la chute des rendements, les enseignes ont compris, certes avec un peu de retard, à Paris, le 19 octobre 2017
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partir de 2012-2013, la nécessité d'évoluer vers le multicanal et le digital, sous peine de disparaître. Certaines enseignes ont déjà disparu, parmi lesquelles Bata, Virgin, etc. D'autres telles que la Fnac et Darty se sont regroupées, dans l'optique d'optimiser leurs approvisionnements et de répondre aux consommateurs avec des prix plus compétitifs. D'autres ont également entrepris de réduire leur réseau, n'hésitant pas à fermer des points de vente non-rentables. Denis CHEISSOUX La vacance commerciale est aujourd'hui en hausse, y compris dans les périphéries. Pour autant, les surfaces commerciales continuent de se multiplier en périphérie et de nouveaux retail parks sont implantés. Michel PAZOUMIAN A cet égard, Antoine Frey a défendu une profession recherchée par les élus, sur l'ensemble du territoire. Tous les élus recherchent aujourd'hui des investisseurs et des promoteurs. Néanmoins, pourquoi envisager des projets aussi importants ? A Strasbourg ou à Montpellier, pourquoi risquer ainsi de déstabiliser le commerce existant ? Ne pourrait-on pas envisager plutôt la requalification de retail parks en déshérence ou le développement de projets plus réduits avec des capacités foncières d'extension ? Du reste, certains élus ont tendance à encourager le développement des retail parks les surfaces commerciales nouvelles générant des emplois, avec une visibilité importante, y compris pour les élus. A Dinard, on dénombre ainsi trois retail parks, si bien que les enseignes s'interrogent sur celui qui leur permettra de préserver leur chiffre d'affaires et leurs emplois. Denis CHEISSOUX La problématique de la connaissance des emplois ainsi créés à déjà été évoquée ce jour. Michel PAZOUMIAN De fait, peu d'outils sont aujourd'hui disponibles pour évaluer les impacts réels des projets en termes d'emplois. Antoine FREY A Strasbourg, la restructuration de la zone commerciale de Vendenheim devrait mobiliser près de 70 millions d'euros d'investissements. L'enjeu sera notamment de réaménager les voiries, pour éviter un télescopage entre les flux pendulaires et les flux commerciaux, tout en reconstituant une continuité urbaine. La collectivité devrait contribuer à cet effort d'investissement à hauteur de 9 millions d'euros. Le reste devrait être apporté par les opérateurs. Pour financer cette restructuration, il faudra donc créer de la valeur la rentabilité de telles opérations ayant tendance à diminuer. Il convient pour cela de valoriser le foncier, s'agissant de déplacer des commerces en confrontation avec le tissu d'habitations pavillonnaires, pour permettre le développement de nouveaux logements et la réalisation d'une couture urbaine. Michel PAZOUMIAN A Metz, un certain nombre d'enseignes ont fait le choix de rejoindre le retail park de la Compagnie de Phalsbourg, pour y trouver un environnement nouveau, plus esthétique et plus attractif vis-à-vis des consommateurs, avec davantage de surfaces pour développer des concepts originaux. Dans un contexte d'évolution permanente des concepts commerciaux, les promoteurs ont ainsi la capacité d'apporter du neuf.
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Denis CHEISSOUX Christophe Perez, en l'espace de 40 ans, la ville de Montpellier est passée de 100 000 à 450 000 habitants. Dans ce contexte, au-delà du centre-ville, les centres commerciaux Polygone et Odysseum se sont développés. Le projet Ode à la mer a ensuite été engagé, prévoyant le développement de nouvelles surfaces commerciales, mais aussi la requalification d'un certain nombre de zones commerciales. Comment ce projet a-t-il été porté par les aménageurs et les élus ? Christophe PEREZ A Montpellier, la croissance démographique est soutenue depuis les années 80. Dans ce cadre, il devient nécessaire de produire la ville, afin qu'elle soit multifonctionnelle et favorise la mixité sociale. Le commerce, en tant qu'élément fondateur de la ville, est partie intégrante de cette démarche. Dans chacun des quartiers se construisant progressivement, il s'agit ainsi d'envisager la ville dans toutes ses dimensions, afin qu'elle soit au service des habitants et qu'elle devienne « aimable ». Dans le cadre du projet Ode à la mer, l'objectif serait de rassembler l'extension urbaine d'aujourd'hui et l'étalement urbain du commerce des années 60-70. Le moment est ainsi venu de réconcilier la ville avec ce commerce. Le projet Ode à la mer s'inscrit dans un environnement caractérisé par 200 000 m2 de commerces, avec 2 hypermarchés de 12 000 m2 chacun, ainsi qu'un certain nombre de « boites à chaussures » le long de la Route de la mer. L'enjeu serait d'amener la ville dans cette zone, en permettant l'installation de 30 000 nouveaux habitants. Le commerce résultant de l'étalement urbain est ainsi amené à faire partie de la ville. Denis CHEISSOUX La zone devrait également être desservie par un tramway.
Christophe PEREZ L'objectif serait effectivement de faire le lien entre cette zone et le tramway qui parcourt la ville de Montpellier. Le projet Ode à la mer emporte également un objectif de préservation de la biodiversité. L'urbain ne devrait ainsi occuper qu'un tiers de l'espace libéré, avec une densité à même de limiter l'étalement. Le reste devrait être restitué à la nature, à l'agroécologie et à l'agriculture. En pratique, 100 000 m2 de surfaces commerciales sont appelés à être démolis, pour permettre la reconstruction d'un projet urbain de 110 000 m2. Les 100 000 m2 de surfaces commerciales restantes feront l'objet d'une démarche de régénération, en lien avec les propriétaires.
Denis CHEISSOUX L'ambition serait donc de bâtir un véritable quartier supplémentaire.
Christophe PEREZ Pour porter cette ambition, le choix a été fait de s'appuyer sur la société d'économie mixte de la métropole cette structure constituant le lieu de la coopération entre le public et le privé au sein du territoire. Après une mise en concurrence sévère, le groupe Frey a été retenu par la métropole et la SERM pour réaliser une partie du projet, soit opérer le réaménagement de 62 000 m2 de
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surfaces commerciales. Dans le cahier des charges, il a cependant été négocié que 70 % des enseignes appelées à s'implanter dans ces 62 000 m2 soient déjà installées sur le site aujourd'hui. Plutôt que de pratiquer une politique de la « terre brûlée », l'enjeu sera d'accompagner ces enseignes, pour leur permettre de rejoindre le projet. L'étape suivante a été pour la SERM, avec le soutien de la Caisse des dépôts et consignations, d'acheter un certain nombre de ces commerces. Plus de 20 000 m2 de surfaces ont déjà été acquis et d'autres acquisitions foncières sont envisagées. Il s'agira également de soutenir un certain nombre de ces commerces durant le temps de l'opération les délais d'obtention des autorisations et de mise en oeuvre des chantiers de construction pouvant être relativement longs. Denis CHEISSOUX Au final, la métropole de Montpellier comptera néanmoins un pôle commercial supplémentaire. Christophe PEREZ Nous demeurerons vigilants sur ce point, dans le cadre du SCoT. Un noyau urbain et commercial sera conservé au niveau du coeur de ville. La SERM y est déjà propriétaire d'une centaine de locaux commerciaux. Des opérations de rénovation urbaine y seront également poursuivies. A Montpellier, une particularité est que certains équipements commerciaux, installés initialement en périphérie, sont aujourd'hui au coeur de la ville. Tel est le cas notamment du centre commercial Odysseum. Denis CHEISSOUX Quelle cohérence est aujourd'hui envisagée entre l'Ode à la mer, l'Odysseum, le Polygone et le centre-ville ? Christophe PEREZ Une cohérence sera assurée entre les noyaux urbains ainsi constitués, disposant chacun de commerces de proximité et reliés entre eux par le tramway. Sur un périmètre plus large, ces pôles bénéficieront également du rayonnement de la métropole, y compris à l'international (avec une ouverture sur la méditerranée notamment). Denis CHEISSOUX Pierre Jarlier, en tant maire de Saint-Flour et président de la communauté de commune du Pays de Saint-Flour, mais aussi président de la commission aménagement et urbanisme de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalités, quelle est votre position sur ces sujets ? Pierre JARLIER Je ne reviendrai pas sur les constats faits au cours de cette journée. De fait, les traumatismes sont nombreux, dans les centres-villes comme dans les périphéries. Et l'urbanisation mal maitrisée des années 90 continue d'avoir des impacts financiers sur les collectivités (avec des décisions prises à l'échelle de certaines communes se traduisant par des formes de dumping fiscal aux conséquences dévastatrices pour les communes voisines), ainsi que des impacts économiques sur les centres-villes (avec le développement de friches commerciales complexes à réhabiliter, alors même que les coeurs de ville fondent le lien social et le vivre ensemble). A cet égard, les rapports du CGEDD ouvrent néanmoins des perspectives très intéressantes. Il était temps que l'État appréhende les enjeux de cette urbanisation sauvage aux effets dévastateurs.
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Nous disposons aujourd'hui d'outils nouveaux pour faire face à ces enjeux. Comme la souligné Philippe Schmit, nous disposons désormais d'outils d'organisation à l'échelle territoriale, avec des intercommunalités plus puissantes. Ceci devrait permettre de prendre des décisions d'urbanisation à des échelles plus pertinentes, dans le cadre d'approches stratégiques et solidaires, permettant de dépasser les petits conflits de territoires et les intérêts personnels. Par ce biais, les projets de territoire devraient pouvoir intégrer pleinement la question du développement commercial, en cohérence avec les enjeux liés à l'habitat, à la santé, à la mobilité etc. L'enjeu serait ainsi de rapprocher l'urbanisme de l'urbanisme commercial. Loi NOTRe a pour cela prévu des outils de planification à toutes les échelles stratégiques pertinentes, avec les SRADDET et les SRDEII (pour aborder les grands enjeux commerciaux à l'échelle régionale), les SCoT (pour envisager l'implantation globale des surfaces commerciales à l'échelle d'un territoire ou d'un bassin de vie) et les PLUi (pour décliner des stratégies et des projets de développement commercial, avec un caractère prescriptif, le cas échéant pour redynamiser les centres-villes). Lorsque ces outils seront partagés par les élus, des approches concertées pourront être mises en oeuvre, s'agissant notamment d'éviter une surabondance des implantations commerciales en périphérie, sans pour autant opposer celles-ci aux coeurs de ville. Une concertation pourra également être organisée avec les populations, pour renforcer l'acceptabilité des projets. Denis CHEISSOUX La priorité accordée aux centres-villes ne nécessiterait-elle pas néanmoins d'être inscrite dans la loi ? Pierre JARLIER Il conviendrait effectivement d'inscrire dans la loi un certain nombre de mesures pour revitaliser nos centres-villes. Du reste, les projets de territoire ainsi définis nécessiterait de pouvoir s'appuyer sur une gouvernance adaptée, y compris vis-à-vis des autorisations commerciales. Aujourd'hui, les CDAC délivrent des autorisations, qui sont ensuite réexaminées quasisystématiquement par la CNAC. Dans ce cadre, les concurrents positionnés sur le territoire déposent généralement eux-mêmes un certain nombre de recours. C'est pour cette raison que les projets nécessitent 15 ans pour aboutir. Il conviendrait de faire évoluer ce système. Dans le cadre de la gouvernance des projets territoriaux, l'avis des élus de l'intercommunalité nécessiterait de pouvoir être sollicité. Pour l'examen des dossiers en commission d'aménagement commercial, une échelle régionale pourrait également permettre de sortir des lobbyings locaux les régions étant compétentes en matière de développement économique. Un seuil nécessiterait toutefois d'être fixé, pour éviter la mise en oeuvre de procédures complexes pour des projets portant sur des surfaces peu importantes. A cet égard, le seuil de 2 500 m2 proposé par le CGEDD pourrait s'avérer trop faible la plupart des implantations commerciales en périphérie excédant cette surface. La question des observatoires est également essentielle. Le CGEDD a proposé la mise en place d'un observatoire financé par les intercommunalités. Or celles-ci ne disposent pas nécessairement des moyens ni des outils de connaissance nécessaires. En revanche, nous avons la chance de disposer, en France, de CCI effectuant un important travail. Le Cerema est également un excellent outil. Denis CHEISSOUX Sans être un bureau d'études, le Cerema pourrait intervenir au plan méthodologique.
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Pierre JARLIER Ceci permettrait de développer une véritable connaissance de l'évolution du commerce. Dans le cadre de la planification, il serait ainsi possible de mieux cibler les implantations potentielles. Enfin, il conviendrait absolument de faire en sorte que les dossiers des porteurs de projets intègrent des études d'impacts réalisées par des organismes impartiaux, afin que les élus puissent prendre les bonnes décisions, en fonction de la réelle capacité d'accueil des territoires. Philippe SCHMIT L'ADCF organise des débats avec les élus locaux autour de ces questions commerciales. Ce qu'il en ressort est que la classe politique locale est aujourd'hui dans une forme d'expectative. Les élus locaux sont de plus en plus nombreux à comprendre que les déséquilibres commerciaux, dans les centres-villes notamment, sont le symptôme d'un certain nombre de dysfonctionnements dans les territoires (en lien avec l'évolution des populations, des services publics, etc..). Ils s'interrogent néanmoins sur la traduction de la transformation numérique dans les territoires. Beaucoup peinent à mesurer la manière dont la révolution numérique se traduit dans le fonctionnement des territoires. Peut-être certains espaces commerciaux disqualifiés pourraient-ils être reconvertis pour répondre aux besoins logistiques du e-commerce. Cependant, en matière d'urbanisme, comment traduire cela ? Comment anticiper et préparer de telles évolutions ? Par ailleurs, les communes ont transféré à leur intercommunalité la responsabilité de l'ensemble de leur développement économique. Depuis le 1 er janvier 2017, la maîtrise d'ouvrage de toutes les zones d'activités a ainsi été transférée au niveau intercommunal. Et la gestion de ces zones d'activités soulève d'importantes questions pour les intercommunalités. Quel devenir pour ces zones ? Comment les prioriser ? Comment décider de leur évolution ? Depuis peu, nous commençons à nouer un dialogue autour de l'articulation public/privé. Aujourd'hui, ce dialogue doit nous aider à suivre l'évolution du commerce, pour que les élus puissent disposer de bases sur lesquelles décider. Michel PAZOUMIAN Le problème se pose moins dans les grandes villes qui croissent de plus de 5 000 habitants par an et attirent de nombreux investisseurs que dans les petits territoires peu attractifs, s'agissant notamment des villes frappées par la désindustrialisation du pays. Dans ces villes, au-delà de l'accompagnement par la Caisse des dépôts et consignations, comment développer des capacités d'investissement et mobiliser des compétences d'ingénierie ? En pratique, dans des villes telles que Vierzon, les investisseurs privés sont absents, que ce soit pour restaurer la périphérie ou revitaliser le centre-ville. Il conviendrait aujourd'hui d'accompagner ces territoires. Denis CHEISSOUX Michel-François Delannoy, le programme « centres-villes de demain » de la Caisse des dépôts et consignations, que vous pilotez, vise précisément à appuyer les collectivités, s'agissant notamment des villes moyennes. Depuis 18 mois, 80 villes y ont fait appel et 10 sites démonstrateurs ont été identifiés. S'agit-il d'un « plan Marshall » mis en place par la Caisse des dépôts et consignations pour les centres-villes ? Michel-François DELANNOY Le dispositif mis en oeuvre par la Caisse des dépôts et consignations constitue une expérience sans véritable équivalent, qui inspire les réflexions du Gouvernement pour la mise en place d'un programme national centré sur les villes moyennes.
