Réorientation du programme Lamantin au parc national de la Guadeloupe. État des lieux et conditions de faisabilité
ALLAG-DHUISME, Fabienne ;BOISSEAUX, Thierry
Auteur moral
France. Conseil général de l'environnement et du développement durable
Auteur secondaire
Résumé
<div style="text-align: justify;">La mission confiée au CGEDD était d'apporter un appui à l'établissement public du parc national de la Guadeloupe et à la direction de l'eau et de la biodiversité au sujet du programme de réintroduction du lamantin des Antilles en cours de réorientation. Du fait de la difficulté de se procurer des animaux à réintroduire, le parc national de Guadeloupe, initiateur et porteur du programme a fait évoluer les objectifs et choix techniques en découlant (entre élevage et lâcher en mer), sans maîtriser ces évolutions. Deux échecs successifs du programme de réintroduction du lamantin ont entâché le projet quant à sa faisabilité. Le parc national a négocié une réorientation du projet visant à recevoir des animaux aptes à être relâchés en mer, en provenance du Mexique, et ce avec la commission européenne, son principal financeur. Celle-ci et la tutelle de l'établissement public demandent à bénéficier d'une visibilité sur le long terme. La mission considère, après déplacements au Mexique et en Guadeloupe, le retour aux fondamentaux du programme indispensable afin qu'il soit constitutif d'un projet de territoire pour la Guadeloupe. Ce processus long, à l'échelle supérieure à la décennie, nécessitant un effort de concertation effective, associe des facteurs divers d'acceptabilité du programme: surveillance et suivi des animaux, et animation des acteurs. La mission recommande de négocier un délai avec la commission européenne en vue d'une refondation du projet avec la Région Guadeloupe, en décalant la signature d'un accord avec le Mexique. Le parc national de la Guadeloupe doit se réorganiser à court terme afin d'impliquer plus fortement ses différentes instances et d'élargir le comité d'experts internationaux le conseillant sur ce programme. Enfin, un chiffrage précis des moyens nécessaires pour mener à bien le projet et une analyse des risques participeront à la refondation du projet.</div>
Editeur
CGEDD
Descripteur Urbamet
méthodologie du projet
;financement
;protection de la nature
;espèce protégée
;programme
;faune
Descripteur écoplanete
parc national
;lamantin
;réintroduction animale
;espèce animale
;espèce menacée
;biodiversité
Thème
Environnement - Paysage
Texte intégral
MINISTÈRE DE LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE ET SOLIDAIRE
Fabienne ALLAG-DHUISME et Thierry BOISSEAUX (coordonnateur)
P
U
Mars 2018
B
LI
Rapport n° 012069-01 établi par
Éttat dés liéux ét conditions dé faisabilitéo
É
Réooriéntation du programmé Lamantin au parc national dé la Guadéloupé
Les auteurs attestent qu'aucun des éléments de leurs activités passées ou présentes n'a affecté leur impartialité dans la rédaction de ce rapport.
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Sommaire
Résumé.....................................................................................................................3 Liste des recommandations...................................................................................4 Introduction..............................................................................................................5
Une mission pour identifier les conditions de faisabilité de la « réorientation » du programme de réintroduction du lamantin en Guadeloupe, ses risques et les possibilités de maîtrise de ceux-ci.......................................................................................................5 Une mission réalisée au Mexique et en Guadeloupe qui met en évidence l'ampleur et la sensibilité de la réorientation à conduire............................................................................5
1. Un programme dont les fondements sont fragiles, techniquement délicat et conduit de manière trop isolée.................................................................................6
1.1. Un projet ancien validé à diverses reprises, qui s'est progressivement confronté à des crises et se trouve désormais à la croisée des chemins.............................................6 1.2. Une inversion de l'ambition initiale qui pose question.................................................8 1.3. Un projet pionnier, mais une évolution des itinéraires techniques au gré des contraintes et des échecs qui laisse l'impression d'une certaine improvisation.................9 1.4. Un « comité d'experts internationaux », éloigné du territoire et qui semble avoir pris une importance disproportionnée....................................................................................11 1.5. Un isolement croissant du parc national dans une ambiance d'indifférence, d'ironie, de défiance voire de remise en cause du projet..............................................................11
2. Une prise de conscience partielle du parc national de la Guadeloupe confronté néanmoins à de nombreux défis..........................................................14
2.1. La nécessité de sortir d'une vision trop exclusivement techniciste du programme...14 2.2. Le défi du financement du programme.....................................................................14 2.3. La longue mais, a priori, fructueuse négociation avec le Mexique............................17 2.4. Des équipes mobilisées mais une organisation interne qui souffre de dysfonctionnements.........................................................................................................19
3. Un programme qui doit se refonder méthodiquement pour retrouver quelques chances de réussite................................................................................22
3.1. La priorité consiste à négocier un délai supplémentaire de l'Europe, le temps de refonder le programme d'ici fin 2018...............................................................................22 3.2. La signature avec le Mexique devrait être différée tant que le programme n'est pas sécurisé, soit jusqu'à début 2019....................................................................................23 3.3. La refondation du programme passe par une gouvernance pensée en associant étroitement la Région, avec pour objectif d'en faire un projet de la Guadeloupe toute entière............................................................................................................................. 24 3.4. La refondation du programme doit être bâtie sur le long terme et chiffrée en conséquence, sans sous-estimer l'ensemble des risques afférents à sa poursuite.........25
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3.5. Le PNG doit adopter une organisation transitoire du programme pendant le processus de refondation, avant de l'adapter en fonction des résultats de celle-ci.........27 3.6. La question de l'avenir de Kaï..................................................................................28
Conclusion..............................................................................................................29 Annexes..................................................................................................................31 1. Lettre de mission................................................................................................32 2. Liste des personnes rencontrées.....................................................................34 3. Extraits de deux audits récents du CGEDD.....................................................36 4. Glossaire des sigles et acronymes...................................................................38
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Résumé
La mission, objet du présent rapport, a été demandée au conseil général de l'environnement et du développement durable afin d'apporter un appui à l'établissement public du parc national de la Guadeloupe et à la direction de l'eau et de la biodiversité au sujet du programme de réintroduction du lamantin des Antilles en cours de réorientation après avoir traversé plusieurs crises. Les rapporteurs ont constaté qu'au fil du temps et des contraintes auxquelles il s'est heurté, du fait principalement de la difficulté de se procurer des animaux à réintroduire, le parc national de Guadeloupe, initiateur et porteur du programme, a fait évoluer les objectifs fondamentaux et les choix techniques (entre élevage et lâcher en mer) qui en découlent, sans maîtriser complètement les conséquences de ces changements. Le programme a récemment connu deux échecs successifs et suscité localement une déception à la hauteur des attentes qu'il avait générées par une communication active. L'arrivée de lamantins en provenance du Brésil a dû être annulée au dernier moment en 2015 faute de négociation finalisée. Le contact avec un zoo de Singapour a débouché sur la venue de deux mâles dont l'un est mort deux mois après son arrivée en 2016 et l'autre est aujourd'hui en convalescence. Ces deux échecs ont terni l'image du projet et jeté le doute sur sa faisabilité. La possibilité désormais de recevoir des animaux aptes à être relâchés rapidement en mer, en provenance du Mexique, a conduit le programme à changer à nouveau de cap, ce qui oblige le parc national à négocier une réorientation du projet avec son principal financeur, la commission européenne. Celle-ci, plutôt bienveillante, demande néanmoins à avoir une visibilité sur le long terme. Il en est de même de la tutelle de l'établissement public. Après s'être rendus au Mexique et en Guadeloupe, les rapporteurs considèrent qu'un retour aux fondamentaux du programme est en tout état de cause indispensable afin que celui-ci devienne véritablement un projet de territoire pour la Guadeloupe. Le processus pour y arriver est nécessairement long parce qu'il implique un effort de concertation effective. Il est exigeant parce que la maîtrise technique de la réintroduction elle-même reste incertaine et que les moyens humains et financiers à mobiliser doivent être réévalués avec précision. Enfin, il ne peut être réfléchi que sur un temps long qui dépasse la décennie du fait de la surveillance et du suivi des animaux mais aussi de l'animation des acteurs, autant de facteurs nécessaires pour l'acceptabilité et le succès du programme. Les rapporteurs recommandent en conséquence, en toute priorité, de négocier un délai avec la commission européenne permettant une refondation du projet avec tous les acteurs concernés, tout particulièrement avec la Région Guadeloupe et, pour les mêmes raisons, de décaler la signature d'un accord avec le Mexique. Ils recommandent par ailleurs au parc national de la Guadeloupe de se réorganiser à court terme pendant la période de transition qui s'ouvre, d'impliquer plus résolument ses différentes instances et d'élargir le comité d'experts internationaux qui le conseille sur ce programme. Ils font enfin un ensemble de recommandations relatives au processus de refondation du projet, qui doit inclure un chiffrage précis des moyens nécessaires pour le mener à bien et une analyse des risques qui ne manqueront pas de subsister pour une telle opération sur le vivant.
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Liste des recommandations
1.Recommandation au PNG et à sa tutelle la DEB : se rapprocher sans délai de la SGAR Guadeloupe pour entamer une négociation avec la commission européenne visant à obtenir un délai supplémentaire nécessaire à une refondation du programme, dans de bonnes conditions, c'est-à-dire a minima jusqu'au 31 décembre 2018......................................22 2.Recommandation à la DEB, en lien avec le PNG et la DAEI : faire rapidement le nécessaire pour que l'ambassade de France à Mexico confirme à la partie mexicaine le souhait de la France de signer un accord sur la fourniture de lamantins, mais qu'elle a besoin de temps pour que les conditions de réussite optimales du programme en Guadeloupe soient réunies, avec un objectif de signature début 2019....23 3.Recommandation au DGALN : demander au préfet de Guadeloupe de mettre en place à court terme un comité d'orientation de haut niveau réunissant l'État, la Région, le PNG et l'Agence française pour la biodiversité, avec pour objectif d'ici juin 2018, de tracer la feuille de route permettant d'aboutir à une refondation du programme avant la fin de l'année 2018.....................................................................................................24 4.Recommandation au DGALN : demander au préfet de la Guadeloupe de transformer le cas échéant le comité d'orientation, sur la base des conclusions de son travail initial d'ici juin 2018 et en l'élargissant, en un comité de pilotage avec pour objectif de proposer, d'ici fin 2018, un programme refondé, incluant une analyse des risques de celui-ci et un chiffrage de sa mise en oeuvre sur le court, moyen et long terme............26 5.Recommandation au PNG : élargir le comité d'experts internationaux sans l'alourdir inutilement, à deux ou trois personnes supplémentaires, un membre français du conseil scientifique du PNG, un expert de l'Union internationale pour la conservation de la nature et un membre du Museum national d'histoire naturelle par exemple, en veillant à la présence de spécialistes des questions de réintroductions d'espèces, d'interaction espèce/milieu ou de dynamique des populations................26 6.Recommandation au directeur du PNG : à très court terme nommer la directrice adjointe du parc national, responsable par intérim du programme jusqu'à l'aboutissement de la refondation, avec pour objectif de le diriger et le représenter dans toutes ses dimensions.......................28 7.Recommandation au PNG : étudier rapidement et avec toute l'importance nécessaire l'avenir du lamantin Kaï, importé de Singapour, son maintien au centre de Blachon ne pouvant être que provisoire........28
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Introduction
Une mission pour identifier les conditions de faisabilité de la « réorientation » du programme de réintroduction du lamantin en Guadeloupe, ses risques et les possibilités de maîtrise de ceux-ci
Par lettre du 24 janvier 2018 (voir annexe 1), la directrice de cabinet du ministre de la transition écologique et solidaire (MTES) a demandé au conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), « suite à l'échec de la réintroduction en Guadeloupe de 2 lamantins en provenance de Singapour » de diligenter une mission visant, « compte tenu du caractère expérimental du projet, de sa complexité, de l'échec des précédentes réintroductions, de sa sensibilité politique et du calendrier de sa réorientation », d'« apporter son soutien au parc national de la Guadeloupe et à la direction de l'eau et de la biodiversité (DEB) dans la définition et la préparation de ce nouveau programme ». La lettre de commande précise que la mission du CGEDD « ne portera pas sur l'expertise scientifique du projet révisé, qui fera l'objet d'une analyse distincte ». Elle insiste sur les délais très courts dans lesquels les conclusions de la mission sont attendues du fait de la double contrainte de temps à laquelle se trouve a priori soumis le parc national de la Guadeloupe (PNG) : vis-à-vis de la Commission européenne qui souhaite recevoir en avril 2018, les avenants techniques, scientifiques et financiers du projet LIFE Sirenia, principal support du programme, mais aussi vis-à-vis du Mexique qui souhaiterait signer un accord ministériel en mars 2018 avant l'entrée de ce pays en campagne pour l'élection présidentielle de juillet 2018.
