Avenir de la voie, dite normale, d'accès au mont Blanc - Site classé du Mont-Blanc (Haute-Savoie)
BOISSEAUX, Thierry
Auteur moral
France. Inspection générale de l'environnement et du développement durable (IGEDD)
Auteur secondaire
Résumé
<div style="text-align: justify;">Au coeur du plus grand et plus haut site classé de France, l'itinéraire privilégié pour accéder au sommet du mont Blanc est jalonné de refuges et équipements d'aide à la progression. Ce rapport, souhaité par la DREAL Auvergne-Rhône-Alpes, le maire de Saint-Gervais-les-Bains et le préfet de la Haute-Savoie, envisage leur avenir pour les deux ou trois décennies qui s'ouvrent. Il a été rédigé après avoir recueilli les réflexions de nombreux acteurs de la communauté montagnarde et s'être rendu, à pied, sur place.µIl réaffirme tout d'abord la vocation de course de haute montagne de cet itinéraire qui nécessite préparation physique et expose à des aléas naturels dangereux. Il souligne la convergence entre les valeurs de l'alpinisme, inscrit récemment au patrimoine immatériel de l'UNESCO - avec l'engagement du maire de Chamonix - et « l'esprit des lieux » lié à ce paysage d'exception reconnu par la Nation au milieu du XXème siècle via le classement. Il fait le constat de l'apaisement sur la fréquentation de cette voie d'accès au sommet, rendu possible par la régulation qui y est appliquée et contrôlée dans le cadre d'un arrêté de protection des habitats naturels. Celle-ci, si elle reste étroitement corrélée aux capacités d'hébergement en refuge et à l'indispensable limitation du nombre d'alpinistes présents simultanément dans les dangereux couloir et aiguille du Goûter, est un facteur de limitation des risques inhérents à l'ascension.µDès lors, le rapport préconise que les équipements (refuges et aide à la progression) restent aussi limités, sobres et discrets que possible vis-à-vis du paysage, de l'environnement et du caractère de haute montagne, lieu d'exercice de l'alpinisme, de ces lieux. Cela passe notamment par l'alignement (sans augmentation) des capacités des refuges de Tête Rousse et du Goûter et la suppression du « camp de base » de Tête Rousse. Cela passe aussi par une réorganisation complète de la zone du Goûter : effacement de l'ancien refuge fragilisé et désaffecté et de « l'annexe » disgracieuse et inadaptée dans ses fonctions actuelles (volume recueil et refuge d'hiver) ; expertise approfondie du refuge du Goûter visant à régler les nombreux dysfonctionnements dont il souffre, à le rendre modulable selon les saisons et apte à assurer sur place (et non à 250 mètres via une arrête neigeuse) la sécurité des alpinistes en cas de sinistre.</div>
Editeur
IGEDD
Descripteur Urbamet
patrimoine naturel
;patrimoine sauvegardé
Descripteur écoplanete
haute montagne
;alpinisme
;site classe
Thème
Environnement - Paysage
Texte intégral
IGEDD - Tour Séquoia - 92055 La Défense cedex - tél. +33 (0)1 40 81 21 22 - www.igedd.developpement-durable.gouv.fr
Section habitat et cohésion sociale
Mission d?inspection générale des sites et paysages
Paris, le 31 janvier 2024
Thierry Boisseaux
Inspecteur général
Rapport de mission
à l'attention de
Monsieur Philippe Mazenc,
directeur général de l'aménagement, du logement
et de la nature
thierry.boisseaux@developpement-durable.gouv.fr
Tél. 01 40 81 23 39
Rapport IGEDD n°014866-01
Avenir de la voie, dite normale, d?accès au mont Blanc
Site classé du Mont-Blanc (Haute-Savoie)
A la demande du préfet de la Haute-Savoie le 22 septembre 2022 (annexe 1), vous avez saisi
l?inspection générale de l?environnement et du développement durable (IGEDD) le 25 janvier 2023
(annexe 2) afin de disposer d?une « analyse globale sur le long terme quant à l?évolution des équi-
pements et refuges qui jalonnent la voie normale d?accès au sommet du massif du Mont-Blanc ».
Vous avez souhaité que cette analyse prenne en compte l?ensemble des enjeux (protection des
paysages et milieux naturels, fréquentation sportive et touristique, pratique de l?alpinisme, aspects
économiques, risques, etc.), dans le contexte de plus en plus prégnant et impactant du change-
ment climatique, et en ayant soin d?asseoir un diagnostic aussi partagé que possible de la situation
actuelle avec les acteurs locaux (élus, socio-professionnels, scientifiques, associations, etc.).
Vous avez également demandé qu?à la lumière des points saillants de ce diagnostic, des recom-
mandations soient formulées, afin « d?apporter des éléments de réponse partagés et adaptés aux
acteurs de la vallée et aux enjeux », et le cas échéant, que soient identifiés des « évolutions à
envisager ».
***
Ce travail est justifié par le classement (en 1951, 1952 et 1976) du massif du Mont-Blanc au
titre de la loi de 1930. Il ne s?inscrit pas dans un processus d?instruction d?un projet d?aménage-
ment, comme cela a été le cas récemment pour la prolongation du Tramway du Mont-Blanc (TMB),
la reconstruction du téléphérique des Grands-Montets ou la requalification du Montenvers. Sa di-
mension de réflexion prospective élargie a conduit à prendre suffisamment de temps pour aller
sur place, à la rencontre des acteurs de terrain, au début et à la fin de la saison 2023.
Des entretiens ont été réalisés à Saint-Gervais, à Chamonix, aux Houches, aux Contamines, mais
aussi à Annecy, Grenoble et au Bourget-du-Lac au printemps 2023, avec la plupart des personnes
concernées ou leurs représentants (voir liste en annexe 3). Ils ont été complétés, outre la lecture
de nombreux rapports, études, articles scientifiques, etc., par une mission de terrain les 25, 26 et
27 septembre 2023, juste avant la fermeture annuelle des refuges de Tête Rousse et du Goûter.
Je tiens à remercier vivement l?ensemble des personnes qui ont ainsi contribué à ce travail par le
partage de la réflexion propre à chacune d?entre elles. Leur bienveillance par rapport à cette ini-
tiative et la franchise de nos échanges sont une preuve de l?attachement qu?elles portent à ce site
d?exception. Je souhaite également relever l?engagement sans faille de l?inspecteur des sites de
la Haute-Savoie Sylvain Magliocca, à l?origine avec le maire de Saint-Gervais Jean-Marc Peillex
et le préfet de la Haute-Savoie Yves Le Breton, de cette démarche.
Enfin, je ne serais pas complet sans mentionner l?appui du capitaine Le Névé du peloton de gen-
darmerie de haute montagne (PGHM), excellent connaisseur des lieux et des gens, qui a eu la
lourde charge de guider sur le terrain le montagnard insuffisamment expérimenté que je suis.
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1. Localisation générale (en haut) et (carte du bas) périmètre du site classé du Mont-Blanc (rouge) avec mention (bleu) des
projets d?aménagement récents évoqués en introduction ; en vert, zone de la voie d?accès dite normale au Mont Blanc
Géoportail IGN, Atlas des patrimoines + ThB
Suisse
Italie Mont
Blanc
Prolongation ligne du TMB
Réhabilitation
Montenvers
Reconstruction
téléphérique
Grands Montets
Suisse
Italie
Italie
MONT BLANC
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2. La voie dite normale d?accès au mont Blanc : terminus TMB près du refuge du Nid d?Aigle, proximité cabane des
Rognes, refuge de Tête Rousse, couloir puis arrête du Goûter, proximité refuge du Goûter puis cabane Vallot, arrête
des Bosses jusqu?au sommet - Géoportail IGN (haut et milieu) + ThB ; photos (bas), SM
Commune de
Saint-Gervais
Commune
des Houches
Italie
Italie
Commune de
Chamonix
Refuge du
Nid-d?Aigle Refuge de
Tête Rousse
Refuge du
Goûter
Cabane des
Rognes
Cabane
Vallot
Ligne du
TMB
Enclave de la
commune de
Saint-Gervais
Refuge de
Tête-Rousse
3 167 m
Refuge du
Goûter
3 835 m
Ligne du
TMB
Refuge du
Nid d?Aigle
2390 m
Cabane des
Rognes
2 685 m
Cabane
Vallot
4 362 m
Mont Blanc
4 810 m
Glacier de
Bionnassay
Couloir et arrête
du Goûter
Arrête des
Bosses
Arrête des
Rognes
Arrête
Payot
Cabane
Vallot
Refuge du
Goûter
Refuge de
Tête-Rousse
Couloir et arrête
du Goûter
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Préambule : cadre de la réflexion
Le massif du Mont-Blanc constitue le plus grand site classé de France au titre de la loi de
1930 (environ 25 000 ha) et le plus élevé en altitude. Son classement le distingue comme un
des joyaux paysagers de la Nation et emporte servitude d?utilité publique afin de le protéger
de tout ce qui pourrait le défigurer ou affaiblir sa beauté et l?esprit des lieux qui y souffle.
La loi ne prévoit pas de longue liste d?interdits dans les sites classés. Seuls sont prohibés la
publicité et le camping1. Les activités qui préexistaient au classement peuvent continuer à s?y
exercer, les bâtiments afférents être entretenus. Concernant les nouveaux équipements ou
aménagements, seul est obligatoire l?enfouissement des tous les réseaux aériens créés pos-
térieurement à la date de classement. Tous les autres projets sont soumis à autorisation.
Celle-ci est délivrée, au cas par cas, par le ministre en charge des sites, ou le préfet selon
l?ampleur du projet, après avis de la commission départementale de la nature, des paysages
et des sites. Il s?agit de s?assurer que le projet n?est pas contradictoire avec les raisons qui
ont présidé au classement. Le cas échéant, le juge administratif, voire le Conseil d?Etat, se
reporteront à ces motivations afin de statuer.
L?élaboration d?un document de gestion2 (un par site classé), même si la loi est muette à ce
sujet, a été progressivement jugée utile pour préciser "le domaine des possibles" au sein du
site, en fonction d?objectifs de préservation, parfois d?amélioration de la qualité paysagère. Il
s?agit aussi bien de guider les pétitionnaires, que d?aider les services de l?Etat dans l?instruc-
tion des demandes (aménagements, permis de construire, etc.)3.
