Approche (l') paysagère accélératrice de la transition agro-écologique
THIBAULT, Jean-Pierre ;MICHEL, Dominique ;RUIZ, José ;ROCQ, Sylvie
Auteur moral
France. Conseil général de l'environnement et du développement durable
;France. Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux
Auteur secondaire
Résumé
Depuis les années 1960, on constate une évolution majeure du paysage en France : en 30 ans, disparition de 500 000 km de haies et multiplication par 2 de la taille des parcelles en une quinzaine d'années. Cette situation s'accompagne d'une érosion des indicateurs écologiques. Or, les terres cultivées et la forêt occupent les quatre cinquièmes du territoire français (50 % pour l'agriculture et 30 % pour la forêt). Les enjeux économiques, sociaux et écologiques qui s'attachent à ces espaces ont justifié cette mission visant à la définition « d'outils de politique agro-sylvo-paysagères ». La mission a caractérisé d'une part les évolutions de la politique du paysage et d'autre part les inflexions des politiques publiques agricoles et forestières débouchant sur le projet agro-écologique affirmé dans la «loi d'avenir pour l'agriculture et la forêt » de 2014. Après avoir défini les démarches agro-écologique et paysagère, le rapport met en évidence le lien indissociable entre ces deux démarches. Il étudie alors l'inflexion ou la mise en place des outils de politiques publiques, mettant en avant l'approche paysagère comme facilitatrice de cette transition et devant être guidés par trois principes : la prise en compte affirmée des liens humains entre agriculteurs, forestiers et autres acteurs du territoire ; un ancrage territorial intégrant les spécificités locales, que ce soit dans le domaine agronomique, géographique, économique ou en termes de gouvernance ; une démarche de projet ascendant élaborée par les acteurs des territoires pour favoriser le changement des pratiques et ses conséquences sur le paysage. Le rapport décline ensuite ces principes en termes opérationnels en distinguant quatre familles d'outils : l'accompagnement et la formation des acteurs ; la certification des activités productives; la gestion du foncier et la planification territoriale, en privilégiant dans ce domaine les outils porteurs d'une démarche de projet. Le rapport propose, en dernier lieu, d'illustrer les grands axes et les inflexions de politique publique au moyen de projets démonstrateurs identifiés à l'occasion d'un appel national à manifestation d'intérêt. Le ministère en charge de la transition agro-écologique pourrait en confier la réalisation à l'un des rares réseaux d'ingénierie implantés dans le monde rural que sont les Conseils d'architecture, d'urbanisme et d'environnement en liaison avec les chambres d'agriculture.
Editeur
CGEDD
;CGAAER
Descripteur Urbamet
paysage
;paysage rural
;agriculture
;forêt
;évolution
;politique publique
;évaluation des politiques publiques
;transition écologique
Descripteur écoplanete
politique agricole
;politique du paysage
;politique forestière
Thème
Environnement - Paysage
Texte intégral
MINISTÈRE DE LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE ET SOLIDAIRE
MINISTÈRE DE L'AGRICULTURE ET DE L'ALIMENTATION
Conseil général de l'environnement et du développement durable
Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux
n°012342-01
n° 18085
L'approche paysagère
accélératrice de la transition agro-écologique
B
Établi par
Architecte-urbaniste en chef de l'État
U
José Ruiz
Dominique Michel
Ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts
P
LI
Février 2020
Ingénieure générale des ponts, des eaux et des forêts
É
Sylvie Rocq Jean-Pierre Thibault
Inspecteur général de l'administration du développement durable
Illustration couverture : La ferme du Vernand - Ph. Rémi Janin - FABRIQUE architectures-paysages
PUBLIÉ
SOMMAIRE
Résumé ............................................................................................................................... 5 Liste des recommandations ................................................................................................. 8 Introduction ........................................................................................................................ 10 1.1. Les conséquences socio-économiques des politiques agricoles des Trente Glorieuses (1950-1980) .................................................................................. 11 Le modèle agricole de la PAC de 1962 .................................................... 11 Le malaise agricole qui en découle .......................................................... 11 L'évolution « en contrepoint » de la forêt .................................................. 12
1.1.1. 1.1.2. 1.1.3. 1.2.
La montée en puissance du concept de paysage et de la démarche paysagère (1980-2000) .................................................................................................... 13 Paysage, quelques définitions .................................................................. 13 Genèse et évolution des politiques paysagères et agricoles .................... 14
1.2.1. 1.2.2. 1.3.
L'affirmation de l'agro-écologie et de la « forêt durable » dans les années 2000 ................................................................................................................ 15 La politique agro-écologique .................................................................... 16 Les conséquences paysagères potentielles de l'agro-écologie ................ 18 La forêt durable, dans la loi d'orientation forestière de 2001 .................... 20
1.3.1. 1.3.2. 1.3.3. 2.1.
Du paysage à la démarche paysagère : penser le territoire agricole et forestier ........................................................................................................... 22 La démarche paysagère ........................................................................... 22 Projet de paysage-projet agricole ............................................................. 23
2.1.1. 2.1.2. 2.2. 2.3. 3.1.
Quelques illustrations...................................................................................... 26 Convergence et complémentarité ................................................................... 28 Accompagner et former les acteurs ................................................................ 31 Accompagnement des agriculteurs et des territoires ................................ 31 La formation initiale et continue des agriculteurs, des forestiers, des urbanistes, paysagistes et agronomes ..................................................... 36 Le paysage dans l'accompagnement financier de la transition agroécologique : analyse de la PAC actuelle 2014-2020 et proposition pour la future PAC post 2021-2027 ...................................................................... 39 Labels et signes de qualité et d'origine..................................................... 43 La certification environnementale ............................................................. 46
3.1.1. 3.1.2. 3.1.3.
3.2.
Certifier les produits et les activités agricoles ................................................. 43
3.2.1. 3.2.2. 3.3.
Promouvoir les modes de gestion coordonnée du foncier .............................. 47
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3.4.
Traduire dans l'espace les projets agro-sylvo-paysagers ............................... 49 Les périmètres de protection et de mise en valeur des espaces agricoles et naturels périurbains (PAEN) ................................................................. 49 Les projets alimentaires territoriaux et les schémas de cohérence territoriale. ................................................................................................ 50 Les chartes forestières de territoire .......................................................... 53 Les chartes de parcs naturels régionaux .................................................. 55 Les plans de paysage............................................................................... 57
3.4.1. 3.4.2. 3.4.3. 3.4.4. 3.4.5. 3.5.
Susciter ou reconnaître des projets démonstrateurs ...................................... 59
Conclusion ......................................................................................................................... 62 Annexes ............................................................................................................................. 64
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RESUME
Depuis les années 1960, on constate une évolution majeure du paysage en France : en 30 ans, disparition de 500 000 km de haies et multiplication par 2 de la taille des parcelles en une quinzaine d'années. Par ailleurs, 70% des haies présentes au début du 20ème siècle ont disparu, tout comme 37 000 ha de bosquets entre 2006 et 2014. De 1947 à 1970, on estime que 50% de l'augmentation de la surface forestière est « naturelle » suite à la déprise agricole et 50% vient de reboisements « actifs ». Le paysage change « en silence ». Cette situation s'accompagne d'une érosion des indicateurs écologiques. Or, les terres cultivées et la forêt occupent les quatre cinquièmes du territoire français (50 % pour l'agriculture et 30 % pour la forêt). Les enjeux économiques, sociaux et écologiques qui s'attachent à ces espaces ont justifié une commande conjointe des ministres chargés de l'agriculture et de l'environnement à leurs conseils généraux visant à la définition « d'outils de politique agro-sylvopaysagères ». Aujourd'hui la société attend beaucoup de ses agriculteurs et de ses forestiers en termes d'environnement et de cadre de vie. Selon UFC Que choisir (mai 2019), « La préservation d'écosystèmes et de paysages ruraux de qualité est un impératif reconnu comme évident par une part croissante de la population ». En effet, le paysage est ce qui est perçu par la population. C'est un outil de médiation. Ces évolutions ci-dessus évoquées résultent d'un modèle de production et d'organisation très centralisé qui s'est mis en place en trente ans à l'échelle européenne et française, dans les conditions de pénurie alimentaire et de faible boisement qui étaient celles du territoire national en 1945. Le rapport en expose les caractéristiques et les conséquences en termes socio-économiques pour le monde agricole, mais aussi les conséquences paysagères : tendance à l'uniformisation des caractères régionaux avec une forte diminution des éléments ou des structures paysagères, notamment arborées. Une inflexion du modèle se manifeste dès la fin des années 1980 avec les premières demandes environnementales. La réforme de la politique agricole commune européenne remplace en 1992 les prix garantis par des paiements directs puis, en 1999, rémunère les pratiques favorables aux milieux naturels. Dans le même temps la politique paysagère quitte l'exclusivité des paysages d'exception (les sites classés) pour s'intéresser aux paysages du quotidien. La « loi paysage » de 1993 officialise cette évolution un an à peine après la réforme de la politique agricole commune. La « loi d'avenir pour l'agriculture et la forêt » de 2014 affirme le double défi économique et environnemental qui doit être celui de l'agro-écologie. Les conséquences paysagères en sont potentiellement majeures. Après avoir défini les démarches agro-écologique et paysagère et analysé leurs liens de synergie et de complémentarité, le rapport met en évidence le lien indissociable entre ces deux démarches. Il étudie alors l'inflexion ou la mise en place des outils de politiques publiques mettant en avant l'approche paysagère comme facilitatrice de cette transition.
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L'évolution ou la mise en place de ces outils doivent être guidés par trois principes : 1. La prise en compte affirmée des liens humains entre agriculteurs, forestiers et autres acteurs du territoire ; 2. Un ancrage territorial intégrant les spécificités locales, que ce soit dans le domaine agronomique, géographique, économique ou en termes de gouvernance ; 3. Une démarche de projet ascendant élaborée par les acteurs des territoires pour favoriser le changement des pratiques et ses conséquences sur le paysage. Le rapport décline ensuite ces principes en termes opérationnels en distinguant quatre familles d'outils : L'accompagnement et la formation des acteurs ; il s'agit d'introduire la démarche paysagère à la double échelle de l'exploitation agricole et du territoire environnant. Pour ce faire, il est proposé : D'inscrire cet objectif de politique publique dans la rédaction du contrat d'objectif et de performances de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture et du Programme national de développement agricole et rural 2017-2021 ; De faire intervenir des paysagistes-concepteurs au sein des services déconcentrés de l'État et des organismes de développement agricole et forestier ; De mettre en place des formations croisées entre l'enseignement agricole et celui des paysages ; De renforcer l'intérêt agro-écologique et paysager de la prochaine PAC (politique agricole commune) : (i) en renforçant l'efficacité de l'éco-conditionnalité via la BCAE 7 (bonne condition agro-environnementale relative aux haies), (ii) en localisant de manière pertinente les SIE (surfaces d'intérêt écologique actuellement dans le paiement vert) en lien notamment avec la certification environnementale, (iii) en rémunérant les services environnementaux rendus par l'agriculture via le projet d'eco-scheme notamment les services de captation du carbone et de préservation de la biodiversité, (iiii) en soutenant via les futures MAEC (mesures agro-environnementales et climatiques) les projets collectifs de création et d'entretien de structures agropaysagères.
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La certification des activités productives : il est proposé d'élargir la gouvernance des comités nationaux de l'Institut national de l'origine et de la qualité aux organismes non gouvernementaux et amplifier massivement la certification environnementale. La gestion du foncier : il est proposé de valoriser les retours d'expérience sur les outils favorisant des démarches collectives tels que les associations foncières agricoles, les baux environnementaux, les obligations réelles environnementales, la mise en commun d'assolements... La planification territoriale, en privilégiant dans ce domaine les outils porteurs d'une démarche de projet :
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Les périmètres de protection des espaces naturels et agricoles périurbains nécessiteraient d'être étendus aux territoires ruraux menacés par le mitage ; Les schémas de cohérence territoriale devraient intégrer la fonction d'approvisionnement et ses conséquences spatiales par le biais de projets alimentaires territoriaux ; L'établissement de chartes forestières de territoire serait plus efficace si ces dernières partaient d'une approche paysagère ; Les espaces agricoles et forestiers dans les chartes des parcs naturels régionaux devraient être localisés et faire l'objet d'un projet agro-paysager et sylvo-paysager ; Les appels à projet « plans de paysage » du ministère de la transition écologique et solidaire, outils spécifiquement dédiés à la qualité paysagère, pourraient être ciblés, selon les années, sur les démarches paysagères agricoles et forestières à mener dans les territoires ruraux ou périurbains.
Le rapport propose, en dernier lieu, d'illustrer les grands axes et les inflexions de politique publique qu'il propose, au moyen de projets démonstrateurs identifiés à l'occasion d'un appel national à manifestation d'intérêt. Le ministère en charge de la transition agro-écologique pourrait en confier la réalisation à l'un des rares réseaux d'ingénierie implantés dans le monde rural que sont les Conseils d'architecture, d'urbanisme et d'environnement en liaison avec les chambres d'agriculture.
Mots clés : agro-écologie paysage unités paysagères territoire accompagnement formation foncier - PAC
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LISTE DES RECOMMANDATIONS
L'ensemble des recommandations s'appuie sur les trois principes suivants : 1. La prise en compte affirmée des liens humains entre agriculteurs, forestiers et autres acteurs du territoire ; 2. Un ancrage territorial intégrant les spécificités locales, que ce soit dans le domaine agronomique, sylvicole, géographique, économique ou en termes de gouvernance ; 3. Une démarche de projet ascendant élaborée par les acteurs de ces territoires pour favoriser le changement des pratiques et de leurs conséquences sur le paysage. R1.En matière d'accompagnement des agriculteurs, lier de manière explicite agro-écologie et paysage notamment dans les contrats d'objectif et de performance de l'APCA et dans le PNDAR, intégrer des paysagistes dans des postes d'ingénieurs territoriaux (paysagistesconcepteurs) ou en DRAAF (paysagiste-conseils), et en matière de formation, rendre obligatoire dans les cursus respectifs des métiers de l'agriculture et du paysage une période minimale de formation croisée. R2.Construire la PAC post 2020 afin qu'elle favorise la création, le maintien et l'entretien de structures paysagères via (i) l'éco-conditionnalité (améliorer l'actuelle BCAE 7), (ii) leur localisation à des fins agro-écologiques, (iii) la rémunération des agriculteurs par des paiements pour services environnementaux ou des mesures agro-environnementales et climatiques. R3.Elargir la gouvernance des comités nationaux de l'INAO aux ONG environnementales. Accélérer la certification HVE et renforcer son impact agro-écologique et paysager par exemple par une localisation pertinente des infrastructures agro-écologiques (IAE). R4.Valoriser les retours d'expérience et promouvoir, en lien avec les collectivités, les outils tels que Associations foncières agricoles (AFA), baux à clauses environnementales (BCE), obligations réelles environnementales (ORE) et mise en commun d'assolement. R5. Introduire des sous-zonages dans les PAEN en les assortissant d'un programme d'actions établi selon la démarche paysagère et en faveur de la transition agro-écologique. Etudier une modification législative faisant du PAT, une fois celui-ci labellisé, un document annexé au(x) SCoT et définir dans ces derniers les structures paysagères à vocation de production agricole et forestière qui permettent l'optimisation de cette production. R.6 Promouvoir l'approche paysagère dans l'écriture concertée des chartes forestières de territoires; favoriser la constitution des groupements d'intérêts économiques et écologiques forestiers (GIEEF) ; étudier l'allègement des procédures relatives au défrichement quand celui-ci est effectué en vue d'une réouverture du paysage par le pastoralisme. Intégrer dans les chartes de PNR le périmètre des territoires agricoles et forestiers, et les doter d'un projet agro-sylvo-paysager de territoire en transition agro-écologique. Cibler le prochain appel à projets annuel des plans de paysage sur la thématique du paysage agricole en transition agro-écologique et forêt durable.
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R7. Lancer en partenariat avec le réseau des CAUE et avec l'appui de l'APCA un appel à manifestation d'intérêt sur « la transition agro-écologique par l'approche paysagère » qui permettrait de recenser et de promouvoir des initiatives ayant valeur démonstrative de la vertu facilitatrice de l'approche paysagère dans ce processus de transition.
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INTRODUCTION
Le ministre d'État, ministre de la Transition écologique et solidaire, et le ministre de l'Agriculture et de l'alimentation ont signé le 5 juin 2018 une lettre de mission intitulée « Définir des outils de politique agro-sylvo-paysagère » visant à « formuler des propositions concrètes en matière de politiques publiques et d'outils à mobiliser ou à concevoir en faveur de la démarche paysagère au bénéfice de l'agriculture et de la forêt ». Le présent rapport analyse l'évolution de la prise en compte du paysage dans les politiques agricole et forestière et des outils de politique publique concernés. Il propose des améliorations de ces outils. La question paysagère agricole et forestière devient en effet un enjeu important dans le contexte de la redéfinition en cours de la politique agricole commune (PAC) post 2020 et des services que l'agriculture et la forêt pourraient rendre notamment dans ce domaine. Après plus d'un demi-siècle qui a vu une transformation technique, économique, sociale, mais aussi spatiale sans précédent des campagnes, les attentes sont devenues plus complexes : il s'agit toujours de nourrir nos concitoyens, mais avec des produits dont la qualité sanitaire et gustative a pris le pas sur la quantité brute de l'approvisionnement. Il s'agit aussi de répondre aux exigences environnementales - qualité de l'eau, prévention des risques, préservation des milieux naturel - qui n'ont cessé de monter en puissance depuis plusieurs décennies. Il s'agit enfin de fournir aux citadins, qui, désormais, résident de plus en plus en milieu rural, un cadre de vie de qualité et, aux touristes, une diversité préservée de ces terroirs patrimoniaux qui font la réputation de la France. Le paysage est en effet souvent la première perception sensible d'un territoire, plus facilement appréhendable que les autres enjeux tels la biodiversité, la gestion de l'eau ou la prévention des risques naturels1. L'importance des enjeux paysagers a beaucoup évolué au cours de l'histoire de l'agriculture et de la forêt en fonction des objectifs fixés par les politiques agricoles et forestières. Le présent rapport analyse la genèse et l'évolution de ces politiques agricole, forestière et paysagère et notamment les croisements entre ces politiques : comment les politiques agricole et forestière ont-elles pu impacter le paysage et comment la politique paysagère s'est-elle intéressée aux espaces ruraux. De moins en moins nombreux, de plus en plus critiqués, les agriculteurs français prennent conscience d'être à la fin d'un cycle. L'agro-écologie ouvre de nouvelles perspectives en réintroduisant l'agronomie et la valorisation des équilibres biologiques et des ressources naturelles au service de l'agriculture. Le rapport analyse l'impact du développement de la démarche agro-écologique sur le paysage agricole et comment, réciproquement, une « démarche paysagère » peut favoriser le développement de l'agro-écologie. Il étudie les outils de politique publique existants qui favorisent cette approche paysagère dans les milieux agricole et forestier et en propose des améliorations. Les évolutions des politiques agricoles et sylvicoles ont connu un certain parallélisme, avec toutefois deux différences notables : d'une part, l'échelle de temps chez les forestiers est nettement plus longue que celle des agriculteurs ; d'autre part les modifications paysagères suite à la coupe d'arbres sont plus « traumatisantes » car visibles, mais font partie intégrante de la gestion forestière ; alors qu'en agriculture, les modifications paysagères sont lentes, diffuses et modifient durablement les paysages.
1 Ces attentes sociétales vis-à-vis de l'agriculture et de la forêt, qui constituent le contexte du rapport sont approfondies en annexe 4.
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1. GENESE ET EVOLUTION DES POLITIQUES AGRICOLE, FORESTIERE ET
PAYSAGERE
La situation actuelle de l'agriculture est la résultante d'un processus évolutif qui remonte aux années 1950, avec la création de la PAC dans le contexte de l'après-guerre. Un bref historique permet de replacer la problématique agricole actuelle dans son contexte et ainsi prendre en considération les forces en présence, tant sociologiques et politiques qu'économiques. Pour ce faire, la mission s'appuie plus particulièrement sur les travaux de Bertrand Hervieu 2 et de Raphaël Larrère 3 qui mettent en évidence une inflexion majeure de ce modèle dans les années 1990.
1.1. Les conséquences socio-économiques des politiques agricoles des Trente Glorieuses (1950-1980)
Le modèle agricole mis en oeuvre à partir des années 1950 a des conséquences décisives en matière de sociologie rurale.
1.1.1. Le modèle agricole de la PAC de 1962
Ce modèle est celui de l'intensification, de la spécialisation et de l'organisation des exploitations en « ateliers » autonomes. La mécanisation et son corollaire le remembrement qui a été très important dans l'ouest de la France, modifie le paysage en particulier par ses effets sur les structures arborées, la taille des parcelles et l'abandon des terres non mécanisables, engendrant une « déprise » spectaculaire dans certains territoires. En effet, l'agriculture après la Seconde Guerre mondiale passe d'un système autonome de polyculture élevage à un système imposé : l'Etat organise le développement d'une agriculture permettant d'assurer la sécurité alimentaire à des prix raisonnables pour le consommateur4. Ceci se concrétise par la mise en place d'une organisation commune des marchés réglementant ces derniers (gestion commune des prix à l'intérieur de l'Europe et taxes douanières envers les pays tiers) et, en France, par la mise en place d'un processus généralisé de modernisation des exploitations. Celui-ci s'appuie sur le syndicalisme agricole, les chambres d'agriculture, le mouvement coopératif et les services de l'État, selon un modèle unique et descendant, porté par tous les échelons de la filière agricole ; il englobe la formation, l'action foncière, les financements et le conseil aux agriculteurs. L'évolution des occupations du sol est liée à celle des systèmes de production, marquée depuis les années 1970 par la politique agricole commune, à l'origine d'une spécialisation des territoires et des assolements autour d'un nombre limité de productions. Entre 1970 et 2010, cette évolution se caractérise par une régression des surfaces toujours en herbe de 41 à 34 % et un fort agrandissement de la taille moyenne des exploitations de 19 à 55 hectares. Au sein même des surfaces cultivées, cette période est marquée par la simplification des rotations culturales liée à la réduction du nombre d'espèces cultivées5.
1.1.2. Le malaise agricole qui en découle
Bertrand Hervieu analyse le malaise agricole, comme un contexte délicat pour impulser une évolution des pratiques. Il montre en quoi la solution ne peut être uniquement le fait du « monde
2 3 4 5 Sociologue français, spécialiste des questions rurales et agricoles. Ingénieur agronome et sociologue. Selon les termes de l'article 33 du traité de Rome du 25 mars 1957. Evaluation française des écosystèmes et services écosystémiques (EFESE) - 2019.
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agricole » mais se construit à l'échelle du territoire 6. Ce malaise, de plus en plus prégnant, a deux racines : L'isolement : L'isolement géographique et social de la population agricole a commencé il y a plus d'un siècle avec l'exode rural lié à l'industrialisation : le départ des artisans et petites industries a rendu la population rurale essentiellement paysanne. « En diminuant quantitativement, en se simplifiant socialement, le monde rural s'est contracté et fixé » 7 . « En un siècle, les campagnes françaises...vont alors se constituer en ghetto paysan »8 Après la Deuxième Guerre mondiale, un nouvel exode, agricole cette fois, se combine avec l'arrivée progressive d'habitants « non agricoles », ce qui amène Bertrand Hervieu à constater que « les espaces ruraux ne sont plus principalement des espaces dévolus à la production mais qu'ils sont devenus des cadres de vie pour des populations elles-mêmes de plus en plus composites »9. Le « désancrage » : À l'instar de la production industrielle, on a assisté en parallèle à une redistribution territoriale de la production agricole, du fait de l'intégration de l'agriculture française dans l'économie mondiale et des changements dans les techniques agricoles. En 1992, poursuit Bertrand Hervieu, « les 10 principaux départements producteurs, tous situés au nord d'une ligne NantesStrasbourg, produisent autant que les 45 plus petits ». Ce mouvement de concentration, conforté par des systèmes « hors sol », se conjugue avec une forte spécialisation régionale en bassins de production, qui met à mal les spécificités des territoires et donc le lien de la production agricole avec le territoire. Le « paysage agricole » en est fortement modifié. L'urbanisation des campagnes et la dissociation des lieux de vie et de travail, y compris en agriculture - avec l'agrandissement d'exploitations sur des communes voire des départements différents -, mettent à mal les spécificités de la vie rurale, l'agriculture ne pouvant plus jouer un rôle d'antidote « au déménagement du territoire10 ». Certains espaces conjuguent ainsi déprise agricole et déclin démographique. Or les politiques d'aménagement du territoire se sont construites autour de la question agricole, en opposant « ville et campagne ». Bertrand Hervieu propose donc que soit menée une révision des perspectives dans l'aménagement du territoire et une définition, déclinée par territoire, d'objectifs nouveaux pour l'agriculture.
1.1.3. L'évolution « en contrepoint » de la forêt
Au sortir de la guerre, la forêt française n'échappe pas à cette prévalence de la fonction productive (bois et pâte à papier) qui a marqué l'évolution socio-économique agricole qu'on vient de décrire : succédant à une déforestation tendancielle qui a marqué le paysage pendant plus d'un siècle 11, les interventions du Fonds forestier national (FFN) sont établies sur le nombre d'hectares reboisés, depuis sa création en 1947.
6 Entretien du 11 décembre 2018. 7 Philippe Ariès, Histoire des populations françaises et de leur attitude devant la vie depuis le XVIII° siècle, Paris, Seuil, 1971. 8 Bertrand Hervieu, Les champs du futur, éditions Julliard, 1994 9 Id., ibid 10 Id., ibid 11 Les photos du fonds « restauration des terrains en montagne » (RTM) comparées aux vues contemporaines des mêmes sites sont très éclairantes à cet égard. Voir la revue « Pages Paysages » N° 199
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Ce dispositif cible aussi, de manière explicite « le reboisement des terres abandonnées, notamment dans les régions où les progrès de l'agriculture et de l'élevage ont permis de concentrer l'effort du cultivateur sur les terres les plus riches » et prévoit même « la plantation de peuplier, essence à croissance rapide, dans les prairies abandonnées des fonds de vallée, le long des cours d'eau et même des chemins et des champs » 12. Cette politique « verticale » de reboisement fait le plus souvent appel à une seule espèce d'arbres. Elle a aussi des effets indirects avec notamment des pistes d'exploitation surdimensionnées qui succèdent, en montagne, aux évacuations des grumes par câblage. Elle a pour principale conséquence, en totale cohérence avec l'exploitation agricole intensive des plaines, la fermeture des vallées des massifs de moyenne ou haute montagne, qui accompagne le retrait des activités agricoles. « La forêt a repris ses droits là où la population désertait. En occupant 27% du territoire, sa superficie a presque doublé depuis le milieu du 20e siècle. La France est coupée en deux. Au sud-est d'une ligne Bordeaux-Strasbourg, la forêt occupe plus du tiers de la surface. Au nord, elle devient de plus en plus rare, jusqu'à représenter moins de 4% dans le Cotentin, pourtant très rural. La grande culture domine dans le Bassin parisien et les herbages à l'ouest »13. De 1947 à 1970, on estime que 50% de l'augmentation de la surface forestière est « naturelle » suite à la déprise agricole et 50% vient de reboisements « actifs ».
1.2. La montée en puissance du concept de paysage et de la démarche paysagère (1980-2000)
Au cours des années 1950-1970, l'évolution des paysages a été marquée par des politiques d'aménagement du territoire très volontaristes (infrastructures autoroutières, lignes de transport d'énergie, barrages hydrauliques, grands ensembles, remembrements fonciers). Cette évolution a amené à une forte prise de conscience sociétale des transformations du cadre de vie. Alors que jusqu'aux années 1980, les politiques publiques du paysage sont essentiellement des politiques de protection de sites remarquables, la prise en compte du paysage du quotidien va apparaitre à partir des années 1990. La vision culturelle du paysage, qui porte l'idée de conservation, s'ouvre alors à la notion de paysage comme lieu de projet.
1.2.1. Paysage, quelques définitions
Une définition courante du paysage le présente comme étant « une partie d'un pays que la nature présente à un observateur 14 », donc une étendue qui s'offre au regard, une réalité géographique concrète que l'on peut analyser de façon objective. La Convention européenne du paysage15 (CEP) propose une définition officielle, reprise dans la loi française16, du paysage comme « une partie de territoire telle que perçue par les populations dont le caractère résulte de l'action de facteurs naturels ou humains et de leurs interrelations dynamiques ». « Partie de territoire » renvoie au caractère géographique et physique du paysage
12 Jean de Vaissière « Principes de base du FFN » paru dans la « Revue forestière française » N° 9, 1952, pp 529 et ss 13 Hervé Le Bras La France à la carte - revue Zadig n°2 juin 2019 14 Dictionnaire le Robert. 15 En 2000, la CEP incite les États membres à mettre en oeuvre des politiques visant à des mesures en vue de la protection, la gestion ou l'aménagement du paysage. 16 Article L350-1 A du code de l'environnement, avec la ratification par la France de la CEP en 2005 et son inscription dans la loi sur la biodiversité de 2016.
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et à ses structures (relief, hydrographie, organisations végétales), « Perçu », à l'approche sensible du paysage (paysage ouvert, panorama, éléments paysagers caractéristiques), « Par les populations », à la dimension culturelle du paysage, au partage de ce qui est commun. Dans son préambule, la CEP définit le paysage comme composante essentielle du cadre de vie, et vecteur du développement durable en tant qu'« élément important de la qualité de vie des populations, dans les milieux urbains et dans les campagnes, dans les territoires dégradés comme dans ceux de grande qualité, dans les espaces remarquables comme dans ceux du quotidien ». Parce que le paysage est un « capital commun », sa protection, sa gestion et son aménagement impliquent des droits et des responsabilités pour chacun. De plus, la CEP introduit, avec la notion de « partie de territoire perçue par les populations », un registre subjectif qui complète l'objectivité des caractéristiques physiques du paysage, en renvoyant à une « subjectivité partagée ». Différentes disciplines ont intégré le paysage dans le champ de leurs recherches et de leurs activités agronomie, écologie, philosophie, sociologie, urbanisme et bien sûr architecture du paysage , prenant la suite des géographes qui, dès la fin du 19ème siècle, avaient produit un classement raisonné de types de paysages, notamment agraires (annexe 5-1). Lorsque ces disciplines se croisent, elles enrichissent l'analyse du paysage et nourrissent les politiques publiques oeuvrant pour sa protection, sa caractérisation 17 , sa gestion et son aménagement : « Le paysage est une façon d'intégrer différentes disciplines sectorielles et d'avoir un regard transversal, intégrateur, approche indispensable pour réfléchir à l'avenir du territoire 18. »
1.2.2. Genèse et évolution des politiques paysagères et agricoles
Il est utile, pour expliquer l'évolution récente du paysage rural induite par la transformation des techniques agricoles, de revenir au fondement des politiques paysagère et agricole conduites durant le 20e siècle. La loi française s'est d'abord intéressée aux sites exceptionnels, aux paysages pittoresques, avec la protection des sites naturels de 1906, puis avec la loi de 1930, instituant les sites classés et les sites inscrits. Il faut attendre 1993 et la loi paysage pour que le « paysage du quotidien » soit juridiquement pris en compte (annexe 5-2). Côté agriculture (annexe 6), le traité de Rome, signé en 1957, dix ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, va permettre la mise en place de la première politique européenne, suivie des lois françaises d'orientation agricole en 1960 et 1962. La mécanisation et l'utilisation intense des intrants, couplées à la dissociation de la culture et de l'élevage et à la spécialisation des exploitations agricoles, modifient fortement les techniques agricoles. Résultant de projets sans vision spatiale prospective, le paysage rural a connu des transformations sans précédent, liées au mode de développement industriel des Trente Glorieuses, avec un modèle unique appliqué à des territoires sans tenir compte de leurs spécificités spatiales et culturales. Un phénomène d'évolution du même ordre est observable avec les paysages urbains, qui subissent, à la même époque, le principe du zonage urbain dans le cadre de la Reconstruction. Apparaissent
17 « On entend par caractérisation, l'étude et la mise en évidence des structures paysagères et des éléments de paysage qui permettent de caractériser une unité paysagère » - Les Atlas de Paysages Méthode pour l'identification, la caractérisation et la qualification des paysages - Ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie (2015). 18 Paul Delduc, directeur général de l'aménagement, du logement et de la nature (DGALN) - Conclusion du colloque des rencontres européennes 2018 - Territoires de l'après-pétrole, l'atout du paysage.
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ainsi, à la fin des années 1980, les premiers défenseurs de la qualité du cadre de vie et du développement local, le local étant l'échelle de reconnaissance d'une identité territoriale. Le paysage devient alors, avec le tourisme, une ressource à part entière pour un développement territorialisé. À partir des années 1990, une convergence progressive des politiques agricoles et des politiques du paysage se met en place, après trente ans d'évolution peu qualitative des paysages urbains et ruraux. Au même moment, en 1992, la politique agricole commune (PAC) amorce un tournant avec une réforme qui commence à prendre en compte le concept de développement durable. Le schéma ci-dessous illustre cette inflexion simultanée des politiques paysagères et agricoles à partir de la fin des années 1980.
Inflexion des politiques agricoles et paysagères de 1990 à aujourd'hui
À partir de 2000, les politiques publiques relatives au paysage font de celui-ci un thème transversal sollicitant dans son principe les compétences des ministères de l'agriculture, de l'environnement, de l'aménagement du territoire, de la culture, de l'équipement, du tourisme, ce qui rend ainsi possible une démarche croisée entre les divers acteurs du territoire.
1.3. L'affirmation de l'agro-écologie et de la « forêt durable » dans les années 2000
Le projet agro-écologique de 2012 puis la loi d'avenir de 2014 parachèvent l'évolution décrite cidessus en faisant du lien entre l'activité agricole et l'environnement un élément fondateur d'une activité à double finalité économique et écologique, qui porte le nom d'agro-écologie. La PAC 2014Page 15/108
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2020 va également dans ce sens. Les conséquences paysagères en sont potentiellement importantes. Anticipant assez largement sur cette évolution, l'idée de « forêt durable » a émergé dès 2001 dans une loi d'orientation forestière qui marquait, dans ce domaine également, des inflexions significatives.
1.3.1. La politique agro-écologique
Le projet agro-écologique Ce projet lancé le 18 décembre 2012 par Stéphane Le Foll, alors ministre en charge de l'agriculture, vise à concilier la performance économique et la performance environnementale. Il vise à produire autrement en repensant les systèmes de production : c'est un changement des pratiques agricoles, mais c'est aussi une autre façon de penser qui réintroduit du savoir agronomique et valorise les potentialités des écosystèmes au service de l'agriculture. Inversement, l'agriculture peut apporter des services et contribuer à la biodiversité, à la qualité de l'eau, à la fixation du carbone... et constituer ainsi une réponse aux grands défis écologiques. En effet les écosystèmes agricoles français sont porteurs d'une biodiversité riche et dont la diversité et l'abondance ont tendance à diminuer du fait des pratiques agricoles et de la simplification des structures paysagères19. La réduction des surfaces de prairies (semi-) permanentes, de la végétation ligneuse (haies et alignements d'arbres, etc.) et des zones humides, ainsi que l'usage des produits phytosanitaires (insecticides, acaricides, herbicides, nématicides, fongicides) ont entraîné de façon synergique une forte diminution de la biodiversité dans les écosystèmes cultivés, en particulier dans les zones de grandes cultures. Elle suppose de considérer non pas chaque parcelle indépendamment, mais bien l'ensemble de l'exploitation agricole dans une approche globale où les différents éléments sont en synergie. L'agro-écologie vise à accroître la biodiversité fonctionnelle des agrosystèmes, à renforcer les régulations biologiques et à diminuer l'utilisation de produits chimiques de synthèse, enfin à boucler les grands cycles : carbone, azote, phosphore. À noter dans cette démarche, l'importance primordiale du sol, dont on cherche l'optimisation des capacités naturelles par le renforcement de son activité biologique (ce qui met en oeuvre de différentes techniques) ; à noter aussi l'importance des infrastructures paysagères (haies et arbres, points d'eau, délaissés...) qui jouent un rôle majeur dans les équilibres biologiques. Un certain nombre de plans dont « ambition Bio », « plan national agroforesterie », « plan protéines végétales », « apiculture », « plan biodiversité », ou encore « Enseigner à produire autrement », contribuent au projet agro-écologique en s'appuyant sur leurs thématiques propres. La « loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt » du 13 octobre 2014, qui servira de cadre à la mise en oeuvre en France de la PAC 2014-2020, inscrit les orientations de l'agroécologie dans le corpus législatif Elle précise que les systèmes de production agroécologiques « sont fondés sur les interactions biologiques et l'utilisation des services écosystémiques et des potentiels offerts par les ressources naturelles, en particulier les ressources en eau, la biodiversité, la photosynthèse, les sols et l'air, en
19 Évaluation française des écosystèmes et des services écosystémiques EFESE 2019
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maintenant leur capacité de renouvellement du point de vue qualitatif et quantitatif. » La loi crée notamment les groupements d'intérêts économiques et environnementaux (GIEE), collectifs d'agriculteurs qui s'engagent avec des partenaires variés dans un projet territorialisé et pluriannuel de modification ou de consolidation de leurs pratiques, visant à la fois des objectifs économiques, environnementaux et sociaux. Ces GIEE sont reconnus sur la base d'appels à projets. Elle crée aussi les plans alimentaires territoriaux (PAT) sur lesquels on reviendra en 3me partie. La PAC 2014-2020 participe également à l'agro-écologie et au lien agriculture-agronomie et paysage par : La « conditionnalité » : les aides du « 1er pilier » de la PAC (aides à la production) sont désormais conditionnées au respect de réglementations notamment environnementales, certaines ayant un impact paysager direct comme l'obligation de bandes enherbées le long des cours d'eau. Cette conditionnalité comporte d'une part des exigences de respect des mesures réglementaires ("ERMG") dans le secteur de l'environnement, du sanitaire et du bien-être animal, et d'autre part de bonnes conditions agricoles et environnementales ("BCAE") que l'agriculteur doit respecter sur les surfaces, animaux et éléments sur lesquels il a le contrôle. Les haies sont spécifiquement visées par la BCAE no 7 « maintien des particularités topographiques ». La mise en place de la BCAE no 7 a permis, pour la première fois, de reconnaître la haie comme un élément de l'exploitation agricole en apportant un premier niveau de protection du linéaire de haie dans la PAC. Des dispositions ont cependant été prévues pour permettre, dans certaines conditions, leur remplacement, leur déplacement ou leur destruction ; Le « paiement vert », introduit en 2014 et qui représente 30% des aides nationales : un exploitant doit maintenir ou établir des SIE (surfaces d'intérêt écologique telles que haies, mares ou murets, mais aussi jachères, légumineuses, lisières de bois.) sur l'équivalent de 5% de sa surface en terres arables. Ces SIE pourraient jouer un rôle essentiel à la fois sur le plan agroécologique et sur le plan paysager ; Les mesures agri-environnementales et climatiques (MAEC) cofinancées sur le 2me pilier de la PAC (FEADER 20) et par des crédits nationaux (État, collectivités locales ou établissements publics) : il s'agit, au-delà de l'entretien courant, de contrats volontaires engageant les agriculteurs dans des actions en faveur de la biodiversité, de la protection de l'eau, des sols, ou du paysage telles que la protection d'éléments arborés ou paysagers (haies, prés-vergers, présbois, murets, terrasses, constructions vernaculaires, mares, canaux, rigoles). À noter que ce sont les surcoûts qui sont financés, le paysage et l'environnement étant présentés comme des « contraintes » à « compenser » financièrement et non comme porteurs de bénéfices agronomiques. Ces actions s'inscrivent dans des programmes agro-écologiques et climatiques (PAEC) liés à un territoire et portés par des opérateurs (parcs naturels régionaux, chambres d'agriculture). Elles permettent de spatialiser finement ces infrastructures. Par exemple, les régions Bretagne, Pays-de-la-Loire, Hauts-de-France et Normandie ont ouvert ces MAEC à la contractualisation, et soutiennent une animation sur le territoire ; L'indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN) est une aide en faveur des agriculteurs exerçant leur activité dans des zones défavorisées par l'altitude, de fortes pentes et d'autres caractéristiques physiques du territoire. Cette aide, qui a été revalorisée en 2014,
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20 Fonds européen agricole pour le développement rural.
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est fondamentale pour le maintien de l'activité agricole, et notamment de l'élevage, dans les zones à handicaps naturels et tout particulièrement dans les zones de montagne ; Le soutien à l'investissement : le plan pour la compétitivité et l'adaptation des exploitations agricoles (PCAE) doit répondre aux besoins en investissement pour la modernisation des exploitations agricoles. À ce titre, il est intégré depuis 2018 aux outils de financement du volet agricole du Grand plan d'investissement. Sur la base des éléments figurant dans les maquettes des 21 programmes de développement rural des régions de l'hexagone, les financements du FEADER, du ministère de l'agriculture et des Régions mobilisés pour ce plan s'élèvent à 200 M par an pour la période 2014/2020. S'y ajoutent les aides des autres financeurs qui souhaitent s'engager à leurs côtés, comme par exemple les agences de l'eau. De façon transversale, le PCAE vise à encourager les projets s'inscrivant dans une démarche agro-écologique, en particulier ceux conduits dans le cadre d'un GIEE. Les modalités d'intervention en matière d'investissement sur les exploitations prennent notamment en compte les objectifs partagés entre les Régions et l'État notamment le projet agro-écologique du GIEE et son engagement dans les mesures agroenvironnementales et climatiques (MAEC) et le développement de l'agriculture biologique.
1.3.2. Les conséquences paysagères potentielles de l'agro-écologie
L'agro-écologie va modifier les paysages : « On ne peut pas faire de l'agro-écologie dans un cadre spatial prévu pour l'agro-industrie » affirment Régis Ambroise et Monique Toublanc 21. En effet, l'analyse du plan agro-écologique, des expériences et des recherches menées depuis le lancement de celui-ci (notamment par les agriculteurs récompensés lors des trophées de l'Agroécologie) montre qu'il a favorisé des évolutions paysagères :
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La mise en place de collectifs d'agriculteurs (par exemple dans le cadre de structures de type GIEE), la mise en commun de projets et le retour d'expérience de ces « pionniers » donnent parfois lieu à une approche collective du paysage : le projet peut en effet impliquer des partenaires extérieurs, une communication vers d'autres milieux, l'insertion du projet dans la vie locale du territoire et donc entraîner des échanges sur le paysage et le cadre de vie ; Le conseil en matière de développement et la valorisation de la biodiversité au service des systèmes de production conduit à ne pas développer les cultures à plus de 60 m d'une source d'auxiliaires, régulateurs biologiques, utiles aux cultures (araignées, carabes, coccinelles...), via des haies ou des rangées d'arbres en intra-parcellaire (agroforesterie), ce qui pourrait conduire à repenser la taille du parcellaire ; La taille des parcelles agricoles a un impact fort sur la biodiversité : l'UMR DYNAFOR INRA de Toulouse (Clélia SIRAMI) a montré que la taille des parcelles explique 47% de la variance de la biodiversité, ce qui s'explique par la diversité/hétérogénéité des cultures, cette variation étant elle-même dépendante de la présence de milieux semi naturels. La présence de SIE joue un rôle important. L'IPBES22 a également donné des indications en la matière et préconisé une taille de parcelle de 2 à 5 ha ;
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21 22
« Paysage et agriculture, pour le meilleur ! », Educagri éditions, 2015, pp 99 et s. Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services (IPBES)
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La lutte contre l'érosion des sols conduit elle aussi à réduire la taille des parcelles, à implanter des structures arborées 23, à couvrir les sols en toute saison ; L'augmentation du taux de matière organique, utile au stockage de l'eau et donc à une meilleure adaptation au changement climatique et à une meilleure fertilité des sols, nécessite la culture de couverts végétaux, la couverture maximum ou le non-travail des sols, l'implantation de prairies et de légumineuses, de haies et de rangées d'arbres en intra-parcellaire (agroforesterie) ; La protection des parcelles contre les effets du vent, du soleil (protection des animaux et adaptation au changement climatique) conduit également les exploitations en agroforesterie, à maintenir ou développer les prés-bois ; L'amélioration de la pollinisation des cultures conduit à favoriser les insectes pollinisateurs grâce à différentes techniques dont des zones enherbées non traitées, des haies, des arbres et une augmentation de la diversité des cultures.
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L'évolution des pratiques culturales, mais aussi commerciales devraient contribuer à une évolution significative du paysage perçu, ainsi : L'allongement de la durée des rotations (le retour du même type de culture étant éloigné dans le temps, le cycle des ravageurs est « cassé », ce qui est préconisé en agriculture biologique ou pour diminuer l'utilisation des pesticides), conduit à augmenter le nombre de cultures différentes voire de variétés différentes (la diversité des couverts limite la progression des bioagresseurs), et donc à diminuer soit réellement la taille des parcelles, soit la perception de la taille des parcelles, et à augmenter ainsi la diversité paysagère ; Une plus forte fixation de l'azote de l'air dans les sols s'obtient par l'augmentation de la culture des légumineuses (trèfle, luzerne, pois, féveroles en grandes cultures...) et contribue également à la diversité des cultures ; La meilleure adaptation génétique conduit à valoriser un plus grand nombre de variétés végétales et un plus grand nombre de races animales ; La valorisation et l'entretien des haies fait appel à une pousse sur 10-15 ans et à des coupes régulières pour une valorisation en bois énergie, des replantations d'arbres ; à noter que l'absence d'entretien et de gestion des haies est un facteur important de la chute du linéaire de haies ; Le développement de l'agriculture biologique suppose l'augmentation du nombre et des associations de cultures, l'utilisation de variétés différentes et de couverts, le développement des cultures fourragères notamment protéiques (par exemple des productions riches en protéines telles que pois, féverole, lupin) afin d'assurer l'autonomie alimentaire des exploitations d'élevage en bio ; enfin elle requiert la mise en place d'ateliers de production complémentaires producteurs de matière organique...
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Ces évolutions, qui débutent, doivent être confirmées : elles restent dépendantes de la future PAC post 2020 actuellement négociée. La France défend, sur ce sujet, une position de négociation cohérente avec les principes de l'agro-écologie à savoir un soutien à l'architecture environnementale proposée par la Commission européenne (cf ci-après).
23
Cela pourrait -devrait- conduire au maintien et développement des « pré-bois » qui ont pour avantage de mettre les animaux à l'abri des effets caniculaires du changement climatique.
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Ainsi, le projet agro-écologique pourrait remettre au coeur du projet agricole la question de la structuration du paysage. L'approche par les paysages pourrait permettre d'appréhender de façon simultanée des thématiques majeures : la biodiversité, la lutte contre l'érosion des sols, la protection de la qualité des eaux 24 ..., tout en contribuant à la qualité de vie des populations et à l'attractivité des régions françaises, tant économique que touristique 25. Comme l'indique la « Réflexion prospective interdisciplinaire pour l'agro-écologie» 26 , « l'agroécologie a beaucoup été abordée à l'échelle de la plante ou d'associations déclinées dans le temps et l'espace. La dimension paysagère apparaît comme une dimension essentielle, incluant la
Agroforesterie dans le Gers ph. D. Michel
distribution spatiale des éléments du paysage sur et dans le sol (infrastructures vertes), l'organisation spatio temporelle des assolements et des conduites de cultures « paysage des pratiques ».
1.3.3. La forêt durable, dans la loi d'orientation forestière de 2001
Obéissant aux mêmes principes que l'agro-écologie, la loi d'orientation forestière du 9 juillet 2001 avait affirmé le caractère multifonctionnel de la forêt et son rôle dans le développement durable (puits de carbone, biodiversité, production ligneuse pour alimenter une filière à (re)construire (boisénergie, trituration, bois d'oeuvre)27 mais aussi « aménités », donc valeurs paysagères. Ces objectifs sont repris dans le titre préliminaire de la loi : « la gestion durable des forêts et de leurs ressources naturelles, la compétitivité de la filière de production forestière, de récolte et de valorisation du bois et des autres produits forestiers, la satisfaction des demandes sociales relatives à la forêt, et l'emploi ». Un article d'analyse du nouveau texte, paru dans la Revue forestière
24 Entretien de la mission avec Marc Benoît le 15 janvier 2019, chercheur à l'INRA, ancien président de l'association française d'agronomie (2014-2018). 25 Rappelons que la France est la première destination touristique mondiale 26 Rapport de synthèse-INRA Avril 2019 27 Cette loi était l'aboutissement de réflexions et de travaux approfondis, pendant les six années qui ont précédé son vote : un rapport de Jean-Louis Bianco, "La forêt : une chance pour la France", rédigé à la demande du Premier ministre et publié en août 1998 en avait affirmé les objectifs. Ce rapport est encore disponible à La Documentation Française : https://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/994000095-la-foret-une-chance-pour-la-france-rapport-au-premier-ministre
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française (RFF) 28 , en fournit les clés de compréhension. Les auteurs précisent d'abord les « nouvelles attentes de la société vis-à-vis de ses forêts » qu'ils énumèrent ainsi : « amélioration du cadre de vie, promotion de l'accueil et des loisirs, production et utilisation d'éco matériaux à base de bois ». Concernant l'environnement, « la politique forestière revendique la gestion (...) durable des écosystèmes forestiers de grande valeur écologique ». Les auteurs font remarquer en outre que « la loi se garde d'identifier des solutions uniques, [y compris en ce qui concerne] la place de la forêt dans l'aménagement du territoire ». Au contraire, « la loi reconnaît à la fois la diversité des situations locales, la légitimité d'approches diversifiées ». Elle identifie « le besoin d'associer les collectivités territoriales à la politique forestière ». Cette loi traduit ainsi une double rupture : Non seulement la gestion durable et le caractère multifonctionnel des forêts, donc leur valeur paysagère, sont placés en référence : « les documents de gestion propres à chaque forêt [constituent] un schéma cohérent qui permet de lier le bénéfice des aides publiques à une garantie ou à une présomption de gestion durable » ; Mais la loi consacre aussi l'abandon du modèle unique de boisement sans lien avec le territoire avec priorité aux résineux : à l'image d'une agriculture dont l'exigence de productivité avait été la réponse aux pénuries alimentaires de l'après-guerre, la politique forestière quantitative menée depuis les années 50, avait permis de faire face aux défrichements intervenus depuis le 19è siècle et d' « occuper le terrain » laissé libre par la déprise agricole sur les territoires non mécanisables, avec les effets déjà évoqués de fermeture des paysages de vallées. La Loi de 2001 est donc une loi de ré-ancrage territorial, avec un potentiel de diversité paysagère.
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Si « le document d'aménagement des forêts domaniales intègre la contribution de la forêt à l'équilibre des fonctions écologique, économique et sociale du territoire », la forêt privée a des objectifs plus modestes puisque les « plans simples de gestion » (obligatoirement établis par les sylviculteurs propriétaires sur les forêts privées d'une surface d'au moins 25 ha d'un seul tenant 29) devront simplement « intégrer une brève analyse des enjeux économiques, écologiques et sociaux de la forêt ». Plus ambitieuses vis-à-vis des propriétaires forestiers sont les 140 « chartes forestières de territoire » dont le rapport décrira les caractéristiques en 3me partie. Il faut enfin noter que les tempêtes qui ont dévasté les massifs forestiers en décembre 1999 n'ont pas remis en question, mais au contraire conforté les orientations de la loi en préparation à ce moment : la multifonctionnalité de la forêt et son ancrage dans les territoires étaient de toute évidence des facteurs de résilience des massifs mais aussi de leurs acteurs :« une forêt durable et multifonctionnelle, bien inscrite dans un territoire », est désormais le cadre [de] la sylviculture française, avec les effets positifs que l'on pressent sur le paysage forestier.
28 Dû à Christian Barthod Anne Barrillon François Arcangeli Michel Hermeline, in Revue Forestière Française, LIII 5-2001. Les passages en italique qui suivent sont extraits de ce même article. 29 Ces forêts de plus de 25 ha représentent 4,5 millions d'ha soit 45 % du total de la forêt privée. D'après un rapport de 1999 paru dans la « Revue Forestière française » (J. Militon, M. Neveux), plus de 75 % des forêts privées astreintes à l'établissement d'un plan simple de gestion (PSG) avaient rempli leur obligation à cette date. L'établissement d'un PSG est par ailleurs possible (exonérations fiscales à la clé) à partir d'une surface forestière de 10 ha.
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2. AGRO-ECOLOGIE ET PAYSAGE : CONVERGENCE ET COMPLEMENTARITE
« La notion de pays, trop dédaignée jadis par la science, a été remise en honneur par les géologues et les géographes. C'est par une analyse plus attentive des différences de sol, de relief, de climat, qu'ils sont arrivés à comprendre la raison d'être profonde de ces désignations populaires. » Paul Vidal de la Blache. Les pays de France, in « La Réforme sociale » (1904)
Quand la mission parle de paysage et d'agro-écologie, elle parle en fait de démarches (démarche paysagère, démarche agro-écologique) et non de modèles établis qui seraient destinés à être diffusés voire, au mieux, adaptés à des contextes divers.
2.1. Du paysage à la démarche paysagère : penser le territoire agricole et forestier
2.1.1. La démarche paysagère
Le paysage n'est pas un paramètre parmi d'autres, mais bien l'ossature autour de laquelle se constitue le territoire. Il marque la spécificité de ce dernier et est à l'origine de la qualité de sa perception, à toutes les échelles. Alors que la campagne est encore perçue par une partie de la société majoritairement citadine, comme la « nature immuable », les paysages agricoles, résultat du travail de générations de paysans, sont en réalité dynamiques et changent au gré des saisons, des cultures différenciées et plus durablement, en fonction des techniques agraires pratiquées. L'évolution des pratiques agricoles a fait qu'en quelques années (1960-1970), l'espace rural a été réorganisé pour faciliter le développement de l'agriculture industrielle : remembrement, suppression des haies et des chemins agricoles, rectification des cours d'eau, électrification, systèmes d'irrigation. Certains secteurs ont été au contraire abandonnés à la friche et aux boisements (spontanés ou organisés), entraînant la fermeture du paysage, notamment dans les vallées....Et les singularités paysagères de nombreuses « petites régions agricoles » 30 ont été en partie gommées. Au-delà de sa vocation productive, un territoire rural doit aussi répondre aux demandes sociales et offrir à la société un cadre de vie de qualité (dont la composante essentielle est le paysage), reconnu par tous comme tel. Ainsi, le paysage est à la fois culturel et transversal, il a la capacité de rassembler une communauté et d'exprimer les spécificités d'un territoire habité, partagé et pratiqué. Lorsque la transformation d'un paysage dépasse le seuil critique au-delà duquel les structures paysagères 31, qui en constituent les traits caractéristiques, deviennent illisibles, comme c'est le cas pour certaines évolutions produites par l'agriculture industrielle, la question se pose de réhabiliter l'espace agricole commun, d'inventer de nouvelles formes de paysage répondant à la fois à sa vocation productive et aux demandes des populations : améliorer les ressources telles que l'alimentation, l'eau, la biodiversité, et développer les usages tels que le tourisme, la détente, les activités de plein air...
30 Les petites régions agricoles ont été définies (en 1946) pour mettre en évidence des zones agricoles homogènes. 31 « Les structures paysagères désignent les systèmes formés par les éléments de paysage [...], et revêtent une grande importance car c'est sur elles que porte l'action publique ». Ibid 17
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2.1.2. Projet de paysage-projet agricole
Les agriculteurs et les forestiers, maîtrisant des millions d'hectares, sont des acteurs à part entière de l'espace rural en tant que gestionnaires de l'environnement. Un projet agricole et forestier de territoire répondant aux critères de l'agro-écologie (définis ci-après) est avant tout un projet agronomique et amène l'espace agricole et forestier à évoluer, non pas vers un retour aux paysages d'avant la mécanisation mais plutôt vers un nouveau paysage. Pour cela, il est nécessaire de réintroduire l'approche spatiale et de s'appuyer sur les écosystèmes. Comme l'indique la revue « Réflexion prospective interdisciplinaire pour l'agro-écologie » INRA, « l'agroécologie a beaucoup été abordée à l'échelle de la plante ou d'associations déclinées dans le temps et l'espace. La dimension paysagère apparaît comme une dimension essentielle, incluant la distribution spatiale des éléments du paysage sur et dans le sol (infrastructures vertes), l'organisation spatiotemporelle des assolements et des conduites de cultures (« paysage des pratiques »). Pour être efficace, ce projet agronomique et spatial, et donc par nature, projet de paysage, doit en effet prendre en compte les caractéristiques géographiques et physiques du lieu concerné. Pour cela, l'adoption de la démarche paysagère en amont du projet agricole et forestier et l'appel aux compétences croisées des paysagistes, des agronomes, des écologues et des agriculteurs est recommandée. On examinera en partie 2.2., trois applications concrètes de cette démarche « gagnant-gagnant », entre projet paysager et projet agricole. Cette démarche conceptuelle (qui s'applique aussi en milieu urbain), permet de renouveler les stratégies, les techniques et également le mode participatif des populations. Elle s'appuie sur une méthode qui procède en trois étapes : 1 L'analyse et l'identification des structures et éléments paysagers du territoire, permettant la connaissance de l'organisation spatiale et des principes ici agronomiques et forestiers - des dynamiques paysagères à l'oeuvre, la connaissance de l'histoire des lieux qui va aider à comprendre leur fonctionnement au cours des temps ; Le diagnostic, issu des enjeux identifiés au cours de l'analyse paysagère et posé à l'issue d'un travail participatif avec les agriculteurs acteurs économiques, les habitants, les élus ; L'élaboration d'un programme d'actions, en fonction des orientations et des échelles d'intervention, que se fixent la gouvernance du territoire (SCoT, PLU, PNR, PAEN) ou le chef d'exploitation, en matière de paysage (agricole et forestier, en l'occurrence avec des productions innovantes), de santé, de risques, pour articuler réflexions d'ensemble et réponses spécifiques.
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Ce programme d'actions est traduit dans une charte paysagère, résultat d'un projet territorial partagé, projet de paysage associant les partenaires locaux et les populations dont l'ensemble des objectifs seront repris pour la production des documents de planification 32 . Cet outil permet d'appréhender l'évolution des paysages de manière prospective et de définir le cadre de cette évolution et de décider en amont de la manière dont les acteurs de ce territoire et les populations
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La charte n'est pas un document d'urbanisme opposable. Elle est pour chacun des signataires un contrat moral qui a vocation à nourrir les volets paysage/urbanisme/environnement des futurs SCOT et PLU.
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souhaitent le voir évoluer. Le projet agricole et forestier peut ainsi tirer bénéfice de la compréhension paysagère d'un territoire et de l'adéquation de son agencement spatial, de sa composition, qui représente la diversité de l'occupation du sol (étape 1). À partir des caractéristiques morphologiques, historiques, des grandes structures paysagères d'un site, des unités paysagères, une recomposition spatiale est recherchée à la fois pour une meilleure production, pour une répartition équilibrée des espèces (population d'oiseaux, d'insectes...), et pour les ambiances générées et la bonne articulation des différents espaces. Le travail d'analyse permet de vérifier l'adéquation du lieu et du sol pour une forme culturale donnée, de proposer, de façon prospective, une agriculture adaptée à la morphologie du site : coteau calcaire à réserver au pâturage, terrasses en pierre sèche réhabilitées sur les pentes plus fortes pour éviter l'érosion des terres, fond de vallée humide pour la production d'herbe et le pâturage mais aussi, quand les troupeaux ne sont plus dans les champs, pour des activités autres, bâtiments agricoles intégrés et à usages polyvalents. Le diagnostic (étape 2), à partir des évolutions en cours, permet d'identifier une dynamique défavorable au bien-être des usagers (par exemple l'enfrichement des terres non cultivées qui entraîne la fermeture des vallées, la forme des parcelles, sans cesse agrandies, la disparition des murets et des bosquets, le mitage du bâti, la disparition de l'arbre champêtre). La connaissance contenue dans les Atlas de paysage 33 , grâce auxquels ont été identifiées en France plus de 2800 unités paysagères, étudiées une par une et détaillant les aspects géomorphologiques, visuels, écologiques et culturels des secteurs étudiés, constitue une aide précieuse à l'élaboration du diagnostic (voir ci-dessus la carte des unités paysagères). Les formes dégradées produites par certaines activités agricoles ou forestières sont alors discutées, retravaillées, afin de leur donner du sens, d'apporter une qualité au cadre de vie, aux aménités à retrouver par exemple autour des points d'eau, du petit patrimoine bâti, de la forêt multifonctionnelle. Dans la gestion de cette dernière, les coupes rases de régénération, souvent traumatisantes pour les riverains, doivent être à la fois expliquées (il ne s'agit que d'un état transitoire), et infléchies vers des conduites plus différenciées du boisements (maintien de rideaux d'arbres en bordure des chemins, gestion en futaie irrégulière...). L'élaboration d'une charte paysagère ou d'un plan-guide (étape 3) permet, à partir de la production du diagnostic partagé, car l'approche paysagère est soucieuse de participation, de « construire ensemble » , la recomposition d'un environnement partagé, plus équilibré et la traduction spatiale d'un programme d'actions concrètes visant à un projet commun soutenu par la population. Les préconisations serviront ensuite de guide pour le plan local d'urbanisme (PLU). Avec le paysage comme socle du projet territorial et de l'action opérationnelle, la démarche paysagère renouvelle les stratégies et les pratiques. Elle valorise l'espace agricole ou forestier qui, s'appuyant sur ses propres ressources, peut retrouver une dynamique en choisissant la transition vers l'agro-écologie ou la forêt durable.
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La publication de 66 Atlas de paysages, départementaux ou régionaux, a permis d'assurer la couverture de 93 % de la superficie du territoire national. La complétude de la couverture du territoire français est en cours. La portée opérationnelle des Atlas, dans le cadre de projets de territoire, est d'autant plus importante que les acteurs locaux et les populations identifient et prennent en compte les enjeux du paysage de leur territoire.
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Source : Les Atlas de Paysages Méthode pour l'identification, la caractérisation et la qualification des paysages - Ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie (2015)
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2.2. Quelques illustrations
Trois témoignages d'acteurs de terrain, recueillis par la mission, sont suivis d'exemples de thématique de recherche agronomique. 1. Installé depuis une dizaine d'années sur la ferme parentale du Vernand, dans les Monts du Lyonnais, Rémi Janin explique comment il a fondé son projet d'exploitation sur l'approche paysagère qui constitue par ailleurs son métier : confronté à un terrain vallonné et partiellement boisé, il en a à la fois étudié la topographie, la géologie et l'hydrographie, mais aussi l'histoire des choix d'implantation opérés depuis les années 1940 par ses devanciers. « L'approche du paysagiste », explique-t-il « a permis d'améliorer les performances agronomiques, en questionnant l'histoire des lieux (observatoires photographiques : crêtes et fonds de vallées délaissés ou boisés alors qu'ils étaient en culture dans les années 50) et leur géographie : où positionner les haies pour réduire l'érosion ? Comment mieux utiliser les délaissés, (re)tracer les chemins pour éviter de parcourir des distances trop longues ?) ».34. Et il poursuit, de manière plus générale : « tout projet agricole est un projet de paysage en soi. Au lieu de penser le paysage comme une résultante de l'activité agricole, il semble important que le paysage comme démarche puisse être un moyen d'amélioration nouveau du projet agricole (...) un moyen de pensée et d'amélioration agronomique accompagnant totalement un projet agricole »35.. On pourrait dire un projet d'agro-écologie. 2. Implantée depuis 20 ans avec son mari à Châtenoy, dans le sud de la Seine-et-Marne, Carine Bouvatier, elle aussi paysagiste, estime également que « le regard du paysagiste est essentiel pour la conduite de la ferme ». Quand ils s'installent sur cette exploitation de 140 ha située aux lisières de la Beauce, leurs prédécesseurs ont procédé à « de lourds investissements pour un revenu dérisoire » dans la monoculture du blé. Dès le départ, ils diversifient leurs productions avec la réimplantation d'une activité d'élevage (un troupeau de 150 brebis) destinée à redonner au sol une matière organique qui en avait presque totalement disparu. Dans le même temps, un espace de « respiration » est redonné aux bâtiments d'habitation et d'exploitation, dont un corps de ferme du 15è siècle : « les épis de blé arrivaient à la porte de la maison : il fallait recréer un espace d'agrément : planter des arbres, une prairie... ». Par ailleurs, une conduite en agroforesterie réduit la taille des parcelles qui passent d'une moyenne de 40 ha à 7 ha, et la rotation des assolements passe à 8 ans : « le paysage était aux dimensions de la machine, il fallait lui redonner une échelle humaine ». D'abord perplexes, les voisins constatent avec plaisir le retour des lièvres et des perdrix. Outre les céréales bio et les produits de l'élevage, la ferme consacre 5 ha au maraîchage avec vente par coopérative ; elle développe également une activité d'accueil des scolaires. Couronnement symbolique des efforts entrepris, la ferme est prise pour modèle du terroir agricole de la région de Nemours dans les brochures touristiques édités par cette agglomération et l'exploitation, adossée à une coopérative de vente de produits bios, fait bien vivre la famille36..
34 Entretien avec la mission le 24 janvier 2019. 35 Interview donnée au service communication du MTES à l'occasion de sa réception de la « mention spéciale » du Grand prix national du paysage en 2015. 36 Entretien avec la mission le 13 février 2019.
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3. La Vallée de la Bruche, quant à elle, mène depuis près de trente ans une démarche collective qui mêle projet paysager et renouveau du pastoralisme dans un processus de reconquête pastorale qui a préfiguré en son temps l'agro-écologie. La communauté des 26 communes de cette vallée compte 22 000 habitants installés sur 300 000 ha occupés à 75% par la forêt. A partir des années 1960, la fermeture des usines textiles et la perte des ouvriers, également paysans-éleveurs, provoquent l'enfrichement de la vallée et la plantation de résineux sur les anciennes prairies. Sous l'impulsion de Pierre Grandadam, président de l'intercommunalité depuis 1977 et lui-même ingénieur agronome, une étude paysagère d'ensemble est conduite pendant trois ans, de 1991 à 1993, et un chargé de mission Jean-Sébastien Laumond, géographe, est recruté à temps-plein, pour suivre sa mise en oeuvre. La remise en état des pâturages, la réouverture des fonds de vallée humides et le défrichement à proximité des villages pour « redonner le soleil aux habitants » sont alors entrepris par des associations foncières pastorales (AFP) qui recrutent alors un ou des agriculteurs en mesure de faire pâturer un troupeau. On compte aujourd'hui 52 exploitants agricoles actifs dans la vallée, en partie locataires des terres des AFP qui représentent 1/3 de la SAU. La vallée a regagné 1 000 ha de prairies et 48 heures annuelles de soleil de plus. Le président Grandadam résume ainsi le principe de convergence entre démarche agro-écologique et démarche paysagère : « il faut s'occuper des hommes qui s'occupent des bêtes et font de beaux prés pour de bons produits »37. Le cas de la vallée de la Bruche est développé dans l'annexe 10, au titre des plans de paysage dont il sera question en 3me partie ci-dessous. Ces trois exemples illustrent, à plusieurs échelles, en quoi les démarches agro-écologique et paysagère sont indissociables. Elles se fondent sur des processus dynamiques et évolutifs car requérant une adaptation constante au contexte géographique, climatique, social et économique. Elles ne peuvent être menées que de façon collective, ce qui génère des échanges, consensuels ou conflictuels, et donc la nécessité d'intégrer les relations humaines dans leur mise en pratique : même dans le cas du Vernand, qui peut paraître isolé, un lien très fort est établi avec les habitants du voisinage au moyen de l'ouverture des bâtiments d'exploitation non utilisés aux activités sociales et de l'organisation d'une biennale d'art contemporain « Polyculture » qui rencontre un succès local remarquable. La recherche fait également le lien entre agro-écologie et paysage : par exemple l'Unité Mixte de Recherche (UMR) INRA/Agrocampus Ouest/ESA Angers se consacre aux recherches sur la biodiversité, l'agro-écologie et les aménagements du paysage (« UMR BAGAP » www.rennes.inra.fr/bagap. Ces recherches portent sur les fonctions des paysages vues comme un ensemble : fonctions de production agricole, de contrôle biologique des ravageurs de culture, de pollinisation, de production de biodiversité, en développant une approche sur l'agro-écologie du paysage. Elles visent par exemple à comprendre comment divers aménagements du paysage impactent la fonction de régulation des bio-agresseurs de cultures par leurs ennemis naturels ; inversement les recherches portent sur les options de pratiques agricoles à différentes échelles de temps et d'espace et leurs impacts sur les bio-agresseurs.
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Visite de la mission sur place et rencontre des acteurs le 15 octobre 2018
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Parmi ces pratiques, figurent le système de culture à l'échelle de la parcelle, la plantation et la gestion des haies au niveau des bordures, l'aménagement des paysages via le remaillage du bocage ou la diversification des usages agricoles à une échelle plus large. Le réseau d'organismes de financement de la recherche BiodivERsA et l'Institute for European Environmental Policy (IEEP) ont présenté les résultats de 5 projets de recherche européens sur le rôle de la diversité des paysages sur la production de deux services écosystémiques clés, la pollinisation et le biocontrôle, notamment dans le contexte du changement climatique. Les chercheurs ont par exemple montré que les prédateurs naturels exercent un contrôle biologique plus efficace lorsque les paysages agricoles sont hétérogènes, c'est-à-dire lorsqu'ils comportent une forte proportion d'habitats semi-naturels (prairies, haies, parcelles forestières, rebords des champs et étangs).
2.3. Convergence et complémentarité
On constate ainsi des points de convergence, des caractéristiques communes entre les démarches paysagères et agro-écologiques, mais également des points de complémentarité qui font apparaître des synergies entre ces deux démarches. Le tableau ci-dessous résume ces convergences et complémentarités :
Convergence
Ancrage dans le territoire En évolution permanente En relation étroite avec l'humain et le collectif En lien avec les fonctionnalités naturelles
Complémentarité
Opportunité d'échanges entre les « mondes » agricoles et non agricoles Dimension spatiale donnée à l'agronomie
Les points de convergence sont les suivants : Un ancrage dans le territoire : un paysage caractérise un territoire, la démarche agro-écologique s'appuie par nature sur l'adaptation au contexte géographique et aux conditions agronomiques locales (ce qui constitue une diversité de systèmes) ; En évolution permanente : le paysage est changeant, ne serait-ce que par l'effet des saisons et comme résultante d'activités humaines et de phénomènes naturels. La démarche agroécologique se fonde sur une observation constante des processus en cours (météorologiques, culturaux...) ce qui exige une adaptation constante de l'itinéraire technique ; En relation étroite avec l'humain et le collectif : dans sa construction (volontaire ou subséquente) et au travers de sa perception, le paysage emporte l'implication humaine et fait l'objet de partages et d'échanges, conflictuels ou consensuels. De la même façon, l'engagement en agroécologie nécessite une forte interaction avec le vivant y compris humain, ne serait-ce que pour l'établissement d'un réseau d'échanges de bonnes pratiques, a fortiori en période de transition ;
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En lien avec les fonctionnalités naturelles : on parle de l'écologie du paysage, qui a pour objet l'étude des relations entre la structure et l'organisation des paysages et les processus écologiques qui s'y déroulent. L'agro-écologie est une façon de concevoir des systèmes de production qui s'appuient sur les fonctionnalités offertes par les écosystèmes.
Les complémentarités des deux démarches peuvent se définir en précisant ce qu'apporte à l'approche agronomique la démarche paysagère : Elle offre une opportunité d'échanges entre la sphère agricole et les acteurs non agricoles du territoire. Le paysage restitue une représentation spatiale des choix agronomiques (taille des parcelles, présence ou non d'arbres et de haies, choix des cultures et couverts du sol...). Il permet des échanges avec les « non-sachants », de façon plus abordable qu'en traitant directement de la biodiversité ou de la gestion durable des sols. La démarche paysagère mêle regards savants, regards intimes, regards des habitants et regards des visiteurs 38. Elle apporte une dimension spatiale souvent perdue de vue dans une approche centrée sur les techniques agronomiques en mettant en évidence l'emboîtement des échelles : l'échelle de la parcelle souvent utilisée par l'agronome, celle de l'exploitation utilisée par le conseiller en stratégie de l'exploitation, mais également celle du territoire, définie par la nature des relations (voisinage direct, lieu de vente, élus...). Il est intéressant de constater que dans le langage courant de la recherche, on utilise l'expression « à l'échelle du paysage » en contrepoint de l'échelle de la parcelle, formule évoquant un caractère englobant mais également de dimension variable. Enfin, la démarche paysagère donne des indications sur les potentiels agronomiques 39.
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En conclusion, du fait des caractéristiques fortes et communes des deux démarches, l'approche paysagère constitue un levier cohérent et efficace pour faciliter et accélérer le développement de l'agro-écologie, à condition que les outils de politique publique intègrent les trois conditions primordiales : La prise en compte affirmée des liens humains sur un même espace en créant les conditions de dialogue entre acteurs, agricoles et non agricoles ; Un ancrage territorial intégrant les spécificités locales, que ce soit dans le domaine agronomique, géographique, économique ou en termes de gouvernance ; Une démarche de projet ascendant pour favoriser l'appropriation locale du changement des pratiques et de leurs conséquences sur le paysage environnant, dans le but de rassembler les acteurs. Les outils de politique publique à mettre en oeuvre ou à modifier pour accélérer ou faciliter la transition écologique par l'approche paysagère doivent se fonder sur les trois principes suivants :
38 Selon Raphaël Larrère (entretien avec la mission) 39 Selon Régis Ambroise (entretien avec la mission)
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· 1. La prise en compte affirmée des liens humains entre agriculteurs, forestiers et autres acteurs du territoire ; · 2. Un ancrage territorial intégrant les spécificités locales, que ce soit dans le domaine agronomique, sylvicole, géographique, économique ou en termes de gouvernance ; · 3. Une démarche de projet ascendant élaborée par les acteurs de ces territoires pour favoriser le changement des pratiques et de leurs conséquences sur le paysage. Cette méthode de travail étant affichée, il faut à présent en assurer la prise en compte par les outils et instruments de politique publique relatifs à l'activité agricole ou forestière et à l'aménagement des territoires, et en premier lieu à l'accompagnement, à la formation et à l'activité des acteurs qui mettent en oeuvre ces outils.
Alpages du Haut-Jura - ph. Denis Michau
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3. OUTILS AGRO-SYLVO-PAYSAGERS A CONCEVOIR OU A FAIRE EVOLUER
Les outils de politique publique relatifs à l'agriculture, à la forêt et l'aménagement du territoire - et à sa qualité paysagère - sont de cinq ordres : Développer auprès des acteurs les conseils et formations appropriés : cette condition préalable seule permet d'assurer la maturation puis le développement des projets dans la durée à la fois en termes d'ingénierie et d'aides financières ; on commencera donc par suggérer les évolutions nécessaires dans ce domaine Différencier les activités productives par la certification permet ensuite de reconnaître les premiers résultats des projets et d'encourager les autres ; Mobiliser une gestion mieux coordonnée du foncier ; Traduire dans l'espace les projets ainsi élaborés (ou facilités), au moyen d'une planification concertée et partenariale traduisant le « lien humain » préconisé ; Illustrer ces évolutions et favoriser la diffusion des nouvelles pratiques en suscitant ou en détectant des projets démonstrateurs de ces principes.
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3.1. Accompagner et former les acteurs
Cette famille d'outils et d'actions est essentielle. Elle est le socle d'un développement à grande échelle de l'agro-écologie, nécessaire pour pouvoir en constater des effets notables sur les territoires. Elle concerne à la fois les agriculteurs et les acteurs des territoires dans lesquels ils évoluent.
