Perspectives de la politique des sites et Grands sites de France.
ALLAIN, Yves-Marie ;BERSANI, Catherine ;BLAISE, Louis ;CREUCHET, Bertrand
Auteur moral
France. Conseil général de l'environnement et du développement durable
Auteur secondaire
Résumé
<div style="text-align: justify;">L'administration conduit depuis 1976 une action de réhabilitation de certains sites classés au titre de la loi de 1930 sous la dénomination d'« opérations grands sites » et a institué depuis 2004 un label « grands sites de France » qui reconnaît l'exemplarité de la gestion de certaines de ces opérations. Après une identification des points forts et des points faibles de la politique des grands sites, le rapport établit des propositions pour améliorer l'efficacité des processus de décision sur ces dénominations et notamment pour favoriser la reconnaissance du concept de « grand site de France » qui lui parait devoir être légitimé et recevoir une base légale.</div>
Editeur
CGEDD
Descripteur Urbamet
politique publique
;politique de l'environnement
;patrimoine
;label
;paysage
;site protégé
Descripteur écoplanete
site classé
;labellisation
Thème
Environnement - Paysage
;Administration publique
Texte intégral
n° 005630-01
juillet 2009
PERSPECTIVES DE LA POLITIQUE DES SITES ET "GRANDS SITES" DE FRANCE
CONSEIL GÉNÉRAL DE L'ENVIRONNEMENT ET DU DEVELOPPEMENT DURABLE
Rapport n° : 005630-01
PERSPECTIVES DE LA POLITIQUE DES SITES ET "GRANDS SITES" DE FRANCE
établi par Catherine Bersani
Inspectrice générale de l'Equipement
Yves Marie Allain Inspecteur général de l'Environnement Louis Blaise Inspecteur général de l'Équipement Bertrand Creuchet Inspecteur général de l'Équipement
Juillet 2009
MINISTÈRE DE L'ÉCOLOGIE, DE L'ÉNERGIE, DU DÉVELOPPEMENT DURABLE ET DE LA MER en charge des Technologies vertes et des Négociations sur le climat
Conseil général de l'Environnement et du Développement durable
Paris, le 31juillet 2009 NOTE Pour Monsieur le Ministre d'Etat, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat. A l'attention de Mme la Secrétaire d'Etat chargée de l'écologie
Le Vice Président
Références CGEDD n° 005630-01
Affaire suivie par : Tél. 01 40 81 23 13 Fax : 01 40 81 23 95
OBJET : Mission d'analyse de la politique des grands sites.
Par lettre du 2 janvier 2008, madame la secrétaire d'Etat chargée de l'écologie, a saisi le vice-président du conseil général des ponts et chaussées et le chef de l'inspection générale de l'environnement d'une mission d'analyse sur la politique des grands sites. L'administration conduit depuis 1976 une action de réhabilitation de certains sites classés au titre de la loi de 1930 sous la dénomination d'« opérations grands sites » et a institué depuis quelques années un label « grands sites de France » » qui reconnaît l'exemplarité de la gestion mise en place dans certaines de ces opérations. L'objet de la mission est, après une identification des points forts et des points faibles de la politique des grands sites, de faire des propositions pour améliorer l'efficacité des processus de décision conduisant à la mise en place d'une « opération grand site » et à la reconnaissance d'un « grand site de France ». Cette mission a été confiée à Mme Catherine Bersani, inspectrice générale de l'équipement, M. Yves-Marie Allain, inspecteur général de l'environnement et à MM. Louis Blaise et Bertrand Creuchet, inspecteurs généraux de l'équipement par désignations intervenues entre le 15 janvier et le 21 février 2008. Un rapport intermédiaire a été produit le 31 mars 2008 et présenté au représentant de la ministre.
www.CGEDD.developpement-durable.gouv.fr
Tour Pascal B 92055 La Défense
Il a été validé alors que la mission examinait l'ensemble de la politique des sites dont il n'était pas possible de détacher les opérations grands sites ni le label « grand site de France ». Au travers de l'exemplarité des actions conduites dans les grands sites, la mission devait être l'occasion d'une remise en perspective de l'action plus globale conduite par l'Etat en faveur de tous les sites relevant de la loi de 1930 en matière de classement, de gestion ou de contrôle ainsi que de la synergie de ces dispositifs entre eux. Au delà du constat que la notion de grand site reçoit de plus en plus d'adhésion localement, la mission a été frappée par les nombreuses confusions qui perdurent sur les différentes appellations site classé ou inscrit, grand site et/ou grand site de France, opération grand site, site labellisé..., parfois même parmi les acteurs des dossiers. Elle estime que ces difficultés illustrent la dimension encore trop expérimentale, voire « clandestine » du projet innovant que constitue la politique des « grands sites » au sein de la politique nationale des sites. Il est temps aujourd'hui d'ériger en véritable politique d'Etat, avec ses attributs de puissance publique, les acquis remarquables des expériences de terrain. C'est à cette condition que leur rayonnement pédagogique pourra irriguer les pratiques de gestion du patrimoine national dans son ensemble. Le choix fait par la Mission a donc été de chercher à resituer la question des grands sites dans la plénitude de sa relation avec la politique du patrimoine au sens de l'article 1er du code de l'urbanisme, « le territoire patrimoine commun de la Nation »... Le travail sur la notion de « grand site » a été délibérément placé dans le champ de l'évaluation d'une politique publique à vocation globale protégeant et valorisant des espaces emblématiques. Riche d'une philosophie d'action déjà largement éprouvée et d'une dynamique d'enrichissement à travers une mobilisation des partenaires publics et privés de l'Etat, le concept de « grand site de France »lui a paru devoir être « légitimé » et recevoir une base légale qui confortera le rayonnement de l'innovation qu'il constitue. Les propositions finales de la mission concernent donc les différentes étapes à parcourir en vue de cette reconnaissance :
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Outre la clarification du concept lui-même, les modifications correspondantes de la partie législative du code de l'environnement préciseront les conditions d'octroi et la procédure correspondant au statut officialisé de « grand site de France »; une proposition de modification législative figure dans le rapport. La nomination d'un parlementaire à la présidence de la commission supérieure des sites et paysages. L'enquête administrative accompagnant les procédures de classement des sites à remplacer par une véritable enquête publique. Une nouvelle appellation pour les opérations « grand site » :désormais dénommés « contrat de site » ainsi qu'une circulaire précisant l'application de ces contrats, qui
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auront vocation à gérer des situations exceptionnelles de sites importants dans une région pour lesquels une réhabilitation et la mise en place de structure de gestion, s'imposeraient sans pour autant qu'ils relèvent nécessairement d'un projet de label.
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L'établissement d'un référentiel des critères de classement des sites à partir des débats et des avis de la commission supérieure des sites et paysages qui est vivement recommandé de manière d'une part à préciser officiellement la doctrine de travail et à la faire mieux partager par toutes les parties prenantes. La mise en place de formations initiales et continues pour les agents chargés de cette politique aux niveaux central et local qui conduira à valoriser la filière des métiers du paysage et à conforter le savoir-faire de l'administration au delà des mutations démographiques : pour préciser cette démarche, un audit spécifique devrait être lancé. Une politique de communication offensive sur l'ensemble de la politique des sites, définissant les objectifs et les missions des directions des territoires au niveau départemental et des DREAL au niveau régional, qui contribuera à remettre cette politique à sa véritable place : un appui d'excellence au développement durable des territoires.
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SIGNE Claude MARTINAND
Diffusion du rapport n° 005630-01
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le Ministre de l'Ecologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer en charge des Technologies vertes et des Négociations sur le climat le directeur du cabinet la secrétaire d'Etat à l'Ecologie la directrice du cabinet la secrétaire d'Etat chargé du logement et de l'urbanisme le directeur du cabinet le directeur général de l'aménagement, du logement et de la nature le directeur de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages le président de la commission permanente des ressources naturelles le président de la 3ème section Mme Catherine Bersani M. Yves Marie Allain M. Louis Blaise M. Bertrand Creuchet le collège paysage, espaces protégés et patrimoine
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Sommaire
1. Résumé et synthèse des propositions....................................................................3 2. Contexte et déroulement de la mission :..............................................................5 3. Diagnostic sur la situation actuelle et les perspectives de la politique des grands sites..................................................................................................................8
3.1. Le parti pris par la mission pour poser un diagnostic : les grands sites comme élément d'une politique globale du patrimoine national. ...................................................................8 3.2. La place ambiguë des grands sites dans le patrimoine national :.................................10
3.2.1. Les références des grands sites à la loi de 1930 (articles L141-1 à 22 du Code de l'Environnement) imposent de resituer leur place originale dans le panorama de la politique générale de protection des sites : une vocation « généraliste » et territoriale.......................10
3211 La protection des sites est une politique patrimoniale nationale, qui occupe une place singulière, chronologiquement de second rang, dans la typologie des politiques patrimoniales..10 3212 La politique des sites se caractérise par une vision globale et dynamique du territoire à travers son paysage .......................................................................................................................13 3213 Un pragmatisme avéré « en contrepartie d'un faible investissement doctrinal »................14 3214 Un usage quelque peu dévoyé de la législation sur la protection des sites, entre régulation de l'urbanisme et concurrence opportuniste des procédures patrimoniales..................................15
3.2.1. La naissance du concept de « grand site »...................................................................17
3221 Elle se fait en réaction aux fragilités nées du défaut de maitrise de la gestion des sites inscrits et classés............................................................................................................................17 3221 Les opérations « grands sites ».............................................................................................19 3222 le label « grand site de France »...........................................................................................21 3223 le réseau « grands sites de France » (RGSF)........................................................................22
3.3. De nombreuses questions face à un héritage riche mais lacunaire.............................23
3.3.1. L'ancrage insuffisant de nouveaux modes d'action insolites comme le label dans la tradition législative et réglementaire ....................................................................................23 3.3.2. La relative confidentialité des processus et des critères d'appréciation......................24 3.3.3. Le flou croissant au fil des ans du vocabulaire, voire des concepts, qui servent de fondement à la politique... ....................................................................................................24
3331 Une dénomination politique dépourvue de base légale claire..............................................25 3332 Une ambiguïté de la définition politique des sites liée à un adjectif....................................25 3333 Une nécessité de lever les imprécisions à connotations aujourd'hui exclusives socialement ........................................................................................................................................................27
3.3.4. Les incertitudes de la signification contemporaine de la politique des grands sites....28
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3.3.5. La qualification professionnelle des interventions sur les sites et les grands sites de France....................................................................................................................................29
3351 L'adaptation professionnelle de l'administration des sites à la modernisation de ses missions : le paysage comme filière professionnelle reconnue.....................................................29 3352 Qualification et valorisation du métier de gestionnaire de site............................................30
4. Propositions..........................................................................................................33
4.1. Clarifier le choix du concept de « grand site de France » à partir de sa vocation de référence pour la politique nationale...................................................................................33 4.2. Modifier la loi de 1930 pour officialiser l'évolution de la politique nationale des sites .............................................................................................................................................34 4.3. Nommer un parlementaire comme président de la commission supérieure des sites et paysages :............................................................................................................................35 4.4. Remplacer l'enquête administrative pour tous les sites par une enquête publique......35 4.5. Instituer des contrats de sites à la place des opérations grands sites avec un renforcement du rôle des administrations déconcentrées....................................................35 4.6. Construire un référentiel explicites des critères à partir des rapports à la commission supérieure des sites, perspectives et paysages, de ses débats et des avis, avec l'édition annuelle d'un rapport d'activité..........................................................................................36 4.7. Renforcer les critères professionnels dans les processus de sélection des Ressources Humaines et la formation permanente proposée aux agents valoriser la filière « paysages » dans le déroulement de carrière (audit préalable pour y parvenir)......................................36 4.8. Organiser la pérennité de l'appui technique du réseau des grands sites de France à l'administration et examiner la valorisation de sa dynamique comme centre de ressources et tête de réseaux sur la protection territoriale du patrimoine paysager..............................37 4.9. Communiquer de manière plus offensive sur la politique pour faire valoir ses acquis et son potentiel d'appui à une véritable promotion du Développement Durable....................38
4.9.1. Pour la France en tant que destination touristique, les classements de site et a fortiori le label « grand site de France » sont une marque de qualité : l'Etat doit la faire connaître et l'afficher régulièrement auprès des collectivités et du public. ...............................................38
Annexe - Lettre de mission ....................................................................................40
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1. Résumé et synthèse des propositions
La présente mission a été diligentée à la demande de madame la secrétaire d'Etat chargée de l'écologie le 2 janvier 2008. La mission a procédé au cours de l'année 2008 à différentes auditions et visites soit individuelles par ses membres soit avec ses quatre inspecteurs. Un rapport intermédiaire a été produit le 31 mars 2008 et présenté au représentant de la ministre. Il a été validé alors que la mission examinerait l'ensemble de la politique des sites dont il n'était pas possible de détacher les opérations grands sites ni le label « grand site de France ». Cette politique reçoit de plus en plus d'adhésion localement : cependant la mission a été frappée par les nombreuses confusions qui perdurent sur les différentes appellations, parfois même parmi les acteurs des dossiers. La mission estime que ces difficultés illustrent la dimension encore trop expérimentale, voire « clandestine » du projet innovant que constituent les « grands sites » au sein de la politique nationale des sites. Il est temps aujourd'hui d'ériger en véritable politique de l'Etat, avec ses attributs de puissance publique, les acquis remarquables des expériences de terrain. C'est à cette condition que leur rayonnement pédagogique pourra irriguer les pratiques de gestion du patrimoine national dans son ensemble. Les propositions finales concernent donc les différents étapes de cette politique :
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Outre la clarification du concept « grand site de France », les modifications correspondantes du code de l'environnement, pour préciser les conditions d'octroi et la procédure correspondant au statut officialisé. La nomination d'un parlementaire à la présidence de la commission supérieure. Le remplacement de l'enquête administrative accompagnant les procédures de classement des sites par une véritable enquête publique. Une nouvelle appellation pour les opérations grand site : contrat de site ainsi qu'une circulaire précisant l'application de ces contrats, qui ont vocation à gérer des situations exceptionnelles de sites importants dans une région appelant une réhabilitation et la mise en place de structure de gestion, sans pour autant relever nécessairement d'un projet de label. L'établissement d'un référentiel des critères de classement des sites à partir des débats et des avis de la commission supérieure des sites et paysages.
