Freins au développement de la méthanisation dans le secteur agricole.
ROUSSEL, Pierre ;ROUSSEL, François
Auteur moral
France. Conseil général de l'environnement et du développement durable
;France. Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux
Auteur secondaire
Résumé
<div style="text-align: justify;">Plusieurs missions conjointes ont permis de dresser un premier bilan sur le développement de la méthanisation à la ferme. Le constat est que l'essor de la filière n'a pas été à la hauteur des espérances. Le rapport fait un point de situation sur les freins au développement de la filière et propose des solutions expérimentales. Les textes réglementaires et les tarifs ont été modernisés récemment et ne constituent pas un obstacle au développement de la méthanisation agricole. Les progrès sont plutôt attendus dans la mise en oeuvre des textes. Le frein principal au développement massif de la méthanisation agricole est le refus des cultures énergétiques à titre principal, une question de doctrine qu'il est nécessaire de prendre en compte. Dès lors, le coeur du sujet se trouve dans l'utilisation et la valorisation des digestats. Un rapport spécifique du CGAAER va être consacré à ce sujet. La mission souligne que le statut de déchet des digestats en pénalise fortement l'utilisation. Leur normalisation est une démarche trop lourde pour être mise efficacement en pratique. La voie de l'homologation groupée est à poursuivre. Un point de vigilance doit être fait dans le domaine du jeu d'acteurs, de taille et d'intérêts très différents ; les agriculteurs méthaniseurs, ou candidats à la méthanisation ayant de ce fait intérêt à ne pas rester isolés les uns des autres.</div>
Editeur
CGEDD
;CGAAER
Descripteur Urbamet
développement
;énergie renouvelable
;recyclage
;déchet
;activité agricole
;cadre juridique
;concurrence
Descripteur écoplanete
méthanisation
Thème
Ressources - Nuisances
Texte intégral
MINISTÈRE DE L'ÉCOLOGIE, DU DÉVELOPPEMENT DURABLE ET DE L'ÉNERGIE
MINISTÈRE DE L'AGRICULTURE, DE L'AGROALIMENTAIRE ET DE LA FORÊT
Conseil général de l'environnement et du développement durable
Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux
CGEDD N°008169-01
CGAAER N° 12025
RAPPORT
Freins au développement de la méthanisation dans le secteur agricole
établi par
Pierre ROUSSEL
Ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts
François ROUSSEL
Inspecteur général de l'agriculture
Novembre 2012
1
Sommaire
Mots-clés...................................................................................................................................3 Résumé .....................................................................................................................................3 Introduction ..............................................................................................................................4 1/ Cadre législatif et règlementaire, mise en oeuvre..............................................................5 2/ La méthanisation agricole est dans un environnement concurrenciel ...........................8 3/ Les débouchés locaux.........................................................................................................10 3.1 - Chaleur et énergie ...........................................................................................................10 3.2 - Digestat : le syndicalisme agricole est divisé sur ce sujet ...............................................12 4/ Le Grenelle 2 va entraîner une croissance prévisible de la filière ...................................13 5/ Les cultures énergétiques ...................................................................................................14 6/ La recherche et le développement......................................................................................15 7/ Conclusion et recommandations........................................................................................16 Annexe 1 - Lettre de mission ..................................................................................................18 Annexe 2 - Ordre de service....................................................................................................20 Annexe 3 - Liste des personnes rencontrées ........................................................................21 Annexe 4 - Lettre de la Chambre d'Agriculture des Côtes d'Armor.....................................22 Annexe 5 - Délibérations de la Chambre d'agriculture des Côte d'Armor..........................24 Annexe 6 - Note actualisée sur les biodéchets septembre 2012........................................28 Annexe 7 - Liste des sigles utilisés ........................................................................................34