Une mission réalisée au Mexique et en Guadeloupe qui met en évidence l'ampleur et la sensibilité de la réorientation à conduire
La mission a porté une attention particulière aux enseignements des phases précédentes du programme, aux modalités de sa gouvernance (scientifique, technique et politique), aux capacités du PNG à porter un projet réorienté à court, moyen et long terme et enfin à ses aspects budgétaires et financiers. La mission a pris rapidement connaissance d'un ensemble de documents relatifs aux prévisions et à l'exécution du projet depuis son origine. Elle s'est rendue en Guadeloupe du 3 au 7 février 2018. Elle a visité le centre de soins des lamantins de Blachon, où se trouve le lamantin convalescent importé de Singapour, a échangé avec les agents qui y travaillent. Elle a également fait une reconnaissance des lieux envisagés pour l'installation d'un parc de pré-lâcher en mer, que suppose la réorientation du projet telle qu'envisagée à ce stade par le PNG. Elle a rencontré de nombreux acteurs, internes au PNG ou extérieurs à celui-ci, mais directement concernés (voir Annexe 2). Un de ses membres s'est rendu à Mexico du 29 au 31 janvier 2018 pour assister, en tant qu'observateur, au séminaire francomexicain de 2 jours co-organisé par le PNG et le Mexique, en lien avec notre ambassade à Mexico, pour travailler sur les conditions d'une fourniture de lamantins par ce pays. La mission s'est rendu compte de la lourdeur et de la complexité du travail de réorientation du programme en cours, dans un contexte où les échecs précédents l'ont fragilisé et relancent des interrogations quant à sa pertinence, notamment sur le plan écologique, et sa faisabilité.
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1. Un programme dont les fondements sont fragiles, techniquement délicat et conduit de manière trop isolée
La réorientation à laquelle travaille le PNG depuis quelques mois doit s'accompagner d'une analyse aussi lucide que possible des faiblesses, qui, au-delà d'un certain « manque de chance », fragilisent ce programme et sont sources de risques importants pour le futur. La mission en a relevé quatre principales.
1.1. Un projet ancien validé à diverses reprises, qui s'est progressivement confronté à des crises et se trouve désormais à la croisée des chemins
L'idée de réintroduction du lamantin des Antilles1 en Guadeloupe, espèce réputée disparue des petites Antilles au XXème siècle2, trouve son origine dans le premier plan de gestion de la réserve naturelle nationale du Grand Cul-de-Sac Marin en 1998. En 2002, une étude de faisabilité, financée par la direction régionale de l'environnement (DIREN) et l'Université des Antilles et de la Guyane 3, étudie les principales conditions de la conduite d'un tel projet qualifié de « beau challenge... avec des chances très raisonnables de succès ». Le PNG prend le projet à son compte au début des années 2000 et l'inscrit dans son plan d'aménagement 2006-2011, approuvé par son conseil d'administration puis par décret ministériel. Il commence à rechercher des financements sur la base d'un projet relativement détaillé4 en 2009 et chiffré à 2,8 millions d'Euros sur 8 ans (3 ans de « préparation » et 5 ans de « réalisation et de suivi » auxquels succédera un « suivi de routine » par les agents du PNG). L'objectif central affiché est de faire du lamantin un « intégrateur écologique, culturel et social » favorisant une gestion patrimoniale des milieux. Il s'agit « d'améliorer la conscience écologique des populations riveraines et de permettre une meilleure maîtrise des activités humaines » mais aussi d'une opération visant à « la restauration de la biodiversité guadeloupéenne » et à « consolider le statut de l'espèce ». Le projet fait référence à l'article 23 de la loi Grenelle du 9 août 2009 pour conforter ses objectifs. Dès cette époque, le PNG communique largement sur cette opération et démarre un ensemble d'actions de sensibilisation ciblées prioritairement sur les scolaires, l'objectif étant d'en faire des ambassadeurs de l'amélioration de l'environnement au sens large. Il organise également un ensemble de réunions d'information et de concertation avec les milieux socioprofessionnels (plaisanciers, pêcheurs professionnels, opérateurs touristiques...) potentiellement impactés par le projet au début des années 2010. En
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Trichechus manatus manatus, inscrit sur la liste rouge des espèces en danger de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) On parle communément du début du XXe siècle, mais sa présence aurait été signalée à la fin de la deuxième guerre mondiale Quel avenir pour le lamantin en Guadeloupe ? Étude de faisabilité de la réintroduction du lamantin des Caraïbes en Guadeloupe. André Lartiges, Claude Bouchon, Yolande Bouchon-Navarro La réintroduction du lamantin des Antilles (Trichechus manatus manatus) dans la baie du Grand Culde-Sac marin (Guadeloupe présentation, stratégie opérationnelle et budget prévisionnel PNG septembre 2009
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2012, il tente une mesure de l'impact de ses actions de sensibilisation via un sondage de l'institut IPSOS Antilles, avec des résultats encourageants. Le projet figure également dans le plan d'action pour la biodiversité outre-mer en Guadeloupe de 2005, est cohérent avec d'autres initiatives comme la création du sanctuaire AGOA5 et la France le présente dans le cadre du plan de gestion régional en faveur du lamantin du programme des Nations-Unies pour l'environnement (PNUE) adopté en septembre 2008 lors de la 5 conférence des parties du protocole SPAW 6. Le projet est également bien accueilli lors de la conférence internationale pour la conservation des siréniens à Atlanta en Géorgie le 23 mars 2009. La 7 conférence des parties du protocole SPAW manifestera ses encouragements à la France sur cette question en 2012. Après avoir formulé ses encouragements au PNG une première fois en séance plénière dès 2010, le Conseil national de la protection de la nature (CNPN), en formation faune, se prononce en 2012 à l'unanimité en faveur du projet de réintroduction présenté par le directeur du PNG à cette époque, M. Denis Girou, Une des questions les plus difficiles à résoudre est celle de la fourniture de lamantins par d'autres pays qui en détiennent. Diverses pistes sont explorées en fonction de la volonté des pays ciblés et de l'état des relations diplomatiques entre la France et les pays concernés. Des démarches sont enclenchées avec divers pays (Cuba, Mexique, Colombie...). L'éventualité de faire venir des lamantins de Guyane française est écartée, la population y étant fragile et génétiquement inadaptée au programme. Pour faciliter cette recherche mais aussi pour bénéficier des conseils des meilleurs spécialistes du lamantin au niveau international, le PNG s'entoure, début 2011, d'un comité de 6 experts internationaux (initialement originaires des USA, du Vénézuela, du Mexique et du Brésil). Fin 2013, ce comité incite le PNG à recevoir des lamantins du Brésil, aux fins de reproduction en captivité. En 2014, l'octroi de fonds FEDER pour un montant de 700 000 permet au PNG de mettre en chantier rapidement les infrastructures d'accueil des animaux dans le centre dit de Blachon sur la commune du Lamentin. En 2015, le PNG obtient un financement européen important pour cette opération, au titre du programme LIFE. Le projet baptisé LIFE Sirenia doit s'étendre de septembre 2015 à janvier 2021 avec un apport de la commission européenne d'un peu plus de 3,5 millions d'euros correspondant à 60 % du budget total du projet. En 2015, le programme connaît son premier accroc sérieux. Des difficultés de dernière minute surgissent avec l'administration brésilienne, les conditions de mise à disposition des animaux n'ayant pas été suffisamment précisées de part et d'autre et les responsables brésiliens faisant monter leurs exigences financières, alors même que l'avion devant faire le transport a déjà été affrété. Les responsables du PNG sont déjà sur place et les media guadeloupéens dûment informés de l'arrivée des animaux. Le PNG est contraint de mettre fin à l'opération avec le Brésil. Il doit rechercher une solution nouvelle.
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Aire marine protégée dédiée aux mammifères marins dans les Antilles françaises, créée par déclaration de la France en 2010 Specially protected areas and wildlife, protocole dont la France est Partie
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Ses efforts se dirigent alors vers deux options, une piste mexicaine à moyen terme et une piste singapourienne. Cette dernière, à partir d'animaux de zoos, se révèle plus rapide. Deux mâles, baptisés Kaï et Junior, sont envoyés en août 2016, ce qui ne correspondait pas aux souhaits du PNG et va susciter beaucoup d'incompréhension autour du projet. L'arrivée des animaux est néanmoins largement médiatisée en Guadeloupe. Le deuxième accroc sérieux du programme se produit deux mois plus tard avec la mort de Junior. Kaï, également mal en point, est sauvé de justesse grâce à son transfert dans une piscine d'eau douce construite en urgence. La « dernière chance » que constitue aujourd'hui la fourniture de lamantins par le Mexique arrive ainsi dans un contexte particulièrement difficile et conduit le PNG à une réorientation du projet qui se trouve aujourd'hui à la croisée des chemins.