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La mise en place de formations initiales et continues pour les agents chargés de cette politique au niveau central et local: pour préciser cette démarche, un audit spécifique devrait être lancé. Une politique de communication offensive sur l'ensemble de la politique des sites, appui du développement durable des territoires. Une première mesure interne à l'administration de l'Etat pour une connaissance partagée de la protection des sites et son articulation avec les autres politiques.
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2. Contexte et déroulement de la mission :
Par lettre du 2 janvier 2008, Madame Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État chargée de l'écologie, a saisi le vice-président du conseil général des ponts et chaussées et le chef de l'inspection générale de l'environnement d'une mission d'analyse sur la politique des grands sites. L'administration conduit depuis 1976 une action de réhabilitation de certains sites classés au titre de la loi de 1930 sous la dénomination d' « opérations grands sites » et a institué depuis quelques années un label « grands sites de France » » qui reconnaît l'exemplarité de la gestion mise en place dans certaines de ces opérations. Ces actions constituent avant la lettre des exemples de développement durable. L'objet de la mission est, après une identification des points forts et des points faibles de la politique des grands sites, de faire des propositions pour améliorer l'efficacité des processus de décision conduisant à la mise en place d'une « opération grand site » et à la reconnaissance d'un « grand site de France ». Il est demandé à la mission d'examiner l'importance des risques de détournement du label et des modalités de protection des sites labellisés et les liens existant entre les démarches en faveur des grands sites et d'autres modes de protection et de valorisation ainsi que la synergie de ces dispositifs entre eux. La ministre souhaite enfin que la mission au travers de l'exemplarité des actions conduites dans les grands sites soit l'occasion d'une remise en perspective de l'action plus globale conduite par l'État en faveur de tous les sites relevant de la loi de 1930 en matière de classement, de gestion ou de contrôle. Cette mission a été confiée à Mme Catherine Bersani et à MM. Yves-Marie Allain, Louis Blaise et Bertrand Creuchet, par désignations intervenues entre le 15 janvier et le 21 février 2008. Les missionnaires présentent la particularité d'avoir été directement impliqués au cours de leur carrière dans la mise en oeuvre de la politique des sites et disposaient d'une bonne connaissance à la fois de l'approche patrimoniale, des problématiques du patrimoine naturel et culturel et des législations de la protection et des politiques territoriales d'aménagement correspondantes. Après un contact préliminaire avec Catherine Bergeal, alors sous-directrice chargée des sites, avec le chef du bureau chargé des opérations territoriales, la responsable du bureau des sites et la chargée de mission des « opérations grands sites », la mission d'inspection a procédé à plusieurs rencontres avec les acteurs du réseau des grands sites de France : M. Gérard Voisin, député de Saône-et-Loire, président de l'association « réseau des grands sites de France » (RGSF),
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M. Ambroise Guellec, député européen, président fondateur de cette association et initiateur du premier site labellisé, la Pointe du Raz, M. Jérôme Bignon, député de la Somme, président du syndicat mixte de la baie de Somme, Mme Anne Vour'ch, directrice de l'association RGSF, accompagnée de deux responsables de territoires adhérents de l'association ayant bénéficié d'une « opération grands sites ». L'association RGSF a remis à la mission une note de contribution exposant les positions de ses membres et ses attentes. A l'issue de ces premiers contacts et après avoir dépouillé l'abondante documentation accumulée depuis la trentaine d'années ayant permis le déploiement de dispositifs particuliers à des sites qualifiés d'exceptionnels sous des appellations diverses, la mission a souhaité dégager rapidement quelques conclusions provisoires en forme de constats, de questions et de perspectives et produit une note d'étape remise le 31 mars 2008 à la ministre. Cette note conclut notamment à la nécessité d'examiner en détail la politique de protection et de valorisation du patrimoine en relation avec la loi de 1930 sur les sites, afin de mesurer son efficacité et surtout de lui redonner la plénitude de son rôle, attendue par les acteurs et les partenaires qu'elle a su mobiliser, sur la définition de ces territoires comme « patrimoine commun de la Nation ». La mission d'inspection a poursuivi ses contacts et rencontré ensuite d'autres acteurs impliqués par la politique des grands sites : M. Gérard Ruiz, adjoint au maire de La Teste, acteur de la création du syndicat mixte de la Dune du Pilat, M. Jean-Pierre Thibault, directeur de la DIREN Aquitaine, représentant le collège des DIREN, MM. Sylvain Provost et Didier Bailleul de l'association des inspecteurs des sites, et rencontré à nouveau en fin de mission l'association RGSF et la sous-direction en charge de la politique des sites à la DGALN. Par ailleurs, un contact a été pris en début et en fin de mission avec le cabinet du ministre d'État, M Piveteau, et celui de la secrétaire d'État à l'écologie, M Vautrin. Elle a rencontré enfin M. Jean-Marc Michel, directeur général de la DGALN. Outre ces divers contacts, les missionnaires ont pu mobiliser aussi tout au long de leur travail leurs réseaux relationnels personnels. Des contacts ont été ainsi établis avec le site des Deux Caps et son président M. Dupilet, avec le grand site du Rayol, ...
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La mission était présente à la cérémonie de remise du label de « grand site de France » par Mme Nathalie Kosciusko-Morizet au président de l'EPCC, établissement public de coopération culturelle, gérant le grand site de Bibracte-Mont Beuvray le 4 avril 2008 et au séminaire annuel des sites et paysages organisé du 25 au 27 juin 2008 à La Grande Motte par la sous-direction chargée des sites du ministère. Elle était présente aussi à la rencontre annuelle de l'association RGSF qui s'est déroulée les 23 et 24 octobre 2008 au Pont-du-Gard. Disposant d'une bonne connaissance des sites eux-mêmes, la mission s'est limitée pour ses investigations sur le terrain à une visite le 1er juillet 2008 sur le grand site de la montagne de la Sainte Victoire où elle a pu rencontrer l'équipe technique et son directeur M. Maigne, le président actuel du syndicat, M. Guinde ainsi que M. De Barbarin, président fondateur du grand site, et le DIREN de PACA, M. Roy.
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3. Diagnostic sur la situation actuelle et les perspectives de la politique des grands sites
3.1. Le parti pris par la mission pour poser un diagnostic : les grands sites comme élément d'une politique globale du patrimoine national.
Comme le rappelait la note d'étape, aux termes de la lettre ministérielle décidant d'une mission replacée dans le contexte rappelé aux inspecteurs par M. le député G. Voisin, président du Réseau des grands sites de France(RGSF), la mission avait pour objet : - d'une part d'éclairer la relation entre les actions de protection et de mise en valeur spécifiques que constituent les « opérations grands sites », la labellisation des grands sites de France et plus généralement l'efficacité des processus de décision sur ces dénominations ainsi que les éventuels risques de détournement qui s'y attacheraient, - et, d'autre part d'apprécier la synergie qu'offrent entre eux les différents dispositifs de protection et de valorisation d'espaces emblématiques, représentatifs du patrimoine national. Le choix fait par la Mission a été de chercher à resituer la question des grands sites dans la plénitude de sa relation avec la politique du patrimoine au sens de l'article 1er du code de l'urbanisme, « le territoire patrimoine commun de la Nation »... Le travail sur la notion de « grand site » a été a délibérément situé dans le champ de l'évaluation d'une politique publique à vocation globale protégeant et valorisant des espaces emblématiques. La question des grands sites concerne bien le patrimoine de la Nation. Cette réalité est attestée d'abord par la racine même à laquelle se réfère l'appellation des grands sites, la politique des sites et paysage menée en application de la loi du 2 mai 1930, d'autre part elle transparaît à travers l'histoire propre du concept de grand site comme base de la politique du même nom. Cependant une certaine équivoque pèse pour l'une et l'autre raison sur le positionnement des grands sites dans le patrimoine de la Nation. Le positionnement de cette notion soulève, comme on va le voir, des questions sur les modes de travail et de régulation de la puissance publique quelque peu inédites, sans doute génératrices de confusions, parfois lourdes de malentendus avec les partenaires majeurs des politiques du patrimoine national que sont les collectivités territoriales.
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La racine de la politique des grands sites est bien la protection des sites et paysages issu de la loi du 2 mai 1930. Cette seule origine suffit à l'inscrire dans une grande ambition nationale, comme l'atteste le texte codifié par la loi 2002-276 du 27/2/2002 relative à la démocratie de proximité (titre I article L110 -1-) « - Les espaces, ressources et milieux naturels, les sites et paysages, la qualité de l'air, les espèces animales et végétales, la diversité et les équilibres biologiques auxquels ils participent font partie du patrimoine commun de la nation II. - Leur protection, leur mise en valeur, leur restauration, leur remise en état et leur gestion sont d'intérêt général et concourent à l'objectif de développement durable qui vise à satisfaire les besoins de développement et la santé des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. ». Ce constat conduit à considérer qu'il importe d'apprécier la spécificité du concept au regard du système institutionnel et opérationnel dans lequel il s'est inscrit. Pour effectuer cette mise au point, la référence aux fondamentaux de la politique des sites et l'appréciation corrélative de l'émergence de la notion de « grand site », sa particularité par rapport au dispositif d'ensemble étaient incontournables. Cet examen conduisait notamment à rechercher les valeurs auxquelles se rattache le statut d'excellence dont se revendique la notion de grand site. La première démarche s'est avérée la relecture d'une politique historiquement considérée comme « régalienne » par rapport à la gestion « ordinaire », ou de droit commun, du territoire, un quart de siècle après la décentralisation. Cet exercice a été effectué en vue de préciser les contours des responsabilités respectives des acteurs institutionnels, Etat et collectivités territoriales dans ce domaine du patrimoine. Il s'agissait en quelque sorte d'un bilan spécifique et dynamique de la décentralisation et de l'évaluation de l'approfondissement envisageable, ainsi que des limites éventuelles à lui assigner, sur la qualification et la gestion du patrimoine national. La seconde démarche a été d'apprécier dans cette perspective les partenariats existants ou à construire avec les opérateurs privés, à commencer par les ONG, ferments efficaces de nombreux progrès, au rang desquels des collaborations particulièrement fertiles comme celle du réseau des Grands Sites de France (RGSF), doivent pouvoir trouver une juste reconnaissance. Le mode de régulation retenu au fil des ans, pour innovant qu'il puisse apparaître, ne peut qu'être apprécié en fonction de la légitimité qu'il tire de son rattachement à l'exercice des prérogatives de la puissance publique.