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A ce stade, il est déjà possible de tirer de cette expérience un certain nombre d'enseignements. Le projet territorial, pour peu qu'il soit qualifié à la bonne échelle, apparaît constituer une bonne réponse. Cependant, à cet égard, une forme d'injustice apparaît également, dans la mesure où les territoires les plus en difficulté et faisant face à la plus grande complexité sont souvent ceux dans lesquels l'expertise et les capacités d'ingénierie sont les moins importantes. Ces disparités nécessiteraient aujourd'hui d'être corrigées. Les villes de Châtellerault, Perpignan, Tarbes ou Sens, ayant signé une convention « centres-villes de demain », ont exprimé un certain nombre d'interrogations et de préoccupations quant à la manière d'agir dans la crise. Il nous faut aujourd'hui apporter à ces villes de l'expertise et les aider à penser leur stratégie, quitte à les accompagner dans un changement de paradigme, s'agissant notamment d'envisager un développement urbain ne s'appuyant pas nécessairement sur un développement démographique à brève échéance. La Caisse des dépôts et consignations, à travers un certain nombre d'outils, s'efforce d'apporter à ces villes des capacités d'expertise et d'ingénierie, pour leur permettre de penser leur projet et d'identifier des solutions, en termes de montages financiers notamment (dans des territoires où les moyens publics sont parfois amoindris). Beaucoup de dispositifs existent par ailleurs, en matière d'habitat, de renouvellement urbain, etc. Cependant, encore faut-il savoir les optimiser, les rassembler et les mettre au service d'un projet. C'est en ce sens que le Gouvernement réfléchit à la mise en place d'un « contrat intégrateur » autour du projet des villes moyennes. L'enjeu serait ainsi de fédérer l'ensemble des moyens et des ressources disponibles, y compris s'agissant de faire fonctionner les outils réglementaires. La Caisse des dépôts et consignations s'attache également à apporter, à son niveau, avec ses moyens et ses métiers, des réponses aux enjeux essentiels que constituent la maîtrise du foncier et la transformation des usages. Ces leviers ont vocation à permettre, le cas échéant, un travail sur l'existant, en vue de lui donner une nouvelle attractivité et d'y développer une nouvelle offre, tout en considérant les enjeux en termes de préservation du patrimoine, d'efficacité énergétique, d'accessibilité, de sécurité, etc. L'enjeu serait ainsi, dans ces territoires, de faire converger un certain nombre de dispositifs et d'organiser un système normatif permettant aux acteurs locaux d'agir mieux et de manière plus accompagnée. Michel PAZOUMIAN De fait, rien n'est inéluctable pour le monde du commerce. Lorsque les élus sont mobilisés, comme tel est le cas à Mulhouse ou à Limoges, des aménagements urbains peuvent être opérés, pour donner espoir à la population. Le commerce suit ensuite ou du moins n'abandonne pas le territoire. Dans la ville de Niort, par exemple, 60 millions d'euros sur 4 ans ont été investis dans les aménagements urbains, avec une piétonisation du centre-ville. Le privé a ensuite rejoint la démarche, en reprenant plusieurs immeubles. L'enseigne H&M s'est installée et de nouveaux logements ont été développés. De tels exemples sont nombreux. Antoine FREY Je constate avec un certain soulagement que nous partageons tous une même opinion, selon laquelle il n'existe pas de solution simple à un problème aussi complexe. Dans ce contexte, l'expertise en matière d'urbanisme fait parfois défaut et les petites villes se trouvent parfois démunies. Dès lors, il devient nécessaire de faire travailler ensemble le public et le privé. Pierre JARLIER La revitalisation des centres-villes nécessite une expertise transversale, dès lors qu'il est question de gestion de l'habitat, de maîtrise foncière, de transformation des usages, Paris, le 19 octobre 2017
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etc. Des sujets aussi complexes nécessitent également une ingénierie territoriale de qualité. Dans les villes moyennes, et sans doute davantage encore dans les petites villes les difficultés des centres-villes n'étant pas nécessairement corrélées au nombre d'habitants , dans le prolongement des dynamiques territoriales déjà engagées (autour de l'habitat notamment), il nous faudra envisager le développement de contrats globaux, avec des crédits d'investissement et d'ingénierie associés.
III) Débat avec la salle
Ariella MASBOUNGI En pratique, la requalification des fameuses « boites à chaussures », évoquée dans le cadre du projet Ode à la mer, s'avère très complexe. En effet, du fait d'une spécificité fiscale française conférant à un bien la valeur que celui-ci aurait s'il fonctionnait bien, de tels commerces se révèlent souvent impossibles à exproprier et très coûteux à recomposer. Du reste, beaucoup de centres commerciaux sont aujourd'hui en cours d'abandon dans les villes. L'ouvrage « Le maire, l'architecte, le centre-ville... et les centres commerciaux », de Jean-Noël Carpentier (maire d'une commune périphérique francilienne) et David Mangin (urbaniste), en est l'illustration. Les opérateurs commerciaux abandonnent de tels territoires, privilégiant des implantations plus grandes et plus éloignées. A cet égard, sans s'opposer aux opérateurs commerciaux, les urbanismes s'efforcent de conseiller les élus ceux-ci conservant la responsabilité de leurs projets. La France est très regardée vis-à-vis de ces sujets en Europe. Elle a donc une responsabilité importante. Aujourd'hui, alors que notre ministre de la transition écologique et solidaire est un grand écologiste, nous ne saurions échouer dans notre effort d'urbanisme et de développement durable. Or notre modèle urbain continue d'engendrer un gaspillage dramatique des sols. En dépit des recompositions opérées par la loi NOTRe, notre gouvernance en la matière demeure défectueuse, avec pour conséquence un étalement urbain forcené au-delà des grandes métropoles. Les opérateurs commerciaux peuvent nous aider dans la prise en charge de ces problématiques. Plutôt que d'attaquer les territoires non-urbanisés en grande périphérie, ils peuvent nous aider à recomposer les centres-villes et à sauver les zones périphériques déjà urbanisées. Antoine FREY Nous serons très heureux de le faire. Maryse LAVRARD L'intérêt de la convention « centres-villes de demain » réside d'une part, dans la mise en oeuvre d'une approche transversale et, d'autre part, dans l'ingénierie apportée par la Caisse des dépôts et consignations. Il est néanmoins regrettable que les départements et les régions soient absentes du dispositif. En effet, l'habitat relève de la compétence des départements. Le commerce, quant à lui, relève de la compétence des régions. Si ces collectivités s'engagent également, sous le regard de l'État, le dispositif portera ses fruits. De manière très concrète, à Châtellerault, notre convention est déclinée en actions, avec un chiffrage de l'apport de chaque intervenant. Telle est la réalité du quotidien. Pascal MADRY, directeur de l'Institut pour la ville et le commerce Nous manquons également d'une réflexion prospective sur les lieux de commerce de demain, s'agissant notamment de prendre en compte le développement du e-commerce. Nous avons beaucoup débattu, dans le cadre de ce colloque, de la question des centresvilles et des périphéries, à périmètre constant. Or il conviendrait de mettre en perspective ces lieux avec les évolutions du peuplement et des nouvelles technologies. Paris, le 19 octobre 2017
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Aujourd'hui, la population s'étale. En parallèle, le commerce n'a jamais été autant polarisé. A Châtellerault, le commerce se réalise à 90 % dans le centre-ville et dans deux zones commerciales. Les habitants n'ont jamais été aussi éloignés de leurs commerces, avec des durées de déplacement importantes associées. Alors que de nouveaux acteurs sont en train de domestiquer le commerce, avec des systèmes d'approvisionnement à domicile, et que nos centres et nos périphéries sont en train de devenir des lieux de destination, il conviendrait de tenir compte de ces enjeux. Elsa SACKSICK, AdDen Avocats Il convient de rappeler qu'en France, en l'absence de planification, il demeure impossible de construire. En l'absence de PLU, le foncier est inconstructible. En l'absence de SCoT, il demeure impossible de demander une autorisation d'exploitation commerciale. Le SRADDET pourrait quant à lui constituer un instrument intéressant. Malheureusement, le commerce n'y a pas été intégré explicitement par la loi. Les limitations ou interdictions vis-à-vis du commerce doivent donc y être justifiées par d'autres critères, relatifs à l'équilibre des territoires notamment. Du reste, au-delà des aspects juridiques et de planification, si un opérateur préfère créer une implantation sur la base d'une coque nouvelle, plutôt que d'investir dans de l'existant, c'est avant tout pour des raisons économiques. Il conviendrait également de traiter ces questions. Denis CHEISSOUX Merci à tous.
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Conclusion : synthèse des débats discours de clôture des ministres
David PHILOT
Directeur de cabinet du ministre de la cohésion des territoires
et
Les rapports du CGEDD et de l'IGF, les échanges produits au cours de cette journée, ainsi que les rencontres que nous menons au sein des territoires, nous interpellent. A la lumière de ces réflexions, les pouvoirs publics et le ministère que je représente sont aujourd'hui mûrs pour travailler de manière renouvelée sur le commerce, l'urbanisme commercial et, de façon plus large, l'aménagement du territoire. Autour de ces enjeux, une approche stratégique plus riche et plus globale apparaît nécessaire. Telle est la vision que nous partageons et tel est le sens du plan d'action que nous entendons mettre en place. Le constat est aujourd'hui celui d'un déséquilibre, résultant d'un modèle d'aménagement commercial en grande partie dépassé, sur le plan de l'aménagement urbain et environnemental, sur le plan économique et vis-à-vis de l'animation de la vie urbaine. Nous avons développé des surfaces commerciales importantes, à hauteur de 3 millions de m2 autorisés chaque année. J'ai moi-même eu l'occasion de présider un certain nombre de CDAC et force est de constater que les projets y sont toujours présentés sous un angle utile, en termes de création d'emplois et d'activité. Dans ce contexte, les aspects liés à l'insertion paysagère et au développement durable ne sont souvent négociés qu'à la marge. Ce modèle a permis, un temps, de répondre aux attentes des consommateurs. Il s'inscrivait également en cohérence avec un mode de vie recueillant un consensus social. Aujourd'hui, ce consensus social apparaît toutefois moins assuré. Au plan économique, la concentration des capacités a conduit à des situations de suroffre commerciale et de chevauchement des zones de chalandise, avec un impact sur les petits commerces mais aussi sur les grandes enseignes. Les centres-villes, quant à eux, sont confrontés à une perte d'attractivité, dans les villes moyennes mais aussi dans les petites villes, voire dans certaines métropoles. Le taux de vacance commerciale progresse, ce qui doit nous alerter. De la même manière, le modèle américain, ayant lui aussi reposé sur de très grandes surfaces, apparaît à bout de souffle, avec de très grandes enseignes connaissant des difficultés, sous l'effet de la concurrence du e-commerce notamment (par ailleurs créateur d'emplois et d'activité). Le modèle d'aménagement commercial à la française apparaît ainsi devoir être repensé, en réintégrant les fonctions commerciales dans le renouvellement urbain et dans la construction de la ville de demain. Les enjeux écologiques associés à la consommation des espaces naturels et agricoles sont également considérables. Les ministres de la transition écologique et solidaire et de la cohésion des territoires y sont très attentifs. Pour faire face à ces enjeux, le Gouvernement entend résolument agir, en portant une attention à la fois au soutien de l'activité économique et à l'aménagement du territoire la recherche de solutions imposant de ne pas considérer ces deux objectifs comme contradictoires. Il s'agira pour cela de faire converger l'ensemble des acteurs, autour d'objectifs partagés et dans le cadre d'une vision équilibrée. Un cadre devra être construit pour permettre aux élus de rééquilibrer leurs territoires et de revitaliser leurs villes et centres-villes. Rien ne pourra se faire sans eux. Il s'agira néanmoins de leur permettre de penser l'aménagement commercial à la bonne échelle, avec un accompagnement adapté. L'État et ses établissements publics devront également Paris, le 19 octobre 2017
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être mobilisés, pour créer les conditions favorables au développement d'un commerce accessible, durable et rentable. Les acteurs du commerce devront également être embarqués, dans l'élaboration des projets, la mise en oeuvre des investissements et le développement de politiques d'attractivité. Des solutions ne pourront ainsi être trouvées que dans le cadre de partenariats publics (entre l'État, ses opérateurs et les collectivités locales) et privés (entre les territoires et les acteurs économiques privés). Cette action a vocation à être portée de manière interministérielle. Vis-à-vis des villes moyennes, jouant un rôle central dans l'équilibre des territoires, un plan d'action spécifique devrait être mis en oeuvre, avec un volet consacré à l'habitat et un volet consacré au commerce, dans le cadre d'une approche globale. Le ministre de la cohésion des territoires a déjà évoqué cette question dans le cadre du Congrès des villes de France. D'autres annonces devraient être faites par le Gouvernement dans les semaines à venir. Pour aboutir à la déclinaison de solutions concrètes et pragmatiques, une piste pourrait être de travailler sur des promotions de villes, avec une approche contractuelle. S'agissant d'opérer un rééquilibrage entre centres-villes et périphéries, l'enjeu sera de faire en sorte que l'ensemble des acteurs (élus, État et acteurs du commerce) prennent leurs responsabilités. Il nous faudra pour cela être exigeant dans le cadre des contrats établis. En matière d'ingénierie, des compétences devront être mobilisées, s'agissant de recréer des mix commerciaux attractifs notamment. Aujourd'hui, de telles compétences demeurent rares, y compris dans les villes de taille importante. A cet égard, l'État pourrait renforcer les moyens et les compétences de l'EPARECA, au-delà des quartiers de la politique de la ville. De l'ingénierie privée pourrait également être mobilisée. L'enjeu serait ainsi de mobiliser des ressources publiques et privées, dans des territoires identifiés conjointement, pour établir des diagnostics et proposer des solutions. Les restructurations et les moyens d'intervention devront être envisagés en fonction des situations les besoins et les solutions pouvant être très hétérogènes, en termes d'animation et de coordination, de requalification du bâti, de redéfinition de l'offre commerciale, etc. Des projets devront ainsi pouvoir être portés, y compris s'agissant de répondre à l'évolution des modes de vie et des attentes des consommateurs. De nombreuses enseignes ont aujourd'hui envie de réinvestir les centres-villes, le cas échéant avec de petits formats. Il s'agira donc de s'appuyer sur ces acteurs. Les foncières pourraient également être sollicitées. Des startups développent également de nouvelles approches, y compris autour des commerces de bouches, sur des marchés émergents et en réponse à une demande sociale forte. Ces perspectives doivent nous rendre ambitieux et optimistes. Le ministère de la cohésion des territoires, avec le concours du CGEDD, de la DGALN et des inspections générales, a par ailleurs travaillé au lancement d'un appel à projets, en lien avec sa stratégie relative au logement, pour faire évoluer les zones commerciales périphériques de certaines zones tendues en morceaux de ville. L'objectif serait ainsi de développer du logement dans ces zones, sans consommer de nouveaux espaces et en y améliorant la qualité urbaine. Cinq ou six collectivités seront sélectionnées dans le cadre de cet appel à projets, en vue de faire émerger des opérations pilotes, susceptibles ensuite d'être reproduites. En conclusion, je souhaiterais remercier les organisateurs et l'ensemble des participants à ce colloque, parmi lesquels la DGALN, la DGE, les inspections interministérielles, le CGEDD et l'IGF. Il est important que nos réflexions collectives puissent ainsi être alimentées.
