Prospective 2040-2060 des transports et des mobilités. 20 ans pour réussir collectivement les déplacements de demain

ROCHE, Pierre-Alain ; SAUVANT, Alain ; AUVERLOT, Dominique

Auteur moral
France. Conseil général de l'environnement et du développement durable ; France Stratégie
Auteur secondaire
Résumé
<div style="text-align: justify;">Pour éclairer le débat sur la prospective de la mobilité, un exercice exploratoire à horizon 2040-2060 a été mené par France Stratégie et le CGEDD, avec un focus sur 2030. Le secteur des transports devra se décarboner quasi totalement en l'espace d'une génération. L'urgence climatique, les enjeux d'acceptabilité et d'équité sociale sont au coeur de l'approche. L'enjeu des émissions de gaz à effet de serre du secteur est traité par une approche en empreinte carbone « complète » incluant une analyse en cycle de vie des véhicules et des infrastructures. Sont envisagées les approches dites de « backcasting » partant d'un objectif à terme de neutralité carbone complète, et les approches dites de « forecasting » déroulant des avenirs possibles. Les incertitudes et les risques dans l'organisation des politiques publiques sont intégrés. Afin d'illustrer l'approche prospective des mobilités, sept scénarios ont été construits selon deux principaux déterminants : les évolutions technologiques et les comportements. Cinq de ces scénarios relèvent d'une logique de forecasting, sans prendre l'objectif de neutralité carbone comme une donnée d'entrée. Neuf conclusions ressortent de ce travail : 1/ l'urgence climatique ; 2/ les changements des usages des transports ; 3/ la définition de politiques de décarbonation robustes ; 4/ une réduction notable des émissions du transport par des développements technologiques volontaristes ; 5/ l'urgence de la reconversion de l'industrie française et européenne du secteur ; 6/ une plus grande sobriété d'usage pour atteindre la neutralité carbone ; 7/ l'indispensable recours au transport de marchandises et à la logistique pour une économie compétitive ; 8/ le renforcement de la trame urbaine de taille intermédiaire et le développement d'une plus forte attractivité résidentielle des centres urbains ; 9/ l'adhésion des Français à ce projet. Le rapport de synthèse est détaillé par sept rapports, un transversal et six thématiques : Marchandises transports maritimes et ports ; Marchandises transports routiers, ferroviaires, fluviaux et leur logistique urbaine ; Mobilité des personnes ; Mobilités et aménagement ; Motorisation ; Risques et incertitudes.</div>
Editeur
CGEDD ; France Stratégie
Descripteur Urbamet
prospective ; transports ; transport de marchandises ; transport de personnes ; transport ferroviaire ; transport fluvial ; transport maritime ; transport routier ; transport urbain ; véhicule ; infrastructure de transport ; scénario ; innovation ; technologie ; comportement ; politique des transports ; politique publique ; logistique ; tissu urbain ; centre-ville ; port ; aménagement urbain ; impact ; économie des transports ; mobilité ; mobilité urbaine ; décarbonation ; neutralité carbone ; logistique urbaine
Descripteur écoplanete
réchauffement climatique ; gaz à effet de serre ; empreinte carbone ; risque
Thème
Transports
Texte intégral
RAPPORT DE SYNTHÈSE Février 2022 PROSPECTIVE 2040-2060 DES TRANSPORTS ET DES MOBILITÉS 20 ans pour réussir collectivement les déplacements de demain Travaux coordonnés par : Dominique Auverlot Pierre-Alain Roche Alain Sauvant Avec les contributions de : Nadine Asconchilo, Francis Beaucire, Régine Bréhier, Geoffroy Caude, Jean Colard, Yves Crozet, Pascal Hornung, Michel Massoni, Jincheng Ni et Michel Savy LE MOT DU MINISTRE Jean-Baptiste Djebbari Ministre délégué chargé des Transports « A quoi ressemblera demain ? » : c'est la question tentaculaire, excitante et obsédante à laquelle ce rapport tente, par le prisme des mobilités, de répondre. Si les deux dernières années nous ont rappelé que l'avenir est d'abord fait d'incertitude, cela ne doit pas nous empêcher d'anticiper les inévitables transformations qui nous attendent. Notre cap, nous le connaissons : c'est la neutralité carbone des transports d'ici 2050. Nous savons où nous devons aller ; il nous reste à définir comment. Le travail mené par le CGEDD et France Stratégie apporte à cet égard des éclairages bienvenus. Particulièrement étayé, fruit de concertations avec de nombreux experts et acteurs du secteur, ce rapport dresse un portrait de ce que sera la mobilité d'ici 2060. Il nous conforte dans de nombreuses orientations engagées ces dernières années, mais montre aussi l'étendue des efforts à consentir. Par où commencer ? Assurément, l'électrification de notre parc automobile doit être notre première priorité. L'avenir de la voiture sera électrique, et la France a de grandes ambitions en la matière. Nous avons déjà engagé cette transition avec le secteur mais nous devrons faire plus, et plus vite : définir une trajectoire technologique claire pour l'industrie automobile tout en accompagnant sa reconversion. Des millions de ces véhicules circuleront sur nos routes dans seulement quelques années, ce qui exige d'accompagner les besoins massifs en matière de recharge. Néanmoins, ce ne sont pas seulement nos véhicules qu'il convient de changer, mais aussi nos habitudes. Il nous faut tendre vers plus de sobriété : faire plus de place aux mobilités actives, favoriser les transports en commun, autant pour les courtes que les longues distances, et poursuivre nos efforts de report modal pour le transport de marchandises, grâce au fret ferroviaire et fluvial. Il ne s'agit là que de quelques-unes des nombreuses leçons de ce rapport, riche en enseignements, qui éclairera nos choix et nous aidera à façonner l'avenir. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 3 Avant-propos Il y a encore quelques années, une prospective des mobilités avait pour objet principal d'analyser les effets en termes de mobilités des modifications d'usage et de mode de vie, bref de faire un « forecasting » affectant des flux de déplacements par modes de transport selon les préférences des acteurs, à partir de déterminants principaux (démographie, PIB, valeur du temps, etc...). Avec le changement climatique a émergé le besoin de « backcasting ». Il s'agit de déterminer les trajectoires nécessaires pour atteindre la neutralité carbone, en y ajoutant d'autres objectifs comme la zéro artificialisation nette. Dans quelle mesure les évolutions spontanées des usages sont-elles compatibles avec ces impératifs ? Des actions publiques (taxations, aides, interdictions, etc..) sont-elles nécessaires pour cela ? Si oui, faut-il agir sur les usages générant le besoin de mobilité ou directement sur celle-ci ? Le risque du backcasting est de fixer des cibles trop théoriques et de croire que les comportements sont malléables et obéissent aux injonctions publiques comme des automates. Celui du forecasting est d'additionner les intérêts individuels de court terme et de sous-estimer l'enjeu du collectif. France Stratégie et le CGEDD ont animé un important groupe d'experts de tous horizons dans le cadre d'un exercice de réflexion prospective combinant backcasting et forecasting sur les mobilités à longue échéance 2040, 2060 avec un regard particulier sur 2030. Les gains que les progrès technologiques permettent d'espérer sont suffisamment importants pour que leur mise en oeuvre constitue une priorité. Il aurait été confortable que cette prospective permette de constater que les efforts de conversion technologique assureraient l'atteinte de la neutralité carbone. S'ils peuvent apporter une part importante de la solution, ils sont cependant loin d'être acquis, au-delà de quelques segments plus matures comme l'électrification des véhicules particuliers, et surtout ils ne seront pas suffisants dès lors que l'on raisonne en terme d'empreinte carbone. Pas de neutralité sans sobriété, donc. Le changement des usages peut, pour une part, provenir de l'instauration d'une « sobriété heureuse », avec des évolutions spontanées et la motivation des jeunes générations qui se postent, comme souvent, aux avant-gardes. Les travaux montrent cependant que les modifications nécessaires ne se feront vraisemblablement pas sans susciter difficultés et réticences. Les pouvoirs publics doivent s'atteler dès à présent à encourager ces changements d'usage, sans se satisfaire des progrès les plus faciles déjà réalisés. Ceci d'autant que les effets sont lents et que l'urgence est là. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 4 Cela pose la question des leviers économiques (y compris règlementaires) que la puissance publique doit utiliser. Cela suppose notamment une réorientation forte des politiques industrielles de ce secteur, qui est important en France, vers une économie bas-carbone compétitive, qui crée des emplois et qui amène de la richesse aux territoires. Il faut veiller à ce que la société dans son ensemble, au-delà de ses avant-gardes et des catégories les plus aisées de la population, puisse accepter les évolutions du coût et des contraintes de la mobilité. La question de l'équité de la répartition des efforts est au coeur de l'adhésion des Français au projet collectif qui reste à construire. Les auteurs assument de considérer que la neutralité carbone est l'enjeu surplombant, mais aussi le facteur de risque et d'incertitude prédominant. Ils lui ont donné une place structurante et centrale. Bien entendu ils examinent aussi d'autres dimensions, comme les questions de commodité des déplacements au regard du vieillissement de la population, l'évolution des flux de marchandises à toutes échelles de territoire, les modèles urbains possibles... Un rapport de synthèse, déjà copieux, accompagné d'un rapport détaillé transversal et de six rapports thématiques, dont l'un dédié à la prise en compte de l'incertitude, des irréversibilités et des risques dans la conception des politiques publiques du secteur, ont été nécessaires pour tenter de témoigner de la richesse de cet important travail collectif. C'est la première fois que le CGEDD et France Stratégie prennent une initiative commune dans un champ aussi vaste. Nos équipes en ont tiré un grand enrichissement intellectuel collectif. Il convient de faire plus que s'en réjouir et il ne fait guère de doute que cette initiative sera suivie d'autres activités communes, avec l'objectif que nous partageons d'être utiles à l'intérêt général, en éclairant les débats publics par des études approfondies, aussi objectives et quantifiées que possible, par des scénarios contrastés, et par des recommandations argumentées. Cette démarche n'aurait pu être menée jusqu'à son terme sans le concours précieux de très nombreux contributeurs de tous horizons : nous leur adressons nos plus vifs remerciements. Faire de la prospective, c'est ouvrir un débat, apporter de la matière à celui-ci, avec modestie, évidemment. Explorer des futurs possibles, y compris ceux qui ne semblent à l'évidence guère désirables, doit d'abord servir à orienter les choix contemporains et à inciter à décider et agir sans tarder. Daniel Bursaux Vice-président du Conseil général de l'environnement et du développement durable Gilles de Margerie Commissaire général de France Stratégie Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 5 Résumé Le CGEDD et France Stratégie ont conduit, avec de nombreux experts (cf. annexe 1) durant les années 2020 et 2021, une démarche prospective concernant les mobilités couvrant la période de 2020 à 2060, avec des jalons principaux en 2030, 2040, 2050 et 2060. Le présent rapport présente une synthèse de ces travaux et des enseignements qu'il est proposé d'en tirer. Il est accompagné d'un rapport transversal qui traite essentiellement des éléments communs aux diverses démarches entreprises et de six rapports thématiques : mobilités des personnes ; mobilité des marchandises ; ports et transports maritimes ; motorisations ; mobilités et aménagement ; risques et incertitudes. L'approche proposée présente les principaux traits suivants : Elle met l'accent sur l'urgence climatique et sur les enjeux d'acceptabilité et d'équité sociale ; elle documente et interroge les questions de sobriété qui sont aujourd'hui au coeur de nombreux débats. Sans ignorer toutes les autres dimensions du questionnement sur les mobilités du futur, elle constate que le plus grand déterminant de celles-ci sera la question de l'empreinte carbone. Elle traite de l'enjeu des émissions de gaz à effet de serre du secteur par une approche en empreinte carbone « complète » incluant une analyse en cycle de vie des véhicules et des infrastructures (ie y compris les émissions des importations), ce qui la distingue de la SNBC, qui porte sur les seules émissions de la France. De plus elle élargit le périmètre aux transports internationaux maritimes et aériens concernant la France, qui ne sont pas les secteurs les plus aisés à décarboner. Elle est donc beaucoup plus exigeante que les analyses en émissions à l'usage (périmètre de Kyoto 1) ou en empreinte des carburants concernant les seuls transports terrestres (loi d'orientation des mobilités). En cela elle complète les analyses habituelles faites aux échéances de 2030 et de 2050 par deux grandes échéances au regard de la « neutralité en empreinte complète » en 2040 et 2060. Elle combine des approches dites de « backcasting » partant d'un objectif à terme de neutralité carbone complète, et des approches dites de « forecasting » qui déroulent des avenirs possibles, que ceux-ci soient considérés comme désirables ou non. Les approches de forecasting retracent diverses situations de technologie et de sobriété, mais ne sont pas construites pour atteindre strictement cette neutralité en empreinte complète. Ce sont elles qui ont été les plus discutées dans les ateliers thématiques, car elles sont les plus ancrées dans les tendances qui s'amorcent aujourd'hui. Les approches de backcasting « neutralité complète » tracent, au regard d'une estimation des puits de carbone affectables au secteur, une trajectoire du « budget empreinte carbone » collectif. Elles distinguent deux variantes mixant de façon contrastée les contributions de la technologie et celle de la sobriété. La variante la plus radicale en terme d'évolution des comportements a été ajoutée à la suite des observations recueillies lors des consultations et relectures d'un premier projet de rapport. Elle tente des approches exploratoires pour prendre en compte les incertitudes et les risques dans l'organisation des politiques publiques. 1 Les émissions de gaz à effet de serre comprennent, dans le format dit du périmètre de Kyoto, utilisé par la Convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, les émissions de la France métropolitaine et des Outre-mer inclus dans l'Union européenne, mais n'inclut pas les émissions internationales du maritime et de l'aérien. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 6 Sept scénarios pour rendre compte des futurs possibles Afin d'illustrer de manière détaillée l'approche prospective des mobilités, sept scénarios ont été construits selon deux principaux déterminants : les évolutions technologiques et les comportements (Figure 1). Cinq de ces scénarios relèvent d'une logique de forecasting, c'est-à-dire qu'il ne prennent pas l'objectif de neutralité carbone comme une donnée d'entrée : Le scénario « ambition de base » intègre l'ensemble des mesures et objectifs décidés aujourd'hui. Les progrès technologiques y sont importants et les comportements plutôt parcimonieux. C'est donc un scénario plus ambitieux qu'une prolongation des tendances actuelles. Les scénarios « poussée de sobriété » et « poussée de technologie » considèrent l'un davantage d'efforts en termes de sobriété et l'autre des avancées technologiques plus marquées. Le scénario « hypercontraint » fait l'hypothèse qu'en l'absence d'amélioration technologique probante, les contraintes d'usage sont fortement renforcées. Le scénario du « pire climatique » allie de faibles progrès technologique et une faible évolution des usages. Deux autres scénarios ont été construits dans une logique de backcasting à partir de l'objectif de neutralité carbone « complète » en 2060, l'un jouant davantage sur les leviers technologiques (« pari technologique »), l'autre sur les leviers comportementaux (« pari sociétal »). Le scénario « pari technologique » retient les mêmes hypothèses technologiques que le scénario « poussée de technologie », mais avec davantage de sobriété. Le scénario « pari sociétal » retient les mêmes hypothèses technologiques que les scénarios « ambitions de base » et « poussée de sobriété », mais est beaucoup plus volontariste que tous les scénarios de forecasting en termes de sobriété. Figure 1 : Les scénarios envisagés. Source : Prospective 2040-2060, CGEDD-France-Stratégie, 2022. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 7 Le scénario « ambition de base », affiche une baisse de 59 % de son empreinte carbone par rapport à 2018 (à 122 MtCO2). Cette baisse serait obtenue malgré une forte progression des déplacements, des ménages comme des marchandises (respectivement + 64 % et + 50 %). Seuls les deux scénarios de backcasting atteignent (par construction) la neutralité carbone en empreinte à horizon 2060), c'est-à-dire une émission résiduelle de 51 MtCO2, correspondant à 53 % des émissions négatives (puits de carbone) de l'ensemble des secteurs qui sont estimées à 95 MtCO2. Le scénario « pari sociétal » suppose une baisse de 14 % du nombre de voyageurs*km, et une stagnation des tonnes transportées. Le scénario « poussée de technologie », qui fait des hypothèses en termes de déplacements très proches du scénario « ambition de base » (8 % de plus de déplacements voyageurs, autant de tonnes transportées) permet néanmoins de s'approcher de la neutralité empreinte (61 MtCO2), et même d'atteindre la neutralité carbone en émissions (Figure 2). Figure 2: Les résultats quantifiés des scénarios (Légende détaillée : voir figure 14). Source : CGEDD-France-Stratégie, 2022. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 8 De ce travail ressortent neuf messages principaux... 1 2 L'urgence climatique surplombe les réflexions sur le futur de la mobilité 2. Décarboner presque totalement les transports en une génération constitue un effort considérable et ne se fera pas au dernier moment. Les incertitudes ne doivent pas détourner de l'urgence à agir. Les usages des transports peuvent connaître des changements profonds. De nouvelles pratiques, allant vers une mobilité plus mutualisée, plus collective, plus inclusive s'expérimentent au sein de groupes pionniers souvent très jeunes, et permettent de répondre également à des évolutions comme le vieillissement de la population qui génère des besoins spécifiques de commodité des déplacements. La révolution en cours du numérique permet des améliorations notables, mais peut avoir des effets négatifs dont l'identification doit permettre la mise en place d'une régulation pertinente. Il est possible de définir des politiques de décarbonation robustes, malgré les incertitudes sur le devenir des technologies et sur l'évolution de nos comportements, sous réserve de les réviser périodiquement. Des développements technologiques volontaristes, déjà amorcés pour la plupart, pourraient permettre une réduction notable des émissions du transport mais leur déploiement rapide est loin d'être acquis. La mise en place de leviers économiques et réglementaires précoces est indispensable (interdictions de commercialisation de certaines motorisations à des échéances prévues avec dix ou vingt ans d'anticipation, normes européennes d'émissions, zones à faibles émissions « mobilité » - ZFEm ...) pour parvenir au résultat. Ils seront d'autant plus efficaces qu'ils seront décidés à l'échelle internationale. Ils ne produiront enfin leur effet que si le chemin est jalonné d'étapes intermédiaires et accompagné à chacune de celles-ci et qu'in fine la réalité du marché et des pratiques aura précédé l'entrée en vigueur des mesures d'interdiction. Parmi les solutions possibles, le basculement vers des motorisations électriques pour notamment les voitures et les poids lourds est d'autant plus pertinent que la France présente l'avantage de produire une électricité peu carbonée. La mise en oeuvre généralisée à l'échelle mondiale de ces nouvelles technologies reste cependant soumise à la rareté des ressources. Si la décarbonation des motorisations est la priorité la plus visible aujourd'hui, les émissions à la fabrication, à l'usage, au recyclage des véhicules et à la mise en place des infrastructures deviendront des facteurs essentiels comme les usages et le nombre de passagers par véhicules. Pour réduire l'empreinte, il ne suffit pas de convertir les motorisations. La reconversion de l'industrie française et européenne du secteur, dont le poids économique est important (le chiffre d'affaires cumulé en France de l'industrie automobile et de la filière aérospatiale représente environ 250 milliards d'euros) 3, est urgente pour rester dans la compétition internationale. Elle demande un appui public pour les entreprises et leurs employés et les territoires qui les accueillent. À travers le soutien à ces secteurs, qui représentent plusieurs centaines de milliers d'emplois directs, il s'agit, non pas de chercher à prolonger des industries fortement émettrices de gaz à effet de serre, mais de les aider à se reconvertir et à produire des véhicules et des engins décarbonés pour soutenir l'emploi industriel en France. 3 4 5 2 Les termes de mobilités et de transports employés ici couvrent, sauf précision contraire, à la fois les déplacements des personnes et ceux des marchandises. 3 https://www.insee.fr/fr/statistiques/5896539; https://www.insee.fr/fr/statistiques/2016146 Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 9 6 Le transport de marchandises et la logistique qui lui est associée sont indispensables à notre économie et à sa compétitivité dans un espace européen et international très concurrentiel. Ces secteurs sont vitaux dans la mesure où ils sont au service de l'ensemble des entreprises françaises, qu'elles soient industrielles, agricoles ou de distribution, exportatrices ou importatrices. Ces secteurs riches en emplois connaissent des évolutions fortes des conditions de travail et des statuts associés. Dans les trajectoires vers la neutralité carbone, ils vont fortement évoluer : la décarbonation des modes routiers et maritimes, la massification des transports par voie terrestre ou maritime, le report modal et l'optimisation des chaînes logistiques sont donc des priorités pour les politiques publiques. Elles doivent notamment se traduire par la rédaction de plans d'actions concrets pour le fret ferroviaire avec des objectifs intermédiaires bien définis, par la mise en place de stratégies collectives pour la logistique nationale avec un accent particulier sur les plateformes plurimodales et sur les aires urbaines pour la logistique urbaine, et par le maintien d'un juste équilibre entre les rythmes de décarbonation du secteur maritime décidés en Europe et à l'OMI. La mise en place effective dans les coûts d'un signal prix carbone est également souhaitable à une échelle aussi large que possible pour respecter les conditions de concurrence entre acteurs économiques. La neutralité carbone complète ne peut être atteinte qu'en associant une plus grande sobriété d'usage (voyageurs et marchandises) aux progrès technologiques : mobilités actives, covoiturage, mutualisation et massification, réduction du nombre et de la longueur des parcours, report modal et développement de la qualité de service et de la fréquentation des transports collectifs.... Il n'est pas acquis que les évolutions de comportement d'usage, dont la nécessité même n'est pas encore totalement partagée, résultent spontanément d'une démarche collective de « sobriété heureuse », qui s'étendrait progressivement à l'ensemble de la société. Le système de transport à terme pourrait donc reposer sur la mise en place de signaux économiques et sur un degré renforcé d'organisation et de coordination, pouvant inclure des restrictions par des instruments d'action publique. Le renforcement de la trame urbaine de taille intermédiaire et le développement d'une plus forte attractivité résidentielle des centres urbains sont des facteurs décisifs à long terme pour la réduction des besoins de mobilité et ainsi des émissions de gaz à effet de serre et des effets sur l'artificialisation des sols et la biodiversité. Leurs effets sont lents et cela justifie des efforts volontaristes d'anticipation. L'adhésion des Français à ce projet est l'enjeu le plus délicat. Elle est conditionnée par une répartition jugée équitable des efforts collectifs tant au sein de la société française que quand elle se compare aux autres pays. Elle repose sur la prise en compte de la diversité des univers de choix (l'accessibilité réelle des alternatives) et sur la mise en place simultanée, voire préalable, des mesures d'accompagnement nécessaires, en faveur en particulier des premiers déciles. Les plus riches, qui émettent plus et pour lesquels les choix sont plus ouverts, doivent s'attendre à être appelés à contribuer proportionnellement plus aux efforts. Cette adhésion ne pourra cependant être véritablement obtenue qu'à l'issue d'un débat de société, bénéficiant de toute l'information possible et permettant à chacun d'envisager son devenir dans le cadre de cette transition. 7 8 9 Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 10 ... un défi intermédiaire difficile pour 2030 : la participation du secteur des transports à l'objectif européen de réduction de 55 % par rapport à 1990... La baisse de l'empreinte carbone des émissions de GES en 2030 du secteur des transports ne dépasse pas une trentaine de pourcents dans la plupart des scénarios simulés (pour les transports terrestres en ACV). Le secteur semble donc en risque, à cette courte échéance, de rester loin de contribuer au prorata de ses émissions, à l'objectif envisagé par la Commission européenne d'une réduction en 2030, tous secteurs confondus, de 55 % des émissions par rapport à 1990 (objectif rehaussé par rapport à l'engagement actuel de la France d'une réduction de 40 %). Ce retard s'observe déjà aujourd'hui : le secteur des transports a ainsi connu une nette augmentation de 1990 à 2017 non seulement de ses émissions directes (+ 15 % en incluant l'international) mais aussi de son empreinte carbone (+ 21 %). Ce résultat s'explique par l'affirmation politique seulement récente de l'urgence climatique et de l'objectif de la neutralité carbone, malgré les mises en garde précoces de la communauté scientifique, et par des choix industriels qui n'avaient probablement pas assez anticipé la nécessité de ces innovations. Il en résulte aujourd'hui des délais difficilement compressibles pour pouvoir atteindre l'objectif liés à la montée en puissance de la production et de la commercialisation des motorisations décarbonées pour les véhicules neufs, à l'inertie du renouvellement du parc et enfin à la faiblesse actuelle du marché de l'occasion pour ces nouvelles technologies. De manière simplifiée, la part des véhicules décarbonés dans le parc automobile en 2030 correspondra globalement à la part des véhicules décarbonés dans la vente des véhicules neufs en 2024. Cela suppose aussi de rattraper un très grand retard et d'augmenter très rapidement le nombre de bornes de recharges accessibles (51 243 points de charge au 30 novembre 2021) 4 sur route, autoroute et en milieu urbain (y compris dans les copropriétés) et de rendre ces véhicules financièrement accessibles pour une large part de la population (bonus écologique pour l'achat de véhicule, prime à la conversion ...). Aller au-delà suppose des politiques résolues de sobriété combinant le développement des offres alternatives et des signaux économiques incitatifs : développer le covoiturage et les mobilités actives, renforcer la part modale des transports en commun urbains et du ferroviaire, inciter au télétravail, et mettre en place des taxes élevées sur les carburants. Ces options ne doivent pas être repoussées en attendant que soient seuls engrangés les résultats de la décarbonation des motorisations. Elles sont également indispensables pour respecter les objectifs de 2030. 4 Baromètre national des infrastructures de recharge ouvertes au public », déployé par le Ministère de la Transition écologique avec l'Avere-France et le GIREVE (Groupement pour l'Itinérance des Recharges Électriques de Véhicules) https://www.gireve.com/fr/archives/30807 Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 11 ... et une conclusion : le chemin ne va pas de soi et est à construire collectivement, mais vite. La non atteinte de l'objectif de neutralité carbone, que les auteurs ont volontairement qualifié de surplombant, se pose évidemment non seulement à l'échelle française, mais aussi européenne et mondiale, pour ce secteur et pour l'ensemble de l'économie. Elle aurait par ailleurs des effets négatifs dont les coûts potentiels peuvent atteindre dans certaines estimations des niveaux vertigineux, et qui sont au minimum bien suffisants pour amplement justifier que les transports et la mobilité intègrent pleinement cette priorité. La perception des modes de vie désirables n'est pas une donnée intangible, elle procède de l'éducation, du partage du projet et du récit collectif. Aujourd'hui cette perception est en forte évolution chez une part de la population et sans doute particulièrement chez les plus jeunes, mais les comportements individuels ne sont pas exempts d'incohérences et de contradictions. La promesse généralisée et démocratique de la mobilité individuelle libératrice par la voiture, et dans une certaine mesure également l'avion, a constitué pendant près d'un demisiècle un élément de projet collectif socialement fédérateur. Les points de vue divergent aujourd'hui sur le degré de contrainte qui s'opérera in fine sur les mobilités des personnes et des marchandises. On ne peut plus se contenter de considérer les mobilités et les transports comme la résultante passive des préférences des acteurs économiques : ils sont en eux-mêmes au coeur des transitions. Au-delà du dynamisme des offreurs à répondre au mieux aux attentes, celui des utilisateurs à se tourner vers des modes de vie générant moins de mobilités sera indispensable à la neutralité carbone. Au vu de la maturité des technologies et de l'urgence de l'objectif de neutralité complète, une meilleure sobriété semble clairement nécessaire et il est loin d'être acquis qu'elle puisse être la résultante de la seule évolution spontanée des pratiques individuelles. L'analyse conduite n'est pas en mesure pour autant de préciser le niveau de contrainte règlementaire ou économique qu'il conviendrait que des politiques publiques imposent pour y parvenir, car l'efficacité opérationnelle de tels bouquets de mesures est soumise aux difficiles questions de l'acceptabilité. Olivier Blanchard et Jean Tirole soulignent que « si elles sont envisagées, certaines mesures impopulaires comme un prix du carbone suffisamment élevé ou un recul de l'âge effectif de départ à la retraite doivent s'inscrire, pour être acceptées, dans une approche globale, un ensemble plus large de mesures qui prennent en compte les effets distributifs, les représentations des citoyens et la question de la confiance » 5. L'objet d'une prospective n'est pas de construire les nouveaux récits collectifs qui emporteraient l'adhésion : la démarche souligne cependant l'importance de l'éducation et de la dynamique intergénérationnelle dans ce processus. La question des chemins empruntés par la société est ainsi plus délicate que celle du point d'atterrissage à long terme, question par ailleurs floue en raison des incertitudes. Cette prospective essaye d'apporter une première approche, très modeste, de cette nécessaire analyse de l'arbre des décisions des acteurs publics. Cette matière est assez nouvelle et de nombreux progrès sont nécessaires. 5 Les Grands défis économiques, rapport de la Commission internationale présidée par Olivier Blanchard et Jean Tirole, https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/fs-2021-rapport les_grands_defis_economiques-juin_0.pdf Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 12 Sommaire LE MOT DU MINISTRE ...................................................................................................... 3 AVANT-PROPOS ................................................................................................................................... 4 RÉSUMÉ ........................................................................................................................................................... 6 PROSPECTIVE 2040 - 2060 DES MOBILITÉS ET DES TRANSPORTS : RAPPORT DE SYNTHÈSE 1- UNE NOUVELLE APPROCHE PROSPECTIVE EST NÉCESSAIRE, ELLE EST SURPLOMBÉE PAR LES ENJEUX DE LA DÉCARBONATION .......................................................................................... 16 1.1 - Une analyse prospective orientée vers l'aide à la décision ......................................................... 17 1.2 - L'urgence climatique surplombe les réflexions ............................................................................. 18 1.3 - Les scénarios envisagés ..................................................................................................................... 22 2 - LES ENSEIGNEMENTS DE LA PROSPECTIVE : DES PROGRÈS TECHNOLOGIQUES NÉCESSAIRES MAIS INSUFFISANTS ...................................................................................................... 27 2.1 - Des développements technologiques volontaristes pourraient permettre une réduction notable des émissions du transport mais leur déploiement rapide est loin d'être acquis ......... 28 2.2 - La reconversion de l'industrie française et européenne du secteur est urgente pour rester dans la compétition internationale............................................................................................. 33 2.3 - Le transport de marchandises, indispensable à notre économie, va fortement évoluer : décarbonation des modes routiers et maritimes, massification des transports, report modal, raccourcissement des chaînes logistiques sont en marche ............................................................... 35 2.4 - La neutralité carbone du transport de personnes ne pouvant être atteinte par les seules mutations technologiques, cela ouvre le difficile débat sur la sobriété d'usage. Si un mouvement est amorcé, le projet collectif ne va pas encore de soi ..................................... 45 2.5 - Les transitions vers la neutralité carbone du transport de personnes supposent des efforts particuliers des ménages les plus aisés et des hypermobiles et d'accompagner les personnes aux revenus les plus modestes ....................................................................................... 53 3 - DES MUTATIONS SOCIÉTALES ÉMERGENTES À ACCOMPAGNER ........................................... 55 3.1 - Les usages vont connaître des transformations radicales ......................................................... 56 3.2 - La révolution numérique permet des améliorations notables, mais peut conduire à des effets négatifs dont l'identification permet d'assurer la régulation ..................................... 58 3.3 - L'aménagement du territoire est un levier à long terme de réduction des émissions de gaz à effet de serre ............................................................................................................................... 60 Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 13 4 - DES INCERTITUDES MAJEURES ......................................................................................................... 64 4.1 - Les incertitudes sur le devenir des technologies et sur l'évolution de nos comportements sont majeures ............................................................................................................... 65 4.2 - Le redoutable défi intermédiaire de la décarbonation à 2030 ................................................ 68 5 - CONCLUSION : LE CHEMIN NE VA PAS DE SOI ET IL FAUT LE CONSTRUIRE COLLECTIVEMENT ..................................................................................................................................... 69 5.1 - Alimenter un débat public éclairé .................................................................................................. 70 5.2 - Rendre concrets les termes du débat de la sobriété ................................................................. 72 5.3 - Bâtir sur les points de convergence les mieux établis ................................................................ 72 5.4 - Des ressorts profonds de la conception de la société sont en jeu .......................................... 73 ANNEXES Annexe 1 - Participants à la démarche ................................................................................................... 75 Annexe 2 - Les scénarios étudiés ............................................................................................................. 78 Annexe 3 - Les principaux indicateurs de synthèse des scénarios ................................................... 85 Annexe 4 - Glossaire des sigles et acronymes ....................................................................................... 90 Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 14 Prospective des mobilités et des transports rapport de synthèse Le présent rapport de synthèse ne présente pas les travaux en détail, mais tente d'en tirer quelques enseignements généraux. Pour plus de détails, le lecteur se reportera au rapport transversal et aux rapports thématiques. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 15 UNE NOUVELLE APPROCHE PROSPECTIVE EST NÉCESSAIRE, ELLE EST SURPLOMBÉE PAR LES ENJEUX DE LA DÉCARBONATION Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 16 1 - UNE NOUVELLE APPROCHE PROSPECTIVE EST NÉCESSAIRE, ELLE EST SURPLOMBÉE PAR LES ENJEUX DE LA DÉCARBONATION Jusqu'à présent, réaliser un exercice de prospective des transports, ou des mobilités, consistait généralement à prendre en compte divers scénarios de grands cadrages internationaux (évolution des échanges économiques) et macroéconomiques nationaux (évolutions démographiques et de PIB) plus ou moins raffinés pour en déduire les besoins de déplacements des biens et des personnes qui en résultaient, à analyser les mesures vertueuses susceptibles de les accompagner (internalisation des externalités) et à décrire les conséquences qui en résultaient (notamment les besoins de services et d'infrastructures). Dans le contexte actuel, ce n'est plus ainsi qu'il faut s'y prendre. Les scénarios présentés ci-dessous sont une tentative de concilier la diversité des futurs possibles et, pour chacun de ceux-ci, des quantifications utiles pour les illustrer, dans lesquelles on retrouve les moteurs et déterminants classiques de ces calculs. 1.1 - Une analyse prospective orientée vers l'aide à la décision La prospective telle qu'elle a été ici conçue, reste sectorielle et cantonnée au champ des mobilités. Elle se heurte ainsi au caractère nécessairement partiel de ses analyses : il n'était pas ici question de scénarios de rupture ni de désastres, tels que des guerres, des invasions, des pandémies non maîtrisées, des ruines globales... Non que ces hypothèses seraient trop improbables pour être prises en compte, mais leur description ne renseignerait pas sur les stratégies d'action publique à conduire dans le secteur des mobilités. Les équipes de travail et les parties prenantes consultées dans cet exercice n'auraient pas été armées pour les examiner de façon pertinente. Tout en élargissant fortement le champ des possibles examinés, ceux-ci restent donc ceux qui répondent à des évolutions du monde aujourd'hui connu et non pas à son bouleversement violent. Tous les aspects de la mobilité n'ont pas été examinés avec le même détail. L'angle de la réflexion est de chercher les questions de choix qui se posent aujourd'hui aux politiques publiques et de les éclairer en poussant sur de longues durées les dynamiques envisagées. Les incertitudes des évolutions démographiques par exemple, à des échéances aussi lointaines que celles envisagées sont importantes, comme en témoigne la récente révision des trajectoires de l'Insee, qui inclut pour la première fois dans sa trajectoire centrale une diminution de la population française entre 2040 et 2060. Les émissions de gaz à effets de serre ont été au coeur du travail car elles posent une question surplombante : est-ce qu'à l'avenir nos mobilités évolueront plutôt librement au gré des progrès technologiques et des évolutions spontanées des modes de vie ou seront-elles limitées par de fortes contraintes économiques ou règlementaires qui résulteraient de l'objectif de neutralité carbone ? Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 17 1.2 - L'urgence climatique surplombe les réflexions L La dimension surplombante est celle des émissions de gaz à effet de serre du secteur pris dans son ensemble, autrement dit de l'empreinte écologique de ces activités, et notamment de l'empreinte carbone, dont le poids significatif ne peut être traité comme une simple externalité à maîtriser : cette décarbonation des transports doit être quasi totale en l'espace d'une génération pour répondre aux objectifs climatiques 6 . Nous en sommes très loin : le secteur des transports a augmenté ses émissions directes de plus de 10 % depuis 1990 7, il est question ici qu'il les divise par dix d'ici 2050. Les mutations nécessaires à la décarbonation de ces déplacements de biens et de personnes sont urgentes, mais à des degrés de maturité technologique et d'accessibilité économique très divers et constituent une incertitude majeure des projections à 2040 et 2060. L'urgence de l'action intervient à double titre : la neutralité carbone à l'échelle de la planète s'impose pour contenir l'augmentation de température globale : plus vite, elle sera atteinte, plus le changement climatique sera modéré ; les manifestations du dérèglement climatique sont suffisamment notables et graves pour que les actions d'adaptation soient également menées sans retard 8. 1.2.1 - La neutralité carbone s'impose aux transports, mais de quelle neutralité parle-t-on ? L'article 4 de l'Accord de Paris prévoit l'atteinte de la neutralité carbone à l'échelle mondiale dans la seconde partie de ce siècle défini comme « un équilibre entre les émissions anthropiques par les sources et les absorptions anthropiques par les puits de gaz à effet de serre, sur la base de l'équité, et dans le contexte du développement durable et de la lutte contre la pauvreté ». La France a adopté en 2019 ce même objectif de neutralité carbone à l'horizon 2050 en précisant dans la loi relative à l'énergie et au climat9 que cet objectif conduit à diviser les émissions de gaz à effet de serre par un facteur supérieur à 6 par rapport à la situation de 2019, au lieu du facteur 4 retenu jusqu'à présent. Cela suppose d'apprendre à se passer du charbon, mais aussi du pétrole et du gaz naturel sauf les biocarburants ou le gaz d'origines renouvelables qui resteront disponibles en quantité limitée. La loi d'orientation des mobilités (LOM) en France a fixé comme objectif « d'atteindre, d'ici à 2050, la décarbonation complète du secteur des transports terrestres, entendue comme le cycle carbone de l'énergie utilisée ». 6 À titre d'exemple, le point 9 de la stratégie européenne de mobilité durable et intelligente proposée par la Commission européenne en décembre 2020 retient comme objectif de réduire d'un facteur dix les émissions directes (à l'échappement) sur un périmètre qui comprend les transports terrestres et les transports maritime et aérien des différents pays de l'UE-27, alors que ces mêmes émissions ont augmenté de 10 % dans les vingt dernières années. 7 Tandis que les émissions nationales ont baissé de près de 19 % de 1995 à 2018, celles du secteur des transports (y compris maritime et aérien à l'international), dominées très largement par celles du domaine routier, ont augmenté en valeur absolue de 15 % (soit 21,3 Mt CO2) : elles sont globalement stables depuis 2010. Sources : rapport transverse et Bilan annuel des transports de la nation https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/bilan-annuel-des-transports-en-2019-0 8 Selon l'expression de l'Organisation mondiale de la météorologie lors de la présentation du bilan météorologique mondial pour l'année 2020, Les concentrations atmosphériques de gaz à effet de serre et la chaleur qu'elles induisent ont désormais « propulsé la planète sur un terrain inconnu ». 9 Loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat, https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000039355955 Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 18 Dans la suite de ce rapport, on distinguera : les émissions directes des transports correspondant aux émissions liées à la combustion des carburants dans les véhicules : elles doivent être réduites par un facteur voisin de 10 d'ici 2050 ; les émissions provenant de l'empreinte carbone « complète » des véhicules incluant les différentes rubriques citées ci-dessous. Ce rapport retient à titre de simplification que cette neutralité carbone correspond à un facteur global de l'ordre de 6 de réduction des émissions 10. Le lecteur trouvera dans le rapport Transitions 2050 11 de l'Ademe ainsi que dans le numéro de janvier 2022 de la Revue des Annales des Mines 12 une discussion plus générale sur l'évolution des puits naturels de carbone ainsi que sur la possibilité de recourir à des puits technologiques. Le présent exercice repose sur l'appréciation plus large, et donc la plus exigeante, de la neutralité (« neutralité complète en empreinte carbone », voir Figure 3) : au-delà du périmètre de Kyoto, et conformément à la loi d'orientation des mobilités qui fixe l'objectif d'atteindre, d'ici à 2050, la décarbonation complète du secteur des transports terrestres, entendue sur le cycle carbone de l'énergie utilisée, sont prises en compte ici les émissions de gaz à effet de serre en amont de la production des carburants (environ 20 % des émissions directes des carburants produits), à toutes les échéances étudiées ; au-delà du périmètre traité par la LOM, l'exercice utilise une comptabilisation en empreinte environnementale et s'appuie sur des analyses de cycle de vie (ACV) incluant les véhicules et les infrastructures 13 et pas seulement celles des carburants ; au-delà du périmètre traité par la LOM, et conformément à la recommandation du Haut conseil pour le climat 14, il intègre également celles des transports maritimes et aériens internationaux au départ de la France (qui ajoutent 17 % aux émissions du transport en France, et 20 % quand on comptabilise également les soutes achetées hors de France 15): dans la comptabilisation actuelle de l'ONU et donc dans la loi française, ces transports ne relèvent pas des États, mais de l'OACI pour l'aérien et de l'OMI pour le maritime ; on se place donc ici non pas du point de vue de la responsabilité institutionnelle au regard des engagements internationaux pris, mais de la réalité aussi complète que possible de la contribution du secteur des transports aux émissions. La neutralité carbone complète envisagée dans le présent exercice correspond à une empreinte globale de 51 MtCO2. Ce chiffre est calculé comme 53,2 % des émissions négatives (puits de carbone) de l'ensemble des secteurs, qui sont estimées à 95 MtCO2 en 2050. Cela signifie que ces émissions négatives sont allouées au secteur des mobilités et des transports au prorata de son poids dans l'empreinte globale tous secteurs confondus en 2017. 11 Transitions 2050 : choisir maintenant, agir pour le climat https://transitions2050.ademe.fr/ 12 Captage, stockage et utilisation du carbone, Responsabilité & Environnement, n° 105 - Janvier 2022: http://annales.org/ 13 Le rapport de la CCTN (p123) de 2017 estime la fabrication des véhicules à 0,4 tCO2 par habitant. Par ailleurs, les infrastructures routières représenteraient 7 % des empreintes des véhicules, auxquelles il faudrait ajouter celles des infrastructures de chemins de fer et TCU lourds. Les comptes des transports en 2018 - 56ème rapport de la Commission des comptes transports de la Nation, https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/les-comptes-des-transports-en2018-56e-rapport-de-la-commission-des-comptes-des-transports-de-la 14 10 Redresser le cap, Relancer la transition, Rapport annuel 2020 du haut conseil pour le climat, Juillet 2020, https://www.hautconseilclimat.fr/publications/rapport-annuel-2020/ 15 Un certain nombre de navires au départ de la France achètent leurs carburants à moindre coût dans des ports étrangers : le détail du calcul figure dans le rapport transport maritime et ports. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 19 Figure 3 : Empreinte carbone complète. Source : CGEDD-France-Stratégie, 2022. Dans l'ensemble du rapport, les émissions seront comptabilisées en tonnes de CO2 : dans un certain nombre de cas, - c'est l'exemple du paragraphe précédent -, cette comptabilité correspondra cependant à des tonnes de CO2 équivalentes (Figure 4). Figure 4 : Émissions de GES du transport : i) au format Kyoto, ii) en incluant l'international; iii) le soutage maritime européen hors de France, iv) les émissions liées à l'amont pétrolier et à l'empreinte des véhicules (format ACV), v) les effets de court terme de l'aérien. Source : CGEDD-France-Stratégie, 2022. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 20 Le présent exercice intègre également les effets sur le climat des émissions, notamment de l'aviation, d'autres GES que le CO2, à savoir les émissions de NOx et de vapeur d'eau : cet effet de court terme non négligeable comportant néanmoins une forte incertitude 16. 1.2.2 Pourquoi être sorti ici du cadre des stratégies et modes de comptabilité officiels ? Le raisonnement en empreinte carbone « complète » s'impose Un raisonnement sur les seules émissions à l'usage (neutralité directe) peut, au moins en théorie, conduire à des choix technologiques qui auraient des effets collatéraux qui contrebalancent les avantages attendus en renforçant les émissions de l'amont et de l'aval du cycle de vie. Un raisonnement en empreinte traite toutes les composantes liées à ces choix et apporte la cohérence d'ensemble souhaitable. En pratique (voir les développements du rapport transversal) ces deux approches ne conduisent généralement pas à des stratégies vraiment différentes, au moins à court terme : l'électrification des motorisations à partir d'électricité décarbonée (ou l'utilisation de carburants neutres en carbone) est un chemin indispensable, qui est bien induit par la neutralité des émissions à l'usage, mais ne suffira pas in fine pour la neutralité complète en empreinte et doit être complété par une sobriété plus forte. L'exigence de neutralité de l'empreinte carbone « complète » des transports étant plus forte que celle de la neutralité directe, le présent exercice a retenu l'échéance de 2060 comme horizon de temps principal, en considérant qu'au-delà de la neutralité des émissions directes, il faudrait dix ans supplémentaires pour décarboner le maritime et l'aérien à l'international ainsi que pour parvenir à des importations décarbonées. 2040 est une date intermédiaire à miparcours qui devrait permettre de voir l'effet du déploiement de véhicules à motorisation alternative (électrique principalement) en liaison avec les normes européennes et l'interdiction de commercialisation des véhicules neufs utilisant des carburants fossiles en 2040 (voire en 2035 comme le propose la Commission européenne). Un facteur radiatif équivalent pour la vapeur d'eau de l'ordre de deux fois les émissions aériennes de CO2 est utilisé, sur la base des travaux de Bock et al. Contrail cirrus radiative forcing for future air traffic, Atmos. Chem. Phys., 19, 8163­8174, 2019, https://acp.copernicus.org/articles/19/8163/2019/. Ceci amène à ajouter aux émissions actuelles 45 MtCO2 (chiffre qui correspond essentiellement à un effet de court terme renouvelé en permanence, qui peut donc disparaître très rapidement si une nouvelle technologie apparaît). Le lecteur pourra également consulter le rapport remis en novembre 2020 par l'EASA à la Commission européenne sur les effets non CO2 de l'aérien : The significance of combined non-CO2 climate impacts from aviation activities, previously estimated to be at least as important as those of CO2 alone, is fully confirmed by the report : https://ec.europa.eu/clima/news-your-voice/news/updated-analysis-non-co2-effects-aviation-2020-11-24_en Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 16 21 1.3 - Les scénarios envisagés Les scénarios construits par une communauté d'experts animés par le CGEDD et France Stratégie illustrent et documentent de façon détaillée une nouvelle approche prospective de ces questions (Figure 5). Ils sont décrits en Annexe 2 et s'appuient sur deux déterminants principaux synthétisant les cinq leviers de l'équation de Kaya : les évolutions technologiques de décarbonation intégrant efficacité énergétique des véhicules et intensité carbone de l'énergie ; les évolutions comportementales visant la sobriété autour de la demande, du report modal et du taux de remplissage). Conventionnellement, le cadrage macro-économique est le même dans toutes ces variantes (scénario COR 2021 à 1,4 % de PIB/habitant), même si des conséquences contrastées sur la croissance économique ne sont pas à exclure. Le cadrage de population est également le même (scénario central 2021 de l'Insee à 68,7 millions d'habitants en France en 2060). Il en va également de l'ensemble du fonctionnement interne du modèle en dehors des variables d'entrée (technologies de motorisation et politiques de sobriété). Cependant, au-delà des futurs qu'ils dessinent, cette approche permet d'interroger sur les leviers économiques et sur les politiques publiques qui vont permettre de s'orienter vers un scénario plutôt que l'autre, et de passer de l'un à l'autre au cours du temps. Cette interrogation trouve son expression dans les messages et les défis présentés dans la suite de ce document. Figure 5 : Les scénarios de l'exercice de prospective des mobilités 2040- 2060. Source : Prospective 2040-2060, CGEDD-France-Stratégie, 2022. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 22 1.3.1 Cinq scénarios dits de forecasting ne parvenant pas à la neutralité de l'empreinte carbone « complète » L'analyse (Tableau 1 et Tableau 2) a porté sur cinq scénarios contrastés de forecasting qui ne prennent pas l'objectif de neutralité carbone en empreinte à terme comme une donnée d'entrée : Le scénario dit « ambition de base » prend en compte toutes les mesures prises ou envisagées aujourd'hui et les complète par des progrès technologiques significatifs essentiellement fondés sur les technologies matures et des comportements plutôt parcimonieux amplifiant les pratiques de télétravail, de covoiturage, etc... Ce n'est donc pas un scénario « business as usual », mais un scénario qui extrapole l'accroissement des efforts qui ont commencé pour atteindre les objectifs fixés par la loi d'orientation des mobilités et la loi climat et résilience (en particulier à 2050 : zéro émissions des transports terrestres en phase d'utilisation, réduction de 50 % des émissions du transport aérien, réduction d'au moins 50 % des émissions maritimes mondiales). Le scénario dit de « poussée de sobriété » où les progrès technologiques restent similaires à ceux du scénario « ambition de base » et où des efforts supplémentaires de sobriété sont consentis : renforcement du télétravail, développement des modes ferroviaires et TCU lourds en lien avec un renforcement du covoiturage, augmentation de la taxe carbone à 500/tCO2 en 2060 avec élargissement au transport aérien. Le scénario dit « poussée de technologie » où les ambitions technologiques sont très fortes, et qui suppose que des technologies qui sont encore au stade de la recherche parviennent à mûrir et à se déployer sans contrainte particulière de ressources : neutralité carbone en phase d'usage des nouveaux avions et poids lourds dès 2040, fortes baisses de coût des technologies bas carbone. La sobriété y est proche de celle du scénario « ambition de base ». Le scénario dit « hypercontraint » où, à défaut d'amélioration technologique probante, les contraintes d'usages sont fortement renforcées, pour tenter de s'écarter le moins possible de l'objectif d'émission, sans toutefois y parvenir. Le scénario dit du « pire climatique » allie de faibles progrès technologiques et des comportements tournés vers la consommation individuelle : maintien de l'autosolisme, reports modaux vers la voiture, pas de régulation d'usage à l'arrivée des véhicules autonomes terrestres ou des drones. La sobriété des mobilités On appelle dans ce rapport « sobriété des mobilités » les améliorations qui relèvent de l'usage et qui concourent à réduire les émissions et les dommages environnementaux liés aux mobilités. Elles consistent : Dans la sphère des politiques de mobilité : à diminuer le nombre et la longueur des déplacements dommageables pour l'environnement en favorisant le report modal et en encourageant les mobilités actives ; à diminuer, pour des déplacements donnés, leur impact en recherchant un moindre autosolisme et une meilleure utilisation des véhicules (covoiturage, augmentation de l'emport, mise en commun des véhicules ...) ainsi qu'en améliorant les performances de conduite (y compris en interurbain par la diminution des vitesses). Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 23 Dans les sphères de l'aménagement du territoire, de l'urbanisme, du travail et des autres politiques publiques, à adopter des mesures concourant à réduire les besoins qui génèrent les déplacements contraints de biens ou de personnes (urbanisme, pratiques de consommation, télétravail, etc...). Cette sobriété est donc complémentaire des progrès technologiques relatifs aux motorisations, à la durée de vie des véhicules et aux émissions à la fabrication ou lors du recyclage. Hormis le scénario dit du pire climatique, tous les scénarios étudiés correspondent à des réductions plus ou moins fortes des émissions (Figure 6 et annexe 3). Tableau 1 : Mobilités des voyageurs. Scénarios de forecasting à l'échéance 2040 Source : Prospective 2040-2060, CGEDD-France-Stratégie, 2022. Échéance 2040 Demande (Gvoy-km tous modes terrestres) Massification et report modal (voy-km tous modes/voy-km routiers) Motorisation en ACV (gCO2/veh-km routiers) Demande (G voy-km aériens) Motorisation et massification (GES tCO2eq/ voy-km) Rappel 2017 Ambition de base Poussée de sobriété Poussée de technologie Hypercontraint Pire climatique 940 1124 1079 1133 1055 1192 1,98 2,13 2,16 2,13 2,11 1,49 254 142 142 96 190 190 376 565 511 577 511 677 181 120 120 97 129 129 Tableau 2 : Transport de marchandises. Scénarios de forecasting à l'échéance 2040 Source : Prospective 2040-2060, CGEDD-France-Stratégie, 2022. Échéance 2040 Demande (Gtonnes-km tous modes terrestres) Massification et report modal (tonnes-km tous modes/veh-km routiers) Motorisation en ACV (gCO2/veh-km routiers) Demande (G tonnes-km transport maritime) Motorisation et massification (GES en tCO2eq/tonnes-km) Rappel 2017 Ambition de base Poussée de sobriété Poussée de technologie Hypercontraint Pire climatique 433 557 549 557 549 617 3,1 3,2 3,3 3,2 3,3 2,6 682 338 341 236 482 457 1400 1649 1590 1649 1590 1831 9,9 7,3 7,3 3,9 8,5 8,5 Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 24 1.3.2 Deux scénarios contrastés d'atteinte de la neutralité carbone (backcasting) Aucune des trajectoires précédentes n'atteint la neutralité carbone en ACV : deux scénarios de neutralité carbone ont donc été envisagés dans une démarche dite de backcasting, consistant à partir de l'objectif à atteindre, en l'occurrence la neutralité de l'empreinte carbone « complète » du secteur à 2060, à chercher les mesures à envisager pour y parvenir. Ce backcasting suppose la définition d'une cible d'émissions positives compensées par des émissions négatives. Celle-ci est largement dépendante des perspectives d'évolutions des puits de carbone 17 naturels et technologiques envisageables et attribuables au secteur (soit par la règlementation, soit par le prix). Le choix fait ici est celui de prolonger à 2060 les perspectives de la stratégie nationale bas carbone (SNBC) en vigueur actuellement, qui prévoit d'augmenter les puits de carbone (naturels et technologiques) d'un facteur 2 par rapport à aujourd'hui et d'atteindre une valeur légèrement supérieure à 80 Mt CO2 en 2050 : un chiffre de 95 Mt CO2 est ainsi retenu à l'horizon 2060. Ce choix est un peu moins optimiste que celui réalisé récemment par l'ADEME dans son rapport Transitions 2050 18 qui envisage à 2050 un puits de carbone (naturel et technologique) compris, suivant les scénarios, entre 94 et 134 Mt CO2, ce haut de fourchette correspondant à un « pari réparateur » assis sur des technologies dont « certaines d'entre elles ne sont pas matures ». Dans le présent exercice (Tableau 3 et tableau 4), l'application de cette démarche a consisté à identifier des mesures supplémentaires de sobriété par rapport aux deux scénarios de forecasting intitulés « poussée de technologie » et « poussée de sobriété ». Ces deux scénarios sont en réalité très contrastés : Le scénario dit du « pari technologique » est optimiste quant aux progrès technologiques (identique sur ce point au scénario « poussée de technologie »). Pour pouvoir atteindre la neutralité carbone, il suppose de plus un renforcement très significatif des efforts de sobriété allant légèrement au-delà du scénario « poussée de sobriété ». Le scénario dit du « pari sociétal » s'appuie sur des progrès technologiques significatifs mais allant un peu moins loin, ou des limites de ressources, (comme le scénario « ambition de base »), mais demande pour parvenir à la neutralité carbone de recourir à des efforts de sobriété nettement plus importants encore que le scénario « poussée de sobriété ». Tableau 3 : Transport de voyageurs. Scénarios de backcasting à l'échéance 2040 Source : CGEDD-France-Stratégie, 2022. Échéance 2040 Demande (Gvoy-km tous modes terrestres) Massification et report modal (tous modes/ route) en voy.km Motorisation en ACV (gCO2/veh-km route) Demande (Gvoy-km aériens) Motorisation et massification (GES en tCO2eq/ voy-km) 2017 Pari technologique Pari sociétal 940 1102 979 1,98 2,16 2,27 254 96 142 376 487 343 181 97 120 Un puits de carbone désigne le processus qui extrait, par un mécanisme naturel ou artificiel, les gaz à effet de serre de l'atmosphère, soit en les détruisant par des procédés chimiques, soit en les stockant sous une autre forme. Les principaux puits de carbone naturels sont les océans et certains milieux continentaux comme les forêts en formation, les tourbières, etc. 18 Cf. page 12 du rapport Transitions 2050 : choisir maintenant, agir pour le climat https://transitions2050.ademe.fr/ Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 17 25 Tableau 4 : Transport de marchandises. Scénarios de backcasting à l'échéance 2040 Source : CGEDD-France-Stratégie, 2022. Échéance 2040 Demande (Gtkm tous modes terrestres) Massification et report modal (tous modes/ route) en voy.km Motorisation en ACV (gCO2/veh-km route) Demande (Gt-km transport maritime) Motorisation et massification (GES en tCO2eq/tkm) Rappel 2017 Pari technologique Pari sociétal 433 540 440 3,1 3,2 3,2 682 236 338 1400 1590 1431 9,9 3,9 7,3 Figure 6 : Chroniques globales d'émissions de GES (en ACV). Source : CGEDD-France-Stratégie, 2022. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 26 LES ENSEIGNEMENTS DE LA PROSPECTIVE : DES PROGRÈS TECHNOLOGIQUES NÉCESSAIRES MAIS INSUFFISANTS Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 27 2 - LES ENSEIGNEMENTS DE LA PROSPECTIVE : DES PROGRÈS TECHNOLOGIQUES NÉCESSAIRES MAIS INSUFFISANTS 2.1 - Des développements technologiques volontaristes pourraient permettre une réduction notable des émissions du transport mais leur déploiement rapide est loin d'être acquis 2.1.1 Le constat : la réduction des émissions liée à l'évolution technologique et à sa diffusion peut être importante Le mode routier restera encore longtemps le principal mode de transport. Son verdissement et son usage plus partagé, plus doux et plus adapté à une population plus âgée sont ainsi prioritaires. Les émissions de GES en analyse de cycle de vie (ACV) peuvent être fortement réduites grâce aux énergies alternatives. Les calculs réalisés en ACV montrent en effet que des gains extrêmement importants sont possibles à la fois pour les véhicules légers, mais aussi pour les bus et les poids lourds. Seconde bonne nouvelle : plusieurs technologies semblent disponibles pour atteindre des résultats comparables : hydrogène, biogaz, électricité. Chacune d'entre elles comporte cependant un certain nombre d'écueils : coût et disponibilité pour le biogaz, coût et sécurité pour l'hydrogène, pollution locale liée à la fabrication des batteries pour les véhicules électriques, et naturellement disponibilité des ressources ce qui conduit, dans toute la mesure du possible et du raisonnable sur le plan économique à prévoir la possibilité de développer plusieurs technologies différentes. Les gains possibles pour un véhicule neuf aux horizons 2040 ou 2060 (Tableau 5) supposent des changements importants dans notre utilisation des technologies. Pour obtenir de tels résultats, la durée de vie des véhicules particuliers est ainsi allongée en moyenne à 300 000 km en 2060 et les émissions à la fabrication sont réduites, grâce à l'allègement du véhicule et à des procédés et des matériaux plus décarbonés, de 30 %. Tableau 5 : Facteurs de réduction des émissions de GES des différents véhicules en ACV à 2040 et 2060. Source : Rapport Motorisation. Prospective 2040-2060, CGEDD-France Stratégie, 2022. Facteur de réduction par rapport à un véhicule thermique 2019 (véhicule neuf) 2040 2060 VP segment C 19 4 8 VUL 4,6 8 Bus 7 10 PL 40 t 8 10 Note : Ces ratios correspondent à l'empreinte carbone d'un véhicule neuf acheté en 2040 ou 2060 par rapport aux émissions d'un véhicule thermique acheté en 2019 : il comprend les émissions à la fabrication (y compris celles de la batterie) les émissions liées à la production et au transport de l'électricité consommée, et éventuellement les émissions liées à une seconde vie (usage stationnaire de la batterie) ou à une troisième vie de celle-ci (recyclage). 19 Les véhicules du segment C correspondent à des véhicules compacts de moyenne gamme (type Peugeot 308 ou Renault Mégane IV). Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 28 L'autoroute électrique alimentant les véhicules par caténaires ou par le sol (par induction ou par conduction) pourrait constituer une solution attractive : elle permettrait en effet de réduire la taille des batteries. Mais les technologies ne sont pas mûres aujourd'hui pour cet usage : il ne peut donc y avoir de choix aujourd'hui d'une technique qui se déploierait dans l'Union européenne. Elles rencontrent de plus un problème de financement : les transporteurs n'achèteront des poids lourds adaptés à ce système que lorsqu'il sera déployé très largement sur les autoroutes européennes ce qui conduit, comme dans une industrie de réseau, à un financement à perte de l'infrastructure au départ. Par ailleurs, les caténaires peuvent être arrachées si le poids lourd quitte trop brusquement sa voie de circulation. 2.1.2 Le défi : mettre en place les leviers économiques permettant d'aller vers des technologies neutres en carbone Si les perspectives technologiques semblent favorables, rien ne dit cependant que ces technologies vont être adoptées : la définition des leviers économiques permettant d'aller sur le long terme vers la neutralité carbone prend dès lors une grande importance. Ils doivent permettre de marquer une nette préférence pour les motorisations et les carburants neutres en carbone. 2.1.2.1 Assurer la complémentarité et la cohérence d'un grand nombre de leviers La définition d'une trajectoire de référence du signal prix carbone pour l'ensemble de l'économie est une boussole nécessaire pour guider l'action des pouvoirs publics et des acteurs privés avec comme corollaire la nécessité de calculer, dans une approche socioéconomique, le coût de la tonne de CO2 évitée pour les différents projets envisagés et de privilégier ceux pour lesquels cette valeur est la plus faible. Compte tenu de l'acceptation incertaine par la population de toute taxe nouvelle ou de l'alourdissement des taxes existantes, la transition sera vraisemblablement orchestrée non pas par un seul outil économique traduisant ce signal prix du carbone dans l'économie, mais par une palette de leviers économiques (et réglementaires), ce qui pose le problème de la visibilité (et de la crédibilité) de long terme du signal prix et nécessite un pilotage fin, d'autant plus difficile que ces leviers seront décidés à des niveaux différents : international (OMI, OACI, CCNUCC), européen, national, local. Cette palette d'outils constitue probablement une des conditions de réussite de la transition énergétique : elle est certes éloignée de la vision classique du signal prix unique dont la traduction dans l'économie permettrait de résoudre tous les problèmes, mais elle est probablement plus adaptée à la complexité de notre société et à ses différents groupes qui sont sensibles à un levier plutôt qu'un autre et qui peuvent s'opposer à l'un d'eux. Avec des mesures diversifiées atteignant des publics différents, cette palette d'outils pourrait provoquer de plus des effets d'entraînement qui s'additionnent. Les deux principaux leviers économiques qui vont réellement guider la décarbonation du secteur des transports pour les émissions directes seront ainsi constitués par : les normes européennes sur les émissions des véhicules obligeant les constructeurs, sous peine d'amendes conséquentes, à augmenter progressivement la part des véhicules à motorisation alternative dans leurs ventes ; les dates fixant l'interdiction de vente de véhicules neufs émetteurs de gaz à effet de serre d'origine fossile 20. 20 Dans un monde concurrentiel, si aucun constructeur n'est capable de produire des véhicules neutres en carbone à la date donnée, la date est repoussée. Si plusieurs d'entre eux y arrivent, la date est maintenue. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 29 D'autres leviers joueront un rôle d'accompagnement non négligeable : les ZFE qui peuvent jouer un rôle d'accélérateur de la décarbonation ; le bonus/malus qui (plutôt que de les interdire) pénalise les véhicules les plus émissifs et dont l'augmentation progressive permet de financer le bonus accordé aux véhicules propres 21 ; le suramortissement pour les véhicules professionnels propres ; une prime à la casse dans la période de transition entre véhicules thermiques et décarbonés, qui permettra d'accélérer l'évolution vers la neutralité carbone. Enfin, la baisse des émissions liées à l'empreinte carbone du véhicule et de la batterie (y compris leur recyclage) suppose : la mise en place d'une méthodologie de calcul de ces émissions et leur affichage auprès du consommateur ; la définition d'objectifs (européens de préférence) de réduction des émissions ; la prise en compte de ces valeurs dans un certain nombre de leviers économiques (bonus/malus en particulier). L'augmentation de la contribution climat énergie ou la mise en place, comme la Commission européenne le propose, d'un marché de quotas propre aux transports et au chauffage, n'est probablement pas indispensable pour atteindre à terme la neutralité carbone du parc puisque les mesures précédentes devraient mener progressivement à l'interdiction de la vente des véhicules thermiques émetteurs de gaz à effet de serre d'origine fossile. Elle devrait cependant permettre de limiter les émissions durant la phase de transition et d'accélérer le passage à des véhicules décarbonés. Le propos d'Olivier Blanchard et de Jean Tirole est sans ambiguïté : « Bien qu'impopulaire, pour de bonnes comme de mauvaises raisons, la tarification du carbone est indispensable à la transition car elle encourage l'adoption de comportements plus écologiques, et stimule la R&D verte de façon transparente et efficace » 22. Toutefois, une hausse substantielle de cette contribution climat énergie rencontrera un degré d'acceptation d'autant plus important que les alternatives au véhicule thermique deviendront crédibles pour une grande majorité des usages et se seront largement diffusées. Il convient donc de procéder dès maintenant aux investissements verts (recharges interurbaines, infrastructures de report modal, par exemple) nécessaires à cette crédibilité. Lorsque les alternatives seront devenues crédibles, une accélération des évolutions de cette contribution, probablement assez mesurée au départ, deviendra envisageable et contribuera également à l'équilibre économique des investissements verts dans la durée. Au-delà de 2040, l'essentiel des émissions pourrait provenir de la construction du véhicule (batteries incluses), ce qui devrait amener à imposer à court terme la mise en place d'une comptabilité de l'empreinte carbone et le recyclage des batteries et, dans un deuxième temps, à fixer une trajectoire de réduction des valeurs de cette empreinte pour les émissions à la fabrication et au recyclage des batteries. 21 Compte tenu de l'augmentation du nombre de véhicules électriques vendus, le montant global du bonus a donc vocation à augmenter, même si le bonus accordé à chaque véhicule devrait diminuer avec la baisse du prix des véhicules électriques et de leur coût total d'utilisation qui devrait se rapprocher de plus en plus de celui du véhicule thermique dans les prochaines années. 22 Les grands défis économiques, Rapport de la Commission internationale présidée par Olivier Blanchard et Jean Tirole, https://www.strategie.gouv.fr/publications/grands-defis-economiques-commission-internationale-blanchard-tirole Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 30 2.1.2.2 Mettre la priorité sur le développement des véhicules électriques Aujourd'hui, le segment des véhicules de particuliers (VP), qui pèse fortement sur les émissions de GES et de particules fines, peut les réduire très fortement grâce à l'électrification de ses motorisations, et ce d'autant plus que le contenu carbone de la production électrique envisagée dans le futur par les exercices de prospective énergétique de RTE 23 devrait poursuivre sa baisse. Les équipements de bornes de recharge de ces véhicules y compris en ville et en milieu interurbain, les mesures de facilitation réelle de l'installation des prises en immeubles collectifs, et le pré-équipement des aires de stationnement des immeubles neufs sont indispensables pour accompagner dès à présent cette première opportunité et faire en sorte que d'ici 2030 ce passage à la motorisation électrique aille de soi. Si un nombre suffisamment grand de bornes de recharge rapide pour véhicules particuliers et poids lourds n'est pas déployé sur les autoroutes, les routes nationales et les principales routes interurbaines, les automobilistes et les professionnels chercheront à se prémunir contre le risque de tomber en panne et achèteront des batteries d'une taille nettement supérieure à leurs besoins : personne n'y a intérêt. Le déploiement rapide d'un réseau de recharge rapide est donc souhaitable. À long terme dans un monde neutre en carbone, il est probablement souhaitable que toute place de parking sur une aire de station d'autoroute puisse disposer d'une prise permettant de recharger son véhicule de manière rapide. Dans la période transitoire, il est souhaitable que ces bornes soient installées en nombre suffisant pour que même lors d'un jour de départ en vacances, les automobilistes puissent trouver des bornes de recharge facilement. 2.1.2.3 Lancer les actions permettant la décarbonation de l'aérien : développement des biocarburants, mise au point à moyen-long terme d'avions ultra-sobres Le secteur aérien constitue un symbole de la difficulté à concilier la possibilité offerte à tous de voyager à travers la planète et la lutte contre le changement climatique et de la nécessité d'accélérer la mise au point de solutions technologiques. L'invention de l'avion à réaction a permis la démocratisation du voyage aérien à longue distance et a ainsi été vécue comme une avancée sociétale marquante de ces cinquante dernières années. La convention citoyenne pour le climat a cependant mis en exergue la nécessité de renforcer la tarification du carbone en adressant aux consommateurs un signal prix adéquat et a ainsi suggéré la mise en place d'une « écocontribution européenne » pour le secteur aérien. Si tout le monde est prêt à reconnaître qu'il doit être possible de réduire le nombre de voyages en augmentant la durée des séjours à destination pour le tourisme ou en développant les visioconférences, en revanche, un monde neutre en carbone dans lequel la technologie ne serait pas au rendez-vous, - c'est le scénario « pari sociétal » - signifierait que seuls les déplacements à haute valeur ajoutée, permettant de compenser la valeur de plusieurs centaines, voire de milliers d'euros, que représenterait la tonne de CO2, pourraient être maintenus. Ce serait naturellement contraire à l'aspiration au voyage de nombre d'entre nous ainsi qu'à l'essor de plus en plus important des classes moyennes, asiatiques aujourd'hui, africaines demain, qui désireront également et légitimement voyager (Figure 7). 23 Voir en particulier le rapport de RTE intitulé : Futurs énergétiques 2050, octobre 2021, https://www.rte-france.com/analyses-tendances-et-prospectives/bilan-previsionnel-2050-futurs-energetiques Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 31 Dès lors, et peut-être encore plus que dans d'autres secteurs, le développement technologique doit être massivement soutenu, que ce soit à travers le développement de la production de biokérosène (voire d'e-kérosène 24), et la mise au point dans un premier temps d'avions ultra sobres, puis, à plus long terme, d'avions hydrogène (voire électriques) qui pourraient permettre de franchir des distances de plus en plus longues au fur et à mesure de la mise au point de nouvelles innovations. Figure 7 : Chroniques d'évolution du transport aérien de voyageurs. Source : Prospective 2040-2060, CGEDD-France Stratégie, 2022. Le e-kérosène est produit à partir d'hydrogène provenant d'une électrolyse de l'eau (avec une électricité aussi faiblement carbonée que possible) et de molécules de CO2 (captées de préférence dans l'atmosphère) : si le bilan carbone devient dans ces conditions très favorable par rapport au kérosène d'origine fossile, en revanche son coût est de l'ordre de 5 fois plus élevé que le kérosène d'origine fossile. Cf. rapport Motorisation. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 24 32 2.2 - La reconversion de l'industrie française et européenne du secteur est urgente pour rester dans la compétition internationale 2.2.1 Le constat : La décarbonation de l'économie peut être un atout pour l'économie française et pour sa compétitivité Sur le plan économique, cette transition énergétique va représenter des investissements massifs, des subventions publiques importantes pour favoriser la R&D et le développement des technologies bas carbone, ainsi que des dépenses d'accompagnement non négligeables. Ainsi que Jean Pisani-Ferry 25 le souligne, en prenant l'exemple du secteur automobile, les conséquences macroéconomiques d'une transition énergétique, - trop longtemps différée et devenue urgente -, seront probablement notables sur notre croissance et nos emplois. Dès lors, la performance économique du pays et sa capacité à créer de la richesse (ce dont le PIB ne rend compte que de manière imparfaite 26) deviennent le déterminant non du volume des échanges (les tests de sensibilité montrent que cela ne joue que sur 10 % à 30 % in fine des résultats des projections), mais principalement de la capacité à faire face aux mutations nécessaires : acquérir les outils de déplacements compatibles avec les objectifs mondiaux ; développer les technologies nécessaires et adapter les outils industriels ; disposer des moyens d'organiser les transferts financiers nécessaires pour assurer la faisabilité sociale et le devenir des territoires concernés. Si ces ressources n'étaient pas dégagées, cela signifierait au mieux une relégation progressive internationale, si la communauté internationale et les pays leaders relevaient effectivement le défi, et au pire des effets environnementaux délétères, si la communauté internationale ellemême ne le relevait pas. Faire partie du petit peloton des pays qui seront producteurs de ces technologies est donc essentiel pour l'économie française. 2.2.2 Le défi : Favoriser le développement des industries permettant la décarbonation du secteur des transports et le recyclage La France possède dans le domaine des transports des entreprises industrielles qui sont à la pointe de la technologie et qui sont parmi les premières au monde que ce soit dans l'automobile, le ferroviaire ou l'aéronautique. Il s'agit non seulement de grands groupes connus dans le monde entier, mais aussi de leurs réseaux de sous-traitants qui par l'excellence, parfois mondiale, de leurs techniques concourent à la réussite de la filière dans laquelle ils s'inscrivent. Ces secteurs vont être d'autant plus affectés par la transition vers la neutralité carbone qu'ils utilisent les énergies fossiles. L'exemple de Kodak montre que les acteurs historiques peuvent avoir du mal à anticiper la révolution qui concerne leur secteur. Dans un monde concurrentiel, ce sont d'abord ces entreprises qui doivent inventer les transports du futur et en préparer la réalisation. Mais, en s'inspirant du manifeste franco-allemand pour une politique industrielle européenne adaptée au XXIème siècle, ou de la Communication de la Commission européenne en faveur d'une nouvelle stratégie industrielle pour l'Europe, l'État peut chercher à mener une véritable stratégie de politique industrielle en faveur des industries permettant le transport décarboné. Climate Policy is Macroeconomic Policy, and the Implications Will Be Significant, Jean Pisani-Ferry, August 2021, Policy Brief, Peterson institute for International economics https://www.piie.com/system/files/documents/pb21-20.pdf 26 Sur ce débat, le lecteur pourra consulter avec intérêt le rapport de la commission Stiglitz-Sen-Fitoussi intitulé The Commission on the Measurement of Economic Performance and Social Progress ainsi que le tableau de bord des dix indicateurs de la richesse nationale retenus par le Conseil économique social et environnemental et France Stratégie, en collaboration avec le Cnis et le service statistique public : https://www.insee.fr/fr/statistiques/3281778 Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 25 33 L'État peut ainsi assumer classiquement un rôle d'accompagnateur en : participant aux recherches de très long terme qui dépassent l'horizon de temps habituel et le cadre classique de vision d'un industriel : hydrogène dans les avions, batteries organiques ... ; cherchant à accompagner le développement des entreprises innovantes et le passage à l'échelle : c'est typiquement le cas de l'aide apportée aux expérimentations de navires ou de bateaux neutres en carbone, utilisant l'électricité, l'hydrogène vert, l'ammoniac, le GNL associé à un dispositif de capture du CO2 produit ... ; suscitant des coopérations à l'échelle européenne des entreprises capables de relever les défis de demain : c'est typiquement l'exemple des PIIEC 27 dans le domaine des batteries et de l'hydrogène. Il peut également favoriser une politique de la demande, au-delà des aides directes ou indirectes aux entreprises, afin d'entrer dans un cercle vertueux dans lequel l'augmentation des ventes conduit à une accélération du progrès technologique et à une baisse du prix des produits, entraînant de fait une augmentation de la demande. C'est notamment l'exemple du bonus/malus ou du suramortissement pour les véhicules propres, ou des mesures du PIA en faveur de l'hydrogène. Plus généralement, il appartient à l'État de créer un climat de confiance et de partenariat avec les filières concernées pour les aider, notamment par l'évolution des textes et l'instauration d'un cadre réglementaire propice à l'expérimentation, par les développements des politiques de recherche adéquates, par le soutien à l'innovation et les mesures financières appropriées, à inventer les produits et l'organisation industrielle du monde neutre en carbone de demain. L'industrie automobile représente aujourd'hui plus de 210 000 emplois 28, la filière aéronautique et spatiale emploie directement 263 000 salariés 29, la filière ferroviaire française représentant quant à elle plus de 200 000 emplois industriels directs autour du matériel roulant, des infrastructures et de la signalisation. Le soutien à ces secteurs, crucial en terme d'emploi, est destiné à aider les entreprises concernées à produire des véhicules et des engins décarbonés. Pour le secteur automobile, il s'agit de l'aider à se repositionner sur le véhicule électrique et sur la fabrication des batteries, mais aussi, de manière peut-être moins connue sur la fabrication de moteurs électriques, sur le recyclage des batteries ainsi que sur le développement de l'ordinateur de bord des véhicules 30. Pour le secteur aéronautique, qui représente une industrie fortement exportatrice en France, la poursuite des recherches sur l'avion du futur et la montée en puissance d'une filière de biokérosène (voire d'e-kérosène) sont une priorité. L'accompagnement du dynamisme émergent du secteur ferroviaire doit se poursuivre dans le sens indiqué par le récent avenant au Contrat stratégique structurant la filière autour des enjeux d'innovation : décarbonation des derniers engins thermiques (trains hydrogènes et hybrides), 27 Depuis 2014, les projets importants d'intérêt européen commun (Piiec) autorisent les États membres à contourner les règles de concurrence. Ils permettent de subventionner massivement des projets d'industrialisation dans des secteurs stratégiques. En temps normal, seules les aides à la R & D sont autorisées. https://www.usinenouvelle.com/article/les-piiec-se-multiplient-pour-re-lancer-des-filieres-technologiques-eneurope.N1079984 28 Source INSEE : https://www.insee.fr/fr/statistiques/2016146 29 https://www.insee.fr/fr/statistiques/5896539 30 cf page 71 et suivantes du rapport du député Damien Pichereau sur le déploiement du véhicule autonome en Europe : https://www.ecologie.gouv.fr/soutien-linnovation-dans-domaine-du-vehicule-automatise-remise-du-rapport-du-deputedamien-pichereau Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 34 - fabrication de locomotives à batteries sur de courtes distances ou, sur de plus longues distances en particulier pour le fret, de locomotives hybrides (caténaires et batteries) ou à hydrogène, allègement (et recyclage) des matériels roulants et infrastructures adaptées aux différents types de services (yc. en zones moins denses), performance et intensification d'usage du réseau grâce au déploiement de la digitalisation des systèmes d'exploitation. - Pour le secteur maritime et fluvial, il s'agit de soutenir le développement de la propulsion ou de l'assistance à la propulsion vélique, ainsi que les expérimentations d'énergies alternatives aux énergies fossiles (gaz naturel liquéfié avec capture et stockage du CO2, hydrogène, méthanol, éthanol, diméthyléther) 31 : les solutions électriques constituent, quant à elles, une solution idéale pour des trajets plus courts, en particulier pour le fluvial et les ferries. Sans oublier la consolidation et le développement de la filière française de fabrication du vélo (électrique ou non) 32 . Pour permettre que la reconversion d'un certain nombre d'entreprises ne laisse pas de territoire en déshérence, il est enfin souhaitable de mettre en place des dispositifs d'aide à la reconversion des salariés concernés, mais aussi de soutenir les territoires et les collectivités concernés par des projets de territoire volontaristes. Enfin, le changement technologique lié à la décarbonation de l'économie conduit aussi à identifier de nouveaux besoins en minéraux dont certains deviennent rares ou sont contrôlés par un nombre réduit de pays et à renforcer les filières de recyclage correspondantes. 2.3 - Le transport de marchandises, indispensable à notre économie, va fortement évoluer : décarbonation des modes routiers et maritimes, massification des transports, report modal, raccourcissement des chaînes logistiques sont en marche Moins visible que le transport de voyageurs le transport de marchandises est pourtant indispensable pour notre économie, aussi bien pour les entreprises que pour les particuliers. Les ordres de grandeur qui le caractérisent en France aujourd'hui sont de 400 milliards de tonnes-kilomètres pour le fret terrestre et de 1200 milliards de tonnes-kilomètres pour le fret maritime. Si les émissions de GES liées au transport de marchandises pèsent de l'ordre du tiers des émissions du secteur global des transports (environ 45 Mt contre 139 Mt au périmètre Kyoto), elles sont essentiellement liées aux transports terrestres. Les émissions du transport maritime liées aux trafics domestiques du périmètre Kyoto ne représentent que 1,6 Mt, mais si l'on y ajoute les transports internationaux hors périmètre Kyoto, on obtient environ 12 MtCO2 33. La décarbonation du transport routier qui pèse 98,5 % des émissions du fret terrestre est donc essentielle pour réussir la décarbonation du fret, de même que celle du transport maritime international pour le fret international. Voir Le paragraphe 2 de l'article 25 de la loi de finance initiale 2021-1900 du 30 décembre 2021 pour 2022, https://www.legifrance.gouv.fr/download/pdf?id=tuJ-YzZKSB-nAqvlqBHix4iX_erjixoTD_Jy3AVXRFk 32 Cf. rapport de la mission parlementaire sur la filière économique du vélo à paraître en 2022. 33 Dont une faible partie 6 % environ pour les émissions des navires au port. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 31 35 La réduction des tonnes-kilomètres est une des pistes envisageables pour réduire les émissions de gaz à effet de serre du fret terrestre, mais elle ne saurait représenter le levier principal de la décarbonation du secteur qui va devoir s'appuyer principalement sur les améliorations technologiques notamment celles qui touchent les poids lourds et les véhicules utilitaires légers. De fait, dans tous les scénarios envisagés dans le cadre de cet exercice, les tonnes.kilomètres terrestres en 2060 sont toujours supérieures à celles de 2017 : dans le scénario le plus drastique du pari sociétal, elles sont quasiment équivalentes. 2.3.1 Le constat : les modes de transport de fret alternatifs à la route, en recul sur le long terme pourraient connaître un renouveau 2.3.1.1 Les modes de transport de fret alternatifs à la route sont à la recherche d'une relance L'une des pistes fréquemment préconisée tant au niveau national qu'européen des politiques de transport est celle du report modal, notamment de la route vers le chemin de fer, voire de la route vers le transport maritime avec les « autoroutes de la mer ». L'étude réalisée en 2020 pour le compte de l'agence européenne de l'environnement par Fraunhofer ISI et CE Delft montre les gains réalisés en termes d'émission par le report modal : environ 113 g CO2eq/tkm en passant du transport routier au transport ferroviaire et de 104 g CO2eq/tkm en passant au transport fluvial (Tableau 6). Tableau 6 : Émissions moyennes de GES pour le transport de marchandises selon le mode, EU 27, 2020. Source : Fraunhofer ISI et CE Delft. g CO2 eq / tkm Fret aérien PL routier Fluvial Ferroviaire Maritime 1 036 137 33 24 7 Si l'on considère le volume de transport en fret ferroviaire (Tableau 7), force est de constater qu'il a été divisé par plus de deux depuis son apogée au cours des années 1970 et s'est stabilisé autour d'une trentaine de milliards de tonnes-km, soit une part modale de l'ordre de la dizaine de pourcents des transports terrestres, malgré les nombreuses tentatives infructueuses de plusieurs politiques publiques pour enrayer ce déclin. La comparaison avec la situation des pays européens frontaliers où le fret ferroviaire avoisine 17 % de part modale, soit presque deux fois plus, n'est pas à l'avantage de notre pays. Si une partie de l'écart trouve probablement son origine dans le plus fort taux de services au sein de l'économie française, d'une industrie moins tournée vers les produits de base, d'une moins grande densité d'activité, d'une localisation à la pointe occidentale de l'Europe, et d'un réseau ferré souvent moins maillé, la comparaison montre qu'il y a sûrement des marges de progrès possibles. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 36 Tableau 7 : Transports de marchandises en France, 2017. Source : Prospective 2040-2060, CGEDD-France Stratégie, 2022. 2017 VUL 34 PL 35 Fer Fluvial Oléoducs Transports Terrestres Maritime G tonnes-km 6 366 33,4 6,7 11,2 423 (tous modes hors maritime) 1 400 137 (route) G véh.-km 102,1 35 nc nc Mt CO2 directes 25,9 36 (y c. bus et cars) 0,4 0,2 (français) nc 62,5 (y c. bus et cars) 13,8 (y c. pêche et plaisance) 92,5 Mt Mt CO2 (ACV) 41 50,5 0,6 0,3 Si la nécessité de monter en qualité en s'appuyant notamment sur le renforcement des technologies numériques fait consensus, les pistes de relance par des investissements proportionnés aux enjeux restent à décliner dans le cadre de la stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire encore à affiner, en tenant compte du renforcement de l'impératif de la transition écologique et de l'opportunité qu'elle représente pour le fret ferroviaire (dès lors qu'il n'utilise plus de locomotives diesel). Si l'on considère le transport fluvial, force est là aussi de constater que, tout comme le chemin de fer, qui a connu son trafic de fret maximal au début des années 1970, celui-ci qui atteint 14 milliards de tonnes-kilomètres en 1970 a subi de plein fouet les deux chocs pétroliers de 1973 et 1978, le développement du programme nucléaire et le déplacement de la sidérurgie de l'Est de la France vers les ports maritimes ; d'où un trafic de l'ordre de sept milliards de tonneskilomètres, si bien que sa part modale se situe en deçà de 2 % aujourd'hui. Cependant, la conclusion du contrat d'objectifs et de performance de VNF qui permet, conjugué au plan de relance de 2020, de régénérer le réseau fluvial et d'en améliorer la qualité de service, tandis que la réalisation de la liaison Seine-Nord-Europe, maillon central de la liaison européenne Seine-Escaut reliera en 2028 les bassins de la Seine et du Nord de la France au réseau fluvial européen à grand gabarit, devrait permettre d'enclencher une dynamique positive. La transition énergétique et la possibilité pour le transport fluvial décarboné de pénétrer au coeur de plusieurs grandes agglomérations comme Paris, Lyon, Lille ou Strasbourg vont amplifier cette dynamique qui devrait permettre au trafic fluvial de retrouver d'ici 2050 le niveau de trafic des années 1970 tout en limitant les émissions autour de 100 kt CO2 36. Le chiffre des veh.km prend en compte tous les VUL, particuliers et professionnels. Le chiffre des t.km ne prend en compte que les seuls VUL du transport de marchandises qui ne sont qu'un sous-ensemble des VUL professionnels. 35 Ces chiffres diffèrent de ceux des comptes des transports de la Nation: ils prennent, en effet, en compte les émissions de GES des PL qui font le plein en dehors de France avant de traverser la frontière et qui ne sont pas incluses dans le rapport officiel (au format Kyoto) de la France à la CCNUCC. Les chiffres de véh.km sont alors modifiés en cohérence avec la consommation de carburants des parcs statiques et roulants des véhicules français et étrangers. Voir sur ce point le rapport du Citepa de mars 2021 pages 270 et suivantes sur les principales composantes et caractéristiques organisationnelles du système national d'inventaires des émissions de polluants dans l'atmosphère https://www.citepa.org/wp-content/uploads/publications/ominea/OMINEA2019.pdf 36 Cf rapport du GT marchandises et son annexe sur le transport fluvial Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 34 37 Si l'on se penche sur le transport maritime et sur les ports, force est de constater que pour les navires, l'effort de décarbonation est d'abord un enjeu international, puisque 94 % des trafics maritimes sont de nature internationale et que les autoroutes de la mer ont été assez difficiles à rentabiliser vu la configuration des côtes françaises. Pour les ports si l'on étend un peu la réflexion au-delà des émissions des seuls navires au port, il est bon de rappeler que les ports maritimes français, dont l'équilibre financier dépend encore largement des trafics énergétiques d'hydrocarbures sont confrontés à la fois à une réduction de volume de ces trafics, sans doute plus rapide que celle qui avait été escomptée jusqu'ici, et aux enjeux de décarbonation qui touchent d'abord leurs zones industrielles 37, et plus marginalement le transport maritime au port et dans les approches portuaires. Les riverains vivent aussi de plus en plus mal les émissions de polluants atmosphériques des navires à quai ce qui requiert la possibilité de fournir rapidement aux navires de l'électricité à quai, puis de faciliter l'accès aux énergies décarbonées au fur et à mesure que les technologies alternatives auront montré leur pertinence économique et technique. La stratégie nationale portuaire fixe cependant pour ambition aux ports de faire croître de 60 % à 80 % la part de marché qu'ils détiennent sur le marché intérieur français des conteneurs (qui reste un segment de marché à croissance soutenue) et de faire progresser la part modale actuelle des modes massifiés que sont le fer et le fleuve qui se situe autour de 23 % des trafics totaux hors oléoducs pour atteindre 30 % de part modale. De même la stratégie nationale de relance du fret ferroviaire comprend une série de mesures destinées à faciliter la progression de la desserte ferroviaire des ports telles que : la réalisation des services d'autoroutes ferroviaires Calais-Sète et Cherbourg-Mouguerre ; la généralisation à l'ensemble des axes logistiques et portuaires des démarches de mise en réseau de la recherche, en partenariat avec les grands ports maritimes et la communauté de la recherche portuaire ; l'accélération des travaux de développement des infrastructures de report modal vers les transports massifiés ferroviaires et fluvial grâce au volet portuaire du plan de relance ; l'inscription d'un objectif de report modal vers le fret ferroviaire pour les trois grandes portes d'accès maritimes (HAROPA, Marseille et Dunkerque) ; accompagner la montée en puissance des plateformes services et infrastructure et les doter d'une boite à outils pour le développement du fret ferroviaire. 2.3.1.2 Dans cet exercice, les volumes de transports de marchandises sont à la hausse avec des ampleurs très différentes selon les scénarios À échéance de 2060, pour les transports terrestres de marchandises, lorsqu'on intègre les tonnes.km effectuées par les pavillons étrangers, même les scénarios les plus contraints envisagent une croissance de 50 % environ des tonnes-km de marchandises transportées (transports terrestres), et seul le scénario du pire climatique envisage un doublement dans cette période. La croissance est évidemment plus faible en véhicule-kilomètre dans les scénarios où il y a de la massification. 37 Plus du tiers des émissions de gaz carbonique de l'industrie en France se concentrent sur les zones industrielles de Dunkerque, d'Haropa et de Marseille-Fos. (NB : Créé en 2012, HAROPA est un complexe portuaire qui regroupe les ports de Paris, de Rouen et du Havre dans un groupement d'intérêt économique.) Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 38 Figure 8 : Chroniques du transport terrestre de marchandises. Source : Prospective 2040-2060, CGEDD-France Stratégie, 2022. Pour les transports maritimes (Figure 9), la différenciation est plus marquée entre le scénario du pire climatique où les tonnes-kilomètres croissent de 66 %, le scénario ambition de base où elles se situent en deçà de 50 % et le scénario de neutralité carbone où les trafics après avoir atteint un plafond de 15 % de plus en 2045 régressent à + 10 % de leur niveau de 2017. Les contrastes sont extrêmement marqués entre les scénarios pour les émissions de GES, marquant le poids de la conversion énergétique tant au niveau terrestre que maritime. Figure 9 : Chroniques du transport maritime de marchandises. Source : Prospective 2040-2060, CGEDD-France Stratégie, 2022. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 39 2.3.2 Le défi : mettre en place les mesures nécessaires à la décarbonation du secteur du transport de marchandises sans pénaliser notre économie ni la compétitivité des entreprises 2.3.2.1 Décarboner le transport routier de marchandises La source principale des émissions du transport de marchandises provient bien évidemment du secteur routier. Sa décarbonation est donc une priorité qui devrait reposer sur la mise en place de normes européennes d'émissions de plus en plus sévères pour les transporteurs et sur la fin de la vente des véhicules lourds neufs affectés au transport de personnes ou de marchandises et utilisant majoritairement des énergies fossiles d'ici 2040. Cet arrêt des ventes ne sera cependant possible que si la vente des VUL et PL neutres à l'émission et avec une faible empreinte augmente au fur et à mesure du temps et bénéficie de la mise en place de stations de recharge en nombre suffisant. 2.3.2.2 Favoriser l'essor des technologies alternatives à la route par des mesures pragmatiques Il est facile dans un exercice de prospective d'envisager des objectifs ambitieux de report modal : ce travail n'échappe pas à la règle. Les scénarios se rapprochant de la neutralité carbone envisagent en effet : une forte progression dans le scénario de neutralité carbone du trafic ferroviaire de marchandises, provenant d'une hausse de la qualité du transport et de sa productivité, et de la réalisation d'investissements de capacité et de modernisation présentant un bilan GES en ACV favorable et efficace, en particulier dans le numérique : sa part modale pourrait ainsi quasiment tripler à l'horizon 2060 (28 %), en cohérence avec la stratégie nationale bascarbone et en ligne avec les ambitions européennes du développement du fret ferroviaire ; selon l'association 4F (qui reprend les calculs d'Altermind), un doublement de la part du rail en France en passant de 9 à 18 % éviterait chaque année à partir de 2030 l'émission de huit millions de tonnes de CO2. De plus, comme un train de marchandises décharge la route d'environ quarante camions, l'effet en chaîne sur la décongestion du trafic, l'amélioration de l'efficacité économique et la qualité de vie est vite très sensible 38 ; une croissance significative du transport fluvial au cours des vingt prochaines années sous réserve de la capacité de la flotte à se décarboner dans cette même période de temps et une part modale du fluvial qui pourrait quasiment doubler d'ici 2060. Plus difficile est la définition des mesures à mettre en oeuvre à coût raisonnable pour parvenir à ces objectifs : c'est tout l'objet de la stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire publiée en septembre 2021. Dans son avis sur cette stratégie, le Conseil d'orientation des infrastructures demandait récemment avec insistance sa traduction en plans d'action concrets partant des besoins exprimés par les acteurs économiques et les territoires 39. C'est cette stratégie par étape qui est esquissée dans la figure 10, mais qu'il reste à préciser. 38 39 Voir en particulier : https://www.sncf.com/sites/default/files/press_release/4F%20CP-DEF%2025062020.pdf Avis téléchargeable sur le site du COI : https://www.ecologie.gouv.fr/conseil-dorientation-des-infrastructures-coi Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 40 Figure 10 : Proposition de cadre de synthèse de la formalisation des étapes, de leurs moyens et de leurs résultats attendus. Source : Source : COI, 202139. 40 2.3.2.3 Amener et accompagner les pratiques de la logistique urbaine vers la neutralité carbone Dans le domaine de la logistique urbaine, ces dernières années ont été marquées par une dispersion croissante des comportements favorisée par les progrès de toutes natures. Il est sans doute illusoire de vouloir établir un palmarès des pistes d'action pour les années à venir. La diversité des situations locales appelle des réponses adaptées au contexte et de nouvelles solutions technologiques ou numériques viendront « rebattre les cartes ». La logistique urbaine est une chaîne complexe dont le bilan environnemental est déterminé par la décision de plusieurs acteurs, et notamment, celle du destinataire final : le rapport thématique sur le transport des marchandises terrestres estime ainsi que la logistique urbaine représentait en 2017 de 15 à 20 % des émissions de CO2 du transport routier de marchandises. Avec le développement du commerce en ligne, la décision du consommateur final prend davantage d'importance 41. Les études disponibles comparant le bilan environnemental du e-commerce et du commerce traditionnel ne permettent pas de trancher en faveur de l'un ou de l'autre 42. Elles conduisent, en revanche, à identifier les facteurs d'une plus grande sobriété et la façon dont ces leviers sont Avis du conseil d'orientation des infrastructures sur la stratégie de développement du fret ferroviaire, 2021. https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/COI%20avis%20SDFF%20VDEF%202021-05-31.pdf 41 Voir Pour un développement durable du commerce en ligne, Février 2021, rapport CGEDD-France stratégie-IGF, Gilles BON-MAURY, Julien FOSSE, Marie DEKETELAERE-HANNA, Patrick LAMBERT, Philippe VINÇON, Vincent CONSTANSO, Valentine VERZAT, Vivien GUÉRIN, https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/fs-rapportpour_un_developpement_durable_du_commerce_en_ligne-11-03-2021.pdf 42 The net environmental impact of online shopping, beyond the substitution bias, Heleen Buldeo Rai, Université Gustave Eiffel, Logistics City Chair, France. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 40 41 (ou non) efficacement mobilisés ou rendu inopérants par l'évolution des comportements. Le bilan dépend de différents facteurs comme l'environnement et du comportement du consommateur (milieu urbain versus rural, proximité d'un point relais, modes de transport à disposition, véhicule utilisé ...) ou ceux du vendeur (localisation des entrepôts, emballages...). La compétition que se livrent les plateformes tend à encourager la demande d'immédiateté de la part des consommateurs, en leur masquant le coût de la livraison et en leur donnant l'illusion de la gratuité. Les livraisons instantanées exercent une forte pression sur la livraison, et ont un impact important en matière d'émissions de CO2, d'usage de l'espace public et même, comme le soulignent les travaux de Laetitia Dablanc 43, de condition sociale de la livraison. Si les consommateurs n'ont pas suffisamment conscience de l'impact de leurs choix (livraison lente plutôt qu'instantanée, limitation des retours...) sur le bilan des émissions de CO2 du secteur, leur participation active aux stratégies qui devront être mises en place pour réduire les émissions est pleinement nécessaire. Les convaincre et les mobiliser en ce sens est une priorité. C'est d'ailleurs le sens des premières recommandations de la Charte d'engagements environnementaux des acteurs du commerce en ligne pour la réduction du commerce en ligne proposée par France Logistique et France Stratégie en juillet 2021 : « informer le consommateur de l'impact environnemental de la livraison » et « offrir au consommateur la possibilité d'identifier les produits du catalogue au meilleur bilan environnemental 44 ». À côté des évolutions de motorisation, les restrictions d'usage de l'espace public (ZFE, réglementation de la livraison...) sont des outils importants pour inciter les entreprises à optimiser les tournées de livraison. Mais leur impact sur le comportement des consommateurs est faible. Si 34 % des acheteurs en ligne se disent prêts à payer plus pour une livraison plus écologique, les enquêtes font ressortir le respect de l'environnement au dernier rang des critères de choix ; la livraison gratuite vient en tête, puis le lieu de livraison, le domicile étant le premier choix. Les abonnés représentent le tiers des e-acheteurs et sont les moins écoresponsables 45. Informer le consommateur sur le bilan environnemental du service de la livraison, éviter de faire de la livraison express l'option par défaut, s'agissant des délais de livraison, interdire la mention « livraison gratuite » sont autant de pistes suggérées pour infléchir les comportements. Faire payer la livraison, et en particulier la livraison express, à un tarif incluant son impact environnemental, notamment en matière d'émissions de CO2, serait un moyen efficace de réguler le comportement des consommateurs et de l'amener vers davantage de sobriété, pour autant que ce coût lui soit explicitement répercuté. Cette proposition recouvre plusieurs notions différentes consistant à combattre la notion de livraison gratuite : obliger l'expéditeur à indiquer dans la facture le coût de livraison, et faire payer au client final le coût de livraison réel auquel on ajoute le paiement des externalités, ce dernier devant être reversé à la collectivité. Si elle est répercutée sur le consommateur, une mesure de taxation des colis, assortie d'une surtaxe des livraisons instantanées, paraît répondre à l'objectif de guider le comportement du consommateur vers une plus grande sobriété en matière d'émissions de CO2. Une mise en oeuvre 43 « Étude sur les livreurs des plateformes de livraison instantanée du quart nord-est de Paris » sur la base d'une enquête réalisée par 6t-bureau de recherche pour le compte de l'Université Gustave Eiffel, la Chaire Logistics City et l'ANR MOBS sous la direction de Laetitia Dablanc. 44 https://www.strategie.gouv.fr/publications/filieres-de-commerce-ligne-de-logistique-responsables-premieres-signatureschartes 45 « Définition de profils d'acheteurs types en e-commerce » - enquête réalisée par Harris interactive pour le compte de l'ADEME ­ juin 2020. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 42 permettant de s'assurer des résultats, peut cependant se révéler particulièrement complexe pour de multiples raisons : il n'existe pas (encore) de méthodologie pour attribuer le coût des externalités à chaque livraison, une part des colis arrivant directement de l'étranger... La question de l'efficacité de la mesure au regard de son périmètre (français ou européen) devra être posée. Les stratégies collaboratives peuvent s'appuyer sur le développement d'outils numériques et un dialogue régulier et sur la concertation entre les parties prenantes, que ce soit au sein de la chaîne logistique elle-même, entre acteurs privés et publics, ou avec les riverains et les ONG, grâce, notamment, à la mise en place des chartes de logistique urbaine. Mais la diversité des acteurs impliqués et la complexité des modèles économiques associés demanderont beaucoup d'agilité de la part des acteurs publics pour adapter les mesures aux différentes situations. Aussi, il conviendrait de créer les conditions d'une régulation efficace, lisible et propre à encourager les collaborations et mutualisations. À cet égard, l'émiettement, au sein d'une même zone urbaine, des décisions de régulation dans certains domaines (typiquement la circulation ou le stationnement) constitue sans nul doute un frein. La présence d'une autorité organisatrice sur le périmètre pertinent et dotée des moyens d'action appropriés serait un facteur de lisibilité et de cohérence de l'action publique. Enfin, il paraît aller de soi que l'urgence climatique impose de se concentrer sur les mesures qui ont le plus fort effet ou, à tout le moins, d'écarter celles qui n'en ont pas ou vont à l'encontre du résultat escompté. Cette capacité d'évaluation repose sur la disponibilité de données suffisantes : elle peut nécessiter la création d'un véritable observatoire de la logistique urbaine et le recours à de nouvelles méthodes de collecte. En résumé, quatre pistes d'actions semblent devoir être privilégiées pour renforcer l'efficacité de l'action publique en matière de logistique urbaine : convaincre et mobiliser les consommateurs pour faire évoluer les comportements et créer les conditions de l'acceptabilité de mesures plus contraignantes ; examiner les moyens spécifiques d'internalisation des coûts de l'impact environnemental des livraisons 46 ; favoriser les stratégies collaboratives, actions d'optimisation ou de mutualisation engagées par les opérateurs privés ou par les collectivités publiques ; suivre dans le temps les données relatives à la logistique urbaine pour identifier les mesures les plus efficaces. 2.3.2.4 Assurer un juste équilibre entre les rythmes de décarbonation décidés aux niveaux européen et mondial pour le transport maritime La décarbonation du transport maritime repose aujourd'hui sur la recherche d'une meilleure efficacité énergétique à la conception grâce à un meilleur design, voire au retrofit des navires, et en exploitation grâce notamment à l'utilisation de la propulsion vélique ou à la réduction de leur vitesse. Cette dernière mesure peut cependant conduire à mettre plus de navires en circulation et à des sous-optimisations de puissance des moteurs pour des raisons de sécurité par gros temps. Elle sera plus importante à l'avenir avec l'introduction de flottes de navires propulsés avec des énergies décarbonées ou neutres en carbone : des expérimentations sont programmées qu'il s'agisse du méthanol, de l'ammoniac, de bio-GNL, d'hydrogène, voire de l'association, en cours 46 Voir rapport thématique sur le transport de marchandises terrestres Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 43 d'étude, d'une propulsion GNL avec un système embarqué de capture et de stockage à bord des émissions de CO2, ou encore de propulsion électrique sur les petits navires ou pour des navires à faible rayon d'action. Le défi à relever reste celui de la réduction du décalage inévitable existant entre le rythme de décarbonation résultant des ambitions européennes telles qu'elles se sont exprimées au travers du Pacte vert et de la déclinaison du paquet Fit for 55 dans le secteur maritime et celui des négociations internationales menées au sein de l'OMI. Deux écueils résultant de ce décalage sont en effet à redouter : celui de la baisse de la compétitivité des armateurs européens qui auront déployé plus rapidement des flottes utilisant des moyens de propulsion décarbonés ou neutres en carbone avec des coûts d'énergie de propulsion plus élevés ; celui du risque de report de trafic vers des hubs portuaires extraeuropéens si la comptabilisation des émissions des navires ne se fait que sur les parcours dans les eaux intracommunautaires. La taxation de l'énergie carbonée d'une part et l'introduction d'un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières sont censés répondre à ces écueils mais la possibilité de soutage dans des pays extraeuropéens et les difficultés propres à obtenir un accord au sein de l'OMC sur la compatibilité de ce mécanisme avec les règles de concurrence de l'OMC ne simplifient pas la conclusion d'un accord sur ce mécanisme d'ajustement. Si l'action de l'OMI a permis d'adopter un premier cadre international pour la décarbonation du transport maritime, il n'en reste pas moins vrai que ces mesures adoptées ne suffiront pas pour atteindre les objectifs de décarbonation du secteur, il est donc nécessaire de les renforcer en fixant des valeurs plus élevées de réduction de l'intensité carbone de la flotte mondiale à 2030 et en cherchant à faire adopter à l'OMI des mesures de tarification du carbone permettant d'accélérer le développement et le déploiement de moyens de propulsion alternatifs durables au sein du secteur et, au niveau européen, en intégrant le secteur du transport maritime dans le système d'échange de quotas d'émissions européen (EU/ETS), tout en préservant la compétitivité du secteur 47. Le recours à moyen terme (2030-2040) à des navires neutres en carbone à l'émission reste enfin une nécessité : il suppose la mise en place d'aides pour les expérimentations et l'adoption, de préférence à l'OMI, d'une date à partir de laquelle tous les navires neufs devront être neutres en carbone à l'émission. L'influence de la COVID-19 sur le transport maritime La période entamée avec la crise du COVID qui s'est traduite par une baisse des niveaux d'échange de 3,5 % en 2020 a connu une forte reprise en 2021 avec une augmentation des échanges de 8,5 %. Le transport maritime a alors été confronté à une forte réduction de l'activité de croisière et à une pénurie de main d'oeuvre et de conteneurs vides, ce qui a entraîné une flambée des taux de fret maritime qui n'ont jamais été aussi élevés, près de 350 % depuis le début de la crise : le coût du conteneur 40 pieds sur un trajet Asie-Europe à 2000 en fin 2019 était de 13 000 fin 2021. Cette évolution a conduit à une amélioration des marges des grandes compagnies maritimes et à des stratégies de consolidation et de diversification 48. Elle pourrait favoriser de plus l'évolution vers la neutralité carbone en permettant aux armements conteneurisés de renouveler plus rapidement leurs flottes. https://www.ecologie.gouv.fr/decarbonisation-du-transport-maritime-international-lomi-adopte-des-mesures-concretesil-reste 48 Maersk rachète le commissionnaire asiatique LF Logistics ; MSC négocie de rachat des activités de Bolloré en Afrique de l'ouest ; CMA-CGM acquiert l'américain Ingram micro CLS spécialiste de la logistique contractuelle dans l'e-commerce après avoir acquis 90 % du terminal Fenix Marine Service à Los Angeles. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 47 44 2.4 - La neutralité carbone du transport de personnes ne pouvant être atteinte par les seules mutations technologiques, cela ouvre le difficile débat sur la sobriété d'usage. Si un mouvement est amorcé, le projet collectif ne va pas encore de soi Si les perspectives technologiques semblent favorables dans le secteur routier, rien ne dit cependant que ces technologies vont effectivement se développer et se diffuser suffisamment rapidement. De plus, même dans un cas favorable, les technologies à elles seules ne permettent pas d'atteindre la neutralité carbone (Figure 11 et figure 12) : une plus grande sobriété d'usage dépend de l'adhésion par la très grande majorité à ce mouvement et la question du rôle des politiques publiques est un enjeu de tension dans la société. Le scénario hypercontraint décrit ainsi un monde dans lequel les technologies ne sont pas au rendez-vous tandis que les objectifs de réduction sont maintenus ce qui conduit, à plus ou moins long terme, à des mouvements de protestation contre les mesures imposées et/ou un déclin de l'économie française. Figure 11 : Chroniques des voyageurs-km terrestres selon les scénarios. Source : Prospective 2040-2060, CGEDD-France Stratégie, 2022. Figure 12 : Effets des principaux leviers d'action. Scénario « ambition de base ». Source : Prospective 2040-2060, CGEDD-France Stratégie, 2022. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 45 2.4.1 Le constat : la culture de la sobriété d'usage est encore mal établie même si elle est indispensable et si la société n'a pas encore construit de projet collectif l'intégrant 2.4.1.1 L'émergence d'une culture de la sobriété Une culture de la sobriété propice à faciliter la maîtrise de ces transitions semble pouvoir émerger : elle semble trouver un écho nouveau en particulier auprès des jeunes générations. Elle est cependant contredite par des pratiques consuméristes renouvelées, telles que les livraisons à domicile dans des délais brefs, et par les mouvements de migration depuis les métropoles vers les plus petites villes ou le milieu rural ou périurbain qui ne sont pour l'instant pas accompagnés par une migration des emplois autres que de services. Le terme de sobriété d'usage tel qu'il est employé ici n'a pas de connotation morale : il est la seule traduction du fait que certains modes de vie sont plus consommateurs de ressources ou émetteurs de pollutions que d'autres (Figure 13). Or les scénarios présentés montrent que l'extrapolation de pratiques de vie fondées conjointement sur la dispersion, la consommation d'espace et la mobilité individuelle, accompagnée des mutations énergétiques les plus optimistes, ne répondent pas à l'objectif de neutralité carbone, et auront les plus grandes difficultés à atteindre les objectifs de zéro artificialisation nette. Figure 13 : Détail des contributions des leviers d'action. Scénario « ambition de base ». Source : Prospective 2040-2060, CGEDD-France Stratégie, 2022. 2.4.1.2 Mutualiser ou massifier les déplacements de biens et de personnes est indispensable. Ceci est d'autant plus apparent quand, comme ici, on raisonne en empreinte carbone « complète » et non en émission à l'usage Le choix a été fait de raisonner sur le taux de massification (ou de mutualisation) des déplacements. On voit en effet, c'est très net pour les déplacements du quotidien, s'installer un continuum d'options avec du covoiturage, du partage de flotte, des solutions de services collectifs de capacités d'emport gradués jusqu'aux transports les plus massifiés sur des axes qui le justifient. Les scénarios sont très contrastés au regard d'un indicateur de massification qui rapporte les voyageurs-kilomètres totaux parcourus aux véhicules-km routiers parcourus : le pire climatique revient à l'accentuation des pratiques d'autosolisme avec l'explosion des déplacements individuels offerts par les nouvelles technologies alors que les scénarios les plus proches d'atteindre la neutralité carbone supposent d'augmenter ce ratio de 50 % 49. 49 Des simulations relativement détaillées ont été réalisés par le FIT (documentées dans le rapport voyageurs) dans cinq grandes agglomérations sur la base d'un modèle de trafic; le levier de base est le levier du partage de voirie qui donne un avantage temps aux véhicules bien remplis et au contraire ralentit les autres. https://www.itf-oecd.org/itf-work-shared-mobility Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 46 De fait, les deux scénarios de neutralité vont différer sur trois paramètres qui vont se compenser pour parvenir au volume d'émissions à 2060 correspondant à la neutralité carbone complète : si le scénario du pari technologique envisage une durée de vie moyenne de trente ans des véhicules, l'allongement moins important de la durée de vie des véhicules dans le scénario du pari sociétal est compensé par un emport de passagers plus important et par une baisse des kilomètres parcourus. En raisonnant en empreinte globale et non plus seulement en termes d'émissions lors de l'usage, ce travail montre que les efforts à produire seront certainement plus significatifs qu'on l'anticipe actuellement (Figure 14). Certes les mutations de motorisations sont bien adaptées à la réduction des émissions en cours d'usage pour répondre à un besoin de déplacements donné. Il faudra cependant pour réduire l'empreinte globale circuler avec moins de véhicules, donc mutualiser et massifier, et avec des véhicules plus légers par volume transporté et à plus longue durée de vie. Cette sobriété d'usage peut conduire à des réponses moins immédiates à l'expression du besoin de consommation : l'instantanéité et l'individualisation du service - qui sont au coeur de la livraison instantanée - sont des luxes dont le scénario du pire climatique montre bien les conséquences disproportionnées aux bénéfices qui en sont tirés. Figure 14 : Trois indicateurs de synthèse des évolutions envisagées par les différents scénarios aux échéances 2040 (colonnes de gauche) et 2060 (colonnes de droite). Première ligne : l'empreinte CO2 globale du secteur (millions de tonnes de CO2) Ces émissions étaient de 244 M tCO2 en 1990. Les couleurs distinguent les écarts à cette référence. Deuxième ligne : les quantités de déplacements voyageurs (milliards de voyageurs-kilomètres). Est intégrée la moitié des déplacements internationaux (essentiellement aériens) ayant la France pour origine et destination. Troisième ligne : les transports de marchandises (milliards de tonnes-kilomètres). Est intégrée la moitié des transports internationaux (essentiellement maritimes) ayant la France pour origine ou destination. Source : Prospective 2040-2060, CGEDD-France Stratégie, 2022. Les résultats des scénarios étudiés sont présentés succinctement en annexe 3 et les principaux indicateurs sont rappelés dans la figure 14. Pour plus de précisions, le lecteur est invité à consulter les narratifs détaillés des scénarios présentés dans le rapport transversal ou dans les rapports des différents groupes de travail 50. 