3.1.1. Accompagnement des agriculteurs et des territoires
A Cadre général Les exploitations d'ores-et-déjà en agro-écologie sont menées par des chefs d'exploitations au tempérament de pionniers. L'extension à grande échelle de cette démarche, pour rechercher un impact notable sur les territoires, nécessitera la mobilisation de moyens d'accompagnement d'une transition concernant la majorité des agriculteurs. Les initiatives en la matière sont variées et foisonnantes, s'inscrivant dans des cadres institutionnels différents (chambres consulaires, associations) et s'exerçant à des échelles très diverses (du national au très local). Il est donc difficile d'en faire une analyse exhaustive. La mission a travaillé principalement sur la base des interventions du ministère de l'Agriculture et de l'alimentation (MAA). Les outils gérés par le MAA sont ceux inscrits dans le plan national de développement agricole et rural (PNDAR) et ceux mis en oeuvre par le réseau rural national (RRN) cogéré avec le commissariat général pour l'égalité des territoires (CGET) et l'association des régions de France (ARF). Ces outils soutiennent les activités d'animation selon deux modalités : financement de programmes pluriannuels (cela concerne les ¾ du fonds CASDAR40) ou financement d'appels à projets d'une durée en général de trois ans minimums. Dans le premier cas, sont concernées des institutions comme les chambres d'agriculture, les instituts techniques et les têtes de réseaux de développement
40 Compte d'affectation spéciale développement agricole, ressource financière du PNDAR issue de la taxe prélevée sur le chiffre d'affaires des exploitations agricoles
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(ONVAR41). Dans les appels à projets, on trouve l'animation des GIEE42 (CASDAR) et l'ensemble des actions du RRN, sur fonds européen (FEADER), fonds d'Etat (MAA et CGET) et autres contreparties nationales comme les aides régionales. La différenciation du type d'organisme aidé et des modalités de choix permet de caractériser les différents types d'accompagnement des agriculteurs. Les programmes pluriannuels des chambres d'agriculture s'inscrivent dans le rôle historique de ces dernières, chaque programme fixant les orientations données par le MAA. Le financement des ONVAR contribue à élargir l'offre d'accompagnement des agriculteurs à des réseaux aux sensibilités et modes d'intervention différents. Les appels à projets mettent par définition l'accent sur le mode projet, c'est-à-dire avec des objectifs précis, limités dans le temps et favorisant une démarche ascendante. La diversité d'animation est déjà très riche, avec des niveaux divers d'intégration de l'aval et de la société civile. À titre d'exemple : La plateforme OSAE (Osez l'agro-écologie), organisée par l'association SOLAGRO, propose des témoignages d'agriculteurs sur leur expérience acquise dans ce domaine43 ; Agrod'Oc, union des centres d'études techniques agricoles (CETA d'Oc), regroupe près de 1000 agriculteurs en Nouvelle-Aquitaine et Occitanie qui mettent en commun leurs savoir-faire et réflexions aux plans technique, commercial et économique, avec la participation d'un ingénieur salarié qui a en charge le suivi des études, la collecte et la synthèse des informations44 ; Le projet « Eclat » porté par la fédération nationale des coopératives d'utilisation de matériel agricole (FNCUMA), avec un financement CASDAR, ambitionne la mise en réseau de sites pilotes capables de mobiliser agriculteurs, collectivités, État, et associations, pour expérimenter une organisation collective élargie45 pour une transition agro-écologique territoriale.
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L'outil GIEE mérite une mention spéciale, du fait de sa spécificité. Créé par la loi d'avenir de 2014, il est conçu comme un outil d'adaptation à l'agro-écologie 46 . La reconnaissance comme GIEE s'effectue dans le cadre d'appels à projets nationaux relayés par les directions régionales de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt 47. La coordination de la capitalisation des démarches engagées par les GIEE a été confiée à l'APCA. Elle se matérialise par un site48 recensant les projets sous forme de fiches descriptives 49.
41 Organismes nationaux à vocation agricole et rurale, reconnus par le MAA à partir d'appel à projet de programme pour la durée du PNDAR soit 7ans actuellement 2014-2020 - au nombre de 17 en 2017. 42 Groupement d'Intérêt économique et environnemental instauré par la loi d'avenir pour l'agriculture et la forêt de 2014 43 https://osez-agroecologie.org/ 44 http://www.agrodoc.fr/ 45 http://www.cuma.fr/france/actualites/eclat-experimenter-avec-des-collectifs-locaux-une-agroecologie-territoriale 46 Code Rural Article L.315-1 : peut être reconnue comme GIEE toute personne morale dont les membres portent collectivement un projet pluriannuel de modification ou de consolidation de leurs systèmes ou modes de production agricole et de leurs pratiques agronomiques en visant une performance à la fois économique, sociale et environnementale. Cette reconnaissance est accordée sur la durée du projet présenté. 47 527 GIEE ont été reconnus depuis 2015, dont 492 sont encore reconnus et actifs début 2019 48 http://www.giee.fr/ 49 À ce jour, un seul GIEE inscrit le paysage dans les objectifs de sa démarche. Dans l'Hérault : « Valoriser le territoire et sa filière agricole par l'émergence de projets agri-environnementaux et paysagers »
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B Application au monde agricole L'actuel PNDAR 2014-2020 met l'accent sur l'agro-écologie : cette thématique représente 53% des crédits CASDAR en 2017. Mais les démarches agro-écologique et paysagère étant indissociables, la mission préconise d'inscrire de façon explicite le principe selon lequel « l'agro-écologie inclut la démarche paysagère ». Cela non seulement dans le projet agro-écologique de l'État mais également dans le futur contrat d'objectifs et de performance de l'assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA) et dans la préparation du PNDAR 2021-2027. Sur le terrain, la stratégie de la « tache d'huile » favorise une dynamique ascendante dans la diffusion de l'agro-écologie, et présente l'avantage de répondre aux besoins des intéressés. C'est pourquoi il est indispensable de favoriser la diversité de l'offre d'animation pour qu'elle corresponde à la diversité des besoins. Elle peut prendre les formes suivantes : Échanges entre pairs Ils permettent le partage d'expériences sur des pratiques agricoles (évolution vers des pratiques de conservation des sols...), sur les circuits commerciaux (circuits courts, traçabilité des produits), sur les relations de voisinage (problèmes de « nuisances » agricoles, relation avec les non-agriculteurs en milieu rural et péri urbain) ; Accompagnement technique, scientifique et économique Il vise à faciliter l'adaptation des pratiques observées au cas particulier de chaque agriculteur. Il intègre le rôle des organisations situées en aval de l'activité agricole, pour la recherche des débouchés nécessaires aux productions diversifiées du fait de l'allongement des rotations. Il constitue donc une pierre angulaire au développement de l'agroécologie pour en assurer la viabilité économique ; Accompagnement stratégique Il contribue à sécuriser la transition vers les pratiques innovantes en apportant également une aide à la définition de la stratégie. « L'intégration d'un « projet paysage » permet de traduire de façon spatiale le nouveau système agronomique : emplacement des infrastructures écologiques, taille des parcelles, répartition des cultures, cheminements pour le matériel... » 50 Accompagnement à l'échelle territoriale À cet égard, l'exemple de la plateforme agro-écologique d'Auzeville (Haute-Garonne) est exemplaire 51 : adossée au complexe d'enseignement agricole d'Auzeville, elle cherche à déployer des pratiques agro-écologiques innovantes en prenant en considération la globalité de la situation de l'exploitation agricole (technique, économique, sociale) et les enjeux du territoire. Pour ce faire, elle travaille en partenariat non seulement avec les organismes de conseil locaux et les instituts techniques et de recherche, mais également les coopératives. Elle étudie notamment la faisabilité d'une marque territoriale fondée sur le respect de pratiques agroécologiques.
50 Entretien de la mission avec Jean-Luc Toullec, animateur national sur la transition agro-écologique dans l'enseignement agricole à la direction générale de l'enseignement et de la recherche (DGER) ; Rambouillet, Bergerie nationale, 5 décembre 2018. 51 https : //www.citesciencesvertes.educagri.fr/plateforme-agro-ecologie
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L'intégration de l'agriculteur dans les projets de territoire contribue à combler le fossé relationnel avec les non-agriculteurs et à favoriser son offre de services à la demande locale. Cela requiert la participation active des agriculteurs à une concertation territoriale (point abordé ci-dessous). Or le PNDAR mentionne bien la nécessité d'une approche systémique de l'exploitation mais n'intègre pas l'échelle du territoire ni l'articulation entre les deux échelles (exploitation territoire). Toutefois cette diversité de l'offre pour l'accompagnement des agriculteurs mérite une coordination territoriale entre les opérateurs de développement bénéficiaires du CASDAR, ne serait-ce que dans un souci d'efficience des aides publiques. Un rapport évaluatif du CGAAER52 constate que l'objectif initial de renforcement des actions partenariales entre les acteurs du développement agricole n'a pas été atteint ; et que les DRAAF ont eu peu de prise sur la gouvernance des PPR. Il préconise la refonte du système en donnant aux DRAAF un rôle central. Les GIEE réunissent toutes les qualités requises pour favoriser les échanges, une dynamique ascendante et l'ancrage territorial. Les crédits engagés par le CASDAR ont doublé en 4 ans et interviennent depuis 2019 sur l'aide à l'émergence de nouveaux GIEE. Ces conditions sont favorables au développement de cet outil mais elles mériteraient d'être optimisées en renforçant la capitalisation des retours d'expérience sur les territoires. Pour ce faire, en reprenant à son compte les recommandations du rapport du CGAAER53 , la mission préconise de donner les moyens aux services déconcentrés du MAA pour être parties prenantes dans la valorisation des retours d'expérience sur les territoires, en articulation avec les politiques agricoles des Régions. Cette évolution répondrait également au souci du ministère de l'agriculture de renforcer son action sur le terrain. C Application aux collectivités Avant de s'engager dans des solutions techniques de type zonage, et afin de définir un objectif commun pour le territoire, le volet animation est primordial lors de l'élaboration d'outils de planification pour favoriser des approches paysagères et agro-écologiques. Se pose alors la question des moyens disponibles et de la volonté politique 54. Cette animation consiste notamment à faire échanger les parties prenantes sur leur vision de l'espace agricole : les agriculteurs le voient comme un espace d'activité économique, les urbanistes comme un espace à conquérir, les citadins comme un espace de loisir « public ». La mission a identifié les leviers suivants pour favoriser l'implication des collectivités : La sensibilisation des élus et, de façon concomitante, la formation des services territoriaux via le centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT), avec notamment l'intégration de paysagistes dans les effectifs de la fonction publique territoriale. Il s'agit également d'inciter à intégrer dans les appels d'offre pour l'élaboration de documents de planification, des exigences
52 L'articulation des différents contrats « territoriaux » en zone rurale 53 Ibid. 54 Interrogé sur son expérience de plus de 20 ans, Pierre Grandadam cite les conditions de réussite de telles démarches, en mettant en premier plan l'existence d'une volonté politique (qu'il illustre en vallée de la Bruche tout comme Maxime Viallet et André Valadier respectivement dans le Beaufortain et l'Aubrac), complétée par des moyens techniques d'animation, et des leviers financiers (à l'époque, les mesures agri-environnementales) et, bien sûr de l'intérêt porté par les acteurs du territoire à ces démarches.
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d'animation et d'approche globale de la part des prestataires, actuellement négligées au profit d'une approche d'experts. L`implication des conseils d'architecture, d'urbanisme et d'environnement (CAUE) dans un rôle d'impulsion à l'échelle des départements (cf. partie 3.5) La mise en synergie des démarches de planification et de politique alimentaire territoriale (ex : PAT : projet alimentaire territorial) : cf. parties 3.4.1 et 3.4.2.
D Des paysagistes dans les équipes d'animation L'approche paysagère présente le double avantage de fédérer les disciplines qui vont concerner les exploitations et les territoires agricoles et forestiers, et de faire participer plus aisément tous les acteurs au projet ascendant qui va être mis en place. Les plus à même de mettre en oeuvre cette approche sont logiquement les paysagistes-concepteurs, soit directement, soit en participant à des équipes pluridisciplinaires dès lors qu'ils y jouent un rôle décisionnel suffisant 55. Cela s'applique aussi bien à la maîtrise d'ouvrage (nature de la commande, cahier des charges, sélection des équipes...) qu'à la maîtrise d'oeuvre. En termes de maîtrise d'ouvrage, des démarches devraient prochainement aboutir pour ouvrir pleinement les concours d'ingénieur de la fonction publique territoriale aux paysagistesconcepteurs 56 . Cette présence de paysagistes-concepteurs à un niveau adéquat dans les équipes techniques des collectivités et de leurs groupements devrait favoriser la diffusion de l'approche paysagère comme fil directeur des projets de territoires ; En termes d'accompagnement direct des agriculteurs et des forestiers dans leurs projets d'exploitation corrélés aux projets de territoires, l'affectation expérimentale d'une paysagisteconseil de l'État 57, à la DRAAF de Nouvelle-Aquitaine a été effectuée il y a un an 58 . La signature de l'arrêté modificatif permettant au ministère chargé de l'agriculture de se voir affecter des paysagistes-conseils 59 a été présentée à la mission comme imminente. Il faudra procéder, une fois la modification actée, à la généralisation de l'expérience concluante menée en Nouvelle-Aquitaine à l'ensemble des DRAAF, à raison, dans un premier temps, d'un poste de conseil par direction régionale 60 ; La présence d'équivalents-paysagistes-conseils pourrait aussi être expérimentée dans les chambres d'agriculture et les coopératives en les intégrant directement dans les équipes de
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55 Trop souvent l'appel aux paysagistes, dans de telles équipes, se résume à un simple « verdissement » d'un projet conçu par d'autres (architectes, urbanistes, écologue, agronome...). 56 Des difficultés d'interprétation pénalisent encore l'accès au concours et les métiers offerts sont trop souvent fléchés sur les « espaces verts ». Cf site du CNFPT : 57 Rappelons que les paysagistes- et architectes-conseils de l'État sont recrutés au sein des professionnels exerçant une activité libérale pour être affectés auprès des services centraux ou déconcentrés (en région et en départements) avec un rôle de formation, d'appui ou de conseil amont, à raison de deux jours par mois en moyenne. 58 La mission a eu l'occasion d'auditionner l'intéressée : centrée sur l'agroforesterie et focalisée sur le département de la CharenteMaritime, cette affectation semble avoir pleinement atteint ses objectifs. Agissant en lien étroit avec la chambre d'agriculture de ce département, avec laquelle elle a constitué un binôme efficace d'intervention et de conseil direct aux agriculteurs, Mme Bigot est très appréciée de ses interlocuteurs pour la pertinence des inflexions qu'elle a permis de donner à leurs projets. 59 Les paysagistes et architectes-conseils sont actuellement régis par l'article A.614-1 du code de l'urbanisme qui mentionne leur emploi auprès « du ministère chargé de l'urbanisme, du ministère chargé de l'architecture et du ministère chargé de l'environnement ». Le complément « agriculture et forêt » est en cours de signature. 60 Dans le même temps, il faudra veiller, par des consignes appropriées données par le ministère de l'agriculture et de l'alimentation aux DDT, à ce que les paysagistes-conseils déjà en poste auprès de ces services, consacrent une part significative de leur temps à la transition agro-écologique, ce qui n'est pas toujours le cas aujourd'hui.
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conseil, dans les centres régionaux de la propriété forestière voire dans les agences de l'eau ou les agences régionales de la biodiversité. L'efficacité de ces différentes formes d'accompagnement dépend de la mise en place de formations adaptées pour les différents intervenants.
3.1.2. La formation initiale et continue des agriculteurs, des forestiers, des urbanistes, paysagistes et agronomes
Dès lors que les démarches paysagère et agro-écologique sont complémentaires, il s'agit de réunir les compétences des agriculteurs/agronomes et des paysagistes-concepteurs et d'intégrer dans les formations de chacun un module traitant du paysage et des données agricoles. Cette acculturation réciproque évitera les incompréhensions et favorisera des échanges. L'objectif est que l'agronome et l'exploitant agricole intègrent la question des différentes échelles du territoire et que le paysagiste ait des notions sur le fonctionnement d'une exploitation et la logique d'un agriculteur. A- L'enseignement technique et supérieur agricole et la recherche agronomique L'enseignement technique agricole 61 (du certificat d'aptitude à la profession agricole (CAPA) aux brevets de techniciens supérieurs (BTS) et licences professionnelles), aborde l'enseignement de l'agro-écologie, au moyen d'un plan de 4 ans structuré dès le printemps 2014 sous l'égide de la direction générale de l'enseignement et de la recherche : ce plan « Enseigner pour produire autrement » constitue une modification majeure des cadres de pensée, et des modes d'acquisition des savoirs et des pratiques : l'objectif est de faire acquérir les compétences aux acteurs de terrain, non plus selon un modèle national unique, mais pour leur permettre de trouver les réponses à leurs problématiques locales. Les principaux travaux du plan 62 ont porté sur : La modification des référentiels de formation aux différents niveaux : BTS « Analyse et conduite de systèmes d'exploitation » ou BAC pro « Conduite et gestion de l'exploitation agricole », centrées sur la formation de futurs exploitants, pour leur faire intégrer les questions de valorisation des ressources naturelles et l'étude des écosystèmes ; Une nouvelle conception des exploitations agricoles associées aux établissements d'enseignement : celles-ci seront utilisées à des fins pédagogiques en vue de l'évolution des pratiques agricoles vers l'agro-écologie. Un financement du CASDAR 63 a été utilisé pour la transition écologique de ces exploitations afin d'en faire des références de l'agro-écologie ; La formation des enseignants à l'agro-écologie dans les établissements publics nationaux tels que la Bergerie Nationale de Rambouillet, les établissements de Florac, de Dijon, de Toulouse et de Beg Meil. Il s'agit de renforcer la mission de l'enseignement agricole prévue au code rural - relative à « l'animation et développement des territoires » (ADT). Les établissements, de la sorte, intégreront davantage l'échelle territoriale et potentiellement le montage de « projets ascendants ».
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61 700 établissements dont 220 établissements publics. 62 Tel que décrit lors de la rencontre de la Mission avec Jean-Luc Toullec (animateur national DGER/transition agro-écologique dans l'enseignement agricole) le 5 décembre 2018. 63 Compte d'affectation spéciale « développement agricole et rural ».
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En 2019, un second plan est présenté, sur la base du bilan du plan précédent et des progrès de l'agro-écologie sur le terrain. La formation à l'agro-écologie ne se contente donc pas d'une juxtaposition de techniques agricoles et de connaissances environnementales : elle affirme une dimension territoriale en termes de spécificités à étudier et d'animation à mener à cette échelle. De façon plus concrète, la mission estime que tout BTS ou Bac Pro agricole devrait très rapidement intégrer aux cursus de formation, un arpentage de terrain avec lecture de paysage, afin d'apprendre aux futurs agriculteurs à identifier les structures paysagères élémentaires d'un territoire : relief et géologie, nature des sols, masses végétales, hydrographie, et l'histoire de l'occupation humaine au moyen de cartes ou de photographies anciennes. Chaque futur exploitant percevrait ainsi comment tirer parti des atouts et faire face aux contraintes qu'offre le territoire singulier où il va exercer son activité. En ce qui concerne l'agronomie, des travaux de recherche se développent autour de la notion d' « agronomie du paysage » ; celle-ci visant à rassembler dans une même démarche l'étude des systèmes de production, de l'écophysiologie 64 et des dynamiques paysagères. Il s'agit notamment de mettre en valeur le fait que les difficultés actuelles des pratiques agricoles concernant l'érosion des sols, la perte de biodiversité et la gestion de la ressource en eau ne peuvent être traitées séparément. En revanche leur traitement à l'échelle paysagère évite un effet d' « accumulation de contraintes » génératrice de tensions et donc peu efficace 65. Ces principes sont mis en application à AgroParistech dans l'axe 2 « Contribution au développement d'une ingénierie territoriale » du projet stratégique du département « Sciences et ingénierie agronomiques, forestières, de l'eau et de l'environnement » (SIAFEE) 66. L'Unité Mixte de Recherche (UMR) INRA/Agrocampus Ouest/ESA Angers citée plus haut se consacre aux recherches sur la biodiversité, l'agro-écologie et les aménagements du paysage (« UMR BAGAP » site : www.rennes.inra.fr/bagap). L'enjeu de ces recherches porte sur les fonctions des paysages vues comme un ensemble : fonctions de production agricole, de contrôle biologique des ravageurs de culture, de pollinisation, de production de biodiversité...en développant une approche sur l'agro-écologie du paysage. La fusion de l'INRA et d'IRSTEA au 1er janvier 2020 devrait conduire à la création d'un département sur les enjeux « Territoire et paysage » (par la fusion des départements INRA SAD et Territoire de l'IRSTEA) et la création d'un département Agroécologie qui prendra en charge la dimension paysagère de l'agro-écologie. B- L'enseignement du paysage et de l'aménagement L'orientation de la discipline paysagère reste largement « urbaine ». Même si on constate une attirance des étudiants et des jeunes professionnels pour l'intervention en milieu agricole et forestier (choix des sujets de mémoires et de projets de fin d'étude 67), le référentiel de formation n'intègre
64 Discipline de la biologie, à la frontière entre l'écologie et la physiologie, qui étudie les réponses comportementales et physiologiques des organismes à leur environnement. 65 Entretien de la Mission avec Marc Benoît, chercheur à l'INRA, ancien président de la société française d'agronomie. Co-auteur d'un article intitulé « Landscape agronomy, a new field for adressing agriculturel landscape dynamics » in Landscape Ecology (2012). 66 « Pour sécuriser et accroître notre potentiel d'enseignement, il faut développer nos compétences en matière de modélisations de dynamiques de paysages et/ou de pratiques de l'espace, pour fournir des outils permettant de mieux appréhender l'impact des pratiques d'aménagement sur les ressources naturelles (eau, sol, paysages, biodiversité) et le milieu récepteur (continuité écologique), pour l'aide à la connaissance et à la décision ». 67 Témoignages recueillis lors de l'audition par la mission de la direction et des enseignants de l'école nationale supérieure du paysage de Versailles-Marseille, le 15 février 2019. Ces témoignages sont corroborés par un entretien avec la directrice de l'école nationale supérieure d'architecture et de paysage de Bordeaux, le 22 mars 2019.
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pas la question du paysage agricole et forestier. Ce référentiel, formalisé dans un document annexé à un arrêté interministériel du 9 janvier 2015 68 , comporte 21 pages dans lesquelles des mots se rapportant à l'agriculture, à l'espace rural ou à la forêt ne sont cités que 7 fois. La seule mention explicite de l'agronomie apparaît en fin d'énumération dans le domaine d'enseignement N° 3 « Culture technique et sciences de l'environnement » : « Compréhension des milieux vivants et de leurs dynamiques, en interface avec les sciences de l'ingénieur comme l'ingénierie écologique, le génie civil ou l'agronomie ». Dans le domaine d'enseignement n° 5 : « Politiques, acteurs, économie et cadre d'action du projet de paysage », il n'est question que des « enseignements portant sur l'aménagement du territoire, l'urbanisme, l'approche socio-juridique du droit de l'urbanisme, de l'environnement et du paysage ». Ni le code rural, ni le code forestier ne sont mentionnés, non plus que les acteurs correspondants. Il faudrait donc procéder à une révision du référentiel afin de le rééquilibrer en faveur d'une meilleure prise en compte des enjeux, des techniques et des outils à mettre en oeuvre pour une intervention accrue des professionnels du paysage dans les transformations attendues du monde rural. Cette révision devrait également s'appliquer à la formation des urbanistes : malgré une inclusion récente de l'espace rural et des activités qui s'y déroulent dans les travaux des agences d'urbanisme, la formation de ces professionnels ne comporte pour le moment aucune référence aux disciplines et aux métiers liés aux activités agricoles et forestières 69. En outre, pendant leurs cycles d'étude respectifs, les étudiants en paysage, en agronomie, voire en BTS agricole devraient pouvoir bénéficier de périodes de rencontres, d'acculturation et de sensibilisation à ces différentes disciplines. Au final, il serait nécessaire : En matière d'accompagnement - Inscrire de façon explicite dans le programme agro-écologique de l'État, le contrat d'objectif et de performance de l'APCA, et le PNDAR 2021-2027, le principe selon lequel agro-écologie et démarche paysagère sont indissociables ; - Favoriser la dynamique territoriale en confiant aux DRAAF plus de responsabilités dans le pilotage d'appels à projet et l'articulation avec les politiques régionales; - Faciliter le recrutement de paysagistes-concepteurs dans des postes d'ingénieurs territoriaux ; - Généraliser l'affectation de paysagistes-conseils de l'État dans les DRAAF ; - Expérimenter la pratique des vacations de paysagistes-concepteurs dans les organismes de développement de l'agriculture et de la forêt. En matière de formation - Inclure dans la formation initiale des agriculteurs une initiation à la lecture du paysage; - Inclure dans le cursus universitaire des paysagistes et des urbanistes, une meilleure prise en compte des activités agricole et forestière ; - Rendre obligatoire dans les cursus respectifs des métiers de l'agriculture et du paysage une période minimale de formation croisée.
68 https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000030110438 69 Voir le référentiel de formation édité par l'office professionnel de qualification des urbanistes (OPQU), https://www.opqu.org/wpcontent/uploads/sites/234/2017/10/2016-Contenus-formations-en-urbanisme.pdf
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Recommandation au MAA (DGPE et DGER)
R1. En matière d'accompagnement des agriculteurs, lier de manière explicite agro-écologie et paysage notamment dans les contrats d'objectif et de performance de l'APCA et dans le PNDAR, intégrer des paysagistes dans des postes d'ingénieurs territoriaux (paysagistesconcepteurs) ou en DRAAF (paysagiste-conseils), et en matière de formation, rendre obligatoire dans les cursus respectifs des métiers de l'agriculture et du paysage une période minimale de formation croisée.
3.1.3. Le paysage dans l'accompagnement financier de la transition agroécologique : analyse de la PAC actuelle 2014-2020 et proposition pour la future PAC post 2021-2027
La question est de voir dans quelle mesure la PAC actuelle porte les enjeux paysagers, et comment la future PAC pourrait mieux les intégrer dans les réflexions en cours. Une analyse du dispositif existant, décrit au point 1.3, montre, à travers une lecture « impact des mesures sur le paysage », que la conditionnalité, le paiement vert via les surfaces d'intérêt écologique (SIE) et les mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC) prennent en compte surtout l'existant, parfois imparfaitement, sans promouvoir la restauration ou la création de nouvelles infrastructures paysagères (haies notamment) dont l'intérêt agro-écologique est reconnu. Par ailleurs les DPB sont des soutiens au revenu sans lien ni avec l'agro-écologie ni avec le paysage : En ce qui concerne la conditionnalité et les BCAE, l'enjeu de maintien et de développement des haies est majeur. La conditionnalité sur ce sujet dans la future PAC ne doit pas bien sûr pas régresser. Or, malgré la BCAE n°7 (tout bénéficiaire d'une aide de la politique agricole commune a depuis 2015 l'obligation de maintenir les haies présentes sur son exploitation), on assiste encore à une baisse du linéaire de haies. Les agriculteurs interprètent négativement la BCAE n°7, ce qui a pu favoriser des arrachages de haies à l'annonce de leur protection, quand ils n'ignorent ou ne méconnaissent pas son contenu. Les services déconcentrés de l'Etat l'appliquent très variablement selon les territoires, ce qui invite à penser que la mise en oeuvre de cette règle nationale est variable selon les départements70. Pour assurer une meilleure interprétation et application de la BCAE n°7, il est proposé de mobiliser les services déconcentrés dans des pôles « bocages » locaux (associant par exemple les DDT(M), les DRAAF, les chambres d'agriculture, les Ademe Régionales, les agences de l'eau, les Conseils régionaux, les Conseils départementaux, et les associations AfacAgroforesterie régionales ou leur réseau d'opérateurs de la haie), afin d'établir une vision commune de la haie et une lecture partagée de la définition de la haie, réaliser une instruction (qui concerne en principe les interventions sur les haies, à savoir les suppressions, remplacements et déplacements, interventions qui doivent faire l'objet d'une déclaration préalable à la DDTM). En effet, la haie prend des formes très diversifiées selon les territoires,
70 Leo Magnin, doctorant en sociologie Laboratoire Interdisciplinaire Sciences Innovations Sociétés Université Paris-Est Marne-laVallée Institut d'Histoire des Représentations et des Idées dans les Modernités Ecole Normale Supérieure de Lyon
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comme l'illustre le Référentiel national sur la typologie des haies. Ces temps collectifs seront un gain qualitatif pour définir clairement ce qu'est un linéaire de haie en vue de l'action ; En ce qui concerne les SIE, le seul respect quantitatif des SIE ne suffit pas à leur donner un réel intérêt agro-écologique : leur localisation pertinente et plus généralement leur intérêt agroécologique n'entre pas en ligne de compte, ni dans un objectif paysager. On peut penser par exemple à leur rôle dans le cadre des continuités écologiques, leur rôle en matière de lutte contre l'érosion selon le substrat géologique, le calendrier pollinique, le rôle de la strate herbacée, etc. En effet, les recherches ont bien montré le rôle important de ces infrastructures, au-delà du paysage, dans le maintien de la biodiversité associée à la diversité des cultures (UMR Dynafor INRA de Toulouse-Clélia SIRAMI). Une réflexion technique visant une meilleure efficacité agro-environnementale et paysagère pourrait être mise en place, soit dans le cadre d'un auto-diagnostic, soit par exemple dans le cadre de la certification des exploitations (). Concernant les MAEC, aides du 2me pilier de la PAC, conditionnées par l'élaboration d'un projet lié à un territoire (PAEC-projet agro écologique et climatique), sont favorables à la démarche territoriale : les critiques portent sur la surface du projet parfois trop étendu pour avoir un réel impact, sur les MAEC elles-mêmes qui portent essentiellement sur le maintien de l'existant (entretien et gestion des haies, de ripisylves de milieux humides) et peu sur la restauration et la création et dont la mise en oeuvre se heurte à la limite des crédits d'animation (portés par les Régions en complément du FEADER, par l'État ou par des opérateurs type agences de l'eau) ;
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Par ailleurs, les aides à l'investissement pour la création d'infrastructures paysagères ne sont pas spécifiques et entrent donc en concurrence avec tous les autres types d'investissement de modernisation et de compétitivité des exploitations ; La réflexion en cours pour la création de paiements des agriculteurs pour service environnemental (PSE) sur le 1er pilier en substitution d'une partie des DPB actuels, pourrait être un moyen adéquat pour financer la démarche paysagère collective (cf en annexe 7 un aperçu des réflexions conduites en France sur le sujet). Pour rappel, les services environnementaux correspondent à des actions ou des modes de gestion assurés par des acteurs (agriculteurs par exemple dans le cadre d'une démarche collective agroécologique ou paysagère) qui améliorent l'état de l'environnement en contribuant à optimiser le fonctionnement des écosystèmes et ainsi augmenter les services qu'ils rendent. La rémunération correspond à une reconnaissance des services environnementaux produits par les agriculteurs au travers des choix qu'ils opèrent en orientant leurs systèmes de production et leurs interventions afin de gérer les structures paysagères dans lesquelles ces systèmes s'insèrent. Un PSE pourrait concerner par exemple le maintien et la création d'infrastructures paysagères, la couverture des sols, la diversification des cultures, ou la taille des parcelles. La France s'est positionnée en faveur des PSE dans sa note à la Commission européenne de décembre 2018. Cette position a été aussi été inscrite dans la mesure 24 du plan Biodiversité adopté en juillet 2018. La structure environnementale de la PAC, qui concerne les aspects paysagers, repose à ce stade sur 3 niveaux : 1 le maintien et l'élargissement de l'éco-conditionnalité avec notamment le maintien des prairies permanentes ;
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« l'ecoscheme » qui financerait, sur le 1er pilier, la transition écologique globale avec un financement de services environnementaux (tels que la fixation du carbone, la restauration de la biodiversité via des services comme la couverture des sols, la diversification des cultures avec un nombre minimum et des seuils en %, un maintien de parcelles en non labour, des financements différenciés selon l'âge de la prairie) ; et les MAEC qui financeraient des actions territoriales ciblée à vocation environnementale comme l'implantation de légumineuses par exemple.
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Si un impact paysager à grande échelle est recherché, « l'écoscheme » semble être l'outil adapté, dès lors qu'un pourcentage suffisant du 1er pilier y sera consacré. En l'état actuel du travail des négociations en cours entre la Commission européenne, le Conseil et le Parlement européen, la proposition de la Commission de juin 2018 fait l'objet d'une préparation d'un avis des commissions du Parlement européen. D'ores et déjà, chaque Etat membre doit préparer un plan stratégique détaillant ses intentions vis à vis des différentes rubriques de la PAC dont les aspects environnementaux sur la base d'un diagnostic partagé. Les discussions en cours sur le règlement relatif au plan stratégique montrent que les aspects paysagers font partie des enjeux de la future PAC.71 S'agissant d'un nouveau concept, des réflexions ont été conduites depuis l'été 2018 par le MAA, le MTES (commissariat général au développement durable, direction de l'eau et de la biodiversité et agences de l'eau) et le Secrétariat général des affaires européennes. Le principe général des PSE, paiements qui doivent être conformes aux lignes directrices communautaires en matière d'aides d'État (elles même compatibles avec l'OMC), est de rémunérer ces efforts/pratiques des agriculteurs en faveur de l'environnement et de l'atténuation du changement climatique lorsque ces pratiques vont au-delà des obligations réglementaires. Les PSE peuvent en outre être financés par des collectivités territoriales ou des organismes privés72. Ils peuvent se concevoir de deux manières : Correspondre à la seule compensation des surcoûts et manques à gagner liés à l'adoption de ces pratiques (logique des MAEC). Rémunérer proportionnellement à l'importance des services rendus sur la totalité de l'exploitation.
La rémunération peut concerner l'existant pour les services rendus mais aussi la transition vers d'autres services. Les services visés sont diversifiés : ils peuvent contribuer à la préservation de la biodiversité, à la protection des pollinisateurs, à la régulation des populations de ravageurs et parasites, à la protection de la ressource en eau, à la protection des sols, mais aussi aux paysages qui par leur transversalité recoupent l'ensemble de ces services.
71 Par exemple l'un des amendements proposés par la commission agriculture du Parlement européen sur la définition de l'exploitation agricole comporte des éléments paysagers (« Landscape features may hereby be included as components of the agricultural area ») ; le système agroforestier est également cité dans la définition de la surface cultivée (« it can include a combination of crops with trees and/or shrubs to form a silvoarable agroforestry system »). 72 C'est le cas des sociétés de production d'eaux minérales, qui rémunèrent des pratiques agricoles compatibles avec la protection de leurs impluviums.
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Pour la mission, la mise en place d'un tel PSE nécessite une démarche collective et territoriale portée par les acteurs du territoire (collectivités territoriales, syndicats...). À titre d'illustration, un projet expérimental est en cours entre le MAA et Eau de Paris visant à mettre en place des mesures agro-environnementales avec des cahiers des charges adaptées spécifiquement aux problématiques très localisées des territoires d'alimentation de captage gérés par cet opérateur. Les obligations des cahiers des charges sont adaptées en fonction des types d'exploitation concernés (par exemple : limitation de l'emploi des produits phytosanitaires sur grandes cultures, engagement des prairies dans une obligation réelle environnementale (ORE)73, pour les exploitations d'élevage). Au même titre que les MAEC, la dynamique collective sera assurée par Eau de Paris à travers une animation territoriale. Cet exemple montre que les PSE ne seront pas financés que par la PAC. L'exemple suisse (Annexe 12) est instructif sur les différents volets de ce que pourraient être les PSE : Ce pays a mis en place à partir de 1996 un système de paiements directs aux exploitants agricoles rémunérant des « prestations » se divisant en cinq catégories marquées par les spécificités géographiques et historiques de la Suisse. Deux catégories de paiements directs ont une influence directe sur le paysage : Maintien d'un paysage ouvert contre l'extension de la forêt, notamment en montagne, Maintien de la biodiversité: prairies extensives, zones humides et rives des cours d'eau, pâturages boisés ...
Les paiements sont cumulables et soumis à conditionnalité. En 2014, la Suisse a mis en place des paiements « paysage », qui combinent une approche topdown avec des lignes directrices fédérales et une approche bottom-up puisque les paiements directs ne peuvent être alloués que dans le cadre d'un projet collectif élaboré localement par un groupe d'agriculteurs ou une collectivité locale, un parc naturel ou une association. Au final, dans le cadre de l'éco-conditionnalité de la PAC, il serait nécessaire : - d'améliorer l'efficacité de l'actuelle BCAE no 7 en mobilisant les services déconcentrés dans des pôles « bocages » locaux. de localiser les surfaces d'intérêt écologique (SIE) sur l'exploitation de manière à optimiser leur double rôle, agro-écologique (notamment de refuge pour les auxiliaires des cultures) et de contribution à la qualité paysagère, soit dans le cadre de la conditionnalité, ou d'un paiement vert ou de la certification HVE. de rémunérer les agriculteurs via des paiements pour services environnementaux (PSE) pour la création, le maintien et l'entretien de structures agro-paysagères dans le cadre de projets collectifs territoriaux en soutenant particulièrement leur animation. d'ouvrir des mesures agri-environnementales et climatiques (MAEC) dans le cadre de la préparation des futurs « plans de développement régionaux », portant sur la ré-implantation de haies en bordure de parcelles, en bordure de bâtiments (habitations notamment) et en intraparcellaire (agro-foresterie), ainsi que des MAEC d'entretien de ces haies.
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73 https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/obligation-reelle-environnementale
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Recommandation au MAA (DGPE) R2. Construire la PAC post 2020 afin qu'elle favorise la création, le maintien et l'entretien de structures paysagères via (i) l'éco-conditionnalité (améliorer l'actuelle BCAE 7), (ii) leur localisation à des fins agro-écologiques, (iii) la rémunération des agriculteurs par des paiements pour services environnementaux ou des mesures agro-environnementales et climatiques.
3.2. Certifier les produits et les activités agricoles
Les activités agricoles ou forestières sont l'objet de labellisation et certification pouvant intégrer des critères paysagers.
3.2.1. Labels et signes de qualité et d'origine
Les signes de qualité et d'origine (SIQO) regroupent les indications géographiques AOC, AOP et IGP 74 (article L.115-1 du code de la consommation : « Constitue une appellation d'origine la dénomination d'un pays, d'une région ou d'une localité servant à désigner un produit qui en est originaire et dont la qualité ou les caractères sont dûs au milieu géographique, comprenant des facteurs naturels et des facteurs humains ») et les autres signes de qualité tel que le logo AB (agriculture biologique), le label rouge etc.. Certains paysages issus d'une production concernée par un SIQO sont emblématiques et indissociables de l'identité du produit qui en est issu, et, au-delà contribuent à l'identité-même de la région ou zone géographique concernée. On peut dire que pour certains produits, il y a un continuum, voire une association consciente ou inconsciente faite par le consommateur entre savoirfaire, produit, territoire et paysage qui constitue le « terroir ». Le terroir inclut des caractéristiques spécifiques du sol, de la topographie, du climat, du paysage et de la biodiversité. Quelques exemples : le Condrieu (vin blanc et ses murs de terrasses en pierre sèche), le fromage Bleu de Gex et les pré-bois du Jura, le Livarot avec un cahier des charges 100% herbe et l'utilisation de la race normande ou la Bourgogne et ses « clos » viticoles entourés de murs et murets de pierre. Le paysage construit devient la traduction visible et mémorisable par tous du terroir. Le paysage correspondant à un signe géographique se construit en effet par la transcription paysagère de pratiques inscrites dans le cahier des charges du signe de qualité : système de conduite pour la vigne par exemple (densité, taille, hauteur de feuillage, palissage), obligation de couvert forestier pour certains élevages de volailles Label Rouge, entretien des haies pour des AOP de viande...
74Appellation d'origine contrôlée, appellation d'origine protégée et indication géographique protégée
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Paysage de la Côte Nord de Beaune ph. D. Michel
Actions développées par l'Institut national des appellations d'origine En 2006, l'INAO, en partenariat avec le MAA a publié une plaquette sur le thème « AOC et Paysage » visant à inciter les organismes de défense et de gestion des signes de qualité (ODG) à prendre en compte le paysage dans les cahiers des charges. Aujourd'hui, plusieurs cahiers des charges ont intégré des mesures concernant des éléments du paysage caractérisant le terroir, par exemple : L'implantation ou restauration de murets en pierres sèches, réservoirs de biodiversité, mise en valeur de terroirs à forte pente... L'implantation de haies visant la protection contre l'érosion et le ruissellement, ou le développement d'une faune auxiliaire.
Ce lien repose soit sur des mesures réglementaires contenues dans les décrets de définition des produits d'appellation (aires et règles de production, usages partagés), soit sur des actions favorables au paysage. Par exemple, le cadre réglementaire de la production concernant la vigne inclut les types de cépages, la taille de la vigne, la densité de plantation, la hauteur du feuillage et du tuteurage, les pratiques de protection des sols. L'INAO intervient également en utilisant l'argument paysager d'intérêt public lorsqu'il donne son avis notamment sur des aménagements. Au final, l'attention portée au paysage sert à la fois les intérêts agronomiques, environnementaux et économiques des producteurs et lui offre la possibilité d'être reconnu pour le rôle qu'il joue dans le maintien d'un cadre de vie attirant qui constitue un bien commun, créateur de valeur. L'INAO a publié en 2017 avec l'Institut français de la vigne et du vin un guide spécifique à la filière viti-vinicole sur l'intégration de pratiques agro-écologiques en viticulture 75.
75 Guide de l'agro-écologie en viticulture. Il traduit pour cette filière les objectifs de l'agro-écologie en traitant les différentes thématiques spécifiques retenues : préserver et développer la biodiversité, en renforçant la dimension paysagère de la biodiversité, maîtriser et réduire la fertilisation, diminuer l'usage de produits phytosanitaires et développer le bio-contrôle, rechercher une meilleure
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La gouvernance des signes de qualité l'exemple du Beaufortain Dans les appellations d'origine, qualité du produit et qualité de l'espace sont souvent liés à l'intervention d'un élu local dans la promotion d'un produit et la démarche de certification d'un produit bénéficiant de l'appellation. Un des modèles « historique » du lien produit agricole-paysage se situe en terre savoyarde, dans le Beaufortain. Une coopérative y a réorganisé la collecte du lait avec notamment des systèmes de traite mobile destinés aux alpages. Un des combats principaux de la coopérative a été, avec le soutien de l'INAO, d'obtenir que le cahier des charges de cette appellation « limite très fortement l'utilisation des fourrages importés » et fasse de l'utilisation quasi exclusive de l'herbe du périmètre « une condition garantissant la typicité et la qualité du fromage ». Cela a amené les éleveurs « à faucher ou faire pâturer de nouveau les parcelles en pente, un temps délaissées ». Ainsi « on retrouve explicitement un lien, une synergie entre la qualité du produit et la qualité du paysage »76. Au plan juridique, l'agrément des ODG et la validation des cahiers des charges qu'ils portent est réalisé par 5 comités nationaux compétents de l'INAO : ces comités comportent les opérateurs des filières, des consommateurs mais aucun représentant d'ONG qui pourraient porter les questions environnementales et notamment paysagères. Ce point a d'ailleurs été évoqué lors des États généraux de l'alimentation (2017), a fait l'objet d'un amendement au code rural introduisant ces associations dans les comités nationaux de l'INAO, finalement retiré par le Conseil Constitutionnel du fait de l'éloignement de ces dispositions avec l'objet initial de la loi. Néanmoins l'intérêt de cette disposition demeure.
Montagnes du Beaufortin - ph. Site internet de la CUMA du Beaufortin
gestion de l'eau, et recourir à un matériel végétal plus adapté à l'agro-écologie. 76 Les parties en italique sont extraites de l'ouvrage de Régis Ambroise et Monique Toublanc, « Agriculture et paysage, pour le meilleur » op. cit. p. 27
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3.2.2. La certification environnementale
La certification environnementale, connue dans son niveau 3 sous le sigle HVE (haute valeur environnementale) a été introduite par les lois dites « Grenelle » de 2010. Elle est encadrée par l'État afin d'identifier les exploitations engagées dans des démarches respectueuses de l'environnement. Elle concerne les thématiques suivantes : biodiversité, traitements phytosanitaires, fertilisation, et ressource en eau. Elle repose sur une certification progressive de l'ensemble de l'exploitation, en 3 niveaux : Niveau 1 : maîtrise « des prérequis », validée par un organisme de conseil (chambre d'agriculture, organisme technique...), de la réglementation environnementale en particulier celle relative à la conditionnalité des aides PAC (dont bandes enherbées le long des cours d'eau, couverture des sols, limitation de l'érosion, maintien des particularités topographiques) et réalisation d'un auto-diagnostic de l'exploitation. Niveau 2 : obligations de moyens correspondants à des exigences d'un référentiel permettant de mettre en oeuvre sur l'exploitation des axes de progression environnementale. Exemple : identifier les infrastructures agro-écologiques dont les emplacements devront permettre de favoriser la continuité et la pérennité des bandes végétalisées. La certification qui reste individuelle peut être gérée dans un cadre collectif, via les organisations de producteurs ou via les demandes de reconnaissance de cahier des charges équivalents portées par les organisations professionnelles ou par la distribution. La reconnaissance de niveau 2 permet une communication institutionnelle de plus en plus recherchée par les acteurs des filières à la demande des marchés. Ces demandes sont soumises à l'avis de la Commission nationale de certification environnementale (CNCE), ouverte aux opérateurs des filières de la production à la transformation et distribution, aux acteurs de la société civile tels que les ONG (WWF, FNE...) et aux organisations de consommateurs. Les démarches collectives permettent de faire progresser ensemble un grand nombre de producteurs (par exemple 700 producteurs d'une cave coopérative) et donc d'avoir un impact non seulement au niveau de l'exploitation mais aussi au niveau du territoire, ce qui est l'objectif s'agissant d'avoir un impact paysager. Niveau 3 ou « HVE » : il s'appuie sur des niveaux d'indicateurs à atteindre permettant de mesurer les performances environnementales des exploitations. Une mention valorisante et le logo correspondant peuvent être apposés sur les produits bruts ou transformés « issus des exploitations HVE ». L'option A porte sur l'atteinte de résultats relatifs à la préservation de la biodiversité (diversité des productions, nombre de variétés ou d'espèces animales élevées), la stratégie phytosanitaire, la gestion de la fertilisation et la ressource en eau. L'option B évalue la performance environnementale au travers de 2 indicateurs synthétiques : le poids des intrants dans le chiffre d'affaires qui doit être inférieur à 30%, et la part de la surface agricole en infrastructures agro-écologiques (IAE) qui doit être supérieure à 10%. Si l'entrée n'est donc pas explicitement par le paysage, la localisation pertinente des IAE afin d'en faire de vrais outils au service de l'agro-écologie et du paysage pourrait être un moyen de renforcer l'impact de la certification sur ces 2 aspects. La certification environnementale se développe fortement : si 12 000 exploitations seulement étaient certifiées au niveau 2 et 1 518 au niveau 3 en 2018, les chiffres de 2019 devraient être doublés. La demande de l'aval est largement à l'origine de cette dynamique essentiellement viticole. Par ailleurs, le cadre juridique institué par la loi « EGALIM » du 30 octobre 2018 et le plan « Biodiversité », confortent la démarche de certification environnementale :
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le plan « Biodiversité » préconise un fort développement de la certification environnementale (Action 2.1 Développer l'agro-écologie au service de la biodiversité) à savoir développer le label HVE pour atteindre 15 000 exploitations certifiées en 2022 et 50 000 exploitations en 2030. la loi EGALIM fait de la certification HVE un des instruments de certification et de mise en oeuvre de l'agro-écologie et fait le lien entre les signes d'origine et de qualité et la certification environnementale 77.
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Au final, il existe bien des liens entre certification environnementale et paysage, mais un raisonnement plus explicitement paysager pourrait accélérer le rythme de la transition. Recommandation au MAA (DGPE) R3. Elargir la gouvernance des comités nationaux de l'INAO aux ONG environnementales. Accélérer la certification HVE et renforcer son impact agro-écologique et paysager par exemple par une localisation pertinente des infrastructures agro-écologiques (IAE).
3.3. Promouvoir les modes de gestion coordonnée du foncier
Le sujet du foncier est central, comme support de l'activité agricole et de l'espace territorial. Il comporte plusieurs aspects dans une approche agro-paysagère : La temporalité : l'implantation d'infrastructures paysagères et agro écologiques (points d'eau, plantations arborées), et la transition agronomique (évolution des taux de matières organiques liée aux modifications de techniques culturales, par exemple celles basées sur la conservation des sols) s'inscrivent dans la longue durée, et peuvent se heurter à l'échelle de temps d'un bail rural ; Le statut juridique du foncier à usage agricole : baux, contrats. Ce point recoupe celui sur la temporalité, avec la question du statut des infrastructures paysagères (espaces arborés) et de la plus-value liée à l'amélioration agronomique du sol grâce à des pratiques agro-écologiques. La taille des parcelles : ce point est central dans les pratiques en agro-écologie et est très impactant sur le paysage et la biodiversité.
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Les outils entre propriétaires et exploitants pouvant avoir un impact sur le développement de l'agro-écologie sont les suivants : Les associations foncières agricoles (AFA) 78 : constituées entre propriétaires de terrains à vocation agricole, pastorale ou forestière, « elles sont destinées à réaliser (ou faire réaliser) les opérations telles que l'exécution, l'aménagement, l'entretien et la gestion des travaux ou ouvrages collectifs (...) à la condition que ces travaux ou ouvrages contribuent au développement rural ou à la préservation ou à la remise en bon état des continuités écologiques dans leur périmètre ». Cette forme juridique est surtout développée en matière de pastoralisme (AFP) mais pourrait présenter un intérêt pour le développement de l'agro-écologie et en particulier d'infrastructures arborées à une échelle pouvant devenir significative.
77 Article 47 : la certification environnementale concourt de façon majeure à l'agro-écologie, Article 48 : tous les cahiers des charges des SIQO devront faire l'objet d'une certification environnementale au 1er janvier 2030. Article 24 : 50% de produits durables ou sous signes d'origine et de qualité (dont 20% de produits issus de l'agriculture biologique) dans la restauration collective publique à partir du 1er janvier 2022 78 Article L-131-1 et L-131-2 du code rural
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Les obligations réelles environnementales (ORE) : ce dispositif introduit par la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, permet aux propriétaires de mettre en place une protection environnementale liée au bien. Un contrat (pouvant aller jusque 99 ans) est établi en forme authentique, avec un cocontractant qui peut être une collectivité publique, un établissement public, ou une personne morale de droit privé agissant pour la protection de l'environnement. Cette formule présente l'intérêt de pouvoir impliquer dans la durée des acteurs non agricoles dans la recherche du maintien et de l'amélioration du foncier (infrastructures paysagères et qualité du sol). Le caractère récent de cet outil peut expliquer sa faible utilisation79. Le bail rural à clauses environnementales (BRE)80 : il est mis en place par la loi d'orientation agricole de 2006 puis élargi par la loi d'avenir de 2014 aux bailleurs privés pour conclure des BRE sur la totalité du territoire (et non plus seulement sur des parcelles situées en zones protégées), à la condition toutefois que ces baux visent le maintien d'infrastructures écologiques ou de pratiques environnementales existantes. Il s'avère être surtout utilisé par des bailleurs publics, notamment dans des zones à enjeux pour la protection de la ressource en eau. La mise en commun d'assolement : des exemples existent, en particulier sous forme de Société en participation 81 (SEP), forme juridique dépourvue de personnalité morale, chaque associé demeurant propriétaire des biens constituant son apport au fonds commun. Cette mise en commun facilite la rationalisation des déplacements et travaux dans les parcelles, la définition d'une stratégie à plus grande échelle pour le choix des rotations et l'implantation d'infrastructures écologiques. Enfin, elle mobilise la force du collectif. La sous-traitance intégrale : l'étude Actif'agri 82 indique que cette forme d'agriculture concerne, en 2016, 12,5% des exploitations de grandes cultures, essentiellement des exploitations moyennes à grandes. L'étude évoque notamment comme raisons de recours à cette forme d'exploitation, l'approche de la cessation ou la cessation effective d'activité. La sous-traitance intégrale de la conduite des cultures relèverait alors du passage d'une logique productive à une logique de gestion « immobilière » du foncier. À propos de la forme de délégation la plus avancée, celle d'assistance à maitre d'ouvrage, l'étude cite les travaux de Purseigle et Anzalone qui estiment que « derrière ces dispositifs nouveaux de délégation intégrale des travaux de culture se dessinent les contours de formes d'«agriculture sans agriculteurs », entièrement gérées par des prestataires de service ».
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Les outils impliquant les propriétaires (AFA, obligations réelles environnementales, baux à clauses environnementales) sont actuellement très peu mobilisés. Ils présentent pourtant un intérêt évident dans l'optique d'associer des non agriculteurs (privés et collectivités publiques) à la transition agroécologique et de favoriser une démarche collective. La mise en commun d'assolement est peu répandue. Les raisons sont probablement multiples (faible notoriété, réticences à mettre en commun un patrimoine...) mais pour autant il serait judicieux d'approfondir le sujet par l'analyse de retours d'expérience afin d'enrichir la boîte à outils proposée aux acteurs (propriétaires privés, collectivités
79 Juin 2019 : une ORE signée par un propriétaire privé (famille agricole) avec le Conservatoire d'espaces naturels Normandie-Ouest (20 ha sur 50 ans) 80 http://www.trameverteetbleue.fr/sites/default/files/references_bibliographiques/10_questions_10_reponses_fevrier_2016_a4.pdf 81 SEP de Bord dans l'Yonne https://wikiagri.fr/articles/lassolement-en-commun-pour-produire-mieux-ensemble-avec-thierrydesvaux/18601/. Par ailleurs, 4 GIEE affichent dans leurs projet la mise en commun d'assolement. 82 Réalisée par le MAA : Le Centre d'études et de prospective (CEP) a lancé en septembre 2017 un chantier collectif d'analyse économique, fondé sur la mobilisation d'un groupe d'experts internes et externes au ministère. Résultats publiés en juin 2019.
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et agriculteurs).
Recommandation au MAA (DGPE) MTES (DGALN) R4. Valoriser les retours d'expérience et promouvoir, en lien avec les collectivités, les outils tels que Associations foncières agricoles (AFA), baux à clauses environnementales (BCE), obligations réelles environnementales (ORE) et mise en commun d'assolement.
3.4. Traduire dans l'espace les projets agro-sylvo-paysagers
Les documents de planification spatiale sont conçus pour répondre aux besoins premiers de l'existence humaine et sociale : se loger, se déplacer, déployer des activités économiques. On s'intéresse moins, cependant, aux fonctions d'approvisionnement et en particulier à la fonction nourricière du territoire, pourtant tout aussi essentielle. La mission a examiné les documents de planification supports de démarches de projet pouvant concerner les activités agricole ou sylvicole dans leur rapport aux territoires et aux autres activités qui y sont conduites. Ceci exclut par exemple les Zones Agricoles Protégées (ZAP)83 qui ne sont pas en elles-mêmes porteuses de projet de territoire, bien qu'elles puissent, en limitant la construction, contribuer à la préservation des paysages.
3.4.1. Les périmètres de protection et de mise en valeur des espaces agricoles et naturels périurbains (PAEN)
La loi du 23 février 2005, relative au développement des territoires ruraux (DTR), a créé les « périmètres de protection et de mise en valeur des espaces agricoles et naturels périurbains » (PAEN) et les articles L.113-15 et suivants du CU, créés par Ordonnance du 23 septembre 2015, élargissent la compétence départementale aux établissements publics mentionnés à l'article L.113-16 84. À l'intérieur de ce périmètre, les zonages A, NA et N prévus dans le code de l'urbanisme s'accompagnent de règles qui permettent de préserver du mitage les espaces agricoles, naturels et forestiers dans les espaces péri-urbains. Après treize ans d'expérience, un bilan conduit par le ministère de l'agriculture et de l'alimentation85 comptabilise 23 PAEN, localisés dans 9 départements sur une superficie totale de 95 500 ha (soit 0.3% de la SAU du territoire métropolitain), dont 18 PAEN répartis dans quatre départements : le Rhône, la Loire, les Pyrénées-Orientales et la Loire-Atlantique. 14 PAEN sont en cours d'étude dans cinq départements (Annexe 8). Cet outil de planification est donc encore peu utilisé et mal connu des élus et des acteurs des
83 Les ZAP, instituées par la loi d'orientation agricole du 9 juillet 1999, sont des servitudes d'utilité publique mises en place à la demande d'une ou plusieurs communes, par un arrêté préfectoral pris après avis de la chambre d'agriculture et de la commission départementale d'orientation de l'agriculture (CDOA). Ces zones peuvent être instaurées pour deux motifs : la qualité de la production agricole et la situation géographique des parcelles concernées. 84 L'article L.113-16 précise que : « Le département ou un établissement public mentionné à l'article L. 143-16 du CU peut délimiter des périmètres d'intervention associés à des programmes d'action avec l'accord de la ou des communes concernées ou des établissements publics compétents en matière de plan local d'urbanisme, après avis de la chambre départementale d'agriculture et enquête publique réalisée». 85 C. de Menthière, H. de Comarmond et Y. Granger - Evaluation et proposition d'optimisation des outils concourant à la préservation des espaces naturels, agricoles et forestier-Rapport n°17076 / CGAAER et CGEDD mars 2018
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territoires. Les objectifs recherchés, en renforçant la planification, sont de donner la capacité aux départements et aux EPCI d'utiliser les PAEN pour élargir les politiques existantes, soit dans le domaine foncier (maitrise foncière pour lutter contre la spéculation par l'acquisition à l'amiable, par préemption ou par expropriation), soit dans le domaine des activités agricoles et forestières, pour une meilleure prise en compte de l'équilibre du développement de l'espace rural et la préservation des espaces naturels et du paysage, tout en respectant le développement durable. Les PAEN soumis à l'élaboration d'un programme d'action Dans la phase opérationnelle, il s'agit d'identifier des espaces porteurs d'un projet territorial agricole et de le doter d'un programme d'actions visant à la transition agro-écologique, préalablement élaboré en concertation avec les différents acteurs concernés, agriculteurs, chambre d'agriculture, Office national des forêts si le périmètre comprend des parcelles soumises au régime forestier, élus, habitants, usagers des lieux. Selon l'article L.113-21 « Le programme d'action précise les aménagements et les orientations de gestion destinés à favoriser l'exploitation agricole, la gestion forestière, la préservation et la valorisation des espaces naturels et des paysages au sein du périmètre d'intervention. » Le projet doit comprendre un plan de délimitation et une notice qui analyse l'état initial des espaces et justifie les choix du périmètre ainsi que les bénéfices attendus avec l'agro-écologie et l'agroforesterie. Ce périmètre est soumis à enquête publique. Le PAEN est par ailleurs un outil protecteur, toute modification du périmètre ayant pour effet d'en retirer une ou plusieurs parcelles ne pouvant intervenir que par décret.
Carte des PEAN de l'aire métropolitaine lyonnaise (en jaune sur la carte) et ph. Paysages de l'inter-Scot Agences d'urbanisme Lyon et Saint-Etienne
La mission souhaite que soit investigué l'élargissement du cadre d'intervention des PAEN à l'ensemble des secteurs agricoles sur le territoire métropolitain et que soit introduite l'obligation de produire un projet agricole et forestier de territoire avec programme d'action, qui incitera à la formalisation de projets conduits selon la démarche paysagère, en vue d'accélérer la transition agroécologique.
3.4.2. Les projets alimentaires territoriaux et les schémas de cohérence
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territoriale.
La loi d'avenir pour l'agriculture de 2014 crée des « projets alimentaires territoriaux » pour « rapprocher les producteurs, les transformateurs, les distributeurs, les collectivités territoriales et les consommateurs ». Ces projets « participent à la consolidation de filières territorialisées et à la consommation de produits issus de circuits courts » 86 . Élaborés « à l'initiative de l'État, des collectivités territoriales, des agriculteurs et d'autres acteurs du territoire, ils s'appuient sur (...) la définition d'actions opérationnelles ». Une reconnaissance nationale permet d'utiliser la marque et le logo associé déposés par le ministère de l'Agriculture. Il existait, en décembre 2018, 21 PAT ayant fait l'objet de labellisation nationale. Ils étaient portés par un département (le Gard), des Métropoles (Nantes, Strasbourg), des parcs naturels régionaux (Scarpe-Escaut, Livradois-Forez), des communautés d'agglomération (Douai, Mulhouse), ainsi que des zones périurbaines (Grand Pic St Loup, au nord de Montpellier), mais aussi rurales (Pays d'Olmes, en Ariège, Midi-Quercy...). Ces diverses structures étaient rassemblées dans un « réseau national des PAT » co-piloté et animé par l'association « Terres en Ville » et par L'assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA). La traduction spatiale de ces projets - multi-acteurs et ascendants - consiste en un réseau d'espaces agricoles/forestiers préservés, fondé sur la géographie ou sur l'histoire particulières du territoire, en d'autres termes sur son paysage : terres de plaine à forte valeur agronomique, terres de vallées naturellement arrosées, ou espaces dont d'anciennes traditions culturales pourraient être remises en valeur87. Enfin, il va de soi qu'on ne peut imaginer un PAT sur une surface réduite à peau de chagrin du fait d'un étalement urbain incontrôlé ! En d'autres termes, un PAT sera d'autant plus opérationnel et crédible qu'il sera adossé à une planification dont l'étude paysagère fournira la trame et le code de l'urbanisme les outils. En l'état actuel, le MAA préconise une « articulation » des projets alimentaires88 « avec d'autres outils de politique publique territoriale : Schéma de cohérence territoriale (SCoT), contrat de bassin (...) charte de PNR, etc. ». Le SCoT semble à cet égard le support le plus pertinent89. En effet, les SCoT (approuvés, en cours ou en projet) concernent aujourd'hui près de 80 % des communes et 61,1 millions d'habitants, sur près de 70 % du territoire national. Leurs porteurs sont rassemblés au sein d'une fédération nationale90 promouvant l'échange d'expériences et de pratiques. Institué par la loi « solidarité et renouvellement urbains » du 13 décembre 2000, le SCoT est défini comme « l'outil de conception et de mise en oeuvre d'une planification à l'échelle d'un large bassin de vie »91. « Destiné à servir de cadre pour les différentes politiques sectorielles, », il « assure la cohérence des plans locaux d'urbanisme intercommunaux (PLUi), des programmes locaux de l'habitat (PLH), et des plans de déplacements urbains (PDU) ».
Cette intégration dans les SCoT des enjeux « déplacements » et « logement » a marqué en 2000
86 Article L. 111-2-2 du Code Rural 87 Ainsi les fameux « murs à pêches » de Montreuil 88 Voir à cet effet sur le site du MAA la fiche intitulée « Comment construire son projet alimentaire territorial ? » 89 Les PLU(I) ne sont pas mentionnés dans cette énumération. On doit en effet en rester à l'élaboration stratégique et non à la prescription de l'occupation du sol, qui relève de la mise en oeuvre plus concrète du projet territorial. L'équivalent « agricole » du PLU peut s'apparenter à la ZAP ou au PAEN, qui, contrairement au PAT, « descendent à la parcelle ». 90 Fédération nationale des SCoT créée en juin 2010 ; elle regroupe actuellement 302 établissements publics de SCoT. 91 Les passages en italique sont issus du site internet du Ministère de la Cohésion des territoires. http://www.cohesionterritoires.gouv.fr/schema-de-coherence-territoriale-SCoT
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une avancée significative vers un véritable projet fédérateur des principales fonctions alors identifiées comme essentielles à la vie des établissements humains : disposer d'un toit (logements), d'un emploi (zones d'activité) et d'une capacité à la mobilité (emplacements des principales infrastructures). Mais à cette époque, l'alimentation était considérée comme une fonction « automatiquement » assurée grâce à un système constitué de territoires spécialisés dans tel ou tel type d'aliment céréales, viande, lait, fruits et légumes et de moyens de transport efficaces entre ces territoires et les débouchés urbains de leurs productions. La demande sociale de traçabilité alimentaire a changé la donne : la question de l'alimentation des habitants d'une ville doit désormais aller de pair avec la planification de son développement. L'idée d'un volet agricole du SCoT est notamment mentionnée dans un récent rapport du CGAAER92 : celui-ci estime qu'il ne faut pas seulement protéger les terres non construites, mais en valoriser les usages et pour ce faire « doter les documents d'urbanisme d'un projet agricole et forestier de territoire». Un tel projet devrait identifier les unités paysagères pertinentes pour atteindre les objectifs fixés, c'est-à-dire les plus fertiles, les mieux exposées, ou encore celles dont l'histoire a montré qu'elles pouvaient être des supports pertinents pour des approvisionnements particuliers (terrasses abandonnées, anciennes ceintures maraîchères, boisements délaissés...). Ces unités sont - ou seront - dotées de structures paysagères (réseaux de haies, de canaux, de banquettes, d'allées de desserte...) permettant de maximiser leur efficacité productive. Cela suppose toutefois que la fonction alimentaire ne constitue pas « une couche de plus », un « quinzième objectif »93 mais avec leurs localisations et leurs structures - un élément du socle, de l'assise-même du schéma. Cette fonction d'approvisionnement nécessite en outre que : Le PAT apporte au SCoT un contenu stratégique (organisation de circuits courts, ciblage des territoires prioritaires et des structures paysagères associées, soutien aux producteurs...) ; La temporalité de l'élaboration du PAT ne retarde pas la planification d'ensemble du SCoT et réciproquement ; un SCoT devrait pouvoir immédiatement inclure dans ses documents graphiques la localisation des unités paysagères nécessaires à l'approvisionnement du territoire et la définition des structures paysagères permettant l'optimisation de cet approvisionnement ; Le périmètre des PAT et celui des SCoT existants ne soient pas des obstacles à leur bonne articulation (par exemple un PAT peut être « partiel » au sein d'un SCoT) ; Les natures juridiques distinctes du SCoT (planification décentralisée, uniquement annulable par le tribunal administratif) et du PAT (label d'État attribué par le ministre) ne fassent pas obstacle à leur rapprochement : le PAT ne pourrait être annexé formellement au SCoT qu'une fois son label national attribué94.
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Un colloque national organisé conjointement par la fédération des SCoT et le Réseau national des
92 Rapport N° 17076 dû à Catherine de Menthière, Hélène de Comarmond et Yves Granger. 93 Constatant que le SCoT « victime de son succès » était devenu la simple déclinaison territoriale de 14 thématiques sectorielles qui ne pouvaient « induire une approche transversale, structurée et hiérarchisée des problématiques », un rapport du CGEDD d'avril 2017 « quelles évolutions pour les SCoT » (N° 010656-01 rédigé par François Duval, Philippe Iselin et Ruth Marquès) recommandait de promouvoir : « une élaboration centrée sur les enjeux essentiels ». C'est dans le cadre de ce recentrage que se situe la recommandation qui va suivre. 94 L'élaboration parallèle d'un PAT et d'un SCoT menées actuellement sur le « Pays des Châteaux » en Val de Loire pourrait servir de référence. Cf entretien de la Mission avec Christophe Desgruelles, enseignant à l'école de paysage de Blois et président du pays et de l'agglomération blésoise, le 30 janvier 2019
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PAT favoriserait la prise de conscience réciproque de la complémentarité des démarches. L'étape ultérieure serait la reconnaissance législative du PAT comme annexe « alimentation » du SCoT, et l'inclusion dans celui-ci de prescriptions paysagères relatives à la localisation des espaces d'approvisionnement et la définition des structures paysagères associées. Le PAT, annexe alimentation du SCOT, aurait alors un caractère obligatoire. Déclinant les principes du SCoT, il reviendrait alors au(x) PLU(i), de délimiter les espaces dédiés aux fonctions alimentaires ou à la fourniture de bois - énergie ou matière première et de localiser les structures ou éléments de paysage permettant d'optimiser ces productions. Recommandation au MCT/DHUP et au MAA (DGAL) relative aux PAEN et aux PAT R5. Introduire des sous-zonages dans les PAEN en les assortissant d'un programme d'actions établi selon la démarche paysagère et en faveur de la transition agro-écologique. Etudier une modification législative faisant du PAT, une fois celui-ci labellisé, un document annexé au(x) SCoT et définir dans ces derniers les structures paysagères à vocation de production agricole et forestière qui permettent l'optimisation de cette production.
Agriculture péri-urbaine à Lyon - ph. J. Ruiz
3.4.3. Les chartes forestières de territoire
Les Chartes forestières de territoire ont été instituées par la loi d'orientation pour la forêt de 2001 déjà mentionnée. Le Code forestier (articles L 123-1 et 2) précise qu'une charte « peut être établie à l'initiative d'une ou de plusieurs collectivités territoriales, d'organisations de producteurs, de l'Office national des forêts, du centre régional de la propriété forestière ou de la chambre d'agriculture. Elle consiste en un programme d'actions pluriannuel visant à (...) garantir la satisfaction de demandes environnementales ou sociales, à renforcer la compétitivité de la filière de production, (...) et de valorisation des produits forestiers ». On compte aujourd'hui 140 de ces « chartes »95, portées par des communautés de communes, par
95 Soit près de 13 millions d'ha (23 % du territoire), et 6 800 communes
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des pôles d'équilibre territoriaux et ruraux (PETR) ou par des parcs naturels régionaux . La loi ne fixant pas de critère précis pour leur périmètre96, ce dernier dépend avant tout de la dynamique locale. La superficie forestière ainsi couverte atteint 5 millions d'ha soit 32 % de la forêt française, dont 68 % de la forêt privée, mais seulement 11 % de la forêt domaniale et 17 % de celle des collectivités locales97. Les actions listées dans ces 140 chartes portent d'abord sur la transformation et la valorisation du bois, et la commercialisation des matériaux (39%) auxquels on peut ajouter « l'amélioration et la dynamisation de la sylviculture » (11 %). Viennent ensuite le suivi, l'animation et l'évaluation du document (18%), les loisirs et le tourisme création de sentiers (14%) et enfin l'environnement et la biodiversité - inventaires, restauration écologique... (9%)98. Cette dominante économique est l'une des limites de l'outil ; les études ont toutefois mis en avant l'établissement d'un véritable dialogue entre forestiers et « autres acteurs ». Une série de chartes successives ont été élaborées à partir de 2004 sur le Morvan : comme il s'agit d'un de ces territoires sur lequel se focalisent les débats et les tensions concernant la forêt99, le contenu et la gouvernance des documents qui s'y sont succédé méritent un examen particulier que l'on trouvera en Annexe 9. Instituant un dialogue local solide, ancrées sur la spécificité d'un territoire, et constituant un projet ascendant, les chartes forestières remplissent, d'après les principes énoncés par la mission, toutes les conditions pour être un vecteur pertinent de cette transition vers la « forêt durable » annoncée par la loi d'orientation de 2001. On constate que « les aménités forestières » et la multifonctionnalité de ces espaces (production, biodiversité, tourisme) sont souvent mises en avant là où des synergies sont à créer entre acteurs (comme en témoigne le Morvan). Cette vertu médiatrice correspond bien à la conception de l'approche paysagère défendue par la mission. Ne pourrait-on orienter davantage les chartes encore très « filière-bois » vers un équilibre accru des enjeux économiques, sociaux et environnementaux dont l'approche par le paysage serait alors une « entrée » féconde ? Par ailleurs, lors de sa rencontre avec les forestiers privés100, la mission a pu constater qu'au-delà d'une appréciation positive sur les chartes, un problème était énoncé concernant leur pilotage, l'équilibre de celui-ci posant parfois problème aux professionnels de la filière bois. Depuis la Loi d'avenir pour l'agriculture et la forêt de 2014 (article 69) les acteurs forestiers ont la capacité de constituer des groupements d'intérêts économiques et écologiques forestiers (GIEEF) semblables dans leur objectif, aux GIEE déjà évoqués (cf point 2.1.1).
Plus exigeants en termes de seuils de constitution et de conditions d'agrément 101 ceux-ci se
96 L'article L 123-1 du code se borne à énoncer que les chartes sont établies « sur un territoire pertinent au regard des objectifs poursuivis » 97 Source des statistiques : plaquette éditée en 2016 par la Fédération nationale des communes forestières, chargée par le MAA d'animer le réseau des territoires porteurs de chartes. Le non-engagement dans la forêt publique dans les démarches territoriales pose question. Le seul processus comparable en termes de dialogue avec les acteurs locaux non forestiers concerne les « forêts d'exception » de l'ONF. Leur nombre (une quinzaine, parmi les plus prestigieuses : Fontainebleau, Tronçais, Chartreuse...) est volontairement limité. On peut espérer - et recommander - qu'elles soient le début d'une dynamique au sein de l'Office.... Le paysage y joue un rôle structurant. Plus de détails sur le site : www1.onf.fr/foret-exception/@@index.html 98 Source : la plaquette des communes forestières susmentionnée.https://www.fncofor.fr/docs/data/articles/fichiers/2795-24.pdf 99 La forêt du Morvan est l'une des principales « vedettes » du film « le temps des forêts » de François-Xavier Drouet, déjà cité, sorti en septembre 2018, en forme d'« alerte » face aux pratiques sylvicoles intensives. 100 Entretien du 14 février 2019 avec Antoine d'Amécourt, président de FranSylva 101 En plus d'être, comme les GIEE, « porteurs d'un « projet pluriannuel de modification ou de consolidation [des] systèmes ou modes de production », les GIEEF doivent réunir au moins 300 ha de forêt, ou 100 ha à condition de regrouper au moins 20 propriétaires. Leur
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développent plus lentement. Vis-à-vis des chartes forestières, la constitution de tels groupements de forestiers aurait pour avantage de constituer, en vis-à-vis direct des élus locaux aujourd'hui promoteurs de la plupart de ces documents, un véritable « groupe-projet » forestier. Un autre obstacle peut entraver la gestion de l'interface forêt-agriculture en général et le développement des chartes forestières en particulier : le dialogue territorial dont elles sont la traduction s'inscrit dans le cadre du développement de la forêt et de ses productions ; mais il peut également conduire au déboisement de certaines parcelles aux fins d'ouverture - ou de réouverture - de l'espace, notamment en fond de vallée suite aux boisements volontaires spontanés évoqués cidessus (partie 1-1-3), qui succèdent à une friche agricole. De tels déboisements peuvent être soumis à compensation102. Seules les communes de montagne dont le taux de boisement est supérieur ou égal à 70 % et qui opèrent un défrichement « pour des raisons paysagères ou agricoles » échappent à cette mesure 103 sous réserve de la mise en place préalable d'un « schéma concerté d'aménagement communal ». La mission estime qu'il serait judicieux d'étudier un allègement de cette procédure que l'ensemble des acteurs de terrain (agriculteurs, forestiers et élus locaux unanimes) perçoivent comme une entrave à la réouverture des paysages poursuivie depuis plusieurs années (cf partie suivante sur les plans de paysage et Annexe 10).
3.4.4. Les chartes de parcs naturels régionaux
Les PNR ont été créés par décret n°67-158 du 1 mars 1967, sous l'impulsion de la délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (DATAR). Régionalisés en 1982 dans le cadre des lois de décentralisation, puis confortés juridiquement par l'article 2 de la loi Paysage de 1993, « les parcs naturels régionaux concourent à la politique de protection de l'environnement, d'aménagement du territoire, de développement économique et social et d'éducation et de formation du public. Ils constituent un cadre privilégié des actions menées par les collectivités publiques en faveur de la préservation des paysages et du patrimoine naturel et culturel »104. La loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages (2016) consolide la position des PNR en leur confiant un rôle de mise en cohérence des politiques publiques sur leur territoire en application de leur charte : « À cette fin, ils ont vocation à être des territoires d'expérimentation locale pour l'innovation au service du développement durable des territoires ruraux. [...] La charte constitue le projet du parc naturel régional » (Annexe 10). Vers une formalisation de la contribution des PNR dans le domaine de l'agro-écologie et de la forêt durable Les Parcs sont dotés d'outils adaptés à la mise en oeuvre du développement de l'agro-écologie et des projets forestiers durables.
existence est également conditionnée par l'élaboration d'un Plan simple de gestion agréé par le CRPF sur l'ensemble de leur territoire. 102 Aux termes de l'article L 341-6 du Code Forestier (introduit par la Loi d'avenir de 2014) le défrichement peut être conditionné par « l'exécution, sur d'autres terrains, de travaux de boisement ou reboisement pour une surface correspondant à la surface défrichée, assortie, le cas échéant, d'un coefficient multiplicateur compris entre 1 et 5 » ou par le versement au CRPF d'une indemnité fixée par l'autorité administrative. 103 Article L 214-13-1 du Code Forestier, introduit par la loi d'avenir du 13 octobre 2014. 104 Article L331-1 du code de l'environnement.