2
Mots-clés :
biogaz - méthanisation - agricole
Résumé
Plusieurs missions menées par les ministères de l'agriculture et de l'écologie ont permis de dresser un premier bilan sur le développement de la méthanisation à la ferme. Le constat est que l'essor de la filière n'a pas été à la hauteur des espérances. La mission s'est donc appliquée à faire un point de situation sur les freins au développement de la filière soulignés par les missions précédentes, et proposer des solutions, qui pourraient être au départ expérimentales. Les textes réglementaires et les tarifs ont été modernisés récemment et ne constituent pas un frein au développement de la méthanisation agricole, même si certains points mériteraient d'être revus. Aussi, du point de vue administratif, les progrès sont plutôt attendus dans la mise en oeuvre des textes. Sur le fond, le frein principal au développement massif de la méthanisation agricole est certainement le refus des cultures énergétiques à titre principal. Il s'agit là d'une question de doctrine qu'il n'appartient pas à la mission de trancher. Il est toutefois nécessaire de le prendre en compte : pour cette raison, la méthanisation à la ferme n'atteindra pas le développement qu'elle connaît par exemple en Allemagne. Dès lors, le coeur du sujet se trouve alors dans l'utilisation et la valorisation des digestats. Un rapport spécifique du CGAAER va être consacré à ce sujet. Nous noterons simplement que le statut de déchet des digestats en pénalise fortement l'utilisation. La normalisation de ces digestats est dans doute une démarche trop lourde pour être mise efficacement en pratique. La voie de l'homologation groupée est sans doute la voie à poursuivre. Enfin, un point de vigilance doit être fait dans le domaine du jeu d'acteurs, de taille et d'intérêts très différents. Ceci milite pour que les agriculteurs méthaniseurs, ou candidats à la méthanisation, ne restent pas isolés les uns des autres.
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Introduction
Assurément la méthanisation dans le secteur agricole est séduisante. Un procédé qui, à partir d'effluents d'élevage, auxquels on ajoute des déchets divers et variés, produit de l'électricité, de la chaleur, mais aussi des matières résiduelles au pouvoir fertilisant a retenu la bienveillante attention des ministères de l'agriculture et de l'environnement. De plus les installations de méthanisation ont un bilan économique et écologique intéressant ce qui a incité les pouvoirs publics à soutenir financièrement la filière dans sa phase de démarrage. Plusieurs missions menées par les ministères de l'agriculture* et de l'environnement ont permis de dresser un premier bilan sur le développement de la méthanisation à la ferme. Le constat est que l'essor de la filière n'a pas été à la hauteur des espoirs des porteurs de projet et des ministères impliqués sur le sujet. Avec quelques dizaines d'unités qui fonctionnent, dont certaines à l'équilibre financier fragile, on est loin des milliers d'unités du parc allemand. Ce dernier a certes démarré plus tôt, mais est aussi plus rémunérateur et bénéficie semble t'il d'un cadre règlementaire moins contraignant pour les digestats. La mission s'est rendue dans deux régions représentatives des problématiques liées à la méthanisation dans le secteur agricole : l'Alsace et la Bretagne. La mission s'est donc appliquée à faire un point de situation sur les freins au développement de la filière, soulignés par les missions précédentes et proposer des solutions qui pourraient être au départ expérimentales afin de vérifier leur pertinence, avant de devenir éventuellement des solutions durables.
* En particulier : - Rapport "Analyse des projets de méthanisation en agriculture, suivi des projets de méthanisation financés par les appels à projets 2009 et 2010", établi par Jean Jaujay, Philippe Balny, Didier Richard et François Roussel (juin 2011). - Rapport "Performance énergétique des exploitations agricoles, Appel à projet de méthanisation en agriculture, Analyse, évaluation, recommandations établi par Jean Jaujay, Claude Roy. (avril 2010). - Rapport "Evaluation des conditions de développement d'une filière méthanisation "à la ferme" des effluents d'élevage, établi par Alain Féménias, Michel Bouvier, Philippe Balny, Jean Jaujay. (2008).