50 Les scénarios de ce rapport peuvent présenter quelques écarts avec ceux de certains rapports thématiques. En effet ils ont été réajustés et complétés dans la phase finale de la réflexion. Le choix a été fait de maintenir dans chaque rapport thématique la matière telle qu'elle avait été traitée par chaque atelier. Par ailleurs, afin d'assurer une complétude des scénarios d'ensemble, quelques extrapolations ont été effectuées pour certains scénarios, notamment dans le transport de marchandises. Ces écarts ou extrapolations sont explicités et ne modifient en rien le diagnostic général. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 47 2.4.1.3 L'essor attendu des mobilités actives et des micro mobilités Les données issues de l'Enquête Mobilité des Personnes 2018-2019 (Source : SDES, Insee) montrent que 44 % à 60 % des déplacements effectués en semaine 51 sont inférieurs à 5 km, selon la typologie de la commune de résidence. Seulement 19 % à 36 % de ces déplacements sont aujourd'hui effectués en modes actifs. Ceci montre la marge de report modal possible vers les modes actifs, pour satisfaire ces besoins de déplacement, aussi bien en ville qu'à la campagne (Figure 15). Part des modes actifs et des déplacements de courte portée dans la mobilité locale en semaine (nombre de déplacements) 80,00 60,00 40,00 20,00 0,00 Communes hors attraction des villes Aires de moins de Aires de 50 000 à Aires de 200 000 à Aires de 700 000 50 000 habitants moins de 200 000 moins de 700 000 habitants ou plus habitants habitants (hors Paris) De 0 à moins de 5 km De 0 à moins de 10 km Aire de Paris Ensemble Marche à pied + vélo Figure 15 : Part des modes actifs et des déplacements de courte portée dans la mobilité locale en semaine (nombre de déplacements). Source : DGITM d'après données EMD 2018-2019, 2021. La progression de la part modale des modes actifs, qui se situe actuellement à environ 3 % (en voyageurs.km) en France, vers un niveau équivalent à celui de de nos voisins européens (12 % en Allemagne par exemple) semble dès lors possible. Elle nécessite cependant le déploiement d'itinéraires sécurisés, le développement des services de micro mobilités 52 ainsi que des mesures d'accompagnement, tel le programme « Savoir Rouler à Vélo » 53 à destination des enfants de six à onze ans qui vise à généraliser l'apprentissage du vélo et la formation nécessaire à une réelle autonomie sur la voie publique avant l'entrée au collège ou celui qui porte sur la prise en main et la maîtrise de son vélo à assistance électrique (VAE) 54. 2.4.2 Le premier défi : définir une stratégie efficace pour inciter et accompagner les Français dans une plus grande sobriété d'usage https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/sites/default/files/202112/2_1_1_emp2019_mobilite_locale_semaine_caracteristiques_sociodemographiques_individus.xlsx 52 Les micro-mobilités intéressent les déplacements de courtes ou moyennes distances (moins de 10 km) en début ou en fin de parcours (premiers ou derniers kilomètres), le plus souvent dans des zones urbaines. Ils sont souvent réalisés avec des engins de déplacement personnel légers, compacts, portatifs, électriques ou non, qui peuvent être complémentaires ou utilement remplacer d'autres moyens de transport. Ces véhicules fonctionnent généralement à des vitesses inférieures à 25 km/h et peuvent être possédés, ce qui est le cas le plus répandu, ou partagés. (Source : rapport CGEDD (à paraître début 2022) : Nouveaux services de mobilité partagé ­ Situation et perspectives) 53 https://www.education.gouv.fr/lancement-du-programme-savoir-rouler-velo-5258 54 Cf. la formation proposée par la Fédération française des Usagers de la Bicyclette (FUB) aux souscripteurs du service VELIGO Location en Île-de-France https://www.veligo-location.fr/securite-conseils-veligo/ Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 51 48 Les objectifs retenus pour la sobriété dans les deux scénarios de neutralité carbone sont extrêmement ambitieux : 50 % de la population en télétravail au moins trois jours par semaine en 2060 pour le pari sociétal et 30 % deux jours par semaine dans le pari technologique 55, quadruplement du trafic du covoiturage 56, doublement du trafic de voyageurs des transports collectifs urbains ... Dès lors, le défi posé aux pouvoirs publics consiste à imaginer les mesures qui vont permettre « d'embarquer » la société française dans son ensemble dans cette recherche de sobriété. Cela passe par des politiques adaptées et coordonnées aux différentes échelles géographiques et temporelles pertinentes. Là encore, il n'y aura pas de solution miracle permettant en une seule mesure de résoudre le problème. Les mesures seront différentes suivant les territoires. Quatre voies peuvent ainsi être envisagées : L'intensification des politiques actuelles. Les politiques de sobriété des mobilités (encouragement de substitution à la mobilité : télétravail, téléenseignement, télémédecine, téléprocédures, ...) se sont développées dans les zones denses pour des raisons liées à la qualité de la vie en ville : elles pourraient être renforcées, en privilégiant les modes les moins consommateurs d'espace (modes massifiés, modes doux). Leur extension progressive à des espaces un peu moins denses, dans une approche de type « tâche d'huile » pourrait amener à des gains supplémentaires. Dans les périphéries des villes, la voiture risque de rester indispensable longtemps, et il y convient de s'appuyer surtout sur des politiques de partage du véhicule, avec des interfaces modales de grande qualité permettant des trajets en transport en commun lourds fiabilisés et à capacité renforcée dans les espaces centraux. La fluidité des interfaces modales est une clé de succès essentielle ; l'amélioration de la qualité des noeuds de correspondance multimodaux et de l'information des voyageurs, y compris en temps réel, permet la massification des flux et constitue un autre facteur majeur de réussite d'une politique de sobriété. L'évolution des modes de vie. Une deuxième approche concerne les modes de vie et les apprentissages individuels et collectifs. Elle recouvre en particulier la question, mise en exergue par la crise sanitaire, du télétravail et des téléconférences. Le choix de recourir à l'une de ces formes plutôt qu'à un déplacement n'est pas seulement un choix individuel, mais dépend également de l'attitude du collectif (entreprises, groupes...), voire des mesures publiques prises en faveur de ces formes de travail. L'étalement des pointes (quotidiennes, hebdomadaires, annuelles) constitue une autre possibilité d'optimisation: elle évite en effet des investissements inutiles et améliore la qualité de vie. Elle implique cependant des décisions de la part des générateurs des flux (entreprises, universités ...), qui peuvent probablement être encouragées, sinon impulsées, par les pouvoirs publics aux niveaux géographiques appropriés 57. 55 Selon la DARES, durant le mois d'avril 2021, 28 % des salariés ont été au moins un jour en télétravail en avril (+ 1 point par rapport à mars). Parmi eux, 35 % ont télétravaillé tous les jours de la semaine, 46 % ont été en télétravail entre deux et quatre jours par semaine, 12 % un jour par semaine et 7 % uniquement quelques jours dans le mois. https://dares.travail-emploi.gouv.fr/publication/activite-et-conditions-demploi-de-la-main-doeuvre-pendant-la-crisesanitaire-covid-19-avril-2021 /// 56 70 % des déplacements domicile-travail sont réalisés avec des véhicules individuels, la plupart en auto-solisme et on estime à 3 % la part du covoiturage quotidien : https://www.ecologie.gouv.fr/covoiturage-en-france-avantages-etreglementation-en-vigueur 57 "voir notamment : Projet BMA Bretagne mobilité augmentée et dossier des IESF https://www.iesf.fr/offres/doc_inline_src/752/BMA-17.12.14_Assises-contribution-cloture.PDF" Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 49 La modification du modèle économique des gestionnaires d'infrastructures de modes massifiés. Les recettes actuelles de certains acteurs, par exemple d'un gestionnaire d'infrastructures, sont souvent réalisées au prorata des péages liés au trafic. De ce fait, une perspective de modération du trafic risque de nuire à leur équilibre économique et de les inciter à des efforts commerciaux pour attirer le trafic. Dès lors, un rééquilibrage du modèle économique, avec l'introduction d'une rémunération comprenant d'autres composantes ­ telles que la qualité du service pour les péages ferroviaires - pourrait contribuer à mieux aligner les intérêts des différents acteurs de la chaîne en faveur d'une politique de sobriété des mobilités. La mise en place de signaux prix carbone. Réclamée par la plupart des économistes, elle permet à chacun de prendre conscience de ses émissions et l'incite à réorienter ses actions. Elle peut prendre la forme d'une contribution climat énergie incluse dans le prix du carburant, mais aussi d'un marché : le paquet « Fit for 55 » publié par la Commission en juillet 2021 envisage ainsi l'instauration d'un marché de carbone portant sur les importateurs et les distributeurs de carburants fossiles et permettant de répercuter un signal-prix carbone sur les consommateurs. 2.4.3 Le deuxième défi : mettre en place les politiques qui vont permettre d'atteindre réellement les objectifs ambitieux de report modal Les scénarios qui s'approchent le plus de la neutralité carbone sont extrêmement ambitieux en termes de report modal, ce qui suppose de dégager les moyens de financement correspondants, de limiter l'utilisation des véhicules utilisant des énergies fossiles et d'inciter à l'utilisation des modes alternatifs à la route : un doublement au moins du trafic de voyageurs des transports collectifs urbains lourds (ferroviaire, métro, tramway), issu de la hausse tendancielle du trafic liée à la croissance économique ainsi que du report modal vers des infrastructures nouvelles ou déjà existantes mais plus capacitaires (ferroviaire et métro) et de qualité accrue ; une hausse de l'emport moyen des véhicules qui semble pouvoir constituer un levier important face à la contrainte environnementale et qui doit conduire à encourager le développement du covoiturage urbain et le report modal : dans les scénarios neutres en carbone, la valeur de l'emport moyen (défini comme le rapport entre le nombre de voyageurs.km terrestres et le nombre de veh.km terrestres) augmente ainsi de près de 50 % de 1997 à 2060, en passant de 1,98 à 2,83 (Figure 16). Cette évolution correspond à un doublement du remplissage des voitures particulières dans les grandes agglomérations, parallèlement à l'augmentation de 19 % à 30 % de la part modale des transport collectifs urbains (en voy.km : figure 17). Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 50 Figure 16 : Chroniques d'emport moyen dans les grandes agglomérations. Source : Prospective 2040-2060, CGEDD-France Stratégie, 2022. Figure 17 : Chroniques de remplissage moyen des voitures dans les grandes agglomérations. Source : Prospective 2040-2060, CGEDD-France Stratégie, 2022. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 51 un quadruplement du trafic du vélo et des modes actifs et doux, reposant sur un rattrapage des parts modales dans les déplacements pour aboutir à un niveau comparable à celui de l'Allemagne (12 % de vélos contre 3 % en France) et sur la systématisation d'itinéraires continus et sécurisés ; un quadruplement au moins du trafic de covoiturage, grâce notamment au développement d'applications numériques reliant le passager aux véhicules et à l'infrastructure, et lui permettant un accès facile aux modes collectifs ; un doublement au moins du transport ferroviaire interurbain de voyageurs, lié à la hausse tendancielle du trafic et au report modal des liaisons aériennes les plus courtes (Figure 18). La réalisation d'un certain nombre d'infrastructures à grande vitesse afin de desservir toutes les capitales régionales, ainsi que l'amélioration des principaux noeuds ferroviaires et d'incréments de capacité des principales lignes à grande vitesse permettraient d'accélérer cette évolution. Figure 18 : Chroniques de part modale des transports en commun urbains dans les grandes agglomérations. Source : CGEDD-France Stratégie, 2022. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 52 2.5 - Les transitions vers la neutralité carbone du transport de personnes supposent des efforts particuliers des ménages les plus aisés et des hypermobiles et d'accompagner les personnes aux revenus les plus modestes 2.5.1 Le constat : Les univers de choix et les contraintes/marges de manoeuvre des personnes sont extrêmement disparates Le graphique ci-dessous 58 (Figure 19) montre que si les émissions de CO2 par ménage sont corrélées aux déciles de niveau de vie, leur dispersion au sein de chaque décile reste considérable : seul un tiers de cette dispersion peut être relié à des facteurs explicatifs connus. Ceci rend le ciblage de politiques de compensations d'une politique de hausse de taxe carbone particulièrement complexe. Les aides, qui ne peuvent en effet être versées qu'en fonction de variables connues, ne permettront pas de "compenser" correctement la perte de pouvoir d'achat des individus concernés. Les personnes dites hypermobiles, se concentrent essentiellement dans les déciles les plus élevés de revenus de la population. Elles représentent à elles seules une part considérable des émissions : 20 % de la population la plus mobile génèrent 80 % des émissions. 59 Figure 19 : Distribution des émissions de CO2 par ménage en fonction de leur décile de niveau de vie58. Source : OFCE, 2020. 58 Les effets de la fiscalité écologique sur le pouvoir d'achat des ménages : simulation de plusieurs scénarios de redistribution, Focus N° 030 2019, Conseil d'analyse économique, Thomas Douenne, Mars 2019, https://www.cae-eco.fr/Leseffets-de-la-fiscalite-ecologique-sur-le-pouvoir-d-achat-des-menages-463 Ce Focus constitue un complément méthodologique à la Note du CAE n° 50 : Pour le climat : une taxe juste, pas juste une taxe, Dominique Bureau, Fanny Henriet et Katheline Schubert. 59 Chaque rectangle donne le niveau des émissions de CO2 par ménage et par décile (trait supérieur = limite du premier quartile, trait intermédiaire = médian, trait inférieur= limite du dernier quartile). Les points sont des enregistrements individuels. Si les émissions croissent avec le décile de revenu, le graphique illustre la forte dispersion au sein de chaque décile. Certains auteurs la qualifient également « d'hétérogénéité horizontale ». Les quelques points correspondant à de très fortes émissions des plus bas déciles sont probablement liés à des situations atypiques (transferts non pris en compte...). La contribution des émissions importées à l'empreinte carbone de la France, p. 34, OFCE, https://www.ofce.sciencespo.fr/pdf-articles/actu/Rapport-OFCE-HCC-2020.pdf Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 53 2.5.2 Le défi : assurer des efforts équitables et mettre en place les mesures d'accompagnement nécessaires en partant de l'analyse des disparités des univers de choix des personnes L'histoire récente enseigne à quel point la question n'est plus celle d'un signal économique universel assurant la bonne internalisation des externalités (taxe carbone par exemple) qui induirait mécaniquement les évolutions de comportements individuels : son utilité n'est guère contestable. Les économistes insistent à juste titre sur le fait que la véritable question porte sur la manière de traduire ce signal prix dans l'économie et conduit, de fait, à envisager une multiplicité de leviers différents pour le décliner concrètement, qu'il s'agisse de taxations (qui doivent comporter les ajustements et modulations nécessaires pour en assurer l'équité et donc l'acceptabilité), de normes et d'incitations. Le contraste immense entre les univers de choix des personnes fait que ces signaux ne peuvent s'adresser de la même façon et par les mêmes outils à tous types d'agents économiques dont les besoins ne sont fondamentalement ni échangeables ni substituables. Pour autant, même en l'absence de taxe carbone explicite (ce qui poserait la question de l'origine des recettes à consacrer à des mesures redistributives), la transition vers une économie neutre en carbone (qui peut recourir à des normes, à des règlementations ou encore à des interdictions de circulation des véhicules polluants dans certaines zones (ZFE)) conduit à remplacer des produits ou des usages s'appuyant sur les énergies fossiles par d'autres moins émetteurs de carbone mais a priori plus coûteux, qui vont peser sur le pouvoir d'achat des ménages. Il est donc souhaitable de mettre en place des mesures d'accompagnement économiques de la transition, de les concevoir le plus en amont possible 60, et de les adapter au mieux en fonction des mesures économiques effectivement retenues. Se pose enfin la question de la faisabilité d'un prix du carbone additionnel au prix du carburant : un signal prix carbone dans les transports, sous forme de taxe ou de marché 61 (portant par exemple sur les importateurs d'hydrocarbures ainsi que le suggère la Commission), ne sera probablement acceptable que lorsqu'il existera un large marché de véhicules électriques d'occasion permettant à chacun d'échapper s'il le souhaite à ce signal prix et que s'il est accompagné de mesures redistributives (qui ne pourront être qu'imparfaites) pour limiter la charge supplémentaire supportée par les premiers déciles. Le signal prix prendra alors toute sa signification d'accélérateur de la transition. 60 Voir notamment : Pour le climat : une taxe juste, pas juste une taxe, Dominique Bureau, Fanny Henriet et Katheline Schubert, note 50 du CAE, mars 2019 ; Les effets de la fiscalité écologique sur le pouvoir d'achat des ménages : simulation de plusieurs scénarios de redistribution, Thomas Douenne, focus CAE, mars 2019. 61 Dans le cadre d'un marché, les pouvoirs publics fixent un volume d'émissions de CO2, alors qu'ils arrêtent un prix du carbone pour une taxe. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 54 DES MUTATIONS SOCIÉTALES ÉMERGENTES À ACCOMPAGNER Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 55 3 - DES MUTATIONS SOCIÉTALES ÉMERGENTES À ACCOMPAGNER 3.1 - Les usages vont connaître des transformations radicales 3.1.1 Le constat : les changements d'usage déjà amorcés ont été accélérés par la crise de la COVID-19 3.1.1.1 La valeur du temps dans les divers modes de transports est requestionnée Les besoins et usages mutent plus vite que jamais, avec l'irruption des outils numériques qui offrent - on s'en est bien rendu compte lors des périodes de confinement de la crise de la COVID-19 - de nouvelles possibilités (télétravail, numérique). Le temps de déplacement n'est plus nécessairement un temps entièrement perdu, même si le télétravail accentue le contraste entre le confort d'un poste de travail à domicile et celui des transports en commun. Les mobilités actives (marche, vélo, etc...) ne semblent plus seulement une option de dernier recours faute de mieux, mais retrouvent leur valeur en terme de santé publique. Le vieillissement de la population accroît ses besoins de commodité (confort, sécurité, ruptures de charges, accompagnement), plutôt que d'intensité de déplacement. 3.1.1.2 La démographie, et notamment le vieillissement de la population, sont déterminants pour les besoins de mobilité du futur La révision récente des prévisions de long terme de l'Insee pour la population française montre qu'au-delà d'une vingtaine d'années, où les effets tendanciels sont forts, des inflexions marquées de la fertilité et de l'évolution de l'espérance de vie à la naissance peuvent intervenir. Les scénarios bâtis initialement sur le scénario central connu de l'Insee repris par le COR ont donc été recalculés fin 2021, pour tenir compte de ces dernières projections. Le scénario central actuel de l'Insee cible la population française autour de 68,7 millions d'habitants en 2060, soit un niveau assez proche de l'actuel (67,4 millions en 2021) alors que la prévision antérieure, datant de 2016, était de 75,2 millions d'habitants : dans ce scénario, la population atteindrait 69,3 millions d'habitants en 2044 avant de décroître progressivement. Ceci ne tient pas compte des inévitables aléas à de telles échéances sur les flux migratoires. De manière schématique, ce qui importe le plus pour le système de mobilités est probablement la fraction de la population qui sera susceptible de connaître des difficultés à se déplacer. D'un côté l'espérance de vie s'allonge tendanciellement (hors effet de la pandémie) ­ jusqu'en 2040, où environ un habitant sur quatre aurait 65 ans ou plus -, mais de l'autre l'espérance de vie en bonne santé semble globalement stagner. Il en résulte qu'on peut s'attendre à une hausse d'une quarantaine de pourcents de la part de la population ayant dépassé l'espérance de vie en bonne santé d'ici 40 ans. Certes, cet indicateur est imparfait car il est basé sur des enquêtes déclaratives, mais il donne toutefois une indication de tendance probablement globalement assez robuste. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 56 3.1.1.3 Des nouvelles générations pionnières des nouvelles mobilités ? L'image que présente le Crédoc des jeunes générations 62 est contrastée : il souligne que les 2030 ans ont une forte sensibilité environnementale, sont bien conscients du réchauffement climatique en cours et s'attendent à ce que les conditions de vie qui en résulteront deviennent plus pénibles ; ils conservent de l'espoir dans le développement technologique mais éprouvent un sentiment d'impuissance sur leur capacité à jouer un rôle dans cette évolution et ont toujours du mal à traduire dans leurs actes de consommation leurs préoccupations environnementales. La recherche de transports durables constitue cependant une exception : 56 % des jeunes ont ainsi déjà eu recours à du covoiturage pour une courte distance (contre 31 % de l'ensemble de la population), et 46 % sur de longues distances (vs 30 %) 63. Mais, ils continuent à prendre l'avion [28 % des jeunes déclarent avoir pris l'avion deux fois ou plus au cours des douze derniers mois (+ 9 points au-dessus de la moyenne ; Enquête Tendances de Consommation 2018 ; 18-24 ans uniquement)] et, parmi les jeunes, les ruraux et les actifs restent attachés à la voiture. 3.1.1.4 Les loisirs et le tourisme La crise pandémique a stimulé une extension des pratiques de loisirs fondés sur des localisations de moindre distance, mais aussi le développement d'une offre touristique de loisirs fondés sur les mobilités actives : marche, randonnée, cyclisme. De ce point de vue, l'émergence de l'offre de cycles à assistance électrique a contribué à sortir les pratiques de plein air de la sphère des sportifs en parfaite condition physique et bien entraînés vers des usagers occasionnels de moindres capacités physiques, qui y trouvent un effort raisonnable et bénéfique. Le facteur crucial est la création d'une capacité de parcours qui offre une liberté d'accès élargie mieux compatible avec les attentes de variété, de visite de sites culturels, etc... La dynamique reprise par les collectivités locales de renforcement des infrastructures dédiées est considérable, et a changé d'échelle. Ce tourisme de loisir fondé sur des localisations à moindre distance présente également l'intérêt de concerner une partie beaucoup plus large du territoire français, en valorisant la fréquentation des campagnes par rapport au littoral et à la montagne, même si euxmêmes contribuent à cette mutation. Ce renforcement d'offre et le développement des emplois de service liés à ces loisirs sont des conditions indispensables à la pérennisation de ces évolutions. 3.1.2 Le défi : concilier l'évolution des attentes de la société et les enjeux climatiques Plusieurs conséquences découlent de ces constats. La croissance modérée de la population, toutes choses égales d'ailleurs, devrait alimenter à un degré modéré également celle des mobilités des personnes et des biens. L'évolution des mobilités, perceptible dans les pratiques de déplacements d'une partie de la jeune génération, pourrait se développer mais les bonnes pratiques doivent être encouragées par les pouvoirs publics. Comme le souligne le Crédoc, il est nécessaire de donner à voir les exemples concrets et positifs d'action auprès des jeunes générations, de mettre en lumière l'impact concret de chaque action (pour éviter le sentiment d'impuissance « de toute façon ça ne sert à rien ») et de rebondir sur le recours plus fréquent que par le passé à des pratiques 62 Voir en particulier https://www.credoc.fr/publications/environnement-les-jeunes-ont-de-fortes-inquietudes-mais-leurscomportements-restent-consumeristes Pour protéger l'environnement, les jeunes se tournent vers des transports alternatifs et les pratiques collaboratives Lucie BRICE, Patricia CROUTTE et Sandra HOIBIAN Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (Crédoc) dans Modes de vie et pratiques environnementales des Français, CGDD, https://www.statistiques.developpementdurable.gouv.fr/modes-de-vie-et-pratiques-environnementales-des-francais 63 Opinions et pratiques environnementales des Français en 2015, Chiffres & statistiques, CGDD, 2016, Eric Pautard Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 57 réellement collaboratives : une augmentation du covoiturage et de l'emport moyen serait alors possible dans les années futures. Le vieillissement accroît aussi la nécessité d'investissements et de services pour une mobilité des personnes et des livraisons plus inclusive. Cela recouvre la réduction des obstacles tant dans les transports collectifs que sur la voirie principalement urbaine et péri-urbaine, et, plus généralement, la facilitation des déplacements des personnes souffrant d'un handicap, qu'il soit lourd ou léger. En dehors de quelques centres villes, la place prise par la voiture dans la mobilité interroge les politiques d'accompagnement des publics ne pouvant plus conduire en toute sécurité. Les progrès des systèmes d'assistance à la conduite devraient probablement pouvoir permettre, dans le futur, de retarder l'âge de la fin de la mobilité motorisée qui constitue souvent une rupture majeure de mode de vie. Enfin, les questions des modalités de la diffusion des technologies numériques au sein d'une population de plus en plus âgée ne doivent pas être éludées. 3.2 - La révolution numérique permet des améliorations notables, mais peut conduire à des effets négatifs dont l'identification permet d'assurer la régulation 3.2.1 Le constat : entre opportunité et méfiance, la numérisation prend une place considérable dans les transports 3.2.1.1 Les nouveaux usages du numérique vont modifier de plus en plus nos déplacements Si le début des télécommunications accessibles au plus grand nombre remonte aux années 1970, la généralisation du smartphone et des communications à haut débit a marqué ces dernières années et permet désormais quasiment à chacun de rester connecté quels que soient l'endroit où il se trouve, l'heure de la journée ou l'appareil qu'il utilise. Elle a ainsi rendu possible le développement extraordinaire des réseaux sociaux et favorise également le recours au télétravail et aux téléconférences, auxquels la crise sanitaire a incontestablement donné un coup d'accélérateur. L'effet de ces télécommunications sur les mobilités est difficile à envisager. D'un côté, le télétravail et les téléconférences devraient permettre d'économiser des déplacements professionnels ; de l'autre, une induction de trafic est à attendre des contacts personnels et professionnels noués à très longue distance au moyen des télécommunications, mais également des télétravailleurs qui, exerçant leur activité en télétravail, auront la possibilité de quitter la ville et perdraient le bénéfice des transports en commun 64. D'un côté, ils peuvent permettre d'optimiser les déplacements, mais, de l'autre, ils entraînent une consommation d'énergie supplémentaire et peuvent entraîner une fracture numérique à l'égard des personnes à l'écart de ces technologies, les personnes âgées et les personnes les plus pauvres. D'un côté, ils peuvent permettre le développement de services nouveaux grâce au e-commerce, de l'autre ils peuvent conduire à un développement exponentiel de la livraison instantanée et à la congestion des centres urbains ainsi qu'à une mainmise sur les données par les géants du numérique. D'un côté, 64 La part modale des TC croît avec la taille des agglomérations; elle se situe (en voyageurs-km) aux environs d'un tiers en Île-de-France, alors qu'elle n'est que de l'ordre de 13 % dans de très grandes agglomérations (Lille, Lyon, Marseille) et de l'ordre de 5 % dans des agglomérations de taille moyenne. Élise Laforge. Villes et agglomérations urbaines moyennes : quelles politiques de mobilité? Enjeux, limites et prospectives. Gestion et management. 2015. dumas-01903714 https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01903714/document Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 58 ils permettent un développement inespéré du covoiturage et de nombreuses initiatives tournées vers de meilleures mutualisations, de l'autre, ils peuvent entraîner un surcroît de déplacements. À l'inverse, certains envisagent le développement dans les prochaines décennies de mondes virtuels dans lesquels chacun d'entre nous muni de lunettes 3D se déplacerait et interagirait avec d'autres personnes grâce à son double virtuel. Dans un monde numérique dans lequel le télétravail se développe, la distance entre le domicile et le travail peut enfin fortement augmenter. L'ampleur de ce phénomène est cependant pour l'instant à relativiser, car il semble ne toucher que les cadres et quelques professions intermédiaires qui ont à la fois la possibilité de télétravailler et les moyens financiers de choisir leur logement, voire d'en avoir deux. 3.2.1.2 Le numérique peut redonner de l'attractivité aux transports publics et améliorer leur modèle économique Les progrès de la numérisation, qui ont déjà permis le développement du covoiturage, sont générateurs de nouvelles opportunités pour les transports publics : l'information donnée aux voyageurs, dans une perspective d'offre de services de mobilité (MaaS : « mobility as a service ») pourrait en effet permettre d'attirer une clientèle occasionnelle qui était souvent exclue des transports publics du fait des difficultés à trouver de l'information sur les horaires en temps réel, au-delà des prévisions. La combinaison d'offres de transports publics avec celles des nouvelles mobilités (vélos ou engins de déplacements de proximité par exemple) devrait également doper les possibilités de déplacements aisés et propres. Encore faut-il dans un monde agile où les applications les plus utiles viennent du réseau, que les données du transport soient largement ouvertes. Ces nouveautés pourraient ainsi asseoir une nouvelle ère de complémentarité modale, susceptible en améliorant le remplissage de favoriser le modèle économique des transports publics urbains et interurbains. 3.2.1.3 L'intelligence artificielle ne permet pas encore à court terme le développement de véhicules autonomes Dix-sept ans après le challenge de la DARPA 65 qui donna naissance dans un désert californien aux premiers véhicules autonomes, le véhicule totalement autonome n'est toujours pas là. Nul ne peut prédire aujourd'hui ni la date à laquelle des véhicules totalement autonomes pourraient apparaître ni la méthode à utiliser. De manière quasi certaine, on devrait assister au développement de plus en plus important de systèmes d'aide à la conduite : aide au maintien dans la voie (« lane keeper ») ou à la gestion des accélérations et freinages du véhicule (« adaptative cruise control »), prise en charge d'opérations simples (à vitesse réduite) de type valet de parking. Des services de navettes publiques et de robots-taxis sur des itinéraires parfaitement définis ou dans des zones limitées devraient progressivement voir le jour avec des vitesses de plus en plus élevées, sous réserve de leur acceptabilité. Le développement d'un véhicule autonome à un prix raisonnable pour les particuliers reste par contre beaucoup plus incertain. 65 Le défi lancé en novembre 2004 par la DARPA, Defense Advanced Research Projects Agency, de faire rouler un engin autonome dans le désert de Mojave à l'est de Los Angeles est considéré comme le point de départ du développement des véhicules autonomes. Voir notamment https://www.wired.com/story/darpa-grand-challenge-2004-oral-history/ Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 59 3.2.2 Le défi : trouver le bon équilibre de régulation du numérique Le développement du numérique peut améliorer fortement les mobilités et la multimodalité, au prix d'un certain nombre d'inconvénients qu'il faut chercher à encadrer soit en agissant sur le secteur du numérique, soit en agissant sur le transport : la régulation des livraisons pour limiter par le paiement l'accroissement de leur impact environnemental, lié notamment au développement du e-commerce ; le risque de fracture numérique qui conduit à devoir envisager des applications simples et facilement accessibles au public ; la sécurité du covoiturage qui suppose la mise en place de tiers de confiance numérique. À terme, si un développement important des véhicules autonomes pour les particuliers se produisait, pourrait se poser la question de la régulation à mettre en place pour que cette technologie soit réellement au service des territoires et n'engendre pas une forte congestion des centres villes : ce risque dépendra des progrès technologiques réalisés et des performances des véhicules mis en service. Les études menées par le Forum international des transports sur Lisbonne ou d'autres grandes villes ont ainsi montré qu'un déploiement bien encadré de taxis autonomes collectifs pouvait permettre de réduire fortement le nombre de véhicules (de 80 % voire plus dans certains scénarios), et ainsi de diminuer la congestion, les temps de trajet et le nombre de places de stationnement 66. 3.3 - L'aménagement du territoire est un levier à long terme de réduction des émissions de gaz à effet de serre De nouveaux modèles urbains sont possibles : s'ils rencontrent l'adhésion de la population, ce qui est loin d'être gagné aujourd'hui, ils porteront des effets à très long terme. En effet, la pression démographique est très basse en France métropolitaine et de ce fait le tissu urbain évolue très lentement. Si leurs effets sont longs à se traduire, il est d'autant plus indispensable d'amorcer le plus tôt possible ces évolutions si on les considère pertinentes. 3.3.1 Le constat : la politique d'aménagement n'a pas réussi à freiner la périurbanisation et les augmentations d'émissions associées 3.3.1.1 Plusieurs modèles d'urbanisation sont possibles pour satisfaire à la fois les aspirations à la sobriété et l'attente d'espace et de logements abordables Les grandes métropoles mondiales consomment d'autant moins de carburants fossiles par habitant qu'elles sont plus densément peuplées. La différence atteignait un facteur sept entre les villes d'Amérique du nord et les villes d'Asie dans les années 1990. Les enquêtes mobilité montrent également un moindre usage de la voiture et une plus faible distance de déplacement dans les zones urbaines comparées aux couronnes. La convergence des politiques publiques pour réduire les émissions de CO2 pourrait ainsi sembler appeler en matière d'urbanisme et d'aménagement des mesures favorisant la recherche systématique de densité et du renforcement de la métropolisation. La politique ainsi menée en France n'a cependant pas permis de freiner la périurbanisation, car elle n'a pas apporté de réponse au renchérissement de l'immobilier dans les zones denses et donc au développement d'une offre répondant à la demande des ménages (logements abordables et de plus grandes tailles). 66 Urban Mobility System Upgrade. How shared self-driving cars could change city traffic_ http://www.internationaltransportforum.org/Pub/pdf/15CPB_Self-drivingcars.pdf Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 60 Dans le cadre d'un modèle d'économie urbaine qui prend en compte l'aspiration à un logement plus grand et les coûts des déplacements, des émissions de CO2 et du logement, la ville agglomérée dense ne s'impose pas nécessairement pour produire l'optimum socio-économique. Diverses formes sont possibles y compris un centre dense avec une couronne desservie par la voiture 67. La bonne forme urbaine dépend du jeu des valeurs relatives entre les coûts des transports collectifs, de ceux de la voiture, y compris la compensation carbone, et des prix de l'immobilier et du foncier. 3.3.1.2 L'aménagement en Europe du nord peut inspirer une politique à la fois rigoureuse et acceptable L'observation de l'Allemagne, de l'Angleterre et du Danemark, pays plus denses en habitants que la France, permet de constater que ces pays arrivent à mieux préserver leurs espaces naturels et agricoles, à recourir un peu moins à la voiture et parfois plus aux transports collectifs et que la densité de l'habitat reste raisonnable et offre une qualité de vie : le partage modal est un peu moins favorable à la voiture qu'en France et la surface urbanisée par habitant est plus faible. Deux schémas émergent : Le polycentrisme maillé (modèle de Christaller, 1933) comme en Allemagne. Le premier situe les services, les emplois, les divers biens dans une hiérarchie de villes et villages qui équilibre l'offre et la demande pour chacun d'entre eux tout en minimisant les déplacements motorisés des habitants des plus petites unités. En France, cela correspondrait à l'ancien modèle des préfectures et des sous-préfectures (Figure 20). En Allemagne, cela permet en créant la densité suffisante, de pouvoir aller à la gare à pied, d'emprunter des transports collectifs fréquents et sur une large amplitude horaire pour le travail ou les études, et de trouver une offre de commerces et de services satisfaisant les besoins quotidiens. Figure 20 : Schéma de l'implantation des villes du sud du massif central. Source : M.-E. Férérol, 2013. Lecture : Un hexagone représente l'aire desservie (et tributaire) en biens et services par la ville qui occupe son centre. Ainsi un habitant du sud-ouest de Mauriac couvre une partie de ses besoins à Mauriac, puis pour des usages moins fréquents à Decazeville et pour ses besoins plus rares à Aurillac, etc. ce qui minimise ses déplacements. 67 Le type de transport optimal dans chaque zone est celui qui présente le plus faible coût unitaire. Voir rapport thématique aménagement Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 61 Le deuxième modèle, celui de l'urbanisme dit en doigts de gant, est celui que l'on trouve à Copenhague. L'urbanisation s'est développée et est contrainte le long des infrastructures de transport, en particulier le long des lignes de transport collectif. Selon le type d'occupation, une construction n'est possible qu'à une distance maximale des gares d'environ 600 mètres. Cette boîte à outils n'est pas d'utilisation facile en France à deux titres. En premier, notre pays présente une plus faible densité de population que les pays examinés avec des espaces peu chers. L'autre relève d'une culture de l'urbanisme qui a intégré la question de la densité et l'a associée à l'importance de la nature dans les représentations et les pratiques de l'espace habité (l'eau aux Pays-Bas, le rural et le forestier pour l'Allemagne par exemple). L'application de ces modèles à l'espace français requiert un effort plus net pour surmonter les facilités offertes par la faible densité à la dispersion des ressources (habitat principalement). 3.3.2 Le défi : répondre aux besoins résidentiels de façon sobre en mobilité 3.3.2.1 Le renforcement de la trame urbaine de taille intermédiaire et le développement d'une plus forte attractivité résidentielle des centres urbains sont des facteurs décisifs à long terme pour la réduction des besoins de mobilité Ces politiques entraînent outre une réduction des émissions de gaz à effet de serre, des effets favorables sur l'artificialisation des sols et la biodiversité. Leurs effets sont lents et cela justifie des efforts d'anticipation volontaristes. À elle seule la conversion vers la voiture électrique peut se traduire par une simple substitution : il n'y a pas de raison a priori qu'elle ne continue pas à contribuer à la dispersion de l'habitat comme la voiture à moteur thermique a pu le faire par le passé. Cette seule solution technologique ne permet pas d'atteindre la neutralité, ni de répondre aux objectifs de réduction des effets sur l'artificialisation des sols et sur la biodiversité. Le modèle urbain est bien, structurellement, une dimension majeure des évolutions de long terme des mobilités, tout comme il est accompagné ou induit par celles-ci. Conformément à l'esprit général de la démarche, trois ambiances d'aménagement ont été retenues (fil de l'eau, sobre, très sobre) dans le rapport thématique sur l'aménagement du territoire : elles permettent des gains croissants en réduisant le besoin de mobilité mais au prix de contraintes sur l'urbanisme également croissantes. En effet, le transfert progressif des ménages vers des zones plus denses s'opère en particulier par la réduction plus ou moins rapide des constructions dans le périurbain. Des récits sommaires sont proposés pour illustrer les axes de l'aménagement qui leur correspondent, pour préciser la gouvernance nécessaire au succès de leur mise en oeuvre et pour décrire les réactions possibles des acteurs à ces politiques. Ce dernier point est important car la politique de lutte contre la périurbanisation, menée durant les dernières décennies et assez proche de ce qui est envisagé dans ces scénarios, n'a pas eu les résultats escomptés probablement par une mauvaise prise en compte du souhait des ménages en matière de logements abordables et si possible grands. Pour l'aménagement très sobre, il est proposé de ramener l'urbanisation, et la construction neuve, vers les plus gros bourgs et les villes. La ligne directrice serait de privilégier la formation de gros bourgs au-delà de 5 000 à 6 000 habitants au moins à l'horizon 2030-2040 et l'arrêt de toute nouvelle urbanisation dans les communes plus petites, en favorisant les bourgs situés sur une ligne de transport collectif structurant. Cette évolution permettrait de concilier densité et envie d'habiter en recréant des sites pouvant offrir de manière viable une plus large palette de Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 62 services et de commerces, facilitant les déplacements pour le travail et les études avec les transports collectifs, y compris avec un accès à pieds à la gare (ou station), et offrant la proximité de la nature. Même si les SCoT et les PLUi peuvent en être les outils, la gouvernance des intercommunalités actuelle n'est pas adaptée à une telle évolution car elle maintient excessivement des logiques communales étriquées 68. Pour ce scénario le plus ambitieux, la réduction de la mobilité carbonée pourrait être ainsi, en retenant le haut de la fourchette, de 7,5 % en 2050 et 9,8 % en 2060 69. Cet impact modeste d'un meilleur aménagement peut sembler peu significatif. Il résulte de la faiblesse du flux annuel des constructions face au stock de logements. Mais cette politique est aussi nécessaire à la préservation de la biodiversité et à la lutte contre l'artificialisation. À ce titre, on doit souligner évidemment la nécessité d'exploiter au mieux le bâti existant, par des réhabilitations lourdes en remplacement de logements neufs et par la reconversion des friches insérées dans les villes. Cet effet s'amplifie avec les années. Si une telle politique est souhaitée, il est vital de l'engager rapidement et de la maintenir sur le long terme. Les nouvelles générations pourraient être plus sensibles à la lutte contre le réchauffement climatique et l'aménagement peut anticiper sans grand risque ces évolutions. 3.3.2.2 La densification suppose une politique d'offre d'aménités urbaines de qualité Cette densification ne peut être un succès que si elle est plus respectueuse des aspirations des ménages que les anciennes politiques de lutte contre le mitage ou la périurbanisation. Au minimum, les collectivités peuvent se concentrer sur l'offre de services publics, y compris l'offre de transport collectif de grande qualité et donc coûteuse. Les autres activités relèvent plutôt d'une logique de marché, mais le maintien, dans les centres de taille modeste, de prix abordables des logements et la répartition des emplois sur le territoire ne sont pas indépendants des politiques publiques. Garder des habitants dans des villes et gros bourgs plus denses, voire les reconquérir après leur départ dans le périurbain, implique de leur offrir des aménités importantes. L'espace public doit être accueillant en étant spacieux, bien conçu et bien entretenu. La propreté et la sécurité font partie intrinsèque de cette qualité. Les parcs publics végétalisés doivent être multipliés pour redonner un contact avec la nature alors que souvent la minéralité a été privilégiée pour réduire les coûts d'entretien. La bataille de la mobilité se gagne également par la construction d'un réseau de circulations douces. Si l'on veut permettre aux habitants d'aller plutôt à pied ou en bicyclette qu'en voiture, il faut, à côté de transports collectifs attractifs, offrir un maillage continu, et sans rupture (seamless), tant pour les piétons que pour les cyclistes. Laisser plus souvent sa voiture au garage, ou se passer d'en posséder une, suppose d'offrir des transports collectifs plus fréquents. L'équation économique est facilitée si l'on arrive à constituer a minima des gros bourgs denses et à concentrer l'habitat, les bureaux et les équipements publics le long des lignes de transport collectif structurantes, ce qui semble le cas en Allemagne 70. 68 La représentation attachée aux communes au sein des EPCI facilite la constitution de coalition contre des politiques à première vue défavorables à un grand nombre d'entre elles. 69 Dans le cas de l'ambiance peu contrainte, la réduction est plutôt de l'ordre de 1 % 70 Par exemple, la ligne ferrée Kaiserslautern/ Lauterecken-Grumbach, d'environ 35 km, compte 14 arrêts, dessert trois communes fusionnées d'environ 10 000 habitants chacune avec 16 trains par jour aller-et-retour de 5h du matin environ à 20h. En France, la ligne Rennes/Rétiers, d'une longueur équivalente, compte sept gares et dessert deux petites villes (4 500 et 8 500) avec sept TER par jour (plus huit bus directs Janzé puis Rétiers) de 7h30 à 19h30 (et très peu le week-end). Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 63 DES INCERTITUDES MAJEURES Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 64 4 - DES INCERTITUDES MAJEURES 4.1 - Les incertitudes sur le devenir des technologies et sur l'évolution de nos comportements sont majeures 4.1.1 Le constat : les incertitudes sur le développement et la diffusion des technologies ainsi que sur l'évolution des comportements sont majeures Si nous sommes certains que le climat de la planète se transforme de manière très rapide et que, pour se conformer à l'Accord de Paris, l'ensemble des pays de la planète doit aller vers la neutralité carbone dans la deuxième moitié de ce siècle, les incertitudes relatives à la transition que nous allons devoir mener dans le secteur des transports sont considérables : les progrès importants des technologies de motorisation rendent la décarbonation du secteur des transports nettement moins incertaine qu'elle ne l'était il y a quelques années ; toutefois, l'acceptabilité du véhicule électrique et des ruptures d'usage qu'elle entraîne, la disponibilité des matières premières, les technologies nécessaires pour les poids lourds, l'aérien et le maritime constituent des inconnues majeures ; si les technologies d'assistance à la conduite progressent, la date à laquelle des véhicules entièrement autonomes seront disponibles reste extrêmement incertaine ; on peut énoncer de nombreuses pistes de mesures de politiques publiques, mais leur acceptabilité tant qu'elles n'ont pas été étendues à grande échelle reste par nature incertaine : l'abandon de l'écotaxe et de la hausse de la taxe carbone en sont les exemples les plus caractéristiques ; si le dérèglement climatique ne fait pas de doute, l'ampleur de ses conséquences et les valeurs des dommages qu'il pourrait causer restent très incertaines. Les évènements météorologiques exceptionnels observés expliquent l'expression de l'Organisation mondiale de la météorologie, prononcée lors de la présentation de l'état de la planète en octobre 2021 71. La réaction des individus et des collectifs face aux manifestations du changement climatique est tout aussi difficile à prévoir, même si l'augmentation du nombre des réfugiés climatiques est une certitude. 4.1.2 Le défi : piloter dynamiquement les politiques publiques en fonction des évolutions des incertitudes Dans ces conditions, des approches exploratoires détaillées dans le rapport du groupe de travail correspondant ont été menées pour tenter de prendre en compte les incertitudes et les risques dans l'organisation des politiques publiques. 71 "des concentrations atmosphériques de gaz à effet de serre sans précédent et la chaleur cumulée qu'elles induisent ont propulsé la planète sur un terrain inconnu, ce qui a de graves conséquences pour les générations actuelles et futures", (Note de bas de page État du climat en 2021: des phénomènes météorologiques extrêmes et de lourdes conséquences, Communiqués de presse, 31 octobre 2021, https://public.wmo.int/fr/centre-de-presse/press-release Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 65 4.1.2.1 Actualiser régulièrement les politiques et les mesures envisagées Les réductions d'émissions liées à la technologie sont incertaines, si bien que l'ampleur des efforts de sobriété à mener l'est tout autant. Ces politiques devront donc être réévaluées au cours du temps au fur et à mesure que de nouvelles informations seront recherchées et obtenues. Ceci devra donc amener à une révision périodique des politiques publiques (ce qui est déjà le cas de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) ou de la SNBC). On ne peut pas exclure que des mesures de sobriété particulièrement contraignantes soient nécessaires si les nouvelles informations s'avéraient inquiétantes, que ce soit du côté des technologies ou des enjeux en matière d'impact sur l'environnement et le climat. 4.1.2.2 Produire des plans intégrant les effets possibles dans divers scénarios et les actualiser au moins tous les cinq ans À cet effet, afin de ne pas perdre un temps précieux dans la mise en oeuvre des mesures, il est important de produire des plans d'actions contrastés « au cas où » (ou « what if »). Ces plans d'actions, à réviser périodiquement, par exemple tous les cinq ans, pourraient être guidés par des trajectoires de la valeur tutélaire du carbone 72 se situant, de manière plus ou moins importante, au-dessus d'une trajectoire de référence, comme celle du groupe présidé par Alain Quinet menant à 250 /tCO2 en 2030 et 775 /tCO2 en 2050. De manière à pouvoir les mettre en oeuvre rapidement à grande échelle en cas de nécessité, il conviendrait d'en expérimenter la mise en place à plus petite échelle afin de s'assurer de leur faisabilité technique et de leur acceptabilité. Un parangonnage de démarches similaires étrangères peut également être utile dans ce contexte. Ces plans d'actions contrastés devraient également conduire à la mise en place de dispositifs de précaution raisonnables (réservations de terrains pour infrastructures massifiées, dispositions d'urbanisme, renforcement des actions de recherche à long terme). La prévention de deux principaux risques est le coeur de cette logique de plans d'action : réagir trop peu revient à s'exposer à des dommages considérables, amplifiés par les risques liés aux irréversibilités ; mais réagir trop, ou de façon malencontreuse en raison d'informations insuffisantes, c'est risquer des efforts d'évitement se révélant in fine disproportionnés, et difficilement supportables par l'économie nationale. 4.1.2.3 Faire de l'acceptabilité le coeur de la réflexion et non son accessoire Ces plans d'action pourraient utilement intégrer l'ensemble des décisions publiques aux échelles territoriales appropriées, et conduire à des dialogues notamment entre l'État et les autorités organisatrices de la mobilité pour une plus grande réactivité de l'ensemble des pouvoirs publics face aux incertitudes. Au-delà, l'association de la société civile à leur élaboration permettra de les améliorer et devrait être un gage de leur future acceptabilité. 72 La valeur de l'action pour le climat ­ ou valeur tutélaire du carbone ­ représente la valeur que la collectivité doit donner aux actions à entreprendre (changements de comportement, investissements, innovations, etc.) pour réduire les émissions et atteindre l'objectif de neutralité carbone prévu par l'Accord de Paris de 2015 et le Plan Climat français de 2017. https://www.strategie.gouv.fr/actualites/de-laction-climat-cest-quoi Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 66 4.1.2.4 Préparer les échéances lointaines par des jalons crédibles L'incertitude devant l'acceptation d'un levier économique qui peut conduire l'opinion publique à le refuser lorsqu'il prend sa pleine mesure, plaide pour la mise en oeuvre d'une palette de leviers économiques différents (même s'ils se chevauchent parfois), et pour une préparation de leur mise en oeuvre de sorte à ce qu'elle apparaisse comme s'inscrivant dans une « continuité naturelle » : ainsi, l'interdiction de la vente des véhicules thermiques en 2040 pourra être considérée comme allant de soi si, l'année précédente, une grande majorité environ des véhicules neufs vendus n'émettent pas de gaz à effet de serre d'origine fossile. Sinon l'objectif risque d'être repoussé, le moment venu. L'interdiction des ventes de véhicules neuf émetteurs utilisant des carburants d'origine fossile à 2040 est inséparable des normes européennes d'émissions des véhicules neufs qui imposent aux constructeurs une proportion de véhicules n'émettant pas de gaz à effet de serre de plus en plus importante au cours du temps. 4.1.2.5 Approfondir l'application des méthodologies de la décision en avenir incertain Les approches concrètes et explicites de prise en compte des temporalités dans les processus de décision publique sont encore assez rares et la question de la prospective des mobilités semble un champ privilégié pour des réflexions approfondies : certaines des technologies envisageables ne sont pas aujourd'hui matures (faisabilité d'un avion à hydrogène vert ; la disponibilité des biocarburants en quantité suffisante, notamment dans l'aviation ; la faisabilité de la capture du carbone à grande échelle), mais supposent des anticipations fortes ; les coûts sont incertains, les comportements des parties prenantes aux signaux des pouvoirs publics sont peu prévisibles, y compris avec des possibilités de rejets massifs et brutaux (les carburants décarbonés pour le maritime, les solutions décarbonées pour les poids lourds). S'y ajoutent les incertitudes sur le plan des évolutions sociétales vers la sobriété : l'ampleur du télétravail et autres substitutions télécoms, la possibilité de renforcer le covoiturage, qui est aussi liée aux technologies du véhicule autonome, les possibilités de renforcer le report modal à des coûts économiques raisonnables, l'acceptabilité de hausse du prix du carbone, l'acceptabilité d'un système de quotas de carbone si nécessaire. Sont aussi à prendre en compte des risques généraux : il a par exemple a été identifié comme risque majeur l'intensité des dommages liés au dérèglement climatique, lié notamment à la présence ou pas de boucles de rétroaction positives et si oui à partir de quel niveau d'émissions cumulées ou de température, à un moindre degré le risque sur l'intensité des dommages liés à la perte de biodiversité. Le rapport thématique « risques et incertitudes » réunit des éléments de méthodologie, propose des inventaires de risques et la définition d'arbre des décisions, présente des travaux simplifiés, réalisés avec des outils sommaires appliqués au secteur de la mobilité des voyageurs, de mise en oeuvre de calculs d'options réelles et d'autres méthodes (Monte-Carlo, info-gap). Le but est ici d'insister sur la nécessité de développer ces sujets de façon approfondie avec des outils beaucoup plus complets et robustes. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 67 4.2 - Le redoutable défi intermédiaire de la décarbonation à 2030 Dans tous les scénarios de cet exercice, la baisse de l'empreinte carbone « complète » des émissions de GES en 2030 du secteur des transports ne dépasse pas une trentaine de pourcents (pour les transports terrestres en ACV) et reste donc loin de contribuer au prorata de ses émissions à l'objectif de réduction, tous secteurs confondus, de ­ 55 % par rapport à 1990 envisagé par la Commission européenne. Ce résultat s'explique par les délais vraisemblables de la montée en puissance des motorisations décarbonées, qui sont eux-mêmes dépendants de ceux des investissements verts (par exemple des bornes de recharge), de la modification de l'appareil industriel, et de la baisse du coût de revient des véhicules décarbonés. Vient ensuite s'y ajouter l'inertie du parc : la durée de vie des voitures est de plus d'une dizaine d'années, celle des avions ou des navires dépasse régulièrement la vingtaine d'années et atteint même la soixantaine pour certains bateaux si bien que les innovations liées aux véhicules neufs ne se diffusent que lentement. De manière simplifiée, la part des véhicules décarbonés dans le parc automobile en 2030 correspondra globalement à la part des véhicules décarbonés dans la vente des véhicules neufs en 2024. Le décollage constaté récemment des ventes du véhicule électrique constitue, de ce point de vue, un signal faible encourageant : il s'est vendu trois fois plus de véhicules électriques neufs en 2020 qu'en 2019, l'année 2021 a vu une nouvelle accélération notable du déploiement des véhicules électriques et hybrides rechargeables qui représentaient plus de 16 % des ventes sur les huit premiers mois de l'année, et les premiers poids lourds électriques de 26 tonnes font leur apparition sur nos routes. Ce décollage a été impulsé par une règlementation européenne contraignante et des subventions massives. Il serait certainement souhaitable de développer de manière accélérée la conversion électrique des véhicules légers (VL). Cela suppose d'augmenter très rapidement le nombre de bornes de recharges accessibles pour les VL sur route, autoroute et en milieu urbain (y compris dans les copropriétés) et de rendre ces véhicules financièrement accessibles pour une large part de la population. De la même façon, une politique volontariste de déploiement de bornes de recharge pour les poids lourds électriques favoriserait leur développement. Aller au-delà suppose des politiques résolues de sobriété combinant le développement des offres alternatives et des signaux économiques incitatifs : développer le covoiturage et les mobilités actives, renforcer la part modale des transports en commun urbains et du ferroviaire, inciter au télétravail, et mettre en place des taxes élevées sur les carburants, qui seront d'autant plus acceptables que des alternatives crédibles au véhicule thermique auront été mises en place. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 68 CONCLUSION : LE CHEMIN NE VA PAS DE SOI ET IL FAUT LE CONSTRUIRE COLLECTIVEMENT Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 69 5 - CONCLUSION : LE CHEMIN NE VA PAS DE SOI ET IL FAUT LE CONSTRUIRE COLLECTIVEMENT 5.1 - Alimenter un débat public éclairé La transition écologique et énergétique ne pourra être menée à bien que si une majorité de Français en partage les enjeux, les problématiques et l'urgence d'agir. Nombre des parties prenantes considèrent encore aujourd'hui que les progrès technologiques suffiront à eux seuls à résoudre les difficultés du secteur des transports qui pourrait ainsi s'exonérer de la plus difficile question de la sobriété. Le caractère lointain et incertain des projections de long terme peut conduire à considérer ce débat comme prématuré. À défaut d'un illusoire consensus sur les actions retenues, il reste donc d'actualité d'enrichir le débat public par une compréhension commune des termes du débat, aussi bien sur les causes et les conséquences du changement climatique, que sur les moyens et les outils réglementaires et économiques possibles (taxe carbone, marché carbone...) pour le prévenir. Le développement de l'internet qui nous permet d'accéder instantanément à une grande partie des connaissances scientifiques de l'humanité divise plutôt que rassemble : chacun finit en effet par trouver ses informations dans ses propres réseaux sociaux conduisant ainsi à des cultures très éloignées les unes des autres. Trois pistes pourraient nous guider dans ce partage : Mettre les connaissances scientifiques à disposition des décideurs et du public : c'est ce que font le GIEC et l'IPBES tous les six ou sept ans avec leurs rapports scientifiques. Convenons cependant que le résumé pour décideurs du GIEC n'est pas d'une lecture aisée et demande quelques explications. C'est ce que font également parfois les économistes, avec plus de difficultés, compte tenu des positions contrastées inhérentes à cette discipline : le rapport 73 rédigé par une commission rassemblant 26 économistes, français ou étrangers, renommés sous la présidence d'Olivier Blanchard et Jean Tirole a ainsi cherché à éclairer le débat relatif aux trois défis majeurs que constituent le climat, les inégalités et la démographie sur des bases objectives et scientifiques. Créer des lieux de débats, nationaux ou locaux, appropriés : au-delà de la démocratie représentative, des débats ad hoc, s'appuyant sur la connaissance scientifique, permettent d`éclairer la décision. Le Grenelle de l'environnement a ainsi conduit à une première loi adoptée quasiment à l'unanimité. La crise des gilets jaunes montre que le partage des enjeux du climat, de la biodiversité et de l'urgence de l'action est aujourd'hui insuffisant : les conférences de citoyens, la convention citoyenne sur le climat, la mise en place d'assemblées regroupant notamment les élus et les collectivités territoriales, les experts publics, les ONG, les syndicats de salariés, les organisations patronales, bénéficiant des apports de la science et d'un dialogue avec l'exécutif, sont des méthodes possibles. Il y en a certainement d'autres, y compris en local. 