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Glossaire
ACTPE CCI CDA CGET CMA CNAC CNCC DAAC DGALN DGE EnR EPA EPARECA FEDER FISAC FSE PECAB PECNAB PLU PLUI SCoT SRADDET SRDEII Urbact Loi pour l'artisanat, le commerce et les très petites entreprises Chambres de commerce et d'industrie Commissions départementales d'aménagement commercial Commissariat général à l'égalité des territoires Chambre des Métiers et de l'Artisanat Commission nationale d'aménagement commercial Compagnie nationale des commissaires aux comptes Délégation Académique aux Arts et à la Culture Direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature Direction des grandes entreprises Énergies renouvelables Établissement public administratif Établissement public national d'aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux Fonds européen de développement régional Fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce Fonds social européen Plan spécial pour le commerce alimentaire Plan spécial pour le commerce non-alimentaire Plan local d'urbanisme Plan local d'urbanisme intercommunal Schéma de cohérence territoriale Schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires Schéma régional de développement économique, d'innovation et d'internationalisation Programme d'échange d'expériences entre villes européennes souhaitant partager leur savoir-faire et le diffuser auprès de tous les acteurs des politiques urbaines.
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INVALIDE) (ATTENTION: OPTION nt urbain durable. Au niveau européen, il n'existe pas de définition de la ville. Il est question de zones urbaines, rurales ou « rurbaines ». En revanche, des indicateurs sont associés à la ville durable. La ville européenne du XXIème siècle se définit ainsi comme « bas-carbone » (l'enjeu étant de faire que les villes soient le moteur de la lutte contre le réchauffement climatique), désirable (afin que les habitants aiment leur ville), citoyenne (les habitants ne pouvant être réduits à des consommateurs), de proximité et connectée. 70 % de la population européenne est appelée à vivre en ville à l'horizon 2050. C'est donc dans la ville qu'est amenée à s'organiser la transition vers l'économie verte, par la stimulation aussi bien des citoyens et des consommateurs, à travers la rénovation ou le développement de bâtiments à basse énergie, le développement de transports durables, la mise en oeuvre des nouvelles technologies, etc. Pour faire face à l'enjeu transversal du développement urbain durable, l'action de l'Union européenne s'articule autour de politiques de cohésion, économiques, sociales et territoriales. En termes d'outils, pour la période 2014-2020, les règlements européens ont imposé l'affectation d'au moins 5 % des fonds du FEDER aux zones urbaines. La France, quant à elle, a fait le choix de porter à 10 % la part de l'urbain dans ses investissements sur la base du FEDER et du FSE, soit plus d'1 milliard d'euros d'investissements sur 7 ans. En complément de ces fonds de cohésion, des programmes européens de financement permettent le développement de projets, parmi lesquels le programme d'Actions urbaines innovatrices (UIA) et le programme de coopération URBACT. L'agenda urbain de l'Union européenne, impulsé sous la présidence néerlandaise et adopté en 2016, place les villes au coeur du projet européen. Cet agenda s'articule autour de trois objectifs principaux : · · · améliorer et simplifier la réglementation (pour mieux prendre en compte les besoins des villes et des citoyens et stimuler l'économie locale) ; favoriser les échanges entre les autorités urbaines, les États-membres et la Commission européenne ; faciliter l'accès des villes aux financements européens (à travers des projets pilotes notamment).
Cet agenda marque l'apparition d'une nouvelle méthode de gouvernance, dans laquelle la Commission européenne coopère avec les États-membres, les villes et les associations, au sein de douze partenariats thématiques, dont un autour de la transition vers le digital. Dans ce cadre, le programme UIA, lancé en 2015 et doté de 372 millions d'euros pour la période 2015-2020, a vocation à permettre l'expérimentation d'approches inédites pour relever les défis rencontrés par les villes. L'expérimentation nécessiterait ainsi d'être davantage appuyée en France.
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Le programme URBACT, quant à lui, a pour objet de faciliter l'apprentissage et les échanges de bonnes pratiques entre villes et régions européennes, à travers des réseaux thématiques et des groupes de travail. S'agissant de l'articulation entre ville et commerce, il n'existe pas, au niveau européen, de cadre juridique harmonisé pour l'urbanisme commercial. En 2006, en vertu du principe de subsidiarité, la Commission européenne a renvoyé à chaque État-membre la responsabilité de définir ses propres règles en la matière, dans le respect des principes communautaires de liberté d'établissement et de libre prestation des services. Cependant, en 2009, elle a introduit la notion d'intérêt général à l'aménagement du territoire, pouvant justifier des restrictions aux libertés fondamentales. La Commission européenne a ainsi reconnu la nécessité, dans certains cas, d'interdire l'implantation de certains commerces, au regard de critères ayant trait à la concurrence déloyale exercée vis-à-vis des commerces de centres-villes ou au risque environnemental notamment. A cet égard, un enjeu d'harmonisation apparaît. En Allemagne, aucun commerce n'a vocation à être implanté en dehors des centres-villes. En France, nous continuons de perdre tous les 6 ans une surface équivalente à celle d'un département. Dans l'agenda urbain européen, une attention a également été portée au commerce de proximité. De fait, les commerces de proximité et les marchés locaux apportent une plusvalue aux territoires, y compris en termes de lien social, d'animation des quartiers, d'originalité des produits, etc. Du reste, les enjeux du commerce de proximité sont également liés à ceux du transport. Les déplacements de demain sont appelés à dessiner la ville et la structuration commerciale des territoires. A l'échelle européenne, des travaux ont montré que les villes qui facilitent excessivement la circulation automobile sont celles où les petits commerces de proximité perdent leurs parts de marché face aux grandes surfaces périphériques. S'agissant de mesurer l'impact de cette évolution sur le pouvoir d'achat des consommateurs, il conviendrait aussi de prendre en compte le coût d'un véhicule (à hauteur de 215 euros par mois en moyenne), de même que le coût du gaspillage alimentaire (atteignant 30 % dans les pays développés). En outre, les sommes dépensées dans les centres commerciaux en périphérie n'améliorent pas nécessairement l'activité économique des territoires, a fortiori dans un contexte de révolution numérique favorisant le remplaçant des emplois dans les grandes surfaces. Au niveau européen, l'enjeu est davantage de favoriser les circulations douces et les transports collectifs, y compris dans l'optique de fidéliser les consommateurs en centreville. Il s'agit également par ce biais de redonner âme à la ville, en valorisant son histoire, son patrimoine culturel, son animation, sa vie sociale, etc. Dans les années à venir, alors que nos voisins sont confrontés aux mêmes problématiques, la métamorphose des centres-villes est appelée à devenir une grande cause européenne. Dans ce contexte, il serait souhaitable que la France porte prochainement une plateforme européenne de partage d'idées et de bonnes pratiques, avec un forum annuel, s'appuyant sur des visites de terrain, pour nourrir les réflexions sur les enjeux de la ville de demain : la mobilité, l'énergie, le commerce et l'artisanat, l'environnement et la vie saine, l'innovation, la culture, l'adaptation au e-commerce, etc. A condition de faire preuve d'audace et de concertation (y compris avec les habitants), ces défis devraient constituer une belle opportunité de réinventer la ville et de créer une nouvelle alchimie entre la ville et le commerce. Denis CHEISSOUX Nous aurons entendu que le droit européen autorise une régulation, s'agissant d'assurer un meilleur équilibre entre la liberté d'implantation et les critères de développement durable.
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II) Table ronde
Participent à cette table ronde : Rebecca NEIL, maître de conférences à l'université de Westminster ; Michael REINK, directeur de HDE, fédération du commerce d'Allemagne ; Ariella MASBOUNGI, architecte-urbaniste, grand prix de l'urbanisme 2016 ; Francesc POVEDANO, responsable du département du Commerce et des Marchés à la Mairie de Barcelone ; François-Xavier BRUNET, président de la Chambre de commerce et d'industrie de Tarbes et des Hautes-Pyrénées.
La table ronde est animée par Denis CHEISSOUX, journaliste. Denis CHEISSOUX Géographe, Michael Reink a exercé des responsabilités dans les domaines de l'aménagement du territoire et des transports. Il a également oeuvré auprès des collectivités locales. Il est aujourd'hui directeur de HDE, la fédération allemande des acteurs du commerce. Il a également contribué à fonder le réseau Urbanicom (réseau européen des acteurs de l'urbanisme et du commerce). Michael REINK Avec 450 000 sites et 3 millions d'employés, la branche du commerce en Allemagne a réalisé, en 2016, un chiffre d'affaires de 483 milliards d'euros, soit davantage que l'industrie automobile. Le chiffre d'affaires du commerce de détail allemand s'affiche ainsi en progression depuis la crise de 2009. Cependant, la situation n'est pas aussi réjouissante que celle dépeinte par les médias aux États-Unis. En parallèle, le e-commerce continue de se développer fortement, avec un chiffre d'affaires en croissance de près de 10 % chaque année. Nous réalisons chaque année une enquête auprès de nos distributeurs, pour recenser leurs préoccupations. Parmi celles-ci, le e-commerce est toujours très présent. En 2016, Amazon a réalisé un chiffre d'affaires de 8,1 millions d'euros en Allemagne, soit 40 % de l'ensemble du e-commerce enregistré sur le territoire. A l'échelle d'une ville, cela correspondrait à une zone piétonne entièrement dévolue à une seule enseigne. Du reste, plutôt que de considérer le e-commerce comme une menace, il convient de garder à l'esprit que celui-ci permet d'accéder à davantage de consommateurs. Au Royaume-Uni, le e-commerce représente un chiffre d'affaires additionnel de près d'1 milliard d'euros. De même, le e-commerce génère une croissance forte aux États-Unis. Ceci met en évidence un potentiel important. Par comparaison, l'impact du e-commerce demeure peu important en Allemagne. En France, le développement du e-commerce génère une balance commerciale (export-import) négative, traduisant une déperdition de chiffre d'affaires. Les surfaces commerciales ont connu une progression importante et régulière en Allemagne, depuis la réunification jusqu'au début des années 2000. Par la suite, cette augmentation s'est stabilisée, sans pour autant s'infléchir. Nous devrions ainsi atteindre un plafond à l'horizon 2020, avant de connaître une phase de régression. Ceci est à rapprocher de l'évolution de la démographie allemande. En cohérence avec son vieillissement, la population allemande est appelée à décroître à partir de 2020. En parallèle, des extrapolations faites à partir d'une enquête du ministère allemand en charge du commerce ont montré que le taux de vacance commerciale était amené à augmenter fortement. A partir de 2020, certains sites devraient devenir si peu attractifs que personne ne souhaitera les exploiter. Le taux de relocation des surfaces commerciales pourrait ainsi tomber à 50 %, donnant à la vacance commerciale un caractère structurel.