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1/ Cadre législatif et règlementaire, mise en oeuvre Ce cadre a été modernisé récemment, et même s'il est certainement encore perfectible1, il n'apparaît pas qu'il constitue, en soi, un obstacle au développement de la méthanisation. En revanche, des progrès portant sur la mise en oeuvre de cette réglementation sont sans doute possibles. Ainsi, en ce qui concerne le tarif de rachat lors de l'augmentation de puissance d'une installation existante, ou la valorisation de la chaleur, on ne peut que souscrire aux recommandations qui avaient été faites dans le rapport Jaujay, Balny, Richard, Roussel, où était précisé : "l'exclusion de la chaleur substituée à une consommation électrique est particulièrement mal comprise par les porteurs de projets, elle est défendue par l'administration de tutelle au motif que cette substitution très rentable n'a pas besoin d'être aidée. Cette approche est discutable et fragile car elle laisse entendre que l'électricité doit être traitée différemment que les énergies fossiles." Recommandation n° 8 : "A défaut de subventions, le tarif de rachat de l'électricité devrait à nouveau être revalorisé, en recherchant une harmonisation avec le tarif allemand, notamment sur les conditions de la valorisation de la chaleur qui sont en France trop restrictives, s'agissant de la non prise en compte de la chaleur de procès et de l'exclusion de la chaleur se substituant à une consommation électrique. La modification par voie d'avenant des coefficients relatifs à l'efficacité énergétique et au traitement des effluents devrait, par ailleurs, être étudiée. Un groupe de travail franco-allemand devrait être réuni afin de rapprocher les politiques." Par ailleurs, s'il est sans doute difficile de mettre en place des guichets uniques gérant tous les aspects de la procédure, des points d'entrée uniques pour les pétitionnaires seraient déjà une amélioration appréciée. Enfin, un rapport spécifique à la mise sur le marché des digestats issus de méthanisation, qui est certainement au coeur de la question du développement de cette technique, est actuellement en cours de rédaction. Aujourd'hui ce sont les articles L 255-1 à L 255-11 du CRPM qui encadrent l'utilisation des déchets provenant de la biomasse. On distingue d'une part, les matières fertilisantes (MF) qui ont des effets positifs pour les végétaux et les sols, et d'autre part, les supports de culture (SC) qui servent de milieu de culture à certains végétaux. Pour changer de statut et passer du qualificatif de déchet à produit, les matières citées supra (MF, SC) doivent impérativement être homologuées, première étape pouvant conduire à plus long terme à une normalisation. Aujourd'hui ce sont les plans d'épandage relevant des ICPE qui constituent l'exutoire de ces familles de déchets et digestats (MFSC). L'innocuité de ces matières a un point essentiel à démontrer pour progresser dans la règlementation sanitaire. Notons à ce sujet que certains agriculteurs, Francis Claudepierre, entre autres, ont totalement renoncé à l'achat d'engrais azotés au bénéfice du seul épandage de digestat. Ceci confirme la valeur agronomique de ce dernier, sachant qu'il contient quand même une proportion importante de matière organique stable1. La séparation de phases et le séchage du digestat le rend plus facilement exportable.
1
Cette proportion, qui dépend fortement des intrants, peut être de l'ordre de 40% du total.
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Les deux schémas ci-joints (source : ADEME) illustrent ce point.
(Source : ADEME)
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(Source : ADEME)
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2/ La méthanisation agricole dans un environnement concurrenciel
(source : Association d'initiatives locales pour l'énergie et l'environnement-AILE)
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(source : Rhône Alpénergie-Environnement) Les installations agricoles y apparaissent globalement comme de petite taille1. D'ailleurs, il n'y a pas de taille optimale standard sachant que le PPE (Plan pour l'environnement) a financé des projets allant de 30 kWe à 600 kWe et que les économies d'échelle font baisser le prix du kWe au fur et à mesure que la taille des installations augmente. Sauf exception, elles ne peuvent donc pas maîtriser complètement, entre autres, la collecte de leurs intrants (autres que ceux fournis par l'exploitation elle-même). Il y a donc en général recours à des contrats d'approvisionnement, qui doivent impérativement être stables et pérennes, avec des co-contractants souvent beaucoup plus gros que les méthaniseurs euxmêmes, ce qui peut être un facteur important de fragilité. A l'autre extrémité du processus, les débouchés à trouver pour l'énergie produite peuvent aussi être difficiles à stabiliser. Si l'électricité produite par le cogénérateur trouve un débouché stable, au tarif de rachat bien déterminé2 (cf. infra), il n'en va pas forcément de même pour la chaleur, qui doit pouvoir être valorisée même en été. La vente directe de gaz permet de s'affranchir de cette dernière difficulté, puisqu'il n'y alors pas de cogénération, mais elle n'est pas possible partout. Enfin, les agriculteurs méthaniseurs trouvent que concepteurs et constructeurs3 ont une marge trop importante qui allonge très significativement le retour sur investissement.