73 Les Grands défis économiques, rapport de la Commission internationale présidée par Olivier Blanchard et Jean Tirole, https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/fs-2021-rapport les_grands_defis_economiques-juin_0.pdf Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 70 Évaluer plus systématiquement les politiques de l'État et des collectivités territoriales en recourant notamment à des autorités indépendantes chargées d'évaluer la politique du gouvernement : c'est le rôle du Haut conseil pour le climat 74 et du Climate change Committee 75 au Royaume-Uni (qui a inspiré la création du HCC). À plus court terme, cinq ans après les assises de la Mobilité qui avaient permis de préparer la nouvelle loi d'orientation des mobilités, deux thèmes mériteraient d'être débattus, au plus près des territoires, à la lumière des objectifs de réduction et de la proposition de la Commission de les renforcer à 2030 (en passant d'un objectif européen de réduction à 2030 de - 40 % à - 55 % par rapport à 1990) : celui de la sobriété des déplacements : le présent rapport a montré la nécessité d'agir sur ce levier et en a proposé une définition consistant à réduire le nombre et la longueur des déplacements utilisant des carburants d'origine fossile et à en réduire l'impact en encourageant le report modal et le développement des modes actifs. Ce cadre est-il partagé ? Quels objectifs se donne-t-on ? Peut-on envisager à terme, comme le fait le scénario pari sociétal, des réductions de 20 % de nos déplacements et des transports de marchandises dans un monde où la technologie ne serait pas au rendez-vous ? Comment embrasser l'ensemble des leviers d'action pour initier une tendance favorable ? Légende : Diagramme en cascade des contributions à l'évolution de l'empreinte carbone jusqu'en 2060 pour les 2 scénarios de neutralité (pari technologique et pari sociétal). (Lecture de gauche à droite, en partant de la ligne horizontale d'origine, en additionnant les réductions provenant des variations de la demande de transport, puis en retranchant les effets dus au taux de remplissage et au report modal, et enfin ceux provenant de l'efficacité énergétique et de l'intensité carbone) Source : Prospective 2040-2060, CGEDD-France Stratégie, 2022. 74 75 https://www.hautconseilclimat.fr/ https://www.theccc.org.uk/ Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 71 celui des signaux économiques permettant d'atteindre ces objectifs et des mesures redistributives associées. Ils doivent permettre d'orienter l'ensemble des comportements vers plus de sobriété sans que les dépenses contraintes des premiers déciles n'augmentent. Faut-il envisager une taxe carbone indépendante du niveau de revenus et des mesures de redistribution ou faut-il envisager une taxe progressive ? Faut-il attendre le développement d'un marché d'occasion suffisant du véhicule électrique avant d'envisager une taxation carbone des carburants plus élevée qu'aujourd'hui ? Comment traiter les cas particuliers, tel celui de l'infirmière en milieu rural qui utilise chaque jour son véhicule thermique sur des dizaines de kilomètres ? Ce sont des questions de ce type qui méritent d'être abordées franchement : les réponses qu'elles appellent comportent en effet une part de technicité, mais elles doivent également tenir compte de l'expression des souhaits des usagers ou de leurs représentants afin de construire un chemin collectif. 5.2 - Rendre concrets les termes du débat de la sobriété L'évolution des comportements et des pratiques de vie est une dynamique complexe, hétérogène et intergénérationnelle et un exercice de prospective sectorielle comme celle portant sur les mobilités ne peut en cerner tous les aspects, mais en est largement dépendant. La perception des modes de vie désirables n'est pas une donnée intangible, elle procède de l'éducation, du partage du projet, du récit collectif. Aujourd'hui cette perception est en forte évolution chez une part de la population et sans doute particulièrement chez les plus jeunes, mais elle n'est pas exempte d'incohérences et de contradictions. Chacun a besoin de comprendre les conséquences pour lui-même et ses proches non seulement de l'évolution du climat mais aussi des mesures prises pour ralentir cette évolution. Il souhaite être rassuré sur sa propre capacité à s'inscrire sur la trajectoire que l'avenir lui réserve. Le chemin est d'autant plus aisé que l'on est convaincu que cet avenir est désirable. 5.3 - Bâtir sur les points de convergence les mieux établis Un point semble solidement établi, et ceci est assez récent : les mutations de motorisations sont indispensables et possibles. La mise en place de leviers économiques et réglementaires précoces est indispensable (interdictions de commercialisation de certaines motorisations à des échéances prévues avec dix ou vingt ans d'anticipation, normes européennes d'émissions, ZFE ...) pour parvenir au résultat. Ces leviers seront d'autant plus efficaces qu'ils seront décidés à l'échelle internationale. Ils ne produiront enfin leur effet que si le chemin est jalonné d'étapes intermédiaires et accompagné à chacune de celles-ci et qu'in fine la réalité du marché et des pratiques aura précédé l'entrée en vigueur des mesures d'interdiction. Sans surprise, l'analyse montre tout l'intérêt que les acteurs industriels français et européens soient aidés pour prendre toute leur part à la décarbonation et à l'optimisation des performances par la numérisation et l'automatisation, même s'il est évident que les solutions technologiques ne suffiront pas. L'acceptabilité des mesures, y compris pour cette seule mutation technologique, repose sur les univers de choix (l'accessibilité réelle des alternatives) et sur le sentiment partagé de l'équité de la répartition des efforts, tant au sein de la société française que quand elle se compare aux autres pays. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 72 5.4 - Des ressorts profonds de la conception de la société sont en jeu La promesse généralisée et démocratique de la mobilité individuelle libératrice par la voiture a constitué pendant près d'un demi-siècle un élément de projet collectif sans doute socialement assez fédérateur. Désormais des options assez fortement différenciées, assez complexes et non dénuées de contraintes, lui succèdent : il ne faut pas s'étonner que la société approche cette mutation possible de son projet social avec des entrées très contrastées et que les oppositions s'exacerbent volontiers à chaque difficulté du chemin. Les points de vue divergent aujourd'hui sur le degré de contrainte qui s'opérera in fine sur les mobilités des personnes et des marchandises et c'est bien l'objet du présent travail que d'éclairer cette question. Certains espèrent que les progrès technologiques mettront à portée de tous un champ de possibilités similaire à la situation actuelle, en oubliant parfois que celle-ci est le résultat ellemême d'une très forte évolution en croissance. Le scénario « pari sociétal » suppose le recours à des réductions notables de la mobilité, pour atteindre la neutralité carbone « complète » ainsi que d'autres objectifs environnementaux. Certains considèrent que, dès lors qu'ils seraient significativement contraignants, ces objectifs environnementaux seraient inacceptables et combattent toute mesure allant dans ce sens en espérant que le temps ouvrira des innovations qui viendront résoudre les contradictions actuelles. D'autres considèrent que cette réduction correspond à de nouveaux modes de vie somme toute aussi, voire plus, désirables que les modes de vie actuels. Ils sont confiants qu'une large part de la population y adhérera progressivement. Ils craignent souvent que l'imposition précoce de contraintes fortes génère plus d'incompréhension et de tensions que de résultats, voire de reculs difficiles ensuite à reconquérir. Ils préfèrent une dynamique imparfaite mais en progrès continu à un processus générant des crises. D'autres enfin considèrent au contraire que l'évolution drastique des comportements est indispensable, mais ne sera en rien spontanée : la discipline collective pouvant aller, pour des raisons d'équité jusqu'à des logiques de rationnement, est pour eux indispensable. Ils défendent que ces mesures doivent être prises le plus tôt possible car l'urgence climatique s'impose et que la rigueur des mesures est un signal indispensable pour que chacun comprenne l'importance des mutations nécessaires. L'objet d'une prospective n'est pas de construire de tels nouveaux récits collectifs, ni de porter un jugement sur ces diverses postures. Les contrastes entre les narratifs attachés aux divers scénarios étudiés reflètent qu'une évidence collective est loin d'être établie. C'est pourquoi il n'aurait pas été suffisant de raisonner par un simple backcasting qui, ayant défini un futur désirable unique, ne s'intéresserait qu'à décrire la trajectoire théorique permettant d'y parvenir sans se préoccuper de son acceptabilité ni être lucide sur les options qui peuvent conduire à ne pas y répondre. La question des chemins empruntés par la société est ainsi plus délicate que celle du point d'atterrissage à long terme, question par ailleurs partiellement insoluble en raison des incertitudes. Cette prospective essaye d'apporter une première approche, très modeste, de cette nécessaire analyse de l'arbre des décisions des acteurs publics. Cette matière est assez nouvelle et de nombreux progrès sont nécessaires. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 73 Annexes Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 74 Annexe 1 - Participants à la démarche Comité de pilotage La démarche de prospective a été organisée par un comité de pilotage réunissant le CGEDD et France Stratégie ainsi que les animateurs des groupes thématiques : Dominique Auverlot, Nadine Asconchilo, Francis Beaucire, Régine Bréhier, Geoffroy Caude, Jean Colard, Yves Crozet, Pascal Hornung, Michel Massoni, Jincheng Ni, Bérengère Mesqui, PierreAlain Roche, Alain Sauvant et Michel Savy. Relecture et consultations Plusieurs membres du CGEDD ont accepté de relire et commenter tout ou partie des documents : Philippe Ayoun, Jean-Christophe Baudouin, Bruno Depresle, Pascal Douard, Sandrine Godfroid, Denis Huneau, Patrick Lambert, Bernard Larrouturou, Marianne Leblanc Laugier, Philippe Ledenvic, Sylvie Mathon, Michel Pinet, Michel Rostagnat, Arnaud Zimmerman. La mise en forme et la parution de ces rapports n'auraient pas été possibles sans le travail de Lucinda Dinis da Silva et de Marie Andre-Verhaeghe, les assistantes de la section Mobilité Transport du CGEDD ainsi que celui de la cellule de communication du CGEDD. Par ailleurs ont été consultés avant publication du rapport : La formation transports de la commission de l'économie du développement des comptes de l'environnement L'Union des ports de France et France Logistique pour les volets marchandises L'ensemble des participants aux séminaires transversaux réunis tout au long du chantier dans des séances plénières Intervenants extérieurs ayant présenté des exposés à l'occasion des séances plénières Lors des séances plénières, le comité de pilotage a demandé à différents experts d'éclairer divers aspects essentiels à la démarche ou de présenter des travaux récents (ne sont pas repris ici les nombreux exposés faits lors des séances d'atelier qui figurent dans les rapports thématiques) : Exposé de Thomas Earl de Transport et environnement sur « how to decarbonize transport » et de Luis Martinez et Mallaury Trouvé du FIT sur Outlook 2019 Exposé sur la mobilité en Chine en 2050 par Jincheng Ni de France stratégie et Hervé de Tréglodé consultant Exposé contextuel sur l'évolution du comportement des Français, et en particulier des plus jeunes, à l'égard du développement durable par Sandra Hoibian du CREDOC Intervention de Hérald Ruijters Commission européenne sur la Stratégie de mobilité durable et intelligente de la Commission européenne Exposé d'Alain Petitjean du groupe ALPHA sur le télétravail. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 75 Groupe plénier Le groupe plénier réunit l'ensemble des participants aux ateliers. Il s'est réuni neuf fois au cours de la démarche, la plupart du temps en visio-conférence. ROCHE SAUVANT AYOUN ASCONCHILO CAUDE HUNEAU AUVERLOT NATAF BANOUN LEDENVIC MASSONI MENAGER TORDJMAN CARON LE DALL HORNUNG BREHIER FULDA VIORA CORREZE-LÉNÉE ROSTAGNAT LAMALLE DOUARD BERNARD-GELY LAMBERT CASTEL BAUDOUIN PONCET TAILLÉ-ROUSSEAU DEPRESLE LECONTE ZIMMERMANN BARBUSSE TEYSSIER COLARD NI MESQUI MEILHAN DEGREMONT POCHEZ DELACHE PHILIPPE BOULNOIS PENGCASAVECCHIA Pierre-Alain Alain Philippe Nadine Geoffroy Denis Dominique Jean-Michel Sylvie Philippe Michel Thierry Florence Philippe Jean Pascal Régine Bruno Mireille Patricia Michel Michel Pascal Anne Patrick Florence Jean-Christophe Jean-Damien Jérôme Bruno Manuel Arnaud Alexandre Julien Jean Jincheng Bérangère Nicolas Marie Rémi Xavier Hervé Olivier Sophie CGEDD/MT CGEDD CGEDD/MT CGEDD/MT CGEDD/MT CGEDD/MT CGEDD/MT CGEDD CGEDD CGEDD CGEDD/MT MIGT Bordeaux CGEDD CGEDD CGEDD CGEDD/MT CGEDD/MT CGEDD CGEDD CGEDD CGEDD CGEDD/MT CGEDD CGEDD CGEDD/MT CGEDD/MT CGEDD/MT CGEDD/BEA-TT CGEDD/MT CGEDD CGEDD/MT CGEDD/MT CGEDD/AQST CGEDD/AQST France Stratégie France Stratégie France Stratégie France Stratégie France Stratégie DGITM DGITM DGITM DGITM DGITM DOLCEMASCOLO SAUMTALLY DIVOL MOULINIER TREVIEN MEUNIER BESSIÈRE GEFFRET MARIGOT JACOD MOTAMEDI KOLLI JULIEN PREVOST BUREAU ROUCHAUD GRIMAL VERRY CHANUT CLEMENT PELATA FARENC DE SOLÈRE COTTET CABANNE HAJJAR BORMAND PRÉVORS TRÉMÉAC BIGO BARBUSSE MADRE KOVARIK COMBES DABLANC KONING FRÉMONT LATERRASSE GALLEZ TRIGUI GUITTET TAMBIDORE LEPOUTRE CRÉMEL TARRIER Victor Tibye Elois Jean-Marc Corentin David Sabine Pierre Sokorn Anne Kiarash Zehir Arantxa Thibault Dominique Didier Richard Damien Stéphane Cécile Julie Jean-Matthieu Hélène Marion Isabelle Joseph Victor Lionel Yann Aurélien Stéphane Jean-Loup Jean-Bernard François Laetitia Martin Antoine Jean Caroline Rochdi Kévin Ilangovane Julien Stéphane Franck DGITM DGITM DGITM CGDD CGDD CGDD CGDD CGDD CGDD CGDD CGDD CGDD CGDD CGDD CGDD CGDD CEREMA CEREMA CEREMA CEREMA CEREMA CEREMA CEREMA CEREMA DGEC DGEC DGEC DGEC ADEME ADEME ADEME IFSTTAR IFSTTAR IFSTTAR IFSTTAR IFSTTAR IFSTTAR IFSTTAR IFSTTAR IFSTTAR DGAC DGAC DGAC Bercy Bercy Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 76 BETRY MARTIN ALCAYNA LEHMANN PINART LAVERGNE BOURDON SAVY BOUTUEIL QUINET CROZET RAUX LEURENT PASSALACQ KAUFMANN ORTAR TOILIER GARDRAT DESJARDINS MAULAT DE PALMA GALIANO ROUX NGUYEN-LUONG WAGNER COULY DUBOIS-TAINE ORFEUIL BEAUCIRE BACOT LEUXE Emmanuel Simon Simon Frédéric Marie-Gaëlle Richard Tom Michel Virginie Émile Yves Charles Fabien Arnaud Vincent Nathalie Florence Mathieu Xavier Juliette André Lino Sébastien Dany Nicolas Fabien Olivier-Paul Jean-Pierre Francis Marie-Anne André Bercy Bercy Bercy Bercy Bercy Bercy Bercy ENPC ENPC ENPC LAET CNRS LYON ENPC UA EPFL ENTPE ENTPE ENTPE Université Sorbonne Université Paris 1 Expert INSEE INSEE IAURIF ART ART Expert Expert Expert Experte Expert DE TRÉGLODÉ HAUET LEGO NARRING BRETEAU DAUDE HANEN BOULAND BRUNEL GERI COLARD THERON PENFORMIS VAN CORNEVAL DURON KALAYDJIAN BOUTER SABATIER TERNEL COLDEFY GOUBET BERETTA LE BIGOT LAGARDE LE NAIRE MASERA MEYER MORTUREUX GIRARD TORCHEUX DASSA Hervé Jean-Pierre Léna Pierre Vincent Caroline Fanny Anne Julien Philippe Jean Lucas Nathalie Pierre Philippe François Anne Jérôme Cyprien Jean Cécile Joseph Nicolas Dominique Marie-Laure Régis Jonas Marc Catherine Laurent François Expert Expert Experte Expert CL CL SNCF SNCF SNCF SNCF SNCF SNCF VEDECOM TDIE TDIE IFPEN IFPEN IFPEN IFPEN ATEC AVERE AVERE CCFA ENEDIS RENAULT ARVAL ENEDIS PFA AUTO RENAULT EDF EDF Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 77 Annexe 2 - Les scénarios étudiés Cette annexe décrit les caractéristiques principales des scénarios : le lecteur intéressé trouvera plus de détails dans le rapport transversal ; il trouvera également une déclinaison de ces avenirs possibles dans l'annexe du rapport transversal relative aux tranches de vie mobile dans une trajectoire menant à la neutralité carbone. Légende : Contributions à l'évolution de l'empreinte carbone des mobilités des voyageurs terrestres, selon les scénarios. Le rectangle bleuté représente la plage de variation obtenue pour chacun des facteurs dans les différents scénarios, hormis les valeurs très différentes du scénario du pire climatique. Source : Prospective 2040-2060, CGEDD-France Stratégie, 2022. Le scénario « ambition de base » Le scénario « ambition de base » s'appuie sur les décisions déjà prises, les prolonge et les amplifie en s'inscrivant ainsi dans la continuité des politiques actuelles 76 : il ne s'agit pas d'un scénario central ou de référence au sens classique du terme. Il suppose en effet que dans le prolongement de l'ambition envisagée aujourd'hui, les gouvernements successifs et la société dans son ensemble adoptent de nouvelles mesures, conformément aux objectifs de la loi d'orientation sur les mobilités et de la loi climat et résilience : Neutralité carbone directe (hors ACV) des transports terrestres dès 2050. 76 C'est d'ailleurs ce qui a été réalisé pour la SNBC avec les mesures supplémentaires (AMS) Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 78 Interdiction de la vente de voitures utilisant des énergies fossiles carbonées d'ici 2040 (ce qui peut conduire à recourir à l'électricité à batteries ou à hydrogène, au biogaz, aux biocarburants, à l'hybride avec biogaz ou biocarburants). Fin de la vente des poids lourds neufs utilisant majoritairement des énergies fossiles en 2040, la nette progression de la disponibilité des biocarburants durables et des e-fuels pour l'aérien. Instauration des ZFE (zones à faibles émissions) conduisant à la suppression des véhicules Crit'Air3, donc des diesels sans filtres à particules, dans toutes les agglomérations de plus de 150 000 habitants en 2030 et à des interdictions de circulation de l'ensemble des diesels (VP ou VUL) dans certaines agglomérations à plus court terme (2024 par exemple pour la ZFE du Grand Paris). Adoption par l'OACI d'un objectif de réduction de 50 % des émissions de CO2 du transport aérien à l'horizon 2050 (malgré l'augmentation du trafic). Apparition vers 2035-2040 des premiers avions neutres en carbone à l'émission. Réduction d'au moins 50 % des émissions maritimes mondiales par rapport à 2008. Dans le domaine de la sobriété, il prend en compte un renforcement modéré des politiques publiques actuelles. Le scénario comporte ainsi : Une massification des transports de voyageurs, grâce au développement des transports ferroviaires et collectifs lourds (BHNS, métro, RER, tramway, tram-trains), articulé avec des services de véhicules partagés. Ces services partagés font l'objet d'incitations, par exemple des accès à des couloirs réservés dès lors que les vitesses des bus ne sont pas impactées, ou à des stationnements prioritaires. Les politiques menées sont calibrées en fonction des densités des zones concernées, avec des taux de partage des véhicules plus élevés dans les zones les plus denses, avec une moyenne toutes zones de hausse de ce taux de 15 % (par exemple passage de 1,4 personnes par voiture à 1,6). Le trafic des TCU lourds et du ferroviaire urbain pourrait augmenter de l'ordre de 33 %. S'y ajoute un renforcement des infrastructures pour les modes actifs et doux, par des continuités d'itinéraires et le traitement de points durs non encore équipés, ce qui permet l'augmentation de leurs parts modales qui atteignent des chiffres comparables à ceux de nos principaux voisins, comme par exemple l'Allemagne 77, où la part modale atteint environ 12 % contre 3 % environ en France. Dans la continuité des nouvelles habitudes de mobilité prises lors de la crise sanitaire, un mix de télétravail et de travail en présentiel est encouragé lorsqu'il est possible, pouvant aller jusqu'à deux jours sur cinq à distance en moyenne pour 30 % de la population. Une partie des déplacements longue distance pour motif professionnel (jusqu'à 30 % de ceux-ci) fait l'objet d'une substitution par des moyens de télécommunications. Compte tenu de la sensibilité de la population aux prix des carburants, le signal prix carbone n'est pas explicitement traduit dans l'économie : la contribution climat énergie de la TICPE subsiste à son niveau actuel dans un premier temps. Le deuxième marché mis en place sous l'impulsion de la Commission européenne pourrait cependant conduire dans le temps à une augmentation modérée de la contribution climat énergie qui atteindrait ainsi 113 /tCO2 en 2040 et 250 /tCO2 en 2060 (au lieu de 2030). 77 Voir par exemple : https://www.fub.fr/velo-ville/villes-qui-aiment-velo/villes-qui-aiment-velo-france-etranger Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 79 Le scénario « poussée technologique » Ce scénario est marqué par un très net renforcement du développement technologique dans une dynamique forte dans le sillage des États-Unis et de la Chine, dans une ambiance tirée par la compétition internationale et le marché mondial plus que par la coopération. Ce scénario est optimiste quant aux résultats des innovations aujourd'hui envisagées, et suppose le déploiement de technologies qui restent à mettre au point en particulier dans les secteurs aérien et maritime. Il suppose la disponibilité des ressources naturelles nécessaires pour y parvenir (terres rares, etc.). La neutralité carbone directe est atteinte pour les nouveaux avions à partir de 2040 et pour l'ensemble de la flotte aérienne (correspondant à l'utilisation de l'électricité, de l'hydrogène et des biocarburants durables suivant les segments, hors empreinte des véhicules et des infrastructures) en 2060. Dans le domaine routier, les premiers PL neutres en carbone font leur apparition dans la décennie 2020-2030 si bien que les poids lourds neufs sont neutres à l'émission à partir de 2040 (conformément à la loi de lutte contre le dérèglement climatique) et la neutralité carbone « directe » (hors empreinte) des VP et des PL est obtenue en 2050 ; un basculement vers les véhicules professionnels neutres en carbone est constaté dès 2030 ; le sourcing le plus décarboné possible des matériaux pour les véhicules (batteries, caisse...) ainsi que leur recyclage ou leur réutilisation dans une deuxième vie après la mobilité deviennent la règle générale notamment au-delà de 2040 ; la disponibilité de biocarburants avancés et de carburants de synthèse décarbonés à destination principalement de l'aérien est assurée grâce à une bonne mobilisation de l'appareil industriel et à une répercussion des coûts sur les voyageurs. Dans cette ambiance de diffusion du progrès technologique, le coût des technologies bas carbone baisse rapidement et les coûts d'évitement des GES par les technologies sont plutôt faibles : dans l'automobile par exemple, le véhicule électrique devient ainsi moins cher que son équivalent thermique vers 2025 78 et il en est de même pour les poids lourds vers 2030 ; des dispositifs de capture et stockage du carbone se généralisent à partir de 2030 dans l'industrie et dans le maritime, mais pas pour les poids lourds malgré l'offre commerciale de certaines entreprises 79. Afin de permettre l'évolution rapide des technologies, le signal prix carbone est explicitement traduit dans l'économie sous forme d'une palette d'outils différents (normes, marchés, taxes, bonus/malus ...) : la trajectoire implicite de la valeur du carbone augmente à un rythme supérieur à celui préconisé par la Commission Quinet dans le cadre des travaux menés pour France Stratégie 80, en raison de la volonté d'atteindre, dans le domaine des transports, une neutralité carbone de l'empreinte de la France, autrement dit une neutralité carbone tenant compte des émissions à l'amont du cycle pétrolier et de celles produites pour la fabrication des biens importés (et exportés). Néanmoins, afin de tenir compte de la sensibilité de l'opinion au prix du carburant, le volet contribution climat énergie de la TICPE n'augmente que de façon modérée à travers la mise en place d'un signal prix carbone européen conformément à la proposition de 78 Même si ce résultat est discutable, Volkswagen annonce que le TCO de ses véhicules électriques est déjà moins élevé que celui des véhicules thermiques équivalents. Voir notamment : https://www.automobile-propre.com/comparatif-chezvolkswagen-lelectrique-serait-moins-cher-que-le-thermique/ 79 Transport technologies : Mobile Carbon Capture, Saudi Aramco, https://www.aramco.com/en/creating-value/technologydevelopment/transport-technologies/mobile-carbon-capture# 80 Correspondant à 250 /tCO2e, et environ 500 et 750 /tCO2e : il s'agit d'euros courants 2019 (autrement dits d'une valeur courante sans tenir compte de l'inflation à partir de 2019) https://www.strategie.gouv.fr/publications/de-laction-climat Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 80 la Commission de juillet 2021 81 et atteint ainsi 113 /tCO2 en 2040 et 250 /tCO2 en 2060 (au lieu de 2030), tandis que les normes de décarbonation de la construction des véhicules et leurs batteries sont renforcées pour se rapprocher de la neutralité carbone. L'Union européenne impose un pourcentage obligatoire de biocarburants de plus en plus élevé 82 au cours du temps pour les vols au départ des aéroports européens. Une taxe carbone est instaurée sous forme de mécanisme d'ajustement carbone à la frontière conformément à la proposition de la Commission européenne de juillet 2021. Le scénario « poussée de sobriété » Ce scénario est marqué, sans plus de performance technologique que le scénario de l'ambition de base par un renforcement des politiques de sobriété. Ainsi, du télétravail et des télé-activités, en s'appuyant sur le progrès des télécommunications, sont recherchés : à 2060, 50 % des actifs télétravaillent en moyenne trois jours par semaine, avec un effet rebond restant à 50 % 83. Le niveau de la taxe carbone est également renforcé pour aller vers 500 /tCO2 en 2060 (y compris en aérien). Les politiques de développement des modes ferroviaires et de TCU lourds sont accélérées, en conjonction avec un renforcement du covoiturage. Les taux de remplissage moyens sont modulés en fonction de la densité des zones. L'encouragement des modes actifs et doux est davantage renforcé. À cet effet, des mesures de partage de voirie sont prises, augmentant l'allocation de l'espace en faveur des TC, du covoiturage et des pistes cyclables, au détriment de la voiture à une seule personne, et du stationnement. Sous réserve d'un bilan carbone positif en analyse en cycle de vie, davantage de nouvelles infrastructures de transport collectif lourdes sont construites en ville et sur les grands axes interurbains. Les interfaces intermodales sont développées, notamment les parkings relais autour des grands axes de transports collectifs lourds. Ceci résulte notamment du choix d'une valeur du carbone plus élevée, qui a pour conséquence une augmentation des emports moyens et un plus grand recours aux transports collectifs. Pour les marchandises, l'accès à la voirie ou au stationnement peut être rendu plus rare, notamment dans les cas de remplissages faibles des véhicules. Les capacités des noeuds ferroviaires sont renforcées, et des améliorations voire construction de lignes nouvelles fret ou mixtes sont renforcées, sous réserve de bilan carbone favorable en cycle de vie. L'étalement urbain est davantage limité. Le scénario hyper contraint Ce scénario illustre les risques d'échec si les progrès technologiques envisagés dans le scénario d'ambition de base ne sont pas au rendez-vous. Il se place dans l'hypothèse où la société cherche à minimiser néanmoins l'empreinte carbone, sans y parvenir toutefois, par des mesures de sobriété seules. 81 Dans le cadre du paquet fit for 55, la Commission a proposé la mise en place à partir de 2027 d'un deuxième marché de quotas d'émissions de gaz à effet de serre portant sur le transport et le chauffage et s`appliquant aux importateurs d'hydrocarbures. 82 Sachant qu'il n'existe pas de limite technique supérieure au taux d'incorporation. 83 L'effet rebond est à comprendre comme le ratio entre les voy-km supplémentaires effectués par le télétravailleur (à court terme du fait du temps disponible additionnel, et à long terme du fait de sa potentielle relocalisation plus éloignée) par rapport à ceux qu'il économise du fait de ses déplacements éludés vers le travail. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 81 Une transition énergétique mal préparée et/ou trop rapide, une volonté de développer toutes les technologies en même temps ou, à l'inverse, d'en privilégier une qui ne sera finalement pas retenue au niveau international peuvent en effet conduire à des coûts économiques trop importants pour l'industrie, pour les ménages ou pour les dépenses publiques. En l'absence de technologies bas carbone efficaces, les contraintes sont telles que même des mesures fortes de politique redistributive ne suffisent pas et se traduisent par des dépenses élevées et une aggravation des inégalités sociales. Dans ce scénario le gouvernement impose des mesures de plus en plus drastiques (et de plus en plus mal acceptées par la population), ce qui entraîne la fermeture ou la délocalisation d'une partie de l'appareil industriel, une forte augmentation des importations et un ralentissement marqué de la croissance économique. Ce scénario aboutit vraisemblablement à des conflits sociaux et/ou à une crise qui ne permet plus de poursuivre la transition vers la neutralité carbone. Le scénario du pire climatique Ce scénario constitue une deuxième illustration des risques d'échec dans l'atteinte des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Il est marqué par l'absence de développement de nouvelles technologies bas carbone, par une faible diffusion du progrès technologique liée à la défiance de la population à l'égard de la technologie et par un délitement progressif de l'Accord de Paris. Les mesures de régulation nécessaires à la lutte contre le réchauffement climatique ne sont pas acceptées par la population et ne sont donc mises en oeuvre que de manière extrêmement modérée, ce qui en limite fortement l'efficacité. Dans ce scénario, les ventes de véhicules neufs décarbonés ne représentent que 30 % des véhicules neufs à 2040, le marché de l'occasion des véhicules électriques ne se développe que lentement, l'incorporation de biocarburants durables reste faible, voisin de 5 % à 10 % dans l'aérien à 2040, tandis que le maritime n'adopte pas de carburants neutres en carbone. L'autosolisme perdure et les reports modaux en faveur de la voiture constatés pendant la crise sanitaire se prolongent. Aucune régulation d'usage n'est mise en place à l'arrivée des véhicules autonomes terrestres ou des drones. Il en découle une baisse du taux d'emport moyen des voitures ainsi qu'un développement de la circulation de véhicules vides pour assurer les repositionnements. Globalement, tant en voyageurs qu'en marchandises, le nombre de circulations pourrait doubler de ce fait. Le scénario « pari technologique » Ce scénario repose sur un développement optimiste de la technologie équivalent au scénario poussée de technologie mais aussi sur des actions renforcées de sobriété. Une taxe carbone et/ou des dispositifs quantitatifs de contingentement du carbone émis sont mis en place dans l'ensemble des modes, notamment routier et aérien, (voyageurs et marchandises) à un niveau suffisant pour atteindre la neutralité des mobilités. Comme dans le scénario « poussée technologique », le progrès technologique est favorisé par un très net renforcement de la coopération mondiale dans la lutte contre le changement climatique propice à la mise au point de nouvelles technologies bas carbone et la diffusion rapide du progrès technologique ainsi qu'à l'adoption au niveau mondial d'objectifs ambitieux globaux, mais aussi sectoriels pour l'aviation et le maritime. Dans le domaine des véhicules terrestres, les progrès technologiques conduisent à une fabrication largement décarbonée des véhicules, y compris des batteries pour les véhicules électriques au-delà de 2040. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 82 Du point de vue des politiques de sobriété, il est supposé quelques éléments au-delà des politiques figurant dans le scénario de « poussée de sobriété ». Pour les voyageurs terrestres, la politique est identique à celle du scénario de « poussée de sobriété ». Pour les marchandises, il est visé une réduction de 5 % en 2060 des tonnes-kilomètres au moyen de contrats verts incitatifs. Dans le mode aérien, les voyageurs réduisent également leur nombre de voyages et/ou leurs portées d'environ un cinquième (22 %) sous l'effet de mesures comme par exemple la modération voire l'interdiction de la publicité et le renforcement de l'information sur les dommages. Le marché ETS est étendu au maritime international (avec la participation de la Chine et des États-Unis), le signal prix carbone résultant du dispositif Corsia se rapproche des prix de l'ETS. L'OMI adopte ainsi un objectif de neutralité carbone pour les nouveaux navires de la flotte mondiale à partir de 2030 et de neutralité carbone à 2050. L'OACI adopte en 2022 des objectifs similaires pour les nouveaux avions à partir de 2040 et de neutralité carbone directe pour l'ensemble de la flotte aérienne (correspondant à l'utilisation de l'électricité, de l'hydrogène et des biocarburants durables suivant les segments) pour 2060, hors empreinte des véhicules et des infrastructures, résultat qui est atteint grâce à un recours massif à des énergies décarbonées mais aussi à une compensation par des procédés d'émissions négatives, certifiés sur le plan international. Des surcoûts significatifs sur les voyages aériens en découlent, notamment en long courrier. Au-delà de mécanismes de solidarité généraux qui devraient alors être renforcés, des mécanismes de financement particuliers devraient être mis en oeuvre à l'égard des personnes habitant les départements et territoires d'Outre-Mer pour permettre leurs déplacements depuis ou jusque le territoire métropolitain. Le scénario « pari sociétal » Si les progrès technologiques sont ceux du « scénario ambition de base », par exemple l'électrification du parc VL mais sans allongement de durée de vie des batteries ou production décarbonée de ces dernières, les mesures de sobriété à envisager pour atteindre la neutralité en empreinte sont beaucoup plus importantes (politique dite ultra forte) encore. 50 % de la population active télétravaille trois jours par semaine, avec 25 % d'effet rebond seulement 84. Le remplissage des véhicules est porté à plus de 3,3 personnes en moyenne (contre 1,4 actuellement) et le stationnement est fortement contraint, il y a 33 % d'usage des transports en commun dans les grandes agglomérations (au lieu de 19 % actuellement). Les grands axes routiers urbains sont reconfigurés avec une voie bus, une voie covoiturage, une piste cyclable continue et un trottoir élargi. Le vélo représente 14 % des voyageurs-km dans les grandes agglomérations. Les investissements TCU lourds iraient bien au-delà de capacité (par exemple des voies supplémentaires, un système de signalisation plus performant permettant le passage de trains supplémentaires...) et incluraient des lignes nouvelles (train, métro, tram, BHNS...). L'extension urbaine serait quasiment gelée, avec toutefois un peu de construction neuve dans les zones près des gares et stations de TCU lourds, ainsi que la facilitation des correspondances intermodales entre les TCU et le covoiturage en parcours terminal. 84 L'effet rebond est à comprendre comme le ratio entre les voy-km supplémentaires effectués par le télétravailleur (à court terme du fait du temps disponible additionnel, et à long terme du fait de sa potentielle relocalisation plus éloignée) par rapport à ceux qu'il économise du fait de ses déplacements éludés vers le travail. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 83 Ces mesures de partage de voirie et d'investissement TCU ne suffisent toutefois pas, et ne contribuent pas à la sobriété des mobilités en dehors des espaces centraux. Une hausse de taxe carbone au-delà de 500 /tCO2 au niveau requis pour atteindre la neutralité des mobilités poserait des problèmes ingérables de redistribution compte tenu de l'hétérogénéité des situations. De ce fait, une carte carbone destinée à limiter les émissions des hypermobiles serait alors envisagée pour ramener la part des personnes qui émettent 80 % des GES à un peu plus de 60 % seulement. 50 % des voyages aériens à motif professionnel sont substitués par des visio-conférences ou des audio-conférences et la demande globale est réduite au moyen d'une carte carbone, ramenant la part des personnes qui émettent 80 % des GES de ce secteur à 30 % seulement. La capacité des aéroports est gelée, les investissements se limitent au renouvellement et à la qualité de service ; du fait de la baisse de demande, une partie de la capacité aéroportuaire est reconvertie à d'autres usages. En marchandises, une réduction complémentaire de 35 % (à la politique de poussée de sobriété) des tonnes-km est obtenue par des politiques de limitation quantitatives. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 84 Annexe 3 - Les principaux indicateurs de synthèse des scénarios DÉPLACEMENTS TERRESTRES DE VOYAGEURS À 2040 ET 2060 Tableau 8 : Indicateurs de synthèse des scénarios pour les déplacements terrestres de voyageurs Voyageurs terrestres 2040 2060 (Indicatif) Circulations routières G veh-km routiers Motorisation en ACV (gCO2/veh-km routier) Part des Modes doux en voy-km 4,0% 4,0% 5,7% 5,7% 5,7% 5,7% 6,7% 7,3% 4,0% 9,0% 9,0% 12,0% 12,0% 12,0% 14,0% 85 Remplissage VP dans les grandes agglos 1,40 1,05 1,66 1,66 1,70 1,62 1,70 1,89 0,70 2,30 2,30 2,44 2,18 2,44 3,30 Massification et report modal (Voykm tous modes/vehkm routiers) Demande G voy-km tous modes terrestres Part des TCU lourds dans les grandes agglos en voy-km 19% 14% 21% 21% 22% 21% 22% 23% 8% 26% 26% 27% 25% 27% 33% GES ACV MtCO2eq 114 940 476 1,98 2040 Scénarios de forecasting Pire climatique Ambition de base Poussée de technologie Poussée de sobriété Hypercontraint Scénarios de backcasting Pari technologique Pari sociétal 1102 979 511 431 2,16 2,27 2060 Scénarios de forecasting Pire climatique Ambition de base Poussée de technologie Poussée de sobriété Hypercontraint Scénarios de backcasting Pari technologique Pari sociétal 1362 979 524 314 2,60 3,12 32 63 17 20 1454 1362 1377 1331 1254 1451 541 547 512 512 1,00 2,52 2,52 2,60 2,45 145 63 32 63 145 211 34 17 32 74 96 142 49 61 1192 1124 1133 1079 1055 799 527 531 500 500 1,49 2,13 2,13 2,16 2,11 190 142 96 142 190 151 75 51 71 95 254 121 Scénarios 1990 2017 NB : les données de l'année 2017 correspondent aux données des Comptes des transports de la Nation 85. 85 Les comptes des transports en 2018 - 56ème rapport de la Commission des comptes transports de la Nation devenue en 2021 la formation transport de la Commission de l'Économie du Développement Durable) : https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/les-comptes-des-transports-en-2018-56e-rapport-de-lacommission-des-comptes-des-transports-de-la Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 DÉPLACEMENTS EN AVION DE VOYAGEURS (Y COMPRIS À L'INTERNATIONAL) À 2040 ET 2060 Tableau 9 : Indicateurs de synthèse pour les déplacements en avion (y compris à l'international) Voyageurs aériens 2040 2060 Scénarios Valeurs 1990 Valeurs 2017 376 Valeurs 2040 Scénarios de forecasting Pire climatique Ambition de base Poussée de technologie Poussée de sobriété Hypercontraint Scénarios de backcasting Pari technologique Pari sociétal 487 343 Valeurs 2060 Scénarios de forecasting Pire climatique Ambition de base Poussée de technologie Poussée de sobriété Hypercontraint Scénarios de backcasting Pari technologique Pari sociétal 656 147 27 72 18 11 1145 793 947 643 643 94 72 27 72 94 107 57 26 46 60 97 120 47 41 677 565 577 511 511 129 120 97 120 129 87 68 56 61 66 181 Demande Gvoy-km aériens Motorisation et massification (GES/voykm en gCO2/voy-km) GES ACV tous GES (eq Forçage radiatif) MtCO2eq 39 68* (*) L'estimation inclut l'ensemble du transport aérien, de voyageurs et de marchandises. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 86 TRANSPORT TERRESTRE DE MARCHANDISES À 2040 ET 2060 Tableau 10 : Indicateurs de synthèse du transport de marchandises Marchandises terrestres 2040 2060 Demande G tonnes-km tous modes terrestres Motorisation en ACV (gCO2/vehkm routier) Circulations routières G vehkm routiers Massification et report modal (Ton-km tous modes/veh-km routiers) Scénarios Valeurs 1990 Valeurs 2017 Scénarios de forecasting Pire climatique Ambition de base Poussée de technologie Poussée de sobriété Hypercontraint Scénarios de backcasting Pari technologique Pari sociétal Scénarios de forecasting Pire climatique Ambition de base Poussée de technologie Poussée de sobriété Hypercontraint Scénarios de backcasting Pari technologique Pari sociétal 656 449 191 131 3,4 3,4 72 115 920 690 690 662 662 439 201 201 181 181 2,1 3,4 3,4 3,7 3,7 304 115 72 117 336 540 440 167 136 Valeurs 2060 3,2 3,2 236 338 617 557 557 549 549 235 172 172 166 166 2,6 3,2 3,2 3,3 3,3 457 338 236 341 482 423 137 Valeurs 2040 3,1 682 (*) L'estimation inclut tous les VUL, particuliers et professionnels. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 GES ACV MtCO2eq 71 94* 108 58 41 57 80 39 46 133 23 15 21 61 14 15 87 TRANSPORT MARITIME DE MARCHANDISES À 2040 ET 2060 Tableau 11 : Indicateurs de synthèse du transport maritime de marchandises pour les différents scénarios à 2040 et 2060 Marchandises maritimes 2040 2060 Scénarios Valeurs 1990 Valeurs 2017 Scénarios de forecasting Pire climatique Ambition de base Poussée de technologie Poussée de sobriété Hypercontraint Scénarios de backcasting Pari technologique Pari sociétal Scénarios de forecasting Pire climatique Ambition de base Poussée de technologie Poussée de sobriété Hypercontraint Scénarios de backcasting Pari technologique Pari sociétal 1518 1366 1,7 3,6 3 5 2380 2052 2052 1518 1518 7,6 3,6 1,7 3,6 7,6 18 7 4 6 12 1590 1431 Valeurs 2060 3,9 7,3 6 10 1831 1649 1649 1590 1590 8,5 7,3 3,9 7,3 8,5 16 12 6 12 14 1400 Valeurs 2040 9,9 Demande G tonnes-km Motorisation et massification (GES/tonkm en gCO2eq/ton-km) GES ACV MtCO2eq 20 14 Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 88 ÉMISSIONS DE GES (EN ACV) TOUS MODES TERRE+AIR+MER À 2040 ET 2060 Tableau 12 : émissions de gaz à effet de serre en empreinte carbone « complète » (y compris le maritime et l'aérien international) pour les différents scénarios à 2040 et 2060 Émissions GES 2040 2060 terre air mer Scénarios Pire climatique Ambition de base Poussée de technologie Poussée de sobriété Hypercontraint Pari technologique Pari sociétal 1990 Scénarios de forecasting 244 244 244 244 244 Scénarios de backcasting 244 244 296 296 142 159 51 51 296 296 296 296 296 362 213 154 200 254 470 122 61 105 207 2017 2040 2060 Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 89 Annexe 4 - Glossaire des sigles et acronymes Acronyme 3D ACV AIE BHNS CAE CCC CCNR CCNUCC CCS Cerema CGDD CGEDD Citepa CO2 COP (de VNF) COR CORSIA DARPA DNV EEDI ETS FIT G20 GES GIEC GNL HCC IATA Insee InTerLUD IPBES IPCEI OACI OCDE OGM Signification Trois dimensions Analyse en cycle de vie Agence internationale de l'énergie Bus à haut niveau de service Conseil d'analyse économique Climate Change Committee, équivalent britannique du Haut conseil pour le climat Commission centrale pour la navigation du Rhin Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques Captage et stockage du carbone Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement Commissariat général au développement durable Conseil général de l'environnement et du développement durable Centre interprofessionnel technique d'études de la pollution atmosphérique Dioxyde de carbone Contrat d'objectifs et de performance (de Voies navigables de France) Conseil d'orientation des retraites Carbon Offsetting and Reduction Scheme for International Aviation Defense Advanced Research Projects Agency Det Norske Veritas Mesures restrictives énergétiques dans le monde maritime Système communautaire d'échanges de quotas d'émissions Forum international des transports Groupe des 20 pays économiquement les plus forts Gaz à effet de serre Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat Gaz naturel liquéfié Haut conseil pour le climat Association du transport aérien international Institut national de la statistique et des études économiques Programme d'innovations territoriales et logistique urbaine durable Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques Important project of common european interest Organisation internationale de l'aviation civile Organisation de coopération et de développement économiques Organisme génétiquement modifié Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 90 Acronyme OMI ONG ONU PIA PIB PL PLUi PPE R&D SCoT SNBC TC TCU TER TGV TICPE VAE VNF VP VUL ZAN ZFEm Signification Organisation maritime internationale Organisation non gouvernementale Organisation des nations unies Programme d'investissements d'avenir Produit intérieur brut Poids lourd Plan local d'urbanisme intercommunal Programmation pluriannuelle de l'énergie Recherche et développement Schéma de cohérence territoriale Stratégie nationale bas carbone Transport en commun Transport en commun urbain Train d'équilibre régional Train à grande vitesse Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques Vélo à assistance électrique Voies navigables de France Véhicule particulier Véhicule utilitaire léger Zone à artificialisation nette Zone à faibles émissions mobilités Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 91 (ATTENTION: OPTION donc une priorité qui devrait reposer sur la mise en place de normes européennes d'émissions de plus en plus sévères pour les transporteurs et sur la fin de la vente des véhicules lourds neufs affectés au transport de personnes ou de marchandises et utilisant majoritairement des énergies fossiles d'ici 2040. Cet arrêt des ventes ne sera cependant possible que si la vente des VUL et PL neutres à l'émission et avec une faible empreinte augmente au fur et à mesure du temps et bénéficie de la mise en place de stations de recharge en nombre suffisant. 2.3.2.2 Favoriser l'essor des technologies alternatives à la route par des mesures pragmatiques Il est facile dans un exercice de prospective d'envisager des objectifs ambitieux de report modal : ce travail n'échappe pas à la règle. Les scénarios se rapprochant de la neutralité carbone envisagent en effet : une forte progression dans le scénario de neutralité carbone du trafic ferroviaire de marchandises, provenant d'une hausse de la qualité du transport et de sa productivité, et de la réalisation d'investissements de capacité et de modernisation présentant un bilan GES en ACV favorable et efficace, en particulier dans le numérique : sa part modale pourrait ainsi quasiment tripler à l'horizon 2060 (28 %), en cohérence avec la stratégie nationale bascarbone et en ligne avec les ambitions européennes du développement du fret ferroviaire ; selon l'association 4F (qui reprend les calculs d'Altermind), un doublement de la part du rail en France en passant de 9 à 18 % éviterait chaque année à partir de 2030 l'émission de huit millions de tonnes de CO2. De plus, comme un train de marchandises décharge la route d'environ quarante camions, l'effet en chaîne sur la décongestion du trafic, l'amélioration de l'efficacité économique et la qualité de vie est vite très sensible 38 ; une croissance significative du transport fluvial au cours des vingt prochaines années sous réserve de la capacité de la flotte à se décarboner dans cette même période de temps et une part modale du fluvial qui pourrait quasiment doubler d'ici 2060. Plus difficile est la définition des mesures à mettre en oeuvre à coût raisonnable pour parvenir à ces objectifs : c'est tout l'objet de la stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire publiée en septembre 2021. Dans son avis sur cette stratégie, le Conseil d'orientation des infrastructures demandait récemment avec insistance sa traduction en plans d'action concrets partant des besoins exprimés par les acteurs économiques et les territoires 39. C'est cette stratégie par étape qui est esquissée dans la figure 10, mais qu'il reste à préciser. 38 39 Voir en particulier : https://www.sncf.com/sites/default/files/press_release/4F%20CP-DEF%2025062020.pdf Avis téléchargeable sur le site du COI : https://www.ecologie.gouv.fr/conseil-dorientation-des-infrastructures-coi Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 40 Figure 10 : Proposition de cadre de synthèse de la formalisation des étapes, de leurs moyens et de leurs résultats attendus. Source : Source : COI, 202139. 40 2.3.2.3 Amener et accompagner les pratiques de la logistique urbaine vers la neutralité carbone Dans le domaine de la logistique urbaine, ces dernières années ont été marquées par une dispersion croissante des comportements favorisée par les progrès de toutes natures. Il est sans doute illusoire de vouloir établir un palmarès des pistes d'action pour les années à venir. La diversité des situations locales appelle des réponses adaptées au contexte et de nouvelles solutions technologiques ou numériques viendront « rebattre les cartes ». La logistique urbaine est une chaîne complexe dont le bilan environnemental est déterminé par la décision de plusieurs acteurs, et notamment, celle du destinataire final : le rapport thématique sur le transport des marchandises terrestres estime ainsi que la logistique urbaine représentait en 2017 de 15 à 20 % des émissions de CO2 du transport routier de marchandises. Avec le développement du commerce en ligne, la décision du consommateur final prend davantage d'importance 41. Les études disponibles comparant le bilan environnemental du e-commerce et du commerce traditionnel ne permettent pas de trancher en faveur de l'un ou de l'autre 42. Elles conduisent, en revanche, à identifier les facteurs d'une plus grande sobriété et la façon dont ces leviers sont Avis du conseil d'orientation des infrastructures sur la stratégie de développement du fret ferroviaire, 2021. https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/COI%20avis%20SDFF%20VDEF%202021-05-31.pdf 41 Voir Pour un développement durable du commerce en ligne, Février 2021, rapport CGEDD-France stratégie-IGF, Gilles BON-MAURY, Julien FOSSE, Marie DEKETELAERE-HANNA, Patrick LAMBERT, Philippe VINÇON, Vincent CONSTANSO, Valentine VERZAT, Vivien GUÉRIN, https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/fs-rapportpour_un_developpement_durable_du_commerce_en_ligne-11-03-2021.pdf 42 The net environmental impact of online shopping, beyond the substitution bias, Heleen Buldeo Rai, Université Gustave Eiffel, Logistics City Chair, France. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 40 41 (ou non) efficacement mobilisés ou rendu inopérants par l'évolution des comportements. Le bilan dépend de différents facteurs comme l'environnement et du comportement du consommateur (milieu urbain versus rural, proximité d'un point relais, modes de transport à disposition, véhicule utilisé ...) ou ceux du vendeur (localisation des entrepôts, emballages...). La compétition que se livrent les plateformes tend à encourager la demande d'immédiateté de la part des consommateurs, en leur masquant le coût de la livraison et en leur donnant l'illusion de la gratuité. Les livraisons instantanées exercent une forte pression sur la livraison, et ont un impact important en matière d'émissions de CO2, d'usage de l'espace public et même, comme le soulignent les travaux de Laetitia Dablanc 43, de condition sociale de la livraison. Si les consommateurs n'ont pas suffisamment conscience de l'impact de leurs choix (livraison lente plutôt qu'instantanée, limitation des retours...) sur le bilan des émissions de CO2 du secteur, leur participation active aux stratégies qui devront être mises en place pour réduire les émissions est pleinement nécessaire. Les convaincre et les mobiliser en ce sens est une priorité. C'est d'ailleurs le sens des premières recommandations de la Charte d'engagements environnementaux des acteurs du commerce en ligne pour la réduction du commerce en ligne proposée par France Logistique et France Stratégie en juillet 2021 : « informer le consommateur de l'impact environnemental de la livraison » et « offrir au consommateur la possibilité d'identifier les produits du catalogue au meilleur bilan environnemental 44 ». À côté des évolutions de motorisation, les restrictions d'usage de l'espace public (ZFE, réglementation de la livraison...) sont des outils importants pour inciter les entreprises à optimiser les tournées de livraison. Mais leur impact sur le comportement des consommateurs est faible. Si 34 % des acheteurs en ligne se disent prêts à payer plus pour une livraison plus écologique, les enquêtes font ressortir le respect de l'environnement au dernier rang des critères de choix ; la livraison gratuite vient en tête, puis le lieu de livraison, le domicile étant le premier choix. Les abonnés représentent le tiers des e-acheteurs et sont les moins écoresponsables 45. Informer le consommateur sur le bilan environnemental du service de la livraison, éviter de faire de la livraison express l'option par défaut, s'agissant des délais de livraison, interdire la mention « livraison gratuite » sont autant de pistes suggérées pour infléchir les comportements. Faire payer la livraison, et en particulier la livraison express, à un tarif incluant son impact environnemental, notamment en matière d'émissions de CO2, serait un moyen efficace de réguler le comportement des consommateurs et de l'amener vers davantage de sobriété, pour autant que ce coût lui soit explicitement répercuté. Cette proposition recouvre plusieurs notions différentes consistant à combattre la notion de livraison gratuite : obliger l'expéditeur à indiquer dans la facture le coût de livraison, et faire payer au client final le coût de livraison réel auquel on ajoute le paiement des externalités, ce dernier devant être reversé à la collectivité. Si elle est répercutée sur le consommateur, une mesure de taxation des colis, assortie d'une surtaxe des livraisons instantanées, paraît répondre à l'objectif de guider le comportement du consommateur vers une plus grande sobriété en matière d'émissions de CO2. Une mise en oeuvre 43 « Étude sur les livreurs des plateformes de livraison instantanée du quart nord-est de Paris » sur la base d'une enquête réalisée par 6t-bureau de recherche pour le compte de l'Université Gustave Eiffel, la Chaire Logistics City et l'ANR MOBS sous la direction de Laetitia Dablanc. 44 https://www.strategie.gouv.fr/publications/filieres-de-commerce-ligne-de-logistique-responsables-premieres-signatureschartes 45 « Définition de profils d'acheteurs types en e-commerce » - enquête réalisée par Harris interactive pour le compte de l'ADEME ­ juin 2020. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 42 permettant de s'assurer des résultats, peut cependant se révéler particulièrement complexe pour de multiples raisons : il n'existe pas (encore) de méthodologie pour attribuer le coût des externalités à chaque livraison, une part des colis arrivant directement de l'étranger... La question de l'efficacité de la mesure au regard de son périmètre (français ou européen) devra être posée. Les stratégies collaboratives peuvent s'appuyer sur le développement d'outils numériques et un dialogue régulier et sur la concertation entre les parties prenantes, que ce soit au sein de la chaîne logistique elle-même, entre acteurs privés et publics, ou avec les riverains et les ONG, grâce, notamment, à la mise en place des chartes de logistique urbaine. Mais la diversité des acteurs impliqués et la complexité des modèles économiques associés demanderont beaucoup d'agilité de la part des acteurs publics pour adapter les mesures aux différentes situations. Aussi, il conviendrait de créer les conditions d'une régulation efficace, lisible et propre à encourager les collaborations et mutualisations. À cet égard, l'émiettement, au sein d'une même zone urbaine, des décisions de régulation dans certains domaines (typiquement la circulation ou le stationnement) constitue sans nul doute un frein. La présence d'une autorité organisatrice sur le périmètre pertinent et dotée des moyens d'action appropriés serait un facteur de lisibilité et de cohérence de l'action publique. Enfin, il paraît aller de soi que l'urgence climatique impose de se concentrer sur les mesures qui ont le plus fort effet ou, à tout le moins, d'écarter celles qui n'en ont pas ou vont à l'encontre du résultat escompté. Cette capacité d'évaluation repose sur la disponibilité de données suffisantes : elle peut nécessiter la création d'un véritable observatoire de la logistique urbaine et le recours à de nouvelles méthodes de collecte. En résumé, quatre pistes d'actions semblent devoir être privilégiées pour renforcer l'efficacité de l'action publique en matière de logistique urbaine : convaincre et mobiliser les consommateurs pour faire évoluer les comportements et créer les conditions de l'acceptabilité de mesures plus contraignantes ; examiner les moyens spécifiques d'internalisation des coûts de l'impact environnemental des livraisons 46 ; favoriser les stratégies collaboratives, actions d'optimisation ou de mutualisation engagées par les opérateurs privés ou par les collectivités publiques ; suivre dans le temps les données relatives à la logistique urbaine pour identifier les mesures les plus efficaces. 2.3.2.4 Assurer un juste équilibre entre les rythmes de décarbonation décidés aux niveaux européen et mondial pour le transport maritime La décarbonation du transport maritime repose aujourd'hui sur la recherche d'une meilleure efficacité énergétique à la conception grâce à un meilleur design, voire au retrofit des navires, et en exploitation grâce notamment à l'utilisation de la propulsion vélique ou à la réduction de leur vitesse. Cette dernière mesure peut cependant conduire à mettre plus de navires en circulation et à des sous-optimisations de puissance des moteurs pour des raisons de sécurité par gros temps. Elle sera plus importante à l'avenir avec l'introduction de flottes de navires propulsés avec des énergies décarbonées ou neutres en carbone : des expérimentations sont programmées qu'il s'agisse du méthanol, de l'ammoniac, de bio-GNL, d'hydrogène, voire de l'association, en cours 46 Voir rapport thématique sur le transport de marchandises terrestres Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 43 d'étude, d'une propulsion GNL avec un système embarqué de capture et de stockage à bord des émissions de CO2, ou encore de propulsion électrique sur les petits navires ou pour des navires à faible rayon d'action. Le défi à relever reste celui de la réduction du décalage inévitable existant entre le rythme de décarbonation résultant des ambitions européennes telles qu'elles se sont exprimées au travers du Pacte vert et de la déclinaison du paquet Fit for 55 dans le secteur maritime et celui des négociations internationales menées au sein de l'OMI. Deux écueils résultant de ce décalage sont en effet à redouter : celui de la baisse de la compétitivité des armateurs européens qui auront déployé plus rapidement des flottes utilisant des moyens de propulsion décarbonés ou neutres en carbone avec des coûts d'énergie de propulsion plus élevés ; celui du risque de report de trafic vers des hubs portuaires extraeuropéens si la comptabilisation des émissions des navires ne se fait que sur les parcours dans les eaux intracommunautaires. La taxation de l'énergie carbonée d'une part et l'introduction d'un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières sont censés répondre à ces écueils mais la possibilité de soutage dans des pays extraeuropéens et les difficultés propres à obtenir un accord au sein de l'OMC sur la compatibilité de ce mécanisme avec les règles de concurrence de l'OMC ne simplifient pas la conclusion d'un accord sur ce mécanisme d'ajustement. Si l'action de l'OMI a permis d'adopter un premier cadre international pour la décarbonation du transport maritime, il n'en reste pas moins vrai que ces mesures adoptées ne suffiront pas pour atteindre les objectifs de décarbonation du secteur, il est donc nécessaire de les renforcer en fixant des valeurs plus élevées de réduction de l'intensité carbone de la flotte mondiale à 2030 et en cherchant à faire adopter à l'OMI des mesures de tarification du carbone permettant d'accélérer le développement et le déploiement de moyens de propulsion alternatifs durables au sein du secteur et, au niveau européen, en intégrant le secteur du transport maritime dans le système d'échange de quotas d'émissions européen (EU/ETS), tout en préservant la compétitivité du secteur 47. Le recours à moyen terme (2030-2040) à des navires neutres en carbone à l'émission reste enfin une nécessité : il suppose la mise en place d'aides pour les expérimentations et l'adoption, de préférence à l'OMI, d'une date à partir de laquelle tous les navires neufs devront être neutres en carbone à l'émission. L'influence de la COVID-19 sur le transport maritime La période entamée avec la crise du COVID qui s'est traduite par une baisse des niveaux d'échange de 3,5 % en 2020 a connu une forte reprise en 2021 avec une augmentation des échanges de 8,5 %. Le transport maritime a alors été confronté à une forte réduction de l'activité de croisière et à une pénurie de main d'oeuvre et de conteneurs vides, ce qui a entraîné une flambée des taux de fret maritime qui n'ont jamais été aussi élevés, près de 350 % depuis le début de la crise : le coût du conteneur 40 pieds sur un trajet Asie-Europe à 2000 en fin 2019 était de 13 000 fin 2021. Cette évolution a conduit à une amélioration des marges des grandes compagnies maritimes et à des stratégies de consolidation et de diversification 48. Elle pourrait favoriser de plus l'évolution vers la neutralité carbone en permettant aux armements conteneurisés de renouveler plus rapidement leurs flottes. https://www.ecologie.gouv.fr/decarbonisation-du-transport-maritime-international-lomi-adopte-des-mesures-concretesil-reste 48 Maersk rachète le commissionnaire asiatique LF Logistics ; MSC négocie de rachat des activités de Bolloré en Afrique de l'ouest ; CMA-CGM acquiert l'américain Ingram micro CLS spécialiste de la logistique contractuelle dans l'e-commerce après avoir acquis 90 % du terminal Fenix Marine Service à Los Angeles. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 47 44 2.4 - La neutralité carbone du transport de personnes ne pouvant être atteinte par les seules mutations technologiques, cela ouvre le difficile débat sur la sobriété d'usage. Si un mouvement est amorcé, le projet collectif ne va pas encore de soi Si les perspectives technologiques semblent favorables dans le secteur routier, rien ne dit cependant que ces technologies vont effectivement se développer et se diffuser suffisamment rapidement. De plus, même dans un cas favorable, les technologies à elles seules ne permettent pas d'atteindre la neutralité carbone (Figure 11 et figure 12) : une plus grande sobriété d'usage dépend de l'adhésion par la très grande majorité à ce mouvement et la question du rôle des politiques publiques est un enjeu de tension dans la société. Le scénario hypercontraint décrit ainsi un monde dans lequel les technologies ne sont pas au rendez-vous tandis que les objectifs de réduction sont maintenus ce qui conduit, à plus ou moins long terme, à des mouvements de protestation contre les mesures imposées et/ou un déclin de l'économie française. Figure 11 : Chroniques des voyageurs-km terrestres selon les scénarios. Source : Prospective 2040-2060, CGEDD-France Stratégie, 2022. Figure 12 : Effets des principaux leviers d'action. Scénario « ambition de base ». Source : Prospective 2040-2060, CGEDD-France Stratégie, 2022. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 45 2.4.1 Le constat : la culture de la sobriété d'usage est encore mal établie même si elle est indispensable et si la société n'a pas encore construit de projet collectif l'intégrant 2.4.1.1 L'émergence d'une culture de la sobriété Une culture de la sobriété propice à faciliter la maîtrise de ces transitions semble pouvoir émerger : elle semble trouver un écho nouveau en particulier auprès des jeunes générations. Elle est cependant contredite par des pratiques consuméristes renouvelées, telles que les livraisons à domicile dans des délais brefs, et par les mouvements de migration depuis les métropoles vers les plus petites villes ou le milieu rural ou périurbain qui ne sont pour l'instant pas accompagnés par une migration des emplois autres que de services. Le terme de sobriété d'usage tel qu'il est employé ici n'a pas de connotation morale : il est la seule traduction du fait que certains modes de vie sont plus consommateurs de ressources ou émetteurs de pollutions que d'autres (Figure 13). Or les scénarios présentés montrent que l'extrapolation de pratiques de vie fondées conjointement sur la dispersion, la consommation d'espace et la mobilité individuelle, accompagnée des mutations énergétiques les plus optimistes, ne répondent pas à l'objectif de neutralité carbone, et auront les plus grandes difficultés à atteindre les objectifs de zéro artificialisation nette. Figure 13 : Détail des contributions des leviers d'action. Scénario « ambition de base ». Source : Prospective 2040-2060, CGEDD-France Stratégie, 2022. 2.4.1.2 Mutualiser ou massifier les déplacements de biens et de personnes est indispensable. Ceci est d'autant plus apparent quand, comme ici, on raisonne en empreinte carbone « complète » et non en émission à l'usage Le choix a été fait de raisonner sur le taux de massification (ou de mutualisation) des déplacements. On voit en effet, c'est très net pour les déplacements du quotidien, s'installer un continuum d'options avec du covoiturage, du partage de flotte, des solutions de services collectifs de capacités d'emport gradués jusqu'aux transports les plus massifiés sur des axes qui le justifient. Les scénarios sont très contrastés au regard d'un indicateur de massification qui rapporte les voyageurs-kilomètres totaux parcourus aux véhicules-km routiers parcourus : le pire climatique revient à l'accentuation des pratiques d'autosolisme avec l'explosion des déplacements individuels offerts par les nouvelles technologies alors que les scénarios les plus proches d'atteindre la neutralité carbone supposent d'augmenter ce ratio de 50 % 49. 49 Des simulations relativement détaillées ont été réalisés par le FIT (documentées dans le rapport voyageurs) dans cinq grandes agglomérations sur la base d'un modèle de trafic; le levier de base est le levier du partage de voirie qui donne un avantage temps aux véhicules bien remplis et au contraire ralentit les autres. https://www.itf-oecd.org/itf-work-shared-mobility Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 46 De fait, les deux scénarios de neutralité vont différer sur trois paramètres qui vont se compenser pour parvenir au volume d'émissions à 2060 correspondant à la neutralité carbone complète : si le scénario du pari technologique envisage une durée de vie moyenne de trente ans des véhicules, l'allongement moins important de la durée de vie des véhicules dans le scénario du pari sociétal est compensé par un emport de passagers plus important et par une baisse des kilomètres parcourus. En raisonnant en empreinte globale et non plus seulement en termes d'émissions lors de l'usage, ce travail montre que les efforts à produire seront certainement plus significatifs qu'on l'anticipe actuellement (Figure 14). Certes les mutations de motorisations sont bien adaptées à la réduction des émissions en cours d'usage pour répondre à un besoin de déplacements donné. Il faudra cependant pour réduire l'empreinte globale circuler avec moins de véhicules, donc mutualiser et massifier, et avec des véhicules plus légers par volume transporté et à plus longue durée de vie. Cette sobriété d'usage peut conduire à des réponses moins immédiates à l'expression du besoin de consommation : l'instantanéité et l'individualisation du service - qui sont au coeur de la livraison instantanée - sont des luxes dont le scénario du pire climatique montre bien les conséquences disproportionnées aux bénéfices qui en sont tirés. Figure 14 : Trois indicateurs de synthèse des évolutions envisagées par les différents scénarios aux échéances 2040 (colonnes de gauche) et 2060 (colonnes de droite). Première ligne : l'empreinte CO2 globale du secteur (millions de tonnes de CO2) Ces émissions étaient de 244 M tCO2 en 1990. Les couleurs distinguent les écarts à cette référence. Deuxième ligne : les quantités de déplacements voyageurs (milliards de voyageurs-kilomètres). Est intégrée la moitié des déplacements internationaux (essentiellement aériens) ayant la France pour origine et destination. Troisième ligne : les transports de marchandises (milliards de tonnes-kilomètres). Est intégrée la moitié des transports internationaux (essentiellement maritimes) ayant la France pour origine ou destination. Source : Prospective 2040-2060, CGEDD-France Stratégie, 2022. Les résultats des scénarios étudiés sont présentés succinctement en annexe 3 et les principaux indicateurs sont rappelés dans la figure 14. Pour plus de précisions, le lecteur est invité à consulter les narratifs détaillés des scénarios présentés dans le rapport transversal ou dans les rapports des différents groupes de travail 50. 50 Les scénarios de ce rapport peuvent présenter quelques écarts avec ceux de certains rapports thématiques. En effet ils ont été réajustés et complétés dans la phase finale de la réflexion. Le choix a été fait de maintenir dans chaque rapport thématique la matière telle qu'elle avait été traitée par chaque atelier. Par ailleurs, afin d'assurer une complétude des scénarios d'ensemble, quelques extrapolations ont été effectuées pour certains scénarios, notamment dans le transport de marchandises. Ces écarts ou extrapolations sont explicités et ne modifient en rien le diagnostic général. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 47 2.4.1.3 L'essor attendu des mobilités actives et des micro mobilités Les données issues de l'Enquête Mobilité des Personnes 2018-2019 (Source : SDES, Insee) montrent que 44 % à 60 % des déplacements effectués en semaine 51 sont inférieurs à 5 km, selon la typologie de la commune de résidence. Seulement 19 % à 36 % de ces déplacements sont aujourd'hui effectués en modes actifs. Ceci montre la marge de report modal possible vers les modes actifs, pour satisfaire ces besoins de déplacement, aussi bien en ville qu'à la campagne (Figure 15). Part des modes actifs et des déplacements de courte portée dans la mobilité locale en semaine (nombre de déplacements) 80,00 60,00 40,00 20,00 0,00 Communes hors attraction des villes Aires de moins de Aires de 50 000 à Aires de 200 000 à Aires de 700 000 50 000 habitants moins de 200 000 moins de 700 000 habitants ou plus habitants habitants (hors Paris) De 0 à moins de 5 km De 0 à moins de 10 km Aire de Paris Ensemble Marche à pied + vélo Figure 15 : Part des modes actifs et des déplacements de courte portée dans la mobilité locale en semaine (nombre de déplacements). Source : DGITM d'après données EMD 2018-2019, 2021. La progression de la part modale des modes actifs, qui se situe actuellement à environ 3 % (en voyageurs.km) en France, vers un niveau équivalent à celui de de nos voisins européens (12 % en Allemagne par exemple) semble dès lors possible. Elle nécessite cependant le déploiement d'itinéraires sécurisés, le développement des services de micro mobilités 52 ainsi que des mesures d'accompagnement, tel le programme « Savoir Rouler à Vélo » 53 à destination des enfants de six à onze ans qui vise à généraliser l'apprentissage du vélo et la formation nécessaire à une réelle autonomie sur la voie publique avant l'entrée au collège ou celui qui porte sur la prise en main et la maîtrise de son vélo à assistance électrique (VAE) 54. 2.4.2 Le premier défi : définir une stratégie efficace pour inciter et accompagner les Français dans une plus grande sobriété d'usage https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/sites/default/files/202112/2_1_1_emp2019_mobilite_locale_semaine_caracteristiques_sociodemographiques_individus.xlsx 52 Les micro-mobilités intéressent les déplacements de courtes ou moyennes distances (moins de 10 km) en début ou en fin de parcours (premiers ou derniers kilomètres), le plus souvent dans des zones urbaines. Ils sont souvent réalisés avec des engins de déplacement personnel légers, compacts, portatifs, électriques ou non, qui peuvent être complémentaires ou utilement remplacer d'autres moyens de transport. Ces véhicules fonctionnent généralement à des vitesses inférieures à 25 km/h et peuvent être possédés, ce qui est le cas le plus répandu, ou partagés. (Source : rapport CGEDD (à paraître début 2022) : Nouveaux services de mobilité partagé ­ Situation et perspectives) 53 https://www.education.gouv.fr/lancement-du-programme-savoir-rouler-velo-5258 54 Cf. la formation proposée par la Fédération française des Usagers de la Bicyclette (FUB) aux souscripteurs du service VELIGO Location en Île-de-France https://www.veligo-location.fr/securite-conseils-veligo/ Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 51 48 Les objectifs retenus pour la sobriété dans les deux scénarios de neutralité carbone sont extrêmement ambitieux : 50 % de la population en télétravail au moins trois jours par semaine en 2060 pour le pari sociétal et 30 % deux jours par semaine dans le pari technologique 55, quadruplement du trafic du covoiturage 56, doublement du trafic de voyageurs des transports collectifs urbains ... Dès lors, le défi posé aux pouvoirs publics consiste à imaginer les mesures qui vont permettre « d'embarquer » la société française dans son ensemble dans cette recherche de sobriété. Cela passe par des politiques adaptées et coordonnées aux différentes échelles géographiques et temporelles pertinentes. Là encore, il n'y aura pas de solution miracle permettant en une seule mesure de résoudre le problème. Les mesures seront différentes suivant les territoires. Quatre voies peuvent ainsi être envisagées : L'intensification des politiques actuelles. Les politiques de sobriété des mobilités (encouragement de substitution à la mobilité : télétravail, téléenseignement, télémédecine, téléprocédures, ...) se sont développées dans les zones denses pour des raisons liées à la qualité de la vie en ville : elles pourraient être renforcées, en privilégiant les modes les moins consommateurs d'espace (modes massifiés, modes doux). Leur extension progressive à des espaces un peu moins denses, dans une approche de type « tâche d'huile » pourrait amener à des gains supplémentaires. Dans les périphéries des villes, la voiture risque de rester indispensable longtemps, et il y convient de s'appuyer surtout sur des politiques de partage du véhicule, avec des interfaces modales de grande qualité permettant des trajets en transport en commun lourds fiabilisés et à capacité renforcée dans les espaces centraux. La fluidité des interfaces modales est une clé de succès essentielle ; l'amélioration de la qualité des noeuds de correspondance multimodaux et de l'information des voyageurs, y compris en temps réel, permet la massification des flux et constitue un autre facteur majeur de réussite d'une politique de sobriété. L'évolution des modes de vie. Une deuxième approche concerne les modes de vie et les apprentissages individuels et collectifs. Elle recouvre en particulier la question, mise en exergue par la crise sanitaire, du télétravail et des téléconférences. Le choix de recourir à l'une de ces formes plutôt qu'à un déplacement n'est pas seulement un choix individuel, mais dépend également de l'attitude du collectif (entreprises, groupes...), voire des mesures publiques prises en faveur de ces formes de travail. L'étalement des pointes (quotidiennes, hebdomadaires, annuelles) constitue une autre possibilité d'optimisation: elle évite en effet des investissements inutiles et améliore la qualité de vie. Elle implique cependant des décisions de la part des générateurs des flux (entreprises, universités ...), qui peuvent probablement être encouragées, sinon impulsées, par les pouvoirs publics aux niveaux géographiques appropriés 57. 55 Selon la DARES, durant le mois d'avril 2021, 28 % des salariés ont été au moins un jour en télétravail en avril (+ 1 point par rapport à mars). Parmi eux, 35 % ont télétravaillé tous les jours de la semaine, 46 % ont été en télétravail entre deux et quatre jours par semaine, 12 % un jour par semaine et 7 % uniquement quelques jours dans le mois. https://dares.travail-emploi.gouv.fr/publication/activite-et-conditions-demploi-de-la-main-doeuvre-pendant-la-crisesanitaire-covid-19-avril-2021 /// 56 70 % des déplacements domicile-travail sont réalisés avec des véhicules individuels, la plupart en auto-solisme et on estime à 3 % la part du covoiturage quotidien : https://www.ecologie.gouv.fr/covoiturage-en-france-avantages-etreglementation-en-vigueur 57 "voir notamment : Projet BMA Bretagne mobilité augmentée et dossier des IESF https://www.iesf.fr/offres/doc_inline_src/752/BMA-17.12.14_Assises-contribution-cloture.PDF" Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 49 La modification du modèle économique des gestionnaires d'infrastructures de modes massifiés. Les recettes actuelles de certains acteurs, par exemple d'un gestionnaire d'infrastructures, sont souvent réalisées au prorata des péages liés au trafic. De ce fait, une perspective de modération du trafic risque de nuire à leur équilibre économique et de les inciter à des efforts commerciaux pour attirer le trafic. Dès lors, un rééquilibrage du modèle économique, avec l'introduction d'une rémunération comprenant d'autres composantes ­ telles que la qualité du service pour les péages ferroviaires - pourrait contribuer à mieux aligner les intérêts des différents acteurs de la chaîne en faveur d'une politique de sobriété des mobilités. La mise en place de signaux prix carbone. Réclamée par la plupart des économistes, elle permet à chacun de prendre conscience de ses émissions et l'incite à réorienter ses actions. Elle peut prendre la forme d'une contribution climat énergie incluse dans le prix du carburant, mais aussi d'un marché : le paquet « Fit for 55 » publié par la Commission en juillet 2021 envisage ainsi l'instauration d'un marché de carbone portant sur les importateurs et les distributeurs de carburants fossiles et permettant de répercuter un signal-prix carbone sur les consommateurs. 2.4.3 Le deuxième défi : mettre en place les politiques qui vont permettre d'atteindre réellement les objectifs ambitieux de report modal Les scénarios qui s'approchent le plus de la neutralité carbone sont extrêmement ambitieux en termes de report modal, ce qui suppose de dégager les moyens de financement correspondants, de limiter l'utilisation des véhicules utilisant des énergies fossiles et d'inciter à l'utilisation des modes alternatifs à la route : un doublement au moins du trafic de voyageurs des transports collectifs urbains lourds (ferroviaire, métro, tramway), issu de la hausse tendancielle du trafic liée à la croissance économique ainsi que du report modal vers des infrastructures nouvelles ou déjà existantes mais plus capacitaires (ferroviaire et métro) et de qualité accrue ; une hausse de l'emport moyen des véhicules qui semble pouvoir constituer un levier important face à la contrainte environnementale et qui doit conduire à encourager le développement du covoiturage urbain et le report modal : dans les scénarios neutres en carbone, la valeur de l'emport moyen (défini comme le rapport entre le nombre de voyageurs.km terrestres et le nombre de veh.km terrestres) augmente ainsi de près de 50 % de 1997 à 2060, en passant de 1,98 à 2,83 (Figure 16). Cette évolution correspond à un doublement du remplissage des voitures particulières dans les grandes agglomérations, parallèlement à l'augmentation de 19 % à 30 % de la part modale des transport collectifs urbains (en voy.km : figure 17). Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 50 Figure 16 : Chroniques d'emport moyen dans les grandes agglomérations. Source : Prospective 2040-2060, CGEDD-France Stratégie, 2022. Figure 17 : Chroniques de remplissage moyen des voitures dans les grandes agglomérations. Source : Prospective 2040-2060, CGEDD-France Stratégie, 2022. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 51 un quadruplement du trafic du vélo et des modes actifs et doux, reposant sur un rattrapage des parts modales dans les déplacements pour aboutir à un niveau comparable à celui de l'Allemagne (12 % de vélos contre 3 % en France) et sur la systématisation d'itinéraires continus et sécurisés ; un quadruplement au moins du trafic de covoiturage, grâce notamment au développement d'applications numériques reliant le passager aux véhicules et à l'infrastructure, et lui permettant un accès facile aux modes collectifs ; un doublement au moins du transport ferroviaire interurbain de voyageurs, lié à la hausse tendancielle du trafic et au report modal des liaisons aériennes les plus courtes (Figure 18). La réalisation d'un certain nombre d'infrastructures à grande vitesse afin de desservir toutes les capitales régionales, ainsi que l'amélioration des principaux noeuds ferroviaires et d'incréments de capacité des principales lignes à grande vitesse permettraient d'accélérer cette évolution. Figure 18 : Chroniques de part modale des transports en commun urbains dans les grandes agglomérations. Source : CGEDD-France Stratégie, 2022. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 52 2.5 - Les transitions vers la neutralité carbone du transport de personnes supposent des efforts particuliers des ménages les plus aisés et des hypermobiles et d'accompagner les personnes aux revenus les plus modestes 2.5.1 Le constat : Les univers de choix et les contraintes/marges de manoeuvre des personnes sont extrêmement disparates Le graphique ci-dessous 58 (Figure 19) montre que si les émissions de CO2 par ménage sont corrélées aux déciles de niveau de vie, leur dispersion au sein de chaque décile reste considérable : seul un tiers de cette dispersion peut être relié à des facteurs explicatifs connus. Ceci rend le ciblage de politiques de compensations d'une politique de hausse de taxe carbone particulièrement complexe. Les aides, qui ne peuvent en effet être versées qu'en fonction de variables connues, ne permettront pas de "compenser" correctement la perte de pouvoir d'achat des individus concernés. Les personnes dites hypermobiles, se concentrent essentiellement dans les déciles les plus élevés de revenus de la population. Elles représentent à elles seules une part considérable des émissions : 20 % de la population la plus mobile génèrent 80 % des émissions. 59 Figure 19 : Distribution des émissions de CO2 par ménage en fonction de leur décile de niveau de vie58. Source : OFCE, 2020. 58 Les effets de la fiscalité écologique sur le pouvoir d'achat des ménages : simulation de plusieurs scénarios de redistribution, Focus N° 030 2019, Conseil d'analyse économique, Thomas Douenne, Mars 2019, https://www.cae-eco.fr/Leseffets-de-la-fiscalite-ecologique-sur-le-pouvoir-d-achat-des-menages-463 Ce Focus constitue un complément méthodologique à la Note du CAE n° 50 : Pour le climat : une taxe juste, pas juste une taxe, Dominique Bureau, Fanny Henriet et Katheline Schubert. 59 Chaque rectangle donne le niveau des émissions de CO2 par ménage et par décile (trait supérieur = limite du premier quartile, trait intermédiaire = médian, trait inférieur= limite du dernier quartile). Les points sont des enregistrements individuels. Si les émissions croissent avec le décile de revenu, le graphique illustre la forte dispersion au sein de chaque décile. Certains auteurs la qualifient également « d'hétérogénéité horizontale ». Les quelques points correspondant à de très fortes émissions des plus bas déciles sont probablement liés à des situations atypiques (transferts non pris en compte...). La contribution des émissions importées à l'empreinte carbone de la France, p. 34, OFCE, https://www.ofce.sciencespo.fr/pdf-articles/actu/Rapport-OFCE-HCC-2020.pdf Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 53 2.5.2 Le défi : assurer des efforts équitables et mettre en place les mesures d'accompagnement nécessaires en partant de l'analyse des disparités des univers de choix des personnes L'histoire récente enseigne à quel point la question n'est plus celle d'un signal économique universel assurant la bonne internalisation des externalités (taxe carbone par exemple) qui induirait mécaniquement les évolutions de comportements individuels : son utilité n'est guère contestable. Les économistes insistent à juste titre sur le fait que la véritable question porte sur la manière de traduire ce signal prix dans l'économie et conduit, de fait, à envisager une multiplicité de leviers différents pour le décliner concrètement, qu'il s'agisse de taxations (qui doivent comporter les ajustements et modulations nécessaires pour en assurer l'équité et donc l'acceptabilité), de normes et d'incitations. Le contraste immense entre les univers de choix des personnes fait que ces signaux ne peuvent s'adresser de la même façon et par les mêmes outils à tous types d'agents économiques dont les besoins ne sont fondamentalement ni échangeables ni substituables. Pour autant, même en l'absence de taxe carbone explicite (ce qui poserait la question de l'origine des recettes à consacrer à des mesures redistributives), la transition vers une économie neutre en carbone (qui peut recourir à des normes, à des règlementations ou encore à des interdictions de circulation des véhicules polluants dans certaines zones (ZFE)) conduit à remplacer des produits ou des usages s'appuyant sur les énergies fossiles par d'autres moins émetteurs de carbone mais a priori plus coûteux, qui vont peser sur le pouvoir d'achat des ménages. Il est donc souhaitable de mettre en place des mesures d'accompagnement économiques de la transition, de les concevoir le plus en amont possible 60, et de les adapter au mieux en fonction des mesures économiques effectivement retenues. Se pose enfin la question de la faisabilité d'un prix du carbone additionnel au prix du carburant : un signal prix carbone dans les transports, sous forme de taxe ou de marché 61 (portant par exemple sur les importateurs d'hydrocarbures ainsi que le suggère la Commission), ne sera probablement acceptable que lorsqu'il existera un large marché de véhicules électriques d'occasion permettant à chacun d'échapper s'il le souhaite à ce signal prix et que s'il est accompagné de mesures redistributives (qui ne pourront être qu'imparfaites) pour limiter la charge supplémentaire supportée par les premiers déciles. Le signal prix prendra alors toute sa signification d'accélérateur de la transition. 60 Voir notamment : Pour le climat : une taxe juste, pas juste une taxe, Dominique Bureau, Fanny Henriet et Katheline Schubert, note 50 du CAE, mars 2019 ; Les effets de la fiscalité écologique sur le pouvoir d'achat des ménages : simulation de plusieurs scénarios de redistribution, Thomas Douenne, focus CAE, mars 2019. 61 Dans le cadre d'un marché, les pouvoirs publics fixent un volume d'émissions de CO2, alors qu'ils arrêtent un prix du carbone pour une taxe. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 54 DES MUTATIONS SOCIÉTALES ÉMERGENTES À ACCOMPAGNER Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 55 3 - DES MUTATIONS SOCIÉTALES ÉMERGENTES À ACCOMPAGNER 3.1 - Les usages vont connaître des transformations radicales 3.1.1 Le constat : les changements d'usage déjà amorcés ont été accélérés par la crise de la COVID-19 3.1.1.1 La valeur du temps dans les divers modes de transports est requestionnée Les besoins et usages mutent plus vite que jamais, avec l'irruption des outils numériques qui offrent - on s'en est bien rendu compte lors des périodes de confinement de la crise de la COVID-19 - de nouvelles possibilités (télétravail, numérique). Le temps de déplacement n'est plus nécessairement un temps entièrement perdu, même si le télétravail accentue le contraste entre le confort d'un poste de travail à domicile et celui des transports en commun. Les mobilités actives (marche, vélo, etc...) ne semblent plus seulement une option de dernier recours faute de mieux, mais retrouvent leur valeur en terme de santé publique. Le vieillissement de la population accroît ses besoins de commodité (confort, sécurité, ruptures de charges, accompagnement), plutôt que d'intensité de déplacement. 3.1.1.2 La démographie, et notamment le vieillissement de la population, sont déterminants pour les besoins de mobilité du futur La révision récente des prévisions de long terme de l'Insee pour la population française montre qu'au-delà d'une vingtaine d'années, où les effets tendanciels sont forts, des inflexions marquées de la fertilité et de l'évolution de l'espérance de vie à la naissance peuvent intervenir. Les scénarios bâtis initialement sur le scénario central connu de l'Insee repris par le COR ont donc été recalculés fin 2021, pour tenir compte de ces dernières projections. Le scénario central actuel de l'Insee cible la population française autour de 68,7 millions d'habitants en 2060, soit un niveau assez proche de l'actuel (67,4 millions en 2021) alors que la prévision antérieure, datant de 2016, était de 75,2 millions d'habitants : dans ce scénario, la population atteindrait 69,3 millions d'habitants en 2044 avant de décroître progressivement. Ceci ne tient pas compte des inévitables aléas à de telles échéances sur les flux migratoires. De manière schématique, ce qui importe le plus pour le système de mobilités est probablement la fraction de la population qui sera susceptible de connaître des difficultés à se déplacer. D'un côté l'espérance de vie s'allonge tendanciellement (hors effet de la pandémie) ­ jusqu'en 2040, où environ un habitant sur quatre aurait 65 ans ou plus -, mais de l'autre l'espérance de vie en bonne santé semble globalement stagner. Il en résulte qu'on peut s'attendre à une hausse d'une quarantaine de pourcents de la part de la population ayant dépassé l'espérance de vie en bonne santé d'ici 40 ans. Certes, cet indicateur est imparfait car il est basé sur des enquêtes déclaratives, mais il donne toutefois une indication de tendance probablement globalement assez robuste. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 56 3.1.1.3 Des nouvelles générations pionnières des nouvelles mobilités ? L'image que présente le Crédoc des jeunes générations 62 est contrastée : il souligne que les 2030 ans ont une forte sensibilité environnementale, sont bien conscients du réchauffement climatique en cours et s'attendent à ce que les conditions de vie qui en résulteront deviennent plus pénibles ; ils conservent de l'espoir dans le développement technologique mais éprouvent un sentiment d'impuissance sur leur capacité à jouer un rôle dans cette évolution et ont toujours du mal à traduire dans leurs actes de consommation leurs préoccupations environnementales. La recherche de transports durables constitue cependant une exception : 56 % des jeunes ont ainsi déjà eu recours à du covoiturage pour une courte distance (contre 31 % de l'ensemble de la population), et 46 % sur de longues distances (vs 30 %) 63. Mais, ils continuent à prendre l'avion [28 % des jeunes déclarent avoir pris l'avion deux fois ou plus au cours des douze derniers mois (+ 9 points au-dessus de la moyenne ; Enquête Tendances de Consommation 2018 ; 18-24 ans uniquement)] et, parmi les jeunes, les ruraux et les actifs restent attachés à la voiture. 3.1.1.4 Les loisirs et le tourisme La crise pandémique a stimulé une extension des pratiques de loisirs fondés sur des localisations de moindre distance, mais aussi le développement d'une offre touristique de loisirs fondés sur les mobilités actives : marche, randonnée, cyclisme. De ce point de vue, l'émergence de l'offre de cycles à assistance électrique a contribué à sortir les pratiques de plein air de la sphère des sportifs en parfaite condition physique et bien entraînés vers des usagers occasionnels de moindres capacités physiques, qui y trouvent un effort raisonnable et bénéfique. Le facteur crucial est la création d'une capacité de parcours qui offre une liberté d'accès élargie mieux compatible avec les attentes de variété, de visite de sites culturels, etc... La dynamique reprise par les collectivités locales de renforcement des infrastructures dédiées est considérable, et a changé d'échelle. Ce tourisme de loisir fondé sur des localisations à moindre distance présente également l'intérêt de concerner une partie beaucoup plus large du territoire français, en valorisant la fréquentation des campagnes par rapport au littoral et à la montagne, même si euxmêmes contribuent à cette mutation. Ce renforcement d'offre et le développement des emplois de service liés à ces loisirs sont des conditions indispensables à la pérennisation de ces évolutions. 3.1.2 Le défi : concilier l'évolution des attentes de la société et les enjeux climatiques Plusieurs conséquences découlent de ces constats. La croissance modérée de la population, toutes choses égales d'ailleurs, devrait alimenter à un degré modéré également celle des mobilités des personnes et des biens. L'évolution des mobilités, perceptible dans les pratiques de déplacements d'une partie de la jeune génération, pourrait se développer mais les bonnes pratiques doivent être encouragées par les pouvoirs publics. Comme le souligne le Crédoc, il est nécessaire de donner à voir les exemples concrets et positifs d'action auprès des jeunes générations, de mettre en lumière l'impact concret de chaque action (pour éviter le sentiment d'impuissance « de toute façon ça ne sert à rien ») et de rebondir sur le recours plus fréquent que par le passé à des pratiques 62 Voir en particulier https://www.credoc.fr/publications/environnement-les-jeunes-ont-de-fortes-inquietudes-mais-leurscomportements-restent-consumeristes Pour protéger l'environnement, les jeunes se tournent vers des transports alternatifs et les pratiques collaboratives Lucie BRICE, Patricia CROUTTE et Sandra HOIBIAN Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (Crédoc) dans Modes de vie et pratiques environnementales des Français, CGDD, https://www.statistiques.developpementdurable.gouv.fr/modes-de-vie-et-pratiques-environnementales-des-francais 63 Opinions et pratiques environnementales des Français en 2015, Chiffres & statistiques, CGDD, 2016, Eric Pautard Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 57 réellement collaboratives : une augmentation du covoiturage et de l'emport moyen serait alors possible dans les années futures. Le vieillissement accroît aussi la nécessité d'investissements et de services pour une mobilité des personnes et des livraisons plus inclusive. Cela recouvre la réduction des obstacles tant dans les transports collectifs que sur la voirie principalement urbaine et péri-urbaine, et, plus généralement, la facilitation des déplacements des personnes souffrant d'un handicap, qu'il soit lourd ou léger. En dehors de quelques centres villes, la place prise par la voiture dans la mobilité interroge les politiques d'accompagnement des publics ne pouvant plus conduire en toute sécurité. Les progrès des systèmes d'assistance à la conduite devraient probablement pouvoir permettre, dans le futur, de retarder l'âge de la fin de la mobilité motorisée qui constitue souvent une rupture majeure de mode de vie. Enfin, les questions des modalités de la diffusion des technologies numériques au sein d'une population de plus en plus âgée ne doivent pas être éludées. 3.2 - La révolution numérique permet des améliorations notables, mais peut conduire à des effets négatifs dont l'identification permet d'assurer la régulation 3.2.1 Le constat : entre opportunité et méfiance, la numérisation prend une place considérable dans les transports 3.2.1.1 Les nouveaux usages du numérique vont modifier de plus en plus nos déplacements Si le début des télécommunications accessibles au plus grand nombre remonte aux années 1970, la généralisation du smartphone et des communications à haut débit a marqué ces dernières années et permet désormais quasiment à chacun de rester connecté quels que soient l'endroit où il se trouve, l'heure de la journée ou l'appareil qu'il utilise. Elle a ainsi rendu possible le développement extraordinaire des réseaux sociaux et favorise également le recours au télétravail et aux téléconférences, auxquels la crise sanitaire a incontestablement donné un coup d'accélérateur. L'effet de ces télécommunications sur les mobilités est difficile à envisager. D'un côté, le télétravail et les téléconférences devraient permettre d'économiser des déplacements professionnels ; de l'autre, une induction de trafic est à attendre des contacts personnels et professionnels noués à très longue distance au moyen des télécommunications, mais également des télétravailleurs qui, exerçant leur activité en télétravail, auront la possibilité de quitter la ville et perdraient le bénéfice des transports en commun 64. D'un côté, ils peuvent permettre d'optimiser les déplacements, mais, de l'autre, ils entraînent une consommation d'énergie supplémentaire et peuvent entraîner une fracture numérique à l'égard des personnes à l'écart de ces technologies, les personnes âgées et les personnes les plus pauvres. D'un côté, ils peuvent permettre le développement de services nouveaux grâce au e-commerce, de l'autre ils peuvent conduire à un développement exponentiel de la livraison instantanée et à la congestion des centres urbains ainsi qu'à une mainmise sur les données par les géants du numérique. D'un côté, 64 La part modale des TC croît avec la taille des agglomérations; elle se situe (en voyageurs-km) aux environs d'un tiers en Île-de-France, alors qu'elle n'est que de l'ordre de 13 % dans de très grandes agglomérations (Lille, Lyon, Marseille) et de l'ordre de 5 % dans des agglomérations de taille moyenne. Élise Laforge. Villes et agglomérations urbaines moyennes : quelles politiques de mobilité? Enjeux, limites et prospectives. Gestion et management. 2015. dumas-01903714 https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01903714/document Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 58 ils permettent un développement inespéré du covoiturage et de nombreuses initiatives tournées vers de meilleures mutualisations, de l'autre, ils peuvent entraîner un surcroît de déplacements. À l'inverse, certains envisagent le développement dans les prochaines décennies de mondes virtuels dans lesquels chacun d'entre nous muni de lunettes 3D se déplacerait et interagirait avec d'autres personnes grâce à son double virtuel. Dans un monde numérique dans lequel le télétravail se développe, la distance entre le domicile et le travail peut enfin fortement augmenter. L'ampleur de ce phénomène est cependant pour l'instant à relativiser, car il semble ne toucher que les cadres et quelques professions intermédiaires qui ont à la fois la possibilité de télétravailler et les moyens financiers de choisir leur logement, voire d'en avoir deux. 3.2.1.2 Le numérique peut redonner de l'attractivité aux transports publics et améliorer leur modèle économique Les progrès de la numérisation, qui ont déjà permis le développement du covoiturage, sont générateurs de nouvelles opportunités pour les transports publics : l'information donnée aux voyageurs, dans une perspective d'offre de services de mobilité (MaaS : « mobility as a service ») pourrait en effet permettre d'attirer une clientèle occasionnelle qui était souvent exclue des transports publics du fait des difficultés à trouver de l'information sur les horaires en temps réel, au-delà des prévisions. La combinaison d'offres de transports publics avec celles des nouvelles mobilités (vélos ou engins de déplacements de proximité par exemple) devrait également doper les possibilités de déplacements aisés et propres. Encore faut-il dans un monde agile où les applications les plus utiles viennent du réseau, que les données du transport soient largement ouvertes. Ces nouveautés pourraient ainsi asseoir une nouvelle ère de complémentarité modale, susceptible en améliorant le remplissage de favoriser le modèle économique des transports publics urbains et interurbains. 3.2.1.3 L'intelligence artificielle ne permet pas encore à court terme le développement de véhicules autonomes Dix-sept ans après le challenge de la DARPA 65 qui donna naissance dans un désert californien aux premiers véhicules autonomes, le véhicule totalement autonome n'est toujours pas là. Nul ne peut prédire aujourd'hui ni la date à laquelle des véhicules totalement autonomes pourraient apparaître ni la méthode à utiliser. De manière quasi certaine, on devrait assister au développement de plus en plus important de systèmes d'aide à la conduite : aide au maintien dans la voie (« lane keeper ») ou à la gestion des accélérations et freinages du véhicule (« adaptative cruise control »), prise en charge d'opérations simples (à vitesse réduite) de type valet de parking. Des services de navettes publiques et de robots-taxis sur des itinéraires parfaitement définis ou dans des zones limitées devraient progressivement voir le jour avec des vitesses de plus en plus élevées, sous réserve de leur acceptabilité. Le développement d'un véhicule autonome à un prix raisonnable pour les particuliers reste par contre beaucoup plus incertain. 65 Le défi lancé en novembre 2004 par la DARPA, Defense Advanced Research Projects Agency, de faire rouler un engin autonome dans le désert de Mojave à l'est de Los Angeles est considéré comme le point de départ du développement des véhicules autonomes. Voir notamment https://www.wired.com/story/darpa-grand-challenge-2004-oral-history/ Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 59 3.2.2 Le défi : trouver le bon équilibre de régulation du numérique Le développement du numérique peut améliorer fortement les mobilités et la multimodalité, au prix d'un certain nombre d'inconvénients qu'il faut chercher à encadrer soit en agissant sur le secteur du numérique, soit en agissant sur le transport : la régulation des livraisons pour limiter par le paiement l'accroissement de leur impact environnemental, lié notamment au développement du e-commerce ; le risque de fracture numérique qui conduit à devoir envisager des applications simples et facilement accessibles au public ; la sécurité du covoiturage qui suppose la mise en place de tiers de confiance numérique. À terme, si un développement important des véhicules autonomes pour les particuliers se produisait, pourrait se poser la question de la régulation à mettre en place pour que cette technologie soit réellement au service des territoires et n'engendre pas une forte congestion des centres villes : ce risque dépendra des progrès technologiques réalisés et des performances des véhicules mis en service. Les études menées par le Forum international des transports sur Lisbonne ou d'autres grandes villes ont ainsi montré qu'un déploiement bien encadré de taxis autonomes collectifs pouvait permettre de réduire fortement le nombre de véhicules (de 80 % voire plus dans certains scénarios), et ainsi de diminuer la congestion, les temps de trajet et le nombre de places de stationnement 66. 3.3 - L'aménagement du territoire est un levier à long terme de réduction des émissions de gaz à effet de serre De nouveaux modèles urbains sont possibles : s'ils rencontrent l'adhésion de la population, ce qui est loin d'être gagné aujourd'hui, ils porteront des effets à très long terme. En effet, la pression démographique est très basse en France métropolitaine et de ce fait le tissu urbain évolue très lentement. Si leurs effets sont longs à se traduire, il est d'autant plus indispensable d'amorcer le plus tôt possible ces évolutions si on les considère pertinentes. 3.3.1 Le constat : la politique d'aménagement n'a pas réussi à freiner la périurbanisation et les augmentations d'émissions associées 3.3.1.1 Plusieurs modèles d'urbanisation sont possibles pour satisfaire à la fois les aspirations à la sobriété et l'attente d'espace et de logements abordables Les grandes métropoles mondiales consomment d'autant moins de carburants fossiles par habitant qu'elles sont plus densément peuplées. La différence atteignait un facteur sept entre les villes d'Amérique du nord et les villes d'Asie dans les années 1990. Les enquêtes mobilité montrent également un moindre usage de la voiture et une plus faible distance de déplacement dans les zones urbaines comparées aux couronnes. La convergence des politiques publiques pour réduire les émissions de CO2 pourrait ainsi sembler appeler en matière d'urbanisme et d'aménagement des mesures favorisant la recherche systématique de densité et du renforcement de la métropolisation. La politique ainsi menée en France n'a cependant pas permis de freiner la périurbanisation, car elle n'a pas apporté de réponse au renchérissement de l'immobilier dans les zones denses et donc au développement d'une offre répondant à la demande des ménages (logements abordables et de plus grandes tailles). 66 Urban Mobility System Upgrade. How shared self-driving cars could change city traffic_ http://www.internationaltransportforum.org/Pub/pdf/15CPB_Self-drivingcars.pdf Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 60 Dans le cadre d'un modèle d'économie urbaine qui prend en compte l'aspiration à un logement plus grand et les coûts des déplacements, des émissions de CO2 et du logement, la ville agglomérée dense ne s'impose pas nécessairement pour produire l'optimum socio-économique. Diverses formes sont possibles y compris un centre dense avec une couronne desservie par la voiture 67. La bonne forme urbaine dépend du jeu des valeurs relatives entre les coûts des transports collectifs, de ceux de la voiture, y compris la compensation carbone, et des prix de l'immobilier et du foncier. 3.3.1.2 L'aménagement en Europe du nord peut inspirer une politique à la fois rigoureuse et acceptable L'observation de l'Allemagne, de l'Angleterre et du Danemark, pays plus denses en habitants que la France, permet de constater que ces pays arrivent à mieux préserver leurs espaces naturels et agricoles, à recourir un peu moins à la voiture et parfois plus aux transports collectifs et que la densité de l'habitat reste raisonnable et offre une qualité de vie : le partage modal est un peu moins favorable à la voiture qu'en France et la surface urbanisée par habitant est plus faible. Deux schémas émergent : Le polycentrisme maillé (modèle de Christaller, 1933) comme en Allemagne. Le premier situe les services, les emplois, les divers biens dans une hiérarchie de villes et villages qui équilibre l'offre et la demande pour chacun d'entre eux tout en minimisant les déplacements motorisés des habitants des plus petites unités. En France, cela correspondrait à l'ancien modèle des préfectures et des sous-préfectures (Figure 20). En Allemagne, cela permet en créant la densité suffisante, de pouvoir aller à la gare à pied, d'emprunter des transports collectifs fréquents et sur une large amplitude horaire pour le travail ou les études, et de trouver une offre de commerces et de services satisfaisant les besoins quotidiens. Figure 20 : Schéma de l'implantation des villes du sud du massif central. Source : M.-E. Férérol, 2013. Lecture : Un hexagone représente l'aire desservie (et tributaire) en biens et services par la ville qui occupe son centre. Ainsi un habitant du sud-ouest de Mauriac couvre une partie de ses besoins à Mauriac, puis pour des usages moins fréquents à Decazeville et pour ses besoins plus rares à Aurillac, etc. ce qui minimise ses déplacements. 67 Le type de transport optimal dans chaque zone est celui qui présente le plus faible coût unitaire. Voir rapport thématique aménagement Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 61 Le deuxième modèle, celui de l'urbanisme dit en doigts de gant, est celui que l'on trouve à Copenhague. L'urbanisation s'est développée et est contrainte le long des infrastructures de transport, en particulier le long des lignes de transport collectif. Selon le type d'occupation, une construction n'est possible qu'à une distance maximale des gares d'environ 600 mètres. Cette boîte à outils n'est pas d'utilisation facile en France à deux titres. En premier, notre pays présente une plus faible densité de population que les pays examinés avec des espaces peu chers. L'autre relève d'une culture de l'urbanisme qui a intégré la question de la densité et l'a associée à l'importance de la nature dans les représentations et les pratiques de l'espace habité (l'eau aux Pays-Bas, le rural et le forestier pour l'Allemagne par exemple). L'application de ces modèles à l'espace français requiert un effort plus net pour surmonter les facilités offertes par la faible densité à la dispersion des ressources (habitat principalement). 3.3.2 Le défi : répondre aux besoins résidentiels de façon sobre en mobilité 3.3.2.1 Le renforcement de la trame urbaine de taille intermédiaire et le développement d'une plus forte attractivité résidentielle des centres urbains sont des facteurs décisifs à long terme pour la réduction des besoins de mobilité Ces politiques entraînent outre une réduction des émissions de gaz à effet de serre, des effets favorables sur l'artificialisation des sols et la biodiversité. Leurs effets sont lents et cela justifie des efforts d'anticipation volontaristes. À elle seule la conversion vers la voiture électrique peut se traduire par une simple substitution : il n'y a pas de raison a priori qu'elle ne continue pas à contribuer à la dispersion de l'habitat comme la voiture à moteur thermique a pu le faire par le passé. Cette seule solution technologique ne permet pas d'atteindre la neutralité, ni de répondre aux objectifs de réduction des effets sur l'artificialisation des sols et sur la biodiversité. Le modèle urbain est bien, structurellement, une dimension majeure des évolutions de long terme des mobilités, tout comme il est accompagné ou induit par celles-ci. Conformément à l'esprit général de la démarche, trois ambiances d'aménagement ont été retenues (fil de l'eau, sobre, très sobre) dans le rapport thématique sur l'aménagement du territoire : elles permettent des gains croissants en réduisant le besoin de mobilité mais au prix de contraintes sur l'urbanisme également croissantes. En effet, le transfert progressif des ménages vers des zones plus denses s'opère en particulier par la réduction plus ou moins rapide des constructions dans le périurbain. Des récits sommaires sont proposés pour illustrer les axes de l'aménagement qui leur correspondent, pour préciser la gouvernance nécessaire au succès de leur mise en oeuvre et pour décrire les réactions possibles des acteurs à ces politiques. Ce dernier point est important car la politique de lutte contre la périurbanisation, menée durant les dernières décennies et assez proche de ce qui est envisagé dans ces scénarios, n'a pas eu les résultats escomptés probablement par une mauvaise prise en compte du souhait des ménages en matière de logements abordables et si possible grands. Pour l'aménagement très sobre, il est proposé de ramener l'urbanisation, et la construction neuve, vers les plus gros bourgs et les villes. La ligne directrice serait de privilégier la formation de gros bourgs au-delà de 5 000 à 6 000 habitants au moins à l'horizon 2030-2040 et l'arrêt de toute nouvelle urbanisation dans les communes plus petites, en favorisant les bourgs situés sur une ligne de transport collectif structurant. Cette évolution permettrait de concilier densité et envie d'habiter en recréant des sites pouvant offrir de manière viable une plus large palette de Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 62 services et de commerces, facilitant les déplacements pour le travail et les études avec les transports collectifs, y compris avec un accès à pieds à la gare (ou station), et offrant la proximité de la nature. Même si les SCoT et les PLUi peuvent en être les outils, la gouvernance des intercommunalités actuelle n'est pas adaptée à une telle évolution car elle maintient excessivement des logiques communales étriquées 68. Pour ce scénario le plus ambitieux, la réduction de la mobilité carbonée pourrait être ainsi, en retenant le haut de la fourchette, de 7,5 % en 2050 et 9,8 % en 2060 69. Cet impact modeste d'un meilleur aménagement peut sembler peu significatif. Il résulte de la faiblesse du flux annuel des constructions face au stock de logements. Mais cette politique est aussi nécessaire à la préservation de la biodiversité et à la lutte contre l'artificialisation. À ce titre, on doit souligner évidemment la nécessité d'exploiter au mieux le bâti existant, par des réhabilitations lourdes en remplacement de logements neufs et par la reconversion des friches insérées dans les villes. Cet effet s'amplifie avec les années. Si une telle politique est souhaitée, il est vital de l'engager rapidement et de la maintenir sur le long terme. Les nouvelles générations pourraient être plus sensibles à la lutte contre le réchauffement climatique et l'aménagement peut anticiper sans grand risque ces évolutions. 3.3.2.2 La densification suppose une politique d'offre d'aménités urbaines de qualité Cette densification ne peut être un succès que si elle est plus respectueuse des aspirations des ménages que les anciennes politiques de lutte contre le mitage ou la périurbanisation. Au minimum, les collectivités peuvent se concentrer sur l'offre de services publics, y compris l'offre de transport collectif de grande qualité et donc coûteuse. Les autres activités relèvent plutôt d'une logique de marché, mais le maintien, dans les centres de taille modeste, de prix abordables des logements et la répartition des emplois sur le territoire ne sont pas indépendants des politiques publiques. Garder des habitants dans des villes et gros bourgs plus denses, voire les reconquérir après leur départ dans le périurbain, implique de leur offrir des aménités importantes. L'espace public doit être accueillant en étant spacieux, bien conçu et bien entretenu. La propreté et la sécurité font partie intrinsèque de cette qualité. Les parcs publics végétalisés doivent être multipliés pour redonner un contact avec la nature alors que souvent la minéralité a été privilégiée pour réduire les coûts d'entretien. La bataille de la mobilité se gagne également par la construction d'un réseau de circulations douces. Si l'on veut permettre aux habitants d'aller plutôt à pied ou en bicyclette qu'en voiture, il faut, à côté de transports collectifs attractifs, offrir un maillage continu, et sans rupture (seamless), tant pour les piétons que pour les cyclistes. Laisser plus souvent sa voiture au garage, ou se passer d'en posséder une, suppose d'offrir des transports collectifs plus fréquents. L'équation économique est facilitée si l'on arrive à constituer a minima des gros bourgs denses et à concentrer l'habitat, les bureaux et les équipements publics le long des lignes de transport collectif structurantes, ce qui semble le cas en Allemagne 70. 68 La représentation attachée aux communes au sein des EPCI facilite la constitution de coalition contre des politiques à première vue défavorables à un grand nombre d'entre elles. 69 Dans le cas de l'ambiance peu contrainte, la réduction est plutôt de l'ordre de 1 % 70 Par exemple, la ligne ferrée Kaiserslautern/ Lauterecken-Grumbach, d'environ 35 km, compte 14 arrêts, dessert trois communes fusionnées d'environ 10 000 habitants chacune avec 16 trains par jour aller-et-retour de 5h du matin environ à 20h. En France, la ligne Rennes/Rétiers, d'une longueur équivalente, compte sept gares et dessert deux petites villes (4 500 et 8 500) avec sept TER par jour (plus huit bus directs Janzé puis Rétiers) de 7h30 à 19h30 (et très peu le week-end). Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 63 DES INCERTITUDES MAJEURES Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 64 4 - DES INCERTITUDES MAJEURES 4.1 - Les incertitudes sur le devenir des technologies et sur l'évolution de nos comportements sont majeures 4.1.1 Le constat : les incertitudes sur le développement et la diffusion des technologies ainsi que sur l'évolution des comportements sont majeures Si nous sommes certains que le climat de la planète se transforme de manière très rapide et que, pour se conformer à l'Accord de Paris, l'ensemble des pays de la planète doit aller vers la neutralité carbone dans la deuxième moitié de ce siècle, les incertitudes relatives à la transition que nous allons devoir mener dans le secteur des transports sont considérables : les progrès importants des technologies de motorisation rendent la décarbonation du secteur des transports nettement moins incertaine qu'elle ne l'était il y a quelques années ; toutefois, l'acceptabilité du véhicule électrique et des ruptures d'usage qu'elle entraîne, la disponibilité des matières premières, les technologies nécessaires pour les poids lourds, l'aérien et le maritime constituent des inconnues majeures ; si les technologies d'assistance à la conduite progressent, la date à laquelle des véhicules entièrement autonomes seront disponibles reste extrêmement incertaine ; on peut énoncer de nombreuses pistes de mesures de politiques publiques, mais leur acceptabilité tant qu'elles n'ont pas été étendues à grande échelle reste par nature incertaine : l'abandon de l'écotaxe et de la hausse de la taxe carbone en sont les exemples les plus caractéristiques ; si le dérèglement climatique ne fait pas de doute, l'ampleur de ses conséquences et les valeurs des dommages qu'il pourrait causer restent très incertaines. Les évènements météorologiques exceptionnels observés expliquent l'expression de l'Organisation mondiale de la météorologie, prononcée lors de la présentation de l'état de la planète en octobre 2021 71. La réaction des individus et des collectifs face aux manifestations du changement climatique est tout aussi difficile à prévoir, même si l'augmentation du nombre des réfugiés climatiques est une certitude. 4.1.2 Le défi : piloter dynamiquement les politiques publiques en fonction des évolutions des incertitudes Dans ces conditions, des approches exploratoires détaillées dans le rapport du groupe de travail correspondant ont été menées pour tenter de prendre en compte les incertitudes et les risques dans l'organisation des politiques publiques. 71 "des concentrations atmosphériques de gaz à effet de serre sans précédent et la chaleur cumulée qu'elles induisent ont propulsé la planète sur un terrain inconnu, ce qui a de graves conséquences pour les générations actuelles et futures", (Note de bas de page État du climat en 2021: des phénomènes météorologiques extrêmes et de lourdes conséquences, Communiqués de presse, 31 octobre 2021, https://public.wmo.int/fr/centre-de-presse/press-release Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 65 4.1.2.1 Actualiser régulièrement les politiques et les mesures envisagées Les réductions d'émissions liées à la technologie sont incertaines, si bien que l'ampleur des efforts de sobriété à mener l'est tout autant. Ces politiques devront donc être réévaluées au cours du temps au fur et à mesure que de nouvelles informations seront recherchées et obtenues. Ceci devra donc amener à une révision périodique des politiques publiques (ce qui est déjà le cas de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) ou de la SNBC). On ne peut pas exclure que des mesures de sobriété particulièrement contraignantes soient nécessaires si les nouvelles informations s'avéraient inquiétantes, que ce soit du côté des technologies ou des enjeux en matière d'impact sur l'environnement et le climat. 4.1.2.2 Produire des plans intégrant les effets possibles dans divers scénarios et les actualiser au moins tous les cinq ans À cet effet, afin de ne pas perdre un temps précieux dans la mise en oeuvre des mesures, il est important de produire des plans d'actions contrastés « au cas où » (ou « what if »). Ces plans d'actions, à réviser périodiquement, par exemple tous les cinq ans, pourraient être guidés par des trajectoires de la valeur tutélaire du carbone 72 se situant, de manière plus ou moins importante, au-dessus d'une trajectoire de référence, comme celle du groupe présidé par Alain Quinet menant à 250 /tCO2 en 2030 et 775 /tCO2 en 2050. De manière à pouvoir les mettre en oeuvre rapidement à grande échelle en cas de nécessité, il conviendrait d'en expérimenter la mise en place à plus petite échelle afin de s'assurer de leur faisabilité technique et de leur acceptabilité. Un parangonnage de démarches similaires étrangères peut également être utile dans ce contexte. Ces plans d'actions contrastés devraient également conduire à la mise en place de dispositifs de précaution raisonnables (réservations de terrains pour infrastructures massifiées, dispositions d'urbanisme, renforcement des actions de recherche à long terme). La prévention de deux principaux risques est le coeur de cette logique de plans d'action : réagir trop peu revient à s'exposer à des dommages considérables, amplifiés par les risques liés aux irréversibilités ; mais réagir trop, ou de façon malencontreuse en raison d'informations insuffisantes, c'est risquer des efforts d'évitement se révélant in fine disproportionnés, et difficilement supportables par l'économie nationale. 4.1.2.3 Faire de l'acceptabilité le coeur de la réflexion et non son accessoire Ces plans d'action pourraient utilement intégrer l'ensemble des décisions publiques aux échelles territoriales appropriées, et conduire à des dialogues notamment entre l'État et les autorités organisatrices de la mobilité pour une plus grande réactivité de l'ensemble des pouvoirs publics face aux incertitudes. Au-delà, l'association de la société civile à leur élaboration permettra de les améliorer et devrait être un gage de leur future acceptabilité. 72 La valeur de l'action pour le climat ­ ou valeur tutélaire du carbone ­ représente la valeur que la collectivité doit donner aux actions à entreprendre (changements de comportement, investissements, innovations, etc.) pour réduire les émissions et atteindre l'objectif de neutralité carbone prévu par l'Accord de Paris de 2015 et le Plan Climat français de 2017. https://www.strategie.gouv.fr/actualites/de-laction-climat-cest-quoi Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 66 4.1.2.4 Préparer les échéances lointaines par des jalons crédibles L'incertitude devant l'acceptation d'un levier économique qui peut conduire l'opinion publique à le refuser lorsqu'il prend sa pleine mesure, plaide pour la mise en oeuvre d'une palette de leviers économiques différents (même s'ils se chevauchent parfois), et pour une préparation de leur mise en oeuvre de sorte à ce qu'elle apparaisse comme s'inscrivant dans une « continuité naturelle » : ainsi, l'interdiction de la vente des véhicules thermiques en 2040 pourra être considérée comme allant de soi si, l'année précédente, une grande majorité environ des véhicules neufs vendus n'émettent pas de gaz à effet de serre d'origine fossile. Sinon l'objectif risque d'être repoussé, le moment venu. L'interdiction des ventes de véhicules neuf émetteurs utilisant des carburants d'origine fossile à 2040 est inséparable des normes européennes d'émissions des véhicules neufs qui imposent aux constructeurs une proportion de véhicules n'émettant pas de gaz à effet de serre de plus en plus importante au cours du temps. 