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Pour autant la mission a pris garde de ne pas méconnaître l'originalité du jeu d'acteurs externes à l'administration d'Etat sur lesquels a reposé, largement de fait, la montée en puissance de cette politique. C'est notamment à ce titre que la mission a considéré comme prenant place au sein des perspectives qu'elle se devait de tracer, le rôle d'une structure d'animation dynamique et innovante dans un domaine en pleine valorisation sociale comme le patrimoine territorial, le réseau des grands sites de France (RGSF).
3.2. La place ambiguë des grands sites dans le patrimoine national :
3.2.1. Les références des grands sites à la loi de 1930 (articles L141-1 à 22 du Code de l'Environnement) imposent de resituer leur place originale dans le panorama de la politique générale de protection des sites : une vocation « généraliste » et territoriale.
La politique des grands sites se réfère au-delà de son nom au dispositif de la loi de 1930 sur la protection des sites. Avant d'en examiner la problématique on soulignera l'importance de prendre cette « racine » en considération car les caractères propres de la politique de protection des sites portent en germe les atouts et les fragilités observées aujourd'hui à propos de ce qu'on appellera la politique des grands sites. Du côté des atouts, on relèvera qu'il s'agit d'une politique patrimoniale nationale, animée par une vision globale du territoire à travers son paysage, et une dynamique d'intégration des espaces qui participent à la vie du site. S'agissant des fragilités, on notera une priorité accordée la dimension opérationnelle au détriment de l'expression doctrinale sur les valeurs fondant la protection, ainsi qu'une assise administrative et financière à moderniser. 3211 La protection des sites est une politique patrimoniale nationale, qui occupe une place singulière, chronologiquement de second rang, dans la typologie des politiques patrimoniales. La loi sur la démocratie de proximité répétant et enrichissant 20 ans après l'article premier du code de l'urbanisme écrit à l'aube de la décentralisation, proclame l'appartenance des sites et paysages au territoire, patrimoine commun de la Nation. Pourtant la chronologie de cette reconnaissance patrimoniale a placé les sites et paysages à mi-chemin entre les oeuvres nées de la main de l'homme et les différentes composantes de la biodiversité dont la politique de protection de la nature a structuré la prise en considération.
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Cette chronologie s'avère éloquente pour décrypter ce qui fait la richesse mais aussi la faiblesse de ce dispositif de protection. La place de la protection des sites par rapport aux autres politiques de protection du patrimoine, est largement tributaire de ce positionnement dans une tradition française centralisée et caractérisée par une spécialisation des procédures en fonction de la nature du patrimoine visé. D'abord, il se trouve que la dimension patrimoniale des sites et paysages n'a été prise en considération qu'après la reconnaissance des oeuvres humaines, ce qui relativise l'importance qui lui était reconnue. L'entrée de la protection des sites dans le champ du patrimoine s'est opérée avec un double décalage par rapport à la législation des monuments historiques, celui de la date et celui de l`investissement doctrinal. Si la chronologie lui donne un second rôle et révèle un moindre investissement théorique des spécialistes originels du patrimoine (les archéologues et les architectes et historiens de l'art), ce « désintéressement » technique lui confère en même temps une ouverture thématique évidente. Effectivement la politique de protection des sites tire sa légitimité patrimoniale d'un positionnement original au regard de l'inspiration relativement élitiste de la préservation du patrimoine monumental ou plus tard de la protection de la nature. C'est ainsi qu'après l'important travail effectué par Viollet-le-Duc, et malgré la vision beaucoup plus large exprimée par le sénateur Victor Hugo, les premiers textes organisant l'inventaire et la protection du patrimoine se bornèrent aux monuments construits par la main de l'homme (lois de 1887 et1913), leurs abords immédiats(1943) puis aux ensembles urbains (1962- loi dite Malraux sur les secteurs sauvegardés-), avant d'enfin lier les préoccupations architecturales et urbaines avec le souci du paysage dans les « zones de protection du patrimoine architecturales, urbaines et paysagères (1983-1993-ZPPAUP). On le verra, cette convergence entre la préservation des ensembles bâtis et la protection du paysage est quasiment contemporaine de l'histoire des grands sites. Elle suit de peu la réforme administrative portant une vision transversale du patrimoine, trop fragile qui anticipait quelque peu sur la création de l'actuel MEEDAT, à savoir le ministère de l'environnement et du cadre de vie. Il faut, en tous cas garder en mémoire que le souci du paysage comme fondement d'une politique de protection ne se traduisit que vingt ans après la création de protection des monuments historiques par une loi du 21 avril 1906 reprise le 2 mai 1930 dont l'armature constitue encore aujourd'hui la principale référence de protection des sites .Les dispositions de cette loi ont été codifiées en 2000 dans le code de l'environnement (L-341 et suivant) : « Il est établi dans chaque département une liste des monuments naturels et des sites dont la conservation ou la préservation présente, au point de vue artistique, historique, scientifique, légendaire ou pittoresque, un intérêt général. ».
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Voilà une qualification proche du quotidien de l` « honnête homme »... et une vision concrète reposant sur le dialogue local (avec toute l'ambiguïté de ce terme selon le contexte institutionnel.) Le second rôle et le moindre investissement des spécialistes en faveur de la protection des sites et paysages ont autorisé une vision plus moderne et finalement plus démocratique de la politique patrimoniale. Le libellé même de la loi de 1930 rend accessible la compréhension des fondements « théoriques » de la protection des sites : chacun ou presque peut s'approprier la définition de ce qui l'attache à la géographie de son environnement. La prime au voyageur, généralement plutôt aisé, était certes manifeste au départ mais l'évolution allant dans le sens d'une plus grande mobilité, ce n'est pas un hasard si les sites classés ont eu les honneurs de la publicité des affiches de chemin de fer dès le début du siècle avec une véritable « explosion » en 1936. Pour les plus connus d'entre eux, le Touring-club de France a même conçu des panneaux apposés le long des grandes routes touristiques. La variété des justifications possibles de la « patrimonialisation » de ce que l'on n'appelait pas encore le cadre de vie témoignait ainsi d'une véritable ouverture sur les valeurs sociétales N'était-ce pas là le gage d'une fécondité supplémentaire à celle des débats entre spécialistes et historiens de l'architecture, seuls habilités à qualifier et à définir le patrimoine monumental ? Cette dimension démocratique originale se confortait déjà de plusieurs garanties d'ordre juridique et procédural. Celle d'une caution proche « du terrain » à travers le rôle confié à une commission départementale des sites (CDS).Celle-ci se voit reconnaître une double compétence au départ sur les projets de protection des sites et ultérieurement sur les projets de modification de l'aspect des sites protégés. D'autres garanties résident dans l'institution d'instances nationales, pour accompagner le travail des administrations locales et nationales, cette fois sur le même modèle que le système de protection monumental. Une commission supérieure dont la composition réunit des élus et des experts examine les projets de classement sur le rapport d'une inspection générale dont l'exercice consiste à évaluer la pertinence intrinsèque et formelle du projet de protection, tout en « révisant » les services régionaux et locaux dans leur travail de définition du périmètre en relation avec les autorités locales. L'avis du Conseil d'Etat, autorité juridique suprême sur les décisions de l'administration, est requis lorsqu'il s'agit d'instituer par décret une protection controversée par un propriétaire ou une collectivité.
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3212 La politique des sites se caractérise par une vision globale et dynamique du territoire à travers son paysage Avec une originalité marquante la protection des sites considère une vision globale du territoire, même si l'échelle de cette vision a pu au départ être assez réduite, voire se borner à un monument naturel, arbre ou rocher... puisant l'essentiel de sa force dans une valeur symbolique qui se retrouvera souvent dans la toponymie. Elle en a retiré un fort potentiel politique dont témoigne le nombre des sites classés ou inscrits à ce jour : au 1er janvier 2007, soit 100 ans après la première loi, le territoire national comptait 2648 sites classés pour une superficie de 845 591 hectares et 4 784 sites inscrits pour une superficie de 1 680 391 hectares. Au total, c'est près de 4 % du territoire national qui est concerné par ces protections. C'est grâce à cette approche holistique ou globale de toutes les composantes d'un paysage que la notion même de site a pu s'adapter aux évolutions de la notion de patrimoine territorial sans nécessiter, à l'instar du patrimoine monumental, une série de législations complémentaires pour tenir compte de l'élargissement de l'angle de vue sur le patrimoine. Il en a résulté une extrême diversité des espaces protégés enregistrés sous cette rubrique. Parmi les sites classés, il en existe de toutes les superficies de quelques mètres carrés (les arbres de la Révolution) jusqu'à plusieurs milliers d'hectares, la vallée de la Clarée, le Mont-Blanc ou le marais poitevin...Il faut ajouter que l'extension de périmètres de sites déjà classés est une modalité usuelle de la mise en oeuvre actuelle de cette politique. Le paysage des sites protégés peut concerner sans exclusive des lieux bâtis ou/et naturels sachant que le périmètre est dessiné d'abord en fonction de sa pertinence au regard du/des critère/s retenu/s pour l'intégration au patrimoine national. Si l'origine du monument naturel traduisait le parallélisme un peu étriqué de la vision du patrimoine monumental et de l'intérêt initialement accordé au paysage, l'évolution de la politique des sites révèle la richesse et la souplesse de l'approche ouverte de la législation sur les sites. Et c'est à droit constant qu'a pu se produire le glissement progressif de la vision des sites depuis 1906/1930 jusqu'à la période contemporaine, depuis l'objet (arbre isolé, cascade) ou du point de vue à partir duquel on découvrait le paysage (belvédère) vers le panorama en lui-même, et enfin vers ce que l'on appelé le grand paysage, « un bassin visuel » qui se distingue du panorama parce qu'il se considère de tous les points et non pas du seul point de vue initial. Imprévue, voire parfois même déniée sur le plan de son éventuelle légitimité (on est dans le « cardinal » et non pas dans « l'ordinal »), la naissance d'une hiérarchie de plus en plus explicite entre des périmètres de sites classés selon une même procédure à dominante cadastrale et urbanistique suggérait sans doute une formalisation accrue...
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3213 Un pragmatisme avéré « en contrepartie d'un faible investissement doctrinal » Cette absence de formalisation vaut probablement à la politique des sites un certain manque de crédibilité doctrinale alors même que celle-ci aurait cependant pu être précisément liée à sa vocation généraliste et transversale aux différentes disciplines spécialisées. L'analyse comparative avec la légitimation des autres dispositifs révèle en effet un flou doctrinal patent si l'on prend comme base le contenu des rapports préalables au classement. Pour intéressants et documentés que soient la plupart d'entre eux, ils ne se rapportent à aucun référentiel précis si ce n'est l'utilisation même des 5 mots « sacrés » de la loi de 1930, pittoresque, artistique, scientifique, historique, légendaire. Ces mots, dont aucune glose officielle ne cerne les contours, laissent place à des interprétations multiples en terme de valeurs et d'échelles d'appréciation, voire parfois à de simples affirmations dépourvues de démonstration. Comme si la réflexion fondatrice de cette politique s'était structurée d'abord à partir de sa différenciation avec d'autres politiques patrimoniales avant de rechercher l'enrichissement ou la déclinaison approfondie des critères cités dans la loi de 1930. .. C'est ainsi que dès le départ, la rançon de la proximité plus aisée de la politique des sites avec les sentiments du citoyen ordinaire se fit jour. Le premier risque était bien celui du moindre effort de définition de la politique de protection qui, de fait, s'est longtemps limitée à un usage formel des qualificatifs recensés par la loi dans un esprit plutôt « régalien ». Le corollaire de cette fragilité se déploie avec l'argument ressassé de la subjectivité des qualifications, que ne contrebalançait pas un débat public mais instruit sur les fondements des choix effectués. Cet argument a été (trop) vite mis en avant, sans doute pour relayer les oppositions aux contraintes nées de cette politique. Ces contraintes pouvaient toucher le droit de propriété banal ou des projets d'aménagement plus ambitieux relevant des grands opérateurs publics ou privés. Et la notion de service rendu par les paysages et les écosystèmes, pas plus que l'esquisse d'une valorisation économique des « infrastructures naturelles du développement » notamment touristique ne venaient pas encore à la rescousse des champions de la protection des sites. C'est l'envers ou l'autre face, sombre, de la valeur ajoutée reconnue au dialogue démocratique à l'oeuvre dans le seul dispositif procédural prévu pour la gestion des sites. Hormis la création de nouveaux campings, rien n'est interdit à-priori dans le périmètre protégé; il y a une obligation de discuter du projet et une appréciation de sa pertinence au niveau politique le plus haut.