1 2
Voir aussi les délibérations et la lettre de la Chambre d'agriculture des Côtes d'Armor en annexe. Même s'il pourrait être perfectible sur certains points. 3 Le plus souvent non nationaux
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(source : ADEME)
Il résulte de ce qui précède qu'un agriculteur souhaitant se lancer dans la méthanisation a tout intérêt à préparer son projet avec un partenaire (sorte de tuteur) expérimenté. Diverses organisations, telles que l'Association des agriculteurs méthaniseurs de France au niveau national, mais aussi d'autres organisations exerçant au niveau des régions ou des départements remplissent cette fonction indispensable.
3/ Les débouchés locaux
3.1 Chaleur et énergie La méthanisation met en contact des acteurs très divers, de tailles et d'intérêts différents : les agriculteurs bien sûr, mais aussi les professionnels de l'énergie (électricité, gaz, réseaux de chaleur), de la collecte et du traitement des déchets, banques (les investissements sont souvent de l'ordre du million d'euros, et le temps de retour sur ces investissements peut dépasser la dizaine d'années), collectivités locales, sans oublier les services de l'Etat. Il s'instaure donc des relations complexes qui reposent entre autres sur les éléments suivants : · · · La nécessité d'équilibrer la ration des digesteurs et d'avoir des intrants suffisamment méthanogènes. D'où le recours fréquent à des déchets divers : d'industries agro-alimentaires, de restauration collective, boues de STEP, etc. Les débouchés à trouver pour la chaleur, l'électricité et/ou le gaz.
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(source : GrDF)
Typiquement, dans le premier cas (graphique du haut), le débit de biométhane est toujours inférieur à la consommation de gaz sur ce tronçon de réseau, et celui-ci peut donc recevoir et utiliser toute l'année le biogaz injecté. Il n'en va pas de même dans le deuxième cas, où la production de biogaz potentiellement injectable est supérieure au débit du réseau en été. Le raccordement est alors exclu, même si le réseau passe à proximité du méthaniseur. Les tarifs de rachat, qui constituent évidemment un paramètre majeur lors de la prise de décision d'investir, peuvent être perçus comme complexes.
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Avec : Energie produite +chaleur valorisée en substitution d'énergie fossile (hors chauffage du digesteur) V= Energie primaire x 0,97
Dans le domaine de la chaleur, il est à noter que pour les agriculteurs ayant un élevage bovin, laitier ou à viande, l'utilisation de la chaleur peut être dédiée à la déshydratation du fourrage. Une fenaison qui s'affranchit des aléas de la météorologie est une avancée technique majeure. De plus, pour les légumineuses, la luzerne en particulier, il est notoire que l'on ne peut jamais obtenir une fenaison de qualité avec le système classique, fauchage, fanage, andenage et mise en balles. La fragilité des parties nobles (fleurs, feuilles) fait qu'elles se détachent et restent au sol à la suite des opérations mécaniques. La luzerne est pourtant une alternative pertinente à l'importation du soja pour équilibrer la ration protéique des bovins. Le séchage du fourrage par la chaleur récupérée sur une unité de méthanisation, combinée à une ventilation produite aussi par l'énergie de la ferme est un système qui marche et peut se développer dans de nombreuses régions d'élevage.
3.2 Digestat : le syndicalisme agricole est divisé sur ce sujet Les collègues ayant participé aux missions précédentes avaient noté, sans que cela soit évoqué dans leurs rapports, des tensions entre les céréaliers et les éleveurs. D'un côté les céréaliers apprécient de voir arriver sur leur terre des amendements et fertilisants qui ne leur coûtent rien car ils ont le statut de déchets. De l'autre, les éleveurs tout particulièrement en Bretagne, sont avides de sortir du statut de « déchet », à la fois pour exporter leur azote excédentaire et surtout pour commercialiser 12
leurs digestats qui en réalité ont vocation à avoir une vraie valeur marchande. Certains ont pu dire que "l'homologation permet de tirer la pratique de la méthanisation vers le haut". On notera à ce sujet que la FNSEA se dit réticente à l'homologation des digestats. Elle préfèrerait faire subventionner les installations. De plus les responsables agricoles ont souvent plusieurs casquettes et sont aussi des présidents de coopératives qui commercialisent des engrais et on ne peut exclure que le positionnement des opposants à la méthanisation agricole relève du conflit d'intérêt...