4.1.2.5 Approfondir l'application des méthodologies de la décision en avenir incertain Les approches concrètes et explicites de prise en compte des temporalités dans les processus de décision publique sont encore assez rares et la question de la prospective des mobilités semble un champ privilégié pour des réflexions approfondies : certaines des technologies envisageables ne sont pas aujourd'hui matures (faisabilité d'un avion à hydrogène vert ; la disponibilité des biocarburants en quantité suffisante, notamment dans l'aviation ; la faisabilité de la capture du carbone à grande échelle), mais supposent des anticipations fortes ; les coûts sont incertains, les comportements des parties prenantes aux signaux des pouvoirs publics sont peu prévisibles, y compris avec des possibilités de rejets massifs et brutaux (les carburants décarbonés pour le maritime, les solutions décarbonées pour les poids lourds). S'y ajoutent les incertitudes sur le plan des évolutions sociétales vers la sobriété : l'ampleur du télétravail et autres substitutions télécoms, la possibilité de renforcer le covoiturage, qui est aussi liée aux technologies du véhicule autonome, les possibilités de renforcer le report modal à des coûts économiques raisonnables, l'acceptabilité de hausse du prix du carbone, l'acceptabilité d'un système de quotas de carbone si nécessaire. Sont aussi à prendre en compte des risques généraux : il a par exemple a été identifié comme risque majeur l'intensité des dommages liés au dérèglement climatique, lié notamment à la présence ou pas de boucles de rétroaction positives et si oui à partir de quel niveau d'émissions cumulées ou de température, à un moindre degré le risque sur l'intensité des dommages liés à la perte de biodiversité. Le rapport thématique « risques et incertitudes » réunit des éléments de méthodologie, propose des inventaires de risques et la définition d'arbre des décisions, présente des travaux simplifiés, réalisés avec des outils sommaires appliqués au secteur de la mobilité des voyageurs, de mise en oeuvre de calculs d'options réelles et d'autres méthodes (Monte-Carlo, info-gap). Le but est ici d'insister sur la nécessité de développer ces sujets de façon approfondie avec des outils beaucoup plus complets et robustes. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 67 4.2 - Le redoutable défi intermédiaire de la décarbonation à 2030 Dans tous les scénarios de cet exercice, la baisse de l'empreinte carbone « complète » des émissions de GES en 2030 du secteur des transports ne dépasse pas une trentaine de pourcents (pour les transports terrestres en ACV) et reste donc loin de contribuer au prorata de ses émissions à l'objectif de réduction, tous secteurs confondus, de ­ 55 % par rapport à 1990 envisagé par la Commission européenne. Ce résultat s'explique par les délais vraisemblables de la montée en puissance des motorisations décarbonées, qui sont eux-mêmes dépendants de ceux des investissements verts (par exemple des bornes de recharge), de la modification de l'appareil industriel, et de la baisse du coût de revient des véhicules décarbonés. Vient ensuite s'y ajouter l'inertie du parc : la durée de vie des voitures est de plus d'une dizaine d'années, celle des avions ou des navires dépasse régulièrement la vingtaine d'années et atteint même la soixantaine pour certains bateaux si bien que les innovations liées aux véhicules neufs ne se diffusent que lentement. De manière simplifiée, la part des véhicules décarbonés dans le parc automobile en 2030 correspondra globalement à la part des véhicules décarbonés dans la vente des véhicules neufs en 2024. Le décollage constaté récemment des ventes du véhicule électrique constitue, de ce point de vue, un signal faible encourageant : il s'est vendu trois fois plus de véhicules électriques neufs en 2020 qu'en 2019, l'année 2021 a vu une nouvelle accélération notable du déploiement des véhicules électriques et hybrides rechargeables qui représentaient plus de 16 % des ventes sur les huit premiers mois de l'année, et les premiers poids lourds électriques de 26 tonnes font leur apparition sur nos routes. Ce décollage a été impulsé par une règlementation européenne contraignante et des subventions massives. Il serait certainement souhaitable de développer de manière accélérée la conversion électrique des véhicules légers (VL). Cela suppose d'augmenter très rapidement le nombre de bornes de recharges accessibles pour les VL sur route, autoroute et en milieu urbain (y compris dans les copropriétés) et de rendre ces véhicules financièrement accessibles pour une large part de la population. De la même façon, une politique volontariste de déploiement de bornes de recharge pour les poids lourds électriques favoriserait leur développement. Aller au-delà suppose des politiques résolues de sobriété combinant le développement des offres alternatives et des signaux économiques incitatifs : développer le covoiturage et les mobilités actives, renforcer la part modale des transports en commun urbains et du ferroviaire, inciter au télétravail, et mettre en place des taxes élevées sur les carburants, qui seront d'autant plus acceptables que des alternatives crédibles au véhicule thermique auront été mises en place. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 68 CONCLUSION : LE CHEMIN NE VA PAS DE SOI ET IL FAUT LE CONSTRUIRE COLLECTIVEMENT Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 69 5 - CONCLUSION : LE CHEMIN NE VA PAS DE SOI ET IL FAUT LE CONSTRUIRE COLLECTIVEMENT 5.1 - Alimenter un débat public éclairé La transition écologique et énergétique ne pourra être menée à bien que si une majorité de Français en partage les enjeux, les problématiques et l'urgence d'agir. Nombre des parties prenantes considèrent encore aujourd'hui que les progrès technologiques suffiront à eux seuls à résoudre les difficultés du secteur des transports qui pourrait ainsi s'exonérer de la plus difficile question de la sobriété. Le caractère lointain et incertain des projections de long terme peut conduire à considérer ce débat comme prématuré. À défaut d'un illusoire consensus sur les actions retenues, il reste donc d'actualité d'enrichir le débat public par une compréhension commune des termes du débat, aussi bien sur les causes et les conséquences du changement climatique, que sur les moyens et les outils réglementaires et économiques possibles (taxe carbone, marché carbone...) pour le prévenir. Le développement de l'internet qui nous permet d'accéder instantanément à une grande partie des connaissances scientifiques de l'humanité divise plutôt que rassemble : chacun finit en effet par trouver ses informations dans ses propres réseaux sociaux conduisant ainsi à des cultures très éloignées les unes des autres. Trois pistes pourraient nous guider dans ce partage : Mettre les connaissances scientifiques à disposition des décideurs et du public : c'est ce que font le GIEC et l'IPBES tous les six ou sept ans avec leurs rapports scientifiques. Convenons cependant que le résumé pour décideurs du GIEC n'est pas d'une lecture aisée et demande quelques explications. C'est ce que font également parfois les économistes, avec plus de difficultés, compte tenu des positions contrastées inhérentes à cette discipline : le rapport 73 rédigé par une commission rassemblant 26 économistes, français ou étrangers, renommés sous la présidence d'Olivier Blanchard et Jean Tirole a ainsi cherché à éclairer le débat relatif aux trois défis majeurs que constituent le climat, les inégalités et la démographie sur des bases objectives et scientifiques. Créer des lieux de débats, nationaux ou locaux, appropriés : au-delà de la démocratie représentative, des débats ad hoc, s'appuyant sur la connaissance scientifique, permettent d`éclairer la décision. Le Grenelle de l'environnement a ainsi conduit à une première loi adoptée quasiment à l'unanimité. La crise des gilets jaunes montre que le partage des enjeux du climat, de la biodiversité et de l'urgence de l'action est aujourd'hui insuffisant : les conférences de citoyens, la convention citoyenne sur le climat, la mise en place d'assemblées regroupant notamment les élus et les collectivités territoriales, les experts publics, les ONG, les syndicats de salariés, les organisations patronales, bénéficiant des apports de la science et d'un dialogue avec l'exécutif, sont des méthodes possibles. Il y en a certainement d'autres, y compris en local. 73 Les Grands défis économiques, rapport de la Commission internationale présidée par Olivier Blanchard et Jean Tirole, https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/fs-2021-rapport les_grands_defis_economiques-juin_0.pdf Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 70 Évaluer plus systématiquement les politiques de l'État et des collectivités territoriales en recourant notamment à des autorités indépendantes chargées d'évaluer la politique du gouvernement : c'est le rôle du Haut conseil pour le climat 74 et du Climate change Committee 75 au Royaume-Uni (qui a inspiré la création du HCC). À plus court terme, cinq ans après les assises de la Mobilité qui avaient permis de préparer la nouvelle loi d'orientation des mobilités, deux thèmes mériteraient d'être débattus, au plus près des territoires, à la lumière des objectifs de réduction et de la proposition de la Commission de les renforcer à 2030 (en passant d'un objectif européen de réduction à 2030 de - 40 % à - 55 % par rapport à 1990) : celui de la sobriété des déplacements : le présent rapport a montré la nécessité d'agir sur ce levier et en a proposé une définition consistant à réduire le nombre et la longueur des déplacements utilisant des carburants d'origine fossile et à en réduire l'impact en encourageant le report modal et le développement des modes actifs. Ce cadre est-il partagé ? Quels objectifs se donne-t-on ? Peut-on envisager à terme, comme le fait le scénario pari sociétal, des réductions de 20 % de nos déplacements et des transports de marchandises dans un monde où la technologie ne serait pas au rendez-vous ? Comment embrasser l'ensemble des leviers d'action pour initier une tendance favorable ? Légende : Diagramme en cascade des contributions à l'évolution de l'empreinte carbone jusqu'en 2060 pour les 2 scénarios de neutralité (pari technologique et pari sociétal). (Lecture de gauche à droite, en partant de la ligne horizontale d'origine, en additionnant les réductions provenant des variations de la demande de transport, puis en retranchant les effets dus au taux de remplissage et au report modal, et enfin ceux provenant de l'efficacité énergétique et de l'intensité carbone) Source : Prospective 2040-2060, CGEDD-France Stratégie, 2022. 74 75 https://www.hautconseilclimat.fr/ https://www.theccc.org.uk/ Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 71 celui des signaux économiques permettant d'atteindre ces objectifs et des mesures redistributives associées. Ils doivent permettre d'orienter l'ensemble des comportements vers plus de sobriété sans que les dépenses contraintes des premiers déciles n'augmentent. Faut-il envisager une taxe carbone indépendante du niveau de revenus et des mesures de redistribution ou faut-il envisager une taxe progressive ? Faut-il attendre le développement d'un marché d'occasion suffisant du véhicule électrique avant d'envisager une taxation carbone des carburants plus élevée qu'aujourd'hui ? Comment traiter les cas particuliers, tel celui de l'infirmière en milieu rural qui utilise chaque jour son véhicule thermique sur des dizaines de kilomètres ? Ce sont des questions de ce type qui méritent d'être abordées franchement : les réponses qu'elles appellent comportent en effet une part de technicité, mais elles doivent également tenir compte de l'expression des souhaits des usagers ou de leurs représentants afin de construire un chemin collectif. 5.2 - Rendre concrets les termes du débat de la sobriété L'évolution des comportements et des pratiques de vie est une dynamique complexe, hétérogène et intergénérationnelle et un exercice de prospective sectorielle comme celle portant sur les mobilités ne peut en cerner tous les aspects, mais en est largement dépendant. La perception des modes de vie désirables n'est pas une donnée intangible, elle procède de l'éducation, du partage du projet, du récit collectif. Aujourd'hui cette perception est en forte évolution chez une part de la population et sans doute particulièrement chez les plus jeunes, mais elle n'est pas exempte d'incohérences et de contradictions. Chacun a besoin de comprendre les conséquences pour lui-même et ses proches non seulement de l'évolution du climat mais aussi des mesures prises pour ralentir cette évolution. Il souhaite être rassuré sur sa propre capacité à s'inscrire sur la trajectoire que l'avenir lui réserve. Le chemin est d'autant plus aisé que l'on est convaincu que cet avenir est désirable. 5.3 - Bâtir sur les points de convergence les mieux établis Un point semble solidement établi, et ceci est assez récent : les mutations de motorisations sont indispensables et possibles. La mise en place de leviers économiques et réglementaires précoces est indispensable (interdictions de commercialisation de certaines motorisations à des échéances prévues avec dix ou vingt ans d'anticipation, normes européennes d'émissions, ZFE ...) pour parvenir au résultat. Ces leviers seront d'autant plus efficaces qu'ils seront décidés à l'échelle internationale. Ils ne produiront enfin leur effet que si le chemin est jalonné d'étapes intermédiaires et accompagné à chacune de celles-ci et qu'in fine la réalité du marché et des pratiques aura précédé l'entrée en vigueur des mesures d'interdiction. Sans surprise, l'analyse montre tout l'intérêt que les acteurs industriels français et européens soient aidés pour prendre toute leur part à la décarbonation et à l'optimisation des performances par la numérisation et l'automatisation, même s'il est évident que les solutions technologiques ne suffiront pas. L'acceptabilité des mesures, y compris pour cette seule mutation technologique, repose sur les univers de choix (l'accessibilité réelle des alternatives) et sur le sentiment partagé de l'équité de la répartition des efforts, tant au sein de la société française que quand elle se compare aux autres pays. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 72 5.4 - Des ressorts profonds de la conception de la société sont en jeu La promesse généralisée et démocratique de la mobilité individuelle libératrice par la voiture a constitué pendant près d'un demi-siècle un élément de projet collectif sans doute socialement assez fédérateur. Désormais des options assez fortement différenciées, assez complexes et non dénuées de contraintes, lui succèdent : il ne faut pas s'étonner que la société approche cette mutation possible de son projet social avec des entrées très contrastées et que les oppositions s'exacerbent volontiers à chaque difficulté du chemin. Les points de vue divergent aujourd'hui sur le degré de contrainte qui s'opérera in fine sur les mobilités des personnes et des marchandises et c'est bien l'objet du présent travail que d'éclairer cette question. Certains espèrent que les progrès technologiques mettront à portée de tous un champ de possibilités similaire à la situation actuelle, en oubliant parfois que celle-ci est le résultat ellemême d'une très forte évolution en croissance. Le scénario « pari sociétal » suppose le recours à des réductions notables de la mobilité, pour atteindre la neutralité carbone « complète » ainsi que d'autres objectifs environnementaux. Certains considèrent que, dès lors qu'ils seraient significativement contraignants, ces objectifs environnementaux seraient inacceptables et combattent toute mesure allant dans ce sens en espérant que le temps ouvrira des innovations qui viendront résoudre les contradictions actuelles. D'autres considèrent que cette réduction correspond à de nouveaux modes de vie somme toute aussi, voire plus, désirables que les modes de vie actuels. Ils sont confiants qu'une large part de la population y adhérera progressivement. Ils craignent souvent que l'imposition précoce de contraintes fortes génère plus d'incompréhension et de tensions que de résultats, voire de reculs difficiles ensuite à reconquérir. Ils préfèrent une dynamique imparfaite mais en progrès continu à un processus générant des crises. D'autres enfin considèrent au contraire que l'évolution drastique des comportements est indispensable, mais ne sera en rien spontanée : la discipline collective pouvant aller, pour des raisons d'équité jusqu'à des logiques de rationnement, est pour eux indispensable. Ils défendent que ces mesures doivent être prises le plus tôt possible car l'urgence climatique s'impose et que la rigueur des mesures est un signal indispensable pour que chacun comprenne l'importance des mutations nécessaires. L'objet d'une prospective n'est pas de construire de tels nouveaux récits collectifs, ni de porter un jugement sur ces diverses postures. Les contrastes entre les narratifs attachés aux divers scénarios étudiés reflètent qu'une évidence collective est loin d'être établie. C'est pourquoi il n'aurait pas été suffisant de raisonner par un simple backcasting qui, ayant défini un futur désirable unique, ne s'intéresserait qu'à décrire la trajectoire théorique permettant d'y parvenir sans se préoccuper de son acceptabilité ni être lucide sur les options qui peuvent conduire à ne pas y répondre. La question des chemins empruntés par la société est ainsi plus délicate que celle du point d'atterrissage à long terme, question par ailleurs partiellement insoluble en raison des incertitudes. Cette prospective essaye d'apporter une première approche, très modeste, de cette nécessaire analyse de l'arbre des décisions des acteurs publics. Cette matière est assez nouvelle et de nombreux progrès sont nécessaires. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 73 Annexes Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 74 Annexe 1 - Participants à la démarche Comité de pilotage La démarche de prospective a été organisée par un comité de pilotage réunissant le CGEDD et France Stratégie ainsi que les animateurs des groupes thématiques : Dominique Auverlot, Nadine Asconchilo, Francis Beaucire, Régine Bréhier, Geoffroy Caude, Jean Colard, Yves Crozet, Pascal Hornung, Michel Massoni, Jincheng Ni, Bérengère Mesqui, PierreAlain Roche, Alain Sauvant et Michel Savy. Relecture et consultations Plusieurs membres du CGEDD ont accepté de relire et commenter tout ou partie des documents : Philippe Ayoun, Jean-Christophe Baudouin, Bruno Depresle, Pascal Douard, Sandrine Godfroid, Denis Huneau, Patrick Lambert, Bernard Larrouturou, Marianne Leblanc Laugier, Philippe Ledenvic, Sylvie Mathon, Michel Pinet, Michel Rostagnat, Arnaud Zimmerman. La mise en forme et la parution de ces rapports n'auraient pas été possibles sans le travail de Lucinda Dinis da Silva et de Marie Andre-Verhaeghe, les assistantes de la section Mobilité Transport du CGEDD ainsi que celui de la cellule de communication du CGEDD. Par ailleurs ont été consultés avant publication du rapport : La formation transports de la commission de l'économie du développement des comptes de l'environnement L'Union des ports de France et France Logistique pour les volets marchandises L'ensemble des participants aux séminaires transversaux réunis tout au long du chantier dans des séances plénières Intervenants extérieurs ayant présenté des exposés à l'occasion des séances plénières Lors des séances plénières, le comité de pilotage a demandé à différents experts d'éclairer divers aspects essentiels à la démarche ou de présenter des travaux récents (ne sont pas repris ici les nombreux exposés faits lors des séances d'atelier qui figurent dans les rapports thématiques) : Exposé de Thomas Earl de Transport et environnement sur « how to decarbonize transport » et de Luis Martinez et Mallaury Trouvé du FIT sur Outlook 2019 Exposé sur la mobilité en Chine en 2050 par Jincheng Ni de France stratégie et Hervé de Tréglodé consultant Exposé contextuel sur l'évolution du comportement des Français, et en particulier des plus jeunes, à l'égard du développement durable par Sandra Hoibian du CREDOC Intervention de Hérald Ruijters Commission européenne sur la Stratégie de mobilité durable et intelligente de la Commission européenne Exposé d'Alain Petitjean du groupe ALPHA sur le télétravail. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 75 Groupe plénier Le groupe plénier réunit l'ensemble des participants aux ateliers. Il s'est réuni neuf fois au cours de la démarche, la plupart du temps en visio-conférence. ROCHE SAUVANT AYOUN ASCONCHILO CAUDE HUNEAU AUVERLOT NATAF BANOUN LEDENVIC MASSONI MENAGER TORDJMAN CARON LE DALL HORNUNG BREHIER FULDA VIORA CORREZE-LÉNÉE ROSTAGNAT LAMALLE DOUARD BERNARD-GELY LAMBERT CASTEL BAUDOUIN PONCET TAILLÉ-ROUSSEAU DEPRESLE LECONTE ZIMMERMANN BARBUSSE TEYSSIER COLARD NI MESQUI MEILHAN DEGREMONT POCHEZ DELACHE PHILIPPE BOULNOIS PENGCASAVECCHIA Pierre-Alain Alain Philippe Nadine Geoffroy Denis Dominique Jean-Michel Sylvie Philippe Michel Thierry Florence Philippe Jean Pascal Régine Bruno Mireille Patricia Michel Michel Pascal Anne Patrick Florence Jean-Christophe Jean-Damien Jérôme Bruno Manuel Arnaud Alexandre Julien Jean Jincheng Bérangère Nicolas Marie Rémi Xavier Hervé Olivier Sophie CGEDD/MT CGEDD CGEDD/MT CGEDD/MT CGEDD/MT CGEDD/MT CGEDD/MT CGEDD CGEDD CGEDD CGEDD/MT MIGT Bordeaux CGEDD CGEDD CGEDD CGEDD/MT CGEDD/MT CGEDD CGEDD CGEDD CGEDD CGEDD/MT CGEDD CGEDD CGEDD/MT CGEDD/MT CGEDD/MT CGEDD/BEA-TT CGEDD/MT CGEDD CGEDD/MT CGEDD/MT CGEDD/AQST CGEDD/AQST France Stratégie France Stratégie France Stratégie France Stratégie France Stratégie DGITM DGITM DGITM DGITM DGITM DOLCEMASCOLO SAUMTALLY DIVOL MOULINIER TREVIEN MEUNIER BESSIÈRE GEFFRET MARIGOT JACOD MOTAMEDI KOLLI JULIEN PREVOST BUREAU ROUCHAUD GRIMAL VERRY CHANUT CLEMENT PELATA FARENC DE SOLÈRE COTTET CABANNE HAJJAR BORMAND PRÉVORS TRÉMÉAC BIGO BARBUSSE MADRE KOVARIK COMBES DABLANC KONING FRÉMONT LATERRASSE GALLEZ TRIGUI GUITTET TAMBIDORE LEPOUTRE CRÉMEL TARRIER Victor Tibye Elois Jean-Marc Corentin David Sabine Pierre Sokorn Anne Kiarash Zehir Arantxa Thibault Dominique Didier Richard Damien Stéphane Cécile Julie Jean-Matthieu Hélène Marion Isabelle Joseph Victor Lionel Yann Aurélien Stéphane Jean-Loup Jean-Bernard François Laetitia Martin Antoine Jean Caroline Rochdi Kévin Ilangovane Julien Stéphane Franck DGITM DGITM DGITM CGDD CGDD CGDD CGDD CGDD CGDD CGDD CGDD CGDD CGDD CGDD CGDD CGDD CEREMA CEREMA CEREMA CEREMA CEREMA CEREMA CEREMA CEREMA DGEC DGEC DGEC DGEC ADEME ADEME ADEME IFSTTAR IFSTTAR IFSTTAR IFSTTAR IFSTTAR IFSTTAR IFSTTAR IFSTTAR IFSTTAR DGAC DGAC DGAC Bercy Bercy Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 76 BETRY MARTIN ALCAYNA LEHMANN PINART LAVERGNE BOURDON SAVY BOUTUEIL QUINET CROZET RAUX LEURENT PASSALACQ KAUFMANN ORTAR TOILIER GARDRAT DESJARDINS MAULAT DE PALMA GALIANO ROUX NGUYEN-LUONG WAGNER COULY DUBOIS-TAINE ORFEUIL BEAUCIRE BACOT LEUXE Emmanuel Simon Simon Frédéric Marie-Gaëlle Richard Tom Michel Virginie Émile Yves Charles Fabien Arnaud Vincent Nathalie Florence Mathieu Xavier Juliette André Lino Sébastien Dany Nicolas Fabien Olivier-Paul Jean-Pierre Francis Marie-Anne André Bercy Bercy Bercy Bercy Bercy Bercy Bercy ENPC ENPC ENPC LAET CNRS LYON ENPC UA EPFL ENTPE ENTPE ENTPE Université Sorbonne Université Paris 1 Expert INSEE INSEE IAURIF ART ART Expert Expert Expert Experte Expert DE TRÉGLODÉ HAUET LEGO NARRING BRETEAU DAUDE HANEN BOULAND BRUNEL GERI COLARD THERON PENFORMIS VAN CORNEVAL DURON KALAYDJIAN BOUTER SABATIER TERNEL COLDEFY GOUBET BERETTA LE BIGOT LAGARDE LE NAIRE MASERA MEYER MORTUREUX GIRARD TORCHEUX DASSA Hervé Jean-Pierre Léna Pierre Vincent Caroline Fanny Anne Julien Philippe Jean Lucas Nathalie Pierre Philippe François Anne Jérôme Cyprien Jean Cécile Joseph Nicolas Dominique Marie-Laure Régis Jonas Marc Catherine Laurent François Expert Expert Experte Expert CL CL SNCF SNCF SNCF SNCF SNCF SNCF VEDECOM TDIE TDIE IFPEN IFPEN IFPEN IFPEN ATEC AVERE AVERE CCFA ENEDIS RENAULT ARVAL ENEDIS PFA AUTO RENAULT EDF EDF Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 77 Annexe 2 - Les scénarios étudiés Cette annexe décrit les caractéristiques principales des scénarios : le lecteur intéressé trouvera plus de détails dans le rapport transversal ; il trouvera également une déclinaison de ces avenirs possibles dans l'annexe du rapport transversal relative aux tranches de vie mobile dans une trajectoire menant à la neutralité carbone. Légende : Contributions à l'évolution de l'empreinte carbone des mobilités des voyageurs terrestres, selon les scénarios. Le rectangle bleuté représente la plage de variation obtenue pour chacun des facteurs dans les différents scénarios, hormis les valeurs très différentes du scénario du pire climatique. Source : Prospective 2040-2060, CGEDD-France Stratégie, 2022. Le scénario « ambition de base » Le scénario « ambition de base » s'appuie sur les décisions déjà prises, les prolonge et les amplifie en s'inscrivant ainsi dans la continuité des politiques actuelles 76 : il ne s'agit pas d'un scénario central ou de référence au sens classique du terme. Il suppose en effet que dans le prolongement de l'ambition envisagée aujourd'hui, les gouvernements successifs et la société dans son ensemble adoptent de nouvelles mesures, conformément aux objectifs de la loi d'orientation sur les mobilités et de la loi climat et résilience : Neutralité carbone directe (hors ACV) des transports terrestres dès 2050. 76 C'est d'ailleurs ce qui a été réalisé pour la SNBC avec les mesures supplémentaires (AMS) Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 78 Interdiction de la vente de voitures utilisant des énergies fossiles carbonées d'ici 2040 (ce qui peut conduire à recourir à l'électricité à batteries ou à hydrogène, au biogaz, aux biocarburants, à l'hybride avec biogaz ou biocarburants). Fin de la vente des poids lourds neufs utilisant majoritairement des énergies fossiles en 2040, la nette progression de la disponibilité des biocarburants durables et des e-fuels pour l'aérien. Instauration des ZFE (zones à faibles émissions) conduisant à la suppression des véhicules Crit'Air3, donc des diesels sans filtres à particules, dans toutes les agglomérations de plus de 150 000 habitants en 2030 et à des interdictions de circulation de l'ensemble des diesels (VP ou VUL) dans certaines agglomérations à plus court terme (2024 par exemple pour la ZFE du Grand Paris). Adoption par l'OACI d'un objectif de réduction de 50 % des émissions de CO2 du transport aérien à l'horizon 2050 (malgré l'augmentation du trafic). Apparition vers 2035-2040 des premiers avions neutres en carbone à l'émission. Réduction d'au moins 50 % des émissions maritimes mondiales par rapport à 2008. Dans le domaine de la sobriété, il prend en compte un renforcement modéré des politiques publiques actuelles. Le scénario comporte ainsi : Une massification des transports de voyageurs, grâce au développement des transports ferroviaires et collectifs lourds (BHNS, métro, RER, tramway, tram-trains), articulé avec des services de véhicules partagés. Ces services partagés font l'objet d'incitations, par exemple des accès à des couloirs réservés dès lors que les vitesses des bus ne sont pas impactées, ou à des stationnements prioritaires. Les politiques menées sont calibrées en fonction des densités des zones concernées, avec des taux de partage des véhicules plus élevés dans les zones les plus denses, avec une moyenne toutes zones de hausse de ce taux de 15 % (par exemple passage de 1,4 personnes par voiture à 1,6). Le trafic des TCU lourds et du ferroviaire urbain pourrait augmenter de l'ordre de 33 %. S'y ajoute un renforcement des infrastructures pour les modes actifs et doux, par des continuités d'itinéraires et le traitement de points durs non encore équipés, ce qui permet l'augmentation de leurs parts modales qui atteignent des chiffres comparables à ceux de nos principaux voisins, comme par exemple l'Allemagne 77, où la part modale atteint environ 12 % contre 3 % environ en France. Dans la continuité des nouvelles habitudes de mobilité prises lors de la crise sanitaire, un mix de télétravail et de travail en présentiel est encouragé lorsqu'il est possible, pouvant aller jusqu'à deux jours sur cinq à distance en moyenne pour 30 % de la population. Une partie des déplacements longue distance pour motif professionnel (jusqu'à 30 % de ceux-ci) fait l'objet d'une substitution par des moyens de télécommunications. Compte tenu de la sensibilité de la population aux prix des carburants, le signal prix carbone n'est pas explicitement traduit dans l'économie : la contribution climat énergie de la TICPE subsiste à son niveau actuel dans un premier temps. Le deuxième marché mis en place sous l'impulsion de la Commission européenne pourrait cependant conduire dans le temps à une augmentation modérée de la contribution climat énergie qui atteindrait ainsi 113 /tCO2 en 2040 et 250 /tCO2 en 2060 (au lieu de 2030). 77 Voir par exemple : https://www.fub.fr/velo-ville/villes-qui-aiment-velo/villes-qui-aiment-velo-france-etranger Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 79 Le scénario « poussée technologique » Ce scénario est marqué par un très net renforcement du développement technologique dans une dynamique forte dans le sillage des États-Unis et de la Chine, dans une ambiance tirée par la compétition internationale et le marché mondial plus que par la coopération. Ce scénario est optimiste quant aux résultats des innovations aujourd'hui envisagées, et suppose le déploiement de technologies qui restent à mettre au point en particulier dans les secteurs aérien et maritime. Il suppose la disponibilité des ressources naturelles nécessaires pour y parvenir (terres rares, etc.). La neutralité carbone directe est atteinte pour les nouveaux avions à partir de 2040 et pour l'ensemble de la flotte aérienne (correspondant à l'utilisation de l'électricité, de l'hydrogène et des biocarburants durables suivant les segments, hors empreinte des véhicules et des infrastructures) en 2060. Dans le domaine routier, les premiers PL neutres en carbone font leur apparition dans la décennie 2020-2030 si bien que les poids lourds neufs sont neutres à l'émission à partir de 2040 (conformément à la loi de lutte contre le dérèglement climatique) et la neutralité carbone « directe » (hors empreinte) des VP et des PL est obtenue en 2050 ; un basculement vers les véhicules professionnels neutres en carbone est constaté dès 2030 ; le sourcing le plus décarboné possible des matériaux pour les véhicules (batteries, caisse...) ainsi que leur recyclage ou leur réutilisation dans une deuxième vie après la mobilité deviennent la règle générale notamment au-delà de 2040 ; la disponibilité de biocarburants avancés et de carburants de synthèse décarbonés à destination principalement de l'aérien est assurée grâce à une bonne mobilisation de l'appareil industriel et à une répercussion des coûts sur les voyageurs. Dans cette ambiance de diffusion du progrès technologique, le coût des technologies bas carbone baisse rapidement et les coûts d'évitement des GES par les technologies sont plutôt faibles : dans l'automobile par exemple, le véhicule électrique devient ainsi moins cher que son équivalent thermique vers 2025 78 et il en est de même pour les poids lourds vers 2030 ; des dispositifs de capture et stockage du carbone se généralisent à partir de 2030 dans l'industrie et dans le maritime, mais pas pour les poids lourds malgré l'offre commerciale de certaines entreprises 79. Afin de permettre l'évolution rapide des technologies, le signal prix carbone est explicitement traduit dans l'économie sous forme d'une palette d'outils différents (normes, marchés, taxes, bonus/malus ...) : la trajectoire implicite de la valeur du carbone augmente à un rythme supérieur à celui préconisé par la Commission Quinet dans le cadre des travaux menés pour France Stratégie 80, en raison de la volonté d'atteindre, dans le domaine des transports, une neutralité carbone de l'empreinte de la France, autrement dit une neutralité carbone tenant compte des émissions à l'amont du cycle pétrolier et de celles produites pour la fabrication des biens importés (et exportés). Néanmoins, afin de tenir compte de la sensibilité de l'opinion au prix du carburant, le volet contribution climat énergie de la TICPE n'augmente que de façon modérée à travers la mise en place d'un signal prix carbone européen conformément à la proposition de 78 Même si ce résultat est discutable, Volkswagen annonce que le TCO de ses véhicules électriques est déjà moins élevé que celui des véhicules thermiques équivalents. Voir notamment : https://www.automobile-propre.com/comparatif-chezvolkswagen-lelectrique-serait-moins-cher-que-le-thermique/ 79 Transport technologies : Mobile Carbon Capture, Saudi Aramco, https://www.aramco.com/en/creating-value/technologydevelopment/transport-technologies/mobile-carbon-capture# 80 Correspondant à 250 /tCO2e, et environ 500 et 750 /tCO2e : il s'agit d'euros courants 2019 (autrement dits d'une valeur courante sans tenir compte de l'inflation à partir de 2019) https://www.strategie.gouv.fr/publications/de-laction-climat Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 80 la Commission de juillet 2021 81 et atteint ainsi 113 /tCO2 en 2040 et 250 /tCO2 en 2060 (au lieu de 2030), tandis que les normes de décarbonation de la construction des véhicules et leurs batteries sont renforcées pour se rapprocher de la neutralité carbone. L'Union européenne impose un pourcentage obligatoire de biocarburants de plus en plus élevé 82 au cours du temps pour les vols au départ des aéroports européens. Une taxe carbone est instaurée sous forme de mécanisme d'ajustement carbone à la frontière conformément à la proposition de la Commission européenne de juillet 2021. Le scénario « poussée de sobriété » Ce scénario est marqué, sans plus de performance technologique que le scénario de l'ambition de base par un renforcement des politiques de sobriété. Ainsi, du télétravail et des télé-activités, en s'appuyant sur le progrès des télécommunications, sont recherchés : à 2060, 50 % des actifs télétravaillent en moyenne trois jours par semaine, avec un effet rebond restant à 50 % 83. Le niveau de la taxe carbone est également renforcé pour aller vers 500 /tCO2 en 2060 (y compris en aérien). Les politiques de développement des modes ferroviaires et de TCU lourds sont accélérées, en conjonction avec un renforcement du covoiturage. Les taux de remplissage moyens sont modulés en fonction de la densité des zones. L'encouragement des modes actifs et doux est davantage renforcé. À cet effet, des mesures de partage de voirie sont prises, augmentant l'allocation de l'espace en faveur des TC, du covoiturage et des pistes cyclables, au détriment de la voiture à une seule personne, et du stationnement. Sous réserve d'un bilan carbone positif en analyse en cycle de vie, davantage de nouvelles infrastructures de transport collectif lourdes sont construites en ville et sur les grands axes interurbains. Les interfaces intermodales sont développées, notamment les parkings relais autour des grands axes de transports collectifs lourds. Ceci résulte notamment du choix d'une valeur du carbone plus élevée, qui a pour conséquence une augmentation des emports moyens et un plus grand recours aux transports collectifs. Pour les marchandises, l'accès à la voirie ou au stationnement peut être rendu plus rare, notamment dans les cas de remplissages faibles des véhicules. Les capacités des noeuds ferroviaires sont renforcées, et des améliorations voire construction de lignes nouvelles fret ou mixtes sont renforcées, sous réserve de bilan carbone favorable en cycle de vie. L'étalement urbain est davantage limité. Le scénario hyper contraint Ce scénario illustre les risques d'échec si les progrès technologiques envisagés dans le scénario d'ambition de base ne sont pas au rendez-vous. Il se place dans l'hypothèse où la société cherche à minimiser néanmoins l'empreinte carbone, sans y parvenir toutefois, par des mesures de sobriété seules. 81 Dans le cadre du paquet fit for 55, la Commission a proposé la mise en place à partir de 2027 d'un deuxième marché de quotas d'émissions de gaz à effet de serre portant sur le transport et le chauffage et s`appliquant aux importateurs d'hydrocarbures. 82 Sachant qu'il n'existe pas de limite technique supérieure au taux d'incorporation. 83 L'effet rebond est à comprendre comme le ratio entre les voy-km supplémentaires effectués par le télétravailleur (à court terme du fait du temps disponible additionnel, et à long terme du fait de sa potentielle relocalisation plus éloignée) par rapport à ceux qu'il économise du fait de ses déplacements éludés vers le travail. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 81 Une transition énergétique mal préparée et/ou trop rapide, une volonté de développer toutes les technologies en même temps ou, à l'inverse, d'en privilégier une qui ne sera finalement pas retenue au niveau international peuvent en effet conduire à des coûts économiques trop importants pour l'industrie, pour les ménages ou pour les dépenses publiques. En l'absence de technologies bas carbone efficaces, les contraintes sont telles que même des mesures fortes de politique redistributive ne suffisent pas et se traduisent par des dépenses élevées et une aggravation des inégalités sociales. Dans ce scénario le gouvernement impose des mesures de plus en plus drastiques (et de plus en plus mal acceptées par la population), ce qui entraîne la fermeture ou la délocalisation d'une partie de l'appareil industriel, une forte augmentation des importations et un ralentissement marqué de la croissance économique. Ce scénario aboutit vraisemblablement à des conflits sociaux et/ou à une crise qui ne permet plus de poursuivre la transition vers la neutralité carbone. Le scénario du pire climatique Ce scénario constitue une deuxième illustration des risques d'échec dans l'atteinte des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Il est marqué par l'absence de développement de nouvelles technologies bas carbone, par une faible diffusion du progrès technologique liée à la défiance de la population à l'égard de la technologie et par un délitement progressif de l'Accord de Paris. Les mesures de régulation nécessaires à la lutte contre le réchauffement climatique ne sont pas acceptées par la population et ne sont donc mises en oeuvre que de manière extrêmement modérée, ce qui en limite fortement l'efficacité. Dans ce scénario, les ventes de véhicules neufs décarbonés ne représentent que 30 % des véhicules neufs à 2040, le marché de l'occasion des véhicules électriques ne se développe que lentement, l'incorporation de biocarburants durables reste faible, voisin de 5 % à 10 % dans l'aérien à 2040, tandis que le maritime n'adopte pas de carburants neutres en carbone. L'autosolisme perdure et les reports modaux en faveur de la voiture constatés pendant la crise sanitaire se prolongent. Aucune régulation d'usage n'est mise en place à l'arrivée des véhicules autonomes terrestres ou des drones. Il en découle une baisse du taux d'emport moyen des voitures ainsi qu'un développement de la circulation de véhicules vides pour assurer les repositionnements. Globalement, tant en voyageurs qu'en marchandises, le nombre de circulations pourrait doubler de ce fait. Le scénario « pari technologique » Ce scénario repose sur un développement optimiste de la technologie équivalent au scénario poussée de technologie mais aussi sur des actions renforcées de sobriété. Une taxe carbone et/ou des dispositifs quantitatifs de contingentement du carbone émis sont mis en place dans l'ensemble des modes, notamment routier et aérien, (voyageurs et marchandises) à un niveau suffisant pour atteindre la neutralité des mobilités. Comme dans le scénario « poussée technologique », le progrès technologique est favorisé par un très net renforcement de la coopération mondiale dans la lutte contre le changement climatique propice à la mise au point de nouvelles technologies bas carbone et la diffusion rapide du progrès technologique ainsi qu'à l'adoption au niveau mondial d'objectifs ambitieux globaux, mais aussi sectoriels pour l'aviation et le maritime. Dans le domaine des véhicules terrestres, les progrès technologiques conduisent à une fabrication largement décarbonée des véhicules, y compris des batteries pour les véhicules électriques au-delà de 2040. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 82 Du point de vue des politiques de sobriété, il est supposé quelques éléments au-delà des politiques figurant dans le scénario de « poussée de sobriété ». Pour les voyageurs terrestres, la politique est identique à celle du scénario de « poussée de sobriété ». Pour les marchandises, il est visé une réduction de 5 % en 2060 des tonnes-kilomètres au moyen de contrats verts incitatifs. Dans le mode aérien, les voyageurs réduisent également leur nombre de voyages et/ou leurs portées d'environ un cinquième (22 %) sous l'effet de mesures comme par exemple la modération voire l'interdiction de la publicité et le renforcement de l'information sur les dommages. Le marché ETS est étendu au maritime international (avec la participation de la Chine et des États-Unis), le signal prix carbone résultant du dispositif Corsia se rapproche des prix de l'ETS. L'OMI adopte ainsi un objectif de neutralité carbone pour les nouveaux navires de la flotte mondiale à partir de 2030 et de neutralité carbone à 2050. L'OACI adopte en 2022 des objectifs similaires pour les nouveaux avions à partir de 2040 et de neutralité carbone directe pour l'ensemble de la flotte aérienne (correspondant à l'utilisation de l'électricité, de l'hydrogène et des biocarburants durables suivant les segments) pour 2060, hors empreinte des véhicules et des infrastructures, résultat qui est atteint grâce à un recours massif à des énergies décarbonées mais aussi à une compensation par des procédés d'émissions négatives, certifiés sur le plan international. Des surcoûts significatifs sur les voyages aériens en découlent, notamment en long courrier. Au-delà de mécanismes de solidarité généraux qui devraient alors être renforcés, des mécanismes de financement particuliers devraient être mis en oeuvre à l'égard des personnes habitant les départements et territoires d'Outre-Mer pour permettre leurs déplacements depuis ou jusque le territoire métropolitain. Le scénario « pari sociétal » Si les progrès technologiques sont ceux du « scénario ambition de base », par exemple l'électrification du parc VL mais sans allongement de durée de vie des batteries ou production décarbonée de ces dernières, les mesures de sobriété à envisager pour atteindre la neutralité en empreinte sont beaucoup plus importantes (politique dite ultra forte) encore. 50 % de la population active télétravaille trois jours par semaine, avec 25 % d'effet rebond seulement 84. Le remplissage des véhicules est porté à plus de 3,3 personnes en moyenne (contre 1,4 actuellement) et le stationnement est fortement contraint, il y a 33 % d'usage des transports en commun dans les grandes agglomérations (au lieu de 19 % actuellement). Les grands axes routiers urbains sont reconfigurés avec une voie bus, une voie covoiturage, une piste cyclable continue et un trottoir élargi. Le vélo représente 14 % des voyageurs-km dans les grandes agglomérations. Les investissements TCU lourds iraient bien au-delà de capacité (par exemple des voies supplémentaires, un système de signalisation plus performant permettant le passage de trains supplémentaires...) et incluraient des lignes nouvelles (train, métro, tram, BHNS...). L'extension urbaine serait quasiment gelée, avec toutefois un peu de construction neuve dans les zones près des gares et stations de TCU lourds, ainsi que la facilitation des correspondances intermodales entre les TCU et le covoiturage en parcours terminal. 84 L'effet rebond est à comprendre comme le ratio entre les voy-km supplémentaires effectués par le télétravailleur (à court terme du fait du temps disponible additionnel, et à long terme du fait de sa potentielle relocalisation plus éloignée) par rapport à ceux qu'il économise du fait de ses déplacements éludés vers le travail. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 83 Ces mesures de partage de voirie et d'investissement TCU ne suffisent toutefois pas, et ne contribuent pas à la sobriété des mobilités en dehors des espaces centraux. Une hausse de taxe carbone au-delà de 500 /tCO2 au niveau requis pour atteindre la neutralité des mobilités poserait des problèmes ingérables de redistribution compte tenu de l'hétérogénéité des situations. De ce fait, une carte carbone destinée à limiter les émissions des hypermobiles serait alors envisagée pour ramener la part des personnes qui émettent 80 % des GES à un peu plus de 60 % seulement. 50 % des voyages aériens à motif professionnel sont substitués par des visio-conférences ou des audio-conférences et la demande globale est réduite au moyen d'une carte carbone, ramenant la part des personnes qui émettent 80 % des GES de ce secteur à 30 % seulement. La capacité des aéroports est gelée, les investissements se limitent au renouvellement et à la qualité de service ; du fait de la baisse de demande, une partie de la capacité aéroportuaire est reconvertie à d'autres usages. En marchandises, une réduction complémentaire de 35 % (à la politique de poussée de sobriété) des tonnes-km est obtenue par des politiques de limitation quantitatives. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 84 Annexe 3 - Les principaux indicateurs de synthèse des scénarios DÉPLACEMENTS TERRESTRES DE VOYAGEURS À 2040 ET 2060 Tableau 8 : Indicateurs de synthèse des scénarios pour les déplacements terrestres de voyageurs Voyageurs terrestres 2040 2060 (Indicatif) Circulations routières G veh-km routiers Motorisation en ACV (gCO2/veh-km routier) Part des Modes doux en voy-km 4,0% 4,0% 5,7% 5,7% 5,7% 5,7% 6,7% 7,3% 4,0% 9,0% 9,0% 12,0% 12,0% 12,0% 14,0% 85 Remplissage VP dans les grandes agglos 1,40 1,05 1,66 1,66 1,70 1,62 1,70 1,89 0,70 2,30 2,30 2,44 2,18 2,44 3,30 Massification et report modal (Voykm tous modes/vehkm routiers) Demande G voy-km tous modes terrestres Part des TCU lourds dans les grandes agglos en voy-km 19% 14% 21% 21% 22% 21% 22% 23% 8% 26% 26% 27% 25% 27% 33% GES ACV MtCO2eq 114 940 476 1,98 2040 Scénarios de forecasting Pire climatique Ambition de base Poussée de technologie Poussée de sobriété Hypercontraint Scénarios de backcasting Pari technologique Pari sociétal 1102 979 511 431 2,16 2,27 2060 Scénarios de forecasting Pire climatique Ambition de base Poussée de technologie Poussée de sobriété Hypercontraint Scénarios de backcasting Pari technologique Pari sociétal 1362 979 524 314 2,60 3,12 32 63 17 20 1454 1362 1377 1331 1254 1451 541 547 512 512 1,00 2,52 2,52 2,60 2,45 145 63 32 63 145 211 34 17 32 74 96 142 49 61 1192 1124 1133 1079 1055 799 527 531 500 500 1,49 2,13 2,13 2,16 2,11 190 142 96 142 190 151 75 51 71 95 254 121 Scénarios 1990 2017 NB : les données de l'année 2017 correspondent aux données des Comptes des transports de la Nation 85. 85 Les comptes des transports en 2018 - 56ème rapport de la Commission des comptes transports de la Nation devenue en 2021 la formation transport de la Commission de l'Économie du Développement Durable) : https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/les-comptes-des-transports-en-2018-56e-rapport-de-lacommission-des-comptes-des-transports-de-la Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 DÉPLACEMENTS EN AVION DE VOYAGEURS (Y COMPRIS À L'INTERNATIONAL) À 2040 ET 2060 Tableau 9 : Indicateurs de synthèse pour les déplacements en avion (y compris à l'international) Voyageurs aériens 2040 2060 Scénarios Valeurs 1990 Valeurs 2017 376 Valeurs 2040 Scénarios de forecasting Pire climatique Ambition de base Poussée de technologie Poussée de sobriété Hypercontraint Scénarios de backcasting Pari technologique Pari sociétal 487 343 Valeurs 2060 Scénarios de forecasting Pire climatique Ambition de base Poussée de technologie Poussée de sobriété Hypercontraint Scénarios de backcasting Pari technologique Pari sociétal 656 147 27 72 18 11 1145 793 947 643 643 94 72 27 72 94 107 57 26 46 60 97 120 47 41 677 565 577 511 511 129 120 97 120 129 87 68 56 61 66 181 Demande Gvoy-km aériens Motorisation et massification (GES/voykm en gCO2/voy-km) GES ACV tous GES (eq Forçage radiatif) MtCO2eq 39 68* (*) L'estimation inclut l'ensemble du transport aérien, de voyageurs et de marchandises. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 86 TRANSPORT TERRESTRE DE MARCHANDISES À 2040 ET 2060 Tableau 10 : Indicateurs de synthèse du transport de marchandises Marchandises terrestres 2040 2060 Demande G tonnes-km tous modes terrestres Motorisation en ACV (gCO2/vehkm routier) Circulations routières G vehkm routiers Massification et report modal (Ton-km tous modes/veh-km routiers) Scénarios Valeurs 1990 Valeurs 2017 Scénarios de forecasting Pire climatique Ambition de base Poussée de technologie Poussée de sobriété Hypercontraint Scénarios de backcasting Pari technologique Pari sociétal Scénarios de forecasting Pire climatique Ambition de base Poussée de technologie Poussée de sobriété Hypercontraint Scénarios de backcasting Pari technologique Pari sociétal 656 449 191 131 3,4 3,4 72 115 920 690 690 662 662 439 201 201 181 181 2,1 3,4 3,4 3,7 3,7 304 115 72 117 336 540 440 167 136 Valeurs 2060 3,2 3,2 236 338 617 557 557 549 549 235 172 172 166 166 2,6 3,2 3,2 3,3 3,3 457 338 236 341 482 423 137 Valeurs 2040 3,1 682 (*) L'estimation inclut tous les VUL, particuliers et professionnels. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 GES ACV MtCO2eq 71 94* 108 58 41 57 80 39 46 133 23 15 21 61 14 15 87 TRANSPORT MARITIME DE MARCHANDISES À 2040 ET 2060 Tableau 11 : Indicateurs de synthèse du transport maritime de marchandises pour les différents scénarios à 2040 et 2060 Marchandises maritimes 2040 2060 Scénarios Valeurs 1990 Valeurs 2017 Scénarios de forecasting Pire climatique Ambition de base Poussée de technologie Poussée de sobriété Hypercontraint Scénarios de backcasting Pari technologique Pari sociétal Scénarios de forecasting Pire climatique Ambition de base Poussée de technologie Poussée de sobriété Hypercontraint Scénarios de backcasting Pari technologique Pari sociétal 1518 1366 1,7 3,6 3 5 2380 2052 2052 1518 1518 7,6 3,6 1,7 3,6 7,6 18 7 4 6 12 1590 1431 Valeurs 2060 3,9 7,3 6 10 1831 1649 1649 1590 1590 8,5 7,3 3,9 7,3 8,5 16 12 6 12 14 1400 Valeurs 2040 9,9 Demande G tonnes-km Motorisation et massification (GES/tonkm en gCO2eq/ton-km) GES ACV MtCO2eq 20 14 Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 88 ÉMISSIONS DE GES (EN ACV) TOUS MODES TERRE+AIR+MER À 2040 ET 2060 Tableau 12 : émissions de gaz à effet de serre en empreinte carbone « complète » (y compris le maritime et l'aérien international) pour les différents scénarios à 2040 et 2060 Émissions GES 2040 2060 terre air mer Scénarios Pire climatique Ambition de base Poussée de technologie Poussée de sobriété Hypercontraint Pari technologique Pari sociétal 1990 Scénarios de forecasting 244 244 244 244 244 Scénarios de backcasting 244 244 296 296 142 159 51 51 296 296 296 296 296 362 213 154 200 254 470 122 61 105 207 2017 2040 2060 Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 89 Annexe 4 - Glossaire des sigles et acronymes Acronyme 3D ACV AIE BHNS CAE CCC CCNR CCNUCC CCS Cerema CGDD CGEDD Citepa CO2 COP (de VNF) COR CORSIA DARPA DNV EEDI ETS FIT G20 GES GIEC GNL HCC IATA Insee InTerLUD IPBES IPCEI OACI OCDE OGM Signification Trois dimensions Analyse en cycle de vie Agence internationale de l'énergie Bus à haut niveau de service Conseil d'analyse économique Climate Change Committee, équivalent britannique du Haut conseil pour le climat Commission centrale pour la navigation du Rhin Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques Captage et stockage du carbone Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement Commissariat général au développement durable Conseil général de l'environnement et du développement durable Centre interprofessionnel technique d'études de la pollution atmosphérique Dioxyde de carbone Contrat d'objectifs et de performance (de Voies navigables de France) Conseil d'orientation des retraites Carbon Offsetting and Reduction Scheme for International Aviation Defense Advanced Research Projects Agency Det Norske Veritas Mesures restrictives énergétiques dans le monde maritime Système communautaire d'échanges de quotas d'émissions Forum international des transports Groupe des 20 pays économiquement les plus forts Gaz à effet de serre Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat Gaz naturel liquéfié Haut conseil pour le climat Association du transport aérien international Institut national de la statistique et des études économiques Programme d'innovations territoriales et logistique urbaine durable Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques Important project of common european interest Organisation internationale de l'aviation civile Organisation de coopération et de développement économiques Organisme génétiquement modifié Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 90 Acronyme OMI ONG ONU PIA PIB PL PLUi PPE R&D SCoT SNBC TC TCU TER TGV TICPE VAE VNF VP VUL ZAN ZFEm Signification Organisation maritime internationale Organisation non gouvernementale Organisation des nations unies Programme d'investissements d'avenir Produit intérieur brut Poids lourd Plan local d'urbanisme intercommunal Programmation pluriannuelle de l'énergie Recherche et développement Schéma de cohérence territoriale Stratégie nationale bas carbone Transport en commun Transport en commun urbain Train d'équilibre régional Train à grande vitesse Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques Vélo à assistance électrique Voies navigables de France Véhicule particulier Véhicule utilitaire léger Zone à artificialisation nette Zone à faibles émissions mobilités Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 91 INVALIDE) (ATTENTION: OPTION affectés au transport de personnes ou de marchandises et utilisant majoritairement des énergies fossiles d'ici 2040. Cet arrêt des ventes ne sera cependant possible que si la vente des VUL et PL neutres à l'émission et avec une faible empreinte augmente au fur et à mesure du temps et bénéficie de la mise en place de stations de recharge en nombre suffisant. 2.3.2.2 Favoriser l'essor des technologies alternatives à la route par des mesures pragmatiques Il est facile dans un exercice de prospective d'envisager des objectifs ambitieux de report modal : ce travail n'échappe pas à la règle. Les scénarios se rapprochant de la neutralité carbone envisagent en effet : une forte progression dans le scénario de neutralité carbone du trafic ferroviaire de marchandises, provenant d'une hausse de la qualité du transport et de sa productivité, et de la réalisation d'investissements de capacité et de modernisation présentant un bilan GES en ACV favorable et efficace, en particulier dans le numérique : sa part modale pourrait ainsi quasiment tripler à l'horizon 2060 (28 %), en cohérence avec la stratégie nationale bascarbone et en ligne avec les ambitions européennes du développement du fret ferroviaire ; selon l'association 4F (qui reprend les calculs d'Altermind), un doublement de la part du rail en France en passant de 9 à 18 % éviterait chaque année à partir de 2030 l'émission de huit millions de tonnes de CO2. De plus, comme un train de marchandises décharge la route d'environ quarante camions, l'effet en chaîne sur la décongestion du trafic, l'amélioration de l'efficacité économique et la qualité de vie est vite très sensible 38 ; une croissance significative du transport fluvial au cours des vingt prochaines années sous réserve de la capacité de la flotte à se décarboner dans cette même période de temps et une part modale du fluvial qui pourrait quasiment doubler d'ici 2060. Plus difficile est la définition des mesures à mettre en oeuvre à coût raisonnable pour parvenir à ces objectifs : c'est tout l'objet de la stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire publiée en septembre 2021. Dans son avis sur cette stratégie, le Conseil d'orientation des infrastructures demandait récemment avec insistance sa traduction en plans d'action concrets partant des besoins exprimés par les acteurs économiques et les territoires 39. C'est cette stratégie par étape qui est esquissée dans la figure 10, mais qu'il reste à préciser. 38 39 Voir en particulier : https://www.sncf.com/sites/default/files/press_release/4F%20CP-DEF%2025062020.pdf Avis téléchargeable sur le site du COI : https://www.ecologie.gouv.fr/conseil-dorientation-des-infrastructures-coi Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 40 Figure 10 : Proposition de cadre de synthèse de la formalisation des étapes, de leurs moyens et de leurs résultats attendus. Source : Source : COI, 202139. 40 2.3.2.3 Amener et accompagner les pratiques de la logistique urbaine vers la neutralité carbone Dans le domaine de la logistique urbaine, ces dernières années ont été marquées par une dispersion croissante des comportements favorisée par les progrès de toutes natures. Il est sans doute illusoire de vouloir établir un palmarès des pistes d'action pour les années à venir. La diversité des situations locales appelle des réponses adaptées au contexte et de nouvelles solutions technologiques ou numériques viendront « rebattre les cartes ». La logistique urbaine est une chaîne complexe dont le bilan environnemental est déterminé par la décision de plusieurs acteurs, et notamment, celle du destinataire final : le rapport thématique sur le transport des marchandises terrestres estime ainsi que la logistique urbaine représentait en 2017 de 15 à 20 % des émissions de CO2 du transport routier de marchandises. Avec le développement du commerce en ligne, la décision du consommateur final prend davantage d'importance 41. Les études disponibles comparant le bilan environnemental du e-commerce et du commerce traditionnel ne permettent pas de trancher en faveur de l'un ou de l'autre 42. Elles conduisent, en revanche, à identifier les facteurs d'une plus grande sobriété et la façon dont ces leviers sont Avis du conseil d'orientation des infrastructures sur la stratégie de développement du fret ferroviaire, 2021. https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/COI%20avis%20SDFF%20VDEF%202021-05-31.pdf 41 Voir Pour un développement durable du commerce en ligne, Février 2021, rapport CGEDD-France stratégie-IGF, Gilles BON-MAURY, Julien FOSSE, Marie DEKETELAERE-HANNA, Patrick LAMBERT, Philippe VINÇON, Vincent CONSTANSO, Valentine VERZAT, Vivien GUÉRIN, https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/fs-rapportpour_un_developpement_durable_du_commerce_en_ligne-11-03-2021.pdf 42 The net environmental impact of online shopping, beyond the substitution bias, Heleen Buldeo Rai, Université Gustave Eiffel, Logistics City Chair, France. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 40 41 (ou non) efficacement mobilisés ou rendu inopérants par l'évolution des comportements. Le bilan dépend de différents facteurs comme l'environnement et du comportement du consommateur (milieu urbain versus rural, proximité d'un point relais, modes de transport à disposition, véhicule utilisé ...) ou ceux du vendeur (localisation des entrepôts, emballages...). La compétition que se livrent les plateformes tend à encourager la demande d'immédiateté de la part des consommateurs, en leur masquant le coût de la livraison et en leur donnant l'illusion de la gratuité. Les livraisons instantanées exercent une forte pression sur la livraison, et ont un impact important en matière d'émissions de CO2, d'usage de l'espace public et même, comme le soulignent les travaux de Laetitia Dablanc 43, de condition sociale de la livraison. Si les consommateurs n'ont pas suffisamment conscience de l'impact de leurs choix (livraison lente plutôt qu'instantanée, limitation des retours...) sur le bilan des émissions de CO2 du secteur, leur participation active aux stratégies qui devront être mises en place pour réduire les émissions est pleinement nécessaire. Les convaincre et les mobiliser en ce sens est une priorité. C'est d'ailleurs le sens des premières recommandations de la Charte d'engagements environnementaux des acteurs du commerce en ligne pour la réduction du commerce en ligne proposée par France Logistique et France Stratégie en juillet 2021 : « informer le consommateur de l'impact environnemental de la livraison » et « offrir au consommateur la possibilité d'identifier les produits du catalogue au meilleur bilan environnemental 44 ». À côté des évolutions de motorisation, les restrictions d'usage de l'espace public (ZFE, réglementation de la livraison...) sont des outils importants pour inciter les entreprises à optimiser les tournées de livraison. Mais leur impact sur le comportement des consommateurs est faible. Si 34 % des acheteurs en ligne se disent prêts à payer plus pour une livraison plus écologique, les enquêtes font ressortir le respect de l'environnement au dernier rang des critères de choix ; la livraison gratuite vient en tête, puis le lieu de livraison, le domicile étant le premier choix. Les abonnés représentent le tiers des e-acheteurs et sont les moins écoresponsables 45. Informer le consommateur sur le bilan environnemental du service de la livraison, éviter de faire de la livraison express l'option par défaut, s'agissant des délais de livraison, interdire la mention « livraison gratuite » sont autant de pistes suggérées pour infléchir les comportements. Faire payer la livraison, et en particulier la livraison express, à un tarif incluant son impact environnemental, notamment en matière d'émissions de CO2, serait un moyen efficace de réguler le comportement des consommateurs et de l'amener vers davantage de sobriété, pour autant que ce coût lui soit explicitement répercuté. Cette proposition recouvre plusieurs notions différentes consistant à combattre la notion de livraison gratuite : obliger l'expéditeur à indiquer dans la facture le coût de livraison, et faire payer au client final le coût de livraison réel auquel on ajoute le paiement des externalités, ce dernier devant être reversé à la collectivité. Si elle est répercutée sur le consommateur, une mesure de taxation des colis, assortie d'une surtaxe des livraisons instantanées, paraît répondre à l'objectif de guider le comportement du consommateur vers une plus grande sobriété en matière d'émissions de CO2. Une mise en oeuvre 43 « Étude sur les livreurs des plateformes de livraison instantanée du quart nord-est de Paris » sur la base d'une enquête réalisée par 6t-bureau de recherche pour le compte de l'Université Gustave Eiffel, la Chaire Logistics City et l'ANR MOBS sous la direction de Laetitia Dablanc. 