Mutations économiques et développement des territoires - Penser la transformation économique des territoires au temps de la transition écologique

NARRING, Pierre ; VIORA, Mireille

Auteur moral
France. Conseil général de l'environnement et du développement durable
Auteur secondaire
Résumé
La mission «mutations économiques et développement des territoires» inscrite au programme de travail 2018-2019 du CGEDD a pour finalité d'analyser les enjeux territoriaux de l'ensemble des bouleversements affectant le champ économique: révolution numérique, transformation des modes de vie, défi écologique, dans le contexte d'une mondialisation et d'une financiarisation généralisées qui affectent les structures de production. L'objet n'est pas de réaliser un exercice d'aménagement du territoire visant à évaluer les flux financiers et revoir les mécanismes de redistribution, mais consiste à mettre d'abord en évidence les facteurs clés permettant aux écosystèmes territoriaux de prendre en main leur devenir en vue de leur développement équilibré. Faire de la transition écologique un nouveau levier de développement aux échelles pertinentes suppose le développement d'un «récit», avec une vision prospective permettant d'anticiper l'ensemble des enjeux de cette transformation économique des territoires, y compris des plus fragiles d'entre eux. L'établissement de stratégies économiques territorialisées, à l'échelle régionale et à celle des métropoles ou des intercommunalités, est un atout majeur pour penser cette «grande reconversion». Les enjeux du développement économique et de la transition écologique doivent être inscrits au coeur de projets de territoires mobilisateurs, et de documents de planification, SRADDET, SCoT et PLU(i) mieux armés pour susciter une répartition harmonieuse des fonctions productives, bien articulés entre eux et portés par l'ensemble des acteurs régionaux et locaux. Il incombe à la nouvelle Agence nationale pour la cohésion de territoires (ANCT) d'arrêter une doctrine en matière d'ingénierie territoriale et de veiller à sa mise en oeuvre dans tous les territoires, prioritairement au service des projets de développement inscrits dans la transition écologique; cela devrait notamment se traduire par un soutien à la mise en place de «manageurs du développement économique durable». L'appui en relais des services locaux de l'État, particulièrement des équipes de proximité situées dans les DDT, demeure particulièrement utile, en ciblant et en renforçant leur rôle de conseil au bénéfice des territoires démunis ou en difficulté. Afin d'assurer une conversion écologique sociale et solidaire, un dispositif contractuel lisible et cohérent est à refonder autour d'un contrat unique de cohésion territoriale et de transition écologique et d'une mobilisation de financements incitatifs différenciés selon les besoins. Si le développement territorial relève des compétences des collectivités territoriales, le positionnement de l'État, ses capacités d'impulsion et d'incitation, les leviers d'action directe ou indirecte dont il dispose, restent déterminants. Il s'agit non seulement d'assurer la cohérence d'ensemble et la cohésion nationale, mais aussi le soutien aux territoires qui ont besoin de se constituer en termes de définition de projet et de moyens d'action. S'ils sont en concurrence et dotés d'atouts inégaux, tous sont pourvu de capacités qu'ils ont vocation à mobiliser pour s'inscrire dans la perspective d'un développement harmonieux. Les recommandations et suggestions de ce rapport esquissent ainsi la construction d'une nouvelle politique des territoires au regard de leur reconversion écologique, dont l'acte fondateur devrait être l'élaboration conjointe d'un «projet de territoire France». Cette politique se fonde sur un triple parti pris: une approche réaliste qui anticipe les difficultés des territoires fragiles, une méthode pragmatique mobilisant toutes les énergies, de concert avec les Régions, les Départements, les acteurs économiques et la société civile, et le pari audacieux d'assurer conjointement la cohésion sociale des territoires et la reconversion écologique de leur tissu économique.
Editeur
CGEDD
Descripteur Urbamet
développement économique ; aménagement du territoire ; évolution ; prospective ; économie régionale ; planification ; projet de territoire ; transition écologique
Descripteur écoplanete
projet territorial de développement durable
Thème
Aménagement du territoire
Texte intégral
MINISTÈRE DE LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE ET SOLIDAIRE MINISTÈRE DE LA COHÉSION DES TERRITOIRES ET DES RELATIONS AVEC LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES P Juillet 2019 U établi par Pierre NARRING (coordonnateur) et Mireille VIORA B Penser la transformation économique des territoires au temps de la transition écologique Rapport CGEDD n° 012274-01 LI Mutations économiques et développement des territoires É Les auteurs attestent qu'aucun des éléments de leurs activités passées ou présentes n'a affecté leur impartialité dans la rédaction de ce rapport Statut de communication Préparatoire à une décision administrative Non communicable Communicable (données confidentielles occultées) Communicable $ Ce rapport est rédigé sous la responsabilité du CGEDD et n'engage pas le Gouvernement PUBLIÉ Sommaire Résumé............................................................................................................................................. 5 Récapitulatif des suggestions................................................................................................... 9 Introduction................................................................................................................................. 11 1. Penser la transformation économique des territoires au regard de la « grande reconversion » écologique........................................................................................................ 13 1.1. Au carrefour de toutes les mutations, concevoir la transition écologique comme levier de mise en dynamique des territoires.......................................................................................13 1.1.1. Les mutations économiques à l'oeuvre, entre déterminants globaux et dynamiques locales..................................................................................................................................... 13 1.1.2. La transition écologique, mutation majeure en interaction avec les grands bouleversements........................................................................................................................................... 13 1.1.3. La transformation numérique de l'économie, en appui de la transition écologique....................................................................................................................................................... 14 1.1.4. Un « récit » de la transition écologique pour soutenir la transformation économique des territoires...................................................................................................................... 15 1.1.5. Un défi majeur et de nouveaux modèles économiques prometteurs..........................16 1.2. Comprendre la relation entre territoire et entreprise pour favoriser leur synergie. .18 1.2.1. Un développement territorial d'abord endogène...............................................................18 1.2.2. La construction d'une politique d'attractivité : la ville tout entière comme environnement de travail......................................................................................................................... 20 1.2.3. La valorisation du capital humain : compétences et talents.........................................23 1.2.4. Les enjeux de la mobilité : transports collectifs et modes actifs..................................24 1.2.5. Vers un nouveau modèle d'entreprise avec un plus fort ancrage territorial..........26 1.3. Élaborer aux échelles pertinentes une stratégie économique durable incarnée dans les territoires.................................................................................................................................................... 26 1.3.1. Des stratégies économiques régionales..................................................................................26 1.3.2. Des stratégies économiques métropolitaines et intercommunales............................28 1.3.3. Des moyens d'observation et de compréhension pour mieux anticiper...................30 1.4. Développer des projets de territoire et des documents de planification mobilisateurs ................................................................................................................................................................................ 31 1.4.1. Des projets de territoires intégrés et rassembleurs...........................................................31 1.4.2. Des projets de territoire aux bonnes échelles.......................................................................32 1.4.3. Des outils de planification cohérents, intégrant mieux les enjeux économiques..34 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 1/170 PUBLIÉ 2. Faciliter le recyclage des territoires et des espaces économiques dans le cadre de visions stratégiques.............................................................................................................. 39 2.1. Renforcer la résilience des bassins industriels et des territoires fragilisés...................39 2.1.1. La désindustrialisation et l'évolution de l'emploi industriel.........................................39 2.1.2. La redécouverte des « territoires d'industrie »....................................................................40 2.1.3. Une fragilisation possiblement accrue par la transition écologique.........................42 2.2. Engager la requalification des zones d'activité..........................................................................43 2.2.1. Les enjeux fonciers, économiques et environnementaux des zones d'activité........43 2.2.2. L'enjeu spécifique des zones logistiques.................................................................................45 2.2.3. La mise en oeuvre d'options différenciées selon les zones...............................................46 2.3. Accompagner le recyclage de l'immobilier économique........................................................49 2.3.1. Les tendances de l'immobilier neuf..........................................................................................49 2.3.2. Immobilier de bureau et immobilier d'entreprise.............................................................50 2.3.3. Une approche globale foncière et immobilière...................................................................51 2.4. Activer la reconversion des friches polluées...............................................................................51 2.4.1. Des enjeux à mieux appréhender..............................................................................................51 2.4.2. Des méthodologies d'intervention technique et financière à consolider.................53 2.4.3. Dépollution et environnement.................................................................................................... 56 3. Adapter la gouvernance territoriale et l'action publique pour accompagner la mise en mouvement des acteurs............................................................................................ 57 3.1. Optimiser l'organisation publique territoriale au regard du développement économique durable...................................................................................................................................... 57 3.1.1. Des compétences à mieux articuler..........................................................................................57 3.1.2. Des périmètres pas toujours adaptés, à revoir quand cela est possible...................59 3.1.3. Des coopérations inter-territoriales à concrétiser et développer dans la durée. .60 3.2. Soutenir les écosystèmes locaux et promouvoir des réseaux « apprenants »...............61 3.2.1. Les facteurs récurrents d'existence de dynamiques locales...........................................61 3.2.2. Le soutien aux écosystèmes, aux dispositifs d'innovation et autres clusters..........63 3.2.3. La promotion des démarches innovantes, des « démonstrateurs » et des « réseaux apprenants ».................................................................................................................................................. 64 3.3. Renforcer l'ingénierie territoriale et l'appui des services de proximité..........................67 3.3.1. Les différents besoins d'ingénierie territoriale....................................................................67 3.3.2. Des manageurs du développement économique durable...............................................68 3.3.3. La mobilisation des opérateurs fonciers et d'aménagement........................................69 3.3.4. Un accompagnement de proximité mieux ajusté des services de l'État...................70 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 2/170 PUBLIÉ 3.4. Développer des dispositifs contractuels incitatifs et cohérents..........................................72 3.4.1. Un besoin de lisibilité et de stabilité des dispositifs portés par l'État........................72 3.4.2. La transition écologique au coeur des dispositifs contractuels....................................73 3.4.3. La mobilisation de financements incitatifs et ciblés.........................................................74 Conclusion.................................................................................................................................... 77 Annexes......................................................................................................................................... 78 1. Note de commande................................................................................................................. 79 2. Liste des personnes rencontrées....................................................................................... 81 3. Orientations bibliographiques........................................................................................... 93 4. Compléments au rapport..................................................................................................... 96 4.1. Dynamiques et contrastes territoriaux : ce que dit la recherche........................................96 4.2. La transition écologique, moteur d'un nouveau développement.....................................104 4.2.1. L'échelle territoriale niveau de gestion commune des grandes transitions.........104 4.2.2. Un « récit » de la transition écologique pour réussir la transformation économique des territoires.................................................................................................................... 106 4.2.3. La transition écologique à l'oeuvre dans tous les secteurs...........................................107 4.2.4. De nouveaux modèles prometteurs.......................................................................................109 4.2.5. Les avancées de « l'écologie industrielle »..........................................................................110 4.3. Entreprises et territoires..................................................................................................................111 4.3.1. Vers un meilleur ancrage territorial des entreprises ?..................................................111 4.3.2. L'évolution des critères d'implantation et de mutation des entreprises sur le territoire........................................................................................................................................................ 115 4.4. Les fondamentaux d'un projet de territoire..............................................................................120 5. Visites de terrain en France.............................................................................................. 123 5.1. Hauts-de-France et Bassin minier.................................................................................................124 5.2. Ardèche.................................................................................................................................................... 126 5.3. Toulouse métropole............................................................................................................................ 130 5.4. Métropole Rouen Normandie.........................................................................................................132 5.5. Romans-sur-Isère................................................................................................................................ 134 5.6. Vallée de l'Arve...................................................................................................................................... 136 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 3/170 PUBLIÉ 6. Visites de terrain en Allemagne, Italie, Suisse et rapport de parangonnage international.............................................................................................................................. 139 6.1. Allemagne............................................................................................................................................... 142 6.2. Italie.......................................................................................................................................................... 150 6.3. Suisse........................................................................................................................................................ 157 6.4. Rapport de parangonnage................................................................................................................167 7. Glossaire des sigles et acronymes.................................................................................. 168 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 4/170 PUBLIÉ Résumé Villes et métropoles, « campagnes urbaines » ou autres périphéries et espaces ruraux sont profondément impactés par les transformations rapides et radicales qui affectent la sphère économique ainsi que l'ensemble du champ sociétal. En dépit des politiques successives menées au nom de l'aménagement, puis de l'égalité, enfin de la cohésion des territoires, ces phénomènes génèrent de puissants effets de clivage : certains territoires restent à l'écart du développement ou peinent à s'adapter, surtout lorsqu'ils sont touchés par des reconversions économiques insuffisamment anticipées, alors que d'autres manifestent une plus grande résilience, voire de nouvelles dynamiques de développement. De récents travaux d'études et de recherche apportent un éclairage sur les mutations à l'oeuvre et les déséquilibres territoriaux : l'« affirmation des métropoles » n'a pas eu les effets d'entraînement escomptés sur les territoires adjacents et des fractures multiples persistent, qui ne se réduisent pas à une opposition entre centres et périphéries ; de nouveaux modèles de développement escomptant un retour des activités productives jusqu'au sein des villes, bouleversent les dynamiques des territoires et suscitent des perspectives positives pour les uns, des fragilités accrues pour les autres. Dans la suite des rapports produits par le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) notamment sur les espaces périurbains, les villes moyennes ou le devenir des polarités commerciales, la mission « mutations économiques et développement des territoires » a été inscrite au programme de travail 2018-2019. Elle a pour finalité d'analyser les enjeux territoriaux de l'ensemble des bouleversements affectant le champ économique : révolution numérique, transformation des modes de vie, défi écologique, dans le contexte d'une mondialisation et d'une financiarisation généralisées qui affectent les structures de production. L'objet n'est pas de réaliser un exercice d'aménagement du territoire visant à évaluer les flux financiers et revoir les mécanismes de redistribution, mais consiste à mettre d'abord en évidence les facteurs clés permettant aux écosystèmes territoriaux de prendre en main leur devenir en vue de leur développement équilibré. Une centaine de personnalités et d'acteurs ont été rencontrés par les missionnés ; une douzaine de visites de terrain ont été effectuées dans des territoires de nature variée, y compris dans trois pays (Allemagne, Italie, Suisse), en complément d'une étude de parangonnage international. Les auditions et observations de la mission l'ont amenée à aborder le sujet particulièrement sous l'angle de la transition écologique, qui est à l'interface de toutes les grandes mutations. L'analyse menée conduit à dégager des propositions relevant de champs stratégique, opérationnel et de la gouvernance territoriale, susceptibles de nourrir les réflexions du Gouvernement au regard des principales préoccupations exprimées lors du « grand débat national » qui s'est tenu début 2019. Faire de la transition écologique un nouveau levier de développement aux échelles pertinentes suppose le développement d'un « récit », avec une vision prospective permettant d'anticiper l'ensemble des enjeux de cette transformation économique des territoires, y compris des plus fragiles d'entre eux. L'établissement de stratégies économiques territorialisées, à l'échelle régionale et à celle des métropoles ou des intercommunalités, est un atout majeur pour penser cette « grande reconversion ». Les enjeux du développement économique et de la transition écologique doivent être inscrits au coeur de projets de territoires mobilisateurs, et de documents de planification, SRADDET, SCoT et PLU(i) mieux armés pour susciter une répartition harmonieuse des fonctions productives, bien articulés entre eux et portés par l'ensemble des acteurs régionaux et locaux. La transformation des territoires, notamment celle des anciens bassins industriels, a besoin de se fonder sur une politique d'attractivité valorisant le capital humain, tout comme l'ensemble des atouts paysagers et patrimoniaux spécifiques, les aménités des centralités urbaines et les avantages d'une accessibilité en modes actifs ou collectifs. Des moyens d'appui sont à mettre en place pour que les intercommunalités engagent une politique ambitieuse de requalification différenciée de leurs zones d'activité, tout en accompagnant les transformations de l'immobilier liées à la profonde mutation du Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 5/170 PUBLIÉ travail en cours. Le recyclage des friches, des sites pollués et autres lieux économiques menacés d'obsolescence va de pair avec une maîtrise rigoureuse de l'étalement urbain ; des montages financiers incitatifs sont nécessaires, ainsi qu'un pilotage en mode projet permettant de coordonner les réglementations et d'optimiser les interventions des opérateurs privés et publics, en renforçant particulièrement celle des établissements publics fonciers (EPF). Pour accompagner la mise en mouvement des acteurs au regard du développement économique durable, l'action de l'ensemble des pouvoirs publics nécessite des adaptations. Il s'avère pertinent d'ajuster autant que possible les périmètres à la réalité des bassins économiques. L'impératif d'efficacité conduit à privilégier une approche pragmatique de la répartition des compétences économiques, notamment en prévoyant la possibilité d'une implication clarifiée et lisible des Départements pendant une période transitoire, liée à la montée en régime des intercommunalités. Il convient surtout d'inciter à la mise en oeuvre de réelles solidarités inter-territoriales et de soutenir les dynamiques territoriales par la promotion de démarches innovantes, de pratiques expérimentales et de « réseaux apprenants ». Il incombe à la nouvelle Agence nationale pour la cohésion de territoires (ANCT) d'arrêter une doctrine en matière d'ingénierie territoriale et de veiller à sa mise en oeuvre dans tous les territoires, prioritairement au service des projets de développement inscrits dans la transition écologique ; cela devrait notamment se traduire par un soutien à la mise en place de « manageurs du développement économique durable ». L'appui en relais des services locaux de l'État, particulièrement des équipes de proximité situées dans les DDT, demeure particulièrement utile, en ciblant et en renforçant leur rôle de conseil au bénéfice des territoires démunis ou en difficulté. Afin d'assurer une conversion écologique sociale et solidaire, un dispositif contractuel lisible et cohérent est à refonder autour d'un contrat unique de cohésion territoriale et de transition écologique et d'une mobilisation de financements incitatifs différenciés selon les besoins. Si le développement territorial relève des compétences des collectivités territoriales, le positionnement de l'État, ses capacités d'impulsion et d'incitation, les leviers d'action directe ou indirecte dont il dispose, restent déterminants. Il s'agit non seulement d'assurer la cohérence d'ensemble et la cohésion nationale, mais aussi le soutien aux territoires qui ont besoin de se constituer en termes de définition de projet et de moyens d'action. S'ils sont en concurrence et dotés d'atouts inégaux, tous sont pourvu de capacités qu'ils ont vocation à mobiliser pour s'inscrire dans la perspective d'un développement harmonieux. Les recommandations et suggestions de ce rapport esquissent ainsi la construction d'une nouvelle politique des territoires au regard de leur reconversion écologique, dont l'acte fondateur devrait être l'élaboration conjointe d'un « projet de territoire France ». Cette politique se fonde sur un triple parti pris : une approche réaliste qui anticipe les difficultés des territoires fragiles, une méthode pragmatique mobilisant toutes les énergies, de concert avec les Régions, les Départements, les acteurs économiques et la société civile, et le pari audacieux d'assurer conjointement la cohésion sociale des territoires et la reconversion écologique de leur tissu économique. La réfexion ici menée peut susciter l'intérêt d'autres travaux. Par exemple, une mission conjointe du Conseil général de l'économie, de l'industrie, de l'énergie et des technologies (CGE) et du CGEDD serait utile pour mener une analyse territorialisée des enjeux industriels, afin de mieux anticiper et conduire la reconversion écologique de l'économie dans le cadre de stratégies coordonnées à différentes échelles, notamment dans les territoires fragiles. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 6/170 PUBLIÉ Liste des recommandations 1 Développer un « récit » national de la transition écologique, intégrant l'ensemble de ses dimensions territoriales, économiques et sociales, mobilisant les acteurs autour d'une vision commune, prospective et stratégique, et avec lequel puissent dialoguer les récits portés par les collectivités et incarnés dans les réalités locales (MTES, MCTRCT). Promouvoir, en s'inspirant des meilleurs exemples, le déploiement des outils de « gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) territorialisée », lieux de concertation et d'intermédiation associant collectivités territoriales et partenaires du développement économique, de la formation et de l'emploi (MTEFPDS, MCTRCT). Réaliser une évaluation des SRDEII et de l'action économique régionale, prescrire au vu de ce bilan l'établissement par les Régions d'une « stratégie économique régionale territorialisée » en complétant la définition des SRDEII donnée par la loi NOTRe, et prescrire en parallèle celui d'une stratégie intercommunale par les EPCI, sous forme d'une « politique locale de l'économie » (MCTRCT, MEF). Établir conjointement (État, Régions, autres collectivités, acteurs économiques, société civile) un « projet de territoire France » énonçant une vision globale et territorialisée, des principes d'armature urbaine et d'alliance intégrant les territoires fragiles, ainsi que des orientations nationales et interministérielles d'aménagement et de développement fondées sur la trajectoire de la transition écologique (MCTRCT, MTES...) Ajuster les dispositions réglementaires définissant les SRADDET, après évaluation concertée de la première génération de ces schémas, afin de mieux y intégrer les enjeux économiques, et préciser la doctrine pour l'articulation de l'ensemble SRADDET, SCoT, revus dans un sens plus stratégique, et PLU(i), incités à porter une approche territoriale plus fine de l'économie. (MCTRCT). Identifier les territoires fragiles, particulièrement dans le contexte de la transition écologique, du fait de l'arrêt ou la transformation de certaines activités, afin d'anticiper les actions d'accompagnement et l'activation des leviers possibles de reconversion économique, dans le cadre d'un dispositif interministériel inscrit dans une vision nationale (MTES, MCTRCT, MEF). Mettre en place un dispositif d'appui méthodologique, en commençant par un « atelier des territoires » de la DGALN, pour inciter les intercommunalités à mener un diagnostic stratégique de leurs zones d'activités, particulièrement de celles menacées d'obsolescence, et à engager une politique de requalification des espaces économiques durables en testant de nouveaux modèles (MCTRCT). Donner des orientations aux établissements publics fonciers (EPF) afin qu'ils puissent, dans l'esprit de leur vocation historique, se doter des moyens techniques et financiers adéquats (TSE, fonds friches dédié...) pour développer un champ significatif d'interventions au service du recyclage des espaces économiques déqualifiés, obsolètes ou pollués (MCTRCT, MTES). Page 16 2 24 3 30 4 34 5 38 6 43 7 48 8 55 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 7/170 PUBLIÉ 9 Veiller à la bonne coordination de l'action technique et financière menée par les Départements pour le soutien à l'ingénierie locale et la facilitation du développement économique, dans le cadre d'une contractualisation les associant aux Régions et aux EPCI, afin d'assurer l'efficience des interventions publiques et d'accompagner la montée en compétence des intercommunalités sur la durée du prochain mandat local (MCTRCT). 59 10 Susciter le développement de coopérations inter-territoriales pérennes en matière économique, après évaluation des pratiques existantes, et encourager la mise en place de « c onférences territoriales du développement économique durable », afin que de réelles synergies et solidarités s'instaurent et s'amplifient (MCTRCT, MEF). 11 Développer, sur le modèle du programme européen Urbact, des « réseaux d'échange apprenants » relatifs au recyclage économique, dotés d'une organisation professionnelle et de moyens facilitant les « démarches apprenantes » et s'appuyant sur des méthodes innovantes, comme celle de la « toile industrielle » (MCTRCT). 12 Promouvoir un métier de « manageur du développement économique durable », mobilisateur de toutes les énergies locales, et encourager la mise en place de ces animateurs-développeurs d'écosystèmes grâce à un dispositif de soutien professionnel et financier mobilisant la CDC et l'ANCT (MCTRCT). 13 Dès la création de l'Agence nationale pour la cohésion des territoires (ANCT), définir une doctrine relative à l'ingénierie territoriale et engager sa mise en oeuvre pour soutenir prioritairement les projets économiques locaux inscrits dans la transition écologique, avec l'appui et le relais des services de l'État, particulièrement des équipes de proximité des DDT chargées d'un rôle de conseil de proximité (MCTRCT). 14 Afin d'assurer une conversion écologique sociale et solidaire, développer un contrat « unique » de cohésion territoriale et de transition écologique, doté de financements modulés selon les fragilités du territoire, et organiser au niveau interministériel une mise en cohérence des dispositifs contractuels autour de la transition écologique et de la démarche de projet de territoire (MCTRCT, MTES, MEF). 61 67 69 71 74 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 8/170 PUBLIÉ Récapitulatif des suggestions Stratégie et planification Promouvoir les meilleures démarches visant à « faire aimer son territoire », et susciter leur développement, en lien avec les « récits » territorialisés de la transition écologique, en particulier dans les secteurs considérés comme les moins attractifs (MCTRCT). p.22 Généraliser les outils d'observation économique des territoires, poursuivre des études et des recherches sur la relation entre entreprise et territoire, construire des indicateurs de mixité fonctionnelle, développer les travaux de prospective, notamment ceux visant à anticiper les enjeux territoriaux de la transition écologique, et les replacer dans un cadre de réflexion européen (MCTRCT, MTES, MEF). p.31 Encourager l'établissement de projets de territoire intégrés, opérationnels, s'appuyant sur les atouts du territoire et mobilisant l'ensemble des acteurs, selon une démarche partagée et structurée autour de la conversion écologique et de son « récit » local (MCTRCT). p.32 Construire une typologie des « Territoires d'industrie » permettant d'envisager des options stratégiques différenciées selon les situations et les perspectives (développement, rebond, reconversion, renaturation...) (MCTRCT, MEF). p.42 Inciter les intercommunalités à évaluer les mutations de l'immobilier d'activité afin qu'elles puissent anticiper les enjeux de son recyclage, et mettre en place, dans le cadre de leur stratégie économique, une programmation urbaine, foncière et immobilière pour le devenir des zones et lieux concernés (MCTRCT). p.51 Mobilisation des écosystèmes Recenser, valoriser et promouvoir, auprès des acteurs locaux et du grand public, les pratiques efficaces et les projets structurants pour les territoires en matière d'économie circulaire et d'écologie industrielle, afin de déployer et démultiplier ces approches (MEF, MTES). p.18 Encourager le développement de la responsabilité des entreprises vis-à-vis de leur territoire d'implantation, par la valorisation de l'ensemble des pratiques exemplaires, comme celles des nouvelles « entreprises à mission », la promotion de labels et certifications, et une politique d'achat public davantage territorialisé (MCTRCT, MEF). p.26 Encourager en priorité, dans le cadre du plan gouvernemental engagé, la mise en place de tiers-lieux dans les villes petites et moyennes, et faire en sorte qu'ils soient les ferments d'un nouveau modèle de développement urbain et territorial, plus évolutif et participatif (MCTRCT). p.50 Encourager une gestion coordonnée des filières, pôles de compétitivité et clusters afin de faciliter leur relation avec les territoires et l'implication de l'ensemble du tissu économique, notamment celui des PME et TPE (MCTRCT, MEF). p.64 Mise en oeuvre opérationnelle Veiller à ce que soit assurée, en lien avec les plans de déplacements d'entreprise, la desserte des pôles économiques par transports collectifs et modes actifs, en s'appuyant sur la mise en place, prévue par la loi LOM, d'autorités organisatrices (AO) dans tous les territoires, permettant une Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 9/170 PUBLIÉ organisation des mobilités en zone peu dense et une collaboration renforcée entre AO en zone dense (MCTRCT, MT). p.25 Énoncer des orientations nationales en matière de logistique, encourager les démarches anticipatrices avec l`appui des documents de planification, particulièrement les SRADDET, et faciliter la mise en oeuvre de dispositions permettant une approche intégrée, comme l'implantation de plateformes compactes au sein des villes et territoires bien reliées aux modes de transport alternatifs à la route (MEF, MT, MCTRCT). p.46 Activer et accélérer significativement le traitement des friches polluées, en faisant davantage connaître les outils réglementaires existants après avoir procédé à leur adaptation éventuelle, en assurant mieux la complémentarité des interventions publiques et privées, et en renforçant fortement les incitations financières. p.56 Susciter, par la réalisation d'expérimentations et l'établissement d'un guide de bonnes pratiques, la mise en place d'organisations locales en mode projet permettant de coordonner l'ensemble des procédures relatives au recyclage des sites pollués, d'optimiser la mise en oeuvre des mécanismes de compensation environnementale, et de gérer dans la durée les projets complexes , selon une doctrine harmonisée (MTES). p.56 Mettre à l'étude, dans le cadre d'une réflexion sur le devenir des outils d'aménagement de l'État, la possibilité de positionner de nouveaux opérateurs ensembliers (foncier, aménagement, développement économique et transition écologique) dans les territoires en difficulté situés hors des métropoles (MTES, MCTRCT). p.69 Gouvernance et action publique Susciter, quand cela est souhaitable et possible, les ajustements de périmètres (élargissements ou regroupements) des métropoles et intercommunalités permettant d'en faire des territoires pertinents pour un développement économique cohérent et durable (MCTRCT). p.60 Relancer la démocratie participative dans le champ du développement économique durable, en s'appuyant notamment sur les Conseils de développement, après avoir établi une évaluation de leur action et redéfini en tant que de besoin leurs missions (MCTRCT, MEF). p.63 Développer l'usage du droit à l'expérimentation, notamment pour faciliter l'application coordonnée de dispositions réglementaires complexes, et pour favoriser la synergie des compétences des collectivités (MCTRCT, MTES). p.66 Positionner les services territoriaux de l'État sur des missions de facilitateur et d'appui de proximité en y affectant une part définie de leurs moyens, en les organisant de façon coordonnée avec celles des Régions et des Départements, en faisant bénéficier les équipes des DREAL et DDT de moyens de connaissance et d'expertise, ainsi que d'un programme national de formation à l'accompagnement de projets économiques durables (MTES, MCTRCT). p.71 Mobiliser les financements de l'Union européenne, de l'État et de ses opérateurs (CDC, BPI, Ademe...) en lien avec le nouveau contrat territorial, et les moduler selon des critères de fragilité des territoires et de leur population (MCTRCT, MEF). p.76 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 10/170 PUBLIÉ Introduction La question des fractures territoriales est installée au coeur de l'actualité, des mouvements sociaux et des préoccupations des pouvoirs publics. Il apparaît que les villes et métropoles, les territoires périurbains et autres périphéries ainsi que les espaces ruraux sont profondément impactés, de façon différente et inégale selon les contextes, par les transformations radicales et de plus en plus rapides qui affectent la sphère économique et l'ensemble du champ sociétal. Ces phénomènes génèrent de puissants effets de clivage, en dépit de politiques successives menées au nom de l'aménagement, puis de l'égalité, enfin de la cohésion des territoires. Certains territoires restent à l'écart du développement ou peinent à s'adapter au changement, surtout lorsqu'ils sont touchés par des reconversions économiques mal anticipées ; d'autres résistent mieux et peuvent connaître des rebonds, voire entrer dans de nouvelles dynamiques de développement. Selon divers travaux récents d'études et de recherche 1, les déséquilibres perdurent ou s'aggravent : l'« affirmation des métropoles » est une réalité, mais elle n'a pas eu les effets d'entraînement escomptés sur les territoires adjacents ; les fractures persistent, même si elles ne se réduisent pas à une opposition générique entre centralités et périphéries ; de nouveaux modèles de développement fondés sur un certain retour des activités productives, y compris au sein des villes, bouleversent les dynamiques de territoires et suscitent des perspectives positives pour les uns, des fragilités accrues pour les autres. C'est dans ce contexte que la thématique « mutations et équilibres territoriaux » a été inscrite dans les priorités du programme de travail 2018 et 2019 du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD). Au cours des années antérieures, plusieurs rapports du Conseil avaient déjà traité de certains aspects du sujet et préconisé une meilleure prise en compte dans les politiques publiques de divers types de territoires : espaces ruraux, « campagnes urbaines » aux dynamiques contrastées mais dépourvues d'une gouvernance appropriée face à l'étalement urbain et à la prolifération des zones commerciales, villes moyennes affectées de graves phénomènes de dévitalisation, dont la crise du commerce de centre-ville. Dans la suite de ces travaux, la mission « mutations économiques et développement des territoires », a été lancée afin de prendre la mesure, au niveau des territoires et de leurs dynamiques de développement, des bouleversements et grands enjeux affectant le champ économique : révolution numérique, transformation des modes de vie, défi écologique, dans le contexte d'une mondialisation et d'une financiarisation généralisées qui affectent les structures de production. Il s'agit d'interroger l'adéquation entre déterminants d'implantation ou d'évolution des entreprises et stratégies des territoires. Quel est l'impact, à différentes échelles, de ces mutations ? Comment en particulier peuton prendre en compte, dans une gestion économe du foncier, les tissus économiques à recycler tels que les zones d'activité en perte d'attractivité, les friches polluées difficiles à requalifier, les anciens bassins industriels ? La finalité n'est pas d'établir un exercice d'aménagement du territoire fondé sur une évaluation des flux financiers et des mécanismes de redistribution. Il s'agit de mettre d'abord en évidence les facteurs clés permettant aux écosystèmes locaux de prendre en main leur devenir, puis les conditions propices à leur développement équilibré. Les missionnés ont rencontré une centaine de personnalités et d'acteurs (entreprises et responsables économiques, collectivités territoriales et associations d'élus, services et opérateurs d'État, organismes d'études, chercheurs et experts, organisations professionnelles et syndicales, acteurs de la société civile, opérateurs de l'immobilier et de l'aménagement, organismes financiers). Une abondante bibliographie a fait l'objet d'une exploitation pour nourrir et éclairer la réflexion. 1 Cf annexe 4.1. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 11/170 PUBLIÉ Des visites de terrain ont été effectuées dans des territoires de nature variée : deux régions (Grand Est, Hauts-de-France), deux départements (Yvelines, Ardèche), deux métropoles (Toulouse, Rouen), une ville moyenne (Romans-sur-Isère) et deux territoires industriels (vallée de l'Arve et Bassin minier du Nord). Un éclairage international est apporté par une étude de parangonnage 2 portant sur huit pays en Europe ou hors Europe, et grâce à des visites réalisées par la mission dans trois pays voisins : Allemagne, Italie et Suisse. Si la finalité de cette étude a conduit à sélectionner en priorité des pays proches du nôtre par leurs problématiques, nul n'ignore que les enjeux territoriaux liés aux grandes transitions à l'oeuvre concernent toutes les régions du monde, y compris les villes et les pays en développement, qui peuvent aussi se prévaloir de pratiques et d'expériences dignes d'intérêt 3. Les auditions et observations réalisées par la mission l'ont conduite à choisir d'aborder le sujet particulièrement sous l'angle de la transition écologique, enjeu majeur de notre époque à l'interface de toutes les grandes mutations. L'analyse des situations regardées et des témoignages d'acteurs permet de dégager des voies et moyens pour anticiper les impacts de ces transformations et identifier les leviers d'action qui doivent être mis à la disposition des acteurs des territoires. Le rapport examine d'abord, au niveau stratégique, la manière dont la transition écologique peut constituer un nouveau levier de développement, sous réserve de prendre la mesure des enjeux socioéconomiques et de l'évolution des relations entre territoires et entreprises ; les propositions qui s'ensuivent portent sur l'établissement de visions partagées et de nouvelles politiques économiques territorialisées, le développement de projets de territoires intégrés et mobilisateurs, l'adaptation des outils de planification. La réflexion aborde ensuite la question du devenir des bassins industriels fragilisés par des reconversions passées ou à venir, puis, à une autre échelle, les enjeux concrets de la requalification ou du recyclage des espaces économiques menacés d'obsolescence, particulièrement des zones d'activité périphériques ou des friches polluées ; l'analyse permet alors d'énoncer les moyens opérationnels à mettre en oeuvre pour lever les difficultés ou les freins constatés, et activer la transformation de ces territoires et de ces lieux. Enfin, les modalités de gouvernance territoriale font l'objet d'un examen qui conduit à dégager les conditions de mise en mouvement des acteurs : ajustement de l'organisation des collectivités, appui au développement des coopérations entre territoires et des écosystèmes, déploiement de l'ingénierie territoriale, adaptation l'action de l'État et de l'ensemble des pouvoirs publics, mis en place de dispositifs contractuels et financiers adaptés. Tel est le fil directeur de ce rapport 4 qui entend contribuer au débat sur la cohésion des territoires, et peut appeler le besoin de travaux complémentaires pour approfondir certaines des pistes évoquées. 2 Commandée à la Direction du trésor (services économiques des ambassades) : Étude comparative portant sur un échantillon de huit pays : Allemagne, Canada, Estonie, États-Unis, Finlande, Italie, Pays-Bas, Royaume-Uni. Voir notamment Pays en développement : transition urbaine et mobilité, supplément au numéro 410 de la revue Urbanisme en partenariat avec l'Agence française de développement (AFD), octobre 2018 La mission a bénéficié des avis et contributions de plusieurs membres du CGEDD, en particulier des conseils et suggestions de Marie Deketelaere-Hanna tout au long de la réflexion, ainsi que de l'assistance de Baptiste Gouraud pour les analyses bibliographiques. 3 4 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 12/170 PUBLIÉ 1. Penser la transformation économique des territoires au regard de la « grande reconversion » écologique 1.1. Au carrefour de toutes les mutations, concevoir la transition écologique comme levier de mise en dynamique des territoires5 1.1.1. Les mutations économiques à l'oeuvre, entre déterminants globaux et dynamiques locales Notre époque est marquée par la concomitance de bouleversements technologiques, économiques, sociaux et sociétaux. Parmi eux, la transition démographique 6, l'évolution des modes de vie et notamment les profonds changements affectant le travail, sont générateurs d'effets importants sur les secteurs et lieux d'activité existants ou émergents7. Mais c'est plus souvent la révolution numérique qui est décrite comme déterminante, atteignant désormais tous les pans de la vie économique et sociale. De fait, dans le contexte d'un renouveau industriel et productif, cette mutation rend possible ou accélère une grande partie des innovations. Mais on notera que celles-ci sont aussi liées à l'évolution du rapport à l'activité, à des modes de travail devenant plus collaboratifs, à l'attitude des jeunes générations face au défi climatique, aux choix de vie, aux modes d'exercice successif ou simultané de plusieurs métiers ou occupations. L'évolution des entreprises et de leur relation au territoire s'inscrit dans un contexte beaucoup plus large, celui d'une concurrence de niveau mondial qui contraint la grande majorité des secteurs d'activité, avec un allongement des chaînes de valeur et une spécialisation croissante des échanges. Les logiques de financiarisation s'imposent au fur et à mesure de la transformation de l'actionnariat des groupes ou des entreprises moyennes et de l'érosion du capitalisme familial au rôle modérateur, y compris dans des pays comme l'Allemagne ou la Suisse, et en dépit du poids économique du secteur intermédiaire. Cela explique la puissance persistante des phénomènes de délocalisation de la production, dont les impacts territoriaux sont aussi déterminants que redoutables Un phénomène inverse de « relocalisation » est-il observable et significatif ? Des signes prometteurs se manifestent, comme le développement des « circuits courts », notamment dans le domaine de l'alimentation. Les réalités sont toutefois complexes. Ainsi, dans l'industrie de la chaussure, évoquée plus loin dans le rapport au sujet du site de Romans-sur-Isère, la production s'est dans un premier temps délocalisée dans des pays où il était possible de bénéficier d'une main d'oeuvre à très bon marché puis, dans une période récente, est partiellement revenue s'installer dans les pays développés sur la base de chaînes de production largement automatisées ; d'où la création de nouveaux emplois plus qualifiés mais en nombre bien moindre que dans la situation initiale, et pas forcément dans les territoires industriels d'origine8. 1.1.2. La transition écologique, mutation majeure en interaction avec les grands bouleversements Un constat se dégage des visites et entretiens réalisés par la mission : au coeur de ces bouleversements économiques et sociétaux, la transition écologique constitue à la fois l'enjeu 5 Voir en annexe 4.1. le développement complet de ce chapitre. Les évolutions contrastées en termes de dynamique démographique, assorties d'un vieillissement général à venir de la population, constituent aussi des enjeux majeurs pour le devenir des territoires, que la mission n'a pas traités spécifiquement. Cf infra § 1.2. et 2.3. Cf infra § 1.2. et le développement en annexe 4.3.1 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 13/170 6 7 8 PUBLIÉ majeur de notre temps et une réalité déjà à l'oeuvre. Comme toute transition, elle se traduit par des effets immédiats pour partie négatifs, surtout lorsqu'ils sont insuffisamment anticipés, notamment par les pouvoirs publics. Mais elle porte un potentiel mobilisateur de transformation vers un nouveau « métabolisme urbain et territorial ». Son accélération peut être source à la fois de menaces et d'opportunités, avec des visions et des modalités très diverses selon les territoires et la capacité d'action de leurs acteurs. La réussite de la transition écologique dépend de la crédibilité de son process et de son incarnation dans les territoires, entre réalisme pour gérer les situations difficiles et optimisme pour encourager les dynamiques à l'oeuvre. C'est « la grande reconversion » selon Jean-Pierre Aubert 9. Elle est au coeur du débat public, en interface avec les autres transitions : numérique, démographique et générationnelle, sociétale... Elle doit être pensée à toutes échelles : elle relève de responsabilités et de décisions de niveau national, européen et mondial, mais c'est bien au plan des territoires (villes et aires urbaines, bassins économique...) que peut s'opérer la conciliation entre toutes les mutations et leurs dimensions sociales, comme l'exprime Johanna Rolland, maire de Nantes10. C'est pourquoi, face à cet immense défi, la mission a considéré la transition écologique comme angle de vue privilégié de ses travaux. 1.1.3. La transformation numérique de l'économie, en appui de la transition écologique La digitalisation généralisée avec le « big data » (les mégadonnées) peut apparaître comme une fin en soi, confortant la perspective heureuse de la « ville numérique » ou de la « smart city ». Il ne s'agit pourtant que d'un ensemble de « Industrie 4.0 » au secours de la compétitivité de l'industrie moyens qui rendent possibles de allemande meilleures conditions de facilitant le C'est le Bund, l'État fédéral, qui a initié la démarche de coopération, mobilisation « Industrie 4.0 » visant à sauvegarder la puissance développement de nouvelles industrielle allemande vis-à-vis de la concurrence internationale chaînes de valeurs et renforçant la en activant sa transformation numérique dans un contexte compétitivité, comme l'illustre la marqué par une image positive de l'industrie. Le Mittelstand, tissu démarche allemande « Industrie des petites et moyennes entreprises, est particulièrement visé, 4.0 ». La révolution numérique n'est avec un objectif de « compétitivité relationnelle » plus que pas sans impact sur les villes et les d'automatisation et un vaste programme de formation pour territoires, par ses effets directs accompagner le maintien et la transformation des emplois. Une aussi à travers la approche territoriale de la numérisation, sous l'égide des Länder, mais transformation des entreprises, de les états fédérés, permet d'impliquer plus facilement les petites organisation et des structures, leurs fournisseurs, leurs clients, et de mieux repérer leur déterminants de leur localisation, les possibilités de relocaliser la production en la rapprochant de la demande, en constituant à l'échelle régionale ou locale les génératrice de concurrences et de déséquilibres territoriaux. plateformes d'échange de données. La transformation numérique peut être un accélérateur de la conversion écologique ; la transformation de l'outil productif est parfois très avancée, comme le montre l'exemple du groupe SEB ou celui de l'entreprise Thimonnier recueillis par la mission 11. Mais, pour la Direction générale des Entreprises (DGE), la France se trouve en retard par rapport à d'autres pays, en dépit d'un soutien public important avec le programme « Industrie du futur », l'équivalent de « Industrie 4.0 » 9 Chef de la Mission interministérielle des mutations économiques dans les années 2000 et président en 2014 d'une mission sur l'anticipation et l'accompagnement des mutations économiques auprès du Premier Ministre. « La convergence des transitions n'est pas donnée par l'Histoire. Elle doit se construire et se travailler (...), mission première des collectivités (...) ». Villes, territoires et transition démocratique Revue Futurible n°429, mars-avril 2019. Voir aussi § 1.2.2. Cf infra § 3.2. 10 11 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 14/170 PUBLIÉ en Allemagne et d'une démarche analogue en Italie. Le tissu des PME françaises manque particulièrement de performance en termes d'exportation par rapport à l'étranger12. La transition écologique s'appuie également Dans le groupe SEB, une transformation numérique et sur la transformation numérique affectant écologique accélérée l'organisation du travail : le numérique permet Selon la direction du développement durable du ou facilite des solutions nouvelles : cotravail, réunion en visioconférence, groupe, la transition numérique constitue un télétravail, covoiturage dans le cadre du déplacement « accélérateur » qui impacte les différents applicatifs dans les 40 usines du groupe : processus robotisé, domicile-travail, plateformes de mise en installation de capteurs pour repérer les fuites, relation et d'entraide... Le numérique fait aussi utilisation de l'imprimante 3D pour fabriquer à la levier pour développer la coopération demande et faciliter la réparation des produits (93 % territoriale entre entreprises : il permet une des nouveaux produits sont réparables), recours à un meilleure connaissance des ressources et la logiciel pour réduire l'empreinte carbone due au mise en oeuvre de boucles locales transport via la diminution du taux de chargement à d'optimisation des flux portant sur la vide des containers. logistique ou le réemploi de matériaux. 1.1.4. Un « récit » de la transition écologique pour soutenir la transformation économique des territoires Un concept porteur d'une dynamique mobilisatrice, mais aussi d'enjeux sociaux sensibles La transition « écologique », concept apparu institutionnellement en France en 2013 pour exprimer une mise en mouvement du concept de développement durable, comprend non seulement la transition énergétique, mais aussi les sujets de l'urgence climatique, de la préservation de la biodiversité, de l'économie circulaire, des circuits courts, de la gestion des ressources comme l'eau et les matériaux, de la maîtrise des risques en matière de santé et d'environnement. La mise en oeuvre de « chemins de transition » implique une transformation des modèles de production qui pose d'importantes difficultés. Ainsi, la diminution du diesel a un impact sur l'industrie automobile et sur l'emploi, de même que la fermeture des centrales à charbon et de certaines centrales nucléaires. Toutefois, l'innovation, la création de nouveaux emplois moins délocalisables dans certains cas, l'apparition de nouveaux services, sont favorisés par le développement des énergies renouvelables, des circuits courts et de l'économie circulaire. La transition écologique porte ainsi une vision mobilisatrice pour l'avenir par la transformation du modèle économique et social impliquant les territoires et les citoyens, mais fait peser un risque social accru. Selon l'économiste Jean Pisani-Ferry 13, il y a un coût immédiat et des effets distributifs défavorables pour les plus pauvres, les classes moyennes de la périphérie ou les travailleurs en usine dont les métiers sont intensifs en carbone14. Un potentiel à enrichir et à mettre en « récit » au niveau national comme à celui des territoires Ainsi que l'ont exprimé plusieurs acteurs comme Jean-Pierre Aubert et Odile Kirchner 15, la construction d'un « récit » de la transition écologique apparaît comme une façon de porter une 12 On constate par exemple deux fois moins de PME exportatrices (à taille comparable) par rapport à l'Italie, un taux de robotisation décalé par rapport aux autres entreprises, et proportionnellement moins d'ETI en France que chez ses concurrents européens.. Dans une étude publiée par Terra Nova, mars 2019. Alors que les évolutions antérieures se caractérisaient par une diminution relative du prix des énergies fossiles et du coût de possession d'une automobile. Qui a été Secrétaire générale du Conseil national à l'industrie puis Déléguée à l'économie sociale et solidaire (ESS), chargée d'une mission sur les dynamiques territoriales de l'ESS. Mutations économiques et développement des territoires Page 15/170 13 14 15 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ pensée cohérente, mobilisatrice, articulant les dynamiques territoriales, les temporalités et l'ensemble des enjeux socio-économiques. Pour la mission, un tel récit devrait : · exprimer des valeurs fondées sur l'humain, la nature, les atouts d'un territoire et sa valeur écosystémique, comme la forêt dans le projet « Terres de métamorphoses », piloté par JeanPierre Aubert avec les acteurs locaux de la région de Compiègne ou dans la démarche de Jérôme Lescure, ancien administrateur de SEB devenu entrepreneur de la filière bois ; articuler les échelles et s'appuyer sur les dynamiques locales, ainsi que le prônent des industriels tels Jean-Claude Andréini, président du réseau national des éco-entreprises (PEXE) ou des acteurs de la société civile tels Jean-David Abel, vice-président de France Nature Environnement (FNE), ou comme le montre l'émergence des tiers-lieux, exemples d'une « fabrique du territoire » conciliant les transitions écologique, numérique et sociétale ; penser conjointement transition et résilience des territoires, comme le préconise l'économiste Magali Talandier16 (la « transition » exprimant une transformation, la « résilience » un processus d'adaptation faisant émerger un nouvel état), d'où la nécessaire prise en compte de « coûts de la transition », comme l'illustre la ville de Grande-Synthe qui lance un « revenu de transition écologique » pour les habitants voulant évoluer vers un métier plus vert ; définir une trajectoire, un rythme, en distinguant des étapes et des objectifs à court, moyen et long termes ainsi que des modes d'articulation avec toutes les autres transitions. · · · Cette suggestion rejoint une orientation du rapport de la mission d'information relative aux freins à la transition écologique 17 : la nécessité de dégager une vision partagée avec la population, d'éclairer les objectifs et les moyens, de mieux quantifier les gisements et les besoins en énergies renouvelables. Cela se construit territoire par territoire, avec plusieurs « récits » qui s'articulent entre eux : c'est cette dernière dimension que souhaite souligner la mission. Recommandation 1. Développer un « récit » national de la transition écologique, intégrant l'ensemble de ses dimensions territoriales, économiques et sociales, mobilisant les acteurs autour d'une vision commune, prospective et stratégique, et avec lequel puissent dialoguer les récits portés par les collectivités et incarnés dans les réalités locales (MTES, MCTRCT). 1.1.5. Un défi majeur et de nouveaux modèles économiques prometteurs Face à l'enjeu environnemental, le défi industriel est immense et les investissements à réaliser considérables18. La transition écologique concerne toutes les filières économiques et tous les secteurs d'activité : agriculture et industrie extractive, énergie, bâtiment, transports, industrie manufacturière, technologies de l'information, ensemble des services. À l'initiative des acteurs 16 Magali Talandier, Résilience des métropoles, le renouvellement des modèles, Les conférences du POPSU, PUCA, 2019. Rapport présenté le 2 juillet 2019 devant la commission des affaires économiques, du développement durable et de l'aménagement du territoire de l'Assemblée nationale. En ne prenant en compte que le champ énergétique, Cédric Lewandowski, directeur Stratégie, innovation et responsabilité d'entreprise du Groupe EDF, cite un montant de plus de 3 000 Md$ d'investissements par an à réaliser à ce titre dans le monde d'ici 2040. 17 18 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 16/170 PUBLIÉ concernés et avec (ou sans) l'impulsion des pouvoirs publics, elle s'accompagne de bouleversements de nature et d'intensité diverses : alors que des pans d'activité disparaissent, se transforment ou sont menacés, de nouveaux modes de production émergent et se développent. Des modèles économiques novateurs se mettent en place et prennent une part accrue dans la transformation des territoires. Certains secteurs ou modèles sont particulièrement évoqués ici, du fait de leurs enjeux territoriaux 19. La transition écologique dans le domaine de l'agriculture La conversion écologique de l'agriculture est lente mais pourrait être réalisable sur une La gestion durable « à la française » de la forêt cherche à concilier d'années selon préservation et exploitation. La forêt s'appréhende comme un capital vingtaine plusieurs experts. La productif à processus de production long, porteur de services dits production agricole ne « écosystémiques ». Or, on y constate une insuffisance d'investissement, en amont comme en aval. C'est l'enjeu de devenant alimentaire que pour l'organisation de la filière bois (en France, surtout pour ce qui est du moitié, et après transformation alimentaire, bois de construction), dotée d'un fort potentiel (avec plus de 17 (industrie millions d'hectares, notre pays dispose du troisième patrimoine nourriture pour l'élevage...), il forestier exploitable d'Europe), mais un défi à concrétiser. Des convient de prendre en compte « contrats de filière » ont été signés en 2014 puis en 2017 . L'objectif l'ensemble de la filière. Entre est de passer de 10 à 15 % de la part construction en bois pour les 1960 et 2000, les circuits courts bâtiments individuels, et de 2 % à 8 % pour le collectif. Le potentiel et ont fortement régressé du fait l'ambition sont différents d'une région à l'autre ; des initiatives de l'industrialisation et de la prometteuses sont lancées dans le Grand Est à travers le programme normalisation (par exemple, la d'innovation TIGA. Les Jeux olympiques 2024 peuvent être l'occasion standardisation des calibres de de réaliser des démonstrateurs. fruits et légumes, la recherche d'hygiène au travers des emballages, le coût très faible du transport). Ils sont de retour avec les préoccupations de santé publique, le goût pour les produits locaux, l'exigence de traçabilité, le souci de qualité gustative20. Pour autant, l'agriculture dite « industrielle » ne disparaîtra pas si vite, notamment compte-tenu du poids important de la restauration collective 21. Se posent aussi des questions d'investissement, l'agriculture étant une activité fortement capitalistique, en tête des secteurs industriels pour le degré de numérisation de ses projets d'investissement 22. L'agriculture biologique, l'agroécologie, la permaculture et la vente directe au consommateur sont des réponses adaptées aux enjeux écologiques et aussi en regard de la transmission entre générations d'exploitants. Il importe de réinventer des dispositifs de coopération et de promouvoir les outils de type appellation d'origine protégée (AOP, cf. 1.2.1 ci-après). Cette démarche a « sauvé » des régions comme l'Aubrac, grâce au fromage de Laguiole par exemple, fabriqué au lait de vache du terroir. L'enjeu de la filière bois L'économie circulaire, modèle prometteur pour les entreprises et leurs relations avec les territoires De nombreux aspects de la transition pourraient être abordés : l'économie décarbonée, l'économie sociale et solidaire, les services à la personne, les nouveaux emplois et formes d'activité, le maintien de la biodiversité, la maîtrise de la consommation foncière, la finance verte, l'économie des usages et de la fonctionnalité...Toutes ces approches possèdent des enjeux territoriaux ; toutefois, c'est l'économie circulaire23 qui constitue le modèle s'incarnant le plus naturellement dans les territoires : si l'échelle régionale est pertinente pour coordonner l'évolution des filières, c'est bien l 'échelle locale 19 Cf aussi infra 1.2, les enjeux territoriaux de la relation entreprise/territoire. Comme en Ardèche, cf. annexe 5.2. Avec 3 milliards de repas servis par an, dont plus d'un tiers dans la restauration scolaire, et 7 Md d'achats alimentaires annuels (Source : Gira Foodservice, 2010). Selon un baromètre mondial qui mesure l'avancée des « usines du futur », réalisé grâce à un partenariat entre Trendeo, EDF, Fives et l'Institut de la réindustrialisation. Mutations économiques et développement des territoires Page 17/170 20 21 22 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ qui l'est pour la mise en oeuvre des boucles de valorisation et des circuits de proximité, qui concernent un grand nombre d'acteurs, y compris le grand public. Pour les entreprises, l'économie circulaire peut contribuer à améliorer leur compétitivité à travers une réduction des coûts (achats, transport, partage, traitement des déchets) et permettre de faire émerger de nouvelles filières locales créatrices d'emplois tout en faisant le lien avec l'économie sociale et solidaire, à l'image du groupe SEB qui fournit gratuitement les produits en fin de vie au réseau ENVIE, dont la mission est de les réparer et les revendre. Pour les territoires, l'économie circulaire optimise l'usage des ressources (bouclage des flux, approvisionnement local, etc.), réduit leur dépendance aux importations et aléas extérieurs, améliore l'empreinte environnementale et préserve le capital naturel. L'économie circulaire est source d'innovation territoriale, comme dans le domaine de l'écologie industrielle et territoriale, un angle important pour optimiser l'échange de flux entre des entreprises présentes sur un même territoire et pour ainsi envisager un devenir à certaines zones d'activité, ainsi que l'indique l'Ademe. Suggestion. Recenser, valoriser et promouvoir, auprès des acteurs locaux et du grand public, les pratiques efficaces et les projets structurants pour les territoires en matière d'économie circulaire et d'écologie industrielle, afin de déployer et démultiplier ces approches (MEF, MTES). 1.2. Comprendre la relation entre territoire et entreprise pour favoriser leur synergie 1.2.1. Un développement territorial d'abord endogène 24 Si l'ancrage territorial individuel ou collectif des entreprises peut se renforcer en lien avec l'émergence de nouveaux modèles liés à la transition écologique, la relation entre les établissements économiques et les territoires doit s'appréhender globalement, à l'aune du fonctionnement des marchés dans un contexte de concurrence mondiale. Ainsi, le possible « rebond » de l'industrie française, suite aux frémissements constatés depuis 2012, doit-il être observé prudemment. Peut-on par exemple parler, dans des cas comme celui de l'industrie de la chaussure à Romans-sur-Isère 25, d'un mouvement de « relocalisation »26 alors que ce n'est qu'une partie de la chaîne de production qui a été ainsi relocalisée, afin de l'optimiser grâce aux outils numériques ? Certains observateurs analysent le phénomène du retour des entreprises mondialisées par le terme « d'ancrage intermittent ». Quoiqu'il en soit, la réflexion sur les coûts « réels » ou coûts « cachés », sociaux et environnementaux redonne de l'importance à la proximité. 23 Ce thème va connaître une avancée significative à la faveur de l'adoption d'une loi sur l'économie circulaire dont le projet sera examiné en fin d'année 2019. Les thématiques abordées se placent toutefois davantage sur le terrain de la consommation que celui de l'économie productive et de l'écologie industrielle ; les suggestions de ce rapport pourraient donc utilement compléter ces dispositifs. Voir en annexe 4.3. le développement complet de cette analyse et des critères d'implantation des entreprises. Cf infra § 2.1. Ce sujet mériterait une étude en soi à partir de divers cas, comme celui de la fabrication de pièces détachées d'outils industriels dont la relocalisation serait justifiée par les coûts d'assurance qualité (ou de services aprèsvente)), ou bien celui de l'industrie du médicament faisant l'objet d'une centralisation mondiale... Cf. aussi infra et annexe sur la Suisse (6.3) 24 25 26 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 18/170 PUBLIÉ Les échanges : contribution des entreprises et aménités apportées par les territoires La production de valeur ajoutée par l'entreprise est d'abord le fait de la mise en oeuvre, selon des process qui lui sont propres, de ses facteurs de production capitalistiques et humains. Cette mise en oeuvre s'appuie sur une valorisation des aménités offertes par le territoire. Ce sont précisément ces éléments qui placent la France en très bonne position dans les investissements internationaux ; en 2018, le territoire français représente ainsi le premier territoire d'accueil d'investissements étrangers en Europe27. La relation entre entreprise et territoire (l'une est mobile et l'autre, par définition, permanent, même s'il évolue sans cesse) peut alors être déterminée par une logique de « mise en concurrence », une posture opportuniste de la part d'acteurs économiques se considérant dans un rapport de force favorable. Cette logique est cependant tempérée par d'autres facteurs : ainsi, des entreprises intervenant dans les secteurs liés à la transition, ou encore les artisans et petites structures, moins dépendantes de stratégies extrinsèques, sont plus souvent dans un rapport de synergie et inscrites dans le « fait local » Comme le montrent les indicateurs « d'ancrage territorial » développés par l'ORÉE 28, c'est aussi la qualité du lien tissé avec le territoire qui représente en tant que telle un « capital ». D'autant que de plus en plus d'entreprises se regroupent dans un modèle « d'écosystème » (« grappes », clusters), qui peut optimiser les avantages de l'ancrage, bien qu'il puisse être aussi vecteur de vulnérabilité pour le territoire en cas de spécialisation excessive et de crise du secteur concerné. La « performance du territoire » repose alors sur ces dynamiques d'acteurs, et leur capacité à transformer cette synergie en « bien commun » Une partie du rebond industriel peut être liée à la valorisation de l'identité territoriale elle-même. On vend un produit chargé d'une histoire unique, d'une culture spécifique, comme le montrent le modèle des « AOP » dans l'agroalimentaire ou bien les nombreux sites observés en Suisse dans les territoires de l'industrie horlogère par exemple, qui cultivent leur attractivité en valorisant leur histoire (le musée jouxte la fabrique et la fabrique le magasin) 29. L'économie productive devient ainsi une économie « patrimoniale », pour laquelle il n'est plus question de délocalisation. Les implantations d'entreprises venant de l'extérieur contribuent de façon minoritaire à la croissance des territoires (5 à 20 % selon les territoires étudiés, en France). Ainsi, alors que l'attention des structures chargées de l'attractivité est souvent plus marquée vis-à-vis des grands comptes, davantage exposés au risque de délocalisation, c'est bien toute la chaîne productive, incluant le tissu de TPE/PME qui est à prendre en considération. L'appréhension des critères de localisation des entreprises doit donc inclure prioritairement les facteurs d'évolution des entreprises déjà présentes sur le territoire. Moyennant cette précision, la mission a dégagé cinq critères fondamentaux, en s'appuyant sur ses entretiens 30 et sur l'exploitation de divers travaux d'études31. 27 FNEP, La Fabrique de l'industrie, Cultivons notre industrie, un défi culturel, humain et territorial, Presses des Mines , 2019. L'ORÉE (Entreprises, territoires et environnement) est une association regroupant des entreprises et des collectivités locales pour développer de nouveaux modèles, principalement autour de l'économie circulaire et de l'ancrage local des entreprises. Se reporter aux annexes 6.3 sur le Suisse et 4.3.1 sur l'économie patrimoniale. La France connaît aussi divers exemples, comme dans le Puy de Dôme, le musée de la coutellerie Thiers adossé à la fabrique. En particulier C. Leboucher (Business France) et Nadine Levratto (Université de Nanterre). Notamment : ORÉE S'ancrer dans les territoires pour gagner en performance, ESSEC Business School, 2017- La Banque postale, Les relations des entreprises avec leurs territoires, 2018 - Un classement établi par Observatoire FIVES Usines du futur 2013 cahier n°1, pp. 52 à 57. Mutations économiques et développement des territoires Page 19/170 28 29 30 31 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ Les fondamentaux de la localisation des entreprises (cf annexe 4.3.2) 32 1. Le cadre de vie et les aménités apportées par le territoire par un environnement attractif, des équipements collectifs adaptés, des logements agréables et abordables, des possibilités d'emploi pour le conjoint, des services d'éducation et de santé de qualité à proximité. 2. Le capital humain disponible permettant d'offrir une main d'oeuvre qualifiée et adaptée aux besoins du bassin économique, grâce à des dispositifs de formation et d'intermédiation permettant le bon fonctionnement du marché de l'emploi. 3. L'accessibilité physique et numérique en termes de qualité de desserte à la fois pour les employés et pour les connexions physiques de l'activité, la connexion numérique étant un facteur critique (non encore partout assuré) mais ne pouvant se substituer à l'infrastructure physique. 4. L'accompagnement par les collectivités territoriales comportant notamment une offre foncière pertinente et ajustée, un appui administratif et financier, une fiscalité adaptée, plus généralement l'existence d'un projet de territoire mobilisateur et d'une bonne gouvernance locale. 5. La performance d'un écosystème reposant sur un tissu économique organisé source de valeur pour les entreprises à travers des services, des marchés, des partenaires, des synergies possibles avec des pôles d'innovation et de recherche, un soutien des pouvoirs publics. La pondération de ces critères dépend du secteur d'activité, du type et de la taille de l'entreprise, de la stratégie entrepreneuriale. C'est au regard de ceux-ci que les collectivités peuvent développer des politiques d'attractivité, lesquelles dépendent aussi de leurs propres objectifs de développement. 1.2.2. La construction d'une politique d'attractivité : la ville tout entière comme environnement de travail Travail nomade, multi-activité, cotravail, nouveaux lieux... : aujourd'hui, la ville toute entière est à considérer comme l'environnement de travail33. Fondamentalement, le travail se transforme et la relation au travail est également en pleine évolution, comme en témoignent les attentes et attitudes des jeunes générations. Elles se montrent, quand elles ont le choix, exigeantes en termes d'environnement de leur cadre d'activité et d'intérêt de l'emploi tenu, ainsi qu'en matière de qualité de la vie hors travail. Mais elles sont plus détachées voire désabusées quand il s'agit de personnes qui se sentent exclues du marché ou condamnées à l'exercice de tâches subalternes et à des emplois précaires. Or, le « travail bien fait » est celui qui procure fierté à celle ou celui qui le réalise, lui apportant sens et sentiment d'utilité. Ce « travail digne » et créateur de valeur, même s'il n'est pas le mieux rémunéré, est un « bien commun » qui rejoint les enjeux de la transition écologique, comme l'a illustré un récent colloque organisé à l'occasion du centième anniversaire de l'OIT34. Les aménités urbaines et territoriales, les services publics et privés de proximité 32 Source : mission (pour tous les encadrés). Cf l'ouvrage collectif de l'Adi (Association des directeurs immobiliers), Repenser les lieux de travail, novembre 2017, ainsi que l'atelier de Futuribles, mars 2019. « Quel travail pour une transition écologique solidaire », colloque organisé en mai 2019 à l'UNESCO par le Centre de recherche et d'actions sociales (CERAS). 33 34 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 20/170 PUBLIÉ Les villes et territoires sont touchées de plein fouet par ces évolutions qui vont dans le sens d'une dimension plus relationnelle et plus collective du travail, lequel s'exerce pourtant, grâce au numérique, de plus en plus selon une organisation individuelle et dans des structures de taille limitée. La ville est à considérer comme un facteur de productivité, elle doit donc être fabriquée avec les entreprises, et non pas seulement pour elles, afin de constituer un vaste « campus » : « l'open space débouche sur l'open ville »35. Le retour de l'industrie donne du sens à l'espace urbain : sans réduire la ville à la place de cette dimension laborieuse, les bouleversements en cours induisent d'importantes évolutions concernant les lieux de travail et donc l'immobilier économique. C'est la force des territoires les plus agglomérés que d'offrir directement aux entreprises le bénéfice des externalités évoquées et de s'appuyer sur une économie présentielle de qualité 36. Pour autant, plusieurs exemples mis en valeur par la mission montrent que toutes sortes de territoires moins denses peuvent tirer parti de leur qualité de vie, en sus d'un coût foncier plus abordable. Ainsi, les territoires bénéficiant d'aménités environnementales en périphérie urbaine sont ceux qui se sont développé le plus rapidement sur la dernière période inter-censitaire 37. Si la présence et la qualité des services de proximité publics et privés demeurent essentielles, la valeur patrimoniale d'un territoire, dans sa triple dimension bâtie, paysagère et naturelle, son héritage historique et culturel, l'identification à une identité régionale ou territoriale, constituent des marqueurs puissants d'attractivité, au-delà du seulaspect du développement touristique. Le paysage et le patrimoine comme levier de son attractivité Euralens ou comment révéler le potentiel d'un « territoire L'image d'un territoire participe à renforcer autant le sentiment de fierté phoenix » des habitants que son attrait pour des Créée il y a dix ans, l'association Euralens regroupe des acteurs publics extérieurs38. Accroître publics et privé, des professionnels et des experts pour l'attractivité suppose donc de susciter, au coeur du bassin minier, une reprise de confiance, un s'occuper de la qualité de vie, dans changement d'image et une redynamisation territoriale autour de l'ouverture du musée du Louvre-Lens. Divers projets ont été toutes ses composantes, de ceux qui suscités dans le vaste périmètre du pôle métropolitain de habitent déjà là, : si des personnes l'Artois qui regroupe trois intercommunalités, selon une extérieures peuvent identifier ce que le méthode qui s'inspire de l'Internationale Bauausstellung territoire offre « comme potentialités, allemande (IBA, voir note au § 2.1.2.). La « chaîne des parcs » comme possibilités, comme activités, qui met en valeur et relie les anciens terrils, le patrimoine beautés et curiosités »39, les habitants et industriel conservé et les plus beaux éléments du paysage futurs habitants doivent aussi pouvoir constituent un exemple emblématique de projet qui révèle un le faire. Développer une offre de qualité atout essentiel du territoire. préservant les espaces peut ainsi conduire à mettre à l'ordre du jour une « mise en tourisme du territoire ». « Le bien-être des habitants et des visiteurs (qui ne sont pas que des 35 Selon Morgan Poulizac, membre du cabinet d'étude Plein sens. L' « héliotropisme » de son côté a joué aussi un rôle important depuis les années 1990, avec le développement de la façade atlantique et des régions méridionales françaises, qui a bénéficié à plein aux régions de Nantes, Bordeaux, Toulouse et Montpellier. « Entre 2011 et 2016, les grandes aires urbaines portent la croissance démographique française » Vincent Vallès, service Recensement national de la population, Insee Focus, No 138, 27/12/2018. Exemple de la campagne lancée par la Région Hauts-de-France : « Dites-le Hauts et Fort » invitant les habitants à partager sur les réseaux sociaux les images de moments de fêtes, de rencontre et de contemplation. L'ambition affichée est de s'unir derrière cet objectif : signifier qu'il fait bon vivre en Hauts de France. Cité lors de la rencontre des agences d'urbanisme, à Lille et Dunkerque, nov. 2018 : « De l'audace pour nos territoires ». Citations extraites de l'article « Faire aimer son territoire », p. 44-45. Revue Urbanisme, numéro spécial N°67 (1 er trim. 2019) tiré de la rencontre précitée. Mutations économiques et développement des territoires Page 21/170 36 37 38 39 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ consommateurs de produits touristiques) oblige à répondre à la question : « quel est notre talent ? »... ce qui rend le territoire habitable et désiré ». L'action de la collectivité alors ne se limite pas à la réalisation d'aménagements de qualité, mais doit fédérer des participants, définir les usages visés, notamment ceux qui ne sont pas encore connus. Elle joue ainsi le rôle de catalyseur pour « révéler les atouts du territoire » et le « faire aimer » par ses habitants actuels et futurs. Citée en exemple par les agences d'urbanisme, la démarche « Grands sites de France »40, label de renommée nationale et européenne, permet des retombées économiques et la création d'emplois tout en valorisant ce que le territoire affirme être et vouloir devenir. Autres cas, sur un secteur côtier du Pas-de-Calais ou sur les bords de Loire, la politique d'attractivité mise en oeuvre par l'ensemble des acteurs publics repose sur la valorisation des sports pratiqués dans un patrimoine naturel, ce qui a fait émerger des symboliques nouvelles. Le « développement » territorial repose ainsi sur une dynamique alliant tous les aspects de la réalité d'un territoire, des plus matériels aux plus immatériels, dans lesquelles l'image joue un rôle majeur. Si la référence à l'environnement est inscrite dans la stratégie des entreprises, les pratiques de responsabilité sociale et environnementale du territoire (par exemple, le lien aux politiques de limitation des émissions de CO2 et de retraitement des fluides et déchets......) pourront constituer pour elles un facteur supplémentaire de performance, et être porteuses de sens pour les collaborateurs et les clients. Par exemple, Lille s'est positionnée en tant que ville où, du fait de transports en commun denses, une entreprise tertiaire pourra afficher « le plus faible bilan carbone de l'ensemble des capitales d'Europe du Nord ». Le « marketing territorial » Ces questions ressortent d'autant plus fortement qu'elles sont « mises en scène » dans des démarches qui concrétisent et accompagnent les prises de position des différents territoires dans leur choix de développement, au sein d'opérations de « marketing territorial ». On peut citer comme exemple sur ce thème les actions autour du territoire de la ville nouvelle de « Marne-la-Vallée », à l'Est de Paris. L'établissement public d'aménagement (EPA) Marne joue depuis sa création un rôle constitutif pour ce territoire de 27 communes et de 4 intercommunalités situées sur 3 départements, qu'aucune collectivité ou groupement ne parvient à incarner. C'est ainsi que l'EPA Marne initie et incarne l'ensemble des démarches permettant à « Marne la Vallée » d'exister41 . L'établissement est le concepteur des actions de promotion et des supports du marketing territorial, qu'il porte et qu'il anime auprès des promoteurs dans les salons professionnels, en étant en quelque sorte dépositaire de la « marque » « Marne la Vallée ». La mise en scène des territoires peut aussi s'appuyer sur des démarches de labellisation. Nantes a ainsi construit une première brique dans sa stratégie métropolitaine de positionnement en tant que « ville de la transition » grâce à l'obtention en 2013 du label international « Green Label Capital ». Confortée ensuite par l'obtention d'écolabels européens et français dans de nombreuses thématiques connexes (énergie, tourisme...), cette politique constitue un moteur de l'attractivité nantaise, qui s'est révélée particulièrement forte sur la période, en alimentant une croissance très marquée Une fois enclenchées, ces dynamiques jouent un rôle majeur, inscrit dans la durée. Suggestion. Promouvoir les meilleures démarches visant à « faire aimer son territoire », et susciter leur développement, en lien avec les « récits » territorialisés de la transition écologique, en particulier dans les secteurs considérés comme les moins attractifs (MCTRCT). 40 Démarche consistant à préserver des sites aux qualités naturelle, patrimoniale, paysagère, riche et fragile, en proposant une expérience sensible des lieux ; elle offre un processus guidant les acteurs concernés, justifiant une gestion active et une animation de proximité. 41 Par exemple, l'élaboration en 2013-2014 d'un projet de territoire, et en 2016 une démarche de diagnostic et de prospective à l'échelle de ce territoire. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 22/170 PUBLIÉ 1.2.3. La valorisation du capital humain : compétences et talents La capacité d'un territoire à attirer les « talents » est un enjeu devenu majeur pour les entreprises42. Avec la reprise économique, certains secteurs connaissent une pénurie de main d'oeuvre qui touche l'ensemble de la gamme d'emplois (cadres, métiers du numérique, techniciens et ouvriers qualifiés)43. La question du recrutement est cruciale et le critère relatif au « capital humain », devenu prédominant. Pour les salariés comme pour les indépendants, l'existence d'un large bassin d'emploi permet d'envisager une carrière complète sur le territoire, une évolution voire une reconversion ; la question de l'emploi du conjoint, voire des enfants, compte aussi. Le bassin d'emploi doit offrir une diversité d'activités et de postes, critère qui joue en faveur des plus grandes agglomérations. La formation44 et l'intermédiation à optimiser Le lien essentiel entre ressources humaines et vitalité des territoires concerne aussi la chaîne de formation, avec la présence de structures adéquates de formation initiale et continue, générale, technique et professionnelle. Ainsi, l'image du territoire en matière de développement durable et l'existence de formations locales (telle l'arrivée du conservatoire national des arts et métiers à Rouen) sont des atouts complémentaires pour attirer les jeunes 45. Le « système dual » en Suisse et en Allemagne46, qui donne toute sa place aux filières professionnelles et associe les entreprises en tant qu'acteurs de l'offre territoriale, constitue une source d'inspiration 47, même s'il ne s'agit plus aujourd'hui « d'enfermer » les jeunes dans une spécialisation unique ou trop forte. Le rôle des dispositifs d'intermédiation et d'insertion professionnelle (publics, comme Pôle Emploi, mais aussi associatifs, ou privés), est également structurant pour le bon fonctionnement du marché de l'emploi. Le fonctionnement de ces dispositifs présente toutefois certains manques, avec des passages insuffisants entre milieux économiques et académiques, une inadéquation entre offre et besoin ainsi qu'une promotion insuffisante des emplois d'avenir de la part des entreprises. Des territoires ont cherché à dépasser ce constat en élaborant une « gestion prévisionnelle des emplois et des compétences » (GPEC) à leur échelle, afin de mieux caractériser les métiers pour lesquels un besoin de formation est à prévoir et de mieux l'organiser en se projetant dans l'avenir. La GPEC « territorialisée » (-T) représente une solution opérationnelle qui fait le lien avec la notion individuelle de parcours professionnel, ainsi qu'avec les enjeux de la transition écologique, comme l'indique la CFDT : il s'agit de préparer la transition du marché du travail en identifiant les compétences et les besoins en formation liés à la transformation des filières existantes et à l'émergence de nouvelles activités. Tous les territoires n'étant pas sensibles de la même façon à la disponibilité des ressources humaines, il importe qu'ils s'en saisissent eux-mêmes selon leur propre besoin. C'est le cas à Lyon où, selon le témoignage du groupe SEB,, la « mission pour l'emploi et la formation » a fait émerger une démarche de GPEC-T et fédéré un club d'une vingtaine d'entreprises. 42 Voir en annexe 4.3. (le renouveau des critères d'implantation des entreprises) le développement complet de ce point 1.2.3. et du suivant 1.2.4 . Cf. les difficultés, évoquées par la presse, des Mauges et de la Vendée à pourvoir les offres d'emplois destinées auxouvrier-ères qualifiés du textile en 2018 ; le chiffre de 30 000 postes industriels non pourvus sur l'ensemble du territoire est avancé par les organisations professionnelles, et en cours d'année le problème général du recrutement s'est trouvé largement relayé, avec une relance des dispositifs de promotion des filières industrielles de type « French Fab tour » ; voir aussi § 2.1. Voir également sur ces thèmes les développements consacrés à la Suisse et à l'Allemagne (annexe 5), ainsi que les éléments sur les liens entre universités et entreprises au sein des pôles de compétitivité et des clusters (§ 3.2). Relevé par Hélène Valade, présidente de l'ORÉE, directrice du développement durable, groupe SUEZ. On peut retenir qu'il y a en Allemagne et en Suisse un pourcentage d'apprentis trois fois plus élevé qu'en France (chiffres 2015 cités par FNEP, La Fabrique de l'industrie, Cultivons notre industrie, 2019). Cf annexe 6. Mutations économiques et développement des territoires Page 23/170 43 44 45 46 47 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ Les collectivités territoriales ont un rôle clef à jouer dans cette mise en place (l'Assemblée des communautés de France (AdCF) en a fait une priorité), de même que les entreprises en se rassemblant en groupement par exemple. « Mieux définir, mieux anticiper les besoins, mieux y répondre » : c'est le principe qui a guidé les expériences de GPEC-T menées à Lille et Roubaix, Montpellier et Plaine Commune en Île-de-France. Elles se traduisent par la constitution de lieux de concertation et d'intermédiation entre les partenaires du développement économique, de la formation, de l'emploi et les collectivités territoriales48. Recommandation 2. Promouvoir, en s'inspirant des meilleurs exemples, le déploiement des outils de « gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) territorialisée », lieux de concertation et d'intermédiation associant collectivités territoriales et partenaires du développement économique, de la formation et de l'emploi (MTEFPDS, MCTRCT). 1.2.4. Les enjeux de la mobilité : transports collectifs et modes actifs49 La question de la desserte des lieux économiques en transports collectifs (TER, tramway, lignes de bus), en vélo ou selon d'autres mobilités « propres » apparaît encore insuffisamment traitée. Par exemple, selon les relevés de la FNAUT (Fédération nationale des usagers des transports), de nombreux lieux pourtant situés non loin de lignes de transports collectifs, notamment de « haltes » ferroviaires urbaines, ne sont pas desservis, faute d'intérêt de la part de l'autorité organisatrice régionale des TER ou faute de coordination avec l'autorité organisatrice des transports (AOT) urbaine (devenue autorité organisatrice des mobilités, AOM). Ailleurs, malgré la généralisation des plans de déplacements d'entreprises, la desserte collective par bus de zones d'activité est laissée à l'initiative d'acteurs privés en manque de coordination. La loi d'orientation pour les mobilités (LOM)50 représente une opportunité pour les pouvoirs publics locaux d'envisager l'amélioration des liaisons entre le domicile et le travail en zone dense, indépendamment du développement envisagé du télétravail, qui ne concerne pas toutes les fonctions. Ainsi, les anciennes et nouvelles AOT devraient pouvoir s'emparer des nouveaux outils afin de mieux s'articuler entre elles 51 pour la desserte des lieux d'activité en transports collectifs et d'organiser une mobilité multimodale intégrée, incluant le covoiturage domicile-travail. De plus, la généralisation des AOM en tous points du territoire devrait permettre l'identification et le traitement des besoins de desserte concernant chacune des zones d'activité du territoire, notamment des plus éloignées des centres urbains, à travers la mise en place de lignes de bus adaptées, de « transports à la demande », ou encore par l'encouragement au covoiturage (ces deux aspects trouvant dans la loi en projet un support à leur développement). L'activation des plans de déplacement d'entreprise ou d'administration sur ce point est un élément crucial. 48 Aborder la question de l'emploi et du chômage par le concept d' « utilité » (vis-à-vis de soi-même et des autres) peut aussi ouvrir des voies nouvelles, comme le montre l'expérience de Montpellier Métropole qui s'implique dans le pilotage d'une politique locale de l'emploi en prenant en compte les publics en difficulté. Les questions relatives à la logistique sont traitées dans la partie des ZAE du présent rapport (§ 2.2). Texte en cours de discussion au Parlement mi-2019, pour partie inspiré des travaux des « Assises de la mobilité » (2017-2018). À la fois entre AO de différents niveaux et limitrophes (un tiers des actifs ne travaillent pas dans leur EPCI de résidence, ce qui suppose soit de mettre en place des AO selon des périmètres fonctionnels soit de définir des périmètres opérationnels ne correspondant pas aux limites administratives). 49 50 51 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 24/170 PUBLIÉ En Suisse52, il existe une disposition, qui va de pair avec la maîtrise de l'étalement urbain, garantissant en tous points du territoire, dès lors que la centaine d'habitants est atteinte, un accès à un mode de transport collectif (qui peut être un bus en continuité avec le train). Cette disposition est financée par la péréquation nationale et mise en oeuvre par les autorités locales. La LOM pose désormais un principe qui va dans ce sens, très utile pour le maintien de l'activité en zone rurale, avec la notion de « situation à moins de 45 minutes en automobile d'une unité urbaine de 1500 emplois... » (titre 1 ch. 1 art. 3)53. Le développement des modes actifs (ou « doux »), essentiellement la marche et le vélo, fait partie intégrante des objectifs de la LOM. Il importe que cette politique, ainsi que la mise en place d'itinéraires sécurisés, porte prioritairement sur les déplacements vers le lieu de travail, du fait de leur importance relative54 et de leur impact territorial. On note enfin l'intérêt de la mise en place de contrats opérationnels de mobilité ou d'un comité des partenaires associant usagers et employeurs à la définition des offres. L'impact du télétravail et des nouveaux modes d'organisation Le développement du télétravail pourrait-il à terme induire une limitation des déplacements domicile-travail et tempérer l'importance du facteur « desserte » dans les choix d'implantation des entreprises ? De plus en plus de centre-bourgs ou centre-villes ont pris le parti de développer des projets de « tiers lieux » pour compenser leur éloignement relatif. Ces tiers lieux accueillent des travailleurs nomades mais aussi des micro-entrepreneurs, permettant de donner suite à leur projet d'installation dans les régions correspondantes. Ce sont des tendances importantes qu'il convient de soutenir. Le Gouvernement a annoncé des mesures s'inspirant d'un rapport récent 55 pour favoriser ces évolutions. Dans les secteurs de forte densité et dont les réseaux de transport sont congestionnés aux heures des déplacements domicile-travail, un développement du télétravail peut constituer une solution pour alléger ou pour lisser l'utilisation des infrastructures sur la journée de travail 56. Ainsi, la Région Îlede-France, tout comme certaines Métropoles, envisagent un développement massif du télétravail comme remède à la saturation des moyens de transport collectifs dans les zones métropolitaines. Cependant, même en adoptant des hypothèses élevées de croissance du travail à distance (par exemple allant jusqu'à 20 %), les observateurs interrogés par la mission ont fait part de leur scepticisme quant à une substitution significative des liaisons physiques par les liaisons numériques. Suggestion. Veiller à ce que soit assurée, en lien avec les plans de déplacements d'entreprise, la desserte des pôles économiques par transports collectifs et modes actifs, en s'appuyant sur la mise en place, prévue par la loi LOM, d'autorités organisatrices (AO) dans tous les territoires, permettant une organisation des mobilités en zone peu dense et une collaboration renforcée entre AO en zone dense (MCTRCT, MT). 52 Cf annexe 6.3. A noter cependant que des objectifs chiffrés de désenclavement des territoires, introduits par le Sénat, ont été retranchés du texte en commission à l'Assemblée en juin 2019. Même si son importance a baissé sur les 15 dernières années (passant d'environ la moitié à environ un quart du total) le déplacement pendulaire domicile-travail représente encore un motif de déplacement très structurant. P. Lévy-Waitz : Coworking, faire ensemble pour mieux vivre ensemble, octobre 2018. Se reporter au § 2.3.1. La Région Grand Est cherche à développer le télétravail des travailleurs lorrains salariés des entreprises basées au Luxembourg, en mettant à disposition des lieux ad hoc situés à proximité de gares TER ; l'objectif est de lisser une partie des flux frontaliers afin de lutter contre le problème devenu insoluble de la congestion transfrontalière. À noter que la solution de cette question renforcerait l'attractivité de la place luxembourgeoise. Mutations économiques et développement des territoires Page 25/170 53 54 55 56 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ 1.2.5. Vers un nouveau modèle d'entreprise avec un plus fort ancrage territorial 57 La transition écologique oblige les entreprises à se transformer pour un développement durable de leur activité. Les objectifs de développement durable 58 (ODD) et la responsabilité sociale des entreprises (RSE) sont perçus comme des leviers de transformation, même si ces sujets sont d'abord appropriés dans une logique de communication axée sur le client et sur le recrutement. L'économie circulaire et particulièrement l'économie industrielle et territoriale constituent une « RSE interentreprises »59 Les pôles de compétitivité et les clusters sont dans une démarche analogue. Enfin, les premières « entreprises à mission »60 reconnues par la loi PACTE61 font leur apparition. Le modèle de l'entreprise familiale favorise également la RSE selon les témoignages des entreprises SEB ou Thimonnier ; et d'après l'observation des entreprises allemandes, l'actionnariat familial peut faciliter une vision à long terme et avoir une influence forte sur la RSE et le territoire. Le centre des jeunes dirigeants d'entreprise (CJD) considérant que la transition écologique alliée à la RSE constitue un puissant moteur de croissance, a développé une méthodologie visant à promouvoir la performance globale (sociale, sociétale, environnementale) de l'entreprise. Comme le rappellent les personnes rencontrées issues du monde économique, les entreprises ont tout avantage à prendre en compte l'environnement local, mais suivent d'abord leur propre intérêt. Des incitations peuvent s'avérer pertinentes, telles que le développement de labels, de certifications ; ou bien encore de critères de la commande publique prenant en compte l'apport au territoire. Suggestion. Encourager le développement de la responsabilité des entreprises vis-à-vis de leur territoire d'implantation, par la valorisation de l'ensemble des pratiques exemplaires, comme celles des nouvelles « entreprises à mission », la promotion de labels et certifications, et une politique d'achat public davantage territorialisé (MCTRCT, MEF). 1.3. Élaborer aux échelles pertinentes une stratégie économique durable incarnée dans les territoires 1.3.1. Des stratégies économiques régionales Avec la loi NOTRe, la circonscription régionale a été confirmée comme l'échelle pertinente du développement économique. L'élaboration, en 2015-2016, des nouveaux schémas régionaux 62 de développement économique, d'innovation et d'internationalisation (SRDEII) a constitué une étape significative dans la prise en main par les Régions de leur « chef de filat » économique. 57 Se reporter au développement de l'annexe 4.3.1 Notamment l`ODD 12, « Consommation et production durables », Selon le terme de l'ORÉE, qui propose de créer un lien collectif avec le territoire dans le reporting extra-financier, À l'exemple de la CAMIF qui entend promouvoir « un modèle d'entreprise plus contributrice avec une économie plus locale, plus inclusive, plus circulaire ; le chantier est énorme, il faut tout réinventer, nous n'avons plus le choix », selon son PDG Emery Jacquillat. Loi pour la croissance et la transformation des entreprises. Selon la loi NOTRe n° 2015-991 du 7 août 2015, article 2 ayant modifié les articles L. 4251-12 et suivants du CGCT, le SRDEII définit à l'échelle régionale les orientations en matière d'aides aux entreprises, de soutien à l'internationalisation et d'aides à l'investissement immobilier et à l'innovation, ainsi que, de manière plus générale, les orientations relatives à l'attractivité du territoire. 58 59 60 61 62 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 26/170 PUBLIÉ Cependant, les méthodes d'élaboration et d'organisation La construction du schéma « territorial » (STDEII) de Martinique a été de la concertation, pourtant ont été très l'occasion de mettre en place un nouveau modèle avec l'ensemble des obligatoire, diverses : dans l'ensemble, les partenaires, en partant du diagnostic d'un énorme décalage entre import et export. L'« innovation » (« I » de STDEII) se doit d'être à la CCI ont communiqué leurs fois environnementale (durabilité), économique (compétitivité des observations écrites, certains économiques entreprises), territoriale (attractivité) et sociale (valorisation des opérateurs ressources humaines). La création d'une agence de développement également ; parfois, des PETR unique est une première étape pour mettre en cohérence les réseaux ont été inclus dans la réflexion ; d'accompagnement existants, selon trois orientations partagées : mais beaucoup de tourisme durable et patrimonial (« rhum », Montagne Pelée...), consultations se sont révélées économie bleue et nautisme, « cultiver mieux » (bio). Le schéma est formelles plus que décliné en 60 actions opérationnelles dont le lancement d'appels à substantielles. De fait, ces projets pour l'attractivité et la requalification des ZAE. Les chefs de file schémas semblent globalement de chacun des projets sont définis en suivant les compétences peu ancrés dans la réalité des institutionnelles, faisant la part belle aux EPCI, afin d'optimiser la territoires, avec un aspect réalisation du plan d'action. territorial peu travaillé, même si certains s'appuient sur une cartographie qui n'est pas rendue publique. On relève néanmoins des exemples probants, comme celui de la région Bretagne, où l'association avec les territoires est une pratique de longue date, ou celui de la Martinique, intéressant en termes de processus. En Martinique, « la Région fertilise, le territoire cultive » Dans la perspective de la construction des prochaines générations de schémas 63, la mission propose : · la nécessité d'un bilan, à réaliser de façon interministérielle de la première génération des SRDEII : contenus, écarts avec les textes, méthodes d'élaboration, effets et efficacité, la généralisation d'un principe de pleine coopération avec tous les territoires et parties prenantes, cette « co-construction » permettant de mieux appréhender les logiques de concurrence et de cibler les aides régionales selon les territoires et les problématiques, une révision de la terminologie : si les textes mentionnent un « document d'orientations stratégiques » (article L. 4251-15), ce caractère « stratégique » mériterait d'être affirmé en préconisant une « politique régionale de l'économie », articulée dans une vision territorialisée et associée à la transition écologique. · · Il semble manquer, notamment au sein des grandes régions nouvellement constituées, une maille pour faciliter la coopération avec les EPCI, les aidant à mutualiser leurs moyens selon une logique de « grands » territoires énoncée par ailleurs dans la loi NOTRe 64 et sur lesquels pourrait être assise une différenciation au sein des régimes d'aide. Dans plusieurs régions, le choix pragmatique a été fait de conserver un relais départemental, soit parce que derniers constituaient une échelle intéressante d'analyse et de regroupement territorial, soit parce que les outils existants (de type agence d'attractivité ou agence de développement) étaient performants et pertinents. Dans la région Grand Est, la mise en place ces dernières années d'outils de coopération entre villes et métropoles (par exemple celui qui a pris forme dans le « Sillon lorrain65 ») a pu être présentée comme une façon de compenser l'éloignement dû à la création de la « grande » région. Cependant tous les territoires étant loin d'y trouver leur compte, la Région a choisi de s'appuyer sur la structure départementale : « Dans certains départements, il existait des agences de développement économique. 63 Les schémas actuels sont en vigueur jusqu'au 31 décembre 2022. Voir article codifié L4251-1 CGCT. Action de coopération et de mutualisation inter-urbaine entre Épinal, Nancy, Metz et Thionville ; voir aussi la tentative (peu concluante) « d'aire urbaine lyonnaise » autour de Lyon et Saint-Étienne en AURA. Cf. § 3.1.2. Mutations économiques et développement des territoires Page 27/170 64 65 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ La Région les a renforcées, elle est entrée dans la gouvernance à la place des Départements qui ne pouvaient plus s'y impliquer. Dans d'autres départements, nous les avons créées car rien ou peu n'existait pour répondre aux nouveaux enjeux » explique Isabelle Héliot-Couronne, présidente de la commission du développement économique 66. En Occitanie, ce besoin de relais infra-régionaux fait que certains Départements ruraux continuent de jouer un rôle actif sur la question du développement économique, à la demande expresse des EPCI et de la Région elle-même. Au final, cette « politique régionale de l'économie » reste à constituer pour assumer la « La région est le produit de ses territoires et la proximité pleinement dimension stratégique, se fonder sur constitue un de ses défis ». À partir d'un territoire vaste et hétérogène (137 communautés de communes, 21 communautés les principes de la transition d'agglomération, une communauté urbaine, et deux écologique, et intégrer une vision métropoles), la Région a développé un diagnostic affiné territoriale. Elle énoncera une vision permettant de rassembler les communautés de communes dans sur laquelle pourra s'appuyer le des « strates » cohérentes et de décliner les orientations du régime d'aides aux entreprises et SRDEII selon cette réalité hétérogène : seul échelon compétent aussi une stratégie concernant les pour les aides directes aux entreprises (et avec un budget de zones économiques d'intérêt régional 3,6 Md), la Région a mis en place des taux d'intervention et infra-régional67. Différents organes différenciés selon les territoires (en fonction de la densité par peuvent venir en appui pour cela des habitant, des montants reçus en DGF, du taux de pauvreté, mais réflexions régionales, comme le également selon la typologie des entreprises). Pour l'immobilier réseau des agences d'urbanisme ou d'activités, la Région soutient les communautés de communes à hauteur de 70 %, avec un effort majoré pour accompagner les EPF pour le volet foncier. pendant la période de transition (90 % en 2018 et 80 % en Plusieurs Régions sont déjà engagées 2019). La Région finance les plateformes numériques, les dans de telles « politiques régionales formations, les écoles régionales numériques et les « fablab », de l'économie » qui vont au-delà du SRDEII dans sa définition législative les communautés et mairies mettant des locaux à disposition. actuelle, comme l'Occitanie, la Bretagne, les Hauts de France avec « Rev 3 »68. Cinq ans après l'adoption de la loi NOTRe, un bilan de ces démarches et de la façon dont les Régions ont pris en main cette compétence devrait être tiré, en lien avec notamment les intercommunalités et aussi en regard des politiques et règles européennes. En Occitanie, une politique de différenciation territoriale 1.3.2. Des stratégies économiques métropolitaines et intercommunales Les EPCI, communautés d'agglomération et communauté de communes, se sont vu attribuer la compétence exclusive en matière d'aides à l'immobilier d'entreprise, alors qu'ils étaient dans des situations de départ très diverses sur ce thème. De nombreux EPCI ont eu pour enjeu principal, dans la période, de se positionner face à des communes qui étaient historiquement seules décisionnaires sur les questions d'implantation des entreprises ; les communautés de communes se sont inscrites dans de nouveaux périmètres ; et même lorsque des périmètres de travail existaient, comme dans le cas de périmètres de SCoT, les enjeux économiques avaient souvent été peu travaillés dans ce cadre. Pour les Métropoles, l'affirmation du rôle de la Région a pu avoir une incidence sur les politiques d'attractivité développées antérieurement à la loi MAPTAM de façon puissante et relativement cohérentes. Elles ont toutefois été traitées, dans les dispositions relatives aux SRDEII, selon un statut 66 Intervention lors du congrès des maires, 28 novembre 2018. En complément, dans le Grand Est, un « pacte offensif croissance-emploi », support de contractualisation sur des actions, des équipements, et des appuis en ingénierie, a été passé entre la Région et les territoires (EPCI, PETR). Cf infra § 2.2. Cf infra § 3.1. 67 68 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 28/170 PUBLIÉ qui reconnaît leur action, et ont souvent maintenu leurs liens avec les échelons nationaux de la politique d'attractivité, singulièrement l'opérateur Business France. Certaines Régions se sont d'ailleurs appuyées sur les schémas économiques métropolitains pour penser leur SRDEII, ce qui a pu dans un premier temps conforter le tropisme métropolitain au détriment de l'émergence d'un fait territorial économique régional. Dans d'autres cas, un processus pragmatique de recherche de synergies a été tenté, comme entre la Métropole de Grenoble et la Région d'Auvergne Rhône-Alpes. La Métropole de Grenoble dans une « approche souple et apaisée » du dialogue avec la Région Selon Christophe Ferrari, président de Grenoble Alpes Métropole 38, celle-ci n'a pas réalisé de schéma de développement propre, le sien ayant été intégré directement comme un élément du SRDEII. La Métropole a privilégié un mode coopératif, simple et agile, de type « contrats de réciprocité » et conventions de partenariat, afin de construire « un couple de force » avec la Région. En retour, la Région a décliné son Agence de développement dans des antennes territoriales :ce sont ainsi les équipes de la Métropole qui pilotent l'Agence régionale au niveau de l'Isère et travaillent au service de l'ensemble de ce département. Si la mue d'une stratégie limitée au développement d'une offre foncière vers une stratégie économique globale n'est pas achevée, la maturation est généralement avancée dans les métropoles, comme le montre l'exemple de Toulouse. La Métropole de Toulouse vers une stratégie économique globale La Métropole a senti le besoin de passer d'une logique d'« offre économique » à une logique de « projet économique » : cela se traduit par la mise en place d'une stratégie à l'échelle métropolitaine sous la forme d'un « schéma de développement économique, d'innovation et de rayonnement métropolitain », dont la mise en oeuvre fait l'objet d'un suivi annuel. Si l'approche économique est plus modeste à une échelle élargie, notamment avec les espaces périurbains connexes, les dispositifs de coopération inter-territoriale pourraient fournir l'occasion de développer progressivement cette thématique. Le sujet du devenir des ZA est abordé et traité dans le cadre de la stratégie globale, même s''il n'y a pas ici de phénomène massif d'obsolescence. Un plan d'action pluriannuel et un budget sont définis pour assurer la prévention des risques de « vieillissement » et susciter la densification des zones, avec des opérations qui permettent de tester de nouveaux modèles économiques (comme celle de Garossos évoquée ci-après). En revanche, si la plupart des communautés d'agglomération et de communes ont lancé, parfois avec l'aide d'agences d'urbanisme, un recensement des zones d'activité économique anciennement communales, la définition d'une stratégie économique globale demeure encore souvent limitée. Avec l'EPCI de Dinan, l'illustration d' « une coopération fluide et des objectifs communs avec la Région » En Bretagne où le fait intercommunal est ancré de longue date, la coopération avec la Région s'appuie sur un ethos commun et une absence de logique concurrentielle. Les 59 EPCI ont été associés à l'élaboration du SRDEII et du SRADDET, la Région prend en charge le financement des postes de développement économique des communautés d'agglomération qui n'ont pas les moyens de le faire. Les communautés ont monté ensuite leur propre schéma de développement économique : celui de Dinan a été l'occasion d'un travail approfondi avec le monde économique en vue de reconfigurer les zones d'activité pour parvenir à des zones significativement moins consommatrices d'espace conformément aux prescriptions du SCoT. Il a également conduit à la mutualisation de fonctions support dans les 42 zones d'activité existantes regroupant 800 entreprises. Le « schéma de développement économique » de Dinan porte ainsi une approche économe en foncier, en lien avec l`écriture du PLUi dont l'adoption est prévue en fin d'année 2019. Aussi la mission propose-t-elle, en miroir de ce qui est proposé pour le niveau régional, que chaque EPCI établisse une « politique locale de l'économie »69, qui intègre les aspects immobiliers et fonciers dans un document stratégique, inspiré des anciens « schémas économiques d'agglomération ». Dans leur contenu, ces documents doivent reposer sur une vision territorialisée, une approche globale intégrée avec celle de la transition écologique, et une articulation avec des instruments opérationnels permettant la mise en oeuvre de la stratégie portée. 69 La loi NOTRe avait inscrit de cette façon la « politique locale du commerce ». Mutations économiques et développement des territoires Page 29/170 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ Recommandation 3. Réaliser une évaluation des SRDEII et de l'action économique régionale, prescrire au vu de ce bilan l'établissement par les Régions d'une « stratégie économique régionale territorialisée » en complétant la définition des SRDEII donnée par la loi NOTRe, et prescrire en parallèle celui d'une stratégie intercommunale par les EPCI, sous forme d'une « politique locale de l'économie » (MCTRCT, MEF). 1.3.3. Des moyens d'observation et de compréhension pour mieux anticiper 70 La bonne mesure des gains à attendre de la mise en oeuvre des transitions, la connaissance fine des situations et des mécanismes en jeu sur les territoires ainsi que des impacts croisés des politiques de développement économique supposent une montée en puissance des moyens qui leur sont accordés. Ainsi, améliorer la connaissance en termes d'observation, de recherche 71 et de prospective est un impératif afin de mieux saisir les enjeux et anticiper, sans s'en tenir aux seuls périmètres institutionnels existants. Les outils d'analyse statistique sont à améliorer pour permettre une meilleure appréhension des emplois industriels et le lien entre économie productive et économie des services, la définition et la promotion de nouveaux indicateurs de développement (« santé sociale », « bien être »...), l'alimentation des observatoires territoriaux (qui doivent être soutenus et généralisés). Des études et recherches sont à poursuivre matière d'économie territoriale, par exemple, des travaux visant à mieux mesurer les échanges entre entreprises et territoires, à évaluer les externalités négatives des regroupements de services publics ou privés au nom de la rationalisation, les externalités positives liées à la transformation écologique, et à construire des indicateurs de mixité fonctionnelle. Des outils de prospective et d'anticipation des mutations et reconversions sont à mettre en place pour identifier les territoires fragilisés par les différentes transitions, pour améliorer la connaissance de leurs impacts positifs ou négatifs et de leur déclinaison territoriale, pour appréhender l'évolution des métiers, les besoins de formation et d'intermédiation professionnelle. Un exercice prospectif national est à lancer pour construire le projet de territoire français et pour alimenter le récit national de la transition écologique, avec la possibilité de déclinaisons territoriales et, inversement la prise en compte des études prospectives préexistantes dans certains territoires, notamment en vue de l'adaptation aux effets du changement climatique 72. Des travaux de capitalisation des bonnes pratiques et des innovations territoriales sont à poursuivre, comme celui mené dans le cadre du laboratoire de l'ESS, qui a lancé un vaste exercice autour de l'identification des dynamiques collectives territoriales. La « 27 Région », association qui suit les innovations sur les territoires, citée par plusieurs interlocuteurs, apparaît aussi comme une initiative intéressante à soutenir au titre des actions de veille. Les pratiques européennes comme les différents livres blancs rédigés par la Commission européenne sont des éléments à prendre en compte. 70 L'annexe 4.1 fait le point sur certains travaux de recherche utiles dans le cadre de la mission, ouvrant des pistes de travaux complémentaires. Cf infra § 3.1.2. et 3.1.3. Par exemple, selon l'Ademe, la Région Occitanie et la Région Haut-de-France, et pour cette dernière, son volet sur l'emploi, la métropole de Nice sur la question de la prévention du risque d'inondation. 71 72 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 30/170 PUBLIÉ Suggestion. Généraliser les outils d'observation économique des territoires, poursuivre des études et des recherches sur la relation entre entreprise et territoire, construire des indicateurs de mixité fonctionnelle, développer les travaux de prospective, notamment ceux visant à anticiper les enjeux territoriaux de la transition écologique, et les replacer dans un cadre de réflexion européen (MCTRCT, MTES, MEF). 1.4. Développer des projets de territoire et des documents de planification mobilisateurs 1.4.1. Des projets de territoires intégrés et rassembleurs Une stratégie économique n'a d'efficacité que si elle s'inscrit dans une stratégie d'ensemble, intégrant le logement, l'environnement et le cadre de vie, les transports et toutes les aménités urbaines ou territoriales. Cette approche est celle du « projet de territoire », un concept utilisé par de nombreux acteurs, dont il apparaît nécessaire de préciser ici les « fondamentaux », en évitant la confusion avec ce que l'on pourrait appeler un « projet territorialisé » qui évoque une action ou réalisation (souvent de nature économique) qui se veut inscrite dans un territoire. Un projet de territoire doit englober un périmètre cohérent en termes de stratégie économique : l'échelle d'une métropole ou d'une intercommunalité ou encore d'un regroupement plus large tel un « pays » ou un PETR, un bassin industriel, comme un « territoire d'industrie », un bassin d'emplois... Tels sont les ingrédients d'une méthodologie rigoureuse. Les fondamentaux d'un projet de territoire73 Un territoire pertinent : un espace géographique pourvu d'une cohérence et d'une identité, dans lequel un système d'acteurs interagit de façon plus ou moins coopérative. Un diagnostic partagé : un exercice collectif de mise en évidence des facteurs les plus spécifiques, montrant qu'il n'y a pas de « territoires désespérés » ni de territoires systématiquement « gagnants ». Une vision stratégique : l'expression d'une ambition, et l'énoncé d'objectifs, avec un dispositif de communication clair et cohérent. Des méthodes et des moyens : en s'appuyant sur les enseignements d'expériences antérieures, sur les résultats issus de dispositifs déjà mis en oeuvre ou des dynamiques en cours. Une trajectoire traduite dans un plan d'action : lequel suppose une organisation entre acteurs et un calendrier qui donne une perspective et indique des étapes. Une gouvernance : un pilotage politique, une conduite de projet, un dispositif d'évaluation Une coopération inter-territoriale : pas de démarche de développement durable sans dialogue territorial et coopération avec les territoires voisins ou partenaires. Une démarche partagée, formalisée et opérationnelle Le projet de territoire vise à la mise en mouvement de l'ensemble des acteurs du territoire, notamment ceux de la sphère économique et de la société civile qui contribuent à son développement. Un projet qui ne serait pas une référence commune ni un outil opérationnel ne serait que de peu d'intérêt. À l'inverse, une réelle dynamique d'acteurs sans projet formalisé peut révéler une carence qui risque tôt ou tard de gêner le processus de développement. Ainsi, l'absence d'un projet de territoire formalisé couvrant la vallée de l'Arve (visitée par la mission) suggère un manque 73 Cf. présentation complète en annexe 4.4. Mutations économiques et développement des territoires Page 31/170 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ de stratégie commune des trois intercommunalités de la vallée à l'égard des enjeux d'environnement ou de mobilité... Selon l'Association nationale des pôles et des pays (ANPP), le projet de territoire est la base essentielle d'une bonne gouvernance, mais il porte aussi une dimension de long terme à 20 ou 30 ans. Il doit être un élément structurant de la prochaine phase de rationalisation de la carte des intercommunalités, en préparant soit l'adaptation des périmètres, soit la consolidation des coopérations inter-territoriales. À cet égard, les « pôles métropolitains », tout comme les « pôles d'équilibre territorial et rural », ou autres « grands territoires », sont à doter de projets, en travaillant particulièrement les cohérences entre entités administratives et leurs continuités géographiques. De telles initiatives se sont structurées ces dernières années, au point que des territoires de projet de type SCoT ont muté vers des exercices plus vastes, tel le cas du « pôle métropolitain » de Brest. La transition écologique au coeur de projets créateurs de valeur La transition écologique doit être appréhendée aux échelles territoriales qui permettent de gérer ses interfaces avec les autres grandes mutations74. Avec son « récit », elle est au coeur de tout projet de territoire. Comme l'affirme un expert et praticien, il faut une méthode pour développer le projet, En Ardèche, une démarche de projet de territoire initiée par le Département Candidat à l'élaboration d'un Contrat de transition écologique (CTE), le Département de l'Ardèche s'est engagé dans une démarche de projet en s'inscrivant dans une perspective à 30 ans : - démarche ascendante mobilisant les EPCI (tous sauf 2) et les acteurs privés, y compris ceux de la filière agricole très forte dans ce département, - recherche d'innovation grâce à l'utilisation de la « méthode CTE » qui part de l'identification des acteurs les plus dynamiques et des idées mobilisatrices, - recherche d'exemplarité, en commençant par la modification en profondeur des politiques publiques (un plan mobilité incluant désormais la totalité des modes, révision des politiques sociales dans une approche de services à apporter aux bénéficiaires...) placer l'humain en son centre, faire la synthèse entre monde urbain et monde rural, intégrer court terme et long terme, conjuguer vision et action, ingénierie de la connaissance et de la transformation. Les projets de territoire projettent des dynamiques de long terme créatrices de valeur, incluant les principes de durabilité et de résilience, de sobriété et de gestion économe des ressources. Comme l'affirment les responsables du laboratoire de l'ESS, ces dynamiques collectives sont indispensables à la mise en oeuvre d'une mutation profonde du pays, économique, sociale, culturelle et écologique. Dans le même esprit, on peut estimer, avec les experts de l'Institut de l'économie circulaire (IEC), que les notions de développement territorial et de projet de territoire se rejoignent pour appeler la mise en cohérence des acteurs d'un territoire autour d'objectifs communs de développement durable. Suggestion. Encourager l'établissement de projets de territoire intégrés, opérationnels, s'appuyant sur les atouts du territoire et mobilisant l'ensemble des acteurs, selon une démarche partagée et structurée autour de la conversion écologique et de son « récit » local (MCTRCT). 1.4.2. Des projets de territoire aux bonnes échelles Tous les « territoires » ont besoin d'une « mise en projet », de l'échelle du quartier jusqu'au niveau national, voire européen. Au plan régional, la constitution de grandes régions aux compétences 74 Cf supra §1.2. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 32/170 PUBLIÉ élargies est un moment clef pour la constitution d'un projet. À titre illustratif, la démarche Rev3 engagée par l'ancienne région Nord-Pas-de-Calais en matière de transition énergétique est constitutive d'une démarche de projet qui se confirme avec l'élargissement du sujet à la transition écologique et la poursuite de l'exercice à l'échelle de la Région des Hauts-de-France 75. Dans le cadre de la fusion, un travail est engagé par la nouvelle Région Normandie pour donner au territoire « la fierté et l'envie » de faire ensemble en matière économique, en intégrant les objectifs de développement durable, avec l'association des collectivités locales, des entrepreneurs et leurs réseaux, des associations, des filières, de l'État et de ses opérateurs, des chambres consulaires et des organisations professionnelles. Un « projet de territoire France » à établir conjointement Depuis les lois NOTRe et MAPTAM, les grands exercices d'aménagement du territoire menés par la Ce pays confédéral est particulièrement marqué par la coexistence DATAR n'ont plus court. Le dernier d'entités géographiques ou géopolitiques autonomes et travail en date, la réflexion contrastées , tout en pratiquant une recherche patiente mais efficace de vision commune : un document d'orientation établi au prospective « Territoires 2040 » a niveau fédéral, le « projet de territoire suisse », est un document inspiré et alimenté de nombreuses stratégique offrant une vision du modèle de développement que démarches prospectives territoriasouhaite le pays, élaboré conjointement, dans l'esprit du les mais s'est terminé sans suite au « consensus suisse », et devenu une référence partagée par les niveau national. Or, si on se réfère cantons et l'ensemble des parties prenantes. Ce projet sert de cadre à nos voisins européens, on pour asseoir les grandes politiques fédérales (notamment, la s'aperçoit que plus le pays est maîtrise de la consommation d'espace), la péréquation financière et décentralisé, plus il est utile de l'intervention coordonnée de toutes les parties prenantes. disposer d'un cadre de référence L'ensemble des documents relevant de la compétence des cantons et d'orientations, à condition que (ou de niveau inférieur) y fait référence. Il porte aussi la façon dont celui-ci soit élaboré conjointela Suisse se positionne au sein des grandes politiques européennes. ment, de façon à pouvoir susciter l'adhésion à tous les niveaux de responsabilité, comme le montre l'exemple souvent cité de l'Allemagne ou celui de la Suisse, dont les démarches sont présentées en annexe 6.1 et 6.2. Le « projet de territoire suisse », une référence partagée À l'heure où les enjeux de cohésion territoriale et sociale nécessitent une vision partagée et une mise en cohérence des responsabilités de tous les acteurs et des moyens de l'action publique à tous niveaux, il serait particulièrement opportun d'établir un document d'orientation à l'échelle de l'ensemble du territoire français76. L'exercice devrait impliquer tous les niveaux de responsabilité territoriale, selon une démarche de travail conjointe, particulièrement avec les Régions, qui pourront apporter les visions stratégiques territoriales qu'elles initient 77. Il permettrait aux territoires, à différentes échelles et quelle que soit leur situation, d'assumer des évolutions soit contraintes soit voulues, dans un cadre de la discussion avec l'État. L'établissement de ce projet devrait faire l'objet d'un portage interministériel, enjeu difficile tant la prise en compte des réalités territoriales est variable selon les ministères. On notera aussi, à l'échelle de l'Union européenne qui n'a pourtant pas de compétence juridique marquée dans ce domaine, l'existence d'un « agenda urbain » qui inspire des programmes de coopération décentralisée comme Urbact, et oriente l'affection des fonds structurels relevant de la politique de cohésion : ainsi l'Europe a-t-elle aussi une forme de projet territorial de référence. 75 Cf infra § 3.2. et encadré. A l'image des exercices réalisés par nos voisins, ce document devrait énoncer des principes en matière d'armature urbaine et de fonction attribuée à chacun des niveaux urbains, ainsi que le relèvent notamment les missions du CGEDD consacrées aux villes moyennes. Notamment à travers l'élaboration en cours des SRADDET dont on observe qu'ils vont dans le sens de « faire Région », cf infra § 1.4.3. Mutations économiques et développement des territoires Page 33/170 76 77 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ Le projet de territoire national doit se fonder sur la transition écologique, moteur de la transformation économique des territoires, s'articuler avec le « récit » de la transition et en exprimer un mode de déclinaison, en lien avec le positionnement de la France en Europe et vis-à-vis des ODD. Comme plusieurs interlocuteurs rencontrés par la mission le recommandent, l'usage d'une approche « écosystémique » territoriale sera adapté pour construire un « bien commun »78 en mobilisant les acteurs, en soutenant leurs coopérations, en appuyant leurs démarches collectives, sans perdre de vue que les effets s'apprécient sur une longue période79. Recommandation 4. Établir conjointement (État, Régions, autres collectivités, acteurs économiques, société civile) un « projet de territoire France » énonçant une vision globale et territorialisée, des principes d'armature urbaine et d'alliance intégrant les territoires fragiles, ainsi que des orientations nationales et interministérielles d'aménagement et de développement fondées sur la trajectoire de la transition écologique (MCTRCT, MTES...) Par son contenu, sa méthode d'élaboration et sa mise en oeuvre, faisant davantage travailler ensemble les acteurs de l'aménagement et ceux du développement économique, ce projet de territoire peut constituer le premier acte d'une nouvelle politique territoriale de l'État, qui, en jouant le jeu de la décentralisation, a pu jusqu'ici sembler renoncer à porter une vision en même temps qu'il se dessaisissait de ses moyens d'intervention. Repenser la cohésion des territoires à l'heure de la transition écologique suppose d'oeuvrer pour activer le recyclage foncier en veillant à une insertion et une répartition harmonieuse des activités économiques dans les villes et les territoires. Aussi pourrait-il être envisagé à moyen terme la préparation d'un document d'orientation, éventuellement législatif, pour préserver et renforcer la mixité urbaine et territoriale. Cet exercice pourrait s'appuyer sur une première évaluation de la loi Solidarité et renouvellement urbain (SRU), à l'approche de l'échéance de 2025 figurant à l'article 55. Il est toutefois entendu que le sujet n'est pas limité à la composante sociale de cette mixité (et au seul levier d'une meilleure répartition du logement aidé sur le territoire), mais doit prendre en compte l'ensemble des fonctions économiques et des « communs », générateurs de valeur territoriale. La construction d'indicateurs de mixité fonctionnelle pourrait constituer une première étape. 1.4.3. Des outils de planification cohérents, intégrant mieux les enjeux économiques Dans les documents d'urbanisme, la thématique économique s'est souvent limitée à la définition de zones réservées à l'implantation d'activités, selon une approche fonctionnelle de l'urbanisme aujourd'hui assez largement remise en cause. Aussi, même si le « développement économique » est formellement listé dans la législation (des SCoT et des PLU) en tant qu'enjeu de la planification, l'accent semble avoir été mis ces dernières années plutôt sur son caractère défensif au service d'autres thématiques, la préservation de l'environnement et de la biodiversité par exemple, ce qui a pu faire manquer d'une certaine vision globale. Lors de l'élaboration des documents, les acteurs économiques sont trop souvent peu impliqués dans les discussions portant sur la planification, celle-ci restant l'apanage de spécialistes au sein des collectivités (services municipaux en charge de l'urbanisme, établissements publics de SCoT et, dans la période récente, services élaborant le SRADDET régional...). En dépit de l'association de certaines 78 Selon le terme de Dorothée Kohler Plutôt que de se référer aux notions de « ruissellement » et de « diffusion », qui évoquent un sens unique, il est préférable de se fonder sur celles « d'interactions locales » et « d'alliances », comme l'indique Ch.-B. Heidsieck, président du Rameau, dans le référentiel sur la co-construction territoriale paru en 2018. Cf. aussi annexe 4.1. 79 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 34/170 PUBLIÉ CCI, ou de démarches portées par des agences d'urbanisme pour analyser les besoins fonciers nécessaires au développement économique ou commercial, les acteurs économiques sont tout au plus consultés pour la construction des orientations stratégiques et du contenu de ces documents. Or la planification dans sa dimension économique doit se nourrir de données actualisées de toute nature et compenser le « temps long » de ses processus par une ouverture et une connaissance très à jour des tendances économiques et des besoins des entreprises. L'évolution du travail, des lieux de travail, nécessite aussi une démarche de conception urbaine et territoriale beaucoup plus fine que par le passé80. Enfin, la représentation légitime des acteurs économiques (organisations professionnelles, entreprises volontaires, clusters ou autres groupements......) est aussi un sujet. La démarche « Planifier ensemble » que vient d'engager la DGALN s'avère donc bienvenue pour approfondir ces questions et progresser dans l'implication de l'ensemble des acteurs. Des schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d' 'égalité des territoires (SRADDET) plus stratégiques Le développement économique n'est pas mentionné dans le texte constitutif (article L4251-1 du CGCT) de ces nouveaux schémas : il constitue Le SRADDET Grand Est cible les entreprises en effet l'objet spécifique d'un autre schéma celui « de développement Le futur SRADDET Grand Est comporte deux « règles » régional, économique, d'internationalisation et ciblant les entreprises : une demandant, par d'innovation » (SRDEII)81. On peut considérer l'intermédiaire des Plans de déplacements urbains (PDU), d'impulser une dynamique de plans de que la « politique régionale de l'économie » déplacements d'entreprises (ou d'administration) ; une préconisée au § 1.3.1 doit être portée par ces autre, prescrivant que les Plans climat air énergie schémas, moyennant l'élargissement de leur territoriaux (PCAET) permettent de travailler avec les contenu. Il y a un enjeu de bonne articulation entreprises à leur efficacité énergétique. La plupart des à trouver entre cette « politique régionale » autres projets de schémas comportent aussi des de l'économie et l'ensemble des « politiques spécificités concernant les enjeux économiques. locales » à travers l'emboîtement des documents de planification et d'urbanisme. Cela implique la reprise au sein du SRADDET, « schéma intégrateur », de cette politique et de son inscription territoriale. Le texte fondateur a prévu une possibilité pour traiter le lien entre les deux schémas 82 . Le SRADDET pourrait donc, dans sa logique intégratrice, remplacer le SRDEII, à condition de reprendre sa méthodologie d'élaboration et ses contenus83. C'est une alternative à l'option de conserver deux schémas tout en assurant une meilleure articulation entre eux. Au vu des constats pouvant d'ores-et-déjà être dressés, la première génération des SRADDET ne s'appuie guère sur les SRDEII 84, outils eux-mêmes de première génération et peu propices à des débouchés territoriaux. La phase actuelle de consultation des collectivités infra-régionales a fait ressortir cependant que la délicate problématique du foncier d'activité et de logistique est très sensible aux enjeux d'équilibre territorial et de gestion économe de l'espace traités par les nouveaux schémas, ainsi que par les choix opérés par les Régions en matière d'aides aux entreprises. 80 Cf infra § 2.3. Les SRDEII visent à décliner sur le territoire national le développement des filières jugées les plus stratégiques pour la France, ainsi qu'à définir le régime régional d'aide aux entreprises (en lien avec les fonds européens). « Le SRADDET peut fixer des objectifs dans tout autre domaine contribuant à l'aménagement du territoire lorsque la région détient (......) une compétence exclusive de planification, de programmation ou d'orientation et que le conseil régional décide de l'exercer dans le cadre de ce schéma (......) Dans ce cas, le schéma tient lieu de document sectoriel ». L'intégration prévue par les textes fonctionne alors davantage dans une logique de simplification administrative (le schéma intégrateur remplace les autres) que dans une logique d'articulation. Avec quelques bons exemples toutefois, comme celui de la Bretagne. Mutations économiques et développement des territoires Page 35/170 81 82 83 84 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ La question économique est donc « sur la table », même s'il est trop tôt pour dire si ces premiers SRADDET seront finalement porteurs de réelles orientations et dispositions planificatrices ou resteront plutôt des documents exprimant une vision de l'espace et des politiques régionales 85. Cette seconde hypothèse constitue d'ailleurs déjà un réel intérêt au moment où les Régions, notamment celles issues de fusions, ont à construire leur identité : le premier SRADDET aide à « faire région ». Chaque projet de schéma présente des aspects intéressants sur le plan économique (comme le montrent les exemples cités, et aussi l'insistance des Régions à s'emparer du thème de la logistique). Il convient donc d'aboutir à ce que tous les SRADDET intègrent, dès leur prochaine génération, les enjeux d'une « politique régionale de l'économie » grâce un mode d'articulation avec les SRDEII, soit en les prenant mieux en compte, soit en les faisant entrer dans la logique du schéma intégrateur 86. Des schémas de cohésion territoriale (SCoT) intégrant mieux les enjeux économiques Ces documents ont historiquement traité en priorité des questions de lutte contre l'étalement ou de mobilité, ne s'intéressant que plus tardivement à l'économie 87. Or, le SCoT recouvre souvent un périmètre économique pertinent, à l'échelle du bassin d'emploi et du territoire fonctionnel. Le SCOT de Tours (400 000 habitants) a intégré dans sa stratégie territoriale plusieurs thématiques économiques structurantes, comme une localisation préférentielle des implantations énergétiques sur le territoire (avec une déclinaison au sein des intercommunalités) ou un traitement des emplois restant non pourvus (et leur accompagnement par le monde économique). Des indicateurs annuels et des outils de suivi sont prévus, complétés par de nouveaux instruments de gouvernance, notamment une conférence des acteurs commerciaux. Le SCoT des Vosges centrales (101 communes autour d 'Épinal) a construit son modèle d'attractivité sur l'autonomie énergétique à échéance 2050. Selon une forte volonté de rationaliser le foncier (500 ha fermés à l'urbanisation, reconquête des friches industrielles et urbaines...), le schéma lie objectifs économiques et transition énergétique, en s'appuyant sur les perspectives de développement et les moyens offerts par la filière bois. Si le SCoT énonce la stratégie d'ensemble, sa traduction opérationnelle relève des intercommunalités, par exemple la « SEM Énergies renouvelables », prévue au document qui met en oeuvre le volet biomasse porté par l'agglomération d'Épinal. L'outil est ainsi particulièrement bien positionné pour aborder ces enjeux. Afin de prendre en compte néanmoins la critique récurrente portant sur la lourdeur de ce document, il convient de le recentrer sur les dimensions stratégiques essentielles, dont le développement économique durable. L'amélioration de l'intégration des sujets économiques pourrait, selon les propositions de la fédération des SCoT et les récentes réflexions du CGEDD 88, se faire dans le cadre d'une évolution du SCoT prenant la forme d'un « projet d'aménagement stratégique » organisé autour d'un socle ramassé (armature urbaine, mobilité, maîtrise foncière, développement économique et transition écologique) complété d'un traitement différencié selon l'acuité des questions sur le territoire. Ainsi que le montrent divers exemples comme celui du SCoT de Tours ou des Vosges centrales, les dispositions en vigueur n'empêchent pas d'aller dans ce sens et de prendre en compte pleinement les enjeux économiques en lien avec la transition écologique : le PADD porte le diagnostic et les enjeux des différentes politiques sectorielles, au sein desquelles la politique économique est affirmée, et le DOO développe les priorités, à caractère prescriptif, permettant de rendre possible la réalisation de 85 Dans certaines régions les « inter-SCoT » ont contribué activement à la définition du contenu du SRADDET. Ceci nécessite une approche concertée entre la DGCL, la DGALN et la DGE du ministère de l'économie et des finances, afin que ces éléments soient repris à la fois dans les termes de référence des bilans qui seront réalisés sur la mise en oeuvre de ces schémas, puis au sein des dispositions réglementaires et « doctrines » d'élaboration. Mentionnés dans les textes (Art. L122-1 du code l'urbanisme alinéas 1, 2 et 4). Quelles évolutions pour les schémas de cohérence territoriale ? Rapport CGEDD n° 010656-01 établi par François DUVAL, Philippe ISELIN et Ruth MARQUES (coordonnatrice), avril 2017. 86 87 88 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 36/170 PUBLIÉ ces politiques, en lien avec les stratégies nationales et régionales. Comme les pratiques restent très inégales et diversifiées, il est suggéré, s'agissant des questions touchant au développement économique durable, que : · · · la démarche « Planifier ensemble » établisse un bilan des bonnes démarches de SCoT, la « doctrine » soit affirmée, comme elle l'a été récemment en matière de commerce, les textes législatifs (L 122 et L 141-1) soient ajustés pour que le développement économique durable soit effectivement un pilier essentiel dans tous les SCoT. Des plans locaux d'urbanisme communaux ou intercommunaux (PLU ou PLUi) développant une approche plus fine de la place des activités dans le tissu urbain Les PLU et PLU intercommunaux jouent un rôle décisif pour inscrire le projet de développement économique dans le projet de territoire global. Ils donnent les lignes directrices qui facilitent les arbitrages entre usages des sols ; et aussi, pour le PLUi, les arbitrages entre territoires d'implantation communale. Il s'avère, à l'occasion de la discussion sur les PLUi engagée au sein des EPCI, que les PLUi sont de plus en plus porteurs des règles qui garantiront la qualité des projets et leur inscription effective dans le projet de territoire de l'EPCI. La « politique locale de l'économie »89 énoncée par l'EPCI devra ainsi être intégrée dans le projet global porté par le PLU(i), permettant que celui-ci prenne en compte de façon systématique les enjeux économiques, et que ces enjeux soient bien articulés avec les autres thématiques constitutives du document, la gestion économe des espaces en particulier. Les éléments actuellement prévus dans le cadre législatif (L.151-4 à 8 du code de l'urbanisme) et réglementaire concernent le diagnostic (établi « au regard des prévisions économiques » et des « besoins ») et le PADD (qui « arrête les orientations générales » concernant « le développement économique ») ; les autres pièces (les OAP ou le règlement) traitent souvent le sujet sous l'angle commercial ; de fait, encore peu de plans présentent un cadre articulé et opérationnel sur l'ensemble du thème90. Le premier thème majeur est la nécessité Dans le PLU de Torreilles (Occitanie), un exemple d'une approche plus fine de la place des d'intégration plus fine des enjeux économiques activités dans le tissu urbain, compte tenu de Les OAP aménagement de ce PLU fournissent, parmi l'évolution déjà évoquée des modes et lieux de beaucoup d'autres cas, un exemple de prise en compte travail. Le second sujet porte sur le devenir du des enjeux de développement économique et modèle des zones d'activités économiques, au notamment commercial. Le PLU cible la valorisation du regard des enjeux de consommation d'espace, coeur de village (avec une réorganisation fine de d'atteinte à la qualité des paysages, l'espace), couplée à un travail sur les entrées de ville d'inadéquation aux besoins différenciés des (reconfiguration privilégiant les modes de déplacement entreprises et d'affaiblissement des centralités « actifs »...), à l'aide d'OAP sectorisées favorisant la urbaines au profit des périphéries. Pour l'un piétonisation et la restructuration des espaces pour comme pour l'autre sujet, les outils du PLU améliorer l'accès aux commerces. que sont les OAP, les zonages et les règlements doivent être « travaillés » pour faciliter la mixité fonctionnelle dans la ville, tout en donnant des vocations différenciées aux quartiers ou secteurs ; à titre d'exemple, la collectivité peut limiter la construction pour certaines activités, ou bien proposer une offre foncière en tissu urbain complémentaire à l'offre en zone d'activité pour diversifier et mieux répondre aux besoins, ou encore revitaliser les centralités. Une mise en cohérence entre les niveaux de planification 89 Proposée supra au § 2.4. Source : entretiens et recherches de la mission, complétée par la fiche méthodologique DGALN, Club PLUi : L'intégration des enjeux économique au sein du PLUi. Mutations économiques et développement des territoires Page 37/170 90 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ Une meilleure organisation du « dialogue » entre les différents niveaux de planification doit également être recherchée. En Allemagne, la théorie des « flux croisés » entre ces niveaux produit des résultats intéressants, cette notion permettant une prise en compte itérative des différents niveaux sans être bloquée par un modèle de conformité « descendant » (ni d'ailleurs « ascendant »). Cette approche suppose que les collectivités de différents niveaux soient à même d 'échanger leurs visions portant sur un seul et même territoire. En France la phase d'élaboration des schémas régionaux a buté sur la mise en oeuvre de ce principe 91 : dans un souci de respect des compétences traditionnelles, et de « non-tutelle » d'une collectivité sur une autre, beaucoup des exécutifs régionaux ont renoncé à une analyse territoriale fine leur permettant d'émettre des prescriptions cartographiées à l'échelle locale, se privant ainsi d'une part des possibilités que leur offrait la loi 92. Dans le cas de la région Occitanie, on a vu que le diagnostic régional, construit en parallèle de la démarche SRADDET, met en relief des situations très contrastées entre les territoires métropolitains et les autres. La Région a donc été conduite à appliquer un taux différencié des aides à l'innovation (édictées dans le SRDEII) suivant l'appartenance des territoires à telle ou telle catégorie. Pour d'autres régions, l'édiction de règles générales à portée normative 93 sur le foncier (imposant par exemple à chaque territoire de SCOT de réduire de moitié sa consommation foncière en Grand Est, PACA, Normandie) a suscité de fortes craintes quant à de possibles effets pervers : pas de prise en compte des efforts déjà réalisés par certains SCoT, besoins de développement contrastés selon les territoires... Ceci a pu provoquer des blocages au moment des consultations officielles préalables à l'adoption du schéma, avec le risque d'aboutir finalement à une perte de substance de la démarche de planification. On peut également recommander de s'inspirer de la théorie des « flux croisés » pour ce qui est des relations entre SCoT et PLU(i). Si elle est partagée, la construction d'une vision des territoires par le niveau supérieur conduira alors à des prescriptions plus ajustées du document de planification, ainsi qu'une meilleure cohérence entre celui-ci et les documents inférieurs. Recommandation 5. Ajuster les dispositions réglementaires définissant les SRADDET, après évaluation concertée de la première génération de ces schémas, afin de mieux y intégrer les enjeux économiques, et préciser la doctrine pour l'articulation de l'ensemble SRADDET, SCoT, revus dans un sens plus stratégique, et PLU(i), incités à porter une approche territoriale plus fine de l'économie. (MCTRCT). 91 L'article définissant le SRADDET (L4251-1 du CGCT) a ainsi prévu (alinea 8) que « les « règles générales peuvent varier entre les différentes grandes parties du territoire régional [...] », de même qu'il a prévu une « carte synthétique indicative » (illustrant les objectifs du schéma). Plusieurs SRADDET proposent toutefois un travail avec une analyse infra territoriale : PACA, avec deux logiques de territorialisation (géographique et catégorielle), Centre-Val de Loire avec la définition de coopérations spatialisées, et Normandie avec une territorialisation fine (système métropolitain, maillage des villes moyennes). En effet les SRADDET sont aussi porteurs de « règles » à valeur juridique et donc d'application stricte (et en l'absence de précision, indifférenciée sur le territoire régional) qui contraignent les SCoT ; alors que par ailleurs, les documents d'urbanisme, qui édictent des règles d'application, ne portent pas toujours la même ambition. 92 93 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 38/170 PUBLIÉ 2. Faciliter le recyclage des territoires et des espaces économiques dans le cadre de visions stratégiques 2.1. Renforcer la résilience des bassins industriels et des territoires fragilisés 2.1.1. La désindustrialisation et l'évolution de l'emploi industriel Entre désindustrialisation massive et rebond potentiel, le devenir des bassins industriels est une question majeure de requalification et de recyclage économique, d'autant qu'il s'agit souvent de territoires périphériques voire ruraux, pour lesquels les alternatives de développement ne sont pas évidentes. Depuis les années 1970, de profonds bouleversements de l'industrie et de son inscription territoriale La France a connu depuis la crise des années 1970 une remise en cause radicale de sa structure industrielle. Et comme pour la plupart des pays européens, à l'exception notable de l'Allemagne, le phénomène de désindustrialisation rapide et massive s'est poursuivi au cours des vingt dernières années94. La part de l'industrie manufacturière dans la valeur ajoutée est passée de 16,6 % en 1995 à 11,4 % en 2017 ; le poids de la France dans l'industrie européenne manufacturière est passé de 14 % à 10,4 % dans le même laps de temps 95. Le paysage économique a profondément évolué avec l'effondrement des régions industrielles du Nord et de l'Est, une rétractation significative de l'Île-de-France et une progression de certains secteurs situés à l'Ouest et au Sud. Au total, on observe une tendance à l'homogénéisation de la répartition de l'industrie sur le territoire national. Les pôles les plus innovants se concentrent autour des grandes métropoles. Les secteurs industriels situés à l'Ouest et au Sud se révèlent plus dynamiques et présentent une structure différente, avec des installations de plus petite taille et souvent plus technologiques. On peut identifier, à cette échelle, des « territoires industriels modèles » comme le pays de Vitré, Les Herbiers en Vendée, le pays d'Ambert en Auvergne96 . Aujourd'hui, un rebond potentiel mais un avenir incertain Peut-on parler aujourd'hui d'une stabilisation de l'évolution de l'industrie et de l'emploi industriel, voire d'un rebond ? Divers signaux semblent l'indiquer : le constat, selon les derniers chiffres connus (2017 et 2018), d'une progression des investissements étrangers en France, et un nombre d'ouverture de sites plus important que de fermetures (125 contre 100 en 2018, selon Trendeo). Il y aurait (selon la même source) une tendance à l'amélioration, des réussites y compris dans les anciennes régions industrielles (e-commerce à Roubaix avec le développement d'OVH), mais peu de dynamique globale (au total il y a moins de suppressions plutôt que davantage de créations). Ces tendances restent donc à confirmer, dans un contexte où les fermetures restent nombreuses, marqué à la fois par une fragilité de la compétitivité des entreprises et par une tardive prise de conscience de 94 Données Eurostat citées par CGET, L'industrie dans les territoires français, 2018. Pour l'ensemble de l'industrie (industries extractives, énergie, déchets, industries manufacturières), la part de valeur ajoutée est, en 2016, de 14,1 % et la part d'emplois de seulement 10,6 % du fait des gains de productivité du secteur. En valeur absolue, le secteur industriel représente un peu plus de 3 millions d'emplois, contre 6 millions dans les années 1970. Selon FNEP, La Fabrique de l'industrie, Cultivons notre industrie, 2019. 95 96 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 39/170 PUBLIÉ l'impératif de « sauver l'industrie », défi auquel s'affronte le plan d'action gouvernemental pour la croissance et la transformation des entreprises. Les facteurs explicatifs de la baisse de l'emploi industriel sont connus et perdurent en grande partie : faiblesse du tissu industriel intermédiaire, difficulté de coopération entre les entreprises au sein d'une même filière, concurrence salariale, positionnement défavorable de secteurs industriels privilégiés de la France comme l'automobile, trop lente adaptation des entreprises... Ainsi que le soulignent de nombreux experts, tel Louis Gallois, le succès de l'industrie allemande est a contrario le résultat d'un « amour collectif de l'industrie » alors que son image reste peu attractive en France 97. D'autres facteurs explicatifs de la baisse de l'emploi industriel ne sont pas des faiblesses, telles l'augmentation de la productivité ou l'externalisation vers le tertiaire productif de certaines activités comme la logistique, l'entretien des sites, l'informatique... Ceci interroge la capacité des catégories statistiques à fournir une image pertinente des évolutions en cours, avec une difficulté de plus en plus grande pour séparer les emplois de service et les emplois strictement industriels. Ces derniers se transforment en intégrant des compétences qui n'ont plus rien à voir avec celles des emplois de production d'autrefois. Une requalification difficile des bassins industriels Si l'intérêt de préserver l'emploi industriel est indéniable, parce qu'il est une base fondamentale de l'économie du pays et aussi qu'il peut s'avérer davantage ancré au territoire, les signaux faibles de réindustrialisation ou de relocalisation sont à considérer avec prudence. Un rebond durable des bassins industriels spécialisés qui ont A Romans-sur-Isère, l'industrie de la chaussure redémarre connu une crise industrielle profonde, tel le en douceur bassin minier des Hauts-de-France, s'avère Territoire historique de la confection de chaussures, extrêmement difficile. Ces territoires Romans a perdu ses capacités de production suite à la restent marqués par un chômage de masse, crise de 2008, les fabriques ayant été progressivement surtout de personnes peu qualifiées, et des fermées et la production déplacée à l'étranger. Le choix, indicateurs de pauvreté toujours supérieurs opéré par certains acteurs du territoire, de se à la moyenne nationale. Leur image est réapproprier cette fabrication, a conduit à une forme de atteinte durablement, ce qui constitue en relocalisation consistant à recréer des ateliers de soi un handicap pour leur redynamisation. confection de chaussures haut de gamme en faisant appel Des tentatives de relance de la production cette fois à un concept plus large, qui allie l'innovation et locale, tel le cas de Romans-sur-Isère, le savoir-faire industriel au design et à la conception. Le montrent que le nombre d'emplois recréés processus lancé autour du groupe Archer fait le pari de « l'économie sociale et solidaire » pour ce territoire qui est limité. Inversement, le développement reste pour le moment marqué par un taux de chômage à de bassins industriels dynamiques peut aussi être freiné par les difficultés de plus de 20 %. recrutement. Le club EcoFnau, qui regroupe les économistes du réseau des agences d'urbanisme, souligne l'importance de ce facteur limitant dans nombre de secteurs : main d'oeuvre insuffisante et pas assez attirée par l'industrie, inadaptation des emplois offerts en contenu et en niveau de rémunération... 2.1.2. La redécouverte des « territoires d'industrie » Depuis la Seconde guerre mondiale, l'État a été très présent dans l'accompagnement du développement de l'industrie française. Face aux bouleversements des années 1970, des commissariats à l'industrialisation et au développement économique ont été mis en place dans les territoires. Bien plus tard est venue l'époque de l'accompagnement des clusters et de la mise en place de pôles de compétitivité, c'est-à-dire de politiques moins volontaristes, et moins orientées par des objectifs d'aménagement du territoire que par l'appui à l'innovation technologique ou sociétale. De 97 Cf infra § 2.2. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 40/170 PUBLIÉ même, le programme d'investissement d'avenir (PIA) 98 a été lancé et mis en oeuvre sans lien avec des critères territoriaux, même si cette préoccupation est réapparue dans la période récente avec la création d'une enveloppe déconcentrée visant à ce que davantage de territoires puissent bénéficier des fonds dédiés à l'excellence et à l'innovation99. L'initiative « Territoires d'industrie » Fin 2018, le gouvernement a lancé le programme « Territoires d'industrie » pour soutenir les bassins industriels en développement ou susceptibles de rebond. 124 puis 141 territoires ont été identifiés, qui, ensemble, couvrent 30 % du pays et près de la moitié des emplois industriels. L'État se propose d'apporter son appui dans le cadre d'une contractualisation et d'une promesse de financements à hauteur de 1,4 Md. La démarche, qui se veut pragmatique, consiste à identifier les freins au développement et à apporter des solutions sous forme de « kit » dans quatre domaines principaux : le recrutement, l'innovation, l'attractivité, la simplification. Le CGET est associé à la DGE pour conduire ce programme ; il est mis en oeuvre dans les territoires désormais avec les Régions. L'initiative est intéressante pour la redécouverte de la dimension territoriale du sujet et l'importance reconnue aux acteurs locaux, publics et privés, ainsi qu'aux partenariats qu'ils développent. C'est une évolution importante du côté du ministère de l'économie, qui a le plus souvent privilégié une approche nationale, notamment pour la gestion des filières, et un dialogue avec les grands groupes. S'il est trop tôt pour tirer un premier bilan de la démarche, on peut toutefois relever quelques points d'attention, à partir des observations d'acteurs locaux rencontrés par la mission : · le manque d'inscription dans une démarche de projet de territoire 100, soit préexistante, soit à construire en prenant le temps nécessaire à l'établissement d'un diagnostic stratégique, afin d'assurer la cohérence de la démarche et l'implication efficace des acteurs locaux, · le besoin de coordination avec d'autres initiatives de l'État, notamment le programme « Action coeur de ville » et l'expérimentation lancée sur les contrats de transition écologique (CTE), alors que le rôle des aménités urbaines susceptibles d'être apportées par les villes moyennes est un élément déterminant d'attractivité, et que les enjeux de la transition écologique devraient être au coeur des transformations économiques sur les territoires, · l'écart entre l'annonce de l'État qui se présente en capacité de résoudre les difficultés ou les blocages et ses moyens effectifs pour y parvenir, même si des financements sont annoncés. Il subsiste à cet égard un besoin d'ingénierie de terrain pour bon nombre d'intercommunalités. Comme l'indiquait récemment Nicolas Portier, délégué de l'AdCF, « la question qui va se poser, c'est comment financer de véritables postes de chefs de projets ; pour animer un vrai tissu collaboratif, il faut des gens de terrain à l'année ». Une diversité de situations La diversité des situations des différents territoires doit également être prise en compte dans la démarche. La carte des « Territoires d'industrie » est intéressante en ce qu'elle permet une meilleure prise de conscience de l'étendue des périmètres concernés, de leur faible superposition avec les limites administratives, de l'importance des enjeux. Cette carte invite toutefois à une réflexion sur la diversité des cas et le besoin d'une typologie qui permettrait de déboucher sur des options stratégiques différentes : territoire en développement à mieux maîtriser, en rebond potentiel à faciliter, en reconversion à préparer, en résilience à renforcer dans le cadre d'un déclin inéluctable pouvant conduire à des options de « renaturation » de certains sites... 98 Porté aujourd'hui par le Secrétariat général à l'innovation (SGI). Cf infra § 3.4.3. Cf infra § 2.5. Mutations économiques et développement des territoires Page 41/170 99 100 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ Suggestion. Construire une typologie des « Territoires d'industrie » permettant d'envisager des options stratégiques différenciées selon les situations et les perspectives (développement, rebond, reconversion, renaturation...)(MCTRCT, MEF). Le CGET attire à juste titre l'attention sur les dimensions de capital social et d'héritage culturel des territoires industriels101. Sur ces aspects essentiels, un savoir-faire existe à l'échelle européenne pour penser un renouvellement urbain et territorial plus radical avec des exemples allant de Bilbao avec le renouveau opéré autour de l'implantation du musée Guggenheim à la Ruhr avec l'Internationale Bauausstellung102 (IBA) de l'Emscherpark et, peut-être demain au bassin minier avec Euralens103. 2.1.3. Une fragilisation possiblement accrue par la transition écologique Le devenir des territoires, notamment de ceux qui portent des activités industrielles, peut aussi être affecté par la transformation de lieux de production ou l'abandon de modèles anciens en lien avec la transition écologique. Une fragilisation des territoires mono-industriels La fragilisation peut être liée à cette transition et à divers facteurs cumulatifs. Elle existe souvent déjà et pourra être accentuée notamment quand il s'agit de territoires mono-industriels. Certaines situations sont évidentes : abandon des centrales à charbon, fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim et d'autres sites à l'avenir... D'autres nécessitent un travail d'identification et d'analyse. Il existe un risque de crise profonde pour certains territoires, comme dans l'exemple de Rodez cité par plusieurs interlocuteurs de la mission, territoire spécialisé sur la filière diesel du secteur automobile104. D'autres sites sont à reconvertir comme les Fonderies du Poitou dans la Vienne. Des enjeux d'anticipation Le « récit national » doit affirmer la solidarité avec les territoires fragiles, particulièrement ceux qui sont spécialisés sur une activité économique non compatible avec la transition écologique et qui doivent être reconvertis. Mais, comme le rappelle Jean-Pierre Aubert, la notion de mutation économique ne se limite pas aux périodes de difficultés ou de crises. Plus cette mutation est comprise et accompagnée, mieux les enjeux de cohésion sociale et territoriale peuvent être traités. Des reconversions subies ou mal préparées, la non prise en compte concomitante des dimensions sociales constituent des menaces à venir ; mais les mutations, à condition de savoir les anticiper et gérer leur complexité, peuvent constituer aussi des opportunités permettant de penser la transition écologique comme facteur d'innovation et comme moteur d'un nouveau développement équilibré et solidaire. Parmi les exemples positifs a été citée la plateforme d'écologie industrielle PIICTO de Fossur-Mer. La situation d'un territoire est souvent contrastée comme à Rouen, avec des aspects positifs pour le développement d'éco-activités (filière ENR), ou de la voiture autonome, et négatifs pour le secteur de la chimie grise (fertilisants) ou du nucléaire. L'objectif est de préparer la transition par une politique d'attractivité, suscitant l'arrivée de nouveaux investissements, avec des dispositifs de valorisation des compétences et de requalification de la main-d'oeuvre locale au service de la transition écologique sur les territoires sensibles. Cette identification des territoires fragiles, prise en compte dans le « projet de territoire France », 101 CGET, Regards croisés sur les territoires industriels, 2018. Exposition internationale d'architecture, démarche allemande de régénération d'un territoire ou d'un site. Cf supra § 1.3. Il s'agit en particulier du site de Bosch qui fabrique des bougies de préchauffage et des injecteurs de moteurs diesel. 15 000 emplois seraient menacés par la fin du diesel (sur les 800 000 de la filière automobile), selon la plateforme Automobile et mobilités. 102 103 104 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 42/170 PUBLIÉ permettra au cas par cas de développer un dispositif de soutien destiné à enrayer leur déclin potentiel et faciliter leur requalification105. Recommandation 6. Identifier les territoires fragiles, particulièrement dans le contexte de la transition écologique, du fait de l'arrêt ou la transformation de certaines activités, afin d'anticiper les actions d'accompagnement et l'activation des leviers possibles de reconversion économique, dans le cadre d'un dispositif interministériel inscrit dans une vision nationale (MTES, MCTRCT, MEF). 2.2. Engager la requalification des zones d'activité 2.2.1. Les enjeux fonciers, économiques et environnementaux des zones d'activité Le devenir des zones économiques constitue une question majeure, particulièrement au sein des territoires périurbains et intermédiaires. Une « prolifération » problématique La prolifération des ensembles commerciaux et des espaces d'activité est une caractéristique majeure des périphéries des métropoles et des villes de toutes tailles. Ce phénomène a été largement décrit pour ce qui concerne les zones commerciales 106, avec ses lourdes conséquences en termes de consommation foncière, d'organisation du territoire, de paysage et d'environnement. Hormis les aspects liés à la dévitalisation commerciale et résidentielle des centres urbains, les effets de la multiplication des zones économiques autres que commerciales sont en grande partie de même nature et de gravité comparable, alors que prend corps un principe de « zéro consommation d'espace naturel ou agricole » après des décennies de mitage et d'étalement urbain. Selon une étude récente107, si la consommation d'espace naturel et agricole a tendance à diminuer depuis 2008, elle reste globalement élevée (par exemple, de 23 000 ha pour l'année 2015), fortement variable selon les régions mais décorrélée des dynamiques démographiques et économiques. Selon le Cerema 108, les activités économiques non agricoles, y compris les zones commerciales 109, comptent pour 30 % des surfaces urbanisées ; leur dynamique de progression en termes de surfaces imperméabilisées entre 2006 et 2014 est plus forte que celle des secteurs résidentiels, et leur propension à se transformer en friches encore plus forte. La maîtrise des consommations foncières à des fins de développement économique constitue donc une question majeure, relevant en grande partie de la volonté politique. Le nombre de zones d'activité, difficile à estimer, est révélateur d'une forte fragmentation et d'une grande dispersion. Son ordre de grandeur se situe entre 17 000 et 32 000, selon une estimation du Cerema, alors que pour le Service de la donnée et des études statistiques (MTES/SDES), 12 000 à 18 000 communes disposeraient d'au moins une zone (données 2008). Il est vrai qu'il n'existe pas de définition légale de ces zones et que, pour les appréhender, on procède habituellement selon une méthode de « faisceau d'indices » : vocation économique du site, ensemble cohérent et significatif, pluralité d'établissements installés, volonté publique d'aménagement ou de développement... Ces 105 Il est possible de s'inspirer d'approches déjà testées comme le « Pacte Ardennes 2022 », cf. infra § 3.4.3. CGEDD, Inscrire les dynamiques du commerce dans la ville durable, mars 2017. Cerema, La consommation d'espaces et ses déterminants d'après les fchiers fonciers de la DGFiP. Analyse et état des lieux au 1er janvier 2016. Ministère de l'agriculture, Enquête Terruti-Lucas. On manque de données consolidées au niveau national sur la part spécifique des zones d'activité. Mutations économiques et développement des territoires Page 43/170 106 107 108 109 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ incertitudes reflètent une extrême diversité de situations en termes de nature d'activités, de dimension et de densité, de qualité architecturale, de situation de vacance et d'obsolescence. Une « prise en main » intercommunale en cours C'est avec l'appui de ce faisceau d'indices que s'est opéré le transfert des compétences relatives à la création et la gestion de ces zones aux métropoles et aux communautés, en application des dispositions de la loi NOTRe du 7 août 2015, laquelle en avait fixé l'échéance au 1 er janvier 2017. Sur le principe, ce transfert est total puisqu'il ne dépend plus de la détermination d'un « intérêt communautaire ». La mise en oeuvre ne va pas pour autant de soi : en effet, elle implique aussi des transferts de charge (coûts de gestion et d'entretien) dont la trace financière n'était pas toujours lisible jusqu'alors ; par ailleurs la détermination des zones à transférer reste sujette à interprétation ou à discussion entre intercommunalité et communes. Nombre d'entre elles souhaitent en effet conserver la maîtrise de « leurs » zones ; on constate en particulier que les zones artisanales restent fréquemment dans le giron des communes. À l'inverse, le transfert ne permet pas non plus de prendre en compte de façon satisfaisante les très grandes zones prévues pour l'accueil d'implantations internationales et souvent issues d'une gestion départementale. Cette prise en main par les intercommunalités est donc récente et les processus sont encore largement en cours. La nécessité d'un état des lieux foncier et économique La conscience qu'ont les élus des enjeux relatifs au devenir de ces zones est moindre que celle de leurs services et a fortiori des experts du sujet. Ce contexte « transitoire » fait apparaître la nécessité d'établir un état des lieux complet, avec un diagnostic de l'obsolescence réelle ou potentielle de chaque zone, en associant les acteurs concernés, particulièrement son gestionnaire et ses usagers. Si la connaissance foncière et patrimoniale des zones est plus aisée et de mieux en mieux assurée, il n'en va pas de même pour la connaissance économique (solidité des entreprises présentes, dynamique d'emplois, attractivité...). Les intercommunalités peuvent s'appuyer notamment sur les agences d'urbanisme, qui ont souvent investi le sujet et disposent de données et d'observatoires. D'ores-et-déjà, au vu de diverses enquêtes ou études de cas, quelques grands traits semblent se dessiner : les zones d'activités rassemblent de 20 à 40 % des emplois d'un territoire, le quart des zones110 serait « en difficulté », la vacance serait plus importante dans les petites zones que dans les grandes ; les situations sont variées, apparemment même paradoxales, avec la coexistence au sein d'un même bassin de zones dégradées ou partiellement vides et d'une pénurie d'offre foncière adaptée aux besoins actuels des entreprises ; en termes de recettes fiscales, le temps de retour des investissements publics réalisés dépasserait généralement 10 ans. Longtemps tenues en marge des réflexions stratégiques urbaines, ces zones restent donc à mieux intégrer au sein d'une vision d'ensemble transversale des différentes politiques publiques. Les nouveaux EPCI, appelés à jouer un rôle d'« autorité organisatrice » du développement économique comme c'est le cas pour l'habitat, doivent mieux anticiper les stratégies de localisation des ménages et de l'activité, en tenant compte du fait que l'immobilier d'activité et l'immobilier résidentiel n'ont pas les mêmes déterminants, mais aussi que les interactions se modifient (on constate par exemple que c'est de plus en plus l'emploi qui suit les ménages et leur choix de vie). 110 On parle essentiellement de ZAE « publiques », du fait de la définition utilisée ci-dessus. Les ZAE « privées », beaucoup moins nombreuses, se porteraient plutôt mieux. Il existe toutefois des cas difficiles, notamment en Îlede-France, de zones en multipropriété sans gestion commune satisfaisante. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 44/170 PUBLIÉ 2.2.2. L'enjeu spécifique des zones logistiques Une question spécifique concerne les zones et infrastructures logistiques, marquées de plus en plus par une logique de « gigantisme » et d'éloignement des centres urbains, qui ne facilite pas la bonne insertion, en termes de paysage et d'aménagement du territoire, de cette fonction pourtant indispensable au développement économique, au bon fonctionnement de l'agglomération et à la réussite de la transition. Un secteur économique qui génère des besoins spécifiques et prégnants sur les territoires Représentant 10 % du PIB et de l'emploi privé (1,8 millions d'emplois), la logistique est la 5 activité économique de France111.Avec la numérisation de l'activité, son caractère industriel est de plus en plus marqué. Les entrepôts récents sont aujourd'hui en grande partie automatisés. C 'est toutefois une industrie fortement consommatrice de foncier, marquée par des besoins spécifiques, et un rapport particulier au territoire ; elle peut représenter un vecteur de développement pour certaines régions, notamment celles traversées par des axes majeurs de transport de fret, comme la région Grand Est. De forts effets de concurrence se manifestent entre plateformes et opérateurs, et entre territoires ; d'où l'existence de nouveaux besoins fonciers dans certains secteurs, pendant que des plateformes ferment ailleurs, ceci étant particulièrement apparu à l'occasion de l'élaboration des SRADDET. Du fait de son impact territorial, et de ses enjeux vis-à-vis de la transition écologique, plusieurs Régions ont ainsi souhaité que la logistique soit explicitement traitée dans leur schéma. Gigantisme et risque d'éloignement L'implantation logistique se caractérise par un éloignement de plus en plus important aux franges des aires urbaines, afin de trouver des emprises foncières adéquates à la concentration et à l'augmentation de la taille des entrepôts. Les seules aires métropolitaines de Paris, Lille, Lyon, Marseille accueillent 60 % des surfaces, avec des exemples emblématiques de « gigantisme » reflétés dans les projets d'Amazon (120 000 m² prévus à Brétigny-sur-Orge) ou de Conforama (180 000 m² à Tournan-en-Brie). Il faut « aller de plus en plus loin » pour réaliser de nouvelles surfaces, comme à Toulouse, dont les zones sont déjà « remplies » jusqu'à 60 km du centre-ville. Sur les 10 dernières années, on disposait encore de zones « clés en mains », en 2018 on s'est donc mis à reconstruire « en blanc ». Les observatoires des agences d'urbanisme relèvent ainsi d'importants besoins de foncier pour les zones logistiques : le risque de pénurie est fort pour les régions métropolitaines, les façades méridionale et atlantique, alors que dans les régions de vieille industrie, la mobilisation de friches devrait mieux répondre aux besoins mais peine à se faire de façon suffisamment anticipée. L'enjeu pour les grandes aires urbaines est désormais de préserver et d'anticiper des capacités d'accueil et d'installation en s'adaptant aux besoins (géographiquement hiérarchisés) de l'organisation logistique : stockage primaire dévolu à des entrepôts extérieurs, à l'échelle d'une zone d'influence métropolitaine, plateformes de distribution plus compactes pour la préparation des commandes à situer en bordure des agglomérations, et espaces urbains dédiés à la distribution et à la livraison. À cette hiérarchie des fonctions correspondent des besoins fonciers ajustés, qui dépendent aussi de l'organisation du système de transport, et de la connexion à rechercher en priorité avec les moyens de transport massifiés que sont le rail et la voie fluviale. Anticipation, planification et volonté politique Une meilleure prise en compte de la logistique dans les documents de planification permettrait d'anticiper les décisions d'implantation et d'optimiser les choix, notamment en limitant l'éloignement du tissu urbain et les flux supplémentaires afférents ainsi que la consommation de 111 Selon les données reprises dans la « Stratégie France Logistique 2025 », document porté par l'association française de l'immobilier logistique (Afilog) rencontrée par la mission. Mutations économiques et développement des territoires Page 45/170 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ grands espaces vierges. Les activités logistiques ne sont pas toujours en soi sources de nuisances importantes ; concevoir des aménagements plus compacts, pas nécessairement plus onéreux en investissement ou en fonctionnement. Le retour sur investissement pour les collectivités d'une logistique bien organisée, qui conduise à limiter in fine les déplacements routiers, justifie que de telles opérations soient facilitées. Si d'anciens secteurs logistiques devenus inadaptés doivent trouver d'autres usages, les nouveaux besoins ne justifient pas tous la création de vastes zones ex nihilo. Une approche mieux maîtrisée est indispensable et possible, à condition de hiérarchiser les besoins et d'établir de nouveaux modes de faire entre les acteurs économiques, les collectivités territoriales et l'État. En cohérence avec les réflexions portées par la mission sur la stratégie logistique en France 112, cette politique a besoin d'un portage national incarné par des délégués interministériels nommés sur chaque grand axe logistique et agissant en lien étroit avec la profession (à l'exemple de pays disposant d' « ambassadeurs » comme l'Allemagne, la Belgique ou les Pays-Bas). Suggestion. Énoncer des orientations nationales en matière de logistique, encourager les démarches anticipatrices rendues possibles avec l'appui des documents de planification, particulièrement les SRADDET, et faciliter la mise en oeuvre de dispositions permettant une approche intégrée, comme l'implantation de plateformes compactes au sein des villes et territoires bien reliées aux modes de transport alternatifs à la route (MEF, MT, MCTRCT). 2.2.3. La mise en oeuvre d'options différenciées selon les zones Après le transfert et l'intégration des zones d'activité économique dans la gestion communautaire, l'établissement d'un diagnostic économique et foncier portant sur l'ensemble des espaces concernés doit permettre aux intercommunalités de définir une vision stratégique et prospective 113. Une vision stratégique à la bonne échelle du devenir des zones d'activité L'objectif est de définir une stratégie adaptée aux besoins du territoire, en distinguant plusieurs échelles de temps : assurer des disponibilités foncières opérationnelles à court terme et disposer de réserves mobilisables à moyen ou long terme, en évitant l'excès d'offre ou d'ouverture de nouvelles zones et en visant la « consommation zéro » de foncier vierge. Optimiser le recyclage de l'existant permettra de lever le paradoxe entre pénurie d'offre et montée de l'obsolescence 114. Il convient de jouer sur les complémentarités en déterminant le plus possible des vocations différenciées des zones selon leur situation, leur caractéristique (taille, qualité, type d'aménagement...), leur potentiel, le marché, etc. Plusieurs acteurs du développement économique consultés soulignent aussi la nécessité de distinguer des zones d'intérêt national, régional ou intercommunal selon des vocations et des tailles différentes (la disparition d'une échelle départementale pouvant être, sur ce sujet, regrettable). Il est vrai que les grandes entreprises dialoguent davantage avec l'État, les ETI avec les Régions, les PME/TPE et les startups avec le niveau plus local... Sous réserve du traitement de la question des grandes zones, relevant du niveau régional, c'est l'échelle métropolitaine ou intercommunale qui est pertinente pour permettre un recalibrage de 112 Mission sur la stratégie logistique en France confiée à Eric Hémar et Patrick Daher, avec l'appui de l'IGF et du CGEDD, Pour une chaîne logistique plus compétitive au service des entreprises et du développement durable, présentation du rapport au premier ministre prévue en septembre 2019. On peut à cet effet s'inspirer de la démarche des « schémas territoriaux de ZAE » développés autour des années 1990 dans certaines collectivités, mais dont la plupart de ceux qui existent ne sont aujourd'hui plus à jour. D'après une enquête AdCF-Cerema de 2017, 9 % seulement des intercommunalités estiment leur parc surdimensionné alors que 41 % pensent qu'il est insuffisant. 113 114 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 46/170 PUBLIÉ l'offre en fonction des besoins actuels ou potentiels et une démarche de rationalisation qui était difficile à mener au seul niveau communal. Des options diversifiées relevant de modèles économiques différents Selon les zones, il peut être envisagé plusieurs types d'options, par niveau croissant d'intervention : · des mesures de gestion et d'adaptation, pour des zones bien situées à l'égard du marché et dont la vocation peut être maintenue, avec des choix à faire, par exemple entre l'idée de développer des services à proximité des lieux d'activité (restaurant d'entreprise, espaces de services et de loisir...) et celle de ne pas disperser les aménités urbaines dans les périphéries ; · des perspectives de requalification et de transformation, soit sous forme d'évolution vers une plus forte spécialisation (de type cluster ciblé) soit, plus souvent, en consolidant une vocation généraliste, le cas échéant multifonctionnelle, et en recherchant une complémentarité d'activités permettant une logique d'écologie industrielle115 ; · des choix de reconversion plus radicale, notamment pour les cas rédhibitoires de zones « hors marché » : entrer dans une logique de programmation urbaine (des activités restant présentes au sein d'un tissu urbain mixte), ou bien envisager un secteur logistique, ou d'autres activités productives de type écologie industrielle et territoriale (l'Ademe fait de cette voie un axe de travail et d'expérimentation pour assurer le devenir de certaines ZAE et pour consolider le lien entre les entreprises et leurs territoires) ; ou encore envisager une « renaturation » ou un retour à un usage agricole, une réversibilité dont il serait utile de montrer la faisabilité à partir de quelques cas exemplaires. Dans la métropole de Toulouse, la requalification de la zone Dans cette typologie sommaire, chaque cas appelle un modèle d'intervention d'activité de Garossos différent. En zone tendue, il sera Développée en 1984 sur 30 ha selon le modèle davantage possible d'envisager un traditionnel dit de « boîtes à chaussures », cette zone peu investissement public ou privé qui pourra éloignée de l'aéroport et du secteur aéronautique est être assez rapidement amorti. Ainsi en estsurtout située à proximité du nouveau parc d'expositions il de l'exemple de la zone de Garossos et centre de congrès de la métropole qui ouvrira ses portes située à Toulouse dans un secteur qui en 2020. Le projet de requalification de la zone a été intégré dès l'origine à cette immense opération, dans le redevient particulièrement attractif... cadre d'une concession d'aménagement couvrant D'autres cas ont été identifiés (Chambéry, l'ensemble, avec une ZAC comportant une partie nouvelle Mauges, vallée de Clisson en Loire (le secteur Parvis) et la zone à transformer (le secteur atlantique...) mais les réalisations ou les Garossos). La reprise des voiries et espaces publics va être projets opérationnels semblent encore réalisée par l'aménageur. Le PLUih comporte pour la zone relativement peu nombreux. La démarche une orientation d'aménagement et de programmation n'est pas aisée, même en Île-de-France, (OAP) sans règlement, facilitant une négociation lorsqu'il s'agit de zones de grande taille appropriée « à la parcelle », avec l'octroi de droits à insuffisamment entretenues (La construire aux occupants pour inciter à sa densification et Courneuve, Le Bourget, Le Blanc-Mesnil, sa requalification. Il s'agit de conforter la vocation de la voire Courtabeuf, l'une des plus vastes ZA zone sur des activités de sous-traitance, de restructurer de France, qui devrait pourtant bénéficier ses commerces et de changer l'image d'ensemble. de la proximité du pôle Paris Saclay...) : la requalification est à envisager sur une durée longue, avec un portage foncier impliquant l'intervention d'un opérateur tel que l'Établissement public foncier d'Île-de-France (Epfif). Les projets sont encore plus rares dans le cas de secteurs peu attractifs, surtout lorsqu'ils sont pourvus d'une offre foncière abondante. 115 Cf annexe 4.3. sur la question de la spécialisation. Mutations économiques et développement des territoires Page 47/170 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ Une initiative publique et une posture de réinvestissement visant la performance des sites économiques La création d'une zone d'activité relève en général de l'initiative publique d'une collectivité qui a procédé à l'aménagement du foncier puis vendu les parcelles (avec des prix de cession pouvant être bas, afin d'attirer les entreprises, et le plus souvent ne permettant pas d'équilibrer les coûts d'aménagement). Lorsque le zone se dégrade, la collectivité peut agir en remettant en état les voiries, mais n'a pas la maîtrise foncière lui permettant une intervention plus complexe (par exemple en vue d'une reconfiguration plus conforme à une utilisation économe de l'espace). De plus, elle intervient souvent trop tard en regard du processus de déqualification en cours ; et peut même renoncer du fait d'une vacance paraissant rédhibitoire, de coûts élevés assortis de contraintes budgétaires conduisant les élus locaux à privilégier d'autres priorités. Assurer le devenir d'une zone en difficulté implique aujourd'hui une initiative publique selon une position de réinvestissement avisé et durable, en lien particulièrement avec les enjeux de l'économie circulaire et de l'écologie industrielle : choix d'une option stratégique après concertation avec les propriétaires fonciers et les utilisateurs de la zone, recherche de possibilités de remembrement, de réaménagement et de densification, permettant à la fois de développer un tissu plus compact ou plus diversifié et de dégager des ressources pour financer la requalification, et enfin mise en oeuvre d'une démarche « séquencée » pilotée par les pouvoirs publics, ce qui est difficile à réaliser, mais utile pour s'ajuster au marché en évitant des investissements prématurés. De nouvelles approches économiques sont à développer selon lesquelles la collectivité va raisonner en termes de retour sur investissement, pas seulement par cession de foncier mais aussi par location, concession sur un site, ou encore par d'autres formules intermédiaires, et en intégrant l'ensemble des coûts et des recettes générés y compris en termes de retour fiscal. Conserver la propriété (ou la nue-propriété) du foncier pourrait toutefois être davantage cohérent avec une approche économique et patrimoniale de la collectivité. La mise en oeuvre de ces nouveaux modèles repose sur une panoplie d'outils d'intervention publics ou publics-privés (bail emphytéotique, bail à construction...) et nécessitera le plus souvent de mobiliser une ingénierie opérationnelle (EPL, SEM, EPF...). De telles pratiques ont été envisagées et étudiées mais restent encore très peu nombreuses à se développer opérationnellement en France. Les enjeux sont énormes, en nombre de zones effectivement concernées, en surface foncière concernée et en ampleur des réinvestissements potentiels ; les élus intercommunaux sont en train de prendre la mesure de ce sujet trop souvent mal anticipé 116. C'est un champ d'action à faire émerger, pour lequel une politique nationale incitative s'avère nécessaire, comme pour ce qui est de la restructuration des zones commerciales situées dans les mêmes périphéries urbaines. Des ateliers d'échange de bonnes pratiques et de capitalisations d'expériences devraient être à cet effet initiés par l'État, notamment à travers un « atelier des territoires » porté par la DGALN, en s'appuyant sur l'expertise du Cerema et sur l'initiative lancée par le CNER de création d'une plateforme d'échange. Recommandation 7. Mettre en place un dispositif d'appui méthodologique, en commençant par un « atelier des territoires » de la DGALN, pour inciter les intercommunalités à mener un diagnostic stratégique de leurs zones d'activités, particulièrement de celles menacées d'obsolescence, et à engager une politique de requalification des espaces économiques durables en testant de nouveaux modèles (MCTRCT). 116 Plus du tiers des intercommunalités ont inscrit cet enjeu à leur programme de mandat selon AdCF- Cerema Enquête auprès des intercommunalités, 2017. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 48/170 PUBLIÉ 2.3. Accompagner le recyclage de l'immobilier économique 2.3.1. Les tendances de l'immobilier neuf La transformation du travail est une mutation capitale 117 qui interroge la conception et le fonctionnement des villes et territoires. La relation au lieu de travail est particulièrement concernée. L'évolution des lieux de travail Quelle que soit leur taille (du CAC 40 aux TPE ou aux startups), les entreprises ont des préoccupations similaires vis-à-vis de leur immobilier : développer des usages, une flexibilité et des possibilités de réaménagement liés aux différents modes de travail, afin de répondre aux besoins de leurs collaborateurs, être attentifs à leur bien-être (services de restauration, conciergerie, sports, covoiturage...), tout en optimisant la performance (connectivité, digital, rationalisation des espaces). Il s'agit de disposer d'espaces ouverts et flexibles et d'espaces délocalisés pour le télétravail (lieux de co-travail proches des domiciles des salariés), encore que le besoin des grandes entreprises ne porte pas prioritairement sur des lieux partagés avec d'autres entités, mais plutôt sur des espaces délocalisés restant éventuellement propres à l'entreprise, complétés par des solutions ponctuelles répondant au nomadisme de certains cadres. Sans développer de façon détaillée la description de l'évolution de l'aménagement des espaces de travail, on soulignera que si l'évolution vers des espaces ouverts (open office) et, plus récemment, vers des espaces non attribués (flex office) a semblé une tendance de fond, celle-ci s'est atténuée dans les années récentes. L'adaptation diffère selon les âges : les jeunes sont plus habitués à des bureaux « déstructurés » et à être nomades avec leur portable et leur smartphone ; les plus anciens et ceux qui ont beaucoup d'échanges avec l'extérieur ou besoin de se concentrer peuvent avoir davantage de mal à s'y habituer. Miser sur les seules attentes des jeunes, elles-mêmes sujettes à de possibles évolutions rapides, présente des risques. À côté d'approches radicales menées par certaines grandes entreprises, telles que Sanofi pour l'aménagement de son nouveau siège social, on observe que ce sont des options intermédiaires combinant divers types d'espaces qui sont préférentiellement choisies aujourd'hui. Le développement de nouveaux lieux fait l'objet de nombreuses expériences intéressantes : ainsi des tentatives abouties comme celles de La Poste et de la SNCF de valorisation d'un gros potentiel immobilier ; mais d'autres opérations sont jugées relevant davantage d'un « effet de mode », ou d'une recherche de vitrine... De grands opérateurs, tels Wework, s'engagent pourtant résolument dans les métropoles avec l'intention d'« assécher » rapidement le marché de ce type de nouveaux espaces. Le co-travail représente aujourd'hui environ 1,2 % des surfaces, proportion pouvant atteindre à l'avenir jusqu'à 10 %, au dire partagé des experts ; il resterait donc 90 % de bureaux « ordinaires », ceux-ci pouvant toutefois faire l'objet d'aménagements adaptés. Icade souligne l'existence d'un marché de bureaux neufs high tech au plus haut niveau de sophistication, pour des grandes entreprises qui veulent cultiver leur image avec, à côté, un marché pour une offre alternative, plus abordable, développant un mix d'immeubles classiques réhabilités complétés par 10 % d'espaces de co-travail. Le phénomène des tiers-lieux Les tiers-lieux constituent aussi une tentative intéressante de rassembler plusieurs fonctions dans un même espace : cotravail, fab lab, pépinières, voire certains services publics... Accueillant 10 % des télétravailleurs et des start-ups, ils peuvent être considérés comme des « petits projets de territoire » et des écosystèmes porteurs d'avenir. Il s'y développe dans certains cas des démarches d'économie circulaire. Patrick Lévy-Waitz, pilote en 2018 d'une mission ministérielle sur les tiers-lieux118, en a dénombré près de 1 500 existants et près de 400 en gestation. Il considère que 117 Cf supra § 1.2. Rapport Lévy-Waitz, remis en 2018 au secrétaire d'État auprès du Ministre de la cohésion des territoires. Mutations économiques et développement des territoires Page 49/170 118 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ « pour la première fois, avec ce mouvement qui part des citoyens et témoigne d'une transformation majeure de notre rapport au travail et des modes d'apprentissage, nous avons une vraie réponse au désenclavement des territoires ». L'enjeu est de trouver un modèle économique adapté hors métropole, notamment dans de petits pôles urbains ou des centres de villes moyennes, pour lesquels les tiers lieux sont un des moyens de requalification. C'est l'objet du plan gouvernemental annoncé en septembre 2018, doté de 110 M d'ici à 2021 pour aider à créer ou consolider 300 « fabriques de territoires » en priorité dans les quartiers populaires et les zones rurales. L'accompagnement et la professionnalisation des animateurs de ces lieux est un élément essentiel de la mise en oeuvre de ce plan. La « Cité fertile » à Pantin (Seine Saint-Denis), un projet créé sur une friche industrielle de la SNCF, a lancé en ce sens une école des animateurs de tiers-lieux119. Suggestion. Encourager en priorité, dans le cadre du plan gouvernemental engagé, la mise en place de tiers-lieux dans les villes petites et moyennes, et faire en sorte qu'ils soient les ferments d'un nouveau modèle de développement urbain et territorial, évolutif et participatif (MCTRCT). L'Adi (association des directeurs immobiliers) résume les enjeux pour l'entreprise : s'adapter à une hybridation du travail liée aux quatre tendances de fond que sont l'économie sociale et solidaire, l'économie circulaire, l'économie de la fonctionnalité, l'économie collaborative. De nouveaux lieux sont nécessaires pour permettre ou faciliter l'innovation collaborative ou les « pratiques apprenantes », préfigurant ce que ICADE nomme « Immobilier 3.0 ». Si le tertiaire n'est pas le seul visé par ce mouvement, il est particulièrement concerné par l'évolution vers une approche plus économe et plus souple des quartiers d'affaires (cf. projet La Part Dieu à Lyon). On soulignera enfin une tendance importante en termes d'impacts territoriaux : une déconnexion entre le siège de l'entreprise, les lieux de production, les lieux d'innovation, les lieux de démonstration et de commercialisation120. 2.3.2. Immobilier de bureau et immobilier d'entreprise La mutation rapide des besoins de l'immobilier de bureau ou tertiaire rend obsolète une part importante de l'immobilier existant, trop mal situé par rapport aux pôles urbains, insuffisamment desservi et n'ayant pas anticipé sa modernisation. Dès lors, on observe une évolution différenciée entre l'immobilier de bureau, avec des risques de déqualification et d'accroissement d'une vacance structurelle de locaux tertiaires anciens, et l'immobilier d'entreprise, avec un retour progressif d'activités productives sans nuisances dans le tissu urbain dont elles avaient été écartées. Ce retour est encouragé par certaines collectivités territoriales, avec des mesures pour ménager la place de la petite industrie et des activités artisanales dans la ville, condition d'un meilleur « métabolisme urbain ». Lorsque les élus locaux relayent les milieux économiques qui alertent sur une pénurie de foncier « économique », notamment dans les grandes villes et les métropoles (selon France urbaine, Nantes ne disposerait plus que de 30 ha, Lille de 50 ha de foncier économique libre...), il s'agit de fait des difficultés à satisfaire de nouveaux besoins fonciers et immobiliers liés à l'économie productive. La conception du développement économique métropolitain est ainsi en évolution, avec l'abandon de la tertiairisation intense et la redécouverte de l'économie productive. Les enjeux de requalification de l'immobilier de bureau y sont présents et demandent à être traités, sous peine d'aggravation d'une vacance structurelle déjà forte. On observe une prise de conscience d'une certaine forme de « confiscation » de l'immobilier aux dépens d'usages liés à l'économie productive, qui a été longtemps un impensé des stratégies urbaines, du développement et des opérations d'aménagement. 119 Voir également supra § 3.2 l'urbanisme transitoire. Adi, Repenser les lieux de travail, Éditions du Moniteur, novembre 2017. 120 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 50/170 PUBLIÉ 2.3.3. Une approche globale foncière et immobilière Ainsi que le confirment les travaux récents du Cerema, on constate un enjeu à la fois foncier et immobilier qui dépasse les périmètres de ZAE. Le jeu subtil de desserrement des activités productives vers l'extérieur des métropoles et des grandes villes semble peu à peu contrecarré par une attention de plus en plus forte au concept de « ville productive ». Les métropoles et les intercommunalités dont la vision économique est la plus avancée connaissent une évolution de leurs stratégies d'une approche de type offre foncière vers une approche de type produits immobiliers. On se dirige donc vers une démarche globale immobilière et foncière, intégrant ce qui se passe à l'intérieur comme à l'extérieur des ZAE, avec des requalifications ou des reconversio ns selon des vocations différenciées, en fonction de la nature, du contexte et des caractéristiques de chaque territoire ou secteur. Ceci appelle le besoin d'élaborer et de formaliser des schémas de restructuration des ZAE dans le cadre de stratégies foncières et immobilières plus globales. Suggestion. Inciter les intercommunalités à évaluer les mutations de l'immobilier d'activité afin qu'elles puissent anticiper les enjeux de son recyclage et mettre en place, dans le cadre de leur stratégie économique, une programmation urbaine, foncière et immobilière pour le devenir des zones et lieux concernés (MCTRCT). 2.4. Activer la reconversion des friches polluées La reconversion des sites pollués est un enjeu majeur de la transition énergétique et écologique : non seulement elle permet d'améliorer la qualité du cadre de vie et de la santé publique, mais elle contribue aussi à la diminution de l'étalement urbain, par optimisation de l'usage du foncier, en particulier lorsqu'il s'agit d'une friche urbaine ou proche d'une ville. Cette reconversion reste difficile121, pour des raisons d'optimisation technico-économique du projet, de prise en charge des coûts de dépollution et du fait de contradictions potentielles entre les objectifs de requalification et ceux de protection de la biodiversité. 2.4.1. Des enjeux à mieux appréhender La désindustrialisation des dernières décennies a conduit à l'émergence de nombreuses friches industrielles, dont un grand nombre sont polluées 122. Leur reconversion est attendue, voire financée par les collectivités territoriales concernées. Elle est particulièrement souhaitable dans les secteurs urbains subissant une certaine pression foncière, afin d'éviter l'artificialisation des terres naturelles ou agricoles. En toute logique, c'est dans ces situations que l'on trouvera des modèles économiques assurant la faisabilité de l'opération, la difficulté étant plus grande dans les secteurs non attractifs, du fait d'une valorisation foncière moindre, voire nulle ou négative. On observe par ailleurs que les industriels sont de moins en moins attentistes, comprenant qu'ils ont intérêt à traiter et transmettre ces fonciers, ne serait-ce que pour des raisons d'image. C'est notamment le cas de Rio Tinto, groupe anglo-australien repreneur de l'entreprise française Péchiney, ou bien d'Engie, qui active depuis 2015 sa politique de vente des anciennes installations de Gaz de France (400 usines à gaz situées le plus souvent en milieu urbain, avec un objectif de vente de 50 par an). Cette évolution n'est pas encore générale, mais elle est encouragée par de nouvelles procédures plus incitatives, notamment en permettant le transfert des obligations de dépollution à un tiers, ce qui ouvre la possibilité d'une activation du recyclage, de la constitution d'un « marché ». 