4/ Le Grenelle 2 va entraîner une croissance prévisible de la filière La filière des déchets, en particulier celle des déchets ménagers utilise pour les collectes et le traitement de ces derniers fait appel à la fois à des régies et syndicats de collectivités mais aussi à des groupes industriels comme pour la filière de l'eau (potable ou usée). La loi prévoit que depuis le 15 janvier 2012 et progressivement jusqu'au 1er janvier 2016, les producteurs ou détenteurs de biodéchets*, vont être tenus d'en assurer le traitement différencié.
* cf. note biodéchets Les secteurs économiques les plus directement concernés sont la restauration collective (groupes scolaires, hôpitaux, maisons de retraite, restaurants d'entreprises, etc) et aussi le commerce alimentaire dans son ensemble, du détail à la grande distribution. Les ménages eux sont exclus de l'obligation de tri, une politique de communication incitative en habitat pavillonnaire oriente vers l'acquisition de composteurs individuels. A ce jour, les CUMA et chambres d'agriculture ont commencé à se structurer pour organiser le broyage et la valorisation des déchets verts issus pour l'essentiel des services des collectivités (tonte des pelouses et des stades, déchets verts issus des déchèteries, etc). Dans certaines régions, en Alsace en particulier, il nous a été présenté des unités qui en plus de l'utilisation classique des déchets verts, intègrent maintenant des unités de valorisation des biodéchets d'origine alimentaire. Ainsi, outre la collecte des déchets de restauration collective, l'association Agrivalor a investi plusieurs centaines de milliers d'euros (700.000 ) dans une unité de décompactage de produits alimentaires périmés. Il faut avoir conscience que le gisement de biodéchets d'origine alimentaire est considérable. Ainsi, chaque français met directement à la poubelle chaque année, 7 kg de produits alimentaires non déballés, c'est-à-dire qui ont fait le circuit distribution, réfrigérateur et directement dans la poubelle... Dans le même ordre d'idée, de vastes campagnes de communication grand public rappellent que nos poubelles "débordent" et que l'on estime à 30% la quantité des aliments gaspillés, c'est-à-dire qui vont de l'assiette à la poubelle. La structuration et la rationalisation de la collecte et de la valorisation de ce type de biodéchets amènent des perspectives intéressantes dans les métiers de la croissance verte.
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Les agriculteurs ont tout intérêt à s'organiser et en mutualisant sans délai leurs moyens pour faire face à la concurrence prévisible des grands groupes déjà présents dans les métiers de l'environnement. Les pouvoirs publics ne doivent pas ignorer que les coproduits à pouvoir méthanogène sont aujourd'hui répertoriés et leur prix n'est plus négatif en particulier dans les régions frontalières de l'Allemagne.
5/ Les cultures énergétiques
Le problème des cultures énergétiques, mis à part le cas particulier de la filière agrocarburant (Ethanol et Diester), semble avoir un côté tabou en France. Depuis les émeutes de la faim, près de nous en Afrique du Nord, mais aussi dans d'autres régions du monde, nos concitoyens ont pris conscience que pour des millions de personnes dans le monde, il y avait un minimum vital au sens fort du terme, à pouvoir acquérir du riz ou de la farine de blé... Le fait que l'on puisse utiliser de la biomasse dite alimentaire à d'autres fins que l'alimentation humaine a été présenté par certains économistes et sociologues comme responsable du renchérissement important de la part destinée à l'alimentation humaine, en particulier les céréales. Les leviers médiatiques ont amplifié ce courant d'opinion sans discernement alors que nous sommes dans un système multifactoriel complexe qui aboutit au prix mondial des céréales. Bref, de façon simplificatrice, voire simpliste, certains ont dénoncé les cultures énergétiques comme responsables de la famine en certains endroits du monde. Même si, actuellement, personne ne propose d'introduire des cultures principales purement énergétiques, force est de reconnaître que, si l'on doit rester à ce dogme, il serait illusoire de vouloir développer massivement la filière méthanisation agricole en France. Lorsque l'on évoque ce problème avec les agriculteurs méthaniseurs, ces derniers présentent trois types d'arguments.