Pour le site classé du Mont-Blanc, aucun "document de gestion" n?existe. Il n?a en effet pas
été jugé utile ou possible jusqu?ici d?engager ce lourd travail de définition d?une vision com-
mune et de coordination à l?échelle du massif tout entier, en concertation avec des acteurs
qui n?en voient pas forcément l?intérêt. Même si l?existence d?un document de gestion, par-
tagé, contribuerait à donner un cap, son absence ne pose pas de problème en soi, l?Etat
s?efforçant de porter une vision non pas uniforme mais cohérente, dans le temps comme dans
l?espace, lorsqu?il instruit chacun des projets des divers acteurs (le plus souvent publics dans
le cas présent), au sein du site classé. Ce rapport doit y contribuer.
La voie, dite normale4, d?accès au mont Blanc, plébiscitée5 comme la plus facile technique-
ment, regroupe de nombreux équipements qu?il est important de considérer dans leur en-
semble, raison même du présent travail. La recherche d?une cohérence d?approche évoquée
plus haut s?appuie sur des considérations que j?ai eu l?occasion de développer pour le projet
de prolongation du tramway du Mont-Blanc (TMB) et pour celui de la reconstruction du télé-
phérique des Grands Montets. L?inspecteur général Jean-Marc Boyer en avait fait de même
au Montenvers.
Je ne reprendrai pas celles-ci in extenso ici (on en trouvera cependant les détails en an-
nexe 4), ne voulant pas lasser les lecteurs qui en ont déjà pris connaissance en ces occa-
sions, mais en résumerai cependant les éléments essentiels. Ils fondent en effet les recom-
mandations de ce rapport6.
1 - Sauf, le cas échéant, si des terrains de camping dûment autorisés préexistaient au classement.
2 - A ne pas confondre avec un « plan de gestion » qui prévoirait un plan d?actions séquencées. Ils sont de plus en plus élaborés
en concertation avec les élus, les acteurs socio-professionnels et les habitants.
3 - Lorsqu?il existe, ce document n?a cependant pas de valeur réglementaire, le principe fondamental d?un site classé restant
l?étude au cas par cas des projets en son sein.
4 - Appellation consacrée, même si le qualificatif est impropre. "Courante" ou "habituelle" serait plus juste.
5 - Elle concentre l?essentiel des 20 000 ascensionnistes pédestres annuels. La voie historique, ouverte en 1786 par Paccard et
Balmat depuis Chamonix via le refuge des Grands Mulets (qui n?existait pas à l?époque), est surtout utilisée aujourd?hui pour une
ascension printanière en skis de randonnée. Une autre voie, plus technique, passe, depuis l?aiguille du Midi, par le mont Blanc
du Tacul et le mont Maudit. L?ascension est aussi possible, mais plus difficile, depuis l?Italie, via le refuge Gonella.
6 - Le ministre peut, quand un projet lui apparaît délicat ou de grande ampleur, que son attention a été particulièrement attirée,
ou qu?il souhaite une réflexion plus prospective, demander avis à la commission supérieure des sites, perspectives et paysages
(CSSPP). Il l?a fait régulièrement s?agissant du massif du Mont-Blanc. Il peut également mobiliser la "mission d?inspection géné-
rale des sites et paysages" de l?IGEDD en préalable à la convocation de la CSSPP ou indépendamment de celle-ci.
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1. Le classement, dont la portée sur les usages est limitée, et la régulation de la fré-
quentation, quand elle s?impose, assurent une protection du site plus efficace
Le massif du Mont-Blanc mérite plus que jamais la reconnaissance que la Nation lui a accordée il
y a bientôt 75 ans en le classant, c?est-à-dire en le distinguant pour le caractère exceptionnel de
ses paysages et en assurant sa protection sur le long terme.
Les motivations initiales de ce classement, régulièrement réaffirmées depuis par les instances et
autorités qui ont en charge de les faire vivre, peuvent se résumer ainsi : un site riche et fier de
son histoire, ouvert aux hommes s?ils savent s?y imposer les limites indispensables à la
préservation des espaces fragiles et des paysages somptueux qui le composent, et s?ils
préviennent tout ce qui pourrait contribuer à sa banalisation7.
Il ne s?agit donc en aucun cas d?une "mise sous cloche". Il s?agit au contraire d?un choix délibéré
et assumé de libre fréquentation d?espaces naturels, intimement liée à l?histoire du massif, condi-
tionnée cependant au respect des lieux et des valeurs naturelles et humaines qui s?y attachent.
1.1. Une pratique et des valeurs de l?alpinisme qui sont intrinsèquement liées à
la préservation du paysage où il s?exerce
Si le classement a "consacré" un paysage où s?exerce principalement l?alpinisme, l?inscription de
cette activité au patrimoine mondial immatériel de l?UNESCO (2019), à l?initiative notamment de
la France8 et du maire de Chamonix, a le mérite d?en définir avec plus de précision les contours.
La décision d?inscription (cf. en annexe 5 son intégralité) :
- présente ainsi l?alpinisme comme « ?l?art de gravir des sommets et des parois de haute
montagne, en toutes saisons, en terrain rocheux ou glaciaire? » ;
- précise que « ?la pratique mobilise en outre des principes éthiques reposant sur les en-
gagements de chacun, notamment à ne laisser aucune trace sur son passage? » ;
- pointe la « ?responsabilité commune pour l?entretien et la restauration de lieux à valeur
sociale importante - les refuges de haute montagne -? »
- ainsi que les nécessaires « ?protection des alpinistes face aux risques de mise en dan-
ger de leur activité ; prévention des risques liés à la banalisation des pratiques et de leurs
lieux d?exercice ; renforcement de la veille préventive face aux atteintes à l?environne-
ment? ».
Elle relève encore que :
- l?alpinisme « ?s?appuie sur des références esthétiques, les alpinistes étant attachés ? à
la contemplation des paysages et à la communion avec les milieux naturels traversés? ».
La France s?est donc engagée, au niveau international, à faire respecter ces valeurs. Le faire au
sein du massif du Mont-Blanc, qu?elle a classé dès les années 1950 pour protéger le paysage
berceau et phare de l?exercice de l?alpinisme, relève donc de l?évidence.
1.2. Une fréquentation du massif concentrée sur quelques lieux faciles d?accès
avec une frontière parfois très floue entre tourisme et alpinisme
En dehors de la voie d?accès au Mont-Blanc objet du présent rapport, la fréquentation du massif
est à la fois diffuse sur sa plus grande surface, sans poser de problème particulier, et très concen-
trée en revanche sur quelques points : principalement (du nord au sud) le Montenvers, l?aiguille
du Midi, le Nid d?Aigle au terminus du tramway du Mont-Blanc. On peut y rajouter le sommet des
Grands Montets, même si, au sein de la station éponyme, il est de nature assez différente.
Ces quatre points, dont l?unité de fréquentation annuelle est la centaine de millier de personnes,
se distinguent par l?accès mécanisé qui permet à tout un chacun, entraîné ou non, d?accéder à
haute altitude et de "humer" l?atmosphère de la haute montagne, à proximité immédiate du monde
glaciaire.
7 - Voir annexe 4 pour plus de détails sur l?historique du classement.
8 - Avec l?Italie et la Suisse.
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Le Montenvers et le Nid d?Aigle sont desservis chacun par un train à crémaillère dont les voies ont
été édifiées au début du XXe siècle. Le téléphérique de l?aiguille du Midi, programmé avant le
classement du site, a été inauguré (1954 pour le premier tronçon, 1955 pour le second) immédia-
tement après le classement en 1951. Celui des Grands Montets a lui été ouvert (en deux tronçons)
en 1963 et 1964, alors que cette partie du massif n?était pas encore classée9.
A bord des trains ou téléphériques, se côtoient de simples touristes venus profiter du paysage, et
des alpinistes aguerris, en partance pour des ascensions physiquement et techniquement enga-
gées. Le risque étant que certains des premiers, insuffisamment conscients des dangers de la
haute montagne et exagérément rassurés par la facilité d?accès à ces altitudes, s?aventurent sur
des terrains pour lesquels ils ne sont pas préparés.
Or la vallée Blanche, la Mer de Glace ou les ascensions au départ des Grands Montets ou de
l?aiguille du Midi, ne constituent pas des promenades banales. Il en est évidemment de même
pour gravir le mont Blanc.
Tous ces points matérialisent des frontières entre deux mondes :
- d?une part celui très stéréotypé d?un tourisme assez massif et plutôt mercantile. On y re-
trouve les figures "obligées" de la restauration - si possible en terrasse - et du magasin
de souvenirs, voire de l?espace muséographique, dont on préférerait qu?elles soient ab-
sentes du site classé, mais dont la présence résulte de décisions prises préalablement
au classement. Les prescriptions émises récemment par l?Etat pour le sommet des
Grands Montets et le terminus du TMB les excluent ;
- d?autre part celui de l?alpinisme qui, sans être dénué d?aspects économiques, procède de
valeurs rappelées précédemment, en cohérence avec celles d?un site classé.
Enfin, ces points de concentration du public constituent aussi de véritables portes d?entrée vers la
haute montagne, terrain de prédilection de l?alpinisme. Les règles n?y sont pas les mêmes, à com-
mencer par celles dictées par la nature et le climat et surtout leurs dangers, celles édictées par
les hommes résultant de la prise en compte des premières et des choix (évoqués précédemment)
de protection des qualités et valeurs de cet espace.
1.3. Une régulation de la fréquentation de la voie normale qui contribue à ancrer
celle-ci dans son domaine fondamental, celui de l?alpinisme
La voie normale10 présente la spécificité d?attirer autour de 20 000 personnes, induisant un phé-
nomène de concentration sans commune mesure avec la fréquentation diffuse de la quasi-totalité
du massif évoquée précédemment.
Cette concentration, renforcée par la réputation - largement galvaudée - d?une course facile qui
permet de "s?offrir" le toit de l?Europe, "exploit" dont on pourra se prévaloir sans trop d?effort ni de
risque, a, au fil des ans, généré des pratiques et des attitudes de moins en moins compatibles
avec l?esprit de l?alpinisme, donc avec celui des lieux qui ont été ici classés.