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De la même manière qu'en France et au Royaume-Uni, après une phase de substitution du personnel par des surfaces (entre les années 1970 et 2010), une phase de substitution des surfaces par le e-commerce s'est enclenchée en Allemagne. Ce mouvement devrait notamment concerner les secteurs de l'habillement, des accessoires et de la chaussure, dans lequel le e-commerce se développe fortement. Dans ce contexte, les urbanistes ont été amenés à considérer de grands centres d'approvisionnement, ainsi que des centres secondaires aux zones de chalandise de moindre importance. Dans les grands centres ou hypercentres, tous les types de commerce peuvent être envisagés ; tandis que les centres secondaires se concentrent généralement sur l'alimentation. En termes d'aménagement du territoire, il s'est agi ensuite d'envisager, au niveau fédéral puis au niveau des « Länder », une approche globale permettant d'aboutir à un approvisionnement optimal de la population. Au niveau municipal, il s'est agi d'envisager les conditions nécessaires à la préservation des centres-villes en tant que centres d'approvisionnement principaux. Un système reposant sur des centres principaux et intermédiaires a ainsi été privilégié la France conservant une structuration différente, concentrée autour de ses grandes agglomérations. Le système d'aménagement du territoire allemand a ainsi été conçu selon un cadre défini au niveau fédéral, avec une déclinaison au niveau des Länder toutes les décisions effectives en matière d'implantations commerciales étant ensuite renvoyées au niveau communal. Pour exercer cette auto-administration, les communes s'appuient sur des zonages relatifs au commerce, à l'habitat, aux activités, etc. Les commerces ont ainsi vocation à être implantés en centre-ville. Les commerces de plus de 1 200 m2 peuvent éventuellement être autorisés à s'installer en périphérie, sous réserve d'expertises démontrant une absence de nuisances et une implantation réellement impossible en centre-ville. Chaque commune conserve également la possibilité de développer son propre concept d'aménagement commercial, en définissant les assortiments de produits susceptibles d'être commercialisés en centre-ville ou en périphérie. La Commission européenne a porté un regard critique sur ce système d'aménagement, en faisant valoir un non-respect de la liberté d'établissement. En pratique, tous les plans d'aménagement du territoire ont vocation à créer des restrictions. L'enjeu est ensuite de savoir si ces restrictions sont justifiées. A cet égard, la Cour de justice européenne a établi une jurisprudence, justifiant les restrictions pour raisons impérieuses d'intérêt général (liées notamment à l'aménagement du territoire). Les législateurs nationaux devraient ainsi pouvoir bénéficier d'une marge de manoeuvre. En Allemagne, l'aménagement du territoire a bien pour objet d'aboutir à une utilisation des sols compatible avec l'intérêt général (y compris s'agissant d'assurer un approvisionnement optimal de la population) et non d'entraver la libre concurrence. Un avis de la Cour de justice européenne est attendu prochainement sur ce point. Dans le cadre d'une procédure judiciaire en cours, portant sur le plan d'aménagement de la municipalité d'Appingedam aux Pays-Bas, l'avocat général a estimé qu'un tel plan pouvait servir l'intérêt général. Ceci serait tout à fait compatible avec la conception allemande des plans locaux d'urbanisme. Pour en revenir au commerce en Allemagne, on constate que, si les dépenses de consommation demeurent stables, la part du commerce de détail dans les dépenses de consommation tend à diminuer, au profit du voyage et de la prévoyance notamment. Nous n'anticipons ainsi aucune dynamique de croissance significative pour le commerce de détail. En synthèse, nous anticipons à la fois un rétrécissement des surfaces commerciales et une augmentation structurelle de la vacance commerciale. Dans ce contexte, il nous Paris, le 19 octobre 2017
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faudra tâcher de préserver le commerce existant, dans les villes moyennes notamment. L'enjeu à cet égard sera de renforcer l'attractivité de celles-ci. Denis CHEISSOUX En tant qu'urbaniste, Rebecca Neil a beaucoup travaillé pour les collectivités locales. Elle est aujourd'hui maître de conférences à l'Université de Westminster, en master d'urbanisme et d'aménagement du territoire. Elle va nous parler de l'approche britannique et particulièrement de la méthode de « test séquentiel ». Rebecca NEIL Le « test séquentiel » a été mis en place au Royaume-Uni. Je me concentrerai néanmoins sur la mise en oeuvre de cette pratique en Angleterre. En Angleterre, le commerce de détail a connu la même évolution qu'en France. Dans les années 60-70, des surfaces commerciales se sont développées en périphérie des villes, essentiellement pour le commerce alimentaire. Par la suite, de grands magasins de commerce général, de bricolage ou de meubles ont également commencé à s'implanter en périphérie. Une densification progressive des implantations en périphérie a ainsi été observée. Dans les années 80, le gouvernement Thatcher a constaté les méfaits de ces pratiques En effet, des sites se développaient ainsi en dehors des villes, caractérisées par une concentration des commerces, sous la gestion de propriétaires fonciers uniques. L'impact sur certaines villes moyennes était catastrophique. Le développement du centre commercial de Merry Hill, dans les West Midlands, a par exemple réduit de deux-tiers la part de marché des commerces de centre-ville. Devant ce constat, le Gouvernement a instauré, à partir du début des années 90, une politique d'aménagement urbain reposant sur le principe du « town center first ». Cette politique est encore en vigueur aujourd'hui au Royaume-Uni. C'est dans le cadre de cette politique qu'une approche séquentielle a été développée. Il convient par ailleurs de noter que l'essor du commerce multicanal n'a pas véritablement impacté le développement des grandes surfaces en périphérie. Au contraire, celles-ci se sont étendues pour faire face aux besoins logistiques induits par le modèle commercial du « click and collect ». En centre-ville, l'impact du multicanal sur les implantations commerciales a été plus significatif. Le développement des surfaces commerciales en périphérie s'est ensuite structuré autour d'une synergie entre le loisir et le commerce, avec de grands centres commerciaux abritant des cinémas, des salles de sport, etc. A la différence de ce qui se pratique en France, la planification spatiale anglaise ne s'appuie pas sur des structures nationales ou régionales. La planification est assurée au niveau local, de manière très discrétionnaire, par les districts. Les décideurs locaux sont ainsi amenés à prendre en compte et à gérer l'ensemble des critères d'aménagement du territoire. Un processus d'appel permet néanmoins au gouvernement central d'imposer un certain nombre de décisions, autour des développements commerciaux de grande envergure notamment. Pour simplifier ce processus, un document cadre baptisé « National Planning Policy Framework » (NPPF) a été établi en 2012, intégrant la procédure du test séquentiel et reprenant le principe du « town center first » (s'agissant de planifier positivement le développement des centres urbains, d'y promouvoir la concurrence, de prendre en compte les besoins de la population en matière de loisirs, etc.). Ce cadre n'est pas contraignant juridiquement mais doit être pris en compte par les décideurs locaux. Dans le cadre de l'approche séquentielle, la délimitation du centre-ville est assurée par les autorités locales. Les implantations commerciales doivent y être envisagées en priorité. En l'absence d'espaces adaptés, il est néanmoins possible d'envisager un développement en périphérie du centre-ville. Lorsque les possibilités apparaissent également limitées ou
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peu adaptées en périphérie, il est ensuite possible d'envisager une implantation l'extérieur du centre.
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Dans le cadre de la planification urbaine et de l'allocation des surfaces commerciales, les autorités locales sont tenues de mettre en oeuvre ce test séquentiel. Les allocations à l'extérieur du centre-ville doivent ainsi être justifiées. L'approche séquentielle doit également être mise en oeuvre au moment de prendre des décisions individuelles concernant les projets d'aménagement commercial les demandes devant être traitées par les autorités locales. Les porteurs d'un projet de développement hors du centre-ville doivent ainsi prouver que leur projet n'aurait pu être envisagé en centre-ville. S'ils surmontent ce test séquentiel, ils doivent ensuite réaliser une étude d'impact de leur proposition sur les commerces existant au centre-ville. Les demandes ne satisfaisant pas à ces deux tests ont vocation à être refusées. Les demandes satisfaisant à ces deux tests peuvent ensuite être examinées au regard d'autres critères. Dans ce processus, le problème est qu'il appartient au candidat d'apporter la preuve qu'un test séquentiel a été réalisé avec succès, alors même que ce succès conditionne l'acceptation de sa demande. Un risque de conflit d'intérêts apparaît à cet endroit. Lorsque le « retail statement » d'un candidat est validé par les autorités locales, celles-ci peuvent être amenées à réclamer un test des sites alternatifs, s'agissant d'examiner leur adéquation au projet, leur viabilité et leur disponibilité. Dans ce cadre, le NPPF a prévu qu'une certaine flexibilité puisse être demandée aux porteurs de projets, pour favoriser une implantation en centre-ville. Autour de la ville d'Exeter, le test séquentiel a ainsi empêché le développement d'un centre de commerce et de loisirs en dehors du centre-ville, au motif qu'un tel développement apparaissait possible sur un site alternatif en proximité du centre-ville. Les porteurs du projet, arguant d'un besoin important de surfaces commerciales, d'espaces de stationnement et d'accès routiers, ainsi que d'enjeux liés à la propriété du foncier, n'ont pas été en mesure de démontrer que, en faisant preuve d'une certaine flexibilité, ils ne pourraient envisager une implantation sur le site alternatif. Dans le cadre de la procédure d'appel, le Gouvernement a par ailleurs considéré que la disponibilité du site alternatif ne pouvait être examinée au regard de la seule propriété du foncier. Dans le cadre du test d'impact, pour un projet d'aménagement en dehors du centreville, il appartient ensuite au candidat d'évaluer les conséquences de son projet sur les commerces du centre-ville. Pour vérifier les résultats de ce test, les collectivités locales sont souvent amenées à faire appel à des experts, avec des incidences sur le coût et le délai de traitement des dossiers. Le test séquentiel apparaît ainsi efficace pour permettre une maîtrise de l'aménagement urbain. Cependant, cette approche soulève un certain nombre de questions et de défis. Tout d'abord, le cadre de cette procédure, au-delà de son caractère non-contraignant juridiquement, demeure peu précis, avec certaines ambiguïtés, autour de la flexibilité demandée aux porteurs de projets, de l'appréciation de l'adéquation des sites, etc. Des décisions très hétérogènes peuvent ainsi être prises. En pratique, au RoyaumeUni, la mise en oeuvre de cette approche a nécessité l'établissement d'une jurisprudence, à mesure que des stratégies de contournement ont été développées par les porteurs de projets ceux-ci préférant généralement éviter les implantations plus complexes en centreville. La responsabilité confiée aux porteurs de projets de réaliser eux-mêmes les études pose également question, de même que la capacité des collectivités locales à appréhender ensuite des données souvent complexes. Pour être pleinement efficace, s'agissant notamment de renforcer l'attractivité d'un centre-ville, l'approche séquentielle nécessite par ailleurs d'être associée à stratégie plus large, reposant sur une planification proactive de l'aménagement urbain et une mobilisation des acteurs.
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Denis CHEISSOUX Nous accueillons à présent Francesc Povedano, en charge du commerce et des marchés au sein de la mairie de Barcelone. Francesc POVEDANO Historiquement, la Catalogne a toujours été un centre d'attraction pour le commerce. Une réglementation y a donc été développée, au-delà de la loi nationale espagnole relative au commerce de détail l'Espagne étant divisée en communautés autonomes disposant chacune de compétences en matière de régulation du commerce. En 1974, une première réglementation relative au commerce a été adoptée en Catalogne, aboutissant à la création du premier centre commercial privé en Espagne. Différentes normes propres à la Catalogne ont ensuite été définies, à travers la déclinaison de la législation nationale relative aux équipements commerciaux, le développement de plans territoriaux pour les équipements commerciaux (PTSEC), puis la transposition de la directive européenne relative aux services dans le marché intérieur (mettant fin aux PTSEC). En 2009, un nouveau décret-loi relatif à l'organisation des installations commerciales a été adopté. Cette réglementation urbanistique propre à la Catalogne a introduit, s'agissant de planifier l'implantation des surfaces commerciales, le concept de « tissu urbain consolidé ». Dans les villes de plus de 5 000 habitants la Catalogne comptant 943 communes, dont 70 % affichent moins de 5 000 habitants ont ainsi été définies, au regard de la population des tissus urbains, les zones susceptibles d'accueillir tels ou tels types d'établissements commerciaux (avec des catégories d'établissements commerciaux correspondant aux surfaces occupées : moins de 800 m2, de 800 à 1 300 m2, de 1 300 à 2 500 m2, plus de 2 500 m2). Deux régimes d'autorisation ont également été définis, applicables en fonction de la nature et du dimensionnement des projets d'implantation : un régime de simple communication, ne nécessitant qu'une déclaration à l'administration ; un régime de licence commerciale, pour les implantations de plus de 2 500 m2 dans un tissu urbain consolidé de plus de 50 000 habitants, nécessitant le dépôt d'un dossier d'impact environnemental et de durabilité. Cette réglementation est applicable à l'ensemble de la Catalogne. Cependant, la ville de Barcelone, compte tenu de ses spécificités, dispose également, en vertu d'une loi adoptée en 1998, de son propre règlement en matière d'urbanisme. La municipalité de Barcelone est ainsi compétente pour accorder des licences commerciales à des établissements dont la surface est inférieure à 5 000 m2. Au-delà, le projet doit s'inscrire dans un plan particulier de développement et une licence commerciale doit être délivrée par la Généralité de Catalogne. Pour exercer cette compétence en matière de planification et de régulation du développement commercial, la municipalité de Barcelone s'appuie sur des plans urbanistiques spéciaux. Un plan spécial pour le commerce non-alimentaire (PECNAB) a ainsi été défini, permettant une planification des implantations sur la base de critères d'accessibilité, de durabilité, etc. En parallèle, un plan spécial pour le commerce alimentaire (PECAB) a été développé, permettant une planification des implantations autour de pôles, en vue de protéger les structures particulières que constituent les 43 marchés municipaux de Barcelone. Des plans spécifiques d'utilisation ont par ailleurs été établis pour les différents quartiers de Barcelone, dont celui du centre historique (Ciutat Vella). Ces plans d'utilisation ont vocation à encadrer le renouvellement des établissements (et non leur implantation), en vue d'assurer un équilibre entre les différentes activités commerciales (hôtels, établissements touristiques, commerces alimentaires, bars, etc.).