121 Ce qui a conduit le MTES à mettre en place récemment un groupe de travail pour identifier les freins à la réhabilitation des friches, sujet auquel les développements qui suivent apportent une contribution. Ces friches sont en grande partie privées, sachant qu'il existe aussi d'importants tènements fonciers publics (notamment d'origine militaire) encore pollués, non étudiés ici spécifiquement. Mutations économiques et développement des territoires Page 51/170 122 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ Pour appréhender l'enjeu considérable du devenir des friches, il convient d'en consolider un état des lieux (connaissance, potentiel d'utilisation, diagnostic des difficultés à surmonter...) à l'échelle de chaque territoire (région, métropole ou intercommunalité). C'est l'objectif du Laboratoire des initiatives foncières et territoriales innovantes (Lifti), un « think tank » regroupant des experts du foncier, qui entend soutenir « la mise en place d'un centre de ressources sur le recyclage des friches, quelle qu'en soit la nature et pour tous types de nouveaux usages, en aidant les acteurs tant publics que privés à développer leur savoir-faire en la matière et lever leurs appréhensions ». Le Lifti vient de mener une campagne « d'inventaire des inventaires » recensant les outils d'identification des friches, de leurs caractéristiques et de leur potentiel d'utilisation. Il ne s'agit pas que de friches industrielles, ni uniquement de friches polluées. Le nombre d'inventaires recensés varie de neuf pour le Grand Est à zéro pour l'Île-de-France ! Les inventaires sont très divers en termes de niveau d'étude (régional, départemental, local) et de types de périmètres couverts, de méthodologie et de degré d'approfondissement, de lien avec la planification territoriale... La synthèse nationale123 met en évidence un besoin de définitions communes (ne serait-ce que pour la notion de friche), de généralisation à l'ensemble du territoire et de mise en oeuvre de dispositifs de mise à jour de ces inventaires, permettant d'en faire de véritables observatoires pré-opérationnels. Ce panorama devrait déboucher sur l'établissement d'un référentiel des inventaires ou d'un guide méthodologique qui contribuera à une connaissance plus complète et rigoureuse du « vivier » des friches, en vue de faciliter leur recyclage. La constitution de ce dispositif d'observation devrait pouvoir s'articuler avec les systèmes d'information existants sur le plan national et spécifiques aux sites pollués ou susceptibles de l'être. Il s'agit des bases de données SIS, Basol et Basias 124, en cours d'unification sous l'égide de la DGPR125. On disposera alors d'une vision plus globale des sites et de leurs capacités d'évolution : accueil de nouvelles activités industrielles, requalification pour des usages urbains, retour à la nature (vocation qui serait, selon certains experts, celle de plus de la moitié des sites pollués de France). Le cas de Rouen, observé par la mission 126, illustre clairement la nécessité de dresser un état des lieux complet, permettant d'appréhender le vivier de friches et les perspectives de mise sur le marché à différentes échéances, puis de confronter ces éléments avec une appréciation (souvent difficile) de la demande. Sur le territoire de la métropole de Rouen, selon une étude menée sous l'égide de la préfecture, il y aurait un besoin moyen annuel à satisfaire de 30 000 m² de surface d'entrepôts et de locaux industriels, du fait d'une demande soutenue et orientée davantage vers la création d'entreprises de taille significative. Il faut ensuite croiser cette analyse avec l'orientation prise par la Métropole et soutenue par l'État de limiter de plus en plus strictement la consommation de nouveaux espaces agricoles ou naturels : le SCoT fixe pour la période 2015-2033 un maximum de 380 ha en extension urbaine pour un besoin potentiel de 960 ha pour l'ensemble des activités économiques. On voit que s'esquisse ainsi une stratégie foncière permettant de cadrer le sujet à l'échelle d'un grand territoire (même si on peut se demander si la limitation de consommation foncière inscrite au SCoT est suffisante) 127. L'exercice nécessite un partenariat étroit entre les pouvoirs publics, les acteurs économiques et l'expertise qui peut être apportée par l'EPF Normandie. 123 Lifti, Synthèse de Centrale Lille Projets, Inventaire des inventaires de friches, novembre 2018. SIS (« secteurs d'information sur les sols », répertoriant les terrains pollués qui justifient des études et des mesures de gestion), Basol (base de données sur les sites et sols pollués ou potentiellement pollués appelant une action préventive ou curative des pouvoirs publics), Basias (inventaire historique de sites industriels et activités). Direction générale de la prévention des risques (MTES). Cf compte-rendu complet en annexe 5. Ceci rejoint les préconisations concernant le devenir des zones d'activités, cf supra § 2.1. 124 125 126 127 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 52/170 PUBLIÉ 2.4.2. Des méthodologies d'intervention technique et financière à consolider Des dispositifs réglementaires et financiers à rendre plus incitatifs Les règles techniques de dépollution classiques sont aujourd'hui connues et assez bien maîtrisées. La méthodologie de traitement des sols pollués de 2007 a été actualisée en 2017. La doctrine d'interprétation sur la qualification de « déchet » a été précisée récemment suite aux préconisations du CGEDD128 : un produit n'est pas un déchet dès lors qu'il reste dans l'opération d'aménagement. En revanche le coût de la dépollution et la maîtrise des risques ultérieurs, qui dépendent de la nature du projet, compromettent souvent l'équilibre de l'opération de requalification, en fonction du marché immobilier et surtout de l'offre foncière existante sur terrains naturels ou agricoles, souvent plus facile et moins onéreuse à mobiliser. Ceci confirme que le premier moyen d'activer le recyclage des friches polluées est le renforcement des contraintes définies par les documents de planification pour maîtriser l'étalement urbain : en général, il n'est pas suffisant de « diminuer » les zones d'extension urbaines lors des révisions de SCoT et de PLUi, tellement elles ont été généreusement calibrées... La question de la faisabilité renvoie aussi en amont à la responsabilité de l'exploitant : comment rendre effective l'obligation de l'exploitant de dépolluer (pour un même usage) après la cessation de son activité ? les règles de provisionnement sont-elles suffisantes 129 ? qui doit payer quoi dans la chaîne de valeur de la reconversion d'un tel site ? Pour faciliter la faisabilité des opérations, il existe des aides publiques gérées par l'Ademe, mais celles-ci ne concernent que le traitement des sites « orphelins » (enveloppe La Métropole de Rouen s'attaque aux friches polluées annuelle de 20 M) et l'appui à La réhabilitation des friches industrielles est un sujet majeur et l'innovation (4 M). Il serait complexe pour cette métropole (et pour l'ensemble de la vallée de la utile de faire un point sur ce Seine), d'un point de vue à la fois économique et environnemental. La dispositif afin d'en ajuster, si mission, sollicitée pour examiner cet exemple, a constaté, outre la nécessaire, les règles d'emploi nécessité d'approfondir la connaissance de la situation (besoins et (cas de situations limites) et, potentiels fonciers à court et moyen termes), celle de renforcer la plus largement, de réfléchir à gouvernance et de surmonter les aspects réglementaires et financiers. des modes d'incitation d'activer les Sur le plan de la gouvernance, une forte implication coordonnée des permettant acteurs permet d'avancer sur les projets en cours, mais l'ampleur du requalifications. défi nécessite de renforcer le pilotage politique du sujet avec l'établissement d'une stratégie foncière globale et l'appui opérationnel La mise en place d'une fiscalité écologique, par une taxation de l'EPF, qui semble moins mobilisé et sollicité que par le passé. Sur le plan réglementaire, les questions soulevées relatives à dissuasive de consommation l'application des textes environnementaux ont été jusqu'ici réglées de foncier vierge, alimentant grâce à une mobilisation coordonnée des services de l'État. La DREAL un fonds d'aide pour financer reste attendue dans la poursuite d'un rôle de facilitation, selon une les surcoûts de réutilisation de démarche d'objectifs. L'importance du travail en mode projet est sites pollués, constitue l'option confirmée, ainsi que la persistance de sujets délicats comme celui de la majeure, restant à faire aboutir. compensation environnementale. Cela n'empêche pas d'explorer L'équilibre financier des opérations reste difficile à trouver sans aide d'autres voies. publique. De nouveaux opérateurs privés apparaissent, comme Valgo qui s'est engagé dans le traitement et le recyclage du site de Pétroplus. Un levier intéressant est celui des Ce n'est qu'à l'issue de la réalisation du projet d'aménagement qu'il sera de la mutualisation risques : connaissance de la possible d'apprécier complètement la faisabilité du modèle. Le vaste site de Seine-Sud fait quant à lui l'objet depuis plus de 10 ans de projets pollution existante, coût final à l'étude qui, pour avancer, ont besoin de vision globale, d'études des travaux de dépollution, multicritères et de coordination entre les acteurs. délais de mise en oeuvre du projet et de commercialisation 128 Pratiques des EPF sur les sites industriels pollués P. Grand et J. Peyrat CGEDD, 2017. Par exemple dans le cas de nouveaux types d'installations comme les data center. Mutations économiques et développement des territoires Page 53/170 129 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ du foncier produit... Elle peut notamment être obtenue en confiant un ensemble de sites à un opérateur spécialisé. Tel est le positionnement d'acteurs comme Brownfields, qui se développe sur ce marché en tant que fonds d'investissement, avec un modèle économique qui semble cependant exclure les sites trop fortement pollués ou de faible valorisation potentielle. Un point d'attention est de veiller à ce que ces mutualisations ne se fassent pas aux dépens du traitement des sites enclavés ou sans perspective d'utilisation. Une autre posture est celle de Valgo, dont la mission a visité l'opération de recyclage du site Pétroplus à Rouen. Cette entreprise de déconstruction et de dépollution a étendu ses compétences à l'aménagement et la commercialisation, afin de traiter un site à valeur emblématique pour elle. La faisabilité du modèle est liée à la maîtrise de la chaîne globale, à l'importance des travaux de dépollution qui valorisent son savoir-faire et à sa capacité à sortir des produits fonciers bien positionnés sur le marché. C'est pourquoi l'entreprise s'est dotée de compétences d'aménagement et s'est engagée sur ce site, très bien situé, moyennant un montant d'aide public modéré. Le développement de ce mode d'intervention dans d'autres secteurs tendus supposerait la mise en place de structures opératrices dotées d'une capitalisation suffisante. Des propositions peuvent être envisagées au plan du financement, comme la création d'un fonds de garantie, hypothèse sur laquelle travaille l'Ademe. L'association française des ingénieurs et techniciens de l'environnement (Afite) réfléchit également à la création de fonds dédiés. De tels fonds pourraient être alimentés, soit par les industriels selon le principe pollueur-payeur, soit par les « consommateurs » de sols naturels, selon le principe « utilisateur-payeur ». Dans cette seconde option, une hypothèse qui se rapproche de la logique de la fiscalité écologique serait d'affecter au fonds dédié une fraction de taxe sur les mutations foncières, précisément en cas de changement d'usage conduisant à une artificialisation des sols. Enfin, on notera que l'emploi de méthodes douces de dépollution (pyrotechniques, tertres filtrants...), donc assez peu coûteuses mais prenant du temps, couplées avec un usage provisoire de la friche (urbanisme transitoire...) peuvent constituer dans certains cas une solution intéressante, y compris financièrement, en particulier pour le traitement de grands sites non recyclables à court terme, tel celui de Seine Sud à Rouen. Des modes d'intervention publics et privés complémentaires La procédure récente du « tiers demandeur », instituée en 2014 par la loi ALUR 130, transfère la responsabilité de la dépollution du pollueur à un opérateur tiers. L'objectif est notamment de limiter les risques de contentieux par rapport à la notion de « remise en état ». C'est la méthode adoptée par Engie pour mettre en oeuvre la politique de transfert actif de ses sites. En vendant un ensemble de sites à un tiers demandeur, elle permet à cet opérateur spécialisé de dépolluer et de réaménager les sites dans le cadre d'une mutualisation de leur valorisation et des risques. Cette procédure offre des perspectives intéressantes, mais est développée pour l'instant par un trop petit nombre d'opérateurs spécialisés. Les promoteurs s'y intéressent mais sans donner suite, sauf en partenariat avec un opérateur spécialisé. Le transfert des risques reste délicat à organiser. On manque encore à ce jour de recul sur le bon achèvement de ces opérations de requalification mises en oeuvre par les opérateurs privés. Sous réserve d'évaluation et, si besoin, d'ajustement, la méthode mérite d'être promue et son accès facilité pour d'autres utilisateurs privés ou publics, notamment les EPF pour des opérations complexes ou de grande taille, moyennant un ajustement de la doctrine qui les obligent à disposer d'un projet d'aménagement en sortie de portage. Des points d'attention subsistent quant à la robustesse des modèles économiques et à la pertinence respective des montages publics ou privés : l'intérêt des interventions privées qui savent gérer et 130 Loi de 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové ­ Article 173 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 54/170 PUBLIÉ mutualiser les risques est indéniable, mais elles ont aussi leurs limites, notamment pour les zones vastes et complexes ou les marchés trop détendus. Les établissements publics fonciers (EPF) devraient être repositionnés plus clairement sur ce sujet primordial ; c'est une des conditions pour que s'enclenche le recyclage des friches à grande échelle, en contrepartie de la limitation de la consommation nouvelle pour le foncier économique. Les plus anciens des EPF avaient été créés précisément pour le traitement de friches industrielles notamment polluées. Par la suite, la production de foncier pour le logement est apparu comme un enjeu important, voire quasi-exclusif pour les établissements créés plus récemment. Sans abandonner leur action visant à activer la production de logements, les EPF doivent pouvoir aujourd'hui s'engager davantage dans la requalification économique de leurs territoires. Le cas de l'EPF Nord-Pas-de-Calais montre que cette voie est tout à fait possible, sous réserve de l'existence d'un portage politique local et de compétences techniques. De même, l'EPF Lorraine est habilité explicitement à exercer des missions de reconversion de friches industrielles, militaires et urbaines sur le territoire régional ; il a développé en amont des fonctions d'observation et d'étude et assure des interventions de maître d'ouvrage d'études techniques et de travaux de « préaménagement » à la demande des collectivités territoriales. Le sujet existe aujourd'hui dans la totalité des EPF, au-delà des anciennes régions industrielles, comme le montre l'exemple de la région PACA, dont le projet de SRADDET pointe justement les zones prioritaires de reconquête du foncier économique. Les EPF abordent le sujet, au moins par la réalisation de recensements régionaux et d'études131. Les interventions opérationnelles devraient être développées davantage dans tous les établissements, en mettant en place les moyens adaptés aux besoins des territoires 132. Cela suppose des durées de portage plus longues, des possibilités de mutualisation, des arbitrages concernant le niveau et l'affectation de la TSE 133 avec la mise en place de « fonds friches » dédiés au financement de surcoûts liés à la dépollution 134, ainsi que des prêts de la CDC permettant d'assurer la faisabilité d'opérations longues et complexes dans les espaces économiques. Il conviendrait aussi de mutualiser les compétences autour de centres de ressources portant sur différents aspects de la dépollution, par exemple en prenant appui sur l'expertise de l'EPF Nord-Pas-de-Calais en matière de biodiversité. Recommandation 8. Donner des orientations aux établissements publics fonciers (EPF) afin qu'ils puissent, dans l'esprit de leur vocation historique, se doter des moyens techniques et financiers adéquats (TSE, fonds friches dédié...) pour développer un champ significatif d'interventions au service du recyclage des espaces économiques déqualifiés, obsolètes ou pollués (MCTRCT, MTES). Le projet de requalification de la friche Bagnoli à Naples bien engagé Pour ce grand projet de requalification d'un ancien site sidérurgique de bord de mer à proximité de Naples, on observe le retour à une maîtrise d'ouvrage totalement publique, après l'échec de tentatives antérieures (la dernière via une SEM contrôlée par la municipalité) selon un modèle qui donnait un rôle important au secteur privé. La nouvelle démarche s'inscrit dans une politique globale, régionale et métropolitaine, et semble bien engagée grâce à l'implication de l'opérateur national Invitalia, autour d'un projet partagé plus équilibré, nécessitant une intervention complexe et des moyens exceptionnels. 131 La mission a eu connaissance des travaux menées par les EPF Nord-Pas-de-Calais, Lorraine, PACA, et par l'Epora. Cf infra § 3.3. Taxe spéciale d'équipement qui finance l'action des EPF. De tels fonds, qui existent dans plusieurs régions, seraient à envisager ailleurs et à calibrer en fonction des enjeux. Mutations économiques et développement des territoires Page 55/170 132 133 134 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ Parmi les pratiques de recyclage de friches dans les pays voisins, les grands sites sidérurgiques d'Italie font l'objet d'une attention forte des pouvoirs publics, tel celui de Bagnoli, situé dans la région urbaine de Naples, visité par la mission. On peut souligner l'intérêt de développer des échanges de bonne pratique à l'échelle européenne sur la thématique des grands sites industriels pollués, ainsi que l'a proposé l'opérateur national italien qui intervient sur ce projet de reconversion. Suggestion. Activer et accélérer significativement le traitement des friches polluées, en faisant davantage connaître les outils réglementaires existants après avoir procédé à leur adaptation éventuelle, en assurant mieux la complémentarité des interventions publiques et privées, et en renforçant fortement les incitations financières. 2.4.3. Dépollution et environnement L'articulation entre les procédures liées à la réglementation sur les installations classées, à la loi sur l'eau et au respect de la biodiversité, est compliquée pour les opérateurs, car non homogène selon les territoires et pas assez coordonnée entre les services instructeurs des différentes réglementations. La préservation de la biodiversité Il peut paraître paradoxal de poser des conditions de protection de la faune et de la flore dans des friches industrielles qui n'avaient ni faune, ni flore tant que les sites étaient en activité et qui ont vocation à retrouver une destination urbaine. Les opérateurs et les collectivités locales posent à ce propos des questions sur la réalisation de l'étude d'impact, sur sa durée de validité et sur les règles de compensation demandées pour la faune et la flore apparues dans ces friches. La mission estime que la question se pose d'une mise en oeuvre plus souple, évitant les interprétations excessives, et s'accorde sur la nécessité d'une doctrine harmonisée sur le territoire. Les règles de compensation Globalement, il n'y a pas de contestation de la doctrine « éviter, réduire, compenser », dite « ERC». L'application des règles de compensation fait toutefois débat dans certains cas, en raison d'imprécisions et d'interprétations paraissant trop rigides. Sous réserve d'une analyse plus approfondie, il ne parait pas nécessaire de modifier les dispositions réglementaires, mais diverses questions, comme celle de la distance entre projet et zones de compensation, peu précisée dans les textes, méritent un examen en vue de parvenir à une application raisonnable et une cohérence entre services concernés des DREAL. Une application plus pragmatique et ajustée des règles pourrait être utilement recherchée à travers un recensement des bonnes pratiques qui serait diffusé à toutes les DREAL, voire des expérimentations permettant de remédier à d'éventuelles difficultés juridiques ou techniques, en s'appuyant aussi sur les retours d'expériences issus de l'Ae et des MRAe. Ainsi, face à des procédures complexes à maîtriser (réglementation environnementale, mécanismes de compensation), l'enjeu de pilotage et de bonne coordination apparaît primordial, de même que le besoin d'harmonisation sur la base d'une capitalisation des bonnes pratiques. En outre, un champ possible d'expérimentation pourrait être à ouvrir, notamment pour le traitement de grands fonciers complexes, avec un usage temporaire des sites, et pour une optimisation des mécanismes de compensation grâce à une approche globale à l'échelle d'un territoire. Des financements du SGPI sont envisageables pour tester des solutions innovantes ; ainsi que l'a mentionné son secrétaire général, la question des sites pollués est, tout comme l'urbanisme de transition, un thème prioritaire du PIA. Suggestion. Susciter, par la réalisation d'expérimentations et l'établissement d'un guide de bonnes pratiques, la mise en place d'organisations locales en mode projet permettant de coordonner l'ensemble des procédures relatives au recyclage des sites pollués, d'optimiser la mise en oeuvre des mécanismes de compensation environnementale et de gérer dans la durée les projets complexes, selon une doctrine harmonisée (MTES). Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 56/170 PUBLIÉ 3. Adapter la gouvernance territoriale et l'action publique pour accompagner la mise en mouvement des acteurs 3.1. Optimiser l'organisation publique territoriale au regard du développement économique durable Les changements récents de l'organisation territoriale induits par les lois MAPTAM et NOTRe ont suscité un certain bouleversement qui est encore à ce jour en voie de stabilisation, en particulier pour ce qui concerne l'action publique en matière économique. Un nouvel acte de décentralisation est annoncé pour début 2020, avec des transferts de compétences et de financements visant à faciliter les « politiques de la vie quotidienne ». Un « pacte » relatif à la présence de l'État et des services publics dans les territoires serait proposé, en réponse au besoin de « proximité » exprimé par de très nombreuses remarques faites lors du grand débat national. Bien que les intentions exprimées ne touchent pas directement l'organisation du développement économique dans les territoires, les modifications législatives envisagées pourraient avoir un impact sur l'organisation de l'action publique dans ce domaine, par exemple en facilitant la synergie des compétences entre les différents niveaux de collectivité. 3.1.1. Des compétences à mieux articuler La répartition des compétences est désormais claire dans les textes : les aides et l'innovation pour les Régions, le foncier et l'animation des acteurs économiques pour les intercommunalités. Dans la réalité, les choses le sont moins et l'articulation des missions présente encore des difficultés qui gênent l'optimisation de l'action publique dans certains territoires. Les Régions, qui pour une grande partie d'entre elles, ont dû consacrer ces dernières années beaucoup de temps à gérer leur fusion, sont souvent perçues comme lointaines par les élus locaux et par les dirigeants des entreprises petites ou moyennes. Vues de certains EPCI ou même de Métropoles, elles paraissent avoir généré trop de « technostructure », les empêchant d'être suffisamment stratèges et à même de prendre en compte les territoires dans leur diversité 135. Il y a ainsi une carence de complémentarité entre l'échelle régionale, pertinente pour coordonner l'action et gérer l'évolution des filières, et celle des intercommunalités pour mettre en mouvement les écosystèmes d'acteurs. Nombre d'EPCI sont en outre de constitution récente, peu intégrés et structurés autour d'un projet de territoire, ni dotés des moyens d'ingénierie nécessaires. Les Départements se sont en principe retirés du champ des interventions économiques mais, dans les faits, ils restent attentifs au devenir de « leur » territoire et tentés d'agir pour suppléer aux difficultés constatées. Depuis la loi NOTRe, ils ont perdu (comme les Régions) le bénéfice de la clause de compétence générale et ne peuvent plus agir directement, sauf dans le domaine du tourisme. Ils ne peuvent plus attribuer d'aides aux entreprises, même par délégation du niveau régional, et n'ont la possibilité d'agir en matière d'immobilier d'entreprise que par délégation du bloc communal (et encore, pour « octroyer » les aides, mais sans pouvoir en définir le régime) 136. Ils doivent transférer les zones d'activité dont ils étaient propriétaires, quitter les syndicats mixtes chargés de les gérer et ne peuvent pas rester actionnaires majoritaires dans les EPL intervenant en ce domaine. L'interprétation et la mise en application de ces dispositions ont soulevé nombre de difficultés qui ont mobilisé les services de l'État et ceux des collectivités concernées. Si certains Départements se 135 Cf développements, exemples et recommandation du § 1.3.1. supra. Instruction du Gouvernement NORINTB 1531125J en date du 22 décembre 2015 relative à la nouvelle répartition des compétences en matière d'intervention économique des collectivités territoriales et de leurs groupements issus de l'application de la loi NOTRe, suivie de la lettre du Gouvernement du 3 novembre 2016 (« Conséquences de la nouvelle répartition des compétences en matière de développement économique sur les interventions des conseils départementaux »). Mutations économiques et développement des territoires Page 57/170 136 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ sont désengagés, d'autres conservent une capacité d'action significative, soit par délégation des EPCI, soit sous forme d'action opérationnelle, souvent via unee structure notamment en matière d'attractivité (non limitée au tourisme) 137. Ils peuvent également exercer un rôle d'impulsion et de mise en cohérence des acteurs. Le département de l'Ardèche a ainsi lancé une démarche partagée de projet de territoire pour susciter et accompagner une transformation économique fondée sur la transition écologique138. L'agence d'attractivité du département de la Meuse, unanimement reconnue pour la pertinence de ses interventions, les a poursuivies en s'appuyant sur la base juridique relative à la compétence « tourisme », tout en s'interrogeant fortement sur sa pérennité et sur ce que pourrait être le prochain modèle. Le département des Yvelines agit quant à lui activement et de façon très opérationnelle pour son développement économique. Les Yvelines, un Département très engagé pour le Un certain nombre d'acteurs s'interrogent sur le mode optimal d'action pour le développement développement de son territoire. économique des territoires, dans l'attente d'une Disposant de moyens techniques et financiers montée en régime des intercommunalités. Au importants, cette collectivité exerce une action moment où il est envisagé de réexaminer territoriale volontariste qui contribue au certaines dispositions de la loi NOTRe, revoir la positionnement et à l'attractivité de l'Ouest parisien, répartition des compétences ferait pourtant dans le contexte d'une possible fusion avec les Hauts-de-Seine et d'une gouvernance du Grand Paris courir le risque d'un « retour en arrière » sur la qui reste en devenir. Le Département s'appuie pour clarification voulue de tous. Cette question cela sur le « carré magique » que constituent ses mérite néanmoins des investigations au-delà de services, son opérateur d'aménagement, son bailleur l'objet du présent rapport. Les débats de la social et la branche yvelinoise de l'établissement matinée du congrès des maires de novembre public foncier régional, dont l'action est « dopée » 2018 précisément centrée sur ce sujet ont par un fonds financier apporté par le budget clairement fait ressortir le besoin, exprimé par départemental. L'action du Département est bien les Régions comme par les intercommunalités, appréciée des élus yvelinois, mais ne semble pas du maintien d'une présence de l'acteur particulièrement coordonnée avec celle de la Région départemental dans la période actuelle. Ainsi, en Île-de-France. région Occitanie, le département de HauteGaronne a créé une société publique locale (SPL) avec 13 EPCI pour leur apporter de l'ingénierie à côté de la Région, laquelle a accepté et encouragé ce modèle afin de ramener de la proximité dans sa politique économique139 ; l'Ariège fonctionne de la même façon, huit EPCI ont créé avec le Département une agence de l'attractivité « pour pouvoir se payer de l'ingénierie ». L'intérêt de l'échelle départementale se vérifie dans ce cas sur trois dimensions : l'énoncé d'une vision infra-régionale qui peut constituer un véritable niveau d'identité territoriale comme en l'Ardèche (déjà cité) ; la viabilité d'outils d'ingénierie et d'opérationnalité fiables et à bonne échelle, et la possibilité de cofinancements et de crédits d'investissement en faveur du développement local. Du point de vue de l'efficacité économique et du développement durable des territoires, il pourrait paraître opportun, sans remettre en cause les orientations prises par la loi en matière de répartition des compétences, de faire preuve de pragmatisme en identifiant et en facilitant les interventions des Départements, sous réserve qu'elles soient cadrées, se réalisent de façon concertée (par conventionnement) avec les autres niveaux et qu'elles contribuent à qualifier les EPCI notamment par un apport d'ingénierie afin qu'ils puissent d'ici quelques années prendre le relais, 137 Après la suppression de 20 agences de développement départementales, 17 agences d'attractivité ont été créées depuis deux ans par les Départements, selon une étude du CNER à paraître, citée le 16 juillet 2019 par Localtis. Cf § 1.4.1 et annexe 5.3. La SPL offre des moyens de communication attractifs, que ne peuvent pas « se permettre » les intercommunalités, tandis que celles-ci vont à la rencontre des entreprises du territoire au moins deux fois par an pour « réfléchir à leur avenir commun ». 138 139 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 58/170 PUBLIÉ individuellement ou par regroupement voire coopérations (PETR...). Une condition essentielle est d'assurer non seulement une cohérence de l'action publique mais aussi sa lisibilité pour les bénéficiaires, par exemple en prévoyant un guichet unique même si les financements proviennent de différentes collectivités. Les services des collectivités, leurs agences (agences de développement, agences techniques...) et opérateurs (EPL, SPL, EPF locaux...) ont un rôle et de moyens qui leur permettent d'exercer une influence significative pour assurer la faisabilité des projets et aussi faciliter une meilleure articulation entre les niveaux politiques. Recommandation 9. Veiller à la bonne coordination de l'action technique et financière menée par les Départements pour le soutien à l'ingénierie locale et la facilitation du développement économique, dans le cadre d'une contractualisation les associant aux Régions et aux EPCI, afin d'assurer l'efficience des interventions publiques et d'accompagner la montée en compétence des intercommunalités sur la durée du prochain mandat local (MCTRCT). 3.1.2. Des périmètres pas toujours adaptés, à revoir quand cela est possible Au cours des dix dernières années, les changements ont également été importants en ce qui concerne les périmètres des collectivités territoriales et de leurs regroupements. En dépit de ces évolutions qui se sont faites le plus souvent dans le sens d'une extension géographique, on constate que, pour autant, les périmètres institutionnels ne coïncident pas toujours avec les périmètres fonctionnels pertinents, notamment pour ce qui est du développement économique. Les périmètres optimaux sont d'ailleurs différents selon les domaines (logement, transports, économie et emploi...). Jugés dans certains cas trop vastes (cas des « méga-EPCI » ruraux qui s'avèrent difficiles à gérer), des périmètres d'intercommunalités peuvent aussi s'avérer trop étroits pour l'efficacité du développement économique durable, comme c'est le cas Le « pôle métropolitain » lyonnais lorsque leurs limites ne coïncident pas La région urbaine de Lyon s'étend sur plusieurs avec celle d'un bassin industriel cohérent, départements (Rhône, Drôme, Isère, Ain, Loire), avec un fort par exemple pour la vallée de l'Arve ou déséquilibre entre la capitale régionale elle-même et les pour le Bassin minier. Cette observation grandes villes de ce « périmètre ». Dès 2009, a émergé l'idée vaut aussi pour des métropoles, dont on d'une entité visant à répondre aux enjeux économiques en connaît la difficulté à entraîner le permettant d'agrandir l'aire économique lyonnaise tout en développement de leurs périphéries : on évitant la tendance à la concentration et en instaurant un peut citer à titre d'illustration les certain desserrement. Les élus de Lyon Métropole sont entrés métropoles de Toulouse, de Lyon, et en dialogue avec les pôles « secondaires » de la région aussi, sous une forme atypique, celle du Grand Paris, réduite à une partie de urbaine en vue de constituer ce « pôle métropolitain ». L'impulsion des acteurs de la société civile a précédé l'unité urbaine alors que la « métropole l'initiative politique : les universitaires ont noué des alliances, économique » se situe au niveau de l'aire les pôles de compétitivité et les industriels ont recherché des urbaine. synergies : par exemple Saint-Étienne, siège de l'industrie mécanique, accueille le pôle de compétitivité et le plus gros S'il n'existe pas de périmètre idéal du centre de recherche privée dans ce secteur, avec 12 comptoirs point de vue de toutes les fonctionnalités, à l'étranger. Les agences d'urbanisme ont mutualisé leur on observe que des regroupements ou structure d'observation puis constitué une structure des extensions seraient dans certains cas souhaitables pour mieux répondre aux commune « ADE région lyonnaise ». enjeux de l'action économique et de la Bien qu'elle n'aie pas prospéré, cette initiative a néanmoins transition écologique ; cette optimisation induit des progrès relatifs à la desserte, l'aménagement, les serait à envisager à l'occasion de équipements et les services, comme par exemple, la prochaines mesures gouvernementales polarisation de l'urbanisme autour des gares via la démarche retouchant l'organisation de la « Urba gare ». Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 59/170 PUBLIÉ décentralisation. Pour remédier à ces difficultés de périmètre, des solutions sont aussi à trouver par le développement de coopérations inter-territoriales (pôle métropolitain, PETR...). Suggestion. Susciter, quand cela est souhaitable et possible, les ajustements de périmètres (élargissements ou regroupements) des métropoles et intercommunalités permettant d'en faire des territoires pertinents pour un développement économique cohérent et durable (MCTRCT). 3.1.3. Des coopérations inter-territoriales à concrétiser et développer dans la durée Quels que soient les découpages, il y a nécessité absolue de coopérations inter-territoriales fortes en matière économique. Elles doivent permettre de construire des solidarités effectives et pérennes, misant sur une logique d' « alliance des territoires », de partenariat « gagnant-gagnant » et de mise en commun de projets à différentes échelles, comme y invite le protocole signé fin mars 2019 entre l'Ademe, France-Urbaine, l'ANPP et l'ADCF et dont l'objectif est d'accompagner l'intégration de la transition écologique dans tous les projets territoriaux 140. Des « contrats de réciprocité », dont l'origine date des Assises des ruralités de 2014, ont été lancés dans le but de favoriser la coopération entre les métropoles et leurs territoires limitrophes. Deux territoires seulement sur les quatre désignés initialement pour une expérimentation ont signé leur contrat : la métropole de Brest et le pays du Centre-Ouest Bretagne, en novembre 2016, et la métropole de Toulouse et le pays « Portes de Gascogne », en juillet 2017. Les deux autres contrats (Lyon et Aurillac, Le Creusot et le Morvan) ont en revanche plus de difficultés à émerger, pour des raisons liées au manque d'interaction ou à des divergences politiques. Si cette démarche est encore embryonnaire, on note qu'un nouveau contrat de ce type a été signé le 10 avril entre Nantes et le pays de Retz, portant notamment sur le développement économique et le tourisme, et qu'un autre devrait l'être bientôt entre la métropole de Grenoble et la communauté de communes du Trièves. Un élément pourrait accélérer la mise en place des contrats de ce type : l'intégration, dans les 16 pactes métropolitains d'innovation (PMI), déclinaisons locales du pacte État-Métropole signé en juillet 2016, d'un volet de coopération obligatoire : le « contrat de coopération métropolitaine » (CCM). Celui-ci est centré sur les projets de coopération des métropoles avec leurs territoires proches. Sur 169 actions définies dans le cadre des PMI, 42 sont dédiées à ce volet de coopération. Dans le cadre de contrats de cohésion territoriale qui seraient initiés par le Gouvernement, des conventions pourraient être conclues entre une Métropole ou une communauté urbaine et des intercommunalités afin de développer des synergies sur le modèle des contrats de réciprocité 141. On notera qu'une obligation de coopération reposant sur la généralisation des contrats de réciprocité est préconisée dans le rapport de mission « Agenda rural » qui vient d'être rendu public142. On constate que des outils existent, comme le montrent les exemples des pôles métropolitains, ou des Inter-SCoT, qui permettent une approche à l'échelle de l'aire urbaine, des pays et PETR, ou encore des contrats de réciprocité ; ces dispositifs sont de plus en plus formellement en place, facilitant et pérennisant le dialogue et la concertation. Toutefois, sous réserve d'évaluation, il semble que restent à créer, particulièrement dans le champ du développement économique, les conditions de réelles coopérations et solidarités. Faut-il procéder par incitation ou par obligation ? 140 Parmi les sujets du protocole figurent le déploiement de l'économie circulaire, la mise en cohérence des politiques énergie-climat dans les territoires, le développement de nouveaux modèles de finance verte auprès des collectivités, l'expérimentation sur des territoires pilotes du service public de l'efficacité énergétique de l'habitat. Cf infra § 3.4. les dispositifs contractuels impliquant L'État. Daniel Labaronne, Patrice Joly, Pierre Jarlier, Cécile Gallien, Dominique Dhumeaux, avec l'appui notamment du CGEDD Ruralités : une ambition à partager, 200 propositions pour un agenda rural, juillet 2019. 141 142 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 60/170 PUBLIÉ Imposer par le haut la coopération apparaît irréaliste ; à défaut de jouer sur la fierté de se montrer « riche et solidaire » comme en Suisse, mieux vaut sans doute s'appuyer sur l'agilité de territoires moins bien positionnés et sur la recherche de complémentarités, par exemple d'un intérêt commun à agir sur l'offre de ZAE, thème sur lequel Bordeaux et Nantes ont ouvert un dialogue avec des communes extérieures à la métropole. Pour assurer une réelle coopération dans la durée, il convient de susciter la mise en place d'instances de travail se réunissant de façon régulière : de telles « conférences territoriales du développement économique durable » permettraient de partager des objectifs, d'en assurer le suivi et de fédérer toutes les énergies (élus, administrations, entreprises, société civile...) à la bonne échelle, autour de visions partagées. Recommandation 10. Susciter le développement de coopérations inter-territoriales pérennes en matière économique, après évaluation des pratiques existantes, et encourager la mise en place de « conférences territoriales du développement économique durable », afin que de réelles synergies et solidarités s'instaurent et s'amplifient (MCTRCT, MEF). 3.2. Soutenir les écosystèmes locaux et promouvoir des réseaux « apprenants » 3.2.1. Les facteurs récurrents d'existence de dynamiques locales Il importe de confirmer à quel point les conditions de réussite du développement territorial sont liées à la qualité du jeu d'acteurs impliqués dans l'écosystème local, tout comme à l'échelle régionale. Des élus porteurs d'une vision et sachant animer une démarche de coopération de l'écosystème Les élus ont vocation à porter une vision politique, à initier une démarche de mise en mouvement du territoire et à renforcer leur rôle Dans les Hauts-de-France, les élus veulent promouvoir « une d'animation de l'écosystème local, d'interrégion durable et connectée » médiation et d'ensemblier. Ils ont à mettre Les élus régionaux ont initié la démarche « Rev3 » autour en cohérence les projets locaux de la troisième révolution industrielle. L'alternance d'aménagement et les politiques et politique n'a pas empêché sa poursuite avec un portage stratégies de développement économique fort associant la Région et les responsables économiques. et d'emploi. Des métropoles comme Un accord entre acteurs publics et privés sur une vision Rennes ou Nantes, des villes moyennes rassembleuse a été établi sur le terrain grâce à la comme Vitré ou Figeac ont été souvent mobilisation de tous : 125 « experts » de la région, citées parmi d'autres exemples de portage administrations et entreprises, ont travaillé ensemble politique du développement local. La pendant neuf mois pour définir une feuille de route. Cette démarche a ensuite facilité la coopération et l'accélération mission a également relevé l'intérêt de des projets. L'appui de l'économiste Jérémy Rifkin a été démarches mobilisatrices impulsées à déterminant ; il est apparu comme un « totem » et un d'autres niveaux, comme dans le cas de la Région Hauts-de-France. « catalyseur » plutôt qu'un maître à penser. Un écosystème mobilisé, stimulé par des entreprises leaders Le cas de la Vallée de l'Arve est illustratif avec des entreprises industrielles à haute valeur ajoutée, connues internationalement pour certaines d'entre elles, un écosystème regroupant les industriels et les banques, qui travaillent en bonne intelligence. La Normandie est un autre cas intéressant pour Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 61/170 PUBLIÉ illustrer une démarche de mobilisation régionale, visant à être déclinée localement, en s'appuyant sur un maillage de grandes entreprises. En Normandie, après la fusion, la mobilisation des grandes entreprises Le projet de la Normandie est de créer dans le contexte de la fusion une nouvelle dynamique de développement, s'appuyant sur les entreprises industrielles présentes, qui sont des « fleurons » de l'industrie française. Depuis 2017, la Région mobilise les acteurs économiques et les outils de promotion. Le dynamisme régional est entretenu par un portage politique fort pour que le territoire progresse en particulier en matière d'innovation, grâce à une mise en réseau des entreprises, une ouverture plus grande à l'international, et un soutien à l'entrepreneuriat et à l' « intrapreneuriat ». Une capacité d'adaptation et d'anticipation de l'ensemble des acteurs Les territoires mono-industriels sont particulièrement fragiles et le rebond d'un bassin industriel sinistré est un long chemin, comme le montre l'exemple déjà évoqué de Romans sur Isère. La vallée de l'Arve, parce qu'il s'agit d'un écosystème davantage diversifié, connaît une situation plus favorable. La vallée de l'Arve, écosystème résilient Les entreprises de la vallée ont montré leur capacité à surmonter les périodes de crise : dans les années 60-70, la crise de l'horlogerie les a incitées à évoluer vers l'industrie du décolletage, faisant appel au même type de savoir-faire dans le domaine de la mécanique de précision ; puis en 2008, la crise de l'automobile les a conduites à diversifier leur portefeuille de clients et leurs produits pour répartir les risques. Ce sont en grande partie des industries à haute valeur ajoutée qui investissent de longue date en capitaux propres dans la recherche et l'innovation, participent à des réseaux de coopération territoriaux et extra territoriaux, et sont fortement engagées dans la révolution numérique. En dépit de l'absence d'un projet de territoire porté par les élus au niveau de l'ensemble des intercommunalités de la vallée, une action soutenue d'animation économique et de mise en réseau est assurée par le pôle de compétitivité. Des entreprises en mouvement La présence d'entreprises sachant innover, se mettre en réseau, se placer sur des marchés diversifiés et stimuler un système de formation adapté à leurs besoins est un facteur majeur. La mission a relevé divers exemples, dont celui déjà évoqué de l'entreprise SEB 143 et celui de l'entreprise Thimonnier. L'entreprise Thimonnier en Auvergne-Rhône-Alpes , toujours familiale Après 150 années d'existence, elle entretient un esprit de transmission et une vision à long terme. Après avoir inventé des machines à coudre, elle conçoit et réalise aujourd'hui des machines de fabrication d'emballages souples et de remplissage de liquides. Elle s'appuie sur deux éléments de différenciation : l'innovation permanente grâce à un réinvestissement annuel de 10 à 15 % du chiffre d'affaires dans sa recherche-développement et un positionnement à l'international avec 85 % de son chiffre d'affaires réalisé en dehors de la France, dont 80 % en dehors de l'Europe. Elle s'adresse à quatre marchés diversifiés avec des technologies faisant appel aux mêmes savoir-faire, soutenus par de solides plans de formation. Une société civile associée et de plus en plus impliquée La créativité vient souvent de la société civile : depuis son origine, l'économie sociale et solidaire intègre une telle approche de « créativité sociale », ainsi qu'en témoignent les multiples initiatives 143 Cf supra §1.1. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 62/170 PUBLIÉ locales relevant de cette forme d'économie. À Romans, le groupe Archer l'a illustré avec sa démarche « start-up de territoire » avec des ateliers de créativité ouverts à tous, visant à mettre en relation et en mouvement les acteurs d'un territoire et à accompagner la concrétisation de leurs projets entrepreneuriaux dans les secteurs tels que l'énergie, les transports, l'agriculture, l'économie circulaire. La société civile n'est pas seulement composée d'associations et de citoyens prêts à participer au-delà des pratiques de consultation et de concertation, mais aussi de nouveaux acteurs, notamment issus de la sphère créative, et qui contribuent à l'émergence de pratiques novatrices, telles que les tiers-lieux ou l'urbanisme de transition. La France semble globalement moins avancée que certains pays voisins en termes de démarches participatives, d'approches bottom up ou de pratiques de démocratie directe que l'on retrouve dans le système suisse des votations144, lequel n'est toutefois pas exempt de lenteurs et de blocages. Notre pays dispose cependant d'outils dédiés, qui pourraient être focalisés sur des questions économiques et écologiques : les Conseils de développement145, instances de démocratie participative locale regroupant des membres bénévoles, constituent une institution spécifique à notre pays, dont le rôle mériterait d'être évalué puis redéfini et relancé. Lors de la cérémonie du vingtième anniversaire des Conseils de développement le 24 juin dernier au Sénat, l'intérêt d'une mobilisation de ces instances a été souligné pour la construction de politiques publiques écologiques 146. Suggestion. Relancer la démocratie participative dans le champ du développement économique durable, en s'appuyant notamment sur les Conseils de développement, après avoir établi une évaluation de leur action et redéfini en tant que de besoin leurs missions (MCTRCT, MEF). 3.2.2. Le soutien aux écosystèmes, aux dispositifs d'innovation et autres clusters Il importe de soutenir les démarches innovantes, le développement des écosystèmes et l'émergence d'une économie de plus en plus collaborative dans les territoires. La nouvelle étape engagée pour les pôles de compétitivité et la mobilisation de l'ensemble des clusters, notamment autour de l'économie circulaire et de l'écologie industrielle peuvent constituer une dynamique à encourager. En France, la politique industrielle portée par l'État fait l'objet d'une organisation par filières. Selon l'opinion de plusieurs experts qui se réfèrent à l'Allemagne, à l'Italie ou au Japon, cette approche apparaît fondée au niveau national et pourrait même être renforcée par un choix plus stratégique des filières et une coopération plus étroite entre les pouvoirs publics et les entreprises, à l'instar notamment de l'exemple allemand 147. Pour la plupart des acteurs, cette politique est toutefois trop cloisonnée et en attente d'être reliée aux territoires. Le soutien à l'innovation dans les territoires Lancés depuis 15 ans, les pôles de compétitivité sont, pour la plupart, reconnus pour l'intérêt de leur démarche, même si leur efficacité dépend évidemment de la dynamique de coopération entre organismes de recherche et entreprises, ainsi que de l'appui reçu des collectivités territoriales. Les 144 Permettant aux citoyens de réagir sur une loi ou bien de prendre l'initiative sur un sujet pour en demander une, le système repose sur l' « ADN suisse », qui fait que les électeurs répondent généralement à la question posée. Bénéficiant d'un cadre légal avec les lois NOTRe et MAPTAM, ils sont créés par les Métropoles, communautés urbaines, d'agglomération, de communes (dès lors qu'elles sont à fiscalité propre et de plus de 20 000 habitants), pays et pôles d'équilibre territoriaux et ruraux (PETR), en tant qu'instances de consultation et de proposition sur les orientations majeures des politiques publiques locales. Alors que leur caractère obligatoire semble faire débat et pourrait être remis en cause... C'est le point de vue de Pierre Veltz, selon lequel il y a en fait un trop petit nombre de « vraies filières » en France, comme la santé, l'aéronautique, l'automobile, en pleine mutation, avec les équipementiers qui prennent la tête de cette filière. Cf également l'exemple de la filière bois supra § 1.1. Mutations économiques et développement des territoires Page 63/170 145 146 147 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ situations peuvent être fluctuantes au sein d'une même région 148. Dans la nouvelle période 2019 ­ 2022, il importe que l'État maintienne une certaine continuité et soutienne les dynamiques existantes149. La diminution du nombre de pôles a incité à des regroupements qui finalement ne semblent pas remettre en cause leur ancrage territorial, à condition d'entretenir entre les équipes des coopérations qui ne s'arrêtent pas aux frontières régionales. Dans leurs entretiens avec la mission, les présidents de pôles, qui sont issus du monde de l'entreprise, ont souligné l'importance, pour expliquer la performance et la réussite des entreprises de leur pôle, de leur propre ancrage territorial : l'appui sur des réseaux construits sur une base locale et régionale, le partenariat avec les universités et la recherche régionale appliquée, les liens avec l'ensemble des leviers territoriaux de l'innovation. La mission souligne l'importance de reconnaître et de prendre en compte cet aspect pour la performance économique, à l'image de ce qui peut être observé en Allemagne. Une plus grande place des PME dans les pôles de compétitivité est régulièrement souhaitée, ainsi qu'une convergence plus forte entre les pôles et l'ensemble des clusters. C'est la vision défendue par France Clusters, qui considère que ces deux concepts correspondent à une gestion territoriale de la politique de filière permettant d'insérer les territoires et de cibler les PME, piliers du tissu économique. Le ministère de l'économie et des finances est perçu comme ayant une approche différenciée des clusters et des pôles de compétitivité, ces derniers devant rester dans une approche nationale de politique de filières, privilégiant les grandes entreprises et les pôles technologiques (de fait, les grands groupes président un grand nombre de pôles, dont ils apportent souvent les principaux financements). Pour la mission, une évolution vers une approche plus concrète du fonctionnement territorial des filières, pôles et clusters permettrait de faciliter la relation avec les territoires et l'implication des PME et TPE, lesquelles ne disposent pas d'outil de recherche bien qu'elles représentent 80 % du tissu industriel. Cela devra constituer un important point d'attention dans la perspective annoncée d'un transfert des pôles aux Régions à partir de 2020. Suggestion. Encourager une gestion coordonnée des filières, pôles de compétitivité et clusters afin de faciliter leur relation avec les territoires et l'implication de l'ensemble du tissu économique, notamment celui des PME et TPE (MCTRCT, MEF). 3.2.3. La promotion des démarches innovantes, des « démonstrateurs » et des « réseaux apprenants » Les approches et méthodes innovantes doivent être identifiées, analysées et le cas échéant promues. Elles donnent à voir des projets ou des réalisations ayant valeur d'exemplarité afin de servir de modèle, d'incitation ou bien de test. C'est ainsi qu'il est souvent question de mettre en place des « démonstrateurs », notamment en matière d'économie circulaire, ou bien plus largement, comme dans le cas de la démarche Rev3. Parmi les méthodes et outils novateurs, la mission a notamment repéré deux initiatives récentes : 148 Par exemple, dans les Hauts de France, I-Trans, pôle focalisé sur les transports terrestres et la logistique, rebondit après un démarrage difficile, grâce au choix de sujets ciblés et un travail collectif entre universités et entreprises ; des pôles de compétitivité liés au textile sont en cours de regroupement ; le pôle IAR (ressources et industrie agroalimentaire) fonctionne bien ; d'autres pôles n'ont en revanche pas vraiment pris leur envol... Selon le rapport du CGEDD n°010561-01 de juillet 2016 Les pôles de compétitivité, leur apport pour les politiques du MEEM (établi par Bruno Depresle, Elisabeth Dupont-Kerlan coordinatrice, Gérard Lehoux et Alby Schmitt), « le rôle des pôles est d'abord territorial pour faciliter l'innovation » (p. 38). Le rapport souligne la nécessaire articulation avec les autres dispositifs territoriaux (notamment de recherche) et les appels à projet, ainsi que les perspectives issues de la transition écologique. Il privilégie un scénario de renforcement des réseaux thématiques, qui « préserve les écosystèmes qui se sont constitués » et « permet une large diffusion des enjeux de transition ». 149 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 64/170 PUBLIÉ · la toile industrielle, est une méthode développée par des agences d'urbanisme de villes industrielles (Dunkerque, Saint-Etienne...) visant à observer et mesurer tous les flux d'échange entre les entreprises, facilitant ainsi le développement de l'économie circulaire entre les entités économiques existantes et celles qui sont potentiellement entrantes ; la « communauté apprenante » Symbiogora150 se situe comme un lieu de partage (forum national ou régional, communauté en ligne...) entre acteurs clefs du développement territorial (pouvoirs publics, urbanistes, chercheurs, formateurs, incubateurs, startups et autres entrepreneurs...), aidant les participants à développer leur propre écosystème pour créer de la valeur territoriale (économie, emploi, inclusion, environnement, qualité de vie...) · Hauts de France : une politique de démonstrateurs Les 16 « territoires démonstrateurs », lancés par la mission « Rev3 », ont vocation à faire connaître les actions menées par les entreprises au sein des territoires de la région grâce à l'organisation de coopérations et de journées thématiques. L'idée, portée par la Région fusionnée, devrait faire l'objet d'un déploiement sur d'autres sites., en touchant l'ensemble des collectivités territoriales, des acteurs locaux et des citoyens par ces actions de proximité. C'est une illustration intéressante de l'implication de la Région dans les territoires. L'urbanisme transitoire Il s'agit de valoriser des espaces inutilisés dans le cas de projets de renouvellement urbain ou de requalification prenant du temps, pour développer des activités temporaires de type agriculture urbaine, accueil de populations en difficulté, activités ludiques ou culturelles... Dans le cas de villes en décroissance urbaine, comme à Roubaix, avec un projet d'agriculture sur d'anciennes friches industrielles, la démarche peut même s'étendre sur des durées beaucoup plus longues. Ces pratiques suscitent des questionnements, notamment sur les ambiguïtés de la « classe créative » et la place réelle des créateurs dans la ville151. Elles ouvrent néanmoins des perspectives intéressantes tout comme celles, de nature voisine, relatives à la mise en valeur de « communs » territoriaux152, en tant qu'usage partagé du foncier et la possibilité d'implication de nouveaux acteurs. On parlait autrefois d' « urbanisme éphémère » ; aujourd'hui les initiatives sont mieux accueillies et les exemples plus nombreux, notamment en Île-de-France 153, parmi lesquels on peut citer à titre illustratif celui de l'ancienne usine Christofle en Seine-Saint-Denis. L'usine Christofle en Seine-Saint-Denis devient « l'Orfèvrerie » Fermée depuis 20 ans, l'ancienne usine compte 21 000 m² réutilisés dans le cadre d'un projet piloté par l'urbaniste Bernard Reichen : depuis son rachat en 2016 par le promoteur Quartus, le site, rebaptisé l'Orfèvrerie, « fait le plein ». En 2018, un appel à candidatures a reçu 150 réponses et conduit à la signature d'une trentaine de baux, tous temporaires. Le départ est prévu en 2019 mais certains preneurs pourraient rester car les projets d'usage futur sont souvent plus longs que prévu, et la créativité des usagers transitoires valorise les lieux : « les villes sont plus attractives si on y voit de l'animation plutôt que des palissades » ; et l'inventivité soutient les bénéfices... L'urbanisme de transition deviendra-t-il la base de l'urbanisme tout court ? L'urbaniste alerte sur les limites de la démarche : « On voit apparaître un très fort romantisme de l'appropriation ; mais dès qu'on pense à un vrai projet, c'est un autre sport.» 150 Initiée par l'Institut Paris Région (ex IAU Île-de-France), l'Université catholique de Lille et le cabinet In Principio. Cf notamment Qu'est-ce que la ville créative ? Par Elsa Vivant, PUF avec le concours du PUCA, 2009. Cf Note rapide IAU, Les communs urbains, une notion pour repenser l'aménagement territorial, juillet 2019. L'IAU IF distingue « l'optimisation économique d'un patrimoine immobilier vacant, comme celui du promoteur de bureaux Gecina avec Paris&Co ; des projets citoyens, culturels et sociaux, comme les Grands Voisins à Paris ; des occupations du foncier SNCF, axées sur les dimensions festives et culturelles (Gare des Mines, Grand Train, Ground Zero) ». Mutations économiques et développement des territoires Page 65/170 151 152 153 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ Le droit à l'expérimentation L'usage du droit à l'expérimentation a été cité par plusieurs interlocuteurs de la mission comme un moyen pour sortir de situations de blocage, ou pour mieux adapter la règle au contexte. Consacré par la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 et confirmé récemment par la loi pour un État au service d'une société de confiance, dite loi ESSOC, visant à favoriser l'innovation, ce droit est encore peu utilisé, notamment par les collectivités territoriales. Il convient de définir les responsabilités, la durée et l'évaluation de la démarche. Mais la sortie de l'expérimentation reste délicate, en l'absence d'autres alternatives légales que l'abandon ou la généralisation de la mesure expérimentée 154. Sa mise en oeuvre permet une approche participative « apprenante », comme le montre l'expérimentation en cours sur dix sites de la démarche « territoires zéro chômeur de longue durée ». À l'occasion de sa présentation, la Fondation de France, qui l'accompagne, a souligné l'intérêt de l'expérimentation, qui développe une logique d'apprentissage évitant le stop and go, l'empilage voire l'incohérence entre politiques publiques ; on se situe « sur des valeurs », dans une démarche d'innovation et de « cousu main » (qui évite les travers d'une transposition issue d'un parangonnage mal compris), permettant d'impliquer plus facilement la société civile et même de suivre ses initiatives. On a vu aussi que la démarche expérimentale pouvait avoir un intérêt en ce qui concerne l'application de la législation relative à la protection de la biodiversité dans le cas des sites à dépolluer155 ; d'autres pistes d'application pourraient concerner l'agencement des compétences des collectivités ou encore les missions des opérateurs dans le champ du développement économique. Suggestion. Développer l'usage du droit à l'expérimentation, notamment pour faciliter l'application coordonnée de dispositions réglementaires complexes, et pour favoriser la synergie des compétences des collectivités (MCTRCT, MTES). Des réseaux d'échange et de capitalisation Le développement de réseaux d'échanges pour apprendre ensemble, assortis de dispositifs de capitalisation des bonnes pratiques, apparaît comme un des moyens les plus efficaces pour faire progresser les écosystèmes. Cela peut se faire selon les sujets aux échelles régionale ou nationale voire européenne. La visite du site de Bagnoli en Italie a suggéré à cet égard la création d'un réseau de villes européennes confrontées au défi des grands sites industriels à dépolluer 156. Il importe que de tels réseaux soient organisés de façon professionnelle, à l'image d'Urbact. Les réseaux thématiques relevant de ce programme européen sont constitués selon une méthode rigoureuse autour d'une ville pilote et d'un principe de rencontres se tenant successivement dans chaque ville du réseau avec mobilisation d'une expertise de haut niveau et production d'une capitalisation. C'est une « démarche apprenante » permettant à chaque partenaire de travailler à son propre projet avec les autres membres, ce qui apporte une ouverture et un dynamisme qui déplacent favorablement le jeu d'acteurs locaux, comme le montre l'exemple de Clermont-Ferrand 157. Outre la poursuite de réseaux européens Urbact, notamment sur le thème du traitement des grandes friches polluées, il serait possible de s'appuyer sur le savoir-faire d'Urbact, son expérience et ses moyens pour organiser dans la durée de tels réseaux, focalisés notamment sur la requalification ou le recyclage économique des territoires aux niveaux national et régional. Un budget dédié devrait être mobilisé pour permettre la mise en place d'une démarche professionnelle efficace. 154 Fondation Jean Jaurès, Réformer le droit à l'expérimentation locale, un enjeu public majeur, février 2018. Cf. supra § 2.4 Cf § 2.4. Engagée dans le réseau Techtown, avec notamment la démarche écosystémique « Le Bivouac » et un projet de bâtiment « Totem » pour les startups, présentés lors de la séance du 19 juin 2018 du collège Territoires du CGEDD . 155 156 157 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 66/170 PUBLIÉ Recommandation 11. Développer, sur le modèle du programme européen Urbact, des « réseaux d'échange apprenants » relatifs au recyclage économique, dotés d'une organisation professionnelle et de moyens facilitant les « démarches apprenantes » et s'appuyant sur des méthodes innovantes, comme celle de la « toile industrielle » (MCTRCT). 3.3. Renforcer l'ingénierie territoriale et l'appui des services de proximité 3.3.1. Les différents besoins d'ingénierie territoriale Les projets de territoire nécessitent une ingénierie, tant lors de leur élaboration que dans le suivi de leur mise en oeuvre. L'Association nationale des pôles territoriaux et des pays (ANPP) distingue trois types d'ingénierie au plan territorial : l'ingénierie de gestion des services techniques, l'ingénierie de projet et l'ingénierie d'animation, les deux dernières se rapportant aux projets de territoires. Dans son référentiel territorial paru en 2018, l'association Le Rameau insiste également sur l'importance de l'ingénierie pour piloter la co-construction territoriale, selon trois niveaux : l'animation du dialogue territorial, l'accompagnement des partenariats et l'accompagnement des expérimentations collectives158. L'énoncé de ces tâches montre l'importance des missions d'impulsion, d'animation et de mobilisation, lesquelles ne sont souvent pas identifiées comme prioritaires lorsqu'il faut économiser les postes d'un budget de fonctionnement. Des situations contrastées selon les territoires Les collectivités territoriales s'étoffent peu à peu en moyens d'ingénierie. Les métropoles et les grandes villes en ont en général la possibilité, la situation est plus délicate pour les plus petites intercommunalités et dans les territoires fragiles, qui disposent souvent de peu de ressources. En Ardèche, au Cheylard, un besoin d'appui en ingénierie territoriale L'EPCI industriel du Val'Eyrieux, situé autour de cette commune du Nord de l'Ardèche connue pour son activité de fabrique de bijoux, sait valoriser ses qualités d'attractivité (culture industrielle, cadre de vie, environnement social et culturel), optimiser ses moyens (un lieu unique comportant des services et un fablab), mobiliser des outils tels que PETR, TEPCV... et dialoguer avec le Département comme avec la Région. Mais pour anticiper les mutations et conduire une politique plus ambitieuse, l'EPCI identifie un besoin déterminant d'ingénierie de projet et d'animation qui reste difficile à satisfaire au niveau d'une petite intercommunalité territorialement isolée, ce qui suggère des solutions mutualisées, avec un apport du Département et de l'État. Cela permettra par exemple de mieux inscrire dans la réalité locale la démarche Territoires d'industrie, vécue au départ comme trop « top down ». Certains territoires peuvent cependant mobiliser des moyens à un autre niveau, comme au sein des agences d'urbanisme ou encore dans les parcs naturels régionaux. Des solutions de mutualisation se développent aussi à l'échelle des pôles territoriaux. De nombreux Départements ont, comme l'Ardèche, créé des agences qui offrent des prestations d'ingénierie aux EPCI. Dans les territoires fragiles ou insuffisamment pourvus, l'État doit avoir un rôle et apporter un appui, au moins tant que les collectivités n'ont pas pu s'organiser à la bonne échelle. 158 L' « animation » signifie un partage des connaissances, une sensibilisation aux partenariats et une mise en relation ; l' « accompagnement des partenariats » comporte la préparation, l'accompagnement et l'évaluation ; l' « accompagnement des expérimentations » comprend la capacité à faire émerger les besoins, l'aide à la coconstruction des solutions et l'évaluation. Mutations économiques et développement des territoires Page 67/170 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ Ces constats de la mission confirment les réflexions menées en vue de la création de l'Agence nationale pour la cohésion des territoires (ANCT), qui avaient révélé une certaine confusion dans l'appréhension même de la notion d'ingénierie territoriale et démontré la nécessité d'une clarification. La mission propose de définir l'ingénierie territoriale en distinguant trois catégories. Les fondamentaux de l'ingénierie territoriale · L'ingénierie amont de conception de projet (souvent appelée simplement ingénierie de projet) dont le rôle est de transformer une idée ou une intention politique en un projet structuré : cela peut être une opération immobilière sur un territoire donné ou, plus souvent, un ensemble d'opérations et d'actions contribuant à transformer un territoire défini, comme la requalification d'un centre-ville. Cette ingénierie aide donc à définir les objectifs, le mode de réalisation, le montage financier, les études à réaliser pour y parvenir et le choix du type d'opérateur. L'ingénierie opérationnelle privée ou publique, apportée notamment par les SPL et EPFL, opérateurs des collectivités territoriales, ou EPA et EPF d'État. Elle consiste à mettre en oeuvre le projet en tant que maître d'ouvrage ou d'assistant à maîtrise d'ouvrage. L'ingénierie de gestion de projet, de pilotage, d'impulsion et d'animation, dont le rôle est de mobiliser en continu et sur la durée nécessaire l'ensemble des moyens techniques, humains et financiers nécessaires à la réalisation du projet. On parle alors souvent de chef de projet, d'équipe de projet, et de directeur de projet s'il s'agit d'une démarche plus complexe comme un projet de renouvellement urbain. · · 3.3.2. Des manageurs du développement économique durable L'ingénierie de gestion de projet est bien identifiée pour la mise en oeuvre des projets urbains complexes, comme ceux relevant de l'Anru ou de l'Anah, moins dans d'autres cas. Elle est pourtant nécessaire, en la calibrant à la hauteur de l'enjeu, pour tout projet ne se limitant pas à la réalisation d'une opération simple. L'animation d'un projet de territoire159 entre tout à fait dans ce cadre. Il s'agit ici plus spécifiquement de mettre en place des « manageurs » du développement économique durable, à l'instar des chefs de projet urbain (Anru, Coeur de ville...) et des manageurs du commerce, au niveau des EPCI ou à l'échelle inter-territoriale pertinente (PETR...), en lien avec les agences de développement, les CCI..., et de leur faire jouer un rôle d'impulsion, de coordination et d'animation des instances regroupant tous les acteurs, par exemple des conférences territoriales du développement économique durable160. Le manageur doit notamment mobiliser les énergies, entretenir la coopération entre acteurs publics et privés, impliquer davantage toutes les composantes de la société civile, veiller au respect des délais et à l'optimisation des ressources financières, techniques et humaines. Il peut s'appuyer non seulement sur des outils de gestion de projet mais aussi sur des méthodologies de travail collectif permettant coproduction et création de valeur collective161. Pour ancrer cette mission, indispensable mais trop souvent négligée, il importe de la définir, d'en faire un « métier » avec un dispositif de formation et de qualification, de constituer un « vivier » avec des critères de recrutement (comme cela s'est fait à l'époque du démarrage de la politique de renouvellement urbain avec les grands projets urbains (GPV) puis l'Anru). La Fédération des EPL a produit en interne un travail pour caractériser ce nouveau métier, et constate son émergence au sein 159 Tel que défini supra au § 1.4. Proposées au § 3.1.3. Par exemple des approches de type Symbiogora (cité supra au § 3.2). 160 161 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 68/170 PUBLIÉ des entreprises publiques locales. La CDC pourrait être mobilisée ainsi que l'ANCT, dès qu'elle sera opérationnelle, afin de porter une politique d'appui à la mise en place de ces manageurs : définition de fonction, cofinancement, aide au recrutement, développement des outils méthodologiques. Recommandation 12. Promouvoir un métier de « manageur du développement économique durable », mobilisateur de toutes les énergies locales, et encourager la mise en place de ces animateurs-développeurs d'écosystèmes grâce à un dispositif de soutien professionnel et financier mobilisant la CDC et l'ANCT (MCTRCT). 3.3.3. La mobilisation des opérateurs fonciers et d'aménagement La mobilisation des opérateurs fonciers et d'aménagement sur les enjeux de développement économique, notamment de recyclage des zones d'activité et des sites pollués a été évoquée à plusieurs reprises. Il s'agit des opérateurs rattachés à l'État (EPA, EPF), des opérateurs rattachés aux collectivités territoriales (SPL, SEM, EPF) et des opérateurs privés « qui ne peuvent pas tout faire » quand les conditions économiques ne sont pas les plus favorables, comme on l'a vu dans le cas des sites pollués. Les opérateurs de l'État ont particulièrement un rôle pionnier à jouer pour développer les projets de requalification et de recyclage, lorsqu'ils sont nouveaux et difficiles. Cela suppose qu'ils se positionnent davantage sur ces sujets. Concernant l'action foncière, on a constaté que les projets de restructuration de zones d'activités économiques et commerciales nécessitent le plus souvent des étapes de restructuration foncière avant mise en oeuvre. Il en est de même pour ce qui est du recyclage des sites pollués. Les « opérateurs historiques », EPF Nord-Pas-de-Calais, Normandie et Lorraine, ont développé un savoir faire et des moyens d'intervention dans ce domaine. Une politique d'intensification du recyclage économique impose de permettre un positionnement de tous les EPF sur ce sujet, en fonction des besoins de leurs territoires d'intervention respectifs162. Concernant l'aménagement, les EPA interviennent souvent sur des opérations complexes ou des secteurs difficiles en termes de situation sociale ou de gouvernance territoriale. Ils peuvent utilement s'impliquer davantage sur les enjeux économiques, comme le fait l'Epase à Saint-Etienne sur les questions plus spécifiques du commerce à la fois en centre-ville (création d'une foncière de portage des locaux à requalifier) et en périphérie (restructuration d'une zone commerciale d'entrée de ville). Il paraît intéressant que ces établissements confortent leur positionnement d'« opérateurs ensembliers », à l'image de structures existantes dans des pays voisins, comme Citydev.brussels163. Les anciens bassins industriels et autres territoires fragiles sont souvent ceux qui sont également le plus en manque d'une gouvernance politique forte et dépourvus de structures opératrices solides. Alors qu'on peut s'interroger sur le maintien d'EPA, pilotés par l'État, au sein des territoires métropolitains, il serait judicieux d'étudier la possibilité de positionner de tels outils dans les territoires en difficulté, le cas échéant sous la forme d'opérateurs ensembliers en capacité d'agir à la fois dans le domaine du foncier, de l'aménagement, du développement économique et de la transition écologique. Un tel sujet pourrait faire l'objet d'une étude de faisabilité à partir d'une évaluation des besoins des territoires. Suggestion. Mettre à l'étude, dans le cadre d'une réflexion sur le devenir des outils d'aménagement de l'État, la possibilité de positionner de nouveaux opérateurs ensembliers 162 Cf supra § 2.2 et 2.4. avec une recommandation sur les missions des EPF. Anciennement, Société de Développement pour la Région de Bruxelles-Capitale (Belgique) Mutations économiques et développement des territoires Page 69/170 163 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ (foncier, aménagement, développement économique et transition écologique) dans les territoires en difficulté situés hors des métropoles (MTES, MCTRCT). 3.3.4. Un accompagnement de proximité mieux ajusté des services de l'État La question du rôle de l'État dans le développement des territoires se présente de façon paradoxale. Les compétences sont décentralisées en matière d'appui à l'innovation, d'accueil des entreprises et de foncier économique, mais on en appelle à l'État en cas de fermeture d'entreprise. Dans les axes de réorganisation territoriale annoncés le 23 mai dernier par le Premier ministre, il est prévu un recentrage de l'État sur le suivi des filières stratégiques, des politiques d'innovation et du numérique et l'accompagnement des entreprises en difficulté. Le développement économique des territoires n'est pas explicitement cité et les DIRECCTE doivent abandonner leur mission de connaissance et d'animation. L'État continuera, à n'en pas douter, d'intervenir dans les situations de crise, ne serait-ce que parce que les entreprises dont les difficultés sont médiatisées dépendent souvent de groupes nationaux ou internationaux dont l'État reste un interlocuteur. En amont, une meilleure anticipation, surtout dans les territoires fragiles 164, a tout à gagner d'une coopération renforcée entre l'État et ses services locaux, les Régions et intercommunalités et leurs services ou agences. Hormis ces situations, les services de l'État restent sollicités à divers degrés selon les lieux, pour assurer un appui qui nécessite une intelligence territoriale et une attitude d'accompagnement. La plupart des acteurs locaux auditionnés par la mission ont exprimé le souhait d'un État « agile », facilitateur, aidant à la mise en oeuvre de règles lisibles et stables, développant des capacités à innover, à prendre des risques et à fédérer. Comment répondre à ces attentes dans un contexte de repli de l'État sur les missions régaliennes et de baisse de moyens ? Ce n'est pas impossible, à condition de miser sur une mobilisation et un bon positionnement des équipes 165 ; cela suppose aussi une organisation des services pensée à l'échelle régionale afin de pouvoir mieux placer les équipes territoriales là où une présence de proximité est la plus utile et tant que cela s'avère nécessaire 166. Le travail en mode projet entre les services de l'État et, le cas échéant, avec d'autres entités s'avère utile pour développer ce positionnement. C'est ce que font la DREAL de Normandie et la DDT de Seine Maritime pour les projets liés à la métropole de Rouen, ou bien les services du département de l'Ardèche, de la Préfecture, et de la DDT pour construire un projet de transition écologique. L'idée de « sous-préfets développeurs », lancée par Jacques Chérèque, alors ministre délégué à l'aménagement du territoire (1988-1991) pourrait être à nouveau envisagée pour la gestion de projets complexes. Les DREAL sont attendues pour porter les stratégies nationales au niveau régional, assurer la cohérence et contrôler la mise en oeuvre des politiques publiques, dans une attitude constructive et non uniquement « doctrinale », en particulier pour ce qui concerne l'intégration des préoccupations environnementales. Les DDT sont bien placées pour assurer un conseil aux territoires avec une vision d'ensemble et une culture du projet. Ce rôle leur a été demandé et a fait l'objet d'une évaluation167. Leur connaissance du monde des entreprises serait cependant à renforcer afin de savoir mieux articuler aménagement et développement économique. Les DDT pourraient, pendant une période transitoire, s'appuyer à cet effet sur les compétences des DIRECCTE. 164 Cf supra § 2.1. Pierre Veltz pointe le « blues dans la fonction publique alors qu'il y a tant de choses fabuleuses à faire », « les fonctionnaires ne demandent qu'à s'impliquer mais n'ont pas le sentiment d'être bien positionnés pour cela ». L'organisation peut être pilotée au niveau régional avec des services répartis sur les territoires selon des priorités de localisation liées aux enjeux et aux besoins des territoires ; dans les années récentes certaines DREAL ont pu aussi localiser des emplois « régionaux » au sein de DDT sur des sujets particuliers afin de renforcer la proximité. Voir aussi à ce sujet l'ensemble des réflexions formulées par le CGEDD sur l'évolution de l'ingénierie territoriale et les conditions de mise en place du nouveau conseil aux territoires. 165 166 167 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 70/170 PUBLIÉ Pour accompagner ces évolutions, un programme national de formation-action serait à mettre en oeuvre, de manière similaire à ce que font les entreprises en mutation. Certaines actions engagées sont à poursuivre, par exemple dans le cadre de la « Fabrique à projets », laboratoire d'innovation publique porté par l'Ifore. On doit également s'assurer d'une complémentarité avec les actions des collectivités territoriales, notamment Régions et Départements, dans le cadre de l'ANCT 168. Suggestion. Positionner les services territoriaux de l'État sur des missions de facilitateur et d'appui de proximité en y affectant une part définie de leurs moyens, en les organisant de façon coordonnée avec celles des Régions et des Départements, en faisant bénéficier les équipes des DREAL et DDT de moyens de connaissance et d'expertise, ainsi que d'un programme national de formation à l'accompagnement de projets économiques durables (MTES, MCTRCT). Le maintien revendiqué de services publics de proximité dans les territoires ne concerne pas que les services de l'État mais aussi ceux d'autres collectivités, ou des opérateurs. Il suppose la mise en oeuvre de profondes mutations de leur part, telles que celles menées par la Poste. Sans préjuger de sa réussite, cet exemple est cité pour montrer l'ampleur d'une telle démarche de transformation 169. La Poste, service public et entreprise en mutation Le service postal universel, tel que défini par une directive européenne, a été confié en France à la Poste . Selon le Code de la poste, il « concourt à la cohésion sociale et au développement équilibré du territoire». Un fonds de compensation assure à la Poste le financement des coûts nets liés à ses obligations de service universel, notamment en termes d'accessibilité. Le réseau de points de contact a été profondément transformé : ainsi fin 2014, les 17 000 points comportaient plus de 5 000 « agences postales communales », gérées par les mairies, et 2 000 « relais-postes » gérés en partenariat avec des commerçants locaux. La Poste a innové dans ses process et a recherché de nouveaux services (base de données clients, passage de l'examen du code de la route, livraison de colis par drone en France...) avec un considérable effort de formation des facteurs. La Poste s'efforce ainsi de repenser son ancrage territorial. L'ANCT, en cours de mise en place, sera, selon l'annonce de ses futures missions, d'une part, dédiée au portage de certains programmes nationaux comme « Action coeur de ville » ainsi qu'à la mise en oeuvre d'une nouvelle contractualisation préparée par l'État, d'autre part, chargée de veiller à ce qu'un territoire trouve une « solution » pour tout projet à monter. La mission suggère que les premières actions de la nouvelle agence portent sur la définition d'une doctrine relative à l'ingénierie territoriale et sa mise en oeuvre prioritairement dans les projets économiques des territoires, avec le développement d'une « boite à outils », notamment la promotion des manageurs du développement170. Cela suppose l'existence de relais proches du terrain, sous le contrôle du préfet, désigné délégué territorial de l'Agence. L'organisation la plus efficace serait de constituer ces relais au niveau des équipes locales des DDT, positionnées dans leur mission de conseil au territoire. Recommandation 13. Dès la création de l'Agence nationale pour la cohésion des territoires (ANCT), définir une doctrine relative à l'ingénierie territoriale et engager sa mise en oeuvre pour soutenir prioritairement les projets économiques locaux inscrits dans la transition écologique, avec l'appui et le relais des services de l'État, particulièrement des équipes de proximité des DDT chargées d'un rôle de conseil de proximité (MCTRCT). 168 Cf ci-après. Cf également annexe 3.3. Proposés supra au § 3.3.3. Mutations économiques et développement des territoires Page 71/170 169 170 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ 3.4. Développer des dispositifs contractuels incitatifs et cohérents 3.4.1. Un besoin de lisibilité et de stabilité des dispositifs portés par l'État Depuis plus de 30 ans, à la suite des grands mouvements de décentralisation, de nombreux outils contractuels et dispositifs ont été développés par l'État. Ils présentent chacun leur utilité en mettant l'accent sur une thématique, en ciblant une problématique territoriale spécifique, en suscitant un dialogue entre acteurs autour d'une vision ou encore en activant la construction d'un projet. Même en se limitant aux dispositifs en lien avec le sujet de la mission, leur nombre est important et s'est encore accru dans la période récente171. S'y ajoutent d'autres outils spécifiques initiés par l'État dans le domaine économique comme les pôles de compétitivité, les pôles territoriaux de coopération économique (PTCE), un grand nombre d'appels à projets au premier rang desquels ceux relevant du programme d'investissements d'avenir (PIA)... Des critiques ont été entendues de la part des acteurs locaux et patronaux quant à la profusion de ces outils et dispositifs : · des dispositifs foisonnants et peu lisibles : selon le MEDEF, les entreprises sont désorientées devant la multitude de dispositifs ; les élus expriment des difficultés à « accrocher » à des initiatives qui ne correspondent pas à la temporalité et à la cohérence de leur projet local ; des dispositifs mal articulés entre eux : ainsi, il n'y a pas de lien entre le PIA et les CTE, ni entre les CTE et les « Territoires d'industrie », ni entre ces derniers et « Action coeur de ville » ; des dispositifs dont le suivi est mal assuré dans la durée : par exemple, l'État et la CDC ne portent plus les PTCE à peine quatre ans après leur reconnaissance législative 172 et malgré leur poursuite au niveau local173 . · · L'avenir des contrats de plan État-Régions et de leur volet territorial dans la perspective de 2020, échéance de la période en cours, a également été soulevé à l'occasion d'entretiens de la mission. La question de la forme et du contenu des futurs contrats de plan, dans l'hypothèse d'une reconduction de leur principe, ainsi que de leur déclinaison territoriale, croise les enjeux d'évolution de l'ensemble des dispositifs contractuels évoqués. Comme sur bien d'autres sujets, une volonté de simplification a été exprimée au niveau national et la perspective d'un contrat unique a été avancée, sous la forme d'un « contrat de cohésion territoriale » qui pourrait être porté par l'ANCT 174. Il paraît cependant peu probable que celui-ci regroupe en un seul outil tous les dispositifs, alors que chaque département ministériel souhaite conserver des approches spécifiques et des types adaptés de territoires (industriels, frontaliers, ruraux, touristiques...). Il serait donc souhaitable de définir un « contrat socle » décliné ensuite selon divers contrats thématiques ou, à défaut (mais avec le risque d'une approche moins rigoureuse et plus 171 « Contrats de ville », « contrats de ruralité » (passés avec les Pôles d'équilibre territorial et rural (PETR) qui prennent la suite des « pays »), « pacte État ­ métropoles » décliné en « pactes métropolitains d'innovation et de coopération », contrats « Action coeur de ville », contrats « Territoires d'industrie », « contrats de transition écologique »... série faisant l'objet de plusieurs recensements et analyses, notamment de la part du CGET. Loi relative à l'économie sociale et solidaire du 31 juillet 2014, article 9. De même, des contrats de pays continuent d'exister (voire d'être élaborés avec des Régions) alors que l'État ne les porte plus depuis que la loi MAPTAM (article 79) a permis aux pays de se transformer en PETR; la continuité des financements n'est pas toujours respectée, selon l'ANPP citant les contrats de ruralité. Un rapport récent en suggère des modalités pour éviter les travers des dispositifs antérieurs : IGA, Les nouveaux types d'engagements entre l'État et les collectivités territoriales, février 2019. 172 173 174 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 72/170 PUBLIÉ difficile à faire respecter), un « socle commun » à tous les contrats : principes, vocabulaire, boîte à outils, exigences, notamment en termes de projet de territoire175. 3.4.2. La transition écologique au coeur des dispositifs contractuels Les contrats de transition écologique (CTE) ont été La CFDT a pris l'initiative de proposer une démarche de CTE sur Fos-sur- lancés à titre expérimental Mer, bassin industriel fortement pollué, pour le transformer via la mise en début 2018. 19 territoires place d'une plateforme collective et le lancement de projets d'entreprise. ont été retenus en deux Des associations ont soutenu cette proposition de changement de modèle, vagues, en février 2018 puis qui comporte des dimensions sociale, économique, fiscale et en février 2019, dans la professionnelle avec une notion de parcours métier, faisant émerger l'idée finalité de définir les d'un « campus des métiers », lieu d'échange de bonnes pratiques en faveur contours d'un nouvel outil de l'écologie et de l'économie circulaire. Ces propositions, quelle que soit pour une contractualisation la manière dont elles seront reprises, sont l'illustration d'un bon degré transversale en matière de d'appropriation de l'outil CTE par différents types d'acteurs. développement durable. Ces premiers contrats devaient être finalisés pour une signature au cours de l'été 2019, la première ayant eu lieu à Arras. Un appel à candidature a ensuite été lancé, conduisant, le 9 juillet dernier, à retenir 61 nouveaux sites. Le principe a été de privilégier les EPCI, considérés comme le bon échelon de contractualisation, ou une alliance d'EPCI. Un « CTE » pour Fos-sur-Mer, proposé par un syndicat Les CTE ont pris la suite des « Territoires à énergie positive pour la croissance verte » (TEPCV)176. Ces démarches avaient suscité des dynamiques du fait des financements qui les accompagnaient, mais manquaient sans doute de priorisation, et ont été stoppées sans faire l'objet d'une évaluation. Le CTE se veut avant tout une méthode pour concevoir la transition écologique comme un moteur de transformation au plan local en aidant les élus à bâtir un projet de territoire avec l'appui de spécialistes, à partir d'une réflexion prospective sur 10 à 20 ans et en mettant autour de la table le monde économique, les acteurs territoriaux, les agences, les administrations... La démarche suscite l'intérêt de représentants de la société civile rencontrés par la mission. Ainsi France nature environnement (FNE) considère que cet outil doit être développé afin de « contaminer » positivement les projets territoriaux de transition écologique par l'exemple et la proximité. La CFDT concrétise avec le CTE sa vision d'acteur de « territoire de projet » et se fait force de proposition à Fos-sur-Mer ; les parties prenantes suscitées par le Département font de même en Ardèche. La démarche du CTE apparaît prometteuse sous réserve de surmonter certains écueils : faire en sorte que les élus fassent vivre la démarche et que les entreprises et la société civile prennent leur place, mobiliser les moyens d'ingénierie nécessaires à la tenue de la démarche dans la durée et ne pas se limiter à un catalogue d'actions, mais prendre le temps d'une approche holistique et prospective permettant de penser la transition écologique de l'ensemble du tissu économique territorial. Le dispositif contractuel proposé par l'État doit ainsi refléter plusieurs conditions : · identifier et traiter en priorité des projets structurants pour la transformation du territoire, à savoir des projets d'aménagement en lien avec l'image du territoire, ses choix énergétiques, l'organisation des mobilités, l'accompagnement de la conversion écologique des entreprises, s'appuyer sur une véritable plate-forme de coopération entre parties prenantes, rassemblant, sous l'égide de l'EPCI, les autres collectivités intervenant sur le territoire, les opérateurs locaux, les acteurs publics (y compris Pôle emploi, universités...), les grands opérateurs (CDC, Ademe, Agence de l'eau...), les associations et les partenaires privés, · 175 Cf supra § 1,4,1. Les TEPCV avaient eux-mêmes amplifié le mouvement des territoires à énergie positive (TEPOS) lancés par le CLER, réseau pour la transition énergétique. Mutations économiques et développement des territoires Page 73/170 176 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ · positionner l'État dans un rôle de facilitateur, garant de l'ambition portée et de la mobilisation des acteurs, apporteur prioritairement de moyens en ingénierie de haut niveau. L'utilisation du CTE pour les territoires en difficulté ou en mutation avait été envisagée lors du lancement de la démarche, en particulier pour les territoires concernés par la fermeture de centrales à charbon. L'État a décidé de faire appel à un autre dispositif, le « pacte de développement territorial », pour le bassin minier, les Ardennes et d'autres territoires ayant besoin d'un soutien spécifique. Pour autant, au-delà la mise en place de financements dédiés ou d'un délégué interministériel, la méthode d'intervention est proche. C'est pourquoi la mission suggère que la question de déployer également les CTE dans les territoires fragiles soit envisagée à nouveau, sous réserve de prévoir des dispositions particulières, en particulier un fonds spécifique pour l'accompagnement de ces territoires face à la transition écologique. La question se pose aussi des modalités de généralisation progressive de la démarche, à l'heure de la réflexion sur un contrat territorial unique. Tous les territoires sont concernés par la transformation écologique et celle-ci est transversale à l'ensemble des enjeux, particulièrement ceux de la cohésion sociale et territoriale. Ceci suggère d'envisager la conception d'un contrat de cohésion territoriale ET de transition écologique, qui serait proposé à toutes les intercommunalités ou à des regroupements de plusieurs intercommunalités constituant entre elles une aire urbaine ou un bassin économique ou un bassin d'emploi. Ce dispositif pourrait alors être articulé avec les futurs contrats de plan ÉtatRégion (volet territorial) et constituer le « contrat socle » évoqué ci-dessus, complété en tant que de besoin par des contrats particuliers177 (territoires ruraux, industriels, touristiques...) 178, assortis d'une mise en cohérence de l'ensemble des dispositifs selon un référentiel commun, fondé sur les piliers du développement durable. L'un des points clefs est de susciter de véritables coopérations inter-territoriales dont on a précédemment constaté la faiblesse. Ce référentiel devrait donc impérativement comporter des engagements de coopérations réelles et évaluables, assortis de conditionnalités ou d'incitations financières. Recommandation 14. Afin d'assurer une conversion écologique sociale et solidaire, développer un contrat « unique » de cohésion territoriale et de transition écologique, doté de financements modulés selon les fragilités du territoire, et organiser au niveau interministériel une mise en cohérence des dispositifs contractuels autour de la transition écologique et de la démarche de projet de territoire (MCTRCT, MTES, MEF). 3.4.3. La mobilisation de financements incitatifs et ciblés Le principe d'une articulation entre projet de territoire, dispositif contractuel et financements est à réaffirmer. Les modalités en sont à redéfinir en fonction du futur « contrat socle », du nécessaire ciblage des moyens sur les territoires fragiles, des conditionnalités à prescrire en termes de coopérations inter-territoriales et de la priorité à donner aux enjeux de la transition écologique. La mobilisation des financements publics français est à réaliser en complémentarité avec celle des fonds européens et en articulation avec l'intervention des opérateurs financiers publics de type Ademe, CDC et BPI. Ceux-ci jouent un rôle de levier par rapport aux investissements et financements privés, sans oublier que c'est sur l'ensemble du système bancaire présent dans les territoires que repose le financement des entreprises. L'évolution des politiques d'implantation des banques, avec une tendance à la concentration régionale qui peut devenir préoccupante pour les PME en territoire 177 Les périmètres et les partenaires pouvant être différents d'un contrat à l'autre. Une proposition du rapport de mission « Agenda rural », cité au § 3.1. va dans le même sens. 178 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 74/170 PUBLIÉ rural, est donc un sujet sensible, soulevé par plusieurs interlocuteurs de la mission. Par ailleurs, les différents modes d'implication des collectivités territoriales dans le système de financement mériteraient aussi d'être examinés au regard de pratiques de pays voisins, comme une initiative récente en synergie public-privé au Royaume-Uni 179. La période actuelle de remise à plat des fonds structurels européens est un moment propice à la réflexion. Pour ce qui est des grands opérateurs de l'État, la mission a constaté un engagement territorial fort : · l'Ademe s'implique dans le développement de partenariats à l'échelle locale, avec pour objectif de renforcer l'ancrage territorial des entreprises, et spécifie ses actions selon le type de territoire, urbain ou peu dense, avec un grand nombre de volets expérimentaux permettant de tester des approches complexes sur le lien entre mobilité et économie ; La CDC investit fortement au service du développement local (1 Md en 2017, 8 Md d'investissements générés par effet de levier), dans le cadre de politiques portées par les collectivités territoriales ; le label « Banque des territoires » exprime notamment l'engagement renforcé de la CDC dans les écosystèmes, comme pour le programme « Action Coeur de ville » avec des moyens d'ingénierie, des prêts et des investissements ; BPI France (ou BPI), la banque publique d'investissement, finance les entreprises et leur développement, y compris désormais les TPE ; elle a une forte présence territoriale avec 90 % de ses décisions prises en région, 48 implantations territoriales et 27 directions régionales pour être au plus près des entreprises ; avec une gouvernance dans laquelle s'expriment les collectivités territoriales, elle se présente comme un levier pour lever les ressources privées, selon un rôle déterminant d'interface. · · Si ces acteurs sont engagés de façon proactive dans l'exercice de leurs missions de financement de projet, il pourrait s'avérer utile de réfléchir à la possibilité de leur permettre une prise de risque avisée dans certains domaines (dépollution des sols, remise sur le marché de zones menacées d'obsolescence, accélération de démarches d'économie circulaire...). Ainsi que l'ont souligné certains acteurs auditionnés, le droit à l'erreur ou à l'échec semble encore trop peu reconnu en France, par rapport à la situation d'autres pays. Cela suppose de développer un état d'esprit différent, et aussi des dispositifs de mutualisation des risques ou des outils de type « fonds de garantie ». Par ailleurs, il importe de veiller à ce que les financements dédiés à l'innovation ne soient pas déconnectés des enjeux territoriaux. Ainsi la logique des premiers programmes d'investissements d'avenir (PIA), orientés vers l'innovation et l'excellence, a conduit à ce que la plupart des investissements ont été réalisés au sein des métropoles. Les financements de l'État ont donc renforcé les territoires qui étaient déjà les plus riches en ressources. La création d'une enveloppe régionalisée, dotée d'un montant de 250 M, devrait permettre que certains financements soient orientés vers d'autres types de territoires, sans déroger aux critères du PIA. De même le programme « territoires d'innovation de grande ambition » (TIGA) lancé il y a deux ans, ne porte plus uniquement sur les territoires les plus avancés et une exigence d' « alliance de territoires » a été posée180. Ces ouvertures sont à poursuivre et amplifier181. 179 Cf annexe 6. Ainsi, sur les 24 territoires retenus en première phase, il y a 9 métropoles dont 3 ont proposé une alliance avec leur périphérie. L'importance relative des montants financiers attachés aux trois premiers PIA justifie que ses effets territoriaux soient évalués et que ses objectifs soient coordonnés avec ceux d'une politique nationale d'aménagement du territoire, telle que proposée au § 1.4. remonter dans le texte ?? Mutations économiques et développement des territoires Page 75/170 180 181 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ Enfin, l'aide aux territoires et aux Le « pacte Ardennes 2022 », un dispositif dont le principe est à populations fragiles entre dans le dupliquer pour les territoires fragiles champ de la solidarité nationale et, comme évoqué, doit à ce titre faire Dans le cadre de la politique de développement et de cohésion des l'objet de financements priorisés territoires présentée lors de la séance du 20 avril 2018 en Conseil de l'État et de ses opérateurs, soit des ministres, le département des Ardennes a été identifié par le Gouvernement comme étant un territoire fragile, devant faire face à dans le cadre d'un dispositif des difficultés démographiques, économiques et sociales, et où une spécifique de type pacte territorial action particulière d'accompagnement et d'appui était nécessaire. comme cela été engagé pour les Fort d'un diagnostic partagé, ce soutien s'est traduit par la mise en Ardennes, soit éventuellement place d'un plan spécifique en mars 2019 où des actions et des dans le cadre d'un CTE adapté et investissements ont été ciblés en vue d'enclencher un rebond dans doté de moyens particuliers. Le l'ensemble du champ de l'action publique. développement économique des zones rurales et des villes moyennes demeure une préoccupation majeure. L'État y conserve un rôle essentiel pour assurer des conditions de rebond et une garantie d'équité territoriale. Suggestion. Mobiliser les financements de l'Union européenne, de l'État et de ses opérateurs (CDC, BPI, Ademe...) en lien avec le nouveau contrat territorial, et les moduler selon des critères de fragilité des territoires et de leur population (MCTRCT, MEF). Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 76/170 PUBLIÉ Conclusion Le « grand débat national » organisé par le Gouvernement début 2019 a débouché sur des propositions très nombreuses et paraissant difficiles à concilier. Quatre priorités émergent toutefois de manière indiscutable et quasi consensuelle (selon l'analyse des contributions libres au grand débat produite par Cognito, Bluenove, Roland Berger en avril 2019) : l'urgence écologique, la justice sociale, la qualité des services de proximité, le renouvellement démocratique et citoyen. Au terme de la présente mission, on observe que les analyses et propositions présentées peuvent nourrir chacun de ces axes, dans le champ du développement territorial traité par le rapport : · urgence écologique impliquant innovation et action à tous les niveaux : promouvoir la transformation économique des territoires autour d'objectifs intégrées de transition écologique et de cohésion sociale dans le cadre d'un dispositif contractuel unifié ; justice sociale impliquant notamment une fiscalité équitable, qu'il s'agisse des ménages ou des entreprises : inciter les acteurs économiques, y compris les petites et moyennes entreprises, à travailler davantage en coopération (clusters, économie circulaire, RSE territorialisée...) afin de renforcer leur synergie et leur attachement au territoire ; services accessibles et proches des territoires : concentrer la présence de proximité des services de l'État afin qu'ils assurent, en lien avec ceux des collectivités territoriales, un rôle de facilitateur de projet quand cela est nécessaire, là où il y en a encore besoin ; renouvellement de la démocratie et engagement des citoyens : définir et mettre en oeuvre des stratégies, des projets de territoire et des dispositifs d'animation permettant une plus forte implication de tous, notamment de nouveaux acteurs issus de la société civile. · · · Le rapport suggère une nouvelle approche pour une politique des territoires, celle de veiller d'abord à une « prise en compte » de chacun d'entre eux : s'ils sont en concurrence et dotés d'atouts inégaux, tous sont pourvu de capacités qu'ils ont vocation à mobiliser pour s'inscrire dans la perspective d'un développement harmonieux et producteur de valeur. C'est pourquoi, en amont de la mise en oeuvre des nécessaires politiques de redistribution, il est proposé aux pouvoirs publics de faire d'abord en sorte que chaque territoire dispose des moyens de se connaître, de définir son projet et de se constituer en écosystème créatif et dynamique, capable de saisir tous les leviers d'action, impérativement en interaction et en coopération avec les territoires voisins et partenaires. Il s'agit de faire en sorte que chaque territoire puisse exercer un droit à prendre place dans une transformation économique durable, tout en affirmant son identité, ses spécificités et « sa beauté », même quand il n'est ni un territoire touristique ni une ville historique. L'établissement conjoint d'un projet de territoire national permettra de susciter une vision fondée sur l'alliance des territoires. Au lieu de continuer d'opposer métropoles et périphéries, cette vision partagée permettra de considérer la France comme un ensemble de grands territoires en interaction, dont chacun sera pensé, développé et, à terme, gouverné comme une « métropole » : métropole mondiale ou européenne, métropole d'équilibre, « métropole alternative » (comme un département rural, un grand bassin industriel, un espace transfrontalier...). Tels sont les messages et suggestions qui résultent de la présente mission. Pierre NARRING Mireille VIORA Ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts Administratrice civile hors classe Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 77/170 PUBLIÉ Annexes Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 78/170 PUBLIÉ 1. Note de commande Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 79/170 PUBLIÉ Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 80/170 PUBLIÉ 2. Liste des personnes rencontrées Organisme AdCF Assemblée des Communautés de France Ademe Nom, fonction Nicolas PORTIER, délégué général Fabrice BOISSIER, directeur général François MOISAND, directeur stratégie recherche international Guy FABRE, directeur adjoint action territoriale Adi Association des directeurs de l'immobilier Afilog Association française de l'immobilier logistique Afite Association française des ingénieurs et techniciens de l'environnement Agence d'attractivité de Toulouse Hubert CALMETTES, directeur général Métropole AUAT Agence d'urbanisme de l'agglomération toulousaine Agence d'urbanisme de l'Artois Agence territoriale de la région de Thionville/Longwy Jean-Marc MESQUIDA, directeur général Yann CABROL, directeur des Coopérations grands territoires Carole BOGAERT, directrice Jean SALQUE, directeur 25/09/18 07/09/18 14/02/19 29/11/18 12/09/18 12/09/18 Christian CLERET, président d'honneur Laure-Reine GAPP, déléguée générale et divers membres de l'association Claude SAMSON, président Diana DIZIAN, directrice déléguée Renaud AVOCAT, président commission sols pollués 10/12/18 27/11/18 21/06/18 30/11/18 Date 18/07/18 04/07/18 Ambassade de Suisse, service Céline CHAMPION DESSIBOURG, cheffe de service économique à Paris AMF Association des maires de France Eric VERLHAC, directeur général Sylvain BELLION, correspondant territoires Marion DIDIER, conseillère développement économique, commerce, tourisme. ANPP Association nationale des pôles territoriaux et des Pays Michael RESTIER, directeur Lisa BABERRIERE, Chargée de mission 08/01/18 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 81/170 PUBLIÉ ADNV Association pour le développement du Nord Vaudois Suisse Ae Autorité environnementale Assemblée nationale Christine LEU, coordinatrice régionale. 04/12/18 Philippe LEDENVIC, président François DUVAL, membre Jean-Luc WARSMANN, député des Ardennes Richard JOLY, directeur général 18/01/19 10/09/18 10/01/18 14/11/18 Betemps Bois Vallée de l'Arve Bouverat ­ Pernat Vallée de l'Arve BPCE Banques populaires et Caisses d'épargne BPI France Banque publique d'investissement Brownfields Business France Louis PERNAT, directeur commercial 14/11/18 Arnaud BERGER, directeur Prospective économie verte et RSE 04/07/18 Marie-Adeline PEIX, directrice des partenariats régionaux et 01/10/18 de l'action territoriale Stéphane HAYEZ, directeur adjoint Patrick VITERBO, président Caroline LEBOUCHER, directrice générale déléguée Audrey MASSOLS, cheffe de service accompagnement des entreprises Stéphane RONAN, responsable de l'offre territoriale France 13/09/18 27/06/18 Cabinet du ministre de la Cohésion Marc CHAPPUIS, directeur adjoint de cabinet des territoires et des Relations avec les Collectivités Territoriales CCI de Haute Savoie François BORDELIER, directeur général adjoint 29/06/18 13/09/18 14/11/18 15/11/18 CCI de la Drôme Carine FLEURY, animatrice de la communauté Ecobiz « social 31/07/18 business » Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 82/170 PUBLIÉ CCI France Brigitte SERGENT, directrice développement durable et proximité territoriale Jan-Erik STARLANDER, chargé de mission transition énergétique et écologique, Laure PREVOT, responsable des partenariats institutionnels et territoriaux, Arnault COMITI, juriste-conseil spécialisé en droit de l'environnement industriel 19/07/18 CDC Céline SENMARTIN, directrice adjointe du réseau de la Banque des Territoires Serge BERGAMELLI, directeur adjoint de la direction de l'investissement de la Banque des Territoires 19/07/18 CDC biodiversité Marc ABADIE, président Philippe THIEVENT, directeur 09/01/18 Cerema Lyon Nicolas GILLIO, directeur de projet Aménagement développement économique Agnès POUILLAUDE, Économiste aménagement Denis CROZIER, Chargé étude aménagement Emmanuel DUPLAND, directeur études analyses territoriales Loic GUILBOT, chef groupe projets de territoire et aménagement Bertrand LEROUX, Chargé étude aménagement 03/07/18 Cerema Ouest 25/07/18 CFDT CGC CGDD/DRI/SDI1 Bureau de l'innovation et de la compétitivité des entreprises CGDD/SDES Service de la donnée et des études statistiques CGDD/SEEID/REAE2 Bureau de la production et de la consommation responsables CGDD/DDD/DPVS Département des projets et de la veille stratégique Augustin BOURGUIGNAT, secrétaire confédéral en charge de l'industrie François MOREUX, délégué national, membre de la plateforme RSE Pierre TERRIER, chef de bureau 20/11/18 24/09/18 25/10/18 Sylvain MOREAU, chef de service Valéry MORARD, sous-directeur Lionel JANIN, Sous directeur Priscille GUESQUIERE, cheffe de bureau 24/07/18 24/07/18 Gwenaël ROUDAUT, adjoint au chef du département Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 83/170 PUBLIÉ CGEDD Conseil général de l'environnement et du développement durable Marie DEKETELAERE-HANNA Jean-Jacques KEGELART Aude DUFOURMANTELLE Pascal TERRASSE Philippe GRAND Sylvie ALEXANDRE Patricia CORREZE-LENEE Emmanuel REBEILLE-BORGELLA, président de section Audit, inspection, vie des services Alby SCHMITT, coordonnateur de MIGT (Metz) Nicolas FORRAY, président de section Milieu, ressources, risques Pierre-Alain ROCHE, président de section Mobilité, transports Jean-Michel MALERBA, président de section Transition énergétique, construction, innovation 24/06/18 25/07/18 13/06/18 25/10/18 05/06/18 02/05/19 19/09/18 06/02/19 07/09/18 07/05/19 11/02/19 25/01/19 07/06/18 04/09/18 18/12/18 CGET Commissariat général à l'égalité des territoires Hugo BEVORT, directeur des stratégies territoriales, et son équipe Chambre d'agriculture de l'Ardèche Jean-Luc FLAUGERE, président Cité des Sciences de Naples Italie CJD Centre des jeunes dirigeants d'entreprise Club ville et aménagement Cluster CD2E Centre de développement des écoentreprises Cluster Innosquare Fribourg Suisse CNER Pascal BOVET, directeur Jacques BERSIER, directeur adjoint de la haute école Antoine ANGEARD, délégué général Anne-Marie BRUYAS, directrice des relations extérieures Massimo PICCAMA, architecte du projet Pierre MINODIER, président 17/10/18 07/12/18 Damien ROBERT, vice-président, directeur général adjoint de 07/11/18 Paris-Aménagement Victor FERREIRA, directeur 25/09/18 05/12/18 17/09/18 Fédération des agences Clémence BINET, chargée de mission d'attractivité, de développement et d'innovation Communauté d'agglomération Valence Romans Sud François MONTERRAT, directeur adjoint de la direction économique 31/07/18 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 84/170 PUBLIÉ Communauté de communes de Val'eyrieux Ardèche Dr Jacques CHALARD, maire du Cheylard, président Carine FAURE, directrice générale Morgane MAITRIAS, directrice du pôle économique Rachel COMBAUROURE, chargée de communication 18/12/18 Conseil départemental de l'Ardèche Laurent UGHETTO, président Simon PLENET, premier vice-président et président de l'agglomération du bassin d'Annonay Martine FINIELS, vice-présidente aux solidarités humaines et maire de Vernoux Christine SANTOS, directrice de cabinet Christophe LAFOUX, directeur général des services Géraldine MELATIER, directrice générale adointe solidarités, éducation, jeunesse Emilie BRET, directrice générale adointe, attractivité et territoires Maurice WEISS, vice-président aux solidarités territoriales et au numérique et président de l'association des maires de l'Ardèche Conseil départemental des Yvelines Olivier GUILBAUD, directeur général adjoint Jean-Christophe RIGAL, sous-directeur Connaissance et prospectives Jean-Marie CAILLAUD, directeur général des Services 18/12/18 04/07/18 Conseil départemental de la Seine Maritime COVIViO CPME Confédération des PME 11/07/18 12/07/18 Olivier ESTEVE, directeur général Guillaume de BODARD, président de la commission environnement et développement durable, membre de la plateforme RSE Sandrine BOURGOGNE, secrétaire générale adjointe Hélène REVERSAT, cheffe de projet RSE 18/07/18 25/10/18 Crédit agricole des Savoie Gaël AMBLARD, directeur entreprises 14/11/18 15/11/18 Dassault Systèmes Bernard CHARLES, président, directeur général Florence VERZELEN, directrice générale adjointe 21/11/18 DDTM Seine Maritime Demeter Laurent BRESSON, directeur Sophie PATURLE, associée fondatrice, administratrice de l'Institut français du pétrole et des énergies nouvelles 12/07/18 19/07/18 DGALN Rapport n° 012274-01 Paul DELDUC, directeur général Mutations économiques et développement des territoires 21/06/18 Page 85/170 PUBLIÉ DGE / SATEI Service de l'action territoriale européenne et internationale DGE/ SI Service de l'industrie DGPR Bureau des sols et sous-sols DHUP/ AD Sous direction de l'aménagement durable DHUP/QV Sous-direction qualité du cadre de vie DIRECCTE Haut-de-France Service mutations de l'économie Xavier MERLIN, chef de Service Martial GEORGET, sous-directeur Julien TOLOGNA, chef de Service 02/10/18 26/07/18 Aurélien GAY, chef de bureau 06/11/18 Isabel DIAZ, cheffe du bureau des stratégies territoriales 16/11/18 Muriel BENSAID, adjointe à la sous-directrice Laetitia MANTZARIAS, cheffe de bureau Xavier STREBELLE, chargé du service Virginie MIGNON, adjointe Patrick BERG, directeur Oriane VALADE, juriste Claire Tutenuit, déléguée générale Loranne BAILLY, directrice générale Gilles BOUVELOT, directeur général Thomas LACAZE, directeur technique 10/12/18 22/11/18 DREAL Normandie Engie EPE Entreprises pour l'environnement EPF du Nord-Pas-de-Calais EPF Île-de-France 12/07/18 25/10/18 29/06/18 26/09/18 02/10/18 EPF Lorraine EPF Normandie FNAU Fédération Nationale des Agences d'Urbanisme FNAUT Fédération nationale des associations d'usagers des transports Fédération nationale des banques populaires FNE France nature environnement Régis STENGER, directeur études et travaux Christine MUTUEL, directrice générale adjointe Gilles POUPARD et les membres du club « EcoFNAU » 07/09/18 11/07/18 14/09/18 Bruno GAZEAU, président 12/03/19 André JOFFRE, président, président du pôle de compétitivité DERBI Jean-David ABEL, vice-président 09/10/18 12/11/18 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 86/170 PUBLIÉ FN EPL Fédération des entreprises publiques locales Fédération nationale des SCoT Fondation Travailler autrement France Clusters Camille ROCCASERRA, responsable du département aménagement Caroline VOLLET, déléguée territoriale Stella GASS, directrice générale Patrick LEVY-WAITZ, président Mission Coworking Jean-Luc ANSEL, président Xavier ROY, directeur général 19/07/18 07/02/19 08/11/18 19/12/18 France Initiative France Stratégie Louis SCHWEITZER, président, ancien président directeur général de Renault Fabrice LENGLART, commissaire général adjoint Robin DEGRON, conseiller spécial Julien FOSSE, adjoint à la directrice du département développement durable et numérique 23/10/18 03/07/18 France urbaine Olivier LANDEL, délégué général Ludovic GROUSSET, directeur développement et cohésion des territoires David CONSTANT-MARTIN, conseiller 13/11/18 Futuribles Frédéric WEILL, directeur d'études Diane DESPOIS, chargé d'étude Dorothée KOHLER, consultante 28/11/18 Grand port maritime de Rouen Nicolas OCCIS, directeur général Xavier LEMOINE, directeur aménagement territorial et environnement 11/07/18 Groupe Archer Romans-sur-Isère Groupe Neofor Groupe PSA Christophe CHEVALIER, président Jérôme LESCURE, président Louis GALLOIS, président du conseil de surveillance 31/07/18 18/06/18 21/02/19 05/12/18 Groupement suisse pour les Thomas EGGER, directeur régions de montagne (SAB), Berne Suisse Humanité et biodiversité IAU Institut d'aménagement et d'urbanisme d'Île-de-France Icade Sylvain BOUCHERAND, trésorier, président plateforme RSE Anne-Marie ROMERA, directrice du département économie et développement local 12/11/18 20/06/18 Emmanuelle BABOULIN ­ Membre du comité exécutif ­ directrice de la foncière tertiaire 21/09/18 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 87/170 PUBLIÉ Infranum INSEE Julien DELMOULY, délégué général adjoint Françoise MAUREL, directrice de la diffusion et de l'action régionale Michel DUEE, chef du département de l'action régionale David LEVY, chef du pôle analyse territoriale 31/07/18 11/10/18 Inspire74 Frapna Vallée de l'Arve Institut de l'économie circulaire Invitalia Italie Anne LASSMAN TRAPPIER, présidente 15/11/18 Adrian DEBOUTIERE, chargé de mission Elisabetta MUSCOLO, directrice des relations extérieures Livio VIDO, directeur du projet de réaménagement de la friche de Bagnoli. Davide DEL COGLIANO, directeur adjoint 11/12/18 16/10/18 Laboratoire de l'ESS Hugues SIBILLE, président Odile KIRCHNER, responsable du chantier dynamiques pionnières de territoire 28/11/18 01/02/19 05/09/18 03/12/18 Le Rameau Lifti Laboratoire d'initiatives foncières et territoriales innovantes Linkcity LPA CGR Avocats MEDEF Mouvement des entreprises de France Charles Benoît HEIDSIECK, président Marc KASZYNSKI, président Laurent WARNIER, directeur développement stratégique ­ relations grands comptes Frédérique CHAILLOU, avocate associée Anne DELORME, avocate 02/07/18 30/10/18 Jacques CHANUT, membre du comité exécutif, président de la 05/03/19 fédération française du bâtiment (FFB) Bernard COLOOS, directeur général adjoint FFB Jérémy SIMON, directeur de mission prospective MEDEF 21/06/18 26/09/18 Métropole de Lille DGA développement économique Malika BOHEUR-MOUNIER, cheffe de la mission « développement économique des territoires et emploi » Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 88/170 PUBLIÉ Métropole de Toulouse André THOMAS, directeur général des Services Dominique GILLES, directeur général à la Modernisation Marc BEL, directeur général gouvernance, international, économie et emploi Pierre-Emmanuel REYMUND mission prospective, partenariats et innovations territoriales Jacques ROSEN, directeur général Aménagement 12/09/18 Métropole de Rouen Normandie Frédéric SANCHEZ, président Frédéric ALTHABE, directeur général Paule VALLA, directeur général adjoint Urbanisme Christèle MORIN-DEFORCEVILLE, directrice du développement économique Bertrand MASSON, directeur aménagement - grands projets Audrey HIRBEC, cheffe de projet 07/09/18 12/07/18 Ministère des affaires économiques, de la recherche et du développement digital du land de Thüringe Allemagne Ministère fédéral de l'économie et de l'énergie Allemagne Sabine AWE, responsable du service économique Axel BECHER Thomas MULLER Dirk OTTO Sven KAISER Stephan LIEBENBERG Jan SIDENTOPP Kathrin MEYER 18/09/18 19/09/18 Mission Renouveau du Bassin minier Mission Rev3 Haut de France Mission Territoires d'industrie Moselle Attractivité Grand Est Numa Paris Numa Berlin Allemagne OTIE Observatoire toulousain l'immobilier d'entreprise Office fédéral du développement territorial (ARE), Berne Suisse de Alain NEVEU, délégué interministériel du Bassin minier Philippe VASSEUR, président Bruno BONNELL, député, président de la mission Michel SAINT PE, directeur Louis EXERTIER Emmanuel LEGER, managing director data city Maximilian THESS Marc DELPOUX, président 25/09/18 22/11/18 20/11/18 07/09/18 05/09/18 18/09/18 12/09/18 Maria-Pia GENNAIO FRANSCINI, collaboratrice scientifique, Section urbanisation et paysage 05/12/18 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 89/170 PUBLIÉ Oppidea/Europolia Toulouse Raphaël CATONNET, directeur général délégué Oppidea, directeur général Europolia Anne FRAISSE, directrice du développement Europolia Denis DUPUY, directeur du développement et de la commercialisation Oppidea 12/09/18 ORÉE Patricia SAVIN, présidente Nathalie BOYER, déléguée générale, ambassadrice économie circulaire 28/06/18 ORSE Observatoire de la responsabilité sociétale des entreprises Personnalité médicale - Vallée de l'Arve Personnalité de la recherche Personnalité de la recherche Personnalité de la recherche Personnalité du monde économique PEXE Réseau des écoentreprises Pôle de compétitivité Mont-Blanc Vallée de l'Arve Poste Immo Hélène VALADE, présidente 24/07/18 Docteur Jacques VENJEAN, médecin allergologue 15/11/18 06/07/18 02/07/18 19/11/18 17/01/19 12/10/18 Pierre VELTZ, économiste Laurent DAVEZIES, économiste Nadine LEVRATTO, économiste Jean-Pierre AUBERT, anciennement chef de la mission interministérielle des mutations économiques Jean-Claude ANDREINI, président Guillaume AYNE, délégué national Jean-Marc ANDRE, directeur général Jérémie SERVEL, chargé de mission Rémi FEREDJ, directeur général Dang TRAN, directeur général adjoint 14/11/18 19/11/18 Préfecture de la région Normandie Fabienne BUCCIO, préfète 11/07/18 12/07/18 PUCA - DHUP Plan urbanisme construction architecture Région de Naples Italie Région Hauts-de-France Direction du développement économique Hélène PESKINE, secrétaire permanente 11/06/18 Valeria FASCIONE, assesseure à l'innovation 17/10/18 Olivier COUSTENOBLE, directeur général adjoint Yves GIRY, directeur adjoint Partenariat économique Jean-Michel GIRAUD, directeur appui aux entreprises 26/09/18 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 90/170 PUBLIÉ Réseau Green Vallée de l'Arve Rouen Normandie Aménagement SEB (entreprise) Secrétariat d'État à l'Économie (SECO), Berne, Suisse Service des affaires économiques de la ville d'Erfurt, Allemagne SG/SPES Équipe projet CTE SGPI Secrétariat général pour l'investissement SNCF Immobilier Tiers lieu SolarInput Erfurt Allemagne Somfy (entreprise) Vallée de l'Arve Syndicat national du décolletage Vallée de l'Arve Thimonnier (entreprise) Trendeo Union portuaire rouennaise Université Federico II Italie Université Neuchâtel, Suisse Urbact Usine Michelin de Troyes de fabrication de pneus agricoles Valgo (entreprise) Ollivier COLLOC, président, directeur de Décathlon Mountain 15/11/18 store Rémi De NIJS, directeur général délégué Joël TRONCHON, directeur du développement durable 12/07/18 04/10/18 Valérie DONZEL, cheffe de secteur Politique régionale et 05/12/18 organisation du territoire Wolfgang JENTZ Steffen LINNERT Sandrine FOURNIS, cheffe de projet transformation de l'action publique Guillaume BOUDY, secrétaire général Nicolas DEFORGES, responsable du pôle territorial Charlotte GIRERD, directrice de projet Frank GAUTHIER, président associé de CAPTOWN Sabine SCHIMT, coordinatrice 30/11/18 23/10/18 19/09/18 14/02/19 19/09/18 03/12/18 Étienne BOURGEOIS, directeur marketing et communication 15/11/18 Jean-Marc REYDET, chargé de mission environnemental 14/11/18 Sylvie GUINARD, présidente directrice générale David COUSQUER, gérant fondateur Pierre Marie HEBERT, directeur Giorgio VENTRE, professeur 09/01/18 28/06/18 11/07/18 17/10/18 Olivier CREVOISIER, professeur d'économie territoriale. Emmanuel MOULIN, directeur du Secrétariat Pascal MOUREY, responsable HSE Eric BRANQUET, directeur technique Valérie LOUBES, directrice de travaux Pierre BOUSQUET, directeur de la valorisation foncière 04/12/18 30/05/18 12/11/18 11/07/18 18/07/18 16/10/18 Page 91/170 Ville de Naples, Italie Rapport n° 012274-01 Carmine PISCOPO, assesseur à l'urbanisme Mutations économiques et développement des territoires PUBLIÉ PUBLIÉ 3. Orientations bibliographiques La mission a consulté et s'est vu remettre de très nombreux documents : études et recherche, analyses de données, articles de la presse généraliste et spécialisée, rapports, monographies... Les plus directement utilisés d'entre eux ont été cités en note dans le corps du rapport et des annexes. Une sélection d'ouvrages de références est présentée ci-après, ainsi qu'une liste de sources utiles. Sélection bibliographique AdCF, Guide : Économie circulaire pour les intercommunalités, 2018. AdCF, Pour un pacte productif, 2018. AdCF et ANPP, Vers la deuxième génération des contrats de ruralité ­ Les propositions des porteurs de contrats 2016-2020, mars 2019. ADEME. Agir avec les collectivités pour la transition énergétique et écologique, 2019. ADEME. Économie circulaire, un atout pour relever le défi de l'aménagement durable des territoires, 2017. ADEME/INEC, Programme national de synergies inter-entreprises (PNSI) : 10 initiatives de synergies inter-entreprises, 2017. Adi, Reconvertir les friches industrielles et urbaines ­ De la transformation réussie des sites à la mutation des territoires, 2015. Adi, Repenser les lieux de travail, le lieu de travail dans tous ses états, Éditions le Moniteur, 2017. Annales des mines, Réalités industrielles : industrie du futur, 2016. AUBERT Jean-Pierre, Mutations économiques : des guerres de tranchées aux mutations créatrices, 2015. AUBERT Jean-Pierre, Mutations socio-économiques et territoires : les ressources de l'anticipation, 2014. BOUBA OLGA Olivier, Pour un nouveau récit territorial, Les Conférences POPSU, 2019 CAMPAGNAC-ASCHER Élisabeth (dir.), Économie de la connaissance, une dynamique métropolitaine. POPSU, Éditions Le Moniteur, 2015. CESE, Avis sur la transition écologique et solidaire à l'échelon local, 2017. CGDD, Guide pour agir dans les territoires : écologie industrielle et territoriale, 2014. CGDD, Les éco-activités et l'emploi en 2016, 2018. CGDD Théma, Les ODD et les entreprises : enjeux et opportunités, 2017. CGET, Regards croisés sur les territoires industriels, La documentation française, 2017. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 93/170 PUBLIÉ CGET/France territoires, Un engagement au service des dynamiques territoriales, juin 2018. CGET Observatoire des territoires, L'industrie française dans les territoires : après l'érosion, quel rebond ?, 2018. Commission européenne, Vers une Europe durable à l'horizon 2030, 2019. Conseil d'analyse économique, Pour le climat : une taxe juste, pas juste une taxe, 2019. Centre permanent pour la citoyenneté et la participation (CPCP), Les nouvelles formes d'économies, 2016. CPME, 89 propositions pour les TPE-PME ­ 5 ans pour agir 2017 ­ 2022, 2017. DABLANC Laetitia et al. Des marchandises dans la ville, un enjeu social environnemental et économique majeur, Terra Nova, 2017. DAVEZIES Laurent et TALANDIER Magali, L'émergence de systèmes productivo ­ résidentiels. Territoires productifs ­ territoires résidentiels : quelles interactions ? CGET, La documentation française, 2014. DGE, Préparer l'industrie du futur, 2016. DGPR, Guide SIS Collectivités sur les sites pollués, 2018. École d'économie de Paris, L'État doit-il prendre en compte les spécificités régionales pour la définition de la taxe carbone, 2019. École des ponts ParisTech, Les Civic Tech au service de la transition écologique et solidaire, 2018. ESSEC La Banque Postale, Les relations des entreprises avec leur territoire, 2018. Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN), Collectivités et biodiversité : vers des initiatives innovantes, 2018. Fabrique de l'Industrie, L'imbrication croissante industrie et services, 2016. Fabrique de l'Industrie, L'industrie du futur, regards franco-allemands, 2017. Fondation nationale Entreprise et performance/la Fabrique de l'industrie, Cultivons notre industrie, un défi culturel, humain et territorial, Presse des mines, 2019. France Clusters, Économie de proximité, circulaire, écologie industrielle et territoriale, 2018. France Stratégie, Mutations sociales, mutations technologiques, 2018. Futuribles - Dominique BOURG, De l'économie circulaire à l'écologie intégrale, 2019. Futuribles - RICHER, L'avenir du travail, 2018. IAU Île-de-France, Les tiers lieux, de nouveaux espaces pour travailler autrement, 2017. Institut Montaigne, Industrie du futur, prêts, partez, 2018. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 94/170 PUBLIÉ KOHLER Dorothée et WEISZ Jean-Daniel, Industrie 4.0 les défis de la transformation numérique du modèle industriel allemand, La documentation française, 2012. Le labo de l'ESS, Enquête d'analyse des PTCE ­ synthèse des principaux résultats, 2017. Le labo de l'ESS, Les pôles territoriaux de coopération économique, 2014. Le labo de l'ESS, Territoires pionniers, 2018. Le Rameau, Parcours d'expérience ­ co-construction territoriale ­ premiers enseignements, 2018. LEVRATTO Nadine et GARSAA Aziza, Les disparités d'évolution de l'emploi sont-elles dues à la nature des entreprises ou à leur localisation ? 2017. LEVRATTO Nadine et CARRE Denis, Analyse qualitative de l'effet local : étude de territoires particuliers MEDEF /Le Rameau, Construire ensemble l'engagement territorial des entreprises, 2018. 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Éditions de l'Aube, 2019 Principales sources à consulter sur le sujet DGE, INSEE, OCDE, CEREQ, CREDOC, OFCE, PIPAME, CERC, AFEP, PACTE. CEREMA, Club Ville Aménagement, PUCA et plateforme POPSU. Revue foncière. Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET), France Stratégie, CESE. ADEME, CGDD. FNAU et agences d'urbanisme et club EcoFNAU, IAU Île-de-France, CCI France. Fédération des EPL. La Fabrique de l'industrie, Terra Nova, Laboratoire de l'ESS, Plateforme RSE, France Cluster, CPME. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 95/170 PUBLIÉ 4. Compléments au rapport 4.1. Dynamiques et contrastes territoriaux : ce que dit la recherche La mission a appuyé sa réflexion, en sus des constats faits à partir des cas observés, sur l'examen de divers travaux d'études et recherches 182 qui décrivent et analysent les dynamiques et fragilités territoriales, de façon parfois contradictoire mais souvent complémentaire. Selon ces travaux, le « fait métropolitain » est indéniable, mais la « promesse métropolitaine » n'a pas fonctionné. L'affirmation de grandes métropoles concentrant de puissantes aménités urbaines ainsi que la majeure partie des fonctions de direction, d'innovation ou de recherche, et dopées par la réalisation de grosses opérations d'aménagement est une réalité mesurable. Mais elle n'a permis jusqu'ici, ni de réaliser en interne l'intégration économique et sociale des quartiers ou secteurs en crise (Roubaix, au sein de la métropole européenne de Lille, en est un exemple emblématique...), ni de susciter en externe le développement induit des territoires contigus annoncé par la « théorie du ruissellement ». Ainsi, une grande partie des 22 métropoles françaises connaît un développement significatif et a capté l'essentiel de la croissance (les 15 plus grandes villes françaises étant en effet les territoires qui ont le plus gagné d'habitants sans discontinuer depuis 20 ans). Mais seules quelques-unes d'entre elles comme Lyon, Nantes, Rennes (selon l'étude réalisée sous la direction scientifique de N. Levratto pour le compte du CGET en 2017 183) semblent présenter une réelle dynamique partagée entre métropole et territoires contigus. Pour autant, s'en tenir à une fracture territoriale générique entre métropoles ou grandes villes et périphéries relève d'une vision caricaturale. Les unes et les autres présentent des caractéristiques très diverses, les fractionnements sont multiples, les inégalités les plus fortes se situent à l'intérieur des villes et à l'intérieur des territoires plutôt qu'entre territoires. D'importants écarts existent toutefois en matière d'accessibilité, de services publics, de dynamique démographique, dopée par une attractivité climatique ou bien stoppée suite à un effondrement industriel. Mais cela n'empêche pas certains de savoir s'appuyer sur leurs propres ressources et de s'en sortir parfois mieux que d'autres. Le modèle de développement reposant sur l'essor de l'économie résidentielle n'a pas produit tous les effets escomptés : selon les études menées par le laboratoire Economix 184, depuis la crise de 2008, les territoires dont le développement était essentiellement fondé sur l'économie résidentielle se sont bien moins repris que les territoires pourvus également d'une base productive (industrie, logistique, commerce de gros, services aux entreprises...), lesquels se révèlent ainsi plus aptes à rebondir. Sans ignorer que la répartition des revenus sur les territoires provoque un certain rééquilibrage, on doit reconnaître que ce constat, qui semble se confirmer dans la durée, alerte sur les risques de déséquilibre et de rupture. Le mode de développement économique métropolitain est d'ailleurs lui-même en train d'évoluer : abandon progressif d'une tertiarisation volontariste et redécouverte de l'économie productive, longtemps rejetée à la périphérie comme un « impensé » des stratégies urbaines et des grands 182 Cf bibliographie, notamment les travaux de Nadine Levratto et Denis Carré, Laurent Davezies, Pierre Veltz, avec lesquels la mission s'est entretenue. Analyse du lien entre les métropoles et les territoires avoisinants, Institut CDC pour la recherche de la Caisse des Dépôts, Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET), France Stratégie, 30 novembre 2017 Dirigé par N. Levratto, le laboratoire Economix est rattaché à l'université de Nanterre. Il se situe à un point de rencontre entre la macro et la micro-économie, avec une orientation appliquée, orientée par la demande sociale, et se rattache à la recherche « empiriste ». 183 184 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 96/170 PUBLIÉ projets d'aménagement. Des analyses récentes 185 évoquent un renouveau, voire un possible rebond qui peut concerner aussi les villes moyennes ainsi que les espaces périurbains ou interurbains et apporter ainsi une confirmation à la notion, avancée par Pierre Veltz, d' « économie hyperindustrielle », considérée comme un levier potentiel de développement pour tous les territoires. Toutefois, l'évolution économique des territoires reste tributaire de déterminants majeurs qui agissent à l'échelle mondiale sous l'influence des choix stratégiques opérés par les grandes puissances économiques et notamment les multinationales. Selon l'économiste Pierre-Noël Giraud 186, l'avenir des pays européens se joue entre trois scénarios à l'oeuvre aujourd'hui sur la planète : le modèle occidental fondé sur une approche néolibérale, dit « capitalisme ruisselant » ; le modèle chinois fortement régulé nationalement, dit « mercantiliste », le modèle de l'autonomie régionale selon lequel chaque région ou pays doté atouts propres les joue sans se soucier des autres, dit « modèle de Singapour ». On peut alors s'interroger sur les effets qu'aurait en France chacune de ces trois options en termes de cohésion sociale pour des territoires restant dotés de potentiels inégaux et concurrents les uns des autres. Un autre économique, Gaël Giraud187, est porteur d'une vision plus volontariste : observant que de grands pays comme la Chine produisent désormais davantage pour leurs propres marchés intérieurs que pour l'exportation, il estime qu'il y a une opportunité à opérer la « réindustrialisation verte » de notre continent, une transformation radicale seule à même de créer des emplois durables. La vision générale présentée ci-dessus s'appuie sur divers travaux de recherche, porteurs de regards, de sensibilité, de méthodologie et de conclusions sensiblement différents. Pour éclairer le contexte de la mission, il apparaît intéressant d'évoquer plus particulièrement certains d'entre eux. L'importance des effets de redistribution entre territoires français Laurent Davezies, avec de nombreux autres chercheurs, met l'accent dans ses travaux sur l'importance du fait métropolitain dans la production de la croissance, laquelle fonctionne globalement au bénéfice de l'ensemble du pays188. Les éléments qu'il a précisés vis-à-vis de la mission tiennent en trois points : la différence entre la croissance et le développement, l'intérêt d'analyser le revenu plus que la valeur de la production, et l'importance des effets redistributifs entre territoires français. Pour L. Davezies, la théorie de la croissance territoriale, issue de « la nouvelle économie géographique » de Krugman, n'est pas une théorie du développement local. 90 % des revenus en France n'ont pas à voir avec « le productif » ; d'où sa théorie (qui fonctionne mieux en France que dans le reste de l'Europe) selon laquelle c'est le revenu qui fabrique le développement des territoires, et non la création de richesse mesurée par les PIB régionaux. Jean Gadrey a fabriqué un indicateur de développement territorial : l'Indicateur de « Santé Sociale » (ISS), qui comprend notamment le revenu. Le déploiement de cet indicateur donne une vision toute autre des territoires : l'ancienne région Limousin, classée dernière selon l'indicateur « PIB », se retrouve au premier rang selon l'ISS. Jean Gadrey montre ainsi que le développement diffère de la croissance. Là où « il y a déchirure territoriale » si on suit le PIB, le « développement » au contraire apparaît de plus en plus équilibré et convergent, entre régions, entre zones d'emplois. À une échelle plus fine cependant, on constate une augmentation des inégalités. Par exemple, si on prend l'ensemble des 185 En particulier CGET/ Observatoire des territoires : L'industrie dans les territoires français, 2019. Pierre-Noël Giraud : L'Europe entre mondialisation et populismes, revue Projet n° 369 avril 2019. Économiste en chef à l'Agence française de développement, s'exprimant à l'UNESCO le 20 mai 2019 Par exemple : La nouvelle question territoriale, L. Davezies et D. Pech, Terra Nova 2014. Mutations économiques et développement des territoires Page 97/170 186 187 188 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ emplois métropolitains dans le numérique (60 000 à 65 000 créés entre 2007 et 2018), 82 % se retrouvent dans seulement... 15 communes françaises. L. Davezies, qui cite aussi les importants travaux de Magali Talandier, bat en brèche la théorie du ruissellement : dans le cadre des systèmes « productivo-résidentiels » qu'il décrit, soit le coeur de ville ET la périphérie « vont bien », soit les deux vont mal. Toutefois on ne peut pas dire qu'il n'y a pas de ruissellement à l'échelle nationale : les effets de redistribution entre territoires représentent 31 % du PIB national, soit 750 Mds (et 51 % du PIB si on ajoute le budget de l'État). Aussi, l'augmentation des disparités de PIB entre territoires est inquiétante, mais on s'aperçoit en parallèle qu'il y a une baisse permanente des inégalités de revenus entre eux : toute augmentation des inégalités produit un effet mécanique d'augmentation des mécanismes de la redistribution. La redistribution privée joue également un rôle ; par exemple, les Parisiens passent en moyenne 45 jours par an en dehors de Paris, soit un gros transfert de consommation par le tourisme ; de même pour les navetteurs : on estime que 8 % de la masse salariale en Île-de-France est versée à des personnes qui y travaillent mais n'y habitent pas. Les territoires non-métropolitains, capables aussi de « sur-performer » L'existence d'une « sur-performance » métropolitaine qui justifie le soutien aux métropoles considérées comme moteurs d'excellence de la croissance, est vivement contestée par Olivier BoubaOlga. Ce chercheur de l'université de Poitiers relève ainsi que dans l'ouvrage de Davezies et Pech précité, les auteurs se focalisent sur le cas de quelques grandes villes françaises à la dynamique très positive, occultant le fait que d'autres grandes villes ont des dynamiques moins favorables, et surtout que tout un ensemble de territoires non métropolitains sont aussi particulièrement dynamiques. O. Bouba-Olga s'emploie ainsi à relativiser l'existence d'effets d'agglomération donnant des niveaux de productivité supérieurs ou apportés par une plus forte densité des emplois 189. Ainsi, le PIB régional par habitant est un mauvais indicateur de performance des régions, et masque le jeu d'autres déterminants socio-économiques. Seule l'Île-de-France présente une sur-productivité apparente du travail, qui s'explique selon lui entièrement par des effets de composition sur les secteurs d'activité (sur-représentation de certains secteurs) et par la concentration des hauts revenus dans la région capitale. Ainsi, l'effet « métropole » serait moindre, voire inexistant, si on neutralisait les autres variables selon un principe de « toutes choses égales par ailleurs » ; en termes relatifs, bien des villes moyennes « performent » mieux que des métropoles. L'idée que les métropoles créent davantage de croissance et d'emplois que les autres territoires est donc contestée. « Quand on compare les territoires en France, on voit qu'il y a une diversité des dynamismes économiques. (...) Et des territoires hors métropoles marchent aussi très bien, car ils sont bien insérés dans la mondialisation » (O. Bouba-Olga. Printemps de l'économie, 20 mars 2018). Dans une étude190rédigée en 2018 avec M. Grossetti, l'économiste explore ces territoires non métropolitains plus dynamiques que les plus dynamiques des métropoles. C'est le cas de Figeac (Lot), Vitré (Ille-et-Vilaine), Issoire (Puy-de-Dôme) ou Vire (Calvados). Même conclusion pour des zones d'emploi comme Mauriac (Cantal), Soissons (Aisne) ou Saint-Gaudens (Haute-Garonne) qui ont réussi à inverser leur courbe du chômage entre 2012 et 2015, bien avant que les autres territoires n'y parviennent. Si les freins sont nombreux (départ des habitants du fait que la zone n'est 189 cf. Les dynamiques économiques du territoire français : de l'obsession métropolitaine à la prise en compte de la diversité des configurations territoriales, Olivier Bouba-Olga et Michel Grossetti, communication de 2015. Autres ouvrages consultés : La métropolisation horizon indépassable de la croissance économique ? O. Bouba-Olga, M. Grossetti, Revue de l'OFCE 2015/7 n°143, et On voit des métropoles partout, sauf dans les statistiques, O. BoubaOlga, M. Grossetti, Benoît Tudoux 2016. 190 « La mythologie CAME (compétitivité, attractivité, métropolisation, excellence) : comment s'en désintoxiquer ? » 2018. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 98/170 PUBLIÉ pas dynamique, vieillissement de la population...), O. Bouba-Olga estime que la spécialisation d'un territoire peut aussi lui donner un potentiel de développement, tel le cas du territoire de Châtellerault (Vienne), porté par l'entreprise Mecafi, qui fournit le groupe Safran en aubes de moteurs d'avion, et dont les effectifs sont passés en dix ans de 100 à 700 salariés : selon le chef de file de l'école de Poitiers, « cela peut se produire sur chacun des territoires (...), on voit qu'il y a des capacités d'innovation un peu partout » . « L'arrosage » plutôt que le ruissellement ? Les métropoles se développent elles aussi de manière inégale. D'après l'étude de 2017 précitée 191, Bordeaux, Montpellier, Nantes, Rennes et Toulouse sont dynamiques en matière d'emploi. Mais d'autres métropoles, comme Nice, Rouen et Strasbourg, ont des résultats en deçà de la moyenne nationale. Les auteurs en concluent que toutes les métropoles ne suivent pas la même trajectoire et n'entretiennent pas toutes une forme de supériorité à l'égard de l'ensemble du territoire. De plus, la théorie du « ruissellement », qui revient à dire que la croissance des métropoles irrigue naturellement sur leurs territoires avoisinants, n'apparaît pas vérifiée. L'étude constate une diversité de relations entre les métropoles, leurs territoires voisins et l'ensemble de leur région. Ainsi, des métropoles comme Lyon, Nantes, Aix-Marseille se caractérisent par une forte dynamique de leur zone d'emploi et des zones qui leur sont contiguës, voire qui sont plus éloignées. D'autres, comme Lille, Toulouse ou Montpellier, se développent sans avoir d'effet d'entraînement particulier sur les zones autour d'elles. Dans un contexte de mondialisation, comment donner la même chance à tous les territoires, qu'ils relèvent d'une métropole ou qu'ils soient à dominante rurale ? Pour O. Bouba-Olga (intervention précitée), « il faut sortir de la concurrence territoriale, prendre acte des processus qui traversent les territoires et arrêter de chercher à attirer des talents sur les territoires qui sont censés mieux fonctionner. Mieux vaut équiper les territoires en infrastructures, pour que les habitants s'y sentent bien, puissent s'épanouir et développer des projets innovants ». D'autant que la mobilité géographique des Français est limitée. Ainsi, d'après le recensement de 2013, 88 % des personnes occupaient le même logement que l'année précédente. Et parmi ceux qui ont déménagé, seuls 2 % ont changé de région. Même constat pour les créateurs d'entreprises, qui, le plus souvent, créent leur entreprise là où ils habitent, et pour les investissements étrangers qui se déploient bien au-delà des métropoles. Plutôt que parier sur un effet « ruissellement », il plaide pour un « arrosage », autrement dit la mise en place de politiques publiques permettant de soutenir l'ensemble du territoire. « On ne sait pas où les fleurs de demain vont pousser, donc il faut arroser partout » de peur de nous priver de voir éclore l'excellence de demain. Selon Pierre Veltz, l'analyse d'O. Bouba-Olga 192 « est un plaidoyer pour une vision pragmatique des atouts territoriaux, une critique de la manie française consistant à saucissonner les politiques publiques par grandes catégories, pôles ruraux, petites villes, villes moyennes, métropoles.... La question principale est celle des relations et des complémentarités entre ces types de territoires. S'agissant des grandes villes en particulier il vaudrait mieux les considérer comme des pôles d'appui de services dans un tissu territorial continu et ouvert, que comme des « locomotives » d'un développement dont elles seraient les seules forces vives. Il est temps de penser les métropoles dans un cadre spatial large, inventant des relations de réciprocité avec leur périphérie, proche ou lointaine. Les systèmes locaux devront rester interconnectés et même à des échelles plus larges qu'aujourd'hui (... l'autonomie énergétique ou alimentaire des villes est impossible). Admettre une inégalité durable entre territoires bien dotés en ressources et territoires moins favorisés serait une régression. »193 191 Étude précitée de l'Institut CDC pour la recherche de la Caisse des Dépôts, du Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET) et de France Stratégie, Analyse du lien entre les métropoles et les territoires avoisinants, 2017. Dynamiques territoriales : éloge de la diversité, Olivier Bouba-Olga (dir.) Poitiers, Atlantique, 2017. Pierre Veltz, La France des territoires, défi et promesses, 2017 (p. 15-16) Mutations économiques et développement des territoires Page 99/170 192 193 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ Les études empiriques montrent de façon convergente que l'activité d'innovation est fortement agglomérée dans l'espace. Pour O Bouba-Olga 194, ceci implique la nécessité pour les acteurs de se colocaliser afin de bénéficier de connaissances tacites qui par définition ne peuvent se diffuser facilement à travers les territoires. Selon les auteurs, les acteurs économiques devant résoudre des problèmes de coordination résultant de la mise en place de la division du travail, les résolvent en s'appuyant sur l'existence préalable de relations de proximité socio-économique : relationnelle d'une part, de médiation d'autre part. Dans certains cas, la proximité socio-économique et la proximité spatiale se recouvrent, donnant lieu à la formation d'un système productif localisé ; dans d'autres cas les proximités socio-économiques traversent les territoires et donnent lieu alors à un développement de réseaux productifs trans-territoriaux. Une mise en évidence d'effets de seuil pour bénéficier des « effets d'agglomération » Ces questions sont au coeur des travaux et des modèles « multi niveaux »195 mis en oeuvre par l'économiste Nadine Levratto196. Ces modèles permettent de traiter à la fois des variables individuelles et locales. On raisonne en zones d'emploi ; chaque zone est considérée une « île », avec prise en compte de ses interactions spatiales. Avec deux questions : comment les différents déterminants se combinent à l'intérieur d'un territoire ? Et se combinent avec leurs voisins ? On aboutit à des typologies : les métropoles apparaissent avec leurs aréoles. Le plus important est qu'on parvient à faire ressortir l'économie qu'apporte l'agglomération, ce qui vérifie donc l'hypothèse de densité. Au contraire, l'analyse d'O. Bouba-Olga est basée sur l'identification des « effets composition » et une utilisation du « toutes choses égales par ailleurs » qui se révèle un peu abusive: si on corrige de tout, on va certes trouver des coefficients « purs » de tout ce qui se passe autour. Mais une fois que tout est éliminé, il ne reste rien... Exemple : la recherche en Île-de-France produit moins de résultats que son potentiel devrait le faire escompter ; cependant, elle produit énormément plus que partout ailleurs. Il est donc plus intéressant d'isoler l'effet naturel de chacune des composantes. Là se situe le clivage entre l'école de Poitiers et l'école d'économie spatiale et urbaine de Paris 1. Si on garde toutes les composantes de la surproductivité métropolitaine ensemble, on aboutit aux thèses de Jean-Claude Prager (Société du Grand Paris), très favorable à « l'agglomération » : l'agglomération produit l'agglomération qui produit la croissance... ce qui est juste, mais ceci est limité par nombre d'éléments, comme la congestion... Il faut donc regarder la « non-linéarité » des gains d'efficacité produits par l'agglomération, c'est-à-dire les effets de seuil : à un certain niveau l'agglomération produit des effets positifs, et moins au-delà. En deçà d'un certain niveau de regroupement, l'économie ne fonctionne pas ; au-delà, l'effet d'engorgement et de congestion produit une « déséconomie » externe. Entre les deux, comment se structure le champ des possibles en fonction de ce qui se passe à l'intérieur des territoires et entre territoires ? Tout n'est pas possible partout tout le temps... On peut retenir d'un certain nombre d'études, selon des modèles testés avec différents secteurs industriels, qu'au-delà d'un certain seuil la densité peut jouer un effet négatif. Mais les résultats sont 194 « Pourquoi y a-t-il encore des effets de proximité dans le processus d'innovation », O. Bouba-Olga, M. Grossetti, document de travail CRIEF, 2007 Pour Economix, Olivier Bouba-Olga ou Laurent Davezies font du « quantitatif » avec des techniques d'analyse de données conventionnelles (des régressions linéaires simples, qui dégagent des tendances). Or, on ne peut mettre sur le même plan les variables calculées à l'échelle de la commune et du département, par exemple. Certaines variables se répètent à l'identique sur un grand nombre de lignes... Ceci induit un biais statistique qui sur-accentue l'impact des déterminants locaux. Professeur à la faculté de Nanterre, N. Levratto travaille sur les déterminants de la croissance et le développement des entreprises. Elle a piloté avec l'ADCF et la CDC une réflexion sur l'influence de l'environnement et des territoires sur la trajectoire des entreprises, l'identification des déterminants locaux, en association avec Denis Carré (orienté terrain, analyse des spécificités locales). 195 196 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 100/170 PUBLIÉ différents suivant la maille retenue, que l'on se place à l'échelle de la commune/de la zone d'emploi/du département. Intérêt des analyses en termes de « zones d'emplois » La « zone d'emploi » est un découpage fondé sur l'économie : 60 % de la population travaille et réside sur ce territoire. Selon Economix, on y obtient des données de bonne qualité, meilleure que pour les communes : si on retire les communes abritant moins de 100 salariés sous contrat privé, il ne reste que 9600 communes à prendre en compte. La double mesure de la variation du nombre d'établissements et du nombre d'emplois fait ressortir un effet négatif de la densité au-delà d'un certain seuil, et aussi que la part de l'industrie intervient négativement (ce qui veut dire que c'est surtout l'industrie qui fuit une certaine densité...). Ceci est expliqué par le mouvement d'externalisation vers le tertiaire et les changements organisationnels ; la valeur ajoutée de l'industrie a fortement diminué. La « zone d'emploi » donne des résultats robustes, et sa cohérence repose aussi sur l'activité résidentielle. On trouve des déterminants très différents selon les secteurs d'activité, avec des variations contrastées entre zones d'emploi selon leurs caractéristiques. Le calcul sur les 304 bassins d'emploi français197, sur deux périodes, 2000­2009 puis 2009­2015, permet de regarder les territoires les plus impactés par la crise, puis la résilience des territoires dix ans après la crise. Selon L. Davezies et une analyse traditionnelle, « les services aux ménages (l'économie résidentielle) tractent les territoires ». Or, la crise est « passée par là », et de fait, les territoires ayant su conserver une industrie... sont repartis « plus vite et plus fort ». L'industrie a donc été un facteur de rebond. Certes les emplois résidentiels non délocalisables restent intéressants, ils ont peu d'externalités négatives et permettent de maintenir les liens entre les établissements industriels. Néanmoins, on mesure un impact négatif si des segments entiers d'activité productive quittent le territoire, du fait du coût du foncier (exemple de l'Île-de-France), et là où les logiques « corporate » se télescopent avec les logiques territoriales. Il existe une relation d'achat et de vente entre les différents secteurs d'activité, et il faut des entités permettant d'alimenter cet écosystème. Lorsque des communes ou des EPCI donnent la priorité au tertiaire immobilier, aux lotissements via des grands projets d'aménagement, ceci dépeuple le tissu industriel. Or les entreprises qui disparaissent... ne vont pas toujours s'installer ailleurs. Ceci fragilise la « base compétitive » française, qui repose sur un continuum entre les services aux entreprises, l'industrie, la logistique, le commerce de gros... Ces activités ont un effet d'entraînement vers la construction, la consommation, les services aux ménages. Ce n'est donc pas l'activité résidentielle qui sert de moteur, conclut N. Levratto. La question des territoires de spécialisation Les pôles de compétitivité obligent les entreprises à travailler en commun ; les donneurs d'ordres mettent tout le monde « en ordre de marche ». Le CEPREMAP a produit une analyse critique des pôles elle-même critiquée pour son caractère « top down » alors que les pôles reposent sur les acteurs locaux. La labellisation de « pôle » est multiple, or on constate que les pôles les plus dynamiques émanent de territoires qui pratiquent la coopération 198. Sur le thème des énergies renouvelables il y a un travail à faire sur l'usage, en s'appuyant sur des démarches interactives avec boucles de rétroactions. A Tours les acteurs publics ont lancé une démarche, et les entreprises sont venues s'appuyer sur les universités. Les politiques d'innovation sont ainsi très variables. Outre des programmes de recherche dédiée à la transition écologique/RSE (Mines de Saint-Étienne), voici quelques exemples intéressants : 197 Economix a accès à toutes les données d'emploi à l'échelle des établissements d'entreprises : type d'emplois créés, variation de l'emploi au niveau des établissements, coût du travail, financement, création et destruction d'emplois. Dans les Hauts de France, une démarche de type « Kalenborg » (Danemark) s'appuyant sur l'INRA et Gwenaëlle Doré, a produit des symbioses industrielles sur des territoires particuliers. Mutations économiques et développement des territoires Page 101/170 198 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ · « Cosmetic valley » : activité verrière + biotech + flaconnage : le pôle s'est monté dans une logique « projet », d'innovation, centré sur la recherche cosmétique, « ASTEC » Hermès + construction aéronautique, selon une logique de combinaison d'activités, « Cap Energy » : démarche énergies renouvelables, qui comprend le segment de l'installation. · · Il s'agit dans tous les cas de sortir l'entreprise et le secteur de leur propre logique, en leur accolant d'autres logiques. Pour la logistique, cela pourrait conduire à une relocalisation en zone dense. Le développement numérique est il vraiment un moyen de s'affranchir des contraintes urbaines ? Même si le numérique banal permet le développement du télétravail et des tiers lieux, le fonctionnement de certains pans de l'économie (par exemple la finance qui fonctionne sur les transmissions à la nanoseconde) et le besoin de proximité immédiate des serveurs des sites des data centers renforcent encore la logique d'agglomération. Le numérique reste centré sur le coeur des métropoles. À Montréal l'UCAM s'est positionné au croisement des lignes de métro, le numérique a produit un recentrage en coeur de ville. Le lien entre les métropoles et leur territoire adjacent Les travaux de Nadine CATTAN sur Lille ont mis en évidence les « auto-corrélations spatiales » qui permettent de rendre compte de ce qui se passe à proximité, ainsi que le poids du passé et du long terme. Sur ce sujet, on voit qu'une politique de "stop and go" et les logiques de court terme sont insuffisantes. La réussite de Valenciennes s'analyse comme un long travail de fond ayant conduit à l'installation il y a 20 ans de Toyota et de Bombardier. Le développement numérique y a pris racine il y a une dizaine d'années. Au final Valenciennes « fait mieux », d'un point de vue économétrique, que ce à quoi on pourrait s'attendre. La coopération entre la chambre de commerce, les chambres de métiers, la préfecture, les organisations professionnelles patronales et les élus a permis de transformer la zone d'emploi. Inversement, à Lille, en regardant l'aire urbaine (métropole institutionnelle + couronne), et les relations de contiguïté et de distance, l'étude précitée (CGETCDC) a trouvé une difficulté d'interactions (interactions locales et inter relations spatiales) entre Lille et son hinterland. La zone d'emploi de Lille ne rayonne pas, ce qui signifie que l'effet de diffusion, même s'il se vérifie sur certaines activités, ne fonctionne pas bien. Existe-t-il des acteurs clés pour le développement de ces interactions ? On trouve souvent une personne (leader), un moment, un lieu. En Auvergne, le travail de coordination se fait au sein d'un « réseau de diffusion technologique ». Les chambres de commerce s'impliquent peu (exemple de Dijon), sauf dans des cas comme Valenciennes et Brive, qui utilise l'imagerie du « pack de rugby » pour nommer la coopération entre les acteurs du transport et de l'économie. À Tours, il existe une grande habitude de travailler en commun entre l'agglomération, le Département, et les établissements ; les universités et les entreprises ont construit une démarche collective. La question du capital humain sur les territoires et la taille des entreprises Le capital humain est systématiquement pris en compte comme variable dans les modèles ;exemple : « le niveau de formation », « la part de cadres et de professions intellectuelles supérieures ». Tous les territoires ne sont pas sensibles de la même façon à cette disponibilité de ressources humaines. Dans le Gâtinais, les entreprises parviennent à se développer en restant localisées sur le territoire, alors que leur présence est plutôt fortuite, à l'exemple de REDEX, qui avait quitté Levallois pour laisser la place aux grands projets de ZAC... Cette entreprise travaille à l'exportation et n'avait aucune raison objective de se localiser hors région parisienne (elle l'a fait parce que son patron avait des racines dans le Gâtinais). Elle considère désormais que son capital humain est sur place. L'entreprise Thimonier, ETI lyonnaise, est aussi une entreprise familiale tournée vers l'exportation qui considère Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 102/170 PUBLIÉ son capital humain comme le plus important. En retenant l'exemple de Moulinex à Alençon, la disparition d'une entreprise « hégémonique », au sein d'un territoire spécialisé, a un impact d'autant plus important. D'où le rôle aussi de la formation initiale et continue qui anticipe les mutations. La France se distingue de l'Allemagne, de l'Italie et de l'Espagne par une répartition bimodale de ses entreprises : d'un côté, moins de 7000 entreprises qui sont des « groupes » fournissent 60 % de la valeur ajoutée ; de l'autre, une myriade de très petites entreprises désorganisées et isolées ne forment pas une chaîne cohérente (par exemple il n'y a pas d'écosystème entre la réparation automobile et la construction). La forte stabilité au sommet va de pair avec de fortes turbulences à la base. L'organisation spatiale de l'industrie repose sur une tête de groupe en métropole, et le reste (activités à faible valeur ajoutée) à l'extérieur. Cette pratique des (grands) groupes n'est pas favorable à une bonne répartition et à un bon fonctionnement territorial de l'industrie française. Ceci se reflète dans les données de la FNAU basées sur des séries longues de recensement de la population. Il apparaît important de centrer davantage les dispositifs d'aides sur la coopération, plutôt que de rester sur des aides individuelles, conformément aux modèles italien (Cofindustria) et allemand. L'évaluation du CICE, par exemple, a montré que 3 laboratoires sur 4 concluent sur une absence d'effet du CICE ; une action de coopération comme condition de l'aide trouverait ici son utilité. Quelle performance pour les territoires non métropolitains ? À l'occasion d'un travail pour l'ADCF et la CDC en 2013, Economix a appliqué une méthode centrée sur « le résidu » de croissance de l'emploi qui n'est justement pas expliquée par la nature des activités et les dotations sectorielles. A ensuite été opéré un approfondissement qualitatif sur 6 territoires non denses ayant un effet local positif et qui « sur-performent » par rapport au modèle : Valenciennes, Vannes, Dijon, Brive... On a ainsi approché ce qui permet de compenser le déficit d'agglomération. Tous ces territoires (sauf exception) avaient comme caractéristique commune un travail sur la coordination des acteurs : public/public, privé/privé, public/privé. Selon Denis Carré, la question n'est pas celle des composants de l'écosystème, mais de « la connectique » à l'intérieur. L'effort est à porter sur les alliances entre acteurs et entre institutions : réseau, grappes et clusters, pôle, territoires de projet... les effets d'annonce doivent être intégrés dans des stratégies communes, nécessairement sur moyenne et longue période. Ceci permet de compenser une part du déficit propre aux entreprises et aux employés sur ces territoires, et cet effet spécifique est donc mesurable. Peut-on calculer un « effet local » ? Oui, par exemple on prend en compte le caractère industriel du territoire, puis on regarde la variation combinée de 2 données : la tendance naturelle (la conjoncture macro-économique) et la tendance sectorielle. La différence entre ce résultat et celui observé permet de caractériser un « résidu » propre au territoire. En synthèse, quelques enseignements majeurs se dégagent pour les politiques publiques : · parler « d'interaction locale » et « d'interrelation spatiale » (plutôt que de ruissellement, débordement, diffusion...), recentrer les aides publiques sur l'appui aux démarches collectives (évaluation non probante des effets du CICE), l'effort est à porter sur les alliances entre acteurs, dont les effets ne se produisent que sur moyenne et longue période. · · Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 103/170 PUBLIÉ 4.2. La transition écologique, moteur d'un nouveau développement Cette partie 4.2. de l'annexe est un développement détaillé du § 1.1. du rapport. 4.2.1. L'échelle territoriale niveau de gestion commune des grandes transitions Les mutations économiques à l'oeuvre, entre déterminants globaux et dynamiques locales Notre époque est marquée par la concomitance de plusieurs bouleversements technologiques, économiques, sociaux et sociétaux. Parmi eux, la révolution numérique est souvent décrite comme une transformation majeure qui atteint désormais tous les pans de la vie économique et sociale. Dans le contexte d'un renouveau industriel ou productif, avéré ou potentiel selon les points de vue, cette mutation provoque ou rend possible, en effet, une grande partie des innovations, même si celles-ci sont aussi liées à l'évolution du rapport à l'activité, de modes de travail devenant plus collaboratifs, de l'attitude des jeunes générations face au défi climatique, aux choix de vie, aux manières d'exercer une ou plusieurs professions... La digitalisation et le big data généralisés peuvent apparaître comme une fin en soi, comme une perspective commode de la « ville numérique » ou de la « smart city ». Il ne s'agit pourtant que d'un ensemble de moyens qui rendent possibles de meilleures conditions de dialogue et de coopérations, facilitant le développement de nouvelles chaînes de valeurs. La révolution numérique a un impact sur les villes et des territoires, ne serait-ce qu'à travers la transformation des entreprises, de leur organisation, de leurs critères de localisation et des emplois productifs ou autres, qui constituent les principaux déterminants des bouleversements, concurrences et déséquilibres déjà évoqués. Cependant, l'évolution des entreprises et de leur relation au territoire s'inscrit dans un contexte beaucoup plus large, celui d'une concurrence exacerbée qui s'exerce désormais au niveau mondial pour la grande majorité des secteurs d'activité. Les logiques de financiarisation deviennent dominantes au fur et à mesure de la transformation de l'actionnariat des groupes et des entreprises moyennes et de l'érosion progressive d'un capitalisme familial au rôle modérateur, y compris dans des pays comme la Suisse ou l'Allemagne en dépit du poids économique du secteur intermédiaire. Ce contexte explique largement l'importance du phénomène de délocalisation, qui n'est pas récent et dont les impacts territoriaux sont aussi déterminants que redoutables. Un phénomène inverse de « relocalisation » est-il observable et significatif ? Il existe une réalité indéniable et à potentiel élevé pour ce qui concerne les « circuits courts », lesquels connaissent un développement soutenu notamment dans le domaine de l'agriculture de proximité. Les réalités sont plus contrastées dans le domaine industriel. On a pu constater par exemple dans le domaine de l'industrie de la chaussure, dont il est question dans le rapport au sujet du site de Romans visité par la mission, que la production s'est dans un premier temps délocalisée dans les pays très pauvres pour bénéficier des facilités d'une main d'oeuvre à très bon marché puis, dans une période récente, est partiellement revenue s'installer dans les pays développés sur la base de chaînes de production largement automatisées ; en termes d'emplois, cela signifie la création de nouveaux emplois plus qualifiés mais en nombre largement moindre que dans la situation initiale. Il reste aussi à observer si la relocalisation va se faire dans les territoires industriels initiaux ou ailleurs. La transition écologique, en interaction avec tous les grands bouleversements Un constat majeur se dégage des visites et entretiens réalisés par la mission : au coeur de ces bouleversements économiques et sociétaux qui affectent le développement et la cohésion des territoires, la transition écologique constitue à la fois la reconversion majeure de notre temps et une réalité déjà à l'oeuvre. Comme toute transition, elle se traduit par des effets immédiats qui peuvent être négatifs, surtout lorsqu'ils sont insuffisamment anticipés par les pouvoirs publics, mais porte un potentiel mobilisateur de transformation économique et sociale vers un nouveau « métabolisme urbain et territorial ». Sa poursuite et son accélération suscitent à la fois des menaces et des Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 104/170 PUBLIÉ opportunités, avec des visions et des modalités qui peuvent être très diverses selon les territoires et la capacité d'action de ses acteurs. La réussite de la transition écologique dépend de la crédibilité de son process et de son incarnation dans les territoires, entre réalisme pour gérer les difficultés, notamment des plus fragiles d'entre eux, et optimisme pour encourager les dynamiques à l'oeuvre. C'est « la grande reconversion » selon Jean-Pierre Aubert 199, fin connaisseur des crises industrielles et praticien reconnu des transformations économiques dans les territoires. Elle est au centre du débat public, en interface avec toutes les autres transitions : numérique, démographique et générationnelle, sociétale... Elle doit être pensée à toutes échelles : elle relève de responsabilités et de décisions de niveau local, national, européen et mondial, mais c'est dans les territoires (villes et aires urbaines, bassins économiques et bassins de vie...) que peuvent se gérer la conciliation et s'opérer la synergie entre l'ensemble des mutations, les enjeux sociaux et la transition écologique, condition indispensable à sa réussite, ainsi que l'explique Johanna Rolland, maire de Nantes. C'est pourquoi l'équipe de mission a considéré la transition écologique comme angle de vue privilégié de ses travaux. La transformation numérique de l'appareil productif en appui de la transition écologique La transformation numérique n'est pas une finalité, mais elle peut constituer un moteur, un accélérateur de la conversion écologique, en général et pour la mutation des entreprises, comme plusieurs témoignages recueillis par la mission le confirment. La transformation numérique de l'outil productif est plus ou moins avancée selon les entreprises ; elle est même parfois jugée terminée, comme pour Sylvie Guinard, présidente de l'entreprise Thimonnier, qui a fait de la transition numérique un facteur de différenciation et d'avantage compétitif pour se développer à l'international. Mais au global, l'industrie française peine à se transformer, notamment les PME, estime Louis Gallois. La notion de transformation numérique des entreprises est difficile à mesurer selon les experts de l'INSEE. Selon la DGE, la France se trouve en retard par rapport à d'autres pays, en dépit d'un soutien public important (« Industrie du futur », l'équivalent d'Industrie 4.0 en Allemagne et en Italie) et un taux d'investissement comparable. Le tissu des PME manque globalement de performance par rapport à l'étranger : deux fois moins de PME exportatrices par rapport à l'Italie, un taux de robotisation décalé par rapport aux autres entreprises et moins d'ETI par rapport aux concurrents européens. En France le programme « Usine du futur » est en cours et n'a pas encore produit tous ses résultats. A titre d'exemple, pour la direction du développement durable du groupe SEB, la transition numérique est un accélérateur qui impacte différents applicatifs dans les 40 usines du groupe : processus robotisé, installation de capteurs pour repérer les fuites, utilisation de l'imprimante 3D pour fabriquer à la demande et faciliter la réparation des produits (93 % des nouveaux produits sont réparables), recours à un logiciel pour réduire l'empreinte carbone due au transport via la diminution du taux de chargement à vide des containers. L'écologie affecte le modèle économique des entreprises qui dépendent des ressources naturelles disponibles, de plus en plus rares et chères, et des risques climatiques, de plus en plus importants. Des territoires, telle la Vallée de l'Arve, arrivent à tirer tout le potentiel du numérique pour accélérer le processus de transformation des entreprises et peuvent servir de bon exemple. La transition écologique s'appuie également sur la transformation numérique de l'organisation du travail de l'entreprise. Le numérique permet ou facilite des solutions nouvelles : « co-travail», télétravail, réunion en visio-conférence, co-voiturage dans le cadre du déplacement domicile-travail, plateformes de mise en relation et d'entraide... Le numérique est aussi un levier pour développer la coopération territoriale entre entreprises : il permet une meilleure connaissance des ressources en se connectant au métabolisme territorial et la mise en oeuvre de boucles locale d'optimisation des 199 Chef de la Mission interministérielle des mutations économiques dans les années 2000 et président en 2014 d'une mission sur l'anticipation et l'accompagnement des mutations économiques auprès du Premier Ministre. Mutations économiques et développement des territoires Page 105/170 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ flux en matière de logistique ou de réemploi notamment, comme le souligne l'Institut de l'économie circulaire (INEC). 4.2.2. Un « récit » de la transition écologique pour réussir la transformation économique des territoires Un concept récent, porteur d'une dynamique mobilisatrice et d'un potentiel à enrichir La transition écologique est un concept récent porteur d'une vision optimiste, renvoyant à la fois à un enjeu de niveau planétaire et à des modes de vie et des actions de type bottom-up. Il a été initié en 2005 par Rob Hopkins, enseignant anglais en permaculture, sur la base d'expérimentations visant l'autonomie et la résilience des territoires. Il est apparu institutionnellement en France en 2013. Il s'apparente à une « mise en action » du concept de développement durable, en introduisant une notion de mouvement, de passage d'un état à un autre. C'est ainsi que la stratégie nationale de développement durable est devenue « la stratégie nationale de la transition écologique vers un développement durable » pour la période 2015-2020 ; le Conseil national de développement durable (CNDD) a été remplacé par le Conseil national de transition écologique (CNTE). Le ministère de la transition écologique et solidaire a été créé en 2017. Le concept de transition écologique est encore souvent confondu avec la transition énergétique, qui en constitue effectivement un volet important. Mais il comprend aussi les sujets de l'urgence climatique, de la préservation de biodiversité, de l'économie circulaire, des circuits courts, de la gestion des ressources comme l'eau et les matériaux, de la maîtrise des risques... Il est porteur de connotations plutôt positives mais aussi accompagné d'effets négatifs. Ainsi, la diminution du diesel a un impact sur l'industrie automobile et sur l'emploi, de même que la fermeture des centrales à charbon et de certaines centrales nucléaires ; mais l'innovation, la création de nouveaux emplois, non délocalisables dans certains cas, l'apparition de nouveaux services qui conduisent à une amélioration du confort, de la santé et du bien-être sont favorisés par le développement des énergies renouvelables, des circuits courts, de l'économie circulaire, des services à la personne. Les questions sociales à prendre en considération simultanément Des interactions fortes et des contradictions apparaissent en termes d'emplois, de ressources et d'équité sociale. Cela peut aller jusqu'au déclenchement de mouvements sociaux, comme dans l'exemple récent de la taxe sur les carburants. Il en va de même avec les enjeux de « précarité énergétique », avec la politique de suppression des « passoires thermiques » dans les bâtiments, susceptible de créer des emplois à condition que les ménages soient en capacité de financer les travaux. Le concept porte une vision optimiste de l'avenir via un mouvement de transformation du modèle économique et social en partant des territoires et des citoyens. Mais la transition écologique fait peser un risque de déséquilibre social accru. Plusieurs économistes de l'école de Paris ont souligné qu'un instrument économique comme la taxe carbone a été conçu sans tenir compte des réalités sociales. Selon l'analyse200 de l'économiste Jean Pisani-Ferry, il y a un coût immédiat et des effets distributifs défavorables pour les pauvres et les classes moyennes de la périphérie urbaine ou pour les travailleurs en usine dont les métiers sont intensifs en carbone. Ainsi que l'ont exprimé plusieurs acteurs, en particulier Jean-Pierre Aubert et Odile Kirchner201, il serait pertinent dans le contexte d'aujourd'hui de construire un « récit » de la transition écologique 200 Publiée par Terra Nova, mars 2019. Qui a été Secrétaire générale du Conseil national à l'industrie puis Déléguée à l'économie sociale et solidaire. 201 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 106/170 PUBLIÉ non pas pour en faire le marketing, mais pour en développer une pensée cohérente et mobilisatrice, articulant les dynamiques territoriales, les temporalités et l'ensemble des enjeux socio-économiques. Un récit qui exprime des valeurs fondées sur l'humain, la nature Il s'agit de donner du sens à la transition écologique en misant sur les valeurs et les atouts du territoire, en s'appuyant notamment sur des notions de services écosystémiques et de génie écologique. Ainsi, la forêt peut fonder un récit de la transition écologique sur un territoire, comme pour le projet « Terres de métamorphoses » piloté par Jean-Pierre Aubert, lequel entend donner du sens et entraîner les acteurs locaux de la région de Compiègne dans la démarche. La forêt constitue également une valeur ancrée dans les territoires pour Jérôme Lescure, ancien administrateur de SEB et, depuis 2013, entrepreneur de la filière bois et investisseur dans les PME du secteur. Il s'agit de développer une capacité à penser la transition écologique autour de l'humain et de la nature, ce qui suppose des approches de nature philosophique, éthique, économique, sociologique, etc. Un récit qui doit articuler toutes les échelles et s'appuyer sur les dynamiques locales En affirmant que la transition écologique se fait par et pour les territoires, conviction partagée par de nombreux interlocuteurs de l'industrie comme le réseau national des éco-entreprises (PEXE) ou de la société civile comme des responsables de France Nature Environnement (FNE), un récit initié à l'échelle nationale est à même de donner envie aux territoires de parler de leurs initiatives, de les valoriser et les inciter à construire leur récit local de la transition écologique. Car la réussite de la transition écologique repose en grande partie sur les territoires mis en mouvement, sur les dynamiques locales et sur des espaces qui focalisent l'échange, la création, le renouveau du développement. Ainsi peut-il en être des tiers-lieux qui, pour Pierre Levy-Waitz, Président de la fondation Travailler autrement, constituent un exemple en devenir d'une « fabrique du territoire », à l'interface entre les trois transitions écologique, numérique et sociétale. C'est pourquoi leur développement hors métropole est à juste titre soutenu par les pouvoirs publics. Un récit pour penser conjointement transition et résilience des territoires Il est intéressant, comme le fait l'économiste Magali Talandier 202, de rapprocher la notion de transition et celle de résilience. Ces deux termes sont polysémiques, se recoupent et se complètent selon deux aspects indissociables : la transition exprime une transformation radicale qui s'inscrit dans un contexte social et territorial, la résilience un processus d'adaptation qui fait émerger un nouvel état. Cette approche met en évidence la nécessité de penser la transition écologique non seulement comme un défi incontournable mais comme une transformation préparée, gérée et dotée des moyens nécessaires, après évaluation de l'ensemble des impacts et des coûts afférents. Sur ce dernier aspect, on peut signaler une initiative de la ville de Grande-Synthe : le lancement à titre expérimental le 30 avril 2019 d'un « revenu de transition écologique » visant à apporter un complément de revenu aux habitants voulant basculer vers un métier respectant l'environnement. Cet exemple illustre la nécessité de mettre en oeuvre, aux niveaux pertinents de territoire, les moyens de surmonter les obstacles et notamment les « coûts de la transition ». Le récit doit définir une trajectoire, un rythme en distinguant des étapes et des objectifs à court, moyen et long termes, une articulation avec toutes les autres transitions. Il peut exprimer le lien entre l'économie et les atouts du territoire (la forêt par exemple peut être le moyen de fonder le récit de la transition écologique sur un territoire et être considérée comme une valeur de la transition écologique ancrée dans les territoires). 4.2.3. La transition écologique à l'oeuvre dans tous les secteurs Un défi dans tous les secteurs économiques 202 Magali Talandier : Résilience des métropoles, le renouvellement des modèles Les conférences du POPSU, PUCA 2019. Mutations économiques et développement des territoires Page 107/170 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ Face à l'enjeu environnemental, il y a un immense défi industriel, les investissements à réaliser sont considérables. En ne prenant en compte que le champ énergétique, Cédric Lewandowski, directeur Stratégie, innovation et responsabilité d'entreprise du Groupe EDF, cite le chiffre de plus de 3 000 Mds$ d'investissements à réaliser dans le monde par an d'ici 2040 à ce titre dans les secteurs correspondants (électricité, transports, bâtiments, industrie). La transition écologique concerne toutes les filières économiques et secteurs d'activité : agriculture et industrie extractive, bâtiment, transports, industrie manufacturière, services. À l'initiative des acteurs concernés et avec ou sans l'impulsion des pouvoirs publics, elle s'accompagne de bouleversements de nature et d'intensité diverses : alors que des pans d'activité disparaissent, se transforment ou sont menacés, de nouveaux modes de production émergent et se développent. Des modèles économiques novateurs apparaissent ou, s'ils existent déjà, prennent une importance ou une dimension nouvelle, et suscitent souvent une transformation en relation au territoire. La transition écologique dans le domaine de l'agriculture La conversion écologique de l'agriculture est difficile mais possible sur 20 ans, selon les experts. La moitié de la production agricole ne devenant alimentaire qu'après transformation (industrie alimentaire, nourriture pour l'élevage...), il convient de prendre en compte l'ensemble de la filière. Entre 1960 et 2000, les circuits courts ont fortement régressé du fait de l'industrialisation et de la normalisation (par exemple, standardisation du calibre des fruits et légumes). Ils n'ont jamais totalement disparu mais reprennent de l'importance avec les préoccupations de santé publique, le goût pour les produits locaux, l'exigence de traçabilité. Pour autant, l'agriculture industrielle ne disparaîtra pas aussi vite, notamment du fait de la part de la restauration collective (qui est de l'ordre de 50 %) et tant que celle-ci n'entre pas massivement dans une logique de conversion. Il se pose aussi des questions d'investissement, l'agriculture étant une activité fortement capitalistique (importance de l'outillage). Ainsi, il n'est pas pour le moment possible de prévoir le rythme de transformation... L'agriculture biologique et la vente directe au consommateur sont des réponses adaptées aux enjeux ainsi que par rapport à la transition entre générations, mais il faut être situé de préférence à proximité des grandes villes et dans des zones touristiques. Il importe de réinventer des dispositifs de coopération et promouvoir les outils de type appellation d'origine protégée (AOP). La démarche a « sauvé » des régions comme l'Aubrac, grâce au fromage fait exclusivement au lait de vache de ce terroir. L'enjeu de la filière bois La gestion durable « à la française » de la forêt n'oppose pas préservation et exploitation. On peut appréhender la forêt comme un capital productif doté d'un processus de production long, en cohérence avec les services écosystémiques qu'elle apporte. Mais on constate une insuffisance d'investissements de valorisation, en amont comme en aval. C'est l'enjeu de l'organisation d'une filière bois (en France, il s'agit essentiellement de bois de construction), une démarche engagée mais dont les résultats restent encore à concrétiser. Des contrats de filière ont été signés en 2014 puis en 2017. L'objectif est de passer de 10 à 15 % de la part construction en bois pour les constructions individuelles et de 2 % à 8 % pour celles à usage collectif. Le potentiel et l'ambition sont différents d'une région à l'autre, mais des initiatives prometteuses sont lancées, notamment dans le Grand Est, soutenus par le programme d'innovation TIGA (« Territoires de grande ambition »). Les jeux olympiques 2024 sont cités comme l'occasion de réaliser de possibles démonstrateurs. Une conception large de l'économie La rencontre en Suisse d'Olivier Crevoisier, professeur d'économie territoriale, l'observation de l'approche de terrain en Italie à Naples ou de l'action de la CDC biodiversité ont servi de révélateurs. Une conception large de l'économie permet de tisser le lien entre tous ses pans et avec les territoires, Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 108/170 PUBLIÉ ses atouts et ses ressources. C'est avec cette conception que doit être abordée la transition de notre économie vers un nouveau modèle, circulaire, décarboné et fondé sur l'usage et non sur la possession, selon un axe essentiel de la stratégie nationale de transition écologique vers un développement durable 2015-2020. D'autres aspects ou approches de la transition pourraient être développés : économie de la connaissance, économie sociale et solidaire, services à la personne, nouveaux emplois et formes d'activité, maintien de la biodiversité, maîtrise de la consommation foncière, finance verte... On se limitera à l'évocation de modèles porteurs de perspectives importantes et à leurs enjeux territoriaux. 4.2.4. De nouveaux modèles prometteurs L'économie sobre en carbone progresse, mais a besoin d'être placée au coeur de l'économie locale, alors que l'économie circulaire s'y trouve spontanément. La réponse aux défis environnementaux passe aussi par l'évolution des usages et des comportements, d'où l'enjeu de l'économie de la fonctionnalité. Tous les moyens doivent être optimisés, du numérique aux contenus de la RSE, en mettant l'accent sur le lien entre entreprises et les territoires. La transition engagée vers une économie sobre en carbone Le passage à une économie sobre en carbone, en dépit du poids des investissements à réaliser, apparaît, selon plusieurs témoignages, bien engagé par les industriels. Il interfère avec la transition énergétique, s'inscrit dans l'urgence de la lutte contre le changement climatique, est porté par les marchés financiers, sensibles au risque carbone et à l'inversion des rentabilités. À cet égard, l'Agence internationale des énergies renouvelables indique que leur coût de production ont baissé de plus de 10 % en un an, et affirme que cette réduction devrait se poursuivre après 2020. Le groupe SEB, conscient de la dépendance de son modèle économique aux ressources et à l'énergie, estime que sa transformation vers le bas carbone s'avérera rapidement source d'économies : d'une part, par la synchronisation des économies d'énergie et la réduction des émissions de gaz à effet de serre, d'autre part, par la mise en oeuvre de leviers multiples (optimisation des processus, installation de capteurs de fuite, récupération de chaleur dans une logique d'écologie industrielle...) Pour le développement des énergies renouvelables, plusieurs acteurs financiers annoncent des taux de retour sur investissement attendu acceptables et atteignant les standards du marché. De plus, le risque carbone, identifié et mesuré aujourd'hui, s'intègre dans les décisions d'investissements et réoriente les capitaux vers des actifs moins exposés. L'économie circulaire, modèle prometteur pour les entreprises et leurs interrelations avec les territoires L'économie circulaire est par nature territoriale. Si l'échelle régionale est pertinente pour coordonner les dynamiques locales et pour piloter l'évolution des filières, c'est bien l'échelle locale qui l'est pour la mise en oeuvre de boucles de valorisation et de circuits de proximité. Pour les entreprises, l'économie circulaire peut contribuer à améliorer leur compétitivité à court terme à travers une réduction des coûts (achats, transport, partage, traitement des déchets) et permettre de faire émerger de nouvelles filières locales créatrices d'emplois. Ainsi le recyclage fait travailler les PME dans les territoires, crée des emplois locaux, permet de faire lien avec l'économie sociale et solidaire, à l'image du groupe SEB qui fournit gratuitement les produits en fin de vie au réseau ENVIE dont la mission est de les répare et les revendre. Pour les territoires, l'économie circulaire optimise l'usage des ressources (bouclage des flux, approvisionnement local, etc.), réduit leur dépendance aux importations et aléas extérieurs, améliore l'empreinte environnementale et préservele capital naturel. Des territoires l'ont déjà placée au coeur de l'économie locale en misant sur la complémentarité des réseaux et collectivités en place pour fédérer les acteurs économiques. L'économie circulaire est source d'innovation territoriale, comme Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 109/170 PUBLIÉ dans le domaine de l'écologie industrielle et territoriale, un angle important pour optimiser l'échange de flux entre entreprises présentes sur un même territoire et pour ainsi envisager un devenir à certaines zones d'activité, ainsi que l'indique l'Ademe. Le mouvement est d'autant plus prometteur qu'il se structure à l'échelle de plusieurs Régions ou Métropoles, qui ont centré leur stratégie de développement économique sur l'économie circulaire. L'INEC cite ainsi les exemples de la métropole du Grand Paris, ou de la Région Hauts-de-France. Un certain nombre de freins restent toutefois à surmonter. Certains resteront à traiter au-delà de l'adoption du projet de loi discuté en 2019 au Parlement. · La compréhension de l'économie circulaire est souvent limitée dans un premier temps. L'ORÉE souligne que l'économie circulaire ne doit pas être comprise seulement sous l'angle de la gestion des déchets mais aussi sous l'angle de l'emploi et des ressources de services et de produits. L'INEC fait le constat que les acteurs politiques, économiques et citoyens n'ont pas assez conscience du métabolisme territorial. La connaissance de la richesse d'un territoire, du capital naturel utilisé et de l'empreinte environnementale font souvent défaut. Le développement de l'économie circulaire est handicapé par un contexte de désindustrialisation et de production insuffisante sur le sol français, un problème de structuration des filières et de transition du marché du travail, des difficultés à trouver la bonne maille entre le département et la région. D'autres freins économiques existent, comme le prix élevé des produits recyclés, des gisements faibles, des filières de recyclage encore fragiles, des incertitudes réglementaires (instabilité, manque de visibilité sur les évolutions). · · L'économie de l'usage, mutation économique majeure qui impactera les territoires, La réponse aux défis environnementaux ne peut être le seul fait de l'innovation mais dépend fortement de l'évolution des usages qui permet de prendre en compte l'impératif de sobriété. Dans ce contexte, « l'économie de la fonctionnalité » est considérée par l'INEC comme le modèle de l'économie circulaire le plus abouti. Pour Bernard Charles, président directeur général de Dassault systèmes, c'est même la mutation économique majeure : la renaissance de l'industrie avec le phénomène de « plateforme », selon un changement brutal et radical qui bouleverse la chaîne de valeur et les métiers. En modifiant les modèles d'affaires et en substituant à la vente de biens ou de services la fourniture d'usages et de performances, cette mutation incite à l'allongement de la durée de vie des produits et à l'optimisation de leur utilisation. Le modèle ne signifie pas un ancrage local des entreprises, mais l'approche par l'usage modifie la relation au territoire. 4.2.5. Les avancées de « l'écologie industrielle » La transition écologique oblige les entreprises à se transformer pour un développement durable de leur activité. C'est une tendance de long terme, bien que l'industrie française soit lente à se transformer, singulièrement les PME. Les objectifs de développement durable 203 (ODD) et la responsabilité sociale des entreprises (RSE) sont considérés comme des leviers de transformation des entreprises. Leur ancrage territorial peut-il être en même temps favorisé ? L'économie circulaire et plus particulièrement l'économie industrielle territorialisée constitue une « RSE inter-entreprises » selon l'ORÉE, qui propose de créer un lien avec le territoire, en intégrant la dimension territoriale dans le reporting extra-financier et en encourageant une dimension collective. L'ancrage territorial des pôles de compétitivité et des clusters va dans le même sens. 203 Notamment l'ODD 12 : « Consommation et Production durables ». Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 110/170 PUBLIÉ Le modèle de l'entreprise familiale favorise la RSE selon les exemples de SEB et de Thimonnier et d'après l'observation des entreprises allemandes. L'actionnariat familial facilite une vision à long terme et peut avoir une influence forte sur la RSE et sa dimension territoriale, ne serait-ce que par devoir moral. Le centre des jeunes dirigeants d'entreprise (CJD), considérant que la transition écologique alliée à la RSE constitue un formidable moteur de croissance, a développé une méthodologie visant à promouvoir la performance globale de l'entreprise (sociale, sociétale, environnementale). Une approche similaire peut aussi être envisagée en passant à la contribution positive de l'entreprise à un territoire autour de la notion d'externalités nettes positives pour le territoire. Toutefois, comme le rappellent des acteurs issus du monde économique, les entreprises ont avantage à prendre en compte leur environnement local mais suivent d'abord leur propre intérêt. Les débats lors du débat sur le projet de loi PACTE ont également montré les réticences liées au changement de statut de l'entreprise. La Camif fait partie des premières « entreprises à mission » définie par cette loi PACTE ; ce statut promeut l'intérêt social et ouvre la voie à une nouvelle vision de l'entreprise. Emery Jacquillat, PDG de la Camif, a modifié les statuts de son entreprise dès novembre 2017. Il entend promouvoir « un modèle d'entreprise plus contributrice avec une économie plus locale, plus inclusive, plus circulaire ; le chantier est énorme, il faut tout réinventer, nous n'avons plus le choix... » 4.3. Entreprises et territoires Cette partie 4.3. de l'annexe est un développement détaillé du § 1.2.1. du rapport. 4.3.1. Vers un meilleur ancrage territorial des entreprises ? « Relocalisation » ou optimisation de la chaîne de valeur ? Depuis 2012, un léger ralentissement des fermetures de sites industriels, compensé par l'extension et la création de sites nouveaux a été observé sur le territoire français, laissant augurer un possible enraiement du déclin industriel. En 2017, l'industrie française a ainsi crû en nombre de sites comme en emplois ; le « rebond » s'est poursuivi en 2018 (l'emploi industriel continue de progresser mais pas le nombre de sites, source Trendeo 2019), avec une exploitation accrue des sites existants et une extension ou une densification de la production. Il est trop tôt pour dire si cette tendance se confirme en 2019, du fait de la poursuite de la fermeture de nombrexu site. Aussi, même si les processus de dé- ou re-localisation ne suivent pas une progression linéaire, peuton parler d'un mouvement de « relocalisation » (qui ferait suite au puissant mouvement de délocalisation vers le sud et l'Est de l'Europe ainsi que vers les pays émergents singulièrement d'Asie du SE) ? Romans (Drôme), visité par la mission, territoire historique de la confection de chaussures, a perdu ses capacités de production suite à la crise de 2008, les fabriques ayant été progressivement fermées et la production replacée ailleurs. Le choix, opéré par certains acteurs du territoire, de se réapproprier cette fabrication a conduit à une forme de relocalisation consistant à recréer des ateliers de confection de chaussures haut de gamme en faisant appel cette fois à un concept plus large, qui allie l'innovation et le savoir-faire industriels au design et à la conception ; certains secteurs industriels de l'Ardèche voisine (pays du Cheylard, rencontré aussi par la mission) obéissent aussi à cette logique. Pour Romans, le processus est directement issu de la volonté de faire le pari de « l'économie sociale et solidaire » pour ce territoire. Mais ce n'est qu'une partie de la chaîne de production qui a été ainsi relocalisée, à savoir, les éléments porteurs de la plus grande valeur ajoutée. Cette relocalisation, intrinsèquement liée au développement des outils numériques, repose donc sur une optimisation de la chaîne de valeur. C'est Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 111/170 PUBLIÉ ainsi que certains observateurs analysent désormais le phénomène du ré-ancrage des entreprises mondialisées par le terme « d'ancrage intermittent », pour signifier la répartition entre territoires à coût de production élevé (européens par exemple) qui captent les activités, y compris productives, à haute valeur ajoutée ; et les autres, plus aisément localisables à l'étranger (plates-formes de SAV par exemple, ou certains segments précis de la chaîne de valeur...), car nécessitant une main d'oeuvre abondante ou de formation plus stéréotypée. Il existe une réflexion nouvelle sur les coûts : coûts « réels », coûts « cachés », qui fait évoluer les modèles économiques, et redonne de l'importance à la proximité. Le choix de plus en plus affirmé du développement des circuits courts va dans le même sens. Il renvoie à la réflexion sur « l'internalisation » des externalités : si on impute par exemple au transport ses coûts cachés, coûts sociaux et économiques (congestion, chômage), coûts environnementaux, coûts humains (en termes de risques pour la vie humaine et d'impact de la pollution sur la santé), le coût réel est sans commune mesure avec le prix effectivement payé pour le fret marchandises, qui constitue actuellement le seul « surcoût » retracé dans le compte d'exploitation comme paiement du prix généré par la distance. La question de la proximité, physique comme culturelle, reste donc le sujet fondamental pour la compréhension des choix entrepreneuriaux. Les échanges : contribution des entreprises et aménités apportées par les territoires La production de valeur ajoutée par l'entreprise est d'abord le fait de la mise en oeuvre, selon des process qui lui sont propres, de ses facteurs de production capitalistiques et humains. Mais cette mise en oeuvre, cette transformation, s'appuient sur une valorisation des aménités et des ressources offertes par le territoire, à savoir, des infrastructures de transport, la main d'oeuvre présente sur le bassin d'emploi, l'équipement numérique et la présence localement de réseaux de services aux entreprises... Ce sont précisément ces éléments qui placent la France en très bonne position dans les investissements internationaux (qui comprennent aussi des investissements chinois, allemands, etc. dans le Nord et l'Est de la France...) ; en 2108, le territoire français représente ainsi le premier territoire d'accueil d'investissements étrangers en Europe 204. Les ressources du territoire constituent une « ressource » matérielle ou immatérielle ; et il est de l'intérêt bien compris de l'entreprise de se préoccuper aussi de la pérennité de ces ressources, qu'elles soient naturelles, physiques, ou humaines. Ceci explique l'histoire mouvementée du lien entre entreprise et territoire (l'une est mobile et l'autre, par définition... permanent, même s'il évolue sans cesse). La version négative de cette histoire est celle de « la prédation » exercée par les entreprises, de plus en plus largement dénoncée. C'est celle aussi de la « mise en concurrence » concrète des territoires relativement à leurs dépenses d'investissement en faveur des entreprises : mise à disposition gratuite des infrastructures de transport ou de réseaux numériques, mise à disposition de terrains fonciers ou d'ensembles immobiliers ; sans compter les bonus fiscaux ou les primes à l'installation. Il s'agit d'un « jeu » non coopératif qui se joue partout, en Europe, encore plus dans les pays émergents, au nom de la perception que l'entreprise est celle qui apporte développement et emploi au territoire. De nombreux entretiens de la mission ont fait ressortir la nécessité de sortir aujourd'hui de cette représentation, par exemple en intégrant dans un calcul économique les externalités positives apportées par le territoire, et en miroir, les éventuelles « externalités négatives » d'une entreprise qui viendrait le polluer, et qui au final aurait « coûté » plus cher au territoire qu'elle ne lui aurait rapporté. 204 Sources : presse, semaine du 31 mai 2019 et rapport de la mission FNEP 2019 Cultivons notre industrie, précité Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 112/170 PUBLIÉ Un ancrage territorial porteur de valeur ajoutée Mais cette relation joue aussi positivement. Certaines entreprises aujourd'hui vont au-delà de leurs obligations en matière de RSE en se positionnant fortement sur leur lien au territoire et en mettant « l'ancrage » au coeur de leur stratégie : c'est le cas de certains groupes, pour des raisons d'image visà-vis des consommateurs ou de leurs salariés, d'entreprises intervenant dans les secteurs liés à la transition, à l'énergie, qui sont dans une problématique de ressources, de risques et ont intrinsèquement un rapport avec leur territoire... C'est aussi le cas, en général, de l'artisanat, des PME, voire de la plupart des entreprises de taille intermédiaire (ETI) qui peuvent jouer sur des questions d'implantation mais ne sont pas dépendantes de stratégies extrinsèques, et s'inscrivent dans le « fait local »205. Ce thème de l'ancrage devient aussi une préoccupation au sein des organisations professionnelles rencontrées. S'appuyant sur un groupe de travail inter-entreprises réuni sur l'année 2016, l'association ORÉE a mis au point des indicateurs « d'ancrage territorial » permettant aux entreprises de procéder à une auto-évaluation de cet ancrage, selon quatre axes 206. Cette démarche montre que, au-delà des ressources que le territoire met à disposition, c'est aussi la qualité propre du lien tissé avec ce territoire qui représente en tant que tel un « capital ». Et ce capital, s'il n'apparaît nulle part à l'actif du bilan de l'entreprise, n'en représente pas moins une ressource immatérielle précieuse pour son fonctionnement et sa pérennité. Le « territoire » apparaît ainsi comme un lieu particulièrement propice à l'expression directe des différentes composantes de « la responsabilité » entrepreneuriale, chères aux promoteurs de la RSE 207. Les entreprises sont dans un modèle « d'écosystème » : elles se regroupent pour bénéficier de la coprésence de leurs fournisseurs, leurs sous-traitants, de leurs concurrents éventuellement, d'un bassin d'emploi et de formation appuyé sur une filière économique... La formation de « grappes », les clusters, sont une réalité du développement des entreprises, qui tirent bénéfice de la spécialisation thématique. D'où une tension à propos de cette spécialisation économique territoriale : bénéfique aux entreprises, elle est aussi vecteur de vulnérabilité pour le territoire en cas de crise de la filière concernée ou de fermeture d'un site important ; sachant qu'au final, c'est la diversification et non la spécialisation qui permet un réel développement. La clé du succès repose sur la dynamique territoriale, et la transformation de cette dynamique en « bien commun » utile à tous. On peut ainsi appréhender des « externalités positives » liées au seul bon fonctionnement du système d'acteurs, de la collaboration entre entreprises et territoire, de leur investissement sur le territoire208. La performance du territoire est alors une résultante de la qualité des échanges entre territoires et entreprises, selon leur ancrage territorial, au-delà de ce qu'elles reçoivent et ce qu'elles donnent. 