1.2. Une inversion de l'ambition initiale qui pose question
La lettre de commande exclut du champ de la mission l'expertise scientifique du projet révisé. Les rapporteurs ne peuvent néanmoins éluder une interrogation dont nombre de leurs interlocuteurs leur ont fait part : celle de la pertinence d'un programme qui « mettrait la charrue avant les boeufs », c'est-à-dire dont la priorité est la réintroduction du lamantin, avant d'avoir fait le nécessaire pour que le milieu dans lequel il sera relâché soit suffisamment accueillant, tant sur le plan environnemental que socioéconomique, et que le lamantin ait ainsi une chance de s'y installer durablement. La question est d'autant plus pertinente que l'objectif de réintroduction du lamantin, initialement porté par la réserve naturelle du Grand Cul-de-Sac Marin, était subordonné à cette condition7. La logique a effectivement été inversée, on l'a vu dans le bref historique présenté cidessus. La présence du lamantin doit finalement devenir une sorte de « locomotive » pour accélérer la prise de conscience de la nécessité d'améliorer la qualité du milieu, des eaux notamment, et pour réguler les activités humaines susceptibles de porter atteinte aux milieux et à la présence de l'animal. Si cette logique peut s'entendre, elle laisse néanmoins sceptique nombre d'acteurs. Il n'y a sans doute pas de réponse absolue ou parfaite à une telle alternative, les deux approches pouvant avoir leur légitimité. S'assurer que la qualité des milieux soit optimale avant d'accueillir le lamantin aurait conduit à repousser largement dans le temps la perspective d'une réintroduction. Ce n'est pas le choix qui a été fait. Il a été considéré que la qualité des milieux était acceptable et les risques suffisamment maîtrisables. Il est cependant clair que des menaces importantes subsistent (pollution, pratiques de pêche et de loisir principalement, braconnage ou malveillance éventuellement). Ces menaces représentent des risques d'autant plus réels pour le programme dans son
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Si le projet est bien accueilli lors de la conférence internationale sur la conservation des siréniens à Atlanta en mars 2009, parmi les recommandations formulées, figure la nécessité de s'assurer que le Grand Cul-de-Sac Marin convient du point de vue de la qualité des eaux, des pollutions, de la disponibilité suffisante en eau douce (indispensable à la vie du lamantin), de l'identification des menaces...
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ensemble que le lamantin est plutôt fragile, et que le nombre d'animaux qu'il est prévu de réintroduire est très faible. Il importe donc (voir partie 3) que ces menaces et les moyens de les minimiser soient analysés avec lucidité et surtout que cette analyse soit partagée avec les acteurs concernés, le PNG n'ayant pas la capacité à les limiter à lui seul.
1.3. Un projet pionnier, mais une évolution des itinéraires techniques au gré des contraintes et des échecs qui laisse l'impression d'une certaine improvisation
Il s'agit sans doute là de la faiblesse la plus notable du programme, qui interroge sur les modalités de prises de décision, relativement à ce projet. Cela est d'autant plus troublant que le PNG en a fait un des emblèmes de sa projection sur le territoire, tout particulièrement sur son aire marine adjacente nouvellement créée suite à la loi de 20068 sur les parcs nationaux. Les rapporteurs comprennent bien que le caractère novateur du programme, sans équivalent à ce jour dans le monde, peut conduire à des adaptations. Ils savent également que peu de spécialistes de l'espèce existent au niveau international et encore moins en France. Ils constatent cependant que la prise de conscience des difficultés techniques de l'opération semble n'avoir été que relativement tardive. Cette dimension, apparemment sous-estimée, reste aujourd'hui un des tendons d'Achille de ce programme. La mission relève surtout que les contraintes extérieures, l'attente que le PNG a créée, et la soumission à des « urgences » parfois surestimées, aient conduit à prendre des décisions inadaptées ou à commettre des erreurs d'appréciation techniques dommageables voire coûteuses. Quelques éléments factuels illustrent ce constat :
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Le rapport Lartiges et al. De 2002 précisait les conditions idéales relatives aux animaux : les auteurs préconisaient le recours à des animaux « repris en nature », placés dans des parcs suffisamment réadaptés. Ils déconseillaient clairement l'élevage en captivité jugé « contraignant, onéreux et incertain ». Ils estimaient nécessaire de réintroduire ainsi un minimum de 15 à 20 individus dont au moins 10 femelles pour donner de bonnes chances de réussite à l'installation pérenne d'une population de lamantins en Guadeloupe. En 2009, le projet initial du PNG reprenait à son compte ces conclusions. En octobre 2013, le comité d'experts internationaux réuni à Porto-Rico préconise le Brésil comme solution la plus satisfaisante pour la fourniture de lamantins. Il constate que « les animaux disponibles, habitués à la captivité de trop longue date et à l'homme, sont cependant jugés inaptes au relâcher, mais pourront en revanche se reproduire en captivité ». Il est donc décidé de passer par une phase d'élevage, ce qui constitue un changement radical d'option pour le programme.
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Loi n° 2006-436 du 14 avril 2006 relative aux parcs nationaux, aux parcs naturels marins et aux parcs naturels régionaux
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L'imminence des élections présidentielles au Brésil (octobre 2014) qui pourraient conduire à une remise en cause de cette solution, pousse le PNG à accélérer les choses. Il « faut » donc de toute urgence trouver des fonds pour construire un centre d'élevage, dont un bassin en continuité avec la mer, ce qui sera fait avec la participation de fonds FEDER en 2014/2015. Face à l'échec de la piste brésilienne, on importe en août 2016 deux animaux qui viennent cette fois de piscines d'eau douce ; plutôt que de renoncer, ce qui peut se comprendre après l'échec brésilien, deux mâles sont acceptés ; les responsables du projet considèrent important d'utiliser les infrastructures construites en 2015 et de pouvoir montrer des résultats alors que les opérations de communication et de sensibilisation relativement intenses des années précédentes ont généré une attente de concrétisation. Les deux mâles en question sont installés dans le bassin construit précédemment, mais ses eaux s'avèrent excessivement polluées 9, turbides et sujettes à des hausses de température importantes du fait de sa faible profondeur. Le premier animal n'y résiste pas10 et décède deux mois après son arrivée en Guadeloupe. Le second sera sauvé de justesse (après avoir perdu le 1/3 de son poids) et transféré dans une piscine construite en urgence mais dont le système de filtrage est inadapté et doit être aujourd'hui changé. En 2017, la piste mexicaine se précise à la suite de visites croisées et de réunions de travail. Les lamantins mexicains potentiellement mobilisables sont captifs mais détenus en conditions très proches des conditions naturelles en mer. On en revient alors aux recommandations initiales : l'introduction dans des bassins de pré-lâcher en mer avant un lâchage en pleine mer une fois les animaux adaptés. Les élections présidentielles mexicaines ayant lieu en juillet 2018, on cherche à précipiter la décision11, alors même que nombre de conditions (voir ci-après et parties 2 et 3) ne sont pas réunies. Le choix du lieu d'implantation du ou des bassins de pré-lâcher et les techniques et coûts d'installation de ceux-ci ne sont par exemple pas déterminés à ce jour.
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Cette énumération peut paraître sévère. Elle ne vise aucunement à jeter l'opprobre sur celles et ceux qui ont fait leurs meilleurs efforts et qui continuent à le faire pour mener à bien ce programme. Elle met surtout en évidence le poids d'enjeux non techniques et de circonstances extrêmes dans la conduite d'un projet novateur et complexe. Elle vise en revanche à attirer l'attention sur une attitude qu'il est impératif de corriger si l'on veut donner des chances de réussite à ce programme : s'agissant d'une opération de long terme avec intervention sur le vivant, on ne peut changer les modalités techniques fondamentales du projet, sauf à la marge, en fonction de contraintes conjoncturelles, ni précipiter son calendrier de mise en oeuvre sans être pleinement préparé. Si ces contraintes sont incontournables, le projet lui- même doit être remis en cause. La mission note cependant que l'hypothèse
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Il semble avoir été creusé sur une ancienne décharge Une malformation rénale génétique a été diagnostiquée ; elle se serait « exprimée » du fait des conditions extrêmes dans lesquelles l'animal s'est brutalement retrouvé Avec exactement les mêmes arguments que ceux de fin 2013 avec le Brésil !
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actuelle, avec les animaux mexicains et sans phase d'élevage, semble plus à même d'aboutir à la réintroduction du lamantin.
1.4. Un « comité d'experts internationaux », éloigné du territoire et qui semble avoir pris une importance disproportionnée
Le PNG a créé en 2011, à juste titre du point de vue des rapporteurs, un comité d'experts internationaux du lamantin pour le conseiller dans la mise en oeuvre de son programme, mais aussi pour faciliter ses démarches auprès des autorités de certains pays potentiellement donateurs de spécimens. Si ce comité est bien-sûr utile, la mission s'interroge cependant, comme cela a été évoqué ci-dessus, sur la place qui lui a été donnée dans les processus de décision du projet, mais aussi sur sa composition. Il lui semble en effet que le fait qu'il ne comporte que des spécialistes de l'animal, passionnés par celui-ci et sa sauvegarde, peut conduire à un manque de clairvoyance par rapport à un programme dont il n'est pas le gestionnaire. Il est intéressant de noter, et cela est apparu de façon éclatante dans les échanges auxquels la mission a assisté à Mexico, que pour ce comité, ce qui semble primer, c'est l'expérimentation de techniques de réintroduction du lamantin, l'objectif principal de ses membres étant qu'un modèle reproductible soit mis en place. Si cette préoccupation est louable, elle ne peut être prioritaire pour le PNG, sauf à redéfinir clairement le projet en ce sens. C'est en définitive la question de la place de ce comité dans la gouvernance du programme qui se pose et son articulation avec les autres instances du PNG, tout particulièrement avec son conseil scientifique (CS), place et articulation qu'il convient de définir avec plus de précision.
1.5. Un isolement croissant du parc national dans une ambiance d'indifférence, d'ironie, de défiance voire de remise en cause du projet
Il importe ici de distinguer le grand public des acteurs plus directement concernés par le programme, ces derniers projetant souvent sur le public guadeloupéen dans son ensemble leurs propres impressions ou celles de leurs cercles relationnels. Comme en 2012, le PNG a commandé en 2017 à l'institut IPSOS Antilles une enquête d'opinion12 sur le projet auprès du grand public. Il en ressort que sa notoriété a progressé sensiblement depuis 2012, plus de 80 % des personnes interrogées en ayant connaissance, mais que l'adhésion à celui-ci est plutôt en recul tout en atteignant un niveau de 65 % d'opinions favorables. L'animal lui-même est bien perçu mais les caractéristiques du projet sont connues avec peu de précision. Les résultats montrent que le travail de communication et de sensibilisation réalisé par le PNG depuis le lancement de l'opération a globalement porté ses fruits. L'institut IPSOS considère cependant que la mort de Junior et les difficultés de Kaï ont nui à son image. Si les rapporteurs n'ont pas entendu de propos résolument hostiles au projet pendant leurs entretiens, beaucoup d'interrogations ou d'incompréhensions se sont néanmoins exprimées, traduisant une nette perplexité par rapport à celui-ci. En dehors du
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Sondage réalisé en mai/juin 2017 auprès d'un échantillon de 500 personnes de plus de 15 ans, représentatif de la population guadeloupéenne
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questionnement évoqué en 1.1 sur l'inversion des priorités (réintroduction du lamantin avant ou après que les conditions d'accueil des milieux soient optimales), les principales critiques sont fondées sur les arguments suivants :
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dans l'optique de contribuer à freiner l'érosion de la biodiversité, il serait préférable de conforter les populations d'espèces en déclin, plutôt que de réintroduire une espèce qui a disparu depuis longtemps. Les avis peuvent ensuite diverger sur le type d'espèce à sauver en priorité ; même si on réussit à réintroduire quelques individus, la population restera très fragile et soumise à de nombreuses menaces et l'objectif de connectivité avec d'autres populations de lamantins est peu réaliste13 ; la Guadeloupe a bien d'autres urgences en matière d'environnement : qualité de l'eau et accès à l'eau potable, déchets... et un tel projet apparaît dès lors comme déplacé ; les échecs récents mettent en évidence des erreurs de jugement ou des défaillances techniques qui sont souvent mises en vis-à-vis du coût jugé excessif (plus de 6 millions d'Euros) de l'opération.