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La municipalité de Barcelone développe également des projets pilotes d'aires de promotion de l'économie urbaine (APEU), s'inspirant des expérimentations menées en Allemagne et au Royaume-Uni. Denis CHEISSOUX On constate que des réglementations ont été mises en oeuvre en Allemagne, au Royaume-Uni et en Catalogne, sans que ces pays ou territoires puissent pour autant être qualifiés d'anti-libéraux. Du reste, les caractéristiques de ces territoires sont différentes, en termes de superficie et de densité de population. Ariella Masboungi, vous êtes architecte-urbaniste et essayiste. Vous avez reçu le grand prix de l'urbanisme en 2016. Quel regard portez-vous sur ces exemples de réglementations reposant sur d'autres logiques ? Ariella MASBOUNGI La ville désirable évoquée par Karima Delli est une ville que l'on pratique avec les pieds, que l'on ressent et que l'on aime. Or la ville a été faite par le commerce. Si le territoire du commerce se réduit dans les villes, comme cela a été démontré aujourd'hui, comment faire que les villes soient attractives et désirables ? Les villes européennes sont extraordinaires, au Royaume-Uni, en Espagne, en Allemagne, aux Pays-Bas, en France et au-delà. Si nous venions à perdre ce patrimoine, que resterait-il de l'Europe ? Or ces villes s'incarnent dans leur centre. En dehors de quelques villes nouvelles telles que Louvain-la-Neuve en Belgique, est-on capable aujourd'hui de citer des chefs-d'oeuvre urbains fabriqués en périphérie ? Nous disposons aujourd'hui, dans les centralités, de lieux historiques inimaginablement beaux, que nous sommes malheureusement prêts à brader. Face à ces enjeux, il conviendrait tout d'abord de distinguer l'étalement urbain et les extensions urbaines le premier résultant d'un laisser-faire et les secondes marquant le développement de nouvelles polarités. Les trois réglementations européennes qui nous ont été présentées ont été mises en place sur des territoires denses, où l'espace est limité. En France, où l'espace rural demeure important, beaucoup considèrent que les zones urbaines peuvent encore s'étendre. Cependant, en pratique, l'étalement urbain est une catastrophe. Les élus en soulignent l'impact sur l'agriculture, l'autonomie alimentaire des métropoles, l'assèchement des sols, la maîtrise des risques d'incendies, etc. Le Directeur général des entreprises a mis l'accent sur la nécessité de tenir compte des enjeux en termes d'emplois. Aujourd'hui, cet argument ne me semble plus guère entendable, j'y reviendrai. De plus, la ville durable ne saurait se réduire aux EcoQuartiers et aux bâtiments durables. Construire la ville durable, c'est avant tout réfléchir à la manière de préserver le territoire. A cet égard, on constate que le Royaume-Uni, pays ultralibéral, a mis en place des dispositions pour stopper l'étalement urbain et sauver les centralités (y compris les plus petites) les villes britanniques ayant commencé à souffrir bien avant les villes françaises. Certes, aucun système n'est idéal. Les dispositifs mis en place au Royaume-Uni ou en Allemagne rencontrent ainsi des difficultés. Néanmoins, de tels dispositifs pourraient produire des résultats en France, dans un pays habitué à la règle et au fonctionnement centralisé. La France gagnerait ainsi à se doter d'un droit négatif, permettant réellement de stopper certains projets d'aménagement, pour ne plus construire qu'autour de lieux déjà urbanisés. Vis-à-vis des pays d'Europe du Nord et du Royaume-Uni, la France conserve un droit permissif. C 'est comme si tout y était constructible, sauf ce qui fait l'objet d'une décision contraire, le cas échéant dans le cadre d'un SCoT. Au Royaume-Uni, aux Pays-Bas et en Allemagne, rien n'est constructible, sauf ce qui fait l'objet d'une décision contraire.
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Il nous faudrait ainsi développer des dispositifs nationaux, pour mettre fin au laisserfaire désastreux du modèle français. Il conviendrait également de faire en sorte que nos élus, à l'instar de ceux de Châtellerault, de Saint-Étienne, de Bordeaux, de Nantes ou de Metz, s'engagent et prennent des décisions d'aménagement du territoire, quitte à risquer de ne pas être réélus. A Birmingham, à Manchester, à Liverpool ou à Londres, c'est parce que des maires courageux ont développé de véritables projets que la réglementation a pu être appliquée intelligemment. A Liverpool, qui figurait parmi les villes les plus sinistrées du Royaume-Uni, un centre commercial en plein-air est venu réparer le centre-ville et conforter le tissu existant. En France, nous aurions besoin d'un pouvoir politique plus affirmé autour de la préservation des territoires et de la nécessaire polarisation du commerce dans les coeurs de ville et les nouvelles centralités. Il nous faudrait aussi encourager les élus à prendre des risques, tout en étant à l'écoute des populations (pour tenir compte de l'évolution des modes de vie). Les commerces éphémères, faisant que la ville vit, nécessiteraient également d'être développés. L'accent nécessiterait ainsi d'être mis sur la qualité de vie et le vivre ensemble. Nous ne saurions renoncer à la qualité de vie exceptionnelle des villes européennes, sous prétexte de créer des emplois. Ce chantage à l'emploi est d'autant plus inacceptable que l'emploi généré par les grands centres commerciaux ne saurait être calculé au m 2. En pratique, dans la durée, l'emploi dans les grands centres commerciaux tend à diminuer. En outre, les grands centres commerciaux détruisent par ailleurs des emplois, dans les zones environnantes. Tel devrait encore être le cas avec le projet EuropaCity. Davantage d'études nécessiteraient d'être réalisées autour de ces sujets. La question de la nature des emplois créés par les centres commerciaux nécessiterait également d'être posée. A Liverpool, à Manchester ou à Londres, des aménageurs privés se sont vus chargés, dans le cadre de négociations avec les autorités locales, de former et d'embaucher la population locale. Il n'est pas certain que la même logique soit appliquée dans le cadre d'un projet comme EuropaCity. A cet égard, nous pourrions nous inspirer des britanniques. A l'occasion du salon des centres commerciaux, le MAPIC, j'ai pu constater que trois types de projets étaient présentés : des projets high-tech (toujours entourés de parkings), des copies de l'ancien (plagiat) et, plus rarement, des projets originaux (avec des rues, des places, etc.). En général, ces derniers sont britanniques, car ils se positionnent dans les villes. Ils sont ainsi destinés à fabriquer du tissu urbain. En France, nous continuons de bâtir des centres commerciaux entourés de parkings. Toutes ces approches développées à l'étranger devraient nous faire réfléchir, voire nous inspirer. Denis CHEISSOUX Il semblait également important de recueillir le point de vue des CCI. FrançoisXavier Brunet, en tant que président de la CCI des Hautes-Pyrénées, quelles sont vos réactions par rapport aux approches européennes qui viennent d'être évoquées ? François-Xavier BRUNET Mon point de vue sera aussi celui d'un pratiquant du commerce en centre-ville, étant moi-même exploitant de deux points de vente dans deux centres-villes, l'un de 45 000 habitants et l'autre de 8 000 habitants, dans le domaine de la distribution au grand public de produits d'assurance. En préambule, je ferai observer que la problématique de la réconciliation entre la ville et le commerce ne saurait être réduite à une double opposition. D'une part, il conviendrait
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d'abandonner, s'agissant de penser l'urbanisme commercial, une logique d'opposition entre les formes de distribution. En effet, les clients du commerce sont désormais hybrides et autonomes, souhaitant pouvoir piocher dans la grande distribution, le commerce de proximité et le digital. D'autre part, il conviendrait d'écarter l'opposition stérile entre la régulation et la libre concurrence. Permettre la libre concurrence ne doit pas aboutir à laisser faire n'importe quoi ; aménager le territoire de manière durable ne saurait signifier entraver la liberté d'établissement. Avec l'adaptation par Jean-Pierre Raffarin de la loi Royer, l'urbanisme commercial français était parvenu à une forme d'équilibre. Cependant, la France a ensuite adapté son droit de l'urbanisme en fonction de son interprétation des exigences européennes. Suite à l'adoption de la directive communautaire relative aux services dans le marché intérieur, la France a ainsi réformé son droit de l'urbanisme à deux reprises : en 2008 (avec la loi LME) et en 2014 (avec la loi ACTPE). Cette adaptation s'est traduite par un relèvement du seuil d'autorisation de 300 à 1 000 m2, ce qui a généré le fleurissement d'équipements de 990 m 2 dans toutes les agglomérations françaises. De surcroît, de manière absurde et à rebours de l'Histoire, les études d'impact et les mesures de la zone de chalandise ont été retirées des critères d'appréciation des projets d'urbanisme commercial. Là encore, cette évolution a produit des effets délétères. Au sein des CDAC, la représentation des CCI et des CMA a été supprimée, au motif que celles-ci seraient des opérateurs concurrents des pétitionnaires. Or les CCI et les CMA demeurent des opérateurs de l'État ce dont l'État sait d'ailleurs se souvenir dans le cadre de ses orientations budgétaires. Et je ne reviendrais pas sur la fusion, dans le cadre de la loi Pinel, dans un objectif de simplification, entre la demande d'autorisation commerciale et la demande de permis de construire. Ces évolutions ont abouti à ce que le régime des autorisations commerciales français devienne une « machine à dire oui ». De 2009 à 2015, 90 % des projets présentés en CDAC ont été autorisés, sans le moindre discernement. Des surfaces commerciales équivalant à plus de 6,5 millions de m 2 ont ainsi été autorisées, dans un pays se voulant pourtant culturellement à l'antithèse de l'ultralibéralisme. Ceci nous conduit aujourd'hui à des réflexions sur le devenir du tissu commercial des villes moyennes et des villes moyennes elles-mêmes, qui constituent pourtant l'essentiel de la société française, au-delà des grandes métropoles. Je rejoins par ailleurs Ariella Masboungi sur les effets de l'étalement urbain. Nos règlements d'urbanisme ont favorisé un développement horizontal de l'habitat, à la poursuite du mythe de l'accès à la propriété pour tous, ce qui a abouti à une imperméabilisation des sols, ainsi qu'à une augmentation des dépenses publiques consacrées à la voirie, à l'assainissement, aux équipements scolaires, etc. Notre manière de concevoir l'urbanisme a ainsi favorisé l'émergence d'un mode de vie périphérique et, par construction, d'un mode de consommation périphérique. Face à ce constat, les CCI sont convaincues de la nécessité de rétablir les études d'impact économique, en vue d'éclairer les membres des CDAC dans leurs décisions. Cette mission pourrait être confiée aux CCI 70 % des CCI, en tant qu'établissements publics, animant déjà des observatoires du commerce dans leur territoire. Il conviendrait que le Gouvernement et le législateur s'emparent de cette question. Une autre proposition serait de rabaisser le seuil au-delà duquel les projets d'aménagement commercial doivent faire l'objet d'une autorisation. Enfin, de manière générale, l'enjeu serait de remettre le commerce au coeur de nos réflexions et de nos priorités en matière d'urbanisme. Dans les centres-villes et centresbourgs, le commerce n'est pas uniquement un vecteur d'animation ou de lien social. Il représente également des entreprises, avec leurs salariés et leurs clients.
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Les villes se sont créées autour du commerce et des marchés. Il conviendrait donc de remettre le commerce au coeur des réflexions en matière d'urbanisme. Denis CHEISSOUX Nous aurons l'occasion d'échanger encore autour de ces questions à l'issue de la table ronde suivante.
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Perspectives et propositions
I) Rappel des recommandations du CGEDD
Denis CHEISSOUX En synthèse, à travers les rapports présentés ce jour, le CGEDD a préconisé la mise en oeuvre d'une nouvelle politique de régulation, s'appuyant une obligation de réaliser des études d'impact préalables, une régionalisation des commissions d'aménagement commercial, une meilleure articulation des niveaux de planification (SRADDET, SCoT et PLUi), ainsi qu'une incitation à développer des projets de requalification des centres-villes et de restructuration des périphéries s'inscrivant dans une logique de continuité urbaine.
II) Table ronde
Participent à cette table ronde : Philippe SCHMIT, secrétaire général de l'Assemblée des communautés de France (ADCF) ; Michel-François DELANNOY, directeur du programme « centres-villes de demain » à la Caisse des dépôts et consignations ; Antoine FREY, président du groupe Frey et président du Conseil national des centres commerciaux (CNCC) ; Pierre JARLIER, maire et président de la communauté de communes du Pays de Saint-Flour, président de la commission aménagement et urbanisme de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalités (AMF) ; Michel PAZOUMIAN, président de l'Institut de la ville et du commerce ; Christophe PEREZ, directeur de la SERM, opérateur d'aménagement de Montpellier.