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Les PNR maîtrisent pour la plupart d'entre eux, les démarches participatives avec leur capacité à associer les acteurs locaux (ils ont souvent été pionniers dans ce domaine). Les équipes sont ainsi constituées qu'on leur reconnaît une capacité d'apporter de l'ingénierie, de même qu'à intervenir de façon transversale. Territoires d'innovation et de transition, l'expérimentation est consubstantielle aux missions des PNR et intégrée à leur charte. Il reste toutefois à inscrire dans la charte cette compétence largement établie dans les faits. La première étape de formalisation serait d'identifier les espaces agricoles concernés. Or, les documents graphiques inclus dans les chartes des parcs ne sont pas toujours suffisamment précis à cet égard, ni ciblés sur les enjeux paysagers, agricoles ou sylvicoles les plus significatifs au regard des transitions en cours ou souhaitables. Une telle identification cartographique n'est cependant pas suffisante. Elle doit s'accompagner d'un véritable projet, seul à même de susciter et d'accompagner les évolutions voulues. En s'appuyant sur la démarche paysagère, ce « projet agricole et forestier de territoire en transition agro-écologique » inclurait stratégie, orientations, mesures prioritaires phares et engagement des exploitants signataires pour une transition agro-écologique ; il devrait être partie intégrante de la charte du PNR. La production d'un diagnostic sur le projet agricole et forestier territorial, lors de l'élaboration de la révision des documents d'urbanisme (schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET), SCoT, PLU(i)), par des experts aux compétences croisées (paysagiste-concepteur, architecte, agronome, conseil de l'architecture, de l'urbanisme et de l'environnement (CAUE), Chambre d'agriculture ...), devrait être systématique. De même, lors de l'insertion d'un bâtiment agricole, devrait être produite une étude architecturale et paysagère, quelle que soit la superficie des bâtiments agricoles. Des aides techniques et financières (assistance à maîtrise d'oeuvre des projets d'aménagement et de recomposition spatiale des parcelles, d'agroforesterie, selon la démarche paysagère) pour le développement de projets agricoles portés par des collectifs d'agriculteurs ou collectivités, seraient assurées par ces mêmes professionnels dans le cadre d'un projet de transition écologique. La valorisation des productions agricoles emblématiques par le biais de la marque existante « Valeur parc » 105 et le soutien de démarches de labellisation avec l'assistance technique et financière aux producteurs pourraient être systématisées, avec des actions de promotion et communication, le tout conditionné par le maintien et l'entretien de la typicité des paysages agraires. Enfin, l'aide des architectes et paysagistes-concepteurs des parcs régionaux et des CAUE pourrait être développée pour la diversification des exploitations en faveur de l'agri-tourisme durable. Par ailleurs, le PNR doit être membre d'office de la Commissions Départementales d'Orientation Agricole (CDOA), pour aider à l'installation en agriculture biologique, veiller au maintien des exploitations existantes à des tailles mesurées et inciter à l'utilisation des propriétés publiques (départementaux ou collectivités) pour l'installation de nouveaux exploitants.
105 Référence : https://www.parcs-naturels-regionaux.fr/centre-de-ressources/document/valeurs-parc-naturel-regional-la-nouvellemarque-des-parcs-naturels
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3.4.5. Les plans de paysage
Expérimentés en 1988-1989, les plans de paysage se sont mis en place dans les années 1990. La circulaire n°95-23 du 15 mars 1995 « relative aux instruments de protection et de mise en valeur des paysages » introduit la notion de « qualité et la diversité des paysages », comme patrimoine à préserver et ressource à valoriser. Les plans de paysage selon Régis Ambroise, l'un des rédacteurs de cette circulaire, « se définissent comme un processus, une dynamique qui s'appuie sur les ressources paysagères historiques et géographiques d'une petite région, pour mobiliser la population au service d'un projet de développement durable et harmonieux d'un territoire »106. Un plan de paysage est donc mis en place pour accompagner des dynamiques de transformation de paysage, ou pour repenser l'aménagement d'un territoire (paysages altérés...). Au bout d'une dizaine d'années, cependant, la dynamique des plans de paysage marque le pas. Lors de la décennie 2000, la procédure n'est plus ni portée ni encouragée. Une relance est alors mise en place en 2012 par appels à projets bisannuels ; elle trouvera son expression politique dans le « Plan national d'actions pour la reconquête des paysages et la place de la nature en ville » présenté en septembre 2014 par Ségolène Royal, alors ministre chargée de l'écologie. Il s'agit toujours, dans le cadre d'une démarche volontaire, d'accompagner la transformation des paysages pour aboutir à une mise en oeuvre du projet de territoire, en lien avec les documents d'urbanisme : énoncer des objectifs de qualité paysagère (OQP), comme outils de projet 107 et définir un programme d'actions localement débattu, s'appuyant sur les ressources locales à valoriser. L'initiative d'un plan de paysage peut émaner d'une collectivité locale, d'un groupe d'habitants, d'acteurs économiques ou encore d'associations qui souhaitent promouvoir un cadre de vie de qualité et influer sur les dynamiques de transformations du paysage. Il vise à une mise en cohérence des aspirations de la population et des principaux acteurs économiques et de l'aménagement du territoire. Les 92 lauréats des appels à projets successifs sont regroupés dans un « club plan de paysages » animé par le bureau des paysages du MTES, l'État octroyant à chaque lauréat une enveloppe de 30 000 pour mener les études nécessaires. L'élaboration du plan de paysage se décline en trois étapes décrites en partie 2.1.1 : 1. Connaissance du paysage et diagnostic ; 2. Définition de la stratégie et des objectifs de qualité ; 3. Enfin, production du programme d'actions et mise en oeuvre du projet. Les premières actions concrètes de requalification sont les garantes de l'adhésion des acteurs locaux. Elles « donnent le ton » d'une reconquête qualitative dont l'ambition se révèlera sur le long terme, comme dans la vallée vosgienne de la Bruche (Bas-Rhin) dont le processus de réouverture paysagère, mené à bien depuis plus de 30 ans, est décrit (Annexe 11). Sur l'ensemble des plans de paysage entrepris à ce jour, 20 ont mis en oeuvre leur projet de paysage, 11 vont lancer la réalisation du projet.
106
Régis Ambroise et Monique Toublanc - Paysage et agriculture pour le meilleur Educagri édition 2015
107 La loi n°2016-1087 du 8 août 2016 « pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages » (art. 171) définit les objectifs de qualité paysagère comme « les orientations visant à conserver, à accompagner les évolutions ou à engendrer des transformations des structures paysagères, permettant de garantir la qualité et la diversité des paysages à l'échelle nationale ».
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Les plans de paysage localisés en 2018
Les structures porteuses
L'élaboration d'un plan de paysage repose sur un pilotage politique, une ingénierie technique solide et une sensibilisation et concertation efficace. Souvent étudié en amont d'un PLU(i) ou d'un SCoT, (raison de son lancement par un nombre important d'EPCI), le plan de paysage et ses orientations sont repris dans le dispositif réglementaire et opérationnel (orientations d'aménagement et de programmation) de ces documents. Étudié à l'échelle intercommunale, le plan de paysage pourrait donc favoriser la mise en place de la transition agro-écologique lors de l'élaboration d'un projet agricole et forestier de territoire. Il s'inscrit parfaitement dans les trois axes définis par la mission comme marqueurs de l'agro-écologie (2me partie du rapport), pour : Traduire en termes paysagers incluant protection de la biodiversité et des ressources, le projet agricole résultant d'une perception collectivement partagée par tous les acteurs qui occupent, utilisent et transforment le territoire (agriculteurs, élus, acteurs économiques, associations et habitants...) ; Aboutir à une stratégie de mise en oeuvre du projet agricole de territoire s'appuyant sur le paysage, au travers d'un programme d'actions et de mesures aidant les exploitants agricoles à la mise en oeuvre de la transition agro-écologique, des circuits courts, des filières de qualité ; Accompagner et faciliter les évolutions pour un projet local, s'appuyant sur les ressources locales vers un développement durable.
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Des plans de paysage à dominante agricole et/ou forestière sont en capacité de promouvoir une agriculture valorisant les potentialités agro-écologique et les demandes sociétales. Ils utilisent la démarche paysagère pour mobiliser la population au service d'un projet de développement durable de territoire avec la double justification d'une correspondance paysage de qualité /produit de qualité, et de promotion de l'attractivité du territoire à des fins résidentielles et touristiques. Ils sont donc particulièrement adaptés au projet agricole en transition agro-écologique à la double échelle de l'exploitation et du périmètre du plan. Pour assurer dans la durée l'animation et la mise en oeuvre du plan. Thématiser un ou plusieurs des prochains appels à projets annuels sur la « transition agro-sylvopaysagère » pourrait avoir un bon effet d'entraînement.
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Recommandation au MAA (DGPE) et au MTES (DGALN/DEB/DHUP) relative aux chartes forestières, aux chartes de PNR et aux plans de paysage R.6 Promouvoir l'approche paysagère dans l'écriture concertée des chartes forestières de territoires; favoriser la constitution des groupements d'intérêts économiques et écologiques forestiers (GIEEF) ; étudier l'allègement des procédures relatives au défrichement quand celui-ci est effectué en vue d'une réouverture du paysage par le pastoralisme. Intégrer dans les chartes de PNR le périmètre des territoires agricoles et forestiers, et les doter d'un projet agro-sylvo-paysager de territoire en transition agro-écologique. Cibler le prochain appel à projets annuel des plans de paysage sur la thématique du paysage agricole en transition agro-écologique et forêt durable.
3.5. Susciter ou reconnaître des projets démonstrateurs
Il s'agit d'illustrer les préconisations du présent rapport en suscitant et primant des « projets de transition agro-écologique par le paysage ». La mission a expliqué que la nécessaire transition agro-écologique ne peut que partir des territoires, dans leur singularité remise à l'honneur, et grâce à des dialogues entre acteurs localement réunis pour établir un projet mené à la double échelle des exploitations et de leurs territoires. Ces principes, resteront toutefois théoriques s'ils ne sont pas concrètement illustrés par des exemples reproductibles en nombre suffisant pour « donner envie » aux acteurs locaux dans chaque catégorie de région agricole ou de massif forestier, de s'engager dans cette voie. Mais l'émergence de tels projets suppose un accompagnement local dont la mise en place est par ailleurs recommandée 108 , mais qui ne produira ses effets que de manière progressive. Des « preuves par l'exemple » de l'intérêt de la méthode qui fonde les recommandations du rapport pourraient être identifiées plus rapidement grâce à un appel à projets national. La mission recommande au ministère de l'Agriculture de s'appuyer à cet effet sur un réseau institutionnel ancré sur les territoires ruraux, celui des conseils d'architecture, d'urbanisme et d'environnement (CAUE), dont la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages du 8 août 2016 est venue reconnaître juridiquement109 l'implication déjà ancienne dans la démarche paysagère Implanté dans 93 départements sur 100, ce réseau comptait au nombre de ses personnels permanents plus d'une centaine de paysagistes-concepteurs110. Les domaines de l'agriculture et de la forêt sont tout à fait familiers à ce réseau puisque sa fédération nationale (FNCAUE) a animé, à partir d'un colloque fondateur organisé en 2009 avec le ministère de l'Agriculture 111 , une série de « semaines nationales agriculture et paysage », à périodicité
108 On a déjà noté la faiblesse de l'ingénierie de projet en milieu rural, en dehors des 16 % du territoire couverts par l'un des 53 parcs naturels régionaux actuellement labellisés. 109 Son article 173 modifie la loi de 1977 (qui avait créé les CAUE) en ajoutant le paysage à l'énumération de leurs compétences à la description de leurs activités de conseil aux particuliers et aux collectivités. Il est précisé Les CAUE ne font pas de maîtrise d'oeuvre paysagère et sont positionnés en amont de la commande. 110 Voir le rapport conjoint sur leur devenir, rendu en novembre 2014 par le CGEDD et l'inspection générale des affaires culturelles (IGAC) (« Missions, statuts et financements des CAUE », rapport IGAC-CGEDD établi par Muriel Genthon, Aude Dufourmantelle, JeanPierre Thibault et Paul Tolila. http://www.culture.gouv.fr/Espace-documentation/Rapports/Missions-statuts-et-financements-desconseils-d-architecture-d-urbanisme-et-de-l-environnement-CAUE (pp 31-32). 111 Dont est issu un ouvrage, dû à Béatrice Julien-Labruyère et Yves Helbert co-édité par la Fédération des CAUE et Educagri : https://editions.educagri.fr/livres/4497-agricultures-et-paysages-temoignages-et-points-de-vue-des-caue.html
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biennale, qui se sont déroulées jusqu'en 2017, avec une trentaine de CAUE impliqués. Or, la fédération a animé tout récemment à la demande du ministère de la Transition écologique et solidaire un appel à projets relatif à la trame verte et bleue. Lancé en juillet 2016 en partenariat avec l'ARF, cet « appel à manifestation d'intérêt » était intitulé « de la planification régionale à la construction d'une stratégie territoriale »112 visait à recenser des démarches concrètes permettant de passer de l'abstraction d'une inscription des « corridors écologiques » dans les documents d'urbanisme à l'application matérielle d'une protection ou d'une restauration de ces espaces sur le terrain : plantation de haies, tracés adéquats de fossés ou toute autre opération pertinente de génie écologique. Huit projets ont été retenus et dotés chacun d'une enveloppe financière modeste (20 000 ), mais susceptible d'amorcer des dynamiques locales. Un séminaire d'échanges autour des projets lauréats s'est tenu le 8 mars 2017 à Paris. Dans le cas qui nous occupe, la FNCAUE pourrait solliciter l'appui de l'assemblée permanente des chambres d'agriculture pour une bonne démultiplication sur le terrain des recherches à effectuer113. Les conditions sont ainsi réunies pour le lancement, par le ministère de l'agriculture (DGPE) d'un appel à « projets de transition agro-écologique par l'approche paysagère », qui appuyé sur ce réseau des CAUE, dûment mobilisés par leur fédération, a de bonnes chances d'être productif d'un nombre suffisant une douzaine ? - d'exemples représentatifs des grandes catégories culturales et des principales régions agricoles ou forestières. Outre les chambres d'agriculture, des partenariats complémentaires (Associations d'élus...) pourraient être sollicités pour relayer cette initiative114 et une bonne valorisation des résultats de cet appel à projets, par exemple lors du Salon de l'Agriculture assurerait son rayonnement. Au sein de cet appel à projets, un volet particulier pourrait être consacré, à l'architecture et à l'implantation des bâtiments agricoles, dont on a vu le caractère actuellement banalisant pour le paysage de nos campagnes. Certains CAUE ont édité des guides ou des brochures sur ce sujet115. Le directeur-adjoint du CAUE du Loiret, l'architecte Hervé Cividino, vient de co-éditer avec « le Moniteur » un ouvrage abondamment illustré 116 décrivant avec de nombreux exemples, comment, dans certaines circonstances, le monde agricole peut bâtir aujourd'hui des bâtiments d'exploitation originaux à la fois de grande qualité et bien adaptés aux conditions de production contemporaine. L'ouvrage préconise des modèles de constructions selon les types de productions (serres, stockages, étables, bergeries...), avec des adaptations aux régions et aux structures paysagères.
112 Les documents de cadrage en sont disponibles sur le « centre de ressources Trame verte et bleue » co-géré par le ministère et l'Agence française pour la biodiversité: http://www.trameverteetbleue.fr/vie-tvb/actualites/appel-manifestation-interet-tvb-planificationregionale-construction-strategie et la page dédiée ouverte par la FNCAUE : 113 L'APCA travaille ainsi actuellement en partenariat avec l'AFAC-Agroforesterie pour susciter des projets de replantation et d'entretien d'arbres et de haies. 114 L'enveloppe mobilisée par le ministère de l'écologie en 2016 était de 200 000 , soit 20 000 pour chacun des projets comme indiqué ci-dessus et 40 000 au profit de la FNCAUE pour l'organisation de l'opération. À noter que cette enveloppe avait permis de mobiliser en régions des contributions d'un montant équivalent, soit un total de 400 000 pour la globalité du projet. 115 Par exemple, ceux du CAUE de Loire-Atlantique, du Rhône, du Doubs (fiches-conseils), de la Creuse, ou encore des DeuxSèvres (couleurs et matériaux), ou du Gard (Costières de Nîmes). 116 « Nouvelles architectures agricoles », Éditions du Moniteur, 336 pages, septembre 2018
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Recommandation au MAA (DGPE) R7. Lancer en partenariat avec le réseau des CAUE et avec l'appui de l'APCA un appel à manifestation d'intérêt sur « la transition agro-écologique par l'approche paysagère » qui permettrait de recenser et de promouvoir des initiatives ayant valeur démonstrative de la vertu facilitatrice de l'approche paysagère dans ce processus de transition.
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CONCLUSION
Les développements et recommandations qui précèdent s'inscrivent dans l'évolution annoncée des activités agricoles à l'échelle française et européenne vers une orientation agro-écologique. En facilitant et en accélérant un nouvel ancrage territorial, l'approche paysagère de l'agro-écologie devrait permettre de dépasser la seule dimension des outils techniques agricoles et sylvicoles, et de mobiliser l'ensemble des acteurs de terrain dans l'élaboration de projets adaptés aux singularités historiques et géographiques des lieux, construisant ainsi une définition contemporaine des « terroirs ». Le présent rapport a mis en lumière les éléments incontournables pour le développement fondé sur une approche paysagère de cette agro-écologie. Ils constituent une grille d'évaluation de la pertinence des moyens publics mis au service du développement de celle-ci : La prise en compte affirmée des liens humains en créant les conditions de dialogue entre acteurs, agricoles et non agricoles ; Un ancrage territorial intégrant spécificités locales que ce soit dans le domaine agronomique, géographique, économique ou en termes de gouvernance ; Une démarche de projet ascendant pour favoriser l'appropriation locale du changement des pratiques et de leurs conséquences sur le paysage environnant, dans le but de rassembler les acteurs.
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Cela signifie : Une gouvernance soucieuse de mener des projets agro-sylvo-paysagers aux échelles emboîtées du territoire et de l'exploitation, en développant les relations entre acteurs, à partir de projets définis par ces derniers ; Un soutien dans la durée aussi bien sectoriel que territorial - des politiques publiques à l'accompagnement, la formation et l'animation de ces acteurs ; Un objectif clairement affiché, sur les plans réglementaires et financiers, de promotion des piliers de l'agro-écologie que sont la réintroduction de l'arbre et la gestion agronomique des sols (amélioration de sa vie biologique) dans la stratégie des exploitations. Cela suppose de raisonner non seulement à l'échelle des exploitations mais également des filières aval.
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La démarche paysagère met en lumière l'interaction entre l'agro-écologie et l'aménagement de l'espace et du territoire et donc une indispensable synergie entre les politiques publiques, nationales et territoriales, qui n'est pas à ce jour optimisée. Le développement de l'ingénierie locale, sous les formes adaptées aux contextes locaux en constitue le pivot. Le présent rapport s'inscrit également dans deux mouvements de fond qui affectent la politique française d'aménagement de l'espace : la lutte contre l'artificialisation des sols et l'attention portée au monde rural. En premier lieu, les « projets ascendants » agro-sylvo-paysagers que préconise le rapport vont donner au territoire non artificialisé une valeur sociale, économique -agronomique- et environnementale -paysagère-, qui facilitera l'atteinte de l'objectif national de « zéro artificialisation nette » des sols.
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En second lieu, une attention politique plus soutenue aux espaces ruraux a permis de se rendre compte à quel point l'ingénierie y était défaillante : les recommandations du rapport pourraient contribuer à combler cette faiblesse en soutenant la demande d'accompagnement des acteurs de la transition agro-écologique à la double échelle de leurs projets. La mission pense avoir démontré pourquoi, et sous quelles conditions, l'approche paysagère pouvait accélérer le processus de transition vers l'agro-écologie et la forêt durable, processus incontournable que devront porter les acteurs des territoires au cours des prochaines années compte tenu de la demande sociétale. En cela, ce rapport s'inscrit bien dans l'esprit de la Convention européenne du paysage pour laquelle gérer le paysage permet de "guider et harmoniser les évolutions sociales, économiques et environnementales".
Signatures des auteurs
Dominique Michel
Architecte-urbaniste en chef de l'État
Sylvie Rocq
Ingénieure générale des ponts, des eaux et des forêts
José Ruiz
Ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts
Jean-Pierre Thibault
Inspecteur général de l'administration du développement durable
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ANNEXES
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Lettre de mission
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Liste des personnes rencontrées
NOM-PRENOM Catherine de Menthière ORGANISME Conseil général de l'agriculture, de l'alimentation et des affaires rurales CGAAER CGAAER DHUP/ DGALN, Sous-directrice FONCTION
Marie-Hélène Bouillier-Oudot Elisabeth Mercier Pastèle Soleille, sous-directrice de la qualité du Cadre de vie Gilles de Beaulieu Christian Barthod Thierry Boisseaux Régis Ambroise Raphaël Larrère, Joël Baud-Grasset Valérie Charollais,
Bureau des paysages et de la Chargé de mission Plans publicité de Paysage
Conseil général de l'environnement et du développement durable Agronome, urbaniste Sociologue et agronome Fédération nationale des conseils d'architecture, d'urbanisme et d'environnement Président et agriculteur en Haute-Savoie Directrice
Pierre Grandadam Jean-Sébastien Laumond, chargé de mission paysage
Jacques Michel, président de l'Association foncière pastorale (AFP) de Wildersbach Stéphane David, chambre d'agriculture du Bas-Rhin
Communauté de communes Président de la Vallée de La Bruche
Zoé Chaloin Baptiste Sanson, Paule Pointereau Yves Bonnefoy Philippe Pointereau, au bureau d'études
Fédération nationale des agences d'urbanisme Association française pour l'arbre champêtre-agroforesterie Terres en ville SOLAGRO
chargée de mission Directeur Chargée de mission Directeur Directeur du pôle Agroenvironnement Chargé d'études
Frédéric Coulon, à SOLAGRO Alain Daguzan,
Jack De Lozzo,
Exploitant agricole en agroforesterie à Montestruc-surGers Exploitant agricole en agroforesterie à Noilhan (Gers).
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Gilles Lardeux Triangle vert du Hurepois (Essonne) : Olivier Thomas
agriculteur à Coudray (Mayenne)
Brigitte Bouvier Denis Toulier
Bertrand Hervieu Christèle Gernigon André Barlier Gilles Flutet
Association du triangle vert
Maire de Marcoussis et conseiller régional Présidente d'honneur Agriculteur et président de l'association
Sociologue Chargée des « forêts d'exception » Directeur-adjoint Responsable du service Territoires et délimitations Animateur national DGER/transition agroécologique dans l'enseignement agricole Chargée de mission paysage Sénateur
ONF Institut national des appellations d'origine
Jean-Luc Toullec
Bergerie nationale de Rambouillet
Lamia Otthoffer
Joël Labbé, et les participants au Colloque organisé au Sénat sur les Paiements pour services environnementaux (PSE) Gaëlle des Déserts Centre d'écodéveloppement, Bergerie de Villarceaux
Héloïse Boureau Marc Giroud Michel Galmel
Christophe Pinard
Parc naturel régional (PNR) du Vexin Exploitant agricole à Tilly (Vexin Normand, Eure)
Paysagiste chargée de mission Responsable d'animation et de projets Président
Direction générale de la Chargé de mission performance économique et « agroforesterie « environnementale des entreprises (DGPE), Ministère de l'agriculture et de l'alimentation Centre National de la Propriété Forestière INRA (Mirecourt), ancien président de l'Association Française des agronomes Fondateur du « triangle vert » de Marcoussis Bureau d'études « Initial » Directrice générale Chercheur
Claire Hubert Marc Benoît
Thierry Laverne
Paysagiste-concepteur
Joséphine Billey et Lucie Poirier
paysagistes-conceptrices
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Jean Frébault,
Ancien directeur de l'agence d'urbanisme de Lyon-Métropole, et ancien président du Conseil de développement
Camille Tedesco Jérémie Tourtier Véronique Hartmann, à Mylène Volle Christian Laval Hélène Gautron Matthieu Novel Bertrand Girard
Agence d'urbanisme du Grand Lyon Syndicat du SCoT du Grand Lyon Agglomération lyonnaise Direction départementale des territoires du Rhône Département du Rhône
Chargée de mission Cheffe de service
Marie-Christine Evrard
Rémi Janin, Christophe Degruelle
Chargé de l'agroenvironnement Communauté de communes Chargée de mission des Monts du Lyonnais Chambre d'agriculture du Chargé du territoire Rhône métropolitain Syndicat du SCoT du Beaujolais Union du SCoT de l'Estlyonnais
Paysagiste-concepteur et exploitant agricole Agglomération « BloisAgglopolys » Association des communautés de France France-NatureEnvironnement Fédération des PNR Paysagiste conseil de l'État Paysagiste conseil de l'État (DRAAF Nouvelle-Aquitaine) Doctorante à l'Université Toulouse 2 Fransylva École nationale supérieure du paysage de VersaillesMarseille DGALN Président Directeur Enseignants-chercheurs chargé de mission spécialiste forestier Président
Vice-président
Responsable « forêt »
Hervé Le Bouler
Adeline Favrel
Eric Brua Nicolas Sanaa Carine Bouvatier, Caroline Bigot
Chargée de mission
Directeur Chargé de mission agricultrice dans le Gâtinais
Mathilde Rue
Antoine d'Amécourt Vincent Piveteau Sophie Bonin, Pauline Friole, Alexis Pernet, Yves Petit-Maugin, Monique Toublanc, Roland Vidal Pierre Leconte,
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Joël Labbé, Dominique Potier Martial Saddier Luc Servant
sénateur du Morbihan député de Meurthe et Moselle député de Haute-Savoie Assemblée permanente des Vice-président chambres d'agriculture
Nathalie Galiri
Floriane Di Franco
Responsable du service « politique et actions agrienvironnementales » Chargée de mission
Office fédéral de l'Environnement, Confédération suisse Office fédéral de l'agriculture Chargé de mission paysage
Gilles Rudaz
Matthieu Raemy, Gérald Dayer
Chargé de mission Chef du service de l'agriculture Cheffe d'office, service de l'agriculture Chargée de mission service de l'agriculture Viticulteur à SaintLéonard (VS) Exploitant agricole à Icogne (VS)
Canton du Valais Brigitte Decrausaz Canton du Valais Laura Balet-Clavien Canton du Valais Antoine Bétrisey Jean-Michel Mayor
Alfredo Topolino Denis Michaud
Université de Genève Chambre d'agriculture du Doubs
Professeur Ancien responsable de la filière Comté Consultant, ancien chargé de mission à la chambre d'agriculture du Doubs
Mathieu Cassez
Jean-Yves Vansteelant PNR du Haut-Jura
Chargé de mission Agriculture
Bruno Lion Guillaume Randriamampita DRAAF Occitanie Directeur adjoint Chef du service de l'agriculture et de l'agroalimentaire Chargée de mission GIEE ingénieur
Annie Boggia
Bertrand Pinel Terrena
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Frédéric Robert Baptiste Meunier Pierre Schwartz
Plateforme agroécologique Auzeville DGPE bureau du foncier DGPE sous-direction de la performance environnementale et valorisation des territoires DGPE bureau du développement agricole
Responsable opérationnel Chef du bureau Sous-directeur
Thierry Thuriet
Chef de bureau
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Eléments bibliographiques
AGRESTE - « La forêt privée en France métropolitaine : structures, propriétaires et potentiel de production », décembre 2015 Régis Ambroise, Monique Toublanc - « Paysage et agriculture, pour le meilleur », Educ'Agri, 2017 Régis Ambroise « Dessiner les paysages agricoles, pour un développement durable et harmonieux des territoires », rapport à la 9è conférence du Conseil de l'Europe sur la Convention européenne du paysage. Éditions du Conseil de l'Europe, 2017 Régis Ambroise - « L'agriculture et la forêt dans le paysage », Manuel, Ministère de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales, 2002 Régis Ambroise et Odile Marcel - « Aménager les paysages de l'après-pétrole » Collectif PAP -Editions Charles Léopold Mayer, 2015 Nathalie Arrojo, Lamia Otthofer - « Dessine-moi un paysage bio », film Bergerie Nationale, 2012 Marc Benoît, Jean-Pierre Deffontaines, Sylvie Lardon - « acteurs et territoires locaux, vers une géoagronomie de l'aménagement » Editions Quae, 2006 Marc Benoît, Antoine Messéan, François Papy, Jacques Caneill-«Des agronomes pour demain, accompagner le diversité des agricultures pour un développement durable », Editions Quae, 2008. Jean-Louis Bianco - « La forêt : une chance pour la France », La Documentation Française, 1998 Antoine de Boismenu - « La fin des paysages » FNSAFER, 2005 Sophie Bonin - « Paysages de l'agriurbain : principes, réalités et incertitudes » Territoires en mouvement, juillet 2018 Jean Cabanel - « L'aménagement des grands paysages en France » Éditions ICI-Interface 2015 Matthieu Calame, Baptiste Sanson - « La Bergerie de Villarceaux, un laboratoire pour la transition agricole », Le courrier de l'environnement, N° 64, INRA, 2014 Hervé Cividino - « Nouvelles architectures agricoles » CAUE du Loiret, Editions du Moniteur, 2018, 335p. Communauté de communes de la Vallée de la Bruche - « le paysage, c'est l'affaire de tous » Livret et Cédérom, 2005. Conseil de l'Europe « Convention européenne du paysage et textes de référence » Editions du Conseil de l'Europe, 2001. Jean-Pierre Deffontaines « Les sentiers d'un géoagronome », Éditions Arguments 1998 Jean-Pierre et Benoît Deffontaines, Denis Michaud Jean Ritter - « Petit guide de l'observation
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du paysage » Editions Quae, 2006 Pierre Donadieu - « Campagnes urbaines », Actes Sud / École nationale supérieure du paysage, 1998 Jean Dubourdieu - « Manuel d'aménagement forestier, gestion durable et intégrée des écosystèmes forestiers », Éditions Lavoisier, 1997 FNCAUE « Agricultures et paysages, témoignages et points de vue des CAUE » Éducagri Éditions, 2009 Anne Fortier-Kriegel « Label 100 paysages de reconquête » Ministère de l'environnement, 1993 René-Louis de Girardin (marquis) - « De la composition des paysages, ou des moyens d'embellir la nature autour des habitations en joignant l'agréable à l'utile », Gallica BNF,1777 Bertrand Hervieu - « Les champs du futur », Julliard, 1994 Bertrand Hervieu, Jean Viard - « L'archipel paysan : la fin de la république agricole », Éditions de l'Aube, 2004 Bertrand Hervieu, François Purseigle - « Sociologie des mondes agricoles », Armand Colin, 2013 Initial-paysagistes (Joséphine Billet, Paule Pointereau, Lucie Poirier)- « la campagne des paysages d'Afterres 2050 » 3 fresques traduisant dans l'espace le scénario éponyme de SOLAGRO, Collectif PAP, téléchargeable. IGN (Institut national de l'information géographique et forestière) - « indicateurs de gestion durable des forêts françaises métropolitaines » Inventaire-forestier.IGN.fr, 2015 INRA - Réflexion prospective interdisciplinaire pour l'agroécologie Rapport de synthèse- avril 2019 INRA - "Stocker du carbone dans les sols français-Quels potentiels au regard de l'objectif 4 pour 1000 et à quel coût? » - Synthèse de l'étude - version du 13 juin 2019Institut français de la vigne et du vin - « Cadre juridique, outils et compétences pour le paysage en agriculture » Revue Apport N° 7, 2009. Rémi Janin La ville agricole (l'agriculture vit une révolution urbaine sans précédent traduisant un changement de civilisation profond), Éditions Openfield 2017 Catherine et Raphaël Larrère - « Penser et agir avec la nature », La Découverte, 2015 Yves Luginbühl - « Paysages : textes et représentations du paysage du siècle des Lumières à nos jours », Éditions La Manufacture, 1989 Yves Luginbühl - « La mise en scène du monde, construction du paysage européen », Editions du CNRS, 2012 Ministère de l'Agriculture, de l'agroalimentaire, de la pêche et de la ruralité, Ministère de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement - « Paysage et aménagement foncier, agricole et forestier » Avant-propos commun des deux ministres, 2010.
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Ministère de l'Agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt - « Plan de développement de l'agroforesterie » 2015. Paysages actualités, (Laurent Miguet, Yaël Haddad) « Dossier Agroforesterie », Paysagesactualités, Éditions du Moniteur, mai 2019 Alexis Pernet - « Le grand paysage en projet », Metis-presse, 2014 Rapport CGEDD-CGAAER - « Protéger les espaces agricoles et naturels face à l'étalement urbain » (Philippe Balny, Olivier Beth, Eric Verlhac) mai 2009 Rapport CGAAER - « Promotion des systèmes agro-forestiers » (Philippe Balny, Denis Domallain, Michel de Galbert). Février 2015 Rapport CGEDD - « Quelles évolutions pour les schémas de cohérence territoriale ? » ; (Ruth Marquès, François Duval, Philippe Iselin) avril 2017 Rapport CGEDD-CGAAER - « Préservation de l'élevage extensif, gestionnaire des milieux humides » (Marie-Hélène Aubert, François Guerber, Yves Brugière-Garde, Charles Dereix) juillet 2017 Rapport CGEDD - « Démarches paysaères en Europe, élément de parangonnage pour les politiques publiques françaises » (Jean-Luc Cabrit, Marie-Christine Soulié, Jean-Pierre Thibault), décembre 2017. Rapport CGAAER - « évaluation et propositions d'optimisation des outils concourant à la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers » (Catherine de Menthière, Hélène de Comarmond, Yves Granger), mars 2018. Rapport CGEDD - « maîtrise de la consommation des espaces agricoles, naturels et forestiers pour les besoins de l'urbanisation » (Philippe Bellec, Patricia Correze-Lenée, Philippe Schmit) mai 2018. Réseau des grands sites de France - « agriculteurs, forestiers et grands sites : quels partenariats ? » Actes des 9è rencontres des Grands sites de France, 2007 Olivier de Serres « Le théâtre d'agriculture et le mesnage des champs », Gallica BNF, 1600 SOLAGRO (Christian Couturier, Madeleine Charru, Sylvain Doublet et Philippe Pointereau) « Le scénario Afterres 2050 », décembre 2016. SOLAGRO (Frédéric Coulon) « État des lieux des infrastructures agroécologiques en France » - Rapport au Commisariat général au développement durable, Janvier 2012. Monique Toublanc - « Paysage en herbe, le paysage et la formation à l'agriculture durable », en coopération avec l'école nationale supérieure du paysage de Versailles-Marseille et La Bergerie Nationale, Educ'Agri éditions 2004
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Des attentes sociétales renforcées vis à vis d'une l'agriculture et d'une forêt en crises
- Attentes sociétales L'actualité aborde désormais les questions d'agriculture et de forêt dans un cadre plus large que la simple production quantitative de denrées alimentaires ou ligneuses ; celui de la santé (pesticides et alimentation), des enjeux environnementaux (changement climatique, biodiversité), de la cohésion sociale (périurbanisation/désertification, solidarités urbain-rural), du cadre de vie voire du mode de vie (vie quotidienne dans un territoire ou découverte touristique de celui-ci). Cela remet en question le développement des pratiques agricoles et forestières comme simples « techniques » sans lien avec les caractéristiques géographiques ou historiques de leurs lieux d'exercice. Plus précisément : A) Ces attentes se manifestent en termes d'environnement et plus encore de santé du fait d'une acuité de plus en plus grande des problèmes écologiques liés à l'occupation agricole ou sylvicole des sols : · pollution des eaux : une première enquête nationale réalisée en 2009 sur les causes d'abandon de captages d'eau potable entre 1998 et 2008 révélait que près de 50 fermetures par an avaient pour origine démontrée les pollutions par nitrates et pesticides117 ; pénuries d'eau estivales : le développement de l'irrigation sur des territoires où le pouvoir de rétention des sols et la réserve hydrique est faible : ainsi au 21 septembre dernier, 62 départements étaient concernés par des restrictions d'usage118. Les effets du changement climatique vont encore aggraver leur fréquence ; érosion et dégradation des sols : le GIS-Sols, groupement scientifique, créé en 2001 et piloté par l'Inra, a publié en 2011 un premier bilan exhaustif de l'état des sols en France où il apparaît que près de 18 % des sols présentent un risque d'érosion (hydrique essentiellement) moyen à fort en France métropolitaine, ce risque pouvant être contrecarré par une modification des pratiques culturales119 ; perte de biodiversité : parmi les pertes les plus préoccupantes figure la forte régression des insectes pollinisateurs, : 35 % de ce que nous mangeons dépend en effet de la pollinisation par les insectes. Or selon une synthèse publiée en par la revue « Biological Conservation » 41% des espèces d'insectes voient leurs populations décliner de plus de 30%120, avec pour conséquence la chute du nombre d'oiseaux communs dans les
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117 L'étude a dénombré au total 4811 abandons, le plus souvent par rationalisation de la production (captages trop petits ou mal placés) dont 1958 ayant pour cause la dégradation de qualité de l'eau (turbidité fréquente) au sein de laquelle 958 sont explicitement d'origine agricole soit près de 50 par an sur la période de l'enquête https://solidaritessante.gouv.fr/IMG/pdf/bil0212.pdf 118 Source : https://www.terre-net.fr/meteo-agricole/article/le-point-sur-les-departements-concernes-par-des-restrictions-dusage-de-l-eau-2179-140218.html . En août 2017, ce chiffre est monté à 85. 119 L'INRA préconise la plantation de « haies, taillis, bandes enherbées, fossés, pour endiguer le ruissellement et empêcher l'érosion.». 120Cité par « Sciences et Avenir » en ligne du 11/02/2019: https://www.sciencesetavenir.fr/animaux/biodiversite/insectes-untiers-des-especes-menacees-de-disparition_131393
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zones où l'utilisation des pesticides est la plus intensive ; · risques naturels renforcés : tandis que l'absence de couverture hivernale et le tassement des sols et la régression des haies favorisaient le ruissellement, le drainage a fait disparaître nombre des espaces tampons naturels que constituaient les marais littoraux ou rivulaires 50 % de leur surface perdue entre 1950 et 1990 - avec les conséquences que l'on connaît sur la rapidité accrue des crues et des submersions ;
On attend donc aujourd'hui des agriculteurs, non seulement qu'ils modifient les pratiques dommageables à l'environnement, mais aussi qu'ils contribuent aux « services écosystémiques » ou aux « solutions fondées sur la nature » qui permettront de retrouver les équilibres perdus.
B) Mais ces attentes portent également sur les « aménités » des territoires : dès lors que le sol et le territoire étaient considérés comme de simples supports techniques pour des modèles agricoles ou sylvicoles unifiés, les conséquences en termes de morphologie des espaces ont été très directes. · perte de diversité paysagère globale : le modèle agricole et forestier développé à partir des années 50 121 a produit, dans certaines zones, un paysage agricole où domine un openfield nivelé et simplifié, avec des labours « au ras du bitume » des routes départementales, et ponctué de hangars multi-usages en tôle, poutrelles et parpaings. Dans le même temps l'abandon des surfaces non mécanisables a voué certains espaces de haute ou moyenne montagne à la fermeture et la friche. monotonie, dans certaines zones, des morphologies productives agricoles et forestières : les parcelles ont crû en proportion de la taille des exploitations 122 au détriment des formations arborées, des murets ou des arbres isolés. De 1963 à 1990, le linéaire de haies a ainsi subi une perte largement supérieure à 500 000 km123. Cette simplification à l'extrême des lignes visuelles de certaines campagnes, crée une impression de « désert », d'espace déshumanisé qui peut mettre mal à l'aise aussi bien les habitants que les visiteurs.
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Objet de polémiques anciennes, mais aussi récemment renouvelées, l'exploitation sylvicole n'a pas échappé à l'uniformisation et à la banalisation. Créé en 1947, le Fonds forestier national (FFN) a permis la reconquête sylvicole d'une France dont le taux de boisement, en 1945, était singulièrement faible. Mais elle a aussi engendré ces fameuses plantations de conifères « en timbre-poste » qui ont constitué un leitmotiv paysager des territoires de moyenne montagne entre les années 60 et les années 80. La fermeture visuelle de nombreux
121 Avec une puissance et une cohérence très fortes : formation, remembrements, diffusion des techniques, facilités bancaires... 122 Celle-ci a plus que doublé en moins de 30 ans, passant d'une moyenne de 28 ha en 1988, à 63 hectares en 2016 d'après l' « enquête sur la structure des exploitations agricoles » in Agreste Primeur N° 350 Juin 2018 123 Ce linéaire est passé est passé de 1 244 110 km à 707 605 km ; Source : recensements des « boisements hors forêts » par l'Inventaire forestier national en 1963-1980 et 1977-1990, cité dans l'étude « arbres des champs », de Philippe Pointereau et Didier Bazille (Solagro, 1995, p. 30)
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fonds de vallée en déprise, soit par des épicéas ou des douglas, soit par des peupleraies en plein, fait aussi partie par du « passif paysager » de cette période. La suppression du FFN, en 1999, n'a pas pour autant calmé les critiques envers le paysage produit par les forestiers : tout récemment, le film «Le temps des forêts»124 , a dénoncé avec vigueur, les nouvelles formes de l' intensification sylvicole. 2 - Un modèle économique et social agricole/sylvicole en crise Cette crise est à la fois celle d'une société agricole et forestière en grande faiblesse démographique, mais aussi morale et d'un modèle économique qui donne lui-aussi des signes d'essoufflement. La population agricole devient numériquement marginale : le nombre d'exploitations est désormais sous la barre du demi-million, et la population active elle-même (les exploitants, leurs conjoints et les ouvriers qu'ils emploient) sous la barre du million depuis 2010125. Cette population numériquement affaiblie est de surcroît vieillissante : la part des moins de 40 ans recule constamment, passant de 34 % en 2000 à seulement 23 % en 2010. En ce qui concerne les propriétaires forestiers, leur nombre (3 300 000) reste en apparence bien plus élevé, mais en fait seul un million de personnes possèdent plus d'un ha de terrain boisé. Ces populations sont loin d'être homogènes en termes de richesse : l'essentiel des forestiers est ainsi constitué de tout petits propriétaires, qui tirent davantage de sujétions que de bénéfices de ce type de bien. Au sein de la population agricole le taux de pauvreté est de 24 % supérieur à celui des autres catégories socio-professionnelles qui est de13 %126 ; le quart le moins bien rémunéré des actifs agricoles français dispose d'un revenu annuel inférieur à 9 600 (soit 800 par mois!)127; les subventions européennes ne corrigent pas ces écarts. Dans un référé du 10 janvier 2019 128 , la Cour des Comptes leur reproche au contraire de les aggraver, estimant que « les modalités de répartition des aides directes avantagent les grandes exploitations et celles dont les activités sont les plus rentables ». Quant au mal-être agricole il est symbolisé par le taux de suicides des agriculteurs. Certes, les gestes en cause sont multifactoriels, mais on note tout de même « une surmortalité par suicide comprise entre 22 et 28 % par rapport à la population générale »129. En termes économiques, la crise que l'agriculture connaît aujourd'hui à la fois une crise de la production et une crise de ses débouchés ; Concernant la production, le premier facteur en est évidemment la diminution par artificialisation des surfaces productives au rythme de 60 000 ha par an pour les 20 dernières
124 Film documentaire de François Xavier Drouet sorti en salles en septembre 2018. Lire sa critique dans « le Monde » sur https://www.lemonde.fr/cinema/article/2018/09/12/le-temps-des-forets-le-sapin-qui-cache-le-desert-vert_5353783_3476.html 125 Soit une diminution de 52 % en vingt ans ; elle ne représente plus de 3 % à peine de la population active totale 126 In « Analyse », revue en ligne du centre d'études et de prospective du Ministère de l'agriculture (N° 14, avril 2010) http://agreste.agriculture.gouv.fr/IMG/pdf_analyse141004.pdf 127 Ces moyennes cachent également une inégalité selon les types de production : le revenu annuel moyen des céréaliers, producteurs de pommes de terres ou de betteraves s'élève à 79.800 contre 15.000 pour les éleveurs d'ovins et de bovins viande. 128 Lien de téléchargement du référé no S2018-2553 3/6 : https://www.ccomptes.fr/system/files/2019-01/20190110-refereS2018-2553-aides-directes-FEAGA.pdf 129 Le 19 janvier 2017, en réponse à une question écrite d'un sénateur, le ministre de l'agriculture admettait ces chiffres de « surmortalité par suicide comprise entre 22 et 28 % par rapport à la population générale ». https://www.senat.fr/questions/base/2017/qSEQ170124706.html
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années 130 . Cette perte de surface a été longtemps compensée par l'accroissement de la productivité. Ce n'est désormais plus le cas. L'épuisement des sols (diminution de sa teneur en matière organique notamment) ne peut plus être masqué par la fertilisation chimique. Ainsi les rendements du blé tendre (dont la culture occupe environ un tiers des terres arables), ontils progressé de 1,5 quintal par an de 1960 à 1985. Ce rythme a été divisé par trois (0,5 quintal) entre cette date et 2010, et les effets du changement climatique (sécheresses et canicules) aggravent cette tendance : il faut désormais compter avec une « mauvaise récolte » une année sur trois131. Le second élément de la crise est celui des débouchés. Les habitudes alimentaires de nos concitoyens connaissent en effet une évolution significative. Il s'agit d'une réorientation profonde, même si elle est progressive, des types d'aliments consommés : une enquête réalisée en 2016 132 notait ainsi une évolution à la hausse pour les légumes, fruits consommés quotidiennement avec 25 % des Français déclarant les consommer plus souvent qu'il y a 2 ans lors de la précédente enquête. A l'inverse, 32% des Français déclarent consommer moins souvent de la viande. Dans un pays où la viande a représenté l'orientation naturelle de la production depuis des décennies (4/5è de la production de céréales étant destinée à l'alimentation du bétail !), une telle évolution met en cause des choix d'assolement de fond. En ce qui concerne la forêt, le problème est d'un autre ordre : l'autosuffisance forestière est encore un horizon lointain : à l'inverse des bonnes pratiques recherchées en ce qui concerne la lutte contre le changement climatique et les échanges équitables nord-sud, la France continue d'importer des bois alors que le taux de prélèvement sur la forêt de métropole (et d'outre-mer) est à peine de 43 %) par rapport à la production biologique annuelle133. Il pourrait monter à 65 % sans mise en cause du renouvellement de la forêt134. Dans le domaine sylvicole, c'est d'un potentiel sous-exploité qu'il faut parler, sans même recourir à cette intensification dénoncée par « Le temps des forêts ». Le monde agro-forestier aurait donc besoin de débattre de ces nouvelles demandes sociétales comme du contexte de crise sociale et économique dans lequel elles interviennent ; il s'agirait pour lui de faire comprendre sa position et ses difficultés, et d'entamer la mutation nécessaire de ses pratiques dans un climat de confiance avec les autres acteurs de la société. Or, le temps est plutôt aux accusations multiples et récurrentes sur les pesticides, la qualité sanitaire des aliments, les algues vertes, etc. à laquelle il est répondu par une accusation d'agri-bashing qui clôt le débat avant même de l'avoir amorcé. L'un des premiers constats de la mission est que le monde agricole s'est progressivement
130 Sources nombreuses et concordantes pour ces chiffres. Voir notamment le rapport du CGAAER N° 17076 « Évaluation et optimisation des outils concourant à la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers » (mars 2018) dû à Catherine de Menthière, Hélène de Comarmond et Yves Granger (pp.19-20). 131 Source : le « Scénario Afterres 2050 » établi par le bureau d'études agronomiques Solagro en 2014-2015 (pp 27 et s.) (afterres2050.solagro.org/wp-content/uploads/.../Solagro_afterres2050-v2-web.pdf) et entretien de la mission avec Philippe Pointereau, l'un de ses auteurs le 12 novembre 2018. 132 Les chiffres qui suivent sont tirés d'une enquête réalisée en ligne du 12 au 21 octobre 2016 sur un échantillon de 1 000 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus par l'institut de sondages « Harris-interactive ». https://harris-interactive.fr/reports/pratiques-alimentaires-daujourdhui-et-de-demain/ 133 Ce chiffre global masque toutefois une performance bien plus honorable des forêts domaniales - qui sont à l'équilibre et communales - qui s'en rapprochent. 134 Source Solagro 2015, Scénario Afterres 2050 op. cit. Pp 56-57
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coupé du reste de la société et même de ses « voisins », avec lesquels il n'entretient plus de « relation villageoise »135 On peut ajouter que l'habitude prise ces dernières décennies de consommer des produits ultra-transformés a accentué cette distanciation entre agriculteurs et consommateurs. Le constat n'est pas très différent en ce qui concerne les forestiers : la forte technicité de la filière produit un effet comparable d'incompréhension vis-à-vis des actes de gestion comme en témoignent les tollés soulevés par les coupes de régénération des parcelles, et les critiques, à l'inverse, envers des boisements de rapport qui « ferment » le paysage (peupleraies, « sapins de Noël » du Morvan...). Enfin, la présence de plus en plus forte dans le « monde rural » d'une population que son immédiate origine citadine rend à peu près totalement ignorante des pratiques agricoles et forestières ne fait évidemment qu'attiser les conflits entre deux « mondes » qui sont là en contact direct l'un avec l'autre, mais se parlent peu.
135 Entretien de la mission avec Bertrand Hervieu, le 11 décembre 2018.
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La montée en puissance de la préoccupation paysagère dans l'espace rural
1- Bref historique des lois relatives au paysage en France En France, la législation introduit pour la première fois la notion de paysage avec la loi du 21 avril 1906, portant sur la protection des sites et monuments naturels. Cette loi constitue le plus ancien texte législatif s'intéressant à la conservation de parties naturelles de territoires. La loi du 2 mai 1930 sur la protection des monuments naturels et des sites qui présentent un intérêt général du point de vue scientifique, pittoresque, historique, artistique ou légendaire, précise et complète l'application de la loi de 1906. La loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature précise dans son article 1er que "la protection des espaces naturels et des paysages est d'intérêt général". En 1985 est promulguée la loi "montagne" qui repose sur quelques principes pour concilier aménagement, y compris touristique, et activité agricole. Mais le principal tournant est pris avec la loi du 8 janvier 1993, dite "loi paysage", qui donne un statut juridique au paysage « ordinaire ». Elle vise à préserver la qualité paysagère dans l'ensemble de l'espace, sites remarquables mais aussi paysages du quotidien : le paysage dans l'espace rural, à l'occasion de remembrements, aux abords des villes, sur le littoral et en montagne. Les documents d'urbanisme doivent « prendre en compte la préservation de la qualité des paysages et de la maitrise de leur évolution ». Les dispositions législatives sont modifiées en matière d'enquête publique pour une meilleure concertation et la possibilité de débats autour des espaces publics. Enfin, elle renforce les chartes des parcs naturels régionaux (PNR) en imposant leur prise en compte dans les documents d'urbanisme. En 2000, la Convention européenne du paysage (CEP) introduit le paysage comme élément structurant du développement durable, et incite les Etats membres à mettre en oeuvre des politiques visant à des mesures en vue de la protection, la gestion ou l'aménagement du paysage. Elle est ratifiée en France le 13 octobre 2005. Avec la loi du 24 mars 2014, dite "loi ALUR", la prise en compte du paysage dans les documents d'urbanisme est renforcée en modifiant l'article L 121-1136 du code de l'urbanisme. La loi du 9 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages inscrit dans la loi française, la définition que donne la CEP au mot "paysage". Une attention accrue est portée à la participation des habitants à la démarche de paysage. Elle donne une définition
136 L'article L 121-1 du Code de l'urbanisme prévoit pour « les schémas de cohérence territoriale (SCoT), les plans locaux d'urbanisme et les cartes communales un équilibre entre le développement urbain et [...] l'utilisation économe des espaces naturels, la préservation des espaces affectés aux activités agricoles et forestières, et la protection des sites, des milieux et paysages naturels [...], la sauvegarde des ensembles urbains et du patrimoine bâti remarquables, la qualité urbaine, architecturale et paysagère, notamment des entrées de ville(texte en rouge introduit en 2014, avec la loi ALUR), [...] la préservation de la qualité de l'air, de l'eau, du sol et du sous-sol, des ressources naturelles, de la biodiversité, des écosystèmes, des espaces verts, la préservation et la remise en bon état des continuités écologiques ».
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des "objectifs de qualité paysagère", outils de projet. Enfin, elle explicite les missions des CAUE pour le paysage. Ces lois ont renforcé les exigences vis-à-vis de la qualité du paysage ordinaire, notamment dans les territoires ruraux, en plaçant les collectivités en mesure de fixer des objectifs. Ainsi, depuis a minima le milieu du 20ème siècle, le paysage est perçu comme un outil de connaissance et d'évaluation au service du projet par les professionnels de l'aménagement, du paysage et de l'agriculture ainsi que par l'ensemble des acteurs de l'aménagement des territoires. 2- Le paysage à la croisée de différentes disciplines : Les géographes du début du 20ème siècle, héritiers de Vidal de la Blache, précurseur de la géographie moderne, estiment que la description et l'explication raisonnée du paysage est la géographie. Pour les géographes plus proches de nous, le paysage est : « Ce qui se voit [...], existe indépendamment de nous, appartenant au monde réel et peut, en théorie, s'analyser objectivement ; également vécu et senti ...il doit être interprété par l'intermédiaire de sa perception »137. Pour les philosophes, le paysage est « la médiation par laquelle notre subjectivité peut avoir prise sur la réalité, objet des choses de l'environnement... » 138 Les sociologues et les ethnologues le définissent comme « désignant à la fois une réalité, l'image de la réalité et les références culturelles à partir desquelles cette image se forme ».139 Les agronomes exploitent l'observation comme outil pour comprendre les territoires agraires. Citons Jean-Pierre Deffontaines « Pas de paysage sans regard [...] Il sert à analyser les pratiques d'aujourd'hui et d'hier, car il est mémoire. Il sert également à segmenter les pays, à distinguer les terroirs. Associés aux images d'en haut, il révèle des organisations. Bref, il pose plus de questions qu'il n'en résout, mais il en pose de bonnes »140. Pour les paysagistes-concepteurs, « le paysage est nécessairement inter-subjectif car il est le résultat d'une perception sensible, immédiate et non-discriminée, de ce qui apparaît. Sans perception sensible, il n'y a pas de paysage, il n'y a qu'un morceau de territoire...et l'idée de séparer le paysage de ses perceptions est pour nous un non-sens. La responsabilité initiale des paysagistes est alors de livrer l'histoire d'un lieu vivant, qui est avant tout le résultat d'une « lecture sensible ». Celle-ci se nourrit d'arguments « objectifs » fondés sur les éléments d'analyse et de compréhension des phénomènes naturels et humains et de leurs interactions mais elle est d'abord et nécessairement sensible. Les paysagistes-concepteurs peuvent donc être considérés comme les médiateurs d'un « sens » et les révélateurs d'une histoire qui lie un territoire et les hommes qui y vivent, afin de la continuer par un projet que tous puissent s'approprier ».141
137 Roger Brunet - Analyse des paysages et sémiologie 138 Augustin Berque Les raisons du paysage. De la Chine antique aux environnements de synthèse Hazan 1995 139 Françoise Dubost et Bernadette Lizet Pour une ethnologie du paysage- in Paysages au pluriel 1995 140 Jean-Pierre Deffontaines Les sentiers d'un géoagronome Edition arguments 1998 141 Association des paysagistes-conseils de l'Etat - Vers une stratégie du paysage, contribution à la politique publique du paysage - 2015
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Les politiques publiques relatives à l'agriculture et leurs conséquences sur l'évolution du paysage rural
Cette annexe vise à expliciter, rétrospectivement et jusqu'aux années 1990 comment les politiques agricoles et forestières successives ont eu un fort impact sur le paysage. 1- Du siècle des Lumières aux années 1960 À la Révolution, le slogan "La terre aux paysans" vise la généralisation de la propriété privée, gage d'une bonne valorisation des terres par les paysans eux-mêmes favorisée la vente des terres des seigneurs ou du clergé. Nommé ministre en 1797, François de Neufchâteau mène une politique de plantation d'arbres champêtres dans les campagnes à visée plus esthétique et de production de bois qu'agronomique. Des traités agricoles (abbé Rozier-1781, Rauch 1802) font le lien entre production agricole, spécialisation des parcelles selon leurs caractéristiques agronomiques et aménagement harmonieux du territoire. À la fin du 18e siècle, la polyculture-élevage se développe dans certaines zones, car l'élevage, cantonné jusque-là à la production d'énergie de traction, devient une production à part entière avec l'introduction des cultures de prairies (graminées, trèfle, navets) dans la sole cultivée associée à des cultures fourragères (betteraves, choux): la polyculture-élevage, nouveau système de production, plus intensif, était une forme d'agro-écologie car elle mixait les prairies, cultures fourragères et céréales, l'apport de matières organiques aux sols, le partage du territoire en petites parcelles, plantées de haies protectrices des animaux, irriguées ou drainées. Ce développement modifie les paysages de manière forte. Certaines régions n'ont pas connu cette évolution et se sont consacrées aux cultures, la sole fourragère étant seulement utilisée pour nourrir les animaux de trait. Au début du 19e siècle, l'État institue des "primes d'honneur" attribuées aux "meilleurs" agriculteurs de chaque département qui serviront par la suite de modèle pour l'agriculture. À cette occasion des rapports montrent les liens entre agriculture et le paysage : description du parcellaire, des arbres isolés, des haies, des murets, éléments considérés comme utiles au système de production non séparés de la production agricole et valorisant les ressources naturelles de chaque milieu. La fin du 19e siècle puis le début du 20e voient une révolution forte de l'agriculture avec l'accès, grâce au transports (utilisation du charbon et de la vapeur), aux progrès des connaissances en physiologie végétale et en génétique, aux intrants tels que les engrais minéraux (le phosphore en premier, l'azote ensuite). 2- La politique agricole commune (PAC) à partir de 1960 Il s'agit de la première politique européenne mise en place dès le Traité de Rome en 1957, et déclinée en France par les lois d'orientation agricoles de 1960 et 1962 ; ces textes assurent à l'agriculture la garantie d'écoulement des produits à des prix rémunérateurs du fait de la protection du marché européen et de la politique de soutien aux marchés. Cette politique, associée aux progrès techniques (remplacement de la traction animale par le tracteur,
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possibilité de stocker les produits agricoles) et à l'utilisation des intrants, des pesticides et du carburant peu cher, conduit à l'accroissement de la productivité et à la spécialisation des exploitations agricoles. L'Etat accompagne ce mouvement par la mise en place d'un dispositif puissant de développement et de formation agricole et d'équipement des territoires ruraux, en électricité, eau potable et téléphone. Avec ces évolutions, le paysage agraire se dissocie des particularités du territoire et de la valeur agronomique des sols et adopte le principe de zonage qui prévaut déjà dans l'aménagement urbain dans l'esprit de la charte d'Athènes. On assiste, avec la dissolution progressive des liens fonctionnels entre cultures végétales et élevage, à la disparition des prairies et cultures fourragères dans certaines zones plus spécialisées en production céréalière. La mécanisation, accompagnant la baisse de la démographie agricole et le raccourcissement des rotations de cultures (permis par les pesticides) diminuent fortement le nombre et la diversité de cultures par exploitation et entraînent l'agrandissement des parcelles. On assiste ainsi à la transformation voire à la perte de l'identité paysagère d'un lieu avec : La disparition d'éléments paysagers structurants qui permettent de lire un territoire, ou de comprendre la logique d'implantation humaine (haies, talus, terrasses...), La disparition de structures paysagères et avec elles, les axes majeurs, les lignes de force d'un site (fonds des talwegs retournés, mares comblées), L'abandon des terres difficiles à exploiter avec la mécanisation (pentes, moyenne montagne, zones de terrasses au sud de la France) qui entraîne la formation de friches, la fermeture des paysages.
Le développement du maïs (avec l'utilisation de l'ensilage) modifie profondément le paysage du fait de la non couverture des sols en hiver et d'une culture en pleine végétation en été, exigeante en eau, alors que les céréales plus traditionnelles sont à maturité ou moissonnées à la même période. La multiplication de bâtiments agricoles de type industriel de dimensions importantes, pour le stockage des machines agricoles et des récoltes et matériels, situé en dehors du corps de ferme sans qualité architecturale, n'a pas bénéficié au paysage. L'ensemble des évolutions techniques conduisent certaines zones à la simplification, la banalisation des paysages agraires et à la fermeture des paysages non cultivés. Le paysage est une résultante de projets techniques non « pensé » en amont : les avancées techniques (lutte contre les ravageurs ou les maladies, fertilisation...) ont été appliquées à l'échelle de la parcelle sans vision globale à l'échelle de l'exploitation et a fortiori à celle d'un territoire tel que la commune, la vallée, le plateau. 3- Les inflexions du modèle à partir des années 1990 La réforme de la PAC en 1992 et la loi d'orientation agricole de 1999 d'une part et les évolutions spécifiques de certaines zones de montagne d'autre part sont un point de départ d'une inflexion au modèle d'intensification. Le cas des zones de montagne plus difficilement mécanisables
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Les transformations profondes évoquées ci-dessus conduisent en effet certaines régions de moyenne montagne et de hauts-plateaux à se désertifier et à évoluer en forêts ou en friches abandonnées, avec à la clef une fermeture des paysages. Avec la loi montagne de 1985, certaines réagissent et mettent en oeuvre des projets de territoire, avec la création d'associations foncières pastorales, souvent portées par des leaders locaux, qui associent les questions du paysage à la qualité et à la typicité des produits, avec le développement des signes de qualité et la mise en place d'organisation de producteurs (création de coopératives de production. La loi montagne142 consacre un volet important à l'activité agricole et créé l'ISM (l'indemnité spéciale montagne, transformée en ICHN (indemnité compensatoire de handicap naturel). Ce dispositif permet de maintenir une activité agricole en grande majorité d'élevage et une valorisation des montagnes et des estives avec un entretien des espaces par le pâturage. Certaines zones sont classées zones Natura 2000 ce qui permet aux éleveurs de bénéficier de contrats Natura 2000 visant à compenser des surcoûts d'exploitation. Des vallées ont été rouvertes, l'élevage a été réintroduit pour l'entretien des prés-bois jusqu'à alors en friche depuis l'abandon du pâturage. L'année 1992 constitue un tournant dans la politique agricole avec la réforme de la PAC La réforme de la PAC de 1992 avait principalement pour but de faciliter la conclusion du cycle des négociations commerciales multilatérales de l'Uruguay Round qui s'est terminé en 1994 par l'accord de Marrakech qui a donné naissance à l'OMC (Organisation Mondiale du Commerce). L'Europe modifie radicalement la PAC : Un 1er pilier est consacré au soutien aux agriculteurs non plus par les prix mais par un soutien direct au revenu par des aides directes d'abord attribuées en 1992 selon les productions (aides couplées) puis ensuite découplées à partir de 2003 et attribuées à la surface cultivée (DPU-dotation à paiement unique puis DPB-dotation au paiement de base) tout en maintenant des aides couplée pour certaines productions (aides à la vaches allaitante, aide à la brebis). Le découplage de 2003 avait pour but de faciliter l'accord à l'OMC dans le cycle de négociations commerciales engagé à Doha en novembre 2001. Ce paiement est conditionné au respect d'un certain nombre de réglementations. un 2me pilier de la PAC est créé en 1999 (dont l'élaboration et la gestion sont confiées aux Etats membres dans le cadre de plans nationaux et régionaux de développement rural) permet de cofinancer des mesures agro-environnementales (les OGAF environnementales au départ-opérations groupées d'aménagement foncier environnement puis MAE et MAEC-mesures agro-environnementales et climatiques), concernent les méthodes de production agricole compatibles avec les exigences de la protection de l'environnement ainsi que l'entretien de l'espace143. Cette politique porte alors sur des paysages considérés comme remarquables tant par leurs valeurs esthétiques et culturelles que par les productions associées.
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142 Qui n'est pas qu'une loi d'urbanisme et de développement touristique. 143 Article 19 du règlement (CEE) n·2078/92 du 30 juin 1992
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La réforme de la PAC 1992, associée à ces nouveaux outils, qui aurait pu avoir un impact paysager du fait d'un relatif moindre intérêt pour le rendement, aura au final peu d'impact car d'une part elle n'arrête pas l'agrandissement des exploitations (les aides étant versées à la surface), évolution déjà à l'oeuvre depuis de nombreuses années, et d'autre part les mesures agro-environnementales, contrats signés sur la base du volontariat, portent sur des espaces remarquables laissant de côté l'immense majorité des espaces agricoles « ordinaires ». La PHAE (prime herbagère agro-environnementale) qui a existée jusqu'en 2014 a permis de soutenir les prairies et les services qu'elles rendent notamment en matière paysagère : prairies, éléments fixes du paysage tels que les haies, ouverture et entretien des milieux. Cette PHAE n'est plus mise en oeuvre depuis la réforme de la politique agricole commune de 2014, la MAEC sur les systèmes herbagers permettant cependant de compenser cette perte. Son montant a été intégré à l'ICHN (Indemnité compensatoire de handicaps naturels) qui concerne les zones défavorisées. Avec la loi paysage du 8 janvier 1993 qui s'intéresse à l'ensemble de l'espace, notamment agricoles et forestiers., le paysage trouve une place juridique dans le dispositif agricole français au moment où celui-ci amorce une mutation. Il faut noter la quasi concomitance entre la réforme de la PAC et la Loi Paysage. Poursuivant l'évolution constatée, la loi d'orientation agricole n°99-574 du 9 juillet 1999 inscrit dans son article premier que la politique agricole a parmi ses objectifs celui de l'entretien des paysages. Les CTE (contrats territoriaux d'exploitation), signés entre l'État et l'agriculteur, sont lancés, avec une cartographie, un diagnostic du territoire et de l'exploitation : l'objectif était bien d'exprimer la « multifonctionnalité » de l'agriculture au travers sa fonction non seulement économique, mais aussi sociale et environnementale. La loi, avec cet outil, ouvre la porte à la contractualisation et aux démarches de projet. Le concept d'agroécologie va parachever cette évolution.
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Quelques réflexions sur les PSE
1- L'étude Oréade-Brèche apporte un certain nombre de confirmation et de précisions, applicables au cas de la démarche paysagère Intitulée « Paiements pour services environnementaux et méthodes d'évaluation économique : enseignements pour les mesures agro-environnementales de la PAC » - Etude no SSP-2014017 lancée à l'initiative du MAA. Elle souligne : Le besoin de recherche entre service environnemental produit et services écosystémique obtenu : néanmoins, en ce qui concerne le paysage, on peut estimer que les liens sont assez bien connus (cf. ci-dessus les liens entre pratiques agroécoloqiques et paysages), Le soutien à des services environnementaux doit être réalisé à l'échelle géographique adaptée aux enjeux environnementaux, ce qui suppose de dépasser le plus souvent le cadre de l'exploitation agricole et de mener une réflexion alliant le niveau territorial et le niveau exploitation agricole. En ce sens les travaux des MAE/MAEC dans le cadre des PAE/PAEC sont intéressants par ce travail aux 2 échelles, La nécessité d'identifier les acteurs : à la fois (1) les acteurs des services environnementaux (agriculteurs), (2) les usagers des services écosystémiques (élus, ONG et population), et (3) les acteurs d'appui à la fois en termes de connaissance et de diffusion de pratiques (encadrement, animation, recherche). Les GIEE sont cités comme étant un cadre porteur de partenariat, L'importance du choix d'une méthode pour cibler les agriculteurs à sélectionner selon les enjeux écosystémiques ciblés et les services attendus, notamment si on recherche comme pour les paysages suisses une continuité entre parcelles et exploitations, La distinction entre les approches visant un changement ou un maintien de pratiques, un financement pouvant être pérenne ou limité à 5 ou 7 ans, Le rôle majeur de la concertation, de l'accompagnement et du conseil dans le succès de mesures de type MAE ou PSE, afin de favoriser la contractualisation, La place de l'appui sur des actions collectives et des approches « systémiques » qui favorisent l'engagement des agriculteurs : aller jusqu'à la contractualisation collective ?
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Le rapport parlementaire de janvier 2019 de la députée de Charente-Maritime Frédérique Tuffnell et du sénateur de la Somme Jérôme Bignon « Terres d'eau, Terres d'avenir » confirme les points précédents, notamment la nécessité d'une démarche collective par exemple au sein de GIEE, la non fixation de plafond de surface concernées par les PSE, la durée des contrats qui doit être adaptée et suffisamment longue (10 ans par exemple), le besoin d'accompagnement technique et en ingénierie, la nécessité de partir du terrain pour définir les services environnementaux adaptés.
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2- Le dispositif envisagé pour les PSE financés par les agences de l'eau La mesure 24 du plan Biodiversité ne préjuge en rien de la manière dont les PSE seront mis en oeuvre dans le cadre de la future PAC 2020. Une 1ère enveloppe de 150 M est réservée par les Agences de l'eau dans leur 11e programme afin d'expérimenter en 2019-2021 ces PSE avant une généralisation éventuelle dans le cadre de la PAC 2020. Ce dispositif nouveau nécessite une notification spécifique d'aide d'Etat à la Commission, le RDR actuel ne prévoyant pas de PSE en visant une compatibilité avec les LDA (lignes directrices agricoles) La mise en oeuvre des PSE au bénéfice des agriculteurs devrait s'inscrire dans le cadre de projets collectifs territoriaux, ce qui va dans le sens des critères retenus pour une démarche paysagère. L'action serait ciblée sur des territoires porteurs de projets à enjeux identifiés et portés par des opérateurs territoriaux type collectivités, syndicats, GIEE... mettant en place une animation dédiée et visant une dynamique collective suffisante pour garantir une efficacité environnementale. L'identification des projets se ferait sur la base d'appels à projet lancés par les agences de l'eau. Si le dispositif actuel est ciblé sur des zones à enjeux biodiversité et eau (par exemple les points noirs de TVB, aires de captage), les zones humides.., les zones sensibles à l'érosion, la structure technique du dispositif reposerait sur des briques de pratiques dissociables et cumulables telles que (1) la création et entretien d'infrastructures agro-écologiques comme des haies, prairies permanentes..), (2) la gestion d'agro-systèmes visant la réduction de l'emploi de produits phytopharmaceutiques, (3) la gestion des sols et des couverts. On voit bien que ces pratiques ont des conséquences directes sur le paysage même lorsque ce n'est pas exprimé ainsi. Le CGDD a mis au point une technique de calcul du montant des PSE « expérimentaux » en se basant à la fois sur des valeurs guides maximum et sur des notes attribuées à l'exploitation en fonction de l'importance des services environnementaux réellement rendus mesurés sur la base d'indicateurs caractéristiques des systèmes de production agricole ou selon l'importance des structures paysagères. Quatre valeurs guides ont été calculées s'appliquant à 2 domaines d'activités des agriculteurs en situation de maintien ou de création/évolution : Maintien-entretien des structures paysagères, Création d'infrastructures paysagères, Maintien de pratiques agronomiques bénéfiques pour l'environnement, Évolution des pratiques agronomiques environnementale du système de production. pour améliorer la performance
Au final, ce dispositif pourrait très facilement s'appliquer à une démarche globale paysagère car valorisant les démarches collectives.
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3- L'étude BiodivERsA montre comment la PAC peut protéger la biodiversité et générer des services écosystémiques en diversifiant les paysages agricoles Un policy brief, publié par le réseau d'organismes de financement de la recherche BiodivERsA et rédigé par l'Institute for European Environmental Policy (IEEP), présente les résultats de 5 projets de recherche européens sur le rôle de la diversité des paysages sur la production de deux services écosystémiques clés, la pollinisation et le biocontrôle, notamment dans le contexte du changement climatique. Les chercheurs ont par exemple montré que les prédateurs naturels exercent un contrôle biologique plus efficace lorsque les paysages agricoles sont hétérogènes, c'est-à-dire lorsqu'ils comportent une forte proportion d'habitats semi-naturels (prairies, haies, parcelles forestières, rebords des champs et étangs). Sur la base de ces résultats, les auteurs proposent 5 recommandations pour la réforme 2020 de la Politique agricole commune (PAC) : 1) garantir une proportion minimale de zones non cultivées, 2) conserver et restaurer les habitats semi-naturels agricoles, 3) augmenter le budget alloué aux mesures agro-environnementales et climatiques et améliorer leur ciblage, 4) modifier les règles et la pondération allouée aux zones d'intérêt écologique dans l'attribution des aides, et 5) utiliser la PAC pour maintenir des paysages agricoles mixtes malgré la pression de la spécialisation.
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Exemple de périmètre de protection et de mise en valeur des espaces agricoles et naturels périurbains dans le département du Rhône et la métropole Lyonnaise
L'activité agricole y est très présente et occupe 1/3 du territoire SCoT, 70% du territoire non bâti soit 27 000 ha dont 11500 ha d'espaces agricoles et 10000 ha d'espaces naturels, pour un territoire de 52 715 ha. On observe une emprise majoritaire dans les territoires Est et Sud, avec une agriculture répondant aux attentes urbaines : paysage, diversification et vente directe...avec de fortes dynamiques locales. 300 exploitations, 700 équivalents-temps-plein et, comme orientations principales, les fruits, le maraichage, les grandes cultures, la polyculture-élevage. Le programme d'action du PAEN de la Métropole Grand Lyon s'articule autour de cinq axes stratégiques majeurs déclinés en diverses actions : Pérenniser la destination agricole du foncier à travers le renforcement de la concertation avec le monde agricole, la mise en place d'une stratégie foncière sur l'ensemble du territoire, la lutte contre le morcellement parcellaire et la remise en valeur les terres en friche ou sous-exploités en sensibilisant les propriétaires ; Renforcer l'ancrage territorial d'une activité agricole rémunératrice à travers : l'agroécologie comme levier de développement économique avec le développement des circuits courts, de nouvelles filières et nouveaux produits et la sensibilisation de l'ensemble des acteurs aux circuits courts, promouvoir des productions agricoles de qualité, respectueuses de l'environnement en favorisant les démarches de qualité et les pratiques respectueuses de l'environnement par des conseils adaptés auprès des exploitants agricoles ; Encourager le renouvellement des exploitations et favoriser la transmission des bâtiments à travers l'information des cédants sur l'intérêt de transmission de l'exploitation, la facilitation de l'installation de jeunes agriculteurs) ; Préserver et restaurer les continuités écologiques à travers l'incitation à la création et au maintien des corridors écologiques (haies, bandes enherbées, mares...), le renforcement de la qualité des réservoirs de biodiversité (lisières, milieux humides, retard de fauches...), la sensibilisation des promeneurs et agriculteurs (projets nature) ; Renforcer le lien entre la ville et la campagne, les citadins et les agriculteurs à travers à travers la prévention des conflits d'usages avec l'activité agricole (circulation des engins, maîtrise des risques de ruissellement et érosion avec le sans labour), information des consommateurs sur l'alimentation en communiquant sur les modes de production et de transformation, sensibilisation des urbains aux réalités de l'activité agricole.
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Les chartes forestières de territoire dans le Morvan (2004-2020)
Portée par le parc naturel régional éponyme, la première des quatre chartes successives rassemblait tous les partenaires, publics et privés, de la filière; d'une durée de trois ans et dotée d'un budget de 250 000 (dont deux tiers financés par le conseil régional et les deux conseils départementaux concerné). Elle comportait, après le préalable logique de l'amélioration des connaissances l'objectif ambitieux - muni d'une enveloppe de 140 000 à lui seul - d'« encourager des pratiques sylvicoles favorables à l'environnement et au paysage ». Malgré un bilan jugé peu probant, notamment sur l'irrégularisation des futaies et sur la gestion des haies, de nouvelles chartes ont été écrites et appliquées, pour 2008-2010, 2012-2015 et 2016-2020. La charte 2012-2015 affirmait que « le besoin de médiation [était] devenu crucial pour concilier le développement économique des activités de transformation et de valorisation de la ressource forestière, avec les objectifs de maintien de la diversité biologique et de préservation d'une harmonie des paysages ». Par rapport à l'exercice de 2004, les objectifs du document étaient nettement plus orientés vers la résilience économique de la filière sylvicole morvandelle, face au changement climatique, aux besoins du territoire en énergie et à la nécessité d'une première transformation locale. C'est dans ce cadre que la conciliation entre les différents usages de la forêt pouvait donner lieu à un dialogue apaisé entre les 34 acteurs signataires des engagements de la charte ; on y lit notamment (p 13), après le rappel que 40m3 transformés équivalent à un emploi créé : « La création d'emplois dans la transformation du bois est l'un des facteurs d'amélioration de l'acceptabilité sociale de l'exploitation forestière ». Les résultats ont été suffisamment encourageants pour qu'une quatrième charte soit signée en 2016 pour courir jusqu'en 2020. Son contenu est très semblable à celle qui l'a précédée mais elle innove par la constitution d'un « réseau d'élus référents forêt-bois » qui devrait faciliter une médiation permanente entre forestiers et autres acteurs locaux.