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Il n'appartient pas à la mission de se prononcer sur ces critiques, même s'il lui semble important de rappeler qu'en matière de financements, il n'y a pas forcément de vases communicants. Ce qui paraît plus inquiétant en revanche, c'est l'impression que le PNG est largement isolé dans la conduite du programme. Il lui est reproché une absence de communication depuis que des difficultés sérieuses ont surgi14, mais l'isolement va bien au-delà de cette communication de crise déficiente. Cet isolement n'est pas récent, mais sa perception est renforcée depuis les problèmes qu'a connus le projet. Quelques exemples pour l'illustrer : l'absence de contact à ce jour avec la secrétaire générale aux affaires régionales (SGAR) de Guadeloupe alors même que son intervention pourrait être très utile dans les discussions avec la commission européenne sur le programme LIFE Sirenia (voir 3.1) ; l'absence de concertation avec le comité des pêcheurs depuis 3 ans environ alors même que ceux-ci auront un rôle essentiel à jouer pour préserver les individus réintroduits ; l'impression de la direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL) et de la direction de l'agriculture, de l'alimentation et de la forêt (DAAF) d'avoir peu d'informations sur le projet alors même que l'une et l'autre seront incontournables dans l'instruction des autorisations indispensables à sa poursuite. Même au sein du PNG, une forme d'isolement est perceptible : c'est ainsi qu'il a fallu attendre la recommandation de l'équipe d'audit du CGEDD en 2016 (voir annexe 3) pour que le conseil scientifique soit formellement consulté, et pas simplement informé, sur le sujet. De même, les rapporteurs ont compris, bien qu'ils n'aient pas pu rencontrer son président, que le conseil économique, social et culturel (CESC) du parc n'était pas non plus associé au projet, même s'il reçoit une information régulière à son
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On ne peut cependant exclure que tout ou partie des lamantins réintroduits quittent les rivages guadeloupéens, ce qui constitue d'ailleurs un des aléas de ce programme dans sa dimension socio-économique; Sur ce point précis, l'enquête IPSOS de 2017 montre que près de 65 % des personnes interrogées disent être mal informées sur le programme, ce qui pour IPSOS « explique certainement la relative perte d'enthousiasme et de perception claire des enjeux de la poursuite du projet.»
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sujet, situation singulière lorsque l'on prétend en faire un élément phare, transversal et symbole d'une politique de développement durable. Enfin, la Région Guadeloupe, se montre aujourd'hui réservée sur ce programme (voir 2.2), ce point étant crucial aux yeux des rapporteurs. La mission n'a pas l'impression que les dirigeants du PNG ou du projet aient pris toute la mesure de cet isolement et des effets délétères que celui-ci peut avoir sur sa poursuite. Elle considère surtout que le PNG se prive ainsi de soutiens et de conseils qui lui seraient très utiles pour mener à bien un programme de long terme complexe. Elle souhaite néanmoins rappeler qu'une recommandation avait été émise à la tutelle du PNG et à la DEAL Guadeloupe à l'occasion de « l'audit eau et biodiversité de la Guadeloupe » effectué par une équipe du CGEDD et du CGAER en 2015 (voir annexe 3), afin que celles-ci assurent, en lien avec le PNG, un suivi précis du programme pour une meilleure transparence de l'opération.
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2. Une prise de conscience partielle du parc national de la Guadeloupe confronté néanmoins à de nombreux défis
Soumis à une double crise après les échecs du Brésil et de Singapour, le PNG ne se décourage pas et travaille résolument à la poursuite du programme. La piste, désormais sérieuse, d'une fourniture d'animaux par le Mexique, le conduit néanmoins à une réorientation profonde du programme. La mission a pu constater qu'il y travaille assidûment depuis de longs mois. Elle considère néanmoins que son approche doit faire preuve de plus de rigueur et de prise de recul pour mieux appréhender l'ensemble des données (techniques, scientifiques, financières, de gouvernance, politiques, en termes de communication) d'une question devenue particulièrement sensible.
2.1. La nécessité de sortir d'une vision trop exclusivement techniciste du programme
Il apparaît de manière claire aux rapporteurs que le programme, dont les objectifs initiaux et sur la base desquels le projet a été validé, dépassent largement une « simple » opération de reconquête d'un fragment de biodiversité ou une simple expérimentation pilote de techniques de réintroduction. Tout se passe comme si les préoccupations techniques, effectivement essentielles dans ce type d'opération, dont les difficultés de maîtrise évoquées ci-dessus fragilisent le projet, avaient progressivement occulté toutes les autres dimensions de ce programme que les dirigeants du PNG ont d'abord présentée comme une vaste opération de développement durable avec toutes ses composantes socioéconomiques. L'exemple du choix du lieu d'implantation du (ou des 15) parc de pré-lâcher en mer illustre ce point. Un lieu réunit de nombreux avantages, mais est dépourvu d'arrivée d'eau douce naturelle pourtant indispensable à la vie du lamantin. C'est pourtant ce lieu qui est privilégié aujourd'hui en interne du PNG, la « solution » consistant à construire une adduction d'eau (d'environ 500 mètres de longueur) pour résoudre cette question. La mission ne peut que s'interroger sur l'acceptabilité d'une telle option au moment où de très nombreux guadeloupéens n'ont pas accès à une eau potable au robinet. Cette interrogation n'a pourtant pas été évoquée par les responsables du projet. Si le maximum doit être fait pour maîtriser le volet technique du projet, sans lequel il n'a aucune chance de réussite, les choix techniques ne peuvent cependant faire fi des autres conditions de succès du programme, surtout après les échecs précédents. Cette réflexion renvoie à la gouvernance du projet et aux modalités de prises de décision le concernant.
2.2. Le défi du financement du programme
Le PNG estime que le coût de l'opération sur la période 2010-2016 à environ 1,5 millions d'Euros. Il a reçu l'appui financier de l'État (DEB) à hauteur de 700 k (trois dotations exceptionnelles successives de 300, 100 et 300 k), du FEDER pour 700 k
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Plusieurs parcs de tailles différentes pourraient être imbriqués
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et de divers mécènes16 pour environ 300 k). Ces chiffres n'incluent pas les coûts de personnel du PNG financés via la subvention pour charges de service public qu'il reçoit de son ministère de tutelle. La poursuite du programme au-delà de 2016 a reposé sur l'octroi d'un financement important de la commission européenne au titre du programme LIFE, sur l'objectif d'une population viable d'une quinzaine d'individus fin 2020. Le programme LIFE Sirenia, dans son ensemble, est chiffré à près de 6 millions d' avec un financement prévisionnel à hauteur de 60 % par l'Europe, 24,6 % par le PNG, 8,5 % par le ministère en charge de l'environnement (subventions spécifiques, outre la subvention annuelle au PNG pour charges de service public), 4,4 % par la Région Guadeloupe et 2,5 % sous forme d'un mécénat avec SITA Espérance, filiale du groupe SUEZ. La mission tient à souligner la réussite remarquable du parc qui a su mobiliser ce financement très sollicité. Celui-ci a été accordé au seul PNG, alors que la pratique veut souvent que ce type de projet soit attribué à un groupement de partenaires. Cependant, à l'heure où le PNG travaille à la réorientation du programme, la question du financement de celui-ci dans le futur se pose à plusieurs niveaux. L'Europe d'abord : la Commission européenne17 conditionne l'acceptation de principe de la réorientation du programme 18, du renoncement19 à la phase d'élevage et l'éventuel octroi d'une extension d'un an de la durée du projet 20 à un ensemble de conditions exigeantes. Celles-ci portent sur la production d'un projet d'avenant technique et financier d'ici avril 2018, la certitude d'un engagement sur le long terme du Mexique dans le projet, la nécessité pour le PNG de présenter des « pistes fiables » de financements post-projet Sirenia, notamment de mécènes, et enfin la démonstration que le PNG est en mesure de nouer des partenariats, particulièrement pour la gestion du centre de soins et la reprise de l'élevage au-delà du terme du projet LIFE. Sur l'ensemble de ces points, à l'exception peut-être de l'engagement du Mexique, il apparaît à la mission que le PNG n'est pas prêt et ne pourra l'être dans le délai fixé, sur la base d'un projet solidement reconstruit, c'est-à-dire en partenariat et en concertation (voir partie 3). L'État bien sûr : il s'est engagé comme partenaire financier du projet LIFE Sirenia mais n'a pas encore commencé à verser sa contribution, situation inconfortable pour le PNG. Au-delà de ce financement et du versement des subventions exceptionnelles à l'établissement public, la question qui se pose ici est celle de l'importance de l'effort en temps de personnel (hors ceux financés par le projet LIFE) qui lui est consacré par le Parc relativement à l'ensemble des missions qui sont les siennes.