205 Or la récession de 2008­2009 a d'abord touché le tissu industriel artisanal (en même temps que de très grands établissements). Axe 1 : stratégie d'innovation et de marché (développement de compétences adaptées, évolution du modèle économique de l'entreprise vers un modèle durable centré sur le territoire, participation à des programmes de recherche avec des partenaires) ; axe 2 : ancrage social et économique de l'entreprise (développement du tissu économique, emplois locaux et insertion professionnelle) ; axe 3 : coproduction de valeur commune (contribution à l'aménagement du territoire, redistribution de la création de valeur, partage de la valeur créée, contribution à la préservation, restauration et valorisation des ressources naturelles locales) ; axe 4 : gouvernance (participation des acteurs, transversalité et pilotage de l'ancrage local). Source ORÉE (Entreprises, territoires et environnement) : S'ancrer dans les territoires pour gagner en performance (sept. 2017) On peut alors parler de « RS-T-E » cf. supra annexe 4.2 C'est un des aspects également du « salaire urbain », qui s'appuie sur cette optimisation (dans la mesure où les environnements urbains facilitent les échanges). Mutations économiques et développement des territoires Page 113/170 206 207 208 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ « L'économie patrimoniale » Enfin, une partie du rebond industriel dans les grands pays européens peut être liée à la valorisation de l'identité territoriale elle-même. On vend un produit chargé d'une histoire unique, d'une culture spécifique. Cette différenciation fonctionne très bien dans l'agro-alimentaire, point fort de l'industrie française (exemple, le modèle des « AOP ») ; mais aussi, pour les exemples suisses rencontrés, au sein de l'ensemble de l'économie industrielle. L'économie productive devient ainsi une économie « patrimoniale » ; pour laquelle il n'est justement plus question de délocalisation. En Suisse, en certains endroits, le musée jouxte la fabrique et la fabrique le magasin ; le musée explique et relie l'histoire du territoire, l'histoire des ouvriers, l'histoire des modes de travail et de production du territoire, l'histoire de ses entrepreneurs. Tout cela est « visité », et « vendu », en même temps que le produit (même s'il s'agit d'un produit de consommation à forte composante industrielle). Ce qui vaut pour les produits vaut également pour les compétences puisque sont mis en valeur des territoires qui sont supposés être héritiers de cet esprit entrepreneurial, ou intrinsèquement porteurs de ces compétences. Tout ceci est renforcé par la coprésence sur un même lieu des fonctions de commandement entrepreneurial et de production, apanage du modèle germanique (alors qu'en France ces implantations sont le plus souvent scindées, avec une spécialisation des territoires : le « siège » dans la métropole et le site industriel excentré). Un développement territorial d'abord endogène Comme vu ci-dessus, les avantages procurés par le milieu local conduisent les établissements à s'agglomérer pour se développer et bénéficier d'un système d'interactions vertueuses : des « effets de milieu »209 qui se complètent d'éléments liés à la gouvernance locale, la qualité d'organisation du territoire, son image (à différentes échelles), la capacité des différents acteurs locaux, publics et privés, à travailler ensemble. Dans les faits, les implantations d'entreprises venant de l'extérieur contribuent de façon minoritaire à la croissance des territoires, sauf exception (on l'évalue de 5 à 20 % selon les territoires étudiés, en France) : le potentiel de gain d'emploi et de valeur ajoutée des territoires réside donc essentiellement dans les entreprises existantes, qui « s'agrandissent » ou reconfigurent leurs établissements, en restant localisés sur le même site, un site adjacent, ou encore sur le même bassin de vie. Ainsi, si l'attention des structures chargées de l'attractivité est souvent plus marquée vis-à-vis des grands comptes ­ perçus, à juste titre, comme davantage exposés au risque de délocalisation ­ c'est bien de l'ensemble de la chaîne productive, incluant le tissu de TPE/PME, dont il est question. 210 Croissance endogène et croissance exogène se renforcent en effet mutuellement, et induisent une spirale positive en matière d'attractivité (la bonne valorisation des ressources existantes permet au 209 Autrement dit : 1) des « externalités d'agglomération », qui reposent sur des agents économiques présents en abondance, de façon dense et diversifiée ; 2) et/ ou des « externalités d'urbanisation » liées à la taille et à la densité de l'agglomération, à la présence de services, d'équipements et d'infrastructures, et à la qualité de l'environnement urbain. Analyse reprise dans « Les relations des entreprises avec leurs territoires », ESSEC Business School ­ La Banque postale, 2018. L'ADCF a cherché à mesurer l'impact de la crise de 2008 (on dirait aujourd'hui la capacité de « résilience ») des tissus productifs) En volume, la progression du « stock » d'établissements a continué de progresser fortement, du fait de l'apparition du statut d'autoentrepreneurs en 2009. Mais la grande récession a aussi été particulièrement déstabilisante pour les très petites entreprises : plus de 700 intercommunalités (soit les deux tiers environ) ont vu leur stock diminuer entre 2008 et 2015. En revanche, l'évolution des PME et ETI a été beaucoup plus favorable pour les territoires ; seulement un quart des intercommunalités ont enregistré une réduction de leur stock. Six ont subi la disparition de leurs très grands établissements : Lyon, Lille, Clermont-Ferrand, Rennes et les communautés d'agglomération de Roissy et du Douaisis. « Alors que l'action publique semble toujours autant focalisée sur les dispositions d'appui à la création d'entreprises, ces éléments d'analyse montrent à quel point la question de leur croissance [endogène] demeure tout aussi cruciale (voire plus) pour le développement économique de nos territoires », conclut l'ADCF, en guide d'avertissement. 210 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 114/170 PUBLIÉ territoire de produire et d'offrir plus et d'attirer de nouvelles ressources qui elles-mêmes seront valorisées, et ainsi de suite). Cet effet vertueux sous-tend les développements suivants 4.32 et .3.3. Quels sont les critères de localisation des entreprises ? Approcher plus finement cette question supposerait de distinguer : · les différents secteurs d'entreprises : services ­ ingénierie ­ industrie ­ logistique ­ tourisme (intrinsèquement lié au territoire...) ; la segmentation de la chaîne de valeur étant davantage pratiquée dans l'industrie que dans les services ; le type d'entreprise (mono-entreprise, groupe...) et sa taille, corrélée avec l'aire de recrutement de ses établissements, et l'appartenance ou non à un secteur dominé par de grands groupes ; à noter que sont souvent déterminants le lieu d'habitation ou l'attachement au territoire du fondateur ou dirigeant ­ a fortiori pour les entreprises individuelles, artisanales et TPE : l'histoire de l'entreprise elle-même est un élément majeur (cf. supra) ; la logique et la stratégie entrepreneuriales : logique d'extension, de déconcentration, de réduction de coûts ou de rapprochement avec de nouveaux marchés conduisant à l'ouverture d'un établissement dans une autre région, de France ou du monde. · · 4.3.2. L'évolution des critères d'implantation et de mutation des entreprises sur le territoire À partir de l'ensemble des déplacements et des entretiens de la mission 211 ont été dégagés cinq critères principaux favorables à l'implantation des entreprises ; l'analyse a été complétée par l'exploitation de documents récents, en particulier une enquête menée auprès d'un panel d'entreprises, dénommée ci après « l'enquête ESSEC »212, permettant de mesurer à la fois leur importance et leur évolution. 1. L'accessibilité physique et numérique du territoire La qualité de la desserte (pour les employés) et celle des connexions physiques (pour l'activité économique et industrielle) représentent, du point de vue des entreprises 213 un enjeu majeur. Cette accessibilité s'apprécie à différentes échelles, de la desserte locale du site par les transports de proximité jusqu'aux connexions ouvrant le territoire à une aire géographique plus éloignée (aéroport, gares...). Comment le territoire est-il équipé ? Quelles voies logistiques (routier, aérien, maritime, fluvial, ferroviaire...) sont disponibles dans la zone visée ? Quels sont les projets d'infrastructures ? Une bonne accessibilité physique représente un avantage en termes de maîtrise des coûts, et de rapidité des connexions pour l'import comme pour l'export (et l'approvisionnement comme la livraison). Ce critère explique certains choix d'implantation dans des secteurs du Nord ou de l'Est de la France sur des territoires situés au croisement de flux logistiques européens majeurs, qui retrouvent ou conservent de cette façon une attractivité (exemple de Béthune). Le même 211 En particulier Business France (C. Leboucher), MIGT Lyon F. Duval, Nadine Levratto, Université de Nanterre...) (à compléter). Références : · · document de l'ORÉE (Entreprises, territoires et environnement) : S'ancrer dans les territoires pour gagner en performance (sept. 2017) précité ; enquête auprès d'un panel représentatif d'entreprises, menée en 2017-2018 et basée sur le diptyque : mesure de l'importance du critère pour l'entreprise / mesure de la satisfaction vis-à-vis de ce critère dans votre situation actuelle : « Les relations des entreprises avec leurs territoires », ESSEC Business School - La Banque postale, septembre 2018 (dénommée dans ce développement et les suivants « l'enquête ESSEC ») un classement établi par Observatoire FIVES « Usines du futur » 2013, Cahier N°1, pp. 52 à 57. 212 213 Il est mis en avant par 4 répondants sur 5 dans l'enquête ESSEC. Mutations économiques et développement des territoires Page 115/170 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ raisonnement est invoqué pour la façon dont l'entreprise est reliée à ses aires de marché, ainsi qu'à son bassin de main d'oeuvre. Avec la marginalisation progressive du fret ferroviaire depuis le début des années 2000 et le recours généralisé au mode routier par les entreprises françaises, ce critère est apparu moins discriminant. En effet, le pays est doté d'un réseau routier largement développé, avec une accessibilité routière fiable et satisfaisante sur une grande partie du territoire (comparativement au reste du monde), et assurant de fait une connexion aux grands axes de circulation mondiaux, en particulier maritimes. Mais, ces dernières années, la logique « du juste à temps » lui a redonné tout son poids. Plus récemment, la possibilité de desserte en transports collectifs a aussi pu constituer un élément différenciant, notamment aux yeux de jeunes générations urbaines peu motorisées et plus attachées aux mobilités « propres » . S'agissant des infrastructures numériques, la possibilité d'un remplacement progressif des liaisons physiques par les liaisons numériques reste très limitée aux yeux des observateurs consultés par la mission ­ même en adoptant des hypothèses élevées de croissance du travail à distance dans les modalités adoptées par les travailleurs (par ex. 20 % à échéance de 5 ans). Le développement des infrastructures numériques ne pourra se substituer aux infrastructures physiques, encore plus s'agissant du tissu industriel. L'accessibilité numérique constitue néanmoins un facteur critique pour les territoires. Ainsi, l'existence d'une couverture numérique de dernière génération est le facteur le plus unanimement pointé par les entreprises214 parmi l'ensemble des critères de l'enquête ESSEC : s'il est défaillant, ce facteur s'avère dirimant pour l'installation, voire le maintien, sur les territoires mal desservis. À l'heure de la société connectée, l'équipement numérique constitue un élément direct de compétitivité pour chaque point du territoire. Les choix actuellement opérés par les collectivités en matière d'infrastructures de réseaux et pour le déploiement de leur « réseau d'initiative publique » (RIP) sont à cet égard lourds de conséquences : selon que sont privilégiés la rapidité du déploiement du RIP, la puissance de connexion, ou bien l'accessibilité en tous points (ou au contraire la concentration dans les bourgs), les situations sont contrastées. L'option d'équiper les zones d'activité est toutefois largement dominante, même si elle est loin d'être réalisée effectivement à ce jour215. 2. Le capital humain disponible et l'offre territoriale en matière de ressources humaines. La disponibilité d'une main d'oeuvre qualifiée et adaptée aux besoins du bassin économique ressort comme un critère primordial, tous secteurs d'activité confondus. L'existence sur le territoire d'un bassin d'emploi de taille pertinente (le plus large possible), offrant une gamme d'emplois diversifiés, et pourvu de ressources en matière de formation et d'intermédiation, est le facteur ayant pris le plus d'importance ces dernières années. La disponibilité de la main d'oeuvre concerne aussi la volonté de travailler dans le secteur considéré. C'est ainsi que l'existence d'une « culture ouvrière » dans le Nord a été décisive pour l'implantation de Toyota ­ même si au final le groupe a formé intégralement ses ouvriers à ses propres techniques. Dans l'enquête précitée, l'insuffisance de l'offre territoriale en matière de ressources humaines représente la principale préoccupation des entreprises, quel que soit le territoire ; la disponibilité de la main d'oeuvre qualifiée est la plus problématique dans les « aires urbaines petites ou moyennes » ­ ce critère y est encore plus critique (satisfait à moins de 45 %) que celui de la desserte numérique. 214 Il est signalé par 95 % des répondants de l'enquête ESSEC ! Ainsi, selon le retour des entreprises (enquête ESSEC), il apparaît que les besoins en accessibilité de toute nature, malgré leur importance, ne sont encore que très imparfaitement satisfaits, y compris ceux relatifs à la couverture numérique (pour 54 % d'entre elles), justifiant la poursuite de tout effort collectif en ce sens. 215 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 116/170 PUBLIÉ Dans le même esprit, les atouts des territoires reposent sur l'adéquation des structures de formation initiale et continue, l'existence et l'action de dispositifs d'intermédiation et d'insertion professionnelle publics et privés. Ces derniers éléments suscitent une forte insatisfaction de la part des entreprises interrogées quel que soit le territoire considéré ; au final, les difficultés de recrutement apparaissent patentes pour 84 % des répondants ESSEC, tous territoires confondus216. 3. La présence d'un écosystème performant 3.1 L'existence d'un tissu économique organisé apporte directement de la valeur aux entreprises, à travers : · la présence de services aux entreprises : spécifiques à la filière ou bien généraux (services informatiques, restauration pour les salariés ou indépendants...) ; la proximité de la zone de chalandise et des « marchés », la présence de clients finaux (en particulier pour les secteurs de la construction, de l'agriculture, des services) ; la densité et la qualité des interlocuteurs et partenaires financiers (ce critère ressort surtout pour l'agriculture et pour les services) ; la situation des matières premières, des fournisseurs et des sous-traitants ­ bien placés, expérimentés, avec des prix adaptés, et une bonne structure de coûts... (pour la construction, l'industrie et les services urbains ) ; voire, la présence de concurrents à proximité. · · · On peut citer l'exemple du cluster de transformation des produits de la mer à Boulogne sur Mer, qui regroupe 90 % de la production du marché français de la filière... ou la concentration de 60 % de l'emploi ferroviaire français autour de Valenciennes. « Les entreprises sont grégaires » résument plusieurs entrepreneurs interrogés par la mission. Dans l'enquête ESSEC, les besoins liés à ces « effets de milieu » ressortent comme plutôt bien satisfaits. 3.2 L'importance des pôles d'excellence et de la synergie avec la recherche est systématiquement rappelée : Au cours de leur étude d'implantation, étudier la dynamique et le fonctionnement des réseaux permet aux entreprises de déterminer comment elles pourront s'y intégrer, et asseoir leur développement grâce à un potentiel d'innovation déjà présent sur le territoire, et exploitable par elles217. Ainsi, les entreprises sont de plus en plus sensibles à la présence de réseaux informels (possibilités de partenariats, sous-traitance... au-delà des services spécifiques aux industriels) ou de réseaux organisés ­ lesquels recoupent plusieurs modalités : les « clusters », labellisés ou non, reposant sur la coopération, la complémentarité ou la mise en commun de moyens ; et les dispositifs d'innovation de type « pôles de compétitivité » ou autre. En France, les acteurs et les parties prenantes des pôles de compétitivité rappellent le caractère vertueux de ce dispositif ; la dimension territoriale est jugée décisive, permettant aux politiques de filières de trouver leur ancrage et leur effectivité. Aussi, nombre d'entreprises recherchent un environnement fertile, ce qui les conduit à porter attention218 à la proximité (via des collaborations, des partenariats, des cofinancements, la création de chaires...) avec les établissements d'enseignement supérieur ou spécialisés, et des établissements 216 Inversement le sujet du coût de la main d'oeuvre, bien que très différencié selon les territoires ne pose généralement pas de problème aux entreprises, sauf en Île-de-France. Par exemple à Stockholm (Suède), le groupe Ericsson emploie 3 000 personnes ; le cluster correspondant en comprend 30 000, y compris les sous-traitants, les startups, les étudiants et chercheurs. Les critères qui ont longtemps prévalu, comme l'accessibilité aux bassins d'emploi et de vie, sont ainsi réagencés au sein de ce critère plus global relatif à « l'écosystème », qui est parfois le seul présenté. Mutations économiques et développement des territoires Page 117/170 217 218 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ de recherche appliquée. Un écosystème performant, privilégiant les liens directs entre industrie, innovation, recherche et développement est aussi ce qui permet d'attirer et conserver les « talents »219, la (future) main d'oeuvre qualifiée, donc de reboucler avec la question ci-dessus du marché de l'emploi, ainsi que celle de l'attractivité globale. 4. L'accompagnement par les collectivités, y compris la qualité de l'offre foncière Le choix d'établissement peut aussi être conditionné à des critères plus traditionnels comme l'attractivité du foncier, l'accompagnement administratif et financier, la fiscalité. S'appréciant à l'échelle du projet, une échelle souvent plus réduite que celle de l'aire métropolitaine ou du bassin d'emploi, ce type de critères relève plus directement de l'action ou des leviers aux mains des collectivités locales ; ils répondent parfois localement à des logiques de concurrence directes entre communes ou EPCI. · Le premier aspect porte sur l'existence d'un foncier disponible, équipé et dépollué, prenant la forme de tènements de taille et de configuration adaptées, tant pour l'accueil de nouvelles entreprises que pour la relocalisation et l'extension des entreprises existantes. Le fait qu'un certain nombre de métropoles et d'agglomérations soient en train de prendre conscience de l'extrême faiblesse de leurs réserves de foncier économique 220, ou encore de l'inadaptation de leur offre (même si celle-ci est abondante) joue un rôle dans les reconfigurations en cours. La question de l'existence de zones de grande taille susceptibles d'accueillir des investissements (inter)nationaux à fort effet de levier peut aussi être un sujet de préoccupation. L'efficacité du système administratif local est aussi un facteur de succès ; ceci recoupe la capacité à délivrer des autorisations dans des délais adéquats, la cohérence de l'accompagnement administratif (interlocuteur unique...), ainsi que globalement la manière dont l'entreprise est accueillie et dont fonctionne le tissu local en termes de gouvernance et de dialogue entre les différentes parties prenantes. Notamment, l'accompagnement dont les entreprises pourront disposer en matière d'incitations ou d'aides financières est un facteur très regardé : chaque Région possède son propre dispositif de subvention, pas nécessairement partagé avec les collectivités locales qui ont conservé la partie « immobilière » des aides à l'implantation, et peuvent être tentées de moduler le volet fiscal. Ceci soulève nombre de questions en matière d'efficacité, d'effets de seuil, d'effets d'aubaine, d'où un débat pour apprécier dans quels cas les dispositifs d'aide et/ou les bonus fiscaux jouent un rôle réellement décisif dans la décision d'implantation 221. Enfin, la cohérence du projet de territoire, quelles qu'en soient ses formes, et son portage, les régulations mises en place, sont souvent significatifs de la capacité du territoire à s'occuper de son développement et à se projeter dans l'avenir. L'engagement explicite des acteurs publics et privés locaux est essentiel ; il doit se faire autour d'un projet de territoire construit en commun et assorti de la capacité à bâtir et mettre en oeuvre des stratégies partagées, avec la mise en place d'outils correspondants (managers de zones...) et des mises en réseaux permettant de pallier la fragilité de certaines situations. · · · Ceci peut se résumer par un critère de « bonne gouvernance » : une étude récente222 a ainsi souligné l'importance de « la coordination des acteurs, comme vecteur d'amélioration de l'efficacité des 219 Cf. audition Business France. Exemple de Nantes, Toulouse, Bordeaux, d'après l'entretien avec France urbaine et le séminaire avec les agences d'urbanisme (club Eco FNAU). Cf. Entretien avec France urbaine. 220 221 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 118/170 PUBLIÉ politiques publiques de soutien à l'économie et aux entreprises » et « les différences de performances entre les territoires (résultant) de caractéristiques plus ou moins visibles ou immatérielles qui concernent la capacité à faire système, le capital social, la capacité de coopération, d'agglomération... particulièrement la coopération entre les différentes instances politiques et socio-économiques ». À elle seule, « la proximité ou la localisation sur un même territoire des ressources de base nécessaires à l'écosystème entrepreneurial ne garantit en rien le fonctionnement de ce dernier ...[...] la proximité ou l'agglomération de facteurs ayant besoin d'être activées » avec « les pouvoirs publics [comme] facilitateurs de l'activité économique, en charge de l'animation du territoire par la création de liens entre les acteurs présents sur le terrain »223. C'est un thème majeur, car, en parallèle d'organisations sectorielles et d'instances de dialogue avec les autorités, de nombreux acteurs promeuvent la mise en place d'actions reposant sur une logique territoriale et collective, par exemple via des manageurs ou animateurs de zones (sur le modèle des manageurs de centre-ville), capables de fédérer les besoins d'entreprises diverses sur un même territoire et d'organiser une mise en commun selon les principes de l'écologie industrielle par exemple. 5. Le cadre de vie et les aménités Il se dégage un critère reconnu comme majeur par l'ensemble des personnes rencontrées par la mission : une forme d'attractivité générale du territoire, porteur des « aménités » nécessaires pour fixer les personnels, les cadres en particulier : grands équipements, proximité des loisirs (sport, lieux récréatifs...) et des réseaux de transport afférents, et aussi la possibilité d'emploi du conjoint cf. infra), d'où le poids de « la métropolisation » avec des bassins d'emploi riches et diversifiés permettant des doubles carrières, et une image attractive. L'attention est portée au cadre de vie, à la modération des prix du foncier et de l'immobilier, aux équipements, parcs, établissements culturels et d'enseignement (des écoles aux universités), à l'habitat, avec l'existence d'un parc de logement diversifié, de qualité et abordable. Cette problématique, très présente en Île-de-France ­ la non disponibilité des logements accessibles représentant le principal facteur de limitation du développement de la région à partir de 2010 ­ a tendance à s'étendre dans les années récentes aux autres métropoles. De nombreux territoires proposent des « facilités » pour accompagner l'implantation des cadres en mobilité (avec le service, voire, l'appui au recrutement, des cadres dirigeants, au travers d'un accompagnement de leurs familles). L'importance de la mutation concomitante des grands services publics, l'exemple de la Poste Dans le cadre de l'Union européenne, le service universel postal a été défini par la directive postale 97/67/CE du Parlement européen et du Conseil du 15 décembre 1997. En France, le service universel postal a été confié à la Poste. Selon le Code de la poste, ce « service universel postal concourt à la cohésion sociale et au développement équilibré du territoire. Il est assuré dans le respect des principes d'égalité, de continuité et d'adaptabilité en recherchant la meilleure efficacité économique et sociale. Il garantit à tous les usagers, de manière permanente et sur l'ensemble du territoire national, des services postaux répondant à des normes de qualité déterminées ». Un fonds de compensation du service universel postal assure à la Poste le financement des coûts nets liés à ses obligations de service universel. La Poste a notamment une obligation d'accessibilité et doit adapter son réseau de points de contact, notamment par la conclusion de partenariats locaux. 222 Denis Carré, Nadine Levratto, Analyse qualitative de l'effet local : étude de territoires particuliers (version du 13 juillet 2016), Université Paris X Nanterre. Rapport sur le Bassin minier, Bruno Depresle et François Duval, CGEDD, 2017. Mutations économiques et développement des territoires Page 119/170 223 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ Initialement détenu et exploité par la Poste, le réseau des points de contact a donné lieu à désengagement de sa part : fin 2014, les 17 000 points de contacts répartis sur l'ensemble du territoire comportaient plus de 5 000 agences postales communales gérées par les mairies et 2 000 relais-postes gérés en partenariat avec des commerçants locaux. Un fonds postal national de péréquation territoriale a été mis en place et fonctionne dans les conditions fixées par un contrat pluriannuel de la présence postale territoriale passé entre l'État, La Poste et l'association des maires de France. L'activité historique du courrier ne pourra pas couvrir les coûts du service universel postal dès 2020 et globalement, la fréquentation des bureaux de poste continue à baisser de 4 % par an ; l'activité de colis a augmenté avec l'e-commerce mais les concurrents sont nombreux et actifs. Pour affronter cette situation, la Poste a innové dans ses process et a recherché de nouveaux services en faisant appel à ses collaborateurs et à l'apport du numérique. Elle développe par exemple la première base de données de connaissance des clients particuliers en France, une activité de services à la personne, le passage de l'examen du code de la route dans ses bureaux, la livraison de colis par drone en France... L'enjeu de formation des facteurs est considérable, de même que celui d'adaptation de l'usage de ses biens immobiliers, notamment pour le développement d'espaces de co-travail avec l'opérateur Starway (aujourd'hui, 22 espaces en France, dont 15 en région parisienne et 7 en régions). Ils constituent des « réseaux sociaux réels » qui « revalorisent » les bureaux de postes ou les centres de tri transformés en espaces dédiés à l'entrepreneuriat et à de nouveaux services en centre-ville ou en zones rurales. La Poste a su utiliser les contraintes de l'obligation de service public et de l'équilibre économique pour innover en termes de services, de technologies et de management et développer son ancrage territorial. 4.4. Les fondamentaux d'un projet de territoire Le développement qui suit détaille l'encadré « Les fondamentaux d'un projet de territoire » situé au § 1.4.1. Un territoire : espace pertinent et système d'acteurs Un territoire est un espace géographique pourvu d'une cohérence et d'une identité, dans lequel un ensemble d'acteurs agissent et inter-agissent de façon plus ou moins coopérative, si bien qu'on parle habituellement « d'écosystème ». Les territoires peuvent être définis par rapport à leur histoire, leur géographie physique, leur organisation institutionnelle, leur activité (bassin industriel, bassin d'emploi...). Les principaux acteurs sont les entreprises, y compris les plus petites (l'approche territoriale devrait permettre de mieux les prendre en compte), ainsi que leurs organisations professionnelles (associations professionnelles, CCI...) ou opérationnelles (groupements, réseaux, clusters...) et les collectivités territoriales, notamment celles qui ont des compétences économiques ainsi que leurs opérateurs (en particulier le réseau des 1500 entreprises publiques locales ­ EPL). Il convient d'impliquer également les centres de recherche et de formation, les banques, les associations, des personnes-ressources issues de la société civile... La qualité de dialogue et de coopération entre tous, en dépit des concurrences et des oppositions, est un facteur essentiel de la « force » du territoire et de sa capacité à porter une démarche de développement cohérente et durable. La présence d'un « leadership » ressort comme un atout incontestable. Un diagnostic partagé Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 120/170 PUBLIÉ Le diagnostic constitue une étape préalable essentielle à la mise en place de la démarche de projet de développement. Trop souvent négligée ou stéréotypée, elle est essentielle pour faire émerger une connaissance, une prise de conscience du territoire, révéler ses atouts et forces, comme ses handicaps et fragilités, et faire partager ces éléments par l'ensemble des acteurs. Cet exercice collectif doit permettre de mettre en évidence les facteurs les plus spécifiques. Il montrera qu'il n'y a pas de « territoires désespérés » ni de territoires systématiquement « gagnants ». On pourra alors dégager les conditions de base et de faisabilité de la démarche de développement envisagées pour le territoire concerné en distinguant les facteurs endogènes (la plupart du temps largement prépondérants) et les facteurs exogènes (capacité d'attractivité) de ce développement. L'identification des entreprises existantes et leur propension à être en tout ou partie délocalisables est un élément majeur du diagnostic, tant il s'avère qu'agir pour maintenir sur le territoire les entreprises déjà présentes est en général plus efficace que tenter d'en attirer de nouvelles. Une vision stratégique L'expression d'une vision et l'énoncé d'objectifs s'appuient sur le diagnostic et exploitent notamment les facteurs de différenciation du territoire (valoriser les atouts spécifiques, conforter l'identité). L'exercice a besoin de reposer sur un travail collaboratif pour assurer l'adhésion de l'ensemble du système d'acteurs à la vision commune et permettre ensuite une réelle transversalité dans la mise en oeuvre, avec un dispositif de communication clair et cohérent. Il s'agit de créer les conditions propices à un développement équilibré du territoire concerné, c'est-àdire pas seulement économique mais aussi répondant aux enjeux sociaux et environnementaux, source de qualité de vie et de bien-être des populations. Des méthodes et des moyens Une méthode aussi structurée que possible sera un atout majeur, permettant d'identifier les moyens correspondant aux objectifs et la manière de les mobiliser auprès des acteurs du territoire ou ailleurs. On s'appuiera utilement sur les enseignements d'expériences antérieures, sur les données existantes et les résultats issus de dispositifs déjà mis en oeuvre ou des dynamiques en cours comme les contrats de pays ou les pôles territoriaux économiques de coopération (PTEC). À l'heure où l'État entend prôner le « contrat unique », il convient de rechercher la meilleure articulation possible voire la synergie et le regroupement des moyens. Une trajectoire traduite dans un plan d'action Un plan d'action suppose une organisation entre acteurs et un calendrier qui donne une perspective et indique des étapes. Son établissement permet de disposer d'un programme de travail entre acteurs, de préciser leur rôle ainsi que l'enchaînement des tâches, tout en évitant de confondre les enjeux, les objectifs et les outils ou actions à mettre en oeuvre. À titre d'exemple, on notera que la numérisation des processus, le big data, la mise en place des plateformes de données sont des moyens utiles et non pas des fins. La place des entreprises dans ce plan d'action est primordiale, il importe de leur confier la pleine responsabilité d'actions touchant directement au développement économique. Une gouvernance : pilotage politique, conduite de projet, évaluation Il s'agit de définir la manière de conduire le projet de développement, de faire fonctionner le système d'acteurs, d'organiser la commande au bénéfice de l'écosystème, et d'impulser, de conduire et de faire aboutir les actions, en donnant une large place aux acteurs économiques ainsi qu'à ceux de la société civile. Ceci peut se traduire par la mise en place d'un comité de pilotage coprésidé par des Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 121/170 PUBLIÉ pilotes issus l'un de la sphère des collectivités territoriales, l'autre de la sphère économique. Des référents issus de l'État et de la Région concernés seront à la fois des garants et des personnes ressources. Un pilotage efficace supposera le plus souvent la mise en place d'une fonction de chef de projet, chargé d'impulser, d'animer et de coordonner la démarche sous la responsabilité du pilote politique. L'ingénierie de projet sera constituée du chef de projet et des moyens et ressources qu'il pourra mobiliser et des outils à mettre en place (outil de pilotage de projet, dispositif d'évaluation...). Chaque acteur pourra « porter » une ou plusieurs actions opérationnelles selon ses compétences, directement ou via une structure dédiée. Une des missions de l'Agence nationale pour la cohésion des territoires pourrait être de mettre au point les outils et méthodes nécessaires, de veiller à leur mise en place et d'animer un pôle ressource. Une coopération inter-territoriale Il ne peut y avoir de démarche de développement durable sans dialogue territorial et sans coopération avec les territoires voisins (quelle que soit la pertinence des périmètres, les échanges économiques ne connaissent pas de limites spatiales), ainsi qu'avec ceux avec lesquels des coopérations sont possibles, pour des raisons de complémentarité ou de similitude incitant à l'échange d'expériences. La démarche de projet de territoire n'a pas de sens si elle ignore les interactions et les échanges réels ou potentiels. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 122/170 PUBLIÉ 5. Visites de terrain en France La mission a effectué des visites de terrain dans deux régions (Grand-Est, Hauts-de-France), deux départements (Yvelines, Ardèche), deux métropoles (Toulouse, Rouen), une ville moyenne (Romans) et deux territoires industriels (vallée de l'Arve et Bassin minier du Nord de la France). Ces neuf cas ne constituent pas un échantillon représentatif des territoires du pays, mais leur observation permet d'identifier de nombreux exemples intéressants et de dégager quelques traits saillants 224 . · Des Régions qui sont des entités achevant leur reconfiguration, la construction de schémas et de stratégies économiques pouvant se fonder sur la transition énergétique ou écologique comme dans les Hauts-de-France, à des degrés et selon des modes différents. La collectivité régionale peut paraître organisée en « silos » et lointaine aux territoires, surtout tant qu'elle n'a pas encore établi une vision affinée et différenciée de ceux-ci. Ses compétences en matière de développement économique et de recherche (sans oublier la planification générale) lui confèrent cependant un rôle majeur de soutien à l'innovation et d'aide aux entreprises dans les territoires. · Des Départements qui peuvent constituer des territoires de projet intermédiaires dans le cas d'une identité forte comme en Ardèche ou mobiliser des moyens techniques et financiers importants comme dans les Yvelines (qui agit de façon significative de faveur de l'attractivité économique). Ils sont alors capables de jouer un rôle important de soutien aux territoires, notamment par la mise à disposition d'ingénierie et d'outils opérationnels. · Des Métropoles qui apparaissent avant tout préoccupées par leurs propres difficultés ou fragilités internes. Le développement de coopérations avec les territoires voisins est moins prioritaire, celles-ci se réduisant parfois à des exercices limités et assez formels. Des stratégies économiques de plus en plus affinées sont établies pour guider l'action foncière et réinsérer des activités productives dans le tissu urbain ou périurbain proche, comme à Toulouse, ou pour requalifier les zones d'activité et recycler les sites pollués, comme à Rouen. · Des intercommunalités qui sont dans des situations économiques ou sociales variées et n'ont pas encore toutes la maturité et les moyens d'établir de véritables stratégies. Elles peuvent connaître des degrés de fragilité variés, tant en fonction de leur dynamique économique et démographique que selon la capacité de gouvernance des collectivités et la qualité des écosystèmes permettant le développement des coopérations entre les acteurs locaux. · Des territoires d'anciens bassins industriels dont les évolutions démographiques, économiques et sociales peuvent être des handicaps au développement économique mais qui présentent aussi un potentiel humain, urbain et naturel. La révélation de ce potentiel permet de faire levier comme pour la vallée de l'Arve, ou de faire résilience, voire de parier sur une renaissance comme le Bassin minier qui tente de se penser comme un « territoire phoenix »225 autour du musée du Louvre-Lens. Cette transformation reste, dans ce bassin comme à Romans ou dans le Nord de l'Ardèche, lente et incertaine, compte-tenu de fréquentes difficultés de coopération interne et externe, de la situation sociale et des enjeux de transition écologique qui peuvent avoir des aspects à la fois positifs et négatifs en termes de transformation des emplois. 224 Voir les encadrés dans le rapport et les comptes-rendus site par site en annexe 4. Thème d'un atelier des territoires organisé au Louvre Lens en juin 2019 par la DGALN. 225 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 123/170 PUBLIÉ 5.1. Hauts-de-France et Bassin minier La mission du CGEDD s'est rendue dans la Région Hauts-de-France les 25 et 26 septembre 2018 à Lens et Lille pour analyser le rebond potentiel d'un bassin industriel sinistré et le développement économique régional et métropolitain dans un contexte social particulièrement difficile. Elle est retournée à Lille le 22 novembre pour approfondir l'analyse du projet régional de « 3 révolution industrielle », notamment en raison de son lien avec la transition énergétique et écologique. Points marquants du contexte La région Hauts-de-France est marquée par son contexte socio-économique. Elle est la région métropolitaine la plus confrontée aux fragilités sociales comme le montrent plusieurs indicateurs (source INSEE, analyse Hauts-de-France, mars 2018) : · taux de pauvreté (2014) : 18,3 %, soit le taux le taux le plus élevé de France métropolitaine après la Corse, taux de chômage (2015) : 12,6 % et 11,9 % au 3 trimestre 2017 soit le taux le plus élevé de France, taux d'actifs sans diplôme : 21 % contre 18 % en France métropolitaine. · · Les territoires sont différemment touchés par cette vulnérabilité sociale : la métropole de Lille et les territoires péri-urbains se caractérisent par de moindres difficultés, le Bassin minier par des taux chômage et de pauvreté accrus, notamment chez les jeunes. La région Hauts-de-France, dotée historiquement d'une grande richesse économique (textile, métallurgie), est fortement marquée par la désindustrialisation. Le poids de son industrie dans l'économie régionale a tendance à se rapprocher de la moyenne nationale, avec une valeur ajoutée brute de l'industrie par rapport aux autres branches de 16,6 % contre 14 % pour la France métropolitaine (source Insee 2013) Principaux constats La reconversion du Bassin minier engagée depuis plus de 40 ans s'avère extrêmement difficile en dépit d'un soutien public constant. Depuis 2017, une nouvelle impulsion de l'État redonne de l'espoir à ce territoire en apportant sur la durée des moyens spécifiques (délégué interministériel et enveloppe financière dédiée) et en réunissant autour de lui l'ensemble des collectivités territoriales concernées (la Région, le Département du Nord, le Département du Pas-de-Calais et les 8 intercommunalités du bassin minier). Le projet de renouveau du Bassin minier s'articule avec le projet « Rev3 » autour de la dynamique partagée de transition énergétique. Plusieurs freins apparaissent : · le projet ne profite pas de la dynamique de la métropole de Lille ; le dialogue apparaît difficile à installer ; la Métropole évoque l'absence d'interlocuteur et les divisions politiques au sein du bassin minier, les différences culturelles et économiques, son développement se heurte également à un manque de capacité d'ingénierie, pointé par la Région Hauts-de-France, la logique de centralité du projet de renouveau du bassin minier s'oppose à la logique écosystémique des projets de territoire existants. · · La région Hauts-de-France a vu la transition énergétique et écologique comme une opportunité pour lancer une dynamique collective en dépit d'une situation globale de départ dégradée, à la fois Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 124/170 PUBLIÉ écologique, économique et sociale. Elle mise sur ses atouts qui sont divers : l'université de Lille, un réseau de clusters d'éco-entreprises animé par une tête de réseau, un site d'usine du futur, le dynamisme d'élus comme le maire de Loos-en-Gohelle, des coopérations d'entreprises comme la symbiose industrielle de Dunkerque (reflétée dans « la toile industrielle »), un lieu de discussion expert sur la forme que peut adopter le territoire à l'avenir (Euralens) etc. Cette dynamique s'inscrit dans la durée au travers du projet régional de transformation de l'industrie « marketé » « Rev3 » (troisième révolution industrielle). Ce projet a résisté au changement politique à la tête de la Région. Le projet Rev3 a dû évoluer dans une région (anciennement Nord-Pas-de-Calais) particulièrement concernée par les prochaines mutations de l'industrie automobile en lien avec la transition écologique et énergétique. Il traite la question des métiers et des transitions professionnelles en prenant en compte les spécificités territoriales (besoins, offre existante, à créer). Le plan d'action sur les métiers peut servir d'exemple pour d'autres territoires, notamment sur la manière dont il mobilise le monde académique (les universités en particulier). Le projet Rev3 a renforcé la visibilité des dynamiques territoriales avec le concept de « territoires démonstrateurs ». Le partage d'un projet de territoire de transition écologique et énergétique à des échelles territoriales différentes et la mutualisation d'ingénierie (la région Hauts-de-France apportant dans le cadre de Rev3 une capacité d'ingénierie qui fait défaut dans le bassin minier) permet d'installer un dialogue entre des territoires différents et ensuite de construire des coopérations inter et intraterritoriales. D'une certaine manière, le fait métropolitain n'est encore pas « abouti » à la métropole de Lille, les mécanismes de régionalisation sont toujours en cours à la région Hauts-de-France. Cette situation transitoire constitue en Hauts-de-France un frein au dialogue et la coopération inter-territoriale. La métropole de Lille, concentrée sur ses propres difficultés, doit faire face à l'urgence du traitement d'un chômage massif. Elle affiche donner priorité à ses territoires les plus marqués par des fragilités sociales et ne dialogue pas avec le Bassin minier. Malgré l'importance des liens fonctionnels (la moitié de la population du bassin minier travaille dans la métropole lilloise), le « ruissellement » de la métropole de Lille sur ses territoires périphériques, notamment sur le bassin minier, ne fonctionne pas. Il n'est pas spontané, ni organisé. La Région fonde sa stratégie économique sur la transition énergétique et écologique en s'appuyant sur le numérique pour l'accélérer. Elle a mis en place deux cadres différents : un cadre ancien, autour du projet Rev3 et un cadre nouveau, d'un autre ordre, avec le SRDEII, outil de planification territoriale économique. Ces deux cadres sont cohérents mais le SRDEII n'intègre pas Rev3, ce que regrettent les pilotes de cette démarche. Les SRDEII et SRADDET ont été construits séparément et ne sont pas interfacés pour le moment. L'EPF Nord-Pas-de-Calais continue d'être très actif localement sur le plan économique pour répondre à la demande des collectivités territoriales, en dépit des orientations politiques en faveur du logement et de contraintes financières. Il s'appuie sur un portage politique local et ses compétences historiques (sur la biodiversité notamment). La DREAL est perçue sur le terrain uniquement dans leur rôle de régulateur, donc de manière plutôt négative selon le pilote du projet Rev3. La relation apparaît compliquée avec la Dreal qui peut se trouver bloquéedans lson intervention faute de réglementation. ?? Selon le pilote du projet Rev3, la démarche du CTE est intéressante, car il permet de construire une vision partagée d'un territoire, mais son potentiel est limité par l'absence de moyens spécifiques pour financer l'animation et la mise en cohérence dans la durée. Le contrat d'objectif territorial (COT), appelé COTRI (COT de la troisième révolution industrielle) déployé par l'Ademe lui est préféré, car il permet une mise en cohérence de différentes démarches/outils et offre des financements (spécifiques ou de droit commun fléchés). Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 125/170 PUBLIÉ Enseignements pour la mission La transition écologique peut être vue comme une opportunité par un territoire, à la fois moteur de développement industriel et catalyseur d'une dynamique territoriale, même par un territoire partant d'une situation écologique et économique dégradée. Les Régions peuvent fonder leur projet de territoire sur la transition écologique. C'est aussi un moyen de changer l'image d'un territoire et de le différencier pour le rendre plus attractif. Le contexte de concurrence territoriale doit être reconnu et problématisé au regard de l'enjeu de cohésion territoriale selon un principe de réalité. Les territoires marqués par un contexte socio-économique difficile conservent des atouts mais la désindustrialisation est un obstacle à leur développement économique. Les métropoles s'en sortent mieux que les territoires économiques périphériques, surtout quand il s'agit de bassins monoindustriels touchés par une crise profonde. Le projet régional de transformation du territoire doit pouvoir évoluer et s'adapter aux enjeux de demain pour intégrer les prochaines reconversions industrielles dues à la transition écologique qui vont toucher d'autres secteurs. Les clefs du développement local sont ainsi identifiés par le pilote du projet Rev3 : · l'accord de tous les acteurs sur une vision non clivante (« une région durable et connectée »), faite « par le bas » qui facilite la coopération, l'accompagnement et l'accélération, la définition d'une trajectoire et la création d'une dynamique collective rassemblant les acteurs de toutes les sphères autour de projets et d'actions, la présence d'un catalyseur (J. Rifkin qui sert de « totem », mais n'est pas le « maître à penser »), et la mobilisation de 125 experts du monde public et du monde économique de la région (administrations, entreprises) qui ont défini en 9 mois une feuille de route), la présence d'entreprises « leader », sachant que cela ne suffit pas, il y a aussi nécessité d'un projet mobilisateur que la Région doit élaborer, la mise en oeuvre du droit à l'expérimentation (en quoi???), mais en définissant un cadre réaliste par rapport au sujet (la responsabilité, la durée, le suivi et l'évaluation). · · · · Une définition partagée du concept de transition écologique apparaît nécessaire, au-delà de sa dimension « énergie » ; d'autres aspects sont à prendre en compte, notamment l'économie circulaire. L'EPF doit conforter son rôle d'un outil au service du développement de son territoire. Le portage politique local permet de rééquilibrer les enjeux locaux et les orientations nationales données par sa tutelle. Des compétences rares doivent pouvoir être mutualisées via des centres de ressources (par exemple cet EPF dispose d'une compétence historique sur la biodiversité). Le partage d'un même projet de transition énergétique et écologique permet d'instaurer un dialogue entre territoires et ensuite de renforcer les dynamiques territoriales par des actions et coopérations concrètes telles que les « territoires démonstrateurs » . 5.2. Ardèche La mission s'est rendue en Ardèche le 18 décembre 2018. Département rural à tradition industrielle, il s'est engagé dans une démarche de transition écologique à l'échelle de l'ensemble du territoire départemental en mobilisant un très large partenariat. Après la présentation de la démarche par le président du Conseil départemental et son équipe, la mission s'est rendue au Cheylard, territoire enclavé et rural constituant néanmoins le deuxième pôle industriel de l'Ardèche, qui continue Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 126/170 PUBLIÉ d'innover avec un fablab industriel et des actions dynamiques en direction de son tissu économique composé d'ETI et de PME . Points marquants du contexte L'Ardèche est un territoire rural et agricole comportant aussi des enjeux industriels, sans compter la présence de centrales nucléaires (Cruas, Pierrelatte). L'agriculture est diversifiée (viticulture, arboriculture, châtaigneraie, plantes à parfum, élevage ovin et bovin, lait) mais en pleine mutation (12 % du foncier du département a changé de destination en 2018 contre 4 % au niveau national), avec des objectifs parfois contradictoires à concilier. Elle est particulièrement exposée au dérèglement climatique. Un groupement de producteurs veut une démarche « haute valeur environnementale », d'autres sont moins avancés. Pour autant, les agriculteurs ont toujours recherché de la valeur ajoutée, d'où des ateliers de transformation, individuels ou collectifs, avec une industrie agroalimentaire très diversifiée, et tenue par des industriels, par des artisans, ou par des agriculteurs. Le cluster de l'agroalimentaire regroupe 350 entreprises sans être aidé ni par la Région ni par le Département. 92 % de la production viticole se fait en coopérative. La mutation de l'agriculture s'appuie sur la volonté forte de manger « sain, bio et local », et sur une identité quasi « insulaire » qui porte les valeurs d'un terroir en cherchant à y fixer la valeur ajoutée. La question foncière est également cruciale. Il reste seulement 50 ha disponibles et aménagés ou aménageables pour des zones d'activités maîtrisées par la collectivité. L'Epora (EPF régional) intervient désormais en Ardèche, il y a collecté 3,5 M de taxes mais n'y a pas encore conduit d'actions significatives de portage ou de constitution de réserves foncières. Des friches industrielles ont été exploitées, d'autres restent inaccessibles. Un travail est fait avec les EPCI pour identifier les « dents creuses », mobiliser des outils comme le droit de préemption, et travailler avec la Safer et l'Epora, mais ceci reste difficile à concrétiser ; L'Ardèche (considérée comme un département « dortoir » par rapport à ses voisins) ne parvient pas à développer une offre foncière pour les activités. Principaux constats Au premier trimestre 2018, le Département a initié une démarche de type « contrat de transition écologique » afin d'accompagner l'ensemble de la société dans ses grandes transitions (sociale, numérique, agricole...), selon une approche d'ensemble qui pourrait s'intituler « transition écologique, sociale et solidaire ». Elle prend appui sur la forte identité de l'ensemble ardéchois. Ses 18 EPCI sont de taille modeste, les plus grosses villes étant Aubenas et Annonay (17 000 et 12 000 habitants). Sa cohérence géographique (position par rapport à la vallée du Rhône, arrière-pays avec des difficultés d'accessibilité, disponibilité des terres agricoles, tropisme pour les énergies renouvelables...) est renforcée par son histoire et sa culture commune ; ainsi le département reste un territoire institutionnel pertinent pour emmener l'ensemble des collectivités vers la transition. Le Département a décidé de dédier à la démarche un budget à hauteur de 45 par habitant, et de l'afficher comme tel : « une somme que le département consacre à son avenir en apportant une réponse à l'ensemble des problématiques des administrés ». Il adaptera en 2019 et en 2020 ses dispositifs selon le projet retenu, que le CTE soit labellisé par l'État ou pas. Seize EPCI sur 18 ont signé une lettre d'engagement. La démarche, impliquant le monde agricole et de très nombreux acteurs économiques et sociaux a fait l'objet d'une forte mobilisation des partenaires depuis avril 2018 et a compris la visite de chacun des EPCI. Une « semaine de la transition » a ensuite réuni 1 000 professionnels, et défini des priorités regroupées en quatre thèmes : la transition agricole et sylvicole, l'économie de ressources et les énergies renouvelables, la réduction de l'impact social et écologique des mobilités, l'éducation des jeunes et l'implication des citoyens. L'ensemble est guidé par une recherche d'innovation, Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 127/170 PUBLIÉ d'exemplarité, pour trouver des actions qui aient un effet de levier pour modifier le modèle de développement. En partant du constat que les entreprises partagent des mêmes valeurs sans se connaître, mais aussi qu'elles savent réfléchir pour améliorer leurs performances, il leur a été proposé de se grouper dans une association : les « É » afin de travailler ensemble sur des sujets comme la mobilité. La difficulté devient, pour les entreprises, d'accéder à des centres de décision qui se sont déplacés (lorsque par exemple l'actionnariat familial d'origine a évolué, avec la production restée sur place, mais que le siège et les fonctions de recherche sont partis). La démarche vise à réfléchir à toutes les marges de progrès possibles, comme la recherche de solutions innovantes pour évacuer le bois en l'absence de voies ferrées et de réseau routier hiérarchisé, et de créer des liens dans la durée sur le sujet de la transition. Le Département entend également mettre en réseau les tiers lieux soutenus par les EPCI, avec un rôle d'ingénierie et d'ensemblier. Il est délicat d'introduire « l'action économique » en tant que telle dans le contrat de transition écologique alors que la Région n'est pas signataire ; l'axe économique reste toutefois porté par des structures liées au Département. Le CTE entend apporter un fil conducteur à un certain nombre de démarches peu lisibles en cours : le PIA transition écologique, le PIA jeunesse (27 partenariats différents...), les 2 « Territoires d'industrie » Nord Ardèche et Aubenas, ainsi que les aides individuelles de la Région, afin de donner à tout cela cohérence et perspective dans le temps. Le Département dispose d'une offre d'ingénierie pour tous ses partenaires. En effet les appels à projets nationaux et régionaux conçus pour les métropoles sont difficilement traitables par les EPCI en Ardèche, d'où l'idée de répondre en se positionnant comme « métropole départementale »... La démarche CTE s'appuie sur des fiches actions, un SIG puissant et des indicateurs (certains en construction, comme le « bonheur ardéchois brut »). Sa gouvernance est classique : au départ un binôme président du Conseil départemental et préfet (mais sans la DDT) porte la démarche, à l'image des relations assez étroites entre l'État et le Département ; un comité de pilotage se réunit avec les présidents d'EPCI, les partenaires, et le préfet, le secrétaire général, ainsi que des comités techniques. Les relations sont difficiles voire inexistantes entre le Département et la Région AURA, qui ne sera pas signataire du CTE (ni de la convention sur la formation avec l'État), et dont le système d'aides ne permet pas, selon les responsables du Département, de répondre aux problèmes qui se posent concrètement aux acteurs économiques du territoire. La démarche s'appuie sur une prospective « l'Ardèche dans 30 ans » avec une modification en profondeur de l'action des collectivités ; il faut mobiliser l'ensemble des agents publics sur la transition, concevoir un plan de mobilité d'ensemble (routier mais aussi transports collectifs), concevoir des services dans une logique qui dépasse celle du « bénéficiaire », ce qui incite à transformer en profondeur les politiques publiques notamment sociales conduites par le Département. L'exemple donné est celui de la politique d'insertion menée de longue date avec des enjeux majeurs (2 000 places de stages de formation de base contre l'illettrisme non pourvues en Ardèche, le sujet des migrants mineurs non accompagnés...). L'exemple d'une industrie rurale Le Val'Eyrieux, EPCI de 31 communes, 14 000 habitants, est un pôle dont le dynamisme, actuellement plutôt favorable, dépend des aléas de l'industrie. La spécificité locale est la fabrication de bijoux, avec Altesse, qui a connu un lourd plan social en 2008-2009 et de très grosses pertes d'emplois (entre 250 et 500 emplois aujourd'hui dans les PME, contre plus de 800 avant la crise), mais avec une activité en rebond grâce aux « georgettes » ; ce bijou, qui fait l'objet d'un marketing innovant, est entièrement conçu et réalisé sur place grâce aux installations industrielles et au recrutement de jeunes ingénieurs et marketeurs. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 128/170 PUBLIÉ À la fin des années 1980, le territoire a mené une réflexion de fond pour éviter la fuite vers la vallée du Rhône, avec deux gros enjeux : la nécessité de conserver un lycée de proximité (80 % de contrats en alternance), avec plusieurs sections de bac professionnel, aujourd'hui orienté spécifiquement sur le e-commerce grâce à l'école de codage Simplon ; et une revalorisation de l'industrie et des sciences et techniques, avec la tenue d'un « village des sciences » ayant compté 3 000 visites en deux jours. Ces deux éléments ont constitué un levier d'amélioration de l'industrie productive, dont on mesure aujourd'hui les effets positifs. Pour répondre aux besoins des entreprises, le territoire entend être « agile » et en accord avec « l'horloge des marchés ». Le territoire a identifié ses handicaps et la façon de les surmonter : · le fort éloignement de la gare TGV (1h20). Mais les industriels sont attirés par d'autres facteurs, la culture du travail bien fait, le respect de la hiérarchie, le sens des responsabilités ; une natalité en baisse, mais depuis 15 à 20 mois des couples reviennent s'installer, attirés par l'environnement naturel, social et culturel ; des préoccupations, concernant l'État, sur les documents d'urbanisme, l'insuffisante prise en compte de l'industrie dans le SCOT et les attentes jugées trop fortes sur la protection des espaces naturels et de la biodiversité : selon le président de l'EPCI, promouvoir un urbanisme dense n'est pas adapté, il y a un besoin de dégager du foncier pour des unités de transformation du bois, et d'adapter mieux les règles pour les centres bourgs. La réalité de l'existence d'un territoire rural-industriel ne semble pas comprise ou acceptée par les services de l'État. · · Le territoire a mis sur pied un tiers-lieu qui sert à la fois de lieu d 'animation de la filière industrielle, de fablab et d' « ateliers relais », et de centre de formation interentreprises. Il lui reste à concrétiser : · · · un projet de centre de formation d'apprentissage industriel, une GPEC territoriale en cours de finalisation, une plate-forme de rénovation énergétique structurée sur les énergies renouvelables, avec une SEM. La constitution d'un PETR Pays du Cheylard (85 000 habitants) est en cours de réflexion sur le sujet économique. Les moyens en ingénierie doivent se développer, avec une cellule de prospective et de développement économique, même si le développement est essentiellement endogène. Le sujet de la mobilité reste majeur et doit être traité à l'échelle départementale. Le territoire émarge à divers dispositifs d'État. Le TEPCV avait bien fonctionné. Les six EPCI de Nord Ardèche ont été retenus en un seul « Territoire d'industrie », ce qui pose question sur l'objet du dispositif, l'aide de l'État et la justification du périmètre. Le contrat de ruralité n'a pas abouti. Enseignements pour la mission · Une démarche intéressante de mobilisation initiée par le Département autour des objectifs d'un contrat de transition écologique (non labellisés en l'état), démarche globale, mobilisatrice, prospective, et en capacité de produire de réelles innovations. L'échelle départementale apparaît justifiée (prendre en compte une « métropole ardéchoise » ?). Mais la question demeure sur la légitimité du Département (ses compétences et ses moyens, l'absence de la Région, l'adhésion non totale des EPCI...) à la conduire entièrement. Un bon exemple de transition très orientée sur l'agriculture, et intégrant fortement les aspects sociaux et sociétaux, d'où l'idée de la transition « écologique sociale et solidaire ». · Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 129/170 PUBLIÉ · Une approche dynamique à l'échelle d'un EPCI industriel qui sait valoriser ses qualités d'attractivité (culture industrielle, cadre de vie, environnement social et culturel), optimiser ses moyens et dialoguer avec tous (le Département et la Région) et mobiliser des outils tels que les TEPCV ou Territoires d'industrie. Un besoin, difficile à satisfaire en restant au niveau d'un petit EPCI, d'où la nécessité de moyens d'ingénierie plus importants (mutualisation, apport du Département, de l'État ?...) pour anticiper les mutations et conduire une politique plus ambitieuse et intégrée, notamment sur les questions de consommation d'espace. Des inquiétudes sur l'approche « Territoires d'industrie » vécue comme top down et plus généralement le manque de continuité entre les dispositifs lancés par l'État ; critique de la planification territoriale telle que promue par l'État, avec un projet de SCoT trop protecteur n'intégrant pas les enjeux économiques, les réalités du territoire et les besoins pour maintenir et redynamiser l'industrie. · · 5.3. Toulouse métropole La mission du CGEDD s'est rendue à Toulouse le 12 septembre 2018 afin d'examiner l'exemple d'une métropole choisie parmi celles qui ont l'image d'un développement le plus favorable. La journée a été organisée sous forme d'un séminaire associant les responsables de Toulouse Métropole et des organismes d'étude ou de développement du territoire. Points marquants du contexte · La spécificité d'une des plus fortes croissances urbaines de France (augmentation de 10 000 à 14 000 habitants par an), une chance qui génère des contraintes, notamment en matière de mobilité (réalisation de la 3 e ligne de TC lourd, mais il faut envisager aussi de nouvelles infrastructures routières comme une 3e rocade). Une approche ouverte et attentive perçue de la part de l'État, un accord avec le Département, mais avec des interrogations sur ses compétences en matière économique, un protocole avec la Région pas encore mature (la Région est ressentie comme plus distante, avec une technostructure en silo de type « étatique » éloignée des territoires). L'importance de l'intelligence collective et de l'évaluation (moyens mis en place au sein de la métropole), l'intérêt de l'expérimentation locale mais dans le cadre du droit actuel ne conduisant à rien de concret pour l'instant. Un regard des acteurs de la métropole sur le territoire à toutes les échelles : viser l'équilibre et non pas l'uniformité. · · · Principaux constats Il s'agit d'une économie fortement métropolitaine qui souhaite prioritairement se consolider et se préserver de ses fragilités, dans le cadre d'une véritable stratégie de projet économique. La part des emplois dits métropolitains à Toulouse est très forte (15,9 %, 2e place après Paris, 20,7 %). L'évolution de l'emploi salarié privé dans l'aire urbaine connaît une augmentation de 7200 en 2015 et de 13 600 en 2016. La métropole est première de France pour la croissance démographique, celle des emplois, celle du PIB, la place des fonctions supérieures stratégiques (après Paris). Toulouse est assez diversifiée (même si Airbus reste prépondérant), et veut passer d'une logique d'« offre économique » à une logique de « projet économique » (en s'appuyant sur l'outil du « schéma stratégique »). Des villes comme Albi et Montauban sont dynamiques, d'autres moins. Toulouse estime ne pas « assécher » les villes et territoires voisins, mais la métropole ne veut pas pour autant « organiser le ruissellement » au-delà des effets spontanés de son rayonnement. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 130/170 PUBLIÉ Des coopérations territoriales se développent avec les villes moyennes (Tarbes, Lourdes, Auch...), les territoires ruraux mais pas vraiment avec les intercommunalités contiguës (Sicoval, Muretain agglo). Le thème du télétravail est un sujet avec les territoires ruraux. La question des compensations écologiques est également un enjeu (nécessité pour la métropole de trouver des lieux de compensation, d'où l'existence de relations d'interdépendance et le besoin de négociation, idem en matière d'énergie). Un « Inter-SCoT » à 4, puis à 12 territoires définit bien le grand bassin toulousain et joue un rôle de mise en cohérence. Un espace de « dialogue métropolitain » réunit 12 intercommunalités qui font partie du système urbain ; toutefois l'Aveyron et notamment Figeac en sont sortis pour jouer davantage avec Montpellier, alors qu'il y a des interfaces économiques avec Toulouse ; Ce dialogue métropolitain ouvre un champ d'échanges et de possibles coopérations sur divers champs, notamment économiques (à noter cependant qu'il laisse de côté les espaces périurbains interstitiels). Les tiers lieux se multiplient (190 recensés en région, dont 60 à Toulouse, la métropole la plus dotée après Paris) mais il y a un risque d'excès et de saturation, ainsi que surle modèle économique quand la demande est incertaine ; Airbus est le premier client de nombreuses structures éphémères de type Algeco.... Les capacités de construction de bureaux sont largement excédentaires par rapport aux besoins et les enjeux de reconversion et surtout de densification des zones d'activités sont très présents, fautes de nouvelles zones prévues et de modèle économique pour requalifier l'existant (afin de répondre notamment à un besoin de 25 ha de nouveaux locaux d'activités). Hormis le cas des zones commerciales, il n'y a pas de gros problèmes d'obsolescence des secteurs économiques, car l'historique industriel est faible en dehors d'Airbus et d'AZF.Le devenir des ZA existantes fait toutefois l'objet d'une approche spécifique et d'un plan d'action pluriannuel dans le cadre du schéma stratégique mis en place par la métropole et dont la mise en oeuvre est suivie annuellement. Un cas intéressant a été relevé : le projet de requalification de la ZA de Garossos, voisine du nouveau parc des expositions (PEX) en cours de construction et intégrée dans la même concession que lui. L'objectif est de doubler la densité sous réserve d'une relative diversité entre bureau, activité et logement. Une OPA sans règlement a été créée, puis une ZAC pour récupérer des participations visant à financer les équipements publics. On n'a pas voulu mettre en place de mécanisme coercitif pour ceux qui ne veulent pas bouger ; on mise sur l'effet d'entraînement. Enseignements pour la mission · En dépit d'une forte dynamique de développement qui essaime sur les villes et les territoires voisins, la métropole reste d'abord soucieuse de sa propre situation et des remèdes à apporter à ses propres fragilités. Plusieurs dispositifs de coopération inter-territoriale se sont développés (conventions, contrat de réciprocité, Inter-SCoT, dialogue métropolitain) et de vrais sujets sont identifiés y compris sur le champ économie, mais la métropole n'entend pas « organiser le ruissellement ». La dynamique métropolitaine se traduit notamment par un fort développement des tierslieux, mais cette prolifération suscite des interrogations (risques de surabondance d'offre...). Il y a besoin de passer d'une logique d'« offre économique » à une logique de « projet économique » ; cela se traduit par la mise en place d'une stratégie à l'échelle métropolitaine sous la forme d'un « schéma de développement économique, d'innovation et de rayonnement métropolitain », dont la mise en oeuvre fait l'objet d'un suivi annuel... mais il se semble pas y avoir de prise en compte d'une échelle plus large intégrant notamment les espaces périurbains connexes. Dans le cadre de cette stratégie, le sujet du devenir des ZA est abordé et traité (alors qu'il n'y a pas ici de phénomène massif d'obsolescence), avec un plan d'action pluriannuel et un Mutations économiques et développement des territoires Page 131/170 · · · Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ budget, sous l'angle de la prévention des risques de vieillissement et de la densification, avec des opérations qui permettent de tester et des méthodes et des modèles économiques. · L'évolution des critères d'implantation et de déplacement des entreprises est significative : attrait de l'immobilier neuf, services notamment destinés aux jeunes, centralité privilégiée (même s'il existe une diversité de cas et donc de pondérations entre les critères). 5.4. Métropole Rouen Normandie La mission s'est rendue les 10 et 11 juillet 2018 à Rouen, un territoire représentatif d'une métropole en mutation, avec d'importantes friches industrielles polluées à reconvertir. Ces journées organisées par les services de la préfecture ont permis de rencontrer les acteurs publics et privés concernés et de visiter les sites de Seine-Sud et de Pétroplus. Éléments de contexte L'attention de la mission avait été appelée par le Secrétaire d'État à la transition écologique sur les difficultés de la métropole de Rouen à mener à leur terme les procédures d'aménagement et d'environnement permettant de procéder à la reconversion de grands sites pollués. Au-delà de ce questionnement auquel des réponses avaient déjà été apportées par les services locaux de l'État, la métropole de Rouen est confrontée à la difficulté de définir une vision globale de son aménagement en tenant compte d'un contexte économique et de demandes des acteurs économiques qui ont évolué. Il a paru intéressant à la mission d'analyser cette situation, représentative de celle d'un certain nombre de métropoles et d'agglomérations, plutôt stables ou en déprise, dans le cadre d'une gouvernance encore jeune car ayant évolué avec la loi NOTRe. Principaux constats Le territoire présente des facteurs clefs de succès à saisir pour le développement économique local : un bon réseau d'infrastructures, routières, ferroviaires et fluviales, notamment un port en cours de fusion avec celui du Havre grâce à des complémentarités, ainsi qu'une tradition industrielle et un potentiel pour des activités de logistique. Le secteur transport-mobilité est crucial en Normandie pour le développement économique du territoire : un sujet porteur d'avenir avec la voiture autonome, une préoccupation avec les effets de la baisse du diesel sur l'activité de certaines entreprises et la baisse relative du transport fluvial et du transport ferroviaire. Sur le plan réglementaire, les difficultés relatives à l'application des textes environnementaux qui avaient été soulevées ont été réglées localement grâce à une mobilisation coordonnée des services de l'État. L'enjeu pour les projets à l'étude et à venir semble continuer de porter sur des questions d'interprétation des textes. Il y a une attente des acteurs locaux à l'égard des services de l'État, notamment la DREAL, afin qu'ils poursuivent leur rôle de facilitateur selon un regard positif, une cohérence et une logique de recherche d'atteinte d'objectifs plus que de vérifications de moyens. L'équilibre financier des opérations est difficile à trouver sans aides publiques. Le recyclage du site Pétroplus a fait apparaître de nouveaux opérateurs privés comme Valgo. Cette entreprise de déconstruction souhaite élargir son champ d'intervention à l'acquisition de sites pollués, à leur dépollution, à leur aménagement et à leur revente et compte trouver son équilibre économique grâce à la maîtrise et l'optimisation de la chaîne globale. Valgo semble avoir une certaine agilité pour imaginer des montages innovants afin de sortir des projets viables économiquement, en combinant des utilisations temporaires de sites générateurs de recettes avec des dépollutions par des méthodes Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 132/170 PUBLIÉ chimiques inscrites dans le temps, ce qui en réduit le coût. Des subventions ont été nécessaires pour débloquer le projet Pétroplus. Ce n'est qu'à l'issue de la réalisation du projet qu'il sera possible de dresser un bilan et d'apprécier la faisabilité du modèle économique pratiqué. Le site de Seine-Sud fait quant à lui l'objet depuis plus de 10 ans de projets à l'étude qui, pour avancer, ont besoin d'être complétées par une vision globale, des études multicritères et davantage de coordination entre les acteurs. Sur le plan de la gouvernance, une coordination des services a conduit à une organisation du travail en « mode projet » et la forte mobilisation des acteurs permet d'avancer. L'ampleur des projets de recyclage nécessite un renforcement du pilotage politique autour d'une stratégie foncière globale de ce sujet majeur. L'outil public opérationnel qu'est l'EPF semble moins mobilisé que par le passé ; dans quelles conditions pourrait-il être davantage sollicité ? La coopération entre les collectivités territoriales et l'État est essentielle : · un cadre national de coopération État/Métropole a été défini en 2016 et s'est concrétisé sur une thématique prioritaire à Rouen, celle du recyclage des friches industrielles, via un pacte métropolitain d'innovation (PMI) ; pour que cette coopération se développe, elle nécessite la mobilisation de part et d'autre et une organisation coordonnée, ce qui est le cas à présent à Rouen (par exemple, côté État, la mise en place d'une mission inter-services de l'aménagement) : il importe de s'appuyer sur une meilleure connaissance de l'offre disponible (nécessité d'une cartographie consolidée de l'offre) et des besoins fonciers (occasion d'approfondir l'appréhension du marché, notamment l'évaluation des besoins des acteurs économiques de façon à la fois prévisionnelle et prospective. · · Enseignements pour la mission Le contexte de la Normandie illustre, parmi d'autres, l'impact de loi NOTRe sur la répartition des compétences en matière de développement économique. La situation, en principe claire selon les textes, ne l'est pas autant dans les faits. La Région est perçue comme lointaine pour l'action opérationnelle ; le Département continue à agir au titre de la cohésion sociale et par délégation des EPCI. Ceux-ci, encore très jeunes, auraient besoin de l'État pour créer une cohésion entre eux. Faut-il accepter une période de transition dans la mise en place, tout en conservant la répartition des compétences prévue par la loi comme objectif à terme ? La question de la réhabilitation des friches industrielles est un sujet complexe avec un besoin d'actualiser la connaissance de la situation, de préciser des questions de gouvernance, de traiter des dimensions réglementaires et financières. Pour mémoire, des attentes sont exprimées à l'égard de l'État sur les sujets environnementaux : · Croiser les réflexions à caractère environnemental (pollution, biodiversité, loi sur l'eau) dès la réalisation des études d'impact. L'exemple de Seine Sud est un cas intéressant pour montrer aussi que les services de l'État ont un rôle à jouer en matière de développement économique sur un territoire, au-delà du couple DREAL/DDTM : tous ont été finalement mobilisés par la Préfète de région pour soutenir l'action de la métropole pour le recyclage des friches ; Accepter une gestion globale des déchets en développant une notion élargie de ce qu'est un site, en s'appuyant sur le rapport récent du CGEDD 226 ; · 226 Rapport CGEDD Pratiques des établissements publics fonciers en matière de requalification des friches urbaines et industrielles, Philippe GRAND et Jérôme PEYRAT, mai 2016 Mutations économiques et développement des territoires Page 133/170 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ · Lever les freins aux utilisations transitoires des sites pollués. Par exemple les projets photovoltaïques posent des problèmes pour leur raccordement électrique et pour les modalités d'exploitation de l'électricité produite ; Étudier des modalités de couverture du risque des EPF s'ils deviennent tiers demandeurs227 et plus largement examiner comment mieux diffuser cette nouvelle procédure ; Avoir des dérogations, via un droit à l'expérimentation, sur les prescriptions environnementales, en particulier sur le fait de pouvoir figer les règles à un moment de l'élaboration du projet, et sur les règles de compensation en étudiant la possibilité de mutualisation des espaces de compensation ; Intégrer la question de l'échelle et les questions de biodiversité dans les outils de planification définis par l'État (PLU, SCoT) ; Renforcer les modalités d'intervention de l'Ademe au-delà des sites orphelins ; Comparer les règles environnementales en France par rapport aux autres pays européens afin de s'assurer qu'elles ne sont pas plus strictes. · · · · · 5.5. Romans-sur-Isère La mission du CGEDD s'est rendue à Romans le 31 juillet 2018 pour analyser les conditions de rebond d'un bassin mono-industriel, sinistré par l'effondrement de la filière de la chaussure, sous l'angle du développement de l'économie sociale et solidaire. La mission a été reçue par Christophe Chevalier, responsable du groupe Archer, qui a impulsé une nouvelle dynamique pour le territoire. Points marquants du contexte Romans-sur-Isère, bassin industriel sinistré par l'effondrement d'une mono-industrie, celle de la chaussure, tente de rebondir en relançant l'activité de la chaussure et en développant de nouvelles activités sous l'impulsion du groupe Archer, acteur de l'économie social et solidaire. Cette dynamique s'inscrit dans un contexte socio-économique particulier : Romans-sur-Isère est un territoire confronté à de fortes fragilités sociales mesurées par plusieurs indicateurs (source Insee, chiffres détaillés année 2015) : · un taux de chômage de 20, 6 % pour l'ensemble de la population, de 35,1 % pour les jeunes de 15 à 24 ans, un taux de pauvreté de 22,2 % pour l'ensemble de la population, de 28,3 % pour les moins de 30 ans, Un taux de population non scolarisée sans diplôme de 15 ans et plus de 36,9 %. · · L'action territoriale de C. Chevalier marque le rebond de ce bassin industriel. Principaux constats Les territoires mono-industriels sont particulièrement fragiles. Le rebond d'un bassin industriel spécialisé sinistré est un long chemin : ainsi, dix ans se sont passés depuis la fermeture de l'usine Jourdan qui a marqué l'effondrement de la filière de la chaussure. La crise industrielle apparaît, au travers de ce cas particulier, comme un obstacle majeur au développement d'un territoire. 227 Cf § 2.4. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 134/170 PUBLIÉ Les initiatives locales, sous l'impulsion du groupe Archer et de son président Christophe Chevalier, pour relancer l'activité de la chaussure et développer d'autres activités économiques ont redonné de l'espoir et créé une dynamique de territoire, aujourd'hui connectée à d'autres territoires.. Le groupe Archer a dû lui-même évoluer en interne pour s'adapter à l'évolution de son activité selon de nouvelles orientations, du social à l'économie, puis au territoire : · · création d'une association pour regrouper l'aide sociale et proposer de la formation, création d'un pôle d'insertion par l'activité économique et d'un groupement économique et solidaire, puis participation directe au développement économique du territoire pour devenir un acteur du développement local de l'emploi avec l'objectif de « sauver » les postes (et le savoir-faire), création d'une SAS holding solidaire avec des actionnaires hétéroclites (salariés, administrateurs, citoyens, entreprises, etc.). Participation à la création d'un pôle territorial de coopération économique - PTCE (« Pôle sud »). · La dynamique économique est devenue une dynamique de territoire via une approche innovante dont la diffusion est soutenue par l'État. L'invention du concept de « startup de territoire » en est le point de départ ; le support, la création de l'outil PTCE ; le catalyseur, le groupe Archer ; le levier d'un développement à une plus grande échelle territoriale (bassin de vie Valence Romans), le soutien de l'État via une subvention du PIA (TIGA). La dynamique du territoire sous l'impulsion d'un homme, Christophe Chevalier, touche d'autres territoires, éloignés géographiquement, et les fédère autour du concept de « startup de territoires », inventé à Romans. Ce rapprochement avec 6 autres territoires (Bordeaux, Figeac, Lille, Grenoble, Lons-le-Saulnier, Strasbourg) est facilité par un partenariat avec le labo « Perspectives et partenariats d'avenir » et d'autres partenaires (CGET, French Impact, Essec BS, etc). Le territoire fait le pari d'un développement endogène et croit à la nécessité d'un changement de système de gouvernance des entreprises Les territoires les plus fragiles comme Romans-sur-Isère ont besoin de L'État et de ses opérateurs pour rebondir. Son rôle doit évoluer, selon Christophe Chevalier : · l'État stratège doit organiser un dialogue stratégique entre entreprise et pouvoirs publics à toutes les échelles, ce qui suppose de créer un espace de dialogue en s'appuyant sur les entreprises de l'ESS, l'État acteur territorial (préfet, sous-préfet) doit monter en compétences sur les questions économiques et responsabiliser davantage les acteurs de l'ESS en substituant un audit par un tiers indépendant au contrôle au fil de l'eau de la DIRECCTE (direction du travail). · La CCI de la Drôme participe très activement à la dynamique de territoire, avec la création d'une communauté d'entreprises ESS, ayant aussi un angle « économie verte ». Enseignements pour la mission L'État doit anticiper et gérer la reconversion des territoires spécialisés dont les activités vont disparaître ou être fragilisées par la transition écologique. Il faut donc identifier les territoires les plus exposés aux conséquences négatives des prochaines mutations économiques liées à la transition écologique pour accompagner leur reconversion, en portant une attention particulière aux territoires spécialisés. Les dynamiques de rebond viennent du territoire lui-même et s'appuient sur ses atouts : à Romanssur-Isère, c'est une personnalité qui impulse, fédère, trace le chemin, donne la vision, des valeurs Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 135/170 PUBLIÉ partagées de solidarité (la crise industrielle a renforcé les liens), d'attachement à un territoire (la nature...) et des entreprises engagées en matière de RSE et d'économie verte. Si les innovations viennent des territoires, il faut un catalyseur (ici le groupe Archer), un cadre favorable (PTCE) et un soutien de l'État (TIGA). Des coopérations inter-territoriales sont rendues possibles par le partage d'un même projet. La création d'une marque « startup de territoire » est importante pour donner de la visibilité, et fédérer des territoires éloignés, et envisager un changement d'échelle progressif jusqu'au niveau national. L'État a un rôle à jouer pour soutenir cette dynamique. Le croisement de l'économie sociale et solidaire avec l'économie verte opéré sur un territoire est un élément clé d'un développement territorial durable. La CCIpeut être un fédérateur, à l'instar de celle de la Drôme. En dépit de moyens diminués, la CCI doit et peut participer à la dynamique de territoire. Le modèle de l'entreprise de l'économie sociale et solidaire doit pouvoir inspirer un changement du système de gouvernance de l'entreprise qui apparaît nécessaire. Il doit pouvoir évoluer lui-même. Le modèle des sociétés de coopérations financières est prometteur. L'État doit mieux accompagner les dynamiques de territoires, monter en compétence sur les aspects économiques, organiser un dialogue stratégique entre entreprises et pouvoirs publics à toutes les échelles et faire confiance aux territoires. Deux sujets apparaissent sur la question du financement : celui de l'animation territoriale et la problématique de financement de projets. 5.6. Vallée de l'Arve La mission s'est rendue dans la vallée de l'Arve les 14 et 15 novembre 2018. Ce territoire est représentatif des territoires de tradition rurale et industrielle qui ont su muter. Il est industriel dans la partie basse de la Vallée de l'Arve et touristique dans sa partie haute autour de Chamonix. Le territoire industriel a muté de l'industrie horlogère vers l'industrie du décolletage. Le taux de chômage est de 5 %. La mission a rencontré une série d'acteurs du territoire, principalement dans le champ économique, afin d'analyser les conditions de succès de son développement et le rôle des partenaires locaux, d'identifier les freins, en particulier sur le plan écologique, et les actions conçues pour les lever. Points marquants du contexte · Caractéristiques entrepreneuriales : industrie à haute valeur ajoutée, entreprises restées à capitaux familiaux (même SOMFY, avec Damart actionnaire), investissement de capitaux propres dans la recherche, Des politiques dynamiques de développement des entreprises : participation à des réseaux territoriaux et extra territoriaux, volonté de sortir de la relation mal vécue de sous-traitants à donneurs d'ordre, forte innovation, diversification des clients, chiffre d'affaires important à l'exportation, intégration de la révolution numérique. Une main d'oeuvre qualifiée. Une structure forte d'animation économique et de mise en réseau : le pôle de compétitivité Un écosystème regroupant les industriels et les banques, qui travaillent ensemble en bonne intelligence même en situation de crise. · · · · Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 136/170 PUBLIÉ · Une capacité à surmonter les crises et à s'adapter : crise de l'horlogerie, crise de l'automobile. L'impact de la disparition du diesel sur l'activité de décolletage a fait l'objet d'une réflexion stratégique partagée entre monde industriel et monde financier. L'intégration de la transition écologique : la prise en compte du sujet a été réalisée de longue date pour la qualité de l'eau ; elle a été dynamisée par la question de la pollution de l'air, avec un outil imposé par l'Europe et mis en place par le Préfet, le Plan de protection de l'atmosphère (PPA), en cours de renouvellement et d'amélioration ; les autres champs de la transition écologique sont peu à peu abordés.. · Principaux constats Des freins au développement sont énoncés par les entreprises : une difficulté à trouver la main d'oeuvre nécessaire, liée en particulier à la concurrence de la Suisse qui est à proximité immédiate, des activités polluantes impactant la qualité de l'air, sujet très sensible dans la vallée et particulièrement suivi par les pouvoirs publics et les associations, et une mobilité parfois difficile. Par rapport aux problèmes de recrutement et au-delà des deux groupements d'employeurs créés à l'initiative d'une association d'entreprises, l'ensemble des entreprises pourrait être plus proactive qu'actuellement et inciter à la création de formations locales adaptées aux besoins dans la vallée, afin de fidéliser sur place des étudiants à l'issue de leur formation. La pollution de l'air nuit à l'attractivité du territoire par les risques qu'elle crée sur la santé de ses actifs et de ses habitants. Même si elle n'est pas due qu'aux rejets industriels mais aussi au transport routier et aux feux dans les cheminées, les industries ont leur part et auraient intérêt à agir encore plus collectivement qu'actuellement pour mieux connaître leurs émissions, diminuer leurs sources de pollution, inciter à une diminution de celles des autres et contribuer à une communication positive sur les actions menées. Le deuxième PPA devrait être l'occasion d'aller dans ce sens en mobilisant simultanément les volontés politiques ainsi que les industriels au titre de leur RSE, afin d'agir de manière préventive par rapport à la santé des particuliers. S'agissant des difficultés liées à la mobilité, les systèmes de transport en commun (voire de mobilité douce) sont largement améliorables sous réserve d'une mobilisation conjointe des élus et du monde économique. La question d'un « versement transport » est posée, autour de laquelle il est souhaitable qu'un accord soit trouvé. Il n'existe pas, à la connaissance de la mission, de projet de territoire porté par les élus en articulation avec les entreprises. Or il semble nécessaire qu'il en soit élaboré un pour que le territoire conserve sa dynamique dans la durée, en remédiant aux freins de son développement et en sachant anticiper les mutations nécessaires. A noter que les entreprises n'ont pas exprimé le besoin de ce projet de territoire. Les grandes entreprises comme Somfy semblent ne pas avoir un réel ancrage territorial. Le fait que la plupart des entreprises aient leur chiffre d'affaires en grande partie à l'international peut les conduire à sous-estimer les préoccupations locales, importantes pour leur développement. Or, ces préoccupations sont présentes, en particulier relativement à la formation, la mobilité, le logement, la pollution de l'air, et plus globalement l'attractivité du territoire. L'anticipation de l'évolution de certaines activités de sous-traitance, comme dans le secteur de l'automobile, est également un sujet de réflexion. Les acteurs économiques s'en soucient et y travaillent avec les entreprises. Les collectivités elles-mêmes ont-elles conscience de cette nécessité d'un projet de territoire avec l'élaboration d'une vision ? Cela n'est pas apparu lors du déplacement même s'il a été indiqué que les élus locaux étaient sensibles au développement économique de la vallée qui en fait la richesse dans sa partie basse, à côté du tourisme dans la partie haute. Mais l'effectivité de la loi NOTRe ne semble pas encore totale avec une Région lointaine, un Département qui était leader sur le développement économique et la mobilité, qui a dû s'effacer même s'il doit revenir maintenant sur certains sujets, et Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 137/170 PUBLIÉ enfin des intercommunalités non convergentes, voire divergentes, et aux compétences encore mal affirmées. La proximité de la Suisse et sa forte attractivité auprès des travailleurs génère une importante population de frontaliers, ce qui augmente encore plus les problèmes de transport et de logements du côté français. Les financements apportés par le canton de Genève à titre compensatoire créent une ressource dont l'opportunité devrait être davantage saisie par le Département et les communes pour apporter des réponses à ces problèmes. À ce jour, les EPCI n'ont pas engagé de démarche de planification à travers un SCoT, ni de démarche concertée pour favoriser la mobilité et organiser une offre de transports en commun à l'échelle de la Vallée. Pour pallier aux difficultés des EPCI à coopérer et à se mettre d'accord sur le périmètre du bassin de vie concerné, certains acteurs économiques sont en attente de la part de l'État local et national de décisions ainsi que de financements sur certains sujets comme celui des transports. Il est souhaité que la vision du secteur soit élargie au projet en cours de réalisation de transport ferroviaire entre Genève et Annemasse et au projet à l'étude d'autoroute ferroviaire Lyon-Turin à comparer avec l'amélioration de la ligne existante, ainsi qu'à leurs impacts sur la Vallée. Enseignements pour la mission Les acteurs industriels de la Vallée de l'Arve ont démontré par le passé leur capacité à réagir aux crises et à rebondir en évoluant de l'horlogerie vers l'industrie du décolletage puis, face la crise de l'automobile de 2008, en diversifiant leur portefeuille de clients. Aujourd'hui, ils montrent leur capacité à anticiper en commandant une étude stratégique sur les conséquences de la crise de la filière diesel du secteur automobile et sur les pistes d'évolution possibles. La Vallée de l'Arve est un exemple intéressant d'un tissu de PME qui sait innover et ainsi faire évoluer sa relation de sous-traitance par rapport aux grands donneurs d'ordre en co-construisant avec eux de nouveaux produits. Le pôle de compétitivité apporte une contribution active à la dynamique de ce réseau de PME. Le bassin d'emploi correspond à plusieurs intercommunalités qui coopèrent peu entre elles, d'où une gouvernance politique qui « se cherche » encore entre ses différents niveaux, Région, Département et blocs communaux, et par là-même une difficulté à développer un projet de territoire en partenariat avec les entreprises. Pour favoriser la création d'une dynamique collective, une démarche de type CTE aurait du sens dans ce territoire d'autant plus que la prise de conscience s'y développe sur les questions de qualité de l'air et de changement climatique. Le CTE pourrait être l'occasion que tous les acteurs (élus, entreprises, société civile) élaborent cette vision globale ainsi qu'un plan d'actions, nécessaires pour la poursuite du développement de la vallée. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 138/170 PUBLIÉ 6. Visites de terrain en Allemagne, Italie, Suisse et rapport de parangonnage international Pour apporter un éclairage international à la mission, il a été demandé à la direction du trésor du ministère de l'économie et des finances (services économiques des ambassades) de mener une étude comparative portant sur un échantillon de huit pays en Europe et hors d'Europe : Allemagne, Canada, Estonie, États-Unis, Finlande, Italie, Pays-Bas, Royaume-Uni. La mission s'est ensuite rendue dans trois pays voisins : Allemagne, Italie, Suisse. « Apprendre des exemples étrangers » ne consiste pas à repérer des politiques ou des approches directement transposables, tant l'histoire et le contexte varient selon les pays. Il s'agit plutôt d'analyses et d'observations « inspirantes » dont on peut tirer des enseignements et des pistes de réflexion utiles à la mission. Quelques traits saillants peuvent être particulièrement relevés. Des contrastes territoriaux contrés par des politiques publiques planificatrices ou incitatives mais toujours proactives L'Allemagne est marquée par des dynamiques contrastées, entre villes et campagnes d'une part, entre Ouest et Est depuis la réunification d'autre part. Une intervention historique forte du gouvernement fédéral a pour objet de soutenir les territoires les plus défavorisés (47 Md d'aides octroyées entre 1991 et 2016, contribuant au maintien ou à la création de 3 millions d'emplois). L'agriculture n'est pas en reste, avec la création récente d'une direction de l' « espace rural » et la mise en place de programmes et de fonds significatifs au sein du ministère de l'agriculture. Des politiques ont également été lancées en faveur des régions minières, qui font face à d'importantes mutations liées aux objectifs de lutte contre le changement climatique. En Suisse, le tissu économique a connu de multiples crises, en particulier du fait de la financiarisation et de la mondialisation qui conduisent à une séparation entre lieux d'accumulation de valeur et lieux de vie et de travail. Mais une forme de résilience est advenue grâce à la capacité des territoires à faire muter leurs spécialités économiques et industrielles (comme l'évolution de horlogerie vers la petite mécanique dans l'Arc jurassien) et à miser sur l'« industrie patrimoniale », (comme la montre suisse dans le Jura, Fribourg et l'agroalimentaire...). En Italie, des secteurs durement éprouvés par la désindustrialisation comme la région de Naples ont pu s'engager, grâce à une volonté politique convergente de l'État, de la Région et de la Ville, dans un parcours de mutation vers l'économie de la connaissance et le tourisme, avec le recyclage de grandes zones industrielles polluées (friche Bagnoli), la création d'îlots d'innovation (Apple Academy, Cité des Sciences) et un processus de transformation et de changement d'image fondé sur les atouts locaux. Plusieurs pays décentralisés comme l'Allemagne et la Suisse disposent d'un système de planification rigoureux et décliné entre différents niveaux territoriaux. En Suisse, l'articulation entre ces niveaux (fédéral/cantonal/« régional »/communal) permet d'assurer les objectifs communs de non consommation d'espace, ainsi que l'inscription de la Suisse dans les grands programmes européens. Un document d'orientation au niveau fédéral, le « projet de territoire suisse », exprime une vision du modèle de développement souhaité pour le pays dans son ensemble ; élaboré conjointement dans l'esprit du « consensus suisse », il est devenu une référence partagée par les cantons et l'ensemble des parties prenantes pour asseoir les grandes politiques fédérales et la péréquation financière. Aux Pays-Bas, la planification est également très développée, tant pour ce qui est de l'organisation de l'armature urbaine que de la maîtrise du foncier à travers des « visions structurelles » nationales qui orientent l'aménagement du territoire, y compris l'organisation du commerce et leur maintien au Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 139/170 PUBLIÉ sein des villes, escompté dans le cadre d'un « retail agenda ». Le développement économique n'est pas pour autant bridé, mais fait l'objet d'un cadrage fondé sur un principe de « spécialisation intelligente ». Il bénéficie des avantages du « travail agile » qui continue de se développer (37 % de travailleurs à domicile en 2017 contre 34 % en 2014), tout comme au Royaume-Uni (y compris ailleurs qu'à Londres) où il pourrait concerner la moitié des employés d'ici 2020. L'Estonie s'est dotée d'une politique de développement régional visant à compenser le « macrocéphalisme » de la capitale Tallinn et à rééquilibrer les bassins d'activité ; la nouvelle stratégie territoriale estonienne définie pour la période 2014-2020 s'inscrit dans une logique d'égalité territoriale et détermine une politique de spécialisation spécifique à chacune des quatre régions du pays. Le gouvernement encourage la création de « centres de compétence », qui sont des sortes de pôles de compétitivité. La Finlande est historiquement marquée par les difficultés du groupe Nokia, qui avait été le moteur de l'économie avec 20 % des exportations dans les années 2000. Mais une conséquence positive en est le dynamisme de la culture « startup » et du secteur des petites entreprises, avec un fort développement du freelance, appelé « entrepreneuriat léger ». L'activité économique, tournée vers l'exportation, reste donc dépendante de marchés extérieurs, comme pour ce qui concerne l'autre secteur important du pays, celui du bois-papier. Au Canada, le lent déclin du secteur industriel et minier est compensé par le dynamisme du secteur des services (70 % du PIB et près de 80 % des emplois) et du high-tech (tels les « hubs » qui se développent dans les quartiers Mile-End et Mile-Ex de Montréal) ; un rebond semble toutefois se produire depuis 2015 dans le secteur des ressources, avec une progression de l'industrie forestière et aussi le maintien d'autres secteurs comme les activités pétrolières. Toronto, qui abrite le troisième cluster biomédical d'Amérique du Nord, voit une progression du nombre d'entreprises de taille moyenne au détriment des petites structures et des grands groupes. Les États-Unis ont connu, sur période longue, une forte décroissance de l'agriculture (de 8 à 2 % de la valeur ajoutée entre 1947 et 2017) et de l'industrie manufacturière (de 25 à 12 %), au profit des services. Le déclin industriel de la Rust Belt, secteur historique du Nord-Est a été plus violent que celui du Sud manufacturier. Cet effondrement a entraîné une crise urbaine avec des pertes démographiques dépassant la moitié de leur population pour certaines villes comme Detroit. Malgré les politiques de revitalisation et le goût des jeunes générations pour le retour au centre-ville, l'étalement urbain se poursuit et les tentatives de programmes urbains mixtes peuvent se heurter aux intérêts opposés de grands groupes économiques. Une capacité d'anticipation fondée sur la formation professionnelle, la transformation numérique et l'agilité des acteurs publics ou privés Les dispositifs de formation suisse et allemand, donnent une large part et une image positive à la formation professionnelle : en Allemagne, le système « dual » qui concerne la moitié d'une classe d'âge, soutenu par les entreprises et leur implication à travers l'apprentissage, et en Suisse, le système de formation mixte (général / technique) offre une place importante, en complément du système universitaire et des « écoles polytechniques », à la formation supérieure professionnelle (en l'espèce, le maillage des « Hautes Écoles », instituts porteurs d'innovation industrielle, qui reflète les spécificités industrielles des territoires). Le numérique est mis au service du développement territorial en Allemagne avec « Industrie 4.0 », une initiative prise au niveau du Bund, qui fait l'objet d'une démarche territoriale pour activer la numérisation de l'ensemble du tissu industriel, particulièrement développé en Allemagne avec le Mittelstand228 (implication plus facile des petites structures, repérage des possibilités de relocaliser la 228 Réseau dense des petites et moyennes entreprises. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 140/170 PUBLIÉ production en la rapprochant de la demande). Selon un objectif de « compétitivité relationnelle » plus que d'automatisation, on voit ainsi se développer toujours plus de réseaux industriels avec des chaînes d'approvisionnement courtes. Une démarche de même type est menée en Italie, pays caractérisé par un tissu très dense de petites entreprises qui lui permet de présenter une puissance manufacturière dépassant aujourd'hui celle de la France. Le pays conduit une politique territoriale fondée historiquement sur des « districts industriels » ou des « districts technologiques » et plus récemment sur la mise en place de « zones économiques spéciales » bénéficiant d'avantages fiscaux. En Suisse, les territoires s'appuient de longue date sur la valorisation de leurs atouts (paysages, maintien des espaces naturels, forte identité territoriale, qualité de vie et aménités) qui contiennent souvent une composante économique. Ils font jouer ces atouts de façon différente, complémentaire et contrastée selon les cycles économiques. L'atout le plus considérable est de disposer d'un réseau de transports publics bien articulé (ferroviaire/routier) porté par le niveau national (avec financement fédéral) et assurant une desserte intermodale de qualité pour tout le territoire, à un tarif certes élevé, mais bien accepté par les usagers. Aux États-Unis, l'ampleur du déclin subi par certains territoires fait que les acteurs publics renoncent à réhabiliter l'ensemble des anciens sites industriels abandonnés ou pollués. Cette « impossible » régénération urbaine laisse toutefois la possibilité de développer certains projets, notamment en s'appuyant sur l'agriculture urbaine. La faible mobilisation des pouvoirs publics sur la question environnementale et la forte concurrence entre États et entre communes ne sont pas des facteurs favorables. On voit toutefois apparaître de nouvelles approches comme le « processus de développement catalytique », susceptibles de requalifier des territoires avec succès, grâce à la mobilisation de fonds d'investissement « patients ». Au Royaume-Uni, la revitalisation des centres-villes a conduit à des situations de concurrence entre usage économique, notamment commercial, et usage résidentiel du fait de la forte pression du marché, notamment à Londres. Par ses dispositifs de planification et d'incitation, le gouvernement britannique est à même d'encourager le développement de l'écologie industrielle, de poser une « obligation de coopérer » entre autorités locales, de susciter des partenariats avec les acteurs publics et privés à travers des « Local Enterprise Partnerships », de créer des « Enterprise Zones », zones franches pour focaliser le développement dans certains secteurs et de conclure des contrats locaux permettant de susciter des dynamiques de développement (city deals, growth deals...). Une généralisation des clusters contribuant de plus en plus à la reconquête des territoires En Allemagne, le pragmatisme des pouvoirs publics répond à celui des entreprises, particulièrement disposées à la coopération et à la « coopétition », et à la vitalité des fédérations professionnelles au niveau des Länder et au niveau local. On note aussi l'intérêt de cultiver l'image de l'industrie et des emplois industriels, le rôle des foires et des salons, traditionnellement très développés en Allemagne, ainsi que des lieux de démonstration comme le Futurium qui ouvre ses portes au coeur de la capitale. Ceci se retrouve aussi en Suiise, où la logique de cluster est particulièrement développée, avec de fortes démarches collaboratives public-privé opérant à des échelles de proximité, l'appui des Hautes écoles (étudiants, enseignants, chercheurs), et la constitution de véritables sites de recherche appliquée en milieu urbain et à caractère industriel propices à l'innovation par rapprochement entre process de filières différentes et par hybridation technique. En Finlande, les pouvoirs publics interviennent particulièrement à travers l'action des municipalités, souvent regroupées en agence de développement et en réseaux économiques encouragés par le gouvernement central, pour faciliter l'implantation d'activités et la constitution d'écosystèmes. Les universités sont très impliquées dans le développement de dispositifs facilitateurs d'innovation qui tendent à se spécialiser, tels que les « centres d'excellence » et les conventions dites « tripla helix » qui les associent aux municipalités et aux acteurs privés. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 141/170 PUBLIÉ Au Royaume-Uni, on observe un développement massif des startups qui ne se limite plus à Londres. Les grandes villes constituent de vrais écosystèmes et des hubs numériques naissent aussi dans les périphéries. On retrouve aux Pays-Bas le concept de « tripla helix » (alliance à trois : acteurs privés, collectivités locales et universités) qui se traduit par la structuration de clusters de l'innovation sur tous les territoires. C'est un avantage de s'appuyer sur leurs particularités industrielles quand ils en possèdent, comme à Eindhoven, fief historique de Philips dont le retrait a laissé place au développement d'un écosystème dynamique. Brainport Eindhoven est une reconversion réussie de tissu économique, de même que Brightlands, dans la province du Limbourg. On notera aussi l'existence de StartupDelta, une plateforme qui connecte tous les nouveaux écosystèmes du pays. On observe également au Canada un forte présence de clusters encouragée par les pouvoirs publics, comme l'exemple récent de « l'initiative des super-grappes d'innovation » lancée par le gouvernement et bénéficiant de financements publics et privés de près de 2,5 Md CAD229. De nombreuses opérations sont menées pour reconvertir les friches industrielles, par exemple à Toronto, avec la création de quartiers urbains dit « espaces autosuffisants » qui seraient plus ambitieux en termes de mixité sociale que les « quartiers durables » des pays d'Europe du Nord et des États-Unis ; d'autres villes mènent des politiques d'incitation au « sur-investissement » dans les infrastructures des zones d'activité industrielles visant à renforcer leur attractivité. En Italie, la reconversion de friches est largement pratiquée non seulement dans les régions industrielles de Milan et de Turin mais aussi pour assurer la reconversion d'autres territoires plus dispersés, dans le cadre d'une politique nationale. On notera le retour à une maîtrise d'ouvrage totalement publique et l'implication déterminante de l'opérateur national Invitalia agissant en lien avec les autorités locales pour traiter le grand site industriel pollué de Bagnoli à Naples, après l'échec de tentatives antérieures selon un modèle qui donnait un rôle important au secteur privé. Comme l'opérateur italien Invitalia le suggère, il serait utile d'intensifier les échanges de bonnes pratiques à l'échelle européenne sur quelques thématiques complexes comme celle des grands sites industriels pollués, dans le sillage des travaux des réseaux de villes du programme Urbact. 6.1. Allemagne La mission du CGEDD s'est rendue en Allemagne du 18 au 20 septembre 2018 pour y observer les caractéristiques du développement économique dans le cadre des mutations en cours, notamment en matière numérique avec la démarche Industrie 4.0. Le Land de Thuringe a été choisi pour une visite de terrain, en raison du dynamisme économique qui, malgré ses difficultés, le distingue parmi les régions de l'ancienne Allemagne de l'Est. La mission a rencontré à Berlin le ministère de l'économie et de l'énergie du Bund (BMWi), Numa Berlin et le service économique de l'ambassade de France. À Erfurt, capitale de la Thuringe, la mission a rencontré les services du ministère régional des affaires économiques, de la recherche et du développement digital, les services de la ville d'Erfurt et visité le cluster SolarInput. Le CGEDD a bénéficié du soutien de Thomas Jannin et de son équipe du service économique de l'ambassade de France, ainsi que de l'accueil et de l'appui à Erfurt de Marc Sagnol, directeur de l'Institut francais en Thuringe. 229 Soit 1,7 Md. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 142/170 PUBLIÉ 1.- Les points marquants du contexte allemand À la lumière du témoignage des personnes rencontrées et des analyses du service économique de l'ambassade, on peut relever particulièrement les points suivants de différenciation du contexte allemand par rapport à celui de notre pays. La part de l'industrie dans la valeur ajoutée est en l'Allemagne très largement supérieure à ce qu'elle est en France (22 % contre 12 %230). L'importance respective de la robotisation est sans commune mesure entre les deux pays (200 000 robots industriels en Allemagne contre 30 000 en France231). On notera que le décrochement de la France ne date que des années 70-80 en lien avec l'hypertrophie des grandes entreprises et la baisse du nombre d'entreprises de taille intermédiaire (ETI). La recherche-développement en Allemagne est essentiellement une recherche appliquée, très proche des besoins du marché, largement financée par le privé (à plus de 60 %) à travers une soixantaine d'instituts thématiques. Le niveau de standardisation est élevé, avec un fort lobbying au niveau des instances européennes. Le marqueur de l'entreprise allemande, c'est son caractère familial, proche du marché, innovant et adaptable mais qui ne se développe pas trop vite. Son ambition est de devenir « leader mondial de niche ». C'est un modèle souvent patriarcal, fondé sur une forte fidélisation des employés et de l'ensemble des partenaires, et dont la « RSE » repose avant tout sur un bon ancrage local. Les entreprises savent faire valoir leurs problèmes auprès des administrations et bénéficient d'une forte attention en retour du fort soutien qu'elles apportent à la vie locale. Il y a un investissement majeur sur la formation avec embauche d'apprentis bien formés et bien payés, davantage que de doctorants. La formation professionnelle appelée « système dual », combinant apprentissage en entreprise et cours en école professionnelle (pour environ 20 % du temps) concerne au moins la moitié d'une classe d'âge. Une entreprise sur quatre est formatrice. Il y a aussi en amont de ce dispositif, des formations pré-professionnelles destinées aux jeunes en situation d'échec scolaire. Malgré l'érosion démographique et l'attrait de l'enseignement supérieur, le modèle allemand semble toujours résister. L'ensemble du tissu économique forme un système très soudé, organisé en fédérations professionnelles au niveau national, régional et local, capables d'un fort lobbying à tous les niveaux nécessaires. Les logiques de « coopétition » (conjuguant concurrence et coopération) sont largement plus développées qu'en France, où la concurrence prévaut dans la plupart des filières. Les entreprises organisent elles-mêmes leurs propres forums et une grande partie des dispositifs de coopération. Les foires et salons professionnels sont très développés en Allemagne, pays qui organise à lui seul la moitié des salons mondiaux, y compris par exemple le plus grand salon du vin à Düsseldorf ! Un niveau élevé de concertation amont existe entre les pouvoirs publics et les entreprises, notamment pour la définition des politiques de formation : les entreprises ont le rôle principal, le gouvernement entérine les propositions. On sait aussi qu'il existe un dialogue social plus développé et moins la culture de l'affrontement qu'en France, mais aussi une plus forte représentation des salariés dans la gouvernance des entreprises. La création d'un salaire minimum ne date que de 2015 (8,50 à l'époque, 9 en 2019), il ne serait toutefois pas respecté par 10 % des entreprises. Le taux de pauvreté reste élevé, avec notamment beaucoup de travailleurs pauvres. Les négociations salariales sont de ce fait plus faciles... 230 Données Eurostat 2014. Ibid. Mutations économiques et développement des territoires Page 143/170 231 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ L'arrivée des immigrés et des réfugiés en nombre alimente le marché du travail et, en retour leur insertion professionnelle facilite leur intégration. Les résultats sont plutôt bons dans ce domaine. Concernant le lien avec les territoires, l'observateur a le sentiment que le développement local est plus spontané qu'en France, sans qu'il y ait besoin de beaucoup d'initiatives publiques. Les fédérations professionnelles sont actives, et les chambres de commerce disposent d'une place reconnue et paraissent mieux fonctionner qu'en France. Le pays est engagé dans la transition écologique avec détermination mais aussi pragmatisme et sens des intérêts de l'économie germanique. Ainsi, le suivi des objectifs de développement durable (ODD) est assuré au niveau de la chancellerie, mais il y a toujours une étroite concertation avec les industriels et aucune grande décision n'intervient sans que leur avis soit écouté. 2.- Le Bund et l'initiative lancée pour activer la révolution numérique Le Bund a des compétences limitées en matière de développement économique et industriel. Par exemple, il a un rôle central pour des dossiers comme celui de la sortie du nucléaire, mais bien moindre sur la politique du charbon qui n'est pas pilotée au niveau national. Même en ce qui concerne les clusters ou pôles de compétitivité, il n'y a pas véritablement de pilotage national. Le mode habituel consiste à monter et animer des groupes de travail. Le Bund peut toutefois proposer des aides, des conseils et des appuis sur divers sujets, par exemple sur des programmes de développement ou la requalification de certaines zones économiques et urbaines. La démarche « Industrie 4.0 » relève d'une des initiatives assez rares prises et portées au niveau national. Même s'il n'y a pas de « master plan », il s'agit d'une incitation forte assortie d'aides financières et concernant toutes les entreprises à caractère industriel. L'objectif est de mettre en oeuvre la transformation numérique de l'ensemble de l'industrie du pays. L'idée est née d'une réflexion de chercheurs et d'industriels visant à développer les outils nécessaires à la numérisation dans le domaine industriel. C'est ensuite à la demande des entreprises et de leurs fédérations que l'État, via le ministère de la formation et de la recherche, en a fait une politique fédérale, relayée par les Länder dans le cadre de leurs compétences. On notera qu'il ne s'agit pas de développer encore davantage l'automatisation (cf. chiffres supra) mais surtout de faire mieux communiquer tous les systèmes d'information entre eux (ceux de l'entreprise, des fournisseurs, des clients, etc.), ce qui suppose davantage d'intelligence individuelle et davantage de coopération (voir fiche détaillée ciaprès). La démarche a été lancée lors de la foire de Hanovre en 2009. Les motifs de cette opération étaient clairement la volonté de maintenir la puissance industrielle allemande, menacée à la fois par la concurrence de pays comme la Chine ou la Corée du Sud et par la montée des géants de la toile comme Google, capables de capter la plus-value économique grâce à la maîtrise des interfaces. D'autres pays, comme la France ou l'Italie, ont engagé très peu de temps après des démarches de nature semblable. Des échanges et même des coopérations ont été engagées, afin notamment de faciliter les connexions, l'interopérabilité et les synergies au-delà des frontières. Les avis divergent sur la comparaison entre Industrie 4.0 et Industrie du futur, nom de la démarche française. L'essentiel des différences correspond à celles du contexte. Le tissu d'entreprise et la culture industrielle ne sont pas les mêmes en France qu'en Allemagne. S'il s'agit dans les deux cas d'entrer dans la quatrième révolution industrielle en activant la modernisation de l'industrie via le développement massif interne et externe des outils numériques, les objectifs et les mots d'ordre ne peuvent être les mêmes : ainsi, en France, il s'agit surtout d'inciter à investir pour stopper la désindustrialisation. La perception d'« Industrie 4.0 » par des acteurs tiers est variée. Vu depuis les services de l'ambassade de France, c'est surtout une démonstration de tout ce qui peut être fait en matière de numérisation mais sans qu'il y ait une stratégie publique au pilotage serré. L'Allemagne est en avance Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 144/170 PUBLIÉ sur la France, mais la démarche allemande ne serait pas de nature ou d'ampleur réellement différente de celle de ses voisins. Maximillian Thess, responsable de Numa Berlin exprime un avis un peu différent. Numa développe à Paris et dans d'autres grandes villes mondiales des projets de cocréation de nouveaux concepts par synergie entre villes, groupes ou opérateurs et startups (par exemple pour moderniser le traitement des objets encombrants...). Ce développeur, qui est donc en contact avec de nombreux acteurs de la sphère économique, a entendu parler d'Industrie 4.0 mais voit cela comme un concept très général, pas très innovant, et le perçoit surtout comme une meilleure manière de travailler ensemble. À tout le moins, on doit constater que l'industrie bénéficie d'un effet vitrine majeur à Berlin avec l'ouverture en plein centre du Futurium, un bâtiment futuriste qui met en scène le dialogue entre la science et le développement économique à l'heure de la révolution numérique ! Les Länder possèdent l'essentiel des compétences en matière économique comme d'aménagement du territoire. Ce sont eux qui sont à la manoeuvre pour Industrie 4.0. Vue du niveau fédéral, la Thuringe est un exemple intéressant d'une région confrontée aux mêmes défis que les quatre autres Länder issus de l'ancienne Allemagne de l'Est mais qui s'en sort plutôt mieux que les autres en dépit d'un taux de chômage qui reste élevé. 3. Le Land de Thuringe, en voie de redynamisation économique La Thuringe est un Land connu pour son patrimoine culturel prestigieux. C'est le pays de Luther, Goethe, Bach et Liszt, le lieu qui a vu naître le Bauhaus... Des villes comme Erfurt ou Weimar possèdent une architecture et un charme qui évoquent les régions plus méridionales de l'Allemagne. Avec 2,1 millions d'habitants et un PIB de 46 Md, la Thuringe est au 14 e rang des 16 Länder. Elle se caractérise par une perte de population qui s'est accélérée depuis la réunification mais une économie en croissance, ce qui n'empêche pas le taux de chômage de rester élevé (14,5 % en 2006). Dans ce Land coexistent un secteur agricole important et des activités industrielles de premier plan, notamment dans les secteurs de l'automobile et de l'électronique, avec un rôle de leader européen en matière d'optique. En matière d'emploi industriel, la Thuringe a rattrapé la moyenne nationale depuis 2017. Selon le ministère de l'économie, les forces et faiblesses du Land peuvent être résumées ainsi : · · · bonnes compétences technologiques mais trop de PME pas assez orientées « clients », bonnes bases financières mais trop de dépendance vis-à-vis de groupes installés ailleurs, infrastructures de recherche significatives mais en difficulté du fait d'un manque de main d'oeuvre spécialisée. Le Land est bénéficiaire de fonds européens à hauteur de 1,5 Md sur la période de programmation (2010-2017), 1 Md sur la période en cours (2018-2023). La politique de développement économique bénéficie en outre de fonds publics du Bund et du Land chacun à hauteur de 200 M par an. Il y a ainsi une autonomie relative de la stratégie économique du Land, lequel a toutefois la possibilité de développer quelques actions spécifiques comme en matière d'intelligence artificielle, dans la limite de ses capacités financières. En matière de zones d'activités, le Land a un rôle actif de stratégie d'implantation, de marketing et de cofinancement avec les communes. Les zones sont remplies à 80 %, de nouveaux secteurs sont prévus, y compris sur terrain naturel. Il ne semble pas y avoir de politique volontariste de limitation de ces consommations d'espace pour le développement économique (autre que commercial). Il n'y aurait pas obstacle sous réserve du respect de règles de compensation. Le Land s'efforce en particulier de développer une dizaine de zones d'intérêt régional pour la logistique et de grosses implantations. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 145/170 PUBLIÉ Le Land est fortement impliqué dans « Industrie 4.0 » qu'il préfère appeler « Économie 4.0 » car le défi est important et concerne l'ensemble du tissu économique, y compris le commerce et l'artisanat. Le rôle du Land est d'organiser le conseil, le test de produits et méthodes, les démonstrations. Les nombreuses petites entreprises du Land s'impliquent peu à peu, soutenues par une aide régionale au démarrage de 15 000 par société. L'état d'avancement de la démarche peut être évalué à 3 % des entreprises numérisées totalement et 50 % partiellement. 4. La ville d'Erfurt, pôle actif de développement Erfurt, capitale de la Thuringe, est une ville de 200 000 habitants. Alors que le Land continue de perdre des habitants, Erfurt, comme les principales autres villes de la région, concentre la croissance et l'emploi, ce qui lui permet aujourd'hui d'atteindre un niveau de chômage de 5,6 %, comparable à celui de la moyenne nationale allemande. Toutefois, il subsiste des différences de salaire avec les Länder de l'ancienne Allemagne de l'Ouest (par exemple une différence de l'ordre de 1 000 dans les métiers de la santé), qui suscitent des départs de jeunes travailleurs, problématiques pour le bassin de main d'oeuvre. L'intégration de populations immigrées est donc bienvenue pour l'économie. Avec Iéna et Weimar, Erfurt constitue un réseau urbain de 500 000 habitants qui impulse le développement. La croissance suscite le besoin de nouvelles zones d'activités. Les zones existantes sont très denses et saturées. Les besoins se tournent vers les grandes zones régionales et conduisent à la recherche de nouveaux terrains, dont l'artificialisation semble toutefois faire débat au sein des élus... Quoi qu'il en soit, un nouveau secteur de 400 ha est ainsi prévu prochainement au sud de l'échangeur autoroutier, avec un doublement possible à terme. La ville soutient le développement des startups et des clusters, comme SolarInput ou d'autres, notamment dans la recherche de solutions systématiques intégrées. La ville n'en est pas l'initiatrice, mais le centre de media pour enfants, fierté locale qui fonctionne très bien, a suscité la venue de nombreux jeunes entrepreneurs. Pour les services de la ville d'Erfurt, Industrie 4.0 ou Économie 4.0, c'est d'abord et surtout l'internet des objets associé aux objets connectés et notamment à la voiture autonome. Le service économique de la ville possède 14 collaborateurs. Il intègre les fonctions d'agence de développement. Il n'y a pas de comité d'expansion ou d'autre organisme de promotion du territoire. 5. L'exemple d'un cluster L'équipe de mission a visité le cluster SolarInput, installé dans des locaux d'activité à la périphérie d'Erfurt. Il s'agit d'une alliance stratégique fondée il y a 15 ans et réunissant 40 membres (entreprises, chercheurs, universitaires...) qui vise à réduire l'empreinte carbone par le développement du solaire thermique et photovoltaïque. Compte-tenu des difficultés du solaire, le cluster s'est réorienté vers un ensemble d'activités dans le champ du développement durable. Les domaines d'application sont très larges : environnement, santé, optique, robotique, bâtiment... Il s'agit de développer une stratégie de recherche et d'innovation adaptée au contexte de la Thuringe, qui se caractérise par un petit nombre de grandes entreprises et un tissu constitué de nombreuses petites structures (environ 90 000). L'approche est donc très pragmatique : recherche de marchés, adaptation aux évolutions économiques et technologiques. La forte baisse du solaire date des années 2012-2014, puis on a atteint une stabilisation. La Thuringe reste cependant l'un des trois principaux Länder producteurs, avec de petites unités de 20 à 50 salariés, qui savent s'adapter aux évolutions et demandes spécifiques (par exemple, l'utilisation du toit des voitures). Certains observateurs estiment que « la transition énergétique a cessé en Allemagne »... Actuellement, on dirait plutôt qu'il s'agit de pousser les recherches sur les transports Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 146/170 PUBLIÉ et les systèmes de chauffage. Les possibilités de développement des activités du cluster restent donc ouvertes et larges. Le cluster dispose de subventions du Land dans le cadre de sa politique industrielle, à hauteur de 50 %. Spécifiquement dans un domaine de pointe, le cluster est financé à 100 % par le Bund pour mettre en place un réseau de coopération sur l'hydrogène. Il comprend également une recherche de vente de prestations (avec un objectif de couverture de ses charges à hauteur de 30 %), en sus d'une activité de conseil stratégique auprès du Land, qui reste le principal interlocuteur public du cluster, sans en être toutefois directement membre. Il existe peu de structures semblables à SolarInput, sauf dans deux ou trois régions et, de ce fait, il n'y a pas de vraiment de réseau regroupant ces entités. Il existe toutefois une association des clusters à l'échelle fédérale. Le cluster ne se sent pas fortement concerné par Industrie 4.0, au contraire d'autres structures positionnées sur l'automobile et l'industrie des capteurs. Enseignements pour la mission · L'intérêt de cultiver l'image de l'industrie et des emplois industriels, le rôle des foires et des salons, traditionnellement très développés en Allemagne, ainsi que des lieux de démonstration jusqu'au coeur de la capitale. Le pilotage de la formation professionnelle par les entreprises et leur implication à travers l'apprentissage, le système « dual » qui concerne la moitié d'une classe d'âge en Allemagne et semble résister malgré l'érosion démographique et l'attrait des études supérieures. Un fort pragmatisme à tous niveaux et dans tous domaines, y compris celui de la transition écologique (pas de grandes options politiques sans écoute préalable de l'intérêt des grands groupes, une réponse attentionnée aux besoins en matière de création de nouvelles zones d'activité...). L'état d'esprit des entreprises allemandes, particulièrement disposées à la coopération et à la « coopétition ». La relation des entreprises et de leurs organisations (vitalité des fédérations professionnelles, CCI...) avec le territoire, au niveau des Länder et au niveau local. Une organisation des pouvoirs publics fortement décentralisée qui n'empêche pas, entre Bund et Länder, un haut niveau de coopération et d'importants cofinancements bénéficiant au développement territorial. Le rôle actif d'accompagnement et de soutien financier des pouvoirs publics à l'égard du monde économique, rarement d'initiateur sauf dans certains cas précis comme celui d' « Industrie 4.0 ». Au sujet de cette démarche, l'importance de l'enjeu de la numérisation de l'ensemble du tissu industriel, particulièrement développé en Allemagne avec le Mittelstand, avec un objectif de « compétitivité relationnelle » plus que d'automatisation. L'intérêt d'une approche territoriale de la numérisation dans le cadre d'« Industrie 4.0 », afin d'impliquer plus facilement les petites structures et de mieux repérer les possibilités de relocaliser la production en la rapprochant de la demande, avec la possibilité de constituer à cette échelle régionale ou territoriale certaines des plateformes de données rendues nécessaires, en partant des besoins des entreprises. · · · · · · · · Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 147/170 PUBLIÉ Photos mission : Futurium à Berlin Fiche : « Industrie 4.0 » Centre historique d'Erfurt (photo de la mission) Une démarche engagée en Allemagne depuis 2011 pour mettre en oeuvre la transformation numérique de l'ensemble de l'industrie du pays « Industrie 4.0 » est une démarche engagée en Allemagne depuis 2011 au niveau de l'État fédéral (Bund), visant à mettre en oeuvre la transformation numérique de l'ensemble de l'industrie du pays. À l'origine, il s'est agi d'une réflexion de chercheurs et d'industriels organisée au sein d'un conseil scientifique pour inventer les outils nécessaires à la numérisation dans le domaine industriel. C'est ensuite à la demande des entreprises et de leurs fédérations que l'État, et d'abord le ministère de la formation et de la recherche, s'en est emparé pour en faire une politique fédérale. Il a alors réuni l'ensemble des acteurs concernés et établi avec eux les principes généraux du concept. L'objectif : maintenir la force et la compétitivité de l'industrie allemande L'enjeu est clairement de maintenir la force et la compétitivité de l'industrie allemande, notamment dans le domaine des biens d'équipement, qui se caractérise historiquement par un tissu très dense d'entreprises familiales de taille moyenne ou petite, désigné par le terme de Mittelstand. Il faut pour cela réussir la « 4 révolution industrielle », celle de la numérisation globale des chaînes de production (après la 3 qui était celle de la robotique) et aussi des relations clients, des relations fournisseurs, des coopérations inter-entreprises. L'objectif central est de faire en sorte que les opérateurs soient en capacité de répondre à la diversité des besoins des clients par la production souple, agile et restant néanmoins compétitive de séries de la plus petite taille possible. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 148/170 PUBLIÉ Un processus ambitieux d'adaptation de l'ensemble de l'industrie « Industrie 4.0 » s'inscrit dans la suite logique des efforts réalisés par l'Allemagne, notamment depuis la réunification, qui visent à maintenir la puissance industrielle du pays, au lieu d'accepter l'entrée dans une économie post-industrielle dominée par les services. Il convient alors de s'appuyer non seulement sur les grands groupes mais aussi et surtout sur le Mittelstand. Ce processus ambitieux, décrit par les consultants Dorothée Kohler et Jean-Daniel Weisz dans diverses publications232, entend provoquer un « sursaut national » pour adapter l'industrie allemande, fleuron de son économie, au contexte de la concurrence mondiale. On pourra ainsi conserver ce tissu industriel fortement répandu dans les anciens et nouveaux Länder (de l'Ouest et de l'Est), si précieux à la richesse économique des territoires urbains ou ruraux du pays. La démarche de numérisation globale se traduit en particulier par la collecte de multiples données clients permettant d'éviter l'arrivée de spécialistes de l'exercice tels que Google ou Apple ; des plateformes d'échange et de traitement des données sont alors constituées, dont les industriels conservent la maîtrise. La description enthousiaste du concept faite par ces consultants peut donner l'impression qu'« Industrie 4.0 » est devenu un mot d'ordre largement partagé outre Rhin et un processus opérant une transformation radicale et générale du tissu industriel, voire de ses interfaces avec son environnement économique, social et politique. Ils évoquent « l'émergence d'un nouveau paradigme industriel » fondé sur de nouvelles mentalités et attitudes, notamment un management non hiérarchique complètement réinventé et dont la réussite repose avant tout sur la qualité relationnelle des acteurs concernés. Une mise en oeuvre progressive, fondée sur la confiance plutôt que sur un plan structuré Si l'ambition est grande et sa présentation très séduisante, sa mise en oeuvre semble en réalité beaucoup plus progressive, au vu des échanges que la mission du CGEDD a pu avoir au cours d'un déplacement en Allemagne courant septembre 2018 à Berlin et en Thuringe (le Land de l'ancienne Allemagne de l'Est qui connaît le rattrapage économique le plus rapide depuis la réunification). D'une part, s'il s'agit bien d'une politique initiée et portée au niveau du Bund, elle ne fait pas l'objet à ce niveau d'un réel « master plan »/schéma directeur, c'est-à-dire d'un dispositif organisé avec un plan d'action structuré et un système d'évaluation qui permettrait de disposer de remontées d'informations consolidées et de savoir précisément où on en est dans tout le pays. Fidèle à sa culture de l'action publique et à son organisation décentralisée, l'Allemagne fédérale fait confiance à ses entreprises pour prendre les initiatives nécessaires et aux Länder pour reprendre le mot d'ordre national et le relayer dans les territoires. Au niveau national, on observe plutôt une démonstration de tout ce qui peut être fait en termes de numérisation, une vitrine de la puissance industrielle maintenue de l'Allemagne, telle qu'elle devrait être présentée prochainement dans le Futurium, un bâtiment d'architecture audacieuse en voie d'achèvement dans le centre de Berlin. Le Bund estime avoir mené son rôle d'information et d'impulsion, notamment pour ce qui concerne la mise en sécurité des données numériques. Une appropriation et une interprétation de la démarche variable selon les acteurs D'autre part, les partenaires rencontrés au niveau régional et local ne connaissent « Industrie 4.0 » que s'ils sont directement en charge de responsabilités dans le domaine industriel. Ces derniers s'approprient alors différemment le concept : pour les uns, il ne s'agit que de l'internet des objets, pour d'autres, il serait préférable de parler de « Économie 4.0 » afin de qualifier le mouvement général de numérisation, y compris des services. Le Land de Thuringe encourage et soutient la 232 Notamment Dorothée Kohler et Jean-Daniel Weisz Industrie 4.0 Les défis de la transformation numérique du modèle industriel allemand, La documentation française 2012 ; Dorothée Kohler et Jean-Daniel Weisz Industrie 4.0, une révolution industrielle et sociétale Revue Futuribles n° 424 mai-juin 2018. Mutations économiques et développement des territoires Page 149/170 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ démarche, notamment par une subvention d'aide au démarrage de 15 000 par entreprise. L'administration régionale évalue l'état d'avancement de la démarche à 3 % des entreprises totalement numérisées et 50 % en cours de processus. Il s'agit d'un défi majeur reconnu, présenté lors des nombreuses foires régionales, mais les petites entreprises semblent encore loin de l'avoir relevé... Une coopération internationale à poursuivre Le Bund fait état d'une coopération initialement menée avec la France et l'Italie mais ensuite d'un tarissement des échanges avec notre pays, dont la démarche « Industrie du futur » serait moins concrète et pragmatique que celle poursuivie par l'Allemagne. Ce point de vue est partiellement contesté au ministère français de l'économie qui estime que l'absence de coopération résulte plutôt de l'attitude allemande alors que « Industrie du futur » progresse (avec actuellement 4 000 à 5 000 diagnostics d'entreprises réalisés) même si c'est à un rythme trop lent... Si l'industrie française n'a pas la puissance allemande et a « décroché » depuis plusieurs décennies, il est encore temps d'activer un processus de numérisation et d'organisation du big data. Selon les consultants déjà cités, il conviendrait toutefois de s'inspirer davantage de la démarche « Industrie 4.0 » (telle qu'ils l'ont modélisée), « Industrie du futur » ne ciblant pas assez les petites et moyennes entreprises et souffrant d'une approche trop descendante par rapport aux entreprises ; il faudrait aussi ne pas s'arrêter aux frontières du pays en coopérant davantage avec la démarche allemande. 6.2. Italie La mission du CGEDD s'est rendue en Italie les 16 et 17 octobre 2018 pour observer certains aspects du développement économique et des politiques urbaines à Naples. La ville et le territoire environnant sont marqués par un contexte général de désindustrialisation et par les conséquences des difficultés rencontrées par l'action publique au cours des années passées. Néanmoins, les acteurs locaux, soutenus par les niveaux régional et national, se sont engagés dans un processus de transformation économique et de changement de l'image du territoire, en s'emparant de nouvelles opportunités liées à l'économie de la connaissance (tourisme, recherche, numérique). Il s'agit, dans le cadre d'une nouvelle politique urbaine, de susciter des îlots d'innovation au sein de quartiers en renouvellement et de la très grande friche industrielle polluée Bagnoli dont la reconversion est en cours. La mission a préalablement rencontré à Rome l'agence nationale de développement économique Invitalia pour connaître ses missions, moyens et modèles d'intervention au regard des enjeux de redynamisation économique des territoires en reconversion, en lien avec la politique des districts industriels. La mission s'est ensuite rendue à Naples pour y rencontrer la Ville (l'assesseur aux politiques urbaines), la Région Campanie (l'assesseure à l'innovation), l'université Federico II, la Cité des sciences (premiers occupants de la friche Bagnoli), les pilotes du projet de traitement de ce site au sein de l'opérateur national Invitalia, et visité les territoires concernés. Le CGEDD a bénéficié du soutien actif et de l'accompagnement de Florent Moretti et Charlotte Buliard (service économique de l'ambassade de France) ainsi que de l'accueil et de la participation de Laurent Burin des Roziers, Consul général de France à Naples. 1.- La Campanie et Naples, une région et une ville en mutation, entre difficiles reconversions industrielles et développement touristique La Campanie est la troisième région la plus peuplée d'Italie, la plus riche du Mezzogiorno. Elle regroupe 10 % de la population italienne mais ne pèse que 6 % du PIB national. Elle doit faire face à Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 150/170 PUBLIÉ de nombreux défis : baisse démographique, chômage, pauvreté, difficultés financières des collectivités locales, économie parallèle illégale. Elle bénéficie de fonds structurels européens au titre de la politique de cohésion (4,8 M sur 2014-2020) et de deux « Pactes pour le sud » par lesquels l'UE, l'État et la Région soutiennent les projets napolitains. La province de Naples représente 56 % de la valeur ajoutée de la région et 53 % de la population, 17 % dans la seule ville de Naples. Celle-ci connaît d'importantes mutations sur lesquelles la municipalité s'appuie pour piloter sa modernisation tout en conservant son identité. L'assesseur aux politiques urbaines, Carmine Piscopo, a présenté l'action de la municipalité au regard des dynamiques de transformation économique et urbaine à l'oeuvre. À l'Ouest, l'ancien site sidérurgique de Bagnoli, en friche depuis 25 ans, attend les opérations de dépollution qui permettront sa reconversion ; à la suite de nombreuses difficultés administratives et judiciaires, un projet urbain a été arrêté par l'opérateur en accord avec les collectivités concernées. À l'Est, le quartier ouvrier de San Giovanni a Teduccio est en cours de redynamisation grâce à l'implantation d'un campus d'ingénierie de l'Université Federico II. Au Nord, la municipalité porte la rénovation urbaine des Vele (les « Voiles ») de Scampia, ensemble d'habitat social qui abrite encore aujourd'hui une forte criminalité. Le centre-ville connaît une croissance du flux touristique, passé de 350 000 visiteurs il y a quelques années à un million en 2017, sans que la saturation n'advienne encore. C'est que la ville a su changer son image : les photographies de la crise des ordures de 2011 ont disparu des premiers résultats proposés par Google en réponse au mot-clé Naples. La fiction italienne a popularisé plusieurs quartiers de la ville, comme San Giovanni a Teduccio (la saga L'Amie formidable d'Elena Ferrante) et Scampia (l'ouvrage Gomorra du journaliste Roberto Saviano et ses déclinaisons cinématographiques et télévisuelles). La municipalité veut concilier ce mouvement avec la préservation d'une mixité sociale qui caractérise effectivement la ville et qui fonde en partie, selon elle, son identité. Elle est également lancée dans d'ambitieux programmes de prolongement du métro, d'ouverture sur le port et de piétonisation du lungomare (promenade du front de mer). La ville est engagée dans un réseau d'échange du programme européen Urbact, concernant particulièrement les grands sites industriels pollués (réseau qui inclut aussi Gênes, Caen et d'autres villes européennes). On notera que c'est également le cas de Casoria, petite ville de 77 000 habitants situées à 10 km de Naples, à travers le réseau « Sub>urban », sur le thème des friches périurbaines. 2.- La friche de Bagnoli, un exemple emblématique d'une zone industrielle polluée en reconversion Le site de Bagnoli a principalement accueilli au XXe siècle, dans un cadre exceptionnel de bord de mer, des établissements sidérurgiques d'État (ILVA, Italsider). Il comptait 15 000 salariés (l'équivalent de l'ILVA de Tarente aujourd'hui) et les habitants attendent depuis 25 ans sa dépollution et sa reconversion. Les projets urbains successifs ont échoué, la dernière tentative en date, un développement immobilier résidentiel de luxe (dont des gratte-ciels) sous la maîtrise d'ouvrage d'une SEM contrôlée par la municipalité précédente s'étant soldée par la faillite de cette société. Sous le gouvernement Renzi, la conduite du projet a été déléguée au commissaire du gouvernement, Salvo Nastasi, épaulé par Invitalia (voir fiche ci-après), agence nationale dépendant du ministère du développement économique (MISE). Invitalia assure le portage foncier et l'aménagement, une mission d'ensemblier regroupant ainsi l'équivalent des missions des établissements publics fonciers ou des aménageurs « à la française ». Les relations avec la ville de Naples ont longtemps été conflictuelles, l'État ayant recentralisé les compétences d'urbanisme sur le périmètre du projet, avant de se normaliser grâce à une meilleure association de la ville à la programmation urbaine. Une convention (accordo di programma) a été formalisée entre l'État, la Ville et la Région. Dès lors, un Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 151/170 PUBLIÉ projet urbain (Plan d'assainissement environnemental et de régénération urbaine ­ PRARU) a été arrêté par Invitalia en accord avec les collectivités. Le ministre de l'environnement a rendu récemment son avis au titre de l'autorité environnementale. L'avis n'est pas encore public, mais il comporterait une série de prescriptions qui rendraient nécessaire la modification du projet avant que celui-ci ne puisse être approuvé par le ministre chargé du Mezzogiorno. Le projet prévoit un site multifonctionnel dédié au tourisme, au loisir et à la culture, sous la forme d'un grand parc et d'une plage, tous deux publics, associés à des instituts de recherche et à un développement résidentiel limité aux marges du site (voir fiche ci-après). Cet aménagement complexe devrait être mis en oeuvre d'ici à 2024 : il nécessite au préalable une dépollution du sol et des sédiments marins (14 km²), souillés par les précédentes activités industrielles. La municipalité a joué un rôle moteur dans la révision des grands projets immobiliers au profit d'aménités publiques, mais ce choix est aussi induit par le classement du site en « zone rouge » du fait de la proximité des « champs phlégréens », des cratères volcaniques dont peuvent provenir des dégagements de soufre. L'investissement public et privé prévu est de 1.8 Md, comprenant les infrastructures primaires (d'accès au site), secondaires (internes) et les projets immobiliers privés. L'agence Invitalia est très fortement impliquée en tant qu'opérateur du projet. L'agence intervient directement dans quelques sites en fonction de la complexité de la situation, notamment dans le sud de l'Italie comme à Pompéi ou à Tarente, mais plutôt dans une posture d'assistance à maîtrise d'ouvrage. A Naples, il s'agit d'un degré d'intervention exceptionnel qui s'explique par la concomitance de plusieurs facteurs : responsabilité nationale de l'origine de la pollution (industrie sidérurgique), complexité administrative et financière, historique du projet... Après quelques difficultés de calage politique, l'existence d'un projet urbain « partagé », le retour à une maîtrise d'ouvrage publique forte et la mise en place d'une solide structure technique dédiée au sein d'Invitalia (30 personnes dans la seule équipe de maîtrise d'ouvrage) semblent appréciés par l'ensemble des acteurs locaux. Ils estiment que l'essai doit désormais pouvoir être transformé, sur la base d'un projet équilibré et modeste en regard de la taille du site (1 000 logements, 7 000 m² de commerces, des activités de recherche, des réalisations d'archéologie industrielle et plus généralement une vocation touristique diversifiée en bord de mer). 3.-La Cité des Sciences En bordure de la friche de Bagnoli, près de la mer, la Cité des Sciences, portée par la fondation privée IDIS, mobilise un foncier de 7 ha sur les 300 de la friche. Le projet a fait l'objet d'un investissement total de 55 M (40 M de dotations publiques et 15 M de la fondation privée à l'origine du projet). Né en 1993, le projet a des points communs à la fois avec la Cité des sciences de Paris et certaines réalisations de l'Emscher Park dans la Ruhr. Cet ensemble est composé de plusieurs structures qui évoquent ou conservent l'architecture des activités industrielles du site : des lieux à vocation éducative et pédagogique (comme le musée dédié au corps humain, CORPOREA) et des lieux permettant de créer de la valeur économique et sociale (incubateur, centre de conférences, auditorium). Les 9 M de budget annuel financent le fonctionnement de ce lieu qui génère des emplois et participe à la diffusion de la culture scientifique. Signe du climat local complexe, une partie du site a fait l'objet d'un incendie en 2013 et devrait être prochainement reconstruite. L'aboutissement du projet suppose d'unifier plusieurs composantes séparées par la route principale qui traverse la friche et aussi de faire un lien avec l'ensemble de l'écosystème de l'innovation qui se développe sur d'autres parties de la ville de Naples. Il n'existe nulle par ailleurs, pas même à Milan ou à Turin, des projets qui combinent à ce niveau les deux thématiques : traitement d'une vaste friche polluée et création de valeur autour d'un grand équipement scientifique et technologique. Si la conduite des travaux sur le périmètre de la friche est complexe, un autre facteur s'avère déterminant dans la réussite du projet, à savoir sa synchronisation avec les projets d'infrastructures externes à la friche : rendre la friche accessible en transport public local (prolongement d'une ligne Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 152/170 PUBLIÉ de métro) pour assurer la fréquentation du lieu, qui est l'un des problèmes majeurs rencontrés par la Cité des Sciences, et réaliser les réseaux urbains nécessaires au traitement des eaux. Cela suppose une implication forte de l'ensemble des parties prenantes au projet dans la durée. 4.- La Apple Academy et les politiques d'innovation de la Région et de l'Université Federico II La Région Campanie mise sur une politique forte en faveur de l'innovation pour augmenter la résilience du territoire aux crises. L'objectif est notamment d'augmenter le capital humain de cette région qui, si elle reste parmi les plus défavorisées d'Italie, a connu l'un des plus forts taux de croissance en 2017 (+3,2 %), et par ricochet de convaincre du potentiel de la région pour les grandes entreprises (Deloitte, TIM, Cisco par exemple). Cet écosystème voit de nombreuses startups se développer, plus de 700 en 2018 (3 e ville d'Italie après Milan et Rome), qui se concentrent dans des pôles technologiques, comme celui du campus de l'Université Federico II à San Giovanni a Teduccio, à l'est de Naples. La Région a défini une stratégie d'innovation qui organise le lien entre la recherche et le développement économique, s'inscrivant dans les orientations nationales et permettant de capter les financements européens. En déclinaison de la démarche nationale Industrie 4.0 (proche de l'approche allemande), un agenda digital de la Campanie a été élaboré, mais sa mise en oeuvre est trop récente pour qu'on puisse en évaluer les résultats. Apple y a installé en 2015 à la place d'une ancienne usine de conserverie sa « Developer Academy », unique lieu de ce type en Europe, permettant à 350 jeunes de suivre une formation liée au développement d'applications mobiles, cofinancée par la Région Campanie et par Apple. Cet îlot d'innovation et de compétitivité doit dynamiser la requalification de ce quartier, durement touché par la désindustrialisation (voir fiche ci-après). Malgré les difficultés administratives qui freinent le développement des projets, la conduite de ce chantier en trois ans seulement démontre la capacité des acteurs locaux à surmonter ces blocages quand l'enjeu le requiert. Enseignements pour la mission Durement éprouvée par la désindustrialisation, Naples et sa région sont engagées dans un parcours de mutation vers l'économie de la connaissance et le tourisme, un développement heurté mais qui a déjà conduit à la création d'îlots d'innovation (Apple Academy, Cité des Sciences). La reconversion de la friche de Bagnoli, qui devrait franchir un point de non-retour en fin d'année avec l'approbation de son projet urbain, représente une opportunité de poursuivre cette dynamique sur un site exceptionnel. La mission relève particulièrement les points suivants : · un territoire urbain qui semble parvenir à prendre son avenir en main, grâce à une volonté politique convergente de l'État, de la Région et de la Ville, en dépit de difficultés de tous ordres (crise industrielle, question du traitement des déchets...) ; la nécessité de travailler au changement d'image du territoire pour pouvoir engager et conforter un processus de transformation, selon une vision large de l'économie (tourisme, connaissance et recherche) et de la relier aux atouts locaux (forte identité, présence de grandes entreprises, paysage...) ; le retour à une maîtrise d'ouvrage totalement publique pour traiter un grand site industriel pollué, après l'échec de tentatives antérieures selon un modèle qui donnait un rôle important au secteur privé (la dernière en date avec une SEM contrôlée par la municipalité précédente) ; l'implication déterminante d'un opérateur national agissant en lien avec les autorités locales, autour d'un projet partagé équilibré mais nécessitant une intervention complexe et des moyens exceptionnels ; l'intérêt d'une poursuite des échanges de bonnes pratiques à l'échelle européenne sur la thématique des grands sites industriels pollués, dans le sillage des travaux du réseau de ville · · · · Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 153/170 PUBLIÉ mis en place dans le cadre du programme Urbact (une proposition de l'opérateur italien de mutualiser les bonnes pratiques avec les opérateurs français va dans ce sens). Fiche 1 :Présentation d'Invitalia Invitalia est une agence nationale pour l'attraction des investissements et le développement d'entreprise créée en 2008, qui dépend du Ministère de l'économie et des finances (MEF). Son conseil d'administration est composé du Président (Claudio Tesauro), de l'Administrateur délégué (Domenico Arcuri) et de trois conseillers. L'Agence gère pour le compte de l'État des programmes d'aide à la création et au développement des entreprises, y compris dans le domaine des startups innovantes, particulièrement dans les secteurs stratégiques pour le développement (environnement, énergie, infrastructures, recherche et innovation, tourisme et culture), et se préoccupe de la relance des zones en crise, surtout dans le Mezzogiorno. Ces programmes sont financés par des fonds nationaux et européens (fonds pour le développement régional, fonds de cohésion). Invitalia concentre ses efforts sur : · l'aide à la création et au renforcement des entreprises ; · · le soutien aux investissements et les efforts pour attirer des investissements étrangers ; le développement des territoires et la relance des aires industrielles en crise à travers l'outil des « contrats de développement » : la loi 181/89 institue Invitalia comme l'organisme de soutien aux territoires touchés par les crises industrielles. L'objectif est de créer de nouveaux emplois grâce à l'agrandissement, la restructuration et la relocalisation des unités de production. L'investissement par projet doit être au moins de 1,5 M ; l'accompagnement de l'État dans la gestion des fonds européens et nationaux. · · · · · Invitalia dispose de plusieurs outils de financement : subventions dites « contributions à fonds perdus » ; garantie auprès d'établissements bancaires ; prêts (à taux 0, à taux préférentiels) ; micro-crédit. Au 1er septembre 2018 : 131 contrats de développement ont été financés, 114 000 initiatives lancées avec l' autoimpiego (aide à l'autoentreprise) et 867 startups financées. Invitalia apporte également un appui aux collectivités dans la passation des marchés publics et la gestion de projet. Afin de soutenir la croissance dans des secteurs stratégiques que sont les télécommunications, le tourisme et l'innovation (startup), Invitalia contrôle : · · · · Infratel Italia (gère les appels d'offre pour l'ADSL et la fibre afin de réduire l'écart de couverture numérique entre les régions) ; Intalia Turismo (requalifie et relance les structures touristiques dans le Mezzogiorno) ; Invitalia Partecipazioni (gère les participations non stratégiques d'Invitalia) ; Invitalia Ventures Sgr (développement des entreprises à haut contenu innovant) : Invitalia Venture I : fonds de capital-risque de 86.65 M, en vue du co-investissement avec des opérateurs nationaux et internationaux privés et Invitalia Venture II : fonds dédié aux entreprises du Sud de l'Italie et doté de 150 M (loi de stabilité 2018) ; Banca del Mezziogiorno - MedioCredito Centrale (favorise l'accès au crédit des PME et aide à la croissance). · La conduite du projet de Bagnoli reste exceptionnel par rapport aux activités habituelles de l'agence. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 154/170 PUBLIÉ Fiche2 : Le projet de reconversion de la friche de Bagnoli à Naples et la Cité des sciences Suite à l'arrêt des activités sidérurgiques dans les années 1980, une friche de 330 hectares est apparue à Bagnoli dans la banlieue de Naples. Après de nombreuses difficultés (incendie de la cité des sciences en 2013, mise en examen de 21 ex-dirigeants de la société de transformation et finalement faillite de celle-ci), un projet a été relancé et signé en juillet 2017. Le projet est mené par Invitalia, l'agence nationale pour le développement relevant du ministère de l'économie. 300 M ont été débloqués afin de mener à bien le projet qui devrait être livré en 2021. Il prévoit la construction d'un port de plaisance, le réaménagement de la façade maritime et de la plage, un parc comprenant des équipements sportifs au sud et l'installation d'un pôle technologique au nord. L'ancienne aciérie devrait être transformée en salle polyvalente. Le projet est co-financé par la politique de cohésion de l'Union européenne. Photos mission : la friche de Bagnoli vue du quartier Posillipo à Naples Vue de l'intérieur d'une structure industrielle de la friche de Bagnoli, qui sera conservée pour l'installation de commerces et de services. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 155/170 PUBLIÉ La Cité des Sciences, qui conserve partiellement l'architecture des activités industrielles du site Fiche 3 : La friche industrielle de San Giovanni (Naples) et l'incubateur d'Apple San Giovanni, situé à l'Est de Naples, abritait la plus grande usine de conserverie de Méditerranée qui appartenait à la société Cirio. La fin de son activité ainsi que celle des établissements ferroviaires liés à Naples-Portici ont entraîné la formation d'une friche. En 2015, l'université Federico II s'est installée sur cette zone, profitant ainsi de 200 000 m² afin d'installer des laboratoires, bibliothèques, centre d'études et amphithéâtres. En 2016, le PDG d'Apple Tim Cook annonce la création à San Giovanni, d'un incubateur orienté vers les applications mobiles. D'autres activités se trouvent aussi sur le site comme : le CeSMA (30 laboratoires regroupés proposant des services à l'industrie), et le Hub Federico II promouvant le tissu industriel local. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 156/170 PUBLIÉ 6.3. Suisse La mission s'est déplacée en Suisse francophone (cantons de Vaud, de Neuchâtel et Fribourg) et alémanique (Berne et Zurich, avec visite de quartiers de requalification industrielle) du 4 au 6 décembre 2018. Elle a rencontré des acteurs du développement économique (Yverdon, Fribourg), de la recherche (Neuchâtel, Fribourg) et des responsables des Offices fédéraux (Berne). L'organisation de déplacement a bénéficié des suggestions de Sonia Lavadinho, chercheuse à l'École polytechnique fédérale de Lausanne et des apports de Céline Champion Dessibourg, cheffe du service économique à l'ambassade de Suisse à Paris. Les points marquants du contexte suisse Jusqu'à la deuxième guerre mondiale, la Suisse, pays pauvre en ressources naturelles et dotée d'un territoire au relief montagneux à 80 %, a dû faire preuve de créativité et d'inventivité pour surmonter ces handicaps structurels. Elle s'est pourtant dotée d'un tissu industriel, de « systèmes de production régionaux » avec une coloration et une spécialisation fortes : l'industrie mécanique dans le Jura, la chimie (devenue bio tech) à Bâle, les chemins de fer et la poste à Berne... Ce tissu économique a connu de multiples crises, en particulier du fait de la financiarisation et de la mondialisation qui ont conduit à une séparation entre lieux d'accumulation de valeur et lieux de vie et de travail. Mais une forme de résilience est venue de la capacité des territoires à s'adapter : · en faisant muter leurs spécialités économiques et industrielles (ex. horlogerie vers petite mécanique dans l'Arc jurassien), en misant sur l'« industrie patrimoniale », qui, dans le contexte d'une économie de la consommation et non plus de la production, consiste à transformer en valeur marchande le lieu d'origine de la production et l'expérience industrielle (ex. l'agroalimentaire à Fribourg...), en bénéficiant d'un secteur financier demeuré solide malgré les crises et grâce à ses banques privées, fortes de leur expérience, de leur réputation, de la stabilité de la Suisse et du franc suisse. · · Le développement économique du pays se concentre sur un « moyen pays » très dense, une ligne métropolitaine qui concentre l'essentiel de l'urbanisation, des activités et des flux de transport, de Genève et Lausanne à Zurich et Saint-Gall, avec, ailleurs, une topographie très marquée (mais sans définition claire de ce que sont les régions de montagne). Le pays s'organise fonctionnellement autour de ce sillon couvrant la Suisse occidentale (francophone) jusqu'à Fribourg, et la Suisse alémanique (Zurich ­ Bâle) ; Berne, la capitale fédérale, fait le pont et le lien entre les deux. Grâce à son histoire et à sa culture, la Suisse bénéficie d'atouts importants pour aborder les mutations actuelles et à venir : · la présence d'une classe moyenne importante et homogène, un chômage très faible (3,5 %, c'est-à-dire un chômage frictionnel correspondant au plein emploi) ; un système politique porté par des personnalités non professionnelles de la politique, ainsi qu'une démocratie participative incarnée par le système de votations, éléments forts de cohésion et de capacité d'adaptation ; un attachement aux niveaux constitués par les cantons et les communes, chargés de faire des propositions et de mettre en oeuvre, le niveau fédéral apportant la cohérence ; ce système fonctionne bien grâce à un haut degré de connaissance civique et permet de transcender les très fortes particularités locales (langues, religions, ville/campagne, plaine/montagne) ; · Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 157/170 PUBLIÉ · une sensibilité culturelle à l'économie, et la fierté de contribuer à la péréquation financière entre cantons riches et pauvres et communes riches et pauvres, acte social venant en complément de « l'esprit d'entreprise » et de la réussite à avoir créé des emplois et de la richesse ; cette solidarité financière favorise la cohésion et constitue un mode de financement intéressant des territoires fragiles ; une attention importante est apportée à la présence des services publics dans tous les territoires (par exemple, toute commune de plus de 100 habitants doit être desservie par un transport en commun, mais il est interdit de construire à plus de 3 km d'un transport en commun). l'innovation est en plein essor grâce à un système de formation technique (« les Hautes Écoles ») valorisé, des fleurons comme les Écoles polytechniques fédérales, en lien fort avec les mondes de l'entreprise et de la recherche, un système de recherche orienté vers les entreprises, et une capacité à mettre en scène l'innovation en relation avec l'humain, par exemple pour la robotique. · · Photos mission : Le centre-ville de Berne traversé par les bus et les tram Le musée de l'histoire de l'horlogerie à Zurich, situé dans un magasin haut de gamme 1. Yverdon : l'Association pour le développement du Nord Vaudois (ADNV), structure originale publique-privée constituée pour faire face à la reconversion industrielle du canton de Vaud. La création de ce type d'associations est issue de la volonté de l'État fédéral de mettre en place une politique pour les régions « de montagne », et d'associer les espaces de plaines et de montagne pour gérer les mouvements de balancier dus aux effets des mutations économiques. L'ADNV s'est créée en 1969 au moment où la « région industrielle » nord vaudoise était confrontée à la fermeture des usines « de montagne » et au repositionnement consécutif de son secteur traditionnel (mécanique). Encore aujourd'hui le nord Vaudois comprend 2 micro-régions industrielles : le « Pays d'en Haut » et la « Vallée de Joux », avec une spécialisation très forte dans l'horlogerie haut de gamme (Piguet...). Le nombre d'habitants (7 000) y est égal au nombre d'emplois. Du fait de leur importance économique, elles ont pu conserver leur association régionale de développement économique (et aussi leurs 2 postes de députés) malgré les regroupements en cours dans tous les cantons. Aujourd'hui la pression est entretenue par la dynamique démographique de l'arc alémanique et de Genève, en pénurie de logements. L'objectif actuel de l'association est d'accompagner la croissance des habitants avec celle des emplois, dans une « pendularité » maîtrisée. Pour conserver des lieux de formation essentiels au maintien du tissu industriel en région de montagne, l'école d'ingénieurs a fusionné avec la Haute École de gestion de Lausanne, et s'est installée à Yverdon dans d'anciennes usines. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 158/170 PUBLIÉ Une association tournée vers les entreprises mais à financement public : l'ADNV a un statut associatif de droit privé (donc indépendant du canton), regroupant des entités publiques (70 communes de profil extrêmement varié et sans projet d'ensemble) et plus de 300 membres privés (associations, entreprises, particuliers). Le fait que l'association apporte directement un service aux membres lui donne un lien fort avec les entreprises, directement demandeuses de prestations. Mais ce caractère privé est aussi un frein à un véritable pilotage public ou à une capacité d'engagement pour l'avenir. La structure du financement reflète cette mixité (financement par le canton sur projets : 38 %, cotisation de collectivités publiques : 35 %, entreprises : 8 %, le reste étant constitué de mandats d'appui et de prestations, par exemple des programmes d'accompagnement à la rénovation énergétique sur fonds fédéraux « Stratégie Énergie 2050 »). Selon l'ADNV, l'attachement des entreprises au territoire est évolutif dans le temps... en fonction de leurs besoins. Ce qui compte, c'est le dialogue plus ou moins fort et suivi avec les autorités locales (le territoire offre-t-il les bons équipements publics et culturels ? Les fonciers sont-ils adéquats ?). Au final, on constate que les sites de recherche et développement restent dans le canton. Les multinationales sont présentes, Nestlé est par exemple en dialogue constant avec l'ADNV, mais a tout de même supprimé 400 emplois à Orbe (Moulins d'Orbe, tradition ancienne de la compétence café). Le réseau fédérant ce type d'associations de développement a un site : regiosuiss.ch. Tous les districts de cantons n'en disposent pas ; inversement, la plupart des associations régionales n'ont pas d'identité institutionnelle ; certaines communes appartiennent à deux associations régionales. 2.- Neuchâtel : La patrimonialisation de l'industrie, vecteur de développement territorial « Les milieux innovateurs » : la reconversion vers la micro-technique des régions de l'Arc jurassien à forte innovation industrielle marquées par l'horlogerie, est souvent citée comme un exemple de reconversion. Ce modèle, qui suppose une autonomie régionale dans l'organisation et une immobilité du capital, a été remis en cause par le développement des marchés financiers et la financiarisation puisque les profits sont délocalisés et non plus réinvestis sur place. Associé à un environnement industriel jugé peu attirant, ces régions ont connu un problème d'attractivité résidentielle, avec un enjeu de réhabilitation de gigantesques « villes usines » désaffectées (malgré le classement du patrimoine historique de la Chaux-de-Fonds et Le Locle au titre de « l'urbanisme horloger »). La mise en place dans les années 1990 d'une économie de la production, associée à l'attraction de l'Arc alémanique (dans le contexte de forte tradition de mobilité interurbaine suisse), a conduit à une perte de substance résidentielle et finalement à d'énormes différences de revenus entre régions suisses. Mais avec la fin de ce modèle des « clusters de production » a émergé un modèle reposant sur la consommation qui valorise les productions à forte valeur culturelle (par ex. la montre mécanique qui représente 20 Mds à l'exportation). L'industrie patrimoniale : ce qui est vendu est « l'authenticité ». Dès 2005 ce contexte de consommation se traduit par la création d'une « culture horlogère »... Des espaces de démonstration sont mis en place dans le monde entier (marketing, story telling dans les magazines), les producteurs détenant les magasins de marques (ex. la « mise en scène » de la montre suisse à Hong Kong, devenu supermarché de la montre suisse). Le lieu de production reprend de l'importance pour sa dimension symbolique. Un espace d'exposition (musée) lui est associé. Cette « patrimonialisation de l'industrie » qui fait le lien entre culture « productive » et attractivité présentielle et résidentielle représente sans doute une voie d'avenir en Europe. Nestlé à Braud Fribourg est l'attraction la plus visitée de Suisse. Dans le Jura bernois les entreprises de chocolats reçoivent 100 000 visiteurs annuels. La révolution numérique a permis à chaque territoire d'exister à travers « une identité » (parfois stéréotypée) sur internet. (l'accès à tout facilitant la mobilité des personnes, les jeunes, hors ceux qui n'en ont pas les possibilités, vont là où ça fait sens pour eux, ex ; études à Berlin et séjours à Barcelone...). « L'identité » sur la scène numérique est ce qui est attractif. Gruyère et Fribourg se sont ainsi développés sur une base industrielle et résidentielle (mais hors des critères du développement durable...) en jouant sur les activités et les stéréotypes liés à l'image de La Gruyère. Un territoire, à Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 159/170 PUBLIÉ condition qu'il soit bien relié avec une grande ville et attractif, peut ainsi retrouver son importance, attirer les touristes et reconfigurer la production autour de son image en offrant une « expérience » (« passer un bon après midi à la chocolaterie avec les enfants »). Hautestadt et Volkswagen ont inauguré cette « expériencialisation » de l'industrie. Le territoire joue ainsi un rôle central dans la compétitivité industrielle : on exporte, ça rapporte de l'argent, et on peut ré-investir dans la durabilité ; les innovations sont intégrées dans le bien qui prend plus de valeur . L'innovation culturelle se comprend aussi dans ce paradigme de la compétitivité et des valeurs de marché : c'est la culture qui fait la valeur des biens, et donc permet de vendre en Suisse des panneaux solaires à des prix qui ne seraient pas compétitifs sur le marché mondial. À l'origine, les panneaux photovoltaïques sont fixés n'importe où (pas de permis de construire pour les installer) en pays neuchâtelois et défigurent les fermes... Puis, les panneaux sont teints et retravaillés esthétiquement ; ils deviennent alors des « éléments de façade actifs » qui remplacent les éléments de façades traditionnels : intégrés dans un contexte urbain et villageois, ils se trouvent sur le chemin du train touristique... On crée alors de l'expérience monétisable, en s'insérant dans une « économie du consommateur ». Les « produits » en tant que tels disparaissent ; restent les démonstrateurs, avec leurs sponsors : c'est une économie de projets de démonstration dans laquelle les territoires retrouvent leur place, puisqu'on met en scène leur créativité. Le développement territorial se fait aussi par la mobilité des biens et des personnes : l'économie présentielle est devenue l'élément moteur. Du fait du recentrage important sur les centres des grandes villes, il y a à la fois perte de substance des petites villes et perte des services aux entreprises. 70 % de l'économie est présentielle (y compris touristique) tandis que 25 % de l'économie est « productive ». S'est ainsi constitué un vaste marché du travail qui recouvre toute la Suisse occidentale : depuis Neuchâtel on est en 40 mn dans de nombreuses autres villes. La seule restriction à cet espace fonctionnel est la barrière de la langue (on a donc un bassin d'emploi à l'échelle de la Suisse avec 2 marchés du travail fonctionnels), sans compter 1 million de passages de frontière (française notamment) par jour. 3. Fribourg, le Cluster Innosquare La plate-forme d'innovation est née par son site, celui d'une ancienne manufacture de bière (un cluster avant la lettre, d'origine monacale...), soit 70 000 m2 acquis au moment de la faillite par la ville et par le canton de Fribourg. Les autorités cantonales ont souhaité faire de ce site un « fab lab », un centre avec des laboratoires et des compétences en matériaux avancés et en électronique de pointe, alors que le canton se caractérise par un tissu économique très diversifié et une présence forte dans les secteurs de l'agroalimentaire et de la construction. Le nouveau positionnement économique fribourgeois a rencontré la volonté de l'EPFL de Lausanne de s'implanter sur le canton. Le cluster s'est ainsi construit en soutien aux besoins des entreprises existantes mais avec la volonté de proposer de nouvelles spécialités. Sa mission est d'augmenter la capacité d'innovation des entreprises en leur offrant un lieu d'interaction avec la recherchedéveloppement, et un centre de compétences avec des personnes bien formées en ingénierie, un lieu de « services aux entreprises », qui puisse répondre à leur souci de continuer à trouver les talents pour maintenir un flux de compétences et développer leur activité. Son succès se comprend par l'appartenance à l'espace plus vaste du Mittelland suisse, qui regroupe tous les cantons romands plus une partie de Berne, et peut se comparer aux régions de taille européenne. 300 entreprises en sont membres (en comparaison, le groupement industriel fribourgeois de la chambre de commerce a 1 100 membres). La géographie du lieu est en elle-même une image de la dimension collaborative et innovante du projet, avec plusieurs centres regroupés dans un « cube » à disposition modulaire, des laboratoires industriels, d'anciennes halles de stockage rénovées en bois, à occupation modulable, un « café transitoire »... L'ensemble est en cohérence avec l'intérêt patrimonial du site, dans le respect des Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 160/170 PUBLIÉ critères des bâtiments « du futur » et « zéro carbone » (l'un de ces bâtiments, le « smart living lab », a été primé lors du dernier Solar Decathlon). Trois centres de compétences « nouveaux matériaux » ont été développés : sécurité des systèmes (avec des entreprises internationales) ; impression digitale, « bio printing » et ingénierie des tissus, placés dans un centre annexe utilisant des infrastructures et des laboratoires privés déjà existants ; et enfin installation d'une activité de plasturgie (après modification de 8 000 m²). Se sont ajoutés depuis 2013 trois clusters thématiques : « Swiss plastic » (couvre la Suisse occidentale), bâtiment innovant et recherche dans les techniques énergétiques pour la production maraîchère (en lien avec le cluster agroalimentaire fribourgeois). Le fonctionnement des clusters : Le processus d'innovation industrielle naît du rapprochement entre process de filières différentes par hybridation technique, au bénéfice des démarches d'innovation des entreprises. La logique suit un modèle appelé « collaboratif pré concurrentiel ». À l'état initial plusieurs entreprises identifient un besoin d'innovation commun, avec une faible part académique. À l'étape suivante, qui correspond à la situation actuelle du cluster, on regroupe plusieurs partenaires qui n'auraient pas eu l'idée de se mettre ensemble, pour tester des transferts de technologie d'une filière à une autre, provoquer de fortes collaborations entre clusters, parvenir à une hybridation de méthode, et développer de nouvelles « chaînes de valeur ». Le retour est ensuite assuré vers les entreprises membres. C'est le territoire qui initie la démarche afin de révéler ce potentiel latent. Sur d'autres sujets, on révèle les opportunités et il faut trouver « le terrain ». Le Mittelland Suisse se caractérise par un tissu de PME sans centre de recherche (au contraire de la France qui possède des grands groupes dotés de centres de recherche...). Le financement d'Innosquare est public à 65 %, les entreprises apportant 35 % (50 %/50 % en cas d'« innovative action », cf. supra). L'argent public va directement aux universitaires qui développent l'innovation. Le défi reste la synchronisation entre les différentes régions, et l'identification des bonnes personnes dans les entreprises, notamment les PME, pour intégrer cette logique avec confiance. Les partenariats privé/privé (et public/public) s'avèrent plus difficiles que les partenariats public/privé... Côté suisse, Innosquare dispose d'observateurs cantonaux et fédéraux (le SECO cf. infra). Il n'entretient en revanche pas encore de lien avec le niveau national français (France clusters), et essaye de se connecter avec la Commission européenne (notamment les DG Regio et DG Grow). Innosquare est très impliqué dans l'outil partenarial (et financier) européen « Interreg », la réflexion sur la politique de « spécialisation intelligente » de l'Union et le repérage des « activités transformatrices » permettant de soutenir les mutations de l'économie à différentes échelles territoriales en Europe. Le travail porte également sur les synergies à trouver entre partenaires publics et privés et les modalités des différents appels à projets à mettre en oeuvre. Il n'existe pas en Suisse de politique explicite pour le développement des clusters mais ceux-ci sont apparus dans le cadre des politiques de développement régional, au travers de la recherche de leviers d'efficacité. La stratégie nationale porte sur les sites (« Swiss innovation Park »). Outre la collaboration avec la promotion économique du canton de Fribourg, Innosquare est un outil de labellisation pour des fonds nationaux ou régionaux et reçoit une co-participation fédérale et cantonale (Fribourg a par exemple mis a disposition un fonds d'équipement pour acquérir les équipements en laboratoire). Les acteurs de l'organisation d'un cluster et de son animation vont de 6 à 15 personnes (1 à 2 ETP par projet), davantage en cas de structure de labellisation ou de montage de projets à dimension européenne (qui sont portés par les acteurs académiques en Suisse). Les « clusters managers » sont mis à disposition pendant 4 ans avec le soutien de la nouvelle politique régionale. Ceci permet de mutualiser l'événementiel et de se projeter sur 4 ans (30 événements organisés avec 200 ateliers). Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 161/170 PUBLIÉ Fribourg, Cluster InnoSquare sur le site de la Blue factory Pavillon bois BBC de la Swiss team primé au dernier Les machines du Plastic innovation cluster SolarDécathlon à Denver (États-Unis) données par des entreprises Le système de formation suisse joue un rôle majeur. D'un côté, la formation générale, sanctionnée par la maturité gymnasiale, conduit à des études à l'Université ou dans les écoles polytechniques fédérales, Zurich et Lausanne (qui ne sont pas équivalentes aux grandes écoles françaises du fait de leur statut universitaire, de leur absence de sélection pour les titulaires d'une maturité gymnasiale suisse (la majorité des candidats étant issus d'écoles privées) et leur intérêt pour un certain nombre d'enseignements techniques. De l'autre, la maturité « professionnelle » est exigée pour accéder à une formation duale (école/entreprise) avec un salaire, dispensée au sein des Hautes écoles (HE) spécialisées et délivrant bachelors et masters. L'objectif est non pas de « faire des études » mais « d'y apprendre un métier »... La HE nommée « Arc » regroupe les Hautes écoles de tout le Jura (ingénierie, santé, conservation, musique...). La spécificité suisse réside dans le poids de la maturité professionnelle (60 % des bacheliers) et la possibilité de croiser tout de même les deux types d'études, avec une passerelle pour les étudiants généralistes qui rejoignent la HE moyennant un stage pratique d'un an et souvent un examen d'admission. Les « Hautes Écoles » spécialisées disposent d'un mandat de transfert de technologie dans leur région. Le cluster InnoSquare est ainsi une branche de la HE d'ingénierie et d'architecture de Fribourg avec laquelle il entretient des liens très forts, mais il est issu également d'un partenariat avec l'EPFL (pôle rattaché à Park network West EPFL) et une dizaine d'autres instituts supérieurs. Il accueille certaines activités de l'université de Fribourg. Le cluster joue un rôle de veille des pratiques et des évolutions « métiers », et de facilitateur de programmes de formation (montés de façon mutualisée à partir des besoins des entreprises). Ce lien formation / recherche / innovation constitue une spécificité du système suisse. Chaque canton a sa propre stratégie d'innovation, beaucoup s'appuient sur des clusters (ex. Valais : DI ARK biopharma, énergies renouvelables et chimie) et la création de pôles de recherche assurant le transfert de savoir et de technologie. L'agence « Inno Swiss » travaille sur l'innovation technologique et la mise en réseau des acteurs. À l'échelle de la Suisse romande, la nouvelle politique de développement économique porte sur la mise en contact de différents acteurs et d'interlocuteurs pour les entreprises, lorsque l'échelle du canton est trop petite. C'est un travail complexe ; aussi le soutien financier est-il concentré sur des postes-clés (« coachs », « portes d'entrée », managers de clusters...) retenant la majeure partie des 16 M investis dans le domaine de l'innovation. De son côté, « Switzerland Global Enterprize » apporte un soutien à toutes les entreprises, sur le territoire ou à l'étranger. La Suisse participe aux programmes phares de l'Union européenne grâce aux accords bilatéraux et la réponse des universitaires aux grands appels à projets (cf. supra). Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 162/170 PUBLIÉ 4.- Berne, les offices fédéraux. « Les fondamentaux du développement territorial suisse » 1) Le projet de territoire suisse est le pilier du développement territorial. Élaboré de façon tripartite (confédération, cantons, communes), il propose une vision commune et partagée. Son principe général est le polycentrisme, qui vise à contrecarrer un développement dans les seuls espaces métropolitains, et repose sur l'existence de centres secondaires, moteurs de développement de leur région. Le polycentrisme suppose une mobilité fluide entre pôles, inscrite dans le projet. Un deuxième principe est le développement « vers l'intérieur » de l'urbanisation, c'est-à-dire la concentration sur les réserves foncières à l'intérieur des zones urbanisées, et donc un nombre très limité de nouveaux territoires à urbaniser. Le projet suisse propose également une vision en termes « d'espaces fonctionnels » de collaboration aux enjeux dépassant l'échelle des cantons et permettant de « se placer » en Europe : 5 ou 6 grandes régions (ex. « Bâle » (2 cantons), « Berne », « Zurich », « Arc jurassien » (recoupant 3 à 4 cantons). Il différencie aussi 12 « territoires d'action » possédant des problèmes, des atouts et des défis propres. Réfléchi et discuté aussi avec de nouveaux acteurs institutionnels que sont l'Union des Villes suisses (qui ont fait émerger leurs besoins particuliers), il est allé plus loin que son rôle défini au départ, en proposant des plans sectoriels avec des planifications fonctionnelles de taille supérieure à celle des cantons (mais surveillées par eux) et un programme « PHCR économie » avec des appels à projets à l'échelle de ces grands territoires. Le projet de territoire est ainsi un cadre d'orientation fédérale pour l'ensemble des acteurs du développement territorial, porteur d'une vision de l'organisation du territoire et d'une stratégie globale, doublé de documents cantonaux (eux-mêmes non contraignants) donnant la vision du développement territorial. Il a fallu huit ans pour construire ce projet, reconnu comme document commun, même si la mise en oeuvre des principes n'est pas toujours évidente et peut dans certaines situations ébranler le consensus. 2) La loi d'aménagement du territoire, les quatre niveaux et la question de l'espace bâti / à bâtir Dès 1980 a été posée la règle de base posant la séparation de l'espace bâti et du non bâti : à « l'intérieur », les communes sont chargées des zones à bâtir, tandis que « l'extérieur » (non bâti) est protégé au niveau de la fédération selon les règles (contraignantes) de la loi d'aménagement du territoire cf. infra. À « l'intérieur » des zones à bâtir est défini un plan directeur cantonal, contraignant pour le canton et les communes, celles-ci définissant l'implantation des zones d'activité économique au sein de leur « plan affectation communal » (équivalent du PLU français). À « l'extérieur », le mitage progressif du territoire agricole et montagnard par accumulation des exceptions au cours du temps a conduit à une nouvelle initiative sur le paysage et une nouvelle loi (entrée en vigueur en mai 2014, avec deux durcissements intervenus depuis) en faveur de la densification des zones urbanisées et de l'arrêt du mitage. Cette nouvelle contrainte fédérale est un levier pour la valorisation des friches. Ce principe « sans urbanisation supplémentaire » s'applique par articulation entre 4 niveaux de planification : 1. La loi fédérale d'aménagement du territoire (révisée à partir de 2013). Elle pose : - les hypothèses de croissance, - la méthode de planification (la gestion des zones d'activité est préconisée « à l'échelle régionale »), Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 163/170 PUBLIÉ - le principe de protection des surfaces forestières et agricoles233. 2. Le Plan cantonal pour reboucler avec la croissance de la population. Il définit une affectation des terrains. Adopté souvent après de long processus, il ressemble dans le principe au SRADDET. Par exemple, le canton de Vaud a obtenu la possibilité de demander 160 ha supplémentaires ; il a construit une typologie des zones économiques d'intérêt cantonal et communal. Sur la base de la croissance démographique constatée des 10 dernières années (fin 2016) il a attribué des quotas de développement selon le type de collectivités. Le taux autorisé pour les communes membres d'un « projet d'agglomération » (c'est-à-dire ayant communautarisé l'aménagement, l'urbanisme et les transports) est ainsi de 2,1 % d'augmentation démographique par an jusqu'à l'adoption du plan d'affectation. Le taux est libre ensuite, à condition de rester dans la même consommation de sol (dans le cadre d'une densification) ; il est de 1,5 % pour les centres régionaux et les centres locaux ; et enfin de 0,75 % pour les autres communes. 3. Des « Plans directeurs du territoire ». Ils constituent des déclinaisons de niveau régional. 4. Et enfin les « Plans d'affectation communaux », de niveau communal. Ils doivent tous être refaits d'ici 2022. Les acteurs privés jouent un rôle très important. Ce n'est pas la concentration métropolitaine des lieux de travail qui « fait » le développement ; d'où l'intérêt du travail collectif pour maintenir la cohésion. Les grands services publics en Suisse sont organisés de façon fédérale ; ils s'appuient sur de grands distributeurs organisés sur une base coopérative. Les municipalités sont des acteurs à part entière de la vie économique et portent de nombreuses régies : électricité, transport, éducation, réseaux, routes... L'aménagement territorial est une prérogative des communes, chapeautées par le canton quand elles sont faibles. La confédération n'a pas de moyen d'action en tant que tel : elle donne le cadre, et les orientations, mais il n'existe a pas de « politique industrielle » fédérale. La Commission fédérale sur l'aménagement du territoire lutte contre le mitage provoqué par les résidences secondaires. Les plans directeurs cantonaux doivent définir quels sont leurs « centres » régionaux secondaires, qui jouent le rôle de moteur pour le développement des communes alentour et des régions infra cantonales, selon le principe de la « concentration décentralisée ». L'importance des centres régionaux et le consensus polycentrique font la richesse de la Suisse. Les cantons sont chargés de la promotion économique pour attirer les implantations, faire coopérer les acteurs, mettre en continuité la recherche et le tissu économique. On repère de vraies chaînes de valeur au niveau de grands territoires fonctionnels (moins à des niveaux inférieurs), et une très forte collaboration dans les « petits » cantons à une autre échelle, (Neuchâtel, Berne). La commune de Neuchâtel a ainsi fait un choix de réindustrialiser en zone dense malgré la pression due à l'urbanisation ; voir supra l'immense valeur symbolique pour Fribourg du cluster de l'alimentation Blue factory. La politique fédérale des zones, « Swiss innovation Park » s'est d'abord appliquée à Zurich ; les autres cantons ont ensuite réclamé des parcs d'innovation et la généralisation du concept. Grace à cette offre foncière, plusieurs régions ont réussi à capter de belles opérations. 3) Le polycentrisme ne fonctionne que si tout le pays est desservi. Le principe posé est que chaque localité ayant au moins 100 habitants doit être desservie par les transports publics. Bien qu'assuré par les communes en bout de chaîne, le service trouve son équilibre économique grâce aux subsides octroyés par la confédération et par les cantons. Le « service public » est appelé en Suisse 233 Les bonnes terres sont sur le plateau suisse, là où sont les grandes villes, les lacs, les grandes infrastructures de transport, et la pression foncière la plus féroce. Un moratoire complet sur les zones à bâtir a été demandé pour mettre un frein au mitage du territoire. L'obligation de remettre en zone agricole après 15 ans d'autorisation rencontre de fortes résistances. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 164/170 PUBLIÉ « l'approvisionnement de base », ce qui signifie que tout citoyen ou toute entreprise, quelle que soit sa situation dans le pays, bénéficie des mêmes conditions de base. La Suisse n'a pas repris les règles de concurrence de l'UE pour la poste et les télécoms par exemple. Une forte péréquation financière nationale a été mise en place entre cantons (la disparité en termes de capacités financières se chiffrant de 1 à 4 entre celui du Jura ­ 60 et celui de Zoug ­ 230). Certains cantons versent au pot commun, ainsi que la confédération, permettant aux cantons à faible capacité financière d'assumer les prestations de base vis-à-vis de leur population. Ce rééquilibrage est consubstantiel au fédéralisme suisse et à la cohésion du pays. 4,8 Mds de francs suisses234 sont ainsi redistribués entre cantons par les politiques sectorielles (dont l'agriculture) chaque année. Cette péréquation a un impact territorial beaucoup plus important que la seule « politique régionale », dont la valeur réside dans les inflexions qu'elle donne et le levier qu'elle procure. Sur un budget général annuel de 75 Mds de FS, 1,9 Mds FS sont consacrés au transport public régional, bus et lignes ferroviaires du quotidien ; 10 Mds FS annuels au transport public et au transport ferroviaire (tunnel du Gothard...) et enfin 10 Mds FS annuels aux infrastructures routières. Les 3 niveaux (fédéral, cantonal, communal) lèvent chacun des impôts et restent responsables de leur budget, mais le rééquilibrage est présent partout y compris à l'intérieur des cantons pour maintenir la fonctionnalité de chacune des communes. Une contractualisation est possible afin de dédommager les centres secondaires de leurs charges de centralité ; le système fonctionne bien dans les villes moyennes et les centres régionaux. Le coût du renforcement des régions périphériques est néanmoins régulièrement débattu, avec un questionnement sur le seuil de 100 personnes pour le maintien de la desserte en transport. Des solutions plus collaboratives au sein des espaces fonctionnels (cf. infra) sont encouragées. Les déplacements domicile travail sont ainsi traités à bonne échelle, selon des plans directeurs relatifs aux déplacements. Le principal intérêt est que la mobilité est traitée en lien avec la planification sous l'égide du niveau fédéral, via le « Programme 2030 » des investissements ferroviaires, appuyé sur un vote au niveau de toute la confédération. Il convient de noter qu'ily a une obligation pour les zones d'activité de se situer dans les espaces « accessibles » des villes. Les régions frontalières ont réalisé un travail approfondi avec la France sur la question des migrations pendulaires quotidiennes et le passage de la frontière selon les modes ferroviaire (train « transjurassien » cofinancé par le canton) et routier (mise en place d'aires de covoiturage, cf. site : covoiturage-arcjurassien.ch.), le canton exigeant des plans de mobilité de la part des entreprises. Finalement, le covoiturage y représente 25 % des déplacements (la moyenne suisse étant de 4 %). La notion d'espace fonctionnel permet de constituer des bassins de vie à géométrie variable selon les thématiques, en apportant des réponses adaptées aux communes concernées, comme le regroupement de communes (compétences et financement) pour collaborer sur les déchets. À part les fusions communales qui sont encouragées, il s'agit de ne pas ajouter de couche administrative supplémentaire. La même approche vaut pour les espaces de collaboration transfrontaliers (entre cantons et avec l'étranger proche). Ont ainsi émergé ces dernières années des niveaux « fonctionnels » d'organisation, de développement et de planification (exemple des quatre cantons organisés au sein de « l'arc jurassien », arc jurassien.ch) sous la forme d'une structure juridique associative. Des « programmes d'agglomération » ont été montés pour inciter à la planification des lieux de travail et faire le lien avec les territoires alentour. De leur côté, les grandes villes Bâle, Berne, Genève, Lausanne, Zurich (auxquelles il faut ajouter SaintGall pour compléter le sillon métropolitain) mettent en avant des contraintes spécifiques (besoin en assainissement, nouvelles lignes de tram...) nécessitant des programmes complémentaires. Les problèmes sociaux spécifiques aux grandes villes sont compensés par des contributions nationales pour charges socio-démographiques. 234 Soit 4,4 M. Mutations économiques et développement des territoires Page 165/170 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ La crise de 2008 a conduit à une concentration des services bancaires dans les villes, et à un retrait de l'espace rural. Aujourd'hui le pouvoir décisionnel pour les emprunts bancaires n'est de ce fait plus situé au sein des cantons, et ceci alors que la banque postale ne peut plus distribuer de crédits et que les banques cantonales ont été privatisées (seules les banques appartenant au groupe de coopératives « Raiffeisen » restent décentralisées et indépendantes). La confédération n'a pas le droit d'interférer avec les principes du marché, et une « politique industrielle » confédérale reste taboue. Le travail se fait par la coordination entre départements ministériels, l'action des syndicats professionnels et un certain nombre de politiques sectorielles (du type tourisme...). Zurich, renouvellement d'un ancien quartier industriel central (Escher Wyss) Les ateliers de la Haute école d'art et de design de Zurich donnent de plain-pied sur la rue « PULS 5 », ancienne fonderie transformée en vaste centre de loisirs et de services Enseignements pour la mission · L'atout que représente un réseau de transports publics bien articulé (ferroviaire / routier) porté par le niveau national (notamment du fait du financement fédéral) est tout à fait considérable. Il constitue un soutien au développement économique, avec la constitution de grands bassins d'emplois effectifs sans les inconvénients d'une concentration excessive de population, tout en maintenant un modèle de développement durable, multipolaire et équilibré, avec une desserte de qualité assurée en transports publics pour tout le territoire. L'existence d'un document d'orientation au niveau fédéral, le « projet de territoire suisse », document stratégique offrant une vision du modèle de développement que souhaite le pays, élaboré conjointement (dans l'esprit du « consensus suisse ») et devenu une référence partagée par les cantons et l'ensemble des parties prenantes est essentielle. Ce projet sert de cadre pour asseoir les grandes politiques fédérales, la péréquation financière, et l'intervention de toutes les parties prenantes (en s'assurant qu'elles vont dans le même sens) ; Un système de planification articulé entre les 4 niveaux territoriaux (fédéral/cantonal/ « régional »/communal) et concerté (en particulier avec les niveaux inférieurs) apparaît comme très efficace. Il suppose une déclinaison qui traduise (sans nécessairement de rapport de compatibilité) et qui assure les objectifs communs de non-consommation d'espace, ainsi que l'inscription de la Suisse dans les grandes politiques et les grands programmes de recherche et de développement transfrontaliers portés par l'Union européenne. · · Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 166/170 PUBLIÉ · Les territoires s'appuient sur la valorisation de leurs atouts (paysages, maintien des espaces naturels, forte identité territoriale, qualité de vie et aménités) qui contiennent souvent une composante économique... (Exemple de l'utilisation de l'esthétique des plaques photovoltaïques pour la mise en valeur du paysage villageois à Neuchâtel). Ils font jouer ces atouts de façon différente selon les cycles économiques, en trouvant des logiques de complémentarité avec leurs voisins, par exemple dans le cadre d'une alternance dans le temps entre des positionnements plutôt économiques ou plutôt résidentiels, au sein de micro régions (ex. d'Yverdon et de sa montagne) ou au sein de plus vastes territoires, par exemple dans le lien arc jurassien / arc alémanique. La permanence d'un système de formation mixte (à 60 % technique) : en complément du système universitaire et des écoles polytechniques, les traditionnelles « Hautes Écoles » offrent une formation supérieure de nature technique et professionnelle dans tous les domaines. Il s'agit d'instituts renommés, porteurs d'innovation industrielle, liés aux entreprises (y compris PME) et aux acteurs économiques, qui reposent sur un maillage reflétant les spécificités industrielles des territoires. Une logique de clusters bien développée, avec de fortes démarches collaboratives publicprivé opérant à des échelles de proximité. L'appui sur les Hautes Écoles (leurs étudiants, leurs enseignants et chercheurs) avec la constitution de véritables sites de recherche appliquée en milieu urbain et de transfert de technologie à caractère industriel (ex. de Zurich et de Fribourg), permet une mise à disposition de la recherche publique, avec le soutien direct de programmes européens. · · Fiche : Les zones d'activités et la zone «Y PARK » à Yverdon (Nord vaudois) Y Park, zone d'activité la plus grande de Suisse, accueille 1 600 emplois et 150 entreprises, dont des incubateurs (que les entreprises ne veulent plus quitter). La ville d'Yverdon et un établissement cantonal d'assurance, entreprise semi-privée déjà propriétaire d'une partie des terrains, sont à l'origine du projet. L'association pour le développement du Nord Vaudois est partie prenante, et fait le lien avec le niveau « politique » cantonal. La structure Y Park est chargée du démarchage pour les services communs, de l'animation et du lobbying pour le site ainsi que de l'élaboration du plan de mobilité. À l'origine, il s'agit d'un pôle technologique centré sur l'innovation et s'inscrivant dans le cluster de l'alimentation Orbe Chalonnais ainsi que dans un pôle logistique (transfert route­rail et dédouanement). Mais le profil s'est émoussé, devenu plus généraliste du fait de la raréfaction des terrains pour les activités industrielles et artisanales locales cherchant à étendre leur activité. Sur le canton de Vaud, les projets de nouvelles zones qui empiéteraient sur des zones agricoles sont soumis à obligation de vérification qu'on ne peut faire l'équivalent dans un rayon de 15 km sans faire appel à des zones agricoles. Les débats sur l'extension des zones sont donc très longs, avec un risque de départ vers des cantons plus accommodants dans l'application de ce principe (pourtant national). Le secteur comprend aussi un petit technopôle consacré aux énergies renouvelables (avec la même difficulté de rester sur le concept initial dans une situation de pénurie d'offre...), et un autre où la Haute Ecole a implanté un institut aux technologies de la soudure, une compétence à relier à la micro-mécanique. Le canton se positionne comme partenaire des stratégies d'entreprises : les services de promotion économiques cantonaux sont présents dans la gouvernance sur les sites de développement économique. 6.4. Rapport de parangonnage Voir fascicule séparé. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 167/170 PUBLIÉ 7. Glossaire des sigles et acronymes Acronyme ANCT CCI CGCT DGF DIRECCTE DREAL DTT EPA EPCI EPF EPL EnR ESS ETI Loi MAPTAM Loi NOTRe MCTRCT MEF MT MTES MTEFPDS OIT PETR PLU(i) PME/TPE Signification Agence nationale pour la cohésion des territoires Chambre de commerce et d'industrie Code général des collectivités territoriales Dotation globale de fonctionnement Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement Direction départementale des territoires Établissement public d'aménagement Établissement public de coopération intercommunale Établissement public foncier Entreprise publique locale Énergies renouvelables Économie sociale et solidaire Entreprise de taille intermédiaire Loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles Loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République Ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales Ministère de l'économie et des finances Ministère chargé des transports Ministère de la transition écologique et solidaire Ministère du travail de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social Organisation internationale du travail Pôle d'équilibre territorial et rural Plan local d'urbanisme (intercommunal) Petite et moyenne entreprise / Très petite entreprise Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 168/170 PUBLIÉ Acronyme SCoT SRADDET SEM SRDEII ZAE Schéma de cohérence territoriale Signification Schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires Société d'économie mixte Schéma régional de développement économique, d'innovation et d'internationalisation Zone d'activité économique Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 169/170 PUBLIÉ Site internet du CGEDD : « Les derniers rapports » PUBLIÉ (ATTENTION: OPTION des observations écrites, certains économiques entreprises), territoriale (attractivité) et sociale (valorisation des opérateurs ressources humaines). La création d'une agence de développement également ; parfois, des PETR unique est une première étape pour mettre en cohérence les réseaux ont été inclus dans la réflexion ; d'accompagnement existants, selon trois orientations partagées : mais beaucoup de tourisme durable et patrimonial (« rhum », Montagne Pelée...), consultations se sont révélées économie bleue et nautisme, « cultiver mieux » (bio). Le schéma est formelles plus que décliné en 60 actions opérationnelles dont le lancement d'appels à substantielles. De fait, ces projets pour l'attractivité et la requalification des ZAE. Les chefs de file schémas semblent globalement de chacun des projets sont définis en suivant les compétences peu ancrés dans la réalité des institutionnelles, faisant la part belle aux EPCI, afin d'optimiser la territoires, avec un aspect réalisation du plan d'action. territorial peu travaillé, même si certains s'appuient sur une cartographie qui n'est pas rendue publique. On relève néanmoins des exemples probants, comme celui de la région Bretagne, où l'association avec les territoires est une pratique de longue date, ou celui de la Martinique, intéressant en termes de processus. En Martinique, « la Région fertilise, le territoire cultive » Dans la perspective de la construction des prochaines générations de schémas 63, la mission propose : · la nécessité d'un bilan, à réaliser de façon interministérielle de la première génération des SRDEII : contenus, écarts avec les textes, méthodes d'élaboration, effets et efficacité, la généralisation d'un principe de pleine coopération avec tous les territoires et parties prenantes, cette « co-construction » permettant de mieux appréhender les logiques de concurrence et de cibler les aides régionales selon les territoires et les problématiques, une révision de la terminologie : si les textes mentionnent un « document d'orientations stratégiques » (article L. 4251-15), ce caractère « stratégique » mériterait d'être affirmé en préconisant une « politique régionale de l'économie », articulée dans une vision territorialisée et associée à la transition écologique. · · Il semble manquer, notamment au sein des grandes régions nouvellement constituées, une maille pour faciliter la coopération avec les EPCI, les aidant à mutualiser leurs moyens selon une logique de « grands » territoires énoncée par ailleurs dans la loi NOTRe 64 et sur lesquels pourrait être assise une différenciation au sein des régimes d'aide. Dans plusieurs régions, le choix pragmatique a été fait de conserver un relais départemental, soit parce que derniers constituaient une échelle intéressante d'analyse et de regroupement territorial, soit parce que les outils existants (de type agence d'attractivité ou agence de développement) étaient performants et pertinents. Dans la région Grand Est, la mise en place ces dernières années d'outils de coopération entre villes et métropoles (par exemple celui qui a pris forme dans le « Sillon lorrain65 ») a pu être présentée comme une façon de compenser l'éloignement dû à la création de la « grande » région. Cependant tous les territoires étant loin d'y trouver leur compte, la Région a choisi de s'appuyer sur la structure départementale : « Dans certains départements, il existait des agences de développement économique. 63 Les schémas actuels sont en vigueur jusqu'au 31 décembre 2022. Voir article codifié L4251-1 CGCT. Action de coopération et de mutualisation inter-urbaine entre Épinal, Nancy, Metz et Thionville ; voir aussi la tentative (peu concluante) « d'aire urbaine lyonnaise » autour de Lyon et Saint-Étienne en AURA. Cf. § 3.1.2. Mutations économiques et développement des territoires Page 27/170 64 65 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ La Région les a renforcées, elle est entrée dans la gouvernance à la place des Départements qui ne pouvaient plus s'y impliquer. Dans d'autres départements, nous les avons créées car rien ou peu n'existait pour répondre aux nouveaux enjeux » explique Isabelle Héliot-Couronne, présidente de la commission du développement économique 66. En Occitanie, ce besoin de relais infra-régionaux fait que certains Départements ruraux continuent de jouer un rôle actif sur la question du développement économique, à la demande expresse des EPCI et de la Région elle-même. Au final, cette « politique régionale de l'économie » reste à constituer pour assumer la « La région est le produit de ses territoires et la proximité pleinement dimension stratégique, se fonder sur constitue un de ses défis ». À partir d'un territoire vaste et hétérogène (137 communautés de communes, 21 communautés les principes de la transition d'agglomération, une communauté urbaine, et deux écologique, et intégrer une vision métropoles), la Région a développé un diagnostic affiné territoriale. Elle énoncera une vision permettant de rassembler les communautés de communes dans sur laquelle pourra s'appuyer le des « strates » cohérentes et de décliner les orientations du régime d'aides aux entreprises et SRDEII selon cette réalité hétérogène : seul échelon compétent aussi une stratégie concernant les pour les aides directes aux entreprises (et avec un budget de zones économiques d'intérêt régional 3,6 Md), la Région a mis en place des taux d'intervention et infra-régional67. Différents organes différenciés selon les territoires (en fonction de la densité par peuvent venir en appui pour cela des habitant, des montants reçus en DGF, du taux de pauvreté, mais réflexions régionales, comme le également selon la typologie des entreprises). Pour l'immobilier réseau des agences d'urbanisme ou d'activités, la Région soutient les communautés de communes à hauteur de 70 %, avec un effort majoré pour accompagner les EPF pour le volet foncier. pendant la période de transition (90 % en 2018 et 80 % en Plusieurs Régions sont déjà engagées 2019). La Région finance les plateformes numériques, les dans de telles « politiques régionales formations, les écoles régionales numériques et les « fablab », de l'économie » qui vont au-delà du SRDEII dans sa définition législative les communautés et mairies mettant des locaux à disposition. actuelle, comme l'Occitanie, la Bretagne, les Hauts de France avec « Rev 3 »68. Cinq ans après l'adoption de la loi NOTRe, un bilan de ces démarches et de la façon dont les Régions ont pris en main cette compétence devrait être tiré, en lien avec notamment les intercommunalités et aussi en regard des politiques et règles européennes. En Occitanie, une politique de différenciation territoriale 1.3.2. Des stratégies économiques métropolitaines et intercommunales Les EPCI, communautés d'agglomération et communauté de communes, se sont vu attribuer la compétence exclusive en matière d'aides à l'immobilier d'entreprise, alors qu'ils étaient dans des situations de départ très diverses sur ce thème. De nombreux EPCI ont eu pour enjeu principal, dans la période, de se positionner face à des communes qui étaient historiquement seules décisionnaires sur les questions d'implantation des entreprises ; les communautés de communes se sont inscrites dans de nouveaux périmètres ; et même lorsque des périmètres de travail existaient, comme dans le cas de périmètres de SCoT, les enjeux économiques avaient souvent été peu travaillés dans ce cadre. Pour les Métropoles, l'affirmation du rôle de la Région a pu avoir une incidence sur les politiques d'attractivité développées antérieurement à la loi MAPTAM de façon puissante et relativement cohérentes. Elles ont toutefois été traitées, dans les dispositions relatives aux SRDEII, selon un statut 66 Intervention lors du congrès des maires, 28 novembre 2018. En complément, dans le Grand Est, un « pacte offensif croissance-emploi », support de contractualisation sur des actions, des équipements, et des appuis en ingénierie, a été passé entre la Région et les territoires (EPCI, PETR). Cf infra § 2.2. Cf infra § 3.1. 67 68 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 28/170 PUBLIÉ qui reconnaît leur action, et ont souvent maintenu leurs liens avec les échelons nationaux de la politique d'attractivité, singulièrement l'opérateur Business France. Certaines Régions se sont d'ailleurs appuyées sur les schémas économiques métropolitains pour penser leur SRDEII, ce qui a pu dans un premier temps conforter le tropisme métropolitain au détriment de l'émergence d'un fait territorial économique régional. Dans d'autres cas, un processus pragmatique de recherche de synergies a été tenté, comme entre la Métropole de Grenoble et la Région d'Auvergne Rhône-Alpes. La Métropole de Grenoble dans une « approche souple et apaisée » du dialogue avec la Région Selon Christophe Ferrari, président de Grenoble Alpes Métropole 38, celle-ci n'a pas réalisé de schéma de développement propre, le sien ayant été intégré directement comme un élément du SRDEII. La Métropole a privilégié un mode coopératif, simple et agile, de type « contrats de réciprocité » et conventions de partenariat, afin de construire « un couple de force » avec la Région. En retour, la Région a décliné son Agence de développement dans des antennes territoriales :ce sont ainsi les équipes de la Métropole qui pilotent l'Agence régionale au niveau de l'Isère et travaillent au service de l'ensemble de ce département. Si la mue d'une stratégie limitée au développement d'une offre foncière vers une stratégie économique globale n'est pas achevée, la maturation est généralement avancée dans les métropoles, comme le montre l'exemple de Toulouse. La Métropole de Toulouse vers une stratégie économique globale La Métropole a senti le besoin de passer d'une logique d'« offre économique » à une logique de « projet économique » : cela se traduit par la mise en place d'une stratégie à l'échelle métropolitaine sous la forme d'un « schéma de développement économique, d'innovation et de rayonnement métropolitain », dont la mise en oeuvre fait l'objet d'un suivi annuel. Si l'approche économique est plus modeste à une échelle élargie, notamment avec les espaces périurbains connexes, les dispositifs de coopération inter-territoriale pourraient fournir l'occasion de développer progressivement cette thématique. Le sujet du devenir des ZA est abordé et traité dans le cadre de la stratégie globale, même s''il n'y a pas ici de phénomène massif d'obsolescence. Un plan d'action pluriannuel et un budget sont définis pour assurer la prévention des risques de « vieillissement » et susciter la densification des zones, avec des opérations qui permettent de tester de nouveaux modèles économiques (comme celle de Garossos évoquée ci-après). En revanche, si la plupart des communautés d'agglomération et de communes ont lancé, parfois avec l'aide d'agences d'urbanisme, un recensement des zones d'activité économique anciennement communales, la définition d'une stratégie économique globale demeure encore souvent limitée. Avec l'EPCI de Dinan, l'illustration d' « une coopération fluide et des objectifs communs avec la Région » En Bretagne où le fait intercommunal est ancré de longue date, la coopération avec la Région s'appuie sur un ethos commun et une absence de logique concurrentielle. Les 59 EPCI ont été associés à l'élaboration du SRDEII et du SRADDET, la Région prend en charge le financement des postes de développement économique des communautés d'agglomération qui n'ont pas les moyens de le faire. Les communautés ont monté ensuite leur propre schéma de développement économique : celui de Dinan a été l'occasion d'un travail approfondi avec le monde économique en vue de reconfigurer les zones d'activité pour parvenir à des zones significativement moins consommatrices d'espace conformément aux prescriptions du SCoT. Il a également conduit à la mutualisation de fonctions support dans les 42 zones d'activité existantes regroupant 800 entreprises. Le « schéma de développement économique » de Dinan porte ainsi une approche économe en foncier, en lien avec l`écriture du PLUi dont l'adoption est prévue en fin d'année 2019. Aussi la mission propose-t-elle, en miroir de ce qui est proposé pour le niveau régional, que chaque EPCI établisse une « politique locale de l'économie »69, qui intègre les aspects immobiliers et fonciers dans un document stratégique, inspiré des anciens « schémas économiques d'agglomération ». Dans leur contenu, ces documents doivent reposer sur une vision territorialisée, une approche globale intégrée avec celle de la transition écologique, et une articulation avec des instruments opérationnels permettant la mise en oeuvre de la stratégie portée. 69 La loi NOTRe avait inscrit de cette façon la « politique locale du commerce ». Mutations économiques et développement des territoires Page 29/170 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ Recommandation 3. Réaliser une évaluation des SRDEII et de l'action économique régionale, prescrire au vu de ce bilan l'établissement par les Régions d'une « stratégie économique régionale territorialisée » en complétant la définition des SRDEII donnée par la loi NOTRe, et prescrire en parallèle celui d'une stratégie intercommunale par les EPCI, sous forme d'une « politique locale de l'économie » (MCTRCT, MEF). 1.3.3. Des moyens d'observation et de compréhension pour mieux anticiper 70 La bonne mesure des gains à attendre de la mise en oeuvre des transitions, la connaissance fine des situations et des mécanismes en jeu sur les territoires ainsi que des impacts croisés des politiques de développement économique supposent une montée en puissance des moyens qui leur sont accordés. Ainsi, améliorer la connaissance en termes d'observation, de recherche 71 et de prospective est un impératif afin de mieux saisir les enjeux et anticiper, sans s'en tenir aux seuls périmètres institutionnels existants. Les outils d'analyse statistique sont à améliorer pour permettre une meilleure appréhension des emplois industriels et le lien entre économie productive et économie des services, la définition et la promotion de nouveaux indicateurs de développement (« santé sociale », « bien être »...), l'alimentation des observatoires territoriaux (qui doivent être soutenus et généralisés). Des études et recherches sont à poursuivre matière d'économie territoriale, par exemple, des travaux visant à mieux mesurer les échanges entre entreprises et territoires, à évaluer les externalités négatives des regroupements de services publics ou privés au nom de la rationalisation, les externalités positives liées à la transformation écologique, et à construire des indicateurs de mixité fonctionnelle. Des outils de prospective et d'anticipation des mutations et reconversions sont à mettre en place pour identifier les territoires fragilisés par les différentes transitions, pour améliorer la connaissance de leurs impacts positifs ou négatifs et de leur déclinaison territoriale, pour appréhender l'évolution des métiers, les besoins de formation et d'intermédiation professionnelle. Un exercice prospectif national est à lancer pour construire le projet de territoire français et pour alimenter le récit national de la transition écologique, avec la possibilité de déclinaisons territoriales et, inversement la prise en compte des études prospectives préexistantes dans certains territoires, notamment en vue de l'adaptation aux effets du changement climatique 72. Des travaux de capitalisation des bonnes pratiques et des innovations territoriales sont à poursuivre, comme celui mené dans le cadre du laboratoire de l'ESS, qui a lancé un vaste exercice autour de l'identification des dynamiques collectives territoriales. La « 27 Région », association qui suit les innovations sur les territoires, citée par plusieurs interlocuteurs, apparaît aussi comme une initiative intéressante à soutenir au titre des actions de veille. Les pratiques européennes comme les différents livres blancs rédigés par la Commission européenne sont des éléments à prendre en compte. 70 L'annexe 4.1 fait le point sur certains travaux de recherche utiles dans le cadre de la mission, ouvrant des pistes de travaux complémentaires. Cf infra § 3.1.2. et 3.1.3. Par exemple, selon l'Ademe, la Région Occitanie et la Région Haut-de-France, et pour cette dernière, son volet sur l'emploi, la métropole de Nice sur la question de la prévention du risque d'inondation. 71 72 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 30/170 PUBLIÉ Suggestion. Généraliser les outils d'observation économique des territoires, poursuivre des études et des recherches sur la relation entre entreprise et territoire, construire des indicateurs de mixité fonctionnelle, développer les travaux de prospective, notamment ceux visant à anticiper les enjeux territoriaux de la transition écologique, et les replacer dans un cadre de réflexion européen (MCTRCT, MTES, MEF). 1.4. Développer des projets de territoire et des documents de planification mobilisateurs 1.4.1. Des projets de territoires intégrés et rassembleurs Une stratégie économique n'a d'efficacité que si elle s'inscrit dans une stratégie d'ensemble, intégrant le logement, l'environnement et le cadre de vie, les transports et toutes les aménités urbaines ou territoriales. Cette approche est celle du « projet de territoire », un concept utilisé par de nombreux acteurs, dont il apparaît nécessaire de préciser ici les « fondamentaux », en évitant la confusion avec ce que l'on pourrait appeler un « projet territorialisé » qui évoque une action ou réalisation (souvent de nature économique) qui se veut inscrite dans un territoire. Un projet de territoire doit englober un périmètre cohérent en termes de stratégie économique : l'échelle d'une métropole ou d'une intercommunalité ou encore d'un regroupement plus large tel un « pays » ou un PETR, un bassin industriel, comme un « territoire d'industrie », un bassin d'emplois... Tels sont les ingrédients d'une méthodologie rigoureuse. Les fondamentaux d'un projet de territoire73 Un territoire pertinent : un espace géographique pourvu d'une cohérence et d'une identité, dans lequel un système d'acteurs interagit de façon plus ou moins coopérative. Un diagnostic partagé : un exercice collectif de mise en évidence des facteurs les plus spécifiques, montrant qu'il n'y a pas de « territoires désespérés » ni de territoires systématiquement « gagnants ». Une vision stratégique : l'expression d'une ambition, et l'énoncé d'objectifs, avec un dispositif de communication clair et cohérent. Des méthodes et des moyens : en s'appuyant sur les enseignements d'expériences antérieures, sur les résultats issus de dispositifs déjà mis en oeuvre ou des dynamiques en cours. Une trajectoire traduite dans un plan d'action : lequel suppose une organisation entre acteurs et un calendrier qui donne une perspective et indique des étapes. Une gouvernance : un pilotage politique, une conduite de projet, un dispositif d'évaluation Une coopération inter-territoriale : pas de démarche de développement durable sans dialogue territorial et coopération avec les territoires voisins ou partenaires. Une démarche partagée, formalisée et opérationnelle Le projet de territoire vise à la mise en mouvement de l'ensemble des acteurs du territoire, notamment ceux de la sphère économique et de la société civile qui contribuent à son développement. Un projet qui ne serait pas une référence commune ni un outil opérationnel ne serait que de peu d'intérêt. À l'inverse, une réelle dynamique d'acteurs sans projet formalisé peut révéler une carence qui risque tôt ou tard de gêner le processus de développement. Ainsi, l'absence d'un projet de territoire formalisé couvrant la vallée de l'Arve (visitée par la mission) suggère un manque 73 Cf. présentation complète en annexe 4.4. Mutations économiques et développement des territoires Page 31/170 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ de stratégie commune des trois intercommunalités de la vallée à l'égard des enjeux d'environnement ou de mobilité... Selon l'Association nationale des pôles et des pays (ANPP), le projet de territoire est la base essentielle d'une bonne gouvernance, mais il porte aussi une dimension de long terme à 20 ou 30 ans. Il doit être un élément structurant de la prochaine phase de rationalisation de la carte des intercommunalités, en préparant soit l'adaptation des périmètres, soit la consolidation des coopérations inter-territoriales. À cet égard, les « pôles métropolitains », tout comme les « pôles d'équilibre territorial et rural », ou autres « grands territoires », sont à doter de projets, en travaillant particulièrement les cohérences entre entités administratives et leurs continuités géographiques. De telles initiatives se sont structurées ces dernières années, au point que des territoires de projet de type SCoT ont muté vers des exercices plus vastes, tel le cas du « pôle métropolitain » de Brest. La transition écologique au coeur de projets créateurs de valeur La transition écologique doit être appréhendée aux échelles territoriales qui permettent de gérer ses interfaces avec les autres grandes mutations74. Avec son « récit », elle est au coeur de tout projet de territoire. Comme l'affirme un expert et praticien, il faut une méthode pour développer le projet, En Ardèche, une démarche de projet de territoire initiée par le Département Candidat à l'élaboration d'un Contrat de transition écologique (CTE), le Département de l'Ardèche s'est engagé dans une démarche de projet en s'inscrivant dans une perspective à 30 ans : - démarche ascendante mobilisant les EPCI (tous sauf 2) et les acteurs privés, y compris ceux de la filière agricole très forte dans ce département, - recherche d'innovation grâce à l'utilisation de la « méthode CTE » qui part de l'identification des acteurs les plus dynamiques et des idées mobilisatrices, - recherche d'exemplarité, en commençant par la modification en profondeur des politiques publiques (un plan mobilité incluant désormais la totalité des modes, révision des politiques sociales dans une approche de services à apporter aux bénéficiaires...) placer l'humain en son centre, faire la synthèse entre monde urbain et monde rural, intégrer court terme et long terme, conjuguer vision et action, ingénierie de la connaissance et de la transformation. Les projets de territoire projettent des dynamiques de long terme créatrices de valeur, incluant les principes de durabilité et de résilience, de sobriété et de gestion économe des ressources. Comme l'affirment les responsables du laboratoire de l'ESS, ces dynamiques collectives sont indispensables à la mise en oeuvre d'une mutation profonde du pays, économique, sociale, culturelle et écologique. Dans le même esprit, on peut estimer, avec les experts de l'Institut de l'économie circulaire (IEC), que les notions de développement territorial et de projet de territoire se rejoignent pour appeler la mise en cohérence des acteurs d'un territoire autour d'objectifs communs de développement durable. Suggestion. Encourager l'établissement de projets de territoire intégrés, opérationnels, s'appuyant sur les atouts du territoire et mobilisant l'ensemble des acteurs, selon une démarche partagée et structurée autour de la conversion écologique et de son « récit » local (MCTRCT). 1.4.2. Des projets de territoire aux bonnes échelles Tous les « territoires » ont besoin d'une « mise en projet », de l'échelle du quartier jusqu'au niveau national, voire européen. Au plan régional, la constitution de grandes régions aux compétences 74 Cf supra §1.2. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 32/170 PUBLIÉ élargies est un moment clef pour la constitution d'un projet. À titre illustratif, la démarche Rev3 engagée par l'ancienne région Nord-Pas-de-Calais en matière de transition énergétique est constitutive d'une démarche de projet qui se confirme avec l'élargissement du sujet à la transition écologique et la poursuite de l'exercice à l'échelle de la Région des Hauts-de-France 75. Dans le cadre de la fusion, un travail est engagé par la nouvelle Région Normandie pour donner au territoire « la fierté et l'envie » de faire ensemble en matière économique, en intégrant les objectifs de développement durable, avec l'association des collectivités locales, des entrepreneurs et leurs réseaux, des associations, des filières, de l'État et de ses opérateurs, des chambres consulaires et des organisations professionnelles. Un « projet de territoire France » à établir conjointement Depuis les lois NOTRe et MAPTAM, les grands exercices d'aménagement du territoire menés par la Ce pays confédéral est particulièrement marqué par la coexistence DATAR n'ont plus court. Le dernier d'entités géographiques ou géopolitiques autonomes et travail en date, la réflexion contrastées , tout en pratiquant une recherche patiente mais efficace de vision commune : un document d'orientation établi au prospective « Territoires 2040 » a niveau fédéral, le « projet de territoire suisse », est un document inspiré et alimenté de nombreuses stratégique offrant une vision du modèle de développement que démarches prospectives territoriasouhaite le pays, élaboré conjointement, dans l'esprit du les mais s'est terminé sans suite au « consensus suisse », et devenu une référence partagée par les niveau national. Or, si on se réfère cantons et l'ensemble des parties prenantes. Ce projet sert de cadre à nos voisins européens, on pour asseoir les grandes politiques fédérales (notamment, la s'aperçoit que plus le pays est maîtrise de la consommation d'espace), la péréquation financière et décentralisé, plus il est utile de l'intervention coordonnée de toutes les parties prenantes. disposer d'un cadre de référence L'ensemble des documents relevant de la compétence des cantons et d'orientations, à condition que (ou de niveau inférieur) y fait référence. Il porte aussi la façon dont celui-ci soit élaboré conjointela Suisse se positionne au sein des grandes politiques européennes. ment, de façon à pouvoir susciter l'adhésion à tous les niveaux de responsabilité, comme le montre l'exemple souvent cité de l'Allemagne ou celui de la Suisse, dont les démarches sont présentées en annexe 6.1 et 6.2. Le « projet de territoire suisse », une référence partagée À l'heure où les enjeux de cohésion territoriale et sociale nécessitent une vision partagée et une mise en cohérence des responsabilités de tous les acteurs et des moyens de l'action publique à tous niveaux, il serait particulièrement opportun d'établir un document d'orientation à l'échelle de l'ensemble du territoire français76. L'exercice devrait impliquer tous les niveaux de responsabilité territoriale, selon une démarche de travail conjointe, particulièrement avec les Régions, qui pourront apporter les visions stratégiques territoriales qu'elles initient 77. Il permettrait aux territoires, à différentes échelles et quelle que soit leur situation, d'assumer des évolutions soit contraintes soit voulues, dans un cadre de la discussion avec l'État. L'établissement de ce projet devrait faire l'objet d'un portage interministériel, enjeu difficile tant la prise en compte des réalités territoriales est variable selon les ministères. On notera aussi, à l'échelle de l'Union européenne qui n'a pourtant pas de compétence juridique marquée dans ce domaine, l'existence d'un « agenda urbain » qui inspire des programmes de coopération décentralisée comme Urbact, et oriente l'affection des fonds structurels relevant de la politique de cohésion : ainsi l'Europe a-t-elle aussi une forme de projet territorial de référence. 75 Cf infra § 3.2. et encadré. A l'image des exercices réalisés par nos voisins, ce document devrait énoncer des principes en matière d'armature urbaine et de fonction attribuée à chacun des niveaux urbains, ainsi que le relèvent notamment les missions du CGEDD consacrées aux villes moyennes. Notamment à travers l'élaboration en cours des SRADDET dont on observe qu'ils vont dans le sens de « faire Région », cf infra § 1.4.3. Mutations économiques et développement des territoires Page 33/170 76 77 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ Le projet de territoire national doit se fonder sur la transition écologique, moteur de la transformation économique des territoires, s'articuler avec le « récit » de la transition et en exprimer un mode de déclinaison, en lien avec le positionnement de la France en Europe et vis-à-vis des ODD. Comme plusieurs interlocuteurs rencontrés par la mission le recommandent, l'usage d'une approche « écosystémique » territoriale sera adapté pour construire un « bien commun »78 en mobilisant les acteurs, en soutenant leurs coopérations, en appuyant leurs démarches collectives, sans perdre de vue que les effets s'apprécient sur une longue période79. Recommandation 4. Établir conjointement (État, Régions, autres collectivités, acteurs économiques, société civile) un « projet de territoire France » énonçant une vision globale et territorialisée, des principes d'armature urbaine et d'alliance intégrant les territoires fragiles, ainsi que des orientations nationales et interministérielles d'aménagement et de développement fondées sur la trajectoire de la transition écologique (MCTRCT, MTES...) Par son contenu, sa méthode d'élaboration et sa mise en oeuvre, faisant davantage travailler ensemble les acteurs de l'aménagement et ceux du développement économique, ce projet de territoire peut constituer le premier acte d'une nouvelle politique territoriale de l'État, qui, en jouant le jeu de la décentralisation, a pu jusqu'ici sembler renoncer à porter une vision en même temps qu'il se dessaisissait de ses moyens d'intervention. Repenser la cohésion des territoires à l'heure de la transition écologique suppose d'oeuvrer pour activer le recyclage foncier en veillant à une insertion et une répartition harmonieuse des activités économiques dans les villes et les territoires. Aussi pourrait-il être envisagé à moyen terme la préparation d'un document d'orientation, éventuellement législatif, pour préserver et renforcer la mixité urbaine et territoriale. Cet exercice pourrait s'appuyer sur une première évaluation de la loi Solidarité et renouvellement urbain (SRU), à l'approche de l'échéance de 2025 figurant à l'article 55. Il est toutefois entendu que le sujet n'est pas limité à la composante sociale de cette mixité (et au seul levier d'une meilleure répartition du logement aidé sur le territoire), mais doit prendre en compte l'ensemble des fonctions économiques et des « communs », générateurs de valeur territoriale. La construction d'indicateurs de mixité fonctionnelle pourrait constituer une première étape. 1.4.3. Des outils de planification cohérents, intégrant mieux les enjeux économiques Dans les documents d'urbanisme, la thématique économique s'est souvent limitée à la définition de zones réservées à l'implantation d'activités, selon une approche fonctionnelle de l'urbanisme aujourd'hui assez largement remise en cause. Aussi, même si le « développement économique » est formellement listé dans la législation (des SCoT et des PLU) en tant qu'enjeu de la planification, l'accent semble avoir été mis ces dernières années plutôt sur son caractère défensif au service d'autres thématiques, la préservation de l'environnement et de la biodiversité par exemple, ce qui a pu faire manquer d'une certaine vision globale. Lors de l'élaboration des documents, les acteurs économiques sont trop souvent peu impliqués dans les discussions portant sur la planification, celle-ci restant l'apanage de spécialistes au sein des collectivités (services municipaux en charge de l'urbanisme, établissements publics de SCoT et, dans la période récente, services élaborant le SRADDET régional...). En dépit de l'association de certaines 78 Selon le terme de Dorothée Kohler Plutôt que de se référer aux notions de « ruissellement » et de « diffusion », qui évoquent un sens unique, il est préférable de se fonder sur celles « d'interactions locales » et « d'alliances », comme l'indique Ch.-B. Heidsieck, président du Rameau, dans le référentiel sur la co-construction territoriale paru en 2018. Cf. aussi annexe 4.1. 79 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 34/170 PUBLIÉ CCI, ou de démarches portées par des agences d'urbanisme pour analyser les besoins fonciers nécessaires au développement économique ou commercial, les acteurs économiques sont tout au plus consultés pour la construction des orientations stratégiques et du contenu de ces documents. Or la planification dans sa dimension économique doit se nourrir de données actualisées de toute nature et compenser le « temps long » de ses processus par une ouverture et une connaissance très à jour des tendances économiques et des besoins des entreprises. L'évolution du travail, des lieux de travail, nécessite aussi une démarche de conception urbaine et territoriale beaucoup plus fine que par le passé80. Enfin, la représentation légitime des acteurs économiques (organisations professionnelles, entreprises volontaires, clusters ou autres groupements......) est aussi un sujet. La démarche « Planifier ensemble » que vient d'engager la DGALN s'avère donc bienvenue pour approfondir ces questions et progresser dans l'implication de l'ensemble des acteurs. Des schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d' 'égalité des territoires (SRADDET) plus stratégiques Le développement économique n'est pas mentionné dans le texte constitutif (article L4251-1 du CGCT) de ces nouveaux schémas : il constitue Le SRADDET Grand Est cible les entreprises en effet l'objet spécifique d'un autre schéma celui « de développement Le futur SRADDET Grand Est comporte deux « règles » régional, économique, d'internationalisation et ciblant les entreprises : une demandant, par d'innovation » (SRDEII)81. On peut considérer l'intermédiaire des Plans de déplacements urbains (PDU), d'impulser une dynamique de plans de que la « politique régionale de l'économie » déplacements d'entreprises (ou d'administration) ; une préconisée au § 1.3.1 doit être portée par ces autre, prescrivant que les Plans climat air énergie schémas, moyennant l'élargissement de leur territoriaux (PCAET) permettent de travailler avec les contenu. Il y a un enjeu de bonne articulation entreprises à leur efficacité énergétique. La plupart des à trouver entre cette « politique régionale » autres projets de schémas comportent aussi des de l'économie et l'ensemble des « politiques spécificités concernant les enjeux économiques. locales » à travers l'emboîtement des documents de planification et d'urbanisme. Cela implique la reprise au sein du SRADDET, « schéma intégrateur », de cette politique et de son inscription territoriale. Le texte fondateur a prévu une possibilité pour traiter le lien entre les deux schémas 82 . Le SRADDET pourrait donc, dans sa logique intégratrice, remplacer le SRDEII, à condition de reprendre sa méthodologie d'élaboration et ses contenus83. C'est une alternative à l'option de conserver deux schémas tout en assurant une meilleure articulation entre eux. Au vu des constats pouvant d'ores-et-déjà être dressés, la première génération des SRADDET ne s'appuie guère sur les SRDEII 84, outils eux-mêmes de première génération et peu propices à des débouchés territoriaux. La phase actuelle de consultation des collectivités infra-régionales a fait ressortir cependant que la délicate problématique du foncier d'activité et de logistique est très sensible aux enjeux d'équilibre territorial et de gestion économe de l'espace traités par les nouveaux schémas, ainsi que par les choix opérés par les Régions en matière d'aides aux entreprises. 80 Cf infra § 2.3. Les SRDEII visent à décliner sur le territoire national le développement des filières jugées les plus stratégiques pour la France, ainsi qu'à définir le régime régional d'aide aux entreprises (en lien avec les fonds européens). « Le SRADDET peut fixer des objectifs dans tout autre domaine contribuant à l'aménagement du territoire lorsque la région détient (......) une compétence exclusive de planification, de programmation ou d'orientation et que le conseil régional décide de l'exercer dans le cadre de ce schéma (......) Dans ce cas, le schéma tient lieu de document sectoriel ». L'intégration prévue par les textes fonctionne alors davantage dans une logique de simplification administrative (le schéma intégrateur remplace les autres) que dans une logique d'articulation. Avec quelques bons exemples toutefois, comme celui de la Bretagne. Mutations économiques et développement des territoires Page 35/170 81 82 83 84 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ La question économique est donc « sur la table », même s'il est trop tôt pour dire si ces premiers SRADDET seront finalement porteurs de réelles orientations et dispositions planificatrices ou resteront plutôt des documents exprimant une vision de l'espace et des politiques régionales 85. Cette seconde hypothèse constitue d'ailleurs déjà un réel intérêt au moment où les Régions, notamment celles issues de fusions, ont à construire leur identité : le premier SRADDET aide à « faire région ». Chaque projet de schéma présente des aspects intéressants sur le plan économique (comme le montrent les exemples cités, et aussi l'insistance des Régions à s'emparer du thème de la logistique). Il convient donc d'aboutir à ce que tous les SRADDET intègrent, dès leur prochaine génération, les enjeux d'une « politique régionale de l'économie » grâce un mode d'articulation avec les SRDEII, soit en les prenant mieux en compte, soit en les faisant entrer dans la logique du schéma intégrateur 86. Des schémas de cohésion territoriale (SCoT) intégrant mieux les enjeux économiques Ces documents ont historiquement traité en priorité des questions de lutte contre l'étalement ou de mobilité, ne s'intéressant que plus tardivement à l'économie 87. Or, le SCoT recouvre souvent un périmètre économique pertinent, à l'échelle du bassin d'emploi et du territoire fonctionnel. Le SCOT de Tours (400 000 habitants) a intégré dans sa stratégie territoriale plusieurs thématiques économiques structurantes, comme une localisation préférentielle des implantations énergétiques sur le territoire (avec une déclinaison au sein des intercommunalités) ou un traitement des emplois restant non pourvus (et leur accompagnement par le monde économique). Des indicateurs annuels et des outils de suivi sont prévus, complétés par de nouveaux instruments de gouvernance, notamment une conférence des acteurs commerciaux. Le SCoT des Vosges centrales (101 communes autour d 'Épinal) a construit son modèle d'attractivité sur l'autonomie énergétique à échéance 2050. Selon une forte volonté de rationaliser le foncier (500 ha fermés à l'urbanisation, reconquête des friches industrielles et urbaines...), le schéma lie objectifs économiques et transition énergétique, en s'appuyant sur les perspectives de développement et les moyens offerts par la filière bois. Si le SCoT énonce la stratégie d'ensemble, sa traduction opérationnelle relève des intercommunalités, par exemple la « SEM Énergies renouvelables », prévue au document qui met en oeuvre le volet biomasse porté par l'agglomération d'Épinal. L'outil est ainsi particulièrement bien positionné pour aborder ces enjeux. Afin de prendre en compte néanmoins la critique récurrente portant sur la lourdeur de ce document, il convient de le recentrer sur les dimensions stratégiques essentielles, dont le développement économique durable. L'amélioration de l'intégration des sujets économiques pourrait, selon les propositions de la fédération des SCoT et les récentes réflexions du CGEDD 88, se faire dans le cadre d'une évolution du SCoT prenant la forme d'un « projet d'aménagement stratégique » organisé autour d'un socle ramassé (armature urbaine, mobilité, maîtrise foncière, développement économique et transition écologique) complété d'un traitement différencié selon l'acuité des questions sur le territoire. Ainsi que le montrent divers exemples comme celui du SCoT de Tours ou des Vosges centrales, les dispositions en vigueur n'empêchent pas d'aller dans ce sens et de prendre en compte pleinement les enjeux économiques en lien avec la transition écologique : le PADD porte le diagnostic et les enjeux des différentes politiques sectorielles, au sein desquelles la politique économique est affirmée, et le DOO développe les priorités, à caractère prescriptif, permettant de rendre possible la réalisation de 85 Dans certaines régions les « inter-SCoT » ont contribué activement à la définition du contenu du SRADDET. Ceci nécessite une approche concertée entre la DGCL, la DGALN et la DGE du ministère de l'économie et des finances, afin que ces éléments soient repris à la fois dans les termes de référence des bilans qui seront réalisés sur la mise en oeuvre de ces schémas, puis au sein des dispositions réglementaires et « doctrines » d'élaboration. Mentionnés dans les textes (Art. L122-1 du code l'urbanisme alinéas 1, 2 et 4). Quelles évolutions pour les schémas de cohérence territoriale ? Rapport CGEDD n° 010656-01 établi par François DUVAL, Philippe ISELIN et Ruth MARQUES (coordonnatrice), avril 2017. 86 87 88 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 36/170 PUBLIÉ ces politiques, en lien avec les stratégies nationales et régionales. Comme les pratiques restent très inégales et diversifiées, il est suggéré, s'agissant des questions touchant au développement économique durable, que : · · · la démarche « Planifier ensemble » établisse un bilan des bonnes démarches de SCoT, la « doctrine » soit affirmée, comme elle l'a été récemment en matière de commerce, les textes législatifs (L 122 et L 141-1) soient ajustés pour que le développement économique durable soit effectivement un pilier essentiel dans tous les SCoT. Des plans locaux d'urbanisme communaux ou intercommunaux (PLU ou PLUi) développant une approche plus fine de la place des activités dans le tissu urbain Les PLU et PLU intercommunaux jouent un rôle décisif pour inscrire le projet de développement économique dans le projet de territoire global. Ils donnent les lignes directrices qui facilitent les arbitrages entre usages des sols ; et aussi, pour le PLUi, les arbitrages entre territoires d'implantation communale. Il s'avère, à l'occasion de la discussion sur les PLUi engagée au sein des EPCI, que les PLUi sont de plus en plus porteurs des règles qui garantiront la qualité des projets et leur inscription effective dans le projet de territoire de l'EPCI. La « politique locale de l'économie »89 énoncée par l'EPCI devra ainsi être intégrée dans le projet global porté par le PLU(i), permettant que celui-ci prenne en compte de façon systématique les enjeux économiques, et que ces enjeux soient bien articulés avec les autres thématiques constitutives du document, la gestion économe des espaces en particulier. Les éléments actuellement prévus dans le cadre législatif (L.151-4 à 8 du code de l'urbanisme) et réglementaire concernent le diagnostic (établi « au regard des prévisions économiques » et des « besoins ») et le PADD (qui « arrête les orientations générales » concernant « le développement économique ») ; les autres pièces (les OAP ou le règlement) traitent souvent le sujet sous l'angle commercial ; de fait, encore peu de plans présentent un cadre articulé et opérationnel sur l'ensemble du thème90. Le premier thème majeur est la nécessité Dans le PLU de Torreilles (Occitanie), un exemple d'une approche plus fine de la place des d'intégration plus fine des enjeux économiques activités dans le tissu urbain, compte tenu de Les OAP aménagement de ce PLU fournissent, parmi l'évolution déjà évoquée des modes et lieux de beaucoup d'autres cas, un exemple de prise en compte travail. Le second sujet porte sur le devenir du des enjeux de développement économique et modèle des zones d'activités économiques, au notamment commercial. Le PLU cible la valorisation du regard des enjeux de consommation d'espace, coeur de village (avec une réorganisation fine de d'atteinte à la qualité des paysages, l'espace), couplée à un travail sur les entrées de ville d'inadéquation aux besoins différenciés des (reconfiguration privilégiant les modes de déplacement entreprises et d'affaiblissement des centralités « actifs »...), à l'aide d'OAP sectorisées favorisant la urbaines au profit des périphéries. Pour l'un piétonisation et la restructuration des espaces pour comme pour l'autre sujet, les outils du PLU améliorer l'accès aux commerces. que sont les OAP, les zonages et les règlements doivent être « travaillés » pour faciliter la mixité fonctionnelle dans la ville, tout en donnant des vocations différenciées aux quartiers ou secteurs ; à titre d'exemple, la collectivité peut limiter la construction pour certaines activités, ou bien proposer une offre foncière en tissu urbain complémentaire à l'offre en zone d'activité pour diversifier et mieux répondre aux besoins, ou encore revitaliser les centralités. Une mise en cohérence entre les niveaux de planification 89 Proposée supra au § 2.4. Source : entretiens et recherches de la mission, complétée par la fiche méthodologique DGALN, Club PLUi : L'intégration des enjeux économique au sein du PLUi. Mutations économiques et développement des territoires Page 37/170 90 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ Une meilleure organisation du « dialogue » entre les différents niveaux de planification doit également être recherchée. En Allemagne, la théorie des « flux croisés » entre ces niveaux produit des résultats intéressants, cette notion permettant une prise en compte itérative des différents niveaux sans être bloquée par un modèle de conformité « descendant » (ni d'ailleurs « ascendant »). Cette approche suppose que les collectivités de différents niveaux soient à même d 'échanger leurs visions portant sur un seul et même territoire. En France la phase d'élaboration des schémas régionaux a buté sur la mise en oeuvre de ce principe 91 : dans un souci de respect des compétences traditionnelles, et de « non-tutelle » d'une collectivité sur une autre, beaucoup des exécutifs régionaux ont renoncé à une analyse territoriale fine leur permettant d'émettre des prescriptions cartographiées à l'échelle locale, se privant ainsi d'une part des possibilités que leur offrait la loi 92. Dans le cas de la région Occitanie, on a vu que le diagnostic régional, construit en parallèle de la démarche SRADDET, met en relief des situations très contrastées entre les territoires métropolitains et les autres. La Région a donc été conduite à appliquer un taux différencié des aides à l'innovation (édictées dans le SRDEII) suivant l'appartenance des territoires à telle ou telle catégorie. Pour d'autres régions, l'édiction de règles générales à portée normative 93 sur le foncier (imposant par exemple à chaque territoire de SCOT de réduire de moitié sa consommation foncière en Grand Est, PACA, Normandie) a suscité de fortes craintes quant à de possibles effets pervers : pas de prise en compte des efforts déjà réalisés par certains SCoT, besoins de développement contrastés selon les territoires... Ceci a pu provoquer des blocages au moment des consultations officielles préalables à l'adoption du schéma, avec le risque d'aboutir finalement à une perte de substance de la démarche de planification. On peut également recommander de s'inspirer de la théorie des « flux croisés » pour ce qui est des relations entre SCoT et PLU(i). Si elle est partagée, la construction d'une vision des territoires par le niveau supérieur conduira alors à des prescriptions plus ajustées du document de planification, ainsi qu'une meilleure cohérence entre celui-ci et les documents inférieurs. Recommandation 5. Ajuster les dispositions réglementaires définissant les SRADDET, après évaluation concertée de la première génération de ces schémas, afin de mieux y intégrer les enjeux économiques, et préciser la doctrine pour l'articulation de l'ensemble SRADDET, SCoT, revus dans un sens plus stratégique, et PLU(i), incités à porter une approche territoriale plus fine de l'économie. (MCTRCT). 91 L'article définissant le SRADDET (L4251-1 du CGCT) a ainsi prévu (alinea 8) que « les « règles générales peuvent varier entre les différentes grandes parties du territoire régional [...] », de même qu'il a prévu une « carte synthétique indicative » (illustrant les objectifs du schéma). Plusieurs SRADDET proposent toutefois un travail avec une analyse infra territoriale : PACA, avec deux logiques de territorialisation (géographique et catégorielle), Centre-Val de Loire avec la définition de coopérations spatialisées, et Normandie avec une territorialisation fine (système métropolitain, maillage des villes moyennes). En effet les SRADDET sont aussi porteurs de « règles » à valeur juridique et donc d'application stricte (et en l'absence de précision, indifférenciée sur le territoire régional) qui contraignent les SCoT ; alors que par ailleurs, les documents d'urbanisme, qui édictent des règles d'application, ne portent pas toujours la même ambition. 92 93 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 38/170 PUBLIÉ 2. Faciliter le recyclage des territoires et des espaces économiques dans le cadre de visions stratégiques 2.1. Renforcer la résilience des bassins industriels et des territoires fragilisés 2.1.1. La désindustrialisation et l'évolution de l'emploi industriel Entre désindustrialisation massive et rebond potentiel, le devenir des bassins industriels est une question majeure de requalification et de recyclage économique, d'autant qu'il s'agit souvent de territoires périphériques voire ruraux, pour lesquels les alternatives de développement ne sont pas évidentes. Depuis les années 1970, de profonds bouleversements de l'industrie et de son inscription territoriale La France a connu depuis la crise des années 1970 une remise en cause radicale de sa structure industrielle. Et comme pour la plupart des pays européens, à l'exception notable de l'Allemagne, le phénomène de désindustrialisation rapide et massive s'est poursuivi au cours des vingt dernières années94. La part de l'industrie manufacturière dans la valeur ajoutée est passée de 16,6 % en 1995 à 11,4 % en 2017 ; le poids de la France dans l'industrie européenne manufacturière est passé de 14 % à 10,4 % dans le même laps de temps 95. Le paysage économique a profondément évolué avec l'effondrement des régions industrielles du Nord et de l'Est, une rétractation significative de l'Île-de-France et une progression de certains secteurs situés à l'Ouest et au Sud. Au total, on observe une tendance à l'homogénéisation de la répartition de l'industrie sur le territoire national. Les pôles les plus innovants se concentrent autour des grandes métropoles. Les secteurs industriels situés à l'Ouest et au Sud se révèlent plus dynamiques et présentent une structure différente, avec des installations de plus petite taille et souvent plus technologiques. On peut identifier, à cette échelle, des « territoires industriels modèles » comme le pays de Vitré, Les Herbiers en Vendée, le pays d'Ambert en Auvergne96 . Aujourd'hui, un rebond potentiel mais un avenir incertain Peut-on parler aujourd'hui d'une stabilisation de l'évolution de l'industrie et de l'emploi industriel, voire d'un rebond ? Divers signaux semblent l'indiquer : le constat, selon les derniers chiffres connus (2017 et 2018), d'une progression des investissements étrangers en France, et un nombre d'ouverture de sites plus important que de fermetures (125 contre 100 en 2018, selon Trendeo). Il y aurait (selon la même source) une tendance à l'amélioration, des réussites y compris dans les anciennes régions industrielles (e-commerce à Roubaix avec le développement d'OVH), mais peu de dynamique globale (au total il y a moins de suppressions plutôt que davantage de créations). Ces tendances restent donc à confirmer, dans un contexte où les fermetures restent nombreuses, marqué à la fois par une fragilité de la compétitivité des entreprises et par une tardive prise de conscience de 94 Données Eurostat citées par CGET, L'industrie dans les territoires français, 2018. Pour l'ensemble de l'industrie (industries extractives, énergie, déchets, industries manufacturières), la part de valeur ajoutée est, en 2016, de 14,1 % et la part d'emplois de seulement 10,6 % du fait des gains de productivité du secteur. En valeur absolue, le secteur industriel représente un peu plus de 3 millions d'emplois, contre 6 millions dans les années 1970. Selon FNEP, La Fabrique de l'industrie, Cultivons notre industrie, 2019. 95 96 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 39/170 PUBLIÉ l'impératif de « sauver l'industrie », défi auquel s'affronte le plan d'action gouvernemental pour la croissance et la transformation des entreprises. Les facteurs explicatifs de la baisse de l'emploi industriel sont connus et perdurent en grande partie : faiblesse du tissu industriel intermédiaire, difficulté de coopération entre les entreprises au sein d'une même filière, concurrence salariale, positionnement défavorable de secteurs industriels privilégiés de la France comme l'automobile, trop lente adaptation des entreprises... Ainsi que le soulignent de nombreux experts, tel Louis Gallois, le succès de l'industrie allemande est a contrario le résultat d'un « amour collectif de l'industrie » alors que son image reste peu attractive en France 97. D'autres facteurs explicatifs de la baisse de l'emploi industriel ne sont pas des faiblesses, telles l'augmentation de la productivité ou l'externalisation vers le tertiaire productif de certaines activités comme la logistique, l'entretien des sites, l'informatique... Ceci interroge la capacité des catégories statistiques à fournir une image pertinente des évolutions en cours, avec une difficulté de plus en plus grande pour séparer les emplois de service et les emplois strictement industriels. Ces derniers se transforment en intégrant des compétences qui n'ont plus rien à voir avec celles des emplois de production d'autrefois. Une requalification difficile des bassins industriels Si l'intérêt de préserver l'emploi industriel est indéniable, parce qu'il est une base fondamentale de l'économie du pays et aussi qu'il peut s'avérer davantage ancré au territoire, les signaux faibles de réindustrialisation ou de relocalisation sont à considérer avec prudence. Un rebond durable des bassins industriels spécialisés qui ont A Romans-sur-Isère, l'industrie de la chaussure redémarre connu une crise industrielle profonde, tel le en douceur bassin minier des Hauts-de-France, s'avère Territoire historique de la confection de chaussures, extrêmement difficile. Ces territoires Romans a perdu ses capacités de production suite à la restent marqués par un chômage de masse, crise de 2008, les fabriques ayant été progressivement surtout de personnes peu qualifiées, et des fermées et la production déplacée à l'étranger. Le choix, indicateurs de pauvreté toujours supérieurs opéré par certains acteurs du territoire, de se à la moyenne nationale. Leur image est réapproprier cette fabrication, a conduit à une forme de atteinte durablement, ce qui constitue en relocalisation consistant à recréer des ateliers de soi un handicap pour leur redynamisation. confection de chaussures haut de gamme en faisant appel Des tentatives de relance de la production cette fois à un concept plus large, qui allie l'innovation et locale, tel le cas de Romans-sur-Isère, le savoir-faire industriel au design et à la conception. Le montrent que le nombre d'emplois recréés processus lancé autour du groupe Archer fait le pari de « l'économie sociale et solidaire » pour ce territoire qui est limité. Inversement, le développement reste pour le moment marqué par un taux de chômage à de bassins industriels dynamiques peut aussi être freiné par les difficultés de plus de 20 %. recrutement. Le club EcoFnau, qui regroupe les économistes du réseau des agences d'urbanisme, souligne l'importance de ce facteur limitant dans nombre de secteurs : main d'oeuvre insuffisante et pas assez attirée par l'industrie, inadaptation des emplois offerts en contenu et en niveau de rémunération... 2.1.2. La redécouverte des « territoires d'industrie » Depuis la Seconde guerre mondiale, l'État a été très présent dans l'accompagnement du développement de l'industrie française. Face aux bouleversements des années 1970, des commissariats à l'industrialisation et au développement économique ont été mis en place dans les territoires. Bien plus tard est venue l'époque de l'accompagnement des clusters et de la mise en place de pôles de compétitivité, c'est-à-dire de politiques moins volontaristes, et moins orientées par des objectifs d'aménagement du territoire que par l'appui à l'innovation technologique ou sociétale. De 97 Cf infra § 2.2. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 40/170 PUBLIÉ même, le programme d'investissement d'avenir (PIA) 98 a été lancé et mis en oeuvre sans lien avec des critères territoriaux, même si cette préoccupation est réapparue dans la période récente avec la création d'une enveloppe déconcentrée visant à ce que davantage de territoires puissent bénéficier des fonds dédiés à l'excellence et à l'innovation99. L'initiative « Territoires d'industrie » Fin 2018, le gouvernement a lancé le programme « Territoires d'industrie » pour soutenir les bassins industriels en développement ou susceptibles de rebond. 124 puis 141 territoires ont été identifiés, qui, ensemble, couvrent 30 % du pays et près de la moitié des emplois industriels. L'État se propose d'apporter son appui dans le cadre d'une contractualisation et d'une promesse de financements à hauteur de 1,4 Md. La démarche, qui se veut pragmatique, consiste à identifier les freins au développement et à apporter des solutions sous forme de « kit » dans quatre domaines principaux : le recrutement, l'innovation, l'attractivité, la simplification. Le CGET est associé à la DGE pour conduire ce programme ; il est mis en oeuvre dans les territoires désormais avec les Régions. L'initiative est intéressante pour la redécouverte de la dimension territoriale du sujet et l'importance reconnue aux acteurs locaux, publics et privés, ainsi qu'aux partenariats qu'ils développent. C'est une évolution importante du côté du ministère de l'économie, qui a le plus souvent privilégié une approche nationale, notamment pour la gestion des filières, et un dialogue avec les grands groupes. S'il est trop tôt pour tirer un premier bilan de la démarche, on peut toutefois relever quelques points d'attention, à partir des observations d'acteurs locaux rencontrés par la mission : · le manque d'inscription dans une démarche de projet de territoire 100, soit préexistante, soit à construire en prenant le temps nécessaire à l'établissement d'un diagnostic stratégique, afin d'assurer la cohérence de la démarche et l'implication efficace des acteurs locaux, · le besoin de coordination avec d'autres initiatives de l'État, notamment le programme « Action coeur de ville » et l'expérimentation lancée sur les contrats de transition écologique (CTE), alors que le rôle des aménités urbaines susceptibles d'être apportées par les villes moyennes est un élément déterminant d'attractivité, et que les enjeux de la transition écologique devraient être au coeur des transformations économiques sur les territoires, · l'écart entre l'annonce de l'État qui se présente en capacité de résoudre les difficultés ou les blocages et ses moyens effectifs pour y parvenir, même si des financements sont annoncés. Il subsiste à cet égard un besoin d'ingénierie de terrain pour bon nombre d'intercommunalités. Comme l'indiquait récemment Nicolas Portier, délégué de l'AdCF, « la question qui va se poser, c'est comment financer de véritables postes de chefs de projets ; pour animer un vrai tissu collaboratif, il faut des gens de terrain à l'année ». Une diversité de situations La diversité des situations des différents territoires doit également être prise en compte dans la démarche. La carte des « Territoires d'industrie » est intéressante en ce qu'elle permet une meilleure prise de conscience de l'étendue des périmètres concernés, de leur faible superposition avec les limites administratives, de l'importance des enjeux. Cette carte invite toutefois à une réflexion sur la diversité des cas et le besoin d'une typologie qui permettrait de déboucher sur des options stratégiques différentes : territoire en développement à mieux maîtriser, en rebond potentiel à faciliter, en reconversion à préparer, en résilience à renforcer dans le cadre d'un déclin inéluctable pouvant conduire à des options de « renaturation » de certains sites... 98 Porté aujourd'hui par le Secrétariat général à l'innovation (SGI). Cf infra § 3.4.3. Cf infra § 2.5. Mutations économiques et développement des territoires Page 41/170 99 100 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ Suggestion. Construire une typologie des « Territoires d'industrie » permettant d'envisager des options stratégiques différenciées selon les situations et les perspectives (développement, rebond, reconversion, renaturation...)(MCTRCT, MEF). Le CGET attire à juste titre l'attention sur les dimensions de capital social et d'héritage culturel des territoires industriels101. Sur ces aspects essentiels, un savoir-faire existe à l'échelle européenne pour penser un renouvellement urbain et territorial plus radical avec des exemples allant de Bilbao avec le renouveau opéré autour de l'implantation du musée Guggenheim à la Ruhr avec l'Internationale Bauausstellung102 (IBA) de l'Emscherpark et, peut-être demain au bassin minier avec Euralens103. 2.1.3. Une fragilisation possiblement accrue par la transition écologique Le devenir des territoires, notamment de ceux qui portent des activités industrielles, peut aussi être affecté par la transformation de lieux de production ou l'abandon de modèles anciens en lien avec la transition écologique. Une fragilisation des territoires mono-industriels La fragilisation peut être liée à cette transition et à divers facteurs cumulatifs. Elle existe souvent déjà et pourra être accentuée notamment quand il s'agit de territoires mono-industriels. Certaines situations sont évidentes : abandon des centrales à charbon, fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim et d'autres sites à l'avenir... D'autres nécessitent un travail d'identification et d'analyse. Il existe un risque de crise profonde pour certains territoires, comme dans l'exemple de Rodez cité par plusieurs interlocuteurs de la mission, territoire spécialisé sur la filière diesel du secteur automobile104. D'autres sites sont à reconvertir comme les Fonderies du Poitou dans la Vienne. Des enjeux d'anticipation Le « récit national » doit affirmer la solidarité avec les territoires fragiles, particulièrement ceux qui sont spécialisés sur une activité économique non compatible avec la transition écologique et qui doivent être reconvertis. Mais, comme le rappelle Jean-Pierre Aubert, la notion de mutation économique ne se limite pas aux périodes de difficultés ou de crises. Plus cette mutation est comprise et accompagnée, mieux les enjeux de cohésion sociale et territoriale peuvent être traités. Des reconversions subies ou mal préparées, la non prise en compte concomitante des dimensions sociales constituent des menaces à venir ; mais les mutations, à condition de savoir les anticiper et gérer leur complexité, peuvent constituer aussi des opportunités permettant de penser la transition écologique comme facteur d'innovation et comme moteur d'un nouveau développement équilibré et solidaire. Parmi les exemples positifs a été citée la plateforme d'écologie industrielle PIICTO de Fossur-Mer. La situation d'un territoire est souvent contrastée comme à Rouen, avec des aspects positifs pour le développement d'éco-activités (filière ENR), ou de la voiture autonome, et négatifs pour le secteur de la chimie grise (fertilisants) ou du nucléaire. L'objectif est de préparer la transition par une politique d'attractivité, suscitant l'arrivée de nouveaux investissements, avec des dispositifs de valorisation des compétences et de requalification de la main-d'oeuvre locale au service de la transition écologique sur les territoires sensibles. Cette identification des territoires fragiles, prise en compte dans le « projet de territoire France », 101 CGET, Regards croisés sur les territoires industriels, 2018. Exposition internationale d'architecture, démarche allemande de régénération d'un territoire ou d'un site. Cf supra § 1.3. Il s'agit en particulier du site de Bosch qui fabrique des bougies de préchauffage et des injecteurs de moteurs diesel. 15 000 emplois seraient menacés par la fin du diesel (sur les 800 000 de la filière automobile), selon la plateforme Automobile et mobilités. 102 103 104 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 42/170 PUBLIÉ permettra au cas par cas de développer un dispositif de soutien destiné à enrayer leur déclin potentiel et faciliter leur requalification105. Recommandation 6. Identifier les territoires fragiles, particulièrement dans le contexte de la transition écologique, du fait de l'arrêt ou la transformation de certaines activités, afin d'anticiper les actions d'accompagnement et l'activation des leviers possibles de reconversion économique, dans le cadre d'un dispositif interministériel inscrit dans une vision nationale (MTES, MCTRCT, MEF). 2.2. Engager la requalification des zones d'activité 2.2.1. Les enjeux fonciers, économiques et environnementaux des zones d'activité Le devenir des zones économiques constitue une question majeure, particulièrement au sein des territoires périurbains et intermédiaires. Une « prolifération » problématique La prolifération des ensembles commerciaux et des espaces d'activité est une caractéristique majeure des périphéries des métropoles et des villes de toutes tailles. Ce phénomène a été largement décrit pour ce qui concerne les zones commerciales 106, avec ses lourdes conséquences en termes de consommation foncière, d'organisation du territoire, de paysage et d'environnement. Hormis les aspects liés à la dévitalisation commerciale et résidentielle des centres urbains, les effets de la multiplication des zones économiques autres que commerciales sont en grande partie de même nature et de gravité comparable, alors que prend corps un principe de « zéro consommation d'espace naturel ou agricole » après des décennies de mitage et d'étalement urbain. Selon une étude récente107, si la consommation d'espace naturel et agricole a tendance à diminuer depuis 2008, elle reste globalement élevée (par exemple, de 23 000 ha pour l'année 2015), fortement variable selon les régions mais décorrélée des dynamiques démographiques et économiques. Selon le Cerema 108, les activités économiques non agricoles, y compris les zones commerciales 109, comptent pour 30 % des surfaces urbanisées ; leur dynamique de progression en termes de surfaces imperméabilisées entre 2006 et 2014 est plus forte que celle des secteurs résidentiels, et leur propension à se transformer en friches encore plus forte. La maîtrise des consommations foncières à des fins de développement économique constitue donc une question majeure, relevant en grande partie de la volonté politique. Le nombre de zones d'activité, difficile à estimer, est révélateur d'une forte fragmentation et d'une grande dispersion. Son ordre de grandeur se situe entre 17 000 et 32 000, selon une estimation du Cerema, alors que pour le Service de la donnée et des études statistiques (MTES/SDES), 12 000 à 18 000 communes disposeraient d'au moins une zone (données 2008). Il est vrai qu'il n'existe pas de définition légale de ces zones et que, pour les appréhender, on procède habituellement selon une méthode de « faisceau d'indices » : vocation économique du site, ensemble cohérent et significatif, pluralité d'établissements installés, volonté publique d'aménagement ou de développement... Ces 105 Il est possible de s'inspirer d'approches déjà testées comme le « Pacte Ardennes 2022 », cf. infra § 3.4.3. CGEDD, Inscrire les dynamiques du commerce dans la ville durable, mars 2017. Cerema, La consommation d'espaces et ses déterminants d'après les fchiers fonciers de la DGFiP. Analyse et état des lieux au 1er janvier 2016. Ministère de l'agriculture, Enquête Terruti-Lucas. On manque de données consolidées au niveau national sur la part spécifique des zones d'activité. Mutations économiques et développement des territoires Page 43/170 106 107 108 109 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ incertitudes reflètent une extrême diversité de situations en termes de nature d'activités, de dimension et de densité, de qualité architecturale, de situation de vacance et d'obsolescence. Une « prise en main » intercommunale en cours C'est avec l'appui de ce faisceau d'indices que s'est opéré le transfert des compétences relatives à la création et la gestion de ces zones aux métropoles et aux communautés, en application des dispositions de la loi NOTRe du 7 août 2015, laquelle en avait fixé l'échéance au 1 er janvier 2017. Sur le principe, ce transfert est total puisqu'il ne dépend plus de la détermination d'un « intérêt communautaire ». La mise en oeuvre ne va pas pour autant de soi : en effet, elle implique aussi des transferts de charge (coûts de gestion et d'entretien) dont la trace financière n'était pas toujours lisible jusqu'alors ; par ailleurs la détermination des zones à transférer reste sujette à interprétation ou à discussion entre intercommunalité et communes. Nombre d'entre elles souhaitent en effet conserver la maîtrise de « leurs » zones ; on constate en particulier que les zones artisanales restent fréquemment dans le giron des communes. À l'inverse, le transfert ne permet pas non plus de prendre en compte de façon satisfaisante les très grandes zones prévues pour l'accueil d'implantations internationales et souvent issues d'une gestion départementale. Cette prise en main par les intercommunalités est donc récente et les processus sont encore largement en cours. La nécessité d'un état des lieux foncier et économique La conscience qu'ont les élus des enjeux relatifs au devenir de ces zones est moindre que celle de leurs services et a fortiori des experts du sujet. Ce contexte « transitoire » fait apparaître la nécessité d'établir un état des lieux complet, avec un diagnostic de l'obsolescence réelle ou potentielle de chaque zone, en associant les acteurs concernés, particulièrement son gestionnaire et ses usagers. Si la connaissance foncière et patrimoniale des zones est plus aisée et de mieux en mieux assurée, il n'en va pas de même pour la connaissance économique (solidité des entreprises présentes, dynamique d'emplois, attractivité...). Les intercommunalités peuvent s'appuyer notamment sur les agences d'urbanisme, qui ont souvent investi le sujet et disposent de données et d'observatoires. D'ores-et-déjà, au vu de diverses enquêtes ou études de cas, quelques grands traits semblent se dessiner : les zones d'activités rassemblent de 20 à 40 % des emplois d'un territoire, le quart des zones110 serait « en difficulté », la vacance serait plus importante dans les petites zones que dans les grandes ; les situations sont variées, apparemment même paradoxales, avec la coexistence au sein d'un même bassin de zones dégradées ou partiellement vides et d'une pénurie d'offre foncière adaptée aux besoins actuels des entreprises ; en termes de recettes fiscales, le temps de retour des investissements publics réalisés dépasserait généralement 10 ans. Longtemps tenues en marge des réflexions stratégiques urbaines, ces zones restent donc à mieux intégrer au sein d'une vision d'ensemble transversale des différentes politiques publiques. Les nouveaux EPCI, appelés à jouer un rôle d'« autorité organisatrice » du développement économique comme c'est le cas pour l'habitat, doivent mieux anticiper les stratégies de localisation des ménages et de l'activité, en tenant compte du fait que l'immobilier d'activité et l'immobilier résidentiel n'ont pas les mêmes déterminants, mais aussi que les interactions se modifient (on constate par exemple que c'est de plus en plus l'emploi qui suit les ménages et leur choix de vie). 110 On parle essentiellement de ZAE « publiques », du fait de la définition utilisée ci-dessus. Les ZAE « privées », beaucoup moins nombreuses, se porteraient plutôt mieux. Il existe toutefois des cas difficiles, notamment en Îlede-France, de zones en multipropriété sans gestion commune satisfaisante. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 44/170 PUBLIÉ 2.2.2. L'enjeu spécifique des zones logistiques Une question spécifique concerne les zones et infrastructures logistiques, marquées de plus en plus par une logique de « gigantisme » et d'éloignement des centres urbains, qui ne facilite pas la bonne insertion, en termes de paysage et d'aménagement du territoire, de cette fonction pourtant indispensable au développement économique, au bon fonctionnement de l'agglomération et à la réussite de la transition. Un secteur économique qui génère des besoins spécifiques et prégnants sur les territoires Représentant 10 % du PIB et de l'emploi privé (1,8 millions d'emplois), la logistique est la 5 activité économique de France111.Avec la numérisation de l'activité, son caractère industriel est de plus en plus marqué. Les entrepôts récents sont aujourd'hui en grande partie automatisés. C 'est toutefois une industrie fortement consommatrice de foncier, marquée par des besoins spécifiques, et un rapport particulier au territoire ; elle peut représenter un vecteur de développement pour certaines régions, notamment celles traversées par des axes majeurs de transport de fret, comme la région Grand Est. De forts effets de concurrence se manifestent entre plateformes et opérateurs, et entre territoires ; d'où l'existence de nouveaux besoins fonciers dans certains secteurs, pendant que des plateformes ferment ailleurs, ceci étant particulièrement apparu à l'occasion de l'élaboration des SRADDET. Du fait de son impact territorial, et de ses enjeux vis-à-vis de la transition écologique, plusieurs Régions ont ainsi souhaité que la logistique soit explicitement traitée dans leur schéma. Gigantisme et risque d'éloignement L'implantation logistique se caractérise par un éloignement de plus en plus important aux franges des aires urbaines, afin de trouver des emprises foncières adéquates à la concentration et à l'augmentation de la taille des entrepôts. Les seules aires métropolitaines de Paris, Lille, Lyon, Marseille accueillent 60 % des surfaces, avec des exemples emblématiques de « gigantisme » reflétés dans les projets d'Amazon (120 000 m² prévus à Brétigny-sur-Orge) ou de Conforama (180 000 m² à Tournan-en-Brie). Il faut « aller de plus en plus loin » pour réaliser de nouvelles surfaces, comme à Toulouse, dont les zones sont déjà « remplies » jusqu'à 60 km du centre-ville. Sur les 10 dernières années, on disposait encore de zones « clés en mains », en 2018 on s'est donc mis à reconstruire « en blanc ». Les observatoires des agences d'urbanisme relèvent ainsi d'importants besoins de foncier pour les zones logistiques : le risque de pénurie est fort pour les régions métropolitaines, les façades méridionale et atlantique, alors que dans les régions de vieille industrie, la mobilisation de friches devrait mieux répondre aux besoins mais peine à se faire de façon suffisamment anticipée. L'enjeu pour les grandes aires urbaines est désormais de préserver et d'anticiper des capacités d'accueil et d'installation en s'adaptant aux besoins (géographiquement hiérarchisés) de l'organisation logistique : stockage primaire dévolu à des entrepôts extérieurs, à l'échelle d'une zone d'influence métropolitaine, plateformes de distribution plus compactes pour la préparation des commandes à situer en bordure des agglomérations, et espaces urbains dédiés à la distribution et à la livraison. À cette hiérarchie des fonctions correspondent des besoins fonciers ajustés, qui dépendent aussi de l'organisation du système de transport, et de la connexion à rechercher en priorité avec les moyens de transport massifiés que sont le rail et la voie fluviale. Anticipation, planification et volonté politique Une meilleure prise en compte de la logistique dans les documents de planification permettrait d'anticiper les décisions d'implantation et d'optimiser les choix, notamment en limitant l'éloignement du tissu urbain et les flux supplémentaires afférents ainsi que la consommation de 111 Selon les données reprises dans la « Stratégie France Logistique 2025 », document porté par l'association française de l'immobilier logistique (Afilog) rencontrée par la mission. Mutations économiques et développement des territoires Page 45/170 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ grands espaces vierges. Les activités logistiques ne sont pas toujours en soi sources de nuisances importantes ; concevoir des aménagements plus compacts, pas nécessairement plus onéreux en investissement ou en fonctionnement. Le retour sur investissement pour les collectivités d'une logistique bien organisée, qui conduise à limiter in fine les déplacements routiers, justifie que de telles opérations soient facilitées. Si d'anciens secteurs logistiques devenus inadaptés doivent trouver d'autres usages, les nouveaux besoins ne justifient pas tous la création de vastes zones ex nihilo. Une approche mieux maîtrisée est indispensable et possible, à condition de hiérarchiser les besoins et d'établir de nouveaux modes de faire entre les acteurs économiques, les collectivités territoriales et l'État. En cohérence avec les réflexions portées par la mission sur la stratégie logistique en France 112, cette politique a besoin d'un portage national incarné par des délégués interministériels nommés sur chaque grand axe logistique et agissant en lien étroit avec la profession (à l'exemple de pays disposant d' « ambassadeurs » comme l'Allemagne, la Belgique ou les Pays-Bas). Suggestion. Énoncer des orientations nationales en matière de logistique, encourager les démarches anticipatrices rendues possibles avec l'appui des documents de planification, particulièrement les SRADDET, et faciliter la mise en oeuvre de dispositions permettant une approche intégrée, comme l'implantation de plateformes compactes au sein des villes et territoires bien reliées aux modes de transport alternatifs à la route (MEF, MT, MCTRCT). 2.2.3. La mise en oeuvre d'options différenciées selon les zones Après le transfert et l'intégration des zones d'activité économique dans la gestion communautaire, l'établissement d'un diagnostic économique et foncier portant sur l'ensemble des espaces concernés doit permettre aux intercommunalités de définir une vision stratégique et prospective 113. Une vision stratégique à la bonne échelle du devenir des zones d'activité L'objectif est de définir une stratégie adaptée aux besoins du territoire, en distinguant plusieurs échelles de temps : assurer des disponibilités foncières opérationnelles à court terme et disposer de réserves mobilisables à moyen ou long terme, en évitant l'excès d'offre ou d'ouverture de nouvelles zones et en visant la « consommation zéro » de foncier vierge. Optimiser le recyclage de l'existant permettra de lever le paradoxe entre pénurie d'offre et montée de l'obsolescence 114. Il convient de jouer sur les complémentarités en déterminant le plus possible des vocations différenciées des zones selon leur situation, leur caractéristique (taille, qualité, type d'aménagement...), leur potentiel, le marché, etc. Plusieurs acteurs du développement économique consultés soulignent aussi la nécessité de distinguer des zones d'intérêt national, régional ou intercommunal selon des vocations et des tailles différentes (la disparition d'une échelle départementale pouvant être, sur ce sujet, regrettable). Il est vrai que les grandes entreprises dialoguent davantage avec l'État, les ETI avec les Régions, les PME/TPE et les startups avec le niveau plus local... Sous réserve du traitement de la question des grandes zones, relevant du niveau régional, c'est l'échelle métropolitaine ou intercommunale qui est pertinente pour permettre un recalibrage de 112 Mission sur la stratégie logistique en France confiée à Eric Hémar et Patrick Daher, avec l'appui de l'IGF et du CGEDD, Pour une chaîne logistique plus compétitive au service des entreprises et du développement durable, présentation du rapport au premier ministre prévue en septembre 2019. On peut à cet effet s'inspirer de la démarche des « schémas territoriaux de ZAE » développés autour des années 1990 dans certaines collectivités, mais dont la plupart de ceux qui existent ne sont aujourd'hui plus à jour. D'après une enquête AdCF-Cerema de 2017, 9 % seulement des intercommunalités estiment leur parc surdimensionné alors que 41 % pensent qu'il est insuffisant. 113 114 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 46/170 PUBLIÉ l'offre en fonction des besoins actuels ou potentiels et une démarche de rationalisation qui était difficile à mener au seul niveau communal. Des options diversifiées relevant de modèles économiques différents Selon les zones, il peut être envisagé plusieurs types d'options, par niveau croissant d'intervention : · des mesures de gestion et d'adaptation, pour des zones bien situées à l'égard du marché et dont la vocation peut être maintenue, avec des choix à faire, par exemple entre l'idée de développer des services à proximité des lieux d'activité (restaurant d'entreprise, espaces de services et de loisir...) et celle de ne pas disperser les aménités urbaines dans les périphéries ; · des perspectives de requalification et de transformation, soit sous forme d'évolution vers une plus forte spécialisation (de type cluster ciblé) soit, plus souvent, en consolidant une vocation généraliste, le cas échéant multifonctionnelle, et en recherchant une complémentarité d'activités permettant une logique d'écologie industrielle115 ; · des choix de reconversion plus radicale, notamment pour les cas rédhibitoires de zones « hors marché » : entrer dans une logique de programmation urbaine (des activités restant présentes au sein d'un tissu urbain mixte), ou bien envisager un secteur logistique, ou d'autres activités productives de type écologie industrielle et territoriale (l'Ademe fait de cette voie un axe de travail et d'expérimentation pour assurer le devenir de certaines ZAE et pour consolider le lien entre les entreprises et leurs territoires) ; ou encore envisager une « renaturation » ou un retour à un usage agricole, une réversibilité dont il serait utile de montrer la faisabilité à partir de quelques cas exemplaires. Dans la métropole de Toulouse, la requalification de la zone Dans cette typologie sommaire, chaque cas appelle un modèle d'intervention d'activité de Garossos différent. En zone tendue, il sera Développée en 1984 sur 30 ha selon le modèle davantage possible d'envisager un traditionnel dit de « boîtes à chaussures », cette zone peu investissement public ou privé qui pourra éloignée de l'aéroport et du secteur aéronautique est être assez rapidement amorti. Ainsi en estsurtout située à proximité du nouveau parc d'expositions il de l'exemple de la zone de Garossos et centre de congrès de la métropole qui ouvrira ses portes située à Toulouse dans un secteur qui en 2020. Le projet de requalification de la zone a été intégré dès l'origine à cette immense opération, dans le redevient particulièrement attractif... cadre d'une concession d'aménagement couvrant D'autres cas ont été identifiés (Chambéry, l'ensemble, avec une ZAC comportant une partie nouvelle Mauges, vallée de Clisson en Loire (le secteur Parvis) et la zone à transformer (le secteur atlantique...) mais les réalisations ou les Garossos). La reprise des voiries et espaces publics va être projets opérationnels semblent encore réalisée par l'aménageur. Le PLUih comporte pour la zone relativement peu nombreux. La démarche une orientation d'aménagement et de programmation n'est pas aisée, même en Île-de-France, (OAP) sans règlement, facilitant une négociation lorsqu'il s'agit de zones de grande taille appropriée « à la parcelle », avec l'octroi de droits à insuffisamment entretenues (La construire aux occupants pour inciter à sa densification et Courneuve, Le Bourget, Le Blanc-Mesnil, sa requalification. Il s'agit de conforter la vocation de la voire Courtabeuf, l'une des plus vastes ZA zone sur des activités de sous-traitance, de restructurer de France, qui devrait pourtant bénéficier ses commerces et de changer l'image d'ensemble. de la proximité du pôle Paris Saclay...) : la requalification est à envisager sur une durée longue, avec un portage foncier impliquant l'intervention d'un opérateur tel que l'Établissement public foncier d'Île-de-France (Epfif). Les projets sont encore plus rares dans le cas de secteurs peu attractifs, surtout lorsqu'ils sont pourvus d'une offre foncière abondante. 115 Cf annexe 4.3. sur la question de la spécialisation. Mutations économiques et développement des territoires Page 47/170 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ Une initiative publique et une posture de réinvestissement visant la performance des sites économiques La création d'une zone d'activité relève en général de l'initiative publique d'une collectivité qui a procédé à l'aménagement du foncier puis vendu les parcelles (avec des prix de cession pouvant être bas, afin d'attirer les entreprises, et le plus souvent ne permettant pas d'équilibrer les coûts d'aménagement). Lorsque le zone se dégrade, la collectivité peut agir en remettant en état les voiries, mais n'a pas la maîtrise foncière lui permettant une intervention plus complexe (par exemple en vue d'une reconfiguration plus conforme à une utilisation économe de l'espace). De plus, elle intervient souvent trop tard en regard du processus de déqualification en cours ; et peut même renoncer du fait d'une vacance paraissant rédhibitoire, de coûts élevés assortis de contraintes budgétaires conduisant les élus locaux à privilégier d'autres priorités. Assurer le devenir d'une zone en difficulté implique aujourd'hui une initiative publique selon une position de réinvestissement avisé et durable, en lien particulièrement avec les enjeux de l'économie circulaire et de l'écologie industrielle : choix d'une option stratégique après concertation avec les propriétaires fonciers et les utilisateurs de la zone, recherche de possibilités de remembrement, de réaménagement et de densification, permettant à la fois de développer un tissu plus compact ou plus diversifié et de dégager des ressources pour financer la requalification, et enfin mise en oeuvre d'une démarche « séquencée » pilotée par les pouvoirs publics, ce qui est difficile à réaliser, mais utile pour s'ajuster au marché en évitant des investissements prématurés. De nouvelles approches économiques sont à développer selon lesquelles la collectivité va raisonner en termes de retour sur investissement, pas seulement par cession de foncier mais aussi par location, concession sur un site, ou encore par d'autres formules intermédiaires, et en intégrant l'ensemble des coûts et des recettes générés y compris en termes de retour fiscal. Conserver la propriété (ou la nue-propriété) du foncier pourrait toutefois être davantage cohérent avec une approche économique et patrimoniale de la collectivité. La mise en oeuvre de ces nouveaux modèles repose sur une panoplie d'outils d'intervention publics ou publics-privés (bail emphytéotique, bail à construction...) et nécessitera le plus souvent de mobiliser une ingénierie opérationnelle (EPL, SEM, EPF...). De telles pratiques ont été envisagées et étudiées mais restent encore très peu nombreuses à se développer opérationnellement en France. Les enjeux sont énormes, en nombre de zones effectivement concernées, en surface foncière concernée et en ampleur des réinvestissements potentiels ; les élus intercommunaux sont en train de prendre la mesure de ce sujet trop souvent mal anticipé 116. C'est un champ d'action à faire émerger, pour lequel une politique nationale incitative s'avère nécessaire, comme pour ce qui est de la restructuration des zones commerciales situées dans les mêmes périphéries urbaines. Des ateliers d'échange de bonnes pratiques et de capitalisations d'expériences devraient être à cet effet initiés par l'État, notamment à travers un « atelier des territoires » porté par la DGALN, en s'appuyant sur l'expertise du Cerema et sur l'initiative lancée par le CNER de création d'une plateforme d'échange. Recommandation 7. Mettre en place un dispositif d'appui méthodologique, en commençant par un « atelier des territoires » de la DGALN, pour inciter les intercommunalités à mener un diagnostic stratégique de leurs zones d'activités, particulièrement de celles menacées d'obsolescence, et à engager une politique de requalification des espaces économiques durables en testant de nouveaux modèles (MCTRCT). 116 Plus du tiers des intercommunalités ont inscrit cet enjeu à leur programme de mandat selon AdCF- Cerema Enquête auprès des intercommunalités, 2017. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 48/170 PUBLIÉ 2.3. Accompagner le recyclage de l'immobilier économique 2.3.1. Les tendances de l'immobilier neuf La transformation du travail est une mutation capitale 117 qui interroge la conception et le fonctionnement des villes et territoires. La relation au lieu de travail est particulièrement concernée. L'évolution des lieux de travail Quelle que soit leur taille (du CAC 40 aux TPE ou aux startups), les entreprises ont des préoccupations similaires vis-à-vis de leur immobilier : développer des usages, une flexibilité et des possibilités de réaménagement liés aux différents modes de travail, afin de répondre aux besoins de leurs collaborateurs, être attentifs à leur bien-être (services de restauration, conciergerie, sports, covoiturage...), tout en optimisant la performance (connectivité, digital, rationalisation des espaces). Il s'agit de disposer d'espaces ouverts et flexibles et d'espaces délocalisés pour le télétravail (lieux de co-travail proches des domiciles des salariés), encore que le besoin des grandes entreprises ne porte pas prioritairement sur des lieux partagés avec d'autres entités, mais plutôt sur des espaces délocalisés restant éventuellement propres à l'entreprise, complétés par des solutions ponctuelles répondant au nomadisme de certains cadres. Sans développer de façon détaillée la description de l'évolution de l'aménagement des espaces de travail, on soulignera que si l'évolution vers des espaces ouverts (open office) et, plus récemment, vers des espaces non attribués (flex office) a semblé une tendance de fond, celle-ci s'est atténuée dans les années récentes. L'adaptation diffère selon les âges : les jeunes sont plus habitués à des bureaux « déstructurés » et à être nomades avec leur portable et leur smartphone ; les plus anciens et ceux qui ont beaucoup d'échanges avec l'extérieur ou besoin de se concentrer peuvent avoir davantage de mal à s'y habituer. Miser sur les seules attentes des jeunes, elles-mêmes sujettes à de possibles évolutions rapides, présente des risques. À côté d'approches radicales menées par certaines grandes entreprises, telles que Sanofi pour l'aménagement de son nouveau siège social, on observe que ce sont des options intermédiaires combinant divers types d'espaces qui sont préférentiellement choisies aujourd'hui. Le développement de nouveaux lieux fait l'objet de nombreuses expériences intéressantes : ainsi des tentatives abouties comme celles de La Poste et de la SNCF de valorisation d'un gros potentiel immobilier ; mais d'autres opérations sont jugées relevant davantage d'un « effet de mode », ou d'une recherche de vitrine... De grands opérateurs, tels Wework, s'engagent pourtant résolument dans les métropoles avec l'intention d'« assécher » rapidement le marché de ce type de nouveaux espaces. Le co-travail représente aujourd'hui environ 1,2 % des surfaces, proportion pouvant atteindre à l'avenir jusqu'à 10 %, au dire partagé des experts ; il resterait donc 90 % de bureaux « ordinaires », ceux-ci pouvant toutefois faire l'objet d'aménagements adaptés. Icade souligne l'existence d'un marché de bureaux neufs high tech au plus haut niveau de sophistication, pour des grandes entreprises qui veulent cultiver leur image avec, à côté, un marché pour une offre alternative, plus abordable, développant un mix d'immeubles classiques réhabilités complétés par 10 % d'espaces de co-travail. Le phénomène des tiers-lieux Les tiers-lieux constituent aussi une tentative intéressante de rassembler plusieurs fonctions dans un même espace : cotravail, fab lab, pépinières, voire certains services publics... Accueillant 10 % des télétravailleurs et des start-ups, ils peuvent être considérés comme des « petits projets de territoire » et des écosystèmes porteurs d'avenir. Il s'y développe dans certains cas des démarches d'économie circulaire. Patrick Lévy-Waitz, pilote en 2018 d'une mission ministérielle sur les tiers-lieux118, en a dénombré près de 1 500 existants et près de 400 en gestation. Il considère que 117 Cf supra § 1.2. Rapport Lévy-Waitz, remis en 2018 au secrétaire d'État auprès du Ministre de la cohésion des territoires. Mutations économiques et développement des territoires Page 49/170 118 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ « pour la première fois, avec ce mouvement qui part des citoyens et témoigne d'une transformation majeure de notre rapport au travail et des modes d'apprentissage, nous avons une vraie réponse au désenclavement des territoires ». L'enjeu est de trouver un modèle économique adapté hors métropole, notamment dans de petits pôles urbains ou des centres de villes moyennes, pour lesquels les tiers lieux sont un des moyens de requalification. C'est l'objet du plan gouvernemental annoncé en septembre 2018, doté de 110 M d'ici à 2021 pour aider à créer ou consolider 300 « fabriques de territoires » en priorité dans les quartiers populaires et les zones rurales. L'accompagnement et la professionnalisation des animateurs de ces lieux est un élément essentiel de la mise en oeuvre de ce plan. La « Cité fertile » à Pantin (Seine Saint-Denis), un projet créé sur une friche industrielle de la SNCF, a lancé en ce sens une école des animateurs de tiers-lieux119. Suggestion. Encourager en priorité, dans le cadre du plan gouvernemental engagé, la mise en place de tiers-lieux dans les villes petites et moyennes, et faire en sorte qu'ils soient les ferments d'un nouveau modèle de développement urbain et territorial, évolutif et participatif (MCTRCT). L'Adi (association des directeurs immobiliers) résume les enjeux pour l'entreprise : s'adapter à une hybridation du travail liée aux quatre tendances de fond que sont l'économie sociale et solidaire, l'économie circulaire, l'économie de la fonctionnalité, l'économie collaborative. De nouveaux lieux sont nécessaires pour permettre ou faciliter l'innovation collaborative ou les « pratiques apprenantes », préfigurant ce que ICADE nomme « Immobilier 3.0 ». Si le tertiaire n'est pas le seul visé par ce mouvement, il est particulièrement concerné par l'évolution vers une approche plus économe et plus souple des quartiers d'affaires (cf. projet La Part Dieu à Lyon). On soulignera enfin une tendance importante en termes d'impacts territoriaux : une déconnexion entre le siège de l'entreprise, les lieux de production, les lieux d'innovation, les lieux de démonstration et de commercialisation120. 2.3.2. Immobilier de bureau et immobilier d'entreprise La mutation rapide des besoins de l'immobilier de bureau ou tertiaire rend obsolète une part importante de l'immobilier existant, trop mal situé par rapport aux pôles urbains, insuffisamment desservi et n'ayant pas anticipé sa modernisation. Dès lors, on observe une évolution différenciée entre l'immobilier de bureau, avec des risques de déqualification et d'accroissement d'une vacance structurelle de locaux tertiaires anciens, et l'immobilier d'entreprise, avec un retour progressif d'activités productives sans nuisances dans le tissu urbain dont elles avaient été écartées. Ce retour est encouragé par certaines collectivités territoriales, avec des mesures pour ménager la place de la petite industrie et des activités artisanales dans la ville, condition d'un meilleur « métabolisme urbain ». Lorsque les élus locaux relayent les milieux économiques qui alertent sur une pénurie de foncier « économique », notamment dans les grandes villes et les métropoles (selon France urbaine, Nantes ne disposerait plus que de 30 ha, Lille de 50 ha de foncier économique libre...), il s'agit de fait des difficultés à satisfaire de nouveaux besoins fonciers et immobiliers liés à l'économie productive. La conception du développement économique métropolitain est ainsi en évolution, avec l'abandon de la tertiairisation intense et la redécouverte de l'économie productive. Les enjeux de requalification de l'immobilier de bureau y sont présents et demandent à être traités, sous peine d'aggravation d'une vacance structurelle déjà forte. On observe une prise de conscience d'une certaine forme de « confiscation » de l'immobilier aux dépens d'usages liés à l'économie productive, qui a été longtemps un impensé des stratégies urbaines, du développement et des opérations d'aménagement. 119 Voir également supra § 3.2 l'urbanisme transitoire. Adi, Repenser les lieux de travail, Éditions du Moniteur, novembre 2017. 120 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 50/170 PUBLIÉ 2.3.3. Une approche globale foncière et immobilière Ainsi que le confirment les travaux récents du Cerema, on constate un enjeu à la fois foncier et immobilier qui dépasse les périmètres de ZAE. Le jeu subtil de desserrement des activités productives vers l'extérieur des métropoles et des grandes villes semble peu à peu contrecarré par une attention de plus en plus forte au concept de « ville productive ». Les métropoles et les intercommunalités dont la vision économique est la plus avancée connaissent une évolution de leurs stratégies d'une approche de type offre foncière vers une approche de type produits immobiliers. On se dirige donc vers une démarche globale immobilière et foncière, intégrant ce qui se passe à l'intérieur comme à l'extérieur des ZAE, avec des requalifications ou des reconversio ns selon des vocations différenciées, en fonction de la nature, du contexte et des caractéristiques de chaque territoire ou secteur. Ceci appelle le besoin d'élaborer et de formaliser des schémas de restructuration des ZAE dans le cadre de stratégies foncières et immobilières plus globales. Suggestion. Inciter les intercommunalités à évaluer les mutations de l'immobilier d'activité afin qu'elles puissent anticiper les enjeux de son recyclage et mettre en place, dans le cadre de leur stratégie économique, une programmation urbaine, foncière et immobilière pour le devenir des zones et lieux concernés (MCTRCT). 2.4. Activer la reconversion des friches polluées La reconversion des sites pollués est un enjeu majeur de la transition énergétique et écologique : non seulement elle permet d'améliorer la qualité du cadre de vie et de la santé publique, mais elle contribue aussi à la diminution de l'étalement urbain, par optimisation de l'usage du foncier, en particulier lorsqu'il s'agit d'une friche urbaine ou proche d'une ville. Cette reconversion reste difficile121, pour des raisons d'optimisation technico-économique du projet, de prise en charge des coûts de dépollution et du fait de contradictions potentielles entre les objectifs de requalification et ceux de protection de la biodiversité. 2.4.1. Des enjeux à mieux appréhender La désindustrialisation des dernières décennies a conduit à l'émergence de nombreuses friches industrielles, dont un grand nombre sont polluées 122. Leur reconversion est attendue, voire financée par les collectivités territoriales concernées. Elle est particulièrement souhaitable dans les secteurs urbains subissant une certaine pression foncière, afin d'éviter l'artificialisation des terres naturelles ou agricoles. En toute logique, c'est dans ces situations que l'on trouvera des modèles économiques assurant la faisabilité de l'opération, la difficulté étant plus grande dans les secteurs non attractifs, du fait d'une valorisation foncière moindre, voire nulle ou négative. On observe par ailleurs que les industriels sont de moins en moins attentistes, comprenant qu'ils ont intérêt à traiter et transmettre ces fonciers, ne serait-ce que pour des raisons d'image. C'est notamment le cas de Rio Tinto, groupe anglo-australien repreneur de l'entreprise française Péchiney, ou bien d'Engie, qui active depuis 2015 sa politique de vente des anciennes installations de Gaz de France (400 usines à gaz situées le plus souvent en milieu urbain, avec un objectif de vente de 50 par an). Cette évolution n'est pas encore générale, mais elle est encouragée par de nouvelles procédures plus incitatives, notamment en permettant le transfert des obligations de dépollution à un tiers, ce qui ouvre la possibilité d'une activation du recyclage, de la constitution d'un « marché ». 121 Ce qui a conduit le MTES à mettre en place récemment un groupe de travail pour identifier les freins à la réhabilitation des friches, sujet auquel les développements qui suivent apportent une contribution. Ces friches sont en grande partie privées, sachant qu'il existe aussi d'importants tènements fonciers publics (notamment d'origine militaire) encore pollués, non étudiés ici spécifiquement. Mutations économiques et développement des territoires Page 51/170 122 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ Pour appréhender l'enjeu considérable du devenir des friches, il convient d'en consolider un état des lieux (connaissance, potentiel d'utilisation, diagnostic des difficultés à surmonter...) à l'échelle de chaque territoire (région, métropole ou intercommunalité). C'est l'objectif du Laboratoire des initiatives foncières et territoriales innovantes (Lifti), un « think tank » regroupant des experts du foncier, qui entend soutenir « la mise en place d'un centre de ressources sur le recyclage des friches, quelle qu'en soit la nature et pour tous types de nouveaux usages, en aidant les acteurs tant publics que privés à développer leur savoir-faire en la matière et lever leurs appréhensions ». Le Lifti vient de mener une campagne « d'inventaire des inventaires » recensant les outils d'identification des friches, de leurs caractéristiques et de leur potentiel d'utilisation. Il ne s'agit pas que de friches industrielles, ni uniquement de friches polluées. Le nombre d'inventaires recensés varie de neuf pour le Grand Est à zéro pour l'Île-de-France ! Les inventaires sont très divers en termes de niveau d'étude (régional, départemental, local) et de types de périmètres couverts, de méthodologie et de degré d'approfondissement, de lien avec la planification territoriale... La synthèse nationale123 met en évidence un besoin de définitions communes (ne serait-ce que pour la notion de friche), de généralisation à l'ensemble du territoire et de mise en oeuvre de dispositifs de mise à jour de ces inventaires, permettant d'en faire de véritables observatoires pré-opérationnels. Ce panorama devrait déboucher sur l'établissement d'un référentiel des inventaires ou d'un guide méthodologique qui contribuera à une connaissance plus complète et rigoureuse du « vivier » des friches, en vue de faciliter leur recyclage. La constitution de ce dispositif d'observation devrait pouvoir s'articuler avec les systèmes d'information existants sur le plan national et spécifiques aux sites pollués ou susceptibles de l'être. Il s'agit des bases de données SIS, Basol et Basias 124, en cours d'unification sous l'égide de la DGPR125. On disposera alors d'une vision plus globale des sites et de leurs capacités d'évolution : accueil de nouvelles activités industrielles, requalification pour des usages urbains, retour à la nature (vocation qui serait, selon certains experts, celle de plus de la moitié des sites pollués de France). Le cas de Rouen, observé par la mission 126, illustre clairement la nécessité de dresser un état des lieux complet, permettant d'appréhender le vivier de friches et les perspectives de mise sur le marché à différentes échéances, puis de confronter ces éléments avec une appréciation (souvent difficile) de la demande. Sur le territoire de la métropole de Rouen, selon une étude menée sous l'égide de la préfecture, il y aurait un besoin moyen annuel à satisfaire de 30 000 m² de surface d'entrepôts et de locaux industriels, du fait d'une demande soutenue et orientée davantage vers la création d'entreprises de taille significative. Il faut ensuite croiser cette analyse avec l'orientation prise par la Métropole et soutenue par l'État de limiter de plus en plus strictement la consommation de nouveaux espaces agricoles ou naturels : le SCoT fixe pour la période 2015-2033 un maximum de 380 ha en extension urbaine pour un besoin potentiel de 960 ha pour l'ensemble des activités économiques. On voit que s'esquisse ainsi une stratégie foncière permettant de cadrer le sujet à l'échelle d'un grand territoire (même si on peut se demander si la limitation de consommation foncière inscrite au SCoT est suffisante) 127. L'exercice nécessite un partenariat étroit entre les pouvoirs publics, les acteurs économiques et l'expertise qui peut être apportée par l'EPF Normandie. 123 Lifti, Synthèse de Centrale Lille Projets, Inventaire des inventaires de friches, novembre 2018. SIS (« secteurs d'information sur les sols », répertoriant les terrains pollués qui justifient des études et des mesures de gestion), Basol (base de données sur les sites et sols pollués ou potentiellement pollués appelant une action préventive ou curative des pouvoirs publics), Basias (inventaire historique de sites industriels et activités). Direction générale de la prévention des risques (MTES). Cf compte-rendu complet en annexe 5. Ceci rejoint les préconisations concernant le devenir des zones d'activités, cf supra § 2.1. 124 125 126 127 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 52/170 PUBLIÉ 2.4.2. Des méthodologies d'intervention technique et financière à consolider Des dispositifs réglementaires et financiers à rendre plus incitatifs Les règles techniques de dépollution classiques sont aujourd'hui connues et assez bien maîtrisées. La méthodologie de traitement des sols pollués de 2007 a été actualisée en 2017. La doctrine d'interprétation sur la qualification de « déchet » a été précisée récemment suite aux préconisations du CGEDD128 : un produit n'est pas un déchet dès lors qu'il reste dans l'opération d'aménagement. En revanche le coût de la dépollution et la maîtrise des risques ultérieurs, qui dépendent de la nature du projet, compromettent souvent l'équilibre de l'opération de requalification, en fonction du marché immobilier et surtout de l'offre foncière existante sur terrains naturels ou agricoles, souvent plus facile et moins onéreuse à mobiliser. Ceci confirme que le premier moyen d'activer le recyclage des friches polluées est le renforcement des contraintes définies par les documents de planification pour maîtriser l'étalement urbain : en général, il n'est pas suffisant de « diminuer » les zones d'extension urbaines lors des révisions de SCoT et de PLUi, tellement elles ont été généreusement calibrées... La question de la faisabilité renvoie aussi en amont à la responsabilité de l'exploitant : comment rendre effective l'obligation de l'exploitant de dépolluer (pour un même usage) après la cessation de son activité ? les règles de provisionnement sont-elles suffisantes 129 ? qui doit payer quoi dans la chaîne de valeur de la reconversion d'un tel site ? Pour faciliter la faisabilité des opérations, il existe des aides publiques gérées par l'Ademe, mais celles-ci ne concernent que le traitement des sites « orphelins » (enveloppe La Métropole de Rouen s'attaque aux friches polluées annuelle de 20 M) et l'appui à La réhabilitation des friches industrielles est un sujet majeur et l'innovation (4 M). Il serait complexe pour cette métropole (et pour l'ensemble de la vallée de la utile de faire un point sur ce Seine), d'un point de vue à la fois économique et environnemental. La dispositif afin d'en ajuster, si mission, sollicitée pour examiner cet exemple, a constaté, outre la nécessaire, les règles d'emploi nécessité d'approfondir la connaissance de la situation (besoins et (cas de situations limites) et, potentiels fonciers à court et moyen termes), celle de renforcer la plus largement, de réfléchir à gouvernance et de surmonter les aspects réglementaires et financiers. des modes d'incitation d'activer les Sur le plan de la gouvernance, une forte implication coordonnée des permettant acteurs permet d'avancer sur les projets en cours, mais l'ampleur du requalifications. défi nécessite de renforcer le pilotage politique du sujet avec l'établissement d'une stratégie foncière globale et l'appui opérationnel La mise en place d'une fiscalité écologique, par une taxation de l'EPF, qui semble moins mobilisé et sollicité que par le passé. Sur le plan réglementaire, les questions soulevées relatives à dissuasive de consommation l'application des textes environnementaux ont été jusqu'ici réglées de foncier vierge, alimentant grâce à une mobilisation coordonnée des services de l'État. La DREAL un fonds d'aide pour financer reste attendue dans la poursuite d'un rôle de facilitation, selon une les surcoûts de réutilisation de démarche d'objectifs. L'importance du travail en mode projet est sites pollués, constitue l'option confirmée, ainsi que la persistance de sujets délicats comme celui de la majeure, restant à faire aboutir. compensation environnementale. Cela n'empêche pas d'explorer L'équilibre financier des opérations reste difficile à trouver sans aide d'autres voies. publique. De nouveaux opérateurs privés apparaissent, comme Valgo qui s'est engagé dans le traitement et le recyclage du site de Pétroplus. Un levier intéressant est celui des Ce n'est qu'à l'issue de la réalisation du projet d'aménagement qu'il sera de la mutualisation risques : connaissance de la possible d'apprécier complètement la faisabilité du modèle. Le vaste site de Seine-Sud fait quant à lui l'objet depuis plus de 10 ans de projets pollution existante, coût final à l'étude qui, pour avancer, ont besoin de vision globale, d'études des travaux de dépollution, multicritères et de coordination entre les acteurs. délais de mise en oeuvre du projet et de commercialisation 128 Pratiques des EPF sur les sites industriels pollués P. Grand et J. Peyrat CGEDD, 2017. Par exemple dans le cas de nouveaux types d'installations comme les data center. Mutations économiques et développement des territoires Page 53/170 129 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ du foncier produit... Elle peut notamment être obtenue en confiant un ensemble de sites à un opérateur spécialisé. Tel est le positionnement d'acteurs comme Brownfields, qui se développe sur ce marché en tant que fonds d'investissement, avec un modèle économique qui semble cependant exclure les sites trop fortement pollués ou de faible valorisation potentielle. Un point d'attention est de veiller à ce que ces mutualisations ne se fassent pas aux dépens du traitement des sites enclavés ou sans perspective d'utilisation. Une autre posture est celle de Valgo, dont la mission a visité l'opération de recyclage du site Pétroplus à Rouen. Cette entreprise de déconstruction et de dépollution a étendu ses compétences à l'aménagement et la commercialisation, afin de traiter un site à valeur emblématique pour elle. La faisabilité du modèle est liée à la maîtrise de la chaîne globale, à l'importance des travaux de dépollution qui valorisent son savoir-faire et à sa capacité à sortir des produits fonciers bien positionnés sur le marché. C'est pourquoi l'entreprise s'est dotée de compétences d'aménagement et s'est engagée sur ce site, très bien situé, moyennant un montant d'aide public modéré. Le développement de ce mode d'intervention dans d'autres secteurs tendus supposerait la mise en place de structures opératrices dotées d'une capitalisation suffisante. Des propositions peuvent être envisagées au plan du financement, comme la création d'un fonds de garantie, hypothèse sur laquelle travaille l'Ademe. L'association française des ingénieurs et techniciens de l'environnement (Afite) réfléchit également à la création de fonds dédiés. De tels fonds pourraient être alimentés, soit par les industriels selon le principe pollueur-payeur, soit par les « consommateurs » de sols naturels, selon le principe « utilisateur-payeur ». Dans cette seconde option, une hypothèse qui se rapproche de la logique de la fiscalité écologique serait d'affecter au fonds dédié une fraction de taxe sur les mutations foncières, précisément en cas de changement d'usage conduisant à une artificialisation des sols. Enfin, on notera que l'emploi de méthodes douces de dépollution (pyrotechniques, tertres filtrants...), donc assez peu coûteuses mais prenant du temps, couplées avec un usage provisoire de la friche (urbanisme transitoire...) peuvent constituer dans certains cas une solution intéressante, y compris financièrement, en particulier pour le traitement de grands sites non recyclables à court terme, tel celui de Seine Sud à Rouen. Des modes d'intervention publics et privés complémentaires La procédure récente du « tiers demandeur », instituée en 2014 par la loi ALUR 130, transfère la responsabilité de la dépollution du pollueur à un opérateur tiers. L'objectif est notamment de limiter les risques de contentieux par rapport à la notion de « remise en état ». C'est la méthode adoptée par Engie pour mettre en oeuvre la politique de transfert actif de ses sites. En vendant un ensemble de sites à un tiers demandeur, elle permet à cet opérateur spécialisé de dépolluer et de réaménager les sites dans le cadre d'une mutualisation de leur valorisation et des risques. Cette procédure offre des perspectives intéressantes, mais est développée pour l'instant par un trop petit nombre d'opérateurs spécialisés. Les promoteurs s'y intéressent mais sans donner suite, sauf en partenariat avec un opérateur spécialisé. Le transfert des risques reste délicat à organiser. On manque encore à ce jour de recul sur le bon achèvement de ces opérations de requalification mises en oeuvre par les opérateurs privés. Sous réserve d'évaluation et, si besoin, d'ajustement, la méthode mérite d'être promue et son accès facilité pour d'autres utilisateurs privés ou publics, notamment les EPF pour des opérations complexes ou de grande taille, moyennant un ajustement de la doctrine qui les obligent à disposer d'un projet d'aménagement en sortie de portage. Des points d'attention subsistent quant à la robustesse des modèles économiques et à la pertinence respective des montages publics ou privés : l'intérêt des interventions privées qui savent gérer et 130 Loi de 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové ­ Article 173 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 54/170 PUBLIÉ mutualiser les risques est indéniable, mais elles ont aussi leurs limites, notamment pour les zones vastes et complexes ou les marchés trop détendus. Les établissements publics fonciers (EPF) devraient être repositionnés plus clairement sur ce sujet primordial ; c'est une des conditions pour que s'enclenche le recyclage des friches à grande échelle, en contrepartie de la limitation de la consommation nouvelle pour le foncier économique. Les plus anciens des EPF avaient été créés précisément pour le traitement de friches industrielles notamment polluées. Par la suite, la production de foncier pour le logement est apparu comme un enjeu important, voire quasi-exclusif pour les établissements créés plus récemment. Sans abandonner leur action visant à activer la production de logements, les EPF doivent pouvoir aujourd'hui s'engager davantage dans la requalification économique de leurs territoires. Le cas de l'EPF Nord-Pas-de-Calais montre que cette voie est tout à fait possible, sous réserve de l'existence d'un portage politique local et de compétences techniques. De même, l'EPF Lorraine est habilité explicitement à exercer des missions de reconversion de friches industrielles, militaires et urbaines sur le territoire régional ; il a développé en amont des fonctions d'observation et d'étude et assure des interventions de maître d'ouvrage d'études techniques et de travaux de « préaménagement » à la demande des collectivités territoriales. Le sujet existe aujourd'hui dans la totalité des EPF, au-delà des anciennes régions industrielles, comme le montre l'exemple de la région PACA, dont le projet de SRADDET pointe justement les zones prioritaires de reconquête du foncier économique. Les EPF abordent le sujet, au moins par la réalisation de recensements régionaux et d'études131. Les interventions opérationnelles devraient être développées davantage dans tous les établissements, en mettant en place les moyens adaptés aux besoins des territoires 132. Cela suppose des durées de portage plus longues, des possibilités de mutualisation, des arbitrages concernant le niveau et l'affectation de la TSE 133 avec la mise en place de « fonds friches » dédiés au financement de surcoûts liés à la dépollution 134, ainsi que des prêts de la CDC permettant d'assurer la faisabilité d'opérations longues et complexes dans les espaces économiques. Il conviendrait aussi de mutualiser les compétences autour de centres de ressources portant sur différents aspects de la dépollution, par exemple en prenant appui sur l'expertise de l'EPF Nord-Pas-de-Calais en matière de biodiversité. Recommandation 8. Donner des orientations aux établissements publics fonciers (EPF) afin qu'ils puissent, dans l'esprit de leur vocation historique, se doter des moyens techniques et financiers adéquats (TSE, fonds friches dédié...) pour développer un champ significatif d'interventions au service du recyclage des espaces économiques déqualifiés, obsolètes ou pollués (MCTRCT, MTES). Le projet de requalification de la friche Bagnoli à Naples bien engagé Pour ce grand projet de requalification d'un ancien site sidérurgique de bord de mer à proximité de Naples, on observe le retour à une maîtrise d'ouvrage totalement publique, après l'échec de tentatives antérieures (la dernière via une SEM contrôlée par la municipalité) selon un modèle qui donnait un rôle important au secteur privé. La nouvelle démarche s'inscrit dans une politique globale, régionale et métropolitaine, et semble bien engagée grâce à l'implication de l'opérateur national Invitalia, autour d'un projet partagé plus équilibré, nécessitant une intervention complexe et des moyens exceptionnels. 131 La mission a eu connaissance des travaux menées par les EPF Nord-Pas-de-Calais, Lorraine, PACA, et par l'Epora. Cf infra § 3.3. Taxe spéciale d'équipement qui finance l'action des EPF. De tels fonds, qui existent dans plusieurs régions, seraient à envisager ailleurs et à calibrer en fonction des enjeux. Mutations économiques et développement des territoires Page 55/170 132 133 134 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ Parmi les pratiques de recyclage de friches dans les pays voisins, les grands sites sidérurgiques d'Italie font l'objet d'une attention forte des pouvoirs publics, tel celui de Bagnoli, situé dans la région urbaine de Naples, visité par la mission. On peut souligner l'intérêt de développer des échanges de bonne pratique à l'échelle européenne sur la thématique des grands sites industriels pollués, ainsi que l'a proposé l'opérateur national italien qui intervient sur ce projet de reconversion. Suggestion. Activer et accélérer significativement le traitement des friches polluées, en faisant davantage connaître les outils réglementaires existants après avoir procédé à leur adaptation éventuelle, en assurant mieux la complémentarité des interventions publiques et privées, et en renforçant fortement les incitations financières. 2.4.3. Dépollution et environnement L'articulation entre les procédures liées à la réglementation sur les installations classées, à la loi sur l'eau et au respect de la biodiversité, est compliquée pour les opérateurs, car non homogène selon les territoires et pas assez coordonnée entre les services instructeurs des différentes réglementations. La préservation de la biodiversité Il peut paraître paradoxal de poser des conditions de protection de la faune et de la flore dans des friches industrielles qui n'avaient ni faune, ni flore tant que les sites étaient en activité et qui ont vocation à retrouver une destination urbaine. Les opérateurs et les collectivités locales posent à ce propos des questions sur la réalisation de l'étude d'impact, sur sa durée de validité et sur les règles de compensation demandées pour la faune et la flore apparues dans ces friches. La mission estime que la question se pose d'une mise en oeuvre plus souple, évitant les interprétations excessives, et s'accorde sur la nécessité d'une doctrine harmonisée sur le territoire. Les règles de compensation Globalement, il n'y a pas de contestation de la doctrine « éviter, réduire, compenser », dite « ERC». L'application des règles de compensation fait toutefois débat dans certains cas, en raison d'imprécisions et d'interprétations paraissant trop rigides. Sous réserve d'une analyse plus approfondie, il ne parait pas nécessaire de modifier les dispositions réglementaires, mais diverses questions, comme celle de la distance entre projet et zones de compensation, peu précisée dans les textes, méritent un examen en vue de parvenir à une application raisonnable et une cohérence entre services concernés des DREAL. Une application plus pragmatique et ajustée des règles pourrait être utilement recherchée à travers un recensement des bonnes pratiques qui serait diffusé à toutes les DREAL, voire des expérimentations permettant de remédier à d'éventuelles difficultés juridiques ou techniques, en s'appuyant aussi sur les retours d'expériences issus de l'Ae et des MRAe. Ainsi, face à des procédures complexes à maîtriser (réglementation environnementale, mécanismes de compensation), l'enjeu de pilotage et de bonne coordination apparaît primordial, de même que le besoin d'harmonisation sur la base d'une capitalisation des bonnes pratiques. En outre, un champ possible d'expérimentation pourrait être à ouvrir, notamment pour le traitement de grands fonciers complexes, avec un usage temporaire des sites, et pour une optimisation des mécanismes de compensation grâce à une approche globale à l'échelle d'un territoire. Des financements du SGPI sont envisageables pour tester des solutions innovantes ; ainsi que l'a mentionné son secrétaire général, la question des sites pollués est, tout comme l'urbanisme de transition, un thème prioritaire du PIA. Suggestion. Susciter, par la réalisation d'expérimentations et l'établissement d'un guide de bonnes pratiques, la mise en place d'organisations locales en mode projet permettant de coordonner l'ensemble des procédures relatives au recyclage des sites pollués, d'optimiser la mise en oeuvre des mécanismes de compensation environnementale et de gérer dans la durée les projets complexes, selon une doctrine harmonisée (MTES). Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 56/170 PUBLIÉ 3. Adapter la gouvernance territoriale et l'action publique pour accompagner la mise en mouvement des acteurs 3.1. Optimiser l'organisation publique territoriale au regard du développement économique durable Les changements récents de l'organisation territoriale induits par les lois MAPTAM et NOTRe ont suscité un certain bouleversement qui est encore à ce jour en voie de stabilisation, en particulier pour ce qui concerne l'action publique en matière économique. Un nouvel acte de décentralisation est annoncé pour début 2020, avec des transferts de compétences et de financements visant à faciliter les « politiques de la vie quotidienne ». Un « pacte » relatif à la présence de l'État et des services publics dans les territoires serait proposé, en réponse au besoin de « proximité » exprimé par de très nombreuses remarques faites lors du grand débat national. Bien que les intentions exprimées ne touchent pas directement l'organisation du développement économique dans les territoires, les modifications législatives envisagées pourraient avoir un impact sur l'organisation de l'action publique dans ce domaine, par exemple en facilitant la synergie des compétences entre les différents niveaux de collectivité. 3.1.1. Des compétences à mieux articuler La répartition des compétences est désormais claire dans les textes : les aides et l'innovation pour les Régions, le foncier et l'animation des acteurs économiques pour les intercommunalités. Dans la réalité, les choses le sont moins et l'articulation des missions présente encore des difficultés qui gênent l'optimisation de l'action publique dans certains territoires. Les Régions, qui pour une grande partie d'entre elles, ont dû consacrer ces dernières années beaucoup de temps à gérer leur fusion, sont souvent perçues comme lointaines par les élus locaux et par les dirigeants des entreprises petites ou moyennes. Vues de certains EPCI ou même de Métropoles, elles paraissent avoir généré trop de « technostructure », les empêchant d'être suffisamment stratèges et à même de prendre en compte les territoires dans leur diversité 135. Il y a ainsi une carence de complémentarité entre l'échelle régionale, pertinente pour coordonner l'action et gérer l'évolution des filières, et celle des intercommunalités pour mettre en mouvement les écosystèmes d'acteurs. Nombre d'EPCI sont en outre de constitution récente, peu intégrés et structurés autour d'un projet de territoire, ni dotés des moyens d'ingénierie nécessaires. Les Départements se sont en principe retirés du champ des interventions économiques mais, dans les faits, ils restent attentifs au devenir de « leur » territoire et tentés d'agir pour suppléer aux difficultés constatées. Depuis la loi NOTRe, ils ont perdu (comme les Régions) le bénéfice de la clause de compétence générale et ne peuvent plus agir directement, sauf dans le domaine du tourisme. Ils ne peuvent plus attribuer d'aides aux entreprises, même par délégation du niveau régional, et n'ont la possibilité d'agir en matière d'immobilier d'entreprise que par délégation du bloc communal (et encore, pour « octroyer » les aides, mais sans pouvoir en définir le régime) 136. Ils doivent transférer les zones d'activité dont ils étaient propriétaires, quitter les syndicats mixtes chargés de les gérer et ne peuvent pas rester actionnaires majoritaires dans les EPL intervenant en ce domaine. L'interprétation et la mise en application de ces dispositions ont soulevé nombre de difficultés qui ont mobilisé les services de l'État et ceux des collectivités concernées. Si certains Départements se 135 Cf développements, exemples et recommandation du § 1.3.1. supra. Instruction du Gouvernement NORINTB 1531125J en date du 22 décembre 2015 relative à la nouvelle répartition des compétences en matière d'intervention économique des collectivités territoriales et de leurs groupements issus de l'application de la loi NOTRe, suivie de la lettre du Gouvernement du 3 novembre 2016 (« Conséquences de la nouvelle répartition des compétences en matière de développement économique sur les interventions des conseils départementaux »). Mutations économiques et développement des territoires Page 57/170 136 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ sont désengagés, d'autres conservent une capacité d'action significative, soit par délégation des EPCI, soit sous forme d'action opérationnelle, souvent via unee structure notamment en matière d'attractivité (non limitée au tourisme) 137. Ils peuvent également exercer un rôle d'impulsion et de mise en cohérence des acteurs. Le département de l'Ardèche a ainsi lancé une démarche partagée de projet de territoire pour susciter et accompagner une transformation économique fondée sur la transition écologique138. L'agence d'attractivité du département de la Meuse, unanimement reconnue pour la pertinence de ses interventions, les a poursuivies en s'appuyant sur la base juridique relative à la compétence « tourisme », tout en s'interrogeant fortement sur sa pérennité et sur ce que pourrait être le prochain modèle. Le département des Yvelines agit quant à lui activement et de façon très opérationnelle pour son développement économique. Les Yvelines, un Département très engagé pour le Un certain nombre d'acteurs s'interrogent sur le mode optimal d'action pour le développement développement de son territoire. économique des territoires, dans l'attente d'une Disposant de moyens techniques et financiers montée en régime des intercommunalités. Au importants, cette collectivité exerce une action moment où il est envisagé de réexaminer territoriale volontariste qui contribue au certaines dispositions de la loi NOTRe, revoir la positionnement et à l'attractivité de l'Ouest parisien, répartition des compétences ferait pourtant dans le contexte d'une possible fusion avec les Hauts-de-Seine et d'une gouvernance du Grand Paris courir le risque d'un « retour en arrière » sur la qui reste en devenir. Le Département s'appuie pour clarification voulue de tous. Cette question cela sur le « carré magique » que constituent ses mérite néanmoins des investigations au-delà de services, son opérateur d'aménagement, son bailleur l'objet du présent rapport. Les débats de la social et la branche yvelinoise de l'établissement matinée du congrès des maires de novembre public foncier régional, dont l'action est « dopée » 2018 précisément centrée sur ce sujet ont par un fonds financier apporté par le budget clairement fait ressortir le besoin, exprimé par départemental. L'action du Département est bien les Régions comme par les intercommunalités, appréciée des élus yvelinois, mais ne semble pas du maintien d'une présence de l'acteur particulièrement coordonnée avec celle de la Région départemental dans la période actuelle. Ainsi, en Île-de-France. région Occitanie, le département de HauteGaronne a créé une société publique locale (SPL) avec 13 EPCI pour leur apporter de l'ingénierie à côté de la Région, laquelle a accepté et encouragé ce modèle afin de ramener de la proximité dans sa politique économique139 ; l'Ariège fonctionne de la même façon, huit EPCI ont créé avec le Département une agence de l'attractivité « pour pouvoir se payer de l'ingénierie ». L'intérêt de l'échelle départementale se vérifie dans ce cas sur trois dimensions : l'énoncé d'une vision infra-régionale qui peut constituer un véritable niveau d'identité territoriale comme en l'Ardèche (déjà cité) ; la viabilité d'outils d'ingénierie et d'opérationnalité fiables et à bonne échelle, et la possibilité de cofinancements et de crédits d'investissement en faveur du développement local. Du point de vue de l'efficacité économique et du développement durable des territoires, il pourrait paraître opportun, sans remettre en cause les orientations prises par la loi en matière de répartition des compétences, de faire preuve de pragmatisme en identifiant et en facilitant les interventions des Départements, sous réserve qu'elles soient cadrées, se réalisent de façon concertée (par conventionnement) avec les autres niveaux et qu'elles contribuent à qualifier les EPCI notamment par un apport d'ingénierie afin qu'ils puissent d'ici quelques années prendre le relais, 137 Après la suppression de 20 agences de développement départementales, 17 agences d'attractivité ont été créées depuis deux ans par les Départements, selon une étude du CNER à paraître, citée le 16 juillet 2019 par Localtis. Cf § 1.4.1 et annexe 5.3. La SPL offre des moyens de communication attractifs, que ne peuvent pas « se permettre » les intercommunalités, tandis que celles-ci vont à la rencontre des entreprises du territoire au moins deux fois par an pour « réfléchir à leur avenir commun ». 138 139 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 58/170 PUBLIÉ individuellement ou par regroupement voire coopérations (PETR...). Une condition essentielle est d'assurer non seulement une cohérence de l'action publique mais aussi sa lisibilité pour les bénéficiaires, par exemple en prévoyant un guichet unique même si les financements proviennent de différentes collectivités. Les services des collectivités, leurs agences (agences de développement, agences techniques...) et opérateurs (EPL, SPL, EPF locaux...) ont un rôle et de moyens qui leur permettent d'exercer une influence significative pour assurer la faisabilité des projets et aussi faciliter une meilleure articulation entre les niveaux politiques. Recommandation 9. Veiller à la bonne coordination de l'action technique et financière menée par les Départements pour le soutien à l'ingénierie locale et la facilitation du développement économique, dans le cadre d'une contractualisation les associant aux Régions et aux EPCI, afin d'assurer l'efficience des interventions publiques et d'accompagner la montée en compétence des intercommunalités sur la durée du prochain mandat local (MCTRCT). 3.1.2. Des périmètres pas toujours adaptés, à revoir quand cela est possible Au cours des dix dernières années, les changements ont également été importants en ce qui concerne les périmètres des collectivités territoriales et de leurs regroupements. En dépit de ces évolutions qui se sont faites le plus souvent dans le sens d'une extension géographique, on constate que, pour autant, les périmètres institutionnels ne coïncident pas toujours avec les périmètres fonctionnels pertinents, notamment pour ce qui est du développement économique. Les périmètres optimaux sont d'ailleurs différents selon les domaines (logement, transports, économie et emploi...). Jugés dans certains cas trop vastes (cas des « méga-EPCI » ruraux qui s'avèrent difficiles à gérer), des périmètres d'intercommunalités peuvent aussi s'avérer trop étroits pour l'efficacité du développement économique durable, comme c'est le cas Le « pôle métropolitain » lyonnais lorsque leurs limites ne coïncident pas La région urbaine de Lyon s'étend sur plusieurs avec celle d'un bassin industriel cohérent, départements (Rhône, Drôme, Isère, Ain, Loire), avec un fort par exemple pour la vallée de l'Arve ou déséquilibre entre la capitale régionale elle-même et les pour le Bassin minier. Cette observation grandes villes de ce « périmètre ». Dès 2009, a émergé l'idée vaut aussi pour des métropoles, dont on d'une entité visant à répondre aux enjeux économiques en connaît la difficulté à entraîner le permettant d'agrandir l'aire économique lyonnaise tout en développement de leurs périphéries : on évitant la tendance à la concentration et en instaurant un peut citer à titre d'illustration les certain desserrement. Les élus de Lyon Métropole sont entrés métropoles de Toulouse, de Lyon, et en dialogue avec les pôles « secondaires » de la région aussi, sous une forme atypique, celle du Grand Paris, réduite à une partie de urbaine en vue de constituer ce « pôle métropolitain ». L'impulsion des acteurs de la société civile a précédé l'unité urbaine alors que la « métropole l'initiative politique : les universitaires ont noué des alliances, économique » se situe au niveau de l'aire les pôles de compétitivité et les industriels ont recherché des urbaine. synergies : par exemple Saint-Étienne, siège de l'industrie mécanique, accueille le pôle de compétitivité et le plus gros S'il n'existe pas de périmètre idéal du centre de recherche privée dans ce secteur, avec 12 comptoirs point de vue de toutes les fonctionnalités, à l'étranger. Les agences d'urbanisme ont mutualisé leur on observe que des regroupements ou structure d'observation puis constitué une structure des extensions seraient dans certains cas souhaitables pour mieux répondre aux commune « ADE région lyonnaise ». enjeux de l'action économique et de la Bien qu'elle n'aie pas prospéré, cette initiative a néanmoins transition écologique ; cette optimisation induit des progrès relatifs à la desserte, l'aménagement, les serait à envisager à l'occasion de équipements et les services, comme par exemple, la prochaines mesures gouvernementales polarisation de l'urbanisme autour des gares via la démarche retouchant l'organisation de la « Urba gare ». Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 59/170 PUBLIÉ décentralisation. Pour remédier à ces difficultés de périmètre, des solutions sont aussi à trouver par le développement de coopérations inter-territoriales (pôle métropolitain, PETR...). Suggestion. Susciter, quand cela est souhaitable et possible, les ajustements de périmètres (élargissements ou regroupements) des métropoles et intercommunalités permettant d'en faire des territoires pertinents pour un développement économique cohérent et durable (MCTRCT). 3.1.3. Des coopérations inter-territoriales à concrétiser et développer dans la durée Quels que soient les découpages, il y a nécessité absolue de coopérations inter-territoriales fortes en matière économique. Elles doivent permettre de construire des solidarités effectives et pérennes, misant sur une logique d' « alliance des territoires », de partenariat « gagnant-gagnant » et de mise en commun de projets à différentes échelles, comme y invite le protocole signé fin mars 2019 entre l'Ademe, France-Urbaine, l'ANPP et l'ADCF et dont l'objectif est d'accompagner l'intégration de la transition écologique dans tous les projets territoriaux 140. Des « contrats de réciprocité », dont l'origine date des Assises des ruralités de 2014, ont été lancés dans le but de favoriser la coopération entre les métropoles et leurs territoires limitrophes. Deux territoires seulement sur les quatre désignés initialement pour une expérimentation ont signé leur contrat : la métropole de Brest et le pays du Centre-Ouest Bretagne, en novembre 2016, et la métropole de Toulouse et le pays « Portes de Gascogne », en juillet 2017. Les deux autres contrats (Lyon et Aurillac, Le Creusot et le Morvan) ont en revanche plus de difficultés à émerger, pour des raisons liées au manque d'interaction ou à des divergences politiques. Si cette démarche est encore embryonnaire, on note qu'un nouveau contrat de ce type a été signé le 10 avril entre Nantes et le pays de Retz, portant notamment sur le développement économique et le tourisme, et qu'un autre devrait l'être bientôt entre la métropole de Grenoble et la communauté de communes du Trièves. Un élément pourrait accélérer la mise en place des contrats de ce type : l'intégration, dans les 16 pactes métropolitains d'innovation (PMI), déclinaisons locales du pacte État-Métropole signé en juillet 2016, d'un volet de coopération obligatoire : le « contrat de coopération métropolitaine » (CCM). Celui-ci est centré sur les projets de coopération des métropoles avec leurs territoires proches. Sur 169 actions définies dans le cadre des PMI, 42 sont dédiées à ce volet de coopération. Dans le cadre de contrats de cohésion territoriale qui seraient initiés par le Gouvernement, des conventions pourraient être conclues entre une Métropole ou une communauté urbaine et des intercommunalités afin de développer des synergies sur le modèle des contrats de réciprocité 141. On notera qu'une obligation de coopération reposant sur la généralisation des contrats de réciprocité est préconisée dans le rapport de mission « Agenda rural » qui vient d'être rendu public142. On constate que des outils existent, comme le montrent les exemples des pôles métropolitains, ou des Inter-SCoT, qui permettent une approche à l'échelle de l'aire urbaine, des pays et PETR, ou encore des contrats de réciprocité ; ces dispositifs sont de plus en plus formellement en place, facilitant et pérennisant le dialogue et la concertation. Toutefois, sous réserve d'évaluation, il semble que restent à créer, particulièrement dans le champ du développement économique, les conditions de réelles coopérations et solidarités. Faut-il procéder par incitation ou par obligation ? 140 Parmi les sujets du protocole figurent le déploiement de l'économie circulaire, la mise en cohérence des politiques énergie-climat dans les territoires, le développement de nouveaux modèles de finance verte auprès des collectivités, l'expérimentation sur des territoires pilotes du service public de l'efficacité énergétique de l'habitat. Cf infra § 3.4. les dispositifs contractuels impliquant L'État. Daniel Labaronne, Patrice Joly, Pierre Jarlier, Cécile Gallien, Dominique Dhumeaux, avec l'appui notamment du CGEDD Ruralités : une ambition à partager, 200 propositions pour un agenda rural, juillet 2019. 141 142 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 60/170 PUBLIÉ Imposer par le haut la coopération apparaît irréaliste ; à défaut de jouer sur la fierté de se montrer « riche et solidaire » comme en Suisse, mieux vaut sans doute s'appuyer sur l'agilité de territoires moins bien positionnés et sur la recherche de complémentarités, par exemple d'un intérêt commun à agir sur l'offre de ZAE, thème sur lequel Bordeaux et Nantes ont ouvert un dialogue avec des communes extérieures à la métropole. Pour assurer une réelle coopération dans la durée, il convient de susciter la mise en place d'instances de travail se réunissant de façon régulière : de telles « conférences territoriales du développement économique durable » permettraient de partager des objectifs, d'en assurer le suivi et de fédérer toutes les énergies (élus, administrations, entreprises, société civile...) à la bonne échelle, autour de visions partagées. Recommandation 10. Susciter le développement de coopérations inter-territoriales pérennes en matière économique, après évaluation des pratiques existantes, et encourager la mise en place de « conférences territoriales du développement économique durable », afin que de réelles synergies et solidarités s'instaurent et s'amplifient (MCTRCT, MEF). 3.2. Soutenir les écosystèmes locaux et promouvoir des réseaux « apprenants » 3.2.1. Les facteurs récurrents d'existence de dynamiques locales Il importe de confirmer à quel point les conditions de réussite du développement territorial sont liées à la qualité du jeu d'acteurs impliqués dans l'écosystème local, tout comme à l'échelle régionale. Des élus porteurs d'une vision et sachant animer une démarche de coopération de l'écosystème Les élus ont vocation à porter une vision politique, à initier une démarche de mise en mouvement du territoire et à renforcer leur rôle Dans les Hauts-de-France, les élus veulent promouvoir « une d'animation de l'écosystème local, d'interrégion durable et connectée » médiation et d'ensemblier. Ils ont à mettre Les élus régionaux ont initié la démarche « Rev3 » autour en cohérence les projets locaux de la troisième révolution industrielle. L'alternance d'aménagement et les politiques et politique n'a pas empêché sa poursuite avec un portage stratégies de développement économique fort associant la Région et les responsables économiques. et d'emploi. Des métropoles comme Un accord entre acteurs publics et privés sur une vision Rennes ou Nantes, des villes moyennes rassembleuse a été établi sur le terrain grâce à la comme Vitré ou Figeac ont été souvent mobilisation de tous : 125 « experts » de la région, citées parmi d'autres exemples de portage administrations et entreprises, ont travaillé ensemble politique du développement local. La pendant neuf mois pour définir une feuille de route. Cette démarche a ensuite facilité la coopération et l'accélération mission a également relevé l'intérêt de des projets. L'appui de l'économiste Jérémy Rifkin a été démarches mobilisatrices impulsées à déterminant ; il est apparu comme un « totem » et un d'autres niveaux, comme dans le cas de la Région Hauts-de-France. « catalyseur » plutôt qu'un maître à penser. Un écosystème mobilisé, stimulé par des entreprises leaders Le cas de la Vallée de l'Arve est illustratif avec des entreprises industrielles à haute valeur ajoutée, connues internationalement pour certaines d'entre elles, un écosystème regroupant les industriels et les banques, qui travaillent en bonne intelligence. La Normandie est un autre cas intéressant pour Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 61/170 PUBLIÉ illustrer une démarche de mobilisation régionale, visant à être déclinée localement, en s'appuyant sur un maillage de grandes entreprises. En Normandie, après la fusion, la mobilisation des grandes entreprises Le projet de la Normandie est de créer dans le contexte de la fusion une nouvelle dynamique de développement, s'appuyant sur les entreprises industrielles présentes, qui sont des « fleurons » de l'industrie française. Depuis 2017, la Région mobilise les acteurs économiques et les outils de promotion. Le dynamisme régional est entretenu par un portage politique fort pour que le territoire progresse en particulier en matière d'innovation, grâce à une mise en réseau des entreprises, une ouverture plus grande à l'international, et un soutien à l'entrepreneuriat et à l' « intrapreneuriat ». Une capacité d'adaptation et d'anticipation de l'ensemble des acteurs Les territoires mono-industriels sont particulièrement fragiles et le rebond d'un bassin industriel sinistré est un long chemin, comme le montre l'exemple déjà évoqué de Romans sur Isère. La vallée de l'Arve, parce qu'il s'agit d'un écosystème davantage diversifié, connaît une situation plus favorable. La vallée de l'Arve, écosystème résilient Les entreprises de la vallée ont montré leur capacité à surmonter les périodes de crise : dans les années 60-70, la crise de l'horlogerie les a incitées à évoluer vers l'industrie du décolletage, faisant appel au même type de savoir-faire dans le domaine de la mécanique de précision ; puis en 2008, la crise de l'automobile les a conduites à diversifier leur portefeuille de clients et leurs produits pour répartir les risques. Ce sont en grande partie des industries à haute valeur ajoutée qui investissent de longue date en capitaux propres dans la recherche et l'innovation, participent à des réseaux de coopération territoriaux et extra territoriaux, et sont fortement engagées dans la révolution numérique. En dépit de l'absence d'un projet de territoire porté par les élus au niveau de l'ensemble des intercommunalités de la vallée, une action soutenue d'animation économique et de mise en réseau est assurée par le pôle de compétitivité. Des entreprises en mouvement La présence d'entreprises sachant innover, se mettre en réseau, se placer sur des marchés diversifiés et stimuler un système de formation adapté à leurs besoins est un facteur majeur. La mission a relevé divers exemples, dont celui déjà évoqué de l'entreprise SEB 143 et celui de l'entreprise Thimonnier. L'entreprise Thimonnier en Auvergne-Rhône-Alpes , toujours familiale Après 150 années d'existence, elle entretient un esprit de transmission et une vision à long terme. Après avoir inventé des machines à coudre, elle conçoit et réalise aujourd'hui des machines de fabrication d'emballages souples et de remplissage de liquides. Elle s'appuie sur deux éléments de différenciation : l'innovation permanente grâce à un réinvestissement annuel de 10 à 15 % du chiffre d'affaires dans sa recherche-développement et un positionnement à l'international avec 85 % de son chiffre d'affaires réalisé en dehors de la France, dont 80 % en dehors de l'Europe. Elle s'adresse à quatre marchés diversifiés avec des technologies faisant appel aux mêmes savoir-faire, soutenus par de solides plans de formation. Une société civile associée et de plus en plus impliquée La créativité vient souvent de la société civile : depuis son origine, l'économie sociale et solidaire intègre une telle approche de « créativité sociale », ainsi qu'en témoignent les multiples initiatives 143 Cf supra §1.1. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 62/170 PUBLIÉ locales relevant de cette forme d'économie. À Romans, le groupe Archer l'a illustré avec sa démarche « start-up de territoire » avec des ateliers de créativité ouverts à tous, visant à mettre en relation et en mouvement les acteurs d'un territoire et à accompagner la concrétisation de leurs projets entrepreneuriaux dans les secteurs tels que l'énergie, les transports, l'agriculture, l'économie circulaire. La société civile n'est pas seulement composée d'associations et de citoyens prêts à participer au-delà des pratiques de consultation et de concertation, mais aussi de nouveaux acteurs, notamment issus de la sphère créative, et qui contribuent à l'émergence de pratiques novatrices, telles que les tiers-lieux ou l'urbanisme de transition. La France semble globalement moins avancée que certains pays voisins en termes de démarches participatives, d'approches bottom up ou de pratiques de démocratie directe que l'on retrouve dans le système suisse des votations144, lequel n'est toutefois pas exempt de lenteurs et de blocages. Notre pays dispose cependant d'outils dédiés, qui pourraient être focalisés sur des questions économiques et écologiques : les Conseils de développement145, instances de démocratie participative locale regroupant des membres bénévoles, constituent une institution spécifique à notre pays, dont le rôle mériterait d'être évalué puis redéfini et relancé. Lors de la cérémonie du vingtième anniversaire des Conseils de développement le 24 juin dernier au Sénat, l'intérêt d'une mobilisation de ces instances a été souligné pour la construction de politiques publiques écologiques 146. Suggestion. Relancer la démocratie participative dans le champ du développement économique durable, en s'appuyant notamment sur les Conseils de développement, après avoir établi une évaluation de leur action et redéfini en tant que de besoin leurs missions (MCTRCT, MEF). 3.2.2. Le soutien aux écosystèmes, aux dispositifs d'innovation et autres clusters Il importe de soutenir les démarches innovantes, le développement des écosystèmes et l'émergence d'une économie de plus en plus collaborative dans les territoires. La nouvelle étape engagée pour les pôles de compétitivité et la mobilisation de l'ensemble des clusters, notamment autour de l'économie circulaire et de l'écologie industrielle peuvent constituer une dynamique à encourager. En France, la politique industrielle portée par l'État fait l'objet d'une organisation par filières. Selon l'opinion de plusieurs experts qui se réfèrent à l'Allemagne, à l'Italie ou au Japon, cette approche apparaît fondée au niveau national et pourrait même être renforcée par un choix plus stratégique des filières et une coopération plus étroite entre les pouvoirs publics et les entreprises, à l'instar notamment de l'exemple allemand 147. Pour la plupart des acteurs, cette politique est toutefois trop cloisonnée et en attente d'être reliée aux territoires. Le soutien à l'innovation dans les territoires Lancés depuis 15 ans, les pôles de compétitivité sont, pour la plupart, reconnus pour l'intérêt de leur démarche, même si leur efficacité dépend évidemment de la dynamique de coopération entre organismes de recherche et entreprises, ainsi que de l'appui reçu des collectivités territoriales. Les 144 Permettant aux citoyens de réagir sur une loi ou bien de prendre l'initiative sur un sujet pour en demander une, le système repose sur l' « ADN suisse », qui fait que les électeurs répondent généralement à la question posée. Bénéficiant d'un cadre légal avec les lois NOTRe et MAPTAM, ils sont créés par les Métropoles, communautés urbaines, d'agglomération, de communes (dès lors qu'elles sont à fiscalité propre et de plus de 20 000 habitants), pays et pôles d'équilibre territoriaux et ruraux (PETR), en tant qu'instances de consultation et de proposition sur les orientations majeures des politiques publiques locales. Alors que leur caractère obligatoire semble faire débat et pourrait être remis en cause... C'est le point de vue de Pierre Veltz, selon lequel il y a en fait un trop petit nombre de « vraies filières » en France, comme la santé, l'aéronautique, l'automobile, en pleine mutation, avec les équipementiers qui prennent la tête de cette filière. Cf également l'exemple de la filière bois supra § 1.1. Mutations économiques et développement des territoires Page 63/170 145 146 147 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ situations peuvent être fluctuantes au sein d'une même région 148. Dans la nouvelle période 2019 ­ 2022, il importe que l'État maintienne une certaine continuité et soutienne les dynamiques existantes149. La diminution du nombre de pôles a incité à des regroupements qui finalement ne semblent pas remettre en cause leur ancrage territorial, à condition d'entretenir entre les équipes des coopérations qui ne s'arrêtent pas aux frontières régionales. Dans leurs entretiens avec la mission, les présidents de pôles, qui sont issus du monde de l'entreprise, ont souligné l'importance, pour expliquer la performance et la réussite des entreprises de leur pôle, de leur propre ancrage territorial : l'appui sur des réseaux construits sur une base locale et régionale, le partenariat avec les universités et la recherche régionale appliquée, les liens avec l'ensemble des leviers territoriaux de l'innovation. La mission souligne l'importance de reconnaître et de prendre en compte cet aspect pour la performance économique, à l'image de ce qui peut être observé en Allemagne. Une plus grande place des PME dans les pôles de compétitivité est régulièrement souhaitée, ainsi qu'une convergence plus forte entre les pôles et l'ensemble des clusters. C'est la vision défendue par France Clusters, qui considère que ces deux concepts correspondent à une gestion territoriale de la politique de filière permettant d'insérer les territoires et de cibler les PME, piliers du tissu économique. Le ministère de l'économie et des finances est perçu comme ayant une approche différenciée des clusters et des pôles de compétitivité, ces derniers devant rester dans une approche nationale de politique de filières, privilégiant les grandes entreprises et les pôles technologiques (de fait, les grands groupes président un grand nombre de pôles, dont ils apportent souvent les principaux financements). Pour la mission, une évolution vers une approche plus concrète du fonctionnement territorial des filières, pôles et clusters permettrait de faciliter la relation avec les territoires et l'implication des PME et TPE, lesquelles ne disposent pas d'outil de recherche bien qu'elles représentent 80 % du tissu industriel. Cela devra constituer un important point d'attention dans la perspective annoncée d'un transfert des pôles aux Régions à partir de 2020. Suggestion. Encourager une gestion coordonnée des filières, pôles de compétitivité et clusters afin de faciliter leur relation avec les territoires et l'implication de l'ensemble du tissu économique, notamment celui des PME et TPE (MCTRCT, MEF). 3.2.3. La promotion des démarches innovantes, des « démonstrateurs » et des « réseaux apprenants » Les approches et méthodes innovantes doivent être identifiées, analysées et le cas échéant promues. Elles donnent à voir des projets ou des réalisations ayant valeur d'exemplarité afin de servir de modèle, d'incitation ou bien de test. C'est ainsi qu'il est souvent question de mettre en place des « démonstrateurs », notamment en matière d'économie circulaire, ou bien plus largement, comme dans le cas de la démarche Rev3. Parmi les méthodes et outils novateurs, la mission a notamment repéré deux initiatives récentes : 148 Par exemple, dans les Hauts de France, I-Trans, pôle focalisé sur les transports terrestres et la logistique, rebondit après un démarrage difficile, grâce au choix de sujets ciblés et un travail collectif entre universités et entreprises ; des pôles de compétitivité liés au textile sont en cours de regroupement ; le pôle IAR (ressources et industrie agroalimentaire) fonctionne bien ; d'autres pôles n'ont en revanche pas vraiment pris leur envol... Selon le rapport du CGEDD n°010561-01 de juillet 2016 Les pôles de compétitivité, leur apport pour les politiques du MEEM (établi par Bruno Depresle, Elisabeth Dupont-Kerlan coordinatrice, Gérard Lehoux et Alby Schmitt), « le rôle des pôles est d'abord territorial pour faciliter l'innovation » (p. 38). Le rapport souligne la nécessaire articulation avec les autres dispositifs territoriaux (notamment de recherche) et les appels à projet, ainsi que les perspectives issues de la transition écologique. Il privilégie un scénario de renforcement des réseaux thématiques, qui « préserve les écosystèmes qui se sont constitués » et « permet une large diffusion des enjeux de transition ». 149 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 64/170 PUBLIÉ · la toile industrielle, est une méthode développée par des agences d'urbanisme de villes industrielles (Dunkerque, Saint-Etienne...) visant à observer et mesurer tous les flux d'échange entre les entreprises, facilitant ainsi le développement de l'économie circulaire entre les entités économiques existantes et celles qui sont potentiellement entrantes ; la « communauté apprenante » Symbiogora150 se situe comme un lieu de partage (forum national ou régional, communauté en ligne...) entre acteurs clefs du développement territorial (pouvoirs publics, urbanistes, chercheurs, formateurs, incubateurs, startups et autres entrepreneurs...), aidant les participants à développer leur propre écosystème pour créer de la valeur territoriale (économie, emploi, inclusion, environnement, qualité de vie...) · Hauts de France : une politique de démonstrateurs Les 16 « territoires démonstrateurs », lancés par la mission « Rev3 », ont vocation à faire connaître les actions menées par les entreprises au sein des territoires de la région grâce à l'organisation de coopérations et de journées thématiques. L'idée, portée par la Région fusionnée, devrait faire l'objet d'un déploiement sur d'autres sites., en touchant l'ensemble des collectivités territoriales, des acteurs locaux et des citoyens par ces actions de proximité. C'est une illustration intéressante de l'implication de la Région dans les territoires. L'urbanisme transitoire Il s'agit de valoriser des espaces inutilisés dans le cas de projets de renouvellement urbain ou de requalification prenant du temps, pour développer des activités temporaires de type agriculture urbaine, accueil de populations en difficulté, activités ludiques ou culturelles... Dans le cas de villes en décroissance urbaine, comme à Roubaix, avec un projet d'agriculture sur d'anciennes friches industrielles, la démarche peut même s'étendre sur des durées beaucoup plus longues. Ces pratiques suscitent des questionnements, notamment sur les ambiguïtés de la « classe créative » et la place réelle des créateurs dans la ville151. Elles ouvrent néanmoins des perspectives intéressantes tout comme celles, de nature voisine, relatives à la mise en valeur de « communs » territoriaux152, en tant qu'usage partagé du foncier et la possibilité d'implication de nouveaux acteurs. On parlait autrefois d' « urbanisme éphémère » ; aujourd'hui les initiatives sont mieux accueillies et les exemples plus nombreux, notamment en Île-de-France 153, parmi lesquels on peut citer à titre illustratif celui de l'ancienne usine Christofle en Seine-Saint-Denis. L'usine Christofle en Seine-Saint-Denis devient « l'Orfèvrerie » Fermée depuis 20 ans, l'ancienne usine compte 21 000 m² réutilisés dans le cadre d'un projet piloté par l'urbaniste Bernard Reichen : depuis son rachat en 2016 par le promoteur Quartus, le site, rebaptisé l'Orfèvrerie, « fait le plein ». En 2018, un appel à candidatures a reçu 150 réponses et conduit à la signature d'une trentaine de baux, tous temporaires. Le départ est prévu en 2019 mais certains preneurs pourraient rester car les projets d'usage futur sont souvent plus longs que prévu, et la créativité des usagers transitoires valorise les lieux : « les villes sont plus attractives si on y voit de l'animation plutôt que des palissades » ; et l'inventivité soutient les bénéfices... L'urbanisme de transition deviendra-t-il la base de l'urbanisme tout court ? L'urbaniste alerte sur les limites de la démarche : « On voit apparaître un très fort romantisme de l'appropriation ; mais dès qu'on pense à un vrai projet, c'est un autre sport.» 150 Initiée par l'Institut Paris Région (ex IAU Île-de-France), l'Université catholique de Lille et le cabinet In Principio. Cf notamment Qu'est-ce que la ville créative ? Par Elsa Vivant, PUF avec le concours du PUCA, 2009. Cf Note rapide IAU, Les communs urbains, une notion pour repenser l'aménagement territorial, juillet 2019. L'IAU IF distingue « l'optimisation économique d'un patrimoine immobilier vacant, comme celui du promoteur de bureaux Gecina avec Paris&Co ; des projets citoyens, culturels et sociaux, comme les Grands Voisins à Paris ; des occupations du foncier SNCF, axées sur les dimensions festives et culturelles (Gare des Mines, Grand Train, Ground Zero) ». Mutations économiques et développement des territoires Page 65/170 151 152 153 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ Le droit à l'expérimentation L'usage du droit à l'expérimentation a été cité par plusieurs interlocuteurs de la mission comme un moyen pour sortir de situations de blocage, ou pour mieux adapter la règle au contexte. Consacré par la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 et confirmé récemment par la loi pour un État au service d'une société de confiance, dite loi ESSOC, visant à favoriser l'innovation, ce droit est encore peu utilisé, notamment par les collectivités territoriales. Il convient de définir les responsabilités, la durée et l'évaluation de la démarche. Mais la sortie de l'expérimentation reste délicate, en l'absence d'autres alternatives légales que l'abandon ou la généralisation de la mesure expérimentée 154. Sa mise en oeuvre permet une approche participative « apprenante », comme le montre l'expérimentation en cours sur dix sites de la démarche « territoires zéro chômeur de longue durée ». À l'occasion de sa présentation, la Fondation de France, qui l'accompagne, a souligné l'intérêt de l'expérimentation, qui développe une logique d'apprentissage évitant le stop and go, l'empilage voire l'incohérence entre politiques publiques ; on se situe « sur des valeurs », dans une démarche d'innovation et de « cousu main » (qui évite les travers d'une transposition issue d'un parangonnage mal compris), permettant d'impliquer plus facilement la société civile et même de suivre ses initiatives. On a vu aussi que la démarche expérimentale pouvait avoir un intérêt en ce qui concerne l'application de la législation relative à la protection de la biodiversité dans le cas des sites à dépolluer155 ; d'autres pistes d'application pourraient concerner l'agencement des compétences des collectivités ou encore les missions des opérateurs dans le champ du développement économique. Suggestion. Développer l'usage du droit à l'expérimentation, notamment pour faciliter l'application coordonnée de dispositions réglementaires complexes, et pour favoriser la synergie des compétences des collectivités (MCTRCT, MTES). Des réseaux d'échange et de capitalisation Le développement de réseaux d'échanges pour apprendre ensemble, assortis de dispositifs de capitalisation des bonnes pratiques, apparaît comme un des moyens les plus efficaces pour faire progresser les écosystèmes. Cela peut se faire selon les sujets aux échelles régionale ou nationale voire européenne. La visite du site de Bagnoli en Italie a suggéré à cet égard la création d'un réseau de villes européennes confrontées au défi des grands sites industriels à dépolluer 156. Il importe que de tels réseaux soient organisés de façon professionnelle, à l'image d'Urbact. Les réseaux thématiques relevant de ce programme européen sont constitués selon une méthode rigoureuse autour d'une ville pilote et d'un principe de rencontres se tenant successivement dans chaque ville du réseau avec mobilisation d'une expertise de haut niveau et production d'une capitalisation. C'est une « démarche apprenante » permettant à chaque partenaire de travailler à son propre projet avec les autres membres, ce qui apporte une ouverture et un dynamisme qui déplacent favorablement le jeu d'acteurs locaux, comme le montre l'exemple de Clermont-Ferrand 157. Outre la poursuite de réseaux européens Urbact, notamment sur le thème du traitement des grandes friches polluées, il serait possible de s'appuyer sur le savoir-faire d'Urbact, son expérience et ses moyens pour organiser dans la durée de tels réseaux, focalisés notamment sur la requalification ou le recyclage économique des territoires aux niveaux national et régional. Un budget dédié devrait être mobilisé pour permettre la mise en place d'une démarche professionnelle efficace. 154 Fondation Jean Jaurès, Réformer le droit à l'expérimentation locale, un enjeu public majeur, février 2018. Cf. supra § 2.4 Cf § 2.4. Engagée dans le réseau Techtown, avec notamment la démarche écosystémique « Le Bivouac » et un projet de bâtiment « Totem » pour les startups, présentés lors de la séance du 19 juin 2018 du collège Territoires du CGEDD . 155 156 157 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 66/170 PUBLIÉ Recommandation 11. Développer, sur le modèle du programme européen Urbact, des « réseaux d'échange apprenants » relatifs au recyclage économique, dotés d'une organisation professionnelle et de moyens facilitant les « démarches apprenantes » et s'appuyant sur des méthodes innovantes, comme celle de la « toile industrielle » (MCTRCT). 3.3. Renforcer l'ingénierie territoriale et l'appui des services de proximité 3.3.1. Les différents besoins d'ingénierie territoriale Les projets de territoire nécessitent une ingénierie, tant lors de leur élaboration que dans le suivi de leur mise en oeuvre. L'Association nationale des pôles territoriaux et des pays (ANPP) distingue trois types d'ingénierie au plan territorial : l'ingénierie de gestion des services techniques, l'ingénierie de projet et l'ingénierie d'animation, les deux dernières se rapportant aux projets de territoires. Dans son référentiel territorial paru en 2018, l'association Le Rameau insiste également sur l'importance de l'ingénierie pour piloter la co-construction territoriale, selon trois niveaux : l'animation du dialogue territorial, l'accompagnement des partenariats et l'accompagnement des expérimentations collectives158. L'énoncé de ces tâches montre l'importance des missions d'impulsion, d'animation et de mobilisation, lesquelles ne sont souvent pas identifiées comme prioritaires lorsqu'il faut économiser les postes d'un budget de fonctionnement. Des situations contrastées selon les territoires Les collectivités territoriales s'étoffent peu à peu en moyens d'ingénierie. Les métropoles et les grandes villes en ont en général la possibilité, la situation est plus délicate pour les plus petites intercommunalités et dans les territoires fragiles, qui disposent souvent de peu de ressources. En Ardèche, au Cheylard, un besoin d'appui en ingénierie territoriale L'EPCI industriel du Val'Eyrieux, situé autour de cette commune du Nord de l'Ardèche connue pour son activité de fabrique de bijoux, sait valoriser ses qualités d'attractivité (culture industrielle, cadre de vie, environnement social et culturel), optimiser ses moyens (un lieu unique comportant des services et un fablab), mobiliser des outils tels que PETR, TEPCV... et dialoguer avec le Département comme avec la Région. Mais pour anticiper les mutations et conduire une politique plus ambitieuse, l'EPCI identifie un besoin déterminant d'ingénierie de projet et d'animation qui reste difficile à satisfaire au niveau d'une petite intercommunalité territorialement isolée, ce qui suggère des solutions mutualisées, avec un apport du Département et de l'État. Cela permettra par exemple de mieux inscrire dans la réalité locale la démarche Territoires d'industrie, vécue au départ comme trop « top down ». Certains territoires peuvent cependant mobiliser des moyens à un autre niveau, comme au sein des agences d'urbanisme ou encore dans les parcs naturels régionaux. Des solutions de mutualisation se développent aussi à l'échelle des pôles territoriaux. De nombreux Départements ont, comme l'Ardèche, créé des agences qui offrent des prestations d'ingénierie aux EPCI. Dans les territoires fragiles ou insuffisamment pourvus, l'État doit avoir un rôle et apporter un appui, au moins tant que les collectivités n'ont pas pu s'organiser à la bonne échelle. 158 L' « animation » signifie un partage des connaissances, une sensibilisation aux partenariats et une mise en relation ; l' « accompagnement des partenariats » comporte la préparation, l'accompagnement et l'évaluation ; l' « accompagnement des expérimentations » comprend la capacité à faire émerger les besoins, l'aide à la coconstruction des solutions et l'évaluation. Mutations économiques et développement des territoires Page 67/170 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ Ces constats de la mission confirment les réflexions menées en vue de la création de l'Agence nationale pour la cohésion des territoires (ANCT), qui avaient révélé une certaine confusion dans l'appréhension même de la notion d'ingénierie territoriale et démontré la nécessité d'une clarification. La mission propose de définir l'ingénierie territoriale en distinguant trois catégories. Les fondamentaux de l'ingénierie territoriale · L'ingénierie amont de conception de projet (souvent appelée simplement ingénierie de projet) dont le rôle est de transformer une idée ou une intention politique en un projet structuré : cela peut être une opération immobilière sur un territoire donné ou, plus souvent, un ensemble d'opérations et d'actions contribuant à transformer un territoire défini, comme la requalification d'un centre-ville. Cette ingénierie aide donc à définir les objectifs, le mode de réalisation, le montage financier, les études à réaliser pour y parvenir et le choix du type d'opérateur. L'ingénierie opérationnelle privée ou publique, apportée notamment par les SPL et EPFL, opérateurs des collectivités territoriales, ou EPA et EPF d'État. Elle consiste à mettre en oeuvre le projet en tant que maître d'ouvrage ou d'assistant à maîtrise d'ouvrage. L'ingénierie de gestion de projet, de pilotage, d'impulsion et d'animation, dont le rôle est de mobiliser en continu et sur la durée nécessaire l'ensemble des moyens techniques, humains et financiers nécessaires à la réalisation du projet. On parle alors souvent de chef de projet, d'équipe de projet, et de directeur de projet s'il s'agit d'une démarche plus complexe comme un projet de renouvellement urbain. · · 3.3.2. Des manageurs du développement économique durable L'ingénierie de gestion de projet est bien identifiée pour la mise en oeuvre des projets urbains complexes, comme ceux relevant de l'Anru ou de l'Anah, moins dans d'autres cas. Elle est pourtant nécessaire, en la calibrant à la hauteur de l'enjeu, pour tout projet ne se limitant pas à la réalisation d'une opération simple. L'animation d'un projet de territoire159 entre tout à fait dans ce cadre. Il s'agit ici plus spécifiquement de mettre en place des « manageurs » du développement économique durable, à l'instar des chefs de projet urbain (Anru, Coeur de ville...) et des manageurs du commerce, au niveau des EPCI ou à l'échelle inter-territoriale pertinente (PETR...), en lien avec les agences de développement, les CCI..., et de leur faire jouer un rôle d'impulsion, de coordination et d'animation des instances regroupant tous les acteurs, par exemple des conférences territoriales du développement économique durable160. Le manageur doit notamment mobiliser les énergies, entretenir la coopération entre acteurs publics et privés, impliquer davantage toutes les composantes de la société civile, veiller au respect des délais et à l'optimisation des ressources financières, techniques et humaines. Il peut s'appuyer non seulement sur des outils de gestion de projet mais aussi sur des méthodologies de travail collectif permettant coproduction et création de valeur collective161. Pour ancrer cette mission, indispensable mais trop souvent négligée, il importe de la définir, d'en faire un « métier » avec un dispositif de formation et de qualification, de constituer un « vivier » avec des critères de recrutement (comme cela s'est fait à l'époque du démarrage de la politique de renouvellement urbain avec les grands projets urbains (GPV) puis l'Anru). La Fédération des EPL a produit en interne un travail pour caractériser ce nouveau métier, et constate son émergence au sein 159 Tel que défini supra au § 1.4. Proposées au § 3.1.3. Par exemple des approches de type Symbiogora (cité supra au § 3.2). 160 161 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 68/170 PUBLIÉ des entreprises publiques locales. La CDC pourrait être mobilisée ainsi que l'ANCT, dès qu'elle sera opérationnelle, afin de porter une politique d'appui à la mise en place de ces manageurs : définition de fonction, cofinancement, aide au recrutement, développement des outils méthodologiques. Recommandation 12. Promouvoir un métier de « manageur du développement économique durable », mobilisateur de toutes les énergies locales, et encourager la mise en place de ces animateurs-développeurs d'écosystèmes grâce à un dispositif de soutien professionnel et financier mobilisant la CDC et l'ANCT (MCTRCT). 3.3.3. La mobilisation des opérateurs fonciers et d'aménagement La mobilisation des opérateurs fonciers et d'aménagement sur les enjeux de développement économique, notamment de recyclage des zones d'activité et des sites pollués a été évoquée à plusieurs reprises. Il s'agit des opérateurs rattachés à l'État (EPA, EPF), des opérateurs rattachés aux collectivités territoriales (SPL, SEM, EPF) et des opérateurs privés « qui ne peuvent pas tout faire » quand les conditions économiques ne sont pas les plus favorables, comme on l'a vu dans le cas des sites pollués. Les opérateurs de l'État ont particulièrement un rôle pionnier à jouer pour développer les projets de requalification et de recyclage, lorsqu'ils sont nouveaux et difficiles. Cela suppose qu'ils se positionnent davantage sur ces sujets. Concernant l'action foncière, on a constaté que les projets de restructuration de zones d'activités économiques et commerciales nécessitent le plus souvent des étapes de restructuration foncière avant mise en oeuvre. Il en est de même pour ce qui est du recyclage des sites pollués. Les « opérateurs historiques », EPF Nord-Pas-de-Calais, Normandie et Lorraine, ont développé un savoir faire et des moyens d'intervention dans ce domaine. Une politique d'intensification du recyclage économique impose de permettre un positionnement de tous les EPF sur ce sujet, en fonction des besoins de leurs territoires d'intervention respectifs162. Concernant l'aménagement, les EPA interviennent souvent sur des opérations complexes ou des secteurs difficiles en termes de situation sociale ou de gouvernance territoriale. Ils peuvent utilement s'impliquer davantage sur les enjeux économiques, comme le fait l'Epase à Saint-Etienne sur les questions plus spécifiques du commerce à la fois en centre-ville (création d'une foncière de portage des locaux à requalifier) et en périphérie (restructuration d'une zone commerciale d'entrée de ville). Il paraît intéressant que ces établissements confortent leur positionnement d'« opérateurs ensembliers », à l'image de structures existantes dans des pays voisins, comme Citydev.brussels163. Les anciens bassins industriels et autres territoires fragiles sont souvent ceux qui sont également le plus en manque d'une gouvernance politique forte et dépourvus de structures opératrices solides. Alors qu'on peut s'interroger sur le maintien d'EPA, pilotés par l'État, au sein des territoires métropolitains, il serait judicieux d'étudier la possibilité de positionner de tels outils dans les territoires en difficulté, le cas échéant sous la forme d'opérateurs ensembliers en capacité d'agir à la fois dans le domaine du foncier, de l'aménagement, du développement économique et de la transition écologique. Un tel sujet pourrait faire l'objet d'une étude de faisabilité à partir d'une évaluation des besoins des territoires. Suggestion. Mettre à l'étude, dans le cadre d'une réflexion sur le devenir des outils d'aménagement de l'État, la possibilité de positionner de nouveaux opérateurs ensembliers 162 Cf supra § 2.2 et 2.4. avec une recommandation sur les missions des EPF. Anciennement, Société de Développement pour la Région de Bruxelles-Capitale (Belgique) Mutations économiques et développement des territoires Page 69/170 163 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ (foncier, aménagement, développement économique et transition écologique) dans les territoires en difficulté situés hors des métropoles (MTES, MCTRCT). 3.3.4. Un accompagnement de proximité mieux ajusté des services de l'État La question du rôle de l'État dans le développement des territoires se présente de façon paradoxale. Les compétences sont décentralisées en matière d'appui à l'innovation, d'accueil des entreprises et de foncier économique, mais on en appelle à l'État en cas de fermeture d'entreprise. Dans les axes de réorganisation territoriale annoncés le 23 mai dernier par le Premier ministre, il est prévu un recentrage de l'État sur le suivi des filières stratégiques, des politiques d'innovation et du numérique et l'accompagnement des entreprises en difficulté. Le développement économique des territoires n'est pas explicitement cité et les DIRECCTE doivent abandonner leur mission de connaissance et d'animation. L'État continuera, à n'en pas douter, d'intervenir dans les situations de crise, ne serait-ce que parce que les entreprises dont les difficultés sont médiatisées dépendent souvent de groupes nationaux ou internationaux dont l'État reste un interlocuteur. En amont, une meilleure anticipation, surtout dans les territoires fragiles 164, a tout à gagner d'une coopération renforcée entre l'État et ses services locaux, les Régions et intercommunalités et leurs services ou agences. Hormis ces situations, les services de l'État restent sollicités à divers degrés selon les lieux, pour assurer un appui qui nécessite une intelligence territoriale et une attitude d'accompagnement. La plupart des acteurs locaux auditionnés par la mission ont exprimé le souhait d'un État « agile », facilitateur, aidant à la mise en oeuvre de règles lisibles et stables, développant des capacités à innover, à prendre des risques et à fédérer. Comment répondre à ces attentes dans un contexte de repli de l'État sur les missions régaliennes et de baisse de moyens ? Ce n'est pas impossible, à condition de miser sur une mobilisation et un bon positionnement des équipes 165 ; cela suppose aussi une organisation des services pensée à l'échelle régionale afin de pouvoir mieux placer les équipes territoriales là où une présence de proximité est la plus utile et tant que cela s'avère nécessaire 166. Le travail en mode projet entre les services de l'État et, le cas échéant, avec d'autres entités s'avère utile pour développer ce positionnement. C'est ce que font la DREAL de Normandie et la DDT de Seine Maritime pour les projets liés à la métropole de Rouen, ou bien les services du département de l'Ardèche, de la Préfecture, et de la DDT pour construire un projet de transition écologique. L'idée de « sous-préfets développeurs », lancée par Jacques Chérèque, alors ministre délégué à l'aménagement du territoire (1988-1991) pourrait être à nouveau envisagée pour la gestion de projets complexes. Les DREAL sont attendues pour porter les stratégies nationales au niveau régional, assurer la cohérence et contrôler la mise en oeuvre des politiques publiques, dans une attitude constructive et non uniquement « doctrinale », en particulier pour ce qui concerne l'intégration des préoccupations environnementales. Les DDT sont bien placées pour assurer un conseil aux territoires avec une vision d'ensemble et une culture du projet. Ce rôle leur a été demandé et a fait l'objet d'une évaluation167. Leur connaissance du monde des entreprises serait cependant à renforcer afin de savoir mieux articuler aménagement et développement économique. Les DDT pourraient, pendant une période transitoire, s'appuyer à cet effet sur les compétences des DIRECCTE. 164 Cf supra § 2.1. Pierre Veltz pointe le « blues dans la fonction publique alors qu'il y a tant de choses fabuleuses à faire », « les fonctionnaires ne demandent qu'à s'impliquer mais n'ont pas le sentiment d'être bien positionnés pour cela ». L'organisation peut être pilotée au niveau régional avec des services répartis sur les territoires selon des priorités de localisation liées aux enjeux et aux besoins des territoires ; dans les années récentes certaines DREAL ont pu aussi localiser des emplois « régionaux » au sein de DDT sur des sujets particuliers afin de renforcer la proximité. Voir aussi à ce sujet l'ensemble des réflexions formulées par le CGEDD sur l'évolution de l'ingénierie territoriale et les conditions de mise en place du nouveau conseil aux territoires. 165 166 167 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 70/170 PUBLIÉ Pour accompagner ces évolutions, un programme national de formation-action serait à mettre en oeuvre, de manière similaire à ce que font les entreprises en mutation. Certaines actions engagées sont à poursuivre, par exemple dans le cadre de la « Fabrique à projets », laboratoire d'innovation publique porté par l'Ifore. On doit également s'assurer d'une complémentarité avec les actions des collectivités territoriales, notamment Régions et Départements, dans le cadre de l'ANCT 168. Suggestion. Positionner les services territoriaux de l'État sur des missions de facilitateur et d'appui de proximité en y affectant une part définie de leurs moyens, en les organisant de façon coordonnée avec celles des Régions et des Départements, en faisant bénéficier les équipes des DREAL et DDT de moyens de connaissance et d'expertise, ainsi que d'un programme national de formation à l'accompagnement de projets économiques durables (MTES, MCTRCT). Le maintien revendiqué de services publics de proximité dans les territoires ne concerne pas que les services de l'État mais aussi ceux d'autres collectivités, ou des opérateurs. Il suppose la mise en oeuvre de profondes mutations de leur part, telles que celles menées par la Poste. Sans préjuger de sa réussite, cet exemple est cité pour montrer l'ampleur d'une telle démarche de transformation 169. La Poste, service public et entreprise en mutation Le service postal universel, tel que défini par une directive européenne, a été confié en France à la Poste . Selon le Code de la poste, il « concourt à la cohésion sociale et au développement équilibré du territoire». Un fonds de compensation assure à la Poste le financement des coûts nets liés à ses obligations de service universel, notamment en termes d'accessibilité. Le réseau de points de contact a été profondément transformé : ainsi fin 2014, les 17 000 points comportaient plus de 5 000 « agences postales communales », gérées par les mairies, et 2 000 « relais-postes » gérés en partenariat avec des commerçants locaux. La Poste a innové dans ses process et a recherché de nouveaux services (base de données clients, passage de l'examen du code de la route, livraison de colis par drone en France...) avec un considérable effort de formation des facteurs. La Poste s'efforce ainsi de repenser son ancrage territorial. L'ANCT, en cours de mise en place, sera, selon l'annonce de ses futures missions, d'une part, dédiée au portage de certains programmes nationaux comme « Action coeur de ville » ainsi qu'à la mise en oeuvre d'une nouvelle contractualisation préparée par l'État, d'autre part, chargée de veiller à ce qu'un territoire trouve une « solution » pour tout projet à monter. La mission suggère que les premières actions de la nouvelle agence portent sur la définition d'une doctrine relative à l'ingénierie territoriale et sa mise en oeuvre prioritairement dans les projets économiques des territoires, avec le développement d'une « boite à outils », notamment la promotion des manageurs du développement170. Cela suppose l'existence de relais proches du terrain, sous le contrôle du préfet, désigné délégué territorial de l'Agence. L'organisation la plus efficace serait de constituer ces relais au niveau des équipes locales des DDT, positionnées dans leur mission de conseil au territoire. Recommandation 13. Dès la création de l'Agence nationale pour la cohésion des territoires (ANCT), définir une doctrine relative à l'ingénierie territoriale et engager sa mise en oeuvre pour soutenir prioritairement les projets économiques locaux inscrits dans la transition écologique, avec l'appui et le relais des services de l'État, particulièrement des équipes de proximité des DDT chargées d'un rôle de conseil de proximité (MCTRCT). 168 Cf ci-après. Cf également annexe 3.3. Proposés supra au § 3.3.3. Mutations économiques et développement des territoires Page 71/170 169 170 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ 3.4. Développer des dispositifs contractuels incitatifs et cohérents 3.4.1. Un besoin de lisibilité et de stabilité des dispositifs portés par l'État Depuis plus de 30 ans, à la suite des grands mouvements de décentralisation, de nombreux outils contractuels et dispositifs ont été développés par l'État. Ils présentent chacun leur utilité en mettant l'accent sur une thématique, en ciblant une problématique territoriale spécifique, en suscitant un dialogue entre acteurs autour d'une vision ou encore en activant la construction d'un projet. Même en se limitant aux dispositifs en lien avec le sujet de la mission, leur nombre est important et s'est encore accru dans la période récente171. S'y ajoutent d'autres outils spécifiques initiés par l'État dans le domaine économique comme les pôles de compétitivité, les pôles territoriaux de coopération économique (PTCE), un grand nombre d'appels à projets au premier rang desquels ceux relevant du programme d'investissements d'avenir (PIA)... Des critiques ont été entendues de la part des acteurs locaux et patronaux quant à la profusion de ces outils et dispositifs : · des dispositifs foisonnants et peu lisibles : selon le MEDEF, les entreprises sont désorientées devant la multitude de dispositifs ; les élus expriment des difficultés à « accrocher » à des initiatives qui ne correspondent pas à la temporalité et à la cohérence de leur projet local ; des dispositifs mal articulés entre eux : ainsi, il n'y a pas de lien entre le PIA et les CTE, ni entre les CTE et les « Territoires d'industrie », ni entre ces derniers et « Action coeur de ville » ; des dispositifs dont le suivi est mal assuré dans la durée : par exemple, l'État et la CDC ne portent plus les PTCE à peine quatre ans après leur reconnaissance législative 172 et malgré leur poursuite au niveau local173 . · · L'avenir des contrats de plan État-Régions et de leur volet territorial dans la perspective de 2020, échéance de la période en cours, a également été soulevé à l'occasion d'entretiens de la mission. La question de la forme et du contenu des futurs contrats de plan, dans l'hypothèse d'une reconduction de leur principe, ainsi que de leur déclinaison territoriale, croise les enjeux d'évolution de l'ensemble des dispositifs contractuels évoqués. Comme sur bien d'autres sujets, une volonté de simplification a été exprimée au niveau national et la perspective d'un contrat unique a été avancée, sous la forme d'un « contrat de cohésion territoriale » qui pourrait être porté par l'ANCT 174. Il paraît cependant peu probable que celui-ci regroupe en un seul outil tous les dispositifs, alors que chaque département ministériel souhaite conserver des approches spécifiques et des types adaptés de territoires (industriels, frontaliers, ruraux, touristiques...). Il serait donc souhaitable de définir un « contrat socle » décliné ensuite selon divers contrats thématiques ou, à défaut (mais avec le risque d'une approche moins rigoureuse et plus 171 « Contrats de ville », « contrats de ruralité » (passés avec les Pôles d'équilibre territorial et rural (PETR) qui prennent la suite des « pays »), « pacte État ­ métropoles » décliné en « pactes métropolitains d'innovation et de coopération », contrats « Action coeur de ville », contrats « Territoires d'industrie », « contrats de transition écologique »... série faisant l'objet de plusieurs recensements et analyses, notamment de la part du CGET. Loi relative à l'économie sociale et solidaire du 31 juillet 2014, article 9. De même, des contrats de pays continuent d'exister (voire d'être élaborés avec des Régions) alors que l'État ne les porte plus depuis que la loi MAPTAM (article 79) a permis aux pays de se transformer en PETR; la continuité des financements n'est pas toujours respectée, selon l'ANPP citant les contrats de ruralité. Un rapport récent en suggère des modalités pour éviter les travers des dispositifs antérieurs : IGA, Les nouveaux types d'engagements entre l'État et les collectivités territoriales, février 2019. 172 173 174 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 72/170 PUBLIÉ difficile à faire respecter), un « socle commun » à tous les contrats : principes, vocabulaire, boîte à outils, exigences, notamment en termes de projet de territoire175. 3.4.2. La transition écologique au coeur des dispositifs contractuels Les contrats de transition écologique (CTE) ont été La CFDT a pris l'initiative de proposer une démarche de CTE sur Fos-sur- lancés à titre expérimental Mer, bassin industriel fortement pollué, pour le transformer via la mise en début 2018. 19 territoires place d'une plateforme collective et le lancement de projets d'entreprise. ont été retenus en deux Des associations ont soutenu cette proposition de changement de modèle, vagues, en février 2018 puis qui comporte des dimensions sociale, économique, fiscale et en février 2019, dans la professionnelle avec une notion de parcours métier, faisant émerger l'idée finalité de définir les d'un « campus des métiers », lieu d'échange de bonnes pratiques en faveur contours d'un nouvel outil de l'écologie et de l'économie circulaire. Ces propositions, quelle que soit pour une contractualisation la manière dont elles seront reprises, sont l'illustration d'un bon degré transversale en matière de d'appropriation de l'outil CTE par différents types d'acteurs. développement durable. Ces premiers contrats devaient être finalisés pour une signature au cours de l'été 2019, la première ayant eu lieu à Arras. Un appel à candidature a ensuite été lancé, conduisant, le 9 juillet dernier, à retenir 61 nouveaux sites. Le principe a été de privilégier les EPCI, considérés comme le bon échelon de contractualisation, ou une alliance d'EPCI. Un « CTE » pour Fos-sur-Mer, proposé par un syndicat Les CTE ont pris la suite des « Territoires à énergie positive pour la croissance verte » (TEPCV)176. Ces démarches avaient suscité des dynamiques du fait des financements qui les accompagnaient, mais manquaient sans doute de priorisation, et ont été stoppées sans faire l'objet d'une évaluation. Le CTE se veut avant tout une méthode pour concevoir la transition écologique comme un moteur de transformation au plan local en aidant les élus à bâtir un projet de territoire avec l'appui de spécialistes, à partir d'une réflexion prospective sur 10 à 20 ans et en mettant autour de la table le monde économique, les acteurs territoriaux, les agences, les administrations... La démarche suscite l'intérêt de représentants de la société civile rencontrés par la mission. Ainsi France nature environnement (FNE) considère que cet outil doit être développé afin de « contaminer » positivement les projets territoriaux de transition écologique par l'exemple et la proximité. La CFDT concrétise avec le CTE sa vision d'acteur de « territoire de projet » et se fait force de proposition à Fos-sur-Mer ; les parties prenantes suscitées par le Département font de même en Ardèche. La démarche du CTE apparaît prometteuse sous réserve de surmonter certains écueils : faire en sorte que les élus fassent vivre la démarche et que les entreprises et la société civile prennent leur place, mobiliser les moyens d'ingénierie nécessaires à la tenue de la démarche dans la durée et ne pas se limiter à un catalogue d'actions, mais prendre le temps d'une approche holistique et prospective permettant de penser la transition écologique de l'ensemble du tissu économique territorial. Le dispositif contractuel proposé par l'État doit ainsi refléter plusieurs conditions : · identifier et traiter en priorité des projets structurants pour la transformation du territoire, à savoir des projets d'aménagement en lien avec l'image du territoire, ses choix énergétiques, l'organisation des mobilités, l'accompagnement de la conversion écologique des entreprises, s'appuyer sur une véritable plate-forme de coopération entre parties prenantes, rassemblant, sous l'égide de l'EPCI, les autres collectivités intervenant sur le territoire, les opérateurs locaux, les acteurs publics (y compris Pôle emploi, universités...), les grands opérateurs (CDC, Ademe, Agence de l'eau...), les associations et les partenaires privés, · 175 Cf supra § 1,4,1. Les TEPCV avaient eux-mêmes amplifié le mouvement des territoires à énergie positive (TEPOS) lancés par le CLER, réseau pour la transition énergétique. Mutations économiques et développement des territoires Page 73/170 176 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ · positionner l'État dans un rôle de facilitateur, garant de l'ambition portée et de la mobilisation des acteurs, apporteur prioritairement de moyens en ingénierie de haut niveau. L'utilisation du CTE pour les territoires en difficulté ou en mutation avait été envisagée lors du lancement de la démarche, en particulier pour les territoires concernés par la fermeture de centrales à charbon. L'État a décidé de faire appel à un autre dispositif, le « pacte de développement territorial », pour le bassin minier, les Ardennes et d'autres territoires ayant besoin d'un soutien spécifique. Pour autant, au-delà la mise en place de financements dédiés ou d'un délégué interministériel, la méthode d'intervention est proche. C'est pourquoi la mission suggère que la question de déployer également les CTE dans les territoires fragiles soit envisagée à nouveau, sous réserve de prévoir des dispositions particulières, en particulier un fonds spécifique pour l'accompagnement de ces territoires face à la transition écologique. La question se pose aussi des modalités de généralisation progressive de la démarche, à l'heure de la réflexion sur un contrat territorial unique. Tous les territoires sont concernés par la transformation écologique et celle-ci est transversale à l'ensemble des enjeux, particulièrement ceux de la cohésion sociale et territoriale. Ceci suggère d'envisager la conception d'un contrat de cohésion territoriale ET de transition écologique, qui serait proposé à toutes les intercommunalités ou à des regroupements de plusieurs intercommunalités constituant entre elles une aire urbaine ou un bassin économique ou un bassin d'emploi. Ce dispositif pourrait alors être articulé avec les futurs contrats de plan ÉtatRégion (volet territorial) et constituer le « contrat socle » évoqué ci-dessus, complété en tant que de besoin par des contrats particuliers177 (territoires ruraux, industriels, touristiques...) 178, assortis d'une mise en cohérence de l'ensemble des dispositifs selon un référentiel commun, fondé sur les piliers du développement durable. L'un des points clefs est de susciter de véritables coopérations inter-territoriales dont on a précédemment constaté la faiblesse. Ce référentiel devrait donc impérativement comporter des engagements de coopérations réelles et évaluables, assortis de conditionnalités ou d'incitations financières. Recommandation 14. Afin d'assurer une conversion écologique sociale et solidaire, développer un contrat « unique » de cohésion territoriale et de transition écologique, doté de financements modulés selon les fragilités du territoire, et organiser au niveau interministériel une mise en cohérence des dispositifs contractuels autour de la transition écologique et de la démarche de projet de territoire (MCTRCT, MTES, MEF). 3.4.3. La mobilisation de financements incitatifs et ciblés Le principe d'une articulation entre projet de territoire, dispositif contractuel et financements est à réaffirmer. Les modalités en sont à redéfinir en fonction du futur « contrat socle », du nécessaire ciblage des moyens sur les territoires fragiles, des conditionnalités à prescrire en termes de coopérations inter-territoriales et de la priorité à donner aux enjeux de la transition écologique. La mobilisation des financements publics français est à réaliser en complémentarité avec celle des fonds européens et en articulation avec l'intervention des opérateurs financiers publics de type Ademe, CDC et BPI. Ceux-ci jouent un rôle de levier par rapport aux investissements et financements privés, sans oublier que c'est sur l'ensemble du système bancaire présent dans les territoires que repose le financement des entreprises. L'évolution des politiques d'implantation des banques, avec une tendance à la concentration régionale qui peut devenir préoccupante pour les PME en territoire 177 Les périmètres et les partenaires pouvant être différents d'un contrat à l'autre. Une proposition du rapport de mission « Agenda rural », cité au § 3.1. va dans le même sens. 178 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 74/170 PUBLIÉ rural, est donc un sujet sensible, soulevé par plusieurs interlocuteurs de la mission. Par ailleurs, les différents modes d'implication des collectivités territoriales dans le système de financement mériteraient aussi d'être examinés au regard de pratiques de pays voisins, comme une initiative récente en synergie public-privé au Royaume-Uni 179. La période actuelle de remise à plat des fonds structurels européens est un moment propice à la réflexion. Pour ce qui est des grands opérateurs de l'État, la mission a constaté un engagement territorial fort : · l'Ademe s'implique dans le développement de partenariats à l'échelle locale, avec pour objectif de renforcer l'ancrage territorial des entreprises, et spécifie ses actions selon le type de territoire, urbain ou peu dense, avec un grand nombre de volets expérimentaux permettant de tester des approches complexes sur le lien entre mobilité et économie ; La CDC investit fortement au service du développement local (1 Md en 2017, 8 Md d'investissements générés par effet de levier), dans le cadre de politiques portées par les collectivités territoriales ; le label « Banque des territoires » exprime notamment l'engagement renforcé de la CDC dans les écosystèmes, comme pour le programme « Action Coeur de ville » avec des moyens d'ingénierie, des prêts et des investissements ; BPI France (ou BPI), la banque publique d'investissement, finance les entreprises et leur développement, y compris désormais les TPE ; elle a une forte présence territoriale avec 90 % de ses décisions prises en région, 48 implantations territoriales et 27 directions régionales pour être au plus près des entreprises ; avec une gouvernance dans laquelle s'expriment les collectivités territoriales, elle se présente comme un levier pour lever les ressources privées, selon un rôle déterminant d'interface. · · Si ces acteurs sont engagés de façon proactive dans l'exercice de leurs missions de financement de projet, il pourrait s'avérer utile de réfléchir à la possibilité de leur permettre une prise de risque avisée dans certains domaines (dépollution des sols, remise sur le marché de zones menacées d'obsolescence, accélération de démarches d'économie circulaire...). Ainsi que l'ont souligné certains acteurs auditionnés, le droit à l'erreur ou à l'échec semble encore trop peu reconnu en France, par rapport à la situation d'autres pays. Cela suppose de développer un état d'esprit différent, et aussi des dispositifs de mutualisation des risques ou des outils de type « fonds de garantie ». Par ailleurs, il importe de veiller à ce que les financements dédiés à l'innovation ne soient pas déconnectés des enjeux territoriaux. Ainsi la logique des premiers programmes d'investissements d'avenir (PIA), orientés vers l'innovation et l'excellence, a conduit à ce que la plupart des investissements ont été réalisés au sein des métropoles. Les financements de l'État ont donc renforcé les territoires qui étaient déjà les plus riches en ressources. La création d'une enveloppe régionalisée, dotée d'un montant de 250 M, devrait permettre que certains financements soient orientés vers d'autres types de territoires, sans déroger aux critères du PIA. De même le programme « territoires d'innovation de grande ambition » (TIGA) lancé il y a deux ans, ne porte plus uniquement sur les territoires les plus avancés et une exigence d' « alliance de territoires » a été posée180. Ces ouvertures sont à poursuivre et amplifier181. 179 Cf annexe 6. Ainsi, sur les 24 territoires retenus en première phase, il y a 9 métropoles dont 3 ont proposé une alliance avec leur périphérie. L'importance relative des montants financiers attachés aux trois premiers PIA justifie que ses effets territoriaux soient évalués et que ses objectifs soient coordonnés avec ceux d'une politique nationale d'aménagement du territoire, telle que proposée au § 1.4. remonter dans le texte ?? Mutations économiques et développement des territoires Page 75/170 180 181 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ Enfin, l'aide aux territoires et aux Le « pacte Ardennes 2022 », un dispositif dont le principe est à populations fragiles entre dans le dupliquer pour les territoires fragiles champ de la solidarité nationale et, comme évoqué, doit à ce titre faire Dans le cadre de la politique de développement et de cohésion des l'objet de financements priorisés territoires présentée lors de la séance du 20 avril 2018 en Conseil de l'État et de ses opérateurs, soit des ministres, le département des Ardennes a été identifié par le Gouvernement comme étant un territoire fragile, devant faire face à dans le cadre d'un dispositif des difficultés démographiques, économiques et sociales, et où une spécifique de type pacte territorial action particulière d'accompagnement et d'appui était nécessaire. comme cela été engagé pour les Fort d'un diagnostic partagé, ce soutien s'est traduit par la mise en Ardennes, soit éventuellement place d'un plan spécifique en mars 2019 où des actions et des dans le cadre d'un CTE adapté et investissements ont été ciblés en vue d'enclencher un rebond dans doté de moyens particuliers. Le l'ensemble du champ de l'action publique. développement économique des zones rurales et des villes moyennes demeure une préoccupation majeure. L'État y conserve un rôle essentiel pour assurer des conditions de rebond et une garantie d'équité territoriale. Suggestion. Mobiliser les financements de l'Union européenne, de l'État et de ses opérateurs (CDC, BPI, Ademe...) en lien avec le nouveau contrat territorial, et les moduler selon des critères de fragilité des territoires et de leur population (MCTRCT, MEF). Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 76/170 PUBLIÉ Conclusion Le « grand débat national » organisé par le Gouvernement début 2019 a débouché sur des propositions très nombreuses et paraissant difficiles à concilier. Quatre priorités émergent toutefois de manière indiscutable et quasi consensuelle (selon l'analyse des contributions libres au grand débat produite par Cognito, Bluenove, Roland Berger en avril 2019) : l'urgence écologique, la justice sociale, la qualité des services de proximité, le renouvellement démocratique et citoyen. Au terme de la présente mission, on observe que les analyses et propositions présentées peuvent nourrir chacun de ces axes, dans le champ du développement territorial traité par le rapport : · urgence écologique impliquant innovation et action à tous les niveaux : promouvoir la transformation économique des territoires autour d'objectifs intégrées de transition écologique et de cohésion sociale dans le cadre d'un dispositif contractuel unifié ; justice sociale impliquant notamment une fiscalité équitable, qu'il s'agisse des ménages ou des entreprises : inciter les acteurs économiques, y compris les petites et moyennes entreprises, à travailler davantage en coopération (clusters, économie circulaire, RSE territorialisée...) afin de renforcer leur synergie et leur attachement au territoire ; services accessibles et proches des territoires : concentrer la présence de proximité des services de l'État afin qu'ils assurent, en lien avec ceux des collectivités territoriales, un rôle de facilitateur de projet quand cela est nécessaire, là où il y en a encore besoin ; renouvellement de la démocratie et engagement des citoyens : définir et mettre en oeuvre des stratégies, des projets de territoire et des dispositifs d'animation permettant une plus forte implication de tous, notamment de nouveaux acteurs issus de la société civile. · · · Le rapport suggère une nouvelle approche pour une politique des territoires, celle de veiller d'abord à une « prise en compte » de chacun d'entre eux : s'ils sont en concurrence et dotés d'atouts inégaux, tous sont pourvu de capacités qu'ils ont vocation à mobiliser pour s'inscrire dans la perspective d'un développement harmonieux et producteur de valeur. C'est pourquoi, en amont de la mise en oeuvre des nécessaires politiques de redistribution, il est proposé aux pouvoirs publics de faire d'abord en sorte que chaque territoire dispose des moyens de se connaître, de définir son projet et de se constituer en écosystème créatif et dynamique, capable de saisir tous les leviers d'action, impérativement en interaction et en coopération avec les territoires voisins et partenaires. Il s'agit de faire en sorte que chaque territoire puisse exercer un droit à prendre place dans une transformation économique durable, tout en affirmant son identité, ses spécificités et « sa beauté », même quand il n'est ni un territoire touristique ni une ville historique. L'établissement conjoint d'un projet de territoire national permettra de susciter une vision fondée sur l'alliance des territoires. Au lieu de continuer d'opposer métropoles et périphéries, cette vision partagée permettra de considérer la France comme un ensemble de grands territoires en interaction, dont chacun sera pensé, développé et, à terme, gouverné comme une « métropole » : métropole mondiale ou européenne, métropole d'équilibre, « métropole alternative » (comme un département rural, un grand bassin industriel, un espace transfrontalier...). Tels sont les messages et suggestions qui résultent de la présente mission. Pierre NARRING Mireille VIORA Ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts Administratrice civile hors classe Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 77/170 PUBLIÉ Annexes Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 78/170 PUBLIÉ 1. Note de commande Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 79/170 PUBLIÉ Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 80/170 PUBLIÉ 2. Liste des personnes rencontrées Organisme AdCF Assemblée des Communautés de France Ademe Nom, fonction Nicolas PORTIER, délégué général Fabrice BOISSIER, directeur général François MOISAND, directeur stratégie recherche international Guy FABRE, directeur adjoint action territoriale Adi Association des directeurs de l'immobilier Afilog Association française de l'immobilier logistique Afite Association française des ingénieurs et techniciens de l'environnement Agence d'attractivité de Toulouse Hubert CALMETTES, directeur général Métropole AUAT Agence d'urbanisme de l'agglomération toulousaine Agence d'urbanisme de l'Artois Agence territoriale de la région de Thionville/Longwy Jean-Marc MESQUIDA, directeur général Yann CABROL, directeur des Coopérations grands territoires Carole BOGAERT, directrice Jean SALQUE, directeur 25/09/18 07/09/18 14/02/19 29/11/18 12/09/18 12/09/18 Christian CLERET, président d'honneur Laure-Reine GAPP, déléguée générale et divers membres de l'association Claude SAMSON, président Diana DIZIAN, directrice déléguée Renaud AVOCAT, président commission sols pollués 10/12/18 27/11/18 21/06/18 30/11/18 Date 18/07/18 04/07/18 Ambassade de Suisse, service Céline CHAMPION DESSIBOURG, cheffe de service économique à Paris AMF Association des maires de France Eric VERLHAC, directeur général Sylvain BELLION, correspondant territoires Marion DIDIER, conseillère développement économique, commerce, tourisme. ANPP Association nationale des pôles territoriaux et des Pays Michael RESTIER, directeur Lisa BABERRIERE, Chargée de mission 08/01/18 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 81/170 PUBLIÉ ADNV Association pour le développement du Nord Vaudois Suisse Ae Autorité environnementale Assemblée nationale Christine LEU, coordinatrice régionale. 04/12/18 Philippe LEDENVIC, président François DUVAL, membre Jean-Luc WARSMANN, député des Ardennes Richard JOLY, directeur général 18/01/19 10/09/18 10/01/18 14/11/18 Betemps Bois Vallée de l'Arve Bouverat ­ Pernat Vallée de l'Arve BPCE Banques populaires et Caisses d'épargne BPI France Banque publique d'investissement Brownfields Business France Louis PERNAT, directeur commercial 14/11/18 Arnaud BERGER, directeur Prospective économie verte et RSE 04/07/18 Marie-Adeline PEIX, directrice des partenariats régionaux et 01/10/18 de l'action territoriale Stéphane HAYEZ, directeur adjoint Patrick VITERBO, président Caroline LEBOUCHER, directrice générale déléguée Audrey MASSOLS, cheffe de service accompagnement des entreprises Stéphane RONAN, responsable de l'offre territoriale France 13/09/18 27/06/18 Cabinet du ministre de la Cohésion Marc CHAPPUIS, directeur adjoint de cabinet des territoires et des Relations avec les Collectivités Territoriales CCI de Haute Savoie François BORDELIER, directeur général adjoint 29/06/18 13/09/18 14/11/18 15/11/18 CCI de la Drôme Carine FLEURY, animatrice de la communauté Ecobiz « social 31/07/18 business » Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 82/170 PUBLIÉ CCI France Brigitte SERGENT, directrice développement durable et proximité territoriale Jan-Erik STARLANDER, chargé de mission transition énergétique et écologique, Laure PREVOT, responsable des partenariats institutionnels et territoriaux, Arnault COMITI, juriste-conseil spécialisé en droit de l'environnement industriel 19/07/18 CDC Céline SENMARTIN, directrice adjointe du réseau de la Banque des Territoires Serge BERGAMELLI, directeur adjoint de la direction de l'investissement de la Banque des Territoires 19/07/18 CDC biodiversité Marc ABADIE, président Philippe THIEVENT, directeur 09/01/18 Cerema Lyon Nicolas GILLIO, directeur de projet Aménagement développement économique Agnès POUILLAUDE, Économiste aménagement Denis CROZIER, Chargé étude aménagement Emmanuel DUPLAND, directeur études analyses territoriales Loic GUILBOT, chef groupe projets de territoire et aménagement Bertrand LEROUX, Chargé étude aménagement 03/07/18 Cerema Ouest 25/07/18 CFDT CGC CGDD/DRI/SDI1 Bureau de l'innovation et de la compétitivité des entreprises CGDD/SDES Service de la donnée et des études statistiques CGDD/SEEID/REAE2 Bureau de la production et de la consommation responsables CGDD/DDD/DPVS Département des projets et de la veille stratégique Augustin BOURGUIGNAT, secrétaire confédéral en charge de l'industrie François MOREUX, délégué national, membre de la plateforme RSE Pierre TERRIER, chef de bureau 20/11/18 24/09/18 25/10/18 Sylvain MOREAU, chef de service Valéry MORARD, sous-directeur Lionel JANIN, Sous directeur Priscille GUESQUIERE, cheffe de bureau 24/07/18 24/07/18 Gwenaël ROUDAUT, adjoint au chef du département Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 83/170 PUBLIÉ CGEDD Conseil général de l'environnement et du développement durable Marie DEKETELAERE-HANNA Jean-Jacques KEGELART Aude DUFOURMANTELLE Pascal TERRASSE Philippe GRAND Sylvie ALEXANDRE Patricia CORREZE-LENEE Emmanuel REBEILLE-BORGELLA, président de section Audit, inspection, vie des services Alby SCHMITT, coordonnateur de MIGT (Metz) Nicolas FORRAY, président de section Milieu, ressources, risques Pierre-Alain ROCHE, président de section Mobilité, transports Jean-Michel MALERBA, président de section Transition énergétique, construction, innovation 24/06/18 25/07/18 13/06/18 25/10/18 05/06/18 02/05/19 19/09/18 06/02/19 07/09/18 07/05/19 11/02/19 25/01/19 07/06/18 04/09/18 18/12/18 CGET Commissariat général à l'égalité des territoires Hugo BEVORT, directeur des stratégies territoriales, et son équipe Chambre d'agriculture de l'Ardèche Jean-Luc FLAUGERE, président Cité des Sciences de Naples Italie CJD Centre des jeunes dirigeants d'entreprise Club ville et aménagement Cluster CD2E Centre de développement des écoentreprises Cluster Innosquare Fribourg Suisse CNER Pascal BOVET, directeur Jacques BERSIER, directeur adjoint de la haute école Antoine ANGEARD, délégué général Anne-Marie BRUYAS, directrice des relations extérieures Massimo PICCAMA, architecte du projet Pierre MINODIER, président 17/10/18 07/12/18 Damien ROBERT, vice-président, directeur général adjoint de 07/11/18 Paris-Aménagement Victor FERREIRA, directeur 25/09/18 05/12/18 17/09/18 Fédération des agences Clémence BINET, chargée de mission d'attractivité, de développement et d'innovation Communauté d'agglomération Valence Romans Sud François MONTERRAT, directeur adjoint de la direction économique 31/07/18 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 84/170 PUBLIÉ Communauté de communes de Val'eyrieux Ardèche Dr Jacques CHALARD, maire du Cheylard, président Carine FAURE, directrice générale Morgane MAITRIAS, directrice du pôle économique Rachel COMBAUROURE, chargée de communication 18/12/18 Conseil départemental de l'Ardèche Laurent UGHETTO, président Simon PLENET, premier vice-président et président de l'agglomération du bassin d'Annonay Martine FINIELS, vice-présidente aux solidarités humaines et maire de Vernoux Christine SANTOS, directrice de cabinet Christophe LAFOUX, directeur général des services Géraldine MELATIER, directrice générale adointe solidarités, éducation, jeunesse Emilie BRET, directrice générale adointe, attractivité et territoires Maurice WEISS, vice-président aux solidarités territoriales et au numérique et président de l'association des maires de l'Ardèche Conseil départemental des Yvelines Olivier GUILBAUD, directeur général adjoint Jean-Christophe RIGAL, sous-directeur Connaissance et prospectives Jean-Marie CAILLAUD, directeur général des Services 18/12/18 04/07/18 Conseil départemental de la Seine Maritime COVIViO CPME Confédération des PME 11/07/18 12/07/18 Olivier ESTEVE, directeur général Guillaume de BODARD, président de la commission environnement et développement durable, membre de la plateforme RSE Sandrine BOURGOGNE, secrétaire générale adjointe Hélène REVERSAT, cheffe de projet RSE 18/07/18 25/10/18 Crédit agricole des Savoie Gaël AMBLARD, directeur entreprises 14/11/18 15/11/18 Dassault Systèmes Bernard CHARLES, président, directeur général Florence VERZELEN, directrice générale adjointe 21/11/18 DDTM Seine Maritime Demeter Laurent BRESSON, directeur Sophie PATURLE, associée fondatrice, administratrice de l'Institut français du pétrole et des énergies nouvelles 12/07/18 19/07/18 DGALN Rapport n° 012274-01 Paul DELDUC, directeur général Mutations économiques et développement des territoires 21/06/18 Page 85/170 PUBLIÉ DGE / SATEI Service de l'action territoriale européenne et internationale DGE/ SI Service de l'industrie DGPR Bureau des sols et sous-sols DHUP/ AD Sous direction de l'aménagement durable DHUP/QV Sous-direction qualité du cadre de vie DIRECCTE Haut-de-France Service mutations de l'économie Xavier MERLIN, chef de Service Martial GEORGET, sous-directeur Julien TOLOGNA, chef de Service 02/10/18 26/07/18 Aurélien GAY, chef de bureau 06/11/18 Isabel DIAZ, cheffe du bureau des stratégies territoriales 16/11/18 Muriel BENSAID, adjointe à la sous-directrice Laetitia MANTZARIAS, cheffe de bureau Xavier STREBELLE, chargé du service Virginie MIGNON, adjointe Patrick BERG, directeur Oriane VALADE, juriste Claire Tutenuit, déléguée générale Loranne BAILLY, directrice générale Gilles BOUVELOT, directeur général Thomas LACAZE, directeur technique 10/12/18 22/11/18 DREAL Normandie Engie EPE Entreprises pour l'environnement EPF du Nord-Pas-de-Calais EPF Île-de-France 12/07/18 25/10/18 29/06/18 26/09/18 02/10/18 EPF Lorraine EPF Normandie FNAU Fédération Nationale des Agences d'Urbanisme FNAUT Fédération nationale des associations d'usagers des transports Fédération nationale des banques populaires FNE France nature environnement Régis STENGER, directeur études et travaux Christine MUTUEL, directrice générale adjointe Gilles POUPARD et les membres du club « EcoFNAU » 07/09/18 11/07/18 14/09/18 Bruno GAZEAU, président 12/03/19 André JOFFRE, président, président du pôle de compétitivité DERBI Jean-David ABEL, vice-président 09/10/18 12/11/18 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 86/170 PUBLIÉ FN EPL Fédération des entreprises publiques locales Fédération nationale des SCoT Fondation Travailler autrement France Clusters Camille ROCCASERRA, responsable du département aménagement Caroline VOLLET, déléguée territoriale Stella GASS, directrice générale Patrick LEVY-WAITZ, président Mission Coworking Jean-Luc ANSEL, président Xavier ROY, directeur général 19/07/18 07/02/19 08/11/18 19/12/18 France Initiative France Stratégie Louis SCHWEITZER, président, ancien président directeur général de Renault Fabrice LENGLART, commissaire général adjoint Robin DEGRON, conseiller spécial Julien FOSSE, adjoint à la directrice du département développement durable et numérique 23/10/18 03/07/18 France urbaine Olivier LANDEL, délégué général Ludovic GROUSSET, directeur développement et cohésion des territoires David CONSTANT-MARTIN, conseiller 13/11/18 Futuribles Frédéric WEILL, directeur d'études Diane DESPOIS, chargé d'étude Dorothée KOHLER, consultante 28/11/18 Grand port maritime de Rouen Nicolas OCCIS, directeur général Xavier LEMOINE, directeur aménagement territorial et environnement 11/07/18 Groupe Archer Romans-sur-Isère Groupe Neofor Groupe PSA Christophe CHEVALIER, président Jérôme LESCURE, président Louis GALLOIS, président du conseil de surveillance 31/07/18 18/06/18 21/02/19 05/12/18 Groupement suisse pour les Thomas EGGER, directeur régions de montagne (SAB), Berne Suisse Humanité et biodiversité IAU Institut d'aménagement et d'urbanisme d'Île-de-France Icade Sylvain BOUCHERAND, trésorier, président plateforme RSE Anne-Marie ROMERA, directrice du département économie et développement local 12/11/18 20/06/18 Emmanuelle BABOULIN ­ Membre du comité exécutif ­ directrice de la foncière tertiaire 21/09/18 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 87/170 PUBLIÉ Infranum INSEE Julien DELMOULY, délégué général adjoint Françoise MAUREL, directrice de la diffusion et de l'action régionale Michel DUEE, chef du département de l'action régionale David LEVY, chef du pôle analyse territoriale 31/07/18 11/10/18 Inspire74 Frapna Vallée de l'Arve Institut de l'économie circulaire Invitalia Italie Anne LASSMAN TRAPPIER, présidente 15/11/18 Adrian DEBOUTIERE, chargé de mission Elisabetta MUSCOLO, directrice des relations extérieures Livio VIDO, directeur du projet de réaménagement de la friche de Bagnoli. Davide DEL COGLIANO, directeur adjoint 11/12/18 16/10/18 Laboratoire de l'ESS Hugues SIBILLE, président Odile KIRCHNER, responsable du chantier dynamiques pionnières de territoire 28/11/18 01/02/19 05/09/18 03/12/18 Le Rameau Lifti Laboratoire d'initiatives foncières et territoriales innovantes Linkcity LPA CGR Avocats MEDEF Mouvement des entreprises de France Charles Benoît HEIDSIECK, président Marc KASZYNSKI, président Laurent WARNIER, directeur développement stratégique ­ relations grands comptes Frédérique CHAILLOU, avocate associée Anne DELORME, avocate 02/07/18 30/10/18 Jacques CHANUT, membre du comité exécutif, président de la 05/03/19 fédération française du bâtiment (FFB) Bernard COLOOS, directeur général adjoint FFB Jérémy SIMON, directeur de mission prospective MEDEF 21/06/18 26/09/18 Métropole de Lille DGA développement économique Malika BOHEUR-MOUNIER, cheffe de la mission « développement économique des territoires et emploi » Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 88/170 PUBLIÉ Métropole de Toulouse André THOMAS, directeur général des Services Dominique GILLES, directeur général à la Modernisation Marc BEL, directeur général gouvernance, international, économie et emploi Pierre-Emmanuel REYMUND mission prospective, partenariats et innovations territoriales Jacques ROSEN, directeur général Aménagement 12/09/18 Métropole de Rouen Normandie Frédéric SANCHEZ, président Frédéric ALTHABE, directeur général Paule VALLA, directeur général adjoint Urbanisme Christèle MORIN-DEFORCEVILLE, directrice du développement économique Bertrand MASSON, directeur aménagement - grands projets Audrey HIRBEC, cheffe de projet 07/09/18 12/07/18 Ministère des affaires économiques, de la recherche et du développement digital du land de Thüringe Allemagne Ministère fédéral de l'économie et de l'énergie Allemagne Sabine AWE, responsable du service économique Axel BECHER Thomas MULLER Dirk OTTO Sven KAISER Stephan LIEBENBERG Jan SIDENTOPP Kathrin MEYER 18/09/18 19/09/18 Mission Renouveau du Bassin minier Mission Rev3 Haut de France Mission Territoires d'industrie Moselle Attractivité Grand Est Numa Paris Numa Berlin Allemagne OTIE Observatoire toulousain l'immobilier d'entreprise Office fédéral du développement territorial (ARE), Berne Suisse de Alain NEVEU, délégué interministériel du Bassin minier Philippe VASSEUR, président Bruno BONNELL, député, président de la mission Michel SAINT PE, directeur Louis EXERTIER Emmanuel LEGER, managing director data city Maximilian THESS Marc DELPOUX, président 25/09/18 22/11/18 20/11/18 07/09/18 05/09/18 18/09/18 12/09/18 Maria-Pia GENNAIO FRANSCINI, collaboratrice scientifique, Section urbanisation et paysage 05/12/18 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 89/170 PUBLIÉ Oppidea/Europolia Toulouse Raphaël CATONNET, directeur général délégué Oppidea, directeur général Europolia Anne FRAISSE, directrice du développement Europolia Denis DUPUY, directeur du développement et de la commercialisation Oppidea 12/09/18 ORÉE Patricia SAVIN, présidente Nathalie BOYER, déléguée générale, ambassadrice économie circulaire 28/06/18 ORSE Observatoire de la responsabilité sociétale des entreprises Personnalité médicale - Vallée de l'Arve Personnalité de la recherche Personnalité de la recherche Personnalité de la recherche Personnalité du monde économique PEXE Réseau des écoentreprises Pôle de compétitivité Mont-Blanc Vallée de l'Arve Poste Immo Hélène VALADE, présidente 24/07/18 Docteur Jacques VENJEAN, médecin allergologue 15/11/18 06/07/18 02/07/18 19/11/18 17/01/19 12/10/18 Pierre VELTZ, économiste Laurent DAVEZIES, économiste Nadine LEVRATTO, économiste Jean-Pierre AUBERT, anciennement chef de la mission interministérielle des mutations économiques Jean-Claude ANDREINI, président Guillaume AYNE, délégué national Jean-Marc ANDRE, directeur général Jérémie SERVEL, chargé de mission Rémi FEREDJ, directeur général Dang TRAN, directeur général adjoint 14/11/18 19/11/18 Préfecture de la région Normandie Fabienne BUCCIO, préfète 11/07/18 12/07/18 PUCA - DHUP Plan urbanisme construction architecture Région de Naples Italie Région Hauts-de-France Direction du développement économique Hélène PESKINE, secrétaire permanente 11/06/18 Valeria FASCIONE, assesseure à l'innovation 17/10/18 Olivier COUSTENOBLE, directeur général adjoint Yves GIRY, directeur adjoint Partenariat économique Jean-Michel GIRAUD, directeur appui aux entreprises 26/09/18 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 90/170 PUBLIÉ Réseau Green Vallée de l'Arve Rouen Normandie Aménagement SEB (entreprise) Secrétariat d'État à l'Économie (SECO), Berne, Suisse Service des affaires économiques de la ville d'Erfurt, Allemagne SG/SPES Équipe projet CTE SGPI Secrétariat général pour l'investissement SNCF Immobilier Tiers lieu SolarInput Erfurt Allemagne Somfy (entreprise) Vallée de l'Arve Syndicat national du décolletage Vallée de l'Arve Thimonnier (entreprise) Trendeo Union portuaire rouennaise Université Federico II Italie Université Neuchâtel, Suisse Urbact Usine Michelin de Troyes de fabrication de pneus agricoles Valgo (entreprise) Ollivier COLLOC, président, directeur de Décathlon Mountain 15/11/18 store Rémi De NIJS, directeur général délégué Joël TRONCHON, directeur du développement durable 12/07/18 04/10/18 Valérie DONZEL, cheffe de secteur Politique régionale et 05/12/18 organisation du territoire Wolfgang JENTZ Steffen LINNERT Sandrine FOURNIS, cheffe de projet transformation de l'action publique Guillaume BOUDY, secrétaire général Nicolas DEFORGES, responsable du pôle territorial Charlotte GIRERD, directrice de projet Frank GAUTHIER, président associé de CAPTOWN Sabine SCHIMT, coordinatrice 30/11/18 23/10/18 19/09/18 14/02/19 19/09/18 03/12/18 Étienne BOURGEOIS, directeur marketing et communication 15/11/18 Jean-Marc REYDET, chargé de mission environnemental 14/11/18 Sylvie GUINARD, présidente directrice générale David COUSQUER, gérant fondateur Pierre Marie HEBERT, directeur Giorgio VENTRE, professeur 09/01/18 28/06/18 11/07/18 17/10/18 Olivier CREVOISIER, professeur d'économie territoriale. Emmanuel MOULIN, directeur du Secrétariat Pascal MOUREY, responsable HSE Eric BRANQUET, directeur technique Valérie LOUBES, directrice de travaux Pierre BOUSQUET, directeur de la valorisation foncière 04/12/18 30/05/18 12/11/18 11/07/18 18/07/18 16/10/18 Page 91/170 Ville de Naples, Italie Rapport n° 012274-01 Carmine PISCOPO, assesseur à l'urbanisme Mutations économiques et développement des territoires PUBLIÉ PUBLIÉ 3. Orientations bibliographiques La mission a consulté et s'est vu remettre de très nombreux documents : études et recherche, analyses de données, articles de la presse généraliste et spécialisée, rapports, monographies... Les plus directement utilisés d'entre eux ont été cités en note dans le corps du rapport et des annexes. Une sélection d'ouvrages de références est présentée ci-après, ainsi qu'une liste de sources utiles. Sélection bibliographique AdCF, Guide : Économie circulaire pour les intercommunalités, 2018. AdCF, Pour un pacte productif, 2018. AdCF et ANPP, Vers la deuxième génération des contrats de ruralité ­ Les propositions des porteurs de contrats 2016-2020, mars 2019. ADEME. Agir avec les collectivités pour la transition énergétique et écologique, 2019. ADEME. Économie circulaire, un atout pour relever le défi de l'aménagement durable des territoires, 2017. ADEME/INEC, Programme national de synergies inter-entreprises (PNSI) : 10 initiatives de synergies inter-entreprises, 2017. Adi, Reconvertir les friches industrielles et urbaines ­ De la transformation réussie des sites à la mutation des territoires, 2015. Adi, Repenser les lieux de travail, le lieu de travail dans tous ses états, Éditions le Moniteur, 2017. Annales des mines, Réalités industrielles : industrie du futur, 2016. AUBERT Jean-Pierre, Mutations économiques : des guerres de tranchées aux mutations créatrices, 2015. AUBERT Jean-Pierre, Mutations socio-économiques et territoires : les ressources de l'anticipation, 2014. BOUBA OLGA Olivier, Pour un nouveau récit territorial, Les Conférences POPSU, 2019 CAMPAGNAC-ASCHER Élisabeth (dir.), Économie de la connaissance, une dynamique métropolitaine. POPSU, Éditions Le Moniteur, 2015. CESE, Avis sur la transition écologique et solidaire à l'échelon local, 2017. CGDD, Guide pour agir dans les territoires : écologie industrielle et territoriale, 2014. CGDD, Les éco-activités et l'emploi en 2016, 2018. CGDD Théma, Les ODD et les entreprises : enjeux et opportunités, 2017. CGET, Regards croisés sur les territoires industriels, La documentation française, 2017. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 93/170 PUBLIÉ CGET/France territoires, Un engagement au service des dynamiques territoriales, juin 2018. CGET Observatoire des territoires, L'industrie française dans les territoires : après l'érosion, quel rebond ?, 2018. Commission européenne, Vers une Europe durable à l'horizon 2030, 2019. Conseil d'analyse économique, Pour le climat : une taxe juste, pas juste une taxe, 2019. Centre permanent pour la citoyenneté et la participation (CPCP), Les nouvelles formes d'économies, 2016. CPME, 89 propositions pour les TPE-PME ­ 5 ans pour agir 2017 ­ 2022, 2017. DABLANC Laetitia et al. Des marchandises dans la ville, un enjeu social environnemental et économique majeur, Terra Nova, 2017. DAVEZIES Laurent et TALANDIER Magali, L'émergence de systèmes productivo ­ résidentiels. Territoires productifs ­ territoires résidentiels : quelles interactions ? CGET, La documentation française, 2014. DGE, Préparer l'industrie du futur, 2016. DGPR, Guide SIS Collectivités sur les sites pollués, 2018. École d'économie de Paris, L'État doit-il prendre en compte les spécificités régionales pour la définition de la taxe carbone, 2019. École des ponts ParisTech, Les Civic Tech au service de la transition écologique et solidaire, 2018. ESSEC La Banque Postale, Les relations des entreprises avec leur territoire, 2018. Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN), Collectivités et biodiversité : vers des initiatives innovantes, 2018. Fabrique de l'Industrie, L'imbrication croissante industrie et services, 2016. Fabrique de l'Industrie, L'industrie du futur, regards franco-allemands, 2017. Fondation nationale Entreprise et performance/la Fabrique de l'industrie, Cultivons notre industrie, un défi culturel, humain et territorial, Presse des mines, 2019. France Clusters, Économie de proximité, circulaire, écologie industrielle et territoriale, 2018. France Stratégie, Mutations sociales, mutations technologiques, 2018. Futuribles - Dominique BOURG, De l'économie circulaire à l'écologie intégrale, 2019. Futuribles - RICHER, L'avenir du travail, 2018. IAU Île-de-France, Les tiers lieux, de nouveaux espaces pour travailler autrement, 2017. Institut Montaigne, Industrie du futur, prêts, partez, 2018. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 94/170 PUBLIÉ KOHLER Dorothée et WEISZ Jean-Daniel, Industrie 4.0 les défis de la transformation numérique du modèle industriel allemand, La documentation française, 2012. Le labo de l'ESS, Enquête d'analyse des PTCE ­ synthèse des principaux résultats, 2017. Le labo de l'ESS, Les pôles territoriaux de coopération économique, 2014. Le labo de l'ESS, Territoires pionniers, 2018. Le Rameau, Parcours d'expérience ­ co-construction territoriale ­ premiers enseignements, 2018. LEVRATTO Nadine et GARSAA Aziza, Les disparités d'évolution de l'emploi sont-elles dues à la nature des entreprises ou à leur localisation ? 2017. LEVRATTO Nadine et CARRE Denis, Analyse qualitative de l'effet local : étude de territoires particuliers MEDEF /Le Rameau, Construire ensemble l'engagement territorial des entreprises, 2018. Observatoire régional du foncier en Île-de-France, Quelle place pour les activités économiques dans les politiques foncières et les projets d'aménagement ? 2018. OFCE, La transition écologique française, de l'enlisement à l'encastrement, 2019. OFFNER Jean-Marc, Métropoles invisibles, au défi de la métropolisation, Les Conférences POPSU, 2019. ORÉE, S'ancrer dans les territoires, 2017. Plan Urbanisme Construction Architecture (PUCA), Localisation des activités économiques et développement durable des territoires, 2014 PISANI-FERRY Jean, Terra Nova, Transition écologique, choisissons le réalisme, 2019. Terra Nova, Un nouveau souffle pour l'industrie française ­ l'économie environnementale au service du renouveau industriel, 2017. VELTZ Pierre, La société hyper-industrielle, Seuil, La république des idées, 2017. VELTZ Pierre, La France des territoires, défis et promesses. Éditions de l'Aube, 2019 Principales sources à consulter sur le sujet DGE, INSEE, OCDE, CEREQ, CREDOC, OFCE, PIPAME, CERC, AFEP, PACTE. CEREMA, Club Ville Aménagement, PUCA et plateforme POPSU. Revue foncière. Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET), France Stratégie, CESE. ADEME, CGDD. FNAU et agences d'urbanisme et club EcoFNAU, IAU Île-de-France, CCI France. Fédération des EPL. La Fabrique de l'industrie, Terra Nova, Laboratoire de l'ESS, Plateforme RSE, France Cluster, CPME. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 95/170 PUBLIÉ 4. Compléments au rapport 4.1. Dynamiques et contrastes territoriaux : ce que dit la recherche La mission a appuyé sa réflexion, en sus des constats faits à partir des cas observés, sur l'examen de divers travaux d'études et recherches 182 qui décrivent et analysent les dynamiques et fragilités territoriales, de façon parfois contradictoire mais souvent complémentaire. Selon ces travaux, le « fait métropolitain » est indéniable, mais la « promesse métropolitaine » n'a pas fonctionné. L'affirmation de grandes métropoles concentrant de puissantes aménités urbaines ainsi que la majeure partie des fonctions de direction, d'innovation ou de recherche, et dopées par la réalisation de grosses opérations d'aménagement est une réalité mesurable. Mais elle n'a permis jusqu'ici, ni de réaliser en interne l'intégration économique et sociale des quartiers ou secteurs en crise (Roubaix, au sein de la métropole européenne de Lille, en est un exemple emblématique...), ni de susciter en externe le développement induit des territoires contigus annoncé par la « théorie du ruissellement ». Ainsi, une grande partie des 22 métropoles françaises connaît un développement significatif et a capté l'essentiel de la croissance (les 15 plus grandes villes françaises étant en effet les territoires qui ont le plus gagné d'habitants sans discontinuer depuis 20 ans). Mais seules quelques-unes d'entre elles comme Lyon, Nantes, Rennes (selon l'étude réalisée sous la direction scientifique de N. Levratto pour le compte du CGET en 2017 183) semblent présenter une réelle dynamique partagée entre métropole et territoires contigus. Pour autant, s'en tenir à une fracture territoriale générique entre métropoles ou grandes villes et périphéries relève d'une vision caricaturale. Les unes et les autres présentent des caractéristiques très diverses, les fractionnements sont multiples, les inégalités les plus fortes se situent à l'intérieur des villes et à l'intérieur des territoires plutôt qu'entre territoires. D'importants écarts existent toutefois en matière d'accessibilité, de services publics, de dynamique démographique, dopée par une attractivité climatique ou bien stoppée suite à un effondrement industriel. Mais cela n'empêche pas certains de savoir s'appuyer sur leurs propres ressources et de s'en sortir parfois mieux que d'autres. Le modèle de développement reposant sur l'essor de l'économie résidentielle n'a pas produit tous les effets escomptés : selon les études menées par le laboratoire Economix 184, depuis la crise de 2008, les territoires dont le développement était essentiellement fondé sur l'économie résidentielle se sont bien moins repris que les territoires pourvus également d'une base productive (industrie, logistique, commerce de gros, services aux entreprises...), lesquels se révèlent ainsi plus aptes à rebondir. Sans ignorer que la répartition des revenus sur les territoires provoque un certain rééquilibrage, on doit reconnaître que ce constat, qui semble se confirmer dans la durée, alerte sur les risques de déséquilibre et de rupture. Le mode de développement économique métropolitain est d'ailleurs lui-même en train d'évoluer : abandon progressif d'une tertiarisation volontariste et redécouverte de l'économie productive, longtemps rejetée à la périphérie comme un « impensé » des stratégies urbaines et des grands 182 Cf bibliographie, notamment les travaux de Nadine Levratto et Denis Carré, Laurent Davezies, Pierre Veltz, avec lesquels la mission s'est entretenue. Analyse du lien entre les métropoles et les territoires avoisinants, Institut CDC pour la recherche de la Caisse des Dépôts, Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET), France Stratégie, 30 novembre 2017 Dirigé par N. Levratto, le laboratoire Economix est rattaché à l'université de Nanterre. Il se situe à un point de rencontre entre la macro et la micro-économie, avec une orientation appliquée, orientée par la demande sociale, et se rattache à la recherche « empiriste ». 183 184 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 96/170 PUBLIÉ projets d'aménagement. Des analyses récentes 185 évoquent un renouveau, voire un possible rebond qui peut concerner aussi les villes moyennes ainsi que les espaces périurbains ou interurbains et apporter ainsi une confirmation à la notion, avancée par Pierre Veltz, d' « économie hyperindustrielle », considérée comme un levier potentiel de développement pour tous les territoires. Toutefois, l'évolution économique des territoires reste tributaire de déterminants majeurs qui agissent à l'échelle mondiale sous l'influence des choix stratégiques opérés par les grandes puissances économiques et notamment les multinationales. Selon l'économiste Pierre-Noël Giraud 186, l'avenir des pays européens se joue entre trois scénarios à l'oeuvre aujourd'hui sur la planète : le modèle occidental fondé sur une approche néolibérale, dit « capitalisme ruisselant » ; le modèle chinois fortement régulé nationalement, dit « mercantiliste », le modèle de l'autonomie régionale selon lequel chaque région ou pays doté atouts propres les joue sans se soucier des autres, dit « modèle de Singapour ». On peut alors s'interroger sur les effets qu'aurait en France chacune de ces trois options en termes de cohésion sociale pour des territoires restant dotés de potentiels inégaux et concurrents les uns des autres. Un autre économique, Gaël Giraud187, est porteur d'une vision plus volontariste : observant que de grands pays comme la Chine produisent désormais davantage pour leurs propres marchés intérieurs que pour l'exportation, il estime qu'il y a une opportunité à opérer la « réindustrialisation verte » de notre continent, une transformation radicale seule à même de créer des emplois durables. La vision générale présentée ci-dessus s'appuie sur divers travaux de recherche, porteurs de regards, de sensibilité, de méthodologie et de conclusions sensiblement différents. Pour éclairer le contexte de la mission, il apparaît intéressant d'évoquer plus particulièrement certains d'entre eux. L'importance des effets de redistribution entre territoires français Laurent Davezies, avec de nombreux autres chercheurs, met l'accent dans ses travaux sur l'importance du fait métropolitain dans la production de la croissance, laquelle fonctionne globalement au bénéfice de l'ensemble du pays188. Les éléments qu'il a précisés vis-à-vis de la mission tiennent en trois points : la différence entre la croissance et le développement, l'intérêt d'analyser le revenu plus que la valeur de la production, et l'importance des effets redistributifs entre territoires français. Pour L. Davezies, la théorie de la croissance territoriale, issue de « la nouvelle économie géographique » de Krugman, n'est pas une théorie du développement local. 90 % des revenus en France n'ont pas à voir avec « le productif » ; d'où sa théorie (qui fonctionne mieux en France que dans le reste de l'Europe) selon laquelle c'est le revenu qui fabrique le développement des territoires, et non la création de richesse mesurée par les PIB régionaux. Jean Gadrey a fabriqué un indicateur de développement territorial : l'Indicateur de « Santé Sociale » (ISS), qui comprend notamment le revenu. Le déploiement de cet indicateur donne une vision toute autre des territoires : l'ancienne région Limousin, classée dernière selon l'indicateur « PIB », se retrouve au premier rang selon l'ISS. Jean Gadrey montre ainsi que le développement diffère de la croissance. Là où « il y a déchirure territoriale » si on suit le PIB, le « développement » au contraire apparaît de plus en plus équilibré et convergent, entre régions, entre zones d'emplois. À une échelle plus fine cependant, on constate une augmentation des inégalités. Par exemple, si on prend l'ensemble des 185 En particulier CGET/ Observatoire des territoires : L'industrie dans les territoires français, 2019. Pierre-Noël Giraud : L'Europe entre mondialisation et populismes, revue Projet n° 369 avril 2019. Économiste en chef à l'Agence française de développement, s'exprimant à l'UNESCO le 20 mai 2019 Par exemple : La nouvelle question territoriale, L. Davezies et D. Pech, Terra Nova 2014. Mutations économiques et développement des territoires Page 97/170 186 187 188 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ emplois métropolitains dans le numérique (60 000 à 65 000 créés entre 2007 et 2018), 82 % se retrouvent dans seulement... 15 communes françaises. L. Davezies, qui cite aussi les importants travaux de Magali Talandier, bat en brèche la théorie du ruissellement : dans le cadre des systèmes « productivo-résidentiels » qu'il décrit, soit le coeur de ville ET la périphérie « vont bien », soit les deux vont mal. Toutefois on ne peut pas dire qu'il n'y a pas de ruissellement à l'échelle nationale : les effets de redistribution entre territoires représentent 31 % du PIB national, soit 750 Mds (et 51 % du PIB si on ajoute le budget de l'État). Aussi, l'augmentation des disparités de PIB entre territoires est inquiétante, mais on s'aperçoit en parallèle qu'il y a une baisse permanente des inégalités de revenus entre eux : toute augmentation des inégalités produit un effet mécanique d'augmentation des mécanismes de la redistribution. La redistribution privée joue également un rôle ; par exemple, les Parisiens passent en moyenne 45 jours par an en dehors de Paris, soit un gros transfert de consommation par le tourisme ; de même pour les navetteurs : on estime que 8 % de la masse salariale en Île-de-France est versée à des personnes qui y travaillent mais n'y habitent pas. Les territoires non-métropolitains, capables aussi de « sur-performer » L'existence d'une « sur-performance » métropolitaine qui justifie le soutien aux métropoles considérées comme moteurs d'excellence de la croissance, est vivement contestée par Olivier BoubaOlga. Ce chercheur de l'université de Poitiers relève ainsi que dans l'ouvrage de Davezies et Pech précité, les auteurs se focalisent sur le cas de quelques grandes villes françaises à la dynamique très positive, occultant le fait que d'autres grandes villes ont des dynamiques moins favorables, et surtout que tout un ensemble de territoires non métropolitains sont aussi particulièrement dynamiques. O. Bouba-Olga s'emploie ainsi à relativiser l'existence d'effets d'agglomération donnant des niveaux de productivité supérieurs ou apportés par une plus forte densité des emplois 189. Ainsi, le PIB régional par habitant est un mauvais indicateur de performance des régions, et masque le jeu d'autres déterminants socio-économiques. Seule l'Île-de-France présente une sur-productivité apparente du travail, qui s'explique selon lui entièrement par des effets de composition sur les secteurs d'activité (sur-représentation de certains secteurs) et par la concentration des hauts revenus dans la région capitale. Ainsi, l'effet « métropole » serait moindre, voire inexistant, si on neutralisait les autres variables selon un principe de « toutes choses égales par ailleurs » ; en termes relatifs, bien des villes moyennes « performent » mieux que des métropoles. L'idée que les métropoles créent davantage de croissance et d'emplois que les autres territoires est donc contestée. « Quand on compare les territoires en France, on voit qu'il y a une diversité des dynamismes économiques. (...) Et des territoires hors métropoles marchent aussi très bien, car ils sont bien insérés dans la mondialisation » (O. Bouba-Olga. Printemps de l'économie, 20 mars 2018). Dans une étude190rédigée en 2018 avec M. Grossetti, l'économiste explore ces territoires non métropolitains plus dynamiques que les plus dynamiques des métropoles. C'est le cas de Figeac (Lot), Vitré (Ille-et-Vilaine), Issoire (Puy-de-Dôme) ou Vire (Calvados). Même conclusion pour des zones d'emploi comme Mauriac (Cantal), Soissons (Aisne) ou Saint-Gaudens (Haute-Garonne) qui ont réussi à inverser leur courbe du chômage entre 2012 et 2015, bien avant que les autres territoires n'y parviennent. Si les freins sont nombreux (départ des habitants du fait que la zone n'est 189 cf. Les dynamiques économiques du territoire français : de l'obsession métropolitaine à la prise en compte de la diversité des configurations territoriales, Olivier Bouba-Olga et Michel Grossetti, communication de 2015. Autres ouvrages consultés : La métropolisation horizon indépassable de la croissance économique ? O. Bouba-Olga, M. Grossetti, Revue de l'OFCE 2015/7 n°143, et On voit des métropoles partout, sauf dans les statistiques, O. BoubaOlga, M. Grossetti, Benoît Tudoux 2016. 190 « La mythologie CAME (compétitivité, attractivité, métropolisation, excellence) : comment s'en désintoxiquer ? » 2018. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 98/170 PUBLIÉ pas dynamique, vieillissement de la population...), O. Bouba-Olga estime que la spécialisation d'un territoire peut aussi lui donner un potentiel de développement, tel le cas du territoire de Châtellerault (Vienne), porté par l'entreprise Mecafi, qui fournit le groupe Safran en aubes de moteurs d'avion, et dont les effectifs sont passés en dix ans de 100 à 700 salariés : selon le chef de file de l'école de Poitiers, « cela peut se produire sur chacun des territoires (...), on voit qu'il y a des capacités d'innovation un peu partout » . « L'arrosage » plutôt que le ruissellement ? Les métropoles se développent elles aussi de manière inégale. D'après l'étude de 2017 précitée 191, Bordeaux, Montpellier, Nantes, Rennes et Toulouse sont dynamiques en matière d'emploi. Mais d'autres métropoles, comme Nice, Rouen et Strasbourg, ont des résultats en deçà de la moyenne nationale. Les auteurs en concluent que toutes les métropoles ne suivent pas la même trajectoire et n'entretiennent pas toutes une forme de supériorité à l'égard de l'ensemble du territoire. De plus, la théorie du « ruissellement », qui revient à dire que la croissance des métropoles irrigue naturellement sur leurs territoires avoisinants, n'apparaît pas vérifiée. L'étude constate une diversité de relations entre les métropoles, leurs territoires voisins et l'ensemble de leur région. Ainsi, des métropoles comme Lyon, Nantes, Aix-Marseille se caractérisent par une forte dynamique de leur zone d'emploi et des zones qui leur sont contiguës, voire qui sont plus éloignées. D'autres, comme Lille, Toulouse ou Montpellier, se développent sans avoir d'effet d'entraînement particulier sur les zones autour d'elles. Dans un contexte de mondialisation, comment donner la même chance à tous les territoires, qu'ils relèvent d'une métropole ou qu'ils soient à dominante rurale ? Pour O. Bouba-Olga (intervention précitée), « il faut sortir de la concurrence territoriale, prendre acte des processus qui traversent les territoires et arrêter de chercher à attirer des talents sur les territoires qui sont censés mieux fonctionner. Mieux vaut équiper les territoires en infrastructures, pour que les habitants s'y sentent bien, puissent s'épanouir et développer des projets innovants ». D'autant que la mobilité géographique des Français est limitée. Ainsi, d'après le recensement de 2013, 88 % des personnes occupaient le même logement que l'année précédente. Et parmi ceux qui ont déménagé, seuls 2 % ont changé de région. Même constat pour les créateurs d'entreprises, qui, le plus souvent, créent leur entreprise là où ils habitent, et pour les investissements étrangers qui se déploient bien au-delà des métropoles. Plutôt que parier sur un effet « ruissellement », il plaide pour un « arrosage », autrement dit la mise en place de politiques publiques permettant de soutenir l'ensemble du territoire. « On ne sait pas où les fleurs de demain vont pousser, donc il faut arroser partout » de peur de nous priver de voir éclore l'excellence de demain. Selon Pierre Veltz, l'analyse d'O. Bouba-Olga 192 « est un plaidoyer pour une vision pragmatique des atouts territoriaux, une critique de la manie française consistant à saucissonner les politiques publiques par grandes catégories, pôles ruraux, petites villes, villes moyennes, métropoles.... La question principale est celle des relations et des complémentarités entre ces types de territoires. S'agissant des grandes villes en particulier il vaudrait mieux les considérer comme des pôles d'appui de services dans un tissu territorial continu et ouvert, que comme des « locomotives » d'un développement dont elles seraient les seules forces vives. Il est temps de penser les métropoles dans un cadre spatial large, inventant des relations de réciprocité avec leur périphérie, proche ou lointaine. Les systèmes locaux devront rester interconnectés et même à des échelles plus larges qu'aujourd'hui (... l'autonomie énergétique ou alimentaire des villes est impossible). Admettre une inégalité durable entre territoires bien dotés en ressources et territoires moins favorisés serait une régression. »193 191 Étude précitée de l'Institut CDC pour la recherche de la Caisse des Dépôts, du Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET) et de France Stratégie, Analyse du lien entre les métropoles et les territoires avoisinants, 2017. Dynamiques territoriales : éloge de la diversité, Olivier Bouba-Olga (dir.) Poitiers, Atlantique, 2017. Pierre Veltz, La France des territoires, défi et promesses, 2017 (p. 15-16) Mutations économiques et développement des territoires Page 99/170 192 193 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ Les études empiriques montrent de façon convergente que l'activité d'innovation est fortement agglomérée dans l'espace. Pour O Bouba-Olga 194, ceci implique la nécessité pour les acteurs de se colocaliser afin de bénéficier de connaissances tacites qui par définition ne peuvent se diffuser facilement à travers les territoires. Selon les auteurs, les acteurs économiques devant résoudre des problèmes de coordination résultant de la mise en place de la division du travail, les résolvent en s'appuyant sur l'existence préalable de relations de proximité socio-économique : relationnelle d'une part, de médiation d'autre part. Dans certains cas, la proximité socio-économique et la proximité spatiale se recouvrent, donnant lieu à la formation d'un système productif localisé ; dans d'autres cas les proximités socio-économiques traversent les territoires et donnent lieu alors à un développement de réseaux productifs trans-territoriaux. Une mise en évidence d'effets de seuil pour bénéficier des « effets d'agglomération » Ces questions sont au coeur des travaux et des modèles « multi niveaux »195 mis en oeuvre par l'économiste Nadine Levratto196. Ces modèles permettent de traiter à la fois des variables individuelles et locales. On raisonne en zones d'emploi ; chaque zone est considérée une « île », avec prise en compte de ses interactions spatiales. Avec deux questions : comment les différents déterminants se combinent à l'intérieur d'un territoire ? Et se combinent avec leurs voisins ? On aboutit à des typologies : les métropoles apparaissent avec leurs aréoles. Le plus important est qu'on parvient à faire ressortir l'économie qu'apporte l'agglomération, ce qui vérifie donc l'hypothèse de densité. Au contraire, l'analyse d'O. Bouba-Olga est basée sur l'identification des « effets composition » et une utilisation du « toutes choses égales par ailleurs » qui se révèle un peu abusive: si on corrige de tout, on va certes trouver des coefficients « purs » de tout ce qui se passe autour. Mais une fois que tout est éliminé, il ne reste rien... Exemple : la recherche en Île-de-France produit moins de résultats que son potentiel devrait le faire escompter ; cependant, elle produit énormément plus que partout ailleurs. Il est donc plus intéressant d'isoler l'effet naturel de chacune des composantes. Là se situe le clivage entre l'école de Poitiers et l'école d'économie spatiale et urbaine de Paris 1. Si on garde toutes les composantes de la surproductivité métropolitaine ensemble, on aboutit aux thèses de Jean-Claude Prager (Société du Grand Paris), très favorable à « l'agglomération » : l'agglomération produit l'agglomération qui produit la croissance... ce qui est juste, mais ceci est limité par nombre d'éléments, comme la congestion... Il faut donc regarder la « non-linéarité » des gains d'efficacité produits par l'agglomération, c'est-à-dire les effets de seuil : à un certain niveau l'agglomération produit des effets positifs, et moins au-delà. En deçà d'un certain niveau de regroupement, l'économie ne fonctionne pas ; au-delà, l'effet d'engorgement et de congestion produit une « déséconomie » externe. Entre les deux, comment se structure le champ des possibles en fonction de ce qui se passe à l'intérieur des territoires et entre territoires ? Tout n'est pas possible partout tout le temps... On peut retenir d'un certain nombre d'études, selon des modèles testés avec différents secteurs industriels, qu'au-delà d'un certain seuil la densité peut jouer un effet négatif. Mais les résultats sont 194 « Pourquoi y a-t-il encore des effets de proximité dans le processus d'innovation », O. Bouba-Olga, M. Grossetti, document de travail CRIEF, 2007 Pour Economix, Olivier Bouba-Olga ou Laurent Davezies font du « quantitatif » avec des techniques d'analyse de données conventionnelles (des régressions linéaires simples, qui dégagent des tendances). Or, on ne peut mettre sur le même plan les variables calculées à l'échelle de la commune et du département, par exemple. Certaines variables se répètent à l'identique sur un grand nombre de lignes... Ceci induit un biais statistique qui sur-accentue l'impact des déterminants locaux. Professeur à la faculté de Nanterre, N. Levratto travaille sur les déterminants de la croissance et le développement des entreprises. Elle a piloté avec l'ADCF et la CDC une réflexion sur l'influence de l'environnement et des territoires sur la trajectoire des entreprises, l'identification des déterminants locaux, en association avec Denis Carré (orienté terrain, analyse des spécificités locales). 195 196 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 100/170 PUBLIÉ différents suivant la maille retenue, que l'on se place à l'échelle de la commune/de la zone d'emploi/du département. Intérêt des analyses en termes de « zones d'emplois » La « zone d'emploi » est un découpage fondé sur l'économie : 60 % de la population travaille et réside sur ce territoire. Selon Economix, on y obtient des données de bonne qualité, meilleure que pour les communes : si on retire les communes abritant moins de 100 salariés sous contrat privé, il ne reste que 9600 communes à prendre en compte. La double mesure de la variation du nombre d'établissements et du nombre d'emplois fait ressortir un effet négatif de la densité au-delà d'un certain seuil, et aussi que la part de l'industrie intervient négativement (ce qui veut dire que c'est surtout l'industrie qui fuit une certaine densité...). Ceci est expliqué par le mouvement d'externalisation vers le tertiaire et les changements organisationnels ; la valeur ajoutée de l'industrie a fortement diminué. La « zone d'emploi » donne des résultats robustes, et sa cohérence repose aussi sur l'activité résidentielle. On trouve des déterminants très différents selon les secteurs d'activité, avec des variations contrastées entre zones d'emploi selon leurs caractéristiques. Le calcul sur les 304 bassins d'emploi français197, sur deux périodes, 2000­2009 puis 2009­2015, permet de regarder les territoires les plus impactés par la crise, puis la résilience des territoires dix ans après la crise. Selon L. Davezies et une analyse traditionnelle, « les services aux ménages (l'économie résidentielle) tractent les territoires ». Or, la crise est « passée par là », et de fait, les territoires ayant su conserver une industrie... sont repartis « plus vite et plus fort ». L'industrie a donc été un facteur de rebond. Certes les emplois résidentiels non délocalisables restent intéressants, ils ont peu d'externalités négatives et permettent de maintenir les liens entre les établissements industriels. Néanmoins, on mesure un impact négatif si des segments entiers d'activité productive quittent le territoire, du fait du coût du foncier (exemple de l'Île-de-France), et là où les logiques « corporate » se télescopent avec les logiques territoriales. Il existe une relation d'achat et de vente entre les différents secteurs d'activité, et il faut des entités permettant d'alimenter cet écosystème. Lorsque des communes ou des EPCI donnent la priorité au tertiaire immobilier, aux lotissements via des grands projets d'aménagement, ceci dépeuple le tissu industriel. Or les entreprises qui disparaissent... ne vont pas toujours s'installer ailleurs. Ceci fragilise la « base compétitive » française, qui repose sur un continuum entre les services aux entreprises, l'industrie, la logistique, le commerce de gros... Ces activités ont un effet d'entraînement vers la construction, la consommation, les services aux ménages. Ce n'est donc pas l'activité résidentielle qui sert de moteur, conclut N. Levratto. La question des territoires de spécialisation Les pôles de compétitivité obligent les entreprises à travailler en commun ; les donneurs d'ordres mettent tout le monde « en ordre de marche ». Le CEPREMAP a produit une analyse critique des pôles elle-même critiquée pour son caractère « top down » alors que les pôles reposent sur les acteurs locaux. La labellisation de « pôle » est multiple, or on constate que les pôles les plus dynamiques émanent de territoires qui pratiquent la coopération 198. Sur le thème des énergies renouvelables il y a un travail à faire sur l'usage, en s'appuyant sur des démarches interactives avec boucles de rétroactions. A Tours les acteurs publics ont lancé une démarche, et les entreprises sont venues s'appuyer sur les universités. Les politiques d'innovation sont ainsi très variables. Outre des programmes de recherche dédiée à la transition écologique/RSE (Mines de Saint-Étienne), voici quelques exemples intéressants : 197 Economix a accès à toutes les données d'emploi à l'échelle des établissements d'entreprises : type d'emplois créés, variation de l'emploi au niveau des établissements, coût du travail, financement, création et destruction d'emplois. Dans les Hauts de France, une démarche de type « Kalenborg » (Danemark) s'appuyant sur l'INRA et Gwenaëlle Doré, a produit des symbioses industrielles sur des territoires particuliers. Mutations économiques et développement des territoires Page 101/170 198 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ · « Cosmetic valley » : activité verrière + biotech + flaconnage : le pôle s'est monté dans une logique « projet », d'innovation, centré sur la recherche cosmétique, « ASTEC » Hermès + construction aéronautique, selon une logique de combinaison d'activités, « Cap Energy » : démarche énergies renouvelables, qui comprend le segment de l'installation. · · Il s'agit dans tous les cas de sortir l'entreprise et le secteur de leur propre logique, en leur accolant d'autres logiques. Pour la logistique, cela pourrait conduire à une relocalisation en zone dense. Le développement numérique est il vraiment un moyen de s'affranchir des contraintes urbaines ? Même si le numérique banal permet le développement du télétravail et des tiers lieux, le fonctionnement de certains pans de l'économie (par exemple la finance qui fonctionne sur les transmissions à la nanoseconde) et le besoin de proximité immédiate des serveurs des sites des data centers renforcent encore la logique d'agglomération. Le numérique reste centré sur le coeur des métropoles. À Montréal l'UCAM s'est positionné au croisement des lignes de métro, le numérique a produit un recentrage en coeur de ville. Le lien entre les métropoles et leur territoire adjacent Les travaux de Nadine CATTAN sur Lille ont mis en évidence les « auto-corrélations spatiales » qui permettent de rendre compte de ce qui se passe à proximité, ainsi que le poids du passé et du long terme. Sur ce sujet, on voit qu'une politique de "stop and go" et les logiques de court terme sont insuffisantes. La réussite de Valenciennes s'analyse comme un long travail de fond ayant conduit à l'installation il y a 20 ans de Toyota et de Bombardier. Le développement numérique y a pris racine il y a une dizaine d'années. Au final Valenciennes « fait mieux », d'un point de vue économétrique, que ce à quoi on pourrait s'attendre. La coopération entre la chambre de commerce, les chambres de métiers, la préfecture, les organisations professionnelles patronales et les élus a permis de transformer la zone d'emploi. Inversement, à Lille, en regardant l'aire urbaine (métropole institutionnelle + couronne), et les relations de contiguïté et de distance, l'étude précitée (CGETCDC) a trouvé une difficulté d'interactions (interactions locales et inter relations spatiales) entre Lille et son hinterland. La zone d'emploi de Lille ne rayonne pas, ce qui signifie que l'effet de diffusion, même s'il se vérifie sur certaines activités, ne fonctionne pas bien. Existe-t-il des acteurs clés pour le développement de ces interactions ? On trouve souvent une personne (leader), un moment, un lieu. En Auvergne, le travail de coordination se fait au sein d'un « réseau de diffusion technologique ». Les chambres de commerce s'impliquent peu (exemple de Dijon), sauf dans des cas comme Valenciennes et Brive, qui utilise l'imagerie du « pack de rugby » pour nommer la coopération entre les acteurs du transport et de l'économie. À Tours, il existe une grande habitude de travailler en commun entre l'agglomération, le Département, et les établissements ; les universités et les entreprises ont construit une démarche collective. La question du capital humain sur les territoires et la taille des entreprises Le capital humain est systématiquement pris en compte comme variable dans les modèles ;exemple : « le niveau de formation », « la part de cadres et de professions intellectuelles supérieures ». Tous les territoires ne sont pas sensibles de la même façon à cette disponibilité de ressources humaines. Dans le Gâtinais, les entreprises parviennent à se développer en restant localisées sur le territoire, alors que leur présence est plutôt fortuite, à l'exemple de REDEX, qui avait quitté Levallois pour laisser la place aux grands projets de ZAC... Cette entreprise travaille à l'exportation et n'avait aucune raison objective de se localiser hors région parisienne (elle l'a fait parce que son patron avait des racines dans le Gâtinais). Elle considère désormais que son capital humain est sur place. L'entreprise Thimonier, ETI lyonnaise, est aussi une entreprise familiale tournée vers l'exportation qui considère Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 102/170 PUBLIÉ son capital humain comme le plus important. En retenant l'exemple de Moulinex à Alençon, la disparition d'une entreprise « hégémonique », au sein d'un territoire spécialisé, a un impact d'autant plus important. D'où le rôle aussi de la formation initiale et continue qui anticipe les mutations. La France se distingue de l'Allemagne, de l'Italie et de l'Espagne par une répartition bimodale de ses entreprises : d'un côté, moins de 7000 entreprises qui sont des « groupes » fournissent 60 % de la valeur ajoutée ; de l'autre, une myriade de très petites entreprises désorganisées et isolées ne forment pas une chaîne cohérente (par exemple il n'y a pas d'écosystème entre la réparation automobile et la construction). La forte stabilité au sommet va de pair avec de fortes turbulences à la base. L'organisation spatiale de l'industrie repose sur une tête de groupe en métropole, et le reste (activités à faible valeur ajoutée) à l'extérieur. Cette pratique des (grands) groupes n'est pas favorable à une bonne répartition et à un bon fonctionnement territorial de l'industrie française. Ceci se reflète dans les données de la FNAU basées sur des séries longues de recensement de la population. Il apparaît important de centrer davantage les dispositifs d'aides sur la coopération, plutôt que de rester sur des aides individuelles, conformément aux modèles italien (Cofindustria) et allemand. L'évaluation du CICE, par exemple, a montré que 3 laboratoires sur 4 concluent sur une absence d'effet du CICE ; une action de coopération comme condition de l'aide trouverait ici son utilité. Quelle performance pour les territoires non métropolitains ? À l'occasion d'un travail pour l'ADCF et la CDC en 2013, Economix a appliqué une méthode centrée sur « le résidu » de croissance de l'emploi qui n'est justement pas expliquée par la nature des activités et les dotations sectorielles. A ensuite été opéré un approfondissement qualitatif sur 6 territoires non denses ayant un effet local positif et qui « sur-performent » par rapport au modèle : Valenciennes, Vannes, Dijon, Brive... On a ainsi approché ce qui permet de compenser le déficit d'agglomération. Tous ces territoires (sauf exception) avaient comme caractéristique commune un travail sur la coordination des acteurs : public/public, privé/privé, public/privé. Selon Denis Carré, la question n'est pas celle des composants de l'écosystème, mais de « la connectique » à l'intérieur. L'effort est à porter sur les alliances entre acteurs et entre institutions : réseau, grappes et clusters, pôle, territoires de projet... les effets d'annonce doivent être intégrés dans des stratégies communes, nécessairement sur moyenne et longue période. Ceci permet de compenser une part du déficit propre aux entreprises et aux employés sur ces territoires, et cet effet spécifique est donc mesurable. Peut-on calculer un « effet local » ? Oui, par exemple on prend en compte le caractère industriel du territoire, puis on regarde la variation combinée de 2 données : la tendance naturelle (la conjoncture macro-économique) et la tendance sectorielle. La différence entre ce résultat et celui observé permet de caractériser un « résidu » propre au territoire. En synthèse, quelques enseignements majeurs se dégagent pour les politiques publiques : · parler « d'interaction locale » et « d'interrelation spatiale » (plutôt que de ruissellement, débordement, diffusion...), recentrer les aides publiques sur l'appui aux démarches collectives (évaluation non probante des effets du CICE), l'effort est à porter sur les alliances entre acteurs, dont les effets ne se produisent que sur moyenne et longue période. · · Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 103/170 PUBLIÉ 4.2. La transition écologique, moteur d'un nouveau développement Cette partie 4.2. de l'annexe est un développement détaillé du § 1.1. du rapport. 4.2.1. L'échelle territoriale niveau de gestion commune des grandes transitions Les mutations économiques à l'oeuvre, entre déterminants globaux et dynamiques locales Notre époque est marquée par la concomitance de plusieurs bouleversements technologiques, économiques, sociaux et sociétaux. Parmi eux, la révolution numérique est souvent décrite comme une transformation majeure qui atteint désormais tous les pans de la vie économique et sociale. Dans le contexte d'un renouveau industriel ou productif, avéré ou potentiel selon les points de vue, cette mutation provoque ou rend possible, en effet, une grande partie des innovations, même si celles-ci sont aussi liées à l'évolution du rapport à l'activité, de modes de travail devenant plus collaboratifs, de l'attitude des jeunes générations face au défi climatique, aux choix de vie, aux manières d'exercer une ou plusieurs professions... La digitalisation et le big data généralisés peuvent apparaître comme une fin en soi, comme une perspective commode de la « ville numérique » ou de la « smart city ». Il ne s'agit pourtant que d'un ensemble de moyens qui rendent possibles de meilleures conditions de dialogue et de coopérations, facilitant le développement de nouvelles chaînes de valeurs. La révolution numérique a un impact sur les villes et des territoires, ne serait-ce qu'à travers la transformation des entreprises, de leur organisation, de leurs critères de localisation et des emplois productifs ou autres, qui constituent les principaux déterminants des bouleversements, concurrences et déséquilibres déjà évoqués. Cependant, l'évolution des entreprises et de leur relation au territoire s'inscrit dans un contexte beaucoup plus large, celui d'une concurrence exacerbée qui s'exerce désormais au niveau mondial pour la grande majorité des secteurs d'activité. Les logiques de financiarisation deviennent dominantes au fur et à mesure de la transformation de l'actionnariat des groupes et des entreprises moyennes et de l'érosion progressive d'un capitalisme familial au rôle modérateur, y compris dans des pays comme la Suisse ou l'Allemagne en dépit du poids économique du secteur intermédiaire. Ce contexte explique largement l'importance du phénomène de délocalisation, qui n'est pas récent et dont les impacts territoriaux sont aussi déterminants que redoutables. Un phénomène inverse de « relocalisation » est-il observable et significatif ? Il existe une réalité indéniable et à potentiel élevé pour ce qui concerne les « circuits courts », lesquels connaissent un développement soutenu notamment dans le domaine de l'agriculture de proximité. Les réalités sont plus contrastées dans le domaine industriel. On a pu constater par exemple dans le domaine de l'industrie de la chaussure, dont il est question dans le rapport au sujet du site de Romans visité par la mission, que la production s'est dans un premier temps délocalisée dans les pays très pauvres pour bénéficier des facilités d'une main d'oeuvre à très bon marché puis, dans une période récente, est partiellement revenue s'installer dans les pays développés sur la base de chaînes de production largement automatisées ; en termes d'emplois, cela signifie la création de nouveaux emplois plus qualifiés mais en nombre largement moindre que dans la situation initiale. Il reste aussi à observer si la relocalisation va se faire dans les territoires industriels initiaux ou ailleurs. La transition écologique, en interaction avec tous les grands bouleversements Un constat majeur se dégage des visites et entretiens réalisés par la mission : au coeur de ces bouleversements économiques et sociétaux qui affectent le développement et la cohésion des territoires, la transition écologique constitue à la fois la reconversion majeure de notre temps et une réalité déjà à l'oeuvre. Comme toute transition, elle se traduit par des effets immédiats qui peuvent être négatifs, surtout lorsqu'ils sont insuffisamment anticipés par les pouvoirs publics, mais porte un potentiel mobilisateur de transformation économique et sociale vers un nouveau « métabolisme urbain et territorial ». Sa poursuite et son accélération suscitent à la fois des menaces et des Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 104/170 PUBLIÉ opportunités, avec des visions et des modalités qui peuvent être très diverses selon les territoires et la capacité d'action de ses acteurs. La réussite de la transition écologique dépend de la crédibilité de son process et de son incarnation dans les territoires, entre réalisme pour gérer les difficultés, notamment des plus fragiles d'entre eux, et optimisme pour encourager les dynamiques à l'oeuvre. C'est « la grande reconversion » selon Jean-Pierre Aubert 199, fin connaisseur des crises industrielles et praticien reconnu des transformations économiques dans les territoires. Elle est au centre du débat public, en interface avec toutes les autres transitions : numérique, démographique et générationnelle, sociétale... Elle doit être pensée à toutes échelles : elle relève de responsabilités et de décisions de niveau local, national, européen et mondial, mais c'est dans les territoires (villes et aires urbaines, bassins économiques et bassins de vie...) que peuvent se gérer la conciliation et s'opérer la synergie entre l'ensemble des mutations, les enjeux sociaux et la transition écologique, condition indispensable à sa réussite, ainsi que l'explique Johanna Rolland, maire de Nantes. C'est pourquoi l'équipe de mission a considéré la transition écologique comme angle de vue privilégié de ses travaux. La transformation numérique de l'appareil productif en appui de la transition écologique La transformation numérique n'est pas une finalité, mais elle peut constituer un moteur, un accélérateur de la conversion écologique, en général et pour la mutation des entreprises, comme plusieurs témoignages recueillis par la mission le confirment. La transformation numérique de l'outil productif est plus ou moins avancée selon les entreprises ; elle est même parfois jugée terminée, comme pour Sylvie Guinard, présidente de l'entreprise Thimonnier, qui a fait de la transition numérique un facteur de différenciation et d'avantage compétitif pour se développer à l'international. Mais au global, l'industrie française peine à se transformer, notamment les PME, estime Louis Gallois. La notion de transformation numérique des entreprises est difficile à mesurer selon les experts de l'INSEE. Selon la DGE, la France se trouve en retard par rapport à d'autres pays, en dépit d'un soutien public important (« Industrie du futur », l'équivalent d'Industrie 4.0 en Allemagne et en Italie) et un taux d'investissement comparable. Le tissu des PME manque globalement de performance par rapport à l'étranger : deux fois moins de PME exportatrices par rapport à l'Italie, un taux de robotisation décalé par rapport aux autres entreprises et moins d'ETI par rapport aux concurrents européens. En France le programme « Usine du futur » est en cours et n'a pas encore produit tous ses résultats. A titre d'exemple, pour la direction du développement durable du groupe SEB, la transition numérique est un accélérateur qui impacte différents applicatifs dans les 40 usines du groupe : processus robotisé, installation de capteurs pour repérer les fuites, utilisation de l'imprimante 3D pour fabriquer à la demande et faciliter la réparation des produits (93 % des nouveaux produits sont réparables), recours à un logiciel pour réduire l'empreinte carbone due au transport via la diminution du taux de chargement à vide des containers. L'écologie affecte le modèle économique des entreprises qui dépendent des ressources naturelles disponibles, de plus en plus rares et chères, et des risques climatiques, de plus en plus importants. Des territoires, telle la Vallée de l'Arve, arrivent à tirer tout le potentiel du numérique pour accélérer le processus de transformation des entreprises et peuvent servir de bon exemple. La transition écologique s'appuie également sur la transformation numérique de l'organisation du travail de l'entreprise. Le numérique permet ou facilite des solutions nouvelles : « co-travail», télétravail, réunion en visio-conférence, co-voiturage dans le cadre du déplacement domicile-travail, plateformes de mise en relation et d'entraide... Le numérique est aussi un levier pour développer la coopération territoriale entre entreprises : il permet une meilleure connaissance des ressources en se connectant au métabolisme territorial et la mise en oeuvre de boucles locale d'optimisation des 199 Chef de la Mission interministérielle des mutations économiques dans les années 2000 et président en 2014 d'une mission sur l'anticipation et l'accompagnement des mutations économiques auprès du Premier Ministre. Mutations économiques et développement des territoires Page 105/170 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ flux en matière de logistique ou de réemploi notamment, comme le souligne l'Institut de l'économie circulaire (INEC). 4.2.2. Un « récit » de la transition écologique pour réussir la transformation économique des territoires Un concept récent, porteur d'une dynamique mobilisatrice et d'un potentiel à enrichir La transition écologique est un concept récent porteur d'une vision optimiste, renvoyant à la fois à un enjeu de niveau planétaire et à des modes de vie et des actions de type bottom-up. Il a été initié en 2005 par Rob Hopkins, enseignant anglais en permaculture, sur la base d'expérimentations visant l'autonomie et la résilience des territoires. Il est apparu institutionnellement en France en 2013. Il s'apparente à une « mise en action » du concept de développement durable, en introduisant une notion de mouvement, de passage d'un état à un autre. C'est ainsi que la stratégie nationale de développement durable est devenue « la stratégie nationale de la transition écologique vers un développement durable » pour la période 2015-2020 ; le Conseil national de développement durable (CNDD) a été remplacé par le Conseil national de transition écologique (CNTE). Le ministère de la transition écologique et solidaire a été créé en 2017. Le concept de transition écologique est encore souvent confondu avec la transition énergétique, qui en constitue effectivement un volet important. Mais il comprend aussi les sujets de l'urgence climatique, de la préservation de biodiversité, de l'économie circulaire, des circuits courts, de la gestion des ressources comme l'eau et les matériaux, de la maîtrise des risques... Il est porteur de connotations plutôt positives mais aussi accompagné d'effets négatifs. Ainsi, la diminution du diesel a un impact sur l'industrie automobile et sur l'emploi, de même que la fermeture des centrales à charbon et de certaines centrales nucléaires ; mais l'innovation, la création de nouveaux emplois, non délocalisables dans certains cas, l'apparition de nouveaux services qui conduisent à une amélioration du confort, de la santé et du bien-être sont favorisés par le développement des énergies renouvelables, des circuits courts, de l'économie circulaire, des services à la personne. Les questions sociales à prendre en considération simultanément Des interactions fortes et des contradictions apparaissent en termes d'emplois, de ressources et d'équité sociale. Cela peut aller jusqu'au déclenchement de mouvements sociaux, comme dans l'exemple récent de la taxe sur les carburants. Il en va de même avec les enjeux de « précarité énergétique », avec la politique de suppression des « passoires thermiques » dans les bâtiments, susceptible de créer des emplois à condition que les ménages soient en capacité de financer les travaux. Le concept porte une vision optimiste de l'avenir via un mouvement de transformation du modèle économique et social en partant des territoires et des citoyens. Mais la transition écologique fait peser un risque de déséquilibre social accru. Plusieurs économistes de l'école de Paris ont souligné qu'un instrument économique comme la taxe carbone a été conçu sans tenir compte des réalités sociales. Selon l'analyse200 de l'économiste Jean Pisani-Ferry, il y a un coût immédiat et des effets distributifs défavorables pour les pauvres et les classes moyennes de la périphérie urbaine ou pour les travailleurs en usine dont les métiers sont intensifs en carbone. Ainsi que l'ont exprimé plusieurs acteurs, en particulier Jean-Pierre Aubert et Odile Kirchner201, il serait pertinent dans le contexte d'aujourd'hui de construire un « récit » de la transition écologique 200 Publiée par Terra Nova, mars 2019. Qui a été Secrétaire générale du Conseil national à l'industrie puis Déléguée à l'économie sociale et solidaire. 201 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 106/170 PUBLIÉ non pas pour en faire le marketing, mais pour en développer une pensée cohérente et mobilisatrice, articulant les dynamiques territoriales, les temporalités et l'ensemble des enjeux socio-économiques. Un récit qui exprime des valeurs fondées sur l'humain, la nature Il s'agit de donner du sens à la transition écologique en misant sur les valeurs et les atouts du territoire, en s'appuyant notamment sur des notions de services écosystémiques et de génie écologique. Ainsi, la forêt peut fonder un récit de la transition écologique sur un territoire, comme pour le projet « Terres de métamorphoses » piloté par Jean-Pierre Aubert, lequel entend donner du sens et entraîner les acteurs locaux de la région de Compiègne dans la démarche. La forêt constitue également une valeur ancrée dans les territoires pour Jérôme Lescure, ancien administrateur de SEB et, depuis 2013, entrepreneur de la filière bois et investisseur dans les PME du secteur. Il s'agit de développer une capacité à penser la transition écologique autour de l'humain et de la nature, ce qui suppose des approches de nature philosophique, éthique, économique, sociologique, etc. Un récit qui doit articuler toutes les échelles et s'appuyer sur les dynamiques locales En affirmant que la transition écologique se fait par et pour les territoires, conviction partagée par de nombreux interlocuteurs de l'industrie comme le réseau national des éco-entreprises (PEXE) ou de la société civile comme des responsables de France Nature Environnement (FNE), un récit initié à l'échelle nationale est à même de donner envie aux territoires de parler de leurs initiatives, de les valoriser et les inciter à construire leur récit local de la transition écologique. Car la réussite de la transition écologique repose en grande partie sur les territoires mis en mouvement, sur les dynamiques locales et sur des espaces qui focalisent l'échange, la création, le renouveau du développement. Ainsi peut-il en être des tiers-lieux qui, pour Pierre Levy-Waitz, Président de la fondation Travailler autrement, constituent un exemple en devenir d'une « fabrique du territoire », à l'interface entre les trois transitions écologique, numérique et sociétale. C'est pourquoi leur développement hors métropole est à juste titre soutenu par les pouvoirs publics. Un récit pour penser conjointement transition et résilience des territoires Il est intéressant, comme le fait l'économiste Magali Talandier 202, de rapprocher la notion de transition et celle de résilience. Ces deux termes sont polysémiques, se recoupent et se complètent selon deux aspects indissociables : la transition exprime une transformation radicale qui s'inscrit dans un contexte social et territorial, la résilience un processus d'adaptation qui fait émerger un nouvel état. Cette approche met en évidence la nécessité de penser la transition écologique non seulement comme un défi incontournable mais comme une transformation préparée, gérée et dotée des moyens nécessaires, après évaluation de l'ensemble des impacts et des coûts afférents. Sur ce dernier aspect, on peut signaler une initiative de la ville de Grande-Synthe : le lancement à titre expérimental le 30 avril 2019 d'un « revenu de transition écologique » visant à apporter un complément de revenu aux habitants voulant basculer vers un métier respectant l'environnement. Cet exemple illustre la nécessité de mettre en oeuvre, aux niveaux pertinents de territoire, les moyens de surmonter les obstacles et notamment les « coûts de la transition ». Le récit doit définir une trajectoire, un rythme en distinguant des étapes et des objectifs à court, moyen et long termes, une articulation avec toutes les autres transitions. Il peut exprimer le lien entre l'économie et les atouts du territoire (la forêt par exemple peut être le moyen de fonder le récit de la transition écologique sur un territoire et être considérée comme une valeur de la transition écologique ancrée dans les territoires). 4.2.3. La transition écologique à l'oeuvre dans tous les secteurs Un défi dans tous les secteurs économiques 202 Magali Talandier : Résilience des métropoles, le renouvellement des modèles Les conférences du POPSU, PUCA 2019. Mutations économiques et développement des territoires Page 107/170 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ Face à l'enjeu environnemental, il y a un immense défi industriel, les investissements à réaliser sont considérables. En ne prenant en compte que le champ énergétique, Cédric Lewandowski, directeur Stratégie, innovation et responsabilité d'entreprise du Groupe EDF, cite le chiffre de plus de 3 000 Mds$ d'investissements à réaliser dans le monde par an d'ici 2040 à ce titre dans les secteurs correspondants (électricité, transports, bâtiments, industrie). La transition écologique concerne toutes les filières économiques et secteurs d'activité : agriculture et industrie extractive, bâtiment, transports, industrie manufacturière, services. À l'initiative des acteurs concernés et avec ou sans l'impulsion des pouvoirs publics, elle s'accompagne de bouleversements de nature et d'intensité diverses : alors que des pans d'activité disparaissent, se transforment ou sont menacés, de nouveaux modes de production émergent et se développent. Des modèles économiques novateurs apparaissent ou, s'ils existent déjà, prennent une importance ou une dimension nouvelle, et suscitent souvent une transformation en relation au territoire. La transition écologique dans le domaine de l'agriculture La conversion écologique de l'agriculture est difficile mais possible sur 20 ans, selon les experts. La moitié de la production agricole ne devenant alimentaire qu'après transformation (industrie alimentaire, nourriture pour l'élevage...), il convient de prendre en compte l'ensemble de la filière. Entre 1960 et 2000, les circuits courts ont fortement régressé du fait de l'industrialisation et de la normalisation (par exemple, standardisation du calibre des fruits et légumes). Ils n'ont jamais totalement disparu mais reprennent de l'importance avec les préoccupations de santé publique, le goût pour les produits locaux, l'exigence de traçabilité. Pour autant, l'agriculture industrielle ne disparaîtra pas aussi vite, notamment du fait de la part de la restauration collective (qui est de l'ordre de 50 %) et tant que celle-ci n'entre pas massivement dans une logique de conversion. Il se pose aussi des questions d'investissement, l'agriculture étant une activité fortement capitalistique (importance de l'outillage). Ainsi, il n'est pas pour le moment possible de prévoir le rythme de transformation... L'agriculture biologique et la vente directe au consommateur sont des réponses adaptées aux enjeux ainsi que par rapport à la transition entre générations, mais il faut être situé de préférence à proximité des grandes villes et dans des zones touristiques. Il importe de réinventer des dispositifs de coopération et promouvoir les outils de type appellation d'origine protégée (AOP). La démarche a « sauvé » des régions comme l'Aubrac, grâce au fromage fait exclusivement au lait de vache de ce terroir. L'enjeu de la filière bois La gestion durable « à la française » de la forêt n'oppose pas préservation et exploitation. On peut appréhender la forêt comme un capital productif doté d'un processus de production long, en cohérence avec les services écosystémiques qu'elle apporte. Mais on constate une insuffisance d'investissements de valorisation, en amont comme en aval. C'est l'enjeu de l'organisation d'une filière bois (en France, il s'agit essentiellement de bois de construction), une démarche engagée mais dont les résultats restent encore à concrétiser. Des contrats de filière ont été signés en 2014 puis en 2017. L'objectif est de passer de 10 à 15 % de la part construction en bois pour les constructions individuelles et de 2 % à 8 % pour celles à usage collectif. Le potentiel et l'ambition sont différents d'une région à l'autre, mais des initiatives prometteuses sont lancées, notamment dans le Grand Est, soutenus par le programme d'innovation TIGA (« Territoires de grande ambition »). Les jeux olympiques 2024 sont cités comme l'occasion de réaliser de possibles démonstrateurs. Une conception large de l'économie La rencontre en Suisse d'Olivier Crevoisier, professeur d'économie territoriale, l'observation de l'approche de terrain en Italie à Naples ou de l'action de la CDC biodiversité ont servi de révélateurs. Une conception large de l'économie permet de tisser le lien entre tous ses pans et avec les territoires, Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 108/170 PUBLIÉ ses atouts et ses ressources. C'est avec cette conception que doit être abordée la transition de notre économie vers un nouveau modèle, circulaire, décarboné et fondé sur l'usage et non sur la possession, selon un axe essentiel de la stratégie nationale de transition écologique vers un développement durable 2015-2020. D'autres aspects ou approches de la transition pourraient être développés : économie de la connaissance, économie sociale et solidaire, services à la personne, nouveaux emplois et formes d'activité, maintien de la biodiversité, maîtrise de la consommation foncière, finance verte... On se limitera à l'évocation de modèles porteurs de perspectives importantes et à leurs enjeux territoriaux. 4.2.4. De nouveaux modèles prometteurs L'économie sobre en carbone progresse, mais a besoin d'être placée au coeur de l'économie locale, alors que l'économie circulaire s'y trouve spontanément. La réponse aux défis environnementaux passe aussi par l'évolution des usages et des comportements, d'où l'enjeu de l'économie de la fonctionnalité. Tous les moyens doivent être optimisés, du numérique aux contenus de la RSE, en mettant l'accent sur le lien entre entreprises et les territoires. La transition engagée vers une économie sobre en carbone Le passage à une économie sobre en carbone, en dépit du poids des investissements à réaliser, apparaît, selon plusieurs témoignages, bien engagé par les industriels. Il interfère avec la transition énergétique, s'inscrit dans l'urgence de la lutte contre le changement climatique, est porté par les marchés financiers, sensibles au risque carbone et à l'inversion des rentabilités. À cet égard, l'Agence internationale des énergies renouvelables indique que leur coût de production ont baissé de plus de 10 % en un an, et affirme que cette réduction devrait se poursuivre après 2020. Le groupe SEB, conscient de la dépendance de son modèle économique aux ressources et à l'énergie, estime que sa transformation vers le bas carbone s'avérera rapidement source d'économies : d'une part, par la synchronisation des économies d'énergie et la réduction des émissions de gaz à effet de serre, d'autre part, par la mise en oeuvre de leviers multiples (optimisation des processus, installation de capteurs de fuite, récupération de chaleur dans une logique d'écologie industrielle...) Pour le développement des énergies renouvelables, plusieurs acteurs financiers annoncent des taux de retour sur investissement attendu acceptables et atteignant les standards du marché. De plus, le risque carbone, identifié et mesuré aujourd'hui, s'intègre dans les décisions d'investissements et réoriente les capitaux vers des actifs moins exposés. L'économie circulaire, modèle prometteur pour les entreprises et leurs interrelations avec les territoires L'économie circulaire est par nature territoriale. Si l'échelle régionale est pertinente pour coordonner les dynamiques locales et pour piloter l'évolution des filières, c'est bien l'échelle locale qui l'est pour la mise en oeuvre de boucles de valorisation et de circuits de proximité. Pour les entreprises, l'économie circulaire peut contribuer à améliorer leur compétitivité à court terme à travers une réduction des coûts (achats, transport, partage, traitement des déchets) et permettre de faire émerger de nouvelles filières locales créatrices d'emplois. Ainsi le recyclage fait travailler les PME dans les territoires, crée des emplois locaux, permet de faire lien avec l'économie sociale et solidaire, à l'image du groupe SEB qui fournit gratuitement les produits en fin de vie au réseau ENVIE dont la mission est de les répare et les revendre. Pour les territoires, l'économie circulaire optimise l'usage des ressources (bouclage des flux, approvisionnement local, etc.), réduit leur dépendance aux importations et aléas extérieurs, améliore l'empreinte environnementale et préservele capital naturel. Des territoires l'ont déjà placée au coeur de l'économie locale en misant sur la complémentarité des réseaux et collectivités en place pour fédérer les acteurs économiques. L'économie circulaire est source d'innovation territoriale, comme Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 109/170 PUBLIÉ dans le domaine de l'écologie industrielle et territoriale, un angle important pour optimiser l'échange de flux entre entreprises présentes sur un même territoire et pour ainsi envisager un devenir à certaines zones d'activité, ainsi que l'indique l'Ademe. Le mouvement est d'autant plus prometteur qu'il se structure à l'échelle de plusieurs Régions ou Métropoles, qui ont centré leur stratégie de développement économique sur l'économie circulaire. L'INEC cite ainsi les exemples de la métropole du Grand Paris, ou de la Région Hauts-de-France. Un certain nombre de freins restent toutefois à surmonter. Certains resteront à traiter au-delà de l'adoption du projet de loi discuté en 2019 au Parlement. · La compréhension de l'économie circulaire est souvent limitée dans un premier temps. L'ORÉE souligne que l'économie circulaire ne doit pas être comprise seulement sous l'angle de la gestion des déchets mais aussi sous l'angle de l'emploi et des ressources de services et de produits. L'INEC fait le constat que les acteurs politiques, économiques et citoyens n'ont pas assez conscience du métabolisme territorial. La connaissance de la richesse d'un territoire, du capital naturel utilisé et de l'empreinte environnementale font souvent défaut. Le développement de l'économie circulaire est handicapé par un contexte de désindustrialisation et de production insuffisante sur le sol français, un problème de structuration des filières et de transition du marché du travail, des difficultés à trouver la bonne maille entre le département et la région. D'autres freins économiques existent, comme le prix élevé des produits recyclés, des gisements faibles, des filières de recyclage encore fragiles, des incertitudes réglementaires (instabilité, manque de visibilité sur les évolutions). · · L'économie de l'usage, mutation économique majeure qui impactera les territoires, La réponse aux défis environnementaux ne peut être le seul fait de l'innovation mais dépend fortement de l'évolution des usages qui permet de prendre en compte l'impératif de sobriété. Dans ce contexte, « l'économie de la fonctionnalité » est considérée par l'INEC comme le modèle de l'économie circulaire le plus abouti. Pour Bernard Charles, président directeur général de Dassault systèmes, c'est même la mutation économique majeure : la renaissance de l'industrie avec le phénomène de « plateforme », selon un changement brutal et radical qui bouleverse la chaîne de valeur et les métiers. En modifiant les modèles d'affaires et en substituant à la vente de biens ou de services la fourniture d'usages et de performances, cette mutation incite à l'allongement de la durée de vie des produits et à l'optimisation de leur utilisation. Le modèle ne signifie pas un ancrage local des entreprises, mais l'approche par l'usage modifie la relation au territoire. 4.2.5. Les avancées de « l'écologie industrielle » La transition écologique oblige les entreprises à se transformer pour un développement durable de leur activité. C'est une tendance de long terme, bien que l'industrie française soit lente à se transformer, singulièrement les PME. Les objectifs de développement durable 203 (ODD) et la responsabilité sociale des entreprises (RSE) sont considérés comme des leviers de transformation des entreprises. Leur ancrage territorial peut-il être en même temps favorisé ? L'économie circulaire et plus particulièrement l'économie industrielle territorialisée constitue une « RSE inter-entreprises » selon l'ORÉE, qui propose de créer un lien avec le territoire, en intégrant la dimension territoriale dans le reporting extra-financier et en encourageant une dimension collective. L'ancrage territorial des pôles de compétitivité et des clusters va dans le même sens. 203 Notamment l'ODD 12 : « Consommation et Production durables ». Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 110/170 PUBLIÉ Le modèle de l'entreprise familiale favorise la RSE selon les exemples de SEB et de Thimonnier et d'après l'observation des entreprises allemandes. L'actionnariat familial facilite une vision à long terme et peut avoir une influence forte sur la RSE et sa dimension territoriale, ne serait-ce que par devoir moral. Le centre des jeunes dirigeants d'entreprise (CJD), considérant que la transition écologique alliée à la RSE constitue un formidable moteur de croissance, a développé une méthodologie visant à promouvoir la performance globale de l'entreprise (sociale, sociétale, environnementale). Une approche similaire peut aussi être envisagée en passant à la contribution positive de l'entreprise à un territoire autour de la notion d'externalités nettes positives pour le territoire. Toutefois, comme le rappellent des acteurs issus du monde économique, les entreprises ont avantage à prendre en compte leur environnement local mais suivent d'abord leur propre intérêt. Les débats lors du débat sur le projet de loi PACTE ont également montré les réticences liées au changement de statut de l'entreprise. La Camif fait partie des premières « entreprises à mission » définie par cette loi PACTE ; ce statut promeut l'intérêt social et ouvre la voie à une nouvelle vision de l'entreprise. Emery Jacquillat, PDG de la Camif, a modifié les statuts de son entreprise dès novembre 2017. Il entend promouvoir « un modèle d'entreprise plus contributrice avec une économie plus locale, plus inclusive, plus circulaire ; le chantier est énorme, il faut tout réinventer, nous n'avons plus le choix... » 4.3. Entreprises et territoires Cette partie 4.3. de l'annexe est un développement détaillé du § 1.2.1. du rapport. 4.3.1. Vers un meilleur ancrage territorial des entreprises ? « Relocalisation » ou optimisation de la chaîne de valeur ? Depuis 2012, un léger ralentissement des fermetures de sites industriels, compensé par l'extension et la création de sites nouveaux a été observé sur le territoire français, laissant augurer un possible enraiement du déclin industriel. En 2017, l'industrie française a ainsi crû en nombre de sites comme en emplois ; le « rebond » s'est poursuivi en 2018 (l'emploi industriel continue de progresser mais pas le nombre de sites, source Trendeo 2019), avec une exploitation accrue des sites existants et une extension ou une densification de la production. Il est trop tôt pour dire si cette tendance se confirme en 2019, du fait de la poursuite de la fermeture de nombrexu site. Aussi, même si les processus de dé- ou re-localisation ne suivent pas une progression linéaire, peuton parler d'un mouvement de « relocalisation » (qui ferait suite au puissant mouvement de délocalisation vers le sud et l'Est de l'Europe ainsi que vers les pays émergents singulièrement d'Asie du SE) ? Romans (Drôme), visité par la mission, territoire historique de la confection de chaussures, a perdu ses capacités de production suite à la crise de 2008, les fabriques ayant été progressivement fermées et la production replacée ailleurs. Le choix, opéré par certains acteurs du territoire, de se réapproprier cette fabrication a conduit à une forme de relocalisation consistant à recréer des ateliers de confection de chaussures haut de gamme en faisant appel cette fois à un concept plus large, qui allie l'innovation et le savoir-faire industriels au design et à la conception ; certains secteurs industriels de l'Ardèche voisine (pays du Cheylard, rencontré aussi par la mission) obéissent aussi à cette logique. Pour Romans, le processus est directement issu de la volonté de faire le pari de « l'économie sociale et solidaire » pour ce territoire. Mais ce n'est qu'une partie de la chaîne de production qui a été ainsi relocalisée, à savoir, les éléments porteurs de la plus grande valeur ajoutée. Cette relocalisation, intrinsèquement liée au développement des outils numériques, repose donc sur une optimisation de la chaîne de valeur. C'est Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 111/170 PUBLIÉ ainsi que certains observateurs analysent désormais le phénomène du ré-ancrage des entreprises mondialisées par le terme « d'ancrage intermittent », pour signifier la répartition entre territoires à coût de production élevé (européens par exemple) qui captent les activités, y compris productives, à haute valeur ajoutée ; et les autres, plus aisément localisables à l'étranger (plates-formes de SAV par exemple, ou certains segments précis de la chaîne de valeur...), car nécessitant une main d'oeuvre abondante ou de formation plus stéréotypée. Il existe une réflexion nouvelle sur les coûts : coûts « réels », coûts « cachés », qui fait évoluer les modèles économiques, et redonne de l'importance à la proximité. Le choix de plus en plus affirmé du développement des circuits courts va dans le même sens. Il renvoie à la réflexion sur « l'internalisation » des externalités : si on impute par exemple au transport ses coûts cachés, coûts sociaux et économiques (congestion, chômage), coûts environnementaux, coûts humains (en termes de risques pour la vie humaine et d'impact de la pollution sur la santé), le coût réel est sans commune mesure avec le prix effectivement payé pour le fret marchandises, qui constitue actuellement le seul « surcoût » retracé dans le compte d'exploitation comme paiement du prix généré par la distance. La question de la proximité, physique comme culturelle, reste donc le sujet fondamental pour la compréhension des choix entrepreneuriaux. Les échanges : contribution des entreprises et aménités apportées par les territoires La production de valeur ajoutée par l'entreprise est d'abord le fait de la mise en oeuvre, selon des process qui lui sont propres, de ses facteurs de production capitalistiques et humains. Mais cette mise en oeuvre, cette transformation, s'appuient sur une valorisation des aménités et des ressources offertes par le territoire, à savoir, des infrastructures de transport, la main d'oeuvre présente sur le bassin d'emploi, l'équipement numérique et la présence localement de réseaux de services aux entreprises... Ce sont précisément ces éléments qui placent la France en très bonne position dans les investissements internationaux (qui comprennent aussi des investissements chinois, allemands, etc. dans le Nord et l'Est de la France...) ; en 2108, le territoire français représente ainsi le premier territoire d'accueil d'investissements étrangers en Europe 204. Les ressources du territoire constituent une « ressource » matérielle ou immatérielle ; et il est de l'intérêt bien compris de l'entreprise de se préoccuper aussi de la pérennité de ces ressources, qu'elles soient naturelles, physiques, ou humaines. Ceci explique l'histoire mouvementée du lien entre entreprise et territoire (l'une est mobile et l'autre, par définition... permanent, même s'il évolue sans cesse). La version négative de cette histoire est celle de « la prédation » exercée par les entreprises, de plus en plus largement dénoncée. C'est celle aussi de la « mise en concurrence » concrète des territoires relativement à leurs dépenses d'investissement en faveur des entreprises : mise à disposition gratuite des infrastructures de transport ou de réseaux numériques, mise à disposition de terrains fonciers ou d'ensembles immobiliers ; sans compter les bonus fiscaux ou les primes à l'installation. Il s'agit d'un « jeu » non coopératif qui se joue partout, en Europe, encore plus dans les pays émergents, au nom de la perception que l'entreprise est celle qui apporte développement et emploi au territoire. De nombreux entretiens de la mission ont fait ressortir la nécessité de sortir aujourd'hui de cette représentation, par exemple en intégrant dans un calcul économique les externalités positives apportées par le territoire, et en miroir, les éventuelles « externalités négatives » d'une entreprise qui viendrait le polluer, et qui au final aurait « coûté » plus cher au territoire qu'elle ne lui aurait rapporté. 204 Sources : presse, semaine du 31 mai 2019 et rapport de la mission FNEP 2019 Cultivons notre industrie, précité Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 112/170 PUBLIÉ Un ancrage territorial porteur de valeur ajoutée Mais cette relation joue aussi positivement. Certaines entreprises aujourd'hui vont au-delà de leurs obligations en matière de RSE en se positionnant fortement sur leur lien au territoire et en mettant « l'ancrage » au coeur de leur stratégie : c'est le cas de certains groupes, pour des raisons d'image visà-vis des consommateurs ou de leurs salariés, d'entreprises intervenant dans les secteurs liés à la transition, à l'énergie, qui sont dans une problématique de ressources, de risques et ont intrinsèquement un rapport avec leur territoire... C'est aussi le cas, en général, de l'artisanat, des PME, voire de la plupart des entreprises de taille intermédiaire (ETI) qui peuvent jouer sur des questions d'implantation mais ne sont pas dépendantes de stratégies extrinsèques, et s'inscrivent dans le « fait local »205. Ce thème de l'ancrage devient aussi une préoccupation au sein des organisations professionnelles rencontrées. S'appuyant sur un groupe de travail inter-entreprises réuni sur l'année 2016, l'association ORÉE a mis au point des indicateurs « d'ancrage territorial » permettant aux entreprises de procéder à une auto-évaluation de cet ancrage, selon quatre axes 206. Cette démarche montre que, au-delà des ressources que le territoire met à disposition, c'est aussi la qualité propre du lien tissé avec ce territoire qui représente en tant que tel un « capital ». Et ce capital, s'il n'apparaît nulle part à l'actif du bilan de l'entreprise, n'en représente pas moins une ressource immatérielle précieuse pour son fonctionnement et sa pérennité. Le « territoire » apparaît ainsi comme un lieu particulièrement propice à l'expression directe des différentes composantes de « la responsabilité » entrepreneuriale, chères aux promoteurs de la RSE 207. Les entreprises sont dans un modèle « d'écosystème » : elles se regroupent pour bénéficier de la coprésence de leurs fournisseurs, leurs sous-traitants, de leurs concurrents éventuellement, d'un bassin d'emploi et de formation appuyé sur une filière économique... La formation de « grappes », les clusters, sont une réalité du développement des entreprises, qui tirent bénéfice de la spécialisation thématique. D'où une tension à propos de cette spécialisation économique territoriale : bénéfique aux entreprises, elle est aussi vecteur de vulnérabilité pour le territoire en cas de crise de la filière concernée ou de fermeture d'un site important ; sachant qu'au final, c'est la diversification et non la spécialisation qui permet un réel développement. La clé du succès repose sur la dynamique territoriale, et la transformation de cette dynamique en « bien commun » utile à tous. On peut ainsi appréhender des « externalités positives » liées au seul bon fonctionnement du système d'acteurs, de la collaboration entre entreprises et territoire, de leur investissement sur le territoire208. La performance du territoire est alors une résultante de la qualité des échanges entre territoires et entreprises, selon leur ancrage territorial, au-delà de ce qu'elles reçoivent et ce qu'elles donnent. 205 Or la récession de 2008­2009 a d'abord touché le tissu industriel artisanal (en même temps que de très grands établissements). Axe 1 : stratégie d'innovation et de marché (développement de compétences adaptées, évolution du modèle économique de l'entreprise vers un modèle durable centré sur le territoire, participation à des programmes de recherche avec des partenaires) ; axe 2 : ancrage social et économique de l'entreprise (développement du tissu économique, emplois locaux et insertion professionnelle) ; axe 3 : coproduction de valeur commune (contribution à l'aménagement du territoire, redistribution de la création de valeur, partage de la valeur créée, contribution à la préservation, restauration et valorisation des ressources naturelles locales) ; axe 4 : gouvernance (participation des acteurs, transversalité et pilotage de l'ancrage local). Source ORÉE (Entreprises, territoires et environnement) : S'ancrer dans les territoires pour gagner en performance (sept. 2017) On peut alors parler de « RS-T-E » cf. supra annexe 4.2 C'est un des aspects également du « salaire urbain », qui s'appuie sur cette optimisation (dans la mesure où les environnements urbains facilitent les échanges). Mutations économiques et développement des territoires Page 113/170 206 207 208 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ « L'économie patrimoniale » Enfin, une partie du rebond industriel dans les grands pays européens peut être liée à la valorisation de l'identité territoriale elle-même. On vend un produit chargé d'une histoire unique, d'une culture spécifique. Cette différenciation fonctionne très bien dans l'agro-alimentaire, point fort de l'industrie française (exemple, le modèle des « AOP ») ; mais aussi, pour les exemples suisses rencontrés, au sein de l'ensemble de l'économie industrielle. L'économie productive devient ainsi une économie « patrimoniale » ; pour laquelle il n'est justement plus question de délocalisation. En Suisse, en certains endroits, le musée jouxte la fabrique et la fabrique le magasin ; le musée explique et relie l'histoire du territoire, l'histoire des ouvriers, l'histoire des modes de travail et de production du territoire, l'histoire de ses entrepreneurs. Tout cela est « visité », et « vendu », en même temps que le produit (même s'il s'agit d'un produit de consommation à forte composante industrielle). Ce qui vaut pour les produits vaut également pour les compétences puisque sont mis en valeur des territoires qui sont supposés être héritiers de cet esprit entrepreneurial, ou intrinsèquement porteurs de ces compétences. Tout ceci est renforcé par la coprésence sur un même lieu des fonctions de commandement entrepreneurial et de production, apanage du modèle germanique (alors qu'en France ces implantations sont le plus souvent scindées, avec une spécialisation des territoires : le « siège » dans la métropole et le site industriel excentré). Un développement territorial d'abord endogène Comme vu ci-dessus, les avantages procurés par le milieu local conduisent les établissements à s'agglomérer pour se développer et bénéficier d'un système d'interactions vertueuses : des « effets de milieu »209 qui se complètent d'éléments liés à la gouvernance locale, la qualité d'organisation du territoire, son image (à différentes échelles), la capacité des différents acteurs locaux, publics et privés, à travailler ensemble. Dans les faits, les implantations d'entreprises venant de l'extérieur contribuent de façon minoritaire à la croissance des territoires, sauf exception (on l'évalue de 5 à 20 % selon les territoires étudiés, en France) : le potentiel de gain d'emploi et de valeur ajoutée des territoires réside donc essentiellement dans les entreprises existantes, qui « s'agrandissent » ou reconfigurent leurs établissements, en restant localisés sur le même site, un site adjacent, ou encore sur le même bassin de vie. Ainsi, si l'attention des structures chargées de l'attractivité est souvent plus marquée vis-à-vis des grands comptes ­ perçus, à juste titre, comme davantage exposés au risque de délocalisation ­ c'est bien de l'ensemble de la chaîne productive, incluant le tissu de TPE/PME, dont il est question. 210 Croissance endogène et croissance exogène se renforcent en effet mutuellement, et induisent une spirale positive en matière d'attractivité (la bonne valorisation des ressources existantes permet au 209 Autrement dit : 1) des « externalités d'agglomération », qui reposent sur des agents économiques présents en abondance, de façon dense et diversifiée ; 2) et/ ou des « externalités d'urbanisation » liées à la taille et à la densité de l'agglomération, à la présence de services, d'équipements et d'infrastructures, et à la qualité de l'environnement urbain. Analyse reprise dans « Les relations des entreprises avec leurs territoires », ESSEC Business School ­ La Banque postale, 2018. L'ADCF a cherché à mesurer l'impact de la crise de 2008 (on dirait aujourd'hui la capacité de « résilience ») des tissus productifs) En volume, la progression du « stock » d'établissements a continué de progresser fortement, du fait de l'apparition du statut d'autoentrepreneurs en 2009. Mais la grande récession a aussi été particulièrement déstabilisante pour les très petites entreprises : plus de 700 intercommunalités (soit les deux tiers environ) ont vu leur stock diminuer entre 2008 et 2015. En revanche, l'évolution des PME et ETI a été beaucoup plus favorable pour les territoires ; seulement un quart des intercommunalités ont enregistré une réduction de leur stock. Six ont subi la disparition de leurs très grands établissements : Lyon, Lille, Clermont-Ferrand, Rennes et les communautés d'agglomération de Roissy et du Douaisis. « Alors que l'action publique semble toujours autant focalisée sur les dispositions d'appui à la création d'entreprises, ces éléments d'analyse montrent à quel point la question de leur croissance [endogène] demeure tout aussi cruciale (voire plus) pour le développement économique de nos territoires », conclut l'ADCF, en guide d'avertissement. 210 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 114/170 PUBLIÉ territoire de produire et d'offrir plus et d'attirer de nouvelles ressources qui elles-mêmes seront valorisées, et ainsi de suite). Cet effet vertueux sous-tend les développements suivants 4.32 et .3.3. Quels sont les critères de localisation des entreprises ? Approcher plus finement cette question supposerait de distinguer : · les différents secteurs d'entreprises : services ­ ingénierie ­ industrie ­ logistique ­ tourisme (intrinsèquement lié au territoire...) ; la segmentation de la chaîne de valeur étant davantage pratiquée dans l'industrie que dans les services ; le type d'entreprise (mono-entreprise, groupe...) et sa taille, corrélée avec l'aire de recrutement de ses établissements, et l'appartenance ou non à un secteur dominé par de grands groupes ; à noter que sont souvent déterminants le lieu d'habitation ou l'attachement au territoire du fondateur ou dirigeant ­ a fortiori pour les entreprises individuelles, artisanales et TPE : l'histoire de l'entreprise elle-même est un élément majeur (cf. supra) ; la logique et la stratégie entrepreneuriales : logique d'extension, de déconcentration, de réduction de coûts ou de rapprochement avec de nouveaux marchés conduisant à l'ouverture d'un établissement dans une autre région, de France ou du monde. · · 4.3.2. L'évolution des critères d'implantation et de mutation des entreprises sur le territoire À partir de l'ensemble des déplacements et des entretiens de la mission 211 ont été dégagés cinq critères principaux favorables à l'implantation des entreprises ; l'analyse a été complétée par l'exploitation de documents récents, en particulier une enquête menée auprès d'un panel d'entreprises, dénommée ci après « l'enquête ESSEC »212, permettant de mesurer à la fois leur importance et leur évolution. 1. L'accessibilité physique et numérique du territoire La qualité de la desserte (pour les employés) et celle des connexions physiques (pour l'activité économique et industrielle) représentent, du point de vue des entreprises 213 un enjeu majeur. Cette accessibilité s'apprécie à différentes échelles, de la desserte locale du site par les transports de proximité jusqu'aux connexions ouvrant le territoire à une aire géographique plus éloignée (aéroport, gares...). Comment le territoire est-il équipé ? Quelles voies logistiques (routier, aérien, maritime, fluvial, ferroviaire...) sont disponibles dans la zone visée ? Quels sont les projets d'infrastructures ? Une bonne accessibilité physique représente un avantage en termes de maîtrise des coûts, et de rapidité des connexions pour l'import comme pour l'export (et l'approvisionnement comme la livraison). Ce critère explique certains choix d'implantation dans des secteurs du Nord ou de l'Est de la France sur des territoires situés au croisement de flux logistiques européens majeurs, qui retrouvent ou conservent de cette façon une attractivité (exemple de Béthune). Le même 211 En particulier Business France (C. Leboucher), MIGT Lyon F. Duval, Nadine Levratto, Université de Nanterre...) (à compléter). Références : · · document de l'ORÉE (Entreprises, territoires et environnement) : S'ancrer dans les territoires pour gagner en performance (sept. 2017) précité ; enquête auprès d'un panel représentatif d'entreprises, menée en 2017-2018 et basée sur le diptyque : mesure de l'importance du critère pour l'entreprise / mesure de la satisfaction vis-à-vis de ce critère dans votre situation actuelle : « Les relations des entreprises avec leurs territoires », ESSEC Business School - La Banque postale, septembre 2018 (dénommée dans ce développement et les suivants « l'enquête ESSEC ») un classement établi par Observatoire FIVES « Usines du futur » 2013, Cahier N°1, pp. 52 à 57. 212 213 Il est mis en avant par 4 répondants sur 5 dans l'enquête ESSEC. Mutations économiques et développement des territoires Page 115/170 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ raisonnement est invoqué pour la façon dont l'entreprise est reliée à ses aires de marché, ainsi qu'à son bassin de main d'oeuvre. Avec la marginalisation progressive du fret ferroviaire depuis le début des années 2000 et le recours généralisé au mode routier par les entreprises françaises, ce critère est apparu moins discriminant. En effet, le pays est doté d'un réseau routier largement développé, avec une accessibilité routière fiable et satisfaisante sur une grande partie du territoire (comparativement au reste du monde), et assurant de fait une connexion aux grands axes de circulation mondiaux, en particulier maritimes. Mais, ces dernières années, la logique « du juste à temps » lui a redonné tout son poids. Plus récemment, la possibilité de desserte en transports collectifs a aussi pu constituer un élément différenciant, notamment aux yeux de jeunes générations urbaines peu motorisées et plus attachées aux mobilités « propres » . S'agissant des infrastructures numériques, la possibilité d'un remplacement progressif des liaisons physiques par les liaisons numériques reste très limitée aux yeux des observateurs consultés par la mission ­ même en adoptant des hypothèses élevées de croissance du travail à distance dans les modalités adoptées par les travailleurs (par ex. 20 % à échéance de 5 ans). Le développement des infrastructures numériques ne pourra se substituer aux infrastructures physiques, encore plus s'agissant du tissu industriel. L'accessibilité numérique constitue néanmoins un facteur critique pour les territoires. Ainsi, l'existence d'une couverture numérique de dernière génération est le facteur le plus unanimement pointé par les entreprises214 parmi l'ensemble des critères de l'enquête ESSEC : s'il est défaillant, ce facteur s'avère dirimant pour l'installation, voire le maintien, sur les territoires mal desservis. À l'heure de la société connectée, l'équipement numérique constitue un élément direct de compétitivité pour chaque point du territoire. Les choix actuellement opérés par les collectivités en matière d'infrastructures de réseaux et pour le déploiement de leur « réseau d'initiative publique » (RIP) sont à cet égard lourds de conséquences : selon que sont privilégiés la rapidité du déploiement du RIP, la puissance de connexion, ou bien l'accessibilité en tous points (ou au contraire la concentration dans les bourgs), les situations sont contrastées. L'option d'équiper les zones d'activité est toutefois largement dominante, même si elle est loin d'être réalisée effectivement à ce jour215. 2. Le capital humain disponible et l'offre territoriale en matière de ressources humaines. La disponibilité d'une main d'oeuvre qualifiée et adaptée aux besoins du bassin économique ressort comme un critère primordial, tous secteurs d'activité confondus. L'existence sur le territoire d'un bassin d'emploi de taille pertinente (le plus large possible), offrant une gamme d'emplois diversifiés, et pourvu de ressources en matière de formation et d'intermédiation, est le facteur ayant pris le plus d'importance ces dernières années. La disponibilité de la main d'oeuvre concerne aussi la volonté de travailler dans le secteur considéré. C'est ainsi que l'existence d'une « culture ouvrière » dans le Nord a été décisive pour l'implantation de Toyota ­ même si au final le groupe a formé intégralement ses ouvriers à ses propres techniques. Dans l'enquête précitée, l'insuffisance de l'offre territoriale en matière de ressources humaines représente la principale préoccupation des entreprises, quel que soit le territoire ; la disponibilité de la main d'oeuvre qualifiée est la plus problématique dans les « aires urbaines petites ou moyennes » ­ ce critère y est encore plus critique (satisfait à moins de 45 %) que celui de la desserte numérique. 214 Il est signalé par 95 % des répondants de l'enquête ESSEC ! Ainsi, selon le retour des entreprises (enquête ESSEC), il apparaît que les besoins en accessibilité de toute nature, malgré leur importance, ne sont encore que très imparfaitement satisfaits, y compris ceux relatifs à la couverture numérique (pour 54 % d'entre elles), justifiant la poursuite de tout effort collectif en ce sens. 215 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 116/170 PUBLIÉ Dans le même esprit, les atouts des territoires reposent sur l'adéquation des structures de formation initiale et continue, l'existence et l'action de dispositifs d'intermédiation et d'insertion professionnelle publics et privés. Ces derniers éléments suscitent une forte insatisfaction de la part des entreprises interrogées quel que soit le territoire considéré ; au final, les difficultés de recrutement apparaissent patentes pour 84 % des répondants ESSEC, tous territoires confondus216. 3. La présence d'un écosystème performant 3.1 L'existence d'un tissu économique organisé apporte directement de la valeur aux entreprises, à travers : · la présence de services aux entreprises : spécifiques à la filière ou bien généraux (services informatiques, restauration pour les salariés ou indépendants...) ; la proximité de la zone de chalandise et des « marchés », la présence de clients finaux (en particulier pour les secteurs de la construction, de l'agriculture, des services) ; la densité et la qualité des interlocuteurs et partenaires financiers (ce critère ressort surtout pour l'agriculture et pour les services) ; la situation des matières premières, des fournisseurs et des sous-traitants ­ bien placés, expérimentés, avec des prix adaptés, et une bonne structure de coûts... (pour la construction, l'industrie et les services urbains ) ; voire, la présence de concurrents à proximité. · · · On peut citer l'exemple du cluster de transformation des produits de la mer à Boulogne sur Mer, qui regroupe 90 % de la production du marché français de la filière... ou la concentration de 60 % de l'emploi ferroviaire français autour de Valenciennes. « Les entreprises sont grégaires » résument plusieurs entrepreneurs interrogés par la mission. Dans l'enquête ESSEC, les besoins liés à ces « effets de milieu » ressortent comme plutôt bien satisfaits. 3.2 L'importance des pôles d'excellence et de la synergie avec la recherche est systématiquement rappelée : Au cours de leur étude d'implantation, étudier la dynamique et le fonctionnement des réseaux permet aux entreprises de déterminer comment elles pourront s'y intégrer, et asseoir leur développement grâce à un potentiel d'innovation déjà présent sur le territoire, et exploitable par elles217. Ainsi, les entreprises sont de plus en plus sensibles à la présence de réseaux informels (possibilités de partenariats, sous-traitance... au-delà des services spécifiques aux industriels) ou de réseaux organisés ­ lesquels recoupent plusieurs modalités : les « clusters », labellisés ou non, reposant sur la coopération, la complémentarité ou la mise en commun de moyens ; et les dispositifs d'innovation de type « pôles de compétitivité » ou autre. En France, les acteurs et les parties prenantes des pôles de compétitivité rappellent le caractère vertueux de ce dispositif ; la dimension territoriale est jugée décisive, permettant aux politiques de filières de trouver leur ancrage et leur effectivité. Aussi, nombre d'entreprises recherchent un environnement fertile, ce qui les conduit à porter attention218 à la proximité (via des collaborations, des partenariats, des cofinancements, la création de chaires...) avec les établissements d'enseignement supérieur ou spécialisés, et des établissements 216 Inversement le sujet du coût de la main d'oeuvre, bien que très différencié selon les territoires ne pose généralement pas de problème aux entreprises, sauf en Île-de-France. Par exemple à Stockholm (Suède), le groupe Ericsson emploie 3 000 personnes ; le cluster correspondant en comprend 30 000, y compris les sous-traitants, les startups, les étudiants et chercheurs. Les critères qui ont longtemps prévalu, comme l'accessibilité aux bassins d'emploi et de vie, sont ainsi réagencés au sein de ce critère plus global relatif à « l'écosystème », qui est parfois le seul présenté. Mutations économiques et développement des territoires Page 117/170 217 218 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ de recherche appliquée. Un écosystème performant, privilégiant les liens directs entre industrie, innovation, recherche et développement est aussi ce qui permet d'attirer et conserver les « talents »219, la (future) main d'oeuvre qualifiée, donc de reboucler avec la question ci-dessus du marché de l'emploi, ainsi que celle de l'attractivité globale. 4. L'accompagnement par les collectivités, y compris la qualité de l'offre foncière Le choix d'établissement peut aussi être conditionné à des critères plus traditionnels comme l'attractivité du foncier, l'accompagnement administratif et financier, la fiscalité. S'appréciant à l'échelle du projet, une échelle souvent plus réduite que celle de l'aire métropolitaine ou du bassin d'emploi, ce type de critères relève plus directement de l'action ou des leviers aux mains des collectivités locales ; ils répondent parfois localement à des logiques de concurrence directes entre communes ou EPCI. · Le premier aspect porte sur l'existence d'un foncier disponible, équipé et dépollué, prenant la forme de tènements de taille et de configuration adaptées, tant pour l'accueil de nouvelles entreprises que pour la relocalisation et l'extension des entreprises existantes. Le fait qu'un certain nombre de métropoles et d'agglomérations soient en train de prendre conscience de l'extrême faiblesse de leurs réserves de foncier économique 220, ou encore de l'inadaptation de leur offre (même si celle-ci est abondante) joue un rôle dans les reconfigurations en cours. La question de l'existence de zones de grande taille susceptibles d'accueillir des investissements (inter)nationaux à fort effet de levier peut aussi être un sujet de préoccupation. L'efficacité du système administratif local est aussi un facteur de succès ; ceci recoupe la capacité à délivrer des autorisations dans des délais adéquats, la cohérence de l'accompagnement administratif (interlocuteur unique...), ainsi que globalement la manière dont l'entreprise est accueillie et dont fonctionne le tissu local en termes de gouvernance et de dialogue entre les différentes parties prenantes. Notamment, l'accompagnement dont les entreprises pourront disposer en matière d'incitations ou d'aides financières est un facteur très regardé : chaque Région possède son propre dispositif de subvention, pas nécessairement partagé avec les collectivités locales qui ont conservé la partie « immobilière » des aides à l'implantation, et peuvent être tentées de moduler le volet fiscal. Ceci soulève nombre de questions en matière d'efficacité, d'effets de seuil, d'effets d'aubaine, d'où un débat pour apprécier dans quels cas les dispositifs d'aide et/ou les bonus fiscaux jouent un rôle réellement décisif dans la décision d'implantation 221. Enfin, la cohérence du projet de territoire, quelles qu'en soient ses formes, et son portage, les régulations mises en place, sont souvent significatifs de la capacité du territoire à s'occuper de son développement et à se projeter dans l'avenir. L'engagement explicite des acteurs publics et privés locaux est essentiel ; il doit se faire autour d'un projet de territoire construit en commun et assorti de la capacité à bâtir et mettre en oeuvre des stratégies partagées, avec la mise en place d'outils correspondants (managers de zones...) et des mises en réseaux permettant de pallier la fragilité de certaines situations. · · · Ceci peut se résumer par un critère de « bonne gouvernance » : une étude récente222 a ainsi souligné l'importance de « la coordination des acteurs, comme vecteur d'amélioration de l'efficacité des 219 Cf. audition Business France. Exemple de Nantes, Toulouse, Bordeaux, d'après l'entretien avec France urbaine et le séminaire avec les agences d'urbanisme (club Eco FNAU). Cf. Entretien avec France urbaine. 220 221 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 118/170 PUBLIÉ politiques publiques de soutien à l'économie et aux entreprises » et « les différences de performances entre les territoires (résultant) de caractéristiques plus ou moins visibles ou immatérielles qui concernent la capacité à faire système, le capital social, la capacité de coopération, d'agglomération... particulièrement la coopération entre les différentes instances politiques et socio-économiques ». À elle seule, « la proximité ou la localisation sur un même territoire des ressources de base nécessaires à l'écosystème entrepreneurial ne garantit en rien le fonctionnement de ce dernier ...[...] la proximité ou l'agglomération de facteurs ayant besoin d'être activées » avec « les pouvoirs publics [comme] facilitateurs de l'activité économique, en charge de l'animation du territoire par la création de liens entre les acteurs présents sur le terrain »223. C'est un thème majeur, car, en parallèle d'organisations sectorielles et d'instances de dialogue avec les autorités, de nombreux acteurs promeuvent la mise en place d'actions reposant sur une logique territoriale et collective, par exemple via des manageurs ou animateurs de zones (sur le modèle des manageurs de centre-ville), capables de fédérer les besoins d'entreprises diverses sur un même territoire et d'organiser une mise en commun selon les principes de l'écologie industrielle par exemple. 5. Le cadre de vie et les aménités Il se dégage un critère reconnu comme majeur par l'ensemble des personnes rencontrées par la mission : une forme d'attractivité générale du territoire, porteur des « aménités » nécessaires pour fixer les personnels, les cadres en particulier : grands équipements, proximité des loisirs (sport, lieux récréatifs...) et des réseaux de transport afférents, et aussi la possibilité d'emploi du conjoint cf. infra), d'où le poids de « la métropolisation » avec des bassins d'emploi riches et diversifiés permettant des doubles carrières, et une image attractive. L'attention est portée au cadre de vie, à la modération des prix du foncier et de l'immobilier, aux équipements, parcs, établissements culturels et d'enseignement (des écoles aux universités), à l'habitat, avec l'existence d'un parc de logement diversifié, de qualité et abordable. Cette problématique, très présente en Île-de-France ­ la non disponibilité des logements accessibles représentant le principal facteur de limitation du développement de la région à partir de 2010 ­ a tendance à s'étendre dans les années récentes aux autres métropoles. De nombreux territoires proposent des « facilités » pour accompagner l'implantation des cadres en mobilité (avec le service, voire, l'appui au recrutement, des cadres dirigeants, au travers d'un accompagnement de leurs familles). L'importance de la mutation concomitante des grands services publics, l'exemple de la Poste Dans le cadre de l'Union européenne, le service universel postal a été défini par la directive postale 97/67/CE du Parlement européen et du Conseil du 15 décembre 1997. En France, le service universel postal a été confié à la Poste. Selon le Code de la poste, ce « service universel postal concourt à la cohésion sociale et au développement équilibré du territoire. Il est assuré dans le respect des principes d'égalité, de continuité et d'adaptabilité en recherchant la meilleure efficacité économique et sociale. Il garantit à tous les usagers, de manière permanente et sur l'ensemble du territoire national, des services postaux répondant à des normes de qualité déterminées ». Un fonds de compensation du service universel postal assure à la Poste le financement des coûts nets liés à ses obligations de service universel. La Poste a notamment une obligation d'accessibilité et doit adapter son réseau de points de contact, notamment par la conclusion de partenariats locaux. 222 Denis Carré, Nadine Levratto, Analyse qualitative de l'effet local : étude de territoires particuliers (version du 13 juillet 2016), Université Paris X Nanterre. Rapport sur le Bassin minier, Bruno Depresle et François Duval, CGEDD, 2017. Mutations économiques et développement des territoires Page 119/170 223 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ Initialement détenu et exploité par la Poste, le réseau des points de contact a donné lieu à désengagement de sa part : fin 2014, les 17 000 points de contacts répartis sur l'ensemble du territoire comportaient plus de 5 000 agences postales communales gérées par les mairies et 2 000 relais-postes gérés en partenariat avec des commerçants locaux. Un fonds postal national de péréquation territoriale a été mis en place et fonctionne dans les conditions fixées par un contrat pluriannuel de la présence postale territoriale passé entre l'État, La Poste et l'association des maires de France. L'activité historique du courrier ne pourra pas couvrir les coûts du service universel postal dès 2020 et globalement, la fréquentation des bureaux de poste continue à baisser de 4 % par an ; l'activité de colis a augmenté avec l'e-commerce mais les concurrents sont nombreux et actifs. Pour affronter cette situation, la Poste a innové dans ses process et a recherché de nouveaux services en faisant appel à ses collaborateurs et à l'apport du numérique. Elle développe par exemple la première base de données de connaissance des clients particuliers en France, une activité de services à la personne, le passage de l'examen du code de la route dans ses bureaux, la livraison de colis par drone en France... L'enjeu de formation des facteurs est considérable, de même que celui d'adaptation de l'usage de ses biens immobiliers, notamment pour le développement d'espaces de co-travail avec l'opérateur Starway (aujourd'hui, 22 espaces en France, dont 15 en région parisienne et 7 en régions). Ils constituent des « réseaux sociaux réels » qui « revalorisent » les bureaux de postes ou les centres de tri transformés en espaces dédiés à l'entrepreneuriat et à de nouveaux services en centre-ville ou en zones rurales. La Poste a su utiliser les contraintes de l'obligation de service public et de l'équilibre économique pour innover en termes de services, de technologies et de management et développer son ancrage territorial. 4.4. Les fondamentaux d'un projet de territoire Le développement qui suit détaille l'encadré « Les fondamentaux d'un projet de territoire » situé au § 1.4.1. Un territoire : espace pertinent et système d'acteurs Un territoire est un espace géographique pourvu d'une cohérence et d'une identité, dans lequel un ensemble d'acteurs agissent et inter-agissent de façon plus ou moins coopérative, si bien qu'on parle habituellement « d'écosystème ». Les territoires peuvent être définis par rapport à leur histoire, leur géographie physique, leur organisation institutionnelle, leur activité (bassin industriel, bassin d'emploi...). Les principaux acteurs sont les entreprises, y compris les plus petites (l'approche territoriale devrait permettre de mieux les prendre en compte), ainsi que leurs organisations professionnelles (associations professionnelles, CCI...) ou opérationnelles (groupements, réseaux, clusters...) et les collectivités territoriales, notamment celles qui ont des compétences économiques ainsi que leurs opérateurs (en particulier le réseau des 1500 entreprises publiques locales ­ EPL). Il convient d'impliquer également les centres de recherche et de formation, les banques, les associations, des personnes-ressources issues de la société civile... La qualité de dialogue et de coopération entre tous, en dépit des concurrences et des oppositions, est un facteur essentiel de la « force » du territoire et de sa capacité à porter une démarche de développement cohérente et durable. La présence d'un « leadership » ressort comme un atout incontestable. Un diagnostic partagé Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 120/170 PUBLIÉ Le diagnostic constitue une étape préalable essentielle à la mise en place de la démarche de projet de développement. Trop souvent négligée ou stéréotypée, elle est essentielle pour faire émerger une connaissance, une prise de conscience du territoire, révéler ses atouts et forces, comme ses handicaps et fragilités, et faire partager ces éléments par l'ensemble des acteurs. Cet exercice collectif doit permettre de mettre en évidence les facteurs les plus spécifiques. Il montrera qu'il n'y a pas de « territoires désespérés » ni de territoires systématiquement « gagnants ». On pourra alors dégager les conditions de base et de faisabilité de la démarche de développement envisagées pour le territoire concerné en distinguant les facteurs endogènes (la plupart du temps largement prépondérants) et les facteurs exogènes (capacité d'attractivité) de ce développement. L'identification des entreprises existantes et leur propension à être en tout ou partie délocalisables est un élément majeur du diagnostic, tant il s'avère qu'agir pour maintenir sur le territoire les entreprises déjà présentes est en général plus efficace que tenter d'en attirer de nouvelles. Une vision stratégique L'expression d'une vision et l'énoncé d'objectifs s'appuient sur le diagnostic et exploitent notamment les facteurs de différenciation du territoire (valoriser les atouts spécifiques, conforter l'identité). L'exercice a besoin de reposer sur un travail collaboratif pour assurer l'adhésion de l'ensemble du système d'acteurs à la vision commune et permettre ensuite une réelle transversalité dans la mise en oeuvre, avec un dispositif de communication clair et cohérent. Il s'agit de créer les conditions propices à un développement équilibré du territoire concerné, c'est-àdire pas seulement économique mais aussi répondant aux enjeux sociaux et environnementaux, source de qualité de vie et de bien-être des populations. Des méthodes et des moyens Une méthode aussi structurée que possible sera un atout majeur, permettant d'identifier les moyens correspondant aux objectifs et la manière de les mobiliser auprès des acteurs du territoire ou ailleurs. On s'appuiera utilement sur les enseignements d'expériences antérieures, sur les données existantes et les résultats issus de dispositifs déjà mis en oeuvre ou des dynamiques en cours comme les contrats de pays ou les pôles territoriaux économiques de coopération (PTEC). À l'heure où l'État entend prôner le « contrat unique », il convient de rechercher la meilleure articulation possible voire la synergie et le regroupement des moyens. Une trajectoire traduite dans un plan d'action Un plan d'action suppose une organisation entre acteurs et un calendrier qui donne une perspective et indique des étapes. Son établissement permet de disposer d'un programme de travail entre acteurs, de préciser leur rôle ainsi que l'enchaînement des tâches, tout en évitant de confondre les enjeux, les objectifs et les outils ou actions à mettre en oeuvre. À titre d'exemple, on notera que la numérisation des processus, le big data, la mise en place des plateformes de données sont des moyens utiles et non pas des fins. La place des entreprises dans ce plan d'action est primordiale, il importe de leur confier la pleine responsabilité d'actions touchant directement au développement économique. Une gouvernance : pilotage politique, conduite de projet, évaluation Il s'agit de définir la manière de conduire le projet de développement, de faire fonctionner le système d'acteurs, d'organiser la commande au bénéfice de l'écosystème, et d'impulser, de conduire et de faire aboutir les actions, en donnant une large place aux acteurs économiques ainsi qu'à ceux de la société civile. Ceci peut se traduire par la mise en place d'un comité de pilotage coprésidé par des Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 121/170 PUBLIÉ pilotes issus l'un de la sphère des collectivités territoriales, l'autre de la sphère économique. Des référents issus de l'État et de la Région concernés seront à la fois des garants et des personnes ressources. Un pilotage efficace supposera le plus souvent la mise en place d'une fonction de chef de projet, chargé d'impulser, d'animer et de coordonner la démarche sous la responsabilité du pilote politique. L'ingénierie de projet sera constituée du chef de projet et des moyens et ressources qu'il pourra mobiliser et des outils à mettre en place (outil de pilotage de projet, dispositif d'évaluation...). Chaque acteur pourra « porter » une ou plusieurs actions opérationnelles selon ses compétences, directement ou via une structure dédiée. Une des missions de l'Agence nationale pour la cohésion des territoires pourrait être de mettre au point les outils et méthodes nécessaires, de veiller à leur mise en place et d'animer un pôle ressource. Une coopération inter-territoriale Il ne peut y avoir de démarche de développement durable sans dialogue territorial et sans coopération avec les territoires voisins (quelle que soit la pertinence des périmètres, les échanges économiques ne connaissent pas de limites spatiales), ainsi qu'avec ceux avec lesquels des coopérations sont possibles, pour des raisons de complémentarité ou de similitude incitant à l'échange d'expériences. La démarche de projet de territoire n'a pas de sens si elle ignore les interactions et les échanges réels ou potentiels. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 122/170 PUBLIÉ 5. Visites de terrain en France La mission a effectué des visites de terrain dans deux régions (Grand-Est, Hauts-de-France), deux départements (Yvelines, Ardèche), deux métropoles (Toulouse, Rouen), une ville moyenne (Romans) et deux territoires industriels (vallée de l'Arve et Bassin minier du Nord de la France). Ces neuf cas ne constituent pas un échantillon représentatif des territoires du pays, mais leur observation permet d'identifier de nombreux exemples intéressants et de dégager quelques traits saillants 224 . · Des Régions qui sont des entités achevant leur reconfiguration, la construction de schémas et de stratégies économiques pouvant se fonder sur la transition énergétique ou écologique comme dans les Hauts-de-France, à des degrés et selon des modes différents. La collectivité régionale peut paraître organisée en « silos » et lointaine aux territoires, surtout tant qu'elle n'a pas encore établi une vision affinée et différenciée de ceux-ci. Ses compétences en matière de développement économique et de recherche (sans oublier la planification générale) lui confèrent cependant un rôle majeur de soutien à l'innovation et d'aide aux entreprises dans les territoires. · Des Départements qui peuvent constituer des territoires de projet intermédiaires dans le cas d'une identité forte comme en Ardèche ou mobiliser des moyens techniques et financiers importants comme dans les Yvelines (qui agit de façon significative de faveur de l'attractivité économique). Ils sont alors capables de jouer un rôle important de soutien aux territoires, notamment par la mise à disposition d'ingénierie et d'outils opérationnels. · Des Métropoles qui apparaissent avant tout préoccupées par leurs propres difficultés ou fragilités internes. Le développement de coopérations avec les territoires voisins est moins prioritaire, celles-ci se réduisant parfois à des exercices limités et assez formels. Des stratégies économiques de plus en plus affinées sont établies pour guider l'action foncière et réinsérer des activités productives dans le tissu urbain ou périurbain proche, comme à Toulouse, ou pour requalifier les zones d'activité et recycler les sites pollués, comme à Rouen. · Des intercommunalités qui sont dans des situations économiques ou sociales variées et n'ont pas encore toutes la maturité et les moyens d'établir de véritables stratégies. Elles peuvent connaître des degrés de fragilité variés, tant en fonction de leur dynamique économique et démographique que selon la capacité de gouvernance des collectivités et la qualité des écosystèmes permettant le développement des coopérations entre les acteurs locaux. · Des territoires d'anciens bassins industriels dont les évolutions démographiques, économiques et sociales peuvent être des handicaps au développement économique mais qui présentent aussi un potentiel humain, urbain et naturel. La révélation de ce potentiel permet de faire levier comme pour la vallée de l'Arve, ou de faire résilience, voire de parier sur une renaissance comme le Bassin minier qui tente de se penser comme un « territoire phoenix »225 autour du musée du Louvre-Lens. Cette transformation reste, dans ce bassin comme à Romans ou dans le Nord de l'Ardèche, lente et incertaine, compte-tenu de fréquentes difficultés de coopération interne et externe, de la situation sociale et des enjeux de transition écologique qui peuvent avoir des aspects à la fois positifs et négatifs en termes de transformation des emplois. 224 Voir les encadrés dans le rapport et les comptes-rendus site par site en annexe 4. Thème d'un atelier des territoires organisé au Louvre Lens en juin 2019 par la DGALN. 225 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 123/170 PUBLIÉ 5.1. Hauts-de-France et Bassin minier La mission du CGEDD s'est rendue dans la Région Hauts-de-France les 25 et 26 septembre 2018 à Lens et Lille pour analyser le rebond potentiel d'un bassin industriel sinistré et le développement économique régional et métropolitain dans un contexte social particulièrement difficile. Elle est retournée à Lille le 22 novembre pour approfondir l'analyse du projet régional de « 3 révolution industrielle », notamment en raison de son lien avec la transition énergétique et écologique. Points marquants du contexte La région Hauts-de-France est marquée par son contexte socio-économique. Elle est la région métropolitaine la plus confrontée aux fragilités sociales comme le montrent plusieurs indicateurs (source INSEE, analyse Hauts-de-France, mars 2018) : · taux de pauvreté (2014) : 18,3 %, soit le taux le taux le plus élevé de France métropolitaine après la Corse, taux de chômage (2015) : 12,6 % et 11,9 % au 3 trimestre 2017 soit le taux le plus élevé de France, taux d'actifs sans diplôme : 21 % contre 18 % en France métropolitaine. · · Les territoires sont différemment touchés par cette vulnérabilité sociale : la métropole de Lille et les territoires péri-urbains se caractérisent par de moindres difficultés, le Bassin minier par des taux chômage et de pauvreté accrus, notamment chez les jeunes. La région Hauts-de-France, dotée historiquement d'une grande richesse économique (textile, métallurgie), est fortement marquée par la désindustrialisation. Le poids de son industrie dans l'économie régionale a tendance à se rapprocher de la moyenne nationale, avec une valeur ajoutée brute de l'industrie par rapport aux autres branches de 16,6 % contre 14 % pour la France métropolitaine (source Insee 2013) Principaux constats La reconversion du Bassin minier engagée depuis plus de 40 ans s'avère extrêmement difficile en dépit d'un soutien public constant. Depuis 2017, une nouvelle impulsion de l'État redonne de l'espoir à ce territoire en apportant sur la durée des moyens spécifiques (délégué interministériel et enveloppe financière dédiée) et en réunissant autour de lui l'ensemble des collectivités territoriales concernées (la Région, le Département du Nord, le Département du Pas-de-Calais et les 8 intercommunalités du bassin minier). Le projet de renouveau du Bassin minier s'articule avec le projet « Rev3 » autour de la dynamique partagée de transition énergétique. Plusieurs freins apparaissent : · le projet ne profite pas de la dynamique de la métropole de Lille ; le dialogue apparaît difficile à installer ; la Métropole évoque l'absence d'interlocuteur et les divisions politiques au sein du bassin minier, les différences culturelles et économiques, son développement se heurte également à un manque de capacité d'ingénierie, pointé par la Région Hauts-de-France, la logique de centralité du projet de renouveau du bassin minier s'oppose à la logique écosystémique des projets de territoire existants. · · La région Hauts-de-France a vu la transition énergétique et écologique comme une opportunité pour lancer une dynamique collective en dépit d'une situation globale de départ dégradée, à la fois Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 124/170 PUBLIÉ écologique, économique et sociale. Elle mise sur ses atouts qui sont divers : l'université de Lille, un réseau de clusters d'éco-entreprises animé par une tête de réseau, un site d'usine du futur, le dynamisme d'élus comme le maire de Loos-en-Gohelle, des coopérations d'entreprises comme la symbiose industrielle de Dunkerque (reflétée dans « la toile industrielle »), un lieu de discussion expert sur la forme que peut adopter le territoire à l'avenir (Euralens) etc. Cette dynamique s'inscrit dans la durée au travers du projet régional de transformation de l'industrie « marketé » « Rev3 » (troisième révolution industrielle). Ce projet a résisté au changement politique à la tête de la Région. Le projet Rev3 a dû évoluer dans une région (anciennement Nord-Pas-de-Calais) particulièrement concernée par les prochaines mutations de l'industrie automobile en lien avec la transition écologique et énergétique. Il traite la question des métiers et des transitions professionnelles en prenant en compte les spécificités territoriales (besoins, offre existante, à créer). Le plan d'action sur les métiers peut servir d'exemple pour d'autres territoires, notamment sur la manière dont il mobilise le monde académique (les universités en particulier). Le projet Rev3 a renforcé la visibilité des dynamiques territoriales avec le concept de « territoires démonstrateurs ». Le partage d'un projet de territoire de transition écologique et énergétique à des échelles territoriales différentes et la mutualisation d'ingénierie (la région Hauts-de-France apportant dans le cadre de Rev3 une capacité d'ingénierie qui fait défaut dans le bassin minier) permet d'installer un dialogue entre des territoires différents et ensuite de construire des coopérations inter et intraterritoriales. D'une certaine manière, le fait métropolitain n'est encore pas « abouti » à la métropole de Lille, les mécanismes de régionalisation sont toujours en cours à la région Hauts-de-France. Cette situation transitoire constitue en Hauts-de-France un frein au dialogue et la coopération inter-territoriale. La métropole de Lille, concentrée sur ses propres difficultés, doit faire face à l'urgence du traitement d'un chômage massif. Elle affiche donner priorité à ses territoires les plus marqués par des fragilités sociales et ne dialogue pas avec le Bassin minier. Malgré l'importance des liens fonctionnels (la moitié de la population du bassin minier travaille dans la métropole lilloise), le « ruissellement » de la métropole de Lille sur ses territoires périphériques, notamment sur le bassin minier, ne fonctionne pas. Il n'est pas spontané, ni organisé. La Région fonde sa stratégie économique sur la transition énergétique et écologique en s'appuyant sur le numérique pour l'accélérer. Elle a mis en place deux cadres différents : un cadre ancien, autour du projet Rev3 et un cadre nouveau, d'un autre ordre, avec le SRDEII, outil de planification territoriale économique. Ces deux cadres sont cohérents mais le SRDEII n'intègre pas Rev3, ce que regrettent les pilotes de cette démarche. Les SRDEII et SRADDET ont été construits séparément et ne sont pas interfacés pour le moment. L'EPF Nord-Pas-de-Calais continue d'être très actif localement sur le plan économique pour répondre à la demande des collectivités territoriales, en dépit des orientations politiques en faveur du logement et de contraintes financières. Il s'appuie sur un portage politique local et ses compétences historiques (sur la biodiversité notamment). La DREAL est perçue sur le terrain uniquement dans leur rôle de régulateur, donc de manière plutôt négative selon le pilote du projet Rev3. La relation apparaît compliquée avec la Dreal qui peut se trouver bloquéedans lson intervention faute de réglementation. ?? Selon le pilote du projet Rev3, la démarche du CTE est intéressante, car il permet de construire une vision partagée d'un territoire, mais son potentiel est limité par l'absence de moyens spécifiques pour financer l'animation et la mise en cohérence dans la durée. Le contrat d'objectif territorial (COT), appelé COTRI (COT de la troisième révolution industrielle) déployé par l'Ademe lui est préféré, car il permet une mise en cohérence de différentes démarches/outils et offre des financements (spécifiques ou de droit commun fléchés). Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 125/170 PUBLIÉ Enseignements pour la mission La transition écologique peut être vue comme une opportunité par un territoire, à la fois moteur de développement industriel et catalyseur d'une dynamique territoriale, même par un territoire partant d'une situation écologique et économique dégradée. Les Régions peuvent fonder leur projet de territoire sur la transition écologique. C'est aussi un moyen de changer l'image d'un territoire et de le différencier pour le rendre plus attractif. Le contexte de concurrence territoriale doit être reconnu et problématisé au regard de l'enjeu de cohésion territoriale selon un principe de réalité. Les territoires marqués par un contexte socio-économique difficile conservent des atouts mais la désindustrialisation est un obstacle à leur développement économique. Les métropoles s'en sortent mieux que les territoires économiques périphériques, surtout quand il s'agit de bassins monoindustriels touchés par une crise profonde. Le projet régional de transformation du territoire doit pouvoir évoluer et s'adapter aux enjeux de demain pour intégrer les prochaines reconversions industrielles dues à la transition écologique qui vont toucher d'autres secteurs. Les clefs du développement local sont ainsi identifiés par le pilote du projet Rev3 : · l'accord de tous les acteurs sur une vision non clivante (« une région durable et connectée »), faite « par le bas » qui facilite la coopération, l'accompagnement et l'accélération, la définition d'une trajectoire et la création d'une dynamique collective rassemblant les acteurs de toutes les sphères autour de projets et d'actions, la présence d'un catalyseur (J. Rifkin qui sert de « totem », mais n'est pas le « maître à penser »), et la mobilisation de 125 experts du monde public et du monde économique de la région (administrations, entreprises) qui ont défini en 9 mois une feuille de route), la présence d'entreprises « leader », sachant que cela ne suffit pas, il y a aussi nécessité d'un projet mobilisateur que la Région doit élaborer, la mise en oeuvre du droit à l'expérimentation (en quoi???), mais en définissant un cadre réaliste par rapport au sujet (la responsabilité, la durée, le suivi et l'évaluation). · · · · Une définition partagée du concept de transition écologique apparaît nécessaire, au-delà de sa dimension « énergie » ; d'autres aspects sont à prendre en compte, notamment l'économie circulaire. L'EPF doit conforter son rôle d'un outil au service du développement de son territoire. Le portage politique local permet de rééquilibrer les enjeux locaux et les orientations nationales données par sa tutelle. Des compétences rares doivent pouvoir être mutualisées via des centres de ressources (par exemple cet EPF dispose d'une compétence historique sur la biodiversité). Le partage d'un même projet de transition énergétique et écologique permet d'instaurer un dialogue entre territoires et ensuite de renforcer les dynamiques territoriales par des actions et coopérations concrètes telles que les « territoires démonstrateurs » . 5.2. Ardèche La mission s'est rendue en Ardèche le 18 décembre 2018. Département rural à tradition industrielle, il s'est engagé dans une démarche de transition écologique à l'échelle de l'ensemble du territoire départemental en mobilisant un très large partenariat. Après la présentation de la démarche par le président du Conseil départemental et son équipe, la mission s'est rendue au Cheylard, territoire enclavé et rural constituant néanmoins le deuxième pôle industriel de l'Ardèche, qui continue Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 126/170 PUBLIÉ d'innover avec un fablab industriel et des actions dynamiques en direction de son tissu économique composé d'ETI et de PME . Points marquants du contexte L'Ardèche est un territoire rural et agricole comportant aussi des enjeux industriels, sans compter la présence de centrales nucléaires (Cruas, Pierrelatte). L'agriculture est diversifiée (viticulture, arboriculture, châtaigneraie, plantes à parfum, élevage ovin et bovin, lait) mais en pleine mutation (12 % du foncier du département a changé de destination en 2018 contre 4 % au niveau national), avec des objectifs parfois contradictoires à concilier. Elle est particulièrement exposée au dérèglement climatique. Un groupement de producteurs veut une démarche « haute valeur environnementale », d'autres sont moins avancés. Pour autant, les agriculteurs ont toujours recherché de la valeur ajoutée, d'où des ateliers de transformation, individuels ou collectifs, avec une industrie agroalimentaire très diversifiée, et tenue par des industriels, par des artisans, ou par des agriculteurs. Le cluster de l'agroalimentaire regroupe 350 entreprises sans être aidé ni par la Région ni par le Département. 92 % de la production viticole se fait en coopérative. La mutation de l'agriculture s'appuie sur la volonté forte de manger « sain, bio et local », et sur une identité quasi « insulaire » qui porte les valeurs d'un terroir en cherchant à y fixer la valeur ajoutée. La question foncière est également cruciale. Il reste seulement 50 ha disponibles et aménagés ou aménageables pour des zones d'activités maîtrisées par la collectivité. L'Epora (EPF régional) intervient désormais en Ardèche, il y a collecté 3,5 M de taxes mais n'y a pas encore conduit d'actions significatives de portage ou de constitution de réserves foncières. Des friches industrielles ont été exploitées, d'autres restent inaccessibles. Un travail est fait avec les EPCI pour identifier les « dents creuses », mobiliser des outils comme le droit de préemption, et travailler avec la Safer et l'Epora, mais ceci reste difficile à concrétiser ; L'Ardèche (considérée comme un département « dortoir » par rapport à ses voisins) ne parvient pas à développer une offre foncière pour les activités. Principaux constats Au premier trimestre 2018, le Département a initié une démarche de type « contrat de transition écologique » afin d'accompagner l'ensemble de la société dans ses grandes transitions (sociale, numérique, agricole...), selon une approche d'ensemble qui pourrait s'intituler « transition écologique, sociale et solidaire ». Elle prend appui sur la forte identité de l'ensemble ardéchois. Ses 18 EPCI sont de taille modeste, les plus grosses villes étant Aubenas et Annonay (17 000 et 12 000 habitants). Sa cohérence géographique (position par rapport à la vallée du Rhône, arrière-pays avec des difficultés d'accessibilité, disponibilité des terres agricoles, tropisme pour les énergies renouvelables...) est renforcée par son histoire et sa culture commune ; ainsi le département reste un territoire institutionnel pertinent pour emmener l'ensemble des collectivités vers la transition. Le Département a décidé de dédier à la démarche un budget à hauteur de 45 par habitant, et de l'afficher comme tel : « une somme que le département consacre à son avenir en apportant une réponse à l'ensemble des problématiques des administrés ». Il adaptera en 2019 et en 2020 ses dispositifs selon le projet retenu, que le CTE soit labellisé par l'État ou pas. Seize EPCI sur 18 ont signé une lettre d'engagement. La démarche, impliquant le monde agricole et de très nombreux acteurs économiques et sociaux a fait l'objet d'une forte mobilisation des partenaires depuis avril 2018 et a compris la visite de chacun des EPCI. Une « semaine de la transition » a ensuite réuni 1 000 professionnels, et défini des priorités regroupées en quatre thèmes : la transition agricole et sylvicole, l'économie de ressources et les énergies renouvelables, la réduction de l'impact social et écologique des mobilités, l'éducation des jeunes et l'implication des citoyens. L'ensemble est guidé par une recherche d'innovation, Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 127/170 PUBLIÉ d'exemplarité, pour trouver des actions qui aient un effet de levier pour modifier le modèle de développement. En partant du constat que les entreprises partagent des mêmes valeurs sans se connaître, mais aussi qu'elles savent réfléchir pour améliorer leurs performances, il leur a été proposé de se grouper dans une association : les « É » afin de travailler ensemble sur des sujets comme la mobilité. La difficulté devient, pour les entreprises, d'accéder à des centres de décision qui se sont déplacés (lorsque par exemple l'actionnariat familial d'origine a évolué, avec la production restée sur place, mais que le siège et les fonctions de recherche sont partis). La démarche vise à réfléchir à toutes les marges de progrès possibles, comme la recherche de solutions innovantes pour évacuer le bois en l'absence de voies ferrées et de réseau routier hiérarchisé, et de créer des liens dans la durée sur le sujet de la transition. Le Département entend également mettre en réseau les tiers lieux soutenus par les EPCI, avec un rôle d'ingénierie et d'ensemblier. Il est délicat d'introduire « l'action économique » en tant que telle dans le contrat de transition écologique alors que la Région n'est pas signataire ; l'axe économique reste toutefois porté par des structures liées au Département. Le CTE entend apporter un fil conducteur à un certain nombre de démarches peu lisibles en cours : le PIA transition écologique, le PIA jeunesse (27 partenariats différents...), les 2 « Territoires d'industrie » Nord Ardèche et Aubenas, ainsi que les aides individuelles de la Région, afin de donner à tout cela cohérence et perspective dans le temps. Le Département dispose d'une offre d'ingénierie pour tous ses partenaires. En effet les appels à projets nationaux et régionaux conçus pour les métropoles sont difficilement traitables par les EPCI en Ardèche, d'où l'idée de répondre en se positionnant comme « métropole départementale »... La démarche CTE s'appuie sur des fiches actions, un SIG puissant et des indicateurs (certains en construction, comme le « bonheur ardéchois brut »). Sa gouvernance est classique : au départ un binôme président du Conseil départemental et préfet (mais sans la DDT) porte la démarche, à l'image des relations assez étroites entre l'État et le Département ; un comité de pilotage se réunit avec les présidents d'EPCI, les partenaires, et le préfet, le secrétaire général, ainsi que des comités techniques. Les relations sont difficiles voire inexistantes entre le Département et la Région AURA, qui ne sera pas signataire du CTE (ni de la convention sur la formation avec l'État), et dont le système d'aides ne permet pas, selon les responsables du Département, de répondre aux problèmes qui se posent concrètement aux acteurs économiques du territoire. La démarche s'appuie sur une prospective « l'Ardèche dans 30 ans » avec une modification en profondeur de l'action des collectivités ; il faut mobiliser l'ensemble des agents publics sur la transition, concevoir un plan de mobilité d'ensemble (routier mais aussi transports collectifs), concevoir des services dans une logique qui dépasse celle du « bénéficiaire », ce qui incite à transformer en profondeur les politiques publiques notamment sociales conduites par le Département. L'exemple donné est celui de la politique d'insertion menée de longue date avec des enjeux majeurs (2 000 places de stages de formation de base contre l'illettrisme non pourvues en Ardèche, le sujet des migrants mineurs non accompagnés...). L'exemple d'une industrie rurale Le Val'Eyrieux, EPCI de 31 communes, 14 000 habitants, est un pôle dont le dynamisme, actuellement plutôt favorable, dépend des aléas de l'industrie. La spécificité locale est la fabrication de bijoux, avec Altesse, qui a connu un lourd plan social en 2008-2009 et de très grosses pertes d'emplois (entre 250 et 500 emplois aujourd'hui dans les PME, contre plus de 800 avant la crise), mais avec une activité en rebond grâce aux « georgettes » ; ce bijou, qui fait l'objet d'un marketing innovant, est entièrement conçu et réalisé sur place grâce aux installations industrielles et au recrutement de jeunes ingénieurs et marketeurs. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 128/170 PUBLIÉ À la fin des années 1980, le territoire a mené une réflexion de fond pour éviter la fuite vers la vallée du Rhône, avec deux gros enjeux : la nécessité de conserver un lycée de proximité (80 % de contrats en alternance), avec plusieurs sections de bac professionnel, aujourd'hui orienté spécifiquement sur le e-commerce grâce à l'école de codage Simplon ; et une revalorisation de l'industrie et des sciences et techniques, avec la tenue d'un « village des sciences » ayant compté 3 000 visites en deux jours. Ces deux éléments ont constitué un levier d'amélioration de l'industrie productive, dont on mesure aujourd'hui les effets positifs. Pour répondre aux besoins des entreprises, le territoire entend être « agile » et en accord avec « l'horloge des marchés ». Le territoire a identifié ses handicaps et la façon de les surmonter : · le fort éloignement de la gare TGV (1h20). Mais les industriels sont attirés par d'autres facteurs, la culture du travail bien fait, le respect de la hiérarchie, le sens des responsabilités ; une natalité en baisse, mais depuis 15 à 20 mois des couples reviennent s'installer, attirés par l'environnement naturel, social et culturel ; des préoccupations, concernant l'État, sur les documents d'urbanisme, l'insuffisante prise en compte de l'industrie dans le SCOT et les attentes jugées trop fortes sur la protection des espaces naturels et de la biodiversité : selon le président de l'EPCI, promouvoir un urbanisme dense n'est pas adapté, il y a un besoin de dégager du foncier pour des unités de transformation du bois, et d'adapter mieux les règles pour les centres bourgs. La réalité de l'existence d'un territoire rural-industriel ne semble pas comprise ou acceptée par les services de l'État. · · Le territoire a mis sur pied un tiers-lieu qui sert à la fois de lieu d 'animation de la filière industrielle, de fablab et d' « ateliers relais », et de centre de formation interentreprises. Il lui reste à concrétiser : · · · un projet de centre de formation d'apprentissage industriel, une GPEC territoriale en cours de finalisation, une plate-forme de rénovation énergétique structurée sur les énergies renouvelables, avec une SEM. La constitution d'un PETR Pays du Cheylard (85 000 habitants) est en cours de réflexion sur le sujet économique. Les moyens en ingénierie doivent se développer, avec une cellule de prospective et de développement économique, même si le développement est essentiellement endogène. Le sujet de la mobilité reste majeur et doit être traité à l'échelle départementale. Le territoire émarge à divers dispositifs d'État. Le TEPCV avait bien fonctionné. Les six EPCI de Nord Ardèche ont été retenus en un seul « Territoire d'industrie », ce qui pose question sur l'objet du dispositif, l'aide de l'État et la justification du périmètre. Le contrat de ruralité n'a pas abouti. Enseignements pour la mission · Une démarche intéressante de mobilisation initiée par le Département autour des objectifs d'un contrat de transition écologique (non labellisés en l'état), démarche globale, mobilisatrice, prospective, et en capacité de produire de réelles innovations. L'échelle départementale apparaît justifiée (prendre en compte une « métropole ardéchoise » ?). Mais la question demeure sur la légitimité du Département (ses compétences et ses moyens, l'absence de la Région, l'adhésion non totale des EPCI...) à la conduire entièrement. Un bon exemple de transition très orientée sur l'agriculture, et intégrant fortement les aspects sociaux et sociétaux, d'où l'idée de la transition « écologique sociale et solidaire ». · Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 129/170 PUBLIÉ · Une approche dynamique à l'échelle d'un EPCI industriel qui sait valoriser ses qualités d'attractivité (culture industrielle, cadre de vie, environnement social et culturel), optimiser ses moyens et dialoguer avec tous (le Département et la Région) et mobiliser des outils tels que les TEPCV ou Territoires d'industrie. Un besoin, difficile à satisfaire en restant au niveau d'un petit EPCI, d'où la nécessité de moyens d'ingénierie plus importants (mutualisation, apport du Département, de l'État ?...) pour anticiper les mutations et conduire une politique plus ambitieuse et intégrée, notamment sur les questions de consommation d'espace. Des inquiétudes sur l'approche « Territoires d'industrie » vécue comme top down et plus généralement le manque de continuité entre les dispositifs lancés par l'État ; critique de la planification territoriale telle que promue par l'État, avec un projet de SCoT trop protecteur n'intégrant pas les enjeux économiques, les réalités du territoire et les besoins pour maintenir et redynamiser l'industrie. · · 5.3. Toulouse métropole La mission du CGEDD s'est rendue à Toulouse le 12 septembre 2018 afin d'examiner l'exemple d'une métropole choisie parmi celles qui ont l'image d'un développement le plus favorable. La journée a été organisée sous forme d'un séminaire associant les responsables de Toulouse Métropole et des organismes d'étude ou de développement du territoire. Points marquants du contexte · La spécificité d'une des plus fortes croissances urbaines de France (augmentation de 10 000 à 14 000 habitants par an), une chance qui génère des contraintes, notamment en matière de mobilité (réalisation de la 3 e ligne de TC lourd, mais il faut envisager aussi de nouvelles infrastructures routières comme une 3e rocade). Une approche ouverte et attentive perçue de la part de l'État, un accord avec le Département, mais avec des interrogations sur ses compétences en matière économique, un protocole avec la Région pas encore mature (la Région est ressentie comme plus distante, avec une technostructure en silo de type « étatique » éloignée des territoires). L'importance de l'intelligence collective et de l'évaluation (moyens mis en place au sein de la métropole), l'intérêt de l'expérimentation locale mais dans le cadre du droit actuel ne conduisant à rien de concret pour l'instant. Un regard des acteurs de la métropole sur le territoire à toutes les échelles : viser l'équilibre et non pas l'uniformité. · · · Principaux constats Il s'agit d'une économie fortement métropolitaine qui souhaite prioritairement se consolider et se préserver de ses fragilités, dans le cadre d'une véritable stratégie de projet économique. La part des emplois dits métropolitains à Toulouse est très forte (15,9 %, 2e place après Paris, 20,7 %). L'évolution de l'emploi salarié privé dans l'aire urbaine connaît une augmentation de 7200 en 2015 et de 13 600 en 2016. La métropole est première de France pour la croissance démographique, celle des emplois, celle du PIB, la place des fonctions supérieures stratégiques (après Paris). Toulouse est assez diversifiée (même si Airbus reste prépondérant), et veut passer d'une logique d'« offre économique » à une logique de « projet économique » (en s'appuyant sur l'outil du « schéma stratégique »). Des villes comme Albi et Montauban sont dynamiques, d'autres moins. Toulouse estime ne pas « assécher » les villes et territoires voisins, mais la métropole ne veut pas pour autant « organiser le ruissellement » au-delà des effets spontanés de son rayonnement. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 130/170 PUBLIÉ Des coopérations territoriales se développent avec les villes moyennes (Tarbes, Lourdes, Auch...), les territoires ruraux mais pas vraiment avec les intercommunalités contiguës (Sicoval, Muretain agglo). Le thème du télétravail est un sujet avec les territoires ruraux. La question des compensations écologiques est également un enjeu (nécessité pour la métropole de trouver des lieux de compensation, d'où l'existence de relations d'interdépendance et le besoin de négociation, idem en matière d'énergie). Un « Inter-SCoT » à 4, puis à 12 territoires définit bien le grand bassin toulousain et joue un rôle de mise en cohérence. Un espace de « dialogue métropolitain » réunit 12 intercommunalités qui font partie du système urbain ; toutefois l'Aveyron et notamment Figeac en sont sortis pour jouer davantage avec Montpellier, alors qu'il y a des interfaces économiques avec Toulouse ; Ce dialogue métropolitain ouvre un champ d'échanges et de possibles coopérations sur divers champs, notamment économiques (à noter cependant qu'il laisse de côté les espaces périurbains interstitiels). Les tiers lieux se multiplient (190 recensés en région, dont 60 à Toulouse, la métropole la plus dotée après Paris) mais il y a un risque d'excès et de saturation, ainsi que surle modèle économique quand la demande est incertaine ; Airbus est le premier client de nombreuses structures éphémères de type Algeco.... Les capacités de construction de bureaux sont largement excédentaires par rapport aux besoins et les enjeux de reconversion et surtout de densification des zones d'activités sont très présents, fautes de nouvelles zones prévues et de modèle économique pour requalifier l'existant (afin de répondre notamment à un besoin de 25 ha de nouveaux locaux d'activités). Hormis le cas des zones commerciales, il n'y a pas de gros problèmes d'obsolescence des secteurs économiques, car l'historique industriel est faible en dehors d'Airbus et d'AZF.Le devenir des ZA existantes fait toutefois l'objet d'une approche spécifique et d'un plan d'action pluriannuel dans le cadre du schéma stratégique mis en place par la métropole et dont la mise en oeuvre est suivie annuellement. Un cas intéressant a été relevé : le projet de requalification de la ZA de Garossos, voisine du nouveau parc des expositions (PEX) en cours de construction et intégrée dans la même concession que lui. L'objectif est de doubler la densité sous réserve d'une relative diversité entre bureau, activité et logement. Une OPA sans règlement a été créée, puis une ZAC pour récupérer des participations visant à financer les équipements publics. On n'a pas voulu mettre en place de mécanisme coercitif pour ceux qui ne veulent pas bouger ; on mise sur l'effet d'entraînement. Enseignements pour la mission · En dépit d'une forte dynamique de développement qui essaime sur les villes et les territoires voisins, la métropole reste d'abord soucieuse de sa propre situation et des remèdes à apporter à ses propres fragilités. Plusieurs dispositifs de coopération inter-territoriale se sont développés (conventions, contrat de réciprocité, Inter-SCoT, dialogue métropolitain) et de vrais sujets sont identifiés y compris sur le champ économie, mais la métropole n'entend pas « organiser le ruissellement ». La dynamique métropolitaine se traduit notamment par un fort développement des tierslieux, mais cette prolifération suscite des interrogations (risques de surabondance d'offre...). Il y a besoin de passer d'une logique d'« offre économique » à une logique de « projet économique » ; cela se traduit par la mise en place d'une stratégie à l'échelle métropolitaine sous la forme d'un « schéma de développement économique, d'innovation et de rayonnement métropolitain », dont la mise en oeuvre fait l'objet d'un suivi annuel... mais il se semble pas y avoir de prise en compte d'une échelle plus large intégrant notamment les espaces périurbains connexes. Dans le cadre de cette stratégie, le sujet du devenir des ZA est abordé et traité (alors qu'il n'y a pas ici de phénomène massif d'obsolescence), avec un plan d'action pluriannuel et un Mutations économiques et développement des territoires Page 131/170 · · · Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ budget, sous l'angle de la prévention des risques de vieillissement et de la densification, avec des opérations qui permettent de tester et des méthodes et des modèles économiques. · L'évolution des critères d'implantation et de déplacement des entreprises est significative : attrait de l'immobilier neuf, services notamment destinés aux jeunes, centralité privilégiée (même s'il existe une diversité de cas et donc de pondérations entre les critères). 5.4. Métropole Rouen Normandie La mission s'est rendue les 10 et 11 juillet 2018 à Rouen, un territoire représentatif d'une métropole en mutation, avec d'importantes friches industrielles polluées à reconvertir. Ces journées organisées par les services de la préfecture ont permis de rencontrer les acteurs publics et privés concernés et de visiter les sites de Seine-Sud et de Pétroplus. Éléments de contexte L'attention de la mission avait été appelée par le Secrétaire d'État à la transition écologique sur les difficultés de la métropole de Rouen à mener à leur terme les procédures d'aménagement et d'environnement permettant de procéder à la reconversion de grands sites pollués. Au-delà de ce questionnement auquel des réponses avaient déjà été apportées par les services locaux de l'État, la métropole de Rouen est confrontée à la difficulté de définir une vision globale de son aménagement en tenant compte d'un contexte économique et de demandes des acteurs économiques qui ont évolué. Il a paru intéressant à la mission d'analyser cette situation, représentative de celle d'un certain nombre de métropoles et d'agglomérations, plutôt stables ou en déprise, dans le cadre d'une gouvernance encore jeune car ayant évolué avec la loi NOTRe. Principaux constats Le territoire présente des facteurs clefs de succès à saisir pour le développement économique local : un bon réseau d'infrastructures, routières, ferroviaires et fluviales, notamment un port en cours de fusion avec celui du Havre grâce à des complémentarités, ainsi qu'une tradition industrielle et un potentiel pour des activités de logistique. Le secteur transport-mobilité est crucial en Normandie pour le développement économique du territoire : un sujet porteur d'avenir avec la voiture autonome, une préoccupation avec les effets de la baisse du diesel sur l'activité de certaines entreprises et la baisse relative du transport fluvial et du transport ferroviaire. Sur le plan réglementaire, les difficultés relatives à l'application des textes environnementaux qui avaient été soulevées ont été réglées localement grâce à une mobilisation coordonnée des services de l'État. L'enjeu pour les projets à l'étude et à venir semble continuer de porter sur des questions d'interprétation des textes. Il y a une attente des acteurs locaux à l'égard des services de l'État, notamment la DREAL, afin qu'ils poursuivent leur rôle de facilitateur selon un regard positif, une cohérence et une logique de recherche d'atteinte d'objectifs plus que de vérifications de moyens. L'équilibre financier des opérations est difficile à trouver sans aides publiques. Le recyclage du site Pétroplus a fait apparaître de nouveaux opérateurs privés comme Valgo. Cette entreprise de déconstruction souhaite élargir son champ d'intervention à l'acquisition de sites pollués, à leur dépollution, à leur aménagement et à leur revente et compte trouver son équilibre économique grâce à la maîtrise et l'optimisation de la chaîne globale. Valgo semble avoir une certaine agilité pour imaginer des montages innovants afin de sortir des projets viables économiquement, en combinant des utilisations temporaires de sites générateurs de recettes avec des dépollutions par des méthodes Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 132/170 PUBLIÉ chimiques inscrites dans le temps, ce qui en réduit le coût. Des subventions ont été nécessaires pour débloquer le projet Pétroplus. Ce n'est qu'à l'issue de la réalisation du projet qu'il sera possible de dresser un bilan et d'apprécier la faisabilité du modèle économique pratiqué. Le site de Seine-Sud fait quant à lui l'objet depuis plus de 10 ans de projets à l'étude qui, pour avancer, ont besoin d'être complétées par une vision globale, des études multicritères et davantage de coordination entre les acteurs. Sur le plan de la gouvernance, une coordination des services a conduit à une organisation du travail en « mode projet » et la forte mobilisation des acteurs permet d'avancer. L'ampleur des projets de recyclage nécessite un renforcement du pilotage politique autour d'une stratégie foncière globale de ce sujet majeur. L'outil public opérationnel qu'est l'EPF semble moins mobilisé que par le passé ; dans quelles conditions pourrait-il être davantage sollicité ? La coopération entre les collectivités territoriales et l'État est essentielle : · un cadre national de coopération État/Métropole a été défini en 2016 et s'est concrétisé sur une thématique prioritaire à Rouen, celle du recyclage des friches industrielles, via un pacte métropolitain d'innovation (PMI) ; pour que cette coopération se développe, elle nécessite la mobilisation de part et d'autre et une organisation coordonnée, ce qui est le cas à présent à Rouen (par exemple, côté État, la mise en place d'une mission inter-services de l'aménagement) : il importe de s'appuyer sur une meilleure connaissance de l'offre disponible (nécessité d'une cartographie consolidée de l'offre) et des besoins fonciers (occasion d'approfondir l'appréhension du marché, notamment l'évaluation des besoins des acteurs économiques de façon à la fois prévisionnelle et prospective. · · Enseignements pour la mission Le contexte de la Normandie illustre, parmi d'autres, l'impact de loi NOTRe sur la répartition des compétences en matière de développement économique. La situation, en principe claire selon les textes, ne l'est pas autant dans les faits. La Région est perçue comme lointaine pour l'action opérationnelle ; le Département continue à agir au titre de la cohésion sociale et par délégation des EPCI. Ceux-ci, encore très jeunes, auraient besoin de l'État pour créer une cohésion entre eux. Faut-il accepter une période de transition dans la mise en place, tout en conservant la répartition des compétences prévue par la loi comme objectif à terme ? La question de la réhabilitation des friches industrielles est un sujet complexe avec un besoin d'actualiser la connaissance de la situation, de préciser des questions de gouvernance, de traiter des dimensions réglementaires et financières. Pour mémoire, des attentes sont exprimées à l'égard de l'État sur les sujets environnementaux : · Croiser les réflexions à caractère environnemental (pollution, biodiversité, loi sur l'eau) dès la réalisation des études d'impact. L'exemple de Seine Sud est un cas intéressant pour montrer aussi que les services de l'État ont un rôle à jouer en matière de développement économique sur un territoire, au-delà du couple DREAL/DDTM : tous ont été finalement mobilisés par la Préfète de région pour soutenir l'action de la métropole pour le recyclage des friches ; Accepter une gestion globale des déchets en développant une notion élargie de ce qu'est un site, en s'appuyant sur le rapport récent du CGEDD 226 ; · 226 Rapport CGEDD Pratiques des établissements publics fonciers en matière de requalification des friches urbaines et industrielles, Philippe GRAND et Jérôme PEYRAT, mai 2016 Mutations économiques et développement des territoires Page 133/170 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ · Lever les freins aux utilisations transitoires des sites pollués. Par exemple les projets photovoltaïques posent des problèmes pour leur raccordement électrique et pour les modalités d'exploitation de l'électricité produite ; Étudier des modalités de couverture du risque des EPF s'ils deviennent tiers demandeurs227 et plus largement examiner comment mieux diffuser cette nouvelle procédure ; Avoir des dérogations, via un droit à l'expérimentation, sur les prescriptions environnementales, en particulier sur le fait de pouvoir figer les règles à un moment de l'élaboration du projet, et sur les règles de compensation en étudiant la possibilité de mutualisation des espaces de compensation ; Intégrer la question de l'échelle et les questions de biodiversité dans les outils de planification définis par l'État (PLU, SCoT) ; Renforcer les modalités d'intervention de l'Ademe au-delà des sites orphelins ; Comparer les règles environnementales en France par rapport aux autres pays européens afin de s'assurer qu'elles ne sont pas plus strictes. · · · · · 5.5. Romans-sur-Isère La mission du CGEDD s'est rendue à Romans le 31 juillet 2018 pour analyser les conditions de rebond d'un bassin mono-industriel, sinistré par l'effondrement de la filière de la chaussure, sous l'angle du développement de l'économie sociale et solidaire. La mission a été reçue par Christophe Chevalier, responsable du groupe Archer, qui a impulsé une nouvelle dynamique pour le territoire. Points marquants du contexte Romans-sur-Isère, bassin industriel sinistré par l'effondrement d'une mono-industrie, celle de la chaussure, tente de rebondir en relançant l'activité de la chaussure et en développant de nouvelles activités sous l'impulsion du groupe Archer, acteur de l'économie social et solidaire. Cette dynamique s'inscrit dans un contexte socio-économique particulier : Romans-sur-Isère est un territoire confronté à de fortes fragilités sociales mesurées par plusieurs indicateurs (source Insee, chiffres détaillés année 2015) : · un taux de chômage de 20, 6 % pour l'ensemble de la population, de 35,1 % pour les jeunes de 15 à 24 ans, un taux de pauvreté de 22,2 % pour l'ensemble de la population, de 28,3 % pour les moins de 30 ans, Un taux de population non scolarisée sans diplôme de 15 ans et plus de 36,9 %. · · L'action territoriale de C. Chevalier marque le rebond de ce bassin industriel. Principaux constats Les territoires mono-industriels sont particulièrement fragiles. Le rebond d'un bassin industriel spécialisé sinistré est un long chemin : ainsi, dix ans se sont passés depuis la fermeture de l'usine Jourdan qui a marqué l'effondrement de la filière de la chaussure. La crise industrielle apparaît, au travers de ce cas particulier, comme un obstacle majeur au développement d'un territoire. 227 Cf § 2.4. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 134/170 PUBLIÉ Les initiatives locales, sous l'impulsion du groupe Archer et de son président Christophe Chevalier, pour relancer l'activité de la chaussure et développer d'autres activités économiques ont redonné de l'espoir et créé une dynamique de territoire, aujourd'hui connectée à d'autres territoires.. Le groupe Archer a dû lui-même évoluer en interne pour s'adapter à l'évolution de son activité selon de nouvelles orientations, du social à l'économie, puis au territoire : · · création d'une association pour regrouper l'aide sociale et proposer de la formation, création d'un pôle d'insertion par l'activité économique et d'un groupement économique et solidaire, puis participation directe au développement économique du territoire pour devenir un acteur du développement local de l'emploi avec l'objectif de « sauver » les postes (et le savoir-faire), création d'une SAS holding solidaire avec des actionnaires hétéroclites (salariés, administrateurs, citoyens, entreprises, etc.). Participation à la création d'un pôle territorial de coopération économique - PTCE (« Pôle sud »). · La dynamique économique est devenue une dynamique de territoire via une approche innovante dont la diffusion est soutenue par l'État. L'invention du concept de « startup de territoire » en est le point de départ ; le support, la création de l'outil PTCE ; le catalyseur, le groupe Archer ; le levier d'un développement à une plus grande échelle territoriale (bassin de vie Valence Romans), le soutien de l'État via une subvention du PIA (TIGA). La dynamique du territoire sous l'impulsion d'un homme, Christophe Chevalier, touche d'autres territoires, éloignés géographiquement, et les fédère autour du concept de « startup de territoires », inventé à Romans. Ce rapprochement avec 6 autres territoires (Bordeaux, Figeac, Lille, Grenoble, Lons-le-Saulnier, Strasbourg) est facilité par un partenariat avec le labo « Perspectives et partenariats d'avenir » et d'autres partenaires (CGET, French Impact, Essec BS, etc). Le territoire fait le pari d'un développement endogène et croit à la nécessité d'un changement de système de gouvernance des entreprises Les territoires les plus fragiles comme Romans-sur-Isère ont besoin de L'État et de ses opérateurs pour rebondir. Son rôle doit évoluer, selon Christophe Chevalier : · l'État stratège doit organiser un dialogue stratégique entre entreprise et pouvoirs publics à toutes les échelles, ce qui suppose de créer un espace de dialogue en s'appuyant sur les entreprises de l'ESS, l'État acteur territorial (préfet, sous-préfet) doit monter en compétences sur les questions économiques et responsabiliser davantage les acteurs de l'ESS en substituant un audit par un tiers indépendant au contrôle au fil de l'eau de la DIRECCTE (direction du travail). · La CCI de la Drôme participe très activement à la dynamique de territoire, avec la création d'une communauté d'entreprises ESS, ayant aussi un angle « économie verte ». Enseignements pour la mission L'État doit anticiper et gérer la reconversion des territoires spécialisés dont les activités vont disparaître ou être fragilisées par la transition écologique. Il faut donc identifier les territoires les plus exposés aux conséquences négatives des prochaines mutations économiques liées à la transition écologique pour accompagner leur reconversion, en portant une attention particulière aux territoires spécialisés. Les dynamiques de rebond viennent du territoire lui-même et s'appuient sur ses atouts : à Romanssur-Isère, c'est une personnalité qui impulse, fédère, trace le chemin, donne la vision, des valeurs Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 135/170 PUBLIÉ partagées de solidarité (la crise industrielle a renforcé les liens), d'attachement à un territoire (la nature...) et des entreprises engagées en matière de RSE et d'économie verte. Si les innovations viennent des territoires, il faut un catalyseur (ici le groupe Archer), un cadre favorable (PTCE) et un soutien de l'État (TIGA). Des coopérations inter-territoriales sont rendues possibles par le partage d'un même projet. La création d'une marque « startup de territoire » est importante pour donner de la visibilité, et fédérer des territoires éloignés, et envisager un changement d'échelle progressif jusqu'au niveau national. L'État a un rôle à jouer pour soutenir cette dynamique. Le croisement de l'économie sociale et solidaire avec l'économie verte opéré sur un territoire est un élément clé d'un développement territorial durable. La CCIpeut être un fédérateur, à l'instar de celle de la Drôme. En dépit de moyens diminués, la CCI doit et peut participer à la dynamique de territoire. Le modèle de l'entreprise de l'économie sociale et solidaire doit pouvoir inspirer un changement du système de gouvernance de l'entreprise qui apparaît nécessaire. Il doit pouvoir évoluer lui-même. Le modèle des sociétés de coopérations financières est prometteur. L'État doit mieux accompagner les dynamiques de territoires, monter en compétence sur les aspects économiques, organiser un dialogue stratégique entre entreprises et pouvoirs publics à toutes les échelles et faire confiance aux territoires. Deux sujets apparaissent sur la question du financement : celui de l'animation territoriale et la problématique de financement de projets. 5.6. Vallée de l'Arve La mission s'est rendue dans la vallée de l'Arve les 14 et 15 novembre 2018. Ce territoire est représentatif des territoires de tradition rurale et industrielle qui ont su muter. Il est industriel dans la partie basse de la Vallée de l'Arve et touristique dans sa partie haute autour de Chamonix. Le territoire industriel a muté de l'industrie horlogère vers l'industrie du décolletage. Le taux de chômage est de 5 %. La mission a rencontré une série d'acteurs du territoire, principalement dans le champ économique, afin d'analyser les conditions de succès de son développement et le rôle des partenaires locaux, d'identifier les freins, en particulier sur le plan écologique, et les actions conçues pour les lever. Points marquants du contexte · Caractéristiques entrepreneuriales : industrie à haute valeur ajoutée, entreprises restées à capitaux familiaux (même SOMFY, avec Damart actionnaire), investissement de capitaux propres dans la recherche, Des politiques dynamiques de développement des entreprises : participation à des réseaux territoriaux et extra territoriaux, volonté de sortir de la relation mal vécue de sous-traitants à donneurs d'ordre, forte innovation, diversification des clients, chiffre d'affaires important à l'exportation, intégration de la révolution numérique. Une main d'oeuvre qualifiée. Une structure forte d'animation économique et de mise en réseau : le pôle de compétitivité Un écosystème regroupant les industriels et les banques, qui travaillent ensemble en bonne intelligence même en situation de crise. · · · · Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 136/170 PUBLIÉ · Une capacité à surmonter les crises et à s'adapter : crise de l'horlogerie, crise de l'automobile. L'impact de la disparition du diesel sur l'activité de décolletage a fait l'objet d'une réflexion stratégique partagée entre monde industriel et monde financier. L'intégration de la transition écologique : la prise en compte du sujet a été réalisée de longue date pour la qualité de l'eau ; elle a été dynamisée par la question de la pollution de l'air, avec un outil imposé par l'Europe et mis en place par le Préfet, le Plan de protection de l'atmosphère (PPA), en cours de renouvellement et d'amélioration ; les autres champs de la transition écologique sont peu à peu abordés.. · Principaux constats Des freins au développement sont énoncés par les entreprises : une difficulté à trouver la main d'oeuvre nécessaire, liée en particulier à la concurrence de la Suisse qui est à proximité immédiate, des activités polluantes impactant la qualité de l'air, sujet très sensible dans la vallée et particulièrement suivi par les pouvoirs publics et les associations, et une mobilité parfois difficile. Par rapport aux problèmes de recrutement et au-delà des deux groupements d'employeurs créés à l'initiative d'une association d'entreprises, l'ensemble des entreprises pourrait être plus proactive qu'actuellement et inciter à la création de formations locales adaptées aux besoins dans la vallée, afin de fidéliser sur place des étudiants à l'issue de leur formation. La pollution de l'air nuit à l'attractivité du territoire par les risques qu'elle crée sur la santé de ses actifs et de ses habitants. Même si elle n'est pas due qu'aux rejets industriels mais aussi au transport routier et aux feux dans les cheminées, les industries ont leur part et auraient intérêt à agir encore plus collectivement qu'actuellement pour mieux connaître leurs émissions, diminuer leurs sources de pollution, inciter à une diminution de celles des autres et contribuer à une communication positive sur les actions menées. Le deuxième PPA devrait être l'occasion d'aller dans ce sens en mobilisant simultanément les volontés politiques ainsi que les industriels au titre de leur RSE, afin d'agir de manière préventive par rapport à la santé des particuliers. S'agissant des difficultés liées à la mobilité, les systèmes de transport en commun (voire de mobilité douce) sont largement améliorables sous réserve d'une mobilisation conjointe des élus et du monde économique. La question d'un « versement transport » est posée, autour de laquelle il est souhaitable qu'un accord soit trouvé. Il n'existe pas, à la connaissance de la mission, de projet de territoire porté par les élus en articulation avec les entreprises. Or il semble nécessaire qu'il en soit élaboré un pour que le territoire conserve sa dynamique dans la durée, en remédiant aux freins de son développement et en sachant anticiper les mutations nécessaires. A noter que les entreprises n'ont pas exprimé le besoin de ce projet de territoire. Les grandes entreprises comme Somfy semblent ne pas avoir un réel ancrage territorial. Le fait que la plupart des entreprises aient leur chiffre d'affaires en grande partie à l'international peut les conduire à sous-estimer les préoccupations locales, importantes pour leur développement. Or, ces préoccupations sont présentes, en particulier relativement à la formation, la mobilité, le logement, la pollution de l'air, et plus globalement l'attractivité du territoire. L'anticipation de l'évolution de certaines activités de sous-traitance, comme dans le secteur de l'automobile, est également un sujet de réflexion. Les acteurs économiques s'en soucient et y travaillent avec les entreprises. Les collectivités elles-mêmes ont-elles conscience de cette nécessité d'un projet de territoire avec l'élaboration d'une vision ? Cela n'est pas apparu lors du déplacement même s'il a été indiqué que les élus locaux étaient sensibles au développement économique de la vallée qui en fait la richesse dans sa partie basse, à côté du tourisme dans la partie haute. Mais l'effectivité de la loi NOTRe ne semble pas encore totale avec une Région lointaine, un Département qui était leader sur le développement économique et la mobilité, qui a dû s'effacer même s'il doit revenir maintenant sur certains sujets, et Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 137/170 PUBLIÉ enfin des intercommunalités non convergentes, voire divergentes, et aux compétences encore mal affirmées. La proximité de la Suisse et sa forte attractivité auprès des travailleurs génère une importante population de frontaliers, ce qui augmente encore plus les problèmes de transport et de logements du côté français. Les financements apportés par le canton de Genève à titre compensatoire créent une ressource dont l'opportunité devrait être davantage saisie par le Département et les communes pour apporter des réponses à ces problèmes. À ce jour, les EPCI n'ont pas engagé de démarche de planification à travers un SCoT, ni de démarche concertée pour favoriser la mobilité et organiser une offre de transports en commun à l'échelle de la Vallée. Pour pallier aux difficultés des EPCI à coopérer et à se mettre d'accord sur le périmètre du bassin de vie concerné, certains acteurs économiques sont en attente de la part de l'État local et national de décisions ainsi que de financements sur certains sujets comme celui des transports. Il est souhaité que la vision du secteur soit élargie au projet en cours de réalisation de transport ferroviaire entre Genève et Annemasse et au projet à l'étude d'autoroute ferroviaire Lyon-Turin à comparer avec l'amélioration de la ligne existante, ainsi qu'à leurs impacts sur la Vallée. Enseignements pour la mission Les acteurs industriels de la Vallée de l'Arve ont démontré par le passé leur capacité à réagir aux crises et à rebondir en évoluant de l'horlogerie vers l'industrie du décolletage puis, face la crise de l'automobile de 2008, en diversifiant leur portefeuille de clients. Aujourd'hui, ils montrent leur capacité à anticiper en commandant une étude stratégique sur les conséquences de la crise de la filière diesel du secteur automobile et sur les pistes d'évolution possibles. La Vallée de l'Arve est un exemple intéressant d'un tissu de PME qui sait innover et ainsi faire évoluer sa relation de sous-traitance par rapport aux grands donneurs d'ordre en co-construisant avec eux de nouveaux produits. Le pôle de compétitivité apporte une contribution active à la dynamique de ce réseau de PME. Le bassin d'emploi correspond à plusieurs intercommunalités qui coopèrent peu entre elles, d'où une gouvernance politique qui « se cherche » encore entre ses différents niveaux, Région, Département et blocs communaux, et par là-même une difficulté à développer un projet de territoire en partenariat avec les entreprises. Pour favoriser la création d'une dynamique collective, une démarche de type CTE aurait du sens dans ce territoire d'autant plus que la prise de conscience s'y développe sur les questions de qualité de l'air et de changement climatique. Le CTE pourrait être l'occasion que tous les acteurs (élus, entreprises, société civile) élaborent cette vision globale ainsi qu'un plan d'actions, nécessaires pour la poursuite du développement de la vallée. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 138/170 PUBLIÉ 6. Visites de terrain en Allemagne, Italie, Suisse et rapport de parangonnage international Pour apporter un éclairage international à la mission, il a été demandé à la direction du trésor du ministère de l'économie et des finances (services économiques des ambassades) de mener une étude comparative portant sur un échantillon de huit pays en Europe et hors d'Europe : Allemagne, Canada, Estonie, États-Unis, Finlande, Italie, Pays-Bas, Royaume-Uni. La mission s'est ensuite rendue dans trois pays voisins : Allemagne, Italie, Suisse. « Apprendre des exemples étrangers » ne consiste pas à repérer des politiques ou des approches directement transposables, tant l'histoire et le contexte varient selon les pays. Il s'agit plutôt d'analyses et d'observations « inspirantes » dont on peut tirer des enseignements et des pistes de réflexion utiles à la mission. Quelques traits saillants peuvent être particulièrement relevés. Des contrastes territoriaux contrés par des politiques publiques planificatrices ou incitatives mais toujours proactives L'Allemagne est marquée par des dynamiques contrastées, entre villes et campagnes d'une part, entre Ouest et Est depuis la réunification d'autre part. Une intervention historique forte du gouvernement fédéral a pour objet de soutenir les territoires les plus défavorisés (47 Md d'aides octroyées entre 1991 et 2016, contribuant au maintien ou à la création de 3 millions d'emplois). L'agriculture n'est pas en reste, avec la création récente d'une direction de l' « espace rural » et la mise en place de programmes et de fonds significatifs au sein du ministère de l'agriculture. Des politiques ont également été lancées en faveur des régions minières, qui font face à d'importantes mutations liées aux objectifs de lutte contre le changement climatique. En Suisse, le tissu économique a connu de multiples crises, en particulier du fait de la financiarisation et de la mondialisation qui conduisent à une séparation entre lieux d'accumulation de valeur et lieux de vie et de travail. Mais une forme de résilience est advenue grâce à la capacité des territoires à faire muter leurs spécialités économiques et industrielles (comme l'évolution de horlogerie vers la petite mécanique dans l'Arc jurassien) et à miser sur l'« industrie patrimoniale », (comme la montre suisse dans le Jura, Fribourg et l'agroalimentaire...). En Italie, des secteurs durement éprouvés par la désindustrialisation comme la région de Naples ont pu s'engager, grâce à une volonté politique convergente de l'État, de la Région et de la Ville, dans un parcours de mutation vers l'économie de la connaissance et le tourisme, avec le recyclage de grandes zones industrielles polluées (friche Bagnoli), la création d'îlots d'innovation (Apple Academy, Cité des Sciences) et un processus de transformation et de changement d'image fondé sur les atouts locaux. Plusieurs pays décentralisés comme l'Allemagne et la Suisse disposent d'un système de planification rigoureux et décliné entre différents niveaux territoriaux. En Suisse, l'articulation entre ces niveaux (fédéral/cantonal/« régional »/communal) permet d'assurer les objectifs communs de non consommation d'espace, ainsi que l'inscription de la Suisse dans les grands programmes européens. Un document d'orientation au niveau fédéral, le « projet de territoire suisse », exprime une vision du modèle de développement souhaité pour le pays dans son ensemble ; élaboré conjointement dans l'esprit du « consensus suisse », il est devenu une référence partagée par les cantons et l'ensemble des parties prenantes pour asseoir les grandes politiques fédérales et la péréquation financière. Aux Pays-Bas, la planification est également très développée, tant pour ce qui est de l'organisation de l'armature urbaine que de la maîtrise du foncier à travers des « visions structurelles » nationales qui orientent l'aménagement du territoire, y compris l'organisation du commerce et leur maintien au Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 139/170 PUBLIÉ sein des villes, escompté dans le cadre d'un « retail agenda ». Le développement économique n'est pas pour autant bridé, mais fait l'objet d'un cadrage fondé sur un principe de « spécialisation intelligente ». Il bénéficie des avantages du « travail agile » qui continue de se développer (37 % de travailleurs à domicile en 2017 contre 34 % en 2014), tout comme au Royaume-Uni (y compris ailleurs qu'à Londres) où il pourrait concerner la moitié des employés d'ici 2020. L'Estonie s'est dotée d'une politique de développement régional visant à compenser le « macrocéphalisme » de la capitale Tallinn et à rééquilibrer les bassins d'activité ; la nouvelle stratégie territoriale estonienne définie pour la période 2014-2020 s'inscrit dans une logique d'égalité territoriale et détermine une politique de spécialisation spécifique à chacune des quatre régions du pays. Le gouvernement encourage la création de « centres de compétence », qui sont des sortes de pôles de compétitivité. La Finlande est historiquement marquée par les difficultés du groupe Nokia, qui avait été le moteur de l'économie avec 20 % des exportations dans les années 2000. Mais une conséquence positive en est le dynamisme de la culture « startup » et du secteur des petites entreprises, avec un fort développement du freelance, appelé « entrepreneuriat léger ». L'activité économique, tournée vers l'exportation, reste donc dépendante de marchés extérieurs, comme pour ce qui concerne l'autre secteur important du pays, celui du bois-papier. Au Canada, le lent déclin du secteur industriel et minier est compensé par le dynamisme du secteur des services (70 % du PIB et près de 80 % des emplois) et du high-tech (tels les « hubs » qui se développent dans les quartiers Mile-End et Mile-Ex de Montréal) ; un rebond semble toutefois se produire depuis 2015 dans le secteur des ressources, avec une progression de l'industrie forestière et aussi le maintien d'autres secteurs comme les activités pétrolières. Toronto, qui abrite le troisième cluster biomédical d'Amérique du Nord, voit une progression du nombre d'entreprises de taille moyenne au détriment des petites structures et des grands groupes. Les États-Unis ont connu, sur période longue, une forte décroissance de l'agriculture (de 8 à 2 % de la valeur ajoutée entre 1947 et 2017) et de l'industrie manufacturière (de 25 à 12 %), au profit des services. Le déclin industriel de la Rust Belt, secteur historique du Nord-Est a été plus violent que celui du Sud manufacturier. Cet effondrement a entraîné une crise urbaine avec des pertes démographiques dépassant la moitié de leur population pour certaines villes comme Detroit. Malgré les politiques de revitalisation et le goût des jeunes générations pour le retour au centre-ville, l'étalement urbain se poursuit et les tentatives de programmes urbains mixtes peuvent se heurter aux intérêts opposés de grands groupes économiques. Une capacité d'anticipation fondée sur la formation professionnelle, la transformation numérique et l'agilité des acteurs publics ou privés Les dispositifs de formation suisse et allemand, donnent une large part et une image positive à la formation professionnelle : en Allemagne, le système « dual » qui concerne la moitié d'une classe d'âge, soutenu par les entreprises et leur implication à travers l'apprentissage, et en Suisse, le système de formation mixte (général / technique) offre une place importante, en complément du système universitaire et des « écoles polytechniques », à la formation supérieure professionnelle (en l'espèce, le maillage des « Hautes Écoles », instituts porteurs d'innovation industrielle, qui reflète les spécificités industrielles des territoires). Le numérique est mis au service du développement territorial en Allemagne avec « Industrie 4.0 », une initiative prise au niveau du Bund, qui fait l'objet d'une démarche territoriale pour activer la numérisation de l'ensemble du tissu industriel, particulièrement développé en Allemagne avec le Mittelstand228 (implication plus facile des petites structures, repérage des possibilités de relocaliser la 228 Réseau dense des petites et moyennes entreprises. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 140/170 PUBLIÉ production en la rapprochant de la demande). Selon un objectif de « compétitivité relationnelle » plus que d'automatisation, on voit ainsi se développer toujours plus de réseaux industriels avec des chaînes d'approvisionnement courtes. Une démarche de même type est menée en Italie, pays caractérisé par un tissu très dense de petites entreprises qui lui permet de présenter une puissance manufacturière dépassant aujourd'hui celle de la France. Le pays conduit une politique territoriale fondée historiquement sur des « districts industriels » ou des « districts technologiques » et plus récemment sur la mise en place de « zones économiques spéciales » bénéficiant d'avantages fiscaux. En Suisse, les territoires s'appuient de longue date sur la valorisation de leurs atouts (paysages, maintien des espaces naturels, forte identité territoriale, qualité de vie et aménités) qui contiennent souvent une composante économique. Ils font jouer ces atouts de façon différente, complémentaire et contrastée selon les cycles économiques. L'atout le plus considérable est de disposer d'un réseau de transports publics bien articulé (ferroviaire/routier) porté par le niveau national (avec financement fédéral) et assurant une desserte intermodale de qualité pour tout le territoire, à un tarif certes élevé, mais bien accepté par les usagers. Aux États-Unis, l'ampleur du déclin subi par certains territoires fait que les acteurs publics renoncent à réhabiliter l'ensemble des anciens sites industriels abandonnés ou pollués. Cette « impossible » régénération urbaine laisse toutefois la possibilité de développer certains projets, notamment en s'appuyant sur l'agriculture urbaine. La faible mobilisation des pouvoirs publics sur la question environnementale et la forte concurrence entre États et entre communes ne sont pas des facteurs favorables. On voit toutefois apparaître de nouvelles approches comme le « processus de développement catalytique », susceptibles de requalifier des territoires avec succès, grâce à la mobilisation de fonds d'investissement « patients ». Au Royaume-Uni, la revitalisation des centres-villes a conduit à des situations de concurrence entre usage économique, notamment commercial, et usage résidentiel du fait de la forte pression du marché, notamment à Londres. Par ses dispositifs de planification et d'incitation, le gouvernement britannique est à même d'encourager le développement de l'écologie industrielle, de poser une « obligation de coopérer » entre autorités locales, de susciter des partenariats avec les acteurs publics et privés à travers des « Local Enterprise Partnerships », de créer des « Enterprise Zones », zones franches pour focaliser le développement dans certains secteurs et de conclure des contrats locaux permettant de susciter des dynamiques de développement (city deals, growth deals...). Une généralisation des clusters contribuant de plus en plus à la reconquête des territoires En Allemagne, le pragmatisme des pouvoirs publics répond à celui des entreprises, particulièrement disposées à la coopération et à la « coopétition », et à la vitalité des fédérations professionnelles au niveau des Länder et au niveau local. On note aussi l'intérêt de cultiver l'image de l'industrie et des emplois industriels, le rôle des foires et des salons, traditionnellement très développés en Allemagne, ainsi que des lieux de démonstration comme le Futurium qui ouvre ses portes au coeur de la capitale. Ceci se retrouve aussi en Suiise, où la logique de cluster est particulièrement développée, avec de fortes démarches collaboratives public-privé opérant à des échelles de proximité, l'appui des Hautes écoles (étudiants, enseignants, chercheurs), et la constitution de véritables sites de recherche appliquée en milieu urbain et à caractère industriel propices à l'innovation par rapprochement entre process de filières différentes et par hybridation technique. En Finlande, les pouvoirs publics interviennent particulièrement à travers l'action des municipalités, souvent regroupées en agence de développement et en réseaux économiques encouragés par le gouvernement central, pour faciliter l'implantation d'activités et la constitution d'écosystèmes. Les universités sont très impliquées dans le développement de dispositifs facilitateurs d'innovation qui tendent à se spécialiser, tels que les « centres d'excellence » et les conventions dites « tripla helix » qui les associent aux municipalités et aux acteurs privés. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 141/170 PUBLIÉ Au Royaume-Uni, on observe un développement massif des startups qui ne se limite plus à Londres. Les grandes villes constituent de vrais écosystèmes et des hubs numériques naissent aussi dans les périphéries. On retrouve aux Pays-Bas le concept de « tripla helix » (alliance à trois : acteurs privés, collectivités locales et universités) qui se traduit par la structuration de clusters de l'innovation sur tous les territoires. C'est un avantage de s'appuyer sur leurs particularités industrielles quand ils en possèdent, comme à Eindhoven, fief historique de Philips dont le retrait a laissé place au développement d'un écosystème dynamique. Brainport Eindhoven est une reconversion réussie de tissu économique, de même que Brightlands, dans la province du Limbourg. On notera aussi l'existence de StartupDelta, une plateforme qui connecte tous les nouveaux écosystèmes du pays. On observe également au Canada un forte présence de clusters encouragée par les pouvoirs publics, comme l'exemple récent de « l'initiative des super-grappes d'innovation » lancée par le gouvernement et bénéficiant de financements publics et privés de près de 2,5 Md CAD229. De nombreuses opérations sont menées pour reconvertir les friches industrielles, par exemple à Toronto, avec la création de quartiers urbains dit « espaces autosuffisants » qui seraient plus ambitieux en termes de mixité sociale que les « quartiers durables » des pays d'Europe du Nord et des États-Unis ; d'autres villes mènent des politiques d'incitation au « sur-investissement » dans les infrastructures des zones d'activité industrielles visant à renforcer leur attractivité. En Italie, la reconversion de friches est largement pratiquée non seulement dans les régions industrielles de Milan et de Turin mais aussi pour assurer la reconversion d'autres territoires plus dispersés, dans le cadre d'une politique nationale. On notera le retour à une maîtrise d'ouvrage totalement publique et l'implication déterminante de l'opérateur national Invitalia agissant en lien avec les autorités locales pour traiter le grand site industriel pollué de Bagnoli à Naples, après l'échec de tentatives antérieures selon un modèle qui donnait un rôle important au secteur privé. Comme l'opérateur italien Invitalia le suggère, il serait utile d'intensifier les échanges de bonnes pratiques à l'échelle européenne sur quelques thématiques complexes comme celle des grands sites industriels pollués, dans le sillage des travaux des réseaux de villes du programme Urbact. 6.1. Allemagne La mission du CGEDD s'est rendue en Allemagne du 18 au 20 septembre 2018 pour y observer les caractéristiques du développement économique dans le cadre des mutations en cours, notamment en matière numérique avec la démarche Industrie 4.0. Le Land de Thuringe a été choisi pour une visite de terrain, en raison du dynamisme économique qui, malgré ses difficultés, le distingue parmi les régions de l'ancienne Allemagne de l'Est. La mission a rencontré à Berlin le ministère de l'économie et de l'énergie du Bund (BMWi), Numa Berlin et le service économique de l'ambassade de France. À Erfurt, capitale de la Thuringe, la mission a rencontré les services du ministère régional des affaires économiques, de la recherche et du développement digital, les services de la ville d'Erfurt et visité le cluster SolarInput. Le CGEDD a bénéficié du soutien de Thomas Jannin et de son équipe du service économique de l'ambassade de France, ainsi que de l'accueil et de l'appui à Erfurt de Marc Sagnol, directeur de l'Institut francais en Thuringe. 229 Soit 1,7 Md. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 142/170 PUBLIÉ 1.- Les points marquants du contexte allemand À la lumière du témoignage des personnes rencontrées et des analyses du service économique de l'ambassade, on peut relever particulièrement les points suivants de différenciation du contexte allemand par rapport à celui de notre pays. La part de l'industrie dans la valeur ajoutée est en l'Allemagne très largement supérieure à ce qu'elle est en France (22 % contre 12 %230). L'importance respective de la robotisation est sans commune mesure entre les deux pays (200 000 robots industriels en Allemagne contre 30 000 en France231). On notera que le décrochement de la France ne date que des années 70-80 en lien avec l'hypertrophie des grandes entreprises et la baisse du nombre d'entreprises de taille intermédiaire (ETI). La recherche-développement en Allemagne est essentiellement une recherche appliquée, très proche des besoins du marché, largement financée par le privé (à plus de 60 %) à travers une soixantaine d'instituts thématiques. Le niveau de standardisation est élevé, avec un fort lobbying au niveau des instances européennes. Le marqueur de l'entreprise allemande, c'est son caractère familial, proche du marché, innovant et adaptable mais qui ne se développe pas trop vite. Son ambition est de devenir « leader mondial de niche ». C'est un modèle souvent patriarcal, fondé sur une forte fidélisation des employés et de l'ensemble des partenaires, et dont la « RSE » repose avant tout sur un bon ancrage local. Les entreprises savent faire valoir leurs problèmes auprès des administrations et bénéficient d'une forte attention en retour du fort soutien qu'elles apportent à la vie locale. Il y a un investissement majeur sur la formation avec embauche d'apprentis bien formés et bien payés, davantage que de doctorants. La formation professionnelle appelée « système dual », combinant apprentissage en entreprise et cours en école professionnelle (pour environ 20 % du temps) concerne au moins la moitié d'une classe d'âge. Une entreprise sur quatre est formatrice. Il y a aussi en amont de ce dispositif, des formations pré-professionnelles destinées aux jeunes en situation d'échec scolaire. Malgré l'érosion démographique et l'attrait de l'enseignement supérieur, le modèle allemand semble toujours résister. L'ensemble du tissu économique forme un système très soudé, organisé en fédérations professionnelles au niveau national, régional et local, capables d'un fort lobbying à tous les niveaux nécessaires. Les logiques de « coopétition » (conjuguant concurrence et coopération) sont largement plus développées qu'en France, où la concurrence prévaut dans la plupart des filières. Les entreprises organisent elles-mêmes leurs propres forums et une grande partie des dispositifs de coopération. Les foires et salons professionnels sont très développés en Allemagne, pays qui organise à lui seul la moitié des salons mondiaux, y compris par exemple le plus grand salon du vin à Düsseldorf ! Un niveau élevé de concertation amont existe entre les pouvoirs publics et les entreprises, notamment pour la définition des politiques de formation : les entreprises ont le rôle principal, le gouvernement entérine les propositions. On sait aussi qu'il existe un dialogue social plus développé et moins la culture de l'affrontement qu'en France, mais aussi une plus forte représentation des salariés dans la gouvernance des entreprises. La création d'un salaire minimum ne date que de 2015 (8,50 à l'époque, 9 en 2019), il ne serait toutefois pas respecté par 10 % des entreprises. Le taux de pauvreté reste élevé, avec notamment beaucoup de travailleurs pauvres. Les négociations salariales sont de ce fait plus faciles... 230 Données Eurostat 2014. Ibid. Mutations économiques et développement des territoires Page 143/170 231 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ L'arrivée des immigrés et des réfugiés en nombre alimente le marché du travail et, en retour leur insertion professionnelle facilite leur intégration. Les résultats sont plutôt bons dans ce domaine. Concernant le lien avec les territoires, l'observateur a le sentiment que le développement local est plus spontané qu'en France, sans qu'il y ait besoin de beaucoup d'initiatives publiques. Les fédérations professionnelles sont actives, et les chambres de commerce disposent d'une place reconnue et paraissent mieux fonctionner qu'en France. Le pays est engagé dans la transition écologique avec détermination mais aussi pragmatisme et sens des intérêts de l'économie germanique. Ainsi, le suivi des objectifs de développement durable (ODD) est assuré au niveau de la chancellerie, mais il y a toujours une étroite concertation avec les industriels et aucune grande décision n'intervient sans que leur avis soit écouté. 2.- Le Bund et l'initiative lancée pour activer la révolution numérique Le Bund a des compétences limitées en matière de développement économique et industriel. Par exemple, il a un rôle central pour des dossiers comme celui de la sortie du nucléaire, mais bien moindre sur la politique du charbon qui n'est pas pilotée au niveau national. Même en ce qui concerne les clusters ou pôles de compétitivité, il n'y a pas véritablement de pilotage national. Le mode habituel consiste à monter et animer des groupes de travail. Le Bund peut toutefois proposer des aides, des conseils et des appuis sur divers sujets, par exemple sur des programmes de développement ou la requalification de certaines zones économiques et urbaines. La démarche « Industrie 4.0 » relève d'une des initiatives assez rares prises et portées au niveau national. Même s'il n'y a pas de « master plan », il s'agit d'une incitation forte assortie d'aides financières et concernant toutes les entreprises à caractère industriel. L'objectif est de mettre en oeuvre la transformation numérique de l'ensemble de l'industrie du pays. L'idée est née d'une réflexion de chercheurs et d'industriels visant à développer les outils nécessaires à la numérisation dans le domaine industriel. C'est ensuite à la demande des entreprises et de leurs fédérations que l'État, via le ministère de la formation et de la recherche, en a fait une politique fédérale, relayée par les Länder dans le cadre de leurs compétences. On notera qu'il ne s'agit pas de développer encore davantage l'automatisation (cf. chiffres supra) mais surtout de faire mieux communiquer tous les systèmes d'information entre eux (ceux de l'entreprise, des fournisseurs, des clients, etc.), ce qui suppose davantage d'intelligence individuelle et davantage de coopération (voir fiche détaillée ciaprès). La démarche a été lancée lors de la foire de Hanovre en 2009. Les motifs de cette opération étaient clairement la volonté de maintenir la puissance industrielle allemande, menacée à la fois par la concurrence de pays comme la Chine ou la Corée du Sud et par la montée des géants de la toile comme Google, capables de capter la plus-value économique grâce à la maîtrise des interfaces. D'autres pays, comme la France ou l'Italie, ont engagé très peu de temps après des démarches de nature semblable. Des échanges et même des coopérations ont été engagées, afin notamment de faciliter les connexions, l'interopérabilité et les synergies au-delà des frontières. Les avis divergent sur la comparaison entre Industrie 4.0 et Industrie du futur, nom de la démarche française. L'essentiel des différences correspond à celles du contexte. Le tissu d'entreprise et la culture industrielle ne sont pas les mêmes en France qu'en Allemagne. S'il s'agit dans les deux cas d'entrer dans la quatrième révolution industrielle en activant la modernisation de l'industrie via le développement massif interne et externe des outils numériques, les objectifs et les mots d'ordre ne peuvent être les mêmes : ainsi, en France, il s'agit surtout d'inciter à investir pour stopper la désindustrialisation. La perception d'« Industrie 4.0 » par des acteurs tiers est variée. Vu depuis les services de l'ambassade de France, c'est surtout une démonstration de tout ce qui peut être fait en matière de numérisation mais sans qu'il y ait une stratégie publique au pilotage serré. L'Allemagne est en avance Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 144/170 PUBLIÉ sur la France, mais la démarche allemande ne serait pas de nature ou d'ampleur réellement différente de celle de ses voisins. Maximillian Thess, responsable de Numa Berlin exprime un avis un peu différent. Numa développe à Paris et dans d'autres grandes villes mondiales des projets de cocréation de nouveaux concepts par synergie entre villes, groupes ou opérateurs et startups (par exemple pour moderniser le traitement des objets encombrants...). Ce développeur, qui est donc en contact avec de nombreux acteurs de la sphère économique, a entendu parler d'Industrie 4.0 mais voit cela comme un concept très général, pas très innovant, et le perçoit surtout comme une meilleure manière de travailler ensemble. À tout le moins, on doit constater que l'industrie bénéficie d'un effet vitrine majeur à Berlin avec l'ouverture en plein centre du Futurium, un bâtiment futuriste qui met en scène le dialogue entre la science et le développement économique à l'heure de la révolution numérique ! Les Länder possèdent l'essentiel des compétences en matière économique comme d'aménagement du territoire. Ce sont eux qui sont à la manoeuvre pour Industrie 4.0. Vue du niveau fédéral, la Thuringe est un exemple intéressant d'une région confrontée aux mêmes défis que les quatre autres Länder issus de l'ancienne Allemagne de l'Est mais qui s'en sort plutôt mieux que les autres en dépit d'un taux de chômage qui reste élevé. 3. Le Land de Thuringe, en voie de redynamisation économique La Thuringe est un Land connu pour son patrimoine culturel prestigieux. C'est le pays de Luther, Goethe, Bach et Liszt, le lieu qui a vu naître le Bauhaus... Des villes comme Erfurt ou Weimar possèdent une architecture et un charme qui évoquent les régions plus méridionales de l'Allemagne. Avec 2,1 millions d'habitants et un PIB de 46 Md, la Thuringe est au 14 e rang des 16 Länder. Elle se caractérise par une perte de population qui s'est accélérée depuis la réunification mais une économie en croissance, ce qui n'empêche pas le taux de chômage de rester élevé (14,5 % en 2006). Dans ce Land coexistent un secteur agricole important et des activités industrielles de premier plan, notamment dans les secteurs de l'automobile et de l'électronique, avec un rôle de leader européen en matière d'optique. En matière d'emploi industriel, la Thuringe a rattrapé la moyenne nationale depuis 2017. Selon le ministère de l'économie, les forces et faiblesses du Land peuvent être résumées ainsi : · · · bonnes compétences technologiques mais trop de PME pas assez orientées « clients », bonnes bases financières mais trop de dépendance vis-à-vis de groupes installés ailleurs, infrastructures de recherche significatives mais en difficulté du fait d'un manque de main d'oeuvre spécialisée. Le Land est bénéficiaire de fonds européens à hauteur de 1,5 Md sur la période de programmation (2010-2017), 1 Md sur la période en cours (2018-2023). La politique de développement économique bénéficie en outre de fonds publics du Bund et du Land chacun à hauteur de 200 M par an. Il y a ainsi une autonomie relative de la stratégie économique du Land, lequel a toutefois la possibilité de développer quelques actions spécifiques comme en matière d'intelligence artificielle, dans la limite de ses capacités financières. En matière de zones d'activités, le Land a un rôle actif de stratégie d'implantation, de marketing et de cofinancement avec les communes. Les zones sont remplies à 80 %, de nouveaux secteurs sont prévus, y compris sur terrain naturel. Il ne semble pas y avoir de politique volontariste de limitation de ces consommations d'espace pour le développement économique (autre que commercial). Il n'y aurait pas obstacle sous réserve du respect de règles de compensation. Le Land s'efforce en particulier de développer une dizaine de zones d'intérêt régional pour la logistique et de grosses implantations. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 145/170 PUBLIÉ Le Land est fortement impliqué dans « Industrie 4.0 » qu'il préfère appeler « Économie 4.0 » car le défi est important et concerne l'ensemble du tissu économique, y compris le commerce et l'artisanat. Le rôle du Land est d'organiser le conseil, le test de produits et méthodes, les démonstrations. Les nombreuses petites entreprises du Land s'impliquent peu à peu, soutenues par une aide régionale au démarrage de 15 000 par société. L'état d'avancement de la démarche peut être évalué à 3 % des entreprises numérisées totalement et 50 % partiellement. 4. La ville d'Erfurt, pôle actif de développement Erfurt, capitale de la Thuringe, est une ville de 200 000 habitants. Alors que le Land continue de perdre des habitants, Erfurt, comme les principales autres villes de la région, concentre la croissance et l'emploi, ce qui lui permet aujourd'hui d'atteindre un niveau de chômage de 5,6 %, comparable à celui de la moyenne nationale allemande. Toutefois, il subsiste des différences de salaire avec les Länder de l'ancienne Allemagne de l'Ouest (par exemple une différence de l'ordre de 1 000 dans les métiers de la santé), qui suscitent des départs de jeunes travailleurs, problématiques pour le bassin de main d'oeuvre. L'intégration de populations immigrées est donc bienvenue pour l'économie. Avec Iéna et Weimar, Erfurt constitue un réseau urbain de 500 000 habitants qui impulse le développement. La croissance suscite le besoin de nouvelles zones d'activités. Les zones existantes sont très denses et saturées. Les besoins se tournent vers les grandes zones régionales et conduisent à la recherche de nouveaux terrains, dont l'artificialisation semble toutefois faire débat au sein des élus... Quoi qu'il en soit, un nouveau secteur de 400 ha est ainsi prévu prochainement au sud de l'échangeur autoroutier, avec un doublement possible à terme. La ville soutient le développement des startups et des clusters, comme SolarInput ou d'autres, notamment dans la recherche de solutions systématiques intégrées. La ville n'en est pas l'initiatrice, mais le centre de media pour enfants, fierté locale qui fonctionne très bien, a suscité la venue de nombreux jeunes entrepreneurs. Pour les services de la ville d'Erfurt, Industrie 4.0 ou Économie 4.0, c'est d'abord et surtout l'internet des objets associé aux objets connectés et notamment à la voiture autonome. Le service économique de la ville possède 14 collaborateurs. Il intègre les fonctions d'agence de développement. Il n'y a pas de comité d'expansion ou d'autre organisme de promotion du territoire. 5. L'exemple d'un cluster L'équipe de mission a visité le cluster SolarInput, installé dans des locaux d'activité à la périphérie d'Erfurt. Il s'agit d'une alliance stratégique fondée il y a 15 ans et réunissant 40 membres (entreprises, chercheurs, universitaires...) qui vise à réduire l'empreinte carbone par le développement du solaire thermique et photovoltaïque. Compte-tenu des difficultés du solaire, le cluster s'est réorienté vers un ensemble d'activités dans le champ du développement durable. Les domaines d'application sont très larges : environnement, santé, optique, robotique, bâtiment... Il s'agit de développer une stratégie de recherche et d'innovation adaptée au contexte de la Thuringe, qui se caractérise par un petit nombre de grandes entreprises et un tissu constitué de nombreuses petites structures (environ 90 000). L'approche est donc très pragmatique : recherche de marchés, adaptation aux évolutions économiques et technologiques. La forte baisse du solaire date des années 2012-2014, puis on a atteint une stabilisation. La Thuringe reste cependant l'un des trois principaux Länder producteurs, avec de petites unités de 20 à 50 salariés, qui savent s'adapter aux évolutions et demandes spécifiques (par exemple, l'utilisation du toit des voitures). Certains observateurs estiment que « la transition énergétique a cessé en Allemagne »... Actuellement, on dirait plutôt qu'il s'agit de pousser les recherches sur les transports Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 146/170 PUBLIÉ et les systèmes de chauffage. Les possibilités de développement des activités du cluster restent donc ouvertes et larges. Le cluster dispose de subventions du Land dans le cadre de sa politique industrielle, à hauteur de 50 %. Spécifiquement dans un domaine de pointe, le cluster est financé à 100 % par le Bund pour mettre en place un réseau de coopération sur l'hydrogène. Il comprend également une recherche de vente de prestations (avec un objectif de couverture de ses charges à hauteur de 30 %), en sus d'une activité de conseil stratégique auprès du Land, qui reste le principal interlocuteur public du cluster, sans en être toutefois directement membre. Il existe peu de structures semblables à SolarInput, sauf dans deux ou trois régions et, de ce fait, il n'y a pas de vraiment de réseau regroupant ces entités. Il existe toutefois une association des clusters à l'échelle fédérale. Le cluster ne se sent pas fortement concerné par Industrie 4.0, au contraire d'autres structures positionnées sur l'automobile et l'industrie des capteurs. Enseignements pour la mission · L'intérêt de cultiver l'image de l'industrie et des emplois industriels, le rôle des foires et des salons, traditionnellement très développés en Allemagne, ainsi que des lieux de démonstration jusqu'au coeur de la capitale. Le pilotage de la formation professionnelle par les entreprises et leur implication à travers l'apprentissage, le système « dual » qui concerne la moitié d'une classe d'âge en Allemagne et semble résister malgré l'érosion démographique et l'attrait des études supérieures. Un fort pragmatisme à tous niveaux et dans tous domaines, y compris celui de la transition écologique (pas de grandes options politiques sans écoute préalable de l'intérêt des grands groupes, une réponse attentionnée aux besoins en matière de création de nouvelles zones d'activité...). L'état d'esprit des entreprises allemandes, particulièrement disposées à la coopération et à la « coopétition ». La relation des entreprises et de leurs organisations (vitalité des fédérations professionnelles, CCI...) avec le territoire, au niveau des Länder et au niveau local. Une organisation des pouvoirs publics fortement décentralisée qui n'empêche pas, entre Bund et Länder, un haut niveau de coopération et d'importants cofinancements bénéficiant au développement territorial. Le rôle actif d'accompagnement et de soutien financier des pouvoirs publics à l'égard du monde économique, rarement d'initiateur sauf dans certains cas précis comme celui d' « Industrie 4.0 ». Au sujet de cette démarche, l'importance de l'enjeu de la numérisation de l'ensemble du tissu industriel, particulièrement développé en Allemagne avec le Mittelstand, avec un objectif de « compétitivité relationnelle » plus que d'automatisation. L'intérêt d'une approche territoriale de la numérisation dans le cadre d'« Industrie 4.0 », afin d'impliquer plus facilement les petites structures et de mieux repérer les possibilités de relocaliser la production en la rapprochant de la demande, avec la possibilité de constituer à cette échelle régionale ou territoriale certaines des plateformes de données rendues nécessaires, en partant des besoins des entreprises. · · · · · · · · Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 147/170 PUBLIÉ Photos mission : Futurium à Berlin Fiche : « Industrie 4.0 » Centre historique d'Erfurt (photo de la mission) Une démarche engagée en Allemagne depuis 2011 pour mettre en oeuvre la transformation numérique de l'ensemble de l'industrie du pays « Industrie 4.0 » est une démarche engagée en Allemagne depuis 2011 au niveau de l'État fédéral (Bund), visant à mettre en oeuvre la transformation numérique de l'ensemble de l'industrie du pays. À l'origine, il s'est agi d'une réflexion de chercheurs et d'industriels organisée au sein d'un conseil scientifique pour inventer les outils nécessaires à la numérisation dans le domaine industriel. C'est ensuite à la demande des entreprises et de leurs fédérations que l'État, et d'abord le ministère de la formation et de la recherche, s'en est emparé pour en faire une politique fédérale. Il a alors réuni l'ensemble des acteurs concernés et établi avec eux les principes généraux du concept. L'objectif : maintenir la force et la compétitivité de l'industrie allemande L'enjeu est clairement de maintenir la force et la compétitivité de l'industrie allemande, notamment dans le domaine des biens d'équipement, qui se caractérise historiquement par un tissu très dense d'entreprises familiales de taille moyenne ou petite, désigné par le terme de Mittelstand. Il faut pour cela réussir la « 4 révolution industrielle », celle de la numérisation globale des chaînes de production (après la 3 qui était celle de la robotique) et aussi des relations clients, des relations fournisseurs, des coopérations inter-entreprises. L'objectif central est de faire en sorte que les opérateurs soient en capacité de répondre à la diversité des besoins des clients par la production souple, agile et restant néanmoins compétitive de séries de la plus petite taille possible. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 148/170 PUBLIÉ Un processus ambitieux d'adaptation de l'ensemble de l'industrie « Industrie 4.0 » s'inscrit dans la suite logique des efforts réalisés par l'Allemagne, notamment depuis la réunification, qui visent à maintenir la puissance industrielle du pays, au lieu d'accepter l'entrée dans une économie post-industrielle dominée par les services. Il convient alors de s'appuyer non seulement sur les grands groupes mais aussi et surtout sur le Mittelstand. Ce processus ambitieux, décrit par les consultants Dorothée Kohler et Jean-Daniel Weisz dans diverses publications232, entend provoquer un « sursaut national » pour adapter l'industrie allemande, fleuron de son économie, au contexte de la concurrence mondiale. On pourra ainsi conserver ce tissu industriel fortement répandu dans les anciens et nouveaux Länder (de l'Ouest et de l'Est), si précieux à la richesse économique des territoires urbains ou ruraux du pays. La démarche de numérisation globale se traduit en particulier par la collecte de multiples données clients permettant d'éviter l'arrivée de spécialistes de l'exercice tels que Google ou Apple ; des plateformes d'échange et de traitement des données sont alors constituées, dont les industriels conservent la maîtrise. La description enthousiaste du concept faite par ces consultants peut donner l'impression qu'« Industrie 4.0 » est devenu un mot d'ordre largement partagé outre Rhin et un processus opérant une transformation radicale et générale du tissu industriel, voire de ses interfaces avec son environnement économique, social et politique. Ils évoquent « l'émergence d'un nouveau paradigme industriel » fondé sur de nouvelles mentalités et attitudes, notamment un management non hiérarchique complètement réinventé et dont la réussite repose avant tout sur la qualité relationnelle des acteurs concernés. Une mise en oeuvre progressive, fondée sur la confiance plutôt que sur un plan structuré Si l'ambition est grande et sa présentation très séduisante, sa mise en oeuvre semble en réalité beaucoup plus progressive, au vu des échanges que la mission du CGEDD a pu avoir au cours d'un déplacement en Allemagne courant septembre 2018 à Berlin et en Thuringe (le Land de l'ancienne Allemagne de l'Est qui connaît le rattrapage économique le plus rapide depuis la réunification). D'une part, s'il s'agit bien d'une politique initiée et portée au niveau du Bund, elle ne fait pas l'objet à ce niveau d'un réel « master plan »/schéma directeur, c'est-à-dire d'un dispositif organisé avec un plan d'action structuré et un système d'évaluation qui permettrait de disposer de remontées d'informations consolidées et de savoir précisément où on en est dans tout le pays. Fidèle à sa culture de l'action publique et à son organisation décentralisée, l'Allemagne fédérale fait confiance à ses entreprises pour prendre les initiatives nécessaires et aux Länder pour reprendre le mot d'ordre national et le relayer dans les territoires. Au niveau national, on observe plutôt une démonstration de tout ce qui peut être fait en termes de numérisation, une vitrine de la puissance industrielle maintenue de l'Allemagne, telle qu'elle devrait être présentée prochainement dans le Futurium, un bâtiment d'architecture audacieuse en voie d'achèvement dans le centre de Berlin. Le Bund estime avoir mené son rôle d'information et d'impulsion, notamment pour ce qui concerne la mise en sécurité des données numériques. Une appropriation et une interprétation de la démarche variable selon les acteurs D'autre part, les partenaires rencontrés au niveau régional et local ne connaissent « Industrie 4.0 » que s'ils sont directement en charge de responsabilités dans le domaine industriel. Ces derniers s'approprient alors différemment le concept : pour les uns, il ne s'agit que de l'internet des objets, pour d'autres, il serait préférable de parler de « Économie 4.0 » afin de qualifier le mouvement général de numérisation, y compris des services. Le Land de Thuringe encourage et soutient la 232 Notamment Dorothée Kohler et Jean-Daniel Weisz Industrie 4.0 Les défis de la transformation numérique du modèle industriel allemand, La documentation française 2012 ; Dorothée Kohler et Jean-Daniel Weisz Industrie 4.0, une révolution industrielle et sociétale Revue Futuribles n° 424 mai-juin 2018. Mutations économiques et développement des territoires Page 149/170 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ démarche, notamment par une subvention d'aide au démarrage de 15 000 par entreprise. L'administration régionale évalue l'état d'avancement de la démarche à 3 % des entreprises totalement numérisées et 50 % en cours de processus. Il s'agit d'un défi majeur reconnu, présenté lors des nombreuses foires régionales, mais les petites entreprises semblent encore loin de l'avoir relevé... Une coopération internationale à poursuivre Le Bund fait état d'une coopération initialement menée avec la France et l'Italie mais ensuite d'un tarissement des échanges avec notre pays, dont la démarche « Industrie du futur » serait moins concrète et pragmatique que celle poursuivie par l'Allemagne. Ce point de vue est partiellement contesté au ministère français de l'économie qui estime que l'absence de coopération résulte plutôt de l'attitude allemande alors que « Industrie du futur » progresse (avec actuellement 4 000 à 5 000 diagnostics d'entreprises réalisés) même si c'est à un rythme trop lent... Si l'industrie française n'a pas la puissance allemande et a « décroché » depuis plusieurs décennies, il est encore temps d'activer un processus de numérisation et d'organisation du big data. Selon les consultants déjà cités, il conviendrait toutefois de s'inspirer davantage de la démarche « Industrie 4.0 » (telle qu'ils l'ont modélisée), « Industrie du futur » ne ciblant pas assez les petites et moyennes entreprises et souffrant d'une approche trop descendante par rapport aux entreprises ; il faudrait aussi ne pas s'arrêter aux frontières du pays en coopérant davantage avec la démarche allemande. 6.2. Italie La mission du CGEDD s'est rendue en Italie les 16 et 17 octobre 2018 pour observer certains aspects du développement économique et des politiques urbaines à Naples. La ville et le territoire environnant sont marqués par un contexte général de désindustrialisation et par les conséquences des difficultés rencontrées par l'action publique au cours des années passées. Néanmoins, les acteurs locaux, soutenus par les niveaux régional et national, se sont engagés dans un processus de transformation économique et de changement de l'image du territoire, en s'emparant de nouvelles opportunités liées à l'économie de la connaissance (tourisme, recherche, numérique). Il s'agit, dans le cadre d'une nouvelle politique urbaine, de susciter des îlots d'innovation au sein de quartiers en renouvellement et de la très grande friche industrielle polluée Bagnoli dont la reconversion est en cours. La mission a préalablement rencontré à Rome l'agence nationale de développement économique Invitalia pour connaître ses missions, moyens et modèles d'intervention au regard des enjeux de redynamisation économique des territoires en reconversion, en lien avec la politique des districts industriels. La mission s'est ensuite rendue à Naples pour y rencontrer la Ville (l'assesseur aux politiques urbaines), la Région Campanie (l'assesseure à l'innovation), l'université Federico II, la Cité des sciences (premiers occupants de la friche Bagnoli), les pilotes du projet de traitement de ce site au sein de l'opérateur national Invitalia, et visité les territoires concernés. Le CGEDD a bénéficié du soutien actif et de l'accompagnement de Florent Moretti et Charlotte Buliard (service économique de l'ambassade de France) ainsi que de l'accueil et de la participation de Laurent Burin des Roziers, Consul général de France à Naples. 1.- La Campanie et Naples, une région et une ville en mutation, entre difficiles reconversions industrielles et développement touristique La Campanie est la troisième région la plus peuplée d'Italie, la plus riche du Mezzogiorno. Elle regroupe 10 % de la population italienne mais ne pèse que 6 % du PIB national. Elle doit faire face à Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 150/170 PUBLIÉ de nombreux défis : baisse démographique, chômage, pauvreté, difficultés financières des collectivités locales, économie parallèle illégale. Elle bénéficie de fonds structurels européens au titre de la politique de cohésion (4,8 M sur 2014-2020) et de deux « Pactes pour le sud » par lesquels l'UE, l'État et la Région soutiennent les projets napolitains. La province de Naples représente 56 % de la valeur ajoutée de la région et 53 % de la population, 17 % dans la seule ville de Naples. Celle-ci connaît d'importantes mutations sur lesquelles la municipalité s'appuie pour piloter sa modernisation tout en conservant son identité. L'assesseur aux politiques urbaines, Carmine Piscopo, a présenté l'action de la municipalité au regard des dynamiques de transformation économique et urbaine à l'oeuvre. À l'Ouest, l'ancien site sidérurgique de Bagnoli, en friche depuis 25 ans, attend les opérations de dépollution qui permettront sa reconversion ; à la suite de nombreuses difficultés administratives et judiciaires, un projet urbain a été arrêté par l'opérateur en accord avec les collectivités concernées. À l'Est, le quartier ouvrier de San Giovanni a Teduccio est en cours de redynamisation grâce à l'implantation d'un campus d'ingénierie de l'Université Federico II. Au Nord, la municipalité porte la rénovation urbaine des Vele (les « Voiles ») de Scampia, ensemble d'habitat social qui abrite encore aujourd'hui une forte criminalité. Le centre-ville connaît une croissance du flux touristique, passé de 350 000 visiteurs il y a quelques années à un million en 2017, sans que la saturation n'advienne encore. C'est que la ville a su changer son image : les photographies de la crise des ordures de 2011 ont disparu des premiers résultats proposés par Google en réponse au mot-clé Naples. La fiction italienne a popularisé plusieurs quartiers de la ville, comme San Giovanni a Teduccio (la saga L'Amie formidable d'Elena Ferrante) et Scampia (l'ouvrage Gomorra du journaliste Roberto Saviano et ses déclinaisons cinématographiques et télévisuelles). La municipalité veut concilier ce mouvement avec la préservation d'une mixité sociale qui caractérise effectivement la ville et qui fonde en partie, selon elle, son identité. Elle est également lancée dans d'ambitieux programmes de prolongement du métro, d'ouverture sur le port et de piétonisation du lungomare (promenade du front de mer). La ville est engagée dans un réseau d'échange du programme européen Urbact, concernant particulièrement les grands sites industriels pollués (réseau qui inclut aussi Gênes, Caen et d'autres villes européennes). On notera que c'est également le cas de Casoria, petite ville de 77 000 habitants situées à 10 km de Naples, à travers le réseau « Sub>urban », sur le thème des friches périurbaines. 2.- La friche de Bagnoli, un exemple emblématique d'une zone industrielle polluée en reconversion Le site de Bagnoli a principalement accueilli au XXe siècle, dans un cadre exceptionnel de bord de mer, des établissements sidérurgiques d'État (ILVA, Italsider). Il comptait 15 000 salariés (l'équivalent de l'ILVA de Tarente aujourd'hui) et les habitants attendent depuis 25 ans sa dépollution et sa reconversion. Les projets urbains successifs ont échoué, la dernière tentative en date, un développement immobilier résidentiel de luxe (dont des gratte-ciels) sous la maîtrise d'ouvrage d'une SEM contrôlée par la municipalité précédente s'étant soldée par la faillite de cette société. Sous le gouvernement Renzi, la conduite du projet a été déléguée au commissaire du gouvernement, Salvo Nastasi, épaulé par Invitalia (voir fiche ci-après), agence nationale dépendant du ministère du développement économique (MISE). Invitalia assure le portage foncier et l'aménagement, une mission d'ensemblier regroupant ainsi l'équivalent des missions des établissements publics fonciers ou des aménageurs « à la française ». Les relations avec la ville de Naples ont longtemps été conflictuelles, l'État ayant recentralisé les compétences d'urbanisme sur le périmètre du projet, avant de se normaliser grâce à une meilleure association de la ville à la programmation urbaine. Une convention (accordo di programma) a été formalisée entre l'État, la Ville et la Région. Dès lors, un Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 151/170 PUBLIÉ projet urbain (Plan d'assainissement environnemental et de régénération urbaine ­ PRARU) a été arrêté par Invitalia en accord avec les collectivités. Le ministre de l'environnement a rendu récemment son avis au titre de l'autorité environnementale. L'avis n'est pas encore public, mais il comporterait une série de prescriptions qui rendraient nécessaire la modification du projet avant que celui-ci ne puisse être approuvé par le ministre chargé du Mezzogiorno. Le projet prévoit un site multifonctionnel dédié au tourisme, au loisir et à la culture, sous la forme d'un grand parc et d'une plage, tous deux publics, associés à des instituts de recherche et à un développement résidentiel limité aux marges du site (voir fiche ci-après). Cet aménagement complexe devrait être mis en oeuvre d'ici à 2024 : il nécessite au préalable une dépollution du sol et des sédiments marins (14 km²), souillés par les précédentes activités industrielles. La municipalité a joué un rôle moteur dans la révision des grands projets immobiliers au profit d'aménités publiques, mais ce choix est aussi induit par le classement du site en « zone rouge » du fait de la proximité des « champs phlégréens », des cratères volcaniques dont peuvent provenir des dégagements de soufre. L'investissement public et privé prévu est de 1.8 Md, comprenant les infrastructures primaires (d'accès au site), secondaires (internes) et les projets immobiliers privés. L'agence Invitalia est très fortement impliquée en tant qu'opérateur du projet. L'agence intervient directement dans quelques sites en fonction de la complexité de la situation, notamment dans le sud de l'Italie comme à Pompéi ou à Tarente, mais plutôt dans une posture d'assistance à maîtrise d'ouvrage. A Naples, il s'agit d'un degré d'intervention exceptionnel qui s'explique par la concomitance de plusieurs facteurs : responsabilité nationale de l'origine de la pollution (industrie sidérurgique), complexité administrative et financière, historique du projet... Après quelques difficultés de calage politique, l'existence d'un projet urbain « partagé », le retour à une maîtrise d'ouvrage publique forte et la mise en place d'une solide structure technique dédiée au sein d'Invitalia (30 personnes dans la seule équipe de maîtrise d'ouvrage) semblent appréciés par l'ensemble des acteurs locaux. Ils estiment que l'essai doit désormais pouvoir être transformé, sur la base d'un projet équilibré et modeste en regard de la taille du site (1 000 logements, 7 000 m² de commerces, des activités de recherche, des réalisations d'archéologie industrielle et plus généralement une vocation touristique diversifiée en bord de mer). 3.-La Cité des Sciences En bordure de la friche de Bagnoli, près de la mer, la Cité des Sciences, portée par la fondation privée IDIS, mobilise un foncier de 7 ha sur les 300 de la friche. Le projet a fait l'objet d'un investissement total de 55 M (40 M de dotations publiques et 15 M de la fondation privée à l'origine du projet). Né en 1993, le projet a des points communs à la fois avec la Cité des sciences de Paris et certaines réalisations de l'Emscher Park dans la Ruhr. Cet ensemble est composé de plusieurs structures qui évoquent ou conservent l'architecture des activités industrielles du site : des lieux à vocation éducative et pédagogique (comme le musée dédié au corps humain, CORPOREA) et des lieux permettant de créer de la valeur économique et sociale (incubateur, centre de conférences, auditorium). Les 9 M de budget annuel financent le fonctionnement de ce lieu qui génère des emplois et participe à la diffusion de la culture scientifique. Signe du climat local complexe, une partie du site a fait l'objet d'un incendie en 2013 et devrait être prochainement reconstruite. L'aboutissement du projet suppose d'unifier plusieurs composantes séparées par la route principale qui traverse la friche et aussi de faire un lien avec l'ensemble de l'écosystème de l'innovation qui se développe sur d'autres parties de la ville de Naples. Il n'existe nulle par ailleurs, pas même à Milan ou à Turin, des projets qui combinent à ce niveau les deux thématiques : traitement d'une vaste friche polluée et création de valeur autour d'un grand équipement scientifique et technologique. Si la conduite des travaux sur le périmètre de la friche est complexe, un autre facteur s'avère déterminant dans la réussite du projet, à savoir sa synchronisation avec les projets d'infrastructures externes à la friche : rendre la friche accessible en transport public local (prolongement d'une ligne Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 152/170 PUBLIÉ de métro) pour assurer la fréquentation du lieu, qui est l'un des problèmes majeurs rencontrés par la Cité des Sciences, et réaliser les réseaux urbains nécessaires au traitement des eaux. Cela suppose une implication forte de l'ensemble des parties prenantes au projet dans la durée. 4.- La Apple Academy et les politiques d'innovation de la Région et de l'Université Federico II La Région Campanie mise sur une politique forte en faveur de l'innovation pour augmenter la résilience du territoire aux crises. L'objectif est notamment d'augmenter le capital humain de cette région qui, si elle reste parmi les plus défavorisées d'Italie, a connu l'un des plus forts taux de croissance en 2017 (+3,2 %), et par ricochet de convaincre du potentiel de la région pour les grandes entreprises (Deloitte, TIM, Cisco par exemple). Cet écosystème voit de nombreuses startups se développer, plus de 700 en 2018 (3 e ville d'Italie après Milan et Rome), qui se concentrent dans des pôles technologiques, comme celui du campus de l'Université Federico II à San Giovanni a Teduccio, à l'est de Naples. La Région a défini une stratégie d'innovation qui organise le lien entre la recherche et le développement économique, s'inscrivant dans les orientations nationales et permettant de capter les financements européens. En déclinaison de la démarche nationale Industrie 4.0 (proche de l'approche allemande), un agenda digital de la Campanie a été élaboré, mais sa mise en oeuvre est trop récente pour qu'on puisse en évaluer les résultats. Apple y a installé en 2015 à la place d'une ancienne usine de conserverie sa « Developer Academy », unique lieu de ce type en Europe, permettant à 350 jeunes de suivre une formation liée au développement d'applications mobiles, cofinancée par la Région Campanie et par Apple. Cet îlot d'innovation et de compétitivité doit dynamiser la requalification de ce quartier, durement touché par la désindustrialisation (voir fiche ci-après). Malgré les difficultés administratives qui freinent le développement des projets, la conduite de ce chantier en trois ans seulement démontre la capacité des acteurs locaux à surmonter ces blocages quand l'enjeu le requiert. Enseignements pour la mission Durement éprouvée par la désindustrialisation, Naples et sa région sont engagées dans un parcours de mutation vers l'économie de la connaissance et le tourisme, un développement heurté mais qui a déjà conduit à la création d'îlots d'innovation (Apple Academy, Cité des Sciences). La reconversion de la friche de Bagnoli, qui devrait franchir un point de non-retour en fin d'année avec l'approbation de son projet urbain, représente une opportunité de poursuivre cette dynamique sur un site exceptionnel. La mission relève particulièrement les points suivants : · un territoire urbain qui semble parvenir à prendre son avenir en main, grâce à une volonté politique convergente de l'État, de la Région et de la Ville, en dépit de difficultés de tous ordres (crise industrielle, question du traitement des déchets...) ; la nécessité de travailler au changement d'image du territoire pour pouvoir engager et conforter un processus de transformation, selon une vision large de l'économie (tourisme, connaissance et recherche) et de la relier aux atouts locaux (forte identité, présence de grandes entreprises, paysage...) ; le retour à une maîtrise d'ouvrage totalement publique pour traiter un grand site industriel pollué, après l'échec de tentatives antérieures selon un modèle qui donnait un rôle important au secteur privé (la dernière en date avec une SEM contrôlée par la municipalité précédente) ; l'implication déterminante d'un opérateur national agissant en lien avec les autorités locales, autour d'un projet partagé équilibré mais nécessitant une intervention complexe et des moyens exceptionnels ; l'intérêt d'une poursuite des échanges de bonnes pratiques à l'échelle européenne sur la thématique des grands sites industriels pollués, dans le sillage des travaux du réseau de ville · · · · Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 153/170 PUBLIÉ mis en place dans le cadre du programme Urbact (une proposition de l'opérateur italien de mutualiser les bonnes pratiques avec les opérateurs français va dans ce sens). Fiche 1 :Présentation d'Invitalia Invitalia est une agence nationale pour l'attraction des investissements et le développement d'entreprise créée en 2008, qui dépend du Ministère de l'économie et des finances (MEF). Son conseil d'administration est composé du Président (Claudio Tesauro), de l'Administrateur délégué (Domenico Arcuri) et de trois conseillers. L'Agence gère pour le compte de l'État des programmes d'aide à la création et au développement des entreprises, y compris dans le domaine des startups innovantes, particulièrement dans les secteurs stratégiques pour le développement (environnement, énergie, infrastructures, recherche et innovation, tourisme et culture), et se préoccupe de la relance des zones en crise, surtout dans le Mezzogiorno. Ces programmes sont financés par des fonds nationaux et européens (fonds pour le développement régional, fonds de cohésion). Invitalia concentre ses efforts sur : · l'aide à la création et au renforcement des entreprises ; · · le soutien aux investissements et les efforts pour attirer des investissements étrangers ; le développement des territoires et la relance des aires industrielles en crise à travers l'outil des « contrats de développement » : la loi 181/89 institue Invitalia comme l'organisme de soutien aux territoires touchés par les crises industrielles. L'objectif est de créer de nouveaux emplois grâce à l'agrandissement, la restructuration et la relocalisation des unités de production. L'investissement par projet doit être au moins de 1,5 M ; l'accompagnement de l'État dans la gestion des fonds européens et nationaux. · · · · · Invitalia dispose de plusieurs outils de financement : subventions dites « contributions à fonds perdus » ; garantie auprès d'établissements bancaires ; prêts (à taux 0, à taux préférentiels) ; micro-crédit. Au 1er septembre 2018 : 131 contrats de développement ont été financés, 114 000 initiatives lancées avec l' autoimpiego (aide à l'autoentreprise) et 867 startups financées. Invitalia apporte également un appui aux collectivités dans la passation des marchés publics et la gestion de projet. Afin de soutenir la croissance dans des secteurs stratégiques que sont les télécommunications, le tourisme et l'innovation (startup), Invitalia contrôle : · · · · Infratel Italia (gère les appels d'offre pour l'ADSL et la fibre afin de réduire l'écart de couverture numérique entre les régions) ; Intalia Turismo (requalifie et relance les structures touristiques dans le Mezzogiorno) ; Invitalia Partecipazioni (gère les participations non stratégiques d'Invitalia) ; Invitalia Ventures Sgr (développement des entreprises à haut contenu innovant) : Invitalia Venture I : fonds de capital-risque de 86.65 M, en vue du co-investissement avec des opérateurs nationaux et internationaux privés et Invitalia Venture II : fonds dédié aux entreprises du Sud de l'Italie et doté de 150 M (loi de stabilité 2018) ; Banca del Mezziogiorno - MedioCredito Centrale (favorise l'accès au crédit des PME et aide à la croissance). · La conduite du projet de Bagnoli reste exceptionnel par rapport aux activités habituelles de l'agence. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 154/170 PUBLIÉ Fiche2 : Le projet de reconversion de la friche de Bagnoli à Naples et la Cité des sciences Suite à l'arrêt des activités sidérurgiques dans les années 1980, une friche de 330 hectares est apparue à Bagnoli dans la banlieue de Naples. Après de nombreuses difficultés (incendie de la cité des sciences en 2013, mise en examen de 21 ex-dirigeants de la société de transformation et finalement faillite de celle-ci), un projet a été relancé et signé en juillet 2017. Le projet est mené par Invitalia, l'agence nationale pour le développement relevant du ministère de l'économie. 300 M ont été débloqués afin de mener à bien le projet qui devrait être livré en 2021. Il prévoit la construction d'un port de plaisance, le réaménagement de la façade maritime et de la plage, un parc comprenant des équipements sportifs au sud et l'installation d'un pôle technologique au nord. L'ancienne aciérie devrait être transformée en salle polyvalente. Le projet est co-financé par la politique de cohésion de l'Union européenne. Photos mission : la friche de Bagnoli vue du quartier Posillipo à Naples Vue de l'intérieur d'une structure industrielle de la friche de Bagnoli, qui sera conservée pour l'installation de commerces et de services. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 155/170 PUBLIÉ La Cité des Sciences, qui conserve partiellement l'architecture des activités industrielles du site Fiche 3 : La friche industrielle de San Giovanni (Naples) et l'incubateur d'Apple San Giovanni, situé à l'Est de Naples, abritait la plus grande usine de conserverie de Méditerranée qui appartenait à la société Cirio. La fin de son activité ainsi que celle des établissements ferroviaires liés à Naples-Portici ont entraîné la formation d'une friche. En 2015, l'université Federico II s'est installée sur cette zone, profitant ainsi de 200 000 m² afin d'installer des laboratoires, bibliothèques, centre d'études et amphithéâtres. En 2016, le PDG d'Apple Tim Cook annonce la création à San Giovanni, d'un incubateur orienté vers les applications mobiles. D'autres activités se trouvent aussi sur le site comme : le CeSMA (30 laboratoires regroupés proposant des services à l'industrie), et le Hub Federico II promouvant le tissu industriel local. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 156/170 PUBLIÉ 6.3. Suisse La mission s'est déplacée en Suisse francophone (cantons de Vaud, de Neuchâtel et Fribourg) et alémanique (Berne et Zurich, avec visite de quartiers de requalification industrielle) du 4 au 6 décembre 2018. Elle a rencontré des acteurs du développement économique (Yverdon, Fribourg), de la recherche (Neuchâtel, Fribourg) et des responsables des Offices fédéraux (Berne). L'organisation de déplacement a bénéficié des suggestions de Sonia Lavadinho, chercheuse à l'École polytechnique fédérale de Lausanne et des apports de Céline Champion Dessibourg, cheffe du service économique à l'ambassade de Suisse à Paris. Les points marquants du contexte suisse Jusqu'à la deuxième guerre mondiale, la Suisse, pays pauvre en ressources naturelles et dotée d'un territoire au relief montagneux à 80 %, a dû faire preuve de créativité et d'inventivité pour surmonter ces handicaps structurels. Elle s'est pourtant dotée d'un tissu industriel, de « systèmes de production régionaux » avec une coloration et une spécialisation fortes : l'industrie mécanique dans le Jura, la chimie (devenue bio tech) à Bâle, les chemins de fer et la poste à Berne... Ce tissu économique a connu de multiples crises, en particulier du fait de la financiarisation et de la mondialisation qui ont conduit à une séparation entre lieux d'accumulation de valeur et lieux de vie et de travail. Mais une forme de résilience est venue de la capacité des territoires à s'adapter : · en faisant muter leurs spécialités économiques et industrielles (ex. horlogerie vers petite mécanique dans l'Arc jurassien), en misant sur l'« industrie patrimoniale », qui, dans le contexte d'une économie de la consommation et non plus de la production, consiste à transformer en valeur marchande le lieu d'origine de la production et l'expérience industrielle (ex. l'agroalimentaire à Fribourg...), en bénéficiant d'un secteur financier demeuré solide malgré les crises et grâce à ses banques privées, fortes de leur expérience, de leur réputation, de la stabilité de la Suisse et du franc suisse. · · Le développement économique du pays se concentre sur un « moyen pays » très dense, une ligne métropolitaine qui concentre l'essentiel de l'urbanisation, des activités et des flux de transport, de Genève et Lausanne à Zurich et Saint-Gall, avec, ailleurs, une topographie très marquée (mais sans définition claire de ce que sont les régions de montagne). Le pays s'organise fonctionnellement autour de ce sillon couvrant la Suisse occidentale (francophone) jusqu'à Fribourg, et la Suisse alémanique (Zurich ­ Bâle) ; Berne, la capitale fédérale, fait le pont et le lien entre les deux. Grâce à son histoire et à sa culture, la Suisse bénéficie d'atouts importants pour aborder les mutations actuelles et à venir : · la présence d'une classe moyenne importante et homogène, un chômage très faible (3,5 %, c'est-à-dire un chômage frictionnel correspondant au plein emploi) ; un système politique porté par des personnalités non professionnelles de la politique, ainsi qu'une démocratie participative incarnée par le système de votations, éléments forts de cohésion et de capacité d'adaptation ; un attachement aux niveaux constitués par les cantons et les communes, chargés de faire des propositions et de mettre en oeuvre, le niveau fédéral apportant la cohérence ; ce système fonctionne bien grâce à un haut degré de connaissance civique et permet de transcender les très fortes particularités locales (langues, religions, ville/campagne, plaine/montagne) ; · Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 157/170 PUBLIÉ · une sensibilité culturelle à l'économie, et la fierté de contribuer à la péréquation financière entre cantons riches et pauvres et communes riches et pauvres, acte social venant en complément de « l'esprit d'entreprise » et de la réussite à avoir créé des emplois et de la richesse ; cette solidarité financière favorise la cohésion et constitue un mode de financement intéressant des territoires fragiles ; une attention importante est apportée à la présence des services publics dans tous les territoires (par exemple, toute commune de plus de 100 habitants doit être desservie par un transport en commun, mais il est interdit de construire à plus de 3 km d'un transport en commun). l'innovation est en plein essor grâce à un système de formation technique (« les Hautes Écoles ») valorisé, des fleurons comme les Écoles polytechniques fédérales, en lien fort avec les mondes de l'entreprise et de la recherche, un système de recherche orienté vers les entreprises, et une capacité à mettre en scène l'innovation en relation avec l'humain, par exemple pour la robotique. · · Photos mission : Le centre-ville de Berne traversé par les bus et les tram Le musée de l'histoire de l'horlogerie à Zurich, situé dans un magasin haut de gamme 1. Yverdon : l'Association pour le développement du Nord Vaudois (ADNV), structure originale publique-privée constituée pour faire face à la reconversion industrielle du canton de Vaud. La création de ce type d'associations est issue de la volonté de l'État fédéral de mettre en place une politique pour les régions « de montagne », et d'associer les espaces de plaines et de montagne pour gérer les mouvements de balancier dus aux effets des mutations économiques. L'ADNV s'est créée en 1969 au moment où la « région industrielle » nord vaudoise était confrontée à la fermeture des usines « de montagne » et au repositionnement consécutif de son secteur traditionnel (mécanique). Encore aujourd'hui le nord Vaudois comprend 2 micro-régions industrielles : le « Pays d'en Haut » et la « Vallée de Joux », avec une spécialisation très forte dans l'horlogerie haut de gamme (Piguet...). Le nombre d'habitants (7 000) y est égal au nombre d'emplois. Du fait de leur importance économique, elles ont pu conserver leur association régionale de développement économique (et aussi leurs 2 postes de députés) malgré les regroupements en cours dans tous les cantons. Aujourd'hui la pression est entretenue par la dynamique démographique de l'arc alémanique et de Genève, en pénurie de logements. L'objectif actuel de l'association est d'accompagner la croissance des habitants avec celle des emplois, dans une « pendularité » maîtrisée. Pour conserver des lieux de formation essentiels au maintien du tissu industriel en région de montagne, l'école d'ingénieurs a fusionné avec la Haute École de gestion de Lausanne, et s'est installée à Yverdon dans d'anciennes usines. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 158/170 PUBLIÉ Une association tournée vers les entreprises mais à financement public : l'ADNV a un statut associatif de droit privé (donc indépendant du canton), regroupant des entités publiques (70 communes de profil extrêmement varié et sans projet d'ensemble) et plus de 300 membres privés (associations, entreprises, particuliers). Le fait que l'association apporte directement un service aux membres lui donne un lien fort avec les entreprises, directement demandeuses de prestations. Mais ce caractère privé est aussi un frein à un véritable pilotage public ou à une capacité d'engagement pour l'avenir. La structure du financement reflète cette mixité (financement par le canton sur projets : 38 %, cotisation de collectivités publiques : 35 %, entreprises : 8 %, le reste étant constitué de mandats d'appui et de prestations, par exemple des programmes d'accompagnement à la rénovation énergétique sur fonds fédéraux « Stratégie Énergie 2050 »). Selon l'ADNV, l'attachement des entreprises au territoire est évolutif dans le temps... en fonction de leurs besoins. Ce qui compte, c'est le dialogue plus ou moins fort et suivi avec les autorités locales (le territoire offre-t-il les bons équipements publics et culturels ? Les fonciers sont-ils adéquats ?). Au final, on constate que les sites de recherche et développement restent dans le canton. Les multinationales sont présentes, Nestlé est par exemple en dialogue constant avec l'ADNV, mais a tout de même supprimé 400 emplois à Orbe (Moulins d'Orbe, tradition ancienne de la compétence café). Le réseau fédérant ce type d'associations de développement a un site : regiosuiss.ch. Tous les districts de cantons n'en disposent pas ; inversement, la plupart des associations régionales n'ont pas d'identité institutionnelle ; certaines communes appartiennent à deux associations régionales. 2.- Neuchâtel : La patrimonialisation de l'industrie, vecteur de développement territorial « Les milieux innovateurs » : la reconversion vers la micro-technique des régions de l'Arc jurassien à forte innovation industrielle marquées par l'horlogerie, est souvent citée comme un exemple de reconversion. Ce modèle, qui suppose une autonomie régionale dans l'organisation et une immobilité du capital, a été remis en cause par le développement des marchés financiers et la financiarisation puisque les profits sont délocalisés et non plus réinvestis sur place. Associé à un environnement industriel jugé peu attirant, ces régions ont connu un problème d'attractivité résidentielle, avec un enjeu de réhabilitation de gigantesques « villes usines » désaffectées (malgré le classement du patrimoine historique de la Chaux-de-Fonds et Le Locle au titre de « l'urbanisme horloger »). La mise en place dans les années 1990 d'une économie de la production, associée à l'attraction de l'Arc alémanique (dans le contexte de forte tradition de mobilité interurbaine suisse), a conduit à une perte de substance résidentielle et finalement à d'énormes différences de revenus entre régions suisses. Mais avec la fin de ce modèle des « clusters de production » a émergé un modèle reposant sur la consommation qui valorise les productions à forte valeur culturelle (par ex. la montre mécanique qui représente 20 Mds à l'exportation). L'industrie patrimoniale : ce qui est vendu est « l'authenticité ». Dès 2005 ce contexte de consommation se traduit par la création d'une « culture horlogère »... Des espaces de démonstration sont mis en place dans le monde entier (marketing, story telling dans les magazines), les producteurs détenant les magasins de marques (ex. la « mise en scène » de la montre suisse à Hong Kong, devenu supermarché de la montre suisse). Le lieu de production reprend de l'importance pour sa dimension symbolique. Un espace d'exposition (musée) lui est associé. Cette « patrimonialisation de l'industrie » qui fait le lien entre culture « productive » et attractivité présentielle et résidentielle représente sans doute une voie d'avenir en Europe. Nestlé à Braud Fribourg est l'attraction la plus visitée de Suisse. Dans le Jura bernois les entreprises de chocolats reçoivent 100 000 visiteurs annuels. La révolution numérique a permis à chaque territoire d'exister à travers « une identité » (parfois stéréotypée) sur internet. (l'accès à tout facilitant la mobilité des personnes, les jeunes, hors ceux qui n'en ont pas les possibilités, vont là où ça fait sens pour eux, ex ; études à Berlin et séjours à Barcelone...). « L'identité » sur la scène numérique est ce qui est attractif. Gruyère et Fribourg se sont ainsi développés sur une base industrielle et résidentielle (mais hors des critères du développement durable...) en jouant sur les activités et les stéréotypes liés à l'image de La Gruyère. Un territoire, à Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 159/170 PUBLIÉ condition qu'il soit bien relié avec une grande ville et attractif, peut ainsi retrouver son importance, attirer les touristes et reconfigurer la production autour de son image en offrant une « expérience » (« passer un bon après midi à la chocolaterie avec les enfants »). Hautestadt et Volkswagen ont inauguré cette « expériencialisation » de l'industrie. Le territoire joue ainsi un rôle central dans la compétitivité industrielle : on exporte, ça rapporte de l'argent, et on peut ré-investir dans la durabilité ; les innovations sont intégrées dans le bien qui prend plus de valeur . L'innovation culturelle se comprend aussi dans ce paradigme de la compétitivité et des valeurs de marché : c'est la culture qui fait la valeur des biens, et donc permet de vendre en Suisse des panneaux solaires à des prix qui ne seraient pas compétitifs sur le marché mondial. À l'origine, les panneaux photovoltaïques sont fixés n'importe où (pas de permis de construire pour les installer) en pays neuchâtelois et défigurent les fermes... Puis, les panneaux sont teints et retravaillés esthétiquement ; ils deviennent alors des « éléments de façade actifs » qui remplacent les éléments de façades traditionnels : intégrés dans un contexte urbain et villageois, ils se trouvent sur le chemin du train touristique... On crée alors de l'expérience monétisable, en s'insérant dans une « économie du consommateur ». Les « produits » en tant que tels disparaissent ; restent les démonstrateurs, avec leurs sponsors : c'est une économie de projets de démonstration dans laquelle les territoires retrouvent leur place, puisqu'on met en scène leur créativité. Le développement territorial se fait aussi par la mobilité des biens et des personnes : l'économie présentielle est devenue l'élément moteur. Du fait du recentrage important sur les centres des grandes villes, il y a à la fois perte de substance des petites villes et perte des services aux entreprises. 70 % de l'économie est présentielle (y compris touristique) tandis que 25 % de l'économie est « productive ». S'est ainsi constitué un vaste marché du travail qui recouvre toute la Suisse occidentale : depuis Neuchâtel on est en 40 mn dans de nombreuses autres villes. La seule restriction à cet espace fonctionnel est la barrière de la langue (on a donc un bassin d'emploi à l'échelle de la Suisse avec 2 marchés du travail fonctionnels), sans compter 1 million de passages de frontière (française notamment) par jour. 3. Fribourg, le Cluster Innosquare La plate-forme d'innovation est née par son site, celui d'une ancienne manufacture de bière (un cluster avant la lettre, d'origine monacale...), soit 70 000 m2 acquis au moment de la faillite par la ville et par le canton de Fribourg. Les autorités cantonales ont souhaité faire de ce site un « fab lab », un centre avec des laboratoires et des compétences en matériaux avancés et en électronique de pointe, alors que le canton se caractérise par un tissu économique très diversifié et une présence forte dans les secteurs de l'agroalimentaire et de la construction. Le nouveau positionnement économique fribourgeois a rencontré la volonté de l'EPFL de Lausanne de s'implanter sur le canton. Le cluster s'est ainsi construit en soutien aux besoins des entreprises existantes mais avec la volonté de proposer de nouvelles spécialités. Sa mission est d'augmenter la capacité d'innovation des entreprises en leur offrant un lieu d'interaction avec la recherchedéveloppement, et un centre de compétences avec des personnes bien formées en ingénierie, un lieu de « services aux entreprises », qui puisse répondre à leur souci de continuer à trouver les talents pour maintenir un flux de compétences et développer leur activité. Son succès se comprend par l'appartenance à l'espace plus vaste du Mittelland suisse, qui regroupe tous les cantons romands plus une partie de Berne, et peut se comparer aux régions de taille européenne. 300 entreprises en sont membres (en comparaison, le groupement industriel fribourgeois de la chambre de commerce a 1 100 membres). La géographie du lieu est en elle-même une image de la dimension collaborative et innovante du projet, avec plusieurs centres regroupés dans un « cube » à disposition modulaire, des laboratoires industriels, d'anciennes halles de stockage rénovées en bois, à occupation modulable, un « café transitoire »... L'ensemble est en cohérence avec l'intérêt patrimonial du site, dans le respect des Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 160/170 PUBLIÉ critères des bâtiments « du futur » et « zéro carbone » (l'un de ces bâtiments, le « smart living lab », a été primé lors du dernier Solar Decathlon). Trois centres de compétences « nouveaux matériaux » ont été développés : sécurité des systèmes (avec des entreprises internationales) ; impression digitale, « bio printing » et ingénierie des tissus, placés dans un centre annexe utilisant des infrastructures et des laboratoires privés déjà existants ; et enfin installation d'une activité de plasturgie (après modification de 8 000 m²). Se sont ajoutés depuis 2013 trois clusters thématiques : « Swiss plastic » (couvre la Suisse occidentale), bâtiment innovant et recherche dans les techniques énergétiques pour la production maraîchère (en lien avec le cluster agroalimentaire fribourgeois). Le fonctionnement des clusters : Le processus d'innovation industrielle naît du rapprochement entre process de filières différentes par hybridation technique, au bénéfice des démarches d'innovation des entreprises. La logique suit un modèle appelé « collaboratif pré concurrentiel ». À l'état initial plusieurs entreprises identifient un besoin d'innovation commun, avec une faible part académique. À l'étape suivante, qui correspond à la situation actuelle du cluster, on regroupe plusieurs partenaires qui n'auraient pas eu l'idée de se mettre ensemble, pour tester des transferts de technologie d'une filière à une autre, provoquer de fortes collaborations entre clusters, parvenir à une hybridation de méthode, et développer de nouvelles « chaînes de valeur ». Le retour est ensuite assuré vers les entreprises membres. C'est le territoire qui initie la démarche afin de révéler ce potentiel latent. Sur d'autres sujets, on révèle les opportunités et il faut trouver « le terrain ». Le Mittelland Suisse se caractérise par un tissu de PME sans centre de recherche (au contraire de la France qui possède des grands groupes dotés de centres de recherche...). Le financement d'Innosquare est public à 65 %, les entreprises apportant 35 % (50 %/50 % en cas d'« innovative action », cf. supra). L'argent public va directement aux universitaires qui développent l'innovation. Le défi reste la synchronisation entre les différentes régions, et l'identification des bonnes personnes dans les entreprises, notamment les PME, pour intégrer cette logique avec confiance. Les partenariats privé/privé (et public/public) s'avèrent plus difficiles que les partenariats public/privé... Côté suisse, Innosquare dispose d'observateurs cantonaux et fédéraux (le SECO cf. infra). Il n'entretient en revanche pas encore de lien avec le niveau national français (France clusters), et essaye de se connecter avec la Commission européenne (notamment les DG Regio et DG Grow). Innosquare est très impliqué dans l'outil partenarial (et financier) européen « Interreg », la réflexion sur la politique de « spécialisation intelligente » de l'Union et le repérage des « activités transformatrices » permettant de soutenir les mutations de l'économie à différentes échelles territoriales en Europe. Le travail porte également sur les synergies à trouver entre partenaires publics et privés et les modalités des différents appels à projets à mettre en oeuvre. Il n'existe pas en Suisse de politique explicite pour le développement des clusters mais ceux-ci sont apparus dans le cadre des politiques de développement régional, au travers de la recherche de leviers d'efficacité. La stratégie nationale porte sur les sites (« Swiss innovation Park »). Outre la collaboration avec la promotion économique du canton de Fribourg, Innosquare est un outil de labellisation pour des fonds nationaux ou régionaux et reçoit une co-participation fédérale et cantonale (Fribourg a par exemple mis a disposition un fonds d'équipement pour acquérir les équipements en laboratoire). Les acteurs de l'organisation d'un cluster et de son animation vont de 6 à 15 personnes (1 à 2 ETP par projet), davantage en cas de structure de labellisation ou de montage de projets à dimension européenne (qui sont portés par les acteurs académiques en Suisse). Les « clusters managers » sont mis à disposition pendant 4 ans avec le soutien de la nouvelle politique régionale. Ceci permet de mutualiser l'événementiel et de se projeter sur 4 ans (30 événements organisés avec 200 ateliers). Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 161/170 PUBLIÉ Fribourg, Cluster InnoSquare sur le site de la Blue factory Pavillon bois BBC de la Swiss team primé au dernier Les machines du Plastic innovation cluster SolarDécathlon à Denver (États-Unis) données par des entreprises Le système de formation suisse joue un rôle majeur. D'un côté, la formation générale, sanctionnée par la maturité gymnasiale, conduit à des études à l'Université ou dans les écoles polytechniques fédérales, Zurich et Lausanne (qui ne sont pas équivalentes aux grandes écoles françaises du fait de leur statut universitaire, de leur absence de sélection pour les titulaires d'une maturité gymnasiale suisse (la majorité des candidats étant issus d'écoles privées) et leur intérêt pour un certain nombre d'enseignements techniques. De l'autre, la maturité « professionnelle » est exigée pour accéder à une formation duale (école/entreprise) avec un salaire, dispensée au sein des Hautes écoles (HE) spécialisées et délivrant bachelors et masters. L'objectif est non pas de « faire des études » mais « d'y apprendre un métier »... La HE nommée « Arc » regroupe les Hautes écoles de tout le Jura (ingénierie, santé, conservation, musique...). La spécificité suisse réside dans le poids de la maturité professionnelle (60 % des bacheliers) et la possibilité de croiser tout de même les deux types d'études, avec une passerelle pour les étudiants généralistes qui rejoignent la HE moyennant un stage pratique d'un an et souvent un examen d'admission. Les « Hautes Écoles » spécialisées disposent d'un mandat de transfert de technologie dans leur région. Le cluster InnoSquare est ainsi une branche de la HE d'ingénierie et d'architecture de Fribourg avec laquelle il entretient des liens très forts, mais il est issu également d'un partenariat avec l'EPFL (pôle rattaché à Park network West EPFL) et une dizaine d'autres instituts supérieurs. Il accueille certaines activités de l'université de Fribourg. Le cluster joue un rôle de veille des pratiques et des évolutions « métiers », et de facilitateur de programmes de formation (montés de façon mutualisée à partir des besoins des entreprises). Ce lien formation / recherche / innovation constitue une spécificité du système suisse. Chaque canton a sa propre stratégie d'innovation, beaucoup s'appuient sur des clusters (ex. Valais : DI ARK biopharma, énergies renouvelables et chimie) et la création de pôles de recherche assurant le transfert de savoir et de technologie. L'agence « Inno Swiss » travaille sur l'innovation technologique et la mise en réseau des acteurs. À l'échelle de la Suisse romande, la nouvelle politique de développement économique porte sur la mise en contact de différents acteurs et d'interlocuteurs pour les entreprises, lorsque l'échelle du canton est trop petite. C'est un travail complexe ; aussi le soutien financier est-il concentré sur des postes-clés (« coachs », « portes d'entrée », managers de clusters...) retenant la majeure partie des 16 M investis dans le domaine de l'innovation. De son côté, « Switzerland Global Enterprize » apporte un soutien à toutes les entreprises, sur le territoire ou à l'étranger. La Suisse participe aux programmes phares de l'Union européenne grâce aux accords bilatéraux et la réponse des universitaires aux grands appels à projets (cf. supra). Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 162/170 PUBLIÉ 4.- Berne, les offices fédéraux. « Les fondamentaux du développement territorial suisse » 1) Le projet de territoire suisse est le pilier du développement territorial. Élaboré de façon tripartite (confédération, cantons, communes), il propose une vision commune et partagée. Son principe général est le polycentrisme, qui vise à contrecarrer un développement dans les seuls espaces métropolitains, et repose sur l'existence de centres secondaires, moteurs de développement de leur région. Le polycentrisme suppose une mobilité fluide entre pôles, inscrite dans le projet. Un deuxième principe est le développement « vers l'intérieur » de l'urbanisation, c'est-à-dire la concentration sur les réserves foncières à l'intérieur des zones urbanisées, et donc un nombre très limité de nouveaux territoires à urbaniser. Le projet suisse propose également une vision en termes « d'espaces fonctionnels » de collaboration aux enjeux dépassant l'échelle des cantons et permettant de « se placer » en Europe : 5 ou 6 grandes régions (ex. « Bâle » (2 cantons), « Berne », « Zurich », « Arc jurassien » (recoupant 3 à 4 cantons). Il différencie aussi 12 « territoires d'action » possédant des problèmes, des atouts et des défis propres. Réfléchi et discuté aussi avec de nouveaux acteurs institutionnels que sont l'Union des Villes suisses (qui ont fait émerger leurs besoins particuliers), il est allé plus loin que son rôle défini au départ, en proposant des plans sectoriels avec des planifications fonctionnelles de taille supérieure à celle des cantons (mais surveillées par eux) et un programme « PHCR économie » avec des appels à projets à l'échelle de ces grands territoires. Le projet de territoire est ainsi un cadre d'orientation fédérale pour l'ensemble des acteurs du développement territorial, porteur d'une vision de l'organisation du territoire et d'une stratégie globale, doublé de documents cantonaux (eux-mêmes non contraignants) donnant la vision du développement territorial. Il a fallu huit ans pour construire ce projet, reconnu comme document commun, même si la mise en oeuvre des principes n'est pas toujours évidente et peut dans certaines situations ébranler le consensus. 2) La loi d'aménagement du territoire, les quatre niveaux et la question de l'espace bâti / à bâtir Dès 1980 a été posée la règle de base posant la séparation de l'espace bâti et du non bâti : à « l'intérieur », les communes sont chargées des zones à bâtir, tandis que « l'extérieur » (non bâti) est protégé au niveau de la fédération selon les règles (contraignantes) de la loi d'aménagement du territoire cf. infra. À « l'intérieur » des zones à bâtir est défini un plan directeur cantonal, contraignant pour le canton et les communes, celles-ci définissant l'implantation des zones d'activité économique au sein de leur « plan affectation communal » (équivalent du PLU français). À « l'extérieur », le mitage progressif du territoire agricole et montagnard par accumulation des exceptions au cours du temps a conduit à une nouvelle initiative sur le paysage et une nouvelle loi (entrée en vigueur en mai 2014, avec deux durcissements intervenus depuis) en faveur de la densification des zones urbanisées et de l'arrêt du mitage. Cette nouvelle contrainte fédérale est un levier pour la valorisation des friches. Ce principe « sans urbanisation supplémentaire » s'applique par articulation entre 4 niveaux de planification : 1. La loi fédérale d'aménagement du territoire (révisée à partir de 2013). Elle pose : - les hypothèses de croissance, - la méthode de planification (la gestion des zones d'activité est préconisée « à l'échelle régionale »), Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 163/170 PUBLIÉ - le principe de protection des surfaces forestières et agricoles233. 2. Le Plan cantonal pour reboucler avec la croissance de la population. Il définit une affectation des terrains. Adopté souvent après de long processus, il ressemble dans le principe au SRADDET. Par exemple, le canton de Vaud a obtenu la possibilité de demander 160 ha supplémentaires ; il a construit une typologie des zones économiques d'intérêt cantonal et communal. Sur la base de la croissance démographique constatée des 10 dernières années (fin 2016) il a attribué des quotas de développement selon le type de collectivités. Le taux autorisé pour les communes membres d'un « projet d'agglomération » (c'est-à-dire ayant communautarisé l'aménagement, l'urbanisme et les transports) est ainsi de 2,1 % d'augmentation démographique par an jusqu'à l'adoption du plan d'affectation. Le taux est libre ensuite, à condition de rester dans la même consommation de sol (dans le cadre d'une densification) ; il est de 1,5 % pour les centres régionaux et les centres locaux ; et enfin de 0,75 % pour les autres communes. 3. Des « Plans directeurs du territoire ». Ils constituent des déclinaisons de niveau régional. 4. Et enfin les « Plans d'affectation communaux », de niveau communal. Ils doivent tous être refaits d'ici 2022. Les acteurs privés jouent un rôle très important. Ce n'est pas la concentration métropolitaine des lieux de travail qui « fait » le développement ; d'où l'intérêt du travail collectif pour maintenir la cohésion. Les grands services publics en Suisse sont organisés de façon fédérale ; ils s'appuient sur de grands distributeurs organisés sur une base coopérative. Les municipalités sont des acteurs à part entière de la vie économique et portent de nombreuses régies : électricité, transport, éducation, réseaux, routes... L'aménagement territorial est une prérogative des communes, chapeautées par le canton quand elles sont faibles. La confédération n'a pas de moyen d'action en tant que tel : elle donne le cadre, et les orientations, mais il n'existe a pas de « politique industrielle » fédérale. La Commission fédérale sur l'aménagement du territoire lutte contre le mitage provoqué par les résidences secondaires. Les plans directeurs cantonaux doivent définir quels sont leurs « centres » régionaux secondaires, qui jouent le rôle de moteur pour le développement des communes alentour et des régions infra cantonales, selon le principe de la « concentration décentralisée ». L'importance des centres régionaux et le consensus polycentrique font la richesse de la Suisse. Les cantons sont chargés de la promotion économique pour attirer les implantations, faire coopérer les acteurs, mettre en continuité la recherche et le tissu économique. On repère de vraies chaînes de valeur au niveau de grands territoires fonctionnels (moins à des niveaux inférieurs), et une très forte collaboration dans les « petits » cantons à une autre échelle, (Neuchâtel, Berne). La commune de Neuchâtel a ainsi fait un choix de réindustrialiser en zone dense malgré la pression due à l'urbanisation ; voir supra l'immense valeur symbolique pour Fribourg du cluster de l'alimentation Blue factory. La politique fédérale des zones, « Swiss innovation Park » s'est d'abord appliquée à Zurich ; les autres cantons ont ensuite réclamé des parcs d'innovation et la généralisation du concept. Grace à cette offre foncière, plusieurs régions ont réussi à capter de belles opérations. 3) Le polycentrisme ne fonctionne que si tout le pays est desservi. Le principe posé est que chaque localité ayant au moins 100 habitants doit être desservie par les transports publics. Bien qu'assuré par les communes en bout de chaîne, le service trouve son équilibre économique grâce aux subsides octroyés par la confédération et par les cantons. Le « service public » est appelé en Suisse 233 Les bonnes terres sont sur le plateau suisse, là où sont les grandes villes, les lacs, les grandes infrastructures de transport, et la pression foncière la plus féroce. Un moratoire complet sur les zones à bâtir a été demandé pour mettre un frein au mitage du territoire. L'obligation de remettre en zone agricole après 15 ans d'autorisation rencontre de fortes résistances. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 164/170 PUBLIÉ « l'approvisionnement de base », ce qui signifie que tout citoyen ou toute entreprise, quelle que soit sa situation dans le pays, bénéficie des mêmes conditions de base. La Suisse n'a pas repris les règles de concurrence de l'UE pour la poste et les télécoms par exemple. Une forte péréquation financière nationale a été mise en place entre cantons (la disparité en termes de capacités financières se chiffrant de 1 à 4 entre celui du Jura ­ 60 et celui de Zoug ­ 230). Certains cantons versent au pot commun, ainsi que la confédération, permettant aux cantons à faible capacité financière d'assumer les prestations de base vis-à-vis de leur population. Ce rééquilibrage est consubstantiel au fédéralisme suisse et à la cohésion du pays. 4,8 Mds de francs suisses234 sont ainsi redistribués entre cantons par les politiques sectorielles (dont l'agriculture) chaque année. Cette péréquation a un impact territorial beaucoup plus important que la seule « politique régionale », dont la valeur réside dans les inflexions qu'elle donne et le levier qu'elle procure. Sur un budget général annuel de 75 Mds de FS, 1,9 Mds FS sont consacrés au transport public régional, bus et lignes ferroviaires du quotidien ; 10 Mds FS annuels au transport public et au transport ferroviaire (tunnel du Gothard...) et enfin 10 Mds FS annuels aux infrastructures routières. Les 3 niveaux (fédéral, cantonal, communal) lèvent chacun des impôts et restent responsables de leur budget, mais le rééquilibrage est présent partout y compris à l'intérieur des cantons pour maintenir la fonctionnalité de chacune des communes. Une contractualisation est possible afin de dédommager les centres secondaires de leurs charges de centralité ; le système fonctionne bien dans les villes moyennes et les centres régionaux. Le coût du renforcement des régions périphériques est néanmoins régulièrement débattu, avec un questionnement sur le seuil de 100 personnes pour le maintien de la desserte en transport. Des solutions plus collaboratives au sein des espaces fonctionnels (cf. infra) sont encouragées. Les déplacements domicile travail sont ainsi traités à bonne échelle, selon des plans directeurs relatifs aux déplacements. Le principal intérêt est que la mobilité est traitée en lien avec la planification sous l'égide du niveau fédéral, via le « Programme 2030 » des investissements ferroviaires, appuyé sur un vote au niveau de toute la confédération. Il convient de noter qu'ily a une obligation pour les zones d'activité de se situer dans les espaces « accessibles » des villes. Les régions frontalières ont réalisé un travail approfondi avec la France sur la question des migrations pendulaires quotidiennes et le passage de la frontière selon les modes ferroviaire (train « transjurassien » cofinancé par le canton) et routier (mise en place d'aires de covoiturage, cf. site : covoiturage-arcjurassien.ch.), le canton exigeant des plans de mobilité de la part des entreprises. Finalement, le covoiturage y représente 25 % des déplacements (la moyenne suisse étant de 4 %). La notion d'espace fonctionnel permet de constituer des bassins de vie à géométrie variable selon les thématiques, en apportant des réponses adaptées aux communes concernées, comme le regroupement de communes (compétences et financement) pour collaborer sur les déchets. À part les fusions communales qui sont encouragées, il s'agit de ne pas ajouter de couche administrative supplémentaire. La même approche vaut pour les espaces de collaboration transfrontaliers (entre cantons et avec l'étranger proche). Ont ainsi émergé ces dernières années des niveaux « fonctionnels » d'organisation, de développement et de planification (exemple des quatre cantons organisés au sein de « l'arc jurassien », arc jurassien.ch) sous la forme d'une structure juridique associative. Des « programmes d'agglomération » ont été montés pour inciter à la planification des lieux de travail et faire le lien avec les territoires alentour. De leur côté, les grandes villes Bâle, Berne, Genève, Lausanne, Zurich (auxquelles il faut ajouter SaintGall pour compléter le sillon métropolitain) mettent en avant des contraintes spécifiques (besoin en assainissement, nouvelles lignes de tram...) nécessitant des programmes complémentaires. Les problèmes sociaux spécifiques aux grandes villes sont compensés par des contributions nationales pour charges socio-démographiques. 234 Soit 4,4 M. Mutations économiques et développement des territoires Page 165/170 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ La crise de 2008 a conduit à une concentration des services bancaires dans les villes, et à un retrait de l'espace rural. Aujourd'hui le pouvoir décisionnel pour les emprunts bancaires n'est de ce fait plus situé au sein des cantons, et ceci alors que la banque postale ne peut plus distribuer de crédits et que les banques cantonales ont été privatisées (seules les banques appartenant au groupe de coopératives « Raiffeisen » restent décentralisées et indépendantes). La confédération n'a pas le droit d'interférer avec les principes du marché, et une « politique industrielle » confédérale reste taboue. Le travail se fait par la coordination entre départements ministériels, l'action des syndicats professionnels et un certain nombre de politiques sectorielles (du type tourisme...). Zurich, renouvellement d'un ancien quartier industriel central (Escher Wyss) Les ateliers de la Haute école d'art et de design de Zurich donnent de plain-pied sur la rue « PULS 5 », ancienne fonderie transformée en vaste centre de loisirs et de services Enseignements pour la mission · L'atout que représente un réseau de transports publics bien articulé (ferroviaire / routier) porté par le niveau national (notamment du fait du financement fédéral) est tout à fait considérable. Il constitue un soutien au développement économique, avec la constitution de grands bassins d'emplois effectifs sans les inconvénients d'une concentration excessive de population, tout en maintenant un modèle de développement durable, multipolaire et équilibré, avec une desserte de qualité assurée en transports publics pour tout le territoire. L'existence d'un document d'orientation au niveau fédéral, le « projet de territoire suisse », document stratégique offrant une vision du modèle de développement que souhaite le pays, élaboré conjointement (dans l'esprit du « consensus suisse ») et devenu une référence partagée par les cantons et l'ensemble des parties prenantes est essentielle. Ce projet sert de cadre pour asseoir les grandes politiques fédérales, la péréquation financière, et l'intervention de toutes les parties prenantes (en s'assurant qu'elles vont dans le même sens) ; Un système de planification articulé entre les 4 niveaux territoriaux (fédéral/cantonal/ « régional »/communal) et concerté (en particulier avec les niveaux inférieurs) apparaît comme très efficace. Il suppose une déclinaison qui traduise (sans nécessairement de rapport de compatibilité) et qui assure les objectifs communs de non-consommation d'espace, ainsi que l'inscription de la Suisse dans les grandes politiques et les grands programmes de recherche et de développement transfrontaliers portés par l'Union européenne. · · Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 166/170 PUBLIÉ · Les territoires s'appuient sur la valorisation de leurs atouts (paysages, maintien des espaces naturels, forte identité territoriale, qualité de vie et aménités) qui contiennent souvent une composante économique... (Exemple de l'utilisation de l'esthétique des plaques photovoltaïques pour la mise en valeur du paysage villageois à Neuchâtel). Ils font jouer ces atouts de façon différente selon les cycles économiques, en trouvant des logiques de complémentarité avec leurs voisins, par exemple dans le cadre d'une alternance dans le temps entre des positionnements plutôt économiques ou plutôt résidentiels, au sein de micro régions (ex. d'Yverdon et de sa montagne) ou au sein de plus vastes territoires, par exemple dans le lien arc jurassien / arc alémanique. La permanence d'un système de formation mixte (à 60 % technique) : en complément du système universitaire et des écoles polytechniques, les traditionnelles « Hautes Écoles » offrent une formation supérieure de nature technique et professionnelle dans tous les domaines. Il s'agit d'instituts renommés, porteurs d'innovation industrielle, liés aux entreprises (y compris PME) et aux acteurs économiques, qui reposent sur un maillage reflétant les spécificités industrielles des territoires. Une logique de clusters bien développée, avec de fortes démarches collaboratives publicprivé opérant à des échelles de proximité. L'appui sur les Hautes Écoles (leurs étudiants, leurs enseignants et chercheurs) avec la constitution de véritables sites de recherche appliquée en milieu urbain et de transfert de technologie à caractère industriel (ex. de Zurich et de Fribourg), permet une mise à disposition de la recherche publique, avec le soutien direct de programmes européens. · · Fiche : Les zones d'activités et la zone «Y PARK » à Yverdon (Nord vaudois) Y Park, zone d'activité la plus grande de Suisse, accueille 1 600 emplois et 150 entreprises, dont des incubateurs (que les entreprises ne veulent plus quitter). La ville d'Yverdon et un établissement cantonal d'assurance, entreprise semi-privée déjà propriétaire d'une partie des terrains, sont à l'origine du projet. L'association pour le développement du Nord Vaudois est partie prenante, et fait le lien avec le niveau « politique » cantonal. La structure Y Park est chargée du démarchage pour les services communs, de l'animation et du lobbying pour le site ainsi que de l'élaboration du plan de mobilité. À l'origine, il s'agit d'un pôle technologique centré sur l'innovation et s'inscrivant dans le cluster de l'alimentation Orbe Chalonnais ainsi que dans un pôle logistique (transfert route­rail et dédouanement). Mais le profil s'est émoussé, devenu plus généraliste du fait de la raréfaction des terrains pour les activités industrielles et artisanales locales cherchant à étendre leur activité. Sur le canton de Vaud, les projets de nouvelles zones qui empiéteraient sur des zones agricoles sont soumis à obligation de vérification qu'on ne peut faire l'équivalent dans un rayon de 15 km sans faire appel à des zones agricoles. Les débats sur l'extension des zones sont donc très longs, avec un risque de départ vers des cantons plus accommodants dans l'application de ce principe (pourtant national). Le secteur comprend aussi un petit technopôle consacré aux énergies renouvelables (avec la même difficulté de rester sur le concept initial dans une situation de pénurie d'offre...), et un autre où la Haute Ecole a implanté un institut aux technologies de la soudure, une compétence à relier à la micro-mécanique. Le canton se positionne comme partenaire des stratégies d'entreprises : les services de promotion économiques cantonaux sont présents dans la gouvernance sur les sites de développement économique. 6.4. Rapport de parangonnage Voir fascicule séparé. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 167/170 PUBLIÉ 7. Glossaire des sigles et acronymes Acronyme ANCT CCI CGCT DGF DIRECCTE DREAL DTT EPA EPCI EPF EPL EnR ESS ETI Loi MAPTAM Loi NOTRe MCTRCT MEF MT MTES MTEFPDS OIT PETR PLU(i) PME/TPE Signification Agence nationale pour la cohésion des territoires Chambre de commerce et d'industrie Code général des collectivités territoriales Dotation globale de fonctionnement Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement Direction départementale des territoires Établissement public d'aménagement Établissement public de coopération intercommunale Établissement public foncier Entreprise publique locale Énergies renouvelables Économie sociale et solidaire Entreprise de taille intermédiaire Loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles Loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République Ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales Ministère de l'économie et des finances Ministère chargé des transports Ministère de la transition écologique et solidaire Ministère du travail de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social Organisation internationale du travail Pôle d'équilibre territorial et rural Plan local d'urbanisme (intercommunal) Petite et moyenne entreprise / Très petite entreprise Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 168/170 PUBLIÉ Acronyme SCoT SRADDET SEM SRDEII ZAE Schéma de cohérence territoriale Signification Schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires Société d'économie mixte Schéma régional de développement économique, d'innovation et d'internationalisation Zone d'activité économique Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 169/170 PUBLIÉ Site internet du CGEDD : « Les derniers rapports » PUBLIÉ INVALIDE) (ATTENTION: OPTION également ; parfois, des PETR unique est une première étape pour mettre en cohérence les réseaux ont été inclus dans la réflexion ; d'accompagnement existants, selon trois orientations partagées : mais beaucoup de tourisme durable et patrimonial (« rhum », Montagne Pelée...), consultations se sont révélées économie bleue et nautisme, « cultiver mieux » (bio). Le schéma est formelles plus que décliné en 60 actions opérationnelles dont le lancement d'appels à substantielles. De fait, ces projets pour l'attractivité et la requalification des ZAE. Les chefs de file schémas semblent globalement de chacun des projets sont définis en suivant les compétences peu ancrés dans la réalité des institutionnelles, faisant la part belle aux EPCI, afin d'optimiser la territoires, avec un aspect réalisation du plan d'action. territorial peu travaillé, même si certains s'appuient sur une cartographie qui n'est pas rendue publique. On relève néanmoins des exemples probants, comme celui de la région Bretagne, où l'association avec les territoires est une pratique de longue date, ou celui de la Martinique, intéressant en termes de processus. En Martinique, « la Région fertilise, le territoire cultive » Dans la perspective de la construction des prochaines générations de schémas 63, la mission propose : · la nécessité d'un bilan, à réaliser de façon interministérielle de la première génération des SRDEII : contenus, écarts avec les textes, méthodes d'élaboration, effets et efficacité, la généralisation d'un principe de pleine coopération avec tous les territoires et parties prenantes, cette « co-construction » permettant de mieux appréhender les logiques de concurrence et de cibler les aides régionales selon les territoires et les problématiques, une révision de la terminologie : si les textes mentionnent un « document d'orientations stratégiques » (article L. 4251-15), ce caractère « stratégique » mériterait d'être affirmé en préconisant une « politique régionale de l'économie », articulée dans une vision territorialisée et associée à la transition écologique. · · Il semble manquer, notamment au sein des grandes régions nouvellement constituées, une maille pour faciliter la coopération avec les EPCI, les aidant à mutualiser leurs moyens selon une logique de « grands » territoires énoncée par ailleurs dans la loi NOTRe 64 et sur lesquels pourrait être assise une différenciation au sein des régimes d'aide. Dans plusieurs régions, le choix pragmatique a été fait de conserver un relais départemental, soit parce que derniers constituaient une échelle intéressante d'analyse et de regroupement territorial, soit parce que les outils existants (de type agence d'attractivité ou agence de développement) étaient performants et pertinents. Dans la région Grand Est, la mise en place ces dernières années d'outils de coopération entre villes et métropoles (par exemple celui qui a pris forme dans le « Sillon lorrain65 ») a pu être présentée comme une façon de compenser l'éloignement dû à la création de la « grande » région. Cependant tous les territoires étant loin d'y trouver leur compte, la Région a choisi de s'appuyer sur la structure départementale : « Dans certains départements, il existait des agences de développement économique. 63 Les schémas actuels sont en vigueur jusqu'au 31 décembre 2022. Voir article codifié L4251-1 CGCT. Action de coopération et de mutualisation inter-urbaine entre Épinal, Nancy, Metz et Thionville ; voir aussi la tentative (peu concluante) « d'aire urbaine lyonnaise » autour de Lyon et Saint-Étienne en AURA. Cf. § 3.1.2. Mutations économiques et développement des territoires Page 27/170 64 65 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ La Région les a renforcées, elle est entrée dans la gouvernance à la place des Départements qui ne pouvaient plus s'y impliquer. Dans d'autres départements, nous les avons créées car rien ou peu n'existait pour répondre aux nouveaux enjeux » explique Isabelle Héliot-Couronne, présidente de la commission du développement économique 66. En Occitanie, ce besoin de relais infra-régionaux fait que certains Départements ruraux continuent de jouer un rôle actif sur la question du développement économique, à la demande expresse des EPCI et de la Région elle-même. Au final, cette « politique régionale de l'économie » reste à constituer pour assumer la « La région est le produit de ses territoires et la proximité pleinement dimension stratégique, se fonder sur constitue un de ses défis ». À partir d'un territoire vaste et hétérogène (137 communautés de communes, 21 communautés les principes de la transition d'agglomération, une communauté urbaine, et deux écologique, et intégrer une vision métropoles), la Région a développé un diagnostic affiné territoriale. Elle énoncera une vision permettant de rassembler les communautés de communes dans sur laquelle pourra s'appuyer le des « strates » cohérentes et de décliner les orientations du régime d'aides aux entreprises et SRDEII selon cette réalité hétérogène : seul échelon compétent aussi une stratégie concernant les pour les aides directes aux entreprises (et avec un budget de zones économiques d'intérêt régional 3,6 Md), la Région a mis en place des taux d'intervention et infra-régional67. Différents organes différenciés selon les territoires (en fonction de la densité par peuvent venir en appui pour cela des habitant, des montants reçus en DGF, du taux de pauvreté, mais réflexions régionales, comme le également selon la typologie des entreprises). Pour l'immobilier réseau des agences d'urbanisme ou d'activités, la Région soutient les communautés de communes à hauteur de 70 %, avec un effort majoré pour accompagner les EPF pour le volet foncier. pendant la période de transition (90 % en 2018 et 80 % en Plusieurs Régions sont déjà engagées 2019). La Région finance les plateformes numériques, les dans de telles « politiques régionales formations, les écoles régionales numériques et les « fablab », de l'économie » qui vont au-delà du SRDEII dans sa définition législative les communautés et mairies mettant des locaux à disposition. actuelle, comme l'Occitanie, la Bretagne, les Hauts de France avec « Rev 3 »68. Cinq ans après l'adoption de la loi NOTRe, un bilan de ces démarches et de la façon dont les Régions ont pris en main cette compétence devrait être tiré, en lien avec notamment les intercommunalités et aussi en regard des politiques et règles européennes. En Occitanie, une politique de différenciation territoriale 1.3.2. Des stratégies économiques métropolitaines et intercommunales Les EPCI, communautés d'agglomération et communauté de communes, se sont vu attribuer la compétence exclusive en matière d'aides à l'immobilier d'entreprise, alors qu'ils étaient dans des situations de départ très diverses sur ce thème. De nombreux EPCI ont eu pour enjeu principal, dans la période, de se positionner face à des communes qui étaient historiquement seules décisionnaires sur les questions d'implantation des entreprises ; les communautés de communes se sont inscrites dans de nouveaux périmètres ; et même lorsque des périmètres de travail existaient, comme dans le cas de périmètres de SCoT, les enjeux économiques avaient souvent été peu travaillés dans ce cadre. Pour les Métropoles, l'affirmation du rôle de la Région a pu avoir une incidence sur les politiques d'attractivité développées antérieurement à la loi MAPTAM de façon puissante et relativement cohérentes. Elles ont toutefois été traitées, dans les dispositions relatives aux SRDEII, selon un statut 66 Intervention lors du congrès des maires, 28 novembre 2018. En complément, dans le Grand Est, un « pacte offensif croissance-emploi », support de contractualisation sur des actions, des équipements, et des appuis en ingénierie, a été passé entre la Région et les territoires (EPCI, PETR). Cf infra § 2.2. Cf infra § 3.1. 67 68 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 28/170 PUBLIÉ qui reconnaît leur action, et ont souvent maintenu leurs liens avec les échelons nationaux de la politique d'attractivité, singulièrement l'opérateur Business France. Certaines Régions se sont d'ailleurs appuyées sur les schémas économiques métropolitains pour penser leur SRDEII, ce qui a pu dans un premier temps conforter le tropisme métropolitain au détriment de l'émergence d'un fait territorial économique régional. Dans d'autres cas, un processus pragmatique de recherche de synergies a été tenté, comme entre la Métropole de Grenoble et la Région d'Auvergne Rhône-Alpes. La Métropole de Grenoble dans une « approche souple et apaisée » du dialogue avec la Région Selon Christophe Ferrari, président de Grenoble Alpes Métropole 38, celle-ci n'a pas réalisé de schéma de développement propre, le sien ayant été intégré directement comme un élément du SRDEII. La Métropole a privilégié un mode coopératif, simple et agile, de type « contrats de réciprocité » et conventions de partenariat, afin de construire « un couple de force » avec la Région. En retour, la Région a décliné son Agence de développement dans des antennes territoriales :ce sont ainsi les équipes de la Métropole qui pilotent l'Agence régionale au niveau de l'Isère et travaillent au service de l'ensemble de ce département. Si la mue d'une stratégie limitée au développement d'une offre foncière vers une stratégie économique globale n'est pas achevée, la maturation est généralement avancée dans les métropoles, comme le montre l'exemple de Toulouse. La Métropole de Toulouse vers une stratégie économique globale La Métropole a senti le besoin de passer d'une logique d'« offre économique » à une logique de « projet économique » : cela se traduit par la mise en place d'une stratégie à l'échelle métropolitaine sous la forme d'un « schéma de développement économique, d'innovation et de rayonnement métropolitain », dont la mise en oeuvre fait l'objet d'un suivi annuel. Si l'approche économique est plus modeste à une échelle élargie, notamment avec les espaces périurbains connexes, les dispositifs de coopération inter-territoriale pourraient fournir l'occasion de développer progressivement cette thématique. Le sujet du devenir des ZA est abordé et traité dans le cadre de la stratégie globale, même s''il n'y a pas ici de phénomène massif d'obsolescence. Un plan d'action pluriannuel et un budget sont définis pour assurer la prévention des risques de « vieillissement » et susciter la densification des zones, avec des opérations qui permettent de tester de nouveaux modèles économiques (comme celle de Garossos évoquée ci-après). En revanche, si la plupart des communautés d'agglomération et de communes ont lancé, parfois avec l'aide d'agences d'urbanisme, un recensement des zones d'activité économique anciennement communales, la définition d'une stratégie économique globale demeure encore souvent limitée. Avec l'EPCI de Dinan, l'illustration d' « une coopération fluide et des objectifs communs avec la Région » En Bretagne où le fait intercommunal est ancré de longue date, la coopération avec la Région s'appuie sur un ethos commun et une absence de logique concurrentielle. Les 59 EPCI ont été associés à l'élaboration du SRDEII et du SRADDET, la Région prend en charge le financement des postes de développement économique des communautés d'agglomération qui n'ont pas les moyens de le faire. Les communautés ont monté ensuite leur propre schéma de développement économique : celui de Dinan a été l'occasion d'un travail approfondi avec le monde économique en vue de reconfigurer les zones d'activité pour parvenir à des zones significativement moins consommatrices d'espace conformément aux prescriptions du SCoT. Il a également conduit à la mutualisation de fonctions support dans les 42 zones d'activité existantes regroupant 800 entreprises. Le « schéma de développement économique » de Dinan porte ainsi une approche économe en foncier, en lien avec l`écriture du PLUi dont l'adoption est prévue en fin d'année 2019. Aussi la mission propose-t-elle, en miroir de ce qui est proposé pour le niveau régional, que chaque EPCI établisse une « politique locale de l'économie »69, qui intègre les aspects immobiliers et fonciers dans un document stratégique, inspiré des anciens « schémas économiques d'agglomération ». Dans leur contenu, ces documents doivent reposer sur une vision territorialisée, une approche globale intégrée avec celle de la transition écologique, et une articulation avec des instruments opérationnels permettant la mise en oeuvre de la stratégie portée. 69 La loi NOTRe avait inscrit de cette façon la « politique locale du commerce ». Mutations économiques et développement des territoires Page 29/170 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ Recommandation 3. Réaliser une évaluation des SRDEII et de l'action économique régionale, prescrire au vu de ce bilan l'établissement par les Régions d'une « stratégie économique régionale territorialisée » en complétant la définition des SRDEII donnée par la loi NOTRe, et prescrire en parallèle celui d'une stratégie intercommunale par les EPCI, sous forme d'une « politique locale de l'économie » (MCTRCT, MEF). 1.3.3. Des moyens d'observation et de compréhension pour mieux anticiper 70 La bonne mesure des gains à attendre de la mise en oeuvre des transitions, la connaissance fine des situations et des mécanismes en jeu sur les territoires ainsi que des impacts croisés des politiques de développement économique supposent une montée en puissance des moyens qui leur sont accordés. Ainsi, améliorer la connaissance en termes d'observation, de recherche 71 et de prospective est un impératif afin de mieux saisir les enjeux et anticiper, sans s'en tenir aux seuls périmètres institutionnels existants. Les outils d'analyse statistique sont à améliorer pour permettre une meilleure appréhension des emplois industriels et le lien entre économie productive et économie des services, la définition et la promotion de nouveaux indicateurs de développement (« santé sociale », « bien être »...), l'alimentation des observatoires territoriaux (qui doivent être soutenus et généralisés). Des études et recherches sont à poursuivre matière d'économie territoriale, par exemple, des travaux visant à mieux mesurer les échanges entre entreprises et territoires, à évaluer les externalités négatives des regroupements de services publics ou privés au nom de la rationalisation, les externalités positives liées à la transformation écologique, et à construire des indicateurs de mixité fonctionnelle. Des outils de prospective et d'anticipation des mutations et reconversions sont à mettre en place pour identifier les territoires fragilisés par les différentes transitions, pour améliorer la connaissance de leurs impacts positifs ou négatifs et de leur déclinaison territoriale, pour appréhender l'évolution des métiers, les besoins de formation et d'intermédiation professionnelle. Un exercice prospectif national est à lancer pour construire le projet de territoire français et pour alimenter le récit national de la transition écologique, avec la possibilité de déclinaisons territoriales et, inversement la prise en compte des études prospectives préexistantes dans certains territoires, notamment en vue de l'adaptation aux effets du changement climatique 72. Des travaux de capitalisation des bonnes pratiques et des innovations territoriales sont à poursuivre, comme celui mené dans le cadre du laboratoire de l'ESS, qui a lancé un vaste exercice autour de l'identification des dynamiques collectives territoriales. La « 27 Région », association qui suit les innovations sur les territoires, citée par plusieurs interlocuteurs, apparaît aussi comme une initiative intéressante à soutenir au titre des actions de veille. Les pratiques européennes comme les différents livres blancs rédigés par la Commission européenne sont des éléments à prendre en compte. 70 L'annexe 4.1 fait le point sur certains travaux de recherche utiles dans le cadre de la mission, ouvrant des pistes de travaux complémentaires. Cf infra § 3.1.2. et 3.1.3. Par exemple, selon l'Ademe, la Région Occitanie et la Région Haut-de-France, et pour cette dernière, son volet sur l'emploi, la métropole de Nice sur la question de la prévention du risque d'inondation. 71 72 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 30/170 PUBLIÉ Suggestion. Généraliser les outils d'observation économique des territoires, poursuivre des études et des recherches sur la relation entre entreprise et territoire, construire des indicateurs de mixité fonctionnelle, développer les travaux de prospective, notamment ceux visant à anticiper les enjeux territoriaux de la transition écologique, et les replacer dans un cadre de réflexion européen (MCTRCT, MTES, MEF). 1.4. Développer des projets de territoire et des documents de planification mobilisateurs 1.4.1. Des projets de territoires intégrés et rassembleurs Une stratégie économique n'a d'efficacité que si elle s'inscrit dans une stratégie d'ensemble, intégrant le logement, l'environnement et le cadre de vie, les transports et toutes les aménités urbaines ou territoriales. Cette approche est celle du « projet de territoire », un concept utilisé par de nombreux acteurs, dont il apparaît nécessaire de préciser ici les « fondamentaux », en évitant la confusion avec ce que l'on pourrait appeler un « projet territorialisé » qui évoque une action ou réalisation (souvent de nature économique) qui se veut inscrite dans un territoire. Un projet de territoire doit englober un périmètre cohérent en termes de stratégie économique : l'échelle d'une métropole ou d'une intercommunalité ou encore d'un regroupement plus large tel un « pays » ou un PETR, un bassin industriel, comme un « territoire d'industrie », un bassin d'emplois... Tels sont les ingrédients d'une méthodologie rigoureuse. Les fondamentaux d'un projet de territoire73 Un territoire pertinent : un espace géographique pourvu d'une cohérence et d'une identité, dans lequel un système d'acteurs interagit de façon plus ou moins coopérative. Un diagnostic partagé : un exercice collectif de mise en évidence des facteurs les plus spécifiques, montrant qu'il n'y a pas de « territoires désespérés » ni de territoires systématiquement « gagnants ». Une vision stratégique : l'expression d'une ambition, et l'énoncé d'objectifs, avec un dispositif de communication clair et cohérent. Des méthodes et des moyens : en s'appuyant sur les enseignements d'expériences antérieures, sur les résultats issus de dispositifs déjà mis en oeuvre ou des dynamiques en cours. Une trajectoire traduite dans un plan d'action : lequel suppose une organisation entre acteurs et un calendrier qui donne une perspective et indique des étapes. Une gouvernance : un pilotage politique, une conduite de projet, un dispositif d'évaluation Une coopération inter-territoriale : pas de démarche de développement durable sans dialogue territorial et coopération avec les territoires voisins ou partenaires. Une démarche partagée, formalisée et opérationnelle Le projet de territoire vise à la mise en mouvement de l'ensemble des acteurs du territoire, notamment ceux de la sphère économique et de la société civile qui contribuent à son développement. Un projet qui ne serait pas une référence commune ni un outil opérationnel ne serait que de peu d'intérêt. À l'inverse, une réelle dynamique d'acteurs sans projet formalisé peut révéler une carence qui risque tôt ou tard de gêner le processus de développement. Ainsi, l'absence d'un projet de territoire formalisé couvrant la vallée de l'Arve (visitée par la mission) suggère un manque 73 Cf. présentation complète en annexe 4.4. Mutations économiques et développement des territoires Page 31/170 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ de stratégie commune des trois intercommunalités de la vallée à l'égard des enjeux d'environnement ou de mobilité... Selon l'Association nationale des pôles et des pays (ANPP), le projet de territoire est la base essentielle d'une bonne gouvernance, mais il porte aussi une dimension de long terme à 20 ou 30 ans. Il doit être un élément structurant de la prochaine phase de rationalisation de la carte des intercommunalités, en préparant soit l'adaptation des périmètres, soit la consolidation des coopérations inter-territoriales. À cet égard, les « pôles métropolitains », tout comme les « pôles d'équilibre territorial et rural », ou autres « grands territoires », sont à doter de projets, en travaillant particulièrement les cohérences entre entités administratives et leurs continuités géographiques. De telles initiatives se sont structurées ces dernières années, au point que des territoires de projet de type SCoT ont muté vers des exercices plus vastes, tel le cas du « pôle métropolitain » de Brest. La transition écologique au coeur de projets créateurs de valeur La transition écologique doit être appréhendée aux échelles territoriales qui permettent de gérer ses interfaces avec les autres grandes mutations74. Avec son « récit », elle est au coeur de tout projet de territoire. Comme l'affirme un expert et praticien, il faut une méthode pour développer le projet, En Ardèche, une démarche de projet de territoire initiée par le Département Candidat à l'élaboration d'un Contrat de transition écologique (CTE), le Département de l'Ardèche s'est engagé dans une démarche de projet en s'inscrivant dans une perspective à 30 ans : - démarche ascendante mobilisant les EPCI (tous sauf 2) et les acteurs privés, y compris ceux de la filière agricole très forte dans ce département, - recherche d'innovation grâce à l'utilisation de la « méthode CTE » qui part de l'identification des acteurs les plus dynamiques et des idées mobilisatrices, - recherche d'exemplarité, en commençant par la modification en profondeur des politiques publiques (un plan mobilité incluant désormais la totalité des modes, révision des politiques sociales dans une approche de services à apporter aux bénéficiaires...) placer l'humain en son centre, faire la synthèse entre monde urbain et monde rural, intégrer court terme et long terme, conjuguer vision et action, ingénierie de la connaissance et de la transformation. Les projets de territoire projettent des dynamiques de long terme créatrices de valeur, incluant les principes de durabilité et de résilience, de sobriété et de gestion économe des ressources. Comme l'affirment les responsables du laboratoire de l'ESS, ces dynamiques collectives sont indispensables à la mise en oeuvre d'une mutation profonde du pays, économique, sociale, culturelle et écologique. Dans le même esprit, on peut estimer, avec les experts de l'Institut de l'économie circulaire (IEC), que les notions de développement territorial et de projet de territoire se rejoignent pour appeler la mise en cohérence des acteurs d'un territoire autour d'objectifs communs de développement durable. Suggestion. Encourager l'établissement de projets de territoire intégrés, opérationnels, s'appuyant sur les atouts du territoire et mobilisant l'ensemble des acteurs, selon une démarche partagée et structurée autour de la conversion écologique et de son « récit » local (MCTRCT). 1.4.2. Des projets de territoire aux bonnes échelles Tous les « territoires » ont besoin d'une « mise en projet », de l'échelle du quartier jusqu'au niveau national, voire européen. Au plan régional, la constitution de grandes régions aux compétences 74 Cf supra §1.2. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 32/170 PUBLIÉ élargies est un moment clef pour la constitution d'un projet. À titre illustratif, la démarche Rev3 engagée par l'ancienne région Nord-Pas-de-Calais en matière de transition énergétique est constitutive d'une démarche de projet qui se confirme avec l'élargissement du sujet à la transition écologique et la poursuite de l'exercice à l'échelle de la Région des Hauts-de-France 75. Dans le cadre de la fusion, un travail est engagé par la nouvelle Région Normandie pour donner au territoire « la fierté et l'envie » de faire ensemble en matière économique, en intégrant les objectifs de développement durable, avec l'association des collectivités locales, des entrepreneurs et leurs réseaux, des associations, des filières, de l'État et de ses opérateurs, des chambres consulaires et des organisations professionnelles. Un « projet de territoire France » à établir conjointement Depuis les lois NOTRe et MAPTAM, les grands exercices d'aménagement du territoire menés par la Ce pays confédéral est particulièrement marqué par la coexistence DATAR n'ont plus court. Le dernier d'entités géographiques ou géopolitiques autonomes et travail en date, la réflexion contrastées , tout en pratiquant une recherche patiente mais efficace de vision commune : un document d'orientation établi au prospective « Territoires 2040 » a niveau fédéral, le « projet de territoire suisse », est un document inspiré et alimenté de nombreuses stratégique offrant une vision du modèle de développement que démarches prospectives territoriasouhaite le pays, élaboré conjointement, dans l'esprit du les mais s'est terminé sans suite au « consensus suisse », et devenu une référence partagée par les niveau national. Or, si on se réfère cantons et l'ensemble des parties prenantes. Ce projet sert de cadre à nos voisins européens, on pour asseoir les grandes politiques fédérales (notamment, la s'aperçoit que plus le pays est maîtrise de la consommation d'espace), la péréquation financière et décentralisé, plus il est utile de l'intervention coordonnée de toutes les parties prenantes. disposer d'un cadre de référence L'ensemble des documents relevant de la compétence des cantons et d'orientations, à condition que (ou de niveau inférieur) y fait référence. Il porte aussi la façon dont celui-ci soit élaboré conjointela Suisse se positionne au sein des grandes politiques européennes. ment, de façon à pouvoir susciter l'adhésion à tous les niveaux de responsabilité, comme le montre l'exemple souvent cité de l'Allemagne ou celui de la Suisse, dont les démarches sont présentées en annexe 6.1 et 6.2. Le « projet de territoire suisse », une référence partagée À l'heure où les enjeux de cohésion territoriale et sociale nécessitent une vision partagée et une mise en cohérence des responsabilités de tous les acteurs et des moyens de l'action publique à tous niveaux, il serait particulièrement opportun d'établir un document d'orientation à l'échelle de l'ensemble du territoire français76. L'exercice devrait impliquer tous les niveaux de responsabilité territoriale, selon une démarche de travail conjointe, particulièrement avec les Régions, qui pourront apporter les visions stratégiques territoriales qu'elles initient 77. Il permettrait aux territoires, à différentes échelles et quelle que soit leur situation, d'assumer des évolutions soit contraintes soit voulues, dans un cadre de la discussion avec l'État. L'établissement de ce projet devrait faire l'objet d'un portage interministériel, enjeu difficile tant la prise en compte des réalités territoriales est variable selon les ministères. On notera aussi, à l'échelle de l'Union européenne qui n'a pourtant pas de compétence juridique marquée dans ce domaine, l'existence d'un « agenda urbain » qui inspire des programmes de coopération décentralisée comme Urbact, et oriente l'affection des fonds structurels relevant de la politique de cohésion : ainsi l'Europe a-t-elle aussi une forme de projet territorial de référence. 75 Cf infra § 3.2. et encadré. A l'image des exercices réalisés par nos voisins, ce document devrait énoncer des principes en matière d'armature urbaine et de fonction attribuée à chacun des niveaux urbains, ainsi que le relèvent notamment les missions du CGEDD consacrées aux villes moyennes. Notamment à travers l'élaboration en cours des SRADDET dont on observe qu'ils vont dans le sens de « faire Région », cf infra § 1.4.3. Mutations économiques et développement des territoires Page 33/170 76 77 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ Le projet de territoire national doit se fonder sur la transition écologique, moteur de la transformation économique des territoires, s'articuler avec le « récit » de la transition et en exprimer un mode de déclinaison, en lien avec le positionnement de la France en Europe et vis-à-vis des ODD. Comme plusieurs interlocuteurs rencontrés par la mission le recommandent, l'usage d'une approche « écosystémique » territoriale sera adapté pour construire un « bien commun »78 en mobilisant les acteurs, en soutenant leurs coopérations, en appuyant leurs démarches collectives, sans perdre de vue que les effets s'apprécient sur une longue période79. Recommandation 4. Établir conjointement (État, Régions, autres collectivités, acteurs économiques, société civile) un « projet de territoire France » énonçant une vision globale et territorialisée, des principes d'armature urbaine et d'alliance intégrant les territoires fragiles, ainsi que des orientations nationales et interministérielles d'aménagement et de développement fondées sur la trajectoire de la transition écologique (MCTRCT, MTES...) Par son contenu, sa méthode d'élaboration et sa mise en oeuvre, faisant davantage travailler ensemble les acteurs de l'aménagement et ceux du développement économique, ce projet de territoire peut constituer le premier acte d'une nouvelle politique territoriale de l'État, qui, en jouant le jeu de la décentralisation, a pu jusqu'ici sembler renoncer à porter une vision en même temps qu'il se dessaisissait de ses moyens d'intervention. Repenser la cohésion des territoires à l'heure de la transition écologique suppose d'oeuvrer pour activer le recyclage foncier en veillant à une insertion et une répartition harmonieuse des activités économiques dans les villes et les territoires. Aussi pourrait-il être envisagé à moyen terme la préparation d'un document d'orientation, éventuellement législatif, pour préserver et renforcer la mixité urbaine et territoriale. Cet exercice pourrait s'appuyer sur une première évaluation de la loi Solidarité et renouvellement urbain (SRU), à l'approche de l'échéance de 2025 figurant à l'article 55. Il est toutefois entendu que le sujet n'est pas limité à la composante sociale de cette mixité (et au seul levier d'une meilleure répartition du logement aidé sur le territoire), mais doit prendre en compte l'ensemble des fonctions économiques et des « communs », générateurs de valeur territoriale. La construction d'indicateurs de mixité fonctionnelle pourrait constituer une première étape. 1.4.3. Des outils de planification cohérents, intégrant mieux les enjeux économiques Dans les documents d'urbanisme, la thématique économique s'est souvent limitée à la définition de zones réservées à l'implantation d'activités, selon une approche fonctionnelle de l'urbanisme aujourd'hui assez largement remise en cause. Aussi, même si le « développement économique » est formellement listé dans la législation (des SCoT et des PLU) en tant qu'enjeu de la planification, l'accent semble avoir été mis ces dernières années plutôt sur son caractère défensif au service d'autres thématiques, la préservation de l'environnement et de la biodiversité par exemple, ce qui a pu faire manquer d'une certaine vision globale. Lors de l'élaboration des documents, les acteurs économiques sont trop souvent peu impliqués dans les discussions portant sur la planification, celle-ci restant l'apanage de spécialistes au sein des collectivités (services municipaux en charge de l'urbanisme, établissements publics de SCoT et, dans la période récente, services élaborant le SRADDET régional...). En dépit de l'association de certaines 78 Selon le terme de Dorothée Kohler Plutôt que de se référer aux notions de « ruissellement » et de « diffusion », qui évoquent un sens unique, il est préférable de se fonder sur celles « d'interactions locales » et « d'alliances », comme l'indique Ch.-B. Heidsieck, président du Rameau, dans le référentiel sur la co-construction territoriale paru en 2018. Cf. aussi annexe 4.1. 79 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 34/170 PUBLIÉ CCI, ou de démarches portées par des agences d'urbanisme pour analyser les besoins fonciers nécessaires au développement économique ou commercial, les acteurs économiques sont tout au plus consultés pour la construction des orientations stratégiques et du contenu de ces documents. Or la planification dans sa dimension économique doit se nourrir de données actualisées de toute nature et compenser le « temps long » de ses processus par une ouverture et une connaissance très à jour des tendances économiques et des besoins des entreprises. L'évolution du travail, des lieux de travail, nécessite aussi une démarche de conception urbaine et territoriale beaucoup plus fine que par le passé80. Enfin, la représentation légitime des acteurs économiques (organisations professionnelles, entreprises volontaires, clusters ou autres groupements......) est aussi un sujet. La démarche « Planifier ensemble » que vient d'engager la DGALN s'avère donc bienvenue pour approfondir ces questions et progresser dans l'implication de l'ensemble des acteurs. Des schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d' 'égalité des territoires (SRADDET) plus stratégiques Le développement économique n'est pas mentionné dans le texte constitutif (article L4251-1 du CGCT) de ces nouveaux schémas : il constitue Le SRADDET Grand Est cible les entreprises en effet l'objet spécifique d'un autre schéma celui « de développement Le futur SRADDET Grand Est comporte deux « règles » régional, économique, d'internationalisation et ciblant les entreprises : une demandant, par d'innovation » (SRDEII)81. On peut considérer l'intermédiaire des Plans de déplacements urbains (PDU), d'impulser une dynamique de plans de que la « politique régionale de l'économie » déplacements d'entreprises (ou d'administration) ; une préconisée au § 1.3.1 doit être portée par ces autre, prescrivant que les Plans climat air énergie schémas, moyennant l'élargissement de leur territoriaux (PCAET) permettent de travailler avec les contenu. Il y a un enjeu de bonne articulation entreprises à leur efficacité énergétique. La plupart des à trouver entre cette « politique régionale » autres projets de schémas comportent aussi des de l'économie et l'ensemble des « politiques spécificités concernant les enjeux économiques. locales » à travers l'emboîtement des documents de planification et d'urbanisme. Cela implique la reprise au sein du SRADDET, « schéma intégrateur », de cette politique et de son inscription territoriale. Le texte fondateur a prévu une possibilité pour traiter le lien entre les deux schémas 82 . Le SRADDET pourrait donc, dans sa logique intégratrice, remplacer le SRDEII, à condition de reprendre sa méthodologie d'élaboration et ses contenus83. C'est une alternative à l'option de conserver deux schémas tout en assurant une meilleure articulation entre eux. Au vu des constats pouvant d'ores-et-déjà être dressés, la première génération des SRADDET ne s'appuie guère sur les SRDEII 84, outils eux-mêmes de première génération et peu propices à des débouchés territoriaux. La phase actuelle de consultation des collectivités infra-régionales a fait ressortir cependant que la délicate problématique du foncier d'activité et de logistique est très sensible aux enjeux d'équilibre territorial et de gestion économe de l'espace traités par les nouveaux schémas, ainsi que par les choix opérés par les Régions en matière d'aides aux entreprises. 80 Cf infra § 2.3. Les SRDEII visent à décliner sur le territoire national le développement des filières jugées les plus stratégiques pour la France, ainsi qu'à définir le régime régional d'aide aux entreprises (en lien avec les fonds européens). « Le SRADDET peut fixer des objectifs dans tout autre domaine contribuant à l'aménagement du territoire lorsque la région détient (......) une compétence exclusive de planification, de programmation ou d'orientation et que le conseil régional décide de l'exercer dans le cadre de ce schéma (......) Dans ce cas, le schéma tient lieu de document sectoriel ». L'intégration prévue par les textes fonctionne alors davantage dans une logique de simplification administrative (le schéma intégrateur remplace les autres) que dans une logique d'articulation. Avec quelques bons exemples toutefois, comme celui de la Bretagne. Mutations économiques et développement des territoires Page 35/170 81 82 83 84 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ La question économique est donc « sur la table », même s'il est trop tôt pour dire si ces premiers SRADDET seront finalement porteurs de réelles orientations et dispositions planificatrices ou resteront plutôt des documents exprimant une vision de l'espace et des politiques régionales 85. Cette seconde hypothèse constitue d'ailleurs déjà un réel intérêt au moment où les Régions, notamment celles issues de fusions, ont à construire leur identité : le premier SRADDET aide à « faire région ». Chaque projet de schéma présente des aspects intéressants sur le plan économique (comme le montrent les exemples cités, et aussi l'insistance des Régions à s'emparer du thème de la logistique). Il convient donc d'aboutir à ce que tous les SRADDET intègrent, dès leur prochaine génération, les enjeux d'une « politique régionale de l'économie » grâce un mode d'articulation avec les SRDEII, soit en les prenant mieux en compte, soit en les faisant entrer dans la logique du schéma intégrateur 86. Des schémas de cohésion territoriale (SCoT) intégrant mieux les enjeux économiques Ces documents ont historiquement traité en priorité des questions de lutte contre l'étalement ou de mobilité, ne s'intéressant que plus tardivement à l'économie 87. Or, le SCoT recouvre souvent un périmètre économique pertinent, à l'échelle du bassin d'emploi et du territoire fonctionnel. Le SCOT de Tours (400 000 habitants) a intégré dans sa stratégie territoriale plusieurs thématiques économiques structurantes, comme une localisation préférentielle des implantations énergétiques sur le territoire (avec une déclinaison au sein des intercommunalités) ou un traitement des emplois restant non pourvus (et leur accompagnement par le monde économique). Des indicateurs annuels et des outils de suivi sont prévus, complétés par de nouveaux instruments de gouvernance, notamment une conférence des acteurs commerciaux. Le SCoT des Vosges centrales (101 communes autour d 'Épinal) a construit son modèle d'attractivité sur l'autonomie énergétique à échéance 2050. Selon une forte volonté de rationaliser le foncier (500 ha fermés à l'urbanisation, reconquête des friches industrielles et urbaines...), le schéma lie objectifs économiques et transition énergétique, en s'appuyant sur les perspectives de développement et les moyens offerts par la filière bois. Si le SCoT énonce la stratégie d'ensemble, sa traduction opérationnelle relève des intercommunalités, par exemple la « SEM Énergies renouvelables », prévue au document qui met en oeuvre le volet biomasse porté par l'agglomération d'Épinal. L'outil est ainsi particulièrement bien positionné pour aborder ces enjeux. Afin de prendre en compte néanmoins la critique récurrente portant sur la lourdeur de ce document, il convient de le recentrer sur les dimensions stratégiques essentielles, dont le développement économique durable. L'amélioration de l'intégration des sujets économiques pourrait, selon les propositions de la fédération des SCoT et les récentes réflexions du CGEDD 88, se faire dans le cadre d'une évolution du SCoT prenant la forme d'un « projet d'aménagement stratégique » organisé autour d'un socle ramassé (armature urbaine, mobilité, maîtrise foncière, développement économique et transition écologique) complété d'un traitement différencié selon l'acuité des questions sur le territoire. Ainsi que le montrent divers exemples comme celui du SCoT de Tours ou des Vosges centrales, les dispositions en vigueur n'empêchent pas d'aller dans ce sens et de prendre en compte pleinement les enjeux économiques en lien avec la transition écologique : le PADD porte le diagnostic et les enjeux des différentes politiques sectorielles, au sein desquelles la politique économique est affirmée, et le DOO développe les priorités, à caractère prescriptif, permettant de rendre possible la réalisation de 85 Dans certaines régions les « inter-SCoT » ont contribué activement à la définition du contenu du SRADDET. Ceci nécessite une approche concertée entre la DGCL, la DGALN et la DGE du ministère de l'économie et des finances, afin que ces éléments soient repris à la fois dans les termes de référence des bilans qui seront réalisés sur la mise en oeuvre de ces schémas, puis au sein des dispositions réglementaires et « doctrines » d'élaboration. Mentionnés dans les textes (Art. L122-1 du code l'urbanisme alinéas 1, 2 et 4). Quelles évolutions pour les schémas de cohérence territoriale ? Rapport CGEDD n° 010656-01 établi par François DUVAL, Philippe ISELIN et Ruth MARQUES (coordonnatrice), avril 2017. 86 87 88 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 36/170 PUBLIÉ ces politiques, en lien avec les stratégies nationales et régionales. Comme les pratiques restent très inégales et diversifiées, il est suggéré, s'agissant des questions touchant au développement économique durable, que : · · · la démarche « Planifier ensemble » établisse un bilan des bonnes démarches de SCoT, la « doctrine » soit affirmée, comme elle l'a été récemment en matière de commerce, les textes législatifs (L 122 et L 141-1) soient ajustés pour que le développement économique durable soit effectivement un pilier essentiel dans tous les SCoT. Des plans locaux d'urbanisme communaux ou intercommunaux (PLU ou PLUi) développant une approche plus fine de la place des activités dans le tissu urbain Les PLU et PLU intercommunaux jouent un rôle décisif pour inscrire le projet de développement économique dans le projet de territoire global. Ils donnent les lignes directrices qui facilitent les arbitrages entre usages des sols ; et aussi, pour le PLUi, les arbitrages entre territoires d'implantation communale. Il s'avère, à l'occasion de la discussion sur les PLUi engagée au sein des EPCI, que les PLUi sont de plus en plus porteurs des règles qui garantiront la qualité des projets et leur inscription effective dans le projet de territoire de l'EPCI. La « politique locale de l'économie »89 énoncée par l'EPCI devra ainsi être intégrée dans le projet global porté par le PLU(i), permettant que celui-ci prenne en compte de façon systématique les enjeux économiques, et que ces enjeux soient bien articulés avec les autres thématiques constitutives du document, la gestion économe des espaces en particulier. Les éléments actuellement prévus dans le cadre législatif (L.151-4 à 8 du code de l'urbanisme) et réglementaire concernent le diagnostic (établi « au regard des prévisions économiques » et des « besoins ») et le PADD (qui « arrête les orientations générales » concernant « le développement économique ») ; les autres pièces (les OAP ou le règlement) traitent souvent le sujet sous l'angle commercial ; de fait, encore peu de plans présentent un cadre articulé et opérationnel sur l'ensemble du thème90. Le premier thème majeur est la nécessité Dans le PLU de Torreilles (Occitanie), un exemple d'une approche plus fine de la place des d'intégration plus fine des enjeux économiques activités dans le tissu urbain, compte tenu de Les OAP aménagement de ce PLU fournissent, parmi l'évolution déjà évoquée des modes et lieux de beaucoup d'autres cas, un exemple de prise en compte travail. Le second sujet porte sur le devenir du des enjeux de développement économique et modèle des zones d'activités économiques, au notamment commercial. Le PLU cible la valorisation du regard des enjeux de consommation d'espace, coeur de village (avec une réorganisation fine de d'atteinte à la qualité des paysages, l'espace), couplée à un travail sur les entrées de ville d'inadéquation aux besoins différenciés des (reconfiguration privilégiant les modes de déplacement entreprises et d'affaiblissement des centralités « actifs »...), à l'aide d'OAP sectorisées favorisant la urbaines au profit des périphéries. Pour l'un piétonisation et la restructuration des espaces pour comme pour l'autre sujet, les outils du PLU améliorer l'accès aux commerces. que sont les OAP, les zonages et les règlements doivent être « travaillés » pour faciliter la mixité fonctionnelle dans la ville, tout en donnant des vocations différenciées aux quartiers ou secteurs ; à titre d'exemple, la collectivité peut limiter la construction pour certaines activités, ou bien proposer une offre foncière en tissu urbain complémentaire à l'offre en zone d'activité pour diversifier et mieux répondre aux besoins, ou encore revitaliser les centralités. Une mise en cohérence entre les niveaux de planification 89 Proposée supra au § 2.4. Source : entretiens et recherches de la mission, complétée par la fiche méthodologique DGALN, Club PLUi : L'intégration des enjeux économique au sein du PLUi. Mutations économiques et développement des territoires Page 37/170 90 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ Une meilleure organisation du « dialogue » entre les différents niveaux de planification doit également être recherchée. En Allemagne, la théorie des « flux croisés » entre ces niveaux produit des résultats intéressants, cette notion permettant une prise en compte itérative des différents niveaux sans être bloquée par un modèle de conformité « descendant » (ni d'ailleurs « ascendant »). Cette approche suppose que les collectivités de différents niveaux soient à même d 'échanger leurs visions portant sur un seul et même territoire. En France la phase d'élaboration des schémas régionaux a buté sur la mise en oeuvre de ce principe 91 : dans un souci de respect des compétences traditionnelles, et de « non-tutelle » d'une collectivité sur une autre, beaucoup des exécutifs régionaux ont renoncé à une analyse territoriale fine leur permettant d'émettre des prescriptions cartographiées à l'échelle locale, se privant ainsi d'une part des possibilités que leur offrait la loi 92. Dans le cas de la région Occitanie, on a vu que le diagnostic régional, construit en parallèle de la démarche SRADDET, met en relief des situations très contrastées entre les territoires métropolitains et les autres. La Région a donc été conduite à appliquer un taux différencié des aides à l'innovation (édictées dans le SRDEII) suivant l'appartenance des territoires à telle ou telle catégorie. Pour d'autres régions, l'édiction de règles générales à portée normative 93 sur le foncier (imposant par exemple à chaque territoire de SCOT de réduire de moitié sa consommation foncière en Grand Est, PACA, Normandie) a suscité de fortes craintes quant à de possibles effets pervers : pas de prise en compte des efforts déjà réalisés par certains SCoT, besoins de développement contrastés selon les territoires... Ceci a pu provoquer des blocages au moment des consultations officielles préalables à l'adoption du schéma, avec le risque d'aboutir finalement à une perte de substance de la démarche de planification. On peut également recommander de s'inspirer de la théorie des « flux croisés » pour ce qui est des relations entre SCoT et PLU(i). Si elle est partagée, la construction d'une vision des territoires par le niveau supérieur conduira alors à des prescriptions plus ajustées du document de planification, ainsi qu'une meilleure cohérence entre celui-ci et les documents inférieurs. Recommandation 5. Ajuster les dispositions réglementaires définissant les SRADDET, après évaluation concertée de la première génération de ces schémas, afin de mieux y intégrer les enjeux économiques, et préciser la doctrine pour l'articulation de l'ensemble SRADDET, SCoT, revus dans un sens plus stratégique, et PLU(i), incités à porter une approche territoriale plus fine de l'économie. (MCTRCT). 91 L'article définissant le SRADDET (L4251-1 du CGCT) a ainsi prévu (alinea 8) que « les « règles générales peuvent varier entre les différentes grandes parties du territoire régional [...] », de même qu'il a prévu une « carte synthétique indicative » (illustrant les objectifs du schéma). Plusieurs SRADDET proposent toutefois un travail avec une analyse infra territoriale : PACA, avec deux logiques de territorialisation (géographique et catégorielle), Centre-Val de Loire avec la définition de coopérations spatialisées, et Normandie avec une territorialisation fine (système métropolitain, maillage des villes moyennes). En effet les SRADDET sont aussi porteurs de « règles » à valeur juridique et donc d'application stricte (et en l'absence de précision, indifférenciée sur le territoire régional) qui contraignent les SCoT ; alors que par ailleurs, les documents d'urbanisme, qui édictent des règles d'application, ne portent pas toujours la même ambition. 92 93 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 38/170 PUBLIÉ 2. Faciliter le recyclage des territoires et des espaces économiques dans le cadre de visions stratégiques 2.1. Renforcer la résilience des bassins industriels et des territoires fragilisés 2.1.1. La désindustrialisation et l'évolution de l'emploi industriel Entre désindustrialisation massive et rebond potentiel, le devenir des bassins industriels est une question majeure de requalification et de recyclage économique, d'autant qu'il s'agit souvent de territoires périphériques voire ruraux, pour lesquels les alternatives de développement ne sont pas évidentes. Depuis les années 1970, de profonds bouleversements de l'industrie et de son inscription territoriale La France a connu depuis la crise des années 1970 une remise en cause radicale de sa structure industrielle. Et comme pour la plupart des pays européens, à l'exception notable de l'Allemagne, le phénomène de désindustrialisation rapide et massive s'est poursuivi au cours des vingt dernières années94. La part de l'industrie manufacturière dans la valeur ajoutée est passée de 16,6 % en 1995 à 11,4 % en 2017 ; le poids de la France dans l'industrie européenne manufacturière est passé de 14 % à 10,4 % dans le même laps de temps 95. Le paysage économique a profondément évolué avec l'effondrement des régions industrielles du Nord et de l'Est, une rétractation significative de l'Île-de-France et une progression de certains secteurs situés à l'Ouest et au Sud. Au total, on observe une tendance à l'homogénéisation de la répartition de l'industrie sur le territoire national. Les pôles les plus innovants se concentrent autour des grandes métropoles. Les secteurs industriels situés à l'Ouest et au Sud se révèlent plus dynamiques et présentent une structure différente, avec des installations de plus petite taille et souvent plus technologiques. On peut identifier, à cette échelle, des « territoires industriels modèles » comme le pays de Vitré, Les Herbiers en Vendée, le pays d'Ambert en Auvergne96 . Aujourd'hui, un rebond potentiel mais un avenir incertain Peut-on parler aujourd'hui d'une stabilisation de l'évolution de l'industrie et de l'emploi industriel, voire d'un rebond ? Divers signaux semblent l'indiquer : le constat, selon les derniers chiffres connus (2017 et 2018), d'une progression des investissements étrangers en France, et un nombre d'ouverture de sites plus important que de fermetures (125 contre 100 en 2018, selon Trendeo). Il y aurait (selon la même source) une tendance à l'amélioration, des réussites y compris dans les anciennes régions industrielles (e-commerce à Roubaix avec le développement d'OVH), mais peu de dynamique globale (au total il y a moins de suppressions plutôt que davantage de créations). Ces tendances restent donc à confirmer, dans un contexte où les fermetures restent nombreuses, marqué à la fois par une fragilité de la compétitivité des entreprises et par une tardive prise de conscience de 94 Données Eurostat citées par CGET, L'industrie dans les territoires français, 2018. Pour l'ensemble de l'industrie (industries extractives, énergie, déchets, industries manufacturières), la part de valeur ajoutée est, en 2016, de 14,1 % et la part d'emplois de seulement 10,6 % du fait des gains de productivité du secteur. En valeur absolue, le secteur industriel représente un peu plus de 3 millions d'emplois, contre 6 millions dans les années 1970. Selon FNEP, La Fabrique de l'industrie, Cultivons notre industrie, 2019. 95 96 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 39/170 PUBLIÉ l'impératif de « sauver l'industrie », défi auquel s'affronte le plan d'action gouvernemental pour la croissance et la transformation des entreprises. Les facteurs explicatifs de la baisse de l'emploi industriel sont connus et perdurent en grande partie : faiblesse du tissu industriel intermédiaire, difficulté de coopération entre les entreprises au sein d'une même filière, concurrence salariale, positionnement défavorable de secteurs industriels privilégiés de la France comme l'automobile, trop lente adaptation des entreprises... Ainsi que le soulignent de nombreux experts, tel Louis Gallois, le succès de l'industrie allemande est a contrario le résultat d'un « amour collectif de l'industrie » alors que son image reste peu attractive en France 97. D'autres facteurs explicatifs de la baisse de l'emploi industriel ne sont pas des faiblesses, telles l'augmentation de la productivité ou l'externalisation vers le tertiaire productif de certaines activités comme la logistique, l'entretien des sites, l'informatique... Ceci interroge la capacité des catégories statistiques à fournir une image pertinente des évolutions en cours, avec une difficulté de plus en plus grande pour séparer les emplois de service et les emplois strictement industriels. Ces derniers se transforment en intégrant des compétences qui n'ont plus rien à voir avec celles des emplois de production d'autrefois. Une requalification difficile des bassins industriels Si l'intérêt de préserver l'emploi industriel est indéniable, parce qu'il est une base fondamentale de l'économie du pays et aussi qu'il peut s'avérer davantage ancré au territoire, les signaux faibles de réindustrialisation ou de relocalisation sont à considérer avec prudence. Un rebond durable des bassins industriels spécialisés qui ont A Romans-sur-Isère, l'industrie de la chaussure redémarre connu une crise industrielle profonde, tel le en douceur bassin minier des Hauts-de-France, s'avère Territoire historique de la confection de chaussures, extrêmement difficile. Ces territoires Romans a perdu ses capacités de production suite à la restent marqués par un chômage de masse, crise de 2008, les fabriques ayant été progressivement surtout de personnes peu qualifiées, et des fermées et la production déplacée à l'étranger. Le choix, indicateurs de pauvreté toujours supérieurs opéré par certains acteurs du territoire, de se à la moyenne nationale. Leur image est réapproprier cette fabrication, a conduit à une forme de atteinte durablement, ce qui constitue en relocalisation consistant à recréer des ateliers de soi un handicap pour leur redynamisation. confection de chaussures haut de gamme en faisant appel Des tentatives de relance de la production cette fois à un concept plus large, qui allie l'innovation et locale, tel le cas de Romans-sur-Isère, le savoir-faire industriel au design et à la conception. Le montrent que le nombre d'emplois recréés processus lancé autour du groupe Archer fait le pari de « l'économie sociale et solidaire » pour ce territoire qui est limité. Inversement, le développement reste pour le moment marqué par un taux de chômage à de bassins industriels dynamiques peut aussi être freiné par les difficultés de plus de 20 %. recrutement. Le club EcoFnau, qui regroupe les économistes du réseau des agences d'urbanisme, souligne l'importance de ce facteur limitant dans nombre de secteurs : main d'oeuvre insuffisante et pas assez attirée par l'industrie, inadaptation des emplois offerts en contenu et en niveau de rémunération... 2.1.2. La redécouverte des « territoires d'industrie » Depuis la Seconde guerre mondiale, l'État a été très présent dans l'accompagnement du développement de l'industrie française. Face aux bouleversements des années 1970, des commissariats à l'industrialisation et au développement économique ont été mis en place dans les territoires. Bien plus tard est venue l'époque de l'accompagnement des clusters et de la mise en place de pôles de compétitivité, c'est-à-dire de politiques moins volontaristes, et moins orientées par des objectifs d'aménagement du territoire que par l'appui à l'innovation technologique ou sociétale. De 97 Cf infra § 2.2. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 40/170 PUBLIÉ même, le programme d'investissement d'avenir (PIA) 98 a été lancé et mis en oeuvre sans lien avec des critères territoriaux, même si cette préoccupation est réapparue dans la période récente avec la création d'une enveloppe déconcentrée visant à ce que davantage de territoires puissent bénéficier des fonds dédiés à l'excellence et à l'innovation99. L'initiative « Territoires d'industrie » Fin 2018, le gouvernement a lancé le programme « Territoires d'industrie » pour soutenir les bassins industriels en développement ou susceptibles de rebond. 124 puis 141 territoires ont été identifiés, qui, ensemble, couvrent 30 % du pays et près de la moitié des emplois industriels. L'État se propose d'apporter son appui dans le cadre d'une contractualisation et d'une promesse de financements à hauteur de 1,4 Md. La démarche, qui se veut pragmatique, consiste à identifier les freins au développement et à apporter des solutions sous forme de « kit » dans quatre domaines principaux : le recrutement, l'innovation, l'attractivité, la simplification. Le CGET est associé à la DGE pour conduire ce programme ; il est mis en oeuvre dans les territoires désormais avec les Régions. L'initiative est intéressante pour la redécouverte de la dimension territoriale du sujet et l'importance reconnue aux acteurs locaux, publics et privés, ainsi qu'aux partenariats qu'ils développent. C'est une évolution importante du côté du ministère de l'économie, qui a le plus souvent privilégié une approche nationale, notamment pour la gestion des filières, et un dialogue avec les grands groupes. S'il est trop tôt pour tirer un premier bilan de la démarche, on peut toutefois relever quelques points d'attention, à partir des observations d'acteurs locaux rencontrés par la mission : · le manque d'inscription dans une démarche de projet de territoire 100, soit préexistante, soit à construire en prenant le temps nécessaire à l'établissement d'un diagnostic stratégique, afin d'assurer la cohérence de la démarche et l'implication efficace des acteurs locaux, · le besoin de coordination avec d'autres initiatives de l'État, notamment le programme « Action coeur de ville » et l'expérimentation lancée sur les contrats de transition écologique (CTE), alors que le rôle des aménités urbaines susceptibles d'être apportées par les villes moyennes est un élément déterminant d'attractivité, et que les enjeux de la transition écologique devraient être au coeur des transformations économiques sur les territoires, · l'écart entre l'annonce de l'État qui se présente en capacité de résoudre les difficultés ou les blocages et ses moyens effectifs pour y parvenir, même si des financements sont annoncés. Il subsiste à cet égard un besoin d'ingénierie de terrain pour bon nombre d'intercommunalités. Comme l'indiquait récemment Nicolas Portier, délégué de l'AdCF, « la question qui va se poser, c'est comment financer de véritables postes de chefs de projets ; pour animer un vrai tissu collaboratif, il faut des gens de terrain à l'année ». Une diversité de situations La diversité des situations des différents territoires doit également être prise en compte dans la démarche. La carte des « Territoires d'industrie » est intéressante en ce qu'elle permet une meilleure prise de conscience de l'étendue des périmètres concernés, de leur faible superposition avec les limites administratives, de l'importance des enjeux. Cette carte invite toutefois à une réflexion sur la diversité des cas et le besoin d'une typologie qui permettrait de déboucher sur des options stratégiques différentes : territoire en développement à mieux maîtriser, en rebond potentiel à faciliter, en reconversion à préparer, en résilience à renforcer dans le cadre d'un déclin inéluctable pouvant conduire à des options de « renaturation » de certains sites... 98 Porté aujourd'hui par le Secrétariat général à l'innovation (SGI). Cf infra § 3.4.3. Cf infra § 2.5. Mutations économiques et développement des territoires Page 41/170 99 100 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ Suggestion. Construire une typologie des « Territoires d'industrie » permettant d'envisager des options stratégiques différenciées selon les situations et les perspectives (développement, rebond, reconversion, renaturation...)(MCTRCT, MEF). Le CGET attire à juste titre l'attention sur les dimensions de capital social et d'héritage culturel des territoires industriels101. Sur ces aspects essentiels, un savoir-faire existe à l'échelle européenne pour penser un renouvellement urbain et territorial plus radical avec des exemples allant de Bilbao avec le renouveau opéré autour de l'implantation du musée Guggenheim à la Ruhr avec l'Internationale Bauausstellung102 (IBA) de l'Emscherpark et, peut-être demain au bassin minier avec Euralens103. 2.1.3. Une fragilisation possiblement accrue par la transition écologique Le devenir des territoires, notamment de ceux qui portent des activités industrielles, peut aussi être affecté par la transformation de lieux de production ou l'abandon de modèles anciens en lien avec la transition écologique. Une fragilisation des territoires mono-industriels La fragilisation peut être liée à cette transition et à divers facteurs cumulatifs. Elle existe souvent déjà et pourra être accentuée notamment quand il s'agit de territoires mono-industriels. Certaines situations sont évidentes : abandon des centrales à charbon, fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim et d'autres sites à l'avenir... D'autres nécessitent un travail d'identification et d'analyse. Il existe un risque de crise profonde pour certains territoires, comme dans l'exemple de Rodez cité par plusieurs interlocuteurs de la mission, territoire spécialisé sur la filière diesel du secteur automobile104. D'autres sites sont à reconvertir comme les Fonderies du Poitou dans la Vienne. Des enjeux d'anticipation Le « récit national » doit affirmer la solidarité avec les territoires fragiles, particulièrement ceux qui sont spécialisés sur une activité économique non compatible avec la transition écologique et qui doivent être reconvertis. Mais, comme le rappelle Jean-Pierre Aubert, la notion de mutation économique ne se limite pas aux périodes de difficultés ou de crises. Plus cette mutation est comprise et accompagnée, mieux les enjeux de cohésion sociale et territoriale peuvent être traités. Des reconversions subies ou mal préparées, la non prise en compte concomitante des dimensions sociales constituent des menaces à venir ; mais les mutations, à condition de savoir les anticiper et gérer leur complexité, peuvent constituer aussi des opportunités permettant de penser la transition écologique comme facteur d'innovation et comme moteur d'un nouveau développement équilibré et solidaire. Parmi les exemples positifs a été citée la plateforme d'écologie industrielle PIICTO de Fossur-Mer. La situation d'un territoire est souvent contrastée comme à Rouen, avec des aspects positifs pour le développement d'éco-activités (filière ENR), ou de la voiture autonome, et négatifs pour le secteur de la chimie grise (fertilisants) ou du nucléaire. L'objectif est de préparer la transition par une politique d'attractivité, suscitant l'arrivée de nouveaux investissements, avec des dispositifs de valorisation des compétences et de requalification de la main-d'oeuvre locale au service de la transition écologique sur les territoires sensibles. Cette identification des territoires fragiles, prise en compte dans le « projet de territoire France », 101 CGET, Regards croisés sur les territoires industriels, 2018. Exposition internationale d'architecture, démarche allemande de régénération d'un territoire ou d'un site. Cf supra § 1.3. Il s'agit en particulier du site de Bosch qui fabrique des bougies de préchauffage et des injecteurs de moteurs diesel. 15 000 emplois seraient menacés par la fin du diesel (sur les 800 000 de la filière automobile), selon la plateforme Automobile et mobilités. 102 103 104 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 42/170 PUBLIÉ permettra au cas par cas de développer un dispositif de soutien destiné à enrayer leur déclin potentiel et faciliter leur requalification105. Recommandation 6. Identifier les territoires fragiles, particulièrement dans le contexte de la transition écologique, du fait de l'arrêt ou la transformation de certaines activités, afin d'anticiper les actions d'accompagnement et l'activation des leviers possibles de reconversion économique, dans le cadre d'un dispositif interministériel inscrit dans une vision nationale (MTES, MCTRCT, MEF). 2.2. Engager la requalification des zones d'activité 2.2.1. Les enjeux fonciers, économiques et environnementaux des zones d'activité Le devenir des zones économiques constitue une question majeure, particulièrement au sein des territoires périurbains et intermédiaires. Une « prolifération » problématique La prolifération des ensembles commerciaux et des espaces d'activité est une caractéristique majeure des périphéries des métropoles et des villes de toutes tailles. Ce phénomène a été largement décrit pour ce qui concerne les zones commerciales 106, avec ses lourdes conséquences en termes de consommation foncière, d'organisation du territoire, de paysage et d'environnement. Hormis les aspects liés à la dévitalisation commerciale et résidentielle des centres urbains, les effets de la multiplication des zones économiques autres que commerciales sont en grande partie de même nature et de gravité comparable, alors que prend corps un principe de « zéro consommation d'espace naturel ou agricole » après des décennies de mitage et d'étalement urbain. Selon une étude récente107, si la consommation d'espace naturel et agricole a tendance à diminuer depuis 2008, elle reste globalement élevée (par exemple, de 23 000 ha pour l'année 2015), fortement variable selon les régions mais décorrélée des dynamiques démographiques et économiques. Selon le Cerema 108, les activités économiques non agricoles, y compris les zones commerciales 109, comptent pour 30 % des surfaces urbanisées ; leur dynamique de progression en termes de surfaces imperméabilisées entre 2006 et 2014 est plus forte que celle des secteurs résidentiels, et leur propension à se transformer en friches encore plus forte. La maîtrise des consommations foncières à des fins de développement économique constitue donc une question majeure, relevant en grande partie de la volonté politique. Le nombre de zones d'activité, difficile à estimer, est révélateur d'une forte fragmentation et d'une grande dispersion. Son ordre de grandeur se situe entre 17 000 et 32 000, selon une estimation du Cerema, alors que pour le Service de la donnée et des études statistiques (MTES/SDES), 12 000 à 18 000 communes disposeraient d'au moins une zone (données 2008). Il est vrai qu'il n'existe pas de définition légale de ces zones et que, pour les appréhender, on procède habituellement selon une méthode de « faisceau d'indices » : vocation économique du site, ensemble cohérent et significatif, pluralité d'établissements installés, volonté publique d'aménagement ou de développement... Ces 105 Il est possible de s'inspirer d'approches déjà testées comme le « Pacte Ardennes 2022 », cf. infra § 3.4.3. CGEDD, Inscrire les dynamiques du commerce dans la ville durable, mars 2017. Cerema, La consommation d'espaces et ses déterminants d'après les fchiers fonciers de la DGFiP. Analyse et état des lieux au 1er janvier 2016. Ministère de l'agriculture, Enquête Terruti-Lucas. On manque de données consolidées au niveau national sur la part spécifique des zones d'activité. Mutations économiques et développement des territoires Page 43/170 106 107 108 109 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ incertitudes reflètent une extrême diversité de situations en termes de nature d'activités, de dimension et de densité, de qualité architecturale, de situation de vacance et d'obsolescence. Une « prise en main » intercommunale en cours C'est avec l'appui de ce faisceau d'indices que s'est opéré le transfert des compétences relatives à la création et la gestion de ces zones aux métropoles et aux communautés, en application des dispositions de la loi NOTRe du 7 août 2015, laquelle en avait fixé l'échéance au 1 er janvier 2017. Sur le principe, ce transfert est total puisqu'il ne dépend plus de la détermination d'un « intérêt communautaire ». La mise en oeuvre ne va pas pour autant de soi : en effet, elle implique aussi des transferts de charge (coûts de gestion et d'entretien) dont la trace financière n'était pas toujours lisible jusqu'alors ; par ailleurs la détermination des zones à transférer reste sujette à interprétation ou à discussion entre intercommunalité et communes. Nombre d'entre elles souhaitent en effet conserver la maîtrise de « leurs » zones ; on constate en particulier que les zones artisanales restent fréquemment dans le giron des communes. À l'inverse, le transfert ne permet pas non plus de prendre en compte de façon satisfaisante les très grandes zones prévues pour l'accueil d'implantations internationales et souvent issues d'une gestion départementale. Cette prise en main par les intercommunalités est donc récente et les processus sont encore largement en cours. La nécessité d'un état des lieux foncier et économique La conscience qu'ont les élus des enjeux relatifs au devenir de ces zones est moindre que celle de leurs services et a fortiori des experts du sujet. Ce contexte « transitoire » fait apparaître la nécessité d'établir un état des lieux complet, avec un diagnostic de l'obsolescence réelle ou potentielle de chaque zone, en associant les acteurs concernés, particulièrement son gestionnaire et ses usagers. Si la connaissance foncière et patrimoniale des zones est plus aisée et de mieux en mieux assurée, il n'en va pas de même pour la connaissance économique (solidité des entreprises présentes, dynamique d'emplois, attractivité...). Les intercommunalités peuvent s'appuyer notamment sur les agences d'urbanisme, qui ont souvent investi le sujet et disposent de données et d'observatoires. D'ores-et-déjà, au vu de diverses enquêtes ou études de cas, quelques grands traits semblent se dessiner : les zones d'activités rassemblent de 20 à 40 % des emplois d'un territoire, le quart des zones110 serait « en difficulté », la vacance serait plus importante dans les petites zones que dans les grandes ; les situations sont variées, apparemment même paradoxales, avec la coexistence au sein d'un même bassin de zones dégradées ou partiellement vides et d'une pénurie d'offre foncière adaptée aux besoins actuels des entreprises ; en termes de recettes fiscales, le temps de retour des investissements publics réalisés dépasserait généralement 10 ans. Longtemps tenues en marge des réflexions stratégiques urbaines, ces zones restent donc à mieux intégrer au sein d'une vision d'ensemble transversale des différentes politiques publiques. Les nouveaux EPCI, appelés à jouer un rôle d'« autorité organisatrice » du développement économique comme c'est le cas pour l'habitat, doivent mieux anticiper les stratégies de localisation des ménages et de l'activité, en tenant compte du fait que l'immobilier d'activité et l'immobilier résidentiel n'ont pas les mêmes déterminants, mais aussi que les interactions se modifient (on constate par exemple que c'est de plus en plus l'emploi qui suit les ménages et leur choix de vie). 110 On parle essentiellement de ZAE « publiques », du fait de la définition utilisée ci-dessus. Les ZAE « privées », beaucoup moins nombreuses, se porteraient plutôt mieux. Il existe toutefois des cas difficiles, notamment en Îlede-France, de zones en multipropriété sans gestion commune satisfaisante. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 44/170 PUBLIÉ 2.2.2. L'enjeu spécifique des zones logistiques Une question spécifique concerne les zones et infrastructures logistiques, marquées de plus en plus par une logique de « gigantisme » et d'éloignement des centres urbains, qui ne facilite pas la bonne insertion, en termes de paysage et d'aménagement du territoire, de cette fonction pourtant indispensable au développement économique, au bon fonctionnement de l'agglomération et à la réussite de la transition. Un secteur économique qui génère des besoins spécifiques et prégnants sur les territoires Représentant 10 % du PIB et de l'emploi privé (1,8 millions d'emplois), la logistique est la 5 activité économique de France111.Avec la numérisation de l'activité, son caractère industriel est de plus en plus marqué. Les entrepôts récents sont aujourd'hui en grande partie automatisés. C 'est toutefois une industrie fortement consommatrice de foncier, marquée par des besoins spécifiques, et un rapport particulier au territoire ; elle peut représenter un vecteur de développement pour certaines régions, notamment celles traversées par des axes majeurs de transport de fret, comme la région Grand Est. De forts effets de concurrence se manifestent entre plateformes et opérateurs, et entre territoires ; d'où l'existence de nouveaux besoins fonciers dans certains secteurs, pendant que des plateformes ferment ailleurs, ceci étant particulièrement apparu à l'occasion de l'élaboration des SRADDET. Du fait de son impact territorial, et de ses enjeux vis-à-vis de la transition écologique, plusieurs Régions ont ainsi souhaité que la logistique soit explicitement traitée dans leur schéma. Gigantisme et risque d'éloignement L'implantation logistique se caractérise par un éloignement de plus en plus important aux franges des aires urbaines, afin de trouver des emprises foncières adéquates à la concentration et à l'augmentation de la taille des entrepôts. Les seules aires métropolitaines de Paris, Lille, Lyon, Marseille accueillent 60 % des surfaces, avec des exemples emblématiques de « gigantisme » reflétés dans les projets d'Amazon (120 000 m² prévus à Brétigny-sur-Orge) ou de Conforama (180 000 m² à Tournan-en-Brie). Il faut « aller de plus en plus loin » pour réaliser de nouvelles surfaces, comme à Toulouse, dont les zones sont déjà « remplies » jusqu'à 60 km du centre-ville. Sur les 10 dernières années, on disposait encore de zones « clés en mains », en 2018 on s'est donc mis à reconstruire « en blanc ». Les observatoires des agences d'urbanisme relèvent ainsi d'importants besoins de foncier pour les zones logistiques : le risque de pénurie est fort pour les régions métropolitaines, les façades méridionale et atlantique, alors que dans les régions de vieille industrie, la mobilisation de friches devrait mieux répondre aux besoins mais peine à se faire de façon suffisamment anticipée. L'enjeu pour les grandes aires urbaines est désormais de préserver et d'anticiper des capacités d'accueil et d'installation en s'adaptant aux besoins (géographiquement hiérarchisés) de l'organisation logistique : stockage primaire dévolu à des entrepôts extérieurs, à l'échelle d'une zone d'influence métropolitaine, plateformes de distribution plus compactes pour la préparation des commandes à situer en bordure des agglomérations, et espaces urbains dédiés à la distribution et à la livraison. À cette hiérarchie des fonctions correspondent des besoins fonciers ajustés, qui dépendent aussi de l'organisation du système de transport, et de la connexion à rechercher en priorité avec les moyens de transport massifiés que sont le rail et la voie fluviale. Anticipation, planification et volonté politique Une meilleure prise en compte de la logistique dans les documents de planification permettrait d'anticiper les décisions d'implantation et d'optimiser les choix, notamment en limitant l'éloignement du tissu urbain et les flux supplémentaires afférents ainsi que la consommation de 111 Selon les données reprises dans la « Stratégie France Logistique 2025 », document porté par l'association française de l'immobilier logistique (Afilog) rencontrée par la mission. Mutations économiques et développement des territoires Page 45/170 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ grands espaces vierges. Les activités logistiques ne sont pas toujours en soi sources de nuisances importantes ; concevoir des aménagements plus compacts, pas nécessairement plus onéreux en investissement ou en fonctionnement. Le retour sur investissement pour les collectivités d'une logistique bien organisée, qui conduise à limiter in fine les déplacements routiers, justifie que de telles opérations soient facilitées. Si d'anciens secteurs logistiques devenus inadaptés doivent trouver d'autres usages, les nouveaux besoins ne justifient pas tous la création de vastes zones ex nihilo. Une approche mieux maîtrisée est indispensable et possible, à condition de hiérarchiser les besoins et d'établir de nouveaux modes de faire entre les acteurs économiques, les collectivités territoriales et l'État. En cohérence avec les réflexions portées par la mission sur la stratégie logistique en France 112, cette politique a besoin d'un portage national incarné par des délégués interministériels nommés sur chaque grand axe logistique et agissant en lien étroit avec la profession (à l'exemple de pays disposant d' « ambassadeurs » comme l'Allemagne, la Belgique ou les Pays-Bas). Suggestion. Énoncer des orientations nationales en matière de logistique, encourager les démarches anticipatrices rendues possibles avec l'appui des documents de planification, particulièrement les SRADDET, et faciliter la mise en oeuvre de dispositions permettant une approche intégrée, comme l'implantation de plateformes compactes au sein des villes et territoires bien reliées aux modes de transport alternatifs à la route (MEF, MT, MCTRCT). 2.2.3. La mise en oeuvre d'options différenciées selon les zones Après le transfert et l'intégration des zones d'activité économique dans la gestion communautaire, l'établissement d'un diagnostic économique et foncier portant sur l'ensemble des espaces concernés doit permettre aux intercommunalités de définir une vision stratégique et prospective 113. Une vision stratégique à la bonne échelle du devenir des zones d'activité L'objectif est de définir une stratégie adaptée aux besoins du territoire, en distinguant plusieurs échelles de temps : assurer des disponibilités foncières opérationnelles à court terme et disposer de réserves mobilisables à moyen ou long terme, en évitant l'excès d'offre ou d'ouverture de nouvelles zones et en visant la « consommation zéro » de foncier vierge. Optimiser le recyclage de l'existant permettra de lever le paradoxe entre pénurie d'offre et montée de l'obsolescence 114. Il convient de jouer sur les complémentarités en déterminant le plus possible des vocations différenciées des zones selon leur situation, leur caractéristique (taille, qualité, type d'aménagement...), leur potentiel, le marché, etc. Plusieurs acteurs du développement économique consultés soulignent aussi la nécessité de distinguer des zones d'intérêt national, régional ou intercommunal selon des vocations et des tailles différentes (la disparition d'une échelle départementale pouvant être, sur ce sujet, regrettable). Il est vrai que les grandes entreprises dialoguent davantage avec l'État, les ETI avec les Régions, les PME/TPE et les startups avec le niveau plus local... Sous réserve du traitement de la question des grandes zones, relevant du niveau régional, c'est l'échelle métropolitaine ou intercommunale qui est pertinente pour permettre un recalibrage de 112 Mission sur la stratégie logistique en France confiée à Eric Hémar et Patrick Daher, avec l'appui de l'IGF et du CGEDD, Pour une chaîne logistique plus compétitive au service des entreprises et du développement durable, présentation du rapport au premier ministre prévue en septembre 2019. On peut à cet effet s'inspirer de la démarche des « schémas territoriaux de ZAE » développés autour des années 1990 dans certaines collectivités, mais dont la plupart de ceux qui existent ne sont aujourd'hui plus à jour. D'après une enquête AdCF-Cerema de 2017, 9 % seulement des intercommunalités estiment leur parc surdimensionné alors que 41 % pensent qu'il est insuffisant. 113 114 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 46/170 PUBLIÉ l'offre en fonction des besoins actuels ou potentiels et une démarche de rationalisation qui était difficile à mener au seul niveau communal. Des options diversifiées relevant de modèles économiques différents Selon les zones, il peut être envisagé plusieurs types d'options, par niveau croissant d'intervention : · des mesures de gestion et d'adaptation, pour des zones bien situées à l'égard du marché et dont la vocation peut être maintenue, avec des choix à faire, par exemple entre l'idée de développer des services à proximité des lieux d'activité (restaurant d'entreprise, espaces de services et de loisir...) et celle de ne pas disperser les aménités urbaines dans les périphéries ; · des perspectives de requalification et de transformation, soit sous forme d'évolution vers une plus forte spécialisation (de type cluster ciblé) soit, plus souvent, en consolidant une vocation généraliste, le cas échéant multifonctionnelle, et en recherchant une complémentarité d'activités permettant une logique d'écologie industrielle115 ; · des choix de reconversion plus radicale, notamment pour les cas rédhibitoires de zones « hors marché » : entrer dans une logique de programmation urbaine (des activités restant présentes au sein d'un tissu urbain mixte), ou bien envisager un secteur logistique, ou d'autres activités productives de type écologie industrielle et territoriale (l'Ademe fait de cette voie un axe de travail et d'expérimentation pour assurer le devenir de certaines ZAE et pour consolider le lien entre les entreprises et leurs territoires) ; ou encore envisager une « renaturation » ou un retour à un usage agricole, une réversibilité dont il serait utile de montrer la faisabilité à partir de quelques cas exemplaires. Dans la métropole de Toulouse, la requalification de la zone Dans cette typologie sommaire, chaque cas appelle un modèle d'intervention d'activité de Garossos différent. En zone tendue, il sera Développée en 1984 sur 30 ha selon le modèle davantage possible d'envisager un traditionnel dit de « boîtes à chaussures », cette zone peu investissement public ou privé qui pourra éloignée de l'aéroport et du secteur aéronautique est être assez rapidement amorti. Ainsi en estsurtout située à proximité du nouveau parc d'expositions il de l'exemple de la zone de Garossos et centre de congrès de la métropole qui ouvrira ses portes située à Toulouse dans un secteur qui en 2020. Le projet de requalification de la zone a été intégré dès l'origine à cette immense opération, dans le redevient particulièrement attractif... cadre d'une concession d'aménagement couvrant D'autres cas ont été identifiés (Chambéry, l'ensemble, avec une ZAC comportant une partie nouvelle Mauges, vallée de Clisson en Loire (le secteur Parvis) et la zone à transformer (le secteur atlantique...) mais les réalisations ou les Garossos). La reprise des voiries et espaces publics va être projets opérationnels semblent encore réalisée par l'aménageur. Le PLUih comporte pour la zone relativement peu nombreux. La démarche une orientation d'aménagement et de programmation n'est pas aisée, même en Île-de-France, (OAP) sans règlement, facilitant une négociation lorsqu'il s'agit de zones de grande taille appropriée « à la parcelle », avec l'octroi de droits à insuffisamment entretenues (La construire aux occupants pour inciter à sa densification et Courneuve, Le Bourget, Le Blanc-Mesnil, sa requalification. Il s'agit de conforter la vocation de la voire Courtabeuf, l'une des plus vastes ZA zone sur des activités de sous-traitance, de restructurer de France, qui devrait pourtant bénéficier ses commerces et de changer l'image d'ensemble. de la proximité du pôle Paris Saclay...) : la requalification est à envisager sur une durée longue, avec un portage foncier impliquant l'intervention d'un opérateur tel que l'Établissement public foncier d'Île-de-France (Epfif). Les projets sont encore plus rares dans le cas de secteurs peu attractifs, surtout lorsqu'ils sont pourvus d'une offre foncière abondante. 115 Cf annexe 4.3. sur la question de la spécialisation. Mutations économiques et développement des territoires Page 47/170 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ Une initiative publique et une posture de réinvestissement visant la performance des sites économiques La création d'une zone d'activité relève en général de l'initiative publique d'une collectivité qui a procédé à l'aménagement du foncier puis vendu les parcelles (avec des prix de cession pouvant être bas, afin d'attirer les entreprises, et le plus souvent ne permettant pas d'équilibrer les coûts d'aménagement). Lorsque le zone se dégrade, la collectivité peut agir en remettant en état les voiries, mais n'a pas la maîtrise foncière lui permettant une intervention plus complexe (par exemple en vue d'une reconfiguration plus conforme à une utilisation économe de l'espace). De plus, elle intervient souvent trop tard en regard du processus de déqualification en cours ; et peut même renoncer du fait d'une vacance paraissant rédhibitoire, de coûts élevés assortis de contraintes budgétaires conduisant les élus locaux à privilégier d'autres priorités. Assurer le devenir d'une zone en difficulté implique aujourd'hui une initiative publique selon une position de réinvestissement avisé et durable, en lien particulièrement avec les enjeux de l'économie circulaire et de l'écologie industrielle : choix d'une option stratégique après concertation avec les propriétaires fonciers et les utilisateurs de la zone, recherche de possibilités de remembrement, de réaménagement et de densification, permettant à la fois de développer un tissu plus compact ou plus diversifié et de dégager des ressources pour financer la requalification, et enfin mise en oeuvre d'une démarche « séquencée » pilotée par les pouvoirs publics, ce qui est difficile à réaliser, mais utile pour s'ajuster au marché en évitant des investissements prématurés. De nouvelles approches économiques sont à développer selon lesquelles la collectivité va raisonner en termes de retour sur investissement, pas seulement par cession de foncier mais aussi par location, concession sur un site, ou encore par d'autres formules intermédiaires, et en intégrant l'ensemble des coûts et des recettes générés y compris en termes de retour fiscal. Conserver la propriété (ou la nue-propriété) du foncier pourrait toutefois être davantage cohérent avec une approche économique et patrimoniale de la collectivité. La mise en oeuvre de ces nouveaux modèles repose sur une panoplie d'outils d'intervention publics ou publics-privés (bail emphytéotique, bail à construction...) et nécessitera le plus souvent de mobiliser une ingénierie opérationnelle (EPL, SEM, EPF...). De telles pratiques ont été envisagées et étudiées mais restent encore très peu nombreuses à se développer opérationnellement en France. Les enjeux sont énormes, en nombre de zones effectivement concernées, en surface foncière concernée et en ampleur des réinvestissements potentiels ; les élus intercommunaux sont en train de prendre la mesure de ce sujet trop souvent mal anticipé 116. C'est un champ d'action à faire émerger, pour lequel une politique nationale incitative s'avère nécessaire, comme pour ce qui est de la restructuration des zones commerciales situées dans les mêmes périphéries urbaines. Des ateliers d'échange de bonnes pratiques et de capitalisations d'expériences devraient être à cet effet initiés par l'État, notamment à travers un « atelier des territoires » porté par la DGALN, en s'appuyant sur l'expertise du Cerema et sur l'initiative lancée par le CNER de création d'une plateforme d'échange. Recommandation 7. Mettre en place un dispositif d'appui méthodologique, en commençant par un « atelier des territoires » de la DGALN, pour inciter les intercommunalités à mener un diagnostic stratégique de leurs zones d'activités, particulièrement de celles menacées d'obsolescence, et à engager une politique de requalification des espaces économiques durables en testant de nouveaux modèles (MCTRCT). 116 Plus du tiers des intercommunalités ont inscrit cet enjeu à leur programme de mandat selon AdCF- Cerema Enquête auprès des intercommunalités, 2017. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 48/170 PUBLIÉ 2.3. Accompagner le recyclage de l'immobilier économique 2.3.1. Les tendances de l'immobilier neuf La transformation du travail est une mutation capitale 117 qui interroge la conception et le fonctionnement des villes et territoires. La relation au lieu de travail est particulièrement concernée. L'évolution des lieux de travail Quelle que soit leur taille (du CAC 40 aux TPE ou aux startups), les entreprises ont des préoccupations similaires vis-à-vis de leur immobilier : développer des usages, une flexibilité et des possibilités de réaménagement liés aux différents modes de travail, afin de répondre aux besoins de leurs collaborateurs, être attentifs à leur bien-être (services de restauration, conciergerie, sports, covoiturage...), tout en optimisant la performance (connectivité, digital, rationalisation des espaces). Il s'agit de disposer d'espaces ouverts et flexibles et d'espaces délocalisés pour le télétravail (lieux de co-travail proches des domiciles des salariés), encore que le besoin des grandes entreprises ne porte pas prioritairement sur des lieux partagés avec d'autres entités, mais plutôt sur des espaces délocalisés restant éventuellement propres à l'entreprise, complétés par des solutions ponctuelles répondant au nomadisme de certains cadres. Sans développer de façon détaillée la description de l'évolution de l'aménagement des espaces de travail, on soulignera que si l'évolution vers des espaces ouverts (open office) et, plus récemment, vers des espaces non attribués (flex office) a semblé une tendance de fond, celle-ci s'est atténuée dans les années récentes. L'adaptation diffère selon les âges : les jeunes sont plus habitués à des bureaux « déstructurés » et à être nomades avec leur portable et leur smartphone ; les plus anciens et ceux qui ont beaucoup d'échanges avec l'extérieur ou besoin de se concentrer peuvent avoir davantage de mal à s'y habituer. Miser sur les seules attentes des jeunes, elles-mêmes sujettes à de possibles évolutions rapides, présente des risques. À côté d'approches radicales menées par certaines grandes entreprises, telles que Sanofi pour l'aménagement de son nouveau siège social, on observe que ce sont des options intermédiaires combinant divers types d'espaces qui sont préférentiellement choisies aujourd'hui. Le développement de nouveaux lieux fait l'objet de nombreuses expériences intéressantes : ainsi des tentatives abouties comme celles de La Poste et de la SNCF de valorisation d'un gros potentiel immobilier ; mais d'autres opérations sont jugées relevant davantage d'un « effet de mode », ou d'une recherche de vitrine... De grands opérateurs, tels Wework, s'engagent pourtant résolument dans les métropoles avec l'intention d'« assécher » rapidement le marché de ce type de nouveaux espaces. Le co-travail représente aujourd'hui environ 1,2 % des surfaces, proportion pouvant atteindre à l'avenir jusqu'à 10 %, au dire partagé des experts ; il resterait donc 90 % de bureaux « ordinaires », ceux-ci pouvant toutefois faire l'objet d'aménagements adaptés. Icade souligne l'existence d'un marché de bureaux neufs high tech au plus haut niveau de sophistication, pour des grandes entreprises qui veulent cultiver leur image avec, à côté, un marché pour une offre alternative, plus abordable, développant un mix d'immeubles classiques réhabilités complétés par 10 % d'espaces de co-travail. Le phénomène des tiers-lieux Les tiers-lieux constituent aussi une tentative intéressante de rassembler plusieurs fonctions dans un même espace : cotravail, fab lab, pépinières, voire certains services publics... Accueillant 10 % des télétravailleurs et des start-ups, ils peuvent être considérés comme des « petits projets de territoire » et des écosystèmes porteurs d'avenir. Il s'y développe dans certains cas des démarches d'économie circulaire. Patrick Lévy-Waitz, pilote en 2018 d'une mission ministérielle sur les tiers-lieux118, en a dénombré près de 1 500 existants et près de 400 en gestation. Il considère que 117 Cf supra § 1.2. Rapport Lévy-Waitz, remis en 2018 au secrétaire d'État auprès du Ministre de la cohésion des territoires. Mutations économiques et développement des territoires Page 49/170 118 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ « pour la première fois, avec ce mouvement qui part des citoyens et témoigne d'une transformation majeure de notre rapport au travail et des modes d'apprentissage, nous avons une vraie réponse au désenclavement des territoires ». L'enjeu est de trouver un modèle économique adapté hors métropole, notamment dans de petits pôles urbains ou des centres de villes moyennes, pour lesquels les tiers lieux sont un des moyens de requalification. C'est l'objet du plan gouvernemental annoncé en septembre 2018, doté de 110 M d'ici à 2021 pour aider à créer ou consolider 300 « fabriques de territoires » en priorité dans les quartiers populaires et les zones rurales. L'accompagnement et la professionnalisation des animateurs de ces lieux est un élément essentiel de la mise en oeuvre de ce plan. La « Cité fertile » à Pantin (Seine Saint-Denis), un projet créé sur une friche industrielle de la SNCF, a lancé en ce sens une école des animateurs de tiers-lieux119. Suggestion. Encourager en priorité, dans le cadre du plan gouvernemental engagé, la mise en place de tiers-lieux dans les villes petites et moyennes, et faire en sorte qu'ils soient les ferments d'un nouveau modèle de développement urbain et territorial, évolutif et participatif (MCTRCT). L'Adi (association des directeurs immobiliers) résume les enjeux pour l'entreprise : s'adapter à une hybridation du travail liée aux quatre tendances de fond que sont l'économie sociale et solidaire, l'économie circulaire, l'économie de la fonctionnalité, l'économie collaborative. De nouveaux lieux sont nécessaires pour permettre ou faciliter l'innovation collaborative ou les « pratiques apprenantes », préfigurant ce que ICADE nomme « Immobilier 3.0 ». Si le tertiaire n'est pas le seul visé par ce mouvement, il est particulièrement concerné par l'évolution vers une approche plus économe et plus souple des quartiers d'affaires (cf. projet La Part Dieu à Lyon). On soulignera enfin une tendance importante en termes d'impacts territoriaux : une déconnexion entre le siège de l'entreprise, les lieux de production, les lieux d'innovation, les lieux de démonstration et de commercialisation120. 2.3.2. Immobilier de bureau et immobilier d'entreprise La mutation rapide des besoins de l'immobilier de bureau ou tertiaire rend obsolète une part importante de l'immobilier existant, trop mal situé par rapport aux pôles urbains, insuffisamment desservi et n'ayant pas anticipé sa modernisation. Dès lors, on observe une évolution différenciée entre l'immobilier de bureau, avec des risques de déqualification et d'accroissement d'une vacance structurelle de locaux tertiaires anciens, et l'immobilier d'entreprise, avec un retour progressif d'activités productives sans nuisances dans le tissu urbain dont elles avaient été écartées. Ce retour est encouragé par certaines collectivités territoriales, avec des mesures pour ménager la place de la petite industrie et des activités artisanales dans la ville, condition d'un meilleur « métabolisme urbain ». Lorsque les élus locaux relayent les milieux économiques qui alertent sur une pénurie de foncier « économique », notamment dans les grandes villes et les métropoles (selon France urbaine, Nantes ne disposerait plus que de 30 ha, Lille de 50 ha de foncier économique libre...), il s'agit de fait des difficultés à satisfaire de nouveaux besoins fonciers et immobiliers liés à l'économie productive. La conception du développement économique métropolitain est ainsi en évolution, avec l'abandon de la tertiairisation intense et la redécouverte de l'économie productive. Les enjeux de requalification de l'immobilier de bureau y sont présents et demandent à être traités, sous peine d'aggravation d'une vacance structurelle déjà forte. On observe une prise de conscience d'une certaine forme de « confiscation » de l'immobilier aux dépens d'usages liés à l'économie productive, qui a été longtemps un impensé des stratégies urbaines, du développement et des opérations d'aménagement. 119 Voir également supra § 3.2 l'urbanisme transitoire. Adi, Repenser les lieux de travail, Éditions du Moniteur, novembre 2017. 120 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 50/170 PUBLIÉ 2.3.3. Une approche globale foncière et immobilière Ainsi que le confirment les travaux récents du Cerema, on constate un enjeu à la fois foncier et immobilier qui dépasse les périmètres de ZAE. Le jeu subtil de desserrement des activités productives vers l'extérieur des métropoles et des grandes villes semble peu à peu contrecarré par une attention de plus en plus forte au concept de « ville productive ». Les métropoles et les intercommunalités dont la vision économique est la plus avancée connaissent une évolution de leurs stratégies d'une approche de type offre foncière vers une approche de type produits immobiliers. On se dirige donc vers une démarche globale immobilière et foncière, intégrant ce qui se passe à l'intérieur comme à l'extérieur des ZAE, avec des requalifications ou des reconversio ns selon des vocations différenciées, en fonction de la nature, du contexte et des caractéristiques de chaque territoire ou secteur. Ceci appelle le besoin d'élaborer et de formaliser des schémas de restructuration des ZAE dans le cadre de stratégies foncières et immobilières plus globales. Suggestion. Inciter les intercommunalités à évaluer les mutations de l'immobilier d'activité afin qu'elles puissent anticiper les enjeux de son recyclage et mettre en place, dans le cadre de leur stratégie économique, une programmation urbaine, foncière et immobilière pour le devenir des zones et lieux concernés (MCTRCT). 2.4. Activer la reconversion des friches polluées La reconversion des sites pollués est un enjeu majeur de la transition énergétique et écologique : non seulement elle permet d'améliorer la qualité du cadre de vie et de la santé publique, mais elle contribue aussi à la diminution de l'étalement urbain, par optimisation de l'usage du foncier, en particulier lorsqu'il s'agit d'une friche urbaine ou proche d'une ville. Cette reconversion reste difficile121, pour des raisons d'optimisation technico-économique du projet, de prise en charge des coûts de dépollution et du fait de contradictions potentielles entre les objectifs de requalification et ceux de protection de la biodiversité. 2.4.1. Des enjeux à mieux appréhender La désindustrialisation des dernières décennies a conduit à l'émergence de nombreuses friches industrielles, dont un grand nombre sont polluées 122. Leur reconversion est attendue, voire financée par les collectivités territoriales concernées. Elle est particulièrement souhaitable dans les secteurs urbains subissant une certaine pression foncière, afin d'éviter l'artificialisation des terres naturelles ou agricoles. En toute logique, c'est dans ces situations que l'on trouvera des modèles économiques assurant la faisabilité de l'opération, la difficulté étant plus grande dans les secteurs non attractifs, du fait d'une valorisation foncière moindre, voire nulle ou négative. On observe par ailleurs que les industriels sont de moins en moins attentistes, comprenant qu'ils ont intérêt à traiter et transmettre ces fonciers, ne serait-ce que pour des raisons d'image. C'est notamment le cas de Rio Tinto, groupe anglo-australien repreneur de l'entreprise française Péchiney, ou bien d'Engie, qui active depuis 2015 sa politique de vente des anciennes installations de Gaz de France (400 usines à gaz situées le plus souvent en milieu urbain, avec un objectif de vente de 50 par an). Cette évolution n'est pas encore générale, mais elle est encouragée par de nouvelles procédures plus incitatives, notamment en permettant le transfert des obligations de dépollution à un tiers, ce qui ouvre la possibilité d'une activation du recyclage, de la constitution d'un « marché ». 