Photos atlas du patrimoine du Morvan
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Les chartes de parc naturel régional
La transition agro-écologique et forestière, un défi majeur pour les parcs naturels régionaux (PNR)
Il existe aujourd'hui 53 PNR reconnus en France, couvrant plus de 8,6 millions d'hectares, soit 15 % du territoire national et plus de 4300 communes où vivent plus de 4 millions d'habitant(e)s, plus nombreux dans le quart sud-est de l'hexagone et au nord de notre pays, de la Normandie à la Région Grand Est. Les activités liées à l'agriculture et à la forêt occupent une place essentielle dans les PNR. Ils comptent dans leurs territoires144 : 58 000 exploitations (soit 11 % des exploitations françaises) ; 43 % de la superficie en espaces agricoles (contre 63 % France métropolitaine) ; 60 % de la surface agricole consacrée aux prairies (contre 40 % au niveau national), la différence portant sur les prairies permanentes ; 7 % de la surface agricole en agriculture biologique (4 % au niveau national, 1 hectare en bio sur 5 est situé dans un PNR) ; 13 % de diversification (11 % au niveau national) dominée par la transformation des produits à la ferme et l'agrotourisme ; 20 % de vente des produits agricoles en circuits courts (15 % au niveau national) par la vente directe à la ferme principalement, vente sur les marchés et à des détaillants ; 94 % des communes des parcs sont sur le territoire d'une Appellation d'origine protégée ou contrôlée.
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Un PNR induit des mesures de gestion et de protection du paysage de nature contractuelle pour l'ensemble de son territoire, à la différence d'autres espaces protégés (sites classés, sites patrimoniaux remarquables, réserves naturelles), dont les mesures sont d'ordre réglementaire. L'article L 333-1 du code de l'environnement décrit précisément le contenu de la charte d'un PNR, à savoir : Un rapport déterminant les orientations de protection, de mise en valeur et de développement, notamment les objectifs de qualité paysagère définis à l'article L. 350- 1 C, ainsi que les mesures permettant de les mettre en oeuvre et les engagements correspondants ; Un plan, élaboré à partir d'un inventaire du patrimoine, indiquant les différentes zones du parc et leur vocation ;
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Sources : les Parcs naturels régionaux : chiffres clefs, commissariat général au développement durable, octobre 2014, BIO /OC, recensement agricole 2010 et Données INAO.
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Des annexes comprenant notamment le projet des statuts initiaux ou modifiés du syndicat mixte d'aménagement et de gestion du parc.
Le projet de charte initiale est « élaboré par la région et le projet de charte révisée est élaboré par le syndicat mixte d'aménagement et de gestion du parc, avec l'ensemble des collectivités territoriales et des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre concernés, en associant l'Etat et en concertation avec les partenaires intéressés, notamment les chambres consulaires ». Enfin, « L'Etat et les collectivités territoriales adhérant à la charte appliquent les orientations et les mesures de la charte dans l'exercice de leurs compétences sur le territoire du parc. Ils assurent, en conséquence, la cohérence de leurs actions et des moyens qu'ils y consacrent. Les documents d'urbanisme doivent être compatibles avec les orientations et les mesures de la charte. [...] La charte est adoptée par décret portant classement ou renouvellement du classement en parc naturel régional, pour une durée de quinze ans, du territoire des communes comprises dans le périmètre de classement ou de renouvellement de classement approuvé par la région. »
Croisement des contrats des PNR aux trois facteurs-clé favorables à la transition agroécologique
Charte et Les acteurs périmètre des PNR Origine du Région projet Avis Communes ou EPCI membres, État Décision Délibération de la région, des départements et EPCI et décret pour modifier le périmètre Approbation par décret Champ Espaces agricoles et naturels d'intervention Foncier Possibilité d'intervention foncière (acquisition par dépt ou EPCI) Procédure Enquête publique Servitude Charte transposée au SCoT Portée au PLU Mesures ou Projet agricole et multifonctionnel Plan associé à la préservation d'actions Démarche À imposer par les mesures inscrites paysagère dans la charte ou plans d'actions, dans le cadre du projet agricole ou forestier (ex. : ) Dialogue Ancrage acteurs territoire Projet ascendant
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Exemple d'un plan de paysage Le plan de paysage de la vallée de la Bruche (Bas-Rhin)
La communauté de communes de la vallée de la Bruche compte 26 communes, 22 000 habitants installés sur 300 000 ha occupés à 75% de forêt A partir des années 1960, la fermeture des usines textiles et la perte des ouvriers, également paysans-éleveurs, provoquent l'enfrichement de la vallée et la plantation de résineux (sapins de Noël), sur les anciennes prairies. Dans les années 1980, est alors engagée une première démarche paysagère sur le thème de la réouverture de la vallée, à l'exemple de la vallée de la Plaine, sur le versant lorrain des Vosges. Une première association foncière pastorale (AFP) est créée en 1986 sur la commune de Colroy-la-Roche. Elle est suivie par 22 autres AFP sur d'autres communes, regroupant un foncier initialement agro-pastoral. Les AFP, à statut d'établissement public, sont pilotées par des acteurs locaux (élus, agriculteurs, acteurs socio-économiques et bénévoles), dans le but d'assurer ou de faire assurer la mise en valeur et la gestion des fonds inclus dans le périmètre ainsi constitué. Une étude paysagère d'ensemble est conduite pendant trois ans, de 1991 à 1993, par un chargé de mission paysage recruté à temps-plein, Jean-Baptiste Laumond et un urbaniste, François Tacquard. Cette étude, premier plan de paysage, va constituer le diagnostic paysager et les objectifs de qualité paysagère sur lesquels vont reposer le plan d'actions et les mesures. Ces dernières sont prioritairement axées sur la remise en état des pâturages communaux, la réouverture des
Vallée de la Bruche photo D.Michel
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fonds de vallée humides et le défrichement à proximité des villages pour « redonner le soleil aux habitants ». Les défrichements ne sont entrepris qu'une fois les AFP assurées qu'un agriculteur sera en mesure de faire pâturer un troupeau. On compte aujourd'hui 52 exploitants agricoles actifs dans la vallée, en partie locataires des terres des AFP qui représentent 1/3 de la SAU. La vallée a regagné 1 000 ha de prairies et 48 heures annuelles de soleil de plus, en 30 ans. La mise en place (assurée par la chambre d'agriculture) de filières de commercialisation des produits en circuit court, après conditionnement ou transformation pour la consommation locale des habitants et touristes de passage, complète le projet. Ce plan de paysage est devenu véritable projet de territoire, avec des espaces ré-ouverts de trois natures : les prairies d'altitude, pâturées pendant l'estive, les prairies de plateaux, dédiées à la fauche, et les prairies de fond de vallée, réservées à la fauche pluriannuelle. Une réflexion sur l'agroforesterie, dans les prairies reconquises et le long des chemins, est en cours ainsi qu'une démarche visant à l'autonomie fourragère de la vallée, pour « inscrire l'herbe au coeur du système agricole durable », qui implique la réouverture de prairies de fauche en fond de vallée. Ainsi, le paysage de la vallée de la Bruche actuel a nécessité trente ans de gestion attentive et pragmatique du paysage, avec une adhésion sociale toujours renouvelée. Pierre Grandadam, maire de la commune de Plaine et président de la communauté de communes, qui assure le pilotage du projet depuis le début, le résume ainsi « il faut s'occuper des hommes qui s'occupent des bêtes et font de beaux près pour de bons produits
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Parangonnage européen : les « Contributions à la qualité du paysage » en Suisse
Des projets collectifs multi-acteurs et issus des territoires, mis en place depuis 2014 par l'Office fédéral de l'agriculture (OFAG) de la Confédération Helvétique
1. Cadre général
1.1- Les politiques suisses du paysage : La Suisse compte 8,4 Millions d'habitants pour 41 285 km². La Convention européenne du paysage (CEP) a été ratifiée par la Suisse en 2013. Mais dès 1962, le Parlement avait adopté un article 24sexies de la Constitution relatif à la protection de la nature et du paysage et, en 1966, était promulguée la loi correspondante sur la protection de la nature et du paysage. Puis, en 1997, une « Conception Paysage suisse » est approuvée par le Conseil fédéral (gouvernement). Toujours en vigueur, cette politique doit notamment « contrer la pression exercée par l'urbanisation et le développement des infrastructures de transport, ainsi que par le mitage et le morcellement qui en résultent ». Elle intègre la dimension paysagère dans 13 politiques sectorielles145. Le paysage est ainsi considéré comme une dimension obligatoire de chacune de ces politiques, et non pas comme une politique à part. Les objectifs de la Conception doivent être « mis en oeuvre » dans les politiques fédérales et « pris en compte » par les cantons, notamment à l'occasion de leur planification spatiale (plans directeurs cantonaux). On note toutefois que la majorité des prescriptions concerne prioritairement la nature, révélant, à ce moment, une vision très naturaliste du paysage. Une évolution importante se fait jour avec la « stratégie paysage » qui sera approuvée par l'Office fédéral de l'environnement (OFEV) en 2011, peu avant la ratification par la Suisse de la CEP. La vision du paysage qui y est proposée est beaucoup plus proche de celle de la Convention : la vision perceptive du territoire par les populations, les aspects culturels et l'évolutivité y sont désormais affirmés. Par ailleurs l'OFEV a récemment développé une approche du paysage visant les bénéfices que les populations peuvent en retirer. Ces « prestations paysagères » ont trait à l'identité, à l'attractivité, au bien-être, à la « détente » et à la qualité de vie. Initiée en mars 2018 par l'OFEV sur mandat du Conseil fédéral, l'actualisation de la Conception paysage suisse est aujourd'hui en cours : sa nouvelle version a été soumise aux cantons, et aux différents offices fédéraux. Un document prenant en compte les retours des uns et des autres (50 contributions reçues) a été mis en consultation publique à partir du 20 mai 2019, jusqu'au mois de septembre. Une fois les résultats de cette consultation intégrés, le texte reviendra devant le conseil fédéral qui devrait statuer avant l'été 2020.
145 Ces 13 politiques sont les suivantes : constructions, énergie, santé et sport, défense nationale, agriculture, aviation civile, nature et patrimoine culturel, aménagement du territoire, développement régional, tourisme, transport, forêts, cours d'eau et risques naturels.
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Au stade actuel, la Conception actualisée énonce une « vision » : « La beauté et la diversité des paysages suisses, avec leurs particularités régionales, naturelles et culturelles, offrent aux générations actuelles et futures une qualité de vie et du site élevée ». Elle met en avant les nouveaux enjeux que sont les énergies renouvelables et la perte de biodiversité. Elle entend freiner l'artificialisation de l'espace en préconisant de « densifier avec qualité » les paysages urbains, d' « éviter le mitage du territoire » et d' « aménager les franges urbaines ». 1.2- L'agriculture en Suisse Les régions montagneuses couvrent 2/3 de la surface de la Confédération mais ne comptent que le 1/4 de la population totale. Celle-ci est donc concentrée pour l'essentiel sur le « plateau » et accessoirement sur la chaîne jurassienne. La surface agricole totale s'élève à 4 128 500 ha. Si l'on additionne les surfaces agricoles stricto sensu et les « pâturages en estivages » (diagramme OFAG ci-contre), on constate que le tiers à peine du pays est utilisé par l'agriculture. Au sein de ce total, 71 % sont consacrés aux « herbages » utilisés pour la production de lait et de viande (majoritairement bovine). La taille moyenne des exploitations est de 20 ha (contre 60 en France). La confédération compte 51 260 « exploitations à l'année » auxquelles il faut ajouter les « fermes d'estivages » comptées séparément. Le taux d'autosuffisance alimentaire du pays s'élève environ à 65 % (en calories).
Les objectifs de l'agriculture suisse sont détaillés dans l'Article 104 de la constitution fédérale146 « La Confédération veille à ce que l'agriculture, par une production répondant à la fois aux exigences du développement durable et à celles du marché, contribue substantiellement: À la sécurité de l'approvisionnement de la population; À la conservation des ressources naturelles et à l'entretien du paysage rural;
146 La constitution suisse ne se contente pas d'organiser les pouvoirs publics : elle comporte la plupart des lois et principes, très divers, issus des fréquentes «votations » de niveau fédéral.
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À l'occupation décentralisée du territoire.
« Elle conçoit les mesures de sorte que l'agriculture réponde à ses multiples fonctions. Ses compétences et ses tâches sont notamment les suivantes : Elle complète le revenu paysan par des paiements directs aux fins de rémunérer équitablement les prestations fournies, à condition que l'exploitant apporte la preuve qu'il satisfait à des exigences de caractère écologique ; Elle protège l'environnement contre les atteintes liées à l'utilisation abusive d'engrais, de produits chimiques et d'autres matières auxiliaires (...) ».
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2- Les politiques de l'OFAG ayant des incidences sur le paysage
2.1 Les « améliorations foncières » La confédération accorde en premier lieu des aides aux « infrastructures » : chemins, assainissement, irrigation, adduction d'eau, électrification... sous réserve qu'ils soient conformes sur le plan technique, que leur financement soit soutenable, et qu'ils ne soient pas contraires aux « prescriptions écologiques requises » qui seront décrites ci-après. Ces mesures peuvent être individuelles ou collectives. Elles sont financées pour un tiers par la confédération, pour un tiers par le canton et pour un tiers par le ou les demandeurs. Dans certains cas, ces infrastructures, initialement destinées à « rationaliser la production » soulèvent des problèmes environnementaux majeurs : il en est ainsi de la zone « des trois lacs » (Bienne, Morat, Neuchâtel) sur l'ouest du plateau : le drainage des dernières décennies a provoqué des tassements de sols qui engendrent des pertes de rendements et des inondations fréquentes : faut-il restaurer le système de drainage ou bien prendre son parti de l'inondation et du retour des marais (avec une perte forte de production maraîchère). Le débat est lancé nationalement avec un suivi attentif de la Confédération. Ces améliorations tendent bien sûr à agrandir la taille des parcelles, mais cette taille est très variable selon les cantons (6 ha en moyenne sur le plateau et 200 m² dans le Valais...), et, d'autre part, les « améliorations », projets ascendants, consistent aussi en des plantations de haies ou de bosquets, et en des restaurations de cours d'eau.
Source OFAG
Il s'agit en effet de profiter d'un remaniement parcellaire pour améliorer la qualité écologique
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et paysagère. Le « plan d'aménagement local »147 prévu à cet effet est en effet piloté par le maire et le conseil communal en association avec les agriculteurs. Il est ensuite approuvé par le Canton. Dans ces plans, les haies sont systématiquement préservées (ou compensées sur une épaisseur équivalente) par la loi fédérale sur la protection de la nature (haies = réserves de biodiversité, mais aussi d'auxiliaires des cultures). 2.2 Revitalisation et espace réservé aux cours d'eau Il s'agit à la fois de préserver des espaces suffisants de divagation (protection contre les inondations) et des bandes-tampons pour prévenir les pollutions par nitrates et pesticides. Ces bandes-tampons sont d'une largeur de 3 m depuis « l'espace réservé aux eaux » en ce qui concerne l'épandage des engrais. Cette largeur est portée à 6 m en ce qui concerne l'usage des pesticides. 2.3 Paiements directs La politique agricole suisse a connu un tournant important en 1996, consécutif à l'ouverture à la concurrence internationale des marchés de produits alimentaires (ce tournant correspond à la réforme de la PAC de 1992). Il s'est agi de remplacer un système de garantie des prix par un système de paiements directs aux exploitants agricoles rémunérant des « prestations » se divisant en cinq catégories très marquées par les spécificités géographiques et historiques de la Suisse. Les trois catégories de paiements directs ayant le plus d'influences sur le paysage sont listées ci-après148: « Maintien d'un paysage ouvert » : le thème de l'enfrichement de l'espace et de l'extension de la forêt, notamment en montagne, est omniprésent dans les préoccupations fédérales : les paiements sont fonction du caractère montagnard (variation de 1 à 4) et de la pente des parcelles (jusqu'à 1000 CHF/ha pour les déclivités supérieures à 50%). « Sécurité à l'approvisionnement » : la Suisse a mené, pendant la 2è guerre mondiale une politique d'autarcie alimentaire qui reste un arrière-plan de son souci d'indépendance-neutralité : rappelons qu'actuellement la confédération est autosuffisante à 65 % en termes de calories nécessaires. « Maintien de la biodiversité » : des « surfaces de promotion de la biodiversité » ont été définies : par exemple prairies extensives, zones humides et rives des cours d'eau pour lesquels les paiements directs peuvent aller jusqu'à 1700 CHF par ha. A noter également un paiement spécifique pour les « pâturages boisés » (système sylvopastoral) pour lequel on peut compter sur des paiements de 450 à 700 CHF en fonction de la qualité des habitats présents sur les surfaces concernées. Par ailleurs les « haies, bosquets champêtres et berges boisées » reçoivent des paiements directs parmi les plus élevés : jusqu'à 2700 CHF/ha149. Enfin, une mesure
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147 Ces PAL sont intégrés aux « plans d'affectation » communaux qui, eux, définissent les « zones à bâtir » de la commune : les plans d'aménagement locaux en fait des plans de détail des zones agricoles. 148 Outre ces trois catégories, on compte les thématiques de « qualité du paysage » (ajoutée en 2014, cf ci-après) et la « qualité des productions » (encouragement à l'agriculture biologique, bien-être animal). 149 Qui ne sont dépassés que par les « jachères florales ».
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plus récente vise à mettre en place dans le parcellaire de façon régulière, des « bande fleurie pour pollinisateurs et auxiliaires » (payée à 2500 CHF/ha). Les paiements sont cumulables, mais une certaine compensation existe : si les rémunérations sont maximales pour les thèmes « paysage ouvert » et « biodiversité », ils seront forcément plus faibles pour la « sécurité de l'approvisionnement », les rendements de l'exploitation étant alors moins élevés. Mais ces paiements sont conditionnels : ils ne peuvent être versés que si les exploitants respectent au préalable sept « prestations écologiques requises » établies dès 1996 : Bilan de fumure équilibré ; Garde des animaux conforme à la législation ; 7% de la SAU inscrite en « surfaces de promotion de la biodiversité » ; Rotation des cultures sur 4 ans ; Protection appropriée du sol contre l'érosion (culture d'automne, engrais verts) ; Utilisation ciblée des produits phytosanitaires, Bordure tampon sans fumure ni pesticides de 3m le long des haies et forêts et 6m le long des cours d'eau
Le contrôle du respect de ces 7 conditions est exercé par les cantons. Les résultats de cette politique ont été très positifs concernant la pollution des eaux et l'état des écoulements de rivières. Toutefois, il reste beaucoup à faire concernant l'érosion, la présence de nitrates dans les eaux, et le maintien de la biodiversité. Enfin, la tendance à l'uniformisation des paysages s'est poursuivie : perte de diversité, monotonie, simplification des formes et des couleurs, pertes de surfaces exploitées (du fait de l'urbanisation ou des difficultés d'exploitation en montagne). On a également constaté la disparition des modes de cultures traditionnels suisses (cultures en terrasses, murs en pierres sèches, prairies inondables...), la diminution de la diversité des cultures, mais aussi la difficulté d'accès au paysage agricole (pour promenades ou tourisme) du fait de la fermeture des chemins. Enfin, la disparition d'habitats naturels et semi-naturels (berges, marais, ...) a contribué à l'effondrement de la biodiversité. Ce que traduit la série de quatre photos ci-dessous, prises dans la région de Bâle en 1978, 1987, 1991 et 1996.
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Evolution du paysage Photos OFAG
Cet ensemble de facteurs a conduit à l'étude et à l'expérimentation (mise en place de projets pilotes en 2013), puis à la mise en place d'un nouveau type de paiements directs visant explicitement la qualité du paysage.
3- Les « Contributions à la qualité du paysage » : des paiements directs à des agriculteurs impliqués dans des projets collectifs locaux
3.1 Cadre institutionnel et pilotage : Conçu et initié par l'Office fédéral de l'agriculture (OFAG), le programme de « contributions à la qualité du paysage » a fait l'objet d'une approbation par le Parlement dans le cadre de la politique agricole 2014-2017 qui, par ailleurs supprimait l'aide à la tête de bétail pour les exploitations. Cette abrogation a incité une grande partie des agriculteurs concernés (hors céréalicultures ou productions spécialisées type arboriculture ou viticulture) à participer à un autre type de projet pour assurer le maintien du niveau global des paiements directs. Le programme combine une approche top-down (avec des lignes directrices fédérales exigeantes 150 ) et une approche bottom-up puisque les paiements directs ne peuvent être alloués que dans le cadre d'un projet collectif élaboré localement par un groupe d'agriculteurs ou une collectivité locale, un parc naturel ou une association. Quel que soit l'organisme à l'initiative du projet, les agriculteurs doivent en être activement partie prenante. Parmi les critères d'éligibilité figure en effet l'implication de tous les « utilisateurs du paysage » (agriculteurs, Offices fédéraux et services cantonaux de
150 Directive OFAG du 7 novembre 2013 : https://www.blw.admin.ch/.../Richtlinie%20Landschaftsqualitätsbeiträge_FR.pdf
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l'agriculture et de la nature, ONG, forestiers, etc.). L'objectif de chaque projet, à la fin des 8 ans de sa durée, doit être la participation de deux tiers des exploitants de la région concernée ou de deux-tiers de la SAU de celle-ci. La surface de la « région » varie selon la topographie de 1000 à 50 000 ha. Une fois élaboré, le projet est soumis au Canton qui peut en prescrire des « adaptations », puis transmis à la confédération (OFAG et OFEV) pour approbation définitive et mobilisation des paiements directs, dont le canton assure ensuite le paiement et le contrôle. Au vu des projets approuvés, la confédération procède à une répartition de l'enveloppe par canton selon la SAU et les surfaces d'estivage de chacun d'eux (avec un plafond cantonal) ; chaque enveloppe cantonale est ensuite répartie par projet selon la SAU et les surfaces d'estivage concernées (avec, là encore, un plafonnement par projet). En règle générale, la confédération assure 90 % des paiements et le canton 10 %. Les mesures éligibles concernent aussi bien des travaux de restauration ou de (re)mise en place d'éléments ou de structures paysagères que des travaux de maintien ou d'entretien courant de celles-ci (cf tableau ci-après).
Catégories de mesures Structures
Exemples de mesures Arbres isolés remarquables, arbres fruitiers haute-tige, haies, murs de pierres sèches, berges boisées, ... Assolements diversifiés, cultures colorées, flore messicole, ... Divers types de prairies, cultures fourragères échelonnées, bandes fleuries, bordures, ...
Contributions Pourcentage (M CHF) 44,5 31 %
Diversité des grandes cultures Diversité des surfaces herbagères
31,4 21,4
21 % 15 %
Éléments Pâturages boisés, châtaigneraies, prairies de traditionnels de fauche, cultures en zone de montagne, meules paysage cultivé de foin,... Maintien ciblé d'un paysage ouvert, récupération de surfaces Autres Ferme, valeurs culturelles Débroussaillement, pâture avec des races d'animaux appropriées en vue du maintien d'un paysage ouvert, ...
25
17 %
7,5
6%
Diversité dans la viticulture, accessibilité du paysage, ... Entreposage ordonné des balles d'ensilage, jardins potagers paysans, élevage diversifié, fauche autour des calvaires, ...
8,7 6,4
6% 4%
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L'OFAG et l'OFEV s'assurent en outre des synergies avec d'autres programmes/instruments de la Confédération (réseaux écologiques, biodiversité, améliorations foncières, etc.). Le programme a été préparé en 2013 par une série de 4 projets pilotes représentant différentes typologies paysagères, zones de production, régions linguistiques et culturelles, etc. 3.2 Élaboration et contenus des projets : Une concertation active préside à l'élaboration du projet (ateliers, séances d'informations, articles, de presse, visites de terrain, etc.) : les mesures à mettre en oeuvre doivent résulter d'une entente entre les différents milieux concernés. Ainsi, en montagne, les « lisières étagées », et les « pâturages boisés », nécessitent une coopération étroite entre agriculteurs/éleveurs et forestiers. Le projet débute logiquement par des analyses techniques et sensibles du paysage (à partir d'inventaires, d'une « vision » locale, d'un constat partagé de l'évolution du paysage, et des objectifs à fixer pour cadrer cette évolution). La détermination des spécificités régionales fait évidemment partie de ces préalables au projet, puisqu'il va s'agir de définir des mesures pour assurer le maintien, la promotion et le développement des spécificités du paysage. Le contenu des mesures soutenues et leur répartition à l'échelle du programme est illustré par le tableau ci-après: Au vu des types de mesures ci-dessus, on se rend compte que contrairement à ce qu'on pouvait attendre, la « qualité du paysage » payée aux agriculteurs suisses ne se borne pas à la restauration ou au maintien d'un paysage traditionnel emblématique ou identitaire (« carte postale »). Les évolutions paysagères liées à la production contemporaine sont largement prises en compte : les « assolements diversifiés, cultures colorées, flore messicole » comptent ainsi près du tiers des paiements et un cinquième des surfaces concernées, tandis que les « divers types de prairies, cultures fourragères échelonnées, bandes fleuries, bordures » représentent 21 % du total des paiements. Depuis la mise en place du programme, on a en outre constaté une diversification des cultures par exploitation, avec un passage en moyenne de 4 à 6 ou 7 productions, ce qui a un effet immédiat sur la taille du parcellaire. Parmi les mesures paysagèrement innovantes figure la « bande de bleuets » expérimentée dans plusieurs des projets bénéficiaires du programme (photo OFAG ci-dessous).
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Photo OFAG
Bilan 2017 des 137 projets approuvés source OFAG
3.3 Éléments de bilan et perspectives d'évolution : La contribution fédérale totale en 2017 s'élevait à 145 M de CHF pour l'ensemble du programme. En dépit de la complexité du projet à élaborer, les « contributions à la qualité du paysage » ont connu un succès foudroyant dès leur première année de mise en oeuvre Entre 2014 et 2017, 35 756 exploitations à l'année ont été parties prenantes à ce programme (soit 52% des exploitations représentant 79% de la SAU), ainsi que 4 433 exploitations d'estivage (soit 69% du total). Les aides fournies dans le programme ont une durée de huit ans : la première vague de projets arrivera à terme en 2021 et la dernière vague (2017) en 2024. Il est prévu de les reconduire pour une durée équivalente, dès lors que 80 % des objectifs fixés dans le projet auront été atteints (sauf, bien sûr, modification intervenue dans la loi d'ici ces dates : réflexion actuellement en cours pour « élargir » le dispositif).
4- Exemple d'application dans le canton du Valais
Le Canton du Valais compte 336 000 habitants pour 5 224 km². Il est constitué avant tout par la haute vallée du Rhône et les vallées adjacentes. C'est un canton essentiellement montagnard, avec 47 sommets alpins dépassant les 4000 m d'altitude. Il est en outre bilingue avec 25 % de population germanophone occupant le Haut-Valais. Caractéristiques de l'agriculture valaisanne Le Valais se caractérise par des productions typées bénéficiant le plus souvent d'appellations d'origine : vigne, arboriculture et transformation du lait sont les 3 principales activités des 3 635 exploitations agricoles valaisannes, sachant que trois quarts d'entre elles sont des exploitations à temps partiel151. 40 % de la production viticole suisse est valaisanne : 49 cépages, dont 5 autochtones sont
151 Mais on compte aussi des AOC plus originales comme le « pain de seigle du Valais ».
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cultivés sur des parcelles de taille très réduite, sur des pentes abruptes comportant 3500 km de murs de pierre sèche. La production se situe, selon les années, à 300 000 à 350 000 hectolitres (chasselas, pinot noir et gamay en grande majorité). Une restructuration est en cours au profit des cépages autochtones (humagne, cornalin, arvine...). Enfin, contrairement à l'image du « fendant », qui a cours en France, c'est la production de vins rouges qui est majoritaire dans le Canton avec 62 % du total vinifié.
Photo Service cantonal de l'Agriculture
La seconde production agricole valaisanne est l'arboriculture : 97 % de la production d'abricots de la confédération provient des vergers situés entre Sion et Martigny. Le canton produit près de la moitié de la production de poires et près d'un tiers des pommes. On compte environ 2300 exploitations arboricoles, dont le nombre diminue par concentration des structures. La troisième production significative est constituée par les produits de l'élevage, viande de races autochtones comme la célèbre vache d'Hérens concourant à des joutes annuelles pour le titre envié de « reine ». Le fromage AOP « Raclette du Valais » est le produit-phare de cette production (la quantité annuelle produite a dépassé la tonne depuis 2011), mais l'élevage caprin ou ovin se développe également. Enfin, contrairement à ce qu'on aurait pu penser, le maraîchage est peu développé, ce que le service cantonal explique par l'éloignement des débouchés de consommation ; la notion de « circuit court » alimentaire semble n'avoir pour le moment que peu d'écho dans la Confédération en général et le Valais en particulier. En termes de structures, le Canton combine les deux pressions majeures qui s'opèrent sur l'agriculture suisse : une forte pression foncière urbaine sur l'étroite zone de plaine de la vallée du Rhône - en dépit d'un endiguement draconien du fleuve dans les années 60, aujourd'hui remis en cause -, et une tendance à la déprise au profit de la forêt sur les terres d'altitude. Pour l'ensemble du Valais, le service cantonal de l'agriculture a estimé à 10,7 % les pertes en surfaces agricoles entre 1979 et 2009. S'ajoute à cela le coût et la perte de savoir-faire pour l'entretien des murets de soutènement des terrasses et des « bisses ». Ces canaux d'irrigation gravitaire à flanc de montagne assurent, depuis le 13è siècle l'approvisionnement en eau d'un
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canton où les précipitations sont rares152. Cette triple tendance explique que les autorités valaisannes aient adhéré avec empressement à la politique confédérale de qualité des paysages agricoles initiée en 2014. Les « projets de qualité du paysage » suivis par le service cantonal de l'agriculture Dès l'année 2014, sept projets ont été approuvés par la Confédération. En 2017, l'intégralité du canton est désormais couverte par 14 « projets de qualité du paysage » représentant 72 % de la SAU valaisanne et 26 000 ha sous contrat. Par ailleurs, 80 % des surfaces d'alpages sont également bénéficiaires d'un contrat. Ces résultats sont à mettre en regard des paiements directs relatifs à la seule biodiversité, pour lesquels les chiffres ne dépassent pas 5 000 ha soit 14 % à peine des surfaces agricoles et 43 % des surfaces d'alpage. De toute évidence la qualité paysagère suscite davantage de vocations à « entrer en matière » dans un projet. Le service agricole du Canton a mis en place un « processus participatif » particulièrement élaboré pour mener à bien les projets requis : un « groupe d'action local » d'une trentaine de personnes est rassemblé : il comporte des conseillers communaux, des viticulteurs et/ou des agriculteurs, des gardes forestiers ou encore des accompagnateurs de montagne, des biologistes, etc. Ce groupe tient au moins trois « séances » (réunions) : Pour valider les unités paysagères identifiées et l'analyse sensible du paysage en général ; Pour définir et arrêté les objectifs de qualité paysagère ; Enfin pour mettre au point les propositions de mesures spécifiques au territoire concerné, acceptables par ses acteurs et réalisables dans un temps déterminé.
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Quelques-unes des mesures mises en oeuvre au cours des quatre dernières années méritent d'être mentionnées : Dans le terroir viticole a été mise en place une « prime pour la variété de l'encépagement participant à la diversité des couleurs automnales » afin de « conserver, favoriser ou recréer une mosaïque paysagère » ; Dans la zone de montagne, une « prime pour la présence de cultures » a pour objectif de « conserver une diversité des cultures pour un paysage varié » en alternant prairies de fauche et labours ; À mi-hauteur, une attention particulière est portée aux « mayens », alpages de moyenne altitude pourvus d'un bâtiment où les troupeaux séjournent au printemps et à l'automne (les chalets correspondants sont aujourd'hui souvent réhabilités en hébergements touristiques) : une « prime pour la fauche des mayens » est explicitement prévue. Dans le même ordre d'idées, à l'interface entre les alpages et la forêt d'altitude, l'entretien des « pâturages boisés », paysage d'entre-deux riche en biodiversité, est,
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152 Le massif du Mont-Blanc fait écran à l'arrivée de masses d'air océaniques
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lui aussi spécifiquement primé afin de maintenir son exploitation par des « troupeaux en forêt ». Enfin, compte tenu de l'enjeu à la fois économique et paysager de leur entretien et de leur restauration, les murets de pierre sèches des terrasses viticoles sont l'objet d'un suivi attentif de la part du service cantonal. Un inventaire de leur état est régulièrement tenu à jour, des agents chargés du conseil aux propriétaires sont rémunérés, des bureaux d'étude ou des laboratoires universitaires missionnés pour assurer la transmission de ce savoir spécifique que l'Unesco vient de reconnaître au titre du « patrimoine mondial immatériel-.
Photo : Service cantonal de l'Agriculture
5- Perspectives et enseignements
La comparaison France-Suisse de matière de politiques agro-paysagères comporte évidemment des limites qui tiennent aux éléments de contexte très différents entre les deux pays : La Suisse est hors de l'Union Européenne, même si elle suit les grandes tendances des politiques agricoles mondiales, par exemple, l'ouverture au marché international intervenue en 1996, quatre ans à peine après que la réforme de la PAC ait tiré les conséquences de cette ouverture en 1992 ; À l'inverse de la France où la céréaliculture est prépondérante, la Suisse possède une agriculture largement dominée par l'élevage et marquée nettement plus que dans nos grandes plaines par les difficultés de mécanisation et d'intensification liées au relief .
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Pour autant, dans les deux cas, les préoccupations environnementales communes aux deux pays ont donné lieu à des politiques environnementales souvent plus hardies en Suisse qu'en France (les 7 conditions mises à l'octroi des paiements directs sont plus draconiennes que dans les pays de l'Union européenne en général). En revanche, malgré une « culture du paysage » largement plus ancrée dans sa population, la Suisse connaît les mêmes « pathologies » qu'en France en ce qui concerne, par exemple, le rythme d'artificialisation des sols et la pauvreté du traitement des franges urbaines.
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Dans ce contexte, toutefois, les « contributions à la qualité du paysage » sont riches d'enseignements : elles ont été mises en place avec un succès évident à l'échelle confédérale et une forte adhésion cantonale et locale (plus de la moitié des exploitations sous contrat représentant près des quatre cinquièmes de la SAU153) . On pourrait dire que cet engouement a « bénéficié » de la suppression de la prime à la tête de bétail, les exploitants agricoles ayant cherché à compenser la perte en adhérant au nouveau système que l'OFAG mettait en oeuvre simultanément. Mais ce serait un peu réducteur dans la mesure où même des « non-éleveurs » (céréaliers, arboriculteurs ou viticulteurs par exemple) ont eux-aussi « joué le jeu » du nouveau programme d'aides sans rien avoir à compenser... Mais ces « contributions à la qualité du paysage » présentent surtout trois caractéristiques d'intérêt majeur au regard de la problématique mise en exergue par la Mission : Elles sont, sous peine d'inéligibilité aux aides confédérales, issues d'un dialogue local entre agriculteurs et non agriculteurs ; Elles sont fortement ancrées dans le territoire particulier de leur application future : l'exemple du Valais est à cet égard très significatif : la pierre sèche et les « mayens » sont spécifiques à ce canton et à sa forte personnalité. Elles procèdent d'un projet collectif « remontant » mis au point par les acteurs locaux et largement contrôlé par eux, même si l'appui technique du canton peut s'avérer décisif dans certains domaines.
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Elles constituent donc bien un élément de référence pour une possible politique agropaysagère à mettre en oeuvre en France selon la méthodologie décrite par la mission. Ce qui justifie la place de leur description dans le présent rapport.
153 Ces chiffres ne doivent pas être sur-interprétés : une exploitation peut souscrire à une mesure qui n'impactera visuellement qu'une partie minime de sa surface totale : dès lors qu'elle entretient un muret ou plante une haie, elle est incluse dans les statistiques pour la totalité de sa SAU. On peut néanmoins considérer qu'en contractualisant dans le cadre d'une « contribution à la qualité du paysage », elle est entrée, même modestement dans une dynamique collective de qualité qui ne se bornera pas à une action ponctuelle.
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(ATTENTION: OPTION ) aux brevets de techniciens supérieurs (BTS) et licences professionnelles), aborde l'enseignement de l'agro-écologie, au moyen d'un plan de 4 ans structuré dès le printemps 2014 sous l'égide de la direction générale de l'enseignement et de la recherche : ce plan « Enseigner pour produire autrement » constitue une modification majeure des cadres de pensée, et des modes d'acquisition des savoirs et des pratiques : l'objectif est de faire acquérir les compétences aux acteurs de terrain, non plus selon un modèle national unique, mais pour leur permettre de trouver les réponses à leurs problématiques locales. Les principaux travaux du plan 62 ont porté sur : La modification des référentiels de formation aux différents niveaux : BTS « Analyse et conduite de systèmes d'exploitation » ou BAC pro « Conduite et gestion de l'exploitation agricole », centrées sur la formation de futurs exploitants, pour leur faire intégrer les questions de valorisation des ressources naturelles et l'étude des écosystèmes ; Une nouvelle conception des exploitations agricoles associées aux établissements d'enseignement : celles-ci seront utilisées à des fins pédagogiques en vue de l'évolution des pratiques agricoles vers l'agro-écologie. Un financement du CASDAR 63 a été utilisé pour la transition écologique de ces exploitations afin d'en faire des références de l'agro-écologie ; La formation des enseignants à l'agro-écologie dans les établissements publics nationaux tels que la Bergerie Nationale de Rambouillet, les établissements de Florac, de Dijon, de Toulouse et de Beg Meil. Il s'agit de renforcer la mission de l'enseignement agricole prévue au code rural - relative à « l'animation et développement des territoires » (ADT). Les établissements, de la sorte, intégreront davantage l'échelle territoriale et potentiellement le montage de « projets ascendants ».
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61 700 établissements dont 220 établissements publics. 62 Tel que décrit lors de la rencontre de la Mission avec Jean-Luc Toullec (animateur national DGER/transition agro-écologique dans l'enseignement agricole) le 5 décembre 2018. 63 Compte d'affectation spéciale « développement agricole et rural ».
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En 2019, un second plan est présenté, sur la base du bilan du plan précédent et des progrès de l'agro-écologie sur le terrain. La formation à l'agro-écologie ne se contente donc pas d'une juxtaposition de techniques agricoles et de connaissances environnementales : elle affirme une dimension territoriale en termes de spécificités à étudier et d'animation à mener à cette échelle. De façon plus concrète, la mission estime que tout BTS ou Bac Pro agricole devrait très rapidement intégrer aux cursus de formation, un arpentage de terrain avec lecture de paysage, afin d'apprendre aux futurs agriculteurs à identifier les structures paysagères élémentaires d'un territoire : relief et géologie, nature des sols, masses végétales, hydrographie, et l'histoire de l'occupation humaine au moyen de cartes ou de photographies anciennes. Chaque futur exploitant percevrait ainsi comment tirer parti des atouts et faire face aux contraintes qu'offre le territoire singulier où il va exercer son activité. En ce qui concerne l'agronomie, des travaux de recherche se développent autour de la notion d' « agronomie du paysage » ; celle-ci visant à rassembler dans une même démarche l'étude des systèmes de production, de l'écophysiologie 64 et des dynamiques paysagères. Il s'agit notamment de mettre en valeur le fait que les difficultés actuelles des pratiques agricoles concernant l'érosion des sols, la perte de biodiversité et la gestion de la ressource en eau ne peuvent être traitées séparément. En revanche leur traitement à l'échelle paysagère évite un effet d' « accumulation de contraintes » génératrice de tensions et donc peu efficace 65. Ces principes sont mis en application à AgroParistech dans l'axe 2 « Contribution au développement d'une ingénierie territoriale » du projet stratégique du département « Sciences et ingénierie agronomiques, forestières, de l'eau et de l'environnement » (SIAFEE) 66. L'Unité Mixte de Recherche (UMR) INRA/Agrocampus Ouest/ESA Angers citée plus haut se consacre aux recherches sur la biodiversité, l'agro-écologie et les aménagements du paysage (« UMR BAGAP » site : www.rennes.inra.fr/bagap). L'enjeu de ces recherches porte sur les fonctions des paysages vues comme un ensemble : fonctions de production agricole, de contrôle biologique des ravageurs de culture, de pollinisation, de production de biodiversité...en développant une approche sur l'agro-écologie du paysage. La fusion de l'INRA et d'IRSTEA au 1er janvier 2020 devrait conduire à la création d'un département sur les enjeux « Territoire et paysage » (par la fusion des départements INRA SAD et Territoire de l'IRSTEA) et la création d'un département Agroécologie qui prendra en charge la dimension paysagère de l'agro-écologie. B- L'enseignement du paysage et de l'aménagement L'orientation de la discipline paysagère reste largement « urbaine ». Même si on constate une attirance des étudiants et des jeunes professionnels pour l'intervention en milieu agricole et forestier (choix des sujets de mémoires et de projets de fin d'étude 67), le référentiel de formation n'intègre
64 Discipline de la biologie, à la frontière entre l'écologie et la physiologie, qui étudie les réponses comportementales et physiologiques des organismes à leur environnement. 65 Entretien de la Mission avec Marc Benoît, chercheur à l'INRA, ancien président de la société française d'agronomie. Co-auteur d'un article intitulé « Landscape agronomy, a new field for adressing agriculturel landscape dynamics » in Landscape Ecology (2012). 66 « Pour sécuriser et accroître notre potentiel d'enseignement, il faut développer nos compétences en matière de modélisations de dynamiques de paysages et/ou de pratiques de l'espace, pour fournir des outils permettant de mieux appréhender l'impact des pratiques d'aménagement sur les ressources naturelles (eau, sol, paysages, biodiversité) et le milieu récepteur (continuité écologique), pour l'aide à la connaissance et à la décision ». 67 Témoignages recueillis lors de l'audition par la mission de la direction et des enseignants de l'école nationale supérieure du paysage de Versailles-Marseille, le 15 février 2019. Ces témoignages sont corroborés par un entretien avec la directrice de l'école nationale supérieure d'architecture et de paysage de Bordeaux, le 22 mars 2019.
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pas la question du paysage agricole et forestier. Ce référentiel, formalisé dans un document annexé à un arrêté interministériel du 9 janvier 2015 68 , comporte 21 pages dans lesquelles des mots se rapportant à l'agriculture, à l'espace rural ou à la forêt ne sont cités que 7 fois. La seule mention explicite de l'agronomie apparaît en fin d'énumération dans le domaine d'enseignement N° 3 « Culture technique et sciences de l'environnement » : « Compréhension des milieux vivants et de leurs dynamiques, en interface avec les sciences de l'ingénieur comme l'ingénierie écologique, le génie civil ou l'agronomie ». Dans le domaine d'enseignement n° 5 : « Politiques, acteurs, économie et cadre d'action du projet de paysage », il n'est question que des « enseignements portant sur l'aménagement du territoire, l'urbanisme, l'approche socio-juridique du droit de l'urbanisme, de l'environnement et du paysage ». Ni le code rural, ni le code forestier ne sont mentionnés, non plus que les acteurs correspondants. Il faudrait donc procéder à une révision du référentiel afin de le rééquilibrer en faveur d'une meilleure prise en compte des enjeux, des techniques et des outils à mettre en oeuvre pour une intervention accrue des professionnels du paysage dans les transformations attendues du monde rural. Cette révision devrait également s'appliquer à la formation des urbanistes : malgré une inclusion récente de l'espace rural et des activités qui s'y déroulent dans les travaux des agences d'urbanisme, la formation de ces professionnels ne comporte pour le moment aucune référence aux disciplines et aux métiers liés aux activités agricoles et forestières 69. En outre, pendant leurs cycles d'étude respectifs, les étudiants en paysage, en agronomie, voire en BTS agricole devraient pouvoir bénéficier de périodes de rencontres, d'acculturation et de sensibilisation à ces différentes disciplines. Au final, il serait nécessaire : En matière d'accompagnement - Inscrire de façon explicite dans le programme agro-écologique de l'État, le contrat d'objectif et de performance de l'APCA, et le PNDAR 2021-2027, le principe selon lequel agro-écologie et démarche paysagère sont indissociables ; - Favoriser la dynamique territoriale en confiant aux DRAAF plus de responsabilités dans le pilotage d'appels à projet et l'articulation avec les politiques régionales; - Faciliter le recrutement de paysagistes-concepteurs dans des postes d'ingénieurs territoriaux ; - Généraliser l'affectation de paysagistes-conseils de l'État dans les DRAAF ; - Expérimenter la pratique des vacations de paysagistes-concepteurs dans les organismes de développement de l'agriculture et de la forêt. En matière de formation - Inclure dans la formation initiale des agriculteurs une initiation à la lecture du paysage; - Inclure dans le cursus universitaire des paysagistes et des urbanistes, une meilleure prise en compte des activités agricole et forestière ; - Rendre obligatoire dans les cursus respectifs des métiers de l'agriculture et du paysage une période minimale de formation croisée.
68 https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000030110438 69 Voir le référentiel de formation édité par l'office professionnel de qualification des urbanistes (OPQU), https://www.opqu.org/wpcontent/uploads/sites/234/2017/10/2016-Contenus-formations-en-urbanisme.pdf
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Recommandation au MAA (DGPE et DGER)
R1. En matière d'accompagnement des agriculteurs, lier de manière explicite agro-écologie et paysage notamment dans les contrats d'objectif et de performance de l'APCA et dans le PNDAR, intégrer des paysagistes dans des postes d'ingénieurs territoriaux (paysagistesconcepteurs) ou en DRAAF (paysagiste-conseils), et en matière de formation, rendre obligatoire dans les cursus respectifs des métiers de l'agriculture et du paysage une période minimale de formation croisée.
3.1.3. Le paysage dans l'accompagnement financier de la transition agroécologique : analyse de la PAC actuelle 2014-2020 et proposition pour la future PAC post 2021-2027
La question est de voir dans quelle mesure la PAC actuelle porte les enjeux paysagers, et comment la future PAC pourrait mieux les intégrer dans les réflexions en cours. Une analyse du dispositif existant, décrit au point 1.3, montre, à travers une lecture « impact des mesures sur le paysage », que la conditionnalité, le paiement vert via les surfaces d'intérêt écologique (SIE) et les mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC) prennent en compte surtout l'existant, parfois imparfaitement, sans promouvoir la restauration ou la création de nouvelles infrastructures paysagères (haies notamment) dont l'intérêt agro-écologique est reconnu. Par ailleurs les DPB sont des soutiens au revenu sans lien ni avec l'agro-écologie ni avec le paysage : En ce qui concerne la conditionnalité et les BCAE, l'enjeu de maintien et de développement des haies est majeur. La conditionnalité sur ce sujet dans la future PAC ne doit pas bien sûr pas régresser. Or, malgré la BCAE n°7 (tout bénéficiaire d'une aide de la politique agricole commune a depuis 2015 l'obligation de maintenir les haies présentes sur son exploitation), on assiste encore à une baisse du linéaire de haies. Les agriculteurs interprètent négativement la BCAE n°7, ce qui a pu favoriser des arrachages de haies à l'annonce de leur protection, quand ils n'ignorent ou ne méconnaissent pas son contenu. Les services déconcentrés de l'Etat l'appliquent très variablement selon les territoires, ce qui invite à penser que la mise en oeuvre de cette règle nationale est variable selon les départements70. Pour assurer une meilleure interprétation et application de la BCAE n°7, il est proposé de mobiliser les services déconcentrés dans des pôles « bocages » locaux (associant par exemple les DDT(M), les DRAAF, les chambres d'agriculture, les Ademe Régionales, les agences de l'eau, les Conseils régionaux, les Conseils départementaux, et les associations AfacAgroforesterie régionales ou leur réseau d'opérateurs de la haie), afin d'établir une vision commune de la haie et une lecture partagée de la définition de la haie, réaliser une instruction (qui concerne en principe les interventions sur les haies, à savoir les suppressions, remplacements et déplacements, interventions qui doivent faire l'objet d'une déclaration préalable à la DDTM). En effet, la haie prend des formes très diversifiées selon les territoires,
70 Leo Magnin, doctorant en sociologie Laboratoire Interdisciplinaire Sciences Innovations Sociétés Université Paris-Est Marne-laVallée Institut d'Histoire des Représentations et des Idées dans les Modernités Ecole Normale Supérieure de Lyon
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comme l'illustre le Référentiel national sur la typologie des haies. Ces temps collectifs seront un gain qualitatif pour définir clairement ce qu'est un linéaire de haie en vue de l'action ; En ce qui concerne les SIE, le seul respect quantitatif des SIE ne suffit pas à leur donner un réel intérêt agro-écologique : leur localisation pertinente et plus généralement leur intérêt agroécologique n'entre pas en ligne de compte, ni dans un objectif paysager. On peut penser par exemple à leur rôle dans le cadre des continuités écologiques, leur rôle en matière de lutte contre l'érosion selon le substrat géologique, le calendrier pollinique, le rôle de la strate herbacée, etc. En effet, les recherches ont bien montré le rôle important de ces infrastructures, au-delà du paysage, dans le maintien de la biodiversité associée à la diversité des cultures (UMR Dynafor INRA de Toulouse-Clélia SIRAMI). Une réflexion technique visant une meilleure efficacité agro-environnementale et paysagère pourrait être mise en place, soit dans le cadre d'un auto-diagnostic, soit par exemple dans le cadre de la certification des exploitations (). Concernant les MAEC, aides du 2me pilier de la PAC, conditionnées par l'élaboration d'un projet lié à un territoire (PAEC-projet agro écologique et climatique), sont favorables à la démarche territoriale : les critiques portent sur la surface du projet parfois trop étendu pour avoir un réel impact, sur les MAEC elles-mêmes qui portent essentiellement sur le maintien de l'existant (entretien et gestion des haies, de ripisylves de milieux humides) et peu sur la restauration et la création et dont la mise en oeuvre se heurte à la limite des crédits d'animation (portés par les Régions en complément du FEADER, par l'État ou par des opérateurs type agences de l'eau) ;
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Par ailleurs, les aides à l'investissement pour la création d'infrastructures paysagères ne sont pas spécifiques et entrent donc en concurrence avec tous les autres types d'investissement de modernisation et de compétitivité des exploitations ; La réflexion en cours pour la création de paiements des agriculteurs pour service environnemental (PSE) sur le 1er pilier en substitution d'une partie des DPB actuels, pourrait être un moyen adéquat pour financer la démarche paysagère collective (cf en annexe 7 un aperçu des réflexions conduites en France sur le sujet). Pour rappel, les services environnementaux correspondent à des actions ou des modes de gestion assurés par des acteurs (agriculteurs par exemple dans le cadre d'une démarche collective agroécologique ou paysagère) qui améliorent l'état de l'environnement en contribuant à optimiser le fonctionnement des écosystèmes et ainsi augmenter les services qu'ils rendent. La rémunération correspond à une reconnaissance des services environnementaux produits par les agriculteurs au travers des choix qu'ils opèrent en orientant leurs systèmes de production et leurs interventions afin de gérer les structures paysagères dans lesquelles ces systèmes s'insèrent. Un PSE pourrait concerner par exemple le maintien et la création d'infrastructures paysagères, la couverture des sols, la diversification des cultures, ou la taille des parcelles. La France s'est positionnée en faveur des PSE dans sa note à la Commission européenne de décembre 2018. Cette position a été aussi été inscrite dans la mesure 24 du plan Biodiversité adopté en juillet 2018. La structure environnementale de la PAC, qui concerne les aspects paysagers, repose à ce stade sur 3 niveaux : 1 le maintien et l'élargissement de l'éco-conditionnalité avec notamment le maintien des prairies permanentes ;
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« l'ecoscheme » qui financerait, sur le 1er pilier, la transition écologique globale avec un financement de services environnementaux (tels que la fixation du carbone, la restauration de la biodiversité via des services comme la couverture des sols, la diversification des cultures avec un nombre minimum et des seuils en %, un maintien de parcelles en non labour, des financements différenciés selon l'âge de la prairie) ; et les MAEC qui financeraient des actions territoriales ciblée à vocation environnementale comme l'implantation de légumineuses par exemple.
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Si un impact paysager à grande échelle est recherché, « l'écoscheme » semble être l'outil adapté, dès lors qu'un pourcentage suffisant du 1er pilier y sera consacré. En l'état actuel du travail des négociations en cours entre la Commission européenne, le Conseil et le Parlement européen, la proposition de la Commission de juin 2018 fait l'objet d'une préparation d'un avis des commissions du Parlement européen. D'ores et déjà, chaque Etat membre doit préparer un plan stratégique détaillant ses intentions vis à vis des différentes rubriques de la PAC dont les aspects environnementaux sur la base d'un diagnostic partagé. Les discussions en cours sur le règlement relatif au plan stratégique montrent que les aspects paysagers font partie des enjeux de la future PAC.71 S'agissant d'un nouveau concept, des réflexions ont été conduites depuis l'été 2018 par le MAA, le MTES (commissariat général au développement durable, direction de l'eau et de la biodiversité et agences de l'eau) et le Secrétariat général des affaires européennes. Le principe général des PSE, paiements qui doivent être conformes aux lignes directrices communautaires en matière d'aides d'État (elles même compatibles avec l'OMC), est de rémunérer ces efforts/pratiques des agriculteurs en faveur de l'environnement et de l'atténuation du changement climatique lorsque ces pratiques vont au-delà des obligations réglementaires. Les PSE peuvent en outre être financés par des collectivités territoriales ou des organismes privés72. Ils peuvent se concevoir de deux manières : Correspondre à la seule compensation des surcoûts et manques à gagner liés à l'adoption de ces pratiques (logique des MAEC). Rémunérer proportionnellement à l'importance des services rendus sur la totalité de l'exploitation.
La rémunération peut concerner l'existant pour les services rendus mais aussi la transition vers d'autres services. Les services visés sont diversifiés : ils peuvent contribuer à la préservation de la biodiversité, à la protection des pollinisateurs, à la régulation des populations de ravageurs et parasites, à la protection de la ressource en eau, à la protection des sols, mais aussi aux paysages qui par leur transversalité recoupent l'ensemble de ces services.
71 Par exemple l'un des amendements proposés par la commission agriculture du Parlement européen sur la définition de l'exploitation agricole comporte des éléments paysagers (« Landscape features may hereby be included as components of the agricultural area ») ; le système agroforestier est également cité dans la définition de la surface cultivée (« it can include a combination of crops with trees and/or shrubs to form a silvoarable agroforestry system »). 72 C'est le cas des sociétés de production d'eaux minérales, qui rémunèrent des pratiques agricoles compatibles avec la protection de leurs impluviums.
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Pour la mission, la mise en place d'un tel PSE nécessite une démarche collective et territoriale portée par les acteurs du territoire (collectivités territoriales, syndicats...). À titre d'illustration, un projet expérimental est en cours entre le MAA et Eau de Paris visant à mettre en place des mesures agro-environnementales avec des cahiers des charges adaptées spécifiquement aux problématiques très localisées des territoires d'alimentation de captage gérés par cet opérateur. Les obligations des cahiers des charges sont adaptées en fonction des types d'exploitation concernés (par exemple : limitation de l'emploi des produits phytosanitaires sur grandes cultures, engagement des prairies dans une obligation réelle environnementale (ORE)73, pour les exploitations d'élevage). Au même titre que les MAEC, la dynamique collective sera assurée par Eau de Paris à travers une animation territoriale. Cet exemple montre que les PSE ne seront pas financés que par la PAC. L'exemple suisse (Annexe 12) est instructif sur les différents volets de ce que pourraient être les PSE : Ce pays a mis en place à partir de 1996 un système de paiements directs aux exploitants agricoles rémunérant des « prestations » se divisant en cinq catégories marquées par les spécificités géographiques et historiques de la Suisse. Deux catégories de paiements directs ont une influence directe sur le paysage : Maintien d'un paysage ouvert contre l'extension de la forêt, notamment en montagne, Maintien de la biodiversité: prairies extensives, zones humides et rives des cours d'eau, pâturages boisés ...
Les paiements sont cumulables et soumis à conditionnalité. En 2014, la Suisse a mis en place des paiements « paysage », qui combinent une approche topdown avec des lignes directrices fédérales et une approche bottom-up puisque les paiements directs ne peuvent être alloués que dans le cadre d'un projet collectif élaboré localement par un groupe d'agriculteurs ou une collectivité locale, un parc naturel ou une association. Au final, dans le cadre de l'éco-conditionnalité de la PAC, il serait nécessaire : - d'améliorer l'efficacité de l'actuelle BCAE no 7 en mobilisant les services déconcentrés dans des pôles « bocages » locaux. de localiser les surfaces d'intérêt écologique (SIE) sur l'exploitation de manière à optimiser leur double rôle, agro-écologique (notamment de refuge pour les auxiliaires des cultures) et de contribution à la qualité paysagère, soit dans le cadre de la conditionnalité, ou d'un paiement vert ou de la certification HVE. de rémunérer les agriculteurs via des paiements pour services environnementaux (PSE) pour la création, le maintien et l'entretien de structures agro-paysagères dans le cadre de projets collectifs territoriaux en soutenant particulièrement leur animation. d'ouvrir des mesures agri-environnementales et climatiques (MAEC) dans le cadre de la préparation des futurs « plans de développement régionaux », portant sur la ré-implantation de haies en bordure de parcelles, en bordure de bâtiments (habitations notamment) et en intraparcellaire (agro-foresterie), ainsi que des MAEC d'entretien de ces haies.
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73 https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/obligation-reelle-environnementale
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Recommandation au MAA (DGPE) R2. Construire la PAC post 2020 afin qu'elle favorise la création, le maintien et l'entretien de structures paysagères via (i) l'éco-conditionnalité (améliorer l'actuelle BCAE 7), (ii) leur localisation à des fins agro-écologiques, (iii) la rémunération des agriculteurs par des paiements pour services environnementaux ou des mesures agro-environnementales et climatiques.
3.2. Certifier les produits et les activités agricoles
Les activités agricoles ou forestières sont l'objet de labellisation et certification pouvant intégrer des critères paysagers.
3.2.1. Labels et signes de qualité et d'origine
Les signes de qualité et d'origine (SIQO) regroupent les indications géographiques AOC, AOP et IGP 74 (article L.115-1 du code de la consommation : « Constitue une appellation d'origine la dénomination d'un pays, d'une région ou d'une localité servant à désigner un produit qui en est originaire et dont la qualité ou les caractères sont dûs au milieu géographique, comprenant des facteurs naturels et des facteurs humains ») et les autres signes de qualité tel que le logo AB (agriculture biologique), le label rouge etc.. Certains paysages issus d'une production concernée par un SIQO sont emblématiques et indissociables de l'identité du produit qui en est issu, et, au-delà contribuent à l'identité-même de la région ou zone géographique concernée. On peut dire que pour certains produits, il y a un continuum, voire une association consciente ou inconsciente faite par le consommateur entre savoirfaire, produit, territoire et paysage qui constitue le « terroir ». Le terroir inclut des caractéristiques spécifiques du sol, de la topographie, du climat, du paysage et de la biodiversité. Quelques exemples : le Condrieu (vin blanc et ses murs de terrasses en pierre sèche), le fromage Bleu de Gex et les pré-bois du Jura, le Livarot avec un cahier des charges 100% herbe et l'utilisation de la race normande ou la Bourgogne et ses « clos » viticoles entourés de murs et murets de pierre. Le paysage construit devient la traduction visible et mémorisable par tous du terroir. Le paysage correspondant à un signe géographique se construit en effet par la transcription paysagère de pratiques inscrites dans le cahier des charges du signe de qualité : système de conduite pour la vigne par exemple (densité, taille, hauteur de feuillage, palissage), obligation de couvert forestier pour certains élevages de volailles Label Rouge, entretien des haies pour des AOP de viande...
74Appellation d'origine contrôlée, appellation d'origine protégée et indication géographique protégée
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Paysage de la Côte Nord de Beaune ph. D. Michel
Actions développées par l'Institut national des appellations d'origine En 2006, l'INAO, en partenariat avec le MAA a publié une plaquette sur le thème « AOC et Paysage » visant à inciter les organismes de défense et de gestion des signes de qualité (ODG) à prendre en compte le paysage dans les cahiers des charges. Aujourd'hui, plusieurs cahiers des charges ont intégré des mesures concernant des éléments du paysage caractérisant le terroir, par exemple : L'implantation ou restauration de murets en pierres sèches, réservoirs de biodiversité, mise en valeur de terroirs à forte pente... L'implantation de haies visant la protection contre l'érosion et le ruissellement, ou le développement d'une faune auxiliaire.
Ce lien repose soit sur des mesures réglementaires contenues dans les décrets de définition des produits d'appellation (aires et règles de production, usages partagés), soit sur des actions favorables au paysage. Par exemple, le cadre réglementaire de la production concernant la vigne inclut les types de cépages, la taille de la vigne, la densité de plantation, la hauteur du feuillage et du tuteurage, les pratiques de protection des sols. L'INAO intervient également en utilisant l'argument paysager d'intérêt public lorsqu'il donne son avis notamment sur des aménagements. Au final, l'attention portée au paysage sert à la fois les intérêts agronomiques, environnementaux et économiques des producteurs et lui offre la possibilité d'être reconnu pour le rôle qu'il joue dans le maintien d'un cadre de vie attirant qui constitue un bien commun, créateur de valeur. L'INAO a publié en 2017 avec l'Institut français de la vigne et du vin un guide spécifique à la filière viti-vinicole sur l'intégration de pratiques agro-écologiques en viticulture 75.
75 Guide de l'agro-écologie en viticulture. Il traduit pour cette filière les objectifs de l'agro-écologie en traitant les différentes thématiques spécifiques retenues : préserver et développer la biodiversité, en renforçant la dimension paysagère de la biodiversité, maîtriser et réduire la fertilisation, diminuer l'usage de produits phytosanitaires et développer le bio-contrôle, rechercher une meilleure
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La gouvernance des signes de qualité l'exemple du Beaufortain Dans les appellations d'origine, qualité du produit et qualité de l'espace sont souvent liés à l'intervention d'un élu local dans la promotion d'un produit et la démarche de certification d'un produit bénéficiant de l'appellation. Un des modèles « historique » du lien produit agricole-paysage se situe en terre savoyarde, dans le Beaufortain. Une coopérative y a réorganisé la collecte du lait avec notamment des systèmes de traite mobile destinés aux alpages. Un des combats principaux de la coopérative a été, avec le soutien de l'INAO, d'obtenir que le cahier des charges de cette appellation « limite très fortement l'utilisation des fourrages importés » et fasse de l'utilisation quasi exclusive de l'herbe du périmètre « une condition garantissant la typicité et la qualité du fromage ». Cela a amené les éleveurs « à faucher ou faire pâturer de nouveau les parcelles en pente, un temps délaissées ». Ainsi « on retrouve explicitement un lien, une synergie entre la qualité du produit et la qualité du paysage »76. Au plan juridique, l'agrément des ODG et la validation des cahiers des charges qu'ils portent est réalisé par 5 comités nationaux compétents de l'INAO : ces comités comportent les opérateurs des filières, des consommateurs mais aucun représentant d'ONG qui pourraient porter les questions environnementales et notamment paysagères. Ce point a d'ailleurs été évoqué lors des États généraux de l'alimentation (2017), a fait l'objet d'un amendement au code rural introduisant ces associations dans les comités nationaux de l'INAO, finalement retiré par le Conseil Constitutionnel du fait de l'éloignement de ces dispositions avec l'objet initial de la loi. Néanmoins l'intérêt de cette disposition demeure.
Montagnes du Beaufortin - ph. Site internet de la CUMA du Beaufortin
gestion de l'eau, et recourir à un matériel végétal plus adapté à l'agro-écologie. 76 Les parties en italique sont extraites de l'ouvrage de Régis Ambroise et Monique Toublanc, « Agriculture et paysage, pour le meilleur » op. cit. p. 27
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3.2.2. La certification environnementale
La certification environnementale, connue dans son niveau 3 sous le sigle HVE (haute valeur environnementale) a été introduite par les lois dites « Grenelle » de 2010. Elle est encadrée par l'État afin d'identifier les exploitations engagées dans des démarches respectueuses de l'environnement. Elle concerne les thématiques suivantes : biodiversité, traitements phytosanitaires, fertilisation, et ressource en eau. Elle repose sur une certification progressive de l'ensemble de l'exploitation, en 3 niveaux : Niveau 1 : maîtrise « des prérequis », validée par un organisme de conseil (chambre d'agriculture, organisme technique...), de la réglementation environnementale en particulier celle relative à la conditionnalité des aides PAC (dont bandes enherbées le long des cours d'eau, couverture des sols, limitation de l'érosion, maintien des particularités topographiques) et réalisation d'un auto-diagnostic de l'exploitation. Niveau 2 : obligations de moyens correspondants à des exigences d'un référentiel permettant de mettre en oeuvre sur l'exploitation des axes de progression environnementale. Exemple : identifier les infrastructures agro-écologiques dont les emplacements devront permettre de favoriser la continuité et la pérennité des bandes végétalisées. La certification qui reste individuelle peut être gérée dans un cadre collectif, via les organisations de producteurs ou via les demandes de reconnaissance de cahier des charges équivalents portées par les organisations professionnelles ou par la distribution. La reconnaissance de niveau 2 permet une communication institutionnelle de plus en plus recherchée par les acteurs des filières à la demande des marchés. Ces demandes sont soumises à l'avis de la Commission nationale de certification environnementale (CNCE), ouverte aux opérateurs des filières de la production à la transformation et distribution, aux acteurs de la société civile tels que les ONG (WWF, FNE...) et aux organisations de consommateurs. Les démarches collectives permettent de faire progresser ensemble un grand nombre de producteurs (par exemple 700 producteurs d'une cave coopérative) et donc d'avoir un impact non seulement au niveau de l'exploitation mais aussi au niveau du territoire, ce qui est l'objectif s'agissant d'avoir un impact paysager. Niveau 3 ou « HVE » : il s'appuie sur des niveaux d'indicateurs à atteindre permettant de mesurer les performances environnementales des exploitations. Une mention valorisante et le logo correspondant peuvent être apposés sur les produits bruts ou transformés « issus des exploitations HVE ». L'option A porte sur l'atteinte de résultats relatifs à la préservation de la biodiversité (diversité des productions, nombre de variétés ou d'espèces animales élevées), la stratégie phytosanitaire, la gestion de la fertilisation et la ressource en eau. L'option B évalue la performance environnementale au travers de 2 indicateurs synthétiques : le poids des intrants dans le chiffre d'affaires qui doit être inférieur à 30%, et la part de la surface agricole en infrastructures agro-écologiques (IAE) qui doit être supérieure à 10%. Si l'entrée n'est donc pas explicitement par le paysage, la localisation pertinente des IAE afin d'en faire de vrais outils au service de l'agro-écologie et du paysage pourrait être un moyen de renforcer l'impact de la certification sur ces 2 aspects. La certification environnementale se développe fortement : si 12 000 exploitations seulement étaient certifiées au niveau 2 et 1 518 au niveau 3 en 2018, les chiffres de 2019 devraient être doublés. La demande de l'aval est largement à l'origine de cette dynamique essentiellement viticole. Par ailleurs, le cadre juridique institué par la loi « EGALIM » du 30 octobre 2018 et le plan « Biodiversité », confortent la démarche de certification environnementale :
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le plan « Biodiversité » préconise un fort développement de la certification environnementale (Action 2.1 Développer l'agro-écologie au service de la biodiversité) à savoir développer le label HVE pour atteindre 15 000 exploitations certifiées en 2022 et 50 000 exploitations en 2030. la loi EGALIM fait de la certification HVE un des instruments de certification et de mise en oeuvre de l'agro-écologie et fait le lien entre les signes d'origine et de qualité et la certification environnementale 77.
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Au final, il existe bien des liens entre certification environnementale et paysage, mais un raisonnement plus explicitement paysager pourrait accélérer le rythme de la transition. Recommandation au MAA (DGPE) R3. Elargir la gouvernance des comités nationaux de l'INAO aux ONG environnementales. Accélérer la certification HVE et renforcer son impact agro-écologique et paysager par exemple par une localisation pertinente des infrastructures agro-écologiques (IAE).
3.3. Promouvoir les modes de gestion coordonnée du foncier
Le sujet du foncier est central, comme support de l'activité agricole et de l'espace territorial. Il comporte plusieurs aspects dans une approche agro-paysagère : La temporalité : l'implantation d'infrastructures paysagères et agro écologiques (points d'eau, plantations arborées), et la transition agronomique (évolution des taux de matières organiques liée aux modifications de techniques culturales, par exemple celles basées sur la conservation des sols) s'inscrivent dans la longue durée, et peuvent se heurter à l'échelle de temps d'un bail rural ; Le statut juridique du foncier à usage agricole : baux, contrats. Ce point recoupe celui sur la temporalité, avec la question du statut des infrastructures paysagères (espaces arborés) et de la plus-value liée à l'amélioration agronomique du sol grâce à des pratiques agro-écologiques. La taille des parcelles : ce point est central dans les pratiques en agro-écologie et est très impactant sur le paysage et la biodiversité.
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Les outils entre propriétaires et exploitants pouvant avoir un impact sur le développement de l'agro-écologie sont les suivants : Les associations foncières agricoles (AFA) 78 : constituées entre propriétaires de terrains à vocation agricole, pastorale ou forestière, « elles sont destinées à réaliser (ou faire réaliser) les opérations telles que l'exécution, l'aménagement, l'entretien et la gestion des travaux ou ouvrages collectifs (...) à la condition que ces travaux ou ouvrages contribuent au développement rural ou à la préservation ou à la remise en bon état des continuités écologiques dans leur périmètre ». Cette forme juridique est surtout développée en matière de pastoralisme (AFP) mais pourrait présenter un intérêt pour le développement de l'agro-écologie et en particulier d'infrastructures arborées à une échelle pouvant devenir significative.
77 Article 47 : la certification environnementale concourt de façon majeure à l'agro-écologie, Article 48 : tous les cahiers des charges des SIQO devront faire l'objet d'une certification environnementale au 1er janvier 2030. Article 24 : 50% de produits durables ou sous signes d'origine et de qualité (dont 20% de produits issus de l'agriculture biologique) dans la restauration collective publique à partir du 1er janvier 2022 78 Article L-131-1 et L-131-2 du code rural
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Les obligations réelles environnementales (ORE) : ce dispositif introduit par la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, permet aux propriétaires de mettre en place une protection environnementale liée au bien. Un contrat (pouvant aller jusque 99 ans) est établi en forme authentique, avec un cocontractant qui peut être une collectivité publique, un établissement public, ou une personne morale de droit privé agissant pour la protection de l'environnement. Cette formule présente l'intérêt de pouvoir impliquer dans la durée des acteurs non agricoles dans la recherche du maintien et de l'amélioration du foncier (infrastructures paysagères et qualité du sol). Le caractère récent de cet outil peut expliquer sa faible utilisation79. Le bail rural à clauses environnementales (BRE)80 : il est mis en place par la loi d'orientation agricole de 2006 puis élargi par la loi d'avenir de 2014 aux bailleurs privés pour conclure des BRE sur la totalité du territoire (et non plus seulement sur des parcelles situées en zones protégées), à la condition toutefois que ces baux visent le maintien d'infrastructures écologiques ou de pratiques environnementales existantes. Il s'avère être surtout utilisé par des bailleurs publics, notamment dans des zones à enjeux pour la protection de la ressource en eau. La mise en commun d'assolement : des exemples existent, en particulier sous forme de Société en participation 81 (SEP), forme juridique dépourvue de personnalité morale, chaque associé demeurant propriétaire des biens constituant son apport au fonds commun. Cette mise en commun facilite la rationalisation des déplacements et travaux dans les parcelles, la définition d'une stratégie à plus grande échelle pour le choix des rotations et l'implantation d'infrastructures écologiques. Enfin, elle mobilise la force du collectif. La sous-traitance intégrale : l'étude Actif'agri 82 indique que cette forme d'agriculture concerne, en 2016, 12,5% des exploitations de grandes cultures, essentiellement des exploitations moyennes à grandes. L'étude évoque notamment comme raisons de recours à cette forme d'exploitation, l'approche de la cessation ou la cessation effective d'activité. La sous-traitance intégrale de la conduite des cultures relèverait alors du passage d'une logique productive à une logique de gestion « immobilière » du foncier. À propos de la forme de délégation la plus avancée, celle d'assistance à maitre d'ouvrage, l'étude cite les travaux de Purseigle et Anzalone qui estiment que « derrière ces dispositifs nouveaux de délégation intégrale des travaux de culture se dessinent les contours de formes d'«agriculture sans agriculteurs », entièrement gérées par des prestataires de service ».
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Les outils impliquant les propriétaires (AFA, obligations réelles environnementales, baux à clauses environnementales) sont actuellement très peu mobilisés. Ils présentent pourtant un intérêt évident dans l'optique d'associer des non agriculteurs (privés et collectivités publiques) à la transition agroécologique et de favoriser une démarche collective. La mise en commun d'assolement est peu répandue. Les raisons sont probablement multiples (faible notoriété, réticences à mettre en commun un patrimoine...) mais pour autant il serait judicieux d'approfondir le sujet par l'analyse de retours d'expérience afin d'enrichir la boîte à outils proposée aux acteurs (propriétaires privés, collectivités
79 Juin 2019 : une ORE signée par un propriétaire privé (famille agricole) avec le Conservatoire d'espaces naturels Normandie-Ouest (20 ha sur 50 ans) 80 http://www.trameverteetbleue.fr/sites/default/files/references_bibliographiques/10_questions_10_reponses_fevrier_2016_a4.pdf 81 SEP de Bord dans l'Yonne https://wikiagri.fr/articles/lassolement-en-commun-pour-produire-mieux-ensemble-avec-thierrydesvaux/18601/. Par ailleurs, 4 GIEE affichent dans leurs projet la mise en commun d'assolement. 82 Réalisée par le MAA : Le Centre d'études et de prospective (CEP) a lancé en septembre 2017 un chantier collectif d'analyse économique, fondé sur la mobilisation d'un groupe d'experts internes et externes au ministère. Résultats publiés en juin 2019.
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et agriculteurs).
Recommandation au MAA (DGPE) MTES (DGALN) R4. Valoriser les retours d'expérience et promouvoir, en lien avec les collectivités, les outils tels que Associations foncières agricoles (AFA), baux à clauses environnementales (BCE), obligations réelles environnementales (ORE) et mise en commun d'assolement.
3.4. Traduire dans l'espace les projets agro-sylvo-paysagers
Les documents de planification spatiale sont conçus pour répondre aux besoins premiers de l'existence humaine et sociale : se loger, se déplacer, déployer des activités économiques. On s'intéresse moins, cependant, aux fonctions d'approvisionnement et en particulier à la fonction nourricière du territoire, pourtant tout aussi essentielle. La mission a examiné les documents de planification supports de démarches de projet pouvant concerner les activités agricole ou sylvicole dans leur rapport aux territoires et aux autres activités qui y sont conduites. Ceci exclut par exemple les Zones Agricoles Protégées (ZAP)83 qui ne sont pas en elles-mêmes porteuses de projet de territoire, bien qu'elles puissent, en limitant la construction, contribuer à la préservation des paysages.