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Sita Suez, Zoo de Beauval, GMF, Fondation de France, Air France Relevé de conclusions de la réunion du 26/10/2017 par visioconférence sur l'avancement du projet Sirenia avec M. Agnelo Salsi, directeur de l'unité LIFE et éco-innovation de l'Executive agency for small and medium-sized enterprises (EASME), Mme Anita Fassio, responsable des projets LIFE EASME et Mme Mathilde Redon du bureau d'études Nem EEIG Oréade Brèche. Document PNG du 14 novembre 2017. Avec un nombre de lamantins réintroduits à l'issue du programme LIFE qui serait ramené à 5 individus au lieu de 15 initialement « au moins dans un premier temps » précision qui inquiète les rapporteurs à budget constant
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Les rapporteurs s'interrogent à ce propos lorsque le chef du service patrimoine du PNG leur indique avoir consacré près de 90 % de son temps à cette opération au cours des trois dernières années ! Les difficultés traversées expliquent sans doute en partie cette situation clairement anormale. Elles posent en réalité une double question, celle de l'organisation humaine du programme et de la fonction de chef de projet et celle de l'estimation, pour la période qui s'ouvre avec la réorientation, du temps qui y sera consacré par les différents personnels permanents du parc national, à court, moyen et long terme. Force est de constater qu'aucune estimation solidement étayée n'existe aujourd'hui. Les rapporteurs appellent le PNG comme sa tutelle à la plus grande vigilance en la matière, du fait notamment des objectifs gouvernementaux en termes d'emploi public. Ils invitent le PNG à produire une estimation détaillée et argumentée pour les dix années qui viennent afin de mesurer la compatibilité entre la poursuite du projet réorienté et l'accomplissement des missions fondamentales qui sont les siennes au titre du code de l'environnement. La Région Guadeloupe ensuite : celle-ci n'a pas versé au PNG les subventions qui avaient été promises dans le cadre du projet LIFE Sirenia. Si les changements de majorité et d'équipes qui sont intervenus suite aux élections régionales de décembre 2015 peuvent expliquer un retard en la matière, ce non-versement est aujourd'hui le révélateur d'un malaise vis-à-vis du projet du fait de ses échecs, mais aussi de sa pertinence même. L'entretien que les rapporteurs ont eu avec la vice-présidente de la Région Guadeloupe a permis de mettre en évidence ces interrogations, mais laisse la porte ouverte à l'échange sur un programme qui, en revenant à ses sources, pourrait devenir le projet de tout un territoire, la Guadeloupe. La légitimité du PNG pour le porter, très apprécié par ailleurs pour nombre des actions qu'il a conduites, pour le porter, ne semble aucunement remise en cause, mais il ne peut continuer à le faire dans l'isolement décrit plus haut. Ce point est d'autant plus crucial que la Commission européenne s'est montrée préoccupée par cette situation, tant pour des raisons financières qu'en termes d'acceptabilité politique du projet. Les rapporteurs considèrent qu'un dialogue, au niveau de la direction et de la présidence du PNG, doit être engagé sans tarder avec la Région Guadeloupe, le projet de réintroduction du lamantin ne pouvant raisonnablement pas se développer dans l'indifférence, ou sans lever les doutes de l'exécutif régional. Des mécènes ou sponsors enfin : là encore, le PNG, tout particulièrement son président, a fait de nombreux efforts pour réunir des financements complémentaires. Il est parvenu à mobiliser des sommes significatives (environ 20 % des sommes recueillies avant 2016), la mobilisation prévisionnelle, quoique déjà effective, est plus modeste sur le projet LIFE Sirenia (2,5 % des sommes prévues). Elle apparaît surtout très hypothétique à ce jour pour la suite du programme et la demande de précisions de la part de la Commission européenne en la matière (voir plus haut) n'est pas indifférente. Là encore, les échecs et la frilosité désormais de nombreux acteurs ne facilitent probablement pas la recherche de ce type de financements. La mission considère que l'obtention de mécénats pour la poursuite du programme est hypothétique et qu'elle est conditionnée à l'établissement d'un dossier solide qui montre que les enseignements des échecs passés ont été tirés, fondé sur une concertation effective et un partenariat élargi lui donnant une véritable assise politique seule à même de sécuriser d'éventuels sponsors.
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2.3. La longue mais, a priori, fructueuse négociation avec le Mexique
La mission souhaite revenir sur l'éventualité de la fourniture de lamantins par le Mexique, élément sans lequel le projet pourrait difficilement envisager de se poursuivre. Elle considère que le partenariat avec ce pays constitue en quelque sorte la « dernière chance » de succès du programme. Un rapporteur s'est rendu, comme demandé par la lettre de mission, au séminaire organisé par le PNG et les autorités mexicaines avec l'appui de l'Ambassade de France à Mexico. Ce séminaire a mis en évidence la qualité du travail accompli par le PNG depuis plusieurs années pour bâtir une relation solide avec ce pays. Il a pu le faire grâce à l'accompagnement régulier et aux conseils de notre ambassade dans ce pays. Les éléments positifs qui ressortent de cette réunion, au regard de la solidité du partenariat en construction et au-delà des aspects techniques et scientifiques abordés, peuvent être résumés en quelques points :
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La présence et participation active aux échanges pendant ces deux journées des autorités et personnes clefs pour le processus d'autorisation de l'exportation de lamantins21, en dérogation de la loi mexicaine 22 est encourageante. Celle de nombreux scientifiques issus de diverses institutions de recherche du pays a permis des échanges sur le fond et permet de prendre la mesure, partielle mais positive, de l'acceptabilité de l'opération au Mexique. Celle enfin de personnes représentant certaines des institutions privées détenant les lamantins23 et l'affirmation claire de l'acceptation d'en fournir pour le projet est également très positive.
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En définitive, le séminaire a permis aux autorités mexicaines de mieux mesurer l'acceptabilité, au Mexique, d'une opération d'envoi de lamantins en France et de contribuer à se prémunir ainsi de réactions négatives. Un autre point positif réside dans une des motivations exprimées par les autorités mexicaines lors du séminaire : celle de participer à un projet de conservation et de restauration de la biodiversité, à partir d'animaux nés en captivité, alors même qu'un projet de loi, émanant d'un parti « vert » mais non-inscrit à l'agenda parlementaire à ce jour, vise à interdire la reproduction en captivité d'espèces protégées. Enfin, les exigences d'ordres technique et scientifique visant à sécuriser le projet et permettre ainsi la dérogation d'exportation contribuent à le tirer vers le haut. Les autorités mexicaines ne souhaitent en effet pas prendre le risque que les animaux envoyés meurent, comme cela a été le cas pour Junior.
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Ministère de l'environnement (SEMARNAT), Autorité en charge de la biodiversité (CONABIO), autorité en charge des aires protégées (CONAMP), autorité en charge des forêts (CONAFOR), représentant du procureur de la république en charge des questions relatives à la faune sauvage, personnes au sein de ces institutions en charge de l'instruction des autorisations CITES. Selon des critères restrictifs dont celui de participer à un projet de conservation. S'agissant d'une espèce protégée, même détenue par des organismes privés (parcs d'attraction principalement), le lamantin reste la propriété de l'État mexicain.
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Plusieurs points de vigilance méritent en revanche d'être soulignés :
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Le Mexique, et tout particulièrement sa communauté scientifique, attendent des contreparties sous forme d'un cofinancement d'actions de coopération par le PNG qui pense pouvoir mobiliser un budget annuel de 50 k à cet effet. La liste présentée par le Mexique en première approche a de quoi inquiéter par son ampleur. De plus, certaines actions ne relèvent clairement pas d'une coopération bilatérale, voire sortent des possibilités légales de l'établissement public. Si les discussions ont en partie permis de clarifier le champ des possibles, il subsiste aux yeux de la mission beaucoup de flou et d'ambiguïtés à ce propos. Le PNG n'a pas été en mesure de les lever pendant le séminaire et s'expose à des désillusions potentielles de la partie mexicaine. L'intérêt du Mexique pour signer un accord au niveau ministériel avant l'élection présidentielle de juillet 2018 semble relever de plusieurs logiques : d'une part politique et diplomatique pour permettre au parti au pouvoir de mettre en avant un projet symbolique où le Mexique se projette vers les Caraïbes ; d'autre part de nature plus technique visant, soit à pouvoir envoyer les animaux dès 2018 avant l'entrée en fonction du nouveau gouvernement 24, soit à engager le futur gouvernement qui devrait tenir l'engagement international de son prédécesseur. Si le premier point est compréhensible, le second est plus douteux en termes de résultats, par exemple si des oppositions d'ONG venaient à se faire jour, ou pour toute autre cause de tension qui peut toujours surgir entre deux pays25 . Enfin, la nécessité de déroger à la loi mexicaine pour pouvoir exporter des lamantins et le processus politico-juridico-administratif que cela implique sont mal connus, y compris par les acteurs mexicains eux-mêmes compte tenu du peu de précédents26. Il faut donc être conscient du fait que la mise à disposition des animaux, en dépit de la bonne volonté affichée par les uns et les autres, risque de prendre plus de temps que prévu et peut in fine se heurter à des blocages imprévus.
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Pendant le séminaire, l'éventualité d'un appui de l'ambassade de France à Mexico a été évoquée, principalement dans le domaine scientifique. La mission souhaite attirer l'attention sur le fait que si un tel appui serait le bienvenu, il ne pourra que rester modeste au regard des besoins du projet et qu'il supposera la présence de scientifiques français aux côtés du PNG pour porter les actions correspondantes27. La mission ne peut qu'inciter le PNG a poursuivre, en lien avec l'ambassade de France à Mexico, ses efforts pour apporter à la partie mexicaine les précisions dont elle a besoin sur les conditions de mise en oeuvre d'un projet suffisamment sécurisé en Guadeloupe et à sortir de l'ambiguïté sur son volet de coopération.
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Qui n'interviendra qu'en toute fin 2018 Comme ce fut le cas avec « l'affaire Cassez » il y a quelques années, ce qui avait d'ailleurs conduit le PNG à suspendre, au début du projet, ses efforts de prospection d'une solution mexicaine. Nombre non connu de la mission qui a compris que ce type de processus était exceptionnel et sensible. Voir le programme ECOS Sud avec un appel à projets concurrentiel http://ctifranciamexico.com/index.php/fr/amorcage-de-collaborations/programme-ecos
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2.4. Des équipes mobilisées mais une organisation interne qui souffre de dysfonctionnements
Le PNG a conscience que son organisation actuelle relative au programme n'est pas optimale et qu'elle devra être profondément rénovée (voir 3.5), d'autant que M. Hervé Magnin, chef du service patrimoines28, et agent du PNG depuis une dizaine d'années, qui porte le projet avec un fort investissement, quittera son poste à la fin du mois de mars 2018 pour prendre de nouvelles responsabilités au sein de l'agence française pour la biodiversité (AFB) et quitte la Guadeloupe. Les rapporteurs retirent l'impression d'une trop forte personnalisation du projet autour de M. Magnin, au regard de ce qu'exigerait le management interne normal et les modalités de prise de décision au sein de l'établissement public. Les rapporteurs ont d'ailleurs pu se rendre compte au cours de leurs entretiens que le projet lui est fortement identifié, sans doute de manière excessive. Les rapporteurs ont été également surpris de constater qu'il existe au sein du PNG une fonction de « chef de projet » avec une fiche de poste très précise et très complète, conférant au détenteur de ce poste, sur le papier, un rôle très vaste. La mission a constaté que la personne qui a été recrutée en avril 2017, 29 peine à trouver sa place entre le chef du service patrimoines du parc, de facto responsable du projet, et l'équipe du centre de Blachon où se trouve le lamantin survivant de Singapour, Kaï. Elle n'exerce en réalité pratiquement aucune des fonctions qui sont incluses dans la fiche de poste, cette situation étant renforcée par la crise récemment traversée par le programme. Un chargé de mission a également été recruté il y a quatre mois comme « coordonnateur » du projet LIFE Sirenia. Son premier travail a été, comme recommandé par la mission d'audit du PNG en 201630, de remettre en ordre, en lien avec le secrétariat général mais sans y être rattaché, le suivi budgétaire du projet, élément important de sécurisation de celui-ci. Il aide également à une relation plus fluide entre l'équipe du centre de soins, la « cheffe de projet », le chef du service patrimoines et le secrétariat général. La partie émergente du programme, et seule visible aujourd'hui de l'extérieur, se situe au lieu-dit le Blachon sur la commune du Lamentin, en bordure du Grand Cul-de-Sac Marin. C'est là qu'a été creusé le bassin (en continuité avec la mer) où les deux lamantins de Singapour ont été accueillis, là que se situe la piscine d'eau douce où Kaï poursuit sa convalescence ainsi que les bureaux et ateliers où travaille l'équipe dédiée aux soins du seul Kaï pour l'instant. Le centre, pour pouvoir détenir de la faune sauvage, a bénéficié d'un arrêté préfectoral31 d'ouverture (après instruction de la direction de l'alimentation, l'agriculture et la forêt) dont est titulaire le PNG représenté par son directeur. Pour pouvoir ouvrir un tel centre, le PNG a dû également demander à l'un de ses agents de se former afin d'obtenir un « certificat de capacité ». Cette formation longue (six mois) a nécessité un
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Le « Service patrimoines », est l'un des services du PNG. La personne recrutée précédemment n'est restée que deux mois en poste. Voir Annexe 3. Cet arrêté ne permet pas la présentation des animaux au public, sauf sept jours par an au maximum.