Elles se résument principalement :
- à la mise en danger de soi-même, mais surtout des autres - dont les professionnels de la
montagne que sont les guides ou les sauveteurs - par impréparation, légèreté voire com-
portement loufoque (sans doute inspiré par la proximité de ce sommet mythique?), mais
aussi et surtout par engorgement du couloir et de l?arrête du Goûter ;
- au développement d?incivilités vis-à-vis de ceux qui ont la difficile mission (de service pu-
blic) d?accueillir en refuges, lieux d?hébergement bien différents des structures hôtelières
classiques, et dont l?aménagement intérieur et les prestations offertes participent aussi de
9 - Elle le sera en 1976. En 1951, seuls les terrains publics avaient été inclus dans le classement initial. Ceux de l?alpage de
Lognan, culminant à l?Aiguille des Grands Montets (juste au-dessus de l?arrivée du téléphérique) étant propriété communautaire
dite des consorts (depuis le XIIIe
siècle).
10 - On utilisera cette dénomination simplifiée dans la suite du rapport.
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l?esprit qui s?attache à la pratique de l?alpinisme comme rappelé dans la décision de
l?UNESCO ;
- enfin à la pollution incontrôlée générée principalement par le développement du camping
sauvage à proximité de refuges (de Tête Rousse et du Goûter) saturés au coeur de la
saison.
Devant cette situation insatisfaisante et dommageable pour la réputation du massif, il était impor-
tant de réagir, ce que les acteurs locaux ont su faire avec l?appui de l?Etat. Le maire de Saint-
Gervais, en tirant la sonnette d?alarme à plusieurs reprises, a largement contribué à cette prise de
conscience.
Le classement (au titre de la loi de 1930) ne permet pas de réglementer directement les usages
au sein du site. L?Etat n?était donc pas en capacité, à ce titre, d?en autoriser, d?en interdire ou d?en
conditionner l?accès, y compris aux plus saugrenus de ses visiteurs11. La réponse aux problèmes
posés a donc dû être recherchée ailleurs.
Elle a été apportée, en deux temps. D?abord, en 2019 et 2020, des arrêtés préfectoraux tempo-
raires ont été pris, imposant, pour des questions de sécurité, de détenir une réservation en refuge
avant de s?engager dans l?ascension du mont Blanc par sa voie normale. Le dispositif a été con-
solidé à partir de 2021 en mobilisant la notion d?arrêté de protection des habitats naturels (APHN12)
instituée par la loi de 2016 de reconquête de la biodiversité. Elle permet, toujours en subordonnant
l?ascension par la voie normale à la réservation de nuitées dans les refuges de Tête Rousse et du
Goûter, d?aborder la question au-delà de la seule perspective sécuritaire.
La totalité des personnes entendues dans le cadre de cette mission porte, parfois avec quelques
nuances (sur la question du bivouac notamment), un regard positif sur ce dispositif dont les dis-
positions pratiques de mise en oeuvre ont été affinées (en particulier sur les modalités de réserva-
tion). Il est désormais bien connu et les contraintes qu?il impose largement acceptées. Ses résul-
tats concrets sont soulignés unanimement et pourraient être résumés ainsi : la paix est revenue
sur l?ascension du mont Blanc par sa voie normale.
Cet aboutissement, très positif, est le fruit de concertations impliquant la plupart des acteurs con-
cernés de façon à arriver à des solutions ciblées sur la voie normale, sans chercher à les étendre
au reste du massif où elles ne sont aujourd?hui pas nécessaires.
La régulation mise en place s?accompagne d?une communication par les acteurs de la montagne
rappelant les précautions à prendre (préparation physique, équipements adaptés, encadrement
recommandé par des guides professionnels dès que l?on n?a pas un niveau suffisant ou une bonne
connaissance des lieux et de leurs pièges, horaires à privilégier pour minimiser les risques liés
aux chutes pierre, etc.). La plupart des guides soumettent leurs clients à des tests de niveau in
situ (compris dans le package ascension du mont Blanc) avant de s?engager avec eux dans cette
ascension.
Enfin, des contrôles sont régulièrement organisés sur le terrain par le PGHM et par une « brigade
blanche » mise en place par la commune de Saint-Gervais afin de contrôler la détention des ré-
servations. Ce contact direct avec les alpinistes permet de rappeler les conseils de sécurité, tout
particulièrement en ce qui concerne l?équipement (vestimentaire ou technique). De leur côté, les
gardiens de refuge, dans le cadre de leur mission d?accueil, signalent aux autorités les personnes
qui arrivent au refuge, par la voie normale, sans réservation.
On le voit, la régulation indispensable et intelligente mise en place par la "communauté monta-
gnarde"13 du massif concourt à ancrer plus que jamais l?ascension du mont Blanc par sa voie
11 - On pense notamment au rameur abandonné au sommet du Mont-Blanc il y a quelques années, ou aux personnes sous-
équipées qui tentent l?ascension.
12 - Arrêté DDT-2020-1132 du 1er octobre 2020.
13 - Un récent rapport pluri-inspections générale sur les risques d?origine glaciaires et périglaciaires décrit les interactions le
plus souvent informelles mais extrêmement précieuses de cette "communauté" - https://www.igedd.developpement-du-
rable.gouv.fr/risques-d-origine-glaciaire-et-periglaciaire-a3657.html
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normale dans le domaine de l?alpinisme, domaine exigeant et potentiellement dangereux. En co-
hérence avec l?esprit des lieux que le classement contribue également à entretenir. Le texte de
l?APHN le rappelle très clairement dans ses considérants, en précisant :
- « qu?il est impératif de redonner à l'ascension du Mont-Blanc sa véritable valeur alpine,
par la prise de conscience de l'épreuve physique et morale que cela représente, des
risques que cela implique et du respect du lieu que cela suppose ;
- que l'accès au sommet du Mont-Blanc relève de l'alpinisme et nécessite à ce titre des
qualités physiques suffisantes, des connaissances et du matériel spécifiques, ou un en-
cadrement de compétence reconnue, préalables indispensables pour pouvoir entre-
prendre son ascension dans des conditions de sécurité nécessaires et suffisantes ;
- que 80 à 100 interventions de secours ont lieu chaque année sur les voies d'accès au
mont Blanc, que 45 % d'entre elles sont liées à l'épuisement en raison d'une mauvaise
préparation physique ou d'un manque d'acclimatation, que 30 % des ascensionnistes se-
courus présentent des blessures et que seuls 40 % des candidats en moyenne parvien-
nent au sommet ».
1.4. Préserver l?intégrité du paysage classé et le caractère d?alpinisme de la voie
normale impose de privilégier des équipements limités, sobres et à faible
impact environnemental
Si le classement ne permet pas de réglementer directement les usages à l?intérieur du site, il a le
pouvoir de le faire indirectement via les équipements nécessaires à ces usages, surtout lorsqu?ils
sont pérennes et qu?ils impactent le paysage et l?esprit des lieux qui y est attaché. En effet, l?ins-
tallation ou la modification de ces derniers est soumis à autorisation au cas par cas, comme rap-
pelé en préambule, indépendamment des législations qui s?appliquent par ailleurs.
Ainsi, la prolongation du TMB et la reconstruction du téléphérique des Grands Montets ont été
récemment autorisées par l?Etat après de nombreux échanges avec les porteurs de projets, les
communes de Saint-Gervais et de Chamonix ainsi que la compagnie du Mont-Blanc dans les deux
cas, mais aussi le conseil départemental de la Haute-Savoie dans le cas du TMB dont il est pro-
priétaire.
Les prescriptions de l?Etat au titre de la localisation en site classé de ces deux projets, se sont
attachées, sans bien sûr empêcher leur réalisation compte tenu de l?antériorité de ces deux équi-
pements par ailleurs partie intégrante de l?histoire humaine du site, à en consolider les spécificités :
celle d?un accès à du ski engagé et à des courses d?altitude pour les Grands Montets ; au Nid
d?Aigle, celle d?un lieu d?accès grand public à des paysages d?exception, dépouillé et sans artifice,
à proximité immédiate du terminus du train, mais aussi porte d?entrée vers l?accès à la voie nor-
male.
Dans les deux cas, cela implique de limiter les flux et débits des équipements aux niveaux actuels
et l?absence de nouvelles fonctions touristiques (restauration, magasins de souvenir, muséogra-
phie). On veille ainsi au maintien des capacités d?hébergement actuelles au Nid d?Aigle, à la dé-
sinstallation des escaliers et passerelles métalliques qui se sont rallongées au fil des ans aux
Grands Montets, ou au maintien d?une voie unique au terminus du TMB. De part et d?autre, il s?agit
aussi de mutualiser autant que faire se peut les équipements utiles à la sécurité (espaces de mise
à l?abri du public, passerelles pour les pisteurs, etc.), mais également d?améliorer l?assainissement
ou l?alimentation énergétique.
Au final, le long de la voie normale, il s?agira aussi de limiter les équipements au minimum, dans
une recherche de sobriété et de faible impact, marqueur depuis l?origine (début du XXe siècle) des
sites classés, renforcée aujourd?hui par l?ensemble des préoccupations environnementales.
Toutes préoccupations directement en cohérence avec l?esprit qui s?attache à l?exercice de l?alpi-
nisme.
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2. L?adéquation entre les capacités d?hébergement et la nécessité de minimiser les
risques inhérents à cette course exposée de haute altitude, se conjugue avec une
limitation assumée de la fréquentation
L?arrêté préfectoral de protection des habitats naturels a permis de fonder la limitation de fréquen-
tation de la voie normale. La gouvernance associée - via son comité de suivi - a, par ailleurs, le
mérite de permettre des échanges formalisés réguliers entre l?ensemble des acteurs concernés.
Votre rapporteur, en participant - comme observateur - à celui du printemps 2023, a pu se rendre
compte de l?intérêt du partage d?une information désormais commune à tous et des débats autour
de données objectives. Il est convaincu que cela contribue à entretenir cette "paix retrouvée" sur
la voie normale et ne peut qu?encourager sa poursuite. Cela n?enlève rien aux responsabilités et
compétences respectives des uns et des autres, mais facilite une meilleure coordination, au-delà
du sujet de la seule obligation de réservation instituée14 et de sa gestion pratique.