3.4.1. Les périmètres de protection et de mise en valeur des espaces agricoles et naturels périurbains (PAEN)
La loi du 23 février 2005, relative au développement des territoires ruraux (DTR), a créé les « périmètres de protection et de mise en valeur des espaces agricoles et naturels périurbains » (PAEN) et les articles L.113-15 et suivants du CU, créés par Ordonnance du 23 septembre 2015, élargissent la compétence départementale aux établissements publics mentionnés à l'article L.113-16 84. À l'intérieur de ce périmètre, les zonages A, NA et N prévus dans le code de l'urbanisme s'accompagnent de règles qui permettent de préserver du mitage les espaces agricoles, naturels et forestiers dans les espaces péri-urbains. Après treize ans d'expérience, un bilan conduit par le ministère de l'agriculture et de l'alimentation85 comptabilise 23 PAEN, localisés dans 9 départements sur une superficie totale de 95 500 ha (soit 0.3% de la SAU du territoire métropolitain), dont 18 PAEN répartis dans quatre départements : le Rhône, la Loire, les Pyrénées-Orientales et la Loire-Atlantique. 14 PAEN sont en cours d'étude dans cinq départements (Annexe 8). Cet outil de planification est donc encore peu utilisé et mal connu des élus et des acteurs des
83 Les ZAP, instituées par la loi d'orientation agricole du 9 juillet 1999, sont des servitudes d'utilité publique mises en place à la demande d'une ou plusieurs communes, par un arrêté préfectoral pris après avis de la chambre d'agriculture et de la commission départementale d'orientation de l'agriculture (CDOA). Ces zones peuvent être instaurées pour deux motifs : la qualité de la production agricole et la situation géographique des parcelles concernées. 84 L'article L.113-16 précise que : « Le département ou un établissement public mentionné à l'article L. 143-16 du CU peut délimiter des périmètres d'intervention associés à des programmes d'action avec l'accord de la ou des communes concernées ou des établissements publics compétents en matière de plan local d'urbanisme, après avis de la chambre départementale d'agriculture et enquête publique réalisée». 85 C. de Menthière, H. de Comarmond et Y. Granger - Evaluation et proposition d'optimisation des outils concourant à la préservation des espaces naturels, agricoles et forestier-Rapport n°17076 / CGAAER et CGEDD mars 2018
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territoires. Les objectifs recherchés, en renforçant la planification, sont de donner la capacité aux départements et aux EPCI d'utiliser les PAEN pour élargir les politiques existantes, soit dans le domaine foncier (maitrise foncière pour lutter contre la spéculation par l'acquisition à l'amiable, par préemption ou par expropriation), soit dans le domaine des activités agricoles et forestières, pour une meilleure prise en compte de l'équilibre du développement de l'espace rural et la préservation des espaces naturels et du paysage, tout en respectant le développement durable. Les PAEN soumis à l'élaboration d'un programme d'action Dans la phase opérationnelle, il s'agit d'identifier des espaces porteurs d'un projet territorial agricole et de le doter d'un programme d'actions visant à la transition agro-écologique, préalablement élaboré en concertation avec les différents acteurs concernés, agriculteurs, chambre d'agriculture, Office national des forêts si le périmètre comprend des parcelles soumises au régime forestier, élus, habitants, usagers des lieux. Selon l'article L.113-21 « Le programme d'action précise les aménagements et les orientations de gestion destinés à favoriser l'exploitation agricole, la gestion forestière, la préservation et la valorisation des espaces naturels et des paysages au sein du périmètre d'intervention. » Le projet doit comprendre un plan de délimitation et une notice qui analyse l'état initial des espaces et justifie les choix du périmètre ainsi que les bénéfices attendus avec l'agro-écologie et l'agroforesterie. Ce périmètre est soumis à enquête publique. Le PAEN est par ailleurs un outil protecteur, toute modification du périmètre ayant pour effet d'en retirer une ou plusieurs parcelles ne pouvant intervenir que par décret.
Carte des PEAN de l'aire métropolitaine lyonnaise (en jaune sur la carte) et ph. Paysages de l'inter-Scot Agences d'urbanisme Lyon et Saint-Etienne
La mission souhaite que soit investigué l'élargissement du cadre d'intervention des PAEN à l'ensemble des secteurs agricoles sur le territoire métropolitain et que soit introduite l'obligation de produire un projet agricole et forestier de territoire avec programme d'action, qui incitera à la formalisation de projets conduits selon la démarche paysagère, en vue d'accélérer la transition agroécologique.
3.4.2. Les projets alimentaires territoriaux et les schémas de cohérence
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territoriale.
La loi d'avenir pour l'agriculture de 2014 crée des « projets alimentaires territoriaux » pour « rapprocher les producteurs, les transformateurs, les distributeurs, les collectivités territoriales et les consommateurs ». Ces projets « participent à la consolidation de filières territorialisées et à la consommation de produits issus de circuits courts » 86 . Élaborés « à l'initiative de l'État, des collectivités territoriales, des agriculteurs et d'autres acteurs du territoire, ils s'appuient sur (...) la définition d'actions opérationnelles ». Une reconnaissance nationale permet d'utiliser la marque et le logo associé déposés par le ministère de l'Agriculture. Il existait, en décembre 2018, 21 PAT ayant fait l'objet de labellisation nationale. Ils étaient portés par un département (le Gard), des Métropoles (Nantes, Strasbourg), des parcs naturels régionaux (Scarpe-Escaut, Livradois-Forez), des communautés d'agglomération (Douai, Mulhouse), ainsi que des zones périurbaines (Grand Pic St Loup, au nord de Montpellier), mais aussi rurales (Pays d'Olmes, en Ariège, Midi-Quercy...). Ces diverses structures étaient rassemblées dans un « réseau national des PAT » co-piloté et animé par l'association « Terres en Ville » et par L'assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA). La traduction spatiale de ces projets - multi-acteurs et ascendants - consiste en un réseau d'espaces agricoles/forestiers préservés, fondé sur la géographie ou sur l'histoire particulières du territoire, en d'autres termes sur son paysage : terres de plaine à forte valeur agronomique, terres de vallées naturellement arrosées, ou espaces dont d'anciennes traditions culturales pourraient être remises en valeur87. Enfin, il va de soi qu'on ne peut imaginer un PAT sur une surface réduite à peau de chagrin du fait d'un étalement urbain incontrôlé ! En d'autres termes, un PAT sera d'autant plus opérationnel et crédible qu'il sera adossé à une planification dont l'étude paysagère fournira la trame et le code de l'urbanisme les outils. En l'état actuel, le MAA préconise une « articulation » des projets alimentaires88 « avec d'autres outils de politique publique territoriale : Schéma de cohérence territoriale (SCoT), contrat de bassin (...) charte de PNR, etc. ». Le SCoT semble à cet égard le support le plus pertinent89. En effet, les SCoT (approuvés, en cours ou en projet) concernent aujourd'hui près de 80 % des communes et 61,1 millions d'habitants, sur près de 70 % du territoire national. Leurs porteurs sont rassemblés au sein d'une fédération nationale90 promouvant l'échange d'expériences et de pratiques. Institué par la loi « solidarité et renouvellement urbains » du 13 décembre 2000, le SCoT est défini comme « l'outil de conception et de mise en oeuvre d'une planification à l'échelle d'un large bassin de vie »91. « Destiné à servir de cadre pour les différentes politiques sectorielles, », il « assure la cohérence des plans locaux d'urbanisme intercommunaux (PLUi), des programmes locaux de l'habitat (PLH), et des plans de déplacements urbains (PDU) ».
Cette intégration dans les SCoT des enjeux « déplacements » et « logement » a marqué en 2000
86 Article L. 111-2-2 du Code Rural 87 Ainsi les fameux « murs à pêches » de Montreuil 88 Voir à cet effet sur le site du MAA la fiche intitulée « Comment construire son projet alimentaire territorial ? » 89 Les PLU(I) ne sont pas mentionnés dans cette énumération. On doit en effet en rester à l'élaboration stratégique et non à la prescription de l'occupation du sol, qui relève de la mise en oeuvre plus concrète du projet territorial. L'équivalent « agricole » du PLU peut s'apparenter à la ZAP ou au PAEN, qui, contrairement au PAT, « descendent à la parcelle ». 90 Fédération nationale des SCoT créée en juin 2010 ; elle regroupe actuellement 302 établissements publics de SCoT. 91 Les passages en italique sont issus du site internet du Ministère de la Cohésion des territoires. http://www.cohesionterritoires.gouv.fr/schema-de-coherence-territoriale-SCoT
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une avancée significative vers un véritable projet fédérateur des principales fonctions alors identifiées comme essentielles à la vie des établissements humains : disposer d'un toit (logements), d'un emploi (zones d'activité) et d'une capacité à la mobilité (emplacements des principales infrastructures). Mais à cette époque, l'alimentation était considérée comme une fonction « automatiquement » assurée grâce à un système constitué de territoires spécialisés dans tel ou tel type d'aliment céréales, viande, lait, fruits et légumes et de moyens de transport efficaces entre ces territoires et les débouchés urbains de leurs productions. La demande sociale de traçabilité alimentaire a changé la donne : la question de l'alimentation des habitants d'une ville doit désormais aller de pair avec la planification de son développement. L'idée d'un volet agricole du SCoT est notamment mentionnée dans un récent rapport du CGAAER92 : celui-ci estime qu'il ne faut pas seulement protéger les terres non construites, mais en valoriser les usages et pour ce faire « doter les documents d'urbanisme d'un projet agricole et forestier de territoire». Un tel projet devrait identifier les unités paysagères pertinentes pour atteindre les objectifs fixés, c'est-à-dire les plus fertiles, les mieux exposées, ou encore celles dont l'histoire a montré qu'elles pouvaient être des supports pertinents pour des approvisionnements particuliers (terrasses abandonnées, anciennes ceintures maraîchères, boisements délaissés...). Ces unités sont - ou seront - dotées de structures paysagères (réseaux de haies, de canaux, de banquettes, d'allées de desserte...) permettant de maximiser leur efficacité productive. Cela suppose toutefois que la fonction alimentaire ne constitue pas « une couche de plus », un « quinzième objectif »93 mais avec leurs localisations et leurs structures - un élément du socle, de l'assise-même du schéma. Cette fonction d'approvisionnement nécessite en outre que : Le PAT apporte au SCoT un contenu stratégique (organisation de circuits courts, ciblage des territoires prioritaires et des structures paysagères associées, soutien aux producteurs...) ; La temporalité de l'élaboration du PAT ne retarde pas la planification d'ensemble du SCoT et réciproquement ; un SCoT devrait pouvoir immédiatement inclure dans ses documents graphiques la localisation des unités paysagères nécessaires à l'approvisionnement du territoire et la définition des structures paysagères permettant l'optimisation de cet approvisionnement ; Le périmètre des PAT et celui des SCoT existants ne soient pas des obstacles à leur bonne articulation (par exemple un PAT peut être « partiel » au sein d'un SCoT) ; Les natures juridiques distinctes du SCoT (planification décentralisée, uniquement annulable par le tribunal administratif) et du PAT (label d'État attribué par le ministre) ne fassent pas obstacle à leur rapprochement : le PAT ne pourrait être annexé formellement au SCoT qu'une fois son label national attribué94.
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Un colloque national organisé conjointement par la fédération des SCoT et le Réseau national des
92 Rapport N° 17076 dû à Catherine de Menthière, Hélène de Comarmond et Yves Granger. 93 Constatant que le SCoT « victime de son succès » était devenu la simple déclinaison territoriale de 14 thématiques sectorielles qui ne pouvaient « induire une approche transversale, structurée et hiérarchisée des problématiques », un rapport du CGEDD d'avril 2017 « quelles évolutions pour les SCoT » (N° 010656-01 rédigé par François Duval, Philippe Iselin et Ruth Marquès) recommandait de promouvoir : « une élaboration centrée sur les enjeux essentiels ». C'est dans le cadre de ce recentrage que se situe la recommandation qui va suivre. 94 L'élaboration parallèle d'un PAT et d'un SCoT menées actuellement sur le « Pays des Châteaux » en Val de Loire pourrait servir de référence. Cf entretien de la Mission avec Christophe Desgruelles, enseignant à l'école de paysage de Blois et président du pays et de l'agglomération blésoise, le 30 janvier 2019
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PAT favoriserait la prise de conscience réciproque de la complémentarité des démarches. L'étape ultérieure serait la reconnaissance législative du PAT comme annexe « alimentation » du SCoT, et l'inclusion dans celui-ci de prescriptions paysagères relatives à la localisation des espaces d'approvisionnement et la définition des structures paysagères associées. Le PAT, annexe alimentation du SCOT, aurait alors un caractère obligatoire. Déclinant les principes du SCoT, il reviendrait alors au(x) PLU(i), de délimiter les espaces dédiés aux fonctions alimentaires ou à la fourniture de bois - énergie ou matière première et de localiser les structures ou éléments de paysage permettant d'optimiser ces productions. Recommandation au MCT/DHUP et au MAA (DGAL) relative aux PAEN et aux PAT R5. Introduire des sous-zonages dans les PAEN en les assortissant d'un programme d'actions établi selon la démarche paysagère et en faveur de la transition agro-écologique. Etudier une modification législative faisant du PAT, une fois celui-ci labellisé, un document annexé au(x) SCoT et définir dans ces derniers les structures paysagères à vocation de production agricole et forestière qui permettent l'optimisation de cette production.
Agriculture péri-urbaine à Lyon - ph. J. Ruiz
3.4.3. Les chartes forestières de territoire
Les Chartes forestières de territoire ont été instituées par la loi d'orientation pour la forêt de 2001 déjà mentionnée. Le Code forestier (articles L 123-1 et 2) précise qu'une charte « peut être établie à l'initiative d'une ou de plusieurs collectivités territoriales, d'organisations de producteurs, de l'Office national des forêts, du centre régional de la propriété forestière ou de la chambre d'agriculture. Elle consiste en un programme d'actions pluriannuel visant à (...) garantir la satisfaction de demandes environnementales ou sociales, à renforcer la compétitivité de la filière de production, (...) et de valorisation des produits forestiers ». On compte aujourd'hui 140 de ces « chartes »95, portées par des communautés de communes, par
95 Soit près de 13 millions d'ha (23 % du territoire), et 6 800 communes
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des pôles d'équilibre territoriaux et ruraux (PETR) ou par des parcs naturels régionaux . La loi ne fixant pas de critère précis pour leur périmètre96, ce dernier dépend avant tout de la dynamique locale. La superficie forestière ainsi couverte atteint 5 millions d'ha soit 32 % de la forêt française, dont 68 % de la forêt privée, mais seulement 11 % de la forêt domaniale et 17 % de celle des collectivités locales97. Les actions listées dans ces 140 chartes portent d'abord sur la transformation et la valorisation du bois, et la commercialisation des matériaux (39%) auxquels on peut ajouter « l'amélioration et la dynamisation de la sylviculture » (11 %). Viennent ensuite le suivi, l'animation et l'évaluation du document (18%), les loisirs et le tourisme création de sentiers (14%) et enfin l'environnement et la biodiversité - inventaires, restauration écologique... (9%)98. Cette dominante économique est l'une des limites de l'outil ; les études ont toutefois mis en avant l'établissement d'un véritable dialogue entre forestiers et « autres acteurs ». Une série de chartes successives ont été élaborées à partir de 2004 sur le Morvan : comme il s'agit d'un de ces territoires sur lequel se focalisent les débats et les tensions concernant la forêt99, le contenu et la gouvernance des documents qui s'y sont succédé méritent un examen particulier que l'on trouvera en Annexe 9. Instituant un dialogue local solide, ancrées sur la spécificité d'un territoire, et constituant un projet ascendant, les chartes forestières remplissent, d'après les principes énoncés par la mission, toutes les conditions pour être un vecteur pertinent de cette transition vers la « forêt durable » annoncée par la loi d'orientation de 2001. On constate que « les aménités forestières » et la multifonctionnalité de ces espaces (production, biodiversité, tourisme) sont souvent mises en avant là où des synergies sont à créer entre acteurs (comme en témoigne le Morvan). Cette vertu médiatrice correspond bien à la conception de l'approche paysagère défendue par la mission. Ne pourrait-on orienter davantage les chartes encore très « filière-bois » vers un équilibre accru des enjeux économiques, sociaux et environnementaux dont l'approche par le paysage serait alors une « entrée » féconde ? Par ailleurs, lors de sa rencontre avec les forestiers privés100, la mission a pu constater qu'au-delà d'une appréciation positive sur les chartes, un problème était énoncé concernant leur pilotage, l'équilibre de celui-ci posant parfois problème aux professionnels de la filière bois. Depuis la Loi d'avenir pour l'agriculture et la forêt de 2014 (article 69) les acteurs forestiers ont la capacité de constituer des groupements d'intérêts économiques et écologiques forestiers (GIEEF) semblables dans leur objectif, aux GIEE déjà évoqués (cf point 2.1.1).
Plus exigeants en termes de seuils de constitution et de conditions d'agrément 101 ceux-ci se
96 L'article L 123-1 du code se borne à énoncer que les chartes sont établies « sur un territoire pertinent au regard des objectifs poursuivis » 97 Source des statistiques : plaquette éditée en 2016 par la Fédération nationale des communes forestières, chargée par le MAA d'animer le réseau des territoires porteurs de chartes. Le non-engagement dans la forêt publique dans les démarches territoriales pose question. Le seul processus comparable en termes de dialogue avec les acteurs locaux non forestiers concerne les « forêts d'exception » de l'ONF. Leur nombre (une quinzaine, parmi les plus prestigieuses : Fontainebleau, Tronçais, Chartreuse...) est volontairement limité. On peut espérer - et recommander - qu'elles soient le début d'une dynamique au sein de l'Office.... Le paysage y joue un rôle structurant. Plus de détails sur le site : www1.onf.fr/foret-exception/@@index.html 98 Source : la plaquette des communes forestières susmentionnée.https://www.fncofor.fr/docs/data/articles/fichiers/2795-24.pdf 99 La forêt du Morvan est l'une des principales « vedettes » du film « le temps des forêts » de François-Xavier Drouet, déjà cité, sorti en septembre 2018, en forme d'« alerte » face aux pratiques sylvicoles intensives. 100 Entretien du 14 février 2019 avec Antoine d'Amécourt, président de FranSylva 101 En plus d'être, comme les GIEE, « porteurs d'un « projet pluriannuel de modification ou de consolidation [des] systèmes ou modes de production », les GIEEF doivent réunir au moins 300 ha de forêt, ou 100 ha à condition de regrouper au moins 20 propriétaires. Leur
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développent plus lentement. Vis-à-vis des chartes forestières, la constitution de tels groupements de forestiers aurait pour avantage de constituer, en vis-à-vis direct des élus locaux aujourd'hui promoteurs de la plupart de ces documents, un véritable « groupe-projet » forestier. Un autre obstacle peut entraver la gestion de l'interface forêt-agriculture en général et le développement des chartes forestières en particulier : le dialogue territorial dont elles sont la traduction s'inscrit dans le cadre du développement de la forêt et de ses productions ; mais il peut également conduire au déboisement de certaines parcelles aux fins d'ouverture - ou de réouverture - de l'espace, notamment en fond de vallée suite aux boisements volontaires spontanés évoqués cidessus (partie 1-1-3), qui succèdent à une friche agricole. De tels déboisements peuvent être soumis à compensation102. Seules les communes de montagne dont le taux de boisement est supérieur ou égal à 70 % et qui opèrent un défrichement « pour des raisons paysagères ou agricoles » échappent à cette mesure 103 sous réserve de la mise en place préalable d'un « schéma concerté d'aménagement communal ». La mission estime qu'il serait judicieux d'étudier un allègement de cette procédure que l'ensemble des acteurs de terrain (agriculteurs, forestiers et élus locaux unanimes) perçoivent comme une entrave à la réouverture des paysages poursuivie depuis plusieurs années (cf partie suivante sur les plans de paysage et Annexe 10).
3.4.4. Les chartes de parcs naturels régionaux
Les PNR ont été créés par décret n°67-158 du 1 mars 1967, sous l'impulsion de la délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (DATAR). Régionalisés en 1982 dans le cadre des lois de décentralisation, puis confortés juridiquement par l'article 2 de la loi Paysage de 1993, « les parcs naturels régionaux concourent à la politique de protection de l'environnement, d'aménagement du territoire, de développement économique et social et d'éducation et de formation du public. Ils constituent un cadre privilégié des actions menées par les collectivités publiques en faveur de la préservation des paysages et du patrimoine naturel et culturel »104. La loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages (2016) consolide la position des PNR en leur confiant un rôle de mise en cohérence des politiques publiques sur leur territoire en application de leur charte : « À cette fin, ils ont vocation à être des territoires d'expérimentation locale pour l'innovation au service du développement durable des territoires ruraux. [...] La charte constitue le projet du parc naturel régional » (Annexe 10). Vers une formalisation de la contribution des PNR dans le domaine de l'agro-écologie et de la forêt durable Les Parcs sont dotés d'outils adaptés à la mise en oeuvre du développement de l'agro-écologie et des projets forestiers durables.
existence est également conditionnée par l'élaboration d'un Plan simple de gestion agréé par le CRPF sur l'ensemble de leur territoire. 102 Aux termes de l'article L 341-6 du Code Forestier (introduit par la Loi d'avenir de 2014) le défrichement peut être conditionné par « l'exécution, sur d'autres terrains, de travaux de boisement ou reboisement pour une surface correspondant à la surface défrichée, assortie, le cas échéant, d'un coefficient multiplicateur compris entre 1 et 5 » ou par le versement au CRPF d'une indemnité fixée par l'autorité administrative. 103 Article L 214-13-1 du Code Forestier, introduit par la loi d'avenir du 13 octobre 2014. 104 Article L331-1 du code de l'environnement.
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Les PNR maîtrisent pour la plupart d'entre eux, les démarches participatives avec leur capacité à associer les acteurs locaux (ils ont souvent été pionniers dans ce domaine). Les équipes sont ainsi constituées qu'on leur reconnaît une capacité d'apporter de l'ingénierie, de même qu'à intervenir de façon transversale. Territoires d'innovation et de transition, l'expérimentation est consubstantielle aux missions des PNR et intégrée à leur charte. Il reste toutefois à inscrire dans la charte cette compétence largement établie dans les faits. La première étape de formalisation serait d'identifier les espaces agricoles concernés. Or, les documents graphiques inclus dans les chartes des parcs ne sont pas toujours suffisamment précis à cet égard, ni ciblés sur les enjeux paysagers, agricoles ou sylvicoles les plus significatifs au regard des transitions en cours ou souhaitables. Une telle identification cartographique n'est cependant pas suffisante. Elle doit s'accompagner d'un véritable projet, seul à même de susciter et d'accompagner les évolutions voulues. En s'appuyant sur la démarche paysagère, ce « projet agricole et forestier de territoire en transition agro-écologique » inclurait stratégie, orientations, mesures prioritaires phares et engagement des exploitants signataires pour une transition agro-écologique ; il devrait être partie intégrante de la charte du PNR. La production d'un diagnostic sur le projet agricole et forestier territorial, lors de l'élaboration de la révision des documents d'urbanisme (schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET), SCoT, PLU(i)), par des experts aux compétences croisées (paysagiste-concepteur, architecte, agronome, conseil de l'architecture, de l'urbanisme et de l'environnement (CAUE), Chambre d'agriculture ...), devrait être systématique. De même, lors de l'insertion d'un bâtiment agricole, devrait être produite une étude architecturale et paysagère, quelle que soit la superficie des bâtiments agricoles. Des aides techniques et financières (assistance à maîtrise d'oeuvre des projets d'aménagement et de recomposition spatiale des parcelles, d'agroforesterie, selon la démarche paysagère) pour le développement de projets agricoles portés par des collectifs d'agriculteurs ou collectivités, seraient assurées par ces mêmes professionnels dans le cadre d'un projet de transition écologique. La valorisation des productions agricoles emblématiques par le biais de la marque existante « Valeur parc » 105 et le soutien de démarches de labellisation avec l'assistance technique et financière aux producteurs pourraient être systématisées, avec des actions de promotion et communication, le tout conditionné par le maintien et l'entretien de la typicité des paysages agraires. Enfin, l'aide des architectes et paysagistes-concepteurs des parcs régionaux et des CAUE pourrait être développée pour la diversification des exploitations en faveur de l'agri-tourisme durable. Par ailleurs, le PNR doit être membre d'office de la Commissions Départementales d'Orientation Agricole (CDOA), pour aider à l'installation en agriculture biologique, veiller au maintien des exploitations existantes à des tailles mesurées et inciter à l'utilisation des propriétés publiques (départementaux ou collectivités) pour l'installation de nouveaux exploitants.
105 Référence : https://www.parcs-naturels-regionaux.fr/centre-de-ressources/document/valeurs-parc-naturel-regional-la-nouvellemarque-des-parcs-naturels
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3.4.5. Les plans de paysage
Expérimentés en 1988-1989, les plans de paysage se sont mis en place dans les années 1990. La circulaire n°95-23 du 15 mars 1995 « relative aux instruments de protection et de mise en valeur des paysages » introduit la notion de « qualité et la diversité des paysages », comme patrimoine à préserver et ressource à valoriser. Les plans de paysage selon Régis Ambroise, l'un des rédacteurs de cette circulaire, « se définissent comme un processus, une dynamique qui s'appuie sur les ressources paysagères historiques et géographiques d'une petite région, pour mobiliser la population au service d'un projet de développement durable et harmonieux d'un territoire »106. Un plan de paysage est donc mis en place pour accompagner des dynamiques de transformation de paysage, ou pour repenser l'aménagement d'un territoire (paysages altérés...). Au bout d'une dizaine d'années, cependant, la dynamique des plans de paysage marque le pas. Lors de la décennie 2000, la procédure n'est plus ni portée ni encouragée. Une relance est alors mise en place en 2012 par appels à projets bisannuels ; elle trouvera son expression politique dans le « Plan national d'actions pour la reconquête des paysages et la place de la nature en ville » présenté en septembre 2014 par Ségolène Royal, alors ministre chargée de l'écologie. Il s'agit toujours, dans le cadre d'une démarche volontaire, d'accompagner la transformation des paysages pour aboutir à une mise en oeuvre du projet de territoire, en lien avec les documents d'urbanisme : énoncer des objectifs de qualité paysagère (OQP), comme outils de projet 107 et définir un programme d'actions localement débattu, s'appuyant sur les ressources locales à valoriser. L'initiative d'un plan de paysage peut émaner d'une collectivité locale, d'un groupe d'habitants, d'acteurs économiques ou encore d'associations qui souhaitent promouvoir un cadre de vie de qualité et influer sur les dynamiques de transformations du paysage. Il vise à une mise en cohérence des aspirations de la population et des principaux acteurs économiques et de l'aménagement du territoire. Les 92 lauréats des appels à projets successifs sont regroupés dans un « club plan de paysages » animé par le bureau des paysages du MTES, l'État octroyant à chaque lauréat une enveloppe de 30 000 pour mener les études nécessaires. L'élaboration du plan de paysage se décline en trois étapes décrites en partie 2.1.1 : 1. Connaissance du paysage et diagnostic ; 2. Définition de la stratégie et des objectifs de qualité ; 3. Enfin, production du programme d'actions et mise en oeuvre du projet. Les premières actions concrètes de requalification sont les garantes de l'adhésion des acteurs locaux. Elles « donnent le ton » d'une reconquête qualitative dont l'ambition se révèlera sur le long terme, comme dans la vallée vosgienne de la Bruche (Bas-Rhin) dont le processus de réouverture paysagère, mené à bien depuis plus de 30 ans, est décrit (Annexe 11). Sur l'ensemble des plans de paysage entrepris à ce jour, 20 ont mis en oeuvre leur projet de paysage, 11 vont lancer la réalisation du projet.
106
Régis Ambroise et Monique Toublanc - Paysage et agriculture pour le meilleur Educagri édition 2015
107 La loi n°2016-1087 du 8 août 2016 « pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages » (art. 171) définit les objectifs de qualité paysagère comme « les orientations visant à conserver, à accompagner les évolutions ou à engendrer des transformations des structures paysagères, permettant de garantir la qualité et la diversité des paysages à l'échelle nationale ».
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Les plans de paysage localisés en 2018
Les structures porteuses
L'élaboration d'un plan de paysage repose sur un pilotage politique, une ingénierie technique solide et une sensibilisation et concertation efficace. Souvent étudié en amont d'un PLU(i) ou d'un SCoT, (raison de son lancement par un nombre important d'EPCI), le plan de paysage et ses orientations sont repris dans le dispositif réglementaire et opérationnel (orientations d'aménagement et de programmation) de ces documents. Étudié à l'échelle intercommunale, le plan de paysage pourrait donc favoriser la mise en place de la transition agro-écologique lors de l'élaboration d'un projet agricole et forestier de territoire. Il s'inscrit parfaitement dans les trois axes définis par la mission comme marqueurs de l'agro-écologie (2me partie du rapport), pour : Traduire en termes paysagers incluant protection de la biodiversité et des ressources, le projet agricole résultant d'une perception collectivement partagée par tous les acteurs qui occupent, utilisent et transforment le territoire (agriculteurs, élus, acteurs économiques, associations et habitants...) ; Aboutir à une stratégie de mise en oeuvre du projet agricole de territoire s'appuyant sur le paysage, au travers d'un programme d'actions et de mesures aidant les exploitants agricoles à la mise en oeuvre de la transition agro-écologique, des circuits courts, des filières de qualité ; Accompagner et faciliter les évolutions pour un projet local, s'appuyant sur les ressources locales vers un développement durable.
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Des plans de paysage à dominante agricole et/ou forestière sont en capacité de promouvoir une agriculture valorisant les potentialités agro-écologique et les demandes sociétales. Ils utilisent la démarche paysagère pour mobiliser la population au service d'un projet de développement durable de territoire avec la double justification d'une correspondance paysage de qualité /produit de qualité, et de promotion de l'attractivité du territoire à des fins résidentielles et touristiques. Ils sont donc particulièrement adaptés au projet agricole en transition agro-écologique à la double échelle de l'exploitation et du périmètre du plan. Pour assurer dans la durée l'animation et la mise en oeuvre du plan. Thématiser un ou plusieurs des prochains appels à projets annuels sur la « transition agro-sylvopaysagère » pourrait avoir un bon effet d'entraînement.
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Recommandation au MAA (DGPE) et au MTES (DGALN/DEB/DHUP) relative aux chartes forestières, aux chartes de PNR et aux plans de paysage R.6 Promouvoir l'approche paysagère dans l'écriture concertée des chartes forestières de territoires; favoriser la constitution des groupements d'intérêts économiques et écologiques forestiers (GIEEF) ; étudier l'allègement des procédures relatives au défrichement quand celui-ci est effectué en vue d'une réouverture du paysage par le pastoralisme. Intégrer dans les chartes de PNR le périmètre des territoires agricoles et forestiers, et les doter d'un projet agro-sylvo-paysager de territoire en transition agro-écologique. Cibler le prochain appel à projets annuel des plans de paysage sur la thématique du paysage agricole en transition agro-écologique et forêt durable.
3.5. Susciter ou reconnaître des projets démonstrateurs
Il s'agit d'illustrer les préconisations du présent rapport en suscitant et primant des « projets de transition agro-écologique par le paysage ». La mission a expliqué que la nécessaire transition agro-écologique ne peut que partir des territoires, dans leur singularité remise à l'honneur, et grâce à des dialogues entre acteurs localement réunis pour établir un projet mené à la double échelle des exploitations et de leurs territoires. Ces principes, resteront toutefois théoriques s'ils ne sont pas concrètement illustrés par des exemples reproductibles en nombre suffisant pour « donner envie » aux acteurs locaux dans chaque catégorie de région agricole ou de massif forestier, de s'engager dans cette voie. Mais l'émergence de tels projets suppose un accompagnement local dont la mise en place est par ailleurs recommandée 108 , mais qui ne produira ses effets que de manière progressive. Des « preuves par l'exemple » de l'intérêt de la méthode qui fonde les recommandations du rapport pourraient être identifiées plus rapidement grâce à un appel à projets national. La mission recommande au ministère de l'Agriculture de s'appuyer à cet effet sur un réseau institutionnel ancré sur les territoires ruraux, celui des conseils d'architecture, d'urbanisme et d'environnement (CAUE), dont la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages du 8 août 2016 est venue reconnaître juridiquement109 l'implication déjà ancienne dans la démarche paysagère Implanté dans 93 départements sur 100, ce réseau comptait au nombre de ses personnels permanents plus d'une centaine de paysagistes-concepteurs110. Les domaines de l'agriculture et de la forêt sont tout à fait familiers à ce réseau puisque sa fédération nationale (FNCAUE) a animé, à partir d'un colloque fondateur organisé en 2009 avec le ministère de l'Agriculture 111 , une série de « semaines nationales agriculture et paysage », à périodicité
108 On a déjà noté la faiblesse de l'ingénierie de projet en milieu rural, en dehors des 16 % du territoire couverts par l'un des 53 parcs naturels régionaux actuellement labellisés. 109 Son article 173 modifie la loi de 1977 (qui avait créé les CAUE) en ajoutant le paysage à l'énumération de leurs compétences à la description de leurs activités de conseil aux particuliers et aux collectivités. Il est précisé Les CAUE ne font pas de maîtrise d'oeuvre paysagère et sont positionnés en amont de la commande. 110 Voir le rapport conjoint sur leur devenir, rendu en novembre 2014 par le CGEDD et l'inspection générale des affaires culturelles (IGAC) (« Missions, statuts et financements des CAUE », rapport IGAC-CGEDD établi par Muriel Genthon, Aude Dufourmantelle, JeanPierre Thibault et Paul Tolila. http://www.culture.gouv.fr/Espace-documentation/Rapports/Missions-statuts-et-financements-desconseils-d-architecture-d-urbanisme-et-de-l-environnement-CAUE (pp 31-32). 111 Dont est issu un ouvrage, dû à Béatrice Julien-Labruyère et Yves Helbert co-édité par la Fédération des CAUE et Educagri : https://editions.educagri.fr/livres/4497-agricultures-et-paysages-temoignages-et-points-de-vue-des-caue.html
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biennale, qui se sont déroulées jusqu'en 2017, avec une trentaine de CAUE impliqués. Or, la fédération a animé tout récemment à la demande du ministère de la Transition écologique et solidaire un appel à projets relatif à la trame verte et bleue. Lancé en juillet 2016 en partenariat avec l'ARF, cet « appel à manifestation d'intérêt » était intitulé « de la planification régionale à la construction d'une stratégie territoriale »112 visait à recenser des démarches concrètes permettant de passer de l'abstraction d'une inscription des « corridors écologiques » dans les documents d'urbanisme à l'application matérielle d'une protection ou d'une restauration de ces espaces sur le terrain : plantation de haies, tracés adéquats de fossés ou toute autre opération pertinente de génie écologique. Huit projets ont été retenus et dotés chacun d'une enveloppe financière modeste (20 000 ), mais susceptible d'amorcer des dynamiques locales. Un séminaire d'échanges autour des projets lauréats s'est tenu le 8 mars 2017 à Paris. Dans le cas qui nous occupe, la FNCAUE pourrait solliciter l'appui de l'assemblée permanente des chambres d'agriculture pour une bonne démultiplication sur le terrain des recherches à effectuer113. Les conditions sont ainsi réunies pour le lancement, par le ministère de l'agriculture (DGPE) d'un appel à « projets de transition agro-écologique par l'approche paysagère », qui appuyé sur ce réseau des CAUE, dûment mobilisés par leur fédération, a de bonnes chances d'être productif d'un nombre suffisant une douzaine ? - d'exemples représentatifs des grandes catégories culturales et des principales régions agricoles ou forestières. Outre les chambres d'agriculture, des partenariats complémentaires (Associations d'élus...) pourraient être sollicités pour relayer cette initiative114 et une bonne valorisation des résultats de cet appel à projets, par exemple lors du Salon de l'Agriculture assurerait son rayonnement. Au sein de cet appel à projets, un volet particulier pourrait être consacré, à l'architecture et à l'implantation des bâtiments agricoles, dont on a vu le caractère actuellement banalisant pour le paysage de nos campagnes. Certains CAUE ont édité des guides ou des brochures sur ce sujet115. Le directeur-adjoint du CAUE du Loiret, l'architecte Hervé Cividino, vient de co-éditer avec « le Moniteur » un ouvrage abondamment illustré 116 décrivant avec de nombreux exemples, comment, dans certaines circonstances, le monde agricole peut bâtir aujourd'hui des bâtiments d'exploitation originaux à la fois de grande qualité et bien adaptés aux conditions de production contemporaine. L'ouvrage préconise des modèles de constructions selon les types de productions (serres, stockages, étables, bergeries...), avec des adaptations aux régions et aux structures paysagères.
112 Les documents de cadrage en sont disponibles sur le « centre de ressources Trame verte et bleue » co-géré par le ministère et l'Agence française pour la biodiversité: http://www.trameverteetbleue.fr/vie-tvb/actualites/appel-manifestation-interet-tvb-planificationregionale-construction-strategie et la page dédiée ouverte par la FNCAUE : 113 L'APCA travaille ainsi actuellement en partenariat avec l'AFAC-Agroforesterie pour susciter des projets de replantation et d'entretien d'arbres et de haies. 114 L'enveloppe mobilisée par le ministère de l'écologie en 2016 était de 200 000 , soit 20 000 pour chacun des projets comme indiqué ci-dessus et 40 000 au profit de la FNCAUE pour l'organisation de l'opération. À noter que cette enveloppe avait permis de mobiliser en régions des contributions d'un montant équivalent, soit un total de 400 000 pour la globalité du projet. 115 Par exemple, ceux du CAUE de Loire-Atlantique, du Rhône, du Doubs (fiches-conseils), de la Creuse, ou encore des DeuxSèvres (couleurs et matériaux), ou du Gard (Costières de Nîmes). 116 « Nouvelles architectures agricoles », Éditions du Moniteur, 336 pages, septembre 2018
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Recommandation au MAA (DGPE) R7. Lancer en partenariat avec le réseau des CAUE et avec l'appui de l'APCA un appel à manifestation d'intérêt sur « la transition agro-écologique par l'approche paysagère » qui permettrait de recenser et de promouvoir des initiatives ayant valeur démonstrative de la vertu facilitatrice de l'approche paysagère dans ce processus de transition.
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CONCLUSION
Les développements et recommandations qui précèdent s'inscrivent dans l'évolution annoncée des activités agricoles à l'échelle française et européenne vers une orientation agro-écologique. En facilitant et en accélérant un nouvel ancrage territorial, l'approche paysagère de l'agro-écologie devrait permettre de dépasser la seule dimension des outils techniques agricoles et sylvicoles, et de mobiliser l'ensemble des acteurs de terrain dans l'élaboration de projets adaptés aux singularités historiques et géographiques des lieux, construisant ainsi une définition contemporaine des « terroirs ». Le présent rapport a mis en lumière les éléments incontournables pour le développement fondé sur une approche paysagère de cette agro-écologie. Ils constituent une grille d'évaluation de la pertinence des moyens publics mis au service du développement de celle-ci : La prise en compte affirmée des liens humains en créant les conditions de dialogue entre acteurs, agricoles et non agricoles ; Un ancrage territorial intégrant spécificités locales que ce soit dans le domaine agronomique, géographique, économique ou en termes de gouvernance ; Une démarche de projet ascendant pour favoriser l'appropriation locale du changement des pratiques et de leurs conséquences sur le paysage environnant, dans le but de rassembler les acteurs.
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Cela signifie : Une gouvernance soucieuse de mener des projets agro-sylvo-paysagers aux échelles emboîtées du territoire et de l'exploitation, en développant les relations entre acteurs, à partir de projets définis par ces derniers ; Un soutien dans la durée aussi bien sectoriel que territorial - des politiques publiques à l'accompagnement, la formation et l'animation de ces acteurs ; Un objectif clairement affiché, sur les plans réglementaires et financiers, de promotion des piliers de l'agro-écologie que sont la réintroduction de l'arbre et la gestion agronomique des sols (amélioration de sa vie biologique) dans la stratégie des exploitations. Cela suppose de raisonner non seulement à l'échelle des exploitations mais également des filières aval.
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La démarche paysagère met en lumière l'interaction entre l'agro-écologie et l'aménagement de l'espace et du territoire et donc une indispensable synergie entre les politiques publiques, nationales et territoriales, qui n'est pas à ce jour optimisée. Le développement de l'ingénierie locale, sous les formes adaptées aux contextes locaux en constitue le pivot. Le présent rapport s'inscrit également dans deux mouvements de fond qui affectent la politique française d'aménagement de l'espace : la lutte contre l'artificialisation des sols et l'attention portée au monde rural. En premier lieu, les « projets ascendants » agro-sylvo-paysagers que préconise le rapport vont donner au territoire non artificialisé une valeur sociale, économique -agronomique- et environnementale -paysagère-, qui facilitera l'atteinte de l'objectif national de « zéro artificialisation nette » des sols.
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En second lieu, une attention politique plus soutenue aux espaces ruraux a permis de se rendre compte à quel point l'ingénierie y était défaillante : les recommandations du rapport pourraient contribuer à combler cette faiblesse en soutenant la demande d'accompagnement des acteurs de la transition agro-écologique à la double échelle de leurs projets. La mission pense avoir démontré pourquoi, et sous quelles conditions, l'approche paysagère pouvait accélérer le processus de transition vers l'agro-écologie et la forêt durable, processus incontournable que devront porter les acteurs des territoires au cours des prochaines années compte tenu de la demande sociétale. En cela, ce rapport s'inscrit bien dans l'esprit de la Convention européenne du paysage pour laquelle gérer le paysage permet de "guider et harmoniser les évolutions sociales, économiques et environnementales".
Signatures des auteurs
Dominique Michel
Architecte-urbaniste en chef de l'État
Sylvie Rocq
Ingénieure générale des ponts, des eaux et des forêts
José Ruiz
Ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts
Jean-Pierre Thibault
Inspecteur général de l'administration du développement durable
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ANNEXES
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Lettre de mission
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Liste des personnes rencontrées
NOM-PRENOM Catherine de Menthière ORGANISME Conseil général de l'agriculture, de l'alimentation et des affaires rurales CGAAER CGAAER DHUP/ DGALN, Sous-directrice FONCTION
Marie-Hélène Bouillier-Oudot Elisabeth Mercier Pastèle Soleille, sous-directrice de la qualité du Cadre de vie Gilles de Beaulieu Christian Barthod Thierry Boisseaux Régis Ambroise Raphaël Larrère, Joël Baud-Grasset Valérie Charollais,
Bureau des paysages et de la Chargé de mission Plans publicité de Paysage
Conseil général de l'environnement et du développement durable Agronome, urbaniste Sociologue et agronome Fédération nationale des conseils d'architecture, d'urbanisme et d'environnement Président et agriculteur en Haute-Savoie Directrice
Pierre Grandadam Jean-Sébastien Laumond, chargé de mission paysage
Jacques Michel, président de l'Association foncière pastorale (AFP) de Wildersbach Stéphane David, chambre d'agriculture du Bas-Rhin
Communauté de communes Président de la Vallée de La Bruche
Zoé Chaloin Baptiste Sanson, Paule Pointereau Yves Bonnefoy Philippe Pointereau, au bureau d'études
Fédération nationale des agences d'urbanisme Association française pour l'arbre champêtre-agroforesterie Terres en ville SOLAGRO
chargée de mission Directeur Chargée de mission Directeur Directeur du pôle Agroenvironnement Chargé d'études
Frédéric Coulon, à SOLAGRO Alain Daguzan,
Jack De Lozzo,
Exploitant agricole en agroforesterie à Montestruc-surGers Exploitant agricole en agroforesterie à Noilhan (Gers).
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Gilles Lardeux Triangle vert du Hurepois (Essonne) : Olivier Thomas
agriculteur à Coudray (Mayenne)
Brigitte Bouvier Denis Toulier
Bertrand Hervieu Christèle Gernigon André Barlier Gilles Flutet
Association du triangle vert
Maire de Marcoussis et conseiller régional Présidente d'honneur Agriculteur et président de l'association
Sociologue Chargée des « forêts d'exception » Directeur-adjoint Responsable du service Territoires et délimitations Animateur national DGER/transition agroécologique dans l'enseignement agricole Chargée de mission paysage Sénateur
ONF Institut national des appellations d'origine
Jean-Luc Toullec
Bergerie nationale de Rambouillet
Lamia Otthoffer
Joël Labbé, et les participants au Colloque organisé au Sénat sur les Paiements pour services environnementaux (PSE) Gaëlle des Déserts Centre d'écodéveloppement, Bergerie de Villarceaux
Héloïse Boureau Marc Giroud Michel Galmel
Christophe Pinard
Parc naturel régional (PNR) du Vexin Exploitant agricole à Tilly (Vexin Normand, Eure)
Paysagiste chargée de mission Responsable d'animation et de projets Président
Direction générale de la Chargé de mission performance économique et « agroforesterie « environnementale des entreprises (DGPE), Ministère de l'agriculture et de l'alimentation Centre National de la Propriété Forestière INRA (Mirecourt), ancien président de l'Association Française des agronomes Fondateur du « triangle vert » de Marcoussis Bureau d'études « Initial » Directrice générale Chercheur
Claire Hubert Marc Benoît
Thierry Laverne
Paysagiste-concepteur
Joséphine Billey et Lucie Poirier
paysagistes-conceptrices
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Jean Frébault,
Ancien directeur de l'agence d'urbanisme de Lyon-Métropole, et ancien président du Conseil de développement
Camille Tedesco Jérémie Tourtier Véronique Hartmann, à Mylène Volle Christian Laval Hélène Gautron Matthieu Novel Bertrand Girard
Agence d'urbanisme du Grand Lyon Syndicat du SCoT du Grand Lyon Agglomération lyonnaise Direction départementale des territoires du Rhône Département du Rhône
Chargée de mission Cheffe de service
Marie-Christine Evrard
Rémi Janin, Christophe Degruelle
Chargé de l'agroenvironnement Communauté de communes Chargée de mission des Monts du Lyonnais Chambre d'agriculture du Chargé du territoire Rhône métropolitain Syndicat du SCoT du Beaujolais Union du SCoT de l'Estlyonnais
Paysagiste-concepteur et exploitant agricole Agglomération « BloisAgglopolys » Association des communautés de France France-NatureEnvironnement Fédération des PNR Paysagiste conseil de l'État Paysagiste conseil de l'État (DRAAF Nouvelle-Aquitaine) Doctorante à l'Université Toulouse 2 Fransylva École nationale supérieure du paysage de VersaillesMarseille DGALN Président Directeur Enseignants-chercheurs chargé de mission spécialiste forestier Président
Vice-président
Responsable « forêt »
Hervé Le Bouler
Adeline Favrel
Eric Brua Nicolas Sanaa Carine Bouvatier, Caroline Bigot
Chargée de mission
Directeur Chargé de mission agricultrice dans le Gâtinais
Mathilde Rue
Antoine d'Amécourt Vincent Piveteau Sophie Bonin, Pauline Friole, Alexis Pernet, Yves Petit-Maugin, Monique Toublanc, Roland Vidal Pierre Leconte,
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Joël Labbé, Dominique Potier Martial Saddier Luc Servant
sénateur du Morbihan député de Meurthe et Moselle député de Haute-Savoie Assemblée permanente des Vice-président chambres d'agriculture
Nathalie Galiri
Floriane Di Franco
Responsable du service « politique et actions agrienvironnementales » Chargée de mission
Office fédéral de l'Environnement, Confédération suisse Office fédéral de l'agriculture Chargé de mission paysage
Gilles Rudaz
Matthieu Raemy, Gérald Dayer
Chargé de mission Chef du service de l'agriculture Cheffe d'office, service de l'agriculture Chargée de mission service de l'agriculture Viticulteur à SaintLéonard (VS) Exploitant agricole à Icogne (VS)
Canton du Valais Brigitte Decrausaz Canton du Valais Laura Balet-Clavien Canton du Valais Antoine Bétrisey Jean-Michel Mayor
Alfredo Topolino Denis Michaud
Université de Genève Chambre d'agriculture du Doubs
Professeur Ancien responsable de la filière Comté Consultant, ancien chargé de mission à la chambre d'agriculture du Doubs
Mathieu Cassez
Jean-Yves Vansteelant PNR du Haut-Jura
Chargé de mission Agriculture
Bruno Lion Guillaume Randriamampita DRAAF Occitanie Directeur adjoint Chef du service de l'agriculture et de l'agroalimentaire Chargée de mission GIEE ingénieur
Annie Boggia
Bertrand Pinel Terrena
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Frédéric Robert Baptiste Meunier Pierre Schwartz
Plateforme agroécologique Auzeville DGPE bureau du foncier DGPE sous-direction de la performance environnementale et valorisation des territoires DGPE bureau du développement agricole
Responsable opérationnel Chef du bureau Sous-directeur
Thierry Thuriet
Chef de bureau
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Eléments bibliographiques
AGRESTE - « La forêt privée en France métropolitaine : structures, propriétaires et potentiel de production », décembre 2015 Régis Ambroise, Monique Toublanc - « Paysage et agriculture, pour le meilleur », Educ'Agri, 2017 Régis Ambroise « Dessiner les paysages agricoles, pour un développement durable et harmonieux des territoires », rapport à la 9è conférence du Conseil de l'Europe sur la Convention européenne du paysage. Éditions du Conseil de l'Europe, 2017 Régis Ambroise - « L'agriculture et la forêt dans le paysage », Manuel, Ministère de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales, 2002 Régis Ambroise et Odile Marcel - « Aménager les paysages de l'après-pétrole » Collectif PAP -Editions Charles Léopold Mayer, 2015 Nathalie Arrojo, Lamia Otthofer - « Dessine-moi un paysage bio », film Bergerie Nationale, 2012 Marc Benoît, Jean-Pierre Deffontaines, Sylvie Lardon - « acteurs et territoires locaux, vers une géoagronomie de l'aménagement » Editions Quae, 2006 Marc Benoît, Antoine Messéan, François Papy, Jacques Caneill-«Des agronomes pour demain, accompagner le diversité des agricultures pour un développement durable », Editions Quae, 2008. Jean-Louis Bianco - « La forêt : une chance pour la France », La Documentation Française, 1998 Antoine de Boismenu - « La fin des paysages » FNSAFER, 2005 Sophie Bonin - « Paysages de l'agriurbain : principes, réalités et incertitudes » Territoires en mouvement, juillet 2018 Jean Cabanel - « L'aménagement des grands paysages en France » Éditions ICI-Interface 2015 Matthieu Calame, Baptiste Sanson - « La Bergerie de Villarceaux, un laboratoire pour la transition agricole », Le courrier de l'environnement, N° 64, INRA, 2014 Hervé Cividino - « Nouvelles architectures agricoles » CAUE du Loiret, Editions du Moniteur, 2018, 335p. Communauté de communes de la Vallée de la Bruche - « le paysage, c'est l'affaire de tous » Livret et Cédérom, 2005. Conseil de l'Europe « Convention européenne du paysage et textes de référence » Editions du Conseil de l'Europe, 2001. Jean-Pierre Deffontaines « Les sentiers d'un géoagronome », Éditions Arguments 1998 Jean-Pierre et Benoît Deffontaines, Denis Michaud Jean Ritter - « Petit guide de l'observation
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du paysage » Editions Quae, 2006 Pierre Donadieu - « Campagnes urbaines », Actes Sud / École nationale supérieure du paysage, 1998 Jean Dubourdieu - « Manuel d'aménagement forestier, gestion durable et intégrée des écosystèmes forestiers », Éditions Lavoisier, 1997 FNCAUE « Agricultures et paysages, témoignages et points de vue des CAUE » Éducagri Éditions, 2009 Anne Fortier-Kriegel « Label 100 paysages de reconquête » Ministère de l'environnement, 1993 René-Louis de Girardin (marquis) - « De la composition des paysages, ou des moyens d'embellir la nature autour des habitations en joignant l'agréable à l'utile », Gallica BNF,1777 Bertrand Hervieu - « Les champs du futur », Julliard, 1994 Bertrand Hervieu, Jean Viard - « L'archipel paysan : la fin de la république agricole », Éditions de l'Aube, 2004 Bertrand Hervieu, François Purseigle - « Sociologie des mondes agricoles », Armand Colin, 2013 Initial-paysagistes (Joséphine Billet, Paule Pointereau, Lucie Poirier)- « la campagne des paysages d'Afterres 2050 » 3 fresques traduisant dans l'espace le scénario éponyme de SOLAGRO, Collectif PAP, téléchargeable. IGN (Institut national de l'information géographique et forestière) - « indicateurs de gestion durable des forêts françaises métropolitaines » Inventaire-forestier.IGN.fr, 2015 INRA - Réflexion prospective interdisciplinaire pour l'agroécologie Rapport de synthèse- avril 2019 INRA - "Stocker du carbone dans les sols français-Quels potentiels au regard de l'objectif 4 pour 1000 et à quel coût? » - Synthèse de l'étude - version du 13 juin 2019Institut français de la vigne et du vin - « Cadre juridique, outils et compétences pour le paysage en agriculture » Revue Apport N° 7, 2009. Rémi Janin La ville agricole (l'agriculture vit une révolution urbaine sans précédent traduisant un changement de civilisation profond), Éditions Openfield 2017 Catherine et Raphaël Larrère - « Penser et agir avec la nature », La Découverte, 2015 Yves Luginbühl - « Paysages : textes et représentations du paysage du siècle des Lumières à nos jours », Éditions La Manufacture, 1989 Yves Luginbühl - « La mise en scène du monde, construction du paysage européen », Editions du CNRS, 2012 Ministère de l'Agriculture, de l'agroalimentaire, de la pêche et de la ruralité, Ministère de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement - « Paysage et aménagement foncier, agricole et forestier » Avant-propos commun des deux ministres, 2010.
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Ministère de l'Agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt - « Plan de développement de l'agroforesterie » 2015. Paysages actualités, (Laurent Miguet, Yaël Haddad) « Dossier Agroforesterie », Paysagesactualités, Éditions du Moniteur, mai 2019 Alexis Pernet - « Le grand paysage en projet », Metis-presse, 2014 Rapport CGEDD-CGAAER - « Protéger les espaces agricoles et naturels face à l'étalement urbain » (Philippe Balny, Olivier Beth, Eric Verlhac) mai 2009 Rapport CGAAER - « Promotion des systèmes agro-forestiers » (Philippe Balny, Denis Domallain, Michel de Galbert). Février 2015 Rapport CGEDD - « Quelles évolutions pour les schémas de cohérence territoriale ? » ; (Ruth Marquès, François Duval, Philippe Iselin) avril 2017 Rapport CGEDD-CGAAER - « Préservation de l'élevage extensif, gestionnaire des milieux humides » (Marie-Hélène Aubert, François Guerber, Yves Brugière-Garde, Charles Dereix) juillet 2017 Rapport CGEDD - « Démarches paysaères en Europe, élément de parangonnage pour les politiques publiques françaises » (Jean-Luc Cabrit, Marie-Christine Soulié, Jean-Pierre Thibault), décembre 2017. Rapport CGAAER - « évaluation et propositions d'optimisation des outils concourant à la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers » (Catherine de Menthière, Hélène de Comarmond, Yves Granger), mars 2018. Rapport CGEDD - « maîtrise de la consommation des espaces agricoles, naturels et forestiers pour les besoins de l'urbanisation » (Philippe Bellec, Patricia Correze-Lenée, Philippe Schmit) mai 2018. Réseau des grands sites de France - « agriculteurs, forestiers et grands sites : quels partenariats ? » Actes des 9è rencontres des Grands sites de France, 2007 Olivier de Serres « Le théâtre d'agriculture et le mesnage des champs », Gallica BNF, 1600 SOLAGRO (Christian Couturier, Madeleine Charru, Sylvain Doublet et Philippe Pointereau) « Le scénario Afterres 2050 », décembre 2016. SOLAGRO (Frédéric Coulon) « État des lieux des infrastructures agroécologiques en France » - Rapport au Commisariat général au développement durable, Janvier 2012. Monique Toublanc - « Paysage en herbe, le paysage et la formation à l'agriculture durable », en coopération avec l'école nationale supérieure du paysage de Versailles-Marseille et La Bergerie Nationale, Educ'Agri éditions 2004
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Des attentes sociétales renforcées vis à vis d'une l'agriculture et d'une forêt en crises
- Attentes sociétales L'actualité aborde désormais les questions d'agriculture et de forêt dans un cadre plus large que la simple production quantitative de denrées alimentaires ou ligneuses ; celui de la santé (pesticides et alimentation), des enjeux environnementaux (changement climatique, biodiversité), de la cohésion sociale (périurbanisation/désertification, solidarités urbain-rural), du cadre de vie voire du mode de vie (vie quotidienne dans un territoire ou découverte touristique de celui-ci). Cela remet en question le développement des pratiques agricoles et forestières comme simples « techniques » sans lien avec les caractéristiques géographiques ou historiques de leurs lieux d'exercice. Plus précisément : A) Ces attentes se manifestent en termes d'environnement et plus encore de santé du fait d'une acuité de plus en plus grande des problèmes écologiques liés à l'occupation agricole ou sylvicole des sols : · pollution des eaux : une première enquête nationale réalisée en 2009 sur les causes d'abandon de captages d'eau potable entre 1998 et 2008 révélait que près de 50 fermetures par an avaient pour origine démontrée les pollutions par nitrates et pesticides117 ; pénuries d'eau estivales : le développement de l'irrigation sur des territoires où le pouvoir de rétention des sols et la réserve hydrique est faible : ainsi au 21 septembre dernier, 62 départements étaient concernés par des restrictions d'usage118. Les effets du changement climatique vont encore aggraver leur fréquence ; érosion et dégradation des sols : le GIS-Sols, groupement scientifique, créé en 2001 et piloté par l'Inra, a publié en 2011 un premier bilan exhaustif de l'état des sols en France où il apparaît que près de 18 % des sols présentent un risque d'érosion (hydrique essentiellement) moyen à fort en France métropolitaine, ce risque pouvant être contrecarré par une modification des pratiques culturales119 ; perte de biodiversité : parmi les pertes les plus préoccupantes figure la forte régression des insectes pollinisateurs, : 35 % de ce que nous mangeons dépend en effet de la pollinisation par les insectes. Or selon une synthèse publiée en par la revue « Biological Conservation » 41% des espèces d'insectes voient leurs populations décliner de plus de 30%120, avec pour conséquence la chute du nombre d'oiseaux communs dans les
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117 L'étude a dénombré au total 4811 abandons, le plus souvent par rationalisation de la production (captages trop petits ou mal placés) dont 1958 ayant pour cause la dégradation de qualité de l'eau (turbidité fréquente) au sein de laquelle 958 sont explicitement d'origine agricole soit près de 50 par an sur la période de l'enquête https://solidaritessante.gouv.fr/IMG/pdf/bil0212.pdf 118 Source : https://www.terre-net.fr/meteo-agricole/article/le-point-sur-les-departements-concernes-par-des-restrictions-dusage-de-l-eau-2179-140218.html . En août 2017, ce chiffre est monté à 85. 119 L'INRA préconise la plantation de « haies, taillis, bandes enherbées, fossés, pour endiguer le ruissellement et empêcher l'érosion.». 120Cité par « Sciences et Avenir » en ligne du 11/02/2019: https://www.sciencesetavenir.fr/animaux/biodiversite/insectes-untiers-des-especes-menacees-de-disparition_131393
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zones où l'utilisation des pesticides est la plus intensive ; · risques naturels renforcés : tandis que l'absence de couverture hivernale et le tassement des sols et la régression des haies favorisaient le ruissellement, le drainage a fait disparaître nombre des espaces tampons naturels que constituaient les marais littoraux ou rivulaires 50 % de leur surface perdue entre 1950 et 1990 - avec les conséquences que l'on connaît sur la rapidité accrue des crues et des submersions ;
On attend donc aujourd'hui des agriculteurs, non seulement qu'ils modifient les pratiques dommageables à l'environnement, mais aussi qu'ils contribuent aux « services écosystémiques » ou aux « solutions fondées sur la nature » qui permettront de retrouver les équilibres perdus.
B) Mais ces attentes portent également sur les « aménités » des territoires : dès lors que le sol et le territoire étaient considérés comme de simples supports techniques pour des modèles agricoles ou sylvicoles unifiés, les conséquences en termes de morphologie des espaces ont été très directes. · perte de diversité paysagère globale : le modèle agricole et forestier développé à partir des années 50 121 a produit, dans certaines zones, un paysage agricole où domine un openfield nivelé et simplifié, avec des labours « au ras du bitume » des routes départementales, et ponctué de hangars multi-usages en tôle, poutrelles et parpaings. Dans le même temps l'abandon des surfaces non mécanisables a voué certains espaces de haute ou moyenne montagne à la fermeture et la friche. monotonie, dans certaines zones, des morphologies productives agricoles et forestières : les parcelles ont crû en proportion de la taille des exploitations 122 au détriment des formations arborées, des murets ou des arbres isolés. De 1963 à 1990, le linéaire de haies a ainsi subi une perte largement supérieure à 500 000 km123. Cette simplification à l'extrême des lignes visuelles de certaines campagnes, crée une impression de « désert », d'espace déshumanisé qui peut mettre mal à l'aise aussi bien les habitants que les visiteurs.
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Objet de polémiques anciennes, mais aussi récemment renouvelées, l'exploitation sylvicole n'a pas échappé à l'uniformisation et à la banalisation. Créé en 1947, le Fonds forestier national (FFN) a permis la reconquête sylvicole d'une France dont le taux de boisement, en 1945, était singulièrement faible. Mais elle a aussi engendré ces fameuses plantations de conifères « en timbre-poste » qui ont constitué un leitmotiv paysager des territoires de moyenne montagne entre les années 60 et les années 80. La fermeture visuelle de nombreux
121 Avec une puissance et une cohérence très fortes : formation, remembrements, diffusion des techniques, facilités bancaires... 122 Celle-ci a plus que doublé en moins de 30 ans, passant d'une moyenne de 28 ha en 1988, à 63 hectares en 2016 d'après l' « enquête sur la structure des exploitations agricoles » in Agreste Primeur N° 350 Juin 2018 123 Ce linéaire est passé est passé de 1 244 110 km à 707 605 km ; Source : recensements des « boisements hors forêts » par l'Inventaire forestier national en 1963-1980 et 1977-1990, cité dans l'étude « arbres des champs », de Philippe Pointereau et Didier Bazille (Solagro, 1995, p. 30)
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fonds de vallée en déprise, soit par des épicéas ou des douglas, soit par des peupleraies en plein, fait aussi partie par du « passif paysager » de cette période. La suppression du FFN, en 1999, n'a pas pour autant calmé les critiques envers le paysage produit par les forestiers : tout récemment, le film «Le temps des forêts»124 , a dénoncé avec vigueur, les nouvelles formes de l' intensification sylvicole. 2 - Un modèle économique et social agricole/sylvicole en crise Cette crise est à la fois celle d'une société agricole et forestière en grande faiblesse démographique, mais aussi morale et d'un modèle économique qui donne lui-aussi des signes d'essoufflement. La population agricole devient numériquement marginale : le nombre d'exploitations est désormais sous la barre du demi-million, et la population active elle-même (les exploitants, leurs conjoints et les ouvriers qu'ils emploient) sous la barre du million depuis 2010125. Cette population numériquement affaiblie est de surcroît vieillissante : la part des moins de 40 ans recule constamment, passant de 34 % en 2000 à seulement 23 % en 2010. En ce qui concerne les propriétaires forestiers, leur nombre (3 300 000) reste en apparence bien plus élevé, mais en fait seul un million de personnes possèdent plus d'un ha de terrain boisé. Ces populations sont loin d'être homogènes en termes de richesse : l'essentiel des forestiers est ainsi constitué de tout petits propriétaires, qui tirent davantage de sujétions que de bénéfices de ce type de bien. Au sein de la population agricole le taux de pauvreté est de 24 % supérieur à celui des autres catégories socio-professionnelles qui est de13 %126 ; le quart le moins bien rémunéré des actifs agricoles français dispose d'un revenu annuel inférieur à 9 600 (soit 800 par mois!)127; les subventions européennes ne corrigent pas ces écarts. Dans un référé du 10 janvier 2019 128 , la Cour des Comptes leur reproche au contraire de les aggraver, estimant que « les modalités de répartition des aides directes avantagent les grandes exploitations et celles dont les activités sont les plus rentables ». Quant au mal-être agricole il est symbolisé par le taux de suicides des agriculteurs. Certes, les gestes en cause sont multifactoriels, mais on note tout de même « une surmortalité par suicide comprise entre 22 et 28 % par rapport à la population générale »129. En termes économiques, la crise que l'agriculture connaît aujourd'hui à la fois une crise de la production et une crise de ses débouchés ; Concernant la production, le premier facteur en est évidemment la diminution par artificialisation des surfaces productives au rythme de 60 000 ha par an pour les 20 dernières
124 Film documentaire de François Xavier Drouet sorti en salles en septembre 2018. Lire sa critique dans « le Monde » sur https://www.lemonde.fr/cinema/article/2018/09/12/le-temps-des-forets-le-sapin-qui-cache-le-desert-vert_5353783_3476.html 125 Soit une diminution de 52 % en vingt ans ; elle ne représente plus de 3 % à peine de la population active totale 126 In « Analyse », revue en ligne du centre d'études et de prospective du Ministère de l'agriculture (N° 14, avril 2010) http://agreste.agriculture.gouv.fr/IMG/pdf_analyse141004.pdf 127 Ces moyennes cachent également une inégalité selon les types de production : le revenu annuel moyen des céréaliers, producteurs de pommes de terres ou de betteraves s'élève à 79.800 contre 15.000 pour les éleveurs d'ovins et de bovins viande. 128 Lien de téléchargement du référé no S2018-2553 3/6 : https://www.ccomptes.fr/system/files/2019-01/20190110-refereS2018-2553-aides-directes-FEAGA.pdf 129 Le 19 janvier 2017, en réponse à une question écrite d'un sénateur, le ministre de l'agriculture admettait ces chiffres de « surmortalité par suicide comprise entre 22 et 28 % par rapport à la population générale ». https://www.senat.fr/questions/base/2017/qSEQ170124706.html
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années 130 . Cette perte de surface a été longtemps compensée par l'accroissement de la productivité. Ce n'est désormais plus le cas. L'épuisement des sols (diminution de sa teneur en matière organique notamment) ne peut plus être masqué par la fertilisation chimique. Ainsi les rendements du blé tendre (dont la culture occupe environ un tiers des terres arables), ontils progressé de 1,5 quintal par an de 1960 à 1985. Ce rythme a été divisé par trois (0,5 quintal) entre cette date et 2010, et les effets du changement climatique (sécheresses et canicules) aggravent cette tendance : il faut désormais compter avec une « mauvaise récolte » une année sur trois131. Le second élément de la crise est celui des débouchés. Les habitudes alimentaires de nos concitoyens connaissent en effet une évolution significative. Il s'agit d'une réorientation profonde, même si elle est progressive, des types d'aliments consommés : une enquête réalisée en 2016 132 notait ainsi une évolution à la hausse pour les légumes, fruits consommés quotidiennement avec 25 % des Français déclarant les consommer plus souvent qu'il y a 2 ans lors de la précédente enquête. A l'inverse, 32% des Français déclarent consommer moins souvent de la viande. Dans un pays où la viande a représenté l'orientation naturelle de la production depuis des décennies (4/5è de la production de céréales étant destinée à l'alimentation du bétail !), une telle évolution met en cause des choix d'assolement de fond. En ce qui concerne la forêt, le problème est d'un autre ordre : l'autosuffisance forestière est encore un horizon lointain : à l'inverse des bonnes pratiques recherchées en ce qui concerne la lutte contre le changement climatique et les échanges équitables nord-sud, la France continue d'importer des bois alors que le taux de prélèvement sur la forêt de métropole (et d'outre-mer) est à peine de 43 %) par rapport à la production biologique annuelle133. Il pourrait monter à 65 % sans mise en cause du renouvellement de la forêt134. Dans le domaine sylvicole, c'est d'un potentiel sous-exploité qu'il faut parler, sans même recourir à cette intensification dénoncée par « Le temps des forêts ». Le monde agro-forestier aurait donc besoin de débattre de ces nouvelles demandes sociétales comme du contexte de crise sociale et économique dans lequel elles interviennent ; il s'agirait pour lui de faire comprendre sa position et ses difficultés, et d'entamer la mutation nécessaire de ses pratiques dans un climat de confiance avec les autres acteurs de la société. Or, le temps est plutôt aux accusations multiples et récurrentes sur les pesticides, la qualité sanitaire des aliments, les algues vertes, etc. à laquelle il est répondu par une accusation d'agri-bashing qui clôt le débat avant même de l'avoir amorcé. L'un des premiers constats de la mission est que le monde agricole s'est progressivement
130 Sources nombreuses et concordantes pour ces chiffres. Voir notamment le rapport du CGAAER N° 17076 « Évaluation et optimisation des outils concourant à la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers » (mars 2018) dû à Catherine de Menthière, Hélène de Comarmond et Yves Granger (pp.19-20). 131 Source : le « Scénario Afterres 2050 » établi par le bureau d'études agronomiques Solagro en 2014-2015 (pp 27 et s.) (afterres2050.solagro.org/wp-content/uploads/.../Solagro_afterres2050-v2-web.pdf) et entretien de la mission avec Philippe Pointereau, l'un de ses auteurs le 12 novembre 2018. 132 Les chiffres qui suivent sont tirés d'une enquête réalisée en ligne du 12 au 21 octobre 2016 sur un échantillon de 1 000 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus par l'institut de sondages « Harris-interactive ». https://harris-interactive.fr/reports/pratiques-alimentaires-daujourdhui-et-de-demain/ 133 Ce chiffre global masque toutefois une performance bien plus honorable des forêts domaniales - qui sont à l'équilibre et communales - qui s'en rapprochent. 134 Source Solagro 2015, Scénario Afterres 2050 op. cit. Pp 56-57
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coupé du reste de la société et même de ses « voisins », avec lesquels il n'entretient plus de « relation villageoise »135 On peut ajouter que l'habitude prise ces dernières décennies de consommer des produits ultra-transformés a accentué cette distanciation entre agriculteurs et consommateurs. Le constat n'est pas très différent en ce qui concerne les forestiers : la forte technicité de la filière produit un effet comparable d'incompréhension vis-à-vis des actes de gestion comme en témoignent les tollés soulevés par les coupes de régénération des parcelles, et les critiques, à l'inverse, envers des boisements de rapport qui « ferment » le paysage (peupleraies, « sapins de Noël » du Morvan...). Enfin, la présence de plus en plus forte dans le « monde rural » d'une population que son immédiate origine citadine rend à peu près totalement ignorante des pratiques agricoles et forestières ne fait évidemment qu'attiser les conflits entre deux « mondes » qui sont là en contact direct l'un avec l'autre, mais se parlent peu.
135 Entretien de la mission avec Bertrand Hervieu, le 11 décembre 2018.
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La montée en puissance de la préoccupation paysagère dans l'espace rural
1- Bref historique des lois relatives au paysage en France En France, la législation introduit pour la première fois la notion de paysage avec la loi du 21 avril 1906, portant sur la protection des sites et monuments naturels. Cette loi constitue le plus ancien texte législatif s'intéressant à la conservation de parties naturelles de territoires. La loi du 2 mai 1930 sur la protection des monuments naturels et des sites qui présentent un intérêt général du point de vue scientifique, pittoresque, historique, artistique ou légendaire, précise et complète l'application de la loi de 1906. La loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature précise dans son article 1er que "la protection des espaces naturels et des paysages est d'intérêt général". En 1985 est promulguée la loi "montagne" qui repose sur quelques principes pour concilier aménagement, y compris touristique, et activité agricole. Mais le principal tournant est pris avec la loi du 8 janvier 1993, dite "loi paysage", qui donne un statut juridique au paysage « ordinaire ». Elle vise à préserver la qualité paysagère dans l'ensemble de l'espace, sites remarquables mais aussi paysages du quotidien : le paysage dans l'espace rural, à l'occasion de remembrements, aux abords des villes, sur le littoral et en montagne. Les documents d'urbanisme doivent « prendre en compte la préservation de la qualité des paysages et de la maitrise de leur évolution ». Les dispositions législatives sont modifiées en matière d'enquête publique pour une meilleure concertation et la possibilité de débats autour des espaces publics. Enfin, elle renforce les chartes des parcs naturels régionaux (PNR) en imposant leur prise en compte dans les documents d'urbanisme. En 2000, la Convention européenne du paysage (CEP) introduit le paysage comme élément structurant du développement durable, et incite les Etats membres à mettre en oeuvre des politiques visant à des mesures en vue de la protection, la gestion ou l'aménagement du paysage. Elle est ratifiée en France le 13 octobre 2005. Avec la loi du 24 mars 2014, dite "loi ALUR", la prise en compte du paysage dans les documents d'urbanisme est renforcée en modifiant l'article L 121-1136 du code de l'urbanisme. La loi du 9 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages inscrit dans la loi française, la définition que donne la CEP au mot "paysage". Une attention accrue est portée à la participation des habitants à la démarche de paysage. Elle donne une définition
136 L'article L 121-1 du Code de l'urbanisme prévoit pour « les schémas de cohérence territoriale (SCoT), les plans locaux d'urbanisme et les cartes communales un équilibre entre le développement urbain et [...] l'utilisation économe des espaces naturels, la préservation des espaces affectés aux activités agricoles et forestières, et la protection des sites, des milieux et paysages naturels [...], la sauvegarde des ensembles urbains et du patrimoine bâti remarquables, la qualité urbaine, architecturale et paysagère, notamment des entrées de ville(texte en rouge introduit en 2014, avec la loi ALUR), [...] la préservation de la qualité de l'air, de l'eau, du sol et du sous-sol, des ressources naturelles, de la biodiversité, des écosystèmes, des espaces verts, la préservation et la remise en bon état des continuités écologiques ».
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des "objectifs de qualité paysagère", outils de projet. Enfin, elle explicite les missions des CAUE pour le paysage. Ces lois ont renforcé les exigences vis-à-vis de la qualité du paysage ordinaire, notamment dans les territoires ruraux, en plaçant les collectivités en mesure de fixer des objectifs. Ainsi, depuis a minima le milieu du 20ème siècle, le paysage est perçu comme un outil de connaissance et d'évaluation au service du projet par les professionnels de l'aménagement, du paysage et de l'agriculture ainsi que par l'ensemble des acteurs de l'aménagement des territoires. 2- Le paysage à la croisée de différentes disciplines : Les géographes du début du 20ème siècle, héritiers de Vidal de la Blache, précurseur de la géographie moderne, estiment que la description et l'explication raisonnée du paysage est la géographie. Pour les géographes plus proches de nous, le paysage est : « Ce qui se voit [...], existe indépendamment de nous, appartenant au monde réel et peut, en théorie, s'analyser objectivement ; également vécu et senti ...il doit être interprété par l'intermédiaire de sa perception »137. Pour les philosophes, le paysage est « la médiation par laquelle notre subjectivité peut avoir prise sur la réalité, objet des choses de l'environnement... » 138 Les sociologues et les ethnologues le définissent comme « désignant à la fois une réalité, l'image de la réalité et les références culturelles à partir desquelles cette image se forme ».139 Les agronomes exploitent l'observation comme outil pour comprendre les territoires agraires. Citons Jean-Pierre Deffontaines « Pas de paysage sans regard [...] Il sert à analyser les pratiques d'aujourd'hui et d'hier, car il est mémoire. Il sert également à segmenter les pays, à distinguer les terroirs. Associés aux images d'en haut, il révèle des organisations. Bref, il pose plus de questions qu'il n'en résout, mais il en pose de bonnes »140. Pour les paysagistes-concepteurs, « le paysage est nécessairement inter-subjectif car il est le résultat d'une perception sensible, immédiate et non-discriminée, de ce qui apparaît. Sans perception sensible, il n'y a pas de paysage, il n'y a qu'un morceau de territoire...et l'idée de séparer le paysage de ses perceptions est pour nous un non-sens. La responsabilité initiale des paysagistes est alors de livrer l'histoire d'un lieu vivant, qui est avant tout le résultat d'une « lecture sensible ». Celle-ci se nourrit d'arguments « objectifs » fondés sur les éléments d'analyse et de compréhension des phénomènes naturels et humains et de leurs interactions mais elle est d'abord et nécessairement sensible. Les paysagistes-concepteurs peuvent donc être considérés comme les médiateurs d'un « sens » et les révélateurs d'une histoire qui lie un territoire et les hommes qui y vivent, afin de la continuer par un projet que tous puissent s'approprier ».141
137 Roger Brunet - Analyse des paysages et sémiologie 138 Augustin Berque Les raisons du paysage. De la Chine antique aux environnements de synthèse Hazan 1995 139 Françoise Dubost et Bernadette Lizet Pour une ethnologie du paysage- in Paysages au pluriel 1995 140 Jean-Pierre Deffontaines Les sentiers d'un géoagronome Edition arguments 1998 141 Association des paysagistes-conseils de l'Etat - Vers une stratégie du paysage, contribution à la politique publique du paysage - 2015
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Les politiques publiques relatives à l'agriculture et leurs conséquences sur l'évolution du paysage rural
Cette annexe vise à expliciter, rétrospectivement et jusqu'aux années 1990 comment les politiques agricoles et forestières successives ont eu un fort impact sur le paysage. 1- Du siècle des Lumières aux années 1960 À la Révolution, le slogan "La terre aux paysans" vise la généralisation de la propriété privée, gage d'une bonne valorisation des terres par les paysans eux-mêmes favorisée la vente des terres des seigneurs ou du clergé. Nommé ministre en 1797, François de Neufchâteau mène une politique de plantation d'arbres champêtres dans les campagnes à visée plus esthétique et de production de bois qu'agronomique. Des traités agricoles (abbé Rozier-1781, Rauch 1802) font le lien entre production agricole, spécialisation des parcelles selon leurs caractéristiques agronomiques et aménagement harmonieux du territoire. À la fin du 18e siècle, la polyculture-élevage se développe dans certaines zones, car l'élevage, cantonné jusque-là à la production d'énergie de traction, devient une production à part entière avec l'introduction des cultures de prairies (graminées, trèfle, navets) dans la sole cultivée associée à des cultures fourragères (betteraves, choux): la polyculture-élevage, nouveau système de production, plus intensif, était une forme d'agro-écologie car elle mixait les prairies, cultures fourragères et céréales, l'apport de matières organiques aux sols, le partage du territoire en petites parcelles, plantées de haies protectrices des animaux, irriguées ou drainées. Ce développement modifie les paysages de manière forte. Certaines régions n'ont pas connu cette évolution et se sont consacrées aux cultures, la sole fourragère étant seulement utilisée pour nourrir les animaux de trait. Au début du 19e siècle, l'État institue des "primes d'honneur" attribuées aux "meilleurs" agriculteurs de chaque département qui serviront par la suite de modèle pour l'agriculture. À cette occasion des rapports montrent les liens entre agriculture et le paysage : description du parcellaire, des arbres isolés, des haies, des murets, éléments considérés comme utiles au système de production non séparés de la production agricole et valorisant les ressources naturelles de chaque milieu. La fin du 19e siècle puis le début du 20e voient une révolution forte de l'agriculture avec l'accès, grâce au transports (utilisation du charbon et de la vapeur), aux progrès des connaissances en physiologie végétale et en génétique, aux intrants tels que les engrais minéraux (le phosphore en premier, l'azote ensuite). 2- La politique agricole commune (PAC) à partir de 1960 Il s'agit de la première politique européenne mise en place dès le Traité de Rome en 1957, et déclinée en France par les lois d'orientation agricoles de 1960 et 1962 ; ces textes assurent à l'agriculture la garantie d'écoulement des produits à des prix rémunérateurs du fait de la protection du marché européen et de la politique de soutien aux marchés. Cette politique, associée aux progrès techniques (remplacement de la traction animale par le tracteur,
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possibilité de stocker les produits agricoles) et à l'utilisation des intrants, des pesticides et du carburant peu cher, conduit à l'accroissement de la productivité et à la spécialisation des exploitations agricoles. L'Etat accompagne ce mouvement par la mise en place d'un dispositif puissant de développement et de formation agricole et d'équipement des territoires ruraux, en électricité, eau potable et téléphone. Avec ces évolutions, le paysage agraire se dissocie des particularités du territoire et de la valeur agronomique des sols et adopte le principe de zonage qui prévaut déjà dans l'aménagement urbain dans l'esprit de la charte d'Athènes. On assiste, avec la dissolution progressive des liens fonctionnels entre cultures végétales et élevage, à la disparition des prairies et cultures fourragères dans certaines zones plus spécialisées en production céréalière. La mécanisation, accompagnant la baisse de la démographie agricole et le raccourcissement des rotations de cultures (permis par les pesticides) diminuent fortement le nombre et la diversité de cultures par exploitation et entraînent l'agrandissement des parcelles. On assiste ainsi à la transformation voire à la perte de l'identité paysagère d'un lieu avec : La disparition d'éléments paysagers structurants qui permettent de lire un territoire, ou de comprendre la logique d'implantation humaine (haies, talus, terrasses...), La disparition de structures paysagères et avec elles, les axes majeurs, les lignes de force d'un site (fonds des talwegs retournés, mares comblées), L'abandon des terres difficiles à exploiter avec la mécanisation (pentes, moyenne montagne, zones de terrasses au sud de la France) qui entraîne la formation de friches, la fermeture des paysages.