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L'aspect acceptable de la mutation de l'aspect du lieu conduit à s'interroger sur la substance de « l'esprit des lieux », et à mesurer le changement supportable sous peine de sa disparition. C'est que « l'inscription ou le classement d'un site entraîne, sur les terrains compris dans les limites fixées par la réglementation, l'obligation pour les intéressés de « ne pas procéder à des travaux autres que ceux d'exploitation courante en ce qui concerne les fonds ruraux et d'entretien normal en ce qui concerne les constructions sans avoir avisé, quatre mois d'avance, l'administration de leur intention. » Et que « Les monuments naturels ou les sites classés ne peuvent ni être détruits ni être modifiés dans leur état ou leur aspect sauf autorisation spéciale. ». De surcroît, l'instance de classement prise sur simple décision ministérielle suffit à geler un projet pendant un an, délai censé permettre l'aboutissement d'une procédure de classement. Une caractéristique majeure de la politique de protection des sites est justement ce pouvoir quasiment souverain reconnu au ministre chargé des sites pour décider de la compatibilité d'un projet avec le site auquel il est destiné. Il est clair que le classement et la gestion centralisée des travaux dans les sites font de cette politique un instrument juridique « fort » dans un contexte où l'Etat peine à faire reconnaître son rôle de régulateur des mutations du territoire. Via le contentieux administratif on peut constater une reconnaissance efficace de la prévalence des sites comme enjeu par rapport aux autres enjeux des politiques d'aménagement ; l'erreur manifeste d'appréciation sanctionne l'incompatibilité entre projet et mesure de protection. Les enjeux économiques, sociaux et environnementaux sont considérables sur le potentiel des territoires concernés, et les porteurs de projets comme les régulateurs en sont tout à fait conscients depuis l'essor urbain des trente glorieuses en particulier. 3214 Un usage quelque peu dévoyé de la législation sur la protection des sites, entre régulation de l'urbanisme et concurrence opportuniste des procédures patrimoniales Cette tension entre la puissance du dispositif et la force des enjeux en cause a été à l'origine d'une sorte de dévoiement de la politique des sites utilisée comme instrument de régulation de l'urbanisation dès les années 1967, qui signaient l'essor des 30 glorieuses avec l'entrée en vigueur de la loi d'orientation foncière et la suppression corrélative de l'indemnisation de la contrainte d'urbanisme que représentait la législation des sites. La décentralisation de 1983 ne corrigea en rien cette regrettable tendance d'un usage accessoire des instruments de la protection des sites qui rendit encore plus sensible le caractère largement implicite de la doctrine qui présidait à la protection des sites.
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Faute de contenu doctrinal explicité et faute de définition raisonnée des politiques de paysage, dont le développement doit être corrélé à la politique des sites même si l'exercice est toujours incertain (lien entre les atlas de paysage et le fondement des procédures de protection ?), la dérive de l'application des sites a été de devenir l'instrument privilégié de la lutte contre l'urbanisation, avant d'être la variable d'ajustement financière de la politique de décentralisation . L'effet négatif de ce processus fut d'autant plus sensible qu'à deux moments-clés de ce jeu équivoque les moyens financiers dévolus à la compensation des sujétions imputables à cette politique subirent des atteintes particulièrement significatives. En 1967 fut supprimée l'obligation d'indemniser la contrainte affectant le libre usage de la propriété. La diminution progressive des crédits s'acheva avec leur inclusion dans le dotation globale d'équipement au moment de l'entrée en vigueur de la décentralisation de l'urbanisme (1983). Dans ce contexte le jeu de la synergie des protections aurait pu compenser cette déviance. Mais l'exemple de l'émergence d'une protection du territoire soutenue par une doctrine scientifique avérée : la protection de la nature entendue comme « biodiversité » éclaire la complexité de la situation entre concurrence et complémentarité. Au milieu de cette période la chronologie desservit une fois encore le positionnement de la politique de protection des sites au sein de l'administration de l'Etat. Dans le dernier quart du XXème siècle la prise de conscience du rôle que jouait la biodiversité dans les perspectives d'avenir des sociétés remit en cause l'avantage de légitimité démocratique et de modernité dont bénéficiait la politique de protection des sites, et qui se trouvait déjà écorné par les pratiques que l'on vient d'évoquer. En effet l'entrée en scène des scientifiques spécialisés notamment du Muséum d'histoire naturelle a rapidement doté la politique de protection de la nature d'un corpus de références étayées, sinon toujours convaincantes et acceptées. Instituée pour la première fois en 1976 la protection de la nature dispose de règles et de procédures animées au delà de l'administration dédiée, par une instance consultative dotée de compétences expresses pour apprécier des qualifications et les gestions appropriées, le Conseil national de la protection de la nature. Cette nouvelle typologie de protection créait une sorte de« concurrence » sur le champ territorial et elle s'accompagnait d'un retour au principe méthodologique originel du travail patrimonial, l'intervention privilégiée des spécialistes et des disciplines scientifiques. Deux cas de figure ont pu alors se produire, l'un vertueux qui a fait coexister des protections de façon complémentaire sur un territoire, par exemple la création de la réserve de l'Aiguille rouge au moment de péripéties affectant le site classé du Mont Blanc ou le classement au titre des sites du marais poitevin qui traversait une période de vicissitude à propos de son statut de parc naturel.
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A l'inverse le site classé de Loyette à la confluence de l'Ain et du Rhône aurait relevé davantage des mesures de protection de la nature que du paysage mais la prévention des collectivités à l'égard du statut de réserve naturelle a justifié le changement d'instrument de protection. L'autre cas de figure est le développement dommageable d'une sorte de compétition des principes de gestion, dont la lisibilité échappe alors aux acteurs institutionnels et économiques locaux, affaiblissant globalement la légitimité des politiques de protection du patrimoine national. Les classements de site, très souvent utilisés comme outil pour empêcher la construction, commencent à acquérir depuis quelques années une meilleure appréciation par les collectivités locales... La procédure a donc parfois été utilisée comme mesure de compensation de décisions d'aménagement dont les conséquences environnementales étaient particulièrement significatives : le classement du plateau d'En Paris en Isère résulte ainsi du développement de la station de l'Alpe d'Huez. Les opérations d'unités touristiques nouvelles (UTN) en montagne illustrent assez fréquemment un couplage développement/protection via un classement de site. Cette façon de procéder met en pleine lumière la singularité de la qualification plutôt transversale et humaniste des sites au titre de la loi de 1930, mais elle fait également ressortir le défaut d'explicitation des valeurs qui sous-tendaient le dispositif, le renvoyant parfois à une fonction supplétive. Le renouvellement des acteurs du territoire avec notamment l'entrée en scène de la responsabilité, désormais de premier rang, des collectivités locales dans la gestion des usages de l'espace, allait pourtant changer la donne et consacrer la politique des grands sites esquissée à l'aube de la décentralisation.
3.2.1. La naissance du concept de « grand site ».
3221 Elle se fait en réaction aux fragilités nées du défaut de maitrise de la gestion des sites inscrits et classés Le cercle des acteurs de la politique des sites se renforce indiscutablement malgré le brouillage opérationnel d'une politique régalienne en perte continue de moyens financiers. L'engouement de la société civile pour le patrimoine, notion de plus en plus valorisée économiquement suscite la conviction des responsables territoriaux qu'il peut s'agir là d'un vecteur de développement local. De nouveaux acteurs émergent avec des capacités d'intervention appréciables :
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l'Union européenne à divers titres, les régions (Bourgogne, Aquitaine, Provence...)
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les conseils généraux parfois très fortement impliqués (Puy de Dôme, Haute Savoie, Cantal, Pas-de-Calais, Hérault, Gard...) et des acteurs économiques se mobilisent également (Gaz de France, CCI du Gard...), tandis qu'apparaissent des regroupements d'acteurs locaux soucieux de conduire des projets de territoires à différentes échelles (parcs naturels régionaux, pays etc.)
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Du côté de la société civile : « ce qui fait patrimoine » suscite un intérêt de plus en plus manifeste même si on est incapable d'en donner une définition unique ou synthétique selon la période considérée, les générations en cause, les catégories socio-économiques. Le paysage, notion culturelle pourtant très floue (beauté et laideur, enquête d'Y. Luginbühl)1 est plébiscitée par la population. Malgré un portage politique national de moins en moins lisible, à mesure que les collectivités territoriales se mobilisent pour le patrimoine sur le terrain, la part du paysage et des sites emblématiques de la France accroit son incidence sur la balance des paiements (1ère destination touristique mondiale). L'essor du tourisme rend tout à la fois rentable et dangereuse pour la pérennité des sites cette évolution en faveur du patrimoine qui se traduit par une fréquentation croissante des lieux emblématiques. C'est dans ce contexte quelque peu équivoque que se développèrent les initiatives qui donnèrent son inflexion à la politique des grands sites. Sans revenir sur l'historique détaillé (de 1978 à 2009) de l'émergence du concept de grand site, il faut souligner qu'il est question ici d'administration pragmatique et ambitieuse à la fois devant un problème concret à multiples visages : la reconnaissance de la valeur patrimoniale d'un site le rend particulièrement vulnérable et peut parfois mettre en péril sa pérennité. « L'arrêt sur image »que représente la définition d'un statut d'espace protégé ne produit pas en lui-même les conditions de gestion qui permettent de faire face à une certaine logique du vivant incarnée ici par la multiplication des usages et des usagers temporaires du site. La politique de protection des sites bénéficie de longue date de l'accompagnement fidèle et motivé d'une administration dédiée. Cette administration s'efforce vaille que vaille de maintenir dans la durée un fil directeur essentiel, le classement des sites au titre de la loi de 1930, qui confirme le rôle attendu, sinon parfois même réclamé, de l'Etat garant du territoire « patrimoine commun de la Nation ».
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Luginbühl (Y.) Paysages. Textes et représentations du paysage du Siècle des Lumières à nos jours, Lyon, La Manufacture, 1989 PERSPECTIVES DE LA POLITIQUE DES SITES ET "GRANDS SITES" DE FRANCE Page 18/41
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La mission tient à mettre en exergue sa capacité d'innovation : c'est bien elle qui a su promouvoir des actions susceptibles d'illustrer et de faire essaimer les bonnes pratiques de gestion des sites qui ne reposaient sur aucune investiture particulière de la loi de 1930.. Si la création de deux labels (OGS et Grands sites de France) correspondant à un processus bien connu des opérateurs économiques, la marque déposée, s'est faite un peu à l'aveuglette quant à la portée et la vocation de l'une ou de l'autre solution, ce mouvement témoigne de beaucoup de lucidité sur le besoin de suivi du devenir des sites ainsi que d'une intelligence active des transformations du contexte. 3221 Les opérations « grands sites » Les « opérations grand site » (OGS) ont été lancées à la fin des années 75 pour traiter des sites touristiques, plutôt étendus, où des dégradations apparaissaient par suite d'une fréquentation importante ou simplement mal maîtrisée. Cependant les OGS n'ont été définies que par des circulaires successives, la dernière remontant à 1997. Au fil du temps une sorte de philosophie d'action a été dégagée s'appuyant sur des conditions « coutumières » : Il doit s'agir de sites classés au moins pour l'essentiel de leur périmètre... Ces sites devaient être « socialement consacrés » pour reprendre l'expression de l'administration, c'està-dire avoir une grande notoriété dont l'appréciation reste assez floue, faire l'objet d'une volonté de réhabilitation et de gestion pérenne soutenue par un large consensus au niveau local, le projet devant bénéficier au développement local des communes supports de ces opérations. Ces opérations, dont la liste, la typologie et l'enveloppe financière ont varié sur l'ensemble de la période, ont permis, en concentrant une enveloppe de crédits d'Etat limitée sur moins d'une dizaine d'opérations financées chaque année d'obtenir des interventions plus massives et plus efficaces sur ces quelques sites, relayées en effet par d'autres acteurs. De plus en plus les financements de l'Etat sont complétés par des crédits de collectivités (région ou département) qui attestent donc du consensus local. Le premier lieu traité a été la Pointe du Raz qui est resté le site emblématique de cette politique. Compte-tenu des différentes phases des dossiers (études et travaux) et de la nécessité d'étaler le financement sur plusieurs années pour les travaux, une quarantaine « d'opérations grand site » ont vu le jour et ont abouti. Pratiquement les OGS se construisent en deux phases, une pour les études, une pour les travaux. De fait la conduite d'une OGS nécessite une maîtrise d'ouvrage constituée. Un accord de principe préalable doit être donné par le ministère sur la base d'un diagnostic et d'objectifs, puis après la phase d'études, une autorisation doit être donnée sur les travaux (comme dans tous les sites classés).