Si un large consensus s?est exprimé sur l?APHN lors des entretiens conduits à l?occasion de cette
mission, une vision très partagée de la voie normale, de ses problématiques et de son avenir
souhaitable se dégage également. Fondamentalement et avant tout pour qu?elle garde ses attri-
buts d?espace de haute montagne. C?est-à-dire un espace non aménagé, en dehors des deux
refuges (Tête Rousse et Goûter) qui s?inscrivent dans le monde de l?alpinisme et doivent en con-
server les caractéristiques et l?esprit, mais aussi de quelques équipements "pérennes"15 - câbles
principalement - d?aide à la progression le long du couloir et surtout de l?arrête du Goûter16.
Une telle vision s?avère très cohérente avec le classement du site et les exigences qui en décou-
lent, telles qu?elles peuvent être détaillées ci-après.
2.1. Le changement climatique, plus rapide qu?imaginé et plus intense ici, a
d?ores et déjà des conséquences palpables
Le réchauffement en cours est constaté dans ses effets de manière toujours plus claire. La France,
du fait de sa position géo-climatique devrait faire face à une augmentation des températures plus
marquée (plus d?un degré supplémentaire) que la moyenne mondiale dans les prochaines décen-
nies. Les Alpes ne font pas exception, au contraire. Le réchauffement y est plus accentué que
dans les parties de moindre altitude et au relief moins marqué du pays.
Les observations et projections, confirmées par les constats des scientifiques rencontrés, mon-
trent que le phénomène s?accélère, qu?il s?agisse de l?évolution des précipitations, des brusques
changements de températures et limites pluie/neige, du recul des glaciers ou de l?évolution du
permafrost.
Cela se traduit par des conditions de progression sur le terrain plus instables et souvent plus
difficiles (crevasses, rimayes17, pentes glaciaires), ainsi que par une instabilité rocheuse crois-
sante qui entraine des chutes de pierres plus fréquentes, voire des effondrements cataclysmiques
(parois entières). La fonte du permafrost conduit également à la déstabilisation de certains refuges
dont les assises sont en partie sapées. Il en est de même sur certains pylônes de remontées
mécaniques. Tous ces phénomènes sont désormais abondamment documentés.
Il n?entre pas dans le champ de ce rapport d?évaluer, même de façon imprécise, l?ampleur et les
conséquences à venir de ces changements. Seulement de rappeler que selon toute vraisem-
blance, les deux ou trois décennies qui s?ouvrent vont être marquées par une augmentation des
aléas et donc des risques encourus sur la voie normale d?accès au mont Blanc (comme sur l?en-
semble du massif).
14 - Une nouvelle possibilité réglementaire de régulation de la fréquentation des espaces protégés, dont les sites classés, a été
instituée par l?article 231 de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience
face à ses effets. Voir annexe 6.
15 - Pour autant que cela puisse être le cas sur un support aussi fracturé et instable que celui-ci.
16 - On ne reviendra pas ici sur la question des quelques pieux posés en 2022 sur l?arrête des Bosses, par nature non pérennes
sur ce terrain glaciaire mouvant - de même que des échelles il y a quelques années sur la voie des trois monts - équipements
dont il importe surtout que les décisions de mise en place, transitoire, relèvent d?une gouvernance bien identifiée.
17 - Crevasse dans un glacier, située à la frontière supérieure entre la glace en mouvement et l?environnement immobile (en
général rocher, glace attachée au rocher, ou neige dure).
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Cet état de fait va conduire, et conduit déjà, à des modifications des périodes les plus appropriées
pour les ascensions, avec deux tendances :
- au cours de l?année, l?extension des périodes plus favorables sur les ailes de saison (fin
de printemps et début d?automne) et la détérioration des conditions de sécurité en coeur
d?été (fortes chaleurs et recrudescence des chutes de pierres et de blocs), ce qui peut
avoir des conséquences sur la période de gardiennage des refuges ;
- sur la journée, la nécessité de privilégier certaines plages horaires, moins sujettes aux
chutes de pierres, et d?exclure les périodes les plus dangereuses, ce qui entraine des
tempo de courses plus contraints. Ceux-ci, au déficit de résistance ou de préparation phy-
sique de plus en plus courant de la clientèle, conduit à programmer l?ascension sur trois
jours (avec deux nuits en refuge, l?une à Tête Rousse à la montée, l?autre au Goûter à la
descente)18.
2.2. Le passage du couloir et de l?arrête du goûter, incontournable, exposé et
étroit est un facteur d?insécurité limitant le nombre journalier souhaitable de
cordées
Couloir et aiguille du Goûter constituent un "goulot d?étranglement", qui plus est incontournable,
sur l?itinéraire de la voie normale. C?est aussi sa partie la plus "accidentogène", l?arrête des Bosses
étant également assez "exposée" (vents violents et glace). Au Goûter (couloir et arrête), le danger
vient des chutes de pierres très fréquentes, de la pente (approchant la verticale par endroits), de
la fatigue, notamment dans la descente, et? des difficultés à se croiser entre les cordées qui
montent et celles qui descendent.
18 - Le premier jour permet de rejoindre le Nid d?Aigle (par le TMB) puis le refuge de Tête Rousse pour une première nuit
d?acclimatation ; le second commence très tôt, avant le lever du jour, pour s?engager dans le couloir puis l?arrête du Goûter -
avec une pause éventuelle au refuge du Goûter - avant de laisser la cabane Vallot, puis d?emprunter l?arrête des Bosses jusqu?au
sommet avant de redescendre au refuge du Goûter pour y passer la seconde nuit ; le troisième jour consiste à emprunter tôt et
à la descente, l?arrête puis le couloir du Goûter avant de rejoindre le Nid d?Aigle et d?y reprendre le TMB.
3. Le couloir et l?arrête du Goûter - Itinéraire approximatif (orange), photo ThB, septembre 2023
Couloir
Ancien refuge et
annexe
Refuge actuel
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Ce passage prélève ainsi chaque année son lot de victimes. Sans s?appesantir sur le détail des
statistiques, il faut se souvenir que l?arrête tue plus que le couloir, qu?il y a plus d?accidents à la
descente qu?à la montée (fatigue et plus grande difficulté à négocier une pente raide à la descente
qu?à la montée) et plus de chutes indirectes (causées par des chutes de pierre qui déstabilisent
l?alpiniste) que de morts par impact direct d?une pierre. Enfin, il n?est pas rare que des chutes de
pierres, sur un terrain très fracturé (les montagnards parlent de terrain "pourri") soient déclenchées
par des cordées en amont.
L?arrête est pourtant équipée de câbles sur un linéaire important, ce qui constitue une aide pré-
cieuse à la progression en plus grande sécurité.
Il est difficile de savoir, fautes de données objectivables, si les chutes de pierres sont plus fré-
quentes que dans les décennies passées. Ce qui est sûr en revanche c?est que l?instabilité de ces
roches fissurées ne date pas d?hier (on trouve déjà mention de chutes fréquentes dans des textes
du XVIIIe siècle19), mais qu?un enneigement moins durable au cours de l?année, un dégel plus
fréquent et plus profond, voire de plus en plus de pluies à cette altitude, ont un effet délétère. Des
études ont été conduites pour tenter de mieux caractériser et quantifier le phénomène et son oc-
currence. Si elles fournissent des informations intéressantes, elles n?offrent bien sûr aucune certi-
tude d?absence de chute de pierre à tel ou tel moment de la saison ou de la journée.
Cette incertitude pose d?ailleurs la question de l?opportunité d?une fermeture administrative des
refuges quand on entre dans une période où le risque est jugé manifestement trop élevé. La dé-
cision de réouverture envoie forcément le signal d?un niveau de sécurité suffisant alors que dans
un tel contexte et sur un tel terrain, rien n?est moins sûr. Situation très délicate sur laquelle nous
ne prétendons pas donner de leçon, mais qui invite à la circonspection.
19 - Voir « Les enfants du mont Blanc », Dominique Potard et Julien Pellloux, éditions Guérin, p 20, 57, 124
4. L?arrête du Goûter, avec ses équipements d?aide à a progression, débouche entre l?ancien refuge et l?annexe,
situés côte à côte. Au loin, le refuge actuel
Photo ThB et GL (au centre), septembre 2023
Refuge actuel
Annexe
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Quoi qu?il en soit, si l?on se souvient qu?un risque est la résultante d?un aléa et d?une présence
humaine, cela signifie bien sûr que plus il y a d?ascensionnistes, plus le risque augmente. Et lors-
que ces ascensionnistes sont mal préparés, mal équipés et en outre non encadrés, le risque aug-
mente encore plus. Accepter plus de personnes sur un itinéraire de ce type, a fortiori en facilitant
leur progression, n?apparait dès lors pas raisonnable.
Des alternatives, de deux ordres, ont été envisagées, notamment sur proposition de la fondation
PETZL20. D?une part en cherchant une voie autre que celle des couloir et aiguille du Goûter. Le
travail de reconnaissance effectué il y a quelques années a montré que la solution, un temps
imaginé, de l?arrête Payot (immédiatement à gauche, en montant - au nord en fait - de l?itinéraire
actuel), était au moins aussi difficile techniquement et tout autant instable. D?autre part en imagi-
nant une "casquette" (bétonnée ?) de protection pour la traversée du couloir du Goûter. Une en-
quête (de la fondation) auprès d?un échantillon de montagnards locaux et internationaux a mis en
évidence une grande réticence par rapport à une telle approche.
Votre rapporteur ne vous cache pas sa très faible "appétence" pour une solution signe d?une an-
thropisation incongrue de ce milieu naturel, phare de l?alpinisme, qui plus est pour une protection
très partielle lorsque l?on sait que l?arrête du Goûter concentre, plus que le couloir, les accidents.
Cette idée n?a heureusement pas prospéré.
Il apparait donc plus que jamais important :
- d?assumer que faire l?ascension du mont Blanc par sa voie normale, comme par ses
autres voies d?ailleurs, et comme toute course d?alpinisme, présente des dangers ;
- de l?assumer d?autant plus que le site a été classé pour l?exceptionnelle beauté de ses
paysages et pour que le terrain d?exercice de l?alpinisme reste aussi attractif qu?il l?est
depuis plusieurs siècles, c?est-à-dire aussi peu anthropisé que possible ;
- de faire savoir que l?ascension du mont Blanc n?est pas un produit touristique banal et
qu?elle est accessible à tous ceux qui acceptent de s?y préparer et d?affronter les risques
inhérents à ce milieu, mais uniquement à ceux-ci ;
- enfin, de ne pas faciliter cette ascension au-delà de l?aide à la progression (câbles,
échelles, etc.) existante - ce qui aurait pour effet de créer un "appel d?air" non souhaitable
de personnes insuffisamment préparées - qui peut être maintenue, entretenue ou moder-
nisée, mais en aucun cas développée.