Le développement du maïs (avec l'utilisation de l'ensilage) modifie profondément le paysage du fait de la non couverture des sols en hiver et d'une culture en pleine végétation en été, exigeante en eau, alors que les céréales plus traditionnelles sont à maturité ou moissonnées à la même période. La multiplication de bâtiments agricoles de type industriel de dimensions importantes, pour le stockage des machines agricoles et des récoltes et matériels, situé en dehors du corps de ferme sans qualité architecturale, n'a pas bénéficié au paysage. L'ensemble des évolutions techniques conduisent certaines zones à la simplification, la banalisation des paysages agraires et à la fermeture des paysages non cultivés. Le paysage est une résultante de projets techniques non « pensé » en amont : les avancées techniques (lutte contre les ravageurs ou les maladies, fertilisation...) ont été appliquées à l'échelle de la parcelle sans vision globale à l'échelle de l'exploitation et a fortiori à celle d'un territoire tel que la commune, la vallée, le plateau. 3- Les inflexions du modèle à partir des années 1990 La réforme de la PAC en 1992 et la loi d'orientation agricole de 1999 d'une part et les évolutions spécifiques de certaines zones de montagne d'autre part sont un point de départ d'une inflexion au modèle d'intensification. Le cas des zones de montagne plus difficilement mécanisables
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Les transformations profondes évoquées ci-dessus conduisent en effet certaines régions de moyenne montagne et de hauts-plateaux à se désertifier et à évoluer en forêts ou en friches abandonnées, avec à la clef une fermeture des paysages. Avec la loi montagne de 1985, certaines réagissent et mettent en oeuvre des projets de territoire, avec la création d'associations foncières pastorales, souvent portées par des leaders locaux, qui associent les questions du paysage à la qualité et à la typicité des produits, avec le développement des signes de qualité et la mise en place d'organisation de producteurs (création de coopératives de production. La loi montagne142 consacre un volet important à l'activité agricole et créé l'ISM (l'indemnité spéciale montagne, transformée en ICHN (indemnité compensatoire de handicap naturel). Ce dispositif permet de maintenir une activité agricole en grande majorité d'élevage et une valorisation des montagnes et des estives avec un entretien des espaces par le pâturage. Certaines zones sont classées zones Natura 2000 ce qui permet aux éleveurs de bénéficier de contrats Natura 2000 visant à compenser des surcoûts d'exploitation. Des vallées ont été rouvertes, l'élevage a été réintroduit pour l'entretien des prés-bois jusqu'à alors en friche depuis l'abandon du pâturage. L'année 1992 constitue un tournant dans la politique agricole avec la réforme de la PAC La réforme de la PAC de 1992 avait principalement pour but de faciliter la conclusion du cycle des négociations commerciales multilatérales de l'Uruguay Round qui s'est terminé en 1994 par l'accord de Marrakech qui a donné naissance à l'OMC (Organisation Mondiale du Commerce). L'Europe modifie radicalement la PAC : Un 1er pilier est consacré au soutien aux agriculteurs non plus par les prix mais par un soutien direct au revenu par des aides directes d'abord attribuées en 1992 selon les productions (aides couplées) puis ensuite découplées à partir de 2003 et attribuées à la surface cultivée (DPU-dotation à paiement unique puis DPB-dotation au paiement de base) tout en maintenant des aides couplée pour certaines productions (aides à la vaches allaitante, aide à la brebis). Le découplage de 2003 avait pour but de faciliter l'accord à l'OMC dans le cycle de négociations commerciales engagé à Doha en novembre 2001. Ce paiement est conditionné au respect d'un certain nombre de réglementations. un 2me pilier de la PAC est créé en 1999 (dont l'élaboration et la gestion sont confiées aux Etats membres dans le cadre de plans nationaux et régionaux de développement rural) permet de cofinancer des mesures agro-environnementales (les OGAF environnementales au départ-opérations groupées d'aménagement foncier environnement puis MAE et MAEC-mesures agro-environnementales et climatiques), concernent les méthodes de production agricole compatibles avec les exigences de la protection de l'environnement ainsi que l'entretien de l'espace143. Cette politique porte alors sur des paysages considérés comme remarquables tant par leurs valeurs esthétiques et culturelles que par les productions associées.
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142 Qui n'est pas qu'une loi d'urbanisme et de développement touristique. 143 Article 19 du règlement (CEE) n·2078/92 du 30 juin 1992
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La réforme de la PAC 1992, associée à ces nouveaux outils, qui aurait pu avoir un impact paysager du fait d'un relatif moindre intérêt pour le rendement, aura au final peu d'impact car d'une part elle n'arrête pas l'agrandissement des exploitations (les aides étant versées à la surface), évolution déjà à l'oeuvre depuis de nombreuses années, et d'autre part les mesures agro-environnementales, contrats signés sur la base du volontariat, portent sur des espaces remarquables laissant de côté l'immense majorité des espaces agricoles « ordinaires ». La PHAE (prime herbagère agro-environnementale) qui a existée jusqu'en 2014 a permis de soutenir les prairies et les services qu'elles rendent notamment en matière paysagère : prairies, éléments fixes du paysage tels que les haies, ouverture et entretien des milieux. Cette PHAE n'est plus mise en oeuvre depuis la réforme de la politique agricole commune de 2014, la MAEC sur les systèmes herbagers permettant cependant de compenser cette perte. Son montant a été intégré à l'ICHN (Indemnité compensatoire de handicaps naturels) qui concerne les zones défavorisées. Avec la loi paysage du 8 janvier 1993 qui s'intéresse à l'ensemble de l'espace, notamment agricoles et forestiers., le paysage trouve une place juridique dans le dispositif agricole français au moment où celui-ci amorce une mutation. Il faut noter la quasi concomitance entre la réforme de la PAC et la Loi Paysage. Poursuivant l'évolution constatée, la loi d'orientation agricole n°99-574 du 9 juillet 1999 inscrit dans son article premier que la politique agricole a parmi ses objectifs celui de l'entretien des paysages. Les CTE (contrats territoriaux d'exploitation), signés entre l'État et l'agriculteur, sont lancés, avec une cartographie, un diagnostic du territoire et de l'exploitation : l'objectif était bien d'exprimer la « multifonctionnalité » de l'agriculture au travers sa fonction non seulement économique, mais aussi sociale et environnementale. La loi, avec cet outil, ouvre la porte à la contractualisation et aux démarches de projet. Le concept d'agroécologie va parachever cette évolution.
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Quelques réflexions sur les PSE
1- L'étude Oréade-Brèche apporte un certain nombre de confirmation et de précisions, applicables au cas de la démarche paysagère Intitulée « Paiements pour services environnementaux et méthodes d'évaluation économique : enseignements pour les mesures agro-environnementales de la PAC » - Etude no SSP-2014017 lancée à l'initiative du MAA. Elle souligne : Le besoin de recherche entre service environnemental produit et services écosystémique obtenu : néanmoins, en ce qui concerne le paysage, on peut estimer que les liens sont assez bien connus (cf. ci-dessus les liens entre pratiques agroécoloqiques et paysages), Le soutien à des services environnementaux doit être réalisé à l'échelle géographique adaptée aux enjeux environnementaux, ce qui suppose de dépasser le plus souvent le cadre de l'exploitation agricole et de mener une réflexion alliant le niveau territorial et le niveau exploitation agricole. En ce sens les travaux des MAE/MAEC dans le cadre des PAE/PAEC sont intéressants par ce travail aux 2 échelles, La nécessité d'identifier les acteurs : à la fois (1) les acteurs des services environnementaux (agriculteurs), (2) les usagers des services écosystémiques (élus, ONG et population), et (3) les acteurs d'appui à la fois en termes de connaissance et de diffusion de pratiques (encadrement, animation, recherche). Les GIEE sont cités comme étant un cadre porteur de partenariat, L'importance du choix d'une méthode pour cibler les agriculteurs à sélectionner selon les enjeux écosystémiques ciblés et les services attendus, notamment si on recherche comme pour les paysages suisses une continuité entre parcelles et exploitations, La distinction entre les approches visant un changement ou un maintien de pratiques, un financement pouvant être pérenne ou limité à 5 ou 7 ans, Le rôle majeur de la concertation, de l'accompagnement et du conseil dans le succès de mesures de type MAE ou PSE, afin de favoriser la contractualisation, La place de l'appui sur des actions collectives et des approches « systémiques » qui favorisent l'engagement des agriculteurs : aller jusqu'à la contractualisation collective ?
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Le rapport parlementaire de janvier 2019 de la députée de Charente-Maritime Frédérique Tuffnell et du sénateur de la Somme Jérôme Bignon « Terres d'eau, Terres d'avenir » confirme les points précédents, notamment la nécessité d'une démarche collective par exemple au sein de GIEE, la non fixation de plafond de surface concernées par les PSE, la durée des contrats qui doit être adaptée et suffisamment longue (10 ans par exemple), le besoin d'accompagnement technique et en ingénierie, la nécessité de partir du terrain pour définir les services environnementaux adaptés.
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2- Le dispositif envisagé pour les PSE financés par les agences de l'eau La mesure 24 du plan Biodiversité ne préjuge en rien de la manière dont les PSE seront mis en oeuvre dans le cadre de la future PAC 2020. Une 1ère enveloppe de 150 M est réservée par les Agences de l'eau dans leur 11e programme afin d'expérimenter en 2019-2021 ces PSE avant une généralisation éventuelle dans le cadre de la PAC 2020. Ce dispositif nouveau nécessite une notification spécifique d'aide d'Etat à la Commission, le RDR actuel ne prévoyant pas de PSE en visant une compatibilité avec les LDA (lignes directrices agricoles) La mise en oeuvre des PSE au bénéfice des agriculteurs devrait s'inscrire dans le cadre de projets collectifs territoriaux, ce qui va dans le sens des critères retenus pour une démarche paysagère. L'action serait ciblée sur des territoires porteurs de projets à enjeux identifiés et portés par des opérateurs territoriaux type collectivités, syndicats, GIEE... mettant en place une animation dédiée et visant une dynamique collective suffisante pour garantir une efficacité environnementale. L'identification des projets se ferait sur la base d'appels à projet lancés par les agences de l'eau. Si le dispositif actuel est ciblé sur des zones à enjeux biodiversité et eau (par exemple les points noirs de TVB, aires de captage), les zones humides.., les zones sensibles à l'érosion, la structure technique du dispositif reposerait sur des briques de pratiques dissociables et cumulables telles que (1) la création et entretien d'infrastructures agro-écologiques comme des haies, prairies permanentes..), (2) la gestion d'agro-systèmes visant la réduction de l'emploi de produits phytopharmaceutiques, (3) la gestion des sols et des couverts. On voit bien que ces pratiques ont des conséquences directes sur le paysage même lorsque ce n'est pas exprimé ainsi. Le CGDD a mis au point une technique de calcul du montant des PSE « expérimentaux » en se basant à la fois sur des valeurs guides maximum et sur des notes attribuées à l'exploitation en fonction de l'importance des services environnementaux réellement rendus mesurés sur la base d'indicateurs caractéristiques des systèmes de production agricole ou selon l'importance des structures paysagères. Quatre valeurs guides ont été calculées s'appliquant à 2 domaines d'activités des agriculteurs en situation de maintien ou de création/évolution : Maintien-entretien des structures paysagères, Création d'infrastructures paysagères, Maintien de pratiques agronomiques bénéfiques pour l'environnement, Évolution des pratiques agronomiques environnementale du système de production. pour améliorer la performance
Au final, ce dispositif pourrait très facilement s'appliquer à une démarche globale paysagère car valorisant les démarches collectives.
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3- L'étude BiodivERsA montre comment la PAC peut protéger la biodiversité et générer des services écosystémiques en diversifiant les paysages agricoles Un policy brief, publié par le réseau d'organismes de financement de la recherche BiodivERsA et rédigé par l'Institute for European Environmental Policy (IEEP), présente les résultats de 5 projets de recherche européens sur le rôle de la diversité des paysages sur la production de deux services écosystémiques clés, la pollinisation et le biocontrôle, notamment dans le contexte du changement climatique. Les chercheurs ont par exemple montré que les prédateurs naturels exercent un contrôle biologique plus efficace lorsque les paysages agricoles sont hétérogènes, c'est-à-dire lorsqu'ils comportent une forte proportion d'habitats semi-naturels (prairies, haies, parcelles forestières, rebords des champs et étangs). Sur la base de ces résultats, les auteurs proposent 5 recommandations pour la réforme 2020 de la Politique agricole commune (PAC) : 1) garantir une proportion minimale de zones non cultivées, 2) conserver et restaurer les habitats semi-naturels agricoles, 3) augmenter le budget alloué aux mesures agro-environnementales et climatiques et améliorer leur ciblage, 4) modifier les règles et la pondération allouée aux zones d'intérêt écologique dans l'attribution des aides, et 5) utiliser la PAC pour maintenir des paysages agricoles mixtes malgré la pression de la spécialisation.
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Exemple de périmètre de protection et de mise en valeur des espaces agricoles et naturels périurbains dans le département du Rhône et la métropole Lyonnaise
L'activité agricole y est très présente et occupe 1/3 du territoire SCoT, 70% du territoire non bâti soit 27 000 ha dont 11500 ha d'espaces agricoles et 10000 ha d'espaces naturels, pour un territoire de 52 715 ha. On observe une emprise majoritaire dans les territoires Est et Sud, avec une agriculture répondant aux attentes urbaines : paysage, diversification et vente directe...avec de fortes dynamiques locales. 300 exploitations, 700 équivalents-temps-plein et, comme orientations principales, les fruits, le maraichage, les grandes cultures, la polyculture-élevage. Le programme d'action du PAEN de la Métropole Grand Lyon s'articule autour de cinq axes stratégiques majeurs déclinés en diverses actions : Pérenniser la destination agricole du foncier à travers le renforcement de la concertation avec le monde agricole, la mise en place d'une stratégie foncière sur l'ensemble du territoire, la lutte contre le morcellement parcellaire et la remise en valeur les terres en friche ou sous-exploités en sensibilisant les propriétaires ; Renforcer l'ancrage territorial d'une activité agricole rémunératrice à travers : l'agroécologie comme levier de développement économique avec le développement des circuits courts, de nouvelles filières et nouveaux produits et la sensibilisation de l'ensemble des acteurs aux circuits courts, promouvoir des productions agricoles de qualité, respectueuses de l'environnement en favorisant les démarches de qualité et les pratiques respectueuses de l'environnement par des conseils adaptés auprès des exploitants agricoles ; Encourager le renouvellement des exploitations et favoriser la transmission des bâtiments à travers l'information des cédants sur l'intérêt de transmission de l'exploitation, la facilitation de l'installation de jeunes agriculteurs) ; Préserver et restaurer les continuités écologiques à travers l'incitation à la création et au maintien des corridors écologiques (haies, bandes enherbées, mares...), le renforcement de la qualité des réservoirs de biodiversité (lisières, milieux humides, retard de fauches...), la sensibilisation des promeneurs et agriculteurs (projets nature) ; Renforcer le lien entre la ville et la campagne, les citadins et les agriculteurs à travers à travers la prévention des conflits d'usages avec l'activité agricole (circulation des engins, maîtrise des risques de ruissellement et érosion avec le sans labour), information des consommateurs sur l'alimentation en communiquant sur les modes de production et de transformation, sensibilisation des urbains aux réalités de l'activité agricole.
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Les chartes forestières de territoire dans le Morvan (2004-2020)
Portée par le parc naturel régional éponyme, la première des quatre chartes successives rassemblait tous les partenaires, publics et privés, de la filière; d'une durée de trois ans et dotée d'un budget de 250 000 (dont deux tiers financés par le conseil régional et les deux conseils départementaux concerné). Elle comportait, après le préalable logique de l'amélioration des connaissances l'objectif ambitieux - muni d'une enveloppe de 140 000 à lui seul - d'« encourager des pratiques sylvicoles favorables à l'environnement et au paysage ». Malgré un bilan jugé peu probant, notamment sur l'irrégularisation des futaies et sur la gestion des haies, de nouvelles chartes ont été écrites et appliquées, pour 2008-2010, 2012-2015 et 2016-2020. La charte 2012-2015 affirmait que « le besoin de médiation [était] devenu crucial pour concilier le développement économique des activités de transformation et de valorisation de la ressource forestière, avec les objectifs de maintien de la diversité biologique et de préservation d'une harmonie des paysages ». Par rapport à l'exercice de 2004, les objectifs du document étaient nettement plus orientés vers la résilience économique de la filière sylvicole morvandelle, face au changement climatique, aux besoins du territoire en énergie et à la nécessité d'une première transformation locale. C'est dans ce cadre que la conciliation entre les différents usages de la forêt pouvait donner lieu à un dialogue apaisé entre les 34 acteurs signataires des engagements de la charte ; on y lit notamment (p 13), après le rappel que 40m3 transformés équivalent à un emploi créé : « La création d'emplois dans la transformation du bois est l'un des facteurs d'amélioration de l'acceptabilité sociale de l'exploitation forestière ». Les résultats ont été suffisamment encourageants pour qu'une quatrième charte soit signée en 2016 pour courir jusqu'en 2020. Son contenu est très semblable à celle qui l'a précédée mais elle innove par la constitution d'un « réseau d'élus référents forêt-bois » qui devrait faciliter une médiation permanente entre forestiers et autres acteurs locaux.
Photos atlas du patrimoine du Morvan
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Les chartes de parc naturel régional
La transition agro-écologique et forestière, un défi majeur pour les parcs naturels régionaux (PNR)
Il existe aujourd'hui 53 PNR reconnus en France, couvrant plus de 8,6 millions d'hectares, soit 15 % du territoire national et plus de 4300 communes où vivent plus de 4 millions d'habitant(e)s, plus nombreux dans le quart sud-est de l'hexagone et au nord de notre pays, de la Normandie à la Région Grand Est. Les activités liées à l'agriculture et à la forêt occupent une place essentielle dans les PNR. Ils comptent dans leurs territoires144 : 58 000 exploitations (soit 11 % des exploitations françaises) ; 43 % de la superficie en espaces agricoles (contre 63 % France métropolitaine) ; 60 % de la surface agricole consacrée aux prairies (contre 40 % au niveau national), la différence portant sur les prairies permanentes ; 7 % de la surface agricole en agriculture biologique (4 % au niveau national, 1 hectare en bio sur 5 est situé dans un PNR) ; 13 % de diversification (11 % au niveau national) dominée par la transformation des produits à la ferme et l'agrotourisme ; 20 % de vente des produits agricoles en circuits courts (15 % au niveau national) par la vente directe à la ferme principalement, vente sur les marchés et à des détaillants ; 94 % des communes des parcs sont sur le territoire d'une Appellation d'origine protégée ou contrôlée.
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Un PNR induit des mesures de gestion et de protection du paysage de nature contractuelle pour l'ensemble de son territoire, à la différence d'autres espaces protégés (sites classés, sites patrimoniaux remarquables, réserves naturelles), dont les mesures sont d'ordre réglementaire. L'article L 333-1 du code de l'environnement décrit précisément le contenu de la charte d'un PNR, à savoir : Un rapport déterminant les orientations de protection, de mise en valeur et de développement, notamment les objectifs de qualité paysagère définis à l'article L. 350- 1 C, ainsi que les mesures permettant de les mettre en oeuvre et les engagements correspondants ; Un plan, élaboré à partir d'un inventaire du patrimoine, indiquant les différentes zones du parc et leur vocation ;
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Sources : les Parcs naturels régionaux : chiffres clefs, commissariat général au développement durable, octobre 2014, BIO /OC, recensement agricole 2010 et Données INAO.
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Des annexes comprenant notamment le projet des statuts initiaux ou modifiés du syndicat mixte d'aménagement et de gestion du parc.
Le projet de charte initiale est « élaboré par la région et le projet de charte révisée est élaboré par le syndicat mixte d'aménagement et de gestion du parc, avec l'ensemble des collectivités territoriales et des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre concernés, en associant l'Etat et en concertation avec les partenaires intéressés, notamment les chambres consulaires ». Enfin, « L'Etat et les collectivités territoriales adhérant à la charte appliquent les orientations et les mesures de la charte dans l'exercice de leurs compétences sur le territoire du parc. Ils assurent, en conséquence, la cohérence de leurs actions et des moyens qu'ils y consacrent. Les documents d'urbanisme doivent être compatibles avec les orientations et les mesures de la charte. [...] La charte est adoptée par décret portant classement ou renouvellement du classement en parc naturel régional, pour une durée de quinze ans, du territoire des communes comprises dans le périmètre de classement ou de renouvellement de classement approuvé par la région. »
Croisement des contrats des PNR aux trois facteurs-clé favorables à la transition agroécologique
Charte et Les acteurs périmètre des PNR Origine du Région projet Avis Communes ou EPCI membres, État Décision Délibération de la région, des départements et EPCI et décret pour modifier le périmètre Approbation par décret Champ Espaces agricoles et naturels d'intervention Foncier Possibilité d'intervention foncière (acquisition par dépt ou EPCI) Procédure Enquête publique Servitude Charte transposée au SCoT Portée au PLU Mesures ou Projet agricole et multifonctionnel Plan associé à la préservation d'actions Démarche À imposer par les mesures inscrites paysagère dans la charte ou plans d'actions, dans le cadre du projet agricole ou forestier (ex. : ) Dialogue Ancrage acteurs territoire Projet ascendant
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Exemple d'un plan de paysage Le plan de paysage de la vallée de la Bruche (Bas-Rhin)
La communauté de communes de la vallée de la Bruche compte 26 communes, 22 000 habitants installés sur 300 000 ha occupés à 75% de forêt A partir des années 1960, la fermeture des usines textiles et la perte des ouvriers, également paysans-éleveurs, provoquent l'enfrichement de la vallée et la plantation de résineux (sapins de Noël), sur les anciennes prairies. Dans les années 1980, est alors engagée une première démarche paysagère sur le thème de la réouverture de la vallée, à l'exemple de la vallée de la Plaine, sur le versant lorrain des Vosges. Une première association foncière pastorale (AFP) est créée en 1986 sur la commune de Colroy-la-Roche. Elle est suivie par 22 autres AFP sur d'autres communes, regroupant un foncier initialement agro-pastoral. Les AFP, à statut d'établissement public, sont pilotées par des acteurs locaux (élus, agriculteurs, acteurs socio-économiques et bénévoles), dans le but d'assurer ou de faire assurer la mise en valeur et la gestion des fonds inclus dans le périmètre ainsi constitué. Une étude paysagère d'ensemble est conduite pendant trois ans, de 1991 à 1993, par un chargé de mission paysage recruté à temps-plein, Jean-Baptiste Laumond et un urbaniste, François Tacquard. Cette étude, premier plan de paysage, va constituer le diagnostic paysager et les objectifs de qualité paysagère sur lesquels vont reposer le plan d'actions et les mesures. Ces dernières sont prioritairement axées sur la remise en état des pâturages communaux, la réouverture des
Vallée de la Bruche photo D.Michel
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fonds de vallée humides et le défrichement à proximité des villages pour « redonner le soleil aux habitants ». Les défrichements ne sont entrepris qu'une fois les AFP assurées qu'un agriculteur sera en mesure de faire pâturer un troupeau. On compte aujourd'hui 52 exploitants agricoles actifs dans la vallée, en partie locataires des terres des AFP qui représentent 1/3 de la SAU. La vallée a regagné 1 000 ha de prairies et 48 heures annuelles de soleil de plus, en 30 ans. La mise en place (assurée par la chambre d'agriculture) de filières de commercialisation des produits en circuit court, après conditionnement ou transformation pour la consommation locale des habitants et touristes de passage, complète le projet. Ce plan de paysage est devenu véritable projet de territoire, avec des espaces ré-ouverts de trois natures : les prairies d'altitude, pâturées pendant l'estive, les prairies de plateaux, dédiées à la fauche, et les prairies de fond de vallée, réservées à la fauche pluriannuelle. Une réflexion sur l'agroforesterie, dans les prairies reconquises et le long des chemins, est en cours ainsi qu'une démarche visant à l'autonomie fourragère de la vallée, pour « inscrire l'herbe au coeur du système agricole durable », qui implique la réouverture de prairies de fauche en fond de vallée. Ainsi, le paysage de la vallée de la Bruche actuel a nécessité trente ans de gestion attentive et pragmatique du paysage, avec une adhésion sociale toujours renouvelée. Pierre Grandadam, maire de la commune de Plaine et président de la communauté de communes, qui assure le pilotage du projet depuis le début, le résume ainsi « il faut s'occuper des hommes qui s'occupent des bêtes et font de beaux près pour de bons produits
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Parangonnage européen : les « Contributions à la qualité du paysage » en Suisse
Des projets collectifs multi-acteurs et issus des territoires, mis en place depuis 2014 par l'Office fédéral de l'agriculture (OFAG) de la Confédération Helvétique
1. Cadre général
1.1- Les politiques suisses du paysage : La Suisse compte 8,4 Millions d'habitants pour 41 285 km². La Convention européenne du paysage (CEP) a été ratifiée par la Suisse en 2013. Mais dès 1962, le Parlement avait adopté un article 24sexies de la Constitution relatif à la protection de la nature et du paysage et, en 1966, était promulguée la loi correspondante sur la protection de la nature et du paysage. Puis, en 1997, une « Conception Paysage suisse » est approuvée par le Conseil fédéral (gouvernement). Toujours en vigueur, cette politique doit notamment « contrer la pression exercée par l'urbanisation et le développement des infrastructures de transport, ainsi que par le mitage et le morcellement qui en résultent ». Elle intègre la dimension paysagère dans 13 politiques sectorielles145. Le paysage est ainsi considéré comme une dimension obligatoire de chacune de ces politiques, et non pas comme une politique à part. Les objectifs de la Conception doivent être « mis en oeuvre » dans les politiques fédérales et « pris en compte » par les cantons, notamment à l'occasion de leur planification spatiale (plans directeurs cantonaux). On note toutefois que la majorité des prescriptions concerne prioritairement la nature, révélant, à ce moment, une vision très naturaliste du paysage. Une évolution importante se fait jour avec la « stratégie paysage » qui sera approuvée par l'Office fédéral de l'environnement (OFEV) en 2011, peu avant la ratification par la Suisse de la CEP. La vision du paysage qui y est proposée est beaucoup plus proche de celle de la Convention : la vision perceptive du territoire par les populations, les aspects culturels et l'évolutivité y sont désormais affirmés. Par ailleurs l'OFEV a récemment développé une approche du paysage visant les bénéfices que les populations peuvent en retirer. Ces « prestations paysagères » ont trait à l'identité, à l'attractivité, au bien-être, à la « détente » et à la qualité de vie. Initiée en mars 2018 par l'OFEV sur mandat du Conseil fédéral, l'actualisation de la Conception paysage suisse est aujourd'hui en cours : sa nouvelle version a été soumise aux cantons, et aux différents offices fédéraux. Un document prenant en compte les retours des uns et des autres (50 contributions reçues) a été mis en consultation publique à partir du 20 mai 2019, jusqu'au mois de septembre. Une fois les résultats de cette consultation intégrés, le texte reviendra devant le conseil fédéral qui devrait statuer avant l'été 2020.
145 Ces 13 politiques sont les suivantes : constructions, énergie, santé et sport, défense nationale, agriculture, aviation civile, nature et patrimoine culturel, aménagement du territoire, développement régional, tourisme, transport, forêts, cours d'eau et risques naturels.
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Au stade actuel, la Conception actualisée énonce une « vision » : « La beauté et la diversité des paysages suisses, avec leurs particularités régionales, naturelles et culturelles, offrent aux générations actuelles et futures une qualité de vie et du site élevée ». Elle met en avant les nouveaux enjeux que sont les énergies renouvelables et la perte de biodiversité. Elle entend freiner l'artificialisation de l'espace en préconisant de « densifier avec qualité » les paysages urbains, d' « éviter le mitage du territoire » et d' « aménager les franges urbaines ». 1.2- L'agriculture en Suisse Les régions montagneuses couvrent 2/3 de la surface de la Confédération mais ne comptent que le 1/4 de la population totale. Celle-ci est donc concentrée pour l'essentiel sur le « plateau » et accessoirement sur la chaîne jurassienne. La surface agricole totale s'élève à 4 128 500 ha. Si l'on additionne les surfaces agricoles stricto sensu et les « pâturages en estivages » (diagramme OFAG ci-contre), on constate que le tiers à peine du pays est utilisé par l'agriculture. Au sein de ce total, 71 % sont consacrés aux « herbages » utilisés pour la production de lait et de viande (majoritairement bovine). La taille moyenne des exploitations est de 20 ha (contre 60 en France). La confédération compte 51 260 « exploitations à l'année » auxquelles il faut ajouter les « fermes d'estivages » comptées séparément. Le taux d'autosuffisance alimentaire du pays s'élève environ à 65 % (en calories).
Les objectifs de l'agriculture suisse sont détaillés dans l'Article 104 de la constitution fédérale146 « La Confédération veille à ce que l'agriculture, par une production répondant à la fois aux exigences du développement durable et à celles du marché, contribue substantiellement: À la sécurité de l'approvisionnement de la population; À la conservation des ressources naturelles et à l'entretien du paysage rural;
146 La constitution suisse ne se contente pas d'organiser les pouvoirs publics : elle comporte la plupart des lois et principes, très divers, issus des fréquentes «votations » de niveau fédéral.
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À l'occupation décentralisée du territoire.
« Elle conçoit les mesures de sorte que l'agriculture réponde à ses multiples fonctions. Ses compétences et ses tâches sont notamment les suivantes : Elle complète le revenu paysan par des paiements directs aux fins de rémunérer équitablement les prestations fournies, à condition que l'exploitant apporte la preuve qu'il satisfait à des exigences de caractère écologique ; Elle protège l'environnement contre les atteintes liées à l'utilisation abusive d'engrais, de produits chimiques et d'autres matières auxiliaires (...) ».
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2- Les politiques de l'OFAG ayant des incidences sur le paysage
2.1 Les « améliorations foncières » La confédération accorde en premier lieu des aides aux « infrastructures » : chemins, assainissement, irrigation, adduction d'eau, électrification... sous réserve qu'ils soient conformes sur le plan technique, que leur financement soit soutenable, et qu'ils ne soient pas contraires aux « prescriptions écologiques requises » qui seront décrites ci-après. Ces mesures peuvent être individuelles ou collectives. Elles sont financées pour un tiers par la confédération, pour un tiers par le canton et pour un tiers par le ou les demandeurs. Dans certains cas, ces infrastructures, initialement destinées à « rationaliser la production » soulèvent des problèmes environnementaux majeurs : il en est ainsi de la zone « des trois lacs » (Bienne, Morat, Neuchâtel) sur l'ouest du plateau : le drainage des dernières décennies a provoqué des tassements de sols qui engendrent des pertes de rendements et des inondations fréquentes : faut-il restaurer le système de drainage ou bien prendre son parti de l'inondation et du retour des marais (avec une perte forte de production maraîchère). Le débat est lancé nationalement avec un suivi attentif de la Confédération. Ces améliorations tendent bien sûr à agrandir la taille des parcelles, mais cette taille est très variable selon les cantons (6 ha en moyenne sur le plateau et 200 m² dans le Valais...), et, d'autre part, les « améliorations », projets ascendants, consistent aussi en des plantations de haies ou de bosquets, et en des restaurations de cours d'eau.
Source OFAG
Il s'agit en effet de profiter d'un remaniement parcellaire pour améliorer la qualité écologique
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et paysagère. Le « plan d'aménagement local »147 prévu à cet effet est en effet piloté par le maire et le conseil communal en association avec les agriculteurs. Il est ensuite approuvé par le Canton. Dans ces plans, les haies sont systématiquement préservées (ou compensées sur une épaisseur équivalente) par la loi fédérale sur la protection de la nature (haies = réserves de biodiversité, mais aussi d'auxiliaires des cultures). 2.2 Revitalisation et espace réservé aux cours d'eau Il s'agit à la fois de préserver des espaces suffisants de divagation (protection contre les inondations) et des bandes-tampons pour prévenir les pollutions par nitrates et pesticides. Ces bandes-tampons sont d'une largeur de 3 m depuis « l'espace réservé aux eaux » en ce qui concerne l'épandage des engrais. Cette largeur est portée à 6 m en ce qui concerne l'usage des pesticides. 2.3 Paiements directs La politique agricole suisse a connu un tournant important en 1996, consécutif à l'ouverture à la concurrence internationale des marchés de produits alimentaires (ce tournant correspond à la réforme de la PAC de 1992). Il s'est agi de remplacer un système de garantie des prix par un système de paiements directs aux exploitants agricoles rémunérant des « prestations » se divisant en cinq catégories très marquées par les spécificités géographiques et historiques de la Suisse. Les trois catégories de paiements directs ayant le plus d'influences sur le paysage sont listées ci-après148: « Maintien d'un paysage ouvert » : le thème de l'enfrichement de l'espace et de l'extension de la forêt, notamment en montagne, est omniprésent dans les préoccupations fédérales : les paiements sont fonction du caractère montagnard (variation de 1 à 4) et de la pente des parcelles (jusqu'à 1000 CHF/ha pour les déclivités supérieures à 50%). « Sécurité à l'approvisionnement » : la Suisse a mené, pendant la 2è guerre mondiale une politique d'autarcie alimentaire qui reste un arrière-plan de son souci d'indépendance-neutralité : rappelons qu'actuellement la confédération est autosuffisante à 65 % en termes de calories nécessaires. « Maintien de la biodiversité » : des « surfaces de promotion de la biodiversité » ont été définies : par exemple prairies extensives, zones humides et rives des cours d'eau pour lesquels les paiements directs peuvent aller jusqu'à 1700 CHF par ha. A noter également un paiement spécifique pour les « pâturages boisés » (système sylvopastoral) pour lequel on peut compter sur des paiements de 450 à 700 CHF en fonction de la qualité des habitats présents sur les surfaces concernées. Par ailleurs les « haies, bosquets champêtres et berges boisées » reçoivent des paiements directs parmi les plus élevés : jusqu'à 2700 CHF/ha149. Enfin, une mesure
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147 Ces PAL sont intégrés aux « plans d'affectation » communaux qui, eux, définissent les « zones à bâtir » de la commune : les plans d'aménagement locaux en fait des plans de détail des zones agricoles. 148 Outre ces trois catégories, on compte les thématiques de « qualité du paysage » (ajoutée en 2014, cf ci-après) et la « qualité des productions » (encouragement à l'agriculture biologique, bien-être animal). 149 Qui ne sont dépassés que par les « jachères florales ».
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plus récente vise à mettre en place dans le parcellaire de façon régulière, des « bande fleurie pour pollinisateurs et auxiliaires » (payée à 2500 CHF/ha). Les paiements sont cumulables, mais une certaine compensation existe : si les rémunérations sont maximales pour les thèmes « paysage ouvert » et « biodiversité », ils seront forcément plus faibles pour la « sécurité de l'approvisionnement », les rendements de l'exploitation étant alors moins élevés. Mais ces paiements sont conditionnels : ils ne peuvent être versés que si les exploitants respectent au préalable sept « prestations écologiques requises » établies dès 1996 : Bilan de fumure équilibré ; Garde des animaux conforme à la législation ; 7% de la SAU inscrite en « surfaces de promotion de la biodiversité » ; Rotation des cultures sur 4 ans ; Protection appropriée du sol contre l'érosion (culture d'automne, engrais verts) ; Utilisation ciblée des produits phytosanitaires, Bordure tampon sans fumure ni pesticides de 3m le long des haies et forêts et 6m le long des cours d'eau
Le contrôle du respect de ces 7 conditions est exercé par les cantons. Les résultats de cette politique ont été très positifs concernant la pollution des eaux et l'état des écoulements de rivières. Toutefois, il reste beaucoup à faire concernant l'érosion, la présence de nitrates dans les eaux, et le maintien de la biodiversité. Enfin, la tendance à l'uniformisation des paysages s'est poursuivie : perte de diversité, monotonie, simplification des formes et des couleurs, pertes de surfaces exploitées (du fait de l'urbanisation ou des difficultés d'exploitation en montagne). On a également constaté la disparition des modes de cultures traditionnels suisses (cultures en terrasses, murs en pierres sèches, prairies inondables...), la diminution de la diversité des cultures, mais aussi la difficulté d'accès au paysage agricole (pour promenades ou tourisme) du fait de la fermeture des chemins. Enfin, la disparition d'habitats naturels et semi-naturels (berges, marais, ...) a contribué à l'effondrement de la biodiversité. Ce que traduit la série de quatre photos ci-dessous, prises dans la région de Bâle en 1978, 1987, 1991 et 1996.
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Evolution du paysage Photos OFAG
Cet ensemble de facteurs a conduit à l'étude et à l'expérimentation (mise en place de projets pilotes en 2013), puis à la mise en place d'un nouveau type de paiements directs visant explicitement la qualité du paysage.
3- Les « Contributions à la qualité du paysage » : des paiements directs à des agriculteurs impliqués dans des projets collectifs locaux
3.1 Cadre institutionnel et pilotage : Conçu et initié par l'Office fédéral de l'agriculture (OFAG), le programme de « contributions à la qualité du paysage » a fait l'objet d'une approbation par le Parlement dans le cadre de la politique agricole 2014-2017 qui, par ailleurs supprimait l'aide à la tête de bétail pour les exploitations. Cette abrogation a incité une grande partie des agriculteurs concernés (hors céréalicultures ou productions spécialisées type arboriculture ou viticulture) à participer à un autre type de projet pour assurer le maintien du niveau global des paiements directs. Le programme combine une approche top-down (avec des lignes directrices fédérales exigeantes 150 ) et une approche bottom-up puisque les paiements directs ne peuvent être alloués que dans le cadre d'un projet collectif élaboré localement par un groupe d'agriculteurs ou une collectivité locale, un parc naturel ou une association. Quel que soit l'organisme à l'initiative du projet, les agriculteurs doivent en être activement partie prenante. Parmi les critères d'éligibilité figure en effet l'implication de tous les « utilisateurs du paysage » (agriculteurs, Offices fédéraux et services cantonaux de
150 Directive OFAG du 7 novembre 2013 : https://www.blw.admin.ch/.../Richtlinie%20Landschaftsqualitätsbeiträge_FR.pdf
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l'agriculture et de la nature, ONG, forestiers, etc.). L'objectif de chaque projet, à la fin des 8 ans de sa durée, doit être la participation de deux tiers des exploitants de la région concernée ou de deux-tiers de la SAU de celle-ci. La surface de la « région » varie selon la topographie de 1000 à 50 000 ha. Une fois élaboré, le projet est soumis au Canton qui peut en prescrire des « adaptations », puis transmis à la confédération (OFAG et OFEV) pour approbation définitive et mobilisation des paiements directs, dont le canton assure ensuite le paiement et le contrôle. Au vu des projets approuvés, la confédération procède à une répartition de l'enveloppe par canton selon la SAU et les surfaces d'estivage de chacun d'eux (avec un plafond cantonal) ; chaque enveloppe cantonale est ensuite répartie par projet selon la SAU et les surfaces d'estivage concernées (avec, là encore, un plafonnement par projet). En règle générale, la confédération assure 90 % des paiements et le canton 10 %. Les mesures éligibles concernent aussi bien des travaux de restauration ou de (re)mise en place d'éléments ou de structures paysagères que des travaux de maintien ou d'entretien courant de celles-ci (cf tableau ci-après).
Catégories de mesures Structures
Exemples de mesures Arbres isolés remarquables, arbres fruitiers haute-tige, haies, murs de pierres sèches, berges boisées, ... Assolements diversifiés, cultures colorées, flore messicole, ... Divers types de prairies, cultures fourragères échelonnées, bandes fleuries, bordures, ...
Contributions Pourcentage (M CHF) 44,5 31 %
Diversité des grandes cultures Diversité des surfaces herbagères
31,4 21,4
21 % 15 %
Éléments Pâturages boisés, châtaigneraies, prairies de traditionnels de fauche, cultures en zone de montagne, meules paysage cultivé de foin,... Maintien ciblé d'un paysage ouvert, récupération de surfaces Autres Ferme, valeurs culturelles Débroussaillement, pâture avec des races d'animaux appropriées en vue du maintien d'un paysage ouvert, ...
25
17 %
7,5
6%
Diversité dans la viticulture, accessibilité du paysage, ... Entreposage ordonné des balles d'ensilage, jardins potagers paysans, élevage diversifié, fauche autour des calvaires, ...
8,7 6,4
6% 4%
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L'OFAG et l'OFEV s'assurent en outre des synergies avec d'autres programmes/instruments de la Confédération (réseaux écologiques, biodiversité, améliorations foncières, etc.). Le programme a été préparé en 2013 par une série de 4 projets pilotes représentant différentes typologies paysagères, zones de production, régions linguistiques et culturelles, etc. 3.2 Élaboration et contenus des projets : Une concertation active préside à l'élaboration du projet (ateliers, séances d'informations, articles, de presse, visites de terrain, etc.) : les mesures à mettre en oeuvre doivent résulter d'une entente entre les différents milieux concernés. Ainsi, en montagne, les « lisières étagées », et les « pâturages boisés », nécessitent une coopération étroite entre agriculteurs/éleveurs et forestiers. Le projet débute logiquement par des analyses techniques et sensibles du paysage (à partir d'inventaires, d'une « vision » locale, d'un constat partagé de l'évolution du paysage, et des objectifs à fixer pour cadrer cette évolution). La détermination des spécificités régionales fait évidemment partie de ces préalables au projet, puisqu'il va s'agir de définir des mesures pour assurer le maintien, la promotion et le développement des spécificités du paysage. Le contenu des mesures soutenues et leur répartition à l'échelle du programme est illustré par le tableau ci-après: Au vu des types de mesures ci-dessus, on se rend compte que contrairement à ce qu'on pouvait attendre, la « qualité du paysage » payée aux agriculteurs suisses ne se borne pas à la restauration ou au maintien d'un paysage traditionnel emblématique ou identitaire (« carte postale »). Les évolutions paysagères liées à la production contemporaine sont largement prises en compte : les « assolements diversifiés, cultures colorées, flore messicole » comptent ainsi près du tiers des paiements et un cinquième des surfaces concernées, tandis que les « divers types de prairies, cultures fourragères échelonnées, bandes fleuries, bordures » représentent 21 % du total des paiements. Depuis la mise en place du programme, on a en outre constaté une diversification des cultures par exploitation, avec un passage en moyenne de 4 à 6 ou 7 productions, ce qui a un effet immédiat sur la taille du parcellaire. Parmi les mesures paysagèrement innovantes figure la « bande de bleuets » expérimentée dans plusieurs des projets bénéficiaires du programme (photo OFAG ci-dessous).
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Photo OFAG
Bilan 2017 des 137 projets approuvés source OFAG
3.3 Éléments de bilan et perspectives d'évolution : La contribution fédérale totale en 2017 s'élevait à 145 M de CHF pour l'ensemble du programme. En dépit de la complexité du projet à élaborer, les « contributions à la qualité du paysage » ont connu un succès foudroyant dès leur première année de mise en oeuvre Entre 2014 et 2017, 35 756 exploitations à l'année ont été parties prenantes à ce programme (soit 52% des exploitations représentant 79% de la SAU), ainsi que 4 433 exploitations d'estivage (soit 69% du total). Les aides fournies dans le programme ont une durée de huit ans : la première vague de projets arrivera à terme en 2021 et la dernière vague (2017) en 2024. Il est prévu de les reconduire pour une durée équivalente, dès lors que 80 % des objectifs fixés dans le projet auront été atteints (sauf, bien sûr, modification intervenue dans la loi d'ici ces dates : réflexion actuellement en cours pour « élargir » le dispositif).
4- Exemple d'application dans le canton du Valais
Le Canton du Valais compte 336 000 habitants pour 5 224 km². Il est constitué avant tout par la haute vallée du Rhône et les vallées adjacentes. C'est un canton essentiellement montagnard, avec 47 sommets alpins dépassant les 4000 m d'altitude. Il est en outre bilingue avec 25 % de population germanophone occupant le Haut-Valais. Caractéristiques de l'agriculture valaisanne Le Valais se caractérise par des productions typées bénéficiant le plus souvent d'appellations d'origine : vigne, arboriculture et transformation du lait sont les 3 principales activités des 3 635 exploitations agricoles valaisannes, sachant que trois quarts d'entre elles sont des exploitations à temps partiel151. 40 % de la production viticole suisse est valaisanne : 49 cépages, dont 5 autochtones sont
151 Mais on compte aussi des AOC plus originales comme le « pain de seigle du Valais ».
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cultivés sur des parcelles de taille très réduite, sur des pentes abruptes comportant 3500 km de murs de pierre sèche. La production se situe, selon les années, à 300 000 à 350 000 hectolitres (chasselas, pinot noir et gamay en grande majorité). Une restructuration est en cours au profit des cépages autochtones (humagne, cornalin, arvine...). Enfin, contrairement à l'image du « fendant », qui a cours en France, c'est la production de vins rouges qui est majoritaire dans le Canton avec 62 % du total vinifié.
Photo Service cantonal de l'Agriculture
La seconde production agricole valaisanne est l'arboriculture : 97 % de la production d'abricots de la confédération provient des vergers situés entre Sion et Martigny. Le canton produit près de la moitié de la production de poires et près d'un tiers des pommes. On compte environ 2300 exploitations arboricoles, dont le nombre diminue par concentration des structures. La troisième production significative est constituée par les produits de l'élevage, viande de races autochtones comme la célèbre vache d'Hérens concourant à des joutes annuelles pour le titre envié de « reine ». Le fromage AOP « Raclette du Valais » est le produit-phare de cette production (la quantité annuelle produite a dépassé la tonne depuis 2011), mais l'élevage caprin ou ovin se développe également. Enfin, contrairement à ce qu'on aurait pu penser, le maraîchage est peu développé, ce que le service cantonal explique par l'éloignement des débouchés de consommation ; la notion de « circuit court » alimentaire semble n'avoir pour le moment que peu d'écho dans la Confédération en général et le Valais en particulier. En termes de structures, le Canton combine les deux pressions majeures qui s'opèrent sur l'agriculture suisse : une forte pression foncière urbaine sur l'étroite zone de plaine de la vallée du Rhône - en dépit d'un endiguement draconien du fleuve dans les années 60, aujourd'hui remis en cause -, et une tendance à la déprise au profit de la forêt sur les terres d'altitude. Pour l'ensemble du Valais, le service cantonal de l'agriculture a estimé à 10,7 % les pertes en surfaces agricoles entre 1979 et 2009. S'ajoute à cela le coût et la perte de savoir-faire pour l'entretien des murets de soutènement des terrasses et des « bisses ». Ces canaux d'irrigation gravitaire à flanc de montagne assurent, depuis le 13è siècle l'approvisionnement en eau d'un
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canton où les précipitations sont rares152. Cette triple tendance explique que les autorités valaisannes aient adhéré avec empressement à la politique confédérale de qualité des paysages agricoles initiée en 2014. Les « projets de qualité du paysage » suivis par le service cantonal de l'agriculture Dès l'année 2014, sept projets ont été approuvés par la Confédération. En 2017, l'intégralité du canton est désormais couverte par 14 « projets de qualité du paysage » représentant 72 % de la SAU valaisanne et 26 000 ha sous contrat. Par ailleurs, 80 % des surfaces d'alpages sont également bénéficiaires d'un contrat. Ces résultats sont à mettre en regard des paiements directs relatifs à la seule biodiversité, pour lesquels les chiffres ne dépassent pas 5 000 ha soit 14 % à peine des surfaces agricoles et 43 % des surfaces d'alpage. De toute évidence la qualité paysagère suscite davantage de vocations à « entrer en matière » dans un projet. Le service agricole du Canton a mis en place un « processus participatif » particulièrement élaboré pour mener à bien les projets requis : un « groupe d'action local » d'une trentaine de personnes est rassemblé : il comporte des conseillers communaux, des viticulteurs et/ou des agriculteurs, des gardes forestiers ou encore des accompagnateurs de montagne, des biologistes, etc. Ce groupe tient au moins trois « séances » (réunions) : Pour valider les unités paysagères identifiées et l'analyse sensible du paysage en général ; Pour définir et arrêté les objectifs de qualité paysagère ; Enfin pour mettre au point les propositions de mesures spécifiques au territoire concerné, acceptables par ses acteurs et réalisables dans un temps déterminé.
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Quelques-unes des mesures mises en oeuvre au cours des quatre dernières années méritent d'être mentionnées : Dans le terroir viticole a été mise en place une « prime pour la variété de l'encépagement participant à la diversité des couleurs automnales » afin de « conserver, favoriser ou recréer une mosaïque paysagère » ; Dans la zone de montagne, une « prime pour la présence de cultures » a pour objectif de « conserver une diversité des cultures pour un paysage varié » en alternant prairies de fauche et labours ; À mi-hauteur, une attention particulière est portée aux « mayens », alpages de moyenne altitude pourvus d'un bâtiment où les troupeaux séjournent au printemps et à l'automne (les chalets correspondants sont aujourd'hui souvent réhabilités en hébergements touristiques) : une « prime pour la fauche des mayens » est explicitement prévue. Dans le même ordre d'idées, à l'interface entre les alpages et la forêt d'altitude, l'entretien des « pâturages boisés », paysage d'entre-deux riche en biodiversité, est,
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152 Le massif du Mont-Blanc fait écran à l'arrivée de masses d'air océaniques
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lui aussi spécifiquement primé afin de maintenir son exploitation par des « troupeaux en forêt ». Enfin, compte tenu de l'enjeu à la fois économique et paysager de leur entretien et de leur restauration, les murets de pierre sèches des terrasses viticoles sont l'objet d'un suivi attentif de la part du service cantonal. Un inventaire de leur état est régulièrement tenu à jour, des agents chargés du conseil aux propriétaires sont rémunérés, des bureaux d'étude ou des laboratoires universitaires missionnés pour assurer la transmission de ce savoir spécifique que l'Unesco vient de reconnaître au titre du « patrimoine mondial immatériel-.
Photo : Service cantonal de l'Agriculture
5- Perspectives et enseignements
La comparaison France-Suisse de matière de politiques agro-paysagères comporte évidemment des limites qui tiennent aux éléments de contexte très différents entre les deux pays : La Suisse est hors de l'Union Européenne, même si elle suit les grandes tendances des politiques agricoles mondiales, par exemple, l'ouverture au marché international intervenue en 1996, quatre ans à peine après que la réforme de la PAC ait tiré les conséquences de cette ouverture en 1992 ; À l'inverse de la France où la céréaliculture est prépondérante, la Suisse possède une agriculture largement dominée par l'élevage et marquée nettement plus que dans nos grandes plaines par les difficultés de mécanisation et d'intensification liées au relief .
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Pour autant, dans les deux cas, les préoccupations environnementales communes aux deux pays ont donné lieu à des politiques environnementales souvent plus hardies en Suisse qu'en France (les 7 conditions mises à l'octroi des paiements directs sont plus draconiennes que dans les pays de l'Union européenne en général). En revanche, malgré une « culture du paysage » largement plus ancrée dans sa population, la Suisse connaît les mêmes « pathologies » qu'en France en ce qui concerne, par exemple, le rythme d'artificialisation des sols et la pauvreté du traitement des franges urbaines.
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Dans ce contexte, toutefois, les « contributions à la qualité du paysage » sont riches d'enseignements : elles ont été mises en place avec un succès évident à l'échelle confédérale et une forte adhésion cantonale et locale (plus de la moitié des exploitations sous contrat représentant près des quatre cinquièmes de la SAU153) . On pourrait dire que cet engouement a « bénéficié » de la suppression de la prime à la tête de bétail, les exploitants agricoles ayant cherché à compenser la perte en adhérant au nouveau système que l'OFAG mettait en oeuvre simultanément. Mais ce serait un peu réducteur dans la mesure où même des « non-éleveurs » (céréaliers, arboriculteurs ou viticulteurs par exemple) ont eux-aussi « joué le jeu » du nouveau programme d'aides sans rien avoir à compenser... Mais ces « contributions à la qualité du paysage » présentent surtout trois caractéristiques d'intérêt majeur au regard de la problématique mise en exergue par la Mission : Elles sont, sous peine d'inéligibilité aux aides confédérales, issues d'un dialogue local entre agriculteurs et non agriculteurs ; Elles sont fortement ancrées dans le territoire particulier de leur application future : l'exemple du Valais est à cet égard très significatif : la pierre sèche et les « mayens » sont spécifiques à ce canton et à sa forte personnalité. Elles procèdent d'un projet collectif « remontant » mis au point par les acteurs locaux et largement contrôlé par eux, même si l'appui technique du canton peut s'avérer décisif dans certains domaines.
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Elles constituent donc bien un élément de référence pour une possible politique agropaysagère à mettre en oeuvre en France selon la méthodologie décrite par la mission. Ce qui justifie la place de leur description dans le présent rapport.
153 Ces chiffres ne doivent pas être sur-interprétés : une exploitation peut souscrire à une mesure qui n'impactera visuellement qu'une partie minime de sa surface totale : dès lors qu'elle entretient un muret ou plante une haie, elle est incluse dans les statistiques pour la totalité de sa SAU. On peut néanmoins considérer qu'en contractualisant dans le cadre d'une « contribution à la qualité du paysage », elle est entrée, même modestement dans une dynamique collective de qualité qui ne se bornera pas à une action ponctuelle.
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INVALIDE) (ATTENTION: OPTION la direction générale de l'enseignement et de la recherche : ce plan « Enseigner pour produire autrement » constitue une modification majeure des cadres de pensée, et des modes d'acquisition des savoirs et des pratiques : l'objectif est de faire acquérir les compétences aux acteurs de terrain, non plus selon un modèle national unique, mais pour leur permettre de trouver les réponses à leurs problématiques locales. Les principaux travaux du plan 62 ont porté sur : La modification des référentiels de formation aux différents niveaux : BTS « Analyse et conduite de systèmes d'exploitation » ou BAC pro « Conduite et gestion de l'exploitation agricole », centrées sur la formation de futurs exploitants, pour leur faire intégrer les questions de valorisation des ressources naturelles et l'étude des écosystèmes ; Une nouvelle conception des exploitations agricoles associées aux établissements d'enseignement : celles-ci seront utilisées à des fins pédagogiques en vue de l'évolution des pratiques agricoles vers l'agro-écologie. Un financement du CASDAR 63 a été utilisé pour la transition écologique de ces exploitations afin d'en faire des références de l'agro-écologie ; La formation des enseignants à l'agro-écologie dans les établissements publics nationaux tels que la Bergerie Nationale de Rambouillet, les établissements de Florac, de Dijon, de Toulouse et de Beg Meil. Il s'agit de renforcer la mission de l'enseignement agricole prévue au code rural - relative à « l'animation et développement des territoires » (ADT). Les établissements, de la sorte, intégreront davantage l'échelle territoriale et potentiellement le montage de « projets ascendants ».
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61 700 établissements dont 220 établissements publics. 62 Tel que décrit lors de la rencontre de la Mission avec Jean-Luc Toullec (animateur national DGER/transition agro-écologique dans l'enseignement agricole) le 5 décembre 2018. 63 Compte d'affectation spéciale « développement agricole et rural ».
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En 2019, un second plan est présenté, sur la base du bilan du plan précédent et des progrès de l'agro-écologie sur le terrain. La formation à l'agro-écologie ne se contente donc pas d'une juxtaposition de techniques agricoles et de connaissances environnementales : elle affirme une dimension territoriale en termes de spécificités à étudier et d'animation à mener à cette échelle. De façon plus concrète, la mission estime que tout BTS ou Bac Pro agricole devrait très rapidement intégrer aux cursus de formation, un arpentage de terrain avec lecture de paysage, afin d'apprendre aux futurs agriculteurs à identifier les structures paysagères élémentaires d'un territoire : relief et géologie, nature des sols, masses végétales, hydrographie, et l'histoire de l'occupation humaine au moyen de cartes ou de photographies anciennes. Chaque futur exploitant percevrait ainsi comment tirer parti des atouts et faire face aux contraintes qu'offre le territoire singulier où il va exercer son activité. En ce qui concerne l'agronomie, des travaux de recherche se développent autour de la notion d' « agronomie du paysage » ; celle-ci visant à rassembler dans une même démarche l'étude des systèmes de production, de l'écophysiologie 64 et des dynamiques paysagères. Il s'agit notamment de mettre en valeur le fait que les difficultés actuelles des pratiques agricoles concernant l'érosion des sols, la perte de biodiversité et la gestion de la ressource en eau ne peuvent être traitées séparément. En revanche leur traitement à l'échelle paysagère évite un effet d' « accumulation de contraintes » génératrice de tensions et donc peu efficace 65. Ces principes sont mis en application à AgroParistech dans l'axe 2 « Contribution au développement d'une ingénierie territoriale » du projet stratégique du département « Sciences et ingénierie agronomiques, forestières, de l'eau et de l'environnement » (SIAFEE) 66. L'Unité Mixte de Recherche (UMR) INRA/Agrocampus Ouest/ESA Angers citée plus haut se consacre aux recherches sur la biodiversité, l'agro-écologie et les aménagements du paysage (« UMR BAGAP » site : www.rennes.inra.fr/bagap). L'enjeu de ces recherches porte sur les fonctions des paysages vues comme un ensemble : fonctions de production agricole, de contrôle biologique des ravageurs de culture, de pollinisation, de production de biodiversité...en développant une approche sur l'agro-écologie du paysage. La fusion de l'INRA et d'IRSTEA au 1er janvier 2020 devrait conduire à la création d'un département sur les enjeux « Territoire et paysage » (par la fusion des départements INRA SAD et Territoire de l'IRSTEA) et la création d'un département Agroécologie qui prendra en charge la dimension paysagère de l'agro-écologie. B- L'enseignement du paysage et de l'aménagement L'orientation de la discipline paysagère reste largement « urbaine ». Même si on constate une attirance des étudiants et des jeunes professionnels pour l'intervention en milieu agricole et forestier (choix des sujets de mémoires et de projets de fin d'étude 67), le référentiel de formation n'intègre
64 Discipline de la biologie, à la frontière entre l'écologie et la physiologie, qui étudie les réponses comportementales et physiologiques des organismes à leur environnement. 65 Entretien de la Mission avec Marc Benoît, chercheur à l'INRA, ancien président de la société française d'agronomie. Co-auteur d'un article intitulé « Landscape agronomy, a new field for adressing agriculturel landscape dynamics » in Landscape Ecology (2012). 66 « Pour sécuriser et accroître notre potentiel d'enseignement, il faut développer nos compétences en matière de modélisations de dynamiques de paysages et/ou de pratiques de l'espace, pour fournir des outils permettant de mieux appréhender l'impact des pratiques d'aménagement sur les ressources naturelles (eau, sol, paysages, biodiversité) et le milieu récepteur (continuité écologique), pour l'aide à la connaissance et à la décision ». 67 Témoignages recueillis lors de l'audition par la mission de la direction et des enseignants de l'école nationale supérieure du paysage de Versailles-Marseille, le 15 février 2019. Ces témoignages sont corroborés par un entretien avec la directrice de l'école nationale supérieure d'architecture et de paysage de Bordeaux, le 22 mars 2019.
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pas la question du paysage agricole et forestier. Ce référentiel, formalisé dans un document annexé à un arrêté interministériel du 9 janvier 2015 68 , comporte 21 pages dans lesquelles des mots se rapportant à l'agriculture, à l'espace rural ou à la forêt ne sont cités que 7 fois. La seule mention explicite de l'agronomie apparaît en fin d'énumération dans le domaine d'enseignement N° 3 « Culture technique et sciences de l'environnement » : « Compréhension des milieux vivants et de leurs dynamiques, en interface avec les sciences de l'ingénieur comme l'ingénierie écologique, le génie civil ou l'agronomie ». Dans le domaine d'enseignement n° 5 : « Politiques, acteurs, économie et cadre d'action du projet de paysage », il n'est question que des « enseignements portant sur l'aménagement du territoire, l'urbanisme, l'approche socio-juridique du droit de l'urbanisme, de l'environnement et du paysage ». Ni le code rural, ni le code forestier ne sont mentionnés, non plus que les acteurs correspondants. Il faudrait donc procéder à une révision du référentiel afin de le rééquilibrer en faveur d'une meilleure prise en compte des enjeux, des techniques et des outils à mettre en oeuvre pour une intervention accrue des professionnels du paysage dans les transformations attendues du monde rural. Cette révision devrait également s'appliquer à la formation des urbanistes : malgré une inclusion récente de l'espace rural et des activités qui s'y déroulent dans les travaux des agences d'urbanisme, la formation de ces professionnels ne comporte pour le moment aucune référence aux disciplines et aux métiers liés aux activités agricoles et forestières 69. En outre, pendant leurs cycles d'étude respectifs, les étudiants en paysage, en agronomie, voire en BTS agricole devraient pouvoir bénéficier de périodes de rencontres, d'acculturation et de sensibilisation à ces différentes disciplines. Au final, il serait nécessaire : En matière d'accompagnement - Inscrire de façon explicite dans le programme agro-écologique de l'État, le contrat d'objectif et de performance de l'APCA, et le PNDAR 2021-2027, le principe selon lequel agro-écologie et démarche paysagère sont indissociables ; - Favoriser la dynamique territoriale en confiant aux DRAAF plus de responsabilités dans le pilotage d'appels à projet et l'articulation avec les politiques régionales; - Faciliter le recrutement de paysagistes-concepteurs dans des postes d'ingénieurs territoriaux ; - Généraliser l'affectation de paysagistes-conseils de l'État dans les DRAAF ; - Expérimenter la pratique des vacations de paysagistes-concepteurs dans les organismes de développement de l'agriculture et de la forêt. En matière de formation - Inclure dans la formation initiale des agriculteurs une initiation à la lecture du paysage; - Inclure dans le cursus universitaire des paysagistes et des urbanistes, une meilleure prise en compte des activités agricole et forestière ; - Rendre obligatoire dans les cursus respectifs des métiers de l'agriculture et du paysage une période minimale de formation croisée.
68 https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000030110438 69 Voir le référentiel de formation édité par l'office professionnel de qualification des urbanistes (OPQU), https://www.opqu.org/wpcontent/uploads/sites/234/2017/10/2016-Contenus-formations-en-urbanisme.pdf
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Recommandation au MAA (DGPE et DGER)
R1. En matière d'accompagnement des agriculteurs, lier de manière explicite agro-écologie et paysage notamment dans les contrats d'objectif et de performance de l'APCA et dans le PNDAR, intégrer des paysagistes dans des postes d'ingénieurs territoriaux (paysagistesconcepteurs) ou en DRAAF (paysagiste-conseils), et en matière de formation, rendre obligatoire dans les cursus respectifs des métiers de l'agriculture et du paysage une période minimale de formation croisée.
3.1.3. Le paysage dans l'accompagnement financier de la transition agroécologique : analyse de la PAC actuelle 2014-2020 et proposition pour la future PAC post 2021-2027
La question est de voir dans quelle mesure la PAC actuelle porte les enjeux paysagers, et comment la future PAC pourrait mieux les intégrer dans les réflexions en cours. Une analyse du dispositif existant, décrit au point 1.3, montre, à travers une lecture « impact des mesures sur le paysage », que la conditionnalité, le paiement vert via les surfaces d'intérêt écologique (SIE) et les mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC) prennent en compte surtout l'existant, parfois imparfaitement, sans promouvoir la restauration ou la création de nouvelles infrastructures paysagères (haies notamment) dont l'intérêt agro-écologique est reconnu. Par ailleurs les DPB sont des soutiens au revenu sans lien ni avec l'agro-écologie ni avec le paysage : En ce qui concerne la conditionnalité et les BCAE, l'enjeu de maintien et de développement des haies est majeur. La conditionnalité sur ce sujet dans la future PAC ne doit pas bien sûr pas régresser. Or, malgré la BCAE n°7 (tout bénéficiaire d'une aide de la politique agricole commune a depuis 2015 l'obligation de maintenir les haies présentes sur son exploitation), on assiste encore à une baisse du linéaire de haies. Les agriculteurs interprètent négativement la BCAE n°7, ce qui a pu favoriser des arrachages de haies à l'annonce de leur protection, quand ils n'ignorent ou ne méconnaissent pas son contenu. Les services déconcentrés de l'Etat l'appliquent très variablement selon les territoires, ce qui invite à penser que la mise en oeuvre de cette règle nationale est variable selon les départements70. Pour assurer une meilleure interprétation et application de la BCAE n°7, il est proposé de mobiliser les services déconcentrés dans des pôles « bocages » locaux (associant par exemple les DDT(M), les DRAAF, les chambres d'agriculture, les Ademe Régionales, les agences de l'eau, les Conseils régionaux, les Conseils départementaux, et les associations AfacAgroforesterie régionales ou leur réseau d'opérateurs de la haie), afin d'établir une vision commune de la haie et une lecture partagée de la définition de la haie, réaliser une instruction (qui concerne en principe les interventions sur les haies, à savoir les suppressions, remplacements et déplacements, interventions qui doivent faire l'objet d'une déclaration préalable à la DDTM). En effet, la haie prend des formes très diversifiées selon les territoires,
70 Leo Magnin, doctorant en sociologie Laboratoire Interdisciplinaire Sciences Innovations Sociétés Université Paris-Est Marne-laVallée Institut d'Histoire des Représentations et des Idées dans les Modernités Ecole Normale Supérieure de Lyon
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comme l'illustre le Référentiel national sur la typologie des haies. Ces temps collectifs seront un gain qualitatif pour définir clairement ce qu'est un linéaire de haie en vue de l'action ; En ce qui concerne les SIE, le seul respect quantitatif des SIE ne suffit pas à leur donner un réel intérêt agro-écologique : leur localisation pertinente et plus généralement leur intérêt agroécologique n'entre pas en ligne de compte, ni dans un objectif paysager. On peut penser par exemple à leur rôle dans le cadre des continuités écologiques, leur rôle en matière de lutte contre l'érosion selon le substrat géologique, le calendrier pollinique, le rôle de la strate herbacée, etc. En effet, les recherches ont bien montré le rôle important de ces infrastructures, au-delà du paysage, dans le maintien de la biodiversité associée à la diversité des cultures (UMR Dynafor INRA de Toulouse-Clélia SIRAMI). Une réflexion technique visant une meilleure efficacité agro-environnementale et paysagère pourrait être mise en place, soit dans le cadre d'un auto-diagnostic, soit par exemple dans le cadre de la certification des exploitations (). Concernant les MAEC, aides du 2me pilier de la PAC, conditionnées par l'élaboration d'un projet lié à un territoire (PAEC-projet agro écologique et climatique), sont favorables à la démarche territoriale : les critiques portent sur la surface du projet parfois trop étendu pour avoir un réel impact, sur les MAEC elles-mêmes qui portent essentiellement sur le maintien de l'existant (entretien et gestion des haies, de ripisylves de milieux humides) et peu sur la restauration et la création et dont la mise en oeuvre se heurte à la limite des crédits d'animation (portés par les Régions en complément du FEADER, par l'État ou par des opérateurs type agences de l'eau) ;
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Par ailleurs, les aides à l'investissement pour la création d'infrastructures paysagères ne sont pas spécifiques et entrent donc en concurrence avec tous les autres types d'investissement de modernisation et de compétitivité des exploitations ; La réflexion en cours pour la création de paiements des agriculteurs pour service environnemental (PSE) sur le 1er pilier en substitution d'une partie des DPB actuels, pourrait être un moyen adéquat pour financer la démarche paysagère collective (cf en annexe 7 un aperçu des réflexions conduites en France sur le sujet). Pour rappel, les services environnementaux correspondent à des actions ou des modes de gestion assurés par des acteurs (agriculteurs par exemple dans le cadre d'une démarche collective agroécologique ou paysagère) qui améliorent l'état de l'environnement en contribuant à optimiser le fonctionnement des écosystèmes et ainsi augmenter les services qu'ils rendent. La rémunération correspond à une reconnaissance des services environnementaux produits par les agriculteurs au travers des choix qu'ils opèrent en orientant leurs systèmes de production et leurs interventions afin de gérer les structures paysagères dans lesquelles ces systèmes s'insèrent. Un PSE pourrait concerner par exemple le maintien et la création d'infrastructures paysagères, la couverture des sols, la diversification des cultures, ou la taille des parcelles. La France s'est positionnée en faveur des PSE dans sa note à la Commission européenne de décembre 2018. Cette position a été aussi été inscrite dans la mesure 24 du plan Biodiversité adopté en juillet 2018. La structure environnementale de la PAC, qui concerne les aspects paysagers, repose à ce stade sur 3 niveaux : 1 le maintien et l'élargissement de l'éco-conditionnalité avec notamment le maintien des prairies permanentes ;
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« l'ecoscheme » qui financerait, sur le 1er pilier, la transition écologique globale avec un financement de services environnementaux (tels que la fixation du carbone, la restauration de la biodiversité via des services comme la couverture des sols, la diversification des cultures avec un nombre minimum et des seuils en %, un maintien de parcelles en non labour, des financements différenciés selon l'âge de la prairie) ; et les MAEC qui financeraient des actions territoriales ciblée à vocation environnementale comme l'implantation de légumineuses par exemple.
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Si un impact paysager à grande échelle est recherché, « l'écoscheme » semble être l'outil adapté, dès lors qu'un pourcentage suffisant du 1er pilier y sera consacré. En l'état actuel du travail des négociations en cours entre la Commission européenne, le Conseil et le Parlement européen, la proposition de la Commission de juin 2018 fait l'objet d'une préparation d'un avis des commissions du Parlement européen. D'ores et déjà, chaque Etat membre doit préparer un plan stratégique détaillant ses intentions vis à vis des différentes rubriques de la PAC dont les aspects environnementaux sur la base d'un diagnostic partagé. Les discussions en cours sur le règlement relatif au plan stratégique montrent que les aspects paysagers font partie des enjeux de la future PAC.71 S'agissant d'un nouveau concept, des réflexions ont été conduites depuis l'été 2018 par le MAA, le MTES (commissariat général au développement durable, direction de l'eau et de la biodiversité et agences de l'eau) et le Secrétariat général des affaires européennes. Le principe général des PSE, paiements qui doivent être conformes aux lignes directrices communautaires en matière d'aides d'État (elles même compatibles avec l'OMC), est de rémunérer ces efforts/pratiques des agriculteurs en faveur de l'environnement et de l'atténuation du changement climatique lorsque ces pratiques vont au-delà des obligations réglementaires. Les PSE peuvent en outre être financés par des collectivités territoriales ou des organismes privés72. Ils peuvent se concevoir de deux manières : Correspondre à la seule compensation des surcoûts et manques à gagner liés à l'adoption de ces pratiques (logique des MAEC). Rémunérer proportionnellement à l'importance des services rendus sur la totalité de l'exploitation.
La rémunération peut concerner l'existant pour les services rendus mais aussi la transition vers d'autres services. Les services visés sont diversifiés : ils peuvent contribuer à la préservation de la biodiversité, à la protection des pollinisateurs, à la régulation des populations de ravageurs et parasites, à la protection de la ressource en eau, à la protection des sols, mais aussi aux paysages qui par leur transversalité recoupent l'ensemble de ces services.
71 Par exemple l'un des amendements proposés par la commission agriculture du Parlement européen sur la définition de l'exploitation agricole comporte des éléments paysagers (« Landscape features may hereby be included as components of the agricultural area ») ; le système agroforestier est également cité dans la définition de la surface cultivée (« it can include a combination of crops with trees and/or shrubs to form a silvoarable agroforestry system »). 72 C'est le cas des sociétés de production d'eaux minérales, qui rémunèrent des pratiques agricoles compatibles avec la protection de leurs impluviums.
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Pour la mission, la mise en place d'un tel PSE nécessite une démarche collective et territoriale portée par les acteurs du territoire (collectivités territoriales, syndicats...). À titre d'illustration, un projet expérimental est en cours entre le MAA et Eau de Paris visant à mettre en place des mesures agro-environnementales avec des cahiers des charges adaptées spécifiquement aux problématiques très localisées des territoires d'alimentation de captage gérés par cet opérateur. Les obligations des cahiers des charges sont adaptées en fonction des types d'exploitation concernés (par exemple : limitation de l'emploi des produits phytosanitaires sur grandes cultures, engagement des prairies dans une obligation réelle environnementale (ORE)73, pour les exploitations d'élevage). Au même titre que les MAEC, la dynamique collective sera assurée par Eau de Paris à travers une animation territoriale. Cet exemple montre que les PSE ne seront pas financés que par la PAC. L'exemple suisse (Annexe 12) est instructif sur les différents volets de ce que pourraient être les PSE : Ce pays a mis en place à partir de 1996 un système de paiements directs aux exploitants agricoles rémunérant des « prestations » se divisant en cinq catégories marquées par les spécificités géographiques et historiques de la Suisse. Deux catégories de paiements directs ont une influence directe sur le paysage : Maintien d'un paysage ouvert contre l'extension de la forêt, notamment en montagne, Maintien de la biodiversité: prairies extensives, zones humides et rives des cours d'eau, pâturages boisés ...