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La consultation de la commission supérieure des sites a été instituée. Il n'est pas prévu de phase de suivi ou d'évaluation (hormis le contrôle comptable du « service fait ») après attribution des subventions d'investissement qui représentent en général la moitié des dépenses engagées. Mais paradoxalement, le Ministère a déposé l'appellation « opération grand site » (OGS) à l'Institut de la propriété industrielle (INPI) pour défendre son utilisation. En résumé, il apparaît que la le terme d'OGS ne se réfère qu'à une procédure financière même si le lien avec la labellisation ultérieure ou non d'ailleurs d'un grand site de France ne peut être dénié. Le fait de disposer d'une appellation particulière (OGS) introduit une confusion dans la dénomination des périmètres relevant de la loi de 1930. La mission n'en a pas perçu la valeur ajoutée d'un «dépôt de marque pour une activité, elle, en revanche, tout à fait nécessaire de soutien à la gestion de site dont l'usage ou la fréquentation implique une mobilisation de toutes les parties prenantes concernées socialement, économiquement et institutionnellement d'ailleurs au-delà des collectivités sièges de ce périmètre. Les incertitudes du fondement doctrinal et la circonstance que l'apparition des opérations grands sites se soit faite à l'occasion de problèmes de gestion (trop de fréquentation mal maîtrisée) et avec la préoccupation de concentrer les financements en vue d'une meilleure efficacité plutôt qu'en fonction d'une typologie quelconque ont pesé cependant sur une bonne valorisation de ces innovations. Cette insuffisance doctrinale, qui ne permet pas d'étayer des réponses négatives à partir de référentiels officiels, a eu de surcroît pour corollaire une sensibilité particulière aux demandes opportunistes d'assistance à la mise en valeur de lieux dont le caractère emblématique n'était pas forcément démontré. On a pu avoir enfin l'impression dans quelques cas de certaines divergences entre la qualité attendue d'un grand site de France et le devenir d'une opération grand site. Ces difficultés sont accrues parce qu'au fil du temps les enveloppes budgétaires ne permettent plus que rarement la réponse aux servitudes « ordinaires » du classement d'un site, ou même le déploiement et la conduite à bonne fin, à de rares exceptions près ( la pointe du Raz par exemple) des programmes exceptionnels, alors que ces programmes sont rendus nécessaires par la mutation quantitative et qualitative de la fréquentation des sites et paysages emblématiques du patrimoine français. La multiplication d' « opérations grands sites » connaissant de plus ou moins grandes difficultés de définition ou de réalisation des programmes Sixt-fer-à cheval, Solutré-PouillyVergisson, Puy Mary-volcan du Cantal, gorges du Tarn et de la Jonte... entre autres, font durement ressentir ce qu'on nomme « désengagement » de l'Etat. Les programmes régionaux associés sont parfois menacés ; des DIREN inquiets et des préfets réticents à inscrire dans les contrats de plan des financements à faible fiabilité opérationnelle signent un tableau préoccupant.
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D'autre part, force est bien de noter un certain flou dans le chaînage des mesures de protection correspondant à la politique des sites. Il n'y a pas de « parcours de référence » balisé, et même si l'on peut penser que la singularité de chaque territoire peut le justifier, un minimum d'éclairage capable d'aider les acteurs impliqués à disposer d'une visibilité des perspectives apparaît souhaitable. 3222 le label « grand site de France » Le Label « grand site de France » a été mis en place en 2004, après le lancement du Réseau des grands sites de France pour compléter le dispositif OGS en favorisant échanges et émulation entre les espaces protégés comme cela se faisait pour les espaces naturels (PNR, réserves naturelles). L'armature essentielle des grands sites de France réside dans la mise en place d'un interlocuteur responsable de la gestion du site au plan politique, en général un syndicat mixte associant tous les partenaires locaux, doté d'un directeur complètement investi dans la gestion du site. Pour l'Etat, l'argument d'un pouvoir de suivi de la gestion des sites grâce à l'arme de la précarité du label a été semble-t-il un moteur décisif à la construction du dispositif. Il existe en effet une possibilité de refus du renouvellement du label à chaque échéance fixée à six années. Ces différents principes ont été validés par des notes, certaines signées du Ministre. La marque « grand site de France » a été déposée à l'Institut de la propriété industrielle (l'INPI) comme celle de l'OGS sans que pour autant la définition des moyens nécessaire à la surveillance d'éventuels usages prohibés ou déviants n'ait fait l'objet d'une réflexion aboutie en dehors du retrait du label. A noter qu'aucune procédure administrative n'a été codifiée réglementairement : le label est attribué par décision ministérielle, après un avis de la commission supérieure (CSSPP) et du Réseau des grands sites de France. Il se situe bien dans la continuité régalienne et centralisée de la politique des sites, même si l'on aurait pu imaginer une initiative plus importante reconnue aux services déconcentrés pour l'identification et la validation des projets et des programmes. Le réseau des grands sites de France, qui regroupe les candidats à l'attribution du label en même temps que les gestionnaires des sites labellisés, a créé en son sein une commission pour délibérer sur ces demandes. Six gestionnaires ont été labellisés depuis lors. Aucun des sites n'a encore atteint l'échéance des six ans qui doit donner lieu ou non au renouvellement. La problématique actuelle des grands sites repose largement sur le caractère somme toute peu défini d'une politique qui se voudrait emblématique.
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3223 le réseau « grands sites de France » (RGSF) Cette institution de droit privé est en elle-même l'une des meilleures cautions de la modernisation de la politique des sites à travers le prisme des grands sites. La spécificité de la structure RGSF a d'abord pour caractéristique d'accompagner des projets de territoires vers une forme d'excellence, dont la définition souffre certes de contours imprécis ou inédits, beaucoup plus que de relier ceux qui y sont en quelque sorte déjà parvenus et cela même si la réussite de ceux-ci reste précaire et à faire reconfirmer périodiquement. De fait la plupart des membres du réseau ne sont pas « grands sites de France » même si la crédibilité - et la capacité d'expansion - de la structure repose sur l'existence d'un tel « statut ». En effet l'accompagnement assuré par le RGSF passe par un effort d'identification des références des lieux considérés comme emblématiques et par une démarche de qualification opérationnelle visant à des pratiques de gestion adaptées au contexte de sites généralement célèbres, soumis à de fortes pressions et susceptibles de devenir des vecteurs efficaces de développement local. L'organisation d'un débat permanent entre ses membres a permis au réseau d'acquérir progressivement une fonction reconnue de centre de ressources qui s'étend au-delà de son cercle initial, ce dont témoignent les demandes d'adhésion de collectivités qui prétendent ou non au label ainsi que sa propre adhésion ressentie comme positive au sein d'autres réseaux à vocation patrimoniale2. La mission doit souligner qu'elle a été très favorablement impressionnée par l'ampleur et la qualité du travail accompli par une structure de très petite taille qui a réussi à créer un style et des instruments de communication efficaces, sans préjudice d'un véritable effort de réflexion qui sous-tend réellement l'émergence de nouveaux savoir-faire et leur partage... Ce n'est pas donc la qualité du travail accompli par la structure RGSF d'explicitation des valeurs intrinsèques aux grands sites, de la définition des démarches d'excellence, de stimulation, d'évaluation et de valorisation de pratiques éclairées, de capitalisation des acquis et de construction de réseaux... qui est en cause dans les difficultés qui ont motivé la demande d'une mission ministérielle. L'expression même des difficultés rencontrées par RGSF renvoie à la légitimité de ce statut : déficit de définition officielle, manque de reconnaissance dans l'ordonnancement administratif et financier de l'Etat, concurrence et usage « abusif » des termes de référence...
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ATEN (Atelier technique des espaces naturels) , ICOMOS (Conseil international des monuments et des sites)... PERSPECTIVES DE LA POLITIQUE DES SITES ET "GRANDS SITES" DE FRANCE Page 22/41
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3.3. De nombreuses questions face à un héritage riche mais lacunaire...
Une politique publique se doit de positionner clairement ses ambitions et la répartition des rôles de chacun des partenaires. La nécessité d'enrichir le débat, de diffuser les bonnes pratiques et les recherches en cours sur les réflexions fondatrices et sur les nouveaux savoir-faire ne peuvent justifier l'économie d'une base légale claire pour rendre audible et visible ce travail de stimulation de l'excellence. Or les lieux concernés par les « opérations grands sites » et les sites reconnus labellisables « grands sites de France » ne peuvent s'analyser selon une description formelle indissociable d'un état de droit, même si par ailleurs une analyse formelle ne saurait suffire à rendre compte de la richesse du concept de grand site.. C'est un défi intellectuel et démocratique qu'il n'est plus possible d'éluder tant aujourd'hui les interactions entre le patrimoine emblématique, le paysage ordinaire et les modèles de développement sont intenses et rapides. Les effets du classement, dont il faut dire qu'il n'est pas toujours « parfait » (site inscrit, en cours de classement ou même parfois seulement à l'état d'intention), produisent des répercussions à des échelles complètement différentes non seulement sur le territoire environnant mais encore sur l'image du patrimoine national, sur le retentissement de l'exemplarité des modes opératoires et sur une pédagogie des responsabilités et des valeurs qu'ils expriment. A cela il faut ajouter les difficultés de compréhension et d'ajustement de l'intégration d'un tel périmètre dans un projet de territoire vivant aux limites à géométrie variable en fonction du traitement des problèmes à résoudre et des catégories d'acteurs impliqués. Même si des précédents existent avec la gestion des acquisitions et des projets d'aménagement du Conservatoire du littoral ou les principes de gestion des parcs naturels par exemple, il y a toute une logique de mobilisation des partenaires et un code de bonnes pratiques qui doivent être clarifiés pour mériter le nom de politique publique. Une série de questions sans réponse doivent retrouver la légitimité conférée par une politique publique nationale :
3.3.1. L'ancrage insuffisant de nouveaux modes d'action insolites comme le label dans la tradition législative et réglementaire
Les labels ont été déposés à l'INPI : le processus d'attribution a été fixé par un document interne sans valeur juridique introduisant la souplesse voulue de la procédure pour une première période d'expérimentation : avis de la commission supérieure sur rapport de l'inspection générale, avis de l'association RGSF... Pas de dispositions encore arrêtées pour le renouvellement ou non au bout de 6 ans.
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Il convient de relever que si ces deux marques sont déposées et donc protégées, les « objets » protégés ne sont pas eux définis par une base légale claire fixant les procédures d'attribution ou de retrait (cf . à titre de contre exemple le cas du Conservatoire botanique national ®, marque déposée à l'INPI qui s'appuie sur une définition figurant dans le code de l'environnement, R. 416-1 à 6). D'autre part on n'y trouve pas de disposition pour vérifier les utilisations « abusives » du label alors que des « déviances » se seraient déjà signalées (Conques, les Baux de Provence..) et qu'un risque potentiel existe : la création d'un label similaire quant au nom, avec, en partie ou non, les mêmes objets que le label de l'État, mis en place par une autre structure, y compris privée avec des moyens financiers et de communication d'une autre ampleur... Faut-il y placer l'initiative à vocation touristique principalement de la région MidiPyrénées qui utilise un terme « grands sites » dans une acception à tout le moins différente de l'utilisation de ce terme dans le patrimoine national ainsi qu'un logo au graphisme lui très voisin ? Or rappelons que l'administration ne dispose pas de la doctrine et des moyens dont se munit tout propriétaire de label pour en surveiller la bonne utilisation. Pour mémoire il s'agit d'une veille active et de procédures judiciaires essentiellement.
3.3.2. La relative confidentialité des processus et des critères d'appréciation
La relative confidentialité des processus et des critères d'appréciation ont fait redouter notamment s'agissant des « opérations grands sites », le caractère discrétionnaire des décisions. Cette relative confidentialité semblait entrainer, au moins jusqu'à la toute dernière période 2007/8, une relative confusion entre les différentes démarches : adhésion au réseau des grands sites de France, déclenchement d'une « opération grand site » et attribution du label. Or il s'agit de trois moments différents qui ne sont pas nécessairement inscrits dans un parcours obligé. La question de l'articulation avec la politique ordinaire des sites et la constatation d'une hiérarchie des interventions selon le niveau des enjeux devrait être revue et explicitée pour rendre sa cohérence d'ensemble au dispositif.
3.3.3. Le flou croissant au fil des ans du vocabulaire, voire des concepts, qui servent de fondement à la politique...
La capitalisation des délibérations de la commission supérieure des sites et paysage correspond dans une certaine mesure à l'expression d'une doctrine mais d'une part l'accessibilité aux motivations qu'elle exprime et aux comptes-rendus des débats reste difficile, d'autre part les conditions de son intervention ne sont pas très claires sur cet objet administratif peu identifié qu'est le label.