20 - L?entreprise PETZL produit du matériel de montagne et de sécurité.
5. A gauche, lampes des cordées engagées sur l?arrête ; photo prise depuis le refuge de Tête Rousse à 6h17.
A droite, le caractère "pourri" du terrain (à 7h10) - Photos ThB, 26 septembre 2023
Refuge du
Goûter (actuel)
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En termes de nombre d?ascensionnistes, les entretiens conduits montrent que la situation actuelle
est satisfaisante, même si elle est encore tendue les jours de très grande affluence21. Il n?y a donc
pas lieu de chercher à la faire évoluer à la hausse - sauf à dégrader les conditions de sécurité et
donc augmenter le risque d?accident - comme à la baisse.
Cette appréciation, qui ne repose certes pas sur une modélisation scientifique complexe, s?appuie
en revanche sur l?expérience des professionnels de la montagne, engagés au quotidien ou ayant
pour certains gravi le mont Blanc des dizaines de fois. Elle me parait tout à fait robuste et ne doit
pas être négligée.
2.3. Les capacités d?accueil des refuges du Goûter et de Tête Rousse doivent
être alignées l?une avec l?autre, ainsi qu?avec le nombre de passages souhai-
tables dans le couloir et l?arrête
Le tempo type d?ascension (trois jours et deux nuits) est donc devenu de plus en plus la norme,
même si celle-ci n?est pas écrite et si chacun reste libre de s?organiser comme il le souhaite. Il
entraine mécaniquement la nécessité d?avoir des capacités d?hébergement, à Tête Rousse et au
Goûter, équilibrées.
Le Goûter peut accueillir 120 personnes. Il en est de même à Tête Rousse (mise en service dans
sa version actuelle en 2005) qui peut héberger 70 personnes en intérieur, et en accueillir en outre
une cinquantaine sous tente à proximité du refuge, les tentes, propriétés du refuge22, étant instal-
lées sur un platelage de bois. Cette solution a été imaginée et autorisée par l?Etat à titre déroga-
toire et provisoire23, face à l?afflux de grimpeurs certains jours, et pour mettre un terme au camping
pratiqué de manière sauvage autour du refuge. Le même manque de capacité existait alors au
refuge du Goûter, avec les mêmes débordements, les parties intérieures des deux refuges étant
par ailleurs complétement saturées (les réfectoires et couloirs étant eux-mêmes "jonchés" de dor-
meurs surnuméraires certaines nuits). Au Goûter, l?ouverture du "nouveau refuge" (le refuge ac-
tuel) en 2014, avec une capacité de 120 places, combiné à l?obligation de réservation désormais,
et son contrôle, plus que jamais nécessaire, a permis de régler ces problèmes de débordement.
En termes de flux, la situation actuelle est jugée, on l?a dit, satisfaisante par la quasi-totalité des
personnes rencontrées en ce qui concerne les conditions de franchissement du couloir et de l?ar-
rête. Or ce flux est très dépendant de la capacité des deux refuges (campement compris pour Tête
Rousse).
La jauge de 120 places en refuge est donc bien adaptée aux conditions particulières de franchis-
sement des couloir et arrête du Goûter, d?autant que la capacité maximale est assez rarement
atteinte pour le Goûter dont le taux de remplissage (hors période où seul le refuge d?hiver, non
gardé, est ouvert) tourne autour des 75%24. En termes économiques, hors problèmes structurels
sur lesquels nous reviendrons, ce niveau permet à ses gestionnaires d?atteindre un niveau de
rentabilité correct.
2.4. Le camp de base de Tête Rousse devrait être supprimé et le refuge agrandi
pour atteindre la même capacité qu?au Goûter
Pour autant, la persistance d?un campement à Tête Rousse n?est, elle, pas satisfaisante. Cette
solution qui devait être provisoire, se prolonge d?année en année. Si elle peut offrir une possibilité
d?hébergement moins onéreuse, la différence reste très modeste, et beaucoup y sont dirigés faute
de place à l?intérieur, solution qui leur apparait alors comme un pis-aller.
21 - Affluence qui dépend fortement des conditions météorologiques. Votre rapporteur a bénéficié fin septembre 2023 d?un
temps exceptionnel, dégagé avec une très grande douceur, alors que les conditions de la semaine précédente étaient inverses.
Les deux refuges affichaient d?ailleurs complet.
22 - Géré par le club alpin français (CAF).
23 - On rappelle que l?installation de tout nouveau terrain de camping est interdite en site classé.
24 - La capacité initialement programmée était de 140 places, mais des contraintes techniques l?ont ramenée à 120 places. On
voit que celles-ci sont aujourd?hui suffisantes.
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Votre rapporteur considère qu?il devrait être mis un terme à cette situation :
- d?un point de vue paysager tout d?abord où cette concentration de tentes, même assez
peu visible de loin, rompt l?harmonie des lieux et rappelle les camps de base de triste
réputation d?autres montagnes ;
- du point de vue du respect de la réglementation sur les sites classés qui proscrit les ter-
rains de camping25 ;
- du point de vue de l?esprit de l?alpinisme évoqué par l?UNESCO qui privilégie les refuges
comme lieux non seulement d?hébergement, mais également de partage, d?échange et
de convivialité, avec un confort certes sommaire mais suffisant.
Un agrandissement du refuge actuel pourrait dès lors être envisagé pour mettre un terme à cette
situation "du provisoire qui s?éternise". Il permettrait en outre de mettre à l?étude la solution, si elle
est techniquement envisageable et dénuée d?impact paysager, de raccordement du système
d?évacuation sanitaire du refuge ainsi agrandi au réseau de la commune de Saint-Gervais qui va
désormais desservir le Nid d?Aigle26.
25 - Je ne fais pas référence ici au bivouac qui renvoie à une tradition dans l?alpinisme, celle d?une possibilité de se mettre en
sécurité en conditions extrêmes, et répond à d?autres nécessités.
26 - A l?occasion des travaux de prolongation de la ligne du TMB évoquée en première partie du présent rapport.
6. Le refuge de Tête Rousse et son "camp de base"
Photos SM, septembre 2023
Refuge
Localisation
du camp de base
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2.5. L?ensemble refuge du Goûter, refuge recueil (dite annexe) et ancien refuge
devrait être profondément reconfiguré
Si l?objectif de l?ascension est naturellement le "toit" de l?Europe, la zone du Goûter a également
valeur d?emblème. Par sa localisation, à la sortie du passage si délicat (couloir et arrête) évoqué,
par l?histoire même de ce lieu qui ouvre une porte vers un cheminement plus aisé vers le sommet
que les autres accès, et enfin par la prégnance dans le paysage du refuge édifié ici au début des
années 2010.
2.5.1. L?emblème du Goûter
Juché au bord du précipice telle une soucoupe qui se serait posée là, le refuge scintille au soleil
et luit de sa lumière intérieure la nuit, tel un phare qui jalonne la voie normale. Pour ceux qui
veulent monter, il prouve qu?en dépit des apparences, cela est possible. Aux yeux de la plupart, il
signifie que monter restera un rêve, propre à nourrir leur imaginaire, puisque ni train ni câble ne le
desservent.
Des projets ont existé, notamment celui d?un téléphérique. Leur existence a contribué à la mise
en place de la protection site classé, pour s?en préserver, et la commission supérieure des sites,
perspectives et paysages a depuis été amenée à exprimer très clairement son rejet de toute pers-
pective de ce type.
Pour autant, la zone du Goûter n?apparait ni à la hauteur des ambitions qualitatives, ni à celle du
caractère minimaliste souhaité de l?occupation spatiale d?un site classé, et ce pour trois raisons
(voir 2.5.2 à 4).
7. Le nouveau refuge du Goûter, inauguré en 2014
Photos ThB et SM (en haut à droite), septembre 2020 et 2023
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Avant de les examiner, il n?est pas inutile de faire, à travers quelques illustrations (voir ci-après),
un bref retour historique27 ainsi qu?un point sur la topographie des lieux et la disposition des trois
bâtiments aujourd?hui présents.
27 - Un court film relate la visite de Jean Zay, ministre de l?éducation, pour venir, en TMB puis à pied, inaugurer le refuge Vallot.
Le mauvais temps ce jour-là obligera à renoncer à monter au Goûter - encadré par des guides de Saint-Gervais - et au déplace-
ment de la cérémonie à Tête Rousse où le ministre et sa délégation passeront une nuit - https://youtu.be/8UYc25gOOyc .
1854, abri en pierres construit par
Charles Loiseau. Abri surnommé « la
cabane à l?oiseau ».
1858 : premier refuge pouvant abriter
4/5 personnes. Il faudra 80 ascensions
de porteurs pour apporter les planches
au sommet. Restauré en 1882.
1906 : construction d?un nouveau re-
fuge juste à côté du précédent. Il peut
abriter 7 personnes. Haut de 1,80 m.
Mesure 4,2 * 3,20 m.
1936 : nouveau refuge de 30 places
construit sur l?emplacement du refuge
de 1858.
Refuge privé. Acheté par le CAF en
1942.
1957 - 1960 : agrandissement du re-
fuge de 1936. Usage de l?hélicoptère
pour monter le matériel. Inauguré en
1962.
1989 - 1990 : le refuge de 1906 est
démantelé et à sa place est construite
une annexe de 40 places.
8. Chronologie sommaire des installations au Goûter
Issue du « Blog de Christine », https://www.blogdechristineachamonix.fr/
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https://youtu.be/8UYc25gOOyc
https://www.blogdechristineachamonix.fr/
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Le refuge actuel, conçu comme un concentré d?innovations, remplacera en 2014 le vieux refuge
de 1960, fermé depuis lors. Il sera installé à distance relativement importante de l?ancien refuge
et de l?annexe qui avait permis, à partir de 1990 d?augmenter - d?une quarantaine de places - la
capacité d?hébergement au Goûter et de disposer d?un refuge d?hiver modernisé (non gardé).