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investissement en temps important de la part de l'agent concerné, agent technique de l'environnement (ATE), avec des déplacements de celui-ci au Brésil, aux USA, à Singapour, aux zoos de Vincennes et de Beauval... Il est important de comprendre que ce « capacitaire » porte une responsabilité réelle puisqu'il est le garant du bon fonctionnement du centre et du suivi adéquat des animaux. Il a obtenu son certificat sur la base de la présentation d'un plan d'entretien et d'élevage incluant des protocoles de suivi précis. Il peut aujourd'hui s'appuyer sur une vétérinaire également capacitaire, recrutée en contrat à durée déterminée (CDD) sur le projet, ainsi que sur les conseils d'un vétérinaire dit « référent » libéral32. Enfin, l'équipe du centre de Blachon comporte cinq soigneurs qui se relaient au chevet du seul Kaï aujourd'hui. Ceux-ci ont été embauchés sur des contrats aidés, mais la disparition de ce type de dispositif doit entraîner des changements de statuts des uns et des autres dans les semaines qui viennent. Les soigneurs sont responsables de la mise en oeuvre des protocoles de suivi des animaux (diverses prises de mesures, certains soins, nourrissage33, attention apportée à Kaï...). Certaines manipulations des lamantins dans le centre sont très délicates du fait notamment du poids de l'animal (environ 300 kg pour un adulte) et de ses manifestations de stress s'il se sent en danger. Elles peuvent nécessiter la mobilisation de nombreuses personnes pour que l'animal comme les intervenants soient en sécurité. L'absence d'engins de levage, dont l'acquisition est cependant prévue, rend par exemple sa pesée (élément important pour juger de la santé de l'animal) impossible aujourd'hui34. La même question se posera pendant la phase de suivi des animaux en parc de pré-lâcher si l'état de santé d'un lamantin exige de le reprendre pour le soigner. On se rend compte ici de la technicité et de la difficulté de ces manipulations appelées à se multiplier lorsque plusieurs animaux seront présents. De même l'organisation doit permettre de mobiliser sans délai un nombre important de personnes 24 heures sur 24 et 365 jours par an en cas de problème grave, ce que le statut des employés du PNG ne rend pas toujours aisé. Quel que soit l'avenir du projet, cette question est à la fois sensible et essentielle à prendre en compte. La mission a rencontré lors de son passage une situation de tension, manifestement créée par l'existence d'une ligne hiérarchique peu claire et des responsabilités mal définies entre le chef du service patrimoines, la « cheffe de projet », le responsable du centre capacitaire, la vétérinaire capacitaire et les soigneurs. Cette situation est une source importante de risques pour Kaï et pour le projet dans son ensemble si les protocoles de suivi ne sont pas rigoureusement respectés ou les conditions d'hygiène du centre non respectées.35 La mission ne peut que déplorer cette situation de flottement dans l'exercice des responsabilités. Celle-ci ne peut perdurer et ce, pour l'ensemble de l'équipe projet. Elle rappelle que le capacitaire engage sa responsabilité en cas de
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Ce dernier, vétérinaire de ville, n'est pas spécialisé sur les mammifères marins ; il conseille également l'Aquarium de Guadeloupe. Le régime alimentaire de Kaï est principalement constitué de grandes quantités de salade (des laitues au passage de la mission) et de croquettes qui servent à alimenter des singes en zoo) importées de Singapour. Le poids de l'animal peut néanmoins être estimé par mesure de diamètre à différents points (thorax, abdomen...). À titre d'exemple, la mission a pu constater le jour de sa visite, la présence dans le centre d'un chien appartenant à l'une des soigneuses, en violation de règles élémentaires en termes d'hygiène afférentes à un tel centre.
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dysfonctionnement du centre et de non-respect des conditions qui lui ont permis d'obtenir son certificat de capacité. Elle attire également l'attention du directeur du PNG sur sa propre responsabilité et sur l'obligation qui est la sienne, en tant que titulaire de l'arrêté d'ouverture du centre, de fournir les moyens et les pouvoirs de décision et de management nécessaires au responsable du centre capacitaire pour qu'il puisse remplir son rôle de façon optimale.
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3. Un programme qui doit se refonder méthodiquement pour retrouver quelques chances de réussite
La mission est préoccupée par la situation qu'elle a rencontrée pour ce programme ambitieux mais complexe. Après réflexion et analyse de la situation, il lui semble indispensable que ce projet soit véritablement refondé pour avoir une chance raisonnable de succès. Cela lui paraît faisable mais nécessite du temps, de la méthode et beaucoup de travail pour aller à terme vers un véritable projet de territoire impliquant réellement l'ensemble des acteurs concernés. S'agissant d'une opération qui agit sur le vivant, et sur laquelle on a beaucoup communiqué et a attiré l'attention, celle-ci porte en elle une force symbolique qui peut être aussi positive qu'elle pourrait attirer la critique. Il faut donc être suffisamment précautionneux pour lui donner une chance de réussite.
3.1. La priorité consiste à négocier un délai supplémentaire de l'Europe, le temps de refonder le programme d'ici fin 2018
La commission européenne est aujourd'hui le principal financeur de ce programme. Elle est donc incontournable dans le processus de refondation préconisé. Le PNG a commencé un travail important avec elle en octobre 2017 en expliquant l'état d'avancement du projet et une partie de ses difficultés. Cela lui a permis d'obtenir un délai de 6 mois jusqu'en avril 2018. Malgré les efforts et la mobilisation en cours, les rapporteurs considèrent que le parc n'est pas prêt et qu'il ne sera pas prêt à répondre aux exigences de la commission (voir 2.2), particulièrement en termes de concertation et de partenariat, en avril 2018. Il pourrait tenter de le faire, mais cela ne reposerait pas sur des bases suffisamment solides et fiables à tous points de vue (techniques, financières, scientifiques, politiques, de gouvernance et en termes d'organisation interne) et sur le long terme (voir 3.4). La première des priorités est donc la suivante : 1. Recommandation au PNG et à sa tutelle la DEB : se rapprocher sans délai de la SGAR Guadeloupe pour entamer une négociation avec la commission européenne visant à obtenir un délai supplémentaire nécessaire à une refondation du programme, dans de bonnes conditions, c'est-à-dire a minima jusqu'au 31 décembre 2018.
Il importe de se rappeler que la commission a d'ores-et-déjà envisagé la possibilité de donner une année additionnelle pour la mise en oeuvre du projet. Elle devrait donc pouvoir accepter le délai nécessaire à la préparation d'un avenant technique et financier au projet LIFE Sirenia en cours. Le travail important qui a été réalisé par le PNG, notamment avec le Mexique, pièce maîtresse mais non suffisante, devrait être de nature à la sécuriser.
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3.2. La signature avec le Mexique devrait être différée tant que le programme n'est pas sécurisé, soit jusqu'à début 2019
De même qu'il est nécessaire d'obtenir du temps pour refonder le projet, il paraît déraisonnable à la mission que la France signe un arrangement définitif avec le Mexique sur cette question avant que la refondation du projet soit sérieusement avancée. Le Mexique, à juste titre, est exigeant sur les conditions de succès du programme de réintroduction. Il ne souhaite en effet pas encourir de risques non contrôlés, notamment celui de voir mourir prématurément les lamantins qu'il enverra en France. Une telle hypothèse serait d'ailleurs dommageable pour nos relations bilatérales dans le domaine de l'environnement. Aucune des parties, Mexique, France et PNG n'a donc intérêt à négliger la sécurisation du programme aujourd'hui nécessaire. Ce programme et l'accord à conclure avec le Mexique s'inscrivent dans un temps suffisamment long pour qu'un nombre significatif de lamantins soient envoyés. À court terme, cela ne peut concerner que quelques animaux (sans doute entre deux et quatre) et des envois ultérieurs, forcément après les élections mexicaines de 2018 devront avoir lieu. Est-il, dans ces conditions, bien pertinent de se précipiter pour signer avec le gouvernement sortant ? Quoi qu'il en soit, les perspectives de coopération franco-mexicaine dans le champ environnemental sont nombreuses, particulièrement dans le domaine de la biodiversité et des espaces protégés, mais pas uniquement 36. Cette perspective est d'autant plus solide qu'une similitude de vues et d'approches existe entre nos deux pays sur ces questions. Il n'y a aucune raison que cette situation évolue fondamentalement avec le changement de gouvernement mexicain. Enfin, rappelons-nous que fin 2013, les mêmes arguments d'urgence électorale ont été avancés par rapport au Brésil37, avec le succès que l'on sait. Du point de vue de la mission, la seconde priorité est la suivante : 2. Recommandation à la DEB, en lien avec le PNG et la DAEI : faire rapidement le nécessaire pour que l'ambassade de France à Mexico confirme à la partie mexicaine le souhait de la France de signer un accord sur la fourniture de lamantins, mais qu'elle a besoin de temps pour que les conditions de réussite optimales du programme en Guadeloupe soient réunies, avec un objectif de signature début 2019.
Le délai sera mis à profit pour approfondir la relation avec le Mexique au niveau technique et scientifique et pour préciser les champs de coopération qui accompagneront le projet et les moyens financiers nécessaires.
36
En atteste la note diplomatique du 09/02/2018 relative au déplacement à Mexico de M. Olivier Robinet, sous-directeur des échanges internationaux au ministère de la transition écologique et solidaire (Mexico, 28-31 janvier 2018) à laquelle la mission a eu accès. Projet de réintroduction du lamantin des Antilles (Trichechus manatus manatus) dans la baie du Grand Cul-de-Sac Marin - Note de synthèse - PNG - (non datée).