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Le champ et les modalités de la revendication de propriété de l'administration sur le label et l'usage qu'elle décide d'en faire devraient figurer parmi les toutes premières clarifications nécessaires. La confusion des appellations est le produit naturel du déficit d'expression mais aussi de partage dans l'ensemble des cercles concernés (qui peuvent aller jusqu'au grand public !), des valeurs patrimoniales issues de la loi de 1930. Au total une somme d'ambiguïtés devrait être levée pour donner à la politique des sites de France le retentissement désirable pour la fonder réellement. 3331 Une dénomination politique dépourvue de base légale claire La première équivoque réside dans la dichotomie actuelle de la politique dite des « sites » et de celle dite des « grands sites », bien que deux éléments leur soient communs, le mot « site » et une portion de territoire classée « site » au titre de la loi de 1930. En dehors de cette exception, toutes les autres dénominations qui en découlent, et dans lesquelles se trouvent inclus le mot « site » ont des fondements réglementaires inexistants ou quasi inexistants, des définitions plus ou moins précises et surtout une conceptualisation à géométrie variable selon les interlocuteurs chargés de la mise en oeuvre administrative et technique de la politique des grands sites et selon les périodes de l'histoire de cette politique . Parmi les expressions sur lesquelles la réflexion doit porter, nous trouvons : « grands sites », « opération grands sites », un label « grands sites de France® » (deux marques déposées auprès de l'INPI par le ministère en charge des sites), une association portant le nom de « réseau des grands sites de France. » Si toutes ces expressions tournent autour d'un même objet, il n'existe aucune réelle hiérarchisation, ni dépendance entre ces diverses appellations qui peuvent se chevaucher sur ou autour d'un même territoire et être attribuées de façon plus ou moins permanente. 3332 Une ambiguïté de la définition politique des sites liée à un adjectif Une partie de l'ambiguïté rencontrée tient non pas au mot « site » lui-même, qui fait référence à une partie particulière du territoire sur lequel s'applique une réglementation avec une référence juridique, mais au qualificatif de « grand » qui s'est trouvé adjoint pour définir certains sites, si ce n'est les hiérarchiser. Or cet adjectif n'est jamais vraiment défini dans les divers documents qui abordent les « grands sites ». Chaque lecteur et chaque acteur peuvent lui donner soit un seul sens, restreignant le champ des possibles, soit lui accorder plusieurs sens et ainsi montrer la complexité des approches possibles sur un même lieu. Deux possibilités sont offertes pour définir l'adjectif « grand », celle d'ordre physique, donc quantitatif avec des possibilités de mesure, et celle d'ordre qualitatif et par voie de conséquence non mesurable.
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Dans le cas qui nous occupe, la première approche quantitative qui vient à l'esprit est celle de la superficie, voire des différences d'altitude entre les points haut et bas du site. Dans le cas de la superficie, le seuil est fixé par un nombre ; en deçà, il s'agit d'un site, au-delà il s'agit d'un grand site ! Toujours dans ce domaine des chiffres et donc du quantitatif, grand peut faire référence de façon indirecte, au nombre de visiteurs réels accueillis ou potentiels sur une période donnée. Avec les mêmes critères que pour la superficie, le site devient ou non « grand site ». Il est intéressant de noter qu'avec ces jeux de chiffres, il deviendrait possible de hiérarchiser les grands sites entre eux ! Il est également vrai, que la seule modification des seuils, modifie le nombre de sites éligibles. La deuxième possibilité offerte au mot grand, est celui qu'il possède dans l'ordre du qualitatif et par voie de conséquence dans le non mesurable. Grand peut donc avoir de nombreux termes « concurrents » ou plus exactement il peut se décliner dans des registres divers allant de la référence morale à la celle esthétique avec des mots comme « essentiel, important, fameux, glorieux, illustre, beau, grandiose, magnifique, noble, sublime... ». Rien a priori n'arrête cette liste, puisque chaque site peut être un symbole direct ou indirect, visible ou suggéré, réel ou construit de ce que la société à un moment donné considère comme hors de la norme commune et qui nécessite, de ce fait, une attention toute particulière afin de ne pas faire perdre à ce lieu, sa grandeur d'exception physique, morale, esthétique, symbolique. Pourrait-on aller vers une synthèse des deux acceptions ? Cette rapide analyse, montre bien que l'ambiguïté de l'expression « grand site », est intrinsèque et que cette ambiguïté est en elle-même source de réflexion En effet, si le grand site n'était relié qu'à un seuil chiffré, sauf à en débattre la pertinence, aucune autre discussion de fond ne serait pertinente. Il est vraisemblable que la bonne définition d'un grand site doit prendre en compte, selon des pondérations à définir, les deux acceptions, propre et figuré, de l'adjectif grand et analyser : - La valeur intrinsèque du site liée à sa valeur géomorphologique, paysagère, avec une influence anthropique plus ou moins forte et/ou nécessaire pour sa sauvegarde..., - La valeur historique, sociale, symbolique accordée au site ou au nom qu'il porte... Par ces deux approches, il devient possible de faire l'inventaire de ce qui est « connu » ou digne d'être « reconnu » et par conséquent de figurer dans la liste potentielle des « grands sites ». La réalité est qu'en fait un troisième critère s'est imposé aux deux précédents : la qualité de la gestion... Il se trouve que c'est le seul qui fasse l'objet d'une exigence méthodologique même si celle-ci reste à parfaire.
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Si la politique des grands sites, doit devenir avant tout une politique issue d'une approche qualitative, un premier choix s'impose celui des critères de qualité retenus : valeur « naturelle » ou symbolique, niveau de notoriété et / ou de fréquentation, qualité de la gestion et implication des institutions et des acteurs locaux ou d'un partenariat plus ou moins rapproché... Il devient alors nécessaire d'analyser l'ensemble des attentes, exprimées ou latentes, des divers acteurs de la société, de les traduire dans une vision dynamique, de les faire partager et de les exprimer par un discours politique cohérent tourné vers l'avenir. Il y a là sinon une rupture par rapport à la tradition d'interprétation de la loi de 1930 du moins une ambition qui n'a guère été clairement formalisée jusqu'à présent en dehors de quelques célébrations exceptionnelles (achèvement des travaux de la pointe du Raz, centenaire de la première loi sur les sites...). Cette ambition devra se retrouver dans la validation de la notion même de grand site. 3333 Une nécessité de lever les imprécisions à connotations aujourd'hui exclusives socialement La naissance de la politique des sites, très liée à celle de la valorisation du patrimoine en général, s'est opérée dans un contexte social très différent de celui qui prévaut aujourd'hui, d'abord celui des clercs comme Viollet-le-Duc ou Mérimée après quelques voyageurs du XVIIIème... puis celui des usagers fortunés des nouveaux moyens de transports qui renouvelaient la notion de villégiature. Historiquement la création des réseaux de chemin de fer et le maillage du territoire par les diverses compagnies opérant en métropole a favorisé le développement d'une forme de loisir culturel pour une société aisée, accompagnée de son personnel de maison ; ces nouveaux usages ont permis de mettre en exergue des lieux, hors du commun y compris ceux difficiles d'accès, du moins au XIXe siècle. L'élite française a découvert son propre territoire avec la diversité des populations, des modes de vie, sans parler de la multiplicité des langues, des habitats, des organisations spatiales des villes et des exploitations agricoles, des paysages, des lumières... Dans certaines régions, les élites étrangères auront eu un rôle non négligeable sur la qualification des territoires. Grâce au choix éclectique des sites et paysages retenus par ces élites, cette mosaïque hétérogène de sites va progressivement former un corpus, celui du patrimoine touristique commun de la France. La diffusion dès la seconde moitié du XIXe de guides du voyageur comme les Guides Joanne, Guides pratiques Conty, ou Guides Baedeker, puis des Guides Michelin, Guides bleus... a renforcé cette appropriation et petit à petit forgé une culture du touriste qui se doit de visiter ou de voir les lieux considérés comme emblématiques et représentatifs de la diversité de la France dans l'unité de la Nation. Des associations puissantes, Touring club de France, Club alpin... ont participé à la construction de l'image de ce qui mérite ou non d'être vu, d'être apprécié, d'être visité, d'être classé, d'être protégé.
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Ainsi, petit à petit, va « percoler » dans toutes les couches de la société, du moins jusque vers les années 1970, ce qui est à considérer comme le patrimoine commun (monuments et sites) de la France (dans son sens géographique) et à accepter les valeurs qu'il porte. La hiérarchie sociale se double alors d'une hiérarchie intellectuelle sur la définition du beau et de ce qui fait sens par rapport au patrimoine national. Cette définition implicitement adoptée par le politique et l'administration est certes relativement riche et informée par rapport à la culture sociale dominante. Celle-ci restera stable jusqu'aux bouleversements entrainés par l'évolution de la société française due à l'industrialisation, à l'ouverture européenne et aux premiers signaux de la mondialisation.
3.3.4. Les incertitudes de la signification contemporaine de la politique des grands sites
Cependant l'écart entre l'approche esthétique des « amateurs éclairés » et les nouveaux usages dus à la massification du tourisme, entre les références culturelles traditionnelles et les nouvelles attentes des visiteurs auraient du conduire les institutions à revisiter cet « implicite » qui jouait de plus en plus improprement le rôle de doctrine fondatrice de la politique des sites. Il aurait fallu mettre fin à ces imprécisions : sites classés qui dans le langage courant signifie n'importe quel site protégé par l'Etat ou non, le sigle OGS qui a diffusé l'appellation grands sites laquelle n'avait ni fondement procédural ni logique de contenu propre, ce qui entraîne une difficulté d'appréhension du label »grand site de France » avec lesquels la distinction manque de points d'appui clairs. Le classement au patrimoine mondial de l'humanité par l'UNESCO a lui-même suscité des classifications intermédiaires, liste indicative, candidatures en cours d'expertise etc... La multiplication et la superposition des circuits tantôt administratifs, tantôt associatifs, tantôt politiques n'arrangent rien. Le ministre chargé des sites au moment du centenaire de la législation a évoqué ce besoin de cohérence officielle et a inscrit l'objectif dans une continuité des engagements internationaux de la France tout en validant les efforts de mise en cohérence effectué par son administration. « Cette cohérence d'un réseau national des sites classés vise : à pallier les disparités régionales liées à l'histoire de la mise en oeuvre des protections ; à représenter au mieux la diversité des paysages français en application même de la convention européenne du paysage signée le 20 octobre 2000 à Florence 3;
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« Le paysage constitue un élément essentiel du bien-être individuel et social, et sa protection, sa gestion et son aménagement impliquent des droits et des responsabilités pour chacun » PERSPECTIVES DE LA POLITIQUE DES SITES ET "GRANDS SITES" DE FRANCE Page 28/41
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enfin à préserver au mieux les sites ou paysages culturels que la France a proposés ou propose à l'inscription au patrimoine mondial de l'humanité ». Pour donner toute sa portée à ce mouvement il faudrait également tirer profit de « think tanks » comme ICOMOS- France, ainsi que du réseau d'experts du centre du patrimoine mondial de l'UNESCO, sans préjudice des liens à maintenir avec les instances institutionnelles ou associatives analogues en Europe telles que le National Trust (Angleterre)le National monuments and historic properties service (Irlande), le réseau ALPARC réseau alpin des espaces protégés, task force de la Convention alpine. Ce mouvement doit évidemment prendre appui sur le réseau des grands sites de France, qui joue aussi ce rôle à côté de l'administration traditionnelle. On citera pour preuve conjointe de l'intérêt de cet appui le remarquable ouvrage actuellement sous presse de l'ICOMOS, coordonné par Jean-Pierre Thibault « petit traité des grands sites » qui dresse une magnifique synthèse de la réflexion internationale sur la philosophie et la gestion des lieux emblématiques, retenus pour certains au patrimoine mondial de l'humanité et qui fait cependant la part belle à l'expérience française des grands sites avec une dimension humaniste et citoyenne qui n'en est pas la moindre qualité. C'est ainsi qu'ont pu s'enrichir les réflexions de tous les acteurs, y compris l'administration, sur des sujets dont les termes de références se sont profondément modifiés au cours des de la dernière décennie, par exemple la cohabitation des touristes et des populations locales, les conditions d'accueil, l'apport économique des sites, le déploiement de structures de gestion...