2.5.2. Une localisation "baroque" de l?espace recueil
L?espace recueil est le lieu prévu pour mettre le public hors de danger en cas de sinistre dans un
établissement recevant du public (ERP). C?est l?annexe, séparée de plus de 300 mètres du refuge,
qui est censée jouer ce rôle, ce qui ne manque pas d?interroger votre rapporteur.
Ancien refuge (1960) Annexe (1990)
Refuge actuel (2014)
9. Extrait de plan cadastral de la zone du Goûter (sur la commune de Saint-Gervais-les-Bains)
Limites de parcelles cadastrales en orange ; en pointillé, l?itinéraire pédestre entre les deux refuges.
(Géoportail IGN + ThB)
Environ 250 m le long
de la crête rocheuse
Environ 350 m le long
de la crête neigeuse
Refuge actuel
Ancien refuge
et annexe
Refuge actuel
10. Aperçu du passage reliant le refuge actuel à l?annexe (le long de l?itinéraire de la voie normale) emprunté
par l?inspecteur des sites de Haute-Savoie, Sylvain Magliocca, votre rapporteur et le capitaine Guy Le Névé
du PGHM de Chamonix - Photo SM septembre 2023
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On constate en effet que pour se mettre à l?abri en cas de sinistre (incendie principalement), il faut
parcourir une distance importante sur un terrain plutôt exposé et en partie soumis à l?instabilité du
manteau neigeux certains jours, où un faux pas, à droite comme à gauche peut être fatal.
Si l?on imagine devoir le faire de nuit, en ayant dû se réveiller puis se chausser dans l?urgence,
dans l?état de stress que l?on peut supposer au milieu de dizaines de personnes dans la même
situation, on ne peut que trembler en pensant aux conséquences possibles. Et si la tempête, le
vent déstabilisateur, la neige aveuglante sont en outre de la partie?
Pour espérer faire face à ce type de situation (qui ne s?est heureusement jamais produite jusqu?ici),
une présence systématique d?un nombre suffisant de guides, aptes à encadrer et diriger le public
qui devrait ainsi être mis à l?abri, a été organisée. Cela constitue cependant une contrainte lourde
pour la profession comme pour les gardiens qui doivent s?assurer de la présence effective, chaque
soir du nombre suffisant de guides. Il n?est ainsi pas rare que ceux-ci doivent être acheminés en
hélicoptère pour atteindre le quota nécessaire.
Enfin, je ne puis clore ce constat sans citer la commission de sécurité ad hoc sur le sujet. Celle-ci
rappelle en effet dans son dernier procès-verbal de visite (2023) que « le volume recueil est situé
à 200 mètres28 du bâtiment avec une arrête très technique à traverser pour y accéder ». En outre,
« les membres présents lors de la visite périodique s'accordent à dire, comme déjà exprimé par
les experts lors de l'étude initiale, qu'une évacuation vers le volume recueil en cas d'incendie du
refuge pourrait présenter des difficultés préjudiciables au public, particulièrement en cas de forte
affluence ».
Un tel constat plaide pour réinterroger la localisation de l?espace recueil du refuge du Goûter,
l?annexe apparaissant aujourd?hui comme inappropriée pour cette fonction.
2.5.3. Un ancien refuge, sans usage et plutôt disgracieux, à démanteler définiti-
vement
Depuis une décennie désormais, l?ancien refuge, sans usage, ternit l?image de l?aiguille du Goûter
au débouché de l?arrête éponyme par laquelle se fait l?ascension. Il a été largement vidé de son
contenu pour ne garder que son enveloppe extérieure.
Celle-ci se dégrade progressivement et est toujours soumise aux accumulations de neige ou glace
à l?amont29, malgré le travail d?évacuation régulière de celle-ci effectuée par l?intermédiaire de la
compagnie des guides de Saint-Gervais à la demande du maire de la commune, propriétaire des
lieux.
Plusieurs rapports d?expertise (Alpes Contrôles, TECO Ingénierie solutions, Apave, Alpes Bour-
gogne Environnement - ABE) de la fin des années 2000 jusqu?au milieu des années 2010 ont en
outre attiré l?attention sur des fragilités structurelles (fondations parfois dans le vide, éléments de
charpente déformés et/ou corrodés, infiltrations d?eau, etc.) faisant planer le doute sur la stabilité
à terme du bâtiment, ou sur sa capacité à supporter une rénovation, cette éventualité ayant été,
un temps, envisagée.
Votre rapporteur n?a pu accéder à l?intérieur du bâtiment (ancien refuge), les clefs n?étant finale-
ment pas disponibles ce jour-là. Il le regrette, même si l?état de cet édifice désaffecté, en dehors
de la mauvaise image qu?il donne aux lieux, ne conditionne pas directement les considérations qui
suivent.
28 - Les distances indiquées en illustrations 9 et 10, estimées via l?outil de mesure disponible sur le Géoportail de l?IGN, sont un
peu différentes mais du même ordre de grandeur.
29 - Celles-ci (entretien avec le géomorphologue Ludovic Ravanel) auraient des effets moins délétères que ce qui avait été dit
jusqu?ici, mais la mission n?a pas eu en mains d?expertise à jour de la stabilité de l?édifice encore en place. Il ne semble cependant
pas présenter de danger - en terme de risque d?écroulement - pour l?itinéraire (arrête et couloir) en son aval.
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11. Quelques illustrations sur l?ancien refuge du Goûter et l?Annexe.
Photos extérieures, SM septembre 2023 - Photos intérieures du refuge, ABE 2013 et 2014.
Annexe
Ancien refuge
Annexe
Annexe
Ancien refuge
Ancien refuge
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On peut reconnaître une certaine élégance au refuge inauguré en 2014 et dont le parti architectural
n?a pas été sérieusement contesté, le massif alpin dans son ensemble accueillant de nombreux
exemples de refuges d?altitude novateurs de ce point de vue et souvent surprenants au premier
abord30.
Il est difficile en revanche de parler d?élégance dans le cas de l?ancien refuge, encore moins en ce
qui concerne l?annexe, deux bâtiments dont le démantèlement apporterait un vrai gain esthétique
pour le site classé du massif du Mont-Blanc et pour l?accès au sommet par sa voie normale. On a
su le faire pour l?ancienne soufflerie du Mont-Lachat qui avait perdu toute utilité. Il serait cohérent
d?adopter la même détermination ici.
C?est d?ailleurs ce qui avait été prévu en janvier 2008 lors de la délivrance de l?autorisation minis-
térielle pour la construction du nouveau refuge en site classé. Elle s?accompagnait de la destruc-
tion de l?ancien refuge et de l?annexe, la valeur patrimoniale, de l?ancien refuge notamment, n?étant
manifestement pas suffisante pour justifier de son maintien.
Réaffirmer cette ambition et faire à nouveau progresser la naturalité du site et le caractère mini-
maliste et sobre de ses équipements, me parait être un objectif plus que jamais souhaitable ici.
2.5.4. Un refuge moderne et pourtant "bateau ivre" par certains aspects, qu?il
faudrait revoir en profondeur
Lorsque l?on entre dans le refuge du Goûter (actuel), sa salle commune ou ses chambres dortoirs,
agréables, chaleureuses, conviviales et tournées vers le paysage époustouflant dont on est en-
touré pour la première, plutôt "cosy" pour les secondes, il est difficile de se douter que les équipes
qui le gèrent sont confrontées font face à autant de dysfonctionnements. Difficile de croire qu?un
bâtiment aussi récent (10 ans), concentre autant de promesses non tenues. S?agit-il de malfaçons,
d?entretien fait avec trop peu de rigueur, ou encore d?erreurs initiales dans des choix technolo-
giques (pour les trois piliers que sont l?eau, l?énergie et l?assainissement) dont le caractère innovant
était vanté ?
Ce qui est sûr, c?est que les solutions convoquées ici, mises en oeuvre à bord d?espaces confinés
comme le sont les sous-marins, fonctionnent très mal. Je ne souhaite pas m?étendre sur le sujet,
bien connu de la communauté montagnarde, mais juste rappeler :
- que le fondoir qui permet d?alimenter le refuge avec de l?eau provenant de glace que l?on
fait fondre fonctionne très mal (il était en cours de réparation lors de la mission) ;
- que le système de génération d?électricité à partir de panneaux solaires, renforcé récem-
ment par des batteries est dépassé par les besoins ;
- que le système d?alerte incendie se déclenche de façon intempestive presque quotidien-
nement, mettant les nerfs de l?équipe de gardiennage à rude épreuve ;
- et enfin, problème majeur, que le système d?assainissement, complexe, semble à peu
près impossible à maîtriser, notamment du fait des variations fortes de fréquentation d?un
jour à l?autre (en fonction de la météo) qui l?enraye ; partiellement inopérant, il oblige à
des évacuations par hélicoptère très régulières des boues produites, opérations coû-
teuses et dont le bilan carbone fait frémir. Et l?odeur qui flotte autour ou parfois dans le
refuge signe ce qui apparait comme un véritable échec. Quant à la "salle des machines",
il est difficile d?y rester longtemps sans défaillir.
Dans un tel contexte, l?équipe gestionnaire fait des miracles, au prix d?un engagement qui force le
respect et qu?il faut saluer, et d?un déficit de sommeil très marqué. Cela ne peut évidemment pas
fonctionner ainsi éternellement et le risque de "burn-out", non seulement de l?équipe, mais du
système dans son ensemble est réel.
30 - « Refuge-grotte, chalet-hôtel, abri tout-en-un, refuge autonome, etc. : depuis la fin du XVIIIe siècle, combien de structures
ont été expérimentées pour abriter, l?espace d?une nuit, alpinistes et randonneurs ? Dans les Alpes françaises, on recense au-
jourd?hui environ 300 constructions en site isolé, sans accès carrossable. Histoire d?un laboratoire en mouvement » - Revue
l?Alpe, n°88, printemps 2020, Refuges.
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Ce "bateau ivre" est en outre très peu agile et fonctionne en mode "tout ou rien". C?est une lourde
machine que l?on ne peut aujourd?hui mettre en route qu?en totalité, sans modularité possible. La
sophistication de son fonctionnement s?avère inadaptée aux rudes conditions à cette altitude et
prévue pour un rythme de croisière régulier, sans à coup, en respectant les consignes31.