5.1 Le premier est un argument de bon sens ; l'activité d'une exploitation agricole a toujours eu un besoin d'énergie important. Ainsi à l'époque de la traction animale, les chevaux et les boeufs arrivaient à consommer jusqu'à 10% voire 15% des quantités de fourrage produites sur l'exploitation afin de répondre aux besoins des labours et autres travaux de la ferme où les bras de la force humaine ne suffisaient pas. En poursuivant cette logique, les agriculteurs méthaniseurs pensent que les tracteurs et l'ensemble du machinisme agricole n'auraient guère besoin de plus de 2 à 3% de la SAU dédiée au méthaniseur pour donner à la ferme son indépendance énergétique. En rajoutant 1 à 2 points de % de SAU, on pourrait alors voir le nombre de méthaniseurs à la ferme, aujourd'hui limité, prendre de l'ampleur. 14
Nos voisins allemands ayant pourtant un fort courant politique de sensibilité écologique n'ont aucun problème sociétal à cultiver des milliers d'hectares de maïs ensilage (800.000) aux seules fins de "nourrir" les méthaniseurs.
5.2 Le second argument avancé par les agriculteurs méthaniseurs est celui de la possibilité de réserver les cultures intercalaires à l'usage de la méthanisation. En clair, après la moisson, selon les régions -fin juillet, début août-, on sème des cultures dites "dérobées" qui seront ensilées avant les premières gelées à la fin de l'automne. Parmi les variétés végétales proposées, on cite souvent le sorgho, certaines crucifères ou même des graminées qui peuvent avoir une productivité intéressante, maintenant un couvert végétal et n'occupant pas le sol au détriment des cultures majeures.
Une question qui se pose est dès lors celle de leur fertilisation éventuelle. Cette fertilisation est sans doute inutile sur un champ qui a reçu des ammonitrates et a beaucoup d'excédent. Elle est peut-être utile sur un champ qui n'aurait reçu que des digestats. En tout état de cause, il doit être clair que, notamment dans les zones d'excédent structurel en azote, aucune pratique ne doit pouvoir conduire à des fuites supplémentaires d'azote, alors que l'objectif principal est précisément de maîtriser ces fuites. Des expériences ponctuelles, scientifiquement très bien encadrées, sont peut-être envisageables sur ce sujet.
5.3 L'équilibre de la ration du digesteur peut nécessiter temporairement l'introduction ponctuelle de céréales produites sur l'exploitation elle-même, sans créer pour autant de cultures à vocation principalement énergétique.
6/ La recherche et le développement
On a pu dire que "l'on ne connaît que 7% de ce qui se passe dans le digesteur". Même si on ne peut évidemment pas prendre une formule aussi imprécise au pied de la lettre, elle dit clairement qu'un espace est encore largement ouvert pour la recherche, portant notamment sur : a) Les processus biologiques b) Les outils d'analyse rapide des intrants (antibiotiques, hormones, métaux lourds...) c) Les cultures intercalaires où l'on constate un déphasage entre la recherche et la demande du terrain (par exemple : "porcherie verte"). La culture intercalaire qui débute après la moisson va jusqu'au printemps suivant et évite de lessiver les terres "nues" en automne et en hiver. Cette pratique amène une biomasse intéressante et évite les phénomènes de lessivage. d) On peut encore optimiser et progresser dans le fonctionnement du méthaniseur en jouant sur les pressions de la géomembrane (en augmentant ou en diminuant le régime des moteurs), pour répondre aux besoins "heure de pointe" ou "heures creuse". 15
7/ Conclusion et recommandations Les textes réglementaires et les tarifs ont été modernisés récemment. Ils ne constituent pas un frein au développement de la méthanisation agricole. Certains points mériteraient toutefois d'être revus, notamment : · Le tarif de rachat de l'électricité lors de l'augmentation de puissance d'une installation existante, · La valorisation de la chaleur pour le chauffage des bâtiments d'élevage en substitution à l'électricité, ou encore le cas des toutes petites installations, · Voire la complémentarité, sur une même exploitation, de la méthanisation et du photovoltaïque. Aussi, du point de vue administratif, les progrès sont plutôt attendus dans la mise en oeuvre des textes. Mettre en place des guichets uniques pour l'instruction des dossiers est sans doute trop complexe, au vu de la diversité des réglementations, et donc des administrations (déconcentrées et centrales) concernées. En revanche, la mise en place de points d'entrée uniques, qui assureraient la liaison avec les services directement