3.3.5. La qualification professionnelle des interventions sur les sites et les grands sites de France.
3351 L'adaptation professionnelle de l'administration des sites à la modernisation de ses missions : le paysage comme filière professionnelle reconnue L'émergence de nouvelles qualifications professionnelles propres à traduire les valeurs morales, esthétiques ou sociales portées par les grands sites et à promouvoir les processus de maîtrise d'ouvrage à objectifs multiples doit être accompagnée et inscrite dans les priorités de la politique publique. La création du MEEDAT et son corollaire celle des DREAL donne une opportunité sans précédent pour conforter la filière professionnelle du paysage dans laquelle s'inscrivent les acteurs de terrain que sont les inspecteurs des sites et leur encadrement. Dans la configuration antérieure leurs fonctions et leurs missions se trouvaient relativement « minoritaires » en termes de savoir-faire et de modes opératoires (travail de terrain, médiation...) au sein des DIREN dans la mesure où la transversalité de la politique des sites, y compris les « grands sites de France » ne s'appuie pas sur les mêmes référents « métiers »
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que ceux des hydrauliciens et des naturalistes, davantage orientés vers les sciences exactes et les questions de méthodologie. Au contraire les gestionnaires du territoire issus de l'équipement ont développé la dimension « paysage »4 de l'aménagement et les inspecteurs des établissements classés en provenance des DRIRE ont l'habitude du fonctionnement de terrain interdépartemental . En prenant acte de l'intégration potentielle voire nécessaire des différents modes de protection et de valorisation d'un territoire, le renforcement de la qualification des inspecteurs des sites au sein d'une filière professionnelle du paysage permettra de valoriser et de renouveler les pratiques et notamment de traduire plus largement des valeurs de référence à l'intention de nouveaux publics face à de nouveaux modes de consommation des sites, ainsi que favoriser l'essaimage vers le paysage « ordinaire » de savoir-faire d'excellence testés en vraie grandeur dans l'orbite territoriale des grands sites de France. La création des DREAL procure aussi l'opportunité de se servir des acquis pour irradier la politique de protection dans son ensemble, la loi de 1930 faisant ainsi la preuve de sa capacité d'animation, sous réserve qu'une mise en perspective globale des différents supports juridiques des espaces protégés soit portée à leur connaissance comme une nouvelle priorité de la politique publique ; la « trame verte et bleue » préconisée par le Grenelle de l'environnement, pourrait être l'occasion de cette reformulation, En tout état de cause un audit de la fonction paysage au sein du ministère avec les besoins de formation et le cas échéant de recrutement s'avère particulièrement souhaitable. 3352 Qualification et valorisation du métier de gestionnaire de site Aujourd'hui les directeurs de sites adhérents au réseau des grands sites de France définissent « en marchant » le métier d'intégrateurs des territoires dans la perspective de la valorisation du patrimoine selon des objectifs et une méthodologie « durables » Les thématiques sont multiples autour des conditions d'un accueil proposant une découverte des multiples facettes du patrimoine du grand site, de la contemplation du paysage à sa compréhension,voire à sa consommation sans toutefois que les usages associés ne dénaturent ou même banalisent au risque de détruire le site. Les questions de l'accès, de la mobilité, de l'interprétation, des services et des projets de développement sont au coeur de ces débats dont toutes les politiques de valorisation du patrimoine ne peuvent que se saisir5. Le lien avec l'aménagement du territoire et les acteurs locaux se fait d'autant plus prégnant que la gestion des grands sites de France s'inscrit dans une perspective très ouverte sur l'environnement économique et social tout en se réclamant d'une exigence d'innovation dans l'excellence. La capitalisation de l'approche de ces professionnels pourrait contribuer à un nouveau corps « doctrinal » sur la vocation de la loi de 1930.
4 5
1% paysage pour les infra, documents d'urbanisme, paysagistes-conseil, concours spécial des TPE.... L'intégration du réseau des grands sites de France au GIP ATEN (atelier technique des espaces naturels) constitue un début de réponse à cette question en soulevant l'interrogation récurrente de la portée et de la qualité du statut auquel se réfère le concept. PERSPECTIVES DE LA POLITIQUE DES SITES ET "GRANDS SITES" DE FRANCE Page 30/41
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Même si à ce stade la mission ne peut que rester très prudente sur l'expression de ces approches et a-fortiori sur leur validation, cette expérimentation en vraie grandeur lui semble comporter des conclusions porteuses : la restitution suivante issue des débats et questionnements sur le concept de « grand site de France» entre ces gestionnaires de sites permet de le saisir. La qualité de grand site est obtenue grâce à un regard sur un lieu ou un paysage et à des références qui appartiennent à une partie de la société, laquelle souhaite faire partager, ou non, sa perception du monde au plus grand nombre. Si le problème des référents n'est pas propre aux grands sites et se rencontre régulièrement dans de nombreux autres domaines, la liberté involontairement laissée ou accordée par l'administration initiatrice des grands sites autorise des questions et suscite la réflexion sur la ou les images de référence choisies (culturelles, ethnologiques, sociologiques...) permettant d'être élu ou non grand site et par voie de conséquence sur celles de ces images qu'il est souhaitable de diffuser dans la société. Deux autres éléments également à prendre en compte émergent à la suite de ces remarques: À partir de quel(s) groupe(s) d'interlocuteurs de référence est-il possible de définir le lieu qui peut devenir grand site, Où doit se situer le « regardant » pour définir ce qui mérite réellement d'être grand dans un site, la vision extérieure que l'on a sur le site avant de rentrer dedans, la vision qu'offre le site sur la monde extérieur, ou la sensation unique ressentie à l'intérieur même du site ; les diverses approches pouvant fort bien se cumuler dans certains cas. Si la valeur du beau, de l'exceptionnel, éminemment culturelle au sein d'une même société, évolue et si les critères de choix se modifient selon les époques, alors pour qui et pour protéger quelles valeurs du patrimoine, la politique des grands sites est-elle construite ? La société de référence est l'un des points fondamentaux de la réflexion, s'agit-il de la microsociété qui vit sur, autour, pour et par le site, de la société des touristes, français et/ou étrangers, ou de la société française dans sa diversité et sa complexité. On l'a évoqué ci-dessus, la très grande majorité des sites retenus ou susceptibles d'être retenus comme grand site est essentiellement ceux que le développement du tourisme de classe du XIXe siècle avait privilégiés. Or, si cette construction vers une unité de référence a pu se faire durant une grande partie du XXe siècle, il n'est pas certain que, pour les générations nouvelles très ouvertes sur le monde extérieur, aux approches culturelles multiples, leurs références en terme d'images paysagères et culturelles soient en parfaite harmonie avec celles proposées dans les grands sites actuellement retenus. La perte des repères temporels par les vitesses des déplacements terrestres (TGV, autoroutes), la perte des références culturelles des lieux et paysages traversés grâce à un réseau de grandes voies et d'autoroutes évitant villes et villages, entraînant une absence partielle de contacts avec les populations des territoires traversés, modifient profondément la place des grand sites dans leur milieu d'inscription.
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Les grands sites sont-ils ou doivent-ils être : - porteurs de valeurs culturelles et patrimoniales « statufiées »? - doivent-ils devenir une « image » témoin d'un temps passé souvent non défini ? Ou être tournés vers le futur et construire, pour les générations à venir, des références communes et une lecture commune des biens qu'il est nécessaire de protéger, que ces biens soit naturels, géologiques, faunistiques ou floristiques, ou anthropisés (paysages ruraux ou urbains). Dans le même esprit, les paysages considérés comme communs, apparemment multiples et nombreux, ne doiventils pas être étudiés, classés afin de construire les futurs référentiels, ceux du XXIe siècle. Dans une perspective de gestion globale et intégrée du patrimoine, quelle mise en réseau correspondrait le mieux à une valorisation de la démarche, par exemple au niveau international ou simplement européen? Les réseaux à vocation écologique, culturelle, de développement local...Et quels en seraient les enjeux prioritaires ? Autant de questions aujourd'hui portées par le Réseau des grands sites de France qui fait oeuvre de pionnier et de relais. N'y aurait-il pas lieu de mieux définir, voire formaliser le sens et la portée de cette contribution à la politique nationale et d'imaginer les essaimages possibles de ses résultats vers d'autres réseaux professionnels affrontés à des interrogations du même type , voire d'irriguer les programmes de recherche et de formation ? Ici encore se pose la question du « réseau des réseaux ».
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4. Propositions
4.1. Clarifier le choix du concept de « grand site de France » à partir de sa vocation de référence pour la politique nationale.
Un grand site est un lieu de rencontre sensible entre les valeurs individuelles du voyageur et les valeurs symboliques d'une culture collective; ces valeurs se perçoivent dans la configuration d'un paysage et de son territoire à travers un dialogue de l' histoire et de la géographie. Emblématique d'un « moment » particulier d'une histoire partagée, la fréquentation qui résulte de sa consécration le mettait souvent en péril et a nécessité une prise en charge spéciale, l'organisation d'une gestion réparatrice et/ou anticipatrice qui depuis 30 ans s'est concrétisée suffisamment souvent pour aboutir à formaliser une démarche de référence. Cette reconnaissance d'une qualité de la démarche de gestion met en exergue la dimension vivante et exigeante de la qualification « patrimoine » et lui donne une modernité servant de ferment à l'ensemble de la politique nationale des sites. Le « grand site de France » sert ainsi de référence et de laboratoire à tous les acteurs de la protection des sites. Le « grand site de France » est désormais une dénomination qui éveille un écho chez tous les acteurs institutionnels responsables du devenir des paysages ou de l'usage et de l'évolution des territoires, les visiteurs, ou aussi les partenaires économiques qui engagent la valorisation du patrimoine directement (par l'accueil) ou indirectement (par l'impact de leurs activités sur le paysage). Il apparaît comme une sorte d'archétype de l'évolution de la politique du patrimoine paysager et territorial. Aujourd'hui les « grands sites de France » définissent une catégorie d'excellence; ils proposent une image exemplaire du patrimoine français en éclairant le rôle de « verbe actif » -protéger- qui anime cette politique. Riche d'une philosophie d'action déjà largement éprouvée et d'une dynamique d'enrichissement à travers une mobilisation des partenaires publics et privés de l'Etat, le concept de « grand site de France » doit être « légitimé » et recevoir une base légale qui confortera le rayonnement de l'innovation qu'il constitue.
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4.2. Modifier la loi de 1930 pour officialiser l'évolution de la politique nationale des sites
Cette légitimation de la dénomination et du concept « grand site de France » renvoie au texte fondateur de la politique nationale des sites dont les principes restent essentiels à la dynamique moderne de sa mise en oeuvre : la loi de 1930. C'est en effet une condition même de la reconnaissance du « grand site de France » que de s'appuyer sur un périmètre défini par une procédure de classement dont l'attractivité irrigue le territoire environnant. Après une longue période de maturation et de probation le temps est venu d'identifier explicitement une hiérarchie d'excellence dans la qualification du patrimoine national et ce d'autant plus que celle-ci repose sur un partenariat avec les collectivités territoriales qui procède notamment de la décentralisation mise en oeuvre en 1983, soit bien postérieurement à la procédure de classement des sites. Il s'agit de valoriser la gestion partagée du territoire « patrimoine commun de la Nation ». Cet ajout à la loi de 1930 pourrait prendre la forme suivante : « Après l'article L 341-12 du C Env, il est ajouté un article L 341-12bis ainsi libellé : Art L 341-12-bis : Le Ministre chargé des sites peut décider, après avis de la Commission Supérieure des Sites, d'attribuer à un site classé le label « Grand Site de France ».Ce label est attribué,sur sa demande, au profit du territoire concerné, à une collectivité territoriale, un groupement de collectivités ou un établissement public, qui assure dans le site une gestion durable des valeurs patrimoniales qui ont justifié son classement, ainsi qu'un accueil du public compatible avec le maintien de ces valeurs, ainsi que le bien-être économique, social et culturel des habitants permanents ou des riverains du territoire protégé .La décision d'attribution du label est prise après consultation formelle des collectivités ou groupements concernés. Le label Grand Site de France est attribué pour une durée de 6 ans renouvelable dans les mêmes formes. » On aurait pu être tenté de n'avoir comme gestionnaire que la seule catégorie des « groupements de collectivités », mais cela ne correspond pas à la variété des situations : actuellement un Grand site de France au moins, le Puy de Dôme, est géré par une seule collectivité : le département éponyme. En outre 2 Etablissements publics de coopération culturelle (EPCC) (Bibracte et Pont du Gard), sont aussi titulaires du label sans être des « groupements de collectivités ». En revanche les gestionnaires de droit privé (SEM...) sont délibérément exclus : les démarches Grand Site requièrent des prérogatives de puissance publique (régulation des circulations et stationnements) et sont génératrices d'un système d'économie mixte. Pour ce qui est de l'accueil, il doit être à la fois pédagogique, respectueux du patrimoine et non perturbant mais au contraire bénéfique pour les habitants.