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3.3. La refondation du programme passe par une gouvernance pensée en associant étroitement la Région, avec pour objectif d'en faire un projet de la Guadeloupe toute entière
Il n'appartient pas à la mission de dire ce que doit être le programme refondé, tant celui-ci doit être co-construit par le PNG, acteur incontournable de la biodiversité en Guadeloupe et reconnu en tant que tel, avec les principaux acteurs concernés. Parmi ceux-ci figurent au premier chef la Région Guadeloupe dont on voit les réticences actuelles (cf 2.2) mais aussi la possible ouverture, sur la base d'une gouvernance élargie aux autres acteurs concernés par le projet et avec lesquels le PNG a déjà communiqué et discuté par le passé, à commencer par les pêcheurs professionnels, les plaisanciers et les acteurs du tourisme. Il semble à la mission que l'agence française pour la biodiversité devrait être partie prenante de ce processus à plusieurs titres : celui du travail qu'elle conduit avec la Région pour la création d'une agence régionale pour la biodiversité (ARB) 38, celui de son action dans les Antilles via le sanctuaire AGOA ou la parc naturel marin de Martinique. Les rapporteurs souhaitent insister sur le fait qu'il ne s'agit pas d'une simple opération d'information renouvelée mais bien d'une véritable concertation qui est aujourd'hui nécessaire pour conforter le programme. Il s'agit d'un processus qui ne peut s'envisager que sur plusieurs mois. Le contexte est favorable dans la mesure où il y eu une large communication assurée par le PNG il y a quelques années et où le récent sondage IPSOS montre une image qui reste très majoritairement positive sur le projet. La mission fait la recommandation suivante, aussi urgente que les deux premières : 3. Recommandation au DGALN : demander au préfet de Guadeloupe de mettre en place à court terme un comité d'orientation de haut niveau réunissant l'État, la Région, le PNG et l'Agence française pour la biodiversité, avec pour objectif d'ici juin 2018, de tracer la feuille de route permettant d'aboutir à une refondation du programme avant la fin de l'année 2018. La mission suggère par ailleurs que ce comité étudie les conséquences qu'induirait l'hypothèse d'un arrêt du projet compte-tenu de ses antécédents. Du côté de l'Europe, le risque est principalement financier, le PNG pouvant être amené à rembourser tout ou partie des fonds reçus (700 000 au titre du programme FEDER et environ 1 500 k correspondant à l'avance perçue de 40 % au titre du projet LIFE Sirenia) auxquelles pourraient éventuellement se rajouter des pénalités difficiles à chiffrer à ce stade. Le risque ne se limite évidemment pas à cette seule addition, les dommages en termes d'image de l'État, du PNG et de la Région (initialement associée à l'opération mais qui n'a pas versé à ce stade les sommes promises) n'étant forcément pas neutres.
38
Comme le permet la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages de 2016.
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Il faut également apprécier le fait qu'une action trop précipitée, mais qui échouerait, aurait un coût bien supérieur. Enfin, l'arrêt du programme est une hypothèse à envisager, la communication portant alors sur les raisons de la prudence collective.
3.4. La refondation du programme doit être bâtie sur le long terme et chiffrée en conséquence, sans sous-estimer l'ensemble des risques afférents à sa poursuite
La mission estime que trop d'incertitudes (techniques, financières, de gouvernance, d'organisation interne) pèsent aujourd'hui sur la poursuite du projet et que celles-ci ne pourront être levées à très court terme. Elle considère que le parc national, promoteur de cette opération depuis le début, doit en rester le principal porteur39, tout particulièrement si le programme refondé revient à ses sources, celles d'un projet de développement durable du territoire, en partenariat et concerté, assis sur une action de reconquête de la biodiversité. Cela suppose de s'éloigner d'une vision exclusivement technico-scientifique40 de celui-ci et d'exclure certaines options comme l'élevage (sauf le cas échéant en l'externalisant), qui sortent clairement du champ de compétences de l'établissement public. Le comité d'orientation dont la création rapide est recommandée par la mission (voir 3.3), a vocation, le cas échéant en s'élargissant, à se transformer en comité de pilotage du programme pour sa refondation. Il devra alors tout particulièrement apprécier les conditions de la poursuite du programme, sur la base des évaluations de son coût, de son suivi sur le terme forcément long dans lequel il s'inscrit et des risques d'échec afférents. En effet, l'estimation sur le long terme des moyens nécessaires au programme, pourtant essentielle, n'a clairement pas été faite avec précision pour l'instant. La mission rappelle que le coût du projet était initialement chiffré à 2,8 millions d'Euros (voir 1.1). Le PNG estime y avoir consacré 1,5 millions d'Euros entre 2010 et 2016 (voir 2.2). Selon lui, le programme LIFE Sirenia, dont le budget prévisionnel atteint près de 6 millions d'Euros, ne permettrait dans l'état actuel des choses de ne réintroduire que 2 à 4 lamantins issus du Mexique. On est loin des 15 individus minimum jugés nécessaires par diverses études pour avoir une chance raisonnable d'installer une population viable, avec en outre le risque que des individus réintroduits quittent la Guadeloupe. Après un quasi triplement du budget initial, les décideurs sont donc dans le flou le plus total sur le coût à venir du programme. Le temps nécessaire pour la refondation devra donc être mis à profit pour une évaluation exhaustive incluant le temps (voir 2.2) et les coûts des personnels du PNG mobilisés sur cette opération. L'intérêt d'une large concertation, impliquant notamment les professionnels de la mer (pêcheurs, opérateurs touristiques) ou les usagers (plaisanciers), sera de s'assurer que les conditions sont réunies pour une sécurisation raisonnable du programme, c'est-à-dire de la survie des animaux jusqu'à l'établissement d'une population de lamantins viable. Le risque de dérangement des individus par une surfréquentation
39
On voit d'ailleurs mal aujourd'hui qui pourrait le reprendre à son compte. Si le caractère pionnier du programme est indéniable, le présenter comme un projet « pilote » ou « expérimental » uniquement n'est pas forcément souhaitable de ce point de vue.
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nautique peut perturber la dynamique démographique souhaitée. Le travail entrepris par le PNG au début des années 2010 devrait être amplifié. Il importe, après la période de crise traversée, de le reprendre parce qu'il s'agit d'un des facteurs clefs de succès de l'opération dans son ensemble. Les services de l'État appelés à délivrer des autorisations (CITES, espèces captives, loi sur l'eau potentiellement... ) après la période de refondation, devront également être associés à cette démarche. Cela facilitera l'action du parc qui devra veiller à anticiper les délais incontournables, parfois de plusieurs mois, pour l'obtention de celles-ci. Dans le même état d'esprit, il pourrait être envisagé d'intégrer dans le futur comité de pilotage du programme une personnalité représentant les associations naturalistes guadeloupéennes. Le programme refondé ne devra pas omettre de présenter et chiffrer avec précision les actions jugées indispensables pour l'amélioration de la qualité des eaux dans le secteur du Grand Cul-de-Sac Marin et pour minimiser les risques de dérangement, blessure ou capture non voulue des lamantins. De même, le choix du lieu le plus approprié pour l'installation du parc de pré-lâcher devra y être argumenté et chiffré. 4. Recommandation au DGALN : demander au préfet de la Guadeloupe de transformer le cas échéant le comité d'orientation, sur la base des conclusions de son travail initial d'ici juin 2018 et en l'élargissant, en un comité de pilotage avec pour objectif de proposer, d'ici fin 2018, un programme refondé, incluant une analyse des risques de celui-ci et un chiffrage de sa mise en oeuvre sur le court, moyen et long terme. Enfin, sur le plan scientifique et technique, comme cela a été abordé dans ce rapport (voir 1.5), il est essentiel là aussi de revenir à certains fondamentaux. Il s'agit d'une part de s'assurer que le programme est en cohérence avec les lignes directrices sur la réintroduction des espèces établies par l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), d'autre part d'élargir, sans l'alourdir, le comité d'experts internationaux à des scientifiques français et à un expert de l'UICN afin d'avoir une vision des enjeux en cause plus élargie que celle des seuls spécialistes du lamantin. 5. Recommandation au PNG : élargir le comité d'experts internationaux sans l'alourdir inutilement, à deux ou trois personnes supplémentaires, un membre français du conseil scientifique du PNG, un expert de l'Union internationale pour la conservation de la nature et un membre du Museum national d'histoire naturelle par exemple, en veillant à la présence de spécialistes des questions de réintroductions d'espèces, d'interaction espèce/milieu ou de dynamique des populations.
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3.5. Le PNG doit adopter une organisation transitoire du programme pendant le processus de refondation, avant de l'adapter en fonction des résultats de celle-ci
Comme cela a été décrit en 2.4, l'organisation interne du PNG relative au programme souffre de dysfonctionnements nuisibles à son bon déroulement et à la conduite de celui-ci. La mission est consciente que ces problèmes ont été exacerbés par les difficultés traversées. Elle pense également que certaines de ces difficultés auraient sans doute pu être évitées avec une organisation différente, une chaîne de décision plus clairement établie et une implication beaucoup plus étroite des deux instances que sont le conseil scientifique du parc et son conseil économique, social et culturel. Un travail de réflexion interne et transversal entre services a déjà été entrepris depuis quelques semaines, montrant que le PNG a conscience de certaines de ces faiblesses et qu'il cherche à les réduire. Ce travail est conduit sous la houlette de la directrice adjointe du PNG, Mme Mylène Musquet. Tout en rappelant la responsabilité in fine du directeur du parc pour toutes les actions conduites par l'établissement qu'il dirige, la mission conseille que la directrice adjointe du parc soit nommée « responsable du programme » par intérim. À ce titre, elle devrait assurer sa direction, sa coordination et sa représentation sous tous ses aspects. La mission considère prioritaire le rétablissement d'une ligne hiérarchique claire vis-à-vis du centre de Blachon et l'établissement d'un lien direct entre la directrice adjointe et l'actuel responsable du centre. Il importe également de re-légitimer la fonction de ce dernier afin de s'assurer que celui-ci dispose des pouvoirs nécessaires à l'exercice des responsabilités que sa qualité de capacitaire implique. La mission suggère en outre que la secrétaire générale du parc s'appuie, pendant cette période d'intérim, tout particulièrement sur le service patrimoines et sur le pôle mer du PNG, ce dernier étant appelé à jouer un rôle croissant dans la mise en oeuvre du programme. Elle déconseille pendant la période transitoire, que la responsabilité du programme soit confiée à l'un de ces deux chefs de service, le projet devant garder, ou retrouver, le caractère transversal qui aurait dû être le sien. Au terme de la période de refondation préconisée par les rapporteurs et en fonction des orientations qui seront alors prises, le PNG adaptera son organisation en conséquence. Selon toute vraisemblance, cela nécessitera le recrutement d'une personne disposant d'une expérience suffisante pour diriger un programme ambitieux et complexe. Enfin, la mission juge utile qu'en lien avec le directeur de l'établissement, la responsable par intérim du programme se rapproche de la présidente du conseil scientifique et du président du conseil économique, social et culturel pour établir des relations plus étroites et plus confiantes avec ces deux institutions et puisse, le cas échéant, s'appuyer sur leurs compétences internes.