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La table ronde est animée par Denis CHEISSOUX, journaliste. Denis CHEISSOUX Philippe Schmit, quelques mots sur la manière dont le réseau des intercommunalités perçoit aujourd'hui le territoire. Philippe SCHMIT J'interviendrai dans le cadre de cette table ronde en remplacement de la représentante de l'Assemblée des communautés de France (ADCF) au sein de la CNAC, Corine Casanova. Celle-ci m'a chargé de vous faire part d'un certain nombre d'observations et de vous transmettre un certain nombre de messages. Dès 2011, l'ADCF avait lancé une pétition pour réclamer un débat national autour de l'urbanisme commercial. Cette demande, formulée au moment de la proposition de loi Ollier-Piron, était cependant demeurée lettre morte. Aujourd'hui, ce débat s'engage. L'organisation de ce colloque en est l'illustration. Y compris localement, le commerce n'est plus écarté des réflexions sur l'urbanisme. Alors qu'un constat semble aujourd'hui partagé, il conviendrait toutefois d'éviter que des incompréhensions aboutissent à un décalage entre le consensus affiché et la réalité des pratiques sur le terrain. Il conviendrait pour cela de ne pas trop simplifier le débat. Ce colloque a pour thème la relation entre la ville et le commerce. Or les villes sont plurielles et hétérogènes. Tous les centres-villes ne sauraient être considérés de la même manière. Toutes les villes n'ont pas Paris, le 19 octobre 2017
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nécessairement les mêmes capacités, s'agissant de travailler à la fois à l'évolution de l'habitat, du commerce, des transports collectifs, etc. L'enjeu serait également de sortir d'une opposition caricaturale entre le centre-ville et la périphérie. Dans certains territoires, des oppositions entre périphéries se révèlent bien plus inquiétantes, avec un risque de dévitalisation de certains pôles. Par ailleurs, tous les espaces commerciaux n'ont pas la capacité, d'un point de vue économique, de se régénérer sans faire l'objet d'extensions. Tous les espaces commerciaux n'ont pas non plus nécessairement la capacité de recevoir la diversification des fonctions souhaitée par l'urbanisme. Le monde des collectivités fait face aujourd'hui à plusieurs évolutions, avec la montée en compétences des régions (à travers les SRADDET et les schémas régionaux de développement économique, d'innovation et d'internationalisation notamment) et le développement de blocs locaux autour des intercommunalités. Ces nouveaux périmètres devraient permettre aux collectivités de gagner en pertinence vis-à-vis des bassins de consommation. De plus, la loi NOTRe a confié aux intercommunalités une responsabilité en matière de développement d'une politique locale du commerce. En dépit du caractère structurant du commerce pour le territoire, cette dimension était jusqu'alors absente du Code général des collectivités. L'ADCF est persuadée que le commerce a souffert avant tout d'une absence de portage politique au niveau des territoires. Les initiatives individuelles de chacun des maires, en dépit de leur légitimité, ont conduit, dans leur addition, à la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui. Pour sortir de cette situation et sauver les coeurs de ville, au-delà des efforts entrepris par les communes-centres, l'enjeu est d'assurer une plus grande cohérence à l'échelle des agglomérations. L'accent nécessiterait pour cela d'être mis sur le travail collectif des élus et le portage politique à l'échelle des territoires. Chaque dossier transmis à la CDAC nécessiterait de faire l'objet d'une décision préalable du Conseil communautaire compétent. Des stratégies devraient être développées, à l'échelle des intercommunalités et des bassins. Du reste, on constate que les projets soumis à la CNAC sont aujourd'hui largement défendus par les élus. En pratique, les projets ne sont guère contestés que par des élus des territoires voisins défendant leurs propres projets. La posture des élus apparaît ainsi quelque peu schizophrène. Les opérateurs participent aussi à ce jeu de faux-semblants, en prenant, dans une logique de greenwashing, des engagements autour des ENR, de la végétalisation, du stationnement perméable, etc. Le problème est que les CDAC et la CNAC ne disposent d'aucun droit de suivi sur la réalisation de ces engagements. Denis CHEISSOUX Antoine Frey, quelle est la position du CNCC concernant ces enjeux ? Antoine FREY Contrairement à ce qui est parfois sous-entendu de manière profondément choquante, l'industrie des centres commerciaux ne procède à aucun chantage auprès des élus. En termes de gouvernance, les projets portés par les professionnels des centres commerciaux, souvent en centre-ville, le sont avec voire à l'initiative des élus. Il est également surprenant d'entendre systématiquement le commerce associé à l'étalement urbain. En pratique, tel n'est pas le cas. Seuls 2,5 % des terres cultivables artificialisées le sont par le commerce. Il n'est pas toujours tenu compte non plus du e-commerce, dont la concurrence impacte les coeurs de ville, 7 jours sur 7 et 365 jours par an, en ne créant aucun lien social et en employant, à chiffre d'affaires comparable, deux fois moins de salariés que le commerce physique.
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S'agissant du caractère supposé permissif des CDAC, il convient de rappeler que 50 % des dossiers sont ensuite sanctionnés en CNAC. Pour développer un centre commercial en France, la durée moyenne des procédures et des opérations est aujourd'hui de 15 ans. Le CNCC serait du reste favorable à un rabaissement du seuil d'autorisation des projets d'implantation commerciale. La croissance des surfaces commerciales autorisées a atteint 22 % en 2016. Cependant, cette croissance a été essentiellement tirée par des implantations en stand-alone en sortie de ville. Les centres commerciaux et retail parks, quant à eux, ont enregistré une décroissance de 2 % de leurs surfaces commerciales. Etant fier de mon industrie, je souhaitais ainsi rétablir quelques vérités. Denis CHEISSOUX Quel est votre positionnement par rapport à la revitalisation des centres-villes ? Antoine FREY Nous sommes tout à fait conscients du mal qui frappe un certain nombre de centresvilles. Cependant, nous pensons que ces centres-villes ne sauraient être sauvés en empêchant les centres commerciaux périurbains de se restructurer. Face à la concurrence du e-commerce notamment, les centres commerciaux doivent aujourd'hui s'adapter, pour offrir une expérience valorisante et qui respecte les êtres humains. Les centres-villes constituent les plus merveilleux des espaces commerciaux. C'est précisément pour cette raison que certains centres commerciaux s'efforcent, sans doute à tort, de pasticher un centre-ville. L'enjeu serait donc davantage d'inciter les opérateurs de centres commerciaux à retourner en centre-ville. Aujourd'hui, les contraintes et les barrières à l'entrée conduisent encore de nombreux opérateurs à privilégier les implantations en périphérie. A cet égard, le parcours des projets nécessiterait d'être simplifié. Denis CHEISSOUX Conviendrait-il par ailleurs d'envisager une mutualisation des projets ? Que faire également par rapport au développement anticipé des friches ? Antoine FREY Il nous faut être lucide sur ce point. Tous les commerces périurbains ne sont pas appelés à souffrir. Cependant, certains sont amenés à disparaître. Autour des agglomérations de taille moyenne, le développement commercial périurbain s'est généralement structuré d'abord autour de premières zones commerciales, positionnées de manière stratégique. Ensuite, d'autres zones commerciales ont été développés, géographiquement à l'opposée, dans un objectif de rééquilibrage. En cohérence avec le maillage territoriale des enseignes, d'autres zones se sont finalement développées. A l'avenir, toutes ces zones commerciales ne devraient pas être en capacité de perdurer. Certaines, cristallisant encore un certain succès et suscitant l'appétit des enseignes, devraient avoir la possibilité de se restructurer. D'autres devraient disparaitre ou muter vers d'autres usages. L'Eurométropole de Strasbourg a ainsi confié au groupe Frey des prérogatives en matière d'expropriation et de préemption pour restructurer sa zone commerciale nord. Dans cette zone, moyennant un investissement privé de 70 millions d'euros, les commerces devraient être reconcentrés dans un équipement de nouvelle génération, libérant le foncier nécessaire à la reconstitution d'une continuité urbaine à travers le logement. Cette zone devrait perdurer en tant que deuxième pôle commercial de la métropole (avec un chiffre d'affaires de l'ordre de 500 millions d'euros), derrière le centreville (au chiffre d'affaires de l'ordre de 800 millions d'euros). Les autres pôles commerciaux de la métropole devraient en revanche connaître d'importantes difficultés à moyen terme. Paris, le 19 octobre 2017
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S'agissant d'envisager la mutation des zones commerciales amenées à disparaître, une piste pourrait être d'y développer des solutions viables et écologiques pour la livraison au dernier kilomètre des ventes en ligne celles-ci connaissant une croissance exponentielle, avec des enjeux forts en termes de logistique associée. Denis CHEISSOUX Quel regard portez-vous sur les perspectives de régulation évoquées ? Antoine FREY Dans le cadre de la régulation existante, le développement d'un projet peut déjà s'avérer complexe. Dans l'agglomération d'Amiens, la conduite d'une opération de 40 000 m2, inaugurée très récemment avec le Président de la région des Hauts-de-France et les élus de l'agglomération, a ainsi nécessité 12 ans. D'importants efforts de concertation avec la collectivité ont été nécessaires pour présenter un dossier cohérent à la CDAC. Les autorisations délivrées étant systématiquement contestées, des recours ont ensuite été adressés, avec des effets dilatoires importants. Alors que la durée moyenne de développement d'un projet est déjà de 15 ans, il ne me paraîtrait pas opportun de complexifier et de rallonger encore les procédures. Dans 15 ans, qu'en sera-t-il du chiffre d'affaires du e-commerce et qu'en sera-t-il des équipements commerciaux n'ayant pu se restructurer ? Denis CHEISSOUX Michel Pazoumian, le débat autour de la relation entre centres-villes et périphéries est ancien. Dans les années 2000, les développements commerciaux périphériques ont été soutenus par des taux d'intérêts peu élevés les promoteurs étant dans leur rôle en développant des surfaces commerciales. La crise de 2008 a ensuite conduit à une régression du pouvoir d'achat, poussant les consommateurs à rechercher encore davantage des prix bas. Par le croisement de ces effets conjoncturels, mais aussi pour des raisons structurelles, nous faisons aujourd'hui face à des taux de vacance commerciale importants, dans les centres des villes moyennes notamment. Quel est votre regard sur ces évolutions ? Michel PAZOUMIAN Mon regard sera essentiellement celui du commerce spécialisé. Je souhaiterais tout d'abord souligner que nous avons énormément apprécié les rapports du CGEDD, marquant un premier positionnement de l'État, à l'écoute des acteurs du commerce. Il était important d'ouvrir ce débat. La France conserve de nombreuses spécificités en matière de commerce. Les hypermarchés y ont été inventés. Beaucoup prédisent leur disparition, à l'instar des centres commerciaux américains. Cependant, il convient de rappeler que les centres commerciaux américains ont été portés par les grands magasins, confrontés eux-mêmes à des difficultés. En France, les grands magasins sont moins nombreux aujourd'hui mais perdurent, avec les Galeries Lafayette et le Printemps notamment. Les hypermarchés, quant à eux, s'ils se réduisent, le cas échéant en cédant des surfaces à des moyennes surfaces spécialisées (à Portet-sur-Garonne par exemple), ont également entrepris de se transformer. Les grandes chaînes telles que Carrefour ont par ailleurs des stratégies de développement de supermarchés, affaiblissant l'attraction des hypermarchés. Certains hypermarchés de proche couronne correspondent aussi à des centres urbains, dans le cadre de l'étalement urbain et pour les populations environnantes. Le développement des retail parks en France fait quant à lui débat. Dans certains territoires, de beaux équipements remplacent ainsi les anciens. Cependant, certains retail parks demeurent contestés dans leur esthétique et leur pertinence. Pour le commerce en général, l'année 2008 a représenté un traumatisme important. Avec la chute des rendements, les enseignes ont compris, certes avec un peu de retard, à Paris, le 19 octobre 2017
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partir de 2012-2013, la nécessité d'évoluer vers le multicanal et le digital, sous peine de disparaître. Certaines enseignes ont déjà disparu, parmi lesquelles Bata, Virgin, etc. D'autres telles que la Fnac et Darty se sont regroupées, dans l'optique d'optimiser leurs approvisionnements et de répondre aux consommateurs avec des prix plus compétitifs. D'autres ont également entrepris de réduire leur réseau, n'hésitant pas à fermer des points de vente non-rentables. Denis CHEISSOUX La vacance commerciale est aujourd'hui en hausse, y compris dans les périphéries. Pour autant, les surfaces commerciales continuent de se multiplier en périphérie et de nouveaux retail parks sont implantés. Michel PAZOUMIAN A cet égard, Antoine Frey a défendu une profession recherchée par les élus, sur l'ensemble du territoire. Tous les élus recherchent aujourd'hui des investisseurs et des promoteurs. Néanmoins, pourquoi envisager des projets aussi importants ? A Strasbourg ou à Montpellier, pourquoi risquer ainsi de déstabiliser le commerce existant ? Ne pourrait-on pas envisager plutôt la requalification de retail parks en déshérence ou le développement de projets plus réduits avec des capacités foncières d'extension ? Du reste, certains élus ont tendance à encourager le développement des retail parks les surfaces commerciales nouvelles générant des emplois, avec une visibilité importante, y compris pour les élus. A Dinard, on dénombre ainsi trois retail parks, si bien que les enseignes s'interrogent sur celui qui leur permettra de préserver leur chiffre d'affaires et leurs emplois. Denis CHEISSOUX La problématique de la connaissance des emplois ainsi créés à déjà été évoquée ce jour. Michel PAZOUMIAN De fait, peu d'outils sont aujourd'hui disponibles pour évaluer les impacts réels des projets en termes d'emplois. Antoine FREY A Strasbourg, la restructuration de la zone commerciale de Vendenheim devrait mobiliser près de 70 millions d'euros d'investissements. L'enjeu sera notamment de réaménager les voiries, pour éviter un télescopage entre les flux pendulaires et les flux commerciaux, tout en reconstituant une continuité urbaine. La collectivité devrait contribuer à cet effort d'investissement à hauteur de 9 millions d'euros. Le reste devrait être apporté par les opérateurs. Pour financer cette restructuration, il faudra donc créer de la valeur la rentabilité de telles opérations ayant tendance à diminuer. Il convient pour cela de valoriser le foncier, s'agissant de déplacer des commerces en confrontation avec le tissu d'habitations pavillonnaires, pour permettre le développement de nouveaux logements et la réalisation d'une couture urbaine. Michel PAZOUMIAN A Metz, un certain nombre d'enseignes ont fait le choix de rejoindre le retail park de la Compagnie de Phalsbourg, pour y trouver un environnement nouveau, plus esthétique et plus attractif vis-à-vis des consommateurs, avec davantage de surfaces pour développer des concepts originaux. Dans un contexte d'évolution permanente des concepts commerciaux, les promoteurs ont ainsi la capacité d'apporter du neuf.
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Denis CHEISSOUX Christophe Perez, en l'espace de 40 ans, la ville de Montpellier est passée de 100 000 à 450 000 habitants. Dans ce contexte, au-delà du centre-ville, les centres commerciaux Polygone et Odysseum se sont développés. Le projet Ode à la mer a ensuite été engagé, prévoyant le développement de nouvelles surfaces commerciales, mais aussi la requalification d'un certain nombre de zones commerciales. Comment ce projet a-t-il été porté par les aménageurs et les élus ? Christophe PEREZ A Montpellier, la croissance démographique est soutenue depuis les années 80. Dans ce cadre, il devient nécessaire de produire la ville, afin qu'elle soit multifonctionnelle et favorise la mixité sociale. Le commerce, en tant qu'élément fondateur de la ville, est partie intégrante de cette démarche. Dans chacun des quartiers se construisant progressivement, il s'agit ainsi d'envisager la ville dans toutes ses dimensions, afin qu'elle soit au service des habitants et qu'elle devienne « aimable ». Dans le cadre du projet Ode à la mer, l'objectif serait de rassembler l'extension urbaine d'aujourd'hui et l'étalement urbain du commerce des années 60-70. Le moment est ainsi venu de réconcilier la ville avec ce commerce. Le projet Ode à la mer s'inscrit dans un environnement caractérisé par 200 000 m2 de commerces, avec 2 hypermarchés de 12 000 m2 chacun, ainsi qu'un certain nombre de « boites à chaussures » le long de la Route de la mer. L'enjeu serait d'amener la ville dans cette zone, en permettant l'installation de 30 000 nouveaux habitants. Le commerce résultant de l'étalement urbain est ainsi amené à faire partie de la ville. Denis CHEISSOUX La zone devrait également être desservie par un tramway.