Les paiements sont cumulables et soumis à conditionnalité. En 2014, la Suisse a mis en place des paiements « paysage », qui combinent une approche topdown avec des lignes directrices fédérales et une approche bottom-up puisque les paiements directs ne peuvent être alloués que dans le cadre d'un projet collectif élaboré localement par un groupe d'agriculteurs ou une collectivité locale, un parc naturel ou une association. Au final, dans le cadre de l'éco-conditionnalité de la PAC, il serait nécessaire : - d'améliorer l'efficacité de l'actuelle BCAE no 7 en mobilisant les services déconcentrés dans des pôles « bocages » locaux. de localiser les surfaces d'intérêt écologique (SIE) sur l'exploitation de manière à optimiser leur double rôle, agro-écologique (notamment de refuge pour les auxiliaires des cultures) et de contribution à la qualité paysagère, soit dans le cadre de la conditionnalité, ou d'un paiement vert ou de la certification HVE. de rémunérer les agriculteurs via des paiements pour services environnementaux (PSE) pour la création, le maintien et l'entretien de structures agro-paysagères dans le cadre de projets collectifs territoriaux en soutenant particulièrement leur animation. d'ouvrir des mesures agri-environnementales et climatiques (MAEC) dans le cadre de la préparation des futurs « plans de développement régionaux », portant sur la ré-implantation de haies en bordure de parcelles, en bordure de bâtiments (habitations notamment) et en intraparcellaire (agro-foresterie), ainsi que des MAEC d'entretien de ces haies.
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73 https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/obligation-reelle-environnementale
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Recommandation au MAA (DGPE) R2. Construire la PAC post 2020 afin qu'elle favorise la création, le maintien et l'entretien de structures paysagères via (i) l'éco-conditionnalité (améliorer l'actuelle BCAE 7), (ii) leur localisation à des fins agro-écologiques, (iii) la rémunération des agriculteurs par des paiements pour services environnementaux ou des mesures agro-environnementales et climatiques.
3.2. Certifier les produits et les activités agricoles
Les activités agricoles ou forestières sont l'objet de labellisation et certification pouvant intégrer des critères paysagers.
3.2.1. Labels et signes de qualité et d'origine
Les signes de qualité et d'origine (SIQO) regroupent les indications géographiques AOC, AOP et IGP 74 (article L.115-1 du code de la consommation : « Constitue une appellation d'origine la dénomination d'un pays, d'une région ou d'une localité servant à désigner un produit qui en est originaire et dont la qualité ou les caractères sont dûs au milieu géographique, comprenant des facteurs naturels et des facteurs humains ») et les autres signes de qualité tel que le logo AB (agriculture biologique), le label rouge etc.. Certains paysages issus d'une production concernée par un SIQO sont emblématiques et indissociables de l'identité du produit qui en est issu, et, au-delà contribuent à l'identité-même de la région ou zone géographique concernée. On peut dire que pour certains produits, il y a un continuum, voire une association consciente ou inconsciente faite par le consommateur entre savoirfaire, produit, territoire et paysage qui constitue le « terroir ». Le terroir inclut des caractéristiques spécifiques du sol, de la topographie, du climat, du paysage et de la biodiversité. Quelques exemples : le Condrieu (vin blanc et ses murs de terrasses en pierre sèche), le fromage Bleu de Gex et les pré-bois du Jura, le Livarot avec un cahier des charges 100% herbe et l'utilisation de la race normande ou la Bourgogne et ses « clos » viticoles entourés de murs et murets de pierre. Le paysage construit devient la traduction visible et mémorisable par tous du terroir. Le paysage correspondant à un signe géographique se construit en effet par la transcription paysagère de pratiques inscrites dans le cahier des charges du signe de qualité : système de conduite pour la vigne par exemple (densité, taille, hauteur de feuillage, palissage), obligation de couvert forestier pour certains élevages de volailles Label Rouge, entretien des haies pour des AOP de viande...
74Appellation d'origine contrôlée, appellation d'origine protégée et indication géographique protégée
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Paysage de la Côte Nord de Beaune ph. D. Michel
Actions développées par l'Institut national des appellations d'origine En 2006, l'INAO, en partenariat avec le MAA a publié une plaquette sur le thème « AOC et Paysage » visant à inciter les organismes de défense et de gestion des signes de qualité (ODG) à prendre en compte le paysage dans les cahiers des charges. Aujourd'hui, plusieurs cahiers des charges ont intégré des mesures concernant des éléments du paysage caractérisant le terroir, par exemple : L'implantation ou restauration de murets en pierres sèches, réservoirs de biodiversité, mise en valeur de terroirs à forte pente... L'implantation de haies visant la protection contre l'érosion et le ruissellement, ou le développement d'une faune auxiliaire.
Ce lien repose soit sur des mesures réglementaires contenues dans les décrets de définition des produits d'appellation (aires et règles de production, usages partagés), soit sur des actions favorables au paysage. Par exemple, le cadre réglementaire de la production concernant la vigne inclut les types de cépages, la taille de la vigne, la densité de plantation, la hauteur du feuillage et du tuteurage, les pratiques de protection des sols. L'INAO intervient également en utilisant l'argument paysager d'intérêt public lorsqu'il donne son avis notamment sur des aménagements. Au final, l'attention portée au paysage sert à la fois les intérêts agronomiques, environnementaux et économiques des producteurs et lui offre la possibilité d'être reconnu pour le rôle qu'il joue dans le maintien d'un cadre de vie attirant qui constitue un bien commun, créateur de valeur. L'INAO a publié en 2017 avec l'Institut français de la vigne et du vin un guide spécifique à la filière viti-vinicole sur l'intégration de pratiques agro-écologiques en viticulture 75.
75 Guide de l'agro-écologie en viticulture. Il traduit pour cette filière les objectifs de l'agro-écologie en traitant les différentes thématiques spécifiques retenues : préserver et développer la biodiversité, en renforçant la dimension paysagère de la biodiversité, maîtriser et réduire la fertilisation, diminuer l'usage de produits phytosanitaires et développer le bio-contrôle, rechercher une meilleure
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La gouvernance des signes de qualité l'exemple du Beaufortain Dans les appellations d'origine, qualité du produit et qualité de l'espace sont souvent liés à l'intervention d'un élu local dans la promotion d'un produit et la démarche de certification d'un produit bénéficiant de l'appellation. Un des modèles « historique » du lien produit agricole-paysage se situe en terre savoyarde, dans le Beaufortain. Une coopérative y a réorganisé la collecte du lait avec notamment des systèmes de traite mobile destinés aux alpages. Un des combats principaux de la coopérative a été, avec le soutien de l'INAO, d'obtenir que le cahier des charges de cette appellation « limite très fortement l'utilisation des fourrages importés » et fasse de l'utilisation quasi exclusive de l'herbe du périmètre « une condition garantissant la typicité et la qualité du fromage ». Cela a amené les éleveurs « à faucher ou faire pâturer de nouveau les parcelles en pente, un temps délaissées ». Ainsi « on retrouve explicitement un lien, une synergie entre la qualité du produit et la qualité du paysage »76. Au plan juridique, l'agrément des ODG et la validation des cahiers des charges qu'ils portent est réalisé par 5 comités nationaux compétents de l'INAO : ces comités comportent les opérateurs des filières, des consommateurs mais aucun représentant d'ONG qui pourraient porter les questions environnementales et notamment paysagères. Ce point a d'ailleurs été évoqué lors des États généraux de l'alimentation (2017), a fait l'objet d'un amendement au code rural introduisant ces associations dans les comités nationaux de l'INAO, finalement retiré par le Conseil Constitutionnel du fait de l'éloignement de ces dispositions avec l'objet initial de la loi. Néanmoins l'intérêt de cette disposition demeure.
Montagnes du Beaufortin - ph. Site internet de la CUMA du Beaufortin
gestion de l'eau, et recourir à un matériel végétal plus adapté à l'agro-écologie. 76 Les parties en italique sont extraites de l'ouvrage de Régis Ambroise et Monique Toublanc, « Agriculture et paysage, pour le meilleur » op. cit. p. 27
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3.2.2. La certification environnementale
La certification environnementale, connue dans son niveau 3 sous le sigle HVE (haute valeur environnementale) a été introduite par les lois dites « Grenelle » de 2010. Elle est encadrée par l'État afin d'identifier les exploitations engagées dans des démarches respectueuses de l'environnement. Elle concerne les thématiques suivantes : biodiversité, traitements phytosanitaires, fertilisation, et ressource en eau. Elle repose sur une certification progressive de l'ensemble de l'exploitation, en 3 niveaux : Niveau 1 : maîtrise « des prérequis », validée par un organisme de conseil (chambre d'agriculture, organisme technique...), de la réglementation environnementale en particulier celle relative à la conditionnalité des aides PAC (dont bandes enherbées le long des cours d'eau, couverture des sols, limitation de l'érosion, maintien des particularités topographiques) et réalisation d'un auto-diagnostic de l'exploitation. Niveau 2 : obligations de moyens correspondants à des exigences d'un référentiel permettant de mettre en oeuvre sur l'exploitation des axes de progression environnementale. Exemple : identifier les infrastructures agro-écologiques dont les emplacements devront permettre de favoriser la continuité et la pérennité des bandes végétalisées. La certification qui reste individuelle peut être gérée dans un cadre collectif, via les organisations de producteurs ou via les demandes de reconnaissance de cahier des charges équivalents portées par les organisations professionnelles ou par la distribution. La reconnaissance de niveau 2 permet une communication institutionnelle de plus en plus recherchée par les acteurs des filières à la demande des marchés. Ces demandes sont soumises à l'avis de la Commission nationale de certification environnementale (CNCE), ouverte aux opérateurs des filières de la production à la transformation et distribution, aux acteurs de la société civile tels que les ONG (WWF, FNE...) et aux organisations de consommateurs. Les démarches collectives permettent de faire progresser ensemble un grand nombre de producteurs (par exemple 700 producteurs d'une cave coopérative) et donc d'avoir un impact non seulement au niveau de l'exploitation mais aussi au niveau du territoire, ce qui est l'objectif s'agissant d'avoir un impact paysager. Niveau 3 ou « HVE » : il s'appuie sur des niveaux d'indicateurs à atteindre permettant de mesurer les performances environnementales des exploitations. Une mention valorisante et le logo correspondant peuvent être apposés sur les produits bruts ou transformés « issus des exploitations HVE ». L'option A porte sur l'atteinte de résultats relatifs à la préservation de la biodiversité (diversité des productions, nombre de variétés ou d'espèces animales élevées), la stratégie phytosanitaire, la gestion de la fertilisation et la ressource en eau. L'option B évalue la performance environnementale au travers de 2 indicateurs synthétiques : le poids des intrants dans le chiffre d'affaires qui doit être inférieur à 30%, et la part de la surface agricole en infrastructures agro-écologiques (IAE) qui doit être supérieure à 10%. Si l'entrée n'est donc pas explicitement par le paysage, la localisation pertinente des IAE afin d'en faire de vrais outils au service de l'agro-écologie et du paysage pourrait être un moyen de renforcer l'impact de la certification sur ces 2 aspects. La certification environnementale se développe fortement : si 12 000 exploitations seulement étaient certifiées au niveau 2 et 1 518 au niveau 3 en 2018, les chiffres de 2019 devraient être doublés. La demande de l'aval est largement à l'origine de cette dynamique essentiellement viticole. Par ailleurs, le cadre juridique institué par la loi « EGALIM » du 30 octobre 2018 et le plan « Biodiversité », confortent la démarche de certification environnementale :
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le plan « Biodiversité » préconise un fort développement de la certification environnementale (Action 2.1 Développer l'agro-écologie au service de la biodiversité) à savoir développer le label HVE pour atteindre 15 000 exploitations certifiées en 2022 et 50 000 exploitations en 2030. la loi EGALIM fait de la certification HVE un des instruments de certification et de mise en oeuvre de l'agro-écologie et fait le lien entre les signes d'origine et de qualité et la certification environnementale 77.
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Au final, il existe bien des liens entre certification environnementale et paysage, mais un raisonnement plus explicitement paysager pourrait accélérer le rythme de la transition. Recommandation au MAA (DGPE) R3. Elargir la gouvernance des comités nationaux de l'INAO aux ONG environnementales. Accélérer la certification HVE et renforcer son impact agro-écologique et paysager par exemple par une localisation pertinente des infrastructures agro-écologiques (IAE).
3.3. Promouvoir les modes de gestion coordonnée du foncier
Le sujet du foncier est central, comme support de l'activité agricole et de l'espace territorial. Il comporte plusieurs aspects dans une approche agro-paysagère : La temporalité : l'implantation d'infrastructures paysagères et agro écologiques (points d'eau, plantations arborées), et la transition agronomique (évolution des taux de matières organiques liée aux modifications de techniques culturales, par exemple celles basées sur la conservation des sols) s'inscrivent dans la longue durée, et peuvent se heurter à l'échelle de temps d'un bail rural ; Le statut juridique du foncier à usage agricole : baux, contrats. Ce point recoupe celui sur la temporalité, avec la question du statut des infrastructures paysagères (espaces arborés) et de la plus-value liée à l'amélioration agronomique du sol grâce à des pratiques agro-écologiques. La taille des parcelles : ce point est central dans les pratiques en agro-écologie et est très impactant sur le paysage et la biodiversité.
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Les outils entre propriétaires et exploitants pouvant avoir un impact sur le développement de l'agro-écologie sont les suivants : Les associations foncières agricoles (AFA) 78 : constituées entre propriétaires de terrains à vocation agricole, pastorale ou forestière, « elles sont destinées à réaliser (ou faire réaliser) les opérations telles que l'exécution, l'aménagement, l'entretien et la gestion des travaux ou ouvrages collectifs (...) à la condition que ces travaux ou ouvrages contribuent au développement rural ou à la préservation ou à la remise en bon état des continuités écologiques dans leur périmètre ». Cette forme juridique est surtout développée en matière de pastoralisme (AFP) mais pourrait présenter un intérêt pour le développement de l'agro-écologie et en particulier d'infrastructures arborées à une échelle pouvant devenir significative.
77 Article 47 : la certification environnementale concourt de façon majeure à l'agro-écologie, Article 48 : tous les cahiers des charges des SIQO devront faire l'objet d'une certification environnementale au 1er janvier 2030. Article 24 : 50% de produits durables ou sous signes d'origine et de qualité (dont 20% de produits issus de l'agriculture biologique) dans la restauration collective publique à partir du 1er janvier 2022 78 Article L-131-1 et L-131-2 du code rural
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Les obligations réelles environnementales (ORE) : ce dispositif introduit par la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, permet aux propriétaires de mettre en place une protection environnementale liée au bien. Un contrat (pouvant aller jusque 99 ans) est établi en forme authentique, avec un cocontractant qui peut être une collectivité publique, un établissement public, ou une personne morale de droit privé agissant pour la protection de l'environnement. Cette formule présente l'intérêt de pouvoir impliquer dans la durée des acteurs non agricoles dans la recherche du maintien et de l'amélioration du foncier (infrastructures paysagères et qualité du sol). Le caractère récent de cet outil peut expliquer sa faible utilisation79. Le bail rural à clauses environnementales (BRE)80 : il est mis en place par la loi d'orientation agricole de 2006 puis élargi par la loi d'avenir de 2014 aux bailleurs privés pour conclure des BRE sur la totalité du territoire (et non plus seulement sur des parcelles situées en zones protégées), à la condition toutefois que ces baux visent le maintien d'infrastructures écologiques ou de pratiques environnementales existantes. Il s'avère être surtout utilisé par des bailleurs publics, notamment dans des zones à enjeux pour la protection de la ressource en eau. La mise en commun d'assolement : des exemples existent, en particulier sous forme de Société en participation 81 (SEP), forme juridique dépourvue de personnalité morale, chaque associé demeurant propriétaire des biens constituant son apport au fonds commun. Cette mise en commun facilite la rationalisation des déplacements et travaux dans les parcelles, la définition d'une stratégie à plus grande échelle pour le choix des rotations et l'implantation d'infrastructures écologiques. Enfin, elle mobilise la force du collectif. La sous-traitance intégrale : l'étude Actif'agri 82 indique que cette forme d'agriculture concerne, en 2016, 12,5% des exploitations de grandes cultures, essentiellement des exploitations moyennes à grandes. L'étude évoque notamment comme raisons de recours à cette forme d'exploitation, l'approche de la cessation ou la cessation effective d'activité. La sous-traitance intégrale de la conduite des cultures relèverait alors du passage d'une logique productive à une logique de gestion « immobilière » du foncier. À propos de la forme de délégation la plus avancée, celle d'assistance à maitre d'ouvrage, l'étude cite les travaux de Purseigle et Anzalone qui estiment que « derrière ces dispositifs nouveaux de délégation intégrale des travaux de culture se dessinent les contours de formes d'«agriculture sans agriculteurs », entièrement gérées par des prestataires de service ».
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Les outils impliquant les propriétaires (AFA, obligations réelles environnementales, baux à clauses environnementales) sont actuellement très peu mobilisés. Ils présentent pourtant un intérêt évident dans l'optique d'associer des non agriculteurs (privés et collectivités publiques) à la transition agroécologique et de favoriser une démarche collective. La mise en commun d'assolement est peu répandue. Les raisons sont probablement multiples (faible notoriété, réticences à mettre en commun un patrimoine...) mais pour autant il serait judicieux d'approfondir le sujet par l'analyse de retours d'expérience afin d'enrichir la boîte à outils proposée aux acteurs (propriétaires privés, collectivités
79 Juin 2019 : une ORE signée par un propriétaire privé (famille agricole) avec le Conservatoire d'espaces naturels Normandie-Ouest (20 ha sur 50 ans) 80 http://www.trameverteetbleue.fr/sites/default/files/references_bibliographiques/10_questions_10_reponses_fevrier_2016_a4.pdf 81 SEP de Bord dans l'Yonne https://wikiagri.fr/articles/lassolement-en-commun-pour-produire-mieux-ensemble-avec-thierrydesvaux/18601/. Par ailleurs, 4 GIEE affichent dans leurs projet la mise en commun d'assolement. 82 Réalisée par le MAA : Le Centre d'études et de prospective (CEP) a lancé en septembre 2017 un chantier collectif d'analyse économique, fondé sur la mobilisation d'un groupe d'experts internes et externes au ministère. Résultats publiés en juin 2019.
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et agriculteurs).
Recommandation au MAA (DGPE) MTES (DGALN) R4. Valoriser les retours d'expérience et promouvoir, en lien avec les collectivités, les outils tels que Associations foncières agricoles (AFA), baux à clauses environnementales (BCE), obligations réelles environnementales (ORE) et mise en commun d'assolement.
3.4. Traduire dans l'espace les projets agro-sylvo-paysagers
Les documents de planification spatiale sont conçus pour répondre aux besoins premiers de l'existence humaine et sociale : se loger, se déplacer, déployer des activités économiques. On s'intéresse moins, cependant, aux fonctions d'approvisionnement et en particulier à la fonction nourricière du territoire, pourtant tout aussi essentielle. La mission a examiné les documents de planification supports de démarches de projet pouvant concerner les activités agricole ou sylvicole dans leur rapport aux territoires et aux autres activités qui y sont conduites. Ceci exclut par exemple les Zones Agricoles Protégées (ZAP)83 qui ne sont pas en elles-mêmes porteuses de projet de territoire, bien qu'elles puissent, en limitant la construction, contribuer à la préservation des paysages.
3.4.1. Les périmètres de protection et de mise en valeur des espaces agricoles et naturels périurbains (PAEN)
La loi du 23 février 2005, relative au développement des territoires ruraux (DTR), a créé les « périmètres de protection et de mise en valeur des espaces agricoles et naturels périurbains » (PAEN) et les articles L.113-15 et suivants du CU, créés par Ordonnance du 23 septembre 2015, élargissent la compétence départementale aux établissements publics mentionnés à l'article L.113-16 84. À l'intérieur de ce périmètre, les zonages A, NA et N prévus dans le code de l'urbanisme s'accompagnent de règles qui permettent de préserver du mitage les espaces agricoles, naturels et forestiers dans les espaces péri-urbains. Après treize ans d'expérience, un bilan conduit par le ministère de l'agriculture et de l'alimentation85 comptabilise 23 PAEN, localisés dans 9 départements sur une superficie totale de 95 500 ha (soit 0.3% de la SAU du territoire métropolitain), dont 18 PAEN répartis dans quatre départements : le Rhône, la Loire, les Pyrénées-Orientales et la Loire-Atlantique. 14 PAEN sont en cours d'étude dans cinq départements (Annexe 8). Cet outil de planification est donc encore peu utilisé et mal connu des élus et des acteurs des
83 Les ZAP, instituées par la loi d'orientation agricole du 9 juillet 1999, sont des servitudes d'utilité publique mises en place à la demande d'une ou plusieurs communes, par un arrêté préfectoral pris après avis de la chambre d'agriculture et de la commission départementale d'orientation de l'agriculture (CDOA). Ces zones peuvent être instaurées pour deux motifs : la qualité de la production agricole et la situation géographique des parcelles concernées. 84 L'article L.113-16 précise que : « Le département ou un établissement public mentionné à l'article L. 143-16 du CU peut délimiter des périmètres d'intervention associés à des programmes d'action avec l'accord de la ou des communes concernées ou des établissements publics compétents en matière de plan local d'urbanisme, après avis de la chambre départementale d'agriculture et enquête publique réalisée». 85 C. de Menthière, H. de Comarmond et Y. Granger - Evaluation et proposition d'optimisation des outils concourant à la préservation des espaces naturels, agricoles et forestier-Rapport n°17076 / CGAAER et CGEDD mars 2018
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territoires. Les objectifs recherchés, en renforçant la planification, sont de donner la capacité aux départements et aux EPCI d'utiliser les PAEN pour élargir les politiques existantes, soit dans le domaine foncier (maitrise foncière pour lutter contre la spéculation par l'acquisition à l'amiable, par préemption ou par expropriation), soit dans le domaine des activités agricoles et forestières, pour une meilleure prise en compte de l'équilibre du développement de l'espace rural et la préservation des espaces naturels et du paysage, tout en respectant le développement durable. Les PAEN soumis à l'élaboration d'un programme d'action Dans la phase opérationnelle, il s'agit d'identifier des espaces porteurs d'un projet territorial agricole et de le doter d'un programme d'actions visant à la transition agro-écologique, préalablement élaboré en concertation avec les différents acteurs concernés, agriculteurs, chambre d'agriculture, Office national des forêts si le périmètre comprend des parcelles soumises au régime forestier, élus, habitants, usagers des lieux. Selon l'article L.113-21 « Le programme d'action précise les aménagements et les orientations de gestion destinés à favoriser l'exploitation agricole, la gestion forestière, la préservation et la valorisation des espaces naturels et des paysages au sein du périmètre d'intervention. » Le projet doit comprendre un plan de délimitation et une notice qui analyse l'état initial des espaces et justifie les choix du périmètre ainsi que les bénéfices attendus avec l'agro-écologie et l'agroforesterie. Ce périmètre est soumis à enquête publique. Le PAEN est par ailleurs un outil protecteur, toute modification du périmètre ayant pour effet d'en retirer une ou plusieurs parcelles ne pouvant intervenir que par décret.
Carte des PEAN de l'aire métropolitaine lyonnaise (en jaune sur la carte) et ph. Paysages de l'inter-Scot Agences d'urbanisme Lyon et Saint-Etienne
La mission souhaite que soit investigué l'élargissement du cadre d'intervention des PAEN à l'ensemble des secteurs agricoles sur le territoire métropolitain et que soit introduite l'obligation de produire un projet agricole et forestier de territoire avec programme d'action, qui incitera à la formalisation de projets conduits selon la démarche paysagère, en vue d'accélérer la transition agroécologique.
3.4.2. Les projets alimentaires territoriaux et les schémas de cohérence
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territoriale.
La loi d'avenir pour l'agriculture de 2014 crée des « projets alimentaires territoriaux » pour « rapprocher les producteurs, les transformateurs, les distributeurs, les collectivités territoriales et les consommateurs ». Ces projets « participent à la consolidation de filières territorialisées et à la consommation de produits issus de circuits courts » 86 . Élaborés « à l'initiative de l'État, des collectivités territoriales, des agriculteurs et d'autres acteurs du territoire, ils s'appuient sur (...) la définition d'actions opérationnelles ». Une reconnaissance nationale permet d'utiliser la marque et le logo associé déposés par le ministère de l'Agriculture. Il existait, en décembre 2018, 21 PAT ayant fait l'objet de labellisation nationale. Ils étaient portés par un département (le Gard), des Métropoles (Nantes, Strasbourg), des parcs naturels régionaux (Scarpe-Escaut, Livradois-Forez), des communautés d'agglomération (Douai, Mulhouse), ainsi que des zones périurbaines (Grand Pic St Loup, au nord de Montpellier), mais aussi rurales (Pays d'Olmes, en Ariège, Midi-Quercy...). Ces diverses structures étaient rassemblées dans un « réseau national des PAT » co-piloté et animé par l'association « Terres en Ville » et par L'assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA). La traduction spatiale de ces projets - multi-acteurs et ascendants - consiste en un réseau d'espaces agricoles/forestiers préservés, fondé sur la géographie ou sur l'histoire particulières du territoire, en d'autres termes sur son paysage : terres de plaine à forte valeur agronomique, terres de vallées naturellement arrosées, ou espaces dont d'anciennes traditions culturales pourraient être remises en valeur87. Enfin, il va de soi qu'on ne peut imaginer un PAT sur une surface réduite à peau de chagrin du fait d'un étalement urbain incontrôlé ! En d'autres termes, un PAT sera d'autant plus opérationnel et crédible qu'il sera adossé à une planification dont l'étude paysagère fournira la trame et le code de l'urbanisme les outils. En l'état actuel, le MAA préconise une « articulation » des projets alimentaires88 « avec d'autres outils de politique publique territoriale : Schéma de cohérence territoriale (SCoT), contrat de bassin (...) charte de PNR, etc. ». Le SCoT semble à cet égard le support le plus pertinent89. En effet, les SCoT (approuvés, en cours ou en projet) concernent aujourd'hui près de 80 % des communes et 61,1 millions d'habitants, sur près de 70 % du territoire national. Leurs porteurs sont rassemblés au sein d'une fédération nationale90 promouvant l'échange d'expériences et de pratiques. Institué par la loi « solidarité et renouvellement urbains » du 13 décembre 2000, le SCoT est défini comme « l'outil de conception et de mise en oeuvre d'une planification à l'échelle d'un large bassin de vie »91. « Destiné à servir de cadre pour les différentes politiques sectorielles, », il « assure la cohérence des plans locaux d'urbanisme intercommunaux (PLUi), des programmes locaux de l'habitat (PLH), et des plans de déplacements urbains (PDU) ».
Cette intégration dans les SCoT des enjeux « déplacements » et « logement » a marqué en 2000
86 Article L. 111-2-2 du Code Rural 87 Ainsi les fameux « murs à pêches » de Montreuil 88 Voir à cet effet sur le site du MAA la fiche intitulée « Comment construire son projet alimentaire territorial ? » 89 Les PLU(I) ne sont pas mentionnés dans cette énumération. On doit en effet en rester à l'élaboration stratégique et non à la prescription de l'occupation du sol, qui relève de la mise en oeuvre plus concrète du projet territorial. L'équivalent « agricole » du PLU peut s'apparenter à la ZAP ou au PAEN, qui, contrairement au PAT, « descendent à la parcelle ». 90 Fédération nationale des SCoT créée en juin 2010 ; elle regroupe actuellement 302 établissements publics de SCoT. 91 Les passages en italique sont issus du site internet du Ministère de la Cohésion des territoires. http://www.cohesionterritoires.gouv.fr/schema-de-coherence-territoriale-SCoT
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une avancée significative vers un véritable projet fédérateur des principales fonctions alors identifiées comme essentielles à la vie des établissements humains : disposer d'un toit (logements), d'un emploi (zones d'activité) et d'une capacité à la mobilité (emplacements des principales infrastructures). Mais à cette époque, l'alimentation était considérée comme une fonction « automatiquement » assurée grâce à un système constitué de territoires spécialisés dans tel ou tel type d'aliment céréales, viande, lait, fruits et légumes et de moyens de transport efficaces entre ces territoires et les débouchés urbains de leurs productions. La demande sociale de traçabilité alimentaire a changé la donne : la question de l'alimentation des habitants d'une ville doit désormais aller de pair avec la planification de son développement. L'idée d'un volet agricole du SCoT est notamment mentionnée dans un récent rapport du CGAAER92 : celui-ci estime qu'il ne faut pas seulement protéger les terres non construites, mais en valoriser les usages et pour ce faire « doter les documents d'urbanisme d'un projet agricole et forestier de territoire». Un tel projet devrait identifier les unités paysagères pertinentes pour atteindre les objectifs fixés, c'est-à-dire les plus fertiles, les mieux exposées, ou encore celles dont l'histoire a montré qu'elles pouvaient être des supports pertinents pour des approvisionnements particuliers (terrasses abandonnées, anciennes ceintures maraîchères, boisements délaissés...). Ces unités sont - ou seront - dotées de structures paysagères (réseaux de haies, de canaux, de banquettes, d'allées de desserte...) permettant de maximiser leur efficacité productive. Cela suppose toutefois que la fonction alimentaire ne constitue pas « une couche de plus », un « quinzième objectif »93 mais avec leurs localisations et leurs structures - un élément du socle, de l'assise-même du schéma. Cette fonction d'approvisionnement nécessite en outre que : Le PAT apporte au SCoT un contenu stratégique (organisation de circuits courts, ciblage des territoires prioritaires et des structures paysagères associées, soutien aux producteurs...) ; La temporalité de l'élaboration du PAT ne retarde pas la planification d'ensemble du SCoT et réciproquement ; un SCoT devrait pouvoir immédiatement inclure dans ses documents graphiques la localisation des unités paysagères nécessaires à l'approvisionnement du territoire et la définition des structures paysagères permettant l'optimisation de cet approvisionnement ; Le périmètre des PAT et celui des SCoT existants ne soient pas des obstacles à leur bonne articulation (par exemple un PAT peut être « partiel » au sein d'un SCoT) ; Les natures juridiques distinctes du SCoT (planification décentralisée, uniquement annulable par le tribunal administratif) et du PAT (label d'État attribué par le ministre) ne fassent pas obstacle à leur rapprochement : le PAT ne pourrait être annexé formellement au SCoT qu'une fois son label national attribué94.
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Un colloque national organisé conjointement par la fédération des SCoT et le Réseau national des
92 Rapport N° 17076 dû à Catherine de Menthière, Hélène de Comarmond et Yves Granger. 93 Constatant que le SCoT « victime de son succès » était devenu la simple déclinaison territoriale de 14 thématiques sectorielles qui ne pouvaient « induire une approche transversale, structurée et hiérarchisée des problématiques », un rapport du CGEDD d'avril 2017 « quelles évolutions pour les SCoT » (N° 010656-01 rédigé par François Duval, Philippe Iselin et Ruth Marquès) recommandait de promouvoir : « une élaboration centrée sur les enjeux essentiels ». C'est dans le cadre de ce recentrage que se situe la recommandation qui va suivre. 94 L'élaboration parallèle d'un PAT et d'un SCoT menées actuellement sur le « Pays des Châteaux » en Val de Loire pourrait servir de référence. Cf entretien de la Mission avec Christophe Desgruelles, enseignant à l'école de paysage de Blois et président du pays et de l'agglomération blésoise, le 30 janvier 2019
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PAT favoriserait la prise de conscience réciproque de la complémentarité des démarches. L'étape ultérieure serait la reconnaissance législative du PAT comme annexe « alimentation » du SCoT, et l'inclusion dans celui-ci de prescriptions paysagères relatives à la localisation des espaces d'approvisionnement et la définition des structures paysagères associées. Le PAT, annexe alimentation du SCOT, aurait alors un caractère obligatoire. Déclinant les principes du SCoT, il reviendrait alors au(x) PLU(i), de délimiter les espaces dédiés aux fonctions alimentaires ou à la fourniture de bois - énergie ou matière première et de localiser les structures ou éléments de paysage permettant d'optimiser ces productions. Recommandation au MCT/DHUP et au MAA (DGAL) relative aux PAEN et aux PAT R5. Introduire des sous-zonages dans les PAEN en les assortissant d'un programme d'actions établi selon la démarche paysagère et en faveur de la transition agro-écologique. Etudier une modification législative faisant du PAT, une fois celui-ci labellisé, un document annexé au(x) SCoT et définir dans ces derniers les structures paysagères à vocation de production agricole et forestière qui permettent l'optimisation de cette production.
Agriculture péri-urbaine à Lyon - ph. J. Ruiz
3.4.3. Les chartes forestières de territoire
Les Chartes forestières de territoire ont été instituées par la loi d'orientation pour la forêt de 2001 déjà mentionnée. Le Code forestier (articles L 123-1 et 2) précise qu'une charte « peut être établie à l'initiative d'une ou de plusieurs collectivités territoriales, d'organisations de producteurs, de l'Office national des forêts, du centre régional de la propriété forestière ou de la chambre d'agriculture. Elle consiste en un programme d'actions pluriannuel visant à (...) garantir la satisfaction de demandes environnementales ou sociales, à renforcer la compétitivité de la filière de production, (...) et de valorisation des produits forestiers ». On compte aujourd'hui 140 de ces « chartes »95, portées par des communautés de communes, par
95 Soit près de 13 millions d'ha (23 % du territoire), et 6 800 communes
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des pôles d'équilibre territoriaux et ruraux (PETR) ou par des parcs naturels régionaux . La loi ne fixant pas de critère précis pour leur périmètre96, ce dernier dépend avant tout de la dynamique locale. La superficie forestière ainsi couverte atteint 5 millions d'ha soit 32 % de la forêt française, dont 68 % de la forêt privée, mais seulement 11 % de la forêt domaniale et 17 % de celle des collectivités locales97. Les actions listées dans ces 140 chartes portent d'abord sur la transformation et la valorisation du bois, et la commercialisation des matériaux (39%) auxquels on peut ajouter « l'amélioration et la dynamisation de la sylviculture » (11 %). Viennent ensuite le suivi, l'animation et l'évaluation du document (18%), les loisirs et le tourisme création de sentiers (14%) et enfin l'environnement et la biodiversité - inventaires, restauration écologique... (9%)98. Cette dominante économique est l'une des limites de l'outil ; les études ont toutefois mis en avant l'établissement d'un véritable dialogue entre forestiers et « autres acteurs ». Une série de chartes successives ont été élaborées à partir de 2004 sur le Morvan : comme il s'agit d'un de ces territoires sur lequel se focalisent les débats et les tensions concernant la forêt99, le contenu et la gouvernance des documents qui s'y sont succédé méritent un examen particulier que l'on trouvera en Annexe 9. Instituant un dialogue local solide, ancrées sur la spécificité d'un territoire, et constituant un projet ascendant, les chartes forestières remplissent, d'après les principes énoncés par la mission, toutes les conditions pour être un vecteur pertinent de cette transition vers la « forêt durable » annoncée par la loi d'orientation de 2001. On constate que « les aménités forestières » et la multifonctionnalité de ces espaces (production, biodiversité, tourisme) sont souvent mises en avant là où des synergies sont à créer entre acteurs (comme en témoigne le Morvan). Cette vertu médiatrice correspond bien à la conception de l'approche paysagère défendue par la mission. Ne pourrait-on orienter davantage les chartes encore très « filière-bois » vers un équilibre accru des enjeux économiques, sociaux et environnementaux dont l'approche par le paysage serait alors une « entrée » féconde ? Par ailleurs, lors de sa rencontre avec les forestiers privés100, la mission a pu constater qu'au-delà d'une appréciation positive sur les chartes, un problème était énoncé concernant leur pilotage, l'équilibre de celui-ci posant parfois problème aux professionnels de la filière bois. Depuis la Loi d'avenir pour l'agriculture et la forêt de 2014 (article 69) les acteurs forestiers ont la capacité de constituer des groupements d'intérêts économiques et écologiques forestiers (GIEEF) semblables dans leur objectif, aux GIEE déjà évoqués (cf point 2.1.1).
Plus exigeants en termes de seuils de constitution et de conditions d'agrément 101 ceux-ci se
96 L'article L 123-1 du code se borne à énoncer que les chartes sont établies « sur un territoire pertinent au regard des objectifs poursuivis » 97 Source des statistiques : plaquette éditée en 2016 par la Fédération nationale des communes forestières, chargée par le MAA d'animer le réseau des territoires porteurs de chartes. Le non-engagement dans la forêt publique dans les démarches territoriales pose question. Le seul processus comparable en termes de dialogue avec les acteurs locaux non forestiers concerne les « forêts d'exception » de l'ONF. Leur nombre (une quinzaine, parmi les plus prestigieuses : Fontainebleau, Tronçais, Chartreuse...) est volontairement limité. On peut espérer - et recommander - qu'elles soient le début d'une dynamique au sein de l'Office.... Le paysage y joue un rôle structurant. Plus de détails sur le site : www1.onf.fr/foret-exception/@@index.html 98 Source : la plaquette des communes forestières susmentionnée.https://www.fncofor.fr/docs/data/articles/fichiers/2795-24.pdf 99 La forêt du Morvan est l'une des principales « vedettes » du film « le temps des forêts » de François-Xavier Drouet, déjà cité, sorti en septembre 2018, en forme d'« alerte » face aux pratiques sylvicoles intensives. 100 Entretien du 14 février 2019 avec Antoine d'Amécourt, président de FranSylva 101 En plus d'être, comme les GIEE, « porteurs d'un « projet pluriannuel de modification ou de consolidation [des] systèmes ou modes de production », les GIEEF doivent réunir au moins 300 ha de forêt, ou 100 ha à condition de regrouper au moins 20 propriétaires. Leur
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développent plus lentement. Vis-à-vis des chartes forestières, la constitution de tels groupements de forestiers aurait pour avantage de constituer, en vis-à-vis direct des élus locaux aujourd'hui promoteurs de la plupart de ces documents, un véritable « groupe-projet » forestier. Un autre obstacle peut entraver la gestion de l'interface forêt-agriculture en général et le développement des chartes forestières en particulier : le dialogue territorial dont elles sont la traduction s'inscrit dans le cadre du développement de la forêt et de ses productions ; mais il peut également conduire au déboisement de certaines parcelles aux fins d'ouverture - ou de réouverture - de l'espace, notamment en fond de vallée suite aux boisements volontaires spontanés évoqués cidessus (partie 1-1-3), qui succèdent à une friche agricole. De tels déboisements peuvent être soumis à compensation102. Seules les communes de montagne dont le taux de boisement est supérieur ou égal à 70 % et qui opèrent un défrichement « pour des raisons paysagères ou agricoles » échappent à cette mesure 103 sous réserve de la mise en place préalable d'un « schéma concerté d'aménagement communal ». La mission estime qu'il serait judicieux d'étudier un allègement de cette procédure que l'ensemble des acteurs de terrain (agriculteurs, forestiers et élus locaux unanimes) perçoivent comme une entrave à la réouverture des paysages poursuivie depuis plusieurs années (cf partie suivante sur les plans de paysage et Annexe 10).
3.4.4. Les chartes de parcs naturels régionaux
Les PNR ont été créés par décret n°67-158 du 1 mars 1967, sous l'impulsion de la délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (DATAR). Régionalisés en 1982 dans le cadre des lois de décentralisation, puis confortés juridiquement par l'article 2 de la loi Paysage de 1993, « les parcs naturels régionaux concourent à la politique de protection de l'environnement, d'aménagement du territoire, de développement économique et social et d'éducation et de formation du public. Ils constituent un cadre privilégié des actions menées par les collectivités publiques en faveur de la préservation des paysages et du patrimoine naturel et culturel »104. La loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages (2016) consolide la position des PNR en leur confiant un rôle de mise en cohérence des politiques publiques sur leur territoire en application de leur charte : « À cette fin, ils ont vocation à être des territoires d'expérimentation locale pour l'innovation au service du développement durable des territoires ruraux. [...] La charte constitue le projet du parc naturel régional » (Annexe 10). Vers une formalisation de la contribution des PNR dans le domaine de l'agro-écologie et de la forêt durable Les Parcs sont dotés d'outils adaptés à la mise en oeuvre du développement de l'agro-écologie et des projets forestiers durables.
existence est également conditionnée par l'élaboration d'un Plan simple de gestion agréé par le CRPF sur l'ensemble de leur territoire. 102 Aux termes de l'article L 341-6 du Code Forestier (introduit par la Loi d'avenir de 2014) le défrichement peut être conditionné par « l'exécution, sur d'autres terrains, de travaux de boisement ou reboisement pour une surface correspondant à la surface défrichée, assortie, le cas échéant, d'un coefficient multiplicateur compris entre 1 et 5 » ou par le versement au CRPF d'une indemnité fixée par l'autorité administrative. 103 Article L 214-13-1 du Code Forestier, introduit par la loi d'avenir du 13 octobre 2014. 104 Article L331-1 du code de l'environnement.
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Les PNR maîtrisent pour la plupart d'entre eux, les démarches participatives avec leur capacité à associer les acteurs locaux (ils ont souvent été pionniers dans ce domaine). Les équipes sont ainsi constituées qu'on leur reconnaît une capacité d'apporter de l'ingénierie, de même qu'à intervenir de façon transversale. Territoires d'innovation et de transition, l'expérimentation est consubstantielle aux missions des PNR et intégrée à leur charte. Il reste toutefois à inscrire dans la charte cette compétence largement établie dans les faits. La première étape de formalisation serait d'identifier les espaces agricoles concernés. Or, les documents graphiques inclus dans les chartes des parcs ne sont pas toujours suffisamment précis à cet égard, ni ciblés sur les enjeux paysagers, agricoles ou sylvicoles les plus significatifs au regard des transitions en cours ou souhaitables. Une telle identification cartographique n'est cependant pas suffisante. Elle doit s'accompagner d'un véritable projet, seul à même de susciter et d'accompagner les évolutions voulues. En s'appuyant sur la démarche paysagère, ce « projet agricole et forestier de territoire en transition agro-écologique » inclurait stratégie, orientations, mesures prioritaires phares et engagement des exploitants signataires pour une transition agro-écologique ; il devrait être partie intégrante de la charte du PNR. La production d'un diagnostic sur le projet agricole et forestier territorial, lors de l'élaboration de la révision des documents d'urbanisme (schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET), SCoT, PLU(i)), par des experts aux compétences croisées (paysagiste-concepteur, architecte, agronome, conseil de l'architecture, de l'urbanisme et de l'environnement (CAUE), Chambre d'agriculture ...), devrait être systématique. De même, lors de l'insertion d'un bâtiment agricole, devrait être produite une étude architecturale et paysagère, quelle que soit la superficie des bâtiments agricoles. Des aides techniques et financières (assistance à maîtrise d'oeuvre des projets d'aménagement et de recomposition spatiale des parcelles, d'agroforesterie, selon la démarche paysagère) pour le développement de projets agricoles portés par des collectifs d'agriculteurs ou collectivités, seraient assurées par ces mêmes professionnels dans le cadre d'un projet de transition écologique. La valorisation des productions agricoles emblématiques par le biais de la marque existante « Valeur parc » 105 et le soutien de démarches de labellisation avec l'assistance technique et financière aux producteurs pourraient être systématisées, avec des actions de promotion et communication, le tout conditionné par le maintien et l'entretien de la typicité des paysages agraires. Enfin, l'aide des architectes et paysagistes-concepteurs des parcs régionaux et des CAUE pourrait être développée pour la diversification des exploitations en faveur de l'agri-tourisme durable. Par ailleurs, le PNR doit être membre d'office de la Commissions Départementales d'Orientation Agricole (CDOA), pour aider à l'installation en agriculture biologique, veiller au maintien des exploitations existantes à des tailles mesurées et inciter à l'utilisation des propriétés publiques (départementaux ou collectivités) pour l'installation de nouveaux exploitants.
105 Référence : https://www.parcs-naturels-regionaux.fr/centre-de-ressources/document/valeurs-parc-naturel-regional-la-nouvellemarque-des-parcs-naturels
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3.4.5. Les plans de paysage
Expérimentés en 1988-1989, les plans de paysage se sont mis en place dans les années 1990. La circulaire n°95-23 du 15 mars 1995 « relative aux instruments de protection et de mise en valeur des paysages » introduit la notion de « qualité et la diversité des paysages », comme patrimoine à préserver et ressource à valoriser. Les plans de paysage selon Régis Ambroise, l'un des rédacteurs de cette circulaire, « se définissent comme un processus, une dynamique qui s'appuie sur les ressources paysagères historiques et géographiques d'une petite région, pour mobiliser la population au service d'un projet de développement durable et harmonieux d'un territoire »106. Un plan de paysage est donc mis en place pour accompagner des dynamiques de transformation de paysage, ou pour repenser l'aménagement d'un territoire (paysages altérés...). Au bout d'une dizaine d'années, cependant, la dynamique des plans de paysage marque le pas. Lors de la décennie 2000, la procédure n'est plus ni portée ni encouragée. Une relance est alors mise en place en 2012 par appels à projets bisannuels ; elle trouvera son expression politique dans le « Plan national d'actions pour la reconquête des paysages et la place de la nature en ville » présenté en septembre 2014 par Ségolène Royal, alors ministre chargée de l'écologie. Il s'agit toujours, dans le cadre d'une démarche volontaire, d'accompagner la transformation des paysages pour aboutir à une mise en oeuvre du projet de territoire, en lien avec les documents d'urbanisme : énoncer des objectifs de qualité paysagère (OQP), comme outils de projet 107 et définir un programme d'actions localement débattu, s'appuyant sur les ressources locales à valoriser. L'initiative d'un plan de paysage peut émaner d'une collectivité locale, d'un groupe d'habitants, d'acteurs économiques ou encore d'associations qui souhaitent promouvoir un cadre de vie de qualité et influer sur les dynamiques de transformations du paysage. Il vise à une mise en cohérence des aspirations de la population et des principaux acteurs économiques et de l'aménagement du territoire. Les 92 lauréats des appels à projets successifs sont regroupés dans un « club plan de paysages » animé par le bureau des paysages du MTES, l'État octroyant à chaque lauréat une enveloppe de 30 000 pour mener les études nécessaires. L'élaboration du plan de paysage se décline en trois étapes décrites en partie 2.1.1 : 1. Connaissance du paysage et diagnostic ; 2. Définition de la stratégie et des objectifs de qualité ; 3. Enfin, production du programme d'actions et mise en oeuvre du projet. Les premières actions concrètes de requalification sont les garantes de l'adhésion des acteurs locaux. Elles « donnent le ton » d'une reconquête qualitative dont l'ambition se révèlera sur le long terme, comme dans la vallée vosgienne de la Bruche (Bas-Rhin) dont le processus de réouverture paysagère, mené à bien depuis plus de 30 ans, est décrit (Annexe 11). Sur l'ensemble des plans de paysage entrepris à ce jour, 20 ont mis en oeuvre leur projet de paysage, 11 vont lancer la réalisation du projet.
106
Régis Ambroise et Monique Toublanc - Paysage et agriculture pour le meilleur Educagri édition 2015
107 La loi n°2016-1087 du 8 août 2016 « pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages » (art. 171) définit les objectifs de qualité paysagère comme « les orientations visant à conserver, à accompagner les évolutions ou à engendrer des transformations des structures paysagères, permettant de garantir la qualité et la diversité des paysages à l'échelle nationale ».
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Les plans de paysage localisés en 2018
Les structures porteuses
L'élaboration d'un plan de paysage repose sur un pilotage politique, une ingénierie technique solide et une sensibilisation et concertation efficace. Souvent étudié en amont d'un PLU(i) ou d'un SCoT, (raison de son lancement par un nombre important d'EPCI), le plan de paysage et ses orientations sont repris dans le dispositif réglementaire et opérationnel (orientations d'aménagement et de programmation) de ces documents. Étudié à l'échelle intercommunale, le plan de paysage pourrait donc favoriser la mise en place de la transition agro-écologique lors de l'élaboration d'un projet agricole et forestier de territoire. Il s'inscrit parfaitement dans les trois axes définis par la mission comme marqueurs de l'agro-écologie (2me partie du rapport), pour : Traduire en termes paysagers incluant protection de la biodiversité et des ressources, le projet agricole résultant d'une perception collectivement partagée par tous les acteurs qui occupent, utilisent et transforment le territoire (agriculteurs, élus, acteurs économiques, associations et habitants...) ; Aboutir à une stratégie de mise en oeuvre du projet agricole de territoire s'appuyant sur le paysage, au travers d'un programme d'actions et de mesures aidant les exploitants agricoles à la mise en oeuvre de la transition agro-écologique, des circuits courts, des filières de qualité ; Accompagner et faciliter les évolutions pour un projet local, s'appuyant sur les ressources locales vers un développement durable.
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Des plans de paysage à dominante agricole et/ou forestière sont en capacité de promouvoir une agriculture valorisant les potentialités agro-écologique et les demandes sociétales. Ils utilisent la démarche paysagère pour mobiliser la population au service d'un projet de développement durable de territoire avec la double justification d'une correspondance paysage de qualité /produit de qualité, et de promotion de l'attractivité du territoire à des fins résidentielles et touristiques. Ils sont donc particulièrement adaptés au projet agricole en transition agro-écologique à la double échelle de l'exploitation et du périmètre du plan. Pour assurer dans la durée l'animation et la mise en oeuvre du plan. Thématiser un ou plusieurs des prochains appels à projets annuels sur la « transition agro-sylvopaysagère » pourrait avoir un bon effet d'entraînement.
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Recommandation au MAA (DGPE) et au MTES (DGALN/DEB/DHUP) relative aux chartes forestières, aux chartes de PNR et aux plans de paysage R.6 Promouvoir l'approche paysagère dans l'écriture concertée des chartes forestières de territoires; favoriser la constitution des groupements d'intérêts économiques et écologiques forestiers (GIEEF) ; étudier l'allègement des procédures relatives au défrichement quand celui-ci est effectué en vue d'une réouverture du paysage par le pastoralisme. Intégrer dans les chartes de PNR le périmètre des territoires agricoles et forestiers, et les doter d'un projet agro-sylvo-paysager de territoire en transition agro-écologique. Cibler le prochain appel à projets annuel des plans de paysage sur la thématique du paysage agricole en transition agro-écologique et forêt durable.
3.5. Susciter ou reconnaître des projets démonstrateurs
Il s'agit d'illustrer les préconisations du présent rapport en suscitant et primant des « projets de transition agro-écologique par le paysage ». La mission a expliqué que la nécessaire transition agro-écologique ne peut que partir des territoires, dans leur singularité remise à l'honneur, et grâce à des dialogues entre acteurs localement réunis pour établir un projet mené à la double échelle des exploitations et de leurs territoires. Ces principes, resteront toutefois théoriques s'ils ne sont pas concrètement illustrés par des exemples reproductibles en nombre suffisant pour « donner envie » aux acteurs locaux dans chaque catégorie de région agricole ou de massif forestier, de s'engager dans cette voie. Mais l'émergence de tels projets suppose un accompagnement local dont la mise en place est par ailleurs recommandée 108 , mais qui ne produira ses effets que de manière progressive. Des « preuves par l'exemple » de l'intérêt de la méthode qui fonde les recommandations du rapport pourraient être identifiées plus rapidement grâce à un appel à projets national. La mission recommande au ministère de l'Agriculture de s'appuyer à cet effet sur un réseau institutionnel ancré sur les territoires ruraux, celui des conseils d'architecture, d'urbanisme et d'environnement (CAUE), dont la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages du 8 août 2016 est venue reconnaître juridiquement109 l'implication déjà ancienne dans la démarche paysagère Implanté dans 93 départements sur 100, ce réseau comptait au nombre de ses personnels permanents plus d'une centaine de paysagistes-concepteurs110. Les domaines de l'agriculture et de la forêt sont tout à fait familiers à ce réseau puisque sa fédération nationale (FNCAUE) a animé, à partir d'un colloque fondateur organisé en 2009 avec le ministère de l'Agriculture 111 , une série de « semaines nationales agriculture et paysage », à périodicité
108 On a déjà noté la faiblesse de l'ingénierie de projet en milieu rural, en dehors des 16 % du territoire couverts par l'un des 53 parcs naturels régionaux actuellement labellisés. 109 Son article 173 modifie la loi de 1977 (qui avait créé les CAUE) en ajoutant le paysage à l'énumération de leurs compétences à la description de leurs activités de conseil aux particuliers et aux collectivités. Il est précisé Les CAUE ne font pas de maîtrise d'oeuvre paysagère et sont positionnés en amont de la commande. 110 Voir le rapport conjoint sur leur devenir, rendu en novembre 2014 par le CGEDD et l'inspection générale des affaires culturelles (IGAC) (« Missions, statuts et financements des CAUE », rapport IGAC-CGEDD établi par Muriel Genthon, Aude Dufourmantelle, JeanPierre Thibault et Paul Tolila. http://www.culture.gouv.fr/Espace-documentation/Rapports/Missions-statuts-et-financements-desconseils-d-architecture-d-urbanisme-et-de-l-environnement-CAUE (pp 31-32). 111 Dont est issu un ouvrage, dû à Béatrice Julien-Labruyère et Yves Helbert co-édité par la Fédération des CAUE et Educagri : https://editions.educagri.fr/livres/4497-agricultures-et-paysages-temoignages-et-points-de-vue-des-caue.html
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biennale, qui se sont déroulées jusqu'en 2017, avec une trentaine de CAUE impliqués. Or, la fédération a animé tout récemment à la demande du ministère de la Transition écologique et solidaire un appel à projets relatif à la trame verte et bleue. Lancé en juillet 2016 en partenariat avec l'ARF, cet « appel à manifestation d'intérêt » était intitulé « de la planification régionale à la construction d'une stratégie territoriale »112 visait à recenser des démarches concrètes permettant de passer de l'abstraction d'une inscription des « corridors écologiques » dans les documents d'urbanisme à l'application matérielle d'une protection ou d'une restauration de ces espaces sur le terrain : plantation de haies, tracés adéquats de fossés ou toute autre opération pertinente de génie écologique. Huit projets ont été retenus et dotés chacun d'une enveloppe financière modeste (20 000 ), mais susceptible d'amorcer des dynamiques locales. Un séminaire d'échanges autour des projets lauréats s'est tenu le 8 mars 2017 à Paris. Dans le cas qui nous occupe, la FNCAUE pourrait solliciter l'appui de l'assemblée permanente des chambres d'agriculture pour une bonne démultiplication sur le terrain des recherches à effectuer113. Les conditions sont ainsi réunies pour le lancement, par le ministère de l'agriculture (DGPE) d'un appel à « projets de transition agro-écologique par l'approche paysagère », qui appuyé sur ce réseau des CAUE, dûment mobilisés par leur fédération, a de bonnes chances d'être productif d'un nombre suffisant une douzaine ? - d'exemples représentatifs des grandes catégories culturales et des principales régions agricoles ou forestières. Outre les chambres d'agriculture, des partenariats complémentaires (Associations d'élus...) pourraient être sollicités pour relayer cette initiative114 et une bonne valorisation des résultats de cet appel à projets, par exemple lors du Salon de l'Agriculture assurerait son rayonnement. Au sein de cet appel à projets, un volet particulier pourrait être consacré, à l'architecture et à l'implantation des bâtiments agricoles, dont on a vu le caractère actuellement banalisant pour le paysage de nos campagnes. Certains CAUE ont édité des guides ou des brochures sur ce sujet115. Le directeur-adjoint du CAUE du Loiret, l'architecte Hervé Cividino, vient de co-éditer avec « le Moniteur » un ouvrage abondamment illustré 116 décrivant avec de nombreux exemples, comment, dans certaines circonstances, le monde agricole peut bâtir aujourd'hui des bâtiments d'exploitation originaux à la fois de grande qualité et bien adaptés aux conditions de production contemporaine. L'ouvrage préconise des modèles de constructions selon les types de productions (serres, stockages, étables, bergeries...), avec des adaptations aux régions et aux structures paysagères.
112 Les documents de cadrage en sont disponibles sur le « centre de ressources Trame verte et bleue » co-géré par le ministère et l'Agence française pour la biodiversité: http://www.trameverteetbleue.fr/vie-tvb/actualites/appel-manifestation-interet-tvb-planificationregionale-construction-strategie et la page dédiée ouverte par la FNCAUE : 113 L'APCA travaille ainsi actuellement en partenariat avec l'AFAC-Agroforesterie pour susciter des projets de replantation et d'entretien d'arbres et de haies. 114 L'enveloppe mobilisée par le ministère de l'écologie en 2016 était de 200 000 , soit 20 000 pour chacun des projets comme indiqué ci-dessus et 40 000 au profit de la FNCAUE pour l'organisation de l'opération. À noter que cette enveloppe avait permis de mobiliser en régions des contributions d'un montant équivalent, soit un total de 400 000 pour la globalité du projet. 115 Par exemple, ceux du CAUE de Loire-Atlantique, du Rhône, du Doubs (fiches-conseils), de la Creuse, ou encore des DeuxSèvres (couleurs et matériaux), ou du Gard (Costières de Nîmes). 116 « Nouvelles architectures agricoles », Éditions du Moniteur, 336 pages, septembre 2018
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Recommandation au MAA (DGPE) R7. Lancer en partenariat avec le réseau des CAUE et avec l'appui de l'APCA un appel à manifestation d'intérêt sur « la transition agro-écologique par l'approche paysagère » qui permettrait de recenser et de promouvoir des initiatives ayant valeur démonstrative de la vertu facilitatrice de l'approche paysagère dans ce processus de transition.
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CONCLUSION
Les développements et recommandations qui précèdent s'inscrivent dans l'évolution annoncée des activités agricoles à l'échelle française et européenne vers une orientation agro-écologique. En facilitant et en accélérant un nouvel ancrage territorial, l'approche paysagère de l'agro-écologie devrait permettre de dépasser la seule dimension des outils techniques agricoles et sylvicoles, et de mobiliser l'ensemble des acteurs de terrain dans l'élaboration de projets adaptés aux singularités historiques et géographiques des lieux, construisant ainsi une définition contemporaine des « terroirs ». Le présent rapport a mis en lumière les éléments incontournables pour le développement fondé sur une approche paysagère de cette agro-écologie. Ils constituent une grille d'évaluation de la pertinence des moyens publics mis au service du développement de celle-ci : La prise en compte affirmée des liens humains en créant les conditions de dialogue entre acteurs, agricoles et non agricoles ; Un ancrage territorial intégrant spécificités locales que ce soit dans le domaine agronomique, géographique, économique ou en termes de gouvernance ; Une démarche de projet ascendant pour favoriser l'appropriation locale du changement des pratiques et de leurs conséquences sur le paysage environnant, dans le but de rassembler les acteurs.
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Cela signifie : Une gouvernance soucieuse de mener des projets agro-sylvo-paysagers aux échelles emboîtées du territoire et de l'exploitation, en développant les relations entre acteurs, à partir de projets définis par ces derniers ; Un soutien dans la durée aussi bien sectoriel que territorial - des politiques publiques à l'accompagnement, la formation et l'animation de ces acteurs ; Un objectif clairement affiché, sur les plans réglementaires et financiers, de promotion des piliers de l'agro-écologie que sont la réintroduction de l'arbre et la gestion agronomique des sols (amélioration de sa vie biologique) dans la stratégie des exploitations. Cela suppose de raisonner non seulement à l'échelle des exploitations mais également des filières aval.
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La démarche paysagère met en lumière l'interaction entre l'agro-écologie et l'aménagement de l'espace et du territoire et donc une indispensable synergie entre les politiques publiques, nationales et territoriales, qui n'est pas à ce jour optimisée. Le développement de l'ingénierie locale, sous les formes adaptées aux contextes locaux en constitue le pivot. Le présent rapport s'inscrit également dans deux mouvements de fond qui affectent la politique française d'aménagement de l'espace : la lutte contre l'artificialisation des sols et l'attention portée au monde rural. En premier lieu, les « projets ascendants » agro-sylvo-paysagers que préconise le rapport vont donner au territoire non artificialisé une valeur sociale, économique -agronomique- et environnementale -paysagère-, qui facilitera l'atteinte de l'objectif national de « zéro artificialisation nette » des sols.
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En second lieu, une attention politique plus soutenue aux espaces ruraux a permis de se rendre compte à quel point l'ingénierie y était défaillante : les recommandations du rapport pourraient contribuer à combler cette faiblesse en soutenant la demande d'accompagnement des acteurs de la transition agro-écologique à la double échelle de leurs projets. La mission pense avoir démontré pourquoi, et sous quelles conditions, l'approche paysagère pouvait accélérer le processus de transition vers l'agro-écologie et la forêt durable, processus incontournable que devront porter les acteurs des territoires au cours des prochaines années compte tenu de la demande sociétale. En cela, ce rapport s'inscrit bien dans l'esprit de la Convention européenne du paysage pour laquelle gérer le paysage permet de "guider et harmoniser les évolutions sociales, économiques et environnementales".
Signatures des auteurs
Dominique Michel
Architecte-urbaniste en chef de l'État
Sylvie Rocq
Ingénieure générale des ponts, des eaux et des forêts
José Ruiz
Ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts
Jean-Pierre Thibault
Inspecteur général de l'administration du développement durable
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ANNEXES
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Lettre de mission
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Liste des personnes rencontrées
NOM-PRENOM Catherine de Menthière ORGANISME Conseil général de l'agriculture, de l'alimentation et des affaires rurales CGAAER CGAAER DHUP/ DGALN, Sous-directrice FONCTION
Marie-Hélène Bouillier-Oudot Elisabeth Mercier Pastèle Soleille, sous-directrice de la qualité du Cadre de vie Gilles de Beaulieu Christian Barthod Thierry Boisseaux Régis Ambroise Raphaël Larrère, Joël Baud-Grasset Valérie Charollais,
Bureau des paysages et de la Chargé de mission Plans publicité de Paysage
Conseil général de l'environnement et du développement durable Agronome, urbaniste Sociologue et agronome Fédération nationale des conseils d'architecture, d'urbanisme et d'environnement Président et agriculteur en Haute-Savoie Directrice
Pierre Grandadam Jean-Sébastien Laumond, chargé de mission paysage
Jacques Michel, président de l'Association foncière pastorale (AFP) de Wildersbach Stéphane David, chambre d'agriculture du Bas-Rhin
Communauté de communes Président de la Vallée de La Bruche
Zoé Chaloin Baptiste Sanson, Paule Pointereau Yves Bonnefoy Philippe Pointereau, au bureau d'études
Fédération nationale des agences d'urbanisme Association française pour l'arbre champêtre-agroforesterie Terres en ville SOLAGRO
chargée de mission Directeur Chargée de mission Directeur Directeur du pôle Agroenvironnement Chargé d'études
Frédéric Coulon, à SOLAGRO Alain Daguzan,
Jack De Lozzo,
Exploitant agricole en agroforesterie à Montestruc-surGers Exploitant agricole en agroforesterie à Noilhan (Gers).
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Gilles Lardeux Triangle vert du Hurepois (Essonne) : Olivier Thomas
agriculteur à Coudray (Mayenne)
Brigitte Bouvier Denis Toulier
Bertrand Hervieu Christèle Gernigon André Barlier Gilles Flutet
Association du triangle vert
Maire de Marcoussis et conseiller régional Présidente d'honneur Agriculteur et président de l'association
Sociologue Chargée des « forêts d'exception » Directeur-adjoint Responsable du service Territoires et délimitations Animateur national DGER/transition agroécologique dans l'enseignement agricole Chargée de mission paysage Sénateur
ONF Institut national des appellations d'origine
Jean-Luc Toullec
Bergerie nationale de Rambouillet
Lamia Otthoffer
Joël Labbé, et les participants au Colloque organisé au Sénat sur les Paiements pour services environnementaux (PSE) Gaëlle des Déserts Centre d'écodéveloppement, Bergerie de Villarceaux
Héloïse Boureau Marc Giroud Michel Galmel
Christophe Pinard
Parc naturel régional (PNR) du Vexin Exploitant agricole à Tilly (Vexin Normand, Eure)
Paysagiste chargée de mission Responsable d'animation et de projets Président
Direction générale de la Chargé de mission performance économique et « agroforesterie « environnementale des entreprises (DGPE), Ministère de l'agriculture et de l'alimentation Centre National de la Propriété Forestière INRA (Mirecourt), ancien président de l'Association Française des agronomes Fondateur du « triangle vert » de Marcoussis Bureau d'études « Initial » Directrice générale Chercheur
Claire Hubert Marc Benoît
Thierry Laverne
Paysagiste-concepteur
Joséphine Billey et Lucie Poirier
paysagistes-conceptrices
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Jean Frébault,
Ancien directeur de l'agence d'urbanisme de Lyon-Métropole, et ancien président du Conseil de développement
Camille Tedesco Jérémie Tourtier Véronique Hartmann, à Mylène Volle Christian Laval Hélène Gautron Matthieu Novel Bertrand Girard
Agence d'urbanisme du Grand Lyon Syndicat du SCoT du Grand Lyon Agglomération lyonnaise Direction départementale des territoires du Rhône Département du Rhône
Chargée de mission Cheffe de service
Marie-Christine Evrard
Rémi Janin, Christophe Degruelle
Chargé de l'agroenvironnement Communauté de communes Chargée de mission des Monts du Lyonnais Chambre d'agriculture du Chargé du territoire Rhône métropolitain Syndicat du SCoT du Beaujolais Union du SCoT de l'Estlyonnais
Paysagiste-concepteur et exploitant agricole Agglomération « BloisAgglopolys » Association des communautés de France France-NatureEnvironnement Fédération des PNR Paysagiste conseil de l'État Paysagiste conseil de l'État (DRAAF Nouvelle-Aquitaine) Doctorante à l'Université Toulouse 2 Fransylva École nationale supérieure du paysage de VersaillesMarseille DGALN Président Directeur Enseignants-chercheurs chargé de mission spécialiste forestier Président
Vice-président
Responsable « forêt »
Hervé Le Bouler
Adeline Favrel
Eric Brua Nicolas Sanaa Carine Bouvatier, Caroline Bigot
Chargée de mission
Directeur Chargé de mission agricultrice dans le Gâtinais
Mathilde Rue
Antoine d'Amécourt Vincent Piveteau Sophie Bonin, Pauline Friole, Alexis Pernet, Yves Petit-Maugin, Monique Toublanc, Roland Vidal Pierre Leconte,
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Joël Labbé, Dominique Potier Martial Saddier Luc Servant
sénateur du Morbihan député de Meurthe et Moselle député de Haute-Savoie Assemblée permanente des Vice-président chambres d'agriculture
Nathalie Galiri
Floriane Di Franco
Responsable du service « politique et actions agrienvironnementales » Chargée de mission
Office fédéral de l'Environnement, Confédération suisse Office fédéral de l'agriculture Chargé de mission paysage
Gilles Rudaz
Matthieu Raemy, Gérald Dayer
Chargé de mission Chef du service de l'agriculture Cheffe d'office, service de l'agriculture Chargée de mission service de l'agriculture Viticulteur à SaintLéonard (VS) Exploitant agricole à Icogne (VS)
Canton du Valais Brigitte Decrausaz Canton du Valais Laura Balet-Clavien Canton du Valais Antoine Bétrisey Jean-Michel Mayor
Alfredo Topolino Denis Michaud
Université de Genève Chambre d'agriculture du Doubs
Professeur Ancien responsable de la filière Comté Consultant, ancien chargé de mission à la chambre d'agriculture du Doubs
Mathieu Cassez
Jean-Yves Vansteelant PNR du Haut-Jura
Chargé de mission Agriculture
Bruno Lion Guillaume Randriamampita DRAAF Occitanie Directeur adjoint Chef du service de l'agriculture et de l'agroalimentaire Chargée de mission GIEE ingénieur
Annie Boggia
Bertrand Pinel Terrena
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Frédéric Robert Baptiste Meunier Pierre Schwartz
Plateforme agroécologique Auzeville DGPE bureau du foncier DGPE sous-direction de la performance environnementale et valorisation des territoires DGPE bureau du développement agricole
Responsable opérationnel Chef du bureau Sous-directeur
Thierry Thuriet
Chef de bureau
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Eléments bibliographiques
AGRESTE - « La forêt privée en France métropolitaine : structures, propriétaires et potentiel de production », décembre 2015 Régis Ambroise, Monique Toublanc - « Paysage et agriculture, pour le meilleur », Educ'Agri, 2017 Régis Ambroise « Dessiner les paysages agricoles, pour un développement durable et harmonieux des territoires », rapport à la 9è conférence du Conseil de l'Europe sur la Convention européenne du paysage. Éditions du Conseil de l'Europe, 2017 Régis Ambroise - « L'agriculture et la forêt dans le paysage », Manuel, Ministère de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales, 2002 Régis Ambroise et Odile Marcel - « Aménager les paysages de l'après-pétrole » Collectif PAP -Editions Charles Léopold Mayer, 2015 Nathalie Arrojo, Lamia Otthofer - « Dessine-moi un paysage bio », film Bergerie Nationale, 2012 Marc Benoît, Jean-Pierre Deffontaines, Sylvie Lardon - « acteurs et territoires locaux, vers une géoagronomie de l'aménagement » Editions Quae, 2006 Marc Benoît, Antoine Messéan, François Papy, Jacques Caneill-«Des agronomes pour demain, accompagner le diversité des agricultures pour un développement durable », Editions Quae, 2008. Jean-Louis Bianco - « La forêt : une chance pour la France », La Documentation Française, 1998 Antoine de Boismenu - « La fin des paysages » FNSAFER, 2005 Sophie Bonin - « Paysages de l'agriurbain : principes, réalités et incertitudes » Territoires en mouvement, juillet 2018 Jean Cabanel - « L'aménagement des grands paysages en France » Éditions ICI-Interface 2015 Matthieu Calame, Baptiste Sanson - « La Bergerie de Villarceaux, un laboratoire pour la transition agricole », Le courrier de l'environnement, N° 64, INRA, 2014 Hervé Cividino - « Nouvelles architectures agricoles » CAUE du Loiret, Editions du Moniteur, 2018, 335p. Communauté de communes de la Vallée de la Bruche - « le paysage, c'est l'affaire de tous » Livret et Cédérom, 2005. Conseil de l'Europe « Convention européenne du paysage et textes de référence » Editions du Conseil de l'Europe, 2001. Jean-Pierre Deffontaines « Les sentiers d'un géoagronome », Éditions Arguments 1998 Jean-Pierre et Benoît Deffontaines, Denis Michaud Jean Ritter - « Petit guide de l'observation
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du paysage » Editions Quae, 2006 Pierre Donadieu - « Campagnes urbaines », Actes Sud / École nationale supérieure du paysage, 1998 Jean Dubourdieu - « Manuel d'aménagement forestier, gestion durable et intégrée des écosystèmes forestiers », Éditions Lavoisier, 1997 FNCAUE « Agricultures et paysages, témoignages et points de vue des CAUE » Éducagri Éditions, 2009 Anne Fortier-Kriegel « Label 100 paysages de reconquête » Ministère de l'environnement, 1993 René-Louis de Girardin (marquis) - « De la composition des paysages, ou des moyens d'embellir la nature autour des habitations en joignant l'agréable à l'utile », Gallica BNF,1777 Bertrand Hervieu - « Les champs du futur », Julliard, 1994 Bertrand Hervieu, Jean Viard - « L'archipel paysan : la fin de la république agricole », Éditions de l'Aube, 2004 Bertrand Hervieu, François Purseigle - « Sociologie des mondes agricoles », Armand Colin, 2013 Initial-paysagistes (Joséphine Billet, Paule Pointereau, Lucie Poirier)- « la campagne des paysages d'Afterres 2050 » 3 fresques traduisant dans l'espace le scénario éponyme de SOLAGRO, Collectif PAP, téléchargeable. IGN (Institut national de l'information géographique et forestière) - « indicateurs de gestion durable des forêts françaises métropolitaines » Inventaire-forestier.IGN.fr, 2015 INRA - Réflexion prospective interdisciplinaire pour l'agroécologie Rapport de synthèse- avril 2019 INRA - "Stocker du carbone dans les sols français-Quels potentiels au regard de l'objectif 4 pour 1000 et à quel coût? » - Synthèse de l'étude - version du 13 juin 2019Institut français de la vigne et du vin - « Cadre juridique, outils et compétences pour le paysage en agriculture » Revue Apport N° 7, 2009. Rémi Janin La ville agricole (l'agriculture vit une révolution urbaine sans précédent traduisant un changement de civilisation profond), Éditions Openfield 2017 Catherine et Raphaël Larrère - « Penser et agir avec la nature », La Découverte, 2015 Yves Luginbühl - « Paysages : textes et représentations du paysage du siècle des Lumières à nos jours », Éditions La Manufacture, 1989 Yves Luginbühl - « La mise en scène du monde, construction du paysage européen », Editions du CNRS, 2012 Ministère de l'Agriculture, de l'agroalimentaire, de la pêche et de la ruralité, Ministère de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement - « Paysage et aménagement foncier, agricole et forestier » Avant-propos commun des deux ministres, 2010.
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Ministère de l'Agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt - « Plan de développement de l'agroforesterie » 2015. Paysages actualités, (Laurent Miguet, Yaël Haddad) « Dossier Agroforesterie », Paysagesactualités, Éditions du Moniteur, mai 2019 Alexis Pernet - « Le grand paysage en projet », Metis-presse, 2014 Rapport CGEDD-CGAAER - « Protéger les espaces agricoles et naturels face à l'étalement urbain » (Philippe Balny, Olivier Beth, Eric Verlhac) mai 2009 Rapport CGAAER - « Promotion des systèmes agro-forestiers » (Philippe Balny, Denis Domallain, Michel de Galbert). Février 2015 Rapport CGEDD - « Quelles évolutions pour les schémas de cohérence territoriale ? » ; (Ruth Marquès, François Duval, Philippe Iselin) avril 2017 Rapport CGEDD-CGAAER - « Préservation de l'élevage extensif, gestionnaire des milieux humides » (Marie-Hélène Aubert, François Guerber, Yves Brugière-Garde, Charles Dereix) juillet 2017 Rapport CGEDD - « Démarches paysaères en Europe, élément de parangonnage pour les politiques publiques françaises » (Jean-Luc Cabrit, Marie-Christine Soulié, Jean-Pierre Thibault), décembre 2017. Rapport CGAAER - « évaluation et propositions d'optimisation des outils concourant à la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers » (Catherine de Menthière, Hélène de Comarmond, Yves Granger), mars 2018. Rapport CGEDD - « maîtrise de la consommation des espaces agricoles, naturels et forestiers pour les besoins de l'urbanisation » (Philippe Bellec, Patricia Correze-Lenée, Philippe Schmit) mai 2018. Réseau des grands sites de France - « agriculteurs, forestiers et grands sites : quels partenariats ? » Actes des 9è rencontres des Grands sites de France, 2007 Olivier de Serres « Le théâtre d'agriculture et le mesnage des champs », Gallica BNF, 1600 SOLAGRO (Christian Couturier, Madeleine Charru, Sylvain Doublet et Philippe Pointereau) « Le scénario Afterres 2050 », décembre 2016. SOLAGRO (Frédéric Coulon) « État des lieux des infrastructures agroécologiques en France » - Rapport au Commisariat général au développement durable, Janvier 2012. Monique Toublanc - « Paysage en herbe, le paysage et la formation à l'agriculture durable », en coopération avec l'école nationale supérieure du paysage de Versailles-Marseille et La Bergerie Nationale, Educ'Agri éditions 2004
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Des attentes sociétales renforcées vis à vis d'une l'agriculture et d'une forêt en crises
- Attentes sociétales L'actualité aborde désormais les questions d'agriculture et de forêt dans un cadre plus large que la simple production quantitative de denrées alimentaires ou ligneuses ; celui de la santé (pesticides et alimentation), des enjeux environnementaux (changement climatique, biodiversité), de la cohésion sociale (périurbanisation/désertification, solidarités urbain-rural), du cadre de vie voire du mode de vie (vie quotidienne dans un territoire ou découverte touristique de celui-ci). Cela remet en question le développement des pratiques agricoles et forestières comme simples « techniques » sans lien avec les caractéristiques géographiques ou historiques de leurs lieux d'exercice. Plus précisément : A) Ces attentes se manifestent en termes d'environnement et plus encore de santé du fait d'une acuité de plus en plus grande des problèmes écologiques liés à l'occupation agricole ou sylvicole des sols : · pollution des eaux : une première enquête nationale réalisée en 2009 sur les causes d'abandon de captages d'eau potable entre 1998 et 2008 révélait que près de 50 fermetures par an avaient pour origine démontrée les pollutions par nitrates et pesticides117 ; pénuries d'eau estivales : le développement de l'irrigation sur des territoires où le pouvoir de rétention des sols et la réserve hydrique est faible : ainsi au 21 septembre dernier, 62 départements étaient concernés par des restrictions d'usage118. Les effets du changement climatique vont encore aggraver leur fréquence ; érosion et dégradation des sols : le GIS-Sols, groupement scientifique, créé en 2001 et piloté par l'Inra, a publié en 2011 un premier bilan exhaustif de l'état des sols en France où il apparaît que près de 18 % des sols présentent un risque d'érosion (hydrique essentiellement) moyen à fort en France métropolitaine, ce risque pouvant être contrecarré par une modification des pratiques culturales119 ; perte de biodiversité : parmi les pertes les plus préoccupantes figure la forte régression des insectes pollinisateurs, : 35 % de ce que nous mangeons dépend en effet de la pollinisation par les insectes. Or selon une synthèse publiée en par la revue « Biological Conservation » 41% des espèces d'insectes voient leurs populations décliner de plus de 30%120, avec pour conséquence la chute du nombre d'oiseaux communs dans les
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117 L'étude a dénombré au total 4811 abandons, le plus souvent par rationalisation de la production (captages trop petits ou mal placés) dont 1958 ayant pour cause la dégradation de qualité de l'eau (turbidité fréquente) au sein de laquelle 958 sont explicitement d'origine agricole soit près de 50 par an sur la période de l'enquête https://solidaritessante.gouv.fr/IMG/pdf/bil0212.pdf 118 Source : https://www.terre-net.fr/meteo-agricole/article/le-point-sur-les-departements-concernes-par-des-restrictions-dusage-de-l-eau-2179-140218.html . En août 2017, ce chiffre est monté à 85. 119 L'INRA préconise la plantation de « haies, taillis, bandes enherbées, fossés, pour endiguer le ruissellement et empêcher l'érosion.». 120Cité par « Sciences et Avenir » en ligne du 11/02/2019: https://www.sciencesetavenir.fr/animaux/biodiversite/insectes-untiers-des-especes-menacees-de-disparition_131393
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zones où l'utilisation des pesticides est la plus intensive ; · risques naturels renforcés : tandis que l'absence de couverture hivernale et le tassement des sols et la régression des haies favorisaient le ruissellement, le drainage a fait disparaître nombre des espaces tampons naturels que constituaient les marais littoraux ou rivulaires 50 % de leur surface perdue entre 1950 et 1990 - avec les conséquences que l'on connaît sur la rapidité accrue des crues et des submersions ;
On attend donc aujourd'hui des agriculteurs, non seulement qu'ils modifient les pratiques dommageables à l'environnement, mais aussi qu'ils contribuent aux « services écosystémiques » ou aux « solutions fondées sur la nature » qui permettront de retrouver les équilibres perdus.