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En résumé la mission fait la recommandation suivante : 6. Recommandation au directeur du PNG : à très court terme nommer la directrice adjointe du parc national, responsable par intérim du programme jusqu'à l'aboutissement de la refondation, avec pour objectif de le diriger et le représenter dans toutes ses dimensions.
3.6. La question de l'avenir de Kaï
Quel que soit l'avenir du programme, la question de l'avenir de Kaï se pose et ne doit pas être négligée. Le PNG n'a pas vocation à détenir des animaux en captivité. Si toutes les précautions sont prises aujourd'hui pour que la santé de Kaï s'améliore, on ne peut imaginer de le conserver toute sa vie dans la piscine du centre de Blachon. La question qui se pose est de savoir si Kaï a des chances de pouvoir s'adapter au milieu naturel, ce qui permettrait, en prenant toutes les précautions et en s'entourant des compétences nécessaires, de le relâcher dans le Grand Cul-de-Sac Marin. Si une telle solution n'était pas envisageable, il importerait de lui trouver un lieu d'accueil, dans l'idéal en Guadeloupe, comme, par exemple au sein de l'Aquarium de Guadeloupe41. La mission a compris que les relations entre le parc national et l'Aquarium de Guadeloupe vis-à vis du projet lamantins n'ont pas été toujours faciles, mais cette piste devrait être explorée. Si aucune solution n'est possible en Guadeloupe, il conviendra alors de lui trouver un autre lieu d'accueil ailleurs en France ou à l'étranger. Dans tous les cas, cela entraînera des coûts supplémentaires qu'il faut intégrer dans le chiffrage du programme refondé ou dans le solde du projet actuel si celui-ci venait à être abandonné. La mission souhaite attirer l'attention sur l'importance de la question, s'agissant d'un être vivant dont le bien-être doit être assuré au mieux et compte tenu de la charge symbolique dont celui-ci est porteur. 7. Recommandation au PNG : étudier rapidement et avec toute l'importance nécessaire l'avenir du lamantin Kaï, importé de Singapour, son maintien au centre de Blachon ne pouvant être que provisoire.
41
Établissement privé situé à Pointe-à-Pitre
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Conclusion
Les rapporteurs ont découvert un projet dont la situation actuelle est problématique et dont la tutelle a pris très tardivement la mesure. Ils considèrent que celui-ci ne peut être poursuivi qu'au prix d'une véritable refondation qui demandera du temps, beaucoup d'engagement, un effort de concertation et de co-construction important et très probablement des moyens financiers et humains supplémentaires conséquents dans une époque où les priorités doivent être plus que jamais clairement hiérarchisées. Il ne peut donc pas s'agir d'un travail solitaire du PNG qui doit mettre à profit cette phase pour retisser des liens avec les acteurs du territoire qui se sont distendus, sur cette question, au cours des dernières années. Cette étape devra amener la tutelle à préciser ses priorités et les orientations qu'elle souhaite pour ce programme. La mission souhaite enfin attirer l'attention sur l'importance, au cours de ce travail de refondation, de ne pas « faire rêver » au-delà du raisonnable ou du beau symbole que constituerait la présence, à nouveau, de ce sirénien dans les eaux guadeloupéennes. Elle considère notamment que les perspectives de développement touristique, autour d'un animal qui restera difficile à observer en liberté, compte tenu des milieux qu'il fréquente, sont sujettes à caution tout particulièrement à court et moyen terme.
Fabienne ALLAG-DHUISME
Thierry BOISSEAUX
Ingénieure en chef des ponts, des eaux et des forêts
Ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts
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Annexes
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1. Lettre de mission
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2. Liste des personnes rencontrées
(Rq : en cas d'entretiens multiples, n'est mentionnée que la première date de rencontre)
Nom Anselme Barbosa Bastaraud Bioteau Bouveret* Boyer Buisson Prénom Maurice Valérie Juliette Virginie Laurent JeanFrançois Bernard Organisme Parc national de la Guadeloupe Ambassade de France à Mexico Parc national de la Guadeloupe Ambassade de France à Mexico Observatoire des mammifères marins de l'archipel guadeloupéen Direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement de la Guadeloupe Ministère de l'environnement, de l'énergie et de la mer CGEDD Fonction Directeur Attachée pour la science et la technologie Soigneuse au centre de soins de Blachon Conseillère pour les enjeux globaux Président Directeur Date 05/02/2018 29/02/2018 03/02/2018 29/01/18 07/02/2018 06/02/2018
Chef de la MIGT Outre-Mer 25/02/2018 Coordonnateur de la mission d'audit 2016 du PNG 06/02/2018 07/02/2018 03/02/2018 03/02/2018 19/01/2018 03/02/2018 06/02/2018
Chemel Dancoisne Delloue Dia Duteil Evva Faucher Faucher Ferdinand Foy Garnier Girou Gobert Godoc Gustave-ditDuflo Julliot Kermorgant Le-Bonnec Leblond
Anne Jérôme Xavier Maeva Agnès Jolt Vincent Pascale Xavier Yannick Sabine Denis Sarah Philippe Sylvie Catherine Pol Aurore Gilles
Direction de l'alimentation, de Cheffe du pôle santé, l'agriculture et de la forêt de Guadeloupe protection animale et environnement Région Guadeloupe Chef de service environnement, déchets Parc national de la Guadeloupe Chef du pôle milieux marins Parc national de la Guadeloupe Soigneuse au centre de soins de Blachon Ministère de l'environnement, de Cheffe du bureau des parcs l'énergie et de la mer DEB nationaux à la DEB Vétérinaire libéral Vétérinaire référent du centre de soin de Blachon Direction de l'alimentation, de Directeur l'agriculture et de la forêt de Guadeloupe Direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement de la Guadeloupe Parc national de la Guadeloupe Parc national de la Guadeloupe Sanctuaire Agoa Agence française pour la Biodiversité membre de l'association Établissement public foncier et d'aménagement de la Guyane Parc national de la Guadeloupe Aquarium de Guadeloupe Région Guadeloupe
Cheffe du service ressources 06/02/2018 naturelles Coordination du projet LIFE 05/02/2018 Sirénia Agent du pôle milieux marins 03/02/2018 (pêcheur professionnel en CDD court au PNG) Représentante du sanctuaire 05/02/2018 en Guadeloupe Directeur (ex-directeur du PNG du 2006 à 20013) Cheffe de projet « réintroduction du Lamantin » Directeur 8ème Vice-Présidente 31/01/2018 30/01/2018 06/02/2018 07/02/2018 19/01/2018 06/02/2018 06/02/2018 07/02/2018
Ministère de l'environnement, de Chargée de mission au l'énergie et de la mer DEB bureau des parcs nationaux Direction de l'alimentation, de Directeur adjoint l'agriculture et de la forêt de Guadeloupe Secrétariat général pour les affaires régionales Conseil scientifique régional du patrimoine naturel Secrétaire générale Président
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Louisy Magnin Maire Mathieu Musquet Pavis
Ferdy Hervé Eric Héloîse
Parc national de la Guadeloupe
Raulet Rives Robinet Rozniewska Saha
Parc national de la Guadeloupe Préfecture de la Guadeloupe Comité régional des pêches maritimes et des élevages marins des Îles de Guadeloupe Mylène Parc national de la Guadeloupe Directrice adjointe Claudie INRA Guadeloupe Parc national de la Présidente du conseil Guadeloupe Association AEVA scientifique du parc national, membre et ex-présidente d'AEVA Cheffe de la mission Oriane Direction de la mer de la Guadeloupe coordination des politiques publiques maritimes Sébastien Parc national de la Guadeloupe Responsable du centre de soins de Blachon Olivier Ministère de l'environnement, de Sous-directeur des échanges l'énergie et de la mer DAEI internationaux Natalia Parc national de la Guadeloupe Vétérinaire au centre de soin de Blachon Widgy Biologiste marin Comité régional des pêches
Président du conseil d'administration Chef du service patrimoines Préfet Biologiste marin
14/02/2018 29/01/2018 06/02/2018 07/02/2018 30/01/2018 05/02/2018
05/02/2018 03/02/2018 24/01/18 03/02/2018 07/02/2018
maritimes et des élevages marins des Îles de Guadeloupe
Sheikboudhou Carole Vacher Vaslin Wintergerst JeanJoinville Jean-Luc Jacques Parc national de la Guadeloupe Ambassade de France à Mexico Direction de la mer de la Guadeloupe Ministère de l'environnement, de l'énergie et de la mer DEB Secrétaire générale Conseiller adjoint de coopération et d'action culturelle Directeur Adjoint au sous-directeur de la protection et de la restauration des écosystèmes terrestres 07/02/2018 29/01/18 05/02/2018 14/02/2018
* : entretien téléphonique Ne sont pas mentionnées dans cette liste les personnalités mexicaines rencontrées lors du séminaire des 30 et 31 janvier à Mexico.
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3. Extraits de deux audits récents du CGEDD
Extrait de l' « Audit des politiques publiques de l'eau et de la biodiversité en Gaudeloupe » - CGEDD/CGAER - réalisé en 2015, publié en Mars 2016
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Extrait de l' « Audit du parc national de la Guadeloupe » - CGEDD - Réalisé en 2016 - publié en Janvier 2017
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4. Glossaire des sigles et acronymes
Acronyme AFB ATE CA CARSPAW CDD CESC CGAER CGEDD CITES CONABIO CONAFOR CONANP CS DAEI DEAL DEB DGALN DIREN EASME EPPNG ETP FEDER LIFE
Signification Agence française pour la biodiversité Agent technique de l'environnement Conseil d'administration (du PNG) Centre d'activité régional du protocole pour les espèces sauvages spécialement protégées Contrat à durée déterminée Conseil économique, social et culturel (du PNG) Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux Conseil général de l'environnement et du développement durable Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction Comisión nacional para el conocimiento y uso de la biodiversidad - Mexique Comisión nacional de forestal - Mexique Comisión nacional de áreas naturales protegidas - Mexique Conseil scientifique (du PNG) Direction des affaires européennes et internationales Direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement Direction de l'eau et de la biodiversité Direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature Direction régionale de l'environnement Executive agency for small and medium-sized enterprises Établissement public du parc national de la Guadeloupe Équivalent temps plein Fonds européen de développement régional Instrument financier de l'Union Européenne pour l'environnement et le climat
LIFE SIRENIA Nom du projet de réintroduction du lamantin financé au titre du programme LIFE de l'Union Européenne MEEM Ministère de l'environnement, de l'énergie et de la mer MNHN Museum national d'histoire naturelle MTES Ministère de la transition écologique et solidaire ONG Organisation non gouvernementale PNG Parc national de la Guadeloupe PNUE Programme des nations unies pour l'environnement SEMARNAT Secretaría de medio ambiente y recursos naturales - Mexique SGAR Secrétariat général pour les affaires régionales SPAW Specially protected areas and wildlife UICN Union internationale pour la conservation de la nature
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http://www.developpement-durable.gouv.fr/
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