L?ampleur des problèmes est telle qu?il me parait indispensable qu?un audit détaillé et exhaustif
soit fait sur le fonctionnement technique de ce refuge. L?objet ne devrait pas être de chercher les
coupables de cette situation très difficile, ce qui serait sans doute vain et assurément inutile, mais
au contraire d?identifier des solutions, toujours techniques, suffisamment robustes pour qu?il puisse
fonctionner normalement. Cela exige compétence et lucidité.
L?idée est d?éviter de tenter de réparer par pièces et par morceaux, mais bien d?envisager chacune
des fonctions (eau, énergie et assainissement) en lien étroit avec les autres et avec le fonctionne-
ment d?ensemble du refuge et en prenant pleinement en compte les exigences de sobriété et de
minimalisme attendues en site classé. C?est donc une équipe pluridisciplinaire qui devrait être
mobilisée pour ce faire.
Il s?agirait également, et dans le même temps, de dégager des propositions pour deux évolutions
d?ampleur pour ce refuge, allant dans le sens d?une gestion plus sobre et surtout plus rationnelle
de la zone du Goûter :
- faire en sorte que son fonctionnement puisse être modulable en fonction des périodes de
la saison et surtout des taux de remplissage ; il faudrait notamment étudier la possibilité
de reconfigurer l?espace intérieur de façon à permettre de n?en n?ouvrir qu?une partie, en
début de saison notamment ou l?hiver ;
- y intégrer (de préférence dans l?espace actuel, ou à proximité immédiate le cas échéant)
un volume recueil qui soit enfin à la hauteur des enjeux de sécurité.
Ce travail devrait être engagé en toute priorité compte tenu de la fragilité du fonctionnement actuel
du refuge et des conséquences que cela peut avoir sur l?ensemble de la voie normale.
31 - Faute de cela et malgré des recommandations claires, visibles et pédagogiques, il est par exemple nécessaire d?ex-
tirper, à la main, dans les soutes, tous les objets inconsidérément jetés dans les toilettes si l?on veut que le système ait
une chance de fonctionner?
12. Dans les soutes du refuge (éléments du système EVAC) - Photos ThB, septembre 2023
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2.6. La cabane des Rognes et les cabanes Vallot n?ont pas vocation à changer
d?usage
La cabane des Rognes comme la cabane (terme employé ici à dessein pour le différencier d?un
refuge à la française32) Vallot sont des bâtiments, non gardés, qui peuvent accueillir des alpinistes
en détresse.
Celle des Rognes, située sur la commune des Houches, est fermée suite aux multiples dégrada-
tions qu?elle a subies, ainsi qu?à l?état de saleté dans lequel elle a été retrouvée à plusieurs re-
prises. C?est un bâtiment simple en pierres crépies.
La cabane Vallot, située sur la commune de Saint-Gervais, à la frontière avec Chamonix, de con-
ception beaucoup plus récente, est ouverte en permanence. On accède à l?intérieur par une
échelle en fer (voir photo) et une porte assez peu commode à manoeuvrer.
Ces deux bâtiments sont équipés, juste à côté pour les Rognes et à l?intérieur pour Vallot d?un
téléphone qui permet d?appeler les secours.
La cabane Vallot est également utilisée par le PGHM pour ses missions.
Enfin, juste en aval de la cabane Vallot, un second bâtiment sert à accueillir des scientifiques
lorsqu?ils effectuent leurs observations et relevés de terrain.
Ces trois bâtiments n?ont pas vocation à changer d?usage.
32 - Cabane est en revanche le terme consacré en Suisse pour parler de refuge !
13. Cabane des Rognes (en haut), ensemble Vallot (photos SM) ; entrée de la cabane Vallot (Photo GLN)
Septembre 2023
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3. Conclusion
Les recommandations du présent rapport s?inscrivent dans une demande de baliser "le domaine
des possibles" pour les deux ou trois décennies à venir s?agissant de l?évolution des équipements
de la voie dite normale d?accès au mont Blanc située en site classé.
L?exercice ne répondait donc pas à des demandes spécifiques émises par tel ou tel acteur, mais
a vocation à aider ces derniers à ne pas travailler inutilement sur des projets qui n?auraient pas de
perspective raisonnable d?être autorisés. En tout état de cause, les futurs porteurs de projet sont
plus que jamais invités à se rapprocher de l?inspecteur des sites de la DREAL, très en amont.
Au-delà, il semble indispensable de se pencher sans tarder sur l?avenir du refuge du Goûter, tant
les questions qui s?y posent sont cruciales. Personne ne comprendrait en effet que tous les efforts
ne soient pas mis en oeuvre pour remédier aux difficultés d?un édifice si récent qui a mobilisé des
fonds publics importants pour être édifié.
La présente mission est intervenue dans un contexte d?apaisement sur la voie normale, après des
années de tension liées à une fréquentation devenue excessive et qu?il était indispensable de
réguler pour la sécurité de tous, pour une meilleure préservation des milieux et pour un meilleur
respect du site. Le dialogue institué pour réussir à le faire, notamment dans le cadre de l?APHN,
constitue un réel progrès en terme de gouvernance.
Cela constitue un signe d?autant plus positif que la mise en place de l?APHN s?est accompagnée
de la formulation d?une vision globalement très partagée entre les acteurs de la montagne. Vision
également très cohérente avec les raisons qui ont conduit nos prédécesseurs à classer le massif
et nos contemporains à inscrire l?alpinisme au patrimoine immatériel de l?UNESCO.
La reprise d?une fréquentation plus soutenue post-COVID mettra peut-être en tension l?équilibre
atteint. L?approfondissement du dialogue et la consolidation d?une vision commune n?en seront
que plus utiles.
La maîtrise de la fréquentation articulée, via l?obligation de réservation, avec les hébergements
disponibles en refuge, reste la clef d?une maîtrise de la situation et d?un respect des lieux et des
professionnels qui y travaillent. Elle se combine avec l?affirmation très claire que l?alpinisme, dont
le site est le domaine privilégié, est une activité physiquement et techniquement exigeante qui doit
savoir composer avec les dangers du milieu naturel montagnard de haute altitude.
Le maintien d?un bon équilibre, sans dénaturer les lieux ni leur esprit, suppose enfin de ne pas
augmenter les capacités d?accueil, sauf pour les équilibrer entre Tête Rousse et le Goûter, de viser
à démanteler ce qui n?est plus utile ou pas adapté, et enfin de chercher à diminuer l?impact envi-
ronnemental des équipements.
Enfin, le choix qui a été fait de confier la gestion des refuges à une même entité qui coordonne
l?activité de gardiennage sur les trois refuges (Nid d?Aigle au terminus du TMB, Tête Rousse et
Goûter) s?avère judicieux pour faciliter un accueil coordonné tout au long de l?itinéraire.
Je terminerai en souhaitant que le présent travail puisse être présenté aux acteurs impliqués et
dont le partage des réflexions a nourri le rapport (nombre d?entre eux font partie du comité de suivi
de l?APHN). Je me tiens à disposition pour le faire, en lien avec le préfet de la Haute-Savoie, si
vous le jugez utile.
Thierry Boisseaux
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ANNEXE 1
Lettre de demande d?inspection générale par le préfet de la Haute-Savoie
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ANNEXE 2
Lettre de saisine de l?inspection générale
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ANNEXE 3
Liste des personnes interviewées
(outre la participation à la réunion du comité de suivi de l?APHN et celles rencon-
trés lors de la mission sur site de septembre 2023)
BARBIER François Mairie des Contamines-Montjoie Maire
BEGAIN Olivier
Compagnie des guides de Saint-
Gervais Président
BOSSONEY Ghislaine Mairie des Houches Maire
DARROUX Rémi
Préfecture 74 ? Sous-Préfecture
de Bonneville Sous-Préfet de Bonneville
DECHAVANNE Mathieu Compagnie du Mont-Blanc PDG
DIVOL Elois DDT 74 ? SAR
Responsable du service aménagement et
risques (SAR)
DOLIGEZ Bertrand Mairie des Contamines-Montjoie
Adjoint au maire ? Guide de Haute-Mon-
tagne (compagnie de St Gervais)
EVANS Alison RTM ? ONF 74
Responsable pôle expertises - Géologue -
Spécialiste aléas de montagne
FATMI Mélanie Préfecture 74 ? SIDPC Cheffe du SIDPC
FAVRE Elodie UDAP 74 ABF
FOURNIER Eric Mairie de Chamonix Maire
GAGLIARDINI Olivier
Institut des géosciences de l'en-
vironnement ? Université Gre-
noble Alpes Professeur en glaciologie
GAUD Bernard FNE 74 Membre CDNPS
GODEFROY Cédric DDT 74 ? SAR Chargé de mission montagne au SAR
GREBER Olivier
Compagnie des guides de Cha-
monix Président ? Guide
GUILLET Raphaël DDT 74 Directeur départemental adjoint
GUIMARAES Eric SDIS 74 Chef du groupement prévention ERP
LAMOUILLE-HEBERT Marie FNE 74
Pôle expertise, veille et appui aux collectivi-
tés
LE BRETON Yves Préfecture 74 Préfet
LE NEVE Guy PGHM 74 Commandant en second
MARILLET Nicolas SDIS 74
Directeur départemental (Colonel hors
classe)
MARIN Claude
Coordinateur dossier classement Alpinisme
UNESCO (Fr / Ita / Ch)
MARSIGNY François ENSA de Chamonix
Responsable du département Alpinisme +
Conseiller montagne Préfet 74
MOREAU Luc indépendant
Glaciologue, Associé EDYTEM CNRS Glacio-
Lab.
MORET Olivier Fondation PETZL Secrétaire Général
NEIRENCK Vincent Mountain Wilderness Membre CDNPS
PEILLEX Jean-Marc Mairie de Saint-Gervais Maire
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POUPET Jean-Christophe WWF Membre CDNPS suppléant
RATTIN Anroine FFCAM
Gardien coordonnateur refuges Gouter, Tête
Rousse et Nid d?Aigle
RAVANEL Ludovic EDYTEM Géomorphologue
RAVEL Alexandre SDIS 74 Responsable du groupe montagne
RAYNAUD Nicolas FFCAM Vice-Président
ROSEREN Xavier
6e circonscription de Haute-Sa-
voie Député
SADDIER Martial Conseil Départemental 74 Président
TAYLOR John Mont-Blanc Guides Ltd. Guide
THIBERT Emmanuel
Institut des géosciences de l'en-
vironnement ? Université Gre-
noble Alpes Docteur en géophysique
VIBERT Océane Association « La Chamoniarde » Directrice
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ANNEXE 4
Le site classé du Mont-Blanc
Un site classé depuis soixante-dix années, le plus grand et le plus haut de
France et qui mérite plus que jamais la reconnaissance que la Nation lui a ac-
cordée, et sa protection
Un classement pour préserver une vision de la haute montagne où l?homme sait
rester discret et s?autolimiter
Le massif du Mont-Blanc héberge le plus haut sommet d?Europe occidentale à 4 810 m d?altitude.