44 https://www.strategie.gouv.fr/publications/filieres-de-commerce-ligne-de-logistique-responsables-premieres-signatureschartes 45 « Définition de profils d'acheteurs types en e-commerce » - enquête réalisée par Harris interactive pour le compte de l'ADEME ­ juin 2020. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 42 permettant de s'assurer des résultats, peut cependant se révéler particulièrement complexe pour de multiples raisons : il n'existe pas (encore) de méthodologie pour attribuer le coût des externalités à chaque livraison, une part des colis arrivant directement de l'étranger... La question de l'efficacité de la mesure au regard de son périmètre (français ou européen) devra être posée. Les stratégies collaboratives peuvent s'appuyer sur le développement d'outils numériques et un dialogue régulier et sur la concertation entre les parties prenantes, que ce soit au sein de la chaîne logistique elle-même, entre acteurs privés et publics, ou avec les riverains et les ONG, grâce, notamment, à la mise en place des chartes de logistique urbaine. Mais la diversité des acteurs impliqués et la complexité des modèles économiques associés demanderont beaucoup d'agilité de la part des acteurs publics pour adapter les mesures aux différentes situations. Aussi, il conviendrait de créer les conditions d'une régulation efficace, lisible et propre à encourager les collaborations et mutualisations. À cet égard, l'émiettement, au sein d'une même zone urbaine, des décisions de régulation dans certains domaines (typiquement la circulation ou le stationnement) constitue sans nul doute un frein. La présence d'une autorité organisatrice sur le périmètre pertinent et dotée des moyens d'action appropriés serait un facteur de lisibilité et de cohérence de l'action publique. Enfin, il paraît aller de soi que l'urgence climatique impose de se concentrer sur les mesures qui ont le plus fort effet ou, à tout le moins, d'écarter celles qui n'en ont pas ou vont à l'encontre du résultat escompté. Cette capacité d'évaluation repose sur la disponibilité de données suffisantes : elle peut nécessiter la création d'un véritable observatoire de la logistique urbaine et le recours à de nouvelles méthodes de collecte. En résumé, quatre pistes d'actions semblent devoir être privilégiées pour renforcer l'efficacité de l'action publique en matière de logistique urbaine : convaincre et mobiliser les consommateurs pour faire évoluer les comportements et créer les conditions de l'acceptabilité de mesures plus contraignantes ; examiner les moyens spécifiques d'internalisation des coûts de l'impact environnemental des livraisons 46 ; favoriser les stratégies collaboratives, actions d'optimisation ou de mutualisation engagées par les opérateurs privés ou par les collectivités publiques ; suivre dans le temps les données relatives à la logistique urbaine pour identifier les mesures les plus efficaces. 2.3.2.4 Assurer un juste équilibre entre les rythmes de décarbonation décidés aux niveaux européen et mondial pour le transport maritime La décarbonation du transport maritime repose aujourd'hui sur la recherche d'une meilleure efficacité énergétique à la conception grâce à un meilleur design, voire au retrofit des navires, et en exploitation grâce notamment à l'utilisation de la propulsion vélique ou à la réduction de leur vitesse. Cette dernière mesure peut cependant conduire à mettre plus de navires en circulation et à des sous-optimisations de puissance des moteurs pour des raisons de sécurité par gros temps. Elle sera plus importante à l'avenir avec l'introduction de flottes de navires propulsés avec des énergies décarbonées ou neutres en carbone : des expérimentations sont programmées qu'il s'agisse du méthanol, de l'ammoniac, de bio-GNL, d'hydrogène, voire de l'association, en cours 46 Voir rapport thématique sur le transport de marchandises terrestres Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 43 d'étude, d'une propulsion GNL avec un système embarqué de capture et de stockage à bord des émissions de CO2, ou encore de propulsion électrique sur les petits navires ou pour des navires à faible rayon d'action. Le défi à relever reste celui de la réduction du décalage inévitable existant entre le rythme de décarbonation résultant des ambitions européennes telles qu'elles se sont exprimées au travers du Pacte vert et de la déclinaison du paquet Fit for 55 dans le secteur maritime et celui des négociations internationales menées au sein de l'OMI. Deux écueils résultant de ce décalage sont en effet à redouter : celui de la baisse de la compétitivité des armateurs européens qui auront déployé plus rapidement des flottes utilisant des moyens de propulsion décarbonés ou neutres en carbone avec des coûts d'énergie de propulsion plus élevés ; celui du risque de report de trafic vers des hubs portuaires extraeuropéens si la comptabilisation des émissions des navires ne se fait que sur les parcours dans les eaux intracommunautaires. La taxation de l'énergie carbonée d'une part et l'introduction d'un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières sont censés répondre à ces écueils mais la possibilité de soutage dans des pays extraeuropéens et les difficultés propres à obtenir un accord au sein de l'OMC sur la compatibilité de ce mécanisme avec les règles de concurrence de l'OMC ne simplifient pas la conclusion d'un accord sur ce mécanisme d'ajustement. Si l'action de l'OMI a permis d'adopter un premier cadre international pour la décarbonation du transport maritime, il n'en reste pas moins vrai que ces mesures adoptées ne suffiront pas pour atteindre les objectifs de décarbonation du secteur, il est donc nécessaire de les renforcer en fixant des valeurs plus élevées de réduction de l'intensité carbone de la flotte mondiale à 2030 et en cherchant à faire adopter à l'OMI des mesures de tarification du carbone permettant d'accélérer le développement et le déploiement de moyens de propulsion alternatifs durables au sein du secteur et, au niveau européen, en intégrant le secteur du transport maritime dans le système d'échange de quotas d'émissions européen (EU/ETS), tout en préservant la compétitivité du secteur 47. Le recours à moyen terme (2030-2040) à des navires neutres en carbone à l'émission reste enfin une nécessité : il suppose la mise en place d'aides pour les expérimentations et l'adoption, de préférence à l'OMI, d'une date à partir de laquelle tous les navires neufs devront être neutres en carbone à l'émission. L'influence de la COVID-19 sur le transport maritime La période entamée avec la crise du COVID qui s'est traduite par une baisse des niveaux d'échange de 3,5 % en 2020 a connu une forte reprise en 2021 avec une augmentation des échanges de 8,5 %. Le transport maritime a alors été confronté à une forte réduction de l'activité de croisière et à une pénurie de main d'oeuvre et de conteneurs vides, ce qui a entraîné une flambée des taux de fret maritime qui n'ont jamais été aussi élevés, près de 350 % depuis le début de la crise : le coût du conteneur 40 pieds sur un trajet Asie-Europe à 2000 en fin 2019 était de 13 000 fin 2021. Cette évolution a conduit à une amélioration des marges des grandes compagnies maritimes et à des stratégies de consolidation et de diversification 48. Elle pourrait favoriser de plus l'évolution vers la neutralité carbone en permettant aux armements conteneurisés de renouveler plus rapidement leurs flottes. https://www.ecologie.gouv.fr/decarbonisation-du-transport-maritime-international-lomi-adopte-des-mesures-concretesil-reste 48 Maersk rachète le commissionnaire asiatique LF Logistics ; MSC négocie de rachat des activités de Bolloré en Afrique de l'ouest ; CMA-CGM acquiert l'américain Ingram micro CLS spécialiste de la logistique contractuelle dans l'e-commerce après avoir acquis 90 % du terminal Fenix Marine Service à Los Angeles. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 47 44 2.4 - La neutralité carbone du transport de personnes ne pouvant être atteinte par les seules mutations technologiques, cela ouvre le difficile débat sur la sobriété d'usage. Si un mouvement est amorcé, le projet collectif ne va pas encore de soi Si les perspectives technologiques semblent favorables dans le secteur routier, rien ne dit cependant que ces technologies vont effectivement se développer et se diffuser suffisamment rapidement. De plus, même dans un cas favorable, les technologies à elles seules ne permettent pas d'atteindre la neutralité carbone (Figure 11 et figure 12) : une plus grande sobriété d'usage dépend de l'adhésion par la très grande majorité à ce mouvement et la question du rôle des politiques publiques est un enjeu de tension dans la société. Le scénario hypercontraint décrit ainsi un monde dans lequel les technologies ne sont pas au rendez-vous tandis que les objectifs de réduction sont maintenus ce qui conduit, à plus ou moins long terme, à des mouvements de protestation contre les mesures imposées et/ou un déclin de l'économie française. Figure 11 : Chroniques des voyageurs-km terrestres selon les scénarios. Source : Prospective 2040-2060, CGEDD-France Stratégie, 2022. Figure 12 : Effets des principaux leviers d'action. Scénario « ambition de base ». Source : Prospective 2040-2060, CGEDD-France Stratégie, 2022. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 45 2.4.1 Le constat : la culture de la sobriété d'usage est encore mal établie même si elle est indispensable et si la société n'a pas encore construit de projet collectif l'intégrant 2.4.1.1 L'émergence d'une culture de la sobriété Une culture de la sobriété propice à faciliter la maîtrise de ces transitions semble pouvoir émerger : elle semble trouver un écho nouveau en particulier auprès des jeunes générations. Elle est cependant contredite par des pratiques consuméristes renouvelées, telles que les livraisons à domicile dans des délais brefs, et par les mouvements de migration depuis les métropoles vers les plus petites villes ou le milieu rural ou périurbain qui ne sont pour l'instant pas accompagnés par une migration des emplois autres que de services. Le terme de sobriété d'usage tel qu'il est employé ici n'a pas de connotation morale : il est la seule traduction du fait que certains modes de vie sont plus consommateurs de ressources ou émetteurs de pollutions que d'autres (Figure 13). Or les scénarios présentés montrent que l'extrapolation de pratiques de vie fondées conjointement sur la dispersion, la consommation d'espace et la mobilité individuelle, accompagnée des mutations énergétiques les plus optimistes, ne répondent pas à l'objectif de neutralité carbone, et auront les plus grandes difficultés à atteindre les objectifs de zéro artificialisation nette. Figure 13 : Détail des contributions des leviers d'action. Scénario « ambition de base ». Source : Prospective 2040-2060, CGEDD-France Stratégie, 2022. 2.4.1.2 Mutualiser ou massifier les déplacements de biens et de personnes est indispensable. Ceci est d'autant plus apparent quand, comme ici, on raisonne en empreinte carbone « complète » et non en émission à l'usage Le choix a été fait de raisonner sur le taux de massification (ou de mutualisation) des déplacements. On voit en effet, c'est très net pour les déplacements du quotidien, s'installer un continuum d'options avec du covoiturage, du partage de flotte, des solutions de services collectifs de capacités d'emport gradués jusqu'aux transports les plus massifiés sur des axes qui le justifient. Les scénarios sont très contrastés au regard d'un indicateur de massification qui rapporte les voyageurs-kilomètres totaux parcourus aux véhicules-km routiers parcourus : le pire climatique revient à l'accentuation des pratiques d'autosolisme avec l'explosion des déplacements individuels offerts par les nouvelles technologies alors que les scénarios les plus proches d'atteindre la neutralité carbone supposent d'augmenter ce ratio de 50 % 49. 49 Des simulations relativement détaillées ont été réalisés par le FIT (documentées dans le rapport voyageurs) dans cinq grandes agglomérations sur la base d'un modèle de trafic; le levier de base est le levier du partage de voirie qui donne un avantage temps aux véhicules bien remplis et au contraire ralentit les autres. https://www.itf-oecd.org/itf-work-shared-mobility Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 46 De fait, les deux scénarios de neutralité vont différer sur trois paramètres qui vont se compenser pour parvenir au volume d'émissions à 2060 correspondant à la neutralité carbone complète : si le scénario du pari technologique envisage une durée de vie moyenne de trente ans des véhicules, l'allongement moins important de la durée de vie des véhicules dans le scénario du pari sociétal est compensé par un emport de passagers plus important et par une baisse des kilomètres parcourus. En raisonnant en empreinte globale et non plus seulement en termes d'émissions lors de l'usage, ce travail montre que les efforts à produire seront certainement plus significatifs qu'on l'anticipe actuellement (Figure 14). Certes les mutations de motorisations sont bien adaptées à la réduction des émissions en cours d'usage pour répondre à un besoin de déplacements donné. Il faudra cependant pour réduire l'empreinte globale circuler avec moins de véhicules, donc mutualiser et massifier, et avec des véhicules plus légers par volume transporté et à plus longue durée de vie. Cette sobriété d'usage peut conduire à des réponses moins immédiates à l'expression du besoin de consommation : l'instantanéité et l'individualisation du service - qui sont au coeur de la livraison instantanée - sont des luxes dont le scénario du pire climatique montre bien les conséquences disproportionnées aux bénéfices qui en sont tirés. Figure 14 : Trois indicateurs de synthèse des évolutions envisagées par les différents scénarios aux échéances 2040 (colonnes de gauche) et 2060 (colonnes de droite). Première ligne : l'empreinte CO2 globale du secteur (millions de tonnes de CO2) Ces émissions étaient de 244 M tCO2 en 1990. Les couleurs distinguent les écarts à cette référence. Deuxième ligne : les quantités de déplacements voyageurs (milliards de voyageurs-kilomètres). Est intégrée la moitié des déplacements internationaux (essentiellement aériens) ayant la France pour origine et destination. Troisième ligne : les transports de marchandises (milliards de tonnes-kilomètres). Est intégrée la moitié des transports internationaux (essentiellement maritimes) ayant la France pour origine ou destination. Source : Prospective 2040-2060, CGEDD-France Stratégie, 2022. Les résultats des scénarios étudiés sont présentés succinctement en annexe 3 et les principaux indicateurs sont rappelés dans la figure 14. Pour plus de précisions, le lecteur est invité à consulter les narratifs détaillés des scénarios présentés dans le rapport transversal ou dans les rapports des différents groupes de travail 50. 50 Les scénarios de ce rapport peuvent présenter quelques écarts avec ceux de certains rapports thématiques. En effet ils ont été réajustés et complétés dans la phase finale de la réflexion. Le choix a été fait de maintenir dans chaque rapport thématique la matière telle qu'elle avait été traitée par chaque atelier. Par ailleurs, afin d'assurer une complétude des scénarios d'ensemble, quelques extrapolations ont été effectuées pour certains scénarios, notamment dans le transport de marchandises. Ces écarts ou extrapolations sont explicités et ne modifient en rien le diagnostic général. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 47 2.4.1.3 L'essor attendu des mobilités actives et des micro mobilités Les données issues de l'Enquête Mobilité des Personnes 2018-2019 (Source : SDES, Insee) montrent que 44 % à 60 % des déplacements effectués en semaine 51 sont inférieurs à 5 km, selon la typologie de la commune de résidence. Seulement 19 % à 36 % de ces déplacements sont aujourd'hui effectués en modes actifs. Ceci montre la marge de report modal possible vers les modes actifs, pour satisfaire ces besoins de déplacement, aussi bien en ville qu'à la campagne (Figure 15). Part des modes actifs et des déplacements de courte portée dans la mobilité locale en semaine (nombre de déplacements) 80,00 60,00 40,00 20,00 0,00 Communes hors attraction des villes Aires de moins de Aires de 50 000 à Aires de 200 000 à Aires de 700 000 50 000 habitants moins de 200 000 moins de 700 000 habitants ou plus habitants habitants (hors Paris) De 0 à moins de 5 km De 0 à moins de 10 km Aire de Paris Ensemble Marche à pied + vélo Figure 15 : Part des modes actifs et des déplacements de courte portée dans la mobilité locale en semaine (nombre de déplacements). Source : DGITM d'après données EMD 2018-2019, 2021. La progression de la part modale des modes actifs, qui se situe actuellement à environ 3 % (en voyageurs.km) en France, vers un niveau équivalent à celui de de nos voisins européens (12 % en Allemagne par exemple) semble dès lors possible. Elle nécessite cependant le déploiement d'itinéraires sécurisés, le développement des services de micro mobilités 52 ainsi que des mesures d'accompagnement, tel le programme « Savoir Rouler à Vélo » 53 à destination des enfants de six à onze ans qui vise à généraliser l'apprentissage du vélo et la formation nécessaire à une réelle autonomie sur la voie publique avant l'entrée au collège ou celui qui porte sur la prise en main et la maîtrise de son vélo à assistance électrique (VAE) 54. 2.4.2 Le premier défi : définir une stratégie efficace pour inciter et accompagner les Français dans une plus grande sobriété d'usage https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/sites/default/files/202112/2_1_1_emp2019_mobilite_locale_semaine_caracteristiques_sociodemographiques_individus.xlsx 52 Les micro-mobilités intéressent les déplacements de courtes ou moyennes distances (moins de 10 km) en début ou en fin de parcours (premiers ou derniers kilomètres), le plus souvent dans des zones urbaines. Ils sont souvent réalisés avec des engins de déplacement personnel légers, compacts, portatifs, électriques ou non, qui peuvent être complémentaires ou utilement remplacer d'autres moyens de transport. Ces véhicules fonctionnent généralement à des vitesses inférieures à 25 km/h et peuvent être possédés, ce qui est le cas le plus répandu, ou partagés. (Source : rapport CGEDD (à paraître début 2022) : Nouveaux services de mobilité partagé ­ Situation et perspectives) 53 https://www.education.gouv.fr/lancement-du-programme-savoir-rouler-velo-5258 54 Cf. la formation proposée par la Fédération française des Usagers de la Bicyclette (FUB) aux souscripteurs du service VELIGO Location en Île-de-France https://www.veligo-location.fr/securite-conseils-veligo/ Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 51 48 Les objectifs retenus pour la sobriété dans les deux scénarios de neutralité carbone sont extrêmement ambitieux : 50 % de la population en télétravail au moins trois jours par semaine en 2060 pour le pari sociétal et 30 % deux jours par semaine dans le pari technologique 55, quadruplement du trafic du covoiturage 56, doublement du trafic de voyageurs des transports collectifs urbains ... Dès lors, le défi posé aux pouvoirs publics consiste à imaginer les mesures qui vont permettre « d'embarquer » la société française dans son ensemble dans cette recherche de sobriété. Cela passe par des politiques adaptées et coordonnées aux différentes échelles géographiques et temporelles pertinentes. Là encore, il n'y aura pas de solution miracle permettant en une seule mesure de résoudre le problème. Les mesures seront différentes suivant les territoires. Quatre voies peuvent ainsi être envisagées : L'intensification des politiques actuelles. Les politiques de sobriété des mobilités (encouragement de substitution à la mobilité : télétravail, téléenseignement, télémédecine, téléprocédures, ...) se sont développées dans les zones denses pour des raisons liées à la qualité de la vie en ville : elles pourraient être renforcées, en privilégiant les modes les moins consommateurs d'espace (modes massifiés, modes doux). Leur extension progressive à des espaces un peu moins denses, dans une approche de type « tâche d'huile » pourrait amener à des gains supplémentaires. Dans les périphéries des villes, la voiture risque de rester indispensable longtemps, et il y convient de s'appuyer surtout sur des politiques de partage du véhicule, avec des interfaces modales de grande qualité permettant des trajets en transport en commun lourds fiabilisés et à capacité renforcée dans les espaces centraux. La fluidité des interfaces modales est une clé de succès essentielle ; l'amélioration de la qualité des noeuds de correspondance multimodaux et de l'information des voyageurs, y compris en temps réel, permet la massification des flux et constitue un autre facteur majeur de réussite d'une politique de sobriété. L'évolution des modes de vie. Une deuxième approche concerne les modes de vie et les apprentissages individuels et collectifs. Elle recouvre en particulier la question, mise en exergue par la crise sanitaire, du télétravail et des téléconférences. Le choix de recourir à l'une de ces formes plutôt qu'à un déplacement n'est pas seulement un choix individuel, mais dépend également de l'attitude du collectif (entreprises, groupes...), voire des mesures publiques prises en faveur de ces formes de travail. L'étalement des pointes (quotidiennes, hebdomadaires, annuelles) constitue une autre possibilité d'optimisation: elle évite en effet des investissements inutiles et améliore la qualité de vie. Elle implique cependant des décisions de la part des générateurs des flux (entreprises, universités ...), qui peuvent probablement être encouragées, sinon impulsées, par les pouvoirs publics aux niveaux géographiques appropriés 57. 55 Selon la DARES, durant le mois d'avril 2021, 28 % des salariés ont été au moins un jour en télétravail en avril (+ 1 point par rapport à mars). Parmi eux, 35 % ont télétravaillé tous les jours de la semaine, 46 % ont été en télétravail entre deux et quatre jours par semaine, 12 % un jour par semaine et 7 % uniquement quelques jours dans le mois. https://dares.travail-emploi.gouv.fr/publication/activite-et-conditions-demploi-de-la-main-doeuvre-pendant-la-crisesanitaire-covid-19-avril-2021 /// 56 70 % des déplacements domicile-travail sont réalisés avec des véhicules individuels, la plupart en auto-solisme et on estime à 3 % la part du covoiturage quotidien : https://www.ecologie.gouv.fr/covoiturage-en-france-avantages-etreglementation-en-vigueur 57 "voir notamment : Projet BMA Bretagne mobilité augmentée et dossier des IESF https://www.iesf.fr/offres/doc_inline_src/752/BMA-17.12.14_Assises-contribution-cloture.PDF" Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 49 La modification du modèle économique des gestionnaires d'infrastructures de modes massifiés. Les recettes actuelles de certains acteurs, par exemple d'un gestionnaire d'infrastructures, sont souvent réalisées au prorata des péages liés au trafic. De ce fait, une perspective de modération du trafic risque de nuire à leur équilibre économique et de les inciter à des efforts commerciaux pour attirer le trafic. Dès lors, un rééquilibrage du modèle économique, avec l'introduction d'une rémunération comprenant d'autres composantes ­ telles que la qualité du service pour les péages ferroviaires - pourrait contribuer à mieux aligner les intérêts des différents acteurs de la chaîne en faveur d'une politique de sobriété des mobilités. La mise en place de signaux prix carbone. Réclamée par la plupart des économistes, elle permet à chacun de prendre conscience de ses émissions et l'incite à réorienter ses actions. Elle peut prendre la forme d'une contribution climat énergie incluse dans le prix du carburant, mais aussi d'un marché : le paquet « Fit for 55 » publié par la Commission en juillet 2021 envisage ainsi l'instauration d'un marché de carbone portant sur les importateurs et les distributeurs de carburants fossiles et permettant de répercuter un signal-prix carbone sur les consommateurs. 2.4.3 Le deuxième défi : mettre en place les politiques qui vont permettre d'atteindre réellement les objectifs ambitieux de report modal Les scénarios qui s'approchent le plus de la neutralité carbone sont extrêmement ambitieux en termes de report modal, ce qui suppose de dégager les moyens de financement correspondants, de limiter l'utilisation des véhicules utilisant des énergies fossiles et d'inciter à l'utilisation des modes alternatifs à la route : un doublement au moins du trafic de voyageurs des transports collectifs urbains lourds (ferroviaire, métro, tramway), issu de la hausse tendancielle du trafic liée à la croissance économique ainsi que du report modal vers des infrastructures nouvelles ou déjà existantes mais plus capacitaires (ferroviaire et métro) et de qualité accrue ; une hausse de l'emport moyen des véhicules qui semble pouvoir constituer un levier important face à la contrainte environnementale et qui doit conduire à encourager le développement du covoiturage urbain et le report modal : dans les scénarios neutres en carbone, la valeur de l'emport moyen (défini comme le rapport entre le nombre de voyageurs.km terrestres et le nombre de veh.km terrestres) augmente ainsi de près de 50 % de 1997 à 2060, en passant de 1,98 à 2,83 (Figure 16). Cette évolution correspond à un doublement du remplissage des voitures particulières dans les grandes agglomérations, parallèlement à l'augmentation de 19 % à 30 % de la part modale des transport collectifs urbains (en voy.km : figure 17). Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 50 Figure 16 : Chroniques d'emport moyen dans les grandes agglomérations. Source : Prospective 2040-2060, CGEDD-France Stratégie, 2022. Figure 17 : Chroniques de remplissage moyen des voitures dans les grandes agglomérations. Source : Prospective 2040-2060, CGEDD-France Stratégie, 2022. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 51 un quadruplement du trafic du vélo et des modes actifs et doux, reposant sur un rattrapage des parts modales dans les déplacements pour aboutir à un niveau comparable à celui de l'Allemagne (12 % de vélos contre 3 % en France) et sur la systématisation d'itinéraires continus et sécurisés ; un quadruplement au moins du trafic de covoiturage, grâce notamment au développement d'applications numériques reliant le passager aux véhicules et à l'infrastructure, et lui permettant un accès facile aux modes collectifs ; un doublement au moins du transport ferroviaire interurbain de voyageurs, lié à la hausse tendancielle du trafic et au report modal des liaisons aériennes les plus courtes (Figure 18). La réalisation d'un certain nombre d'infrastructures à grande vitesse afin de desservir toutes les capitales régionales, ainsi que l'amélioration des principaux noeuds ferroviaires et d'incréments de capacité des principales lignes à grande vitesse permettraient d'accélérer cette évolution. Figure 18 : Chroniques de part modale des transports en commun urbains dans les grandes agglomérations. Source : CGEDD-France Stratégie, 2022. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 52 2.5 - Les transitions vers la neutralité carbone du transport de personnes supposent des efforts particuliers des ménages les plus aisés et des hypermobiles et d'accompagner les personnes aux revenus les plus modestes 2.5.1 Le constat : Les univers de choix et les contraintes/marges de manoeuvre des personnes sont extrêmement disparates Le graphique ci-dessous 58 (Figure 19) montre que si les émissions de CO2 par ménage sont corrélées aux déciles de niveau de vie, leur dispersion au sein de chaque décile reste considérable : seul un tiers de cette dispersion peut être relié à des facteurs explicatifs connus. Ceci rend le ciblage de politiques de compensations d'une politique de hausse de taxe carbone particulièrement complexe. Les aides, qui ne peuvent en effet être versées qu'en fonction de variables connues, ne permettront pas de "compenser" correctement la perte de pouvoir d'achat des individus concernés. Les personnes dites hypermobiles, se concentrent essentiellement dans les déciles les plus élevés de revenus de la population. Elles représentent à elles seules une part considérable des émissions : 20 % de la population la plus mobile génèrent 80 % des émissions. 59 Figure 19 : Distribution des émissions de CO2 par ménage en fonction de leur décile de niveau de vie58. Source : OFCE, 2020. 58 Les effets de la fiscalité écologique sur le pouvoir d'achat des ménages : simulation de plusieurs scénarios de redistribution, Focus N° 030 2019, Conseil d'analyse économique, Thomas Douenne, Mars 2019, https://www.cae-eco.fr/Leseffets-de-la-fiscalite-ecologique-sur-le-pouvoir-d-achat-des-menages-463 Ce Focus constitue un complément méthodologique à la Note du CAE n° 50 : Pour le climat : une taxe juste, pas juste une taxe, Dominique Bureau, Fanny Henriet et Katheline Schubert. 59 Chaque rectangle donne le niveau des émissions de CO2 par ménage et par décile (trait supérieur = limite du premier quartile, trait intermédiaire = médian, trait inférieur= limite du dernier quartile). Les points sont des enregistrements individuels. Si les émissions croissent avec le décile de revenu, le graphique illustre la forte dispersion au sein de chaque décile. Certains auteurs la qualifient également « d'hétérogénéité horizontale ». Les quelques points correspondant à de très fortes émissions des plus bas déciles sont probablement liés à des situations atypiques (transferts non pris en compte...). La contribution des émissions importées à l'empreinte carbone de la France, p. 34, OFCE, https://www.ofce.sciencespo.fr/pdf-articles/actu/Rapport-OFCE-HCC-2020.pdf Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 53 2.5.2 Le défi : assurer des efforts équitables et mettre en place les mesures d'accompagnement nécessaires en partant de l'analyse des disparités des univers de choix des personnes L'histoire récente enseigne à quel point la question n'est plus celle d'un signal économique universel assurant la bonne internalisation des externalités (taxe carbone par exemple) qui induirait mécaniquement les évolutions de comportements individuels : son utilité n'est guère contestable. Les économistes insistent à juste titre sur le fait que la véritable question porte sur la manière de traduire ce signal prix dans l'économie et conduit, de fait, à envisager une multiplicité de leviers différents pour le décliner concrètement, qu'il s'agisse de taxations (qui doivent comporter les ajustements et modulations nécessaires pour en assurer l'équité et donc l'acceptabilité), de normes et d'incitations. Le contraste immense entre les univers de choix des personnes fait que ces signaux ne peuvent s'adresser de la même façon et par les mêmes outils à tous types d'agents économiques dont les besoins ne sont fondamentalement ni échangeables ni substituables. Pour autant, même en l'absence de taxe carbone explicite (ce qui poserait la question de l'origine des recettes à consacrer à des mesures redistributives), la transition vers une économie neutre en carbone (qui peut recourir à des normes, à des règlementations ou encore à des interdictions de circulation des véhicules polluants dans certaines zones (ZFE)) conduit à remplacer des produits ou des usages s'appuyant sur les énergies fossiles par d'autres moins émetteurs de carbone mais a priori plus coûteux, qui vont peser sur le pouvoir d'achat des ménages. Il est donc souhaitable de mettre en place des mesures d'accompagnement économiques de la transition, de les concevoir le plus en amont possible 60, et de les adapter au mieux en fonction des mesures économiques effectivement retenues. Se pose enfin la question de la faisabilité d'un prix du carbone additionnel au prix du carburant : un signal prix carbone dans les transports, sous forme de taxe ou de marché 61 (portant par exemple sur les importateurs d'hydrocarbures ainsi que le suggère la Commission), ne sera probablement acceptable que lorsqu'il existera un large marché de véhicules électriques d'occasion permettant à chacun d'échapper s'il le souhaite à ce signal prix et que s'il est accompagné de mesures redistributives (qui ne pourront être qu'imparfaites) pour limiter la charge supplémentaire supportée par les premiers déciles. Le signal prix prendra alors toute sa signification d'accélérateur de la transition. 60 Voir notamment : Pour le climat : une taxe juste, pas juste une taxe, Dominique Bureau, Fanny Henriet et Katheline Schubert, note 50 du CAE, mars 2019 ; Les effets de la fiscalité écologique sur le pouvoir d'achat des ménages : simulation de plusieurs scénarios de redistribution, Thomas Douenne, focus CAE, mars 2019. 61 Dans le cadre d'un marché, les pouvoirs publics fixent un volume d'émissions de CO2, alors qu'ils arrêtent un prix du carbone pour une taxe. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 54 DES MUTATIONS SOCIÉTALES ÉMERGENTES À ACCOMPAGNER Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 55 3 - DES MUTATIONS SOCIÉTALES ÉMERGENTES À ACCOMPAGNER 3.1 - Les usages vont connaître des transformations radicales 3.1.1 Le constat : les changements d'usage déjà amorcés ont été accélérés par la crise de la COVID-19 3.1.1.1 La valeur du temps dans les divers modes de transports est requestionnée Les besoins et usages mutent plus vite que jamais, avec l'irruption des outils numériques qui offrent - on s'en est bien rendu compte lors des périodes de confinement de la crise de la COVID-19 - de nouvelles possibilités (télétravail, numérique). Le temps de déplacement n'est plus nécessairement un temps entièrement perdu, même si le télétravail accentue le contraste entre le confort d'un poste de travail à domicile et celui des transports en commun. Les mobilités actives (marche, vélo, etc...) ne semblent plus seulement une option de dernier recours faute de mieux, mais retrouvent leur valeur en terme de santé publique. Le vieillissement de la population accroît ses besoins de commodité (confort, sécurité, ruptures de charges, accompagnement), plutôt que d'intensité de déplacement. 3.1.1.2 La démographie, et notamment le vieillissement de la population, sont déterminants pour les besoins de mobilité du futur La révision récente des prévisions de long terme de l'Insee pour la population française montre qu'au-delà d'une vingtaine d'années, où les effets tendanciels sont forts, des inflexions marquées de la fertilité et de l'évolution de l'espérance de vie à la naissance peuvent intervenir. Les scénarios bâtis initialement sur le scénario central connu de l'Insee repris par le COR ont donc été recalculés fin 2021, pour tenir compte de ces dernières projections. Le scénario central actuel de l'Insee cible la population française autour de 68,7 millions d'habitants en 2060, soit un niveau assez proche de l'actuel (67,4 millions en 2021) alors que la prévision antérieure, datant de 2016, était de 75,2 millions d'habitants : dans ce scénario, la population atteindrait 69,3 millions d'habitants en 2044 avant de décroître progressivement. Ceci ne tient pas compte des inévitables aléas à de telles échéances sur les flux migratoires. De manière schématique, ce qui importe le plus pour le système de mobilités est probablement la fraction de la population qui sera susceptible de connaître des difficultés à se déplacer. D'un côté l'espérance de vie s'allonge tendanciellement (hors effet de la pandémie) ­ jusqu'en 2040, où environ un habitant sur quatre aurait 65 ans ou plus -, mais de l'autre l'espérance de vie en bonne santé semble globalement stagner. Il en résulte qu'on peut s'attendre à une hausse d'une quarantaine de pourcents de la part de la population ayant dépassé l'espérance de vie en bonne santé d'ici 40 ans. Certes, cet indicateur est imparfait car il est basé sur des enquêtes déclaratives, mais il donne toutefois une indication de tendance probablement globalement assez robuste. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 56 3.1.1.3 Des nouvelles générations pionnières des nouvelles mobilités ? L'image que présente le Crédoc des jeunes générations 62 est contrastée : il souligne que les 2030 ans ont une forte sensibilité environnementale, sont bien conscients du réchauffement climatique en cours et s'attendent à ce que les conditions de vie qui en résulteront deviennent plus pénibles ; ils conservent de l'espoir dans le développement technologique mais éprouvent un sentiment d'impuissance sur leur capacité à jouer un rôle dans cette évolution et ont toujours du mal à traduire dans leurs actes de consommation leurs préoccupations environnementales. La recherche de transports durables constitue cependant une exception : 56 % des jeunes ont ainsi déjà eu recours à du covoiturage pour une courte distance (contre 31 % de l'ensemble de la population), et 46 % sur de longues distances (vs 30 %) 63. Mais, ils continuent à prendre l'avion [28 % des jeunes déclarent avoir pris l'avion deux fois ou plus au cours des douze derniers mois (+ 9 points au-dessus de la moyenne ; Enquête Tendances de Consommation 2018 ; 18-24 ans uniquement)] et, parmi les jeunes, les ruraux et les actifs restent attachés à la voiture. 3.1.1.4 Les loisirs et le tourisme La crise pandémique a stimulé une extension des pratiques de loisirs fondés sur des localisations de moindre distance, mais aussi le développement d'une offre touristique de loisirs fondés sur les mobilités actives : marche, randonnée, cyclisme. De ce point de vue, l'émergence de l'offre de cycles à assistance électrique a contribué à sortir les pratiques de plein air de la sphère des sportifs en parfaite condition physique et bien entraînés vers des usagers occasionnels de moindres capacités physiques, qui y trouvent un effort raisonnable et bénéfique. Le facteur crucial est la création d'une capacité de parcours qui offre une liberté d'accès élargie mieux compatible avec les attentes de variété, de visite de sites culturels, etc... La dynamique reprise par les collectivités locales de renforcement des infrastructures dédiées est considérable, et a changé d'échelle. Ce tourisme de loisir fondé sur des localisations à moindre distance présente également l'intérêt de concerner une partie beaucoup plus large du territoire français, en valorisant la fréquentation des campagnes par rapport au littoral et à la montagne, même si euxmêmes contribuent à cette mutation. Ce renforcement d'offre et le développement des emplois de service liés à ces loisirs sont des conditions indispensables à la pérennisation de ces évolutions. 3.1.2 Le défi : concilier l'évolution des attentes de la société et les enjeux climatiques Plusieurs conséquences découlent de ces constats. La croissance modérée de la population, toutes choses égales d'ailleurs, devrait alimenter à un degré modéré également celle des mobilités des personnes et des biens. L'évolution des mobilités, perceptible dans les pratiques de déplacements d'une partie de la jeune génération, pourrait se développer mais les bonnes pratiques doivent être encouragées par les pouvoirs publics. Comme le souligne le Crédoc, il est nécessaire de donner à voir les exemples concrets et positifs d'action auprès des jeunes générations, de mettre en lumière l'impact concret de chaque action (pour éviter le sentiment d'impuissance « de toute façon ça ne sert à rien ») et de rebondir sur le recours plus fréquent que par le passé à des pratiques 62 Voir en particulier https://www.credoc.fr/publications/environnement-les-jeunes-ont-de-fortes-inquietudes-mais-leurscomportements-restent-consumeristes Pour protéger l'environnement, les jeunes se tournent vers des transports alternatifs et les pratiques collaboratives Lucie BRICE, Patricia CROUTTE et Sandra HOIBIAN Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (Crédoc) dans Modes de vie et pratiques environnementales des Français, CGDD, https://www.statistiques.developpementdurable.gouv.fr/modes-de-vie-et-pratiques-environnementales-des-francais 63 Opinions et pratiques environnementales des Français en 2015, Chiffres & statistiques, CGDD, 2016, Eric Pautard Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 57 réellement collaboratives : une augmentation du covoiturage et de l'emport moyen serait alors possible dans les années futures. Le vieillissement accroît aussi la nécessité d'investissements et de services pour une mobilité des personnes et des livraisons plus inclusive. Cela recouvre la réduction des obstacles tant dans les transports collectifs que sur la voirie principalement urbaine et péri-urbaine, et, plus généralement, la facilitation des déplacements des personnes souffrant d'un handicap, qu'il soit lourd ou léger. En dehors de quelques centres villes, la place prise par la voiture dans la mobilité interroge les politiques d'accompagnement des publics ne pouvant plus conduire en toute sécurité. Les progrès des systèmes d'assistance à la conduite devraient probablement pouvoir permettre, dans le futur, de retarder l'âge de la fin de la mobilité motorisée qui constitue souvent une rupture majeure de mode de vie. Enfin, les questions des modalités de la diffusion des technologies numériques au sein d'une population de plus en plus âgée ne doivent pas être éludées. 3.2 - La révolution numérique permet des améliorations notables, mais peut conduire à des effets négatifs dont l'identification permet d'assurer la régulation 3.2.1 Le constat : entre opportunité et méfiance, la numérisation prend une place considérable dans les transports 3.2.1.1 Les nouveaux usages du numérique vont modifier de plus en plus nos déplacements Si le début des télécommunications accessibles au plus grand nombre remonte aux années 1970, la généralisation du smartphone et des communications à haut débit a marqué ces dernières années et permet désormais quasiment à chacun de rester connecté quels que soient l'endroit où il se trouve, l'heure de la journée ou l'appareil qu'il utilise. Elle a ainsi rendu possible le développement extraordinaire des réseaux sociaux et favorise également le recours au télétravail et aux téléconférences, auxquels la crise sanitaire a incontestablement donné un coup d'accélérateur. L'effet de ces télécommunications sur les mobilités est difficile à envisager. D'un côté, le télétravail et les téléconférences devraient permettre d'économiser des déplacements professionnels ; de l'autre, une induction de trafic est à attendre des contacts personnels et professionnels noués à très longue distance au moyen des télécommunications, mais également des télétravailleurs qui, exerçant leur activité en télétravail, auront la possibilité de quitter la ville et perdraient le bénéfice des transports en commun 64. D'un côté, ils peuvent permettre d'optimiser les déplacements, mais, de l'autre, ils entraînent une consommation d'énergie supplémentaire et peuvent entraîner une fracture numérique à l'égard des personnes à l'écart de ces technologies, les personnes âgées et les personnes les plus pauvres. D'un côté, ils peuvent permettre le développement de services nouveaux grâce au e-commerce, de l'autre ils peuvent conduire à un développement exponentiel de la livraison instantanée et à la congestion des centres urbains ainsi qu'à une mainmise sur les données par les géants du numérique. D'un côté, 64 La part modale des TC croît avec la taille des agglomérations; elle se situe (en voyageurs-km) aux environs d'un tiers en Île-de-France, alors qu'elle n'est que de l'ordre de 13 % dans de très grandes agglomérations (Lille, Lyon, Marseille) et de l'ordre de 5 % dans des agglomérations de taille moyenne. Élise Laforge. Villes et agglomérations urbaines moyennes : quelles politiques de mobilité? Enjeux, limites et prospectives. Gestion et management. 2015. dumas-01903714 https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01903714/document Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 58 ils permettent un développement inespéré du covoiturage et de nombreuses initiatives tournées vers de meilleures mutualisations, de l'autre, ils peuvent entraîner un surcroît de déplacements. À l'inverse, certains envisagent le développement dans les prochaines décennies de mondes virtuels dans lesquels chacun d'entre nous muni de lunettes 3D se déplacerait et interagirait avec d'autres personnes grâce à son double virtuel. Dans un monde numérique dans lequel le télétravail se développe, la distance entre le domicile et le travail peut enfin fortement augmenter. L'ampleur de ce phénomène est cependant pour l'instant à relativiser, car il semble ne toucher que les cadres et quelques professions intermédiaires qui ont à la fois la possibilité de télétravailler et les moyens financiers de choisir leur logement, voire d'en avoir deux. 3.2.1.2 Le numérique peut redonner de l'attractivité aux transports publics et améliorer leur modèle économique Les progrès de la numérisation, qui ont déjà permis le développement du covoiturage, sont générateurs de nouvelles opportunités pour les transports publics : l'information donnée aux voyageurs, dans une perspective d'offre de services de mobilité (MaaS : « mobility as a service ») pourrait en effet permettre d'attirer une clientèle occasionnelle qui était souvent exclue des transports publics du fait des difficultés à trouver de l'information sur les horaires en temps réel, au-delà des prévisions. La combinaison d'offres de transports publics avec celles des nouvelles mobilités (vélos ou engins de déplacements de proximité par exemple) devrait également doper les possibilités de déplacements aisés et propres. Encore faut-il dans un monde agile où les applications les plus utiles viennent du réseau, que les données du transport soient largement ouvertes. Ces nouveautés pourraient ainsi asseoir une nouvelle ère de complémentarité modale, susceptible en améliorant le remplissage de favoriser le modèle économique des transports publics urbains et interurbains. 3.2.1.3 L'intelligence artificielle ne permet pas encore à court terme le développement de véhicules autonomes Dix-sept ans après le challenge de la DARPA 65 qui donna naissance dans un désert californien aux premiers véhicules autonomes, le véhicule totalement autonome n'est toujours pas là. Nul ne peut prédire aujourd'hui ni la date à laquelle des véhicules totalement autonomes pourraient apparaître ni la méthode à utiliser. De manière quasi certaine, on devrait assister au développement de plus en plus important de systèmes d'aide à la conduite : aide au maintien dans la voie (« lane keeper ») ou à la gestion des accélérations et freinages du véhicule (« adaptative cruise control »), prise en charge d'opérations simples (à vitesse réduite) de type valet de parking. Des services de navettes publiques et de robots-taxis sur des itinéraires parfaitement définis ou dans des zones limitées devraient progressivement voir le jour avec des vitesses de plus en plus élevées, sous réserve de leur acceptabilité. Le développement d'un véhicule autonome à un prix raisonnable pour les particuliers reste par contre beaucoup plus incertain. 65 Le défi lancé en novembre 2004 par la DARPA, Defense Advanced Research Projects Agency, de faire rouler un engin autonome dans le désert de Mojave à l'est de Los Angeles est considéré comme le point de départ du développement des véhicules autonomes. Voir notamment https://www.wired.com/story/darpa-grand-challenge-2004-oral-history/ Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 59 3.2.2 Le défi : trouver le bon équilibre de régulation du numérique Le développement du numérique peut améliorer fortement les mobilités et la multimodalité, au prix d'un certain nombre d'inconvénients qu'il faut chercher à encadrer soit en agissant sur le secteur du numérique, soit en agissant sur le transport : la régulation des livraisons pour limiter par le paiement l'accroissement de leur impact environnemental, lié notamment au développement du e-commerce ; le risque de fracture numérique qui conduit à devoir envisager des applications simples et facilement accessibles au public ; la sécurité du covoiturage qui suppose la mise en place de tiers de confiance numérique. À terme, si un développement important des véhicules autonomes pour les particuliers se produisait, pourrait se poser la question de la régulation à mettre en place pour que cette technologie soit réellement au service des territoires et n'engendre pas une forte congestion des centres villes : ce risque dépendra des progrès technologiques réalisés et des performances des véhicules mis en service. Les études menées par le Forum international des transports sur Lisbonne ou d'autres grandes villes ont ainsi montré qu'un déploiement bien encadré de taxis autonomes collectifs pouvait permettre de réduire fortement le nombre de véhicules (de 80 % voire plus dans certains scénarios), et ainsi de diminuer la congestion, les temps de trajet et le nombre de places de stationnement 66. 3.3 - L'aménagement du territoire est un levier à long terme de réduction des émissions de gaz à effet de serre De nouveaux modèles urbains sont possibles : s'ils rencontrent l'adhésion de la population, ce qui est loin d'être gagné aujourd'hui, ils porteront des effets à très long terme. En effet, la pression démographique est très basse en France métropolitaine et de ce fait le tissu urbain évolue très lentement. Si leurs effets sont longs à se traduire, il est d'autant plus indispensable d'amorcer le plus tôt possible ces évolutions si on les considère pertinentes. 3.3.1 Le constat : la politique d'aménagement n'a pas réussi à freiner la périurbanisation et les augmentations d'émissions associées 3.3.1.1 Plusieurs modèles d'urbanisation sont possibles pour satisfaire à la fois les aspirations à la sobriété et l'attente d'espace et de logements abordables Les grandes métropoles mondiales consomment d'autant moins de carburants fossiles par habitant qu'elles sont plus densément peuplées. La différence atteignait un facteur sept entre les villes d'Amérique du nord et les villes d'Asie dans les années 1990. Les enquêtes mobilité montrent également un moindre usage de la voiture et une plus faible distance de déplacement dans les zones urbaines comparées aux couronnes. La convergence des politiques publiques pour réduire les émissions de CO2 pourrait ainsi sembler appeler en matière d'urbanisme et d'aménagement des mesures favorisant la recherche systématique de densité et du renforcement de la métropolisation. La politique ainsi menée en France n'a cependant pas permis de freiner la périurbanisation, car elle n'a pas apporté de réponse au renchérissement de l'immobilier dans les zones denses et donc au développement d'une offre répondant à la demande des ménages (logements abordables et de plus grandes tailles). 66 Urban Mobility System Upgrade. How shared self-driving cars could change city traffic_ http://www.internationaltransportforum.org/Pub/pdf/15CPB_Self-drivingcars.pdf Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 60 Dans le cadre d'un modèle d'économie urbaine qui prend en compte l'aspiration à un logement plus grand et les coûts des déplacements, des émissions de CO2 et du logement, la ville agglomérée dense ne s'impose pas nécessairement pour produire l'optimum socio-économique. Diverses formes sont possibles y compris un centre dense avec une couronne desservie par la voiture 67. La bonne forme urbaine dépend du jeu des valeurs relatives entre les coûts des transports collectifs, de ceux de la voiture, y compris la compensation carbone, et des prix de l'immobilier et du foncier. 3.3.1.2 L'aménagement en Europe du nord peut inspirer une politique à la fois rigoureuse et acceptable L'observation de l'Allemagne, de l'Angleterre et du Danemark, pays plus denses en habitants que la France, permet de constater que ces pays arrivent à mieux préserver leurs espaces naturels et agricoles, à recourir un peu moins à la voiture et parfois plus aux transports collectifs et que la densité de l'habitat reste raisonnable et offre une qualité de vie : le partage modal est un peu moins favorable à la voiture qu'en France et la surface urbanisée par habitant est plus faible. Deux schémas émergent : Le polycentrisme maillé (modèle de Christaller, 1933) comme en Allemagne. Le premier situe les services, les emplois, les divers biens dans une hiérarchie de villes et villages qui équilibre l'offre et la demande pour chacun d'entre eux tout en minimisant les déplacements motorisés des habitants des plus petites unités. En France, cela correspondrait à l'ancien modèle des préfectures et des sous-préfectures (Figure 20). En Allemagne, cela permet en créant la densité suffisante, de pouvoir aller à la gare à pied, d'emprunter des transports collectifs fréquents et sur une large amplitude horaire pour le travail ou les études, et de trouver une offre de commerces et de services satisfaisant les besoins quotidiens. Figure 20 : Schéma de l'implantation des villes du sud du massif central. Source : M.-E. Férérol, 2013. Lecture : Un hexagone représente l'aire desservie (et tributaire) en biens et services par la ville qui occupe son centre. Ainsi un habitant du sud-ouest de Mauriac couvre une partie de ses besoins à Mauriac, puis pour des usages moins fréquents à Decazeville et pour ses besoins plus rares à Aurillac, etc. ce qui minimise ses déplacements. 67 Le type de transport optimal dans chaque zone est celui qui présente le plus faible coût unitaire. Voir rapport thématique aménagement Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 61 Le deuxième modèle, celui de l'urbanisme dit en doigts de gant, est celui que l'on trouve à Copenhague. L'urbanisation s'est développée et est contrainte le long des infrastructures de transport, en particulier le long des lignes de transport collectif. Selon le type d'occupation, une construction n'est possible qu'à une distance maximale des gares d'environ 600 mètres. Cette boîte à outils n'est pas d'utilisation facile en France à deux titres. En premier, notre pays présente une plus faible densité de population que les pays examinés avec des espaces peu chers. L'autre relève d'une culture de l'urbanisme qui a intégré la question de la densité et l'a associée à l'importance de la nature dans les représentations et les pratiques de l'espace habité (l'eau aux Pays-Bas, le rural et le forestier pour l'Allemagne par exemple). L'application de ces modèles à l'espace français requiert un effort plus net pour surmonter les facilités offertes par la faible densité à la dispersion des ressources (habitat principalement). 3.3.2 Le défi : répondre aux besoins résidentiels de façon sobre en mobilité 3.3.2.1 Le renforcement de la trame urbaine de taille intermédiaire et le développement d'une plus forte attractivité résidentielle des centres urbains sont des facteurs décisifs à long terme pour la réduction des besoins de mobilité Ces politiques entraînent outre une réduction des émissions de gaz à effet de serre, des effets favorables sur l'artificialisation des sols et la biodiversité. Leurs effets sont lents et cela justifie des efforts d'anticipation volontaristes. À elle seule la conversion vers la voiture électrique peut se traduire par une simple substitution : il n'y a pas de raison a priori qu'elle ne continue pas à contribuer à la dispersion de l'habitat comme la voiture à moteur thermique a pu le faire par le passé. Cette seule solution technologique ne permet pas d'atteindre la neutralité, ni de répondre aux objectifs de réduction des effets sur l'artificialisation des sols et sur la biodiversité. Le modèle urbain est bien, structurellement, une dimension majeure des évolutions de long terme des mobilités, tout comme il est accompagné ou induit par celles-ci. Conformément à l'esprit général de la démarche, trois ambiances d'aménagement ont été retenues (fil de l'eau, sobre, très sobre) dans le rapport thématique sur l'aménagement du territoire : elles permettent des gains croissants en réduisant le besoin de mobilité mais au prix de contraintes sur l'urbanisme également croissantes. En effet, le transfert progressif des ménages vers des zones plus denses s'opère en particulier par la réduction plus ou moins rapide des constructions dans le périurbain. Des récits sommaires sont proposés pour illustrer les axes de l'aménagement qui leur correspondent, pour préciser la gouvernance nécessaire au succès de leur mise en oeuvre et pour décrire les réactions possibles des acteurs à ces politiques. Ce dernier point est important car la politique de lutte contre la périurbanisation, menée durant les dernières décennies et assez proche de ce qui est envisagé dans ces scénarios, n'a pas eu les résultats escomptés probablement par une mauvaise prise en compte du souhait des ménages en matière de logements abordables et si possible grands. Pour l'aménagement très sobre, il est proposé de ramener l'urbanisation, et la construction neuve, vers les plus gros bourgs et les villes. La ligne directrice serait de privilégier la formation de gros bourgs au-delà de 5 000 à 6 000 habitants au moins à l'horizon 2030-2040 et l'arrêt de toute nouvelle urbanisation dans les communes plus petites, en favorisant les bourgs situés sur une ligne de transport collectif structurant. Cette évolution permettrait de concilier densité et envie d'habiter en recréant des sites pouvant offrir de manière viable une plus large palette de Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 62 services et de commerces, facilitant les déplacements pour le travail et les études avec les transports collectifs, y compris avec un accès à pieds à la gare (ou station), et offrant la proximité de la nature. Même si les SCoT et les PLUi peuvent en être les outils, la gouvernance des intercommunalités actuelle n'est pas adaptée à une telle évolution car elle maintient excessivement des logiques communales étriquées 68. Pour ce scénario le plus ambitieux, la réduction de la mobilité carbonée pourrait être ainsi, en retenant le haut de la fourchette, de 7,5 % en 2050 et 9,8 % en 2060 69. Cet impact modeste d'un meilleur aménagement peut sembler peu significatif. Il résulte de la faiblesse du flux annuel des constructions face au stock de logements. Mais cette politique est aussi nécessaire à la préservation de la biodiversité et à la lutte contre l'artificialisation. À ce titre, on doit souligner évidemment la nécessité d'exploiter au mieux le bâti existant, par des réhabilitations lourdes en remplacement de logements neufs et par la reconversion des friches insérées dans les villes. Cet effet s'amplifie avec les années. Si une telle politique est souhaitée, il est vital de l'engager rapidement et de la maintenir sur le long terme. Les nouvelles générations pourraient être plus sensibles à la lutte contre le réchauffement climatique et l'aménagement peut anticiper sans grand risque ces évolutions. 3.3.2.2 La densification suppose une politique d'offre d'aménités urbaines de qualité Cette densification ne peut être un succès que si elle est plus respectueuse des aspirations des ménages que les anciennes politiques de lutte contre le mitage ou la périurbanisation. Au minimum, les collectivités peuvent se concentrer sur l'offre de services publics, y compris l'offre de transport collectif de grande qualité et donc coûteuse. Les autres activités relèvent plutôt d'une logique de marché, mais le maintien, dans les centres de taille modeste, de prix abordables des logements et la répartition des emplois sur le territoire ne sont pas indépendants des politiques publiques. Garder des habitants dans des villes et gros bourgs plus denses, voire les reconquérir après leur départ dans le périurbain, implique de leur offrir des aménités importantes. L'espace public doit être accueillant en étant spacieux, bien conçu et bien entretenu. La propreté et la sécurité font partie intrinsèque de cette qualité. Les parcs publics végétalisés doivent être multipliés pour redonner un contact avec la nature alors que souvent la minéralité a été privilégiée pour réduire les coûts d'entretien. La bataille de la mobilité se gagne également par la construction d'un réseau de circulations douces. Si l'on veut permettre aux habitants d'aller plutôt à pied ou en bicyclette qu'en voiture, il faut, à côté de transports collectifs attractifs, offrir un maillage continu, et sans rupture (seamless), tant pour les piétons que pour les cyclistes. Laisser plus souvent sa voiture au garage, ou se passer d'en posséder une, suppose d'offrir des transports collectifs plus fréquents. L'équation économique est facilitée si l'on arrive à constituer a minima des gros bourgs denses et à concentrer l'habitat, les bureaux et les équipements publics le long des lignes de transport collectif structurantes, ce qui semble le cas en Allemagne 70. 68 La représentation attachée aux communes au sein des EPCI facilite la constitution de coalition contre des politiques à première vue défavorables à un grand nombre d'entre elles. 