instructeurs des différents volets des dossiers, serait certainement utile. Cette démarche est au demeurant déjà en place dans certaines régions. Elle mérite d'être étendue. Sur le fond, le frein principal au développement massif de la méthanisation agricole est certainement le refus des cultures énergétiques à titre principal. Il s'agit là d'une question de doctrine qu'il n'appartient pas à la mission de trancher. Il est toutefois nécessaire de le prendre en compte : la méthanisation à la ferme n'atteindra pas le développement qu'elle connaît par exemple en Allemagne pour cette raison. Dès lors, le coeur du sujet se trouve alors dans l'utilisation et la valorisation des digestats. Un rapport spécifique va être consacré à ce sujet, qui ne sera donc qu'évoqué ici. Nous noterons simplement que le statut de déchet, qui est actuellement celui des digestats, en pénalise fortement l'utilisation : en ZES d'abord du fait de la nécessité de passer par des plans d'épandage très contraignants dans ces zones, et partout à cause de « l'mage de marque » de l'épandage direct d'effluents agricoles. La normalisation de ces digestats est dans doute une démarche trop lourde pour être mise efficacement en pratique. C'est pourquoi la voie de l'homologation groupée, dont le ministère de l'agriculture et l'ANSES ont défini les modalités, est sans doute la voie à poursuivre. Par ailleurs, le séchage des digestats permet de leur faire perdre leur aspect de déchets liquides, trop facilement assimilable par le grand public à celui du lisier, pour leur conférer celui d'un engrais solide, en granulés, transportable et épandable comme ce dernier. Il y a là une voie à développer. Par ailleurs, des efforts devraient être poursuivis en matière de recherche sur les process mis en oeuvre dans les digesteurs, sur les procédés d'analyse rapide des intrants, etc. Notons aussi que ces progrès, concomitants avec la croissance de la méthanisation (pas seulement agricole) devraient permettre le développement d'une ingénierie et d'une technologie française dans ce domaine, où l'importation, notamment allemande, domine actuellement largement.
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Enfin, un point de vigilance doit être fait dans le domaine du jeu d'acteurs, de taille et d'intérêts très différents. Ceci milite pour que les agriculteurs méthaniseurs, ou candidats à la méthanisation, ne restent pas isolés les uns des autres. Des structures fédératives existent, aux niveaux national et local. Elles sont à même d'apporter de la formation, des conseils et des appuis techniques à leurs adhérents. Elles peuvent aussi représenter leurs intérêts dans vis-à-vis des autres acteurs de la filière (professionnels des déchets, de l'énergie, etc). Leur rôle est donc essentiel.
François ROUSSEL
Pierre ROUSSEL
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Annexe 1 Lettre de mission
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Annexe 2 - Ordre de service
20
Annexe 3 Liste des personnes rencontrées
D > W D & D z K K > : D > W D D : W W d & : > ' W : & W E & & ' ' ' ' ' ' ' : : > > D D D D D D D K K D K W W Y Y Z d d s d ' > D E Z & D 'WZ W Z & W D D D E E /> ' Z W D& &E D WW ' > Z > W &E Z D Z & h,D &E D 'WZ D& h,D
D& K & 'W d ' >
&
'
dD D 'WZ &E D Z ' > /
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Annexe 4 Lettre de la Chambre d'Agriculture des Côtes d'Armor
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Annexe 5 Délibérations de la chambre d'Agriculture des Côtes d'Armor
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Annexe 6 Note actualisée sur les biodéchets (mise à jour septembre 2012)
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Annexe 7 Liste des sigles utilisés AAMF : Association des agriculteurs méthaniseurs de France ADEME : Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie ADUHME : Association pour un développement urbain harmonieux par la maîtrise de l'énergie AILE : Association d'initiatives locales pour l'énergie t l'environnement ANSES : Agence nationale de sécurité sanitaire, de l'alimentation, de l'environnement et du travail CUMA : Coopérative d'utilisation du matériel agricole FNE : France nature environnement FNSEA : Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles Frein à la méthanisation dans le secteur agricole ICPE : Installation classée pour la protection de l'environnement MF : Matières fertilisantes SAU : Surface agricole utile SC : Supports de cultures STEP : Station d'épuration ZES : Zone d'excédent structurel
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