Christophe PEREZ L'objectif serait effectivement de faire le lien entre cette zone et le tramway qui parcourt la ville de Montpellier. Le projet Ode à la mer emporte également un objectif de préservation de la biodiversité. L'urbain ne devrait ainsi occuper qu'un tiers de l'espace libéré, avec une densité à même de limiter l'étalement. Le reste devrait être restitué à la nature, à l'agroécologie et à l'agriculture. En pratique, 100 000 m2 de surfaces commerciales sont appelés à être démolis, pour permettre la reconstruction d'un projet urbain de 110 000 m2. Les 100 000 m2 de surfaces commerciales restantes feront l'objet d'une démarche de régénération, en lien avec les propriétaires.
Denis CHEISSOUX L'ambition serait donc de bâtir un véritable quartier supplémentaire.
Christophe PEREZ Pour porter cette ambition, le choix a été fait de s'appuyer sur la société d'économie mixte de la métropole cette structure constituant le lieu de la coopération entre le public et le privé au sein du territoire. Après une mise en concurrence sévère, le groupe Frey a été retenu par la métropole et la SERM pour réaliser une partie du projet, soit opérer le réaménagement de 62 000 m2 de
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surfaces commerciales. Dans le cahier des charges, il a cependant été négocié que 70 % des enseignes appelées à s'implanter dans ces 62 000 m2 soient déjà installées sur le site aujourd'hui. Plutôt que de pratiquer une politique de la « terre brûlée », l'enjeu sera d'accompagner ces enseignes, pour leur permettre de rejoindre le projet. L'étape suivante a été pour la SERM, avec le soutien de la Caisse des dépôts et consignations, d'acheter un certain nombre de ces commerces. Plus de 20 000 m2 de surfaces ont déjà été acquis et d'autres acquisitions foncières sont envisagées. Il s'agira également de soutenir un certain nombre de ces commerces durant le temps de l'opération les délais d'obtention des autorisations et de mise en oeuvre des chantiers de construction pouvant être relativement longs. Denis CHEISSOUX Au final, la métropole de Montpellier comptera néanmoins un pôle commercial supplémentaire. Christophe PEREZ Nous demeurerons vigilants sur ce point, dans le cadre du SCoT. Un noyau urbain et commercial sera conservé au niveau du coeur de ville. La SERM y est déjà propriétaire d'une centaine de locaux commerciaux. Des opérations de rénovation urbaine y seront également poursuivies. A Montpellier, une particularité est que certains équipements commerciaux, installés initialement en périphérie, sont aujourd'hui au coeur de la ville. Tel est le cas notamment du centre commercial Odysseum. Denis CHEISSOUX Quelle cohérence est aujourd'hui envisagée entre l'Ode à la mer, l'Odysseum, le Polygone et le centre-ville ? Christophe PEREZ Une cohérence sera assurée entre les noyaux urbains ainsi constitués, disposant chacun de commerces de proximité et reliés entre eux par le tramway. Sur un périmètre plus large, ces pôles bénéficieront également du rayonnement de la métropole, y compris à l'international (avec une ouverture sur la méditerranée notamment). Denis CHEISSOUX Pierre Jarlier, en tant maire de Saint-Flour et président de la communauté de commune du Pays de Saint-Flour, mais aussi président de la commission aménagement et urbanisme de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalités, quelle est votre position sur ces sujets ? Pierre JARLIER Je ne reviendrai pas sur les constats faits au cours de cette journée. De fait, les traumatismes sont nombreux, dans les centres-villes comme dans les périphéries. Et l'urbanisation mal maitrisée des années 90 continue d'avoir des impacts financiers sur les collectivités (avec des décisions prises à l'échelle de certaines communes se traduisant par des formes de dumping fiscal aux conséquences dévastatrices pour les communes voisines), ainsi que des impacts économiques sur les centres-villes (avec le développement de friches commerciales complexes à réhabiliter, alors même que les coeurs de ville fondent le lien social et le vivre ensemble). A cet égard, les rapports du CGEDD ouvrent néanmoins des perspectives très intéressantes. Il était temps que l'État appréhende les enjeux de cette urbanisation sauvage aux effets dévastateurs.
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Nous disposons aujourd'hui d'outils nouveaux pour faire face à ces enjeux. Comme la souligné Philippe Schmit, nous disposons désormais d'outils d'organisation à l'échelle territoriale, avec des intercommunalités plus puissantes. Ceci devrait permettre de prendre des décisions d'urbanisation à des échelles plus pertinentes, dans le cadre d'approches stratégiques et solidaires, permettant de dépasser les petits conflits de territoires et les intérêts personnels. Par ce biais, les projets de territoire devraient pouvoir intégrer pleinement la question du développement commercial, en cohérence avec les enjeux liés à l'habitat, à la santé, à la mobilité etc. L'enjeu serait ainsi de rapprocher l'urbanisme de l'urbanisme commercial. Loi NOTRe a pour cela prévu des outils de planification à toutes les échelles stratégiques pertinentes, avec les SRADDET et les SRDEII (pour aborder les grands enjeux commerciaux à l'échelle régionale), les SCoT (pour envisager l'implantation globale des surfaces commerciales à l'échelle d'un territoire ou d'un bassin de vie) et les PLUi (pour décliner des stratégies et des projets de développement commercial, avec un caractère prescriptif, le cas échéant pour redynamiser les centres-villes). Lorsque ces outils seront partagés par les élus, des approches concertées pourront être mises en oeuvre, s'agissant notamment d'éviter une surabondance des implantations commerciales en périphérie, sans pour autant opposer celles-ci aux coeurs de ville. Une concertation pourra également être organisée avec les populations, pour renforcer l'acceptabilité des projets. Denis CHEISSOUX La priorité accordée aux centres-villes ne nécessiterait-elle pas néanmoins d'être inscrite dans la loi ? Pierre JARLIER Il conviendrait effectivement d'inscrire dans la loi un certain nombre de mesures pour revitaliser nos centres-villes. Du reste, les projets de territoire ainsi définis nécessiterait de pouvoir s'appuyer sur une gouvernance adaptée, y compris vis-à-vis des autorisations commerciales. Aujourd'hui, les CDAC délivrent des autorisations, qui sont ensuite réexaminées quasisystématiquement par la CNAC. Dans ce cadre, les concurrents positionnés sur le territoire déposent généralement eux-mêmes un certain nombre de recours. C'est pour cette raison que les projets nécessitent 15 ans pour aboutir. Il conviendrait de faire évoluer ce système. Dans le cadre de la gouvernance des projets territoriaux, l'avis des élus de l'intercommunalité nécessiterait de pouvoir être sollicité. Pour l'examen des dossiers en commission d'aménagement commercial, une échelle régionale pourrait également permettre de sortir des lobbyings locaux les régions étant compétentes en matière de développement économique. Un seuil nécessiterait toutefois d'être fixé, pour éviter la mise en oeuvre de procédures complexes pour des projets portant sur des surfaces peu importantes. A cet égard, le seuil de 2 500 m2 proposé par le CGEDD pourrait s'avérer trop faible la plupart des implantations commerciales en périphérie excédant cette surface. La question des observatoires est également essentielle. Le CGEDD a proposé la mise en place d'un observatoire financé par les intercommunalités. Or celles-ci ne disposent pas nécessairement des moyens ni des outils de connaissance nécessaires. En revanche, nous avons la chance de disposer, en France, de CCI effectuant un important travail. Le Cerema est également un excellent outil. Denis CHEISSOUX Sans être un bureau d'études, le Cerema pourrait intervenir au plan méthodologique.
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Pierre JARLIER Ceci permettrait de développer une véritable connaissance de l'évolution du commerce. Dans le cadre de la planification, il serait ainsi possible de mieux cibler les implantations potentielles. Enfin, il conviendrait absolument de faire en sorte que les dossiers des porteurs de projets intègrent des études d'impacts réalisées par des organismes impartiaux, afin que les élus puissent prendre les bonnes décisions, en fonction de la réelle capacité d'accueil des territoires. Philippe SCHMIT L'ADCF organise des débats avec les élus locaux autour de ces questions commerciales. Ce qu'il en ressort est que la classe politique locale est aujourd'hui dans une forme d'expectative. Les élus locaux sont de plus en plus nombreux à comprendre que les déséquilibres commerciaux, dans les centres-villes notamment, sont le symptôme d'un certain nombre de dysfonctionnements dans les territoires (en lien avec l'évolution des populations, des services publics, etc..). Ils s'interrogent néanmoins sur la traduction de la transformation numérique dans les territoires. Beaucoup peinent à mesurer la manière dont la révolution numérique se traduit dans le fonctionnement des territoires. Peut-être certains espaces commerciaux disqualifiés pourraient-ils être reconvertis pour répondre aux besoins logistiques du e-commerce. Cependant, en matière d'urbanisme, comment traduire cela ? Comment anticiper et préparer de telles évolutions ? Par ailleurs, les communes ont transféré à leur intercommunalité la responsabilité de l'ensemble de leur développement économique. Depuis le 1 er janvier 2017, la maîtrise d'ouvrage de toutes les zones d'activités a ainsi été transférée au niveau intercommunal. Et la gestion de ces zones d'activités soulève d'importantes questions pour les intercommunalités. Quel devenir pour ces zones ? Comment les prioriser ? Comment décider de leur évolution ? Depuis peu, nous commençons à nouer un dialogue autour de l'articulation public/privé. Aujourd'hui, ce dialogue doit nous aider à suivre l'évolution du commerce, pour que les élus puissent disposer de bases sur lesquelles décider. Michel PAZOUMIAN Le problème se pose moins dans les grandes villes qui croissent de plus de 5 000 habitants par an et attirent de nombreux investisseurs que dans les petits territoires peu attractifs, s'agissant notamment des villes frappées par la désindustrialisation du pays. Dans ces villes, au-delà de l'accompagnement par la Caisse des dépôts et consignations, comment développer des capacités d'investissement et mobiliser des compétences d'ingénierie ? En pratique, dans des villes telles que Vierzon, les investisseurs privés sont absents, que ce soit pour restaurer la périphérie ou revitaliser le centre-ville. Il conviendrait aujourd'hui d'accompagner ces territoires. Denis CHEISSOUX Michel-François Delannoy, le programme « centres-villes de demain » de la Caisse des dépôts et consignations, que vous pilotez, vise précisément à appuyer les collectivités, s'agissant notamment des villes moyennes. Depuis 18 mois, 80 villes y ont fait appel et 10 sites démonstrateurs ont été identifiés. S'agit-il d'un « plan Marshall » mis en place par la Caisse des dépôts et consignations pour les centres-villes ? Michel-François DELANNOY Le dispositif mis en oeuvre par la Caisse des dépôts et consignations constitue une expérience sans véritable équivalent, qui inspire les réflexions du Gouvernement pour la mise en place d'un programme national centré sur les villes moyennes.
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A ce stade, il est déjà possible de tirer de cette expérience un certain nombre d'enseignements. Le projet territorial, pour peu qu'il soit qualifié à la bonne échelle, apparaît constituer une bonne réponse. Cependant, à cet égard, une forme d'injustice apparaît également, dans la mesure où les territoires les plus en difficulté et faisant face à la plus grande complexité sont souvent ceux dans lesquels l'expertise et les capacités d'ingénierie sont les moins importantes. Ces disparités nécessiteraient aujourd'hui d'être corrigées. Les villes de Châtellerault, Perpignan, Tarbes ou Sens, ayant signé une convention « centres-villes de demain », ont exprimé un certain nombre d'interrogations et de préoccupations quant à la manière d'agir dans la crise. Il nous faut aujourd'hui apporter à ces villes de l'expertise et les aider à penser leur stratégie, quitte à les accompagner dans un changement de paradigme, s'agissant notamment d'envisager un développement urbain ne s'appuyant pas nécessairement sur un développement démographique à brève échéance. La Caisse des dépôts et consignations, à travers un certain nombre d'outils, s'efforce d'apporter à ces villes des capacités d'expertise et d'ingénierie, pour leur permettre de penser leur projet et d'identifier des solutions, en termes de montages financiers notamment (dans des territoires où les moyens publics sont parfois amoindris). Beaucoup de dispositifs existent par ailleurs, en matière d'habitat, de renouvellement urbain, etc. Cependant, encore faut-il savoir les optimiser, les rassembler et les mettre au service d'un projet. C'est en ce sens que le Gouvernement réfléchit à la mise en place d'un « contrat intégrateur » autour du projet des villes moyennes. L'enjeu serait ainsi de fédérer l'ensemble des moyens et des ressources disponibles, y compris s'agissant de faire fonctionner les outils réglementaires. La Caisse des dépôts et consignations s'attache également à apporter, à son niveau, avec ses moyens et ses métiers, des réponses aux enjeux essentiels que constituent la maîtrise du foncier et la transformation des usages. Ces leviers ont vocation à permettre, le cas échéant, un travail sur l'existant, en vue de lui donner une nouvelle attractivité et d'y développer une nouvelle offre, tout en considérant les enjeux en termes de préservation du patrimoine, d'efficacité énergétique, d'accessibilité, de sécurité, etc. L'enjeu serait ainsi, dans ces territoires, de faire converger un certain nombre de dispositifs et d'organiser un système normatif permettant aux acteurs locaux d'agir mieux et de manière plus accompagnée. Michel PAZOUMIAN De fait, rien n'est inéluctable pour le monde du commerce. Lorsque les élus sont mobilisés, comme tel est le cas à Mulhouse ou à Limoges, des aménagements urbains peuvent être opérés, pour donner espoir à la population. Le commerce suit ensuite ou du moins n'abandonne pas le territoire. Dans la ville de Niort, par exemple, 60 millions d'euros sur 4 ans ont été investis dans les aménagements urbains, avec une piétonisation du centre-ville. Le privé a ensuite rejoint la démarche, en reprenant plusieurs immeubles. L'enseigne H&M s'est installée et de nouveaux logements ont été développés. De tels exemples sont nombreux. Antoine FREY Je constate avec un certain soulagement que nous partageons tous une même opinion, selon laquelle il n'existe pas de solution simple à un problème aussi complexe. Dans ce contexte, l'expertise en matière d'urbanisme fait parfois défaut et les petites villes se trouvent parfois démunies. Dès lors, il devient nécessaire de faire travailler ensemble le public et le privé. Pierre JARLIER La revitalisation des centres-villes nécessite une expertise transversale, dès lors qu'il est question de gestion de l'habitat, de maîtrise foncière, de transformation des usages, Paris, le 19 octobre 2017
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etc. Des sujets aussi complexes nécessitent également une ingénierie territoriale de qualité. Dans les villes moyennes, et sans doute davantage encore dans les petites villes les difficultés des centres-villes n'étant pas nécessairement corrélées au nombre d'habitants , dans le prolongement des dynamiques territoriales déjà engagées (autour de l'habitat notamment), il nous faudra envisager le développement de contrats globaux, avec des crédits d'investissement et d'ingénierie associés.