69 Dans le cas de l'ambiance peu contrainte, la réduction est plutôt de l'ordre de 1 % 70 Par exemple, la ligne ferrée Kaiserslautern/ Lauterecken-Grumbach, d'environ 35 km, compte 14 arrêts, dessert trois communes fusionnées d'environ 10 000 habitants chacune avec 16 trains par jour aller-et-retour de 5h du matin environ à 20h. En France, la ligne Rennes/Rétiers, d'une longueur équivalente, compte sept gares et dessert deux petites villes (4 500 et 8 500) avec sept TER par jour (plus huit bus directs Janzé puis Rétiers) de 7h30 à 19h30 (et très peu le week-end). Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 63 DES INCERTITUDES MAJEURES Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 64 4 - DES INCERTITUDES MAJEURES 4.1 - Les incertitudes sur le devenir des technologies et sur l'évolution de nos comportements sont majeures 4.1.1 Le constat : les incertitudes sur le développement et la diffusion des technologies ainsi que sur l'évolution des comportements sont majeures Si nous sommes certains que le climat de la planète se transforme de manière très rapide et que, pour se conformer à l'Accord de Paris, l'ensemble des pays de la planète doit aller vers la neutralité carbone dans la deuxième moitié de ce siècle, les incertitudes relatives à la transition que nous allons devoir mener dans le secteur des transports sont considérables : les progrès importants des technologies de motorisation rendent la décarbonation du secteur des transports nettement moins incertaine qu'elle ne l'était il y a quelques années ; toutefois, l'acceptabilité du véhicule électrique et des ruptures d'usage qu'elle entraîne, la disponibilité des matières premières, les technologies nécessaires pour les poids lourds, l'aérien et le maritime constituent des inconnues majeures ; si les technologies d'assistance à la conduite progressent, la date à laquelle des véhicules entièrement autonomes seront disponibles reste extrêmement incertaine ; on peut énoncer de nombreuses pistes de mesures de politiques publiques, mais leur acceptabilité tant qu'elles n'ont pas été étendues à grande échelle reste par nature incertaine : l'abandon de l'écotaxe et de la hausse de la taxe carbone en sont les exemples les plus caractéristiques ; si le dérèglement climatique ne fait pas de doute, l'ampleur de ses conséquences et les valeurs des dommages qu'il pourrait causer restent très incertaines. Les évènements météorologiques exceptionnels observés expliquent l'expression de l'Organisation mondiale de la météorologie, prononcée lors de la présentation de l'état de la planète en octobre 2021 71. La réaction des individus et des collectifs face aux manifestations du changement climatique est tout aussi difficile à prévoir, même si l'augmentation du nombre des réfugiés climatiques est une certitude. 4.1.2 Le défi : piloter dynamiquement les politiques publiques en fonction des évolutions des incertitudes Dans ces conditions, des approches exploratoires détaillées dans le rapport du groupe de travail correspondant ont été menées pour tenter de prendre en compte les incertitudes et les risques dans l'organisation des politiques publiques. 71 "des concentrations atmosphériques de gaz à effet de serre sans précédent et la chaleur cumulée qu'elles induisent ont propulsé la planète sur un terrain inconnu, ce qui a de graves conséquences pour les générations actuelles et futures", (Note de bas de page État du climat en 2021: des phénomènes météorologiques extrêmes et de lourdes conséquences, Communiqués de presse, 31 octobre 2021, https://public.wmo.int/fr/centre-de-presse/press-release Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 65 4.1.2.1 Actualiser régulièrement les politiques et les mesures envisagées Les réductions d'émissions liées à la technologie sont incertaines, si bien que l'ampleur des efforts de sobriété à mener l'est tout autant. Ces politiques devront donc être réévaluées au cours du temps au fur et à mesure que de nouvelles informations seront recherchées et obtenues. Ceci devra donc amener à une révision périodique des politiques publiques (ce qui est déjà le cas de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) ou de la SNBC). On ne peut pas exclure que des mesures de sobriété particulièrement contraignantes soient nécessaires si les nouvelles informations s'avéraient inquiétantes, que ce soit du côté des technologies ou des enjeux en matière d'impact sur l'environnement et le climat. 4.1.2.2 Produire des plans intégrant les effets possibles dans divers scénarios et les actualiser au moins tous les cinq ans À cet effet, afin de ne pas perdre un temps précieux dans la mise en oeuvre des mesures, il est important de produire des plans d'actions contrastés « au cas où » (ou « what if »). Ces plans d'actions, à réviser périodiquement, par exemple tous les cinq ans, pourraient être guidés par des trajectoires de la valeur tutélaire du carbone 72 se situant, de manière plus ou moins importante, au-dessus d'une trajectoire de référence, comme celle du groupe présidé par Alain Quinet menant à 250 /tCO2 en 2030 et 775 /tCO2 en 2050. De manière à pouvoir les mettre en oeuvre rapidement à grande échelle en cas de nécessité, il conviendrait d'en expérimenter la mise en place à plus petite échelle afin de s'assurer de leur faisabilité technique et de leur acceptabilité. Un parangonnage de démarches similaires étrangères peut également être utile dans ce contexte. Ces plans d'actions contrastés devraient également conduire à la mise en place de dispositifs de précaution raisonnables (réservations de terrains pour infrastructures massifiées, dispositions d'urbanisme, renforcement des actions de recherche à long terme). La prévention de deux principaux risques est le coeur de cette logique de plans d'action : réagir trop peu revient à s'exposer à des dommages considérables, amplifiés par les risques liés aux irréversibilités ; mais réagir trop, ou de façon malencontreuse en raison d'informations insuffisantes, c'est risquer des efforts d'évitement se révélant in fine disproportionnés, et difficilement supportables par l'économie nationale. 4.1.2.3 Faire de l'acceptabilité le coeur de la réflexion et non son accessoire Ces plans d'action pourraient utilement intégrer l'ensemble des décisions publiques aux échelles territoriales appropriées, et conduire à des dialogues notamment entre l'État et les autorités organisatrices de la mobilité pour une plus grande réactivité de l'ensemble des pouvoirs publics face aux incertitudes. Au-delà, l'association de la société civile à leur élaboration permettra de les améliorer et devrait être un gage de leur future acceptabilité. 72 La valeur de l'action pour le climat ­ ou valeur tutélaire du carbone ­ représente la valeur que la collectivité doit donner aux actions à entreprendre (changements de comportement, investissements, innovations, etc.) pour réduire les émissions et atteindre l'objectif de neutralité carbone prévu par l'Accord de Paris de 2015 et le Plan Climat français de 2017. https://www.strategie.gouv.fr/actualites/de-laction-climat-cest-quoi Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 66 4.1.2.4 Préparer les échéances lointaines par des jalons crédibles L'incertitude devant l'acceptation d'un levier économique qui peut conduire l'opinion publique à le refuser lorsqu'il prend sa pleine mesure, plaide pour la mise en oeuvre d'une palette de leviers économiques différents (même s'ils se chevauchent parfois), et pour une préparation de leur mise en oeuvre de sorte à ce qu'elle apparaisse comme s'inscrivant dans une « continuité naturelle » : ainsi, l'interdiction de la vente des véhicules thermiques en 2040 pourra être considérée comme allant de soi si, l'année précédente, une grande majorité environ des véhicules neufs vendus n'émettent pas de gaz à effet de serre d'origine fossile. Sinon l'objectif risque d'être repoussé, le moment venu. L'interdiction des ventes de véhicules neuf émetteurs utilisant des carburants d'origine fossile à 2040 est inséparable des normes européennes d'émissions des véhicules neufs qui imposent aux constructeurs une proportion de véhicules n'émettant pas de gaz à effet de serre de plus en plus importante au cours du temps. 4.1.2.5 Approfondir l'application des méthodologies de la décision en avenir incertain Les approches concrètes et explicites de prise en compte des temporalités dans les processus de décision publique sont encore assez rares et la question de la prospective des mobilités semble un champ privilégié pour des réflexions approfondies : certaines des technologies envisageables ne sont pas aujourd'hui matures (faisabilité d'un avion à hydrogène vert ; la disponibilité des biocarburants en quantité suffisante, notamment dans l'aviation ; la faisabilité de la capture du carbone à grande échelle), mais supposent des anticipations fortes ; les coûts sont incertains, les comportements des parties prenantes aux signaux des pouvoirs publics sont peu prévisibles, y compris avec des possibilités de rejets massifs et brutaux (les carburants décarbonés pour le maritime, les solutions décarbonées pour les poids lourds). S'y ajoutent les incertitudes sur le plan des évolutions sociétales vers la sobriété : l'ampleur du télétravail et autres substitutions télécoms, la possibilité de renforcer le covoiturage, qui est aussi liée aux technologies du véhicule autonome, les possibilités de renforcer le report modal à des coûts économiques raisonnables, l'acceptabilité de hausse du prix du carbone, l'acceptabilité d'un système de quotas de carbone si nécessaire. Sont aussi à prendre en compte des risques généraux : il a par exemple a été identifié comme risque majeur l'intensité des dommages liés au dérèglement climatique, lié notamment à la présence ou pas de boucles de rétroaction positives et si oui à partir de quel niveau d'émissions cumulées ou de température, à un moindre degré le risque sur l'intensité des dommages liés à la perte de biodiversité. Le rapport thématique « risques et incertitudes » réunit des éléments de méthodologie, propose des inventaires de risques et la définition d'arbre des décisions, présente des travaux simplifiés, réalisés avec des outils sommaires appliqués au secteur de la mobilité des voyageurs, de mise en oeuvre de calculs d'options réelles et d'autres méthodes (Monte-Carlo, info-gap). Le but est ici d'insister sur la nécessité de développer ces sujets de façon approfondie avec des outils beaucoup plus complets et robustes. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 67 4.2 - Le redoutable défi intermédiaire de la décarbonation à 2030 Dans tous les scénarios de cet exercice, la baisse de l'empreinte carbone « complète » des émissions de GES en 2030 du secteur des transports ne dépasse pas une trentaine de pourcents (pour les transports terrestres en ACV) et reste donc loin de contribuer au prorata de ses émissions à l'objectif de réduction, tous secteurs confondus, de ­ 55 % par rapport à 1990 envisagé par la Commission européenne. Ce résultat s'explique par les délais vraisemblables de la montée en puissance des motorisations décarbonées, qui sont eux-mêmes dépendants de ceux des investissements verts (par exemple des bornes de recharge), de la modification de l'appareil industriel, et de la baisse du coût de revient des véhicules décarbonés. Vient ensuite s'y ajouter l'inertie du parc : la durée de vie des voitures est de plus d'une dizaine d'années, celle des avions ou des navires dépasse régulièrement la vingtaine d'années et atteint même la soixantaine pour certains bateaux si bien que les innovations liées aux véhicules neufs ne se diffusent que lentement. De manière simplifiée, la part des véhicules décarbonés dans le parc automobile en 2030 correspondra globalement à la part des véhicules décarbonés dans la vente des véhicules neufs en 2024. Le décollage constaté récemment des ventes du véhicule électrique constitue, de ce point de vue, un signal faible encourageant : il s'est vendu trois fois plus de véhicules électriques neufs en 2020 qu'en 2019, l'année 2021 a vu une nouvelle accélération notable du déploiement des véhicules électriques et hybrides rechargeables qui représentaient plus de 16 % des ventes sur les huit premiers mois de l'année, et les premiers poids lourds électriques de 26 tonnes font leur apparition sur nos routes. Ce décollage a été impulsé par une règlementation européenne contraignante et des subventions massives. Il serait certainement souhaitable de développer de manière accélérée la conversion électrique des véhicules légers (VL). Cela suppose d'augmenter très rapidement le nombre de bornes de recharges accessibles pour les VL sur route, autoroute et en milieu urbain (y compris dans les copropriétés) et de rendre ces véhicules financièrement accessibles pour une large part de la population. De la même façon, une politique volontariste de déploiement de bornes de recharge pour les poids lourds électriques favoriserait leur développement. Aller au-delà suppose des politiques résolues de sobriété combinant le développement des offres alternatives et des signaux économiques incitatifs : développer le covoiturage et les mobilités actives, renforcer la part modale des transports en commun urbains et du ferroviaire, inciter au télétravail, et mettre en place des taxes élevées sur les carburants, qui seront d'autant plus acceptables que des alternatives crédibles au véhicule thermique auront été mises en place. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 68 CONCLUSION : LE CHEMIN NE VA PAS DE SOI ET IL FAUT LE CONSTRUIRE COLLECTIVEMENT Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 69 5 - CONCLUSION : LE CHEMIN NE VA PAS DE SOI ET IL FAUT LE CONSTRUIRE COLLECTIVEMENT 5.1 - Alimenter un débat public éclairé La transition écologique et énergétique ne pourra être menée à bien que si une majorité de Français en partage les enjeux, les problématiques et l'urgence d'agir. Nombre des parties prenantes considèrent encore aujourd'hui que les progrès technologiques suffiront à eux seuls à résoudre les difficultés du secteur des transports qui pourrait ainsi s'exonérer de la plus difficile question de la sobriété. Le caractère lointain et incertain des projections de long terme peut conduire à considérer ce débat comme prématuré. À défaut d'un illusoire consensus sur les actions retenues, il reste donc d'actualité d'enrichir le débat public par une compréhension commune des termes du débat, aussi bien sur les causes et les conséquences du changement climatique, que sur les moyens et les outils réglementaires et économiques possibles (taxe carbone, marché carbone...) pour le prévenir. Le développement de l'internet qui nous permet d'accéder instantanément à une grande partie des connaissances scientifiques de l'humanité divise plutôt que rassemble : chacun finit en effet par trouver ses informations dans ses propres réseaux sociaux conduisant ainsi à des cultures très éloignées les unes des autres. Trois pistes pourraient nous guider dans ce partage : Mettre les connaissances scientifiques à disposition des décideurs et du public : c'est ce que font le GIEC et l'IPBES tous les six ou sept ans avec leurs rapports scientifiques. Convenons cependant que le résumé pour décideurs du GIEC n'est pas d'une lecture aisée et demande quelques explications. C'est ce que font également parfois les économistes, avec plus de difficultés, compte tenu des positions contrastées inhérentes à cette discipline : le rapport 73 rédigé par une commission rassemblant 26 économistes, français ou étrangers, renommés sous la présidence d'Olivier Blanchard et Jean Tirole a ainsi cherché à éclairer le débat relatif aux trois défis majeurs que constituent le climat, les inégalités et la démographie sur des bases objectives et scientifiques. Créer des lieux de débats, nationaux ou locaux, appropriés : au-delà de la démocratie représentative, des débats ad hoc, s'appuyant sur la connaissance scientifique, permettent d`éclairer la décision. Le Grenelle de l'environnement a ainsi conduit à une première loi adoptée quasiment à l'unanimité. La crise des gilets jaunes montre que le partage des enjeux du climat, de la biodiversité et de l'urgence de l'action est aujourd'hui insuffisant : les conférences de citoyens, la convention citoyenne sur le climat, la mise en place d'assemblées regroupant notamment les élus et les collectivités territoriales, les experts publics, les ONG, les syndicats de salariés, les organisations patronales, bénéficiant des apports de la science et d'un dialogue avec l'exécutif, sont des méthodes possibles. Il y en a certainement d'autres, y compris en local. 73 Les Grands défis économiques, rapport de la Commission internationale présidée par Olivier Blanchard et Jean Tirole, https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/fs-2021-rapport les_grands_defis_economiques-juin_0.pdf Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 70 Évaluer plus systématiquement les politiques de l'État et des collectivités territoriales en recourant notamment à des autorités indépendantes chargées d'évaluer la politique du gouvernement : c'est le rôle du Haut conseil pour le climat 74 et du Climate change Committee 75 au Royaume-Uni (qui a inspiré la création du HCC). À plus court terme, cinq ans après les assises de la Mobilité qui avaient permis de préparer la nouvelle loi d'orientation des mobilités, deux thèmes mériteraient d'être débattus, au plus près des territoires, à la lumière des objectifs de réduction et de la proposition de la Commission de les renforcer à 2030 (en passant d'un objectif européen de réduction à 2030 de - 40 % à - 55 % par rapport à 1990) : celui de la sobriété des déplacements : le présent rapport a montré la nécessité d'agir sur ce levier et en a proposé une définition consistant à réduire le nombre et la longueur des déplacements utilisant des carburants d'origine fossile et à en réduire l'impact en encourageant le report modal et le développement des modes actifs. Ce cadre est-il partagé ? Quels objectifs se donne-t-on ? Peut-on envisager à terme, comme le fait le scénario pari sociétal, des réductions de 20 % de nos déplacements et des transports de marchandises dans un monde où la technologie ne serait pas au rendez-vous ? Comment embrasser l'ensemble des leviers d'action pour initier une tendance favorable ? Légende : Diagramme en cascade des contributions à l'évolution de l'empreinte carbone jusqu'en 2060 pour les 2 scénarios de neutralité (pari technologique et pari sociétal). (Lecture de gauche à droite, en partant de la ligne horizontale d'origine, en additionnant les réductions provenant des variations de la demande de transport, puis en retranchant les effets dus au taux de remplissage et au report modal, et enfin ceux provenant de l'efficacité énergétique et de l'intensité carbone) Source : Prospective 2040-2060, CGEDD-France Stratégie, 2022. 74 75 https://www.hautconseilclimat.fr/ https://www.theccc.org.uk/ Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 71 celui des signaux économiques permettant d'atteindre ces objectifs et des mesures redistributives associées. Ils doivent permettre d'orienter l'ensemble des comportements vers plus de sobriété sans que les dépenses contraintes des premiers déciles n'augmentent. Faut-il envisager une taxe carbone indépendante du niveau de revenus et des mesures de redistribution ou faut-il envisager une taxe progressive ? Faut-il attendre le développement d'un marché d'occasion suffisant du véhicule électrique avant d'envisager une taxation carbone des carburants plus élevée qu'aujourd'hui ? Comment traiter les cas particuliers, tel celui de l'infirmière en milieu rural qui utilise chaque jour son véhicule thermique sur des dizaines de kilomètres ? Ce sont des questions de ce type qui méritent d'être abordées franchement : les réponses qu'elles appellent comportent en effet une part de technicité, mais elles doivent également tenir compte de l'expression des souhaits des usagers ou de leurs représentants afin de construire un chemin collectif. 5.2 - Rendre concrets les termes du débat de la sobriété L'évolution des comportements et des pratiques de vie est une dynamique complexe, hétérogène et intergénérationnelle et un exercice de prospective sectorielle comme celle portant sur les mobilités ne peut en cerner tous les aspects, mais en est largement dépendant. La perception des modes de vie désirables n'est pas une donnée intangible, elle procède de l'éducation, du partage du projet, du récit collectif. Aujourd'hui cette perception est en forte évolution chez une part de la population et sans doute particulièrement chez les plus jeunes, mais elle n'est pas exempte d'incohérences et de contradictions. Chacun a besoin de comprendre les conséquences pour lui-même et ses proches non seulement de l'évolution du climat mais aussi des mesures prises pour ralentir cette évolution. Il souhaite être rassuré sur sa propre capacité à s'inscrire sur la trajectoire que l'avenir lui réserve. Le chemin est d'autant plus aisé que l'on est convaincu que cet avenir est désirable. 5.3 - Bâtir sur les points de convergence les mieux établis Un point semble solidement établi, et ceci est assez récent : les mutations de motorisations sont indispensables et possibles. La mise en place de leviers économiques et réglementaires précoces est indispensable (interdictions de commercialisation de certaines motorisations à des échéances prévues avec dix ou vingt ans d'anticipation, normes européennes d'émissions, ZFE ...) pour parvenir au résultat. Ces leviers seront d'autant plus efficaces qu'ils seront décidés à l'échelle internationale. Ils ne produiront enfin leur effet que si le chemin est jalonné d'étapes intermédiaires et accompagné à chacune de celles-ci et qu'in fine la réalité du marché et des pratiques aura précédé l'entrée en vigueur des mesures d'interdiction. Sans surprise, l'analyse montre tout l'intérêt que les acteurs industriels français et européens soient aidés pour prendre toute leur part à la décarbonation et à l'optimisation des performances par la numérisation et l'automatisation, même s'il est évident que les solutions technologiques ne suffiront pas. L'acceptabilité des mesures, y compris pour cette seule mutation technologique, repose sur les univers de choix (l'accessibilité réelle des alternatives) et sur le sentiment partagé de l'équité de la répartition des efforts, tant au sein de la société française que quand elle se compare aux autres pays. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 72 5.4 - Des ressorts profonds de la conception de la société sont en jeu La promesse généralisée et démocratique de la mobilité individuelle libératrice par la voiture a constitué pendant près d'un demi-siècle un élément de projet collectif sans doute socialement assez fédérateur. Désormais des options assez fortement différenciées, assez complexes et non dénuées de contraintes, lui succèdent : il ne faut pas s'étonner que la société approche cette mutation possible de son projet social avec des entrées très contrastées et que les oppositions s'exacerbent volontiers à chaque difficulté du chemin. Les points de vue divergent aujourd'hui sur le degré de contrainte qui s'opérera in fine sur les mobilités des personnes et des marchandises et c'est bien l'objet du présent travail que d'éclairer cette question. Certains espèrent que les progrès technologiques mettront à portée de tous un champ de possibilités similaire à la situation actuelle, en oubliant parfois que celle-ci est le résultat ellemême d'une très forte évolution en croissance. Le scénario « pari sociétal » suppose le recours à des réductions notables de la mobilité, pour atteindre la neutralité carbone « complète » ainsi que d'autres objectifs environnementaux. Certains considèrent que, dès lors qu'ils seraient significativement contraignants, ces objectifs environnementaux seraient inacceptables et combattent toute mesure allant dans ce sens en espérant que le temps ouvrira des innovations qui viendront résoudre les contradictions actuelles. D'autres considèrent que cette réduction correspond à de nouveaux modes de vie somme toute aussi, voire plus, désirables que les modes de vie actuels. Ils sont confiants qu'une large part de la population y adhérera progressivement. Ils craignent souvent que l'imposition précoce de contraintes fortes génère plus d'incompréhension et de tensions que de résultats, voire de reculs difficiles ensuite à reconquérir. Ils préfèrent une dynamique imparfaite mais en progrès continu à un processus générant des crises. D'autres enfin considèrent au contraire que l'évolution drastique des comportements est indispensable, mais ne sera en rien spontanée : la discipline collective pouvant aller, pour des raisons d'équité jusqu'à des logiques de rationnement, est pour eux indispensable. Ils défendent que ces mesures doivent être prises le plus tôt possible car l'urgence climatique s'impose et que la rigueur des mesures est un signal indispensable pour que chacun comprenne l'importance des mutations nécessaires. L'objet d'une prospective n'est pas de construire de tels nouveaux récits collectifs, ni de porter un jugement sur ces diverses postures. Les contrastes entre les narratifs attachés aux divers scénarios étudiés reflètent qu'une évidence collective est loin d'être établie. C'est pourquoi il n'aurait pas été suffisant de raisonner par un simple backcasting qui, ayant défini un futur désirable unique, ne s'intéresserait qu'à décrire la trajectoire théorique permettant d'y parvenir sans se préoccuper de son acceptabilité ni être lucide sur les options qui peuvent conduire à ne pas y répondre. La question des chemins empruntés par la société est ainsi plus délicate que celle du point d'atterrissage à long terme, question par ailleurs partiellement insoluble en raison des incertitudes. Cette prospective essaye d'apporter une première approche, très modeste, de cette nécessaire analyse de l'arbre des décisions des acteurs publics. Cette matière est assez nouvelle et de nombreux progrès sont nécessaires. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 73 Annexes Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 74 Annexe 1 - Participants à la démarche Comité de pilotage La démarche de prospective a été organisée par un comité de pilotage réunissant le CGEDD et France Stratégie ainsi que les animateurs des groupes thématiques : Dominique Auverlot, Nadine Asconchilo, Francis Beaucire, Régine Bréhier, Geoffroy Caude, Jean Colard, Yves Crozet, Pascal Hornung, Michel Massoni, Jincheng Ni, Bérengère Mesqui, PierreAlain Roche, Alain Sauvant et Michel Savy. Relecture et consultations Plusieurs membres du CGEDD ont accepté de relire et commenter tout ou partie des documents : Philippe Ayoun, Jean-Christophe Baudouin, Bruno Depresle, Pascal Douard, Sandrine Godfroid, Denis Huneau, Patrick Lambert, Bernard Larrouturou, Marianne Leblanc Laugier, Philippe Ledenvic, Sylvie Mathon, Michel Pinet, Michel Rostagnat, Arnaud Zimmerman. La mise en forme et la parution de ces rapports n'auraient pas été possibles sans le travail de Lucinda Dinis da Silva et de Marie Andre-Verhaeghe, les assistantes de la section Mobilité Transport du CGEDD ainsi que celui de la cellule de communication du CGEDD. Par ailleurs ont été consultés avant publication du rapport : La formation transports de la commission de l'économie du développement des comptes de l'environnement L'Union des ports de France et France Logistique pour les volets marchandises L'ensemble des participants aux séminaires transversaux réunis tout au long du chantier dans des séances plénières Intervenants extérieurs ayant présenté des exposés à l'occasion des séances plénières Lors des séances plénières, le comité de pilotage a demandé à différents experts d'éclairer divers aspects essentiels à la démarche ou de présenter des travaux récents (ne sont pas repris ici les nombreux exposés faits lors des séances d'atelier qui figurent dans les rapports thématiques) : Exposé de Thomas Earl de Transport et environnement sur « how to decarbonize transport » et de Luis Martinez et Mallaury Trouvé du FIT sur Outlook 2019 Exposé sur la mobilité en Chine en 2050 par Jincheng Ni de France stratégie et Hervé de Tréglodé consultant Exposé contextuel sur l'évolution du comportement des Français, et en particulier des plus jeunes, à l'égard du développement durable par Sandra Hoibian du CREDOC Intervention de Hérald Ruijters Commission européenne sur la Stratégie de mobilité durable et intelligente de la Commission européenne Exposé d'Alain Petitjean du groupe ALPHA sur le télétravail. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 75 Groupe plénier Le groupe plénier réunit l'ensemble des participants aux ateliers. Il s'est réuni neuf fois au cours de la démarche, la plupart du temps en visio-conférence. ROCHE SAUVANT AYOUN ASCONCHILO CAUDE HUNEAU AUVERLOT NATAF BANOUN LEDENVIC MASSONI MENAGER TORDJMAN CARON LE DALL HORNUNG BREHIER FULDA VIORA CORREZE-LÉNÉE ROSTAGNAT LAMALLE DOUARD BERNARD-GELY LAMBERT CASTEL BAUDOUIN PONCET TAILLÉ-ROUSSEAU DEPRESLE LECONTE ZIMMERMANN BARBUSSE TEYSSIER COLARD NI MESQUI MEILHAN DEGREMONT POCHEZ DELACHE PHILIPPE BOULNOIS PENGCASAVECCHIA Pierre-Alain Alain Philippe Nadine Geoffroy Denis Dominique Jean-Michel Sylvie Philippe Michel Thierry Florence Philippe Jean Pascal Régine Bruno Mireille Patricia Michel Michel Pascal Anne Patrick Florence Jean-Christophe Jean-Damien Jérôme Bruno Manuel Arnaud Alexandre Julien Jean Jincheng Bérangère Nicolas Marie Rémi Xavier Hervé Olivier Sophie CGEDD/MT CGEDD CGEDD/MT CGEDD/MT CGEDD/MT CGEDD/MT CGEDD/MT CGEDD CGEDD CGEDD CGEDD/MT MIGT Bordeaux CGEDD CGEDD CGEDD CGEDD/MT CGEDD/MT CGEDD CGEDD CGEDD CGEDD CGEDD/MT CGEDD CGEDD CGEDD/MT CGEDD/MT CGEDD/MT CGEDD/BEA-TT CGEDD/MT CGEDD CGEDD/MT CGEDD/MT CGEDD/AQST CGEDD/AQST France Stratégie France Stratégie France Stratégie France Stratégie France Stratégie DGITM DGITM DGITM DGITM DGITM DOLCEMASCOLO SAUMTALLY DIVOL MOULINIER TREVIEN MEUNIER BESSIÈRE GEFFRET MARIGOT JACOD MOTAMEDI KOLLI JULIEN PREVOST BUREAU ROUCHAUD GRIMAL VERRY CHANUT CLEMENT PELATA FARENC DE SOLÈRE COTTET CABANNE HAJJAR BORMAND PRÉVORS TRÉMÉAC BIGO BARBUSSE MADRE KOVARIK COMBES DABLANC KONING FRÉMONT LATERRASSE GALLEZ TRIGUI GUITTET TAMBIDORE LEPOUTRE CRÉMEL TARRIER Victor Tibye Elois Jean-Marc Corentin David Sabine Pierre Sokorn Anne Kiarash Zehir Arantxa Thibault Dominique Didier Richard Damien Stéphane Cécile Julie Jean-Matthieu Hélène Marion Isabelle Joseph Victor Lionel Yann Aurélien Stéphane Jean-Loup Jean-Bernard François Laetitia Martin Antoine Jean Caroline Rochdi Kévin Ilangovane Julien Stéphane Franck DGITM DGITM DGITM CGDD CGDD CGDD CGDD CGDD CGDD CGDD CGDD CGDD CGDD CGDD CGDD CGDD CEREMA CEREMA CEREMA CEREMA CEREMA CEREMA CEREMA CEREMA DGEC DGEC DGEC DGEC ADEME ADEME ADEME IFSTTAR IFSTTAR IFSTTAR IFSTTAR IFSTTAR IFSTTAR IFSTTAR IFSTTAR IFSTTAR DGAC DGAC DGAC Bercy Bercy Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 76 BETRY MARTIN ALCAYNA LEHMANN PINART LAVERGNE BOURDON SAVY BOUTUEIL QUINET CROZET RAUX LEURENT PASSALACQ KAUFMANN ORTAR TOILIER GARDRAT DESJARDINS MAULAT DE PALMA GALIANO ROUX NGUYEN-LUONG WAGNER COULY DUBOIS-TAINE ORFEUIL BEAUCIRE BACOT LEUXE Emmanuel Simon Simon Frédéric Marie-Gaëlle Richard Tom Michel Virginie Émile Yves Charles Fabien Arnaud Vincent Nathalie Florence Mathieu Xavier Juliette André Lino Sébastien Dany Nicolas Fabien Olivier-Paul Jean-Pierre Francis Marie-Anne André Bercy Bercy Bercy Bercy Bercy Bercy Bercy ENPC ENPC ENPC LAET CNRS LYON ENPC UA EPFL ENTPE ENTPE ENTPE Université Sorbonne Université Paris 1 Expert INSEE INSEE IAURIF ART ART Expert Expert Expert Experte Expert DE TRÉGLODÉ HAUET LEGO NARRING BRETEAU DAUDE HANEN BOULAND BRUNEL GERI COLARD THERON PENFORMIS VAN CORNEVAL DURON KALAYDJIAN BOUTER SABATIER TERNEL COLDEFY GOUBET BERETTA LE BIGOT LAGARDE LE NAIRE MASERA MEYER MORTUREUX GIRARD TORCHEUX DASSA Hervé Jean-Pierre Léna Pierre Vincent Caroline Fanny Anne Julien Philippe Jean Lucas Nathalie Pierre Philippe François Anne Jérôme Cyprien Jean Cécile Joseph Nicolas Dominique Marie-Laure Régis Jonas Marc Catherine Laurent François Expert Expert Experte Expert CL CL SNCF SNCF SNCF SNCF SNCF SNCF VEDECOM TDIE TDIE IFPEN IFPEN IFPEN IFPEN ATEC AVERE AVERE CCFA ENEDIS RENAULT ARVAL ENEDIS PFA AUTO RENAULT EDF EDF Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 77 Annexe 2 - Les scénarios étudiés Cette annexe décrit les caractéristiques principales des scénarios : le lecteur intéressé trouvera plus de détails dans le rapport transversal ; il trouvera également une déclinaison de ces avenirs possibles dans l'annexe du rapport transversal relative aux tranches de vie mobile dans une trajectoire menant à la neutralité carbone. Légende : Contributions à l'évolution de l'empreinte carbone des mobilités des voyageurs terrestres, selon les scénarios. Le rectangle bleuté représente la plage de variation obtenue pour chacun des facteurs dans les différents scénarios, hormis les valeurs très différentes du scénario du pire climatique. Source : Prospective 2040-2060, CGEDD-France Stratégie, 2022. Le scénario « ambition de base » Le scénario « ambition de base » s'appuie sur les décisions déjà prises, les prolonge et les amplifie en s'inscrivant ainsi dans la continuité des politiques actuelles 76 : il ne s'agit pas d'un scénario central ou de référence au sens classique du terme. Il suppose en effet que dans le prolongement de l'ambition envisagée aujourd'hui, les gouvernements successifs et la société dans son ensemble adoptent de nouvelles mesures, conformément aux objectifs de la loi d'orientation sur les mobilités et de la loi climat et résilience : Neutralité carbone directe (hors ACV) des transports terrestres dès 2050. 76 C'est d'ailleurs ce qui a été réalisé pour la SNBC avec les mesures supplémentaires (AMS) Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 78 Interdiction de la vente de voitures utilisant des énergies fossiles carbonées d'ici 2040 (ce qui peut conduire à recourir à l'électricité à batteries ou à hydrogène, au biogaz, aux biocarburants, à l'hybride avec biogaz ou biocarburants). Fin de la vente des poids lourds neufs utilisant majoritairement des énergies fossiles en 2040, la nette progression de la disponibilité des biocarburants durables et des e-fuels pour l'aérien. Instauration des ZFE (zones à faibles émissions) conduisant à la suppression des véhicules Crit'Air3, donc des diesels sans filtres à particules, dans toutes les agglomérations de plus de 150 000 habitants en 2030 et à des interdictions de circulation de l'ensemble des diesels (VP ou VUL) dans certaines agglomérations à plus court terme (2024 par exemple pour la ZFE du Grand Paris). Adoption par l'OACI d'un objectif de réduction de 50 % des émissions de CO2 du transport aérien à l'horizon 2050 (malgré l'augmentation du trafic). Apparition vers 2035-2040 des premiers avions neutres en carbone à l'émission. Réduction d'au moins 50 % des émissions maritimes mondiales par rapport à 2008. Dans le domaine de la sobriété, il prend en compte un renforcement modéré des politiques publiques actuelles. Le scénario comporte ainsi : Une massification des transports de voyageurs, grâce au développement des transports ferroviaires et collectifs lourds (BHNS, métro, RER, tramway, tram-trains), articulé avec des services de véhicules partagés. Ces services partagés font l'objet d'incitations, par exemple des accès à des couloirs réservés dès lors que les vitesses des bus ne sont pas impactées, ou à des stationnements prioritaires. Les politiques menées sont calibrées en fonction des densités des zones concernées, avec des taux de partage des véhicules plus élevés dans les zones les plus denses, avec une moyenne toutes zones de hausse de ce taux de 15 % (par exemple passage de 1,4 personnes par voiture à 1,6). Le trafic des TCU lourds et du ferroviaire urbain pourrait augmenter de l'ordre de 33 %. S'y ajoute un renforcement des infrastructures pour les modes actifs et doux, par des continuités d'itinéraires et le traitement de points durs non encore équipés, ce qui permet l'augmentation de leurs parts modales qui atteignent des chiffres comparables à ceux de nos principaux voisins, comme par exemple l'Allemagne 77, où la part modale atteint environ 12 % contre 3 % environ en France. Dans la continuité des nouvelles habitudes de mobilité prises lors de la crise sanitaire, un mix de télétravail et de travail en présentiel est encouragé lorsqu'il est possible, pouvant aller jusqu'à deux jours sur cinq à distance en moyenne pour 30 % de la population. Une partie des déplacements longue distance pour motif professionnel (jusqu'à 30 % de ceux-ci) fait l'objet d'une substitution par des moyens de télécommunications. Compte tenu de la sensibilité de la population aux prix des carburants, le signal prix carbone n'est pas explicitement traduit dans l'économie : la contribution climat énergie de la TICPE subsiste à son niveau actuel dans un premier temps. Le deuxième marché mis en place sous l'impulsion de la Commission européenne pourrait cependant conduire dans le temps à une augmentation modérée de la contribution climat énergie qui atteindrait ainsi 113 /tCO2 en 2040 et 250 /tCO2 en 2060 (au lieu de 2030). 77 Voir par exemple : https://www.fub.fr/velo-ville/villes-qui-aiment-velo/villes-qui-aiment-velo-france-etranger Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 79 Le scénario « poussée technologique » Ce scénario est marqué par un très net renforcement du développement technologique dans une dynamique forte dans le sillage des États-Unis et de la Chine, dans une ambiance tirée par la compétition internationale et le marché mondial plus que par la coopération. Ce scénario est optimiste quant aux résultats des innovations aujourd'hui envisagées, et suppose le déploiement de technologies qui restent à mettre au point en particulier dans les secteurs aérien et maritime. Il suppose la disponibilité des ressources naturelles nécessaires pour y parvenir (terres rares, etc.). La neutralité carbone directe est atteinte pour les nouveaux avions à partir de 2040 et pour l'ensemble de la flotte aérienne (correspondant à l'utilisation de l'électricité, de l'hydrogène et des biocarburants durables suivant les segments, hors empreinte des véhicules et des infrastructures) en 2060. Dans le domaine routier, les premiers PL neutres en carbone font leur apparition dans la décennie 2020-2030 si bien que les poids lourds neufs sont neutres à l'émission à partir de 2040 (conformément à la loi de lutte contre le dérèglement climatique) et la neutralité carbone « directe » (hors empreinte) des VP et des PL est obtenue en 2050 ; un basculement vers les véhicules professionnels neutres en carbone est constaté dès 2030 ; le sourcing le plus décarboné possible des matériaux pour les véhicules (batteries, caisse...) ainsi que leur recyclage ou leur réutilisation dans une deuxième vie après la mobilité deviennent la règle générale notamment au-delà de 2040 ; la disponibilité de biocarburants avancés et de carburants de synthèse décarbonés à destination principalement de l'aérien est assurée grâce à une bonne mobilisation de l'appareil industriel et à une répercussion des coûts sur les voyageurs. Dans cette ambiance de diffusion du progrès technologique, le coût des technologies bas carbone baisse rapidement et les coûts d'évitement des GES par les technologies sont plutôt faibles : dans l'automobile par exemple, le véhicule électrique devient ainsi moins cher que son équivalent thermique vers 2025 78 et il en est de même pour les poids lourds vers 2030 ; des dispositifs de capture et stockage du carbone se généralisent à partir de 2030 dans l'industrie et dans le maritime, mais pas pour les poids lourds malgré l'offre commerciale de certaines entreprises 79. Afin de permettre l'évolution rapide des technologies, le signal prix carbone est explicitement traduit dans l'économie sous forme d'une palette d'outils différents (normes, marchés, taxes, bonus/malus ...) : la trajectoire implicite de la valeur du carbone augmente à un rythme supérieur à celui préconisé par la Commission Quinet dans le cadre des travaux menés pour France Stratégie 80, en raison de la volonté d'atteindre, dans le domaine des transports, une neutralité carbone de l'empreinte de la France, autrement dit une neutralité carbone tenant compte des émissions à l'amont du cycle pétrolier et de celles produites pour la fabrication des biens importés (et exportés). Néanmoins, afin de tenir compte de la sensibilité de l'opinion au prix du carburant, le volet contribution climat énergie de la TICPE n'augmente que de façon modérée à travers la mise en place d'un signal prix carbone européen conformément à la proposition de 78 Même si ce résultat est discutable, Volkswagen annonce que le TCO de ses véhicules électriques est déjà moins élevé que celui des véhicules thermiques équivalents. Voir notamment : https://www.automobile-propre.com/comparatif-chezvolkswagen-lelectrique-serait-moins-cher-que-le-thermique/ 79 Transport technologies : Mobile Carbon Capture, Saudi Aramco, https://www.aramco.com/en/creating-value/technologydevelopment/transport-technologies/mobile-carbon-capture# 80 Correspondant à 250 /tCO2e, et environ 500 et 750 /tCO2e : il s'agit d'euros courants 2019 (autrement dits d'une valeur courante sans tenir compte de l'inflation à partir de 2019) https://www.strategie.gouv.fr/publications/de-laction-climat Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 80 la Commission de juillet 2021 81 et atteint ainsi 113 /tCO2 en 2040 et 250 /tCO2 en 2060 (au lieu de 2030), tandis que les normes de décarbonation de la construction des véhicules et leurs batteries sont renforcées pour se rapprocher de la neutralité carbone. L'Union européenne impose un pourcentage obligatoire de biocarburants de plus en plus élevé 82 au cours du temps pour les vols au départ des aéroports européens. Une taxe carbone est instaurée sous forme de mécanisme d'ajustement carbone à la frontière conformément à la proposition de la Commission européenne de juillet 2021. Le scénario « poussée de sobriété » Ce scénario est marqué, sans plus de performance technologique que le scénario de l'ambition de base par un renforcement des politiques de sobriété. Ainsi, du télétravail et des télé-activités, en s'appuyant sur le progrès des télécommunications, sont recherchés : à 2060, 50 % des actifs télétravaillent en moyenne trois jours par semaine, avec un effet rebond restant à 50 % 83. Le niveau de la taxe carbone est également renforcé pour aller vers 500 /tCO2 en 2060 (y compris en aérien). Les politiques de développement des modes ferroviaires et de TCU lourds sont accélérées, en conjonction avec un renforcement du covoiturage. Les taux de remplissage moyens sont modulés en fonction de la densité des zones. L'encouragement des modes actifs et doux est davantage renforcé. À cet effet, des mesures de partage de voirie sont prises, augmentant l'allocation de l'espace en faveur des TC, du covoiturage et des pistes cyclables, au détriment de la voiture à une seule personne, et du stationnement. Sous réserve d'un bilan carbone positif en analyse en cycle de vie, davantage de nouvelles infrastructures de transport collectif lourdes sont construites en ville et sur les grands axes interurbains. Les interfaces intermodales sont développées, notamment les parkings relais autour des grands axes de transports collectifs lourds. Ceci résulte notamment du choix d'une valeur du carbone plus élevée, qui a pour conséquence une augmentation des emports moyens et un plus grand recours aux transports collectifs. Pour les marchandises, l'accès à la voirie ou au stationnement peut être rendu plus rare, notamment dans les cas de remplissages faibles des véhicules. Les capacités des noeuds ferroviaires sont renforcées, et des améliorations voire construction de lignes nouvelles fret ou mixtes sont renforcées, sous réserve de bilan carbone favorable en cycle de vie. L'étalement urbain est davantage limité. Le scénario hyper contraint Ce scénario illustre les risques d'échec si les progrès technologiques envisagés dans le scénario d'ambition de base ne sont pas au rendez-vous. Il se place dans l'hypothèse où la société cherche à minimiser néanmoins l'empreinte carbone, sans y parvenir toutefois, par des mesures de sobriété seules. 81 Dans le cadre du paquet fit for 55, la Commission a proposé la mise en place à partir de 2027 d'un deuxième marché de quotas d'émissions de gaz à effet de serre portant sur le transport et le chauffage et s`appliquant aux importateurs d'hydrocarbures. 82 Sachant qu'il n'existe pas de limite technique supérieure au taux d'incorporation. 83 L'effet rebond est à comprendre comme le ratio entre les voy-km supplémentaires effectués par le télétravailleur (à court terme du fait du temps disponible additionnel, et à long terme du fait de sa potentielle relocalisation plus éloignée) par rapport à ceux qu'il économise du fait de ses déplacements éludés vers le travail. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 81 Une transition énergétique mal préparée et/ou trop rapide, une volonté de développer toutes les technologies en même temps ou, à l'inverse, d'en privilégier une qui ne sera finalement pas retenue au niveau international peuvent en effet conduire à des coûts économiques trop importants pour l'industrie, pour les ménages ou pour les dépenses publiques. En l'absence de technologies bas carbone efficaces, les contraintes sont telles que même des mesures fortes de politique redistributive ne suffisent pas et se traduisent par des dépenses élevées et une aggravation des inégalités sociales. Dans ce scénario le gouvernement impose des mesures de plus en plus drastiques (et de plus en plus mal acceptées par la population), ce qui entraîne la fermeture ou la délocalisation d'une partie de l'appareil industriel, une forte augmentation des importations et un ralentissement marqué de la croissance économique. Ce scénario aboutit vraisemblablement à des conflits sociaux et/ou à une crise qui ne permet plus de poursuivre la transition vers la neutralité carbone. Le scénario du pire climatique Ce scénario constitue une deuxième illustration des risques d'échec dans l'atteinte des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Il est marqué par l'absence de développement de nouvelles technologies bas carbone, par une faible diffusion du progrès technologique liée à la défiance de la population à l'égard de la technologie et par un délitement progressif de l'Accord de Paris. Les mesures de régulation nécessaires à la lutte contre le réchauffement climatique ne sont pas acceptées par la population et ne sont donc mises en oeuvre que de manière extrêmement modérée, ce qui en limite fortement l'efficacité. Dans ce scénario, les ventes de véhicules neufs décarbonés ne représentent que 30 % des véhicules neufs à 2040, le marché de l'occasion des véhicules électriques ne se développe que lentement, l'incorporation de biocarburants durables reste faible, voisin de 5 % à 10 % dans l'aérien à 2040, tandis que le maritime n'adopte pas de carburants neutres en carbone. L'autosolisme perdure et les reports modaux en faveur de la voiture constatés pendant la crise sanitaire se prolongent. Aucune régulation d'usage n'est mise en place à l'arrivée des véhicules autonomes terrestres ou des drones. Il en découle une baisse du taux d'emport moyen des voitures ainsi qu'un développement de la circulation de véhicules vides pour assurer les repositionnements. Globalement, tant en voyageurs qu'en marchandises, le nombre de circulations pourrait doubler de ce fait. Le scénario « pari technologique » Ce scénario repose sur un développement optimiste de la technologie équivalent au scénario poussée de technologie mais aussi sur des actions renforcées de sobriété. Une taxe carbone et/ou des dispositifs quantitatifs de contingentement du carbone émis sont mis en place dans l'ensemble des modes, notamment routier et aérien, (voyageurs et marchandises) à un niveau suffisant pour atteindre la neutralité des mobilités. Comme dans le scénario « poussée technologique », le progrès technologique est favorisé par un très net renforcement de la coopération mondiale dans la lutte contre le changement climatique propice à la mise au point de nouvelles technologies bas carbone et la diffusion rapide du progrès technologique ainsi qu'à l'adoption au niveau mondial d'objectifs ambitieux globaux, mais aussi sectoriels pour l'aviation et le maritime. Dans le domaine des véhicules terrestres, les progrès technologiques conduisent à une fabrication largement décarbonée des véhicules, y compris des batteries pour les véhicules électriques au-delà de 2040. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 82 Du point de vue des politiques de sobriété, il est supposé quelques éléments au-delà des politiques figurant dans le scénario de « poussée de sobriété ». Pour les voyageurs terrestres, la politique est identique à celle du scénario de « poussée de sobriété ». Pour les marchandises, il est visé une réduction de 5 % en 2060 des tonnes-kilomètres au moyen de contrats verts incitatifs. Dans le mode aérien, les voyageurs réduisent également leur nombre de voyages et/ou leurs portées d'environ un cinquième (22 %) sous l'effet de mesures comme par exemple la modération voire l'interdiction de la publicité et le renforcement de l'information sur les dommages. Le marché ETS est étendu au maritime international (avec la participation de la Chine et des États-Unis), le signal prix carbone résultant du dispositif Corsia se rapproche des prix de l'ETS. L'OMI adopte ainsi un objectif de neutralité carbone pour les nouveaux navires de la flotte mondiale à partir de 2030 et de neutralité carbone à 2050. L'OACI adopte en 2022 des objectifs similaires pour les nouveaux avions à partir de 2040 et de neutralité carbone directe pour l'ensemble de la flotte aérienne (correspondant à l'utilisation de l'électricité, de l'hydrogène et des biocarburants durables suivant les segments) pour 2060, hors empreinte des véhicules et des infrastructures, résultat qui est atteint grâce à un recours massif à des énergies décarbonées mais aussi à une compensation par des procédés d'émissions négatives, certifiés sur le plan international. Des surcoûts significatifs sur les voyages aériens en découlent, notamment en long courrier. Au-delà de mécanismes de solidarité généraux qui devraient alors être renforcés, des mécanismes de financement particuliers devraient être mis en oeuvre à l'égard des personnes habitant les départements et territoires d'Outre-Mer pour permettre leurs déplacements depuis ou jusque le territoire métropolitain. Le scénario « pari sociétal » Si les progrès technologiques sont ceux du « scénario ambition de base », par exemple l'électrification du parc VL mais sans allongement de durée de vie des batteries ou production décarbonée de ces dernières, les mesures de sobriété à envisager pour atteindre la neutralité en empreinte sont beaucoup plus importantes (politique dite ultra forte) encore. 50 % de la population active télétravaille trois jours par semaine, avec 25 % d'effet rebond seulement 84. Le remplissage des véhicules est porté à plus de 3,3 personnes en moyenne (contre 1,4 actuellement) et le stationnement est fortement contraint, il y a 33 % d'usage des transports en commun dans les grandes agglomérations (au lieu de 19 % actuellement). Les grands axes routiers urbains sont reconfigurés avec une voie bus, une voie covoiturage, une piste cyclable continue et un trottoir élargi. Le vélo représente 14 % des voyageurs-km dans les grandes agglomérations. Les investissements TCU lourds iraient bien au-delà de capacité (par exemple des voies supplémentaires, un système de signalisation plus performant permettant le passage de trains supplémentaires...) et incluraient des lignes nouvelles (train, métro, tram, BHNS...). L'extension urbaine serait quasiment gelée, avec toutefois un peu de construction neuve dans les zones près des gares et stations de TCU lourds, ainsi que la facilitation des correspondances intermodales entre les TCU et le covoiturage en parcours terminal. 84 L'effet rebond est à comprendre comme le ratio entre les voy-km supplémentaires effectués par le télétravailleur (à court terme du fait du temps disponible additionnel, et à long terme du fait de sa potentielle relocalisation plus éloignée) par rapport à ceux qu'il économise du fait de ses déplacements éludés vers le travail. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 83 Ces mesures de partage de voirie et d'investissement TCU ne suffisent toutefois pas, et ne contribuent pas à la sobriété des mobilités en dehors des espaces centraux. Une hausse de taxe carbone au-delà de 500 /tCO2 au niveau requis pour atteindre la neutralité des mobilités poserait des problèmes ingérables de redistribution compte tenu de l'hétérogénéité des situations. De ce fait, une carte carbone destinée à limiter les émissions des hypermobiles serait alors envisagée pour ramener la part des personnes qui émettent 80 % des GES à un peu plus de 60 % seulement. 50 % des voyages aériens à motif professionnel sont substitués par des visio-conférences ou des audio-conférences et la demande globale est réduite au moyen d'une carte carbone, ramenant la part des personnes qui émettent 80 % des GES de ce secteur à 30 % seulement. La capacité des aéroports est gelée, les investissements se limitent au renouvellement et à la qualité de service ; du fait de la baisse de demande, une partie de la capacité aéroportuaire est reconvertie à d'autres usages. En marchandises, une réduction complémentaire de 35 % (à la politique de poussée de sobriété) des tonnes-km est obtenue par des politiques de limitation quantitatives. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 84 Annexe 3 - Les principaux indicateurs de synthèse des scénarios DÉPLACEMENTS TERRESTRES DE VOYAGEURS À 2040 ET 2060 Tableau 8 : Indicateurs de synthèse des scénarios pour les déplacements terrestres de voyageurs Voyageurs terrestres 2040 2060 (Indicatif) Circulations routières G veh-km routiers Motorisation en ACV (gCO2/veh-km routier) Part des Modes doux en voy-km 4,0% 4,0% 5,7% 5,7% 5,7% 5,7% 6,7% 7,3% 4,0% 9,0% 9,0% 12,0% 12,0% 12,0% 14,0% 85 Remplissage VP dans les grandes agglos 1,40 1,05 1,66 1,66 1,70 1,62 1,70 1,89 0,70 2,30 2,30 2,44 2,18 2,44 3,30 Massification et report modal (Voykm tous modes/vehkm routiers) Demande G voy-km tous modes terrestres Part des TCU lourds dans les grandes agglos en voy-km 19% 14% 21% 21% 22% 21% 22% 23% 8% 26% 26% 27% 25% 27% 33% GES ACV MtCO2eq 114 940 476 1,98 2040 Scénarios de forecasting Pire climatique Ambition de base Poussée de technologie Poussée de sobriété Hypercontraint Scénarios de backcasting Pari technologique Pari sociétal 1102 979 511 431 2,16 2,27 2060 Scénarios de forecasting Pire climatique Ambition de base Poussée de technologie Poussée de sobriété Hypercontraint Scénarios de backcasting Pari technologique Pari sociétal 1362 979 524 314 2,60 3,12 32 63 17 20 1454 1362 1377 1331 1254 1451 541 547 512 512 1,00 2,52 2,52 2,60 2,45 145 63 32 63 145 211 34 17 32 74 96 142 49 61 1192 1124 1133 1079 1055 799 527 531 500 500 1,49 2,13 2,13 2,16 2,11 190 142 96 142 190 151 75 51 71 95 254 121 Scénarios 1990 2017 NB : les données de l'année 2017 correspondent aux données des Comptes des transports de la Nation 85. 85 Les comptes des transports en 2018 - 56ème rapport de la Commission des comptes transports de la Nation devenue en 2021 la formation transport de la Commission de l'Économie du Développement Durable) : https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/les-comptes-des-transports-en-2018-56e-rapport-de-lacommission-des-comptes-des-transports-de-la Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 DÉPLACEMENTS EN AVION DE VOYAGEURS (Y COMPRIS À L'INTERNATIONAL) À 2040 ET 2060 Tableau 9 : Indicateurs de synthèse pour les déplacements en avion (y compris à l'international) Voyageurs aériens 2040 2060 Scénarios Valeurs 1990 Valeurs 2017 376 Valeurs 2040 Scénarios de forecasting Pire climatique Ambition de base Poussée de technologie Poussée de sobriété Hypercontraint Scénarios de backcasting Pari technologique Pari sociétal 487 343 Valeurs 2060 Scénarios de forecasting Pire climatique Ambition de base Poussée de technologie Poussée de sobriété Hypercontraint Scénarios de backcasting Pari technologique Pari sociétal 656 147 27 72 18 11 1145 793 947 643 643 94 72 27 72 94 107 57 26 46 60 97 120 47 41 677 565 577 511 511 129 120 97 120 129 87 68 56 61 66 181 Demande Gvoy-km aériens Motorisation et massification (GES/voykm en gCO2/voy-km) GES ACV tous GES (eq Forçage radiatif) MtCO2eq 39 68* (*) L'estimation inclut l'ensemble du transport aérien, de voyageurs et de marchandises. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 86 TRANSPORT TERRESTRE DE MARCHANDISES À 2040 ET 2060 Tableau 10 : Indicateurs de synthèse du transport de marchandises Marchandises terrestres 2040 2060 Demande G tonnes-km tous modes terrestres Motorisation en ACV (gCO2/vehkm routier) Circulations routières G vehkm routiers Massification et report modal (Ton-km tous modes/veh-km routiers) Scénarios Valeurs 1990 Valeurs 2017 Scénarios de forecasting Pire climatique Ambition de base Poussée de technologie Poussée de sobriété Hypercontraint Scénarios de backcasting Pari technologique Pari sociétal Scénarios de forecasting Pire climatique Ambition de base Poussée de technologie Poussée de sobriété Hypercontraint Scénarios de backcasting Pari technologique Pari sociétal 656 449 191 131 3,4 3,4 72 115 920 690 690 662 662 439 201 201 181 181 2,1 3,4 3,4 3,7 3,7 304 115 72 117 336 540 440 167 136 Valeurs 2060 3,2 3,2 236 338 617 557 557 549 549 235 172 172 166 166 2,6 3,2 3,2 3,3 3,3 457 338 236 341 482 423 137 Valeurs 2040 3,1 682 (*) L'estimation inclut tous les VUL, particuliers et professionnels. Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 GES ACV MtCO2eq 71 94* 108 58 41 57 80 39 46 133 23 15 21 61 14 15 87 TRANSPORT MARITIME DE MARCHANDISES À 2040 ET 2060 Tableau 11 : Indicateurs de synthèse du transport maritime de marchandises pour les différents scénarios à 2040 et 2060 Marchandises maritimes 2040 2060 Scénarios Valeurs 1990 Valeurs 2017 Scénarios de forecasting Pire climatique Ambition de base Poussée de technologie Poussée de sobriété Hypercontraint Scénarios de backcasting Pari technologique Pari sociétal Scénarios de forecasting Pire climatique Ambition de base Poussée de technologie Poussée de sobriété Hypercontraint Scénarios de backcasting Pari technologique Pari sociétal 1518 1366 1,7 3,6 3 5 2380 2052 2052 1518 1518 7,6 3,6 1,7 3,6 7,6 18 7 4 6 12 1590 1431 Valeurs 2060 3,9 7,3 6 10 1831 1649 1649 1590 1590 8,5 7,3 3,9 7,3 8,5 16 12 6 12 14 1400 Valeurs 2040 9,9 Demande G tonnes-km Motorisation et massification (GES/tonkm en gCO2eq/ton-km) GES ACV MtCO2eq 20 14 Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 88 ÉMISSIONS DE GES (EN ACV) TOUS MODES TERRE+AIR+MER À 2040 ET 2060 Tableau 12 : émissions de gaz à effet de serre en empreinte carbone « complète » (y compris le maritime et l'aérien international) pour les différents scénarios à 2040 et 2060 Émissions GES 2040 2060 terre air mer Scénarios Pire climatique Ambition de base Poussée de technologie Poussée de sobriété Hypercontraint Pari technologique Pari sociétal 1990 Scénarios de forecasting 244 244 244 244 244 Scénarios de backcasting 244 244 296 296 142 159 51 51 296 296 296 296 296 362 213 154 200 254 470 122 61 105 207 2017 2040 2060 Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 89 Annexe 4 - Glossaire des sigles et acronymes Acronyme 3D ACV AIE BHNS CAE CCC CCNR CCNUCC CCS Cerema CGDD CGEDD Citepa CO2 COP (de VNF) COR CORSIA DARPA DNV EEDI ETS FIT G20 GES GIEC GNL HCC IATA Insee InTerLUD IPBES IPCEI OACI OCDE OGM Signification Trois dimensions Analyse en cycle de vie Agence internationale de l'énergie Bus à haut niveau de service Conseil d'analyse économique Climate Change Committee, équivalent britannique du Haut conseil pour le climat Commission centrale pour la navigation du Rhin Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques Captage et stockage du carbone Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement Commissariat général au développement durable Conseil général de l'environnement et du développement durable Centre interprofessionnel technique d'études de la pollution atmosphérique Dioxyde de carbone Contrat d'objectifs et de performance (de Voies navigables de France) Conseil d'orientation des retraites Carbon Offsetting and Reduction Scheme for International Aviation Defense Advanced Research Projects Agency Det Norske Veritas Mesures restrictives énergétiques dans le monde maritime Système communautaire d'échanges de quotas d'émissions Forum international des transports Groupe des 20 pays économiquement les plus forts Gaz à effet de serre Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat Gaz naturel liquéfié Haut conseil pour le climat Association du transport aérien international Institut national de la statistique et des études économiques Programme d'innovations territoriales et logistique urbaine durable Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques Important project of common european interest Organisation internationale de l'aviation civile Organisation de coopération et de développement économiques Organisme génétiquement modifié Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 90 Acronyme OMI ONG ONU PIA PIB PL PLUi PPE R&D SCoT SNBC TC TCU TER TGV TICPE VAE VNF VP VUL ZAN ZFEm Signification Organisation maritime internationale Organisation non gouvernementale Organisation des nations unies Programme d'investissements d'avenir Produit intérieur brut Poids lourd Plan local d'urbanisme intercommunal Programmation pluriannuelle de l'énergie Recherche et développement Schéma de cohérence territoriale Stratégie nationale bas carbone Transport en commun Transport en commun urbain Train d'équilibre régional Train à grande vitesse Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques Vélo à assistance électrique Voies navigables de France Véhicule particulier Véhicule utilitaire léger Zone à artificialisation nette Zone à faibles émissions mobilités Prospective 2040 - 2060 des transports et des mobilités Rapport de synthèse - février 2022 91 INVALIDE)

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