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Les critères proposés touchent à la fois la « gestion durable » du site (cité volontairement en premier) et à l'accueil du public :les futurs labellisés ont en effet réalisés un remarquable équilibre entre ces deux actions : Marais Poitevin, Deux-Caps, Solutré...
4.3. Nommer un parlementaire comme président de la commission supérieure des sites et paysages :
Il s'agit à la fois d'accroître la solennité de l'instance et pour tenir compte de la décentralisation qui a conduit à une co-construction de la politique des sites et du paysage, d'afficher cette commission comme lieu d'échange entre l'administration, les élus mandatés par leurs pairs et la société civile représentée par les associations et les personnes qualifiées: il y a également dans cette mesure l'affichage d'une plus grande indépendance des décisions proposées au ministre chargé des sites. Une telle mesure est d'autant plus importante que la politique des sites doit, non plus porter sur la seule appréciation d'une valeur patrimoniale, mais être tournée vers la gestion des espaces et leur mise en valeur par les hommes qui agissent localement.
4.4. Remplacer l'enquête administrative pour tous les sites par une enquête publique
Cette évolution est la simple mise à jour de la procédure de classement des sites sur les évolutions advenues depuis pour les enquêtes publiques : le maintien de cette forme archaïque d'enquête administrative, peut suggérer une image passéiste de protection autoritaire par l'Etat, loin des progrès démocratiques de nos procédures. La conséquence principale de cette mise à jour serait que les enquêtes seraient menées par un commissaire enquêteur indépendant, désigné par le président du tribunal administratif et non plus par un fonctionnaire impliqué ou proche du dossier.
4.5. Instituer des contrats de sites à la place des opérations grands sites avec un renforcement du rôle des administrations déconcentrées.
La réalité de ces dossiers mobilise aujourd'hui des financements d'autres collectivités et institutions aux côtés des crédits de l'Etat : le terme « contrat », assorti le cas échéant d'objectifs est donc plus conforme à l'évolution qui s'est opérée depuis le lancement des OGS sans remettre en cause les objectifs essentiels de la politique nationale mais en élargissant le cercle des acteurs et des lieux : la mise en valeur, la restauration d'une qualité d'accueil, la protection des sites les plus sensibles par une organisation adéquate de la fréquentation, la valorisation du patrimoine dans le respect de l'identité du lieu... resteraient évidemment à la base de tels contrats.
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La sélectivité qui a accompagné cette politique jusqu'à maintenant -applicable uniquement à des grands sites emblématiques victimes d'une trop grande fréquentationcéderait la place à un élargissement au bénéfice de sites plus régionaux qui dans une démarche conjointe avec les institutions locales, devraient pouvoir accéder dans des circonstances particulières, à des contrats de mise en valeur et de gestion. L'inscription de cette notion de contrats de sites dans les circulaires de programmation favoriserait en outre leur prise en compte le cas échéant par d'autres bailleurs de fonds associatifs ou économiques. La construction des partenariats ne peut être que locale et les services déconcentrés, sous l'autorité des préfets, doivent détenir les moyens de la négociation et pouvoir proposer la signature des contrats aux préfets. A cette fin, la réaffirmation du principe de subsidiarité, pour une politique aujourd'hui majeure après des années de tâtonnements légitimes et d'expérimentation doit s'exprimer par la déconcentration des décisions et des crédits correspondants au niveau régional. Pour cela un cadre et des critères précis pourraient être déterminés par l'administration centrale. Ici encore le système naissant de pilotage par évaluation des performances serait une opportunité privilégiée.
4.6. Construire un référentiel explicites des critères à partir des rapports à la commission supérieure des sites, perspectives et paysages, de ses débats et des avis, avec l'édition annuelle d'un rapport d'activité
La Loi de 1930, maintenant codifiée dans le code de l'environnement, a fixé des critères de classement des sites : un siècle plus tard, ce sont les mêmes critères qui sont appliqués mais avec des sens qui ont évolués, s'agissant d'appréciation éminemment culturelles : la commission supérieure qui est l'instance supérieure dans le processus de classement, est le lieu de débat de la doctrine et de l'application des critères : il est donc souhaitable, à partir de ses discussions et avis, de construire le référentiel des différentes formes d'espaces à classer ou à labelliser et de diffuser les comptes-rendus de la commission et les référentiels qui en seraient retenus. Un rapport d'activité annuel, plus argumenté que la simple description des sites classés dans l'année serait une bonne réponse à cette recommandation. Sa présentation officielle peut être l'occasion d'un débat sur l'évolution ou la confirmation des orientations politiques,
4.7. Renforcer les critères professionnels dans les processus de sélection des Ressources Humaines et la formation permanente proposée aux agents valoriser la filière « paysages » dans le déroulement de carrière (audit préalable pour y parvenir)
La plupart des « inspecteurs des sites » qui ont été la cheville ouvrière des classements de site jusqu'à aujourd'hui, sont partis en retraite : une part des chargés de mission qui les ont remplacés, sont titulaires du diplôme d'une école de paysage, et sont donc qualifiés pour
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travailler à l'application de cette politique. Les autres ont des qualifications différentes souvent utiles mais insuffisantes : en administration centrale comme dans les services déconcentrés, il est nécessaire de prévoir les formations qualifiantes nécessaires préalablement aux prises de poste puis en formation continue. La reconnaissance de ces fonctions dans les services, au moment où se pose la question du recentrage de l'activité des services de l'Etat sur les grandes politiques nationales, est essentielle au sein des services comme vis à vis des collectivités partenaires. Il est impératif de maintenir au niveau des services régionaux l'identification des fonctions liées à cette politique, avec la qualification nécessaire et la reconnaissance de l'expérience acquise. A cette fin une mission nouvelle d'audit doit être lancée pour évaluer avec précision l'état et la qualité des moyens de cette politique et leur articulation avec les autres politiques dans les nouvelles organisations en cours de mise en place : à l'issue de cette mission, il sera possible de préciser les démarches de formation, d'harmonisation ou d'adaptation locale à mettre en oeuvre.
4.8. Organiser la pérennité de l'appui technique du réseau des grands sites de France à l'administration et examiner la valorisation de sa dynamique comme centre de ressources et tête de réseaux sur la protection territoriale du patrimoine paysager.
A une étape précédente, l'administration a suscité la création d'un réseau entre les porteurs des opérations grands sites : ce réseau a montré sa pertinence et son efficacité, parfois en se substituant à l'administration, quand celle-ci tardait à prendre position. Il faut consolider et aider ce réseau comme lieu d'échanges, centre de ressources et de diffusion des politiques de gestion des « grands » sites. Il doit être soutenu dans son portage et la représentation des grands sites de France et des sites auprès des institutions et des partenaires extérieurs à cette politique. Son action de promotion des sites, ses publications et ses actions de vulgarisation doivent être appuyées. Le champ de ses interventions doit être élargi vers un rôle de « réseau des réseaux » dans l'esprit d'animer une « trame des espaces protégés d'excellence » s'inscrivant dans une « chaîne » de valorisation du territoire environnant. Ce nouveau rôle ne se bornerait pas nécessairement à l'Hexagone mais pourrait contribuer à relayer au niveau international la culture et les savoir-faire français dans le domaine des relations entre développement local (et durable) avec les « paysages culturels ». La qualité actuelle des productions du RGSF l'a déjà orienté dans cette voie dans laquelle une caution appuyée de l'Etat pourrait valoriser et développer son action. La mission s'est posée la question de l'appellation du Réseau « Grands Sites de France » alors même que tous les adhérents ne bénéficient pas du label et ne l'obtiendront sans doute pas tous : cette appellation ayant été antérieure au dépôt du label et étant maintenant ancrée dans le fonctionnement et le dynamisme de ce réseau, il lui paraît inutile et contreproductif d'en demander la modification :
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Il est par contre nécessaire pour lui-même que le Réseau précise le statut de ses membres : le classement au titre des sites de tout ou partie des espaces gérés par les adhérents semble une mesure souhaitable pour lui-même pour se différencier des autres associations existantes entre des gestionnaires d'espaces. Pour l'État c'est la légitimité qui permet de le conserver comme partenaire fédérant les lieux de sa politique des sites. Que les membres soient ou non candidats au label « grand site de France » ne concerne que l'association. En revanche il est évident que l'adhésion ne peut pas devenir une obligation pour bénéficier du label. Il est également indispensable de rendre à chaque partenaire le rôle qui lui revient dans l'instruction des dossiers et le choix des sites labellisés. Le Réseau et ses membres (y sont évidemment partie prenante à différents niveaux, de la pédagogie à l'aide aux dossiers de candidatures puis au partage des expériences, des bonnes pratiques voire une contribution à la « surveillance » des sites. L'instruction proprement dite de l'attribution du label reste en revanche une prérogative régalienne même si on peut admettre que l'association voit l'un de ses adhérents choisi comme membre de la Commission supérieure et, à ce titre, soit habilitée à se prononcer sur l'attribution d'un label soumis à la commission).
4.9. Communiquer de manière plus offensive sur la politique pour faire valoir ses acquis et son potentiel d'appui à une véritable promotion du Développement Durable.
4.9.1. Pour la France en tant que destination touristique, les classements de site et a fortiori le label « grand site de France » sont une marque de qualité : l'Etat doit la faire connaître et l'afficher régulièrement auprès des collectivités et du public.
Les collectivités locales, Régions et Départements, sont tentées de mettre en place sur leurs territoires, des politiques de soutien à des espaces naturels emblématiques (Conseil régional Midi-Pyrénées) : ces politiques gagneraient à être soit articulées avec celle de l'Etat (financements conjoints dans un contrat de site par ex.), soit au contraire plus différenciées : or, il leur est possible de créer des confusions par méconnaissance des dispositifs actuels. Quant aux communes si beaucoup souhaitent maintenant obtenir un classement sur leur territoire, au moment du classement d'un site, elles ignorent les obligations qui en découlent, d'autant que des rumeurs et contre informations voient facilement le jour dans ces circonstances. A l'occasion du centenaire de la Loi de 1906, des initiatives intéressantes ont été lancées qui ont permis de mieux faire connaître cette politique : la démarche doit être poursuivie. - Des efforts ont été fait pour un jalonnement routier spécifique mais cela n'a pas été généralisé : dans le nouveau contexte décentralisé de la majorité du réseau routier,
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l'Etat doit obtenir la généralisation de la signalisation des sites classés. Pour faciliter cette démarche, et montrer par là qu'il s'agit pour la Nation d'espaces exceptionnels, il conviendrait que quelques moyens soient apportés à cette démarche. - D'autres supports doivent être étudiés et mis en oeuvre, dans la continuation des publications déjà diffusées : guides touristiques, affiches, concours photo, sites internet,... Les Parcs Nationaux, le Conservatoire du Littoral ont montré le bénéfice d'image que pouvait apporter une communication ciblée de bonne qualité. Les sites classés restent jusqu'à aujourd'hui essentiellement des lieux de contraintes administratives et cette image doit être corrigée. Enfin, la mission a pointé des situations où des services de l'Etat eux-mêmes ont agi en méconnaissance de la qualité de certains sites, des enjeux de leur protection ou des dispositions réglementaires dont ils bénéficient. Aussi, au sein même de l'administration de l'Etat qui se réorganise, il convient d'élaborer les conditions de l'indispensable respect de cette politique au même niveau que toutes celles qui concourent au développement durable des territoires. Pour permettre aux Préfets et à leur nouveaux services de placer cette politique à sa juste place parmi toutes les politiques dont ils ont la charge sur leur territoire, une prochaine circulaire définissant les objectifs et les missions des directions des territoires au niveau départemental et des DREAL au niveau régional, devrait traiter de la politique des sites (déjà traité plus haut). °°° Bien conduite, la perspective de valorisation du titre de « grand site de France » mettrait fin aux regrettables confusions qui ont pu surgir à l'occasion de campagnes de promotion menées avec conviction et moyens par certaines collectivités pour populariser leur identité en se référant à la notion de grand site dont on a relevé le caractère flou et approximatif du point de vue de l'action publique. C'est bien toute la politique de protection des sites, dont elle est le sommet, qui en bénéficiera.
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Annexe - Lettre de mission
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