III) Débat avec la salle
Ariella MASBOUNGI En pratique, la requalification des fameuses « boites à chaussures », évoquée dans le cadre du projet Ode à la mer, s'avère très complexe. En effet, du fait d'une spécificité fiscale française conférant à un bien la valeur que celui-ci aurait s'il fonctionnait bien, de tels commerces se révèlent souvent impossibles à exproprier et très coûteux à recomposer. Du reste, beaucoup de centres commerciaux sont aujourd'hui en cours d'abandon dans les villes. L'ouvrage « Le maire, l'architecte, le centre-ville... et les centres commerciaux », de Jean-Noël Carpentier (maire d'une commune périphérique francilienne) et David Mangin (urbaniste), en est l'illustration. Les opérateurs commerciaux abandonnent de tels territoires, privilégiant des implantations plus grandes et plus éloignées. A cet égard, sans s'opposer aux opérateurs commerciaux, les urbanismes s'efforcent de conseiller les élus ceux-ci conservant la responsabilité de leurs projets. La France est très regardée vis-à-vis de ces sujets en Europe. Elle a donc une responsabilité importante. Aujourd'hui, alors que notre ministre de la transition écologique et solidaire est un grand écologiste, nous ne saurions échouer dans notre effort d'urbanisme et de développement durable. Or notre modèle urbain continue d'engendrer un gaspillage dramatique des sols. En dépit des recompositions opérées par la loi NOTRe, notre gouvernance en la matière demeure défectueuse, avec pour conséquence un étalement urbain forcené au-delà des grandes métropoles. Les opérateurs commerciaux peuvent nous aider dans la prise en charge de ces problématiques. Plutôt que d'attaquer les territoires non-urbanisés en grande périphérie, ils peuvent nous aider à recomposer les centres-villes et à sauver les zones périphériques déjà urbanisées. Antoine FREY Nous serons très heureux de le faire. Maryse LAVRARD L'intérêt de la convention « centres-villes de demain » réside d'une part, dans la mise en oeuvre d'une approche transversale et, d'autre part, dans l'ingénierie apportée par la Caisse des dépôts et consignations. Il est néanmoins regrettable que les départements et les régions soient absentes du dispositif. En effet, l'habitat relève de la compétence des départements. Le commerce, quant à lui, relève de la compétence des régions. Si ces collectivités s'engagent également, sous le regard de l'État, le dispositif portera ses fruits. De manière très concrète, à Châtellerault, notre convention est déclinée en actions, avec un chiffrage de l'apport de chaque intervenant. Telle est la réalité du quotidien. Pascal MADRY, directeur de l'Institut pour la ville et le commerce Nous manquons également d'une réflexion prospective sur les lieux de commerce de demain, s'agissant notamment de prendre en compte le développement du e-commerce. Nous avons beaucoup débattu, dans le cadre de ce colloque, de la question des centresvilles et des périphéries, à périmètre constant. Or il conviendrait de mettre en perspective ces lieux avec les évolutions du peuplement et des nouvelles technologies. Paris, le 19 octobre 2017
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Aujourd'hui, la population s'étale. En parallèle, le commerce n'a jamais été autant polarisé. A Châtellerault, le commerce se réalise à 90 % dans le centre-ville et dans deux zones commerciales. Les habitants n'ont jamais été aussi éloignés de leurs commerces, avec des durées de déplacement importantes associées. Alors que de nouveaux acteurs sont en train de domestiquer le commerce, avec des systèmes d'approvisionnement à domicile, et que nos centres et nos périphéries sont en train de devenir des lieux de destination, il conviendrait de tenir compte de ces enjeux. Elsa SACKSICK, AdDen Avocats Il convient de rappeler qu'en France, en l'absence de planification, il demeure impossible de construire. En l'absence de PLU, le foncier est inconstructible. En l'absence de SCoT, il demeure impossible de demander une autorisation d'exploitation commerciale. Le SRADDET pourrait quant à lui constituer un instrument intéressant. Malheureusement, le commerce n'y a pas été intégré explicitement par la loi. Les limitations ou interdictions vis-à-vis du commerce doivent donc y être justifiées par d'autres critères, relatifs à l'équilibre des territoires notamment. Du reste, au-delà des aspects juridiques et de planification, si un opérateur préfère créer une implantation sur la base d'une coque nouvelle, plutôt que d'investir dans de l'existant, c'est avant tout pour des raisons économiques. Il conviendrait également de traiter ces questions. Denis CHEISSOUX Merci à tous.
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Conclusion : synthèse des débats discours de clôture des ministres
David PHILOT
Directeur de cabinet du ministre de la cohésion des territoires
et
Les rapports du CGEDD et de l'IGF, les échanges produits au cours de cette journée, ainsi que les rencontres que nous menons au sein des territoires, nous interpellent. A la lumière de ces réflexions, les pouvoirs publics et le ministère que je représente sont aujourd'hui mûrs pour travailler de manière renouvelée sur le commerce, l'urbanisme commercial et, de façon plus large, l'aménagement du territoire. Autour de ces enjeux, une approche stratégique plus riche et plus globale apparaît nécessaire. Telle est la vision que nous partageons et tel est le sens du plan d'action que nous entendons mettre en place. Le constat est aujourd'hui celui d'un déséquilibre, résultant d'un modèle d'aménagement commercial en grande partie dépassé, sur le plan de l'aménagement urbain et environnemental, sur le plan économique et vis-à-vis de l'animation de la vie urbaine. Nous avons développé des surfaces commerciales importantes, à hauteur de 3 millions de m2 autorisés chaque année. J'ai moi-même eu l'occasion de présider un certain nombre de CDAC et force est de constater que les projets y sont toujours présentés sous un angle utile, en termes de création d'emplois et d'activité. Dans ce contexte, les aspects liés à l'insertion paysagère et au développement durable ne sont souvent négociés qu'à la marge. Ce modèle a permis, un temps, de répondre aux attentes des consommateurs. Il s'inscrivait également en cohérence avec un mode de vie recueillant un consensus social. Aujourd'hui, ce consensus social apparaît toutefois moins assuré. Au plan économique, la concentration des capacités a conduit à des situations de suroffre commerciale et de chevauchement des zones de chalandise, avec un impact sur les petits commerces mais aussi sur les grandes enseignes. Les centres-villes, quant à eux, sont confrontés à une perte d'attractivité, dans les villes moyennes mais aussi dans les petites villes, voire dans certaines métropoles. Le taux de vacance commerciale progresse, ce qui doit nous alerter. De la même manière, le modèle américain, ayant lui aussi reposé sur de très grandes surfaces, apparaît à bout de souffle, avec de très grandes enseignes connaissant des difficultés, sous l'effet de la concurrence du e-commerce notamment (par ailleurs créateur d'emplois et d'activité). Le modèle d'aménagement commercial à la française apparaît ainsi devoir être repensé, en réintégrant les fonctions commerciales dans le renouvellement urbain et dans la construction de la ville de demain. Les enjeux écologiques associés à la consommation des espaces naturels et agricoles sont également considérables. Les ministres de la transition écologique et solidaire et de la cohésion des territoires y sont très attentifs. Pour faire face à ces enjeux, le Gouvernement entend résolument agir, en portant une attention à la fois au soutien de l'activité économique et à l'aménagement du territoire la recherche de solutions imposant de ne pas considérer ces deux objectifs comme contradictoires. Il s'agira pour cela de faire converger l'ensemble des acteurs, autour d'objectifs partagés et dans le cadre d'une vision équilibrée. Un cadre devra être construit pour permettre aux élus de rééquilibrer leurs territoires et de revitaliser leurs villes et centres-villes. Rien ne pourra se faire sans eux. Il s'agira néanmoins de leur permettre de penser l'aménagement commercial à la bonne échelle, avec un accompagnement adapté. L'État et ses établissements publics devront également Paris, le 19 octobre 2017
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être mobilisés, pour créer les conditions favorables au développement d'un commerce accessible, durable et rentable. Les acteurs du commerce devront également être embarqués, dans l'élaboration des projets, la mise en oeuvre des investissements et le développement de politiques d'attractivité. Des solutions ne pourront ainsi être trouvées que dans le cadre de partenariats publics (entre l'État, ses opérateurs et les collectivités locales) et privés (entre les territoires et les acteurs économiques privés). Cette action a vocation à être portée de manière interministérielle. Vis-à-vis des villes moyennes, jouant un rôle central dans l'équilibre des territoires, un plan d'action spécifique devrait être mis en oeuvre, avec un volet consacré à l'habitat et un volet consacré au commerce, dans le cadre d'une approche globale. Le ministre de la cohésion des territoires a déjà évoqué cette question dans le cadre du Congrès des villes de France. D'autres annonces devraient être faites par le Gouvernement dans les semaines à venir. Pour aboutir à la déclinaison de solutions concrètes et pragmatiques, une piste pourrait être de travailler sur des promotions de villes, avec une approche contractuelle. S'agissant d'opérer un rééquilibrage entre centres-villes et périphéries, l'enjeu sera de faire en sorte que l'ensemble des acteurs (élus, État et acteurs du commerce) prennent leurs responsabilités. Il nous faudra pour cela être exigeant dans le cadre des contrats établis. En matière d'ingénierie, des compétences devront être mobilisées, s'agissant de recréer des mix commerciaux attractifs notamment. Aujourd'hui, de telles compétences demeurent rares, y compris dans les villes de taille importante. A cet égard, l'État pourrait renforcer les moyens et les compétences de l'EPARECA, au-delà des quartiers de la politique de la ville. De l'ingénierie privée pourrait également être mobilisée. L'enjeu serait ainsi de mobiliser des ressources publiques et privées, dans des territoires identifiés conjointement, pour établir des diagnostics et proposer des solutions. Les restructurations et les moyens d'intervention devront être envisagés en fonction des situations les besoins et les solutions pouvant être très hétérogènes, en termes d'animation et de coordination, de requalification du bâti, de redéfinition de l'offre commerciale, etc. Des projets devront ainsi pouvoir être portés, y compris s'agissant de répondre à l'évolution des modes de vie et des attentes des consommateurs. De nombreuses enseignes ont aujourd'hui envie de réinvestir les centres-villes, le cas échéant avec de petits formats. Il s'agira donc de s'appuyer sur ces acteurs. Les foncières pourraient également être sollicitées. Des startups développent également de nouvelles approches, y compris autour des commerces de bouches, sur des marchés émergents et en réponse à une demande sociale forte. Ces perspectives doivent nous rendre ambitieux et optimistes. Le ministère de la cohésion des territoires, avec le concours du CGEDD, de la DGALN et des inspections générales, a par ailleurs travaillé au lancement d'un appel à projets, en lien avec sa stratégie relative au logement, pour faire évoluer les zones commerciales périphériques de certaines zones tendues en morceaux de ville. L'objectif serait ainsi de développer du logement dans ces zones, sans consommer de nouveaux espaces et en y améliorant la qualité urbaine. Cinq ou six collectivités seront sélectionnées dans le cadre de cet appel à projets, en vue de faire émerger des opérations pilotes, susceptibles ensuite d'être reproduites. En conclusion, je souhaiterais remercier les organisateurs et l'ensemble des participants à ce colloque, parmi lesquels la DGALN, la DGE, les inspections interministérielles, le CGEDD et l'IGF. Il est important que nos réflexions collectives puissent ainsi être alimentées.
Paris, le 19 octobre 2017
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Glossaire
ACTPE CCI CDA CGET CMA CNAC CNCC DAAC DGALN DGE EnR EPA EPARECA FEDER FISAC FSE PECAB PECNAB PLU PLUI SCoT SRADDET SRDEII Urbact Loi pour l'artisanat, le commerce et les très petites entreprises Chambres de commerce et d'industrie Commissions départementales d'aménagement commercial Commissariat général à l'égalité des territoires Chambre des Métiers et de l'Artisanat Commission nationale d'aménagement commercial Compagnie nationale des commissaires aux comptes Délégation Académique aux Arts et à la Culture Direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature Direction des grandes entreprises Énergies renouvelables Établissement public administratif Établissement public national d'aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux Fonds européen de développement régional Fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce Fonds social européen Plan spécial pour le commerce alimentaire Plan spécial pour le commerce non-alimentaire Plan local d'urbanisme Plan local d'urbanisme intercommunal Schéma de cohérence territoriale Schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires Schéma régional de développement économique, d'innovation et d'internationalisation Programme d'échange d'expériences entre villes européennes souhaitant partager leur savoir-faire et le diffuser auprès de tous les acteurs des politiques urbaines.
Document rédigé par la société Ubiqus Tél : 01.44.14.15.16 http://www.ubiqus.fr infofrance@ubiqus.com
Paris, le 19 octobre 2017
INVALIDE)