Il a suscité l?intérêt très au-delà de ses alentours depuis plusieurs siècles. D?abord considéré
comme un espace de dangers, de chaos, voire de maléfices, il stimule l?imagination et la volonté
d?exploration, d?élites anglaises, genevoises ou parisiennes dès le XVIIIe siècle et devient très vite
un berceau et un lieu incontournable, du tourisme d?altitude, de l?alpinisme et du ski.
Peu à peu, les équipements destinés à faciliter sa découverte dans ses moindres recoins, par les
plus aventuriers et les plus sportifs (simples cabanes qui deviendront un réseau de refuges), puis
par le plus grand nombre (moyens mécaniques d?ascension), se multiplient. On part à l?assaut du
massif comme à celui d?une forteresse, dans une frénésie de conquête au service de laquelle sont
appelées l?ingénierie et la technologie. L?objectif de la seconde moitié du XIXe et de la première
moitié du XXe siècles est d?atteindre le mont Blanc par train, tunnel, ascenseur, les projets plus
ou moins réalistes se succédant les uns aux autres. C?est aussi l?usage du câble qui conduira à
vouloir hérisser les pentes de pylônes, soit pour atteindre des terrains de jeu à plus haute altitude
pour les skieurs, soit pour traverser le massif de part en part ou pour relier ses principaux sommets
ou points d?intérêt.
Face au risque de défigurer le massif, des voix s?élèvent cependant pour réclamer une protection
de celui-ci. Dès 1948, le président du Club alpin français, Lucien Devies « ?appelle l?attention? »
de la commission supérieure des sites « ?sur un projet de construction d?un téléphérique allant
de la place de Saussure à Chamonix à l?aiguille du Midi? » et demande « ?le classement pour
permettre une protection efficace? »1. 20 000 ha précédemment inscrits sont alors classés (arrêté
de 1951 et décret de 1952), au-dessus de la cote altimétrique des 2 000 m avec l?assentiment des
communes des Contamines, de Saint-Gervais et de Chamonix, mais contre l?avis des Houches2.
En 1963, la commission supérieure des sites, perspectives et paysages prend très clairement
partie contre deux nouveaux projets d?équipements, celui d?un téléphérique pour rejoindre l?aiguille
du Goûter et celui reliant le Montenvers à l?aiguille de Trélaporte. Elle assortit son vote d?un con-
sidérant : « ?Le Massif du Mont-Blanc est suffisamment équipé tant du point de vue du tourisme
que de l?alpinisme? »3. Cinq années plus tard, un rapport de l?inspecteur général Sorlin4 relatif à
de nouvelles installations mécaniques5 apporte « ?son avis le plus défavorable à la prise en con-
sidération des trois projets? » en s?appuyant sur la position exprimée par la commission supé-
rieure en 1963 et les protestations émises par la fédération française de la montagne.
1 - Compte rendu de la réunion du 24 juin 1948 de la section permanente de la commission supérieure
des sites.
2 - La commune qui argue que « ?cette mesure éliminerait la commune du sommet du mont Blanc, le
projet ne tenant pas compte de l?acte de partage intervenu en 1787 entre les Houches et Chamonix? »
- Note du 7 juin 1951 de la direction de l?architecture du ministère de l?éducation nationale à son mi-
nistre.
3 - Procès-verbal de la séance du 27 novembre 1963 de la commission supérieure des sites, perspec-
tives et paysages.
4 - Rapport du 14 mars 1968.
5 - Téléskis permettant d?accéder au col du Géant et à l?aiguille Marbrée, téléphérique allant des
Houches à l?aiguille du Goûter, remontée mécanique en galerie, du nid d?Aigle au dôme du Goûter,
avec prolongement éventuel vers le sommet du mont Blanc !
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Moins de dix ans après, l?État estime nécessaire d?étendre le site classé en y ajoutant une propriété
privée, des zones de moraines et certains des abords immédiats du site déjà classé où des ex-
tensions de domaines skiables se profilent. Le projet de construction imminente d?un lotissement
au col de Voza pousse l?État à lancer une instance de classement en 1975. L?extension du clas-
sement intervient un an plus tard, contre la volonté de quatre des cinq communes concernées
(Saint-Gervais, Les Houches, Chamonix et Vallorcine), celle des Contamines se montrant au con-
traire favorable. Les débats de la commission supérieure sont là encore éclairants et montrent la
constance de cette dernière dans son souci de limiter au minimum les nouveaux équipements en
moyenne montagne et de s?opposer aux équipements plus lourds à plus haute altitude. M. Devies,
comme en 1948 « ?insiste sur la nécessité de s?opposer à tout nouveau projet de téléphérique
en haute montagne? »6.
Plus près de nous, en 2012 et 2013, relativement à la requalification du Montenvers, à presque
2 000 m d?altitude, la commission supérieure insistera sur l?importance de réduire la « ?pré-
gnance ? » des aménagements, l?inspecteur général Brodovitch ayant rappelé de son côté que
« ?le train?présente un mode de découverte très volontariste de la montagne qui ne pourrait
plus être envisagé aujourd?hui? »7.
Un classement, dont l?inscription de l?alpinisme au patrimoine culturel immaté-
riel de l?humanité et l?arrêté de protection des habitats naturels du Mont-Blanc,
confortent le sens
Le 11 décembre 2019, à l?initiative conjointe de la France, l?Italie et la Suisse, l?alpinisme a été
reconnu comme patrimoine immatériel culturel de l?humanité. Cette reconnaissance décrit notam-
ment un mode très spécifique d?accord entre l?homme et la nature, porteur de sens et de valeurs.
La décision d?inscription (cf. en annexe 5 son intégralité), présente ainsi l?alpinisme comme
« ?l?art de gravir des sommets et des parois de haute montagne, en toutes saisons, en terrain
rocheux ou glaciaire? ». Elle précise qu?il « ?s?appuie sur des références esthétiques, les alpi-
nistes étant attachés ? à la contemplation des paysages et à la communion avec les milieux
naturels traversés? » et que « ?la pratique mobilise en outre des principes éthiques reposant
sur les engagements de chacun, notamment à ne laisser aucune trace sur son passage? ». Enfin,
elle pointe la « ?responsabilité commune pour l?entretien et la restauration de lieux à valeur so-
ciale importante - les refuges de haute montagne -? » et les nécessaires « ? protection des
alpinistes face aux risques de mise en danger de leur activité ; prévention des risques liés à la
banalisation des pratiques et de leurs lieux d?exercice ; renforcement de la veille préventive face
aux atteintes à l?environnement? ».
La partie classée du massif du Mont-Blanc est bien sûr indissociablement liée à l?alpinisme qui a
fondé en partie la décision de classement et à laquelle elle contribue à conserver un environne-
ment préservé compatible avec sa pratique.
Le 1er octobre 2020, le préfet de la Haute-Savoie a signé un arrêté de protection des habitats
naturels (APHN) du Mont-Blanc dont la motivation principale, au-delà de la préservation d?habitats
naturels, est de se doter d?un outil juridique permettant de réglementer la fréquentation du point
culminant de l?Europe occidentale, ce que le statut de site classé ne permet pas de faire.
Si le mont Blanc a suscité de multiples projets de conquête mécanique (cf. ci-avant), il a également
"inspiré" d?innombrables comportements extravagants. En 2015, un article du hors-série Mont-
Blanc d?Alpes Magazine8 constate que « ?attraction fatale, le mont Blanc est une tour de Babel
où viennent se réaliser ou se fracasser les rêves et les egos de milliers de prétendants virils ou
d?ignorants pleins de candeur? ». On ne compte plus les premières de toutes natures et les ini-
tiatives farfelues, intéressées, pseudo-scientifiques? qui créeront autant de polémiques.
« ?Dans une société du spectacle et du règne de l?individu roi, le mont Blanc offre une scène
gratuite et médiatique, où tout un chacun se sent libre d?assouvir ses envies, ses fantasmes? ».
6 - Procès-verbal de la séance du 8 janvier 1976 de la commission supérieure des sites.
7 - Il parle de celui du Montenvers, mais cela s?applique tout autant au TMB. Compte rendu de la com-
mission supérieure des sites, perspectives et paysages du 24 mai 2012.
8 - Article signé Philippe Bohème.
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Si l?abandon d?un rameur au refuge Vallot (!) en 2019 par un touriste britannique est le dernier
avatar de ce type de comportement, le nombre de candidats à l?ascension du mont Blanc, qui
dépasse désormais les 20 000 par an, a également conduit à mettre en place une régulation (via
une obligation de réservation en refuge). La plupart de ces grimpeurs empruntent en effet le même
itinéraire à partir du terminus du TMB, conduisant à une saturation des refuges souvent généra-
trice d?incivilités. Il s?y rajoute l?impréparation et l?équipement inadapté d?un nombre significatif d?in-
dividus, des "hurluberlus" 9 selon le maire de Saint-Gervais10 qui sous-estiment de façon drama-
tique la difficulté et les dangers de l?ascension.
L?esprit et la lettre de cet APHN, même s?il ne concerne qu?une partie réduite du site classé, dont
la zone qui fait l?objet de ce rapport, et l?inscription au patrimoine de l?UNESCO de l?alpinisme
confortent le sens du classement du site tout entier et l?esprit des lieux qui s?y attache : un site
riche et fier de son histoire, ouvert aux hommes s?ils savent s?y imposer les limites indis-
pensables à la préservation des espaces fragiles et des paysages somptueux qui le com-
posent et s?ils préviennent tout ce qui pourrait concourir à sa banalisation.
9 - Personne étourdie, écervelée qui se comporte avec extravagance (Larousse en ligne).
10 - Lors de son discours devant le Président de la République, le 13 février 2020 à Saint-Gervais.
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ANNEXE 5
Décision d?inscription de l?alpinisme au patrimoine culturel immatériel
de l?humanité
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