121 Ce qui a conduit le MTES à mettre en place récemment un groupe de travail pour identifier les freins à la réhabilitation des friches, sujet auquel les développements qui suivent apportent une contribution. Ces friches sont en grande partie privées, sachant qu'il existe aussi d'importants tènements fonciers publics (notamment d'origine militaire) encore pollués, non étudiés ici spécifiquement. Mutations économiques et développement des territoires Page 51/170 122 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ Pour appréhender l'enjeu considérable du devenir des friches, il convient d'en consolider un état des lieux (connaissance, potentiel d'utilisation, diagnostic des difficultés à surmonter...) à l'échelle de chaque territoire (région, métropole ou intercommunalité). C'est l'objectif du Laboratoire des initiatives foncières et territoriales innovantes (Lifti), un « think tank » regroupant des experts du foncier, qui entend soutenir « la mise en place d'un centre de ressources sur le recyclage des friches, quelle qu'en soit la nature et pour tous types de nouveaux usages, en aidant les acteurs tant publics que privés à développer leur savoir-faire en la matière et lever leurs appréhensions ». Le Lifti vient de mener une campagne « d'inventaire des inventaires » recensant les outils d'identification des friches, de leurs caractéristiques et de leur potentiel d'utilisation. Il ne s'agit pas que de friches industrielles, ni uniquement de friches polluées. Le nombre d'inventaires recensés varie de neuf pour le Grand Est à zéro pour l'Île-de-France ! Les inventaires sont très divers en termes de niveau d'étude (régional, départemental, local) et de types de périmètres couverts, de méthodologie et de degré d'approfondissement, de lien avec la planification territoriale... La synthèse nationale123 met en évidence un besoin de définitions communes (ne serait-ce que pour la notion de friche), de généralisation à l'ensemble du territoire et de mise en oeuvre de dispositifs de mise à jour de ces inventaires, permettant d'en faire de véritables observatoires pré-opérationnels. Ce panorama devrait déboucher sur l'établissement d'un référentiel des inventaires ou d'un guide méthodologique qui contribuera à une connaissance plus complète et rigoureuse du « vivier » des friches, en vue de faciliter leur recyclage. La constitution de ce dispositif d'observation devrait pouvoir s'articuler avec les systèmes d'information existants sur le plan national et spécifiques aux sites pollués ou susceptibles de l'être. Il s'agit des bases de données SIS, Basol et Basias 124, en cours d'unification sous l'égide de la DGPR125. On disposera alors d'une vision plus globale des sites et de leurs capacités d'évolution : accueil de nouvelles activités industrielles, requalification pour des usages urbains, retour à la nature (vocation qui serait, selon certains experts, celle de plus de la moitié des sites pollués de France). Le cas de Rouen, observé par la mission 126, illustre clairement la nécessité de dresser un état des lieux complet, permettant d'appréhender le vivier de friches et les perspectives de mise sur le marché à différentes échéances, puis de confronter ces éléments avec une appréciation (souvent difficile) de la demande. Sur le territoire de la métropole de Rouen, selon une étude menée sous l'égide de la préfecture, il y aurait un besoin moyen annuel à satisfaire de 30 000 m² de surface d'entrepôts et de locaux industriels, du fait d'une demande soutenue et orientée davantage vers la création d'entreprises de taille significative. Il faut ensuite croiser cette analyse avec l'orientation prise par la Métropole et soutenue par l'État de limiter de plus en plus strictement la consommation de nouveaux espaces agricoles ou naturels : le SCoT fixe pour la période 2015-2033 un maximum de 380 ha en extension urbaine pour un besoin potentiel de 960 ha pour l'ensemble des activités économiques. On voit que s'esquisse ainsi une stratégie foncière permettant de cadrer le sujet à l'échelle d'un grand territoire (même si on peut se demander si la limitation de consommation foncière inscrite au SCoT est suffisante) 127. L'exercice nécessite un partenariat étroit entre les pouvoirs publics, les acteurs économiques et l'expertise qui peut être apportée par l'EPF Normandie. 123 Lifti, Synthèse de Centrale Lille Projets, Inventaire des inventaires de friches, novembre 2018. SIS (« secteurs d'information sur les sols », répertoriant les terrains pollués qui justifient des études et des mesures de gestion), Basol (base de données sur les sites et sols pollués ou potentiellement pollués appelant une action préventive ou curative des pouvoirs publics), Basias (inventaire historique de sites industriels et activités). Direction générale de la prévention des risques (MTES). Cf compte-rendu complet en annexe 5. Ceci rejoint les préconisations concernant le devenir des zones d'activités, cf supra § 2.1. 124 125 126 127 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 52/170 PUBLIÉ 2.4.2. Des méthodologies d'intervention technique et financière à consolider Des dispositifs réglementaires et financiers à rendre plus incitatifs Les règles techniques de dépollution classiques sont aujourd'hui connues et assez bien maîtrisées. La méthodologie de traitement des sols pollués de 2007 a été actualisée en 2017. La doctrine d'interprétation sur la qualification de « déchet » a été précisée récemment suite aux préconisations du CGEDD128 : un produit n'est pas un déchet dès lors qu'il reste dans l'opération d'aménagement. En revanche le coût de la dépollution et la maîtrise des risques ultérieurs, qui dépendent de la nature du projet, compromettent souvent l'équilibre de l'opération de requalification, en fonction du marché immobilier et surtout de l'offre foncière existante sur terrains naturels ou agricoles, souvent plus facile et moins onéreuse à mobiliser. Ceci confirme que le premier moyen d'activer le recyclage des friches polluées est le renforcement des contraintes définies par les documents de planification pour maîtriser l'étalement urbain : en général, il n'est pas suffisant de « diminuer » les zones d'extension urbaines lors des révisions de SCoT et de PLUi, tellement elles ont été généreusement calibrées... La question de la faisabilité renvoie aussi en amont à la responsabilité de l'exploitant : comment rendre effective l'obligation de l'exploitant de dépolluer (pour un même usage) après la cessation de son activité ? les règles de provisionnement sont-elles suffisantes 129 ? qui doit payer quoi dans la chaîne de valeur de la reconversion d'un tel site ? Pour faciliter la faisabilité des opérations, il existe des aides publiques gérées par l'Ademe, mais celles-ci ne concernent que le traitement des sites « orphelins » (enveloppe La Métropole de Rouen s'attaque aux friches polluées annuelle de 20 M) et l'appui à La réhabilitation des friches industrielles est un sujet majeur et l'innovation (4 M). Il serait complexe pour cette métropole (et pour l'ensemble de la vallée de la utile de faire un point sur ce Seine), d'un point de vue à la fois économique et environnemental. La dispositif afin d'en ajuster, si mission, sollicitée pour examiner cet exemple, a constaté, outre la nécessaire, les règles d'emploi nécessité d'approfondir la connaissance de la situation (besoins et (cas de situations limites) et, potentiels fonciers à court et moyen termes), celle de renforcer la plus largement, de réfléchir à gouvernance et de surmonter les aspects réglementaires et financiers. des modes d'incitation d'activer les Sur le plan de la gouvernance, une forte implication coordonnée des permettant acteurs permet d'avancer sur les projets en cours, mais l'ampleur du requalifications. défi nécessite de renforcer le pilotage politique du sujet avec l'établissement d'une stratégie foncière globale et l'appui opérationnel La mise en place d'une fiscalité écologique, par une taxation de l'EPF, qui semble moins mobilisé et sollicité que par le passé. Sur le plan réglementaire, les questions soulevées relatives à dissuasive de consommation l'application des textes environnementaux ont été jusqu'ici réglées de foncier vierge, alimentant grâce à une mobilisation coordonnée des services de l'État. La DREAL un fonds d'aide pour financer reste attendue dans la poursuite d'un rôle de facilitation, selon une les surcoûts de réutilisation de démarche d'objectifs. L'importance du travail en mode projet est sites pollués, constitue l'option confirmée, ainsi que la persistance de sujets délicats comme celui de la majeure, restant à faire aboutir. compensation environnementale. Cela n'empêche pas d'explorer L'équilibre financier des opérations reste difficile à trouver sans aide d'autres voies. publique. De nouveaux opérateurs privés apparaissent, comme Valgo qui s'est engagé dans le traitement et le recyclage du site de Pétroplus. Un levier intéressant est celui des Ce n'est qu'à l'issue de la réalisation du projet d'aménagement qu'il sera de la mutualisation risques : connaissance de la possible d'apprécier complètement la faisabilité du modèle. Le vaste site de Seine-Sud fait quant à lui l'objet depuis plus de 10 ans de projets pollution existante, coût final à l'étude qui, pour avancer, ont besoin de vision globale, d'études des travaux de dépollution, multicritères et de coordination entre les acteurs. délais de mise en oeuvre du projet et de commercialisation 128 Pratiques des EPF sur les sites industriels pollués P. Grand et J. Peyrat CGEDD, 2017. Par exemple dans le cas de nouveaux types d'installations comme les data center. Mutations économiques et développement des territoires Page 53/170 129 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ du foncier produit... Elle peut notamment être obtenue en confiant un ensemble de sites à un opérateur spécialisé. Tel est le positionnement d'acteurs comme Brownfields, qui se développe sur ce marché en tant que fonds d'investissement, avec un modèle économique qui semble cependant exclure les sites trop fortement pollués ou de faible valorisation potentielle. Un point d'attention est de veiller à ce que ces mutualisations ne se fassent pas aux dépens du traitement des sites enclavés ou sans perspective d'utilisation. Une autre posture est celle de Valgo, dont la mission a visité l'opération de recyclage du site Pétroplus à Rouen. Cette entreprise de déconstruction et de dépollution a étendu ses compétences à l'aménagement et la commercialisation, afin de traiter un site à valeur emblématique pour elle. La faisabilité du modèle est liée à la maîtrise de la chaîne globale, à l'importance des travaux de dépollution qui valorisent son savoir-faire et à sa capacité à sortir des produits fonciers bien positionnés sur le marché. C'est pourquoi l'entreprise s'est dotée de compétences d'aménagement et s'est engagée sur ce site, très bien situé, moyennant un montant d'aide public modéré. Le développement de ce mode d'intervention dans d'autres secteurs tendus supposerait la mise en place de structures opératrices dotées d'une capitalisation suffisante. Des propositions peuvent être envisagées au plan du financement, comme la création d'un fonds de garantie, hypothèse sur laquelle travaille l'Ademe. L'association française des ingénieurs et techniciens de l'environnement (Afite) réfléchit également à la création de fonds dédiés. De tels fonds pourraient être alimentés, soit par les industriels selon le principe pollueur-payeur, soit par les « consommateurs » de sols naturels, selon le principe « utilisateur-payeur ». Dans cette seconde option, une hypothèse qui se rapproche de la logique de la fiscalité écologique serait d'affecter au fonds dédié une fraction de taxe sur les mutations foncières, précisément en cas de changement d'usage conduisant à une artificialisation des sols. Enfin, on notera que l'emploi de méthodes douces de dépollution (pyrotechniques, tertres filtrants...), donc assez peu coûteuses mais prenant du temps, couplées avec un usage provisoire de la friche (urbanisme transitoire...) peuvent constituer dans certains cas une solution intéressante, y compris financièrement, en particulier pour le traitement de grands sites non recyclables à court terme, tel celui de Seine Sud à Rouen. Des modes d'intervention publics et privés complémentaires La procédure récente du « tiers demandeur », instituée en 2014 par la loi ALUR 130, transfère la responsabilité de la dépollution du pollueur à un opérateur tiers. L'objectif est notamment de limiter les risques de contentieux par rapport à la notion de « remise en état ». C'est la méthode adoptée par Engie pour mettre en oeuvre la politique de transfert actif de ses sites. En vendant un ensemble de sites à un tiers demandeur, elle permet à cet opérateur spécialisé de dépolluer et de réaménager les sites dans le cadre d'une mutualisation de leur valorisation et des risques. Cette procédure offre des perspectives intéressantes, mais est développée pour l'instant par un trop petit nombre d'opérateurs spécialisés. Les promoteurs s'y intéressent mais sans donner suite, sauf en partenariat avec un opérateur spécialisé. Le transfert des risques reste délicat à organiser. On manque encore à ce jour de recul sur le bon achèvement de ces opérations de requalification mises en oeuvre par les opérateurs privés. Sous réserve d'évaluation et, si besoin, d'ajustement, la méthode mérite d'être promue et son accès facilité pour d'autres utilisateurs privés ou publics, notamment les EPF pour des opérations complexes ou de grande taille, moyennant un ajustement de la doctrine qui les obligent à disposer d'un projet d'aménagement en sortie de portage. Des points d'attention subsistent quant à la robustesse des modèles économiques et à la pertinence respective des montages publics ou privés : l'intérêt des interventions privées qui savent gérer et 130 Loi de 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové ­ Article 173 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 54/170 PUBLIÉ mutualiser les risques est indéniable, mais elles ont aussi leurs limites, notamment pour les zones vastes et complexes ou les marchés trop détendus. Les établissements publics fonciers (EPF) devraient être repositionnés plus clairement sur ce sujet primordial ; c'est une des conditions pour que s'enclenche le recyclage des friches à grande échelle, en contrepartie de la limitation de la consommation nouvelle pour le foncier économique. Les plus anciens des EPF avaient été créés précisément pour le traitement de friches industrielles notamment polluées. Par la suite, la production de foncier pour le logement est apparu comme un enjeu important, voire quasi-exclusif pour les établissements créés plus récemment. Sans abandonner leur action visant à activer la production de logements, les EPF doivent pouvoir aujourd'hui s'engager davantage dans la requalification économique de leurs territoires. Le cas de l'EPF Nord-Pas-de-Calais montre que cette voie est tout à fait possible, sous réserve de l'existence d'un portage politique local et de compétences techniques. De même, l'EPF Lorraine est habilité explicitement à exercer des missions de reconversion de friches industrielles, militaires et urbaines sur le territoire régional ; il a développé en amont des fonctions d'observation et d'étude et assure des interventions de maître d'ouvrage d'études techniques et de travaux de « préaménagement » à la demande des collectivités territoriales. Le sujet existe aujourd'hui dans la totalité des EPF, au-delà des anciennes régions industrielles, comme le montre l'exemple de la région PACA, dont le projet de SRADDET pointe justement les zones prioritaires de reconquête du foncier économique. Les EPF abordent le sujet, au moins par la réalisation de recensements régionaux et d'études131. Les interventions opérationnelles devraient être développées davantage dans tous les établissements, en mettant en place les moyens adaptés aux besoins des territoires 132. Cela suppose des durées de portage plus longues, des possibilités de mutualisation, des arbitrages concernant le niveau et l'affectation de la TSE 133 avec la mise en place de « fonds friches » dédiés au financement de surcoûts liés à la dépollution 134, ainsi que des prêts de la CDC permettant d'assurer la faisabilité d'opérations longues et complexes dans les espaces économiques. Il conviendrait aussi de mutualiser les compétences autour de centres de ressources portant sur différents aspects de la dépollution, par exemple en prenant appui sur l'expertise de l'EPF Nord-Pas-de-Calais en matière de biodiversité. Recommandation 8. Donner des orientations aux établissements publics fonciers (EPF) afin qu'ils puissent, dans l'esprit de leur vocation historique, se doter des moyens techniques et financiers adéquats (TSE, fonds friches dédié...) pour développer un champ significatif d'interventions au service du recyclage des espaces économiques déqualifiés, obsolètes ou pollués (MCTRCT, MTES). Le projet de requalification de la friche Bagnoli à Naples bien engagé Pour ce grand projet de requalification d'un ancien site sidérurgique de bord de mer à proximité de Naples, on observe le retour à une maîtrise d'ouvrage totalement publique, après l'échec de tentatives antérieures (la dernière via une SEM contrôlée par la municipalité) selon un modèle qui donnait un rôle important au secteur privé. La nouvelle démarche s'inscrit dans une politique globale, régionale et métropolitaine, et semble bien engagée grâce à l'implication de l'opérateur national Invitalia, autour d'un projet partagé plus équilibré, nécessitant une intervention complexe et des moyens exceptionnels. 131 La mission a eu connaissance des travaux menées par les EPF Nord-Pas-de-Calais, Lorraine, PACA, et par l'Epora. Cf infra § 3.3. Taxe spéciale d'équipement qui finance l'action des EPF. De tels fonds, qui existent dans plusieurs régions, seraient à envisager ailleurs et à calibrer en fonction des enjeux. Mutations économiques et développement des territoires Page 55/170 132 133 134 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ Parmi les pratiques de recyclage de friches dans les pays voisins, les grands sites sidérurgiques d'Italie font l'objet d'une attention forte des pouvoirs publics, tel celui de Bagnoli, situé dans la région urbaine de Naples, visité par la mission. On peut souligner l'intérêt de développer des échanges de bonne pratique à l'échelle européenne sur la thématique des grands sites industriels pollués, ainsi que l'a proposé l'opérateur national italien qui intervient sur ce projet de reconversion. Suggestion. Activer et accélérer significativement le traitement des friches polluées, en faisant davantage connaître les outils réglementaires existants après avoir procédé à leur adaptation éventuelle, en assurant mieux la complémentarité des interventions publiques et privées, et en renforçant fortement les incitations financières. 2.4.3. Dépollution et environnement L'articulation entre les procédures liées à la réglementation sur les installations classées, à la loi sur l'eau et au respect de la biodiversité, est compliquée pour les opérateurs, car non homogène selon les territoires et pas assez coordonnée entre les services instructeurs des différentes réglementations. La préservation de la biodiversité Il peut paraître paradoxal de poser des conditions de protection de la faune et de la flore dans des friches industrielles qui n'avaient ni faune, ni flore tant que les sites étaient en activité et qui ont vocation à retrouver une destination urbaine. Les opérateurs et les collectivités locales posent à ce propos des questions sur la réalisation de l'étude d'impact, sur sa durée de validité et sur les règles de compensation demandées pour la faune et la flore apparues dans ces friches. La mission estime que la question se pose d'une mise en oeuvre plus souple, évitant les interprétations excessives, et s'accorde sur la nécessité d'une doctrine harmonisée sur le territoire. Les règles de compensation Globalement, il n'y a pas de contestation de la doctrine « éviter, réduire, compenser », dite « ERC». L'application des règles de compensation fait toutefois débat dans certains cas, en raison d'imprécisions et d'interprétations paraissant trop rigides. Sous réserve d'une analyse plus approfondie, il ne parait pas nécessaire de modifier les dispositions réglementaires, mais diverses questions, comme celle de la distance entre projet et zones de compensation, peu précisée dans les textes, méritent un examen en vue de parvenir à une application raisonnable et une cohérence entre services concernés des DREAL. Une application plus pragmatique et ajustée des règles pourrait être utilement recherchée à travers un recensement des bonnes pratiques qui serait diffusé à toutes les DREAL, voire des expérimentations permettant de remédier à d'éventuelles difficultés juridiques ou techniques, en s'appuyant aussi sur les retours d'expériences issus de l'Ae et des MRAe. Ainsi, face à des procédures complexes à maîtriser (réglementation environnementale, mécanismes de compensation), l'enjeu de pilotage et de bonne coordination apparaît primordial, de même que le besoin d'harmonisation sur la base d'une capitalisation des bonnes pratiques. En outre, un champ possible d'expérimentation pourrait être à ouvrir, notamment pour le traitement de grands fonciers complexes, avec un usage temporaire des sites, et pour une optimisation des mécanismes de compensation grâce à une approche globale à l'échelle d'un territoire. Des financements du SGPI sont envisageables pour tester des solutions innovantes ; ainsi que l'a mentionné son secrétaire général, la question des sites pollués est, tout comme l'urbanisme de transition, un thème prioritaire du PIA. Suggestion. Susciter, par la réalisation d'expérimentations et l'établissement d'un guide de bonnes pratiques, la mise en place d'organisations locales en mode projet permettant de coordonner l'ensemble des procédures relatives au recyclage des sites pollués, d'optimiser la mise en oeuvre des mécanismes de compensation environnementale et de gérer dans la durée les projets complexes, selon une doctrine harmonisée (MTES). Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 56/170 PUBLIÉ 3. Adapter la gouvernance territoriale et l'action publique pour accompagner la mise en mouvement des acteurs 3.1. Optimiser l'organisation publique territoriale au regard du développement économique durable Les changements récents de l'organisation territoriale induits par les lois MAPTAM et NOTRe ont suscité un certain bouleversement qui est encore à ce jour en voie de stabilisation, en particulier pour ce qui concerne l'action publique en matière économique. Un nouvel acte de décentralisation est annoncé pour début 2020, avec des transferts de compétences et de financements visant à faciliter les « politiques de la vie quotidienne ». Un « pacte » relatif à la présence de l'État et des services publics dans les territoires serait proposé, en réponse au besoin de « proximité » exprimé par de très nombreuses remarques faites lors du grand débat national. Bien que les intentions exprimées ne touchent pas directement l'organisation du développement économique dans les territoires, les modifications législatives envisagées pourraient avoir un impact sur l'organisation de l'action publique dans ce domaine, par exemple en facilitant la synergie des compétences entre les différents niveaux de collectivité. 3.1.1. Des compétences à mieux articuler La répartition des compétences est désormais claire dans les textes : les aides et l'innovation pour les Régions, le foncier et l'animation des acteurs économiques pour les intercommunalités. Dans la réalité, les choses le sont moins et l'articulation des missions présente encore des difficultés qui gênent l'optimisation de l'action publique dans certains territoires. Les Régions, qui pour une grande partie d'entre elles, ont dû consacrer ces dernières années beaucoup de temps à gérer leur fusion, sont souvent perçues comme lointaines par les élus locaux et par les dirigeants des entreprises petites ou moyennes. Vues de certains EPCI ou même de Métropoles, elles paraissent avoir généré trop de « technostructure », les empêchant d'être suffisamment stratèges et à même de prendre en compte les territoires dans leur diversité 135. Il y a ainsi une carence de complémentarité entre l'échelle régionale, pertinente pour coordonner l'action et gérer l'évolution des filières, et celle des intercommunalités pour mettre en mouvement les écosystèmes d'acteurs. Nombre d'EPCI sont en outre de constitution récente, peu intégrés et structurés autour d'un projet de territoire, ni dotés des moyens d'ingénierie nécessaires. Les Départements se sont en principe retirés du champ des interventions économiques mais, dans les faits, ils restent attentifs au devenir de « leur » territoire et tentés d'agir pour suppléer aux difficultés constatées. Depuis la loi NOTRe, ils ont perdu (comme les Régions) le bénéfice de la clause de compétence générale et ne peuvent plus agir directement, sauf dans le domaine du tourisme. Ils ne peuvent plus attribuer d'aides aux entreprises, même par délégation du niveau régional, et n'ont la possibilité d'agir en matière d'immobilier d'entreprise que par délégation du bloc communal (et encore, pour « octroyer » les aides, mais sans pouvoir en définir le régime) 136. Ils doivent transférer les zones d'activité dont ils étaient propriétaires, quitter les syndicats mixtes chargés de les gérer et ne peuvent pas rester actionnaires majoritaires dans les EPL intervenant en ce domaine. L'interprétation et la mise en application de ces dispositions ont soulevé nombre de difficultés qui ont mobilisé les services de l'État et ceux des collectivités concernées. Si certains Départements se 135 Cf développements, exemples et recommandation du § 1.3.1. supra. Instruction du Gouvernement NORINTB 1531125J en date du 22 décembre 2015 relative à la nouvelle répartition des compétences en matière d'intervention économique des collectivités territoriales et de leurs groupements issus de l'application de la loi NOTRe, suivie de la lettre du Gouvernement du 3 novembre 2016 (« Conséquences de la nouvelle répartition des compétences en matière de développement économique sur les interventions des conseils départementaux »). Mutations économiques et développement des territoires Page 57/170 136 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ sont désengagés, d'autres conservent une capacité d'action significative, soit par délégation des EPCI, soit sous forme d'action opérationnelle, souvent via unee structure notamment en matière d'attractivité (non limitée au tourisme) 137. Ils peuvent également exercer un rôle d'impulsion et de mise en cohérence des acteurs. Le département de l'Ardèche a ainsi lancé une démarche partagée de projet de territoire pour susciter et accompagner une transformation économique fondée sur la transition écologique138. L'agence d'attractivité du département de la Meuse, unanimement reconnue pour la pertinence de ses interventions, les a poursuivies en s'appuyant sur la base juridique relative à la compétence « tourisme », tout en s'interrogeant fortement sur sa pérennité et sur ce que pourrait être le prochain modèle. Le département des Yvelines agit quant à lui activement et de façon très opérationnelle pour son développement économique. Les Yvelines, un Département très engagé pour le Un certain nombre d'acteurs s'interrogent sur le mode optimal d'action pour le développement développement de son territoire. économique des territoires, dans l'attente d'une Disposant de moyens techniques et financiers montée en régime des intercommunalités. Au importants, cette collectivité exerce une action moment où il est envisagé de réexaminer territoriale volontariste qui contribue au certaines dispositions de la loi NOTRe, revoir la positionnement et à l'attractivité de l'Ouest parisien, répartition des compétences ferait pourtant dans le contexte d'une possible fusion avec les Hauts-de-Seine et d'une gouvernance du Grand Paris courir le risque d'un « retour en arrière » sur la qui reste en devenir. Le Département s'appuie pour clarification voulue de tous. Cette question cela sur le « carré magique » que constituent ses mérite néanmoins des investigations au-delà de services, son opérateur d'aménagement, son bailleur l'objet du présent rapport. Les débats de la social et la branche yvelinoise de l'établissement matinée du congrès des maires de novembre public foncier régional, dont l'action est « dopée » 2018 précisément centrée sur ce sujet ont par un fonds financier apporté par le budget clairement fait ressortir le besoin, exprimé par départemental. L'action du Département est bien les Régions comme par les intercommunalités, appréciée des élus yvelinois, mais ne semble pas du maintien d'une présence de l'acteur particulièrement coordonnée avec celle de la Région départemental dans la période actuelle. Ainsi, en Île-de-France. région Occitanie, le département de HauteGaronne a créé une société publique locale (SPL) avec 13 EPCI pour leur apporter de l'ingénierie à côté de la Région, laquelle a accepté et encouragé ce modèle afin de ramener de la proximité dans sa politique économique139 ; l'Ariège fonctionne de la même façon, huit EPCI ont créé avec le Département une agence de l'attractivité « pour pouvoir se payer de l'ingénierie ». L'intérêt de l'échelle départementale se vérifie dans ce cas sur trois dimensions : l'énoncé d'une vision infra-régionale qui peut constituer un véritable niveau d'identité territoriale comme en l'Ardèche (déjà cité) ; la viabilité d'outils d'ingénierie et d'opérationnalité fiables et à bonne échelle, et la possibilité de cofinancements et de crédits d'investissement en faveur du développement local. Du point de vue de l'efficacité économique et du développement durable des territoires, il pourrait paraître opportun, sans remettre en cause les orientations prises par la loi en matière de répartition des compétences, de faire preuve de pragmatisme en identifiant et en facilitant les interventions des Départements, sous réserve qu'elles soient cadrées, se réalisent de façon concertée (par conventionnement) avec les autres niveaux et qu'elles contribuent à qualifier les EPCI notamment par un apport d'ingénierie afin qu'ils puissent d'ici quelques années prendre le relais, 137 Après la suppression de 20 agences de développement départementales, 17 agences d'attractivité ont été créées depuis deux ans par les Départements, selon une étude du CNER à paraître, citée le 16 juillet 2019 par Localtis. Cf § 1.4.1 et annexe 5.3. La SPL offre des moyens de communication attractifs, que ne peuvent pas « se permettre » les intercommunalités, tandis que celles-ci vont à la rencontre des entreprises du territoire au moins deux fois par an pour « réfléchir à leur avenir commun ». 138 139 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 58/170 PUBLIÉ individuellement ou par regroupement voire coopérations (PETR...). Une condition essentielle est d'assurer non seulement une cohérence de l'action publique mais aussi sa lisibilité pour les bénéficiaires, par exemple en prévoyant un guichet unique même si les financements proviennent de différentes collectivités. Les services des collectivités, leurs agences (agences de développement, agences techniques...) et opérateurs (EPL, SPL, EPF locaux...) ont un rôle et de moyens qui leur permettent d'exercer une influence significative pour assurer la faisabilité des projets et aussi faciliter une meilleure articulation entre les niveaux politiques. Recommandation 9. Veiller à la bonne coordination de l'action technique et financière menée par les Départements pour le soutien à l'ingénierie locale et la facilitation du développement économique, dans le cadre d'une contractualisation les associant aux Régions et aux EPCI, afin d'assurer l'efficience des interventions publiques et d'accompagner la montée en compétence des intercommunalités sur la durée du prochain mandat local (MCTRCT). 3.1.2. Des périmètres pas toujours adaptés, à revoir quand cela est possible Au cours des dix dernières années, les changements ont également été importants en ce qui concerne les périmètres des collectivités territoriales et de leurs regroupements. En dépit de ces évolutions qui se sont faites le plus souvent dans le sens d'une extension géographique, on constate que, pour autant, les périmètres institutionnels ne coïncident pas toujours avec les périmètres fonctionnels pertinents, notamment pour ce qui est du développement économique. Les périmètres optimaux sont d'ailleurs différents selon les domaines (logement, transports, économie et emploi...). Jugés dans certains cas trop vastes (cas des « méga-EPCI » ruraux qui s'avèrent difficiles à gérer), des périmètres d'intercommunalités peuvent aussi s'avérer trop étroits pour l'efficacité du développement économique durable, comme c'est le cas Le « pôle métropolitain » lyonnais lorsque leurs limites ne coïncident pas La région urbaine de Lyon s'étend sur plusieurs avec celle d'un bassin industriel cohérent, départements (Rhône, Drôme, Isère, Ain, Loire), avec un fort par exemple pour la vallée de l'Arve ou déséquilibre entre la capitale régionale elle-même et les pour le Bassin minier. Cette observation grandes villes de ce « périmètre ». Dès 2009, a émergé l'idée vaut aussi pour des métropoles, dont on d'une entité visant à répondre aux enjeux économiques en connaît la difficulté à entraîner le permettant d'agrandir l'aire économique lyonnaise tout en développement de leurs périphéries : on évitant la tendance à la concentration et en instaurant un peut citer à titre d'illustration les certain desserrement. Les élus de Lyon Métropole sont entrés métropoles de Toulouse, de Lyon, et en dialogue avec les pôles « secondaires » de la région aussi, sous une forme atypique, celle du Grand Paris, réduite à une partie de urbaine en vue de constituer ce « pôle métropolitain ». L'impulsion des acteurs de la société civile a précédé l'unité urbaine alors que la « métropole l'initiative politique : les universitaires ont noué des alliances, économique » se situe au niveau de l'aire les pôles de compétitivité et les industriels ont recherché des urbaine. synergies : par exemple Saint-Étienne, siège de l'industrie mécanique, accueille le pôle de compétitivité et le plus gros S'il n'existe pas de périmètre idéal du centre de recherche privée dans ce secteur, avec 12 comptoirs point de vue de toutes les fonctionnalités, à l'étranger. Les agences d'urbanisme ont mutualisé leur on observe que des regroupements ou structure d'observation puis constitué une structure des extensions seraient dans certains cas souhaitables pour mieux répondre aux commune « ADE région lyonnaise ». enjeux de l'action économique et de la Bien qu'elle n'aie pas prospéré, cette initiative a néanmoins transition écologique ; cette optimisation induit des progrès relatifs à la desserte, l'aménagement, les serait à envisager à l'occasion de équipements et les services, comme par exemple, la prochaines mesures gouvernementales polarisation de l'urbanisme autour des gares via la démarche retouchant l'organisation de la « Urba gare ». Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 59/170 PUBLIÉ décentralisation. Pour remédier à ces difficultés de périmètre, des solutions sont aussi à trouver par le développement de coopérations inter-territoriales (pôle métropolitain, PETR...). Suggestion. Susciter, quand cela est souhaitable et possible, les ajustements de périmètres (élargissements ou regroupements) des métropoles et intercommunalités permettant d'en faire des territoires pertinents pour un développement économique cohérent et durable (MCTRCT). 3.1.3. Des coopérations inter-territoriales à concrétiser et développer dans la durée Quels que soient les découpages, il y a nécessité absolue de coopérations inter-territoriales fortes en matière économique. Elles doivent permettre de construire des solidarités effectives et pérennes, misant sur une logique d' « alliance des territoires », de partenariat « gagnant-gagnant » et de mise en commun de projets à différentes échelles, comme y invite le protocole signé fin mars 2019 entre l'Ademe, France-Urbaine, l'ANPP et l'ADCF et dont l'objectif est d'accompagner l'intégration de la transition écologique dans tous les projets territoriaux 140. Des « contrats de réciprocité », dont l'origine date des Assises des ruralités de 2014, ont été lancés dans le but de favoriser la coopération entre les métropoles et leurs territoires limitrophes. Deux territoires seulement sur les quatre désignés initialement pour une expérimentation ont signé leur contrat : la métropole de Brest et le pays du Centre-Ouest Bretagne, en novembre 2016, et la métropole de Toulouse et le pays « Portes de Gascogne », en juillet 2017. Les deux autres contrats (Lyon et Aurillac, Le Creusot et le Morvan) ont en revanche plus de difficultés à émerger, pour des raisons liées au manque d'interaction ou à des divergences politiques. Si cette démarche est encore embryonnaire, on note qu'un nouveau contrat de ce type a été signé le 10 avril entre Nantes et le pays de Retz, portant notamment sur le développement économique et le tourisme, et qu'un autre devrait l'être bientôt entre la métropole de Grenoble et la communauté de communes du Trièves. Un élément pourrait accélérer la mise en place des contrats de ce type : l'intégration, dans les 16 pactes métropolitains d'innovation (PMI), déclinaisons locales du pacte État-Métropole signé en juillet 2016, d'un volet de coopération obligatoire : le « contrat de coopération métropolitaine » (CCM). Celui-ci est centré sur les projets de coopération des métropoles avec leurs territoires proches. Sur 169 actions définies dans le cadre des PMI, 42 sont dédiées à ce volet de coopération. Dans le cadre de contrats de cohésion territoriale qui seraient initiés par le Gouvernement, des conventions pourraient être conclues entre une Métropole ou une communauté urbaine et des intercommunalités afin de développer des synergies sur le modèle des contrats de réciprocité 141. On notera qu'une obligation de coopération reposant sur la généralisation des contrats de réciprocité est préconisée dans le rapport de mission « Agenda rural » qui vient d'être rendu public142. On constate que des outils existent, comme le montrent les exemples des pôles métropolitains, ou des Inter-SCoT, qui permettent une approche à l'échelle de l'aire urbaine, des pays et PETR, ou encore des contrats de réciprocité ; ces dispositifs sont de plus en plus formellement en place, facilitant et pérennisant le dialogue et la concertation. Toutefois, sous réserve d'évaluation, il semble que restent à créer, particulièrement dans le champ du développement économique, les conditions de réelles coopérations et solidarités. Faut-il procéder par incitation ou par obligation ? 140 Parmi les sujets du protocole figurent le déploiement de l'économie circulaire, la mise en cohérence des politiques énergie-climat dans les territoires, le développement de nouveaux modèles de finance verte auprès des collectivités, l'expérimentation sur des territoires pilotes du service public de l'efficacité énergétique de l'habitat. Cf infra § 3.4. les dispositifs contractuels impliquant L'État. Daniel Labaronne, Patrice Joly, Pierre Jarlier, Cécile Gallien, Dominique Dhumeaux, avec l'appui notamment du CGEDD Ruralités : une ambition à partager, 200 propositions pour un agenda rural, juillet 2019. 141 142 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 60/170 PUBLIÉ Imposer par le haut la coopération apparaît irréaliste ; à défaut de jouer sur la fierté de se montrer « riche et solidaire » comme en Suisse, mieux vaut sans doute s'appuyer sur l'agilité de territoires moins bien positionnés et sur la recherche de complémentarités, par exemple d'un intérêt commun à agir sur l'offre de ZAE, thème sur lequel Bordeaux et Nantes ont ouvert un dialogue avec des communes extérieures à la métropole. Pour assurer une réelle coopération dans la durée, il convient de susciter la mise en place d'instances de travail se réunissant de façon régulière : de telles « conférences territoriales du développement économique durable » permettraient de partager des objectifs, d'en assurer le suivi et de fédérer toutes les énergies (élus, administrations, entreprises, société civile...) à la bonne échelle, autour de visions partagées. Recommandation 10. Susciter le développement de coopérations inter-territoriales pérennes en matière économique, après évaluation des pratiques existantes, et encourager la mise en place de « conférences territoriales du développement économique durable », afin que de réelles synergies et solidarités s'instaurent et s'amplifient (MCTRCT, MEF). 3.2. Soutenir les écosystèmes locaux et promouvoir des réseaux « apprenants » 3.2.1. Les facteurs récurrents d'existence de dynamiques locales Il importe de confirmer à quel point les conditions de réussite du développement territorial sont liées à la qualité du jeu d'acteurs impliqués dans l'écosystème local, tout comme à l'échelle régionale. Des élus porteurs d'une vision et sachant animer une démarche de coopération de l'écosystème Les élus ont vocation à porter une vision politique, à initier une démarche de mise en mouvement du territoire et à renforcer leur rôle Dans les Hauts-de-France, les élus veulent promouvoir « une d'animation de l'écosystème local, d'interrégion durable et connectée » médiation et d'ensemblier. Ils ont à mettre Les élus régionaux ont initié la démarche « Rev3 » autour en cohérence les projets locaux de la troisième révolution industrielle. L'alternance d'aménagement et les politiques et politique n'a pas empêché sa poursuite avec un portage stratégies de développement économique fort associant la Région et les responsables économiques. et d'emploi. Des métropoles comme Un accord entre acteurs publics et privés sur une vision Rennes ou Nantes, des villes moyennes rassembleuse a été établi sur le terrain grâce à la comme Vitré ou Figeac ont été souvent mobilisation de tous : 125 « experts » de la région, citées parmi d'autres exemples de portage administrations et entreprises, ont travaillé ensemble politique du développement local. La pendant neuf mois pour définir une feuille de route. Cette démarche a ensuite facilité la coopération et l'accélération mission a également relevé l'intérêt de des projets. L'appui de l'économiste Jérémy Rifkin a été démarches mobilisatrices impulsées à déterminant ; il est apparu comme un « totem » et un d'autres niveaux, comme dans le cas de la Région Hauts-de-France. « catalyseur » plutôt qu'un maître à penser. Un écosystème mobilisé, stimulé par des entreprises leaders Le cas de la Vallée de l'Arve est illustratif avec des entreprises industrielles à haute valeur ajoutée, connues internationalement pour certaines d'entre elles, un écosystème regroupant les industriels et les banques, qui travaillent en bonne intelligence. La Normandie est un autre cas intéressant pour Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 61/170 PUBLIÉ illustrer une démarche de mobilisation régionale, visant à être déclinée localement, en s'appuyant sur un maillage de grandes entreprises. En Normandie, après la fusion, la mobilisation des grandes entreprises Le projet de la Normandie est de créer dans le contexte de la fusion une nouvelle dynamique de développement, s'appuyant sur les entreprises industrielles présentes, qui sont des « fleurons » de l'industrie française. Depuis 2017, la Région mobilise les acteurs économiques et les outils de promotion. Le dynamisme régional est entretenu par un portage politique fort pour que le territoire progresse en particulier en matière d'innovation, grâce à une mise en réseau des entreprises, une ouverture plus grande à l'international, et un soutien à l'entrepreneuriat et à l' « intrapreneuriat ». Une capacité d'adaptation et d'anticipation de l'ensemble des acteurs Les territoires mono-industriels sont particulièrement fragiles et le rebond d'un bassin industriel sinistré est un long chemin, comme le montre l'exemple déjà évoqué de Romans sur Isère. La vallée de l'Arve, parce qu'il s'agit d'un écosystème davantage diversifié, connaît une situation plus favorable. La vallée de l'Arve, écosystème résilient Les entreprises de la vallée ont montré leur capacité à surmonter les périodes de crise : dans les années 60-70, la crise de l'horlogerie les a incitées à évoluer vers l'industrie du décolletage, faisant appel au même type de savoir-faire dans le domaine de la mécanique de précision ; puis en 2008, la crise de l'automobile les a conduites à diversifier leur portefeuille de clients et leurs produits pour répartir les risques. Ce sont en grande partie des industries à haute valeur ajoutée qui investissent de longue date en capitaux propres dans la recherche et l'innovation, participent à des réseaux de coopération territoriaux et extra territoriaux, et sont fortement engagées dans la révolution numérique. En dépit de l'absence d'un projet de territoire porté par les élus au niveau de l'ensemble des intercommunalités de la vallée, une action soutenue d'animation économique et de mise en réseau est assurée par le pôle de compétitivité. Des entreprises en mouvement La présence d'entreprises sachant innover, se mettre en réseau, se placer sur des marchés diversifiés et stimuler un système de formation adapté à leurs besoins est un facteur majeur. La mission a relevé divers exemples, dont celui déjà évoqué de l'entreprise SEB 143 et celui de l'entreprise Thimonnier. L'entreprise Thimonnier en Auvergne-Rhône-Alpes , toujours familiale Après 150 années d'existence, elle entretient un esprit de transmission et une vision à long terme. Après avoir inventé des machines à coudre, elle conçoit et réalise aujourd'hui des machines de fabrication d'emballages souples et de remplissage de liquides. Elle s'appuie sur deux éléments de différenciation : l'innovation permanente grâce à un réinvestissement annuel de 10 à 15 % du chiffre d'affaires dans sa recherche-développement et un positionnement à l'international avec 85 % de son chiffre d'affaires réalisé en dehors de la France, dont 80 % en dehors de l'Europe. Elle s'adresse à quatre marchés diversifiés avec des technologies faisant appel aux mêmes savoir-faire, soutenus par de solides plans de formation. Une société civile associée et de plus en plus impliquée La créativité vient souvent de la société civile : depuis son origine, l'économie sociale et solidaire intègre une telle approche de « créativité sociale », ainsi qu'en témoignent les multiples initiatives 143 Cf supra §1.1. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 62/170 PUBLIÉ locales relevant de cette forme d'économie. À Romans, le groupe Archer l'a illustré avec sa démarche « start-up de territoire » avec des ateliers de créativité ouverts à tous, visant à mettre en relation et en mouvement les acteurs d'un territoire et à accompagner la concrétisation de leurs projets entrepreneuriaux dans les secteurs tels que l'énergie, les transports, l'agriculture, l'économie circulaire. La société civile n'est pas seulement composée d'associations et de citoyens prêts à participer au-delà des pratiques de consultation et de concertation, mais aussi de nouveaux acteurs, notamment issus de la sphère créative, et qui contribuent à l'émergence de pratiques novatrices, telles que les tiers-lieux ou l'urbanisme de transition. La France semble globalement moins avancée que certains pays voisins en termes de démarches participatives, d'approches bottom up ou de pratiques de démocratie directe que l'on retrouve dans le système suisse des votations144, lequel n'est toutefois pas exempt de lenteurs et de blocages. Notre pays dispose cependant d'outils dédiés, qui pourraient être focalisés sur des questions économiques et écologiques : les Conseils de développement145, instances de démocratie participative locale regroupant des membres bénévoles, constituent une institution spécifique à notre pays, dont le rôle mériterait d'être évalué puis redéfini et relancé. Lors de la cérémonie du vingtième anniversaire des Conseils de développement le 24 juin dernier au Sénat, l'intérêt d'une mobilisation de ces instances a été souligné pour la construction de politiques publiques écologiques 146. Suggestion. Relancer la démocratie participative dans le champ du développement économique durable, en s'appuyant notamment sur les Conseils de développement, après avoir établi une évaluation de leur action et redéfini en tant que de besoin leurs missions (MCTRCT, MEF). 3.2.2. Le soutien aux écosystèmes, aux dispositifs d'innovation et autres clusters Il importe de soutenir les démarches innovantes, le développement des écosystèmes et l'émergence d'une économie de plus en plus collaborative dans les territoires. La nouvelle étape engagée pour les pôles de compétitivité et la mobilisation de l'ensemble des clusters, notamment autour de l'économie circulaire et de l'écologie industrielle peuvent constituer une dynamique à encourager. En France, la politique industrielle portée par l'État fait l'objet d'une organisation par filières. Selon l'opinion de plusieurs experts qui se réfèrent à l'Allemagne, à l'Italie ou au Japon, cette approche apparaît fondée au niveau national et pourrait même être renforcée par un choix plus stratégique des filières et une coopération plus étroite entre les pouvoirs publics et les entreprises, à l'instar notamment de l'exemple allemand 147. Pour la plupart des acteurs, cette politique est toutefois trop cloisonnée et en attente d'être reliée aux territoires. Le soutien à l'innovation dans les territoires Lancés depuis 15 ans, les pôles de compétitivité sont, pour la plupart, reconnus pour l'intérêt de leur démarche, même si leur efficacité dépend évidemment de la dynamique de coopération entre organismes de recherche et entreprises, ainsi que de l'appui reçu des collectivités territoriales. Les 144 Permettant aux citoyens de réagir sur une loi ou bien de prendre l'initiative sur un sujet pour en demander une, le système repose sur l' « ADN suisse », qui fait que les électeurs répondent généralement à la question posée. Bénéficiant d'un cadre légal avec les lois NOTRe et MAPTAM, ils sont créés par les Métropoles, communautés urbaines, d'agglomération, de communes (dès lors qu'elles sont à fiscalité propre et de plus de 20 000 habitants), pays et pôles d'équilibre territoriaux et ruraux (PETR), en tant qu'instances de consultation et de proposition sur les orientations majeures des politiques publiques locales. Alors que leur caractère obligatoire semble faire débat et pourrait être remis en cause... C'est le point de vue de Pierre Veltz, selon lequel il y a en fait un trop petit nombre de « vraies filières » en France, comme la santé, l'aéronautique, l'automobile, en pleine mutation, avec les équipementiers qui prennent la tête de cette filière. Cf également l'exemple de la filière bois supra § 1.1. Mutations économiques et développement des territoires Page 63/170 145 146 147 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ situations peuvent être fluctuantes au sein d'une même région 148. Dans la nouvelle période 2019 ­ 2022, il importe que l'État maintienne une certaine continuité et soutienne les dynamiques existantes149. La diminution du nombre de pôles a incité à des regroupements qui finalement ne semblent pas remettre en cause leur ancrage territorial, à condition d'entretenir entre les équipes des coopérations qui ne s'arrêtent pas aux frontières régionales. Dans leurs entretiens avec la mission, les présidents de pôles, qui sont issus du monde de l'entreprise, ont souligné l'importance, pour expliquer la performance et la réussite des entreprises de leur pôle, de leur propre ancrage territorial : l'appui sur des réseaux construits sur une base locale et régionale, le partenariat avec les universités et la recherche régionale appliquée, les liens avec l'ensemble des leviers territoriaux de l'innovation. La mission souligne l'importance de reconnaître et de prendre en compte cet aspect pour la performance économique, à l'image de ce qui peut être observé en Allemagne. Une plus grande place des PME dans les pôles de compétitivité est régulièrement souhaitée, ainsi qu'une convergence plus forte entre les pôles et l'ensemble des clusters. C'est la vision défendue par France Clusters, qui considère que ces deux concepts correspondent à une gestion territoriale de la politique de filière permettant d'insérer les territoires et de cibler les PME, piliers du tissu économique. Le ministère de l'économie et des finances est perçu comme ayant une approche différenciée des clusters et des pôles de compétitivité, ces derniers devant rester dans une approche nationale de politique de filières, privilégiant les grandes entreprises et les pôles technologiques (de fait, les grands groupes président un grand nombre de pôles, dont ils apportent souvent les principaux financements). Pour la mission, une évolution vers une approche plus concrète du fonctionnement territorial des filières, pôles et clusters permettrait de faciliter la relation avec les territoires et l'implication des PME et TPE, lesquelles ne disposent pas d'outil de recherche bien qu'elles représentent 80 % du tissu industriel. Cela devra constituer un important point d'attention dans la perspective annoncée d'un transfert des pôles aux Régions à partir de 2020. Suggestion. Encourager une gestion coordonnée des filières, pôles de compétitivité et clusters afin de faciliter leur relation avec les territoires et l'implication de l'ensemble du tissu économique, notamment celui des PME et TPE (MCTRCT, MEF). 3.2.3. La promotion des démarches innovantes, des « démonstrateurs » et des « réseaux apprenants » Les approches et méthodes innovantes doivent être identifiées, analysées et le cas échéant promues. Elles donnent à voir des projets ou des réalisations ayant valeur d'exemplarité afin de servir de modèle, d'incitation ou bien de test. C'est ainsi qu'il est souvent question de mettre en place des « démonstrateurs », notamment en matière d'économie circulaire, ou bien plus largement, comme dans le cas de la démarche Rev3. Parmi les méthodes et outils novateurs, la mission a notamment repéré deux initiatives récentes : 148 Par exemple, dans les Hauts de France, I-Trans, pôle focalisé sur les transports terrestres et la logistique, rebondit après un démarrage difficile, grâce au choix de sujets ciblés et un travail collectif entre universités et entreprises ; des pôles de compétitivité liés au textile sont en cours de regroupement ; le pôle IAR (ressources et industrie agroalimentaire) fonctionne bien ; d'autres pôles n'ont en revanche pas vraiment pris leur envol... Selon le rapport du CGEDD n°010561-01 de juillet 2016 Les pôles de compétitivité, leur apport pour les politiques du MEEM (établi par Bruno Depresle, Elisabeth Dupont-Kerlan coordinatrice, Gérard Lehoux et Alby Schmitt), « le rôle des pôles est d'abord territorial pour faciliter l'innovation » (p. 38). Le rapport souligne la nécessaire articulation avec les autres dispositifs territoriaux (notamment de recherche) et les appels à projet, ainsi que les perspectives issues de la transition écologique. Il privilégie un scénario de renforcement des réseaux thématiques, qui « préserve les écosystèmes qui se sont constitués » et « permet une large diffusion des enjeux de transition ». 149 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 64/170 PUBLIÉ · la toile industrielle, est une méthode développée par des agences d'urbanisme de villes industrielles (Dunkerque, Saint-Etienne...) visant à observer et mesurer tous les flux d'échange entre les entreprises, facilitant ainsi le développement de l'économie circulaire entre les entités économiques existantes et celles qui sont potentiellement entrantes ; la « communauté apprenante » Symbiogora150 se situe comme un lieu de partage (forum national ou régional, communauté en ligne...) entre acteurs clefs du développement territorial (pouvoirs publics, urbanistes, chercheurs, formateurs, incubateurs, startups et autres entrepreneurs...), aidant les participants à développer leur propre écosystème pour créer de la valeur territoriale (économie, emploi, inclusion, environnement, qualité de vie...) · Hauts de France : une politique de démonstrateurs Les 16 « territoires démonstrateurs », lancés par la mission « Rev3 », ont vocation à faire connaître les actions menées par les entreprises au sein des territoires de la région grâce à l'organisation de coopérations et de journées thématiques. L'idée, portée par la Région fusionnée, devrait faire l'objet d'un déploiement sur d'autres sites., en touchant l'ensemble des collectivités territoriales, des acteurs locaux et des citoyens par ces actions de proximité. C'est une illustration intéressante de l'implication de la Région dans les territoires. L'urbanisme transitoire Il s'agit de valoriser des espaces inutilisés dans le cas de projets de renouvellement urbain ou de requalification prenant du temps, pour développer des activités temporaires de type agriculture urbaine, accueil de populations en difficulté, activités ludiques ou culturelles... Dans le cas de villes en décroissance urbaine, comme à Roubaix, avec un projet d'agriculture sur d'anciennes friches industrielles, la démarche peut même s'étendre sur des durées beaucoup plus longues. Ces pratiques suscitent des questionnements, notamment sur les ambiguïtés de la « classe créative » et la place réelle des créateurs dans la ville151. Elles ouvrent néanmoins des perspectives intéressantes tout comme celles, de nature voisine, relatives à la mise en valeur de « communs » territoriaux152, en tant qu'usage partagé du foncier et la possibilité d'implication de nouveaux acteurs. On parlait autrefois d' « urbanisme éphémère » ; aujourd'hui les initiatives sont mieux accueillies et les exemples plus nombreux, notamment en Île-de-France 153, parmi lesquels on peut citer à titre illustratif celui de l'ancienne usine Christofle en Seine-Saint-Denis. L'usine Christofle en Seine-Saint-Denis devient « l'Orfèvrerie » Fermée depuis 20 ans, l'ancienne usine compte 21 000 m² réutilisés dans le cadre d'un projet piloté par l'urbaniste Bernard Reichen : depuis son rachat en 2016 par le promoteur Quartus, le site, rebaptisé l'Orfèvrerie, « fait le plein ». En 2018, un appel à candidatures a reçu 150 réponses et conduit à la signature d'une trentaine de baux, tous temporaires. Le départ est prévu en 2019 mais certains preneurs pourraient rester car les projets d'usage futur sont souvent plus longs que prévu, et la créativité des usagers transitoires valorise les lieux : « les villes sont plus attractives si on y voit de l'animation plutôt que des palissades » ; et l'inventivité soutient les bénéfices... L'urbanisme de transition deviendra-t-il la base de l'urbanisme tout court ? L'urbaniste alerte sur les limites de la démarche : « On voit apparaître un très fort romantisme de l'appropriation ; mais dès qu'on pense à un vrai projet, c'est un autre sport.» 150 Initiée par l'Institut Paris Région (ex IAU Île-de-France), l'Université catholique de Lille et le cabinet In Principio. Cf notamment Qu'est-ce que la ville créative ? Par Elsa Vivant, PUF avec le concours du PUCA, 2009. Cf Note rapide IAU, Les communs urbains, une notion pour repenser l'aménagement territorial, juillet 2019. L'IAU IF distingue « l'optimisation économique d'un patrimoine immobilier vacant, comme celui du promoteur de bureaux Gecina avec Paris&Co ; des projets citoyens, culturels et sociaux, comme les Grands Voisins à Paris ; des occupations du foncier SNCF, axées sur les dimensions festives et culturelles (Gare des Mines, Grand Train, Ground Zero) ». Mutations économiques et développement des territoires Page 65/170 151 152 153 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ Le droit à l'expérimentation L'usage du droit à l'expérimentation a été cité par plusieurs interlocuteurs de la mission comme un moyen pour sortir de situations de blocage, ou pour mieux adapter la règle au contexte. Consacré par la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 et confirmé récemment par la loi pour un État au service d'une société de confiance, dite loi ESSOC, visant à favoriser l'innovation, ce droit est encore peu utilisé, notamment par les collectivités territoriales. Il convient de définir les responsabilités, la durée et l'évaluation de la démarche. Mais la sortie de l'expérimentation reste délicate, en l'absence d'autres alternatives légales que l'abandon ou la généralisation de la mesure expérimentée 154. Sa mise en oeuvre permet une approche participative « apprenante », comme le montre l'expérimentation en cours sur dix sites de la démarche « territoires zéro chômeur de longue durée ». À l'occasion de sa présentation, la Fondation de France, qui l'accompagne, a souligné l'intérêt de l'expérimentation, qui développe une logique d'apprentissage évitant le stop and go, l'empilage voire l'incohérence entre politiques publiques ; on se situe « sur des valeurs », dans une démarche d'innovation et de « cousu main » (qui évite les travers d'une transposition issue d'un parangonnage mal compris), permettant d'impliquer plus facilement la société civile et même de suivre ses initiatives. On a vu aussi que la démarche expérimentale pouvait avoir un intérêt en ce qui concerne l'application de la législation relative à la protection de la biodiversité dans le cas des sites à dépolluer155 ; d'autres pistes d'application pourraient concerner l'agencement des compétences des collectivités ou encore les missions des opérateurs dans le champ du développement économique. Suggestion. Développer l'usage du droit à l'expérimentation, notamment pour faciliter l'application coordonnée de dispositions réglementaires complexes, et pour favoriser la synergie des compétences des collectivités (MCTRCT, MTES). Des réseaux d'échange et de capitalisation Le développement de réseaux d'échanges pour apprendre ensemble, assortis de dispositifs de capitalisation des bonnes pratiques, apparaît comme un des moyens les plus efficaces pour faire progresser les écosystèmes. Cela peut se faire selon les sujets aux échelles régionale ou nationale voire européenne. La visite du site de Bagnoli en Italie a suggéré à cet égard la création d'un réseau de villes européennes confrontées au défi des grands sites industriels à dépolluer 156. Il importe que de tels réseaux soient organisés de façon professionnelle, à l'image d'Urbact. Les réseaux thématiques relevant de ce programme européen sont constitués selon une méthode rigoureuse autour d'une ville pilote et d'un principe de rencontres se tenant successivement dans chaque ville du réseau avec mobilisation d'une expertise de haut niveau et production d'une capitalisation. C'est une « démarche apprenante » permettant à chaque partenaire de travailler à son propre projet avec les autres membres, ce qui apporte une ouverture et un dynamisme qui déplacent favorablement le jeu d'acteurs locaux, comme le montre l'exemple de Clermont-Ferrand 157. Outre la poursuite de réseaux européens Urbact, notamment sur le thème du traitement des grandes friches polluées, il serait possible de s'appuyer sur le savoir-faire d'Urbact, son expérience et ses moyens pour organiser dans la durée de tels réseaux, focalisés notamment sur la requalification ou le recyclage économique des territoires aux niveaux national et régional. Un budget dédié devrait être mobilisé pour permettre la mise en place d'une démarche professionnelle efficace. 154 Fondation Jean Jaurès, Réformer le droit à l'expérimentation locale, un enjeu public majeur, février 2018. Cf. supra § 2.4 Cf § 2.4. Engagée dans le réseau Techtown, avec notamment la démarche écosystémique « Le Bivouac » et un projet de bâtiment « Totem » pour les startups, présentés lors de la séance du 19 juin 2018 du collège Territoires du CGEDD . 155 156 157 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 66/170 PUBLIÉ Recommandation 11. Développer, sur le modèle du programme européen Urbact, des « réseaux d'échange apprenants » relatifs au recyclage économique, dotés d'une organisation professionnelle et de moyens facilitant les « démarches apprenantes » et s'appuyant sur des méthodes innovantes, comme celle de la « toile industrielle » (MCTRCT). 3.3. Renforcer l'ingénierie territoriale et l'appui des services de proximité 3.3.1. Les différents besoins d'ingénierie territoriale Les projets de territoire nécessitent une ingénierie, tant lors de leur élaboration que dans le suivi de leur mise en oeuvre. L'Association nationale des pôles territoriaux et des pays (ANPP) distingue trois types d'ingénierie au plan territorial : l'ingénierie de gestion des services techniques, l'ingénierie de projet et l'ingénierie d'animation, les deux dernières se rapportant aux projets de territoires. Dans son référentiel territorial paru en 2018, l'association Le Rameau insiste également sur l'importance de l'ingénierie pour piloter la co-construction territoriale, selon trois niveaux : l'animation du dialogue territorial, l'accompagnement des partenariats et l'accompagnement des expérimentations collectives158. L'énoncé de ces tâches montre l'importance des missions d'impulsion, d'animation et de mobilisation, lesquelles ne sont souvent pas identifiées comme prioritaires lorsqu'il faut économiser les postes d'un budget de fonctionnement. Des situations contrastées selon les territoires Les collectivités territoriales s'étoffent peu à peu en moyens d'ingénierie. Les métropoles et les grandes villes en ont en général la possibilité, la situation est plus délicate pour les plus petites intercommunalités et dans les territoires fragiles, qui disposent souvent de peu de ressources. En Ardèche, au Cheylard, un besoin d'appui en ingénierie territoriale L'EPCI industriel du Val'Eyrieux, situé autour de cette commune du Nord de l'Ardèche connue pour son activité de fabrique de bijoux, sait valoriser ses qualités d'attractivité (culture industrielle, cadre de vie, environnement social et culturel), optimiser ses moyens (un lieu unique comportant des services et un fablab), mobiliser des outils tels que PETR, TEPCV... et dialoguer avec le Département comme avec la Région. Mais pour anticiper les mutations et conduire une politique plus ambitieuse, l'EPCI identifie un besoin déterminant d'ingénierie de projet et d'animation qui reste difficile à satisfaire au niveau d'une petite intercommunalité territorialement isolée, ce qui suggère des solutions mutualisées, avec un apport du Département et de l'État. Cela permettra par exemple de mieux inscrire dans la réalité locale la démarche Territoires d'industrie, vécue au départ comme trop « top down ». Certains territoires peuvent cependant mobiliser des moyens à un autre niveau, comme au sein des agences d'urbanisme ou encore dans les parcs naturels régionaux. Des solutions de mutualisation se développent aussi à l'échelle des pôles territoriaux. De nombreux Départements ont, comme l'Ardèche, créé des agences qui offrent des prestations d'ingénierie aux EPCI. Dans les territoires fragiles ou insuffisamment pourvus, l'État doit avoir un rôle et apporter un appui, au moins tant que les collectivités n'ont pas pu s'organiser à la bonne échelle. 158 L' « animation » signifie un partage des connaissances, une sensibilisation aux partenariats et une mise en relation ; l' « accompagnement des partenariats » comporte la préparation, l'accompagnement et l'évaluation ; l' « accompagnement des expérimentations » comprend la capacité à faire émerger les besoins, l'aide à la coconstruction des solutions et l'évaluation. Mutations économiques et développement des territoires Page 67/170 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ Ces constats de la mission confirment les réflexions menées en vue de la création de l'Agence nationale pour la cohésion des territoires (ANCT), qui avaient révélé une certaine confusion dans l'appréhension même de la notion d'ingénierie territoriale et démontré la nécessité d'une clarification. La mission propose de définir l'ingénierie territoriale en distinguant trois catégories. Les fondamentaux de l'ingénierie territoriale · L'ingénierie amont de conception de projet (souvent appelée simplement ingénierie de projet) dont le rôle est de transformer une idée ou une intention politique en un projet structuré : cela peut être une opération immobilière sur un territoire donné ou, plus souvent, un ensemble d'opérations et d'actions contribuant à transformer un territoire défini, comme la requalification d'un centre-ville. Cette ingénierie aide donc à définir les objectifs, le mode de réalisation, le montage financier, les études à réaliser pour y parvenir et le choix du type d'opérateur. L'ingénierie opérationnelle privée ou publique, apportée notamment par les SPL et EPFL, opérateurs des collectivités territoriales, ou EPA et EPF d'État. Elle consiste à mettre en oeuvre le projet en tant que maître d'ouvrage ou d'assistant à maîtrise d'ouvrage. L'ingénierie de gestion de projet, de pilotage, d'impulsion et d'animation, dont le rôle est de mobiliser en continu et sur la durée nécessaire l'ensemble des moyens techniques, humains et financiers nécessaires à la réalisation du projet. On parle alors souvent de chef de projet, d'équipe de projet, et de directeur de projet s'il s'agit d'une démarche plus complexe comme un projet de renouvellement urbain. · · 3.3.2. Des manageurs du développement économique durable L'ingénierie de gestion de projet est bien identifiée pour la mise en oeuvre des projets urbains complexes, comme ceux relevant de l'Anru ou de l'Anah, moins dans d'autres cas. Elle est pourtant nécessaire, en la calibrant à la hauteur de l'enjeu, pour tout projet ne se limitant pas à la réalisation d'une opération simple. L'animation d'un projet de territoire159 entre tout à fait dans ce cadre. Il s'agit ici plus spécifiquement de mettre en place des « manageurs » du développement économique durable, à l'instar des chefs de projet urbain (Anru, Coeur de ville...) et des manageurs du commerce, au niveau des EPCI ou à l'échelle inter-territoriale pertinente (PETR...), en lien avec les agences de développement, les CCI..., et de leur faire jouer un rôle d'impulsion, de coordination et d'animation des instances regroupant tous les acteurs, par exemple des conférences territoriales du développement économique durable160. Le manageur doit notamment mobiliser les énergies, entretenir la coopération entre acteurs publics et privés, impliquer davantage toutes les composantes de la société civile, veiller au respect des délais et à l'optimisation des ressources financières, techniques et humaines. Il peut s'appuyer non seulement sur des outils de gestion de projet mais aussi sur des méthodologies de travail collectif permettant coproduction et création de valeur collective161. Pour ancrer cette mission, indispensable mais trop souvent négligée, il importe de la définir, d'en faire un « métier » avec un dispositif de formation et de qualification, de constituer un « vivier » avec des critères de recrutement (comme cela s'est fait à l'époque du démarrage de la politique de renouvellement urbain avec les grands projets urbains (GPV) puis l'Anru). La Fédération des EPL a produit en interne un travail pour caractériser ce nouveau métier, et constate son émergence au sein 159 Tel que défini supra au § 1.4. Proposées au § 3.1.3. Par exemple des approches de type Symbiogora (cité supra au § 3.2). 160 161 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 68/170 PUBLIÉ des entreprises publiques locales. La CDC pourrait être mobilisée ainsi que l'ANCT, dès qu'elle sera opérationnelle, afin de porter une politique d'appui à la mise en place de ces manageurs : définition de fonction, cofinancement, aide au recrutement, développement des outils méthodologiques. Recommandation 12. Promouvoir un métier de « manageur du développement économique durable », mobilisateur de toutes les énergies locales, et encourager la mise en place de ces animateurs-développeurs d'écosystèmes grâce à un dispositif de soutien professionnel et financier mobilisant la CDC et l'ANCT (MCTRCT). 3.3.3. La mobilisation des opérateurs fonciers et d'aménagement La mobilisation des opérateurs fonciers et d'aménagement sur les enjeux de développement économique, notamment de recyclage des zones d'activité et des sites pollués a été évoquée à plusieurs reprises. Il s'agit des opérateurs rattachés à l'État (EPA, EPF), des opérateurs rattachés aux collectivités territoriales (SPL, SEM, EPF) et des opérateurs privés « qui ne peuvent pas tout faire » quand les conditions économiques ne sont pas les plus favorables, comme on l'a vu dans le cas des sites pollués. Les opérateurs de l'État ont particulièrement un rôle pionnier à jouer pour développer les projets de requalification et de recyclage, lorsqu'ils sont nouveaux et difficiles. Cela suppose qu'ils se positionnent davantage sur ces sujets. Concernant l'action foncière, on a constaté que les projets de restructuration de zones d'activités économiques et commerciales nécessitent le plus souvent des étapes de restructuration foncière avant mise en oeuvre. Il en est de même pour ce qui est du recyclage des sites pollués. Les « opérateurs historiques », EPF Nord-Pas-de-Calais, Normandie et Lorraine, ont développé un savoir faire et des moyens d'intervention dans ce domaine. Une politique d'intensification du recyclage économique impose de permettre un positionnement de tous les EPF sur ce sujet, en fonction des besoins de leurs territoires d'intervention respectifs162. Concernant l'aménagement, les EPA interviennent souvent sur des opérations complexes ou des secteurs difficiles en termes de situation sociale ou de gouvernance territoriale. Ils peuvent utilement s'impliquer davantage sur les enjeux économiques, comme le fait l'Epase à Saint-Etienne sur les questions plus spécifiques du commerce à la fois en centre-ville (création d'une foncière de portage des locaux à requalifier) et en périphérie (restructuration d'une zone commerciale d'entrée de ville). Il paraît intéressant que ces établissements confortent leur positionnement d'« opérateurs ensembliers », à l'image de structures existantes dans des pays voisins, comme Citydev.brussels163. Les anciens bassins industriels et autres territoires fragiles sont souvent ceux qui sont également le plus en manque d'une gouvernance politique forte et dépourvus de structures opératrices solides. Alors qu'on peut s'interroger sur le maintien d'EPA, pilotés par l'État, au sein des territoires métropolitains, il serait judicieux d'étudier la possibilité de positionner de tels outils dans les territoires en difficulté, le cas échéant sous la forme d'opérateurs ensembliers en capacité d'agir à la fois dans le domaine du foncier, de l'aménagement, du développement économique et de la transition écologique. Un tel sujet pourrait faire l'objet d'une étude de faisabilité à partir d'une évaluation des besoins des territoires. Suggestion. Mettre à l'étude, dans le cadre d'une réflexion sur le devenir des outils d'aménagement de l'État, la possibilité de positionner de nouveaux opérateurs ensembliers 162 Cf supra § 2.2 et 2.4. avec une recommandation sur les missions des EPF. Anciennement, Société de Développement pour la Région de Bruxelles-Capitale (Belgique) Mutations économiques et développement des territoires Page 69/170 163 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ (foncier, aménagement, développement économique et transition écologique) dans les territoires en difficulté situés hors des métropoles (MTES, MCTRCT). 3.3.4. Un accompagnement de proximité mieux ajusté des services de l'État La question du rôle de l'État dans le développement des territoires se présente de façon paradoxale. Les compétences sont décentralisées en matière d'appui à l'innovation, d'accueil des entreprises et de foncier économique, mais on en appelle à l'État en cas de fermeture d'entreprise. Dans les axes de réorganisation territoriale annoncés le 23 mai dernier par le Premier ministre, il est prévu un recentrage de l'État sur le suivi des filières stratégiques, des politiques d'innovation et du numérique et l'accompagnement des entreprises en difficulté. Le développement économique des territoires n'est pas explicitement cité et les DIRECCTE doivent abandonner leur mission de connaissance et d'animation. L'État continuera, à n'en pas douter, d'intervenir dans les situations de crise, ne serait-ce que parce que les entreprises dont les difficultés sont médiatisées dépendent souvent de groupes nationaux ou internationaux dont l'État reste un interlocuteur. En amont, une meilleure anticipation, surtout dans les territoires fragiles 164, a tout à gagner d'une coopération renforcée entre l'État et ses services locaux, les Régions et intercommunalités et leurs services ou agences. Hormis ces situations, les services de l'État restent sollicités à divers degrés selon les lieux, pour assurer un appui qui nécessite une intelligence territoriale et une attitude d'accompagnement. La plupart des acteurs locaux auditionnés par la mission ont exprimé le souhait d'un État « agile », facilitateur, aidant à la mise en oeuvre de règles lisibles et stables, développant des capacités à innover, à prendre des risques et à fédérer. Comment répondre à ces attentes dans un contexte de repli de l'État sur les missions régaliennes et de baisse de moyens ? Ce n'est pas impossible, à condition de miser sur une mobilisation et un bon positionnement des équipes 165 ; cela suppose aussi une organisation des services pensée à l'échelle régionale afin de pouvoir mieux placer les équipes territoriales là où une présence de proximité est la plus utile et tant que cela s'avère nécessaire 166. Le travail en mode projet entre les services de l'État et, le cas échéant, avec d'autres entités s'avère utile pour développer ce positionnement. C'est ce que font la DREAL de Normandie et la DDT de Seine Maritime pour les projets liés à la métropole de Rouen, ou bien les services du département de l'Ardèche, de la Préfecture, et de la DDT pour construire un projet de transition écologique. L'idée de « sous-préfets développeurs », lancée par Jacques Chérèque, alors ministre délégué à l'aménagement du territoire (1988-1991) pourrait être à nouveau envisagée pour la gestion de projets complexes. Les DREAL sont attendues pour porter les stratégies nationales au niveau régional, assurer la cohérence et contrôler la mise en oeuvre des politiques publiques, dans une attitude constructive et non uniquement « doctrinale », en particulier pour ce qui concerne l'intégration des préoccupations environnementales. Les DDT sont bien placées pour assurer un conseil aux territoires avec une vision d'ensemble et une culture du projet. Ce rôle leur a été demandé et a fait l'objet d'une évaluation167. Leur connaissance du monde des entreprises serait cependant à renforcer afin de savoir mieux articuler aménagement et développement économique. Les DDT pourraient, pendant une période transitoire, s'appuyer à cet effet sur les compétences des DIRECCTE. 164 Cf supra § 2.1. Pierre Veltz pointe le « blues dans la fonction publique alors qu'il y a tant de choses fabuleuses à faire », « les fonctionnaires ne demandent qu'à s'impliquer mais n'ont pas le sentiment d'être bien positionnés pour cela ». L'organisation peut être pilotée au niveau régional avec des services répartis sur les territoires selon des priorités de localisation liées aux enjeux et aux besoins des territoires ; dans les années récentes certaines DREAL ont pu aussi localiser des emplois « régionaux » au sein de DDT sur des sujets particuliers afin de renforcer la proximité. Voir aussi à ce sujet l'ensemble des réflexions formulées par le CGEDD sur l'évolution de l'ingénierie territoriale et les conditions de mise en place du nouveau conseil aux territoires. 165 166 167 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 70/170 PUBLIÉ Pour accompagner ces évolutions, un programme national de formation-action serait à mettre en oeuvre, de manière similaire à ce que font les entreprises en mutation. Certaines actions engagées sont à poursuivre, par exemple dans le cadre de la « Fabrique à projets », laboratoire d'innovation publique porté par l'Ifore. On doit également s'assurer d'une complémentarité avec les actions des collectivités territoriales, notamment Régions et Départements, dans le cadre de l'ANCT 168. Suggestion. Positionner les services territoriaux de l'État sur des missions de facilitateur et d'appui de proximité en y affectant une part définie de leurs moyens, en les organisant de façon coordonnée avec celles des Régions et des Départements, en faisant bénéficier les équipes des DREAL et DDT de moyens de connaissance et d'expertise, ainsi que d'un programme national de formation à l'accompagnement de projets économiques durables (MTES, MCTRCT). Le maintien revendiqué de services publics de proximité dans les territoires ne concerne pas que les services de l'État mais aussi ceux d'autres collectivités, ou des opérateurs. Il suppose la mise en oeuvre de profondes mutations de leur part, telles que celles menées par la Poste. Sans préjuger de sa réussite, cet exemple est cité pour montrer l'ampleur d'une telle démarche de transformation 169. La Poste, service public et entreprise en mutation Le service postal universel, tel que défini par une directive européenne, a été confié en France à la Poste . Selon le Code de la poste, il « concourt à la cohésion sociale et au développement équilibré du territoire». Un fonds de compensation assure à la Poste le financement des coûts nets liés à ses obligations de service universel, notamment en termes d'accessibilité. Le réseau de points de contact a été profondément transformé : ainsi fin 2014, les 17 000 points comportaient plus de 5 000 « agences postales communales », gérées par les mairies, et 2 000 « relais-postes » gérés en partenariat avec des commerçants locaux. La Poste a innové dans ses process et a recherché de nouveaux services (base de données clients, passage de l'examen du code de la route, livraison de colis par drone en France...) avec un considérable effort de formation des facteurs. La Poste s'efforce ainsi de repenser son ancrage territorial. L'ANCT, en cours de mise en place, sera, selon l'annonce de ses futures missions, d'une part, dédiée au portage de certains programmes nationaux comme « Action coeur de ville » ainsi qu'à la mise en oeuvre d'une nouvelle contractualisation préparée par l'État, d'autre part, chargée de veiller à ce qu'un territoire trouve une « solution » pour tout projet à monter. La mission suggère que les premières actions de la nouvelle agence portent sur la définition d'une doctrine relative à l'ingénierie territoriale et sa mise en oeuvre prioritairement dans les projets économiques des territoires, avec le développement d'une « boite à outils », notamment la promotion des manageurs du développement170. Cela suppose l'existence de relais proches du terrain, sous le contrôle du préfet, désigné délégué territorial de l'Agence. L'organisation la plus efficace serait de constituer ces relais au niveau des équipes locales des DDT, positionnées dans leur mission de conseil au territoire. Recommandation 13. Dès la création de l'Agence nationale pour la cohésion des territoires (ANCT), définir une doctrine relative à l'ingénierie territoriale et engager sa mise en oeuvre pour soutenir prioritairement les projets économiques locaux inscrits dans la transition écologique, avec l'appui et le relais des services de l'État, particulièrement des équipes de proximité des DDT chargées d'un rôle de conseil de proximité (MCTRCT). 168 Cf ci-après. Cf également annexe 3.3. Proposés supra au § 3.3.3. Mutations économiques et développement des territoires Page 71/170 169 170 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ 3.4. Développer des dispositifs contractuels incitatifs et cohérents 3.4.1. Un besoin de lisibilité et de stabilité des dispositifs portés par l'État Depuis plus de 30 ans, à la suite des grands mouvements de décentralisation, de nombreux outils contractuels et dispositifs ont été développés par l'État. Ils présentent chacun leur utilité en mettant l'accent sur une thématique, en ciblant une problématique territoriale spécifique, en suscitant un dialogue entre acteurs autour d'une vision ou encore en activant la construction d'un projet. Même en se limitant aux dispositifs en lien avec le sujet de la mission, leur nombre est important et s'est encore accru dans la période récente171. S'y ajoutent d'autres outils spécifiques initiés par l'État dans le domaine économique comme les pôles de compétitivité, les pôles territoriaux de coopération économique (PTCE), un grand nombre d'appels à projets au premier rang desquels ceux relevant du programme d'investissements d'avenir (PIA)... Des critiques ont été entendues de la part des acteurs locaux et patronaux quant à la profusion de ces outils et dispositifs : · des dispositifs foisonnants et peu lisibles : selon le MEDEF, les entreprises sont désorientées devant la multitude de dispositifs ; les élus expriment des difficultés à « accrocher » à des initiatives qui ne correspondent pas à la temporalité et à la cohérence de leur projet local ; des dispositifs mal articulés entre eux : ainsi, il n'y a pas de lien entre le PIA et les CTE, ni entre les CTE et les « Territoires d'industrie », ni entre ces derniers et « Action coeur de ville » ; des dispositifs dont le suivi est mal assuré dans la durée : par exemple, l'État et la CDC ne portent plus les PTCE à peine quatre ans après leur reconnaissance législative 172 et malgré leur poursuite au niveau local173 . · · L'avenir des contrats de plan État-Régions et de leur volet territorial dans la perspective de 2020, échéance de la période en cours, a également été soulevé à l'occasion d'entretiens de la mission. La question de la forme et du contenu des futurs contrats de plan, dans l'hypothèse d'une reconduction de leur principe, ainsi que de leur déclinaison territoriale, croise les enjeux d'évolution de l'ensemble des dispositifs contractuels évoqués. Comme sur bien d'autres sujets, une volonté de simplification a été exprimée au niveau national et la perspective d'un contrat unique a été avancée, sous la forme d'un « contrat de cohésion territoriale » qui pourrait être porté par l'ANCT 174. Il paraît cependant peu probable que celui-ci regroupe en un seul outil tous les dispositifs, alors que chaque département ministériel souhaite conserver des approches spécifiques et des types adaptés de territoires (industriels, frontaliers, ruraux, touristiques...). Il serait donc souhaitable de définir un « contrat socle » décliné ensuite selon divers contrats thématiques ou, à défaut (mais avec le risque d'une approche moins rigoureuse et plus 171 « Contrats de ville », « contrats de ruralité » (passés avec les Pôles d'équilibre territorial et rural (PETR) qui prennent la suite des « pays »), « pacte État ­ métropoles » décliné en « pactes métropolitains d'innovation et de coopération », contrats « Action coeur de ville », contrats « Territoires d'industrie », « contrats de transition écologique »... série faisant l'objet de plusieurs recensements et analyses, notamment de la part du CGET. Loi relative à l'économie sociale et solidaire du 31 juillet 2014, article 9. De même, des contrats de pays continuent d'exister (voire d'être élaborés avec des Régions) alors que l'État ne les porte plus depuis que la loi MAPTAM (article 79) a permis aux pays de se transformer en PETR; la continuité des financements n'est pas toujours respectée, selon l'ANPP citant les contrats de ruralité. Un rapport récent en suggère des modalités pour éviter les travers des dispositifs antérieurs : IGA, Les nouveaux types d'engagements entre l'État et les collectivités territoriales, février 2019. 172 173 174 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 72/170 PUBLIÉ difficile à faire respecter), un « socle commun » à tous les contrats : principes, vocabulaire, boîte à outils, exigences, notamment en termes de projet de territoire175. 3.4.2. La transition écologique au coeur des dispositifs contractuels Les contrats de transition écologique (CTE) ont été La CFDT a pris l'initiative de proposer une démarche de CTE sur Fos-sur- lancés à titre expérimental Mer, bassin industriel fortement pollué, pour le transformer via la mise en début 2018. 19 territoires place d'une plateforme collective et le lancement de projets d'entreprise. ont été retenus en deux Des associations ont soutenu cette proposition de changement de modèle, vagues, en février 2018 puis qui comporte des dimensions sociale, économique, fiscale et en février 2019, dans la professionnelle avec une notion de parcours métier, faisant émerger l'idée finalité de définir les d'un « campus des métiers », lieu d'échange de bonnes pratiques en faveur contours d'un nouvel outil de l'écologie et de l'économie circulaire. Ces propositions, quelle que soit pour une contractualisation la manière dont elles seront reprises, sont l'illustration d'un bon degré transversale en matière de d'appropriation de l'outil CTE par différents types d'acteurs. développement durable. Ces premiers contrats devaient être finalisés pour une signature au cours de l'été 2019, la première ayant eu lieu à Arras. Un appel à candidature a ensuite été lancé, conduisant, le 9 juillet dernier, à retenir 61 nouveaux sites. Le principe a été de privilégier les EPCI, considérés comme le bon échelon de contractualisation, ou une alliance d'EPCI. Un « CTE » pour Fos-sur-Mer, proposé par un syndicat Les CTE ont pris la suite des « Territoires à énergie positive pour la croissance verte » (TEPCV)176. Ces démarches avaient suscité des dynamiques du fait des financements qui les accompagnaient, mais manquaient sans doute de priorisation, et ont été stoppées sans faire l'objet d'une évaluation. Le CTE se veut avant tout une méthode pour concevoir la transition écologique comme un moteur de transformation au plan local en aidant les élus à bâtir un projet de territoire avec l'appui de spécialistes, à partir d'une réflexion prospective sur 10 à 20 ans et en mettant autour de la table le monde économique, les acteurs territoriaux, les agences, les administrations... La démarche suscite l'intérêt de représentants de la société civile rencontrés par la mission. Ainsi France nature environnement (FNE) considère que cet outil doit être développé afin de « contaminer » positivement les projets territoriaux de transition écologique par l'exemple et la proximité. La CFDT concrétise avec le CTE sa vision d'acteur de « territoire de projet » et se fait force de proposition à Fos-sur-Mer ; les parties prenantes suscitées par le Département font de même en Ardèche. La démarche du CTE apparaît prometteuse sous réserve de surmonter certains écueils : faire en sorte que les élus fassent vivre la démarche et que les entreprises et la société civile prennent leur place, mobiliser les moyens d'ingénierie nécessaires à la tenue de la démarche dans la durée et ne pas se limiter à un catalogue d'actions, mais prendre le temps d'une approche holistique et prospective permettant de penser la transition écologique de l'ensemble du tissu économique territorial. Le dispositif contractuel proposé par l'État doit ainsi refléter plusieurs conditions : · identifier et traiter en priorité des projets structurants pour la transformation du territoire, à savoir des projets d'aménagement en lien avec l'image du territoire, ses choix énergétiques, l'organisation des mobilités, l'accompagnement de la conversion écologique des entreprises, s'appuyer sur une véritable plate-forme de coopération entre parties prenantes, rassemblant, sous l'égide de l'EPCI, les autres collectivités intervenant sur le territoire, les opérateurs locaux, les acteurs publics (y compris Pôle emploi, universités...), les grands opérateurs (CDC, Ademe, Agence de l'eau...), les associations et les partenaires privés, · 175 Cf supra § 1,4,1. Les TEPCV avaient eux-mêmes amplifié le mouvement des territoires à énergie positive (TEPOS) lancés par le CLER, réseau pour la transition énergétique. Mutations économiques et développement des territoires Page 73/170 176 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ · positionner l'État dans un rôle de facilitateur, garant de l'ambition portée et de la mobilisation des acteurs, apporteur prioritairement de moyens en ingénierie de haut niveau. L'utilisation du CTE pour les territoires en difficulté ou en mutation avait été envisagée lors du lancement de la démarche, en particulier pour les territoires concernés par la fermeture de centrales à charbon. L'État a décidé de faire appel à un autre dispositif, le « pacte de développement territorial », pour le bassin minier, les Ardennes et d'autres territoires ayant besoin d'un soutien spécifique. Pour autant, au-delà la mise en place de financements dédiés ou d'un délégué interministériel, la méthode d'intervention est proche. C'est pourquoi la mission suggère que la question de déployer également les CTE dans les territoires fragiles soit envisagée à nouveau, sous réserve de prévoir des dispositions particulières, en particulier un fonds spécifique pour l'accompagnement de ces territoires face à la transition écologique. La question se pose aussi des modalités de généralisation progressive de la démarche, à l'heure de la réflexion sur un contrat territorial unique. Tous les territoires sont concernés par la transformation écologique et celle-ci est transversale à l'ensemble des enjeux, particulièrement ceux de la cohésion sociale et territoriale. Ceci suggère d'envisager la conception d'un contrat de cohésion territoriale ET de transition écologique, qui serait proposé à toutes les intercommunalités ou à des regroupements de plusieurs intercommunalités constituant entre elles une aire urbaine ou un bassin économique ou un bassin d'emploi. Ce dispositif pourrait alors être articulé avec les futurs contrats de plan ÉtatRégion (volet territorial) et constituer le « contrat socle » évoqué ci-dessus, complété en tant que de besoin par des contrats particuliers177 (territoires ruraux, industriels, touristiques...) 178, assortis d'une mise en cohérence de l'ensemble des dispositifs selon un référentiel commun, fondé sur les piliers du développement durable. L'un des points clefs est de susciter de véritables coopérations inter-territoriales dont on a précédemment constaté la faiblesse. Ce référentiel devrait donc impérativement comporter des engagements de coopérations réelles et évaluables, assortis de conditionnalités ou d'incitations financières. Recommandation 14. Afin d'assurer une conversion écologique sociale et solidaire, développer un contrat « unique » de cohésion territoriale et de transition écologique, doté de financements modulés selon les fragilités du territoire, et organiser au niveau interministériel une mise en cohérence des dispositifs contractuels autour de la transition écologique et de la démarche de projet de territoire (MCTRCT, MTES, MEF). 3.4.3. La mobilisation de financements incitatifs et ciblés Le principe d'une articulation entre projet de territoire, dispositif contractuel et financements est à réaffirmer. Les modalités en sont à redéfinir en fonction du futur « contrat socle », du nécessaire ciblage des moyens sur les territoires fragiles, des conditionnalités à prescrire en termes de coopérations inter-territoriales et de la priorité à donner aux enjeux de la transition écologique. La mobilisation des financements publics français est à réaliser en complémentarité avec celle des fonds européens et en articulation avec l'intervention des opérateurs financiers publics de type Ademe, CDC et BPI. Ceux-ci jouent un rôle de levier par rapport aux investissements et financements privés, sans oublier que c'est sur l'ensemble du système bancaire présent dans les territoires que repose le financement des entreprises. L'évolution des politiques d'implantation des banques, avec une tendance à la concentration régionale qui peut devenir préoccupante pour les PME en territoire 177 Les périmètres et les partenaires pouvant être différents d'un contrat à l'autre. Une proposition du rapport de mission « Agenda rural », cité au § 3.1. va dans le même sens. 178 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 74/170 PUBLIÉ rural, est donc un sujet sensible, soulevé par plusieurs interlocuteurs de la mission. Par ailleurs, les différents modes d'implication des collectivités territoriales dans le système de financement mériteraient aussi d'être examinés au regard de pratiques de pays voisins, comme une initiative récente en synergie public-privé au Royaume-Uni 179. La période actuelle de remise à plat des fonds structurels européens est un moment propice à la réflexion. Pour ce qui est des grands opérateurs de l'État, la mission a constaté un engagement territorial fort : · l'Ademe s'implique dans le développement de partenariats à l'échelle locale, avec pour objectif de renforcer l'ancrage territorial des entreprises, et spécifie ses actions selon le type de territoire, urbain ou peu dense, avec un grand nombre de volets expérimentaux permettant de tester des approches complexes sur le lien entre mobilité et économie ; La CDC investit fortement au service du développement local (1 Md en 2017, 8 Md d'investissements générés par effet de levier), dans le cadre de politiques portées par les collectivités territoriales ; le label « Banque des territoires » exprime notamment l'engagement renforcé de la CDC dans les écosystèmes, comme pour le programme « Action Coeur de ville » avec des moyens d'ingénierie, des prêts et des investissements ; BPI France (ou BPI), la banque publique d'investissement, finance les entreprises et leur développement, y compris désormais les TPE ; elle a une forte présence territoriale avec 90 % de ses décisions prises en région, 48 implantations territoriales et 27 directions régionales pour être au plus près des entreprises ; avec une gouvernance dans laquelle s'expriment les collectivités territoriales, elle se présente comme un levier pour lever les ressources privées, selon un rôle déterminant d'interface. · · Si ces acteurs sont engagés de façon proactive dans l'exercice de leurs missions de financement de projet, il pourrait s'avérer utile de réfléchir à la possibilité de leur permettre une prise de risque avisée dans certains domaines (dépollution des sols, remise sur le marché de zones menacées d'obsolescence, accélération de démarches d'économie circulaire...). Ainsi que l'ont souligné certains acteurs auditionnés, le droit à l'erreur ou à l'échec semble encore trop peu reconnu en France, par rapport à la situation d'autres pays. Cela suppose de développer un état d'esprit différent, et aussi des dispositifs de mutualisation des risques ou des outils de type « fonds de garantie ». Par ailleurs, il importe de veiller à ce que les financements dédiés à l'innovation ne soient pas déconnectés des enjeux territoriaux. Ainsi la logique des premiers programmes d'investissements d'avenir (PIA), orientés vers l'innovation et l'excellence, a conduit à ce que la plupart des investissements ont été réalisés au sein des métropoles. Les financements de l'État ont donc renforcé les territoires qui étaient déjà les plus riches en ressources. La création d'une enveloppe régionalisée, dotée d'un montant de 250 M, devrait permettre que certains financements soient orientés vers d'autres types de territoires, sans déroger aux critères du PIA. De même le programme « territoires d'innovation de grande ambition » (TIGA) lancé il y a deux ans, ne porte plus uniquement sur les territoires les plus avancés et une exigence d' « alliance de territoires » a été posée180. Ces ouvertures sont à poursuivre et amplifier181. 179 Cf annexe 6. Ainsi, sur les 24 territoires retenus en première phase, il y a 9 métropoles dont 3 ont proposé une alliance avec leur périphérie. L'importance relative des montants financiers attachés aux trois premiers PIA justifie que ses effets territoriaux soient évalués et que ses objectifs soient coordonnés avec ceux d'une politique nationale d'aménagement du territoire, telle que proposée au § 1.4. remonter dans le texte ?? Mutations économiques et développement des territoires Page 75/170 180 181 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ Enfin, l'aide aux territoires et aux Le « pacte Ardennes 2022 », un dispositif dont le principe est à populations fragiles entre dans le dupliquer pour les territoires fragiles champ de la solidarité nationale et, comme évoqué, doit à ce titre faire Dans le cadre de la politique de développement et de cohésion des l'objet de financements priorisés territoires présentée lors de la séance du 20 avril 2018 en Conseil de l'État et de ses opérateurs, soit des ministres, le département des Ardennes a été identifié par le Gouvernement comme étant un territoire fragile, devant faire face à dans le cadre d'un dispositif des difficultés démographiques, économiques et sociales, et où une spécifique de type pacte territorial action particulière d'accompagnement et d'appui était nécessaire. comme cela été engagé pour les Fort d'un diagnostic partagé, ce soutien s'est traduit par la mise en Ardennes, soit éventuellement place d'un plan spécifique en mars 2019 où des actions et des dans le cadre d'un CTE adapté et investissements ont été ciblés en vue d'enclencher un rebond dans doté de moyens particuliers. Le l'ensemble du champ de l'action publique. développement économique des zones rurales et des villes moyennes demeure une préoccupation majeure. L'État y conserve un rôle essentiel pour assurer des conditions de rebond et une garantie d'équité territoriale. Suggestion. Mobiliser les financements de l'Union européenne, de l'État et de ses opérateurs (CDC, BPI, Ademe...) en lien avec le nouveau contrat territorial, et les moduler selon des critères de fragilité des territoires et de leur population (MCTRCT, MEF). Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 76/170 PUBLIÉ Conclusion Le « grand débat national » organisé par le Gouvernement début 2019 a débouché sur des propositions très nombreuses et paraissant difficiles à concilier. Quatre priorités émergent toutefois de manière indiscutable et quasi consensuelle (selon l'analyse des contributions libres au grand débat produite par Cognito, Bluenove, Roland Berger en avril 2019) : l'urgence écologique, la justice sociale, la qualité des services de proximité, le renouvellement démocratique et citoyen. Au terme de la présente mission, on observe que les analyses et propositions présentées peuvent nourrir chacun de ces axes, dans le champ du développement territorial traité par le rapport : · urgence écologique impliquant innovation et action à tous les niveaux : promouvoir la transformation économique des territoires autour d'objectifs intégrées de transition écologique et de cohésion sociale dans le cadre d'un dispositif contractuel unifié ; justice sociale impliquant notamment une fiscalité équitable, qu'il s'agisse des ménages ou des entreprises : inciter les acteurs économiques, y compris les petites et moyennes entreprises, à travailler davantage en coopération (clusters, économie circulaire, RSE territorialisée...) afin de renforcer leur synergie et leur attachement au territoire ; services accessibles et proches des territoires : concentrer la présence de proximité des services de l'État afin qu'ils assurent, en lien avec ceux des collectivités territoriales, un rôle de facilitateur de projet quand cela est nécessaire, là où il y en a encore besoin ; renouvellement de la démocratie et engagement des citoyens : définir et mettre en oeuvre des stratégies, des projets de territoire et des dispositifs d'animation permettant une plus forte implication de tous, notamment de nouveaux acteurs issus de la société civile. · · · Le rapport suggère une nouvelle approche pour une politique des territoires, celle de veiller d'abord à une « prise en compte » de chacun d'entre eux : s'ils sont en concurrence et dotés d'atouts inégaux, tous sont pourvu de capacités qu'ils ont vocation à mobiliser pour s'inscrire dans la perspective d'un développement harmonieux et producteur de valeur. C'est pourquoi, en amont de la mise en oeuvre des nécessaires politiques de redistribution, il est proposé aux pouvoirs publics de faire d'abord en sorte que chaque territoire dispose des moyens de se connaître, de définir son projet et de se constituer en écosystème créatif et dynamique, capable de saisir tous les leviers d'action, impérativement en interaction et en coopération avec les territoires voisins et partenaires. Il s'agit de faire en sorte que chaque territoire puisse exercer un droit à prendre place dans une transformation économique durable, tout en affirmant son identité, ses spécificités et « sa beauté », même quand il n'est ni un territoire touristique ni une ville historique. L'établissement conjoint d'un projet de territoire national permettra de susciter une vision fondée sur l'alliance des territoires. Au lieu de continuer d'opposer métropoles et périphéries, cette vision partagée permettra de considérer la France comme un ensemble de grands territoires en interaction, dont chacun sera pensé, développé et, à terme, gouverné comme une « métropole » : métropole mondiale ou européenne, métropole d'équilibre, « métropole alternative » (comme un département rural, un grand bassin industriel, un espace transfrontalier...). Tels sont les messages et suggestions qui résultent de la présente mission. Pierre NARRING Mireille VIORA Ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts Administratrice civile hors classe Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 77/170 PUBLIÉ Annexes Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 78/170 PUBLIÉ 1. Note de commande Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 79/170 PUBLIÉ Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 80/170 PUBLIÉ 2. Liste des personnes rencontrées Organisme AdCF Assemblée des Communautés de France Ademe Nom, fonction Nicolas PORTIER, délégué général Fabrice BOISSIER, directeur général François MOISAND, directeur stratégie recherche international Guy FABRE, directeur adjoint action territoriale Adi Association des directeurs de l'immobilier Afilog Association française de l'immobilier logistique Afite Association française des ingénieurs et techniciens de l'environnement Agence d'attractivité de Toulouse Hubert CALMETTES, directeur général Métropole AUAT Agence d'urbanisme de l'agglomération toulousaine Agence d'urbanisme de l'Artois Agence territoriale de la région de Thionville/Longwy Jean-Marc MESQUIDA, directeur général Yann CABROL, directeur des Coopérations grands territoires Carole BOGAERT, directrice Jean SALQUE, directeur 25/09/18 07/09/18 14/02/19 29/11/18 12/09/18 12/09/18 Christian CLERET, président d'honneur Laure-Reine GAPP, déléguée générale et divers membres de l'association Claude SAMSON, président Diana DIZIAN, directrice déléguée Renaud AVOCAT, président commission sols pollués 10/12/18 27/11/18 21/06/18 30/11/18 Date 18/07/18 04/07/18 Ambassade de Suisse, service Céline CHAMPION DESSIBOURG, cheffe de service économique à Paris AMF Association des maires de France Eric VERLHAC, directeur général Sylvain BELLION, correspondant territoires Marion DIDIER, conseillère développement économique, commerce, tourisme. ANPP Association nationale des pôles territoriaux et des Pays Michael RESTIER, directeur Lisa BABERRIERE, Chargée de mission 08/01/18 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 81/170 PUBLIÉ ADNV Association pour le développement du Nord Vaudois Suisse Ae Autorité environnementale Assemblée nationale Christine LEU, coordinatrice régionale. 04/12/18 Philippe LEDENVIC, président François DUVAL, membre Jean-Luc WARSMANN, député des Ardennes Richard JOLY, directeur général 18/01/19 10/09/18 10/01/18 14/11/18 Betemps Bois Vallée de l'Arve Bouverat ­ Pernat Vallée de l'Arve BPCE Banques populaires et Caisses d'épargne BPI France Banque publique d'investissement Brownfields Business France Louis PERNAT, directeur commercial 14/11/18 Arnaud BERGER, directeur Prospective économie verte et RSE 04/07/18 Marie-Adeline PEIX, directrice des partenariats régionaux et 01/10/18 de l'action territoriale Stéphane HAYEZ, directeur adjoint Patrick VITERBO, président Caroline LEBOUCHER, directrice générale déléguée Audrey MASSOLS, cheffe de service accompagnement des entreprises Stéphane RONAN, responsable de l'offre territoriale France 13/09/18 27/06/18 Cabinet du ministre de la Cohésion Marc CHAPPUIS, directeur adjoint de cabinet des territoires et des Relations avec les Collectivités Territoriales CCI de Haute Savoie François BORDELIER, directeur général adjoint 29/06/18 13/09/18 14/11/18 15/11/18 CCI de la Drôme Carine FLEURY, animatrice de la communauté Ecobiz « social 31/07/18 business » Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 82/170 PUBLIÉ CCI France Brigitte SERGENT, directrice développement durable et proximité territoriale Jan-Erik STARLANDER, chargé de mission transition énergétique et écologique, Laure PREVOT, responsable des partenariats institutionnels et territoriaux, Arnault COMITI, juriste-conseil spécialisé en droit de l'environnement industriel 19/07/18 CDC Céline SENMARTIN, directrice adjointe du réseau de la Banque des Territoires Serge BERGAMELLI, directeur adjoint de la direction de l'investissement de la Banque des Territoires 19/07/18 CDC biodiversité Marc ABADIE, président Philippe THIEVENT, directeur 09/01/18 Cerema Lyon Nicolas GILLIO, directeur de projet Aménagement développement économique Agnès POUILLAUDE, Économiste aménagement Denis CROZIER, Chargé étude aménagement Emmanuel DUPLAND, directeur études analyses territoriales Loic GUILBOT, chef groupe projets de territoire et aménagement Bertrand LEROUX, Chargé étude aménagement 03/07/18 Cerema Ouest 25/07/18 CFDT CGC CGDD/DRI/SDI1 Bureau de l'innovation et de la compétitivité des entreprises CGDD/SDES Service de la donnée et des études statistiques CGDD/SEEID/REAE2 Bureau de la production et de la consommation responsables CGDD/DDD/DPVS Département des projets et de la veille stratégique Augustin BOURGUIGNAT, secrétaire confédéral en charge de l'industrie François MOREUX, délégué national, membre de la plateforme RSE Pierre TERRIER, chef de bureau 20/11/18 24/09/18 25/10/18 Sylvain MOREAU, chef de service Valéry MORARD, sous-directeur Lionel JANIN, Sous directeur Priscille GUESQUIERE, cheffe de bureau 24/07/18 24/07/18 Gwenaël ROUDAUT, adjoint au chef du département Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 83/170 PUBLIÉ CGEDD Conseil général de l'environnement et du développement durable Marie DEKETELAERE-HANNA Jean-Jacques KEGELART Aude DUFOURMANTELLE Pascal TERRASSE Philippe GRAND Sylvie ALEXANDRE Patricia CORREZE-LENEE Emmanuel REBEILLE-BORGELLA, président de section Audit, inspection, vie des services Alby SCHMITT, coordonnateur de MIGT (Metz) Nicolas FORRAY, président de section Milieu, ressources, risques Pierre-Alain ROCHE, président de section Mobilité, transports Jean-Michel MALERBA, président de section Transition énergétique, construction, innovation 24/06/18 25/07/18 13/06/18 25/10/18 05/06/18 02/05/19 19/09/18 06/02/19 07/09/18 07/05/19 11/02/19 25/01/19 07/06/18 04/09/18 18/12/18 CGET Commissariat général à l'égalité des territoires Hugo BEVORT, directeur des stratégies territoriales, et son équipe Chambre d'agriculture de l'Ardèche Jean-Luc FLAUGERE, président Cité des Sciences de Naples Italie CJD Centre des jeunes dirigeants d'entreprise Club ville et aménagement Cluster CD2E Centre de développement des écoentreprises Cluster Innosquare Fribourg Suisse CNER Pascal BOVET, directeur Jacques BERSIER, directeur adjoint de la haute école Antoine ANGEARD, délégué général Anne-Marie BRUYAS, directrice des relations extérieures Massimo PICCAMA, architecte du projet Pierre MINODIER, président 17/10/18 07/12/18 Damien ROBERT, vice-président, directeur général adjoint de 07/11/18 Paris-Aménagement Victor FERREIRA, directeur 25/09/18 05/12/18 17/09/18 Fédération des agences Clémence BINET, chargée de mission d'attractivité, de développement et d'innovation Communauté d'agglomération Valence Romans Sud François MONTERRAT, directeur adjoint de la direction économique 31/07/18 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 84/170 PUBLIÉ Communauté de communes de Val'eyrieux Ardèche Dr Jacques CHALARD, maire du Cheylard, président Carine FAURE, directrice générale Morgane MAITRIAS, directrice du pôle économique Rachel COMBAUROURE, chargée de communication 18/12/18 Conseil départemental de l'Ardèche Laurent UGHETTO, président Simon PLENET, premier vice-président et président de l'agglomération du bassin d'Annonay Martine FINIELS, vice-présidente aux solidarités humaines et maire de Vernoux Christine SANTOS, directrice de cabinet Christophe LAFOUX, directeur général des services Géraldine MELATIER, directrice générale adointe solidarités, éducation, jeunesse Emilie BRET, directrice générale adointe, attractivité et territoires Maurice WEISS, vice-président aux solidarités territoriales et au numérique et président de l'association des maires de l'Ardèche Conseil départemental des Yvelines Olivier GUILBAUD, directeur général adjoint Jean-Christophe RIGAL, sous-directeur Connaissance et prospectives Jean-Marie CAILLAUD, directeur général des Services 18/12/18 04/07/18 Conseil départemental de la Seine Maritime COVIViO CPME Confédération des PME 11/07/18 12/07/18 Olivier ESTEVE, directeur général Guillaume de BODARD, président de la commission environnement et développement durable, membre de la plateforme RSE Sandrine BOURGOGNE, secrétaire générale adjointe Hélène REVERSAT, cheffe de projet RSE 18/07/18 25/10/18 Crédit agricole des Savoie Gaël AMBLARD, directeur entreprises 14/11/18 15/11/18 Dassault Systèmes Bernard CHARLES, président, directeur général Florence VERZELEN, directrice générale adjointe 21/11/18 DDTM Seine Maritime Demeter Laurent BRESSON, directeur Sophie PATURLE, associée fondatrice, administratrice de l'Institut français du pétrole et des énergies nouvelles 12/07/18 19/07/18 DGALN Rapport n° 012274-01 Paul DELDUC, directeur général Mutations économiques et développement des territoires 21/06/18 Page 85/170 PUBLIÉ DGE / SATEI Service de l'action territoriale européenne et internationale DGE/ SI Service de l'industrie DGPR Bureau des sols et sous-sols DHUP/ AD Sous direction de l'aménagement durable DHUP/QV Sous-direction qualité du cadre de vie DIRECCTE Haut-de-France Service mutations de l'économie Xavier MERLIN, chef de Service Martial GEORGET, sous-directeur Julien TOLOGNA, chef de Service 02/10/18 26/07/18 Aurélien GAY, chef de bureau 06/11/18 Isabel DIAZ, cheffe du bureau des stratégies territoriales 16/11/18 Muriel BENSAID, adjointe à la sous-directrice Laetitia MANTZARIAS, cheffe de bureau Xavier STREBELLE, chargé du service Virginie MIGNON, adjointe Patrick BERG, directeur Oriane VALADE, juriste Claire Tutenuit, déléguée générale Loranne BAILLY, directrice générale Gilles BOUVELOT, directeur général Thomas LACAZE, directeur technique 10/12/18 22/11/18 DREAL Normandie Engie EPE Entreprises pour l'environnement EPF du Nord-Pas-de-Calais EPF Île-de-France 12/07/18 25/10/18 29/06/18 26/09/18 02/10/18 EPF Lorraine EPF Normandie FNAU Fédération Nationale des Agences d'Urbanisme FNAUT Fédération nationale des associations d'usagers des transports Fédération nationale des banques populaires FNE France nature environnement Régis STENGER, directeur études et travaux Christine MUTUEL, directrice générale adjointe Gilles POUPARD et les membres du club « EcoFNAU » 07/09/18 11/07/18 14/09/18 Bruno GAZEAU, président 12/03/19 André JOFFRE, président, président du pôle de compétitivité DERBI Jean-David ABEL, vice-président 09/10/18 12/11/18 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 86/170 PUBLIÉ FN EPL Fédération des entreprises publiques locales Fédération nationale des SCoT Fondation Travailler autrement France Clusters Camille ROCCASERRA, responsable du département aménagement Caroline VOLLET, déléguée territoriale Stella GASS, directrice générale Patrick LEVY-WAITZ, président Mission Coworking Jean-Luc ANSEL, président Xavier ROY, directeur général 19/07/18 07/02/19 08/11/18 19/12/18 France Initiative France Stratégie Louis SCHWEITZER, président, ancien président directeur général de Renault Fabrice LENGLART, commissaire général adjoint Robin DEGRON, conseiller spécial Julien FOSSE, adjoint à la directrice du département développement durable et numérique 23/10/18 03/07/18 France urbaine Olivier LANDEL, délégué général Ludovic GROUSSET, directeur développement et cohésion des territoires David CONSTANT-MARTIN, conseiller 13/11/18 Futuribles Frédéric WEILL, directeur d'études Diane DESPOIS, chargé d'étude Dorothée KOHLER, consultante 28/11/18 Grand port maritime de Rouen Nicolas OCCIS, directeur général Xavier LEMOINE, directeur aménagement territorial et environnement 11/07/18 Groupe Archer Romans-sur-Isère Groupe Neofor Groupe PSA Christophe CHEVALIER, président Jérôme LESCURE, président Louis GALLOIS, président du conseil de surveillance 31/07/18 18/06/18 21/02/19 05/12/18 Groupement suisse pour les Thomas EGGER, directeur régions de montagne (SAB), Berne Suisse Humanité et biodiversité IAU Institut d'aménagement et d'urbanisme d'Île-de-France Icade Sylvain BOUCHERAND, trésorier, président plateforme RSE Anne-Marie ROMERA, directrice du département économie et développement local 12/11/18 20/06/18 Emmanuelle BABOULIN ­ Membre du comité exécutif ­ directrice de la foncière tertiaire 21/09/18 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 87/170 PUBLIÉ Infranum INSEE Julien DELMOULY, délégué général adjoint Françoise MAUREL, directrice de la diffusion et de l'action régionale Michel DUEE, chef du département de l'action régionale David LEVY, chef du pôle analyse territoriale 31/07/18 11/10/18 Inspire74 Frapna Vallée de l'Arve Institut de l'économie circulaire Invitalia Italie Anne LASSMAN TRAPPIER, présidente 15/11/18 Adrian DEBOUTIERE, chargé de mission Elisabetta MUSCOLO, directrice des relations extérieures Livio VIDO, directeur du projet de réaménagement de la friche de Bagnoli. Davide DEL COGLIANO, directeur adjoint 11/12/18 16/10/18 Laboratoire de l'ESS Hugues SIBILLE, président Odile KIRCHNER, responsable du chantier dynamiques pionnières de territoire 28/11/18 01/02/19 05/09/18 03/12/18 Le Rameau Lifti Laboratoire d'initiatives foncières et territoriales innovantes Linkcity LPA CGR Avocats MEDEF Mouvement des entreprises de France Charles Benoît HEIDSIECK, président Marc KASZYNSKI, président Laurent WARNIER, directeur développement stratégique ­ relations grands comptes Frédérique CHAILLOU, avocate associée Anne DELORME, avocate 02/07/18 30/10/18 Jacques CHANUT, membre du comité exécutif, président de la 05/03/19 fédération française du bâtiment (FFB) Bernard COLOOS, directeur général adjoint FFB Jérémy SIMON, directeur de mission prospective MEDEF 21/06/18 26/09/18 Métropole de Lille DGA développement économique Malika BOHEUR-MOUNIER, cheffe de la mission « développement économique des territoires et emploi » Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 88/170 PUBLIÉ Métropole de Toulouse André THOMAS, directeur général des Services Dominique GILLES, directeur général à la Modernisation Marc BEL, directeur général gouvernance, international, économie et emploi Pierre-Emmanuel REYMUND mission prospective, partenariats et innovations territoriales Jacques ROSEN, directeur général Aménagement 12/09/18 Métropole de Rouen Normandie Frédéric SANCHEZ, président Frédéric ALTHABE, directeur général Paule VALLA, directeur général adjoint Urbanisme Christèle MORIN-DEFORCEVILLE, directrice du développement économique Bertrand MASSON, directeur aménagement - grands projets Audrey HIRBEC, cheffe de projet 07/09/18 12/07/18 Ministère des affaires économiques, de la recherche et du développement digital du land de Thüringe Allemagne Ministère fédéral de l'économie et de l'énergie Allemagne Sabine AWE, responsable du service économique Axel BECHER Thomas MULLER Dirk OTTO Sven KAISER Stephan LIEBENBERG Jan SIDENTOPP Kathrin MEYER 18/09/18 19/09/18 Mission Renouveau du Bassin minier Mission Rev3 Haut de France Mission Territoires d'industrie Moselle Attractivité Grand Est Numa Paris Numa Berlin Allemagne OTIE Observatoire toulousain l'immobilier d'entreprise Office fédéral du développement territorial (ARE), Berne Suisse de Alain NEVEU, délégué interministériel du Bassin minier Philippe VASSEUR, président Bruno BONNELL, député, président de la mission Michel SAINT PE, directeur Louis EXERTIER Emmanuel LEGER, managing director data city Maximilian THESS Marc DELPOUX, président 25/09/18 22/11/18 20/11/18 07/09/18 05/09/18 18/09/18 12/09/18 Maria-Pia GENNAIO FRANSCINI, collaboratrice scientifique, Section urbanisation et paysage 05/12/18 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 89/170 PUBLIÉ Oppidea/Europolia Toulouse Raphaël CATONNET, directeur général délégué Oppidea, directeur général Europolia Anne FRAISSE, directrice du développement Europolia Denis DUPUY, directeur du développement et de la commercialisation Oppidea 12/09/18 ORÉE Patricia SAVIN, présidente Nathalie BOYER, déléguée générale, ambassadrice économie circulaire 28/06/18 ORSE Observatoire de la responsabilité sociétale des entreprises Personnalité médicale - Vallée de l'Arve Personnalité de la recherche Personnalité de la recherche Personnalité de la recherche Personnalité du monde économique PEXE Réseau des écoentreprises Pôle de compétitivité Mont-Blanc Vallée de l'Arve Poste Immo Hélène VALADE, présidente 24/07/18 Docteur Jacques VENJEAN, médecin allergologue 15/11/18 06/07/18 02/07/18 19/11/18 17/01/19 12/10/18 Pierre VELTZ, économiste Laurent DAVEZIES, économiste Nadine LEVRATTO, économiste Jean-Pierre AUBERT, anciennement chef de la mission interministérielle des mutations économiques Jean-Claude ANDREINI, président Guillaume AYNE, délégué national Jean-Marc ANDRE, directeur général Jérémie SERVEL, chargé de mission Rémi FEREDJ, directeur général Dang TRAN, directeur général adjoint 14/11/18 19/11/18 Préfecture de la région Normandie Fabienne BUCCIO, préfète 11/07/18 12/07/18 PUCA - DHUP Plan urbanisme construction architecture Région de Naples Italie Région Hauts-de-France Direction du développement économique Hélène PESKINE, secrétaire permanente 11/06/18 Valeria FASCIONE, assesseure à l'innovation 17/10/18 Olivier COUSTENOBLE, directeur général adjoint Yves GIRY, directeur adjoint Partenariat économique Jean-Michel GIRAUD, directeur appui aux entreprises 26/09/18 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 90/170 PUBLIÉ Réseau Green Vallée de l'Arve Rouen Normandie Aménagement SEB (entreprise) Secrétariat d'État à l'Économie (SECO), Berne, Suisse Service des affaires économiques de la ville d'Erfurt, Allemagne SG/SPES Équipe projet CTE SGPI Secrétariat général pour l'investissement SNCF Immobilier Tiers lieu SolarInput Erfurt Allemagne Somfy (entreprise) Vallée de l'Arve Syndicat national du décolletage Vallée de l'Arve Thimonnier (entreprise) Trendeo Union portuaire rouennaise Université Federico II Italie Université Neuchâtel, Suisse Urbact Usine Michelin de Troyes de fabrication de pneus agricoles Valgo (entreprise) Ollivier COLLOC, président, directeur de Décathlon Mountain 15/11/18 store Rémi De NIJS, directeur général délégué Joël TRONCHON, directeur du développement durable 12/07/18 04/10/18 Valérie DONZEL, cheffe de secteur Politique régionale et 05/12/18 organisation du territoire Wolfgang JENTZ Steffen LINNERT Sandrine FOURNIS, cheffe de projet transformation de l'action publique Guillaume BOUDY, secrétaire général Nicolas DEFORGES, responsable du pôle territorial Charlotte GIRERD, directrice de projet Frank GAUTHIER, président associé de CAPTOWN Sabine SCHIMT, coordinatrice 30/11/18 23/10/18 19/09/18 14/02/19 19/09/18 03/12/18 Étienne BOURGEOIS, directeur marketing et communication 15/11/18 Jean-Marc REYDET, chargé de mission environnemental 14/11/18 Sylvie GUINARD, présidente directrice générale David COUSQUER, gérant fondateur Pierre Marie HEBERT, directeur Giorgio VENTRE, professeur 09/01/18 28/06/18 11/07/18 17/10/18 Olivier CREVOISIER, professeur d'économie territoriale. Emmanuel MOULIN, directeur du Secrétariat Pascal MOUREY, responsable HSE Eric BRANQUET, directeur technique Valérie LOUBES, directrice de travaux Pierre BOUSQUET, directeur de la valorisation foncière 04/12/18 30/05/18 12/11/18 11/07/18 18/07/18 16/10/18 Page 91/170 Ville de Naples, Italie Rapport n° 012274-01 Carmine PISCOPO, assesseur à l'urbanisme Mutations économiques et développement des territoires PUBLIÉ PUBLIÉ 3. Orientations bibliographiques La mission a consulté et s'est vu remettre de très nombreux documents : études et recherche, analyses de données, articles de la presse généraliste et spécialisée, rapports, monographies... Les plus directement utilisés d'entre eux ont été cités en note dans le corps du rapport et des annexes. Une sélection d'ouvrages de références est présentée ci-après, ainsi qu'une liste de sources utiles. Sélection bibliographique AdCF, Guide : Économie circulaire pour les intercommunalités, 2018. AdCF, Pour un pacte productif, 2018. AdCF et ANPP, Vers la deuxième génération des contrats de ruralité ­ Les propositions des porteurs de contrats 2016-2020, mars 2019. ADEME. Agir avec les collectivités pour la transition énergétique et écologique, 2019. ADEME. Économie circulaire, un atout pour relever le défi de l'aménagement durable des territoires, 2017. ADEME/INEC, Programme national de synergies inter-entreprises (PNSI) : 10 initiatives de synergies inter-entreprises, 2017. Adi, Reconvertir les friches industrielles et urbaines ­ De la transformation réussie des sites à la mutation des territoires, 2015. Adi, Repenser les lieux de travail, le lieu de travail dans tous ses états, Éditions le Moniteur, 2017. Annales des mines, Réalités industrielles : industrie du futur, 2016. AUBERT Jean-Pierre, Mutations économiques : des guerres de tranchées aux mutations créatrices, 2015. AUBERT Jean-Pierre, Mutations socio-économiques et territoires : les ressources de l'anticipation, 2014. BOUBA OLGA Olivier, Pour un nouveau récit territorial, Les Conférences POPSU, 2019 CAMPAGNAC-ASCHER Élisabeth (dir.), Économie de la connaissance, une dynamique métropolitaine. POPSU, Éditions Le Moniteur, 2015. CESE, Avis sur la transition écologique et solidaire à l'échelon local, 2017. CGDD, Guide pour agir dans les territoires : écologie industrielle et territoriale, 2014. CGDD, Les éco-activités et l'emploi en 2016, 2018. CGDD Théma, Les ODD et les entreprises : enjeux et opportunités, 2017. CGET, Regards croisés sur les territoires industriels, La documentation française, 2017. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 93/170 PUBLIÉ CGET/France territoires, Un engagement au service des dynamiques territoriales, juin 2018. CGET Observatoire des territoires, L'industrie française dans les territoires : après l'érosion, quel rebond ?, 2018. Commission européenne, Vers une Europe durable à l'horizon 2030, 2019. Conseil d'analyse économique, Pour le climat : une taxe juste, pas juste une taxe, 2019. Centre permanent pour la citoyenneté et la participation (CPCP), Les nouvelles formes d'économies, 2016. CPME, 89 propositions pour les TPE-PME ­ 5 ans pour agir 2017 ­ 2022, 2017. DABLANC Laetitia et al. Des marchandises dans la ville, un enjeu social environnemental et économique majeur, Terra Nova, 2017. DAVEZIES Laurent et TALANDIER Magali, L'émergence de systèmes productivo ­ résidentiels. Territoires productifs ­ territoires résidentiels : quelles interactions ? CGET, La documentation française, 2014. DGE, Préparer l'industrie du futur, 2016. DGPR, Guide SIS Collectivités sur les sites pollués, 2018. École d'économie de Paris, L'État doit-il prendre en compte les spécificités régionales pour la définition de la taxe carbone, 2019. École des ponts ParisTech, Les Civic Tech au service de la transition écologique et solidaire, 2018. ESSEC La Banque Postale, Les relations des entreprises avec leur territoire, 2018. Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN), Collectivités et biodiversité : vers des initiatives innovantes, 2018. Fabrique de l'Industrie, L'imbrication croissante industrie et services, 2016. Fabrique de l'Industrie, L'industrie du futur, regards franco-allemands, 2017. Fondation nationale Entreprise et performance/la Fabrique de l'industrie, Cultivons notre industrie, un défi culturel, humain et territorial, Presse des mines, 2019. France Clusters, Économie de proximité, circulaire, écologie industrielle et territoriale, 2018. France Stratégie, Mutations sociales, mutations technologiques, 2018. Futuribles - Dominique BOURG, De l'économie circulaire à l'écologie intégrale, 2019. Futuribles - RICHER, L'avenir du travail, 2018. IAU Île-de-France, Les tiers lieux, de nouveaux espaces pour travailler autrement, 2017. Institut Montaigne, Industrie du futur, prêts, partez, 2018. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 94/170 PUBLIÉ KOHLER Dorothée et WEISZ Jean-Daniel, Industrie 4.0 les défis de la transformation numérique du modèle industriel allemand, La documentation française, 2012. Le labo de l'ESS, Enquête d'analyse des PTCE ­ synthèse des principaux résultats, 2017. Le labo de l'ESS, Les pôles territoriaux de coopération économique, 2014. Le labo de l'ESS, Territoires pionniers, 2018. Le Rameau, Parcours d'expérience ­ co-construction territoriale ­ premiers enseignements, 2018. LEVRATTO Nadine et GARSAA Aziza, Les disparités d'évolution de l'emploi sont-elles dues à la nature des entreprises ou à leur localisation ? 2017. LEVRATTO Nadine et CARRE Denis, Analyse qualitative de l'effet local : étude de territoires particuliers MEDEF /Le Rameau, Construire ensemble l'engagement territorial des entreprises, 2018. Observatoire régional du foncier en Île-de-France, Quelle place pour les activités économiques dans les politiques foncières et les projets d'aménagement ? 2018. OFCE, La transition écologique française, de l'enlisement à l'encastrement, 2019. OFFNER Jean-Marc, Métropoles invisibles, au défi de la métropolisation, Les Conférences POPSU, 2019. ORÉE, S'ancrer dans les territoires, 2017. Plan Urbanisme Construction Architecture (PUCA), Localisation des activités économiques et développement durable des territoires, 2014 PISANI-FERRY Jean, Terra Nova, Transition écologique, choisissons le réalisme, 2019. Terra Nova, Un nouveau souffle pour l'industrie française ­ l'économie environnementale au service du renouveau industriel, 2017. VELTZ Pierre, La société hyper-industrielle, Seuil, La république des idées, 2017. VELTZ Pierre, La France des territoires, défis et promesses. Éditions de l'Aube, 2019 Principales sources à consulter sur le sujet DGE, INSEE, OCDE, CEREQ, CREDOC, OFCE, PIPAME, CERC, AFEP, PACTE. CEREMA, Club Ville Aménagement, PUCA et plateforme POPSU. Revue foncière. Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET), France Stratégie, CESE. ADEME, CGDD. FNAU et agences d'urbanisme et club EcoFNAU, IAU Île-de-France, CCI France. Fédération des EPL. La Fabrique de l'industrie, Terra Nova, Laboratoire de l'ESS, Plateforme RSE, France Cluster, CPME. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 95/170 PUBLIÉ 4. Compléments au rapport 4.1. Dynamiques et contrastes territoriaux : ce que dit la recherche La mission a appuyé sa réflexion, en sus des constats faits à partir des cas observés, sur l'examen de divers travaux d'études et recherches 182 qui décrivent et analysent les dynamiques et fragilités territoriales, de façon parfois contradictoire mais souvent complémentaire. Selon ces travaux, le « fait métropolitain » est indéniable, mais la « promesse métropolitaine » n'a pas fonctionné. L'affirmation de grandes métropoles concentrant de puissantes aménités urbaines ainsi que la majeure partie des fonctions de direction, d'innovation ou de recherche, et dopées par la réalisation de grosses opérations d'aménagement est une réalité mesurable. Mais elle n'a permis jusqu'ici, ni de réaliser en interne l'intégration économique et sociale des quartiers ou secteurs en crise (Roubaix, au sein de la métropole européenne de Lille, en est un exemple emblématique...), ni de susciter en externe le développement induit des territoires contigus annoncé par la « théorie du ruissellement ». Ainsi, une grande partie des 22 métropoles françaises connaît un développement significatif et a capté l'essentiel de la croissance (les 15 plus grandes villes françaises étant en effet les territoires qui ont le plus gagné d'habitants sans discontinuer depuis 20 ans). Mais seules quelques-unes d'entre elles comme Lyon, Nantes, Rennes (selon l'étude réalisée sous la direction scientifique de N. Levratto pour le compte du CGET en 2017 183) semblent présenter une réelle dynamique partagée entre métropole et territoires contigus. Pour autant, s'en tenir à une fracture territoriale générique entre métropoles ou grandes villes et périphéries relève d'une vision caricaturale. Les unes et les autres présentent des caractéristiques très diverses, les fractionnements sont multiples, les inégalités les plus fortes se situent à l'intérieur des villes et à l'intérieur des territoires plutôt qu'entre territoires. D'importants écarts existent toutefois en matière d'accessibilité, de services publics, de dynamique démographique, dopée par une attractivité climatique ou bien stoppée suite à un effondrement industriel. Mais cela n'empêche pas certains de savoir s'appuyer sur leurs propres ressources et de s'en sortir parfois mieux que d'autres. Le modèle de développement reposant sur l'essor de l'économie résidentielle n'a pas produit tous les effets escomptés : selon les études menées par le laboratoire Economix 184, depuis la crise de 2008, les territoires dont le développement était essentiellement fondé sur l'économie résidentielle se sont bien moins repris que les territoires pourvus également d'une base productive (industrie, logistique, commerce de gros, services aux entreprises...), lesquels se révèlent ainsi plus aptes à rebondir. Sans ignorer que la répartition des revenus sur les territoires provoque un certain rééquilibrage, on doit reconnaître que ce constat, qui semble se confirmer dans la durée, alerte sur les risques de déséquilibre et de rupture. Le mode de développement économique métropolitain est d'ailleurs lui-même en train d'évoluer : abandon progressif d'une tertiarisation volontariste et redécouverte de l'économie productive, longtemps rejetée à la périphérie comme un « impensé » des stratégies urbaines et des grands 182 Cf bibliographie, notamment les travaux de Nadine Levratto et Denis Carré, Laurent Davezies, Pierre Veltz, avec lesquels la mission s'est entretenue. Analyse du lien entre les métropoles et les territoires avoisinants, Institut CDC pour la recherche de la Caisse des Dépôts, Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET), France Stratégie, 30 novembre 2017 Dirigé par N. Levratto, le laboratoire Economix est rattaché à l'université de Nanterre. Il se situe à un point de rencontre entre la macro et la micro-économie, avec une orientation appliquée, orientée par la demande sociale, et se rattache à la recherche « empiriste ». 183 184 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 96/170 PUBLIÉ projets d'aménagement. Des analyses récentes 185 évoquent un renouveau, voire un possible rebond qui peut concerner aussi les villes moyennes ainsi que les espaces périurbains ou interurbains et apporter ainsi une confirmation à la notion, avancée par Pierre Veltz, d' « économie hyperindustrielle », considérée comme un levier potentiel de développement pour tous les territoires. Toutefois, l'évolution économique des territoires reste tributaire de déterminants majeurs qui agissent à l'échelle mondiale sous l'influence des choix stratégiques opérés par les grandes puissances économiques et notamment les multinationales. Selon l'économiste Pierre-Noël Giraud 186, l'avenir des pays européens se joue entre trois scénarios à l'oeuvre aujourd'hui sur la planète : le modèle occidental fondé sur une approche néolibérale, dit « capitalisme ruisselant » ; le modèle chinois fortement régulé nationalement, dit « mercantiliste », le modèle de l'autonomie régionale selon lequel chaque région ou pays doté atouts propres les joue sans se soucier des autres, dit « modèle de Singapour ». On peut alors s'interroger sur les effets qu'aurait en France chacune de ces trois options en termes de cohésion sociale pour des territoires restant dotés de potentiels inégaux et concurrents les uns des autres. Un autre économique, Gaël Giraud187, est porteur d'une vision plus volontariste : observant que de grands pays comme la Chine produisent désormais davantage pour leurs propres marchés intérieurs que pour l'exportation, il estime qu'il y a une opportunité à opérer la « réindustrialisation verte » de notre continent, une transformation radicale seule à même de créer des emplois durables. La vision générale présentée ci-dessus s'appuie sur divers travaux de recherche, porteurs de regards, de sensibilité, de méthodologie et de conclusions sensiblement différents. Pour éclairer le contexte de la mission, il apparaît intéressant d'évoquer plus particulièrement certains d'entre eux. L'importance des effets de redistribution entre territoires français Laurent Davezies, avec de nombreux autres chercheurs, met l'accent dans ses travaux sur l'importance du fait métropolitain dans la production de la croissance, laquelle fonctionne globalement au bénéfice de l'ensemble du pays188. Les éléments qu'il a précisés vis-à-vis de la mission tiennent en trois points : la différence entre la croissance et le développement, l'intérêt d'analyser le revenu plus que la valeur de la production, et l'importance des effets redistributifs entre territoires français. Pour L. Davezies, la théorie de la croissance territoriale, issue de « la nouvelle économie géographique » de Krugman, n'est pas une théorie du développement local. 90 % des revenus en France n'ont pas à voir avec « le productif » ; d'où sa théorie (qui fonctionne mieux en France que dans le reste de l'Europe) selon laquelle c'est le revenu qui fabrique le développement des territoires, et non la création de richesse mesurée par les PIB régionaux. Jean Gadrey a fabriqué un indicateur de développement territorial : l'Indicateur de « Santé Sociale » (ISS), qui comprend notamment le revenu. Le déploiement de cet indicateur donne une vision toute autre des territoires : l'ancienne région Limousin, classée dernière selon l'indicateur « PIB », se retrouve au premier rang selon l'ISS. Jean Gadrey montre ainsi que le développement diffère de la croissance. Là où « il y a déchirure territoriale » si on suit le PIB, le « développement » au contraire apparaît de plus en plus équilibré et convergent, entre régions, entre zones d'emplois. À une échelle plus fine cependant, on constate une augmentation des inégalités. Par exemple, si on prend l'ensemble des 185 En particulier CGET/ Observatoire des territoires : L'industrie dans les territoires français, 2019. Pierre-Noël Giraud : L'Europe entre mondialisation et populismes, revue Projet n° 369 avril 2019. Économiste en chef à l'Agence française de développement, s'exprimant à l'UNESCO le 20 mai 2019 Par exemple : La nouvelle question territoriale, L. Davezies et D. Pech, Terra Nova 2014. Mutations économiques et développement des territoires Page 97/170 186 187 188 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ emplois métropolitains dans le numérique (60 000 à 65 000 créés entre 2007 et 2018), 82 % se retrouvent dans seulement... 15 communes françaises. L. Davezies, qui cite aussi les importants travaux de Magali Talandier, bat en brèche la théorie du ruissellement : dans le cadre des systèmes « productivo-résidentiels » qu'il décrit, soit le coeur de ville ET la périphérie « vont bien », soit les deux vont mal. Toutefois on ne peut pas dire qu'il n'y a pas de ruissellement à l'échelle nationale : les effets de redistribution entre territoires représentent 31 % du PIB national, soit 750 Mds (et 51 % du PIB si on ajoute le budget de l'État). Aussi, l'augmentation des disparités de PIB entre territoires est inquiétante, mais on s'aperçoit en parallèle qu'il y a une baisse permanente des inégalités de revenus entre eux : toute augmentation des inégalités produit un effet mécanique d'augmentation des mécanismes de la redistribution. La redistribution privée joue également un rôle ; par exemple, les Parisiens passent en moyenne 45 jours par an en dehors de Paris, soit un gros transfert de consommation par le tourisme ; de même pour les navetteurs : on estime que 8 % de la masse salariale en Île-de-France est versée à des personnes qui y travaillent mais n'y habitent pas. Les territoires non-métropolitains, capables aussi de « sur-performer » L'existence d'une « sur-performance » métropolitaine qui justifie le soutien aux métropoles considérées comme moteurs d'excellence de la croissance, est vivement contestée par Olivier BoubaOlga. Ce chercheur de l'université de Poitiers relève ainsi que dans l'ouvrage de Davezies et Pech précité, les auteurs se focalisent sur le cas de quelques grandes villes françaises à la dynamique très positive, occultant le fait que d'autres grandes villes ont des dynamiques moins favorables, et surtout que tout un ensemble de territoires non métropolitains sont aussi particulièrement dynamiques. O. Bouba-Olga s'emploie ainsi à relativiser l'existence d'effets d'agglomération donnant des niveaux de productivité supérieurs ou apportés par une plus forte densité des emplois 189. Ainsi, le PIB régional par habitant est un mauvais indicateur de performance des régions, et masque le jeu d'autres déterminants socio-économiques. Seule l'Île-de-France présente une sur-productivité apparente du travail, qui s'explique selon lui entièrement par des effets de composition sur les secteurs d'activité (sur-représentation de certains secteurs) et par la concentration des hauts revenus dans la région capitale. Ainsi, l'effet « métropole » serait moindre, voire inexistant, si on neutralisait les autres variables selon un principe de « toutes choses égales par ailleurs » ; en termes relatifs, bien des villes moyennes « performent » mieux que des métropoles. L'idée que les métropoles créent davantage de croissance et d'emplois que les autres territoires est donc contestée. « Quand on compare les territoires en France, on voit qu'il y a une diversité des dynamismes économiques. (...) Et des territoires hors métropoles marchent aussi très bien, car ils sont bien insérés dans la mondialisation » (O. Bouba-Olga. Printemps de l'économie, 20 mars 2018). Dans une étude190rédigée en 2018 avec M. Grossetti, l'économiste explore ces territoires non métropolitains plus dynamiques que les plus dynamiques des métropoles. C'est le cas de Figeac (Lot), Vitré (Ille-et-Vilaine), Issoire (Puy-de-Dôme) ou Vire (Calvados). Même conclusion pour des zones d'emploi comme Mauriac (Cantal), Soissons (Aisne) ou Saint-Gaudens (Haute-Garonne) qui ont réussi à inverser leur courbe du chômage entre 2012 et 2015, bien avant que les autres territoires n'y parviennent. Si les freins sont nombreux (départ des habitants du fait que la zone n'est 189 cf. Les dynamiques économiques du territoire français : de l'obsession métropolitaine à la prise en compte de la diversité des configurations territoriales, Olivier Bouba-Olga et Michel Grossetti, communication de 2015. Autres ouvrages consultés : La métropolisation horizon indépassable de la croissance économique ? O. Bouba-Olga, M. Grossetti, Revue de l'OFCE 2015/7 n°143, et On voit des métropoles partout, sauf dans les statistiques, O. BoubaOlga, M. Grossetti, Benoît Tudoux 2016. 190 « La mythologie CAME (compétitivité, attractivité, métropolisation, excellence) : comment s'en désintoxiquer ? » 2018. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 98/170 PUBLIÉ pas dynamique, vieillissement de la population...), O. Bouba-Olga estime que la spécialisation d'un territoire peut aussi lui donner un potentiel de développement, tel le cas du territoire de Châtellerault (Vienne), porté par l'entreprise Mecafi, qui fournit le groupe Safran en aubes de moteurs d'avion, et dont les effectifs sont passés en dix ans de 100 à 700 salariés : selon le chef de file de l'école de Poitiers, « cela peut se produire sur chacun des territoires (...), on voit qu'il y a des capacités d'innovation un peu partout » . « L'arrosage » plutôt que le ruissellement ? Les métropoles se développent elles aussi de manière inégale. D'après l'étude de 2017 précitée 191, Bordeaux, Montpellier, Nantes, Rennes et Toulouse sont dynamiques en matière d'emploi. Mais d'autres métropoles, comme Nice, Rouen et Strasbourg, ont des résultats en deçà de la moyenne nationale. Les auteurs en concluent que toutes les métropoles ne suivent pas la même trajectoire et n'entretiennent pas toutes une forme de supériorité à l'égard de l'ensemble du territoire. De plus, la théorie du « ruissellement », qui revient à dire que la croissance des métropoles irrigue naturellement sur leurs territoires avoisinants, n'apparaît pas vérifiée. L'étude constate une diversité de relations entre les métropoles, leurs territoires voisins et l'ensemble de leur région. Ainsi, des métropoles comme Lyon, Nantes, Aix-Marseille se caractérisent par une forte dynamique de leur zone d'emploi et des zones qui leur sont contiguës, voire qui sont plus éloignées. D'autres, comme Lille, Toulouse ou Montpellier, se développent sans avoir d'effet d'entraînement particulier sur les zones autour d'elles. Dans un contexte de mondialisation, comment donner la même chance à tous les territoires, qu'ils relèvent d'une métropole ou qu'ils soient à dominante rurale ? Pour O. Bouba-Olga (intervention précitée), « il faut sortir de la concurrence territoriale, prendre acte des processus qui traversent les territoires et arrêter de chercher à attirer des talents sur les territoires qui sont censés mieux fonctionner. Mieux vaut équiper les territoires en infrastructures, pour que les habitants s'y sentent bien, puissent s'épanouir et développer des projets innovants ». D'autant que la mobilité géographique des Français est limitée. Ainsi, d'après le recensement de 2013, 88 % des personnes occupaient le même logement que l'année précédente. Et parmi ceux qui ont déménagé, seuls 2 % ont changé de région. Même constat pour les créateurs d'entreprises, qui, le plus souvent, créent leur entreprise là où ils habitent, et pour les investissements étrangers qui se déploient bien au-delà des métropoles. Plutôt que parier sur un effet « ruissellement », il plaide pour un « arrosage », autrement dit la mise en place de politiques publiques permettant de soutenir l'ensemble du territoire. « On ne sait pas où les fleurs de demain vont pousser, donc il faut arroser partout » de peur de nous priver de voir éclore l'excellence de demain. Selon Pierre Veltz, l'analyse d'O. Bouba-Olga 192 « est un plaidoyer pour une vision pragmatique des atouts territoriaux, une critique de la manie française consistant à saucissonner les politiques publiques par grandes catégories, pôles ruraux, petites villes, villes moyennes, métropoles.... La question principale est celle des relations et des complémentarités entre ces types de territoires. S'agissant des grandes villes en particulier il vaudrait mieux les considérer comme des pôles d'appui de services dans un tissu territorial continu et ouvert, que comme des « locomotives » d'un développement dont elles seraient les seules forces vives. Il est temps de penser les métropoles dans un cadre spatial large, inventant des relations de réciprocité avec leur périphérie, proche ou lointaine. Les systèmes locaux devront rester interconnectés et même à des échelles plus larges qu'aujourd'hui (... l'autonomie énergétique ou alimentaire des villes est impossible). Admettre une inégalité durable entre territoires bien dotés en ressources et territoires moins favorisés serait une régression. »193 191 Étude précitée de l'Institut CDC pour la recherche de la Caisse des Dépôts, du Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET) et de France Stratégie, Analyse du lien entre les métropoles et les territoires avoisinants, 2017. Dynamiques territoriales : éloge de la diversité, Olivier Bouba-Olga (dir.) Poitiers, Atlantique, 2017. Pierre Veltz, La France des territoires, défi et promesses, 2017 (p. 15-16) Mutations économiques et développement des territoires Page 99/170 192 193 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ Les études empiriques montrent de façon convergente que l'activité d'innovation est fortement agglomérée dans l'espace. Pour O Bouba-Olga 194, ceci implique la nécessité pour les acteurs de se colocaliser afin de bénéficier de connaissances tacites qui par définition ne peuvent se diffuser facilement à travers les territoires. Selon les auteurs, les acteurs économiques devant résoudre des problèmes de coordination résultant de la mise en place de la division du travail, les résolvent en s'appuyant sur l'existence préalable de relations de proximité socio-économique : relationnelle d'une part, de médiation d'autre part. Dans certains cas, la proximité socio-économique et la proximité spatiale se recouvrent, donnant lieu à la formation d'un système productif localisé ; dans d'autres cas les proximités socio-économiques traversent les territoires et donnent lieu alors à un développement de réseaux productifs trans-territoriaux. Une mise en évidence d'effets de seuil pour bénéficier des « effets d'agglomération » Ces questions sont au coeur des travaux et des modèles « multi niveaux »195 mis en oeuvre par l'économiste Nadine Levratto196. Ces modèles permettent de traiter à la fois des variables individuelles et locales. On raisonne en zones d'emploi ; chaque zone est considérée une « île », avec prise en compte de ses interactions spatiales. Avec deux questions : comment les différents déterminants se combinent à l'intérieur d'un territoire ? Et se combinent avec leurs voisins ? On aboutit à des typologies : les métropoles apparaissent avec leurs aréoles. Le plus important est qu'on parvient à faire ressortir l'économie qu'apporte l'agglomération, ce qui vérifie donc l'hypothèse de densité. Au contraire, l'analyse d'O. Bouba-Olga est basée sur l'identification des « effets composition » et une utilisation du « toutes choses égales par ailleurs » qui se révèle un peu abusive: si on corrige de tout, on va certes trouver des coefficients « purs » de tout ce qui se passe autour. Mais une fois que tout est éliminé, il ne reste rien... Exemple : la recherche en Île-de-France produit moins de résultats que son potentiel devrait le faire escompter ; cependant, elle produit énormément plus que partout ailleurs. Il est donc plus intéressant d'isoler l'effet naturel de chacune des composantes. Là se situe le clivage entre l'école de Poitiers et l'école d'économie spatiale et urbaine de Paris 1. Si on garde toutes les composantes de la surproductivité métropolitaine ensemble, on aboutit aux thèses de Jean-Claude Prager (Société du Grand Paris), très favorable à « l'agglomération » : l'agglomération produit l'agglomération qui produit la croissance... ce qui est juste, mais ceci est limité par nombre d'éléments, comme la congestion... Il faut donc regarder la « non-linéarité » des gains d'efficacité produits par l'agglomération, c'est-à-dire les effets de seuil : à un certain niveau l'agglomération produit des effets positifs, et moins au-delà. En deçà d'un certain niveau de regroupement, l'économie ne fonctionne pas ; au-delà, l'effet d'engorgement et de congestion produit une « déséconomie » externe. Entre les deux, comment se structure le champ des possibles en fonction de ce qui se passe à l'intérieur des territoires et entre territoires ? Tout n'est pas possible partout tout le temps... On peut retenir d'un certain nombre d'études, selon des modèles testés avec différents secteurs industriels, qu'au-delà d'un certain seuil la densité peut jouer un effet négatif. Mais les résultats sont 194 « Pourquoi y a-t-il encore des effets de proximité dans le processus d'innovation », O. Bouba-Olga, M. Grossetti, document de travail CRIEF, 2007 Pour Economix, Olivier Bouba-Olga ou Laurent Davezies font du « quantitatif » avec des techniques d'analyse de données conventionnelles (des régressions linéaires simples, qui dégagent des tendances). Or, on ne peut mettre sur le même plan les variables calculées à l'échelle de la commune et du département, par exemple. Certaines variables se répètent à l'identique sur un grand nombre de lignes... Ceci induit un biais statistique qui sur-accentue l'impact des déterminants locaux. Professeur à la faculté de Nanterre, N. Levratto travaille sur les déterminants de la croissance et le développement des entreprises. Elle a piloté avec l'ADCF et la CDC une réflexion sur l'influence de l'environnement et des territoires sur la trajectoire des entreprises, l'identification des déterminants locaux, en association avec Denis Carré (orienté terrain, analyse des spécificités locales). 195 196 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 100/170 PUBLIÉ différents suivant la maille retenue, que l'on se place à l'échelle de la commune/de la zone d'emploi/du département. Intérêt des analyses en termes de « zones d'emplois » La « zone d'emploi » est un découpage fondé sur l'économie : 60 % de la population travaille et réside sur ce territoire. Selon Economix, on y obtient des données de bonne qualité, meilleure que pour les communes : si on retire les communes abritant moins de 100 salariés sous contrat privé, il ne reste que 9600 communes à prendre en compte. La double mesure de la variation du nombre d'établissements et du nombre d'emplois fait ressortir un effet négatif de la densité au-delà d'un certain seuil, et aussi que la part de l'industrie intervient négativement (ce qui veut dire que c'est surtout l'industrie qui fuit une certaine densité...). Ceci est expliqué par le mouvement d'externalisation vers le tertiaire et les changements organisationnels ; la valeur ajoutée de l'industrie a fortement diminué. La « zone d'emploi » donne des résultats robustes, et sa cohérence repose aussi sur l'activité résidentielle. On trouve des déterminants très différents selon les secteurs d'activité, avec des variations contrastées entre zones d'emploi selon leurs caractéristiques. Le calcul sur les 304 bassins d'emploi français197, sur deux périodes, 2000­2009 puis 2009­2015, permet de regarder les territoires les plus impactés par la crise, puis la résilience des territoires dix ans après la crise. Selon L. Davezies et une analyse traditionnelle, « les services aux ménages (l'économie résidentielle) tractent les territoires ». Or, la crise est « passée par là », et de fait, les territoires ayant su conserver une industrie... sont repartis « plus vite et plus fort ». L'industrie a donc été un facteur de rebond. Certes les emplois résidentiels non délocalisables restent intéressants, ils ont peu d'externalités négatives et permettent de maintenir les liens entre les établissements industriels. Néanmoins, on mesure un impact négatif si des segments entiers d'activité productive quittent le territoire, du fait du coût du foncier (exemple de l'Île-de-France), et là où les logiques « corporate » se télescopent avec les logiques territoriales. Il existe une relation d'achat et de vente entre les différents secteurs d'activité, et il faut des entités permettant d'alimenter cet écosystème. Lorsque des communes ou des EPCI donnent la priorité au tertiaire immobilier, aux lotissements via des grands projets d'aménagement, ceci dépeuple le tissu industriel. Or les entreprises qui disparaissent... ne vont pas toujours s'installer ailleurs. Ceci fragilise la « base compétitive » française, qui repose sur un continuum entre les services aux entreprises, l'industrie, la logistique, le commerce de gros... Ces activités ont un effet d'entraînement vers la construction, la consommation, les services aux ménages. Ce n'est donc pas l'activité résidentielle qui sert de moteur, conclut N. Levratto. La question des territoires de spécialisation Les pôles de compétitivité obligent les entreprises à travailler en commun ; les donneurs d'ordres mettent tout le monde « en ordre de marche ». Le CEPREMAP a produit une analyse critique des pôles elle-même critiquée pour son caractère « top down » alors que les pôles reposent sur les acteurs locaux. La labellisation de « pôle » est multiple, or on constate que les pôles les plus dynamiques émanent de territoires qui pratiquent la coopération 198. Sur le thème des énergies renouvelables il y a un travail à faire sur l'usage, en s'appuyant sur des démarches interactives avec boucles de rétroactions. A Tours les acteurs publics ont lancé une démarche, et les entreprises sont venues s'appuyer sur les universités. Les politiques d'innovation sont ainsi très variables. Outre des programmes de recherche dédiée à la transition écologique/RSE (Mines de Saint-Étienne), voici quelques exemples intéressants : 197 Economix a accès à toutes les données d'emploi à l'échelle des établissements d'entreprises : type d'emplois créés, variation de l'emploi au niveau des établissements, coût du travail, financement, création et destruction d'emplois. Dans les Hauts de France, une démarche de type « Kalenborg » (Danemark) s'appuyant sur l'INRA et Gwenaëlle Doré, a produit des symbioses industrielles sur des territoires particuliers. Mutations économiques et développement des territoires Page 101/170 198 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ · « Cosmetic valley » : activité verrière + biotech + flaconnage : le pôle s'est monté dans une logique « projet », d'innovation, centré sur la recherche cosmétique, « ASTEC » Hermès + construction aéronautique, selon une logique de combinaison d'activités, « Cap Energy » : démarche énergies renouvelables, qui comprend le segment de l'installation. · · Il s'agit dans tous les cas de sortir l'entreprise et le secteur de leur propre logique, en leur accolant d'autres logiques. Pour la logistique, cela pourrait conduire à une relocalisation en zone dense. Le développement numérique est il vraiment un moyen de s'affranchir des contraintes urbaines ? Même si le numérique banal permet le développement du télétravail et des tiers lieux, le fonctionnement de certains pans de l'économie (par exemple la finance qui fonctionne sur les transmissions à la nanoseconde) et le besoin de proximité immédiate des serveurs des sites des data centers renforcent encore la logique d'agglomération. Le numérique reste centré sur le coeur des métropoles. À Montréal l'UCAM s'est positionné au croisement des lignes de métro, le numérique a produit un recentrage en coeur de ville. Le lien entre les métropoles et leur territoire adjacent Les travaux de Nadine CATTAN sur Lille ont mis en évidence les « auto-corrélations spatiales » qui permettent de rendre compte de ce qui se passe à proximité, ainsi que le poids du passé et du long terme. Sur ce sujet, on voit qu'une politique de "stop and go" et les logiques de court terme sont insuffisantes. La réussite de Valenciennes s'analyse comme un long travail de fond ayant conduit à l'installation il y a 20 ans de Toyota et de Bombardier. Le développement numérique y a pris racine il y a une dizaine d'années. Au final Valenciennes « fait mieux », d'un point de vue économétrique, que ce à quoi on pourrait s'attendre. La coopération entre la chambre de commerce, les chambres de métiers, la préfecture, les organisations professionnelles patronales et les élus a permis de transformer la zone d'emploi. Inversement, à Lille, en regardant l'aire urbaine (métropole institutionnelle + couronne), et les relations de contiguïté et de distance, l'étude précitée (CGETCDC) a trouvé une difficulté d'interactions (interactions locales et inter relations spatiales) entre Lille et son hinterland. La zone d'emploi de Lille ne rayonne pas, ce qui signifie que l'effet de diffusion, même s'il se vérifie sur certaines activités, ne fonctionne pas bien. Existe-t-il des acteurs clés pour le développement de ces interactions ? On trouve souvent une personne (leader), un moment, un lieu. En Auvergne, le travail de coordination se fait au sein d'un « réseau de diffusion technologique ». Les chambres de commerce s'impliquent peu (exemple de Dijon), sauf dans des cas comme Valenciennes et Brive, qui utilise l'imagerie du « pack de rugby » pour nommer la coopération entre les acteurs du transport et de l'économie. À Tours, il existe une grande habitude de travailler en commun entre l'agglomération, le Département, et les établissements ; les universités et les entreprises ont construit une démarche collective. La question du capital humain sur les territoires et la taille des entreprises Le capital humain est systématiquement pris en compte comme variable dans les modèles ;exemple : « le niveau de formation », « la part de cadres et de professions intellectuelles supérieures ». Tous les territoires ne sont pas sensibles de la même façon à cette disponibilité de ressources humaines. Dans le Gâtinais, les entreprises parviennent à se développer en restant localisées sur le territoire, alors que leur présence est plutôt fortuite, à l'exemple de REDEX, qui avait quitté Levallois pour laisser la place aux grands projets de ZAC... Cette entreprise travaille à l'exportation et n'avait aucune raison objective de se localiser hors région parisienne (elle l'a fait parce que son patron avait des racines dans le Gâtinais). Elle considère désormais que son capital humain est sur place. L'entreprise Thimonier, ETI lyonnaise, est aussi une entreprise familiale tournée vers l'exportation qui considère Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 102/170 PUBLIÉ son capital humain comme le plus important. En retenant l'exemple de Moulinex à Alençon, la disparition d'une entreprise « hégémonique », au sein d'un territoire spécialisé, a un impact d'autant plus important. D'où le rôle aussi de la formation initiale et continue qui anticipe les mutations. La France se distingue de l'Allemagne, de l'Italie et de l'Espagne par une répartition bimodale de ses entreprises : d'un côté, moins de 7000 entreprises qui sont des « groupes » fournissent 60 % de la valeur ajoutée ; de l'autre, une myriade de très petites entreprises désorganisées et isolées ne forment pas une chaîne cohérente (par exemple il n'y a pas d'écosystème entre la réparation automobile et la construction). La forte stabilité au sommet va de pair avec de fortes turbulences à la base. L'organisation spatiale de l'industrie repose sur une tête de groupe en métropole, et le reste (activités à faible valeur ajoutée) à l'extérieur. Cette pratique des (grands) groupes n'est pas favorable à une bonne répartition et à un bon fonctionnement territorial de l'industrie française. Ceci se reflète dans les données de la FNAU basées sur des séries longues de recensement de la population. Il apparaît important de centrer davantage les dispositifs d'aides sur la coopération, plutôt que de rester sur des aides individuelles, conformément aux modèles italien (Cofindustria) et allemand. L'évaluation du CICE, par exemple, a montré que 3 laboratoires sur 4 concluent sur une absence d'effet du CICE ; une action de coopération comme condition de l'aide trouverait ici son utilité. Quelle performance pour les territoires non métropolitains ? À l'occasion d'un travail pour l'ADCF et la CDC en 2013, Economix a appliqué une méthode centrée sur « le résidu » de croissance de l'emploi qui n'est justement pas expliquée par la nature des activités et les dotations sectorielles. A ensuite été opéré un approfondissement qualitatif sur 6 territoires non denses ayant un effet local positif et qui « sur-performent » par rapport au modèle : Valenciennes, Vannes, Dijon, Brive... On a ainsi approché ce qui permet de compenser le déficit d'agglomération. Tous ces territoires (sauf exception) avaient comme caractéristique commune un travail sur la coordination des acteurs : public/public, privé/privé, public/privé. Selon Denis Carré, la question n'est pas celle des composants de l'écosystème, mais de « la connectique » à l'intérieur. L'effort est à porter sur les alliances entre acteurs et entre institutions : réseau, grappes et clusters, pôle, territoires de projet... les effets d'annonce doivent être intégrés dans des stratégies communes, nécessairement sur moyenne et longue période. Ceci permet de compenser une part du déficit propre aux entreprises et aux employés sur ces territoires, et cet effet spécifique est donc mesurable. Peut-on calculer un « effet local » ? Oui, par exemple on prend en compte le caractère industriel du territoire, puis on regarde la variation combinée de 2 données : la tendance naturelle (la conjoncture macro-économique) et la tendance sectorielle. La différence entre ce résultat et celui observé permet de caractériser un « résidu » propre au territoire. En synthèse, quelques enseignements majeurs se dégagent pour les politiques publiques : · parler « d'interaction locale » et « d'interrelation spatiale » (plutôt que de ruissellement, débordement, diffusion...), recentrer les aides publiques sur l'appui aux démarches collectives (évaluation non probante des effets du CICE), l'effort est à porter sur les alliances entre acteurs, dont les effets ne se produisent que sur moyenne et longue période. · · Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 103/170 PUBLIÉ 4.2. La transition écologique, moteur d'un nouveau développement Cette partie 4.2. de l'annexe est un développement détaillé du § 1.1. du rapport. 4.2.1. L'échelle territoriale niveau de gestion commune des grandes transitions Les mutations économiques à l'oeuvre, entre déterminants globaux et dynamiques locales Notre époque est marquée par la concomitance de plusieurs bouleversements technologiques, économiques, sociaux et sociétaux. Parmi eux, la révolution numérique est souvent décrite comme une transformation majeure qui atteint désormais tous les pans de la vie économique et sociale. Dans le contexte d'un renouveau industriel ou productif, avéré ou potentiel selon les points de vue, cette mutation provoque ou rend possible, en effet, une grande partie des innovations, même si celles-ci sont aussi liées à l'évolution du rapport à l'activité, de modes de travail devenant plus collaboratifs, de l'attitude des jeunes générations face au défi climatique, aux choix de vie, aux manières d'exercer une ou plusieurs professions... La digitalisation et le big data généralisés peuvent apparaître comme une fin en soi, comme une perspective commode de la « ville numérique » ou de la « smart city ». Il ne s'agit pourtant que d'un ensemble de moyens qui rendent possibles de meilleures conditions de dialogue et de coopérations, facilitant le développement de nouvelles chaînes de valeurs. La révolution numérique a un impact sur les villes et des territoires, ne serait-ce qu'à travers la transformation des entreprises, de leur organisation, de leurs critères de localisation et des emplois productifs ou autres, qui constituent les principaux déterminants des bouleversements, concurrences et déséquilibres déjà évoqués. Cependant, l'évolution des entreprises et de leur relation au territoire s'inscrit dans un contexte beaucoup plus large, celui d'une concurrence exacerbée qui s'exerce désormais au niveau mondial pour la grande majorité des secteurs d'activité. Les logiques de financiarisation deviennent dominantes au fur et à mesure de la transformation de l'actionnariat des groupes et des entreprises moyennes et de l'érosion progressive d'un capitalisme familial au rôle modérateur, y compris dans des pays comme la Suisse ou l'Allemagne en dépit du poids économique du secteur intermédiaire. Ce contexte explique largement l'importance du phénomène de délocalisation, qui n'est pas récent et dont les impacts territoriaux sont aussi déterminants que redoutables. Un phénomène inverse de « relocalisation » est-il observable et significatif ? Il existe une réalité indéniable et à potentiel élevé pour ce qui concerne les « circuits courts », lesquels connaissent un développement soutenu notamment dans le domaine de l'agriculture de proximité. Les réalités sont plus contrastées dans le domaine industriel. On a pu constater par exemple dans le domaine de l'industrie de la chaussure, dont il est question dans le rapport au sujet du site de Romans visité par la mission, que la production s'est dans un premier temps délocalisée dans les pays très pauvres pour bénéficier des facilités d'une main d'oeuvre à très bon marché puis, dans une période récente, est partiellement revenue s'installer dans les pays développés sur la base de chaînes de production largement automatisées ; en termes d'emplois, cela signifie la création de nouveaux emplois plus qualifiés mais en nombre largement moindre que dans la situation initiale. Il reste aussi à observer si la relocalisation va se faire dans les territoires industriels initiaux ou ailleurs. La transition écologique, en interaction avec tous les grands bouleversements Un constat majeur se dégage des visites et entretiens réalisés par la mission : au coeur de ces bouleversements économiques et sociétaux qui affectent le développement et la cohésion des territoires, la transition écologique constitue à la fois la reconversion majeure de notre temps et une réalité déjà à l'oeuvre. Comme toute transition, elle se traduit par des effets immédiats qui peuvent être négatifs, surtout lorsqu'ils sont insuffisamment anticipés par les pouvoirs publics, mais porte un potentiel mobilisateur de transformation économique et sociale vers un nouveau « métabolisme urbain et territorial ». Sa poursuite et son accélération suscitent à la fois des menaces et des Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 104/170 PUBLIÉ opportunités, avec des visions et des modalités qui peuvent être très diverses selon les territoires et la capacité d'action de ses acteurs. La réussite de la transition écologique dépend de la crédibilité de son process et de son incarnation dans les territoires, entre réalisme pour gérer les difficultés, notamment des plus fragiles d'entre eux, et optimisme pour encourager les dynamiques à l'oeuvre. C'est « la grande reconversion » selon Jean-Pierre Aubert 199, fin connaisseur des crises industrielles et praticien reconnu des transformations économiques dans les territoires. Elle est au centre du débat public, en interface avec toutes les autres transitions : numérique, démographique et générationnelle, sociétale... Elle doit être pensée à toutes échelles : elle relève de responsabilités et de décisions de niveau local, national, européen et mondial, mais c'est dans les territoires (villes et aires urbaines, bassins économiques et bassins de vie...) que peuvent se gérer la conciliation et s'opérer la synergie entre l'ensemble des mutations, les enjeux sociaux et la transition écologique, condition indispensable à sa réussite, ainsi que l'explique Johanna Rolland, maire de Nantes. C'est pourquoi l'équipe de mission a considéré la transition écologique comme angle de vue privilégié de ses travaux. La transformation numérique de l'appareil productif en appui de la transition écologique La transformation numérique n'est pas une finalité, mais elle peut constituer un moteur, un accélérateur de la conversion écologique, en général et pour la mutation des entreprises, comme plusieurs témoignages recueillis par la mission le confirment. La transformation numérique de l'outil productif est plus ou moins avancée selon les entreprises ; elle est même parfois jugée terminée, comme pour Sylvie Guinard, présidente de l'entreprise Thimonnier, qui a fait de la transition numérique un facteur de différenciation et d'avantage compétitif pour se développer à l'international. Mais au global, l'industrie française peine à se transformer, notamment les PME, estime Louis Gallois. La notion de transformation numérique des entreprises est difficile à mesurer selon les experts de l'INSEE. Selon la DGE, la France se trouve en retard par rapport à d'autres pays, en dépit d'un soutien public important (« Industrie du futur », l'équivalent d'Industrie 4.0 en Allemagne et en Italie) et un taux d'investissement comparable. Le tissu des PME manque globalement de performance par rapport à l'étranger : deux fois moins de PME exportatrices par rapport à l'Italie, un taux de robotisation décalé par rapport aux autres entreprises et moins d'ETI par rapport aux concurrents européens. En France le programme « Usine du futur » est en cours et n'a pas encore produit tous ses résultats. A titre d'exemple, pour la direction du développement durable du groupe SEB, la transition numérique est un accélérateur qui impacte différents applicatifs dans les 40 usines du groupe : processus robotisé, installation de capteurs pour repérer les fuites, utilisation de l'imprimante 3D pour fabriquer à la demande et faciliter la réparation des produits (93 % des nouveaux produits sont réparables), recours à un logiciel pour réduire l'empreinte carbone due au transport via la diminution du taux de chargement à vide des containers. L'écologie affecte le modèle économique des entreprises qui dépendent des ressources naturelles disponibles, de plus en plus rares et chères, et des risques climatiques, de plus en plus importants. Des territoires, telle la Vallée de l'Arve, arrivent à tirer tout le potentiel du numérique pour accélérer le processus de transformation des entreprises et peuvent servir de bon exemple. La transition écologique s'appuie également sur la transformation numérique de l'organisation du travail de l'entreprise. Le numérique permet ou facilite des solutions nouvelles : « co-travail», télétravail, réunion en visio-conférence, co-voiturage dans le cadre du déplacement domicile-travail, plateformes de mise en relation et d'entraide... Le numérique est aussi un levier pour développer la coopération territoriale entre entreprises : il permet une meilleure connaissance des ressources en se connectant au métabolisme territorial et la mise en oeuvre de boucles locale d'optimisation des 199 Chef de la Mission interministérielle des mutations économiques dans les années 2000 et président en 2014 d'une mission sur l'anticipation et l'accompagnement des mutations économiques auprès du Premier Ministre. Mutations économiques et développement des territoires Page 105/170 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ flux en matière de logistique ou de réemploi notamment, comme le souligne l'Institut de l'économie circulaire (INEC). 4.2.2. Un « récit » de la transition écologique pour réussir la transformation économique des territoires Un concept récent, porteur d'une dynamique mobilisatrice et d'un potentiel à enrichir La transition écologique est un concept récent porteur d'une vision optimiste, renvoyant à la fois à un enjeu de niveau planétaire et à des modes de vie et des actions de type bottom-up. Il a été initié en 2005 par Rob Hopkins, enseignant anglais en permaculture, sur la base d'expérimentations visant l'autonomie et la résilience des territoires. Il est apparu institutionnellement en France en 2013. Il s'apparente à une « mise en action » du concept de développement durable, en introduisant une notion de mouvement, de passage d'un état à un autre. C'est ainsi que la stratégie nationale de développement durable est devenue « la stratégie nationale de la transition écologique vers un développement durable » pour la période 2015-2020 ; le Conseil national de développement durable (CNDD) a été remplacé par le Conseil national de transition écologique (CNTE). Le ministère de la transition écologique et solidaire a été créé en 2017. Le concept de transition écologique est encore souvent confondu avec la transition énergétique, qui en constitue effectivement un volet important. Mais il comprend aussi les sujets de l'urgence climatique, de la préservation de biodiversité, de l'économie circulaire, des circuits courts, de la gestion des ressources comme l'eau et les matériaux, de la maîtrise des risques... Il est porteur de connotations plutôt positives mais aussi accompagné d'effets négatifs. Ainsi, la diminution du diesel a un impact sur l'industrie automobile et sur l'emploi, de même que la fermeture des centrales à charbon et de certaines centrales nucléaires ; mais l'innovation, la création de nouveaux emplois, non délocalisables dans certains cas, l'apparition de nouveaux services qui conduisent à une amélioration du confort, de la santé et du bien-être sont favorisés par le développement des énergies renouvelables, des circuits courts, de l'économie circulaire, des services à la personne. Les questions sociales à prendre en considération simultanément Des interactions fortes et des contradictions apparaissent en termes d'emplois, de ressources et d'équité sociale. Cela peut aller jusqu'au déclenchement de mouvements sociaux, comme dans l'exemple récent de la taxe sur les carburants. Il en va de même avec les enjeux de « précarité énergétique », avec la politique de suppression des « passoires thermiques » dans les bâtiments, susceptible de créer des emplois à condition que les ménages soient en capacité de financer les travaux. Le concept porte une vision optimiste de l'avenir via un mouvement de transformation du modèle économique et social en partant des territoires et des citoyens. Mais la transition écologique fait peser un risque de déséquilibre social accru. Plusieurs économistes de l'école de Paris ont souligné qu'un instrument économique comme la taxe carbone a été conçu sans tenir compte des réalités sociales. Selon l'analyse200 de l'économiste Jean Pisani-Ferry, il y a un coût immédiat et des effets distributifs défavorables pour les pauvres et les classes moyennes de la périphérie urbaine ou pour les travailleurs en usine dont les métiers sont intensifs en carbone. Ainsi que l'ont exprimé plusieurs acteurs, en particulier Jean-Pierre Aubert et Odile Kirchner201, il serait pertinent dans le contexte d'aujourd'hui de construire un « récit » de la transition écologique 200 Publiée par Terra Nova, mars 2019. Qui a été Secrétaire générale du Conseil national à l'industrie puis Déléguée à l'économie sociale et solidaire. 201 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 106/170 PUBLIÉ non pas pour en faire le marketing, mais pour en développer une pensée cohérente et mobilisatrice, articulant les dynamiques territoriales, les temporalités et l'ensemble des enjeux socio-économiques. Un récit qui exprime des valeurs fondées sur l'humain, la nature Il s'agit de donner du sens à la transition écologique en misant sur les valeurs et les atouts du territoire, en s'appuyant notamment sur des notions de services écosystémiques et de génie écologique. Ainsi, la forêt peut fonder un récit de la transition écologique sur un territoire, comme pour le projet « Terres de métamorphoses » piloté par Jean-Pierre Aubert, lequel entend donner du sens et entraîner les acteurs locaux de la région de Compiègne dans la démarche. La forêt constitue également une valeur ancrée dans les territoires pour Jérôme Lescure, ancien administrateur de SEB et, depuis 2013, entrepreneur de la filière bois et investisseur dans les PME du secteur. Il s'agit de développer une capacité à penser la transition écologique autour de l'humain et de la nature, ce qui suppose des approches de nature philosophique, éthique, économique, sociologique, etc. Un récit qui doit articuler toutes les échelles et s'appuyer sur les dynamiques locales En affirmant que la transition écologique se fait par et pour les territoires, conviction partagée par de nombreux interlocuteurs de l'industrie comme le réseau national des éco-entreprises (PEXE) ou de la société civile comme des responsables de France Nature Environnement (FNE), un récit initié à l'échelle nationale est à même de donner envie aux territoires de parler de leurs initiatives, de les valoriser et les inciter à construire leur récit local de la transition écologique. Car la réussite de la transition écologique repose en grande partie sur les territoires mis en mouvement, sur les dynamiques locales et sur des espaces qui focalisent l'échange, la création, le renouveau du développement. Ainsi peut-il en être des tiers-lieux qui, pour Pierre Levy-Waitz, Président de la fondation Travailler autrement, constituent un exemple en devenir d'une « fabrique du territoire », à l'interface entre les trois transitions écologique, numérique et sociétale. C'est pourquoi leur développement hors métropole est à juste titre soutenu par les pouvoirs publics. Un récit pour penser conjointement transition et résilience des territoires Il est intéressant, comme le fait l'économiste Magali Talandier 202, de rapprocher la notion de transition et celle de résilience. Ces deux termes sont polysémiques, se recoupent et se complètent selon deux aspects indissociables : la transition exprime une transformation radicale qui s'inscrit dans un contexte social et territorial, la résilience un processus d'adaptation qui fait émerger un nouvel état. Cette approche met en évidence la nécessité de penser la transition écologique non seulement comme un défi incontournable mais comme une transformation préparée, gérée et dotée des moyens nécessaires, après évaluation de l'ensemble des impacts et des coûts afférents. Sur ce dernier aspect, on peut signaler une initiative de la ville de Grande-Synthe : le lancement à titre expérimental le 30 avril 2019 d'un « revenu de transition écologique » visant à apporter un complément de revenu aux habitants voulant basculer vers un métier respectant l'environnement. Cet exemple illustre la nécessité de mettre en oeuvre, aux niveaux pertinents de territoire, les moyens de surmonter les obstacles et notamment les « coûts de la transition ». Le récit doit définir une trajectoire, un rythme en distinguant des étapes et des objectifs à court, moyen et long termes, une articulation avec toutes les autres transitions. Il peut exprimer le lien entre l'économie et les atouts du territoire (la forêt par exemple peut être le moyen de fonder le récit de la transition écologique sur un territoire et être considérée comme une valeur de la transition écologique ancrée dans les territoires). 4.2.3. La transition écologique à l'oeuvre dans tous les secteurs Un défi dans tous les secteurs économiques 202 Magali Talandier : Résilience des métropoles, le renouvellement des modèles Les conférences du POPSU, PUCA 2019. Mutations économiques et développement des territoires Page 107/170 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ Face à l'enjeu environnemental, il y a un immense défi industriel, les investissements à réaliser sont considérables. En ne prenant en compte que le champ énergétique, Cédric Lewandowski, directeur Stratégie, innovation et responsabilité d'entreprise du Groupe EDF, cite le chiffre de plus de 3 000 Mds$ d'investissements à réaliser dans le monde par an d'ici 2040 à ce titre dans les secteurs correspondants (électricité, transports, bâtiments, industrie). La transition écologique concerne toutes les filières économiques et secteurs d'activité : agriculture et industrie extractive, bâtiment, transports, industrie manufacturière, services. À l'initiative des acteurs concernés et avec ou sans l'impulsion des pouvoirs publics, elle s'accompagne de bouleversements de nature et d'intensité diverses : alors que des pans d'activité disparaissent, se transforment ou sont menacés, de nouveaux modes de production émergent et se développent. Des modèles économiques novateurs apparaissent ou, s'ils existent déjà, prennent une importance ou une dimension nouvelle, et suscitent souvent une transformation en relation au territoire. La transition écologique dans le domaine de l'agriculture La conversion écologique de l'agriculture est difficile mais possible sur 20 ans, selon les experts. La moitié de la production agricole ne devenant alimentaire qu'après transformation (industrie alimentaire, nourriture pour l'élevage...), il convient de prendre en compte l'ensemble de la filière. Entre 1960 et 2000, les circuits courts ont fortement régressé du fait de l'industrialisation et de la normalisation (par exemple, standardisation du calibre des fruits et légumes). Ils n'ont jamais totalement disparu mais reprennent de l'importance avec les préoccupations de santé publique, le goût pour les produits locaux, l'exigence de traçabilité. Pour autant, l'agriculture industrielle ne disparaîtra pas aussi vite, notamment du fait de la part de la restauration collective (qui est de l'ordre de 50 %) et tant que celle-ci n'entre pas massivement dans une logique de conversion. Il se pose aussi des questions d'investissement, l'agriculture étant une activité fortement capitalistique (importance de l'outillage). Ainsi, il n'est pas pour le moment possible de prévoir le rythme de transformation... L'agriculture biologique et la vente directe au consommateur sont des réponses adaptées aux enjeux ainsi que par rapport à la transition entre générations, mais il faut être situé de préférence à proximité des grandes villes et dans des zones touristiques. Il importe de réinventer des dispositifs de coopération et promouvoir les outils de type appellation d'origine protégée (AOP). La démarche a « sauvé » des régions comme l'Aubrac, grâce au fromage fait exclusivement au lait de vache de ce terroir. L'enjeu de la filière bois La gestion durable « à la française » de la forêt n'oppose pas préservation et exploitation. On peut appréhender la forêt comme un capital productif doté d'un processus de production long, en cohérence avec les services écosystémiques qu'elle apporte. Mais on constate une insuffisance d'investissements de valorisation, en amont comme en aval. C'est l'enjeu de l'organisation d'une filière bois (en France, il s'agit essentiellement de bois de construction), une démarche engagée mais dont les résultats restent encore à concrétiser. Des contrats de filière ont été signés en 2014 puis en 2017. L'objectif est de passer de 10 à 15 % de la part construction en bois pour les constructions individuelles et de 2 % à 8 % pour celles à usage collectif. Le potentiel et l'ambition sont différents d'une région à l'autre, mais des initiatives prometteuses sont lancées, notamment dans le Grand Est, soutenus par le programme d'innovation TIGA (« Territoires de grande ambition »). Les jeux olympiques 2024 sont cités comme l'occasion de réaliser de possibles démonstrateurs. Une conception large de l'économie La rencontre en Suisse d'Olivier Crevoisier, professeur d'économie territoriale, l'observation de l'approche de terrain en Italie à Naples ou de l'action de la CDC biodiversité ont servi de révélateurs. Une conception large de l'économie permet de tisser le lien entre tous ses pans et avec les territoires, Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 108/170 PUBLIÉ ses atouts et ses ressources. C'est avec cette conception que doit être abordée la transition de notre économie vers un nouveau modèle, circulaire, décarboné et fondé sur l'usage et non sur la possession, selon un axe essentiel de la stratégie nationale de transition écologique vers un développement durable 2015-2020. D'autres aspects ou approches de la transition pourraient être développés : économie de la connaissance, économie sociale et solidaire, services à la personne, nouveaux emplois et formes d'activité, maintien de la biodiversité, maîtrise de la consommation foncière, finance verte... On se limitera à l'évocation de modèles porteurs de perspectives importantes et à leurs enjeux territoriaux. 4.2.4. De nouveaux modèles prometteurs L'économie sobre en carbone progresse, mais a besoin d'être placée au coeur de l'économie locale, alors que l'économie circulaire s'y trouve spontanément. La réponse aux défis environnementaux passe aussi par l'évolution des usages et des comportements, d'où l'enjeu de l'économie de la fonctionnalité. Tous les moyens doivent être optimisés, du numérique aux contenus de la RSE, en mettant l'accent sur le lien entre entreprises et les territoires. La transition engagée vers une économie sobre en carbone Le passage à une économie sobre en carbone, en dépit du poids des investissements à réaliser, apparaît, selon plusieurs témoignages, bien engagé par les industriels. Il interfère avec la transition énergétique, s'inscrit dans l'urgence de la lutte contre le changement climatique, est porté par les marchés financiers, sensibles au risque carbone et à l'inversion des rentabilités. À cet égard, l'Agence internationale des énergies renouvelables indique que leur coût de production ont baissé de plus de 10 % en un an, et affirme que cette réduction devrait se poursuivre après 2020. Le groupe SEB, conscient de la dépendance de son modèle économique aux ressources et à l'énergie, estime que sa transformation vers le bas carbone s'avérera rapidement source d'économies : d'une part, par la synchronisation des économies d'énergie et la réduction des émissions de gaz à effet de serre, d'autre part, par la mise en oeuvre de leviers multiples (optimisation des processus, installation de capteurs de fuite, récupération de chaleur dans une logique d'écologie industrielle...) Pour le développement des énergies renouvelables, plusieurs acteurs financiers annoncent des taux de retour sur investissement attendu acceptables et atteignant les standards du marché. De plus, le risque carbone, identifié et mesuré aujourd'hui, s'intègre dans les décisions d'investissements et réoriente les capitaux vers des actifs moins exposés. L'économie circulaire, modèle prometteur pour les entreprises et leurs interrelations avec les territoires L'économie circulaire est par nature territoriale. Si l'échelle régionale est pertinente pour coordonner les dynamiques locales et pour piloter l'évolution des filières, c'est bien l'échelle locale qui l'est pour la mise en oeuvre de boucles de valorisation et de circuits de proximité. Pour les entreprises, l'économie circulaire peut contribuer à améliorer leur compétitivité à court terme à travers une réduction des coûts (achats, transport, partage, traitement des déchets) et permettre de faire émerger de nouvelles filières locales créatrices d'emplois. Ainsi le recyclage fait travailler les PME dans les territoires, crée des emplois locaux, permet de faire lien avec l'économie sociale et solidaire, à l'image du groupe SEB qui fournit gratuitement les produits en fin de vie au réseau ENVIE dont la mission est de les répare et les revendre. Pour les territoires, l'économie circulaire optimise l'usage des ressources (bouclage des flux, approvisionnement local, etc.), réduit leur dépendance aux importations et aléas extérieurs, améliore l'empreinte environnementale et préservele capital naturel. Des territoires l'ont déjà placée au coeur de l'économie locale en misant sur la complémentarité des réseaux et collectivités en place pour fédérer les acteurs économiques. L'économie circulaire est source d'innovation territoriale, comme Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 109/170 PUBLIÉ dans le domaine de l'écologie industrielle et territoriale, un angle important pour optimiser l'échange de flux entre entreprises présentes sur un même territoire et pour ainsi envisager un devenir à certaines zones d'activité, ainsi que l'indique l'Ademe. Le mouvement est d'autant plus prometteur qu'il se structure à l'échelle de plusieurs Régions ou Métropoles, qui ont centré leur stratégie de développement économique sur l'économie circulaire. L'INEC cite ainsi les exemples de la métropole du Grand Paris, ou de la Région Hauts-de-France. Un certain nombre de freins restent toutefois à surmonter. Certains resteront à traiter au-delà de l'adoption du projet de loi discuté en 2019 au Parlement. · La compréhension de l'économie circulaire est souvent limitée dans un premier temps. L'ORÉE souligne que l'économie circulaire ne doit pas être comprise seulement sous l'angle de la gestion des déchets mais aussi sous l'angle de l'emploi et des ressources de services et de produits. L'INEC fait le constat que les acteurs politiques, économiques et citoyens n'ont pas assez conscience du métabolisme territorial. La connaissance de la richesse d'un territoire, du capital naturel utilisé et de l'empreinte environnementale font souvent défaut. Le développement de l'économie circulaire est handicapé par un contexte de désindustrialisation et de production insuffisante sur le sol français, un problème de structuration des filières et de transition du marché du travail, des difficultés à trouver la bonne maille entre le département et la région. D'autres freins économiques existent, comme le prix élevé des produits recyclés, des gisements faibles, des filières de recyclage encore fragiles, des incertitudes réglementaires (instabilité, manque de visibilité sur les évolutions). · · L'économie de l'usage, mutation économique majeure qui impactera les territoires, La réponse aux défis environnementaux ne peut être le seul fait de l'innovation mais dépend fortement de l'évolution des usages qui permet de prendre en compte l'impératif de sobriété. Dans ce contexte, « l'économie de la fonctionnalité » est considérée par l'INEC comme le modèle de l'économie circulaire le plus abouti. Pour Bernard Charles, président directeur général de Dassault systèmes, c'est même la mutation économique majeure : la renaissance de l'industrie avec le phénomène de « plateforme », selon un changement brutal et radical qui bouleverse la chaîne de valeur et les métiers. En modifiant les modèles d'affaires et en substituant à la vente de biens ou de services la fourniture d'usages et de performances, cette mutation incite à l'allongement de la durée de vie des produits et à l'optimisation de leur utilisation. Le modèle ne signifie pas un ancrage local des entreprises, mais l'approche par l'usage modifie la relation au territoire. 4.2.5. Les avancées de « l'écologie industrielle » La transition écologique oblige les entreprises à se transformer pour un développement durable de leur activité. C'est une tendance de long terme, bien que l'industrie française soit lente à se transformer, singulièrement les PME. Les objectifs de développement durable 203 (ODD) et la responsabilité sociale des entreprises (RSE) sont considérés comme des leviers de transformation des entreprises. Leur ancrage territorial peut-il être en même temps favorisé ? L'économie circulaire et plus particulièrement l'économie industrielle territorialisée constitue une « RSE inter-entreprises » selon l'ORÉE, qui propose de créer un lien avec le territoire, en intégrant la dimension territoriale dans le reporting extra-financier et en encourageant une dimension collective. L'ancrage territorial des pôles de compétitivité et des clusters va dans le même sens. 203 Notamment l'ODD 12 : « Consommation et Production durables ». Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 110/170 PUBLIÉ Le modèle de l'entreprise familiale favorise la RSE selon les exemples de SEB et de Thimonnier et d'après l'observation des entreprises allemandes. L'actionnariat familial facilite une vision à long terme et peut avoir une influence forte sur la RSE et sa dimension territoriale, ne serait-ce que par devoir moral. Le centre des jeunes dirigeants d'entreprise (CJD), considérant que la transition écologique alliée à la RSE constitue un formidable moteur de croissance, a développé une méthodologie visant à promouvoir la performance globale de l'entreprise (sociale, sociétale, environnementale). Une approche similaire peut aussi être envisagée en passant à la contribution positive de l'entreprise à un territoire autour de la notion d'externalités nettes positives pour le territoire. Toutefois, comme le rappellent des acteurs issus du monde économique, les entreprises ont avantage à prendre en compte leur environnement local mais suivent d'abord leur propre intérêt. Les débats lors du débat sur le projet de loi PACTE ont également montré les réticences liées au changement de statut de l'entreprise. La Camif fait partie des premières « entreprises à mission » définie par cette loi PACTE ; ce statut promeut l'intérêt social et ouvre la voie à une nouvelle vision de l'entreprise. Emery Jacquillat, PDG de la Camif, a modifié les statuts de son entreprise dès novembre 2017. Il entend promouvoir « un modèle d'entreprise plus contributrice avec une économie plus locale, plus inclusive, plus circulaire ; le chantier est énorme, il faut tout réinventer, nous n'avons plus le choix... » 4.3. Entreprises et territoires Cette partie 4.3. de l'annexe est un développement détaillé du § 1.2.1. du rapport. 4.3.1. Vers un meilleur ancrage territorial des entreprises ? « Relocalisation » ou optimisation de la chaîne de valeur ? Depuis 2012, un léger ralentissement des fermetures de sites industriels, compensé par l'extension et la création de sites nouveaux a été observé sur le territoire français, laissant augurer un possible enraiement du déclin industriel. En 2017, l'industrie française a ainsi crû en nombre de sites comme en emplois ; le « rebond » s'est poursuivi en 2018 (l'emploi industriel continue de progresser mais pas le nombre de sites, source Trendeo 2019), avec une exploitation accrue des sites existants et une extension ou une densification de la production. Il est trop tôt pour dire si cette tendance se confirme en 2019, du fait de la poursuite de la fermeture de nombrexu site. Aussi, même si les processus de dé- ou re-localisation ne suivent pas une progression linéaire, peuton parler d'un mouvement de « relocalisation » (qui ferait suite au puissant mouvement de délocalisation vers le sud et l'Est de l'Europe ainsi que vers les pays émergents singulièrement d'Asie du SE) ? Romans (Drôme), visité par la mission, territoire historique de la confection de chaussures, a perdu ses capacités de production suite à la crise de 2008, les fabriques ayant été progressivement fermées et la production replacée ailleurs. Le choix, opéré par certains acteurs du territoire, de se réapproprier cette fabrication a conduit à une forme de relocalisation consistant à recréer des ateliers de confection de chaussures haut de gamme en faisant appel cette fois à un concept plus large, qui allie l'innovation et le savoir-faire industriels au design et à la conception ; certains secteurs industriels de l'Ardèche voisine (pays du Cheylard, rencontré aussi par la mission) obéissent aussi à cette logique. Pour Romans, le processus est directement issu de la volonté de faire le pari de « l'économie sociale et solidaire » pour ce territoire. Mais ce n'est qu'une partie de la chaîne de production qui a été ainsi relocalisée, à savoir, les éléments porteurs de la plus grande valeur ajoutée. Cette relocalisation, intrinsèquement liée au développement des outils numériques, repose donc sur une optimisation de la chaîne de valeur. C'est Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 111/170 PUBLIÉ ainsi que certains observateurs analysent désormais le phénomène du ré-ancrage des entreprises mondialisées par le terme « d'ancrage intermittent », pour signifier la répartition entre territoires à coût de production élevé (européens par exemple) qui captent les activités, y compris productives, à haute valeur ajoutée ; et les autres, plus aisément localisables à l'étranger (plates-formes de SAV par exemple, ou certains segments précis de la chaîne de valeur...), car nécessitant une main d'oeuvre abondante ou de formation plus stéréotypée. Il existe une réflexion nouvelle sur les coûts : coûts « réels », coûts « cachés », qui fait évoluer les modèles économiques, et redonne de l'importance à la proximité. Le choix de plus en plus affirmé du développement des circuits courts va dans le même sens. Il renvoie à la réflexion sur « l'internalisation » des externalités : si on impute par exemple au transport ses coûts cachés, coûts sociaux et économiques (congestion, chômage), coûts environnementaux, coûts humains (en termes de risques pour la vie humaine et d'impact de la pollution sur la santé), le coût réel est sans commune mesure avec le prix effectivement payé pour le fret marchandises, qui constitue actuellement le seul « surcoût » retracé dans le compte d'exploitation comme paiement du prix généré par la distance. La question de la proximité, physique comme culturelle, reste donc le sujet fondamental pour la compréhension des choix entrepreneuriaux. Les échanges : contribution des entreprises et aménités apportées par les territoires La production de valeur ajoutée par l'entreprise est d'abord le fait de la mise en oeuvre, selon des process qui lui sont propres, de ses facteurs de production capitalistiques et humains. Mais cette mise en oeuvre, cette transformation, s'appuient sur une valorisation des aménités et des ressources offertes par le territoire, à savoir, des infrastructures de transport, la main d'oeuvre présente sur le bassin d'emploi, l'équipement numérique et la présence localement de réseaux de services aux entreprises... Ce sont précisément ces éléments qui placent la France en très bonne position dans les investissements internationaux (qui comprennent aussi des investissements chinois, allemands, etc. dans le Nord et l'Est de la France...) ; en 2108, le territoire français représente ainsi le premier territoire d'accueil d'investissements étrangers en Europe 204. Les ressources du territoire constituent une « ressource » matérielle ou immatérielle ; et il est de l'intérêt bien compris de l'entreprise de se préoccuper aussi de la pérennité de ces ressources, qu'elles soient naturelles, physiques, ou humaines. Ceci explique l'histoire mouvementée du lien entre entreprise et territoire (l'une est mobile et l'autre, par définition... permanent, même s'il évolue sans cesse). La version négative de cette histoire est celle de « la prédation » exercée par les entreprises, de plus en plus largement dénoncée. C'est celle aussi de la « mise en concurrence » concrète des territoires relativement à leurs dépenses d'investissement en faveur des entreprises : mise à disposition gratuite des infrastructures de transport ou de réseaux numériques, mise à disposition de terrains fonciers ou d'ensembles immobiliers ; sans compter les bonus fiscaux ou les primes à l'installation. Il s'agit d'un « jeu » non coopératif qui se joue partout, en Europe, encore plus dans les pays émergents, au nom de la perception que l'entreprise est celle qui apporte développement et emploi au territoire. De nombreux entretiens de la mission ont fait ressortir la nécessité de sortir aujourd'hui de cette représentation, par exemple en intégrant dans un calcul économique les externalités positives apportées par le territoire, et en miroir, les éventuelles « externalités négatives » d'une entreprise qui viendrait le polluer, et qui au final aurait « coûté » plus cher au territoire qu'elle ne lui aurait rapporté. 204 Sources : presse, semaine du 31 mai 2019 et rapport de la mission FNEP 2019 Cultivons notre industrie, précité Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 112/170 PUBLIÉ Un ancrage territorial porteur de valeur ajoutée Mais cette relation joue aussi positivement. Certaines entreprises aujourd'hui vont au-delà de leurs obligations en matière de RSE en se positionnant fortement sur leur lien au territoire et en mettant « l'ancrage » au coeur de leur stratégie : c'est le cas de certains groupes, pour des raisons d'image visà-vis des consommateurs ou de leurs salariés, d'entreprises intervenant dans les secteurs liés à la transition, à l'énergie, qui sont dans une problématique de ressources, de risques et ont intrinsèquement un rapport avec leur territoire... C'est aussi le cas, en général, de l'artisanat, des PME, voire de la plupart des entreprises de taille intermédiaire (ETI) qui peuvent jouer sur des questions d'implantation mais ne sont pas dépendantes de stratégies extrinsèques, et s'inscrivent dans le « fait local »205. Ce thème de l'ancrage devient aussi une préoccupation au sein des organisations professionnelles rencontrées. S'appuyant sur un groupe de travail inter-entreprises réuni sur l'année 2016, l'association ORÉE a mis au point des indicateurs « d'ancrage territorial » permettant aux entreprises de procéder à une auto-évaluation de cet ancrage, selon quatre axes 206. Cette démarche montre que, au-delà des ressources que le territoire met à disposition, c'est aussi la qualité propre du lien tissé avec ce territoire qui représente en tant que tel un « capital ». Et ce capital, s'il n'apparaît nulle part à l'actif du bilan de l'entreprise, n'en représente pas moins une ressource immatérielle précieuse pour son fonctionnement et sa pérennité. Le « territoire » apparaît ainsi comme un lieu particulièrement propice à l'expression directe des différentes composantes de « la responsabilité » entrepreneuriale, chères aux promoteurs de la RSE 207. Les entreprises sont dans un modèle « d'écosystème » : elles se regroupent pour bénéficier de la coprésence de leurs fournisseurs, leurs sous-traitants, de leurs concurrents éventuellement, d'un bassin d'emploi et de formation appuyé sur une filière économique... La formation de « grappes », les clusters, sont une réalité du développement des entreprises, qui tirent bénéfice de la spécialisation thématique. D'où une tension à propos de cette spécialisation économique territoriale : bénéfique aux entreprises, elle est aussi vecteur de vulnérabilité pour le territoire en cas de crise de la filière concernée ou de fermeture d'un site important ; sachant qu'au final, c'est la diversification et non la spécialisation qui permet un réel développement. La clé du succès repose sur la dynamique territoriale, et la transformation de cette dynamique en « bien commun » utile à tous. On peut ainsi appréhender des « externalités positives » liées au seul bon fonctionnement du système d'acteurs, de la collaboration entre entreprises et territoire, de leur investissement sur le territoire208. La performance du territoire est alors une résultante de la qualité des échanges entre territoires et entreprises, selon leur ancrage territorial, au-delà de ce qu'elles reçoivent et ce qu'elles donnent. 