B) Mais ces attentes portent également sur les « aménités » des territoires : dès lors que le sol et le territoire étaient considérés comme de simples supports techniques pour des modèles agricoles ou sylvicoles unifiés, les conséquences en termes de morphologie des espaces ont été très directes. · perte de diversité paysagère globale : le modèle agricole et forestier développé à partir des années 50 121 a produit, dans certaines zones, un paysage agricole où domine un openfield nivelé et simplifié, avec des labours « au ras du bitume » des routes départementales, et ponctué de hangars multi-usages en tôle, poutrelles et parpaings. Dans le même temps l'abandon des surfaces non mécanisables a voué certains espaces de haute ou moyenne montagne à la fermeture et la friche. monotonie, dans certaines zones, des morphologies productives agricoles et forestières : les parcelles ont crû en proportion de la taille des exploitations 122 au détriment des formations arborées, des murets ou des arbres isolés. De 1963 à 1990, le linéaire de haies a ainsi subi une perte largement supérieure à 500 000 km123. Cette simplification à l'extrême des lignes visuelles de certaines campagnes, crée une impression de « désert », d'espace déshumanisé qui peut mettre mal à l'aise aussi bien les habitants que les visiteurs.
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Objet de polémiques anciennes, mais aussi récemment renouvelées, l'exploitation sylvicole n'a pas échappé à l'uniformisation et à la banalisation. Créé en 1947, le Fonds forestier national (FFN) a permis la reconquête sylvicole d'une France dont le taux de boisement, en 1945, était singulièrement faible. Mais elle a aussi engendré ces fameuses plantations de conifères « en timbre-poste » qui ont constitué un leitmotiv paysager des territoires de moyenne montagne entre les années 60 et les années 80. La fermeture visuelle de nombreux
121 Avec une puissance et une cohérence très fortes : formation, remembrements, diffusion des techniques, facilités bancaires... 122 Celle-ci a plus que doublé en moins de 30 ans, passant d'une moyenne de 28 ha en 1988, à 63 hectares en 2016 d'après l' « enquête sur la structure des exploitations agricoles » in Agreste Primeur N° 350 Juin 2018 123 Ce linéaire est passé est passé de 1 244 110 km à 707 605 km ; Source : recensements des « boisements hors forêts » par l'Inventaire forestier national en 1963-1980 et 1977-1990, cité dans l'étude « arbres des champs », de Philippe Pointereau et Didier Bazille (Solagro, 1995, p. 30)
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fonds de vallée en déprise, soit par des épicéas ou des douglas, soit par des peupleraies en plein, fait aussi partie par du « passif paysager » de cette période. La suppression du FFN, en 1999, n'a pas pour autant calmé les critiques envers le paysage produit par les forestiers : tout récemment, le film «Le temps des forêts»124 , a dénoncé avec vigueur, les nouvelles formes de l' intensification sylvicole. 2 - Un modèle économique et social agricole/sylvicole en crise Cette crise est à la fois celle d'une société agricole et forestière en grande faiblesse démographique, mais aussi morale et d'un modèle économique qui donne lui-aussi des signes d'essoufflement. La population agricole devient numériquement marginale : le nombre d'exploitations est désormais sous la barre du demi-million, et la population active elle-même (les exploitants, leurs conjoints et les ouvriers qu'ils emploient) sous la barre du million depuis 2010125. Cette population numériquement affaiblie est de surcroît vieillissante : la part des moins de 40 ans recule constamment, passant de 34 % en 2000 à seulement 23 % en 2010. En ce qui concerne les propriétaires forestiers, leur nombre (3 300 000) reste en apparence bien plus élevé, mais en fait seul un million de personnes possèdent plus d'un ha de terrain boisé. Ces populations sont loin d'être homogènes en termes de richesse : l'essentiel des forestiers est ainsi constitué de tout petits propriétaires, qui tirent davantage de sujétions que de bénéfices de ce type de bien. Au sein de la population agricole le taux de pauvreté est de 24 % supérieur à celui des autres catégories socio-professionnelles qui est de13 %126 ; le quart le moins bien rémunéré des actifs agricoles français dispose d'un revenu annuel inférieur à 9 600 (soit 800 par mois!)127; les subventions européennes ne corrigent pas ces écarts. Dans un référé du 10 janvier 2019 128 , la Cour des Comptes leur reproche au contraire de les aggraver, estimant que « les modalités de répartition des aides directes avantagent les grandes exploitations et celles dont les activités sont les plus rentables ». Quant au mal-être agricole il est symbolisé par le taux de suicides des agriculteurs. Certes, les gestes en cause sont multifactoriels, mais on note tout de même « une surmortalité par suicide comprise entre 22 et 28 % par rapport à la population générale »129. En termes économiques, la crise que l'agriculture connaît aujourd'hui à la fois une crise de la production et une crise de ses débouchés ; Concernant la production, le premier facteur en est évidemment la diminution par artificialisation des surfaces productives au rythme de 60 000 ha par an pour les 20 dernières
124 Film documentaire de François Xavier Drouet sorti en salles en septembre 2018. Lire sa critique dans « le Monde » sur https://www.lemonde.fr/cinema/article/2018/09/12/le-temps-des-forets-le-sapin-qui-cache-le-desert-vert_5353783_3476.html 125 Soit une diminution de 52 % en vingt ans ; elle ne représente plus de 3 % à peine de la population active totale 126 In « Analyse », revue en ligne du centre d'études et de prospective du Ministère de l'agriculture (N° 14, avril 2010) http://agreste.agriculture.gouv.fr/IMG/pdf_analyse141004.pdf 127 Ces moyennes cachent également une inégalité selon les types de production : le revenu annuel moyen des céréaliers, producteurs de pommes de terres ou de betteraves s'élève à 79.800 contre 15.000 pour les éleveurs d'ovins et de bovins viande. 128 Lien de téléchargement du référé no S2018-2553 3/6 : https://www.ccomptes.fr/system/files/2019-01/20190110-refereS2018-2553-aides-directes-FEAGA.pdf 129 Le 19 janvier 2017, en réponse à une question écrite d'un sénateur, le ministre de l'agriculture admettait ces chiffres de « surmortalité par suicide comprise entre 22 et 28 % par rapport à la population générale ». https://www.senat.fr/questions/base/2017/qSEQ170124706.html
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années 130 . Cette perte de surface a été longtemps compensée par l'accroissement de la productivité. Ce n'est désormais plus le cas. L'épuisement des sols (diminution de sa teneur en matière organique notamment) ne peut plus être masqué par la fertilisation chimique. Ainsi les rendements du blé tendre (dont la culture occupe environ un tiers des terres arables), ontils progressé de 1,5 quintal par an de 1960 à 1985. Ce rythme a été divisé par trois (0,5 quintal) entre cette date et 2010, et les effets du changement climatique (sécheresses et canicules) aggravent cette tendance : il faut désormais compter avec une « mauvaise récolte » une année sur trois131. Le second élément de la crise est celui des débouchés. Les habitudes alimentaires de nos concitoyens connaissent en effet une évolution significative. Il s'agit d'une réorientation profonde, même si elle est progressive, des types d'aliments consommés : une enquête réalisée en 2016 132 notait ainsi une évolution à la hausse pour les légumes, fruits consommés quotidiennement avec 25 % des Français déclarant les consommer plus souvent qu'il y a 2 ans lors de la précédente enquête. A l'inverse, 32% des Français déclarent consommer moins souvent de la viande. Dans un pays où la viande a représenté l'orientation naturelle de la production depuis des décennies (4/5è de la production de céréales étant destinée à l'alimentation du bétail !), une telle évolution met en cause des choix d'assolement de fond. En ce qui concerne la forêt, le problème est d'un autre ordre : l'autosuffisance forestière est encore un horizon lointain : à l'inverse des bonnes pratiques recherchées en ce qui concerne la lutte contre le changement climatique et les échanges équitables nord-sud, la France continue d'importer des bois alors que le taux de prélèvement sur la forêt de métropole (et d'outre-mer) est à peine de 43 %) par rapport à la production biologique annuelle133. Il pourrait monter à 65 % sans mise en cause du renouvellement de la forêt134. Dans le domaine sylvicole, c'est d'un potentiel sous-exploité qu'il faut parler, sans même recourir à cette intensification dénoncée par « Le temps des forêts ». Le monde agro-forestier aurait donc besoin de débattre de ces nouvelles demandes sociétales comme du contexte de crise sociale et économique dans lequel elles interviennent ; il s'agirait pour lui de faire comprendre sa position et ses difficultés, et d'entamer la mutation nécessaire de ses pratiques dans un climat de confiance avec les autres acteurs de la société. Or, le temps est plutôt aux accusations multiples et récurrentes sur les pesticides, la qualité sanitaire des aliments, les algues vertes, etc. à laquelle il est répondu par une accusation d'agri-bashing qui clôt le débat avant même de l'avoir amorcé. L'un des premiers constats de la mission est que le monde agricole s'est progressivement
130 Sources nombreuses et concordantes pour ces chiffres. Voir notamment le rapport du CGAAER N° 17076 « Évaluation et optimisation des outils concourant à la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers » (mars 2018) dû à Catherine de Menthière, Hélène de Comarmond et Yves Granger (pp.19-20). 131 Source : le « Scénario Afterres 2050 » établi par le bureau d'études agronomiques Solagro en 2014-2015 (pp 27 et s.) (afterres2050.solagro.org/wp-content/uploads/.../Solagro_afterres2050-v2-web.pdf) et entretien de la mission avec Philippe Pointereau, l'un de ses auteurs le 12 novembre 2018. 132 Les chiffres qui suivent sont tirés d'une enquête réalisée en ligne du 12 au 21 octobre 2016 sur un échantillon de 1 000 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus par l'institut de sondages « Harris-interactive ». https://harris-interactive.fr/reports/pratiques-alimentaires-daujourdhui-et-de-demain/ 133 Ce chiffre global masque toutefois une performance bien plus honorable des forêts domaniales - qui sont à l'équilibre et communales - qui s'en rapprochent. 134 Source Solagro 2015, Scénario Afterres 2050 op. cit. Pp 56-57
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coupé du reste de la société et même de ses « voisins », avec lesquels il n'entretient plus de « relation villageoise »135 On peut ajouter que l'habitude prise ces dernières décennies de consommer des produits ultra-transformés a accentué cette distanciation entre agriculteurs et consommateurs. Le constat n'est pas très différent en ce qui concerne les forestiers : la forte technicité de la filière produit un effet comparable d'incompréhension vis-à-vis des actes de gestion comme en témoignent les tollés soulevés par les coupes de régénération des parcelles, et les critiques, à l'inverse, envers des boisements de rapport qui « ferment » le paysage (peupleraies, « sapins de Noël » du Morvan...). Enfin, la présence de plus en plus forte dans le « monde rural » d'une population que son immédiate origine citadine rend à peu près totalement ignorante des pratiques agricoles et forestières ne fait évidemment qu'attiser les conflits entre deux « mondes » qui sont là en contact direct l'un avec l'autre, mais se parlent peu.
135 Entretien de la mission avec Bertrand Hervieu, le 11 décembre 2018.
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La montée en puissance de la préoccupation paysagère dans l'espace rural
1- Bref historique des lois relatives au paysage en France En France, la législation introduit pour la première fois la notion de paysage avec la loi du 21 avril 1906, portant sur la protection des sites et monuments naturels. Cette loi constitue le plus ancien texte législatif s'intéressant à la conservation de parties naturelles de territoires. La loi du 2 mai 1930 sur la protection des monuments naturels et des sites qui présentent un intérêt général du point de vue scientifique, pittoresque, historique, artistique ou légendaire, précise et complète l'application de la loi de 1906. La loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature précise dans son article 1er que "la protection des espaces naturels et des paysages est d'intérêt général". En 1985 est promulguée la loi "montagne" qui repose sur quelques principes pour concilier aménagement, y compris touristique, et activité agricole. Mais le principal tournant est pris avec la loi du 8 janvier 1993, dite "loi paysage", qui donne un statut juridique au paysage « ordinaire ». Elle vise à préserver la qualité paysagère dans l'ensemble de l'espace, sites remarquables mais aussi paysages du quotidien : le paysage dans l'espace rural, à l'occasion de remembrements, aux abords des villes, sur le littoral et en montagne. Les documents d'urbanisme doivent « prendre en compte la préservation de la qualité des paysages et de la maitrise de leur évolution ». Les dispositions législatives sont modifiées en matière d'enquête publique pour une meilleure concertation et la possibilité de débats autour des espaces publics. Enfin, elle renforce les chartes des parcs naturels régionaux (PNR) en imposant leur prise en compte dans les documents d'urbanisme. En 2000, la Convention européenne du paysage (CEP) introduit le paysage comme élément structurant du développement durable, et incite les Etats membres à mettre en oeuvre des politiques visant à des mesures en vue de la protection, la gestion ou l'aménagement du paysage. Elle est ratifiée en France le 13 octobre 2005. Avec la loi du 24 mars 2014, dite "loi ALUR", la prise en compte du paysage dans les documents d'urbanisme est renforcée en modifiant l'article L 121-1136 du code de l'urbanisme. La loi du 9 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages inscrit dans la loi française, la définition que donne la CEP au mot "paysage". Une attention accrue est portée à la participation des habitants à la démarche de paysage. Elle donne une définition
136 L'article L 121-1 du Code de l'urbanisme prévoit pour « les schémas de cohérence territoriale (SCoT), les plans locaux d'urbanisme et les cartes communales un équilibre entre le développement urbain et [...] l'utilisation économe des espaces naturels, la préservation des espaces affectés aux activités agricoles et forestières, et la protection des sites, des milieux et paysages naturels [...], la sauvegarde des ensembles urbains et du patrimoine bâti remarquables, la qualité urbaine, architecturale et paysagère, notamment des entrées de ville(texte en rouge introduit en 2014, avec la loi ALUR), [...] la préservation de la qualité de l'air, de l'eau, du sol et du sous-sol, des ressources naturelles, de la biodiversité, des écosystèmes, des espaces verts, la préservation et la remise en bon état des continuités écologiques ».
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des "objectifs de qualité paysagère", outils de projet. Enfin, elle explicite les missions des CAUE pour le paysage. Ces lois ont renforcé les exigences vis-à-vis de la qualité du paysage ordinaire, notamment dans les territoires ruraux, en plaçant les collectivités en mesure de fixer des objectifs. Ainsi, depuis a minima le milieu du 20ème siècle, le paysage est perçu comme un outil de connaissance et d'évaluation au service du projet par les professionnels de l'aménagement, du paysage et de l'agriculture ainsi que par l'ensemble des acteurs de l'aménagement des territoires. 2- Le paysage à la croisée de différentes disciplines : Les géographes du début du 20ème siècle, héritiers de Vidal de la Blache, précurseur de la géographie moderne, estiment que la description et l'explication raisonnée du paysage est la géographie. Pour les géographes plus proches de nous, le paysage est : « Ce qui se voit [...], existe indépendamment de nous, appartenant au monde réel et peut, en théorie, s'analyser objectivement ; également vécu et senti ...il doit être interprété par l'intermédiaire de sa perception »137. Pour les philosophes, le paysage est « la médiation par laquelle notre subjectivité peut avoir prise sur la réalité, objet des choses de l'environnement... » 138 Les sociologues et les ethnologues le définissent comme « désignant à la fois une réalité, l'image de la réalité et les références culturelles à partir desquelles cette image se forme ».139 Les agronomes exploitent l'observation comme outil pour comprendre les territoires agraires. Citons Jean-Pierre Deffontaines « Pas de paysage sans regard [...] Il sert à analyser les pratiques d'aujourd'hui et d'hier, car il est mémoire. Il sert également à segmenter les pays, à distinguer les terroirs. Associés aux images d'en haut, il révèle des organisations. Bref, il pose plus de questions qu'il n'en résout, mais il en pose de bonnes »140. Pour les paysagistes-concepteurs, « le paysage est nécessairement inter-subjectif car il est le résultat d'une perception sensible, immédiate et non-discriminée, de ce qui apparaît. Sans perception sensible, il n'y a pas de paysage, il n'y a qu'un morceau de territoire...et l'idée de séparer le paysage de ses perceptions est pour nous un non-sens. La responsabilité initiale des paysagistes est alors de livrer l'histoire d'un lieu vivant, qui est avant tout le résultat d'une « lecture sensible ». Celle-ci se nourrit d'arguments « objectifs » fondés sur les éléments d'analyse et de compréhension des phénomènes naturels et humains et de leurs interactions mais elle est d'abord et nécessairement sensible. Les paysagistes-concepteurs peuvent donc être considérés comme les médiateurs d'un « sens » et les révélateurs d'une histoire qui lie un territoire et les hommes qui y vivent, afin de la continuer par un projet que tous puissent s'approprier ».141
137 Roger Brunet - Analyse des paysages et sémiologie 138 Augustin Berque Les raisons du paysage. De la Chine antique aux environnements de synthèse Hazan 1995 139 Françoise Dubost et Bernadette Lizet Pour une ethnologie du paysage- in Paysages au pluriel 1995 140 Jean-Pierre Deffontaines Les sentiers d'un géoagronome Edition arguments 1998 141 Association des paysagistes-conseils de l'Etat - Vers une stratégie du paysage, contribution à la politique publique du paysage - 2015
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Les politiques publiques relatives à l'agriculture et leurs conséquences sur l'évolution du paysage rural
Cette annexe vise à expliciter, rétrospectivement et jusqu'aux années 1990 comment les politiques agricoles et forestières successives ont eu un fort impact sur le paysage. 1- Du siècle des Lumières aux années 1960 À la Révolution, le slogan "La terre aux paysans" vise la généralisation de la propriété privée, gage d'une bonne valorisation des terres par les paysans eux-mêmes favorisée la vente des terres des seigneurs ou du clergé. Nommé ministre en 1797, François de Neufchâteau mène une politique de plantation d'arbres champêtres dans les campagnes à visée plus esthétique et de production de bois qu'agronomique. Des traités agricoles (abbé Rozier-1781, Rauch 1802) font le lien entre production agricole, spécialisation des parcelles selon leurs caractéristiques agronomiques et aménagement harmonieux du territoire. À la fin du 18e siècle, la polyculture-élevage se développe dans certaines zones, car l'élevage, cantonné jusque-là à la production d'énergie de traction, devient une production à part entière avec l'introduction des cultures de prairies (graminées, trèfle, navets) dans la sole cultivée associée à des cultures fourragères (betteraves, choux): la polyculture-élevage, nouveau système de production, plus intensif, était une forme d'agro-écologie car elle mixait les prairies, cultures fourragères et céréales, l'apport de matières organiques aux sols, le partage du territoire en petites parcelles, plantées de haies protectrices des animaux, irriguées ou drainées. Ce développement modifie les paysages de manière forte. Certaines régions n'ont pas connu cette évolution et se sont consacrées aux cultures, la sole fourragère étant seulement utilisée pour nourrir les animaux de trait. Au début du 19e siècle, l'État institue des "primes d'honneur" attribuées aux "meilleurs" agriculteurs de chaque département qui serviront par la suite de modèle pour l'agriculture. À cette occasion des rapports montrent les liens entre agriculture et le paysage : description du parcellaire, des arbres isolés, des haies, des murets, éléments considérés comme utiles au système de production non séparés de la production agricole et valorisant les ressources naturelles de chaque milieu. La fin du 19e siècle puis le début du 20e voient une révolution forte de l'agriculture avec l'accès, grâce au transports (utilisation du charbon et de la vapeur), aux progrès des connaissances en physiologie végétale et en génétique, aux intrants tels que les engrais minéraux (le phosphore en premier, l'azote ensuite). 2- La politique agricole commune (PAC) à partir de 1960 Il s'agit de la première politique européenne mise en place dès le Traité de Rome en 1957, et déclinée en France par les lois d'orientation agricoles de 1960 et 1962 ; ces textes assurent à l'agriculture la garantie d'écoulement des produits à des prix rémunérateurs du fait de la protection du marché européen et de la politique de soutien aux marchés. Cette politique, associée aux progrès techniques (remplacement de la traction animale par le tracteur,
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possibilité de stocker les produits agricoles) et à l'utilisation des intrants, des pesticides et du carburant peu cher, conduit à l'accroissement de la productivité et à la spécialisation des exploitations agricoles. L'Etat accompagne ce mouvement par la mise en place d'un dispositif puissant de développement et de formation agricole et d'équipement des territoires ruraux, en électricité, eau potable et téléphone. Avec ces évolutions, le paysage agraire se dissocie des particularités du territoire et de la valeur agronomique des sols et adopte le principe de zonage qui prévaut déjà dans l'aménagement urbain dans l'esprit de la charte d'Athènes. On assiste, avec la dissolution progressive des liens fonctionnels entre cultures végétales et élevage, à la disparition des prairies et cultures fourragères dans certaines zones plus spécialisées en production céréalière. La mécanisation, accompagnant la baisse de la démographie agricole et le raccourcissement des rotations de cultures (permis par les pesticides) diminuent fortement le nombre et la diversité de cultures par exploitation et entraînent l'agrandissement des parcelles. On assiste ainsi à la transformation voire à la perte de l'identité paysagère d'un lieu avec : La disparition d'éléments paysagers structurants qui permettent de lire un territoire, ou de comprendre la logique d'implantation humaine (haies, talus, terrasses...), La disparition de structures paysagères et avec elles, les axes majeurs, les lignes de force d'un site (fonds des talwegs retournés, mares comblées), L'abandon des terres difficiles à exploiter avec la mécanisation (pentes, moyenne montagne, zones de terrasses au sud de la France) qui entraîne la formation de friches, la fermeture des paysages.
Le développement du maïs (avec l'utilisation de l'ensilage) modifie profondément le paysage du fait de la non couverture des sols en hiver et d'une culture en pleine végétation en été, exigeante en eau, alors que les céréales plus traditionnelles sont à maturité ou moissonnées à la même période. La multiplication de bâtiments agricoles de type industriel de dimensions importantes, pour le stockage des machines agricoles et des récoltes et matériels, situé en dehors du corps de ferme sans qualité architecturale, n'a pas bénéficié au paysage. L'ensemble des évolutions techniques conduisent certaines zones à la simplification, la banalisation des paysages agraires et à la fermeture des paysages non cultivés. Le paysage est une résultante de projets techniques non « pensé » en amont : les avancées techniques (lutte contre les ravageurs ou les maladies, fertilisation...) ont été appliquées à l'échelle de la parcelle sans vision globale à l'échelle de l'exploitation et a fortiori à celle d'un territoire tel que la commune, la vallée, le plateau. 3- Les inflexions du modèle à partir des années 1990 La réforme de la PAC en 1992 et la loi d'orientation agricole de 1999 d'une part et les évolutions spécifiques de certaines zones de montagne d'autre part sont un point de départ d'une inflexion au modèle d'intensification. Le cas des zones de montagne plus difficilement mécanisables
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Les transformations profondes évoquées ci-dessus conduisent en effet certaines régions de moyenne montagne et de hauts-plateaux à se désertifier et à évoluer en forêts ou en friches abandonnées, avec à la clef une fermeture des paysages. Avec la loi montagne de 1985, certaines réagissent et mettent en oeuvre des projets de territoire, avec la création d'associations foncières pastorales, souvent portées par des leaders locaux, qui associent les questions du paysage à la qualité et à la typicité des produits, avec le développement des signes de qualité et la mise en place d'organisation de producteurs (création de coopératives de production. La loi montagne142 consacre un volet important à l'activité agricole et créé l'ISM (l'indemnité spéciale montagne, transformée en ICHN (indemnité compensatoire de handicap naturel). Ce dispositif permet de maintenir une activité agricole en grande majorité d'élevage et une valorisation des montagnes et des estives avec un entretien des espaces par le pâturage. Certaines zones sont classées zones Natura 2000 ce qui permet aux éleveurs de bénéficier de contrats Natura 2000 visant à compenser des surcoûts d'exploitation. Des vallées ont été rouvertes, l'élevage a été réintroduit pour l'entretien des prés-bois jusqu'à alors en friche depuis l'abandon du pâturage. L'année 1992 constitue un tournant dans la politique agricole avec la réforme de la PAC La réforme de la PAC de 1992 avait principalement pour but de faciliter la conclusion du cycle des négociations commerciales multilatérales de l'Uruguay Round qui s'est terminé en 1994 par l'accord de Marrakech qui a donné naissance à l'OMC (Organisation Mondiale du Commerce). L'Europe modifie radicalement la PAC : Un 1er pilier est consacré au soutien aux agriculteurs non plus par les prix mais par un soutien direct au revenu par des aides directes d'abord attribuées en 1992 selon les productions (aides couplées) puis ensuite découplées à partir de 2003 et attribuées à la surface cultivée (DPU-dotation à paiement unique puis DPB-dotation au paiement de base) tout en maintenant des aides couplée pour certaines productions (aides à la vaches allaitante, aide à la brebis). Le découplage de 2003 avait pour but de faciliter l'accord à l'OMC dans le cycle de négociations commerciales engagé à Doha en novembre 2001. Ce paiement est conditionné au respect d'un certain nombre de réglementations. un 2me pilier de la PAC est créé en 1999 (dont l'élaboration et la gestion sont confiées aux Etats membres dans le cadre de plans nationaux et régionaux de développement rural) permet de cofinancer des mesures agro-environnementales (les OGAF environnementales au départ-opérations groupées d'aménagement foncier environnement puis MAE et MAEC-mesures agro-environnementales et climatiques), concernent les méthodes de production agricole compatibles avec les exigences de la protection de l'environnement ainsi que l'entretien de l'espace143. Cette politique porte alors sur des paysages considérés comme remarquables tant par leurs valeurs esthétiques et culturelles que par les productions associées.
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142 Qui n'est pas qu'une loi d'urbanisme et de développement touristique. 143 Article 19 du règlement (CEE) n·2078/92 du 30 juin 1992
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La réforme de la PAC 1992, associée à ces nouveaux outils, qui aurait pu avoir un impact paysager du fait d'un relatif moindre intérêt pour le rendement, aura au final peu d'impact car d'une part elle n'arrête pas l'agrandissement des exploitations (les aides étant versées à la surface), évolution déjà à l'oeuvre depuis de nombreuses années, et d'autre part les mesures agro-environnementales, contrats signés sur la base du volontariat, portent sur des espaces remarquables laissant de côté l'immense majorité des espaces agricoles « ordinaires ». La PHAE (prime herbagère agro-environnementale) qui a existée jusqu'en 2014 a permis de soutenir les prairies et les services qu'elles rendent notamment en matière paysagère : prairies, éléments fixes du paysage tels que les haies, ouverture et entretien des milieux. Cette PHAE n'est plus mise en oeuvre depuis la réforme de la politique agricole commune de 2014, la MAEC sur les systèmes herbagers permettant cependant de compenser cette perte. Son montant a été intégré à l'ICHN (Indemnité compensatoire de handicaps naturels) qui concerne les zones défavorisées. Avec la loi paysage du 8 janvier 1993 qui s'intéresse à l'ensemble de l'espace, notamment agricoles et forestiers., le paysage trouve une place juridique dans le dispositif agricole français au moment où celui-ci amorce une mutation. Il faut noter la quasi concomitance entre la réforme de la PAC et la Loi Paysage. Poursuivant l'évolution constatée, la loi d'orientation agricole n°99-574 du 9 juillet 1999 inscrit dans son article premier que la politique agricole a parmi ses objectifs celui de l'entretien des paysages. Les CTE (contrats territoriaux d'exploitation), signés entre l'État et l'agriculteur, sont lancés, avec une cartographie, un diagnostic du territoire et de l'exploitation : l'objectif était bien d'exprimer la « multifonctionnalité » de l'agriculture au travers sa fonction non seulement économique, mais aussi sociale et environnementale. La loi, avec cet outil, ouvre la porte à la contractualisation et aux démarches de projet. Le concept d'agroécologie va parachever cette évolution.
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Quelques réflexions sur les PSE
1- L'étude Oréade-Brèche apporte un certain nombre de confirmation et de précisions, applicables au cas de la démarche paysagère Intitulée « Paiements pour services environnementaux et méthodes d'évaluation économique : enseignements pour les mesures agro-environnementales de la PAC » - Etude no SSP-2014017 lancée à l'initiative du MAA. Elle souligne : Le besoin de recherche entre service environnemental produit et services écosystémique obtenu : néanmoins, en ce qui concerne le paysage, on peut estimer que les liens sont assez bien connus (cf. ci-dessus les liens entre pratiques agroécoloqiques et paysages), Le soutien à des services environnementaux doit être réalisé à l'échelle géographique adaptée aux enjeux environnementaux, ce qui suppose de dépasser le plus souvent le cadre de l'exploitation agricole et de mener une réflexion alliant le niveau territorial et le niveau exploitation agricole. En ce sens les travaux des MAE/MAEC dans le cadre des PAE/PAEC sont intéressants par ce travail aux 2 échelles, La nécessité d'identifier les acteurs : à la fois (1) les acteurs des services environnementaux (agriculteurs), (2) les usagers des services écosystémiques (élus, ONG et population), et (3) les acteurs d'appui à la fois en termes de connaissance et de diffusion de pratiques (encadrement, animation, recherche). Les GIEE sont cités comme étant un cadre porteur de partenariat, L'importance du choix d'une méthode pour cibler les agriculteurs à sélectionner selon les enjeux écosystémiques ciblés et les services attendus, notamment si on recherche comme pour les paysages suisses une continuité entre parcelles et exploitations, La distinction entre les approches visant un changement ou un maintien de pratiques, un financement pouvant être pérenne ou limité à 5 ou 7 ans, Le rôle majeur de la concertation, de l'accompagnement et du conseil dans le succès de mesures de type MAE ou PSE, afin de favoriser la contractualisation, La place de l'appui sur des actions collectives et des approches « systémiques » qui favorisent l'engagement des agriculteurs : aller jusqu'à la contractualisation collective ?
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Le rapport parlementaire de janvier 2019 de la députée de Charente-Maritime Frédérique Tuffnell et du sénateur de la Somme Jérôme Bignon « Terres d'eau, Terres d'avenir » confirme les points précédents, notamment la nécessité d'une démarche collective par exemple au sein de GIEE, la non fixation de plafond de surface concernées par les PSE, la durée des contrats qui doit être adaptée et suffisamment longue (10 ans par exemple), le besoin d'accompagnement technique et en ingénierie, la nécessité de partir du terrain pour définir les services environnementaux adaptés.
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2- Le dispositif envisagé pour les PSE financés par les agences de l'eau La mesure 24 du plan Biodiversité ne préjuge en rien de la manière dont les PSE seront mis en oeuvre dans le cadre de la future PAC 2020. Une 1ère enveloppe de 150 M est réservée par les Agences de l'eau dans leur 11e programme afin d'expérimenter en 2019-2021 ces PSE avant une généralisation éventuelle dans le cadre de la PAC 2020. Ce dispositif nouveau nécessite une notification spécifique d'aide d'Etat à la Commission, le RDR actuel ne prévoyant pas de PSE en visant une compatibilité avec les LDA (lignes directrices agricoles) La mise en oeuvre des PSE au bénéfice des agriculteurs devrait s'inscrire dans le cadre de projets collectifs territoriaux, ce qui va dans le sens des critères retenus pour une démarche paysagère. L'action serait ciblée sur des territoires porteurs de projets à enjeux identifiés et portés par des opérateurs territoriaux type collectivités, syndicats, GIEE... mettant en place une animation dédiée et visant une dynamique collective suffisante pour garantir une efficacité environnementale. L'identification des projets se ferait sur la base d'appels à projet lancés par les agences de l'eau. Si le dispositif actuel est ciblé sur des zones à enjeux biodiversité et eau (par exemple les points noirs de TVB, aires de captage), les zones humides.., les zones sensibles à l'érosion, la structure technique du dispositif reposerait sur des briques de pratiques dissociables et cumulables telles que (1) la création et entretien d'infrastructures agro-écologiques comme des haies, prairies permanentes..), (2) la gestion d'agro-systèmes visant la réduction de l'emploi de produits phytopharmaceutiques, (3) la gestion des sols et des couverts. On voit bien que ces pratiques ont des conséquences directes sur le paysage même lorsque ce n'est pas exprimé ainsi. Le CGDD a mis au point une technique de calcul du montant des PSE « expérimentaux » en se basant à la fois sur des valeurs guides maximum et sur des notes attribuées à l'exploitation en fonction de l'importance des services environnementaux réellement rendus mesurés sur la base d'indicateurs caractéristiques des systèmes de production agricole ou selon l'importance des structures paysagères. Quatre valeurs guides ont été calculées s'appliquant à 2 domaines d'activités des agriculteurs en situation de maintien ou de création/évolution : Maintien-entretien des structures paysagères, Création d'infrastructures paysagères, Maintien de pratiques agronomiques bénéfiques pour l'environnement, Évolution des pratiques agronomiques environnementale du système de production. pour améliorer la performance
Au final, ce dispositif pourrait très facilement s'appliquer à une démarche globale paysagère car valorisant les démarches collectives.
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3- L'étude BiodivERsA montre comment la PAC peut protéger la biodiversité et générer des services écosystémiques en diversifiant les paysages agricoles Un policy brief, publié par le réseau d'organismes de financement de la recherche BiodivERsA et rédigé par l'Institute for European Environmental Policy (IEEP), présente les résultats de 5 projets de recherche européens sur le rôle de la diversité des paysages sur la production de deux services écosystémiques clés, la pollinisation et le biocontrôle, notamment dans le contexte du changement climatique. Les chercheurs ont par exemple montré que les prédateurs naturels exercent un contrôle biologique plus efficace lorsque les paysages agricoles sont hétérogènes, c'est-à-dire lorsqu'ils comportent une forte proportion d'habitats semi-naturels (prairies, haies, parcelles forestières, rebords des champs et étangs). Sur la base de ces résultats, les auteurs proposent 5 recommandations pour la réforme 2020 de la Politique agricole commune (PAC) : 1) garantir une proportion minimale de zones non cultivées, 2) conserver et restaurer les habitats semi-naturels agricoles, 3) augmenter le budget alloué aux mesures agro-environnementales et climatiques et améliorer leur ciblage, 4) modifier les règles et la pondération allouée aux zones d'intérêt écologique dans l'attribution des aides, et 5) utiliser la PAC pour maintenir des paysages agricoles mixtes malgré la pression de la spécialisation.
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Exemple de périmètre de protection et de mise en valeur des espaces agricoles et naturels périurbains dans le département du Rhône et la métropole Lyonnaise
L'activité agricole y est très présente et occupe 1/3 du territoire SCoT, 70% du territoire non bâti soit 27 000 ha dont 11500 ha d'espaces agricoles et 10000 ha d'espaces naturels, pour un territoire de 52 715 ha. On observe une emprise majoritaire dans les territoires Est et Sud, avec une agriculture répondant aux attentes urbaines : paysage, diversification et vente directe...avec de fortes dynamiques locales. 300 exploitations, 700 équivalents-temps-plein et, comme orientations principales, les fruits, le maraichage, les grandes cultures, la polyculture-élevage. Le programme d'action du PAEN de la Métropole Grand Lyon s'articule autour de cinq axes stratégiques majeurs déclinés en diverses actions : Pérenniser la destination agricole du foncier à travers le renforcement de la concertation avec le monde agricole, la mise en place d'une stratégie foncière sur l'ensemble du territoire, la lutte contre le morcellement parcellaire et la remise en valeur les terres en friche ou sous-exploités en sensibilisant les propriétaires ; Renforcer l'ancrage territorial d'une activité agricole rémunératrice à travers : l'agroécologie comme levier de développement économique avec le développement des circuits courts, de nouvelles filières et nouveaux produits et la sensibilisation de l'ensemble des acteurs aux circuits courts, promouvoir des productions agricoles de qualité, respectueuses de l'environnement en favorisant les démarches de qualité et les pratiques respectueuses de l'environnement par des conseils adaptés auprès des exploitants agricoles ; Encourager le renouvellement des exploitations et favoriser la transmission des bâtiments à travers l'information des cédants sur l'intérêt de transmission de l'exploitation, la facilitation de l'installation de jeunes agriculteurs) ; Préserver et restaurer les continuités écologiques à travers l'incitation à la création et au maintien des corridors écologiques (haies, bandes enherbées, mares...), le renforcement de la qualité des réservoirs de biodiversité (lisières, milieux humides, retard de fauches...), la sensibilisation des promeneurs et agriculteurs (projets nature) ; Renforcer le lien entre la ville et la campagne, les citadins et les agriculteurs à travers à travers la prévention des conflits d'usages avec l'activité agricole (circulation des engins, maîtrise des risques de ruissellement et érosion avec le sans labour), information des consommateurs sur l'alimentation en communiquant sur les modes de production et de transformation, sensibilisation des urbains aux réalités de l'activité agricole.
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Les chartes forestières de territoire dans le Morvan (2004-2020)
Portée par le parc naturel régional éponyme, la première des quatre chartes successives rassemblait tous les partenaires, publics et privés, de la filière; d'une durée de trois ans et dotée d'un budget de 250 000 (dont deux tiers financés par le conseil régional et les deux conseils départementaux concerné). Elle comportait, après le préalable logique de l'amélioration des connaissances l'objectif ambitieux - muni d'une enveloppe de 140 000 à lui seul - d'« encourager des pratiques sylvicoles favorables à l'environnement et au paysage ». Malgré un bilan jugé peu probant, notamment sur l'irrégularisation des futaies et sur la gestion des haies, de nouvelles chartes ont été écrites et appliquées, pour 2008-2010, 2012-2015 et 2016-2020. La charte 2012-2015 affirmait que « le besoin de médiation [était] devenu crucial pour concilier le développement économique des activités de transformation et de valorisation de la ressource forestière, avec les objectifs de maintien de la diversité biologique et de préservation d'une harmonie des paysages ». Par rapport à l'exercice de 2004, les objectifs du document étaient nettement plus orientés vers la résilience économique de la filière sylvicole morvandelle, face au changement climatique, aux besoins du territoire en énergie et à la nécessité d'une première transformation locale. C'est dans ce cadre que la conciliation entre les différents usages de la forêt pouvait donner lieu à un dialogue apaisé entre les 34 acteurs signataires des engagements de la charte ; on y lit notamment (p 13), après le rappel que 40m3 transformés équivalent à un emploi créé : « La création d'emplois dans la transformation du bois est l'un des facteurs d'amélioration de l'acceptabilité sociale de l'exploitation forestière ». Les résultats ont été suffisamment encourageants pour qu'une quatrième charte soit signée en 2016 pour courir jusqu'en 2020. Son contenu est très semblable à celle qui l'a précédée mais elle innove par la constitution d'un « réseau d'élus référents forêt-bois » qui devrait faciliter une médiation permanente entre forestiers et autres acteurs locaux.
Photos atlas du patrimoine du Morvan
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Les chartes de parc naturel régional
La transition agro-écologique et forestière, un défi majeur pour les parcs naturels régionaux (PNR)
Il existe aujourd'hui 53 PNR reconnus en France, couvrant plus de 8,6 millions d'hectares, soit 15 % du territoire national et plus de 4300 communes où vivent plus de 4 millions d'habitant(e)s, plus nombreux dans le quart sud-est de l'hexagone et au nord de notre pays, de la Normandie à la Région Grand Est. Les activités liées à l'agriculture et à la forêt occupent une place essentielle dans les PNR. Ils comptent dans leurs territoires144 : 58 000 exploitations (soit 11 % des exploitations françaises) ; 43 % de la superficie en espaces agricoles (contre 63 % France métropolitaine) ; 60 % de la surface agricole consacrée aux prairies (contre 40 % au niveau national), la différence portant sur les prairies permanentes ; 7 % de la surface agricole en agriculture biologique (4 % au niveau national, 1 hectare en bio sur 5 est situé dans un PNR) ; 13 % de diversification (11 % au niveau national) dominée par la transformation des produits à la ferme et l'agrotourisme ; 20 % de vente des produits agricoles en circuits courts (15 % au niveau national) par la vente directe à la ferme principalement, vente sur les marchés et à des détaillants ; 94 % des communes des parcs sont sur le territoire d'une Appellation d'origine protégée ou contrôlée.
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Un PNR induit des mesures de gestion et de protection du paysage de nature contractuelle pour l'ensemble de son territoire, à la différence d'autres espaces protégés (sites classés, sites patrimoniaux remarquables, réserves naturelles), dont les mesures sont d'ordre réglementaire. L'article L 333-1 du code de l'environnement décrit précisément le contenu de la charte d'un PNR, à savoir : Un rapport déterminant les orientations de protection, de mise en valeur et de développement, notamment les objectifs de qualité paysagère définis à l'article L. 350- 1 C, ainsi que les mesures permettant de les mettre en oeuvre et les engagements correspondants ; Un plan, élaboré à partir d'un inventaire du patrimoine, indiquant les différentes zones du parc et leur vocation ;
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Sources : les Parcs naturels régionaux : chiffres clefs, commissariat général au développement durable, octobre 2014, BIO /OC, recensement agricole 2010 et Données INAO.
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Des annexes comprenant notamment le projet des statuts initiaux ou modifiés du syndicat mixte d'aménagement et de gestion du parc.
Le projet de charte initiale est « élaboré par la région et le projet de charte révisée est élaboré par le syndicat mixte d'aménagement et de gestion du parc, avec l'ensemble des collectivités territoriales et des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre concernés, en associant l'Etat et en concertation avec les partenaires intéressés, notamment les chambres consulaires ». Enfin, « L'Etat et les collectivités territoriales adhérant à la charte appliquent les orientations et les mesures de la charte dans l'exercice de leurs compétences sur le territoire du parc. Ils assurent, en conséquence, la cohérence de leurs actions et des moyens qu'ils y consacrent. Les documents d'urbanisme doivent être compatibles avec les orientations et les mesures de la charte. [...] La charte est adoptée par décret portant classement ou renouvellement du classement en parc naturel régional, pour une durée de quinze ans, du territoire des communes comprises dans le périmètre de classement ou de renouvellement de classement approuvé par la région. »
Croisement des contrats des PNR aux trois facteurs-clé favorables à la transition agroécologique
Charte et Les acteurs périmètre des PNR Origine du Région projet Avis Communes ou EPCI membres, État Décision Délibération de la région, des départements et EPCI et décret pour modifier le périmètre Approbation par décret Champ Espaces agricoles et naturels d'intervention Foncier Possibilité d'intervention foncière (acquisition par dépt ou EPCI) Procédure Enquête publique Servitude Charte transposée au SCoT Portée au PLU Mesures ou Projet agricole et multifonctionnel Plan associé à la préservation d'actions Démarche À imposer par les mesures inscrites paysagère dans la charte ou plans d'actions, dans le cadre du projet agricole ou forestier (ex. : ) Dialogue Ancrage acteurs territoire Projet ascendant
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Exemple d'un plan de paysage Le plan de paysage de la vallée de la Bruche (Bas-Rhin)
La communauté de communes de la vallée de la Bruche compte 26 communes, 22 000 habitants installés sur 300 000 ha occupés à 75% de forêt A partir des années 1960, la fermeture des usines textiles et la perte des ouvriers, également paysans-éleveurs, provoquent l'enfrichement de la vallée et la plantation de résineux (sapins de Noël), sur les anciennes prairies. Dans les années 1980, est alors engagée une première démarche paysagère sur le thème de la réouverture de la vallée, à l'exemple de la vallée de la Plaine, sur le versant lorrain des Vosges. Une première association foncière pastorale (AFP) est créée en 1986 sur la commune de Colroy-la-Roche. Elle est suivie par 22 autres AFP sur d'autres communes, regroupant un foncier initialement agro-pastoral. Les AFP, à statut d'établissement public, sont pilotées par des acteurs locaux (élus, agriculteurs, acteurs socio-économiques et bénévoles), dans le but d'assurer ou de faire assurer la mise en valeur et la gestion des fonds inclus dans le périmètre ainsi constitué. Une étude paysagère d'ensemble est conduite pendant trois ans, de 1991 à 1993, par un chargé de mission paysage recruté à temps-plein, Jean-Baptiste Laumond et un urbaniste, François Tacquard. Cette étude, premier plan de paysage, va constituer le diagnostic paysager et les objectifs de qualité paysagère sur lesquels vont reposer le plan d'actions et les mesures. Ces dernières sont prioritairement axées sur la remise en état des pâturages communaux, la réouverture des
Vallée de la Bruche photo D.Michel
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fonds de vallée humides et le défrichement à proximité des villages pour « redonner le soleil aux habitants ». Les défrichements ne sont entrepris qu'une fois les AFP assurées qu'un agriculteur sera en mesure de faire pâturer un troupeau. On compte aujourd'hui 52 exploitants agricoles actifs dans la vallée, en partie locataires des terres des AFP qui représentent 1/3 de la SAU. La vallée a regagné 1 000 ha de prairies et 48 heures annuelles de soleil de plus, en 30 ans. La mise en place (assurée par la chambre d'agriculture) de filières de commercialisation des produits en circuit court, après conditionnement ou transformation pour la consommation locale des habitants et touristes de passage, complète le projet. Ce plan de paysage est devenu véritable projet de territoire, avec des espaces ré-ouverts de trois natures : les prairies d'altitude, pâturées pendant l'estive, les prairies de plateaux, dédiées à la fauche, et les prairies de fond de vallée, réservées à la fauche pluriannuelle. Une réflexion sur l'agroforesterie, dans les prairies reconquises et le long des chemins, est en cours ainsi qu'une démarche visant à l'autonomie fourragère de la vallée, pour « inscrire l'herbe au coeur du système agricole durable », qui implique la réouverture de prairies de fauche en fond de vallée. Ainsi, le paysage de la vallée de la Bruche actuel a nécessité trente ans de gestion attentive et pragmatique du paysage, avec une adhésion sociale toujours renouvelée. Pierre Grandadam, maire de la commune de Plaine et président de la communauté de communes, qui assure le pilotage du projet depuis le début, le résume ainsi « il faut s'occuper des hommes qui s'occupent des bêtes et font de beaux près pour de bons produits
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Parangonnage européen : les « Contributions à la qualité du paysage » en Suisse
Des projets collectifs multi-acteurs et issus des territoires, mis en place depuis 2014 par l'Office fédéral de l'agriculture (OFAG) de la Confédération Helvétique
1. Cadre général
1.1- Les politiques suisses du paysage : La Suisse compte 8,4 Millions d'habitants pour 41 285 km². La Convention européenne du paysage (CEP) a été ratifiée par la Suisse en 2013. Mais dès 1962, le Parlement avait adopté un article 24sexies de la Constitution relatif à la protection de la nature et du paysage et, en 1966, était promulguée la loi correspondante sur la protection de la nature et du paysage. Puis, en 1997, une « Conception Paysage suisse » est approuvée par le Conseil fédéral (gouvernement). Toujours en vigueur, cette politique doit notamment « contrer la pression exercée par l'urbanisation et le développement des infrastructures de transport, ainsi que par le mitage et le morcellement qui en résultent ». Elle intègre la dimension paysagère dans 13 politiques sectorielles145. Le paysage est ainsi considéré comme une dimension obligatoire de chacune de ces politiques, et non pas comme une politique à part. Les objectifs de la Conception doivent être « mis en oeuvre » dans les politiques fédérales et « pris en compte » par les cantons, notamment à l'occasion de leur planification spatiale (plans directeurs cantonaux). On note toutefois que la majorité des prescriptions concerne prioritairement la nature, révélant, à ce moment, une vision très naturaliste du paysage. Une évolution importante se fait jour avec la « stratégie paysage » qui sera approuvée par l'Office fédéral de l'environnement (OFEV) en 2011, peu avant la ratification par la Suisse de la CEP. La vision du paysage qui y est proposée est beaucoup plus proche de celle de la Convention : la vision perceptive du territoire par les populations, les aspects culturels et l'évolutivité y sont désormais affirmés. Par ailleurs l'OFEV a récemment développé une approche du paysage visant les bénéfices que les populations peuvent en retirer. Ces « prestations paysagères » ont trait à l'identité, à l'attractivité, au bien-être, à la « détente » et à la qualité de vie. Initiée en mars 2018 par l'OFEV sur mandat du Conseil fédéral, l'actualisation de la Conception paysage suisse est aujourd'hui en cours : sa nouvelle version a été soumise aux cantons, et aux différents offices fédéraux. Un document prenant en compte les retours des uns et des autres (50 contributions reçues) a été mis en consultation publique à partir du 20 mai 2019, jusqu'au mois de septembre. Une fois les résultats de cette consultation intégrés, le texte reviendra devant le conseil fédéral qui devrait statuer avant l'été 2020.
145 Ces 13 politiques sont les suivantes : constructions, énergie, santé et sport, défense nationale, agriculture, aviation civile, nature et patrimoine culturel, aménagement du territoire, développement régional, tourisme, transport, forêts, cours d'eau et risques naturels.
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Au stade actuel, la Conception actualisée énonce une « vision » : « La beauté et la diversité des paysages suisses, avec leurs particularités régionales, naturelles et culturelles, offrent aux générations actuelles et futures une qualité de vie et du site élevée ». Elle met en avant les nouveaux enjeux que sont les énergies renouvelables et la perte de biodiversité. Elle entend freiner l'artificialisation de l'espace en préconisant de « densifier avec qualité » les paysages urbains, d' « éviter le mitage du territoire » et d' « aménager les franges urbaines ». 1.2- L'agriculture en Suisse Les régions montagneuses couvrent 2/3 de la surface de la Confédération mais ne comptent que le 1/4 de la population totale. Celle-ci est donc concentrée pour l'essentiel sur le « plateau » et accessoirement sur la chaîne jurassienne. La surface agricole totale s'élève à 4 128 500 ha. Si l'on additionne les surfaces agricoles stricto sensu et les « pâturages en estivages » (diagramme OFAG ci-contre), on constate que le tiers à peine du pays est utilisé par l'agriculture. Au sein de ce total, 71 % sont consacrés aux « herbages » utilisés pour la production de lait et de viande (majoritairement bovine). La taille moyenne des exploitations est de 20 ha (contre 60 en France). La confédération compte 51 260 « exploitations à l'année » auxquelles il faut ajouter les « fermes d'estivages » comptées séparément. Le taux d'autosuffisance alimentaire du pays s'élève environ à 65 % (en calories).
Les objectifs de l'agriculture suisse sont détaillés dans l'Article 104 de la constitution fédérale146 « La Confédération veille à ce que l'agriculture, par une production répondant à la fois aux exigences du développement durable et à celles du marché, contribue substantiellement: À la sécurité de l'approvisionnement de la population; À la conservation des ressources naturelles et à l'entretien du paysage rural;
146 La constitution suisse ne se contente pas d'organiser les pouvoirs publics : elle comporte la plupart des lois et principes, très divers, issus des fréquentes «votations » de niveau fédéral.
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À l'occupation décentralisée du territoire.
« Elle conçoit les mesures de sorte que l'agriculture réponde à ses multiples fonctions. Ses compétences et ses tâches sont notamment les suivantes : Elle complète le revenu paysan par des paiements directs aux fins de rémunérer équitablement les prestations fournies, à condition que l'exploitant apporte la preuve qu'il satisfait à des exigences de caractère écologique ; Elle protège l'environnement contre les atteintes liées à l'utilisation abusive d'engrais, de produits chimiques et d'autres matières auxiliaires (...) ».
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2- Les politiques de l'OFAG ayant des incidences sur le paysage
2.1 Les « améliorations foncières » La confédération accorde en premier lieu des aides aux « infrastructures » : chemins, assainissement, irrigation, adduction d'eau, électrification... sous réserve qu'ils soient conformes sur le plan technique, que leur financement soit soutenable, et qu'ils ne soient pas contraires aux « prescriptions écologiques requises » qui seront décrites ci-après. Ces mesures peuvent être individuelles ou collectives. Elles sont financées pour un tiers par la confédération, pour un tiers par le canton et pour un tiers par le ou les demandeurs. Dans certains cas, ces infrastructures, initialement destinées à « rationaliser la production » soulèvent des problèmes environnementaux majeurs : il en est ainsi de la zone « des trois lacs » (Bienne, Morat, Neuchâtel) sur l'ouest du plateau : le drainage des dernières décennies a provoqué des tassements de sols qui engendrent des pertes de rendements et des inondations fréquentes : faut-il restaurer le système de drainage ou bien prendre son parti de l'inondation et du retour des marais (avec une perte forte de production maraîchère). Le débat est lancé nationalement avec un suivi attentif de la Confédération. Ces améliorations tendent bien sûr à agrandir la taille des parcelles, mais cette taille est très variable selon les cantons (6 ha en moyenne sur le plateau et 200 m² dans le Valais...), et, d'autre part, les « améliorations », projets ascendants, consistent aussi en des plantations de haies ou de bosquets, et en des restaurations de cours d'eau.
Source OFAG
Il s'agit en effet de profiter d'un remaniement parcellaire pour améliorer la qualité écologique
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et paysagère. Le « plan d'aménagement local »147 prévu à cet effet est en effet piloté par le maire et le conseil communal en association avec les agriculteurs. Il est ensuite approuvé par le Canton. Dans ces plans, les haies sont systématiquement préservées (ou compensées sur une épaisseur équivalente) par la loi fédérale sur la protection de la nature (haies = réserves de biodiversité, mais aussi d'auxiliaires des cultures). 2.2 Revitalisation et espace réservé aux cours d'eau Il s'agit à la fois de préserver des espaces suffisants de divagation (protection contre les inondations) et des bandes-tampons pour prévenir les pollutions par nitrates et pesticides. Ces bandes-tampons sont d'une largeur de 3 m depuis « l'espace réservé aux eaux » en ce qui concerne l'épandage des engrais. Cette largeur est portée à 6 m en ce qui concerne l'usage des pesticides. 2.3 Paiements directs La politique agricole suisse a connu un tournant important en 1996, consécutif à l'ouverture à la concurrence internationale des marchés de produits alimentaires (ce tournant correspond à la réforme de la PAC de 1992). Il s'est agi de remplacer un système de garantie des prix par un système de paiements directs aux exploitants agricoles rémunérant des « prestations » se divisant en cinq catégories très marquées par les spécificités géographiques et historiques de la Suisse. Les trois catégories de paiements directs ayant le plus d'influences sur le paysage sont listées ci-après148: « Maintien d'un paysage ouvert » : le thème de l'enfrichement de l'espace et de l'extension de la forêt, notamment en montagne, est omniprésent dans les préoccupations fédérales : les paiements sont fonction du caractère montagnard (variation de 1 à 4) et de la pente des parcelles (jusqu'à 1000 CHF/ha pour les déclivités supérieures à 50%). « Sécurité à l'approvisionnement » : la Suisse a mené, pendant la 2è guerre mondiale une politique d'autarcie alimentaire qui reste un arrière-plan de son souci d'indépendance-neutralité : rappelons qu'actuellement la confédération est autosuffisante à 65 % en termes de calories nécessaires. « Maintien de la biodiversité » : des « surfaces de promotion de la biodiversité » ont été définies : par exemple prairies extensives, zones humides et rives des cours d'eau pour lesquels les paiements directs peuvent aller jusqu'à 1700 CHF par ha. A noter également un paiement spécifique pour les « pâturages boisés » (système sylvopastoral) pour lequel on peut compter sur des paiements de 450 à 700 CHF en fonction de la qualité des habitats présents sur les surfaces concernées. Par ailleurs les « haies, bosquets champêtres et berges boisées » reçoivent des paiements directs parmi les plus élevés : jusqu'à 2700 CHF/ha149. Enfin, une mesure
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147 Ces PAL sont intégrés aux « plans d'affectation » communaux qui, eux, définissent les « zones à bâtir » de la commune : les plans d'aménagement locaux en fait des plans de détail des zones agricoles. 148 Outre ces trois catégories, on compte les thématiques de « qualité du paysage » (ajoutée en 2014, cf ci-après) et la « qualité des productions » (encouragement à l'agriculture biologique, bien-être animal). 149 Qui ne sont dépassés que par les « jachères florales ».
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plus récente vise à mettre en place dans le parcellaire de façon régulière, des « bande fleurie pour pollinisateurs et auxiliaires » (payée à 2500 CHF/ha). Les paiements sont cumulables, mais une certaine compensation existe : si les rémunérations sont maximales pour les thèmes « paysage ouvert » et « biodiversité », ils seront forcément plus faibles pour la « sécurité de l'approvisionnement », les rendements de l'exploitation étant alors moins élevés. Mais ces paiements sont conditionnels : ils ne peuvent être versés que si les exploitants respectent au préalable sept « prestations écologiques requises » établies dès 1996 : Bilan de fumure équilibré ; Garde des animaux conforme à la législation ; 7% de la SAU inscrite en « surfaces de promotion de la biodiversité » ; Rotation des cultures sur 4 ans ; Protection appropriée du sol contre l'érosion (culture d'automne, engrais verts) ; Utilisation ciblée des produits phytosanitaires, Bordure tampon sans fumure ni pesticides de 3m le long des haies et forêts et 6m le long des cours d'eau
Le contrôle du respect de ces 7 conditions est exercé par les cantons. Les résultats de cette politique ont été très positifs concernant la pollution des eaux et l'état des écoulements de rivières. Toutefois, il reste beaucoup à faire concernant l'érosion, la présence de nitrates dans les eaux, et le maintien de la biodiversité. Enfin, la tendance à l'uniformisation des paysages s'est poursuivie : perte de diversité, monotonie, simplification des formes et des couleurs, pertes de surfaces exploitées (du fait de l'urbanisation ou des difficultés d'exploitation en montagne). On a également constaté la disparition des modes de cultures traditionnels suisses (cultures en terrasses, murs en pierres sèches, prairies inondables...), la diminution de la diversité des cultures, mais aussi la difficulté d'accès au paysage agricole (pour promenades ou tourisme) du fait de la fermeture des chemins. Enfin, la disparition d'habitats naturels et semi-naturels (berges, marais, ...) a contribué à l'effondrement de la biodiversité. Ce que traduit la série de quatre photos ci-dessous, prises dans la région de Bâle en 1978, 1987, 1991 et 1996.
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Evolution du paysage Photos OFAG
Cet ensemble de facteurs a conduit à l'étude et à l'expérimentation (mise en place de projets pilotes en 2013), puis à la mise en place d'un nouveau type de paiements directs visant explicitement la qualité du paysage.
3- Les « Contributions à la qualité du paysage » : des paiements directs à des agriculteurs impliqués dans des projets collectifs locaux
3.1 Cadre institutionnel et pilotage : Conçu et initié par l'Office fédéral de l'agriculture (OFAG), le programme de « contributions à la qualité du paysage » a fait l'objet d'une approbation par le Parlement dans le cadre de la politique agricole 2014-2017 qui, par ailleurs supprimait l'aide à la tête de bétail pour les exploitations. Cette abrogation a incité une grande partie des agriculteurs concernés (hors céréalicultures ou productions spécialisées type arboriculture ou viticulture) à participer à un autre type de projet pour assurer le maintien du niveau global des paiements directs. Le programme combine une approche top-down (avec des lignes directrices fédérales exigeantes 150 ) et une approche bottom-up puisque les paiements directs ne peuvent être alloués que dans le cadre d'un projet collectif élaboré localement par un groupe d'agriculteurs ou une collectivité locale, un parc naturel ou une association. Quel que soit l'organisme à l'initiative du projet, les agriculteurs doivent en être activement partie prenante. Parmi les critères d'éligibilité figure en effet l'implication de tous les « utilisateurs du paysage » (agriculteurs, Offices fédéraux et services cantonaux de
150 Directive OFAG du 7 novembre 2013 : https://www.blw.admin.ch/.../Richtlinie%20Landschaftsqualitätsbeiträge_FR.pdf
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l'agriculture et de la nature, ONG, forestiers, etc.). L'objectif de chaque projet, à la fin des 8 ans de sa durée, doit être la participation de deux tiers des exploitants de la région concernée ou de deux-tiers de la SAU de celle-ci. La surface de la « région » varie selon la topographie de 1000 à 50 000 ha. Une fois élaboré, le projet est soumis au Canton qui peut en prescrire des « adaptations », puis transmis à la confédération (OFAG et OFEV) pour approbation définitive et mobilisation des paiements directs, dont le canton assure ensuite le paiement et le contrôle. Au vu des projets approuvés, la confédération procède à une répartition de l'enveloppe par canton selon la SAU et les surfaces d'estivage de chacun d'eux (avec un plafond cantonal) ; chaque enveloppe cantonale est ensuite répartie par projet selon la SAU et les surfaces d'estivage concernées (avec, là encore, un plafonnement par projet). En règle générale, la confédération assure 90 % des paiements et le canton 10 %. Les mesures éligibles concernent aussi bien des travaux de restauration ou de (re)mise en place d'éléments ou de structures paysagères que des travaux de maintien ou d'entretien courant de celles-ci (cf tableau ci-après).
Catégories de mesures Structures
Exemples de mesures Arbres isolés remarquables, arbres fruitiers haute-tige, haies, murs de pierres sèches, berges boisées, ... Assolements diversifiés, cultures colorées, flore messicole, ... Divers types de prairies, cultures fourragères échelonnées, bandes fleuries, bordures, ...
Contributions Pourcentage (M CHF) 44,5 31 %
Diversité des grandes cultures Diversité des surfaces herbagères
31,4 21,4
21 % 15 %
Éléments Pâturages boisés, châtaigneraies, prairies de traditionnels de fauche, cultures en zone de montagne, meules paysage cultivé de foin,... Maintien ciblé d'un paysage ouvert, récupération de surfaces Autres Ferme, valeurs culturelles Débroussaillement, pâture avec des races d'animaux appropriées en vue du maintien d'un paysage ouvert, ...
25
17 %
7,5
6%
Diversité dans la viticulture, accessibilité du paysage, ... Entreposage ordonné des balles d'ensilage, jardins potagers paysans, élevage diversifié, fauche autour des calvaires, ...
8,7 6,4
6% 4%
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L'OFAG et l'OFEV s'assurent en outre des synergies avec d'autres programmes/instruments de la Confédération (réseaux écologiques, biodiversité, améliorations foncières, etc.). Le programme a été préparé en 2013 par une série de 4 projets pilotes représentant différentes typologies paysagères, zones de production, régions linguistiques et culturelles, etc. 3.2 Élaboration et contenus des projets : Une concertation active préside à l'élaboration du projet (ateliers, séances d'informations, articles, de presse, visites de terrain, etc.) : les mesures à mettre en oeuvre doivent résulter d'une entente entre les différents milieux concernés. Ainsi, en montagne, les « lisières étagées », et les « pâturages boisés », nécessitent une coopération étroite entre agriculteurs/éleveurs et forestiers. Le projet débute logiquement par des analyses techniques et sensibles du paysage (à partir d'inventaires, d'une « vision » locale, d'un constat partagé de l'évolution du paysage, et des objectifs à fixer pour cadrer cette évolution). La détermination des spécificités régionales fait évidemment partie de ces préalables au projet, puisqu'il va s'agir de définir des mesures pour assurer le maintien, la promotion et le développement des spécificités du paysage. Le contenu des mesures soutenues et leur répartition à l'échelle du programme est illustré par le tableau ci-après: Au vu des types de mesures ci-dessus, on se rend compte que contrairement à ce qu'on pouvait attendre, la « qualité du paysage » payée aux agriculteurs suisses ne se borne pas à la restauration ou au maintien d'un paysage traditionnel emblématique ou identitaire (« carte postale »). Les évolutions paysagères liées à la production contemporaine sont largement prises en compte : les « assolements diversifiés, cultures colorées, flore messicole » comptent ainsi près du tiers des paiements et un cinquième des surfaces concernées, tandis que les « divers types de prairies, cultures fourragères échelonnées, bandes fleuries, bordures » représentent 21 % du total des paiements. Depuis la mise en place du programme, on a en outre constaté une diversification des cultures par exploitation, avec un passage en moyenne de 4 à 6 ou 7 productions, ce qui a un effet immédiat sur la taille du parcellaire. Parmi les mesures paysagèrement innovantes figure la « bande de bleuets » expérimentée dans plusieurs des projets bénéficiaires du programme (photo OFAG ci-dessous).
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Photo OFAG
Bilan 2017 des 137 projets approuvés source OFAG
3.3 Éléments de bilan et perspectives d'évolution : La contribution fédérale totale en 2017 s'élevait à 145 M de CHF pour l'ensemble du programme. En dépit de la complexité du projet à élaborer, les « contributions à la qualité du paysage » ont connu un succès foudroyant dès leur première année de mise en oeuvre Entre 2014 et 2017, 35 756 exploitations à l'année ont été parties prenantes à ce programme (soit 52% des exploitations représentant 79% de la SAU), ainsi que 4 433 exploitations d'estivage (soit 69% du total). Les aides fournies dans le programme ont une durée de huit ans : la première vague de projets arrivera à terme en 2021 et la dernière vague (2017) en 2024. Il est prévu de les reconduire pour une durée équivalente, dès lors que 80 % des objectifs fixés dans le projet auront été atteints (sauf, bien sûr, modification intervenue dans la loi d'ici ces dates : réflexion actuellement en cours pour « élargir » le dispositif).
4- Exemple d'application dans le canton du Valais
Le Canton du Valais compte 336 000 habitants pour 5 224 km². Il est constitué avant tout par la haute vallée du Rhône et les vallées adjacentes. C'est un canton essentiellement montagnard, avec 47 sommets alpins dépassant les 4000 m d'altitude. Il est en outre bilingue avec 25 % de population germanophone occupant le Haut-Valais. Caractéristiques de l'agriculture valaisanne Le Valais se caractérise par des productions typées bénéficiant le plus souvent d'appellations d'origine : vigne, arboriculture et transformation du lait sont les 3 principales activités des 3 635 exploitations agricoles valaisannes, sachant que trois quarts d'entre elles sont des exploitations à temps partiel151. 40 % de la production viticole suisse est valaisanne : 49 cépages, dont 5 autochtones sont
151 Mais on compte aussi des AOC plus originales comme le « pain de seigle du Valais ».
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cultivés sur des parcelles de taille très réduite, sur des pentes abruptes comportant 3500 km de murs de pierre sèche. La production se situe, selon les années, à 300 000 à 350 000 hectolitres (chasselas, pinot noir et gamay en grande majorité). Une restructuration est en cours au profit des cépages autochtones (humagne, cornalin, arvine...). Enfin, contrairement à l'image du « fendant », qui a cours en France, c'est la production de vins rouges qui est majoritaire dans le Canton avec 62 % du total vinifié.
Photo Service cantonal de l'Agriculture
La seconde production agricole valaisanne est l'arboriculture : 97 % de la production d'abricots de la confédération provient des vergers situés entre Sion et Martigny. Le canton produit près de la moitié de la production de poires et près d'un tiers des pommes. On compte environ 2300 exploitations arboricoles, dont le nombre diminue par concentration des structures. La troisième production significative est constituée par les produits de l'élevage, viande de races autochtones comme la célèbre vache d'Hérens concourant à des joutes annuelles pour le titre envié de « reine ». Le fromage AOP « Raclette du Valais » est le produit-phare de cette production (la quantité annuelle produite a dépassé la tonne depuis 2011), mais l'élevage caprin ou ovin se développe également. Enfin, contrairement à ce qu'on aurait pu penser, le maraîchage est peu développé, ce que le service cantonal explique par l'éloignement des débouchés de consommation ; la notion de « circuit court » alimentaire semble n'avoir pour le moment que peu d'écho dans la Confédération en général et le Valais en particulier. En termes de structures, le Canton combine les deux pressions majeures qui s'opèrent sur l'agriculture suisse : une forte pression foncière urbaine sur l'étroite zone de plaine de la vallée du Rhône - en dépit d'un endiguement draconien du fleuve dans les années 60, aujourd'hui remis en cause -, et une tendance à la déprise au profit de la forêt sur les terres d'altitude. Pour l'ensemble du Valais, le service cantonal de l'agriculture a estimé à 10,7 % les pertes en surfaces agricoles entre 1979 et 2009. S'ajoute à cela le coût et la perte de savoir-faire pour l'entretien des murets de soutènement des terrasses et des « bisses ». Ces canaux d'irrigation gravitaire à flanc de montagne assurent, depuis le 13è siècle l'approvisionnement en eau d'un
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canton où les précipitations sont rares152. Cette triple tendance explique que les autorités valaisannes aient adhéré avec empressement à la politique confédérale de qualité des paysages agricoles initiée en 2014. Les « projets de qualité du paysage » suivis par le service cantonal de l'agriculture Dès l'année 2014, sept projets ont été approuvés par la Confédération. En 2017, l'intégralité du canton est désormais couverte par 14 « projets de qualité du paysage » représentant 72 % de la SAU valaisanne et 26 000 ha sous contrat. Par ailleurs, 80 % des surfaces d'alpages sont également bénéficiaires d'un contrat. Ces résultats sont à mettre en regard des paiements directs relatifs à la seule biodiversité, pour lesquels les chiffres ne dépassent pas 5 000 ha soit 14 % à peine des surfaces agricoles et 43 % des surfaces d'alpage. De toute évidence la qualité paysagère suscite davantage de vocations à « entrer en matière » dans un projet. Le service agricole du Canton a mis en place un « processus participatif » particulièrement élaboré pour mener à bien les projets requis : un « groupe d'action local » d'une trentaine de personnes est rassemblé : il comporte des conseillers communaux, des viticulteurs et/ou des agriculteurs, des gardes forestiers ou encore des accompagnateurs de montagne, des biologistes, etc. Ce groupe tient au moins trois « séances » (réunions) : Pour valider les unités paysagères identifiées et l'analyse sensible du paysage en général ; Pour définir et arrêté les objectifs de qualité paysagère ; Enfin pour mettre au point les propositions de mesures spécifiques au territoire concerné, acceptables par ses acteurs et réalisables dans un temps déterminé.
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Quelques-unes des mesures mises en oeuvre au cours des quatre dernières années méritent d'être mentionnées : Dans le terroir viticole a été mise en place une « prime pour la variété de l'encépagement participant à la diversité des couleurs automnales » afin de « conserver, favoriser ou recréer une mosaïque paysagère » ; Dans la zone de montagne, une « prime pour la présence de cultures » a pour objectif de « conserver une diversité des cultures pour un paysage varié » en alternant prairies de fauche et labours ; À mi-hauteur, une attention particulière est portée aux « mayens », alpages de moyenne altitude pourvus d'un bâtiment où les troupeaux séjournent au printemps et à l'automne (les chalets correspondants sont aujourd'hui souvent réhabilités en hébergements touristiques) : une « prime pour la fauche des mayens » est explicitement prévue. Dans le même ordre d'idées, à l'interface entre les alpages et la forêt d'altitude, l'entretien des « pâturages boisés », paysage d'entre-deux riche en biodiversité, est,
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152 Le massif du Mont-Blanc fait écran à l'arrivée de masses d'air océaniques
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lui aussi spécifiquement primé afin de maintenir son exploitation par des « troupeaux en forêt ». Enfin, compte tenu de l'enjeu à la fois économique et paysager de leur entretien et de leur restauration, les murets de pierre sèches des terrasses viticoles sont l'objet d'un suivi attentif de la part du service cantonal. Un inventaire de leur état est régulièrement tenu à jour, des agents chargés du conseil aux propriétaires sont rémunérés, des bureaux d'étude ou des laboratoires universitaires missionnés pour assurer la transmission de ce savoir spécifique que l'Unesco vient de reconnaître au titre du « patrimoine mondial immatériel-.
Photo : Service cantonal de l'Agriculture
5- Perspectives et enseignements
La comparaison France-Suisse de matière de politiques agro-paysagères comporte évidemment des limites qui tiennent aux éléments de contexte très différents entre les deux pays : La Suisse est hors de l'Union Européenne, même si elle suit les grandes tendances des politiques agricoles mondiales, par exemple, l'ouverture au marché international intervenue en 1996, quatre ans à peine après que la réforme de la PAC ait tiré les conséquences de cette ouverture en 1992 ; À l'inverse de la France où la céréaliculture est prépondérante, la Suisse possède une agriculture largement dominée par l'élevage et marquée nettement plus que dans nos grandes plaines par les difficultés de mécanisation et d'intensification liées au relief .
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Pour autant, dans les deux cas, les préoccupations environnementales communes aux deux pays ont donné lieu à des politiques environnementales souvent plus hardies en Suisse qu'en France (les 7 conditions mises à l'octroi des paiements directs sont plus draconiennes que dans les pays de l'Union européenne en général). En revanche, malgré une « culture du paysage » largement plus ancrée dans sa population, la Suisse connaît les mêmes « pathologies » qu'en France en ce qui concerne, par exemple, le rythme d'artificialisation des sols et la pauvreté du traitement des franges urbaines.
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Dans ce contexte, toutefois, les « contributions à la qualité du paysage » sont riches d'enseignements : elles ont été mises en place avec un succès évident à l'échelle confédérale et une forte adhésion cantonale et locale (plus de la moitié des exploitations sous contrat représentant près des quatre cinquièmes de la SAU153) . On pourrait dire que cet engouement a « bénéficié » de la suppression de la prime à la tête de bétail, les exploitants agricoles ayant cherché à compenser la perte en adhérant au nouveau système que l'OFAG mettait en oeuvre simultanément. Mais ce serait un peu réducteur dans la mesure où même des « non-éleveurs » (céréaliers, arboriculteurs ou viticulteurs par exemple) ont eux-aussi « joué le jeu » du nouveau programme d'aides sans rien avoir à compenser... Mais ces « contributions à la qualité du paysage » présentent surtout trois caractéristiques d'intérêt majeur au regard de la problématique mise en exergue par la Mission : Elles sont, sous peine d'inéligibilité aux aides confédérales, issues d'un dialogue local entre agriculteurs et non agriculteurs ; Elles sont fortement ancrées dans le territoire particulier de leur application future : l'exemple du Valais est à cet égard très significatif : la pierre sèche et les « mayens » sont spécifiques à ce canton et à sa forte personnalité. Elles procèdent d'un projet collectif « remontant » mis au point par les acteurs locaux et largement contrôlé par eux, même si l'appui technique du canton peut s'avérer décisif dans certains domaines.
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Elles constituent donc bien un élément de référence pour une possible politique agropaysagère à mettre en oeuvre en France selon la méthodologie décrite par la mission. Ce qui justifie la place de leur description dans le présent rapport.
153 Ces chiffres ne doivent pas être sur-interprétés : une exploitation peut souscrire à une mesure qui n'impactera visuellement qu'une partie minime de sa surface totale : dès lors qu'elle entretient un muret ou plante une haie, elle est incluse dans les statistiques pour la totalité de sa SAU. On peut néanmoins considérer qu'en contractualisant dans le cadre d'une « contribution à la qualité du paysage », elle est entrée, même modestement dans une dynamique collective de qualité qui ne se bornera pas à une action ponctuelle.
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INVALIDE)