205 Or la récession de 2008­2009 a d'abord touché le tissu industriel artisanal (en même temps que de très grands établissements). Axe 1 : stratégie d'innovation et de marché (développement de compétences adaptées, évolution du modèle économique de l'entreprise vers un modèle durable centré sur le territoire, participation à des programmes de recherche avec des partenaires) ; axe 2 : ancrage social et économique de l'entreprise (développement du tissu économique, emplois locaux et insertion professionnelle) ; axe 3 : coproduction de valeur commune (contribution à l'aménagement du territoire, redistribution de la création de valeur, partage de la valeur créée, contribution à la préservation, restauration et valorisation des ressources naturelles locales) ; axe 4 : gouvernance (participation des acteurs, transversalité et pilotage de l'ancrage local). Source ORÉE (Entreprises, territoires et environnement) : S'ancrer dans les territoires pour gagner en performance (sept. 2017) On peut alors parler de « RS-T-E » cf. supra annexe 4.2 C'est un des aspects également du « salaire urbain », qui s'appuie sur cette optimisation (dans la mesure où les environnements urbains facilitent les échanges). Mutations économiques et développement des territoires Page 113/170 206 207 208 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ « L'économie patrimoniale » Enfin, une partie du rebond industriel dans les grands pays européens peut être liée à la valorisation de l'identité territoriale elle-même. On vend un produit chargé d'une histoire unique, d'une culture spécifique. Cette différenciation fonctionne très bien dans l'agro-alimentaire, point fort de l'industrie française (exemple, le modèle des « AOP ») ; mais aussi, pour les exemples suisses rencontrés, au sein de l'ensemble de l'économie industrielle. L'économie productive devient ainsi une économie « patrimoniale » ; pour laquelle il n'est justement plus question de délocalisation. En Suisse, en certains endroits, le musée jouxte la fabrique et la fabrique le magasin ; le musée explique et relie l'histoire du territoire, l'histoire des ouvriers, l'histoire des modes de travail et de production du territoire, l'histoire de ses entrepreneurs. Tout cela est « visité », et « vendu », en même temps que le produit (même s'il s'agit d'un produit de consommation à forte composante industrielle). Ce qui vaut pour les produits vaut également pour les compétences puisque sont mis en valeur des territoires qui sont supposés être héritiers de cet esprit entrepreneurial, ou intrinsèquement porteurs de ces compétences. Tout ceci est renforcé par la coprésence sur un même lieu des fonctions de commandement entrepreneurial et de production, apanage du modèle germanique (alors qu'en France ces implantations sont le plus souvent scindées, avec une spécialisation des territoires : le « siège » dans la métropole et le site industriel excentré). Un développement territorial d'abord endogène Comme vu ci-dessus, les avantages procurés par le milieu local conduisent les établissements à s'agglomérer pour se développer et bénéficier d'un système d'interactions vertueuses : des « effets de milieu »209 qui se complètent d'éléments liés à la gouvernance locale, la qualité d'organisation du territoire, son image (à différentes échelles), la capacité des différents acteurs locaux, publics et privés, à travailler ensemble. Dans les faits, les implantations d'entreprises venant de l'extérieur contribuent de façon minoritaire à la croissance des territoires, sauf exception (on l'évalue de 5 à 20 % selon les territoires étudiés, en France) : le potentiel de gain d'emploi et de valeur ajoutée des territoires réside donc essentiellement dans les entreprises existantes, qui « s'agrandissent » ou reconfigurent leurs établissements, en restant localisés sur le même site, un site adjacent, ou encore sur le même bassin de vie. Ainsi, si l'attention des structures chargées de l'attractivité est souvent plus marquée vis-à-vis des grands comptes ­ perçus, à juste titre, comme davantage exposés au risque de délocalisation ­ c'est bien de l'ensemble de la chaîne productive, incluant le tissu de TPE/PME, dont il est question. 210 Croissance endogène et croissance exogène se renforcent en effet mutuellement, et induisent une spirale positive en matière d'attractivité (la bonne valorisation des ressources existantes permet au 209 Autrement dit : 1) des « externalités d'agglomération », qui reposent sur des agents économiques présents en abondance, de façon dense et diversifiée ; 2) et/ ou des « externalités d'urbanisation » liées à la taille et à la densité de l'agglomération, à la présence de services, d'équipements et d'infrastructures, et à la qualité de l'environnement urbain. Analyse reprise dans « Les relations des entreprises avec leurs territoires », ESSEC Business School ­ La Banque postale, 2018. L'ADCF a cherché à mesurer l'impact de la crise de 2008 (on dirait aujourd'hui la capacité de « résilience ») des tissus productifs) En volume, la progression du « stock » d'établissements a continué de progresser fortement, du fait de l'apparition du statut d'autoentrepreneurs en 2009. Mais la grande récession a aussi été particulièrement déstabilisante pour les très petites entreprises : plus de 700 intercommunalités (soit les deux tiers environ) ont vu leur stock diminuer entre 2008 et 2015. En revanche, l'évolution des PME et ETI a été beaucoup plus favorable pour les territoires ; seulement un quart des intercommunalités ont enregistré une réduction de leur stock. Six ont subi la disparition de leurs très grands établissements : Lyon, Lille, Clermont-Ferrand, Rennes et les communautés d'agglomération de Roissy et du Douaisis. « Alors que l'action publique semble toujours autant focalisée sur les dispositions d'appui à la création d'entreprises, ces éléments d'analyse montrent à quel point la question de leur croissance [endogène] demeure tout aussi cruciale (voire plus) pour le développement économique de nos territoires », conclut l'ADCF, en guide d'avertissement. 210 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 114/170 PUBLIÉ territoire de produire et d'offrir plus et d'attirer de nouvelles ressources qui elles-mêmes seront valorisées, et ainsi de suite). Cet effet vertueux sous-tend les développements suivants 4.32 et .3.3. Quels sont les critères de localisation des entreprises ? Approcher plus finement cette question supposerait de distinguer : · les différents secteurs d'entreprises : services ­ ingénierie ­ industrie ­ logistique ­ tourisme (intrinsèquement lié au territoire...) ; la segmentation de la chaîne de valeur étant davantage pratiquée dans l'industrie que dans les services ; le type d'entreprise (mono-entreprise, groupe...) et sa taille, corrélée avec l'aire de recrutement de ses établissements, et l'appartenance ou non à un secteur dominé par de grands groupes ; à noter que sont souvent déterminants le lieu d'habitation ou l'attachement au territoire du fondateur ou dirigeant ­ a fortiori pour les entreprises individuelles, artisanales et TPE : l'histoire de l'entreprise elle-même est un élément majeur (cf. supra) ; la logique et la stratégie entrepreneuriales : logique d'extension, de déconcentration, de réduction de coûts ou de rapprochement avec de nouveaux marchés conduisant à l'ouverture d'un établissement dans une autre région, de France ou du monde. · · 4.3.2. L'évolution des critères d'implantation et de mutation des entreprises sur le territoire À partir de l'ensemble des déplacements et des entretiens de la mission 211 ont été dégagés cinq critères principaux favorables à l'implantation des entreprises ; l'analyse a été complétée par l'exploitation de documents récents, en particulier une enquête menée auprès d'un panel d'entreprises, dénommée ci après « l'enquête ESSEC »212, permettant de mesurer à la fois leur importance et leur évolution. 1. L'accessibilité physique et numérique du territoire La qualité de la desserte (pour les employés) et celle des connexions physiques (pour l'activité économique et industrielle) représentent, du point de vue des entreprises 213 un enjeu majeur. Cette accessibilité s'apprécie à différentes échelles, de la desserte locale du site par les transports de proximité jusqu'aux connexions ouvrant le territoire à une aire géographique plus éloignée (aéroport, gares...). Comment le territoire est-il équipé ? Quelles voies logistiques (routier, aérien, maritime, fluvial, ferroviaire...) sont disponibles dans la zone visée ? Quels sont les projets d'infrastructures ? Une bonne accessibilité physique représente un avantage en termes de maîtrise des coûts, et de rapidité des connexions pour l'import comme pour l'export (et l'approvisionnement comme la livraison). Ce critère explique certains choix d'implantation dans des secteurs du Nord ou de l'Est de la France sur des territoires situés au croisement de flux logistiques européens majeurs, qui retrouvent ou conservent de cette façon une attractivité (exemple de Béthune). Le même 211 En particulier Business France (C. Leboucher), MIGT Lyon F. Duval, Nadine Levratto, Université de Nanterre...) (à compléter). Références : · · document de l'ORÉE (Entreprises, territoires et environnement) : S'ancrer dans les territoires pour gagner en performance (sept. 2017) précité ; enquête auprès d'un panel représentatif d'entreprises, menée en 2017-2018 et basée sur le diptyque : mesure de l'importance du critère pour l'entreprise / mesure de la satisfaction vis-à-vis de ce critère dans votre situation actuelle : « Les relations des entreprises avec leurs territoires », ESSEC Business School - La Banque postale, septembre 2018 (dénommée dans ce développement et les suivants « l'enquête ESSEC ») un classement établi par Observatoire FIVES « Usines du futur » 2013, Cahier N°1, pp. 52 à 57. 212 213 Il est mis en avant par 4 répondants sur 5 dans l'enquête ESSEC. Mutations économiques et développement des territoires Page 115/170 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ raisonnement est invoqué pour la façon dont l'entreprise est reliée à ses aires de marché, ainsi qu'à son bassin de main d'oeuvre. Avec la marginalisation progressive du fret ferroviaire depuis le début des années 2000 et le recours généralisé au mode routier par les entreprises françaises, ce critère est apparu moins discriminant. En effet, le pays est doté d'un réseau routier largement développé, avec une accessibilité routière fiable et satisfaisante sur une grande partie du territoire (comparativement au reste du monde), et assurant de fait une connexion aux grands axes de circulation mondiaux, en particulier maritimes. Mais, ces dernières années, la logique « du juste à temps » lui a redonné tout son poids. Plus récemment, la possibilité de desserte en transports collectifs a aussi pu constituer un élément différenciant, notamment aux yeux de jeunes générations urbaines peu motorisées et plus attachées aux mobilités « propres » . S'agissant des infrastructures numériques, la possibilité d'un remplacement progressif des liaisons physiques par les liaisons numériques reste très limitée aux yeux des observateurs consultés par la mission ­ même en adoptant des hypothèses élevées de croissance du travail à distance dans les modalités adoptées par les travailleurs (par ex. 20 % à échéance de 5 ans). Le développement des infrastructures numériques ne pourra se substituer aux infrastructures physiques, encore plus s'agissant du tissu industriel. L'accessibilité numérique constitue néanmoins un facteur critique pour les territoires. Ainsi, l'existence d'une couverture numérique de dernière génération est le facteur le plus unanimement pointé par les entreprises214 parmi l'ensemble des critères de l'enquête ESSEC : s'il est défaillant, ce facteur s'avère dirimant pour l'installation, voire le maintien, sur les territoires mal desservis. À l'heure de la société connectée, l'équipement numérique constitue un élément direct de compétitivité pour chaque point du territoire. Les choix actuellement opérés par les collectivités en matière d'infrastructures de réseaux et pour le déploiement de leur « réseau d'initiative publique » (RIP) sont à cet égard lourds de conséquences : selon que sont privilégiés la rapidité du déploiement du RIP, la puissance de connexion, ou bien l'accessibilité en tous points (ou au contraire la concentration dans les bourgs), les situations sont contrastées. L'option d'équiper les zones d'activité est toutefois largement dominante, même si elle est loin d'être réalisée effectivement à ce jour215. 2. Le capital humain disponible et l'offre territoriale en matière de ressources humaines. La disponibilité d'une main d'oeuvre qualifiée et adaptée aux besoins du bassin économique ressort comme un critère primordial, tous secteurs d'activité confondus. L'existence sur le territoire d'un bassin d'emploi de taille pertinente (le plus large possible), offrant une gamme d'emplois diversifiés, et pourvu de ressources en matière de formation et d'intermédiation, est le facteur ayant pris le plus d'importance ces dernières années. La disponibilité de la main d'oeuvre concerne aussi la volonté de travailler dans le secteur considéré. C'est ainsi que l'existence d'une « culture ouvrière » dans le Nord a été décisive pour l'implantation de Toyota ­ même si au final le groupe a formé intégralement ses ouvriers à ses propres techniques. Dans l'enquête précitée, l'insuffisance de l'offre territoriale en matière de ressources humaines représente la principale préoccupation des entreprises, quel que soit le territoire ; la disponibilité de la main d'oeuvre qualifiée est la plus problématique dans les « aires urbaines petites ou moyennes » ­ ce critère y est encore plus critique (satisfait à moins de 45 %) que celui de la desserte numérique. 214 Il est signalé par 95 % des répondants de l'enquête ESSEC ! Ainsi, selon le retour des entreprises (enquête ESSEC), il apparaît que les besoins en accessibilité de toute nature, malgré leur importance, ne sont encore que très imparfaitement satisfaits, y compris ceux relatifs à la couverture numérique (pour 54 % d'entre elles), justifiant la poursuite de tout effort collectif en ce sens. 215 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 116/170 PUBLIÉ Dans le même esprit, les atouts des territoires reposent sur l'adéquation des structures de formation initiale et continue, l'existence et l'action de dispositifs d'intermédiation et d'insertion professionnelle publics et privés. Ces derniers éléments suscitent une forte insatisfaction de la part des entreprises interrogées quel que soit le territoire considéré ; au final, les difficultés de recrutement apparaissent patentes pour 84 % des répondants ESSEC, tous territoires confondus216. 3. La présence d'un écosystème performant 3.1 L'existence d'un tissu économique organisé apporte directement de la valeur aux entreprises, à travers : · la présence de services aux entreprises : spécifiques à la filière ou bien généraux (services informatiques, restauration pour les salariés ou indépendants...) ; la proximité de la zone de chalandise et des « marchés », la présence de clients finaux (en particulier pour les secteurs de la construction, de l'agriculture, des services) ; la densité et la qualité des interlocuteurs et partenaires financiers (ce critère ressort surtout pour l'agriculture et pour les services) ; la situation des matières premières, des fournisseurs et des sous-traitants ­ bien placés, expérimentés, avec des prix adaptés, et une bonne structure de coûts... (pour la construction, l'industrie et les services urbains ) ; voire, la présence de concurrents à proximité. · · · On peut citer l'exemple du cluster de transformation des produits de la mer à Boulogne sur Mer, qui regroupe 90 % de la production du marché français de la filière... ou la concentration de 60 % de l'emploi ferroviaire français autour de Valenciennes. « Les entreprises sont grégaires » résument plusieurs entrepreneurs interrogés par la mission. Dans l'enquête ESSEC, les besoins liés à ces « effets de milieu » ressortent comme plutôt bien satisfaits. 3.2 L'importance des pôles d'excellence et de la synergie avec la recherche est systématiquement rappelée : Au cours de leur étude d'implantation, étudier la dynamique et le fonctionnement des réseaux permet aux entreprises de déterminer comment elles pourront s'y intégrer, et asseoir leur développement grâce à un potentiel d'innovation déjà présent sur le territoire, et exploitable par elles217. Ainsi, les entreprises sont de plus en plus sensibles à la présence de réseaux informels (possibilités de partenariats, sous-traitance... au-delà des services spécifiques aux industriels) ou de réseaux organisés ­ lesquels recoupent plusieurs modalités : les « clusters », labellisés ou non, reposant sur la coopération, la complémentarité ou la mise en commun de moyens ; et les dispositifs d'innovation de type « pôles de compétitivité » ou autre. En France, les acteurs et les parties prenantes des pôles de compétitivité rappellent le caractère vertueux de ce dispositif ; la dimension territoriale est jugée décisive, permettant aux politiques de filières de trouver leur ancrage et leur effectivité. Aussi, nombre d'entreprises recherchent un environnement fertile, ce qui les conduit à porter attention218 à la proximité (via des collaborations, des partenariats, des cofinancements, la création de chaires...) avec les établissements d'enseignement supérieur ou spécialisés, et des établissements 216 Inversement le sujet du coût de la main d'oeuvre, bien que très différencié selon les territoires ne pose généralement pas de problème aux entreprises, sauf en Île-de-France. Par exemple à Stockholm (Suède), le groupe Ericsson emploie 3 000 personnes ; le cluster correspondant en comprend 30 000, y compris les sous-traitants, les startups, les étudiants et chercheurs. Les critères qui ont longtemps prévalu, comme l'accessibilité aux bassins d'emploi et de vie, sont ainsi réagencés au sein de ce critère plus global relatif à « l'écosystème », qui est parfois le seul présenté. Mutations économiques et développement des territoires Page 117/170 217 218 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ de recherche appliquée. Un écosystème performant, privilégiant les liens directs entre industrie, innovation, recherche et développement est aussi ce qui permet d'attirer et conserver les « talents »219, la (future) main d'oeuvre qualifiée, donc de reboucler avec la question ci-dessus du marché de l'emploi, ainsi que celle de l'attractivité globale. 4. L'accompagnement par les collectivités, y compris la qualité de l'offre foncière Le choix d'établissement peut aussi être conditionné à des critères plus traditionnels comme l'attractivité du foncier, l'accompagnement administratif et financier, la fiscalité. S'appréciant à l'échelle du projet, une échelle souvent plus réduite que celle de l'aire métropolitaine ou du bassin d'emploi, ce type de critères relève plus directement de l'action ou des leviers aux mains des collectivités locales ; ils répondent parfois localement à des logiques de concurrence directes entre communes ou EPCI. · Le premier aspect porte sur l'existence d'un foncier disponible, équipé et dépollué, prenant la forme de tènements de taille et de configuration adaptées, tant pour l'accueil de nouvelles entreprises que pour la relocalisation et l'extension des entreprises existantes. Le fait qu'un certain nombre de métropoles et d'agglomérations soient en train de prendre conscience de l'extrême faiblesse de leurs réserves de foncier économique 220, ou encore de l'inadaptation de leur offre (même si celle-ci est abondante) joue un rôle dans les reconfigurations en cours. La question de l'existence de zones de grande taille susceptibles d'accueillir des investissements (inter)nationaux à fort effet de levier peut aussi être un sujet de préoccupation. L'efficacité du système administratif local est aussi un facteur de succès ; ceci recoupe la capacité à délivrer des autorisations dans des délais adéquats, la cohérence de l'accompagnement administratif (interlocuteur unique...), ainsi que globalement la manière dont l'entreprise est accueillie et dont fonctionne le tissu local en termes de gouvernance et de dialogue entre les différentes parties prenantes. Notamment, l'accompagnement dont les entreprises pourront disposer en matière d'incitations ou d'aides financières est un facteur très regardé : chaque Région possède son propre dispositif de subvention, pas nécessairement partagé avec les collectivités locales qui ont conservé la partie « immobilière » des aides à l'implantation, et peuvent être tentées de moduler le volet fiscal. Ceci soulève nombre de questions en matière d'efficacité, d'effets de seuil, d'effets d'aubaine, d'où un débat pour apprécier dans quels cas les dispositifs d'aide et/ou les bonus fiscaux jouent un rôle réellement décisif dans la décision d'implantation 221. Enfin, la cohérence du projet de territoire, quelles qu'en soient ses formes, et son portage, les régulations mises en place, sont souvent significatifs de la capacité du territoire à s'occuper de son développement et à se projeter dans l'avenir. L'engagement explicite des acteurs publics et privés locaux est essentiel ; il doit se faire autour d'un projet de territoire construit en commun et assorti de la capacité à bâtir et mettre en oeuvre des stratégies partagées, avec la mise en place d'outils correspondants (managers de zones...) et des mises en réseaux permettant de pallier la fragilité de certaines situations. · · · Ceci peut se résumer par un critère de « bonne gouvernance » : une étude récente222 a ainsi souligné l'importance de « la coordination des acteurs, comme vecteur d'amélioration de l'efficacité des 219 Cf. audition Business France. Exemple de Nantes, Toulouse, Bordeaux, d'après l'entretien avec France urbaine et le séminaire avec les agences d'urbanisme (club Eco FNAU). Cf. Entretien avec France urbaine. 220 221 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 118/170 PUBLIÉ politiques publiques de soutien à l'économie et aux entreprises » et « les différences de performances entre les territoires (résultant) de caractéristiques plus ou moins visibles ou immatérielles qui concernent la capacité à faire système, le capital social, la capacité de coopération, d'agglomération... particulièrement la coopération entre les différentes instances politiques et socio-économiques ». À elle seule, « la proximité ou la localisation sur un même territoire des ressources de base nécessaires à l'écosystème entrepreneurial ne garantit en rien le fonctionnement de ce dernier ...[...] la proximité ou l'agglomération de facteurs ayant besoin d'être activées » avec « les pouvoirs publics [comme] facilitateurs de l'activité économique, en charge de l'animation du territoire par la création de liens entre les acteurs présents sur le terrain »223. C'est un thème majeur, car, en parallèle d'organisations sectorielles et d'instances de dialogue avec les autorités, de nombreux acteurs promeuvent la mise en place d'actions reposant sur une logique territoriale et collective, par exemple via des manageurs ou animateurs de zones (sur le modèle des manageurs de centre-ville), capables de fédérer les besoins d'entreprises diverses sur un même territoire et d'organiser une mise en commun selon les principes de l'écologie industrielle par exemple. 5. Le cadre de vie et les aménités Il se dégage un critère reconnu comme majeur par l'ensemble des personnes rencontrées par la mission : une forme d'attractivité générale du territoire, porteur des « aménités » nécessaires pour fixer les personnels, les cadres en particulier : grands équipements, proximité des loisirs (sport, lieux récréatifs...) et des réseaux de transport afférents, et aussi la possibilité d'emploi du conjoint cf. infra), d'où le poids de « la métropolisation » avec des bassins d'emploi riches et diversifiés permettant des doubles carrières, et une image attractive. L'attention est portée au cadre de vie, à la modération des prix du foncier et de l'immobilier, aux équipements, parcs, établissements culturels et d'enseignement (des écoles aux universités), à l'habitat, avec l'existence d'un parc de logement diversifié, de qualité et abordable. Cette problématique, très présente en Île-de-France ­ la non disponibilité des logements accessibles représentant le principal facteur de limitation du développement de la région à partir de 2010 ­ a tendance à s'étendre dans les années récentes aux autres métropoles. De nombreux territoires proposent des « facilités » pour accompagner l'implantation des cadres en mobilité (avec le service, voire, l'appui au recrutement, des cadres dirigeants, au travers d'un accompagnement de leurs familles). L'importance de la mutation concomitante des grands services publics, l'exemple de la Poste Dans le cadre de l'Union européenne, le service universel postal a été défini par la directive postale 97/67/CE du Parlement européen et du Conseil du 15 décembre 1997. En France, le service universel postal a été confié à la Poste. Selon le Code de la poste, ce « service universel postal concourt à la cohésion sociale et au développement équilibré du territoire. Il est assuré dans le respect des principes d'égalité, de continuité et d'adaptabilité en recherchant la meilleure efficacité économique et sociale. Il garantit à tous les usagers, de manière permanente et sur l'ensemble du territoire national, des services postaux répondant à des normes de qualité déterminées ». Un fonds de compensation du service universel postal assure à la Poste le financement des coûts nets liés à ses obligations de service universel. La Poste a notamment une obligation d'accessibilité et doit adapter son réseau de points de contact, notamment par la conclusion de partenariats locaux. 222 Denis Carré, Nadine Levratto, Analyse qualitative de l'effet local : étude de territoires particuliers (version du 13 juillet 2016), Université Paris X Nanterre. Rapport sur le Bassin minier, Bruno Depresle et François Duval, CGEDD, 2017. Mutations économiques et développement des territoires Page 119/170 223 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ Initialement détenu et exploité par la Poste, le réseau des points de contact a donné lieu à désengagement de sa part : fin 2014, les 17 000 points de contacts répartis sur l'ensemble du territoire comportaient plus de 5 000 agences postales communales gérées par les mairies et 2 000 relais-postes gérés en partenariat avec des commerçants locaux. Un fonds postal national de péréquation territoriale a été mis en place et fonctionne dans les conditions fixées par un contrat pluriannuel de la présence postale territoriale passé entre l'État, La Poste et l'association des maires de France. L'activité historique du courrier ne pourra pas couvrir les coûts du service universel postal dès 2020 et globalement, la fréquentation des bureaux de poste continue à baisser de 4 % par an ; l'activité de colis a augmenté avec l'e-commerce mais les concurrents sont nombreux et actifs. Pour affronter cette situation, la Poste a innové dans ses process et a recherché de nouveaux services en faisant appel à ses collaborateurs et à l'apport du numérique. Elle développe par exemple la première base de données de connaissance des clients particuliers en France, une activité de services à la personne, le passage de l'examen du code de la route dans ses bureaux, la livraison de colis par drone en France... L'enjeu de formation des facteurs est considérable, de même que celui d'adaptation de l'usage de ses biens immobiliers, notamment pour le développement d'espaces de co-travail avec l'opérateur Starway (aujourd'hui, 22 espaces en France, dont 15 en région parisienne et 7 en régions). Ils constituent des « réseaux sociaux réels » qui « revalorisent » les bureaux de postes ou les centres de tri transformés en espaces dédiés à l'entrepreneuriat et à de nouveaux services en centre-ville ou en zones rurales. La Poste a su utiliser les contraintes de l'obligation de service public et de l'équilibre économique pour innover en termes de services, de technologies et de management et développer son ancrage territorial. 4.4. Les fondamentaux d'un projet de territoire Le développement qui suit détaille l'encadré « Les fondamentaux d'un projet de territoire » situé au § 1.4.1. Un territoire : espace pertinent et système d'acteurs Un territoire est un espace géographique pourvu d'une cohérence et d'une identité, dans lequel un ensemble d'acteurs agissent et inter-agissent de façon plus ou moins coopérative, si bien qu'on parle habituellement « d'écosystème ». Les territoires peuvent être définis par rapport à leur histoire, leur géographie physique, leur organisation institutionnelle, leur activité (bassin industriel, bassin d'emploi...). Les principaux acteurs sont les entreprises, y compris les plus petites (l'approche territoriale devrait permettre de mieux les prendre en compte), ainsi que leurs organisations professionnelles (associations professionnelles, CCI...) ou opérationnelles (groupements, réseaux, clusters...) et les collectivités territoriales, notamment celles qui ont des compétences économiques ainsi que leurs opérateurs (en particulier le réseau des 1500 entreprises publiques locales ­ EPL). Il convient d'impliquer également les centres de recherche et de formation, les banques, les associations, des personnes-ressources issues de la société civile... La qualité de dialogue et de coopération entre tous, en dépit des concurrences et des oppositions, est un facteur essentiel de la « force » du territoire et de sa capacité à porter une démarche de développement cohérente et durable. La présence d'un « leadership » ressort comme un atout incontestable. Un diagnostic partagé Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 120/170 PUBLIÉ Le diagnostic constitue une étape préalable essentielle à la mise en place de la démarche de projet de développement. Trop souvent négligée ou stéréotypée, elle est essentielle pour faire émerger une connaissance, une prise de conscience du territoire, révéler ses atouts et forces, comme ses handicaps et fragilités, et faire partager ces éléments par l'ensemble des acteurs. Cet exercice collectif doit permettre de mettre en évidence les facteurs les plus spécifiques. Il montrera qu'il n'y a pas de « territoires désespérés » ni de territoires systématiquement « gagnants ». On pourra alors dégager les conditions de base et de faisabilité de la démarche de développement envisagées pour le territoire concerné en distinguant les facteurs endogènes (la plupart du temps largement prépondérants) et les facteurs exogènes (capacité d'attractivité) de ce développement. L'identification des entreprises existantes et leur propension à être en tout ou partie délocalisables est un élément majeur du diagnostic, tant il s'avère qu'agir pour maintenir sur le territoire les entreprises déjà présentes est en général plus efficace que tenter d'en attirer de nouvelles. Une vision stratégique L'expression d'une vision et l'énoncé d'objectifs s'appuient sur le diagnostic et exploitent notamment les facteurs de différenciation du territoire (valoriser les atouts spécifiques, conforter l'identité). L'exercice a besoin de reposer sur un travail collaboratif pour assurer l'adhésion de l'ensemble du système d'acteurs à la vision commune et permettre ensuite une réelle transversalité dans la mise en oeuvre, avec un dispositif de communication clair et cohérent. Il s'agit de créer les conditions propices à un développement équilibré du territoire concerné, c'est-àdire pas seulement économique mais aussi répondant aux enjeux sociaux et environnementaux, source de qualité de vie et de bien-être des populations. Des méthodes et des moyens Une méthode aussi structurée que possible sera un atout majeur, permettant d'identifier les moyens correspondant aux objectifs et la manière de les mobiliser auprès des acteurs du territoire ou ailleurs. On s'appuiera utilement sur les enseignements d'expériences antérieures, sur les données existantes et les résultats issus de dispositifs déjà mis en oeuvre ou des dynamiques en cours comme les contrats de pays ou les pôles territoriaux économiques de coopération (PTEC). À l'heure où l'État entend prôner le « contrat unique », il convient de rechercher la meilleure articulation possible voire la synergie et le regroupement des moyens. Une trajectoire traduite dans un plan d'action Un plan d'action suppose une organisation entre acteurs et un calendrier qui donne une perspective et indique des étapes. Son établissement permet de disposer d'un programme de travail entre acteurs, de préciser leur rôle ainsi que l'enchaînement des tâches, tout en évitant de confondre les enjeux, les objectifs et les outils ou actions à mettre en oeuvre. À titre d'exemple, on notera que la numérisation des processus, le big data, la mise en place des plateformes de données sont des moyens utiles et non pas des fins. La place des entreprises dans ce plan d'action est primordiale, il importe de leur confier la pleine responsabilité d'actions touchant directement au développement économique. Une gouvernance : pilotage politique, conduite de projet, évaluation Il s'agit de définir la manière de conduire le projet de développement, de faire fonctionner le système d'acteurs, d'organiser la commande au bénéfice de l'écosystème, et d'impulser, de conduire et de faire aboutir les actions, en donnant une large place aux acteurs économiques ainsi qu'à ceux de la société civile. Ceci peut se traduire par la mise en place d'un comité de pilotage coprésidé par des Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 121/170 PUBLIÉ pilotes issus l'un de la sphère des collectivités territoriales, l'autre de la sphère économique. Des référents issus de l'État et de la Région concernés seront à la fois des garants et des personnes ressources. Un pilotage efficace supposera le plus souvent la mise en place d'une fonction de chef de projet, chargé d'impulser, d'animer et de coordonner la démarche sous la responsabilité du pilote politique. L'ingénierie de projet sera constituée du chef de projet et des moyens et ressources qu'il pourra mobiliser et des outils à mettre en place (outil de pilotage de projet, dispositif d'évaluation...). Chaque acteur pourra « porter » une ou plusieurs actions opérationnelles selon ses compétences, directement ou via une structure dédiée. Une des missions de l'Agence nationale pour la cohésion des territoires pourrait être de mettre au point les outils et méthodes nécessaires, de veiller à leur mise en place et d'animer un pôle ressource. Une coopération inter-territoriale Il ne peut y avoir de démarche de développement durable sans dialogue territorial et sans coopération avec les territoires voisins (quelle que soit la pertinence des périmètres, les échanges économiques ne connaissent pas de limites spatiales), ainsi qu'avec ceux avec lesquels des coopérations sont possibles, pour des raisons de complémentarité ou de similitude incitant à l'échange d'expériences. La démarche de projet de territoire n'a pas de sens si elle ignore les interactions et les échanges réels ou potentiels. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 122/170 PUBLIÉ 5. Visites de terrain en France La mission a effectué des visites de terrain dans deux régions (Grand-Est, Hauts-de-France), deux départements (Yvelines, Ardèche), deux métropoles (Toulouse, Rouen), une ville moyenne (Romans) et deux territoires industriels (vallée de l'Arve et Bassin minier du Nord de la France). Ces neuf cas ne constituent pas un échantillon représentatif des territoires du pays, mais leur observation permet d'identifier de nombreux exemples intéressants et de dégager quelques traits saillants 224 . · Des Régions qui sont des entités achevant leur reconfiguration, la construction de schémas et de stratégies économiques pouvant se fonder sur la transition énergétique ou écologique comme dans les Hauts-de-France, à des degrés et selon des modes différents. La collectivité régionale peut paraître organisée en « silos » et lointaine aux territoires, surtout tant qu'elle n'a pas encore établi une vision affinée et différenciée de ceux-ci. Ses compétences en matière de développement économique et de recherche (sans oublier la planification générale) lui confèrent cependant un rôle majeur de soutien à l'innovation et d'aide aux entreprises dans les territoires. · Des Départements qui peuvent constituer des territoires de projet intermédiaires dans le cas d'une identité forte comme en Ardèche ou mobiliser des moyens techniques et financiers importants comme dans les Yvelines (qui agit de façon significative de faveur de l'attractivité économique). Ils sont alors capables de jouer un rôle important de soutien aux territoires, notamment par la mise à disposition d'ingénierie et d'outils opérationnels. · Des Métropoles qui apparaissent avant tout préoccupées par leurs propres difficultés ou fragilités internes. Le développement de coopérations avec les territoires voisins est moins prioritaire, celles-ci se réduisant parfois à des exercices limités et assez formels. Des stratégies économiques de plus en plus affinées sont établies pour guider l'action foncière et réinsérer des activités productives dans le tissu urbain ou périurbain proche, comme à Toulouse, ou pour requalifier les zones d'activité et recycler les sites pollués, comme à Rouen. · Des intercommunalités qui sont dans des situations économiques ou sociales variées et n'ont pas encore toutes la maturité et les moyens d'établir de véritables stratégies. Elles peuvent connaître des degrés de fragilité variés, tant en fonction de leur dynamique économique et démographique que selon la capacité de gouvernance des collectivités et la qualité des écosystèmes permettant le développement des coopérations entre les acteurs locaux. · Des territoires d'anciens bassins industriels dont les évolutions démographiques, économiques et sociales peuvent être des handicaps au développement économique mais qui présentent aussi un potentiel humain, urbain et naturel. La révélation de ce potentiel permet de faire levier comme pour la vallée de l'Arve, ou de faire résilience, voire de parier sur une renaissance comme le Bassin minier qui tente de se penser comme un « territoire phoenix »225 autour du musée du Louvre-Lens. Cette transformation reste, dans ce bassin comme à Romans ou dans le Nord de l'Ardèche, lente et incertaine, compte-tenu de fréquentes difficultés de coopération interne et externe, de la situation sociale et des enjeux de transition écologique qui peuvent avoir des aspects à la fois positifs et négatifs en termes de transformation des emplois. 224 Voir les encadrés dans le rapport et les comptes-rendus site par site en annexe 4. Thème d'un atelier des territoires organisé au Louvre Lens en juin 2019 par la DGALN. 225 Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 123/170 PUBLIÉ 5.1. Hauts-de-France et Bassin minier La mission du CGEDD s'est rendue dans la Région Hauts-de-France les 25 et 26 septembre 2018 à Lens et Lille pour analyser le rebond potentiel d'un bassin industriel sinistré et le développement économique régional et métropolitain dans un contexte social particulièrement difficile. Elle est retournée à Lille le 22 novembre pour approfondir l'analyse du projet régional de « 3 révolution industrielle », notamment en raison de son lien avec la transition énergétique et écologique. Points marquants du contexte La région Hauts-de-France est marquée par son contexte socio-économique. Elle est la région métropolitaine la plus confrontée aux fragilités sociales comme le montrent plusieurs indicateurs (source INSEE, analyse Hauts-de-France, mars 2018) : · taux de pauvreté (2014) : 18,3 %, soit le taux le taux le plus élevé de France métropolitaine après la Corse, taux de chômage (2015) : 12,6 % et 11,9 % au 3 trimestre 2017 soit le taux le plus élevé de France, taux d'actifs sans diplôme : 21 % contre 18 % en France métropolitaine. · · Les territoires sont différemment touchés par cette vulnérabilité sociale : la métropole de Lille et les territoires péri-urbains se caractérisent par de moindres difficultés, le Bassin minier par des taux chômage et de pauvreté accrus, notamment chez les jeunes. La région Hauts-de-France, dotée historiquement d'une grande richesse économique (textile, métallurgie), est fortement marquée par la désindustrialisation. Le poids de son industrie dans l'économie régionale a tendance à se rapprocher de la moyenne nationale, avec une valeur ajoutée brute de l'industrie par rapport aux autres branches de 16,6 % contre 14 % pour la France métropolitaine (source Insee 2013) Principaux constats La reconversion du Bassin minier engagée depuis plus de 40 ans s'avère extrêmement difficile en dépit d'un soutien public constant. Depuis 2017, une nouvelle impulsion de l'État redonne de l'espoir à ce territoire en apportant sur la durée des moyens spécifiques (délégué interministériel et enveloppe financière dédiée) et en réunissant autour de lui l'ensemble des collectivités territoriales concernées (la Région, le Département du Nord, le Département du Pas-de-Calais et les 8 intercommunalités du bassin minier). Le projet de renouveau du Bassin minier s'articule avec le projet « Rev3 » autour de la dynamique partagée de transition énergétique. Plusieurs freins apparaissent : · le projet ne profite pas de la dynamique de la métropole de Lille ; le dialogue apparaît difficile à installer ; la Métropole évoque l'absence d'interlocuteur et les divisions politiques au sein du bassin minier, les différences culturelles et économiques, son développement se heurte également à un manque de capacité d'ingénierie, pointé par la Région Hauts-de-France, la logique de centralité du projet de renouveau du bassin minier s'oppose à la logique écosystémique des projets de territoire existants. · · La région Hauts-de-France a vu la transition énergétique et écologique comme une opportunité pour lancer une dynamique collective en dépit d'une situation globale de départ dégradée, à la fois Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 124/170 PUBLIÉ écologique, économique et sociale. Elle mise sur ses atouts qui sont divers : l'université de Lille, un réseau de clusters d'éco-entreprises animé par une tête de réseau, un site d'usine du futur, le dynamisme d'élus comme le maire de Loos-en-Gohelle, des coopérations d'entreprises comme la symbiose industrielle de Dunkerque (reflétée dans « la toile industrielle »), un lieu de discussion expert sur la forme que peut adopter le territoire à l'avenir (Euralens) etc. Cette dynamique s'inscrit dans la durée au travers du projet régional de transformation de l'industrie « marketé » « Rev3 » (troisième révolution industrielle). Ce projet a résisté au changement politique à la tête de la Région. Le projet Rev3 a dû évoluer dans une région (anciennement Nord-Pas-de-Calais) particulièrement concernée par les prochaines mutations de l'industrie automobile en lien avec la transition écologique et énergétique. Il traite la question des métiers et des transitions professionnelles en prenant en compte les spécificités territoriales (besoins, offre existante, à créer). Le plan d'action sur les métiers peut servir d'exemple pour d'autres territoires, notamment sur la manière dont il mobilise le monde académique (les universités en particulier). Le projet Rev3 a renforcé la visibilité des dynamiques territoriales avec le concept de « territoires démonstrateurs ». Le partage d'un projet de territoire de transition écologique et énergétique à des échelles territoriales différentes et la mutualisation d'ingénierie (la région Hauts-de-France apportant dans le cadre de Rev3 une capacité d'ingénierie qui fait défaut dans le bassin minier) permet d'installer un dialogue entre des territoires différents et ensuite de construire des coopérations inter et intraterritoriales. D'une certaine manière, le fait métropolitain n'est encore pas « abouti » à la métropole de Lille, les mécanismes de régionalisation sont toujours en cours à la région Hauts-de-France. Cette situation transitoire constitue en Hauts-de-France un frein au dialogue et la coopération inter-territoriale. La métropole de Lille, concentrée sur ses propres difficultés, doit faire face à l'urgence du traitement d'un chômage massif. Elle affiche donner priorité à ses territoires les plus marqués par des fragilités sociales et ne dialogue pas avec le Bassin minier. Malgré l'importance des liens fonctionnels (la moitié de la population du bassin minier travaille dans la métropole lilloise), le « ruissellement » de la métropole de Lille sur ses territoires périphériques, notamment sur le bassin minier, ne fonctionne pas. Il n'est pas spontané, ni organisé. La Région fonde sa stratégie économique sur la transition énergétique et écologique en s'appuyant sur le numérique pour l'accélérer. Elle a mis en place deux cadres différents : un cadre ancien, autour du projet Rev3 et un cadre nouveau, d'un autre ordre, avec le SRDEII, outil de planification territoriale économique. Ces deux cadres sont cohérents mais le SRDEII n'intègre pas Rev3, ce que regrettent les pilotes de cette démarche. Les SRDEII et SRADDET ont été construits séparément et ne sont pas interfacés pour le moment. L'EPF Nord-Pas-de-Calais continue d'être très actif localement sur le plan économique pour répondre à la demande des collectivités territoriales, en dépit des orientations politiques en faveur du logement et de contraintes financières. Il s'appuie sur un portage politique local et ses compétences historiques (sur la biodiversité notamment). La DREAL est perçue sur le terrain uniquement dans leur rôle de régulateur, donc de manière plutôt négative selon le pilote du projet Rev3. La relation apparaît compliquée avec la Dreal qui peut se trouver bloquéedans lson intervention faute de réglementation. ?? Selon le pilote du projet Rev3, la démarche du CTE est intéressante, car il permet de construire une vision partagée d'un territoire, mais son potentiel est limité par l'absence de moyens spécifiques pour financer l'animation et la mise en cohérence dans la durée. Le contrat d'objectif territorial (COT), appelé COTRI (COT de la troisième révolution industrielle) déployé par l'Ademe lui est préféré, car il permet une mise en cohérence de différentes démarches/outils et offre des financements (spécifiques ou de droit commun fléchés). Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 125/170 PUBLIÉ Enseignements pour la mission La transition écologique peut être vue comme une opportunité par un territoire, à la fois moteur de développement industriel et catalyseur d'une dynamique territoriale, même par un territoire partant d'une situation écologique et économique dégradée. Les Régions peuvent fonder leur projet de territoire sur la transition écologique. C'est aussi un moyen de changer l'image d'un territoire et de le différencier pour le rendre plus attractif. Le contexte de concurrence territoriale doit être reconnu et problématisé au regard de l'enjeu de cohésion territoriale selon un principe de réalité. Les territoires marqués par un contexte socio-économique difficile conservent des atouts mais la désindustrialisation est un obstacle à leur développement économique. Les métropoles s'en sortent mieux que les territoires économiques périphériques, surtout quand il s'agit de bassins monoindustriels touchés par une crise profonde. Le projet régional de transformation du territoire doit pouvoir évoluer et s'adapter aux enjeux de demain pour intégrer les prochaines reconversions industrielles dues à la transition écologique qui vont toucher d'autres secteurs. Les clefs du développement local sont ainsi identifiés par le pilote du projet Rev3 : · l'accord de tous les acteurs sur une vision non clivante (« une région durable et connectée »), faite « par le bas » qui facilite la coopération, l'accompagnement et l'accélération, la définition d'une trajectoire et la création d'une dynamique collective rassemblant les acteurs de toutes les sphères autour de projets et d'actions, la présence d'un catalyseur (J. Rifkin qui sert de « totem », mais n'est pas le « maître à penser »), et la mobilisation de 125 experts du monde public et du monde économique de la région (administrations, entreprises) qui ont défini en 9 mois une feuille de route), la présence d'entreprises « leader », sachant que cela ne suffit pas, il y a aussi nécessité d'un projet mobilisateur que la Région doit élaborer, la mise en oeuvre du droit à l'expérimentation (en quoi???), mais en définissant un cadre réaliste par rapport au sujet (la responsabilité, la durée, le suivi et l'évaluation). · · · · Une définition partagée du concept de transition écologique apparaît nécessaire, au-delà de sa dimension « énergie » ; d'autres aspects sont à prendre en compte, notamment l'économie circulaire. L'EPF doit conforter son rôle d'un outil au service du développement de son territoire. Le portage politique local permet de rééquilibrer les enjeux locaux et les orientations nationales données par sa tutelle. Des compétences rares doivent pouvoir être mutualisées via des centres de ressources (par exemple cet EPF dispose d'une compétence historique sur la biodiversité). Le partage d'un même projet de transition énergétique et écologique permet d'instaurer un dialogue entre territoires et ensuite de renforcer les dynamiques territoriales par des actions et coopérations concrètes telles que les « territoires démonstrateurs » . 5.2. Ardèche La mission s'est rendue en Ardèche le 18 décembre 2018. Département rural à tradition industrielle, il s'est engagé dans une démarche de transition écologique à l'échelle de l'ensemble du territoire départemental en mobilisant un très large partenariat. Après la présentation de la démarche par le président du Conseil départemental et son équipe, la mission s'est rendue au Cheylard, territoire enclavé et rural constituant néanmoins le deuxième pôle industriel de l'Ardèche, qui continue Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 126/170 PUBLIÉ d'innover avec un fablab industriel et des actions dynamiques en direction de son tissu économique composé d'ETI et de PME . Points marquants du contexte L'Ardèche est un territoire rural et agricole comportant aussi des enjeux industriels, sans compter la présence de centrales nucléaires (Cruas, Pierrelatte). L'agriculture est diversifiée (viticulture, arboriculture, châtaigneraie, plantes à parfum, élevage ovin et bovin, lait) mais en pleine mutation (12 % du foncier du département a changé de destination en 2018 contre 4 % au niveau national), avec des objectifs parfois contradictoires à concilier. Elle est particulièrement exposée au dérèglement climatique. Un groupement de producteurs veut une démarche « haute valeur environnementale », d'autres sont moins avancés. Pour autant, les agriculteurs ont toujours recherché de la valeur ajoutée, d'où des ateliers de transformation, individuels ou collectifs, avec une industrie agroalimentaire très diversifiée, et tenue par des industriels, par des artisans, ou par des agriculteurs. Le cluster de l'agroalimentaire regroupe 350 entreprises sans être aidé ni par la Région ni par le Département. 92 % de la production viticole se fait en coopérative. La mutation de l'agriculture s'appuie sur la volonté forte de manger « sain, bio et local », et sur une identité quasi « insulaire » qui porte les valeurs d'un terroir en cherchant à y fixer la valeur ajoutée. La question foncière est également cruciale. Il reste seulement 50 ha disponibles et aménagés ou aménageables pour des zones d'activités maîtrisées par la collectivité. L'Epora (EPF régional) intervient désormais en Ardèche, il y a collecté 3,5 M de taxes mais n'y a pas encore conduit d'actions significatives de portage ou de constitution de réserves foncières. Des friches industrielles ont été exploitées, d'autres restent inaccessibles. Un travail est fait avec les EPCI pour identifier les « dents creuses », mobiliser des outils comme le droit de préemption, et travailler avec la Safer et l'Epora, mais ceci reste difficile à concrétiser ; L'Ardèche (considérée comme un département « dortoir » par rapport à ses voisins) ne parvient pas à développer une offre foncière pour les activités. Principaux constats Au premier trimestre 2018, le Département a initié une démarche de type « contrat de transition écologique » afin d'accompagner l'ensemble de la société dans ses grandes transitions (sociale, numérique, agricole...), selon une approche d'ensemble qui pourrait s'intituler « transition écologique, sociale et solidaire ». Elle prend appui sur la forte identité de l'ensemble ardéchois. Ses 18 EPCI sont de taille modeste, les plus grosses villes étant Aubenas et Annonay (17 000 et 12 000 habitants). Sa cohérence géographique (position par rapport à la vallée du Rhône, arrière-pays avec des difficultés d'accessibilité, disponibilité des terres agricoles, tropisme pour les énergies renouvelables...) est renforcée par son histoire et sa culture commune ; ainsi le département reste un territoire institutionnel pertinent pour emmener l'ensemble des collectivités vers la transition. Le Département a décidé de dédier à la démarche un budget à hauteur de 45 par habitant, et de l'afficher comme tel : « une somme que le département consacre à son avenir en apportant une réponse à l'ensemble des problématiques des administrés ». Il adaptera en 2019 et en 2020 ses dispositifs selon le projet retenu, que le CTE soit labellisé par l'État ou pas. Seize EPCI sur 18 ont signé une lettre d'engagement. La démarche, impliquant le monde agricole et de très nombreux acteurs économiques et sociaux a fait l'objet d'une forte mobilisation des partenaires depuis avril 2018 et a compris la visite de chacun des EPCI. Une « semaine de la transition » a ensuite réuni 1 000 professionnels, et défini des priorités regroupées en quatre thèmes : la transition agricole et sylvicole, l'économie de ressources et les énergies renouvelables, la réduction de l'impact social et écologique des mobilités, l'éducation des jeunes et l'implication des citoyens. L'ensemble est guidé par une recherche d'innovation, Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 127/170 PUBLIÉ d'exemplarité, pour trouver des actions qui aient un effet de levier pour modifier le modèle de développement. En partant du constat que les entreprises partagent des mêmes valeurs sans se connaître, mais aussi qu'elles savent réfléchir pour améliorer leurs performances, il leur a été proposé de se grouper dans une association : les « É » afin de travailler ensemble sur des sujets comme la mobilité. La difficulté devient, pour les entreprises, d'accéder à des centres de décision qui se sont déplacés (lorsque par exemple l'actionnariat familial d'origine a évolué, avec la production restée sur place, mais que le siège et les fonctions de recherche sont partis). La démarche vise à réfléchir à toutes les marges de progrès possibles, comme la recherche de solutions innovantes pour évacuer le bois en l'absence de voies ferrées et de réseau routier hiérarchisé, et de créer des liens dans la durée sur le sujet de la transition. Le Département entend également mettre en réseau les tiers lieux soutenus par les EPCI, avec un rôle d'ingénierie et d'ensemblier. Il est délicat d'introduire « l'action économique » en tant que telle dans le contrat de transition écologique alors que la Région n'est pas signataire ; l'axe économique reste toutefois porté par des structures liées au Département. Le CTE entend apporter un fil conducteur à un certain nombre de démarches peu lisibles en cours : le PIA transition écologique, le PIA jeunesse (27 partenariats différents...), les 2 « Territoires d'industrie » Nord Ardèche et Aubenas, ainsi que les aides individuelles de la Région, afin de donner à tout cela cohérence et perspective dans le temps. Le Département dispose d'une offre d'ingénierie pour tous ses partenaires. En effet les appels à projets nationaux et régionaux conçus pour les métropoles sont difficilement traitables par les EPCI en Ardèche, d'où l'idée de répondre en se positionnant comme « métropole départementale »... La démarche CTE s'appuie sur des fiches actions, un SIG puissant et des indicateurs (certains en construction, comme le « bonheur ardéchois brut »). Sa gouvernance est classique : au départ un binôme président du Conseil départemental et préfet (mais sans la DDT) porte la démarche, à l'image des relations assez étroites entre l'État et le Département ; un comité de pilotage se réunit avec les présidents d'EPCI, les partenaires, et le préfet, le secrétaire général, ainsi que des comités techniques. Les relations sont difficiles voire inexistantes entre le Département et la Région AURA, qui ne sera pas signataire du CTE (ni de la convention sur la formation avec l'État), et dont le système d'aides ne permet pas, selon les responsables du Département, de répondre aux problèmes qui se posent concrètement aux acteurs économiques du territoire. La démarche s'appuie sur une prospective « l'Ardèche dans 30 ans » avec une modification en profondeur de l'action des collectivités ; il faut mobiliser l'ensemble des agents publics sur la transition, concevoir un plan de mobilité d'ensemble (routier mais aussi transports collectifs), concevoir des services dans une logique qui dépasse celle du « bénéficiaire », ce qui incite à transformer en profondeur les politiques publiques notamment sociales conduites par le Département. L'exemple donné est celui de la politique d'insertion menée de longue date avec des enjeux majeurs (2 000 places de stages de formation de base contre l'illettrisme non pourvues en Ardèche, le sujet des migrants mineurs non accompagnés...). L'exemple d'une industrie rurale Le Val'Eyrieux, EPCI de 31 communes, 14 000 habitants, est un pôle dont le dynamisme, actuellement plutôt favorable, dépend des aléas de l'industrie. La spécificité locale est la fabrication de bijoux, avec Altesse, qui a connu un lourd plan social en 2008-2009 et de très grosses pertes d'emplois (entre 250 et 500 emplois aujourd'hui dans les PME, contre plus de 800 avant la crise), mais avec une activité en rebond grâce aux « georgettes » ; ce bijou, qui fait l'objet d'un marketing innovant, est entièrement conçu et réalisé sur place grâce aux installations industrielles et au recrutement de jeunes ingénieurs et marketeurs. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 128/170 PUBLIÉ À la fin des années 1980, le territoire a mené une réflexion de fond pour éviter la fuite vers la vallée du Rhône, avec deux gros enjeux : la nécessité de conserver un lycée de proximité (80 % de contrats en alternance), avec plusieurs sections de bac professionnel, aujourd'hui orienté spécifiquement sur le e-commerce grâce à l'école de codage Simplon ; et une revalorisation de l'industrie et des sciences et techniques, avec la tenue d'un « village des sciences » ayant compté 3 000 visites en deux jours. Ces deux éléments ont constitué un levier d'amélioration de l'industrie productive, dont on mesure aujourd'hui les effets positifs. Pour répondre aux besoins des entreprises, le territoire entend être « agile » et en accord avec « l'horloge des marchés ». Le territoire a identifié ses handicaps et la façon de les surmonter : · le fort éloignement de la gare TGV (1h20). Mais les industriels sont attirés par d'autres facteurs, la culture du travail bien fait, le respect de la hiérarchie, le sens des responsabilités ; une natalité en baisse, mais depuis 15 à 20 mois des couples reviennent s'installer, attirés par l'environnement naturel, social et culturel ; des préoccupations, concernant l'État, sur les documents d'urbanisme, l'insuffisante prise en compte de l'industrie dans le SCOT et les attentes jugées trop fortes sur la protection des espaces naturels et de la biodiversité : selon le président de l'EPCI, promouvoir un urbanisme dense n'est pas adapté, il y a un besoin de dégager du foncier pour des unités de transformation du bois, et d'adapter mieux les règles pour les centres bourgs. La réalité de l'existence d'un territoire rural-industriel ne semble pas comprise ou acceptée par les services de l'État. · · Le territoire a mis sur pied un tiers-lieu qui sert à la fois de lieu d 'animation de la filière industrielle, de fablab et d' « ateliers relais », et de centre de formation interentreprises. Il lui reste à concrétiser : · · · un projet de centre de formation d'apprentissage industriel, une GPEC territoriale en cours de finalisation, une plate-forme de rénovation énergétique structurée sur les énergies renouvelables, avec une SEM. La constitution d'un PETR Pays du Cheylard (85 000 habitants) est en cours de réflexion sur le sujet économique. Les moyens en ingénierie doivent se développer, avec une cellule de prospective et de développement économique, même si le développement est essentiellement endogène. Le sujet de la mobilité reste majeur et doit être traité à l'échelle départementale. Le territoire émarge à divers dispositifs d'État. Le TEPCV avait bien fonctionné. Les six EPCI de Nord Ardèche ont été retenus en un seul « Territoire d'industrie », ce qui pose question sur l'objet du dispositif, l'aide de l'État et la justification du périmètre. Le contrat de ruralité n'a pas abouti. Enseignements pour la mission · Une démarche intéressante de mobilisation initiée par le Département autour des objectifs d'un contrat de transition écologique (non labellisés en l'état), démarche globale, mobilisatrice, prospective, et en capacité de produire de réelles innovations. L'échelle départementale apparaît justifiée (prendre en compte une « métropole ardéchoise » ?). Mais la question demeure sur la légitimité du Département (ses compétences et ses moyens, l'absence de la Région, l'adhésion non totale des EPCI...) à la conduire entièrement. Un bon exemple de transition très orientée sur l'agriculture, et intégrant fortement les aspects sociaux et sociétaux, d'où l'idée de la transition « écologique sociale et solidaire ». · Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 129/170 PUBLIÉ · Une approche dynamique à l'échelle d'un EPCI industriel qui sait valoriser ses qualités d'attractivité (culture industrielle, cadre de vie, environnement social et culturel), optimiser ses moyens et dialoguer avec tous (le Département et la Région) et mobiliser des outils tels que les TEPCV ou Territoires d'industrie. Un besoin, difficile à satisfaire en restant au niveau d'un petit EPCI, d'où la nécessité de moyens d'ingénierie plus importants (mutualisation, apport du Département, de l'État ?...) pour anticiper les mutations et conduire une politique plus ambitieuse et intégrée, notamment sur les questions de consommation d'espace. Des inquiétudes sur l'approche « Territoires d'industrie » vécue comme top down et plus généralement le manque de continuité entre les dispositifs lancés par l'État ; critique de la planification territoriale telle que promue par l'État, avec un projet de SCoT trop protecteur n'intégrant pas les enjeux économiques, les réalités du territoire et les besoins pour maintenir et redynamiser l'industrie. · · 5.3. Toulouse métropole La mission du CGEDD s'est rendue à Toulouse le 12 septembre 2018 afin d'examiner l'exemple d'une métropole choisie parmi celles qui ont l'image d'un développement le plus favorable. La journée a été organisée sous forme d'un séminaire associant les responsables de Toulouse Métropole et des organismes d'étude ou de développement du territoire. Points marquants du contexte · La spécificité d'une des plus fortes croissances urbaines de France (augmentation de 10 000 à 14 000 habitants par an), une chance qui génère des contraintes, notamment en matière de mobilité (réalisation de la 3 e ligne de TC lourd, mais il faut envisager aussi de nouvelles infrastructures routières comme une 3e rocade). Une approche ouverte et attentive perçue de la part de l'État, un accord avec le Département, mais avec des interrogations sur ses compétences en matière économique, un protocole avec la Région pas encore mature (la Région est ressentie comme plus distante, avec une technostructure en silo de type « étatique » éloignée des territoires). L'importance de l'intelligence collective et de l'évaluation (moyens mis en place au sein de la métropole), l'intérêt de l'expérimentation locale mais dans le cadre du droit actuel ne conduisant à rien de concret pour l'instant. Un regard des acteurs de la métropole sur le territoire à toutes les échelles : viser l'équilibre et non pas l'uniformité. · · · Principaux constats Il s'agit d'une économie fortement métropolitaine qui souhaite prioritairement se consolider et se préserver de ses fragilités, dans le cadre d'une véritable stratégie de projet économique. La part des emplois dits métropolitains à Toulouse est très forte (15,9 %, 2e place après Paris, 20,7 %). L'évolution de l'emploi salarié privé dans l'aire urbaine connaît une augmentation de 7200 en 2015 et de 13 600 en 2016. La métropole est première de France pour la croissance démographique, celle des emplois, celle du PIB, la place des fonctions supérieures stratégiques (après Paris). Toulouse est assez diversifiée (même si Airbus reste prépondérant), et veut passer d'une logique d'« offre économique » à une logique de « projet économique » (en s'appuyant sur l'outil du « schéma stratégique »). Des villes comme Albi et Montauban sont dynamiques, d'autres moins. Toulouse estime ne pas « assécher » les villes et territoires voisins, mais la métropole ne veut pas pour autant « organiser le ruissellement » au-delà des effets spontanés de son rayonnement. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 130/170 PUBLIÉ Des coopérations territoriales se développent avec les villes moyennes (Tarbes, Lourdes, Auch...), les territoires ruraux mais pas vraiment avec les intercommunalités contiguës (Sicoval, Muretain agglo). Le thème du télétravail est un sujet avec les territoires ruraux. La question des compensations écologiques est également un enjeu (nécessité pour la métropole de trouver des lieux de compensation, d'où l'existence de relations d'interdépendance et le besoin de négociation, idem en matière d'énergie). Un « Inter-SCoT » à 4, puis à 12 territoires définit bien le grand bassin toulousain et joue un rôle de mise en cohérence. Un espace de « dialogue métropolitain » réunit 12 intercommunalités qui font partie du système urbain ; toutefois l'Aveyron et notamment Figeac en sont sortis pour jouer davantage avec Montpellier, alors qu'il y a des interfaces économiques avec Toulouse ; Ce dialogue métropolitain ouvre un champ d'échanges et de possibles coopérations sur divers champs, notamment économiques (à noter cependant qu'il laisse de côté les espaces périurbains interstitiels). Les tiers lieux se multiplient (190 recensés en région, dont 60 à Toulouse, la métropole la plus dotée après Paris) mais il y a un risque d'excès et de saturation, ainsi que surle modèle économique quand la demande est incertaine ; Airbus est le premier client de nombreuses structures éphémères de type Algeco.... Les capacités de construction de bureaux sont largement excédentaires par rapport aux besoins et les enjeux de reconversion et surtout de densification des zones d'activités sont très présents, fautes de nouvelles zones prévues et de modèle économique pour requalifier l'existant (afin de répondre notamment à un besoin de 25 ha de nouveaux locaux d'activités). Hormis le cas des zones commerciales, il n'y a pas de gros problèmes d'obsolescence des secteurs économiques, car l'historique industriel est faible en dehors d'Airbus et d'AZF.Le devenir des ZA existantes fait toutefois l'objet d'une approche spécifique et d'un plan d'action pluriannuel dans le cadre du schéma stratégique mis en place par la métropole et dont la mise en oeuvre est suivie annuellement. Un cas intéressant a été relevé : le projet de requalification de la ZA de Garossos, voisine du nouveau parc des expositions (PEX) en cours de construction et intégrée dans la même concession que lui. L'objectif est de doubler la densité sous réserve d'une relative diversité entre bureau, activité et logement. Une OPA sans règlement a été créée, puis une ZAC pour récupérer des participations visant à financer les équipements publics. On n'a pas voulu mettre en place de mécanisme coercitif pour ceux qui ne veulent pas bouger ; on mise sur l'effet d'entraînement. Enseignements pour la mission · En dépit d'une forte dynamique de développement qui essaime sur les villes et les territoires voisins, la métropole reste d'abord soucieuse de sa propre situation et des remèdes à apporter à ses propres fragilités. Plusieurs dispositifs de coopération inter-territoriale se sont développés (conventions, contrat de réciprocité, Inter-SCoT, dialogue métropolitain) et de vrais sujets sont identifiés y compris sur le champ économie, mais la métropole n'entend pas « organiser le ruissellement ». La dynamique métropolitaine se traduit notamment par un fort développement des tierslieux, mais cette prolifération suscite des interrogations (risques de surabondance d'offre...). Il y a besoin de passer d'une logique d'« offre économique » à une logique de « projet économique » ; cela se traduit par la mise en place d'une stratégie à l'échelle métropolitaine sous la forme d'un « schéma de développement économique, d'innovation et de rayonnement métropolitain », dont la mise en oeuvre fait l'objet d'un suivi annuel... mais il se semble pas y avoir de prise en compte d'une échelle plus large intégrant notamment les espaces périurbains connexes. Dans le cadre de cette stratégie, le sujet du devenir des ZA est abordé et traité (alors qu'il n'y a pas ici de phénomène massif d'obsolescence), avec un plan d'action pluriannuel et un Mutations économiques et développement des territoires Page 131/170 · · · Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ budget, sous l'angle de la prévention des risques de vieillissement et de la densification, avec des opérations qui permettent de tester et des méthodes et des modèles économiques. · L'évolution des critères d'implantation et de déplacement des entreprises est significative : attrait de l'immobilier neuf, services notamment destinés aux jeunes, centralité privilégiée (même s'il existe une diversité de cas et donc de pondérations entre les critères). 5.4. Métropole Rouen Normandie La mission s'est rendue les 10 et 11 juillet 2018 à Rouen, un territoire représentatif d'une métropole en mutation, avec d'importantes friches industrielles polluées à reconvertir. Ces journées organisées par les services de la préfecture ont permis de rencontrer les acteurs publics et privés concernés et de visiter les sites de Seine-Sud et de Pétroplus. Éléments de contexte L'attention de la mission avait été appelée par le Secrétaire d'État à la transition écologique sur les difficultés de la métropole de Rouen à mener à leur terme les procédures d'aménagement et d'environnement permettant de procéder à la reconversion de grands sites pollués. Au-delà de ce questionnement auquel des réponses avaient déjà été apportées par les services locaux de l'État, la métropole de Rouen est confrontée à la difficulté de définir une vision globale de son aménagement en tenant compte d'un contexte économique et de demandes des acteurs économiques qui ont évolué. Il a paru intéressant à la mission d'analyser cette situation, représentative de celle d'un certain nombre de métropoles et d'agglomérations, plutôt stables ou en déprise, dans le cadre d'une gouvernance encore jeune car ayant évolué avec la loi NOTRe. Principaux constats Le territoire présente des facteurs clefs de succès à saisir pour le développement économique local : un bon réseau d'infrastructures, routières, ferroviaires et fluviales, notamment un port en cours de fusion avec celui du Havre grâce à des complémentarités, ainsi qu'une tradition industrielle et un potentiel pour des activités de logistique. Le secteur transport-mobilité est crucial en Normandie pour le développement économique du territoire : un sujet porteur d'avenir avec la voiture autonome, une préoccupation avec les effets de la baisse du diesel sur l'activité de certaines entreprises et la baisse relative du transport fluvial et du transport ferroviaire. Sur le plan réglementaire, les difficultés relatives à l'application des textes environnementaux qui avaient été soulevées ont été réglées localement grâce à une mobilisation coordonnée des services de l'État. L'enjeu pour les projets à l'étude et à venir semble continuer de porter sur des questions d'interprétation des textes. Il y a une attente des acteurs locaux à l'égard des services de l'État, notamment la DREAL, afin qu'ils poursuivent leur rôle de facilitateur selon un regard positif, une cohérence et une logique de recherche d'atteinte d'objectifs plus que de vérifications de moyens. L'équilibre financier des opérations est difficile à trouver sans aides publiques. Le recyclage du site Pétroplus a fait apparaître de nouveaux opérateurs privés comme Valgo. Cette entreprise de déconstruction souhaite élargir son champ d'intervention à l'acquisition de sites pollués, à leur dépollution, à leur aménagement et à leur revente et compte trouver son équilibre économique grâce à la maîtrise et l'optimisation de la chaîne globale. Valgo semble avoir une certaine agilité pour imaginer des montages innovants afin de sortir des projets viables économiquement, en combinant des utilisations temporaires de sites générateurs de recettes avec des dépollutions par des méthodes Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 132/170 PUBLIÉ chimiques inscrites dans le temps, ce qui en réduit le coût. Des subventions ont été nécessaires pour débloquer le projet Pétroplus. Ce n'est qu'à l'issue de la réalisation du projet qu'il sera possible de dresser un bilan et d'apprécier la faisabilité du modèle économique pratiqué. Le site de Seine-Sud fait quant à lui l'objet depuis plus de 10 ans de projets à l'étude qui, pour avancer, ont besoin d'être complétées par une vision globale, des études multicritères et davantage de coordination entre les acteurs. Sur le plan de la gouvernance, une coordination des services a conduit à une organisation du travail en « mode projet » et la forte mobilisation des acteurs permet d'avancer. L'ampleur des projets de recyclage nécessite un renforcement du pilotage politique autour d'une stratégie foncière globale de ce sujet majeur. L'outil public opérationnel qu'est l'EPF semble moins mobilisé que par le passé ; dans quelles conditions pourrait-il être davantage sollicité ? La coopération entre les collectivités territoriales et l'État est essentielle : · un cadre national de coopération État/Métropole a été défini en 2016 et s'est concrétisé sur une thématique prioritaire à Rouen, celle du recyclage des friches industrielles, via un pacte métropolitain d'innovation (PMI) ; pour que cette coopération se développe, elle nécessite la mobilisation de part et d'autre et une organisation coordonnée, ce qui est le cas à présent à Rouen (par exemple, côté État, la mise en place d'une mission inter-services de l'aménagement) : il importe de s'appuyer sur une meilleure connaissance de l'offre disponible (nécessité d'une cartographie consolidée de l'offre) et des besoins fonciers (occasion d'approfondir l'appréhension du marché, notamment l'évaluation des besoins des acteurs économiques de façon à la fois prévisionnelle et prospective. · · Enseignements pour la mission Le contexte de la Normandie illustre, parmi d'autres, l'impact de loi NOTRe sur la répartition des compétences en matière de développement économique. La situation, en principe claire selon les textes, ne l'est pas autant dans les faits. La Région est perçue comme lointaine pour l'action opérationnelle ; le Département continue à agir au titre de la cohésion sociale et par délégation des EPCI. Ceux-ci, encore très jeunes, auraient besoin de l'État pour créer une cohésion entre eux. Faut-il accepter une période de transition dans la mise en place, tout en conservant la répartition des compétences prévue par la loi comme objectif à terme ? La question de la réhabilitation des friches industrielles est un sujet complexe avec un besoin d'actualiser la connaissance de la situation, de préciser des questions de gouvernance, de traiter des dimensions réglementaires et financières. Pour mémoire, des attentes sont exprimées à l'égard de l'État sur les sujets environnementaux : · Croiser les réflexions à caractère environnemental (pollution, biodiversité, loi sur l'eau) dès la réalisation des études d'impact. L'exemple de Seine Sud est un cas intéressant pour montrer aussi que les services de l'État ont un rôle à jouer en matière de développement économique sur un territoire, au-delà du couple DREAL/DDTM : tous ont été finalement mobilisés par la Préfète de région pour soutenir l'action de la métropole pour le recyclage des friches ; Accepter une gestion globale des déchets en développant une notion élargie de ce qu'est un site, en s'appuyant sur le rapport récent du CGEDD 226 ; · 226 Rapport CGEDD Pratiques des établissements publics fonciers en matière de requalification des friches urbaines et industrielles, Philippe GRAND et Jérôme PEYRAT, mai 2016 Mutations économiques et développement des territoires Page 133/170 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ · Lever les freins aux utilisations transitoires des sites pollués. Par exemple les projets photovoltaïques posent des problèmes pour leur raccordement électrique et pour les modalités d'exploitation de l'électricité produite ; Étudier des modalités de couverture du risque des EPF s'ils deviennent tiers demandeurs227 et plus largement examiner comment mieux diffuser cette nouvelle procédure ; Avoir des dérogations, via un droit à l'expérimentation, sur les prescriptions environnementales, en particulier sur le fait de pouvoir figer les règles à un moment de l'élaboration du projet, et sur les règles de compensation en étudiant la possibilité de mutualisation des espaces de compensation ; Intégrer la question de l'échelle et les questions de biodiversité dans les outils de planification définis par l'État (PLU, SCoT) ; Renforcer les modalités d'intervention de l'Ademe au-delà des sites orphelins ; Comparer les règles environnementales en France par rapport aux autres pays européens afin de s'assurer qu'elles ne sont pas plus strictes. · · · · · 5.5. Romans-sur-Isère La mission du CGEDD s'est rendue à Romans le 31 juillet 2018 pour analyser les conditions de rebond d'un bassin mono-industriel, sinistré par l'effondrement de la filière de la chaussure, sous l'angle du développement de l'économie sociale et solidaire. La mission a été reçue par Christophe Chevalier, responsable du groupe Archer, qui a impulsé une nouvelle dynamique pour le territoire. Points marquants du contexte Romans-sur-Isère, bassin industriel sinistré par l'effondrement d'une mono-industrie, celle de la chaussure, tente de rebondir en relançant l'activité de la chaussure et en développant de nouvelles activités sous l'impulsion du groupe Archer, acteur de l'économie social et solidaire. Cette dynamique s'inscrit dans un contexte socio-économique particulier : Romans-sur-Isère est un territoire confronté à de fortes fragilités sociales mesurées par plusieurs indicateurs (source Insee, chiffres détaillés année 2015) : · un taux de chômage de 20, 6 % pour l'ensemble de la population, de 35,1 % pour les jeunes de 15 à 24 ans, un taux de pauvreté de 22,2 % pour l'ensemble de la population, de 28,3 % pour les moins de 30 ans, Un taux de population non scolarisée sans diplôme de 15 ans et plus de 36,9 %. · · L'action territoriale de C. Chevalier marque le rebond de ce bassin industriel. Principaux constats Les territoires mono-industriels sont particulièrement fragiles. Le rebond d'un bassin industriel spécialisé sinistré est un long chemin : ainsi, dix ans se sont passés depuis la fermeture de l'usine Jourdan qui a marqué l'effondrement de la filière de la chaussure. La crise industrielle apparaît, au travers de ce cas particulier, comme un obstacle majeur au développement d'un territoire. 227 Cf § 2.4. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 134/170 PUBLIÉ Les initiatives locales, sous l'impulsion du groupe Archer et de son président Christophe Chevalier, pour relancer l'activité de la chaussure et développer d'autres activités économiques ont redonné de l'espoir et créé une dynamique de territoire, aujourd'hui connectée à d'autres territoires.. Le groupe Archer a dû lui-même évoluer en interne pour s'adapter à l'évolution de son activité selon de nouvelles orientations, du social à l'économie, puis au territoire : · · création d'une association pour regrouper l'aide sociale et proposer de la formation, création d'un pôle d'insertion par l'activité économique et d'un groupement économique et solidaire, puis participation directe au développement économique du territoire pour devenir un acteur du développement local de l'emploi avec l'objectif de « sauver » les postes (et le savoir-faire), création d'une SAS holding solidaire avec des actionnaires hétéroclites (salariés, administrateurs, citoyens, entreprises, etc.). Participation à la création d'un pôle territorial de coopération économique - PTCE (« Pôle sud »). · La dynamique économique est devenue une dynamique de territoire via une approche innovante dont la diffusion est soutenue par l'État. L'invention du concept de « startup de territoire » en est le point de départ ; le support, la création de l'outil PTCE ; le catalyseur, le groupe Archer ; le levier d'un développement à une plus grande échelle territoriale (bassin de vie Valence Romans), le soutien de l'État via une subvention du PIA (TIGA). La dynamique du territoire sous l'impulsion d'un homme, Christophe Chevalier, touche d'autres territoires, éloignés géographiquement, et les fédère autour du concept de « startup de territoires », inventé à Romans. Ce rapprochement avec 6 autres territoires (Bordeaux, Figeac, Lille, Grenoble, Lons-le-Saulnier, Strasbourg) est facilité par un partenariat avec le labo « Perspectives et partenariats d'avenir » et d'autres partenaires (CGET, French Impact, Essec BS, etc). Le territoire fait le pari d'un développement endogène et croit à la nécessité d'un changement de système de gouvernance des entreprises Les territoires les plus fragiles comme Romans-sur-Isère ont besoin de L'État et de ses opérateurs pour rebondir. Son rôle doit évoluer, selon Christophe Chevalier : · l'État stratège doit organiser un dialogue stratégique entre entreprise et pouvoirs publics à toutes les échelles, ce qui suppose de créer un espace de dialogue en s'appuyant sur les entreprises de l'ESS, l'État acteur territorial (préfet, sous-préfet) doit monter en compétences sur les questions économiques et responsabiliser davantage les acteurs de l'ESS en substituant un audit par un tiers indépendant au contrôle au fil de l'eau de la DIRECCTE (direction du travail). · La CCI de la Drôme participe très activement à la dynamique de territoire, avec la création d'une communauté d'entreprises ESS, ayant aussi un angle « économie verte ». Enseignements pour la mission L'État doit anticiper et gérer la reconversion des territoires spécialisés dont les activités vont disparaître ou être fragilisées par la transition écologique. Il faut donc identifier les territoires les plus exposés aux conséquences négatives des prochaines mutations économiques liées à la transition écologique pour accompagner leur reconversion, en portant une attention particulière aux territoires spécialisés. Les dynamiques de rebond viennent du territoire lui-même et s'appuient sur ses atouts : à Romanssur-Isère, c'est une personnalité qui impulse, fédère, trace le chemin, donne la vision, des valeurs Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 135/170 PUBLIÉ partagées de solidarité (la crise industrielle a renforcé les liens), d'attachement à un territoire (la nature...) et des entreprises engagées en matière de RSE et d'économie verte. Si les innovations viennent des territoires, il faut un catalyseur (ici le groupe Archer), un cadre favorable (PTCE) et un soutien de l'État (TIGA). Des coopérations inter-territoriales sont rendues possibles par le partage d'un même projet. La création d'une marque « startup de territoire » est importante pour donner de la visibilité, et fédérer des territoires éloignés, et envisager un changement d'échelle progressif jusqu'au niveau national. L'État a un rôle à jouer pour soutenir cette dynamique. Le croisement de l'économie sociale et solidaire avec l'économie verte opéré sur un territoire est un élément clé d'un développement territorial durable. La CCIpeut être un fédérateur, à l'instar de celle de la Drôme. En dépit de moyens diminués, la CCI doit et peut participer à la dynamique de territoire. Le modèle de l'entreprise de l'économie sociale et solidaire doit pouvoir inspirer un changement du système de gouvernance de l'entreprise qui apparaît nécessaire. Il doit pouvoir évoluer lui-même. Le modèle des sociétés de coopérations financières est prometteur. L'État doit mieux accompagner les dynamiques de territoires, monter en compétence sur les aspects économiques, organiser un dialogue stratégique entre entreprises et pouvoirs publics à toutes les échelles et faire confiance aux territoires. Deux sujets apparaissent sur la question du financement : celui de l'animation territoriale et la problématique de financement de projets. 5.6. Vallée de l'Arve La mission s'est rendue dans la vallée de l'Arve les 14 et 15 novembre 2018. Ce territoire est représentatif des territoires de tradition rurale et industrielle qui ont su muter. Il est industriel dans la partie basse de la Vallée de l'Arve et touristique dans sa partie haute autour de Chamonix. Le territoire industriel a muté de l'industrie horlogère vers l'industrie du décolletage. Le taux de chômage est de 5 %. La mission a rencontré une série d'acteurs du territoire, principalement dans le champ économique, afin d'analyser les conditions de succès de son développement et le rôle des partenaires locaux, d'identifier les freins, en particulier sur le plan écologique, et les actions conçues pour les lever. Points marquants du contexte · Caractéristiques entrepreneuriales : industrie à haute valeur ajoutée, entreprises restées à capitaux familiaux (même SOMFY, avec Damart actionnaire), investissement de capitaux propres dans la recherche, Des politiques dynamiques de développement des entreprises : participation à des réseaux territoriaux et extra territoriaux, volonté de sortir de la relation mal vécue de sous-traitants à donneurs d'ordre, forte innovation, diversification des clients, chiffre d'affaires important à l'exportation, intégration de la révolution numérique. Une main d'oeuvre qualifiée. Une structure forte d'animation économique et de mise en réseau : le pôle de compétitivité Un écosystème regroupant les industriels et les banques, qui travaillent ensemble en bonne intelligence même en situation de crise. · · · · Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 136/170 PUBLIÉ · Une capacité à surmonter les crises et à s'adapter : crise de l'horlogerie, crise de l'automobile. L'impact de la disparition du diesel sur l'activité de décolletage a fait l'objet d'une réflexion stratégique partagée entre monde industriel et monde financier. L'intégration de la transition écologique : la prise en compte du sujet a été réalisée de longue date pour la qualité de l'eau ; elle a été dynamisée par la question de la pollution de l'air, avec un outil imposé par l'Europe et mis en place par le Préfet, le Plan de protection de l'atmosphère (PPA), en cours de renouvellement et d'amélioration ; les autres champs de la transition écologique sont peu à peu abordés.. · Principaux constats Des freins au développement sont énoncés par les entreprises : une difficulté à trouver la main d'oeuvre nécessaire, liée en particulier à la concurrence de la Suisse qui est à proximité immédiate, des activités polluantes impactant la qualité de l'air, sujet très sensible dans la vallée et particulièrement suivi par les pouvoirs publics et les associations, et une mobilité parfois difficile. Par rapport aux problèmes de recrutement et au-delà des deux groupements d'employeurs créés à l'initiative d'une association d'entreprises, l'ensemble des entreprises pourrait être plus proactive qu'actuellement et inciter à la création de formations locales adaptées aux besoins dans la vallée, afin de fidéliser sur place des étudiants à l'issue de leur formation. La pollution de l'air nuit à l'attractivité du territoire par les risques qu'elle crée sur la santé de ses actifs et de ses habitants. Même si elle n'est pas due qu'aux rejets industriels mais aussi au transport routier et aux feux dans les cheminées, les industries ont leur part et auraient intérêt à agir encore plus collectivement qu'actuellement pour mieux connaître leurs émissions, diminuer leurs sources de pollution, inciter à une diminution de celles des autres et contribuer à une communication positive sur les actions menées. Le deuxième PPA devrait être l'occasion d'aller dans ce sens en mobilisant simultanément les volontés politiques ainsi que les industriels au titre de leur RSE, afin d'agir de manière préventive par rapport à la santé des particuliers. S'agissant des difficultés liées à la mobilité, les systèmes de transport en commun (voire de mobilité douce) sont largement améliorables sous réserve d'une mobilisation conjointe des élus et du monde économique. La question d'un « versement transport » est posée, autour de laquelle il est souhaitable qu'un accord soit trouvé. Il n'existe pas, à la connaissance de la mission, de projet de territoire porté par les élus en articulation avec les entreprises. Or il semble nécessaire qu'il en soit élaboré un pour que le territoire conserve sa dynamique dans la durée, en remédiant aux freins de son développement et en sachant anticiper les mutations nécessaires. A noter que les entreprises n'ont pas exprimé le besoin de ce projet de territoire. Les grandes entreprises comme Somfy semblent ne pas avoir un réel ancrage territorial. Le fait que la plupart des entreprises aient leur chiffre d'affaires en grande partie à l'international peut les conduire à sous-estimer les préoccupations locales, importantes pour leur développement. Or, ces préoccupations sont présentes, en particulier relativement à la formation, la mobilité, le logement, la pollution de l'air, et plus globalement l'attractivité du territoire. L'anticipation de l'évolution de certaines activités de sous-traitance, comme dans le secteur de l'automobile, est également un sujet de réflexion. Les acteurs économiques s'en soucient et y travaillent avec les entreprises. Les collectivités elles-mêmes ont-elles conscience de cette nécessité d'un projet de territoire avec l'élaboration d'une vision ? Cela n'est pas apparu lors du déplacement même s'il a été indiqué que les élus locaux étaient sensibles au développement économique de la vallée qui en fait la richesse dans sa partie basse, à côté du tourisme dans la partie haute. Mais l'effectivité de la loi NOTRe ne semble pas encore totale avec une Région lointaine, un Département qui était leader sur le développement économique et la mobilité, qui a dû s'effacer même s'il doit revenir maintenant sur certains sujets, et Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 137/170 PUBLIÉ enfin des intercommunalités non convergentes, voire divergentes, et aux compétences encore mal affirmées. La proximité de la Suisse et sa forte attractivité auprès des travailleurs génère une importante population de frontaliers, ce qui augmente encore plus les problèmes de transport et de logements du côté français. Les financements apportés par le canton de Genève à titre compensatoire créent une ressource dont l'opportunité devrait être davantage saisie par le Département et les communes pour apporter des réponses à ces problèmes. À ce jour, les EPCI n'ont pas engagé de démarche de planification à travers un SCoT, ni de démarche concertée pour favoriser la mobilité et organiser une offre de transports en commun à l'échelle de la Vallée. Pour pallier aux difficultés des EPCI à coopérer et à se mettre d'accord sur le périmètre du bassin de vie concerné, certains acteurs économiques sont en attente de la part de l'État local et national de décisions ainsi que de financements sur certains sujets comme celui des transports. Il est souhaité que la vision du secteur soit élargie au projet en cours de réalisation de transport ferroviaire entre Genève et Annemasse et au projet à l'étude d'autoroute ferroviaire Lyon-Turin à comparer avec l'amélioration de la ligne existante, ainsi qu'à leurs impacts sur la Vallée. Enseignements pour la mission Les acteurs industriels de la Vallée de l'Arve ont démontré par le passé leur capacité à réagir aux crises et à rebondir en évoluant de l'horlogerie vers l'industrie du décolletage puis, face la crise de l'automobile de 2008, en diversifiant leur portefeuille de clients. Aujourd'hui, ils montrent leur capacité à anticiper en commandant une étude stratégique sur les conséquences de la crise de la filière diesel du secteur automobile et sur les pistes d'évolution possibles. La Vallée de l'Arve est un exemple intéressant d'un tissu de PME qui sait innover et ainsi faire évoluer sa relation de sous-traitance par rapport aux grands donneurs d'ordre en co-construisant avec eux de nouveaux produits. Le pôle de compétitivité apporte une contribution active à la dynamique de ce réseau de PME. Le bassin d'emploi correspond à plusieurs intercommunalités qui coopèrent peu entre elles, d'où une gouvernance politique qui « se cherche » encore entre ses différents niveaux, Région, Département et blocs communaux, et par là-même une difficulté à développer un projet de territoire en partenariat avec les entreprises. Pour favoriser la création d'une dynamique collective, une démarche de type CTE aurait du sens dans ce territoire d'autant plus que la prise de conscience s'y développe sur les questions de qualité de l'air et de changement climatique. Le CTE pourrait être l'occasion que tous les acteurs (élus, entreprises, société civile) élaborent cette vision globale ainsi qu'un plan d'actions, nécessaires pour la poursuite du développement de la vallée. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 138/170 PUBLIÉ 6. Visites de terrain en Allemagne, Italie, Suisse et rapport de parangonnage international Pour apporter un éclairage international à la mission, il a été demandé à la direction du trésor du ministère de l'économie et des finances (services économiques des ambassades) de mener une étude comparative portant sur un échantillon de huit pays en Europe et hors d'Europe : Allemagne, Canada, Estonie, États-Unis, Finlande, Italie, Pays-Bas, Royaume-Uni. La mission s'est ensuite rendue dans trois pays voisins : Allemagne, Italie, Suisse. « Apprendre des exemples étrangers » ne consiste pas à repérer des politiques ou des approches directement transposables, tant l'histoire et le contexte varient selon les pays. Il s'agit plutôt d'analyses et d'observations « inspirantes » dont on peut tirer des enseignements et des pistes de réflexion utiles à la mission. Quelques traits saillants peuvent être particulièrement relevés. Des contrastes territoriaux contrés par des politiques publiques planificatrices ou incitatives mais toujours proactives L'Allemagne est marquée par des dynamiques contrastées, entre villes et campagnes d'une part, entre Ouest et Est depuis la réunification d'autre part. Une intervention historique forte du gouvernement fédéral a pour objet de soutenir les territoires les plus défavorisés (47 Md d'aides octroyées entre 1991 et 2016, contribuant au maintien ou à la création de 3 millions d'emplois). L'agriculture n'est pas en reste, avec la création récente d'une direction de l' « espace rural » et la mise en place de programmes et de fonds significatifs au sein du ministère de l'agriculture. Des politiques ont également été lancées en faveur des régions minières, qui font face à d'importantes mutations liées aux objectifs de lutte contre le changement climatique. En Suisse, le tissu économique a connu de multiples crises, en particulier du fait de la financiarisation et de la mondialisation qui conduisent à une séparation entre lieux d'accumulation de valeur et lieux de vie et de travail. Mais une forme de résilience est advenue grâce à la capacité des territoires à faire muter leurs spécialités économiques et industrielles (comme l'évolution de horlogerie vers la petite mécanique dans l'Arc jurassien) et à miser sur l'« industrie patrimoniale », (comme la montre suisse dans le Jura, Fribourg et l'agroalimentaire...). En Italie, des secteurs durement éprouvés par la désindustrialisation comme la région de Naples ont pu s'engager, grâce à une volonté politique convergente de l'État, de la Région et de la Ville, dans un parcours de mutation vers l'économie de la connaissance et le tourisme, avec le recyclage de grandes zones industrielles polluées (friche Bagnoli), la création d'îlots d'innovation (Apple Academy, Cité des Sciences) et un processus de transformation et de changement d'image fondé sur les atouts locaux. Plusieurs pays décentralisés comme l'Allemagne et la Suisse disposent d'un système de planification rigoureux et décliné entre différents niveaux territoriaux. En Suisse, l'articulation entre ces niveaux (fédéral/cantonal/« régional »/communal) permet d'assurer les objectifs communs de non consommation d'espace, ainsi que l'inscription de la Suisse dans les grands programmes européens. Un document d'orientation au niveau fédéral, le « projet de territoire suisse », exprime une vision du modèle de développement souhaité pour le pays dans son ensemble ; élaboré conjointement dans l'esprit du « consensus suisse », il est devenu une référence partagée par les cantons et l'ensemble des parties prenantes pour asseoir les grandes politiques fédérales et la péréquation financière. Aux Pays-Bas, la planification est également très développée, tant pour ce qui est de l'organisation de l'armature urbaine que de la maîtrise du foncier à travers des « visions structurelles » nationales qui orientent l'aménagement du territoire, y compris l'organisation du commerce et leur maintien au Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 139/170 PUBLIÉ sein des villes, escompté dans le cadre d'un « retail agenda ». Le développement économique n'est pas pour autant bridé, mais fait l'objet d'un cadrage fondé sur un principe de « spécialisation intelligente ». Il bénéficie des avantages du « travail agile » qui continue de se développer (37 % de travailleurs à domicile en 2017 contre 34 % en 2014), tout comme au Royaume-Uni (y compris ailleurs qu'à Londres) où il pourrait concerner la moitié des employés d'ici 2020. L'Estonie s'est dotée d'une politique de développement régional visant à compenser le « macrocéphalisme » de la capitale Tallinn et à rééquilibrer les bassins d'activité ; la nouvelle stratégie territoriale estonienne définie pour la période 2014-2020 s'inscrit dans une logique d'égalité territoriale et détermine une politique de spécialisation spécifique à chacune des quatre régions du pays. Le gouvernement encourage la création de « centres de compétence », qui sont des sortes de pôles de compétitivité. La Finlande est historiquement marquée par les difficultés du groupe Nokia, qui avait été le moteur de l'économie avec 20 % des exportations dans les années 2000. Mais une conséquence positive en est le dynamisme de la culture « startup » et du secteur des petites entreprises, avec un fort développement du freelance, appelé « entrepreneuriat léger ». L'activité économique, tournée vers l'exportation, reste donc dépendante de marchés extérieurs, comme pour ce qui concerne l'autre secteur important du pays, celui du bois-papier. Au Canada, le lent déclin du secteur industriel et minier est compensé par le dynamisme du secteur des services (70 % du PIB et près de 80 % des emplois) et du high-tech (tels les « hubs » qui se développent dans les quartiers Mile-End et Mile-Ex de Montréal) ; un rebond semble toutefois se produire depuis 2015 dans le secteur des ressources, avec une progression de l'industrie forestière et aussi le maintien d'autres secteurs comme les activités pétrolières. Toronto, qui abrite le troisième cluster biomédical d'Amérique du Nord, voit une progression du nombre d'entreprises de taille moyenne au détriment des petites structures et des grands groupes. Les États-Unis ont connu, sur période longue, une forte décroissance de l'agriculture (de 8 à 2 % de la valeur ajoutée entre 1947 et 2017) et de l'industrie manufacturière (de 25 à 12 %), au profit des services. Le déclin industriel de la Rust Belt, secteur historique du Nord-Est a été plus violent que celui du Sud manufacturier. Cet effondrement a entraîné une crise urbaine avec des pertes démographiques dépassant la moitié de leur population pour certaines villes comme Detroit. Malgré les politiques de revitalisation et le goût des jeunes générations pour le retour au centre-ville, l'étalement urbain se poursuit et les tentatives de programmes urbains mixtes peuvent se heurter aux intérêts opposés de grands groupes économiques. Une capacité d'anticipation fondée sur la formation professionnelle, la transformation numérique et l'agilité des acteurs publics ou privés Les dispositifs de formation suisse et allemand, donnent une large part et une image positive à la formation professionnelle : en Allemagne, le système « dual » qui concerne la moitié d'une classe d'âge, soutenu par les entreprises et leur implication à travers l'apprentissage, et en Suisse, le système de formation mixte (général / technique) offre une place importante, en complément du système universitaire et des « écoles polytechniques », à la formation supérieure professionnelle (en l'espèce, le maillage des « Hautes Écoles », instituts porteurs d'innovation industrielle, qui reflète les spécificités industrielles des territoires). Le numérique est mis au service du développement territorial en Allemagne avec « Industrie 4.0 », une initiative prise au niveau du Bund, qui fait l'objet d'une démarche territoriale pour activer la numérisation de l'ensemble du tissu industriel, particulièrement développé en Allemagne avec le Mittelstand228 (implication plus facile des petites structures, repérage des possibilités de relocaliser la 228 Réseau dense des petites et moyennes entreprises. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 140/170 PUBLIÉ production en la rapprochant de la demande). Selon un objectif de « compétitivité relationnelle » plus que d'automatisation, on voit ainsi se développer toujours plus de réseaux industriels avec des chaînes d'approvisionnement courtes. Une démarche de même type est menée en Italie, pays caractérisé par un tissu très dense de petites entreprises qui lui permet de présenter une puissance manufacturière dépassant aujourd'hui celle de la France. Le pays conduit une politique territoriale fondée historiquement sur des « districts industriels » ou des « districts technologiques » et plus récemment sur la mise en place de « zones économiques spéciales » bénéficiant d'avantages fiscaux. En Suisse, les territoires s'appuient de longue date sur la valorisation de leurs atouts (paysages, maintien des espaces naturels, forte identité territoriale, qualité de vie et aménités) qui contiennent souvent une composante économique. Ils font jouer ces atouts de façon différente, complémentaire et contrastée selon les cycles économiques. L'atout le plus considérable est de disposer d'un réseau de transports publics bien articulé (ferroviaire/routier) porté par le niveau national (avec financement fédéral) et assurant une desserte intermodale de qualité pour tout le territoire, à un tarif certes élevé, mais bien accepté par les usagers. Aux États-Unis, l'ampleur du déclin subi par certains territoires fait que les acteurs publics renoncent à réhabiliter l'ensemble des anciens sites industriels abandonnés ou pollués. Cette « impossible » régénération urbaine laisse toutefois la possibilité de développer certains projets, notamment en s'appuyant sur l'agriculture urbaine. La faible mobilisation des pouvoirs publics sur la question environnementale et la forte concurrence entre États et entre communes ne sont pas des facteurs favorables. On voit toutefois apparaître de nouvelles approches comme le « processus de développement catalytique », susceptibles de requalifier des territoires avec succès, grâce à la mobilisation de fonds d'investissement « patients ». Au Royaume-Uni, la revitalisation des centres-villes a conduit à des situations de concurrence entre usage économique, notamment commercial, et usage résidentiel du fait de la forte pression du marché, notamment à Londres. Par ses dispositifs de planification et d'incitation, le gouvernement britannique est à même d'encourager le développement de l'écologie industrielle, de poser une « obligation de coopérer » entre autorités locales, de susciter des partenariats avec les acteurs publics et privés à travers des « Local Enterprise Partnerships », de créer des « Enterprise Zones », zones franches pour focaliser le développement dans certains secteurs et de conclure des contrats locaux permettant de susciter des dynamiques de développement (city deals, growth deals...). Une généralisation des clusters contribuant de plus en plus à la reconquête des territoires En Allemagne, le pragmatisme des pouvoirs publics répond à celui des entreprises, particulièrement disposées à la coopération et à la « coopétition », et à la vitalité des fédérations professionnelles au niveau des Länder et au niveau local. On note aussi l'intérêt de cultiver l'image de l'industrie et des emplois industriels, le rôle des foires et des salons, traditionnellement très développés en Allemagne, ainsi que des lieux de démonstration comme le Futurium qui ouvre ses portes au coeur de la capitale. Ceci se retrouve aussi en Suiise, où la logique de cluster est particulièrement développée, avec de fortes démarches collaboratives public-privé opérant à des échelles de proximité, l'appui des Hautes écoles (étudiants, enseignants, chercheurs), et la constitution de véritables sites de recherche appliquée en milieu urbain et à caractère industriel propices à l'innovation par rapprochement entre process de filières différentes et par hybridation technique. En Finlande, les pouvoirs publics interviennent particulièrement à travers l'action des municipalités, souvent regroupées en agence de développement et en réseaux économiques encouragés par le gouvernement central, pour faciliter l'implantation d'activités et la constitution d'écosystèmes. Les universités sont très impliquées dans le développement de dispositifs facilitateurs d'innovation qui tendent à se spécialiser, tels que les « centres d'excellence » et les conventions dites « tripla helix » qui les associent aux municipalités et aux acteurs privés. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 141/170 PUBLIÉ Au Royaume-Uni, on observe un développement massif des startups qui ne se limite plus à Londres. Les grandes villes constituent de vrais écosystèmes et des hubs numériques naissent aussi dans les périphéries. On retrouve aux Pays-Bas le concept de « tripla helix » (alliance à trois : acteurs privés, collectivités locales et universités) qui se traduit par la structuration de clusters de l'innovation sur tous les territoires. C'est un avantage de s'appuyer sur leurs particularités industrielles quand ils en possèdent, comme à Eindhoven, fief historique de Philips dont le retrait a laissé place au développement d'un écosystème dynamique. Brainport Eindhoven est une reconversion réussie de tissu économique, de même que Brightlands, dans la province du Limbourg. On notera aussi l'existence de StartupDelta, une plateforme qui connecte tous les nouveaux écosystèmes du pays. On observe également au Canada un forte présence de clusters encouragée par les pouvoirs publics, comme l'exemple récent de « l'initiative des super-grappes d'innovation » lancée par le gouvernement et bénéficiant de financements publics et privés de près de 2,5 Md CAD229. De nombreuses opérations sont menées pour reconvertir les friches industrielles, par exemple à Toronto, avec la création de quartiers urbains dit « espaces autosuffisants » qui seraient plus ambitieux en termes de mixité sociale que les « quartiers durables » des pays d'Europe du Nord et des États-Unis ; d'autres villes mènent des politiques d'incitation au « sur-investissement » dans les infrastructures des zones d'activité industrielles visant à renforcer leur attractivité. En Italie, la reconversion de friches est largement pratiquée non seulement dans les régions industrielles de Milan et de Turin mais aussi pour assurer la reconversion d'autres territoires plus dispersés, dans le cadre d'une politique nationale. On notera le retour à une maîtrise d'ouvrage totalement publique et l'implication déterminante de l'opérateur national Invitalia agissant en lien avec les autorités locales pour traiter le grand site industriel pollué de Bagnoli à Naples, après l'échec de tentatives antérieures selon un modèle qui donnait un rôle important au secteur privé. Comme l'opérateur italien Invitalia le suggère, il serait utile d'intensifier les échanges de bonnes pratiques à l'échelle européenne sur quelques thématiques complexes comme celle des grands sites industriels pollués, dans le sillage des travaux des réseaux de villes du programme Urbact. 6.1. Allemagne La mission du CGEDD s'est rendue en Allemagne du 18 au 20 septembre 2018 pour y observer les caractéristiques du développement économique dans le cadre des mutations en cours, notamment en matière numérique avec la démarche Industrie 4.0. Le Land de Thuringe a été choisi pour une visite de terrain, en raison du dynamisme économique qui, malgré ses difficultés, le distingue parmi les régions de l'ancienne Allemagne de l'Est. La mission a rencontré à Berlin le ministère de l'économie et de l'énergie du Bund (BMWi), Numa Berlin et le service économique de l'ambassade de France. À Erfurt, capitale de la Thuringe, la mission a rencontré les services du ministère régional des affaires économiques, de la recherche et du développement digital, les services de la ville d'Erfurt et visité le cluster SolarInput. Le CGEDD a bénéficié du soutien de Thomas Jannin et de son équipe du service économique de l'ambassade de France, ainsi que de l'accueil et de l'appui à Erfurt de Marc Sagnol, directeur de l'Institut francais en Thuringe. 229 Soit 1,7 Md. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 142/170 PUBLIÉ 1.- Les points marquants du contexte allemand À la lumière du témoignage des personnes rencontrées et des analyses du service économique de l'ambassade, on peut relever particulièrement les points suivants de différenciation du contexte allemand par rapport à celui de notre pays. La part de l'industrie dans la valeur ajoutée est en l'Allemagne très largement supérieure à ce qu'elle est en France (22 % contre 12 %230). L'importance respective de la robotisation est sans commune mesure entre les deux pays (200 000 robots industriels en Allemagne contre 30 000 en France231). On notera que le décrochement de la France ne date que des années 70-80 en lien avec l'hypertrophie des grandes entreprises et la baisse du nombre d'entreprises de taille intermédiaire (ETI). La recherche-développement en Allemagne est essentiellement une recherche appliquée, très proche des besoins du marché, largement financée par le privé (à plus de 60 %) à travers une soixantaine d'instituts thématiques. Le niveau de standardisation est élevé, avec un fort lobbying au niveau des instances européennes. Le marqueur de l'entreprise allemande, c'est son caractère familial, proche du marché, innovant et adaptable mais qui ne se développe pas trop vite. Son ambition est de devenir « leader mondial de niche ». C'est un modèle souvent patriarcal, fondé sur une forte fidélisation des employés et de l'ensemble des partenaires, et dont la « RSE » repose avant tout sur un bon ancrage local. Les entreprises savent faire valoir leurs problèmes auprès des administrations et bénéficient d'une forte attention en retour du fort soutien qu'elles apportent à la vie locale. Il y a un investissement majeur sur la formation avec embauche d'apprentis bien formés et bien payés, davantage que de doctorants. La formation professionnelle appelée « système dual », combinant apprentissage en entreprise et cours en école professionnelle (pour environ 20 % du temps) concerne au moins la moitié d'une classe d'âge. Une entreprise sur quatre est formatrice. Il y a aussi en amont de ce dispositif, des formations pré-professionnelles destinées aux jeunes en situation d'échec scolaire. Malgré l'érosion démographique et l'attrait de l'enseignement supérieur, le modèle allemand semble toujours résister. L'ensemble du tissu économique forme un système très soudé, organisé en fédérations professionnelles au niveau national, régional et local, capables d'un fort lobbying à tous les niveaux nécessaires. Les logiques de « coopétition » (conjuguant concurrence et coopération) sont largement plus développées qu'en France, où la concurrence prévaut dans la plupart des filières. Les entreprises organisent elles-mêmes leurs propres forums et une grande partie des dispositifs de coopération. Les foires et salons professionnels sont très développés en Allemagne, pays qui organise à lui seul la moitié des salons mondiaux, y compris par exemple le plus grand salon du vin à Düsseldorf ! Un niveau élevé de concertation amont existe entre les pouvoirs publics et les entreprises, notamment pour la définition des politiques de formation : les entreprises ont le rôle principal, le gouvernement entérine les propositions. On sait aussi qu'il existe un dialogue social plus développé et moins la culture de l'affrontement qu'en France, mais aussi une plus forte représentation des salariés dans la gouvernance des entreprises. La création d'un salaire minimum ne date que de 2015 (8,50 à l'époque, 9 en 2019), il ne serait toutefois pas respecté par 10 % des entreprises. Le taux de pauvreté reste élevé, avec notamment beaucoup de travailleurs pauvres. Les négociations salariales sont de ce fait plus faciles... 230 Données Eurostat 2014. Ibid. Mutations économiques et développement des territoires Page 143/170 231 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ L'arrivée des immigrés et des réfugiés en nombre alimente le marché du travail et, en retour leur insertion professionnelle facilite leur intégration. Les résultats sont plutôt bons dans ce domaine. Concernant le lien avec les territoires, l'observateur a le sentiment que le développement local est plus spontané qu'en France, sans qu'il y ait besoin de beaucoup d'initiatives publiques. Les fédérations professionnelles sont actives, et les chambres de commerce disposent d'une place reconnue et paraissent mieux fonctionner qu'en France. Le pays est engagé dans la transition écologique avec détermination mais aussi pragmatisme et sens des intérêts de l'économie germanique. Ainsi, le suivi des objectifs de développement durable (ODD) est assuré au niveau de la chancellerie, mais il y a toujours une étroite concertation avec les industriels et aucune grande décision n'intervient sans que leur avis soit écouté. 2.- Le Bund et l'initiative lancée pour activer la révolution numérique Le Bund a des compétences limitées en matière de développement économique et industriel. Par exemple, il a un rôle central pour des dossiers comme celui de la sortie du nucléaire, mais bien moindre sur la politique du charbon qui n'est pas pilotée au niveau national. Même en ce qui concerne les clusters ou pôles de compétitivité, il n'y a pas véritablement de pilotage national. Le mode habituel consiste à monter et animer des groupes de travail. Le Bund peut toutefois proposer des aides, des conseils et des appuis sur divers sujets, par exemple sur des programmes de développement ou la requalification de certaines zones économiques et urbaines. La démarche « Industrie 4.0 » relève d'une des initiatives assez rares prises et portées au niveau national. Même s'il n'y a pas de « master plan », il s'agit d'une incitation forte assortie d'aides financières et concernant toutes les entreprises à caractère industriel. L'objectif est de mettre en oeuvre la transformation numérique de l'ensemble de l'industrie du pays. L'idée est née d'une réflexion de chercheurs et d'industriels visant à développer les outils nécessaires à la numérisation dans le domaine industriel. C'est ensuite à la demande des entreprises et de leurs fédérations que l'État, via le ministère de la formation et de la recherche, en a fait une politique fédérale, relayée par les Länder dans le cadre de leurs compétences. On notera qu'il ne s'agit pas de développer encore davantage l'automatisation (cf. chiffres supra) mais surtout de faire mieux communiquer tous les systèmes d'information entre eux (ceux de l'entreprise, des fournisseurs, des clients, etc.), ce qui suppose davantage d'intelligence individuelle et davantage de coopération (voir fiche détaillée ciaprès). La démarche a été lancée lors de la foire de Hanovre en 2009. Les motifs de cette opération étaient clairement la volonté de maintenir la puissance industrielle allemande, menacée à la fois par la concurrence de pays comme la Chine ou la Corée du Sud et par la montée des géants de la toile comme Google, capables de capter la plus-value économique grâce à la maîtrise des interfaces. D'autres pays, comme la France ou l'Italie, ont engagé très peu de temps après des démarches de nature semblable. Des échanges et même des coopérations ont été engagées, afin notamment de faciliter les connexions, l'interopérabilité et les synergies au-delà des frontières. Les avis divergent sur la comparaison entre Industrie 4.0 et Industrie du futur, nom de la démarche française. L'essentiel des différences correspond à celles du contexte. Le tissu d'entreprise et la culture industrielle ne sont pas les mêmes en France qu'en Allemagne. S'il s'agit dans les deux cas d'entrer dans la quatrième révolution industrielle en activant la modernisation de l'industrie via le développement massif interne et externe des outils numériques, les objectifs et les mots d'ordre ne peuvent être les mêmes : ainsi, en France, il s'agit surtout d'inciter à investir pour stopper la désindustrialisation. La perception d'« Industrie 4.0 » par des acteurs tiers est variée. Vu depuis les services de l'ambassade de France, c'est surtout une démonstration de tout ce qui peut être fait en matière de numérisation mais sans qu'il y ait une stratégie publique au pilotage serré. L'Allemagne est en avance Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 144/170 PUBLIÉ sur la France, mais la démarche allemande ne serait pas de nature ou d'ampleur réellement différente de celle de ses voisins. Maximillian Thess, responsable de Numa Berlin exprime un avis un peu différent. Numa développe à Paris et dans d'autres grandes villes mondiales des projets de cocréation de nouveaux concepts par synergie entre villes, groupes ou opérateurs et startups (par exemple pour moderniser le traitement des objets encombrants...). Ce développeur, qui est donc en contact avec de nombreux acteurs de la sphère économique, a entendu parler d'Industrie 4.0 mais voit cela comme un concept très général, pas très innovant, et le perçoit surtout comme une meilleure manière de travailler ensemble. À tout le moins, on doit constater que l'industrie bénéficie d'un effet vitrine majeur à Berlin avec l'ouverture en plein centre du Futurium, un bâtiment futuriste qui met en scène le dialogue entre la science et le développement économique à l'heure de la révolution numérique ! Les Länder possèdent l'essentiel des compétences en matière économique comme d'aménagement du territoire. Ce sont eux qui sont à la manoeuvre pour Industrie 4.0. Vue du niveau fédéral, la Thuringe est un exemple intéressant d'une région confrontée aux mêmes défis que les quatre autres Länder issus de l'ancienne Allemagne de l'Est mais qui s'en sort plutôt mieux que les autres en dépit d'un taux de chômage qui reste élevé. 3. Le Land de Thuringe, en voie de redynamisation économique La Thuringe est un Land connu pour son patrimoine culturel prestigieux. C'est le pays de Luther, Goethe, Bach et Liszt, le lieu qui a vu naître le Bauhaus... Des villes comme Erfurt ou Weimar possèdent une architecture et un charme qui évoquent les régions plus méridionales de l'Allemagne. Avec 2,1 millions d'habitants et un PIB de 46 Md, la Thuringe est au 14 e rang des 16 Länder. Elle se caractérise par une perte de population qui s'est accélérée depuis la réunification mais une économie en croissance, ce qui n'empêche pas le taux de chômage de rester élevé (14,5 % en 2006). Dans ce Land coexistent un secteur agricole important et des activités industrielles de premier plan, notamment dans les secteurs de l'automobile et de l'électronique, avec un rôle de leader européen en matière d'optique. En matière d'emploi industriel, la Thuringe a rattrapé la moyenne nationale depuis 2017. Selon le ministère de l'économie, les forces et faiblesses du Land peuvent être résumées ainsi : · · · bonnes compétences technologiques mais trop de PME pas assez orientées « clients », bonnes bases financières mais trop de dépendance vis-à-vis de groupes installés ailleurs, infrastructures de recherche significatives mais en difficulté du fait d'un manque de main d'oeuvre spécialisée. Le Land est bénéficiaire de fonds européens à hauteur de 1,5 Md sur la période de programmation (2010-2017), 1 Md sur la période en cours (2018-2023). La politique de développement économique bénéficie en outre de fonds publics du Bund et du Land chacun à hauteur de 200 M par an. Il y a ainsi une autonomie relative de la stratégie économique du Land, lequel a toutefois la possibilité de développer quelques actions spécifiques comme en matière d'intelligence artificielle, dans la limite de ses capacités financières. En matière de zones d'activités, le Land a un rôle actif de stratégie d'implantation, de marketing et de cofinancement avec les communes. Les zones sont remplies à 80 %, de nouveaux secteurs sont prévus, y compris sur terrain naturel. Il ne semble pas y avoir de politique volontariste de limitation de ces consommations d'espace pour le développement économique (autre que commercial). Il n'y aurait pas obstacle sous réserve du respect de règles de compensation. Le Land s'efforce en particulier de développer une dizaine de zones d'intérêt régional pour la logistique et de grosses implantations. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 145/170 PUBLIÉ Le Land est fortement impliqué dans « Industrie 4.0 » qu'il préfère appeler « Économie 4.0 » car le défi est important et concerne l'ensemble du tissu économique, y compris le commerce et l'artisanat. Le rôle du Land est d'organiser le conseil, le test de produits et méthodes, les démonstrations. Les nombreuses petites entreprises du Land s'impliquent peu à peu, soutenues par une aide régionale au démarrage de 15 000 par société. L'état d'avancement de la démarche peut être évalué à 3 % des entreprises numérisées totalement et 50 % partiellement. 4. La ville d'Erfurt, pôle actif de développement Erfurt, capitale de la Thuringe, est une ville de 200 000 habitants. Alors que le Land continue de perdre des habitants, Erfurt, comme les principales autres villes de la région, concentre la croissance et l'emploi, ce qui lui permet aujourd'hui d'atteindre un niveau de chômage de 5,6 %, comparable à celui de la moyenne nationale allemande. Toutefois, il subsiste des différences de salaire avec les Länder de l'ancienne Allemagne de l'Ouest (par exemple une différence de l'ordre de 1 000 dans les métiers de la santé), qui suscitent des départs de jeunes travailleurs, problématiques pour le bassin de main d'oeuvre. L'intégration de populations immigrées est donc bienvenue pour l'économie. Avec Iéna et Weimar, Erfurt constitue un réseau urbain de 500 000 habitants qui impulse le développement. La croissance suscite le besoin de nouvelles zones d'activités. Les zones existantes sont très denses et saturées. Les besoins se tournent vers les grandes zones régionales et conduisent à la recherche de nouveaux terrains, dont l'artificialisation semble toutefois faire débat au sein des élus... Quoi qu'il en soit, un nouveau secteur de 400 ha est ainsi prévu prochainement au sud de l'échangeur autoroutier, avec un doublement possible à terme. La ville soutient le développement des startups et des clusters, comme SolarInput ou d'autres, notamment dans la recherche de solutions systématiques intégrées. La ville n'en est pas l'initiatrice, mais le centre de media pour enfants, fierté locale qui fonctionne très bien, a suscité la venue de nombreux jeunes entrepreneurs. Pour les services de la ville d'Erfurt, Industrie 4.0 ou Économie 4.0, c'est d'abord et surtout l'internet des objets associé aux objets connectés et notamment à la voiture autonome. Le service économique de la ville possède 14 collaborateurs. Il intègre les fonctions d'agence de développement. Il n'y a pas de comité d'expansion ou d'autre organisme de promotion du territoire. 5. L'exemple d'un cluster L'équipe de mission a visité le cluster SolarInput, installé dans des locaux d'activité à la périphérie d'Erfurt. Il s'agit d'une alliance stratégique fondée il y a 15 ans et réunissant 40 membres (entreprises, chercheurs, universitaires...) qui vise à réduire l'empreinte carbone par le développement du solaire thermique et photovoltaïque. Compte-tenu des difficultés du solaire, le cluster s'est réorienté vers un ensemble d'activités dans le champ du développement durable. Les domaines d'application sont très larges : environnement, santé, optique, robotique, bâtiment... Il s'agit de développer une stratégie de recherche et d'innovation adaptée au contexte de la Thuringe, qui se caractérise par un petit nombre de grandes entreprises et un tissu constitué de nombreuses petites structures (environ 90 000). L'approche est donc très pragmatique : recherche de marchés, adaptation aux évolutions économiques et technologiques. La forte baisse du solaire date des années 2012-2014, puis on a atteint une stabilisation. La Thuringe reste cependant l'un des trois principaux Länder producteurs, avec de petites unités de 20 à 50 salariés, qui savent s'adapter aux évolutions et demandes spécifiques (par exemple, l'utilisation du toit des voitures). Certains observateurs estiment que « la transition énergétique a cessé en Allemagne »... Actuellement, on dirait plutôt qu'il s'agit de pousser les recherches sur les transports Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 146/170 PUBLIÉ et les systèmes de chauffage. Les possibilités de développement des activités du cluster restent donc ouvertes et larges. Le cluster dispose de subventions du Land dans le cadre de sa politique industrielle, à hauteur de 50 %. Spécifiquement dans un domaine de pointe, le cluster est financé à 100 % par le Bund pour mettre en place un réseau de coopération sur l'hydrogène. Il comprend également une recherche de vente de prestations (avec un objectif de couverture de ses charges à hauteur de 30 %), en sus d'une activité de conseil stratégique auprès du Land, qui reste le principal interlocuteur public du cluster, sans en être toutefois directement membre. Il existe peu de structures semblables à SolarInput, sauf dans deux ou trois régions et, de ce fait, il n'y a pas de vraiment de réseau regroupant ces entités. Il existe toutefois une association des clusters à l'échelle fédérale. Le cluster ne se sent pas fortement concerné par Industrie 4.0, au contraire d'autres structures positionnées sur l'automobile et l'industrie des capteurs. Enseignements pour la mission · L'intérêt de cultiver l'image de l'industrie et des emplois industriels, le rôle des foires et des salons, traditionnellement très développés en Allemagne, ainsi que des lieux de démonstration jusqu'au coeur de la capitale. Le pilotage de la formation professionnelle par les entreprises et leur implication à travers l'apprentissage, le système « dual » qui concerne la moitié d'une classe d'âge en Allemagne et semble résister malgré l'érosion démographique et l'attrait des études supérieures. Un fort pragmatisme à tous niveaux et dans tous domaines, y compris celui de la transition écologique (pas de grandes options politiques sans écoute préalable de l'intérêt des grands groupes, une réponse attentionnée aux besoins en matière de création de nouvelles zones d'activité...). L'état d'esprit des entreprises allemandes, particulièrement disposées à la coopération et à la « coopétition ». La relation des entreprises et de leurs organisations (vitalité des fédérations professionnelles, CCI...) avec le territoire, au niveau des Länder et au niveau local. Une organisation des pouvoirs publics fortement décentralisée qui n'empêche pas, entre Bund et Länder, un haut niveau de coopération et d'importants cofinancements bénéficiant au développement territorial. Le rôle actif d'accompagnement et de soutien financier des pouvoirs publics à l'égard du monde économique, rarement d'initiateur sauf dans certains cas précis comme celui d' « Industrie 4.0 ». Au sujet de cette démarche, l'importance de l'enjeu de la numérisation de l'ensemble du tissu industriel, particulièrement développé en Allemagne avec le Mittelstand, avec un objectif de « compétitivité relationnelle » plus que d'automatisation. L'intérêt d'une approche territoriale de la numérisation dans le cadre d'« Industrie 4.0 », afin d'impliquer plus facilement les petites structures et de mieux repérer les possibilités de relocaliser la production en la rapprochant de la demande, avec la possibilité de constituer à cette échelle régionale ou territoriale certaines des plateformes de données rendues nécessaires, en partant des besoins des entreprises. · · · · · · · · Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 147/170 PUBLIÉ Photos mission : Futurium à Berlin Fiche : « Industrie 4.0 » Centre historique d'Erfurt (photo de la mission) Une démarche engagée en Allemagne depuis 2011 pour mettre en oeuvre la transformation numérique de l'ensemble de l'industrie du pays « Industrie 4.0 » est une démarche engagée en Allemagne depuis 2011 au niveau de l'État fédéral (Bund), visant à mettre en oeuvre la transformation numérique de l'ensemble de l'industrie du pays. À l'origine, il s'est agi d'une réflexion de chercheurs et d'industriels organisée au sein d'un conseil scientifique pour inventer les outils nécessaires à la numérisation dans le domaine industriel. C'est ensuite à la demande des entreprises et de leurs fédérations que l'État, et d'abord le ministère de la formation et de la recherche, s'en est emparé pour en faire une politique fédérale. Il a alors réuni l'ensemble des acteurs concernés et établi avec eux les principes généraux du concept. L'objectif : maintenir la force et la compétitivité de l'industrie allemande L'enjeu est clairement de maintenir la force et la compétitivité de l'industrie allemande, notamment dans le domaine des biens d'équipement, qui se caractérise historiquement par un tissu très dense d'entreprises familiales de taille moyenne ou petite, désigné par le terme de Mittelstand. Il faut pour cela réussir la « 4 révolution industrielle », celle de la numérisation globale des chaînes de production (après la 3 qui était celle de la robotique) et aussi des relations clients, des relations fournisseurs, des coopérations inter-entreprises. L'objectif central est de faire en sorte que les opérateurs soient en capacité de répondre à la diversité des besoins des clients par la production souple, agile et restant néanmoins compétitive de séries de la plus petite taille possible. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 148/170 PUBLIÉ Un processus ambitieux d'adaptation de l'ensemble de l'industrie « Industrie 4.0 » s'inscrit dans la suite logique des efforts réalisés par l'Allemagne, notamment depuis la réunification, qui visent à maintenir la puissance industrielle du pays, au lieu d'accepter l'entrée dans une économie post-industrielle dominée par les services. Il convient alors de s'appuyer non seulement sur les grands groupes mais aussi et surtout sur le Mittelstand. Ce processus ambitieux, décrit par les consultants Dorothée Kohler et Jean-Daniel Weisz dans diverses publications232, entend provoquer un « sursaut national » pour adapter l'industrie allemande, fleuron de son économie, au contexte de la concurrence mondiale. On pourra ainsi conserver ce tissu industriel fortement répandu dans les anciens et nouveaux Länder (de l'Ouest et de l'Est), si précieux à la richesse économique des territoires urbains ou ruraux du pays. La démarche de numérisation globale se traduit en particulier par la collecte de multiples données clients permettant d'éviter l'arrivée de spécialistes de l'exercice tels que Google ou Apple ; des plateformes d'échange et de traitement des données sont alors constituées, dont les industriels conservent la maîtrise. La description enthousiaste du concept faite par ces consultants peut donner l'impression qu'« Industrie 4.0 » est devenu un mot d'ordre largement partagé outre Rhin et un processus opérant une transformation radicale et générale du tissu industriel, voire de ses interfaces avec son environnement économique, social et politique. Ils évoquent « l'émergence d'un nouveau paradigme industriel » fondé sur de nouvelles mentalités et attitudes, notamment un management non hiérarchique complètement réinventé et dont la réussite repose avant tout sur la qualité relationnelle des acteurs concernés. Une mise en oeuvre progressive, fondée sur la confiance plutôt que sur un plan structuré Si l'ambition est grande et sa présentation très séduisante, sa mise en oeuvre semble en réalité beaucoup plus progressive, au vu des échanges que la mission du CGEDD a pu avoir au cours d'un déplacement en Allemagne courant septembre 2018 à Berlin et en Thuringe (le Land de l'ancienne Allemagne de l'Est qui connaît le rattrapage économique le plus rapide depuis la réunification). D'une part, s'il s'agit bien d'une politique initiée et portée au niveau du Bund, elle ne fait pas l'objet à ce niveau d'un réel « master plan »/schéma directeur, c'est-à-dire d'un dispositif organisé avec un plan d'action structuré et un système d'évaluation qui permettrait de disposer de remontées d'informations consolidées et de savoir précisément où on en est dans tout le pays. Fidèle à sa culture de l'action publique et à son organisation décentralisée, l'Allemagne fédérale fait confiance à ses entreprises pour prendre les initiatives nécessaires et aux Länder pour reprendre le mot d'ordre national et le relayer dans les territoires. Au niveau national, on observe plutôt une démonstration de tout ce qui peut être fait en termes de numérisation, une vitrine de la puissance industrielle maintenue de l'Allemagne, telle qu'elle devrait être présentée prochainement dans le Futurium, un bâtiment d'architecture audacieuse en voie d'achèvement dans le centre de Berlin. Le Bund estime avoir mené son rôle d'information et d'impulsion, notamment pour ce qui concerne la mise en sécurité des données numériques. Une appropriation et une interprétation de la démarche variable selon les acteurs D'autre part, les partenaires rencontrés au niveau régional et local ne connaissent « Industrie 4.0 » que s'ils sont directement en charge de responsabilités dans le domaine industriel. Ces derniers s'approprient alors différemment le concept : pour les uns, il ne s'agit que de l'internet des objets, pour d'autres, il serait préférable de parler de « Économie 4.0 » afin de qualifier le mouvement général de numérisation, y compris des services. Le Land de Thuringe encourage et soutient la 232 Notamment Dorothée Kohler et Jean-Daniel Weisz Industrie 4.0 Les défis de la transformation numérique du modèle industriel allemand, La documentation française 2012 ; Dorothée Kohler et Jean-Daniel Weisz Industrie 4.0, une révolution industrielle et sociétale Revue Futuribles n° 424 mai-juin 2018. Mutations économiques et développement des territoires Page 149/170 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ démarche, notamment par une subvention d'aide au démarrage de 15 000 par entreprise. L'administration régionale évalue l'état d'avancement de la démarche à 3 % des entreprises totalement numérisées et 50 % en cours de processus. Il s'agit d'un défi majeur reconnu, présenté lors des nombreuses foires régionales, mais les petites entreprises semblent encore loin de l'avoir relevé... Une coopération internationale à poursuivre Le Bund fait état d'une coopération initialement menée avec la France et l'Italie mais ensuite d'un tarissement des échanges avec notre pays, dont la démarche « Industrie du futur » serait moins concrète et pragmatique que celle poursuivie par l'Allemagne. Ce point de vue est partiellement contesté au ministère français de l'économie qui estime que l'absence de coopération résulte plutôt de l'attitude allemande alors que « Industrie du futur » progresse (avec actuellement 4 000 à 5 000 diagnostics d'entreprises réalisés) même si c'est à un rythme trop lent... Si l'industrie française n'a pas la puissance allemande et a « décroché » depuis plusieurs décennies, il est encore temps d'activer un processus de numérisation et d'organisation du big data. Selon les consultants déjà cités, il conviendrait toutefois de s'inspirer davantage de la démarche « Industrie 4.0 » (telle qu'ils l'ont modélisée), « Industrie du futur » ne ciblant pas assez les petites et moyennes entreprises et souffrant d'une approche trop descendante par rapport aux entreprises ; il faudrait aussi ne pas s'arrêter aux frontières du pays en coopérant davantage avec la démarche allemande. 6.2. Italie La mission du CGEDD s'est rendue en Italie les 16 et 17 octobre 2018 pour observer certains aspects du développement économique et des politiques urbaines à Naples. La ville et le territoire environnant sont marqués par un contexte général de désindustrialisation et par les conséquences des difficultés rencontrées par l'action publique au cours des années passées. Néanmoins, les acteurs locaux, soutenus par les niveaux régional et national, se sont engagés dans un processus de transformation économique et de changement de l'image du territoire, en s'emparant de nouvelles opportunités liées à l'économie de la connaissance (tourisme, recherche, numérique). Il s'agit, dans le cadre d'une nouvelle politique urbaine, de susciter des îlots d'innovation au sein de quartiers en renouvellement et de la très grande friche industrielle polluée Bagnoli dont la reconversion est en cours. La mission a préalablement rencontré à Rome l'agence nationale de développement économique Invitalia pour connaître ses missions, moyens et modèles d'intervention au regard des enjeux de redynamisation économique des territoires en reconversion, en lien avec la politique des districts industriels. La mission s'est ensuite rendue à Naples pour y rencontrer la Ville (l'assesseur aux politiques urbaines), la Région Campanie (l'assesseure à l'innovation), l'université Federico II, la Cité des sciences (premiers occupants de la friche Bagnoli), les pilotes du projet de traitement de ce site au sein de l'opérateur national Invitalia, et visité les territoires concernés. Le CGEDD a bénéficié du soutien actif et de l'accompagnement de Florent Moretti et Charlotte Buliard (service économique de l'ambassade de France) ainsi que de l'accueil et de la participation de Laurent Burin des Roziers, Consul général de France à Naples. 1.- La Campanie et Naples, une région et une ville en mutation, entre difficiles reconversions industrielles et développement touristique La Campanie est la troisième région la plus peuplée d'Italie, la plus riche du Mezzogiorno. Elle regroupe 10 % de la population italienne mais ne pèse que 6 % du PIB national. Elle doit faire face à Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 150/170 PUBLIÉ de nombreux défis : baisse démographique, chômage, pauvreté, difficultés financières des collectivités locales, économie parallèle illégale. Elle bénéficie de fonds structurels européens au titre de la politique de cohésion (4,8 M sur 2014-2020) et de deux « Pactes pour le sud » par lesquels l'UE, l'État et la Région soutiennent les projets napolitains. La province de Naples représente 56 % de la valeur ajoutée de la région et 53 % de la population, 17 % dans la seule ville de Naples. Celle-ci connaît d'importantes mutations sur lesquelles la municipalité s'appuie pour piloter sa modernisation tout en conservant son identité. L'assesseur aux politiques urbaines, Carmine Piscopo, a présenté l'action de la municipalité au regard des dynamiques de transformation économique et urbaine à l'oeuvre. À l'Ouest, l'ancien site sidérurgique de Bagnoli, en friche depuis 25 ans, attend les opérations de dépollution qui permettront sa reconversion ; à la suite de nombreuses difficultés administratives et judiciaires, un projet urbain a été arrêté par l'opérateur en accord avec les collectivités concernées. À l'Est, le quartier ouvrier de San Giovanni a Teduccio est en cours de redynamisation grâce à l'implantation d'un campus d'ingénierie de l'Université Federico II. Au Nord, la municipalité porte la rénovation urbaine des Vele (les « Voiles ») de Scampia, ensemble d'habitat social qui abrite encore aujourd'hui une forte criminalité. Le centre-ville connaît une croissance du flux touristique, passé de 350 000 visiteurs il y a quelques années à un million en 2017, sans que la saturation n'advienne encore. C'est que la ville a su changer son image : les photographies de la crise des ordures de 2011 ont disparu des premiers résultats proposés par Google en réponse au mot-clé Naples. La fiction italienne a popularisé plusieurs quartiers de la ville, comme San Giovanni a Teduccio (la saga L'Amie formidable d'Elena Ferrante) et Scampia (l'ouvrage Gomorra du journaliste Roberto Saviano et ses déclinaisons cinématographiques et télévisuelles). La municipalité veut concilier ce mouvement avec la préservation d'une mixité sociale qui caractérise effectivement la ville et qui fonde en partie, selon elle, son identité. Elle est également lancée dans d'ambitieux programmes de prolongement du métro, d'ouverture sur le port et de piétonisation du lungomare (promenade du front de mer). La ville est engagée dans un réseau d'échange du programme européen Urbact, concernant particulièrement les grands sites industriels pollués (réseau qui inclut aussi Gênes, Caen et d'autres villes européennes). On notera que c'est également le cas de Casoria, petite ville de 77 000 habitants situées à 10 km de Naples, à travers le réseau « Sub>urban », sur le thème des friches périurbaines. 2.- La friche de Bagnoli, un exemple emblématique d'une zone industrielle polluée en reconversion Le site de Bagnoli a principalement accueilli au XXe siècle, dans un cadre exceptionnel de bord de mer, des établissements sidérurgiques d'État (ILVA, Italsider). Il comptait 15 000 salariés (l'équivalent de l'ILVA de Tarente aujourd'hui) et les habitants attendent depuis 25 ans sa dépollution et sa reconversion. Les projets urbains successifs ont échoué, la dernière tentative en date, un développement immobilier résidentiel de luxe (dont des gratte-ciels) sous la maîtrise d'ouvrage d'une SEM contrôlée par la municipalité précédente s'étant soldée par la faillite de cette société. Sous le gouvernement Renzi, la conduite du projet a été déléguée au commissaire du gouvernement, Salvo Nastasi, épaulé par Invitalia (voir fiche ci-après), agence nationale dépendant du ministère du développement économique (MISE). Invitalia assure le portage foncier et l'aménagement, une mission d'ensemblier regroupant ainsi l'équivalent des missions des établissements publics fonciers ou des aménageurs « à la française ». Les relations avec la ville de Naples ont longtemps été conflictuelles, l'État ayant recentralisé les compétences d'urbanisme sur le périmètre du projet, avant de se normaliser grâce à une meilleure association de la ville à la programmation urbaine. Une convention (accordo di programma) a été formalisée entre l'État, la Ville et la Région. Dès lors, un Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 151/170 PUBLIÉ projet urbain (Plan d'assainissement environnemental et de régénération urbaine ­ PRARU) a été arrêté par Invitalia en accord avec les collectivités. Le ministre de l'environnement a rendu récemment son avis au titre de l'autorité environnementale. L'avis n'est pas encore public, mais il comporterait une série de prescriptions qui rendraient nécessaire la modification du projet avant que celui-ci ne puisse être approuvé par le ministre chargé du Mezzogiorno. Le projet prévoit un site multifonctionnel dédié au tourisme, au loisir et à la culture, sous la forme d'un grand parc et d'une plage, tous deux publics, associés à des instituts de recherche et à un développement résidentiel limité aux marges du site (voir fiche ci-après). Cet aménagement complexe devrait être mis en oeuvre d'ici à 2024 : il nécessite au préalable une dépollution du sol et des sédiments marins (14 km²), souillés par les précédentes activités industrielles. La municipalité a joué un rôle moteur dans la révision des grands projets immobiliers au profit d'aménités publiques, mais ce choix est aussi induit par le classement du site en « zone rouge » du fait de la proximité des « champs phlégréens », des cratères volcaniques dont peuvent provenir des dégagements de soufre. L'investissement public et privé prévu est de 1.8 Md, comprenant les infrastructures primaires (d'accès au site), secondaires (internes) et les projets immobiliers privés. L'agence Invitalia est très fortement impliquée en tant qu'opérateur du projet. L'agence intervient directement dans quelques sites en fonction de la complexité de la situation, notamment dans le sud de l'Italie comme à Pompéi ou à Tarente, mais plutôt dans une posture d'assistance à maîtrise d'ouvrage. A Naples, il s'agit d'un degré d'intervention exceptionnel qui s'explique par la concomitance de plusieurs facteurs : responsabilité nationale de l'origine de la pollution (industrie sidérurgique), complexité administrative et financière, historique du projet... Après quelques difficultés de calage politique, l'existence d'un projet urbain « partagé », le retour à une maîtrise d'ouvrage publique forte et la mise en place d'une solide structure technique dédiée au sein d'Invitalia (30 personnes dans la seule équipe de maîtrise d'ouvrage) semblent appréciés par l'ensemble des acteurs locaux. Ils estiment que l'essai doit désormais pouvoir être transformé, sur la base d'un projet équilibré et modeste en regard de la taille du site (1 000 logements, 7 000 m² de commerces, des activités de recherche, des réalisations d'archéologie industrielle et plus généralement une vocation touristique diversifiée en bord de mer). 3.-La Cité des Sciences En bordure de la friche de Bagnoli, près de la mer, la Cité des Sciences, portée par la fondation privée IDIS, mobilise un foncier de 7 ha sur les 300 de la friche. Le projet a fait l'objet d'un investissement total de 55 M (40 M de dotations publiques et 15 M de la fondation privée à l'origine du projet). Né en 1993, le projet a des points communs à la fois avec la Cité des sciences de Paris et certaines réalisations de l'Emscher Park dans la Ruhr. Cet ensemble est composé de plusieurs structures qui évoquent ou conservent l'architecture des activités industrielles du site : des lieux à vocation éducative et pédagogique (comme le musée dédié au corps humain, CORPOREA) et des lieux permettant de créer de la valeur économique et sociale (incubateur, centre de conférences, auditorium). Les 9 M de budget annuel financent le fonctionnement de ce lieu qui génère des emplois et participe à la diffusion de la culture scientifique. Signe du climat local complexe, une partie du site a fait l'objet d'un incendie en 2013 et devrait être prochainement reconstruite. L'aboutissement du projet suppose d'unifier plusieurs composantes séparées par la route principale qui traverse la friche et aussi de faire un lien avec l'ensemble de l'écosystème de l'innovation qui se développe sur d'autres parties de la ville de Naples. Il n'existe nulle par ailleurs, pas même à Milan ou à Turin, des projets qui combinent à ce niveau les deux thématiques : traitement d'une vaste friche polluée et création de valeur autour d'un grand équipement scientifique et technologique. Si la conduite des travaux sur le périmètre de la friche est complexe, un autre facteur s'avère déterminant dans la réussite du projet, à savoir sa synchronisation avec les projets d'infrastructures externes à la friche : rendre la friche accessible en transport public local (prolongement d'une ligne Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 152/170 PUBLIÉ de métro) pour assurer la fréquentation du lieu, qui est l'un des problèmes majeurs rencontrés par la Cité des Sciences, et réaliser les réseaux urbains nécessaires au traitement des eaux. Cela suppose une implication forte de l'ensemble des parties prenantes au projet dans la durée. 4.- La Apple Academy et les politiques d'innovation de la Région et de l'Université Federico II La Région Campanie mise sur une politique forte en faveur de l'innovation pour augmenter la résilience du territoire aux crises. L'objectif est notamment d'augmenter le capital humain de cette région qui, si elle reste parmi les plus défavorisées d'Italie, a connu l'un des plus forts taux de croissance en 2017 (+3,2 %), et par ricochet de convaincre du potentiel de la région pour les grandes entreprises (Deloitte, TIM, Cisco par exemple). Cet écosystème voit de nombreuses startups se développer, plus de 700 en 2018 (3 e ville d'Italie après Milan et Rome), qui se concentrent dans des pôles technologiques, comme celui du campus de l'Université Federico II à San Giovanni a Teduccio, à l'est de Naples. La Région a défini une stratégie d'innovation qui organise le lien entre la recherche et le développement économique, s'inscrivant dans les orientations nationales et permettant de capter les financements européens. En déclinaison de la démarche nationale Industrie 4.0 (proche de l'approche allemande), un agenda digital de la Campanie a été élaboré, mais sa mise en oeuvre est trop récente pour qu'on puisse en évaluer les résultats. Apple y a installé en 2015 à la place d'une ancienne usine de conserverie sa « Developer Academy », unique lieu de ce type en Europe, permettant à 350 jeunes de suivre une formation liée au développement d'applications mobiles, cofinancée par la Région Campanie et par Apple. Cet îlot d'innovation et de compétitivité doit dynamiser la requalification de ce quartier, durement touché par la désindustrialisation (voir fiche ci-après). Malgré les difficultés administratives qui freinent le développement des projets, la conduite de ce chantier en trois ans seulement démontre la capacité des acteurs locaux à surmonter ces blocages quand l'enjeu le requiert. Enseignements pour la mission Durement éprouvée par la désindustrialisation, Naples et sa région sont engagées dans un parcours de mutation vers l'économie de la connaissance et le tourisme, un développement heurté mais qui a déjà conduit à la création d'îlots d'innovation (Apple Academy, Cité des Sciences). La reconversion de la friche de Bagnoli, qui devrait franchir un point de non-retour en fin d'année avec l'approbation de son projet urbain, représente une opportunité de poursuivre cette dynamique sur un site exceptionnel. La mission relève particulièrement les points suivants : · un territoire urbain qui semble parvenir à prendre son avenir en main, grâce à une volonté politique convergente de l'État, de la Région et de la Ville, en dépit de difficultés de tous ordres (crise industrielle, question du traitement des déchets...) ; la nécessité de travailler au changement d'image du territoire pour pouvoir engager et conforter un processus de transformation, selon une vision large de l'économie (tourisme, connaissance et recherche) et de la relier aux atouts locaux (forte identité, présence de grandes entreprises, paysage...) ; le retour à une maîtrise d'ouvrage totalement publique pour traiter un grand site industriel pollué, après l'échec de tentatives antérieures selon un modèle qui donnait un rôle important au secteur privé (la dernière en date avec une SEM contrôlée par la municipalité précédente) ; l'implication déterminante d'un opérateur national agissant en lien avec les autorités locales, autour d'un projet partagé équilibré mais nécessitant une intervention complexe et des moyens exceptionnels ; l'intérêt d'une poursuite des échanges de bonnes pratiques à l'échelle européenne sur la thématique des grands sites industriels pollués, dans le sillage des travaux du réseau de ville · · · · Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 153/170 PUBLIÉ mis en place dans le cadre du programme Urbact (une proposition de l'opérateur italien de mutualiser les bonnes pratiques avec les opérateurs français va dans ce sens). Fiche 1 :Présentation d'Invitalia Invitalia est une agence nationale pour l'attraction des investissements et le développement d'entreprise créée en 2008, qui dépend du Ministère de l'économie et des finances (MEF). Son conseil d'administration est composé du Président (Claudio Tesauro), de l'Administrateur délégué (Domenico Arcuri) et de trois conseillers. L'Agence gère pour le compte de l'État des programmes d'aide à la création et au développement des entreprises, y compris dans le domaine des startups innovantes, particulièrement dans les secteurs stratégiques pour le développement (environnement, énergie, infrastructures, recherche et innovation, tourisme et culture), et se préoccupe de la relance des zones en crise, surtout dans le Mezzogiorno. Ces programmes sont financés par des fonds nationaux et européens (fonds pour le développement régional, fonds de cohésion). Invitalia concentre ses efforts sur : · l'aide à la création et au renforcement des entreprises ; · · le soutien aux investissements et les efforts pour attirer des investissements étrangers ; le développement des territoires et la relance des aires industrielles en crise à travers l'outil des « contrats de développement » : la loi 181/89 institue Invitalia comme l'organisme de soutien aux territoires touchés par les crises industrielles. L'objectif est de créer de nouveaux emplois grâce à l'agrandissement, la restructuration et la relocalisation des unités de production. L'investissement par projet doit être au moins de 1,5 M ; l'accompagnement de l'État dans la gestion des fonds européens et nationaux. · · · · · Invitalia dispose de plusieurs outils de financement : subventions dites « contributions à fonds perdus » ; garantie auprès d'établissements bancaires ; prêts (à taux 0, à taux préférentiels) ; micro-crédit. Au 1er septembre 2018 : 131 contrats de développement ont été financés, 114 000 initiatives lancées avec l' autoimpiego (aide à l'autoentreprise) et 867 startups financées. Invitalia apporte également un appui aux collectivités dans la passation des marchés publics et la gestion de projet. Afin de soutenir la croissance dans des secteurs stratégiques que sont les télécommunications, le tourisme et l'innovation (startup), Invitalia contrôle : · · · · Infratel Italia (gère les appels d'offre pour l'ADSL et la fibre afin de réduire l'écart de couverture numérique entre les régions) ; Intalia Turismo (requalifie et relance les structures touristiques dans le Mezzogiorno) ; Invitalia Partecipazioni (gère les participations non stratégiques d'Invitalia) ; Invitalia Ventures Sgr (développement des entreprises à haut contenu innovant) : Invitalia Venture I : fonds de capital-risque de 86.65 M, en vue du co-investissement avec des opérateurs nationaux et internationaux privés et Invitalia Venture II : fonds dédié aux entreprises du Sud de l'Italie et doté de 150 M (loi de stabilité 2018) ; Banca del Mezziogiorno - MedioCredito Centrale (favorise l'accès au crédit des PME et aide à la croissance). · La conduite du projet de Bagnoli reste exceptionnel par rapport aux activités habituelles de l'agence. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 154/170 PUBLIÉ Fiche2 : Le projet de reconversion de la friche de Bagnoli à Naples et la Cité des sciences Suite à l'arrêt des activités sidérurgiques dans les années 1980, une friche de 330 hectares est apparue à Bagnoli dans la banlieue de Naples. Après de nombreuses difficultés (incendie de la cité des sciences en 2013, mise en examen de 21 ex-dirigeants de la société de transformation et finalement faillite de celle-ci), un projet a été relancé et signé en juillet 2017. Le projet est mené par Invitalia, l'agence nationale pour le développement relevant du ministère de l'économie. 300 M ont été débloqués afin de mener à bien le projet qui devrait être livré en 2021. Il prévoit la construction d'un port de plaisance, le réaménagement de la façade maritime et de la plage, un parc comprenant des équipements sportifs au sud et l'installation d'un pôle technologique au nord. L'ancienne aciérie devrait être transformée en salle polyvalente. Le projet est co-financé par la politique de cohésion de l'Union européenne. Photos mission : la friche de Bagnoli vue du quartier Posillipo à Naples Vue de l'intérieur d'une structure industrielle de la friche de Bagnoli, qui sera conservée pour l'installation de commerces et de services. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 155/170 PUBLIÉ La Cité des Sciences, qui conserve partiellement l'architecture des activités industrielles du site Fiche 3 : La friche industrielle de San Giovanni (Naples) et l'incubateur d'Apple San Giovanni, situé à l'Est de Naples, abritait la plus grande usine de conserverie de Méditerranée qui appartenait à la société Cirio. La fin de son activité ainsi que celle des établissements ferroviaires liés à Naples-Portici ont entraîné la formation d'une friche. En 2015, l'université Federico II s'est installée sur cette zone, profitant ainsi de 200 000 m² afin d'installer des laboratoires, bibliothèques, centre d'études et amphithéâtres. En 2016, le PDG d'Apple Tim Cook annonce la création à San Giovanni, d'un incubateur orienté vers les applications mobiles. D'autres activités se trouvent aussi sur le site comme : le CeSMA (30 laboratoires regroupés proposant des services à l'industrie), et le Hub Federico II promouvant le tissu industriel local. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 156/170 PUBLIÉ 6.3. Suisse La mission s'est déplacée en Suisse francophone (cantons de Vaud, de Neuchâtel et Fribourg) et alémanique (Berne et Zurich, avec visite de quartiers de requalification industrielle) du 4 au 6 décembre 2018. Elle a rencontré des acteurs du développement économique (Yverdon, Fribourg), de la recherche (Neuchâtel, Fribourg) et des responsables des Offices fédéraux (Berne). L'organisation de déplacement a bénéficié des suggestions de Sonia Lavadinho, chercheuse à l'École polytechnique fédérale de Lausanne et des apports de Céline Champion Dessibourg, cheffe du service économique à l'ambassade de Suisse à Paris. Les points marquants du contexte suisse Jusqu'à la deuxième guerre mondiale, la Suisse, pays pauvre en ressources naturelles et dotée d'un territoire au relief montagneux à 80 %, a dû faire preuve de créativité et d'inventivité pour surmonter ces handicaps structurels. Elle s'est pourtant dotée d'un tissu industriel, de « systèmes de production régionaux » avec une coloration et une spécialisation fortes : l'industrie mécanique dans le Jura, la chimie (devenue bio tech) à Bâle, les chemins de fer et la poste à Berne... Ce tissu économique a connu de multiples crises, en particulier du fait de la financiarisation et de la mondialisation qui ont conduit à une séparation entre lieux d'accumulation de valeur et lieux de vie et de travail. Mais une forme de résilience est venue de la capacité des territoires à s'adapter : · en faisant muter leurs spécialités économiques et industrielles (ex. horlogerie vers petite mécanique dans l'Arc jurassien), en misant sur l'« industrie patrimoniale », qui, dans le contexte d'une économie de la consommation et non plus de la production, consiste à transformer en valeur marchande le lieu d'origine de la production et l'expérience industrielle (ex. l'agroalimentaire à Fribourg...), en bénéficiant d'un secteur financier demeuré solide malgré les crises et grâce à ses banques privées, fortes de leur expérience, de leur réputation, de la stabilité de la Suisse et du franc suisse. · · Le développement économique du pays se concentre sur un « moyen pays » très dense, une ligne métropolitaine qui concentre l'essentiel de l'urbanisation, des activités et des flux de transport, de Genève et Lausanne à Zurich et Saint-Gall, avec, ailleurs, une topographie très marquée (mais sans définition claire de ce que sont les régions de montagne). Le pays s'organise fonctionnellement autour de ce sillon couvrant la Suisse occidentale (francophone) jusqu'à Fribourg, et la Suisse alémanique (Zurich ­ Bâle) ; Berne, la capitale fédérale, fait le pont et le lien entre les deux. Grâce à son histoire et à sa culture, la Suisse bénéficie d'atouts importants pour aborder les mutations actuelles et à venir : · la présence d'une classe moyenne importante et homogène, un chômage très faible (3,5 %, c'est-à-dire un chômage frictionnel correspondant au plein emploi) ; un système politique porté par des personnalités non professionnelles de la politique, ainsi qu'une démocratie participative incarnée par le système de votations, éléments forts de cohésion et de capacité d'adaptation ; un attachement aux niveaux constitués par les cantons et les communes, chargés de faire des propositions et de mettre en oeuvre, le niveau fédéral apportant la cohérence ; ce système fonctionne bien grâce à un haut degré de connaissance civique et permet de transcender les très fortes particularités locales (langues, religions, ville/campagne, plaine/montagne) ; · Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 157/170 PUBLIÉ · une sensibilité culturelle à l'économie, et la fierté de contribuer à la péréquation financière entre cantons riches et pauvres et communes riches et pauvres, acte social venant en complément de « l'esprit d'entreprise » et de la réussite à avoir créé des emplois et de la richesse ; cette solidarité financière favorise la cohésion et constitue un mode de financement intéressant des territoires fragiles ; une attention importante est apportée à la présence des services publics dans tous les territoires (par exemple, toute commune de plus de 100 habitants doit être desservie par un transport en commun, mais il est interdit de construire à plus de 3 km d'un transport en commun). l'innovation est en plein essor grâce à un système de formation technique (« les Hautes Écoles ») valorisé, des fleurons comme les Écoles polytechniques fédérales, en lien fort avec les mondes de l'entreprise et de la recherche, un système de recherche orienté vers les entreprises, et une capacité à mettre en scène l'innovation en relation avec l'humain, par exemple pour la robotique. · · Photos mission : Le centre-ville de Berne traversé par les bus et les tram Le musée de l'histoire de l'horlogerie à Zurich, situé dans un magasin haut de gamme 1. Yverdon : l'Association pour le développement du Nord Vaudois (ADNV), structure originale publique-privée constituée pour faire face à la reconversion industrielle du canton de Vaud. La création de ce type d'associations est issue de la volonté de l'État fédéral de mettre en place une politique pour les régions « de montagne », et d'associer les espaces de plaines et de montagne pour gérer les mouvements de balancier dus aux effets des mutations économiques. L'ADNV s'est créée en 1969 au moment où la « région industrielle » nord vaudoise était confrontée à la fermeture des usines « de montagne » et au repositionnement consécutif de son secteur traditionnel (mécanique). Encore aujourd'hui le nord Vaudois comprend 2 micro-régions industrielles : le « Pays d'en Haut » et la « Vallée de Joux », avec une spécialisation très forte dans l'horlogerie haut de gamme (Piguet...). Le nombre d'habitants (7 000) y est égal au nombre d'emplois. Du fait de leur importance économique, elles ont pu conserver leur association régionale de développement économique (et aussi leurs 2 postes de députés) malgré les regroupements en cours dans tous les cantons. Aujourd'hui la pression est entretenue par la dynamique démographique de l'arc alémanique et de Genève, en pénurie de logements. L'objectif actuel de l'association est d'accompagner la croissance des habitants avec celle des emplois, dans une « pendularité » maîtrisée. Pour conserver des lieux de formation essentiels au maintien du tissu industriel en région de montagne, l'école d'ingénieurs a fusionné avec la Haute École de gestion de Lausanne, et s'est installée à Yverdon dans d'anciennes usines. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 158/170 PUBLIÉ Une association tournée vers les entreprises mais à financement public : l'ADNV a un statut associatif de droit privé (donc indépendant du canton), regroupant des entités publiques (70 communes de profil extrêmement varié et sans projet d'ensemble) et plus de 300 membres privés (associations, entreprises, particuliers). Le fait que l'association apporte directement un service aux membres lui donne un lien fort avec les entreprises, directement demandeuses de prestations. Mais ce caractère privé est aussi un frein à un véritable pilotage public ou à une capacité d'engagement pour l'avenir. La structure du financement reflète cette mixité (financement par le canton sur projets : 38 %, cotisation de collectivités publiques : 35 %, entreprises : 8 %, le reste étant constitué de mandats d'appui et de prestations, par exemple des programmes d'accompagnement à la rénovation énergétique sur fonds fédéraux « Stratégie Énergie 2050 »). Selon l'ADNV, l'attachement des entreprises au territoire est évolutif dans le temps... en fonction de leurs besoins. Ce qui compte, c'est le dialogue plus ou moins fort et suivi avec les autorités locales (le territoire offre-t-il les bons équipements publics et culturels ? Les fonciers sont-ils adéquats ?). Au final, on constate que les sites de recherche et développement restent dans le canton. Les multinationales sont présentes, Nestlé est par exemple en dialogue constant avec l'ADNV, mais a tout de même supprimé 400 emplois à Orbe (Moulins d'Orbe, tradition ancienne de la compétence café). Le réseau fédérant ce type d'associations de développement a un site : regiosuiss.ch. Tous les districts de cantons n'en disposent pas ; inversement, la plupart des associations régionales n'ont pas d'identité institutionnelle ; certaines communes appartiennent à deux associations régionales. 2.- Neuchâtel : La patrimonialisation de l'industrie, vecteur de développement territorial « Les milieux innovateurs » : la reconversion vers la micro-technique des régions de l'Arc jurassien à forte innovation industrielle marquées par l'horlogerie, est souvent citée comme un exemple de reconversion. Ce modèle, qui suppose une autonomie régionale dans l'organisation et une immobilité du capital, a été remis en cause par le développement des marchés financiers et la financiarisation puisque les profits sont délocalisés et non plus réinvestis sur place. Associé à un environnement industriel jugé peu attirant, ces régions ont connu un problème d'attractivité résidentielle, avec un enjeu de réhabilitation de gigantesques « villes usines » désaffectées (malgré le classement du patrimoine historique de la Chaux-de-Fonds et Le Locle au titre de « l'urbanisme horloger »). La mise en place dans les années 1990 d'une économie de la production, associée à l'attraction de l'Arc alémanique (dans le contexte de forte tradition de mobilité interurbaine suisse), a conduit à une perte de substance résidentielle et finalement à d'énormes différences de revenus entre régions suisses. Mais avec la fin de ce modèle des « clusters de production » a émergé un modèle reposant sur la consommation qui valorise les productions à forte valeur culturelle (par ex. la montre mécanique qui représente 20 Mds à l'exportation). L'industrie patrimoniale : ce qui est vendu est « l'authenticité ». Dès 2005 ce contexte de consommation se traduit par la création d'une « culture horlogère »... Des espaces de démonstration sont mis en place dans le monde entier (marketing, story telling dans les magazines), les producteurs détenant les magasins de marques (ex. la « mise en scène » de la montre suisse à Hong Kong, devenu supermarché de la montre suisse). Le lieu de production reprend de l'importance pour sa dimension symbolique. Un espace d'exposition (musée) lui est associé. Cette « patrimonialisation de l'industrie » qui fait le lien entre culture « productive » et attractivité présentielle et résidentielle représente sans doute une voie d'avenir en Europe. Nestlé à Braud Fribourg est l'attraction la plus visitée de Suisse. Dans le Jura bernois les entreprises de chocolats reçoivent 100 000 visiteurs annuels. La révolution numérique a permis à chaque territoire d'exister à travers « une identité » (parfois stéréotypée) sur internet. (l'accès à tout facilitant la mobilité des personnes, les jeunes, hors ceux qui n'en ont pas les possibilités, vont là où ça fait sens pour eux, ex ; études à Berlin et séjours à Barcelone...). « L'identité » sur la scène numérique est ce qui est attractif. Gruyère et Fribourg se sont ainsi développés sur une base industrielle et résidentielle (mais hors des critères du développement durable...) en jouant sur les activités et les stéréotypes liés à l'image de La Gruyère. Un territoire, à Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 159/170 PUBLIÉ condition qu'il soit bien relié avec une grande ville et attractif, peut ainsi retrouver son importance, attirer les touristes et reconfigurer la production autour de son image en offrant une « expérience » (« passer un bon après midi à la chocolaterie avec les enfants »). Hautestadt et Volkswagen ont inauguré cette « expériencialisation » de l'industrie. Le territoire joue ainsi un rôle central dans la compétitivité industrielle : on exporte, ça rapporte de l'argent, et on peut ré-investir dans la durabilité ; les innovations sont intégrées dans le bien qui prend plus de valeur . L'innovation culturelle se comprend aussi dans ce paradigme de la compétitivité et des valeurs de marché : c'est la culture qui fait la valeur des biens, et donc permet de vendre en Suisse des panneaux solaires à des prix qui ne seraient pas compétitifs sur le marché mondial. À l'origine, les panneaux photovoltaïques sont fixés n'importe où (pas de permis de construire pour les installer) en pays neuchâtelois et défigurent les fermes... Puis, les panneaux sont teints et retravaillés esthétiquement ; ils deviennent alors des « éléments de façade actifs » qui remplacent les éléments de façades traditionnels : intégrés dans un contexte urbain et villageois, ils se trouvent sur le chemin du train touristique... On crée alors de l'expérience monétisable, en s'insérant dans une « économie du consommateur ». Les « produits » en tant que tels disparaissent ; restent les démonstrateurs, avec leurs sponsors : c'est une économie de projets de démonstration dans laquelle les territoires retrouvent leur place, puisqu'on met en scène leur créativité. Le développement territorial se fait aussi par la mobilité des biens et des personnes : l'économie présentielle est devenue l'élément moteur. Du fait du recentrage important sur les centres des grandes villes, il y a à la fois perte de substance des petites villes et perte des services aux entreprises. 70 % de l'économie est présentielle (y compris touristique) tandis que 25 % de l'économie est « productive ». S'est ainsi constitué un vaste marché du travail qui recouvre toute la Suisse occidentale : depuis Neuchâtel on est en 40 mn dans de nombreuses autres villes. La seule restriction à cet espace fonctionnel est la barrière de la langue (on a donc un bassin d'emploi à l'échelle de la Suisse avec 2 marchés du travail fonctionnels), sans compter 1 million de passages de frontière (française notamment) par jour. 3. Fribourg, le Cluster Innosquare La plate-forme d'innovation est née par son site, celui d'une ancienne manufacture de bière (un cluster avant la lettre, d'origine monacale...), soit 70 000 m2 acquis au moment de la faillite par la ville et par le canton de Fribourg. Les autorités cantonales ont souhaité faire de ce site un « fab lab », un centre avec des laboratoires et des compétences en matériaux avancés et en électronique de pointe, alors que le canton se caractérise par un tissu économique très diversifié et une présence forte dans les secteurs de l'agroalimentaire et de la construction. Le nouveau positionnement économique fribourgeois a rencontré la volonté de l'EPFL de Lausanne de s'implanter sur le canton. Le cluster s'est ainsi construit en soutien aux besoins des entreprises existantes mais avec la volonté de proposer de nouvelles spécialités. Sa mission est d'augmenter la capacité d'innovation des entreprises en leur offrant un lieu d'interaction avec la recherchedéveloppement, et un centre de compétences avec des personnes bien formées en ingénierie, un lieu de « services aux entreprises », qui puisse répondre à leur souci de continuer à trouver les talents pour maintenir un flux de compétences et développer leur activité. Son succès se comprend par l'appartenance à l'espace plus vaste du Mittelland suisse, qui regroupe tous les cantons romands plus une partie de Berne, et peut se comparer aux régions de taille européenne. 300 entreprises en sont membres (en comparaison, le groupement industriel fribourgeois de la chambre de commerce a 1 100 membres). La géographie du lieu est en elle-même une image de la dimension collaborative et innovante du projet, avec plusieurs centres regroupés dans un « cube » à disposition modulaire, des laboratoires industriels, d'anciennes halles de stockage rénovées en bois, à occupation modulable, un « café transitoire »... L'ensemble est en cohérence avec l'intérêt patrimonial du site, dans le respect des Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 160/170 PUBLIÉ critères des bâtiments « du futur » et « zéro carbone » (l'un de ces bâtiments, le « smart living lab », a été primé lors du dernier Solar Decathlon). Trois centres de compétences « nouveaux matériaux » ont été développés : sécurité des systèmes (avec des entreprises internationales) ; impression digitale, « bio printing » et ingénierie des tissus, placés dans un centre annexe utilisant des infrastructures et des laboratoires privés déjà existants ; et enfin installation d'une activité de plasturgie (après modification de 8 000 m²). Se sont ajoutés depuis 2013 trois clusters thématiques : « Swiss plastic » (couvre la Suisse occidentale), bâtiment innovant et recherche dans les techniques énergétiques pour la production maraîchère (en lien avec le cluster agroalimentaire fribourgeois). Le fonctionnement des clusters : Le processus d'innovation industrielle naît du rapprochement entre process de filières différentes par hybridation technique, au bénéfice des démarches d'innovation des entreprises. La logique suit un modèle appelé « collaboratif pré concurrentiel ». À l'état initial plusieurs entreprises identifient un besoin d'innovation commun, avec une faible part académique. À l'étape suivante, qui correspond à la situation actuelle du cluster, on regroupe plusieurs partenaires qui n'auraient pas eu l'idée de se mettre ensemble, pour tester des transferts de technologie d'une filière à une autre, provoquer de fortes collaborations entre clusters, parvenir à une hybridation de méthode, et développer de nouvelles « chaînes de valeur ». Le retour est ensuite assuré vers les entreprises membres. C'est le territoire qui initie la démarche afin de révéler ce potentiel latent. Sur d'autres sujets, on révèle les opportunités et il faut trouver « le terrain ». Le Mittelland Suisse se caractérise par un tissu de PME sans centre de recherche (au contraire de la France qui possède des grands groupes dotés de centres de recherche...). Le financement d'Innosquare est public à 65 %, les entreprises apportant 35 % (50 %/50 % en cas d'« innovative action », cf. supra). L'argent public va directement aux universitaires qui développent l'innovation. Le défi reste la synchronisation entre les différentes régions, et l'identification des bonnes personnes dans les entreprises, notamment les PME, pour intégrer cette logique avec confiance. Les partenariats privé/privé (et public/public) s'avèrent plus difficiles que les partenariats public/privé... Côté suisse, Innosquare dispose d'observateurs cantonaux et fédéraux (le SECO cf. infra). Il n'entretient en revanche pas encore de lien avec le niveau national français (France clusters), et essaye de se connecter avec la Commission européenne (notamment les DG Regio et DG Grow). Innosquare est très impliqué dans l'outil partenarial (et financier) européen « Interreg », la réflexion sur la politique de « spécialisation intelligente » de l'Union et le repérage des « activités transformatrices » permettant de soutenir les mutations de l'économie à différentes échelles territoriales en Europe. Le travail porte également sur les synergies à trouver entre partenaires publics et privés et les modalités des différents appels à projets à mettre en oeuvre. Il n'existe pas en Suisse de politique explicite pour le développement des clusters mais ceux-ci sont apparus dans le cadre des politiques de développement régional, au travers de la recherche de leviers d'efficacité. La stratégie nationale porte sur les sites (« Swiss innovation Park »). Outre la collaboration avec la promotion économique du canton de Fribourg, Innosquare est un outil de labellisation pour des fonds nationaux ou régionaux et reçoit une co-participation fédérale et cantonale (Fribourg a par exemple mis a disposition un fonds d'équipement pour acquérir les équipements en laboratoire). Les acteurs de l'organisation d'un cluster et de son animation vont de 6 à 15 personnes (1 à 2 ETP par projet), davantage en cas de structure de labellisation ou de montage de projets à dimension européenne (qui sont portés par les acteurs académiques en Suisse). Les « clusters managers » sont mis à disposition pendant 4 ans avec le soutien de la nouvelle politique régionale. Ceci permet de mutualiser l'événementiel et de se projeter sur 4 ans (30 événements organisés avec 200 ateliers). Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 161/170 PUBLIÉ Fribourg, Cluster InnoSquare sur le site de la Blue factory Pavillon bois BBC de la Swiss team primé au dernier Les machines du Plastic innovation cluster SolarDécathlon à Denver (États-Unis) données par des entreprises Le système de formation suisse joue un rôle majeur. D'un côté, la formation générale, sanctionnée par la maturité gymnasiale, conduit à des études à l'Université ou dans les écoles polytechniques fédérales, Zurich et Lausanne (qui ne sont pas équivalentes aux grandes écoles françaises du fait de leur statut universitaire, de leur absence de sélection pour les titulaires d'une maturité gymnasiale suisse (la majorité des candidats étant issus d'écoles privées) et leur intérêt pour un certain nombre d'enseignements techniques. De l'autre, la maturité « professionnelle » est exigée pour accéder à une formation duale (école/entreprise) avec un salaire, dispensée au sein des Hautes écoles (HE) spécialisées et délivrant bachelors et masters. L'objectif est non pas de « faire des études » mais « d'y apprendre un métier »... La HE nommée « Arc » regroupe les Hautes écoles de tout le Jura (ingénierie, santé, conservation, musique...). La spécificité suisse réside dans le poids de la maturité professionnelle (60 % des bacheliers) et la possibilité de croiser tout de même les deux types d'études, avec une passerelle pour les étudiants généralistes qui rejoignent la HE moyennant un stage pratique d'un an et souvent un examen d'admission. Les « Hautes Écoles » spécialisées disposent d'un mandat de transfert de technologie dans leur région. Le cluster InnoSquare est ainsi une branche de la HE d'ingénierie et d'architecture de Fribourg avec laquelle il entretient des liens très forts, mais il est issu également d'un partenariat avec l'EPFL (pôle rattaché à Park network West EPFL) et une dizaine d'autres instituts supérieurs. Il accueille certaines activités de l'université de Fribourg. Le cluster joue un rôle de veille des pratiques et des évolutions « métiers », et de facilitateur de programmes de formation (montés de façon mutualisée à partir des besoins des entreprises). Ce lien formation / recherche / innovation constitue une spécificité du système suisse. Chaque canton a sa propre stratégie d'innovation, beaucoup s'appuient sur des clusters (ex. Valais : DI ARK biopharma, énergies renouvelables et chimie) et la création de pôles de recherche assurant le transfert de savoir et de technologie. L'agence « Inno Swiss » travaille sur l'innovation technologique et la mise en réseau des acteurs. À l'échelle de la Suisse romande, la nouvelle politique de développement économique porte sur la mise en contact de différents acteurs et d'interlocuteurs pour les entreprises, lorsque l'échelle du canton est trop petite. C'est un travail complexe ; aussi le soutien financier est-il concentré sur des postes-clés (« coachs », « portes d'entrée », managers de clusters...) retenant la majeure partie des 16 M investis dans le domaine de l'innovation. De son côté, « Switzerland Global Enterprize » apporte un soutien à toutes les entreprises, sur le territoire ou à l'étranger. La Suisse participe aux programmes phares de l'Union européenne grâce aux accords bilatéraux et la réponse des universitaires aux grands appels à projets (cf. supra). Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 162/170 PUBLIÉ 4.- Berne, les offices fédéraux. « Les fondamentaux du développement territorial suisse » 1) Le projet de territoire suisse est le pilier du développement territorial. Élaboré de façon tripartite (confédération, cantons, communes), il propose une vision commune et partagée. Son principe général est le polycentrisme, qui vise à contrecarrer un développement dans les seuls espaces métropolitains, et repose sur l'existence de centres secondaires, moteurs de développement de leur région. Le polycentrisme suppose une mobilité fluide entre pôles, inscrite dans le projet. Un deuxième principe est le développement « vers l'intérieur » de l'urbanisation, c'est-à-dire la concentration sur les réserves foncières à l'intérieur des zones urbanisées, et donc un nombre très limité de nouveaux territoires à urbaniser. Le projet suisse propose également une vision en termes « d'espaces fonctionnels » de collaboration aux enjeux dépassant l'échelle des cantons et permettant de « se placer » en Europe : 5 ou 6 grandes régions (ex. « Bâle » (2 cantons), « Berne », « Zurich », « Arc jurassien » (recoupant 3 à 4 cantons). Il différencie aussi 12 « territoires d'action » possédant des problèmes, des atouts et des défis propres. Réfléchi et discuté aussi avec de nouveaux acteurs institutionnels que sont l'Union des Villes suisses (qui ont fait émerger leurs besoins particuliers), il est allé plus loin que son rôle défini au départ, en proposant des plans sectoriels avec des planifications fonctionnelles de taille supérieure à celle des cantons (mais surveillées par eux) et un programme « PHCR économie » avec des appels à projets à l'échelle de ces grands territoires. Le projet de territoire est ainsi un cadre d'orientation fédérale pour l'ensemble des acteurs du développement territorial, porteur d'une vision de l'organisation du territoire et d'une stratégie globale, doublé de documents cantonaux (eux-mêmes non contraignants) donnant la vision du développement territorial. Il a fallu huit ans pour construire ce projet, reconnu comme document commun, même si la mise en oeuvre des principes n'est pas toujours évidente et peut dans certaines situations ébranler le consensus. 2) La loi d'aménagement du territoire, les quatre niveaux et la question de l'espace bâti / à bâtir Dès 1980 a été posée la règle de base posant la séparation de l'espace bâti et du non bâti : à « l'intérieur », les communes sont chargées des zones à bâtir, tandis que « l'extérieur » (non bâti) est protégé au niveau de la fédération selon les règles (contraignantes) de la loi d'aménagement du territoire cf. infra. À « l'intérieur » des zones à bâtir est défini un plan directeur cantonal, contraignant pour le canton et les communes, celles-ci définissant l'implantation des zones d'activité économique au sein de leur « plan affectation communal » (équivalent du PLU français). À « l'extérieur », le mitage progressif du territoire agricole et montagnard par accumulation des exceptions au cours du temps a conduit à une nouvelle initiative sur le paysage et une nouvelle loi (entrée en vigueur en mai 2014, avec deux durcissements intervenus depuis) en faveur de la densification des zones urbanisées et de l'arrêt du mitage. Cette nouvelle contrainte fédérale est un levier pour la valorisation des friches. Ce principe « sans urbanisation supplémentaire » s'applique par articulation entre 4 niveaux de planification : 1. La loi fédérale d'aménagement du territoire (révisée à partir de 2013). Elle pose : - les hypothèses de croissance, - la méthode de planification (la gestion des zones d'activité est préconisée « à l'échelle régionale »), Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 163/170 PUBLIÉ - le principe de protection des surfaces forestières et agricoles233. 2. Le Plan cantonal pour reboucler avec la croissance de la population. Il définit une affectation des terrains. Adopté souvent après de long processus, il ressemble dans le principe au SRADDET. Par exemple, le canton de Vaud a obtenu la possibilité de demander 160 ha supplémentaires ; il a construit une typologie des zones économiques d'intérêt cantonal et communal. Sur la base de la croissance démographique constatée des 10 dernières années (fin 2016) il a attribué des quotas de développement selon le type de collectivités. Le taux autorisé pour les communes membres d'un « projet d'agglomération » (c'est-à-dire ayant communautarisé l'aménagement, l'urbanisme et les transports) est ainsi de 2,1 % d'augmentation démographique par an jusqu'à l'adoption du plan d'affectation. Le taux est libre ensuite, à condition de rester dans la même consommation de sol (dans le cadre d'une densification) ; il est de 1,5 % pour les centres régionaux et les centres locaux ; et enfin de 0,75 % pour les autres communes. 3. Des « Plans directeurs du territoire ». Ils constituent des déclinaisons de niveau régional. 4. Et enfin les « Plans d'affectation communaux », de niveau communal. Ils doivent tous être refaits d'ici 2022. Les acteurs privés jouent un rôle très important. Ce n'est pas la concentration métropolitaine des lieux de travail qui « fait » le développement ; d'où l'intérêt du travail collectif pour maintenir la cohésion. Les grands services publics en Suisse sont organisés de façon fédérale ; ils s'appuient sur de grands distributeurs organisés sur une base coopérative. Les municipalités sont des acteurs à part entière de la vie économique et portent de nombreuses régies : électricité, transport, éducation, réseaux, routes... L'aménagement territorial est une prérogative des communes, chapeautées par le canton quand elles sont faibles. La confédération n'a pas de moyen d'action en tant que tel : elle donne le cadre, et les orientations, mais il n'existe a pas de « politique industrielle » fédérale. La Commission fédérale sur l'aménagement du territoire lutte contre le mitage provoqué par les résidences secondaires. Les plans directeurs cantonaux doivent définir quels sont leurs « centres » régionaux secondaires, qui jouent le rôle de moteur pour le développement des communes alentour et des régions infra cantonales, selon le principe de la « concentration décentralisée ». L'importance des centres régionaux et le consensus polycentrique font la richesse de la Suisse. Les cantons sont chargés de la promotion économique pour attirer les implantations, faire coopérer les acteurs, mettre en continuité la recherche et le tissu économique. On repère de vraies chaînes de valeur au niveau de grands territoires fonctionnels (moins à des niveaux inférieurs), et une très forte collaboration dans les « petits » cantons à une autre échelle, (Neuchâtel, Berne). La commune de Neuchâtel a ainsi fait un choix de réindustrialiser en zone dense malgré la pression due à l'urbanisation ; voir supra l'immense valeur symbolique pour Fribourg du cluster de l'alimentation Blue factory. La politique fédérale des zones, « Swiss innovation Park » s'est d'abord appliquée à Zurich ; les autres cantons ont ensuite réclamé des parcs d'innovation et la généralisation du concept. Grace à cette offre foncière, plusieurs régions ont réussi à capter de belles opérations. 3) Le polycentrisme ne fonctionne que si tout le pays est desservi. Le principe posé est que chaque localité ayant au moins 100 habitants doit être desservie par les transports publics. Bien qu'assuré par les communes en bout de chaîne, le service trouve son équilibre économique grâce aux subsides octroyés par la confédération et par les cantons. Le « service public » est appelé en Suisse 233 Les bonnes terres sont sur le plateau suisse, là où sont les grandes villes, les lacs, les grandes infrastructures de transport, et la pression foncière la plus féroce. Un moratoire complet sur les zones à bâtir a été demandé pour mettre un frein au mitage du territoire. L'obligation de remettre en zone agricole après 15 ans d'autorisation rencontre de fortes résistances. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 164/170 PUBLIÉ « l'approvisionnement de base », ce qui signifie que tout citoyen ou toute entreprise, quelle que soit sa situation dans le pays, bénéficie des mêmes conditions de base. La Suisse n'a pas repris les règles de concurrence de l'UE pour la poste et les télécoms par exemple. Une forte péréquation financière nationale a été mise en place entre cantons (la disparité en termes de capacités financières se chiffrant de 1 à 4 entre celui du Jura ­ 60 et celui de Zoug ­ 230). Certains cantons versent au pot commun, ainsi que la confédération, permettant aux cantons à faible capacité financière d'assumer les prestations de base vis-à-vis de leur population. Ce rééquilibrage est consubstantiel au fédéralisme suisse et à la cohésion du pays. 4,8 Mds de francs suisses234 sont ainsi redistribués entre cantons par les politiques sectorielles (dont l'agriculture) chaque année. Cette péréquation a un impact territorial beaucoup plus important que la seule « politique régionale », dont la valeur réside dans les inflexions qu'elle donne et le levier qu'elle procure. Sur un budget général annuel de 75 Mds de FS, 1,9 Mds FS sont consacrés au transport public régional, bus et lignes ferroviaires du quotidien ; 10 Mds FS annuels au transport public et au transport ferroviaire (tunnel du Gothard...) et enfin 10 Mds FS annuels aux infrastructures routières. Les 3 niveaux (fédéral, cantonal, communal) lèvent chacun des impôts et restent responsables de leur budget, mais le rééquilibrage est présent partout y compris à l'intérieur des cantons pour maintenir la fonctionnalité de chacune des communes. Une contractualisation est possible afin de dédommager les centres secondaires de leurs charges de centralité ; le système fonctionne bien dans les villes moyennes et les centres régionaux. Le coût du renforcement des régions périphériques est néanmoins régulièrement débattu, avec un questionnement sur le seuil de 100 personnes pour le maintien de la desserte en transport. Des solutions plus collaboratives au sein des espaces fonctionnels (cf. infra) sont encouragées. Les déplacements domicile travail sont ainsi traités à bonne échelle, selon des plans directeurs relatifs aux déplacements. Le principal intérêt est que la mobilité est traitée en lien avec la planification sous l'égide du niveau fédéral, via le « Programme 2030 » des investissements ferroviaires, appuyé sur un vote au niveau de toute la confédération. Il convient de noter qu'ily a une obligation pour les zones d'activité de se situer dans les espaces « accessibles » des villes. Les régions frontalières ont réalisé un travail approfondi avec la France sur la question des migrations pendulaires quotidiennes et le passage de la frontière selon les modes ferroviaire (train « transjurassien » cofinancé par le canton) et routier (mise en place d'aires de covoiturage, cf. site : covoiturage-arcjurassien.ch.), le canton exigeant des plans de mobilité de la part des entreprises. Finalement, le covoiturage y représente 25 % des déplacements (la moyenne suisse étant de 4 %). La notion d'espace fonctionnel permet de constituer des bassins de vie à géométrie variable selon les thématiques, en apportant des réponses adaptées aux communes concernées, comme le regroupement de communes (compétences et financement) pour collaborer sur les déchets. À part les fusions communales qui sont encouragées, il s'agit de ne pas ajouter de couche administrative supplémentaire. La même approche vaut pour les espaces de collaboration transfrontaliers (entre cantons et avec l'étranger proche). Ont ainsi émergé ces dernières années des niveaux « fonctionnels » d'organisation, de développement et de planification (exemple des quatre cantons organisés au sein de « l'arc jurassien », arc jurassien.ch) sous la forme d'une structure juridique associative. Des « programmes d'agglomération » ont été montés pour inciter à la planification des lieux de travail et faire le lien avec les territoires alentour. De leur côté, les grandes villes Bâle, Berne, Genève, Lausanne, Zurich (auxquelles il faut ajouter SaintGall pour compléter le sillon métropolitain) mettent en avant des contraintes spécifiques (besoin en assainissement, nouvelles lignes de tram...) nécessitant des programmes complémentaires. Les problèmes sociaux spécifiques aux grandes villes sont compensés par des contributions nationales pour charges socio-démographiques. 234 Soit 4,4 M. Mutations économiques et développement des territoires Page 165/170 Rapport n° 012274-01 PUBLIÉ La crise de 2008 a conduit à une concentration des services bancaires dans les villes, et à un retrait de l'espace rural. Aujourd'hui le pouvoir décisionnel pour les emprunts bancaires n'est de ce fait plus situé au sein des cantons, et ceci alors que la banque postale ne peut plus distribuer de crédits et que les banques cantonales ont été privatisées (seules les banques appartenant au groupe de coopératives « Raiffeisen » restent décentralisées et indépendantes). La confédération n'a pas le droit d'interférer avec les principes du marché, et une « politique industrielle » confédérale reste taboue. Le travail se fait par la coordination entre départements ministériels, l'action des syndicats professionnels et un certain nombre de politiques sectorielles (du type tourisme...). Zurich, renouvellement d'un ancien quartier industriel central (Escher Wyss) Les ateliers de la Haute école d'art et de design de Zurich donnent de plain-pied sur la rue « PULS 5 », ancienne fonderie transformée en vaste centre de loisirs et de services Enseignements pour la mission · L'atout que représente un réseau de transports publics bien articulé (ferroviaire / routier) porté par le niveau national (notamment du fait du financement fédéral) est tout à fait considérable. Il constitue un soutien au développement économique, avec la constitution de grands bassins d'emplois effectifs sans les inconvénients d'une concentration excessive de population, tout en maintenant un modèle de développement durable, multipolaire et équilibré, avec une desserte de qualité assurée en transports publics pour tout le territoire. L'existence d'un document d'orientation au niveau fédéral, le « projet de territoire suisse », document stratégique offrant une vision du modèle de développement que souhaite le pays, élaboré conjointement (dans l'esprit du « consensus suisse ») et devenu une référence partagée par les cantons et l'ensemble des parties prenantes est essentielle. Ce projet sert de cadre pour asseoir les grandes politiques fédérales, la péréquation financière, et l'intervention de toutes les parties prenantes (en s'assurant qu'elles vont dans le même sens) ; Un système de planification articulé entre les 4 niveaux territoriaux (fédéral/cantonal/ « régional »/communal) et concerté (en particulier avec les niveaux inférieurs) apparaît comme très efficace. Il suppose une déclinaison qui traduise (sans nécessairement de rapport de compatibilité) et qui assure les objectifs communs de non-consommation d'espace, ainsi que l'inscription de la Suisse dans les grandes politiques et les grands programmes de recherche et de développement transfrontaliers portés par l'Union européenne. · · Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 166/170 PUBLIÉ · Les territoires s'appuient sur la valorisation de leurs atouts (paysages, maintien des espaces naturels, forte identité territoriale, qualité de vie et aménités) qui contiennent souvent une composante économique... (Exemple de l'utilisation de l'esthétique des plaques photovoltaïques pour la mise en valeur du paysage villageois à Neuchâtel). Ils font jouer ces atouts de façon différente selon les cycles économiques, en trouvant des logiques de complémentarité avec leurs voisins, par exemple dans le cadre d'une alternance dans le temps entre des positionnements plutôt économiques ou plutôt résidentiels, au sein de micro régions (ex. d'Yverdon et de sa montagne) ou au sein de plus vastes territoires, par exemple dans le lien arc jurassien / arc alémanique. La permanence d'un système de formation mixte (à 60 % technique) : en complément du système universitaire et des écoles polytechniques, les traditionnelles « Hautes Écoles » offrent une formation supérieure de nature technique et professionnelle dans tous les domaines. Il s'agit d'instituts renommés, porteurs d'innovation industrielle, liés aux entreprises (y compris PME) et aux acteurs économiques, qui reposent sur un maillage reflétant les spécificités industrielles des territoires. Une logique de clusters bien développée, avec de fortes démarches collaboratives publicprivé opérant à des échelles de proximité. L'appui sur les Hautes Écoles (leurs étudiants, leurs enseignants et chercheurs) avec la constitution de véritables sites de recherche appliquée en milieu urbain et de transfert de technologie à caractère industriel (ex. de Zurich et de Fribourg), permet une mise à disposition de la recherche publique, avec le soutien direct de programmes européens. · · Fiche : Les zones d'activités et la zone «Y PARK » à Yverdon (Nord vaudois) Y Park, zone d'activité la plus grande de Suisse, accueille 1 600 emplois et 150 entreprises, dont des incubateurs (que les entreprises ne veulent plus quitter). La ville d'Yverdon et un établissement cantonal d'assurance, entreprise semi-privée déjà propriétaire d'une partie des terrains, sont à l'origine du projet. L'association pour le développement du Nord Vaudois est partie prenante, et fait le lien avec le niveau « politique » cantonal. La structure Y Park est chargée du démarchage pour les services communs, de l'animation et du lobbying pour le site ainsi que de l'élaboration du plan de mobilité. À l'origine, il s'agit d'un pôle technologique centré sur l'innovation et s'inscrivant dans le cluster de l'alimentation Orbe Chalonnais ainsi que dans un pôle logistique (transfert route­rail et dédouanement). Mais le profil s'est émoussé, devenu plus généraliste du fait de la raréfaction des terrains pour les activités industrielles et artisanales locales cherchant à étendre leur activité. Sur le canton de Vaud, les projets de nouvelles zones qui empiéteraient sur des zones agricoles sont soumis à obligation de vérification qu'on ne peut faire l'équivalent dans un rayon de 15 km sans faire appel à des zones agricoles. Les débats sur l'extension des zones sont donc très longs, avec un risque de départ vers des cantons plus accommodants dans l'application de ce principe (pourtant national). Le secteur comprend aussi un petit technopôle consacré aux énergies renouvelables (avec la même difficulté de rester sur le concept initial dans une situation de pénurie d'offre...), et un autre où la Haute Ecole a implanté un institut aux technologies de la soudure, une compétence à relier à la micro-mécanique. Le canton se positionne comme partenaire des stratégies d'entreprises : les services de promotion économiques cantonaux sont présents dans la gouvernance sur les sites de développement économique. 6.4. Rapport de parangonnage Voir fascicule séparé. Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 167/170 PUBLIÉ 7. Glossaire des sigles et acronymes Acronyme ANCT CCI CGCT DGF DIRECCTE DREAL DTT EPA EPCI EPF EPL EnR ESS ETI Loi MAPTAM Loi NOTRe MCTRCT MEF MT MTES MTEFPDS OIT PETR PLU(i) PME/TPE Signification Agence nationale pour la cohésion des territoires Chambre de commerce et d'industrie Code général des collectivités territoriales Dotation globale de fonctionnement Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement Direction départementale des territoires Établissement public d'aménagement Établissement public de coopération intercommunale Établissement public foncier Entreprise publique locale Énergies renouvelables Économie sociale et solidaire Entreprise de taille intermédiaire Loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles Loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République Ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales Ministère de l'économie et des finances Ministère chargé des transports Ministère de la transition écologique et solidaire Ministère du travail de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social Organisation internationale du travail Pôle d'équilibre territorial et rural Plan local d'urbanisme (intercommunal) Petite et moyenne entreprise / Très petite entreprise Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 168/170 PUBLIÉ Acronyme SCoT SRADDET SEM SRDEII ZAE Schéma de cohérence territoriale Signification Schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires Société d'économie mixte Schéma régional de développement économique, d'innovation et d'internationalisation Zone d'activité économique Rapport n° 012274-01 Mutations économiques et développement des territoires Page 169/170 PUBLIÉ Site internet du CGEDD : « Les derniers rapports » PUBLIÉ INVALIDE)

puce  Accés à la notice sur le site du portail documentaire du Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires

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